Quinzaine littéraire, numéro 90, févier 1970

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Quinzaine littéraire, n° 90, 1970. Bertrand Russell, Wilhem Reich, François Châtelet, Roland Barthes

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SOMMAIRE

3 LB LIVRBDB LA qUINZAINII:

4 LETTRED'ALLBMAGNE

li DOCUMENT

8 INEDIT

8 POBSIII:

10

11 ENTRETIEN SECRET

toi ROMANS ..RANCAIS

t5 ARTS

18 EXPOSITIONS

t8 PHILOSOPHIE

20 POLITIQUE

24 PSYCHOLOGIE

16 FEUILLETON

28 THBATRE

Hermàn KantGünter Kunert

Peter Bichsel

François Caradec

Benjamin Péret

E. R. MonegalJorge Luis BorgesJorge Luis BorgesA Bioy Casares

Brigitte AxelOlivier PerreletGabriel Deblander

François Châtelet

Dieter Wolf

Roland Barthes

_Wilhern; ReichWilhelm ReichMichel Cattier

Lenz

L'amphithéâtreAu nom des chapeaux

Kinoogeschichten

Du nouveausur Lautréamont

Bertrand Russell : Ma vie

Œuvres CDmplètes. Tome 1De derrière les fagots

Borges par lui-mêmeEvaristo CarriegoChroniques de Bustos Domecq

HLe dieu mouvantLe retour des chasseurs

Jeux des nuages et de la pluie

L'art flamandExposition SaenredamLes bolides au musée

La philosophie des professeurs

Samizdat 1, la voixde l'opposition communisteen U.R.S.S.Doriot

S/ZLa révolution sexuelleLa fonction de l'orgasmeLa tlie et l'œuvre duDocteur Wilhelm Reich

W

Le Précepteur

par Claude Bonnefoy

par Luc Weibel

par Serge Fauchereau

par Gilles Lapouge

Propos recueillis parPierre Bourlleade

par Gilles Lapougepar Marie-Claude de Brunhofl'Dar M.-C. de B.

par Jean Selz

par Guy C. Buyssepar Marcel Billotpar Jean-François Jaeger

par Jeannette Colombel

par Jean-Jacques Marie

par Maurice Chavardès

par Philippe Sollers

par Roger Dadoun

par GeOrges Perec

par Gilles Sandier

p. 4 Lüfti Ozkok.

Crédits photographique.

La Quinzainelitteraire

2

Françou Erval, Maurice Nadeau.

ConaeiUer : Joseph Breitbach.

Comité de-rédaction:. Georges Balandier, Bemard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez, Marc Ferro,Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :Anne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaide Blasquez.

Rédaction, administration :'3, rue duTemple, Paris-4t·.Téléphone: 887-48-58.

Publicité littéraire :22, rue de Grenelle, Paris·7".Téléphone : 222-94-03.

Publicité générale : au Journal.

Prix du n° au CantUÙJ : 75 cent•.

Abonnements:Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois : 34 F, douze numéros.Etudiants : réduction de 20 %.Etranger: Un an : 70 F.Six mois : 40 F.Pour tout changement d'adresseenvoyer 3 timbres à 0,30 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15.551.53.

Directeur de la publicationFrançois Emanuel.

Imprimem : Graphiques Gambo.

Printed in France

p. 7

p. 9p. 15

p. 16

p. 18

p. 23p. 25

p. 28

Marc Riboud, Magnum.

Eric Losfeld.

Bibliothèque des Arts.

Central Museum Utrecht.

Michel Nahmias.

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Bernand

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LIVBJ:8 DB LA

Allemands de l'EstQUINZAINE

Apparemment, si l'on s'entient à leur biographie, Het-mann Kant et Günter Kunertont plus d'un point commun.Ils sont tous les deux citoyensde la République Démocrati-que Allemande. Ils ont publiéleur premier roman la mêmeannée, en 1967 - et ce sontces dernières œuvres que dé-couvre aujourd'hui le publicfrançais. Enfin, ils appartien-nent à la même génération,celle qui fut privée d'adoles-cence et passa brutalementdes culottes courtes aux te-nues de combat.

Herman KantL'amphithéâtreTrad. de l'allemandpar Anne GauduColl. « Du monde entier »Gallimard éd., 353 p.

Günter KunertAu nom des chapeauxTrad. de l'allemandpar Rémi LaureillardColl. « Du monde entier »Gallimard éd., 288 p.

A dix-sept ans Kant connut leIront de l'Est et à dix-huit la re-traite et la captivité. Kunert, àquinze ans, vécut la bataille etl'effondrement de Berlin. Si cesfaits n'étaient pas évoqués, trans-posés dans leurs livres, ceux-ci parleur composition comme par leurécriture sembleraient n'apparte-nir ni au même monde ni aumême temps.Par contraste avec le mouve-

ment épique et onirique d'Aunom des chapeaux (publié àl'Ouest, non en R.D.A.), rAmphi-théâtre paraît être un récit clas-sique et réaliste. Mais prenonsgarde aux nuances. Certes, d'untexte à l'autre, la différence estgrande et l'on change radicale-ment d'univers littéraire.. Toute-fois, il serait faux de dire de leursauteurs respectifs que, si l'un re-garde résolument vers les recher-ches les plus modernes, l'autreest encore pris aux rets du jda-novisme. Kant et Kunert, c'estévident, ne chantent pas la même

Tous deux cependant té-moignent d'un renouveau de lapratique et de l'invention roma-nesque en Allemagne de l'Est.

Tous deux ont le souci de l'écri-ture, le désir de rompre avec unetradition figée. Seulement l'un,qui bouscule les règles et ne craintpas' le délire, doit jeter son livrepar-dessus la frontière, l'autre queles grands prix couronnent montrejusqu'où il est permis d'aller.

L'Amphithéâtre, d' H e r man nKant, s'insère parfaitement dansla réalité politique et sociale dela R.D.A. Kant est communiste.Kant considère, sinon avec effroi,du moins avec une surprise pei-née, ceux de ses camarades d'étu-des qui ont choisi de àl'Ouést. Son héros, Robert Iswall,qui lui ressemble comme un frère,se sent mal à l'aise lors d'unevisite à Hambourg, étranger danssa ville natale. Bref, il n'est pasquestion pour lui, un seul instant,de remettre en cause les acquisi-tions du socialisme. Au reste, sicet ancien apprenti électricien apu devenir après la guerre pro-fesseur, puis journaliste, enfinécrivain, c'est au socialisme qu'ille doit, qui lui permit de s'ins-crire à la Faculté ouvrière et. paysanne (A.B.F.) dès son ouver-ture en 1949.Cette faculté est au centre du

livre. L'amphithéâtre, c'est l'aulaconstruite et décorée par l'archi-tecte baroque Andreas Mayer, où,en 1949, des garçons et des fillesde 18 à 25 ans, charpentiers, fer·blantiers, ajusteurs, forestiers,agriculteurs, couturières, vendeu·ses, ont été reçus par le savantrecteur qui leur ouvrait les por-tes de la cultur.e, où quinze ansaprès, pour la cérémonie de clô-ture de l'A.B.F., Robert Iswal, unde ses anciens élèves devenu jour-naliste, doit prononcer un dis-cours. Tout le roman n'est autreque la réflexion de Robert Iawallsur le sens de son expérience, !lurle contenu qu'il doit donner à sondiscours.Là apparaît tout le talent

d'Hermann Kant. II refuse defaire l'histoire conventionnelle del'A.B.F., de transformer son ré-cit en démonstration. Iswall, sonhéros, est, d'une certaine manière,dans une situation privilégiée. Iln'est pas professeur. II n'occupepas de poste officiel. Son rôle,puisqu'on lui demande de pren-dre la parole, ne peut pas êtred'apporter un bouquet supplé-mentaire de fleurs de rhétoriquesà l'office funèbre de cette facultémorte - ou plutôt devenue inu·

tue par suite des progrès de lascolarisation mais de direquels furents la vie et l'enthou-siasme des premières années. Ilentend donc moins parler del'institution que des hommesqu'elle forma, ce qu'ils étaient,ce qu'ils firent, ce qu'ils sont de-venus. Aussi bien lui faut.il com-mencer par s'interroger sur cequ'il était et sur ce qu'il estdevenu. Tout le mouvement, toutl'intérêt du livre naissent de cesdécalages dans le temps, de laperpétuelle confrontiltion entreun passé plein de contradictions,mais aussi d'espoir et un présentoù toutes les contradictions n'ontpas été surmontées, où les cama-rades qui sont c arrivés ont sou-vent oublié d'où ils étaient partis.

Ce qui apparaît au terme de celivre souvent vif et juste malgréquelques longueurs et naïvetés(voulues? peut-être), c'est l'impos-sibilité d'écrire un discours vraisur l'A.B.F., de rendre compteobject.ivement d'une réalité com-plexe. Seules, finalement, les rêve-:i-Ïes d'Iswall y parviennent.

Avec Günter Kunert, la rêveriese fait délire. Il est vrai que lenarrateur d'Au nom des chapeauxn'est pas sorti du cauchemar. Ouplutôt il n'en sort qu'à la fin pourentrer, comme à regret, dans lapeau d'un petit bourgeois bonpère, bon époux, et sans doutefonctionnaire bien noté sur lecompte duquel il n'y aura jamaisrien d'intéressant à dire.

Pour Henry, rentrer dans lerang ne peut être que la dé-chéance, tant son génie s'accordeau cataclysme et au cha·os. C'estquelque chose comme le retourdu poète chez la mère Rimbeaprès la fugue exaltante dans leParis de la Commune. Les ailessont coupées. La voyance est miseen cage. Car la fabuleuse singu-larité d'Henry est d'être voyant.Non au sens poétique, plutôt àcelui des diseuses de bonne aven·ture. Seulement il ne dit pasl'avenir, il lit, il vit le passé desautres rien qu'en se coiffant deleurs chapeaux, képis, calots,bonnets, bibis ou voilettes. Quantà la révélation de ce don, il l'aeue pendant la bataille de Berlin,peu après la mort de sa mère sousun bombardement, quand, mili-taire de quinze ans peu douépour le sacrifice, il a comprisgrâce au casque de son chef de

section que celui-ci n'était pasparti pour une sortie héroïque,mais pour se fondre dans la na-ture. Attitude raisonnable qu'ils'est empressé d'imiter.Ce don, qui donne au roman la

dimension d'un grand jeu tragi-que, Günter Kunert se garde biende nous le révéler d'entrée dejeu. La passion d'Henry pour lescouvre-chefs ne prend sens queprogressivement, et aussi sa crainteet ses tentations devant la cas-quette crasseuse, abandonnée parles policiers, d'un personnageinconnu qu'il a découvert, assas-siné, près d'une pissotière, durantles premiers jours de l'occupa.tion.Tout le récit part de cette dé·

couverte, plus importante pourHenry (à qui la casquette révèleque le mort était son père et quece père était juif) que tous lesdrames des semaines précédentes.Plus précisément, cette décou-verte, à l'instar de la révélationde ses dons, éclaire Henry sur lesens de tout ce qu'il a vécu, lerend libre et étranger dans uneville en proie au chaos, à la mi-. sère et à la honte. Henry peutdésor.mais enquêter lIur la mortde son père. Henry peut connaî-tre d'étranges amours, participerau mouvement « hoministe » et lefaire échouer. II sait que les des-tins sont embrouillés. Il sait aussiles lire et se jouer du sien. Tousen effet sont à sa portée jusqu'aujour où les chapeaux commen-ceront à ne plus lui parler.Aussi bien, Günter Kunert,

même s'il maîtrise toujours sonrécit et sait établir de secrètesconcprdances entre les épisodes,ne nous conte-t-il pas une his-toire, mais mille : celle singuliè-rement désordonnée d'Henry etcelles des chapeaux qu'il essaye,qui le guident et le font sauterd'une aventure dans l'autre.Mieux, il pratique là un extraor-dinaire et détonant mélange desgenres. Le tragique s'allie à la drô-lerie et il apparaÎt que quand lepire n'est pas sûr, le comique n'estpas loin.A travers les mésaventures co-

casses ou prodigieuses d'Henry,Günter Kunert ne fait pas seule-ment signe à Jarry, Kafka et Que.neau, il nous donne la peinturela plus saisissante du Berlin, an-née zéro, et peut-être aussi, laplus vraie.

Claude Bonnefoy

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 marli 1970 3

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D'ALL&IIAGIf.

Pem Bic1uel. '

1Peter BichselKindergeschichten ,Luchterhand éd., Neuwied,Allemagne

On se qu'en 1964, parla publication .du Laitier (dont latraduction française a paru chezGallimard), l'écrivain suisse PeterBichsel avait reçu l'accueil le plusfavorable de la critique et du publicd'expression allemande. Son dernierlivre: Kindergeschichten (histoirespour enfants) connaît également leplus grand succès, et manifeste ànouveau la maîtrise de l'auteur dansle genre de la nouvelle brève, où ilavait fait ses premières armes. C'esten effet cinq « histoires » que nousraconte Bichsel, et si les enfantstrouveront plaisir à les lire, n'estpas seulement qu'elles sont écritesavec leurs IQots : c'est aussi et sur·tout qu'elles communiquent profon.dément avec des thèmes et des ob-sessions que l'âge adulte refoulemais qu'il ne saurait oublier. End'autres termes, elles ne sont pasl'œuvre d'un auteur rassis qùi sepencherait généreusement sur lemonde enfantin, mais le prolonge-ment direct de questions et de rê-ves que l'éducation - et par là-même la' Société - ne sauraientrécupérer.Certes, les héros de Bichsel ne

sont en rien des révoltés. L'un passeson temps à apprendre par cœurl'indicateur des chemins de fer,l'autre veut s'assurer par lui-mêmeque la terre est ronde; l'un se défi·

La Terreest'ronde

nit « inventeur », l'autre s'enfermepour faire le vide dans son espritet oublier tout ce qu'il sait : toussont de vieux originaux, tels qu'ilen existait dans les bourgeoisies pu-ritaines, de ces maniaques margi-naux, de ces inadaptés auxquels leSenfants ont toujours voué' une pro-fonde sympathie. Etrangers à lasociété, ils sont à leur aise aucontact des objets (le bricolage) etdes mots : loin de remettre en ques-tion ouvertement les pratiques etle savoir social, ils en adoptent lesaxiomes, pour les pousser, il estvrai, à l'absurde..A.insi la méthode expérimentale

commande de mettre à l'épreuvetoute espèce d'énoncé, comme parexemple : la terre est ronde: Ils'agira donc de faire, en ligne droi·te, le tour du monde, sans s'écar·ter ni à droite ni à gauche. Trèspositivement, très patiemment,Bichsel énumère les Qbstacles quis'opposent à ce projet, à commen·cer par la maison du voisin qu'ilfaudra escalader, le fleuve qu'il fau·dra traverser, etc. Echelle, bateau,chariot pour transporter le bateau,bateau pour transporter le chariot(quand on arrivera à la mer) : l'énu·mération procède ici par progressionlogique, par emboîtement, imitantles poupées russes ou les tables gi-gognes. Le calcul, toutefois, échoue.Pour conduire tant de chariots etde navires il faudra beaucoup demain-d'œuvre, et la main-d'œuvre,par le temps qui court, est chère,et difficile à trouver. Après avoirconsumé sa vie à préparer son

voyage, notre homme s'en ira toutseul, à quatre-vingts ans, son échel·le sur l'épaule.Dans cette nouvelle, les objets re-

fusent de se plier à l'injonction desmots. Dans celle qui s'intitule Il Unetable est une table », le héros prendson parti de cet échec. Si son pro-jet (Il que tout change») se heurteà l'inertie du mobilier de sa cham-bre, il prendra sa revanche en dé-baptisant les objets usuels qui l'en-tourent. SQn lit s'appellera tableau,et le tableau, lit. Bischel nous livredes tables de traduction, et offredes exemples de la nouvelle langueainsi formée. Ce principe de subs-titution ouvre l'espace d'une libertéde la fiction qui trouve peut-êtreson illustration dans le texte quiporte pour titre : « Jodok vous

».Un vieil homme y parle sans

cesse à son petit.fils d'un « oncleJodok» que personne n'a jamaisvu, et auquel il attribue toute es-pèce d'actions et d'opinions. Cetteprésence d'abord reléguée dans lepassé se rapproche: Jodok est censéadresser au vieillard des messagestéléphoniques. Il annonce sa visite.

il le sujet(grammatical) de toutes les phrasesprononcées par le héros, il substi-tue à tous les noms communs (ilneige ce matin se traduira par : iljodoque ce jodok) et illustre à samanière le principe saussurien se-lon lequel, s'il n'y avait qu'un motdans sa langue, il servirait à toutdésigner.Bien entendu, rien de tout cela

n'est vrai. En réalité, le grand-pèren'a parlé de Jodok qu'une seulefois dans sa vie, sa femme l'a dure·ment rabroué, et il s'est excusé timi·dement, Cette impossibilité de par-ler rappelle certes le Laitier. On mepermettra de la rapprocher du pas·sage de l'Idiot où Dostoïevski, ra·contant le 'séjour du prince Mych-kine en Suisse, décrit les malheursd'une jeune fille nommée Marie:(1 Elle était terriblement silencieuse.Une fois, jadis. elle s'était tout àcoup mise à chanter en travaillantet je me souviens que tout le mondeen fut surpris et se moqua d'elle ».Le silence de Marie, comme le

silence du grand-père, manifeste uninterdit porté sur l'expression.L'usage de la langue est codifié, etl'on sait ,avec quelle méfiance onregarde les enfants qui « fabulent ».Chez Bichsel, la parole reprend sesdroits, et Il Jodok » est peut-être lesigne de cette joie retrouvée.

Luc Weibel

INFORMATIONS

A paraîtreOn annonce chez Gallimard pour la

fin de ce trimestre la sortie du romanTrois tristes tigres du Cubain G. Ca-brera Infante. traduit p,ar Albert Ben-soussan. C'est la première fols Qu'estproposée une traduction de cetteœuvre difficile Qui. publiée d'abord àBarcelone par les éditions Seix-Barrai(au prix de certaines coupures duesau ciseau hcingreur de la censure es-pagnole. et Qui ne figurent heureuse·ment pas dans l'édition française)reçut en 1964 le prix Blblloteca Breve,et concourut l'année suivante au prixFormentor. G. Cabrera Infante avaitdonné déjà un Intéressant recueil denouvelles Dans la paix comme dans taguerre, publié en 1962 chez Gallimard.

Chez Fayard, sous le titre de l'U,R.S.s.survlvr.t-elle en 1984 7, un documentqui ne manquera pas de retenir l'at-tention et Qui, en tout état de cause.risque de coOter gros à son auteur.Celui-cI. Jeune' historien soviétiqueexclu de l'Université de Moscou à lasuite d'une thèse sur les origines dupeuple russe qui n'avait pas emportél'adhésion des autorités, condamné àdeux ans et demi de déportation unpeu plus tard à cause de deux piècesde théâtre non moins contestatairesécrites après cette exclusion, a choisi,malgré la précarité de sa situation ac-tuelle, de signer de son vrai nom,Andreï Alexelevltch Almarlk ce courttexte, parvenu sous le manteau et oùse trouve analysé avec une luciditéImpitoyable l'évolution de la sociétésoviétique vers un avenir qui, d'aprèsl'auteur, compte tenu des relations deson pays avec la Chine, se présentesous des auspices Quelque peu apo-calyptiques.

Albin Michel

Chez Albin Michel où, dans la col-lection • Lettre Ouverte ", Robert Sou-pault étudie la crise actuelle de la mé-decine. contestée dans ses méthodes,dans son rôle social et dans son moded'existence par le public, dans unpamphlet Qu'II Intitule Lettre ouverte àun malade en colère, on fait beaucoupde cas d'un ouvrage dO au rédacteuren chef du • New York Times ", Har·rison E. Salisbury, et où celui-cI, Qui alongtemps vécu en U.R.S.S.. s'estefforcé de reconstituer, en s'appuyantsur force documents, Inédits, le siègede Stalingrad : les Neuf cents lours.

Minuit

AU)Ç Editions de Minuit. dans la col-lection • Le Sens Commun". P. Bour-dieu et J.-C. Passeron (voir les n" 12et 59 de la Quinzaine) présentent,sous le titre d'Eléments d'une th60rledu système d'enseignement, un ouvra-ge Qui fait suite aux Héritiers.

Page 5: Quinzaine littéraire, numéro 90, févier 1970

DoeUMBNT

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,.,.FEVRIER 1970

A paraître le 20 mars, aux Editions de la Table Ronde:François Caradec : Lautréamont.Biographie accompagnée de la reproduction de la totalité des pièces d'étatcivil concernant Isidore Ducasse et ses parents.

Il existait dans la vie d'Isidore Ducasse, futur cômte de Lau-tréamont, une lacune de trois années: de sa sortie du lycée impé-rial de Pau, en août 1865, à la publication du premier des Chantsde Maldoror, en août 1868.

Qu'avait-il fait pendant cette période? Où avait-il d'ailleurspassé ces trois années? A Bazet, dans la famille de son oncle?A Montevideo, comme on .le pensait, grâce à des allusions de lastrophe du « Vieil Océan. et au témoignage incertain de PrudencioMontagne? _

Les dernières éditions des Chants de Maldoror n'apportaientaucune précision. Maurice Saillet penchait- pour l'hypothèse duretour à Montevideo (Le Livre de Poche, 1963) ; Hubert Juin ycroyait fermement (Editions de la Renaissance, 1967).; MargueriteBonnet laissait subsister cette lacune dans sa chronologie, fautede preuves (Garnier-Flammarion, 1969).

Les pièces d'archives permettent de répondre, à Tarbes et àBordeaux.

Isidore Ducase n'a pas gagné immédiatement Montevideo à sasortie du lycée de Pau. Il a séjourné deux ans à Tarbes même. Il

h'était pas étudiant, mais tout simplement « sans profession -.Le 21 mai 1867, Isidore Lucien Ducasse obtient son passeport

à la préfecture de Tarbes sous le n° 66. Le 25 mai, il fait viser sonpasseport à Bordeaux sous le n° 315; il embarque- sur le « Harrick -qui n'est pas un navire régulier des Messageries impériales(Archives départementales de la Gironde, -Visas des passeportsfrançais â l'étranger, 1866-1868. Cote provisoire 4 M 758). Levoyage doit durer un mois au moins. Il n'a pas été possiblede retrouver trace de son arrivée à Montevideo, de son nouvelembarquement et de son retour définitif à Bordeaux.

Mais savons maintenant que ce voyage de retour au paysnatal, dans la maison maintenant détruit'e de -la calle Camacua,aété relativement court: trois ou quatre mC)is, si la date de 1867que fixe Léon Genonceaux pour son arrivée à Paris est exacte (etLéon ne semble pas avoir de raison de se tromper) :un an tout au plus, puisque le chant premier parait en août 1868.

Mais que faisait donc Isidore Ducasse à Tarbes, de 19 à 21ans? Et qu'a-t-i1 été faire à Montevideo ?A la première question,la réponse la plus plaUsible semble être: il travaillait, il lisait' et •••••••••••••••••••••••••111passait le plus Clair, de son temps én compagnie de ses amis HenriMue et Georges Dazet. Ala deuxième, il avait été convaincre sonpère, manuscrits en main, de son talent d'écrivain, et lui faire partde son intention d'èmbrasser la carrière d'homme de lettres.

François Dl,Icasse, chancelier au Consulat de France de Monte-video semble avoir répondu favorablement aux demandes de sonfils: il rui consentit une pension confortable (Isidore Ducasse n'avécu à Paris qu'en «appartements meublés -) et les sommesnécessaires à l'édition de ses œuvres à compte d'auteur.

François Caradec

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 mars 1970

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.Bertrand Russell ••

Ce livre doit être publié alors que les grands problèmes quidivisent aujourd'hui le monde seront encore irrésolus. Pour lemoment et pour quelque temps encore, ce monde où nous vivonsdoit être celui du doute. Il devra encore osciller entre l'espéranceet la peur. .Il est vraisemblable que je mourrai avant qu'une décision

n'intervienne. Je ne sais pas si mes derniers mots devront êtreC'en est fait du Jour lumineux,Nous voici voués à la nuit,.

ou - co".me je me permets parfois d'en rêver - :C'est le retour du bel âge du monde,

Nous revoici dans l'âge d'or...Le ciel sourit, les fois et les empires luisentcomme les épaves d'un songe évanescent.

J'ai fait ce que je pouvais pour ajouter mon faible poids dansla balance et la faire pencher du côté de l'espoir,' mais ce n'a étéqu'un effort contre des forces considérables.Puissent d'autres générations' réussir là où la mienne a échoué.

je ne pouvais plus rien faire pour établir la science mathématiquesur des bases irréfutables. Alors survint la Première Guerre mon-diale, et mes pensées se trouvèrent concentrées sur la folie et lamisère humaines. Ni la misère ni la folie ne me semblent appar-tenir à "homme comme son lot inévitable. Et j'ai la conviction quel'intelligence, ta patience et l'éloquence peuvent, tôt ou tard, sous-traire le genre humain aux tortures qu'il s'impose à lui-même pourvuqu'il ne s'extermine pas entre-temps.Sur la base de cette foi, j'ai toujours eu un certain degré d'opti-

misme, bien que, tandis que je prenais de l'âge, l'optimisme se fîtplus modéré et l'heureux dénouement plus lointain. Je n'en restepas moins complètement incapable de donner raison à ceux quiadmettent l'idée fataliste que l'homme est né pour souffrir. Lescauses de malheur daM le passé et dans le présent ne sont pasdifficiles à préciser. Elles ont été la pauvreté, la peste et la famine,lesquelles étaient dues à l'insuffisante domination de la nature parl'homme. Il y a eu des guerres, des oppressions et des torturesqui résultaient de l'hostilité des hommes contre leurs semblables.Et puis, il y a eu des infortunes morbides engendrées par desombres croyances, plongeant les hommes dans de profondes dis-cordes internes qui rendaient vaine toute prospérité extérieure.Rien de tout cela n'est nécessaire.

En regard de tous ces maux on connaît les moyens par lesquelsils pourraient être éliminés. Dans le monde moderne si les commu-nautés sont malheureuses, c'est souvent parce qu'elles ont designorances, des coutumes, des croyances et des passions qui leursont plus chères que le bonheur ou que la vie même. Dans notreâge dangereux je vois beaucoup d'hommes qui semblent adorer lamisère et la mort, et qui s'irritent quand on leur suggère des ral-.sons d'espérer. Ils pensent que Fespoir est irrationnel et qu'encédant à un désespoir paresseux ils ne font qu'observer les faits.Mais la préservation. de l'espoir dans notre monde exige la mobili-sation de notre intelligence et de notre énergie. Chez ceux quidésespèrent il est fréquent que ce soit l'énergie qui manque.

La seconde moitié de ma vie a été vécue dans une de ces dou-loureuses époques de l'histoire humaine où la situation du mondese détériore, tandis que les victoires passées qui avaient semblédéfinitives se révèlent avoir été seulement temporaires. Quandj'étais jeune, l'optimisme victOrien allait de soi. On pensait que laliberté et la prospérité se répandraient graduellement dans lemonde entier par un'e évolution régulière, et l'on comptait que lacruauté, la tyrannie et l'injustice iraient constamment en diminuant.Rares étaient ceux qu'obsédait la crainte de guerres majeures.Rares étaient ceux qui regardaient le dix-neuvième siècle commeun bref intermède entre la barbarie du passé et celle de l'avenir.

, -ri; da'ls cette atmosphère, l'ajustement aumonde d'aujourd'hui s'est avéré malaisé. Malaisé non seulementaffectivement mais intellectuellement. Des idéelS que l'on avaitjugées adéquates se sont révélées inadéquates. Dans quelquesdomaines il est apparu difficile de préserver des libertés précieu-ses. Dans d'autres domaines. spécialement en ce qui concerne lesrapports entre les nations, des libertés autrefois estimées sontapparues comme de puissantes sources de catastrophes. De nou-velles pensées, de nouveaux espoirs, de nouvelles libertés et denouvelles restrictions à la liberté sont nécessaires si le mondedoit enfin sortir de son périlleux état actuel.Je ne prétends pas que ce que j'ai fait en ce qui concerne les

problèmes sociaux et politiques ait été de grande importance. Ilest relativement aisé d'exercer un immense effet à partir d'unévangile dogmatique et précis comme celui du communisme. Mais,pour ma part. je ne peux pas croire que ce dont l'humanité a besoinsoit ni précis ni dogmatique. Je ne peux croire davantage avec uneentière conviction en aucune doctrine partielle qui ne s'Intéressequ'à une fraction, à un aspect de la vie humaine.Il y a des gens qui tiennent que tout dépend des Institutions et

que de bonnes institutions amèneront immanquablement l'âge d'or.Et, d'un autre côté, il y a ceux qui croient que ce dont on a besoinc'est de changer d'âme et que, comparées à cela, les Institutions

cipaux épisodes de sa vie dansAutobiographie, dont deux to-mes ont été publiés en françaispar les Editions Stock. Un troi-sième tome (et dernier) vaincessamment paraître. Nous enavons extrait ce passage oùBertrand Russell jette un coupd'œil rétrospectif sur son exis-tence et le sens qu'il a voulului donner.

Bertrand Russell vient demourir,' au terme d'une vie lon-gue et d'une carrière glorieuse(mathématicien et philosophe,il a eu le Prix Nobel de Iitté-r.ature en 1950). C'est pourtant,grâce à ses prises de positionmorales et. politiques qu'il aconnu la célébrité des grandsnon-conformistes.Il a lui-même les prin-

La partie sérieuse de ma vie depuis mon enfance a été consa-crée à deux fins différentes qui, pendant longtemps, sont restéesséparées et qui ne se sont rejointes que· dans ces dernièresannées pour former un tout. J'ai voulu, d'une part, découvrirsi l'on pouvait réellement connaître quoi que ce fût; et, d'autrepart, j'ai voulu faire tout ce qui était possible afin de rendre lemonde plus heureux.Jusqu'à l'âge de trente-huit ans j'ai donné le plus clair de mes

forces à la première de ces tâches. J'étais perturbé par le scepti-cisme et porté malgré moi à la conclusion que la plus grande partiede ce qui passe pour connaissance est sujet au doute rationnel.J'avals besoin de certitude de la même mani.ère que d'autres ontbesoin de foi. Je pensais qu'il était plus vraisemblable de trouverla certitude dans les mathématiques. Mais je m'avisai que beau-coup de démonstrations mathématiques, que mes maîtres voulaientme faire admettre, étaient pleines de faussetés et que, si réelle-ment la vérité pouvait être découverte en ce domaine, cela devaitêtre dans une nouvelle espèce de mathématiques, avec des fon-ments plus solides que ceux que l'on avait jusqu'alors tenus pourcertains.Mais à mesure que mon travail avançait, il me rappelait constam·

ment la fable de l'éléphant et de la tortue. Ayant construit un élé·phant sur lequel pouvait reposer le monde mathématique, je merendais compte que cet éléphant chancelait et j'entreprenais deconstruire une tortue pour empêcher l'éléphant de tomber. Mais latortue ne tenait pas mieux que l'éléphant et, après quelque vingt ansde travail acharné, j'en venais à la conclusion que personnellement

Page 7: Quinzaine littéraire, numéro 90, févier 1970

.Dans quelle mesure ai-je réussi?

n'ont guère d'importance. Je ne puis accepter ni l'une ni l'autre deces vues. les institutions modèlent le caractère et le caractèremodifie les institutions. les deux sortes de réforme doivent allerde pair. Et si les individus doivent conserver ce degré d'initiative etde flexibilité qu'ils devraient avoir, ils ne doivent pas être coulésde force dans un seul moule rigide; ou, pour user d'une autremétaphore, mis tous au pas dans une seule armée. La diversité estessentielle en dépit du fait qu'elle exclut l'obédience de tous àun seul credo. Mais il est difficile de prêcher une telle doctrineparticulièrement en des temps ardus. Et peut-être ne peut-elledevenir efficace jusqu'à ce qu'une tragique expérience vienne nousdonner des leçons amères.

Mon travail approche de la fin et le temps est venu où je peuxen prendre une vue d'ensemble. Dans quelle mesure ai-je réussi etdans quelle mesure échoué? Depuis mon jeune âge il m'a sembléque j'étais destiné à des tâches grandes et difficiles. Il y a presquetrois quarts de siècle, marchant seul dans le Tiergarten à traversla neige qui fondait sous le soleil de mars froidement lumineux, jedécidai d'écrire deux séries de livres: les uns, abstraits, devenantde plus en plus concrets; les autres, concrets, devenant de plusen plus abstraits. les deux séries devaient être couronnées parune synthèse, combinant la théorie pure avec une philosophiesociale pratique. Sauf en ce qui concerne la synthèse, à laquelle jene suis pas encore parvenu, j'ai écrit ces deux sortes de livres. Ilsont été loués, voire encensés, et les pensées de beaucoup d'homomes et de femmes en ont été modifiées. En ce sens j'ai réussi..Mais en regard de cela il me faut mentionner deux sortes

d'échec, l'un extérieur, l'autre interne.Pour commencer par l'échec extérieur: le Tiergarten est devenu

un désert; la Brandenburger Tor, par laquelle j'y étais entré cematin de mars, est devenue la frontière entre deux empires hosti-les, qui se regardent mutuellement par-dessus une barrière et pré-parent sinistrement la destruction de l'humanité. Communistes,fascistes e, nazis ont successivement défié tout ce que je considé-rais comme bon, tandis qu'on s'efforçait de les vaincre, une grandepart de ce que leurs adversaires ont essayé de préserver est entrain de se perdre. On en est venu à tenir la liberté pour une fai-blesse, et l'on a forcé la tolérance à revêtir les apparences de latrahison. les anciennes formes d'idéal sont jugées inappropriées etaucune doctrine exempte de dureté ne commande plus le respect.

Traduit de l'anglais par Michel Berveiller

c Editions Stock.

est exempt de violence; permettre aux moments de réflexion derépandre la sagesse dans les temps où l'on se trouve en compa-gnie d'autres êtres. Collective : se représenter par l'imagination lasociété qui doit être créée, où les individus croissent librement etdans laquelle la cupidité et l'envie meurent parce qu'elles ne trou-vent plus d'aliment. En ces choses je garde ma fol, et toutes leshorreurs de ce monde ne l'ébranleront pas.

•vIeMa

Une bataille perpétuelle

L'échec intérieur, quoique de peu d'importance pour le monde,a fait de ma vie mentale une bataille perpétuelle. Je suis parti d'unecroyance plus ou moins religieuse en un monde éternel, platoni-cien, dans lequel les mathématiques brillaient d'une beauté compa-rable à celle des derniers « cantos • du Paradiso. Or j'en suis venuà la conclusion que le monde éternel est une futilité, et que lesmathématiques sont seulement l'art de dire la même chose en desmots différents. Je suis parti de la croyance que l'amour, libre etcourageux, pouvait conquérir le monde sans combat. J'en suis venuà donner mon soutien à une cruelle et terrible guerre. A ces égardsj'ai connu l'échec.Mais par delà cet échec si lourd, je suis conscient de quelque

chose que j'éprouve comme une victoire. Je peux m'être trompédans ma conception de la vérité théorique, mais je ne me suispas trompé en pensant qu'une telle chose existe et qu'elle méritequ'on s'y dévoue. J'ai pu supposer plus courte qu'elle ne s'avère,la route menant à un monde d'humains libres et heureux, mais jen'ai pas eu tort de penser qu'un tel monde est possible et quel'espoir de hâter son avènement rend la vie digne d'être vécue.J'ai vécu à la poursuite d'une vision, à la fois personnelle et collec-tive. Personnelle: aimer ce qui est noble, ce qui est beau, ce qui

parmitous les romansparus en 1969...

les lauréatsdes prix defin d'annéeont décernéle

PRIX HERMESà

l'AMAIEURDE CAFEd'EdouardMattéi

I.. Quinzaine littéraiJ'e, du 1" au 15 'IIUIl" 1970 T

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Le vrai visagePour ceux qui n'ont pas

connu Benjamin Péret à l'épo-que du surréalisme, les im-pressions se limitent souventà quelques épithètes vagues :un ultra, le plus fidèle et leplus intransigeant coéquipierde Breton, un homme droit,voire raide à force de droi-ture ; et l'impression généraleest que l'envergure du poètene correspond pas à la droi-ture de l'homme. Tout celaqui est bien vite dit se fondeSl,Ir peu de choses : trois ouquatre poèmes (. Mon avionen flammes mon château....)et un ou deux contes sanscesse repris dans les antholo-gies.

1Benjamin PéretŒuvres complètes. Tome 1.Eric Losfeld éd., 290 p.

I De derrière les fagotsJosé Corti éd., 134 p.

En si peu de texte on se faitde Péret une image d'Epinal,celle d'un poète jovial célébrantcomme Saint·Amant le fromage oule melon, et pour un peu l'ondirait le brave Péret comme onpouvait dire le bon gros Rabelaisou le bonhomme La Fontaineparce que lui aussi faisait parlerles andouilles à la barbe des papi-manes et des sorbonagres, parceque chez lui aussi le cercueil dumort écrasait le curé. Péretn'était pas un bon gros - pasplus, d'ailleurs, que les répon-dants évoqués ici.Quelques tentatives ont été fai-

tes pour montrer le vrai visagede Péret. D'une part celles de lavieille garde surréaliste, zéléesautant qu'agressives et sentimen-tales, tenant pour un tas d'idiotstous ceux qui n'aiment pas lapoésie de Péret autant que celui-ci aimait les artichauts. D'autrepart, celles des faiseurs de thèses.sérieusement penchés sur un do-cument du type « Heureux desavoir que votre mal aux dentsva mieux :. parce que cette ligneest signée Picabia. Or, même sile lecteur potentiel était touché,il lui manquait l'essentiel : au-cun recueil de poèmes de Péretn'était trouvable en librairie avant1969. A présent que plusieurs re-cueils ont été réédités et que sesœuvres complètes sont en coursde publication (1), les simplliica.tions et les déformations de na-

1

guère ne sont plus excusables :même (et surtout) si l'on n'aimepas la poésie de Péret, il faudras'en expliquer.Ses amis ont beaucoup insisté

sur le désintéressement de Péretet, assurément, il était bien peulittérateur. Si cette œuvre est mé-connue, c'est aussi que son au-teur la traitait lui-même avecdésinvolture. Péret ne posait pasau voyant; pour lui, être poètece n'était pas produire des poè-mes aux couleurs de l'avant-gardedu moment, manigancer une pu-blication et guetter quelque ap-probation. Le surréalisme répétaque « la main à la charrue :.valait bien « la main à la plume :.,et Péret fut l'un des hommes demain les plus constants et lesplus actifs du mouvement. Parconviction, par tempérament, par-fois aussi par nécessité, Péret ma·nia plus la charrue que la plume.Expulsé du Brésil pour ses acti·vités révolutionnaires, il fut l'undes rares poètes qui endossèrentl'uniforme dans les Brigades in·ternationales, avec un surréalistebelge, le poète communiste AchilleChavée (recommandons l'AchilleChavée d'André Miguel, Seghers).Au front ou diffusant les écritsde ses amis politiques, Péret pas-sa un an en Espagne. n en revintaussi pauvre, aussi modeste et en·thousiaste qu'avant, sans penserà en tirer la moindre gloire, sanspenser qu'il aurait pu placerpendant ce temps un recueilun éditeur pour n'avoir pas à lepublier à compte d'auteur (le ro·man Mort aux vaches et au champd'honneur, annoncé à diverses pé-riodes, attendit trente ans un édi-teur) .Péret ne voulait pas confondre

plume et charrue, ni donner àl'une le travail de l'autre; de là,quelques années plus tard, sa co-lère du Déshonneur des poètes(1945) : « sa qualité de poète enfait (du poète) un révolutionnairequi doit combattre sur tous lesterrains : celui de la poésie parles moyens propres à celle-ci etsur le terrain de raction socialesans jamais confondre les deuxchamps d'action sous peine de ré·tablir la confusion qu'il s'agit dedissiper et, par suite, de cesserd'être poète, c'est-à-clire révolu·tionnaire :.. Pour lui, les poètesrésistants avaient commis l'erreurd'engager leur poésie au servicede la patrie au lieu de se conten-ter de a'engager dans le maquis.

Son point de vue inconditionnelreste discutable, mais il n'empê-che que, la paix revenue, sa co·1ère était salutaire quand il dé·nonçait le retour de la religionet du nationalisme dans la poésie.Et celui qui estimerait que Pérets'est trompé là sur toute la lignedevrait encore reconnaître qu'ilavait acquis au cours de diversesincarcérations (en '1940, à Rennesnotamment) le droit de parler.n s'agit ici de Benjamin Péret,

et de lui seul. Jean Cocteau avaittort d'affirmer que Vive un teldoit s'accompagner de A bas untel. n ne s'agit pas de savoir sile poète est plus ou moins grandque tel ou tel autre, il faut le lirepour lui-même sans souci de men·surations. La poésie de Péret nerequiert aucune préparation in-tellectuelle mais, plus rare peut-être, une grande disponibilité,une ouverture adolescente à toutce qui est merveilleux et provo·cant :

La vieille valise la chaussetteet l'endive

se sont donné rendez-vousentre deux brins d'herbe

croissant sur un autel habitépar des tripes

Il en est résulté la créationd'une banque hypothécaire

qui prête des oignonspour recevoir des fauteuils

Et le monde continue.Un petit tas de sable par-ciUn ressort abandonné par là...

Le saugrenu, l'incongru Ilontparties intégrantes de l'œuvre,comme les passages gras chez Ra-belais; il faut en prendre sonparti ou laisser toute l'œuvre d'ecôté. Cette poésie n'est pas pourl'honnête·homme rassis, assis, as·sagi et par-dessus tout modéré ;cet honnête homme-là dont Péretdisait qu'il était « trop honnêtepour être vrai:. sait d'instinct quecette poésie est dirigée contre lui,il sait que ces rencontres fortui.tes finiront quelques pages plusloin par se tourner contre lui etles valeurs qu'il défend :

Le vieux chien et la puceataxique

se sont rencontrés sur letombeau du soldat inconnu

Le vieux chien puait rofficiercrevé

et la puce disaitSi ce n.'est plU malheureuxde .'accrocher des petites

merdes avec des rubansrouges sur la poitrine

Jadis les poireaux pourrisne rougissaient pascrêtre pourris...

(De derrière les fagots)

Ce n'est là qu'un des aspects del'œuvre; à trop vouloir la consi·dérer comme d'un seul tenant, onlui a trop souvent dénué une évo-lution pourtant évidente.Les premiers poèmes de Péret,

dans Le Passager du transatlanti·que (1921), furent composés enpleine période dada. Avant dada,ses futurs amis avaient déjà pu·blié en plaquette ou en revue :Tzara avait commencé par imiterLaforgue, Eluard les unanimistes,Breton avait mallarmisé... Lors-que le jeune Nantais arriva àParis au début de 1920, il fut in-troduit auprès des dadaïstes parMax Jacob ; sa connaissance de lapoésie moderne n'allait guère au-delà des symbolistes et de Mal-larmé. Très vite il se mit à lireApollinaire et Reverdy, mais aussides reoueils qui s'intitulaientUnique Eunuque, Vingt-cinq poè-mes, Aquarium, Mont de Piété,Feu de joie, Les Champs magné-tiques... Les poèmes du Passageraccusent l'impact de ces lectures :

Les œufs sont casséset le réveille·matin ne sonneplus

Veux-tu me dire pourquoitlt veux rester tranquilleAh ça ne me regarde pas et toinon plus...

Ici, l'influence est celle despoèmes-conversation d'Apollinaire,et l'on trouverait ailleurs dans lerecueil celle de Reverdy ou desdadaïstes de peu ses aînés, notam·ment Philippe Soupault. C'est

(1) Le Tome 1 contient Le p_&eTdu tranMltlantique, Immortelle maladie.Dormir, dormir dons le& pieTTU, Le Grandjeu, Je ne mange [KU de ce pain-là,Poèmes inédits; le Tome II, prévu polirjuin, sera très attendu. Nous nOU8 réfé·rons en outre aux éditions suivantes : Jesublime (Ed. Surréalistes, 1936). Dernie,malheur, dernière chance (Fontaine, 1946).Un point c'ut tout (Les QuatJ'e Venta,N° 4, 1946), Air mexicain (Arcanes,1952), Le Gi&ol, sa vie, son œuvre (Ter.rain vague, 1957), Le DUMnFU!ur dapoètes (Rééd. Pauvert, 1965), Mort auxvaches... (Rééd. Losfeld, 1967); AndréBreton (La Bâconnière, 1949) contientToute une vie. Ouvrages anne7.e8 : Ben·jamin Péret, par J.-L. Bédouin (Se«bers,1962), Achille CMvée, par André Miguel(Se«bera, 1969); l'Andwlop de l'hu-lIlOur IIDÜ' et l'Amholop du noruerueIOnt publiées cha Pauvert; et Le Miroird" rraeTI1eillewc aus Ed. de Minuit.

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de Péret

Portrait de Benjamin Péret, par André M8880n.

d'ailleurs Soupault qui, dans Lit-térature, fut le seul à saluer LePassager d'un 19 sur 20. De cetteépoque date aussi certaine chan·son que l'on retrouvera dansMort aux vaches (La dame est surla tour / la tour est ivre commeun bœuf... ) et qui est un pastichede Max Jacob.Après dada, Péret va s'engager

dans de nouvelles voies, écritureautomatique ou sommeil médium-nique... Encouragé, peut-être, parl'exemple d'Eluard, dans Immor-telle maladie (1924), on le voitd;abord tenté par le poétique(Maintenant partons pour la mai·son des algues... / ô mon amie machère peur). Le long poème Dor-mir, dormir dans les pierres(1927) est certainement l'un desplus beaux poèmes lyriques quenous ait donnés le surréalisme

Souffle ô corne un azursombre et verbalLe printemps est maladed'un cerisier nouveau

d'un cerisier pleinde fruits miroitants

où sombrent des cilsde porcelaine

comme un regard dans un jetd'eau...

Ce n'est pas le Péret aux ima·ges fébriles et déconcertantes ; on

même ici un écho symbo-. liste et mallarméen. Malgré leursmots dépaysants (de paysan ?), les·alexandrins ne sont pas raresdans Dormir, dormir (Et les tau-pes de ma sœur gardent leur se-cret). Il faudra attendre Derniermalheur dernière. chance, écrit auMexique durant lit guerre, pourretrouver un poème d'une telleampleur.Entre les deux guerres mondia-

les, Péret écrivit aussI plusieursrecueils de contes. Les contes dePéret sont encore plus méconnusque les poèmes (II. Il Y a descontes à écrire pour les grandespersonnes, des contes encorepresque bleus disait le premierManifeste du surréalisme). Unepartie de ces contes nous plongedans un fantastique féérique,ainsi A hauteur de rêve quePierre Mabille reprit dans sonMiroir du merveilleux: « Je lon-geai la rive du lac, admirant la-luxuriante végétation de fuméefleurie d'agates et de cheveluresde femmes ... Le lecteur, entraî-né par le conteur, pourra boirede la liqueur d'orage ou du lait

.. i

'}Il

de rosée. Il existe une autre caté-gorie de contes non moins impor-tante qu'il faut bien qualifier dedrôlatiques ; c'est à juste titre queRobert Benayoun leur a fait unebonne place dans son Anthologiedu nonsense. Extraordinaire dé-railleur de mots, Péret excelle àles faire aller là où ils n'étaientpas prévus; avec lui, une séanceà la Chambre (dans Mort aux va-ches) devient une suite de dis-cours proprement désopilants.Dans Les parasites voyagent,choisi pour l'Anthologie de fhu-mour noir, Péret en vient à créerun véritable argot : « J'avaisreçu un ferreux (1) sur le rond(2) et je glissais dans le blanc (3),lorsque je sentis qu'on me serraitles tiges (4) ... :& Un glossaire estnécessaire pour suivre cette his-toire farfelue : « (1) Ferreux :éclat d'obus, (2) Rond : tête,(3) Glisser dans le blanc : s'éva-

..

:... .. '..i1,

nouir, (4) Serrer les tiges : pren-dre par les membres ».La veine nonsensique des contes

se retrouve fréquemment dans lespoèmes du Grand Jeu (1928) ouDe derrière les fagots (1934) ,mais des poèmes graves sont tou-jours présents dans les recueils;on voudrait citer tout Pieds etpoings liés :

Quand je serai le chevalde pierre

debout devant f éternitéje demanderai aux divinitésdes plantes

le manteau de pluiesindispensable aux voyageurséternels

Aujourd'hui je suisdans le puits glacé...

(Le Grand jeu)

L'année 1936 voit paraître deuxrecueils dissemblables : Je su-

blime et Je ne mange pas de cepain-là. Le premier est constituéde poèmes d'amour souvent cités,et l'on pourrait dire de l'autrequ'il ne contient que des poèmesde haine. Je ne mange pas estune œuvre extrêmement impor-tante dont les poèmes, tous pu-bliés en revue de 1926 à 1930,ont une violence qui étonne. L'in-sulte, l'injure, la scatologie quis'y accumulent atteignent une ra-geuse grandeur :

Cardinal Mercier à chevalsur un agent

je t'ai vu f autre jour semblableà une poubelle

débordante d'hostiesCardinal Mercier tu sens dieucomme f étable le fumier

et comme le fumier Jésus...

On y trouve encore l'Hymnedes anciens combattants patriote.ou la Vie de f assassin Foch :

Un jour d'une mare de purinune bulle monta

et crevaA f odeur le père reconnutCe sera un fameux assassinMorveux crasseux le cloportegrandit...

Il eut tout ce qu'on faitde mieux dans le genre

des dégueulis bilieuxde médaille militaire

et la vinasse nauséabondede la légion d'honneur...

Décidément, Benjamin Péretl'indésirable ne prendra jamaisplace dans les manuels de littéra-ture ou de textes choisis.La guerre et l'exil dont il ne

revint qu'en 1948 amenèrent unenouvelle phase dans la poésie dePéret. Les œuvres de cette époqueoffrent moins de violences verba-les. La voix du poète s'est faiteplus grave et une émotion conte-nue sourd sous le lyrisme auto-matique. On voudrait citer toutela quatrième partie du long poèmeDernier malheur dernière chance(1946) ou les poèmes d'amour deUn point c'est tout (1947) :

Je voudrais te parler cri,talfêlé hurlant comme un chiendans une nuit de drapsbattants

comme un bateau démâtéque la mousse de la mercommence d'envahir

où le chat miaule parce quetous les rats sont partis

La Quinzaine littéraire, du 1'" au 15 mars 1970 9

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Péret Borges

Jorge Luis BorgesEvaristo Carriegotraduit par F. M. RossetEd. du Seuil, 160 p.

Je voudrai! te parler commeun arbre renver!é par latempête...

Au moment où André Bretoncompose l'Ode à Charle! Fourieret Fata Morgana, on note simul-tanément chez Péret un souci defaire fluer un discours suivi avecle poème, ainsi dans Air mexicainseulement publié en 1952. Le poè.me Toute une vie (1949) parut dansun livre consacré à André Breton ;exceptionnellement, et sans douteparce qu'il s'adresse à son ami,Péret, qui a toujours écarté deses poèmes toute allusion à sapropre vie, y a laissé apparaîtrequelques souvenirs ou traits bio-graphiques. En évoquant leurlutte commune, Péret retrouvealors la véhémence de Je nemange pa!:

Il serait inutile de parler de lavérité !i f on ne lui avait tantcraché au vi!age

que !on regard en étoile polaireobstinée à marquer le la

s'est aujourd'hui effacé commeune ville ra!ée par le! barba-re! que déjà la brousse en-vahit

Il! font même livrée à toU! lesappétit! de la troupe

Je nomme ici la tourbe de la!teppe comme la pègre encostume de gratte-ciel

le chevalier de! menottesle rampant à moustachesd'épaulettes...

Euphémismes, métaphores, peuimporte; les mots sont transpa-rents.Quelques mois après sa mort,

en 1959, reparaissait le texte quel-que peu remanié de La Paroleest à Péret où il définissait lepoète et concluait : « Pour lui iln'y a aucun placement de père defamille mai! le risque et f aven-ture indéfiniment renouvelés.C'est à ce prix !eulement qu'ilpeut se dire poète et prétendreprendre une place légitime à f ex-trême pointe du mouvement cul-turel, là où il n'y a à recevoir nilouanges ni laurien, mais à frap-per de toutes se! forces pourabattre les barrières sans cesse'renaissantes de f habitude et dela routine C'est sans doute là letestament d'un poète qui, de ceuxqui ont combattu pour la causede la poésie, fut l'un des plus au·thentiques.

Serge Fauchereau

10

Il est né en 1899 à Buenos-Aires et c'est à Buenos·Airesqu'on peut le rencontrer, en1970, grand et lourd. un peugauche avec sa canne blan-che d'aveugle. Entre ces deuxdates, peu de péripéties. Il aété étudiant en Suisse. de1914 à 1919. poète à Madridpuis bibliothécaire de sa villenatale. JI aime les sabliers, lesplanisphères, la typographiedu XVIIIe, le goût du café et laprose de Stevenson. JI s'ap·pelle Jorge Luis Borges et ilfait son entrée, bien tardive,dans la collection Ecrivainsde toujours.

lE. R. MonegalBorges par lui-même« Ecrivains de toujours »Ed. du Seuil

1Jorge Luis BorgesA. Bioy CasaresChroniques de Busto! Domecqtraduit par F.M. RossetLes Lettres NouvellesDenoël éd., 160 p.

A force de pratiquer les contesde Borges, le soupçon nous avaitgagné que leur auteur n'étaitqu'une idée égarée dans le laby-rinthe des mots, une phrase luede l'autre côté du miroir, uneaporie aussi perverse que l'espacedont sont éternellement séparéesla flèche d'Achille et la tortuede Zénon. Il faut dire adieu à cesfantaisies. Borges n'est pas seule-ment une notule, un errata ou unetcœtera dans les marges de lalittérature universelle. L'hommedont nous parle Monegal est unArgentin qui adore les chevauxde la pampa et la mélancolie dutango, non l'un de ces écrivainsimaginaires qui grouillent dansl'œuvre de Borges et qui résident,entre l'aleph el l'omega, dans labibliothèque de Babel.

Naissance, donc, à Buenos·Ai-res. Enfance parmi les livres an-glais de son père. Traduction duPrince heureux, d'Oscar Wilde,à neuf ans. Lecture de Tartarinde Tarascon en Suisse. Poésie. En1938, un accident lui ouvre lecrâne, il manque de mourir, s'af-fole. Est·ce que sa cervelle va

fonctionner comme avant? Danssa terreur, il invente une ruse :au lieu d'écrire de nouveaux poè-mes, il va s'essayer au conte. S'iléchoue, cela ne signifiera pas queson accident l'a rendu idiot. Ilen concluera seulement que leconte n'est pas son fort. On saitla suite et que ce trou dans Jecrâne a fabriqué l'un des grandsconteurs de ce temps.Aujourd'hui, trente ans après,

Borges n'est plus tout à fait dansBorges. Le s mythes qu'il acrées sont des vagabonds, ilstranshument, ils ne tiennent pasen place et se faufilent de cervelleen cervelle. Ce disciple exaspéréde Berkeley nous a enseigné quela personnalité n'existe pas, quel'auteur et son lecteur se confon-dent et que chaque homme estShakespeare. On dirait que la lit-térature l'a pris au mot. Ses pen-sées se baladent en tous lieux,dans les taxinomies de MichelFoucault, dans les films de RobbeGrillet, dans la critique moderne,Jans tous les jeunes gens quis'échinent à raconter l'histoired'un écrivain en train d'écrire letexte que nous sommes en trainde lire. Cet effet de boomerangobéit à Borges. L'œuvre de celui-ci se présente comme une glosesur la littérature. Il empile desmonceaux de vieux livres pourédifier les livres les plus neufs dumonde. Voici que le cercle se re-ferme. Borges devient à son tourle matériau de la littérature desautres.Parler d'un tel esprit, à la fois

sans limite et d'une précision decristal, capricieux et gouverné,humoristique et désespéré, cham-pion du vertige métaphysique, dela « mise en abyme », de la logi-que fausse et de la référence tru-quée n'est pas une besogne com-mode. Beaucoup s'y sont em-ployé avec compétence mais,dans leurs études savantes, oùdonc était passée la grâce dévasta-trice de l'Argentin? Le livre quelui consacre aujourd'hui Monegalest peut-être moins brillant qued'autres mais il se signale pardeux avantages.Le premier est sa modestie.

Monegal suit Borges, pas à pas,dans sa vie et dans son œuvre. Ilne l'utilise pas comme un trem-plin pour ses propres acrobaties,mais se soucie d'en faire une hon-nête lecture. Et s'il ne peut explo-rer toutes les étoiles de la constel-lation borgésienne, du moins, si-

gnale-t-il, leurs passages dans sestélescopes. On connaît le nom deces étoiles - le miroir et le laby-rinthe, le tigre et le fleuve, la flè-che, l'épée, le double, le cerde,la loterie, le temps et ses illusions,Dieu et son absence, la personna-lité et ses hypothèses, le futur, lepassé, le présent... Monegal déeritchaque étoile, les situe les unespar rapport aux autres, donne uneidée du système qui fonctionnedans cette œuvre et, si sa descrip-tion n'est pas parfaite, on ne luien tiendra pas rigueur, c'est quela configuration est inextricable.Monegal a un autre avantage.

Il n'oublie jamais que Borges estun écrivain argentin et cela estnouveau. L'habitude a été prise,en France, de tenir Borges pourune erreur de la géographie etd'en faire un Londonien, un Pui-sien et un Persan en même temps,c'est-à-dire un homme de nullepart. Rien de plus inexact. Borgesest aussi lié à Buenos-Aires queJoyce le fut à Dublin ou Faulknerau Mississipi. Son cosmopolitismeest celui de sa ville natale. Ilexiste deux Borges, irréconcilia-bles au premier regard : l'un estun habitant de Buenos-Aires,amoureux des apaches et des fau-bourgs, des refrains de la milongaet des duels au couteaux. L'autreest un théologien dépravé, un phi-losophe un peu dément, un méta-physicien farceur.De ces deux registres de Borges,

l'édition française nous proposeaujourd'hui l'illustration. Deuxouvrages inédits sont publiés.L'un qui date de 1930, parle deBuenos-Aires. L'autre, écrit en1966, est une sur desécrivains qui n'existent pas.De Buenos-Aires, Borges nous

entretient, grâce à Evaristo Car-riego. Nous ne connaissons pasCarriego. Ce poète local ressembleà un compositeur de tangos plu-tôt qu'à Dante et l'on songe à unefarce : imagine·t-on un livre deMaurice Blanchot sur Jean Du-tourd ou sur Paul Guth? Or, cen'est pas une farce. Comme beau-coup de grands esprits, Borges ades goûts déconcertants, il donne-rait toute la poésie française pourun quatrain de Paul·Jean Toulet.Il aime vraiment Carriego. Ausurplus, le très jeune Borges a étéfasciné par Carriego qui était unami de son père et J orge Luis vou-drait être le Platon de ce minus-cule Socrate sud·américain. Le li-vre est donc sincère. Borges, pour

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et le temps

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éditionsflammarion

Gilles Lapouge.

L'Eterael Retour

Si le temps dessine vraimentune ligne cyclique, les notionsde l'avant· et de l'après sontdes notions en ruine et l'ex-trême avant-garde rejoint l'abso-lu retard. On expliquera ainsique la répétition maniaque del'ancien à laquelle se complaîtBorges tolère et appelle l'inven-tion d'une littérature qui n'a pasencore accédé à l'être. Et com-ment s'étonner, dès lors, que cetteŒuvre, incessamment envahie parle passé, allume ses feux très enavant du point du cerCle où lalittérature, et peut-être l'histoire,ont l'illusoire conviction d'êtreparvenues.

sibles, les lettres de l'alphabet,n'est-ce pas en effet le propos ra-dical de l'écrivain, étant bien clairqu'une fois épuisées, les combi-naisons logiques des vingt-six let-tres, toute la littérature aura étéaccomplie et, de surcroît, toutel'histoire du monde ?

Ces considérations établissentBorges dans une durée assez inso-lite. Toute l'œuvre de l'Argentinest obsédée par le problème dutemps, il y revient avec constan-ce et c'est sa torture intime. Il e.na traité dans toutes ses œuvres,par l'aporie de Zénon, par les di-vagations des gnostiques, par desgloses sur Léon Bloy, par des nou-velles réalistes comme EmmflZunz. Tour à tour, le temps a étédécrit comme illusoire ou atroce,déchiqueté, multiple ou implaca-ble mais le plus fréquemment letemps de Borges obéit au mouve-ment circulaire de l'Eternel re-tour.

Cette notion flotte dans lesmarges des Chroniques. Elle sug-gère que les écrivains imaginairesdont Borges fait son miel ne soutpas du tout imaginaires. Ils ne lesont pas davantage que Shakes-peare, Goethe ou Mallarmé. Ladifférence est que la combinaisonalphabétique qui organise leursnoms et leurs œuvres n'est pasencore sortie à la de Babel.Mais, dans l'infini du temps, leurchance adviendra, toutes les com-binaisons langagières se réalise-ront, toute parole sera proférée.Un jour, les vingt-six lettres pro-duiront les œuvres. de néant queBorges analyse en 1960.

grès. Il vitupère tout ce qui chan-ge. Ces choses là ne !lont pas poursurprendre. Borges est sourd auxrumeurs de son temps et la jeunegénération d'écrivains argentinsest justifiée de lui en faire re-proche. Il est aussi conservateuren art qu'en politique : « L'in-comcient, nous disait-il, voiciquelques années, fincomcient?Ah, oui, je voi" de mon temp"on appelait ça la mwe •.Seulement, Borges est aussi le

contraire de Borges. La seule exis-tence de cet ouvrage l'atteste.N'est-ce pas se situer à la pointede l'avant-garde que d'écrire lacritique d'une littérature quin'existe pas? Critique du rien,critique du néant, du vide et del'impensé, on soupçonne que celivre est porteur de vertiges plusraffinés.Il convient, pour les reconnaî-

tre, de lire les Chronique, deBwto, Domecq à la lumière desautres ouvrages de Borges. Noussongeons à ces deux textes brefset fondamentaux que sont laBibliothèque de Babel et PierreMénard, auteur du Quichotte. Lerapprochement est légitime carles Chronique, de Bwto, Do-mecq, c'est la paraphrase descontes anciens que nous venons deciter - et on sait que pour Bor-ges, toute la littérature n'est quela paraphrase de quelques imagesou de quelques symboles.Rappelons l'argument de Pierre

Ménard, auteur du Quichotte. Cetécrivain français, né dans la têtede Borges, s'applique à réécrirele Quichotte. Après des années delabeur, il réussit à rédiger un ra-ragraphe rigoureusement identi-que à l'un des paragraphes duQuichotte. Cet exploit peu com-mun permet à Borges d'offrir undouble commentaire de ces deuxtextes qui sont identiques maisdont les sens divergent du seulfait que le second n'est pas le pre-mier. Texte de génie dont lesChronique, de Bwtos Domecq,publiées aujourd'hui, renouvel-lent la veine avec bonheur.Quel est donc l'objet de ces fa-

céties ? La Bibliothèque de Babel,autre conte ancien, nous proposeune hypothèse. Borges a toujoursété hanté par le mythe d'une bi-bliothèque totale, une bibliothè-que abritant tous les livres qu'onpeut composer en combinant lesvingt-six lettres de l'alphabet.Cette idée est réaliste: entrelacer,selon toutes les configurations pos-

Cette idée nous servira de re-lais pour aborder l'autre ouvragede Borges, ces Chronique, deBwtos Domecq qu'il a ourdiesavec son vieux complice, A. BioyCasares. Les deux compères ontécrit une vingtaine de textes surdes écrivains ou des peintres quin'existent pas. Le divertissementest exquis. Chacune des têtes fic-tives qu'ils massacrent, masqueune tête vivante. Ce livre est unsuperbe feu de joie dans lequelgrésillent et grimacent tous lesécrivains «modernistes.. Quine mettrait un nom - beaucoupde noms, les écrivains sont sinombreux désormais qu'ils pullu-lent sur chaque trouvaille - der-rière ce Ramon Bonavena dontl'œuvre complète, Nord - Nord-Oue,t décrit en six tomes l'anglenord-nord-ouest de sa table detravail avec son cendrier et soncrayon à deux pointes? Et qui neconnaît le peintre Tafas qui peintdes tableaux réalistes pour les re-couvrir ensuite de cirage noir, secontraignant ainsi à calculer sesprix sur le tableau effacé, puis-que les œuvres achevées, touteségalement noires, sont identiques?Ce livre forme une meurtrière

machine de guerre dont les ca-nons sont braqués contre l'avant-garde. L'homme qui l'a écrit estun réactionnaire fieffé, un pas-séiste, un vieillard attaché à sajeunesse, incapable d'évoluer. Ildéteste toute novation et tout pro-

une fois, parle avec son cœur. Iltrouve de vrais mots de tendressepour évoquer la Buenos-Aires dudébut du siècle, ses faubourgs defleurs et de poussière, ses guitareset ses grilles, ses jeux de cartes,ses bordels, ses prostituées, sesgauchos. Tout le passage est admi-rable.Mais rien n'est simple avec

Borges. Le livre sur Carriego abeau être sincère, il possède undouble fond. Borges n'a pu éviterde prendre possession de l'hum-ble Carriego. Il l'investit, le dévo-re, le détruit, il le recompose etvoici le poète des tangos projetéparmi les étoiles folles du systèmeborgésien. Cet infime écrivain réeldevient un immense écrivain ima-ginaire. Une place lui est assignéedans cette vaste littérature deslimbes que Borges s'est donné àtâche d'inventorier.

Buno. Domeoq

La Quinzaine littéraire, du J*' au 15 mara 197tJ 11

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8BCRBT

ui est-ce?Pierre Bourgeade a rencontré un certain

nombre d'écrivains à qui il a posé desquestions inusitées. Elles ne se rappor-tent ni à leur vie ni à leur œuvre, maisà ce qu'ils ont en eux de caché, de secret,d'imaginaire, ce qu'en somme, ils ont faitpasser dans leurs ouvrages, sans toujoursen être conscients, et qU'ils n'auraient pastoujours envie de révéler.Il y avait là. pour la Quinzaine littéraire,

la possibilité d'un jeu. Qui est l'écrivainrencontré par Pierre Bourgeade?Les lecteurs qui nous envoient une ré-

ponse juste, dans le délai d'un mois,bénéficient d'un abonnement de troismois (ou, s'ils sont abonnés, voient leurabonnement prolongé de trois mois). Ceuxqui auront découvert tous les écrivainsinterrogés (ou presque tous) recevrontde la Quinzaine littéraire un cadeau.

Les écrivains interrogés jusqu'à présentétaient François Mauriac, André Pieyre deMandiargues, J.M.G. Le Clézio. NathalieSarraute. Eugène Ionesco, Pierre Klossow-ski, Raymond Queneau. Marguerite Duras,Claude Roy, Joyce Mansour.

Qui répond aujourd'hui aux questions dePierre Bourgeade?

Pierre BOURGEADE Bonjour,Monsieur. Que signifie cettearmée d'ombres derrière VOlIS?

X. Tiens, elle est donc sivisible? Certes, ces ombres, jene les sens pas exsangues, maisje leur en veux d'apparaître ainsiau grand jour, au premier re-gard, et j'espérais mieux réussirà les cacher. Vous avez dit :armée; auriez-vous dit aussibien: cortège, ou : escorte, oubien, comme il m'arrive, avez-vous le sentiment que je soisleur prisonnier? Quelle foule!De morts, de vivants, d'êtresque je n'ai croisés peut-êtrequ'une seule fois dans ma vie:un filet, ma mémoire, un cha-lut! je suis de ceux qui nesavent rien oublier.Et il n'y a pas que des êtres

que j'ai connus et aimés : unegrand-mère, des amis, des vi-sages de femmes, il y a deslieux, maisons d'enfance ou devacances, chambres, paysages,il y a des objets, aussi vivantset aussi tyranniques qu'eux, ily a des personnages de fiction,des écrivains, ,des poètes, Ner-val et Baudelaire en particulier,je n'arrête pas de leur parler.Je m'enfonce avec eux dans desgaleries sans fin et sans fond,à la rencontre de je ne sais quoi,de ie ne sais quelle obscureorigine peut-être, comme si, àtravers cette ft chaîne desaïeux» qui, justement, obsédaitsi fort Nerval, j'allais pouvoir re-monter jusqu'aux commence-ments du monde - ou buter,seulement, sur ce fantôme éva-nescent que je crois parfoispouvoir prendre pour moi-même...

P.B. Ces ombres, qui vousaccompagnent dans la vie,vous accompagnent-elles dansvos rêves?

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X. Non, en rêve je n'en ai'croisé et reconnu qu'une oudeux peut-être en des années.Vous allez me dire que c'estsans doute que les autres n'ap-paraissaient la nuit que dégui-sées. Mais c'est aussi que mavie onirique est d'une conster-nante indigence. Longtemps,j'ai été persuadé que je nerêvais pas, et je pourrais l'êtreencore si je ne savais que toutle monde rêve, rêve chaque nuit,et même à des moments bienprécis du sommeil que l'obser-vateur peut parfaitement repé-rer. Seulement, moi, dès le ré-veil, plus rien, pas même, la plu-part du temps, la confuse im-pression d'avoir rêvé et l'irrita-tion que l'on éprouve à tentervainement de se souvenir. Est-ce que je les censurais, commeon dit, ces rêves, ou bien aucontraire accomplissaient - ilsdiscrètement leur fonction d'an-ges gardiens du sommeil,me .cet ange gardien de monenfance qui avait toujours foutule camp au moment où, me rap-pelant brusquement sa problé-matique existence, j'aurais bienvoulu, au moins une seconde,l'apercevoir, ne serait-ce quepour lui conseiller de me sur-veiller un peu mieux...Non, vraiment, jusqu'à ces

toutes dernières années, je neme suis guère intéressé à mesrêves, si rares, si pauvres. Si jefaisais le compte des rêves quim'ont assez frappé pour que jesonge à les noter, le crois bienque j'arriverais difficilement àla douzaine, pour toute la duréed'une vie déjà assez longue.Tout de même, vous le voyez,j'en ai noté quelques-uns. Ré-cemment. Deux ou trois, en par-ticulier, que je fis presque coupsur coup. A ce moment, j'avaismême naïvement espéré quej'allais me mettre, moi aussi, àavoir des rêves plus nombreux

et plus riches. Comme cesamis qui me racontaient lesleurs, éblouissants, qui les inter-prétaient, les commentaient. Çadevait me vexer de faire auprèsd'eux si piètre figure. L'envie,l'exemple, c'est ça peut-être quiavait incité ces quelques rêvesà sortir de l'ombre.Elles n'ont guère continué, les

visitations nocturnes. A peineassez pour m'en donner unevague nostalgie. Pour m'inciterà moins négliger cette faceobscure de ma vie : les longuesheures que je passe, ligoté, dansles nasses closes du sommeil(mais peut-être, après tout,n'est-elle pas là, cette face obs-cure et qui continue à se déro-ber : avec toutes ces ombres,déjà, tout le jour...). Assez, toutde même, pour m'inciter à ébau-cher une Petite Histoire demes rêves.

P.B. Pouvez-vous me racon-ter un rêve que vous ne vousapprêtez pas à raconter?

X. Je voudrais bien, maispensez à cette Petite Histoirede mes rêves! J'arrive à peineà la douzaine, je vous l'ai dit,et comment le remplacer, cerêve ? Je ne peux pas compteren faire un autre la nuit pro-chaine, ni avant des semaines,des mois peut-être... Et puis, cene sont pas des histoires, mesrêves; rien du film d'aventures;aucune intrigue, absurde ou co-hérente, ne les noue et les dé-noue. Ce sont des rêves stati-ques, tous, ou presque tous, oudu moins il ne m'en reste auréveil qu'une image, une seule,fixe, immobile.

P.B. Votre vie rêvée se situedonc avant l'invention du ciné-ma ? Vous rêvez en daguerréo-types?

X. Ce n'est pas faute pour-tant d'en avoir vu, des films, desmuets, dans ma petite enfance,des parlants. Mais je parleraisplutôt de lanterne magique : lesdaguerréotypes, il me semble,- il y en a deux au trois dansce cortège d'ombres dont nousparlions - ne sont pas en cou-leur: presque toutes mes ima-ges nocturnes sont en couleur_

P.B. Parlent - elles? Vousoffrez-vous un spectacle • par-Iant »?

X. A cause du cinéma muet,ou de la lanterne magique?Non, c'est d'images muettesqu'il s'agit, ou alors le réveilconfisque aussitôt les paroles.Car je parle la nuit, je le sais,on me l'a dit, nouvelle preuveque je rêve bien plus que jen'en garde ou n'en veux gardermémoire, que je rêve depuistoujours. Il m'arrive, on me l'adit aussi, de parler, parfois decrier, dans des langues étran-gères, et jusque dans des lan-gues inventées. Aucun son, ce-pendant, ne reste accroché àces images immobiles qui sur-nagent. Pas plus, si j'y songe,avez-vous fait la même consta-tation ? que les paroles ne sur-vivent à la plupart des imagesde la mémoire. Comme dans lesfilms muets, je vois bouger leslèvres de certains êtres que jerevois avec la plus grande pré-cision : la plupart des motsqu'ils prononçaient ont sombré.J'ai cinquante images de ma

grand-mère, de la vieille bonnede mon enfance : je n'entendsplus leur voix, je ne saurais plusreconnaître leur accent ni leursinflexions. Les images sont làtoujours, aussi nettes, aussivivantes : je ne me rappelle pasen tout dix de leurs phrases.Est-ce à cause de la banalité detant de nos propos? Mais je me

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La chaîne des aïeuxLes images DluettesLa Mort du Loup

rappelle des amis qui m'éblouis-saient. Je les revois pareille-ment, j'al pareillement toutoublié, ou presque, de ce qu'Usdisaient : l'Image et le souvenirde l'éblouissement ont seulssurvécu à ce qui me paraissaitl'inoubliable.Et d'une femme almée, de

l'inoubliable début d'un amour,que nous rappelons-nous? Sespremiers mots, le consentementou l'aveu? Pour mol du moins,Il me semble que c'est l'Image,le souvenir d'un contact, unebouche, des traits, un regard :là encore, presque toujours, lesmots ont fui. C'est curieux, pourun écrivain. A moins que ce nesoit, ces mots, pour me permet-tre de les inventer...

P.B. Y a-t-il eu, quand vousétiez enfant ou adolescent, unephrase qui a provoqué en vousun choc tel que vous vous êtesdit en la lisant : Moi aussi jeserai écrivain; mol aussi j'écri-rai des phrases?

X. Non, pas une seule phra-se. Mals des œuvres, oui, despoèmes.

P.B. Ouels poèmes?

X. Il y en a un, en particu-11er: la Mort du Loup.

P.B. Ouel loup?

X. Le loup de Vigny, quiétait un loup-cervier, d'ailleurs,un lynx.

P.B. Pourquoi celui-là?

X. Eh bien, ce poeme me fas-cinait d'une double fascination.Comme beaucoup d'autres versque j'aimais, tout petit, à lireà ml-volx ou à me réciter sansen rien « comprendre -, sanschercher ni même soupçonneren eux un sens Intelligible, dé-détachable en quelque sorte dela forme rythmique qui seulem'enchantait, il était pour molpure délectation. Comme le ré-cit de la mort d'Hector dansAndromaque, lu dans de vieuxMorceaux choisis. Comme cer-taines contes en vers, Griséli-dis, par exemple, à quoi Je n'en-tendais goutte. Je suppose quec'est la musique de la poésieà quoi j'étals uniquement sen-sible, et aussi, comment dire, àcette espèce de décalage que je

sentais entre la langue d'unlivre en prose, Gull/ver ou lacomtesse de Ségur, et la languehiératique, quasi sacrée, desvers.C'est cette forme mysté-

rieuse, exaltante, aux JfOuvoirsdécuplés, cette incantation queje . tentai, très tôt, d'imiter :pendant des années, je me suiscru, je me suis voulu poète, jeme suis égaré là, parce que çame paraissait plus beau d'êtrepoète, de « chanter - : la proseme paraissait ramper. Moi nonplus, même enfant, je ne merésignais pas à ce que les mar-quises (ou les femmes de mé-nage) pussent sortir à cinq heu-res. Pou r moi, les poètesétaient des dieux, pas les ro-manciers, pas les écrivains : ilsn'écrivaient, eux, que des « his-toires -; être dieu, il me sem-blait que je ne pouvais guèreaspirer à moins! Mais, dans laMort du Loup, il y avait autrechose, une autre sorte de fas-cination : j'étais, pour la pre-mière fois, sensible à une mo-rale, exalté par elle; j'admiraisce loup qui souHrait et mouraitsans parler.

P.B. La forme alexandrine etla morale stoïque?

X. De l'une et de l'autre, entout cas, j'ai eu beaucoup demal à me remettre. J'ai été long-temps victime de mes admira-tions enfantines, voilà. Pourressembler à ce sacré loup quimourait à la fois en alexandrinset en silence, je me suis, pen-dant des années, trompé surmoi-même, fourvoyé... C'est V.léry qui a dit : «Ce que nouspensons nous cache ce quenous sommes -? Ah oui, ça,sûrement!

P.B. Je remarque que vousn'avez pas été influencé parcette morale stoïque au pointde mourir sans parler?

X. Il vous faudra venir àmon dernier moment pour vousen assurer.

P.B. Dites-moi quand c'est,et je viendrai.

X. Je voudrais bien avol>encore un peu parlé avantc'est-à-dire: écrit.

P.B. Oui êtes-vous?

L'écrivain avec qui s'est entretenu Pierre Bourgeade dans notre numérodu 1er février était Georges Perec. Aucun de nos lecteurs n'a reconnu l'auteurdes Choses, de la Disparition et du feuilleton que nous publions actuellement.

Pierre Bourgeade nous fait remarquer que les questions avaient été choisiesdans les ouvrages suivants : Beckett, Fln de partie; Miller : Sexus; Michaux :l'Espace du cIecIans; Borges : Discussion; Genet : Miracle de la ros••, Les réponses de Georges Perec suivaient les règles d'un code. Bref, nos

deux amis se sont au moins bien amusés.

Avec l'entretien publié dans ce numéro notre Jeu se termine.

Dans notre numéro ·.<Ju 1er avril, en même temps que nous révèlerons lenom de l'écrivain aujourd'hui interrogé (et dont l'un des ouvrages fut très ludurant une saison au moins) nous publierons les noms des gagnants.

je suis maldansta peau

le nOUTeau roman de

cesbron112000exemplaires

ROBERT.aLAFFONT

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 maT' 1970 13

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ROMANS

FRANÇAIS

H, CODlIDe hippie

1 Axel

Flammarion, éd., 256 p.

De cette route de l'enfer qui aboutità Katmandou, d'hallucinants reportagesnous ont dit l'horreur mais ce sont desreportages et comment connaître, de l'in·térieur, l'aventure qui jette ces jeunesgens de l'Europe repue sur les voies lesplus pauvres du monde? Une lucarne s'ou·vre aujourd'hui sur ces paysages méphi.tiques, par le livre d'une jeune Belge,Brigitte Axel, qui relate le long voyagede Katmandou.L'ouvrage renverse quelques idées re·

çues. L'enfer qu'il molItre a des couleurspâlichonnes, il n'est pas très riche ensoufre. Brigitte Axel s'y présente commeune jeune fille costaud et résolue, réaliste,avide de sa liberté. Sous sa plume, laquête hippy prend des allures d'aubergede jeunesse. Non que cette quête ignorel'enfer mais le cœur de Brigitte est sansdoute ignifugé, les flammes ne le brûlentpas.Son récit est bien troussé. Le mouve-

ment est vif, le ton narquois et le fol1ùorecoule à pleins bords : le chatoiementdes étoffes, l'élégance des vestes afghanes,l'éclat des bagues, l'ocre des masures, voilàce qui hisse Brigitte au septième ciel.Elle aime la beauté et surtout la sienne.Elle n'en revient pas d'être ainsi, une

fille qui a largué l'Europe et qui passe.chaque matin deux heures à peindre unserpent sur son front.Elle est pleine de vie, les Indiens l'ap-

pellent Kali, elle porte des saris superbeset tous les garçons lui font la cour. Maisattention, Brigitte ne va pas donner soncorps au premier venu, il faut qu'on lemérite, comme dans l'amour courtois. Bri·gitte fonctionne comme la reine de cespetites sociétés vagabondes. Une « allu·meuse» voilà ce qu'elle est et de lesavoir porte son plaisir au zénith: celalui confirme qu'elle est au·delà de toutemorale et qu'elle a transmué les valeurs.Majestueuse, elle se laisse servir, dansl'attente du « Prince charmant» qui auradroit à son corps parce qu'il aura plu àson cœur. Ce qui. en Inde, advient à uucertain Ric.On voit que l'Europe, si l'on peut s'en

éloigner en quittant ses rivages, ne sedéclare pas battue. Bien sûr, on va enauto-stop et non en avion, on vit à sixdans la même chambre et l'on est unevraie cigale, mais a·toOn pour autant"changé la vie », a·toOn "réinventél'amour» ou " écrit des opéras fabuleux,,?Ce livre ne donne pas à le croire. Cettehippy ressemble à une touriste d'un nou-veau style. Elle est hantée par le besoinde se laver et ses amoureux passent leurtemps à pomper de l'eau, pour son corps.

dans les fontaines. Et ce problème dudentifrice!Il y a aussi la drogue, mais longtemps

Brigitte s'en approche avec circonspection.Ce beau papillon aime tournoyer autourdu feu mais il apprécie trop l'éclat deses ailes pour les brûler. Elle fume duhaschich parce que le monde y gagne p.nbeauté, non en danger mais elle se méfielégitimement des piqûres comme d'unepeste.Un jour, elle fera un pas. Elle va

prendre du L.S.D. Dans la confrérie.qu'elle affaire! « Le premier acide-trip deBrigitte, dit-elle modestement, est un évé·nement.» Suivent les chimères et lesdélires du L.S.D. Brigitte est au centredu monde, personnage héroïque, fabuleux,à écrire sur des feuilles d'or, vedette in·contestée. Elle se surpasse. Elle abandonneses vêtements et la voici nue dans lesrue de Katmandou, puis rhabillée dansune affreuse prison. Période atroce. Rapa.triement en Belgique chez les parents.On la réconforte, elle grossit de cinqkilos, écrit ce livre et ne songe qu'àrepartir.On cherche, dans les silences du livre,

l'écho des forces profondes que cette jeunefille a côtoyées. La récolte est maigre. Iciet là, elle s'extasie sur la religiosité del'Inde mais elle manque de temps pourl'approfondir. Les petites tâches quoti-diennes la requièrent, confection des re·

pas, shopping dans les " bazaars », amoursplatoniques et dentifrice. Du reste, Bri·gitte est une âme tranquille : la sociétévous aliène et il faut s'en isoler, voilàtout. Et comme elle est forte, elle éviteles drames qui en broient tant d'autres.Elle saisit ainsi quelque chose qui res·semble à la liberté ou à son leurre.Il est vrai que son courage est extrême.

Elle se défend comme la chèvre de M. Se-guin : non seulement contre les garçonsqui ne pensent qu'à ça mais aussi contreles autochtones parfois malhonnêtes (scèneinsolite, dans le livre, des hippies quilivrent à la police le concierge de leurhôtel soupçonné d'avoir chapardé dansleurs bagages). Quant à l'argent, on pro-fite de la mendicité généralisée de l'Indepour mendier aussi !Ce livre nous en dit davantage sur

Brigitte que sur le mouvement hippy, dumoins si l'on demeure convaincu que lesrévoltes des jeunes gens sont des décisionsgénéreuses, violentes et ravageuses. Il resteque l'histoire se lit sans ennui et que lecaractère de cette jeune fille n'est pasordinaire : elle dose curieusement le goûtde l'aventure et la raison, la révolte etle conformisme. Elle a enfin une ardeu.r,un sens de la liberté et de l'haleine fraîchequi font honneur à la bonne éducationbelge.

Gillu

Un objet insolite Le Mal

Morie-Claude de Brunhoff

1Olivier PerreletLe dieu mouvantMercure de France éd., 248 p.Il y a trois ans. amicalement préfacé

par André Pieyre de Mandiargues, OlivierPerrelet avait publié Aphrosyne ou l'au·tre et le& Petitu Fillu criminelles,des récits inspirés par le romantisme alle·mand et allégés par un érotisme baroque.Avec le Dieu mouvant, une suite de

quatre courts récits, le poète rejette toutbaroque, refuse tout clin d'œil. Il sait bienà quoi il s'engage ainsi et le dit simple-ment dans Ganymède : " celui qui ne faitaucune concession au% goûts du momentn'ut jamais aimé, ils (les critiques) ne lemanquèrent pas. » Mais il termine ainsi :" Ecoute·moi, Ecoute·moi, convul·sion pétrifiée! Ecoute-moi mO&se de pure·té! tu t' sons fin vers le ciel -et le ciel se retire ... Ecoute-moi ! Je monte,;e monte, je monte... ».Olivier Perrelet est consumé par la poé.

sie, déchiqueté par le stylet des mots. Ilavance dans un rêve, refusant toute lu·mière extérieure. Il s'explique dansRoyombre où le héros vit la nuit : unmatin de juillet le soleil entrant dans sachambre l'avait attaqué, incendié, étouffé,mis ses souffrances à nu. Désormais, dansla pénombre de ses volets clots il peutessayer de ranger les mots, d'un côté lesdiurnes : « aigle », de l'autre les noctur·nes : "source ». Parfois il y a des hési-tations, où ranger le mot « douleur » ?et puis certains mots sournoisement fran·chissent la frontière.La Nature le met en transes, le fait

délirer et le Dieu mouvant est un de cesrêves fièvreux. Le dieu est un marais,somptueux royaume caché dans les r0-seaux, les fleurs, " la sagne rose buveuse

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d'aiguail, le souci d'eau et la spirée, la do-rine et le lotier II les plantes : « !Denthes,orties et douves, trèfle et châtaigne d'eau,prèles et fougères, carex et lentilles ». Aubord du marais, une maison où habitent-deux sœurs Iris et Elodie. Le héros y estreçu comme l'Etre Attendu. Avec Iris ilparcourt le marais. apprend à le connaîtreà s'imprégner de sa substance, à l'aimerjusqu'au plus inf.ime reflet d'eau, jusqu'àla plus frémissante de ses libellules, jus-qu'à sa senteur la plus secrète. La profu-sion des images paraît infinie, le luxe desdétails botaniques et poétiques font de cemarais un monde immense, sa splendeurtremble au bord de la beauté et de la pes-tilence. Et le. soir venu, devant les hautesflammes, il retrouve Elodie la belle etl'encemence avec le pollen du marais.L'érotisme de ces jours d'été devient at·tente avec les pluies d'automne, attented'un enfant - celui du héros ou celuidu dieu? Mais dans la nuit de l'hiverElodie meurt. Le printemps reviendra-t-il ?Non. Le sable, la boue s'étendent à pertede vue «la mort vers eux tendait seslippes li. .

La bizarre fascination qu'exerce sur nousce récit onirique, cette poussière d'orpoétique, ce raffinement d'observationspassionnément polies, est néanmoins trou·blé par des images qui nous font rire:nous sommes encore sensibles au ridiculede flammes enchaînées dans la cheminéeou du jour qui passe un bras blanc sousune nuque... Avons-nous tort de donnerainsi des limites à la poésie?Le livre d'Olivier Perrelet doit se décou-

vrir comme une boîte ancienne très ouvra·gée, il faut la regarder avec soin, c'est unobjet insolite.

1Gabriel DeblanqerLe retour du c1wsseursRobert Laffont, éd., 280 p.La méchanceté crue, sans sadisme, sans

psychologie, sans aucun· esprit sophistiquéni surréaliste, la peur venue de la terremême, des arbres. des animaux, reste peut.être un des domaines de l'épouvante leplus inexploré de nos jours. L'inspirationde Gabriel Deblander - poète belge -vient de ces régions démoniaques contrelesquelles nous n'avons pas appris à nousdéfendre. Ces nouvelles sont hors dutemps, elles pourraient aussi bien se pas-ser au Moyen Age.Dans une grande ferme parquée par

l'hiver, sous une neige" grumeleuse, âcrecomme suie ». où court une bise au becde pierre, la servante-maîtresse de Juste LeMal Nommé est une femme·belette. Le filsde la maison sait qu'elle a tué sa mèreen la mordant au cou : les belettes mor·dent ainsi les lapins pour leur sucer lacervelle. Son tour ne saurait tarder, lessignes précurseurs sont là. Mais la vp.n·.geance existe aussi. Le drame commenceil y a longtemps va se dénouer sous nosyeux. Certains soirs, la belette peut dev!'..nir lapin pourchassé.Plus loin un insecte venu « d'ailleurs »,

une énorme chose jaune - la couleur sata·nique - hume doucement la peau douced'un enfant, puis le pique brutalement.La joue goDne, éclate, et un insecte jaunegros comme un poing d'homme en jaillit.Dans ces deux nouvelles la même appro-che : une menace qui rôde comme unbourdonnement sourd, puis soudain ungeste brutal, et l'horreur.Les je'unes gens sont aussi aux prises

avec les démons de la nuit. L'un d'euxs'arracherait la peau tant une démangeai.

son le brûle et soudain, il est entière·ment couvert de poils de taupe, mêmesa figure.La meilleure histoire de Gabriel Deblan·

der est sans aucun doute les Fous autourde l'arbre. Tout se passe dans un jardin,autour d'un arbre. Un vieux jardinieraveugle essaye d'arracher son jeune assis-tant à une curiosité obsessive. Au hautde l'arbre, au cœur de sa cime, il y aquelque chose. Le garçon entend un cris·sement doux et intolérable : « On eut ditla carU5e d'une main colleuse sur unerobe de soie. Qu'est-ce que cela peut bienêtre? Une femme et un homme dons unnid ?» " Va à la ville, vois le& fillu ... ",grogne le vieil aveugle. Mais le garçons'entête, il '!oe peut plus penser à autrechose, il ne peut plus entendre autrechose. Il monte au haut de l'arbre. Je megarderais bien de vous dire ce qui s'ypasse... Il faudra qu'un troisième jardiniervienne s'occuper du jardin; mais lui aussirôde maintenant autour de l'arbre.Cette nouvelle toute enduite d'une poé.

sie rude a néanmoins une atmopshèrequi rappelle. çertains tableaux de Mal(Ernst. Un mystère, une couleur si belleet maléfique et soudain, dans un coin,un éclat de métal, un mouvement d'oiseau.La rudesse du ton de Gabriel Deblander

a une lourdeur rustique. On peut même s'yenliser comme dans de la terre meuble.Peut-être est-ce cet équilibre précaireentre le style raboteux et l'imaginationdiabolique qui provoque notre peur.Gabriel Deblander la tisonne comme unvieux sorcier au coin de son feu. Il noustransmet un malaise profond, écœurantcomme un fruit blet. Aucun fol1ùore, sim·plement, le Mal.

M.C.B.

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La Chineet l'art d'aimer

Porcelaine de l'époque de (1662.1722,.

LUC FERRARIHETERO • CONCERT18 h 30 : Sandwichs concert20 h 30 : Soirée concert

THEATRE DE LA MUSIQUESquare Chautemps. Tél. 277-88-4016 mars

remplacées par dés prunes.n'est pas de tout repos pourleur cible vivante. Cependant,on est bien obligé de reconnaî-tre que la pureté du trait, danstous ces dessins, est communi-cative, et qu'elle y dissipe touteimpureté des intentions. C'estun privilège de l'art - singuliè-rement de l'art chinois - quede transcender toute chose etde climatiser, pour ainsi dire.l'impudeur. Une recherche sty-listique poussée jusqu'au manié-risme fait de ces jardins clos etde ces intérieurs de gynécée undécor toujours un peu irréeldans lequel le spectacle del'amour semble s'offrir à l'es-prit plutôt qu'aux sens.

Jean Selz

me de cette édition exception-nelle.Les personnages que les artis-

tes chinois, depuis les Yuan jus-qu'à l'époque K'ien-Iong, c'est-à-dire du XIIIe à la fin du XVIIIesiècle, et, même au-delà, ontpeints sur soie, sur papier huiléou, plus curieusement, sur peaude fœtus, parfois sur des rou-leaux offerts aux jeunes mariéspour leur initiation, ou encoredessinés d'un. pinceau volant •et d'une • encre dansante •pour illustrer les pages du KinP'ing-Mei, ces amants au visageà peine souriant, ces jeunesbeautés aux gestes délicats(mais précis), presque hiérati-ques, nous persuadent tousqu'ils ont bien mérité leurimmortalité.Mais, aussi descriptive et

réaliste que soit la représenta-tion de leurs jeux non innocents,jamais l'image ne se situe auniveau d'une qualification égril-larde. L'humour n'en est paspour autant absent (on y décou-vrira un usage inattendu de l'es-carpolette) , et la cruauté ytrouve aussi sa place. Dans lecas du moindre mal, le « Jeudes fléchettes volantes ., mêmealors que les fléchettes sont

Les extraits de ces romanset des poèmes sont publiésdans des traductions de MmeGeorges Bataille, Pierre Klos-sowski, Tchang Fou-Jouei etFranklin Chow, tandis que desétudes historiques et analyti-ques, dues aux sinologues Kris-tofer Schipper et Jacques Pim-paneau, professeur à l'Ecole deslangues orientales, complètentcet ouvrage que Michel Beur-deley présente, qu'il a aussi, enpartie, rédigé, et qu'il a illustrépar un choix de peintures etd'estampes chinoises. Puiséesdans les collections, sans douteun peu cachées, du British Mu-seum, du Metropolitan de NewYork, de l'Université d'Indiana,entre autres, ainsi que dans descollections privées, principale-ment dans celle de l'ambassa-deur R.H. van Gulik, auteur deSexual Iife in ancient China,elles sont reproduites avec ungrand soin et font tout le char-

atteindro.nt toutes les formesde l'écriture, poétique et roma·nesque, en même temps que s'ydéploiera un panorama dendudes raffinements et des perver·sités inséparables des • jeuxdes nuages et de la pluie» ouyun yu, ainsi que sont nommés,dans un langage souvent moinsaérien, les jeux de l'amour. Desaventures des moines lubriquesaux délicats poèmes des Song,des scènes de lupanars, où l'onmet un entrain diabolique à«forger l'épée dans le four·neau écarlate., aux évocationsélégiaques où «la rosée, com-me un doux ruisseau, atteint lecœur de la pivoine ., toute unegalerie de héros et d'héroïnesont rendu célèbre l'histoire deYing-ying, souvent reprise aucours des siècles, le Kin P'ing-Mei, roman de toutes les débau-ches, le Jeou Pou T'ouan (le Ta-pis de prière de chair), écritpar Li Yu, le Yu Kouei Hong, deLouo P'ing-cheng, récit de l'igno-ble dégradation imposée à unejeune fille dont la virginité estvendue à un vidangeur et oùplus d'une scène semble préfi-gurer les romans de Sade avecune Justine aux petits piedsbandés, le P'in-houa-pao-kien,où Chao-Yi décrit les mœurs desacteurs, spécialement de ceuxqu'on appelle les • manchescoupées ., le Liang-Hiang-Pan,livre des amours saphiques, etc.

L'Eglise ne s'y trompe pas :ces prêtres qui ont l'audace derevendiquer le droit au mariagefont partie du scandale où seJette avec allégresse l'Occidenten osant vouloir délivrer l'éro-tisme de la notion de péché. Ilest curieux qu'il suffise de setourner vers une autre partie duglobe, vers la Chine, pour voircette notion se volatiliser. C'est,en effet, au cœur même d'unevieille religion, c'est dans le purtaoïsme, que les traditions éroti-ques chinoises plongent leursracines.

A l'époque des Han (206 av.- 220 apr. J.C.), les pratiquessexuelles faisaient l'objet de ma-nuels destinés à propager lesdoctrines taoïques. Elles consti-tuaient un exercice fondamental.dans la recherche de l'immorta-lité. C'est pourquoi la légende afait d'un maître des • artssexuels ., le sage P'eng-tsou, unauxiliaire du dieu de la Longé-vité : il n'eut pas moins, dit-on,de dix-neuf femmes et de neufcents concubines. Et selon lephilosophe taoïque Ko Hong, quivécut au IVe siècle, • nul ne peutobtenir la longévité qui ignoreles Arts de la Chambre à cou-cher». Image vécue de l'unionspirituelle du Yin et du Yang,les deux principes complémen-taires de la cosmologie chinoise,l'union charnelle révèle sa per-fection par la volupté. En outre,elle est tenue pour essentielledans la thérapeutique d'affec-tions multiples.

Religion populaire, le taoïsmedes premiers siècles initiait lesmasses à son rituel qui com-portait des cérémonies sexuel-les rigoureusement réglemen-tées. Et lorsque, plus tard, laréaction bouddhique manifeste-ra son opposition à de tels rites,des courtisanes se feront en-core une renommée en se spé-cialisant dans les techniquesérotiques taoïstes.

C'est du fond de cette sexo-logie sacrée que surgit dans lalittérature chinoise un courantérotique dont les manifestations

1Jeux des nuages et de la pluieTextes de divers auteurs.13.1 ill., dont 28 pl. en coul.Bibliothèque des Arts, éd.,224 p.

La Quinzaine littéraire, du 1W au 15 mGT. 1970 15

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EXPOSITIONS

L'Art flalllandc'est une exposition excep-tionnelle qui se tient à l'Ins-titut Néerlandais (1) jus-qu'au 15 mars. Non que Saen-redam soit un grand maître(chacune de ses toiles vautcependant un nombre res-pectable de millions), maisparmi les innombrables pein-tres de l'Age d'or hollandais,il occupe une place singu-lière.

Qui est Saenredam? Biogra-phiquement, cela tient en peude mots. Il naît bossu à Assen-delft en 1597, peint cinquagte-cinq tableaux à peu près iden-tiques et meurt en 1665, laissantaussi cent quarante dessins. Ila une manie, l'architecture, unepassion : le vide.Les manuels le signalent com-

me peintre d'églises, précisentparfois que son père était gra-veur et le catalogue de l'expo-sition ajoute qu'il eut pour com-pagnons deux architectes, Pie-ter Post et Jacob van Campenqui fit son portrait, et qu'il n'allajamais en Italie.Saenredam est donc • pein-

tre d'églises -. Il n'est pas leseul. Emmanuel de Witte, vander Vliet et quelques autresn'ont pas négligé cette sourced'inspiration, mais ils ne l'ontpas privilégiée comme lui. Ilss'attachent à la réalité et mêmepeut - être l'embellissent - ils.Saenredam semble la fuir. Leurséglises sont aussi peuplées queles canaux gelés d'Avercamp oules rues de Harlem de Berkhey-de. Les siennes sont désertes.Ils se résignent mal au dépouil-lement des nefs ordonné par laRéforme, lui l'accentue; ainsimultiplient-Ils sur les murs cescurieux blasons en forme de lo-sange dont il ne se sert quepour briser d'une façon quasiclandestine la rectitude d'unecolonne. Leur champ visuel en-trecroise les piliers, les clôtu-res de bois ajourées, installantune succession de plans qu'ani-ment à plaisir les jeux d'ombreet de lumière et les allées etvenues d'un peuple en labeur.Saenredam, lui, aborde les nefset les transepts dans leur fron-talité, les vide de tout mobilieret réduit les personnages -quant il les tolère - à l'état desilhouettes inutiles:Il exacerbe la perspective des

dallages, pose les piliers com-

le

El{lise St-Jan à Utrecht.

me des portants sur la scèned'un théâtre et fait descendredes voûtes enveloppantes com-me des coquilles, un lustreaussi énigmatique qu'un pen·dule figé dans sa course. Il éclai-re enfin cet espace savammentélaboré d'une lumière uniformé-ment blonde. envahissante etillogique, qui atténue les volu-mes, simplifie les plans au pointde suggérer parfois la grilled'un Mondrian ou les arcadesmétaphysique d'un Chirico.Non. Saenredam n'est pas le

seul à peindre des églises, maisil est le seul à les peindre vi·des. Mieux, c'est le vide qu'ilpeint.On ne manquera pas ça et là,

et non sans raison, de voir danscette obstination son goût quasiexclusif pour "architecture ou,sur un autre plan, le triomphede la Réforme aux Pays-Bas,l'exaltation du dépouillement etde l'austérité calvinistes. Celane suffit pas. Pour mettre Saen-redam à sa vraie place. il ne

faut pas le restreindre aux pein-tres d'églises mais le situerdans l'ensemble des petits maî-tres qui l'entourent. Solidaireparmi tous ces intérieurs cos-sus et soigneusement astiqués,ces ports grouillant de marchan-dises. ces orgies villageoises,ces natures mortes étalant lespâtés entrouverts, les citrons àdemi pelés, les fruits vernissés,les carafes miroitantes et lesverres à moitié vides, son œu-vre prend alors une résonanceinattendue.Le dénuement s'oppose à

l'exhibitionnisme et l'on se de·mande si, face à cette sociétéhollandaise qui ne se lasse pasde commander à ses peintresles images de son opulence,Saenredam ne serait pas toutsimplement contestataire com-me le sont à leur manière,Arman et ses poubelles, Warholet ses Campbell soup.

Marcel Billot(1) 121, rue de Lille.

Un sentiment bizarre s'emparedu visiteur de l'exposition del'Art Flamand à l'Orangerie.Certaines toiles ou certainspeintres lui apparaissent commedes points de repère. Il retrouveavec plaisir la fresque cha-toyante d'Ensor l'Entrée duChrist à Bruxelles ou l'exubé·rance ensoleillée des toiles deR. Wouters. Ces œuvres fami·lières demeurent cependant iso-lées dans un paysage nocturnede terres inconnues. L'impres·sion d'étrangeté qui se dégageainsi de cette exposition setrouve encore accusée par ladiversité frappante de ce quel'on n'ose à peine appeler uneécole, tant celle-ci paraît défierles normes de la cohérence. Aupremier regard on voit mal, eneffet, quel principe mystérieuxa déterminé le regroupementd'œuvres si différentes, sinonqu'elles ont toutes été crééesen Flandre au cours d'une pé-riode s'étendant approximative-ment de 1880 à 1940.Au seuil de l'exposition,

l'œuvre d'Henri de Braekeleer etcelle de van Rijsselberghe indi·quent toutefois, d'une manièrerévélatrice, une rupture entredeux mondes. Tous deux ont,d'une façon presque contradic·toire, vidé les apparences duréel de leur support. L'œuvred'Henri de Braekeleer baignedans le vacillement immobiled'espaces confinés où le silences'installe avec l'attente anxieu-se d'une absence en perpétueldevenir.L'espace ai n si découvert,

Ensor va le remplir de ses phan-tasmes qui empruntent à sesterreurs enfantines et aux han·tises de son subconscient lesaspects horrifiques d'une mas·carade qui n'est pas sans rap-peler les hallucinations de Poe.L'extraordinaire y revêt lesapparences du quotidien et lesrues d'Ostende, les chinoiseriesdes brocanteurs deviennent lelieu d'un sabbat démoniaque.Bientôt la lutte avec les forcesdu mal étend ses ravages, lesartisans de la persécution mul-tiplient leurs coups en tous senset même les espaces les plussublimes ne sont plus à l'abride leurs atteintes. Ensor de·viendra alors pareil à l'Hommede Douleur. assailli de toutesparts, ignoré et bafoué, murédans ce silence de supplicié et

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Les bolides au ,musee

GALERIE RIVE DROITE3, rue Duras - Paris 8' - 265-33-45

MOURAUQExposition prolongée jusqU'au 7 mars

dans l'attente muette de cetterésurrection tardive, parodiedérisoire et grotesque du triom-phe condamné.Cet espace est aussi celui

de van den Berghe. La consis-tance opaque et les couleursgraves de ses premières toilessè déchirent comme des fruitsmûrs pour faire place à des lam·beaux aux formes tentaculaireset à des monstres menaçants.Ailleurs, cepend;mt, les pein-

tres flamands semblent s'ingé-nier à déguiser leurs spécula-tions sous les formes rassu-rantes de l'espace familier. Toutse passe comme si van deWoestijne, Minne ou de Saede-leer s'étaient appliqués à conju-rer leurs démons en s'inspirantde l'imagerie religieuse ou despaysages que leur avaient lé-gués les siècles. Sous leur pin-ceau nous redécouvrons, dansJeur fraîcheur primitive, les vas-tes étendues de la perspectiveet le visage trop humain de lasuavité divine révélés par lesmaîtres du XV· siècle. Bientôtcependant la fixité insolite d'unregard ambigu, la pâte crayeused'une neige trop blanche, la dis-torsion exaltée d'un geste dé-noncent sournoisement J'impos-ture et ses illusions. Ainsi, lasérénité admirable des Dor·meurs trahit-elle l'accablementabruti des mauvais bergers,tandis que le visage du Christse brouille dans la buée desJarmes refoulées. La fantasma-gorie captée au gré des imagesanciennes et pieusement recon-vertie, selon les deux sens duterme, dans le langage quoti-dien, avec une patience orien-tale, aboutit ainsi à en démen-tir l'apparente quiétude et à yinsérer une dimension irration-nelle : cette lumière laiteuse etasthénique qui est le tissu desrêves.Ainsi les artistes flamands

ont-il tracé, par des voies sou-vent divergentes, les limitesd'un espace nouveau dont deSmet a élaboré l'architecturetandis que Permeke en a tracél'horizon et campé les acteurs.C'est par l'œuvre de ce géantque s'achève cette exposition:paysages illimités où la char-pente de l'homme se dilue dansl'éclat soufré d'une lumièreinquiétante chargée d'orages ètd'angoisses.

Guy C. Buysse

Immobiles, ils composent surla piste tendue à travers la gran-de nef du Musée des Arts déco-ratifs une surprenante figure deballet.Ces voitures plus fréquem-

ment aperçues comme des for-mes fuyantes, accompagnéespar le vacarme des échappe-ments libres et d'enivrantesodeurs d'huile, se retrouventbriquées, luisantes, désodori-sées, presque démystifiées dansl'atmosphère compassée du mu-sée. Les qualités qui leur appor-tent l'efficacité: profilage, astu-ces mécaniques, recherched'une totale adhérence, d'uneplus grande légèreté, nous ap-paraissent composer une étran-ge beauté.Ces formes qui nous sédui-

sent sont le fruit d'une évolutioncontinue, au long- des années etpresque de saison en saison,selon les développements de latechnique, les options mécani·ques ou les règlements de cour-se. Les formidables monstres aucapot démesuré, aux formesbrutes, s'affinent et perdent leuraspect de mastodonte pour re·vêtir des allures de pur-sangmerveilleusement déliées, avantde se métamorphoser en pois-son, puis en insecte. A chaqueépoque, quelques réussites ex-ceptionnelles donnent le ton etdéterminent une mode. L'esthé-tique prend alors le pas sur lamécanique, l'une et l'autre tou-jours intimement liées. La Bu·gatti n'est pas seulement la voi-ture la plus racée des années3D, c'est également celle qui ga-gne, parce que l'esprit de s-onconstructeur s'est tendu vers laperfection sur tous les plans etse préoccupe aussi bien de labeauté de son moteur, de sesroues, de la netteté de sa ligneque de l'efficacité des solutionstechniques mises en œuvre. Ilen est de même pour la Mercé-dès de Fangio, la Jaguar des 24Heures, la Lotus de Clark ou laPorsche de Siffert.Sur les piédestals où se trou-

vent ces vedettes, auréolées defulgurante gloire, notre œil estappelé à contempler ces formessoumises à des fonctions, néesd'aucune émotion, mais d'une ri-goureuse science, et cependantsensibles. Du croquis initial à laréalisation définitive, elles ontallié à tous moments la techni·que la plus avancée aux concep-

Etude pour la Sigma.

tions esthétiques les plus auda-cieuses. Les artistes, parmi lespremiers, se sont passionnéspour ces grands jouets, pas seu-lement sous le coup d'une exci·tation passagère pour un fasci·nant gadget, mais sans douteséduits par cette force en pleineexpansion qui cherchait sa for-me ; peut-être également par uninconscient besoin de s'appro-prier les pouvoirs et les vertusde la star rivale, de la posséderavant qu'elle ne les possède,pour découvrir, avec elle, denouvelles notions de temps,d'espace et d'équilibre, dont lesrelativités vont transformer leur

vision. Ils ont donné libre coursà leur frénésie au volant de leurcpvale, parcourant les paysagesdéchirés comme ils éclataientles plans de leur tableau ou deleur sculpture, découvrant dansla vitesse des énergies nouvel-lement assemblées.Aucune confusion de genre

n'a sans doute été cherchéedans la manifestation du Muséedes Arts Décoratifs. Nous ytrouverons le plaisir un peu ma·sochiste de côtoyer des vedet-tes dont l'usage nous sera, hé·las, refusé, objets de culte etmirages pour nos instincts depuissance..

Jean.François Jaeger

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 17UJTS 1970 17

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PHILOSOPHIE

La philosophieLe livre de François Châte·let: La Philosophie des pro-fesseurs, écrit par un pro-fesseur de philosophie, évo-quée ici par un professeur dephilosophie... pourrait paraîtretypique de ce qu'on dénonce:le serpent qui se mord laqueue, le débat interne et l'au·tocritique qui ne fait de malà personne, d'autant que cetteautocritique comporte toujoursune réserve, puisqu'elle est leproduit d'une réflexion théori·que liée à une pratique dec quatre lustres -, l'on aconnu les classes terminales,la sélection de la Khâgne etl'expérience du départementde philosophie de Vincennes,c'est-à-dire à une pratique suf-fisamment complète et dispa-rate pour avoir le droit dejuger... ou tout au moins lapossibilité de prendre ses dis·tances!

1François Châteletl,a philosophie des professeursGrasset éd., 230 p.

Cependant nous ne sommes pas$ur ces terrains et François Châ·telet nous met en garde. dès ledébut contre cette interprétationcontestable et psychologiste. Eneffet le livre, et son titre, ne doi.vent pas être pris comme l'an·nonce d'une critique des' ensei.gnants de philosophie - sommedisparate d'individus - de toutesopinions .et de tous caractères, deSénik l'indésirable, au professeurmodèle que l'Inspection Généralenote au maximum ou que le minis·tère, accentuant la hiérarchiebien connue' et concurrentielle,prônent en « Chaire supérieure ».Car l'analyse de Châtelet estd'abord destinée à éviter le piègedu vécu, et l'illusion « psychophi.losophique» d'une indépendanceque nous n'avons pas.« Il s'agit d'abord de critiquer

résolument l'enseignement actuel de'la philosophie tel qu'il est définiinstitutionnellement, afin de met-tre à jour sa place et sa fonctiondans la lutte politique et, pour cefaire, de définir les moyens qu'ilutilise ».On voit à quel point ce livre, est

salutaire qui dit clairement ce quel'on tend à cacher, plus encoredepuis Mai qu'avant : le dévoile·

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ment, fait alors dans les masses,de la fonction de classe de l'Uni-versité et, plus spécialement del'enseignement de la philosophieen classes terminales, dans le cadrede la préparation aux KN.S.,dans l'enseignement supérieur,bloque la reconnaissance de struc·tures par rapport auxquelles nousne voulons pas avouer notre dé-pendance.

Aussi pour en faire prendreconscience, François Châtelet met·il en lumière les conditions ob jec·tive., communes. Dès la premièreligne est indiquée la spécificité del'institution de la philosophie enFrance : son enseignement' pourtous' les élèves du secondaire, en« classes terminales ». Quel estalors le rôle de ce « couronnementqui se veut situé dans l'extrêmegénéralité » ? Quelle' philosophiey enseigne.t.on ? Et comment, au·delà des spécialistes, cet enseigne.ment fournit·il « à qui pense, à quiécrit, à qui décide en ce pays sesconcepts.•clés et ses valeurs pri.mordiales ? » De façon plus généra-le il « permet à l'adolescent, biendoué et soutenu par sa famille defaire sa place dans la société de sontem"s» et « possède ce privilègeredoutable de rendre digne l'indi.gnation, critiquable la critique,acceptable l'acceptation ; de toutramener à l'étiage commun, lareligion, l'université, la vie des ré·gions, la politique mondiale, detout disposer en colonne par cinq;de tout comprendre et de tout re·cevoir ; de définir ce que, désor-mais, on va appeler « l'objectivi.té ».Les annexes du livre montrent

comment les programmes, pourqu'ils soient, n'en sont

pas moins exigés, et constituentdéjà un cadre.'

L'efficadté immédiate, celle dubaccalauréat, en est l'enjeu. Et cedyptique montre la distorsion en·tTe la I( liberté assurée au profes.seur à chaque page des instruc-tions ministérielles (liberté d'opionion, liberté d'ordonnance, liber.té de mét.hode... ) et la plate réa·lité. » « De fait le professeur encla.,ses terminales peut procédercomme b,on lui semble pourvuqu'il sache faire aimer La Philoso-phie et développer les capacités ré-flexives en général. Mais ce libéra·lisme apparent a une limite etcette liberté déclarée sombre dansla plus complète abstraction. Il y

a une sanction en fin d'année : le,baccalauréat. » On croirait la re·tombée du poème de Rimbaud :« Le voyage »... le contraste entrele rêve et la dernière réplique :« Et le bureau » ?Le tout, en référence aux ma·

nuels. Et certes, il est conseillé(Instructions de 1925, celles dulibéralisme bourgeois et de l'apo-gée de la philosophie des profes-seurs, qu'il faudrait commenter deprès... ) « de ne s'en servir qu'acci.dentellement », mais ils sont choi-sis par l'ensemble des professeurs.Ils sont la trame sourde et l'ex·pression commerciale d'un dis-cours analogique, sa dis-tinction. De sorte que l'élève peuts'y référer, et s'y retrouver, dansses dissertations comme à l'exa·men, et le manuel, sera, qu'on leveuille ou hon, le miroir défor·mant où l'enseignant découvrira cequ'il n'a pas cru dire.Prenant ces repères objectifs :

programmes, examens, manuels,comme indice, Fr,ançois Châteletva développer dans une analysedescriptive les lieux communs etle proces.sus commun à tous lessecteurs et tous les niveaux de laPhilosophie scolaire et universi-taire (que Fr.ançois Châtelet dési.j(Ile, en s'amusant, des initialesP.S.U.). C'est pourquoi il ne s'at-tachera pas à l'enseignement supé.rieur en lui·même : « réitérationet dérivation» de l'enseignementdonné dans le secondaire; il est,comme le rappelait le ministreGuichard contestant la validationde la licence d'enseiplement àVincennes, destiné à former debons agents de la P.S.U. La P.S.U.se définit d'abord par son incroya-ble capacité d'intégration.Ce mode d'intégration 'est aussi

plus modeste et s'accommode d'unélectismequi convient bien à l'en.seignement de la philosophiequand on a perdu confiance dansles valeurs dominantes. Seuls le« Moi·je », sujet « psychophiloso-phique » que Châtelet désignecomme premier lieu commun, etl'Homme, second lieu commun:source et achèvement, unifient cetamalgame. Entre les deux pôlesles autres « lieux communs» : leconcret, l' histoire de la philoso-phie, les sciences de la nature etles sciences humaines ont des pro·cessus analogues et des rôles par.ticuliers. Et la récupération ré·cente sciences humaines peromet de fermer le cycle : l'ordon.

nance de la P.S.U., comme chacunde ses ch,apitres, de ses cours,comme l'idéal de la dissertationbien faite ou du chef·d'œuvreconstitue une totalité achevée.L'analyse descriptive que FrançoisChâtelet mène de proche en pro·che nous y conduit comme si derien n'était, encore faudrait·il lasuivre pour voir la précision quel'auteur apporte dans les différen·ces.La P.S.U. en appelle aussi aux

« grands auteurs» et confronteleurs « subjectivités libres », horsde toute référence historique puis.qu'il s'agit de pensées éternelles:« 'comme en un dialogue des mort,Platon dialogue avec J.•P. Sartreet Bergson avec Zénon l'Eléate ».Par,allèlement elle a recourlt auxfaits pour échapper à l'analyse.Le « Faitalisme» que dénonceNietzsche comme typique de la dé-cadence, répond au lieu commun« concret» et permet de ne rienconclure : oui mais... oui mais,qu'il s'agisse du socialisme ou ducapitalisme, on en appelle à 'laneutralité.Dans un cas (histoire de la phi.

losophie) comme dans l'autre(concret) il s'agit d'un nivellementoù tout est édulcoré. La façon demanier les auteurs, de les lier àtel problème en un réHexe condi·tionné, de le8 in8érer dans une sé·rie qui dénature leur pensée (lathèse de Sartre à propos de l'Ima·gination), de les réduire au P8Y-chologisme (Descartes, inventeurde ce « truc » pédagogique commo-de qu'est le doute ... ) n'a d'égalque l'irrespect pour les sciences :« Galilée avec son lustre (sans letribunal du Saint-Office), Newtonavec sa pomme (sans la révolutionthéorique qu'il détermine) peromettent d'esquiver les problèmes ».Tel semble trop souvent l'inten·tion de cette philosophie du Ques.tionnement.Pour avoir démonté les rouages

de la P.S.U. et avoir cerné lesidées directrices (éclectisme et inté-gration, banalisation et postulatsnormatifs, démagogie et neutralitéetc) qui correspondent au videthéorique et à la fonction socialede l'en8eignement de la bourgeoi.sie, le livre de François Châteletest important. Ce qui n'exclutpas l'aisance dans l'écriture et lapensée. On sent à la lecture unesaine gaîté à critiquer le pourris-sement de cet enseignement qui(comme beaucoup d'autres) « ad·

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des professeursministre un cadavre avec défé-rence :Il.

Au-delà des collègues qui «trou.veront le temps» de lire les 250pages' alertes, synthétiques, par·fois trop allusives, parfois tropbrillantes, François Châtelet s'a·dresse aux élèves, aux étudiants,à tous ceux qui, d'une spécialité àl'autre, s'interrogent sur la pesantesurvie de l'Université, de la phi.losophie et de la culture bour-geoise. Un livre qu'il faut discuter,armes en mains (je veux dire :manuels et cours), enseignants etenseignés...

L'aisance n'exclut pas l'exigen-ce : le mérite de Châtelet est desituer l'enseignement de la phi-losophie dans sa fonction sociale,comme idéologie de la classe do-minante, sans se laisser prendreau piège du « savoir », sans pra·tiquer l'auto-censure habituelle àla « défense de la philosophie»

devant les menaces réactionnaires.Car si l'enseignement de la phi-

losophie est, tout relativement etmalgré sa confusion « un lieu derésistance à la bêtise dominante ".c'est tout relativement! etl'i d é 0 log i e anarcho-chrétiennequ'évoque François Châtelet risqueéventuellement, devant le dévelop-pement de mouvements lycéens etétudiants, plus souvent de freinerque d'aider.Dans ces conditions, les limites

du livre ne répondent pas à cequ'on attendait; car manque l'ana·lyse de ces luttes politiques enrapport à quoi l'auteur annonçaitqu'il déterminerait Il la place et lafonction de l'enseignement de laphilosophie », comme est partielaussi le rôle que l'auteur proposeà l'enseignant dans la lutte contrel'idéologie de la P.S.U.Certes, il s'agit « d'utiliser ce

lieu qu'est l'enseignement de laphilosophie dans les lycées et dans

François Châle/el,

les facultés pour cntr.quer cet en-seignement ». Mais, à en rester là,le risque de récupération par laP.S.U. demeure. Aussi la dénon-ciation doit·elle comporter la ré-pudiation pratique de la penséespéculative. La lutte idéologiquene se mène pas qu'avec des mots.

Sans l'action politique la critiquethéorique devient IC critique )J.

Et si François Châtelet s'étaitinterrogé, comme il le fait, auterme du chapitre sur les scienceshumaines à propos de Freud (etde l'ethnologie! ) nous savons« ce qu'il resterait de l'èdificethéorique de la P.S.U. si elle don-nait réellement la parole)J .. . ' àMarx, ce lien à la pratique poli-tique se serait sans doute imposé.Encore est·ce une fausse ques-tion : la P.S.U. ne donne jamaisla parole au discours marxiste s'ilreste lié à la pratique révolution-naire. François Châtelet le saitbien, pour l'éprouver au départe-ment de philosophie de Vincennes.Aussi faut-HIa prendre dans ces

« luttes rebelles » auxquelles il faitallusion et qui actuellement com-portent le risque de répression.

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POLITIQUE

Les voix du silenceLe 5 décembre 1969 une

trentaine de membres duGroupe d'initiative .pour la dé-fense des droits civiques, or-ganisation proclamée publi-quement en Union Soviétiqueen mai 1969, organisaient unemanifestation à Moscou pourle respect des droits garantispar l'article 125 de la Consti-tution (liberté de parole, deréunion, de presse, de ma-nifestation); 16 jours plustard, le 21 décembre, une tren-taine de manifestants, à l'ap-pel du même Groupe, se réu-nissaient sur la Place Rougedevant le mur où sont enfouiesles cendres de Staline pourmanifester contre la réhabili-tation de Staline. Dans lesdeux cas la police dispersaviolemment la manifestation.

1Samizdat 1La voix de l'oppositwncommuniste en U.R.S.S.Edité par la VéritéRéédité par Le Seuil, 644 p.

Le gros volume qui vient deparaître sous le titre Samizdat l,lu voix de l'opposition commu-niste en U.R.S.S., publié par lestrotskystes français de l'Organi-sation Trotskyste pour la recons-truction de la IV· Internationale,permet de comprendre l'origine,la nature et le sens de ces mani-festations, qui se répètent depuis1965 et traduisent la montée lentemais régulière d'une oppositionde gauche que la répression ren-force, loin de pouvoir la briser.Les textes ici réunis couvrent la

période qui va de la fin de laseconde guerrc mondiale à cesdernièrcs semaines. De l'évoca-tion de la grève générale des dé-portés de Vorkouta (1953) qui ou-vrit la première faille dans lesystème des camps, à l'appel duGroupe d'Initiative pour la dé-fense des droits civiques, les di-vers moments d'une longue luttesourde. méconnue, sontici évoqués par la bouche deceux·là mêmes qui en furent ouen sont les pionniers.La nature de cette lutte, l'écri-

vain Constantin Paoustovski ladéfinit dès le 22 octobre 1956.Ce jour.là devait se tenir un mee-ting officiel pour condamnerl"f/omme ne vil pas seulement deJlU.in. roman de Doudintsev qui

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dénonce certaines pratiques bu-reaucratiques. Mais ce jour.là enPologne, des dizaines de milliersde travailleurs réunis en assem-blées et en mettings affirmaientleur volonté de prendre en mainsleur destin; mais ce jour.là, enHongrie, les meetings se multi-pliaient dans les Universités et lesétudiants de l'Université techni-que décidaient d'organiser unemanifestation de solidarité avecla Pologne et d'envoyer des délé-gations dans les usines. Egale-ment, ce jour.là à Moscou, le mee-ting qui devait condamner Dou-dintsev fut envahi par des cen-taines d'étudiants et par les écri-vains fondateurs d'un syndicatautonome clandestin qui le pri-rent en mains. Paoustovski y dé-clara dans un discours que Sa-mizdat 1 reproduit :« Le problème est que dans no-

tre pays existe impunément etprospère même jusqu'à un certainpoint une couche sociale tout àfait nouvelle, une nouvelle castede petits·bourgeois. Cest une nou-velle caste de carnassiers et depossédants, qui n'a rien de com-mun avec la révolution, ni avecnotre régime, ni avec le socia-lisme ». En affirmant la nécessitéde combattre ces c carnassiers »,Paoustovski concluait:c Il faut mener le combat jus-

qu'au bout. Ce n'est qu'un début.»(p. 143·146).Après l'écrasement de la révo-

lution hongroise et la confisca-tion de l'Octobre polonais, l'oppo-sition se reconstitue au milieu desécrivains autour de la revendica-tion du droit à la parole. C'est ceque les auteurs de Samizdat 1 ap-pellent «l'opposition littéraire »,inorganisée, que sa volonté d'ar-racher la liberté d'expression,dans le seul cadre même de la lit-térature, entraînait, involontaire-ment sans doute, à poser à nou-veau des revendications de carac-tère politique.Toutes les traditions de la lit-

térature russe donnent à celle.ci,en effet, un rôle social éminent.Le c réalisme socialiste », lui-même, en proclamant les écri-vains des Il: ingénieurs» des âmes,a sanctifié ce rôle social, l'a ins-titutionnalisé. Cela seul suffisaità donner au plus minime exercicede ce droit à la parole une impor-tance extrême et donc une dimen-sion explosive. Soljenitsyne en estun exemple frappant : une Jour-

née d'Ivan Denissovitch apparaîtsans doute assez fade aujourd'hui,comparé aux Récits de Kolymade Chalamov ou au Témoignagede Martchenko, mais sa publica-tion officielle en U.R.S.S., dansles colonnes de Novy Mir, publi-cation imposée, semble·t·il, parKhrouchtchev à une minorité ré-ticente du Bureau Politique, étaitun acte politique très importantparce qu'elle levait le voile sur unmoment du passé aux conséquen-ces toujours actuelles. C'est pe\!après, d'ailleurs, que commencèrentla réaction et les procès contre lesécrivains dont les vérités, mêmepartielles, étaient trop explosives.

En même temps commençait lelent processus de la réhabilitationde Staline, nécessaire à toute ten-tative de resserrer le corset de labureaucratie. Ainsi le combatpour la liberté de parole devintcombat pour le respect des droitsgarantis par la constitution, étroi-tement lié à la lutte contre laréhabilitation de Staline.

Au premier plan de ces com-bats des fils de vieux-bolcheviks(Pavel Litvinov, Piotr lakir, Leo-nide Petrovski), un vieux bolche-vik rescapé de Kolyma, AlexisKosterine, qui maintiennent unefragile continuité historique. Leurstextes sont sans doute les plus ri-ches du volume. L'importance decette continuité, Piotr Grigorenkola souligne lorsque dans son dis-cours prononcé aux funéraillesd'Alexis Kosterine le 14 novem-bre 1968 - le premier meetinglibre en U.R.S.S. depuis les funé-railles du trotskyste Abrahamloffé en 1927 - il affirme :c Il y a très peu de temps que

je connais Alexis. Il y a moins detrois ans. Mais lai passé à sescôtés une vie tout entière. Monami le plu!J proche m'a dit, du vi-vant même d'Alexis Kosterine :« C'est Kosterine qui t'a créé ». Etje ne le contestai pas. Oui il m'acréé: du révolté que l étais, il afait un combattant. »

Combattant. C'est le mot quidéfinit sans doute le mieux lesauteurs de la grande majorité destextes de Samizdat 1. Une forcetranquille s'affirme chez ces hom-mes qui veulent en même tempsdéfendre l'Union Soviétique et enbalayer ceux que Paoustovski dé-nonçait dès 1956 comme les piresennemis du socialisme : le dockerAnatoli Martchenko, condamné à

six ans de camps de concentrationde 1961 à 1966, condamné depuisl'admirable lettre qu'il écrivit auxtravailleurs tchécoslovaques (pp.398·403) à trois nouvelles annéesde camp, Larissa Daniel, PiotrGrigorenko, Boukovski, le prési-dent du kolkhoze Ivan lakhimo-vitch - dont la KomsomolskaiaPravda reproduisait le journalde président cmodèle» en 1964 -et qui croupit aujourd'hui dansun asile, le poète Vadim Delau-nay, le mathématicien LéonidePliouchtch.S'il est impossible d'analyser ici

les nuances et les activités d'uneopposition communiste qui fon-dait dès 1961 en Ukraine uneUnion Ouvrière et PaY!Janne dontSamizdat 1 reproduit une partiedu programme, qui vient de seconstituer en une organisationpublique et qui organise des ma-nifestations, s'il est impossible icid'évoquer le contenu fort riche dela soixantaine de textes reproduitsdans Samizdat l, s'il est impossi-ble de détailler le contenu d'unepolitique qui s'affirme commeune volonté de «retour à Lénineet d'ouvrir «la seule alternativeau capitalisme et au c socialismestalinien, le socialisme marxisteléniniste régénéré et débarrasséde la boue » (Kosterine), on peutdire que les textes de Delaunayet de Kosterine, de Grigorenko etde Iakhimovitch, de Pliouchtchet de Iakir, d'Alexeev et de Mart-chenko, de Larissa Daniel et dePavel Litvinov rassemblés dansSamizdat 1 mènent tous plus oumoins directement à la conclusiondu dernier texte rédigé par IvanIakhimovitch avant son arresta-tion et où, se posant sans lamoindre ambiguïté comme uncombattant du socialisme et de laclasse ouvrière, comme un défen-seur des conquêtes d'Octobre, ilconclut par ces mots :« Communistes, en avant! Com-

muniste!J, en avant!Avant tout, c'est un danger pour

le pouvoir soviétique lui·mêmequand les homme!J sont privés deliberté pour leuT!J convictions,car il ne !Je passera pas longtempsavant que lui aussi soit privé deliberté.Les puissants de ce monde sont

forts parce que now sommes àgenoux.Levons·nous.» (p. 429·433).

Jean-Jacques Marie

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Du communisme à la collaboration

•critique et métaphysiquesociale de l'occident

Si l'on ne partage pas l'opti-misme de Dieter Wolf sur le fas-cisme « irrévocablement vaincu parla Seconde Guerre mondiale», nile jugement favorable qu'il porteincidemment sur le préfet de p0-lice Jean Chiappe, si le mot « in-vasion » pour désigner le débarque-ment allié en 1944 (p. 393) est denature à choquer la sensibilité fran.çaise (mais peut-être s'agit-il d'unemaladresse de traduction ?), ilte que ce Doriot, sous-titré : Ducommunisme à la collaboration, estun portrait brossé avec une lenteurminutieuse, une application opiniâ.tre et un souci constant de vérité.

Maurice Chavardès

•qUI

est aliéné?

MAURICE CLAVa

ErFLAMMARION

sé, sur lequel Dieter Wolf se pen·che en passant, est l'imprégnationd 'hommes politiques français (dontla réputation de démocrates n'aguère été mise en doute) par lesidées fascistes. C'est le cas, parexemple, de Daladier, qu'on vit, en1939, recourir à une propagandeanimée des principes du P.P.F. :à l'approche du conflit, le « tau·reau du Vaucluse », reprenant plusd'une idée à Doriot, « se conduisiten dictateur possible », ainsi que lenotèrent alors - mais on l'a un peuoublié - Jacques Debû·Bridel etAlfred . Fabre-Luce, lequel avaitrompu, après Munich, avec leP.P.F.

Ce qu'il '11 aet d'élémentaire dans le fas-ofsme n'empiohe pas la f..-aination qu'il peut ezeroersur oertains intelleotuels.

allemand, italien, espagnol ou fran·çais : un nationalisme exaspéré, lacréation d'un parti unique (Dorioty échouera à Vichy à cause dePétain et de Laval), le principe duchef et l'idée d'élite (cf. l'hymne duP.P.F. : « Ecoute Doriot qui t'ap-pelle - Enfant de France, vers leplus noble but!»), la formationd'un front contre le marxisme, ladémocratie et les Juifs (dès juillet1940, des membres du P.P.F. sac·cagèrent des magasins appartenantà des Israélites et tentèrent, le 15août, d'incendier la synagogue deVichy).

Ce qu'il y a d'irrationnel et d'élé-mentaire dans le fascisme - et quel'ouvrage de Dieter Wolf met assezbien en lumIère - n'empêche pasla fascination qu'il peut exercersur certains intellectuels. Il est édi-fiant de rappeler à cette occasionl'enthousiasme béat de Drieu LaRochelle parlant du « rendez·vousà Saint-Denis» (où se rassemblè-rent, en juin 1936, les fondateursdu P.P.F.) : « On y vient avec ousans gants, en blouse ou en salo-pette, à pied et en voiture». Ettout de même le vertige d'un Thier-ry Maulnier, d'un Jean-PierreMaxence, d'un Alfred Fabre-Luce,« se hasardant un peu étourdimentsur le sol vierge du fascisme».Contradiction trompeuse : la pen-sée française a toujours eu beau-coup de mal à se dégager de lacaste, à se faire « socialiste ».Par une autre contradiction -

non moins apparente - la hainede la ploutocratie qui, par moments,prenait un aspect anticapitaliste,n'a jamais empêché Doriot de tou·cher des fonds de diverses banquesparisiennes (dont Rothschild, Drey-fus et Lazard), d'industriels de l'au-tomobile et de l'alimentation, deplusieurs associations patronales etdes Aciéries de l'Est. En marge dequoi, on devine l'intérêt d'une étu·de d'ensemble sur lp. financementdes ligues d'extrême-droite en Fran-ce de 1930 à 1945 ...Un phénomène rarement analy.

Si impartiale qu'elle se veuille,une biographie de Jacques Doriotcourt le risque de paraître majorerun homme et, par voie de consé-quence, un mouvement politiquerelativement secondaire. C'est sansdoute afin de parer à ce reprocheque Dieter Wolf - jeune historienallemand qui n'a guère connu d'ex.périence le nazisme et la SecondeGuerre mondiale - a entendu re-placer le Parti populaire français etson fondateur dans le contexte dufascisme et de la collaboration avecl'Allemagne hitlérienne, parmi lesautres personnages et mouvementssimilaires auxquels il s'est efforcéde restituer leur véritable échelle.S'il n'y est pas toujours parvenu,

on lui accordera cependant que sapeinture des années 20, son évoca-tion de février 1934, son analysedes milieux collaborationnistes deVichy sont, en général, justes etobjectives.Sur un tel fond d'histoire, le

métallo Doriot, amateur de boxeet de théâtre, socialiste antimilita-riste en 1917, secrétaire des Jeu-nesses communistes, enfant gâté,puis enfant terrible du P.C.F. etde Moscou, partisan de l'ouverturevers la S.F.I.O., battu par Thorezdans la lutte pour le pouvoir à l'in.térieur du parti, schismatique après1934, chef d'un mouvement natio·naliste pro-mussolinien et pro-hitlé-rien, munichois en 1938 (mais, endehors de ceux des députés commu-nitses, deux votes seulement s'ex-primeront contre Munich au Parle-ment), partisan d'une entente tota-le avec l'Allemagne en 1940, et,pour finir, adversaire malheureuxde Laval, puis triomphateur déri-soire, à Sigmaringen, de Darnand,Bucard et Déat - cet aventurierqui devait mourir banalement, en1944, dans un bombardement, ce« fils du peuple» (son père étaitforgeron), cette « force de la natureprolétarienne » qui, sans drame deconscience, franchit le fossé qui sé·parait Staline de Hitler, apparaîtcomme le meneur fasciste type.Il est intéressant de noter que

sa conversion, après la rupture de1934, est un ralliement sans condi-tions à la définition du fascismevalable, à quelques nuances près.pour tous les fascismes, qu'ils soient

1Dieter WolfDoriotTrad. de l'allemandpar Georgette ChatenetFayard éd., 482 p.

La Quinzaine littéraire, du 1W au 15 mars 1970 21

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LIRGUISTIQU.

Sollers parlenément une histoire de castra-tion.» Balzac aura cependantécrit son texte en tournant ellip-tiquement autour d'un manquequ'il ne peut pas dire constituantainsi le tissu symholique et sontrou, l'œil et sa tache aveugle.Il faut lire Sarrasine puis le

montage et la partition qu'en faitBarthes. La nouvelle n'étant plusfinalement, que ce montage où elleest incluse. Ce texte - classique-est un pluriel économisé. Il parleen rêvant, et il rêve qu'il parle.Il n'a pas à se rendre compte qu'ilest écrit. Il sait quelque chosequ'il ne sait pas et sur quoi il sefonde pour se raconter, quelquechose qui l'autorise, l'interdit, lesauve des interv,alles où il s'éva-nouirait s'il les prenait en chargeet s'il les pensait. Il est tout entiercomme le fantasme, mis en scènedans l'emhrasure d'une fausse fe-nêtre logique: celle de l'antithèsequi est sa matrice tonale. Commetel, il est « incomplètement réver-sihle». Il faut, pour le susciterdans son volume, le radiographier,le plisser, le disperser, le faire ré-gresser jusqu'à retrouver les tra-ces du travail dont. il est l'efface-ment et le le transfor-mer en « galaxie de signifiants »soumise à un mouvement topolo-p:ique, à une indication continue.C'est ce que Barthes appelle le« texte étoilé» : indication dufait qu'il peut commencer à sor-tir de la toile, par interruption,coupes, suspens, surgissement etdérive des hlancs sous.jacents. ceLedéveloppement d'une énig'me esthien celui d'une fugue. » De plus,le texte classique (comme le dis-cours névrotique) est appendu àla méconnaissance de la castration(c'est-à.dire au pénis de la Dièremaintenu coûte que coûte). « Undoigt, écrit Barthes, de son mou-vement désignateur et muet, ac-compagne toujours le texte clas-sique : la vérité est de la sortelonj{uement désirée et contournée,maintenue dans une sorte de plé-nitnde enceinte, dont la percée, àla fois libératoire et catastrophi.que, accomplira la fin même dudiscours; et le personnage, espacemême de ces signifiés, n'est jama;sQue le passage de l'énigme, decette forme nominative de l'énig-me dont Œdipe (dans son débatavec le Sphynx) a empreint my-thiquement le discours ocdden-tal. »Or le castrat, dans Sarrasine, in-

mur et vitral;-e, qui est le règle-ment et la mise en cause de la dif-. férence : ce trait est caché dans letexte classique, opérant et visihledans le texte moderne (d'où la dis-parition de la figure, de l'image,du personnage, du nom). Le motSarrasine ne s'entend pas commeil se lit : un Z vient, à l'auditionà la place d'un s. L'espace figu.ratif est dicté par la méconnais-sance de cette incision.Mais résumons. Le texte d'Ho·

noré de Balzac commence par la« description» d'un hal au Fau·bourg Saint·Honoré. Apparaît un« mystérieux vieillard » dont lanarration, par une série de détourset de décrochages (minutieusementrepérés par Barthes), nous ap·prendra qu'il est un castrat célè·hre, Zamhinella, cause de la fortu-ne de ses neveux. Zamhinella a étéresponsahle de la passion mortelleet aveugle d'un sculpteur vierge,Sarrasine (c'est le récit dans lerécit : le narrateur essaye de ven-dre cette histoire à une jeune fem·me contre une nuit passée avecelle. La narration de l'énigmetourne autour d'un tableau, L'En-dymion, de Girodet, lui-mêmeréplique de la sculpture réaliséepar Sarrasine avant qu'il s'aper-çoive que Z n'était pas une fem-me. Le récit, conçu comme mar·chandise, hute sur le fait qu'il nepeut ni nommer ni intégrer l'effetde la castration : le narrateurn'ohtiendra pas le corps qu'il dé·sirait. « On ne raconte pas impu.

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cette carle à

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net et de Julia Kristeva, que lacoupure qui fait apparaître le plusnettement cette mutation dansl'écriture est précisément datée :Les Chants de Maldoror (1869).Sarrasine a été écrit en novemhre

1830 (année où les mouvements li-héraux et nationaux agitent toutel'Europe). Barthes, en 1970, peutréécrire cette nouvelle au point delui assigner exactement sa place :celle d'un tahleau maintenant li-sihle en chacun de ses points, d'unensemhle entièrement saturé, d'unsystème qui enregistre la crise dela représentation même. Le textede Balzac, nous explique Barthes,est juste antérieur à cette aventurede l'écriture qui définit la pointede notre modernité : il la frôle, ladénie, la suggère ; il en suhit lescraquements, la fissuration, lahrûlure, et cela au point vif queFreud est venu définir : la castra·tion. Sarrasine est le récit d'unecastration qui a lieu dans le récit,et le récit de la cas t ra-tion du récit comme récit. Bienplus, nous pouvons ici en donnerle monogramme, la formule, lechiffre : S/Z. Ce qui passe entreles « personnages » du récit hour·geois n'est rien d'autre, en défini·tive, qu'une permutation et unemutilation de lettres, une entaillelittérale en miroir. Entre le narra·teur et celle qui l'écoute (entreBalzac et son écriture) com-me entre Sarrasine (le sculpteurassassiné) et Zamhinella (le cas-trat chanteur) se dresse un trait,

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1Roland BarthesSjZLe Seuil éd., 280 p.« L'aventure a des passages dan-

gereux pour le narrateur. »(Balzac).

Georges Bataille, en 1957, indi-que avec sûreté l'importanced'une nouvelle peu connue : Sar-rasine (qu'il écrit d'ailleurs avecun z) où il voit « l'un des som-mets » de Balzac. Plus qu'un pro-hlème formel ou technique, ce quicompte à cette époque, aux yeuxde Bataille, c'est le fondement quiferait d'un certain nombre de tex-tes, épars dans notre culture, lessymptômes d'un houleversementouvrant, comme il le dit, sur une« vision lointaine». Le récit quirévèle les possibilités de la vien'appelle pas forcément, mais ilrévèle un moment de rage, sanslequel son auteur serait aveugleà ces possibilités excessives.» Nousn'avons plus aujourd'hui, dans lechamp théorique désormais déga-gé, à nous demander ce qu'il enest de l'expérience d'un «auteur».En revanche, nous savons que no-tre travail doit porter sur les limi-tes, les hords, l'épaisseur signi-fiante et l'inscription historiquedu fonctionnement des textes :travail d'avant-garde, malgré tou·tes les résistances ohscurantistes(psychologiques), travail qui con·solide une mutation idéologiquedont le frayage est inéluctahle.Nous supposons démontré, aprèsles recherches de Marcelin Pley-

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de Barthestroduit dans le code culturel clas-sique ùne fissure irrémédiable :il est bien le représentant de sareprésentation écoilOmique. Ve-nant à la place creusée et inversede la mère au pénis - enversstrict de l'essence (divine) -, il(9U elle) perturbe comme l'écritBalzac « la mort et la vie, ma pen.sée, une arabesque imaginaire, unechimère hideuse à moitié, divine·ment femelle par le corsage. >J Letexte classique ne montre que samoitié, c'est un effet de gorge.Entièrement déplacé sur la voix(et pour cause), Z, le castrat chan·teur (ou chanteuse) fait de cetteressource vocale un « produit di-rect de la castration, trace pleineliée,. du manque. » De même quele récit classique (dit réaliste) estcopie de copie (réglé sur une idéa-lisation picturale du réel, écritureinconsciente d'une image déjà-écrite), de même, donc, que la lit-térature est conçue par l'idéalisme.esthétique comme un « rétrovi.

de la peinture (et jamais.comme une machine signifianteantérieure à toute saisie) ; de mê·me, la mélodie. comme ],a figura.tion (dont le point de fuite impré-sentable est, dans notre culture, lephallus) culmine dans la voix' ase·xuée. On ce que rapporteStendhal (cité par Barthes) descastrats vocalistes du XVIII" siè-cle : que les femmes portaientleurs portraits « un à chaque bras,un au cou suspendu à une chaîned'or, et deux sur les boucles dec.haque soulier. »

Le castrat est ainsi refoulé-su-blimé. Sinon il ne serait évidem.ment qu'un monstre, un corpsmorcelé ou, comme le dit Balzac,un vampire, un Faust, un alchi.miste, une fée. Au niveau écono·mique, il est d'autre part unesorte de point.mort de la monnaie,sa source neutre : « l'Or est subs-titut du vide de la castration >J.

Sarrasine est implicitement lele plus lucide sur la so·

ciété capitaliste en pleine expan-sion : l'argent bourgeois est aussifondé sur l'exploitation d'uneplus-value liée à lajouissance, ce que Lacan appellele « plus.de· jouir >J. Ce que nousindique le texte, et ce qu'il redou-ble dans son non.dit, c'est quel'excrément se capitalise sousl'apologie de « l'art >J, c'est que lespectre idéologique de ],a 'bour-'geoisie, de ses corps et de son ré-cit, est composé de cette « castra-

ture» qui ressort dans sa voix etdans sa parole, d'une prostitutionvoilée et syntaxiquement neutrali.sée assurée par un argent san-glant qui en est le support sémi.nal. Le récit bourgeois est un« corsage >J : au·dessus de la cein-ture de ce qui se fait, il s'accumuledans sa sublimation stéréotypée.La castration et l'argent passentl'une dans l'autre : pour le « sa-voir >J, il faudra payer.Ainsi le récit·marchandise est

« la représentation du contrat quile fonde )1 ••« Raconter est un acteresponsable et marchand... dontle sort (la virtualité detion) est en quelque sorte indexéesur le prix de la marchandise, surl'objet du récit ». Dans Sarrasine,cependant, le premier symptômede la crise apparaît. Echec de lasublimation et récit de la sublima-tion d'un échec, de l'impossibilité« d'authentifier l'enveloppe deschoses, d'arrêter le mouvement di.latoire du signifiant >J, ce texte estdéjà une critique. de tout « art >J

où s'accomplit la représentation

sauf le sexe, de la feuille de vi.gne - de la feuille de signes -qui soutient son dessin. S/Z estainsi l'exposé analytique et dra-matisé de la manière dont le re·foulé sexuel se cherche dans le dis-cours, s'empare de lui et le guide,oriente son glissement, ses distri·butions, sa clôture; comment cerefoulé ou ce blanc marqué, maisnon pensé, surdétermine lechamp discursif, informe sa clé, sapente, son alpha et son omega fic-tifs. Le tissu du texte classique nereconnaît pas son travail qui resteinconscient : or nous savons, parFreud, ce qu'il en est de ce tissageC9mme « origine» de l'écriture,comment il correspond au jeu dela femme tres8ant ses poils pubienspour fabriquer le pénis qui luimanque. La reconnaissance dusexe est ainsi prise indissoluble·ment dans un filet d'écriture ettoute connaissance de l'écritureentraîne une connaissance sexuel-le. Le texte classique, Barthes araison de le souligner, est un féti-che (une chimère qui parle à moi.

tié). Il tourrie autour d'un sujetbarré vide, d'un prédicat doubleet flottant : il est la pensée dU'trou dont il est le tour. On com.prend pourquoi il souHre de l'ex.position et de l'évitement de lacastration comme une contagionen lui réprimée, une véritable gan.grène ; comment cette coupure e8tpour lui la destruction d'une idéo-logie obsessionnelle de l'art, dusens et de la beauté. La castration,en effet, interrompt « la circula·tion des copies (esthétiques ou bio-logiques) elle trouble « la perméa.bilité des sens, leur enchaînementqui est classement et répétition,comme la langue. >J Au contraiJ::e,l'effet de coupure de l'écrituremoderne est d'abandonner leplein « pensif» (la déambulationdiscursive) du champ classiquepour introduire, à l'infini, un excèsqui fait de sa visée non pas unobjet perdu mais un reste multi·plié et dialectisé. A travers Sarra•sine, S/Z, nous abordons à cetenvers dudit qui va trancher lesliens de l'écriture et de la voixouvrir le texte à une atonalité quiannonce une transformation histo-rique générale, le passage (tou.jours en cours) à un autre modede production. Dans la nouvelle deBalzac, la' fin du discours hésiteencore. Son idéologie est program·mée par un savoir pauvre, par descodes de références culturels l'es·treints. « Quoique d'origine entiè·rement livresque, ces codes, parun tourniquet propre à l'idéologiebourgeoise, qui inverse la cultureen nature, semblent fonder le réel,la « Vie >J. La « Vie» devient

dans le texte classique, unmelange écœurant d'opinions cou.l'antes, une nappe étouffanted'idées reçues : c'est dans cescodes culturels que se concentre ledémodé balzacien, l'essence de cequi, dans Balzac, ne peut être ré·écrit. Seule l'écriture, en assu·mant le pluriel le plus vaste possi.ble dans son travail même, peuts'opposer coup de force ill'impérialisme de chaque langage.1830 : il faudra près de quaranteans avant que vienne la main quitracera pour nous ce début :« Plût au ciel que le lecteur, en·"ardi et devenu momentanémentféroce comme ce qu'il lit ... >J Marxet Freud, désormais, existent.Bientôt, le texte de Sade va sortirde l'ombre. Bientôt tout sera ditet commencera d'être écrit.

Philippe Soller$

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P8YCBOLOGI.

Wilhelm Reich

Reioh dénonoe toutes les sauces idéalistes ou métapho-

Reioh, o'est l'énergie sexuelle.

sir et à traiter le problème 88S termes littéraux,

Sous l'effet de la « brèche» opé-rée dans la cuirasse caractérielle-musculaire, Reich voit surgir lacolère, la haine, l'angoisse - toussentiments qui le conduisent à unesource commune : la frustrationsexuelle, et plus précisément, l'in-capacité d'atteindre la plénitudedu plaisir sexuel, l'orgasme. Réso-lu à se maintenir au niveau duprincipe de plaisir et à traiter leproblème dans ses termes litté-raux, Reich dénonce toutes les sau-ces idéalistes ou métaphoriques àl'aide desquelles on cherche, unpeu partout, à « faire passer » lalibido freudienne. La libido, pourReich, c'est l'énergie sexuelle,c'est l'énergie du système nerveUl- plus spécifiquement du systèmeneuro-végétatif - en tant qu'ellecommande le mécanisme tension-détente des organes sexuels. Ener-gie biologique que Reich, dans lecourant des années 30, conçoitcomme énergie électrique, et qu'ilvoit à l'œuvre dans la fameuse« formule de l'orgasme : tensionmécanique charge électrique -décharge électrique - relaxationmécanique » (la Fonction de· l'or·gasme, p. 219).

Reich appuie sa conception« nerveuse » de l'énergie sexuellesur tout ce que la physiologie deson temps pouvait lui proposerquant au fonctionnement des sys-tèmes sympathique et parasympa-thique. En revanche, ses spécula-tions sur l'orgone, « énergiesexuelle cosmique », ne peuventfaire état que de données contes-tables et confuses. Plus qu'un dé-veloppement de sa réflexion, ellestraduisent l'impact de circonstan-ces historiques bouleversantes surun homme harcelé de tous côtés,épuisé par un labeur stupéfiant

du patient, à cerner et dissoudreses résistances telles qu'elles sontconstituées dans ce qu'il appellela « cuirasse caractérielle » qui esten même temps, et littéralement,« cuirasse musculaire» : spasmeset tensions musculaires mis au jourpar la végétothérapie ne sont pasde simples manifestations de symp-tômes névrotiques ou de forma-tions caractérielles, ils sont cesformations et ces symptômes eux-mêmes, comme le sont aussi lesmimiques et traits du visage, lesfaçons de respirer et toutes lesmodalités individuelles de fonc-tionnement des organes.

titudes caractérielles» (p. 1I8,souligné par Reich). Total, donc,en ce qu'il est à la fois histoire etstructure ; dialectique, en ce qu'ilse fonde, entre autres mécanismes,sur « l'unité fonctionnelle-antithé-tique de l'instinct et de la dé·fense ».Tandis que la cure analytique

traditionnelle consiste dans l'inter-prétation des matériaux incons-cients et des associations - touteschoses qu'on peut grouper sous larubrique très jungienne de « méta-morphoses et symboles de la libi.do » - « l'analyse caractérielle»ou caractéro-analyse proposée parReich s'attache avant tout à appro-cher les défenses caractérielles

res, réseaux neuroniques, etc.) -qu'il importe de regarder au moins,d'interroger, de déchiffrer, enliaison avec son mode spécifiquede perception et de position dansle monde qui est ce qu'on appellele caractère - concept original etdéterminant de la thérapeutiquereichienne, qui n'a pas grandchose de commun avec les intui·tions caractérologiques tradition-nelles, de nature phénoménologi-que ou impressionniste. Le conceptreichien de caractère est unconcept total et dialectique : « laconstitution d'une personne, écrit-il dans la Fonction de l'orgasme,est la somme totale fonctionnellede toutes ses expériences passées ...Tout le monde vécu du passé vittÙms le présent sous la forme d'at-

Conservant à la sexualité sa posi-tion centrale, Reich en poursuitl'analY8e et l'inscription dans deux,directions et domaines différentsmais rigoureusement complémen-taires : le corps et la société. Làoù l''reud fait surgir des figuresmonadiques, anthropomorphiquesou lDythiqueF; (le ça démoniaque,le !Jurmoi imperator, Eros, le Pèreprimordial, etc.), Reich s'efforcede cerner la singularité et la tota-lité du sujet. L'être qu'il a en facede lui - patient qui vient solli-

son intervention, ou touta u t r e interlocuteur c'estd'abord un corps, un ensemble or-ganisé de signes somatiques (sur-faces cutanées, plaques musculai-

« faire passer» la libido freudienne. La libido, pour

Résolu à se maintenir au niveau du prinoipe de plaie

riques à l'aide desquelles on oherohe, un peu partout, à

qu'elle détient dans un système.Ainsi, chez Melanie Klein, elleinaugure une problématique quiéclaire des aspects saisissants dutout-premier psychisme enfantin.Chez Freud, en revanche, l'instinctde mort semble bien avoir pour vo-cation - telle est en tout cas l'opi-nion de Reich - de clore uneproblématique articulée sur lesthèmes du masochisme, du sadis-me, de l'agressivité, rte la compul.sion de répétition ; elle opère undécentrement du système : l'éco-nomie psychique fonctionne encuit fermé entre les deux pôlesd'Eros et de Thanatos, au lieud'être centrée sur ce point pivotaIqu'est la sexualité; est escamotée,ainsi, l'ouverture sur les problè-mes politiques et sociaux.

A 23 ans, Wilhelm Reichdevient, en 1920, membre dela Société Psychanalytiquede Vienne, au moment oùFreud, avec la publicationd'Au-delà du principe du plai-sir, engage la psychanalysedans une voie nouvelle : enproposant ce qu'on appelleaujourd'hui sa « deuxième to-pique -, Freud présente lefonctionnement de l'appareilpsychique comme l'interactionde trois instances, le ça, lemoi et le surmoi. Il élargit leconcept de sexualité, et faitappel à la notion platonicienneet mythique d'Eros, à laquelleil oppose, dans un dualismemassif et radical, l'instinct demort, Thanatos.

Non pas qu'une telle hypothèsesoit contestable en soi : ce qui estsurtout à repérer, c'est la fonction

C'est par son OpposItIOn à cesecond versant de la pensée freu-dienne et sa fidélité aux principespremiers de la révolution psycha-nalytique que Reich se définit.Dans la Fonction de l'orgasme, sagrande ,autobiographie intellec-tuelle (1), il évoque avec uneexacte ironie la figure des fameu-ses instances psychiques : « Le"ça" était "méchant". Le "surmoi"siégeait avec la longue barbe, et ilétait "sévère" Quant au pauvre"moi", il tâchait de ménager lachèvre et le chou. » (p. 103). Figu-res plus aptes, lui semble-t-il, às'agencer en fantaisies combina-toires qu'à susciter des développe-ments théoriques ou cliniques effi-caces. Le bel et hellénique Erosprenant la place du sexe, c'est,pour Reich, l'abandon ou la miseen veilleuse du concept fondateuret centr,al de la psychanalyse : lasexualité ; enfin, Reich refuse caté-goriquement l'idée d'un « instinctde mort ».

1Wilhelm ReichLa révolution sexuellePlon, 1968, 315 p.

1Wilhelm ReichLa fonction de l'orgasmeL'Arche, rééd. 1967,300 p.

1Michel CattierLa vie et l'œuvre du DocteurWilhelm ReichLa Cité, Lausanne, 1969, 221 p.

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et la révolution sexuelle(allez-vous eontinuer longtempscomme ça lui demanda Freud unjour, et ce n'était qu'au début !)et rendu plus vulnérable encorepar sa lucidité. L'orgone a surtoutpermis à la meute enragée des ad-versaires de Reich de dénigrerl'homme et l'œuvre, tandis qu'ons'acharnait à réduire par le silenceou- la calomnie (ne vient-on pasde voir paraître ces derniers joursquelques lignes infâmes?) unepensée redoutable. La justice et lapolice américaines se sont chargéesde passer à l'acte : un jugement,concluant un -procès intenté par laFederal Food and Drug Adminis-tration, interdit tous les livres deReich; un second jugement l'en-voie au pénitentier de Lewisburg,en Pennsylvanie ; après huit moisGe détention - dans quelles condi-tions ? - il meurt le 3 novembre1957, Il avait été mis, au ban duparti communiste allemand en1933, il aavit été exclu de l'Asso-ciation Psychanalytique internatio-nale en 1934 - expulsé du Dane-mark et de la Suède.

Psychanalystes, communistes etbourgeois ne pardonnent pas àReich d'avoir poussé à son termelogique la « révolution psychanaly-tique », de la transformer en psy-chanalyse révolutionnaire.parable expérience clinique deReich - sous-directeur de la Poly-clinique psychanalytique de Vienne,mrecteur d'un séminaire de théra-pie psychanalytique, enseignant à ]aclinique psychanalytique de Berlin,Qirigeant de nombreux centres d'hy-giène sexuelle - l'amène à cetteconstatation : un analyste tentepéniblement, au fil des années, deGénouer un conflit névrotique, de« guérir » une névrose, alors quec'est par millions que la sociétéfabrique des névroses. ·C'est doncau système sodal qu'il faut s'atta-quer : nommément, le systèmecapitaliste et la société bourgeoise,fondés sur l'exploitation économi-que et la répression sexuelle.

Comment parviendrait-il à lapleine jouissance sexuelle, à l'épa-nouissement de sa génitalité,l'homme que le travail quotidienharasse, que harcèlent les soucisd'argent et que crétinisent les mass-media, la religion, les idéologiesconformistes et disciplinaires, .quivit dans un logement étroit etbruyant, avec une femme elle-mê-me épuisée par le travail ménager,les soins donnés aux enfants et han-

tée par la peur de la grossessetous deux, en outre, ignorants

des capacités de bonheur qui leshabitent, pervertis et mutilés parune éducation qui a mis le grappinsur eux dès la naissance et depuislors ne cesse de traquer les « basinstincts»? Tel est le langagefranc, direct, concret, et toujoursactuel - si l'on en juge d'aprèsla généralisée del'ordre répressif dans les écoles,lycées, universités, maisons dejeunes, etc. - que parle Reichdans la Revolution sexuelle.

Fort d'une expérience thérapeu-tique-sociale-politique unique enson genre, appuyé sur une cultureimmense qui a su intégrer le meil-leur du freudisme, du marxisme etdu savoir sociologique et biolo/l;i-que de son temps, Weihelm Reich,qui a fondé en 1931 là SEXPOL- Association allemande pour uneune politique sexuelle proléta-rienne, qui comptera au bout dequelques mois 40.000 membres -démonte, en des analyses sans ré-plique, les mécanismes de la so-ciété répressive, qu'elle soit occi-dentale ou ; il porte se';coups les plus durs à la famille,« fabrique d'idéologies autoritaireset de structures mentales conser-vatrices» (p. 113). Ses descrip-'tions de la misère sexuelle desjeunes - qui aimer ? où ? com-ment? avec quelles conséquen-ces ? -, des rapports du coupleviciés par l'obligation du mariageen tant qu'institution économique-morale, de la tyrannie quotidienneexercée par l'adulte sur l'enfantprisonnier d'un univers imposéqu'on peut déjà nommer « concen-trationnaire », du « regel ». moralen Union soviétique après la luttepour une « nouvelle forme de vie »- donnent à une vi-gueur et un souffle inégalés. Il y,a une acuité du regard de Reich,qui traverse l'anecdote pour at-teindre un aspect· structurel déter-minant. Assiste-t-il, en exil à Mal-mo, à la promenade du soir dansla grand-rue, où J!:arçons et fillessont contraints de bêtifier, ilnote : « Civilisation ? Bouillon deculture pour mentalité fasciste, dèslors que l'ennui et la pourrituresexuelle rencontrent la fanfare na-tional-socialiste. » (p. 132).Rien n'est plus loin de Reich

que l'utopie. Militant pour l'avè-nement d'un homme libre et heu-reux, c'est dans la chair même de

Wilhelm Reich, 1924.

l'homme, dans la sexualité commeexpérience primordiale, quoti-dienne, universelle, qu'il inscritsa vocation révolutionnaire - dé-veloppée en propositions précises,concrètes, qui font de la RévQlu-tion sexuelle un manüeste et unprogramme d'une vitalité inépui-sable -' source à laquelle s'ali-mentent les expériences et les ten·tatives de libération et de transfor-mation dans les domaines les plusdivers : puériculture, pédagogie,éducation, vie sociale, etc. Quel'on pense à l'activité militanted'un Luigi De Marchi en Italie (2),à l'expérience de pédllgogie liber-taire d'A.S. Neill en Grande-Bre-tagne (3); que l'on se souvienneque, trente ans à l'avance, la Révo-lution sexuelle a donné la formuledes revendications qui aboutirent à

l'explosion des mouvements étu.diants dans le monde, inaugurantainsi la révolution (4).Wilhelm Reich, ce n'est peut-êtrequ'un début, mais c'est déjà toutle sens d'un combat.

Roger Dadoun1. Cet ouvrage autobiCigraphique nedoit pas être confondu avec Die Funk.tion de3 Orgaamw, publié en 1927 dan.leqnel Reich expose de façon scientifiqnesa théorie de l'orgasme. Cf. le livre clairet documenté de Michel Cattier surReich, p. 56, note 1.2. Cf. Repressione seasuale e opprea.lIione lIociale, Sugar ed. 1965. SillnaloDique Feltrinelli avait publié dès 1963, enédition de poche, une tradnction italien.ne de la Révolution 3e%uelle.3. Cf. Summerhill, Pelican Books, 1968.4. Cf.Perapectitlfl3 paychiœriqua, nO25, 1969 : la Révolution culturelle, FreudMarcnse, Reich; notamment le. deuxarticles de Constantin Sinelatkofl, exeel-lent traducteur de la Révolution 3e%uelle.

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COLLECTIONS

.L'art dans le monde

On ne saurait manquer de rappro-cher cette collection d'Albin Micheld'une autre collection de cet éditeurque nous avons évoquée dans un pré-cédent numéro : «L'Evolution de l'hu-manité. (voir le n° 66 de la Quinzaine) .Il s'agit en effet, appliqué cette foisà l'évolution des formes artistiques,d'un tableau d'ensemble non moinsvaste, non moins ambitieux, non moinsminutieux dans le détail, qui grouperaau total une cinquantaine d'ouvrage8de synthèse fondés sur les rechercheset les découvertes les plus actuellesdans le domaine concerné, dus àdes spécialistes internationaux etqui tous s'articulent autour d'uneconception, d'une approche communes.C'est bien une histoire de l'art dans

tous les pays et à toutes les époquesqui nous est proposée ici, mais à tra-vers elle se trouve reconstituée dumême coup l'histoire des conditions

politiques, sociologiques et religieusesau milieu desquelles ont pris naissanceles innombrables œuvres d'art réper-toriées à travers les cinq continents, etqui, intimement liées au stade de civi-lisation dont elles sont issues, offrentsouvent des analogie's frappantes endépit de leur prodigieuse diversité.

C'est du reste sur cet aspect quedevait mettre l'accent le premier vo-lume de la collection, paru en 1960,sous le titre de l'Age de pierre, ouvra-ge collectif composé d'études trèsdifférentes sur des régions éloignéesaussi bien dans l'espace que dans letemps et qui démontre que si l'artpariétal franco-cantabrique trouve sesrépliques en Afrique, en Australie, enAsie, c'est que la civilisation suit àpeu près le même processus dans tousses débuts.

Par la suite, la collection devaitfaire alterner régulièrement, au rythmede trois ou quatre volumes par an, desouvrages portant tantôt sur les civili-

sations non-européennes, tantôt sur lescivilisations occidentales mais dont letrait commun et l'originalité particu-lière est de permettre au lecteur, qu'ilsoit spécialiste, étudiant, enseignant ouamateur, de découvrir des aspectsignorés de l'univers plastique de telleou telle civilisation, notamment dansle domaine des arts appliqués que leshistoires synthétiques se contententgénéralement de survoler.

C'est ainsi que E. Homann-Wedeking,évoquant la Grèce archaïque, se livreà une minutieuse analyse des cérami-ques peintes, des architectures, dessculptures des bronzes nés dans lemonde hellénique du VIII' au XI' siècleavant Jésus-Christ; que l'archéologuefrançais A. Grabar nous fait pénétrerdans l'extrême complexité de l'Art duMoyen Age en Europe; que HermanGoetz dégage dans le volume consacréà l'Inde, la signification d'un art quis'étend sur cinq millénaires et dontles formes, d'une complexité infinie,s'associent toujours à ses intentions

religieuses; que Paul Bourguet,conservateur au Musée du Louvre,nous ré)lèle cet Art Copte très par-ticulier et mal connu des chrétiensde la vallée du Nil; qu'Anil de Silvanous entraîne jusqu'au cœur de l'Asiepour nous faire découvrir dans unlivre qu'il intitule la Peinture de pay·sage chinoise la mystérieuse signifi-cation de ces fresques qui ornentles parois des quatre cent soixante-neuf chapelles taillées dans le rocde Touen-Houang.

Il faut porter au crédit de ces volu-mes, outre la valeur scientifique etla tenue littéraire de leur contenu,une présentation attrayante et unedocumentation iconographique d'unerichesse et d'une qualité remarqua-bles. Tout cela explique l'excellentaccueil qui a été fait par le publicà ces ouvrages qui, tirés à 15.000exemplaires, ont fait pour la plu-part l'objet d'une ou de plusieursréimpressions en dépit de leur prixrelativement élevé (52,40 F). La réus-

FEUILLETON

par Georges PerecIl est clair que l'organisation de base de la vi-e sportive sur W

(l'existence des villages, la composition des équipes, les moda-lités de sélection, pour ne donner de cette organisation que desexemples élémentaires) a pour finalité unique d'exacerber lacompétition, ou, si l'on préfère, d'exalter la victoire. On peut dire,de ce point de vue, qu'il n'existe pas de société humaine suscep-tible de rivaliser avec W. Le Struggle for Iife est ici la Loi; encorela lutte n'est-elle rien, ce n'est pas l'amour du sport pour le sport,de l'exploit pour l'exploit, qui anime les hommes W, mais la soifde la victoire, de la victoire à tout prix. Le public des stades nepardonne jamais à un athlète d'avoir perdu, mais il ne ménagepas ses applaudissements aux vainqueurs. Gloire aux Vainqueurs!

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Malheur aux Vaincus! Pour le sportif professionnel qu'est lecitoyen d'un village, la victoire est la seule issue possible, laseule chance. La victoire à tous les niveaux : dans sa propreéquipe, dans les rencontres avec les autres villages, dans lesJeux, enfin et surtout.Comme toutes les autres valeurs morales de la société W, cette

exaltation du triomphe a-trouvé dans la vie qùotidienne son expres-sion concrète: des cérémonies grandioses sont données en l'hon-neur des athlètes victorieux. Il est vrai que de tous temps lesvainqueurs ont été célébrés, qu'ils sont montés sur le podium,qu'on a joué pour eux l'hymne de leur nation, qU'ils ont reçu desmédailles, des statues, des coupes, des diplômes, des couronnes,que leur ville natale Is a faits citoyens d'honneur, que leur gouver-nement les a décorés. Mais ces célébrations et ces honneurs nesont rien à côté de ceux que la Nation W réserve à ceux qui ontmérité d'elle. Chaque soir, quelqu'aient été été les compétitionsdisputées dans la journée, les trois premiers de chaque série,après être montés sur le podium, après avoir été longuementapplaudis par la foule qui leur a lancé des fleurs, des confetti, desmouchoirs, après avoir reçu des mains des calligraphes officielsle diplôme armorié immortalisant leur exploit, après avoir eu l'in-signe privilège de hisser l'oriflamme de leur village au sommetdes màts olympiques, les trois premiers de chaque série sontconduits, précédés des porteurs de torches et des porteurs d'éten-dards, des lanceurs de colombes et des fanfares, jusqu'aux grandssalons du stade central où est préparée pour eux une réceptionrituelle, pleine d'éclat et de munificence. Ils se débarrassent deleurs survêtements, on les invite à choisir un costume magnifique,un habit brodé, une cape de soie aux brandebourgs rutilants, ununiforme chamarré constellé de décorations, un frac, un pourpointau jabot et aux parements de dentelle. Ils sont amenés devantles Officiels qui lèvent leur verre à leur santé en les congra-tulant. On les entraîne dans un tourbillon de toasts et de libations.On leur offre un banquet qui se prolonge souvent jusqu'à l'aube:les mets les plus exquis leur sont proposés, les vins les pluscapiteux, les charcuteries les plus fines, les douceurs les plusonctueuses, les alcools les plus enivrants.Les Fêtes célébrées au moment des grands Jeux ont évidemment

plus d'ampleur et plus d'éclat que les fêtes données aux vain-queurs des championnats de classement ou des championnatslocaux. Mais cette différence, pour marquée qu'elle soit, n'est pasessentielle à la compréhension du système de valeurs en usagesur W. Ce qui, par contre, est beaucoup plus significatif, et quiconstitue même un des traits les plus originaux de la société W,

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bien l'efficacité des nouvelles mé-thodes de co-édition Internationale.

Théâtre

Deux nouveaux titres dans la collec-tion c Théâtre. du Seuil (voir le n° 77de- la- Ouinzaine) : A bientôt MonsieurLang, par Jean Louvet, dont le prota-goniste symbolise l'élégante impuis-sance et les droits compromis de l'in-tellectuel de gauche intégré à la socié-té qu'il conteste; Splendeur et misèrede Minette la bonne Lorraine, par Jac-ques Kraemer et René Gaudy, parabolecomique et satirique dans la traditiond'Arturo Ui et de l'Opéra de Ouat'Sous.

Les revues

Esprit(Février 1970). - En tête de ce

numéro, une lettre émouvante de P.C.Nappey sur l'homosexualité. La -revueprésente en outre plusieurs centresd'intérêt : Giacometti (par RobertMarteau), l'université aux U.S.A., laviolence selon Freud et selon la Bible,la poésie (grâce au Québécois JacquesBrault), Claudel encore. Pour qualifierla • nouvelle société -, Jean-Marie Do-menach a des mots qui ne pardonnentpas.

La NouvelleRevue Française

(N° 206). - C'est Paul Klee qui estla vedette de ce numéro. Dora Vallier,Jean Guichard Meili et surtout JeanClair publient trois textes à l'occasionde la rétrospective du grand peintreau Musée d'Art moderne. Au sommaire,une nouvelle d'un écrivain japonaisYukio Mishima, un essai très précis deMaurice-Jean Lefebve sur c Le dis-cours du récit. et une étude de PierreOster sur Paul Claudel.

Les Temps Modernes

(N° 282). - Malgré une nouvelle del'écrivain polonais Korab, de plusieursétudes sur les problèmes révolution-naires, l'essentiel de cette livraison estconstituée par l'interview donné à IlManifesto par Jean-Paul Sartre : il yfait le point actuel (et vraisemblable-ment provisoire) de ses difficiles re-latjons avec le Parti Communiste Fran-çais, de la structuration des PartisRévolutionnaires et du Processus -desocialisation des pays régis par uncapitalisme avancé. Comme toujourschez Sartre, c'est aussi riche que dis-cutable.

RECTIFICATIF

Dans le no 89 de la Quinzaine, noùsavons omis de préciser à propos dela collection • En toute liberté _ dlrl·gée par Alain Duhamel qu'elle étaitéditée par Fayard.

Pér.ôiismede notretetnps

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e"volC, dO'- er t,.... cli<5Cfé.;

c'est, non pas que les vaincus soient exclus de ces fêtes - cequi n'est que justice - mais qu'ils soient purement et simplementprivés de repas du soir. Il va de soi, en effet, que -si vainqueurset vaincus recevaient tous deux de la nourriture, le seul privilègedes vainqueurs serait alors d'obtenir une nourriture de meilleurequalité, une nourriture de fête au lieu d'une nourriture quotidienne.Les Organisateurs, non sans raison, se sont- dit que cela nesuffirait peut-être pas' à donner aux Athlètes la 'combativité néces-saire à des compétitions ue haut niveau. Pour qu'un athlète gagne,Il faut d'abord qu'il veuille gagner. Sans doute, le souci de sa gloirepersonnelle, le désir de se faire un nom, sa fierté nationale, cons-tituent-ils des moteurs puissants. Mais, à l'instant crucial, - aumoment où l'homme doit donner le meilleur de lui-même, où ildoit aller au-delà de ses forces et puiser, dans un ultime détache-ment,-I'é'nergie qui lui permettra d'arracher la victoire, il n'est pasinutile que ce qui soit alors' en jeu relève d'un mécanisme presqueélémentaire de survie, d'un réflexe de défense devenu quasiInstinctif: ce que l'Athlète tient au bout de sa victoire, c'est beau-coup plus que le prestige, nécessairement fugace, d'avoir été leplus fort. c'est, par la seule obtention de ce repas supplémentaire,la garantie d'une meilleure condition physique, la certitude d'unmeilleur équilibre alimentaire et, par conséquent, d'une meilleureforme.C'est ici que l'on pourra apprécier à quel point le système

d'alimentation W s'insère d'une manière subtile dans le systèmeglobal de la société et en devient même une des articulationsessentielles Il va de soi que l'absence de repas -du soir neconstitue pas, en elle-même, une privation vitale. 'Si tel était lecas, il n'y aurait plus depuis longtemps de vie sportive, ni mêmede vie tout court, sur W : un simple calcul montre en effet que,dans le meilleur des cas, celui des championnats de classement,264 athlètes seulement, sur un total de 1320, ont une chancede dîner. Après des championnats locaux ou des épreuves desélection, il n'yen a plus que 132. et, à l'issue des Jeux, il n'enreste que 66, c'est-à-dire, très exactement, 1 sur 20. La grandemajorité des Athlètes serait donc sous-alimentée d'une manière

Ils ne le sont pas : leur régime comporte trois repaspar jour, le premier le matin, très tôt'. avant le cross de miseen train, le second à midi, à la fin des séances d'entraînement,le troisième à 16 heures, au cours de la mi-temps traditionnellequi sépare les éliminatoires des finales. Par contre, ces repas sontcalculés de façon à ne pas satisfaire pleinement les besoinsdiététiques et énergétiques des Athlètes. Le sucre en est presquecomplètement absent. de même que la vitamine 81, indispensable

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à l'assimilation des glucides. Les Athlètes sont donc, d'une façonpermanente, soumis à un régime de carence qui, à plus ou moinslong terme, risque de compromettre sévèrement leur résistanceà la fatigue musculaire. Le repas des vainqueurs. avec ses fruitsfrais, ses vins doux. ses bananes séchées, ses dattes, ses confi-tures de fraise, ses compotes, ses médailles de chocolat, cons-titue donc. de ce point de vue, une véritable récupération gluci-dique indispensable à la bonne condition des Athlètes.L'inconvénient de cette méthode est évidemment qu'elle risque,

en favorisant les vainqueurs et en pénalisant les vaincus dans undomaine précisément lié aux _ physiologiques de lacompétition, d'accentuer les différences entre les athlètes etd'aboutir à une sorte de système en circuit fermé: les vainqueursdu jour, récompensés le soir même par une ration supplémentairede sucre. ont toutes les chances d'être aussi les vainqueurs dulendemain, et ainSi de suite, les uns étant de plus en plusvigoureux, les autres de plus en plus faibles. Ceci ôterait évidem-ment tout intérêt aux rencontres, les résultats en étant pour ainsidire connus d'avance. Pour pallier cet inconvénient, les Organi-sateurs n'ont pris aucune mesure particulière; plutôt que d'inter-dire aux vainqueurs l'entrée des stades au lendemain de leurvictoire - mesure évidemment contraire à "esprit même de lavie W-, ils ont préféré. faisant encore une fois la preuve deleur sagacité. de leur profonde connaissance du cœur humain,faire confiance à ce qu'en riant ils appellent la nature: l'expérienceleur a donné raison. Les Vainqueurs ne sont pas exclus des compé-titions du lendemain. Mais ils ont le plus souvent passé une nuitblanche et n'ont regagné leurs quartiers que pour l'appel dumatin. Affamés de sucre, ils se sont précipités sur les nourritures.ils se sont empifrés comme des goinfres. Grisés par leur victoire,ils se sont laissé aller à répondre à tous les toasts qu'on leurportait, mélangeant les vins, les alcools jusqu'à rouler sous latable. On comprend aisément pourquoi, dans .ces conditions, ilest rllrissime qu'un Athlète triomphe deux jours de suite. Lasagesse voudrait que le vainqueur se modère, refuse les libations,choisisse et surveille les aliments qu'il consomme. Mais les ten-tations sont si fortes pour les lauréats fêtés qu'il faudrait uneâme singulièrement trempée pour y résister. Nul ne les y pousse,d'ailleurs, ni les Officiels - au contraire, ils les invitent à toutinstant à vider leurs verres -, ni les Directeurs Sportifs qui,soucieux du bien-être de leur équipe, ont tout intérêt à ce qu'unepermutation rapide des vainqueurs assure le plus régulièrementpossible au maximum des Athlètes ('indispensable appoint éner-gétique de ces repas du soir. (à suivre)

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THEATRE

«Le Précepteur», de Lenz

1LenzLe précepteurTh. de J'Ouest Parisien• Si on vous dit : • L'école

est faite pour dompter des fau-ves, pour soumettre au normal.La pédagogie est en crise parcequ'elle exclut la violence et lasexualité ", vous mettez·vous àhurler: " Mais non... Cela s'en-seigne doctement dans les uni-versités où l'esprit souffle àgauche,,? Et le même texted'ajouter : • Notre bonne cons-cience de profs repose sur unsacré mensonge : • ils " au-raient besoin de notre savoirpour vivre. Mais on leur apprendseulement, en réalité, à tenirleur place dans une hiérarchie,on leur donne seulement lesraisons de se résigner à ne pasvivre ". Il faut bien croire quece texte, signé en octobre der-nier, par 24 professeurs, estsubversif puisqu'il a attiré, surtels d'entre eux, la répression.C'est pourtant là ce que nous

dit, si on sait la lire (et Brechtla lisait ainsi) la pièce de Lenzle Précepteur écrite dans laPrusse de 1774, par un garçonen colère de 23 ans, qui allaitdevenir fou 4 ans plus tard, sansdoute parce qu'à l'encontre dupersonnage de la pièce, il avaitrefusé de se châtrer, c'est-à-direde· se soumettre à la loi. L'ex-trême violence de l'œuvrecontre une certaine forme depédagogie et de morale issuede Kant et nous régissant tou-jours sous les espèces de l'hu-manisme bourgeois, cette vio-lence a-t-elle fait peur à AntoineVitez, qui a traduit et mis enscène la pièce? A-t-il craint detomber dans J'hérésie • gau-chiste " ou seulement d'en êtreaccusé? En tout cas sa miseen scène intelligente et sage-ment humaniste, méticuleuseet prudente (. révisionniste" ?)ne risque pas de heurter ni lePouvoir ni les Syndicats de l'en-seignement secondaire et supé-rieur.D'abord, - c'était son droit

- Vitez a choisi de présenterla pièce de Lenz plutôt quel'adaptation corrosive queBrecht en a faite. Et c'est déjàun signe. Et puis, cette piècede Lenz mise en jolies gravures,et en usant d'inutiles arabes-ques scéniques, il l'a désamor-cée. On connaît le sujet de lapièce. Un jeune homme pauvre,

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fils de pasteur, voulant s'éleverdans la société, se fait précep-teur chez des hobereaux : J'in-tellectuel est domestique, coin-cé entre le père et la mère,même s'il couche, comme c'estle cas, avec la fille. Coucher,en dehors de sa classe, est uncrime; on veut le tuer, il s'en-fuit, et ce produit du mondeancien (le • Précepteur ,,). seréfugie chez un représentantcapital et modeste du mondequi vient, l' .0 instituteur ", enl'occurence un vieil hommenommé Wenceslas - pantou-fles, pipe, saucisses, célibat etcitations de la Bible -, qui ILiiprêche une morale à cheval sutKant et le catéchisme, etd'abord abstinence et conti-nence. Pour se punir de ses éga-rements et se prémunir contrela chair, le jeune homme se lescoupe: nouvel Origène, le voilàdévenu pédagogue idéal; il feramême un très potable épouxbourgeois.Le thème est sauvage. Et

Vitez le sait qui commenceainsi : • Autrement dit : pourvivre heureux dans le mondetel qu'il est, vivez châtrés ...Qu'est-ce qu'enseigner? C'estjeter une semence; le pédago-gue châtré, si je passe au sensfiguré, ne fait que transmettreun bagage. " Et il est vrai quece thème est cher à tous les• enragés ", qu'ils soient deMai 68 ou du • Sturm undDrang ", ces jeunes exaltés,Lenz et ses amis, que le sageGœthe désavouera très vite.Sur ce thème, la pièce de

Lenz batifole, s'égare, se com-

pll;lit aux péripéties et au roma-nesque plus ou moins échevelé.Vitez nous dit que Lenz aimaitFielding et que sa pièce, avecses allures picaresques, fait pen-ser à ·Tom Jones. Soit, maisBrecht a eu· raison de tailler là-dedans, et s'il· a assagi lerécit, comme Vitez le lui repro-che (lui, il a assagi le contenu).Brecht a exacerbé les idées, ai-guisé leur mordant. Comme ledisent les traducteurs de lapièce de Brecht, Brecht va don-ner à juger un siècle et demi detrahisons· de la caste intellec-tuelle allemande. Lenz a suiviles cours Kant, mais sonœuvre • paroxystique, faited'ordure et de flamme " commele lui reprochait Gœthe, nes'en ressent guère. Et Brecht,lur, a vu en effet les ravages·du kantisme dans les universi-tés de Guillaume II. Il connaît,du haut jusqu'en bas de l'échelleuniversitaire, ces Wenceslas quitransmettent un savoir répres-sif, enseignant, avec l'écrituredroite, la droite observance desnormes établies, la discipline etla mort au champ d'honneur :ce ne seront pas leurs élèvesqui risqueraient d'être passiblesdu tribunal militaire de Rennes.• Châtreurs des volontés et desintelligences ", ces respectablesenseignants feront. contre leursélèves, et avec les parents,front commun et commune en-geance. L'humanisme kantien,dans la version de Brecht, estmis radicalement en question :• Le père Kant est un crétin- fait·i1 dire à un étudiant sansdoute contestataire - oui, c'est

un révolutionnaire mais seule-ment au royaume de l'Idée.Chacun sait que chez Rous-

seau, dans l'Emile, comme chezKant - et les principes fonda-mentaux de l'éducation sexuelleet civique sont restés depuislors inchangés - l'essentiel dela pédagogie à empê-cher l'adolescent de se mastur-ber. Cette éventualité leur faitpousser des cris d'horreur : àl'enseignant châtré répond l'élè-ve aux mains jointes sur ledrap. Dans sa Pédagogie (Som-me de textes non traduite enfrançais, dont René Schérer mecommunique un fragment), Kantécrit : • Rièn n'affaiblit plusl'esprit et le corps de rhommeque genre de jouissance ·quiest orientée vers soi-même, ilcontredit entièrement à la na·ture de l'homme. On doit le re·présenter au jeune homme danstoute son abomination. on doit·lui dire que par là, il se rendinutile à la propagation de larace, qu'il travaille à l'anéantis-sement de ses forcesles et se prépare une vieillesseprématurée"o • Eux - il s'agitdes élèves, dans le texte sub-versif déjà cité - ils refusentde parler du sexe sans avoirl'air d'y toucher ".

En vérité, la mise en scènede Vitez est bien loin de toutcela, qu'il était pourtant capitalde nous donner à entendre. Vi-tez s'est contenté de nous faireparcourir gentiment et intelli-gemment une suite d'aventures,dont un immense jeu de l'oiedressé sur la scène comme unpanneau d'affichage, figure leparcours. Et comme si la piècede Lenz était encore trop dan-gereuse, il l'a. désamorcée endoublant l'intrigue d'un commen-taire muet, et parasite commele lierre sur le tronc : le mimePierre Byland, talentueux dureste, traverse la pièce de parten part en lui surajoutant. scèneaprès scène, un commentairede gestes humoristique et gen·tillet qui en extirpe radicale-ment toute violence. On rêvede ce que Chéreau, qui mit enscène les Soldats de ce mêmeLenz en donnant à la pièce laviolence que l'on sait, auraitfait de ce spectacle. Il est vraique le Pouvoir et les Syndicatsl'eussent, peut-être, conjointe-ment condamné. Ici, ça ne ris-que pas.

Gilles Sandier

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Livres publiés du 5 au 20 février 1970

Caude BerriLe pistonnéMercure de France,168 p., 17 F.Un recueil de nouvelleset la première œuvrelittéraire de J'auteuret réalisateur du • Vieilhomme et J'enfant-.Suzanne BlumNe savoir rienJulliard, 224 p... 14,30 F.Un drame del'Incompréhensionfamiliale,Jean ChambonLa sentinelleCh. Bourgols,272 p., 19 F.Une rêverie poétiquesur les mythes del'amour fou, del'Impossible et dumiroir.Serge ChauvelLa vie douceCh. Bourgois,160 p., 14,30 F.Un roman dont lesthèmes et la factureIllustrent un certainromantisme moderne.Gabriel DeblanderLe retour des chasseurlLattont, 288 p., 20 F.Un recueil de nouvellescampagnardes etrustiques aux confinsdu fantastique.Etienne Dor-RivauxLes grandes pyramidesCb. Bourgois,144 p., 14,30 F.Un entassementhétéroclite de souvenirsd'amour, de guerreet de bohème,

Pierre EmmanuelAutobiographiesSeuil, 480 p., 29 F.Réunis en un seulvolume, deux romansparus, l'un, en 1948,sous le titre de• Oui est cet homme-,J'autre, en 1957 :• L'ouvrier de laonzième heure -.

• Jean Pierre FayeLes TroyensColl. • Change -Seuil, 368 p., 27 F.Par l'auteur de• L'Ecluse - et du• Récit Hunlque - (voirJe n° 27 de la Quinzaine).Maud FrèreL'ange aveugleGallimard, 164 p., 12 F.Le roman d'amour d'unejeune fille rangée etd'un bel étrangerInquiétant, ou dubonheur d'écrire etdu malheur d'aimer.

Jacques ChardonneCe que je voulais direaujourd'huiAvant-proposde Paul MorandGrasset, 270 p., 20 FUne correspondancequi jette un journouveau sur l'hommeet son Itinéraire.Georges ClemenceauLettres à une amie,1923-1929Edition établieet présentéepar P. BriveGallimard, 672 p., 42 FUn document inattendu:les lettres d'amour du• Tigre -, alors Agé de83 ans, à MargueriteBaldensperger.

.Coretta S. KingMa vie avecMartin Luther King42 photosTrad. de l'américainStock. 380 p., 22 FLa vie du leader noirassassiné, retracéeavec mesure, chaleuret une grande véracité,par son épouse.

CRITIQUBHISTOIRELITTÉRAIRE

• Roland BarthesS/lColl. • Tel Ouel -Seuil, 280 p., 21 FUne • lecture active -de la nouvelle de Balzac,• Sarrasine -, dontBarthes déploie lesvirtualités, les Interdits,les prolongementssignifiants,l'Inconscient littéral.

• Lettres d'Erza Pound.i1 JoyceTrad. de l'anglaispar Philippe LavergneMercure de France,352 p., 36 FUn recueil groupantdes lettres, des articles,des confidences:un document capitalsur deux figuresessentielles de lalittérature moderne.Paulette RoyPierre Boulleet son œuvreJulliard, 176 p., 14,30 FL'univers romanesquede Pierre Boule.Walter SchmieleHenry Millerdans l'Intimité73 illustrationsBuchet/Chastel,192 p., 29 FLa vie intimedu grand écrivain,Illustrée par denombreusesphotographies inédites.

Les écrits, en partieInédits, de cet Impor·tant représentant dumouvement Dada, qui sesuicida en 1929, à "Agede 30 ans.Jude StefanLibèresGallimard, 112 p., 18 F

Jean VascaJaillirPierre-Jean OswaldLa première œuvrepoétiquede l'auteur-compositeur.

REEDITIONS

Léon TrotskyKarl MarxBuchet/Chastel275 p., 9,75 FJules VallèsLittératureet révolutionChoix, préface et notesde R. BelletEditeurs FrançaisRéunis, 496 p., 29,20 FAndré WurmserLa comédie Inhumaine• Bibliothèque desIdées -Gallimard. 840 p., 62,80 F

BIOGRAPHIESM.MOIR.S

James BurnhamL'ère _ organlseteursPréface de Léon BlumUn livre prémonitoire,paru en 1941 et dOà un anCien trotskyste.

ChagallMa vie31 dessins,·14 eaux-fortestrad. par Bella ChagallStock, 252 p., 30 FLes souvenirs d'enfancedu peIntre, où l'onretrouve' le monde naifde ses toHes (voir len° 86 de la Quinzaine).Pierre Mac-OrlaALa maison' du retourécœurantGallimard, 208 p., 14 FRéédition. dans saversion définitive,du premier roman deMac·Orlan, paru Il y a30 ans.

POÉSIE

histoires fortextraordinaires et fortcélèbres dues à un desplus grands prosateurschinois.

• Per Olof SundmanLe voyage del'Ingénieur AndréeTrad. du suédoispar Ch. ChadensonGallimard,376 p., 25 F.Le récit romancéd'une expéditiontragique et fort réelleau Pôle Nord en 1897.

• Jacques RigautEcritsEdition établie etprésentée parMartin Kay1 frontispiceGallimard, 292 p., 20 F

104 p., 12 FPierre-Jean OswaldSérie:• Contes et poèmes -Un des tenants suissesde la recherche poétiqueactuelle.

• PIerre OsterLes Dieux(1963-1968)Gallimard, 88 p., 13,50 F

• Jean-Loup PassekPouvoir du cri12 p., 9,60 F •Pierre-Jean Oswald Jorge-Luis BorgesColl. • J'exige la parole _ Evaristo CarrlegoSecond recueil Trad. de l'espagnold'un nouvel auteur. par M.·F. Rosset

Préface de E.R. MonegalSeuil, 160 p., 16 FUne biographie poétiqued'un poète populaireargentin, symbole d'unBuenos Aires perdu quiest celui de l'enfancede l'auteur.

ROMANSBTRANGERS .Louis Brauquler--------- Feux d'épaves

Gallimard, 176 p., 20 F.Willy DerronMon chant li la museclassiquePoésie Vivante, Genève128 p., 10 F.Prix des Poètes Suissesde langue française,1968.Pierre EmmanuelJacobSeuil, 328 p., 24 F.Un grand poème inédit.César Fernandez MorenoArgentin Jusqu'lila mortEdition bilingueTraduit de l'espagnolpar Claude CouttonColl. • La poé.sle despays ibéro-américains-Plerre-Jean Oswald136 p., 13,50 F.Le chef de flle de lanouvelle poésieargentine traduit pourla première fois enFrance.

Charles MouchetMorte ou vive

Henri TroyatL'éléphant blancLes Héritiers del'avenir • T. IIIFlammarion,272 p., 22 F.La fin de l'épopéepré-révolutionnairerusse et l'exildans le Parisdes années 1911-1914.

• Michel VacheyLa SnowMercure de France,176 p., 15 F.Un roman très nouveaude forme par l'auteurde • Cétait à Mégara-.

E. AverottTerre de souffranceTraduit du grecStock, 416 p., 30 F.Un roman qui fait suiteà • Terre des Grecs-et qui a pour cadrel'époque tragique etmal connuede l'après-guerredans ce pays.

".Graham GreeneVoyages avec ma tanteTrad. de l'anglaispar G. BelmontColl. • Pavillons -Lattont, 360 p., 20 F.Par l'auteur du• Rocher de Brighton-et de • La puissanceet la gloire-(voir le n° 40 dela Quinzaine).

.Robert A. HeinleinEn terre étrangèreTrad. de l'américainpar Frank StraschltzColl.· • Ailleurset demain -Lattont.. 480 p., 24 F.Le second titre decette collection descience-fiction d'unegrande tenue littéraireet qui semble avoir prisun excellent départ.

• Véra L1nhartovaCanon il l'écrevisseTrad. du tchèque parJ. et D. SuchySeuil, 224 p., 19,50 F.Par un des écrivainsles plus originauxde la jeune générationtchèque, une sériede textes écritsentre 22 et 26 ans.p'ou Song-LIng

• Contes extraordinairesdu Pavillon du LoisirTrad. du chinoissous la directiond'Yves Hervouet• Connaissance dede l'Orient-Gallimard,224 p., 23,20 F.Une anthologie de ce.

Stani GorkaLes cavaliersde GuernicaJ. Martineau,144 p., 15 F.Un chant d'amour aupeuple basque, à traversla chronique d'unefamille.

.Jean·Claude HémeryAnamorphosesLettres NouvellesDenoël, 160 p., 12 F.Par l'auteur de• Curriculum vitae-(voir le n° 11 dela Quinzaine).

Vahé KatchaUn nègre lur lastatue de LincolnJulliard, 224 p., 14,30 F.Un roman sur leproblème noiraux Etats-Unis.

Michel MardoreLe mariage li la modeDenoêl, 24 p., 18 F.Un roman plein desituations cocasses,voire scabreuses,à travers lesquellesse dessine une nouvellemorale du couple.MelmothSeingCh. Bourgois,352 p., 23,70 F.Un roman fait d'unesuccession de flasheséchevelés ethallucinants.Robert OuatrepolntMort d'un grecDenoêl, 216 p., 16 F.Un roman qui a pourcadre une Ile grecqueet qui nous proposeune vision pittoresqueet émouvante du petitpeuple de ce pays.

• Olivier PerreletLe dieu mouvantMercure de France,248 p., 17 F.Un recueil de nouvellesoù l'on retrouve lesobsessions du premierroman de l'auteur• Les petites fillescriminelles(voir le n° 30).

• Geneviève SerreauCher point du mondeLettres NouvellesDenoêl, 192 p., 14 F.L'itinéraire d'un hommesans cesse déchiréentre la justice et laviolence, l'utopie et laréalité, bref d'unhéros-type de notretemps.Evelyne SorenPolnt.vlrguleLattont, 192 p., 15 F.Un premier romantrès représentatifde la sensibilité desadolescentsd'aujourd'hui.

ROMANSFRANÇAIS

La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 mar, 1970

Page 30: Quinzaine littéraire, numéro 90, févier 1970

Livres publiés du 5 au 20 février 1970

• Leo Spitzer Eda Le Shan. J. Ortega y Gasset Léonard Mosley Calmann-Lévy, 320 p., de l'univers -Etudes de style Complot contre L'évolution de la Le grand sursis 18 F Laffont, 304 p., 20 FPrécédé d'une étude l'enfance th60rle déductive Trad. de l'anglais Une mise au point Un document sur lede J. Starobinski : Trad. de l'américain L'idée de principe 36 photos Impitoyable sur un spiritisme appuyé surLeo Spitzer et .Ia Stock, 272 p., 24 F chez Leibniz Stock, 520 p., 39 F certain nombre de une expérience vécuelecture stylistique Le danger du • forcing - Trad. de l'espagnol Par le correspondant problèmes peu connus et où se trouventTrad. de l'anglais en matière d'éducation. par J.·P. Borel du • Sunday Times - de l'opinion. réunis les élémentset de l'allemand par Gallimard, 344 p., 32 F pendant ces mois d'une théorie duE. Kaufholz, A. Coulon Iganzio Majore La genèse de l'esprit décisifs, une analyse spiritisme.et M. Foucault Principes de psych. scientifique à travers impitoyable des erreurs DOCUMBNTS Raymond Thévenin.Gallimard, 536 p., 42 F nalyse clinique ses principales étapes tragiques qui devaientLes principales études Ed. Privat, 312 p., 23 F et ses principaux conduire l'Europe à la . Criminels, fousde .celui qui, avec La mise en œuvre de penseurs. guerre, de l'accord Brigitte Axel et truands:Auerbach, illustra la la praxis psychana- de Munich à l'invasion grands procès d'assl..s

J.W.C. Wand H Préface de René Florlotgrande génération des lytique.Ce que saint Paul de la Pologne. Flammarion, 264 p., Fayard, 384 p. 20 Fromanistes de culture a vraiment dit 16 F Une introduction àr .. Trad. de l'anglais L'expérience • hippie - • l'univers judiciaire -,

• Tzvetan Todorov ESSAIS Stock., 168 p., 15,40 f POLITIQUE racontée par une jeune par le chroniqueurIntroduction à la La dualisme d'une ECONOMIE fille' qui explique de Il.T.L.littérature fantastique pensée partagée entre pourquoi et commentColl. • Poétique - Pierre Antoine le monde classique André Barjonet elle a vécu cetteSeuil, 192 p., 10 F Abel Jeannlère et le monde hébraïque, Le Parti Communiste aventure. RELIGIONInaugurant cette' collee· Espace mobile et et ses grandes Idées- Français Franco Basagllatemps fncertalnstion, un' essai où Coll. • Recherches forces. J. Didier éd., 236 p., L'Institution en • David Flusserl'auteur tente d'explorer économiques et 17 F négation Jésus'les Iimitès ef le réseau sociales - L'analyse spectrale Trad. de l'Italien Trad. de l'allemandqui commande ce genre Aubier-Montaigne, HISTOIRB du P.C.F. au moment par L. Bonaluml par Michael Marschlittéraire. 160 p., 13, 30 F de son nouveau Congrès Coll. • Combats'- Préface de B.C. Dupuy

Une étude sur les Jean-Pierre Azéma par un transfuge de Seuil, 288 p., 21 F Seuil, 160 p., 16 FSOCIOLOGIE profonds changements Michel Winock la C.G.T. Une dénonciation de Par un historien juif,PSYCHOLOGIE échus et à venir de La III" République Henry A. Kissinger l'Institution psychla- un.e étude de la vie

notre, cadre de vie dans Calmann-Lévy, 348 p., Pour une nouvelle trique par le de Jésus replacée dan.Henri Amoroso le monde d'aujourd'huI. 24 F politique étrangère médecin-chef d'un asile. son contexte politique,La condition sexuelle Nicolas Berdiaev La naissance et la américaine Colette juridique et culturel.des Français L'Idée rus.. mort de la plus longue Fayard, 160 p., 20 F Contes des mille .Angelus SileslusEd. de la Pensée Mame, 274 p., 28 F République de France Une analyse des réalités et un matins L'errant chérublnlqueModerne, 420 p., 24 F Les problèmes (187o-1940) et des Impératifs de Flammarion, :256 p., Préface de R. LaporteRéédition d'un ouvrage essentiels de la pensée • Gibbon la politique étrangère .16 F présenté et traduitexplosif, devenu russe du XIX' siècle Histoire du déclin américaine, par le Les chroniques de de l'allemandIntrouvable. et au début du et de la chute de conseiller n" 1 du Colette dans • Le par Roger MunlerGeorges Bach XX' siècle. l'empire romain président Nixon. Matin - entre 1910 Planète, 224 p., 22 F

, Peter Wyden Texte établi, présenté Le Centenaire du et 1918. Un grand mystiqueL'ennemi intime Maurice Clavel et annoté par D.M. Low • Capital. Charles Glllard allemand (1624-1677).Buchet/Chastel Qui est aliéné? Trad. de l'anglais Mouton, 344 p., 24 F Echec aux rois de dont la pensée a joué252 p., 19 F Flammarion, 336 p., par.J. Rémillet Exposés et entretiens la drogue un rôle Important dan.La fonction de 25 F Laffont. 1080 p., 85 F sur le marxisme au Buchet et Chastel l'histoire de lal'agressivité dans Une étude sociale et Dans la coll.. • Les cours des décades 241 p., 24 F philosophie de son pay•.l'économie psychique métaphysique sur la grands monuments de du Centre Culturel Par l'ancien chef de la Max Thurlande l'homme. société de consomma· l'histoire -, le chef· International de Cerisy· brigade des stupéfiants Sacerdoce et mlnlstiretlon et sur le sens d'œuvre de celui qu'on la-Salle (juillet 1967). une évocation des Presses de TaizéHilaire Cuny des révolutions sociales a appelé le grandes affaires dont Il diffus. Seuil, 304 p., 18 FDe la sexualité contemporaines. Montesquieu anglais James Mac Millan s'est occupé. Du sacerdoce auxEditeurs Français Réunis Bernard Harris196 p., 15 F René Duvillard André Guérin L'Angleterre est une F. Perez Lopez problèmes desDans le cadre de Dynamique du couple' La folle guerre le 1870 colonie américaine El Mexlcano ministères d'aujourd'huI.l'édition des Œuvres Mame, 220 p., 18,80 F 1 cahier d'Illustrations Ed. de la Pensée Coll. • Vécu.complètes sous la Le couple, contradlc- Hachette, 334 p., 30 F Moderne, 280 p., 22 F Laffont, 288 p., 20 Fdirection de L. Scheler. tlon dialectique qui Le drame de la Un dossier explosif sur Rédigé en 1941 par un ARTSréalise la synergie des Commune et celui d'un la situation économique jeune combattant des URBANISMES. Fantl contraires et explique million et demi de l'Angleterre et sur Brigades InternationalesContre le mariage peut-être le sens de d'Alsaciens devenus, le danger que compor- un document Z. Arsène-HenryFlammarion, 304 p., 18 F l'univers. malgré eux, sujets terait son insertion exceptionnel sur laPar un psychiatre suisse, allemands. dans le Marché guerre d'Espagne et Notre villeun violent réquisitoire Jean Guitton Commun. ses lendemains. Mame, 328 p., 25 Fcontre le triangle Profils parallèles Robert Lacour-Gayet De la ville fonctionnellefamilial, illustré à Fayard, 496 p., 35 F Histoire de l'Afrique A. Teissier du Cros • Anatoll Martchenko à la ville personnalisée:travers quatre psycha- Quatre portraits du Sud J ..J. Thiebaut Mon témoignage un aspect de l'urbanismenalyses significatives. parallèles : Pascal et Fayard, 488 p., 45 F Le courage de diriger Trad. du russe par que les architectes

Leibnitz, Newman et De la découverte de Coll. .L'uslne nouvelle- François Olivier tendent à méconnaître.C. Konczewski Renan, Teilhard et l'Afrique du Sud par Laffont, 344 p., 18 F Coll.• Combats. Tibor BodroglLa psychologie Bergson, Claudel et les Portugais au Inaugurant cette Seuil, 320 p., 21 F L'art en Afriquedynamique Heidegger XV' siècle jusqu'à collection consacrée Un témoinage sur les 190 pl. noir et couleurset la pensée vécue nos jours. aux problèmes du camps soviétiques, parFlammarion, 352 p., Arthur Koestler management français, un Russe arrêté en Cercle d'Art, 132 p.,'60 F32 F Le démon de Socrate Marcel Le Clère une étude d'ensemble 1960, alors qu'il se • A.ndré FermiglerUn essai centré Calmann-Lévy, 320 p., L'assassinat de sur les perspectives préparait à franchir la Bonnardsur l'étude 23,40 F Jean.Jaurès qui s'offrent actuelle- frontière, et condamné 48 pl. en couleursde la mémoire et Un recueil d'essais sur Mame, 250 p., 22,50 F ment en France dans à six ans de Coll. • Les grandsoù l'auteur s'est des sujets divers mais Par un professeur de ce domaine. déportation. peintres -efforcé de dépoussiérer que sous-tend l'Institut de criminologie Cercle d'Art, 160 p., 100 F'et d'approfondir la constamment la volonté de Paris, ulle enquête Adrien Zeller James A. Pikeméthode de la de construire une portant simultanément L'Imbroglio agricole Diane Kennedy Michel Laglottepsychologie éthique adaptée à sur l'assassin et la du Marché Commun Dialogue avac l'au-delè Musée du Louvred'observation. notre temps. victime. Préface d'E. Plsanl Coll. • Les énigmes Peintures

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