Suzanne Pairault Infirmière 23 La Grande Épreuve de Florence 1985

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JEUNES FILLES EN BLANC * N 23LA GRANDE EPREUVE DE FLORENCE par Suzanne PAIRAULT

*

Le hasard fait parfois trs mal les choses...L'arrive impromptue d'un bless l'hpital de Rouville aura des consquences fort douloureuses pour la pauvre Florence : contrainte de manquer un rendez-vous avec sa destine, elle se retrouve face l'preuve la plus cruelle de sa jeune existence

.Le cur bris, sa vie Rouville lui apparaissant dsormais sans intrt, la voil dcide rompre les amarres...Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. Salle des urgences 1976

13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

14. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

16. La promesse de Francine 1979 (Francine)

17. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)18. Florence fait un diagnostic1981 19. Florence et l'trange pidmie 198120. Florence et l'infirmire sans pass198221. Florence s'en va et revient198322. Florence et les frres ennemis 198423. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

13. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

15. La promesse de Francine 1979 (Francine)

16. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)

Srie Florence

1. Salle des urgences 1976

2. Florence fait un diagnostic1981 3. Florence et l'trange pidmie 19814. Florence et l'infirmire sans pass19825. Florence s'en va et revient19836. Florence et les frres ennemis 19847. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre alphabtiqueJeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. Dora garde un secret 1974 (Dora)

3. Florence et les frres ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'trange pidmie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmire sans pass1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient1983 (Florence)8. Infirmire bord 1970 (Juliette)

9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

11. La Grande preuve de Florence1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)

13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

14. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)15. Le lit no 13 1974 (Genevive)

16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

20. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

21. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

22. Salle des urgences 1976 (Florence)

23. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

SUZANNE PAIRAULT

LA GRANDE EPREUVE DE FLORENCE

ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTEAVIS IMPORTANT

Nayant pas ldition originale, mais la deuxime dition

nous navons pu positionner les 4 dessins couleurs,

que nous vous prsentons avant le commencement de louvrage,

ces derniers ayant t retirs de la seconde publication.

Le texte quant lui est en intgral.Nous nous excusons pour ce dsagrment.

I

C'est trop fort! Quelqu'un est en train de fumer dans le service! On sait pourtant que c'est dfendu!Florence, une jeune infirmire aux jolis yeux gris, se leva vivement de sa chaise et se dirigea vers la porte du poste de garde. Une odeur de tabac, en effet, flottait dans le couloir.Je parierais que c'est encore Camus. Camus tait un habitu de l'hpital de Rouville. Il y venait plusieurs fois par an soigner un ulcre que sa vie de clochard ne tardait pas faire rcidiver. Fumeur impnitent, il arrivait parfois obtenir une cigarette d'un fournisseur des cuisines ou d'un visiteur ignorant du rglement.Florence se dirigea vers la chambretterserve au bonhomme, au bout du couloir, par souci de tranquillit pour les autres malades. Camus, en effet, tait connu pour son franc-parler et son manque de discipline. Le vieil homme avait du mal se plier au rglement ncessaire la bonne marche de toute vie communautaire comme celle d'un hpital, et n'hsitait pas le faire savoir, au risque de troubler le repos des patients. Mais il avait un cur d'or et finalement tout le monde trouvait ce personnage pittoresque plutt sympathique.Bien dcide le rprimander, Florence ouvrit la porte de la petite pice d'un geste vif. A sa grande surprise, elle aperut Camus allong sur son lit, les bras carts, la bouche ouverte, dormant d'un sommeil innocent.Je l'ai souponn tort, pensa-t-elle en refermant doucement.Cependant, l'odeur de tabac persistait : elle semblait venir de l'escalier. Le couloir, cette heure, tait vide. Les malades dormaient ou somnolaient en attendant l'heure des visites. En effet, prs de l'escalier l'odeur se faisait plus forte. Florence, bien dcide claircir ce mystre, descendit.Juste au-dessous, au rez-de-chausse, se trouvait la salle des urgences. On y accueillait les arrivants qui demandaient des soins immdiats. Pour l'instant elle tait inoccupe. Et c'tait bien de l que venait l'odeur du tabac, particulirement insolite dans un lieu pareil. Robert ! Assis sur l'appui de la fentre, les jambes ballantes, le dos appuy au chambranle, un jeune homme s'amusait faire des ronds de fume avec sa cigarette. A ct de lui, un paquet ouvert, et une prouvette moiti pleine de cendres et de mgots.A la vue de la jeune infirmire, il se mit rire.

Eh bien, Flo? On dirait que tu me vois pour la premire fois. Tu as oubli que je suis l'interne de service?Florence se dirigea vers la fentre et l'ouvrit toute grande. Puis elle se retourna vers lui, le visage svre, presque dur.Robert! je n'aurais jamais pens que tu... Que je fumais? Tu le sais depuis longtemps, je suppose. Tu m'as fort bien comprise! Que tu oses fumer dans le service! Je n'en reviens pas!Sans teindre sa cigarette, il sauta terre et s'avana vers elle. Ne sois pas ridicule, Flo. Je ne fume pas dans les chambres... Il ne manquerait plus que a! Mais, c'est interdit dans tout l'hpital! Tu n'es pas sans le savoir, tout de mme! Aux malades, bien sr! Aux malades et au personnel. C'est nous de donner l'exemple!Il ricana. Florence sentait une colre mal contenue monter en elle. La conduite de l'interne, qui la toisait avec un regard ironique, lui paraissait inqualifiable. Facile ! Tu ne fumes pas, toi ! Tu ne te rends pas compte que c'est dur de s'en passer toute une journe. Tu n'as qu' aller dans la cour. Avec le temps qu'il fait, merci bien ! Tu veux que j'attrape une pneumonie? A croire que tu meurs d'envie de me soigner! Je ne plaisante pas, Robert. La salle des urgences n'est pas un fumoir. Tu oublies, Florence, qu'elle est vide. Et tu oublies, Robert, qu'elle doit toujours tre prte recevoir un accident. D'ailleurs l'odeur envahit tout l'tage... Je te prie d'emporter ton cendrier et de sortir d'ici! Depuis quand les infirmires donnent-elles des ordres aux internes? demanda-t-il irrit. Depuis que les internes se comportent comme des enfants mal levs!Dans le feu de la discussion, ni l'un ni l'autre n'avait entendu des pas approcher de la salle. Tout coup un groupe parut sur le seuil. Derrire M. Martel, mdecin-chef de Rouville, se tenaient trois inconnus, entours de deux internes, et de Mme Benot, la surveillante. Sansaucun doute, M. Martel faisait visiter Rouville des confrres. Il s'avana, les sourcils froncs.Eh bien, que se passe-t-il? Vous n'avez pas l'air d'accord, tous les deux. Robert, mal l'aise, et dsireux de sauver la face, s'exclama :Florence me faisait une scne parce qu'elle m'a trouv dans cette salle. En train de fumer ! prcisa la jeune fille en dsignant le cendrier improvis. Ici! Dans la salle des urgences! s'exclama Mme Benot indigne. Robert, ce n'est pas la premire fois que vous vous conduisez de la sorte, dclara M. Martel d'une voix svre. Vous avez un peu trop tendance considrer l'hpital comme votre appartement personnel. Ici, ni vous ni moi ne sommes chez nous; nous sommes chez nos malades. Tchez de ne pas l'oublier! Et vous savez combien je tiens ce que chacun respecte le rglement.Cette fois, l'interne avait perdu sa belle assurance. Rouge de confusion, il prit son prouvette-cendrier et traversa la salle sous les regards amuss des deux autres jeunes mdecins. M. Martel le suivit des yeux quelques instants,hochant la tte en signe de mcontentement, puis pria ses visiteurs de bien vouloir l'excuser pour ce petit incident. Il se mit ensuite leur expliquer le fonctionnement du service des urgences. Florence s'approcha de la surveillante.Je vous laisse, lui dit-elle mi-voix. Je vais envoyer Sandra. Trs bien, mon petit , rpondit Mme Benot sur le mme ton.A sa seule expression, on devinait combien elle aimait et estimait Florence.Dans l'escalier, la jeune infirmire rejoignit Robert.Je suis dsole. Ce n'est pas ma faute si... Si je suis flamb aux yeux du patron! Cela ne te drange pas, bien entendu. Pas ta faute! Quel culot! Toujours te mler de ce qui ne te regarde pas! Qu'est-ce que tu venais fabriquer dans la salle des urgences, tu n'avais rien y faire... L'odeur... Elle montait jusqu'au premier. Et puis, M. Martel et les autres t'auraient dcouvert de toute faon. La visite de la salle des urgences devait tre incluse dans leur programme, rpliqua Florence avec fermet. Garde tes suppositions pour toi! lana Robert en acclrant le pas. Bien entendu, ce n'est pas l'illustre docteur Gilles Martin si cher ton cur et celui du patron qui aurait fait une chose pareille! Irrprochable, lui! Un mdecin hors-du-commun ! Qu'est-ce que tu vas chercher? Gilles se trouve aux Etats-Unis, et je reconnais volontiers qu'il n'aurait pas hsit te rappeler l'ordre comme moi. D'ailleurs, son retour, nous bnficierons tous de l'exprience qu'il aura vcue en travaillant avec un grand ponte de la mdecine. En attendant, fiche-moi la paix. Arriv sur le palier, l'interne tourna les talons et se dirigea vers le corps du btiment rserv aux chambres des stagiaires. Son pas vif claqua sur le carrelage; il tait hors de lui.Florence regagna son service et donna ses instructions Sandra, une jeune Noire sympathique dont elle apprciait la comptence et la gentillesse. L'aide-soignante descendit aussitt dans la salle des urgences. Les premiers visiteurs commenaient arriver : des portes s'ouvraient, des pas glissaient dans lecouloir. C'tait le moment tant attendu des malades.Une ombre s'approcha du poste de garde. Un homme d'une soixantaine d'annes, grand et maigre, le visage anxieux, se tenait devant la porte grande ouverte.Excusez-moi, mademoiselle. Vous tes, je pense, l'infirmire de service ? En effet, monsieur. Alors je voudrais... je voudrais vous demander. Sa voix s'tranglait dans sa gorge. Il reprit son souffle puis annona, sur un ton qui laissait deviner une immense dtresse.Je m'appelle M. Dumas. Ma femme a t opre hier de... de...Florence sourit.Je sais : un polype abdominal. Vous venez de la voir, je suppose ? Oui, justement. Et je ne la trouve pas bien, elle a de la fivre... Ce n'est pas inquitant. Il s'agissait d'une intervention importante. Tout s'est bien pass, rassurez-vous. Mademoiselle!Les mains du pauvre homme tremblaient.Mademoiselle, si on avait trouv... quelque chose de srieux, est-ce que vous me le diriez? Sans aucun doute, rpondit Florence d'une voix grave. Vous pensez videmment la possibilit d'un cancer. On ne le dit pas toujours au malade lui-mme, mais on en informe la personne la plus proche. Vous pouvez tre tranquille. On n'a rien dcouvert d'alarmant. C'est vrai? bien vrai? Absolument. D'ailleurs, si c'tait le cas, on aurait aussitt transfr Mme Dumas dans un service spcialis pour la soigner. Je vous le rpte, il

s'agissait d'un polype sans gravit : tout va bien. Le visage de l'homme changea d'expression : il sourit tandis que de grosses larmes roulaient sur ses joues.Allez vite la retrouver, lui dit gentiment Florence. Mais ne la fatiguez pas : elle a besoin de plusieurs jours de repos ! Comme il s'loignait, Sandra entra au poste de garde.Tu as russi chasser cette odeur de tabac! lui demanda Florence. Oui, j'ai ouvert la fentre et brl du dsinfectant. J'ai donn un coup de chiffon sur le rebord : pas fichu de fumer sans mettre des cendres partout, ce Robert! A propos, en remontant, je l'ai rencontr. Il te demande en salle des pansements. Il avait l'air press, mme. C'est pour le 12? Je croyais qu'il ne devait le prendre qu' cinq heures, s'tonna l'infirmire en consultant sa montre. Je ne sais pas : il m'a seulement dit de t'appeler. De toute urgence. C'tait bizarre. D'habitude, en pareil cas, l'interne s'assurait que Florence pouvait l'aider, puis il faisait venir le malade.Le 12 tait une jeune femme brle assez profondment au bras. La priode critique passe, la plaie exigeait encore des pansements.Quand Florence entra dans la salle, la patiente tait assise ; son bras band reposait sur la table. Robert se tenait immobile ct d'elle. Silencieux, chose exceptionnelle. En gnral il parlait avec ses malades, cherchant les distraire avec ses plaisanteries. Jovial et bon vivant, il avait toujours une histoire raconter. La jeune femme, elle aussi, semblait tonne de son silence mais n'osait pas poser de questions.Je dfais le pansement? Bien entendu! rpondit l'interne d'un ton rogue. En voil une question!Florence leva les yeux vers lui, mais il affecta de ne pas la voir, fixant le bras sans sourciller.Elle droula le bandage, ta dlicatement les compresses. L'aspect de la plaie tait satisfaisant.Eh bien, cela va mieux! dit-elle d'une voix enjoue. N'est-ce pas, docteur?Pas de rponse. La cicatrice ne sera pas vilaine, continua Florence. Si elle vous gne, on pourra d'ailleurs la retoucher, dclara-t-elle l'intention de la malade.Celle-ci se contenta de sourire. Robert examina la plaie, la nettoya, y appliqua l'onguent, la recouvrit d'une compresse, puis sortit sans dire un mot.Qu'est-ce qu'il a, le docteur, aujourd'hui, mademoiselle? demanda enfin la jeune femme. D'ordinaire il est si gai, si drle... Est-ce qu'il a des ennuis? Je n'en sais rien , mentit Florence.Elle savait fort bien qu'il lui en voulait d'avoir t la cause de son humiliation. Cause bien involontaire, d'ailleurs. Comment aurait-elle pu prvoir la visite de M. Martel au service des urgences cette heure insolite? Peut-tre lui en voulait-il aussi pour une autre raison : il avait t humili devant elle, une simple infirmire, une subalterne, en quelque sorte. Quant ses rflexions au sujet de Gilles Martin, autrefois interne Rouville, elle les mettait sur le compte d'une certaine jalousie qui avait tout de suite oppos Robert au jeune homme, ds son arrive. M. Martel tmoignait ce dernier tant d'estime et d'amiti que l'autre en avait pris ombrage. Mais s'il se montrait parfois acerbe son gard, jamais Robertn'avait laiss deviner autant de ressentiment que ce jour-l. Il se bornait quelques plaisanteries ou des remarques ironiques sur l'avenir promis ce brillant mdecin.Il faut dire que Robert tait aussi impulsif et orgueilleux que lger et insouciant. Un drle de garon, finalement !Pourtant, malgr son indulgence et sa bonne volont, Florence ne lui pardonnait pas sa conduite.Robert tait susceptible : l'incident l'avait bless, certes, mais son ressentiment s'effacerait vite.Tandis qu'elle raccompagnait la malade dans sa chambre, la jeune infirmire remuait toutes ces penses dans son esprit. D'ordinaire, elle aussi se montrait plus bavarde avec les patients : quelques mots bienveillants ont tellement d'importance pour eux! Et il y a fort parier que la brlure du 12 trouvait le personnel de Rouville un peu curieux, ce jour-l...Quelques instants plus tard, Florence retourna au poste de garde et commena prparer les mdicaments de la nuit.II

L'avez l'air bien gaie, ce matin, m'selle Flo!C'tait Camus, le clochard, qui venait d'apparatre au coin du couloir. Du pyjama ray de l'hpital mergeait une tte bouriffe aux joues couvertes d'un poil grisonnant. Quand Camus sjournait l'hpital, on arrivait le tenir propre, mais l'infirmier n'allait tout de mme pas le peigner et le raser tous les jours!Camus n'aurait pas d quitter sa chambre avant l'heure de la visite. Mais ce matin-l, Florence se sentait indulgente. Vous tes gaie ! rpta le clochard. Et moi je sais pourquoi. C'est pas aujourdhuiqu'il revient d'Amrique, le docteur Martin?Florence rougit. Elle s'tait fiance avec le Docteur Gilles Martin peu de temps avant qu'il ne parte pour un stage de six mois aux Etats-Unis. Tout le monde Rouville s'en doutait, mais elle n'avait confi ce secret qu' sa meilleure camarade, Clotilde.Comment le savez-vous, Camus? demanda-t-elle surprise. Camus, il sait tout, fit-il d'un air malin. Il trane souvent dans les couloirs, n'est-ce pas? Des fois qu'il rencontrerait quelqu'un de gentil... Qui vous donnerait une cigarette, c'est ce que vous voulez dire? remarqua l'infirmire en riant. Pan dans le mille! Ce que vous tes astucieuse, m'selle Flo! Bon, eh bien, dans les couloirs, on dcouvre plein de choses. Ah? Lesquelles? Par exemple que le docteur n'crivait plus, depuis un bout de temps. Oh! C'est pas que je sois indiscret, mais j'ai remarqu, par la vitre du poste de garde, qu'il n'y avait plus d'enveloppe "par avion" dans votre casier. C'est pas vrai? Tout fait exact, mon brave Camus, lana Florence, de plus en plus amuse. Je me disais : peut-tre y s'entendent plus, ces deux-l. Et je pensais que a serait dommage, des chics types comme vous deux...L, Florence clata d'un rire sonore.Je ne me doutais pas que vous vous intressiez autant nous! Mais vous pouvez vous tranquilliser : notre correspondance s'est interrompue pendant un mois, pour la simple raison que le Docteur Martin a particip une expdition polaire dans le Grand Nord. Et dans ce cas, le courrier... a, je pouvais pas m'en douter! Mais je me rappelais que Martin devait rentrer vers le 15. Il me l'avait dit, avant de partir. Mme qu'il tait venu dans ma chambre pour me souhaiter une meilleure sant. Et le 15, c'est aujourd'hui, pas vrai ? Alors je me suis dit : Camus, mon ami, t'as qu' attendre... A votre figure, j'ai compris...! Tout va pour le mieux. A ce moment, un pas s'approcha : Robert passa devant eux sans dire unmot. A peine avait-il le dos tourn que le clochard lui tirait la langue. Camus! reprocha Florence. Qu'est-ce que vous voulez? Je l'aime pas, moi, celui-l. D'abord y me fait toujours des farces. Des mchantes mme. Y me dit : "Viens, je vais te donner une cigarette." Moi je viens... des fois que a serait vrai, on ne sait jamais. Et puis y me donne un paquet vide, ou n'importe quoi. C'est gentil, a, m'selle Flo? Non, ce n'est pas gentil, reconnut Florence avec un sourire en prenant cong du clochard. Elle eut une pense amuse pour les plaisanteries auxquelles il avait fait allusion. Elles expliquaient tout simplement son ressentiment l'gard de Robert. Les cigarettes, pour le vieil homme, c'tait une affaire srieuse! Quant ce fumeur impnitent de Robert, il savait de quoi il parlait!Pour sa part, Flo trouvait l'interne moins chaleureux qu'autrefois, mais il ne lui manifestait plus la franche hostilit des premiers jours qui avaient suivi le fcheux incident avec le docteur Martel.Elle fit le tour de son service. L'infirmire

de nuit n'avait aucun cas grave lui signaler. L'opre du polype avait bien dormi; l'appendicite de l'avant-veille demandait se lever; le fractur du talon se plaignait de son pltre : il faudrait le signaler au patron la visite. De la chambre 9, occupe par deux hpatites, provenaient des bruits de voix et de rires.Oui, tout allait bien. En regagnant le poste de garde, Florence jeta un coup d'il la pendule. Cette journe finirait-elle jamais ? L'aiguille avanait avec une telle lenteur...L'avion de Gilles devait atterrir Roissy neuf heures trente du soir. Mais il fallait compter le trajet de Rouville Paris, en autobus, puis jusqu' l'aroport, et avec les embouteillages, en fin de journe, cela demanderait du temps. Pour tre sre de ne pas manquer l'arrive de l'avion, Florence avait dcid de quitter le service six heures : Clotilde, son amie et confidente, la remplacerait jusqu' ce que la garde de nuit prenne son service. Florence se voyait dj dans la foule, la barrire, guettant la haute silhouette mince, aux cheveux noirs...Vers cinq heures, l'interne passa pourla contre-visite. Il s'agissait du docteur Crpin, un mdecin un peu plus g, que Florence aimait beaucoup.Vous avez l'air bien joyeuse, ce soir, Florence! remarqua-t-il son tour.La jeune infirmire ne rpondit pas, mais ses yeux brillants parlrent pour elle.Le docteur Crpin venait de s'loigner, quand la sonnerie de l'interphone retentit. C'tait Mme Benot.Florence, mon petit... Tout est prt aux urgences?Aux urgences? Florence sentit son cur se serrer brusquement, Les urgences, cela la concernait. N'tait-ce pas grce elle, que cette salle existait encore1. Et mme si ce service ne fonctionnait que rarement ici, elle en avait la responsabilit.Oui, madame, rpondit-elle dans un souffle. Alors, descendez. Je prviens le docteur Crpin. Il est de service ce soir. Je crois que c'est srieux. Encore un accident de la route? Non, un couvreur, tomb d'un toit.Ses camarades ont alert la gendarmerie, faites1. Voir La Salle des Urgences, mme collection.vite.Quand Florence raccrocha, ses mains tremblaient. Instinctivement, elle regarda l'heure : six heures moins vingt... S'il s'agissait seulement d'installer l'accident, et de l'envoyer la radio, elle pourrait le laisser sous la surveillance de Clotilde. En allant vite, trs vite, en prenant un taxi jusqu' l'aroport, elle pourrait encore tre Roissy en temps voulu.Elle venait d'arriver dans la salle des urgences quand elle entendit l'ambulance s'arrter devant l'hpital. Quelques instants plus tard, deux gendarmes

entraient, portant une civire. Le docteur Crpin, alert par Mme Benot, les suivait.L'homme tait sans connaissance, immobile, le visage d'une pleur de cire. Par instants, un grand frisson le secouait de la tte aux pieds. Tandis que Florence coupait vite ses vtements, le mdecin prit le pouls du bless et hocha la tte.Faible, murmura-t-il... Trs rapide... Respiration superficielle... Voyons la tension... Elle s'effondre. Pas de trace de plaie... Hmorragie interne? demanda Florence.Il approuva d'un signe de tte. Abdominale, videmment, lana-t-il au bout de quelques instants. Peut-tre la rate. Il faut oprer d'urgence ; je prfre appeler le patron. De votre ct, demandez Richard.Richard tait l'anesthsiste de Rouville. Florence courut au tlphone et composa le numro. Une voix de femme rpondit.Le docteur Richard? Ah, il est absent, ce soir, mademoiselle. C'est urgent ? Trs urgent. Peut-on le joindre immdiatement ? Je ne crois pas, il se trouve chez sa mre, Paris. Et elle n'a pas le tlphone. Si c'est press, vous pourriez appeler le docteur Vernet... Attendez, je vais chercher son numro...Que les secondes peuvent paratre longues, dans certains cas. Et cet homme, dont la vie ne tenait peut-tre qu' un fil... Enfin la voix se fit de nouveau entendre.Je ne retrouve pas... je ne sais pas... C'est si rare, que l'on opre d'urgence, Rouville... Florence raccrocha. Elle se prcipita sur l'annuaire des Yvelines et chercha fbrilement le numro du docteur Vernet.Hlas, lorsqu'elle le composa, la sonnerie retentit dans une maison vide, selon toute vraisemblance. Personne ne rpondit. C'tait si rare, une intervention chirurgicale d'urgence, Rouville, comme l'avait dit l'pouse de Richard... Hlas, cela arrivait tout de mme,Lorsque Florence revint dans la salle, le docteur Crpin annona.C'est bien ce que je pensais... J'appelle le labo pour la numration globulaire. Il faudra srement une transfusion.Le patron va arriver d'une minute l'autre. Vous avez eu Richard? Ni lui ni son remplaant. Personne. Il faut pourtant intervenir le plus tt possible!A ce moment-l, M. Martel fit son entre. Il portait un smoking, ce qui laissait supposer qu'il avait interrompu quelque rception officielle pour rpondre l'appel de l'interne. Il se pencha sur le bless, prit son tour la tension artrielle : elle tait encore tombe de quelques degrs.Plus de temps perdre, dclara-t-il. Montons-le tout de suite au bloc opratoire. Le veilleur de nuit et Crpin firent glisser le patient sur le brancard.Richard? interrogea le patron. Il n'est pas l. On n'a pu joindre personne, dit Florence. Le temps presse. On se contentera d'un masque. Vous en avez dj fait, n'est-ce pas, Crpin?Le jeune homme inclina la tte.Eh bien, allons-y! Ma petite Flo, puisque Crpin s'occupe de l'anesthsie, j'ai besoin de vous pour l'intervention.En pareil cas, c'est souvent une question de minutes.Florence ne rpondit pas. Il lui semblait que son cur allait clater, tant il battait vite. Une sorte de brouillard envahissait la pice, et la jeune infirmire se demandait si elle n'allait pas dfaillir : jusqu' quand ce vertige insupportable durerait-il? Gilles... L'aroport... Tout cela lui paraissait irrel.Lorsqu'elle posa son regard sur l'homme, inerte sur la civire, elle se ressaisit. Rien au monde ne comptait davantage qu'une vie humaine. Elle tait infirmire, la vie du bless avant tout. Elle s'en voulut mme, un instant, d'avoir t si faible. Martel, lui, n'avait pas hsit se dranger : il avait quitt une runion importante pour lui, peut-tre.Florence monta la salle d'oprations, trs vite, pour y arriver avant le brancard. Tout tait prt. L'ancien appareil qu'on n'utilisait plus depuis longtemps l'anesthsie avait fait tant de progrs se trouvait toujours sa place, le patron ayant tenu le conserver.Le brancard arrivait. Florence aida allonger le bless, puis elle disposa leschamps opratoires. Elle tendit sa blouse au docteur Martel, son tablier et son masque. Enfin, elle lui donna ses gants, tandis que Crpin prparait son appareil.a va, Flo? On est d'attaque?Elle fit signe que oui et revtit elle-mme des vtements striles. En temps ordinaire, elle et t fire d'assister le patron la place d'un des internes. Aujourd'hui...Bistouri, demanda M. Martel.Elle obit aussitt. L'abdomen tait rempli de sang.Epongez! Vous voyez, Crpin, ce qui arriverait si nous n'tions pas cette rate immdiatement. Une pince... Flo, une autre... oui. Bon, pongez toujours...Dans ce combat contre la mort, elle se sentait trs proche des deux mdecins. Ils faisaient quipe et rien ne pourrait les distraire de la lutte acharne qu'ils menaient. Gilles, lorsqu'elle lui raconterait les pripties de cette fin de journe, ne manquerait pas de comprendre. Il lui pardonnerait volontiers de n'tre pas alle Roissy et, qui sait? il serait mme trs fier de sa petite infirmire?Quelle heure peut-il tre? se demandasoudain Florence. Peu importait. De toute faon, il tait trop tard.Attentive aux ordres du chirurgien, elle regardait les doigts agiles saisir, couper, recoudre les chairs. Par instants la pense de Gilles l'effleurait : alors, elle avait l'impression de ne pas tre rellement l, comme si elle agissait d'instinct.Tout va bien, dit enfin M. Martel. Nous aurons bientt termin. Il aura peut-tre un peu mal au cur, au rveil, aprs cette anesthsie... d'un autre temps... Mais nous n'avions pas le choix. La suture... le pansement. Le patron enleva enfin ses gants et son masque. Il sourit, heureux et dtendu, puis regarda sa montre. Neuf heures trente ! dclara-t-il gaiement.Neuf heures trente... L'avion en provenance de New York atterrissait Roissy...III

L'opr fut install dans son lit, puis le docteur Martel vint le voir avant de partir.Il n'a pas besoin de surveillance spciale, dit-il Florence. Prvenez seulement la garde de nuit d'avoir l'il sur lui. Trs bien, monsieur, rpondit-elle simplement.Mais elle tait bien dcide rester au chevet du malade, au moins jusqu'au moment pnible du rveil. Elle n'aurait pas pu dormir, de toute faon. Au lieu de monter dans sa chambre se dsoler, ne valait-il pas mieux se rendre utile?Elle se passa un peu d'eau frache sur le visage et sentit la grande lassitude quil'habitait s'estomper un peu. Ses penses retournrent Gilles Martin. Que faisait-il, en ce moment? Que pensait-il? Comme il devait tre anxieux et du! Mais elle n'eut pas le loisir de laisser son esprit vagabonder davantage. La porte de la chambre s'ouvrit nouveau.Vous restez? demanda Crpin surpris. Oui, je prfre. Mais Martel a dit qu'il ne risquait rien. N'importe. Je veille un moment. Comme vous voudrez. En tout cas, je suis de garde cette nuit : appelez-moi si vous avez besoin de moi. Florence s'assit au chevet du bless. Un homme jeune, au visage hl barr d'une petite moustache blonde comme ses cheveux. Son corps tait robuste, ses mains vigoureuses. Il ne portait pas d'alliance, mais peut-tre y avait-il tout de mme, Rouville ou dans les environs, une jeune fille qui pensait lui.Elle regarda sa montre : neuf heures trois quarts ! A cette minute mme, Gilles devait avoir franchi la barrire de l'arrive. Il devait chercher des yeux, dans la foule, une tte boucle qu'il n'apercevrait pas. Il s'inquitait, sans doute. Pourquoi n'tait-elle pas venue? Ils se promettaient tant de joie, tous les deux, de ce premier coup d'il aprs leur longue sparation. Gilles se demandait avec angoisse si elle tait souffrante. Il se rassurait sans doute en pensant qu'elle avait simplement du retard. Les embouteillages... Il attendait, esprait encore, ne voyait rien venir...Tlphonerait-il, ce soir? Oserait-il le faire, une heure aussi tardive? Gilles, qui avait travaill Rouville, connaissait parfaitement le fonctionnement du service de nuit. Il savait qu'aprs le dpart de la standardiste, il ne restait qu'une ligne, branche sur le poste de garde, Prendrait-il l'initiative de dranger le mdecin de garde cette nuit-l? S'il avait su qu'il s'agissait de Crpin, qu'il connaissait bien, il n'aurait sans doute pas hsit. Mais appellerait-il un inconnu peut-tre pour lui demander une communication personnelle avec une infirmire? Florence savait combien le jeune homme tait discret : elle avait la quasi-certitude qu'il attendrait le lendemain matin pour se manifester. Le lendemain... Comme cela lui semblait loin!Au bout d'un moment, le bless remua un peu: Florence se pencha vers lui. O... o suis-je? balbutia-t-il. Vous tes l'hpital, vous avez eu un accident. Il a fallu vous oprer. Mais ne vous inquitez pas, maintenant tout va bien. Est-ce que je...Il fut interrompu par une nause. Avec cette anesthsie de fortune, on devait s'attendre un rveil pnible. Le chirurgien lui-mme en avait averti Florence et elle savait ce qu'il convenait de faire en pareil cas. Un mauvais moment passer, somme toute.Florence soutint la nuque du patient, lui lava le visage l'eau frache avec un gant de toilette puis posa un glaon sur ses lvres dessches.Un peu de patience... Ce n'est pas grave. La suite de l'anesthsie. Restez tranquille, fermez les yeux...La main du malade se crispait sur la sienne. Elle la caressa doucement, pour le calmer. Il y eut un long silence. Alors l'image de Gilles reparut, lancinante. En cet instant, sans doute quittait-il l'arogare, du, dsespr, peut-tre. Il se dirigeait vers la station de taxis, prenaitplace dans la longue file d'attente tout en jetant des regards inquiets vers le hall d'entre, esprant encore apercevoir une frle silhouette.Il se dcidait enfin monter dans une voiture, son tour tant arriv. O allait-il? Gilles avait perdu ses parents, voici quelques annes. C'est d'ailleurs pour cela qu'il avait commenc sa mdecine plus tard que d'ordinaire, ayant d accepter un travail de bureau pour permettre ses deux cadets de faire leurs tudes. Ensuite, il s'tait mis travailler avec acharnement, et ses efforts avaient t rcompenss. Le docteur Gilles Martin tait aussi dou que comptent.L, Florence regretta de ne pas lui avoir demand l'adresse de ses frres. Gilles tait si discret... Quant chercher des Martin dans les annuaires de la rgion parisienne, autant ne pas y penser !Le bless, peu peu, reprenait conscience. Il passa sa main sur son front.Je ne me rappelle rien, dit-il. J'tais au chantier avec les copains... Et puis... Normal, aprs un choc. Vous tes mont sur le toit, vous avez gliss...Il regarda le pansement de son abdomen.Je me suis cass quelque chose ? Bless au foie? A l'estomac? Au poumon? Dites-moi la vrit, mademoiselle, je vous en prie. C'est votre rate qui a t touche. Mais on a pu l'ter tout de suite, et maintenant vous ne risquez plus rien. L'homme ouvrit de grands yeux. La rate? On m'a t la rate? Mais je ne pourrai pas vivre sans elle! Vous vivrez parfaitement, ne vous tourmentez pas. Je pourrai aller et venir? Remonter sur les toits? Je suis couvreur, vous savez. Rien ne sera chang, je vous le promets. Il poussa un soupir de soulagement.Puisque vous le dites... Mais ma pauvre mre doit mourir d'inquitude. Je pense que les copains l'ont prvenue? Bien sr. D'ailleurs, les gendarmes qui vous ont amen l'ont fait aussi. Vous habitez avec vos parents?Il inclina la tte et referma les yeux.Florence le laissa se reposer quelques instants. Tout se passait pour le mieux. Il avait bien support l'intervention.Vos parents viendront srement vous rendre visite demain, lui dit-elle lorsqu'il leva nouveau son regard vers elle. J'ai une sur, aussi. Elle doit avoir votre ge. Pour le moment, il faut dormir, dclara Florence d'une voix douce. Vous avez besoin de repos. Elle remonta les draps sur les paules du patient. Un instant aprs, il s'assoupissait.Le silence. La ple lumire de la veilleuse. Tout tait calme. Un homme venait de gagner le combat contre la mort. Les efforts conjugus d'une quipe l'avaient ramen la vie. Florence y songea un moment, puis elle se retrouva seule avec ses penses. Gilles avait-il retrouv les membres de sa famille rsidant dans la rgion parisienne? Etait-il all passer la nuit dans un htel? Elle l'imaginait triste et seul, dans ce cas, examinant toutes les raisons qui pourraient expliquer son absence.Sans cette malheureuse urgence, l'heure prsente, ils seraient ensemble, assis l'un prs de l'autre, peut-tre dans ce mme caf o ils avaient pris un verre, pour se donner du courage, lorsqu'elle l'avait accompagn l'aroport... Combien de temps coul depuis ce soir-l? Des mois? Non, des sicles...Le bless dormait d'un sommeil agit. La nuit s'tirait indfiniment. De temps en temps, Florence recouvrait le patient, rangeait son oreiller. Attentive au moindre signe anormal, elle ne le quittait pas des yeux. Jusque-l, tout se passait pour le mieux, elle le savait, pour avoir veill sur tant d'oprs, depuis qu'elle tait infirmire. Rien d'anormal, en somme. N'tait-ce l'angoisse qui l'treignait chaque fois que ses penses allaient vers Gilles, elle aurait t heureuse de passer une nuit, tout entire s'il le fallait, sur la chaise inconfortable qui meublait la petite chambre.Un pas, dans le couloir. Le docteur Crpin venait aux nouvelles.Il s'est veill? Oui, il y a dj longtemps, tout allait bien. Je vous assure, Flo, qu'il n'a plus besoin de vous. La garde de nuit le surveillera. Vous serez bout de forces demain matin. C'est mon jour de cong. A plus forte raison!Merci, docteur. Je vais me reposer. Demain... En effet, elle ne pouvait se permettre d'avoir mauvaise mine! L'horloge du couloir marquait minuit, quand elle sortit de la chambre. Elle savait bien qu'elle ne parviendrait pas trouver le sommeil, mais du moins pourrait-elle s'allonger sur son lit et se dtendre un peu. Tandis qu'elle regagnait l'aile du btiment rserve au personnel de l'hpital, Florence se sentit dcourage. Elle s'tait fait une telle joie de cette soire ! Soudain, sa solitude lui parut encore plus cruelle que lorsqu'elle luttait pour sauver le malade. A ce moment-l, elle n'tait pas vraiment seule. Tandis que maintenant...Sa petite chambre confortable et dcore avec got lui redonna un peu de courage. L, elle avait l'impression d'tre protge par les babioles, les objets familiers disposs sur les meubles, tmoins de moments heureux, anniversaires, succs l'Ecole d'Infirmires ou voyages.Elle se dshabilla, se fora faire sa toilette avec soin. Ces simples gestes l'aidaient garder son calme. Encore quelques heures...

Gilles ne l'appellerait pas avant huit heures! Le quartier des infirmires n'avait qu'un interphone, sans communication avec l'extrieur. Il attendrait le moment du petit djeuner. Et elle partirait aussitt pour le retrouver. Avant de se coucher, elle prpara les vtements qu'elle porterait. Un ensemble en lin bleu, un chemisier en soie blanche et des escarpins de cuir gris ple.Combien de temps resta-t-elle repasser inlassablement les vnements de la soire, rexaminer toutes les suppositions qu'avait d faire Gilles, constern de ne pas la voir comme prvu ? Elle ne sut le dire. Pas plus qu'elle ne put dire si elle avait rellement dormi, durant cette longue nuit. Quand le jour pointa travers les rideaux qu'elle n'avait pas pris la peine de fermer, elle se sentit trs lasse. D'abord, elle se demanda si elle n'avait pas tout bonnement rv, si tout cela n'tait pas un affreux cauchemar. Roissy... L'avion... L'urgence... Hlas, il lui fallut se rendre l'vidence.Une douche bien frache, des vtements soigns lui redonnrent du courage. Un jour nouveau se levait, porteur d'espoir. Et c'est finalement presquejoyeuse qu'elle regagna le rfectoire pour le petit djeuner.Elle y arriva la premire, au moment o la serveuse ouvrait la porte. Une autre infirmire la suivit de prs. C'tait justement Clotilde, son amie, la seule qui ft au courant du retour de Gilles.Florence! fit-elle avec surprise. Tu n'es donc pas alle Roissy hier soir? Tu es dj rentre ? Il y a eu une urgence, juste au moment o j'allais partir. Mon Dieu! quelle malchance! Et naturellement tu n'avais aucun moyen de prvenir Gilles. J'aurais pu lui faire remettre un message. Mais au dbut je pensais avoir le temps d'arriver malgr tout. Aprs, a s'est compliqu, on n'a pas pu joindre l'anesthsiste, il a fallu que Crpin fasse un ther. Et ensuite c'tait trop tard. Ma pauvre Flo! Pourquoi ne m'as-tu pas rveille? Nous aurions pass un moment ensemble. Comme tu as d tre malheureuse ! A une heure pareille? Tu n'y penses pas! Tu vas tre tellement occupe, toute la journe. N'exagre pas! J'aurais aim teremonter le moral, tu le sais, tout de mme. Enfin, je te reconnais l, ma Flo! dit Clotilde avec un sourire amical. Comme Gilles a d tre du ! poursuivit-elle. Il n'a pas tlphon? Pas que je sache. Il n'ignore pas qu'il n'y a que la ligne du mdecin de garde, la nuit. Il n'a sans doute pas os. Trop dlicat, ce garon! ironisa Clotilde. Trop bien duqu... Mais il va appeler d'un moment l'autre. A huit heures, srement! C'est ce que je pense aussi, dclara Florence qui, la perspective d'entendre la voix de son ami, oubliait un peu ses tourments.Elles se turent car d'autres infirmires entraient dans la cantine.Ah, c'est ton jour de sortie, Flo! Dis donc, tu pars bien tt! Et qu'est-ce que tu es lgante! Un peu ple, cependant! J'ai appris que tu avais assur une urgence, hier soir. Allons, un peu de rouge joues, et tu retrouveras ta bonne mine. Veinarde ! Tu as des projets intressants, pour aujourd'hui? Il fait un temps radieux ! Noye par le flot des rflexions deses camarades, Florence ne rpondit pas. Elle se contenta de sourire et s'effora de manger le plus vite possible afin d'chapper leurs remarques.Elle tendait dsesprment l'oreille dans l'espoir que le tlphone sonnerait, prte se prcipiter ds le premier appel.A la fin du repas, elle cherchait un moyen de ne pas s'loigner du standard, se demandant o aller. Clotilde, devinant ce qui la tourmentait, vint son aide. Son service se trouvait au rez-de-chausse, proche des bureaux.Attends-moi mon poste de garde, chuchota-t-elle. Je cours prvenir la standardiste, qu'en cas d'appel, elle te joigne chez moi. On ne se demandera pas ce que je fais dans ton poste? C'est ton jour de cong, tu es libre d'aller o tu veux. D'ailleurs, sois tranquille, nous ne verrons personne. Tu es gentille, Clotilde. Florence alla s'asseoir au fond du petit bureau. A son retour, Clotilde, la voyant croiser et dcroiser les mains sur ses genoux, lui demanda de l'aider ranger des botes de compresses.Tu t'nerveras moins qu' rester sans rien faire, lui dit-elle. Tu as raison. Huit heures et demie, dj! Tu ne trouves pas que c'est trange qu'il n'ait pas appel? Il a pu avoir quelque chose de trs urgent, ce matin. Quelque chose d'urgent... rptaFlorence.Comme s'il pouvait exister une chose plus urgente que de la retrouver, elle!

IV

Clotilde allait et venait excutant son travail de la matine. Florence finit de ranger ses compresses, puis rejoignit sa camarade pour lui proposer son aide. Une pense occupait son esprit. Toujours la mme. Pourquoi Gilles ne tlphonait-il pas? Il serait bientt dix heures... Se pouvait-il qu'il n'et pas encore trouv un moment pour appeler Rouville?C'est incomprhensible, n'est-ce pas, Clotilde?Clotilde, elle non plus, ne comprenait pas. Mais elle s'efforait de rassrner son amie.Tu sais, il peut y avoir beaucoup de raisons. D'abord, rien ne prouve que son avion a bien atterri Roissy. Il y avait pas mal de brouillard, hier soir, et il a pu tre drout sur Bruxelles, par exemple. Dans ce cas, Gilles aurait appel. Il veut peut-tre te faire une surprise! Qui te dit qu'il ne va pas arriver ici, par le train? Tu sais comme il est secret et imprvisible...Tout de mme, il doit bien penser que je meurs d'inquitude! s'cria Florence. Non, si son avion avait t oblig de se poser ailleurs, il m'aurait tlphon pour me rassurer. Pas forcment! Il ignorerait que tu ne te trouvais pas Roissy, dans ce cas. Mais il penserait, par contre, que tu es au courant. On annonce toujours les changements l'intention des gens qui attendent dans l'arogare. Hum... Hum... D'ailleurs, il n'a peut-tre pas pris cet avion, supposa encore Clotilde, dsireuse, avant tout, de redonner du courage la malheureuse Florence. Un empchement la dernire minute. Rappelle-toi le jour o le patron devait revenir du Japon. Nous l'attendions un soir, il n'est arriv que le lendemain. Les yeux de Florence s'claircirent.C'est vrai, je ne pensais pas cela. Je vais tlphoner Air France. Elle se rendit au standard et demanda la cabine, ne voulant pas qu'on entendt la conversation.Roissy informations... Vous dsirez savoir, mademoiselle, si un docteur Martin tait au nombre des passagers du vol de New York, hier 21 h 30? C'est bien cela? Oui, madame. Ne quittez pas. De tout son cur, Florence esprait qu'on lui rpondrait non. Dans ce cas, elle n'avait pas lieu de s'inquiter. Il y aurait un appel ou un tlgramme dans la matine.All... mademoiselle? Oui... souffla-t-elle, d'un filet de voix. Dsole... Excusez-moi de vous avoir fait attendre, mais je ne voulais pas dire de btises. Nous n'avons pas le droit de donner ce genre de renseignement. Vous comprenez, il s'agit de protger nos clients... De protger leur vie personnelle, vous voyez? Mais, c'est trs important, insista Florence. Impossible, mademoiselle. Surtout pour un vol international. Il faudrait demander cela la Police de l'Air, faire une longue dmarche, quoi. Oui... Je comprends. Une question, encore, s'il vous plat. Le vol d'hier soir a-t-il atterri Roissy? Tout fait. Au revoir, mademoiselle. Qui avait raccroch? Etait-ce l'employe, tait-ce Florence elle-mme? Elle n'aurait pu le dire, tant son motion tait grande. La malheureuse tremblait de la tte aux pieds, elle avait froid. Tout semblait tourner autour d'elle. Elle rentra au poste de garde en mme temps que Clotilde.Eh bien? demanda celle-ci. L'avion est bien arriv Roissy. Quant savoir si Gilles figurait parmi les passagers, cela n'a pas t possible. Si, au moins, je connaissais l'adresse de son frre et de sa sur... Ils savent peut-tre quelque chose, eux... Mis part ces deux membres de sa famille, tu ne connais personne chez qui il aurait pu aller, ou qu'il aurait appel ? Florence fit signe que non. Il y eutun silence. Au bout d'un moment, elle reprit. Avant de partir, il habitait avec un ami, prs de l'hpital Lariboisire, o il travaillait. Cet ami, tu le connais? Gilles a pu aller chez lui en arrivant. Il a quitt Paris, lui aussi, un peu avant Gilles. Leur ancienne gardienne est peut-tre au courant? Il n'y en avait pas. On mettait le courrier dans des botes situes sous le porche. Soudain, le tlphone sonna. Le timbre aigrelet rsonna dans la petite pice, laissant les deux amies muettes de saisissement. Cette sonnerie tant attendue prenait tout coup l'allure de quelque chose de redoutable. D'hostile, mme.Le premier instant de stupeur pass, Florence saisit le combin, sur un coup d'il complice de Clotilde.A son visage, celle-ci devina la dception de sa camarade. Le correspondant n'tait pas celui qu'elle attendait : une ancienne malade souhaitait la remercier pour les soins attentifs qu'elle lui avaitprodigus. Florence lui dit quelques mots aimables, puis reposa l'appareil.Si j'appelais Lariboisire, suggra-t-elle au bout de quelques minutes. Il est possible qu'il ait voulu y passer, en arrivant Son "patron" souhaitait peut-tre le rencontrer tout de suite... A moins que le professeur amricain chez lequel il faisait ce stage ne lui ait confie des documents remettre d'urgence... __ Possible, admit Clotilde sans tropV croire. , , ,Florence appela le poste de garde de l'hpital parisien. Un employ assez bougon lui rpondit :Le docteur Gilles Martin? Attendez, oui le me souviens. Il tait dans le service du professeur Than. Il est parti pour les Etats-Unis. Il devait revenir hier. Il n est pas pass l'hpital? __ a je n'en sais rien. Je ne 1ai pas vu, c'est tout ce que je peux vous- Si vous le voyez, voudriez-vous lui demander de tlphoner Rouville? A... comment dites-vous? Rouville? Mais, mme s'il venait, il y a peu de chances pour que je le voie, du moinsaujourd'hui, car j'ai termin mon service. Seriez-vous assez aimable pour laisser un message votre remplaant? Lui demander de dire au docteur Martin d'appeler? Bon, je vais essayer. C'est pas tout, mais j'ai mon bus prendre, moi...Florence le remercia et raccrocha. Clotilde, qui avait t appele dans une chambre, revint au bout d'un moment.Tu viens djeuner la cantine, Flo? Oh non, je ne pourrais pas... Personne ne s'tonnera de ne pas me voir, puisque c'est mon jour de cong. Tu veux bien que je reste ici ? Naturellement. Je te monterai un sandwich et quelques biscuits. Ce n'est pas la peine, je serais incapable de les avaler. Flo, s'il s'agissait d'un de tes malades, tu lui dirais qu'il faut manger, n'est-ce pas? a ne sert rien de perdre ses forces.Reste seule, Florence sentit son angoisse augmenter. Une question tourmentait son esprit, toujours la mme : pourquoi Gilles ne tlphonait-il pas? Il n'tait pas possible qu'il ait pris ombragede son absence l'aroport. Il tait assez intelligent pour penser que seul un empchement de dernire minute avait pu la motiver. Il n'ignorait pas que, dans un hpital, surviennent sans cesse des imprvus.Clotilde revint bientt : elle avait sans doute pris un repas sommaire afin de ne pas abandonner sa camarade trop longtemps. De la cantine elle ramenait un sandwich au jambon, un morceau de fromage et deux mandarines. Elle fora Florence manger un peu.Et s'il avait eu un accident? Suggra cette dernire. Allons! On t'aurait prvenue! Il a srement ton adresse sur lui. Je te comprends bien, ma Flo. Mais il ne faut pas imaginer le pire. Il peut y avoir d'autres raisons. Lesquelles?Clotilde ne trouva pas de rponse.L'aprs-midi, on amena dans son service le jeune couvreur opr de la veille. Il n'avait pas besoin de surveillance intensive. Aussi le patron avait-il dcid de le transfrer dans une chambre ordinaire.Il a l'air bien, dit Clotilde. Florence,je n'ai pas beaucoup de temps lui consacrer en ce moment. Tu ne veux pas aller lui dire bonjour? Il est au 9.Florence poussa aussitt la porte de la chambre. Le jeune homme tait un peu ple, mais semblait dtendu. A sa vue, il sourit.Je vous reconnais, murmura-t-il. Vous avez t si gentille hier soir... Comme vous tes lgante! Mais... vous sortez? Peut-tre... Enfin, pas tout de suite. C'est mon jour de cong. Vous avez l'air en pleine forme! lana Florence d'une voix enjoue.Un sourire claira le visage du malade.Votre maman viendra tout l'heure.

Aprs son travail. Elle a tlphon. Vous tes content?Il frona les sourcils.Qu'avez-vous? demanda Florence. Il y a quelque chose qui vous ennuie?Il fit signe que oui.Mon amie... murmura-t-il avec peine. Enfin, ma fiance. Elle doit tre folle d'inquitude. Hier soir... Nous... Nous devions sortir... Votre mre l'aura prvenue... Non... Elle ne la connat pas encore.Sa voix n'tait plus qu'un souffle. Florence se pencha vers lui. O peut-on la joindre, cette jeune fille? Elle travaille... salon de coiffure... 20.17 Clermont. Et elle s'appelle? Rene... Rene Dumont. Cette fois le malade semblait puis. Il ferma les yeux et se tut. Florence se dit qu'elle ne connaissait mme pas son nom. Soudain, elle pensa la feuille de temprature accroche au pied du lit.Paul PRANEAU, lut-elle en s'approchant du lit.Ne vous inquitez pas. Je vais tlphoner Mlle Dumont. Ne parlez plus, essayez de dormir.Au passage elle expliqua Clotilde ce qu'elle allait faire et appela. Une voix jeune, anxieuse, lui rpondit :Rene Dumont... Oui, c'est moi... C'est quel sujet? Rien de grave, soyez tranquille. Je vous tlphone de la part de M. Paul Praneau. Il a eu un petit accident, il est l'hpital de Rouville. Ne vous inquitez pas, tout va bien. Mon Dieu, mon Dieu! C'est vrai, au moins? Ce n'est pas grave? Tout danger est cart, je vous le jure. Je suis infirmire Rouville. Vous avez dit "un accident"... Quand est-ce arriv? Hier soir? Il ne s'agit pas d'un accident de voiture. Il est tomb d'un toit, pendant son travail. Mais, croyez-moi, il ne risque plus rien, tout va pour le mieux. Je peux venir le voir? Un tout petit moment, pour ne pas le fatiguer. Je ne sais pas si vous aurez un train, ce soir, pour Rouville... Oh, je viendrai en mobylette. Merci, mademoiselle, merci. Vous nepouvez pas savoir dans quelle angoisse j'tais... Vous ne pouvez pas savoir. Ces mots rsonnaient dans la tte de Florence. Hlas, oui, elle savait... Mais Rene Dumont, dsormais, tait rassure. Tandis qu'elle...Elle retourna dans la chambre pour annoncer au couvreur que sa fiance tait prvenue.Elle viendra vous voir tout l'heure. Si vous tes sage!Il sourit, heureux.A ce moment-l, la porte s'ouvrit sur Robert. Etonn, l'interne dvisagea Florence sans rien dire, puis s'avana vers le bless. Il lui prit le pouls, consulta sa fiche de temprature et lui assura que tout tait normal. Enfin, se tournant vers Florence, il lui lana, d'une voix sche :Mademoiselle, depuis quand les infirmires se rendent-elles au chevet des malades en costume de ville? Mais... C'est mon jour de cong! Que faites-vous l, dans ce cas? Auriez-vous oubli le rglement? La tenue obligatoire du personnel soignant y est mentionne, je suppose! A l'avenir,il faudra tcher de se montrer plus discipline, n'est-ce pas ? Quant votre excs de zle, il me parat tout fait dplac. L-dessus, Robert sortit.Florence regagna le poste de garde et se laissa tomber sur une chaise.Je t'assure, Clotilde, qu'il lui est arriv quelque chose... Un accident... comme ce garon. Sans moi, la jeune fille n'aurait pas t prvenue... Si Gilles n'avait pas mon adresse sur lui... Et s'il tait sans connaissance... S'il tait... En plus, je viens de me faire rappeler l'ordre par Robert. Il devient hargneux, depuis l'incident du docteur Martel... Autrefois, il plaisantait avec moi, mais maintenant... Ne t'inquite pas! Ses sautes d'humeur sont bien connues ! Pour ce qui est de Gilles, j'ai une ide... Je crois qu'il existe Paris un poste de police o l'on peut se renseigner sur les accidents survenus au cours de la journe, dclara-t-elle soudain. Je ne sais pas o il se trouve, mais nous pouvons nous adresser la gendarmerie. Bonne ide! approuva Florence. Mais j'en tremble d'avance... Imagine-toi qu'ils me rpondent que... Bon, je vaisessayer, lana-t-elle, dcide tenter cette piste.Elle prit le tlphone et expliqua qu' l'hpital de Rouville, on s'inquitait au sujet d'un mdecin. Le docteur Gilles Martin, de passage Paris depuis laveille.Le brigadier va se renseigner, dit-elle en raccrochant.Elles attendirent, anxieuses. Enfin, le tlphone sonna.C'tait la gendarmerie de Rouville. Aucun accident du nom de Gilles Martin n'avait t signal.Mais, alors, o se trouvait le docteur Gilles Martin?

V

La journe s'tira avec une lenteur insupportable. Florence se rendait compte combien l'attente et l'incertitude peuvent tre cruelles. Elle pensait aux familles de ses malades qu'elle avait si souvent vues tortures par l'ignorance du sort rserv un tre cher. A plusieurs reprises, elle regagna sa chambre, histoire de meubler des heures dsesprment vides. Clotilde s'efforait de lui remonter le moral, tant qu'elle pouvait. Pourtant, au fond d'elle-mme, Florence perdait espoir. Par nature elle n'tait pas quelqu'un qui renonce facilement et son mtier n'avait fait que dvelopper ce trait de caractre. Combien de fois avait-elle vu des malades pour lesquels toutespoir semblait perdu. Sauvs grce aux efforts de l'quipe mdicale de Rouville? Esprer. Esprer encore, envers et contre tout...Le soir, Clotilde fora Florence aller dner la cantine. Jener ne servirait rien. Elles descendraient ensemble, le plus tard possible, quand tout le monde serait dj parti.Tout le monde, c'tait trop dire. En fait, il restait une seule personne, Lise, l'infirmire des enfants.Tu viens de Paris? demanda-t-elle en voyant Florence en tailleur de ville. Tu as pass une bonne journe ? Oui, je te remercie, rpondit Florence avec effort.Lise tait sans doute l'une des rares infirmires que Florence n'avait pas croises, durant cette sinistre journe, au dtour d'un couloir ou au poste de garde de Clotilde. A chaque fois, il lui avait fallu rpondre aux curieuses, trouver des raisons pour justifier sa prsence; par chance, la plupart des jeunes filles employes Rouville taient plutt discrtes. Et, par une chance extraordinaire, Florence n'avait pas rencontr Mme Benot, occupe sans doute dansune autre aile du btiment. Il lui semblait qu'elle n'aurait pu s'empcher d'clater en sanglots si la surveillante, la voyant si triste et habille pour sortir, lui avait pos une question.Clotilde l'obligea manger un peu, puis prendre un somnifre. II faut absolument que tu dormes. Tu n'as dj presque pas dormi la nuit dernire! Pense que tu dois travailler demain matin.Demain matin... Florence avait l'impression que ces mots n'avaient plus de sens. Il lui semblait que demain tait quelque chose de trs lointain, que d'ici l il pourrait se passer une foule d'vnements. Le tlphone sonnerait-il pour elle? Qui sait? La standardiste partie, elle n'ignorait pas que la seule ligne tait branche sur le service de nuit. Mais, s'il avait eu un empchement durant toute la journe, cette fois Gilles n'hsiterait peut-tre pas dranger l'interne de garde... Du moins l'esprait-elle.Leur repas termin, les deux amies remontrent dans la chambre de Florence. Clotilde bavarda un peu avec elle, pour essayer de la distraire. Puis elle se retira en lui souhaitant une bonne nuit :le somnifre l'aiderait sans doute trouver le sommeil. Mais Florence savait bien que, malgr la petite pilule que son amie l'avait force avaler, elle aurait du mal s'endormir. Aprs s'tre dshabille et avoir fait sa toilette, elle laissa errer son regard dans la chambre : ses yeux se fixrent sur une tagre sur laquelle se trouvait le coffret o, depuis six mois, elle rangeait les lettres de Gilles.Le cur gros, elle saisit la bote et l'ouvrit. A la vue de l'criture du jeune homme, elle sentit des larmes rouler sur ses joues.Ces lettres... force de les relire, elle les savait presque par cur.Elles les reprit ds le dbut : l'arrive de Gilles aux Etats-Unis, l'merveillement du commencement de son stage. Un des professeurs avec qui il devait travailler, un certain docteur Gibson, lui tait particulirement sympathique. Et cette sympathie tait rciproque : Gibson l'avait invit dner. Gilles avait fait la connaissance de sa femme, tout fait charmante, et de ses deux enfants, Paul et Nora, dix-huit et dix-neuf ans, galement trs aimables. Paul tait tudiant en droit, Nora faisait sa mdecine.Les Gibson avaient rinvit Gilles, et peu peu, il tait devenu de leurs intimes, partageant excursions et promenades en bateau. Florence se rjouissait que Gilles et trouv d'aussi bons amis, sans compter qu'un homme comme le professeur Gibson pouvait l'aider dans sa carrire...Tout coup, elle releva la tte : une ide affreuse lui tait venue l'esprit. Etre le gendre d'un grand patron, quel atout pour un jeune! Et Nora Gibson avait dix-neuf ans...Mais elle mit vite ces sombres penses sur le compte de son imagination, ou de la fatigue. Elle s'en voulut mme d'avoir envisag que Gilles, si droit, et pu avoir l'ide d'une aussi sombre machination. D'ailleurs, le ton des lettres qu'elle relut fivreusement dmentait totalement pareille hypothse. Le jeune mdecin y disait toute la tendresse qu'il prouvait pour la petite infirmire qui l'attendait Rouville.Pourtant, Florence fut nouveau assaillie par le doute qui avait occup son esprit un instant auparavant. Nora... Que disait-il de Nora? Le jour de leur rencontre : Une jolie blondine...Jolie?Sur le moment, Florence n'avait mme pas remarqu. Ensuite, il parlait peu de la jeune fille. Une fois ou deux, il mentionnait : Paul et Nora taient l ! Dans les dernires lettres il ne parlait plus de la fille du professeur Gibson. Etait-ce bon signe, ou au contraire...Florence se demanda si Nora Gibson faisait partie de l'expdition dans le Grand Nord qui avait prcd le retour de Gilles. Aucun indice ce sujet. Comment savoir? Soudain, une pense plus terrible encore que toutes celles qui avaient tortur la malheureuse traversa son esprit : n'tait-elle pas sans nouvelles depuis un mois? Et si un accident tait arriv, au cours de l'expdition vers le cercle polaire? Non, ce n'tait pas raisonnable! On l'aurait appris! Mais qu'est-ce qui tait raisonnable, finalement, dans toute cette histoire? Florence ne savait plus.La fille du professeur... Une jolie blondine... Ces mots agressaient sans cesse son esprit tourment.Non, non, pas Gilles. Ce n'tait pas possible... Il l'aimait, elle tait sre de lui!Oui, mais il tait ambitieux aussi. Cetteambition, d'ailleurs, n'tait-ce pas elle-mme qui l'avait encourage, au moment o, dsespr, il tait prt tout abandonner1 ?Ces penses se bousculaient dans son esprit en une ronde infernale.Elle ne ferma pas l'il de la nuit. Le matin, puise, elle retrouva ses camarades la cantine. Celles-ci, comme toujours, bavardaient gaiement, parlant d'un film amricain qui venait de sortir, avec une vedette en vogue.Comment font-ils, l-bas, pour trouver tant de jolies filles ? demanda une des infirmires en riant. Nous en avons aussi chez nous! protesta une autre. Oui, bien sr. Mais je trouve que ces jeunes Amricaines ont un clat, un attrait... De belles voitures, des maisons de rve, avec piscine, tlvision dans toutes les pices. Le luxe, quoi ! jeta une autre encore, les yeux rveurs. Rien voir avec des petites bonnes femmes comme nous, soupira une brunette aux yeux rieurs. Allons! Nous neI Voir La Salle des Urgences.manquons pas de charme, nous aussi. Et puis, moi, j'aime bien les films franais... Sophie Marceau, vous ne la trouvez pas jolie? Et Adjani? Et...Florence avala vivement le reste de son caf et sortit, Clotilde la rejoignit dans l'escalier.Ma pauvre Flo... Ne te laisse pas aller; tu auras sans doute des nouvelles aujourd'hui. Gilles n'a pas pu disparatre comme un fantme! A moins qu'il ne l'ait voulu! rpliqua Florence, l'air sombre. A moins qu'il ne veuille plus me revoir!Elle fit part son amie du soupon qui lui tait venu pendant la nuit.Ne me dis pas que c'est impossible, Clotilde. Tu sais aussi bien que moi que ces choses-l arrivent tous les jours. Et puis, rien ne prouve qu'il est rentr en France. Il peut tout aussi bien avoir dcid de rester l-bas! Tu draisonnes, ma pauvre Flo. Je comprends que tout cela te perturbe, que tu envisages les pires raisons, mais tout de mme... N'oublie pas que Gilles a t envoy aux U.S.A., par le professeur Than, de Lariboisire. Il a des comptes lui rendre, un rapport lui soumettre,srement. Et il ne va pas tout laisser tomber, comme a, sur un coup de tte! Tu sais combien il est srieux et consciencieux ! Tu as raison, mais j'avoue que je ne distingue plus ce qui est possible de ce qui ne l'est pas, constata Florence en soupirant. Normal. Mais rflchis, Flo. Si tu tais alle Roissy, comme prvu, tu l'aurais trouv la descente de l'avion. Il comptait peut-tre tout me dire ce moment-l, je ne sais plus. Clotilde, il me semble que je perds la tte. Je te comprends, Flo, mais il ne faut pas t'affoler. Suppose qu'il ait t oblig, pour une raison quelconque, de quitter Paris hier matin de bonne heure. Ne t'ayant pas vue l'aroport, il n'a pas pu te prvenir. Il aurait pu me tlphoner hier dans la journe. Il le fera srement aujourd'hui. Florence poussa un grand soupir et sedirigea vers son service. Les tches quotidiennes l'attendaient : le tour des chambres, le relev des tempratures que la garde de nuit prenait avant son dpart, la distribution des mdicaments. Toutcela n'tait ni difficile, ni pnible, mais demandait de l'attention. Elle dut faire un effort pour se concentrer. Il fallait sourire, changer quelques mots avec les malades. Toutefois, ces obligations avaient du bon : elles permettaient d'oublier ses soucis personnels. La jeune femme du 12, la brlure du bras, souffrait encore un peu.Est-ce normal, mademoiselle, aprs plusieurs jours? Les brlures sont toujours douloureuses. Cela passera bientt, n'ayez pas peur. Faut-il tre bte, n'est-ce pas, pour se brler avec une cuisinire gaz que

je connais comme ma poche ! Je vais vous expliquer : je voulais faire un pot-au-feu et...La jeune infirmire n'avait gure envie de l'couter, mais elle s'effora de suivre le rcit dtaill de l'accident, la description de la gazinire et de la marmite et promit enfin la malade qu'avec un calmant, elle passerait malgr tout une bonne journe.La chambre voisine tait occupe par la dame ge opre d'un polype abdominal. Elle accueillit Florence avec un sourire.Le moral est bon, ce que je vois! Oh, il n'a jamais t mauvais, vous le savez bien. L'opration ne me faisait pas peur. C'est mon mari qui me tourmentait : j'avais vraiment piti de lui, le pauvre.Une vague d'motion serra la gorge de Florence...Le couvreur accident l'avant-veille retrouvait la joie de vivre. Il avait bien support le choc opratoire. La visite de sa fiance lui avait mis du baume au cur. Il se confondit en remerciements pour le geste de Florence qui avait apais la folle inquitude de la jeune coiffeuse.Elle reviendrait le voir l'heure des visites, et la perspective de cet heureux moment lui permettait de supporter la douleur qu'il ressentait encore.A la fin de la matine, Sandra, l'aide-soignante, vint avertir Florence que Camus voulait lui parler. Il tait sortant midi. Il avait quelque chose lui dire.Je sais ce que c'est! Chaque fois qu'il s'en va, il prtend qu'il n'est pas guri, qu'on n'avait pas le droit de le renvoyer. Et il en profitera pour me supplier de lui donner des cigarettes!Elle n'avait pas le courage de le rencontrer. A coup sr, il ne manquerait pas de lui demander des nouvelles de Gilles. Il voudrait savoir s'il viendrait bientt Rouville, quand il pourrait le rencontrer... Non, il ne fallait pas qu'elle parle avec le clochard, elle ne parviendrait srement pas sauver la face. Sandra n'avait qu' aller lui annoncer qu'elle se trouvait en salle d'oprations et ne pouvait s'absenter avant le dbut de l'aprs-midi. Et qu'ensuite, elle tait encore prise. Bref, qu'elle ne pourrait lui accorder un moment de la journe. Il finirait bien par se dcider partir. L'important, c'tait de faire en sorte del'viter autant que possible. Pas facile, avec la manie de Camus de traner toujours dans les couloirs, aux endroits o on s'y attendait le moins.Pendant la visite, le patron demanda incidemment :Est-ce que quelqu'un a des nouvelles de Gilles Martin? Il doit revenir ces jours-ci, il me semble.Il jeta un coup d'il vers Florence. Comme tout le monde, Rouville, il connaissait l'amiti des deux jeunes gens. Elle feignit de n'avoir pas entendu.L'aprs-midi, elle travailla en salle de pansements avec Robert. Celui-ci restait froid et distant : il ne lui adressait la parole que pour les besoins du service.Qu'attendez-vous pour enlever cette bande? lui lana-t-il d'une voix impatiente. Vous rvez? Non, docteur. Je... Je rflchissais ... balbutia Florence, honteuse de s'tre laiss surprendre une fois encore par les sombres penses qui hantaient son esprit. Parce que, pour dfaire un pansement, vous avez besoin d'une longue rflexion, grogna l'interne. S'il en est ainsi, je demanderai une autre infirmire. Comptente, celle-l. Nous n'avons pas de temps perdre. Florence ne rpondit pas. La malade la brle du 12 ne se hasarda pas faire quelque commentaire pour dcrisper l'atmosphre. Elle suivit des yeux les gestes prcis de l'infirmire qui russit garder son calme. Elle avait la conviction que quelque chose de grave avait cr cette hostilit entre deux tres qu'elle avait connus bons amis au dbut de son hospitalisation. Son travail termin, Florence lui adressa un sourire et l'aida quitter la salle pour regagner sa chambre. Puis elle retourna en salle des pansements pour s'occuper d'autres malades.Une ou deux heures s'coulrent dans un silence pesant. Florence s'efforait d'tre vigilante, voulant viter tout prix quelque nouvelle remarque. Robert semblait l'ignorer.Toute la journe, elle espra encore un coup de tlphone auquel elle ne croyait plus. Le soir, dans sa chambre, elle reprit les lettres de Gilles. Cette fois, le nom de Nora Gibson la hantait. C'tait elle, il ne pouvait s'agir que d'elle... Florence l'imaginait, blonde, ros, clatante comme les Amricaines que l'on voit dans les films.Et la fille d'un professeur, par-dessus le march... Comment Gilles n'aurait-il pas fait la comparaison? Elle, Florence, n'tait pas une grande beaut : une petite infirmire toute simple, sans rien au monde que son mtier...Il avait peut-tre eu l'intention de tout lui dire l'arrive. Et le lendemain il n'avait plus os. Il savait bien qu'elle aurait mal... Et il dtestait tellement faire souffrir !

VI

Les jours, puis les semaines s'taient couls, et Gilles n'avait donn aucun signe de vie. Aucun message de lui. Rien.Une fois encore, M. Martel avait demand si personne n'avait eu de ses nouvelles; Florence, devinant qu'il s'adressait elle en particulier, avait t bien oblige de rpondre. S'efforant de cacher l'inquitude qui la tourmentait, elle avait dclar ne rien savoir son sujet. En principe, reconnut-elle, Gilles devait rentrer en France cette poque, mais elle ignorait s'il l'avait fait comme prvu. Le patron l'avait considre avec tonnement durant quelques instants mais n'avait pas insist et Florence lui sut gr de sa discrtion.Le soir, avec Clotilde, elle se laissait aller son chagrin. Son amie commenait croire, elle aussi, que Gilles ne voulait plus la voir.De sa part, cela m'tonne, disait-elle. Mais le fait est l...En effet, les services du professeur Than, Lariboisire, avaient confirm Florence le retour du mdecin, qui avait fait une brve apparition puis n'avait plus donn de nouvelles. Il avait remis un rapport remarquable au professeur, sur les derniers progrs accomplis en cardiologie, mais n'avait pas parl de ses projets immdiats.Pour Florence, la vie devenait intolrable. Elle ne pouvait plus supporter Rouville, et ses travaux quotidiens. Elle remplissait sa tche machinalement, devinant qu'elle ne s'intressait plus ses malades comme avant. Elle faisait de son mieux, mais le cur n'y tait plus.Elle eut la confirmation de ce changement lorsqu'elle dut travailler dans la salle des urgences une nouvelle fois. Il s'agissait d'un accident de la route. Et, tandis qu'elle accomplissait les gestes habituels, elle se rendit compte que dsormais elle n'avait plus la ferveurd'autrefois. Bien sr, les soins qu'elle prodiguait n'avaient rien perdu de leur efficacit, mais elle n'y mettait plus la chaleur humaine et l'enthousiasme qui la caractrisaient jusque-l. La salle des urgences lui rappelait peut-tre de trop mauvais souvenirs...La vie avec ses collgues devenait pnible, elle aussi. Tous ces gens-l avaient connu Gilles tous savaient quels sentiments les unissaient. Et mme si nul ne posait de question, elle avait l'impression qu'on la regardait avec piti : elle ne pouvait plus le tolrer.Je voudrais tre loin, trs loin, pensait-elle souvent.Robert, l'interne, lui manifestait toujours une grande hostilit. Il semblait ne devoir jamais oublier l'affront qu'elle lui avait caus malgr elle. Une fois encore, elle avait su que Camus, le clochard, voulait la voir. Et, une fois encore, elle avait trouv un bon prtexte pour l'viter. Elle l'aimait bien, ce brave Camus, mais il lui rappelait, lui aussi, de douloureux souvenirs. L'aide-soignante, charge d'conduire le vieil homme, avait rapport Florence qu'il tait entr dans une colre folle. On ne voulait pasl'couter... Il n'tait qu'un vagabond et on ne lui accordait mme pas quelques instants... Enfin, Camus s'tait estim brim et incompris et l'avait fait savoir grands cris, Et puisqu'il en tait ainsi, avait-il conclu, il irait faire soigner son ulcre ailleurs : pour rien au monde il ne remettrait les pieds dans l'hpital de Rouville o l'on tait si inhumain. Mme qu'on ne voulait jamais lui octroyer un malheureux petit mgot!Florence cherchait un moyen pour oublier ce qui la faisait cruellement souffrir. Elle devinait qu'il lui fallait cote que cote sortir du cadre de cet hpital de campagne, o elle avait tant d'habitudes, pour dcouvrir un mode de vie diffrent. Le hasard l'aida. Feuilletant un journal mdical oubli par le docteur Martel au poste de garde, elle dcouvrit une annonce qui allait lui permettre de recouvrer un certain quilibre. L'action dsintresse, au service des autres, dans un cadre diffrent.On demandait, pour un pays africain en guerre, du personnel mdical, mdecins ou infirmires, disponible immdiatement. Des bnvoles. Pour un engagement de trois mois.Sans plus attendre, la jeune infirmire alla dans le bureau de Mme Benot, la surveillante, pour lui annoncer ses projets.A la faon dont cette dernire la reut, Florence devina que la surveillante avait compris les motifs de cette dcision.Je crois que vous avez raison, lui dit-elle. Nous ne sommes pas court de personnel en ce moment. Je pourrai rapidement rorganiser les services. Ne vous faites aucun souci... Mais sachez, mon petit, que nous vous regretterons. Nous avons tous, ici, apprci votre comptence et votre douceur... Je vous remercie, madame, avait dclar Florence. J'ai eu beaucoup de chance de travailler avec vous...La surveillante n'avait pas cherch en savoir davantage. Question de tact.Le lendemain, Florence se trouvait Paris, dans un bureau, o deux jeunes gens et deux jeunes filles s'affairaient au milieu de caisses et de paquets. Sur la porte, une inscription portait les lettres S.M.P.D., une association destine apporter une aide mdicale aux pays en difficult.C'est pour l'annonce? Vous tesmdecin? demanda le jeune homme qui, selon toute vraisemblance, dirigeait la petite quipe. Il avait un visage jovial, des yeux clairs ptillants d'intelligence. Ses camarades considrrent la nouvelle venue avec bienveillance.Je ne suis qu'infirmire, rpondit Florence d'une voix assure. A l'hpital de Rouville, dans les Yvelines. Si vous souhaitez demander des rfrences, c'est sans problme. Vous ne partez pas sur un coup de tte, au moins? Vous savez vraiment quoi vous vous engagez? Tout fait.

Vous tes robuste? C'est indispensable l-bas. Je n'en ai peut-tre pas l'air, niais je suis trs rsistante. Vous n'avez pas peur? Vous savez que la rgion est en guerre. Je l'ai lu dans les journaux. Dj, en temps ordinaire, il y aurait beaucoup faire dans ce pays. Mais actuellement, nous nous occupons des blesss. Vous avez dj servi en salle d'opration ? Oui, souvent. Trs bien. Je ne pense pas que vous soyez capable, le cas chant, de faire une anesthsie? Pas une anesthsie moderne, complique, bien sr. Mais je sais parfaitement comment on s'y prend, pour avoir vu les mdecins. A Rouville, j'appartiens au service des urgences, et c'est une exprience trs prcieuse : on y apprend beaucoup de choses... Un masque, par exemple, ne me poserait aucun problme. Elle pensa au couvreur... A Gilles... Ses yeux se mouillrent, mais le jeune homme ne le remarqua pas.Vous avez des vtements chauds? De bonnes chaussures? demanda l'une des jeunes filles. Le climat est chaud et humide, avec des nuits fraches. Je ferai quelques emplettes, dit Florence. Je vous remercie de m'avoir prvenue. Et vous pourriez partir bientt? voulut savoir celui qui l'avait interroge jusque-l. Quand vous voudrez. Nous avons besoin de quelqu'un pour convoyer ces caisses et ces colis. Des mdicaments. Des antibiotiques, surtout. Bien entendu, nous nous occupons des formalits. Quand pouvez-vous partir? Ds demain? Ds demain, si vous le souhaitez, monsieur. Mais... Je devrais peut-tre dire "docteur", suggra Florence. Ni "monsieur" ni "docteur", corrigea l'autre en riant. Je suis mdecin, mais ici, on m'appelle Gaston. Et toi? Moi, Florence. Salut, Florence, dit la jeune fille qui lui avait parl quelques instants plus tt. Moi, c'est Nathalie. Et moi, Vronique, prcisa sa compagne. Heureux de te connatre, lana lesecond garon. Frdric, annona-t-il en serrant la main de Florence.Elle comprit qu' partir de ce moment, elle faisait partie du S.M.P.D.Les heures qui prcdrent le dpart ne lui laissrent pas une minute pour remuer de tristes penses. Il fallut faire la liste des colis, les transporter l'aroport, les enregistrer. Puis elle s'activa prparer une garde-robe approprie : pantalons, pulls et chaussures confortables. Il lui resta tout juste le temps de boucler ses valises, Rouville, aprs avoir fait des adieux rapides au personnel. Clotilde avait bien du chagrin de perdre sa meilleure amie. Florence la rassura : trois mois, ce n'tait pas trs long. Ensuite, son retour, elle verrait ce qu'elle entreprendrait. Pour l'instant, elle l'ignorait, mais esprait beaucoup de ce changement, mme s'il comportait de grands risques. Par bonheur, le docteur Martel tait absent ce jour-l, retenu depuis une bonne semaine dj, sur la Cte d'Azur o il participait un congrs. Florence chargea Mme Benot de lui transmettre ses adieux.Le matin du dpart, Gaston l'accompagna Roissy. Il lui remit les papiersncessaires, passeport, visa, billet d'avion, et lui souhaita un bon sjour.On viendra te chercher Miula, prcisa-t-il. Tu n'auras t'occuper de rien. Mais, une fois sur le terrain, le boulot ne manquera pas, tu peux me croire! C'est ce que je recherche, rpondit Florence d'une voix dcide. Bonne chance! dit le mdecin avec une tape amicale. Merci, Gaston.

VII

Une fois dans l'avion, assise seule le front appuy au hublot l'avant de l'appareil, Florence retrouva son chagrin. Ils avaient tant rv, Gilles et elle, aux voyages qu'ils feraient ensemble... Elle devait avoir l'air trs triste, car l'htesse s'approcha et tenta d'engager la conversation.C'est la premire fois que vous faites ce voyage?Florence rpondit d'un bref signe de tte : elle avait trop peur, si elle se laissait aller, de se mettre pleurer. L'htesse s'loigna et revint, avec un verre de jus d'orange. Cette fois, Florence se fora lui sourire.Les heures passaient, interminables.Pendant un moment, l'avion avait survol des forts denses, d'un vert fonc uniforme. Maintenant, tout tait jaune du sable, probablement.La jeune infirmire regardait distraitement ces couleurs qui se succdaient au-dessous d'elle. Les voyait-elle seulement ? Elle essayait de penser la nouvelle vie qui s'ouvrait devant elle. Mais, malgr elle, son esprit revenait toujours aux terribles moments qui l'avaient amene ici, dans cet avion en route vers l'Afrique, Et, sans doute puise par l'activit fbrile de la veille, elle finit par s'assoupir.A son rveil, elle se demanda si elle n'tait pas en train de rver. Que faisait-elle dans cet avion? Des clairs trouant la brousse la ramenrent la ralit. On approchait de la zone des combats, celle o Florence allait travailler.Le pilote annona que l'appareil amorait sa descente. Dans quelques instants, on atterrirait. Jusque-l, la jeune infirmire n'avait pas port attention ses Compagnons de voyage. Elle jeta un rapide coup d'il dans l'avion et ralisa Combien sa prsence devait paratre insolite aux passagers. Une jeune fille, d'apparence fragile, s'en allait ainsi vers des zones de guerre... Personne, cependant, ne lui posa de questions.L'atterrissage, sur le terrain ingal, fut difficile. L'appareil tressauta sur la piste dfonce avant de s'immobiliser devant un grand btiment en assez mauvais tat faisant office d'arogare. Comme elle tait loin, l'atmosphre feutre de la salle d'attente, avec fond de musique douce, qu'elle avait quitte quelques heures plus tt, Roissy!En sortant de l'avion, Florence dcouvrit d'abord un tas d'objets htroclites : caisses, pices de fer ou de bois la destination inconnue. Il n'y avait pas une femme. Des Noirs vtus de haillons s'affairaient a et l.Elle remarqua enfin un grand garon maigre, au visage bronz, qui se dirigeait vers elle. Au premier abord, elle le trouva sympathique. Il lui tendit la main.Tu es la nouvelle du S.M.P.D.? Oui. Je m'appelle Grard. Et toi ? Florence. Bon. Occupe-toi des colis : je vaischercher la jeep. On a rcupr tes bagages? Pas encore. Mais ne t'inquite pas, je me dbrouille. Tandis qu'il s'loignait, elle surveilla le dchargement des caisses. Un groupe de Noirs s'tait form autour d'elle, regardant avec des yeux carquills ce qui se dversait de la soute. La plupart d'entre eux taient trs maigres, peut-tre espraient-ils que le convoi apportait du ravitaillement. A l'approche de la jeep, ils s'cartrent. Embarquons vite tout a, dit Grard : nous n'avons pas de temps perdre. a a chauff dur, ces derniers jours. Tu as dj vu la guerre, toi? Non, jamais. Eh bien, ma pauvre fille, l-bas tu vas voir ce qu'elle a de pire. On fait ce qu'on peut, mais...Une fois la jeep charge, ils se mirent en route. A mesure qu'ils avanaient, le bruit des dtonations devenait plus frquent et plus fort.Qu'est-ce que c'est? demanda Florence. Des canons? Des obus... Ils ont des armes et ils s'en servent tort et travers. Pour le moment,l'quipe mdicale est installe dans un repli, au pied d'une colline. Les blesss sont l'abri, c'est l'essentiel. Le jeune homme se tut; attentif contourner les bosses et viter les trous qui maillaient la piste, il semblait absorb par sa conduite. Un soleil de plomb dardait ses rayons : Florence jugea bon de coiffer le petit chapeau de toile ocre dont elle avait fait l'emplette Paris.Au bout d'une bonne heure de trajet, le conducteur se tourna vers elle et dclara qu'ils approchaient. Si prs du but, Florence sentit son cur battre trs fort dans sa poitrine. Finalement, elle tait heureuse de se retrouver dans ce coin perdu de l'Afrique.Quand ils descendirent de la voiture, elle resta stupfaite. En plein cur de la brousse s'levait un hpital de fortune. Des branchages, grossirement lis les uns aux autres, formaient une sorte de hangar. En approchant, elle aperut des hommes couchs a et l, sur des lits faits de caisses, sur des brancards et mme sur la terre nue... Des planches, claires par une grosse lampe-tempte, servaient de table d'opration.Un homme de petite taille, blond et mince, s'avana vivement vers les deux arrivants.Salut! C'est toi, Florence, n'est-ce pas? lana-t-il avec un sourire de bienvenue. Oui, bonjour. Je me prsente : Alain. Bienvenue chez nous! Vous avez les antibiotiques? demanda-t-il, le visage soucieux, regardant tout tour la jeune fille et le chauffeur de la jeep. Oui, assura Florence. Alors, ouvrez a et trs vite! Le temps presse. Il y a dj des plaies qui commencent s'infecter.

Florence s'activa aussitt faire les injections les plus urgentes. La plupart des plaies avaient t nettoyes la hte, de faon superficielle : des morceaux de tissu restaient colls dans la chair. Les blesss regardaient l'infirmire avec des yeux tristes. Ils souffraient sans se plaindre, rsigns.Les soins d'urgence demandrent plusieurs heures. Florence n'avait mme pas eu le temps d'enlever sa veste : tout en travaillant elle luttait dsesprment contre la fatigue, la faim et le sommeil.Enfin, Grard dclara que le plus urgent avait t fait. On pouvait songer se restaurer. Auparavant, il se chargea de prsenter toute l'quipe Florence. Le jeune homme roux lunettes cercles de fer qu'elle avait vu changer un pansement avec des gestes aussi rapides que prcis, c'tait Jean-Marie. Le gros garon au visage jovial, laissant deviner un temprament de bon vivant, se prnommait Etienne. Il serra la main de l'infirmire d'une solide poigne et plaisanta sur les charmes de l'endroit. Mis part les moustiques, les coups de feu et la nourriture peu varie, tout allait pour le mieux! Un autre mdecin, rest silencieuxjusque-l, s'avana enfin vers Florence et la remercia d'avoir convoy la prcieuse cargaison d'antibiotiques. Il s'appelait Victor. Quant la jeune femme que Florence salua enfin, elle tait mdecin et se nommait Antoinette. Tu viens de Rouville ? s'exclama cette dernire. a alors! Comme le monde est petit : J'y passais mes vacances, lorsque j'tais enfant. Ma grand-mre habitait le village.Un Noir, prpos la cuisine, apporta une sorte de ragot pic. Florence avait tellement faim qu'elle ne s'apercevait mme pas de ce qu'elle mangeait.Tu peux te vanter d'tre arrive temps, toi! lana Alain en se tournant vers Florence. Je commenais me demander si nous ne serions pas obligs de couper cette maudite jambe!... Avec une bonne dose d'antibiotiques, je pense que le danger d'infection est cart. Elle lui jeta un regard amical. Si elle avait servi viter le pire, cela la rendait heureuse. Mais elle se sentait si lasse qu'elle ne pouvait penser rien. Toute la fatigue accumule durant la journe lui pesait, subitement.On prend un pot en l'honneur dela nouvelle? proposa Etienne, le visage jovial.Ses camarades approuvrent. Grard disparut dans le rduit qui servait d'office et revint avec des bouteilles de bire. Florence n'osa pas refuser mais elle craignit que cette boisson frache n'accentue encore plus sa fatigue. Au contraire, cela lui fit l'effet d'un vritable coup de fouet : elle participa la conversation chaleureuse qui occupa le reste de la soire, comme si elle tait l depuis toujours. Pour rsister, dans cette atmosphre dramatique, ses nouveaux compagnons avaient besoin, de temps en temps, de se laisser aller comme des enfants. La jeunesse les aidait oublier, un moment, les drames qui se jouaient sans arrt deux pas de l. Aucun ne semblait prendre garde aux dtonations qui, par intervalles, peraient le silence de la nuit. Une fois seulement, aprs quelques coups plus rapprochs, Alain remarqua :a a l'air de taper dur, l-haut. Ils doivent essayer de reprendre la colline. Un jour l'un, un jour l'autre : a devient comme un jeu, constata Victor. Ce serait un jeu s'il n'y avait pastout a , dit Jean-Marie en dsignant les corps tendus sur le sol.Antoinette dclara enfin que Florence devait avoir besoin de repos. Les deux filles partageraient le fond du hangar, derrire un rideau de toile. Comme les autres, elles feraient leur toilette dans la cuve de pierre o coulait un mince filet d'eau jauntre.Florence souhaita une bonne nuit ses camarades et suivit la jeune femme.Ce n'est pas trs confortable, mais on dort quand mme, tu verras, lui dit celle-ci, une fois dans leur chambre.Maintenant, Florence se sentait si lasse qu'elle se demandait si elle arriverait jamais trouver le sommeil... Chose curieuse, il lui semblait que Rouville tait trs loin, tellement plus loin que les quelques milliers de kilomtres qui les sparaient. Elle repassa mentalement le fil des vnements de la journe. Il faisait frais. Le silence nocturne n'tait troubl que par quelques coups de feu lointains ou par le cri d'un oiseau dans les bois. Les malades eux-mmes s'taient assoupis. Longtemps Florence couta les bruits de la nuit africaine, puis elle sombra dans un sommeil de plomb.Elle fut veille en sursaut par un remue-mnage, prs du hangar. La nuit tait noire : seules deux lampes-tempte accroches aux branchages du toit permettaient de distinguer les silhouettes des malades alits. Au-dehors, on s'agitait autour d'une camionnette arrte au bord du talus.Antoinette passa vivement sa blouse de toile grise. Florence l'imita.Tu ne te seras pas repose longtemps, ma pauvre, regretta la jeune femme. Mais il fallait s'y attendre aprs la canonnade de ce soir. a ira. Je rcupre trs vite, tu sais! En France, je faisais partie du service des urgences. Alors, tu imagines que j'ai l'habitude des imprvus!Alain et Etienne, aids du cuisinier Ali, dchargeaient les blesss et les dposaient sur la grande table.Ils taient quatre : l'un d'eux saignait abondamment de la jambe.Grard demanda Florence de mettre un garrot, en attendant. Pour le moment, deux de ses compagnons, plus srieusement atteints, devaient recevoir des soins de toute urgence. Deux abdomens, dit-il. Il faut intervenir. Jean-Marie, tu t'occupes de celui-ci ? O.K., rpondit le solide gaillard l'abondante chevelure rousse, toute boucle, en s'approchant du malade. Tu fais l'anesthsie, Antoinette? Bien sr!Florence retrouvait l'ambiance de la salle des urgences, lorsqu'on y transportait un bless. Des ordres, des gestes prcis. La ferme volont de se montrer efficace, de ne pas perdre un temps prcieux. Mais l, en pleine brousse, l'atmosphre tait encore plus grave, plus dramatique. On ne possdait que le strict minimum, et on se trouvait confront des cas extrmement srieux.Tu pourrais faire une anesthsie?La jeune infirmire rpondit par l'affirmative.Alors, occupe-toi de-celui-l! Etienne, vois un peu ce qu'on peut faire pour le troisime. Et toi, Victor, jette un coup d'il sur nos malades. J'ai l'impression qu'ils sont agits. En effet, des coins du hangar de fortune occups par les patients montaient des plaintes. On se demandait ce qui se passait, on voulait savoir d'o venaient les nouveaux arrivants. Victor aurait fort faire pour calmer les esprits et apaiser les souffrances. Un peu de lumire, s'il vous plat. Les ordres fusaient. Il n'y avait pas une minute perdre.Une seconde lampe-tempte, plus grosse que l'autre, fut accroche au-dessus de la table. Les mdecins se mirent au travail en silence.Quel spectacle hallucinant! Tout autour, la nuit. Un cercle de lumire o se jouait la vie de quatre hommes. Jamais Florence n'avait senti ce point que leur salut dpendait de l'quipe et d'elle. Elle tait puise, l'odeur de l'ther montant du masque lui faisait tourner la tte. Mais elle sentait qu'il fallait tenir et elle tiendrait !Durant des heures, ils luttrent. Quand ils eurent fini, le jour commenait paratre. Ils dposrent les oprs sur les paillasses. L'un d'eux gmissait faiblement. Jean-Marie essuya son front ruisselant de sueur. Au-dehors, un chien hurla. Florence tressaillit.Maintenant, dit Grard, il faut nous reposer un peu en attendant la suite. Il va peut-tre y avoir un rpit,remarqua Antoinette. a tape moins, depuis un moment. Florence s'aperut alors qu'absorbe par so