Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

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3 f a e e UlnZalne littéraire du 16 au 30 nov. 1970 La linguistique en 70 p'ar Georges Mounin

description

entretiens avec Jorge Amado et Adolfo Bioy Casares, critique du Journal de la guerre au cochon, de Adolfo Bioy Casares, par Hector Bianciotti ; les critiques des ouvrages “Journal de la guerre au cochon” de Adolfo Bioy Casares, “L’île mouvante” de Alain Gauzelin, et “Motus vivendi” de Paul Hordequin. Ainsi que Michel Piédoue, Rezvani, Daniel Apruz, Philippe Augier, Luis Harss, Barbara Dohmann

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e eUlnZalnelittéraire du 16 au 30 nov. 1970

La linguistique en 70p'ar

Georges Mounin

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SOMMAIRE

3 LE LIVRE DE Adolfo Bioy Casares Journal de la guerre au cochon par Hector BianciottiLA QUINZAINE

4 ENTRETIEN Bioy Casares pa rie de son œuvre Propos recueillis par· H. B.

6 LITTERATURE Luis Harss et Barbara Dohmaim Pori rails el propos par Jacques FressardETRANGERE Claude Couffon Migl/.el Angel Asturias

7 ENTRETIEN Amado. écrivain l:'ngagé Propos recueillis par Gilles Lapou~c

9 Rey nolds Priee Un homme magnanime par Jacques-Pierre Ameue

10 ROMANS FRANÇAIS Alain Gauzelin L'île mouvante par Claude BonnefoyLau<lryc Ln fpmme épUl'pilléePaul Hordequin Motus vivendi par Pierre Péju

12 Rezvani Coma par Paul Otchakovsky-LaurensLes américanoiaquesLes voies de l'A mérique

Michel Piédoue La menace par Lionel Mirisch13 Daniel Apruz La Bêlamour par Cella Minart

14 Philippe Augier Les objets trouvés par Claude BonnefoyClarisse Nicoïdsky La mort de Gilles par Cella Minart

15 Nicole Quentin-Maurer Portrait de Raphaël par Anne Fabre-Luce

16 EXPOSITIONS Viseux, graveur Propos recueillis

17 par Jean-Luc Verley

Dans les galeries par Jean-Jacques LévêqueNicolas Bischower

18 URBANISME Lewis Mumford Le déclin des l'ilh's ou III recherchepar Françoise Choayd'un nOI//lel urbanÙme

Alexandre Mitscherlich PSYl'hanalyse et uruanisme

20 HISTOIRE Maurice Aguthon Lll république au âllage par Marc Ferro

ESSAIS Jean-Jacques Salomon Sl'ience l't politique Dar Francois Châtelet

22 LINGUISTIQUE La lingu istiqul:' par Geor~esMounin

24 ETHNOLOGIE Bronislaw Malinowski Le., dvnamiqnes par Denis Hollierde l'P/1011/ t ion culturelle

25 CINEMA Miklos Jancso Sirol'co d'hiver Dar ROl!er Dadoun

26 THEATRE Jarry su r la Butte par Lucien AUounLa Moscheta

Crédits photographiques

La QuinzaineIitteraire

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François Erval, Maurice Nadeau.

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Directeur de la publication :François Emanuel.

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Laffont

Laffont

Seghers

Stock

LaffontLaffont

Denoël

Buchet-Chastel

Gallimard

Le Point cardinal

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Document Sonnabend

D.R.

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Béatrice Heyligers

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I.E I.IVR' DE

I.A QUINZAINELa guerre au cochon

La Qulnialne Uttéralre, du 15 au 30 novembre 1970

1Adolfo Bioy CasaresJournal de la guerre au cochonRobert Laffont éd., 264 p.

Estimant que les individus quiont dépassé la cinquantaine ont faitleur temps, les jeunes gens deBuenos Aires, pendant une semaine,s'appliquent avec allégresse à lesexterminer. Les raisons pour les­quelles se déchaîne cette « guerreau cochon» - ainsi qualifie-t-ontoute personne d'un certain âge -­n'apparaissent pas clairement. Toutce que l'on sait, c'est qu'il ne s'agitpas d'une révolte contre le gouver­nement en place puisque le chef deceux qui secouent si fermement lecocotier diffuse ses ordres à la ra·dio, et que les crimes demeurentimpunis. On apprend aussi de labouche de l'un des jeunes quiconsent à parler de l'affaire avecVidal - le protagoniste du roman- que « derrière tout cela, il y ades gens qui réfléchissent. Quantitéde médecins, de sociologues, de sta­tisticiens, et, tout à fait entre nous,il y a même des gens d'Eglise ».

Donc, serait déçu le lecteur qui,après les premières pages, s'atten­drait à trouver dans ce livre uncommentaire ou une transpositionde cette révolte des jeunes qui, de­puis quelque temps, mobilise les so­ciologues et, souvent, les déroute.La révolte aux contours mal définismais aux conséquences sanglanteset nettes dont il est question dans celivre, est d'une ambiguïté fertile :elle laisse sa chance à de multiplesinterprétations. La « guerre au co­chon » rappelle plutôt les horreursque propose la science-fiction avecses invasions d'êtres supra-terrestresou, plus simplement, celles que leracisme ne cesse de nous offrir etqui, pour l'invention dans la cruau·té, dépassent les cauchemars dl' lalittérature. Cependant, dès les pre­mières pages, le livre semble vouloirprojeter, dans l'espace qu'il compteremplir de son anecdote, l'arc d'uneallégorie et l'on peut se permettrealors, de supposer que les faits etles personnages qui vont surgir, sefondront dans le symbole qui, à sontour, les exaltera.

Cette guerre déclenchée par lesjeunes est vue à travers un grouped'hommes qui ont tous franchi lecap des cinquante ans, mais quin'en continuent pas moins de s'ap­peler entre eux « les garçons ». Lesoir, ils se réunissent dans un cafépour y jouer aux cartes et se racon­ter leurs petites aventures senti-

mentales, ce qui les aide à se sentirencore vivants. Mais les meurtresqui sont perpétrés en ville, troublentleur vie faite d'humbles habitudes.Ils assistent à l'assassinat, dans larue, du marchand de journaux duquartier ; ils apprennent qu'un jeu­ne homme est remis en liberté aprèsavoir tué un Il cochon» automobi­liste qui ne démarrait pas assez viteà un feu rouge. Le fils de Vidal,quand ses amis tiennent une réu­nion chez lui, oblige affectueuse­ment mais fermement son père à secacher au grenier. Des bûchers sontallumés dans certaines rues et l'ony jette de vieilles gens; un des« garçons », invité par son fils à unmatch de football, est précipité duhaut des gradins, puis piétiné jus­qu'à ce que mort s'ensuive. Pendantla veillée funèbre, les « garçons »,qui lisent dans le journal les nou­velles concernant « la guerre au co­chon », apprennent que le fils de lavictime n'a pas été étranger à l'as­sassinat.

Entre temps, les habituelles par·ties de cartes étant interrompues, les« garçons», s'inquiétant du sortl'un de l'autre, se rendent mutuelle­ment visite à la maison et décou­vrent, par hasard, des aspects cachésde la vie privée de leurs amis. Ainsise révèle la nature dérisoire desexploits amoureux dont ils se van­taient dans les conversations de café.Ils ressentent peu à peu une répu­gnance mutuelle qui reste inavouée,mais qui, lorsqu'ils se retrouvent,les pousse à vouloir faire admettreque, somme toute, les jeunes ontbien raison' de traiter de « cochon»une personne de leur âge. Ainsi,indirectement, se font-ils des pro­cès. Les actes criminels dont il leurarrive d'être les témoins ou dont lesinforment la radio et la presse. lesrenvoient à eux-mêmes; chacun despersonnages se pénètre de son indi­gnité sous les yeux d'un autre quien fait autant. Le sentiment d'êtreun poids mort dans la société, lesubmerge.

Le rayonnement de la jeunesseest tel que, de continuer à vivrecomme par le passé, peu à peu lesremplit de honte. Ils se sententvoués à la vindicte universelle. Dès'lors qu'ils s'y résignent, ils ne sontpas étrangers à leur propre destruc­tion. Rongés par les regards, lesjugements des autres, ils se rongentjusqu'à entrevoir, d'une façon obs­cure mais tenaillante, que ce qui està vivre est, dans la vie, précisémentce qui se détourne d'elle et s'écoule,goutte à goutte, et se perd comme

l'eau dans l'eau, dans le mouvementanonyme de l'histoire. Ils ne sereconnaissent plus aucun droit. Ilss'observent et inspectent autourd'eux, de façon soupçonneuse, êtreset choses, et tout - les rencontresles plus fortuites, les plus banales,la lumière au bout de la rue ou surles objets d'une chambre - leurapparaît comme un signe hostile.

Si ce livre autorise des lecturesdiverses, sous plusieurs angles, àplusieurs niveaux, il me sembletoutefois que ne serait pas justecelle qui ne s'attarderait pas sur cesquelques lignes et ne saurait pas ydéceler le battement qu'elles trans­mettent à l'ensemble du roman :« Il pensa que ces présages - peut­être de simples coïncidences '-- vousrappellent que la vie, si limitée etconcrète pour celui qui y cherchedes symboles de l'au-delà, peut tou­jours vous faire vivre des cauche­mars désagréablement surnaturels( ... ) Il crut comprendre pour lapremière fois pourquoi on disait quela vie est un songe : si on vit assezlongtemps, les faits d'une vie,comme ceux d'un songe, deviennentintransmissibles parce qu'ils n'inté­ressent plus personne.

Qui est, en fait, le protagonistedu roman, Vidal, qui se croit indi­gne de l'amour que lui porte unejeune fille ?

C'est un homme qui, dans la pé­nombre de sa chambre, pendantqu'il sirote un interminable maté,rumine la pensée la plus triste quel'on puisse avoir, et qui est chez luid'autant plus poignante qu'elle luiparaît couler de source : à ses yeux,une vie, aussi brève qu'elle soit,suffit pour deux ou trois hommes.L'amour qui, dans sa jeunesse, luiavait semblé une grâce et, avec lesannées, comme une hygiène déses­pérée pour conjurer le vieillisse­ment, soudain est devenu l'interditabsolu.

Il finira par accepter le refugeque lui offre la passion de la jeunefille. (Il crut soudain comprendrepar intuition que l'explication del'univers était dans l'acte d'amour),mais quand il lui fera cette promes­se d'amour éternel qu'elle attend delui, il saura qu'il a commencé àmentir, non qu'il mette en causela sincérité de leur engagement réci­proque, mais parce qu'il sait, désor­mais, que le pire peut se produire àchaque instant, et aussi parce qu'ilse dit: J'ai pris d'habitude, depuisquelque temps, de me demander sice qui m'arrive ne m'arrive paspour la dernière fois.

Ainsi, de même que l'incertitudes'est infiltrée dans l'esprit des per­sonnages, ruinant leurs modestesambitions, dans l'espace allégoriquedu roman s'est introduit insidieuse­ment un élément qui va miner lesymbole que l'on avait cru voir sedessiner au début.

On pense à ces vastes symphoniesau projet littéraire bien arrêté, etoù, au chœur du somptueux édificesonore, s'installe en parasite un pe­tit ensemble à cordes qui finit parimposer, au discours inébranlabledu grand orchestre, son intime ettenace mélodie. Dans ce livre quipartait pour être une allégorie, lesthèmes éternels de la fuite dutemps, de la vieillesse, des vicissitu­des de l'amour, se sont glissés et yont pris de l'ampleur jusqu'à consti­tuer l'essentiel de la trame.

Dans le naufrage final, la seulevérité qui surnage c'est, pour lespersonnages, de n'être qu'un corpsque chaque minute dégrade.

Mais voici qu'au bout d'une se­maine, la l( guerre au cochon»s'achève. Les vieillards se risquentà nouveau à profiter du soleil, assisdans les squares. Nos « garçons»reprennent leurs parties de belote.Et ils ne sont devenus les symbolesde rien, sinon, à la limite, de cettegrisaille à laquelle ils participentdepuis toujours.

Il me semble que dans tous leslivres célèbres où un personnagequelconque se trouve pris et broyépar les rouages d'une société - bor­nons nos souvenirs à Melville et àKafka - il en sort grandi et commeauréolé par un mystérieux prestige.On peut imaginer que sa disgrâceest la conséquence d'une fatalité su­prême qui inspire toutes les lois de

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Bioy Casares

El!(TRETIEN

Dioy Casaresl'univers, et qu'il est - Joseph K.ou Billy Budd - quelqu'un d'exem­plaire, une syllabe indispensabledans la phrase que raconte le mondeet qui nous raconte aussi.

Le lecteur éprouve alors un sou­lagement qui n'est peut-être pas trèsinnocent: quelqu'un est mort pourlui, et il pense que cela est bienainsi, que ce sacrifice était néces­saire.

Dans son roman, Bioy Casaresn'entend pas cerner la vie de Vidalet de ses amis pour en donner l'ima­ge la plus nette ; il se garde de luifaire franchir ce seuil au-delà du­quel toute vie devient quelque cho­se d'unique, en un mot, une desti­'née. Ses personnages, il les laissese fondre dans l'anonymat, ils lesréduit à leur seule réalité : n'êtrejamais que ce corps vieillissant quidérive vers la mort. Il leur déniele privilège exaltant du symbole.

Ainsi, le dessein allégorique s'est­il effacé. Mais il fallait bien que lelivre nous laissât entrevoir une telledirection, pour que prenne toute sadureté cette façon qu'a l'auteurd'abandonner ses personnages auressassement d'un morne passé.Pourtant, la voix de Bioy Casaresgarde les caractères qui la définis­sent depuis toujours : la tendressepudique et l'humour. Dans ce livredont les épisodes nombreux et sa­vamment liés créent une atmosphèrede cauchemar, et où l'on glisse del'amour à un érotisme grimaçantà la Bunuel, la tendresse va parfoisjusqu'à la pitié.

En même temps, son humour,atroce comme avec négligence, serévèle comme une éthique : il cor­rode les préjugés, les conventionsuniv.ersellement répandus, auxquelsest soumis le petit monde de Vidal.

Nul doute que le lecteur qui aaimé l'Invention de Morel et le Son·ge des héros, ne découvre que BioyCasares s'engage ici dans une voiedifférente des précédentes - la fan­tastique et celle que je me résigneà appeler réaliste - mais il consta­tera aussi qu'il emprunte à toutesles deux.

'Que l'éditeur nous promette,après ce roman dont la traduction,excellente, est de Françoise-MarieRosset, la publication complète del'œuvre de Bioy Casares, a de quoinous réjouir. Il était temps que l'undes écrivains les plus singuliers etles plus représentatifs de la litté­rature contemporaine de langue es­pagnole occupe la place qui luirevient.

Hector Bianciotti

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Je crois que vous avez commencétrès tôt à écrire. Qu'est-ce qui vousy poussait?

B. C. - La première fois? Parceque j'ai commencé à écrire plusieursfois et je n'ai pas moins de troispremiers livres dans mes tiroirs.A quoi obéissais-je? A l'amour, ausnobisme, au vertige du plagiat.Mes cousines, qui étaient de peumes aînées, lisaient le Petit Bob deGyp, née comtesse Martel. Aussi­tôt, j'ai voulu écrire le Petit Bobde Gyp. l'ai échoué.

Quel livre aimeriez-vous écrire ?

B. C. - Dans les moment de fa­tigue, en vO)"age, dans un hôtel deprovince, la nuit, il m'arrive des~nger à un livre « hospitalier »,une sorte de Bible pour gens fati­gués ou impatients, qui puisse êtrelue dans n 'importe quelle circons­tance. Peut-être les livres de penséesde Jean Rostand ou de SamuelButler donnent-ils une idée de ceque je voudrais faire. Au mieux,je voudrais éviter la forme de lasentence, de l'aphorisme. Le docteurJohnson disait que les hommes del'avenir se détourneraient desgrands livres, qu'ils admettraientseulement les fragments. En litté­rature, l'intimité du ton et l'inten­sité sont des vertus contradictoires,difficiles à concilier, et importan­tes. Moi, j'aimerais donner, à l'occa­sion, à ce que j'écris, un ton intime,ou, tout au moins, un style qui cou­lerait naturellement, sans les se­cousses dues aux effets calculés. Matendance à l'ironie complique leschoses. Le lecteur peut y voir uneforme de refus. le crois que GeorgeMoore a dit que si l'intensité n'estpeut-être pas une des plus hautesvertus littéraires, elle est cependantune des plus rares. Quand je penseà Eça de Queiroz (un écrivain quej'admire beaucoup) je réussis dansle ton intime et je m'éloigne del'intensité. le crois que Proust mêleadmirablement ces deux vertus.

Un écrivain, peut-il ignorer leslecteurs?

B. C. - Non; je préfère la pru­dence des auteurs de romans poli­ciers, qui ne les oublient jamais, ouqui s'efforcent de ne pas les oublier.La vérité c'est que moi, si je ne mesurveille pas, j'entre si volontiersdans les raisons de mon contradic­teur, qu'a m'est arrivé de dissua­der des éditeurs qui m'étaient favo-

rables au début, de publier un demes livres. Un jour, un ami m'avaitannoncé, sur un ton extasié, qu'aallait écrire un article sur Pland'évasion. Alors j'ai fait tant et sibien, qu'à la fin l'article a été d'uneremarquable froideur.

Vous avez dit que tous les eCrI­vains, de nos jours, sont des poli­tiques...

B. C. - Oui, de la même façonque, à une certaine époque, tout lemonde était théologien. V ous voussouvenez, n'est-ce pas, des trois vo­lumes de cette Histoire de la philo­sophie du Moyen Age... Il faudraitpeut-être penser au lecteur de de­main et lui laisser quelques textespurgés de politique, pour le sauverde l'universel désert de monotonieoù, avec passion, nous nous appli­quons à distinguer les nuancesd'éclat de chaque grain de sable.

Vous avez déclaré que vous n'avezpas l'intention de devenir uneconscience publique. Etes-vouscontre les écrivains de ce genre?

B. C. - Non, absolument pas. len'ai pas du tout dit ça. l'admireprofondément des écrivains qui ontété des consciences publiquesZola, Shaw, Wells, Chesterton,Julien Benda. Mais je crois qu'au­jourd'hui, derrière chaque vieillebarbe a y a un écrivain et, danschaque écrivain, une conscience pu­blique. C'est vraiment trop. Il n'estpas mauvais qu'un écrivain se trans­forme en guide, mais qu'il en soitde même pour tous, en même temps,me semble stérilisant. Une foule deconsciences publiques n'est jamaisqu'une foule, avec tous ses défauts.Au lieu d'être de fortes personna­lités, comme dirait Macedonio Fer­nandez, une espèce de sage que nousavons eu à Buenos Aires, les écri­vains deviennent les commis-voya­geurs affairés des religions et despartis politiques de l'heure. Peut­être un de ces jours vais-je décro­cher moi aussi un de ces doctoratsqui impressionnent, et qui me per­mettront de faire autorité : demain,dans un an, ou quand je seraicentenaire.

Mes défauts, je les connais.Comme je suis par nature impatientet toujours pressé, je travaille aveclenteur, circonspection, et dans leplus grand calme. le me souviensde ce que dit Kafka (l'un de messaints patrons) : « L'impatience estla mère de tous le~ vices ».

Quand j'ai écrit l'Invention deMorel, le dernier de mes galopsd'essai, je me suis dit que si jevoulais frapper juste, je devais évi­ter tout ce qui était personnel. Lehéros est vénézuélien, or, je suisargentin, et je n'ai jamais mis lespieds au Venezuela; les autrespersonnages sont canadiens, et jene suis jamais allé au Canada;l'action se déroule dans une île duPacifique, et je ne suis allé là-baspas plus que Giraudoux et saSuzanne. A coup sûr a n'existe pasune recette infaillible pour ne passe tromper. Après avoir écrit ce livreet quelques autres, j'ai changéd'avis et je me suis installé dansune croyance plus modeste : il fautécrire seulement sur ce que l'onconnaît très bien.

Vous n'aimez pas parler en pu­blic, n'est-ce pas?

B. C. - Ce n'est pas que cela neme plaise pas mais, voyez-vous, jene peux pas. Pour moi, parler enpublic, c'est comme une prouessede jongleur. Vous rendez-vouscompte de ce que cela représente:en même temps, penser, transformerune vague musique en mots précis,que l'on doit se rappeler et qui seperdent dans la tête (comme je l'aientendu dire par un individu quitéléphonait dans un bar) tandis quele sourire condescendant de l'audi­toire se nuance d'impatience... Jecrois au fond, que seul un som·nambule peut parler à son aise;mais, à peine réveillé, il se remettraà balbutier.

En lisant le Journal de la guerreau cochon, certains ne manquerontpas de penser à la révolte des jeunesde nos jours...

B. C. - Peut-être les gens enparlaient-ils déjà de cette révolte et,bien que je sois assez distrait, enavais-je su quelque chose quand,vers 1967, j'ai imaginé le thème dece roman comme une chasse : desjeunes gens agiles traquaient depauvres vieillards alourdis et vulné­rables. Au commencement, dansmon esprit, c'était comme un ballet,comme une série de situations quipourraient être d'un film comiqueaméricain des années vingt. Avecl'amour, somme toute vraisembla­ble, d'une jeune fille pour unhomme mûr; avec la loyauté, in­certaine, des fils pour leur père,est apparu ensuite l'essentiel del'histoire que j'allais traiter. l'ai

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parle de son œuvrecru d'abord que j'allais écrire unconte humoristique. Après, j'aicompris que je devais employerun ton sérieux. Enfin, ce qui corres­pond chez moi à un ton sérieux.J'ai compris alors qu'au lieu d'unconte ce serait un roman. Plusieursfois, dans ma vie, dans mon travail,j'ai eu la certitude que toutes leshistoires que nous pouvons inventer,existent déjà, dans quelque ciel,sous leur forme platonique; c'est àl'auteur de les découvrir, un peucomme un navigateur découvre unenouvelle terre, un continent. Il fautdéterminer ce qui convient à l'ar­gument choisi : conte ou roman,première ou troisième personne, et,pour le style, l'humour ou la gra­vité, la simplicité ou la manièrepédante. La moindre erreur estgrave, mais si l'on se trompe dansle ton, l'erreur est irréparable, toutest perdu.

J'ai inventé l'histoire de ce livreà Mar del Plata, au début de 1967 ;au milieu de l'année, un voyage enEurope a interrompu mon travail.En voiture, entre Milan et Rome,j'ai raconté l'histoire à GinevraBompiani. En mai 68, Ginevra m'aécrit à Buenos Aires pour me dire, ., ..qu en somme, ce que ] avaLS Lma-giné, était en train de se produire.

Et le titre? La ( guerre au co­chon » ?

B. C. - C'était le titre du conte.Comme il devait faire partie d'unrecueil cela n'avait pas d'impor­tance. Quand j'ai décidé d'écrireun roman, je me suis dit que j'au­rais le temps de trouver quelquechose de mieux. l'ai présenté celivre à mon éditeur en Argentineavec un autre titre; j'en étais auquatrième ou cinquième. Chacund'eux m'avait, un certain mo­ment, semblé acceptable, et puisj'en découvrais la faiblesse du syno­nyme, de l'euphémisme. Le jour où,

finalement, j'ai annoncé à l'éditeur,que je retenais le titre de Journalde la guerre au cochon, j'ai vu levisage de cet homme blêmir, se ren­frogner, passer par toutes les cou­leurs. Alors j'ai compris que cethomme était un véritable ami etje me suis excusé pour la peine queje lui infligeais. A présent il mesemble que le livre n'aurait pas pus'appeler autrement et je suis sûrqu'il me donne raison.

Et le caractère un peu flou, fan­tasmagorique de cette révolte ?

B. C. - Les moments les plusintenses, les plus terribles de lavie. nous laissent des souvenirs quin'ont que la lumière des rêves. lecrois que je n'avais pas d'autrechoix : ou la farce, ou la lumièredes rêves. En évitant la farce,j'avais peut-être l'occasion de don­ner à mon récit un peu de tristesseet d'exaltation épique. N'importequelle méditation sur le destin del'homme provoque une certainetristesse et entraîne aussi quelqueexaltation épique qui nous galva­nise, au moins jusqu'à ce que d'au­tres pensées nous distraient.

Aviez-vous une arrière-penséed'allégorie en écrivant ce roman?

B. C. - Non. Si ce livre prend latournure d'une allégorie, ce serala réalité qui la lui aura conférée.

Que pensez-vous des interviews?

B. C. - Au commencement, nousparlons de nous-mêmes, il y a desgens qui écoutent toutes les consi­dérations nuancées que nous faisonssur notre propre compte; noussommes satisfaits; nous nous sen­tons importants; nous avons été,pendant un moment, le centre dumonde; mais après trois ou quatreinterviews, nous nous apercevons

que nous ne sommes pas aussi illi­mités que nous l'avions cru. Detoute évidence, nous n'avons qu'unevie. De sorte que nous répétons lesmêmes anecdotes, les mêmes obser­vations, les mêmes phrases; nousnous résignons à la répétition. Par­fois j'ai envie de prévenir le lecteurpar un roulement de tambour, querecommence l'histoire du Petit Bobde Gyp, comme lorsque j'étais en­fant, ou l'allusion aux Trente lolisVisages qui, au Théâtre Porteno deBuenos Aires, m'ont révélé, à dixans, la $plendeur des femmes nues.Les répétitions reviennent, inlassa­bles, comme les petits chevaux debois du manège, et l'on s'ennuie, etl'on se dégoûte de soi-même, de lavie. Le remède ce serait peut-être dese perdre dans le travail, dans lacomposition d'un thème imperson­nel.

La collaborationavec Borges

Comment avez-vous commencé àtravailler avec Borges?

B. C. - Ce n'est pas d'abord unprojet grandiose qui nous a associés.Nous avions tous deux reçu lacommande d'un texte publicitairede vingt pages pour un produitpharmaceutique contre le vieillisse­ment. Nous avons accumulé les té­moignages de gens satisfaits. Natu­rellement, nous les avons inventés,et ils étaient tous centenaires. Al'époque - c'était en 1935 - j'écri­vais très mal. Ce fut merveilleuxde travailler avec quelqu'un commeBorges qui était déjà un maître.Puis nous avons écrit ensembleplusieurs livres; des contes, commeles Six problèmes pour IsidroParodi; des textes de critique,comme les Chroniques de BustosDomecq, des scénarios. A propos decette collaboration avec Borges jepen,se à une phrase de Stevenson...Je crois -qu'il disait : « Il ne fautpas lire les mauvais écrivains parceque l'on croit que l'on peut écrireaussi mal; il faut lire les bonsécrivains, parce que l'on croit quel'on peut écrire aussi bien ».

De Flaubertà Proust

Quels sont les auteurs qui vousdonnent envie d'écrire, en d'autresmots, ceux que vous préférez ?

B. C. - Johnson, V oltaire, DeQuincey, Wells, Benjamin Constant,Stendhal, Flaubert, Proust, HenryJames... Flaubert... Il y a long­temps, j'ai même dit du mal delui : je n'avais lu que Salamhô.Et de Proust aussi, quelle horreur!le ne l'avais pas encore lu, maisWeUs en disait du mal et j'aimaÜ!tant Wells... le voulais qu'il eûtraLson...

Propos recueillispar Hector Bianciotti

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1.II'I'a.& l'URE

al'R&NC.RE

Un bilan sud-américain

1Luis Harss et Barbara DohmannPortraits et proposTrad. de l'anglaispar René HilleretColl. « La Croix du Sud »Gallimard éd., 437 p.

1Claude CouffonMiguel Angel AsturiasColl. « Poètes d'Aujourd'hui»Seghers éd., 188 p.

Voici un livre qui vient àson heure, qui aurait pu êtreexcellent et dont on regrettede n'avoir pas à dire que dubien. Quelle heureuse idée,en effet, que d'avoir saisi lemoment où le roman latino­américain, sous nos yeux, sortenfin de l'âge du chromo, desa période ingénue et didac­tique, et s'affirme comme undes secteurs les plus vigou­reux de la narration contem­poraine, pour dresser un pre­mier bilan!

Ce bilan, Luis Harss et BarbaraDohmann l'ont voulu aussi vivantet attrayant que possible, sans riend'académique ou qui sente le moinsdu monde le fichier universitaire.Ils sont allés voir et interroger dansleur pays une dizaine d'écrivains,d'Alejo Carpentier à Vargas Llosa,en passant par Asturias, GuimarâesRosa, Onetti, Cortàzar, Rulfo, Fuen­tes et Garcia Màrquez; autrementdit tout ce qui compte vraiment ­ou presque - à l'heure actuelle,dans ce domaine, en Amérique delangue espagnole ou portugaise.

De leur périple ils ont rapportédes portraits et des interviews, qu'ilssertissent adroitement à l'intérieurd'une description critique de cha­cune des œuvres en question. V0­

lontairement, ils n'ont retenu, detoutes les périodes antérieures, quequelques noms et quelques grandstraits qu'ils présentent en une qua·rantaine de pages d'introduction, enguise de toile de fond historique. Ladocumentation pure, les « sources »et les « courants », les écrivains mi­neurs qu'on étudie comme autantde maillons d'une chaîne continue,ce n'est de toute évidence pas leuraffaire et l'on aurait tort de le leurreprocher.

Harss et Dohmann nous propo­sent une approche directe d'œuvrestout à fait contemporaines, tradui·

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M.A. Asturiasvu par Luis Seoane, en 1951.

tes dans notre langue pour la plu.part dans les dix ou quinze derniè­res années, qui n'ont pas toujoursobtenu chez nous l'écho que l'onpouvait attendre, et qui sont pourla première fois l'objet d'un travailcritique d'ensemble. C'est dire l'in·térêt de cet' ouvrage pour le publicfrançais, qui pourra y découvrir ­en un temps où notre productionnationale apparaît bien falote - unnouveau continent littéraire, à peineémergé, dont l'exploration lui réser·ve toutes les joies de la surprise etdes heures de lecture savoureuse.

Une incitationà lire

Il s'agit donc d'une incitation àlire, qu'il faut juger comme telle.Mais c'est là précisément que leschoses commencent à se gâter, enpremier lieu par la faute du traduc­teur. Les titres des nombreux ro­mans cités dans le texte apparais­sent sous leur forme ibérique origi­nelle, suivie de la traduction entreparenthèses, ce qui semble de fortbonne méthode. Encore faudrait·ilque cette traduction corresponde àcelle adoptée lors de la publicationen France de l'ouvrage qu'on dési­gne ainsi à l'attention.

Une fois sur deux ce n'est pas lecas. Ainsi le lecteur françaiscurieux, alléché peut-être par LuisHars,;, cherchera en vain chez sonlibraire les Pas perdus ou encorele Harcèlement d'Alejo Carpentier,alors qu'il lui faudrait demander lePartage des eaux et Chasse à l'homo

me. Pis encore, la traduction du li­vre de Harss ayant été faite à pàrtirde l'édition anglaise, c'est souvent letitre anglais, sans aucun rapportavec l'original, qui se trouve adaptéentre parenthèses, ou même repro­duit tel quel sans aucun discerne·ment. De la sorte, le Siècle des lu­mières, chef·d'œuvre du même Car­pentier, devient Explosion dans unecathédrale (sic), tandis que Rayuelade Julio Cortazar est rebaptiséHopscotch (si votre libraire ne saitpas que cela signifie Marelle en an·glais tant pis pour vous). Qu'on nenous dise pas qu'il s'agit là de vétil·les. La première qualité d'un guidec'est de nous guider correctement.

Bien mal servis

Dans certains cas l'affaire tourned'ailleurs au burlesque involontai­re : le titre du beau roman de VargasLlosa la Ville et les chiens est ren­du - si l'on ose dire - par leTemps des héros (sic), et le traduc·teur poursuit impavidement : « Letitre est une révélation. Nous som­mes dans un monde où les chiensse mangent entre eux » ! Là encoreque celui qui ne sait pas l'espagnolse débrouille, ou se renseigne ail·leurs! Ces graves négligences sontd'autant plus étonnantes que bonnombre de ces romans ont été pu­bliés chez le même éditeur que l'étu­de qui leur est consacrée. Il eûtsuffi qu'une personne compétenteconsentît à jeter un coup d'œil surle catalogue de la maison pour opé­rer les ajustements nécessaires.Qu'on ajoute à cela un français pâ­teux, voire même incorrect et seméde « coquilles », une compréhensionde l'anglais parfois douteuse (lors­qu'on lit, à propos d'une œuvre aus­si dramatique que le Siècle des lu·mières, « le résultat est une vastevie tranquille », phrase absurde oùtransparaît un contre·sens sur « stilllife », tous les doutes sont permis),et l'on conviendra aisément que,une fois de plus, les romanciers la­tino-américains sont bien mal servischez nous.

Des idées flouesou arbitraires

Le texte original de Harss etDohmann n'est d'ailleurs pas lui­même sans défauts. Excellents lors­qu'il s'agit de brosser un portraitou de rapporter une conversation,ils se révèlent parfois moinsconvaincants dans la partie propre·

ment critique de leur travail. Leursidées sur la nature du genre narratifparaissent floues ou arbitraires. Levrai roman est essentiellement in­trospectif proclame Luis Harss. Etpourquoi donc, s'il vous plaît? Nesaurait-il être descriptif, et n'est·cepas là le cas, justement, dans unelarge mesure, des œuvres qui nousviennent d'Amérique latine?

Reste que l'étude est bien orien·tée et qu'elle montre clairement cequi unit un homme comme AlejoCarpentier, né en 1904, et un écri·vain de la jeune génération commeMario Vargas Llosa: Il 's'agit tou­jours de dépasser un certain réalis­me naïf (si peu « réaliste » au fond,mais que les faux dilemmes - na·tionalisme ou cosmopolitisme, enga­gement ou tour d'ivoire - impo­saient comme une sorte de devoir pa­triotique ou social). Ce dépassement,chacun des romanciers ou desconteurs qu'on nous présente a su lemener à bien, selon ses propresvoies et pour son propre compte, àl'intérieur d'une création cohérente.C'est en quoi ils méritent toute no­tre attention, et tout particulière­ment ceux qui sont passés trop ina­perçus chez nous, tel l'étonnantJuan Carlos Onetti (1).

Ce n'est pas, heureusement, le lotde Miguel Angel Asturias, Prix No­bel 1967, dont l'œuvre romanesquea été abondamment traduite et mê·me - fait unique - grâce à un r0­

man fameux (Monsieur le Prési­dent), rééditée en livre de poche.On ignore souvent, en revanche,qu'Asturias est aussi un poète, etpas seulement pour les pages enprose des Légendes du Guatemala,qui lui avaient valu un chaleureuxéloge de Valéry. Claude Couffon luiconsacre, chez Seghers, une trèsprécieuse monographie, qui serapour beaucoup l'occasion d'une véri­table découverte. Soulignant le rôleessentiel de la poésie dans le réalis­me magique de ses romans - àl'aide d'extraits bien choisis ­Claude Couffon les relie aux grandsrecueils de poèmes, Tempe d'alouet­te, Ce que dit le grand conteur,Claireveillée de printemps (les deuxpremier inédits jusqu'ici en Fran­ce). Quel plaisir que de lire de lapoésie bien traduite, des poèmes quidemeurent poèmes. Quel plaisir quede lire un livre bien écrit et bienimprimé!

Jacques Fressard(1) On pourra lire, aux éditions

Stock, Trousse-vioques, qui vient deparaître, et le Chantier (Voir LaQuinzaine Littéraire, n° 38, 1·· no­vembre 1967).

Page 7: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

ENTRETIEN

, . .ecrlvalnAmado~,

engage

4 romans flammariondistingués par la critique

LA LUNE LED'HIVER PENSIONNAIRE

VERA VOLMANE

"Jamais un romancier n'avait mis en évidenceavec autant de force la nature mystérieuseet la violence de l'amour qu'un ieune garçonporte à sa mère. Jamais, autour d'un thèmeaussi scabreux, on n'avait organisé uneméditation lyrique aussi vertigineuse. Unarévélation littéraire est toujours quelque peusuffocante, mais ce roman est à proprementparler un livre suffocant".

jean-français ferrané

"C'est le premier roman d'un étudiant devingt et un ans ... Le livre captive et retientà la manière d'un cauchemar qui vous pour­suit et vous hante longtemps après leréveil".

claude-louis combet

rait arriver au Brésil, dans un mé-·lange de drame et de joie. Il y aune chose qu'il faut savoir. Au Bré­sil, les gens sont très malheureuxmais ils ne sont jamais tristes, sur­tout dans le Nord-Est. Ils ont unejoie terrible qui leur permet, mal­gré la faim ou l'injustice, d'aller del'avant. Cela était déjà dit dans mespremiers livres. Le changement,c'est qu'avant j'étais un pamphlé­taire, je divisais le monde entre lesbons et les mauvais. Aujourd'hui,je sais que personne n'est tout noirou tout blanc. Il y a des dosages enchacun, c'est ce que j'ai appris chezDickens, chez Gorki.

Une grande partie du livre sepasse dans les cérémonies noires du« candomblé ». On dirait que lespauvres y puisent leur force.

J. A. - Vous savez, ces gens-làétaient des esclaves. Et c'est cettevie religieuse qui les a aidés à sur­vivre car elle est très belle, très pro­fondément liée à la nature primi­tive. Ces cultes syncrétiques ont traMversé tout l'esclavage et aujourd'hui

~

claude vigée

claude deimas

"Le Schooner est la fable de la jeunessepour qui le sexe et la mort sont le~ seulsmoyens de se perpétuer, d'échapper à larésignation de l'age mOr, aux pièges trom­peurs de la raison".

CLAUDE BONNEFOY

"Nous sommes en présence d'un itinéraire,mais au sens le plus entier du terme. Lemouvement objectif, qui est voyage et dépla­cement et fuite devant la poursuite homicidedes Juifs est en même te'Tlps un mouvementprogressif intérieur, métamorphose de la

conscience d'un jeune ét~~~~~fi~isRAHI= INFERNAUXLE PALUDS

SCHOONER

J. A. - Oui, on m'a dit cela. Onm'a dit que depuis Gabriela, fille duBrésil, en 1958, meS livres ontchangé de ton mais est-ce que c'esttout à fait juste ? Regardez la findes Pâtres de la nuit : les pauvresdécident, contre l'administration, deconstruire un village sauvage surla colline de Tue le chat. Ce qui estvrai, c'est qu'aujourd'hui, je racon·te cette histoire telle qu'elle pour·

de les séduire avec. une souris sa­vante qui ne parvient pas à les épou.vanter; enfin, le plus noble detous, Jésuino le coq fou, hommelibre, qui promène ses souliers cre­vés, d'où dépassent ses orteils, avecla dignité d'un aristocrate de hautrang. Aucun de ces hommes n'ala fibre révolutionnaire. Non qu'ilsacceptent l'injustice ou l'ordre deschoses mais ils ne l'attaquent pasde front. Ils conduisent leur lutteavec d'autres armes inédites chezJorge Amado : une sorte de résigna­tion hautaine, le culte de l'amitié etde l'amour, du rêve, de la poésieet de l'humour.

bien, ils se présentent comme votreégal. Ce sont mes amis car ils n'ontaucun intérêt en arrière de la tête.Ils m'apportent des cadeaux : unehistoire qu'ils trouvent jolie, oubien une figurine de céramique etils bavardent. Nous autres, Brési·liens, ce qui nous intéresse est as­sez simple : les femmes, la politi­que, le football, des choses commeça, voilà de quoi je parle avec eux.

En France, on connaît JorgeAmado comme un écrivain engagé :Terres violentes, Bahia de tous lesSaints, Gabriella, fille du Brésil, Ca­pitale des sables, la Terre aux fruitsd'or; vingt romans nous ont habi­tués à cette voix violente et exaltéequi luttait contre toutes les injusti.ces. La vie de Jorge Amado portetrace du long combat : emprisonnéà plusieurs reprises, il a aussi passéplusieurs années d'exil en Russie,en Argentine, en France. Or, sesderniers livres étonnent. La révoltes'y tempère, elle change de registre.Plus trace de prédication. Le lyris.me cède à l'ironie.

Les Pâtres de la nuit sont ainsid'étranges figures y forment un car­naval nocturne et étincelant, dans lajoie, l'ivresse et la bouffonnerie :le caporal Martim, beau parleur etchampion du jeu de cartes, bour­reau de tous les cœurs et dont lemariage avec la belle Marialva tour­ne au désastre; le nègre Massu,géant débonnaire, dont le fils auracomme parrain à l'église Notre-Da·me du Boufim, le dieu noir Ogun,maître des métaux, en personne;Curio, amoureux de toutes les mu­lâtresses et qui a l'idée saugrenue

Jorge Amado. C'est unechronique sur les vagabonds deBahia. J'aime bien ces gens-là. ABahia, j'ai une maison sur la col­line, on vient souvent me voir.Parfois, on me téléphone d'abordet cela veut dire que des étrangersvont m'interviewer sur l'existencede Dieu ou sur la littérature et quevoulez-vous que je leur raconte ?

D'autres 'ois, on se présente chezmoi sans me prévenir et alors cesont des gens de Bahia. Des genstrès pauvres mais civilisés, merveil­leusement civilisés. Ils viennentme voir sans motif. Pour me direbonjour. Ils n'ont pas le sou, eh

Jorge Amado. VOICI qua­rante ans qu'il nous envoiedes nouvelles régulières deBahia et du Nord-Est brési­lien. Il veille pour nous, là-bas,de l'autre côté du monde.dans l'énorme cité chaude etlangoureuse où des nègresdont les yeux sont bleus dan­sent avec des mulâtressesbelles comme l'or. Quand lecrépuscule descend sur leport, il nous fait signe, il nouspilote dans le lacis de ruellesqui zigzaguent au flanc de lacolline, parmi les églises ba­roques, les demeures patri­ciennes aux faïences bleues,les taudis de planches.

Pour quelques jours, il a aban­donné son fief. La rue Monsieur lePrince a pris la place de la collinede fleurs et de palmes. Il y est aussià l'aise que dans les bistrots deBahia. Modeste, élégant, presqueinvisible avec sa silhouette vive etracée, les cheveux blancs, la mous­tache chaplinesque et tant d'amu­sement, toujours, dans les yeux.Sa jeunesse surprend, depuis letemps qu'il est illustre, est-ce qu'ilne devrait pas avoir cent ans? C'estqu'il avait à peine vingt ans quandson premier livre, Cacao, faisait con­naître son nom au monde entier,en 1933. Traduit en trente-deuxlangues, best-seller mondial, monu­ment de la littérature brésilienne,prix Staline en 1949, il semble igno­rer sa propre célébrité. Il parle com­me il écrit, dans un beau langagesimple, on dirait d'un chapitre deson dernier livre traduit en fran­çais, les Pâtres de la nuit, ouvrageancien du reste puisqu'il a été pu­blié au Brésil en 1964 et que deuxgros romans ont suivi.

La Quinzaine Littéraire, du 15 au 30 novembre 1970 7

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• Jorge Amado En feuilletant ...

ils se multiplient. En 1935, j'aiécrit un guide de Bahia, ü y avait180 candomblés. En 1961, j'ai ré·visé ce guide, ü y avait 611 can­domblés. Aujourd'hui, Ü y en aplus de müle. Dans les autres par­ties du Brésü, on assiste à la nais­sance de nouveaux cultes, celui dela Ubam.da. Là, le mélange est en­core plus grand : vous avez desrites animistes d'Afrique, des cul·tes indigènes d'Amérique, des bri­bes chrétiennes et par-dessus toutcela, du spiritisme.

Ces choses-là sont essentielleschez nous. Vous savez que le cultedu candomblé qui est somptueuxest très cher et pourtant tout lepeuple y participe. Pas seulemenile peuple : on serait surpris deconnaître le nom de personnes dela haute bourgeoisie qui viennentde Sao Paulo, de Rio, pour consul­ter les maîtresses du culte, cesvieüles femmes qu'on appelle les«mères de saints D. Je les aimebeaucoup, elles ont une grande sa­gesse, une finesse extraordinaireet puis, qu'un banquier vienne sesoumettre à la décision de ces fem­mes, c'est intéressant, non ?

Il y a une autre catégorie defemmes dont vous parlez avec ten­dresse, dans les Pâtres de la nuit,les putains ?

J. A. - Ah, peut-être que jesuis un peu de parti pris, vous necroyez pas mais que voulez-vous,elles sont charmantes, ces petites­là. Quand j'étais jeune, j'allaissouvent dans ce bordel pauvre dontje parle dans les Pâtres, le « Cas­tello». La patronne, Tiberia, étaitune femme adorable. Elle étaitune vraie mère pour les «peti­tes», elle les consolait de leurspeinés de cœur, elle veülait surelles. Le mari de Tiberia était tail·leur, ü faisait les soutanes des cu­rés de Bahia. Quand elle a ététrès malade, elle m'a envoyé unmot, j'ai pu la revoir avant qu'ellemeure. Je vais même vous direque dans une certaine partie dema vie, je vivais presque dans cebordel, j'y mangeais souvent./'étais très heureux. /'avais mêmeorgartisé des soirées littéraires,nous lisions des poèmes, des tex­tes, nous les commentions.

Vous m'avez- dit que vous n'ai·mez pas parler littérature.

J. A. - Mais c'étaient des pu­tains. Je n'ai rien contre les criti-

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ques. Ils font leur métier et ils lefont sûrement très bien. Moi,j'écris des histoires._ Remarquez,- jene veux pas jouer à l'écrivain quiignore la littérature. Je lis. Il y ades livres que j'aime et des livresque j'admire.

C'est-à-dire ?

J. A. - Eh bien, si je lis unlivre de Miguel Angel Asturias, jesuis ravi et en même temps unpeu triste parce que je me dis :« V 000 le livre que j'aurais aiméécrire.» «Mais si je lis un textede Borges, je suis béat d'admira­tion et je me dis : « V 000 un tex­te que je ne regrette pas de n'avoirpas écrit». Pour en revenir auxcritiques, aujourd'hui, je me de­mande s'ils n'accordent pas tropd'importance aux problèmes for­mels. Je pense à Guimaraes Rosa,qui était mon ami. Bien. Tout lemonde reconnaît un très grandécrivain mais les critiques levoient surtout comme un créateurde langage. Et pourtant, en défini­tive, pourquoi Guimaraes Rosa est·üun très grand romancier ? Parcequ'il est inventeur d'univers. D

- Il faut aussi vous dire quenous autres, écrivains brésüiens,nous n'avons pas une vie littéraireau sens français du terme. Je vousraconte une histoire : dans un vü­lage, il y a une fête. Les paysansboivent beaucoup et l'un d'eux s'ap­proche du pasteur du vülage, luidit : « On ne vous offre pas à boireparce que vous êtes un prédica­teur ». Et le pasteur: « Ecoute, jesuis un prédicateur seulementquand je prêche. Mais quand jebois, je suis un buveur D. Vooo.En France, les écrivains sont écri­vains vingt-quatre heures sur vingt­quatre. IVous autres, je crois plutôtque nous écrivons parce que nousvivons.

- Je vous dis encore une his·toire. Il y a un écrivain dans sonjardin, ü se balance dans son ha·mac. Un voisin passe, le salue etlui dit. « V ous êtes en train devous reposer D.. «Non, dit l'écri­vain, je suis en train de travailler ».Le lendemain, l'écrivain coupe del'herbe dans son jardin. Le mêmevoisin lui dit : « V ous êtes en trainde travaüler?» et l'écrivain« Non, je me repose».

Propos recueillispar Gilles Lapouge

(1) Jorge Amado. Les Pâtres de lanuit, Stock éd.

Makhno

_ Nestor Makhno est une figurelégendaire de la révolution russe de1917 et du mouvement anarchiste.Son lieu d'action était l'Ukraine dusud où il fédéra les petits paysanscontre les autorités tsaristes puiscontre les armées d'occupation alle:­mandes et autrichiennes aprèsBrest-Litovsk, en 1918, dans uneguerilla incessante qui finit pardonner du fil à retordre aux bolche­viks eux-mêmes. Makhno refusaiten effet de se plier aux ordres duchef de l'Armée rouge, Trotsky, etentendait mener la guerre révolu­tionnaire à sa façon. Les partisansde Makhno furent finalement dé­faits par l'Armée rouge et quelques­uns de leurs officiers fusillés pour« haute trahison ». Makhno dut seréfugier en Roumanie, puis enFrance où il mourut en juillet 1935.

Dans une collection dirigée parDaniel Guérin et Jean-Jacques Le­bel, l'éditeur Pierre BeHond rééditele premier volume (devenu introu­vable) des Mémoires de Makhno.

1

Deux autres suivront -(qui furentseulement édités en russe à Paris).(Makhno : la Révolution russe enUkraine, 1918-1921, avant-proposde Daniel Guérin, 232 p., 18 F).

Nietzsche

Les œ u v r e s philosophiquescomplètes de Nietzsche, dont lapublication a été entreprise il y aquelques années par Gallimard,s'enrichit d'une nouvelle éditiond'Aurore, traduite par Julien Her­vier. Les deux tiers du volume sontformés de Fragments posthumes,adjoints à Aurore et qui sont pourune grande part inédits, même enallemand. Ils ont été traduits surles manuscrits originaux. dans leurordre chronologique. Seuls, un petitnombre d'entre eux avaient prisplace dans l'ouvrage fabriqué parMme Forster-Nietzsche : la Volontéde puissance, mis à l'index par lesconnaisseurs de Nietzsche. (786 p.,48 F).

Brecht

L'Arche, dans sa collectioncc Travaux », publie trois petit! vo­lumes précieux de Bertolt Brecht.Ils sont formés de courts essais, denotes, d'extraits de carnets, sur dessujets aussi divers que la littérature,le cinéma, la radio, les arts plasti­ques, et contiennent, on s'en doute,nombre de vues originales. (Ecrits

sur la littérature et l'art, 1. Sur lecinéma (248 p.), 2. Sur le réalisme(184 p.), 3. Les Arts et la révolu­tion (192 p.). Les traducteurs res­pectifs en sont J .L. Lebrave et J.P.Lefebvre (également traducteurs dulivre d'Ernst Fischer: A la recher­che de la réalité, Denoël, L.N.),André Gisselbrecht, Bernard Lor·tholary.

Byzance

Albin Michel réédite dans « l'Evo­lution de l'humanité» (en poche)les deux ouvrages fondamentaux deLouis Bréhier sur Byzance : Les ins­titutions de l'empire byzantin et laCivüisation byzantine. Des supplé­ments bibliographiques, dûs à JeanGouillard, directeur d'études àl'Ecole pratique des Hautes études,ont été adjoints à ces volumes deplus de six cents pages chacun etqui, miracle, ne coûtent que 12 Fpièce.

La premlere versionde «Justine»

Béatrice Didier, professeur àNanterre, donne une nouvelle édi­tion des Infortunes de la Vertu dansle Livre de Poche. Elle a établi sontexte d'après le premier manuscritde Sade, déposé à la BibliothèqueNationale, et tenu compte des cor­rections de l'auteur, de ses notes, deses ajouts, de ses iildications. A lafin du volume figure le cc Cahierpréparatoire» établi par Sade et,en tête, la fameuse préface dePaulhan (avec qui, d'ailleurs, Béa­trice Didier n'est pas toujours d'ac­cord). On sait que Sade a écrittrois versions de sa Justine. Celle-ciest la première et la moins connue.(Volume double, 316 p).

Dans « le Désordre»

Jean Schuster publie dans sa col­lection Cl le Désordre », chez EricLosfeld, un petit ouvrage de Benja­min Péret qui n'est pas à mettreentre toutes les mains : leS Rouülesencagées, avec des illustrations sug­gestives d'Yves Tanguy (80 p). Dudirecteur de la collection : Dévelop­pements sur l'infra-réalisme de Mat­ta, réflexions suggérées par le sché­ma de l'intervention du peintre auCongrès culturel de la Havane enjanvier 68 (64 p). A paraître : desouvrages de José Pierre, d'ArthurCravan, de C.D. Grabbe, et uneréédition des œ1.èbres Lettres deGuerre de Jacques Vaché.

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La grâce romanesque

59 ILLUSTRATIONS

Vient de paraître

Il a été tiré à part

1000 exemplaires numérOlésreUés pleine peau

Un monument dont on n'a pas finide faire le tour, où chacun pourtantdéchiffrera, s'il le veut, son destin àtravers les signes secrets d'un mes­-sage encore plus actuel aujourd'huiqu'il ya dix ans (Maurice Chayard",LE MONDE) - Une œuvre prodigieu­se... On n'épuise pas cet. oùvragebouleversant. Il fsut le lire et le relireafin d'en mieux pénétrer la significa­tion et d'en mieux savourer les beau­tés. Une voix pathétique... (MauriceNadeau) - Un chef-d'œuvre commeil n'yen a pas dix par siècle (PaulMorelle, LE MONDE).

Editions BUCHET/CHASm

IIIALCOLI1LOWRY

AU .DESSOUSDU .VOLCAN

par sa ductilité. Souplesse volup­tueuse de l'écriture, avec ses virgu­les qui tranchent sans rompre la ca­dence de l'harmonie : pas d'outilplus approprié pour nous insinueraux franges qui séparent la veille dusommeil, dans cette ZOne solitaireoù le pouls bat dans un murmurede silence, quand les bruits exté­rieurs s'estompent pour laisser laplace au glissement de sa proprevoix, d'abord floue, puis nette, chu­chotement de son propre écart à laréalité, comme quelqu'un qui seraità vos côtés, se rapprochant, lent glis­sement des jambes contre vos jam­bes.

C'est ça le travail de l'écrivainReynolds Price.

Jacques-Pierre Amette

Dans toutes librairiesVolume broché 16,5 x 21.5 cmcouverture acétatéc. F 35.-

Admirabletremblement du temps

refermé. Mais on ne se débarrassepas d'un livre ·comme celui-là parun tour de passe-passe appuyé surdes conclusions logiques. Nous nesommes ni dans Agatha Christie,ni dans Feydeau.

Eminemment proustien

Gaëtan Picon

Nous avons traversé quelquechose d'éminemment proustien.Comme il arrive aussi chez les r0­

manciers américains du Sud, ongarde un souvenir de vie gâchée(d'une manière admirable), illumi­née par des éclatS crépitants delumière et d'action, la folie du pas­sé cimentant le tout, jusqu'à cettepoussière âcre au milieu des arbresqui se dépose sur la tôle brûlante desautomobiles, le temps que les fi­dèles assistent à l'office du diman­.che matin. Ce cocktail d'action pi­caresque, de déchiffrement analy­tique devrait accoucher d'un mons­tre. N'oublions pas qu'en vingt­quatre heures Milo a trouvé :« Un premier verre d'alcool, unegentille dame dingo qui a apai­sé (s)on ardeur, un revenant etun python». Chacun a connupas mal d'émotions fortes agen­cées Selon un tempo lent-rapide­lent qui met le lecteur à l'épreuve.L'auteur a écrit un roman d'ac­tion avec un plus grand soucid'analyse qu'un souci d'efficaciténarrative. Le paradoxe lui aréussi. C'est ce qui déroute dans lelivre. C'est son privilège. Tout estmouvant à l'intérieur des person­nages : les directions se multi­plient dangereusement; pas depoints fixes; interpénétration des ni­veaux selon une méthode de brouil­lage qui rend la complexité del'aventure. La formulation. étonne

Chant à la femme

Au centre de cette entreprisesouvent picaresque éclate le chantà la femme, au corps féminin etau monde féminin : Milo coucheavec Kate. Pour la première foisil connaît la femme, penché au­dessus d'elle, tandis que poussent«des branches et des feuilles decho.ude vie blanche au-dedans...»On baigne dans une demi-pénom­bre d'étreintes, de souvenirs de lafemme mûre, cet éclairage du sou­venir, quand les paroles montentdoucement des lèvres, sans qu'ony pense, douX chuchotis inlassablele temps que le corps apaisé selivre au bonheur des draps décou­verts. Milo apprend bien des cho­ses à cet instant : l'effritement dutemps, des certitudes; les marquesdes blessures affectives; il entre­prend cette marche de l'âge adultesur une passerelle en train de bas­culer.

D'un côté, le roman de Price serésout comme un roman policier.On dénoue l'intrigue la pluscomplexe en une explication dedeux pages qui ravit l'intellect dulecteur. Soupçons dissipés, meur­trier démasqué, le livre 'leut être

pas dans un mouvement artificielle­ment ralenti ce qui se donne dansl'immédiat d'un regard. Il livretout dans un quart de phrase, etrelance par cette vivacité le dyna­misme du texte. Les personnagessont dans leur cadre, aussi naturelle­ment qu'au cinéma. Les arbres etle feuillage nous rendent l'héroïnedigne d'amour. Reynolds Price nousfait donc aimer ses personnages :il y a toujours quelque chose devrai et d'éphémère autour d'eux. Onsent l'écart qui sépare les corps, lestensions que cet écart engendre. Lesrapprochements, les déplacementsmodifient l'éclairage du texte, latonalité d'une scène.

Pour l'intrigue, qu'on sache qu'u­ne poignée de personnages partentdans une battue pour retrouver unenfant, un chien, un serpent. Aucentre, le jeune Milo, qui vivra sonroman d'éducation à la manièred'un Wilhelm Meister qui ressem­blerait à l'acteur lean-Pierre Léaud.Il vivra, dans sa chair, mais aussimétaphoriquement par grâce roma­nesque, le passage de l'adolescenceà l'âge adulte. Voilà pour le sujet,cette colonne serrée que les éditeurscoincent sur la bordure gauche dela couverture.

Une intériorisationpsychologique

Sur ce faisceau de thèmes, surces éléments fixes du roman du« Big South» Price atteint à uneintériorisation psychologique. D'oùcette impression de dévoilementfourmillant, cette quête ondoyanteet fugace de l'en deça, rendue plusbelle par l'opacité réaliste des appa­rences. Elément de vibration, bassecontinue de l'œuvre.

Il n'y a pas de description Cl minu­tieuse » ; Reynolds Price ne recense

Suite d'éclaircies subites danscette lente coulée des subjectivitésqui se cherchent, se croisent, s'ef­fleurent, se modifient, s'interpénè­trent, le roman de Reynolds Priceapparaît au premier abord dans laconfusion - ou plutôt- l'extrêmefusion - des personnages, les ré­sonances multipliées des dialogueset le déroulement diffus des phra.ses aux incises qui jouent de leurpropre réverbération.

Livre de surcharge : sa lectureest une lente montée des eaux ; elleentraîne le lecteur dans des remous,des replis ; ses appels vers un mon­de du dessous de la surface des êtresnous amène vers les tropismes chersà Nathalie Sarraute. L'approche deReynolds Price garde pourtant lesfigures du roman traditionnel. Lesapparences sont sauvées.

Dans cet échange de réfractions(qui sont autant d'infractions aucode romanesque balzacien), danscette aspiration de l'auteur à unmonde du deça on reconnaît leséléments d'un paysage familier :le roman sudiste, tel qu'on leconnaît surtout en France à traversFaulkner. C'est ainsi qu'on retrouvele cadre rural, ces histoires de pay­sans finauds qui rusent avec la Bi­ble pour se justifier (ou qui fontappel à Dieu dans le cadre du quoti­dien : pour réparer une roue, parexemple) ou bien c'est un réinves­tissement de la vie présente dans lepassé, cette fatalité régionale quironge la mémoire de personnagesporte-parole de l'auteur. Le tout,préservé dans les odeurs de fin dejournée, dans un éclairage devéranda.

1Reynolds PriceUn homme mag~nime

Trad. de l'anglaispar Y. DavetGallimard éd., 298 p.

La QuInzaIne littéraire, du 15 ~ 30 novembre 1970 9

Page 10: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

ROMANS

J.lRANÇAIS

Jeunes auteurs

1Alain GauzelinL'île mouvanteColl. L'écartRobert Laffont éd., 224 p.

1LaudrycLa femme éparpilléeColl. L'écartRobert Laffont éd., 232 p.

Outre qu'ils publient tous lesdeux dans la même collection etqu'ils sont ce qu'il est convenu d'ap­peler des « jeunes auteurs », AlainGauzelin et Laudryc ont en communde s'écarter (mais n'est-ce pas juste­ment cet écart qui définit la collec­tion où ils se trouvent réunis) de laréalité ou du moins d'une certaineconception romanesque de la réalitéet, dans une moindre mesure, dessentiers battus de l'écriture. Maisleurs voies sont différentes, commeleurs cadences, l'allusion s'accordantà la démarche lente de l'un, la pro­vocation au style rapide de l'autre.

Alain Gauzelin aime les longuesphrases chargées d'adjectifs qui ras­semblent plusieurs moments dutemps, qui égrènent la gamme dessensations, qui tentent d'abolir ladistance entre le sujet et l'objet.Phrases caressantes, enveloppantesqui permettent des glissements desens, qui font qu'un petit garçonrêveur s'identifie à la femme qu'iladmire, parle, agit, surtout s'ima­gine agissant, parlant, comme s'ilétait elle. Mais qui est-elle ? qui est­il ? Quelles sont leurs relations exac­tes? Est-elle la mère, la grandesœur, une étrangère? Voilà qui n'estjamais dit pas plus que leurs nomsne sont prononcés. Tout se situe sur

·le plan du rêve, dans une ombrediffuse, dans une incertitude amou­reusement entretenue, et quand lerécit bascule, quand l'enfant gran­dissant reprend conscience de sonidentité, c'est la femme qui, cessantd'être idole, commence à rêver cequ'elle aurait pu être, fait retournostalgiquement sur sa propre en­fance.

Ici, rien n'est sûr. Les conscien­ces sont des îles, et les îles sontmouvantes. Les individus se per­dent, se retrouvent, échangent leursreflets ou leurs fantasmes. Dans cejeu incessant, on ne sait plus quiparle, qui peut nous dire ce quepense, ce qu'éprouve ce « il » qui semétamorphose en « elle» ou cette« elle» soudain distincte de « lui ».Poussant le jeu à l'e"'treme, AlainGauzelin apparaît comme un Proust

10

Alain Gauzelin

que son narrateur encombrerait etqui voudrait le faire oublier. Aussiexige-t-il du lecteur de le suivresur la corde raide sous peine, aumoindre faux pas de se perdre dansles sables mouvants d'un récit audemeurant fort élégant et de ne plussavoir qui évoque quoi ou qui estqui et jusqu'à quel point. Mais s'ily a là une ambiguïté parfois gê­nante, elle tient au projet même del'auteur. Si quelque chose demeureen suspens, ne paraît pas abouti,c'est que l'aboutissement aurait closle livre et tronqué son sens en ra­menant au niveau de l'explicationce qui dérive au gré des imageset des sensations.

Avec Laudryc, les choses sontapparemment plus simples. S'il nenomme pas toujours un chat unchat, c'est qu'il ne s'agit pas del'animal, mais il ne laisse aucuneplace à l'ambiguïté. En revanche,il en laisserait volontiers une audélire. Gabrielle, son héroïne, lanarratrice, n'est-elle pas dans unhôpital, n'est-elle pas folle, aussimythomane que nymphomane ? Cequ'elle dit est peut-être faux, estparfois incroyable, mais quand elleparle comme quand elle agit, elle nefait pas de manières, elle va droitau hut et il ne faut guère la prier,semble-t-il, pour qu'elle mette sonslip dans sa chaussure et se livreà des fantaisies moins innocentes.

C'est au niveau du récit que toutse complique. La confession deGabrielle est extrêmement morce­lée. La jeune femme tente de ra-

Laudryc

conter son I}istoire selon l'ordrechronologique, mais elle ne le peut,car un nom, un événement en évo­quent un autre, semblable ou oppo­sé. Quelques aventures paraissentdominer, l'amour quasi-incestueuxpour le frère qui la fouettait (avecson consentement), la fugue à seizeans, le mariage avec un instituteurjaloux, la participation aux événe­ments de mai, le ménage à trois avecJean-Paul et Ulric, et constituer latrame de la réalité sur quoi se gref­fent tous ses fantasmes presqueexclusivement d'ordre sexuel.

Bref, Gabrielle est une femmedéchirée, « éparpillée» qui n'arrivepas à faire coller ensemble les dif­férents morceaux de sa vie. Commedans son premier roman les Hom­mes vains qui procédaient d'unerecherche plus subtile, plus arJ l1e,marquée p~r le nouveau roman,Laudryc traite encore de la diffi­culté d'être. Mais ce qu'il a gagnéen habileté, en vivacité, il l'a perduen profondeur, si bien que le dramede Gabrielle nous intéresse moinsque ses folies. Encore ne sont-ellespas toutes de la même veine. SiLaudryc a de la verve et de l'ima­gination, il n'en a pas assez pourqu'on oublie ce qu'il doit aux modeset au désir de provoquer. Un zestede gauchisme, un doigt de surréalis­me et de la partouze en quantitésuffisante ne suffisent pas à faireun livre contestataire. Aux meilleu­res pages on sent que l'auteur enest capable.

Claude Bonnefoy

1Paul HordequinMotus vivendi« Les Lettres Nouvelles»Denoël éd., 192 p.

Le livre s'ouvre sur une citationde Mao Tsé Toung, qui explique auxouvriers que s'ils veulent un jourparler un langage commun avecceux que la société a jusque là sépa­rés d'eux : les intellectuels, ils de­vront d'abord apprendre à ces der­niers « à manipuler des outils sansse blesser ». Bien sûr, si Mao s'adres­sait aux ouvriers, c'est aux intellec­tuels que Hordequin s'adresse; sonlivre constitue un effort pour poserune fois de plus le problème dulangage, mais en le considérantcomme un problème de classe.

Deux discours alternent et seheurtent: le premier est celui d'unpetit bourgeois intellectuel, ClèbeOisagre en qui éclatent les contra­dictions de sa condition, d'une part,sous forme d'amnésie, d'autre partà travers une utilisation perverse dulangage consistant à ne plus pouvoirs'exprimer qu'en fabriquant unefoule inilensée de mots-gadgets quis'entre-dévorent et diffèrent sans finle fondamental. Le second discoursest une évocation systématique dela condition ouvrière par des tra­vailleurs dont les propos directs,cohérents et concrets semblentfixés par quelque magnétophoneinvisiblement présent dans les can­tines, les métros et les ateliers.

La pSYl'.hanalyse nous dit quel'amnésie est l'effet d'un refoule­ment qui porte sur la sexualité in­fantile, et i\ l'origine de celle deClèbe Oisagre se trouvent bien desrapports difficiles avec une mèreabusive qui adresse à son grandgarçon qu'elle appelle Fifi des let­tres signées: « ta mamêle qui t'ab­Jomine », ou ta « mane qui t'ho­mine ». C'est une mère fière d'unfils qui a fait au beau pays deCartézie (capitale Cartèze) de bril­lantes études qui portent justementsur le langage : Fifi a des diplômes« d'alphabiologie »...

Pourtant, bien que les professeursaient' appris à Clèbe « à calibrer leslettres, à faire des amalgames... »il y a maintenant des mots qui luiéchappent et, comme il l'écrit :« des compromettants qui flocon­nent, des phonèmes paületés quijaillissent de la rophéine, où dessomnifères comblent les pistes, lescrevasses du cerveau, chassent lesyllabé de la prose officielle... »

Page 11: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

Deux •UDlvers

Des milliers d'heurespassionnanteset intelligentes

Et à l'image de ce langage qu'il atrop bien appris à manier, c'est laréalité qui glisse entre les doigtsde Clèbe Oisagre, rejeté dans sacondition d'intellectuel qui ne dis· .pose que du langage mais dont lelangage n'a plus de prise sur rien.

Il est aux antipodes de l'universde ces ouvriers qui parlent avec na·turel, sans problème, de choses trèstangibles qui font leur existencequotidienne : « ... Faut dire queplus ça va et plus on augmente lescadences, le bruit aussi, naturelle·ment... Le bruit, le bruit : tu ascertains ambiants, ici qui dépassentles cent décibels et à ce niveau t'aspas le choix, si t'es pas sourd tudeviens dingue! »

Donc, tout comme sa mère a tisséautour de Clèbe Oisagre un coconisolant, c'est ce que sa langue a dematernel qui l'aliène et l'éloignedu monde du travail.

Pourtant, ce monde auquel il nepeut accéder l'attire et l'appelle.Clèbe nous raconte avec son stylemalade, qu'enfant il volait des étoi·les qui appartenaient aux banquespour les donner aux ouvriers et quesa mère, prenant, au-delà de sadimension psychanalytique, sa signi­fication sociale, lui faisait remar­quer : « Tu as tort mon Fili; l'ou­vrier n'est pas comme nous raison­nable et intelligent! »

Dès lors, ce n'est bien qu'uneréconciliation entre langages intel­lectuel et ouvrier qui pourra rendreà Clèbe Oisagre un sens plus exactde la réalité puisque même sestentatives de retrouver, dans l'a­mour physique avec sa maîtresse

Andoléa, le réel et la mémoire, sontvouées à l'échec. « Ce qui me restede mémoire est pour le corps d'An­doléa » dit Clèbe à un instant ; maisAndoléa a cédé à « l'érotisme desfutilistes » qui transforme même lescorps en une sorte de langage per­verti et qui pousse l'antiquaireTohil à faire uriner des petites fillesentre les glaces Louis XV pour lesrouler ensuite dans de la pâte àbeignet et les faire lécher par deslévriers aux langues noires.

Et Clèbe continue de couler à pic,« hors du temps mesuré, tandis queles autres s'entregonflent et fontmine d'exister» bien qu'il sachequ'il y a « là dessous toute une so­ciété aux yeux peints - amandes etpetits fours - qui brouille les cartesde l'éros ».

Le livre s'achève sur une étrangeévocation métaphorique de mai 68qui n'est pas sans évoquer BorisVian. En une Sorbonne nommée« Spolio » des ouvriers prennent laparole et de jeunes étudiants volenten s'accrochant à des ballons rou­ges ...

Cette révolte, cette fête, cette ré­volution peut-être, c'est la recher­che et l'esquisse d'un accord entreles langages séparés. Le ton du livrechange, la narration de Clèbe aussi,et, malgré une répression symboliséepar le cri : « mort aux enfants ! »quelque chose a changé pour l'intel­lectuel Clèbe, quelque chose quitient tout entier dans ce dernierpropos: « il n'est pas écrivain tonpote; parce que moi, à ce régime­là, je pourrais ~tre évêque... Maisc'est un très bon ajusteur. »

Pierre Péju

8 VOLUMES PARUS

1. La Vie animale . . . . . 24,SO F2. Astronomie 26,50 F3. Philosophies et

Religions . . . . . . . . . . 28,50 F4. Histoire universelle (1)

Le .Monde antique ... 27,50 FSa. Histoire universelle (2)

De l'Antiquité à nosjours: l'Europe ..... 30,00 F

5b. Histoire universelle (3)De l'Antiquité à nosjours: le Monde moinsl'Europe 30,00 F

6. Visages de la Terre . 32,00 F7. Les Lois de la nature 34,00 F

PARUTION 15 NOVEMBRE:8. L'aventure littéraire de

l'humanité176 pages " 34,00 F

se lit comme un roman. un thème par ouvrage

somptueuse illustrationvente au numéro

H.M.

BORDASENCYCLOPEDIE

La Qulnzalne Uttéralre, du 15 au 30 novembre 1970 11

Page 12: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

Au triple galop

1RezvaniComaBourgois éd., 136 p.

I Les américanoïaquesBourgois éd., 181 p.

I Les voies de l'AmériqueBourgois éd., 186 p.

Sans doute la parution simulta­née de ces trois romans qui ampli.fient et infléchissent l'expériencesur le vif entamée avec les Annéeslumière et continuée par les An­nées Lula, est·elle en partie due auxtribulations éditoriales de leur au·teur. Elle n'en offre pas moins unenouvelle confirmation de sa pro·lixité. La bousculante profusion dechacun des livres de Rezvani secomplique maintenant de leur nom·bre...

Le coma dont il est question, c'estcelui, volontairement provoqué,dans lequel se précipite afin d'é·chapper à la trajectoire d'une orbitepour toujours détraquée, Sirius laplanète folle du « Sweet home »,l'asile de l'horrible Monsieur Jupi.ter. Sirius écorché vif, brûlé jus.qu'à l'âme par les radiations del'explosion enfin survenue, peut.être. Sirius qui tient entre lesmurs de la prison où il ne cessed'éclater, la chronique de son mar·tyre, qui guette fébrilement au mi­lieu d'un temps désarticulé les lu·'mineux passages de Luna dans sonchamp d'attraction. Elle passera,fête cosmique, mais, après, le déliren'en sera que plus fou, inguérissa­ble, l'apaisement plus inaccessible.Reprendront le ballet sinistre desinfirmiers gardes.chiourme, la ron·de des souvenirs, des cauchemars,des hallucinations.

Des trois derniers livres, Comaest le plus désespéré, expression dé·finitive et sans issue d'une angoissetoujours perceptible chez Rezvani,celle·là qui résume et résout toutesles autres. On se souvient, dans lesAnnées lumière ou dans les AnnéesLufa, de ces visions, scènes d'apo.calypse nucléaire, qui venaient par­fois déchirer la joie d'aimer, le bon­'heur fou d'être avec Lula envers etcontre tous et tout. Elles trouventici un aboutissement terriblementlogique que rendent plus intenseencore la brièveté, le foisonnementcrispé d'un livre à la fin duquel ilne reste plus rien à dire. Cette foisles jeux sont faits. Réelle ou renduetelle à force de terreur, la catastro­phe aura de toute, façon eu lieu.Demeure le rabâchage sans fin de

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ce qui avait fait une vie maintenantbrisée, tandis que se referme surlui-même un texte insoluhle.

Quant à Cypriuche et à Loupiotte,sa femme, ce sont de vieux améri­canoïaques. De leur état clochardsau Suquet, ils exterminent joyeuse.ment les marins américains en es­cale. A la bouteille (au préalablevidée), à la chaussure et parfoismême au cyanure. C'est leur maniè·re à eux de dénoncer un mondehaïssable dont le gendarme et lefourrier sont américains. Engage­ment? Le mot est trop fort. Cypriu­che et Loupiotte sont plutôt specta­teurs, quand ils deviennent acteursc'est pour leur plaisir, sur le côtéde la scène, en amateurs éclairés.

Un jour, les relations trop étroi·tes du couple avec un autre clo­chard, ancien chef de la policekhrouchtchevienne qui collectionneles dents creuses, leur attirent lessoupçons de la C.I.A. Interrogatoi.res, tortures, ils tiennent bon. Mais,trop abîmés pour être remis en cir­culation, ils sont ventilés sur l'Ari­zona, dans un camp spécial pourdébris divers des activités philan­thropiques U.S. Là, il y a des Grecs,heaucoup de Grecs, des Noirs, énor­mément de Noirs, des Sud-Améri­cains et bien d'autres encore: on sebouscule dans ce véritable micro­cosme de la répression planétaire.Jusqu'au jour où les Chinois... Etmême si tout cela n'est qu'un rêveque Cypriuche raconte à Loupiotte,c'est aussi un livre que l'auteurachève en le lisant à Lula. Cettefois, l'âge des deux héros aidant,leurs aventures aussi, racontéescomme autant de bonnes histoiresou presque, le tragique passe à peuprès constamment au second plan,la tendresse au premier. La ten­dresse, jamais la mièvrerie. Vieil­lesse truculente et grave, en marge,qui vient terminer une vie oùl'épreuve fut et est encore surmon·tée à deux. Loupiotte, Cypriuchequi écrivait, autrefois, il y a silongtemps.

Le narrateur de la Voie de l'A mé­rique a dix-huit ans. Lui aussiécrit, et peint. Un heau jour d'été,parce qu'il aspire au soleil, aux îleslointaines où les vaches parcourenten longs troupeaux d'immenses pla­ges désertes, il s'en va. Mais, detrains bondés de Français moyensbavards et racoleurs en aéroglis­seurs où s'entassent les touristes enuniforme, il n'y a plus de placepour qui veut s'échapper vraiment.Vacances obligatoires, planifiéespar une administration nazifiante,publicités, motels et campings, pa·

roles creuses, femmes folles, police,campeurs, faux prophètes, marechands, nature saccagée, intox, fou·les qui piétinent aux guichets desautoroutes de la voie de l'Amériqueauront raison de celui qui s'imagi.nait pouvoir les ignorer. Il serarejeté à la mer, une mer couvertede détritus, maculée de gaz-oil, oùflottent vaguement quelques cada­vres de bêtes. Placenta d'où il luifaudra renaître, armé jusqu'auxdents cette fois.

Par son volume, l'aspect exhaus­tif que donne à cette longue et fu­rieuse dénonciation une démarchebrouillonne qui multiplie inlassa­blement épisodes et péripéties, in­siste jusqu'à l'épuisement, la Voiede l'Amérique est, des trois derniers,le livre où, à travers les mêmes qua­lités et les mêmes excès, Rezvani seressemble le plus. Il n'est d'ailleurspas question de répétition. De livreen livre et à l'intérieur de chacund'entre eux, la méthode choisie, enparfaite adéquation avec une écri­ture qui est celle du débordement,est plutôt d'accumulation. D'autantplus éprouvante qu'il n'y a pasd'éclaircies sur la voie de l'Améri­que : l'amitié, l'amour n'existentplus ou pas encore, ils sont sus­pects, à la limite parodiés, le mondeest désespérément laid, souillé ouen instance de l'être.

Chacun des trois récits rejettel'action vers le futur. Futur prochequi habille une colère prophétiquemais actuelle, cela est évident.

De même, qu'il s'agisse de Coma,des Américanoïaques, mais surtoutde la Voie de l'Amérique, apparaîtla fiction romanesque, l'auteur n'en­tretenant plus avec son histoire per­sonnelle que des rapports en appa­rence lointains, comme tout unchacun presque. En apparencequand même, puisque enfance ouLula, elle demeure la base à partirde laquelle est ressenti, heureux oumalheureux, et cette fois générale­ment plus malheureux qu'heureux,un reste envahissant ; vers laquelleon revient aussi, questionner ou seretremper. Refuge et référence.Mais un pas est franchi, lourd deconséquences. Ce qui, dans les pré­cédents livres n'était encore qu'uncontrepoint, certes de plus en plusinsistant à mesure que l'on allait :l'autre, l'ailleurs, le différent, char·gés de toutes les hostilités et de tou·tes les infamies, devient à présentprééminent, l'élément déterminantd'une convulsion qui n'en aura ja­mais fini de ses souhresauts rava­geurs.

Paul Otchakovsky-Laurens

1Michel PiédoueLa MenaceMercure de France éd., 241 p.

Les petits problèmes de petitsêtres dont la seule épaisseur estcelle de l'ennui, voilà une grisailleoù Michel Piédoue, dans son troisiè­me roman, la Menace, semble unefois encore se complaire. Il met àcet exercice beaucoup de bonne foiet de conscience, mais, comme ill'avait fait dans Zoé des ténèbres etdans les Fonds silencieux, il peinttrop bien une sorte de déliquescenceimmobile, d'évidement silencieux :son livre en est tout vermoulu, entreles mains du lecteur il est bien prèsde tomber en poussière.

Des couplesDes couples se défont : ainsi peut­

,on résumer le « sujet ". Mais de cescouples nous ne connaissons que desprénoms, des ombres, et l'obstina­tion haineuse qui leur permet de« tenir" jusqu'à ce qu'ils se brisent.Rien qui fasse de nous autre choseque les spectateurs peu convaincusde gestes las, de disputes en demi­teinte. Pitoyables dans -leurs colères,impitoyables dans leur faiblesse, lespersonnages de Michel Piédoue s'en­nuient tous. Minés par cet ennuiplutôt que réellement menacés parun monde dont les cahots ne lesatteignent pas, ils s'enferment dansun autisme de plus en plus miséra­ble. Pourquoi ne se suicident-ilspas? On ne leur imagine pas d'autredestin.

Notre portrait?Est-<.:e là notre portrait? Sommes­

nous aussi inconsistants, aussi dé·munis? Certes, peu importe ici laréponse. Mais l'auteur se perd ànous présenter un miroir si déce­vant. Ce Tchékhov sans «petitemusique » ne nous offre ni la nostal­gie d'une chambre des enfants gar­dienne d'un temps perdu, ni l'illu­soire mais vivace désir d'un Moscouqui sauve, qui fait vivre. Ses hérosincolores, et qui se ressemblent tous,errent de café en café (et l'on nenous' fait grâce ni du « demi"commandé, ni du merci au garçon,ni des pièces d'un franc jetées sur latable... ), sans regret et sans espé­rance, sans volonté de fuir ni enviede demeurer, sans autre abîmequ'un présent mort-né qu'ils refu­sent et subissent à la fois.

De mélancoliquespantins

Cela, et un style volontairementneutre, tout en dialogues elliptiqueset en détails méticuleux très la Ca­fetière est sur la table, donne à laMenace ce caractère de mécaniqueoù s'agitent, falots, de mélancoliquespantins. Personnages de FrançoiseSagan dans une atmosphère « nou­veau roman" : on suit sans joieleurs traces pauvres et délébiles.

Lionel Mirisch

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Fils de Miller

1Daniel Apruz

La Bêlamour

Buchet-Chastel éd., 326 p.

« le dédie ce livre - écrit DanielApruz dans la prière d'insérer deson second roman, la Bêlamour ­à ceux que la littérature contempo­raine accable... Le roman d'aujour­d'hui se fait des grimaces et dessourires dans une glace. Il vasouilledans l'esthétisme. Il est gâteux, ilbégaie. Il se parodie. Moi j'affirmequ'un roman c'est avant tout uneaction de même nature qu'un coupde poing sur la table ». Est-ce le casde la Bêlamour? Oui, dans lamesure où ce livre agresse, en effet,physiquement, le lecteur; non, sil'on estime que pour être efficace,une dénonciation - aussi désespé­rée soit-elle - ne doit pas débou­cher sur un constat d'échec.

Lorsque Daniel Apruz publia laBaleine, en 1968, l'on découvritavec émerveillement un jeune écri­vain français qui avait, comme ondit, « du muscle» et qui, tout ens'inscrivant dans la grande traditiondu roman picaresque n'en était pasmoins, aussi, un authentique des­cendant de Henry Miller. Mais,malencontreusement, les grandesqualités de ce premier roman obs­curcissent quelque peu celles dusecond et font que la Bêlamourapparaisse par moments comme leprolongement affaibli de la Ba­leine. Dans les deux cas, et toujourscomme s'il voulait raconter son his­toire à haute voix, Daniel Apruzavait parlé de solitude : Sébastien,puis François, sont des Candidescontemporains absolument incapa­bles de dominer la machine infer­nale de la ville dans laquelle ils ontété lâchés et qui contemplent, im­puissants, la façon dont elle s'achar­ne à les broyer. Mais Sébastien, dansla Baleine, participait parfois de cespectacle et réussissait, en injectantsa propre folie à un monde absolu­ment dément, à faire que l'invrai­semblable - alors même qu'il pa·raissait atteindre son paroxysme ­semble soudain possible. Aussi ré·gnait-il dans tout le roman unesorte de fantastique d'autant plusinquiétant que le lecteur se mon­trait vite incapable de limiter lesvraies frontières du réel : savait-ons'il n'y avait pas vraiment des parissur les femmes nues qui disputentdes courses dans les couloirs désertsdu métro, ou si les égouts de Parisne recèlent pas un ossuaire à la

gloire des rats morts pour laFrance?

C'est justement cette sorte decomplicité-là qui ne se produit pasdans la Bêlamour où François, quiest par ailleurs une réplique exactede Sébastien, apparaît d'embléecomme ùne victime. « Le bonheur,dit-il, il faut sûrement le moded'emploi pour s'en servir, mais lesvaches, ils l'ont écrit en code sansnous refiler la clé ». Que faire, dèslors, sinon assister de loin à sestribulations et comment éviter de lerendre, seul, responsable de ses mal­heurs? Rejeté par ses semblables,Sébastien descendait de plus en plusprofondément dans le ventre de laville et de cette façon il parvenait,quelquefois, à la piéger ;. François,lui, se rêve aérien, s'identifie auxanges et n'échappe aux autres qu'ense retranchant derrière l'écran deses visions. « C'est les fous qui dé­couvrent la vérité, c'est pour çaqu'ils sont fous d'ailleurs. Ils ne lasupportent pas ». Lui, vraiment, ilse dissoudra dans la ville.

Coïncidence ousigne des temps?

Coïncidence ou signe des temps ?Publiés presque simultanément bienque venant des antipodes, deux li­vres dressent en même temps l'ef­froyable inventaire d'une mêmeviolence. « Le bruit a rempli le mon­de, il n'a laissé de place pour riend'autre. Le bruit a chassé les paroleset les pensées, très loin, il a rempla.cé les systèmes. Tout est bruit au­jourd'hui, même le silence », écritLe Clézio dans la Guerre. Et Daniel

Apruz : « Y a plus d'horizon on'vous dit, c'est un cul-de-sac bienbouclé je vous dis, là tous à sebousculer sur un même lopin sacca­gé... à piétiner... y a plus rien de­vant moi je vous dis, plus rien...y a plus que le présent, des miettesqui restent... y a plus que sous nospattes un petit moment encore pourrester là... » En poète étonné, LeClézio établit de façon somptueuse« le procès verbal» du mal; enconteur populiste, Daniel Apruzcrie l'histoire d'un adolescent pau­mé faute d'avoir trouvé - ou su leconserver - l'amour. Mais Béa B.- déambulant sur cet immensechamp de bataille qu'est devenuela Ville - et François - devenumotocycliste pour curés et sillon­nant les autoroutes afin de pouvoirdispenser aux milliers de victimesde la voiture l'extrême onction ­sont de la même race, interchangea­bles presque. Quelque chose, néan­moins, les distingue : pétrie deculture, Béa B, contemple l'agoniedu monde en esthète; pour Fran­çois, la seule référence possibleétant celle du rêve, sa condamnationparaît plus irrémédiable encore.Mais y a-t-il deux façons d'êtredéchiqueté et englouti ?

A la fin de la Bêlamour, Fran­çois croit avoir trouvé les siens dansle long cortege d'une manifestation.Puis, tout à coup, il s'aperçoit queleurs revendications ne sont pas lesmêmes. Ceux-là sont des militantset lui ne sait que brailler son besoind'amour. « Je suis un barbare », ditDaniel Apruz. Mais non! C'est untendre.

Cella Minart

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Page 14: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

De l~illlaginaire au réel

LES REVUES

1Philippe AugierLes objets trouvésMinuit éd., 188 p.

Qui est Nespo? Ouelqu'un. Unindividu sans âge, sans relief, sanshistoire. Un individu dont l'histoirecommence quand il s'aperçoit de ladisparition de sa boîte aux lettres,quand il éprouve comme un man­que grave l'absence de celle-ci, bienqu'il ne se souvienne plus de saforme - carrée, rectangulaire ­ni du nombre de trous - plus decinq - où il pouvait passer lesdoigts pour vérifier que, commed'habitude, le facteur n'y avait riendéposé.

Les objets trouvés commencentpar cette mésaventure de Nespo.Malgré un zeste de fantaisie, unrelent de psychologisme «( chaquejour ü éprouvait la même peine »),on croit reconnaître le ton. PhilippeAugier a vingt ans. Il a lu les au­teurs du nouveau roman et emprun­te un peu à chacun, mais sansexcès; le personnage presque ano­nyme, à la mémoire qui flanche,a des cousins chez Beckett et Pin­get, la tentative de la descriptionde la boîte aux lettres semble être

Clarisse NicoïdskiLa mort de Gilles,Mercure de France éd.

Deuxième roman de Clarisse Ni­coïdski, la Mort de Gilles confirmeavec éclat les qualités du précédentet frappe une nouvelle fois par l'op­position entre un thème d'une trèsgrande intensité dramatique et uneécriture lovée dans une surprenanteapparence de tranquillité. On nesaurait dire si ce contraste est déli­bérément recherché; il sembleraitdû, plutôt, à une extrême pudeur,laquelle conduirait la romancièreà ne souhaiter se faire entendre quepar ceux qui la devineraient à demi­mot. Dans les livres de ClarisseNicoïdski, la brûlure n'est pas cequi est donné à voir, mais ce quiest donné à sentir.

Comme dans le Désespoir toutblanc, on trouve au centre de laMort de Gilles un enfant. On y re­trouve aussi la solitude et une voixpareillement coupée du monde.Mais, surtout, les deux romans per­mettent chacun - bien que de fa­çon sous-jacente et seulement à unsecond niveau de lecture - uneapproche saisissante de la folie. En­tre les égarements de la petite filledu Désespoir tout blanc et ceux dela narratrice de la Mort de Gilles,il n'y a aucun lien; il s'agissait,dans celui-là, d'une enfant attardéequi passait pour l'idiote du village

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un clin d'œil à Robbe-Grillet, le dé­part enfin de Nespo à la recherchede sa boîte annonce des déambula­tions bien connues. Seulement, ilapparaît vite que Philippe Augiera lu bien d'autres auteurs et qu'aufond, ce qu'il a lu a peu d'impor­tance. Ce qui l'intéresse, c'est uneécriture qui l'entraîne vers l'imagi­naire, le rêve, le cauchemar, lafolie.

Cherchant sa boîte, en effet, ob­jet dérisoire et inutile, Nespo selance dans une quête tragi-comiquequi le conduit à traverser les lieux,à rencontrer les personnages lesplus insolites. La visite à la concier­ge, femme énorme et superbe, vau­trée. nue, un petit chat tétant salourde mamelle, sur un immensecoussin de velours cramoisi, dansun véritable décor de musée, est unprélude aux aventures les plus fan­tastiques_ Nespo verra une jeunefille se dissoudre littéralement dansle brouillard, des hommes faire laqueue pour copuler une « splendi­de» créature (énorme, elle aussi,comme la concierge) qui reçoit lasemence et accouche d'un enfantavec la rapidité d'une machine àsous, demandera des conseils à unprophète vivant dans une toile

et ici d'une mère qui raconte dequelle façon on survit à la mort deson fils. Mais malgré cela, les deuxpersonnages se rejoignent quandmême, puisque l'on verra que pourchacune d'elles la délivrance impli­que une sorte de chute dans les té­nèbres où l'on reconnaît bien unebrève plongée dans la folie.

Sur un sujet aussi pathétiqueque la mort d'un enfant, ClarisseNicoïdski a écrit un livre d'une so­briété remarquable, non pas l'his­toire d'un oubli, mais celle d'une ré­signation. Car à la fin du récit, lors­qu'elle paraîtra s'insérer à nouveaudans la vie, la mère n'aura pas da­vantage accepté la mort de son fils ;mais elle aura accepté de vivre dé­sormais avec la blessure qui luitient lieu d'enfant. Aussi ce récit est­il, et de façon assez surprenante,essentiellement physique. Comment,en effet, parler de la mort, sinoncomme d'une mutilation? Et desurcroît de la mort de son enfant!

Alors, pendant des jours et desjours, la mère s'astreint à observercette blessure dont son corps toutentier porte témoignage et engageavec elle un dialogue qui la projettehors de son lieu et de son tempshabituels. Epouse et mère, mère ouépouse; durant la longue périoded'éloignement qui suit la mort deGilles, la narratrice prend conscien­ce que n'importe lequel de ces choixserait une trahison. Avant, son êtrerequérait cette double fonction; elle

d'araignée métallique, fera amitiéavec un crapaud,

Tout ici est irréel. Mais commedans les contes de fées ou les récitspour enfants, tout est donné pourvrai, se passe dans un monde oùrien n'est impossible. Seulement ceque nous offre Philippe Augier,c'est Tintin chez Jérôme Bosch, lepetit Poucet perdu dans les paysa­ges de Lautréamont ou explorant lesarrière-mondes. Et son récit, amu­sant, vif, ne refusant pas à l'occa­sion les facilités du roman populai­re «( Cela était vrai, odieusementvrai, irrésistihlement vrai ») est plusqu'un jeu. La quête de Nespo estsymbolique. A sa manière, ce per­sonnage sans visage, naïf, entêté,un peu grotesque parcourt tous lescercles de l'enfer à la poursuite duGraal, ce qu'il nous signifie, c'estque le monde des objets trouvés etcependant introuvables, ce monde àla fois réel et fantasmatique, estbien le nôtre. Pourchassé par lesmachines ou déguisé en clown de­vant la mère et l'enfant, Nespoincarne les peurs, les nostalgies, lescontradictions de l'homme moderne.

Claude Bonne/oy

est désormais rongée par une qualiténouvelle d'oubli, qui procède moinsde la mémoire que de l'imposture,puisqu'en mourant Gilles paraîtavoir emporté avec lui, toutes lescertitudes du passé.

« De ce mensonge,' dit-eHe enobservant l'érosion qui la travaille,je ferai une vérité. Je vais retrouvermon fils en dedans de mat. Puisqu'ilest sorti de ma chair, é'est en machair que je le rencontrerai à nou­veau. » Cela se fera, en effet : dansune sorte d'hallucination, elle' aural'impression, au bord d'un étang,de se donner à ce fils devenu entretemps adulte et ressemblant étran­gement à son père. La mort niée,exorcisée par la démence? Pasvraiment, et d'autant moins qu'ilne semble pas que Clarisse Nicoïd­ski ait voulu mettre l'accent sur lasignification freudienne de cette<possession d'un fantasme. Ce qu'ellea voulu, plutôt, c'est la reconstitu­tion des phases successives de lagreffe monstrueuse qu'est la réali­té de la mort sur un corps qui doitdésormais s'accommoder de cettecohabitation.

Rien n'est plus difficile que deconstruire un livre autour d'une pré­sence invisible. Clarisse Nicoïdski yparvient, non seulement parcequ'eHe est un écrivain de talent,mais aussi grâce à la qualité de sonregard, chargé, à n'en pas douter,de mémoire.

Cella Minart

Promesse

Brecht est à l'honneur dans cettelivraison d'automne de la jeune revuepoitevine avec des essais sur la pein­ture chinoise, le théâtre chinois, leformalisme et la dfâlectique proléta­rienne. Pour compléter le sommaire,des textes de Guy Scarpetta (surBrecht), Pierre Rottenberg, Jean-MarieSoreau et Alain Duault.

Les Lettres Nouvelles

(septembre-octobre1970)

Numéro très divers et très touffuavec des textes cubain (Nivaria Teje­ra), américains (Richard Kostelanetzet Tom Wolfe), haïtien (Jean Metellusavec un poème sur Malcolm X), suisse(Pierre Chappuis) et français (MauriceRoche, Jacques-Pierre Amette, RogerBorderie, Michel Vachey, Flora Dosen).Jorge Luis Borges publie une confé­rence sur le romancier américain Na­thaniel Hawthorne. Samuel Beckettfait l'objet d'une étude d'Edith Four­nier. Signalons aussi de courts poèmesde Dimitri Buican, écrivain roumaininédit en son pays, sa poésie étantjugée trop pessimiste; par exemple :

PenserC'est le péchéDe tous les temps.D'Adam et EveC'est le châtiment du rêve.

Raison présente (n° 15)

L'enseignement philosophique etl'enseignement de l'anglais sont misen question dans ce numéro par Mau­rice Caveing, Lucien Brunelle, JeanSumpf, Vitor Leduc et Jean Guénot.Hélène Parmelin fait un violent plai­doyer pour la liberté de création, no­tamment dans les sociétés socialistes.Enfin, Marie-Christine Granjon fait unesynthèse (déjà un peu dépassée : toutva vite aux U.S.A.), de la nouvellegauche américaine.

Esprit (octobre 1970)

C'est encore la révolution aux Etats­Unis qui est au centre de ce numérod'Esprit. C'est un panorama assez com­plet avec des collaborateurs français(Jean-Marie Domenach, Edgar Morin)et américains (Sylvia Crane, BobFitch, Barrington Moore, lan Young).Les centres d'intérêt: les mouvementsde libération, la culture des. hippies, .les • familles" et les • communes ",les Panthères noires. la répression.Enfin, la question est posée ; • Larévolution est-elle possible auxU.SA?" La réponse de l'auteur estpessimiste ...

Jean Wagner

Page 15: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

unRequiem pour ange

les livresdonton parle

YVESCOURRIERELa guerre d'Algérie

lome III PIERREL'heure VIANSSON-

des colonels PONTEDe la fin de la bataille d'Algel' Histoire deau drame des barricades (1!l57-1!l6O)

...,j la république"""'l

ALFRED gaullienneGROSSER Le premier récit historique

complet des onze années de pouvoir

L'Allemagne du Général de Gaullelome 1

de La fin d'une époqueMal 1958 - Juillet 1962

notre temps "LES GRA~DESETUDES~ONTEMPORAINES..

Expliquée par son histoire,dessinée pal' deux

systèmes politiques,modelée par son temps

"LES GHANDES ETUDESCONTEMPORAINES ..

sont éditéschezfayard

1Nicole Quentin-MaurerPortrait de RaphaëlColl. « Le Chemin»Gallimard éd., 151 p.

C'est dans l'exquise transparencede sa chair doublée d'une opacitéprofonde, mystérieuse et qui rendson sexe parfois presque indéfinis­sable et par là fascinant que surgitl'ange de Raphaël dans les fresquesdes Chambres. Tel un de ces êtresà la douceur ineffable d'androgyne,avec « l'étrange flèche de son corpsorganisant le paysage », le Raphaëlque décrit Nicole Quentin-Maureranime et illumine de son passage laliturgie secrète que lui consacre sonami Germain.

Les amoursadolescentes

Ces amours adolescentes qui vi­vent les paysages à la démesure deleur jeunesse et de leur passionparaissent tout droit sortis d'un ta­bleau de l'école du Pérugin. Le« portrait» est l'histoire d'une « Vi­sitation », celle de l'ange impénétra­ble et lumineux qui dispense la ra­dieuse détresse d'un désir jamaisassouvi. Celui qui aime est pour luiun frère, un père, une mère et aussiun amant dissimulant ses orages dedésir. Entre eux, les contacts sontde l'ordre du regard seul, de la fas­cination parfois ponctuée de retouret aussitôt de fuite. Dans ce « voya­ge chaotique et amer de l'amitié»l'amant se perd : « Et moi, Ger­main, perdu, je me gonfle d'orguesfunèbres, je fleuris de contrepointsobsédants, puis, tout m'abandonnesous mes paupières incendiées, jeme dresse vers toi, vers ces lueursmobiles sillonnant la nuit au-dessusde mon front écrasé, vers ces bran­ches lourdes, ces masques charbon­neux scuptés au ciel, vers toi sanscesse ».

Les progrèsd'une fascination

La nature du sentiment qui porteGermain vers son jeune ami n'estpas sans évoquer la profondeur etla réserve soutenues du héros de laMort à Venise pour l'adolescent« aux yeux d'aube» qui s'appelleTadzio. De même que chez ThomasMann, on assiste ici aux progrèsd'une fascination à la fois illUIni­nante et désespérée, à ces orgies du

regard que vient nonchalammentcombler et décevoir l'ombrageusebeauté de l'aimé. La rareté desparoles échangées fait que la com­munication se fait par le seul feudu regard qui s'emplit de sa fuyan­te proie; comme chez Proust, l'aiméest un être de fuite.

Un animismedélicat qui épouseles méandresde la passion

Un animisme délicat s'associe aurythme « affectif» du style quiépouse avec beaucoup d'art lesméandres de la passion. Des réso­nances gracquiennes se font enten­dre çà et là, «( un jardin à rez deparc ») dans cette langue à la foisprécise et recueillie qui frôle par­fois la préciosité, par le symbolismedont elle tire de remarquables effets.Les allusions bibliques viennent sou­vent nimber la personne de Ra­phaël ; à d'autres moments, ce sontles astres qui président « à des ins­tants de ressemblance entre lesdeux amis. L'amant « serre alorsRaphaël dans (un) ordre secret, (ille) tire dans les chemins du retour,le rappelle sans cesse à de communsmiroirs» dans une quête d'identitéscénienne, platoniciè'nne.

Cet amour est également une ma­ternité et une enfance retrouvéescc dans le ventre satiné » et océani­que de la mère, lieu d'apaisementthalassal (dans le sens où l'entendS. Ferenczi) de l'être dans son mi­lieu originel.

L'extrême nudité de l'histoire, la

presque absence de tout événementhormis la séparation finale des deuxjeunes gens, renvoie directement àl'absolu de l'amour qu'elle décrit,et à la douleur que' suscite l'arra­chement à la présence de l'Autre.L'amant devient alors une mère endeuil cc habité (e) par un chantacharné et nu qui déploie en (lui)ses racines indomptables, renversantà la poussée de ses branches lesmurs étroits de sa chair ». Dans cet­te ultime et douloureuse parturitionl'amant cc accompagne ce mort tantaimé, cet infidèle, ce fou, d'unecurieuse litanie, une prière funèbrecomposée pour sa bouche... » (US).

La grande déchirure

Au cc défilé paisible des heuresilluminées par l'amour» succèdedonc la grande déchirure de l'irré­médiable absence, la perte de celuidont la résistance joueuse aurait pu,avec le temps, se muer peut-être enun aveu et un premier consente-

ment ... Mais Germain est condam­né à vivre avec son secret, avec lamémoire de ses houles intérieures,celle de ses extases et de son désen­chantement. L'Ange est « passéoutre », tel celui de Rilke, appelévers d'autres constellations, laissantderrière lui une empreinte dont onne sait si elle est d'air ou de feu.

Une maitriseétonnante

A part de très rares maladressesde style (pp 98 et 145), on ne pour­ra qu'admirer la maîtrise étonnantedont fait preuve l'auteur dans cepremier roman. Son éeriture frappeet par la profondeur du sujet, et parla qualité du style, qui se main­tient jusqu'au bout dans une sortede cc pertinence extrême» dans ledifficile exercice qu'est l'art du por­trait. Il faut, je le crois, prêter àcette voix nouvelle, une attentiontoute particulière.

Anne Fabre-Luce.

La QuInzaine Uttéraire, du 15 au 30 novembre 1970 1 5

Page 16: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

EXPOSITIONS

Viseux~ graveurAprès l'importante exposi­

tion consacrée par le CentreNational d'Art Contemporain(CNAC) au sculpteur ClaudeViseux il y a un an et ses réjl­lisations monumentales dansle cadre du 1 % (voir l'articlede Marcel Billot dans le numé­ro 104 de la Quinzaine), cetartiste nous présente (1), ac­compagnée d'une série de pe­tites sculptures récentes, unesuite de gravures qui ont re­tenu notre attention. Ces gra­vures, réunies sous le titred'Horographies (12 + 12 =365) et consacrées au temps,inaugurent une technique trèsparticulière à travers laquelleViseux poursuit son proposd'assembler des éléments mé­talliques d'origine technologi­que.

Comment as-tu été conduit àaborder le problème du tempsqui est une notion, abstraite, apriori assez éloignée de tespréoccupations antérieures?

C. V. - Depuis, disons, unedizaine d'années, il s'est produitd'importants changements dansma manière de faire, c'est-à-diredans toute cette activité liée àl'assemblage, à la réalisation decertaines sculptures. Au départ,les prétextes étaient biologi­ques, écologiques, et mainte­nant c'est devenu, au niveau dela main, vraiment une respirationde toutes les formes que j'accep­te. Alors les horographies c'estun nouveau prétexte car il s'agitdu temps, il s'agit de formulercertains aspects du temps. Leshorographes faisaient des signessur les premiers cadrans, sur lespremiers cylindres et ici, juste­ment, il s'agit de trouver, choi­sir, modifier certaines surfaces...

C'est le facteur temps qui esten jeu et je l'ai abordé commeon tourne les rouages d'un ré­veil. Dans ces gravures, on ver­ra vraiment le chemin, j'ai tenuà le montrer; il n'y a aucune cui­sine, aucun effet de matière et,chaque fois, les couleurs ont étéchoisies pour mettre en éviden·ce autant que pour dissocier lestrois formes. Car il y a toujourstrois formes, mais certaines sontquelquefois faites de plusieurséléments soudés; il y a toujoursun élément-réceptacle qui estcomme un écran, un élément in­termédiaire qui est la transition

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Viseux: Gravure, 1970.

et l'élément perturbateur. Celafait que tout s'annule et, s'il y aune vie, elle se crée au niveaudu regard, par la lectur~. J'aiessayé de normaliser cela parun gris qui reçoit, en spectrolo­gie sensible, une surface métal­lique, qui reçoit à son tour uneforme colorée pure. Il est trèsimportant que l'élément pertur­bateur ait une couleur vive. .

Pourquoi as-tu util isé cettetechnique nouvelle qui, tu mel'as dit, rend les repérages et lestirages très délicats?

C. V. - Disons que, jusqu'àprésent, les gravures étaient fai­tes sur une surface - cuivre ouzinc - que la main de l'hommeblessait avec une pointe sèche,un burin ou tout autre procédéclassique. Alors, quand j'ai voulucommencer à parler de ces cc es­paces-temps n, j'ai utilisé despièces préexistantes comme ca­ches et j'ai gravé, j'ai composécomme un graveur repousse untrait pour obtenir la forme. J'aidétouré autour de plaques trou­vées mais, en les regardant, jeme suis dit cc bon, c'est très joli,très joli ou très mal, mais enfinc'est de l'imagerie, une fausseimagerie n, parce que l'acte demaîtriser une surface, de la ré-

véler n'est pas aussi évident.J'ai voulu trouver un circuit iden­tique entre la machine qui per­fore et construit ces plaques etcelui qui règle la machine, quirévèle l'encrage de ces plaques.

Il était essentiel pour toi departir d'éléments industrielspréexistants ...

C. V. - En fait, il est essen­tiel de dire que je constate cessurfaces mais que je ne les fa­brique pas. Disons que, pourmoi, toute forme est à la foisinstantanée parce qu'elle m'estrévélée quand je la trouve etprovisoire jusqu'au moment où,face à une autre forme, elle en­gendre une question ol,! une in­connue. Ici, il y a des piècestechnologiques, c'est-à-dire em­bouties, décolletées, qui sontisolées et méconnaissables;donc on ne voit aucune beautéa priori, aucun sens esthétiquedéfini sauf leur cc ambiguïté n

propre... Libre à moi ensuite deredécouper, de monter, d'inter­venir dans la fameuse modifica­tion qui va se produire quand cemonde, mécanique au départ,basculera dans un élément orga­nique ou imaginaire. Je ne tiensaucun propos géométrique fina-

lement, et seuls l'organique etl'imaginaire m'intéressent. Tuvois, c'est très éloigné d'une at·titude constructiviste, c'est unegenèse interne, une sphère quiengendre un cube, toute unegymnastique intérieure...

Estimes-tu que la réal isationde ces gravures t'aura été utilepour ton travail de graveur?

C. V. - Actuellement, j'éprou­ve le besoin de me restreindredans le choix des formes, c'est­à-dire je voudrais mettre en œu­vre des volumes relativementsimples et connus de tous, descubes, des cônes, des sphères;surtout pas de pièce nominative.Il y en a quelques-unes dans lesgravures mais très peu et cesont celles-là les perturbatrices,celles qui ont été pensées pourfaire un axe de voiture, un jointde ceci ou de cela; celles-là onpourrait les reconnaître... Doncje tiens à dissocier les piècesnominatives servant tel ou telaspect que tout le monde, tôt outard, peut identifier, et les cer­cles, les carrés, etc.

Il faut dire que pendant desannées je me suis posé le pro­blème du point zéro d'une forme.Par l'informel, je me suis ditcc je m'interdis d'accepter quel­que forme que ce soit n, je vou­lais connaître la nature de samatière interne. Je n'ai jamaiseu de besoin de destruction maisbesoin d'ouvrir le ventre auxchoses. En trouvant une sphère,j'avais envie de la déchirer àl'arc électrique pour voir ce qu'ily avait dedans et quelquefois, àl'intérieur, j'ai trouvé des chosesqu'on y avait mis, des robinetspar exemple, des tuyaux. Et puisles images sont nées, l'accepta­tion des formes qui n'est venuequ'après l'exploration de la ma­tière par des essais au niveaudu matériau. Je n'ai plus ce côtéde dire « nous sommes une ou­tre avec un estomac à l'inté­rieur», mais j'en envie de dire« il y a une superposition de sur­faces, en un certain ordre engen­drées » qu'il faut faire percevoiren se mettant dans la peau duspectateur qui, encore une fois,constate.

Propos recueillispar Jean-Luc Verley

(1) Galeries «Le Point Cardinal.,3, rue Jacob, 3, rue Cardinale, 12, ruede l'Echaudé-Saint-Germain.

Page 17: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

INFORMATIONS

Dans les galeries

GALERIE LAMBERTPeggy

GOLDSTEINSculptures

14, rue St-Louis-en-l'lIe, (4e)

GALERIEHENQUEZ·SAINT·JOIGNV

96, rue de Rennes - (6e)AUGEARDLE MERDVP. ROZ 1E R

17 novembre-5 décembre

GALERIEVILLAND ET GALANIS

127, bd HaussmannTél.: 225-59-91

Pierre CHARBONNIERPeintures récentes

17 novembre-20 décembre

Le Comité du Salon de l'Ecole t:ran·çaise 1970 qui présentait 220 artisteset 350 œuvres a décerné ses différentsprix aux artistes suivants: Mrs HildaCarmel, M. A. Sidqui, Mahine Oolat­chah, J.M. 'Géron, Thérèse Lehucher,Maurice Merger et Guy Péron, Fernan·de Lestage-Mauponné, ·F. Kerleroux,G. Sailly, Isabelle de Battlk, JaneLarroque, Hélène Yankova, et HélèneBoullier.

Le 20 novembre sera Inaugurée àValence (Espagne) la galerie CALANIS- obras de arte - Calle Nave 25,avec des lithographies originales d'ar'tistes contemporains: Picasso, DaIl ,Masson, Lapicque, Carzou, Borès,Clavé...

Simon HA-NTAI expose ses peinturesrécentes àla galerie Pierre Matisse àNew·York.

Présentée par Anatole Jakovsky,Patricia MARTON expose galerieAntoinette rue Bourbon-Ie-ehâteau.

"Le Musée Boymans Van Beunlngen deRotterdam organise une rétrospectivedes œuvres de Sal.vador Dall, jusqu'enjanvier 1971. ta Fondation Paul Ricarda prêté à cette occasion «-La Pêcheau thon - qui lui appartient depuisquelques années.

Le peintre autrichien Rodolphe Rlchlyfête ses 84 ans en exposant galerieArlette Chabaud rue Bonaparte.

Ingvar Larsson, Lore Kegel et HaraldKinckowtrom terminent la saison dela galerie Valombreuse de Biarritz.

Après l'exposition des dessins du PrSchroder, la galerie Eskens présenteles gouaches récentes de Desternes(rue Sainte-Anne).

Balbi, Sohaap-Holster et Oljens suc·cèdent à Pastorini aux cimaises de lagalerie Moufte, rue MouttetarCl.

Nicolas Bischower

Jean~acques Lévêque

dixième anniversaire, c'est l'accomplis­sement des prophéties d'Apollinaire :ce siècle découvrira la poésie du jour­nal quotidien, des faits divers, de lamachine; autrement dit une poésieurbaine. C'est fait. César, Arman, Ville­glé, Hains, Tinguely y ont puisé desforces suffisantes pour travailler, au­jourd'hui, au-delà d'un groupe. L'his­toire, d'ailleurs, l'a assimilé. Une expo­sition comme celle-là a un petit airnostalgique de musée qui fait réflé­chir. L'histoire va bien vite aujourd'hui.

Colas-GuérinVladimir-Pavlowsky

par l'inspiration - paysages et corpsde femmes, visions panthéistes (Hom­mage à William Blake), scènes étran­ges situées dans des espaces imagi­naires - mais identiques par la vi­gueur de la plume qui fait de Massonun des plus grands dessinateurscontemporains.

Parmi les peintures, on est frappédu resurgissement, dans certainestoiles, de l'écriture surréalisante siparticulière à Masson, caractérisée àla fois par la rigueur de sa construc­tion et la place qu'elle donne auxblancs, à l'informulé (Au parvis del'énigme, 1970). Cependant, Massonn'abandonne pas les espaces entière­ment remplis, aux formes enchevê­trées et frénétiques, aux couleurs élec­triques, qui enchantèrent le jeune Pol­lock (L'engloutissement, 1968, Le pou­voir des fleurs, 1968-1969). Mais lesdeux toiles les plus surprenantes sontinspirées par le paysage de la mer duNord : presque vides, l'une d'ellespresque monochrome, la nervosité deMasson ne s'y exprime plus dans letrait, mais dans le frémissement de lamince surface colorée. Fantasmes desdunes de Texel (1968) laisse surgirun étrange oiseau dans le ciel bistrequi enveloppe la terre et la mer, tandisque Néréides de la mer du Nord (1968)ouvre aux divinités la longue route do­rée de la plage, entre la mer et lesdunes. Faces crépusculaire et diurned'une même expérience, ces deux toi­les vaudraient à elles seules la visited'une exposition où l'on découvriraqu'André Masson poursuit son aven­ture en l'approfondissant - mais dansla fidélité à soi, et sans rien aban·donner.

J.-P. Clebert et Pierre Bettencourtprésentent les œuvres de Colas-Gué­rin (Galerie Desbrière et le Soleil dansla tête) qui s'inscrivent dans l'hérita­ge de la « Nouvelle figuration - : touted'horreur charnelle contenue. C'est, aucontraire, dans l'abstraction la plusrésolue que travaille' J. Vladimir­Pavlowsky (Galerie La Roue) qui aimeagencer de sensuelles mais parfoisinquiètes matières, pétries, dirait-on.par une main d'angoisse qui, parfois,s'accorde des grâces et des temps derepos.

André Masson

cc Nouveau Réalisme ))

Beaudin

Corneille

Avec le «Nouveau Réalisme--,dont la galerie Mathias Fels fête le

Avec Corneille (Galerie Ariel) nousabordons le monde de la turbulence,l'enfance y est encore proche (Beau­din a plutôt la nostalgie de l'adoles·cence) avec ses insolences, ses inven­tions, sa fraîcheur inimitable.

On ne quitte pas les poètes avecBeaudin (Galeries Nationales du GrandPalais). Il a su tirer du cubisme uneleçon de rigueur qu'il ne confondit pasavec l'assèchement scolaire qui étaitcompris dans cet héritage si difficileà recevoir. Manieur de lumière (com­me le furent Turner, Monet ou Moran­di), il sait distribuer, avec pondération,une joie intime que lui donnent les cho­ses simples : un visage si tendredans l'angle des regards, un paysage:Paris bercé sur son fleuve.

Inscrite à l'écart des polémiques ac­tuelles, poursuivie à contre-courantdes modes, inaltérée par les recher­ches de l'anti-peinture, l'œuvre d'An­dré Masson nous atteint cependant defaçon étrange, et, près de cinquanteans après ses débuts, nous concernetoujours aussi directement. Pourquoi?

Peut-être parce que mieux qu'en au­cune autre, on y déchiffre le visagemultiple de l'art de ce siècle, la di­versité et la simultanéité des courantsque Masson a su assimiler, mais aus­si, ensuite, et souvent souterraine­ment, inspirer. Parce qu'on y lit latrace du cubisme, de l'expressionnis­me, de Klee, qu'on y perçoit une descomposantes du Surréalisme, qu'on ydécouvre une des origines de l'abstrac­tion lyrique et aussi de l'art des si­gnes. Parce que ces influx si diverssont intégrés dans une totalité aux fa­cettes plurielles mais cependant indis­sociables. Puisque aussi bien, la pein­ture de Masson est cérébrale, cons­truite, parfois presque littéraire, maiscapable aussi de s'abandonner à l'im­médiateté de la nature et au jaillis­sement d'Eros : peinture qui, d'une·toile à l'autre, ou dans la même, ac­corde le rythme saccadé du tempsurbain et les calmes ondes du tempsbucolique, les stridences de la ville etles harmonies sourdes de la nature.Bref, le don de Masson, c'est peut­être de s'être laissé prendre au cœurde nos contradictions et d'avoir sules recueillir et s'y recueillir avec séré­nité.

Tel apparaît le peintre dans l'expo­sition que 'Ia Galerie Louise Leirisconsacre à ses travaux (dessins etpeintures) des deux dernières années.Les vingt-cinq dessins, sont très divers

Max Ernst

Bryen

Lanskoy

Poliakoff

Chez Max Ernst (La Hune) on voitplutôt une continuité dans les rapportsde sympathie entre peinture et poésie.Les collages, naturellement, favori­saient cette alliance. Dans quel ordreles ranger : sont-ils des images, 'desénigmes verbales? On y découvre, demême que dans la peinture d'Ernst,et dans ses poèmes, cet humour trèsparticulier où la férocité se cache der­rière les roses de l'esprit.

Toute l'aventure de l'art contempo·rain se résume dans l'œuvre de Polia·koff (Musée d'Art Moderne et GalerieDina Vierny). Libérée des exigencesde la représentation la peinture peutvivre de ses propres ressources.L'œuvre de Poliakoff le prouve ample­ment. Il y a là une aventure isoléequi peut paraître monotone quand, enfait, elle est surtout obstinée, patienteet fidèle. Avec simplement de la cou­leur, sans dessin pour flatter l'intelli­gence, une œuvre s'élève devant nous,et son chant s'affirme et se déploiedans notre mémoire. Parce qu'il y a,dans la poussée lente, têtue, de la cou­leur sur la toile, en vue d'une organisa­tion qui épouse moins les caprices dumoment' qu'un juste équilibre (qui nousfait penser à celui des voûtes roma­nes), une gravité, une sensibilité, uneinquiétude aussi, des élans, qui témoi­gnent, ouvertement, d'un homme. Atravers l'œuvre il transparaît, s'imposeaussi. C'est dire qu'une telle peinturea la chaleur communicative d'un dis­cours confidentiel.

Même si elle n'est constituée quede pièces éparses, choisies dans despériodes différentes, l'exposition Lans- fil••••••••••••••••••••••••••••••••koy (galerie Bongers) répond parfaite­ment à la curiosité naturelle de l'ama­teur qui y trouve une démonstrationdes mécanismes créateurs de l'artiste.Le collage, entre autre, si original chezLanskoy, y définissant une appropria­tion de l'espace qui n'obéit pas seu­lement aux exigences de l'œil - lafête de la couleur n'y est point cepen­dant exclue - mais aux impatiencesde la main. On la suit, ardente, vive,emportée, dans la distribution desmasses, la mise en place des lignesde force. Du monde extérieur, le pein­tre n'a peut-être retenu que des ins­tants, des rythmes, mais de même quele buisson traduit la forêt, l'élan végé­tai, un Lanskoy porte encore dans sachair les élans de la vie. Il est réalisteau-delà des images.

Il en est de même pour un CamilleBryen (Galerie de Seine), venu desmots, aujourd'hui manieur de gestes,distributeur de lumières qui suspen­dent dans l'espace des questions. Cepassage de l'image au verbe se faitdans les deux sens.

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V •• ANISME

A la recherche d~un ordre

1Lewis MumfordLe déclin des villes oula recherched'un nouvel urbanismeFrance Empire éd., 336 p.

1Alexandre MitscherlichPsychanalyse et urbanismeGallimard éd., 206 p.

Pour Henri Lefebvre, dans unde ses derniers ouvrages (1) « l'ur·bain monte à l'horizon, occupe len­tement le champ épistémologique,devient l'épistémè de l'époque.L'histoire et l'historique s'éloignent.La psychanalyse, la linguistique,comme l'économie politique, aprèsleur apogée, commencent à décli­ner ».

On contestera que la psychana­lyse, la linguistique et l'urbain for­ment des champs homogènes, onprotestera que l'urbain n'est pasune figure de l'épistémè. En revan­che, il faut bien constater que lediscours sur la vil1e qui naquit avec'Owen et Fourier au début de l'èreindustrielle occupe aujourd'hui uneplace grandissante dans la réflexionde notre société. sur soi et dans leprojet des sciences humaines. Et ilest non moins certain que l'arrache­ment de ce discours à ses structuresdu XIX- siècle n'en finit pas des'achever.

C'est ce dont témoignent troislivres parus en français depuis juindernier : La révolution urbained'Henri Lefebvre, Le déclin de!j, vil·les de Lewis Mumford, Psychana.lyse et Urbanisme d'Alexandre Mit­scherlich. Trois pays, (France,·Etats-Unis, Allemagne fédérale)trois disciplines (la philosophie,l'histoire, la psychanalyse), troisorientations politiques (un marxien,un démocrate, un libéral) différen­tes n'en laissent que plus fortementapparaître les identités, l'apparte­nance à une même constellationépistémologique, de transition.

Même violence dans l'attaque desréalisations urbaines actuelles, mê·mes chefs d'accusation: monotonie,indifférenciation qui supprime lacréativité humaine, (substituant lemécanique à l'organique, le produità l'œuvre). Même étiologie, cher­chée dans la propriété privée du solurbain et dans la division du tra­vail, inductrice de passivité (l'ana­lyse -de la vie quotidienne par Mit­scherlich recoupe celle de Lefebvre).Dans les trois cas, la critique sefonde sur la même image de labelle totalité médiévale, du paradis

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urbain pré-industriel où « l'homome » trouva le lieu de sa réalisation.Dans les trois cas, même effort pres­que désespéré pour s'arracher à cesnostalgies, intégrer la spécificité duprésent. Lefebvre renonce aux évo­cations médiévales qu'on trouvaitdans Le droit à la ville et, dans uneperspective bien proche de celle deFoucault, invoque « coupures}) etmutations. Mumford évoque de« nouveaux modèles d'intégrationurbaine» tandis que Mitscherlichassure qu'il n'est « pas question defaire revivre les vieilles villes... nide les prendre pour modèles ». En­fin, à chaque fois, l'auteur se veutgénéraliste qui transcendera les di­visions du travail intellectuel fata·les à l'urbanisme (et dénoncées avecune verve particulière par Lefebvredans sa critique des opérations plu­ridisciplinaires); ainsi, le métaphi­losophe Lefebvre effectue, grâce àla pensée dialectique et utopique lemême travail que l'historien Mum­ford, grâce au poids de la mémoirehistorique, ou que le psychanalysteMitscherlich grâce à l'interventionde la mémoire philogénétique dupsychisme humain. Et, à chaquefois, l'œuvre de sauvetage s'accom­plit donc en partie dans une prisede conscience, dans une identiqueattitude réflexive.

_Entre Venise et Tokyo

La convergence de ces critiques,leur commune violence, leur fixa·tion à des concepts comme ceux decentralité, leur attachement à la fi·gure idéale de la ville dont l'arché·type flotte curieusement entre Ve­nise et Tokyo; leur incapacité mê­me à se défaire d'une terminologie(la-ville - l'urbain) dont Mumforda pourtant montré qu'elle impli­quait par définition un autre terme,la campagne, face cachée de ce quiconstitue un seul et même proces­sus; et dont pourtant Lefebvre areconnu avec pertinence qu'elle de­vrait être amputée du terme cam­pagne dont la dénotation a irrémé­diablement disparu; tout celatémoigne de la puissance de laconstellation épistémologique évo­quée au début et montre assez qu'àla racine de ces discours, on doittrouver plus qu'une crise économi·que ou politique, une « crise decivilisation ». Et c'est bien d'ail·leurs ce dont témoigne aussi l'exis­tence d'une crise urbanistique ana·logue à la nôtre (2), dans des pays

comme l'URSS où pourtant le solurbain est nationalisé.

Mais on pourrait aussi centrerl'éclairage sur les différences entreces trois livres et ce qui peut consti­tuer la part propre de chacun dansl'appropriation d'une constellationnouvelle. Dans cette optique, nousenvisagerons seulement les ouvra­ges de Mumford et de Mitscherlich,que rassemblent une positivité - etsans doute aussi un positivisme ­étrangers à Lefebvre.

La scène urbaineaméricaine

En ce qui concerne le premier,le contenu n'est ni à la hauteur dutitre ni, de loin, au niveau des ou­vrages à l'incomparable éruditionqui ont fait la renommée de Mum­ford, tel en particulier The Cultureof Cities (non traduit en français) ;c'est qu'il s'agit, en fait, d'une séried'articles de circonstance, échelon·nés de 1956 à 1968, au gré del'actualité urbaine américaine. Derapides analyses consacrées à lanécessité de mélanger les classesd'âge (intégration du troisième âgedans la cité) ou exigences écologi­ques de l'enfance laissent transpa­raître l'image, déjà familière auxlecteurs de Mumford, d'un modèleurbain issu de Ebenezer Howard,préfiguré dans les nouvelles villesanglaises, et dont l'évolution récen·te des transports devrait enfin ren­dre la réalisation possible.

En fait, pour le lecteur français,l'intérêt assez ténu de ce livre tientà l'évocation (impressionniste) de lascène urbaine américaine, qu'ils'agisse de la genèse des villes oude la problématique urbaine incar·née par ses hérauts, de Mumfordlui-même (voir le vigoureux auto­portrait brossé dans sa dépositiondevant le Sénat) à Henry Wright etClarence Stein, en passant par sestêtes de turc, Jean Gottmann Doxia­dis, Jane Jacobs. Cette dernière,que la F:rance découvre aujourd'hui,dix ans après la parution de sonpremier livre (3) fait l'objet d'unepolémique éclairante et démysti­fiante, en particulier pour les Euro­péens, qui se jettent sans critiquesur le message de Mrs Jacobs. Sansnier la contribution de celle-ci aubon sens, Mumford montre à l'ori­gine de son livre l'obsession (amé­ricaine) de la sécurité et dénonceles extrapolations et confusions surlesquelles il repose : apologie de la

grande ville à quoi sont attribuésune série de caractères empruntés àGreenwich Village ou à des agglo­mérations de type pré-industriel. Sa« grande cité américaine n'a commearrière-plan que la vie humble d'unquartier historique tellement spé.cial qu'il en devient unique ». Oùest l'urbain ? Dans l'imagination del'intellectuel romantique qui enprojette les structures pittoresqueset anachroniques sur la mégapoledont les dimensions le subjuguent.La leçon est à méditer.

Le livre de Mitscherlich est d'unetout autre portée. Il apporte sansdoute la première (4) contributionsystématique de la psychanalyse àla théorie de ce qu'on appelle en·core l'urbanisme et ouvre des voiesque des chercheurs allemands ontdéjà commencé d'explorer (5).

Un exposé schématique montreraque ses thèmes et thèses résultentd'une lecture de Freud à l'opposéde celle des post.freudiens de gau­che, notamment Marcuse.

La ville commeimage maternellearchaïque

La figure de la ville chez Mit­scherlich est intégrée dans une vi­sion dualiste de l'homme. D'unepart, celui·ci est l'être qui se plieà toutes les adaptations et, par lamobilité de son intelligence, cons­truit une seconde nature. D'autrepart, il demeure l'animal prisonnierde la « nature primaire » qui a eubesoin d'un « ancrage dans un ré­seau de relations affectives constan·tes pendant une longue période dematuration » pour pouvoir accepterleur ambivalence et réaliser ensuitece dépassement. L'individu humainest ainsi pris dans un processuscirculaire où les niveaux primaireet secondaire se déterminent mu·tuellement. Et, traditionnellement,la ville - dont l'image ressemble àcelle d'une personne et qu'un lien« objectal» lie à son habitant ­est le lieu privilégié de ce proces·sus : lieu du développement del'intelligence et de l'autolibération,mais aussi des relations interperson­nelles primaires et de la socialisa­tion qui les conditionne.

Cette théorie éclaire pour Mit·scherlich l'événement consécutü àla révolution industrielle : l'intelli­gence transforme le milieu à un

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(1) La révolution urbaine,. idées.Gallimard.

(2) Que Lefebvre reconnaît sans pou­voir l'expliquer.

(3) The Death and Life of the GreatAmerican Cities, Random House; N.Y.1960. Voir « La Quinzaine» n° 3; j'avaisdonné de larges extraits de cet ouvrageen 1965 dans Urbanisme, Utopies etRéalités, Le Seuil.

(4) Devançant la publication destravaux d'ailleurs très différents, deJ. Rykwert. Cf La Maison d'Adam auParadis, à paraître au Seuil.

Françoise Choay

d'une constellation nouvelle, celleque nous masquent encore tant deconcepts, la ville, la campagne, lecentre, et qui les remplacerait pa~

ce que nous avons nommé ailleursle post-urbain? .

Si Mitscherlich ne va pas jusquelà, son livre permet de poser laquestion et il ébranle, parfois mal­gré l'auteur et en dépit de tous lesliens qui l'y rattachent, les fonde­ments de l'ancien discours sur laville.

(5) Voir notamment de R. Bent­mann et M. Müller Die Villa ais Her­renschafts-Archirekrur, Suhrkamp 1970,qui reprend, en l'approfondissant et enl'appliquant à l'analyse de la villa palla­dienne, puis de la villa péri-urbaine desXIX' et XX' siècles, un thème cher àMitscherlich.

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sur la ville depuis le XIXe siècleet jusque dans les projets urbanis­tiques les plus récents, des deuxcourants que nous avions nommésprogressisme et culturalisme. Dèslors que ces systèmes de valeurs se­raient repérés dans leur simulta­néité, une double recherche s'impo­serait. D'une part, elle tenterait derendre nos agglomérations vraimentcontemporaines de nos savoirs etsavoirs-faire, des acquisitions de lascience et de la technologie. D'autrepart, elle entreprendrait d'en fairedes matrices propices au développe­ment de l'identité personnelle et àla création de relations interperson­nelles. Cette vision duelle ne doitpas être interprétée comme unehomélie sur le changement dans lacontinuité : tout en dégageant lanotion de « seuils de dénaturalisa­tion », Mitscherlich n'en ouvre pasmoins à celle-ci un horizon infini.

En outre, ne serait-il pas tempsde réfléchir aux petites unités évo­quées par Mitscherlich. Pareillestructure ne marque-t-elle pas lemoment de rompre avec le conceptde l'urbain ? La réalisation dialecti­que de l'urbain par l'urbain a-t-elleun sens? Ce qu'on appelle l'urba­nisation (planétaire) ne marque-t­elle pas la fin de l'urbain ? Penseret réaliser ces nouvelles unités éco­logiques ne conduirait-il pas au seuil

souvent invoqué aujourd'hui par lesurbanistes, reposait en fait sur unfond d'identité, toutes les demeu­res étant bâties sur un même proto­type ou standard, librement ac­cepté.

Le cercle noté plus haut est doncbouclé à l'envers. Notre urbanismerégressif assimilable à une réactionde panique, est incapable de créerle milieu favorable au développe­ment de l'ego : il forme des sur-.adaptés (inadaptés). Cette analysepessimiste débouche cependant surune série de propositions concrètesressortissant à une double activitéréflexive et pratique : lutte contrela puissance dissimulatrice de l'in­conscient et combat pour la recon­quête du sentiment de respectabi­lité, mais aussi élaboration d'unmilieu plus favotlible à la construc­tion (Bildung) du petit humain.Or, bien que pour Mitscherlich « lagrande ville soit une donnée inéluc­table pour une société qui ne peutvenir à bout de ses tâches d'organi­sation que par un énorme accrois­sement des services », il est cepen­dant amené ici à proposer et définirune petite unité « reposant sur uneexpérience affective de tous les ins­tants», la seule où puissent seconstituer des relations humainesvéritables - et où l'enfant disposeà la fois de « voisins» et d'un es­pace non abstrait (avec boue, ca­chettes, animaux vivants, etc.).

La candeur des analyses deMitscherlich fera parfois sourire.Comment peut-on par exemple ren­dre compte du statut foncier desvilles par la seule régression à untabou? Comment peut-on aussiradicalement faire abstraction desdimensions économiques et politi­ques de la ville ? Pourtant, ces sim­plifications, ou plutôt le choix desstrates élémentaires du psychismeoù se situe l'analyse, ne doivent pasfaire méconnaître l'apport considé­rable de Mitscherlich.

Si celui-ci se rattache à bien deségards, comme nous l'avons mon­tré, aux « idéologies» du XIXe siè­cle, il contribue cependant à les fai­re éclater. L'introduction délibéréede l'inconscient (et en particulierde concepts tels celui de régression)dans le discours sur la ville, enperturbe aussitôt l'ancienne organi­sation. Ainsi la dichotomie des for·ces primaires et secondaires dupsychisme présente sans doute unegrande valeur opératoire. Elle peutnotamment rendre compte de l'exis­tence, sous-jacente dans le discours

urbain

Des conduitesrégressives

C'était là le thème de la Sociétésans Père. Frustré, l'individu seréfugie dans une série de condui­tes régressives, névrotiques. Il fuitdans la passivité de l'hyperadapta­tion : c'est ainsi que Mitscherlichinterprète l'inertie des habitants desgrands ensembles, leur incapacitéde formuler des revendications po­sitives. Il fuit aussi dans l'indivi­dualisme dont Mitscherlich dénon­ce deux manifestations pathologi­ques solidaires : la régression-fixa­tion au « tabou de propriété privée »(<< quant aux forces qui s'opposentà une redistribution du sol urbain,je propose d'y voir l'action d'orga­nisations pulsionnelles du type pri­mitif »); et le développement del'idéal pavillonnaire, tentative su­prême de l'ego lésé pour se sous­traire aux contraintes de la disci­pline sociale. Mitscherlich rappelle,à ce propos, comment à l'époque dela cité, le jeu des différences, si

rythme qui menace le nécessaireenracinement affectif. Dans le«conflit entre volonté d'organisa­tion du neuf et réflexes primitifsd'auto-conservation », la vie est dé­bordée par la massivité de la créa­tion anti-naturelle. Pas plus que lesmétropoles du XIXe siècle, les nou­veaux ensembles du XXe siècle nepeuvent apporter à leurs habitantsle «minimum vital» de satisfac­tions primaires. Si on se souvientdu rôle déterminant des quatrepremières années de la vie pour ledestin psycho-affectif de l'individuhumain, c'est au niveau de l'enfantqu'apparaît le plus dramatiquementla double carence de ces environ­nements. Ils sont en effet impropresà assurer aux petits le sentiment desécurité et le libre jeu des pulsionsaffectives primaires (qui par défini­tion ne peuvent être contrôléesqu'après avoir reçu satisfaction). Etils sont également impropres à four­nir les réseaux où l'enfant puissefaire progressivement l'expériencede l'ambivalence des relations hu­maines et à travers elle apprendreà « renoncer à satisfaire son egoprimaire ». A la figure précise dela cité se substitue une image ma­ternelle archaïque indifférenciée,terre-mère nourricière qui n'est plus

. perçue comme gestalt et objet libi­dinal mais dont on attend passive­ment qu'elle vous nourrisse.

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Les réalités locales

ESSAIS

1Maurice Agulhon

. La République au villageColl. « Civilisationet mentalités »Plon éd., 540 p.

Depuis le Tableau politique de laFrance de l'ouest, la sociologie po­litique n'avait guère fait que suivreet perfectionner la méthode mise aupoint par André Siegfried.•

En débarquant en Provence en1832, la duchesse de Berry comp­tait bien aborder une terre fidèle,« une Vendée méridionale»; leMidi méditerranéen n'avait-il pasété le pays de la Terreur Blanche?Il cesse de l'être, sans grande raisonapparente, au cours du règne deLouis-Philippe et c'est cette énigmeque Maurice Agulhon essaie de ré­soudre dans cet ouvrage. Cettemicro-histoire n'aurait pas plus re­tenu l'attention pourtant, si lanouveauté de l'approche ne faisaitde cette étude un exemple, aussirévolutionnaire, à sa façon, quel'ouvrage, désormais dépassé d'An­dré Siegfried sur l'Ardèche. Ellepermet de comprendre égalementcomment, de l'univers dramatiquede 1848-1851, on est passé à l'uni­vers serein de 1880-1940 parce quel'ancien régime économique a dis­paru au temps du Second empire ;et comment, du folklore serein dela politique de gauche, on passe auclimat actuel parce que la sociétépaysanne se défait et s'intègre àl' « univers des loisirs » où la Pro­vence tient la place que l'on sait.Mais l'essentiel n'est pas là.

L'intérêt de l'ouvrage se trouvedans le fait que Maurice Agulhonrompt avec les schémas mécanistesqui, traditionnellement, résolvaienttous les problèmes par l'oppositiongrossière des intérêts de classe; ilrajeunit et bouleverse cette appro­'che en sachant montrer que le mê­me individu peut être à la fois unet plusieurs, sans prendre nécessai­rement conscience des contradic­tions qu'implique la complexité deson statut. Ainsi, « un paysan peutêtre un salarié, par rapport à sonemployeur, ou un preneur de bail,par rapport au propriétaire bailleur.Dans les deux cas, il fait face aubourgeois. Il peut être aussi (et sou­vent simultanément) un producteurconfronté au marché des produitsagricoles, affronté à tous les échelonsdu monde du négoce. Il est enfinun villageois, inséré dans le réseausi complexe des droits et des devoirsde la commune. Qu'est-ce qui a le

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plus compté et le plus concouru àle pousser à l'action ? » Cette ques­tion se compliquerait encore si cinoquante ans plus tard, on ajoutaitque ce même villageois est à la foispatriote et internationaliste, socia·liste et très attaché à sa petite pro­priété.

Méthodiquement menée, l'analy­se montre qu'au tournant .duXVIUe-XIXe siècle, les masses ru·raIes ont plus ou moins perdu lesressources d'appoint fournies na·

guère par les industries diffuses.Les campagnes ont ainsi été d'au­tant plus sensibles aux contraintesque subissait l'uage collectü d'uncertain nombre d'usages ou debiens, les forêts en particulier.

.Bien avant mai 1968 et ses séquel­les, les incendies de forêts ne secomptent plus, « la haine des popu­lations envers l'Etat oppresseur semanifestait à l'endroit des agentsforestiers : elle est la principalecause de ces sinistres » (1838). Cet­te tradition d'indocilité se retrouveen mille occasions, la lutte contrel'impôt, notamment, qui permet devérifier l'alliance soigneusement ca­chée de l'Etat, des hommes de loi et

des riches, elle se manüeste souventà l'occasion des fêtes folkloriques,que la droite catholique essaie derécupérer à son profit mais vaine·ment. D'autres pratiques collectivescomme le carnaval et le charivarideviennent prétexte à manifesterdans la rue sans trop de risques.Cette vitalité folklorique (qui an­nonce le renouveau régionaliste desépoques postérieures, et qui est uneforme de la résistance à l'Etat et àses fonctionnaires, ne va pas, d'ail-

leurs sans l'ébranlement de la piététraditionnelle, rendant l'église vul­nérable à l'assaut de la libre pensée.Parallèlement, l'horizon cultureldes masses populaires s'élargit. D'a­bord, on apprend à lire, puis onconnaît mieux le français et onassiste à cc une descente sociale»des goûts littéraires ou autres :toute une réalité sociale et politiquese découvre aux masses comme ilen est aujourd'hui avec l'image et lefilm, compréhensibles de tous, quin'ont pas de patrie et sont un fac­teur d'accélération dans l'acquisitiondu savoir, de la réflexion politiqueet de la prise de conscience.

Marc Ferro

1Jean.Jacques SalomonScience et PolitiqueLe Seuil éd., 407 p.

Le premier et immense mérite deJean-Jacques Salomon est d'appor­ter des informations en un domaineoù la littérature de langue fran­çaise a produit jusqu'ici plus depamphlets que d'analyses fondées.Il s'agit ici du statut de la science.Entendons bien: non de ce c( genreculturel » abstrait dont les manuelsde philosophie présentent l'imagedéfraîchie, mais de cette institutionmultiforme qui, dans les sociétésmodernes, joue un rôle déterminantintellectuel, politique, stratégique,technologique, social. Il est questionde l'activité scientifique en tant quecelle-ci concerne directement au­jourd'hui non seulement le travailde la cc pensée » mais encore et sur­tout le niveau des forces producti­ves, l'organisation des rapports deproduction et les problématiquespolitiques.

La science commevocation pratique

J.-J. Sawmon rappelle d'abordopportunément que la science, dèsqu'elle s'est constituée comme telle,aux XVIe - XVIIe siècles, s'est don­né une vocation pratique. Il a fallutout l'empirisme débordant du siè­cle dernier ...:..- tant sous sa formepositiviste que sous son avatar spi­ritualiste - pour qu'on en vienneà oublier que· Galilée s'est vouluaussi ingénieur, que le Descartes dela quarantaine projetait de réformerradicalement, grâce à sa nouvellephysique, la médecine et la méca­nique (et, du coup, la morale) ètque le personnage central de cetteopération fondatrice est le chance­lier Francis Bacon, baron de Veru­lam, politique et réformateur. Carc'est finalement l'image du chance­lier qui s'impose historiquement.De la nouvelle Atlantis de Baconau Tableau historique des progrèsde l'eaprit humain de Condorcet,publié à la fin du XVIIIe siècle, lamême idée' mobilise les ip.tellectuelsépris de cette science nouvelle : celled'une société où le pouvoir - lepouvoir de décider comment doiventêtre organisées les sociétés - seraittributaire du savoir - un savoirexpérimentalement et logiquementjustifié.

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Vocations de la •sCiencewash. Doublement responsable : àl'égard d'une science dont le scienti­fique ne parvient pas à apprécier lesdéveloppements à l'égard d'une so­ciété qu'il ne contrôle pas, à laquelle'il fournit des instruments d'une ex­traordinaire efficacité, qui dépendde lui, mais dont, plus fondamenta­lement, il dépend. Avoir tant depuissance, et si peu de pouvoir !

vient de paraître tOCTOBRI 1970SARAH KOrllAIL'enfance de l'artune interprétation de l'esthétique freudienne

.lACQUIS BIIITPsychologie économique ahicaine

DOIIIIIQUI ZAHAIReligion, spiritualité et penséeahicaines

LOUISB WIISSMémoires d'une européenneTome DI (1934-1939)

BILlIE DIUTSCHLa psychanalyse des névroses

PAUL TILLICHHistoire de la pensée chrétienne

IASTOI BOUTHOULTraité de polémologie

PETITE BIBLIOTBEQUE PAYOT

• PAULDIIL.... Psychologie de la motivation no 185• IIAXIMILIII RUBIL11II ,Pages de Karl Mart pour une éthique

socialiste.

&. L Sociologie critique no 188

1Il. Révolution et socialisme no 187

.1.-1. IALBRAITH1-1 La crise économique de 1929 no 188

0 A.S.HILL-- La liberté, pas l'anarchie11III réflexions à propos de Summerhill no 189

&. Catalogue sur demande aux Bditions PayotService QL 106, bd Saint-Germain, Paris 6"

Dès lors, le scientifique est double­ment responsable. Science et politi­que étudie - avec des références re­marquables et surprenantes - l'ap­parition de cette responsabilité nai­ne et péremptoire chez les physiciensdes U.S.A. qui sont à l'origine de lafabrication de la bombe atomique; ilmet clairement en place la significa­tion à la fois navrée et confiante despromoteurs du mouvement Pug-

....Le savant et lescientifique

En tout cas, le problème est dé­sormais, posé au fond. Le XIX" siè­cle a laissé subsister la notion dusavant, chercheur désintéressé, pas­sionné d'abstraction, distrait et uto­piste. Depuis quelque cinquanteans, « sous la pression des événe­ments», disons plus nettement : àcause du' développement industrielet des impératifs stratégiques de ladeuxième guerre guerre mondiale,est advenu le scientifique. Ce der­nier, ce n'est pas le savant - celuiqui sait, au sens où pouvaientl'être Descartes, Leibniz ou Lavoi­sier -; ce n'est pas l'ingénieur,au sens vieilli et désormais contra­dictoire « du bricoleur qui s'yconnaît»; ce n'est pas le techno­crate (il faut se féliciter à cet égard,que, dans ce texte, J .-J. Salomon nes'étende jamais sur deux débats en­combrants et inutiles : celui de lanature de la technocratie et celui dela différence / ressemblance entresciences de la nature et sciences hu­maines). Le scientifique sait qu'ilappartient à un groupe social relati­vement unifié; qu'il a une fonc­tion dans la société, imposée parcette société même, qu'il a des objec­tifs, tenant à ce statut social, maisaussi aux exigences propres de sonmétier ; qu'il est, en fin de compte,un employé - de l'Etat, des indus·triels, mais que son emploi a unetradition telle et une efficacité sigrande, tant imaginaire que réelleque sa place dans la production estexceptionnelle. Dans la deuxièmepartie de l'ouvrage, la plus richepour le lecteur de langue française,J .-J. Salomon met en évidence lefait que la science contemporaine ­soutenue par ses techniques, maiscoincée entre la fonction qu'elle sedonne et la place qu'on lui attri­bue - est incapable d'imposer,parce qu'elle ne saurait la détermi­ner en toute sûreté, une politiquede la science. Selon l'auteur, larationalité en acte, la raison réelle,n'a pas le pouvoir de savoir cequ'elle veut, de faire valoir clai­rement ce qu'elle propose.

La science,affaire d'Etat

Or, il va de soi que s'attribuantce rôle pratique" la science doitrencontrer concrètement la politi­que. Cela arrive précisément lors dela Révolution française. Il n'est pastout à fait sûr que J .-J. Salomon soitjuste avec les Conventionnels. Peuimporte: ce qui compte, c'est qu'ilmarque avec précision - dans sonesquisse historique - l'attitude dela bourgeoisie au pouvoir lorsque lesconséquences de la révolution sontréduites. De 1815 à 1930 le libé·ralisme joue double jeu. En tantqu'il est propriétaire de l'Etat, il« laisse faire» les savants; il lesprotège distraitement; il leur ac­corde quelquefois des garanties,mais quasiment aucune ressource.En tant qu'il détient les moyensde production et qu'il pressentl'importance de la recherche scien­tifique, il s'efforce de l'infléchir ­déjà - du côté de la rentabilitétechnologique.

Galilée, par Ottavio Leoni,Bibliotheca Marucelliana, Florence.

l'histoire, mais la critique) qu'il vavite lorsqu'il résume en quel­ques pages le devenir navrant qui aconduit le matérialisme dialectiquedes débats entre « mécanicistes » et« déboriniens » à Jdanov et à Lys­senko...

Ainsi se trouve posé, de biais, leproblème de ces cinquante dernièresannées. F.D. Roosevelt demande,après la crise, aux chercheurs amé­ricains de s'associer à l'élaborationdu New Deal; Léon Blum faitd'Irène Joliot-Curie, puis de JeanPerrin, des sous-secrétaires à laRecherche scientifique. Dès lors, lascience devient une affaire d'Etat.Elle l'était déjà, il est vrai, enUnion soviétique; là encore, onpourrait dire à J.-J. Salomon (sans'reproche, car son objet n'est pas

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• J..J. Salomon

« Nous sommes au rouet », di­rait Leibniz. Pourquoi s'étonner,dès lors, que la conclusion de J .-J .Salomon soit étrange et se perdedans une fausse transcendance. Ellese réclame d'une citation saisissantede Nietzsche où sont dénoncées lestrois « erreurs » de la pensée euro­péenne triomphante : la croyanceen la bonté et en la sagesse de Dieu,la foi en l'efficacité de la connais­sance comme moyen de bonheur,l'idée que l'homme peut prendre laplace de Dieu. Elle marque, dansle texte même, le caractère foncière­ment irrationnel de l'insertion de larationalisation scientifique dansl'histoire, hier et aujourd'hui, avecles conséquences mêmes que cettesituation annonce : un nouveaudivorce, qui se profile, entre le sa·voir et le pouvoir. Et, cependant,elle propose une solution de typespéculatif (ou, si l'on préfère, mora­lisant). Dans le scientifique, il yaurait toujours un savant qui som·meille. Contre celui-là, pris dans lesréseaux des sociétés constituées, sedresse celui-ci qui « n'est pas seule­ment celui qui sait et fait la sciencepour la science, (mais qui) est aus­si celui qui la pense comme problè­me pour l'humanité ».

Un document décisif

Pourquoi supposer qu'il y ait unlieu, qui ne serait ni celui de lascience « pure» - J .-J. Salomonen a démystifié l'idée - ni celui dessciences appliquées et qui seraitcelui de la science « tout court ».où seraient posées, en toute mira­culeuse abstraction, les questions dela « pensée» et du « problème del'humanité » ? Ce qUe dit Nietzsche,c'est que cette supposition est insup­portable et malfaisante. Ce que ditMarx - que J .-J. Salomon cite per­tinemment - c'est que la force dela production scientifique doit êire,comprise comme élément des forces 1

productives et de leurs conséquen- 1

ces politiques. Mais peu importe ce:que disent Marx et Nietzsche. Ce:qui compte maintenant, c'est non la 1

fonction que peut avoir abstraite- 1

ment l'activité scientifique, mais la 1

force additionnée que celle-ci appor- 1

tera dans les luttes de classes.

A cet égard aussi, Science et po­litique est un document décisif.

François Cluîtelet

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En fait de linguistique, l'éd,i­tion française a rattrapé letemps perdu. On voudrait l'enféliciter, mais d'abord, à cequ'il semble, elle n'y a pas demérite particulier : cela sevend bien. Même on pourraitcraindre, si la mariée pouvaitêtre trop belle, que cela ne sevende que trop bien. Que lepublic, encore un certaintemps, n'accepte d'avaler toutet n'importe quoi, ou presque.De plus, tout ce mouvementne va pas sans quelque préci­pitation, ni par conséquentsans négligences.

Par exemple, dans le Langage cetinconnu, de Julia Joyaux (Denoël),si riche en détails vivants 'sur l'his­toire du langage, on sent un peutrop le livre fait à coups de ciseauxdans les travaux des autres, ce quià tout prendre reste de la très bonnevulgarisation, conforme à l'ambitiondéclarée de la collection : Le pointde la question. Mais les non linguis­tes qui, en dépit de l'heureuse for­mule, ne sauraient avoir ici rectifiéd'eux-mêmes, vont tomber sur unSuorri qui n'est autre que Snorri,sur un Baliânder qui est Bibliander,et deux fois sur un Dalgrano qui estDalgarno. Est-ce l'auteur qui a re­copié trop vite? Est-ce plutôt lemoulin de l'édition qui, trop sou­vent malgré l'auteur, tourne tropvite?

Les éditions Denoël ont aussidonné voici moins d'un an - outrele précieux Guide alphabétique surla linguistique, de Martinet, qui estdevenu tout de suite un instrumentde travail indispensable pour lesapprentis-linguistes (sérieux) - latraduction française de Language,Thought and Reality (1956) deWhorf, sous le titre Linguistique etanthropologie; toutefois avec cesous-titre insolite : Les origines dela sémiologie. Le cher Whorf et lepauvre Saussure seraient bien éton­nés d'apprendre que le premier (le­quel semble avoir tout ignoré dusecond) « a établi un pont entre lalinguistique et la sémiologie (saus­surienne) », qu'il ignorait totale­ment, et dont son ouvrage n'offrepas la moindre trace. Mais la sé­miologie, cela commence à se ven­dre. Un journaliste soucieux de sebrouiller avec beaucoup de mondetient là un joli sujet d'enquête :mais qu'est-ce donc aujourd'hui, enFrance, qu'un directeur de collec·tion linguistique ?

Après l'Introduction à la linguis­tique (1955) de Gleason, bien tra­duit par Françoise Dubois-Charlier(Larousse, 1968), et qui est un ma­nuel de linguistique bloomfieldien­ne, et sans parler du Chomsky leplus récent (Le langage et la pen­sée, Payot) voici maintenant latraduction du Language (1932) deBloomfield lui-même, qui paraîtchez Payot. Avec presque trenteans de retard, mais il est bien quece retard soit enfin comblé, car ladimension de l'ouvrage reste intac­te. Bloomfield en effet, qui sert decible commode aux chomskiens(pour des raisons propres à la vieintellectuelle américaine, qui ne va­lent absolument pas pour l'Europe)n'est sûrement pas aussi périméqu'ils le disent. Il n'est pas prudentde croire qu'il aurait déjà passé,comme Racine et le café de Mme deSévigné. Simplement, c'est plus dif­ficile de lire Bloomfield aujour­d 'hui, sans éclairage historique etthéorique qui mette en place chezlui ce qui demeure. Heureusement,l'avant-propos de Frédéric François,véritablement magistral, est ici l'in­troduction qu'on souhaiterait à cha­que grande œuvre du passé, et quimanquait dans le Gleason : un artde lire Bloomfield en 1970. De cesvingt-deux pages, un autre eût tiréla substance d'une thèse doctorale,intitulée comme il se doit : Le pro­jet bloomfieldien, essai d'interpréta­tion épistémologique du discoursd'une textualité formalisatrice. Nousn'avions, sur Bloomfield, riend'équivalent jusqu'ici, même enaméricain. Si Frédéric Françoisnous offrait une présentation criti­que de la théorie des signes chezPeirce, nul doute qu'en comblantl'une des dernières lacunes qui nousrestent en matière de traductiond'ouvrages fondamentaux pour lasémiologie, il nous donnerait aussiune introduction vite classique à lalecture d'une œuvre qui en a bienbesoin.

Dans un tout autre secteur, voicile Littré d'Alain Rey (Gallimard,collection les Essais). Sans doutefallait-il un outsider de la linguisti­que française et de la lexicologie ­et un outsider gagnant - pour dé­couvrir que nous connaissions simal l'auteur du Littré, qui ne méri­tait pas un' tel oubli. Mais AlainRey, qui a donné avec Josette Reydix à quinze ans de sa vie au Robertet au Petit Robert, était sans doutebien placé pour revivre et nous ra-

conter de l'intérieur l'histoire na­turelle, intellectuelle et sociale d'unlexicographe de grande taille. Com­me j'aime bien l'auteur, me per­mettra-t'il de lui dire qu'il a tort desacrifier dans son introduction (etlà seulement, c'est curieux) au lan­gage à la mode sur le langage?Quelle idée, quand on a tant dechoses solides à dire et qu'on les ditsi bien, de parler, vingt pages du­rant, du dictionnaire comme d'une« duplicité du verbe avec soi-même,dont le rôle est non de décrire,mais d'épuiser une totalité, de figerle mouvant, en un mot decombler ? » Si un Alain Rey y suc­combe, il faut que la préciosité lin­guistique parisienne des littérateurssoit un mal terrible. (Comme onapprécie rétrospectivement l'origina­lité contestataire du Molière de1659 écrivant, seul contre tous, lesPrécieuses ridicules, et récidivanttreize ans plus tard - oui, treizeans : nous ne sommes pas sortis del'auberge pseudo-structuraliste ­avec les Femmes savantes 1) Qu'ap­paremment les Matinées structura­listes d'Albert Crémant (chez Pau­vert) aient fait si peu rire à Parissemble à cet égard un fait instruc­tif, et plutôt désolant.

Les philosopheset le langage

Avec les Points de vue sur lelangage d'André Jacob (chezKlincksieck), nous touchons, commeavec Julia Joyaux me semble-t-il, àun autre secteur encore : celui desphilosophes français qui cherchentà réaliser l'aggiornamento linguis­tique de leur propre discipline. Lelinguiste éprouve à l'égard de cestentatives des sentiments mêlés.Comme le livre de Jacob est uneanthologie de textes sur le langage,on est ravi, surtout pour toutes lespériodes antérieures au XXe siècle,de trouver sans peine, en françaisdans le texte, tant de fragments delangues diverses, souvent connuspar ouï-dire, et souvent difficilesd'accès; Mais en même temps on estsensible à l'aplatissement synopti­que de toutes ces citations où toutest sur le même plan, Humboldt etSteinthal par exemple, Saussure etWeisgerber, malgré des notices for­cément cursives. On finit même parse demander si ces fameux Text­books, que nous envions plus d'unefois à l'Amérique, ne risquent pasd'être aussi désorientants qu'utiles,à cause de leur pointillisme. Faire lemont Blanc en hélicoptère n'est sû­rement pas de l'alpinisme. Plaise à

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Toute cette activité réjouissantedans le domaine de l'édition (lin.

La linguistiquecc non linguistique»

M. MOLHO:

LINGUISTIQUES ET LANGA­GE.

HUMBOLDT:

DE L'ORIGINE DES FORMESGRAMMATICALES.

RICHARDSON:

PAMELA ou LA VERTU RE­COMPENSEE.

SADE:

IDEE SUR LES ROMANS.Edition et notes par J. Glas­tier.

P. CORNEILLE:

SUR ENA, GENERAL DESPARTHES. Edition, introduc­tion et notes par J. Sanchez.

J. BAUBI:ROT :

LE TORT D'EXISTER. Desjuifs aux Palestiniens.

BOULGAKOV:

IVAN VASSILIEVITCH. Tra­duction P. Kalinine.

GONGORA:

LE~ SOLITUDES. SOLEDA­DES. Edition bilingue.

MAUPERTUIS, CONDILLAC,TURGOT, DU MARSAIS,ADAM-SMITH :

VARIA L1NGUISTICA. Préfacepar M. Duchet. Choix et no­tes' par Ch. Porset.

KARL MARX:

DIFFERENCE DE LA PHILO­SOPHIE DE LA NAT URECHEZ 0 E M 0 CRI T E ETEPICURE [avec Travaux pré­paratoires]. Traduction, intro­duction et notes par J. Pon­nier.

DOPPET:

APHRODISIAQUE EXTERNEou TRAITE DU FOUET. Réé­dition d'un classique.

. ROUSSEAU:

ESSAI SUR L'ORIGINE DESLANGUES. Introduction et no­tes par Ch. Porset.

prend, voudraient tout tout de sui­te : c'est-à-dire des manuels. Il estdu devoir pénible des linguistes deles détromper. De longtemps encoreles choses ne" seront pas si simples.Il faut d'abord qu'eux-II!êmes en·seignants prennent conscience desproblèmes posés par le fonctionne­ment réel de la langue. Il se trouveque le seul ouvrage publié cestemps-ci, qui leur propose non pasdes recettes pédagogiques tout éla­borées, mais des exercices de ré­flexion sur des points précis dufrançais, des manières neuves d'ob­server la langue, c'est le seul livredont on ne leur parle pas, dont onne rende pas compte, qu'ils ne con­naissent pas, dont je n'entends pourainsi dire jamais parler dans lesréùnions pédagogiques, à quelqueniveau que ce soit : Le françaissans fard, d'André Martinet (Pres­ses Universitaires de France). C'estun livre de travail, et de réflexion.C'est la raison pour laquelle tousles enseignants devraient le prati­quer : ils n'ont jamais eu peur del'un ni de l'autre.

Georges Mounin

Roy LICHTENSTEIN (dOC\llDent Sonn&btnd)

déchiffrer le langage de la réalité quotidienne

guistique) - simple rattrapaged'un retard sensible, il faut lerépéter - masque sans doute lenouveau retard que nous sommesen train de prendre. En effet, leproblème central en France actuel­lement, pour ce qui est de la lin­guistique, est brusquement devenutrès différent. C'est celui de la ré­novation de l'enseignement de lapratique de la langue à l'école. Ilse trouve que nous manquons' debonnes descriptions scientifiquesd'ensemble, homogènes, du françaisécrit et parlé du XX· siècle, quipourraient fournir une base éprou­vée à l'expérimentation pédagogi­que; sauf des grammaires tradition­nelles plus ou moins remises augoût du jour. Disons même fran­chement : on souhaiterait que laFrance possède, pour la rénovationde l'enseignement du français lan·gue indigène, l'équivalent du Cen­tre de Linguistique Appliquée deDakar, qui travaille avec une belleet productive continuité théoriqueet méthodique sur l'enseignementdu français langue seconde! Lesenseignants, et certes on les com-'.

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Le retard quenous sommesen train de prendre

Dieu que le livre de Jacob ne finissepas dans le ravitaillement en sujetsde dissertations pour le baccalau­réat, et en citations pour l'ornementdes mêmes. Pour le reste, le syncré­tisme inorganique des philosophessur le langage n'est sûrement p~encore dépassé par ce genre d'ou­vrages, qui risqueraient plutôt dele perpétuer.

Que dire de Du sens, le dernierouvrage de Greimas? C'est essen­tiellement le recueil de ses articlesentre 1966 et 1970. C'est donc leGreimas de la période parisienne,beaucoup plus préoccupé de sémio­logie (barthésienne, non saussu­rienne), d'épistémologie, de mytho­logie comparée, d'analyse littéraire,que de linguistique. Un tel ouvragedécourage le compte rendu du lin­guiste. Personnellement je regrette,que Greimas - l'homme et le sa­vant sont la gentillesse même ­ait renoncé à ce qu'il appelle aprèsMartinet la linguistique « linguis­tique» pour s'enfoncer, sans bon­nes armes à mon avis, dans la lin­guistique « non linguistique». Sipleins de suggestions que soient sesarticles, le livre ressemble à un car·refour (de théories) où un malingénie serait venu durant la nuitpermuter tous les panneaux d'orien­tation. Greimas est devenu commeune espèce de musicien qui ferait àperte de vue des « variations» etdes « fantaisies» sur des thèmesd'autres musiciens: pour l'entendre,il faut d'abord connaître parfaite­ment ces autres musiciens. Le moinsqu'on puisse dire est qu'il ne s'agitpas d'une lecture pour débutants;encore moins, comme le croyaientdéjà de sa Sémantique, structuraletrop d'étudiants en lettres moder·nes, d'une introduction à la linguis­tique « linguistique» aux moin­dres frais.

en

La Qulnzaine Uttéraire, du 15 au 30 novembre 1970 23

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ETHNOLOGIE

L~échange inégal

1Bronislaw MalinowskiLes dynamiquesde l'évolution culturelleTrad. par G. PintzlerPayot éd., 237 p.

1° Malinowski était meilleur ob­servateur que théoricien. Ce juge­ment ne sera pas remis en questionà l'occasion de la traduction de sesouvrages théoriques: ni la Théoriescientifique de la culture ni les Dy­namiques de l'évolution cuturellene risquent de supplanter les Argo­nautes du Pacifique occidental oula Vie sexuelle des sauvages duNord-Ouestde la 111élanésie.

2° « Les meilleures monographiessont généralement dues à des en­quêteurs qui ont vécu et travaillédans une seule région» (Lévi­Strauss). C'est sans doute une desraisons pour lesquelles l'œuvre deMalinowski (parmi les premières às'être fondées sur une expérience deterrain et consacrée presque exclu­sivement aux Mélanésiens - pourne pas dire aux Trobriandais) - estune des œuvres majeures de l'eth­nographie. Mais c'est aussi une desraisons pour lesquelles l'étude surles Dynamiques de l'évolution

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culturelle, qui consiste en recher­ches sur les relations raciales enAfrique, peut paraître décevante :l'Mrique n'était pas « le» terrainde Malinowski qui n'a pu y faired'ailleurs qu'un « voyage» de cinqmois en 1934.

3° Le fonctionnalisme (théorie,élaborée par Malinowski, selon la­quelle la culture est un appareilpermettant la satisfaction des be­soins fondamentaux) a longtempsété opposé à l'histoire. Il conduitd'autre part à considérer une sociétécomme un système organique clos(on a reproché en ce sens aux Ar­gonautes de ne pas faire sentirdavantage l'existence de la douzained'Européens installés aux îles Tro­briands et dont la présence ne pou­vait pourtant pas être sans effetssur le fonctionnement des institu­tions indigènes). En conséquencel'étude des contacts de culture et del'évolution qu'ils font subir auxinstitutions n'a été abordée qu'asseztard par Malinowski : la désorgani­sation qui en résulte constitue pourle fonctionnalisme, un terrain où ilhésite à s'engager; sa position n'yest pas avantageuse.

4° L'intérêt de Malinowski pources problèmes a été même si tardif

qu'il n'a pas eu le temps d'acheverl'ouvrage qu'il projetait de leurconsacrer : il meurt en 1942 etles Dynamiques de l'évolution cultu­relle est un ouvrage posthume

Ces quatre points suffisent pourindiquer qu'il ne s'agit pas là d'unouvrage capital; ils ne doivent pasfaire oublier pourtant le caractèreparticulièrement explosü du sujetqu'il traite : les rapports raciauxen Mrique du Sud. Mais même surce point il y a lieu de regretter queMalinowski, bien que certaines desanalyses qu'il fait de ces rapportsraciaux soient exemptes de conces­sions, oublie, dès. qu'il s'agit del'avenir, leurs implications explosi­ves ou qu'il pense pouvoir· lesconjurer par des vœux aussi plato­niques que celui de convaincre lasociété blanche'« qu'il n'y a pas deprix trop élevé à payer pour éviterun désastre inévitable ». Il est vraique nous ne sommes encore qu'en1940.

Ces vœux sont également liés àune promotion de l'anthropologieappliquée ou pratique «( la sciencecommence avec ses applications»)qui débouche sur un pragmatismecondamné à masquer ce que le pro­blème a de radical : Malinowskis'efforce de déceler la présence oules germes de « facteurs communs J)

aux Blancs et aux indigènes, « fac­teurs communs» à partir desquelsil deviendra en somme relativementfacile d'aménager l'apartheid. Toutcela repose sur un optimisme lié aufonctionnalisme : les institutionssemblables remplissant, dans toutesles sociétés, une fonction identique,rien n'exclut a priori la possibilitéd'un «compromis» entre christia­nisme et religions indigènes, entremodes de production primitü etcapitaliste, etc.

Mais pour être efficace cecompromis doit se soumettre à uneloi du tout ou rien : ou bien latransformation concerne l'ensemblede la société, ou bien elle échoue.Il est contradictoire par exemple devouloir que les chefs conservent leurautorité politique et de détruire enmême temps la religion qui la fon­de et le régime foncier qu'elle im­plique. Une évolution contrôlée pardes administrateurs acquis auxconclusions de l'anthropologie cultu­relle permettrait ainsi à une sociétéd'un type spécüique, ni africaineni européenne, de se constituer enAfrique du Sud.

Ce qui assure la cohésion d'unesociété, ce n'est pas la communeparticipation de ses membres à

quelque « génie de la tribu » commeen inventaient les théoriciens despatterns auxquels s'est opposé Ma­linowski (cf. le chapitre qui lui estconsacré dans A. Kardiner et E.Preble, Introduction à l'ethnologie),c'est la loi du « Do ut des », la réci·procité des échanges. Or, de cepoint de vue, l'Mrique du Sud ­mais cette observation est valablepour l'ensemble des situations decontact avec d'autres types de so­ciété que l'Europe a provoquées ­est fort loin de constituer unesociété : les échanges entre lescommunautés qui s'y côtoient n'onten effet rien de réciproque. Lasituation est celle que l'économisteA. Emmanuel a baptisée « échangeinégal ». fi. En comparant la valeurdes choses données et celle des clw-

ESPRITSur une décision

de la Cour de Sûreté

•Les Francesdivergentes

(le régionalisme)

•Lettre à un Rev. Père

sur l'intelligence

•Goya

•Max Picard etGabriel Marcel

•Inquiétude au Maroc

•Ben Salah

•NOV!MBRE 1970 : 7 F

ESltRIT 19, rue Jacob. Paris 6-l C.C.P. Paris 1154-51

Page 25: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

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ses qui ont été enlevées, écrit Mali­nowski, nous ne devons pas oublierque lorsq'f'on en v~~t aux eJo.1]-§spirituels, il est facile de donnermais plus difficile d'accepter. Lesavantages matériels, eux, sont faci­lement acceptés mais ne sont cédésqu'avec répugnance. Or c'est préci­sément de dons spirituels que noussommes le plus généreux, alors quenous conservons la richesse; lapuissance, l'indépendance et l'éga­lité sociale ».

Mais, peut-on même dire quel'Europe, qui prend ses terres àl'Africain, lui donne le christianis­me en échange puisque l'aspect leplus tangihle de ce « don » consisteen une répression impitoyable detoutes les manifestations de la reli·gion indigène? En réalité, enattaquant celui-là l'infrastructure etcelui-ci les superstructures, le mis­sionnaire et l'entrepreneur (même sileurs moyens peuvent s'opposer àl'occasion) poursuivent le mêmebut : la détrihalisation de l'indigèneet sa prolétarisation.

« Toutes ces conclusions nousfournissent une leçon de morale»écrit Malinowski qui demande aussique l'on prenne garde à ne pasdétruire le « civisme ». Ces termeslénifiants peuvent étonner. Ils sontimpliqués par le point de vue prag­matiste qui, en face du développe­ment des nationalismes africains,cherche quels compromis proposerau pouvoir blanc. Dans un processusd'évolution que l'Europe a imposéaux Africains, Malinowski secontente d'être auprès des Blancsl',avocat, l'interprète de ces derniers.Pourtant lorsqu'il oppose le « Paysde l'Homme Blanc» et le « Labeurde l'Homme Noir», lorsqu'il mon­tre que même la politique des réser­ves a pour conséquence réelle decontraindre les indigènes à quitterleurs terres et de les jeter sur lemarché du travail (agricole, indus­triel, domestique) européen, Mali­nowski semble disposer d'outils quidevraient le dispenser de recourir àce genre de perspectives que l'onhésite à qualifier d'optimistes.

Il aurait fallu, entre autres, quesoient mises davantage en rapportavec Wall Street ou la City lesconditions de travail d'un des plusmisérables prolétariats, celui desmines d'or de Johannesburg. Il au­rait fallu insérer le problème desrelations raciales en Afrique du Suddans la perspective mondiale del'impérialisme : est·il inconcevableque l'anthropologie le fasse ?

Denis Hollier

Miklos JancsoSirocco d'hiver

En conjoignant, pour former le titrede son dernier film, Sirocco d'hiver,deux termes vivement antagonistes(été/hiver, chaud/froid, mobile/stati­que, événement/durée), Jancso con­firme qu'une des matrices majeuresde son expression réside dans le prin­cipe de l'opposition dualiste, de lapaire conflictuelle, du couple ennemi,de la dichotomie exterminatrice, com­me on voudra - qu'illustrèrent avecnetteté des œuvres antérieures : lesSans Espoirs en 1965, les Rouges et lesBlancs en 1967 et Silence et Cri l'an­née suivante, Mais le titre n'est passeulement la formule condensée derelations dueIles que le film déploiesur le mode de la destruction, il opèreaussi pour son propre compte, commevaleur unitaire; en désignant un tempssaisonnier marqué par un paradoxalévénement météorologique, Siroccod'hiver paraît nous introduire dansquelque chose qui est de l'ordre de lanature, ou, à tout le moins, dans uneréalité - affective, par exemple ­qui pourrait être liée métaphorique­ment à du • naturel., à du • cosmi­que. ; or, les premières images dénon­cent brutalement cette attente, et nousinstallent au contraire dans un tempshistorique marqué par un événementhumain dramatique: le 9 octobre 1934,à Marseille, Alexandre 1er de Serbie etLouis Barthou, ministre français desAffaires étrangères, sont tués par desnationalistes croates et macédoniens;cet • insert • d'actualité, bout de pelli­cule tremblotante, à peine lisible avecson grain taché, ses noirs baveux, n'enaffirme pas moins, dans toute sa gloi­re cinématographique (les • actuali­tés. !, le • pris sur le vif! .), l'histo­ricité; en contraste avec la formuleverbale du titre, il s'offre, dans sabrièveté et son mutisme, comme unesorte de • titre visuel., de • titre ico­nique., il définit, pour exploiter uneacception chimique du terme, le • titrehistorique. 'du film; si, aussitôt énon­cé, il se replie, il laisse une trace dure,sous forme de l'horizon politique qu'ildessine, et par ailleurs, il va opérercomme une articulation déterminantede l'organisation narrative-symboliquedu film : l'insert, en effet, inaugure ladurée spectaculaire, le temps de lareprésentation, de la projection dansla salle; mais le récit proprement dit(qui, lui-même, s'ouvre sous le signedu • naturel., du • cosmique. : forêt,neige) commence quatre ans avant,montrant comment, vers 1930, les na­tionalistes sont accueillis sur le solhongrois; mais l'activité des exilés,précisément, est orientée vers l'atten­tat, comme l'atteste la présence, dansla grande salle du château, d'une cartede Marseille, véritable panneau 'de si­gnalisation historique; ainsi se des­sine une • boucle à deux niveaux. (del'historique au narratif, du narratif àl'historique, avec maints chevauche­ments, et chevauchées), qui constitueune figure très significative de ·la sty­listique de Jancso.

Outre sa fonction dans l'organisa­tion globale du film, cette figure s'ac­tualise dans des tracés plus élémen­taires, repris, ressassés, ré-itérés

i"-.,• 1

(1

)'

(c'est-à-dIre : va-et-vient, chassés-<:roi­sés) jusqu'à l'obsession, jusqu'à uneffet quasi-hallucinatoire; dans unfilm de Jancso, tout personnage (àl'exception de faire-valoir statiques, im·mobiles, comme ·les .vieilles paysannesde Sirocco d'hiver) est d'abord llne

. trajectoire, U1Ie courbe de mouvement

inscrite dans un certain espace; etcomme ce • dans. risque d'Introduiretrop de' volume, de • profondeur .,Jancso - encore qu'il exploite sanshésiter les valeurs dramaturgiques tra­ditionnelles de certains volumes, telsque la cour d'une ferme ou d'une pri­son - pousse à la bi-dimensionnalité,•

La QuiilZatne Littéraire. du 15 au 30 nO".'>',.iJte 1970 25

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A l'Elysée-Montmartre, il afait éclater le lieu scénique encernant de fauteuils conforta­bles le parterre prolongé jus­qu'aux derniers rangs. Il a vouludémythifier le théâtre sans par­venir pour autant à nous faireentrer dans son jeu. Le sitar,l'encens, les chansons et la mu­sique de Michel Legrand, la cho­régraphie de Norbert Schmucki,le -. rythme psychédélique ", les- effets très modernes et scien­tifiques" (1), l'érotisme mas­qué dans des costumes de Jac­ques Noël, significatifs mais nonsignifiants, tout cela peut faire• moderne " mais apparaît com­me plaqué et gratuit. Dans desrapports scène-salle qui prédis­posent à l'inattention, surtoutquand le spectacle dure troisheures, à trop vouloir dire etmontrer, Barrault se disperse etdéroute.

Néanmoins, s'étant refusé à• trahir" l'œuvre de Jarry, Bar­rault aurait peut-être pu nouscon v ai n cre totalement s'ils'était attaché essentiellement,par un travail presque exclusifsur le texte, à rendre la piècedans sa complexité. Malheureu­sement Barrault a sacrifié à lamise en scène alors que le texteproposé nécessitait déjà uneculture livresque étendue.

Dans Henri IV, par exemple,ou dans Rabelais, remettant sonmétier cent fois sur l'ouvrage,Barrault nous présentait déjà

Mais l'addition est trop lour­de : pourquoi Barrault, par fidé­lité à Jarry, dont il voulait à tra­vers les œuvres nous raconterla trajectoire, n'a-t-il pas éla­gué? Il a refusé le - collage"pour faire un - montage" alorsque l'œuvre assimilée, il auraitfallu retranscrire et traduire.Platon, nous rappelle J.-l. Bar­rault, discernait trois âmes chezl'homme : le ventre, la tête etle cœur. C'est le cœur qui man­que le plus dans ce spectacleet la tête y tient trop de placepar rapport au ventre.

rations, et qui ressemble à unequête du bonheur qui serait lebonheur lui-même face à la déd­sion de l'espace vie-homme,c'est bien sûr - le malaise desâmes ".

Le théâtre d'aujourd'hui est-ilencore du théâtre? Il ne suffitplus de refuser la cérémonie, latradition littéraire, les rapportsclassiques entre l'œuvre et sonpublic, il faudrait à la limite reje­ter la scène et même la salle!Que restera-t-il alors de ce dontnous avons hérité? La cultureétant aussi une forme exaspé­rante de la propriété privée, ledésarroi et l'irritation percentface à l'évolution convulsive duthéâtre. Quoi qu'il en soit, lethéâtre restant le moment d'unerelation privilégiée entre quel­qu'un qui joue et un autre quile regarde, il s'agit, même si lemot est gênant, parce que gal­vaudé ici comme ailleurs, de par­ticiper, son bagage culturel à lamain.

Chassé de l'Odéon pou rn'avoir pas voulu devenir - va·let ", Jean-Louis -Barrault a re­pris son brigadier de pèlerin duthéâtre pour repartir à zéro.Mais on ne repart jamais tout àfait à zéro, et c'est là parfois ledrame des - serviteurs" d'unart mutatif par excellence. AvecJarry sur la Butte, en désirantréussir à tout prix la rencontreavec le public d'une œuvre peuconnue, Barrault a voulu tropdire en une seule fois. Et cettefois son enthousiasme l'a trahi.Cependant, assez paradoxale­ment, ce n'est pas la pièce quiest en cause mais le spectaclelui-même. J'ai trouvé plus d'in­térêt malgré les écueils placéspar Barrault - en dehors d'Ubuque connaît-on sérieusement deJarry? - à découvir un hommeà travers un texte qu'à suivre lesévolutions d'une trentaine decomédiens et musiciens. Plon­geant à bras-le-corps dans lesœuvres complètes de Jarry, etdélaissant volontairement la sé­rie des Ubu connue, Barrault amis à jour un ensemble de tex­tes dont, par les thèmes, la mo­dernité est évidente. Pris sépa­rément, chacun d'eux avait, eneffet, de quoi surprendre et in­téresser. Le besoin du dépasse­ment de soi, la fuite vers sondouble, qui est à la fois ce quel'on voudrait être et ce que l'onne sera jamais, cette nécessitéde jouer pour exister, face àl'intelligence implacable et dés­humanisée, cette angoisse devivre qui trouve son défoule­ment dans toutes sortes de libé-

(1) Récits de Kolyma, Denolll (Coll. LettresNouvelles).

(2) La séquence des femmes nues présente,à sa manière, une autre • boucle -; la rela­tion homosexuelle Indique la fermeture; l'en.trée d'une tierce personne, par effraction, viol,garantit l'universalité de la violence; mals,par le Jeu de la nudité et des actrices fran­çaises qui l'assument, l'érotisme forme œdèmerecouvrant la violence, et renvoie à une• francité - galante, et surtout à la • corrup·tlon de l'Occident bourgeois _. Bonne cons­cience et fausse piste pour une éventuellecensure, • distraite - à bon compte. Ii auraitfallu une analyse comparée de la réception decelte séquence par un public hongrois et unpublic français.

dans un tel contexte, arme redoutable,• revolver. braqué - et c'est le sim­ple gommage de la ilettre T qui sauvela vie de Varlam Chalamov (1)); lesigne-clef, unificateur, est fourni parune proclamation libertaire, dont lehéros, Lazar, fait emphatiquement lalecture - longue citation tirée d'unouvrage qui dénonce l'odieuse empri­se de l'Etat sur l'individu écrasé, ato­misé; pareil texte, dans pareil contex­te, définit certes le statut du héros,Lazar - butant, de fait, incessamment,contre la Loi du groupe, et par ellefinalement anéanti, puis récupéré;mals il renvoie surtout, pensons-nous,à la façon dont Jancso perçoit sa pro­pre condition d'homme et d'artiste ­libre/enfermé, choyé/menacé, trahi/récupéré - dans une société bou­clée (2), la Hongrie d'aujourd'hui;nulle allusion pensable, naturellement,au concept de • masses révolutionnai­res .; il ne reste guère d'autre re­cours à l'homme Jancso que de s'adon­ner à une problématique individualiste,à vocation humaniste et morale, sur lethème, où s'Ulustra Camus, de • l'in­dividu contre la société.; et à far­tlste Jancso, que de griffer avec sacaméra, mettre sa griffe sur une sur­face durcie, hostile, sans perspective,et pour finir, triomphante; que depousser, dans cette société des bou­ches closes, du Silence, son Cri; quede faire se lever un Sirocco-mlragedans ce pays d'hiver, de la glaciationstalinienne, du glacis soviétique.

Roger Dadoun

Il.

~

VW.Date

'valorlsant de grandes surfaces plates,apparemment neutres : un mur deplAtre, une vaste plaine de terre grise,ou de neige. Les • évolutions. d'unpersonnage et ses relations aux au­tres sont autant de courbes (rectili­gnes, brisées, sinusoïdales, embrouil­lées) qui se rencontrent, se heurtent,se repoussent ou s'enveloppent - mou­vements browniens de sujets atomi­sés, dont la charge, la surcharge, faitpercevoir une figure-destin fondamen­tale, l'Enfermement. L'orÎ9inalité deJancso, ici, ne réside pas seulementdans 'le recours systématique aux pa­noramiques latéraux, elle vient surtoutdu décalage opéré entre la courbe dupersonnage et le mouvement de lacaméra, -laquelle tantôt ,le devance tan­tôt -s'y accroche, suscitant un rythmede fuites et de poursuites, ,des désé­quilibres et des tensions de na­ture spécifiquement cinématographi­que, donnant au film de Jancso com­me un sourd halètement, un souffleparticulier, le -souffle d'une agonie :Les héros de Jancso sont voués à lamort, sans espoirs.

Enfermement, agonie, échec : le hé­ros, abattu, est repris, absorbé parla grande surface grise-blanche, laterre, la neige. Groupons ou regrou­pons maintenant, pour être bref, lessignes essentiels disséminés dans lefilm, et traçons-en, à notre tour, -lacourbe, pour voir à quelle structureIls abouti'ssent : l'histoire s'imposed'emblée, horizon, donc ,lecture, poli­tique, à condition d'opérer ce réta­blissement qui fait des .. actualités.l'actualité, qui transforme 1930 en1970; ces nationalistes croates exilés,qui tournent en rond sur un bout desol hongrois, nous suggèrent l'idée d'unexil Intérieur, attitude existentielle ty­pique d'une _société totalitaire; la­quelle société exige de ses membresqU'l'ls soient fondamentalement liéspar des relations d'agressivité (mé­fiance, menaces, dénonciations, chan­tages, asphyxie...), Illustrées dans lefilm moins par les froides tueries quepar -la • ronde des revolvers. accom­pagnée de la rengaine • Etes-vous ar­mé? (et n'importe quel mot devient,

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Jarry sur la ButteLa Moscheta

Le Père et la Mère Ubu, dans «Jarry sur la Butte lt.

une anthologie vivante de sesmises en scènes, d'où les redi­tes inévitables. Et le souci qu'ila de se rencontrer avec nous àchaque représentation, avec sonrire désarmant, cette volontéévidente de vouloir jouer avecnous, le poussent juvénilementà céder à un trop-plein de vitalitéet d'intentions. Avec Jarry sur laButte, Barrault voulait faire rire,mais c'est à penser qu'il nousdonne et pas nécessairement àréfléchir. C'était pourtant aussison propos.

Depuis 1968, Barrault est dé­sormais contraint à chaque spec­tacle de jouer à quitte ou dou­ble. Ce qui est lamentable. Ilest possible que dans d'autresconditions de travail il ne seserait pas réservé un rôle decomédien aussi important. Ilaurait eu alors le recul néces­saire du seul metteur en scènequi trie et dans son texte etdans son spectacle. Et il auraitplus certainement réussi cettefête théâtrale qu'il voulait don-

. ner, avec la complicité d'unetroupe remarquable, sur la butteMontmartre.

L'actualité théâtrale ayantparfois de curieux hasards, c'estprécisément sur la scène del'ex-Odéon - symboliquementrebaptisé Théâtre de France ­que la fête théâtrale s'est instal­lée avec La Moscheta de Ruzan­te. Pour peu de temps, hélas!Ce spectacle de Marcel Maré­chal a été conçu pour retrouverl'actualité d'un classique, endehors d'un lieu et hors dutemps, c'est-à-dire dans notretemps. C'est que Marcel Maré­chal pratique l'art du théâtreavec ce que cela suppose decontact direct avec la réalitéthéâtrale d'aujourd'hui qui veutque l'on joue à jouer sans quel'on puisse oublier, ne fût-cequ'un instant, au demeurant ras­surant, que face à la vie, le théâ­tre est un jeu dans lequel lescartes sont truquées : le théâtrepouvant tout au plus servir defaire-valoir à la vie.

Marcel Maréchal et ses cama­rades de la Compagnie du Co­thurne, qu'il dirige avec JeanSourbier, ont pris depuis bientôtdix ans, à Lyon, le pari, aujour­d'hui gagné, de réussir la ren­contre difficile entre un réper­toire contemporain et un publicdélaissé ou exclu.

La pièce originale de Ruzantea constitué pour la compagnieune base extraordinaire de re­cherches qu'elle poursuit sur cemême spectacle depuis 1962(2). Auteur-acteur du XVIe siè­cle, Ruzante est le créateur d'unpersonnage dont il prit le nomet sous le couvert duquel, endialecte padouan, devant la courdes princes, il assénait quelquesvérités graves enveloppées sub­tilement dans le rire gros; avecce balancement de l'insolencecalculée et de la démesurecontrôlée que Rabelais prati­quait à merveille, il déploraitl'écrasement des campagnespar les cités florissantes quiobligeaient le paysan spolié àmendier son droit à la vie. Habi­lement, Ruzante affirmait sa « ré­sistance " par le langage: il op­posait, par exemple, la languedes paysans padouans à celleparlée par les na':ltis, « le Mos·cheto ", c'est-à-dire le florentinlittéraire des villes, considéré,précisément, comme une languede classe.

Sur un thème, somme touteassez simple, et depuis devenuclassique - un paysan dépos­sédé de ses «biens", de sa

femme, et même de l'amitiéessaie de survivre - MarcelMaréchal exécute un merveil­leux exercice de re-créationd'un texte. Acteur, il retrouve,par-delà le temps et l'espace, cequ'il y a de commun à tous leshéros populaires, depuis Ruzan­te, qu'il interprète, à Charlot enpassant par Arlequin. Il est co­mique et pitoyable, tendre etpoétique, roublard et généreux,veule et respectueux, mais sur­tout battu et mécontent.

Mais Marcel Maréchal n'estpas seulement l'acteur le pluscomplet de sa génération, il estaussi, dans une décentralisationthéâtrale qui s'interroge, l'unedes valeurs les plus sûres com­me animateur et metteur enscène. Pour éviter le piège duvaudeville statique, il fait jouerle rôle de Bétia, la femme dupaysan, convoitée par tous, parun acteur remarquable de fines­se et d'intelligence, JacquesAngéniol, qui se garde biend'imiter la femme, mais remo­dèle de l'intérieur le sujet deve­nu objet. Bétia devient alors lemythe de l'espérance et le lieugéométrique de ces rêves ca- .chés, de ces cris retenus et de

ce désespoir entretenu dans lesbidonvilles de Padoue, de Récifeou de Nanterre. Cette trouvailletechnique enrichit le spectacleen obligeant les acteurs - Ber­nard Ballet, Jean-Jacques Lagar­de et José Gagnol sont égaIe­ment excellents ---' à jouer surau moins deux registres. Et ledécor du même Jacques Angé­niol, fait de tôles et de débris detoutes sortes, comme seuls lesbidonvilles savent en montrer,ajoute, dans sa laideur subli­mée, la note indispensable àl'approche d'un spectacle qui seveut simple dans sa démarcheet clair d'ans sa finalité : avecson montage sonore, ses addi­tifs et références à l'actualité,ses intermèdes, la Moscheta,sous le couvert de la comédiede bonne humeur, se veut unappel sans équivoque aux sous­prolétaires de tous les pays quin'ont que ferraille et boue pourtout horizon. C'est aussi un ap­pel aux spectateurs d'un soir :qui déchirera la frange?

Lucien Attoun(1) Voir la préface de la pièce pa­

rue aux Ed. Gallimard (collectionManteau d'Arlequin).

(2) Voir le texte de la pièce parueaux Ed. de l'Arche.

La Qulnzalne littéraire, du 15 au 30 novembre 1970 27

Page 28: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

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L'île mouvante Robert Morel, la crise d'un homme Le milliardairede littérature française aux îles Canaries.

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Page 29: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

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Herbert BurkholzTête d'oursTrad. de l'américainpar Paule TruffertStock, 272 p., 25 F.Un roman qui a pourthème l'amourréciproqueet immodéré d'un frèreet d'une sœur.

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Heather Ross MillerA l'autre boutdu mondeTrad. de l'anglaispar Michel GressetGallimard, 248 p., 20 F.La solitude d'un coupled'Européens, dans leSud encore vierge desEtats-Unis,au XIX" siècle.

• Ramon J. SenderLe bourreau affableTrad. de l'espagnolpar M. Alves etA. PierhalColl. « Pavillons.Laffont, 400 p.Pour découvrir un desécrivains e'spagnols lesplus originaux et les

plus attachants de lagénération de l'exil.

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Vingt pas dansl'au·delàChoix par Jacques PapyPrésentation ettraduction parM. DeutschCasterman, 324 p., 18 FVingt récits fantastiquesinédits de R. Blochà V. Starret.

POESIE

Dino BuzattiPoèmes·BullesTrad. de l'italienpar Max Gallo etAntoine OttanLaffont, 225 p., 29 F.Des bandes dessinéeset commentées parl'auteur du « Désertdes Tartares '.

REEDITIONSCLASSIQUES

André MalrauxŒuvres. Tome 1 :Lunes en papier • Latentation de l'Occident •Les conquérants •Royaume farfeluColl. « La Gerbeillustrée»18 ill. dont 7d'Alexeieffet 11 d'André MassonGallimard, 344 p., 85 F.

André MalrauxŒuvres· Tome Il :La voie royale •La condition humaine25 ill. d'AlexeieffGallimard, 472 p., 85 F.

Anton TchékhovŒuvres IlRécits (1887-1892)Traduction parE. ParayreRévision de Lily DenisNote par C. Frioux« Bibliothèque de LaPléiade.Gallimard, 1 032 p., 55 F.

Madame de VilledieuLes désordres del'amourEdition critique parM. Cuenin, préface dePierre MoreauDroz-Minard, 260 p., 15 F

BIOGRAPHIESMEMOIRESCORRESPONDANCE

Leonid GrossmanDostoïevskiNombr. illustrationsEditions de Moscou,532 p., 24,90 F.Une biographie trèscomplète, étayée surles documentsd'archivesainsi que sur lesjournaux intimes etla correspondancede l'écrivain.

Claude MauriacUne amitié contrariéeGrasset, 288 p., 23 F.Des extraits du journalde l'auteur relatifs àl'amitié qui l'unit àJean Cocteau formentla matière de ce livrequi est aussi le débutd'une œuvre intitulée« Le temps immobile •.

Ch. de MontalembertCorrespondance inédite1852-1870Introductiond'A. LareilleCerf, 450 p., 39 F.La correspondance deMontalembert avec lePère Lacordaire, Mgrde Mérod, A. de Falloux.

Bernd RulandWernher Von Braun :ma vie pour l'espaceTrad. de l'allemandNombr. illustrationsStock, 318 p., 30 F.Une biographie complètedu « père des fusées.et, à travers elle, le récitvivant de la conquête del'espace.

Ravi ShankarMusique, ma vieTrad. de l'américainNombr. illustrationsStock, 224 p., 38 F.Par le célèbre musicienindien, un ouvrage quise présente à la foiscomme un essaiphilosophique, unmanuel pratique et unrecueil de souvenirs etde réflexions.

CRITIQUEHISTOIRELITTERAIRE

Jean-Louis DumontMarcel Aymé etle merveilleuxNlles Editions Debresse,224 p., 18 F.Les rapports littéraires

de Marcel Aymé avecle merveilleux.

Fiorenza di FrancoLe théâtre de SalacrouGallimard, 176 p., 13 F.Une thèse riched'enseignements nonseulement sur l'œuvrede Salacrou maissur la créationdramatique en général.

La littérature françaiseOuvrage collectif sousla direction deH. Lemaître, A. Lagardeet L. MichardAvec la collaboration deT. Van der Elst etR. PagosseTome 1 : Du Moyen Ageà l'âge baroque1 200 ill. en noir et32 hors-texte encouleursBordas, 640 p., 96 F.Les grands modesd'expression duMoyen Age, l'évolutionvers l'humanisme et lacrise de celui-ci.

Jean RistatDu coup d'Etat enlittérature suivid'exemples tirés dela Bible et desauteurs anciensGallimard, 136 p., 16 F.Un second livre d'unevirtuosité peu communeoù l'auteur, contestantles thèmes littérairesà la mode, finit parcontester sa proprecontestation de lalittérature.

SOCIOLOGIEPSYCHOLOGIEETHNOLOGIE

Fanny DeschampsJournal d'uneassistante socialeEdition Spéciale,180 p., 18 F.Les misérables de lasociété d'abondance, parune journaliste de« France-Soir.et de «Elle •.

Richard HoggartLa culture du pauvreTrad. de l'anglais parE. et J.-C. Garcias etJ.-C. PasseronPrésentation et indexde J.-C. PasseronColl. « Le senscommun»Editions de Minuit,424 p., 33 F.Un ouvrage passionnant,qui remet en questionavec beaucoup de talentles poncifsaristocratiques ou

populistes sur la culturepopulaire et leconditionnement desmasses par les moyensmodernes decommunication.

Roger HoodRichard SparksLa délinquanceHachette, 256 p., 14,50 F.Une étude objective dueà deux directeurs desrecherches à l'Institutde Criminologie del'Université deCambridge.

Sarah KofmanL'enfance de l'art(Une interprétationde l'esthétiquefreudienne)Payot, 240 p., 24,80 F.Une lecture« symptomale » quirenouvellel'interprétation del'esthétique freudienne.Hélène

Michel-WolfrommCette chose-làGrasset, 392 p., 32 F.Une grande gynécologueet psychosomaticiennerécemment disparuenous parle des conflitssexuels de la femmefrançaise.

J. PotelMort à voir,mort à vendresuivi d'une réflexionde Pierre ColinDesclée de Brouwer,267 p., 19,75 F.Les attitudes devant lamort dans la société deconsommation.

Emilio WillemsDictionnaire desociologieAdaptation françaisepar A. CuvillierEd. Marcel Rivière,316 p., 30 F.Nouvelle édition remiseà jour de cedictionnaire des notions,des auteurs et de leursœuvres.

Dominique ZahanReligion, spiritualitéet pensées africainesPayot, 248 p., 26,70 F.Un livre qui s'efforcede rendre compte del'unité des culturesafricaines par uneanalyse approfondie deleurs aspectsfondamentaux.

ENSEIGNEMENTPEDAGOGIE

Xavier AudouardL'idée psychanalytique

dans une maisond'enfantsEd. de l'Epi, 120 p., 16 F.Pour une révolutionpédagogique basée surles concepts majeurs dela psychanalyse.

PHILOSOPHIE

Emile CallotLa doctrine deSocrateEd. Marcel Rivière178 p., 18 F.L'apport original etdéfinitif de Socrateà la constitutionde l'éthique.

Ibn GabirolSource de vie(fons vitae)Première traductionprécédée d'uneintroduction parJ. Schlanger .Aubier-Montaigne,328 p., 39 F.Un poète de languehébraïque et un penseurd'expression arabe néà Malaga vers 1020.

Victor GoldschmidtPlatonisme et penséecontemporaineAubier-Montaigne,272 p., 24 F.De la critique des idéesplatoniciennes parNietzscheet Heideggerà l'éclatementde la philosophie.

• KierkegaardHâte·toi d'écouterTraduction inédite.précédée d'uneintroduction deN. Viallaneixfexte danois en regardAubier-Montaigne,1270 p., 36 F.Une œuvre inédite dugrand philosophe danois,accompagnée d'unimportant appareilcritique qui en dégagel'originalité etl'actualité.

Charles RihsLes philosophesutopistesEd. Marcel Rivière,414 p., 40 F.Le mythe de la citécommunautaire enFrance au XVIII" siècleet ses antécédentshistoriques.

ESSAIS

Elisabeth AntebiAve LuciferCalmann-Lévy320 p., 22,50 F.

La Qulnzalne Littéraire, du 15 qu 30 novembre 1970 29

Page 30: Quinzaine littéraire 106 novembre 1970

DOCUMENTS

Georges AndrewsSimon VinkenoogLe livre du chanvreTrad. de l'anglaispar Eric DelormeFayard, 336 p., 25 F.Le dossier complet du

Michel SalomonMéditerranée rouge16 p. d'illustrationsLaffont, 400 p.Une enquête sur laprésence soviétique enMéditerranée, parl'envoyé spécial de• L'Express. auMoyen-Orient.

Samuel PisarLes armes de la paix(L'ouverture économiquevers l'Est)Préface deJ.-J. Servan-SchreiberTrad. de l'anglaispar P. Alexandre etF. MeyrierDenoël, 288 p., 24 F.Un livre qui a obtenu unimmense succès auxEtats-Unis et enAllemagne et qui seprésente comme unesorte de charte pour lacoopération économiqueEst-Ouest.

Ouvriers faceaux appareils(Une expériencemilitante chezHispano-Suiza)Ouvrage collectifMaspéro, 276 p., 18,10 F.Un livre écrit à partird'entretiens et de textesécrits collectivementpar un groupe demilitants de l'une desplus importantes usinesde la région parisienne.

Harry MagdoffL'âge de l'impérialismeTrad. de l'anglaispar G. PelatMaspéro, 232 p., 18,10 F.L'économie de lapolitique étrangère desEtats-Unis et sonincidence sur le systèmecapitaliste mondial.

et objectivité l'évolutiondes Etats francophones.

Guy de LusignanL'Afrique noiredepuis l'IndépendanceFayard, 420 p. 34 F.D'abord publié enanglais pour leséditions Praeger(New York et Londres)et Pal Mali Press(Londres), ce livreanalyse avec pertinence

Léo HubermanPaul M. SweezyLe socialisme cubainAnthropos,240 p., 21,50 F.Par les auteurs de• Cuba, anatomie d'unerévolution ., paru en1960, une étude trèsobjective dufonctionnement dusystème socialiste àCuba au cours de cesdix dernières années.

Julien FreundLe nouvel âgeEléments pour la théoriede la démocratie etde la paixEd. Marcel Rivière,218 p., 20 F.Coll .• Etudes sur ledevenir social •.

Samir AminLe Maghreb moderneEditions de Minuit,244 p., 18 F. • Rosa LuxemburgUne étude sociologique, Introduction àpolitique et économique l'économie politiquede la colonisation du préface par E. MandelMaghreb et des Anthropos,transformations 276 p., 21,50 F.postcoloniales de la Un ouvrage capital desociété maghrébine. la grande révolutionnaire

allemande, qui met enlumière son apportoriginal à la théoriemarxiste.

Hakan HedbergLe défi japonaisTrad. de l'anglaispar Paul Hebert

. Denoël, 304 p., 23 F.Le bilan d'unredressementéconomique sansprécédent mais qui neva pas sansinconvénients.

• Karl LiebknechtMilitarisme, guerre,révolutionchoix de textes etprésentation deClaudie WeillTrad. de l'allemandpar M. OllivierMaspéro, 360 p., 23,70 F.Un tableau d'ensemblede l'œuvre deLiebknecht.

• Les 3'1 séancesofficielles de laCommune de ParisRéédition en fac-similéMaspéro, 280 p., 15 F.Les textes des séancesofficielles tenues parla Commune.

Jean-Marie AlbertiniCapitalismes etsocialismes à l'épreuveEditions Ouvrières,304 p., 18 F.Les mécanismescomparés des régimeséconomiques quipartagent actuellementle monde.

POLITIQUE

Vienne au tempsde François·JosephDe Strauss à Freud124 il!. en noir, 16 p.en quadrichromieHachette,272 p., 43,50 F.Comment la capitale laplus traditionaliste del'Europe devint leberceau d'unecivilisationcontestataire avantla lettre.

Charles TerrasseFrançois 1"Tome IIIGrasset, 272 p., 24 F.Le dernier volume d'unetrilogie sur François 1":il traite des dixdernières années deson règne, de 1538à 1547.

Jean H. PratPaysages, vie etvisages des Yvelinesà l'orée du XX' siècleEd. du Tigre, 225 p., 24 F.Le tournant de l'histoireà un endroit typiquede la banlieueparisienne.

Laffont, 832 p., 34 F.Quatre siècles del'histoire secrète del'Europe retracée àtravers le récit del'épopée de la familleKrupp.

Edmond PognonDe Gaulle etl'histoire de France(Trente ans éclairéspar vingt siècles)A. Michel, 352 p., 25 F.Les grandes lignes deforce de la penséegaullienne et leursoubassementhistorique.

Abdallah LarouiL'histoire du MaghrebUn essai de synthèseMaspéro, 380 p., 26,70 F.Le point de vue d'unMaghrébin sur l'histoirede son pays.

William ManchesterLes armes des KruppTrad. de l'américainpar R. Rosenthal24 p. d'illustrations

HISTOIRE

Jean BronHistoire du mouvementouvrier françaisTome 2 : La contestationdu capitalisme par lestravailleurs organisés(1884·1950)Editions Ouvrières,328 p., 24 F.

Georges BlondLes enragés de DieuGrasset, 384 p., 28 F.La guerre qui opposapendant quatre sièclesles catholiques auxprotestants.

Daniel SpoerriJ'aime les KeftedesRobert Morel,136 p., 20 F.Une démonstrationgastronomique qui sedouble d'un petit tourdu monde des lettres,des goûts et des arts.

Olivier du RoyLa réciprocitéEssai de moralefondamentaleEditions de l'Epi,336 p., 34,20 F.Docteur en théologieet abbé de l'Abbaye de • William L. ShirerMaredsous, l'auteur pose la chute de laici les fonde~ents d'un~ Troisième Républiquemorale humaine, au-deia Trad. de l'américainde la loi et des 60 illustrationsmodèles vertueux. Stock, 1 100 p., 49 F.

Un documentremarquable par sarichesse et sa précisionsur les causes de ladéfaite de 1940.

Jean-François RevelNi Marx ni JésusLaffont, 256 p., 18 F.L'Amérique est-elle enpasse de créer unmodèle révolutionnairepour les autres pays?Un ouvrage qui irriterabeaucoup d'esprits -maisqui est manifestementfondé sur une profondeconnaissance etcompréhension desEtats-Unis.

rigoureuse et quiconstitue une gravemise en garde contreles dangers quimenacent actuellementles ressourcesnaturelles de l'humanité.

C. et G. MathéLa santé est-elleau·dessus de nosmoyens?Plon, 328 p., 22,50 F.Comment libérer lamédecine des entravespolitiques, économiqueset administratives quiparalysent sondéveloppement.

Christian LéourierL'origine de la vie32 dessins in texteLaffont, 176 p., 15 F.Collection • Sciencesnouvelles •.

Le siècle deSaint LouisOuvrage collectitNombr. illustrationsHachette, 320 p., 30 F.Un recueil d'études duesà des écrivains, deshistoriens, desuniversitaires, etc., surla France duXIII' siècle.

Howard E. EvansLa vie sur uneplanète mal connueTrad. de l'américainStock, 240 p., 25 F.Le monde des insectesdans ses réalitésimpitoyables, avec sonorganisation, son chaos,ses luttes à mort.

Amédée PonceauTimoléonRéflexions sur latyrannieIntroduction deRaymond Aron,Ed. Marcel Rivière,160 p., 16 F.Un livre. à l'usagede l'homme traqué •.

G. Rattray TaylorLe jugement dernierTrad. de l'anglaisCalmann-Lévy,296 p., 22 F.Un livre étayé sur unedocumentation

• Erich FrommEspoir et révolutionTrad. de l'américainStock, 192 p., 24 F.Un psychanalysteaméricain analyse la• contestation. de lajeunesse et nous inviteà y trouver des raisonsd'espérer.

• Ernst FischerA la recherche dela réalitéTrad. de l'allemandpar lL. Lebrave etJ.-P. Lefebvre• Lettres Nouvelles.

. Denoël, 344 p., 25 F.Voir le n° 104 de laQuinzaine.

Lanciné CamaraL'Afrique Noireest bien partieNlles Editions Debresse,164 p., 15 F.Le cri d'un poèteafricain qui répond, àsa manière, lli• L'Afrique Noire estmal partie. deR. Dumont.

Georges ElgozyLes damnés del'opulenceCalmann-Lévy,336 p., 22,50 F.Une analyse pleined'humour et de gravitédes maux que causentles impératifs del'abondance et de latechnologie.

Jean BancalProudhonPluralisme etautogestionT. 1 : Les fondementsT. 2 : Les réalisationsAubier-Montaigne,328 p., 21 F le vol.Une véritable somme,qui est le fruit de vingt­cinq années derecherches sur l'œuvrede Proudhon.

Une étude abondammentdocumentée sur lesmanifestations del'ésotérisme dans nossociétés technologiques.

Olivier BurgelinLa communicationde masseS.G.P.P., 304 p., 31 F.Une analyse et une miseau point sur les aspectspositifs et les aspectsnégatifs des massmedia.

Jean-François DelassusLe Japon : monstreou modèle?Hachette, 320 p., 25 F.Un témoignageimpressionnant sur lasociété deconsommation la plusfébrile après lesEtats-Unis.

• Thomas BrowneHydriotaphia ouDiscours sur lesurnes funérairesrécemment découvertesdans le NorfolkTrad. de l'anglaispar D. AuryGallimard, 128 p., 25 F.Inédite en français,l''œuvre la plussignificative de cetécrivain anglais duXVII' siècle dont laprose baroque a.profondément marquéla lïttératurebritannique.

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Livres publiés du 20 oct. au 5 nov.chanvre, de ses originesà sa plus immédiateactualité.

Bernard ClavelLe massacre desinnocentsLatfont, 256 p., 18 F.12 p. d'illustrationsUn document poignantsur la misère et lamort des enfants dansle monde (les bénéficessur ce livre serontversés à l'organisation• Terre des Hommes .,consacrée précisémentau sauvetage deces enfants).

Seymour M. HershLe massacre deSong My(La guerre du Vietnamet la conscienceaméricaine)Trad. de l'anglaispar Georges MagnaneGallimard, 256 p., 20 F.Un document d'uneobjectivité peu communesur un des épisodes lesplus atroces de laguerre du Vietnam.

Ben DanA Tel·Aviv et au CairePoker d'espionsFayard, 275 p., 24 F.Par deux journalistesisraéliens.

Jacques LantierLe temps despoliciersFayard, 336 p., 24 F.Un documentremarquable et fortsurprenant sur la police,dû à un hautfonctionnaire del'Intérieur, ancienagent secret.

Edmonde SebeilleL'affaire DominiciPlon, 320 p., 20,40 F.Une enquête approfondiesur le crime de Lurs.

G. Lefèvre-ToussaintPlaidoyer pourune âmePréface de Daniel MayerDenoël, 224 p., 18 F.L'affaire GabrielleRussier.

Jacob TsurLa révolte juivePlon, 288 p., 15.40 F.L'histoire du mouvementsioniste, vécue etdécrite par un de sesprotagonistes.

ARTSURBANISME

Claude ArthaudLes palais du rêve

200 p. illustrées91 photos en coul.et 243 en noirArthaud, 360 p., 130 F.A la découverte de28 palais issus desrêves et des mythesde certains hommes,dans tous les pays dumonde et de l'aube desTemps Modernes à lapériode contemporaine.

.Max ErnstEcrituresNombr. illustrationsGallimard, 448 p., 65 F.Un recueil des textes,en général peù connus,ou devenus introuvables,de ce peintresurréaliste, complétépar une biographieinédite et un choixd'interviews.

Gavin HamblyCités de l'Inde MogholeDelhi, Agrs, Fatehpour,SikriTrad. de l'anglaispar Robert Latour128 illustrationsA. Michel, 240 p.,63,30 F.Collection «Citésd'Art '.

Millard MeissGrandes époquesde la fresque119 pl. en couleurset 8 611 noirHachette, 252 p., 155 F.Publié à l'occasion del'exposition de laFresque au Petit Palais,un somptueux ouvragequi présente quelques­unes des plus bellespeintures monumentalesdu monde.

RELIGIONS

Eugène FleischmannLe christianismemis à nuPlon, 240 p., 27,50 F.Coll. « Recherches enSciences Humaines '.

Marcel LegautIntroduction àl'intelligence du passéet de l'avenirdu christianismeAubier-Montaigne,405 p., 27 F.Des solutions à lacrise religieuse, par unchrétien de bonnevolonté.

Thomas MertonZen, T&O et nirvanaEsprit et contemplationen Extrême-OrientTrad. de l'anglaispar Francis Ledoux

Coll. « Documentsspirituels.Fayard, 176 p., 25 F.Inaugurant cettecollection, une suited'essais c-onsacrés aurôle de la contemplationdans la vie humaine etaux sommets qu'elleatteint enExtrême-Orient.

René d'OuinceUn prophète en procès:Teilhard de ChardinTome 1 : Teilhard dansl'Eglise de son tempsAubier-Montaigne,264 p., 18 F.Les rapports de Teilhardavec les autoritésmajeures de laCompagnie et de laCurie romaine.

René d'OuinceUn prophète en procès:Tome 2 : L'homme etl'avenir de la penséehumaineAubier-Montaigne,272 p., 18 F.

T. Lobsang RampaLama médecinColl. « Les Cheminsde l'impossible.A. Michel, 256 p., 18 F.Un ouvrage qui captiverales amateursd'occultisme et ceuxque passionnent lesmystères du Tibet.

Claude VincentEglise, mère abusiveColl. « Points chauds.Fayard, 256 p., 20 F.L'expérience intimed'une chrétienned'aujourd'hui face auxproblèmes de la foi età la crise de l'Eglise.

HUMOURVOYAGESDIVERS

Pierre BerloquinLe livre des jeuxNombr. illustrationsStock, 280 p., 30 F.Une encyclopédie trèscomplète des jeux.

Alain Mc KenzleLe pavillon descaractères tracésPauvert, 270 p., 26 F.Un « petit vocabulairechinois franco-anglais '.

Marcel RoutfLa vie et la passionde Dodln-Bouffant,gourmetAvec une préface deJames de CoquetStock, 230 p., 38 F.De la gastronomieconsidérée comme undes Beaux Arts.

POESIE

Anthologie de lapoésie russeLa renaissance duXX' siècleBilingueAubier-Flammarion.

Paul ClaudelPoésiesIntroduction deJacques PetitGall imard/Poésie.

René DaumalLe contre-c:iel suivi deLes dernières parolesdu poètePréface de C. RugafioriGallimard/PoésieCette édition, enrichiede textes inédits,restitue le premier étatdu « Contre-ciel. qui n'ajamais été édité.

Pierre-Jean JouveDiadème suivi deMélodrameGallimard/Poésie.

Maurice Regnaut66-67Pierre Jean Oswald/Action Poétique.

Louise. de VilmorinPoèmesGallimard/Poésie.

POCHE

Paul DielPsychologie dela motivationPetite BibliothèquePayot.

André HodeirLes mondes du jazz10/18.

Thomas MannSur le mariageLessingFreud et la penséemoderneMon tempsBilingueAubier-Flammarion.

Alfred RosmerMoscou sous LéninePetite CollectionMaspéro.

W. RostowLes étapes de. lacroissance économiqueSeuil/Points.

Victor SergeCe que toutrévolutionnaire doit

savoir de la répressionPetite CollectionMaspéro.

J.-J. Servan-SchreiberLe manifeste radicalLivre de Poche.

Grégoire de ToursHistoire des Francs10/18.

Constantin TsoucalasLa Grèce, del'indépendance auxcolonelsTrad. de l'anglaispar J.-P. RosparsPetite CollectionMaspéro.

ESSAIS

Maurice BessyWalt DisneySeghers/Cinémad'aujourd'huiA la fois une analysecritique d'une œuvrefort discutée et leportrait d'unepersonnalité hors ducommun.

Catherine Drinker BowenLe rendez·vous dePhiladelphieSeghersjVent d'OuestLe « rendez-vous. demai à septembre 1787,qui réunit les déléguésà la Conventionconstitutionnelledes Etats-Unis.

Louis BréhierLes institutions del'Empire ByzantinLa civilisationbyzantineA. Michel/L'Evolution del'HumanitéLe deuxième ettroisième volet de latriologie que l'auteurconsacre à Byzance.

•Jean EhrardL'idée de natureen France à l'aubedes LumièresFlammarion/ScienceLa formation d'unepréoccupation majeurede l'âge encyclopédisteet son incidence sur lavie intellectuelle.

Jean-Louis FlandrinL'Eglise et le contrôledes naissancesFlammarion/Questionsd'HistoireLes origines historiquesde l'attitude actuellede l'Eglise face à ceproblème et l'évolutionprobable de sespositions en la matière.

J.K. GalbraithLa crise économiquede 1929Trad. de l'anglaispar H. Le GalloPetite BibliothèquePayotUne anatomie de lacatastrophe financièrede 1929, par le célèbreéconomiste américain.

Alain de LattreGeulincxSeghers/Philosophesde tous les tempsL'œuvre de ce ~

philosophe flamand,contemporain de Spinoza(1624-1669) .

Georg LukacsSoljenitsyneTrad. de l'allemandpar S. BricianerGallimard/IdéesDans le cadre de sesrecherches surl'esthétique du roman,"auteur interroge icil'œuvre du plus illustredes écrivainssoviétiques.

Henry MillerLe temps desassassinsPiere Jean OswaldEnfin publié en France,un essai sur Rimbaudque Miller écriviten 1945.·

A.S. NeillLa liberté·pas l'anarchieRéflexions surl'éducation etl'expérience deSummerhillTrad. de l'anglaispar M. LaguilhomiePetite BibliothèquePayot(Voir le na 98 de laQuinzaine) .

Claude RanelMoi, juif palestinienLaffont/LibertésLe point de vue d'unIsraélien, réalisateuret commentateur à laradio israélienne, sur leproblème de laPalestine.

Maximilien RubelPages de Karl Marxpour une éthiquesocialiste1. Sociologie critique2. Révolution etsocialismePetite BibliothèquePayotUne anthologie due àl'éditeur des Œuvresde Marx.

La QuinzaIne Uttéralre, du 15 au 30 novembre 1970 31

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Michel Déon Marguerite Duras

ABAHNLES PONEYS SABANASAU'TAGES DA'TID

Patricia Finaly

LE GAIGHETTO

Bruno Gay-Lussac

INTRODUCTIONA LA VIEPROFANE

Michel Huriet

UNE FILLEDE

MANCHESTER

Bertrand Poirot-Delpech

LA FOLLEDE

LITUANIE

Jean Maxime Robert Merle Claude Mourthé

~ , LALA FETE DERRIERE CAMERA,

PrixENCERCLEE LA VITRE de la Fondation Del Duca f 970décerné sur manuscrit

Bernard Ponty Thérèse de Saint Phalle Jacques Serguine

LE LE LA J\tORTSEQUESTRE SOUVERAIN CONFUSE

J. M. G. Le Clézio Nicole Quentin-Maurer

LA PORTRAIT••

GUERRE DE RAPHAEL ai1)co(J

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