Quinzaine Littéraire n°105

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Quinzaine littéraire n°105

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SOMMAIRE

3 LE LIVRE DE Alain R~riIlet Projet polLr une révolution par Anne Fabre-Luce

LA QUINZAINE à New York

4 ROMANS FRANÇAIS Jacques Tehoul L'amour réduit à merci par Lionel Mirisch

Edith Thomas Le jeu d'échecs par Maurice ChavardèsEve et les autres

FrançoisSonkin Les gendres par André Dalmas

Jean Freustié Isabelle par Alain Clerval

Robert Lapoujade L'Inadmissible par Anne Fabre-Luce

Michel Déon Les poneys sauva/{es par Alain Clerval

9 LlTïERATURE Malcolm Lowry Sombre comme la tombe par Geneviève Serreau

ETRANGERE où repose mon amiRaymond Chandler Lettres par Jean Wagner

11 ENTRETIEN Durrell, écrivain et peintre Propos recueillispar Claude Bonnefoy

12 HOMMAGE Au toscin de l'Histoire par Georges Nivat14 Un inédit de Soljénitsyne

16 EXPOSITIONS L'Univers de Kienholz par Gilbert Lascaux17 Le Kunstmarkt de Cologne par Marcel Billot

18 Dans les galeries

Les murs de Brassaï par Roger Grenier

19 HISTOIRE Charles de Gaulle Mémoires d'espoir par Pierre Avri!20 Jean Baechler Les phénomènes révolutionnaires par Bernard Cazes

21 ETHNOLOGIE Robert JauIin Le paix blanche par Jean Duvïgnaud

23 CINEMA Peter Sasdy Une messe pour Dracula par Roger Dadoun

24 Robert Kramer Un rêve d'insurrection par Louis Seguin

25 THEATRE Witkiewicz par AdoH Rudnicki

26 Lettres à la Quinzaine

La Quinzainehtt~r.lirp

2

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction :Georges Balandier,Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédactionet documentationAnne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaide Blasquez.

Maquette de couverture:Jacques Daniel.

Rédaction, administration43, rue du Temple, Paris (4e

)

Téléphone: 887-48-58.

Publicité littéraire :22, rue de Grenelle, Paris (7e).Téléphone: 222-94-03.

Publicité générale : au journal.

Prix du nO au Canada : 75 cents.

Abonnements :Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois : 34 F, douze numéros.Etudiants : réduction de 20 %.Etranger: Un an : 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout changement d'adresseenvoyer 3 timbres à 0,40 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15551-53.

Directeur de la publication :François Emanuel.

Impression S.I.S.s.

Printed in France.

Crédits photographiques

p. 1 Observer/TransworldDenoël

p. 3 Vascop. 5 Denoëlp. 6 Denoëlp. 7 Gallimardp. 8 Gallimardp. 9 Denoëlp. 10 Ch. Bourgoisp. Il Galerie de Seinep. 12 Observer/Transworldp. 13 Observer/Transworldp. 15 Observer/Transworldp. 16 Norbert Nobis-Bonnp. 17 Christel Hessep. 18 Brassaïp.20 D.R.p.21 D.R.p.23 D.R.p.24 D.R.

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1.. I.IY•• D.

Le roman comme jeuI.A QUINZAIN.

La Quinzaine Littéraire, du ]"' au 15 novembre 1970

1Alain Robbe-GrilletProjet pour une révolutionà New YorkMinuit éd., 214 p.

Autant et plus encore peut-êtreque la Maison de Rendez-vous, cedernier roman d'Alain Robbe­Grillet nous convie à considérer lafiction comme une aventure ludi­que. Dans UI;le série de scénariosconstruits en abyme, l'auteur est,en effet parvenu à produire une fic­tion totalement « irrécupérable» despoints de vue de l'identité du narra­teur ou des personnages, de celui dela chronologie ou de la « factuali­té » des événements.

Comment réussir à faire un texteduquel aucune vérité ne subsisteaprès la lecture, et qui rompt avectoutes les amarres de la vie réelle ?Cela demande un grand talent, unpoint de vue critique incessant etune virtuosité dans la « mise à dis­tance» que Robbe-Grillet sembleposséder au plus haut degré.

Une des clefs possibles de ce livreoù le mixage de type cinématogra­phique, le brouillage systématiquede toute piste amorcée sont égale­ment soutenus, est une situation fortbanale, sorte de « Monsieur le Mar­quis rentra à huit heures ». En ef­fet, un homme, le narrateur, atten­du par sa femme, rentre chez lui, etdépose ses clefs sur une consoledans l'entrée de la maison. Le ro­man consistera à remplir et à dé­ployer au maximum cet événementinitial, essentiellement neutre. Pource faire, on utilisera par exemple,les couvertures des romans policiersdont on « visualise » les images surles rayons de la bibliothèque en hautdans la maison. Ces images s'asso­cieront aisément en tant que « situa­tions» terminales avec l'insertionde la clef dans la serrure et la sym­bolique phallique qu'elle implique.Le bruit des clefs que l'on déposese convertira en un fracas de vitrequ'un agresseur imaginaire vientde briser pour pénétrer jusqu'à lafemme qui attend dans la chambre.Les bris de vitre feront sept petitspoignards transparents destinés àtranspercer la chair offerte d'unevictime ligotée sur un lit, et dontl'image est peut-être sur la couver­ture déchirée d'un des romans poli­ciers en question.

Ce que Bernard Pingaud disait dela lecture du Nouveau Roman engénéral demeure vrai: C'est unlabyrinthe dans lequel le jeu neconsiste pas à sortir, c'est-à-dire à

comprendre la complexité, mais às'y perdre. Dans Projet pour unerévolution à New York, ce jeu sepoursuit dans le sens d'une vérita­ble propédeutique de la gratuité etdu « désengagement » total pour lelecteur. En raison du poids consi­dérable du système de valeurs aveclequel celui-ci aborde la lecture engénéral, rien ne lui est en effet plusdifficile que de se défaire de ses ha­bitudes de juger, de « valoriser »constamment les éléments de la fic­tion les uns par rapport aux autresd'une part, et aussi de les confron­ter sans cesse avec sa propre échellede valeurs. La lecture de type ordi­naire correspond toujours à laconfrontation de deux « Weltsans­chaaungen», c'est mon mondecontre et par rapport à celui quel'auteur me propose qui se trou­vent immédiatement « mis en jeu ».Lire, c'est opérer une série de sai­sies des éléments du texte, les enre­gistrer « comme» vrais ou moinsvrais, bons ou mauvais, par rapportà soi. Tout l'arsenal aristotéliciendont nous avons hérité, les princi­pes de cohérence interne du récit,les notions de Il supérieur» etIl d'inférieur », les concepts de péri­pétie, de reconnaissance ou de né­mésis adhèrent encore puissammentà l'esprit du lecteur contemporain.D'où sa Il déception» en face d'unroman de ce type qui est un anti­récit, se détruisant lui-même au furet à mesure qu'il s'élabore (commel'indiquait Sartre à propos du Por­trait d'un Inconnu de Nathalie Sar­raute). Le lecteur aura, devant l'inu­tilité de ce bagage de valeurs, lasensation d'être Il joué », alors qu'ildevrait entrer dans le jeu de la non­valeur et jouir précisément du Il dé­lestage » qui lui est proposé.

Mais entrer dans le Il ludique»est infiniment plus difficile que desuivre les parcours traditionnels :c'est aller dans le sens toujours ré­voqué ou révocable de toute véritécomme le tentent certains philoso­phes tels que Eugen Fink (Le Jeucomme symbole du Monde, Minuit,coll. Il Arguments ») ou KostasAxelos (Le Jeu du Monde, Mi­nuit, coll. Il Arguments »). Cespensées vont d'ailleurs beaucoupplus loin, qui proposent la tota­lité du monde comme jeu, etpas seulement la fiction. Si l'ondécide d'acquiescer aux contrain­tes d'un ludisme radical en matièrede roman, force nous est alors depermettre à la notion de gratifi­cation de changer de lieu et desens. Au lieu de se situer ?Our le

Dessin de Vasco.

lecteur au niveau du Il juste »,du Il bien », ou du Il vrai »,elle vient investir une autre région,celle du jeu des articulations desvariantes proposées pour un évé­nement dont le contenu est indif­férent en Soi.

Considéré dans cette perspective,Projet pour une Révolution à NewYork est une remarquable leçon deIl désappropriation » : Le narrateur(Il Disons Il je », ce sera plus sim­ple », écrit Robbe-Grillet) est untransfuge délibéré; il assume tourà tour l'identité de tous les autrespersonnages, visant ainsi une Il pa­nique des assurances vitales » chezle lecteur qui doit être constammentIl désorien té» et qu'on projettedans une errance joueuse où se suc­cèdent indifféremment réel et ima­ginaire, sans distinction et sansrupture.

Pourtant, l'univers Il facultatif »ainsi composé peut encore être jugé,mais seulement de manière globaleet extérieure : on y verra l'épanouis­sement complaisant d'un monde defantasmes sadiques, sorte de théâ­tre intérieur dans lequel les person­nages peuvent être récupérés grâceà la cohérence de leur rôle : lafemme, masochiste, y joue la Il vic­time », objet d'un plaisir différé etsubstitutif. L'homme maîtrise etdétruit dans cet objet la chair qu'ilhait et qui le fascine par sa virgi­nité. But du désir et de la haine,lieu de résolution des pulsions re-

foulées et des passages à l'acte ima­ginaires et irréversibles pour levoyeur, la femme polarise en tantque proie toutes les gravitationsirréelles qui s'ordonnent autour desa Il facticité» charnelle. L'inter­prétation psychanalytique s'imposed'ailleurs devant une symboliqueaussi insistante et répétitive.

On pourra aussi souligner l'effetIl assujettissant » (ramenant au su­jet) de cette fiction dont le but n'estautre que de renvoyer à elle-même,donc à un solipsisme caractérisé. LeIl matériau» d'où sortent les ima­ges (c'est-à-dire la Il situation initia­le, et les objets qui composent lesscénarios, tels que les objets aban­donnés sur le terrain vague ou lesaccessoires d'un magasin où l'onvend des masques, de faux poi­gnards, des mannequins de son,etc. ») est lui-même systématique­ment démystifié en vue de la mysti­fication à laquelle il va contribuer.On cherchera en vain la présenced'une conscience angoissée par safinitude, un engagement précis d'or­dre politique ou humain. Le nar­rateur semble jouer à se faire peurpar la titillation que procure uneimagerie savamment orchestrée. Celivre est donc susceptible de susci·ter, par un retour honique des cho­ses, un appel à la profondeur qu'ilveut précisément éliminer.

Heureusement, un humour éton­nant soutient à chaque ligne un ré­cit qui déborde de toutes parts sesfrontières. Il met en évidence unedistance critique constante de lapart de l'auteur - qui commenteses propres Il séquences », se faitinterroger sur les erreurs ou lescontradictions de l'histoire. On ritdes Il valences » imaginaires et fol­Ies qu'il accroche insolemment auxmoindres détails. En véritable Il pas­se-muraille» le narrateur traverseles surfaces pour se et nous retrou­ver de l'autre côté de distributeursde bonbons dans le métro new yor·kais, il se travestit quand le besoins'en fait sentir, ou décolle laborieu­sement les masques de chair de sonvisage entre deux scènes. Il semblequ'il doive absorber beaucoup deMarie-Sanglante pour avoir la forcede tenir tous ensemble les innom­brables fils de ses marionnettesjusqu'au brouillage final dans le­quel tout et tous se confondent.Mais, comme le dit un de ses per­sonnages (Laura, qui est tantôt safemme, tantôt une petite fille quiserait sans doute du goût de Ma­thias dans le Voyeur) : Il Pour lt Ile

petite vérité, il y a des milliard" et

~

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~ Robbe-Grillet Un langage strict

, • Acreer sOI-meme

da milliards de mensonges, alors...vow comprenez... »)-

Pour « Monsieur le Marquis ren­tra à huit heures », la suite de lasoirée est un délire synonymiquede variantes de son emploi dutemps. La Révolution - qui n'estheureusement qu'à l'état de projet- est elles aussi une variante devariante - celle de la réunion demalades mentaux venus «consul­ter» pour une narco-analyse. Le« narrateur » nous confie d'ailleursparfois qu'il ne parvient pas à« caser» tous les éléments de ses

variantes (manière de nous impli.quer dans le jeu) : « Quant à l'es­calier de fer, j'y pense, dit-il, onl'utilisera quand même », et forcenous est de lui faire confiance.

On aimera, je crois, les policierssadiques - « mais la vareuse et lesbottes n'empêchent pas les senti­ments humains... » - qui se fontservir des sandwiches au jambonpar leurs victimes pendant les« pauses », et qui demandent auxravissantes suppliciées de mangeraussi « pour leur inventer des faitsprécis et significatifs ». Car il s'a­git « d'alimenter» convenablementce petit délire oral et spéculaire.Alors les « vampires de métropoli­tain JI, les hommes en blanc munisde délicates et précises seringues.les jeunes blousons noirs mimantl'action révolutionnaire seront lesbienvenus pour défoncer les portesen trompe-l'œil, pour incendier len­tement les rousseurs tendres demannequins à la chair exquisementblanche.

L'auteur prend son bien où il letrouve - parfois dans ses autres ro­mans. n propose Edouard Manneret(la Maison de Rendez-vous) comme«solution possible» à une actionirréelle, et décrit avec un plaisirqu'on imagine grand une mygale ­descendante de la scutigère de laJalousie, perçant le sein blanc d'unevictime, «ravie », extasi~ commele supplicié chinois qui fascinaitGeorges Bataille (et dont la photo­graphie ne le quittait jamais).

Plus exigeant que le roman tra­ditionnel où l'identification com·plaisante était toujours proposée aulecteur, ce livre nous enjoint detransgresser nos frontières et d'as­sumer «pour voir» la totalité de« l'illusoire li de la fiction en tantque tel. Exercice passionnant pourqui s'intéresse à ses propres au-delà,à ces «variantes D inconnues denous-mêmes qui nous attendent del'autre côté de nos « vérités D.

Anne Fabre-Luce

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1Jacques TehoulL'amour réduit à merciLe Seuil éd., 222 p.

Bien des jeunes romanciers, sem­ble-t-il, refusent (ou veulent igno­rer) une certaine dichotomie : cellequi conduisait nos auteurs de na­guère à séparer le « privé » du « so­cial », la vie des individus de celledu monde. Non qu'ils aiment « si­tuer» leurs héros dans un contexte,professionnel ou autre, trop précis,mais ils leur imposent une respon­sabilité quasi historique, qui dé­passe ce qu'a d'accidentel et depetit leur propre drame.

Tel est le cas de Jacques Teboul,dont l'Amour réduit à merci est« constellé» d'enfants biafraissquelettiques, de cadavres déchique­tés de Vietnamiens, de morts arabesde Nanterre... Raymond (en) ap­pelle (à) Jeanne, qui n'est plus,(l'a-t-il tuée ?), mais à travers la

Se

1Edith ThomasLe jeu d'échecsGrasset éd., 272 p.

1Eve et les autresMercure de France éd., 160 p.

Une femme dresse le bilan de savie. Non que cette vie soit prochede sa fin, mais parce que le senti­ment d'échec qu'éprouve Aude de­mande à être en quelque sorte véri­fié. Ce qu'elle a raté, c'est son épa.nouissement de femme, plus préci­sément d'amante. Aucun homme nelui a donné ce qu'elle espérait. Etl'amour, un temps partagé, de lajeune et instable Claude a fini dansl'amertume.

Aude s'interroge donc. Pourquoicette malchance? Serait-ce inapti­tude à s'harmoniser avec autrui ?Serait-ce maladresse? « Je suis ti­mide et retirée, dit-elle d'elle-même,avec, tout à coup, des flambées dehardiesse. » Du portrait qu'avec unpointillisme psychologique extrême­ment habile en brosse Edith Tho­mas, il se dégage, en fait et avanttoutes choses, la peur de s'illusion­ner : n'être dupe de rien, écrit lanarratrice, « pas même de l'illusiondu honheur. »

banale déchirure de l'absence et dela souffrance il lit : FNL vaincra,il découvre Hanoï, Camin, Chicago.Il a perdu, ou brisé, son amour,mais il paye ainsi pour toutes lesinjustices, toutes les tortures, tousles crimes de l'univers.

Ce qui épaissit le roman, lui don­ne à la fois du poids et une certai­ne opacité. Comme dans les œuvrestrès chargées, on manque de lumiè­re, on manque d'air. Ce que veutd'ailleurs Jacques Teboul, incontes­tablement. C'est pour nous oppresserqu'il se bat. Ses pages serrées, sou­vent belles en soi, sont faites pournous prendre à la gorge. Mais d'oùvient alors cette relative indifféren­ce du lecteur, cette impression dedemeurer à l'écart d'un livre quise déroule (armée en marche) loinde lui, sans lui ?

Probablement du parti pris allé­gorique. Jacques Teboul accumuledes bombes qu'il se hâte de désa­morcer. Quel mot chez toi corres-

Pour que le bonheur ne déçoivepas, le mieux est peut-être de lecréer soi-même, au lieu d'attendrequ'autrui vous l'octroie. Aude, parexemple, ne pourrait accepter « d'ê­tre définie» par un homme. Fem­me, elle veut être sa propre lumière,non le reflet d'un mâle; elle déci­dera d'assumer sa liberté même sicette liberté la voue à la solitude ducœur et des sens. Elle aura, volon­tairement, un enfant « sans père »,un enfant né d'une blessure, pres­que d'un désespoir, mais à qui elles'efforcera d'apprendre le bonheuret l'espoir, en même temps que lavolonté et le courage.

Edith Thomas n'a pas attendud'écrire ce livre pour s'intéresser,comme elle dit, à « la solidaritédes femmes entre elles dans ununivers qu'elles n'ont pas fait etdont elles ne sont pas responsa­bles.» Plusieurs de ses ouvragesprécédents sont consacrés à cellesqui ont tenté de changer le monde,en se changeant padois elles-mêmes,de Jeanne d'Arc à George Sand, enpassant par les Pétroleuses, lesFemmes de 1848 et Pauline Roland,en attendant l'essai annoncé surLouise Michel. .

En publiant une nouvelle édi­tion d'Eve et les autres (qui avait

pond à cette vr.swn si forte qui tehante au moment même où tu res­sens la violence de l'injustice? Lavieille gravure est toujours exposéedans la vitrine. C'est la page degarde d'un livre très rare de Ful­gosus. Un carton dactylographié :L'Amour réduit à merci. L'amouraveuglé par un bandeau est enchaî­né à {Ln arbre. D'autres personnagesl'entourent. Tout ceci est très allé­gorique. La distance ainsi posée dé­colore un peu la vision. On entenddes cris, mais on ne perçoit qu'unmurmure.

Heureusement, ce murmure a laforme des phrases acérées et arden­tes de Jacques Teboul. Ce langagestrict et pourtant musical, brutalet pourtant savamment composé,s'étage, se replie, se déploie, et l'onadmire qu'il ne soit jamais inutile.Dans l'Amour réduit à merci, sila .fable lasse un peu, le texte de­meure, métal brûlant, compact etsans paille.

Lionel Mirisch

paru chez un autre éditeur en1952), elle nous offre une huitainede cours récits - mi-nouvelles mi­apologues - qui, tout en rajeunis­sant avec entrain et impertinencela Bible, mettent les points sur les id'un certain féminisme.

Le ton est donné par cette répli­que de la femme de Loth à sonépoux : « Je te hais pour ce que tuas voulu faire de moi : un être quin'est jamais que le reflet de toi. »Mme Putiphar, la Femme adul­tère, Judith, Marie elle-même qui- comme l'Aude du Jeu d'échecs- se fait faire un enfant naturel(non sans l'abriter astucieusementsous la pseudo-paternité de Joseph),toutes ces femmes affirment unepersonnalité qui rejette l'empreintemasculine.

Sans aigreur, mais ironiquement,Edith Thomas remet les choses àleur place, taillant, décousant, rac­commodant l'Ancien et le NouveauTestament. Le plaisir qu'elle y apris est évident. On le partage vo­lontiers, tant ces historiettes sontvives, adroitement conduites, en·jouées. L'intention, cependant, de­meure grave.

Maunce Chavardès

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Une satire heureuse

HELENE CIXOUSle troisièmecorps

les commençements

Mai 68

Marc, enfin dépossédé de tous sesrêves, abandonnera un univers oùl'adolescence même est devenuesuspecte : « Marc acheta une gran­de poupée, très grande, très bête,avec de grandes nattes, un trèsgrand sourire et de grandes cuissesde bébé. Il ne reconnut aucun gen­dre parmi les permissionnaires. Ilregagna la chambre de son hôtel.Il fit un ballot de ses vêtements,ses objets de toilette, son manteau,sa petite voiture et la poupée. Il nelui restait plus qu'à nouer sesdraps bout à bout pour s'échapperde la prison. »

A l'écart on le voit, de tout rap­pel idéologique, se tenant, par sonlangage, dans le domaine concret,si je peux dire, de l'écriture, ce livren'est pas un ouvrage de circonstan­ces. Il n'exploite aucune facilité .etne se permet aucune complaisancedans l'allusion. Disons simplementpour conclure qu'une imaginationverbale, constamment en éveil, afait des Gendres une satire heureuseet un divertissement.

André Dalmas

JACQUELINE PlATIERLe Monde

Hélène Cixousest d'autant plus poètequ'elle saisitle paradis ou l'enferdans les chosesquotidiennes.

HELENE DE WIERLYSLa Quinzaine Littéraire

Le style d'Hélène Cixousdemeure, puissant,nombreux, violent.

Il est celui"d'un guerrier de la vie",

décidé à vaincreses démons intérieurs,acharné dans sa quête

et sa possession du mondepar le langage.

On ne peut qu'admirerl'ampleur du registre,

la variété des tons,qui va de la colère

à l'abandon savant,en passant par l'angoisse,

l'insolence, le rire, le sang,les larmes.

à la mode, de la psychanalyse - nepeut apporter de remède. Autourd'eux, la foule des gendres se refer­me. Ils suffoquent et leurs yeuxsont ternis de buée comme ces mi­roirs qu'on approche de la bouchedes gens presque morts.

La troisième et dernière partie dulivre a pour ca9re Paris au mois demai 1968, quand l'agitation com­mença d'étourdir et quelquefois dedérouter l'ordre établi. L'événementsépare définitivement la fille, deve­nue inhumaine, au sens proRre,invulnérable à toute émotion, de sonpère. Pour lui ce sera comme unerenaissance, quand, sur les barri­cades il accompagnera Mai, cettejeune fille, si semblable à sa filleadolescente. L'aventure durera jus­qu'à la reconquête, quartier parquartier, de la ville investie parl'armée des gendres. Mai, la jeunerévolutionnaire, se perdra dans lafoule abusée et vaincue, tandis que

La foule des gendres

protecteur de son propre développe­ment - il est l'hermaphrodite ·dela civilisation qui l'occupe: en mê­me temps policier et victime, direc­teur et dirigé, sujet et objet de touteactivité.

L'auteur a divisé son livre entrois parties qui correspondent,chacune, à trois états concrets, àtrois métamorphoses de ses person­nages principaux : un père, Marc,et sa fille Nature. Celle-ci est uneadolescente encore gracieuse, quisurvit aux frontières du monde desgendres. Cependant constammentmenacée, Nature sera bientôt, endépit de la présence de son père,attirée, puis absorbée par la maréecivilisatrice. Marc la voit s'éloignerde lui, changer de formes et de re­gards, devenir l'épouse, la Femmemonotone d'où toute fraîcheur estdésormais absente. Devant elle, enelle « chaque jour passe et se videcomme un sac. fatigué, si mouqu'elle ne sait par où le saisir. »Elle est Claire, l'attribut du gendre.Quant au père « il se retrouve seul,tout est éteint, tout est devenu froid,soigneusement froid, soigneusementéteint et propre comme une alléebien ratissée ( ... ) Avec son sang,son sperme, ses idées, il se sentperdu comme dans un canot pneu­matique de naufragé abandonnéseul dans le néant, entre assis etdebout. »

Pour le père et pour la fille, aprésent chacun de leur côté,commence la morne navigation del'exotisme, au sein de la pesanteurcroissante des corps, à laquelle nullethérapeutique - y compris celle,

Un langage

Emouvant, exact et ~acceptable,

ce roman l'est en effet par unequalité essentielle, celle du langage.Sans jamais rien devoir à quelquemode que ce soit, cette réussitemérite d'être soulignée, car ellen'est pas commune: syntaxe, voca·bulaire, utilisations facétieuses dulieu commun, métaphores inatten­dues, tout cela crée, entre l'écrivainet son lecteur, une complicité parquoi l'image la plus dérisoire ou laplus cocasse devient l'arme la plussûre. Tel est l'attrait d'un récitdont l'auteur a su jusqu'à la finpréserver la grâce naissante.

De cet ouvrage, on peut aussi direqu'il est le livre des métamorpho­ses, ou plus exactement .(pour reve­nir à son titre) le « lieu» del'engendrement - de ce phénomènequi fait de l'homme contemporain,non pas un adulte, mais cet êtrenouveau, cet hybride de l'universmécanique, que l'auteur appelle ungendre. Le gendre est un conserva­teur, mais d'une espèce inédite: ilengendre moins l'ordre que la tris­tesse qui l'accompagne, moins lapropriété que la provocation del'injustice, moins la prospérité quel'ennui qu'elle fait naître. La maréedes gendres couvre les villes moder­nes, envahit ses rues, pénètre dansses appartements. La seule fonctionde ces gendres semble être le main­tien des conditions les plu!! favora­bles à leur reproduction. Le gendreest à la fois devenu l'époux et le

Le livre de M. François Sonkinn'est pas un roman au sens conven­tionnel où l'on continue à l'enten­dre. Ce n'est pas d'autre part l'unde ces ouvrages qui semblent avoirpour seule ambition de bouleverserpour le rendre plus obscur le modetraditionnel du récit et de l'écriture.Il s'agit, je l'écris « toutes pro~u­

tions gardées », d'une tentative. originale et fort habilement condui­

te de donner de la civilisation et del'existence quotidienne que celle-ciIL engendre», une relation qui soità la fois émouvante, exacte etacceptable pour un lecteur, aujour­d'hui quelque peu saturé de cescomparaisons.

1François SonkinLes GendresColl. Lettres NouvellesDenoël éd., 192 p.

La Quinzaine Uttéraire, du }o. au 15 novembre 1970 5

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Un regard clair L~hoDlDle foudroyé

1Jean FreustiéIsabelleLa Table Ronde éd., 320 p.

Cette Isabelle dont le prénom pas­tel fait penser aussitôt à des faveursd'un vieux rose, à un médaillonancien" n'a guère de ressemblanceavec l'autre Isabelle, la fragile hé·roÏne du récit de Gide. Nul amourbrisé ne la rattache à son passé, aucontraire, d'une jeunesse éblouis·sante, elle est à l'âge où l'épanouis.sement des formes éveille en touthomme, fût-il son père, de troublespensées et une curiosité au fond trèsnaturelle. Mais, chez Jean Freustié,la peinture des passions choisittoujours le détour d'une situationscandaleuse pour montrer que lessens ne peuvent guère trouver unsecours ou un apaisement dans lesconventions, l~ sens du devoir ou dupéché.

Paul, divorcé depuis quinze ans,n'a guère ,veillé que de loin à l'édu·cation de sa fille dont Sonia, sonancienne femme, a la charge. Maisil n'a pu, cette fois, résister au ca·price de jouer les pères nobles. Ilemmène la jeune fille en vacancesdans sa propriété de Haute·Proven·ce. Pour un solitaire qui vit à lacampagne, entre les livres à lire,ceux à écrire, que ses amours pas·sées ont rendu, la quarantaine ve·nue, mi·amer, mi·détaché, la pré.sence d'une jeune fille de dix.septails, sûre de ses charmes, récemmentavertie des dangers et des morsuresde l'amour, voilà précisément la me·nace qui va bouleverser ses habitu·des, son bonheur tranquille. Ce vo­luptueux qui, comme tous les hom­mes de plaisir, s'est toujours tiré,grâce à son scepticisme et sa lassi·tude, des situations compliquées, ouscabreuses, comment cette fois a·t·ilpu sortir de ~ette aventure : rêverd'être l'amant de sa fille sans pou·voir, ni se séparer d'elle, ni se résou­dre à commettre l'irréparable?Pour Isabelle, Paul, qu'elle n'a ja­mais vraiment connu, est unhdmme comme les autres que l'ex·périence et son mystère, son métierd'écrivain parent d'un prestigeneuf.

L'amoralité de ce livre, et l'on ysonge peu tant elle s'exprime avecnaturel, se marie, d'une manièrequi fait le charme acide de tousles livres de Freustié, à un espritpositif, au regard clair que l'écri­vain, médecin de son métier, posesans jamais perdre son sang-froid,

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ni son goût méticuleux du détail,sur tous les déportements de sespersonnages. L'auteur mêle au récitdu séjour d'Isabelle des fragmentsde roman écrits par Paul où l'auto­biographie interfère avec les souve·nirs de la jeune fille quand elleétait enfant, et l'on voit par l'appro­fondissement que le récit dans lerécit donne au livre, se dessiner lepropos subtil de l'auteur : fictionet réalité ont besoin de l'équivoqueet de l'interdit pour se nourrir l'unede l'autre et s'enrichir de toutes lesnuances subtiles de l'imaginaire.Le brusque surgissement de la jeunefille fait découvrir à Paul, non seu·lement les satisfactions ambiguës dela paternité, mais surtout le poidsdu temps. Qu'Isabelle non seule·ment ne soit pas fâchée du désirqu'elle inspire, mais aille, même,jusqu'à suggérer à Paul de disposerd'elle si tel est son bon plaisir, peutparaître une rouerie ou un jeupervers, mais pour ces deux' êtresque la vie n'a jamais mis dans lecas d'être vraiment l'un pour l'au·tre un père et une fille, pourquoin'en irait·il pas ainsi?

Fût-elle sa fille, aucune femmene peut consentir à voir ses avances,ou sa coquetterie demeurer sansréponse. Isabelle précipite la sépa­ration pour échapper à ce père qui,pour n'être pas un modèle de vertu,n'a pas eu le courage de commettrel'irréparable. En échange, elle lais­se à Paul son amie, la douce etpaisible Maryvonne qu'il n'a pasles mêmes raisons de respecter. Paulest un écrivain, il préfère l'imagi.naire, ses chimères, aux réalités.Isabelle dont il n'a pas su faire saprisonnière aura seulement réussià relancer douloureusement les sou·venirs, dont il fera la matière d'unnOUVf:au livr.e.

On a l'impression, qu'à l'imagede la pure et gracile Isabelle de lapremière partie du récit, Freustié avoulu en médecin tirer une deuxiè­me épreuve de la jeune fille où elleapparaît abîmée par la vie.C9mme toujours chez lui, le goûtde sonder les reins et cœurs l'em­porte sur les rêves et la poésie douceamère.

Les analystes qui font l'étude ducœur humain ont généralement unpenchant excessif pour l'introspec­tion ou le lyrisme. Jean Freustiéoffre l'exemple fort rare d'un psy­chologue qui met à étudier la poé.sie du cœur, non la froide passiondu libertin, mais l'œil critique etpatient du thérapeute.

Alain Clerval

1Robert LapoujadeL'inadmissibleDenoël éd., 196 p.Robert Lapoujade, peintre et ci·

néaste, nous apporte dans ce romanla présence multipliée dans l'espaceet dans le temps d'une consciencefoudroyée : celle d'un homme, dé·puté et historien qui est doublementblessé, dans sa propre histoire - parla trahison de la femme qu'il ai·mait - et aussi par l'histoire dumonde à laquelle il rattache sonaventure personnelle. Dans ce dou·loureux éclatement de l'être, devenuinfiniment poreux et vulnérable, lesévénements d'ordres subjectif etobjectif se mêlent indissolublementen une sorte de « bouillie des ori·gines » où convergent tous les tempset tous les lieux. Le récit est alorscomme un immense présent qui sedilate et draine indifféremment avecsoi les alluvions issues du passé, duprésent et de l'avenir.

L'éclatement de la' consciencemet en évidence la faillite de l'homome. « Nous étions des émergencescomposites, inventant le sublimeet... des paumés» dit Jacques Relde,le narrateur. Mais n'est·il pas lui­même et au niveau du discoursmême qui constitue le livre « uneémergence composite inventant lesublime » ? quand il « présentifie »délibérément le procès de Jeanned'Arc, l'aventure du Gaullisme,celle de Franco, ou une « liquida.tion » planétaire à venir? Pour lenarrateur, les faits historiques sontle tuf dont toute conscience contem·poraine 'se "nourrit. « L'homme esttoujours près de l'histoire, dit-il,

parce qu'il la fait ». Le roman cons·titue alors une sorte de labyrinthedans lequel les récits se superposent,se succèdent, se remplacent sanstransition, selon le pur courant as·sociatif de la conscience imageante.

Un pessimisme profond traverseles différents plÛ"ëow's 'du, rêcit :l'humanité ressemble à un troupeaud'éléphants qui s'écrasent les unsles autres dans leur course préci­pitée vers la mort. Pour retracerl'aventure de :ta confusion humai·ne, la voix du narrateur se fait plu­rielle : Cf. Ainsi suis·je facilement letémoin, Charlemagne autant que1acques Relde ou que Lennie.Comment trouver le point et pour­quoi y attribuer une telle impor­tance ? » demande le narrateur. « Ilme suffit d'attendre et de laisserfonctionner les cercles, intervenirle moins possible. Nous sommes lesautres et le néant» (p. 26).

Une prose faite d'interférencesdans laquelle se recoupent inlassa­blement les différents cercles issusd'un pro-jet initial, tel apparaît ceroOlan qui doit autant aux techni­ques du Nouveau Roman, qu'à celledeil images cinématographiques ouau tachisme vibrant et discontinu dela création picturale.

Des personnages émergent cepen·dant rlu jeu des interférences, etqui évoluent autour de la personnedu narrateur : sa femme Lennie,objet de désir et d'amour, devenuela proie éphémère et très klossows­kienne de photographes érotomanes,ses trois enfants disparus eux aussi

, par un jour de Mai, et dont le nar·rateur croit entendre les' appels dé-

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Prestiges de J'aventure

La Qulnzalne Uttéralre, du 1" au 15 novembre 1970

sesperes. Il semble que la perte dela femme aimée soit le mobile quipousse son mari à faire convergerl'Histoire dans ce qu'elle a d'apo­calyptique. Un grand amour quifinit provoque l'effondrement detoutes les histoires, intérieures" etextérieures. Mais en généralisant lemal, la douleur, les supplices, enconvoquant l'Histoire, l'amant bles­sé s'exerce à assumer sa propresouffrance, et aussi sa viduité.

C'est pourquoi, Lennie, c'est aus­si. Jeanne d'Arc en butte aux bru­talités de ses gardiens, subissant lesinsultes de ses juges. Elle peut aussidevenir une reine traînée par sonnouveau maître, violée dans sachair, béante de plnisir et de hontedans les bras de l'amant.

« Dans notre société coexistenttous les niveaux de conscience, del'homme du Moyen Age et mêmedu primate au mandarin. Le passéest une sorte de tare que nous trans­formons en livres d'images» ditJacques Relde. Ce sera donc par lamultiplication des consciences pos­sibles qu'il ,pourra parvenir à « an­nuler» Lennie, à la restituer àl'Histoire, à lui conférer sa valeurmythique. « Telle qu'en elle-mêmeenfin », elle apparaîtra intégrée auxcourants multiples de l'aventure hu­maine dans le monde, par l'effet dece nouveau viol qui consiste pour lenarrateur à lui imposer son proprevertige qui n'est plus celui del'amour mais celui de l'identité.Que devient en effet la significationd'un amour quand on l'occulte parle meurtre d'Henri IV, par l'imagedu feu atteignant le corps blanc etpur de Jeanne, par la vision desrites érotiques « communautaires »des groupes « hippie », ou par lespectacle de la bombe frappant Hi­roshima ?

Puisque l'amour est révolu quipermettait de perdre ensemble lanotion du temps, puisqu'il n'estplus possible de vivre les momentsuniques « en éclatant de toute partet en conjuguant l'amour, à traversun saut infini de deux corps lovéstissant obstinément un creux sansmesure », il reste à faire l'histoiredu monde à laquelle renvoie cetamour et, ce faisant, « faire le tourde soi-même »,

Avec un style extrêmement vi­suel, une technique de convergenceparfois inégale, mais pourtant sai­sissante par la violence des images,l'Inadmissible se propo~ commeun étonnant kaléidoscope de la« contemporanéité »,

Anne Fabre-Luce

1Michel DéonLes poneys sauvagesGallimard éd., 504 p.

Voici un écrivain qui n'a pascraint d'écrire un roman qui soitun roman, avec des destins entre­mêlés, le bruit tragique et les lamesde fond de l'Histoire des quarantedernières années et le grandisse­ment mythique que l'action confèreaux individus dès lors qu'ils sontassez doués pour la parer des presti­ges de l'esprit ou la relier au senstragique de la vie, comme au sourdbattement de leur sang.

Il s'agit, à travers une large fres­que fertile en rebondissements, quis'ordonne à partir de quatre expé­riences d'homme, de montrer le dé·clin de l'Occident, pour emprunterà Spengler les prophéties nihilistesdont Michel Déon a entrepris d'il­lustrer l'exactitude lugubre. Onpeut, bien sûr, le déplorer, mais,seul, un tempérament de droite, etcomme il nous y invite lui-même, ilfaut rattacher l'auteur à une fa­mille d'esprits", pouvait entrepren­dre une œuvre de cette ampleur,sans craindre d'utiliser le moulehors d'usage du roman-fleuve, par­ce que sa facture et ses conventionsrépondent aux propos apologétiquesou polémiques, parfois irritants, quisous-tendent le déroulement durécit.

Nous retrouvons ce qui frappetoujours la pensée de droite d'unanachronisme pathétique ou enfan­tin, c'est-à-dire tous les thèmes surle destin, le dépérissement des civi­lisations, les chevaleries du néant,la décadence ou le fatalisme histo­rique, car ils se situent toujours,hors de ce monde, "dans le ciel in­temporel de la transcendance et desvaleurs éternelles où la dévolutiondes dons et des fonctions par grâced'état ou droit de naissance, faitface à l'irruption scandaleuse d'unecontingence grossière et abusive.Après tout, si l'on accepte ces don·nées et parti pris romanesquescomme les lois du genre, pourquoibouderions-nous le plaisir de celivre, tant les dons du conteurs'imposent avec force ?

Et puis, n'y a-t-il pas dans l'œu­vre de Michel Déon une incu"ablenostalgie de l'enfance, ce royaumesecret habité par le songe, qui bai·gne le livre tout entier d'où, en fili­grane, le refus désespéré d'être exilédu paradis à l'ombre des épées. Lelivre de Michel Déon trouve préci­sément son ressort dramatique dans

l'opposition entre l'ordre des va­leurs scellées dans l'initiation aris­tocratique et le règne de la matièreacharnée à blesser l'esprit.

Le narrateur, un Français, écrit,à l'aide de confidences et de livres,du balcon de Spetsai l'histoire dequatre hommes, Georges Saval,Horace Mc Kay, Barry Roots etCyril Courtney, que le hasardd'une année d'études a réunis àCambridge en 1938, à la veille dela guerre. Au terme de cette annéerendue encore plus merveilleuse parles prémices de la catastrophe etle crépuscule automnal dont la mé­moire embellit une société menacée,ces quatre hommes, unis dans l'ad·miration de leur maître d'études,Dermot Dewagh, se sont prêté unserment d'allégeance mutuelle etont fait le pacte de refuser des des­tins médiocres. C'est à l'histoire desmembres de cette confrérie éparpil­lée à travers le monde au gré descaprices cruels de Clio que MichelDéon a voulu nous intéresser, et ily parvient tant les charmes 'et lesprestiges de l'aventure sont pre­nants.

Tous les événements marquantsdes trente dernières années passenttout au long du roman, Munich,Dunkerque, l'Occupation, la guerrefroide, l'Algérie, la Hongrie et laTchécoslovaquie, les différentescrises du Moyen-Orient ... pour mar­quer de leur empreinte profondele destin des héros du livre. Cesquatre poneys sauvages - imageallégorique d'une vie en liberté, loindu béton cellulaire et de la violence,sont en effet hantés, malgré ou àcause de leur engagement politique,par la nostalgie d'un retour auxsources d'une nature pacifiée. Parnécessité romanesque et par goûtde la prédication, l'auteur en a faitdes types qui incarnent une passionexemplaire de notre époque, maisqu'un principe destructeur, l'airempoisonné du temps que nous vi-vons, a dévoyés. '

Ainsi, la foi nationaliste dé Bar­ry Roots, pour n'avoir pas su résis­ter à l'expérience de l'inhumaininhérente à la servitude du rensei­gnement, glisse dans le communis­me, voué pour les besoins de la poli­tique russe, à une apostasie constan­te pour goûter, sur le tard, aux plai­sirs des sens dans les bras d'unemégère du Pirée. Pour avoir suivil'itinéraire inverse, agent double auservice de sa Gracieuse Majesté, quidevient espion soviétique, HoraceKay n'en éprouvera pas moins lesmêmes humiliations : il sera expul.

sé de Russie, désavoué par les siens,envoyé dans un camp de travailforcé. Quant au journaliste GeorgesSaval, témoin placé au cœur del'événement, il sera pris dans l'en·grenage et le tourbillon aveugle del'Histoire, sourdement miné par lespectacle des horreurs et des men·songes, couverts du voile ténébreuxde la raison d'Etat ou justifiés parles desseins tortueux de l'idéologie.N'ayant pu faire éclater la véritésur le massacre de Katyn et sur lafameuse entrevue de Gaulle Si·Salah, il fera retraite en hlande.

Le poète Cyril Courtney fauchéen pleine jeunesse sur une plage àDunkerque, couvre de son ombre,comme la mélancolie des espérancestrahies, l'enlisement inexorable dessurvivants dans les impostures dusiècle. Quant' aux femmes, Sarah,•

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~ Déon

Giono après mai 68la mangeuse d'hommes, unie à sonmari, Georges Saval, par un pactequi survit aux aventures fugitivesque sa quête d'absolu lui fait re­chercher avec une espèce de folie,ou Delia Courtney, la sœur deCyril, hantée par la mémoire dupoète disparu, ce sont des figuresnées d'un romantisme échevelé quisont moins des caractères romanes­ques que la substance des rêves oul'idéalisation des concepts que leshéros masculins prêtent du fond deleur solitude à l'éternel féminin.

Un désenchantement que rehaus­se le contrepoint romantique del'aventure et de la passion, courttout au long du livre et lui inspiresa conclusion : la leçon d'une sa­gesse qui ne trouve plus d'apaise­ment que dans la retraite des grandsespaces rendus à l'illusioq 4'un âged'or miraculeusement préservé.

Pourquoi ne serait-on 'pastenté, un moment, d~ partager lamorale désabusée de Michel Déon ?Il est vrai que toutes les causesfinissent par se valoir et que dedroite ou de gauche, il s'est trouvédepuis un demi-siècle, assez d'hom­mes pour payer de leur vie le dé­vouement à un idéal trahi par ceux­là mêmes qui l'inspiraient. L'absur­dité de l 'Histoire est dans l'horribleprodigalité de vies humaines immo­lées au confort des médiocres.

Le pessimisme de Michel Déonest celui d'une génération qui eutvingt ans en 40, connut l'humilia­tion de la défaite, mais aussi vitl'illusion lyrique de la résistancese consumer dans les incertitudesde la guerre froide, et soudain pros­pérer sur le terreau des idéologiesen lambeaux l'opulence des sociétésindustrielles si avides de renier leurhéritage. Et les Anglais ont observél'effritement sans gloire de la gran­deur impériale. On comprend queles quinquagénaires d'aujourd'huiposent sur l'univ~rs un regard pro­fondément dégrisé. Qui ne se sentà la fois dépossédé de ses mirageset à jamais guéri des doctrines quiont fait tant d'hommes se parjurerpour rien ? Malgré son pessimismeun peu trop systématique, le livrede Michel Déon déborde de vitalitéet d'un prodigieux amour des hom­mes, il nous retient par la peintu­re d'un univers où le pittoresque,l'exotisme, les couleurs éclatantes,les rivages de la Grèce, les sortilègesde l'Orient déplient l'arc-en-ciel quisert de théâtre à une action admi·rablement menée.

Alain Clerval

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Une aes dernières photos de

En feuilletant...Anatole France inédit

Le Cercle du Biliophile poursuit avecrégularité son édition des œuvrescomplètes d'Anatole France. Vingt­cinq volumes son1" 'annoncés, le dix­neuvième vient de paraître : formant,dans cette présentation reliée, le tometroisième et dernier de la Vie litté­raire, il apporte plus de trois centsgrandes pages inédites en librairie.Elles ont été exhumées par M. JacquesSuffel, qui a établi toute l'édition avecla science et le tact qu'on lui connaît.

S.

A paraître en novembre aux éditionsdu Seuil, le Journal de Californie estle fruit d'un séjour de quatre moisqu'Edgar Morin vient de faire auxEtats-Unis où il a vu vivre la révolutionculturelle dont il étudie les principalesmanifestations.

Après Libres enfants de Summerhill,paru récemment au Mercure de France(voir le n° 98 de «La Quinzaine -),A.S. Neill, répondant aux questions quilui furent posées par ses lecteurs à lasuite de la publication de l'ouvrage,précise sa conception d'une éducationlibre et «non dirigée - dans un livreintitulé la Liberté - p8$ l'anarchie,annoncé chez Payot (PëiJte Bibliothè­que Payot).

Le livre de Marcel Ruby comble unelacune puisque aucun ouvrage d'en­semble n'a jamais été consacré à no­tre connaissance, à Jean Zay. M. Rubya dû recourir aux sources les plusdiverses - mémoires, documents d'ar­chives, témoÎgnages - pour recom­poser ce destin fulgurant : député à27 ans, ministre à 31 ans, assassinéà 39 ans, ' '

Un des mérites de Marcel Ruby estde pr~senter un tableau exhaustif, dureste impre'ssionnant, de l'œuvre ac­corripllépar Jean Zay. Dans le domainede l'enseignement, il a été un infati­gable mal1ieur d'idées. tl ne s'est pascontenté de porter la scolarité obliga­toire à 14 ans. Il a défini les troisenseignements parallèles - classique,moderne et technique - encore envigueur; il a voulu faire de la classede 'sixième une «classe-vestibule»propre à traduire, dans :la vie réelle, lessouhaits souverrt exprimés d'assurerune orientation effective des élèves.

L'ouvrage de Marcel Ruby se présen­te ainsi comme une précieuse sourcedocumentaire, à la fois sur Jean Zayet sur une période passionnée et dra­matique de la vie française. Il brosseaussi un portrait, à la fois fervent etsensible, de celui que Jean Cassouappelait «le ministre de l'intelligencefrançaise -, depuis son enfance dansles rues ombreuses et fleuries d'Or­léans jusqu'à ce fossé où l'on devaitretrouver son cadavre, abandonné parles miliciens, le \22 septembre 1946.(Marcel Ruby : La Vie et l'œuvre deJean lay).

LES REVUES

La Nouvelle Revue Française (n° 214).- Important et passionnant numérospécial consacré à « Vie ou survie dela littérature -. Le propos en est définipar Marcel Arland : «Une confuseterreur s'est installée dans nos Lettres.On s'interroge : faut-il faire éclater lelangage comme on a fait éclater lesgenres'? 'ramener l'œuvre à l'illustra­tion d'une théorie? se réfugier dansl'indifférence? - Ou faut-il commele font nos' ~ollaborateurs, garder foidans le destin de l'écriture et de l'art ?Chacun d'eux, selon son mode per­sonnel et s'~s goûts, entend servirune cause commune. «Parmi ces col­laborateurs, Jean Grosjean, Jean-MarieLe Clézio, Pierre Oster, Jean Grenier,Brice Parain, André Dhotel, JacquesRéda, Anne Fabre-Luce, Berl1ard Pin­gaud, Marthe Robert, Claudë allier,Julien Green, Alain' Clerval, etc.

Critique (n° 281). - Roland Barthesouvre' ce numéro avec une étude surCharles Fourier. Suivent des essais dePhilippe Sollers (par Roger Laporte),Philip Roth (par Pierre-Yves Petillon),Jean Cocteau (par Claude Hodin) etla théologie protestante par HervéRousseau.

Europe (n° 498). - Numéro litté­raire et musical puisqu'il est consacréau bicentenaire de Beethoven. Dansun sommaire un peu touffu. on noterales contributions Qe Max-Pol Fouchet,Franz Hellens, Yves Florenne, Jean deSolliers ainsi qu'un inédit de RomainRolland.

Esprit (septembre 1970). - Multi­ples thèmes dans cette livraison : lasituation de l'Orient (avec JacquesBerque), la Yougoslavie (avec AlbertMeister) , la Colombie (avec JulienBrieux), la politique industrielle fran­çaise (avec Henri Provisor). Mais nousretiendrons surtout un récit de Phi­lippe Jacques : «New York, couleurscroisées - sur le racisme aux Etats­Unis.

Les Temps modernes (n° 289-290). ­La Chine et l'Italie sont les deux pôlesd'attraction de ce gros numéro desTemps modernes. A quelques excep­tions près (dont celle de Charles Bet­telheim). tous les collaborateurs sontitaliens : ils relatent en détail lesluttes sociales de ces deux dernièresannées. Quant à la littérature, ellen'est guère représentée que par untexte sur le langage par le poète Jac­ques Garelli.

J. W.

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Le retour aux sources.TRANGlam

Vient de paraître

Il a été tiré à part1000 exemplai~es num~rolés

reliés pleine peau

« salut» littéraire - car Lowry,en dépit des échecs, n'a jamais dou­té qu'Au-dessolLs du Volcan ne fûtun grand livre. Ce n'est pas l'amiJuan Fernando Martinez qu'il estallé retrouver au Mexique (de tousles prétextes invoqués, celui-là estcertes le moins convaincant), c'estle Consul et lui seul, c'est-à-dire.Lowry écrivant le Consul, Lowrysaoul, replié dans le chaud ventrenoir de l'ivresse pour y mourir etY' renaître comme le Phénix mythi.que, déclenchant les démons de lapeur et les fantasmes magiques,Lowry décrivant en titubant les cer·cles de l'enfer, parce que tel estson parcours d'écrivain. Commetous· ceux que secouent les cyclones

Dans tout~ librairiesVolume broch~ 16.5 x 21.5 cmcouvenure ac~lalu. F 35.-

Jacques Prévert

Imaginaires28 COLLAGES EN COULEURS ET INtDrrs

DE L'AUTEUR

~

Malcolm Lowry, l'année de sa mort.

cusation. Belle occasion d'ajouterencore cette culpabilité-là à toutesles autres, obscures ou précises, dontil ne cesse de se torturer.

Non, l'important n'est pas là.L'important, c'est qu'Au-dessous duVolcan est achevé depuis deux lon­gues années. et que pas un éditeurn'en veut. Ce manuscrit n'existe,dérisoirement, que pour lui et poursa femme, il ne lui a' servi ni à sejustifier ni à se faire « reconnaître»ni à communiquer avec qui que cesOit. Donc Lowry retournera à l'en­droit même où cette unique aven­ture littéraire a commencé et où sonimagination l'a située tout entière,dans le lieu de sa « damnation» hu­maine qui fut a~i celui de son.

plus du tout si vous êtes en train devivre un livre ou d'écrire votre vie.

Donc, Malcolm Lowry a parcouruplusieurs milliers de kilomètres versle Sud, depuis sa plage canadiennejusqu'au Mexique, et il abrite enlui au moins trois personnages dIf­férents qui ne vont pas manquer des'entre-déchirer: le vieux Malcolm(c'est-à-dire le jeune) d'autrefois,celui qui se saoulait pendablement,ignominieusement, sans mesure, àla tequila et au mescal, chaque nuit;le Consul, enfermé dans les pagesd'un manuscrit non encore édité,et qui n'en finit pas de mourir aufond de la barranca; et enfin leMalcolm d'aujourd'hui, un Mal­colm assagi, qui s'est remarié (avecMargerie Bonner), a cessé de boire,se veut optimiste, sain, heureux.Il est bien évident, pour quiconqueentre dans ce livre, que ce dernierMalcolm-là ne va pas tenir long­temps, que les deux autres aurontsa peau et que, probablement, c'estcela même qu'il est allé chercher là­bas, si loin dans le temps et dansl'espace.

Et il. faut encore .en compter unquatrième, Sigbjorn Wilderness, hé­ros de Sombre comme la tombe... ,frêle déguisement de Malcolm, pro­jection de lui-même écrivant etécrit (car tout au long du voyage,il prend fébrilement des notes, enramènera une valise au Canada).

Vingt fois, au cours du livre, ils'interroge : pourquoi être revenu.au Mexique? Tournant autour dela vraie raison; qui lui fait peur~ ilinvoque divers prétextes : notremaison sur la plage de Dollartonavait brûlé, dira-t-il. Il est vraiqu'elle a brftlé, et qu'un manuscrit(ln ballast to. the White Sea) a étéirrémédiableènt détruit dans l'in­cendie. Mais lui et sa 'femme enavaient construit une nouvelle, qu'ilslaissent derrière eux inachevée pourcourir au Mexique, lui vouant deloin en loin au cours du voyage unepensée nostalgique et tendre. Com­me elle est belle, de loin, cette pe­tite maison, œuvre de leurs mains,symbole d'Un paradis (volontaire­ment) perdu, d'un paradis danslequel Lowry n'a jamais açcepté devivre - afin peut-être de pouvoirle rêver. Il est l'homme de l'enferet il le sait bien. Au cours d'une dis­pute durant ce voyage (et il dut yen avoir d'affreuses), Primerose­Margerie exaspérée ira jusqu'àdire: « C'est toi qui as mis le feuà natTe maison », Elle n'a' sansdoute pas tout à fait tort, et c'estLowry lui-même qui transcrit l'ac-

Il existe par le monde unclan secret de lecteurs dontles membres ne se connais­sent pas toujours entre eux.Ils ont en commun les rues, lesplaces, les jardins et toutesles cantinas d'une petite villemexicaine, Quauhnahuac. ilsn'ignorent plus rien des pou­voirs du mescal et de la tequi­la, et ils ont aussi leur mot depasse : • Le gusta este jar­din que es suyo? (un peucomme • Le presbytère n'arien perdu de son charme:.. •de notre enfance). Tous. unjour ou l'autre, sont descen­dus au fond de la barrancaparmi les détritus et leschiens crevés pour y reconnaέtre le visage de leur frère leConsul.

Les membres de ce clan n'ouvri·ront pas sans une extraordinaireémotion ce .livre posthume de Mal­colm Lowry, où le Consul est deve­nu pour son createur ce qu'il a tou­jours été pour eux : une ombre fa­milière presente-absente, et plus ter­riblement réelle que la plupart desvivants.

C'est que quelqu'un est revenuen arrière, huit ou neuf ans après,sur ses propres traces. Là où il s'é­tait passé, voici des années, quelquechose d'unique. Là où il avait plon­gé suffisamment loin sous le gouf­fre du volcan pour atteindre la ra­cine du feu et en faire jaillir uneœuvre. Mais, comme le dit un per­sonnage de Beckett : « On ne des­cend pas deux fois dans le mêmepus », on ne revient jamais sur sespropres traces, on en dessine d'au­tres, même si .par instants, et jus­qu'à l'hallucination, votre pas d'au­jourd'hui recouvre exactement lepas de celui d'autrefois - que vousn'êtes plus.

Et tout se complique encore si,comme ce Malcolm, vous êtes écri­vain et avez fait surgir il y a huitou neuf ans un double de vous-mê­me, un certain Geoffrey Firmin,Consul, qui s'est mis à vivre sapropre vie dans une aventure de lan­gage où vous vous trouvez si étroi­tement impliqué que vous ne savez

Malcolm LowrySombre comme la tombeoù repose mon amiTrad. de l'anglaispar Clarisse FrancillonLettres NouvellesDenoël éd., 300 p.

La QuiDza1ne Uttéralre, du 1" au 15 novembre 1970 9

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~ Lowry Pour les fans

de l'imagination, il installera en lui­même son théâtre où délires et ter­reurs jouent un ballet sans nom misen scène par un régisseur ivre. Maispour que le jeu fascinant continue,il ne faut pas que la mort réelle (lavraie, la mort bête, physique) inter­vienne. Un soir, cependant, Sigb­jorn-Lowry tentera sans y croire dese suicider. Il est ivre, il saisit sonrasoir et, « pour voir» se coupe lepoignet. Primerose-Margerie accourtà son appel et les choses rentrentrapidement dans l'ordre. Erreur deparcours, l'affaire est racontée ra­'pidement par Lowry, presque furti­vement - ses pages les plus inten­ses il les réserve à des cauchemarsinfiniment plus habités. Se suiciderc'est renoncer à tout et même auroyaume de la mort, renoncer àvivre sa mort au long des jours ­ce que sait si bien faire Lowry.

Malgré tout, suivant le fil quidoit le mener à Juan Fernando,Sigbjorn se heurte réellement, sanspouvoir l'éviter, à la mort. Oui, ceFernando, apprend-il, (l'un des mo­dèles du Dr Vigil du Volcan) a ététué, voici deux ans, d'un coup decouteau alors qu'il était borracho,oui il a été enterré à tel endroit, ouion l'aimait bien et on le regrette àla Banque Ejidal dont il était unefficace employé. Avec un luxeinaccoutumé de détails concrets,Lowry retrace la scène : les em­ployés de la banque, leur gentillesse,les locaux tout neufs, la place desbureaux et des fenêtres, et, face à cedécor neutre dénué pour une fois detoute angoisse, Sigbjorn-Lowry stu­pide butant contre l'évidence. Ainsi,Fernando est mort et la foudre n'estpas tombée, le monde ne s'est pasécroulé. La réalité a toujours quel­que chose d'incroyablement simple.Comme disent les morts de Genetau moment de crever les « para­vents» du Grand Passage : « Ehbien... C'est ça... Et on fait tantd'histoires ». Lowry est comme dé­livré d'une possession. Doux som­nambule, il erre dans Oaxaca, déliépour un temps de ses cauchemars,capable d'atteindre à une intelligen­ce sereine de la vie et des choses.Peut-être, précisément à cause decette mort, la vie est-elle devenuepossihle? La vie ne se nourrit-ellepas tout naturellement, sans aucuntragique, de la -mort? C'est unLowry en état second qui rédige(trop rapidement il est vrai etcomme s'il craignait que la visionne tienne pas) les dernières pagesde Sombre comme la tombe..., trans-

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figurant aussitôt en symbole lesens de cette expérience : en pas­sant, il a visité les anciens locaux dela Banque Ejidal (où il a connuFernando) et n'a plus retrouvéqu'une façade morte derrière la­quelle a explosé une végétationluxuriante d'arbustes et de buissonsen fleurs. La mort a perdu son ai­guillon, la Banque Ejidal, en rui­nes, est devenue un jardin. Pous­sant un peu plus loin l'image, c'esttout le pays d'Oaxaca qu'il voittransformé (grâce aux prêts de laBanque, et donc à Fernando) en unimmense jardin. « Le gusta este jar­din que es suyo? Evite que sushijos lo destruyan!» Nous voicirevenus à la petite phrase clef quitraverse le Volcan. Phrase inno­cente, devenue dans l'esprit délirantdu Consul: « Nous expulsons ceuxqui détruisent ». Du jardin del'Ejidal, comme de tous les autres(y compris, bien sûr, du Jardind'Eden), Lowry. n'est-il pas sanscesse, et par vocation, exclu? L'onsait comment s'acheva ce voyage,quelques jours après la visite àOaxaca : Lowry, pris dans une cas­cade de malheurs burlesques oudramatiques, se fit expulser duMexique par la police. La vision pa­cifiée qui clôt le livre n'est en faitqu'une brève respiration entre deuxcauchemars, et toute l'aventure dece retour mexicain demeure, commeen témoigne le titre, sous le signe dela mort tragique, de l'angoisse :Sombre comme la tomhe où repose...pas seulement mon ami, mais majeunesse gâchée, où repose leConsul ivre, où je me vautre, moi,écrivain raté, incapable d'amour,ivrogne tournant en rond dans devains délires, malade de solitude,iinpuissant depuis toujours à com­prendre le sens de mon propre des­tin. Jamais constat d'échec ne futplus désespérant que celui dont esttissé ce roman.

Faut-il ajouter qu'il n'est pasfait, que les trois liasses (elles for­ment ensemble 700 pages) d'oùMargerie Lowry et Douglas Day onttiré le présent ouvrage n'étaient en­core que trois essais, jugés sans dou­te à demi ratés par leur auteur, queLowry les eût certainement travail­lés durant des années avant de leslivrer au puhlic, et qu'on n'a peut­être pas le droit· de violer ainsi lesprocessus de la création ? Les mem­bres du « clan» ne peuvent, mal­gé tout, que s'en réjouir. Quant auxautres...

Geneviève Serreau

Raymond ChandlerLettresTrad. de l'américainpar Michel DouryPréf. de Philippe LabroChristian Bourgois éd., 372 p.

Raymond Chandler appartient àcette race d'écrivains qui ont desfanatiques et qui, en même temps,n'ont pas droit aux recensements of­ficiels. Dans leurs histoires de lalittérature amencaine contempo­raine, M. Dommergues n'en soufflemot tandis que M. Jacques Cabause contente de le citer comme disci­ple de Dashiell Hammett. Mais cet« écrivain de polars », comme ils'intitulait lui-même, a réussi à atti­rer autour de ses quelques livrestoute une famille, ceux que Labro,dans sa préface, appelle les chandle­rophiles. Nous nous reconnaissons(parce que le signataire de ces li­gnes ne se cache pas d'en être) parcent signes qui sont autant de motsde passe et il suffit de prononcerle nom de Philip Marlowe, le détec­tive privé créé par Chandler pourque nous nous sentions en paysconnu.

Ce culte touche toutes les clASsessociales: un docte professeur d'Uni­versité, Philip Durham a consacréune thèse à l'auteur de la Damedu Lac, Jean-Luc Godard le citedans Pierrot le fou et Labro racon­te qu'après une émission de télévi­sion sur Chandler, il reçut « quel­que vingt lettres dont une d'unedame vivant dans un château deprovince et qui (lui) disait queChandler faisait partie de sa fa­mille... »

Ce sont deux de ces fanatiques,Dorothy Gardiner et Kathrine Sor­ley Walker qui ont compilé lesnombreuses lettres écrites par Chan­dler pour composer ce recueil inti­tulé Chandler Speaking, devenu enfrançais tout simplement Lettres.C'est bien la première fois qu'unéditeur consacre un ouvrage à lacorrespondance d'un auteur dit desecond rayon. Livre instructif, nonseulement pour les membres de lafamille (pour ceux-là, il est une mi­ne), mais pour tous ceux qu'intriguele mystère de la création littéraire.

C'est une aventure singulière quecelle de Chandler. Taquiné par ledémon d'écrire pendant son ado­lescence, il avait publié des poèmesdans des revues londoniennes avantde se lancer dans lcs aHaires. Jus­qu'au jour où, aux alcnlours dc laquarantaine, il découvrit DashiellHammett dans la revue « BlackMask ». Il sentit quc le schéma for­mel inventé par Hammett était celuiqui lui convenait. Contrairement àce qu'on a dit, il ne copia pas Ham­mett. Il infléchit ce schéma en luiimprimant ses propres préoccupa­tions. On ne trouve chez lui nulletrace de dénonciation sociale et mê­me politique comme dans la Mois­son Rouge ou la Clé de verre. Cequi intéressait Chandler, c'étaitl'homme cherchant sa vérité dansune marche au cœur d'un mondepourri. Son héros, il l'a choisi dé­tective privé parce que le détectiveprivé est un homme qui cherche :« C'est un homme solitaire et fier etil attend de vous que vous le trai­tiez en homme fier, sinon vous se­rez désolé de l'avoir jamais rencon­tré. Il parle le langage d'un hommede son temps - c'est-à-dire avec unhumour brutal, un sens vivant dugrotesque, le dégoût de la vulga­rité, le mépris de la peiitesse. Notrehistoire est l'aventure de cet hom­me à la recherche d'une vérité ca­chée et ce ne serait pas une aven­ture si elle n'arrivait pas à unhomme fait pour l'aventure. »

Ce qui frappe quand on lit ceslettres, c'est le souci constant deChandler d'être' un écrivain véri­table s'exprimant à travers unmoyen populaire. Il avait délibéré­ment choisi un genre dit mineurmais, à l'intérieur de ce moyen mi­neur, il v.oulait avoir sa propreécriture, comme il avait son propreunivers. On le voit sans cesse par­ler de la magie des mots. Ses pr~­cupations premières sont d'ordrestylistique: « Au bout du compte,si peu qu'on en parle ou qu'on y

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Durrell, écrivain et peintre

CATALOGUEet commende. directe.

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C.C.P. Wllln 2.201.05 V.~.~ 1.M4SPERO

Mais je suis trop faible en tech­nique pour que cela soit visible.

Vous exposez ici des œuvresde deux sortes, des peintures àl'huile représentant des paysa­ges ou des personnages plus oumoins schématisés et des goua­ches très fluides, presque abs­traites, avec un caractère oniri­que ou surréaliste. D'une tech­nique à l'autre, le style change,est-ce l'effet d'une évolution?

ARC MUSICALprécédé de ~PITOM~

LE MAUVAISSANG

suivi de FEU DE BROUSSE et A TRICHe..CŒURla r66dltlon dans la collection a L'aube dissout les monat:ru •des trois premlor. recuella, depuis longtemps Introuvablu,du POke alrlcaln le plue ,_ de la _110~

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L'ŒUVRE POETIQUE DE

TCHICAVA U TAM·SI

peut rappeler Constantinople,un peu comme si je faisais del'illustration.

L. D. Oui. Mais je ne vousdirai pas quels sont les peintresque j'admire. On pourrait croirequ'ils m'ont influencé.' Peut­être même m'ont-ils influencé.

Avant de devenir Oscar Epfs,étiez-vous un grand amateur depeinture?

Comment êtes-vous venu à lapeinture?

L. D. J'aime bien Oscar Epfs.

Mais vous gardez le nom.

Les deux activités vont depair, mais est-ce que l'écrivaininfluence le peintre, et récipro­quement?

L. D. Le chef de gare du MontAthos.

L. D. Lors de sa premièreexposition, il y a quelques an·nées, les gens ont d'abord cru àson existence. Mais on a finipar.savoir qu'Oscar, c'était moi.Alors, pour la seconde, je nepeux plus me· cacher derrièreOscar.

Une librairie-galerie est le lieu'naturel de rencontre des pein­tres et des écrivains. AussiMarthe Nochy prépare-t-elle pourle 4 novembre, dans sa boutiquedu 93, rue de Seine, deux mani­festations conjointes : un ver­nissage et une signature. Côtéjardin, Oscar Epfs présenterases tableaux. Côté cour, Lawren­ce Durrell dédicacera son der­nier roman, Nunquam qui viendrajuste de paraître chez Gallimard.

Mais quelques jours aupara­vant, qui trouvait-on au sous-solréservé à l'exposition, en trainde choisir les toiles, d'ordonnerl'accrochage? Lawrence Durrell.Oscar Epfs, sans doute, devaitcorriger les épreuves de Nun·quam.

Mais qui est Oscar Epfs ?

L. D. Quand on travaille surun sujet, on a naturellementl'esprit occupé par ce sujet. Sile roman m'emmène à Constanti·nople et si je le laisse pourpeindre, ce qui vient sur la toile

Vous le remplacez parce qu'iln'a pas pu abandonner son poste.

L. D. Evidemment, puisqu'il n'ya pas de gare au Mont Athos.

Donc...

L. D. Pour moi, c'est d'abordun excellent délassement. Je nepeux pas taper plus de deuxheures par jour. Mais après avoirécrit, je peux peindre.

pense, ce qu'il y a de plus durable,c'est le style; et c'est le meilleurinvestissement qu'un écrivain puis­se faire de son temps (n.) On n'yparvient pas en essayant, car lestyle auquel je songe est une pro­jection de la personnalité, et avantde pouvoir projeter une personna­lité, il convient d'en avoir une.Mais si c'est le cas, on ne peut laprojeter sur le papier qu'en pensantà autre chose. » Et les lecteurs deChandler se sont souvent aperçusqu'en plein milieu d'une enquêtepolicière, on trouve une descriptionpatiemment fignolée. Le tour deforce vient de ce qu'elle n'a rienà voir avec l'histoire et qu'elle s'yintègre parfaitement.

Un romantismeémouvant

Jean Wagner

Et puis l'on découvre un homme,un homme fin et intelligent, pleind'humour et de ~nsihilité.Ses pagessur sa femme sont sl'un romantismeémouvant. A 67 ans, lorsque safemme (elle avait dix-huit ans deplus que lui) mourut, il écrivit à unami : « Pendant trente ans, elle futle battement de mon cœur. Elleétait cette musique que l'on entendau bord de l'inaudible. Mon plusgrand regret, maintenant inutile,est de n'avoir jamais rien écrit di­gne de son intérêt, de ne pas avoirfait un livre à lui dédier. l'y avaissongé, mais je ne l'ai jamais écrit.Peut-être n'aurais-je pas pu l'écrire.Peut-être comprend-elle maintenantque j'ai essayé, et que le sacrificede plusieurs années d'une carrièrelittéraire assez insignifiante m'asemblé un bien petit prix à payer,si j'ai pu la faire sourire quelquesfois de plus. » Et, comme Marlowe,son héros, c'était un homme d'hon­neur qu'on aurait voulu avoir Pourami.

« Il aurait pu, comme Proust, ditPhilippe Labro dans sa préface,écrire que la seule impression quilui restait de la vie était de la tris­tesse dominée par la fatigue.»Proust-Chandler : la comparaisonparaîtra à certains irrévérencieuse.Mais en ces temps où la littératurese rapproche de plus en plus desjeux de rhétoriqueurs, aux heuresde découragement, ce sont ceux-làqu'on relit. Après tout, n'est-ce paslà le premier but de la littérature :aider à vivre ?

La Quinzaine Littéraire, du 1" au 15 novembre 1970 11

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~: Durrell Au tocsinl. D. J'ai commencé par la

gouache. Je m'y sentais à l'aise,et je m'y sens toujours à l'aise.Je travaille très librement surpapier buvard.

Encore un matériau d'écrivain.

l. D. Qui me convient parfaite­ment. Et le format qui est celuides buvards de ma papeterie deProvence est la dimension idéale,celle où je m'exprime le mieux.Avec la gouache surtout, j'avais,j'ai encore, le sens de la naïveté.Avec l'huile, j'ai découvert denouvelles difficultés, et je l'aiperdu. L'huile donne envie dedessiner, mais vous prive de la

- merveilleuse liberté de la goua­che. Et quand on essaye de des­siner on est littéralement cruci­fié parce qu'on devient conscientde ce qu'il faudrait et de cequ'on ne peut pas faire.

Mais vous nous présentez une-exposition très cohérente, trèsintéressante.

l. D. Je vous remercie. Je lesouhaite. En tout cas, elle étaitnécessaire. Mes toiles avaientenvahi le garage. Le voilà débar­rassé et je vais pouvoir remettrema voiture à sa place.

Le jour du vernissage, voussignerez votre roman. Commentle situez-vous dans votre œu­vre?

l. D. Nunquam est le deuxiè­me volet, le complément deTune. D'un livre sur l'autre, jepense avoir fait le même enjam­bement que dans le Quatuor.Devant Tune, les critiques ontsouvent été gênés parce qu'il yavait beaucoup de points d'inter­rogation et peu de réponses.Celles-ci se trouvent dans Nun­quam.· En fait,. l'ensemble est

.comme un seul volume en deuxparties. C'est maintenant seule­ment que le lecteur pourra jugerde la structure du récit et sicette structure tient le coup.

Cela n'empêche point sansdoute l'apparition de thèmesnouveaux.

l. D. Le thème central deNunquam, c'est la révolted'Aphrodite contre la civilisa-

•tlon. On retrouve ici ce que lesGrees nommaient l'Ubris.

1.2

Cette Aphrodite, qui est-elle?

L. D. C'est une femme inven­tée, plus exactement fabriquéeartificiellement, à l'image d'unemorte. Mais cette créature néede la technique est si semblableà l'autre qu'elle aussi veut saliberté. Elle se révolte contre lacivilisation technique, maisd'abord contre le monde extrê­mement structuré de la sociétéMerlin.

Qui tenait une place importan­te dans Tunc.

L. D. Oui, mais cette fois, toutce qui concerne cette sociétéest éclairé et son mystérieuxdirecteur, Julian, vient sur ledevant de la scène.

Retrouve-t-on les mêmes dé­cors et des lieux aussi pittores­ques que le bordel d'Athènes?

L. D. Cette fois, ce serait plu­tôt des casinos. Tout est axé surle climat impersonnel, inhumaind'une grande société industriel­le dont les activités ont pourcadre Londres, New York, Cons­tantinople. D'où le trouble del'inventeur, prisonnier de ses in­ventions, et qui pour pouvoirles réaliser doit accepter d'uti-.liser les laboratoires, les possi­bilités techniques de la société,de travailler dans un milieu oùla liberté n'a pas de sens. D'oùla révolte de la femme.

Avec cette femme; vous êtespresque dans la science-fiction.

L. D. D'une certaine manière,on est poussé à en faire. Toutle monde écrit si bien aujour­d'hui qu'un écrivain doit faire uneffort pour attirer le lecteur,sans pour autant trahir ce qu'ilveut dire. Quelquefois, les criti­ques ont reproché à mes bou­quins un côté mélodramatique.Mais c'est donc qu'ils ne sontpas si éloignés de la vie quoti­dienne. Voyez les journaux. Cha­que jour ils nous racontent desmélos. En fait, plus que de lascience fiction, le ton de Nun­quam se rapprocherait de Poe.Mais avec une ·action très rapideet un peu macabre.

Propos recueillispar Claude Bonnefoy .

Jamais peut-être la recon­naissance n'est venue si viteà un grand écrivain.' En saparadoxale situation d'écri­vain «inexistant -, exclu dela littérature de son pays,Soljénitsyne vient de recueil­lir l'hommage le plus presti­gieux qui soit. Peut-être parceque son œuvre répondait à

« Cet hiver-là, j'arrivai à T ach­kent presque mort. Oui, je venais làpour y mourir... Mais on me ren­voya à la vie, pour un bout de tempsencore. » (la Main droite).

Ainsi renvoyé à la vie « pour unbout de temps encore », cet hommea décidé de porter témoignage surson voyage au bout de la mort.Témoignage obstiné, inflexible,cruel, mais qui, loin de déboucher

une interrogation plus anxieu­se que jamais sur le sens del'action humaine. Et que, partidu même absurde cruel etclos où nous enferment Kafkaet Beckett, il ne s'est paslaissé emmurer. Et pourtant,de quel total dénuement Sol­jénitsyne nous est venu!

sur la nuit, introduit la lumière auplus noir du vingtième siècle. Noustous, les lecteurs de Soljénitsyne,avons été bouleversés par le faitbrut de ce témoignage. Mais nousn'en avons pas tout de suite comprisle sens, ni le message.

Il faut dire que toute l'œuvreconnue de Soljénitsyne se préS«fJlte,en apparence, comme un récit do­cumentaire. Qu'il s'agisse de l'énor-

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La Quinzaine Littéraire, du 1" au 15 novembre 1970

de J'histoireme fre!qUe du Premier Cercle oude l'humble récit de Matriona, lediscours de Soljénitsyne a toujoursl'air d'être une simple narration :une journée d'Ivan Denissovitch,

.ou bien deux journées de la prisondes savants. Mais cette simplicitéest trompeuse... Il faut voir d'abordque cette œuvre, d'emblée, débutepar un chef-d'œuvre extrêmementriche, empli de résonances : le Pre­mier cercle.

Œuvre extraordinaire à plus d'untitre. D'abord par l'immensité de lafresque sociale comparée à l'exi­guïté du, temps de la narration : mi­nistres, juges, diplomates, écrivains,policiers, bagnards de toutes origi­nes, moujiks illettrés ou savants depremier ordre, tous ordonnés endeux cercles superposés, et symbo­liquement rassemblés, au centre" duroman, en deux banquets symétri­ques : celui des repus, apparem­ment « libres» mais rongés parl'angoisse et déjà harponnés parl'absurde, celui des bagnards, ap­paremment soumis, mais au fondlibres par le fait même de leurabsolu dénuement... Et ces deuxcercles superposés sont reliés parle fil de l'angoisse et du choix mo­ral : Innocent Volodine, le saintmalgré lui, rejoint dans sa chutevertigineuse les héros de l'abnéga­tion que le premier cercle rejettevers les ténèbres du septième.

Œuvre extraordinaire aussi parla fermeté absolue du jugementporté sur une histoire qui obsédaitencore nos esprits : le stalinisme,cette ombre immense portée sur larévolution russe et tout notre XXesiècle. Soljénitsyne fait plus querécrire une histoire si opaquementcamouflée : ill~ rejuge comme à unJugement Dernier, il nous fait en·tendre ce « toscin muet» qui hanteles rêves de son héros Nerjine etque seule Anna Akhmatova aura su,si différemment, faire entendre àl'égal de lui.

Cette force extraordinaire s'expli­que ainsi: d'emblée, dès sa premièregrande œuvre, l'écrivain a trouvéla clé de son œuvre et son messageaux hommes. L'histoire des hommesvient de basculer comme un iceherg.L'homme d'après les camps n'estplus le même, l'Histoire post-concen­trationnaire n'est plus la même, nepeut plus avoir le même sens qu'a­vant. Non que le mal n'ait existéauparavant, bien sûr, mais jamaisauparavant il n'avait été scientifi­quement concentré avec tant de per­versité. Cette lumière noire quimonte des camps irradie notre bis-

par Georges Nivat

toire, notre, culture et change mêmela notion ancienne d'héritage cultu·rel. Grotowski aussi a, dans sonthéâtre, cette intuition centrale etobsédante que tous les héritages an·ciens doivent être révisés depuisAuschwitz et Dachau. Chez Soljé­nitsyne ce renversement est total :ni la Russie, ni la poésie, ni Pouch.kine, ni le courage des Décembris­tes, ni les souffrances d'Anna Karé­nine n'ont plus le même sensaprès l'enfer aux sept cercles (dontsix nous sont épargnés...) Ceux quireprochent à Soljénitsyne d'en reve­nir toujour5 au même thème necomprennent pas, ou ne veulent pascomprendre: Soljénitsyne part tou­jours du même thème parce quepour lui toute notre histoire contem­poraine, et ce que nous léguerons ànos enfants, part de là : ce dénue­ment total où l'homme a été replon.gé. Mais tout renaît aussi à partirde là et Soljénitsyne, à sa façon,nous redonne le monde.

« Je me sentais étreint d'unepitié déchirante, sans bien savoirde qui j'avais pitié... Etait-ce de mescontemporains, ceux qui étaientmorts de froid dans le district deDamiansk, ceux qu'on avait brûlésdans les fours d'Auschwitz, ceuxqu'on avait «redressés» au Djez­kazgan, ceux qui achevaient demourir dans la taïga - et pour quià jamais ces jeunes filles resteraientinaccessibles - ou bien peut-êtreétait-ce d'elles que j'avais pitié, deces jeunes filles qui ne sauraientjamais, et à qui jamais on ne pour­rait raconter? » Ainsi s'exprime lenarrateur du court récit de la Maindroite, exilé loqueteux, usé par dixans de camp et par tous les poisonsque le cancer et les drogues déver­sent dans son organisme. Ce textenous rappelle que Soljénitsyne,homme et écrivain tellement russe,aurait eu à dire, en tout autre pointde notre planète, un message à peuprès similaire. Car cette rupturedans l'héritage des valeurs et descultures vaut aussi pour nous, estaussi en nous.

« Même à nos époques de perver­sion massive, quand la question sepose : Pour qui donc faut-il œu­vrer ? pour qui donc se sacrifier ?On doit répondre avec assurance :pour la justice. Elle n'est PAS DUTOUT RELATIVE, tout comme laconscience. D'ailleurs elle est laconscience, mais non point person­nelle, de toute l'humanité en mêmetemps ». (Lettre à trois étudiants,Octobre 1967).

En un sens, le Premier Cercle est

un poème où, au-delà du dénuementtotal, Soljénitsyne rend manifeste,par toute la construction symboliquede son œuvre, la naissance de cetteconscience non personnelle mais col­lective. Ce n'est pas fortuitementqu'il a mis au centre de son romanle symbole mystique du Saint Graal.Ce Graal que peint en secret Kon­drachov, que contemple Nerjineapl'ès l'épreuve du revoir avec safemme, ce Graal dont a rêvé leMoyen Age mystique et qui a méta·morphosé les chevaliers batailleursen héros du renoncement, c'est, ditSoljénistsyne, « un instant qui peutsurvenir dans la vie de c1wque hom­me, lorsque tout à coup, Ü aperçoitl'image de la Perfection.

Autre symbole central à toutel'œuvre, celui de l'Arche, l'Archeinvisible qui regroupe les héros etles emmène vers la plus grandeliberté intérieure. Ces symboles veu­lent dire que seul le Nouvel Agechrétien offre un précédent compa­rable de cataclysmes vécus, de nau­frages absolus des cultures héritées,et de nouvelle création absolue desvaleurs. Par ces signes venus duXIIIe siècle, Soljénitsyne veut nousguider dans le chaos qu'il décrit.Nerjine, ce chercheur du vrai, netrouvera ni auprès de l'incorruptibleRouhine, ni auprès du limpideSologdine, ni même auprès du tou­chant, fruste, et merveilleux Spiri­don. Mais par l'effet de cette poésiede la sainteté qui sous-tend toutel'œuvre, il rejoint Innocent Volo-

dîne, le saint malgré lni, précipitédu confort de l'épicurien dans lanuit de Kafka...

Cette poésie de la sainteté, eneanime, ou illumine, awm bien IvanDenissovitch que l'admirable Ma­triona ou le communiste Gratchi­kov. Elle se retrouve en les deuxdoctoresses du Pavillon da Cancé­reux et plus encore dans le doux etrésigné Sighatov. Mais avec le Pa­villon l'art de SoljéQitsyne se diver­sifie et s'épanouit. n ne s'agit plusde montrer la « rupture » elle-mê­me, mais ses lointains effets, les rui­nes et les cauchelllBJ'!l causés. Lemonde social décrit s'épaissit, l'en­chevêtrement des discours semi-in­directs (si partieulier à Soljénitsyne)nous donne de cette chambrée demalades une vision vraiment pluri­angulaire. Toujours présent, le ca­taclysme des temps modernes hanteles cauohelllBJ'!l dantesques de Rous­sanov, les yeux hagards d'Ephrem,les remords de Chouloubine. Mais àprésent tout renaît sur les ruinesanciennes. C'est véritablement «lepremier jour de la création D. Parcequ'Oleg, le véritable héros soljénit­synien, en dépit de ses épreuves etde ses rancœurs, sait écouter la voixdu renoncement et de la contempla­tion. n n'aura pas Zoé; Véga, ille sent, lui est interdite ; il retour-'nera au paradis pierreux d'Ouch­Terek, mais il sentira renaître enlui le monde en sa fraîcheur pre­mIère : «Il palpait et n'osait pœencore .;roire à son bonheur : le.~

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~ Soljénitsyne Un inédit deLa lumière qui est en toi

objets existaient bel et bien, et sesyeux recommençaient à voir... »

Par-delà la minutie réaliste, par·delà les cauchemars et les supplicesdu remords, Soljénitsyne nousconduit à ces instants de re-naissan­ce qui sont pleinement mystiques.Ils étaient déjà dans le PremierCercle, dans Ivan Denissovitch etdans la Maison de Matriona, maisici ils sont véritablement les som­mets : dans un monde recouvré,presque enfantin, où la lente sa­gesse ouzbek symbolise le paradisancien, Oleg parcourra la vieilleville et il trouvera dans le dédaleombreux des ruelles et la merveillerose de l'ouriouk en fleur et le cou­rage de renoncer, de repartir.

Une conquêtesur la mort

Sans l'absolu dénuement expéri­menté au camp, ces yeux ne ver·raient rien, cet ouriouk ne signifie.rait rien. La poésie grave etcontemplative de Soljénitsyne esttoute conquise sur l'absurde et surla mort. Elle est aussi, par ces éclatsde lumière qu'elle dérobe aux ténè­bres, l'annonce et l'acceptation dela mort que le monde moderne pré.tend si naïvement nier.

« C'est seulement lorsque le train,après une secousse, s'ébranla que,là où se trouve le cœur ou bienl'âme, quelque part à l'endroitessentiel de la poitrine, quelquechose se serra... Le train roulait etles bottes de Kostaglotov, commeprivées de vie, dodelinaient au-des·sus du couloir" les bouts tournésvers 'le bas. Un méchant hommeavait jeté du tabac dans les yeux dumacaque rhésus. Pour rien... sim·plement comme ça... »

Ainsi Oleg, bercé dans sa mort,au terme de tant d'épreuves devient­il enfin et « une miette de son peu­ple », et une miette de l'universel.Car c'est là, incontestablement, qucconduisent les cycles soljénitsyniens.Ce sont des cycles de la rédemption.Qu'on se rappelle les derniers motsde Chouloubine à Oleg : « Parfoisje sens avec tant de clarté que cequ'il y a en moi n'est pas encoretout moi. Il y a quelque chose detrès indestructible, quelque chose detrès très haut. Quelque chose commeun éclat de l'Esprit Universel. Vousne le ressentez pas ? » Cet éclat, oucette « lumière qui est en toi»(Saint Luc) est le terme du poème.

Georges Nivat

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La lumière qui est en toi estune pièce écrite par Soljénitsy­ne en 1960. L'action se passedans un pays anglo-saxon ima­ginaire, dans un milieu'de sa­vants occupés à résoudre desproblèmes de cybern6tique. Al'Institut de Philippe on chercheà remodeler le psychique de l'in­dividu, tandis que Terbolm étu­die l'application de la cyberné­tique à la science sociale et àla politique. Alex, un ami de Phi-

La scène se passe chez PhilippeRadagaïs, dans le grand salon de savilla. Ses amis et collaborateurs sonttous rassemblés, tandis que dans unepièce cachée de la maison, la femmede Philippe, malade d'un mal incurable,achève son existence douloureuse etsolitaire.

TERBOLM. - Et elle, pendantce temps, elle est couchée, lesyeux au plafond, sous l'éclat crudes lampes. Le moindre change­ment de position est douloureuxpour elle. Et nous, ici, nous som­mes tous au courant, et nouséchangeons des sourires, com­me si nous ne savions rien. Lemonde est ainsi fait : il nousest donné de nous réjouir en­semble, mais pour souffrir, pourmourir, on est seul. (Une lon­gue pause). Koriel! Sérieuse­ment, venez travailler chez nous.

ALEX. - A parler franche­ment, Terbolm, ce n'est pas seu­lement la cybernétique sociale,mais aussi la science en géné­rai qui ne m'inspire aucuneconfiance. La science a prouvéqu'elle savait se mettre au ser­vice des tyrans.

TERBOLM (après un momentde réflexion). - Ce n'est pasla science qui engendre les ty­rans. Aux époques barbares,dans les pays incultes, ils sontplus nombreux encore.

ALEX. - Oui mais la scienceaussi a déjà su leur être utile.

TERBOLM. - Bien sûr. Desmains sans scrupules s'en sontsaisie! C'est pourquoi il fautcréer une société idéalementrégularisée où la science nesaurait plus être employée àmal.

ALEX. - Il est fort possible

lippe, et comme lui un ancienbagnard, tout en étant fascinépar cette science nouvelle,s'obstine à poser certains pro­blèmes moraux, qui sont toutsimplement ceux auxquels Soljé­nitsyne confronte le camionneurEphrem Poddouïev dans le Pa­villon des Cancéreux, lorsqu'illui met dans les mains le petitconte de Tolstoï intitulé fi Dequoi vivent les hommes?»

G. N.

que je laisse tomber. Je ne saispas encore. Pour moi la ques­tion essentielle dans la vie atoujours été le pourquoi? Carenfin, dans le moindre de nosactes... je sors de chez moi, jesais toujours où je vais et pour­quoi, j'achète quelque chose, jesais toujours pourquoi... Dèsqu'il s'agit d'un acte important,on admet de ne pas savoir, dene pas réfléchir. Tenez, je tra­vaille chez Radagaïs depuis sixmois déjà et je pose la questionà droite et à gauche : pourquoiest-ce que nous faisons tout ce­la? Personne ne peut me ré­pondre. Pourquoi la science engénéral? On me répond: c'estintéressant, c'est un processusqu'on ne peut arrêter, elle 0stliée aux forces productrices...Mais tout de même : pourquoi?De toutes parts on nous refiledes buts pour le moins étran­ges : il faut travailler pour letravail, il faut vivre pour la so­ciété.

SINBARD. - C'est un but éle­vé, grandiose. En quoi vous dé­plaît-il ?

ALEX. - Grandiose? Ce n'estpas un but. '

SINBARD. - Et pourquoi pas?ALEX. - Mais voyons, si je

vis pour vous et que vous viviezpour moi, nous voici en circuitfermé. De toute façon, ça nerépond pas à la question: « pour­quoi vivons-nous? -.

TERBOLM. - Oui mais quandvous dites «pourquoi vivons­nous -, vous posez mal le pro­blème. Nous ne sommes pasnés d'un acte de notre proprevolonté et avec une intention

préalable. « Pourquoi -. on pour­rait poser la question à Dieu ouà ...

SINBARD. - Doucement, n'al­lons pas y mêler le Bon Dieu.

TERBOLM. - La religion estchose ridicule, toute le mondele sait. Alors on pourrait poserla question à nos parents.

ALEX. - Mais nous-mêmessommes des parents. Donc,pourquoi donnons-nous la vie?

TERBOLM. - Voilà, de cettefaçon-là, ça devient possible.Ou bien encore : dans la me­sure où nous sommes déjà aumonde et où nous sommes déjàdevenus des êtres conscients,quel but nous fixons-nous per­sonnellement? Ou bien alors,nous ne nous en fixons aucunet flous vivons par amère néces­sité.

ALEX. - Eh alors, Sinbard?Votre but? Et le but de vos en­fants à venir?

SINBARD. - Le bonheur, biensûr, quelle question naïve?

ALEX. - Bon, mais qu'est-ceque le bonheur?

TERBOLM. - Bon, admettonsque le bonheur ce soit la pléni­tude spirituelle. Celui qui éprou­ve la plénitude de sa vie, celui-làest heureux.

ALEX. - Vous y êtes presque,mais ce n'est pas encore cela.La sensation de plénitude, lesbons motifs peuvent la donnerautant que les mauvais. La viedu savant est remplie, celled'une petite vieille solitaire quisoigne des chats malades... Maiscelle du salaud aussi qui s'enri­chit sur le compte des autres,celle de la chenille aussi, quironge l'arbre fécond. Si tout celac'e~t le bonheur, alors peut-onen faire un but? Ne faudrait-ilpas faire une distinction entreces bonheurs-là?

SINBARD. - Oui mais qui vafaire la distinction? Vous? Moi?Pourquoi votre- critère du bon­heur serait-il plus juste que lemien ou le sien?

ALEX. - Ni le mien, ni levôtre, mais celui ,de la loi mo­rale intérieure! Etre heureux,d'accord, mais pas en contra­diction avec cette loi !

SINBARD: - Quoi encore?Une loi morale intérieÜre? In­née peut-être (il rit aux éclats).Etudiez la médecine! Dans no­tre organisme il n'y a tout bon­nement pas d'organe où se-loge­rait une loi morale intérieure.

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Soljénitsyne

unchef d'œuvreincontesté

liPIIEMIER

li

ROBERT.a LAFFONT

• le premier romancier soviétique à ladimension d'un Tolstoï, d'un Dostoïevski.

CL Rey (le NooveI Observateur)

• Un grand roman: un document tragique.lIIclu S_issanl (La Croix)

• Une admirable méditation sur la c0ndi­tion et la grandeur de l'homme, capablede résister à l'enfer dont, à l'instar deDante, l'auteur décrit ici le premier cercle.

Hélèlle za••ysa (le Monde)

• Un très grand livre.llalll'lce ....._

(la lluinzaine littéraire)

100e mille

PRIXNOBEL

1970SOLJENITSYNE

Traduit par Alfreda Aucouturier,extrait du

Cahier SoIjénitsynequi paraîtra prochainement

aux Editions de l'Hernesous la direction

de Michel Aucouturieret de Georges Nivat

permanente de la mort. L'obsta­cle permanent devant nous, 'lamort. Vous pouvez .. étudier lacybernétique, les galaxies azu­rées, il reste que vous ne pou­vez pas sauter à pieds jointspar-dessus la mort !

SINBARD. - Le temps vien­dra où nous le pourrons!

ALEX. - Jamais! Tout estmortel dans l'univers, même lesétoiles! Et nous sommes con­traints d'élaborer notre philoso­phie en fonction de la mortaussi ! Afin d~y êtr.e préparés!

SINBARD.~ J'en ai soupé desleçons de morale funèbres! Ons'en sert pour étouffer la vievivante, bouillonnante! Combiende temps nous prend-elle, cettefichue mort, un instant nu derenoncement! C'est un infimefacteur annexe, en regard denotre vie longue, variée, hauteen couleur! .

ALEX. - C'est vite fait, maisce n'est pas vite dit quand ils'agit de lui trouver un sens. Nevous cachez pas, elle vous trou­vera bien!

TERBOLM. - Nous parlons de'la mort comme si ce n'était pasnous mais quelqu'un d'autre quidevait mourir.

SINBARD. - Nous parlons dela mort comme si nous devionsmourir tous les jours! le globeterrestre est vaste! Des hom­mes, il y en a trois milliards.C'est quasiment improbable qu'àtout instant donné, par cetteporte (il indique celle de droite),là, tenez, je me tourne sanscrainte de ce côté, que par cetteporte donc, pénètre la mort dequelqu'un. (Tous se tournentvers la porte, attendent un ins­tant. Personne n'apparaît. Sin­bard émet un petit· rire. Profi­tant de la pause, Alda, qui s'estrapprochée d'Alex par derrière,lui touche la main. Il se retour­ne). Et mieux encore, regardez,je vais même jeter un coup d'œildans l'entrée (il regarde). Per­sonne là non plus !

ALDA. - Tu es encore entrain de discuter? Tu n'en aspas assez? C'est sinistre.

pres parents quand ils sontvieux, est-ce bien ou mal? Allezposer la question à Kabimka!Il existe des tribus où c'estbien, où c'est humain!

TERBOLM. - Alors peut-êtreque la loi existe et ne s'éclairepour nous qu'au long des millé­naires! Peut-être qu'elle est enoutre sujette à une programma­tion complémentaire dans cha­que société?

SINBARD. - Vous en avezencore pour longtemps à va­souiller comme ça? 11 n'existepas de morale absolue! Et iln'existe pas de loi morale inté­rieure ! Et quand bien même elleexisterait, aucune force ne pour­rait nous obliger à en tenircompte!

(Alda apparaît. Ils ne leremarquent pas).

ALEX. - Une telle force exis­te!

SINBARD. - Nommez-là!ALEX. - La mort! L'énigme

ALEX. - Je connais votrethéorie : expliquer tout l'hom­me, Raphaël et Chopin y com­pris, par les hormones.

SINBARD. - Oui! Vous de­vriez 'étudier la vie hormonale!Et la morale absolue, c'est unconte de bonne femme. La vé­rité est toujours concrète! Lamorale est toujours relative!

ALEX. - Il Y a quelque chosequi cloche dans votre histoirede morale relative! Elle vouspermet de justifier n'importequel crime! Violer une petitefille c'est toujours mal,dansn'importe quelle société! Etbattre un enfant aussi ! Et chas­ser une mère de sa maison! Etrépandre la calomnie! Et man­quer à sa parole! Et abuser dela confiance d'autrui!

SINBARD. - Bobards! Gali­matias que tout cela!

ALEX. - Comment? Il se peutque tout cela soit bien?

SINBARD. - Et tuer ses pro-

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 novembre 1970 15

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EXPOSITIONS

L'univers de Kienholz

Un « environnement» de Roxy's. détail.

Roxy's (1961) : tapis usés jus­qu'à la trame, meubles démodés,objets venus des marchés auxpuces et qui s'accumulent. Sousune image du général Mac Ar­thur, c'est un immense et vieil­lot bordel. Un crâne de porcconstitue la tête de l'imposantemère-maquerelle. Une fille nue,plus ou moins démembrée, la tê­te rejetée en arrière, victime etappeau, est couchée sur unemachine à coudre; ou bien peut­être cette machine à coudre (quiattend, comme dans la phrase deLautréamont, un parapluie et lacopulation) fait-elle partie deson corps. Une rose transperceson cou, un écureuil a fait sonnid dans sa poitrine. Asseyez­vous dans un des tristes fauteuilsdu Roxy's et, pour les autres vi·siteurs de l'exposition, vous de-

. venez un client dépaysant del'effarante et réaliste maison­close.

Une telle description (d'ail­leurs incomplète) montre lacomplexité des univers deKienholz (1). Complexité desformes; des sensations; desaffects et des idées qu'ils éveil­lent. Cette complexité est undéclencheur de perturbation. Iln'y a pas de message précis,de forme simple, d'ordre esthé-

16

tique apparent. Chacun se perddans les détails, dans la multipli­cité des objets, en un théâtre dela désolation. Le rideau s'ouvresur une scène à la fois banale etdéroutante où nous devons pé­nétrer. On pense aux premièreslignes du Souffleur de Klossows­ki, prélude aux étrangetés éroti­ques : « Soudain la lumière s'é·teignit, les chuchotements .se tu­rent dans la salle, le rideau seleva sur la petite scène. On re­connaissait une chambre auxpapiers verts assez sordides;dans l'angle, un évier, auprès du­quel un réchaud à gaz allumé,sur lequel fumait une bassine... »

Il est trop faci le de refusercette complexité et, sans regar­der les œuvres, de définir l'ef­fort de Kienholz comme une vio­lente agression contre l'ameri­can way of Iife. Nommer la vio­lence est une manière de limiterles perturbations que les œu­vres provoquent en nous. Mieuxvaut ne pas se hâter d'interpré­ter. Il est d'ailleurs vain de par­Ier, à propos d'une œuvre, detransgression, d'attaque ou dedéconstruction, si l'on ne préci­se pas aussitôt les modalités etles fonctions de ces violences.Pour ne pas diminuer la force deKienholz, on se contentera de

remarques modestes et dis­persées.

Il faut d'abord noter que, selonles environnements, les modesd'appréhension sont différents.On entre dans Roxy's et ons'égare dans ses accumulationspoussiéreuses. On s'installe àune table au fond du bar surpeu­plé The Beanery (1965), pleinde bruits et d'odeurs; les clientsont une horloge comme visage.D'autres œuvres ne nous enve­loppent pas, mais se situent enface de nous: la voiture où s'em­brassent deux êtres à têtecommune de The Back SeatDodge' 38 (1964) ou l'horreurvéhémente de l'avortement(1962). Nous exclut davantageThe State Hospital : à traversune petite fenêtre nous aperce­vons un malade mental nu, lié,marqué par les coups et les pri­vations, et son double; leurstêtes sont formées de bocauxoù nagent des poissons. Le Mé·morial de guerre portable (1968)impose une autre manière en­core de saisir l'œuvre : ni éga­rement, ni perception globale,mais lecture dirigée de gaucheà droite. C'est un livre d'imagescontre la guerre.

On s'interrogera aussi sur lebesoin de vérité de Kienholz. Il

ne réalisera pas son tableau­concept The black leather chair,s'il ne peut pas acheter, auxNoirs qui la possèdent, la chaisefaite par un maître blanc avec lapeau de leur arrière grand-père.Il ne montre que des objets uti­lisés, usés : traces de gestesdisparus. Pour produire son bar,il achète les vieilles tables del'établissement et le bar « réel»cesse de se ressembler pourpermettre à son image de mieuxle reconstituer : curieux détour­nement du réalisme!

Les rapports des œuvres et deleur producteur constituent unautre problème. Kienholz appa­raît, au premier abord, comme laréalisation parfaite d'un mytheaméricain: celui du pionnier ha­)ile et honnête. Il a fait plusieursmétiers; il sait tout installer dansson exposition comme dans samaison (l'une des dernières fer­mes près de Los Angeles) ; lui­même se définit autant commechasseur que comme artiste :« Dis seulement, précise-t-il àGilbert Brownstone, que je suisun tireur d'élite et qu'à 200 mè·tres je fais mouche ». Mais cepionnier est hanté par les faillesde la société; il montre lesvieillards abandonnés, les cou­ples désaccordés, l'accouche­ment douloureux, la guerre, lesmalades battus; et le temps quironge tout : l'horloge est le vi­sage des habitués du bar; elletrouve aussi une place sur lepubis d'une prostituée du Roxy's.Aux yeux du chasseur, fort desa bonne volonté, la société estun vaste bordel où nul n'est mé­prisable, mais où il est difficiled'être heureux, et où la mort està l'horizon.

Cette reconstitution du monde,si elle se fait avec une violencecritique, refuse d'apparaîtrecomme une dénonciation sim­pliste. Il convient de lui appli­quer la définition négative quedonne Michel Leiris du dernierlivre de P. Guyotat : «Ce n'estpas un enfer, non plus d'ailleursqu'un paradis D. De tels universvisent à rendre impossibles lesmanichéismes, les oppositionsélémentaires du bien et du mal,du vrai et du faux, du beau etdu laid. Ils veulent « dissoudre ..ces notions elles-mêmes.

Gilbert Lascault

(1) Exposition organisée par l'A.R.C.et le C.N.A.C. au C.N.A.C.. 11. rueBerryer, du 13-10-1970 au 16-11-1970.

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Le <Kunstmarkt de CologneDans les galeries

Le Kunstmarkt de Cologne aété institué en réaction à Doku­menta par une association degaleries de "Allemagne fédéraleque la ville de Cologne, laquellese pose volontiers en rivale deDusseldorf dans le domaine del'art, accueille à la Kunsthallechaque année en octobre durantsix jours.

C'est donc avant tout unemanifestation de caractèrecommercial et la chère Iris Clertqui tout au long de la journéebattait la semelle près de soncamion "off Kunstmarkt -, n'afait qu'enfoncer des portes ou­vertes en le dénonçant dans la

. presse locale. Ses véhémentesdéclarations traduisaient en faitl'ennui qui se dégageait de l'en­semble de ces galeries dont pasune ne semble défendre ou im­poser qui que ce soit. Ennui queles organisateurs ont senti puis­qu'ils envisagent d'inviter desgaleries étrangères l'an pro­chain. Il serait bon en effet desecouer les collectionneurs rhé­nans - et le public qui les suiten se ruant sur les multiples - .qui ronronnent depuis des an­nées dans le pop, le cool, leminimal, le new realism, etc.;car ce sont encore Rauschen­berg, Warhol, Donald Judd,Rosenquist et leurs épigonesallemands qui tiennent la cordeà côté des vedettes nationalesBeuys, Ueker, Wunderlich dontl'œuvre ressortit de plus en plusà la fabrication, et BernardSchultze qui, au contraire, ap­profondit sans cesse sa recher­che.

La nouveauté, on espère latrouver à côté de la Kunsthalle,sur la place où la ville de Colo­gne a dressé une immense tentepour abriter toutes les petitesgaleries habituellement contes­tataires du Kunstmarkt afind'éviter toute manifestation per­turbatrice. L'atmosphère y estassez excitante, c'est vraimentla foire, mais c'est la foire auxcroûtes, aux bijoux de trottoir,aux gadgets pornos.

En ville, l'impression seraitplus favorable, sans doute parcequ'une exposition particulièreétablit mieux un contact qu'unamoncellement disparate sur lestrois parois d'un stand. Il n'y acependant pas de quoi pavoiseret l'on est assez déçu de voir lespeintures de Max Ernst pour lamaison d'Eluard à la Galerie

Ursula : Pfelz-Haus.

Zwirner qui exposait l'annéedernière à cette époqueFahlstrôm! Zwirner se trouvaitainsi dans la lignée de la GalerieBaukunst, laquelle ne pèche paspar des excès avant-gardistes,se plaisant plutôt à rassemblerdes valeurs consacrées autourd'un thème, " Œuvres de la ma­turité -, cette année. La seulejustification de ce genre d'expo­sition est la qualité et on doitreconnaître en l'occurrence quede Baumeister à Vieira da Silvaen passant par Bonnard, Jaw­lensky, Klee, Léger, Monnet ettrois esquisses de Nolde pourdes tableaux qui ne furent ja­mais peints, on l'y trouve à untrès haut degré dans la centained'œuvres accrochées.

Parmi les expositions particu­lières, c'est assurément celle deRafael Canogar à la GalerieKlang qui est la plus satisfai­sante. Une dizaine de tableauxprésentent des silhouettes iso­lées ou des scènes de foule aux­quelles sont intégrées des mou­lages de bras et de mains ou desvêtements plastifiés qui drama­tisent le geste ou l'attitudedans un dessein incontestable­ment politique avec une force,une violence contenues tout àfait convaincantes. Dans sonsous-sol Klang présente despersonnages d'un jeune Alle­mand, Siegfried Neuenhausen.L'influence de Segal, de Kienholzy est manifeste, mais il s'yajoute une cruauté froide quifai.t frémir. Il faut dire que lelieu, le sujet, la mise en scèneaccentuent cette impression :un homme torturé, le visage

masqué par des bandelettes,vêtu d'un blouson de cuir, estassis le front reposant sur ledossier de la chaise, les mainsligotées dans le dos, devant unedemi-douzaine de personnagesaux crânes nus, vêtus de man­teaux de cuir, imperturbable­ment anonymes.

On retrouve cette demi-dou­zaine de personnages, maiscette fois l'absence du torturéles rend assez anodins, à Aix­la-Chapelle, dans la collectiondu Dr Ludwig, ce chocolatiermécène dont il faut dire deuxmots, car il se pourrait bien qu'ilsoit le responsable involontairede la monotonie du marché alle­mand remarquée au Kunstmarkt.En quelques années Ludwig arassemblé la plus prodigieusecollection de l'art des années 60qui soit, exposée en permanenceà Cologne et à Aix-la-Chapelle.Il est le pactole pour les mar­chands et les artistes dont iltrouve chaque matin dans soncourrier des dizaines de lettresl'invitant à venir voir leurs œu­vres. Comment connaissant sesgoûts, ne chercherait-on pasalors à le séduire? Dieu merci,il semble assez éclairé, mêmes'il commet parfois d'impardon­nables erreurs comme l'immon­de Allen Jones d'Aix-Ia-Chapelle,

A Aix, dans les salles rococode la Neue Galerie, on préparaitune manifestation Wostell avecpylône de ligne haute-tension etenclos empli de terre dans la­quelle étaient plantées une ving­taine de pelles destinées, j'ima­gine, à en modifier la surface augré des visiteurs. Il y avait

~

Gravures pour le murDeux artistes, Florlnl et Louttre, ont

réalisé des bols gravés en taille doucequi «transposent à l'échelle monumen­tale. (2 X 3 m) les qualités essen­tielles de la gravure en creux. Danscette différence de dimensions appa­raît clairement l'ambiguïté sémantiquedu mot gravure : procédé certes, maisaussi estampe, c'est-à-dire objet pré­cieux prédestiné au carton à dessinou au sous-verre. Par référence à lafonction, on pense à des tapisseries(avec la même ambiguïté, mais ensens inverse) mais la matière nesuit pas... Il s'agit donc d'élémentsdécoratifs tout à fait nouveaux

Galerie Jeanne Bucher, 53, rue deSeine.

Hamisky

La galerie Arnaud présente la qua­trième exposition personnelle d'un ar­tiste de 27 ans. Sculpture? peinture?qu'importe! Pendant quatre années desilence, Hamisky a mûri une mise enquestion (séditieuse et non dénuéed'humour) tant de l'espace tradition­nel de la peinture que du côté rassu­rant de la géométrie. Car ces beauxobjets de bois, magnifiquement réali­sés, sont en fait pleins de subtiles etdéconcertantes transgressions. Le ca­dre, le châssis sont là, mais gauchis,leur continuité de «bons rectangles.n'est qu'apparente, voire rompue. Et sila planéité de la toile peinte ou levrai relief de la sculpture nous sontfamiliers, combien déconcertent et mê­me inquiètent ces surfaces apparem­ment sages mais qui ont la fermevolonté de ne pas le rester...

Galerie Arnaud, 212, boulevard Saint­Germain (jusqu'au 14 novembre).

Sculpture et acier

Un précédent de taille dans le mi­lieu industriel : à l'occasion d'unCongrès International de sidérurgistesà Paris, la Chambre Syndicale de laSidérurgie Française a organisé pourhuit jours, dans le patio de l'HôtelInter-Continental où se tenait lecongrès, une exposition de sculpturesen acier. Le cadre, récemment rénovépar l'architecte Olivier Vaudou qui, nonsans humour, en a fait un espacecontemporain, se prêtait à ce rassem­blement d'une exemplaire qualité. L'or­ganisateur, François Wehrlin, avait vi­sé un panorama éclectique, où s'In­tégraient même des œuvres de pein­tres, tel Vasarely (qui n'étaient d'ail­leurs pas parmi les meilleures).

Davantage, la Chambre Syndicale dela Sidérurgie avait commandé pour lacirconstance deux œuvres à van Thie­nen : un mobile, subtil, aérien, d'unegrande intelligence poétique, destiné àla pelouse; et, à Claude Viseux, unbar. Pour réaliser ce splendide objetqui exprime sa double vocation desculpteur et d'architecte, celui-ci 'a eula libre disposition de moyens techni­ques qui ne lui avaient jamais étéaccessibles : l'expérience est convain­cante.

N. Blschower.

La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre 1970 17

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Les murs de Brassai'épilogue inattendu à l'aventuredes graffiti. Brassaï photogra­phie les murs depuis 1930,comme en témoignent de vieuxnuméros du • Minotaure -. Sesphotos de graffiti sont tropconnues pour qu'il soit la peined'insister. Brassaï a déchiffréles murs écorchés comme un ré­seau de signes, les traces d'unecivilisation, et les aveux d'Uninconscient individuel ou collec­tif. ft Brassaï est un révélateurde microcosmes inconnus dontle temps accumule invisiblementles vestiges, écrivait Mauriac.Ainsi la photographie a révélésur le Saint Suaire de Turinl'empreinte du Fils de l'Homme.Ainsi l'empreinte de l'hommeapparaît vaguement sur le sor·dide mur de Brassaï.»

Avec ces photos couleur toutchange, Ce sont toujours desmurs, mais il ne s'agit plus d'hu­manisme. L'important dans lacouleur, dit Brassaï, c'est la cou­leur. Tout au plus J'artiste s'est­il amusé à suggérer par des ti­tres quels dessins évoquentpour lui les écorchures, lesboursouflures des murs : pasde deux, farandole, vieille Chine,Apocalypse ... Mais ce n'est q'unjeu, comme de voir des figuresdans les nuages. Découpée parle regard du photographe, dansle cadre de son viseur, voicien fait une éblouissante galeriede tableaux non figuratifs.

Il y a de quoi être pris de ver­tige et répéter, comme dans unescène fameuse : • Petit pan demur jaune, petit pan de mur jau­ne. - Seulement ce n"est pasBergotte, ici, qui est en dangerde mort. C'est J'art abstrait toutentier. Combien de tableauxmodernes, usant de terre, de sa­ble, de goudron, imitent à grandpeine le mur, tandis qu'ici le murarrive à égaler les plus beauxtableaux. Bien sûr, si l'art abs­trait n'avait jamais existé, lephotographe ne le verrait passur les vieux murs. Ce n'est pasla nature qui a inventé l'art. Jeveux simplement diré que, pourpeu que nous apprenions à re­garder, elle l'imite avec une ha­bileté stupéfiante. Elle a pourelle le temps, artisan incompa­rablement patient et laborieux,et aussi, cette fois, J'œil deBrassaï.

Roger Grenier

(1) 40. rue du Cherche-Midi, du7 octobre au 7 novembre,

Brassaï se fait rare, en Francetout au moins. Plus occupé àfaire qu'à se faire valoir, il pho­tographie, sculpte, écrit. NewYork lui a rendu hommage en1968, au Museum of ModernArt. Mais à Paris, nous n'avionspas vu d'exposition depuis cellede la Bibliothèque Nationale, en1963. Une nouvelle galerie, ou­verte par les éditions Rencon­tre (1) et qui se destine à J'artde la photo, a eu J'heureuseidée, pour son inauguration, denous ramener Brassaï. Un Bras­saï nouveau, d'ailleurs : le maî­tre du noir et Llanc, le premierphotographe de la nuit se voueici à la couleur.

Les morceaux de murs qu'il aphotographiés constituent un

Morceau de mur, par Brassaï.

Il.

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Renvoyez cette carte.

j La Quinzaine~ 43 rue du .~~:~. Paria •.

•••-,•••••••c•.•C.,fl•.•15.,.SS.1•.5.3.p.a.ris••••••••_

Marcel Billot

• Cologne

également Ursula dont j'avaisvu à Cologne un étonnant por­trait de Mark Moyens, Ursulaqui exposait sa • pfelz-Haus -,œuvre aussi délirante qu'ambi­tieuse. Imaginez la tente de LaDame à la Licorne à l'usage dela Gloria Swanson de • SunsetBoulevard» : au milieu d'un jar­din fait de pierres peintes tail­lées dans la mousse de plastiqued'où jaillissent des plumes depaon, et de têtes de mannequinsp,eintes et fardées d'or, ornéesà profusion de pacotille, se dres­se une sorte de kiosque rondentièrement fait de fourrure etsurmonté d'un faisan aux ailesdéployées. L'intérieur est meu­blé d'une coiffeuse et d'un fau­teuil. Tout, naturellement, y estfourrure meubles, lampes,radio, coffret à bijoux et autresaccessoires; et sur les paroismulticolores car Ursula a mariéla fourrure acryl ique aux peauxnaturelles les plus diverses :vison, guépard, singe etc., àumilieu d'éclats de miroir dissé­minés, un tableau, pas en four­rure mais un vrai et de la meil­leure veine d'Ursula, • Homma­ge à Beardsley -, ce qui est toutnaturel... Mais tout cela n'estpas aussi aimable qu'on pour­rait le croire, car il s'y glissed'innombrables babioles qu'Ur­sula dénature d'une manière in­sidieuse qui est loin d'être tou­jours confortable et s'il s'agitbien ici d'un enchantement, c'estau sens premier du mot qu'ilfaut J'entendre.

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Page 19: Quinzaine Littéraire n°105

HISTOIRE

La Ve vue par de Gaulle

Une composition un peu froide parfois, franchementennuyeuse, et dépourvue de la verve sarcastique que leGénéral mettait si volontiers dans ses interventions...

1Charles de GaulleMémoires d'espoirT. 1 Le Renouveau (1958-1962)Plon éd., 314 p.

« Vous qui aimez la gloire, soi­gnez votre tombeau; couchez-vousy bien; tâchez d'y faire bonne figu­re, car vous y resterez. »

Chateaubriand

Il n'est pas facile de parler briè­vement du général de Gaulle. Ilsuscite des sentiments vifs et contra­dictoires : admiration et exaspéra­tion, dévotion et fureur, dont il fautsoigneusement dévider l'écheveauafin de parvenir à se rendre « agaul­liste» - comme Merleau-Ponty sevoulait acommuniste. Pareil effortde détachement, on le verra plusloin, est toujours utile quand on litles Mémoires d'espoir, bien que lapassion ne soit guère excitée parcette composition un peu froideparfois, francbement ennuyeuse, etgénéralement dépourvue de la vervesarcastique que le Général mettaitsi volontiers dans ses interventions :C'est un monument qu'il élève pourla postérité.

Le livre souffre de ce caractèresolennel qui fige l'histoire. Pourtout dire, on éprouve un sentimentun peu fade, de « réchauffé» aprèsles Mémoires de guerre et après lesallocutions et conférences de pressede la décennie écoulée; l'espoir,précisément, n'est plus là pour en­lever l'auteur, ni l'événement pourinspirer à l'orateur ces bonheursd'expression qui rendait inimitableun style d'autre part si visiblementemprunté aux grands modèles. Illui arrive même de commettre unsolécisme : « J'ai convenu avecRené Coty des détails de la transi­tion » (p. 32) (l).

Le fonctionnementdu régimeDix-sept mois après son départ,

Charles de Gaulle livre donc l'in­terprétation authentique (c'est-à­dire par l'auteur lui-même) de sesactes. Disons tout de suite qu'il estun point qui ne provoquera ni sur­prise ni controverse : ce sont lespages sur le fonctionnement du ré­gime. Elles confirment pour l'essen­tiel ce que l'on savait déjà, illus­trant en particulier cette autoritépersonnelle que j'avais proposé,dans le Régime politique de la yeRépublique, d'appeler le Principat:

« Quelle puisse être l'interprétatwnque l'on veuüle donner à tel ou telarticle, c'est vers de Gaulle en toutcas que se tournent les Français... »(p. 284). On y découvre aussi untableau familier de la vie à l'Elyséequi est peut-être la partie la plusattachante du livre parce que laplus naturelle. Quel dommage quele Général n'ait pas renoncé à neprésenter de lui-même qu'un por­trait en majesté! Il ne se départitqu'à la fin de sa roideur, faisantallusion aux attaques qui l'incitentà se répéter, comme Octave « Quoi !tu veux qu'mi t'épargne et n'a rienépargné! » (p. 312). Gaston Mon­nerville est même pardonné, semble­t-il (p. 292)...

Il n'y a pas d'illusion à se fairesur la' chance qu'a ce vœu d'êtreentendu pour le prochain volume.Comme t'?us les commentaires quine relèvent pas de l'adhésion incon­ditionnelle, celui-ci ne manifeste-t­il pas « l'aigreur, la critique et laratiocination» de la « coalitionhostüe des amitiés et des stylogra­phes »? On aurait pourtant bienaimé connaître les cheminements desa pensée, mais la présentation qu'ilen donne exclut le doute et l'indéci­sion. D'emblée, il avait vu juste, etsi les événements n'ont pas réponduplus vite, ou mieux, à la clairvoyan­ce de son dessein, la faute en in­combe aux autres. Ainsi de l'Algé­rie. Quand il prononce, le 4 juin1958, le fameux « je vous ai com­pris », il jette à la foule « les motsapparemment spontanés dans laforme, mais au fond bien calculés,dont je veux qu'elle s'enthousiasmesans qu'ils m'emportent plus loinque je n'ai résolu d'aller ». On enconviendra volontiers, mais le« Yive l'Algérie française! » de Mos­taganem? Il signifie simplementque « le jour viendra où la majo­rité d'entre eux (les Algériens)pourra choisir le destin de toUS»(p. 53). On saisit ici le procédé quiillustre l'affirmation du Fil del'Epée : « l'homme d'action ne seconçoit pas sans une forte dosed'égoïsme, d'orgueü, de dureté et

de ruse. Mais on lui passe tout celaet même il en prend plus de reliefs'il s'en fait des moyens pour réali­ser de grandes choses ». Une fois« les grandes choses » réalisées, leuraccomplissement efface rétroactive­ment les « moyens» et l'œuvreseule demeure. Bien plus, il expli­que candidement à Nixon en1960 : « Comme beaucoup de pro­fessionnels de la politique et de lapresse ne conçoivent pas l'actionpublique sans tromperies et renie­ments, ils ne voient que de la rusedans ma franchise et ma sincérité »(p. 258).

Ces rapprochements entraînenttoutefois des questions. S'il savaitvraiment dès le début qu'il « n'y

avait plus d'issue (... ) en dehors dudroit de l'Algérie à disposer d'elle­même» (p. 150), comment expli­quer que la guerre ait duré encoreprès de quatre années? La respon­sabilité en serait imputable à « l'in­certitude collégiale » et aux « ambi­tions rivales des dirigeants duF.L.N.» (p. U8) qui n'ont pascompris qu'ils auraient dû déposerles armes comme l'appel de la« paix des braves» les y invitait dèsl'automne de 1958 et que le reste(c'est-à-dire les conditions qu'ilsfinirent par arracher au général)leur aurait été donné par surcroît...

La reconstruction de l'histoiresurprend par son impavidité, maiselle n'est pas nouvelle. Déjà le13 mai, qualifié de « sursaut natio­nal » sur le moment devait se trans­former en « entreprise d'usurpa­tion» quatre ans plus tard; lesdénégations répétées du livre (pp.21 et 27 notamment) visent simple­ment à exorciser, une fois pour tou­tes, le « péché originel» de laye République. Plus étranges sontles pages sur l'Allemagne et la poli­tique étrangère.

Au passif de la IYe République(et des « Anglo-Saxons »), le Géné­ral retient la réunification des troiszones d'occupation en 1949 etl'abandon de la Sarre (p. 14), puisil remonte vingt-cinq ans en arrièrepour déplorer qu'on ait renoncé

« aux réparations qUt eussent punous procurer les moyens d'indus­trialiser notre pays» (p. 173) et ilrappelle enfin les propositions fai·tes à Staline en 1944 : ramener lepeuple allemand « à la structurepolitique qui lui était naturelle »,ce qui eût permis « de prélever àleurs sources les réparations dontl'Allemagne était redevable»(p. 239). Il ne s'agit pas tant deconfronter, ces bonnes intentions,que l'on connaissait, à la réconci­liation avec « mon ami Adenauer» :le pragmatisme du général de Gaullesait tirer un trait sur les occasionsperdues, on l'a vu pour l'Algérie etil expose aussi pour l'Outre-mer.Il s'agit plutôt de la vision histori·que persistante que ces propos dé­voilent au lecteur stupéfait. En1970, témoigner tant de nostalgiepour les calembredaines de « l'Alle·magne paiera»! Et que dire dureproche fait aux Anglo-Saxonsconcernant « l'arrêt hâtif descombats qui, le U novembre 1918,survenait au moment même où nousallions triomphalement cueillir lesfruits de la victoire ». (p. 179) ?

Sommes-nous devant des convic­tions de jeunesse, des idées reçuesdans le milieu militaire des annéesvingt, qui resurgissent au soir dela vie ou, plus sérieusement, devantune sorte de faille que l'âge révèleen l'accusant? Entre un universanachronique, peuplé de Gaulois,de Germains, d'Ibères et de Lusita­niens, où la France accomplit « lesgestes de Dieu », et l'extraordinaireintuition des courants contempo­rains si souvent constatée, lecontraste constitue l'un des mystè.res gaulliens. Loin d'en livrer laclé, les Mémoires d'espoir l'obscur­cissent encore.

« Sur la pente que gravit laFrance, ma mission est toujours dela guider vers le haut, tandis quetoutes les voies d'en bas l'appellentsans cesse à redescendre. » La for­mule, qui -termine le Renouveau,évoque irrésistiblement celle desMémoires d'Outre-Tombe « levoulais, moi, occuper les Françaisà la gloire, les attacher en haut »,mais Chateaubriand ajoutait: « es­sayer de les mener à la réalité parles songes... » Et si le général deGaulle s'était, en fin de compte,persuadé de la réalité des songes'?

Pierre Avra

(l) Signalons à la même page u~einexactitude de détail : Jean Berthomn'était pas député mais sénateur.

La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre 1970 19

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"Sociétés et révolutions

1Jean Baechlerw phénamènes révolutionnairesColl. «Le sociologue »P.U.F., 260 p.

Sur un sujet aussi rebattu quebrûlant, il semblait difficile de faireœuvre tant soit peu originale. Lamrprise est donc totale, en lisant ces260 pages sur les phénomènes révo­lutionnaires, de découvrir une pen­sée rigoureuse, exigeaq,te enverselle-même, et formulée au surplusdans un langage d'une clarté assezrare de nos jours.

Les esprits méfiants soucieux decataloguer n'auront pas ici la tâchefacile. Que Jean Baechler soit histo­rien mais se réclame des sciencessociales risqUe de les laisser indiffé­rents car en France, les controversesméthodologiques entre histoire etsociologie sont à peu près inexistan­tes; qu'il s'avoue peu convaincude la rentabilité scientifique decertaines hypothèses du marxismefera davantage tiquer, mais unelecture attentive du texte montrequ'ici l'adage « qui n'est pas avecest contre» ne s'applique point (etd'ailleurs Baechler a consacré sonprécédent livre, paru chez A. Colin,à une élucidation de la politiquede Trotsky); le parti adopté parl'auteur de n'étudier les phénomè­nes révolutionnaires que par réfé­rence à l'ordre social qu'ils nient lefera peut-être classer parmi les

"structures-fonctionnalistes, ce quiaux yeux de certains n'est pas uncompliment (1), mais l'accusé pour­ra répondre à juste titre que loinde vouloir démontrer que les « bonssystèmes sociaux se reconnaissent àce que leurs régulations homéostati­ques les préservent» de toute per­turbation sérieuse, il se borne àénoncer que l'on ne saurait com­prendre une institution quelconque,ou l'essence d'une société, « tantque l'on n'a pas détecté et analyséce qui les nie » (p. 85).

Deux traits permanents

Bien plus : il ressort de ce livrequ'aucun système social n'estexempt de phénomènes révolution­naires, car au cœur de tout systèmeconcevable il y a deux traits perma­nents générateurs de conduites derefus : d'une part, L'arbitraire desinstitutions et des valeurs, en vertuduquel chaque société ne représentequ'un possible parmi d'autres, etprête de ce fait le flanc à la contes·

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tation; d'autre part, la rareté dupouvoir, des richesses et du prestige,inégalement répartis entre les mem­bres d'une collectivité. Au premierfacteur correspond l'exigence deliberté, au second, celle d'égalité. Etc'est lorsque l'ordre social concretpar lequel s'incarne cet arbitraire etcette rareté n'est pas accepté queles phénomènes révolutionnairesviennent à l'existence.

L'auteur a pris la peine d'expli­quer en tête du livre la démarchequ'il a suivie pour étudier cesphénomènes, démarche suffisam­ment générale au demeurant pours'appliquer à n'importe quel objetd'investigation. Elle se déroule enquatre étapes ou plus exactementsur quatre niveaux, qui sont :

1. La recherche des caractèrescommuns à tous les objets étudiés(par exemple la « racine » des révo­lutions, la logique de leur dynami­que, et des fonctions qu'elles rem­plissent).

2. La recherche des différences,qui se traduit par la constructiond'une typologie des phénomènesrévolutionnaires, pour déboucherensuite, dans les cas les plus favora­bles (la linguistique par exemple),sur une systématique et une combi­natoire.

3. L'étude des corrélations fon­damentales, c'est·à·dire la quête desvariables explicatives (politiques,économiques, sociales et éthiques)qui rendent compte de l'existencedes différents types dégagés auniveau 2, travail accompli en par­tant d'une double hypothèse: cha­que ordre de phénomènes est mar­qué par ce qui se passe dans d'autressous-systèmes et Il n'a pas de conte-

nu entièrement déterminé par sespropres exigences» (p. 17); dansle même temps, aucun sous-systèmen'a vocation à déterminer l'ensem­ble du système social auquel ilappartient.

4. Le dernier niveau est celui des« cas », autrement dit « l'étude desévénements, que nous définissonscomme des réalisations de possi­bles» (p. 19).

C'est ce schéma que J. Baechlerva appliquer à son objet, qu'il en­tend dans un sens large «( toutecontestation de l'ordre qui fait in­tervenir la violence physique d'uncôté et/ou de l'autre» - p. 43),beaucoup plus large donc que lesrévolutions stricto sensu. Partanten effet de ce qu'il appelle p. 58« l'essence du phénomène révolu­tiOnnaire, à savoir une lutte àmort pour le pouvoir », il propose"de retenir au niveau 2 trois grandstypes : les marginalités, passives(suicides, crimes, maladies menta­les) ou actives (guerres paysannes,serviles, etc.) qui ne visent guère lepouvoir; les contre-sociétés soitd'évasion, soit agressives (sectes,

"brigandage, mafias, millénarismes),qui visent le pouvoir Il mais sanspossibilité objective de l'emporter »;enfin les révolutions proprementdites où le pouvoir est visé et effec­tivement conquis, et qui fait l'objetd'une typologie particulière - voirnotamment le tableau très suggestifdes pp. 154 - 155, qui croise cinqcatégories de révolutions et neuf(1 descripteurs » diversement combi.nés dans chacune d'elles.

Si l'on passe au niveau des corré­lations fondamentales, on nOlera ­au risque de simplifier grossière­ment un raisonnement fort subtil- que chez J. Baechler il se dessineune sorte de hiérarchie des varia­bles explicatives dans laquelle lesvariables économiques se trouventdans une position assez mineure (lesarguments fournis à l'appui sontd'ailleurs convaincants), et que les"variables primordiales semblent êtred'ordre politique (2) - celles quiont trait au pouvoir - et éthique ­terme qui s'applique aux comporte­ments faisant intervenir des juge­ments de valeur ou découlant d'unedécision arbitraire.

Quant aux variables sociales,c'est-à-dire au rôle des groupessociaux dans la détermination desphénomènes révolutionnaires, ellesjouent par le biais d'une tripartitiondistinguant, non point comme chezDumézil ceux qui prient, ceux quicombattent et ceux qui travaillent,

mais l'élite, le peuple et la canaille:Les précisions fournies sur le conte­nu de chacun de ces termes éclai­reront, je pense, ceux qu'un telvocabulaire pourrait indisposer (ouréjouir prl.maturément). Ils n'onten tout caS llUcun caractère norma­tif. L'élite regroupe tous ceux quis'approprient « une proportion plusgrande» (p. 194) des biens rares,mais aussi - sont-ce les mêmes ?- ceux qui « dans une activitédéterminée, se révèlent les plusaptes» (p.143). Le peuple se parta­ge ce qui reste des biens rares, et lacanaille le li: Lumpen-Proletariat »de Marx, comprend ceux qui sontrejetés à la périphérie du systèmesocial. Quant aux groupes sociaux,il alimentent dans des proportionsvariables les trois « acteurs» ci­dessus.

Jean Baechler est bien conscientque toute tentative d'analyse systé­matique se heurte à ce qu'il appelleles « problèmes de devenir », ou sil'on préfère l'intégration des chan­gements qui se manifestent sousforme de l'apparition de types nor­maux ou de modifications dans lepoids relatif des variables explica­tives. Il répond à cela deux choses.D'al>ord que l'on peut essayer deconstituer une science particulièreaxée sur les phénomènes de muta­tion (pp. 30-31), comportant elleaussi les quatre niveaux précités.Ensuite que toute démarche scien­tifique ne peut manquer de s'inter­roger sur les changements suscepti­bles d'intervenir dans son champd'investigation. L'auteur s'y estessayé pour sa part en conclusion,en esquissant une « prospective »des phénomènes révolutionnaires oùil prévoit une tendance à la multi­plication des types 1 et 3 dans lesrégîmes politiques monopolistes,tandis que les contre-sociétés se·raient plutôt la marque des régimespluralistes.

Bien sûr, cela se discute, commeon dit. Mais grâce au livre de J.Baechler, la discussion pourra semener d'une manière plus ordon·née, plus honnête et plus fructueu­se que s'il n'avait pas existé. Onsouhaiterait pouvoir écrire cela plussouvent.

Bernard Cazes(1) Voir par exemple le compte rendu

que Thomas Bottomore a consacré aupoliticologue américain Lipset dans leN-Y Review of Books du l~r octobredernier.

(2) Le poids des variables politiquespourrait tenir au fait qu'elles intervien­nent à la fois du côté de l'arbitraire desconventions régissant la vie en société,et de la contrainte de ra..eté, celle quiregarde la distribution du pouvoir.

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ETHNOLOGIE

Les Blancs en accusation

2· volume

LALIBRAIRIEHACHETTE ETCLAUPETCHOU

par PierreOster16000 citations du XI· au XX· siècle

Or cette unité est fausse: l'Occi­dent et la pensée européenne ne pré­sentent point cette unité ahstraite,toute dominée qu'elle est encore pardes instances qui correspondent àdes régions mal connues ou simple­ment cachées à son regard actuel.Le mélange des cultures dont l'Occi­dent se croit l'heureux résultat n'estqu'un bouillon de cultures encoreagissantes. Si bien que le regardporté sur l'autre risque fort d'êtrefaussé par ce simple fait que Feth­nographe est déjà, sans le dire ousans le savoir, autre par rapport àlui-même : comment prétendrait-ilobserver objectivement alors qu'iln'a point lui-même réglé les contra­dictions ou les déchirements quicomposent sa réalité vivante?

Il ne lui reste donc qu'une issue- celle de feindre la réconciliationpour assurer l'intégration, s'enfer­mer dans un « scientisme» pourdominer et réduire, postuler uneinégalité de développement pour dis­tribuer les sociétés diverses suivantune ligne .unique dont l'origine seperd dans la « sauvagerie » et l'is­sue dans « notre civilisation» ­fût-elle dédaignée par l'obsérvateur.

En fait, Robert Jaulin esquisseici un renversement (une révolution,si l'on veut!) analogue à celuiqu'accomplit la nouvelle physiqueau début du siècle : pas plus que la ~

LBS USUBLS, •• volume

Présentent:

nouveaudictionnaire

des

difficultés du francais•par Jean-Paul Colin

toua Iss secrets d'J bon UIlllQS

nouveaudictionnaire

de

citations francaises•

prendrait-elle ce désintéressement?Là nous trouvons les pages les

plus fortes et les plus neuves dulivre de Robert Jaulin, si riche parailleurs : la civilisation blanche­européenne-capitaliste ou socialistemoderne se donne pour objective etcc libérée» parce qu'elle postulesans le dire sa propre supériorité.D'où lui vient cette supériorité?De ce qu'elle estime avoir dominé,concilié et ramené à l'unité les di­verses tendances à partir desquelleselle s'est constituee au cours dutemps.

même. Or, cette objectivité estcc liée à la non-insertion de l'ethno­logue à la société indigène, elle« ne consiste qu'en une insertionnégative pour cette société, celle quiexprime la négation culturellecommise par notre civilisation faceà tout autre. »

Négation inaperçue par le savant,impensée même et d'autant plusmalsaine ou dangereuse qu'elle restemasquée : ne renvoie-t-elle pas àune volonté informulée d'intégra­tion et de possession des cc autres »par notre culture, de réduction de lacomplexité cc en soi » à mi systèmeadmis sans discussion comme cc nor­mal » - pour ne pas dire cc natu­rel» !

Ici se situe le long débat et lalongue observation de Robert J au­lin. Les pages que la Paix blancheconsacre à la vie quotidienne desIndiens Bari sont d'une force indis­cutahle, et cela d'autant plus quel'auteur ne tente pas de ramenerles aspects multiples de la vie desvillages où il vit à un cc modèle » :chercher à redistribuer la variété dela vie apparente et masquée dans latrame du langage, notre langage,n'est pas chose simple.

Du moins, à travers cette analyse,Robert Jaulin découvre-t-il que lavie collective des Indiens (commecelle des Mricains de la Mort Sara)mérite plus qu'une observation oumême une connaissance européenne,que l'ethnologue ne peut, sans trahirceux dont il partage la vie, devenirla sentinelle avancée du mondeoccidental.

L'ethnologie, entre l'évangélisa­tion des missionnaires et l'évangéli­sation des trafiquants; se donnepour ce qu'elle n'est pas, uneconnaissance désintéressée.' D'où

Robert laulin sur «le 'terrain ».

«Je me souviens de deuxAfricains qui, en 1955, étaientvenus au Musée de l'Homme,protester contre l'ethnologie.Ils ne toléraient point qu'onles prît comme objets descience : ils se sentaient dés­humanisés. Leur colère, ain­si traduite, m'avait surpris D.

A cette époque, Robert Jau­lin apprend le métier dont ilpartage évidemment les va­leurs et les préjugés. Il n'adécouvert encore ni les popu­lations du Tchad (1) ni lesIndiens Bari de Perija aux'confins colombo-vénézuél iens.

TI s'étonne : l'anthropologie pa­raît sûre d'elle-même, délivrée desillusions de sa jeunesse (Levy-BruW)ou de ses rêveries littéraires (attri­buées à Griaule). Elle se constitueen science positive. L'œuvre deClaude Levi-Strauss est là, massive,suhtile, envahissante. Qui a résistéau structuralisme des années 50­60 ? (2).

Puis, Robert Jaulin découvre cequ'on appelle cc le terrain », la vieau milieu d'hommes de culture etde rationalité différentes, rencontrela toujours cachée mais vivanterevendication à l'existence que mas­quent les rites, les c( systèmes decroyance », les diverses relationstraduisibles en signes mathémati­ques, voire traductibles en langaged'informatique.

Chez les Indiens Bari des margesamazoniennes, Indiens en proie auxmissionnaires, aux « savants » venusdes pays industriels « avancés »,aux aventuriers de tout poil, RobertJaulin au cours de longs séjoursdécouvrira autre chose : que l'an­thropologie masquait un piège. Plusprécisément, et le sachant ou non,il parcourt le cheminement critiquequi, au siècle dernier, avait conduitNietzsche à la contestation radicalede la philosophie occidentale.

Et d'abord s'agissant de l'objecti­vité... Objectivité armaturée d'ob­servations multiples, de constatspartiels, de mesures, d'analyse sé­mantique. Objectivité sûre de soi,comme la « raison » de l'époque des« lumières» pouvait l'être d'elle-

1Robert JaulinLa Paix blancheIntrod. à l'ethnocideColl. « Comhats »Le Seuil éd., 424 p.

La 0UInzalne Uttéraire, du 1" au 15 novembre 1970 21

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~ "autin

lumière ne peut servir de milieuhomogène puisqu'il faut tenir comp­te de sa vitesse ~t de ses variations,notre connaissance scientifique nepeut constituer un point de réfé­rence pour analyser l'autre :" ladiversité des sociétés humaines.

« La civilisation occidentale »,écrit Robert Jaulin en conclusion deson livre « réunit des SQciétés origi- "naires d'horizons bien distincts, etces lignes d'horizon ne sont jamaisabsolument détruites mais plutôtoccultées, lors même qu'elles inter­viennent dans des définitions sanscesse nouvelles que l'Historicité decette civilisation élabore ~). Textecapital - et qui remet en questionl'idée d'une histoire unique (surlaquelle vivent également complices

'"Capitalistes et communistes) et celle"d'une distrihution hiérarchisée dessociétés.

Idée dangereuse aussi (1). Nemet-elle pas en cause l'ensemhledes'sciences de 'l'homme? Certes,Robert Jaulin n'est pas tendre lors·qu'il analyse les « mœurs universi­taires» dont il montre la mesqui­nerie et dont il dénonce les intérêtscomposés (en ce sens, cela ne vaguère mieux en sociologie, on peuts'en assurer tous les jours!) Maisce n'est pas seulement la vie deslaboratoires qui est menacée, c'estle principe d'une connaissance quiremplace la différence par le sys­tème, la structure, l'appareil designes.

Les règles que nous décelons chezles autres ne sont·elles pas les pro­jections suhlimées ou désespérées denos conflits insurmontés? Ne~onduirait-elle pas à" contester vio­lemment aussi la tentative aujour­d'hui" générale (comme le fut lestructuralisme des années 50) pourréduire l'existence au langage, àla linguistique, à la sémiologie? LefOl:malisme contemporain n'est-ilpas, lui aussi, une tentative « néo­coloniale », mais dirigée contre no­tre propre réalité ?

Or, l'important est de traiter ladifférence pour elle-même, d'admet­tre cette différence en dépit de lacomplaisante· et confortable idée quinous assure que l'humanité est uni­verselle : différents sont les sauva­ges et différentes entre elles lessociétés et les types qu'ils représen-

. tent.On relate encore aujourd'hui

dans le Nord-Est brésilien, dansl'Etat de Céara, l'aventure survenueà des paysans pauvres de cette

. _région .d\ll'ant la dernière guerre.Alor.!! jeune, un ethnologue améri-

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cain, aujourd'hui très· connu, étu·diait les « cultures » de ces peuplesmisérables. Survient l'invasion japo­naise qui prive les Alliés du caout·chouc de Malaisie. "

Fort de la connaissance qu'il aprise des paysans misérables duNord-Est, l'ethnologue leur parle,les fanatise, les exalte. TI les entraî­ne dans une immense croisade àtravers le désert et la forêt vers lesanciennes plantation$ de caoutchouctombées en désuétude voici cin­quante ans et que la guerre réani­me. Longue marche soutenue par lapassion ethnologique du nouveauprophète. A l'arrivée, sur deux mil·liers d'hommes, il en survit à peuprès une centaine.

Image extrême, sans doute, maiscomhien symbolique. Ailleurs, sansle vouloir et sans le chercher, l'an­thropologue se fait l'instrumentd'une pénétration et d'une assimi­lation là où il devrait aider des dif­férences à s'affirmer - fût-cecontre lui-même. Le grand intérêtdu livre de Robert Jaulin est denous rappeler que le rapport del'observateur et de l'observé est unerelation de domination, que la réa·lité vivante de l'ethnologie seraitd'aider les sociétés examinées ourencontrées à affronter leurs pro­pres mutations, à s'imposer àelles-mêmes, même par la violencequi est la marque de leur dynamis.me. Eliminons ici tout souci politi­que : derrière la réflexion de RobertJaulin apparaît une sorte de guéva­risme scientifique : pulsion quin'est. point étrangère à la sciencepuisqu'il s'agit d'aider des sociétésvivantes à exister non plus commeobjet de contemplation ou de discus­sion scientifique, mais comme agentdynamique de création collective.En ce sens, le livre de Jaulin estcomparable à l'Histoire de la foliede Michel Foucault: le fou commele sauvage ne sont-ils pas le résidudes fantasmes d'une civilisationeuropéenne, souffrant d'elle-mêmeet des autres ?

lean Duvignaud(1) La Mort Sara (<< Terre humai·

ne »), Plon.(2) Faut·il rappeler qu'à cette

époque, et tout à fait seul, G. Gurvitchreprochait au concept de structured'immobiliser les sociétés observéesdans une figure figée, réductible" àl'idée que l'observateur se faisait del'histoire - et de l'avenir?

(3) Nous savons ce qu'il en coûted'avancer de telles suggestions pourl'avoir fait dans un sens très voisin,sinon dans les mêmes termes, voicidix ans dans Pour entrer dans le XX·siècle (Grasset). Comme le disait déjàNietzsche, l'Université et la sciencesont les institutions les plus intolé­rantes.

COLLECTIONS

Cercle du Bibliophile

• Les grandes heures de l'histoire­est le titre d'une nouvelle collectiondu Cercle du Bibliophile : des histo­riens, des biographes nous y présente­ront une série de témoignages directssur tel ou tel épisode de l'histoireuniverselle qu'ils s'attacheront à fairerevivre, quelle que soit leur optiqueparticulière, selon les méthodes desgrands reportages contemporains. Pre­miers titres : la Révolution russe, parRichard Kohn; l'Expédition d'Alger1830, par Henri Noguères; le Collierde la Reine, par France Mosslker; lesCent jours, par Emmanuelle Hubert.

Chez le même éditeur, où l'on annon­ce une réédition en 10 volumes desŒuvres de Gustave Flaubert, préfacéespar Maurice Nadeau, nous sera propo­sée une collection des chefs-d'œuvrede Romain Rolland, qui comprendra21 volumes abondamment illustrés etprécédés d'une introduction généraledue à Jean Guéhénno, auxquels vien­dront s'ajouter les 6 tomes du Journaldes années de guerre 1914-1919, pré­facé par Louis-Martin Chauffier.

Chez SeghersDeux nouvel·les collections, ce mois­

ci, aux éditions Seghers; sous le titredes. Maîtres modernes -, la première,dirigée par Jean-François Revel, se pro­pose de présenter, sous un éclairag~

qui n'aura rien de conventionnel, leshommes qui, par leur pensée, leurœuvre ou leur action, contribuent defaçon profonde à façonner l'esprit denotre temps. Premiers titres : Mar­cuse. par A. Mac Intyre, une ét.u~e

très critique; Lévi-Strauss, parE. Leach, monographie sur un Jmaîtrede la pensée moderne par l'un de sesadversaires; Frantz Fanon, par DavidCaute.

La deuxième collection annoncéechez Seghers et dont le titre n'a pasencore été fixé; sera inaugurée parune étude de Marc Saporta sur le ro­man américain : Histoire du romanaméricain.

Chez Albin Michel

• Les critiques de notre temps. estle titre d'une nouvelle collection deGarnier présentant des textes criti­ques significatifs, consacrés à desauteurs célèbres. Elle sera inauguréeces jours-ci par trois premiers ouvra­ges : Claudel, qui regroupe des textesde Claude Roy, Ionesco, Pierre Emma­nuel, et de nombreuses critiques surl'œuvre de l'écrivain, avec une pré­sentation d'André Blanc; Malraux, pré­senté par Pol Gaillard et commentépar André Breton, Trotsky, Gaëtan Pi­con, Pompidou, Sartre, etc.; Camus,recueil de textes critiques de NathalieSarraute, Robbe-Grillet, Sartre, Bar­thes, etc., présentés par JacquelineLevi-Valenski.

Signalons d'autre part qu'une nou­velle série reliée va s'ajouter prochai-

nement à la collection de poche Gar­nier-Flammarion. Certains titres, déjàpubliés, bénéficieront de cette nou­velle présentation. Parmi les premiersvolume.s annoncés : les Fleurs du mal,Eugénie Grandet, le Rouge et le noir,Madame Bovary, l'Odyssée. Les livresseront vendus au prix de 10 F.

P.-J. OswaldFrançois-Noël Simoneau dirige, aux

éditions Pierre-Jean Oswald, une nou­velle série consacrée à • La poésiedes pays scandinaves - et qui seraconstituée d'anthologies et d'œuvresparmi les plus marquantes d'une litté­rature encore mal connue en France.Le premier titre, Et maintenant, nouspermettra de découvrir Goran Sonnevi,qui est le chef de file de la nouvellepoésie suédoise contestataire.

Chez LaffontDeux nouveaux titres dans la collec­

tion • L'écart -, inaugurée récemmentchez Robert Laffont avec la Deuxièmepersonne, de Jean Bouvier-Cavoret·(voir le n° 103 de .La Quinzaine-) etdont la vocation,. rappelons-le, eststrictement littéraire : l'Ile mouvante,premier roman d'Alain Gauzelin quinous plonge dans l'univers oniriqued'un enfant fasciné par une femme aupoint de chercher à s'identifier entiè­rement à elle; la Femme éparpillée,par Laudryc, qui, dans ce nouveau ro­man, met en scène une femme denotre temps dont il se plaît à nousrévéler l'intimité la plus secrète.

GarnierDans la collection • L'évolution de

l'humanité - d'Albin Michel, où laréimpression prochaine de deux titresrécemment parus : la Cité grecque,par G. Glotz et la Société féodale, parMarc Bloch, doit être saluée commeun beau succès commercial, comptetenu de la difficulté d'accès des ou­vrages et de leur tirage initial qui estde 35000 exemplaires, on annonce laparution de deux volumes inéditsconsacrés à l'histoire de Byzance : laCivilisation byzantine et les Institu­tions de l'Empire byzantin, :par LouisBréhier.

Deux nouveaux titres égalementdans la collection • Cités d'art - dumême éditeur, avec Cités de l'Indemongole, illustré par de tr-ès bellesphotographies de W. Swaan ainsi quede reproductions de miniatures etd'objets d'art disséminés dans des col­lections européennes ou américaines,et Cités flamandes, par William Gaunt.Enfin, dans la collection • L'art dansle monde -, paraît un ouvrage de Da­niel Schlumberger où, tenant comptedes progrès les plus récents des fouil­les archéologiques, l'auteur s'est ef­forcé de comprendre quel a été ledestin de l'art grec au-delà des fron­tières de l'empire romain, c'est-à-direen Syrie, en Mésopotamie, dans l'Iran,dans l'Inde : l'Orient hellénisé - L'Artgrec et ses héritiers dans l'Asie nonméditerranéenne.

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CIN~IIA

Un Dracula travailliste

lUne messe pour Dracula(Taste the blood of Dracula)Film anglais, 1970, de Peter Sasdy,avec Christopher Lee(Le Triomphe, v. o.)

La forêt originelle - celle qui ouvrele film et qui s'ouvre pour le film, etqui est aussi "espace-matériau dési­gnant une primitivité du monde, unUrwelt - ne montre pas beaucoup sesfeuil'Iages; les troncs noirs, épeléscomme des notes, traversent panora­miquement l'écran pour donner formeà quelque lointain inquiétant. La calè­che noire venue d'ailleurs arrive jus­qu'ici, jusqu'à nous, pour nous • met­tre dedans -, puis s'éloigne et se perddans les profondeurs obscures - dansLA profondeur, spatiale ou psychique,c'est tout un, que son mouvement, parson inscription entre les cylindresnoirs et silencieux des fûts, figure.Ainsi, deux objets (la forêt, la calè­che) ou plutôt deux formes combinées(un espace, un mouvement) nous diri­gent, d'emblée, en quelques plans sté­réotypés, vers le mythe, vers le fan­tasme.

Mais comme il faut, dans tout filmde série, introduire de nécessairesvariations, le réalisateur d'Une messepour Dracula, Peter Sasdy, joue à nous• dérouter, : la route de la calèche seperd définitivement dans l'ail·leurs, em­portant un père menaçant et son filsidiot; et surtout, au lieu des person­nages traditionnels, maléfiques ou char­mants, c'est un voyageur de commerce,gras, transpirant, mastiquant et loquacequi occupe l'écran; et lui qui chercheà écouler sa petite camelote, c'estdevant une sacrée • marchandise ­qu'il va bientôt se trouver, après avoirété éjecté de la calèche. Cette première• fausse entrée, est en effet suivied'une seconde, qui est, à sa manière,une • sortie, : sortie d'un précédentfilm d'horreur, le Dracula et les fem·mes, de Freddie Francis, dont la der­nière séquence est reprise ici, sousles yeux exorbités du commerçant :traqué par les croix du Christ, Draculatombe d'une église en ruines et s'em­pale dans une énorme croix dresséeparmi des rochers; il se vide de sonsang - il se vide, littéralement(comme l'inconscient, le film d'horreur,et c'est une des racines de l'horreur,prend tout à ·Ia lettre), il n'en resterien (Dracula, c'est précisément leRien comme fonction, comme formeopérante), rien sinon son enveloppe,l'immense cape noire doublée de rou­ge, des breloques, son anneau et saplaque, c'est-à-dire son nom, et enfince matériau de choix pour toute re­constitution fantasmatique, une mou­ture impalpable de sang, du Dracula·en-poudre. Chacune de ces dépouillesvise à ·nommer ce rien, à désignerl'être de Dracula comme un manqueessentiel; la cape repliée nomme l'ab­serice du corps, l'anneau l'absence dudoigt-sexe, ,la plaque l'absence del'identité qui assure la permanencesubstantielle de tout être, et le' sàng .minéralisé, véritable perte matériali­sée, nomme l'absence du sang biolo­gique, de cette matière qui se retrouveincessamment dans sa propre circula­tion et qui fait la Vie.

En provoquant, assez laborieusement,

comme on le VOit, la rencontre surpre­nante de l'horreur et du commerce,Peter Sasdy s'est assuré à bon compteune certaine originalité; laissant alorsde côté les hypothèses de travail dra­culéennes, ou horrifiques, il se livre,complaisamment et plaisamment, à unedescription critique de la bourgeoisiepuritaine anglaise: on sort de l'égliseen famille, on rentre éans une maisoncossue, on consigne sa fille dans sachambre parce qu'elle a parlé à ungarçon, on est sévère, autoritaire, cha­

.ritable - mais, derrière la mission decharité où des misérables se restau­rent, se tient un boréel de luxe où lebourgeois-type, M. Hargood et ses deuxcompères se livrent à tous les plai­sirs: strip-tease d'une danseuse enve­loppée d'un serpent phallique, prosti­tuée adolescente chevauchant l'honora­ble bourgeois, champagne versé parun homosexuel enfariné... La lubricitéira jusqu'au satanisme : on paie milleguinées pour obtenir du commerçantles dépouilles de Dracula et recevoir,du Prince des Ténèbres ainsi acheté,de nouvelles et plus affolantes sensa­tions. Mais les bourgeois, couards, re­culent devant le geste ultime : goûterau sang de Dracula (tel est le titre an­glais) ; dans une chapel·le en ruines,un jeune lord ruiné, qui a servi d'inter­médiaire pour les tractations, reconsti­tué et absorbé le sang draculéen,s'écroule, dévoré du dedans par "ef­froyable liqueur; trompés sur la mar­chandise et en même temps terrori­sés, les bourgeois s'acharnent sur luià coups de bottes et coups de canne etle tuent.

Troisième partie : retour de Dracula,vengeance de Dracula. Le réalisateur,sociologue moralisateur, convoque Dra­cula pour punir les méchants bour­geois. Convocation, et non invocation :invoquer eût été laisser libre jeu à ladynamique du fantasme, régler dis­crètement le déroulement des • chaî­nes signifiantes', faire résonner lessortilèges du mythe. Peter Sasdy esttrop raisonneur, trop préoccupé devraisemblance, de narrativité, de réa­lisme; là où s'imposaient des climatshorrifiques, la palpitante alternancedes apparitions-disparitions, des pré­sences-absences, il offre des gestessimplement horribles, trop explicites,sagement disposés sur la ligne uni­voque du récit et non pas éclatés dansl'espace polyvalent du fantasme: Alicetue son père (qui voulait voluptueuse­ment la fouetter) d'un coup de crava­che au visage; Lucy tue son père àcoups de pieu ; Jérémie tue son pèred'un coup de poignard. A chaque fois,Dracula surgit pour compter les points:et d'un, et de deux, et de trois. LePrince des Ténèbres transformé en jus­ticier calculateur! On comprend qu'ily mette peu de conviction; et Chris­topher Lee, inamovible détenteur durôle, parvient sans se forcer à fairepasser ce manque de conviction - ré­servant ses meilleurs effets pour laséquence finale où Dracula, à nouveautraqué, assiégé par les croix, gravitson • chemin de croix, jusqu'au vi­trail où une croix de verre le brûle etl'anéantit : chute, écrasement, décom­position; Dracula redevenu néant, mou­ture de sang, la boucle est bouclée, etl'amorce esquissée pour une prochaineboucle, un prochain film : ressasse-

ment du mythe, ressassement du fan­tasme, que le film d'horreur offre avecune rare évidence.

D'où vient que les objets draculéens(cape, anneau, plaque, sang) ne par­viennent pas à composer ici une grandeforme fantasmatique - s'il est vraique la figure de Dracula renvoie àl'angoisse de castration (cf. Freud, « leFétichisme '), au motif de la mèrearchaïque • mauvaise, (Dracula enve­loppe ses victimes et les. vide -), àl'intrication ténébreuse d'Eros et deThanatos, etc. ? Film commercial, c'est­à-dire fabriqué pour répondre à unedemande précise et contraignante dumarché, le film de Peter Sasdy présen­te ce remarquable avantage d'inscrireen lui-même, comme • en abyme " sapropre commercialité; de même quele film' en tant qu'objet fini intituléUne Messe pour Dracula est venduaux spectateurs, de même, dans lefilm, le personnage Dracula en tant quesujet est vendu à des consommateurs;ce Dracula 1970 se voit dès lors mar­qué d'une espèce de style mercantileou • consommatoire. assez piquant :le commerçant surmonte son horreurpour emporter les pièces de Draculaen prévision d'une future vente; et aucours de la reconstitution emphatiquedu sang, dans la chapelle, 'les troisbourgeois, sagement alignés le verre àla main, espèrent fermement en avoirpour leur argent... Traitée ainsi sur unmode opératoire, pragmatique, compta-

ble si l'on peut dire, l'image horrifiqueperd de sa force d'impact; et les ré­sonances mythiques (les ténèbres, ledémon, la résurrection, etc.) s'affai­blissent pour laisser apparaître, en fili­grane, quelque chose comme une idéo­logie travailliste (les riches, tyranni­ques et méchants et finalement punis)rehaussée d'un cerne luthérien (riches­se = lubricité = satanisme).

Tel est le pouvoir du fantasme qu'ilperce néanmoins à travers ces mora­lités et ces calculs, et provoque quel­ques excès significatifs : le sang dé­moniaque, filmé en très gros plan, nedéborde pas seulement des verres, ildéborde du Cidre réaliste de l'écran,il vient, dans la nausée, solliciter l'in­conscient; et surtout, dans les premiè­res images, le sang de Dracula quicoule, puis se fige, puis grandit dansun long travelling avant pour devenirun grandiose paysage qui se minéra­lise, rappelle que l'une des vocationsprincipales du cinéma, assumée avecfranchise par le film d'horreur, n'estpas de s'essouffler après une illusionde réalité, mais bien de • déréaliser "de saper et de subvertir les principesde réalité qui fondent notre saisie dumonde - fonction de subversion quela culture hégémonique désamorceavec succès en traitant l'horreur parle discrédit, le mépris, ou ,le rica­nement.

Roger Dadoun

La Quinzaine Littéraire, du 1er au 15 novembre 1970 23

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"ice99,

par Louis Seguin

de Kralller1Robert Kramer

Un rêve d'insurrectionRacine.

Ice appartient d'abord, et c'est unaspect qui surprend en un film qui veutêtre marginal par les circonstances desa fabrication comme par les voies desa diffusion, à la tradition la plus habi­tuelle. Cette aventure d'un groupe derévolutionnaires qui exécutent le pré­lude de leur insurrection est contéeselon les recettes les mieux éprouvéesdu film noir. la construction du scéna­rio, rigoureuse et ternaire, est desplus classiques. les insurgés fomen­tent .leurs plans, les exécutent et sereplient en trois moments de duréespresque égales. le décor est le champclos de l'Asphalt Jungle, la forêt urbai­ne des immeubles fantômes et desrues luisantes, des ponts et des aéro­ports, où mûrit la sauvagerie desaffrontements. leur pittoresque n'estpas seulement aussi éprouvé qu'ingé­nieusement recréé, il renvoie aux mê­mes anciens principes des pionniers.la ville cruelle et corrompue estconfrontée à l'innocence de la nature.la retraite champêtre, dans la puretéde la neige, qui, à la fin du film, estl'un des thèmes dominants s'éloignepeu, pour n'en rester qu'au cinéma etsans remonter à Thoreau, des conclu­sions de Murnau, dans L'Aurore,' oubien de Huston même si Kramer,comme I·e second, prenant du reculdevant la vieille tentation, montre quele refuge est peu sûr, semé de mena­ces diffuses et pièges anesthésiants.

la distribution suit les règles ~u

système. Elle s'organise autour detrois héros principaux à qui sont attri­bués des rôles sans surprise. Il y ale héros d'hier, le héros d'aujourd'huiet le héros de demain, dont sont dé­crits l'abandon, l'aventure et le mûris­sement, mais il y a aussi les compar­ses soigneusement étiquetés et clas­sés, dont l'abondance et la diversitécomplètent et compliquent ce quel'élaboration primitive peut avoirde trop linéaire. Apparaissent doncles séides, les confidents, les mar­ginaux, les témoins, les victimeset les lâches, toutes les silhouettesqui, depuis longtemps, sont à l'arrière·plan la substance même du • cinémaaméricain •.

le style, lui-aussi, renvoie à la tradi­tion. le vocabulaire, sans doute, achangé mais la fonction demeure.l'élégance impersonnelle des grandschefs opérateurs des années quaranteet cinquante, leur photographie griseet glacée, les cadrages distants de lamise en scène, ont cédé la place à unlangage plus direct, où l'appareil esttenu à la main, où l'on traque les per­sonnages pour les abandonner avec unmême arbitraire apparent et où il estjoué sur l'âpreté même de l'imperfec­tion. Mais l'effet, donner au specta­teur un semblant de réel, une véritéImmédiate, presque tactile, du récit,reste le même. Seules les règles del'illusion ont changé en s'adaptant. ledynamitage de la chaufferie d'un im­meuble est, aujourd'hui comme hier lafracture d'un coffre-fort, conté avec uneminutie tatillonne, avec un semblablesouci de ménager l'attention et de

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provoquer l'inquiétude. Et la moraledécalque sur la permanence du stylesa propre continuité. S'il est normald'évoquer encore John Huston ce n'estpas seulement eu égard à la présenced'un même pessimisme relatif (Kramertermine son film sur une note d'espé­rance assez problématique) mais parceque, dans l'œuvre de l'Irlandais, sesuccèdent coup sur coup We werestrangers et Asphalt Jungle. les insur­gés de Ice sont les nouveaux étran­gers de la jungle urbaine.

Certaine faveur critique rencontréepar le film de Kramer s'expliqued'abord par cette familiarité. Pourl'amateur de Daves, Hawks, Huston,Siegel. Hathaway et autres - je mêleà dessein des talents très divers - lavision de Ice est une plongée dans unmonde connu et apprécié. Et cettereconnaissance doit être inscrite àson avantage. Il s'agit certes d'un hom­mage mythologique mais on ne sauraitle condamner au nom de ce recours.l'usage réfléchi du mythe peut releverdu souci de se faire entendre et nonpas d'une mystification idéaliste.

Une fable politique

Car Ice est une fable politique etson récit veut avoir une force démons­trative, sinon pédagogique. Il fait assis­ter à la préparation, l'exécution et àla conclusion provisoire d'une • offen­sive régionale., d'une insurrection ré­volutionnaire dont la portée est volon­tairement limitée.' Projetée dans unavenir • à peine. fictif, elle est unessai de porter, aux Etats-Unis, la lutterévolutionnaire à un niveau plus élevé.Elle veut être l'équivalent yankee del'attaque cubaine de la Moncada. Cediscours politique recherche à la foisla précision et la souplesse, la rigiditéet la ,fluidité. le cadre historique estdélimité avec soin : les Etats-Unis,escaladant un nouvel échelon de l'im­périalisme, sont entrés en guerre avecle Mexique. Le lieu et la technique del'action : occuper des groupes d'im­meubles et s'y livrer à un travail desabotage et d'agitation, sont, eux aussi,minutieusement retracés. A partir delà Kramer ombre son trait. Car ce jeuclassique et reconnaissable qu'il s'estdistribué, il cherche dans un secondtemps à le brouiller, pour en rendrel'usage moins facile, moins évident. Ilvoile les portraits de ses héros etestompe les lignes de l'action et freinedu même coup les identifications etles repérages trop aisés. Les masses,auxquelles seul le dialogue, et quel­ques personnages épisodiques, fontallusion, ne forment, Armée de libéra­tion Noire ou classe ouvrière, qu'unarrière-plan brumeux. L'ennemi lui­même, la Security Police, mi-policepolitique mi-groupe d'extrême droite,est environné d'un certain mystère,encore que l'on puisse facilementl'identifier comme un composé deMinutemen et de' C.lA. Mais dans ceteffort même de dissimulation, Kramerutilise encore une tradition formelleplus qu'il ne la combat. Il ne polit lesaspérités du pittoresque et des péri­péties que pour forcer l'accès à undiscours plus essentiel, comme un

peintre use du glacis et avive la cou­leur aux dépens de la touche.

l'idéologie, et c'est le point le plusimportant, est, elle aussi, volontaire­ment occultée. Passé l'affirmationd'une lutte violente nécessaire contrel'Etat, affirmation étayée de quelquespéroraisons et inscriptions dont lessentences, plus morales que politiques,sont d'ailleurs l'aspect directementmilitant du film, la stratégie de l'insur­rection apparaît, dans lce, comme uncurieux mélange de foco, de blanquls­me et de bakouninisme, une sorte deJournal de Bolivie rêvé et fort peumarxiste. Le remarquer n'est pas oppo­ser à une utopie de l'insurrection uneméthode, disons plus léniniste, ou plusmaoïste, mais bien lui rendre sa colo­ration de pur projet. lce est une hypo­thèse, non une expérience, et ne veutpas être plus, mais à partir de cetterésolution première, et de la constata­tion d'insuffisance qui en découlenécessairement, Kramer a cherché àmettre le plus possible d'atouts dansson jeu. A aucun moment il ne s'adon­ne aux joies tentantes d'un aventurismedu récit. Cette multiplicité des per­sonnages secondaires, qui étaye le triocentral des héros, est un aspect decette prudence. Chacun représente unepossibilité d'action ou de réaction,positives ou négatives, devant le projetou l'événement. Une jeune fille nom­mée Linda incarnera, par exemple, lesfaiblesses de ce que l'auteur nommela • fausse conscience., abandonnant,peut·être trahissant, ses camaradestout en énumérant les raisons du • ilfaut bien vivre. ordinaire. Les contactsavec l'extérieur se gardent, pour lesmêmes raisons, de tout enthousiasme.

. Au cours de leur investissement, lesInsurgés ne découvrent qu'un agglomé­rat passif, manifestement peu ouvertà l'information comme à la provocation.Cette indifférence, ou ailleurs la peur,lorsque des parents affolés et igno­bles veulent se débarrasser de leurfille blessée qui pourrait les compro-'mettre, sont le refus de projeter dansl'avenir un optimisme mystificateur.Ce pessimisme méthodique, hustonienjustement, est conséquence normale,lucide, du caractère fondamentalementhypothétique de lce, qui, par ailleurs,semble avoir été fort mal compris.

Il est arrivé que lce soit appréciécomme une critique du • révolutiona­risme., ou tout au moins comme untremplin intelligemment préparé pourle développement de cette critique, etadmiré en tant que tel..On joue pourcela sur les scrupules même du film,en • devinant. une énumération develléités dans ce qui n'est qu'un soucid'énumérer des possibles. Bien queKramer ait dit : • Nous commençonsà voir qui et ce que nous sommes.,on lui fait gloire de refuser ce débutde reconnaissance. Il devient alorspossible de s'en tenir aux plus super­ficielles explications psychanalytiqueset d'identifier la castration de l'un deshéros, joué par le metteur en scène

. lui-même, avec une mise en questionde l'aventurisme.

Ce commentaire hâtif rappelle lesgloses les plus bourgeoises du mou­vement de mai et jusqu'à cet articlede Minute, voici quelques mois, oùl'on assurait que Fidel avait été châ­tré par la police de Batista et que cettediminution physique, prétexte en outreà un calembour subtil, expliquait laférocité et l'imbécillité de sa révolu­tion. Cette interprétation malhonnêtepèche par son caractère partiel. Kra­mer, en effet, non seulement condam­ne le vaincu pitoyable qu'il incarne etanéantit mais complète sa propre cri­tique en introduisant non seulementdes héros plus positifs mais un autrepersonnage qui, en se perdant à lafin dans le désespoir de sa propreanalyse, assigne des limites à toutecritique possible de l'entreprise dé­crite. lce veut être un film sur lanécessité pressante, immédiate, del'action et d'une action insurrection·nelle, par-delà l'attentat individualistede son précédent film On the Edge.

La nécessité d'un choix

l'un des propos du film est depousser à bout ses divers protagonis­tes, de les acculer jusqu'à ce qu'ilsapprennent, de la bouche même dela Nécessité, à quel bord Ils appar­tiennent. lce est, encore, un film moralparce qu'II insiste sans jamais se las­ser sur la nécessité du choix. Il faut,répète-t-II, abandonner le jeu, ce jeumême auquel Il participe et qu'il décriten même temps sans complaisance,dans cette scène par exemple où lespersonnages discutent et bavardentde façon ouvertement théâtrale, à lalimite de la parodie. La morale, unefois encore, rejoint la polUique puis­que, loin d'être une mimique de l'aven­turisme, elle se donne comme un plai­doyer pour la pratique et pour la pra­tique la plus violente, par-delà ledésespoir et la peur. L'aube qui selève, au dénouement, n'est pas lesigne d'un espoir facile, mais elle n'estpas non plus si désespérée que d'au­cuns pourraient, ou voudraient, lecroire. Elle .est l'indice d'une luciditéqui veut faire équilibre au rêve.

Si finement ciselée soit-elle, lamédaille n'en a pas moins son revers.Hypothèse d'une in~urrection et invi-

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THflATRE

Witkiewiczpar Adolf Rudnicki

tation à l'action, lee laisse après luid'autres regrets que les repentirsméthodiques fournis par sa propreréflexion. Car, au-<lelè de l'exaltationfacile, et qu'il rejette, d'un publicintellectuel, c'est sa nécessité politi­que qui, en fin de compte, pose unproblème. La prospective, comme ondit, si sincère et scrupuleuse soit-elle,est, en l'occurrence, d'un maniementfort dangereux. Il ne semble pas queKramer ait été suffisamment conscientdu risque inhér~nt à sa méthode.

Qu'a-t-i1 voulu faire? Proposer unmanuel idéologique et pratique de l'in­surrection? Qu bien, dans une suppo­sition plus favorable, clarifier par lefiltre de la fiction des données trou­bles et confuses ? L'un et l'autre pro­pos paraissent également discutables.La fiction en effet ne peut manquerd'inviter à une dangereuse abstraction.Kramer a bien insisté sur la proximiténécessaire de la vérification expéri­mentale, mais cette proximité qu'ilveut infinie, jusqu'au point ou l'hyper­bole rejoint l'asymptote, il la donne,du même mouvement, comme indéfi­nie. Les remarques que, dans la revueQue faire?, Dennis Berger alignait àpropos du livre de Neuberg, l'Insurrec­tion armée (n° 3, p. 61), on peut lesadresser au film de Kramer, ·et lesaggraver. Trop appliqué, l'exorcistesupprime l'exorcisé et, du même coup,il devient possible de lui faire, en par­tie, grief, des interprétations douteu­ses de son film, si injustes soient-elles.La pesée et la défense d'une pratiquefuture, faossement tenues pour unenégation de cette pratique, s'y font àcoup sûr cette fois aux dépens de lapratique présente. Sa rêverie minu­tieuse, si scrupuleuse soit-elle, n'enarrive pas seulement à s'étouffer sousle poids des précautions oratoires.Elle prend le pas sur l'analyse del'aujourd'hui.

En refusant, par une pudeur aussiestimable que l'on voudra, de donnercorps dans son film à la lutte demasse, l'auteur finit par en résoudrela réalité tactique. Insidieusement, in­volontairement, une substitution s'opè­re. A l'heure où la lutte s'organised'abord, aux Etats-Unis, autour del'exploitation et de la révolte noires,il fait un film blanc, même s'il parle àl'occasion et avec toute la sincéritésouhaitable, des frères d'une Arméede Libération Noire, extrapolation duBlack Panther Party et de la Leagueof the Revolutionary Black Workers.La rupture avec l'équipe de Newsreel,qui participa au film et par ailleurss'occupe de cinéma militant • ici etmaintenant. n'a sans doute pas d'au­tres raisons. Le cinéma, dans lee, appa­raît à plusieurs reprises dans le ciné­ma. Des actions y sont filmées. On ymonte, discute et montre des filmsdestinés à l'agitation. Qr il est symp­tomatique qu'au dénouement, tandisque l'on tire quelques leçons éparseset cependant que les slogans du filmse durcissent et s'abstraient de plusen plus, s'éloignant du combat prati­que, soit intégralement montrée etcommentée une toute nouvelle tenta­tive de ce cinéma, parfaitement bavar­de, esthétisante et confuse. L'une desmoindres originalités de lee n'est pasde renouer, par ce biais imprévu, avecle cinéma de Jean-Luc Godard.

De nouveau, je m'en suisconvaincu : la force de Wit­kiewicz est sa langue, le jargond'un élève enfermé dans sachambre, répondant à coups decitations d'une lecture riche,bien que d'un volume réduit, ap­plicables à quelques problèmesdéfinis, faciles à cerner, quil'empêchent de vivre et dont ils'est enivré.

Qui sont: 1 - L'Etre. Pourquoi, .pour quelles raisons vivons­nous? La rareté de telles ques­tions dans notre littérature sur­prend. Il y a là vraisemblable­ment une conséquence de la pré­carité permanente de l'Etat, denotre indépendance, de mal­heurs nationaux incessants qui,paraissant plus brûlants, mas­quent tous les autres (pour êtrejuste, nous n'avons pas non plusun seul vrai roman d'amour, niun. seul personnage de femme« modèle -). 2 - Le catastrophis­me; il renforce l'actualité del'écrivain; c'est aujourd'hui seu­lement que nous avons comprisce qu'était la menace d'une ex­termination totale. 3 - Le sexe;bonnes femmes, femmelons, fe­melliums, mégamatres payant defausse monnaie, emprisonnantles victimes qu'elles chassenten enfer, de véritables «pieu­vres -; Witkiewicz est cheznous le seul auteur ayant sentila force et l'odeur du sexe; iln'y a rien en lui du maître d'éco­le jouant des coudes, non seule­ment dans la critique, un domai­ne que l'on pourrait après toutabandonner aux pourceaux, cequi serait tout de même un mal­heur, mais aussi dans les lettres.4 - L'art et le génie.

Trop de préoccupationsà la fois

Ces quatre problèmes sonttoujours mêlés pour une mêmebouillie que l'on retrouve danschacune ou presque des répli­ques de chaque personnage.Malgré cela, ce n'est pas pourautant un théâtre de problèmesqui n'apparaissent jamais à l'étatpur. Cet écrivain, rêvant de lapureté, de la Forme Pure, n'a ja­mais grandi jusqu'à elle; il enest la négation. Il ne présentenon plus jamais de drame, etmême ne comprend pas bien ceque c'est; il est écartelé partrop de préoccupations à la fois

(<< il ne savait pas vivre -). Aufond, c'est toujours le théâtred'un seul et même homme quine réussit jamais à se libérer desoi, ne serait-ce que le bref ins­tant qu'il faudrait pour voir lemonde autrement que de son re­gard intérieur particulier.

Il se donne toujours pleine­ment. Qu'il ne puisse se permet­tre de s'éloigner de lui-mêmed'un pas, cela se voit précisé­ment dans sa langue. Indépen­damment de la personne qui par­Ie, de ce qu'elle dit, du temps etdu lieu, nous entendons presquetoujours la même chose. Il estde ceux qui doivent élever cha­que affaire jusqu'à un rythmedéterminé, une « kacha -, une ri­tournelle qui seule satisfaitl'oreille. Tous, chez lui, slmt sou­mis à ce rythme, à cette mélo­die. Les personnages morts de­puis longtemps et qui remontenten scène pour leur costume, lacouleur, parlent comme lesautres.

Grand dans soninfirmité

Même lorsque la langue de­vient une question d'être ou denon-être, comme dans le cas deJean Mathieu Charles Lenragé,un paysan parvenu à la Présiden­ce de la République qui ne peutse libérer de la couleur de sonlangage; ce qu'il reconnaît, mê-

me là Witkiewicz est impuissant.Il ne sait pas, il ne peut pas fai­re certaines choses, il ne peutpas s'écarter de sa stylistiqueparticulière si caractéristique.Le théâtre de Witkiewicz estbien le théâtre de Witkiewicz.D'un dramaturge raté. D'unpeintre raté. D'un philosopheraté. Toutefois qui ne ressembleà personne d'autre et qui estgrand dans son infirmité.

D'ordinaire, je suis le premierà rire à son théâtre. Il m'est unjour venu à l'esprit que Boy, lecritique chagrin, devait êtrevraisemblablement aussi le pre·mier à rire. Mais j'appartienségalement à ceux dont le rirepasse le plus vite. Dans uncompte rendu, un autre critique,Irzykowski reproche à Witki~­

wicz de s'amuser à bon compte.Dans les années vingt, on pou­vait le déchiffrer de la sorte,bien que ce ne soit pas là lapreuve d'une oreille par trop mu­sicale, au contraire; il fallaitêtre et très sourd et très sûr desoi - sourd et sûr de soicomme on ne peut l'être queface à ses contemporains ­pour ne pas entendre dans lestextes de Witkiewicz quelquechose de très surprenant etqu'aucune analyse ne saisit.

Il n'y a pas là de tournurebien policée, fignolée autourd'une bonne table (chose queWitkiewicz m'a dite un jour àpropos de Conrad), mais on en­tend le son d'une authentiquefolie. Aujourd'hui, cela ne faitplus aucun doute : son flair de­vait percevoir des odeurs aux­quelles les autres étaient insen­sibles. Dans la folie qu'il attri­buait si généreusement à sespersonnages, sa propre folie semêlait à la folie du monde, sortieà l'évidence aujourd'hui seule­ment.

Ce n'était pas une folie imagi­née, comme le jugeaient sescontemporains, plats dans leurlucldité, sinon il n'aurait pasusé du poison dans cette petiteville frontière, ce matin de sep­tembre 1939. Il lui semblait quela catastrophe qu'il avait prophé­tisée était survenue et il sortità sa rencontre. Il était prêt àl'accueillir. Il s'avéra que cen'étaient pas des trucs de style.Et c'est maintenant que l'on en­tend le couinement des rats quil'avaient poursuivi toute sa vie,jusqu'à l'atteindre enfin.

La Quinzaine Uttéraire, du l or au lS novembre 1979 25

Page 26: Quinzaine Littéraire n°105

Lettres

Une lettre de Paule Thévenin

Réponse de Fay.e à Bourgeade

Avec le premier article dePierre Bourgeade : Littérature 70(la Quinzaine n° 100), nous pen­sions ouvrir une intéressantediscussion sur l'état de la litté­rature aujourd'hui. Tel Quel, visédans cet article, nous a faittenir une réponse que, .naturel­lement, nous avons publié inté­gralement.

C'était le droit de Pierre Bour­geade de répondre à son touraux attaques dont il était l'objetde la part de Tel Quel. Nousavons publié également sa ré­ponse. Mais où les choses segâtent, c'est quand les amis deTel Quel (à preuve la lettre ci­dessous de François Wahl à l'undes directeurs de la Quinzaine)nous morigènent pour avoir pu-

Mon cher Maurice,

Dans la réponse de M. Bourgeade àPhilippe Sollers, parue dans le derniernuméro de La Quinzaine littéraire, par­mi des allégations fantaisistes dont lesaugrenu suffit à dénoncer l'irréalité,je relève, concernant Tel Quel, ceci :• On utilise les dépouilles d'Artaud-.

Il ne peut d'évidence s'agir de laParole soufflée, par Jacques Derrida,ni de la Pènsée émet des signes, parPhilippe Sollers, parus il y a cinq ansdéjà, devenus textes de référence etcités, d'ailleurs, dans les colonnesmêmes de la Quinzaine Littéraire. Seu­le, donc, ma récente collaboration àTel Que/-peut. être visée.

Vous savez, pour avoir été il y aplus de vingt ans l'un des premiersà défendre l'œuvre d'Antonin Artaud,le prix que j'y attache. Vous savezaussi qu'il ne peut m'être reproché depublier à tort ou à travers des ren­gaines de souvenirs ou des travaux

M. Bourgeade n'arrête plusd'être occupé à chatouillerl'avant-garde.

Pour nous qui nous soucionsbien peu de cette étiquette su­rannée et militaire, nous n'avonspas mis de hâte à répondre àses continuelles polémiques.Celles-là, il les place où il peut:

26

blié cette réponse de Bourgea­de. Aurions-nous dû censurerBourgeade, ou lui fermer la bou­che? Ces habitudes, d'un cer­tain journalisme, ne sont pas lesnôtres. Et puisque Jean PierreFaye était lui aussi pris à partiepar Bourgeade, va pour la ré­ponse de Jean Pierre Faye.

Cela dit, nous pensions fai­re profiter nos lecteurs d'unediscussion, non d'un règlementde comptes. Puisqu'il paraît im­possible de s'expliquer sansavoir recours d'un côté commede l'autre, à l'attaque ad homi­nem, nous déclarons, pour cequi nous concerne, le débat clos.Nous le reprendrons, sur d':m­tres bases, et peut-être d'aut~es

interlocuteurs, quand l'occasiollsera plus favorable.

fréquents et approximatifs. L'étude àpartir du Retour d'Artaud, le mômo,qui a été publiée dans Tel Quel estle résultat d'un travail de vingt an­nées sur les textes d'Antonin Artaud.Que l'on ne soit pas d'accord surl'approche de lecture que j'ai tentée,je puis l'admettre, mais qu'à son pro­pos on puisse écrire la phrase quej'ai relevée dans la réponse deM. Bourgeade, et employer, s'agissantd'Antonin Artaud, un terme aussi mal­venu que ·celui de • dépouilles -, cela,non. J'ai produit au jour un certaintravail, c'est tout. A ce compte, onpourrait dire que, dans S/l, RolandBarthes. utilise les dépouilles de Bal­zac -.

Quant à • l'utilisation - du nom d'An­tonin Artaud, du concept de théâtretotal ou de théâtre de la cruauté àpropos de quelque repr~sentation quece soit, à Paris ou à l'étranger, d'au­tres s'en chargent.

Paule Thévenin.

il n'est pas regardant sur l'idéo­logie. Dans le Figaro il injuriaitMarx, dans la Quinzaine il le re­vendique. Dans le Figaro il assu­rait à son public que le numéro 3de CHANGE isur le Cercle dePrague était tout simplementl'apologie des blindés du maré­chal Gretchko... Dans la Quin-

zaine son ridicule pamphlet aosé affirmer que les linguistestchèques ou soviétiques étaient,contre les écrivains et les poè­tes, du côté des policiers. C'estsurtout ce dernier point qui m'a­mène à lui répondre finalement.

Que M. Bourgeade ignore toutde la grande amitié inventive quiliait poètes et linguistes juste­ment - Khlebnikov, Maïakovski,et Jakobson, Brik, Polivanov, àPetrograd; Nezval, Seifert, etJakobson encore, et Teige, à Pra­gue - qu'il choisisse d'ignorertout cela, c'est son affaire. QuePolivanov, grand linguiste etrévolutionnaire, fondateur del'Union des Ouvriers Chinois, aitété fusillé au cours de la répres­sion stalinienne, Bourgeade pou­vait l'ignorer - du moins avantla parution de CHANGE 3 préci­sément. S'il n'a même pas ouvertce numéro, qu'il se taise à sonsujet.

S'il l'avait ne serait-ce quefeuilleté, il aurait lu dès la pa­ge 5, que ce volume est un hom­mage à Prague. Et cela, qui futpublié en Août 69, prend un sensprécis à l'heure où les linguistesde Prague, survivants ou disci­ples du Cercle et lointains des­cendants du Cercle de Moscou,sont destitués, privés de leurenseignement et de leur salaire,jetés à la rue. Ce scandale de­vrait mobiliser la gauche révo­lutionnaire et marxiste, tout en­tière, ici.

Bourgeade (tout comme ceuxà qui il fait mine de s'opposer)ignore ou feint d'ignorer que lalutte pour la pensée libérée sepoursuit sur tous les plans. Pen­dant l'ère stalinienne, l'impos­ture de Nicolas Marr en linguis­tique comme celle de Lyssenkoen biologie ont fait régner la.répression et la régression dansleurs domaines propres. Réglantles questions de la science àcoups de dénonciations idéologi­ques. La science soviétique s'estfrayé un chemiil difficile et grandà travers la délation et la calom­nie - et aussi appuyée par dessolidarités courageuses. Maisce n'est pas son privilège : il

existe des impostures « scienti­fiques ., ici. Et là-bas comme ici,il existe des Bourgeade pourjouer le rôle traditionnel descalomniateurs et des délateurs.

Que tout nous sépare de TelQuel - à quoi Bourgeade feintde nous amalgamer, et qui vientencore d'aboyer à nos talons defaçon burlesque, dans la pressesuisse... - c'est fort clair pourqui n'est pas aveugle. Quand onsait comment, de Samarcande,Polivanov écrivait à ses amis duCercle de Prague les messageschiffrés d'un appel au secours ­messages que la Gestapo allaitsaisir plus tard au domicile deRoman Jakobson - on ne sesent aucun appétit pour les peti­tes tentatives actuelles de ceuxqui voudraient redonner à Jdanovet à Staline une certaine «ac­ceptabilité., toute parisienne.au niveau de la mode littéraire.Rendre à la critique de Marx saforce entière est tout autrechose.

Et si nous venons de traduiredans CHANGE 6 un admirabletexte de Polivanov, ce n'est passimplement pour honorer unevictime des répressions. C'estparce que la théorie de la poé­sie y est aussi rigoureuse queneuve. A un moment où la modes'est emparée de la « théorie • ;où les littérateurs de tout genreen imitent de façon moliéresqueles tics et les jargons sans lemoins du monde en soupçonnerles enjeux, les méthodes et lafondamentale probité, il est for­tifiant de reprendre appui sur cequi a eu lieu à Petrograd dans lesannées vingt, à Prague dans lesannées trente, et qui demeurepour nous contemporain. Le fol­'Pore culturel de Paris en vitdepuis dix ans sans le dire, sansmême le savoir, et voici déjàqu'il commence (voir certainsarticles risibles, et délateurs, dela revue «Cinéthique.) à re­prendre à son compte, par purbluff. les dénonciations jdano­viennes qui visaient alors lagrande et géniale constellationrusso-tchèque.

Page 27: Quinzaine Littéraire n°105

à la Quinzaine

François Wahl.

Réponse de F. Erval

(1) Là-dessus, Il y aurait beaucoup Il dire del'évolution de • La Quinzaine. dans son ensem­ble, Il commencer par ce numéro où s'étale unLe Clézio dont Maurice Nadeau est bien leseul Il dire qu'II n',alt jamais déçu. pendantqu'on parle, comme en passant, et d'un effleu­rement vague d'Hélène Clxous et de Guyotat.

Une lettre de François Wahl:

vl~nt de paraitr.e! '

Philippe Sol/ers.

damentalement, sur la question de sa­voir si, oui ou non, les pensées deGeorges Bataille et d'André Bretonsont,' à la base, antagonistes : ques­tion théorique à laquelle, malgré l'agi·tation qu'elle provoque, nous donnons,la réponse : oui. Pour ma part, j'aiécrit (Tel Quel 42), et je répète,• qu'aucune a u t 0 rit é intellectuellen'égalait. à mes yeux celle de Ba-­taille. Il me semble que cette formu­lation est claire.

J'ajoute que le style. plaintif. n'estpas mon genre, pas plus que la re­cherche des • bonnes grâces. de quique ce soit, étant saris dieu et sansmaîtres. Si je' proteste à nouveau,c'est contre une campagne de pressequi tend obstinément, et sans fonde­ments, à présenter Tel Quel ou moi·même comme • staliniens. ou • jda­noviens.. Cette calomnie, à laquellenous répondrons tou;ours avec netteté,comporte son envers projectif et mé­caniquement diffamatoire, chez cer­tains : celle, proprement ignoble, de• fascisme.. Rien ne justifie contrenous ce vocabulaire, ni dans nos actes,ni dans nos écrits. Et' l'on peut sedemander quelle est la fonction dediversion idéologique de telles accu­sations répétées, mensongères, au mo­ment où la répression policière s'ac­centue dangereusement dans notrepays.

et un texte redoutable

Cahier 17

LE MANUEL DES INQUISITEURSde Nicolas EYMERIC

F. E.

En vente ...... tou~. lit' bonnes librairies, 'e cahier: 15 FABONNEMENTS: Nouveau Quartier latin, 78,- bel St-M1chel, Parl~

CO-MMERCE'LE NOUVEAU

,QUE DEVIENTLA LITTERA TURE?dans

Une lettre'de. Philippe Sollers

"LA SECONDE MORT DE JEAN PAULHAN'"

Les œuvres complètes de Rpger Munier, Viviane Forrester,Denis Roche, Louise Herlin, Jean Ricardou et Pierre Pachet ,

par

André DALMAS

ment publiés. elle rIsque de glisserver s un scepticisme hautementcondamnable, etc. Enfin, ., chacun deceux qui se sont séparés de Marx oude Freud., renoncent Ipso facto ., àtoute rigueur ". On pourrait répondreque tous ceux qui ne se sont passuffisamment rapprochés de Tocque­vll/e ou de Wittgenstein.... mais àquoi bon? En Invoquant ainsi des nomsaugustes. on arriverait à un magnifique;eu de société. à la façon du fameuxquestionnaire de Marcel Proust. Jetrouve que ce type d'argumentationn'est pas sérieux.

Le 19 octobre 1970

C'est en vain que Marguerite Bon­net, dans son article sur Alain Jouffroyparu dans le dernier numéro de laQuinzaine, .prête à Tel Quel - aucontraire de notre pratique qui consis­te à poser et à maintenir dialectique­ment des contradictions - l'intentionsaugrenue de • sauver Aragon' d'unrapprochement compromettant.. L'es­sentiel de la polémique entamée contreIJOIll.l...PM....I.lw.f.f,oy .pQC1e....en effet.JOJl~.

Cette lettre a été adressée à molpar François Wahl. Je voudrais donca;outer quelques remarques person­nelles.

Je ne partage pas la ma;eure partiedes options littéraires ou politiques dePierre Bourgeade. mals 1/ m'a sembléque son article dans le numéro 100 ­précédé d'all/eurs d'un ., chapeau. dela rédaction - permettait une discus­sion qui ne devait pas dévier néces­sairement vers des attaques person­nelles.

Pour revenir à la lettre. ;e m'étonnede son ton ml-eommlnatolre, mi-apoca­lyptique. ., La Quinzaine Littéraire.n'est pas méritante si elle ne partagepas toutes les opinions de FrançoisWahl sur quelques romans récem·

Quant à nous - nous, collee- titudes basses de la calomnietif CHANGE - notre projet pro- personnelle: au style Actionpre est tout autre, mais on ne le Française.résumera pas ici pour les be- Nous rions des catéchismessoins de Bour~ade. Nous n'a- pseudo-théoriques, ou para­vons pas comme d'autres, un scientifiques, comme des can­gadget à célébrer: plus tard on cans de café. Nous pensons tousverra l'espace que nous aurons-- que l'invention, dans la science,dessiné et jalonné. Mais nous se fait à de tout autres niveaux.avons en commun d'être tout Comme le risque de la poésie.particulièrement méfiants à Pour finir, Bourgeade, inquiet,l'égard d'un certain mixage en- couvre Sollers de fleurs. Ettre le «style artiste - et la nous formons un vœu : que« théorie -. Et aussi, à l'égard Pierre Bourgeade, à force d'end'un certain renouveau des avoJr le désir, entre à Tel Quelécritures arrogantes à la Mon- et qu'il y soit heureux.therlant, dans le genre Bourgers-ou Sollade. Du retour aux pla- Jean Pierre Faye

Lorsqu'on collabore à un journal, on que Marx ou Freud aient toujours,doit d'abord se demander s'il n'a rien dans chacune de leurs proférations,publié dont on ait à se désolidariser fait le choix que le savoir reconnaî-absolument. C'est une étrange aven- trait COmme définitif; mais il est sai-ture de vous avoir fait confiance, à sissant que chacun de ceux qui seMaurice Nadeau et à vous, à la nais- sont séparés de Marx ou de Freud

.-.' sance-ue --L-a- -'Quinzaine~--et-de"-' se"·-~ait.- aU'iTlême"lnstantr -renoncé à-toutetrouver aujourd'hui avoir publié en rigueur. Il est déjà assez clair quece lieu où paraît le dernier texte de c est le même processus, exactement,Bourgeade. Car de cela vous êtes qui se répète pour Lacan. Sollers acomptable à tous. ceux, iecteurs et bien de la chance (c'est-à-dIre qu'il lacollaborateurs, qui ont travaillé avec mérite bien) : tout semble indiquer quevous. Pardonnez-moi de vous le dire, ses ennemis sans exception ne peu-mais être directeur de journal, cela vent le combattre· sans commencerse mérite aussi. de finir de penser.

Raciste à sa façon, fasciste dans Tant pis.sa procédure imagière, produit typiqued'un ressentiment de cancre contre untravail où il enrage de .n'avoir pas saplace, ordurier de bout en bout (etc'est bien le seul Intérêt de ce mor­ceau que de faire revenir dans leréel ce que l'écriture, et celle d'abordde Sollers, ne peut, comme telle, quecontourner) : ce serait déjà assezpour engager la responsabilité de quile,publie.

Mals il y a beaucoup plus grave, àlongue échéance : car ce qui se joueà travers tous ces textes de Bour­geade, à La Quinzaine et ailleurs, c'estle refus de la discipline du théorique,c'est-à-dire de la science là ou elleest possible et de la rigueur partout.En ce point, à cette marque, s'effec­tue le partage radical sur quoi nousdevons tous nous compter. J'attendaisde vous que vous n'y trébuchiezpas (1).

Pour finir, et si vous alléguez dequelque scepticisme (à quoi quiconquefait profession d'efforts intellectuelsn'a aucun droit), je ferai seulementcette remarque qui ne laisse pas deme stupéfier quant au devenir, sim­plement, du débat : il n'est pas sOr

La Quinzaine Uttéraire, du ]"r au 15 novembre 1970 21·

Page 28: Quinzaine Littéraire n°105

Livres publiés du 5 au 20 oct.

Julliard, 304 p., 20,90 F Julliard, 256 p., 19 F ' des • Années-Lula ~ Joffre, l'impératice Franz VVeyergans

ROMANSL'aventure d'une dizaine Par l'auteur de (voir les nO' 36 et 59 Eugénie, etc. On dira, cet hiver...d'hommes dans le • La Sensitive ". de la Quinzaine) . Julliard, 256 p., 19 F

FRANÇAIS désert africain, pendant Marie Susini Un très jeune couplela seconde guerre Bernard Ponty Rezvani C'était cela notre amour d'aujourd'hui.mondiale. Le séquestre La voie de l'Amérique Seuil, 192 p., 16 F

Jean Anglade Gallimard, 208 p., 15 F Ch. Bourgois, 528 p., Une belle et poignante Jean Yvane

Un front de marbre Claude Louis-Combet Un roman qui a pour 25,60 F histoire d'amour et Les pèlerines

Julliard, 288 p., 20,90 F Infernaux paluds cadre un collège t'3nu Une condamnation sans doute le meilleur Denoël, 208 p., 14 F

Une épopée burlesque Flammarion, 240 p., par les Jésuites. et qui sans appel de notre roman de l'auteur de Par l'auteur d' • Un

sur un thème funèbre 18,50 F nous montre le trouble monde américanisé • Plein soleil" • Un cow-boy en exil "

la guerre. L'itinéraire d'un homme suscité par le monde et mercantile pas d'homme" et • La (voir le n° 82 de laen prise avec les mots, moderne dans le célèbre Fiera ". Quinzaine).

Lucie Faure avec son enfance et ordre religieux. RezvaniLe malheur fou avec les interdits. Les américanoïaques Jean VuilleumierJulliard, 352 p., 20,90 F • N. Ouentin-Maurer Ch. Bourgois, 160 p., Le rideau noir ROMANSPar l'auteur de • B Poirot-Delpech Portrait de Raphaël 17,10 F Collection de • L'Aire" ETRANGERS• L'autre personne ", La folle de Lithuanie Gallimard, 160 p., 12,70 F Où l'on voit deux Coopérative Rencontre,la radioscopie d'un Gallimard, 232 p., 20 F L'histoire d'une passion, clochards décidés à 164 p., 17,85 Fcouple qui se détruit. Voir le n° 104 de la d'un pur amour entre rétablir par eux-mêmes Un livre singulier sur James Baldwin

Quinzaine. deux adolescents. une justice que l'ambiguïté des relations L'homme qui meurtPatricia Finaly l'Amérique bafoue, humaines, par le Trad. de l'anglaisLe gai ghetto

Clarisse Nicoïdeski Rezvani lancés dans une rédacteur littéraire de par Jean AutretGallimard, 192 p., 16 F

La mort de Gilles 1Coma étonnante aventure. la • Tribune de Genève" Gallimard, 456 p., 32 F

L'aventure, racontéeMercure de France, Ch. Bourgois, 160 p., A travers l'histoire

avec un humour féroce.176 p., 16 F 17,10 F Michel Robida Paul VVerrie d'un acteur noir

d'une petite fille juive(Seuil) . Une autobiographie sous Le dragon de Chartres La souille américain, l'image d'une

sous l'occupation et(Voir la Quinzaine

forme de roman de Julliard, 352 p., 23,70 F Mercure de France, société déchirée par laaprès. politique fiction, Oil l'on Second tome de 296 p., 22 F haine et par la peur.

n° 104) retrouvera les • Un monde englouti ", Un premier roman quiRené Havard personnages et les souvenirs à peine a pour thème la fuite Chester HimesAlbert Kantoff Michèle Perrein l'atmosphère des romancés d'une enfance d'un homme traqué au L'aveugle au pistoletLes enfants de chœur La chineuse • Années-Lumière ., et où revivent Clemenceau, moment de la Libération. Trad. de l'anglais par

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Page 29: Quinzaine Littéraire n°105

Livres publiés du 5 au 20 oct.

• Hélène DeutschLa psychanalyse desnévroses etautres essaisPayot, 324 p., 35,70 FRéédition d'un• classique - de lapsychanalyse,augmentée des travauxrécents de l'auteur surla psychopathologieet le développementde la personnalité.

Anne DupuyLe réflexe devengeance chez l'enfantEd. du Mont-Blanc,192 p., 15,90 FPour découvrir lesracines mêmes de larévolte mondiale desadolescents que nousvivons aujourd'hui.

Richard LancasterPiegan - Chroniquede la mort lente desIndiens clans une

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théâtreactuel

Un bilan passionnéet polémique,

à l'imagede son auteur,

combattant et militantde ce qui constitue

aujourd'huile théâtre viva1J,t.

Stockéditeur

Pierre CressantLévi StraussEditions Universitaires,Collection• Psychothèque -.

Jacques DelorsMode de vie,mobilité sociale,loisirs,troisième âgeA. Colin, 232 p., 11 FDans la collection• Plan et prospectives -,un recueil des travauxpréparés par leCommissariat Généraldu Plan.

africaineEléments d'unerechercheinterdisciplinairePayot, 336 p., 31,70 FL'Africain et la négritudeface aux problèm$Set aux réalitésde la vie économiqueet du développement

SOCIOLOGIEPSYCHOLOGIE

Jacques BinetPsychologie économique

Vincent TherrienLa révolution deGaston Bachelarden critique littéraire2 pl. hors texteKlincksieck, 417 p., 40 FLes fondements,les techniques et laportée d'une méthodequi a été à l'origined'un nouvel esprit1ittérai re.

Marc SaportaHistoire du romanaméricain24 p. d'illustrationsSeghers, 392 p., 29,50 FUne étude trèscomplète du romanaméricain traité pargrands courantsparallèles et quecomplètent un tableaudes correspondanceschronologiques, unrépertoirebio-bibliographique,une sélectionbibliographique etun index.

Paulette TroutLa vocationromanesquede StendhalEditions Universitaires,366 p., 49,95 FUne étude approfondiecomplétée par uneimportante bibliographiecritique.

A. Ancelin­SchutzenbergerPrécis de psychodrameEditions Universitaires,280 p., 29,95 FRéédition revueet augmentée.Jean-Marie Aubry

Yves Saint-ArnaudDynamique des groupesEditions Universitaires,120 p., 9,70 FL'espritet les techniquesde la dynamiquedes groupes.

Marcelle AuclairVers une vieillesseheureuseSeuil, 288 p., 25 FComment vieillir sansdevenir vieux etmaintenir en soil'amour de la vieet la volonté d'êtrejusqu'à la mort.

Le premier ouvraged'une nouvelle sériede la collection • Sup • :• Littératuresanciennes •.

CRITIQUEHISTOIRELITTERAIRE

Jacqueline LeinerLe destin littérairede Paul Nizan et sesétapes successives9 pl. hors texteKlincksieck, 301 p., 28 FUne importantecontribution à "étudedu mouvementlittéraire en Francede 1920 à 1940.

ZolaLes Rougon-MacquartTomes V et VIPrésentation et notesde Pierre CognyPréface deJ.-C. Le Blond-Zola86 illustrations (t. V)90 illustrations (t. VI)Seuil, 720 et 704 p.,20 F le volume.

REEDITIONSCLASSIQUES

ColetteL'entraveFlammarion, 240 p., 8 FAuguste comteSystème de politiquepositive ou traitéde sociologieŒuvre complète,du tome VII au tome XEditions Anthropos,2600 p., 192,40 Fles 4 vol.

Ch. MarchelloniziaP.U.F., 216 p., 22 FEcrit entre 1933 et 1936,ce livre rassemble lesquinze premierschapitres d'un ouvrageque Trotsky comptaitconsacrer à Lénine.

• Gilles DeleuzeProust et les signesP.U.F., 200 p., 12 FRééditionconsidérablementaugmentée(voir le n° 103 de laQuinzaine) .

• J. de RomillyLa tragédie grecqueP.U.F., 192 p., 10 F

Sièyes et sa penséeNouvelle édition revueet augmentée parPaul BastidHachette, 672 p., 75 FSieyès penseur, juristeet diplomate.

C. Pasquel RageauHo Chi Minh16 hors-texteEditions Universitaires,192 p., 18,50 FUne minutieuse étudebiographique, complétéed'une bibliographiecritique et d'unechronologie synoptique.

Jules RomainsAmitiés et rencontresFlammarion, 240 p., 24 FUn recueil de souvenirsfourmillant de portraitset d'anecdotes

Par l'auteur des• Ouvriers.(Mercure de France)une reconstitutionpassionnante etpassionnée de la vieet de l'œuvre du Che.

G. Girod de l'AinJoseph BonaparteLibrairie AcadémiquePerrin, 478 p., 30,10 FUne biographie étayéesur des correspondancesen grande partie inéditeset qui jette un journouveau sur lapersonnalité du frèreaîné de Napoléon.

Marcel JouhandeauJournaliers XVConfrontation avecla poussièreoctobre 1963-février 1964Gallimard, 208 p.,14,75 F.

• Léon TrotskyLa jeunesse de LénineTraduit du russepar M. ParijanineNouvelle édition revueet corrigée parG. Petiot et

POESIE

BIOGRAPHIESMEMOIRESCORRESPONDANCE

• Alexis de TocquevilleŒuvres complètest. lXCorrespondance d'Alexisde Tocqueville avecPierre Paul Royer·CoUardet avec Jean-JacquesAmpèreTexte établi, annoté etpréfacé parAndré JardinGallimard, 500 p.,42,50 FUne correspondance qui. Michel Randomtémoigne de deux L.e Grand Jeuaspects totalement Tomes 1 et fidifférents de la 8 p. hors textepersonnalité de Denoël, 272 et 224 p.,Tocqueville et démontre 25 F le volumel'immense largeur L'aventure extraordinaired'esprit de l'auteur de vécue par quelques• La Démocratie jeunes écrivains,en Amérique - dominés par Lecomte

et Daumal, éclairéepar des textes desprincipaux protagonistesdu Grand Jeu.

Maurice BarrèsCharles MaurrasLa République ou le roiCorrespondance inédite1888-1923réunie et. classée parH. et N. MaurrasCommentée parH. MassisIntroduction et notesde Gu DupréPlon, 708 p., 40,90 F.

R. ChristofanelliLe journal deMichel-Ange le FouTrad. de l'italienpar P. AlexandrePlanète, 376 p., 35 FUne reconstitution,fort bien documentée,du carnet de notesde l'artiste.

Philippe GaviChe Guevara16 hors-texteEditions Universitaires,176 p., 18,50 F

Michel BatailleLe cri dans la merJulliard, 152 p., 19 F

• Jacques RoubaudMono no awareLe sentiment deschosesGallimard, 272 p.,21,25 FCente quarante-troispoèmes qui ont pourpoint de départ unpoème japonais ancienet témoignent de lafascination exercée surl'auteur par la poésiejaponaise.

Henïi RobillotPréface de M. DuhamelGallimard, 272 p., 22 FPar l'auteur de • LaReine des pommes. etde tant d'autres romanspoliciers, un pamphletsur le ghetto noir deNew York où nul n'estépargné.

• Joseph RothLa toile d'araignéeTrad. de l'allemandpar M.-F. CharranceGallimard, 224 p., 17 FPublié en Allemagne,sous la forme d'unfeuilleton, en 1923, etredécouvert en 1966, lapremière œuvre del'auteur de• Hôtel Savoy.(voir le n° 69 de laQuinzaine) •

La Quinzaine Uttéraire, du 1er au 15 novembre 1970 29

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Livres publiés du 5 au 2.0 oct.

• Arthur de GobineauCe qui est arrivé àla France en 18708 pl. hors texteKlincksieck, 192 p., 32 FUn texte inédit del'auteur des. Pléiades ",qui fait la synthèsedes événementspolitiques de1851 à 1870

Wilfred BurchettLa seconde guerred'IndochineCambodge et Laos 1970Trad. de l'anglaispar Nelcya DelanoëColl. • Combats»Seuil, 240 p., 18 FPar le vétéran desspécialistes del'Extrême-Orient, unbilan des origines etdes récentsdéveloppementsde ce conflitRobert Buron

réserve .américaineColl. • Terre Humaine»Plon, 400 p., 36,80 FDans ce nouveauvolume de la collection• Terre Humaine»(voir le n° 102 de laQuinzaine), un vieuxchef de la tribudes Pieds Noirs, nousparle, à son tour,de la • paix blanche ».

Henri LefebvreDu rural à l'urbainEd. Anthropos,285 p., 25 FUne critique radicalede l'urbanismeinstitutionnel.

• Konrad LorenzEssais sur lecomportement animalet humain • Lesleçons de l'évolutionde la théorie ducomportementTrad. de l'allemand parP. et C. FredetSeuil, 484 p., 33 FLes textesfondamentaux du grandbiologiste autrichien surles comportementsanimaux et humains.

René NicoliL'univers dela sexualitéResma, 236 p., 29 FUn ouvrage desynthèse scientifiqueet d'informationmédicale en mêmetemps qu'une réflexionéthique sur lasexualité humaine.

ENSEIGNEMENTPEDAGOGIE

J.-F. AngellozGuide de l'étudiantgermanisteP.U.F., 352 p., 20 FA la fois uneintroduction à lagermanistique et uneinitiation à lacivilisation allemande.

Jacques de ChalendarUne loi pourl'Universitéavec le manuscritinédit d'Edgar FaureDesclée de Brouwer,269 p., 24 FLa genèse de la LoiEdgar Faure.

George DennisonLes enfants deFirst Street(Une école àNew York)Coll. • En direct»Mercure de France,224 p., 18 FUn documentpassionnant sur une

30

expenence réaliséedans un quartierpopulaire de New Yorkpar un jeunepédagogue américain.

Pierre GiolittoLes classes de neigeet le tiers-tempspédagogiquePréface de J. TreffelP.U.F., 304 p., 16 FUn livre qui s'adresseaux enseignants et auxparents d'élèves quepréoccupe la rénovationde notre systèmescolaire.

Jacques LeplatClaude EnardA. Weill-FassinaLa formation parl'apprentissageEléments depsycho-pédagogieP.U.F., 200 p., 13 FUne étude trèscomplète des différentséléments quiconditionnent l'efficacitéde l'apprentissage.

Gilbert LeroyLe dialogue enéducationP.U.F., 212 p., 12 FLes principespsychologiques etpsychosociaux d'unauthentique dialoguepédagogique.

PHILOSOPHIE

Louis MilletM. Varin d'AinvelleLe structuralismeEditions Universitaires,140 p., 9,70 FPourquoi les mots• structures»et • structuralisme »,qui sont vieux commele monde, ont-ilssoudain paru surgirdu néant.

• Clémence RamnouxEtudes présocratiquesKlincksieck, 298 p., 52 FUne analyse minutieusede la forme singulièredes oeuvres de sagesseavant Socrate, en tantque tests projectifsdes philosophesde l'Occident.

• Wittgenstein etle problème d'unephilosophie de lascienceEditions du CentreNational de la RechercheScientifique,228 p., 32,25 FTexte du colloqued'Aix-en-Provence(juillet 1969).

ESSAIS

Alexandre BorrotMarcel DidierBodicoDictionnaire dufrançais sans fauteBordas, 352 p., 19,50 FUne revue minutieuseet pittoresque des motsfrançais qui peuventfaire trébucher ceuxqui les emploient.

Georges ElgozyNos mécontemporainsHachette, 256 p., 28 FUn livre nourri deparadoxes explosifs,qui prend pour cibletous les nouveauxmandarins.

P. JougueletLaïcité, libertéet véritéCasterman, 144 p., 14 FPour une définitiondynamique de la laïcité,impliquant une quêtecollective de la IIéritéet, plus qu'une notionde tolérance, celle dedialogue.

La biologieTome Il• Dictionnaires duSavoir moderne»Denoël, 544 p., 47,50 FLes grands problèmesque pose laconn~issance de 111 vie.

Rober.. Le BidoisLes mots trompeursou le délire verbalHachette, 288 p., 28 FDu bon usage dunéologisme ou commentlutter contrel'inflation verbale quimenace actuellemantle français .

• Marcus ManiliusLes astrologiquesou la science sacréedu cielPrésenté parRené Alleau• BibliothecaHermetica»S.G.P.P., 280 p., 38 FUne véritable• somme· del'astrologie, depuisl'origine du mondejusqu'à l'astrologiespéculative.

• Jacques MonodLe hasard et lanécessitéEssai sur laphilosophie naturellede la biologie moderneSeuil, 224 p., 19,50 FLe point de vue d'unbiologiste de réputationmondiale sur desproblèmes qui

concernent tout hommed'aujourd'hui

Ernst NolteTrois aspects dufascismeT. 1 : L'action françaiseT. Il : Le fascisme italienT. III : Le national·socialismeJulliard, 416, 368 et512 p., 23,70 F et 25,60 FPar un opposantallemand, émigré de lapremière heure.

Jean RicherDelphes, Delos etCumesColl. • Des lieux etdes Dieux»Julliard, 256 p., 20,90 FUne étude desmonuments deDelphes, Delos etCumes à travers lessystèmes zodiacaux.

Jacques TassinVers l'EuropespatialeDenoël, 256 p., 23 FLe bilan de dix annéesd'efforts en ce domaineet les perspectivesd'avenir.

HISTOIRE

G. BarracloughLa papauté auMoyen AgeFlammarion,216 p., 13,50 FCollection. HistoireIllustrée del'Europe ".

B. BennassarSaint Jacquesde CompostelleColl. • Des lieux etdes Dieux»Julliard, 320 p., 23,70 FLes énigmes de l'undes hauts lieux depèlerinage del'Occident.

G. de Bertierde SauvignyLa révolution de1830 en FranceA. Colin, 336 p., 11,80 FLe coup d'Etat,l'insurrectionparisienne et larévolution politique

Henry ContamineDiplomatie etDiplomates sousla Restauration(1814·1830)Hachette, 410 p., 75 FLes relationsinternationales entre1814 et 1830,étudiées d'après lesarchives duOuai d'Orsay.

Philippe ErlangerLa vie quotidiennesous Henri IVHachette, 256 p., 22 FLa France de 1589 à1610 où le passaged'une société retombéedans une soudainebarbarie auxmoeurs policées du• Grand Siècle»

Philippe ErlangerMonsieur,frère du RoiHachette, 320 p., 30 FUn tableau très vivantde la cour de Louis XIV

Histoire générale del'Afrique noire,de Madagascar etdes ArchipelsOuvrage collectif,publié sous la directiond'Ho Deschamps48 pl. hors texteP.U.F., 576 p., 75 FL'histoire vivante ettrès complète d'unmonde que n'a pasencore profondémenttouché la civilisationeuropéenne.

POLITIQUEECONOMIQUE

Jean OffredoDemain, la politiqueDenoël, 256 p., 17 FUne étude prospectivedes problèmes poséspar les mutationsen cours de lasociété industrielle.

Guy CaireThéorie et pratiquede la politique desrevenusP.U.F., 224 p., 12 FLes objectifs et lesmoyens de la politique

des revenus.Fernand DumontLa dialectique del'objet économiquePréface de L. GotdmannAnthropos, 385 p., 25 FL'itinéraire et lesfondements d'unevéritable critiqueépistémologique dessciences humaines.

Celso FurtadoThéorie dudéveloppementéconomiqueTrad. du portugaispar Abilio DinizP.U.F., 264 p., 15 FLes processus dedéveloppement dans lecadre du capitalismeindustriel.

H. L. MatthewsFidel CastroTrad. de l'américainpar Pierre RocheronSeuil, 384 p., 25 FUne description critiquedu fondateur et leaderde la plus originaledes révolutionscontemporaines.

Thomas MolnarLa gauche vued'en faceSeuil, 160 p., 16 FLe réquisitoire d'unintellectuelconservateur contreune gauche qui luiparaît se confinerdans une impasse.

Bertrand "KAunierLe cambisme et lejeu monétaireinternational(Technique et théoriedu mouvement decapitaux à court terme)Présentation deJacques BrangerPréfaced'O. MorgensternP.U.F., 384 p., 55 FUn exposé completdes techniques quebanquiers, commerçantset spéculateurs utilisentsur le marchédes changes.

• Jean-Marc PiotteLa pensée politiquede GramsciEd. Anthropos. 302 p.,20 FUne analyse approfondie,qui se situe dans laperspective même de lapensée de Gramsci.

• Jean-Jacques SalomonScience et politiqueSeuil, 408 p., 29 FUne étude analytiqueet prospective de cettenouvelle alliance qui,sous tous les régimes,s'est désormais nouéeentre science etpolitique.

Page 31: Quinzaine Littéraire n°105

Bilan d'octobre

13117

12111

1

8

GallimardL'HerneSeuil

Anthropos

Gallimard

LaffontDenoël LN,

GallimardMinuitGallimardL'Age d'homme

L'œuvre de François Rabelais et laculture populaire au Moyen Age etsous la Renaissance

Sociologie des mutations

Journal de la guerre au cochonSombre comme la tombe où repose

mon ami .Un homme magnifiqueProjet d'une révolution à New YorkLa toile d'araignéeL'inassouvissement

1 Charles de Gaulle2 Erich Segal3 Philippe Alexandre4 Jean-Pierre Chabrol5 Pierre Viansson-Ponté

Georges Balandier(sous la direction de)Yves Courrière La guerre d'Algérie. L'heure des colo-

nels « FayardProust et les signes (réédition) P.U.F.Essais d'ethnopsychiatrie générale GallimardSur Babeuf et la conjuration des égaux MasperoA la recherche de la réalité Denoël LNLa puissance et la sagesse GallimardPsychologie et alchimie Buchet-ChastelGynophobia ou la peur des femmes PayotEssais sur le comportement animal et Seuil

humainGeorg Lukacs SoljénitsyneMarx, Engels Ecrits militairesJean-Jacques Salomon Science et politique

Gilles DeleuzeGeorges DevereuxMaurice DommangetErnst FischerGeorges FriedmannC.G. JungW. LedererKonrad Lorenz

Mikhaïl Bakhtine

Adolfo Bioy CasaresMalcolm Lowry

Reynolds PriceAlain Robbe-GrilletJoseph RothS.1. Witkiewicz

LITTERATURE

ESSAIS

31

I.A QUINZAINE LITTtRAIREVOUS RECOMMANDE

I.ES I.IBRAIRES ONT VENDU

Mémoires d'espoir (Plon)Love Story (Flammarion)Le duel de Gaulle-Pompidou (Grasset)Le canon Fraternité (Gallimard)Histoire de la République gaullienne

(Fayard)6 Gilbert Cesbron Ce que je crois (Grasset)7 Mario Puzzo Le Parrain (Laffont)8 Anne Hébert Kamouraska (Le Seuil)9 Michel Déon Les poneys sauvages (Gallimard)

10 Françoise Mallet-Jorris La maison de papier (Grasset) 6

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants :Biarritz, la Presse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - Issoudun,ChErrier. - Lille, le Furet du Nord. - Lyon, la Proue. - Montpellier,Sau'ramps. - Paris, les Aliscans, Aude, au Chariot d'or, Fontaine, Julien­Cornic, la Hune, Marbeuf, Marceau, Présence du temps, Variété, Weil. ­Poitiers, l'Université. - Rennes, les Nourritures terrestres. - Royan,Magellan. - Strasbourg-Esplanade, les Facultés. - Toulon, Bonnaud. ­Tournai, Decallonne.

Sergio Vilar Jean Robinet par M. de GandillacLes oppositions Les paysans parlent Seuil, 576 p., 45 Fà Franco Flammarion, 232 p., 18 F Les thèmes essentielsTrad. de t'espagnol Un document de d'une œuvre à la foispar €. de la Souchère, première main sur les profondément engagéeJ.-M. Fossey et problèmes de la France et profondémentJ.-J. Olivier rurale. chrétienne - Réédition.« Dossiers des LettresNouvelles - Jean DaniélouDenoël, 432 p., 29 F

THEATREL'Eglise des Apôtres

L'histoire, riche en Seuil, 160 p., 16 Févénements et en actes CINEMA Les « Actes deshéroïques, d'une lutte MUSIQUE Apôtres - étudiés dansde trente ans contre leur milieu historiquela dictature franquiste.

Discothèque idéale Marc Oraison

DOCUMENTS Ouvrage collectif Vocation, phénomène

par l'équipe de la humainDesclée de Brouwer,revue « Harmonie -140 p., 12,90 F

Jacques Baraduc Editions Universitaires,472 p., 29,90 F L'expérience d'un

Pierre Laval devant homme partagé entrela mort Un panorama des

trois vocations,Plon, 250 p., 18,40 F meilleurs disques

puisqu'il est à la foisactuellementLes notes, prises audisponibles. prêtre, médecin et

jour le jour, par écrivain.l'avocat de Laval, depuis Jean-Paul Dumontsa première rencontre

Jean Monod Paul VIavec celui-ci, jusqu'à

Le fœtus astral Face à lason exécution, le

Ch. Bourgois, contestation22 août 1945.

320 p., 25,60 F Textes réunis par

Jean-Pierre Cartier Une tentative Virgilio Levi

Mtsou Naslednikov d'application de la Fayard, 368 p., 25 FUn recueil des

L'univers des Hippies méthode d'analysedéclarationsstructurale au film deFayard, 192 p., 20 F

Stanley Kubrich, faites par le Pape entreUn témoignage de 1967 et 1970.première main sur «2001 Odyssée del'aventure hippie d'un l'espace -.

Dorothee Sollebout à l'autre des

Les voies de la Imagination etEtats-Unis.création théâtrale obéissance

Yves Courrière 128 figures, Trad. de l'allemandpar G. JarczykLa guerre d'Algérie: 108 photographiesCasterman, 96 p., 9 Fl'heure des colonels Editions du CentreUne nouvelle lectureFayard, 640 p., 32 F National de la Recherche

de l'évangile, réhabilitantDe la fin de la bataille Scientifique,les valeurs d'imaginationd'Alger au drame des 348 p., 38,70 Fet de créativité.barricades : 1957-1960 Deux volumes

fondamentaux sur lePaul TillichJ.-Y. et Ph. Cousteau théâtre d'aujourd'huiHistoire de la

Les requins et ses modespensée chrétienne124 photographies de création.Payot, 332 p., 30,70 Fen coul.

Thierry Maulnier Le dernier ouvrage,Flammarion, posthume, du célèbre266 p., 38 F L'homme qui n'avaitthéologien américain.Le premier ouvrage rien fait

d'une série où l'on Hachette, 128 p., 28 Fretrouvera la matière Une pièce en un acte,des films télévisés qui a pour thème ARTSintitulés « L'Odyssée "arrestation et

URBANISMEsous-marine de l'exécution dul'équipe Cousteau -. Duc d'Enghien.

Suzanne Labin Claude BaudezHippies, drogues

RELIGIONS Amérique Centraleet sexe 54 i11. en couleurs,Table Ronde, 328 p., 18 F ESOTERISME ,106 en noirL'univers des Hippies, Coll. « Archeologiade San Francisco à Mundi -l'lie de Wight, en Paul Arnold Nagel. 290 p., 47,15 Fpassant par Katmandou. La Rose-Croix et Une étude archéologique

Ch. Lloydses rapports avec très complète, baséela franc-maçonnerie principalement sur les

Batailles navales Maisonneuve & Larose, témoignages de laau temps de la 264 p., 36 F céramique et de lamari,ne à voile Une étude complète et sculpture.Nombr. illustrations objective de cetteFlammarion/ société secrète fondée RodinInternational Library, sur un idéal moins Introduction de128 p., 19,20 F initiatique que mystique. Jean CassouCinq siècles d'histoire 95 pl. en héliode la marine retracés H. U. von Balthasar Hazan, 120 p., 49 Fpar le texte et par Le chrétien Bernanos Les sculpturesl'image. Trad. de l'allemand de Rodin.

La Quinzaine Littéraire, du 1"' au 15 novembre 1970

Page 32: Quinzaine Littéraire n°105

CHARLES TRENET CHANTE TRENETLe monde merveilleux

du "fou chantant"

Un coffret de 13 disques 30 cm 182 chansons

C'est le monde merveilleux du Fou chantantque DISCOPILOTE vous invite à parcourir à travers ce coffret de 13 disques.

Un monde d'une richesse et d'une variété qui dépassent l'imagination, qui va de l'exubérance de "Boum",de "Y'a d'la joie" à la beauté si prenante de "La mer" ou de "L'âme des poètes ", en passant par les œuvres moins connues

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