Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

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3f a e e UlnZalne littéraire du 16 au 31 octobre 1970 w. B. Yeats / , v 4 (( --l i _ .'\: Paulhan Faut-II "rééduquer" l'intellectuel?

description

André Breton: Trait d'union ; Thorstein Veblen, W. B. Yeats, Jacques Réda, Dusan Matic ; les critiques des ouvrages « Le schooner » de Claude Delmas et « Petits blancs, vous serez tous mangés » de Jean Chatenet, « La folle de Lituanie » de Bertrand Poirot-Delpech et « L’amour des autres » d’Henry Bonnier. Maurice Rheims, H. Carrère d’Encausse, et le « Jeu de massacre » d’Eugène Ionesco

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3fa e eUlnZalne

littéraire du 16 au 31 octobre 1970

w. B.Yeats

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PaulhanFaut-II "rééduquer"l'intellectuel?

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SOMMAIRE

3 LE LIVRE DELA QUINZAINE

5 LITTERATUREETRANGERE

6 POESIE

8 TRIBUNE

10 ROMANS FRANÇAIS

1112131416 INEDIT18

19 EXPOSITIONS2122

23 POLITIQUE2425 CINEMA27 THEATRE

La QuinzainelItterBlre

Thorstein Veblen

W. B. Yeats

Jacques RédaDusan MaticFaut·il «rééduquer»l'intellectuel ?Claude DelmasJean Chatenet

Bertrand Poirot-DelpechHenry Bonnier

Alain Jouffroy

Maurice Rheims

Jean PaulhanH. Carrère d'Encausse,S. R. Schram

Philippe AlexandreJacques Berque

Eugène Ionesco

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balandier,Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro. Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :Anne Sarraute.

Courrier littéraire:Adelaide Blasquez.

Maquette de converture. :Jacques Daniel.

Rédaction, adm.inistration :

43, rue du Temple, Paris (4").Téléphone: 887-48-58.

La théorie de la classe de loisir

Le frémissement du VOtleUncollected Prose

RécitatifLa rose des vents

Le schoonerPetits blancs, vous sereztous mangésLa folle de LituanieL'amour des autresAndré Breton: Trait d'union

La fin des alternancesErnst Fischer: ·Goya

La vie d'artisteDans les /?;aleriesL'exposition du 1 %Œuvres complètes

L'U.R.S.S. et la Chinedevant les Révolutionsdans les sociétés industriellesLe duel de Gaulle-PompidouL'Orient second

Le sanl!; du condorJ eux de massacre

Publicité littpraire :22, rue de Grenelle, Paris (7").Téléphone: 222-94-03.

Publicité générale: au journal.

Prix du nO ail Canada: 75 cents.

Abonnements:Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois: 34 F, douze numéros.Etudiants: réduction de 20 ra.Etranger: Un an : 70 F.Six mois : 40 F.Pour tout changem.ent d'adresse:envoyer 3 timbres à 0,40 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :c.c.P. Paris 15 55]-53.

Directeur de la publication:

François Emanuel.

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Printed in France.

par Georges Friedmann

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par Claude Bonnefoypar Cella Minart

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par Marcel Billot

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par Louis Arenilla

par Pierre Avril

par Dominique Desanti

par Roger Dadounpar Roger Grenier

Crédits l'hoto/{Tal'hiques

p. 3 D.R.

p. 5 Snark

p. 6 Gallimard

p. 7 D. R.

p. 10 Flammarion

p. Il Gallimard

p. 12 Albin Michel

p. 13 D.R.

p. 14 D.R.

p. 17 Roger Viollet

p. 19 D.R.

p. 21 Snark

p.23 Vasco

p.25 D.R.

p. 27 Bernand

Page 3: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

LE LIVRE DE

LA QUINZAINE

Enfin, Veblen!par Georges Friedmann

La Cl!!bazaine Littéraire du 16 RU 31 octobre 1970

Thorstein VeblenLa théorie de la classede loisirIntr. de Raymond AronColl. «Bibl. des Scienceshumaines»Gallimard éd., 328 p.

Le destin posthume de Thor-stein Veblen a été singulier com-me le fut toute sa carrière. Sonpremier livre, le seul qui connutun succès immédiat, la Théoriede la classe de loisir (The theoryof the leisure class) , paru en 1899,alors qu'il avait quarante-deuxans, est enfin traduit en France.Les sociologues, dès leur appren-tissage, savaient que Veblen étaitun auteur important. Mais com-bien l'avaient lu ? Quelques thè-mes vebléniens étaient souventévoqués, grâce à des commenta·teurs au premier rang desquelsMaurice Halbwachs: la placecentrale accordée à un «instinctartisan », les pleins feux jetés surla «consommation ostentatoire»observée à travers «la classe deloisir» dans les Etats-Unis, dès lafin du XIX' siècle ; mais ils appa-raissaient 'plutôt sous forme deslogans que d'idées directricesexpliquées et situées dans un en-semble d'écrits.Pierre Nora a été bien inspiré

en choisissant pour la Bibliothè-que des sciences humaines ce li-vre à la fois célèbre et peu con-nu, où l'on trouve, explicites etimplicites, les traits principauxde son œuvre, les aspects multi-ples de son talent d'économisteet de critique social. Il est impos-sible de comprendre l'homme etl'œuvre sans rappeler ses origi-nes, sans évoquer son milieu etses problèmes existentiels.Veblen est né en 1857, dans le

Middlewest, quatrième fils (la mai-sonnée compta douze enfants)d'un paysan pauvre venu de Nor-vège dix ans plus tôt. Toute savie, il demeura fidèle à ses as-cendances terriennes, à la langueet à la culture de ses ancêtres.S'il ne «réussit» pas dans l'es·tablishment des Universités amé-ricaines, beaucoup plus fermé etconformiste qu'aujourd'hui, c'esten grande partie parce qu'il de-meura imperméable au mode devie des Yankees, à leurs valeurset aux justifications qu'ils en don·nent. D'où une distance à l'égardde l'objet qui fait de ce livre undocument incomparable, toujoursjeune, rehaussé par un humour

caractéristique el savoureux.L'observation de la classe de

l?isir est fondée sur une opposi-hon fondamentale (qui en com-mande d'autres) : entre la condi·tion du producteur, qu'il soit agri-culteur poussant la charrue, ou-vrier, ingénieur - et le bour-geois aux mains blanches, faisantfortune grâce à des opérations im·mobilières, financières, commer-ciales, toutes abstraites, où il estnon pas affronté à des élémentsmais voué à la manipulation desymboles. En d'autres termes,c'est l'opposition entre ceux quicontribuent à la prospérité collec·tive et ceux qui «font fortune derien », who get something out ofnothing. Pour la masse des ou-vriers et des non-ouvriers, sala-riés du commerce et des services,le niveau de vie s'élève mais de-

meure médiocre, comparé à celuides financiers, spéculateurs, homomes d'affaires, de Bourse, de loi,de publicité, possesseurs, souventabsents, des moyens de produc-tion. Dans cette nouvelle versiondu saint-simonisme, où les para·sites et les frelons sont caracté·risés par leur agitation abstraite,mais aussi par les droits qu'ilss'approprient aux dépens des pro·ducteurs: par exemple le profitsans travail du marchand de bienscontrastant avec le travail sansprofit du petit exploitant agrico-le.La critique veblénienne de la

classe de loisir s'éclaire donc parl'opposition entre 1'« instinct ar·tisan» du producteur, du créa-teur, et ce qu'il appelle les ins-tincts «prédateurs» : transformésà partir de leur origine (VehIenles étudie en ethnologue), ils con-duisent à la rivalité pécuniaire, à

J'âpre concurrence de chacun con·tre tous. D'où l'effort de plus enplus répandu à travers la société,«le rude effort pour f emportersur autrui par fexploit pécuniai-re» (p. 24) qui s'accompagned'une comparaison provocante,individious comparison, c'est-à-dire provoquant l'envie. Elleconstitue, par ailleurs, un «pro-cédé de cotation» des individusd'après leur fortune (cet hommevaut tant de millions de dollars),caractéristique des Etats-Unis àl'époque des Rockefeller et Car-negie, et encore largement utiliséaujourd'hui.La théorie de la classe de loi-

sir, Veblen l'a découverte par u'neexpérience existentielle et non parune réflexion abstraite. Elle neconcerne pas des entités, «le ca-pitalisme », « la bourgeoisie »,mais se nourrit de l'observationconcrète, satirique, de bourgeois,de capitalistes américains, sescontemporains. Le regard de Ve-bIen est si aigu que, par delà cet-te base de départ et ses limitesspatiales, temporelles, il éclairepour nous, aujourd'hui encore,notre société en ce dernier tiersdu xx' siècle.Mais quelle expérience existen-

tielle, vécue par le quatrième filsde Thomas Anderson VehIen, aainsi pu donner à son œuvre cet-te saveur originale et persistan-te? VehIen, marqué par la com-munauté paysanne, luthériennedont il est issu, par les souvenirsd'un milieu naturel, celui dupays de ses ancêtres, poétique, re-lativement préservé, est demeuréun homme en contact avec la na-ture, les éléments, immédiate-ment complice de tous les pro-ducteurs et créateurs, de tousceux qui sont voués à l'instinctartisan: Veblen est un hommede présence. D'où son allergie in-née, essentielle, à l'égard du nou-veau milieu technique des Etats·Unis, déjà en plein développe-ment: il ne peut supporterl'abstraction du capitalisme indus-triel, de l'actionnariat, cette «pro-priété absente» (absentee owner-ship) dont les bénéficiaires cons·tituent, pour une grande part, laclasse de loisir. Veblen discerneles méfaits, les iniquités d'une ra-tionalisation des activités écono-miques poursuivies dans ces con-ditions. Mais cet apologiste del'instinct artisan n'est pas pourautant un ennemi de la machine

et de ses produits. Il les défendà maintes reprises, dans ce livre(par exemple, pp. 106 à 109) etsouligne «qu'ils sont jusqu'aumoindre détail d'une exécutionplus parfaite et plus exacte» queles objets faits à la main. Veblenest un esprit original, qu'il fautse garder de classer trop vite dansdes catégories passe-partout.Ses analyses de la consomma-

tion et du loisir ostentatoires doi·vent être situées dans le mêmecontexte biographique et culturel.Elles demeurent actuelles grâce àla vigueur avec laquelle il a saisi,en leur essence, les mœurs et lescomportements dans la sociétéaméricaine de son temps. Veblen,moraliste et «anthropologue so-cial» avant la lettre, est restéplus vivant que Veblen critiquede l'économie classique. Y a-t·ilaujourd'hui, aux Etats-Unis, ouen France, une «classe de loi-sir» telle que celle dont il a dé-cortiqué les faits et gestes à la findu siècle dernier? Sans doutepas. Il s'agit plutôt, de nos jours,d'une collection bigarrée d'indivi-dus provenant de couches socialestrès diverses qui ne sont pas tousdépourvus d'une activité profes-sionnelle plus ou moins intermit-tente, mais ont en commun depouvoir accorder beaucoup detemps et d'argent à leurs loisirset consommations ostentatoires.Le renouvellement des objets etmodes, des habitudes, des motset c 0 m p 0 rte ments signifiant«l'exploit pécuniaire» est désor·mais plus rapide. Le monde del'ostentation ne se recrute plusseulement dans l'aristocratie, lagrande bourgeoisie d'affaires eld'industrie, mais souvent parmides vedettes (et ceux ou celles quiveulent en faire figure) du théâ-tre, du cinéma, des «communi·cations de n1asse », etc. Veblenreconnaissait déjà que le loisirpar procuration ou «loisir délé-gataire » (vicarious), par exemplecelui d'une consommation visiblede services telle que l'entretiend'une domesticité, appartenait aupassé plus qu'au présent (p. 45).Il en est de même pour d'autreshabitudes, comme celle de secréer des «obligations sociales» :œuvres charitables, réunions decercle, visites mondaines, etc.Le loisir et la consommation

ostentatoire, en tant que proto-types, s'appuient donc aujour-d'hui sur une base sociale réduite.

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Veblen

INFORMATIONS

La rentrée romanesque

Par contre ils ont, sous des for-mes plus diffuses, gagné énormé-ment de terrain et un Veblen de19ïO aurait écrit son livre enobservant ce qu'ils sont devenussous l'effet de la production et dcla consommation de masse. DansJes sociétés industrielles évoluées,les exigences du standing ont pé-nétré d'abord des milieux d'em-ployés (comme l'avait déjà vuHalbwachs en comparant les bud-gets de diverses catégories profes-sionnelles) ; plus tard, elles ontatteint certains milieux ouvriers,ce qu'ont noté récemment, en ledéplorant, des responsables syndi-calistes. Dans les économies engrande partie fondées sur la con-sommation durant le «loisir », laconsommation ostentatoire a pro-gressé aux dépens du pur loisirostentatoire.Un an avant la mort de Ve-

bIen, en 1928, Ford publiait unesérie de réflexions sur le progrèsoù l'on peut lire: «Il est inutilede faire du sentiment pour cettequestion des loisirs ouvriers [ ... ]L'importance du loisir pour laconsommation impose la courtesemaine de travail.» (3) Tayloret Ford, tous deux contemporainsde Veblen, l'un en donnant à laproduction de masse ses fonde-ments techniques, l'autre en laréalisant pour la première foisdans ses ateliers de Detroit, onttransformé le visage de la sociétéaméricaine et les perspectives oùVeblen avait situé ses analyses.Par la suite, l'action des «massmedia» a répandu des formes deconsommation ostentatoire à tra-vers des couches sociales de reve-nus très inégaux.A la lumière de cette évolu-

tion, on comprend pourquoi lasévérité de Veblen à l'égard dusport, de l'athlétisme, son achar-nement contre tout exploit spor-tif, rapproché par lui des com-portements prédateurs, nous sem-blent dépassés (pp. 167-180) : lesport de masse, le sport industria-lisé et corrompu par la courseaux gros cachets appellent aujour-d'hui d'autres critères, d'autrescritiques. Par contre, il a trèsperspicacement vu, dès ses débuts,la création continue de nouveauxbesoins et distingué entre ceuxqui relèvent de la nature et ceuxqui, dans un groupe social déter-miné, relèvent de sa culture. Cettedistinction, plus ou moins expli-citement formulée, se retrouvedans toutes ses analyses de la

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eonsommation et, par f>xemple, àtravers ses réflexions, d'un hu-mour cocasse et cruel; sur les« animaux honorifiques et réputésbeaux », chats, chiens, chevaux deselle, dont les gens de loisir s'en-tourent. En voici, à propos deschiens de luxe et de salon, unéchantillon: «Bien des gens debonne foi trouvent belles jusqu'àces grotesques et difformesque r on doit à certains éleveurs...La valeur commerciale des mons-truosités canines... repose sur lecoût élevé de leur production ; lavaleur qu'ils prennent aux yeuxde leurs propriétaires est celled'articles de consommation osten-tatoire» (p. 93).Le chapitre sur «rhabillement,

expression de la culture pécu-niaire », où l'on retrouve la mêmedistinction, est meilleur Ve-bIen. Dans les éléments qui com-posent un vêtement, une partie,la plus petite, correspond auxservices pratiques et à la fonctionde se vêtir. L'autre, de loin laplus importante, est consacrée àl'élégance, à l'honorabilité de ceséléments. Ce qui prouve bien que«le besoin de s' habiller est parexcellence un besoin "supérieur",un besoin spirituel» (p. Ill) ,Veblen a très finement analvséles procédés signifiantde dépense, leur subtilité, leursprogressifs raffinements. A' tra·vers une grande partie de ses no-tations sur la consommation osten·tatoire, il fait de la sémiologie«sans le savoir ». Les comporte-ments de la classe de loisir con-cernant le vêtement, la coiffure.la domesticité, les animaux deluxe, les gestes et mimiques, lasélection d'obligations dites «so-ciales» comme substitut à uneactivité professionnelJe - toutcela consiste à choisir des sym-boles. des signifiants qui évol';entavec la société globale et l'imageaue la classe de loisir veut luidonner d'elle-même. Comme lenote Raymond Aron, c'est là undes aspects de ce livre qui expli-auent, aujourd'hui encore, safraîcheur et son actualité.Il est remarquablement servi,

dans cette première version fran-caise, par le talent de LouisEvrard, sa fidélité au texte origi-nal (qui pourtant posait au tra-ducteur maints problèmes), sesnotes attentives et substantielles.

Georges Friedmann

Domaine françaisAlain Robbe-Grillet qui, depuis la

Maison de rendez·vous, en 1965,s'était adonné uniquement au cinémaavec Trans-Europ-Express et l'Eden...et après, fait une rentrée romanes-que très remarquée avec Projet derévolution à New York, à paraître cemois-ci aux Editions de Minuit.

Chez Grasset, le nouveau romande François Nourissier: la Crève,décrit la faillite morale d'un hommede quarante ans découvrant peu àpeu le vide de son existence.

Trois premiers livres chez Galli·mard: le Séquestré, par BernardPonty, roman-document sur la vie desjésuites où l'auteur décrit notammentle trouble suscité par le monde con-temporain dans le célèbre ordre reli-gieux; le Gai ghetto, par PatriciaFinaly qui, avec un humour féroceet souvent d'ls plus crus, nous contel'histoire d'une petite fille' juive sousl'occupation et dans l'immédiat après-guerre; Portrait de Raphaël, par Ni-cole Quentin-Maurer, qui nous dépeintl'amitié à la fois très fervente ettrès innocente de deux adolescents.

Signalons également un recueil denouvelles, en grande partie inédites,de Boris Vian: le Loup garou, à pa-raître chez Christian Bourgois enmême temps que trois pièces dethéâtre de l'auteur; un nouveau ro-man de l'auteur de la Forteresse deboue, Marie-Claire Sandrin (voir leN° 28 de la Quinzaine),' qui paraîtchez Buchet-Chastel sous le titre dela Première mort; les Sanglots longs,nouvelles par l'auteur de l'Orchestrerouge, Gilles Perrault (Fayard); lesecond roman de l'auteur du Déses-poir tout blanc, Clarisse Nicoïdski:la Mort de Gilles (Mercure de Fran-ce) ; le dernier volume de la trilogiede Manz'ie, commencée avec Warrantet Arachné (voir les N"' 50 et 64 dela Quinzaine): le Portrait dans I.:syeux (Pauvert),

Domaine étranger

Trois nouveaux titres dans la col-lection • Pavillons. de Robert Laf·font: Journal de la guerre au ca-chon, par Adolfo Bioy Casares qui, àtravers la description minutieuse dehuit jours de la vie d'un petit retraitéà Buenos-Aires, évoque le dramequ'est pour tout homme l'approchede la vieillesse; le Bourreau affable,qui permettra enfin au public fran-çais de découvrir un des romanciersespagnols les plus attachants et lesplus originaux de la génération del'exil: Ramon Sender; la Montée deseeux, par la romancière indienneKamala Markandaya qui, dans celivre qui a pour cadre un grand chan-

tier où s'affrontent techniciens occi-dentaux et ouvriers indigènes, nousdonne à comprendre, de l'intérieur,les problèmes de l'Indp. moderne.

Chez Albin Michel, où est annoncéun recueil de nouvelles de l'écrivainpolonais S. Mrozek: Deux lettres,suivi d'autres récits, c'est un romand'une imagination débridée que nouspropose Miguel-Angel Asturias avecle Larron qui ne croyait pas au cieloù, dans l'immensité grandiose de lanature américaine, nous suivrons lesaventures à la fois poétiques et bur-lesques d'un groupe de conquistadorsespagnols lancés à la recherche d'uneldorado mythique mais que le fana·tisme propre à leur race mènera àleur perte.Toujours chez Albin Michel, on an-

nonce un roman qui fit l'objet de me-sures d'interdiction en Angleterre etqui, aux Etats-Unis, a fait beaucoupde bruit au cours des années der-nières: Las exit to Brooklyn, parSelby Jr, ainsi qu'un roman fantasti-que, traduit de l'allemand et qui estdû à l'écrivain autrichien Leo Perutz,considéré comme l'un des maîtres lesplus personnels de l'étrange et dufantastique contemporain: le Marquisde Bolibar.

Le Prix Nobelà Soljenitsyne

Au moment de mettre souspresse, nous apprenons que leprix Nobel de littérature vientd'être attribué à AlexandreSoljenitsyne. C'est, de la partde l'Académie suédoise, unacte courageux et qui rend jus-tice au plus grand écrivain rus-se actuel, persécuté dans sonpays. Cette récompense ne ré-jouira pas seulement les admi-'rateurs de Soljenitsyne dans lemonde entier, mais égalementde nombreux citoyens soviéti-ques, pour qui l'auteur d'UneJournée d'Ivan Dénissovitch in-carne la résistance de l'esprità tout ce qui voudrait l'étouffer.La Quinzaine littéraire a pu-

blié en plusieurs numéros delongs extraits du Pavillon descancéreux avant la parution decet ouvrage en français et faitécho aux prises de position del'écrivain. Nos lecteurs trouve-ront dans notre prochain nu-méro un hommage à Soljenit-syne.

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I.lrrt .... ru.E

Le testament de Yeatstr ....NGtl.E

I.a Q!!inzaine I.ittéraire du 16 ;lU 31 octobre 1970

Portrait de WB. Yeats. par Augustus John

1W.B. Yeat:>Le Frémissement du voilePréface et traductionde Pierre LeyrisMercure de France éd., 300 p.

1Uncollected ProseTexte établi et préfacépar John P. FrayneLondres, Macmillan éd., 440 p.

Le monde anglo-saxon re-connaît généralement Wil-liam Butler Yeats (1865-1939)comme le premier de sesgrands poètes au XX· siècle- et précisons, les lecteursfrançais dussent-i Is en êtreétonnés: avant Eliot et Pounddont il fut sinon le maître, dumoins l'immédiat aîné.

En France, on connaît surtoutYeats comme dramaturge (il y aquelques mois, le Théâtre d'Arandonnait encore les Ombres sur lamer). Quant à sa poésie, partiecentrale de son œuvre, elle nousest inconnue, ou pire: méconnue,car de mauvais choix de poèmesont fait heaucoup pour écarterles lecteurs; le plus récent, unchoix hilingue (la Colombe) paruen 1956, nous présentait des poè-mes encore très préraphaélites,remplis d'amoureux languides etde paysages crépusculaires (sur33 poèmes, 29 avaient paru avant1903, les quatre autres datent de1908 à ]912). Cette poésie-là nenous touche guère; nous avonssuffisamment de poètes symbo-listes et leur influence à l'étrangern'intéresse que l'histoire littérai-re. Le grand Yeats est ailleurs,dans les œuvres de sa maturitédont justement le Frémissementdu voile, puhlié en 1922.Pierre Leyris a entrepris de-

puis quelques années de vaincrela désaffection du public françaisà l'égard de la poésie de Yeat.,en puhliant ce qui est, en dehorsde A Vision, sa meilleure œuvreen prose: Enfance et jeunesseresongées (paru au Mercure en1965) et aujourd'hui le Frémisse-ment du voile qui forment lesdeux premières parties de l'en-semhle intitulé Autobiographies.Nul doute que la dernière, Dra-matis Personae, ne soit en prépa-ration.'Le. Frémissement du voile se

présente d'ahord comme la suited'Enfance' et jeunesse resongées.

Il est significatif que ce titre aitété emprunté à Mallarmé: l'en-fant, l'adolescent puis le toutjeune homme du premier volumevient d'entrer en littérature avecnne plaquette de poèmes quandcommence le second. C'est doré-navant un homme qui a vocationd'écrivain et qui ne nous entre-tiendra plus de ses expériencesenfantines et de sa famille, mai"des différentes relations qu'il noueà Londres et à Dublin.Aujourd'hui, en Gramle-BJ'eta-

gne, c'est aussi cette période desa vie littéraire qui est au pre-mier plan de l'actualité: ouvient de rassembler ses écrits enprose de 1886 à 1896 qui n'avaientjamais été repris en volume. Cclivre, réalisé malgré l'interdictionformelle du poète (<< Maudit soitqui met au jour / Les écrits quej'ai rejetés»), offre une image deYeats sensiblement différente decelle qui est donnée par son auto-biographie.On s'étonne de le voir sympa-

thiser à la fois avec l'esthète Os-car Wilde et le socialiste WilliamMorris dont il trace des portraitsémouvants. Parmi les figures mi-neures, il se prend d'amitié pourle dessinateur Beardsley en hutteà l'opinion publique, pour W.E.Henley et surtout pour LionelJohnson et Ernest Dawson, poi-vrots érudits que l'alcool empor-tera à trente-cinq ans (notons tou-tefois que Uncollected Prose con-tient plusieurs attaques violentescontre Dawson...). Il rencontreaussi ceux qui seront lcs compa-gnons marquants de sa carrière :le poète mystique A.E., ArthurSymons (qui lui révélera Mallar-mé .et le symholisme français),Lad.y Gregory et John Synge(avec lesquels il fondera le l'héa-tre National Irlandais).On n'aura garde d'oublier ici

Maud Gonne, rencontrée et aiméedès 1889, qui sera la grande ins-piratrice tout au long de sa vie.Cette femme fascinante, au natio-nalisme exacerhé, qui parlait dansles meetings et organisait desmanifestations anti-britanniques,va pousser à l'action le poète quis'était intéressé jusque-là auxseuls débats littéraires. Parmi lespages les plus intéressantes du li-vre, retenons celles où, à l'occa-sion du J uhilé de la reine Victo-ria, une manifestation a été pré-parée à Duhlin. Excités par MaudGonne et par le futur chef del'insurrection de 1916, James Con-

nolly, alors tout jeune, les mani-festants entreprennent de lapiderles vitres des maisons pavoisées.Yeats voudrait les calmer mais,pris d'extinction de voix pouravoir trop parlé, il ne peut sefaire entendre:Plus tard, ce soir-là, Connolly

porte en cortège un cercueil surlequel est inscrit Empire britan-nique, la police et la foule sebattent pour sa possession et,· enfin de compte, en sorte que lapolice ne s'en empare pas, on l'ljette dans la Liffey. Il se livredes combats entre la police et lesbriseurs de vitrines et je lis dansles journaux du matin qu'il :Y aeu beaucoup de blessés; qu'unevieille femme a été tuée à COUJISde bâton, à moins qu'elle n'aitété piétinée par la foule, et qu'ona brisé pour deux mille livres àecarreaux de fenêtres pavoisées. Jedénombre les maillons de la chai·ne des responsabilités, les com/)Iesur mes doigts et me denumdes'il y en a un qui émane de monatelier.Si Yeats répugne à l'action vio-

lente, il n'en est pas moins uuhomme conscient et efficace et ce

n'est pas par simple respect pourson œuvre littéraire qu'on lui of·frira plus tard un siège au Sénat.Ainsi, d'un bout à l'autre du

Frémissement du voile, le voyons·nous penché sur les problèmesd'un art à la fois enraciné dansla terre irlandaise et susceptihled'avoir sa place dans la civilisa·tion européenne: que Finn surBen Bulben soit l'équivalent deProméthée sur le Caucase. Il estaujourd'hui émouvant de voir quele jeune Yeats avait songé que laprise de cônscience des traditionilspécifiquement irlandaises devraitrapprocher catholiques et protes·tants à l'intérieur du pays :J'avais remarqué que les ca·

tholiques irlandais, parmi les·quels étaient nés tant de martyrspolitiques, n'avaient ni le bongoût, ni la courtoisie domestiqueet la décence de rIrlande protes-tante que j'avais connue; maisr Irlande protestante paraissait nesonger qu'à prospérer dans lemonde. Je songeais que nou.s pou.r·rions rapprocher ces deux moi-tiés si nous avions une littératurenationale qui rendît rIrlandebelle dans la mémoire et qui pour·

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• Je songeais que nous pourrions rapprocher ces deux moitiés[la catholique et la protestante] si nous avions une littératurenationale qui rendît l'Irlande belle dans la mémoire et qui pour·tant fût libérée du provincialisme par une critique exigeante, uneattitude européenne.»

Yeats

tant fût libérée du pr01Jinciali&mepar une critique exigeante, uneattitude européenne.Cette volonté qui lui faisait

collecter les légendes et les contesde fées locaux (<< Ils sont la mèredes nations », Uncollected Prose.p. 104) est la même qui lui feradésirer la création d'un théâtrenational - il a en effet noté queles Irlandais lisent rarement maisécoutent très volontiers.Le Frémissement du voile dé-

passe Enfance et jeunesse reson-gées en volume et en densité par-ce que Yeats lui assignait un butautrement ambitieux. Dans unelcttre de 1920 à Lady Gregory, ildéclarait y vouloir dépasser lasimple autobiographie pour enfaire «un testament politique etlittéraire ».

Cela ne doit pas surprendre sil'on songe que depuis plusieursannées déjà, Yeats consacrait lamajeure partie de son temps àcomposer A Vision, ce livre com·plexe où il entendait faire tenirtoute une cosmogonie fondée surl'occultisme et l'astrologie. Onappelle justement l'Irlande' lepays des fées ; aucun peuple occi-dental ne possède une mentalitémagique comme les Irlandais.Yeats, qui publiera plusieurs vo-lumes de contes et légendes deson pays, sera tout naturellementintéressé par les expériences spiri-tes qui passionnaient la fin dusiècle dernier: les spéculationsles plus élevées aussi bien queles navrants soubresauts d'un gué-ridon trouveront en lui un témoinattentif. On le verra s'affilier àplusieurs sociétés hermétiques. Ily avait bien des risques de ridi-cule à cela, mais Yeats n'était pasprêt à tout prendre pour argentcomptant, même l'argent alchimi-que; et rappelant ses expérien-ces ou celles des autres, l'humourse fait jour plus d'une fois :

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Mathers e&t fort ennuyé par le&dames en quête de con&eils spiri-tuels, et fune 0:elles est venuelui demander de la secourir con-tre des esprits qui ont lapparencede cadavres décomposés et quitentent 0:entrer dans son lit lanuit. Il fa chassée O:une seulephrase furieuse: «Très mauvaisgoût de part et 0:autre. »Beaucoup plus serIeusement

que ces mages-là, Yeats cherchaitfunité 0:être et les correspondan-ces (il faut songer ici davantage àSwedenborg et Blake qu'à Baude-laire). Le Yeats de A Vision, deplusieurs pages du Frémissementdu voile, nul ne l'aurait mieuxcompris qu'André Breton, quiécrivait alors sa Lettre aux !Joyan-tes. Cette constante préoccupa-tion qui le pousse à chercher

sans cesse le sens symbolique desactions et des choses rend le Fré-missement du voile plus prochede l'essai que de l'autobiographie.Gœthe intitulait son autobio·

graphie Poésie et vérité. Il peutparaître y avoir dans le Frémis-sement du voile plus de poésieque de vérité. La vérité, dans lesens de ce qui est exact, précis.est certainement présente dans levolume Uncollected Prose quicontient des articles littéraires,mais aussi des textes de propa-gande ou de complaisance (célé.brations de Maud Gonne ou Clo-vis Hugues). Si nous pouvonsainsi suivre la vie intellectuelledu poète, les querelles ouhliées etles admirations passagères ncnous donnent qu'une vérité éphé-mère et finalement partielle. LeFrémissement du voile présenteau contraire une vérité resongée,organisée. Yeats y cherche avanttout à mettre en lumière f évi-d'mce poétique qui a présidé àsa vie et son œuvre.

Serge Fauchereau

PO_SIB

1Jacques RédaRecitatifColl. «Le Chemin»Gallimard éd., 72 p.

Quel est donc cet étonnement,chaque fois que cela arrive?Quelque fête réinventée dans lalangue... La chose n'est pas nou-velle, sinon qu'un tel écho où lalangue se répète - étrangementdé-placée au centre de l'identitéà elle-même où elle se recueille,

précisément - donne à entendrece qui sans cesse à son lieu mon-tre «le Présent» (p. 37) ; ce quiest proprement, à chaque foisque cela a lieu, passion du nou-veau.Patience poétique, la seule fic-

tion en dernier ressort où serait'renvoyé tout «livre» de poè-mes; en cet espace décisif, l'in-sistance de certains à y «livrer»des poèmes dit encore la folle en-treprise pour la poésie d'hahiterlà son temps. Le récitant s'y dis-pose, accueillant l'espace de sontemps.Le recueil de Jacques Réda,

Récitatif, comme les grands poè-mes de jadis, ouvre sur une gé-nesis; terme premier de la filia-tion, le ciel :« L'étonnant ciel multiple estrempli de colères inexplica-bles. »

Nous le savons, depuis Holder-lin, par là les dieux ont quitténotre demeure. Restent la mèreet les fils, les époux et le mys-tère des générations, de la Terrcet du Ciel ; puis le savoir inquié-tant des femmes dont ainsi le

JacquesRéda

poème amoureux attentif décide :« Elles savent - ayant commerceavec la belle-sœur bréhaigne /Pâle ou rousse là-haut, f exacteouvrière des pluies. » Mais aussi :«Elles semblent cacher leur vi-sage dans un manteau / Commefait la terre féconde sous les nua-ges. » Vue cosmique, vue du plushaut, à partir de laquelle toutefemme prend mesure avec la ter-re et le regard poétique avec leplus haut regard: celui qui, rap-prochant, compare. Or, qui aperspective du dessus des nuagespour parler de la sorte? Est-celes dieux informant le poète?« Les dieux / Ont tourné au coinde la rue. Les dieux / Comman-dent humblement un grog à labuvette de la gare / Et vomissentau petit jour contre un arbre.Les dieux / Voudraient mourir. »Dérision aujourd'hui à tenir lelangage des dieux; leur fuite?ce que jouent les hommes en leurspectacle.Qu'en est-il du vide ainsi lais-

eé? inhahitable? Question tropabrupte. Il est ici parlé de l'âme!Seule elle peut «A distance de&dieux et du corps anxieux / Dansson éternité O:azote et O:hydro-gène / A distance danser la mortlégère. » L'âme serait le nom pourla reconnaissance d'une situationfondamentale sous le statut de la-quelle la philosophie tenteraitaujourd'hui de s'éclairer: la dis-tance. Distance à l'être; distancetout court, écart, espacement enquoi la poésie met en demeureson destin comme langage, enquoi elle se risque, elle est ris-quée, prise de court, d'emblée àla limite, sommée: « ... or com·ment je pourrais, / Moi qu'onvient de jeter dans f ouverture etqui suis décousu?»'« Décousu»; est-ce l'ouvrage

du Temps, défait sans cesse, telcelui de Pénélope? «A distancedanser la mort légère» ; danser ;le corps comme le corps, dansl'espacement, ne se retrouve et semontre qu'au prix de se nier; demême la fleur, depuis t<'ujours« l'absente de tout bouquet ... Va·cillement imperceptible du corpsà son poème; ex-stase, mime;«un long détour », dit JacquesRéda (p. 25), pour cette manièrenon innocente de revenir au mê·me, peu éloigné sans doute duretour aux truismes en lequelMerleau-Ponty voyait engagée laphilosophie.

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Les oracles de la nuitpar Jacques Lacarrlère

Ou bien le manquement dutexte (de la avance-rait-on volontiers) ... Plutôt: c'estune «voix déracinée qui nousentretient ici, portée par le« souffle (fâme) ; tout mot estl'échappée terrible, l'entonnationévadée en l'écho qui révèle àl'ouïe une distance. La brisureest donc essentielle; proférée àpeine, la parole est perdue à ja.mais. Dépossession; silence :«Muets, dépossédés, nous nouséloignons côte à côte,

«Et ce couple brisé c'est moi...«Mais quelle est la juste dis·

tance ? est·il demandé, et «quesaisir / Et mesurer sinon, au flancmobile de la dune, / L'empreintede ce corps que le vent réenseve·lit ? Ce qui passe, le vent, lesouffle, l'âme; l'orage lent dutemps remue l'empreinte; la ter-re a sa distance irréductible, leciel et ses constellations que répè·tent au sol les osselets qui rou·lent (p. 12). Dans l'entre-deux dupassage a lieu cette enjambée : larépétition.A la manière liturgique des Ré·

pons se fait la reprise du (sucle) fonds premier d'une «pureoffrance, le Présent la paru·tion donne à réitérer, ouvre àl'éventualité du report dans lepoème, et du même coup est l'oc·casion du plus bel amour: «Cequi de tout homme paraît dansla hauteur, je dois / Encore f éle·ver.:' Nommer, élever dans l'ap-parition; le poète déjà, huissieraux marches du monde et pré-posé à la nomination, a fait sonpas frayant dans le Déplacement(métaphore, métamorphose).Comment être digne de l'atten·

tion questionnante de Réda, lors-qu'elle n'est pas sans nous enjoin.dre, par son urgence, de répon-dre: «Qui nous a séparés / Dusombre Nil d'oubli dont on neconnaît pas les sources ? Ce quele poème recueille et ouvre: lamémoire non perdue mais relé-guée dans sa profondeur, et pourlaquelle Baudelaire avait le motde Correspondance. Lien secretet pérenne, ramassé et prenantdemeure en le poème, là où, nousconfie Réda, «je m'en vais sans;mJ,rner la tête, car on m'attendComment répondre en ce mo-

ment d'une lecture, tandis quesourd la tentation de s'abandon-ner soi·même au poème, sinonqu'en l'inépuisable livre une fêtea lieu...

Alain Huraut

1Dusan MaticLa Rose des ventsTexte français d'A. DalmasFata Morgana, éd.

Entre l'heure du crépuscule etl'heure presque semblable de lanuit, quand les objets reprennentà la faveur des ténèbres, la liber-té de leurs contours, comme sitout le jour ils étaient ligotés d'uncarcan de lumière, l'homme nesubit·il pas lui aussi les lois d'unealchimie de l'ombre, ne perd.ilpas, à l'occasion du franchisse·ment de cette ligne obscure, lafragile unité de son être? Cettequestion et cette heure cruciale,je les retrouve à tout momentdans les poèmes de Dusan Matic.

Ces poèmes, je ne les connais-sais jusqu'à ce jour que par lescourts extraits publiés dans l'An·thologie de la poésie yougoslavecontemporaine (1) et deux numé-ros des Lettres Françaises (2). Unrecueil plus important, plus si-gnificatif aussi, la Rose des vents,premier volet d'un dyptique dontle second, les Portes de la nuit,doit paraître prochainement chezle même éditeur, pose à nouveaucette question, surgie comme àl'orée du crépuscule: où résidele nœud de l'homme qui lie, re-tient, resserre en lui ses person·nalités multiples, ce nœud que lanuit défait et que l'aube refait,comme un incessant voyage desoi·même à soi-même? .

Pendant les années d'avant-guerre, Dusan Matic a vécu àParis où il connut Aragon, Eluard,Breton, s'imprégnant tout entierde l'expérience surréaliste. Cetteexpérience ne l'a jamais quitté,elle a marqué son œuvre mais jecrois qu'on aurait tort de ne voiren lui qu'un poète surréaliste,adepte d'une école et porteurd'un message unique. On devinedéjà dans les œuvres d'après-guer-re, la volonté d'aller au-delà detoutes les écoles, de saisir, enexplorant les limites du langagepar un langage lui-même critique,lucide et lyrique à la fois, l'écou-lement de la vie: De là vient peut-être ce sentiment de découvrir àtravers ses différents textes lesfragments d'un poème unique, ja-mais interrompu, murmuré de-puis des années et que d'autres,à leur tour, pourraient continueraprès lui.

Ainsi, d'emblée, cette Rose desvents qui est le second nœud ca-ché où se lient, se délient, se re-lient les souffles contraires dumonde, comme le cœur figé ducyclone, l'œil immobile du typhon(et la poésie de Matic est en beau.coup d'endroits une poésie desmétéores, des vents, des jeux etdes courants de l'air qui livrentsur nos têtes un combat dont lepoète - météorologiste du cœur- cherche â saisir les momentset les lois), cette Rose des ventsest, comme l'homme, le lieu deshautes turbulences et le symbolede l'immobile. Et c'est apparem-ment la nuit, ou au seuil de lanuit, que se situe le moment cru-cial où le nœud se défait, où lesvents sont lâchés vers les pointscardinaux du destin, où l'hommes'émiette en autant d'images delui·même, vivant leur propre vie.Cet émiettement, Matic le tra-

duit au sens propre, par le lan-gage et la syntaxe. Les personna-ges de la Rose des vents - qui estune sorte de poème ou de con-tre-poème en prose, en forme dedialogues solitaires - s'appellentje, tu et il. L'auteur lui-même lesdéfinit au début du poème et jen'en dirai rien de plus. Mais leursjeux singuliers, où les moindresgestes prennent le sens étrangequ'ont les phrases entendues dansun demi-sommeil, visent au fondà retrouver l'unité première decelui qui est à la fois je, tu et il.Un seul homme en trois person-nes: Matic nous livre les arca-nes d'une profane Trinité dontles trois composantes masculinessont, au cœur «du vivant pétrindes té,wbres:., dans ce jeu mené

«dans la noirceur de f encre etet de la nuit », attirées par elle,la femme, la sœur, la mère, lafille, le sexe vivant des ténèbres,fascinées par cette lumière quiest déjà promesse d'aube.

Songes et mensongesde la nuit

Ce qui m'a frappé, néanmoins,à la lecture de cette œuvre, c'estqu'à aucun moment, le poète n'ylivre de recettes. Les personnagestâtonnent, essaient des gestes ar-bitraires, manient des objets ha-sardeux, des phrases provocantescomme si, du hasard seul, devaitsurgir le miracle de l'unité, quel.que illumination nouvelle. Ils re·commencent à zéro le jeu du mon·de, livrant à l'imprévu les portesdu possible. Et le poète veilleavec eux puisque la nuit est poureux le moment de l'éveil.

A l'inverse de Saint-Pol Rouxqui, à l'heure de dormir, écri·vait sur sa porte: «Le poète tra·

Matic garde les yeux. ou-verts et refuse les songes et lesmensonges de la nuit. Il chercheles mots à tâtons, caressant unverbe, effleurant un adjectif, sai·sissant des deux mains une ima-ge 'et c'est pourquoi les mains sontsi présentes, si vivantes en sonœuvre, ces mains qui «fouillent,explorent les profondeurs noctur-nes, immémoriales qu'à notre in·su nous portons en nous-mêmesdurant la veille du jour ellessont ce qui permet à l'aveugle devoir dans sa nuit, le langage dela cécité. D'où aussi, sans nuldoute, cette importance de la veil-le, de l'attente lucide, des yeuxouverts sur les ténèbres.

Heureux les insomniaques, mur-murent les vents libérés de laRose. Heureux les insc:nniaques,murmure le poèt<e en ouvrant lafenêtre du soir, déjà prêt à af·fronter les sortilèges de la nuit.Car seules l'insomnie, et le durdésir de veiller permet au poèted'effacer u·n à un les 'fantômes,de forcer les portes du jour etde tenir entre ses mains, avec laVoie Lactée, toute la buée desétoiles.

(1) Piere seghers, 1959.(2) Hommage à Dusan Matie. 18

septembre 1968 et 7 mai 1969.

La Q!!iazaine du 16 au JI octobre 1970 7

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TRIBUNE Faut-ilpar Bernard Plngaud

Il rééduquer"

Dans le dernier numéro del'Idiot International, Sartretente de définir le rôle del'intellectuel, avant et aprèsla crise de mai 1968. Cetexte, rigoureux comme àl'habitude, n'a pas seulementle mérite de nous éclairersur les raisons qui ont puconduire son auteur à pren-dre la direction d'un, puis dedeux journaux • gauchistes -./1 pose un problème de fond,auquel aucun écrivain de gau-che, aujourd'hui, ne peut res-ter insensible.

L'intellectuel, nous dit Sartre,est quelqu'un qui dispose d'unensemble de connaissances visantà l'universalité. Mais ce savoir abeau être universel, il ne sert ja·mais tous les hommes à la fois :"dans un pays comme le nôtre, oùsubsistent les barrières sociales, ilsert essentiellement la classe diri-geante. L'intellectuel fait lui-même partie de cette classe : tra'"vaillant pour les privilégiés, il setrouve, en fait, de leur côté. Il estdonc pris dans une contradictionpermanente. Certains « techni-ciens du savoir pratique» s'ac-commodent fort bien de cettecontradiction. L'intellectuel - oudu moins l'intellectuel classique,celui d'avant Mai - en souffreet la dénonce. C'est un hommequi a, par définition, mauvaiseconscience. Logiquement, cettemauvaise conscience devrait l'ame-ner à se contester lui-même. Maiscomme elle est aussi ce qui lerend utile aux autres, ce qui luipermet, en chaque occasion, decritiquer la violence qui se cachederrière la loi, les intérêts parti-culiers déguisés en prétentionsuniverselles, l'intellectuel «aimeson rôle ». Mécontent de lui-même en principe, il n'en con·tinue pas moins, d'une part à tra-vailler pour la société qui le pri-vilégie, d'autre part à condamner(dans des meetings, des articlesou des pétitions) la répressionqui entretient ce privilège. Autre-ment dit, il trouve «une bonneconscience dans la mauvaiseconscience ».C'est cette tranquillité que les

étudiants de mai 1968 ont dé-truite. Comprenant qu'on allaitfaire d'eux, « malgré tout»(c'est-à-dire malgré leur forma-tion universaliste) «des travail-leurs salariés pour le capital ou

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desfli'C8 qui permettraient demieux tenir une boîte », ils ontdécidé de ne plus jouer le jeu.Leur contestation, dans la mesureoù elle remettait en cause unstatut accepté, jusque-là, commeallant de soi, était donc dirigée,en premier lieu, contre les intel-lectuels. Ainsi s'explique queceux-ci ou se soient tenus à l'écartdu mouvement, ou, après l'avoirrallié en pensant l'utiliser à leursfins, aient rapidement «décro-ché ». Peu d'entre eux ont com-pris qu'ils se trouvaient en pré-sence, non pas d'une révolte detype classique susceptible de tom-ber, comme toujours, sous leurjuridiction, mais d'un mouve-ment qui les niait en tant qu'in-tellectuels, et les obligeait, s'ilsvoulaient suivre, à une conver·sion radicale.La conclusion est claire: les

intellectuels n'ont plus, aujour-d'hui, qu'à «se supprimer », ilU'trement dit à reconnaître queleur mauvaise conscience ne lesjustifie pas et à mettre leur pro·pre !lavoir «directement au ser-vice des masses ». «Il faut queles intellectuels apprennent àcomprendre l'universel qui estdésiré par les masses, dans le mo-ment, dans l'immédiat. »

Après Mal

Ce raisonnement, parfaitementlogique, repose sur deux affirma·tions complémentaires. La pre-mière est que Mai a marqué unchangement radical dans notresociété. Il est difficile de l'accep-ter sans nuances, car elle est àla fois vraie et fausse. Certes,nous étions nombreux, alors, àpenser qu'après ces événements,«rien ne serait plus commeavant ». On ne peut pas dire quelcs faits aient vérifié le pronostic.Nous nous souvenons aujourd'huide Mai comme d'un moment derupture, où tout paraissait pos-sible. Mais la rupture n'a pasduré. Si ce souvenir persiste -vivace au point d'obséder aussibien la droite, qui le redoute,que la gauche, qui en garde lanostalgie -, qui peut dire enquoi, réellement, Mai a consisté ?Il s'est passé quelque chose, pen-dant quelques semaines, et cequelque chose a disparu. C'est1'« objet perdu» des psychana-

lystes : nous le retrouvons partoutsans jamais le reconnaître nullepart. Les structures de la sociétéfrançaise sont sorties de Mai à lafois ébranlées et intactes. La fis-sure un moment entrouverte s'estrefermée, laissant place aux mê-mes problèmes, exactement, queceux qui se posaient «avant ».Nous ne pouvons donc ni fairecomme si cela n'avait pas eu lieu,en tirant un trait sur le passé,ni faire comme si cela durait en·core, ou comme si cela allait serépéter d'un jour à l'autre. Lafidélité à Mai est, à la lettre, im-possible; car, nous le voyonsmieux à présent, les chances deMai (son radicalisme, son «ly-risme », son refus de l'organisa-tion) ont été aussi les raisons deson échec.C'est pourtant cette deuxième

affirmation, présentée sous laforme impérative du «il faut »,qui sous-tend toute l'analyse deSartre. Je n'utiliserai pas ici l'ar-gument facile qui consisterait àlui reprocher la bonne conscienceque lui-même peut trouver dansla dénonciation de la mauvaiseconscience des autres. Je m'éton-ne seulement qu'il ne voie pasdans quelle hnpasse son raison-nement le conduit: car, ou bienl'intellectuel se supprime réelle-ment en tant qu'intellectuel, et lerôle que Sartre voudrait joueraujourd'hui n'a plus de sens; oubien quelque chose de l'ancienintellectuel subsiste dans le mili-tant de 1970, et alors, de fil enaiguille, ce sont toutes ses con-tradictions qui resurgissent.On le voit dans la suite de l'en-

tretien. Je ne pense pas seule-ment au passage où Sartre, aprèss'être mis lui-même en cause,conclut à la nécessité d'acheverson Flaubert, dans l'espoir que cetravail «à longue échéance»pourra «encore servir ». Je pen-se à sa conception du savoir, quioscille entre l'idée d'un savoir dèsà présent universel (par exem·pIe, les mathématiques) et celled'un savoir bourgeois (déformépar une « manière particula-riste» d'apprendre les mathéma·tiques). Je pense au projet d'unjournal révolutionnaire qui seraitecrit par les ouvriers et les intel·lectuels «ensemble»: «Les ou·vriers expliquent ce qu'ils font etles intellectuels sont là à lapour comprendre, pour appren-dre, et en même temps pour don-ner à la chose un certain type

de généralités.» Cet «en mêmetemps» me paraît fort peu dia-lectique, et je m'interroge sur ceque pourraient être «un c'ertaintype de généralités» qui ne se-raient pas les généralités univer·selles de l'intellectuel classique.Mais le plus significatif est ceque Sartre dit de l'orientation dela presse révolutionnaire. Déplo-rant que trop souvent, «les jour-naux bourgeois disent plus la vé·rité que la presse révolution-naire, même s'ils mentent », ilaffirme le droit des masses à la« vérité ». Où se situe donc cette« vérité» aux prétentions univer-selles? Si «la vérité est révolu-tionnaire », et si, d'autre part,comme le note Sartre un peu plusloin, les révolutionnaires « neveulent pas la vérité» parcequ'on leur a «bourré le Diou »,ne retrouvons-nous pas le sché-ma classique de l'intervention del"intellectuel, appelé à dénoncerle «particularisme », non plus,cette fois, de sa propre classe,mais de celle dont il a pris leparti ? Et peut-on dire, dès lors,que le vieil antagonisme, allègre-ment dénoncé au début, est sur-monté?

La mauvaise conscience

L'erreur de Sartre quil'amène à penser qu'on ne doitplus rien attendre des intellec-tuels traditionnels - est de rai-sonner comme si, dès à présent,nous habitions cette société «uni-versaliste» où les masses pour-raient parler aux masses, dansune transparence que rien neviendrait troubler, et qui n'aurait«objectivement pas de placepour l'intellectuel ». Ou du moins,si la transparence n'existe pas en-core, ce n'est plus qu'une ques-tion d'« apprentissage»: l'intel-lectuel doit s'initier au «langagedes masses », mais il est déjà deleur côté. Je crois pourtant mesouvenir que, dans Qu'est-ee quela littérature?, Sartre tenait leraisonnement inverse: montrantl'illusion d'une société universa-liste (la «cité des fins»), il endéduisait la nécessité de l'engage-ment et définissait l'écrivain en-gagé comme un traître à sa classe.Mai nous a fait croire, un mo-ment, que cette illusion était de-venue réalité. Et qUe nous ayons

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l'intellectuel? 1 IA:'POÉSIE 11 Si1 ÉDÎTiONS, 1.Parutions récentes1 VICENTE ALEIXANDRE < 1

de Jacques ComincioliROLAND BOUHÉRETRacines de ma VoixMAURICE CHAPPAZ

Testament du Haut-Rhône

FRANCIS GIAUQUETerre de Dénuement

Présentation de Georges HaldasJEAN HERCOURTMatière friable ,

ROBERTO JUARROZPoésie verticale1 Version Verhesen 1

CLAIRE LEJEUNE·Le Dernier TestamentRENÉ MÉNARD

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type classique. Mais je ne voispas comment l'intellectuel de 1970pourrait échapper à la c mauvai-se conscience» qui était déjàla sienne en 1968. La contradic-tion est peut-être devenue pluséclatante, plus décourageante;elle requiert, sans doute, des ac·tes qui nous compromettent da·vantage, des formes d'interventionnouvelles. Mais, comme le prouvel'attitude hypocrite, mais finale·ment très lucide, de la justicebourgeoise à l'égard de Sartre (cen'est pas un c militant », puis-que c'est un c intellectuel »),nous n'en sortirons pas dans unavenir prévisible. Nous continue·rons, les uns et les autres, à écri·re des articles comme celui.ci, àparticiper à des réunions, à desmeetings, à des colloques, à si·gner des pétitions. Nous ne cesse-rons pas d' c aimer notre rôle »,tout en nous interrogeant sur sonutilité. Notre c rééducation »,comme dit L'IDIOT, est décidé·ment très c improbable ».

Bernard Pingaud

LALITTERATUREENFRANCE 200

16 pages en couleur

DEPUIS1945

pu le croire un moment, quenous ayons pu, pour ainsi dire,toucher du doigt, pendant quel-ques semaines, une autre manièrede parler, de vivre, n'est certespas un événement négligeable.Même si cela n'apparaît pas avecéridence dans leur comportementd'aujourd'hui, il a profondémentébranlé un grand nombre de cesintellectuels à qui Sartre repro-che de n'avoir rien compris. Maisla question n'est pas de savoir sinous avons compris ou non, sinous avons suivi sincèrement lemouvement ou si, au contraire,nous avons essayé de l'utiliserpour «réaliser des idées» quenous avions «avant ». est desavoir si, dans la société française,telle qu'elle se présente deux ansaprès Mai, il y a un intérêt quel.conque, non pas, bien sûr, pournous, mais pour les masses, à ceque l'intellectuel se «supprime ».Je suis, pour ma part, totalementconvaincu de la justesse des pro-pos de Sartre quand il analyse lecomportement de l'intellectuel du

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ROMANS

Trouble et sauvageFRANÇAIS

1Claude DelmasLe SchoonerFlammarion éd., 270 p.

Plus encore que dans ses pré-cédents romans, Claude Delmasdans le Schooner refuse le récitsans pour autant nous priverd'une histoire. Quelque chose sepasse. Le héros vit une aventureétrange et romantique, qui, com·me les plus classiques des aven-tures, commence par un départde la maison familiale et s'achèvepar un retour au foyer. Une foisla parenthèse refermée, le hérospeut dire ce qu'il a vu et vécu,comme le matelot ou l'anciencombattant à la table familiale.Et le narrateur, ici, est bien

d'une certaine manière un voya-geur, un marin, un soldat. Seule·ment les contrées qu'il a traver·sées, les combats qu'il a menéssemblent être en marge des car·tes de l'histoire et bien plutôtsortir d'un cauchemar d'adoles·cent hanté par la révolte, le sexeet la mort. Cependant, les ima-ges qu'il nous livre, les sCènesqu'il évoque, sensuelles, cruelles,fantastiques, les fleuves charriantdes cadavres que des jeunes genssingulièrement beaux repêchentpour les dépouiller de leurs bi·

joux, les petites filles que la folieguette et qu'on enferme dans unétablissement où on les prépareà connaître tous les raffinementsde l'érotisme, les cavaliers en-trant dans la ville abandonnéepour s'y livrer à de grands jeuxcomme lancer depuis la collinedes wagons sur les rails pourqu'ils aillent en contrebas s'abî-mer dans la mer, ont une fasci·nante intensité. Elles sont d'au-tant plus troublantes qu'elles sur-gissent et disparaissent commeles tours du' château de Draculadurant le temps d'un éclair.En effet, Claude Del mas

n'expose pas les événements dansune suite logique, ne se souciepas de les lier entre eux, encoremoins de les expliquer. Quel estce pays où les adultes meurentcomme des mouches, où semblentne survivre que des adolescentset des enfants ivres de leurliberté et des soldats défendantun ordre :.:oort? Quelques allu-sions suffisent et la présence dePerez, l'énigmatique révolution·naire, ancien amant de la reine,qui sourit devant la prétentiondes jeunes gens de changer l'or·dre du monde, pour qu'on décèle)a trame symbolique, l'illustra-tion . des conflits de génération,l'exaltation de la jeunesse qui

refuse les compromis et les cal-culs de la société et voudraitmaintenir contre tout et malgrétout sa jeune force et sa mer-veilleuse disponibilité. Mais pourl'essentiel, Claude Delmas se con-tente de poser des touches, pré-cises, violentes, qui contiennentl'essentiel. Pas de liaison. Pas detemps mort. Pas de discours.L'histoire se dégage d'elle·mêmed'une succession de tableauxbrefs, nets, petits poèmes au ly-risme dépouillé, coupants commedes lames.Cependant le livre dégage un

étrange romantisme. Les person-nages de John, de Suzan, d'IIyaont le charme trouble et sauvagede ces héros qui vivent déjà del'autre côté des choses. Aussibien le narrateur, ami de l'un,aimé des deux autres, ne peutrien pour les sauver, mais seule·ment dire ces moments uniques,incomparables qu'il leur a dus etqui ne furent peut-être que dessonges. Car le Schooner, écritavec une précision extrême, cstla fable de la jeunesse pour quile sexe et la mort sont les seulsmoyens de se perpétuer, d'échap-per à la résignation de l'âge mûr,aux pièges trompeurs de la raison.

Claude Bonnefoy

Une nouvelle race

1Jean Chatenet 'Pètlts blancs, vous sereztous maDl'ésLe seuu éd., 272 p.

Les premières pages sont aussi per-cutantes que le titre: au cours d'undéjeuner dans la brousse, Africains etEuropéens devisent aimablement ducannibalisme. c Pourquoi est-ce qu'Usne bouffent jamais les Blancs? », de-mande quelqu'un. c Vous savez bienque les Blancs sont comptés, lui ré-torque-t-on. D'ailleurs, la viande blan-che ne vaut rien: même diflérencequ'entre la pintade sauvage et le pou-let de claustration.. c n faut rompreavec les préjugés, conclut l'autre. nfaut qu'Us s'habituent à bouffer lesBlancs.• Au petit frisson qu'U res-sent, le lecteur reconnalt que l'auteura marqué un point.Jean Chatenet n'est d'ailleurs pas

un inconnu; ce livre au titre mena-çant est son cinquième roman et fruit,·en outre, de son expérience africaine,puisqu'U séjourna deux ans dans cequ'U appelle pudiquement. c le pays»(mais où Un'est pas interdit de recon-naltre la Côte-'d'Ivoire) dans le butd'y adapter les procrammes de radio

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aux intérêts d'un auditoire éminem-ment rural.Mais, Dieu qu'U est difficUe de faire

un bon roman avec des faits vécus 1Tous les pourtant, sont réu-nis, depuis l'observation fl.ne et justedes habitants - autochtones ou im-portés aux divers titres de la coopé-ration, de la collaboration ou surtoutdes négociations - jusqu'à l'attache-ment que l'on sent vrai et profondpour Cette terre et ses gens, et quiest exprimé avec juste ce qu'U fautd'humour pour donner l'impressionque tout ce qui est dit dans ce livrerelève de cette objectivité naturelleque l'on demande en vain à tantd'écrivains qui prétendent c témoi-gner •.Si donc Jean Chatenet s'était con-

tenté d'un reportage, celui-ci auraitété passionnant et,' contrairement àce qu'U semblait craindre, non limi-tatif,. puisque les faits qu'U rapporteet qui ont tous le mérite d'éviter leslieux .communs sur la bonté des unsou la tIIléChanceté des autres (ou in-versement> avaient largement de quoifaire réfiéchir.Mais il a voulu de la fiction 1 Nous

voici alors' dans une situation inutile-

ment compliquée par ce que l'on croitêtre l'exigence romanesque, et en trainde lire deux récits distincts, mais ré-digés pareillement à la première per-sonne: celui d'un journaliste fralche-ment débarqué et celui d'un ingénieurayant déjà une longue expérience afri-caine. n importe peu, à la vérité, desavoir avec lequel de ces deux per-sonnages s'ident1fl.e l'auteur, puisqueleur expérience débouche, en défl.nl-tive, sur la découverte d'une mêmeambigulté et qu'Us doivent tous deux- de façon, hélas 1 assez semblable -faire l'effort de remplacer les idéesreçues par des vues plus personnellesde ce pays africain. Autant les fon-dre, alors, en une seule et même per-sonne et découvrir avec elle que l'èredes apôtres est bel et bien révolue,que dix samaritains ne valent pas unbon technicien, que s'U faut obligerles gens à travailler ce n'est pas aunom de leurs besoins à eux, mais deceux du pays, que les poussées dehaine et de racisme existent de partet d'autre, que tout le monde paraitêtre la victime d'un fantastique ma-lentendu et que les c petits blancs.,entl.n, ne sont que d'abjects petitsbourgeois méprisables.Tout cela - d'où Jean Chatenet a

heureusement banni tout exotisme oupittoresque douteux - n'a rien de ré-jouissant, mais est en même tempsparfaitement tonique. Car du faitque les choses sont appelées ici parleur nom et que la vérité est ditesans ménagement à droite ou à gau-che, en noir ou en blanc, ce livredégage cette sorte de vigueur qui, sielle s'éloigne de la littérature, n'a pasmoins le mérite de s'approcher de lavraie vie. Adieu « l'Afrique éter-nelle» des bonneE âmes qui hérissentJean Chatenet et ouvrons les yeuxsur la réalité des Africains. Les quel-ques livres qui nous sont parvenus delà-bas font assez clairement compren-dre que' l'heure n'est plus aux avisdoctement exprimés à quelques mil-liers de kilomètres de distance et queles paysages physiques ou psychiquesévoluent plus vite que les théories sa-vantes. Mais aussi, depuis, une nou-velle race est née, que Jean Chatenetest le premier à étudier tout en lamenaçant d'une marmite et dont ondécouvre, avec lui, qu'elle peut êtrede couleur changeante. Reste à savoir,encore, qui voudra bien prendre lerisque de l'avaler.

Page 11: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

Une mécanique subtile

Stockéditeur

GérardGelasTHÉÂTRE

DU CHRNI,,' NOIR

OPERA•

THEATRE OUVERTcollection dirigéepar Lucien AltOlln

A traver.• des pièces inédites,des textes-programmes, des essais

et documents, THEATRE OUVERT,en suscitant un théâtrede création, se proposede participer au théâtre

de notre temps, un théâtre quidérange en refusant l'acquis.

Un bilan passionnéet polémique,à l'image

de son auteur,combattant et militantde ce qui constitue

aujourd'huile théâtre vivant.

GillesSandierTHEITRE'

ETaO.BITRegardssurle

théâtreactuel

Seulement, alors que le narrateur.romanesque monologue,' parlepour lui·même ou pour n'importequi, se confie au papier en touteliherté sans avoir rien à cacher,sans attendre de réponse, l'épis.tolier s'adresse à quelqu'un qu'ilpeut questionner, qui peut inter·roger en retour, devant qui il secompose un visage. D'où des em·hellissements, des omissions, desomhres qu'il importe de démas·quer, qui imposent de lire entreles ligbes. D'où aussi des allu·sions, des clins d'œil, des motsclefs, rappels de rites anciens,signes d'une vieille complicité etque seul le correspondant déchif·frera du premier coup. Ainsi lenarrateur acquiert une plus gran·de crédihilité.Poirot.Delpech joue de toutes

ces possihilités. Cadine connaîttrop Nasta pour avoir hesoin detout lui rappeler. Elle ne l'a pasvue depuis trop longtemps pourtout lui révéler d'un coup de savie présente, ses espoirs, ses dé·ceptions, ses peurs. Elle est Ion·gue à passer aux aveux, donnantcomme présent ce qui est déjàpassé. laisse pressentir dessituations hizarres, des drames.On s'attend au hanal, aux diffi·ciles relatIons avec le mari, avecla fille, et on l'a : elle conte crû·ment sa vie conjugale, la mala·dresse de Paul la, première foisqu'ils se trouvèrént seuls dansune chambre, avant leur maria·ge, elle dit avec mélancolie ouavec un humour pudique la las·situde du couple, la '. révolte deleur fille Sylvie, la tentation del'adultère. Mais l'extraordinaireaussi est là, qui colore tout. Onassassine des Duhois, ·systémati.quement, mais 4esDuhois ayant une certaine Jor·tune ou de hautes fonctions. 1'0usles Dubois sont saisis par la ter-reur. Le puhlic commence à sus·pecter les Duhois d'être une raceà part, inquiétante, que peut.êtreil vaudrait mieux supprimer.Mais la réaction inverse est lesuccès' des conserves Duhois, dontCadine est l'héritière et dont 80nmari est le directeur. Tout s'en·chaîne alors dans un tourhillonoù passent les souffles mêlés dela Série noire, des Marx Brotherset de Sade. La 8cène où Cadinefait 8a première ho·mosexuelle dans la. pièêe où ellevient de découvrir son mari mort,ct y met tant d'ardeur qq.'ellen'entend pas l'arrivée des poli.

n'être qu'une petite Duhois, unehanale petite Française et nonpoint, à sa ressemblance uneétrangère fière de sa singularité ets'offrant toutes les audaces. Aus·sitôt, cette femme a une voix, eton l'écoute, son amie a un visa-ge, un comportement, et on lavoit. Pour un romancier clas·sique, la partie serait gagnée;il lui suffirait alors de glisserdans le dialogue des deux épisto·lières une intrigue qui se déve·lopperait de lettre en lettre.Or, justement, Poirot.De1pech

refuse ce canevas. Il sait les dan·gers du genre comme il en utiliseles" ressources. Si les deux damescorrespondent normalement, sichacune s'épanche dans le cœurde l'autre, si dans le jeu appa·raissent d'autres correspondants,maris, amants, frères, filles, l'au·teur redevient du même coup leromancier Dieu qui jouit de tOU8les points de vue, qui lit dansles cœurs, viole les secrets de lacorrespondance et dispose des des·tins à sa guise. Donc Nasta ne ré·pondra pas, ce qui n'est pointsans troubler le lecteur ni sansgêner Cadine elle-même, mais ledésarroi de celle·ci est tel, les évé·nements auxquels elle se trouvemêlée sont si divers et parfois siétranges qu'on comprend son be·soin de se confier à quelqu'un quine répond pas, mais qui du moinsla lit - puisque ses lettres nelui sont pas retournées.Mais Cadine étant seule à

écrire, elle retrouve la positionclassique du narrateur derrièrequi l'auteur s'efface. Tout s'or·donne autour d'elle, à .partird'elle, prend corps dans ses mots.

Un roman épistolaire, aujour.d'hui, voilà qui peut surprendreet paraître un étrange retour auxvieilles modes, d'autant plusétrange que Bertrand Poirot·Del·pech, dont on connaît le talent,li'il a toujours fait cavalier seulpar rapport aux avant.garde8 n'apoint pour hahitude de donnertête haissée dans les pièges duromanesque.Au reste, le ton rassure qui est,

dès l'ahord vif, acide, imperti.nent, laissant deviner sous l'hu·mour une gravité cachée. Et lors·que son héroïne, Cadine, com·mence sa première lettre par unehoutade« Vieilles, nous? Jamaison pense aussitôt: Vieux jeu,lui? pas, et s'il feintde se plier aux conventions lesplus classiques du roman par let·tres, c'est qu'il réserve à ce clas·sicisme·là, à la première occasion,un méchant coup de hec.On guette donc le moment où

il va rompre le rythme, dénoncerla fraude, mais plus malin quenous, il s'amuse à nous égarer surde fausses pistes - histoire poli.cière, satire sociale, journal inti·me, drame hurlesque, récit éroti·que - à jouer de tous les arti·fices du romanesque et à les fairejouer entre eux pour finalementremettre en cause, sans en avoirl'air, le sens même de son romanet ouvrir du même coup au lec·teur naïf qui l'avait pris à lalettre, de vertigineuses perspec·tÎ'ves.Tout fonctionne dans la Folle

de Lituanie selon une mécaniquetrès suhtile et qui ne pèse jamaistant elle se dissimule sous uneécriture rapide, pétillante, touteen rupture, du tendre au trivial,du sérieux au fantasque, et tantl'auteur excelle à donner le chan·ge. Car, apparemment, il semblerespecter les règles du genre.Mieux, il y réussit parfaitement.Une femme écrit à une amie

d'enfance qui s'est mariée il y avingt ans, avec un pilote améri·cain, et qu'elle n'a pas t'evue de·puis, elle lui rappelle leurs adieuxà Orly, leurs souvenirs communsd'orphelines- pendant et après laguerre (son pêre, tué au front, lesparents de Nasta morts .en dépor.tations), l'admiration qu'elle avaitpour elle et son dépit, alors, de

1Bertrand Poirot.DelpechLa folle de LituanieGallimard éd., 232 p.

La Cl-uinzaine Littéraire du 16 au 31 octobre 1970 11

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Polrot-Delpech Un mal insidieux

Lionel Mirisch

fois véhémente, de cet enfouisse-ment, de cette dégradation desvilles demeurées à l'écart, hors desroutes fréquentées, hors du temps,hors de la vie: Il y avait desvoyageurs; il ne reste que destouristes. Vilmont n'est plus qu'unmusée, le musée de soi-même, dontses habitants sont les gardiens,tâtillons ou insoucieux. La villeest hors de la vie, eux sont horsdu bonheur. On devine, ici, la cri·tique pleine d'amertume du «dé-sert français », et, beaucoup plusprofondément encore, de ce mon·de mort (...) à féchelle d'une vil·le, d'une société, d'une civilisa·tion, où le simulacre aurait rem·pli la réalité. Quant aux causesd'un tel désastre, quant aux re-mèdes, Henry Bonnier n'épargnepersonne, et semble n'attendrerien de personne. Tous les hori·zons politiques sont tour à tourévoqués, stigmatisés et rejetés. Lesgauchistes aux cheveux longs enprennent pour leur grade, ml\isles nantis ou les petits bourgeoissont aussi bien vilipendés. Uneseule allusion demeure équivoque,ou malheureuse: le national·so-cialisme, qu'ils (les jeunes) appe-laient avec délectation nazisme,a/in d'oublier (..,) qu'à foriginefappellation contenait le mot desocialisme. Bref, selon Henry Bon.nier, le salut ne vient, pour cha·cun, que de l'intérieur de soi·même, de l'âme.C'est dans l'âme de la demoi.

selle du téléphone que sont néstous les drames, toutes les joies,qu'elle n'a pas vécus, et dont ellenourrit amoureusement la vie desautres. Mais, qu'elle-même soitou non sauvée, elle remplit jus·qu'au bout sa fonction de don-neuse de parole. Comme l'auteurdu Bre/ historique de la cathé·drale, comme f Encomiaste, c'est·à-dire «celui qui fait des dis·cours aux gens de sonavec sa Prose de Vilmont, elleconcourt à sauver la ville, par laparole.L'important, au fil des siècles,

laisse entendre Henry Bonnier, cen'est pas qu'une œuvre d'art (telce tableau anonyme et sans dateaccroché dans la cathédrale deVilmont, et caché BOUS. la pous·sière) se manifeste avec éclat,avec insistance, c'est qu'elle cle·meure, fidèle à elle·même et àl'esprit qui l'a animée, présentedans le secret d'une vie.

sant mais inoubliables. Vieillardscroupissant dans leur dignité ras·sise, couples haineux, douairières,jeunes filles cristallines (mais lecristal se casse, et coupe) ... Unmonde provincial, où les hu-mains ont leur façon particulièred'être laids, ridicules et méchants.Et l'on débouche ainsi sur le

niveau sociologique, et partantpolitique, du livre d'Henry Bon·nier. Plus encore que de moder·nes Scènes de la vie de province,on y trouve en effet l'analyse, par·

Henry Bonnier ne s'arrête paslà. Les rues abruptes de Vilmont,écrit-il, forment huit cercles con-centriques, qui s'entrecroisent etse chevauchent si bien, qu'ils (... tdonnent fimpression qu'il est pOSesible d'aller dans toutes les di·rections. Ainsi de son livre oùs'étagent plusieurs niveaux de lec-ture. Niveau psychanalytique,d'abord: celui auquel on est sansdoute le plus directement invité.Comme la vieille demoiselle dutéléphone, il faut retrouver, parmitilnt de fils, le fil du malheur, unmalheur que l'on s'approprie etqui cessera peut.être alors de pe-ser.Niveau psychologique. L'Amour

des autres contient toute une sé-rie de portraits, sinistres maisbrillants, peints comme en pas-

1Henry BonnierL'Amour des autresAlhin Michel éd., 269 p.

Claude Bonnefoy

ciers est un joli morceau d'huemour noir, traité avec cettechlauté élégante que possèdentquelques cinéal\tes anglo.saxons.Mais ces histoires délirantes, oùrôdent des espions, des artistes Après son premier roman, Del·contestataires, des g,ouïnes et, phine, histoire d'une femme quiderrière eux, comme d'inquiétan. mourait pour avoir épuisé tous lestes figures de carnaval, l'inceste, sens du mot rupture, Henry Bon·la. folie et la mort n'empêchent nier nous propose aujourd'huipas Cadine, c'est le mal du retour l'Amour des autres. Rien de ré·d'âge, de philosopher, parfois un concilié, toutefois, dans ce livrepeu longuement, souvent avec puissant et complexe, tout oc·drôlerie, sur les mœurs contem· cupé à arracher des pansements,poraines et le sens de la des· à démasquer (à débusquer) destinée. plaies. Blessure originelle ouMais c'est le jeu dans lequel coups reçus au long des années,

Cadine se trouve prise qui cache un mal ronge chacun des person.le vrai sérieux. Poirot.Delpech nages. Ou mieux: chacun couveutilise là toutes les formes du un mal, le chérit et en 'mêmeroman, même du roman popu- temps le cache, épouvanté. Celaire, policier ou érotique pour mal insidieux est mortel, et Hen·les détruire par leur excès ou leur l'Y Bonnier montre les uns lesconfrontation et les fondre dans autres aux prises avec la mort,un même récit comme il n'use qui approche, qui s'installe. Maisdes thèmes à la mode, de la poli- il est aussi, grâce à l'orgueil, leurtique à la sexualité, que pour seule façon de vivre: en se sur·nous proposer une critique acide vivant.de notre société. On admire 60n Vilmont elle·même, la ville oùhabileté de réussir à glisser tout habitent, comme enfermés par descela dans le cadre conventionnel remparts depuis longtemps ébou-d'un roman épistolaire. lés, ces hommes et ces femmes,Si on s'est pris au jeu, on ne vit plus que d'orgueil blessé

s'aperçoit brutalement que la et de repliement satis/ait. Lesmachine était truquée. Nasta, intrigues, les amours, ce bal en·sans doute, n'existait pas, était le . core que vont donner de mûris·retour d'un fantasme enfantin, santes et dragonesques dames dedu désir jadis éprouvé par Cadine charité, tout à Vilmont sombred'une amie merveilleuse - ou sous la poussière. Les actes de cesd'être elle·même une orpheline moribonds n'affleurent plus queaux origines mystérieuses. On par une faible pulsation, un re·croyait à la réalité des récits de mue·ménage de souris.Cadine, puisqu'elle les faisait à Et la vieille demoiselle du télé·quelqu'un. Ne s'adressant à .per· phone, qui établit les communi·sonne, leur consistance s'évanouit. cation, qui donne la parole, est le«Dites tout de suite que j'écris dérisoire chef d'orchestre de l'ac·un roman », s'écrie Cadine devant tivité mesquine de Vilmont. Eiran·le psychiatre (une femme, les· gère, et présente partout car ellebienne) qui répond: «Pourquoi écoute vivre, elle écoute mourirpas?» Tandis qu'elle reprend les autres (tel ce chauffeur desa correspondance pour justifier poids lourd dont moreNasta par ses lettres ou faire tel illumine d'ironie et d'horreurcroire qu'elle est victime d'un le bal des bourgeois indifférents),complot, Poirot.Delpech nous rap· elle tient dans ses inains, au·delàpelle que le recours au mot des clés et des jacks du tableau,roman suffit à dissiper ou à mule cet amour nourri de ses refus ettiplier comme on voudra les illu· de ses rêves, offert au monde qui'sions du romanesque, et que le n'en a cure. Et au cours d'unesens du texte, s'il dépend de qui longue nuit de travail, le tempsparle et de qui écoute, suppose du roman, elle se laisse happerd'abord l'existence singulière de par une joie où se retrouve l'or·celui·ci, distincte de ce qu'on gueil des habitants de Vilmont:nomme les choses ou le réel. elle aussi a découvert sa blessure,Qu'importe, après tout, que Nasta· elle est.remontée, souffrante etexiste ou non, si l'on prend plai. . triomphante, jusqu'à la sourcesir à la Folle de Lituanie. empoisonnée de son amour des

autres, jusqu'à la cause boiteusede sa vie.

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André BretonTrait d'union

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La Q!!inzainc Littéraire du 16 au JI octobre 1970

Marguerite Bonnet a réuni,pour Gallimard, les textesd'André Breton qui ne figu-raient pas encore en volume:articles, préfaces, réponses àdes enquêtes, entretiens, pri-mitivement publiés dans desjournaux, revues ou catalo-

Lorsque, déjà en 1936, je medemandais quel avait pu être,sur le plan affectif, l'élémentgénérateur de l'activité surréa-liste (à laquelle on commençaità trouver son répondant dans le« surrationalisme. qui gagnaitles milieux scientifiques), je ledécouvrais sans la moindre hé-'sitation dans l'anxiété inhérenteà un temps où la fraternité hu-maine fait de plus en plus dé-faut, cependant que les systè-mes les mieux constitués - ycompris les systèmes sociaux- paraissent frappés de pétri-fication. Deux ans plus tard, lephilosophe Gaston Bachelard,dans les dernières pages deson ouvrage la Formation del'esprit scientifique, exposaittout l'intérêt qu'il y a, du pointde vue de la connaissance, àinquiéter sans cesse la raisonet comme le dynamisme psy-chologique exige la continuellealternance de poussées, lesunes empiristes, les autres ra-tionalistes. Il y avait beau tempsqu'on n'était plus dans une pé-riode où la raison, appliquée àl'élucidation des événementsqui se vivaient, pouvait cacherson embarras. A un an de là,la guerre éclatait.Depuis qu'elle a pris fin, cha-

cun sait que se sont encorerelâchés les liens, ne disons pasmême de fraternité, mais de so-lidarité au sens le plus général,qui devraient unir l'ensembledes hommes. Durant le mêmetemps, les systèmes sociaux enprésence n'ont fait qu'exaspérerleur antagonisme, nous plaçantsous la menace d'un conflitexterminateur. C'est assez direque, les conditions dans les-quelles il s'est développé étant,loin d'être révolues, le surréa-lisme ne saurait être déjà re-jeté dans le passé, au mêmetitre que l'impressionnisme oule cubisme par exemple.

gues d'accès difficile. Nousremercions Marguerite Bon-net de nous avoir permis dereproduire, avant la sortie dePerspective cavalière, la pré-face d'André Breton à uneexposition surréal iste qui aeu lieu à Sarrebrück en 1952.

André Breton en 1957

Les surréalistes n'ont cesséde déplorer que, dans la pre-mière moitié de ce siècle, lesrapports culturels entre l'Alle-magne et la France, seulssusceptibles d'améliorer la com-préhension et de créer la sym-pathie entre les deux peuples,aient été à ce point réticents,jusqu'au jour où ils sont appa-rus comme définitivement com-promis. A toute occasion ils ontfait valoir ce qu'ils devaient àla pensée allemande aussi bien

qu'à la poésie de langue alle-mande. Cette première prise decontact - d'un contact réeltrop longtemps différé - com-ble donc leur vœu le plus cher.Le surréalisme est parti, en

peinture, de la conviction quel'apparition de facteurs entière-ment nouveaux dans la vie psy-chique (dus à la psychanalyse,à la Gestalt-theorie, au relati-visme) et aussi le perfection-nement de certaines techniquesmodernes (photographie, ciné-

ma) rendaient caduque l'ambi·tion de reproduire ce qui tombesous la vue, quand bien mêmel'artiste l'interpréterait selonson intelligence et sa sensibi-lité propres, aussi bien qu'enfonction des courants qui mè-nent son époque (impression-nisme, néo - impressionnisme,fauvisme, expressionnisme, cu-bisme, etc.). Comme je l'obser-vais à l'occasion d'une des pre-mières expositions internatio-nales du surréalisme, celle deCopenhague en 1935, « la pein-ture, jusqu'à ces dernières an-nées, s'était presque unique-ment préoccupée d'exprimer lesrapports manifestes qui exis-tent entre la perception exté-rieure et le moi. L'expression decette relation s'est montrée demoins en moins suffisante, deplus en plus décevante.. Aforce de prendre appui sur lesstructures du monde matériel.elle prêtait à accorder à tellesd'entre elles un intérêt déme-suré, cependant qu'encore unefois l'évolution des modes mé-caniques de figuration frappaitd'inanité bon nombre de sesprétentions. Dans ces condi-tions, les surréalistes estimè-rent que «le seul domaineexploitable pour l'artiste deve-nait celui de la représentationmentale pure, tel qu'il s'étendau-delà de celui de la percep-tion vraie.. L'important, ajou-tais-je alors, est que l'appel àla représentation mentale four-nit, comme a dit Freud, «dessensations en rapport avec desprocessus se déroulant dans lescouches les plus diverses, voireles plus profondes, de l'appa-reil psychique •. En art, la re-cherche de ces sensations tra-vaille à l'abolition du moi dansle soi. Elle tend à libérer de plusen plus l'impulsion instinctive,à abattre la barrière qui sedresse devant l'homme civilisé,barrière qu'ignorent le primitif'et l'enfant. L'objectif final étaitde concilier dialectiquementces deux tern1es violemment'contradictoires pour l'hommeadulte: perception physique, re-présentation mentale; de peromettre, autour d'éléments sub-jectifs projetés par le moyen dela peinture, l'organisation deperceptions (nouvelles) à ten·dance objective. Le surréalisme,pris dans son ensemble, n'a ja-mais adopté d'autre démarche.

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Page 14: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

André Breton La suite des imposturesCet appel à l'instinctif, cette

volonté d'. abolition du moidans le soi D, dans la mesureoù ils tendent à faire prédomi-ner le principe du plaisir surle principe de réal.té, montrentassez en quelle suspicion, enquelle défaveur peintres et poè-tes surréal istes tiennent cettedernière, au moins telle qu'ellese définit de nos jours. Duranttoutes les années où le cield'Europe s'assombrissait, oùs'aiguisaient de part et d'autredes frontières les griefs qui al-laient encore une fois déchirerle monde, non seulement ils sesont soigneusement abstenusde faire leurs ces griefs, maisils ont cherché, ils cherchentencore à dégager, à rendre par·lant et audible, par-delà ce quien surface divise les hommes,ce qui les unit en profondeur demanière à lui donner une bonnefois tout le champ. C'est en cesens qu'ils se réclament dugrand sociologue Charles Fou·rier, plus révolutionnaire quetous les autres pour avoir con·clu à la nécessité de • refairel'entendement humain» en com-mençant par • oublier tout cequ'on a appris ".

Au sein du surréalisme, pardéfinition l'artiste a joui d'unetotale liberté d'inspiration et detechnique, ce qui explique latrès grande dissemblance exté·rieure des œuvres qui sont iciconfrontées. Ce qui en toute ri·gueur qualifie l'œuvre surréa-liste, quel que soit l'aspectqu'elle puisse présenter, c'estl'intention et la volonté de sesoustraire à "empire du mondephysique (qui en tenant l'hom-me prisonnier de ses apparen-ces a si longtemps tyrannisél'art) pour atteindre le champpsychophysique total (dont lechamp de conscience n'estqu'une faible partie). L'unité decon cep t ion surréaliste, quiprend valeur de critérium, nesaurait être recherchée dans les« voies" suivies, qui peuventdifférer du tout au tout. Elle ré-side dans la profonde commu-nauté de but: parvenir aux ter-res du désir que tout, de notretemps, conspire à voiler et lesprospecter en tous sens jusqu'àce qu'elles livrent le secret de• changer la vie ".

Paris, mai 1952.

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1Alain JouffroyLa fi" des alternancesGallimard éd., 312 p.

Tout va fort bien, riende changé. Malgré la se-cousse salutaire grâce àlaquelle, au printemps de1968, le signe s'est enfinrapproché de la chose si-gnifiée, l'escamotage desfaits et le détournementdes mots se poursuiventpaisiblement. A forced'incantations à la Révo-lution, Liberté, Poésie,même à propos de faux-semblants, on parvientencore à projeter sur leshorizons de la pensée etde la vie un assez com-pact brouillard!

Sous la plume d'Alain Jouf-froy, dans un des essais de son

recueil, la Fin des alter-nances (1), voici qu'Aragon semétamorphose en grand maîtrede liberté. Parce qu'il vient delaisser reparaître ses deux pre-miers recueils poétiques, Feu dejoie de 1920 et le Mouvementperpétuel de 1926, il met au joursa vocation profonde en réactua-lisant, nous dit-on, «ce que nousavons besoin, aujourahui plusque jamais, de réactualiser: lavolonté de transformation dumonde, f exigence de refontecomplète de f entendement hu-main, le refus de toutes les for-mes de dictature et d'oppressionde fEtat» (2). La réédition-évé-nement, rejoignant l'homme de1969 à celui de 1920, agit pourJouffroy comme un révélateur;elle lui dévoile l'unité secrète del'œuvre et de la pensée d'Aragon,celle d'une liberté qui n'a cesséde l'opposer à lui-même, selon lemouvement qui a conduit IsidoreDucasse des Chants de Maldororaux Poésies et dont Aragon,mieux que personne, aurait pra-tiqué la leçon.Mais il faut citer intégrale-

ment: «Aragon n'a jamais faitautre chose que de se répétercette leçon dans toutes les cir-constances. On a pu croire, pen-dant de longues années, qu'il al-lait se fixer dans fun des termesde la contradiction fondamentale

qu,'il vit depuis plus de cinquanteans. Ses œuvres successives prou-vent qu'il n'en est rien: il atransgressé les ordres que, pourdes raisons qui étaient tour à tourles siennes et celles des autres, ils'est créés au sein de sa propreaventure. Ses premiers poèmesportent déjà (3) la marque defhomme qui refuse d'être dupeet qui, s'il n'y parvient pas tou-jours, témoigne par avance pourcet homme libre qui n'a encoreexisté nulle part. Vous pouveztoujours lui crier: Fixe! »Ainsi prend forme un syllo-

gisme d'apparence rigoureuse:la contradiction est le moyen dela liberté; Aragon s'est beau-coup contredit; il est donc leprototype de l'homme libre...malgré les quelques imperfec-tions liées à l'état de prototype.Pour étayer les prémisses, riende mieux que la caution de Du-casse, à condition bien sûr de ladévoyer et de faire de la contra-diction en soi, abstraite de toutcontenu, le ressort secret de lapoésie,Jouffroy ne s'en prive guère et

les variations sur ce thème abon-dent dans son livre (notammentdans les pages qu'il intitule Lavie, depuis la mort d'André Bre-ton, écrites sur la même lancéeque la préface au Mouvementperpétuel; elles la suivent immé-diatement dans le temps, sinondans le volume, et l'un de leurspropos, de toute évidence, estd'en assurer les allégations). Lecomportement poétique qui s'ydessine procède de ce droit que,d'après Jouffroy, «fintelligencepoétique du surréalisme a fondé »,celui de «passer outre à f avarebesoin de ne ressembler qu'àsoi»: se projeter «au-delà dujugement immobilisateur que f onprononce contre soi-même chaquefois qu'on croit le prononcer con-tre les autres », «avancer au-delàde (sa) propre conception de larigueur avec soi-même et de lafidélité », se donner «le plusgrand plaisir de f homme libre »,celui du «coup de théâtre », s'as-surer «la liberté suprême quiconsiste à claquer la porte sursoi-même », etc.Libre à Jouffroy, assurément,

de tenir pour négligeable l'inféo-dation empressée de l'écrivainAragon, pendant un quart de siè-cle, à un dogme artistique dontla non-observance entraînait tou-jours, là où ses grands-prêtres

étaient au pouvoir, cl 'extermina·tion comme l'a écritAndré Breton, et souvent l'exter-mination physique; libre à luide perdre mémoire des encoura-gements donnés à pleine voix, desannées durant, au pire nationa-lisme culturel (3). Il peut même,s'il lui plaît, oublier l'approba-tion bruyante à tous les crimel!de Staline (4), la célébration partoutes les rel!sources d'une rhéto-rique servile du Grand Inquisi-teur et Grand Bourreau (5), lafalsification systématique des faitset des idées, le mensonge coutu-mier, bref, tous leI! moyens parlesquels Aragon, journaliste poli-tique, directeur de journal, puistnembre du Comité Central duParti Communiste français, at r a v a i Il é sans défaillance àl'obscurcissement de la consciencerévolutionnaire.Il peut, à son gré, applaudir

aux protestations que, récem·ment, Aragon a enfin osées, con-tre le procès Siniavski-Daniel,contre l'entrée des troupes russesen Tchécoslovaquie (mais Buda-pest?), en se dissimulant pudi-quement le fait qu'il a attendu,pour revoir et corriger son stali-nisme inconditionnel, que chan-celle partout dans le monde lemonolithisme bureaucratique. Ilpeut lui faire gloire de cette op-position toute circonstancielleaux maîtres du Kremlin, soigneu-sement calculée sur les besoinsélectoraux du parti ou l'écart offi-ciel que ce dernier s'autorise, op-position à travers laquelle on apu d'ailleurs évaluer une fois deplus son absence de courage poli.tique (cf. son comportement audernier congrès, lors du «pro-cès» Garaudy). Aragon y sup-plée, il est vrai - et c'est appa-remment tout ce qui compte pourJouffroy -, par de fausses con-fidences romanesques, aptes à luicomposer un personnage neuf.Heureux littérateurs, puisque laparole invérifiable peut suffire àeffacer les actes accomplis! Maissi Jouffroy se bornait à réduireceux d'Aragon aux contradictionsque dans sa marche à une libertétoujours plus grande (voir plushaut), il s'est inventées «pours'opposer à lui-même », il n'y au-rait qu'à rire du narcissisme im-pavide des hommes d'écriture.Une catastrophe historique sansprécédent, toutes les idées per-verties, tous les mots porteursd'espérance souillés? Vue naïve,

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André Breton, Diego Rivera, Léon Trotsky. Coyoacan, 1938.

bonnes gens. Les esprits péné-trants en retiendront surtout,avec Alain Jouffroy, l'occasionpour l'homme libre d'essayer unnouveau pas...Là où la plaisanterie passe les

bornes, là où il faut crier: hal-te! c'est quand Jouffroy s'avised'introduire dans la danse un pasde deux, «ce pas de deux intel-ligences où il n'y avait pas deplus grand accord, peut-être,qu'aux secondes dramatiques dela discordance et pose un signed'égalité scandaleux: « EntreAragon et Breton, il n'y aura plusjamais à choisir S'étant inventéla mission d'établir l'identité descontraires, il nous assène des révé·lations proprement stupéfiantes:< ces deux hommes n'ont jamaiscessé de se parler et de s'envoyel'des messages qui font partie denotre «on ne peut au-jourd'hui défendre la mémoire etles exigences de fun sans éclairerà la lumière de la complicitétous les signes que lui a faits etque lui fait encore f Dequi se moque Jouffroy? A quiveut-il faire prendre les vessiespour des lanternes ?Il sait fort bien, puisqu'il a

connu que celui-ci tenaitAragon pour disqualifié à toutjamais, de façon irrémédiable, elcomme homme et comme écri·vain, bien loin d'« entrer menta-

on ne craint pas denous le suggérer, «dans le jeude ses plus folles erreurs et de«partager émotionnellement sesplus grandes Il y a vrai-ment plus que de la désinvolture,plus que de la légèreté, à faus-ser le sens d'une vie en mettantà profit la crédibilité que fon-dent des relations d'amitié, mêmeintermittentes, pou r affirmern'importe quoi.Personne ne me démentira, ni

dans l'entourage de Breton niparmi ses proches, j'en suissurée, si j'affirme ici que jusqu'àla fin il n'y eut de sa part aucuneambivalence affective à l'égardd'Aragon. Quelques mois avantsa mort, il répondait à un colla-borateur des Lettres Françaisesqui lui demandait par téléphoneun article à propos du Lautréa·mont de J.-P. Soulier: «Dites àvotre patron qu'il y a trop de ca·davres entre lui et moi. Et pour·quoi Jouffroy a-t·il attendu samort pour faire cette découverte ?Mais si Breton n'est plus là pourprotester contre l'arithmétique

fallacieuse qui veut équilibrer àpartir des moyens d'une jeune88ecommune les extrêmes de tout lereste de l'existence, tout ce qu'ila écrit, tout ce qu'il a été, pro-teste pour lui ; il est à peine be·soin de rappeler son refus peromanent de tous les systèmes d'op-pression, quel que soit leur ca-mouflage, la vigoureuse dénon·ciation qu'il a opposée à l'inqui-Ilition stalinienne, son affirmationrésolue de l'indépendance del'art où il voyait, avec Trotsky(6), la seule garantie de son au-thenticité et de sa force révolu-tionnaires.Mesurer la profondeur de l'abî·

me qui sépare ces deux hommes,ce n'est pas, comme le veut Jouf.froy, «stérile perpétuation desdisputes passionnelles et des anti·nomies idéologiques c'est assai-nissement indispensable de lapensée, dans les questions les plusgraves. Le temps serait venu, pa-raît.il, du «passage hors des ca-tégories Quoi de pluscontraire à la rigueur intellec-tuelle dont témoigne la démar-che de Breton que les brumescommodes de ce confusionnismedélibéré? quoi de plus opposéque cette incroyable laxité àl'exigence qui fut toujours lasienne,. exigence morale,' juste-ment.Œuvrant à l'édification de va-

leurs autres que celles de la so·ciété présente, il savait, certes,que la vie a horreur de l'immo·bilité; il combattait ce qui lafige, mais le sens du mouvement. lui. importait au plus haut point.. Rien de plus étranger à sa pen-sée que d'élever au rang de nor-me de conduite la contradictionen soi ; on sait que, dès le tempsde Dada, il n'y voyait qu'une«manière de Le sur·réalisme avec lui l'a montré: lacontradiction n'a vertu émancipa·trice que si elle conduit à plui!de vérité, plus de lumière, dansla connai88ance de notre rapportà nous-même et au monde. Sur ceplan, la responsabilité de l'intel.lectuel est particulièrement lour-de, Breton l'a toujours pensé: carsi l'intellectuel n'est pas respon·sable des avortements colossauxque notre temps a connus, il l'estpleinement de son rôle dans laconscience que les hommes enprennent, conscience dont le déve-loppement est une des conditionsnécessaires du pa88age, encore àvenir, au règne de la liberté.

Dès lors qu'on renonce à cetteexigence première, les aphorismesmégalomanes sur l' é cri t ure,«guerre des mots qui changentf ne sauraient être quephrases creuses, propos complai-sants à soi-même, incapables d'ai-

(1) Le livre regroupe en quatre en·sembles: le Suréalisme tel que je l'aivécu, la. Poésie telle que je la vis,la Révolution des poètes telle que Jela Ils. Deux repères pour un indlvi- .dualisme révolutionnaire, des textesécrits entre 1964 et 1969, mais pourla plupart après la mort d'André Bre·ton dont la figure domine le livre.

(2) Préface, datée du 22 avril 1969,au recueil d'Aragon: le Mouvementperpétuel, Gallimard, .coll. Poésie.

(3) C'est moi qui souligne.

(4) On trouvera dans l'ouvraged'Alain HiJraut. Aragon prisonnier p0-litique, publié aux éditions André Bal-land, quelques citations savoureusesdu temps où Aragon célébrait le génieuniversel de Staline, lançait, au nomdu réalisme' socialiste, des excommu-nications enflammées, ou glosait surla rime comme traduction de • l'êtrenational -.(5) • A Moscou, les Trotskystes

ont reconnu, publiquement, leurs liai-sons avec la Gestapo.• Que se taisent donc les scanda-

leux avocats de Trotsky et de sescomplices! Ou qu'ils sachent bienque prétendre innocenter ces homomes, c'est reprendre la thèse hitlé-rienne par tous ses points.• ... Voilà les conséquences des pas-

sions • antistaliniennes - de ces mes-sieurs. Ils se font aujourd'hui les dé·fenseurs, croient-ils dans le meilleurcas, d'hommes qu'ils veulent encoreconsidérer comme des révolutionnai-res, en fait, ils sont les avocatsd'Hitler et de la Gestapo. Je dis cecinommément pour Jean Guéhenno, quia publié, dans Vendredi, un articledont je veux croire qu'il aura honteun jour.• ... De Zinoviev à Piatakov, de Niko-

laev, qui tua Kirov, à Radek en conci-liabule avec l'ambassadeur hitlérien,vous reconnaissez les alliés mons-trueux du fascisme... Ennemis duFront populaire, alliés du fascisme,dans le moment même de la guerred'Espagne, qu'ont mérité les accusésde Moscou? Le verdict a été bienmodéré au prix de ce qu'exige lajuste loi d'autodéfense des travail-leurs. - (Vérités élémentaires, dansCommune, mars 1937.)

der jamais à la transformation del'homme et du monde. Il seraittemps d'en finir avec l'inflationdes mots. Assez de verbalismepseudo-révolutionnaire!

Marguerite Bonnet

Après la réhabilitation des condam-nés par les Soviétiques eux-mêmes,Aragon a-t-il honte?(6) • Dans l'immense trésor de la

culture humaine, ne prend·elle pas (lanouvelle constitution stalinienne) lapremière place au-dessus des œuvresroyales de l'imagination, au-dessus deShakespeare, de Rimbaud, de Gœthe,de Pouchkine, cette page resplendis·sante écrite avec les souffrances, lestravaux et les joies de 160 millionsd'hommes, avec le génie bolchevik, lasagesse du Parti et de son chef, lecamarade Staline, un philosophe selonle vœu de Marx, qui ne s'est pointcontenté d'analyser le monde? •(Commune, aoOt 1936.)(7) A signaler à ce propos: le der-

nier numéro de Tel Ouel, la nouvelleautorité en marxisme, la nouve1le'conscience révolutionnaire et la nou-velle terreur des lettres, qui s'enprend à Jouffroy pour des raisons di-verses, lui reproche en particulierd'avoir écrit qu'en 1926 la positionintellectuelle et politique du surréa-lisme était commune à Breton et Ara-gon. Passons sur l'amalgame initiaientre les thèses de Naville et deBarbusse que Jouffroy commet parignorance, au cours de cette affirma-tion en elle-même exacte, amalgamequi ne gêne nullement ses adversaireset qu'ils reprennent doctement - ilsen ont vu et accepté bien d'autres -et venons-en à la question que poseTel Ouel pour sauver Aragon d'unrapprochement aussi compromettant:• depuis quand Aragon a-t-il dit qu'IIétait solidaire de l'occultisme ou dutrotskysme?" On admirera au pas-sage l'art de déplacer le problème.Mais il n'importe; il faut "accorder àTel Ouel: AlilIgon n'a jamais commisle péché de trotskysme, mortel ausens propre du terme; il s'en est tenuaux fautes vénielles du stalinisme, de-puis longtemps pardonnées par lespolitiques telquéliens. Là où il se rendcoupable à nouveau, on l'apprend unpeu plus loin par l'admonestationplaintive de M. Sollers, c'est quandil ouvre à Jouffroy les colonnes desLettres Françaises, et contre Tel Ouell• Exorbitant", c'est bien le mot... Ré-jouissante concurrence: M. Sollers alaissé passer le bout. de l'oreille!" Aqui, les bonnes grâces du Maître?

La Q!!inzaine Uttéraire du 16 au JI octobre 1970 15

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INEDIT

Ernst Fischer:Dans les Dossiers des Lettres

Nouvelles va paraître prochaine-un recueil d'essais du marxiste

autrichien Ernst Fischer: A la re-cherche de la réalité.Ce recueil comprend, en particu-

lier, un essai sur Goya, dont, ill'occasion de l'Exposition Goya quia lieu actuellement à Paris, nousdétachons la conclusion.

Il Y a dans la critiquebourgeoise moderne tou-te une tendance à éclip-ser le Goya conscient auprofit du Goya incons-cient, l'homme convaincude la force de la raisonau profit de l'hommesubjugué par la puissan-ce de ses visions, l'hom-me des Lumières au pro-fit de l'illuminé, du ro-mantique et du surréa-liste. Si l'on considèredans son ensemble l'am-vre de Goya, on y per-çoit ces deux élémentsdans leur opposition etdans leur synthèse.

Personne ne peut chasser avecle sourire de l'homme éclairé lapuissance de la vision, intuitiveet démoniaque, qui naît dans lessombres régions de l'inconscient.Mais, de même, personne ne de-vrait oublier la fermeté avec la·quelle Goya s'est sans cesse effor·cé de placer ses rêves éprouvantssous la domination de sa cons·cience. Quand Reynolds, l'élégantpeintre anglais, affirma, confor·mément aux conceptions rationa-listes, que l'art est «essentielle·ment imitation », et que le génie,loin d'être inspiration, est «leréllultat d'une pratique et d'unliens de r observation poussés »,William Blake, initiateur du ro-mantisme, nota: «Sacré imbéci-le ! », et à l'aveu de Reynolds :«Si haut que s'envolent ma fan-taisie ou mon imagination, maraison les domine du début à lafin », il rétorqua ceci: «Si celaest vrai, c'est une fichue idiotieque d'être un artiste ! »Ces deux points de vue sont

partiellement justifiés. Goya lut-ta pour les allier et en faire unesynthèse.Bien que l'on fasse un usage

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abusif et ridicule deI! notionsd'intuition et d'inspiration, lesgrands artistes ont connu et con·naissent cet état que les mystiquesont appelé «l'autre état» et quiapparaît sous des formes diver·ses, avec une intensité plus oumoins grande, choc instantané oucourant durable, simple ébranle-ment ou imprégnation. Mais laconscience a toujours pour rôlede dominer par l'art ce saisisse·ment de l'artiste, qu'il soit dû auchoc d'un instant ou à un fluxplus long, et de découvrir le sensde ce qui est apparemmentabsurde. Et c'est ainsi que Goyalui-même a demandé à la plusmonstrueuse des visions qu'il aiteues, celle qui semble reniertoute raison: «Que veut donc cefantôme? »Car tous ces fantômes veulent

quelque chose et réclament uneinterprétation, même si elle estinattendue ou' déconcertante etpeu rassurante pour le «bonsens ». Ils surgissent des profon.deurs de l'individualité, c'est-à·dire, selon la définition de KarlMarx, de «rensemble de tous lesrapports sociaux », pour venir àla lumière. J.e processus de l'ima·gination n'esl pas un «sacrilègeretour en arrière », comme l'aprétendu Gottfried Benn; il n'estpas seulement - tant s'en faut -«un rêve, un animal qui reposeen nous, chargé des mystères deces peuples anciens qui portaientencore en eux les temps primitifset r origine du monde ». Pourceux des philosophes et des psy-chologues bourgeois qui donnentle ton, c'est un fait acquis quechaque interprétation sociale est« primitive»; selon eux, le moiretourne en arrière, dans le som-bre refuge d'avant la naissance(Freud), dans le monde archai-que, jusqu'aux «archétypes» ori-ginels (Jung), chaque rêve faitjaillir de notre inconscient deschoses enfouies en nous, et touteintuition, toute inspiration et toutsouvenir du passé chthonien se-rait constitué par un «retour enarrière », par un «mouvementvers le bas ». Il faut être unpseudo.homme des Lumières bienbanal pour ne pas percevoir dansle rêve et dans l'imagination lapuissance du passé, de l'ancien,de l'enfance et des origines, maisil faut aussi être un pseudo.magestupide de l'irrationalisme pouroublier la puissance du hic etnunc social et de ses possibilités

qui ouvrent la voie à l'avenir.Lorsque l'intuition se manifes·

te, que ce soit pour un instantou pour une durée assez longue,il s'ouvre une réserve où ont étéemmagasinés aussi bien «l'ar-chaïque» - l'expérience de l'en-fance, les contes de nourrice, lasuperstition - que le « tardif» -la problématique sociale de l'épo.que. Le matériel de rimaginationest donc déjà là, tiré d'influencesextérieures aussi bien que del'expérience personnelle, mais iln'est pas encore vivant; peut.êtreest-il déjà organisé en vue d'unefin, mais c'est un organisme quine respire pas encore. Et sou-dain, un quelque chose animel'artiste, une expérience qu'il res-sent comme une mission sociale,un accord avec la situation pré-sente, un équilibre fugitif entre lemoi et le monde qui l'entourc,l'odeur d'un feuillage humide,un regard d'un éclat subit, etquelque chose se produit en lui,une vita nuova, les hormones serépandent en lui, les moléculesse rajeunissent. C'est un état oùl'on est triomphalement jeune etexubérant - et c'est sans douteGœthe qui approche le plus dela vérité quand il parle d'une pu-berté sans cesse renouvelée.Certes, la plupart des Roman-

tiques ont surestimé cet état.Quand, par exemple, le confusG. H .. Schubert, philosophe duromantisme allemand, dit que laPythie dans son extase parlait envers, il affirme quelque chosequ'il ne peut prouver. Il partcomme Hamman de l'hypothèseselon laquelle la langue origi.nelle n'a pas été de la prose, maisde la poésie, et s'est conservécdans les extases des voyants, desprêtres et des poètes. Ce qui nousa été transmis sur l'oracle de Del·phes nous permet de supposerque, grisée par les vapeurs, la Py-thie en transes balbutiait, haletaitet criait, et qu'ensuite des prê-tres expérimentés et bien infor-més assemblaient ces décombresde mots qu'elle leur livrait en undistique, en une prophétie trèsconsciemment construite, ambiva-lente et polyvalentc. Et c'est jus-tement cette collaboration dcl'inconscient, qui livre une ma·tière premièr, d'images, d'idée:;et d'associations, et de la cons-cience vigilante qui fait de cettematière première une œuvre-d'art, qui est caractéristique dela production artistique. L'impor-

tance donnée à l'inconscient et auconscient est différente selon lesartistes et les époques. Il y a eudes romantiques qui se soumet·taient presque sans contrôle au« diktat» de l'inconscient (bienque l'on ne puisse croire sur pa·role tout ce qu1ils racontent surJeur intuition), et il y en a d'au-tres qui contrôlaient leur produc.tion artistique avec une cons-cience extrêmement vigilante.Goya était indiscutablement as·

sailli par d'authentiques visions- mais ce ne sont pas des visionsatemporelles, ayant pour seulesource 1'« archaïque », ou un ins-tinct refoulé; ce sont les visionsd'un Espagnol vivant à chevalsur le XVII.I" et le XIX" siècles, d'unEuropéen à l'époque de la Révo-lution Française, des guerres na-poléoniennes et de la Sainte Al-liance. La grandeur de ces visionsréside justement dans le faitqu'elles associent entre elles unetrès vieille superstition (le villageoù il est né, cet élément archaïquepaysan qui continue à agir enlui) et la problématique socialeet politique de l'époque, des ins-tincts sauvages et un idéal de rai-son et d'humanité. Dans la visionelle-même, cette synthèse s'annon-ce le plus souvent déjà alors mê-me qu'elle est encore soustraiteà la conscience; en outre, Goyase demande consciemment comment la conjurer, comment l'ap.préhender: «Que veut donc cefantôme? »Le caractère fantastique de ces

visions ne signifie pas qu'ellesnient le monde extérieur, ne se·rait-ce que parce que la frontièreentre «l'extérieur» et «l'inté·rieur» est fluctuante, parce qu'ily a interpénétration de l'un dansl'autre. L'imagination tire de laréalité du moment un matériaufragmentaire: elle n'est donc pasce qui contredit la réalité, maisce qui la complète et l'élargit.Bien plus, c'est seulement par elleque le monde qui nous entouredevient pleinement réalité. Samcesse confrontée à des élément8de l'expérience (directs ou indi·rects), elle les relie entre euxd'une façon nouvelle, et surtoutelle introduit en même tempsdans la réalité des éléments nou·veaux, pressentis et anticipés.C'est toujours l'imagination quidécouvre et fait percevoir les re·lations nouvelles, et lorsqu'unpenseur comme Descartes rap-porte ceci: «Le dix novembre

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Gova1619, quarul je vis poirulre la lu·mière liune merveilleuse décou-

c'est exactement le pro-cessus de création de l'imagina-tion qu'il célèbre. Ou bien pen-sons à cette curieuse sentence for·gée par Plotin dans les Enéades :«La réalité terrestre falsifiée de-marule à être complétée en unebelle image, afin que non seule-ment elle soit, mais qu'en mêmetemps elle apparaisse commequelque chose de beau.» Sansdoute, il ne s'agit ni de «falsifi-cation terrestre» ni d'image« belle mais ce mysticismecache une vérité: c'est que laréalité n'est pas seulement le hicet nunc, elle est falsifiée par cet-te vision statique, elle a besoind'être complétée par l'imagina-tion pour exister dans sa pléni-tude.

Il n'y a que pathos verbeuxdans la déclaration de GottfriedBenn: «Avec la formation duconcept de réalité commença lacrise, son stade pré-morbide, saprofondeur, son nihilisme...Quel mauvais tour de passe·passe : on commence par vider laréalité de sa substance jusqu'à cequ'il ne reste plus que des «faits

ces fantômes d'appa-rence si concrète, pour pouvoirl'accuser ensuite justement de cevide; il s'agit de reconnaître laréalité dans toute sa plénitude,telle que Gœthe l'a comprise,telle que Marx la concevait quandil disait: «ridée devient elleaussi une force matérielle lors-qu'elle s'empare des masses. Laréalité est pluridimensionnelle,parcourue d'idées nouvelles, derêves, de pressentiments, de tâ-ches, bonnes et maul"aises, de pos-sibilités encore vierges qui con-traignent l'artiste (et pas seule-ment lui) à se demander: «Queveut donc ce fantôme? - 'Cequi est appel de l'imagination àla conscience. Cette percée, écritErnst Bloch, «cet éclair, souventllune violence soudaine, tireaussi bien le matériau qui r en-flamme que celui qu'il éclaire dela seule nouveauté du temps lui-même, pressée de devenir pen-sée. Parfaitement d'accord aveccette hypothèse, je voudrais seu-lement éliminer le mot «seul »,car même ce qui est mort ne l'estpas au point d'être incapable des'emparer de l'imagination. Maisce qui est décisif, c'est la nou-veauté du temps, le futur.

Peu d'artistes ont connu uneévolution aussi considérable queGoya, tant dans les moyensd'expression que dans les sujets àexprimer. Si l'on suit cette œuvredans son évolution, on perçoitjusque dans les nuances les plusinfimes, son rapport profond avecle temps: d'abord la grâce, lalégèreté, l'enjouement des pre-fuières esquisses où le parvenufils de paysan était tout àl'atmosphère rococo, puis le Houdes lignes qui marquent le con-tour de chaque objet, l'ambiguïtêdes choses qui se mêlent et sefondent, à l'époque des Caprices,enfin les esquisses véhémentes dela dernière période, où il montrela réalité dans des formes à peinereconnaissables qui la font mou-vement effrayant, surgissant horsde l'obscurité de ce qui est encoreindescriptible. Il serait dogmati-que et pédant .de vouloir expli-quer directement par une situa-tion sociale n'importe quel élé-ment formel de n'importe quelleœuvre d'art, et n'importe quelleœuvre d'art dans sa totalité. Mais,dans ses grandes lignes (et par-fois même jusque dans les nuan-ces), l'œuvre de Goya est la chro-nique de son époque. Comment!dira-t-on d'autre part, ces sorciè·res, ces fantômes, ces monstressont censés représenter la réalitéd'une époque, d'un pays et d'unpeuple? C'est justement cetteréalité qu'ils représentent: car lamonstruosité des événements pro-voque des visions extrêmes et exi-ge des moyens d'expression extrê-mes. Les figures et les situationsfantastiques de Goya retiennentmieux la réalité de son temps quene le feraient des centaines de ta-bleaux apparemment «réalistes»représentant· des scènes de genreet des batailles - de ce tempsqui secoua l'Europe pendant vingtans par des révolutions et desguerres, des bouleversements so-ciaux et des catastrophes politi.ques, jusqu'à ce que les vampiresde la Sainte-Alliance aient labonté de s'asseoir sur les monta-gnes de cadavres, tandis que lecapital sortait victorieux des sacri-fices, des espoirs et des décep-tions des peuples. Dans chaquevision de Goya, il y a plus de réa-lité concentrée que dans les ta-bleaux de ces braves peintres quiont peint la bataille d'Aspern oule Congrès de Vienne «commecela s'est réellement cha-que visage aussi ressemblant que

le permet le respect, aucune déco-ration, aucune boucle oubliées,seule manque la réalité, qui re-garde en arrière et qui marcheen avant, la réalité puissante etinvisible. Elle est présente danschaque esquisse de Goya.Goya - et ceci l'apparente à

Stendhal - a modelé les forcesde son. époque avec son imagina-tion et sa conscience, sans idéa-liser ni prophétiser. C'est vous -semble-t-il dire à ses contempo-rains et à ses cadets - qui déci-derez et dévoilerez par votre ac-tion ce qu'a voulu le fantôme,c'est vous qui direz si la raisonsera capable de reconnaître lanouveauté et si elle sera assez har-die pour l'oser. Moi, je peins despossibilités : à vous de choisir cequi est réel.

Voici que, peinte dans un jau-ne gris sale, surgit de la pourri-ture en pleine décomposition laplus terrible des visions : Saturne'qui dévore ses enfants, avec unechevelure et une barbe de troglo-dyte, les yeux horriblement écar-.quillés d'un dément, pupilles fineRémergeant d'un néant de blan-cheur, angoisse, avidité, cruauté,un monde anéanti, le pâle royau-

me des morts, paysage lunaire dé-solé.Et ce dessin merveilleux dont

il n'existe que trois reproduc-tions: le Colosse. Sur une terresolitaire, un géant nu est assis, àflon chef la mince faucille de lalune à son déclin, et à l'horizon,pâle, la fraîche lumière de l'aubelui aussi a les cheveux et la bar·be en broussaille, mais il ne res·semble pas à Saturne, mais plutôtà Prométhée. Son visage, encoredans l'ombre, à peine effleuré parla lumière, est plein de mélanco-lie. Mais ce n'est pas la Mélanco-lie peinte par Dürer, celle del'alchimiste plongé dans des pen-sées saturniennes, cette passivitéprofonde au sein de la science etde la superstition. La mélancoliede ce géant est une réflexion oùs'élabore la décision. Ce géant vase lever; mais que fera-t-il? Ilregarde en arrière, et pense euavant - et avant que le jour necommence, il se lèvera pouranéantir la terre ou pour la re-nouvéler. Et Goya ne demandeplus: «Que fait donc ce fantô-me mais: «Où va l'huma-nité ?

Traduit de r allemarulpar Lebrave

La Q!!inuine du 16 au JI octobre 1970 17

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La vie d'artiste Dans les galeries

1Maurice RheimsLa Vie d'ArtisteGrasset éd., 449 p.

Entrez, entrez, et vous ver-rez...Vous verrez s'animer au long

des âges la condition de cesêtres singuliers qu'un sort fu-neste place en marge de la so-ciété, mais dont l'émouvante,l'édifiante passion qU'ils portentà leur art ne devrait, en toutelogique, qu'incliner à les y lais-ser.Vous verrez, sous la conduite

d'un guide assez humble pours'effacer sans cesse devant lestémoignages, ce que le milieu,l'hérédité apportent à la voca-tion; vous verrez que le donne suffit pas, qu'une formationest nécessaire. Vous verrezcomment l'artiste ne put échap-per au système corporatif, com-ment il affirma son indépendan-ce en lui substituant l'Acadé-mie de Le Brun, plus tard dé-trônée par l'Institut!Vous verrez l'artiste se livrer

à des activités parallèles, orga-niser fêtes et pompes funèbres.régenter la mode; vous lever-rez exercer le métier d'expertet de courtier; vous le verrezdiplomate, homme de guerre etpolicier.Vous verrez les droits de

l'artiste si peu protégés que cequ'on appelle aujourd'hui unfaussaire était autrefois un bonélève.Vous verrez comment depuis

l'Antiquité sont nés expositions,salons et biennales, du désirdes peintres de montrer leursœuvres.Vous verrez jusqu'au XVIII"

siècle le mécénat réduire l'ar-tiste à une dépendance quasicotale à l'égard de son protec-teur; les Assemblées révolu-tionnaires s'évertuer à protégerles arts; Napoléon promu « gé-néraI d'art. et, de nos jourscombien « l'intervention del'Etat dans l'art peut être à lafois salutaire et périlleuse •.Vous verrez le négoce s'em-

parer de l'art, naître les ventespubliques, c l'antiquaire. deve-nir marchand de tableaux etl'œuvre d'art valeur financière.Vous verrez Polygnote de Tha-

sos peindre des femmes habil-lées de robes chatoyantes; lesuccès de Mme Vigée-Lebrun en-

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courager l'émancipation desfemmes par la pratique des artsd'agrément; Joseph-Marie Vienfaire à cinq ans et de mémoirele portrait de Louis XIV entrevusur un écu; Adrien Brouwerhonteusement exploité par sonmaître Franz Hals; Dürer misà l'amende pour exercice illégalde la peinture; Bellini grâciédu meurtre d'un jeune garçonqui lui résistait.Et vous verrez enfin - vision

sublime - l'art, de nos jours,ft être le trait d'union entre lesgroupes sociaux les plus di·vers; c'est par centaines quel'on recense en Occident lessalons des « Médecins amis del'art .., les salons des «JeunesIngénieurs .. : celui de la ft Po-lice .., des ft Postiers .., celui descc Pilotes de Iigne-.Mais vous verrez aussi qu'on

ne peut dans cet ouvrage trou-ver l'ombre d'une idée, trace dela moindre vue personnelle.Vous verrez même ·l'auteur yrenoncer en toute simplicité:«Nous aurions souhaité appor·ter notre contribution person-nelle, mais ce projet n'étant pasapparu comm., des plus simples.nous nous sommes résolus ftcéder la plunie à .....Vous verrez comment on fa-

brique ce genre d'ouvrage donton ne peut nier l'inutilité; vousverrez que cela consiste à ha-biller un plan détaillé, que l'onretrouve généralement sous for-me de table des matières, d'unepléthore de citations, de témoi-gnages extraits d'ouvrages trai-tant de près ou de foin de faquestion. Vous verrez que cetteméthode qui tend à maquillerun travail de documentation enmonument d'érudition dont vou-drait témoigner ici une biblio-graphie de plus de trois centsnuméros, ne procède en riend'une démarche .scientifiquemais qu'elle correspond parfai-tement à ce que J'auteur candi-dement dénonce: «Par la di-versité des matériaux qui lescomposent: fragments de cor·respondance, Mémoires, travauxde chercheurs, ces ouvrages ré-pondent à des besoins nou-veaux. Saturé de fictions, l'ama·teur moderne, toujours pressé,trouvera desexacts et condensés. De la cul·ture en pilule....

Nicolas Bischover

Deux expositions intéressantes dèsla rentrée et qui représentent deuxaspects antithétiques de la rechercheactuelle.

Musée d'Art moderne :section AnimationGrâce à P. Gaudibert, cette sec-

tion est devenue le lieu de Paris oùs'exprime une recherche libre et li-bérée de toutes les contraintes du«marché de l'art ». Depuis des moisle public peut s'y baigner dans desenvironnements, y vivre des momentspoétiques, s'y confronter avec des pro-blématiques et des mises en questions- tous également lnachetables et qui,par là-même, impliquent la contesta-tion et la révision d'une tradition etde la condition de l'art et de l'artistedans notre société.En l'occurrence, nous attirerons l'at-

tention sUr trois des propositions ac-tuellement exposées. D'abord la con-tribution collective intitulée Support-surface. Ces quelques taches et rubansdivers sont évoqués. et retiendront l'at-tention à cause des écrits à quoi ilsdonnent lieu. «Textes» agréablementprésentés sous un cartonnage vert etsans quoi la clé de la manüestationnous est refusée. Textes qui marquentl'entrée - récente et signifiante -du discours écrit au sein même del'expression plastique, ou mieux la su-bordination, l'abdication de celle-ci auprofit de' celui-là. Textes, donc, cons-titués par des fragments de linguis-tique, de lacanisme, d'althussérisme,de derrideïsme : le lecteur et le candi-dat spectateur est bousculé de polysé-mie en métonymie, de pratique théori-que en déconstruction, puisque aussibien, nous dit-on, il faut éliminer laréférence culturelle du champ de lapeinture.Nous aurons bientôt l'occasion de

nous interroger sur le sens de cetteinvasion c scripturaire ». Contentons-nous, pour l'heure, de nous demandersi ces textes inspirés par la lutte desclasses n'ont pas pour efret immédiatde faire communier dans le sentimentd'incompréhension et d'exclusion dansun «étonnement imbécile» eüt-on ditau grand siècle, les représentants desclasses en lutte.Venons-en maintenant aux réalisa-

tions qui sacrifient au culte .de l'ego.Sarkis montre quatre vitrines où sontexposées des séries de bâtonnets ser-vant de manches à de minces fils defer ou à des morceaux de lameS Gi-lette, l'emmanchement étant réaliségrâce à des bandes de chifron blanc :parodie désinvolte et maniaque de cesséries de haches et herminettes quipeuplent les musées de préhistoire. Laréussite poétique est totale et fait ré-fléchir sur la nécessit6 de l'entreprisepoétique.Aleyn propose un œuf de plastique

blanc contre l'introduction de deuxpièces de 1 franc, le blanc de cet ana-logue du ventre maternel s'ouvrira etvous prendrez place sur un siège con-fortable avant que l'œuf ne se re-ferme pour une descente de quatreminutes et demie dans les profondeursde vous-même. L'idée est judicieuse,comme le projet de transformer cetIntroscaphe en élément de mobilierurbain qui, grâce au mécanisme de

1'« appareil à sous », peut rester sousle contrOle de son concepteur, sans de-venir la propriété de personne. Mal-heureusement, dans le cas du proto-type exposé, la descente escomptée nese produit pas : à cause du program-me visio-sensoriel qui attend le pas-sager. Car, à l'encontre de ce qui estsupposé se passer dans l'utérus mater-nel, c'est l'agression. Mais ni par lesilence, ni par l'insolite ni par l'absur-de. L'oreille est agressée plus encoreque par les bruits urbains quotidiens,le corps incommodé par le change-ment thermique, l'œil et l'esprit trau-matisés par la banalité des imagesqui se succèdent sur l'écran. Ces pho-tos du Vietnam, de femmes dévêtueset d'hommes politiques trop vêtus, lesmagazines et la télévision en livrentchaque jour au citoyen moyen de quoifaire son petit montage personnel. Lesartistes ont trop joué, ces temps der-niers, avec les images de l'horreur. DBpourraient bien aussi être en voie detuer ou ridiculiser ces concepts, unmoment opératoires, d'œuvre ouverteet de lecture plurielle.

Galerie Claude BernardC'est à l'autre pôle, celui de l'art

objet que se situe Mac Garrell, pein-tre américain de l'Indiana, qui de-puis près de quinze ans œuvre àcontre-courant des écoles. S'il fautcomparer à tout prix, on le confron-terait volontiers à Gilles Aillaud, dontl'œuvre, en marge, constitue icil'expression la plus intéressante dunouveau réalisme. Mais le rapproche-ment fait aussi surgir la difrérence,apparaître le rôle du grinçant, dufantastique chez Mac Garrell et aussiune violence qui est celle des Etats-Unis, de Pollock et de Kline.Le descripteur énumérera chez ce

néo-réaliste d'outre-Atlantique uneconstruction d'espace presque· classi-que, le rôle presque surréaliste confiéaux objets familiers, l'utilisation systé-matique de réminiscences empruntéesà la culture picturale, l'obsession dumiroir et de la duplicité exprimée enparticulier dans les doubles por-traits. Mais l'unité d'écriture trans-cende les jeux de la mémoire au pro-fit d'une efficacité qui est celle det,oute œuvre véritable.

BischoverP.-S.: Au musée d'Art moderne,

même section, il faut voir, dans untout autre registre, l'œuvre graphiquedu peintre algérien Abdallah Benan-teur. Ses calligraphies - en particu-lier - ont une puissance qui faitévoquer dans le même temps la tradi-tion d'Extrême-Orient et celle del'Islam.

Kienholz à ParisL'exposition Kienholz, dont Jean-

Luc Verley a rendu compte lorsqu'elleétait à Amsterdam dans notre n° 93,est accueillie à Paris par le C.N.A.C.et l'A.R.C. dans les salles d'expositionagrandies du Centre National d'ArtContemporain, 11, rue Berryer, du 13octobre au l or décembre. L'œuvre deKienholz est à la limite du suppor-table mais elle porte un témoignageaussi terrible que celle de Goya.

Page 19: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

L'Exposition du

La Châtre. cite scolaire (Barges. architecte). Sculpture de Viseux.

"tr(Jl'Gi .fA CD Il e.c:.RiT"tJR.Er":J' AfA Jo",\J

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Ce qu'on appelle le 1 % estle crédit spécial affecté à ladécoration monumentale desédifices scolaires et qui corres-pond effectivement à 1 % ducoût de la construction. L'idéede cette affectation remonte à1936; elle concernait tous lesédifices publics et son but étaitd'apporter une aide aux artistesen chômage. Les deux projetsde loi qui furent alors déposésn'aboutirent pas et la décisionde Jean Zay, ministre de l'Ins-truction Publique, de la mettreen appl ication dans son propreministère ne fut également sui-vie d'aucun effet.Reprise en 1947, cette idée fit

l'objet d'un arrêté en 1949 con-cernant exclusivement les bâti-ments scolaires; arrêté dont larégularité fut contestée et au-quel on substitua celui du 18mai 1951 toujours en vigueur.Au cours des années de nom-breux textes ont précisé lesmodalités d'application dont lacirculaire du 30 mars 1965 quien définit les objectifs essen-tiels, à savoir:- Promouvoir un art monu-

mental de qualité s'intégrant'dans l'architecture des nouveauxbâtiments scolaires.- Donner aux artistes les

occasions de s'exprimer.- Mettre en contact les en-

fants et les jeunes gens avecles réalisations de l'art de leurépoque.- Obtenir le plein emploi des

crédits du 15 %.Actuellement, un projet de ré-

forme est soumis à l'examendes deux ministères dont dé-pend le 1 %, celui des AffairesCulturelles et celui de l'Educa-tion Nationale.L'exposition des Halles est

organisée par le Service de laCréation Artistique dont le rôledans le fonctionnement du 1 %se révèle capital depuis quel-ques années quant à la qualitédes œuvres. Le bilan qu'il pré-sente est en quelque sorte uneopération porte ouvert.:!, le dos-sier complet d'une entreprisetout à fait exceptionnelle: l'in-troduction de l'art de notretemps dans notre vie de tousles jours. C'est donc dans uneperspective écologique qu'ilconvient d'aborder l'expositionafin de saluer tout d'abord la tâ-che entreprise et de prendre

conscience de son ampleur etdes problèmes qu'elle met àjour.Car il ne s'agit pas d'y déchif-

frer la réussite ou l'échec auvu de la douzaine d'œuvresexposées (entre autres un murd'Hantaï et une sculptured'Agam superbes) ou de la cen-taine de diapositives présentéesen un excellent spectacle au-dio-visuel. Il ne faut pas se leur-rer: les 1 510 artistes qui ontfait des projets depuis 1960n'ont pas produit que des chefs-d'œuvre; il suffit de lire l'en-quête de Raymonde Moulin en1960 (le Marché de la Peintureen France) pour constater qu'ona longtemps fait appel à desartistes régionaux et si dansl'impressionnante liste des ar-tistes publiée dans le catalogueil en est dont on connaît l'œu-vre (Arp, Cardena, Cesar,Brayer, Coulentianos, Beaudin,Buffet, Vasarely, Belmondo, Lar-dera, Philolaos, Viseux, Stahly,Singer, Ubac, Picasso, Hadju,etc.), bon nombre nous sontparfaitement inconnus.Il n'en reste pas moins que

l'exigence de qualité manifestée par la Commission du 1 %créée en janvier 1969 ne peutqu'être maintenue et, à cetégard, les Commissions dépar-tementales prévues dans le pro-jet de réforme pour l'examen'des projets inférieurs à 25 000 Fne sont pas sans éveiller quel-que crainte.Incontestablement, le 1 %

fait sortir l'art de musées et s'iln'est pas dans la rue il est dansles cours et abords des écoles,ce qui est probablement plusimportant. Mais comment y est-il et comment l'accueille-t-on?ce sont là deux points essen-tiels que les organisateurs n'ont

éludé, bien au contraire, etle catalogue qu'ils ont établiconstitue à ce propos un docu·ment remarquable d'objectivité.Comment y est-il? Du fait

exclusif de l'architecte respon··sable du choix de l'artiste etde l'emplacement de l'œuvre.Faut-il dire hélas? Actuelle-ment oui, dans la plupart descas, car peu d'architectes sem-blent se soucier de la décora-tion des édifices qu'ils construi·sent et 'trop souvent l'œuvred'art arrive comme des cheveuxdans cette pauvre soupe qu'est

notre architecture. Il faut liredans le catalogue le témoignage!accablant sur ce point de l'ar-chitecte Pierre Sirvin !L'architecte ne doit cepen-

dant pas être le seul baudet;il est lui-même choisi, et il l'est·par les municipalités! Certes ily a Grenoble qui mobilise archi-tectes, paysagistes, artistes,'urbanistes, coloristes peul' con-cevoir la Ville Neuve de Cireno-ble-Echirolles; il Y a, en ban-lieue, Vitry qui ajoute son pro-pre 1 % à celui de l'Etat, etpuis ... qui? Mais pourquoi lesmunicipalités seraient-elles pluséclairées que ceux qui les éli-sent? N'est-elle pas conster-nante cette déclaration d'unétudiant de la Faculté des Scien-ces: «Je ne vois pas pourquoion mettrait des œuvres d'artdans une faculté des sciences,parce que les gens qui vien-nent ici, ils ne s'intéressent pasà tout ça. Ce sont des scienti-

fiques, l'art n'a pas d'importancepour eux.•Nous abordons là les rap-

ports de l'art et du public, eten particulier le problème del'éducation et de l'informationartistiques. L'Etat y joue sonrôle, et dans le domaine du 1 %il le joue bien, mais il seraitdommage que cela n'aboutissequ'à faire de la France un im-mense musée d'art contempo-rain. Certes cela ne serait déjàpas si mal, mais il importebeaucoup plus que cette actionsuscite dans le public le besoind'une beauté quotidienne etqu'il exige les moyens de la re-connaître et de la comprendre.Il est certain que la partie estdésormais engagée et il appar-tient à chacun d'y participer.Cette exposition d'une portéeinhabituelle y invite et à ce titreil est indispensable qu'elle cir-cule à travers toute la France.

• Marcel Billot

La Littéraire du 16 au 31 octobre 1970 19

Page 20: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

COLLECTIONS

« En direct(Mercure de France)

Ces machines à accaparer la véritéque sont la télévision, la radio, lemagnétophone finiront-elles par tuerle livre? Et si, au contraire, elles leravivaient, lui ouvraient des voiesnouvelles, comme en témoigne laprogression spectaculaire du roman-document, de toute cette littératurede «non-fiction. que les Américainsont mise à la mode et dont les for-mes les plus extrêmes: le témoi-gnage, le document à l'état <brut, nesont pas les moins prisées par lepublic?

Rompant, à son tour, avec unevocation strictement littéraire, malsnon pas avec ce label de qualité quilui est attaché, le Mercure de Francenous offre, avec la collection «Endirect., un des exemples les plusréussis de cette littérature qui em-prunte ses techniques au cinéma-vérité et au journalisme mais quiapporte, de plus, sur tout un ensem-ble de problèmes réservés, il y adix ans encore, au seul spécialiste,!.me vue globale, un complément d'In-formation et surtout une garantie desérieux, de précision et de rigueur quireste, en dernier ressort, l'apanage dulivre.

«En direct", c'est-à-dire au cœurde notre temps, au cœur de nos pro-blèmes, Pour Jacques-Pierre Amette,créateur et directeur de la col-lection, il ne s'agit pas pour autantd'être à la remorque de l'actualité,à l'affût de l'événement qui fait la« une" des journaux, mais de four-nir, sur des questions précises, uneinformation qui ne l'est pas moins.Et qui, mieux que les intéressés eux-mêmes, pourrait nous parler avecplus de précision et d'authenticité deces grands sujets de préoccupationque sont, pour tous les Françaisd'aujourd'hui, la crise de l'enseigne-ment et la nécessité d'une pédago-gie nouvelle, les méfaits d'un urba-nisme qui néglige les besoins pri-mordiaux de l'individu et les pers-pectives qui s'offrent dans ce do-maine, l'anachronisme d'un systèmesocial basé sur des rapports de dé-pendance et les espoirs de ceux quien sont les principales victimes, lestenants et aboutissants d'un espritde violence qui fait, dans le inondeentier, traînée de poudre? Plutôt quede s'adresser à ces professionnels del'information qui bien souvent ne la« traitent. que pour mieux la trahir,« En direct. s'efforce, dans la mesure

du possible, de donner la parole àceux qui, de par leur situation, sontle mieux placés pour savoir ce queparler veut dire.

A ces Ouvriers qui, interrogés deSochaux à Billancourt, de piquet degrève en comité d'entreprise par unhomme qui les connaît bien, PhilippeGavi, font d'eux-mêmes un portraitexplosif et nous révèlent des opi-nions et des réactions inattenduessur la politique, le patronat, mai 1968,l'amour et la sexualité, l'argent et lasociété moderne, la culture et l'alié-nation, A ces enfants de Barbianaqui, remettant en question les fon-dements mêmes de notre société,expliquent dans leur Lettre à unemaîtresse d'école que le problème leplus brûlant n'est pas celui que nouspensions et que « le seul mur infran-chissable est celui de notre, de ceque nous appelons notre culture •. Acette Institutrice de village qui nousparle de la grande misère de nosécoles primaires, de son systèmeabsurde et anachronique, et aussi dela vie d'un village de Lozère oubliédans son Moyen âge et pourtant sisemblable à tant d'autres villages deFrance. A ces étudiants contestatai-

res d'Italie qUI, dès 1967, témoignantd'une capacité d'Invention politiquesurprenante, définissent en termesquasi prophétiques dans l'Hypothèserévolutionnaire des problèmes deve-nus par la suite d'une actualité brû-lante,

Dernier paru dans la série, le livrede Christian Casteran sur la Guerrecivile en Irlande semble à premièrevue s'écarter du cadre habituel de lacollection, Mais, comme s'en expli-que l'auteur dans son avant-propos,les événements qui bouleversent de-puis deux ans l'Irlande du Nord sontexemplaires en ce qu'ils expriment,à l'échelle d'une communauté d'unmillion et demi, le désarroi des so-ciétés contemporaines, et si Chris-tian Casteran n'est ni un • irishroman catholic" ni un natif des quar-tiers riches de Derry ou de Belfast,unioniste, protestant et défenseur du• law and order", Il considère l'af-faire d'Irlande comme son affaire etIl entend la comprendre et la fairecomprendre en spécialiste engagé,qui prend parti, qui juge, qui com-mente, qui dénonce.

Adélaide Blasquez

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20

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Page 21: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

Paulhan au complet

1Jean PaulhanŒuvres complètesCercle du Livre Précieux, 5 vol.

« Fuyez langage, il vous suit;Suivez langage, il vout fuit. •

Jean Paulhan est mort, il ya deux ans, le 9 octobre 1968.L'anniversaire de sa dispari-tion coïncide cette année avecla fin de la publication de sesœuvres complètes dont lecinquième et dernier tomevient d'être mis à la disposi-tion des lecteurs.

Ce volume, qui rassemble latotalité des écrits sur l'art, s'achè-ve par la présentation des textespolitiques que Jean Paulhan a étéamené à écrire. Textes politiques,c'est beaucoup dire, si l'on entendpar là l'exposé d'une doctrine, oul'adhésion à quelque groupementou parti. Plus humblement, ils'agit la plupart du temps de ré-prouver l'intolérance et, le caséchéant, de dénoncer l'injustice.Jean Paulhap, qui avait été, du-rant l'ocèupl/.tion, le fondateur,avec Jacques Decour, des LettresFrançaises, s'est, à la Libération,élevé avec vigueur contre l'abusque, selon lui, on faisait alors dudélit d'opinion - et certainesexclusives qui n'auraient eu pourfin que d'éliminer un confrère gê-nant. Jean Paulhan reprochaitaux juges de tenir moins comptede l'opinion réelle de l'accusé, quede la leur, tenue pour irrépro-chable et définitive. On retrouvaitlà, sous une autre forme, sonsouci constant de ne pas se lais·sel' abuser par le discours, d'oùqu'il vienne et quoi qu'il veuilleprétendre dire.II serait de toutes façons pré.

:'J1aturé, et quelque peQ. présomp-tueux, de tenter à tout prix deporter aujourd'hui un jugementsur l'ensemble de ces œuvrescomplètes - si tant est qu'un teljugement soit possible, sinon uti·le. Ces textes, qui s'étendent surprès de soixante ans (de 1910, despremiers Hain Tenys, à 1968) ontété, pour la première fois, publiésen innombrables fragments, livres,plaquettes, articles de revues oude journaux (ou pas publiés dutout comme ces Progrès en amourassez lents, rédigés au front du·rant la première guerre mondiale,et révélés en 1966). Cette frag.

mentation, qui est ici l'inversed'une dispersion, explique assezbien l'impression, déconcertante,disait-on à plaisir, de Jean Pau-lhan sur ses contemporainsMaintenant que le fiouvenirs'affaiblit, pourquoi ne pas re·connaître qu'on s'est en partietrompé. Où l'on ne voulut voirque paradoxes, séductions, encou·ragements, ou, au contraire, désin-voitures, se dissimulait l'attentioniloutenue d'un écrivain - on peutdire, d'un homme - qui suivaiten secret, mais passionnément, laprogression et le déroulementd'une expérience : la sienne pro-pre. Une biographie de Jean Pau-lhan serait du rest.e incompréhen.sible sans l'histoire de ces textes,seuls jalons visibles de cette expé·rience.Si le sujet en fut Jean Paulhan,

le domaine de J'expérience a été,on le sait, le langage, le plus in·confortable des séjours puisque lelangage ne cesse de modifier lesperspectives à mesure qu'on s'oc-cupe de lui, allant même jus.qu'à se contredire. L'originalité del'entreprise est d'avoir été con-duite ni en philosophie, ni enlinguistique, ni pour tenter desaisir une essence, ou découvrirune structure. Philosophes, logi-ciens et linguistes (qu'il connais-sait bien, y compris les plus mo-dernes) lui tenaient lieu, plutôtque de repères, de témoins àcharge ou à décharge quand cen'était pas de repoussoirs. Au mi·lieu du langage, Jean Paulhans'est comporté en artisan. Le lan-gage était un matériau, livré oudonné brut, en quelque sorte,friable et opaque tout à la fois,inoffensif, semblait-il, et pourtantcapable de réactions imprévisibles(Jean Paulhan a posé cette ques-tion surprenante: «Dites-moi àquoi vous pensez quand vous nepensez à rien?» et, une autrefois fait observer «ce n'est pasparce qu'un homme dit vrai qu'ilpense vrai », ou encore «si Mau·riac et Paul Eluard sont en dé·saccord sur la paix, le mot«paix », lui, n'y est pour rien »).L'expérience a commencé très

tôt, lors d'un séjour qu'il fit àMadagascar. II y découvrit l'usa·ge courant et populaire des HainsTenys, poèmes en forme de pro·verbes, qui sont utilisés dans lacontroverse. Curieux poèmes dontle sens disparaissait pour n'êtreplus que le symbole même de ladispute. Si bien que lorsque Jean.

Paulhan sollicitait d'un Malgachel'explication du texte, celui-ci lepriait de commencer la dispute.Mots et phrases jouaient un rôleétrange, devenus signes d'un évé·nement qui se passait ailleurs,dans l'esprit, non sans cesser d'êtremots et phrases. Le langage n'étaitpas un milieu inerte. Sa clartés'accompagnait d'un obscur, qu'ilrendait perceptible pourvu qu'onne soit pas aveuglé - c'est lemot - par la clarté.Plus tard, durant la guerre,

Jean Paulhan remarqua que nilui ni ses camarades de combatn'étaient capables de décrire lescirconstances dans lesquelles ilsvenaient vivre - et mourir. Lesmots perdaient leurs sens. Quantau permissionnaire, chez lui, ilgardait le silence. Ses penséesn'avaient plus de mots.Ces deux épisodes inaugurent

l'itinéraire de l'expérience queJean Paulhan a, dès lors, suivi, àtravers ce qu'il appelait «les em.barras de langage ». C'est à partirde ce moment qu'on peut direqu'il se consacra vraiment à lalittérature. Celle-ci est, en effet,le lieu privilégié de l'observation.Chaque œuvre est une «machi-ne» à langage et chaque écrivaina la prétention d'en connaître lemécanisme.Pour certains (les romantiques,

par exemple) les mots viennentde la pensée.. Pour d'autres (lesanciens réthoriqueurs) , ce sontles mots qui sont à l'origine dela pensée. Chacun est la victimede ses illusions. Pour les premiers,à mesure qu'ils choississent lesmots, ils contraignent la pensée.Pour les autres, ils sont paraly-sés par les mots dans leur volon·té de provoquer la pensée. Ce·lui-là, qui ne veut qu'être clair.souffre des lois qu'il s'impose pourmaintenir à tout prix cette clarté.Celui·ci regrette que mots etphrases soient incapables de ren-dre ce qu'il avait à dire. Tout lemonde se méfie du langage.Des Fleurs de Tarbes (en 1941)

au Don des Langues (1966), JeanPaulhan a établi, au jour lejour, non pas les lois du langagequi fixeraient un rapport régu·lier entre. mots et pensées, maisun système de références entrelesquelles oscillerait le langage,entre deux défaillances et deuxopinions contraires. Ecrire, ce se·rait, en même temps qu'admettrecette ambiguïté fondamentale, ir-réductible, utiliser le langage en

veillant à ne pas contrarier lemouvement auquel il nous oblige.Chaque œuvre est une descriptiond'expérience qui devient elle-mê·me expérience. Le langage n'estpeut-être alors que l'explorationde reffet qu'il et produit à lafois - remarque qui ne manqueni de sérieux ni de gaieté, ce qui,à tout prendre, définit la person·ne et l'œuvre d'un homme quivoulut aller où l'on n'est pas, nonsans jamais cesser de se deman·der où, vraiment l'on n'est pas.

André Dalmas

La Q!!inuine Littéraire du 16·au H octobre 1970 21

Page 22: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

L'U.R.S.S. et la Chine LETTRES A

La QuinzaineIlttt·r.urt>

Les Panthères norres

1970 : 9 F

La répression

La culture des hippies

ÉTATS-UNISRÉVOLUTION

LESEN

Les mouvementsde 1ibération

ESPRIT

ESPRIT', 19, rue Jacob, Paris 6-l 'C.C.P. Paris 1154-51

La révol utionest-elle possi bleaux U.S.A. ?

Bernard Teyssèdre

Nous donnons bien volontiersacte à Bernard Teyssèdre des rec-tifications qu'il apporte à sa com-munication au colloque de Loches,communication dont nous igno-rions le caractère «privé et quinous a été transmise, en mêmetemps que celles de Nathalie Sar-raute et de J.M.G. Le Clézio, parM. Gilbert Gadoffre aux fins depublication.M. Bernard Teyssèdre reste évi-

demment le seul à savoir quequand il écrit « Change reste Tel

il formule une «insulteMais à l'égard de qui,

mon Dieu?

2° Même si le « change:) est ap-paru d'abord moins net que d'au-cuns ne l'espéraient, ma lettre du22 juillet ne pouvait prévoir cenouveau départ que promet, pquroctobre, la prochaine livraison deChange - non plus que les récentsafflux qui confirment la vitalitéde Tel Quel.

Lucien GoldmannC'est avec une infinie tristesse que

nous avons appris le décès brutal denotre ami et collaborateur LucienGoldmann. Sa personnalité, ses re-cherches ont profondément marquéces vingt-einq dernières années. Dès"après-guerre, son activité inlassables'attache à faire connaître l'œuvre deGeorg Lukacs; auprès de dizainesd'étudiants et de jeunes professeurs,alors qu'il n'existe pas encore d'édl·tion française d'Histoire et Conscien-ce des classes, Il en traduit patiem-ment le texte. Sa thèse sur Kant, Ins·pirée de l'idée lukacsienne de • visiontragique du monde -, Introduit unenouvelle méthode d'analyse en his-toire de la philosophie. Il travailleaussi en collaboration étroite avecJean Piaget et son équipe. De cesrencontres et de ces approfondisse-ments, naissent des textes qui re-nouvellent complètement l'interpréta-tion de Pascal et de Racine. Le Dieucaché suscite des discussions pas-sionnées. Depuis lors, dans de mul·tiples congrès, à l'Ecole pratique desHautes Etudes, Lucien Goldmanns'appliquait à une double tâche:déterminer, d'une part, dans l'optiqued'un marxisme ouvert, une épistémo-logie rendant compte des dynamis-mes socio-idéologiques et poursuivre.d'autre part, l'analyse des œuvres etdes qenres littéraires. Et les jeuneschercheurs savent combien son ac-cueil était généreux: et ses collè-gues, quelle amitié il conservaittoujours dans les discussions.«La Ouinzaine littéraire -, qui con-

sacrera bientôt un ensemble d'artl·cles aux travaux de Lucien Goldmann,présente ses affectueuses condo-léances à Annie Goldmann et à sesenfants.

Monsieur le Directeur,Je viens de découvrir dans la

Quinzaine (n° 102) mon «inter-vention au Colloque de Lochessur l'avant-garde littéraire. Jetiens à souligner que ce texte, pu-blié à mon insu, est extrait d'unelettre adressée à M. Gadoffre pourlui expliquer mon absence au col-loque.Je ne renie aucune des idées que

j'exprimais en privé, surtout pas leconstat d'un retard croissant quirelègue la France au rang des«pays culturellement sous-déve-

Mais si j'avais prévu quema lettre fût publiée, jamais jen'aurais mis en cause, nommé-ment, deux revues que j'estime,d'une manière qui, sans autreexplication, relève de l'insulte gra-tuite: «Change reste TelDouble mise au point:1° N'importe, ou tant mieux, si

les divergences théoriques demeu-rent possibles,. l'œuvre que TelQuel poursuit sans transiger depuisdix ans est d'une portée décisive.

tiers monde affirme Simultanémentl'universalité de l'idéologie et la varié-té des voies et des moyens révolution-naires. «Le socialisme est fondamen-talement un régime unique. Il n'y apas de socialisme russe ou allemand,chinois ou africain; toute tendanceà copier mécaniquement un modèlerévolutionnaire en lui accordant unevaleur universelle est, au mieux, dusubjectivisme. ,.Ces dernières affirmations consti-

tuent, à la fois, la description et lacondamnation de la ligne chinoise.Car, de 1959 à 1969, tout en nuançantces jugements sur les pays de tiersmonde en fonction d'impératifs diplo-matiques, la Chine s'est inflexible-ment engagée dans la définition d'uneseule voie vers le socialisme: la mo-bilisation des masses pour la lutte ar-mée. L'universalisation de la voie chi-noise implique la vérité et l'authenti-cité du modèle présenté et réalisé parMao Tsé Toung.Peut-être y avait-il dans la théorie

marxiste une dualité possible de si-gnifications, et cé n'est pas le moin-dre mérite de cette étude de montrercomment l'histoire concrète a analyséune pensée qui se voulait fondamen-talement une. La Russie et la Chinesont parvenues à la ·révolution par descheminements différents. Les événe-ments de 17 amenèrent rapidementle parti bolchévik au pouvoir dans unpays présentant un immense retardindustriel. Sans méconnaïtre le rôledes facteurs idéologiques, Lénine mitl'accent sur l'importance de la techni-que et de la compétence pour éleverla Russie à un haut degré de produc-tion et de technologie. De Staline àBrejnev-Kossyguine cette ligne futI>oigneusement maintenue.Au contraire il fallut à l'armée rou-

ge chinoise vingt années de guerrepour conquérir le pouvoir. Les exi-gences de la lutte donnaient aux va-leurs morales une primauté sur lescompétences techniques. Sans nierl'importance des transformations éco-nomiques - le parti chinois accepteJa voie de l'industrÙ!,lisation- rapide -la révolution de Mao Tsé Toung comp-te davantage sur les capacités deshommes, mobilisés autour d'une foipolitique, pour triompher de toutes leI>insuffisances matérielles. La «révo-lution culturelle» pose comme prin-cipe premier la fidélité intransigeanteaux valeurs morales inscrites dans lapensée du Président Mao Tsé Toung.Chacune de ces révolutions, en valo-

risant sur le plan théorique sa propreexpérience de la prise du pouvoir, faitéclater le marxisme en ses deux élé-ments constitutifs essentieis : la trans-formation de l'homme dans le sensde la justice, la transformation dumonde par le travail et la technique.Il est à noter - et le philosophe peuty trouver matière à réflexion - quecette dissociation s'effectue conformé-ment aux traditions et aux attitudespar lesquelles s'opposent une civili-sation occidentale préoccupée par larecherche des conditions objectives dudéveloppement et une civilisationorientale plus tournée vers les condi-tions subjectives de l'existence. Lacontroverse idéologique serait-il lemasque d'un conflit plus ancien entrel'Occident et l'Orient?

Louis Arenilla

H. Carrère d'Encausse, S.R. SchramL'U.R.S.S. et la Chine devant lesRévolutionsdans les sociétés industrielles.Travaux et recherches de sciencepolitique,Armand Colin éd., 108 p.

L'analyse d'Hélène Carrère d'Encaus-se, maltre de recherches au Centred'étude des Relations internationaleset de Stuart R. Schram, directeur duContemporary China Institute deLondres, pourrait passer pour unesimple monographie qui retraceraitles attitudes de la Russie et de laChine devant les diverses tentativesrévolutionnaires du tiers monde. Maisdans la mesure où les comportementsdes deux pays qui se réclament d'uneidéologie commune sont reliés à desexpériences révolutionnaires dissem-blables, cette étude devient une ré-flexion sur la théorie marxiste et sarencontre avec l'histoire.Elle est d'abord le procès-verbal

d'une rupture et de ses développe-ments; l'Octobre russe n'est plus lephénomène fondamental dont la ré-volution chinoise ne représentait quele prolongement et l'écho. Celle-ci dé-ment la volonté soviétique de conti-nuité ou de flliation en prenant despositions fortement d1fIérentes sur unplan où l'idéologie aurait dU cepen-dant préparer les deux pays à se re-joindre dans des jugements communs,l'appréciation des mouvements révolu-tionnaires du tiers monde.Depuis le divorce sino-soviétique de

1958, les divergences se sont accen-tuées. Dans une première période, de1959 à 1960, l'Union soviétique aban-donne les théories de la III' Interna-tionale, met l'accent sur l'aspect poli-tique de l'indépendance et sur l'orien-tation progressiste de la bourgeoisienationale. C'est admettre que desforces non prolétariennes peuvent con-tribuer à préparer les conditions deréalisation d'un projet socialiste enliquidant l'exploitation féodale descampagnes et en instaurant un capi-talisme d'Etat. La coopération avecNehru et les gouvernements nationauxdu Moyen-Orient se fondait sur cetteanalyse. De 1960 à 1963, la radicali-sation constante de l'action politiquedaIlf le tiers monde, qui conduit deséquipes non communistes à jouer lerôle d'avant-garde en réalisant desréformes de structure économique ditessocialistes, oblige l'U.R.S.S. à inventerle concept de «démocratie nationale»définie comme l'union des ouvriers,des paysans et d'une partie de labourgeoisie. En même temps se fait;our l'idée d'une voie. non capitaliste.Eufln, dans la période 1964-1969, deuxréalités accaparent la réflexion desSoviétiques: les couches intermédiai-res <intelligentzia, fonctionnaires, etc.)et l'armée, deux forces qui jouent unrôle considérable dans le nouveaucadre de la «démocratique révolution-naire» pour le maintien de l'indépen-dance politique et la modernisationtechnologique.L'idée de ces nouvelles analyses est

que l'orientation d'un mouvement oud'un régime n'est pas liée au carac-tère de classe de ceux qui le dirigent.A travers toutes ses étapes la théoriesoviétique de la révolution dans le

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Page 23: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

POLITIQUE

Histoire d'un couple

1Philippe AlexandreLe Duel de GaullePompidouGrasset éd., 420 p.

Le titre du livre de PhilippeAlexandre ne répond pas exacte-ment à son contenu car ce qu'ilnous raconte n'est pas tant le ré·cit d'un duel que l'histoire d'uncouple. Ou, si l'on préfère, la find'une liaison. Ses chapitres, quis'appellent « La Rencontre »,«Les Jours gris », ou «La Rup-ture» (laquelle précède curieuse-ment «La Brouille») voient serejoindre affaires d'Etat et étatsd'âme. Le général ressent la so-litude comme une «souffrance»(p. 183) ; M. Pompidou, qui asouffert des «tourments'> et des4: chagrins ignorés'> (p. 256), mur-mure: «Il fut un temps où legénéral m'aimait... :t (p. 198).Seulement, ces douleurs res-

taient ignorées de tous, sinon desfamiliers. On doit de pénétrerdans ces intimités illustres au pro-cédé de l'auteur qui a interrogé,nous dit-il, quatre.vingt dix perosonnalités: son livre est un ma·gnétophone dans une anticham·bre. Le résultat est d'un vif inté·rêt en ce sens qu'il présente l'his·toire des relations du général deGaulle avec son futur successeurtelle que la saga du gaullisme esten train de la construire. La re·marque ne retire rien à ces pagesbien enlevées, ni au talent dutranscripteur, elle ne vise qu'à si·tuer le récit avec une certaineprudence. Prudence alertée dès lapremière page par l'insolite pa·tronage de Constantin Melnik quipassait un peu pour le Foccartde Michel Debré (c'est au moinsce que l'on pouvait lire dans leMonde en 1959). A ce titre, onne s'étonnera pas exagérément devoir les préparatifs de mai }958qualifiés de «soi·disants com·plots '> - encore que «préten.dus'> eût été préférable.Un second .motif de prudence

vient de ce que M. agagné, ce qui incite les interlo·cuteurs de Philippe Alexandre àsouligner, fort humainement, lacontribution éminente du futurPrésident. c L'histoire ne saurajamais quel rôle immense a jouéPompidou dans mise en placede la V' Républiqûe aurait con·fié le général en 1959, lorsquecelui·là retournà. à. sa banque(p. 76). Même. du pouvoir,

Dessin de Vasco

c'est lui qui, de 1959 à 1962, «faitles ministres'> si l'on en croit Ro·bert Buron (p. 86), et à peine àMatignon, il devient «le chef defile des barons» (p. 109). L'en·quêteur enregistre, glissant p!lr·fois, cependant: «Ecoutons lalégende... » (p. 37). On ne sau·rait en tout cas lui imputer une.excessive complaisance à l'égarddu locataire de l'Elysée, ni dansle portrait (il traverse, indiffé·rent, le Front populaire et l'Oc·cupation), ni dans l'appréciationd'une gestion qui fut loin d'êtremiraculeuse (Premier ministre, illaisse nonchalamment l'inflationse développer). Sans complexe, ilaffirmait un mois et demi avantla crise de mai 1968: «Je n'aipas le sentiment qu'un gouverne-ment aussi efficace ait déjà gou·verné la France aussi long.temps... » (p. 217). Il est vrai queson prédécesseur avait dit à peuprès la même chose. La modestien'a jamais été la vertu dominantede la V' République.Le livre apporte une foule d'in·

dications qui éclairent la faceobscure d'événements dont on neconnaissait que l'aspect officiel.Sont·elles toujours décisives? J'aiété surpris, par exemple, de cequi est dit du rôle attribué àM. Pompidou entre les deux toursde l'élection présidentielle de1965, car le Premier ministre étaitalors comme tombé dans unetrappe et cet oubli le fâchait fort,si je me souviens de la conférencede pres8e mans8ade qu'il tint le

16 décembre, salle des Horticul·teurs, se plaignant notammentque la commission' de contrôle luiinterdise d'apparaître à la télévi-sion (M. Peyrefitte, ministre del'Information, « enrage d'êtrecondamné à l'impuissance », p.171). Ses auditeurs n'avaient vrai·ment pas l'impression de se trou·ver devant le deus ex machina dela campagne gaulliste. C'était Mi·chel Debré qui émergeait de lamédiocrité des propagandistes of-ficiels, grâce en particulier au fa·meux débat qui l'opposa à Pierre'Mendès France à Europe 1. Saperformance l'avait, disait - onalors, ramené dans les faveurs dugénéral qui décida son retour augouvernement et l'occasion per-mit au Premier ministre d'élimi·ner Giscard. Selon Philippe Ale-xandre, c'est au contraire Pompi.dou qui aurait proposé Debré àun de Gaulle réticent.Un autre point qui m'a étonné

est l'affirmation selon laquelle legénéral aurait commencé à aban-donner les affaires à son Premierministre au début de 1966 (p.188), alors que cette période estprécisément marquée par la mul·tiplication des initiatives prési.dentielles dans des domainespourtant éloignés des classiquesobsessions gaulliennes, en particu·lier la tenue de conseils à l'Ely-sée sur la télévision en couleur etle déficit de l'O.R.T.F. (15 mars),l'urbanisme (28 avril), la réformedes polices (20 mai), la politiqueénergétique (31 mai), ou les

grands projets technologiques(19 juillet)... Le Chef de l'Etatvenait d'autte part de formulerdans sa conférence de presse du21 février la doctrine de la majo-rité présidentielle à l'image de la·quelle devait être la majorité par·lementaire. Cette conception, quiavait été prônée par le rival deM. Pompidou, M. Giscard d'Es·taing, conduisait à retirer toutleadership politique au Premierministre puisque la majorité àl'Assemblée, celle dont il se vou·lait le «patron », ne devait plusêtre que l'ombre portée de cellequi s'était réunie le 29 décembre1965, dans le pays, sur le candidatCharles de Gaulle.A l'automne cependant, le Pré·

sident réélu abandonna à son Pre·mier ministre la préparation desélections législatives de mars 1967,et c'est alors que M. Pompidous'affirma comme le leader de lamajorité parlementaire. Il assuradéfinitivement son autorité face àune Assemblée difficile tandis quele général s'éloignait vers seschimères, québecoi"es ou autres.Il existait donc une certaine

logique, inhérente aux ressortsambigus du régime. L'électionprésidentielle avait souligné quele Premier ministre n'était qu'undirecteur de cabinet, les législa.tives lui rendirent une initiativequ'il ne devait plus lâcher. Enmai 1968, il perdit bien son paride la réouverture de la Sorbonne,mais ce n'était qu'une bataille etce fut lui le véritable triompha.teur des élections de juin. Aussin'est·il pas étonnant que le géné.raI l'ait congédié, avant de tenterde ressaisir un contrôle qui luiéchappait en recourant à l'armegaullienne par excellence, le réfé·rendum: Frédéric Bon l'a trèsbien démontré dans un récent ar·ticle de la Revue française deScience politique (1).Cette logique dessine en quel.

que sorte le s<fuelette des événe·ments, mais un squelette sanschair. On comprendra querêt du récit de Philippe Alexan·dre ne réside pas dans l'analysecritique des situations ; il est toutentier dans la description des hu·meurs de ce couple qui ne 8esupporte plus: la lassitude dumonarque vieillissant, et l'impa.tience du favori qui avait tropbien retenu sa leçon.

Pierre A tJril(1) • Le référendum du 27 avril

1969: suicide politique ou néceSSitéstratégique? (avril 1970).

La Cb!'."'ac Uttérake du 16. au JI octDbre 1970 23

Page 24: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

L'Orient second1Jacques BerqueL'Orient secondGallimard éd., 448 p.

Nous sommes pris, c'est en·tendu, dans la tenaille nature etculture; entre l'Espace à domi-ner par l'atome et l'ordinateur,et les espaces en friche autour,au fond de nous. A cause de cedéchirement, c'est entendu, iln'est plus d'esprits universels...Et si un homme entreprenait

de faire le point d'un demi-siècled'« irrésignation :.? Un hommeayant vécu l'Orient et non vécuen Orient, ayant remis en causel'Occident natal pour voir com·ment il est, déjà, profondément,modifié par les autres cultures ?Alors nous verrions se dessinernotre tâche nouvelle: le «mou-vement Pour être unepersonne, aujourd'hui, pour deve·nir soi, pour échapper auxagressions aliénantes, il ne suffitplus de connaître plusieurs cul·tures. Ni d'ouvrir un regard cu·rieux sur la constante transforma·tion, sur les différences. Il nesuffit pas de savoir que les BlackMoslems de New y ork·Harlemdiffèrent fondamentalement «lesmusulmans africains, ni que déjà,depuis «les Demoiselles d'Avi·

notre art est nègre etl'art des Mricains contaminé. LesAméricains ne sont pas seuls«coupés de leur Nature d'ori·gine et, comme disait Jung,« orphelins à la recherche de leur

Nous sommes tous desorphelins revendicants. Reven·dication globale et décisive : unirla Nature et les diverses cultures.Donc modifier techniques et rai-sons: le «logos:. doit devenirmultiple. Mais comment? Et quipeut indiquer le chemin ?Peut·être Orient second. Médi·

tation avant tout poétique, c'est-à·dire fondamentale d'un hommejustement qui revoit, réexamine,bref revit les diverses culturesqu'il a connues et la nature oùil s'enracine. Nous vivons dansun coin du monde, et ses pro-blèmes, sa culture en mouvement,et notre déchirement s'affrontent.Alors «comment s'armer d'uneraison qui sans ré-duireOrphelins, prisonniers, nous

contemplons des «paysages dé-sertés du sens ancien, et qui n'ontpas trouvé de sens

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C'est vrai pour l'Occident, quis'affirme triomphant mais se saiten danger de dissolution. Plusvrai encore pour le tiers monde,ce «tiers exclu qui «chercheà conquérir son histoire sansrenoncer à

L'homme qui se cherche

Jacques Berque n'a pas «par-couru le monde, comme on ledit des grands voyageurs: il atenté de le revivre, de lui rendreà travers ses affrontements, laseule unité, la seule communemesure possible : celle de l'homome qui se cherche. Il y fallait unesprit rompu à la diversité deslangages - ce qui implique uneréflexion fondamentale sur leLogos, et sur les diverses maniè-res de manier la raison. Maisaussi un esprit accoutumé auxsciences sociales, c'est·à-dire àsituer, face aux visages divers dela Nature, les cultures diverses.Surtout, il y fallait le don derevivre l'ensemble de ses émo-tions, de ses Csensations, de sesconnaissances.' C'est - à - djre unpoète.Le chemin n'est pas facile. Un

regard -sur l'Occident suffit pour·que ses contradictions montrentl'inanité de· prétendre à une«culture L'Améri-que, hyper.occident, ne porte-t-elle pas en son cœur le pro-blème des Américains noirs?Quand un homme tente de lerésoudre par la non.violence,autrement dit une synthèse descultures, il est «choisi par lamort : c'est Martin Luther King.Les violents ne meurent pasmoins: témoin Malcolm X...mais ils choisissent la non-Amé-rique: les Black Moslems, quine sont pas exactement l'Islam,ni exactement l'Afrique: c'est,déjà et très naturellement, unesynthèse. L'Amérique n'a offertà ce dixième de sa populationque «ramère vertu de la prolé-tarisation, qui multiplie r énergiede laAinsi donc l'Occident inclut

son contraire.Mais ce contraire, l'Mrique,

pour notre poète du mouvementglobal, c'est «la remontée versles l'accession de laNature à l'histoire. En grandeCasamance, où b 0 u r g a d e et

brousse se fondent l'une dansl'autre, résolvant un instant, pournotre sensibilité, l'opposition en-tre Nature et Culture, le voya·geur constate la mouvance, lafin: «ce paradis est égalementcondamné par r économie mo-derne et par r éthique de rIs-

La société archaïque, iné-luctablement, surgit dans l'his-toire. Mais que Il e histoire?L'histoire prosopopée (celle quidégoûte justement Foucauld), cen'est pas la vraie. L'histoire,c'est l'entrée d'une nation, d'uneculture, dans l'ensemble complexedu monde, fait de toutes les au-tres cultures: un peuple s'accom-plit, aujourd'hui, non à partir delui seul, mais à partir des autres.

Les démonstrations de man-quent pas. Et si l'universalité del'expérience chinoise est mise encause, c'est justement au nom dela diversité nécessaire. Un modèle

qu'il soit de Marx-Lénine oude Marx·Mao - ne se transposeni ne s'applique: il se modifie.Nous examinons, chemin faisant,divers modèles de décolonisation,dont celui de l'Inde. Et il fautbien conclure qu'il n'existe pas- malgré la joie qu'on en aurait- de système prédestiné. «Ilfaut multiplier face à rOccidentd'autres hypothèses de rhomme...y compris sur le plan industriel.Il faut, sans pleurer sur l'inéluc-tahle nécessité du mouvement,découvrir chaque fois 'un sensdu mouvement, une intégrationdifférente des indispensahles tech-niques.

Au-delà des étiquettes

Berque a le courage de mon-trer les réalités au-delà des éti-quettes: libéralisme, socialisme ;c'est de la fidélité d'applicationdes idéologies invoquées que dé-pend la réussite: «une éthiquesociale n'est telle que par la fidé-lité aux bases. Car, si la phasetechnologique doit être vécue,comment doit-elle se vivre dansles différentes cultures? Berquerésume les espoirs des auhes dedécolonisation, et les désillusionsqui pleuvent en chemin, en uneformule superbe: «L'optimisme,en histoire, n'est pas de croireau bonheur, c'est de croire auxproblèmes. Et «La retrouvailled'une patrie est aussi MJUicitation

d'autres patries en vue d'un dia.logue universel.

Alors il faut remettre en ques-tion la part de Marx qui plongedans le XX· siècle. C'est peut·être,pour Jacques Berque qui, commepresque tous les intellectuels occi-dentaux, a voulu y croire, leplus courageux retour sur l'His-toire et sur soi. La classe ouvrièrene peut être définie, pour tou.jours, «dans les seuls termesd'une sociologie du Lesconditions du travail évoluent,mais l'environnement anthropo-logique plus vite encore. Auxpaysans, aux ouvriers, vient sejoindre un troisième facteur hu-main: l'intellectuel. Le pouvoirqui lui est propre a un nom:l'expression. « L'intelligentsian'est pas une classe: c'est unrôle. Aussi peut-être participerde toutes les classes: son rôleest d'analyser, donc de critiquer,d'inquiéter. «Dès qu'il rassure,dès qu'il s'assagit, il n'est plusun intellectuel. Il ne peut êtreque le symbole de l'histoire·se·faisant.

Multiplicité, diversité

Multiplicité des cultures: im·possibilité d'un modèle uniquetransposable, constante recherche,diversité de l'homme et du mon-de. Mais ne le savions-nous pasdéjà? Nous le savions peut·être :mais dans rOrient second JacquesBerque nous invite à le vivre. Anous revivre. A resurgir de nosfaux espoirs et de nos désespoirspour comprendre, ressentir, res·tituer ce qui seul peut nous sau-ver la distorsion, de la noyade.Il ne nous indique rien : il nousfait cheminer du' Machrek auMaghreb en passant par la Cali-fornie, l'Inde, la sylve de l'Mri-que sud-saharienne et nos çultu-ces natales d'Europe. Ce voyageà la fois dans l'espace et dansnos intérieurs, que nous remon-tons comme des fleuves, nousoblige d'admettre la multiplicitédéjà entrelacée des cultures, desarts, des vues du monde. Déjà,le dynamisme interne oblige celuiqui refuse l'enlisement à vouloircombler le fossé entre soi et lesautres non. pas sa culture, maispar une c: nouvelle élaborationde l'humain

Dominique Desanti

Page 25: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

vawar MallkuLe sang du condor

Septembre-Octobre InO

Les LettresNouvelles

de groupes humains, de l'ethno·cide, par destruction de leursénergies physiques (famine, tra-vail forcé, dénutrition, etc.) oupsychiques et sociales (déraci-nement, décomposition descroyances et des institutions,démantèlement des systèmesde relations avec la collectivitéet l'univers, etc.). Cette mortobscure, silencieuse, anonyme,est comptabilisée dans les sta-tistiques comme phénomènenaturel (épidémies, maladiesendémiques, manque d'hygièneou de calories, et autres rubri-ques) .Aussi significative qu'elle soit

de la criminalité impérialiste,la double mort d'Ignacio Mallkua besoin d'autres éléments pouratteindre à l'universel. Précisé-ment, pris dans le jeu croisé decette double mort, ces éléments

Nivaria TejeraMaurice Roche

J. L. Borges HawthorneR. Kostelanet2: L'art inférentielJean Métellus Tom WolfeJ. P. Amette Pierre Chappuis

Roger Borderie Michel VacheyFlora Dosen Dimitru Buican

Edith Fournier "Sans", de BeckettC. Koroneos La tragédie comme modèle

Jean-Jacques MarieL'affaire des marins de la Baltique

stérilité des femmes indienneset de la sienne propre, qui con-duit l'expédition punitive, quiprononce la castration, Ignacioest voué à une sorte de mort• active -, assassinat rapide,exécution crapuleuse, par coupde fusil, ou de pistolet, ou decouteau, et qui vise à l'élimina-tion systématique des «me-neurs -, des «militants. (quel'on pense aux assassinats deLumumba, de Ben Barka, de CheGuevara) .Laissé pour mort et s'étant

traîné jusqu'à l'hôpital de laville, il subit une seconde mort,mort. passive ., lente, qui n'enfinit pas, dans la vaine attented'un sang qui pourrait le sau-ver - mort par perte irréver-sible de la substanée vivante,où l'on peut voir le modèle del'anéantissement systématique

pas laissé prendre au piègedes m,otifs, certes impression-nants, de la stérilisation et dela castration; au contraire, illes inscrit comme repères bienconcertés et distribués dansson récit, il les transforme enmodèles fonctionnels grâceauxquels sont mis en perspec-tive et vigoureusement articu-lés les éléments constitutifs dudestin d'anéantissement réser-vé aux Indiens d'Amérique duSud - apportant ainsi une piè-ce saisissante au dossier del'ethnocide ouvert par RobertJaulin avec la Paix Blanche.Si la figure originale d'Igna·

cio Mallku, le • responsable.de la petite communauté in-dienne, supporte le déroulementdu film, elle n'est pas traitéesur le mode romanesque ou hé-roïque. Non seulement la pré-sence et l'action de Mallku nedétournent pas de l'essentiel,mais elles y renvoient sanscesse. Grâce au procédé sim-, pie et traditionnel du flash-back,le réalisateur introduit commeune cassure dans l'existencesingulière et unitaire du person-nage, il la décrit comme unedouble progression vers lamort: homme d'action, qui mè-ne l'enquête sur l'origine de la

Sous couvert d'alliance pourle progrès et d'aide aux paysdu tiers monde - on distribue,de fait, à de Jeunes enfants pull-overs et chaussures de basket- de bons Américains, volon-taires des Peace Corps, prati-quent au Centre médical qu'ilsont installé dans un petit vil-lage de Bolivie la stérilisationdes femmes indiennes; les In-diens démasquent leur entre-prise, s'emparent des Améri-cains et les châtrent; en repré-sailles, la police bolivienneprend quelques «meneurs. etles fusillent.Ce fait divers fournissait un

excellent scénario, d'où quel-que commerçant-réalisateur, hol-Iywodien ou autre, aurait sansdoute tiré un film alléchant, unehistoire à suspens et à pathosentraînant dans l'impasse d'uneanecdote plus ou moins drama-tique le sens fondamental del'événement, à savoir l'actionethnocidaire délibérée de l'im-périalisme yankee. Le cinéastebolivien Jorge Sanjinés ne s'est

'1 Le Sang du CondorFilm bolivien deJorgè Sanjinès (1968)Studio Saint-Séverin,Studio Parnasse

La Q.!!inzainc Littéraire du 16 au 31 octobre 1970 25

Page 26: Quinzaine littéraire 104 octobre 1970

Le 88ng du condor

Roger Dadoun

Commerce

Dans son 17" cahier, à paraître le20 octobre, • Commerce. publie leCode criminel ou Manuel des Inqulsl.teurs d'Espagne et du Portugal. Da·tant du XIV· siècle, ce texte redou-table semble aujourd'hui avoir sonapplication dans d'autres domainesque celui de la foi. Au même som-maire: "La seconde mort de Jean'Paulhan _, par André Dalmas, et lesœuvres de Denis Roche, Viviane For-rester, Roger Munier. Jean Rlcardouet Pierre Pachet. (Nouveau QuartierLatin, 78, bd Saint-Michel, Paris.)

littérature française avec un texte,très pudique, de Louis Guilloux quirevient à sa première source d'Inspi-ration, celle de • La Maisdn du peu-pIe.; la littérature américaine, re-présentée par une nouvelle de CarsonMcCullers; la poésie, illustrée parJean-Claude Schneider et Albert Fa-bre; l'histoire: Edith Thomas racontele séjour de Louise Michel en Nou-velle-Calédonie. Par ailleurs, Jean-Clarence Lambert présente une intro-duction à la poésie suédoise avecdes traductions de Carl MichaelBellman et August Strindberg. Dansles études critiques: Jean Blot parlede Julien Gracq, Anne Fabre-Luce deJacques Borel et Michel Gresset de'Faulkner.

de la Vierge et une grande pho-to de pin-up, un morceau dejournal représentant la tête deChe Guevara assassiné. LaVierge, la pin-up et le Che: decette insolite trinité, caractéris-tique d'un désarroi culturel,c'est la figure du Che qui prend,derrière l'écran si l'on peutdire, toujours plus d'ampleur,pour triompher dans la sobreséquence finale: Mallku mort,Sixto, ayant revêtu ses vête-ments indiens et repris cons-cience de son indianité, revientau village natal, non plus dansun mouvement las et stérile,mais d'un pas résolu et vif,pour ce qui s'annonce commeune longue, longue marche... Ladernière image claque commeun coup de feu: une photo debras dressés brandissant desfusils - clôturant le film, l'ou-vrant sur quelque chose d'au-tre, sur l'annonce d'une nou-velle étape.

Critique (n° 279-280)

Europe (n° 496-497)

La Nouvelle RevueFrançaise (n° 213)

Poétique (n° 3)

Tous les genres sont représentésdans cette livraison de rentrée. La

Ce numéro très riche s'ouvre surun très beau texte de Jean Staro-binski sur «Le style de l'autobiogra-phie.. Au sommaire, on relève lesnoms de René Girard, Sylvère Lotrin-ger, Tzvetan Todorov, Michel Deguyet enfin Raymonde Debray-Genette(avec une étude passionnante sur«Les figures du récit. dans • Uncœur simple .).

Numéro très écleètique avec com-me principaux thèmes Jules Verne,Milton, Jacques Roubaud, les indiensYanoama, Maurlche Blanchot, JohnDewey et Roger Caillois.

Numéro entièrement consacré àMarcel Proust. Malgré le grand nom-bre de c011aborateurs, on ne peutguère y lire beaucoup de choses neu-ves sur un sujet déjà longuementexploré. Signalons cependant les con-tributions de LiQnel Mirisch, de Ro-ger Bordier et d'e Jean-Noël Vuarnet.

'.

ques plans ou brèves séquen-ces, quelle fonction vitale ellesassument dans une appréhen-sion cohérente et total isatricede l'univers et une aperceptiondynamique et créatrice desénergies du groupe et des indi-vidus : séquence nocturne de ladivination, avec invocation de ladivinité maternelle, où le grou-pe se saisit et, s'affirme danssa volonté de comprendre, delutter, de durer - et superbeimage solaire, montrant Mallku,minuscule point noir vissé auflanc de la montagne, en train,selon les paroles d'un Ancien,de « s'inonder de soleil -, c'est-à-dire de déchiffrer et de sti-muler ses forces vives en vuedu combat.On ne s'étonnera pas que le

film se termine par un appel aucombat. Dans la misérablechambre de Sixto, on avait puapercevoir, épinglé sur le muret à demi masqué par un vête-ment pendu, entre une image

LES REVUES1

et élégantes, noirs et blancsanguleux et contrastés s'oppo-sant à la douce grisaille de l'uni-vers indien), à la recherched'argent ou de sang pour sau-ver Mallku, est une successiondésordonnée de mouvementsfragmentaires, désespérés -chaque mouvement accrochantcomme au passage tel aspectd'une indianité dégradée et desforces qui maintiennent et pro-voquent cette déchéance: latroupe qui défile quotidienne-ment, musique en tête, pourrappeler qu'on ne se révolterapas impunément; la bourgeoi-sie bolivienne américanisée(les enfants s'appellent Johnny)r e c e van t -dans l'opulence(grands hôtels, somptueusesvoitures, banquets) de fameuxet inutiles "experts -, typeUNESCO - et voici l'autreface: sous - prolétariat sur-exploité, minables chambresbanlieusardes, clochardisation,délinquance, malades éncom-brant les hôpitaux...Des motifs musicaux remar-

quablement appropriés - air de ..---------------------------flûte ressassé, inlassable, enve-loppant, coriace et nostalgique,appuyé parfois sur des tam-bours et modulant l'indianité, etsonorités heurtées, percussionsisolées, agressives, pour «no-ter - la ville - participent à laconstruction des ensembles an-tagonistes. Il n'est peut-être pasarbitraire de lier à la musiqueles valeurs religieuses indien-nes, que les accusatiens chré-tiennes traitent de «supersti-tions - et de «paganisme -, etdont le fiim suggère, en quel-

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Il..ur-vw.Da.

se présentent, sommairement,dans deux constructions princi-pales: la première s'inscritsous le signe de ce qu'on pour-rait nommer l'indianTté authen-tique, elle a pour figure centraleIgnacio Mallku et pour caracté-ristique essentielle l'homogé-néité, plastiquement rendue parune gamme harmonieuse degris: gris des masures paysan-nes, fondu dans le gris de laterre, de la montagne et desnuages; gris plus épais desvêtements, les" ponchos - bro-dés; gris presque noir enfindes visages; homogénéité desformes, des expressions et descomportements, fondée sur uneéconomie du " peu - (" Peu sedisputent les chiens, peu lesenfants, peu rient -, dit HenriMichaux dans la .Cordillera deLos Andes) ou, mieux encore,selon la formule nette et fortede Jaulin, sur une " logique dudiscret -.A la fois antagoniste et com-

plémentaire du précédent, unsecond ensemble s'organiseplus ou moins autour de la per-sonne du frère d'Ignacio, Sixto,sous le signe de l'hétérogène,de la de la contra-diction, de l'indianité dégradéaet aliénée; paysan, Sixto tra-vaille dans une usine à la ville;Indien, il est vêtu à l'occiden-tale (blouson et pantalon) et re-nie sa communauté d'origine (àun adversaire, au football. quile traite d'" Indien stupide -, ilne trouve rien d'autre à répon-dre que "je ne suis pas unIndien! -) ; son errance à tra-vers la ville (blancheurs vives

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Jeuxde massacre• C'est surtout à la mort que

je demande pourquoi avec ef-froi -, note Ionesco dans sonJournal en Miettes. On peut, sil'on y réfléchit, retrouver cepourquoi dans tout son théâtre,ou presque. L'œuvre la plus évi-dente, à cet égard, la plus belleaussi, est le Roi se meurt..• J'avais écrit cette œuvre pourque j'apprenne à mourir. Celadevait être une leçon, commeune sorte d'exercice spirituel.-Un personnage de Jeux de Mas-sacre affirme: • Nous n'avonsqu'un seul mot à dire. - Celuide l'auteur est • la mort-.L'avant-garde, il l'a dit, se situepour lui du côté de l'Ecclésiasteet du livre de Job.Dans Jeux de Massacre, ce

n'est plus le roi qui se meurt.C'est le peuple, c'est-à-dire lepublic, chacun de nous. Une épi-démie ravag.e la ville. Defoe,Camus, Giono ont déjà exploitéle sujet. Ici, le traitement estassez différent. On pense à unerevue, à une série de sketchesoù chacun à son tour vient mon-trer comment il se sort de cetteépreuve à la fois terrible et in-décente qu'est la mort. Puisquenous sommes au théâtre, voiciun exercice redoutable pourtous les comédiens: réussir sasortie.

JI m'a semblé que les person-nages qui font rire sont ceuxqui ne croient pas à leur mort,qui ne l'acceptent pas. Ce sontles bourgeois qui se calfeutrentchez eux (et l'on a la surprise,le temps d'un éclair, de voir ap-paraître chez Ionesco un trait demorale humaniste: • Vous avezde la chance de ne pas risquervotre vie pour la vie des autres.D'autres, cependant, la risquentpour vous. »). Ce sont aussi lesmédecins, bien sûr, et surtoutles politiciens, car mourir n'estpas civique. (cc Les gens quimeurent sont de mauvais ci-toyens... Les mourants ne sontpas assez politisés... La mortest une véritable aliénation....)Ionesco, qui prend plaisir àégratigner les idées gauchistes,s'amuse à montrer des gens quipensent que la mort n'existepas pour ceux qui connaissentbien la doctrine et vont del'avant, toujours de l'avant. Au-delà de ses humeurs politiques,il rejoint là une des idées deson enfance. Il l'a rappelée dans

ses entretiens avec Claude Bon·nefoy:

foC J'avais fini par comprendreque l'on mourait parce què l'onavait eu une maladie, parce quel'on avait eu un accident, que,de toute façon, la mort étaitaccidentelle et qu'en faisantbien attention à ne pas être ma-lade, en étant sage, en mettantson cache-nez, en prenant bienles médicaments, en faisantattention aux voitures, on nemourrait jamais. -

Le schizoïde

Avec Ionesco, d'ailleurs, etc'est ce qui touche en lui, ilfaut toujours revenir à l'enfance.De l'enfant il a le vertige de-vant la vie, après la découvertede la mort; comme l'enfant, ilne connaît qu'une seule métho-de d'exploration de la réalité:celle de l'extràpolation, menéede façon méticuleuse. A cestraits on reconnaît le schizoïde,espèce mentale d'où sortenttant de grands écrivains.La progression dramatique,

dans le théâtre de Ionesco, s'ap-puie le plus souvent sur uneprolifération (exemples: lesChaises, Amédée, Rhinocéros).On va en même temps vers unparoxysme, un· déchaînement.Ici, où c'est la mort qui proli-fère, on voit l'horreur et la co·lère monter dans la population.L'auteur démontre' ainsi quec'est l'insupportable idée d'êtremortelle qui fait "humanitételle qu'elle est, avec ses guer-res, ses révolutions, son sa-disme et son masochisme, songoût de la destruction.

On est enfermé

La mort, thème dominant,n'est toutefois pas le seul de lapièce. On y trouve aussi celuide la prison et son ambivalence.Des prisonniers cherchent às'évader. A quoi bon, leur ditle dernier gardien, tous les geô-liers sont morts, les portes sontQuvertes. Mais s'ils sortent, ilsmourront eux aussi. Ainsi, quoiqu'il arrive, on est enfermé.André Breton disait déjà quel'œuvre de Ionesco est • à lafois la messe des fous et lafonde des prisonniers -.

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La CL.ubuaine Littéraire du 16 ;lU 31 octobre 1970 27

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Ionesco

Une grande scène développed'autre part l'idée qu'il y a peut-être plus sournois que la mort:on vieillit, on s'ennuie. Le mon-de perd sa fraîcheur, Une vieillefemme cherche en à con-soler son compagnon désabusé,Quand elle tombe, frappée à sontour par l'épidémie, elle a cemot bouleversant: • Tu guérirastoi aussi ».

La mise en scène de JorgeLavelli et le noir décor de Pacecontribuent grandement à éviterque Jeux de Massacre soit unspectacle rassurant, ou confor-table. C'est en effet le plusgrand danger, pour une telleentreprise. Si l'on relit le Jour·nal en Miettes de Ionesco, onle voit hanté par la peur de nefaire que de la littérature, alorsque ce qu'il cherche c'est à«être vraiment maître de mavie et de ma mort », ou plussimplement à se • soulager - :« C'est avec une sorte de sa·

tisfaction que j'écris sur la mi·sère et l'angoisse: commentpeut-on parler d'autre chosequand on a conscience que l'onva mourir?»Pendant que plusieurs dizai-

nes de comédiens, fondus enune troupe remarquablementhomogène, miment ainsi sur lascène du théâtre Montparnasseles mille façons de bien ou malmourir, Eugène Ionesco, en plei-ne campagne, dans la Mayenne,joue de son côté la mille etunième. Il tourne comme acteurson scénario, la Vase, à la Cha-pelle Anthenaise, le village oùil a passé une partie de son en-fance. C'est une entreprise de.la télévision allemande, avec'pour réalisateur l'écrivain Heinzvon Cramer. Dans la Vase, unhomme vieillit à vue d'œil touten marchant le long des che-mins creux, dans la campagne.c Comment les autres font·i1spour vivre... survivre?» Il sedébat faiblement entre le désirde vivre et la nécessité de mou-'rir. Le jour où je suis allé voirle tournage, la caméra filmaitde très loin un tout petitIonesco, couché les bras encroix dans un champ, au soleil.Image d'un instant de bon-heur? Image de la mort? C'estau choix. • J'ai toujours étélà -, dit le héros de la Vase,alors même qu'il retourne aunéant.

Roger Grenier

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BOMANSFBANÇAIS

Daniel ApruzLa bêlarnourBuchet/Chastel,300 p., 22 F.Un second roman oùs'affirment lespromesses du premierlivre de l'auteur:«La Baleine.(voir le N° 61 dela Quinzaine).

Monique BoscoLa femme de LothLaffont, 256 p., 15 F.Une femme face àla crise de laquarantaine.

J. Bouvier-CavoretDa deuxième personneColl. «L'écart.,Laffont, 168 p., 12 F.(Voir le N° 103 dela • Quinzainelittéraire -).

Hélène CixousLe troisième corpsPréface de L. Finas,Grasset, 240 p., 20 F.(Voir le N° 103 de la• Quinzainelittéraire .,)

Hélène CixousLes commencementsPréface de L. Finas,Grasset, 256 p., 22 F.(Voir le N° 103 de-la «Quinzainelittéraire ••)

Jeanne CressangesLe cœur en têteJulliard,224 p., 17,10 F.Le troisième romande l'auteur de«La chambreinterdite •.

Jacques DesbordesLes petits rôlesCalmann-Lévy,208 p., 15,60 F.L'aventure intérieured'un homme désabusé,qui échoue à Algerpendant la révolution,fuyant Paris et sespropres désillusions.

Annette EonL'or de BalboaBuchet/Chastel,160 p., 15 F.Un premier livrequi renouve avecla tradition desgrands romanspopulaires:

Léo FerréBenoit MisèreLaffont, 320 p., 20 F.Les débutsromanesques ducélèbre chanteur.

Jocelyne FrançoisLes bonheursLaffont, 256 p., 15 F.Un premier roman:l'amitié exaltéede deux femmes.

Pierre JeancardLa cravacheFayard, 240 p., 20 F.Le premier romand'un journalistechroniqueurpolitique:une histoirepaysanneautour du dramede l'enfance.

Serge HuetL'île imaginaireCalmann-Lévy,208 p., 16,50 F.Premier roman:les aventuresd'un jeune couplefuyant, sur une ile,la «névrose desgrands ensembles •.

KasCalmann-Lévy,232 p., 16,50 F.Le premier romand'un jeune auteurisraélien qui règleson compte à sonsiècle età son pays.

André MartinerieQuand finira la nuitGrasset, 272 p., 20 F.L'intrusion del'horreur,c'est-à-dire de lamaladie et la mort,dans une• existenceordinaire •.

Georges MichelLes bancsGrasset, 256 p., 20F.Après. lesTimides aventuresd'un laveurde carreaux •et • les Dravos.,par l'auteurdramatique des• Jouets. et de• la Promenadedu dimanche •.

Emmanuel PereireDétailsgrandeur natureCh, Bourgols,160 p., 14,30 F.Quatre-vingt-sixdiscours ou récitsà l'affût d'une• réalité masqLiéepar la normalité •.

Didier PermerleAssise devant undécor de tempêteColl. • L'écart .,Laffont, 152 p., 12 F.(Voir le N° 103 dela .Quinzainelittéraire ••)

Michèle PerreinM'oiselle S.Julliard,160 p., 15,40 F.Par l'auteur de• La sensitive •.André PierrardOn l'appelaitTamerlanPréfaced'A. Lanoux.Julliard,192 p., 17,10 F.Le romand'un réseaude la résistance.Jean RambaudQu'est-ee qui faitmarcher John Briant?Julliard,192 p., 17,10 F.La prise deconscienced'un quadragénaire,victime d'unaccident mortel.Josette VillefranqueNationale 9Buchet/Chastel,192 p., 17 F.Le monde violent,hallucinantet romantiquede la route.André WurmserLa kaléidoscopeJulliard,288 p., 20,90 F.Soixante-dix-septnouvelles marquéesau coin d'un humourassez cruel.

BOMA.NS..TBA.IIG.BS

Mikhaïl BoulgakovLa garde blancheTrad. du russe parClaude LignyLaffont, 336 p., 20 F..Par l'auteur du• Roman théâtral.et du • Maitre etMarguerite. (voir leN° 54 de laQuinzaine) .Patricia HighsmithRipley et les ombres:Trad. de l'anglaisCalmann-Lévy,320 p., 19,50 F.Un nouveau romande l'auteur de«Plein soleil.(voir le N° 51 dela Quinzaine).

• LeRoi JonesLe système del'enfer de DanteTrad. de l'américainCalmann-Lévy,224 p., 18 F.L'auteur de «Saved.(voir le N° 96 de laQuinzaine) nousdépeint ici en poètel'agonie permanentedu Noir américain.

Marjorie KellogDis-moi quetu m'aimes,Junie MoonTrad. de l'anglais parSuzanne MayouxGallimard,242 p., 19 F.

• G. K. Van Het ReveLes soirsUn récit d'hiverTrad. du néerlandaispar Maddy BuysseGallimard, 256 p.Un livre decontestation radicale,. 'qui a profondémentmarqué la jeunessehollandaise.

• S. 1. WitkiewiczL'inassouvissementTrad. et avant-proposde A. Van CrugtenEd. de l'Age d'Homme,538 p., 39 F.Traduit pour lapremière foisen français. unroman fascinantqui est sans doutele chef-d'œuvrede Witkiewicz.

Jean-Paul DumontLe hasard coaguléCh. Bourgols,96 p., 15,40 F.

Jean MarcenacL'amourdu plus lointainJulliard,112 p., 17,10 F.Poèmes politiquessur le tempsque nous vivons.

REEDITIONSCLASSIQUES

ColetteTrois-six-neufPréface deM. GoudeketBuchet/Chastel,170 p., 8 F.Colette et lesdéménagements.

• Panaït IstratiŒuvres - Tome IVLes Chardons duBaragan - TsatsaMinnka - NerrantsoulaLa Famille Perlmutter •Pour avoir aiméla terreGallimard, 536 p., 25 F.

• PolybeHistoireTexte traduit,présenté et annotépar D. Roussel

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Livres publiés du 20 sept. au 5 oct.Monique VialEric PlaisanceJacques BeauvaisLes mauvais élèvesPréface deR. DiatkineP.U.F., 176 p., 10 F.Un bilan critique desproblèmes poséspar les différentesformes d'échec etd'j nadaptationscolaire.

Léopold FlamLa philosophieau tournantde notre tempsP.U.F., 216 p., 38 F.La philosophiecontemporaine, ou larenaissance de lapensée dialectique.

Georges FradierLes renards Jumeaux.Préface d'A. KoestlerCalmann-Lévy,224 p., 15,60 F.

E. de Berredo CarneiroVers un nouvelhumanismeSeghers, 340 p., 18 F.Un recueil de textes,discours etconférences dus àun écrivain etdiplomate brésilienqui a consacré savie à la défense età l'illustration desvaleurs humanisteset latines.

BSSAIS

Dictionnaire dela géographiePublié sous ladirection dePierre George,assisté de G. ViersP.U.F., 456 p., 55 F.Un remarquableinstrument de travail,qui fournira unedocumentationapprofondie sur levocabulaire desgéographes.

François Fal'chunLes noms delieux celtiques •Deuxième série:Problèmes dedoctrine et deméthode, noms dehauteurs20 p. de cartesEditionsArmoricaines,'Rennes, 208 p.,18,90 F.Une publication duCentre de RechercheBretonne, et Celtiquede la Faculté desLettres et SciencesHumaines de Brest.

Fernand RobertUn mandarinprend la paroleP.U.F., 272 p., 25 F.Par un enseignantet un socialiste,une fougueusemise en questiondes lieux communsmis en honneurpar mai 68sur la réforme del'Université.

ENSEIGNEMENTPEDAGOGIE

Edmond MichaudLa pédagogiedes sciencesP.U.F., 120 p., 7 F.Une enquêteoriginale sur laformation de "espritscientifique chez lesenfants.

Chanzeauxvillage d'AnjouTrad. de l'anglaispar M. A. Béra16 pl. hors texteGallimard,496 p., 37 F.L'ethnographie d'unvillage d'Anjou (parl'auteur d', Un villagedu Vaucluse. • voirle N° 58 de laQuinzaine) .

Edouard BreuseLa co6ducatlon dansles écoles mixtesP.U.F., 160 p., 10 F.Les conditions et lesexigences d'unevéritable coéducationdes sexes.

Devenir personnelet approchepsychothérapique.

Robert BréchonLa fin des lycéesGrasset, 240 p., 18 F.Les problèmes quepose l'enseignementsecondaire en Franceanalysés, del'intérieur, par unproviseur de lycée.

• Thorstein VeblenThéorie de laclasse de loisirPrécédé deAvez·vous lu Veblen?par R. AronTrad. de l'anglais parLouis EvrardGallimard,328 p., 34 F.(Voir dans ce numérol'article deGeorges Friedmann,p. 3.)

Le contrôledes hommesRapport rédigé parun groupe de travailquakerBuchet/Chastel,160 p., 19,50 F.Comment maintenirl'importancenumérique de lapopulation mondialetout en sauvegardantl'intégrité desindividus?

Ernest HartmannLa biologie du rêveTrad. de l'anglaispar H. Lejeune etM. ThielenCh. Dessart,360 p., 19,50 F.Le mécanisme durêve étudié à lalumière des donnéesde la physiologie,de la biochimie etde la psychologie.

A. HesnardDe Freud à LacanESF éd., 150 p., 28 F.Par l'un destout premierspsychanalystesfrançais, fondateurde la sociétépsychanalytiquede Paris.

Simone FabienLa femme etles adolescentsGrasset, 160 p.. 12 F.Collection • Femmesdans la vie •.

Anthony StorrLa mutation de lapersonnalitéEd. Privat,188 p., 11 F.

• AlexanderMitscherlichPsychanalyseet urbanismeRéponse auxplanificateursTrad. de l'allemandpar Maurice JacobGallimard,208 p., 15 F.Paul l'auteur de«Vers la sociétésans pères. (voir leN° 81 de laQuinzaine) •

• Sociologiedes mutationsOuvrage collectifsous la direction deG. BalandierEditions Anthropos,532 p., 40 F.Textes de colloqueorganisé en 1968,à "Université d eNeufchâtel, parl'AssociationInternationaledes Sociologues deLangue Française.

Roman et lumièresau XVIIIe siècleEditions Sociales,480 p., 45 F.Textes du colloqueorganisé endécembre 1968 parle Centre d'Etude etde RechercheMarxistes.

Christophe BaroniL'Infidélité, pourquoi?BuchetjChatel,128 p., 12 F.Un ensemble d'étudessociologiques,psychologiques etpsychanalytiques,dues à différentsauteurs.

Françoise d'EaubonneEros minoritaireBalland, 340 p., 29 F.Le problème del'homosexualitédans nos civilisationschrétiennes.

SOCIOLOGIBPSY-CBOLOGIB

• Jean GattegnoLewis CarrollJosé Corti,416 p., 505 F.L'Univers deLewis Carroll.

.Yves BénotDiderot,de l'athéisme àl'anticolonialismeMaspero,256 p., 18,10 F.Une étudepassionnante, quinous révèle unaspect oublié del'œuvre de Diderot:sa réflexion politiquede philosophe• engagé.avant la lettre.

Lettres inéditesde Paul ClaudelIntroduction deMaurice Zundelet de J. MadaulePressesMonastiques éd.,diff. Weber, 50 F.Un Claudel inattenduse révèle à traversces lettres adresséesà une jeune malade,amie de l'une de sespropres filles.'

Raymond EscholierHugo,roi de son siècle78 photosArthaud, 344 p., 40 F.La vie du poètereplacée dans soncontexte historique.

Brigitte FriangRegard.tol qui meurs16 p. de photosColl. «Vécu.Laffont, 456 p., 28 F.Les souvenirs de lacélèbre journaliste.

Henry de MonfreidL'escaladeGrasset,272 p., 14,50 F.Le dixième, tome del'autobiographie del'auteur dont le titregénéral est:• L'Enversde l'aventure-.

Madeleine Jacob40 ans de journalismeJulliard,352 p., 20,90 F.De • Vogue. à• L'Humanité "de l'annexion de laSarre aux grandsprocès d'assises, lesmémoires d'unegrande journaliste.

Un recueilde témoignageset de souvenirs demilitants ouvriersfrançais qui ontconnu Ho Chi Minh.

Pierre BirnbaumSociologie deTocquevilleColl. • Le Sociologue.P.U.F., 160 p., 10 F.Un exposésystématique del'œuvre deTocqueville.

•••••••••••Georges DevereuxEssais

CaITI-'VR d'ethnopsychlatrleHISTOla. généraleLITTERAlaE Trad. de l'anglais

par Tina Jolas etH. GobardGallimard,424 p., 38 F.Le bilan d'une œuvrequi a contribuéà renouvelerfondamentalementl'anthropologiecontemporaine.

• Mikhail BakhtineL'œuvrede François Rabelaiset la culture populaireau Moyen Age etsous la RenaissanceTrad. du russe parAndré RobelGallimard,480 p., 38 F.Un ouvrage d'uneimportance capitale,qui fait datedans les étudesrabelaisiennes(voir le Ne> 69 de laQuinzaine) •

B IOGRAPBIESMEMOIRESCORRES·PONDANCES

Pierre DurandLa vie amoureusede Karl MarxJulliard,160 p., 14,30 F.Une vieexemplairementconjugaleet qui démentsingulièrementce titre quelque peuéquivoque.

l. FlguèresCh. FourniauHo Chi Minh,notre camaradeEditions Sociales,274 p.. 14,50 F.

Pierre ChanelAlbum Cocteau500 documents etphotosTchou, 272 p., 49 F.Une biographieen images, éclairéepar des extraits dujournal intime et dela correspondancedu poète.

Gabriel AudisioL'opéra fabuleuxJulliard,320 p., 20,90 F.Les souvenirs d'unhomme dont le pèrefut directeur duthéâtre municipald'Alger et qui vécutlui-même plus desoixante annéesen Algérie.

Raymond ChandlerLettresTrad. de l'anglaispar Michel DouryPréface de Ph. LabroCh. Bourgols,314 p., 23,70 F.Une correspondancepleine de charme etd'humour, qui jetteune lumière nouvellesur l'un des grandsmaîtres du romanpolicier américain.

• Bibliothèquede la Pléiade.Gallimard,1672 p., 65 F.

• Ernest RenanHistoiredes originesdu christianismePrésentation deBruno NeveuColl. ,Les grandsmonuments del'Histoire.150 documentsLaffont, 896 p., 85 F.

La Q!!inzaine Littéraire du 16 :w 31 octobre 1970 29

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Livres publiés du 20 sept. au 5 oct.

Otto DemusLa peinture muraleromanePhotographies deMax Hirmer250 pl. en noir102 h.. t. en couleursFlammarion, 590 p.,220 F.De l'an mil à laseconde moitié duXIII" siècle en Europeoccidentale.

Jean-Jacques HattCeltes et Gallo-Romains219 illustrationsdont 69 en couleursColl. «Archeologiamundi.Nagel, 336 p., 47,15 F.Une brillante synthèsedes recherches et desdécouvertes del'archéologiegallo-romaine.

422 ill. dont 81 encouleurs, 33 bichromie,388 en noirColl. «L'Univers desFormes·Gallimard, 450 p., 145 F.(prix de souscription132 F.)

Sabine CottéL'univers deClaude Lorrain54 lavisH. Screpel éd., diff.Weber, 96 p., 34,50 F.Les carnets de dessinsdu peintre.

Pierre-Henri DeryckeL'économie urbaineP.U.F., 264 p., 15 F.Une étude d'ensemblesur les problèmesd'urbanisme etd'aménagement duterritoire.

Haut Moyen AgeTexte et photosd'André CorbozOffice du Livre, 48 FDu VI" au Xi' siècle,une vaste fresque del'architecture du hautMoyen' Age dansl'Europe carolingienne.

Hélène JeanbrauEugène PépinLa Loire au filde ses châteauxPréface deMaurice Genevoix.170 documents en noir.

• Françoise EygunSaintonge romane223 photos inéditesZodiaque, 410 p., 60 F.A la découverte d'uneprovince insolite donties monuments nousrécèlent un aspect fortmystérieux de l'artroman.

Olivier QuéantLe monde inconnudes prisonsPlon, 128 p., 12,30 F.La justice vue d'enbas.

Marcel VeyrierLa Wehrmarcht rougeJulliard, 288 p., 20,90 F.L'épopée d'un grouped'officiers allemands,faits prisonniers aprèsStalingrad, et quic 0 m bat tir e n t dansl'armée rouge pourdélivrer leur pays dela dictature nazie.

AngkorTexte et photosde Henri StlerlinOffice du Livre, 48 F.L'analyse de 16 édificesangkoriens bâtis de 879à 1250.

THEATRE

Michel GuiomarLe masque etle fantasmeUne esthétique del'Image et de lamatière sonoreJosé Corti ( 480 p., 60 F.Une introduction à lapensée de Berlioz

Pierre LandyMusique du JaponColl. «Traditions.musicales.Buchet/Chastel,328 p., 26,60 FPar un spécialiste del'Asie et, toutparticulièrement, de lacivilisation japonaise

Jules RoyThéâtre : S.M.Constantin et La ruedes zouavesDeux nouvelles piècespar l'auteur des« Chevaux du soleil.

O. Bihalji-MerinLa fin de l'artà l'ère de la science85 ill. e nnoir et blancEd. de La Connaissance.120 p., 25 F.L'avenir de l'art àl'ère de la cybernétique.

ARTSURBANISME

Jean CharbonneauxRoland MartinFrançois VillardGrèce hellénistique(Le Monde Grec •tome IV)

Vincent MénagerLes hommes sont fousJulliard, 243 p.,45,19 F.Le bilan, fortpessimiste, d'unmédecin etd'unbiologiste, sur· les.dangers qui menacentnotre espèce.

Un exposé synthétiquedes expériences de laguerre révolutionnaire,par le chef de"Armée Populaire dela RépubliqueDémocratique duVietnam du Nord.

Jean-Jacques LambinModèles etprogrammes demarketingColl. «S.D.•P.U.F., 152 p., 15 F.Une étude à la foisthéorique et pratiquede la programmationcommerciale dansl'entreprise.

Alain PeyrefitteLa droguePlon, 256 p., 18,40 F.Le résultat d'uneenquête menée auprèsde médecins, de juges,de policiers etd'hommes politiques.

DOCUIIBIITS

Max GalloLa nuit des longscouteaux16 p., de photosColl. «Ce jour·là'.Laffont, 352 p., 26 F.La nuit du 30 juin 1944reconstituée heurepar heure.

.Julian GorkinL'assassinat deTrotskyJulliard, 320 p., 20,90 F.Une enquêteminutieuse, qui met enlumière les 'néthodesde la Guépéou et larespcmsabi 1itédirecte de Stali"edans l'assassinat dudernier compagnonde Lénine. Réedition.

G. Kolko, L. St::hwartzet autres auteursLes massacresLa guerre chimique enAsie du Sud·EstPréface de J.·P. SartreIntroduction deLaurent SchwartzUn violent réquisitoirecontre l'emploi del'armement chimiqueau Vietnam et lesmassacres perpétrésquotidiennementcontre le peuplevietnamien.

J. Debu-BridelDe Gaulle contestatairePlon, 256 p., 18,40 F.Un aspect peu connude la personnalité dugénéral de Gaulle.

Philipoe AlexandreLe duelde Gaulle.PompldouGrasset, 424 p., 28 F:Voir dans ce numérol'article de Pierre Avril,p. 23.

Edward AmesIntroduction àla macroéconomieTrad. de l'américainpar J.-L. JacquierP.U.F., 232 p., 12 F.Une exposition claireet précise de lathéoriemacroéconomique.

Samlr AminL'accumulationà l'échelle mondialeIfan-Dakar/EditionsAnthropos, 592 p., 37 F.Une critique radicalede la théorie courantedu «Sous-développement. ,menée au double plande l'Histoire et de lathéorie économique.

Paul ChaudetLa Suisse etnotre tempsLaffont, 264 p., 18 F.Par l'ancien Présidentde la ConfédérationHelvétique.

Julien ChevernyLe temps desobsèquesFayard, 216 p., 20 F.Une analyse sévèremais tonifiante desmœurs politiques de laFrance actuelle.

POLITIQUE

Michel RoquebertL'épopée cathare1198-1212: L'invasion16 photos deCh. SubraEd. Privat, 600 p., 69 F.Un récit très completsur les causes de lacroisade albigeoise etl'Invasion du Languedocpar les armées deSimon de Montfort.

Claude MazauricSur la RévolutionfrllnçalseEditions Sociales,240 p., 20,35 F.Une critique radicaledes perspectivestraditionnelles de larecherche historiqueen ce domaine.

Jacques DuclosLa Commune de ParisA l'Assaut du ciel16 ill. hors texteEditions Sociales,344 p., 19,70 FRéédition revue etaugmentée àl'occasion ducentenaire de laCommune.

• Pierre MontetL'Egypte éternelle64 p., hors-texteFayard, 352 p., 5 OF.Une peinture à la folsprécise et panoramiquede cette civilisation,depuis les origines del'histoire jusqu'à laconquête du pays parAlexandre le Grand.

Tristan RemyLa Commune àMontmartre23 mal 1871Editions Sociales,135 p., 11 ,60 F.La défaite desCommunards àMontmartre, considéréjusque-là comme lepivot de la résistanceaux entreprisesentreprisesréactionnaires.

Xavier DomingoLa sceptre et labombeBalland, 152 p., 19,50 F.

.William L. Shlrer Par l'auteur deLa chute de la «L'érotique detroisième République "Espagne. (voir leTrad. de l'américain na 28 de la Quinzaine)60 illustrations Un pamphlet corrosifStock, 1 100 p., 49 F. sur le problème duUne reconstitution Pouvoir et de laminutieuse et Liberté dans le mondepassionnante de la d'hier et d'aujourd'hui.dramatique évolutionqui mena de la défaite. Charles de Gaullede 1871 au désastre Discours et messagesde 1940. Tome V: Vers le

termeHeinz Zahrnt Plon, 448 p., 37,50 F.Dans l'attente de DieuTrad. de l'allemand .Général Giappar Henri Rochais Guerre de libérationCasterman, 184 p., 15 F. Politique, stratégie,Le monde chrétien tactiqueà fa veille de la Editions Sociales,Réforme. 160 p., 12,35 F.

Jacques PrévertImaginairesNombr. illustrationsSkira, 160 p., 35 F.

Marcel RaymondEtre et direEd. de la Baconnière.304 p., 27,70 F.Une recueil detextes Inédits et raresoù l'on retrouve lespréoccupations del'auteur touchant ledestin humain,fa culture et lasignification dela poésie.

• Maurice Dommanget. Sur Babeuf et laconjuration des égauxMaspero,392 p., 23,70 F.L'action organisatriceet propagandiste deBabeuf et de sesamis.

Un tableau à la folslyrique, amer etsans complaisancede notre ttemps

.C. G. JungPsychologieet alchimie370 illustrationsBuchet/Chastel,850 p., 60 F.Un ouvrage inéditdu célèbrepsychanalyste.

LaTome 1: GrandesInventlr'11s IndustrieWeber. 320 p., 82 F.Ce sE'..,tième volumede • L'Encyclopédiethématique Wéber.retrace l'évolutiondes techniquesdepuis leurs origineset décrit leur étatactuel dans tous lesdomaines.Marshall McLuhanQuentin FioreJérôme NagelGuerre et paix dansle village planétaireColl. «libertés.Laffont, 192 p., 15 F.Pourquoi les massmedia ont transforméla planete en village.

Georg PichtRéflexions au borddu gouffreLaffont, 206 p., 14 F.Un essai deprospective oùl'auteur tente demontrer que lessavants du mondeentier doivent unirleurs efforts poursauver le mondede demain.

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Livres publiés du 20 sept. au 5 oct.

Auguste ComtePlan des travauxnécessaires pourréformer la sociétéIntroduction et notespar A. Kremer-MariettlAubier-Montaigne/Laphilosophieen poche.

Jacques BrosseCocteauGallimard/Pourune bibliothèqueidéale.

André BretonL'un dans l'autreLosfeld/Le Désordre.

Martin RuberJe et tuAvant-propos deG. MarcelPréface deG. BachelardTraduction deG. BianquisAubier-Montaigne/LaPhilosophie enpoche.

Alexander HamiltonRéflexh:ms sur laRépubliqueSeghers/Collectionde poche • P.S. '.

DescartesDiscours de laméthodeGarnier/Flammarion.

ChamfortMaximes et penséesCaractères etanecdotesLivre de Poche.P.-H. Chombartde LauweImages de la culturePetite BibliothèquePayotLe et lasignification de la• culture. dans lasociété moderne.

Flammarion/ScienceLa Loiquede Port-Royal.

BakounineL'anarchismeaujourd'hui,suivi deLa réactionen AllemagneTraduction etIntroduction deJ. BarrueEditions Spartacus

Michael BalintTechniquepsychothérapeutiquesen médecinePetite BibliothèquePayotLa suite de • Lemédecin, son maladeet la maladie •.

Barillet et GrédyFleur de CactusLivre de Poche.

Antoine ArnaudPierre NicoleLa logique, oul'art de penser

Gérard GélasOpérationStock/ThéâtreOuvertInaugurant cettenouvelle collection,une pièce quis'inspiredirectementdes cérémoniescruelles d'A. Artaud.

Roger VaillandBeau masqueLivre de Poche.

Jules VerneLe sphinx des glacesLivre de Poche.

Nevil ShuteLe dernier rivageLivre de Poche.

Jean AnouilhAdèle, ou .La marguerite,suivi de La Valsedes toréadorsLivre de Poche.

Jules RomainsMort de quelqu'unLivre de Poche.

Georges SimenonLe coup de luneLivre de Poche.

Max FrischBiographie: un JeuTexte français deBernard LortholaryGallimard/Théâtredu monde entier(voir le N° 48 dela Quinzaine).

Reynolds PrieeUn hommemagnanimeTrad. de l'anglaispar Yvonne DavetGallimard/Du mondeentierL'histoire,rocambolesque ettragique, d'ungarçon de 15 ansqui découvre, malgréqu'il en ait,le monde desadultes.

TBBATHB

John TolandBanzaiLivre de Poche.

ESSA.IS

Camara LayeL'enfant noirLivre de Poche.

Le roman deRenartGarnier/Flammarion.

Pierre LotiLes désenchantésLivre de Poche.

Desmond MorrisLe singe nuLivre de Poche.

Henri PourratContes du vieuxvieux tempsLivre de Poche.

Erich-Maria RemarqueLes exilésLivre de Poche.

SadeJuliette, ouLes infortunesde la vertuLivre de Poche.

Th. de Saint-PhalleLa mendigoteLivre de Poche.

Henry JamesHistoires defantômesPrésentation parTzvetan TodorovTraduction parLouise ServicenBilingueAubier-Flammarion.

GogolLes nouvellespetersbourgeoisesLivre de Poche.

BalzacLe chef-d'œuvre inCOMUGambara • MassimilaDono Pierre Grassou •SarrasineLivre de Poche.

Barbey d'AurevillyL'ensorceléeLivre de Poche.Pierre BenoîtMontsalvatLivre de Poche.Jean-Louis CurtisLa quarantaineLivre de Poche.

DiderotJacques le fatalisteGarnier/Flammarion.

Georges DuhamelDeux hommesLivre de Poche.

Un nouveau petit jeude société à conseilleraux obsédés du seinmaternel.

POCHEI.I'lTEIlATUIlE

Paul KatzSacrées bourriquesPréface de M. Crauste16 p.' d'illustrationsCalmann-Lévy,232 p., 15 F.La vie des grandesvedettes du rugby.

Ghislaine LavagneLa maison ouverteColl. • Femmes dans lavie·Grasset, 160 p., 12 F.L'art de recevoir et deretrouver le plaisir de lavie en société.

BUIIOURSPORTSDIVERS

traduction, suivis de sixindexMaisonneuve & LaroseEd., 400 p., 70 F.Une anthologie vivantedes principauxcommentairestraditionnels, qui permetde découvrir l'étonnantearchitecturenumérique de ce joyaude la mystique juive.

Les deux visages dela théologie dela sécularisationOuvrage collectifCasterman, 272 p., 22 F.Une des cosntructionsthéoriques les plustypiques d'unchristianisme qui seveut ouvert aumonde moderne.

A. t'SerstevensL'itinéraire marocain80 photos dont 75 del'auteur, 47 dessins etcroquis par A. DoréArthaud, 288 p., 55 F.Collection • Les beauxpays '.

J.-F. Le PetitComment devenir mufleDessins de Siné Tchou,256 p., 30 F.Un manuel théoriqueet pratique de cet artméconnu.

ToporLa cuisine cannibaleBalland, 104 p'., 18 F.Comment se libérer, ense Jouant, de ses clanssadiques.

ToporLe Jeu des siensBalland, 180 p., 29,50 F.

Michel PeisselMustang, royaumetibétain interdit8 p. d'illustrationsArthaud, 296 p., 28 F.Collection • Clefsde l'aventure •.

L'immensedéveloppement, tantgéographiquequ'historique, d'unearchitecturevéritablementproétiforme.

Nikolaus PevsnerLes sources del'architecture moderneet du design198 i11. dont t15 en coul.Ed. de La Connaissance,216 p., 29 F.Du • Modern Style. à• L'Art Nouveau., au• Pugendstil. et au• 'DeutscherWerkbund '.

Edmond BarbotinL'humanité del'hommeEtude d'une philosophieconcrèteAubier-Montaigne,324 p., 27 F.L'homme saisi comme• suJet. dansl'immédiadité duquotidien.

••LIGIOII

Fulvio RoiterBrésilTexte de H. Loetscher,A. Callado, J. Amadoet O. Niemayer8 dessins de Carybe,167 p. de planchesdont 139 en noir et35 en couleursAtlantis éd. diff. Weber,306 p., 88 F.A la découverte d'unpays riche encontrastes.

A.-D. GradLe véritable Cantiquede SalomonIntroductiontraditionnelle etkabbalistique auCantique des Cantiquesavec commentairesverset par versetPrécédés du textehébreu et de sa

Picasso IitographeNotes de F. MourlotPréfaie d'Ho Parmelin110 repr. en souleurs510 repr. en noirSauret, 320 p., 18 F.

L'Art de notre temps L'œuvre Iitographiquedepuis 45 de Picasso de 1919 à64 repr. en couleurs, nos jours.250 repr. en noirEd. de la Connaissance, • Gaëtan Picon300 p., 90 F. Admirable tremblementDe l'expressionnisme et du tempsdu surréalisme Nombr. illustrationsd'après-guerre au Coll. • Les sentierspop-art, au nouveau de la création.réalisme et à la peinture Skira, 160 p., 35 F.anecdotique. Gaëtan Picon et la

peinture.

A. MazahériTrésors de l'Iran120 Illustrationsdont 85 en couleurs17 dessins au traitColl. • Trésors du• Trésors du monde.Skira, 175 F.Un très bel album dignede cette très bellecollection.

Robert MelvilleHenry MooreSculpture et dessins1921-196932 pl. en couleurs850 ill. en noir et blancEditions de laConnaissance,368 p., 125 F.

Journal del'impressionnismeTexte général deM. et G. BlundenTrad. de l'anglaispar M. et A. Chenais160 repr. couleurs260 illustrations en noiret blanc.Skira, 240 p., 230 F.Le déroulement dumouvementimpressionnisteà travers le témoignagedes peintres, desécrivains et descritiques de l'époque.

Raymond OurselL'invention del'architecture romane157 photos, 140 figures,3 cartesZodiaque, 48 F.

Le Journal de voyaged'Albert Dürer dansles anciens Pays-Bas1520-1521Traduit et commentépar J.-A. Goris etG. Marlier104 planches dont 80en couleursEd. de la Connaissance,184 p., 100 F.Un précieux témoignagelittéraire et graphiquesur le grand maîtreet son temps.

12 p. en couleursLattont, 240 p., 55 F.Les châteaux de la Loireredécouverts à traversmille anecdotes et grâceà des documentsphotographiques d'unegrande qualité.

La Q!!iDzaiDc Littéraire du 16 au 31 octobre 1970 31

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14 PRIX NOBELASTURIAS· CHOLOKHOV· FAULKNER· HEMINGWAY· HALLDOR LAXNESSSINCLAIR LEWIS· THOMAS MANN· GABRIELA MISTRAL· O'NEILL· PASTERNAK

NELLY SACHS· STEINBECK· TAGORE· SIGRID UNDSET

34 PAYS292 AUTEURS · 737 TITRES

EXTRAIT DU CATALOGUE: PUBLICATIONS RÉCENTES

Littérature allemande: Peter Bichsel, Les Saisons - Alfred Dbblin, Berlin Alexanderplatz - Gisela Elsner, La Générationmontante (à paraÎtre) - Gerhard Fritsch, Carnaval- Hugo von Hoffmannsthal, Andréas et autres récits - Ernst Jünger, LesFalaises de marbre - Hermann Kant, L'Amphithéâtre - Günter Kunert, Au nom des chapeaux - Thomas Mann, Corres-pondance 1937-1947 (à paraÎtre) - Hermann Peter Piwitt, Récit d'un hôtel meublé - Joseph Roth, La Toile d'araignée (àparaÎtre)- RorWolf, Le terrible festin / Littérature américaine: James Baldwin, L 'Homme quiMeurt - John Barth, L'Enfant-bouc - Donald Barthelme, Blanche-neige - Burt Blechman, Peut-être - Frank Conroy, Un cri dans le désert - WilliamFaulkner-Malcolm Cowley, Correspondance - Peter S. Feibleman, Etrangers et sépultures (à paraÎtre) - Ernest Hemingway,En ligne - Chester Himes, L'Aveugle au pistolet - John Hopkins, L'Arpenteur - Marjorie Kellogg, Dis-moi que tu m'aimes,Junie Moon - Jack Kérouac, Le Vagabond solitaire - Vladimir Nabokov, Le Guetteur - Reynolds Priee, Un homme magna-nime - Heather Ross Miller, A l'autre bout du monde - Philip Roth, Portnoy et son complexe - William Styron, LesConfessions de Nat Turner - John Updike, Couples / Littérature anglaise: Brendan Behan, Encore un verre avant de partir- Ivy Compton-Burnett, Un dieu et ses dons - Lawrence Durrell, Nunquam (à paraÎtre) - William Golding, La Pyramide -Harry Mathews, Conversions - Nicholas Mosley, Assassins - Iris Murdoch, Les demi-justes (à paraÎtre) - Ann Quin, Trio /Littérature argentine: Jorge Luis Borges, Œuvre poétique 1925-1965 - Julio Cortazar, Tous les feux le feu / Littératureaustralienne: Patrick White, Le Mystérieux mandala / Littérature brésilienne: Clarice Lispector, Le Bâtisseur de ruines /Littérature chilienne: Pablo Neruda, Memorial de nie noire / Littérature cubaine: Guillermo Cabrera Infante, Trois tristestigres / Littérature danoise: Karen Blixen, Contes d'hiver / Littérature grecque: Vassilis Vassilikos, Z, Les Photographies /Littérature hongroise: Istvan Orkeny, Minimythes / Littérature italienne: Tonino Guerra, L'Equilibre - Tommaso Landolfi.La Muette / Littérature japonaise: Yukio Mishima, Cinq nô modernes / Littérature mexicaine: Octavio Paz, Versant est /Littérature néerlandaise: G.K. van Het Reve, Les Soirs / Littérature norvégienne: Axel Jensen, Epp / Littérature péru-vienne: José Maria Arguedas, Tous sangs mêlés / Littérature portugaise: José Cardoso Pires, Le Dauphin / Littératurerusse: Léonid Andreev, Les Sept pendus (à paraÎtre) / Littérature suédoise: Per Olof Sundman, Le Voyage de l'IngénieurAndrée / Littérature tchèque: Milan Kundera, Risibles amours - Josef Skvorecky, l'Escadron blindé - Ludvik Vaculik,La Hache (à paraÎtre) / Littérature yougoslave: Miodrag Pavlovitch, La Voix sous la pierre - Vasko Popa, Le Ciel secondaire.

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