La Quinzaine littéraire n°17

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La Quinzaine littéraire n°17 du 1er décembre 1066

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e e a Ulnzalne

2 F 50 littéraire Numéro 17 1"' au 15 décembre 1966

Pour Noël:

'a r n ants

Le Goncourt. Painter et Proust. John

Cage. Le totalitarislne. Boulez. L'Inquisition

Page 2: La Quinzaine littéraire n°17

SOMMAIRE

a LE LIVBE DB LA QUINZAINE

4 ENTBETIEIl

8 BOIIAN8 PBANÇAIS ., 8

S ENTBETIBN

10 POESIE aTBANGEBE

11

12 LITTaBATUBE aT8AIlO*8E

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11 BUMoua

1. .aL.C'I'IO. D. c LA eUI •• AI •••

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28 SaLECTIOIl DII: c LA QUINZAINE.

28 PABIS

80 QUINZB .rouas.

al TOVS LES LIV.Bf

La Quinzaine littérairo

2

Hannah Arendt

Irène Monési Edmonde Charles-Roux Michel Dard

A.D. Tavares-Bastos

M. Simon Eugenio Montale

Ettore Lo Gatto

Juan Rulfo

Alphonse Allais

Dr. Sidney Cohen

Henry Kamen

Guy Perrin

Jean-Jacques Faust

Léon Moulin

François Erval, Maurice Nadeau

Conseiller Joseph Breithach

Comité de Rédaction Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Gilbert Walusinski.

Informations: Marc Saporta

Direction artistique Pierre Bernard

Administration Jacques Lory

Rédaction, administration: 43 rue du Temple, Paris 4 Téléphone 887.48.58

Imprimerie: Coty S.A. Il rue F .-Gambon, Paris 20

Eichmann à Jérusalem Rapport sur la banalité du mal

Lukacs: revenir au concret

Nature morte devant la fenêtre Oublier Palerme Mélusine

George D. Painter: Proust était aussi hétérosexuel

La poésie brésilienne contemporaine Manuel Bandeira Poésies

Histoire de la littérature russe des origines à nos jours Le Llano en flammes

Le roman de Renart

Œuvres posthumes, 1 et II

Les meilleurs livres d'art de l'année

L.S.D. 25

Histoire de l'Inquisition espagnole

Sociologie de Pareto

Le 'Brésil, une Amérique pour demain

, La société de demain dans l'Europe d'aujourd'hui

Sigma II à Bordeaux Le langage à Baltimore Le Forum de Francfort

Pour Noël: ,livres d'enfants

Boulez au Domaine musical John Cage entouré de nus, vite

par Roger Errera

propos recueillis par N aiPl Kattan

par Alain Clerval par Maurice N adeau par Alain Clerval

propos recueillis par Madeleine Chapsal

par Jacques Fressard

par Mario Fusco

par Erik Veaux

par Jacques Fressard

par Samuel S. de Sacy

par Claude Pennee

par François~ Choay

par René de Solier

par François Bondy

par Jean-François Nahmias

par Ritta Mariancic

par Bernard Cazes

par- Marc Saporta par Tzavetan, Todorov par F.E.

par Marie-Claude de Brunhoff

par Henri Hell par Jean-Jacques Lebel

par Pierre Bourgeade

--------- ---- -- - - - --

Publicité Littéraire: 71 rue des Saints-Pères, Paris 6 Téléphone 548.78.21.

Publicité générale: au journaL

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Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postaL C.C.P. Paris 15.551.53.

Directeur de la publication : François EmanueL

Copyright La Quinzaine littéraire

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p. 3 p. 4 p. 6 p . 7 p. 8 p. 9 p. 9 p. 10 p . Il p. 12 p. 13 p. 14 p. 15 p. 19 p. 20 p. 21 p. 23 p. 28 p. 29

Gallimard éd. Ed. de Minuit Mercure de France Cartier-Bresson, magnum Le Seuil éd. Viollet Mercure de France Seghers éd. Gallimard éd Club des Libraires Cartier-Bresson, magnum Club des Libraires Dessin de M. Henry Edition Et, 1966 Edition Et, 1966 Bulloz René Burri Le Seuil éd. H. Gloaguen

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem Rapport sur la banalité du mal Coll. « Témoins » Gallimard éd. 344 p.

Voici enfin le livre de Hannah Arendt 1 sur le procès Eichmann, qui a provoqué de vives réactions aux Etats-Unis et en Europe. Poarquoi ? Ayant assisté au procès, H. Arendt n'a voulu ni se h9rner au simple compte rendu d'audience, ni écrire une monographie sur la politique nazie d'extermination des juifs, mais introduire une réflexion politi­que à partir d'un procès qui n'a entièrement satisfait personne. Ne nous y trompons pas : il s'agit d'un livre sur le ·totalitarisme, s'inscri­vant à la suite des précédents ou­vrages de l'auteur et dépassant, à ce titre, les études magistrales de Hilher/f, Reitlinger3 et Poliakov4 dont Hanna Arendt fait d'ailleurs amplement usage.

Singulier accusé, dont la culpabi­lité était tenue pour certaine par le monde entier avant même qu'il ne prît place dans l'étrange cage de verre qui l'isola un peu plus du reste de l'humanité, et dont la per­sonnalité manquait visiblement de relief. Ce n'est ni l'un de ces grands fauves que l'on vit, il y a vingt ans, dans le box de Nuremberg, ni un doctrinaire fanatique, ni un pervers. Alors ? Pour que ce petit-bourgeois en voie de déclassement devînt le haut fonctionnaire zélé de l'extermi­nation, il fallait le système totali­taire nazi dont Eichmann, disci­pliné et incapable de penser, et de · se penser en dehors de la hiérarchie d'alors, était un produit à la fois banal et exemplaire.

Il y a un exemple privilégié de cette relation. Il a trait au langage. Eliminer de la société, puis dé­truire des millions d'hommes exi­geait une action continue et coor­donnée de tous les services. On crai­gnait - bien à tort - des réti­cences ou des résistances qui au­raient enrayé la machine de mort. Aussi un vocabulaire aussi neutre et aussi « technique » que possible fut-il utilisé. On parla de « traite­ment spécial » (Sonderbehandlung), de « personnes traitées de façon appropriée » (Entsprechend behan­delt) , de « solution finale » (End­losung). Les camps de la mort étaient gérés par l' « Office central d'administration et d'économie» (Wirtschaftsverwaltungshauptamt ). Ils se n,ommaient « camps de tra­vail » (Arbeitslager), de « concen­tration» (Konzentrationslager), voire de « transit » (Durchgangsla­ger). On ne parlait pas de chambres à gaz ou de fours crématoires, mais d' « installations spéciales » (Spezia­leinrichtungen) ou de « bains » (Badeanstalten). On se tromperait en croyllllL dénoter le moindre hu­mour macabre dans une opération verbale sciemment destinée à abo­lir tout réflexe autre que l'obéis­sance. Il fallait à l'administration de la mort son langage, qui la dis-

tingue et la protège tout à la fois. Elle l'eut, ce vocabulaire et plein d' « objectivité » (Sachlichkeit) et lourd de signification.

Veut-on des exemples de ces puissances du langage politique? Elles ne manquent pas. Les nazis commencèrent par employer, à pro­pos de l'extermination des juifs, le vocabulaire de l'hygiène. On parla d' « opérations d'auto-nettoie­ment ». (Selbstreinigungsaktionen) à propos de massacres, de « nettoie­ment des juifs » (Judensiiuberings­aktionen) de « déjudaïsation » ' (Entjedung), sur le modèle de Entwsung (fumigation) ou Entlau­sunge (épouillement). Tout naturel­lement, on en vint à commander à une société fabriquant des insectici­des le gaz utilisé dans les chambres. Le cycle était clos. S'étonnera-t-on alors qu'Eichmann, incapable de raisonner en dehors des cadres men­taux résultant d'un tel système, ait persisté, de son arrestation à son exécution, à décrire et à expliquer chacun de(! actes, même les plus meurtriers, de sa carrière, à l'aide de lieux communs et de clichés em­pruntés à la langue administrative du Ille Reich ?

Ceux qui se rassurent en pen­sant qu'il s'agit d'une attitude pro­pre à un homme et héritée d'un régime disparu à jamais feront bien de méditer un mot de l'avocat -allemand - d'Eichmann: décla­rant que son client n'était pas res­ponsable de « 'cet amas de squelet­tes, de ces stérilisations, de ces as­sassinats par le gaz et autres affaires médicales similaires, Me Servatius précise à la demande d'un juge: « C'était bien une affaire médicale, puisque des médecins l'avaient mise au point? Il s'agissait de tuer, et tuer est une affaire médicale ». Ce génie de l'euphémisme et du men­songe utilitaire explique peut-être bien des verdicts récemment rendus en Allemagne occidentale et sur­tout en Autriche.

Etudiant le problème des atti­tudes envers un régime totalitaire, Hannah Arendt examine successi­vement, avant d'en venir aux vic­times, les individus et les goùverne­ments auxquels elles eurent à faire face. Il y eut, parmi les individus, des refus exemplaires; citons, du côté allemand, l'abbé Lichtenberg, de Berlin, qui demanda à être dé­porté et mourut en cours de route, le sergent Schmidt, qui fournit des armes aux déportés évadés et fut fusillé, et le lieutenant Gerstein, dont Hochhut utilisa le personnage dans le Vicaire. La conduite des puissances tierces fut variée: quoi de commun entre ·la collaboration d'un Laval, la prudence toute diplo­matique du Vatican, l'abstention de la Croix-Rouge, l'opportunisme peu glorieux des Hongrois et des Rou­mains, et l'attitude pleine de dignité et de courage politique du Dane­mark, où le pays tout entier, du roi au simple citoyen, s'opposa avec succès à l'action d'Eichmann, orga­nisant l'évasion des juifs en Suède. Que, dans ce dernier cas, l'attitude

La Quinzaine littéraire, z." au 15 décembre 1966

Une . analyse totalitarisme

du

des Danois ait modifié jusqu'au comportement des autorités alle­mandes, cela veut dire - et Han­nah Arendt le note avec force -qu'aucune résistance n'est totale­ment inutile, qu'aucun totalitaris­me n'est sans faille, que le courage, comme la lâcheté, ou simplement la peur, est contagieux, en un mot que l'on ne naît pas plus bour;reau que l'on ne naît victime.

Ce sont les passages consacrés par l'auteur à la conduite de cer­taines communautés juives face au nazisme qui ont fait scandale. Sa­chons les lire. Contrairement à ce que certains critiques pressés ont affirmé, Hannah Arendt ne tente ni d'exonérer Eichmann (!), ni d'accabler a posteriori les victimes (ce serait indécent), ni de leur re­procher leur passivité. Elle dit elle­même que la question: « Pourquoi n'avez..vous pas résisté? » est « stu­pide et cruelle », et que d'ailleurs « aucun groupe, aucun peuple non juif n'avait agi différemment », ce qui ' est l'évidence. Pour elle com­me pour nous, il restait, il reste encore aujourd'hui à comprendre, puisque ni les Allemands, ni les juifs, ni le monde en général n'ont réussi à élaborer une explication

Hannah Arendt

satisfaisante du phénomène nazi et des comportements de tous ordre!! qu'il a engendrés. Voici vingt ans, Rousset5, KogonS et Antelme7 nous avaient révélé les conduites sécrétées par l'univers concentrationnaire, et notamment les luttes pour le pou­voir - c'est-à-dire pour la survie - parmi les déportés, et les situa­tions extrêmes, les choix inhumains devant lesquels certains furent pla­cés. Nui ne les a accusés d'accabler leurs compagnonS de déportation. Après eux, et écrivant un contexte très différent, Hannah Arendt s'ef-

force d'expliquer le comportement des communautés juives face à leurs bourreaux. En çréant, en Eu­rope orientale, des Conseils juifs dotés de pouvoirs considérables sur leurs ressortissants, les Allemands ont réussi à s'assurer une «. colla­boration » utile pour les opérations préalables à l'extermination : la définition des victimes (le recense­ment), l'établissement de la liste de leurs biens (prélude à la spo­liation), enfin leur choix même, très souvent opéré par la police juive. Les nazis se sont en outre servis de ces dérisoires « autori­tés » pour diviser au maximum les victimes : il y avait les puis­sants (fonctionnaires des divers ser­vices, riches d'un jour) et les au­tres, ceux que l'on déportait en pre­mier et ceux qui restaient et de­vaient tirer de leur sursis la confir­mation de leur espoir de survie.

Ces Conseils, cette police ont existé. Rossif, dans le Temps du ghetto, nous a montré cette der­nière. Des témoins irrécusables, tels que Ringelblum, Donat et Kaplan ont fourni des détails saisissants. A-t-on oublié les négociations de Budapest racontées par Joël BraIlC) et qui ont entraîné l'assassinat de

Kastner en . Israël? La politique nazie s7accommodait très bien de l'espérance, raisonnable en toute autre circonstance, qu'une des­truction globale était inconcevable, qu'il y aurait des survivants, pour la simple raison qu'il y en avait toujours eu jusqu'ici. Allant jus­qu'à modifier le comportement des victimes, elle tendait en fin de compte à leur faire croire qu'il ne s'agissait que d'une persécution comme les juifs en avaient tant connu, et non d'un système d'op-

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• Une analyse du totalitarisme

pression et de destruction absolu­ment nouveau dans l'histoire de l'humanité.

Cela dit, on pourra discuter et on ra fait abondamment ici et là l'affirmation d'Hannah

-Arendt selon laquelle l'absence de Conseils juifs ou leur refus total dc collaborer de quelque manière avcc l'ennemi aurait diminué l'ef­ficacité de la machine de mort nazie. Les situations étaient trop différentes de pays à pays pour qu'une causalité aussi simple - et dont les implications ne sont pas négligeables - puisse être établie en toute certitude.

Aux victimes, auX Alliés, aux Al­lemands, aux juges de Nuremberg comme à ceux de Jérusalem, . le totalitarisme nazi et sa politique d'extermination se sont présentés comme un phénomène sans aucun précédent, auquel on a tenté d'ap­pliquer les conduites héritées de l'eXpérience antérieure. D'où les comportements des uns, les com­plicités ou les défaillances des au­tres et, dans l'ensemble, la piètre figure des (1 politiques )J. Prison­niers des limites étroites de l'ins­titution judiciaire, les juges de J é­rusalem étaient sans doute, comme lcs juges de tous les autres pays sans exception, mal équipés pour s'attaquer à ce problème.

Le totalitarisme continue à pré­senter à l'historien et au philoso­phe les mêmes questions. Il arrive qu'ils débouchent sur des constats engendrant le malaise parce qu'ils remettent en cause les systèmes d'explication, c'est-à-dire souvent de protection, auxquels les indi­vidus et les collectivités tiennent d'autant plus qu'ils en sentent sourdement la fragilité. La face de

. Gorgone du totalitarisme n'a pas fini de hanter notre conscience. Saturés d'histoire, nous avons un besoin urgent de la philosophie politique pour comprendre notre temps. Hannah Arendt nous y convie avec une maîtrise et une ri­gueur inégalées.

Roger Errera

1. Dans une traduction malheureuse­ment remplie d'erreurs et de contresens. 2. The destruction of the European Jews (Chicago, 1961). 3. The final solufÎOn. The attempt to exterminate the Jews of Europe, 1939-1945, The Beechhurst Press, New York, 1953. 4. Le Bréviaire de la haine, CalmanD­Lévy, 1951. L. Poliakov et J. WuH : Le III< Reich et les Juifs, Gallimard, 1959. Voir aussi, de L. Poliakov Auschwitz, Julliard, 1963, collection • Archives ». 5. L'Univers concentrationnaire, éditions du Pavois, 1946 ; éditions de Minuit, 1965. Les Jours de notre mort, éditions du Pavois, 1947. ' 6. L'Enfer organisé. Le Système des cam~ de concentration, La Jeune Parque, 1947. 7. L'Espèce humaine, Gallimard. 8. Chronique du ghetto de Varsovie, Robert Laffont, 1950. 9. The holacaust kingdom, New York, 1963. 10. Chronique d'une agonie. ]ouTllal du ghetto de Varsovie, présenté par Abraham 1. Katsb, avant-propos de Jean Bloch· Michel, Calmann-Lévy, 1966. Il. Alex We~ : rHisIoVe de Joël Brand, Le Seuil éd., 1957.

ENTRETIEN

Son appartement est situé au dernier étage d'un immeuble qui donne sur le Danube. Des livres tapissent les murs. Je regarde au hasard: œuvres complètes de Hc:gel et de Marx. Sur le bureau, des li­vres, des revues en hongrois, en allemand, en français. C'est ici que depuis dix ans Lukacs pour­suit ses travaux.

On sait qu'il fut ministre de la Culture dans le gouvernement d'Imre Nagy. Après l'écrasement de la révolution hongroise, Lukacs vécut pendant quelques mois, en exil forcé, ~n Roumanie. Depuis son retour, il s'est attelé à la tâche de terminer sa somme philosophi­que. Un premier tome de plus de mille pages en a déjà été publié en allemand.

G.L. J'ai commencé ma vérita­ble œuvre à soixante-dix ans. On semble croire qu'il existe des ex­ceptions aux lois matérielles. Dans ce domaine, je suis un adepte d'Epicure. Moi aussi, je vieillis. J'ai longtemps cherché ma vérita­ble voie. J'ai été idéaliste, puis hégélien. Dans Histoire et Conscien­ce de classe, j'ai essayé d'être marxiste. Pendant de longues an­nées, j'ai été fonctionnaire du parti communiste, à Moscou. J'ai pu re­lire, de Homère à Gorki. Jusqu'en

. 1930, tous mes écrits consistaient en expériences intellectuelles. Puis ce furent des ébauches et des pré­paratifs. Même si ces écrits sont dépassés, ils ont pu donner à d'au­tres une impulsion.

Il peut paraître étrange que j'aie dû attendre soixante-dix ans pour me mettre à la rédaction de mon œuvre. Une vie ce n'est pas grand-chose. Regardez Marx, ce génie colossal. Il n'a réussi qu'à donner une esquisse de sa mé­thode. On ne trou~e pas dans son œuvre toutes les réponses. Il était de son temps. J'utilise sa méthode pour mon œuvre sur l'esthétique. S'il vivait aujourd'hui, je suis per­suadé qu'il écrirait sur l'esthétique.

J'interroge Lukacs sur ses ami­tiés de jeunesse alors qu'il était étudiant à Heidelberg. A-t-il connu Heidegger, Stefan George?

G.L. Je n'ai jamais connu ru George ni Heidegger.

.On dit que ce dernier a colla­boré avec les nazis ?

G.L. On n'a pas besoin de le dire. Heidegger était un nazi. Il n'y a aucun doute là-dessus. D'ail­leurs, il a toujours été réaction­naire.

Quels étaient vos amis ?

G. L. Max Weher, avec lequel j'étais très lié.

Lukacs est en tenue de travail : pantalon sombre, veste kaki. Petit

et mince il donne l'impression de posséder un monde. On oublie qu'il a quatre-vingt-deux ans.

On revient aux contemporains.

G.L. J'ai peu confiance dans la direction de la pensée contempo­raine en Occident, qu'il s'agisse du néo-positivisme ou de l'existentia­lisme. Je trouve qu'il est plus utile de relire Aristote pour la vingtième fois.

v ous vous intéressez à la socio­logie?

G.L. Wright Mills m'intéressait beaucoup. Il avait le sens de la réalité. Dans la sociologie améri­caine il a été une exception. Cette sociologie ne me satisfait point. Séparer la sociologie de l'économie me semble académique. Marx ne les dissociait pas.

On parle beaucoup de Marx jeune ...

G.L. C'est une invention de notre temps. La contradiction qu'on cherche dans son œuvre est fic­tive. Il n'a cessé d'approfondir sa philosophie. Voyez-vous, il s'inté­ressait d'abord à la réalité. Depuis

Aristote, il est celui qui a eu le sens de ce qui est uni ou séparé, non dans les livres, mais dans la réa­lité. C'est pour cela que j'élabore une ontologie sociale. La sociologie de groupe? Une invention pour manipuler la société. lriez-vous sé­parer par exemple le mouvement jacobin des groupes jacobins? En sociologie, il est nécessaire d'aller jusqu'au fondement objectif des mouvements. Il faut prendre les grands événements de la vie so­ciale dans leur totalité. Autrement, comment expliquer que des inven­tions géniales surgissent en même temps dans différents pays et dans différents domaines? Comment comprendre le lien qui rattache Newton et Leibniz? Les événe­ments isolés n'ont aucun sens SI

on ne les place pas dans la per­spective d'une totalité.

Lukacs

Pourtant, l'aliénation ...

• •

G.L. L'aliénation a existé dans toutes les civilisations. Depuis un demi-siècle, elle existe sous une nouvelle forme. Nombreux sont ceux qui croient qu'il s'agit là d'une conséquence de la technolo· gie, alors qu'une étude de la tota­lité montre que la technique n'est pas une force fondée en elle-même, mais une conséquence du mouve­ment des forces productives. Elle dépend de la structure sociale. Il faut toujours recourir à la méthode marxiste.

Nous revenons à la littérature. Que pensez-vous des nouvelles re­chercT:tes techniques ?

G.L. Tout dépend de ce à quoi on applique la technique. Regar­dez le monologue intérieur cbez James Joyce et chez Thomas Marui. Pour Joyce, cette technique est un fait en soi, Thomas Mann l'utilise comme mode de construction, pour faire apparaître quelque chose d'autre. En dépit de ses multiples déguisements, une grande partie de la littérature moderne est encore naturaliste. Elle n'offre qu'un ta-

Georges Lu1wcs

bleau superficiel de la vie, sans re­fléter la réalité.

Et le théâtre de l'absurde?

G.L. L'absurde n'est rien d'au­tre que le grotesque. Rien de neuf là-dedans. Voyez Goya, Hogarth Daumier. Chez eux, l'absurde vien! de la comparaison de deux états: l'état normal et sa déformation. Le grotesque n'a de sens que s'il est mis en relation avec l'humain. Chez plusieurs écrivains contempo­rains, l'absurde n'est pas en rela­tion avec l'humain; il est consi­déré comme un état naturel. Si l'on ne distingue pas ce qui est humain de ce qui ne l'est pas, c'est le sens de l'humain qui est perdu.. On n'obtient rien d'autre qu'une pho­tographie immédiate d'un certain aspect de la vie. Encore une nou-

Page 5: La Quinzaine littéraire n°17

• revenir au

velle iorme du naturalisme! Si Eugene O'Neill est un admirable dramaturge, c'est qu'il propose une dialectique vivante des rapports entre l'humain et le grotesque. Pre­nons un autre écrivain : le roman­cier Jorge Semprun. II utilise le monologue intérieur pour évoquer le combat contre l'aliénation fas­ciste. Chez Beckett, ce combat h'existe pas. Il capitule devant l'aliénation moderne.

C'est là, chez vous, une prise de position politique?

G.L. Nullement. Un autre écri­vain que j'admire est Thomas Wolfe. Son œuvre est un combat contre l'aliénation dans la vie amé­ricaine. J'admire également Styron et Elsa Morante qui, à mon avis, est plus douée que son mari, Mo­ravia. Je ne prône ni une techni­que ni une idéologie. Ce que je défends, c'est l'intégrité de l'hom­me et je m'oppose à une littérature qui mène à la destruction de cette intégrité. Je ne nie pas la valeur de Joyce ou de Proust. Le premier est un excellent observateur et Proust un écrivain très important. Son œuvre continuera d'exercer une profonde influence sur la lit­térature parce qu'on y trouve une dialectique du passé et du présent. Cela nous permet de situer le pro­blème de l'aliénation. Il n'en de­meure pas moins que le passé n'a de véritable sens que dans la me~ sure où il agit sur le futur. Je ne parle pas uniquement des sociétés, mais également des individus. Cette recherche du temps perdu est le fait d'un homme qui n'a pas de futur. La véritable source de toute l'œuvre de Proust se trouve dans le dernier chapitre de l'Education sentimentale, quand Frédéric Mo­reau se remémore son passé.

' Et Sartre?

G.L. C'est un homme très vi· vant. Je le comprend beaucoup mieux depuis que j'ai lu les Mots. Quelle œuvre admirable! Il expli­que cet homme qui n'a jàmais eu de contact avec la réalité. J'at. tends que Sartre subisse le choc de la réalité. Il a été courageux lors de la guerre d'Algérie.

Et comme philosophe ?

G.L. Il a fait des progrès depuis l'Etre et le Néant. Il est plus près du marxisme. Cependant, il y a chez lui une faiblesse. Quand la vie l'oblige à changer de point de vue, il ne veut pas le changer radicalement. Il veut donner l'il­lusion de la continuité. Dans sa Critique de la raison dialectique, il acccpte Marx, mais il veut le concilier avec Heidegger. Vous voyez la contradiction. Il _y a un Sartre numéro un au début de la page, et un Sartre numéro deux à la fin de la même page. Quelle confusion dans la méthode et dans la pensée!

concret

• • • • • • • • • • -• Croyez-vous que l'écrivain a un •

rôle social à jouer ? • G. L. Les existentialistes 0 nt.

faussé le problème. On ne choisit • ni le lieu ni la date de sa naissance. • Nous disons oui ou non à la réa- • • lité qui existe malgré nous. L'hom- • me est un être « répondant ». Il • dépend de lui de dire oui ou non • mais il ne dépend pas - de lui de • dire oui ou non à la réalité telle • qu'elle existe. Et cette réalité est : celle d'aujourd'hui. Il ne dépend • ni de vous ni de moi qu'il y ait • des voitures dans la rue, ou que • vous aimiez votre femme et non • l'amie de votre grand-mère. Le seul • choix que vous avez à faire est de : ne pas traverser la rue ou de ne • pas aimer votre femme. Le rapport • entre la liberté intérieure et les né- • cessités extérieures est très com- • plexe. Marx n'a pas nié l'existence • du choix. Cela commence par le : travail : le maçon choisit une pier- • re, et ce choix fait que son tra- • vail est bon ou ne l'est pas. Toujours • est-il qu'il ne peut choisir qu'entre • deux pierres, non entre une pierre • • et un morceau de bronze. Le pro- • blème de la liberté et de la néces- • sité sociale se traite dans une per- • spective d'évolution historique. C'est • un problème dialectique. Considérer • la liberté sur un plan abstrait con- • • duit aux positions fausses. Je m 'op- • pose au bureaucrate qui définit la • fonction de la littérature. Sur le sta- . ­linisme, qui est une déviation du • marxisme, je n'ai pas hésité à ex- •

.. d d • poser mes opIllions u temps e Rakosi, j'ai fait une conférence : pour exprimer ces idées. On ne • peut parler de la liberté si on n'ana- • lyse pas la situation concrète. Je • suis pour' la liberté de l'écrivain, • mais il faut s'entendre. Quand • • dans un pays socialiste on empêche • un écrivain de s'exprimer, je m'élè- _ ve contre la confiscation de sa • liberté, mais ce n'est pas pour ac- • cepter votre liberté à vous, capi. • • talistes. Très jeune, j'ai compris • cette leçon. Pendant un bref mo- • ment, j'ai été critique dramatique • dans un grand journal. Mes chro- • niques ne plaisaient pas et ' j'ai dû •

. l' V • qUItter mon emp 01. ous savez comme moi que la liberté de presse : n'existe que d'une manière rela- • tive. Quand, dans les pays capita- • listes, on écrit dans un journal, • on connaît les limites à ne pas dé- • • passer. On pratique des accommo· • dements. De cette manipulation raf- • finée à la liberté, il y a loin. Le • bureaucratisme qui menace l'écri- • vain et le journaliste dans les pays • socialistes n'est qu'une autre for- • me de manipulation, brutale celle- • là. Si vous voulez qu'on discute : de ces deux formes de manipula- • tion, notre controverse pourrait • avoir un sens, mais je n'accepte pas • la prétention qui veut que, d'un'· côté, la liberté existe, et que, dt' • l'autre côté, elle soit absente. :

Je suis contre la discussion abs- • traite. Le marxisme nous ramène • toujours au concret. •

Propos recueillis • par Naim Kattall • •

La Quinzaine littéraire, 1"' au 15 décembre 1966

Colleétion , •

vient de paraître :

oeste L'œuvre complète des grands poètes contemporains en format de -poche

Breton Apollinaire

Clair de terre

Alcools

Supervielle Gravitations

Quenea U L'instant fatal

sOllS-presse

Jouve Larbaud

Les noces Poésies de A. o. Banabooth

volumes à 3,5 0 et 5 fr. gallimard

·jean chalon le.s

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"Un interminable feu d'artifice, polisson en diable, svelte, dans le vent, pétillant comme champagne rose et chairs de la même couleur" .-

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LE MYSTERE D'UNE

CELLE D' INITIATION UN HOMME

ET D'UN PEUPLE

MOISE MARYSE par CHOISY

EDITIONS DU MONT- BLANC - GENEVE

,

Page 6: La Quinzaine littéraire n°17

ROMANS FRANÇAIS

. Irène Monési, Nature morte devant la fenêtre Mercure de France éd. 256 p.

Ce roman paraîtra surprenant au lecteur français que sa littératur~ n'a guère familiarisé avec l'insolite, cette dimension étrangère qui vient des êtres.

C'est par un glissement imper­ceptible que s'accomplit le passage de la réalité la plus ordinaire a une surréalité où l'apparence habituelle des choses se dédouble curieusement pour laisser app~aître un envers troublant. La narratrice, une gou­vernante anglaise entrée au service d'une famille ·française pour ensei­gner aux deux enfants, Agathe et Régis, les langues étrangères, est devenue, en l'espace de six ans, le témoin et la confidente du drame qui, lentement, la déchire. Une sé­rie d'indices, dont rien ne trahit à l'origine la valeur symbolique, con­vergent pour avertir le lecteur qu'il a pénétré dans une société close sur elle-même, corrompue par les poisons. Sommes-nous dans l'uni­vers de Mauriac ? peut-être, mais qui aurait abandonné le masque de l'hypocrisie, du conformisme et de la pudeur, et où s'exercerait sans fin une Thérè&e Desqueyroux corri­gée par une romancière anglaise.

L'alimentation végétarienne, l'é­trange détachement du père, l'amour de ces chats dont le pelage ondoyant figure la nostalgie dévo­rante de la chaleur matricielle, dont tous les ' membres de cette famille sont hantés, le violon d'Ingres de la -mère, l'amour que nourrit le père pour la peinture sont autant de jalons qui dessinent l'itinéraire que

Irène M onési

doit suivre le lecteur pour pénétrer le mystère de cette étrange famille.

Voici une mère, Alhy, qui hait dans sa fille Agathe l'enfant qu'elle a été et qui s'effraie tant de retrou­ver chez elle la plus légère ressem­blance qu'elle la rejette de toute son âme avec une persévérance dia­bolique. Par la volonté de la mère que dominent des constellations psychiques, la famille est le terrain où s'affrontent des instincts qu'au­cune morale ne peut réprimer. C'est en effet sur les abîmes ouverts par l'inconscient, sur les ravages que

Mère et fille

peut causer l'ignorance des lois fon­damentales de la nature humaine, qu'Irène Monési projette une lu­mière de soufre. Nous assistons au processus de destrUction qui conduit une famille à répéter, d'une géné­ration à l'autre, le péché obscur, originel, sur quoi elle fut fondée.

Mariée à un homme trop faible pour la dominer, et qui, au lieu de la combattre, tente de l'excuser, puis s'éloigne d'elle progressive­ment, Alhy rejette sur ses enfants la faute dont elle est issue et les

ensorcelle au lieu de leur apporter de l'affection. Et, comme dans la tragédie antique, la fatalité de la naissance ne laisse pas de s'acharner contre les différents membres de la tribu. Ainsi Agathe, malgré la haine qu'elle nourrit pour sa mère, es­clave de la fascination que cette femme exerce sur elle, s'éprend d'un amour incestueux pour son père moribond, puis épouse Paul, le meilleur ami de son frère, pour connaître à son tour le même destin que sa mère : l'horreur de Génitrix pour elle-même, l'aversion indéraci­nable de toute postérité.

Singulier pouvoir des femmes qui, comme des Parques, tissent l'écheveau infernal destiné à se re­fermer sur les êtres. Et tous les hommes, associés au destin de ces figures féminines, sont par elles as­servis, mutilés: haine que l'espèce, à travers les femmes, perpétue con­tre elle-même au point de vouloir totalement s 'annihiler.

Le roman d'Irène Monési est attachant, elle a su faire affleurer poétiquement les motivations psy­chologiques qui animent tous ses personnages et, en évitant les impli­cations du roman psychologique, leur donner une existence fantasti­que.

Longtemps après qu'on a achevé la lecture, ces étranges figures qu'on dirait natives d'un village de La Nouvelle Orléans, telle que la fait revivre Julien Green, poursui­vent leur ronde d'étrangers sur la terre. Et, dans l'absence singulière de toute transcendance, nous recon­naissons en Irène Monési une ro­mancière anglaise qui écrirait en français.

Alain Clerval

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6

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Bourse Illoribonde Jacques Brel. D limi L'envers du temps Solitude de Picasso lJ..52 contre blcycl~"e •. Le .olJaI. dloyen. Bo~e pourrie. l/n.e ju.ûœ Jadle. L'ElU"Ope ,u. marc~. l 0 Apri. F,tmt!O-Poùpe. L'IIlfoire da fllllr.Banlt. Le Paya de CoUe. en kuil. Siqueir." le Mul«Jin.

L', , eVeneIllen t '\oH'lllhn' 1966 4 F

Bourse llloribonde Jacques Brel. Dlimi L'envers du temps Solitude de Picasso

Page 7: La Quinzaine littéraire n°17

Un Goncourt bien fran9ais

Edmonde Charles-Roux Oublier Palerme Grasset, éd. 328 p.

En donnant son prix annuel à ce roman, l'Académie Goncourt s'est attiré beaucoup de sympathies. Celle des critiques qui ont, en g é n é r a l, parlé élogieusement d'Oublier Palerme pour des raisons avec lesquelles la mondanité n'a rien à voir, celle des braves gens qui commençaient à en avoir assez li 'user leurs méninges sur les pro­ductions dites du « n 0 u v eau roman », celle des éditeurs étran­gers qui auront à proposer aux res­sortissants de leur pays une mar­chandise «made in France» qui répond enfin à l'idée qu'ils s'en · font. Les Goncourt ont une fois de plus mérité leur réputation.

A vec Oublier Palerme on revient enfin au roman de papa - ou de maman -: une histoire, un peu tricotée à la va-vite, mais dont le fil est facile i suivre, des person­nages vivants et pittoresques, des milieux dont l'exotisme excite la curiosité et que l'auteur connaît suffisamment pour <ln donner des images « typiques », des drames où l'amour, l'ambition, l'intérêt et les sentiments généreux font d'agréa­bles mélanges détonants, tandis que supportant le tout, lui donnant son assise et son sens, s'affrontent deux civilisations: l'une, détesta­ble et menaçante l'américaine, l'au­tre, rude, primitive, chevaleresque, mal accordée à l'évolution du mon­de mais gorgée des vraies val~urs de la vie et telle qu'on peut la rencontrer encore en Sicile. Oublier Palerme? Certes, non. C'est à Palerme que nous tenons par iou­tes nos fibres d'Européens recuits dans une histoire séculaire et tour­nés vers un passé prestigieux. C'est à Palerme qu'il vaut la peine de vivre et de mourir.

Ouvertement, explic i t e men t, Mme Edmonde Charles - Roux oppose ainsi deux tableaux contras­tés. Elle passe de l'un à l'autre, de l'un dans l'autre, en faisant courir parallèlement deux histoires qui n'auraient rien à voir entre elles si précisément elles ne se re­joignaient, par les aventures de ses personnages, et dans le milieu sicilien de New York, et à Palerme même. Autre habileté : sa narra­trice, qui semble pourtant avoir des réactions bien françaises, est Sicilienne. Mais comme on croit difficilement à l'authenticité de ses origines, ce n'est peut-être pas une habileté, simplement une ficelle.

Cette Sicilienne, fille d'un méde­cin de Palerme, est rédactrice du grand magazine Fair et chargée de vanter à ses lectrices sous-dévelop­pées les beautés touristiques et gas­tronomiques de l'Europe. Elle s'ac­quitte de sa tâche avec la condes­cendance qui convient, suivant les instructions qui lui ont été don­nées : exciter l'appétit du voyage, taire l'essentiel au profit de l'acces-

soire piquant et pittoresque et sur­tout: ni inquiéter ni donner l'en­vie de découvrir, façonner en som­me le plat européen de façon à le rendre digestible aux fragiles esto­macs américains. Son amie Babs, préposée aux soins de beauté, la tante Rosie, chez qui elle loge -une affreuse poupée de soixante ans - la rédactrice en chef du maga­zine - une femme d'affaires névro­sée et éthylique - sont autant d'échantillons du modèle féminin américain à la tête vide et au sexe Fiorello La Guardia. Il semble pro­aseptisé, bien que Babs ait connu, la nuit, dans Central Park et à l'inté­rieur d'une voiture, sous l'œil d'un voyeur, une aventure elle ausi typi­quement américaine. Ah, les sau­vages! La peinture de cette vie quotidienne: salle de rédaction d'un magazine féminin, 5e Avenue et bas quartiers, rapports entre Américains de souche plus ou

Edmonde Charles-Roux

moins récente et «étrangers », coktails et « parties », est dans l'en­semble d'un noir assez soutenu. L'auteur a rassemblé tous les traits négatifs de la vie américaine pour en faire un bouquet propre à cha­touiller des odorats bien français~ mais comme elle parle 'd'expérience on ne peut que s'incliner.

Heureusement, dans ce New York infernal et gigantesque, aux rues en allées de cimetière, se sont implantées, au delà de Canal Street, de fort sympathiques minorités ethniques : Siciliens et Chinois. Beaucoup sont nés à New York, peu ont oublié le pays de leurs ancêtres, ses mœurs, ses coutumes, ses façons de vivre. Il en résulte, à tous les étages, de· curieux mélan­ges. Et l'on ne s'étonne point qu'un Américain de souche sicilienne, Carmine Bonnavia, prenne la tête du parti démocrate à New York, s'installe à Tammany Hall, joue les Fiorello La Guardia. Il se~le pro­mis à une carrière politiquie plus éblouissante encore quand, soudain, le prend le mal du pays : c'est à

L.~ Quinzaine littéraire, 1er au 15 décpmbre 1966

Palerme qu'avec sa femme, Babs - la préposée aux· soins de beauté de Fair - il va accomplir son voyage de noces. Pour trouver là­bas quoi ? Le sang, la volupté et la mort.

Entre-temps, l'auteur n'a pas quitté la Sicile des yeux. Elle nous en a montré la misère et les fastes, le primitivisme féodal à travers l'histoire d'une famille aristocrati­que et de ses clients, la résistance au fascisme mussolinien et à la guerre. Si, comme pour l'Améri­que, le tableau est de convention, il est cette fois poussé au rose - ou· au rouge vif, le rouge du sang gé­néreux qui coule dans les veines du fier baron de D. et de ses fils comme dans celles d'un peuple misérable et ombrageux.

Nous voici au terminus: c'est à Palerme que va se dénouer tragiqu~ ment l'histoire du beau, fort et taci­turne Carmine, de l'insignifiante

mécanique prénommée Babs, de ces deux « Américani » dont chacun va retourner à ses dieux lares: Babs, en reprenant seule le bateau pour New York après une série de chocs psychologiques qui ont désintégré sa « personnalité », Carmine en s'offrant comme victime à une ven­detta qu'il a déelanchée par orgueil ( son sang sicilien) et bêtise ( son

-sang américain).

Ce récit documenté, aux cou­leurs plates, convenablement cousu même si les coutures demeurent visibles, plaira à la centaine de mil­liers de lecteurs auxquels il est destiné. L'inspiration en est sympa­thique et la façon, dans le genre prêt à porter, fort honorable. La distinction dont il a été l'objet nous rappelle qu'entre l'Atlantique et la Méditerranée il existe un pays de coteaux modérés où, pour la sa­tisfaction de ses habitants et en dépit de toutes les outrances ou modes intellectuelles, le roman con­tinue doucement à ronronner.

M aunce N adeau

AUTEURS

Asturias

Miguel Angel Asturias, qui vient d'être nommé ambassadeur de son pays, le Guatemala, à Paris, prépare un recueil pour la collection • Nou· velles nouvelles. qui vient d'être lan· cée par Albin Michel. Comme dans ses romans - Une certaine mulâ­tresse - il s'agit de thèmes popu­laires guatémaltèques: légendes, cou· tumes, croyances, costumes ...

Le premier volume de cette collec­tion l'Hôtel de la lune, est de Gloria Alcorta , journaliste franco-argentine et correspondante de la Prensa, de Buenos Aires, à Paris; l'auteur, qui écrit ses poèmes en françaiS et ses romans en espagnol, avait confié la traduction de ces nouvelles à Claude Coutton.

Le deuxième volume, en voie de parution, est le Règne végétal, du Hol­landais Jacques Hamelink.

Malgré ce point de départ très inter­national, la collection fera aussi une place aux auteurs français.

Fitzgerald

Vers la fin de sa vie, abandonné de tous, mourant lentement à Holly­wood (il se couchait sur le côté gau· che, chaque soir, dans le but - disait­il - de fatiguer plus vite son cœur), Scott Fitzgerald ne trouvait de récon· fort que dans la présence de sa jeune disciple Sheilah Graham, dont il avait entrepris l'éducation.

Depuis que l'auteur de Tendre esl la nuit est redevenu à la mode, nul ne s'était encore préoccupé de faire l'in­ventaire précis des quàrante boîtes de documents entrepos~es à l'université de Princeton - cette université qui avait joué un si grand rôle dans la vie de Scott et qu'il a si longuement décrite.

Sheilah Graham a recherché, dans ces papiers, les notes que Fitzgerald avait préparées à son intention et qui se composent de conseils divers, opinions sur la littérature, etc. Elle va publier tout ce qui concerne cet aspect inconnu et inédit de l'écrivain dans un livre qu'elle prépare pour les éditions Viking, sous le titre College of One (Université pour une seule femme).

Isaac Bashevis Singer, l'un des plus grands auteurs yiddish vivants, vient d'obtenir, en collaboration avec le des· sinateur Maurice Sendak, le prix du meilleur livre illustré pour enfants avec Zlateh la chèvre et autres contes, décerné par un jury spécial réuni à New· York.

D'Annunzio

Le succès de d'Annunzio en Italie est attesté par la vente de près de 300000 exemplaires de l'Enfant de volupté, en une seule année, dans la collection de livres de poche de l'édi· teur Mondadorl. Fort de cette expé· rience, celui-ci prépare trois autres rééditions de poche du même auteur: le Triomphe de la mort, Alclone et Poème paradiSiaque.

On annonce parallèlement la publi­cation des carnets inédits (1 500 pa­ges) ainsi que du Livre secret et de la correspondance amoureuse .(lettres à Barbar.a Leoni, lettres à Donatella de Goloube).

D'Annunzio est inscrit au program­me de l'agrégation en France, mais, en dehors des quatre titres au cata· logue des éditions Cal mann-Lévy, la plupart de ses œuvres (dont l'Enfant de la volupté publié dans la défunte collection • Pourpre.) sont Introu­vables.

La Télévision française prépare d'ail­leurs un film sur d'Annunzio tourné à la Vittoriale dans le cadre de la maison de l'écrivain actuellement convertie en musée.

T

Page 8: La Quinzaine littéraire n°17

ROMANS FR-ANÇAIS

Une aventure • rODlantlque

Michel Dard M~lusine Le Seuil éd., 256 p.

Michel Dard, comme le fut Ray­mond Abellio, comme l'a été Saint John Perse est, nous apprend son éditeur, un haut fonctionnaire inter­national qui a parcouru le monde et jaugé les civilisations à la lu­mière de cette science hautaine que lui a enseigné l'expérience des coulisses du pouvoir et le specta­cle des conseils internationaux : au milieu des passions contraires qui font éclater la vanité et l'uto­pie des institutions créées pour in­troduire quelque harmonie entre les Etats, l'homme est tenté de se pla­cer, pour contempler l'histoire, sur une cime d'où semblent se confon­dre les agitations, les actions et les œuvres des hommes. N'est-il pas intéressant d'observer qu'une pente égale mène des hommes différents par l'âge, l'origine, la culture, mais que rapproche la communauté d'ex­périence, à rechercher un remède aux désillusions dans une médita­tion cosmique où se rejoignent les différentes leçons de la science,

Michel Dard

des religions, des langages, de la sorcellerie, des rituels primitifs f! Leurs songes qui s'abreuvent à ces sources, nourrissent une littérature fabuleuse qui exalte l'amour fou, les secrets des âges premiers de l'humanité, la fraîcheur d'un temps biblique frémissant de signes où s'établissait une connivence natu­relle entre l'homme et la terre, l 'homme et les légendes qui, par­fois, se levaient de ces terres se­condes illuminées par la prescience.

L'auteur a voulu s'évader de l'étroitesse contemporaine, du lacis des structures modernes, dans une mystique de l'érotisme, de l'amour, dans une gnose universelle où se rencontreraient l'occultisme, les con­naissances astrales, l'exégèse des écritures, l'étude de la Cabale, les mythologies. Un scepticisme policé, fortifié par l'expérience de la vie internationale, incline au messia­nisme; ayant pu mesurer la résis­tance des choses, la versatilité, l'in­consistance des hommes et des po­litiques, l'auteur en est venu à rêver d'un ordre supérieur où les idéaux fourvoyés, les ambitions contrariées, au-dessus des procédures dérisoires, pourraient se développer librement

par-delà les minuscules catégories humaines.

Deux aventures qui se nourris­sent l'une de l'autre, se poursui­vent parallèlement tout au long de ce récit : une initiation érotique, sentimentale qui conduit un hom­me à faire l'eXpérience de l'amour fou et de la douleur, et une quête spirituelle qui, à travers les de­grés, les chutes, les métamorpho­ses de la passion, transportent le narrateur, de dépouillement en dépouillement, au seuil d'une vie nouvelle et d'une approche du divin. Un diplomate que sa maîtresse vient d'abandonner, pro­fite d'une longue mission qui doit le conduire à New York, pour ac­complir une croisière autour du monde, les Açores, les Bahamas, enfin la Floride. Au cours de la traversée, le voyageur ne peut se distraire de la souffrance du dé­laissement, et il tient un journal où il consigne, au gré de la mé­moire, les épisodes de la liaison orageuse qui a mêlé sa vie à celle qu'il appelle, selon les circonstan­ces, Andromède ou Mélusine. ir­landaise, de son nom véritable Fin­negan, il l'a rencontrée chez des amis, au cours d'une réunion qui rasseinhlait des apôtres du Réarme­ment moral, cette théosophie au rabais.

Femme fatale, Mélusine a intri­gué Gabriel, le narrateur, par sa beauté, le pouvoir rayoimunt, le sombre magnétisme qui émane d'elle. Lointaine descendante des Lusignan, son enfance s'est écou­lée à Pierre-L'Ange, haute bâtisse féodale construite sur la lande bre­tonne. La jeune femme semble tenir de la figure légendaire restituée par Jean d'Arras au XIe siècle, non seulement son nom de fée, mais ses pouvoirs de sorcière, une science divinatrice, les qualités de la sainte, de la ribaude et de la vierge. A la fois mystique et active, sereine et violente, une sagesse initiatique l'avertit du sort de ses proches. Un puissant courant dualiste déchire Mélusine entre les ténèbres ·et la

clarté, la pesanteur et la foi, l'esprit et la chair. Nourrie des légendes qui se confondent dans la nuit de l'histoire, armée de secrets, cette femme charmeuse résume toutes les aspirations qui pétrissent le cœur de l'homme.

Elevée à la campagne par son père, l'amour qui les unit est em­preint d'une telle équivoque que sa mère exige le divorce. Mariée à Sébastien son cousin éloigné, sé­raphin inconséquent qui se tuera au volant de sa voiture, puis à Janus son beau-frère, histrion dépravé et alcoolique, possédé par le mal et la fureur de vivre, que ses excès conduisent en prison, .Mélusine est sur le point d'épouser en troisièmes noces, au moment de sa rencontre avec Gabriel, Ludwig, ancien 55 qui cherche son rachat dans une action évangélique, mais que ses fureurs et sa violence rendent invi­vable. L'amour des sens qui unit Gabriel et Mélusine s'exaspère d'une curiosité intellectuelle qui va les déchirer. La duplicité de Mélu­sine, sa science du mensonge et de l'intrigue, font éprouver au narra­teur les tortures de la jalousie. Au terme de sa croisière qu'une brève idylle n'a pas pu détourner de l'ob­jet de sa passion, Gabriel retrouve Finnegan, qui lui apprend qu'elle attend un enfant. Une nouvelle tentative de vie commune s'achève sur un échec, Mélusine délaissant son ancien amant au profit de Guil­laume, un autre Lusignan qui la captive par son ascendant et sa for­tune. Au terme de cette aventure romant~que, le narrateur se livre corps et âme à une petite prostituée hindoue, malade de la lèpre. Son dévouement inlassable est un choix qui ne se fonde pas sur l'amour, mais sur l'accomplissement qu'il espère de l'exercice de la charité.

Hymne mystique d'un romantis­me effervescent, écrit dans une lan­gue fastueuse, lyrique, surchargée de symboles qu'entache peut-être le recours trop constant au disparate de la culture.

Alain Clerval

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Page 9: La Quinzaine littéraire n°17

ENTRETIEN

George Painter : Proust

George D. Painter, 51 ans, conser­vateur adjoint au British Museum, a mis dix-huit ans pour faire son Marcel Proust (Mercure de France éd.) dont le deuxième volume vient de paraître. Une phrase de la pré­face étonne : « Que connaissent de la Recherche ceux qui ne connais­sent que la Recherche? » Pour connaître une œuvre, ne suffit-il pas de la lire ?

G.P. En vérité c'est une bouta­de! Je pensais à la célèbre phrase de Rudyard Kipling : « What do they know of England who only England knows? » Bien sûr que la signification du livre se suffit à elle-même. La question à laquelle j'ai voulu répondre est: que signi­fiait ce livre pour Marcel Proust ? La plupart des gens lisent Proust en se demandant ce que ce livre signifie pour eux. Moi je voulais savoir : que signifie la Recherche pour son auteur ?

Et que répondez-vous ?

G.P. A la Recherche du temps perdu c'est la recherche d'un salut. Proust se sentait seul, abandonné, isolé. Il désirait être compris. Il allait écrire un livre, écrit-il à Madame de Noailles, en désirant y mettre assez de lui-même « pour que vous me connaissiez et m' es­timiez un peu ». En se rendant compréhensible il tente de se sau­ver, de se justifier, de racheter un peu son isolement. Cela me fait penser à la confession du prince Muichkine sur la place · du Marché qui -avouait tous ses péchés dans l'espoir qu'ils seraient pardonnés.

Pensez-vous que Proust ait ob­tenu de ce livre ce que vous dites qu'il souhaitait?

G.P. A un moment, à Combray, le narrateur dit que tout lui sem­ble devenu stérile et sans intérêt, désillusion, et il se retourne vers le passé où le monde était encore ravissant. Et, tout à fait à la fin, dans le Temps retrouvé, il décou­vre que ses premières impression"3, de beauté, de ravissement, étaient les vraies - -devenues immortelles ...

L'image que vous vous faisiez de Proust a-t-elle changé au cours de vos dix-huit ans de travail ?

G.P. Proust n'a pas changé, mais il -s'est mis à vivre devant moi, en chair et en os si je puis dire. Plus on le connaît, plus on admire la grandeur, la noblesse morale de son caractère. Il était intelligent, certes, mais plus en­core courageux. Courageux et gé­néreux.

C'était un homme qUl souffrait beaucoup?

G.P. _ Il y a sa souffrance, mais il y a aussi son grand bonheur,

, . • etait aussI pour moi la sensation capitale c'est que la sève d'A la Recherche du temps perdu est le bonheur. Il a beaucoup souffert à cause, juste­ment, de son sens aigu du bonheur, souffert par l'amour, la maladie, la déception. Il a beaucoup ri aussi. Parfois je crois l'entendre rire, de ce rire innocent. La Recherche est, je crois, un grand chef-d'œuvre comique. On verse des pleurs puis on rit. C'est normal, pour rire il faut pleurer beaucoup.

Apportez-vous des documents nouveaux?

G.P. Il n'y a pas de document nouveau : tout ce que j'ai utilisé avait été publié déjà au moins une fois. J'ai pu mettre en lumière l'hétérosexualité de Proust. Alber­tine, ça n'est pas seulement un jeune hOinme, comme on l'a dit,

Marcel Proust

c'est cinq ou six jeunes filles qu'il a vraiment aimées, mélangées à cinq ou six garçons. -Pour moi il est très important que Proust soit aussi hétérosexuel, ça n'est pas par morale, vous pensez bien! Mais j'aime qu'Albertine soit aussi toli· tes les jeunes filles qu'on a aimées. Quant à ses amours anormales, la vérité . admirable et héroïque sur ses amours anormales, il l'a dite sans masque en contant ses amours anormales ...

Pourquoi avez.vous c h 0 i. s i Proust?

G.P. Mais il n'y , a pas que Proust! Auparavant j'avais écrit un livre sur Gide, qui n'est pas complet (bien des choses ont été

La QaiozaiDe littéraire, l or au 15 décembre 1966

hétérosexuel publiées depuis, dont Et Nunc ma­net in te). Je voudrais refaire ce livre, mais en ce moment je fais ' une biographie de Chateaubriand. Si je pouvais vivre deux cents ans, j'en ferais bien d'autres, Va­leryLarbaud, Baudelaire ...

Chateaubriand après Proust ... Comment pouvez-vous?

G.P. Mais Chateaubriand n'est pas l'homme qu'on croit! On pense que c'est un monstre de vanité et d'insincérité. Je ne le crois pas. Je lui trouve la plus profonde sincé­rité. Evidemment il construit un personnage, qui est déjà bien cris­tallisé au moment où il entreprend les Mémoires d'outre-tombe, mais c'est quelqu'un de très bien. J'ad­mire Chateaubriand, mais P roust est un autre moi-même. Proust est snob, pas moi, il est homosexuel,

pas moi, il est susceptible, irritable, moi je suis plutôt flegmatique, -et pourtant je crois que si j'ai étudié Proust c'est qu'en cherchant à le comprendre je voulais me compren­dre moi·même - - comme tous ses lecteurs ...

y êtes-vous parvenu ?

G.P. Pour découvrir que je ne suis pas un créateur ...

POurtant vous écrivez ?

G.P. Je ne crée pas, je recrée. Autrefois je voulais écrire des poè­mes. Tout jeune j'ai publié un volume de poésie, The road to Syno­dum. Mon père était professeur de littérature anglaise à Birmingham.

Il a maintenant soixante-dix-huit ans, il l'est toujours ... Je ne suis pas un écrivain, je suis un scholar, c'est un mot intraduisible en fran­çais qui ne veut dire ni universi­taire, ni intellectuel, ni érudit, toutes choses que ,pour moi je ré­cuse. Etre un scholar c'est avoir un idéal qu'on n'atteint jamais.

Pourquoi est-ce un Anglais qui fait une biographie sur Proust ?

G.P. Les Français n'imaginent pas à quel point Proust est lu en Angleterre.

_ V ous avez eu dû succès, en êtes­vous content ?

G.P. Qu'ai-je fait de si extraor­dinaire? J'ai l'impression d'avoir aidé une vieille dame à traverser la rue; surgit alors un million-

George D, Painter

naire qui me dit : « Mon ami c'est très beau ce que vous venez de faire, je vais vous récompenser ... » Ça me gêne plutôt!

Pourquoi y a-t-il St peu de bio­graphes?

G.P. Très peu de gens sont pré­parés à doilner leur vie pour n'écri­re jamais qu'un seul livre sans la moindre garantie de rentabilité. C'est presque pour des raisons éco­nomiques qu'on y renonce: on ne peut pas se permettre ce luxe! Un génie peut écrire une œuvre de génie en deux mois. Mais une biographie, rien à faire, il faut le temps ...

Propos recueillis par MadeleineChapsal

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Page 10: La Quinzaine littéraire n°17

une révolution • • • • • • • • • • • •

POÉSIE ÉTRANGÈRE

technique .' • A. D. Tavares-Bastos La poésie brésilienne contemporaine Seghers éd., 292 p. -au service

• • • • • • • • • •

M. Simon Manuel Bandeira Seghers éd., « Poètes d'aujourd'hui », 191 p.

de la réforme • Si le roman brésilien commence • à trouver chez nous un public -: le bon accueil fait ces dernières • années aux livres de Guimarâes

de • Rosa en est le plus satisfaisant in-• dice -, il n'en vas pas de même • pour la poésie, qui reste encore, au • portulan de nos libraires, marquée : de la blancheur quasi vierge d'une • terra incognita. L'anthologie Ta-• vares-Bastos, que vient de repren-• dre Pierre Seghers, et qui nous pré-

l'ensel- 1 n' eme' nt: ~e;:: ;:è: i::!~:~:tn~o;!:t;!:~~ : être Vinicius de Morâes (le créa-• teur d'Orfeu Negro), est donc à • tous égards la bienvenue, car nul • n'était mieux placé que son auteur • lui-même écrivain bilingue et poète • • •

~----------------------------~----------------~~. .

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• • • • • • • • • • • • • • • • • • , • • • • • • • • • •

1 200 C.E.S. à construire en 5 ans ,. Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut y parvenir.- Portrait de 8andeira, par Foujita. 1932

Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-C.I.C.,: le plus ancien et le plus important des Constructeurs.

(4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves;. 2500 classes pour la seule année 1966),.

reste à la pointe de ce combat.. Grâce au dynamisme de son Service" Recherches ",. _ pour nous guider dans la décou­

à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-C.I.C.,: vcrte de cette contrée neuve. ne cesse d'améliorer la qualité et le confort. La poésie en tant que genre lit-

de ses réalisations et de justifier. téraire, au Brésil, naît d'abord, en la confiance grandissante qui lui est faite.. plein dix-huitième siècle par mal-

: chance, d'une Arcadie néo-classi-• que importée tout droit de la ~é-• lropole, qui farde les belles mehs-• ses en bergères à rubans et englou-• lit les dieux du terroir sous un flot • de mythologie grecque. La réac-

G E E P C 1 C· tion viendra avec l'Indépendance . _ :. et un romantisme résolument tour­

né vers les rives de la Seine, sans 22, rue St-Martin Paris 40 • qu'on soit guère parvenu, cette fois-Tél. 272.25.10 - 887.61.57 • là, à autre chose qu'à changer de

Poésie brésilienne

modèle et à produire de petits La­martine de province. Le panorama d'Antonio Tavares s'ouvre donc, et c'est fort bien ains, sur l'irruption d'un lyrisme nouveau, cristallisé par la Semaine d'Art Moderne de Sâa Paulo en 1922, et qui rend pour la première fois un son véritable­ment spécifique. Sans doute l'im­pulsion est-elle encore venue d'Eu­rope (d'Apollinaire et de Cendrars en particulier), mais tout se passe comme si le dynamitage de la joail­lerie parnassienne - qui dominait encore à Rio -, l'éclatement subit de toutes les formes e tIes règles, l'explosiOI1 de liberté en somme, avaient permis à la poésie brésilien­ne de se découvrir elle-même, avec sa saveur propre. A travers les mille et une fantaisies de la lyre « mo­derniste » apparaissent enfin des visions spontanées du paysage ur­bain, de l'océan ou de la brousse, et le vieux folklore afro-indien fait son entrée en force. Pénombrisme, « anthropophagisme », vert-jaunis­me, le -mouvement se scinde bien­tôt en de multiples branches, dont les noms, comme tombés d'une autre planète, nous sont à eux seuls un poème. Quelques grandes voix se détachent : les deux Andrade, Guilherme de Almeida, Frederico Schmidt, et, à la génération suivan­te, Cabral de Melo Neto, qui ap­portera le retour à la rigueur, le dédain des jeux verbaux, une sorte d'objectivité proche parfois de Pon­ge, mais au vrai pleinement auto­nome, irréductible maintenant aux modalités du vieux monde.

Placé en tête de ce volume par les hasards de la chronologie, l'oc­togénaire Manuel Mandeira, en qui d'aucuns - prenant un peu trop au pied de la lettre ses propres déclarations - verraient volontiers un lyrique mineur, me semble au contraire une des valeurs les moins contestables de la poésie ibéro-amé­ricaine contemporaine. Le premier de son pays à entrer dans la col­lection Poètes d'aujourd'hui, il y fait l'objet d'une étude intelligente et fine, par un critique qui le con­naît intimement, dont le seul défaut consiste à se pousser un peu, par­fois, sur le devant de la scène, mais qui nous ·donne en revanche d'ad· mirables traductions, et Dieu sait que ce n'est pas facile! Maniant toutes les formes du vers libre sans renocer pour autant aux rythmes traditionnels, prenant son bien dans la vie quotidienne (une route, un marchand de ballons, une pomme ou un affiche sur un mur), mariant l'humour à la mélancolie, voire à la gravité, Bandeira - comme notre Supervielle auquel il ressemble -ne force jamais le ton, même s'il ouvre la porte à l'imaginaire pOUI échapper au malheur qui l'assaille:

Je m'en vais à Pasargada Là-bas je suis ami du roi J'y ai la femme que je veux Dans le lit que j'ai décidé.

Jacques Fressaro

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"

Montale • • quarante ans de pOeDleS

Eugenio Montale Poésies Ed. bilingue, trad. de l'italien par Patrice Angelini avec le concours de Louise Herlin et Georges Brazzola Gallimard éd. 3. vol. 228, 184 et 184 p.

On n'a jamais fini de s'étonner des inconséquences qui caractéri­sent, en France, le domaine de l'édition, en ce qui concerne les traductions de textes étrangers. Une confirmation éclatante de cet état de choses est fournie par la récente traduction, chez Gallimard, des poèmes d'Eugenio Montale qui, sauf quelques tentatives éparses dans des revues ou des anthologies, n'avaient pour la plupart jamais été jusqu'ici publiés en France.

Ainsi donc, il aura fallu plus de quarante ans pour que le premier recueil de Montale, Ossi di seppia, soit accessible au public français (et plus de vingt-cinq pour les Occa­sioni)! Pourtant, il s'agit là d'une œuvre dont la beauté et l'importan­ce ont été & ,ssitôt reconnues, qui a exercé et qui exerce encore en Italie une influence considérable; et Mon­tale est un poète dont nul n'a ja­mais douté qu'il fût des plus grands de l'Italie contemporaine et, avec T. S. Eliot, le représentant le plus marquant de la poésie métaphysi­que.

C'est dire l'importance que revêt la publication par Patrice Angelini de ces trois volumes, qui contien­nent le texte original de tous les poèmes avec une traduction en re­gard. Cette présentation simultanée de textes, rédigés entre 1920 et 1960 environ offre l'avantage de permet­tre une lecture d'ensemble et d'identifier plus aisément la voix unique de Montale, parfaitement reconnaissable à travers ses trois recueils, ce ton qui n'est qu'à lui et qui s'exprime à travers une p0é­sie hautame et amère, sans jamais tomber dans les facilités de l'effu­sion sentimentale ou de la rhétori­que, à la manière d'un Pascoli ou d'un d'Annunzio.

La ppésie de Montale est issuë d'une expérience difficile et dou­loureuse, dont S. Solmi a bien mon­tré le lien, au départ, avec les épreuves de la première guerre mondiale et les années qui la sui­virent. Pourtant, dans les premiers vers en particulier, la référence di­recte à un contexte historique est rarissime, et l'expression est volon­tairement purifiée, à la fois de ce qu'elle pourrait avoir de trop per­sonnel et de contingent. D'où le caractère étrangement détaché, dé­personnalisé d'Os de Seiche. Le titre même , de ce recueil montre le soin avec lequel Montale a tenté de se limiter à l'essentiel, sans que pour­tant l'urgence de ses questions et de son angoÏ$se cesse jamais d'être, immédiatemc:nt perceptible et com­municable. Et il n'est rien de pl~ ~nt, que ces brefs paysages

Eugenio Montale

évoquant la côte rocheuse de sa Ligurie natale, écrasée de soleil, rongée par l'eau, le vent et le sel. Dans cet incessant dialogue avec le vent et la mer, peuplés de symboles simples et massifs, évidences d'un monde aveugle et écrasant, l'hom,me

est à tout instant remis en question. « Souvent j'ai rencontré le mal de vivre », écrit Montale, et c'est bien du constat de ce mal -de vivre que naît sa poésie.

On retrouve la même alternance de poèmes brefs et de textes amples

Un poème d'Eugenio Montale

Porte-moi le tournesol, que je le transplante dans mon terrain brûlé du vent salin; qu'il montre tout le jour aux faces mirQitantes du ' ciel d'azur l'anxiété de son jaune visage.

A la clarté tendent les choses ()bs~ures, les corps s'épuisent en flux de teintes: elles en musique. S'effacer,

la suprêmë aventure.

Oui, port!!-moi la plante qui nous mène où vont iurgir les blondes transparences et s'exhaler la vie, telle une essence; apporte-moi le tournesol fou de ~umière.

Traduit par Patrice Angelini.

La ~e littérain:, 1er au 15 décembre 1966

dans les Occasions (1939)~ Paysa­ges, ici encore, mais plus variés, reflets de contrées nouvelles, sou­vent dédiés à un interlocuteur . 'my­thique, souvenirs aussi, ces poèmes de la maturité tentent de se limiter à l'occasion qui en est la source, ou le prétexte, par pudeur sans doute, encore qu'il s'agisse avant tout ici d'un paysage in~érieur, ap­profondi de poème en poème, et d'une admirable densité.

La Tourmente, écho et dénoncia­tion plus précisément datée - cer­tains textes trop polémiques de Finisterre durent être publiés en Suisse pendant la guerre -, est le rt:.cueil Je plus élaboré, celui où conflue l'apport, pleinement assimi­lé, de toute une tradition poétique européenne. Bien entendu, la poé­sie de Montale demeure ici plus que jamais métaphysique, lourde de sens, mais avec une ouverture sur le monde qui tranche sur l'abstrac­tion hermétique des premiers vers.

Les traductions sont pour la plu­part de Patrice Angelini; qui, pour certains textes, a cependant préféré d 'autres versions, de Ph. Jacottet, de L. Herlin . Il était assurément difficile de rendre en français une langue aussi délibérément limitée aux mots essentiels, et de télescoper les images avec la même liberté. Et il est évident que certains éléments qui contribuent à la clarté et à ,la précision du français, l'ordre des mots, par exemple, ou les prononis, entravent l'exigence de fidélité du traducteur, et laissent toujours p~­ser la"menace d'no. prosaïsme où se perd la Vigueur saeeadée de l'origi­nal. Ajoutons , que le rythme 'des

. vers français, quelle que soit leur liberté, risque de donner une im­pression de monotonie là où préci­sément les vers de Montale OBt un scintillement de pierres juxtaposéeS. D'autre part, l'extrême richesse du vocabulaire de Montal~, tout . à la fois archaïque et fiunilier, la variété d'un ton qui parfois frôle le la.ngage parlé ou, au contraire, j~ue subtile­ment des assonances et des allité­rations sont particulièrement diffi­ciles à tr~poser-.

P. Angelini ' a sagement adopté le parti de suiVre au plus près le texte original, l'ordre même des mots, parfois le 'jeu des rimes, '-et il est arrivé ainsi à de remarquables équivalellces. Plus à l'aise sans doute daÎls le recours à l'archaïsme,. il a peut-être accepté certaines ex­pressions no. peu surannées (éjouis­toi... je te dois reperdre... ce sien voyage ... ) et des négations incom­plètes (qui ne passe ... ) qui surpren­nent.

Mais les-- réussites sont souvent remarquables, à la fois précises et musicales. Ajoutons que ces traduc­tions sont accompagnées de notes, apportant une profusion quelquefois

, ingénue de détails érudits. Outre qu'elles éclairent nonlbre d'allusions voilées, elles prouvent l'infini scru­pule apporté par Angelini à ce tra-vail considérable. '

Mario Fusco

Il

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LITTÉRATURE ETRANGÈRE

Ettore Lo Gatto Histoire de la littérature russe des origines à nos jours Traduit de l'italien Desclée de Brouwer, éd., 923 p.

L 'histoire de la littérature russe de Lo Gatto marquera-t-elle dans la connaissance de l'Europe de l'Est une date comparable à celle de la parution du Roman russe de V 0-

guë? De quoi dispose en effet, outre ce dernier ouvrage, le lecteur français curieux de l'évolution de la pensée et de la littérature russes et soviétiques? D'ouvrages scientifi­ques, bien sûr, mais réservés par nature à un cercle restreint de spé­cialistes. De quelques opuscules de vulgarisation, souvent rédigés à la hâte. Enfin d'un nombre croissant de monographies de qualité (dans ce domaine, un effort sensible est accompli depuis la guerre, en liai­son avec l'extension de l'enseigne­ment du russe en France, lui-même dû à la place récente prise par l'Union soviétique dans la vie poli­tique mondiale). Que la prise de conscience actuelle soit l'effet d'un intérêt extra-littéraire n'altère en tien le l'egard nouveau que l'on dirige d'Occident vers le monde russe.

Aussi l'étude monumentale du professeur Lo Gatto vient-elle à son heure. et il est certain qu'elle trou­ve ra auprès du public français l'ac­cueil chaleureux qu'elle a déjà connu en Italie, et dont témoignent cinq éditions successives. On peut noter au passage la richesse des études slaves de l'autre côté des Alpes. On se souvient de la récente traduction du livre de A.M. Ripel­lino sur Maïakovski et le théâtre russe d'avant-garde!.

Ce n'est pas que l'on ait ignoré la Russie en France. Mais l'intérêt qu'on lui a porté a presque toujours été à un seul sens. Montaigne dé­crivait avec une ironie de grand seigneur l'ambassade d'Ivan le Ter­rible auprès du Saint-Siège. Mais la susceptibilité effarouchée des Mosco­vites, rapidement assimilés aux plantigrades dont ils portent les dé­pouilles, est un objet d'humour et de délectation distinguée qui condi­tionne en mal la compréhension de l'intérieur d'un univers pourtant non sans correspondances avec le nôtre. A la fin du XIX' siècle, les romanciers russes furent une révé­lation. Mais trop vite, on inséra l'isba, le samovar et le moujik dans une imagerie digne des « A la ma­nière de ». Editions tronquées, tex­tes amputés de pages jugées trop pesantes pour on ne sait quel goût de la mesure et de l'élégance qui firent néanmoins passer quelque chose du foisonnement de la pensée russe du temps. Gide, puis Camus redécouvrirent et firent découvrir un autre Dostoïevski en l'amenant à un universel encore synonyme de français, en l'interprétant au gré de leurs inquiétudes personnelles. Démarche loisible, d'autant que la

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De Saint-Serge ... a Staline qualité du critique atteint ici celle d'un auteur, et que, tout compte fait, une certaine sensibilité les unissait par avance.

Pour Lo Gatto, l'Europe occiden­tale, c'est l'étranger. De la Russie,

,capitale Kiev, à la Russie, .capitale Moscou, il marque ce qui, dans les lettres, est venu de l'histoire et des tourments d'un peuple de plus en plus certain de son existence. Il rap­pelle ce paradoxe qu'à l'origine, administrée par des conquérants scandinaves, convertie à l'ortho­doxie, c'est-à-dire à la culture occi­dentale, par des prêtres bulgares, pas même maîtresse de sa langue littéraire qui est une déformation du vieux bulgare par les dialectes lo­caux (nous avons eu le latin en Sor­bonne), la Russie, menacée dans sa réali té en tant qu'Etat par les Ta­tars, puis les Polonais, parle déjà d'une voix personnelle. Deux litté-

1~~ j it ~_ .. ~~!tfb;~--=:..;l!~

Au XVIIIe siècle, le problème du choix de la langue se pose toujours, et n'est définitivement résolu qu'avec Pouchkine, qui réalise ce qu'a codifié quelques décennies au­paravant Lomonosov, grammairien, savant et poète. Le russe moderne ne se fixe que tardivement. On mesure le poids de la tradition qui fait chercher l'originalité, tour à tour, dans un raffinement importé et dans la spécificité nationale. C.ela aide, . pour une part, à comprendre la violence des luttes qui opposent slavophiles et occidentalistes tout au long du XIX" siècle, avant de réapparaître à l'arrière-plan de la pensée russe contemporaine, par exemple dans l'accueil mystique que plus d'un poète réserve à la révolution d'Octobre.

La philosophie ·allemande sup­plante au XIX' siècle le brillant de~ lumières de Paris. Mais le débat

. :...:.~ :., .... --

Page du , manu&cnt de.' « ArlÙJes9ue& li de Gogol

ratures coexistent et se développent simultanément au · cours du Moyen Age. L'une, savante, est le fait de clercs qui recopient les textes sa­crés et rédigent sermons et homé­lies, composant pour l'édification des générations futures l'histoire des princes et de leurs gestes. L'au­tre tient du folklore et des mythes païens sa plénitude populaire.

n'est pas de pure intellectualité. La réalité sociale, qui s'alourdit à me­sure que s'accroît le retard par rap­port aux grandes puissances, impose des thèmes, force l'imagination. D'où la nécessité, pour Lo Gatto, de rendre les couleurs d'un fond historique et spirituel, sans la con­naissance duquel le lecteur laisse­rait passer une des significations

même du grotesque de Gogol ou de la douleur d~ Dostoïevski. Les plus grands, les (( constructeurs» dirait Elie Faure, ont une œuvre auto­nome, mms il n'est que de se, sou­venir des remous .qui accompagnent le passage de Dostoïevski des sym­pathies socialisantes au nationalisme religieux, pOur ' voir l'influence qu'eut sur l'intelligentsia la criti­que. engag~e de Tchernychevski ou de Oobrolioubov:. · Et c'est à partir de là que l'on accepte <[ue · le rap­.prochement entre , Dostoïevski et Tolstoï soit autre chose qu'un exer­cice d'école. .

En 1880, pause. La plus riche génération d'un réalisme multiple disparaît. Puis surgissent Tohékhov, Gorki, les symbolistes et les ((poètes de transition» que Lo Gatto analyse pour nous faire prendre, en quelque sorte, l'air du temps. Enfin la Révo­lution, guidée chez Blok par un Christ aux douze apôtres-soldats, purifiant . une Russie croupissante.

Les chapitres dédiés à la littéra­ture du XX' siècle ne sont pas et de loin, les moins passionnants. Par leur matière énorme. Parce que les sources deviennent moins accessi­bles, le travail n'est pas encore en­tièrement préparé pour l'étude de la période. Enfin parce que la politi­que embarrasse celui qui veut s'en mêler. Il faut, pour mener à bien une telle entreprise, l'adresse, le goût sinon la courtoisie que montre Lo Gatto, parfois avec excès.

On a peine à croire que la même plume flétrit le pouvoir tyrannique emprisonnant Radichtchev au XVIII" siècle, décrit les ( nom­breuses tentatives d'échapper à l'étau du réalisme socialiste» et ajoute (p. 781) que (( les plaidoyers en faveur de l'indépendance et de la liberté de l'art proltOncés par un Gorki, un Lounatcharski, un Trots­ky, .. firent toujours honneur à ceux qui les prononcèrent, même si plus tard, pour différentes raisons, en partie justifiées peut-être par une situation exceptionnelle, leur voix fut étouffée ». Qui a oublié com­ment on fit taire Trotsky ? Et qui saurait trouver à cet acte des justi­fications partielles? Tout en admi­rant une érudition peu commune, présentée avec un talent qui fait oublier l'universitaire, on s'étonne de ne pas voir citer Staline plus que Saint-Serge. Aucun des deux ne fit à proprement parler œuvre littérai­re. Et pourtant ?

Il.ne faut pas pour autant mé­juger la valeur et la rigueur scien­tifique de cette histoire de la lit­térature russe, pas plus que la fines­se d'analyse. Outre qu'il n'existe pas d'ouvrage aussi complet dans le genre, parfaitement mis à jour (par une ironie cruelle de l'actualité, le jeune critique, auquel Lo Gatto sans le nommer reconnaît emprunter une argumentation pour Pasternak, n'est autre que Siniavski, alors in­connu), cette histoire est un instru­ment irremplaçable pour qui veut entrer de plain-pied dans le monde russe.

Erik Veaux

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Un grand

Juan Rulfo Le Llano en flammes Trad. de l'espagnol par Michelle Levi-Provençal Les Lettres Nouvelles Denoël éd., 207 p.

Longtemps, l'image même du Mexique fut obscurcie chez nous par un pittoresque de pacotille, une imagerie dérisoire où le folklore naïf se mêlait aux échos déformés de la révolution de 1911, les pon­chos rutilants et les nouveaux flon­flons des orchestres « typiques » aux pistolets énormes de Pancho Villa. Vinrent ensuite, après la seconde guerre mondiale, les films de l'Indien Fernandez, leurs péons rudes et fiers sous la moustache de Pedro Armendariz, et les grands agaves photogéniques soigneuse­ment léchés par l'objectif de Fi­gueroa. La falsification, pour être d'origine nationale, cette fois, ne s'en perpétuait pas moins, sous une forme plus pernicieuse encore, à travers cette stylisation truquée, ce pseudo-primitivisme qui fit un moment figure d'art officiel et dont les écrivains subirent le contre­coup. Quelle pente à remonter pour un romancier attentif avant tout à la réalité rurale de son pays, et reponssant d'emblée la moindre sollicitation cosmopolite ! Juan Rulfo a tenu ce pari et a su le gagner dès ses deux pre mie r s livres : un bref roman, Pedro Paramo, traduit chez Gallimard dans la collection « la Croix du Sud )J, et le recueil de nouvelles que voici, qui eût suffi à faire de lui un des meilleurs représentants de la jeune littérature mexicaine.

Né en 1918 dans l'Etat de Ja­lisco, dont les étendues sauvages lui sont familières, ayant une con­naissance intime - par ses fonc­tions d'enquêteur de l'Institut indi­géniste - des régions les plus dif­ficilement accessibles et des milieux paysans les plus déshérités, Rulfo sait de quoi il parle et il en parle sans fard. Non qu'il se propose, certes, de fuir la convention ré­gnante par un recours au document à l'état brut, en nous fournissant un dossier mi-scientifique mi-litté­raire à la façon d'Oscar Lewis dans son Pedro M artinez, par exemple. Rien de plus éloigné de son style sobre et dense, au contraire, que les mérites ambigus du magnéto­phone, tel que l'emploie l'anthro­pologue américain. Et sans doute celui-ci brasse-t-il plus de matière et nous donne-t-il davantage d' « in­formations» concrètes sur les di­vers aspects de la vie quotidienne, mais sans atteindre jamais à cette unité de regard ni à cette dimen­sion intérieure qui sont présentes ici et qui font tout le prix de l'écri­ture, au sens créateur du terme.

Car l'auteur de ces quinze ré­cits poignants ne se fie pas non plus, comme bien souvent les ro­manciers de la génération précé­dente - un Mariano Azuela, un Martin Luis Guzman -, à la seule

• • conteur nleXICaln

insuffisances de la réformt> agrairt" magic de l'événement, à ces multi­ples épisodes dc l'épopée révolu­tionnaire dont le caractère drama­tique ct coloré suffisait à retenir notre attention. La révolution, il n'en a d'ailleurs connu pour ainsi dire que les séquelles, cette chouan­nerie dcs « Cristeros » qui tinrent la campagne au nom du « Christ roi» jusqu'aux environs des an­nées trente et qu'il utilise parfois comme toile de fond. Mais ce n'est plus, justement, que cela. L'épo­pée est mise au rancart. Les chefs de bande prestigieux plient baga­ge, et les grands mouvements de l'histoire passent à l'arrière.plan. Ce qui compte, désormais, c'est l'acuité d'une vision qui s'attache à la réalité immédiate, à l'homme de tous les jours emporté dans ce tourbillon dont il ne voit plus le sens, devenu prisonnier d'une vio­lence qui ne débouche sur rien et qui n'est que l'horrible exutoire de la misère. Ainsi le héros (si l'on peut dire) du magistral Llano en flammes, qui donne son titre au recueil, court-il la montagne et le maquis parce qu'il ne peut plus redescendre dans la plaine et n'échappe-t-il au gibet que par les humbles détours du hasard. Ceux d'en bas, pour reprendre un titre fameux d'Azuela, sont peints main­tenant à leur propre hauteur, sans mépris ni lyrisme postiche, sans emphase ni larme à l'œil, avec leurs problèmes véritables : la faim, la promiscuité, l'ignorance, le man­que de travail.

Problèmes qui subsistent encore aujourd'hui, à bien des égards, et que la révolution, pour « institu­tionalisée » qu'elle soit, selon l'étrange terminologie officielle,

n'a pas toujours su résoudre. Les tomber dans un « behaviourisme J)

se changent parfois en farce tragi- réchauffé et d'ignorer la part de que, comme on peut le voir dans mystère qui demeure an fond des Ils nous ont donné la terre, où un choses. L'obsession de la mort, la groupe de paysans harassés sillon- fascinatiQn macabre même, cons­ne désespérément le plateau aride tamment présente au Mexique, que vient de leur attribuer un délé- des masques aztèques aux gravures gué du gouvernement, plus prompt populaires d'un Posada et jusque à répartir des titres de propriété dans les crânes en sucre des confi­qu'à s'inquiéter des moyens de la seurs, étend sur ces récits son mettre en, valeur. Le village de ombre inquiète. C'est le côté noc­Luvina, avec ses vieillards éden- turne du réel, son autre face en tés, ses femmes en châle noir à la quelque sorte. Le meurtre, la porte de l'église et ses manœuvres cruauté font partie de l'ordre, ne agricoles qui reviennent une fois sont pas seulement le fruit de si· l'an « planter un autre fils dans tuations historiques exceptionnel­le ventre de leur femme», surgit les. Il y a, bien sûr, les grandes d'une expérience personnelle qui rébellions et leurs horreurs; ces évoque irrésistiblement celle de hommes qu'on attache par les pieds Bunuel filmant, à la veille de la pour les traîner, affreusement, la guerre civile espagnole, les atroces tête en bas, par un lasso noué au masures des Hurdes. Ici comme là, pommeau de la selle, et qui nous c'est la même détresse prenant fi- font penser à certaines images du gure de destin, la même impuis- Que viva Mexico d'Eisenstein, l'il­sance, les mêmes illusions bien in- lusion épique en moins. Mais aussi tentionnées de pédagogues qui font le piège quotidien de la violence passer la morale et l'alphabet avant où l'on se trouve poussé presque le pain. Un monde où la mort d'une malgré soi, le coup de machette ou vache emportée par les crues en- d'aiguillon qui part tout seul, polU traîne, par une pente toute natu- ronsi dire, et qui reste présent à relle et que nul ne songe à remet- l'esprit comme "une issue toujours tre en question, les filles à la poss~ble. « Remigio Torrico, c'est . putasserie. Où leurs frères écono- moi qui l'ai tué», déclare, sur le misent pendant des mois pour ton le plus naturel du monde, le payer l'intermédiaire marron qui '" petit fermier de la Côte des Com­promet de les faire passer au Texas. mères. Ensuite, eh bien, on re· Où l'on inculque la peur de l'enfer garde les morts, leur visage étran­aux dégénérés mentaux, que l'on ge envahi de mouches bleues, et, conduit à la messe les poings liés avant qu'ils sentent trop mau· pour les poursuivre ensuite à coups vais, on les enfouit sous la terre, de pierres dans les ruelles. avec beaucoup de pierres dessus

Mais Juan Rulfo, poète et Mexi­cain, reste à cent lieues de Stein· beck ou de Caldwell, avec tout ce qu'ils font, parfois, d'un peu naive. ment photographique. Son enraci· nlment national le préserve ici de

pour qu'ils ne se lèvent pas de leur ' tombe.

Cette familiarité morbide, en ef­fet, s'intègre parfaitement, chez les humbles héros de ce livre, à toutes les superstitions et à tous les déli-

~

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966 J3

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~ Un grand conteur , . . mexIcaIn

res d'un catholicisme hispanique conduit à ses formes extrêmes et que l'auteur nous présente sous un jour tantôt tragique, tantôt bouffon, mais toujours saisissant. On chemine des semaines entières, dans la poussière et sous un soleil de plomb, pour aller voir la bonne ' Vierge dé Talpa, la seule qui soit « efficace» contre les plaies et les pustules. La foule rampe vers le sanctuaire dans un masochisme grandiose ; les danseurs trépignent, et le moribond s'invente de nou­veaux supplices pour 'mieux s'écrou­ler aux portes du miracle, qui s'obstine à ne pas venir. Ou bien, comme dans la dernière npuvelle du recueil, c'est l'humour noir qui l'emporte, avec ce défilé ahuris­sant de bigotes inassouvies en quê­te d'un nouveau saint à canoniser, sur les os duquel elles marchent allégrement sans le savoir.

L'humour, d'ailleurs, sous la plu­me de Juan RuUo, demeure tou­jours présent, de même que la , poé­sie et, de façon plus souterraine ici que dans Pedro Paramo mais non moins singulière, le sens du fantastique. Ou plutôt tout cela ne fait qu'un, dans une saisie globale du réel qui n'en laisse échapper aucun élément. La poésie n'est pas, pour ce merveilleux conteur, un ornement surajouté que l'on donne en prime. Nul besoin, non plus, de la réconcilier avec la vie : elle en jaillit spontanément et sans effort, à chaque détour de la narration. « Ce dont j'ai le plus envie, s'ex­clame le malheureux Macario, à la fin de l'étonnant monologue qui constitue le premier récit, c'est de boire à nouveau quelques gor­gées du lait de Felipa, ce lait bon et doux comme le miel qui coule des fleurs du magnolia ». Ni ce miel, ni ce magnolia ne sont là des fioritures. Ils résument exactement, au contraire, toute la solitude et la misère intime du personnage. Une simple goutte d'eau tombée par er­reur, et qui creuse un trou !Ians la terre, suffit ainsi à faire vivre la soif, l'étendue désespérante du dé­sert. Quelques traits sobres et nets, comme d'un lavis japonais, conden­sent, au-dessus des toits, les fumées aigres de l'aube, la tonalité grise où va se nouer le drame.

Chaque nouvelle du Llano en flammes en est un. qui débute sou­vent ' dans la banalité, sous des dehors sans surprise, semble-t-il, captés d'un regard neutre. Puis tout se précipite et la violence éclate, ir­répressible, envahissante, multifor­me. De ce contraste naît une sour­de tension, une inquiétante palpita­tion des choses, qui introduit la nuance fantastique dont nous par­Iions plus haut. Certains, même, à propos des ombres errantes de Co­mala, ont eru pouvoir situer RuHo au voisinage de Borges. C'est lui faire dire plus qu'il n,e veut, et confondre les effets paralogiques chers au vieux ,maître arge~tin avec l'œil d'un poète 'grand , ouvert sur le monde, loin de Babel et de sa bibliothèque. Jacques Fressard

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1 HISTOIRE LITTÉRAIRE

Le Roman de Renart transcrit par J. Haumont Edition d'art H. Piazza

Le Roman de Renart transcrit dans le respect de sa verdeur originale pour la récréation des tristes et la tristesse des cafards par Albert-Marie Schmidt Albin Michel éd.

L'illustre Paulin Paris (1800-1881), l'un des grands «inventeurs» de notre littérature médiévale, fut sans doute un savant austère ,; c'était ,certainement un grand-père tendre. Il est charmant d'avoir nne petite-fille. Pour faire plaisir Il sa petite-fille, Paulin Paris alla cueil- ' lir dans un fatras assez inextricable de vieux textes le récit de diverses aventures plaisantes survenues à un certain goupil nommé Renart.

Décemment édulcoré, son livre parut en 1861. Depuis lors, repro­duit, imité, démarqué, tronçonné, ou de quelque manière que ce soit, il n'a guère cessé de nourrir les bibliothèques enfantines. Ainsi re;;;­suscita une tradition plusieurs fois séculaire de popularité.

Le piquant est que le héros du vrai Renart, ruffian, maUaiteur, hypocrite et hâbleur, n'est rien moins qu'un modèle de civilité pour ces enfants à qui nous devons de le voir réintégré dans notre folklore. Gardez-vous d'offrir à votre petite­fille les adaptations succulente,:; d'Albert-Marie Schmidt ou de Jacques Haumont!

Renart, c'est tout un cycle, dont les origines, lointaines en tous sens, se perdent dans la nuit et dans les distances. Il ,y eut des textes écrits; il y eut surtout, semble-t-il, des contes de la veillée, que sans doute on enjolivait beaucoup plus Jibre­ment qu'on ne faisait des poèmes épiques, protégés des déformations orales par leur caractère magique ou sacré. On imagine aisément un loustic de village - à vrai dire, plus d'un clerc s'en mêle aus"i -fignolant quelque nouvel épisodl' à partir d'une circonstance minime de la chronique locale. Ce qui du moins paraît admis, c'est que le cycle écrit, tel que l'ont publié plu­sieurs érudits du siècle dernier, fut composé de 1175 à 1250 envÏToli.

Imaginez encore que, la propriété littéraire supposée ne pas exister, les amateurs d'Astérix se mettent à nous fabriquer des Astérix durant soixante-quinze ans. Aimable pers­pective pour les érudits qui auraient à s'y reconnaître dans sept ou huit siècles. C'est à peu près le cas de Renart, que l'usage divise en' vingt­sept « branches» parfaitement hé­térogènes. Des auteurs multiples, généralement inconnus, et de qua­lité fort inégale; à côté du bon, beaucoup de médiocre; du bavar­dage; des redites souvent décevan­tes; et, au total, trente millt: vers octosyllabes. Oui, vraiment, un fa­'tras.

Paulin paris en aVlÛt sauvé le

Un Astérix Dlédiéval tiers, SI Je ne me trompe. !\.lhert­Marie Schmidt était de moitié plus court, Jacques Haumont est en­core un peu plus court; leurs livres sont de petits livres; je crois que cela suffit; à s'amuser trop longue­ment, on s'ennuie. Les deux der­niers adaptateurs laissent également transparaître dans leur prose les octosyllabes d'origine, et se plaisent également à y reprendre quelques mots archaïques; cela 'est plus sa­voureux, et ne gêne pas. Albert­Marie Schmidt attend peut-être dr. son lecteur un peu plus d'aptitude à la voltige; son langage est plus tendu, sa technique plus rugueuse, son sourire quelquefois plus sarcas­tique. Je présume qu'il est plus proche du texte, et l'autre version plUs proche de notre disposition. Plus de charme d'un côté, et de l'autre plus de vigueur.

Dans les cas excessifs, je préfère la vigueur. Je songe à la scène d'unl! verdeur, d'une truculence, d'une grossièreté ravissantes où Renart met à mal dame Hersent, épouse

du loup Y sengrin, ou plutôt la met à bien, puisque ensuite la maligne ne se plaint que par feinte. Albert­Marie Schmidt a respecté les détails les plus orduriers avec une scrupu­leuse délectation; il a eu raison, ils font partie du style même. Jacques Haumont, sans éliminer, Dieu merci, le scabreux épisode, en a un peu raboté les aspérités (dirai­je les saillies ?), jugeant que de ces. ornements si égayés il n'était pas susceptible. Quelques vers, nous dit­il, « ont dû être supprimés ou adou­cis en raison de la brutalité de leurs termes»: voilà un virage dangereux.

S'il le «négocie» avec trop de prudence, Albert-Marie Schmidt, lui, fonce avec trop de témérité lorsqu'il assure que le Roman de Renart nous étonne « par son âpre­té vengeresse et par son audace licencieuse ». Plutôt la bonne grosse gauloiserie, mais assaisonnée d'une

très fine malice, qui défoulait les pauvres gens - étant entendu qu'elle s'exerçait aussi bien, et plus familièrement qu'âprement, envers les princes qui gouvernaient, fus­sent-ils d'église.

En quelques pages d'une brièveté approfondie et pénétrante Albert­Marie Schmidt analyse ce qu'il y a dans Renart de parodie, d'ac­tualité caricaturée, de satire à peine déguisée. Toute une société se pro­mène dans cette réserve prétendue zoolique, des paysans aux seigneurs et grandes dames en passant par une justice boiteuse et un clergé obtus. Chacun agrémenté de ses tics et de ses rites particuliers, mali­cieusement observés, subtilement rendus: quelle vivacité et quelle ruse dans un tel regard, qui sait si bien s'éteindre (comme celui du père Sorel) dès qu'on le regarde à son tour! Et ausi quel brio dans les passages où l'on v«;>it les thèmes et cadences des C?~ns de geste traités en for~ , d'« A la manière de ! »

Tous ces traits devraient uous apparaître vieillis: ils demeurent directement accessibles et parfaite­ment communicables. Si le tact et le goût des adaptateurs y sont pour beaucoup, le texte, après tant de siècles, y prête au point que, devant les entourloupettes de Renart, je ne pouvais me défendre de me rap­peler constamment les discours pa­telins dont Hitler nous embobelinait avant 39 : ses ruses n'étaient ni plus déliées ni moins efficaces ; et ~otlf, crédulité valait celles des dupes du goupil.

Histoires de bêtes ou histoires humaines? Tout à la fois. Les récits passent de l'un à l'autre monde avec une désinvolture très décontractée. Par exemple dans la même scène de la louve. On y voit d'abord Re­nart forcer dame Hersent d'une manière tout animale, voire bestiale, - charmant tableautin d'un ani­malier (encore que je ne sache point

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si les amours d'un goupil et d'une louve se rencontrent dans la na· ture); y sengrin, le mari, qui les a surpris, n'est pas content; et Re· nart nie l'évidence, insolent comme un vrai nazi: « Je n 'ai pas, dit·il, levé sa chemise, je n'ai pas descen­du ses braies. » Ainsi partout ; des champs et des bois aux chaumières et aux châteaux il y a sans cesse ambivalence.

Souvenez-vous de La Fontai.n .. et du sempiternel débat: est-il un vrai animalier? On plaide le pour, (\n plaide le contre; les arguments op­posés sont également forts. C'('ilt que la question n'a pas de sens. Le vieux fonds populaire et campae;llard d'observation, de contemplation et de réflexion, dans lequel tous les fabulistes du monde, si lettrés qu'ils aient été, ont toujours plongé leurs racines, n'est intéressé ni dans les ressemblances ni dans les différen­ces; il n'est intéressé que dans l'ambiguïté.

Inutile d'aller chercher all-delà ou en deçà, du côté de la haute sociologie ou des objets de son étude; l'expérience commune et quotidienne suffit. Quand nous di­sons que notre teckel pense ceci ou cela, ou que notre canari s'ennuie dans sa cage, c'est déjà amorcer une fable. Ecartant les différences de la forme, nous SOlnmes sensibles à (me certaine identité des structures, des fonctions et des comportements. Nous rêvons que l'étrange monde des bêtes et le monde familier des hommes sont comparables et super­posables. Tout naturellement nous exprimons l'un et l'autre en des termes équivoques, qui tradui3ent non pas une assimilation supposée réelle, dans les choses, mais l'assi­milation des sentiments que nous formons nous-mêmes en leur pré­sence.

Dans cette voie-là on va vite à des délires vertigineux, contre les­quels l'impérieux et fraternel Des­cartes a pris soin de nous prémunir. Quant à La Fontaine, le futé com­mence, dans son Discours à Mme de la Sablière, par couvrir d'éloges fleuris le tombeau du philosophe, puis, sans désemparer ,impavide, il revient à sa propre ligne en sens contraire. Il avait raison, lui aussi, dans la mesure où le maintien d'une certaine ambiguïté libère mieux la circulation des puissances de l'ima­ginaire ; une pensée qui ne s' appui.~ pas sur elles n'est guère une pensée, - et Descartes lui-même l'a sou­vent dit ... sans ambiguïté. Le tout est de ne pas trop se tromper sur l'imaginaire. .

Je crois bon (malgré ce qu'on a pu dire là contre d'une manière d'ailleurs sensée) que, avant de par­venir à l'âge cartésien, les enfants passent par La Fontaine; l'esprit mythologique qui leur est propre les rend plus aptes que nous .i admettre qu'il se joue sur deux tableaux entremêlés. Et, bien sûr, par Renart, pourvu que ce Renart­là soit expurgé dûment, c'est-à-dire indûment.

Samuel S. de Sacy

HUMOUR

Alphonse Allais Œuvres posthumes, 1 et II Edition établie par François Caradec et Pascal Pia La Table Ronde éd., 440, 384 p.

Au moment où paraît ce cin­quième volume de ses œuvres com­plètes Alphonse Allais est mort depuis 61 ans. Jules Lemaître célé­brait son « absurdité méthodique ». Pour tous il est l'inventeur d'un monde loufoque où existent les car­rières de viande et dans lequel un wagon-restaurant s'appelle un bou­lotting-car ; un monde « avant que la France ne soit devenue protes­tante et que le rire ait cessé d'être le propre de l'homme ».

Mais les fleurs qu'on jette à l'amuseur dispensent généralement de reconnaître l'écrivain, qui est de premier ordre. Jules Renard le trouvait supérieur à Mark Twain. Et Laurent Tailhade après la lec-

1

ture d'un de ses recueils déclara : « Il n'est pas drôle du tout mais quel admirable écrivain! »

Allais peut très bien ne pas pa­raître drôle car, au-delà d'un hom­me d'esprit amateur de bons mots, il est humoriste. Et le véritable humour n'a rien à voir avec le style .chansonnier et la bonne so­ciété. Alphonse Allais ne prend rien au sérieux, surtout pas lui­même. Les ridicules, les bassesses sont partout pour une sensibilité blessée dont les attaques sont fil­trées par l'intelligence. L'humour est affaire de profondeur, de déses­poil', devant tant de bêtise, de lai­deur, de bassesse il ne peut être que noir.

L'écrivain a créé deux person­nages qui sont passés à la posté­rité. Le captain . Cap, sorte de poi­vrot lyrique, dont la carrure égale celle de W. C. Fields, que les intui-

La Quinzaine littéraire, lOT a" 15 décembre 1966

Une absurdité ntéthodique tions de l'alcool font délirer sur la sciepce à venir. Il y a un côté Cour­tial des Péreires dans Cap.

Et Francisque Sarcey. Du célè­bre critique dramatique, apôtre du fameux bon sens et laudateur du gros public il a fait un Joseph Prudhomme terrifiant à force de banalité et de nullité. Ce Sarcey revu par Allais qui signe d'ailleurs imperturbablement du nom de sa victime écrit :

« Ah! ce Bonnat, quel talent! Comme c'est robuste et comme ça vous a un air de bonne marchan­dise , si j'ose m'exprimer ainsi en matière d'art! »

« La littérature c'est comme le commerce, le seul critérium de la valeur, c'est la clientèle. »

Ou encore: « Les dogmes catholiques ou

autres qui nous font hausser les épaules, à nous qui sommes l'élite, sont des plus profitables au bas

L /

peuple qui ne sait pas tout ce qUt nous savons. Sans compter qu'il y a de très bonnes choses dans le christianisme. Les idées de cha­rité, de résignation, d'aide mutuelle, d'humanité en un mot, y foison­nent. »

Allais multiplie les insolences dans la bouche de cet oracle. Son Sarcey reconnaît avoir reçu de l'ar­gent au moment de Panama, avoue l'existence d'un nègre ancien char­cutier qui lui fait ses chroniques, multiplie au besoin les fautes de français.

Liberté absolue dans les sujets ainsi que dans le style naturel, désinvolte, tout au long de ce vo­lume qui contient des textes pu­bliés dans des revues (le Chat Noir, le Courrier français, .le Mir­liton) et l'album primo-avrilesque.

En trois pages écrites à la dia­ble sur une table de bistrot Allais

accumule le coq à l'âne, la digres­sion. Il sait comme personne met­tre son lecteur entre parenthèses. Ses clins d'œil surprennent tou­jours. Une petite tape sur l'épaule : ~( Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais... » Littérature familière. Il fait confiance à son lecteur. 11 le regarde entre les deux yeux.

Un jour le rédacteur en chef du J ournallui fait remarquer que quel­ques lignes manquent à l'un de ses articles. C'est une occasion de prou­ver qu'il existe une façon géniale, la sienne, de tirer à la ligne. Il ajoute le post-scriptum suivant:

« La dame que j'ai rencontrée hier dans l'omnibus Panthéon­COlLrcelle.s, et à l'enfant de laquelle j'ai dit : « Mon petit ami, si tu ne te tiens pas tranquille, je vais te fiche mon pied dans les parties », et qui m'a répondu : « Pardon, Monsieur, c'est une petite fille », est priée de passer · au bureau du Journal. »

jant pis pour le lecteur qui s'ef­fare. D'ailleurs tant mieux car l 'humour prend une dimension supplémentaire en présence d'une personne qui ne le comprend pas.

Son univers peuplé de mastro­quets auvergnats, de petites fem­mes, de littérateurs bons garçons, de petites gens, va du bitume au -bordel; baigné d'absinthe et de cocktails mirifiques - comme le pick-me-up que l'ami de Cap re­commande pour les petits matins alanguis, c'est celui d'un solitaire qui rêve à la vie.

Alphonse Allais écrit clair, ra­pide, léger. Poète en deux mots, moraliste sur un point d'exclama­tion, pudique, secret, il est l'hu­moriste exemplaire c'est-à-dire, se­lon Stéphane Mallarmé, un écri­vain complet.

Claude Pennee

15

Page 16: La Quinzaine littéraire n°17

SÉLECTION DE « LA QUINZAINE»

1966 aura' confirmé l'évolution qu'on décèle depuis quelques années dans la conception du livre d'art de langue française. , Dans l'euphorie consécutive à la découverte du mu­sée imaginaire, dans le bonheur du papier retrouvé et enfin offert aux progrès des techniques de repro­duction, les années 1950 avaient marqué le triomphe de l'image : 'le texte ne l'accompagnait plus que par convention et le plus ténu pré­texte justifiait les fastes de l'il­lustration. Les mêmes su jets (pri­mitifs flamands ou Picasso) étaient rabâchés par les Anêmes amateurs chez les différents éditeurs et les mêmes secteurs de l'histoire passée ou contemporaine laissés dans l'om­bre. Les ouvrages étrangers relatifs à l'art ou à l'esthétique, ceux mê­me dont subsistaient les auteurs français, étaient soigneusement ignorés : la traduction n'avait pas cours.

En 1966, il est encore possible de dresser une liste impressionnante de ces albums qui semblent avoir été édités dans le seul but d'orner les salles d'attente de médecins ou plus généralement de servir aux pres-

Théorie de l'art

1. Ecrits d'artistes

Vasari Les peintres toscans présentés par A. Chastel Coll. Miroir de l'Art Hermann éd., 6 F

Jeune femme, frœque d'Ajanta, Indes (Viollet)

Michelangelo Il carteggio di Michelangelo vol. 1 éd. posthume de 'Giovanni Poggi Florence 1965/1966, 110 F

Dada Almanach réédition de 1920 Something Else Press New York, 32 F

16

tations rituelles du nouvel an. Ce­pendant, le sérieux paraît se taillet une part grandissante dans l'édi­tion consacrée à l'art. Dans le mo­ment même où commence à être dénoncé le statut dérisoire de l'his­toire de l'art et de l'esthétique dans la vie culturelle française (voir P. Bourdieu: L'amour de l'Art, éd. de Minuit), les éditeurs paraissent vouloir assumer dans ce domaine une double tâche d'information et de structuration du savoir.

Le texte reprend enfin ses droits sur l'image. Le polygraphe peu à peu cède le pas au spécialiste. Nous en avons cette année quelques exem­ples remarquables avec, en parti­culier, A. Grabar, R. Martin, H. Schrade qui présentent respective­ment l'art byzantin, l'architecture grecque et la peinture romane. Par ailleurs, l'art n'est plus exclusive­ment une marchandise onéreuse, un symbole de classe : quelques collections de poche (Idées-Art, Mi­roir de l'Art, Gonthier, Livre de poche illustré) en témoignent avec distinction.

Dans ce début de transformation, deux tendances attirent l'attention.

Le Corbusier Urbanisme Vincent Freal éd_, 21,60 F

Dubuffet Aloïse Cahiers de l'art brut, fascicule 7 30,85 F

2. Etudes de critiques ou historiens des XIX· et XXe

sièeles <Rééditions).

A. Blunt La théorie des arts en Italie de 1450 à 1600 Coll. Idées-Arts, Gallimard éd., 6,80 F

E. Faure Ecrits esthétiques Pauvert éd., 108 F

E. Faure Les constructeurs Gonthier éd., 5,85 F

F. Fénéon Au-delà de l'impressionnisme textes choisis et présentés par F. Cachin Coll. Miroir de l'Art Hermann éd., 6 F

H. Focillon L'Art d'Occident Le livre de poche illustré 2 tomes de 6 F

P. Francastel Peinture et société Coll. Idées-Art, Gallimard éd., 6,80 F

Les meilleurs livres

Il faut tout d'abord signaler -un changement de méthode parallèle à celui qui a marqué antérieure­ment l'ensemble des sciences hu­maines. La leçon de l'Institut War­burg est enfin appliquée : peinture, sculpture, archite'cture sortent de leur traditionnel isolement pour être confrontées les unes aux au­tres et' davantage encore, re-situées dans le contexte socio-culturel où elles s'insèrent. La collection « Art, Idées, Histoire », créée par Skira peut symboliser cette méthode à laquelle elle contribue cette année avec L'Europe des Cathédrales et Les fondements d'un nouvel huma­nisme de Georges Duby. Le même esprit de synthèse est à l' œuvre dans les livres de A. Grabar, R. Martin et H. Schrade.

En second lieu, on doit remar­quer l'effort qui commence à être entrepris pour une publication des textes fondamentaux de l'histoire de l'art et de l'esthétique : écrits d'artistes, études des critiques ou esthéticiens du siècle passé ou contemporains, introuvables, épui­sés ou jamais traduits en français.

H. Wolfflin Principes fondamentaux de l'Histoire de l'art Coll. Idées-Arts, Gallimard éd., 6,80 F

Vermeer ·(Bulloz)

Cl Tête de jeune füle 1)

R. Wittkower Art and Architecture tn Italy 1600-1750 Nouvelle édition Pelican History of Art éd., Londres 105 F

Ainsi, le ' public français . commence enfin à avoir accès aux travaux des esthéticiens de langue allemande de Wolfflin à Panofsky. Cependant, la vague de traduction ne se pour­suit pas sans difficultés comme en témoigne l'arrêt de la collection de J.F. Revel, aux éditions Julliard. Enfin, l'effort de réédition des tex­tes classiques n'est en aucune fa­çon comparable à celui qui est ac­tuellement poursuivi aux U.S.A .• en Grande-Bretagne ou en Allema­gne.

La liste qui suit est inspirée par cette analyse. C'est une sélection partielle et partiale. A côté des rééditions ou traductions d'ouvra­ges de base, elle se borne aux livres qui par quelque moyen que ce soit (monographie, catalogue raisonné, glossaire, reproduction en fac-simi­lé) renouvellent l'information ou présentent une synthèse originale. Cette sélection est complétée par quelques livres étrangers particuliè­rement importants, parus en 1966. Le lecteur désireux d'une informa­tion plus complète et moins orien­tée consultera son libraire.

Françoise Choay

[Antiquité : et premier art l°hrétien !

S. Giedion Naissance de l'architecture Coll. l'Eternel Présent Ed. de la Connaissance 125 F

E. Arendt Art and Architecture on the M editerranean Islands Leipzig, 1966, 83,80 F

Boardman, Dorig, Fuchs et Hirmer L'Art Grec Flammarion, éd. 95 F

R. Martin Monde Grec Architecture Universelle, Fribourg 1966 40 F

Musée archéologique national d'Athènes Catalogue Schnell et Steiner éd. Munich-Zurich, 15,45 F

A. Grabar Le premier âge chrétien Coll. l'Univers des formes Gallimard éd. 120 F

A. Grahar L'âge d'or de Justinien Coll. l'Univers des Formes Gallimard éd. 120 F

Henri Stern L'Art Byzantin Presses Universitaires 18,50 F

Page 17: La Quinzaine littéraire n°17

d'art de l'année

E. Alkurgal, C. Mango, R. Ettinghàuse Les Trésors de la Turquie Coll. Les trésors du monde Ski ra éd. 145 F

R. Krautheimer Early Christian and Byzantine Architecture Pelican History of Art éd., Londres 105 F

Art roman

H. Michel La fresque romane Coll. Idées-Art, Gallimard éd. 6,80 F

R. Oursel Univers Roman Architecture universelle éd. Frihourg 40 F

Peinture sur bois. Florence (Bulloz)

H. Schrade La Peinture romane Bruxelles éd. 133,07 F

Castille romane, 2 vol. Coll. La nuit des Temps, Zodiaque éd. 37,50 F

Introduction au monde des symboles Coll. La nuit des temps, Zodiaque éd. 60 F

Glossaire de termes techniques Coll. La nuit des temps, Zodiaque éd. 60 F

E. Kuhach et P. Bloch L'Art roman Coll. l'Art du monde Albin Michel 49,35 F

Art gothique

G. Duby L'Europe des Cathédrales, 1140-1280 Coll. Arts-Idées-Histoire, Skira éd., 115 F

G. Duby Fondements d'un nouvel humanisme 1280-1440 Coll. Arts-Idées-Histoire Skira éd .• 115 F

De la ReDai ..... ce au baroque

Splendeurs de l'Ermitage, peinture européenne du Xlv" au XVIe siècle, 3e vol., Hachette éd. 84,20 F

O. Benesch La peinture allemande de Dürer à Holbein Skira éd., 115 F

J. Lavalleye Breughel et Lucas de Leyde Flammarion éd., 69 F

P. Charpentrat L'Art baroque Coll. Les 9 muses Presses universitaires de France, 18,50 F

V. Lazarev Old Russian MuraIs & Mosaics Irom the XVIe. Century Londres, 1966, 100 F

E. Hempel Baroque Art and Architecture in Central Europe Pelican History of Art éd., Londres 105 'F

Vinci «Sainte Anne » (Viallet)

La Quinzaine littéraire. 1"' au 15 décembre 1966

• r-------------------------~ • • • • • •

collection goût

Art moderne et contemporain

de : notre temps • •

A. Chappuis Album de Paul Cézanne Un album de dessins et un album de commentaires Berggruen éd. Paris 465,55 F

J. et H. Dauberville Catalogue raisonné de l'œuvre peinte de Bonnard Tome 1: 1888-1905 Paris, B'ernheim éd., 257 F

J. Salomon Vuillard Album de 12 pastels Bibliothèque des Arts éd., 470 F

• M. Guérin • Catalogue raisonné de l' œuvre • gravée et lithographiée de Maillol • Tome 1 : les bois • P. Cailler éd., Genève 82,20 F •

P. Daix et G. Boudaille Picasso 1900-1906 catalogue raisonné de l'œuvre peint Ides et Calendes éd., Neuchâtel 141,50 F

Ingres. (Viollet)

r Ch. Zervos Pablo Picasso, V. 17 œuvres 1956-57 Cahiers d'Art éd., 250 F

W. Grohman Hans Hartung,

• • • • • • • •

ermeer texte de pierre descargues

aquarelles de 1922 Erker éd., St-Gall, 93 F

• toutes les .. peintures reconnues de

P. Waldberg René Magritte De Rache éd., Bruxelles, 1 .400 francs belges

• la main"d'un des grands maitres du • passé qui répond le plus étroitement • li notre sensibilité d'aujourd:hui.

• ce livre devient indispensable après • la magnifique exposition du musée • de l'orangerie à Paris. • • Vasarely •

un volume relié pleine toile sous liseuse en couleurs format 16 x 18

55 planches en couleurs 39,50 f Propos libres de Marcel Joray •

Textes et maquette de Vasarely • Ed. du Griffon, Neuchâtel • 128,50 F • • M. Loreau • • Dubuffet et le voyage • au centre de la perception •

~ La Jeune Parque éd., 18,50 F • • 17

Page 18: La Quinzaine littéraire n°17

collection témoins

et témoignages

1

histoire de la

peinture de

1870 à 1940 les mouvements

d'avant-garde

par dora vallier à travers les divers mouvements

d'avant-garde, un "pèlerinage "de la peinture d'aujourd'hu

25 f format 15 x 20

224 pages nombreuses illustrations

au trait 8 planches en couleurs

plus de 200 reproductions en noir èt blanc

réparties sur 96 pages sur papier couché

broché sous couverture cartonnée

et plastifiée à larges rabats

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~ Les meilleurs livres d'art de l'année

• • • • Catalogue des travaux • de Jean Dubuffet : fascicule xx: l'Hourloupe • J.J. Pauvert éd., 58,50 F

• • Les dessins magiques de Brauner : introduction de S. Alexandrian • Denoël éd., 66,84 F

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Renoir : « L'Algérienne ». (Bulloz)

• Dessins de Bellmer • Introduction de K. Jelenski • Denoël éd., 94,60 F • : L'Art Brut • Fascicule 6: Carlo, Laure, Anaïs, • Simone Marge. • Compagnie de l'Art Brut éd., • 30,85 F • • • L. Gowing • Turner, Imagination and Reality • The Museum of Modern Art : New York, 1966. 33,08 F

• • Bauhaus-Weimar. 1919-1924 • Werkstatt Arbeiten, Suddeutscher : Verlag • München. 73,60 F

• • Norma Evenson • Chandigarh : University of California Press

• 110 F • • Lorenza Truscchi : Jean Dubuffet, l'occhio di • Dubuffet • 246,80 F • • • : Arts exotiques • • • • • M. Beurdeley • L'amateur chinois des Han • au XXe siècle • Bibliothèque des Arts éd., ·123 F • • • J. Soustelle • L'Art du Mexique ancien • Arthauâ éd., 113,10 F • • • Sculptures Khmères, • Reflets de la civilisation d'Angkor • Bibliothèque des Arts éd., • 101,80 F

H. de Toulouse-Lautrec et M. Joyant L'Art de la cuisine 16 hors-texte couleur 16 hors-texte en noir 100 dessins de Lautrec. Bibliothèque des Arts, 51 F

L'Œuvre des faïenciers français du XVIe siècle à la fin du XVIIIe Coll. Connaissance des Arts Hachette éd., 90 F

5 000 vignettes françaises fin de siècle Préface de Massin

, J.J. Pauvert ~d., 68,50 F

Franke et Hirmer La monnaie grecque Flammarion éd., 145 F

F. Reyniers Sèvres, Musée national

1 de céramique. Céramiques américaines, vol. 13 Ed. des Musées Nationaux, 30 F

J. Thuile L'orfèvrerie du Languedoc du XIIe au XIXe siècle Tome 1: Montpellier Causse et Castelnau, éd., Montpellier, 250 F

H. Brunner Vecchi argenti europei Milano 1965, Paris 1966, 190 F

S. Grandjean Empire Furniture 1800 to 1825 London 1966, 84 F

Snowman Gold Boxes of Europe London 1966, 315 F

Dictionnaire des meubles et des ob jets d'art Répertoire des ventes aux enchères de janvier 1963 a Janvier 1965 Fischbacher éd., 101,80 F

Masque fétichiste du Gabon.

INFORMATIONS

~tudes gobi niennes

Aux éditions Klincksiek vient de paraÎtr~ le numéro annuel d'Etudes gobiniennes. revue publiée par deux savants professeurs: MM. Duff et Jean Gaulmier. Comme son nom l'in­dique , elle est consacrée à l'étude de la vie et de l'œuvre d'Arthur de Gobi­neau, célèbre par son Essai sur l'iné­galité des races humaines et peu connu pour le reste de ses travaux littéraires, pourtant fort prisés d'un petit nombre.

Dans ce numéro on trouvera une correspondance inédite de Gobineau avec sa fille Christine, un fragment inédit des Souvenirs de Diane de Guldenchrone, source principale des biographies de Gobineau, des corres­pondances et des souvenirs des fami­liers de l'écrivain, un recensement de sa bibliothèque, une étude sur ses débuts littéraires, malchanceux en tant que poète, brillants en tant que critique (il a immédiatement reconnu le génie de Balzac et celui de Sten­dhal), avant qu 'il ait donné en feuille­tons les admirables nouvelles de Ma­demoiselle Irnois et de Nicolas Bela­voir. On sait qu'il devint ensuite secrétaire de TocqueVille et embrassa la carrière diplomatique.

Le dernier ouvrage en date sur Gobi­neau a été publié l'an dernier chez Jean-Jacques Pauvert. Il est de M. Jean Gaulmier et s'intitule: Spectre de Gobineau. Il constate que si Gobineau fut un assez piètre idéologue, il de­meure un imaginatif, un « visionnaire -, et un écrivain du tout premier rang.

Avignon: 20 ans de Festival

Dedalus éditeur (diffusion Hachette) vient de publier un recueil, relié en toile, de quatre-vingt photographies parmi les plus belles (essentielle­ment dues à Agnès Varda) prises à Avignon depuis 1947 (année du pre­mier Festival) . Beaucoup sont inédites, et accompagnées d'un choix de docu­ments d'archives, de reproductions des décors, d'esquisses pour les cos­tumes. On peut y lire des lettres d'au­teurs du T.N.P., de comédiens, etc ...

Dans sa préface, Jean Vilar dit la persévérance qu'il fallut aux organisa­teurs du Festival pour qu'il se renou­velle chaque année depuis vingt ans, élargisse son public (3.000 spectateurs en 1947, 50.000 la dernière année), et fasse figure en France de prototype des festivals.

Les photos rappellent le souvenir d'admirables moments du théâtre: de­Gérard Philipe dans le Prince de Hom­bourg. et dans Les Caprices de Ma­rianne. d'Alain Cuny et Maria Casarès dans La Ville de Claudel, de Jean Vilar dans Cinna et Meurtre dans la cathé­drale. de Germaine Montero dans Mère Courage. de Laurent Terzleff ré­pétant Nicomède. de Georges Wilson dans Thomas More.

Un index des auteurs, des pièces jouées et des participants aux diffé­rents festivals clôt ce volume réalisé par Pierre Faucheux.

Hemingway

Au moment où paraissent simulta­nément en France le volume collectif de la collection Génies et Réalités sur Hemingway, et le Papa Hemingway de Hotchner, on annonce à New York que Carlos Baker, chargé par Scribner 's et Mrs. Hemingway de la biographie « autorisée. de l'écrivain a achevé la rédaction du premier brouillon de son livre : mille feuillets, deux ans de recherches et des milliers de kilomè­tres de voyages autour du monde pour retrouver les principaux témoins de la vie de Hemingway, y compris les trois épouses survivantes (la quatriè­me, la plus importante, sans doute, Hedley, qui fut la compagne des temps difficiles, a disparu il y a quelques années), et tous [es membres de la famille.

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MISE AU POINT

Dr Sidney Cohen LSD 25 Coll. « Témoins » Gallimard éd. 209 p.

Lyser Saure Diethylamid 25 : « vingt-cinquième composé de ce genre synthétisé par les laboratoires Sandoz ». L'ouvrage est dédié au Dr Albert Hofmann « qui a, le premier, fàie" la' syntMse du LSD, qui a découvert la psi~ocybinf! et la psilocyne 'dans -le champignon magique mexicain », Psilocybe mexicana, Agaric hallucinogène. A ces termes et définitions l'on doit ajouter la mescaline, alcaloïde du peyotl, cactée.

La redécouverte des hallucino­gènes naturels, par Gordon Wasson et Roger Heim, devrait permettre d'introduire urie nuance, qui n'est guère admise, entre « prrnJuits na­turels » (peyotl, champignons, 010-

liuqui ... ) et agents ou corps chimi­ques et produits thérapeutiques (le Pr Heim en donne une liste dans son ouvrage sur les champignons, paru en 1963). En effet, nous ré­cusons le mot « drogue », et le principal reproche que l'on pourrait faire à l'ouvrage du Dr S. Cohen est de ne pas tenir compte de la différence précitée, d'utiliser le mot « drogue », quant au LSD, alors qU'il s'agit d'un « agent chimique », utilisé à tort et à travers, ici et là, depuis des doses infimes, de cent à trois cents microgrammes.

Les expériences entreprises sous le contrôle du Dr S. Cohen depuis 1954 portent sur des sujets (chap. VII, sept cas) et des malades (chap. VIII, huit cas), dans le cadre de l'hôpital, le jour, tout en soumettant le cobaye à des tests. Enfin une enquête, les réponses à un question­naire émanant d'une quarantaine de « praticiens », permirent la consti­tution d'un dossier. Qu'en reste-t-il?

Sujets et malades ont vu des « choses merveilleuses », sont pas­sés par les affres «( période noire », qui n'est à aucun moment évoquée sous ce nom et dans sa réalité: période d'affrontement), ont passé les tests. On reste perplexe: dans l'état « hors raison » (unsanity), pourquoi interrompre le « voyage » (déjà diurne: l'expérience est faus­sée par le jour, l'environnement, les conditions hospitalières), pourquoi cette pratique des tests étalonnés dans la normale, d'un excès à l'au­tre. Ici l'amplitude est différente; et l'acide est utilisé contre le « voya­ge» (surtout il ne faudrait pas voir, se laisser attirer par des « choses belles» !) afin d'explorer r..onscient et inconscient, de révéler moi et surmoi. Il est peu question, d'ailleurs, de l'Autre et du Plu­sieurs, d'une exploration en relation, avec un monde éprouvé ou parcou­ru (Mexique). En bref, si le sujet est sensible à la « richesse de com­position, de signification, des visions procurées par la drogue », les expé­riences rapportées n'éclairent en rien ce problème, Images et Formes, ou l'essentiel: chimie du cerveau,

modification du psychisme (en liai­son avec Images, Couleurs, Sons, Formes), état de lucidité et de du­plicité, sous l'action d'un agent chimique. Ce livre n'est pas une histoire du LSD, mais un répertoire de cas ayant accepté la narration comme moyen d'expression; narra­tion morcelée par le temps des tests.

On regrette surtout l'absence de tout comparatisme; en sélectionnant des expériences accomplies sous l'effet des produits naturels, non toxiques; et sous l'action d'agents chimiques, on mettrait à vif les dif­férences. La prééminence du natu­rel est indéniable, et l'expérience entreprise dans les conditions vou" lues par le rituel met en valeur le rôle de la chamane, assistée de ren­fant, la Sabina de Huautla de Jime­nez, infiniment savante, à tel point que les « trésors» des Indiens ne purent être forcés par la conquête, èt ont permis la constitution d'une nouvelle arme.

L'ouvrage, paru en 1964 (la ver­sion française, en 1966), en parle peu. Le LSD, , poudre ou 'substitut chimiqUe, expérimenté par ha­sard par le Dr Hofmann en 1943, a une singulière histoire, qui inté­resse les hommes de science, mili­taires, psychologues, psychanalystes, historiens des religions - on ' vou­drait l'espérer. En fait, il n'en est rien, et quant au seul LSD les « explications» avancées sont loin de constituer une somme. On reste sur sa faim. D'abord les témoigna­ges ne sont pas répertoriés (initiales, âge, date, lieu, heures, etc.); d'autre part, au début, sévissait l'hypothèse, désir ou tentation de mieux com­prendre la schizophrénie, de com­parer.

Si aucune psychose n'est produite par le LSD, tout dépend des doses et fréquences, du psychisme du sujet, on le sait. Mais un problème est loin d'être éclairé: celui des images. , Pourquoi parler d'halluci­nations et de drogues; puisque la vérité est autre, quand il s'agit de produits naturels, non toxiques. La plante est consommée, fait de man­ducation et des agapes, le soir. La « drogue » (terme désignant le LSD, selon le Dr S. Cohen) est prise à jeun, le matin, dans une salle d'hô­pital, en présence d'observateurs (médecins, psychologues ... ). Le su­jet reste soumis à l'environnement; la plupart du temps. (On étudie cependant les faits de privation sen­sorielle, mais l'ensemble n'est pas concluant.) Fai~ plus grave, aux approches du moment culminant, on questionne le sujet, qui est aussi soumis, nous l'avons dit, à une dizaine de tests, dont 1.. 'Rorschach (p. 85). A ce propos, il serait inté­ressant de connaître l'heure, le de­gré atteint par le sujet, le numéro de la planche présentée. L'ensemble reste vague, imparfait. Et l'erreur est évidente: laisser le sujet à la merci de l'environnement (observa­teurs, bruits ou objets), le harceler (questions, tests, dessins), le faire marcher, manger, etc. On croit rêver, dans la mesure où l'entour

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L. S. D. médical dispose du cobaye à son gré, dans des conditions en appa­rence normales, alors que l'observa­teur ou le testeur est sans doute ignorant, quant à l'expérience des hallucinogènes, et au gouvernement du sujet, qui doit affronter l'épreu­ve en toute liberté.

Maintenant, côté français, on constate combien les traducteurs sont sensibles aux américanismes tolérés. D'où une lourdeur, une monocordie de la phrase, sans concision, et admettant des locutions du genre « ça c'est»; on regrette, dans la transcription, le manque de notes, par exemple quant aux te'its; un seul éclairement, par rapport à l'état « hors raison» (unsanity), dû au psychédélique (qui révèle l'es· prit), et quelque flottement, quant

,quent, sans être hors la loi ,et vont certainement plus loin que « les Américains» invoqués ou évoqués par l'introducteur (se référant à Pomerand).

, Mauvaise leçon, donc; de parti pris et à l'aventure, la plus facile.

Quant au LSD, et en guise de conclusion, pour l'instant, les diver­ses « campagnes de presse» (rien ne distingue les pages du préfacier de ces campagnes) émanent comme d'une même source ou intention: volonté d'intoxication (de l'opinion). A dire vrai, « on manipule le public» assez aisément, dans cer­taine presse, parfois réputée sérieu­s~. Ainsi la Sabina de Huautla

' devint « prêtresse d'Oaxaca», ' de­puis juste:p1ent - la preuve est maintenant donnée - l'ouvrage du

Le Mandala, symbole cosmogonique que l'on retrouve dans les civilisations qui ont fait usage de substances hallucinoélnp< à dp,. fins m'V.nrlUes (Ill n.rtis­tiques. CNlessus et page suivante, deux exemples récents : tableaux 'du jeune peintre allemand Hein Gravenharst. (EditWn Et, 1966).

au « cauchemar». (Une note expli­cative aurait pu parler de la « pé­riode noire ~) sous LSD.) La préface­enquête, de ~ean-Francis Held? Désinvolte, proliférante, ayant pour référence ou contact Gabriel Pome­'rand ( qui vient de publier le D. Man). Disons que l'on s'inter­roge, à ce propos, quant au manque de sérieux. Et comme l'introducteur estime nécessaire, dans sa germano­philie ou phobie, dans son indéci­sion culturelle et si peu observa­trice, de s'en prendre à Jean-Ja~es Lebel (p. XXIV), stoppons net: sur le plan français, invoqué par l'in­trod1:lcteur, le procès voulu par J.-F. Held, qui s'en prend aussi à Histoire d'O (p. XVI), est quelcon­que, et de mauvaise foi, ce qui est plus grave.

En effet, et sans sociologie inutile - mais cela paraîtra un jour, d'ici peu, on l'espère -, des « jeunes gens» (sans les situer « rue de la Huchette», comme a pu le faire le Dr X, ou côté beatnik), prati-

D.r S. Cohen. Mais pourquoi ne pa,; dire vrai, quant à l'expériènce des hallucinogènes, depuis Rouhier (1928), Felice (1935), Antonin Ar­taud, Gordon Wasson ?

Le divorce est là; et nous récu­sons l'emploi du mot « drogue» (qui peut satisfaire policiers et mili­taires). D'une part, des plantes (problèmes du cru et du frais, dn rituel, de la chamane, de l'ethno­botanique) ; d'autre part des agents chimiques, poudres ou produits de synthèse.' Mais tout est trouble. depuis ces narrations, quant aux poudres. et à la levée de bouclier éthique.

Tout deviendrait vrai, depuis l'expérience, quant aux plantes,. dans un rituel. Disons que ce com­paratisme, cependant élémentaire, est à peine évoqué par le Dr S. Cohen. Son hôpital semble être à cent lieues du Mexique. Et si l'on évoque, vers la fin (p. 174), le groupe de Timothy Leary, il fau-

~

,19

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~ L.S.D.

drait preCIser ce que furent les expériences au Mexique.

Bref, quant au public, ce livre peu scientifique fait illusion. La poudre dispensée aux sujets et ma­lades, dans l'expérience diurne, est sans rapport avec le produit natu­rel. Dès lors, que penser ? La « cita­delle chimique » dispense (aux mé­decins, aux militaires et aux poli­ciers) des produits qui sont à la fois engrangés et utilisés. De l'autre côté, morale et règle médicale­légiste: interdiction, pour le com­mun des mortels. L'erreur est là: dans ce qui nous est caché par les laboratoires, les militaires et les policiers (à gauche et à droite). On s'en prend à une frange de la popu­lation, en oubliant de nous dire ce qui est pratique, et ce qui se trame,

depuis 1963 ou avant. Des journa­listes sont ainsi devenus'- à leur insu? - les théologiens de l'arme psychogène.

Or c'est l'ordre qui est mis en question, depuis le procès intenté. Et l'on se demande pourquoi la presse se laisse manipuler. Quant aux manœuvres d'action psycholo­gique, depuis la guerre d'Algérie, et par rapport à ce domaine: les Hallucinogènes, le dossier est ou­vert. Que cache-t-on, dès ou depuis la campagne anti-LSD?

Un nouveau chapitre de «1'action psychologique». Le tour éthique ou dissimulateur ( des intérêts indus­triels et militaires sont évidemment en cause) adopté dans la querelle veut agir sur l'opinion. On con­damne, on invoque les ravages (dans les campus, lors des «acid' parties »); on se garde de parler de' l'arme psychogène, cependant étudiée' dans la revue l'Armée, revue périodique de l'armée de

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terre française (N° 40, août-sept. 64, p. 9-16), par le colonel R. Nar­di, sous le titre: « La générali­sation des armes spéciales, l'arme psychochimique » ; étude renvoyant au nO 32 de la même revue (Nov. 19'63): « L'arme biologique ». Arme dépendant des ressources chimiques, fabriquées et réparties par telle cita­delle. Pourquoi ne pas mettre en cause les laboratoires-usines ?

Depuis le « Top secret», inter­venu en 1963 (mais le dossier jus­qu'alors est connu), on se garde de donner les raisons de l'entreprise. Une valise chargée de l'un des pro­duits en question ou une « ciga­rette » de LSD réduirait une capi­tale au sommeil pendant vingt­quatre heures; certains bombarde­ments furent toxigènes. Et les mili-

taires, mieux outillés et disposant du nerf de la guerre, ont su prendre le pas sur les botanistes, les savants (on préconise même le bombarde­ment des zones fournissant cactées et champignons - le Mexique est-il menacé d'une nouvelle' destruc­tion ?). Sans parodier le titre d'une étude de Philip Noel-Baker, et sans songer encore à telle nouvelle cam­pagne en matière de désarmement, ne peut-on dire, questionner: « Les utilisateurs de l'arme psychochimi­que sont-ils parmi les militaires,? »

Certes. « Un füm présenté au SHAPE montre l'action ,de l'une de ces drogues versée subrepticement dans le café d'un groupe de jèunes soldats, à l'exception de leur chef. Ce groupe ( ... ) n'a plus par la suite aucune cohésion, reste totalement désorganisé », écrit le colonel R. Nardi (op. cit., p. 15). Abrégeons. Que penser de l'éthique, du droit qui condamnent l'utilisation de tels produits, pour le civil; qui 'le gar­dent - nous songeons à « r éthique

journalistique », aux « campagnes d'opinion orientées» - d'informer le public, d'aller aux sources, de signifier les différences entre pro­duits chimiques et espèces végétales, entre expérience (elle est cosmogo­nique, et plonge au plus profond, au plus lointain, vers l'antérieur) et utilisation militaire ?

La levée de boucliers, unique­ment pour le civil (quel amoralis­me, dans ce fait), aboutit à obscur­cir l'origine. Singulières Terres « la­tines », pillées, dévastées au XVIe

siècle. Maintenant les résurgences sont précises. On comprend, un peu tard, les raisons de la fureur espa­gnole, lors de la conquête, de la mise en conditionnement.

Les agapes fongiques, sans usur­pation, plongent au plus secret, et révèlent l'évident: telle relation entre « Mystères, mets ou breuva­ges » (le silence vaut aussi à propos d'Eleusis, du Cycéon, du Sôma, du Haoma, des mystères de Zoroastre - il suffit de relire l'Avesta). En­fin s'éclairent, d'un jour nouveau, la cosmogonie du Mexique, l'art de vivre, dans la mesure où un rituel et la chamane, ou curandera (celle qui connaît le secret des herbes), permettent à l'homme de s'insérer dans l'univers, de mieux compren­dre le lien entre microcosme et macrocosme. Les « visions » en question, images et formes perçues, enregistrées, éclairent aussi bien Hermès et l'art des Indiens du Mexique, la genèse de cet art (tout en ne pouvant faire oublier les monstrueux autodafés).

Sur un autre plan - et on com­prend la fureur des « mission­naires», des théologiens amis des conquistadors, - ces « visions », l'atlas des images donnent la preuve si longtemps et si souvent cherchée de l'czntérionté, reléguant le chris­tianisme, les mystiques, l'extase, dans une perspective « occidentale idéaliste» ; remettant en place «ce» qui prétend gouverner l'Occident, morale et mœurs. Les mystères sub­sistent ; la relation est établie entre « Mystères, muets ou breuvages ».

Les vues autoritaires sont sans pouvoir sur, les faits. Que la jeu­nesse cherche ' depuis ce qui serait à portêe de la main ne permet pas de crier au scandale. Que l'on ouvre non' le procès, mais le dossier des hallucinogènes, depuis des produits naturels, non toxiques, depuis des expériences, des textes, l'étude des codices (concernant aussi le ma­guey, le pulque), nous le souhai­tons. La carte du monde est modifiée depuis l'avènement d'une nouvelle discipline et les recherches de l'ethno-botanique. Nous sommes peu nombreux à avoir, sur le ter­rain, pratiqué et consommé près des Indiens, en pays mazatèque, sous la direction de Maria Sabina, et à pouvoir dire « j'ai vu li (ce qui ne signifie pas « je sais »).

Ceux qui ont intérêt - lequel ? d'ordre éthique? - à cacher la vérité monopolisent un moyen d'in­formation au détriment de là vérité.

René de Solier

HISTOIRE

Henry Kamen Histoire de l'Inquisition espagnole Trad. de l'anglais par T. Prigent et H . Delattre Albin Michel éd., 344 p.

1492 est l'année cruciale de l'hi~ toire espagnole: découverte de l'Amérique, conquête de Grenade et décret d'expulsion des juifs. Le catholicisme espagnol conquiert à la foi un continent et son pays. Mais tout cet or, toute cette gloire ne prévaudront pas, bien au contrahe, sur l'appauvrissement intellectuel d'une « société fermée» qui chas­sera les artisans maures comme If"s médecins juifs, imposera des conversions de masse que les théolo­giens considéreront comme « volon­taires » du fait que l'alternative « le baptême ou la mort » constituait un « libre choix » et que la lutte ulté­rieure contre les mauresques et les marranes annulera en bonne partie. Ainsi se conjuguaient triompha. lisme et déclin.

En 1492, l'Inquisition espagnole - instrument et symbole de ce rétrécissement d'horizon - a 'douze ans. Elle durera officiellement jus­qu'en 1834, et si pendant trois siècles et demi elle incarnera l'in· tolérance systématique - stalinisme et nazisme apparaissent en compa­raison comme de sanglants et brefs interludes! - il est des degrés dans la virulence, des variations dans l'objet de la chasse. Mais des héré­tiques aux illuministes poursuivis, il y a aussi une remarquable conti­nuité. Pour Henry Kamen - spé­cialiste aussi bien de culture russe qu 'hispanique et traducteur des poèmes de Pasternak - c'est la convergence de l'orthodoxie et d'LI racisme, nullement typique du ca­tholicisme dans son ensemble, loin de là, qui constitue cette unité. Le9 humanistes érasmiens, les protes­tants, les novateurs de l'exégèse biblique, les encyclopédistes - tous des « conversos », des juifs mal baptisés! En fait, les trois grands universitaires persécutés dans les années soixante-dix du XVIe siècle -parmi eux l'illustre théologien et poète Luis de Leon - avaient en commun une ascendance juive. De même, un siècle et deInÏ plus tôt, le célèbre théoricien du droit inter­national, Juan Luis Vives, sera tenu en suspicion à cause de son origine : son père était mort sur le bûchel et les ossements de sa mère avaient été déterrés pour être brûlés 3 leur tour. L'impureté de sang est un caractère indélébile, et il est re­marquable qu'une institution aussi importante de , la chrétienté n'ait compté pour rien la vertu du bap­tême par rappôrt à l'origine raciale que les « conversos », après tout, partageaient avec les apôtres.

Après Marcel Bataillon, Americo Castro et d'autres historiens, Ka­men montre bien que le Saint Office n'était pas en Espagne l'instrument des papes, qui s'attachaient souvent à en limiter les dommages, ni même

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Trois' siècles· d'Inquisition

Goya : CI L'Inquisition » (détail)

des rois d'Espagne, qui toutefois la défendirent contre Rome. Les atr~ cités dont l'Inquisition se rendit colfpable ne tranchent pas sur les mœurs de l'époque et Kamen la défend contre une «légende noire». Ses prisons étaient généralement plus humaines que les régimes péni­tenciers des Etats, ses tortures sou­vent moins poussées que celles qui avaient cours dans les interrogatoi­res de la justice ordinaire. Alors que tant d'Etats - y compris la Genève de Calvin - se livrent à la chasse aux sorcières, ce '>Ont les inquisiteurs qui déclarent que la sorcellerie n'est pas un pouvoir dé­moniaque mais l'imagination de vieilles femmes. L'Inquisition n'a pas empêché l'éclat du « siècle d'or» - haute époque de la litté­rature et de la persécution, en­semble -; elle n'a censure qu'une seule phrase du Don Quichotte. Mais ses effets allaient bien au-delà de ses interventions directes. Kamen montre comment elle a détruit - . avec la complicité de nombre de ses

propres professeurs - ce centre de recherche que fut l'université de Salamanque. Et bien qu'elle ne s'occupât pas des cosmogonies de Copernic et de Newton, elle a para­lysé toutes les sciences. n est vrai qu'elle n'était pas seule à le faire, et qu'une époque où les titres uni­versitaires pouvaient être achetés mettait une prime sur l'ignorance. Les grandes universités ne for­maient d'ailleurs pas des noyaux de résistance puisqu'elles étaient divi­sées par les intrigues et les jalousies. Mais si l'obscurantisme trouva lant de complices parmi les docteurs, il faut se demander comment on fait pour résister à une pression qui s'exerce pendant de longues géné­rations. Ce drame de la longue durée, de l'absence d'espoir, aucun des CQmbats pour la liberté dans notre .siècle si tourmenté ne l'aura vécu exactement ainsi. Cela permet de comprendre des épisodes étran­gers comme le « lavage de cerveau» d'un Pablo de Olavida, ministre ré­formateur de Charles III, arrêté en 177 6 pour hérésie par le Saint Office et condamné à huit ans d'in­ternement dans un monastère.

Quatre ans avant son procès, Ola­vida avait écrit: « Toute enquête devant ce tribunal laisse dans notre pays une marque d'infamiè, non seulement sur celui qui y est ex­posé, mais sur toute sa famille et sa descendance}). Or, réfugié en France, Olavida se maintiendra dans son repentir et, adversaire farouche des idées de la Révolution française, il rentrera en Espagne « en odeur de sainteté».

L'Espagne de la contre-réforme avait persécuté et chassé ses élites intellectuelles et économiques et préférera la tutelle des financiers génois à ses propres compatriotes « impurs ». Son élite chassée contri­buera à l'essor de pays ennemis comme les savants allemands chas­sés par Hitler profiteront aux pays . angl~::,axons. Mais comment expli­quer cette ruée vers la déchéance, ce goût d'automutilation, cet échec d'une société pluraliste, alOl'S qu'un roi se vantait encore après la Re­conquête de « régner sur troi~ re­ligions »? Henry Kamen propose une interprétation assez surprenan­te. C'est la domination des grands propriétaires, d'une aristocratie hos­tile à toute élite concurrente -co~e on dit en Angleterre - à toute « méritocratie » qui explique­rait cette persécution systématique. La société dans son ensemble s'est appauvrie, mais qu'importait à sa caste dirigeante traditionnelle qui se voyait confirmée dans ses privi­lèges et son monopole des emplois d'Etat lucratifs! Contre cette inter­prétation, l'historien Trevor Roper - qui est spécialiste du XVIIe

siècle et non seulement des « der­niers jours de Hitler » ! - a fait valoir dans le New Statesman des objections de poids. Si l'Inquisition était un instrument de classe des nobles, demandait-il, où voit-on que ceux-ci l'aient particulièrement sou­tenue? N'est-il pas significatif ··rue les jésuites - ordre aristocratique - lui étaient plutôt hostiles et que les dominicains qui la prônaient étaient un ordre plébéien de « prê­cheurs des 'pauvres » ? N'y avait-il pas une jalousie active dans les milieux urbains eux-mêmes? L'étu­de de l'antisémitisme en Pologne et

La Quiuzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966

en Hongrie montre bien que cer­taines classes moyennes y étaient plus accessibles que les nobles qui se servaient des juifs. Lors de l'ex­pulsion des moriscos de Valence, l'évêque qui était noble se lamen­tait: « Et qui fera désormais noll chaussures ?» Quant à l'enquête permanente sur le « sang impur », elle inquiétait la noblesse où les intermariages avaient été fréquents ,bien plus que dans le bas peuple. Sancho Pança se vantait - c'est Kamen qui cite ce passage - d'être, lui, du moins, sans aucun doute « vieux chrétien ». Mais Kamen évoque une pénétration à travers toutes les couches sociales des va­leurs typiques de la noblesse. Dans ce cas ce n'est pas l'intérêt de la c( classe dominante » mais le triom­phe de ses valeurs qui aurait em­pêché l'essor d'une Espagne moder­ne.

On le voit, la théorie sociologique de Kamen prête aux controverses. Cela n'empêche pas son ouvrage d'être à la fois extraordinairement condensé - trois siècles et demi d'histoire en trois cents pages - et lisible. Kamen considère l'Inqui~i­tion comme une des forces qu'. ont contribué à façonner l'Espagne, qui en garde jusqu'à ce jour la mat,!ue. Mais la conception d'un Orn.!"e qui ne prévaut qu'en combattant sans relâche les idées pernicieuses et les hérédités impures nous concerne au­delà de l'œuvre de ce Saint Office qui, encore en 1826" fait pendre un maître d'école déiste. Preseott, l'bis­torien qui a vécu la fin de l'Inqui­sition, pouvait écrire en 1837 : désormais « nous regardons avec dégoût toute prétention d'envahir les droits sacrés de la conscience inaliénable», Mais Dostoïevski sa­vait déjà que les grands inquisiteurs pouvaient revenir. Aussi l'Inquisi­tion ne nous apparaît-elle plu:; comme une « phase du développe­ment écono-,nique et social de l'Es­pagne », comme le dit Kamen dan!! sa conclusion admirablement mesu­rée et modeste. Sinon, pourquoi cette histoire nous semblerait-elle aussi significative, aussi contempo­raine?

François Bondy

ÉTRANGER

Italie

Une enquête sur les habitudes de lecture des Italiens révèle que 38 % des adultes ne lisent pratiquement jamais rien: ni livres, ni revues, ni journaux.

Parmi ceux qui lisent - l'enquête portait sur 2000 personnes de plus de 18 ans, de toutes les régions et de tous les milieux - 38,3 % seulement lisent le journal. Il s'agit en majorité de la population masculine, en parti· culier celle des villes de plus de 400 000 habitants.

Pour les hebdomadaires et mensuels, la proportion est de 52 % et les diffé· rences entre les habitudes de lecture des deux sexes diminuent - sur­tqut en raison du développement de la pressè féminine.

Mais, surtout, 78 % des personnes interrogées n·avaient lu aucun livre -pas même pédagogique ou documen­taire - pendant la semaine consi­dérée. La plus forte proportion de lec­teurs adultes se trouve dans le groupe âgé de 18 à 34 ans, Il est loin d'être prouvé que le vide est comblé par la radio et la télévision: 25 % des adul· tes italiens n'écoutent jamais une émis­sion; 50 % seulement déclarent bran­cher un poste de radio ou de télévision quotidiennement.

Aaie

Une enquête menée par l'Unesco révèle que, le Japon mis à part, la ph ... part des pays d'Asie se heurtent à des problèmes d'édition dont le taux d'anal· phabétisme (70 %) n'est qu'un alto pect. Le manque de ressources entrave l'importation de livres étrangers, Le prix du papier (fret mis à part) sem­ble plus élevé pour les éditeurs asia­tiques que pour leurs homologues euro­péens, L'importation de pâte à papier et autres matières premières est inu· tile dans la mesure où la pénurie d'eau en divers points de l'Asie ne permet pas la fabrication du prodUit finI. Il est vrai que des essais sont en cours au Japon pour utiliser le bois de l'ar· bre à caoutchouc pour la fabrication du papier. mais, en cas de succès, le problème ne serait résolu que pour un nombre restreint de pays - tel la Malaysia. L'Unesco s'est engagée à discuter avec la Banque Internationale pour faciliter l'approvisionnement de cette région du monde en papier. En matière d'impression, le manque d'équI­pement va de pair avec l'absence de personnel qualifié. L'Inde a InsIsté pour que les pays asiatiques en vole de développement créent des Instituts d'édition avec le concours du Royaume­Uni. des EtQts-Unis, de l'Allemagne et des Pays-Bas,

En admettant ces problèmes résolus, resterait à mettre en place un réseau de distribution. Il y a fort peu de li­braires en dehors des grandes villes. Les bibliothèques elles-mêmes ne trou­vent que difficilement à s'approvision­ner, Le système préconisé a été de fa­voriser la création de bureaux centraux avant que ne se créent une multipli­cité d'entrepôts d'éditeurs Individuels, dans l'anarchie,

Dans certains pays, comme Ceylan, le gouvernement a été amené à se substituer aux éditeurs défaillants, même pour la publication d'ouvrages secondaires dans la langue du pays. Les éditeurs locaux qui publient des manuels primaires ne veulent pas as­sumer les frais des manuels de l'en­seignement secondaire en raison de la limitation des débouchés.

L'Unesco s'est aussi engagée à es­sayer d'obtenir l'appui de la Banque internationale pour persuader les ban­ques nationales d·accorder un traite­ment préférentiel aux éditeurs, étant donné l'importance particulière de leur activité pour le développement de leurs pays respectifs.

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SOCIOLOGIE

Guy Perrin Sociologie de Pareto P.U.F. éd. 256 p.

Vilfredo Pareto, économiste et sociologue italien, qui vécut à Lau­sanne, est surtout connu pour un ouvrage volumineux et presque il­lisible : son Traité de sociologie générale. Aucun sociologue peut­être n'a eu une postérité aussi di­verse. Un véritable engouement aux Etats-Unis qui ont connu entre 1925 et 1940, selon l'expression de M. Gurvitch, (( une véritable crise de paretisme ». L'Italie fasciste l'a encensé comme un des pères du régime et le journal A vanti lui a décerné à sa mort le titre de (( Karl Marx de la bourgeoisie ». En Fran­ce, il faut bien parler d'indifférence générale, à part M. Aron qui lui a consacré quelques ouvrages et M. Gurvitch qui l'a brièvement évo­qué pour conclure que son seul intérêt est de (( constituer un exem­ple de ce qu'il faut éviter ». Le livre de Guy Perrin vient donc combler cette lacune, mais vient-il réparer une injustice? Autrement dit peut­on lire Pareto de nos jours ? Pour y répondre il est nécessaire de rap­peler les grandes lignes de sa socio­logie.

Pareto et

Pour Pareto toutes les théories sociales, les représentations collec­tives ne sont que des « dérivations », c'est-à-dire des explications ' ration­nelles destinées à masquer après coup la nature irrationnelle des actes sociaux. Les motivations réel­les sont les (( résidus » (résidu) d'instinct de combinaisons » et de « persistance des agrégats » dont la nature est psychique et irration­nelle. Le domaine social est celui des actes non logiques. Au moins peut-on espérer que Pareto, profes­seur d'économie à Lausanne, ait tempéré ce parti pris évident de psychologisme en accordant une place aux faits économiques_ Il n'en est rien. S'il reconnaît que l'écono- . mie est insuffisante pour rendre compte des faits concrets, il refuse de l'intégrer à la sociologie. C'est qu'elles s'opposent l'une à l'autre_ La première traite des actions logi­ques (( qu'exécutent les hommes pour se procurer les choses qui sa­tisfont leurs goûts », tandis que la seconde traite des actions non logi­ques résultant de résidus irration­nels. Non seulement il ne fait pas, comme Marx, de l'économie la réa­lité sociale privilégiée, mais il ne veut même pas, comme Halbwachs, en faire une valeur seconde sou­mise aux représentations collecti­ves. Sur ce point, Pareto se pré-

les élites

sente comme l'anti-marxiste par ex­cellence. On conçoit qu'ainsi ampu­tée la sociologie soit impuissante à rendre compte de la réalité so­ciale. Le meilleur exemple est four­ni par la conception pare tienne de classe sociale.

Pareto refuse de séparer la so­ciété entre bourgeois et prolétaires, car il existe selon lui des rivalités d'intérêts au sein de chacune de ces classes. Il préfère une distinc­tion entre (( spéculateurs », tous ceux dont le revenu et variable, et (( rentiers » dont le revenu est fixe. Cette distinction, économique en apparence, est en fait psychologi­que, puisque les deux classes re­couvrent exactement · les résidus d' (( instinct de combinaisons » et de (( persistance des agrégats ». De plus, comme le souligne Guy Per­rin, la société pareticnne est tota­lement inconsciente d'elle-même; rien n'est plus étranger à Pareto que le concept de conscience de classe. Dans ces conditions, on ne peut pas parler d'une unité sociale, mais d'une abstraction fondée sur un critère psychologique.

Dans son dernier chapitre, Guy Perrin aborde ce qu'il y a de plus cohérent chez Pareto : la partie politique de son œuvre. La théo­rie de la (( circulation des élites » en est la meilleure illustration. Pa­reto, refusant systématiquement tou-

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• te valeur, nomme élite tous les

Toute la sp lendeur voluptueuse de l'Orient a a a

• individus qui réussissent dans un • • domaine quel qu'il soit : il y a • une élite des brigands comme il y • a une élite des saints_ Il y ' a aussi • une élite politique fondée sur une • certaine combinaison des deux rési-• dus. Il s'agit d'une véritable iné­: galité biologique qui prédispose cer­• tains êtres à diriger et , les autres '. à être dirigés. Or, parmi l'élite au , • pouvoir, certains ' de ses membres , • perdent les caractères de l'élite,

E • tandis que parmi les. êtres gouver-L . LIVRE ': nés, apparaissent des hommes d'élite.

MILLE NUITS ET UNE NUIT '·.' La 'circulation peut se faire conti-nuellement par le remplacement

- . - progressü des premiers par les se-- conds, comme elle peut se faire vio-: lemment par la révolution. D'un

traduction MARDRUS non expurgée • côté comme de l'autre, les dériva­. • tions (théories sociales, mythes, re­

A cOté de la Bible et des poèmes homériques, la troisième _ limons) sont employee' s comme grande œuvre collective de l'humanité a sa place marquée 0-

dans toutes les bibliothèques. Sindbad, Aladin, Ali Baba, - moyen, par l'ancienne élite pour ont enchanté notre enfance. Mais la splendeur poétique. ' • la gaieté truculente et l'érotisme naïf de ces contes mer- se maintenir au pouvoir, par la veilleux, n'ont été révélés que par la traduction non édul- • Il ' D corée du Dr Mardrus. • nouve e pour s en emparer. ans En voici enfin le texte intégral dans la grande édition que tout cela, bien entendu, les masses nous attendions: 8 volumes 16 x 21. sur vergé pur fil, illustré - . de 100 compositions décoratives en six couleurs.somptue~ _ ne jouent aucun rôle. On ne sau-se reliure pleine peau rouge. tranChes dorées, rehaussée rait mieux déprécier tout idéal po­d'or et de couleurs, qui évoquent rubis, émeraudes et • perles roses. - litique. Pareto s'en prend parncu-La Librairie PILOTE peut encore, pendant un cours délai, _ d d la appliquer un prix de souscription extrêmement réduit pour lièrement à la érivation e cet ouvrage de haute bibliophilie: 880 Fies 8 volumes au • démocratie qu'il accable de ses sar­lieu de 1.000F,le prix de chaque tome(110F au lieu de 125 F) •

~~~~=a; .. ~ n'étant versé qu'à sa parution, (un tome tous les 2 mois). casmes. D'ailleurs pour lui la dé-• Le tirage étant strictement limité à 7.000 exemplaires, •

demandez-donc d'urgence à la Librairie PILOTE 22, rue de • mocratie n'existe pas. l'''"B-O-N---------' Grenelle/une documentation gracieuse ou, mieux, l'envol. Il n'est pas besoin de préciser

à découper ou à reco- Immediat, pour examen gratuit, avec droit de retour dans pier et à adresse" à la Librairie les cinq jours, du tome 1 qui vient de paraltre, Vous ne ris- - que tout. sens de l'Histoire, toute

querez pas, ainsi, de laisser échapper une édition que les al b PILOTE,22, rue de Grenelle, bibliophiles vont se disputer et qui prendra sOrement une • idée de progrès sont tot ement an-

_____ P;..A;.;;.;R;,;;IS~7.------ très grande valeur. , - nis par Pareto. L'Histoire évolue : selon un processus ondulatoire, pé­

riodique, oscillatoire_ Ce sont tantôt les résidus de la première elasse (instinct des combinaiso:r:.s), tantôt ceux de la seconde (persistance des agrégats) qui dominent dans la so­ciété. On a donc alternativement

----------------------1 vet/mez m'adresser pour examen gratuit ' . l' • le,o'volumeaes MILLE NUITS ET UNE Nom. _______ ...... __ ._ .. _ ......... ProfeSSion .-... -.- .... ---.-----.---..... •

INUIT, Si, aans les cinq jour., ja ne le 1 _ renvoie pas intact aan. son emba"lJl18 Adresse -.------.. ----- .. ---- ...... -.- ............ -.... -..... -..... -- -- .... ----d'origlne, Je ".r • .,.; 110 F. en souscr;. •

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des périodes de ( foi » et des pé­riodes de « scepticisme ?) et le Traité de sociologie générale se termine par une apologie de la violence. Pareto ne la justifie pas comme G. Sorel par une fin dont elle se­rait le moyen, mais en fait une valeur en soi, la seule valeur. Toute lutte a pour résultat la victoire du plus fort et seule la violence inces­sante purifie l'Homme en ne lais­sant subsister à chaque instant que les meilleurs : « Les massacres et les pillages sont le signe extérieur par lequel se manifeste la substitu­tion de gens forts et énergiques à des gens faibles et vils ». Anti-éga­litaire, sans finalité, violente, l'His­toire selon Pareto se résume dans ce mot à la fois décevant et tragi­que: ( Un cimetière des aristo­craties ».

En fait, Pareto n'est pas un socio­logue. Sa méthode scientifique et ses analyses ne sont là que pour justifier l'irrationalité des condui­tes humaines et l'inégalité biologi­que des hommes. Pareto n'est vrai­ment clair et cohérent que lorsqu'il laisse tombcr le masque du sociolo­gue pour se montrer sous son vrai visage : un pamphlétaire politique. Mais ses idées ne font que repren­dre celles exprimées depuis tou­jours par les partisans de l'absolu­tisme et dans lesquelles les régi­mes totalitaires ont pu trouver un faux-semblant de justUication phi­losophique. On croirait entendre Calliclès ou Thrasymaque et les théories paretiennes sont toujours justiciables des réfutations de Gor­gias ou de la République.

Si elle ne faisait partie d'une collection nouvelle qui se propose de donner une vue exhaustive de la sociologie, on comprendrait mal la tentative de Guy Pelrin. Dans son introduction, il déclare vouloir «( présenter une œuvre encore im­parfaitement connue, afin de con­tribuer par un effort d'appréciation objectU à lui rendre sa juste place dans l'histoire des idées », mais, au cours de son étude, il se voit obligé de critiquer le parti pris de psychologisme, l'anathème contre l'économie, les prétentions fausse­ment scientifiques, l'absolutisme de la politique, et de conclure enfin : « Ses déboires (de Pareto) rappel­lent utilement qu'on ne saurait construire une science contre la raison ». On n'est pas loin, on le voit, du mot de M. Gurvitch : (( L'exemple de ce qu'il faut évi­ter D. En fait il semble que toute analyse objective de la sociologie paretienne soit forcée d'en constater les échecs et d'en dénoncer les dan­gers. Il aurait mieux valu dévelop­per les· rares côtés positUs, notam­ment cette psychanalyse des faits sociaux que Pareto aurait pu ten­ter s'il n'avait été aveuglé par son parti pris d'anti-rationalisme. C'~t une entreprise de ~e genre qu il faudrait faire à la suite de Pareto, plutôt que de' l'exhumer d'un oubli jus~fié pour conclure qu'il faut l'y l'eplonger.

/ean-François Nahmias

Page 23: La Quinzaine littéraire n°17

POLITIQUE

Jean-Jacques Faust Le Brésil, une Amérique pour demain Le Seuil éd., 256 p.

Rien de plus difficile pour un observateur européen que de se re­trouver dans le labyrinthe des putschs, des pronunciamientos et des révolutions, volontiers pacifi­ques mais toujours recommencés, d'Amérique du Sud, que de voir clair dans le jeu complexe de la politique des républiques de ce jeune continent. On n'a que trop tendance, de ce côté-ci de l'Atlan· tique, à revêtir d'oripeaux pour opérette les hommes d'Etat latino­américains, à ne pas prendre au sérieux les incessantes crises idéo­logiques, soeiales et économiques des nations sud-américaines au des. tin encore incertain.

Voilà pourquoi le livre sur le Brésil de Jean.Jacques Faust vient à son heure. L'heure, 'précisément, où ce pays - grand non seulement par ses dimensions, mais aussi par les richesses humaines et matériel· les qu'il recèle - se trouve à un nouveau tournant de son histoire. Un tournant où il s'agira, sans doute, pour lui de trouver sa voie, non pas du côté d'une dictature du type «ligne dure », mais du côté d'une sorte de « gaullisme », adapté aux besoins d'une nation dont le premier souci devrait être désormais de gagner la dure bataille du développement. Le maréchal

. Castelo Branco, à la veille de céder sa place à son successeur, déjà dé· signé, le général da Costa e Silva, cherche à « démocratiser » la cons· titution. Reste à savoir si les sym· pathisants de la gauche ou' de l'extrême droite lui permettront de mener à bonne fin une entreprise qui a pour but de remettre une nou­velle fois le Brésil entre les mains du capitalisme bourgeois, sous la haute protection, s'entend, de l'ar­mée, et, last but not least, avec la bénédiction des Etats-Unis. Il dé­pendra du ou des gouvernements à venir que le Brésil garde définitive­ment ou seulement temporairement le visage d'un « anti-Cuba ». Tl dé­pendra de la capacité des hommes de l'actuelle révolution que le Bré­sil sorte de l'impasse économico·· politique sans le secours de Marx ou de Lénine.

Directeur de 1960 à 1965 de l'agence France-Presse à Rio de Janeiro, Jean-Jacques Faust a vécu de l'intérieur, les yeux grands ou­verts, la révolution brésilienne. Toutefois, non content de nous offrir un témoignage intelligent, un reportage brillant sur des événe­ments politiques donnés, il a étoffé son livre à l'aide d'une documen­tation des plus riches et d'une ana­lyse fouillée de la politique brési­lienne de ces dix dernières années.

Le reportage journalistique conte­nu dans le Brésil... se lit d'une seule traite. Il est truffé d'anecdotes savoureuses, de flashes pittoresques, de tableaux d'atmosphère. Il est

• Un pays qUi se cherche.

Brasil~

ponctué des élans du cœur d'un « Carioca» occasionnel qui .,'est laissé prendre au charme d'une ville et de tout un pays.

L'histoire contemporaine du Bré­sil, qui constitue l'essentiel de l'ou­vrage, raconte avec virtuosité les règnes successifs et contradictoires d'un Kubitschek, bâtisseur, dange­reusement séduisant, de Brasilia, d'un J anio Quadros, champion d'une politique ascétique, d'un Goulart, nonchalamment communi­sant et, finalement, de Castelo Branco, l'homme de la « révolu­tion ». La peinture de ces différents règnes nous vaut une galerie d~ portraits hauts en couleur. Carlos Lacerda, le « tombeur» des prési­dents, y occupe une place de choix.

M. Faust excelle particulièrement dans l'art de démêler les fils em­brouillés de l'écheveau de la poli­tique brésilienne: observant à la loupe le jeu des partis antagonistes, les coups fourrés des adversaires, le ballet des alliances; expliquant le pourquoi et le comment d'un coup d'Etat, définissant le rôle de l'armée et du « tenentisme de ses lieute­nants ». Son essai nous propose le bilan fidèle d'une révolution qui, pour l'instant, n'a encore su qu'en­rayer l'action tâtonnante d'une gau· che mal organisée et ralentir - si peu! - une inflation galopante, ne s'étant occupée jusqu'ici que

d'épuration et de lutte contre la corruption; d'une révolution dont le programme positif et constructif - réforme agraire, expansion ftCO­

nomique et promotion sociale de;; masses sacrifiées - sera, du moins on ose l'espérer, pour demain.

Dommage que l'auteur de Brésil, une Amérique pour demain ait compromis, ici et là, la qualité de son essai politique en y glissant des pages d'information simplifiée sur l 'histoire et la vie économique, sociale et culturelle brésilienne. Des chapitres tels que « L'économie des cycles» ou « Une civilisation métisse» méritaient un tout autre développement. Sous leur ' forme présente - pour manuel scolaire ou guide touristique - ils n'avaient pas à figurer dans le livre de M. Faust.

Cela dit, le Brésil, une Amérique pour demain est une étude objective et exhaustive de l'actualité politique brésilienne. Contrairement à tant d'autres de ses confrères, Jean-Jac­ques Faust a su attendre d'avoir vécu longtemps au pays dont il nous parle aujourd'hui. Il s'est donné la peine de le déchiffrer sans hâte, ayant essayé de l'aimer pour mieux le comprendre. Cela mérite un grand coup de chapeau à une épo­que où les ouvrages du genre nais­sent habituellement dans un Boeing, au retour d'une expédition-éclair.

Ritta Mariancic

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966

ÉDITEURS

La Table Ronde

Une nouvelle collection va resserrer encore les liens noués entre la Table ronde et Combat après les dernières élections et qu'avait marqués la publi­cation d'un premier ouvrage publié en collaboration entre la maison d'édition et le quotidien. Sous le titre. La Table ronde de Combat» elle publiera des œuvres des rédacteurs du journal ou écrits avec leur participation. Au pro­gramme: André Malraux ou le temps du silence, par André Brincourt; Réap­prendre l'irrespect par Fonvielle­Alquier.

P. U. F. Prinoeton

_ C'est une sorte d'Opération Stendhal que lan<re le département des Langues romanes de l'université de Princeton (diffusion Presses universitaires de France). Il a créé récemment une col­lection • A la découverte» afin de mettre le public en contact avec des textes qui, malgré leur valeur littéraire n'ont pas encore connu le succès.

Tel est le cas de Dernières lettres de deux amants de Barcelone de Hya­cinthe Latouche et François L'Héritier; ii s'agit d'une sorte de roman-vérité assez inattendu sur l'épidémie de fièvre jaune qui balaya la capitale cata­lane en 1821.

Sont annoncés le Dernier Homme de Grainville ; des fragments inédits sur le Libre Arbitre, l'Education et les Plai­sirs, avec introduction et notes de P. de Saint-Victor; l'Art de penser de Condillac, avec une introduction et des notes par Karl Uitti.

FaJ"ard

En février, le Maupassant sur lequel travaille depuis deux ans Armand La­noux, parallèlement à la grande suite romanesque qu'il prépare et qui aura pour cadre la fin du second Empire, la Commune et les débuts de la troisième République. Parmi les ouvrages d'his­toire contemporaine, Fayard publiera J'ouvrage de M. R. D. Foot sur la Résis­tance française dont la parution à Londres a déjà soulevé des tempêtes: S.O.E. France.

A. Balland·J'. Leoat

Le quatrième volume des Œuvres complètes de Guillaume Apollinaire vient de paraître (André Balland et Jacques Lecat éd.). Le tome 1 réunis­sait les œuvres en prose; le tome 2, les chroniques; le tome 3, la poésie, le théâtre et la critique littéraire. Avec le tome 4, voici la critique d'art (Les peintres cubIstes, et 400 pages sur les expositions, Picasso, les Futuristes ... ) On voit la place d'animateur, de dé· couvreur, qu'occupe Apollinaire au dé­but de ce siècle.

La correspondance groupe Tendre comme le souvenir, Lettres à sa mar· raine et plus de 500 lettres, dont une grande partie inédites. Les importantes Lettres à Lou n'y figurent pas: les éditeurs n'ont pu obtenir l'autorisation de les publier.

Ce gros volume, relié en cuir, est accompagné - comme les précédents - de son coffret qui contient les fac­similés d'une lettre à sa marraine, la photographie du poète (le front bandé, après sa blessure de 1916), le cata­logue de J'Exposition Derain et la let­tre de Jean Cocteau annonçant la mort d:Apollinaire à André Salmon.

Dans un article paru dans le numéro 9 de La Ouinzaine littéraire, Lucien Galimand a dit le bien qu'il pensait de cette première édition des Œuvres complètes d'Apollinaire.

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Léon Moulin La $ociété de demain

,dans l'Europe d'aujourd'hui Coll. Europa Una Denoël éd., 260 p.

Belge, sociologue, partisan d'une Europe plus cohérente, démocrate sans illusions sur la nature de l'hom­me, convaincu que le grand saut vers la société industrielle a, tout compte fait, été un phénomène positif, mais conscient que ce pro­grès a charrié avec lui bien des « anti-progrès», tel est le portrait de l'auteur qui se construit au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture du livre de Léo Moulin. Voilà qui est fort sympathique -mais de quoi parle ce livre? Le but recherché est exposé dès la pre­mière page: il s'agit de dessiner les traits futurs éventuels de la société européenne par référence à ce qu'elle est aujourd'hui - donc de nous présenter une Europe à venir en expliquant par quels enchaîne­ments plausibles elle se déduit de l'Europe présente sans en être un simple duplicata un peu agrandi.

Cette démarche intellectuelle sup­pose trois sortes d'opérations: tout d'abord dégager ce qui, dans le pro­cessus de passage du présent au futur, ne changera pas - les élé­ments permanents du tableau ; puis les changements inévitables aux­quels il faut s'adapter et dont on doit s'appliquer à mesurer les conséquences; enfin les change­ment introduits volontairement en fonction de ce qui est jugé souhai­table et réalisable.

La continuité et la permanence, Léo Moulin les aperçoit dans la présence persistante d'une civilisa­tion européenne caractérisée selon lui par la coexistence paradoxale de deux éléments quelque peu hétéro­gènes : un esprit faustien de contes­tation et de démesure, et.1a qu~te individualiste du bonheur. n note qu'il n'y a pas à s'inquiéter du caractère radicalement nouveau de l'époque que nous vivons: elle est effectivement sans précédent, mais on ne saurait y voir la négation de l'héritage culturel européen, puis­que le progrès scientifique et tech. nique n'a pu naître qu'en Europe, terre d'inquiétude et de remise en question permanentes. Position in­téressante sur le plan théorique, puisqu'elle conduit à avoir une af­finité profonde entre hl société in­dustrielle et le vieil humanisme européen, et' à exorciser la crainte d'une incompatibilité p:rof~nde en­tre la machine et les valeurs. n n'est pas sûr qu'elle emporte l'adhé­sion des pessimistes « éclairés » qui, tout en hésitant à accepter la thèse ' extrême en vertu c.1e laquelle toute société idustrialisél' opte, ipso facto, pour une vision (Juantitative des choses qui la rend aveugle à tous les aspects qualitatifs de l'existence

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,RENC ONTR ES

L'Europe , . a venir

humaine, pensent que l'on peut aller trop loin dans la bonne direc­tion, et souhaiteraient sans doute que l'auteur s'attarde un peu sur les propos du Pr Chouard qu'il cite p. 31: « Une croissance véritable­ment exponentielle du progrès scien­tifique et technique serait « apo­calyptique »à brève échéance. »

Après le durable, il y a ce qui change, soit par une espèce de « cours naturel » des choses, soit par le fait d'une affirmation de volonté. Au sein de la première catégorie, Léo Moulin fait une distinction im­portante entre les changements qui n'auront vraisemblablement pas lieu, et ceux auxquels au contraire il faut se préparer. Selon l'auteur, ' deux perspectives sont à exclure: la prolétarisation des travailleurs, la « technocratisation» des grandes décisions régissant le développe­ment économique et social - et les arguments qu'il donne à l'appui me semblént fort plausibles.

Quant aux tendances de fond dont l'effet continuera à se faire sentir au cours des deux ou trois prochaines décennies, elles sont traitées dans la rubrique « consé­quences sociales du progrès t echni­que », et l'on y trouve des phéno­mènes bien connus tels que crois­sance démographique et change­ments de structure de la population (qu'il est toutefois excessif de ne rattacher qu'au progrès scientifique et technique), l'urbanisme, l'éléva­tion du niveau de vie et la crois­sance de la production, l'augmenta­tion des loisirs et la recherche de la sécurité. Le chapitre consacré à ces phénomènes est assez bref et l'on sent qu'il est là surtout « pour mé­moire». n y aurait eu avantage à l'étoffer dans deux directions: vers le passé, en montrant sous quelles: formes le coût du progrès économi- ' que s'est matérialisé (renchérisse- ' ment relatif du temps libre et des , activités dites « tertiaires», spécia­lisation des connaissances et frag- ­mentation du processUs de produc- , tion); vers l'avenir, en esquissant, l'ossature de la société européenne , dans vingt ans quant à ses dimen-' sions économiques et démographi: ques, car une telle projection prête­rait certainement à des commentai­res instructifs, sur l'ampleur des besoins en équipements collectifs ou les grandes directions du développe­ment économique européen (Léo Moulin ne précise pas quelle crois­sance économique lui paraît la plus conforme au génie européen: courir l'espace comme les Russo-Améri­cains, mais à plus petite échelle, ou chercher une ' voie originale, et la­quelle ?).

La partie consacrée aux trans­formations délibérées est la plus longue et la plus originale du livre. On ne doit pas s'étonner qu'un nombre ,appréciable de pages soient consacrées non à décrire un futur amélioré, mais à démontrer qu'il y

a bien eu progrès et non point ré­gression dans le proche passé. Une telle démarche est absolument es­sentielle à la cohérence intellectuel­le du livre, car n'oublions pas que Léo Moulin se refuse à tourner le dos à la science et à la technique, puisqu'elles sont toutes deux filles de l'esprit européen; mais il lui faut ' alors pouvoir montrer qu'une telle option, loin d'avoir entraîné une régression, a été facteur de pro­grès, que ce dernier ne peut se pour­suivre qu'en restant fidèle à la même orientation, et enfin que l'im­pression de décadence s'explique par des erreurs d'observation, ou par une conception trop idéalisée de l'homme moyen.

La réflexion sur les étapes ac­complies ' et celles qui restent à fran­chir est cOI;lcentrée sur trois domai­nes: travail, éducation, loisirs. li faut feliciter l'auteur d'avoir accep­té le risque d'être jugé insuffisam­ment « prospectif» en laissant une place importante dans son livre aux problèmes ' de l'homme au travail, même si cela est apparemment con­tradictoire avec la venue imminente d'une civilisation des loisirs. Mais le meilleur, on le trouvera dans ce que Léo 'Moulin dit de la démocra­tisation de l'enseignement. Il y a là une quarantaine de pages clair­voyantes et courageuses, qui agace­ront tous ceux qui aiment les solu­tions simples et rapides car, pour l'auteur, ce genre de solution n'exis­te pas : le grand obstacle à l'égalité des chances tenant à la famille, il est difficile qu'il y ait une promo­tion sociale significative en moins de deux générations: il est vain d'espérer démocratiser par l'abaisse­ment du niveau des études l'ouver­ture non sélective de l'Université à tous, ou la création de circuits d'en­seignement parallèles au rabais.

Sous-jacent à un grand nombre de raisonnements de Léo Moulin, il y a l'idée que le matériau humain est hétérogène: «Sur 100 individus, il y a en moyenne, et quel que soit le groupe choisi, 10 % d'hommes « bien» (dont 2,5 % de sur-doués), 1 0 % de déficients irrémédiables, le restant se répartissant autour de la moyenne: les uns plus près des 4 ou des 5 / 1 O· des points et les autres se hissant jusqu'au niveau des 7J JOC'" (p. 218). En admettant que cela soit vrai, il serait intéres­sant de rechercher si la société

La lettre X (sigma) désigne la Semaine de recherche et d'action culturelle organIsée annuellement de­puis 1965 par la ville de Bo~deaux et qui a rassemblé pour la seconde fois, du 14 au 19 novembre, une série de créateurs et de théoriciens apparte­nant à tous les domaines de l'expres­s ion artistique et ' intellectuelle.

Art et eociété

Le premier malentendu tient au ca­ractère particulier de Sigma, qui s'est placé d'emblée sur deux niveaux à la fois: celui de la sociologie et celui de la création individuelle. Dans les phrases liminaires, Robert Escarpit posait expressément la question « Ac­tion d'avant-garde ou opération de masse? Le style du Sigma tient de J'une et de l'autre ". Il en allait de même dans le point 2 du programme élaboré par Abraham Moles: « l'artiste doit-il œuvrer en vue d'un public ou est-il nécessairement isolé par sa créa­tion, dans la mesure même ou il se veut orienté autant que pOSSible vers le futur?"

C'est probablement faute d'avoir pris connaissance de cet exorde ou de J'avoir dûment interprété qu'une partie du publie a marqué quelque hostl.lité à certaines séances et que des partici­pants se sont opposés les uns aux autres, Il est probable d'ailleurs que ces oppositions seront à porter au crédit de J'expérience, avec le recul.

L'une des escarmouches significa­tives, en l'occurrence, est celle qui a mis en présence Pierre Demarne, à l'issue de son exposé sur le thème Art et Cybernétique, Georges Patrix -secrétaire général du Groupe inter­national d'Architecture prospective (G.I.A.P.) - et le signataire de ces lignes.

L'une des thèses défendues par Pierre Demarne, dans sa démonstra­tion très bien élaborée, était que la machine électronique pouvait créer des œuvres d'art - et, sinon, y aider à la fois par sa mémoire et par son rôle de « manœuvre intellectuel", relayant en quelque sorte l'effort de la main de J'artiste, ' Or, l'une des doctrines du G.I .A.P.,

rappelée à diverses reprises au cours de la rencontre, et brillamment illus­trée par un spectacle « ' total " de NI­colas Scholffer où les machines jouaient un grand rôle, est que la ville de l'avenir sera conçue comme un spectacle, donné en permanence dans la rue, à l'aide - notamment - de ces machines et de leurs jeux com­binatoires de lumière et de mouve­ment. Thèse et doctrine, au demeu­rant, dont Michel Ragon a montré qu'elles sont légitimes et complémen­taires.

Pour ma part, j'al critiqué une telle conception, au nom d'une distinction entre l'art-moyen de connaissance (connaissance de soi et connaissance de l'Homme). et l'art-divertissement. L'interventIon de la machine consacre l'avènement d'un art-divertlssement à l'état pur, dans la mesure où,' ne por­tant plus témoignage pour un créateur, il ne peut apporter de connaissance que de la machine et détourne J'atten­tion du seul objet valable de la connaiss'ance - l'Homme.

industrielle ' dans sa dynamique La Beoonde chance

s'adaptera bien à cette strnqture Mais là où le malentendu devait déséquilibrée, autrement dit si la prendre des proportions plus grandes, gamme des métiers qu'elle offrira ce fut au cours de la soirée qui vit dans le futur s'harmonisera bien , décerner le prix de la Seconde

Chance, avec la dispersion des facultés intel- La règle de ce prix est Qu'il cou-lectuelles dans le corps social. On ronne une enquête SOCiologique, menée voit ainsi que l'intérêt du livre, de dans ' les bibliothèques d'entreprises Léo Moulin ne vient pas seulement de Bordeaux. En effet les abonnés de

ces bibliothèques constituent un jury de l'ampleur des problèmes aux- de masse qui fournit sur ses lectures quels il se mesure, mais également un certain nombre d'appréciations, les­des multiples chemins adjacents 9uelles, traitées par un ordin~teur vers lesquels sa lecture convie notre, , electronlqu~, perm~ttent de déslgn~r

. , " , . les <Jeux livres qUI ont reçu le mell-espnt a s egarer. _ leur accueil du public d'entreprises.

Bernard Cazes Entre ces deux livres, un Jury-délégué

Page 25: La Quinzaine littéraire n°17

Sigma II à Bordeaux

choisit après confrontation publique avec les auteurs.

Tout conflit avait été évité l'an der­nier car la machine avait désigné un livre intéressant de . Roger Chateau­neu qui l'avait dignement emporté s~r un feuilleton d'Agnès Chabrier. Le fait que ce dernier ait pu f igurer en si bon­ne place dans les suffrages populaires n'avait pas donné lieu à récriminations puisque l'issue avait été heureuse.

Cette année, les deux finalistes étaient le Père M. Lelong, auteur d'un récit de voyage en U.R.S.S. et en Chine Il est dangereux de se pencher, et un roman d'Henri Castillou, International Petroleum, dont le moins qu 'on puisse dire c'est qu 'il relève de la lecture plus que de la littérature.

Castillou l'emporta. Or le but de l'opération était, de

toute évidence, de déterminer scienti­fiquement les goûts d'un public de masse, d'analyser les opinions de ce publie au moyen des fiches de lecture remplies par les jurés bénévoles (au nombre de 500, cette année) et de faire traiter par un ordinateur la masse d'informations contenues dans ces fiches.

Critique et opinion

Une partie de l'assistance, concer­née uniquement par l'aspect d'avant~ garde de Sigma, manifesta bruyam­ment son mécontentement de voir analyser si longuement un ouvrage ap­paremment aussi dénué, pour 1ui, d'in­térêt. Il eût mieux valu sans doute profiter de l'occasion pour chercher à savoir comment concilier le goût d'un public de masse, porté vers Castillou, et les techniques d'avant-garde dont Sigma offrait tant d'exemples - no­tamment deux expositions au musée des Beaux-Arts de Bordeaux.

Tel aurait pu être le terrain d'en­tente. Il semble que nul ne s'en soit soucié, ce qui ne signifie pas que le problème ne sera pas abordé l'an prochain si l'on tire la leçon de l'im­passe à laquelle cette soirée a abouti, ce qui n'est d'ailleurs pas sans intérêt ni signification.

Pourtant, le terrain aurait dû être préparé par le colloque qui, depuis la veille, groupait autour de la même ta­ble des critiques littéraires, de toutes tendances et de tous ordres, ainsi que des auteurs et des directeurs Iitté- ' raires, certains des participants réunis­sant d'ailleurs pluSieurs de ces titres.

Le colloque avait été, au départ, fort bien introduit par Robert Escarpit avec un document sur « les silences de la

.çritique " établissant que sur 1830 li­vres parus en avril et mai 1966, 320 seulement avaient été mentionnés par quatre ' grands hebdomadaires tenus pour suffisamment représentatifs de la vie littéraire.

Un malentendu

Or, pendant la discussion - trois. longues séances - au cours de la-. quelle Robert Kanters et Pierre de ' Boisdeffre devaient prendre la défense de la « critique d'humeur ", Robert Sabatier indiquer comment la critique s'adresse autant à l'auteur qu'au pu­blic, et Pierre-Henri Simon brosser un tableau de l'histoire de la critique, nul ne semblait s'attendre à la · vague de protestations venue du public et de certains partiCipants de Sigma Il, qui se mirent à évoquer Roland Barthes avec véhémence et s'apprêtaient à le réclamer sur l'ai r des lampions au mo­ment où s'achevait la séance.

La « nouvelle critique " n'avait évi­demment rien à voir là-dedans. Encore eût-on peut-être dû lui accorder une place dans le Sigma, en marge du col­loque. Car, là encore, le malentendu était patent entre ceux qui n'étaient intéressés que par les recherches nouvelles et ceux qui se préoccupaient d'analyser certains aspects de la so­"CIété face aux arts.

Marc Saporta

Tei était le thème du colloque inter­national qui s'est tenu du 18 au 21 octobre à l'université John Hopkins, à Baltimore. Ce colloque, organisé par René Girard, professeur de littérature fnmçaise à Baltimore, avait pour but, plus particulièrement, de présenter au publie américain l'état actuel, en France, des recherches qui relient la littérature aux sciences humaines.

Ce thème assez général a déterminé une grande variété des sujets traités. Il est difficile d'en trouver le dénomi­nateur commun, et même d'en indiquer clai rement les principales tendances_ Il reste pOSSible toutefois de diviser les communications suivant leur degré de généralité. Dans le premier groupe se retrouvent alors celles très impor­tantes qui traitent des problèmes gé­néraux de la connaissance: « Les rap­ports de l'invention littéraire avec toute invention " de Ch. Morazé ; « L'expérience de l 'intériorité et la pensée critique -, de G. Poulet ; « Structure: réalité humaine et concept méthodologique - , de L. Gold­mann; et la communication du Dr J. Lacan, intitulée « Of structure as an in-mixing of an otherness prerequisite to any subject whatever -.

Les autres communications étaient consacrées à des problèmes plus concrets et témoignaient d'une cer­taine communauté d'intérêts parmi les spécialistes venus de sciences très différentes ; communauté que résume bien le terme proposé par R. Barthes pour désigner de telles recherches: la sémio-critique. Les problèmes de la littérature et de sa critique sont deve­nus aujourd'hui des problèmes de signi­fication. Les principes du structura­lisme ne sont plus un objet de que­relle mais un point de départ pour des recherches fort variées. ' Le langage est au centre de l'attention non seulement des linguistes mais aussi des ethno­logues. des philosophes, des psycha­nalystes, ou des critiques littéraires

• Cette réunion, précisaient les orga­nisateurs de cette manifestation dans leur programme, doit servir de tribune permanente à la seconde génération littéraire d'après-guerre -.

Il convient de mettre l'accent sur le mot «second», car la première génération, celle de Günter Grass, Uwe Johnson, Peter Weiss etc ... pos­sède déjà ' une tribune, sinon perma­nente, du moins très efficace dans les eongrès annuels du Groupe 47_ Son organisateur Hans-Werner Richter, a réussi à créer avec ce groupe un club extrêmement puissant, dont les juge­ments exercent une influence souvent décisive sur les décisions des .éditeurs allemands 1es plus importants. On a vu dans le passé certaines carrières interrompues après une condamnation des critiques de ce groupe qui, tout comme ceux du Forum de Francfort, interviennent immédiatement après la fin de la lecture d'un poème, d'une nouvelle ou d'un extrait de roman pour exprimer leur opinion.

Déjà l'âge des présidents de cha­cun de ces deux groupes révèle des objectifs différents. Horst Bingel. un jeune poète qui a réussi le tour de force d'organiser cette année pour la première fois le Forum de Francfort a 33 ans, une vingtaine de moins que Hans-Werner Richter_

La plupart des participants apparte­naient à la même génération que Bin­gel qui se défend pourtant énergique­ment de vouloir concurrencer le Grou­pe 47, Certains des fidèles de Hans­Werner Richter ont, en effet, assisté et même participé aux débats de Francfort. Il reste cependant indénia- '

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966

Le langage à Baltim.ore

• purs ». Dans cette perspective, la rencontre de plusieurs rapporteurs sur un problème proprement linguistique, celui de la personne du verbe, était symptomatique. E. Donato présenta un exposé général de ces problèmes dans un texte intitulé «Modèle linguistique et langages critiques », où il essayait également de retrouver la continuité historique entre le courant d'idées actuel et la pensée des années qua­rante.

Les propriétés du langage telles que les décrit la linguistique furent à la base de plusieurs communications _ Mais l 'analogie avec la littérature était recherchée à des niveaux divers : entre linguistique et poétique (N. Ru­wet) , entre linguistique et littérature (R. Barthes), entre langage et litté­rature (T. Todorov). Roland Barthes insista sur la parenté entre la démar­che des linguistes qui se penchent de plus en plus sur les propriétés du langage, mises en jeu par l'œuvre littéraire, et celle des écrivains moder­nes dont le propos essentiel se résume à une méditation sur le langage. Pour appuyer son dire, il analysa les notions de temps, personne et voix dans leur réalité littéraire et linguisti­que: le problème de l'écriture ne sera-t-il pas une transformation du problème linguistique du verbe? N. Ruwet s'éleva contre une assimila­tion hâtive de la poétique à la linguis­tique : malgré certains traits communs. la seconde ne pourra jamais se substi­tuer à la première. L'obstacle majeur est le fait que l'objet de la linguistique est l'aptitude de créer incessamment de nl'uveaux énoncés, alors que celui des études littéraires est composé par des textes finis.

Des problèmes plus concrets encore ont été soulevés dans les communica­tions de G_ Rosolato, J.-P. Vernant et J_ Hyppolite, Parlant sur • La voix et le mythe littéraire", le Dr Rosolato a décrit la • voix relative» qui « serait

comme l'indice d 'une serie d'opposi­tions grâce auxquelles le sujet, par rapport au discours, exerce son mou­vement d'effacement et de retour, de battement -. J.-P. Vernant a esquissé une approche de la tragédie grecque, enrichie par les résultats d'une analyse linguistique raffinée du texte , et a soulevé le problème de l' intégration du contexte historique dans la significa­tion interne d'une œuvre. J. Hyppolite a traité, dans son intervention, de la philosophie en tant que type de dis­cours, recherchant, à partir de la pré­face de la Phénoménologie de l'esprit de Hegel, ses propriétés sémantiques et formelles.

Dans une des dernières communica­tions de ce colloque, Jacques Derrida a su trouver une base commune aux pro­blèmes soulevés par les différentes sciènces humaines, en interrogeant leur rapport envers la philosophie_ Prenant l'exemple- de l'ethnologie et plus par­ticulièrement de Lévi-Strauss, il dé­montra les limites du prétendu • refus de la philosophie - pratiqué au nom d'un esprit scientifique_ • Le passage au-delà de la philosophie ne consiste pas à tourner la page de la philoso­phie (ce qui revient le plus souvent à mal philosopher) mais à continuer à lire d'une certaine manière les phi­losophes [ ... ] Faute de poser expressé­ment ce problème, on se condamne à transformer la prétendue transgres­sion de la philosophie en faute ina­perçue à l'intérieur du champ philo­sophique. - En face de cet empiriSme, Derrida a dessiné l 'éventualité d'une autre réflexion qui consisterait à • questionner systématiquement et ri­goureusement l'h i s toi r e de ces concepts" que nous employons. et qui • tente de passer au-delà de l'hom­me et de l'humanisme - au lieu de chercher dans l'ethnographie l'. inspi­ratrice d'un nouvel humanisme ».

Les sciences humaines resteront­elles toujours humaines?

Tzvetan Todorov

Le Forum de Francfort

ble que les textes lus et les concep­tions des participants se distinguent assez profondément des idées de leurs aînés_

Déjà la première génération des écrivains allemands d'après - guerre s'est Signalée par un besoin d'expéri­mentation qui a eu deux conséquen­ces : d'abord une rupture avec la tra­dition littéraire allemande et ensuite une reprise de toutes les influences étrangères_ La seconde génération, elle, est carrément obsédée par l'ex­périmentation_ Les textes lus, à quel­ques très rares exceptions près, étaient tous à l'extrême pointe de l'avant-garde. Expériences stylistiques ou verbales, parfois même purement grammaticales ont triomphé à ces rencontres.

On pourrait croire que des lectures d'œuvres de ce genre manquent de public_ Erreur: toute une jeunesse passionnée se bousculait pour écouter ces écrivains, discutait les textes, cri­tiquait ou louangeait, mais participait toujours avec un intérêt soutenu_ Chez ces jeunes écrivains on sentait aussi l'influence qui venait d'au-delà des frontières allemandes et c'est certai­nement Beckett qui a marqué le plus profondément cette génération_ Parmi les critiques on retrol :'.'lIit également les modes internationales: la IInguis· tique et le structuralisme ont fait prime et j'ai été même étonné, à la première discussion à laquelle j'assis­tai et où une jeune femme en mini­jupe . et total-look lisait des textes par­ticulièrement difficiles, d'entendre sur­gir brusquement d~ns la discussion le nom de Saussure,

Ouelques écrivains déjà chevronnés (Erich Fried, l'auteur de La Fille et le Soldat et Werner Heissenbüttel, un des meilleurs poètes allemands d'au­jourd'hui) ont fait la liaison entre deux générations_ Des critiques anglais, tchèque et yougoslave ont participé à ces discussions, leur donnant ainsi un caractère international, alors que le Groupe 47 se contente de voyager de Stockholm à New York (et l'année pro­chaine probablement à Prague), en se limitant à une participation exclusive­ment allemande.

F, E.

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Page 26: La Quinzaine littéraire n°17

SÉLECTION DE «LA QUINZAINE»

PoUr Noël • •

. Pour les très • Jeunes ·

De4à6ans

Henri Maik. L'oiseau charmant, charmant Desclée de Brouwer éd., 5 F 70.

Un joyeux petit livre imaginé et illustré par un peintre qui n'a pas pensé aux 10 commandements pé­dagogiques et a fait ce qui lui plai­sait. Les couleurs sont fraîches, la composition des dessins originale.

Ericho Kishida Debout! Mon brave hippopotame Images de Chiyoko Nakatani Coll. Le Père Castor Flammarion éd. 7 F _

Peint avec beaucoup d'air et de couleurs. Les illustrations ne crai­gnent pas les gros plans et portent allègrement un texte elliptique qui au fond n'a pas d'importance.

De 6 à 12 ans

Eva Janokovszky Si j'étais grand Illustrations de Laszlo Réber Flàmmarion éd. 6 F

Cet album, traité comme des des­sins d'enfants au crayon de cou­leur, raconte sur un rythme de des­sin animé ce qu'un petit garçon désirerait taire.

John Burningh.am Borka Flammarion éd. lOF

Les aventures d'une oie sans plu­mes ·racontées avec un humour an­glais, une gentillesse anglaise, une poésie anglaise.

Henriette Filloux Cherche ma maison Illustrations de Philippe Thomas L'Ecole des Loisirs éd. 7,80 F

Un album original coupé en deux. Chaque page comprend deux élé­ments qui sont dispersés dans le livre grâce à' une section horizon­tale. En bas, un enfant (indien, écossais, etc.) en haut une maison : il s'agit de trouver la maison qui corresponde. Le texte aide à trou­ver la solution.

Laurent de Brunhoff Bonhomme Hachette éd. 8 F

Un nouveau ·personnage tout rond et gentil créé par l'auteur des Ba­bar.

26

Une illustration de J ean-J acques Cor;es pour Cl Le chat et le Diable » de James Joyce.

Jean Merrien J anig le mousse Illustrations de Marie Wabbes L'Ecole de Loisirs éd. 5,10 F

Jean M errien, le spécialiste des his­toires de mer, imagine qu'un petit mousse à bord de L'Heureuse sur

De 6 à 10 ans

Laurent de Brunhoff Je parle anglais avec Babar Je parle espagnol avec Babar Je parle allemand avec Babar Hachette éd. 7,50 F

Comment apprendre les langues en jouant.

Sir Chrysostome Le bricolage est un jeu ' d'enfant Dessins de Michel Oliver Coll. Jeux d'enfant Plon éd. 25 F

Un nouveau « faites-le-vous-même­c'est-si-facile » illustré à la 'diable et amusant comme d'habitude.

Miroslav Sasek La Grèce Coll. Les Sasek Casterman éd. 13,50 F

Sasek, le peintre-humoriste-voya­geur s'attaque cette fois à un enor­me sujet. L'atmosphère est forcé­ment plus « culturelle», mais dès

, que Sasek oublie les ruines et , les grands points de vue, il est toujours aussi drôle, vif et ironique.

la mer de Guinée en 1696, écrit sa A pàrtir de la 6-vie au jour le jour.

James Joyce Le chat et le diable Gallimard éd.

Le 10 août 1936 James Joyce écrivit à son petit-fils la légende du pont de Beaugency construit par le Diable en une nuit.

Séries

Filles de 6 à 8 ans

Maud Frère Le Journal de Véronique Illustré par Nadine Forster Volume VIl : La mer Volume III : Noël Tisné éd. 8,40 F

V éronique est une petite fille ba­varde qui raconte ses joies et ses déceptions, ses farces et ses dispu­tes. Le texte de Maud Frère est agréablement désinvolte, direct, vif.

Filles et garçons, de 4 à 9 ans

Laurent de Brunhoff Les Babar Babar à N ew York Hachette éd. 7,50 F

Le roi des éléphants fait un voyage aux U.S.A.

Astérix chez les Bretons Texte de R. Goscinny Dessins de A. Uderzo Coll. Astérix Dargaud éd. 6,90 F

Un esprit de potache chauvin, as­tucieux et de bonne humeur qui enchante la majorité de la popula­tion française - sauf quelques in­corruptibles ... Il y a un phénomène Asterix comme il y a eu un phéno­mène Bardot. Cette fois nos Gau­lois traversent la Manche.

Curiosité satisfaite

Filles et garçons, de "1 à 13 ans

M. Elting Pourquoi? Comment? Illustrations de T. Mauricke RST éd., 17,50 F

Pourquoi l'araignée ne se prend­elle pas dans sa propre toile? Pour­quoi éternuons-nous ? etc. etc. une suite de questions innombrables et des réponses claires, nettes qui sa­tisfont les enfants. Les illustrations très « livre de classe » sont volon­tiers oubliées car le texte est très divertissant.

A partir de 12 ans

J.B. Snell Premiers chemins de fer

Vesey Norman Armes et armures Coll. Plaisir des images Hachette 20 F

Le titre de la coll~ction est bien choisi, les illustrations parlent tou­tes seules. Le lecteur les feuillette avec joie. Le texte précis est très sérieux.

A partir de 14 ans

L'ère des armes secrètes avec une introduction de Pierre Boulle

Les hommes sans pesanteur avec un exposé d'Albert Ducrocq et une conclusion de Wernher von Braun. Coll. les Dossiers « Espace » Casterman éd., 13,50 F

Les textes sont allégés par des anec­dotes, des dialogues. Le sérieux rè­gRé mais jamais l'ennuyeux. Quant aux illustrations elles sont « d'ac­tualité ».

. ~ .

J ay Williams et Denise Meunier Léonard de Vinci RST éd., 17,50 F

Pas vraiment une biographie et pas du tout un livre d'art, ce volume apporte une suite d'anecdotes his­toriques, artistiques ou scientifiques qui cernent non seulement le ta­lent de Léonard de Vinci mais le replace dans son époque.

M.D . . Poinsenet Jésus Illustrations tirées de l'œuvre de Fra Angelico Desclée de Brouwer, 19,50 F

La vie de Jésus est racontée d'une manière intelligente et simple, et merveilleusement illustrée par des reproductions extraites de l'œuvre de Fra Angelico.

Yves-Louis Pinaud Pratique de la voile Arthaud éd. 34,50 F

Tout! sur la technique de la voile! Les descriptions et les conseüs sont d'une grande précision, les schémas éclairent les débutants, et les pho­tos de voile sentent l'air marin.

Les oollections

Karen Calissen Minéraux et roches photos coul. de Folke Johansson Nathan éd. 9,90 F

Page 27: La Quinzaine littéraire n°17

livres d'enfants

Une illustration de Michel Siméon pour « lames et la grosse pêche )) de Roalh Dahl.

Frantz Peter Mohres Le monde sous-marin Coll. couleurs de la nature Hatier éd. 15~50 F

Les naturalistes en herbe sont com­blés par ces petits volumes frais, attrayants et intéressants.

Les diotionnaires

Jacques Baril Dictionnaire de danse

Roland de Candé Dictionnaire de musique

Roland de Candé Dictionnaire des mus~clens

Georges Sadoul Dictionnaire des films Coll. Microscome Le Seuil éd. 9,50 F

Ces volumes d'un format de poche, très faciles à feuilleter, sont très utiles. On a envie de les lire du début jusqu'à la fin, comme un roman.

Romans

De 8 à 12 ans

Comtesse de Ségur Le Général Dourakine Pauvre Blaise J.J. Pauvert éd. 16,50 F

Les volumes sont reliés en soie rou­ge avec des fer.., romantiques, le papier est bien blanc et les illus­trations de l'édition originale rap­pellent de vieux souvenirs. Ce sont de très beaux livres-bibelots raffi­nés et agréablement désuets.

La ({ Bibliothèque Blanche » : de vrais écrivains donnent aux enfants l'habitude et le goût de lire. Les histoires poétiques amusantes ont · toujours le charme de l'inattendu. L'atmosphère de la collection est ({ littéraire ». La présentation très soignée.

Roalh Dahl James et la grosse pêche Illustré par Michel Siméon Gallimard, 10 F

L'auteur de Bizarre! Bizarre! Ter conte le merveilleux voyage d'un petit garçon et de ses amis les in­sectes qui traversent l'océan à bord d'une énorme pêche. L'humour insolite de . Roalh Dahl convient fort bien à ce monde mi-réel mi­imaginaire. Les dessins sont agréa­blement surréalistes.

Yvonne Escoula Contes de la Ventourlère Illustrée par Tibor Ssemus Gallimard éd. 10 F

Les chats bretons ont le pied ma­rin, les rouges gorges sans plastron peuvent être pris pour des souris et les perroquets répondre au nom de Minet. Tout cela est normal lors­que y vonne Escoula l'écrit de son ton tranquille et parfaitement na­turel.

Erich Kastner Le petit homme Illustré par Horst Lemke Gallimard éd. 10 F

L'auteur de Emile et les détecti­ves a imaginé un nouveau. Tom Pouce, magicien jeune et inventif: bien que son lit soit une boîte d'al­lumettes il devient une vedette in­ternationale.

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966

• • • • • • • • • • •

De 13 à 16 ans • • •

La ({ Collection Plein' Vent » :. pour les enfants (surtout les gar- • çons) qui ne savent jamais quoi· lire en dehors , des classiques, celte : collection d'aventures est parfaite. •

Anthony Fon Eisen Le Prince d'Omeya Laffont éd., 10 F

• • • • • • • En Syrie au XVIIIe, un prince.

doit fuir dans le désert mais il est • monté sur la plus belle jument du • monde. Leurs aventures racontées • avec une grande sensibilité et juste : ce qu'il faut d'exotisme se lisent • d'une traite. ' •

Ian Cameron Le cimetière des cachalots Laffont éd. 10 F.

• • • • • • •

Selon le folklore Eskimo toutes les • baleines vont mourir dans le même · · lieu sinistre appelé les Bouches de • l'Enfer... mais les ' chasseurs à la : volonté inébranlable ne sont pas • arrêtés par des superstitions... Un. récit bien mené jusqu'à la dernière • page, car les émotions des persan· • nages renforcent les tlangers. • • • •

Michel Peyramaure • La vallée des mammouths • Laffont éd. 10 F • •

• Dans les montagnes couvertes de • neige du Périgord d'il y a trente • mille ans, deux adolescents fuient • leur tribu après une injustice. •

Pour bibliophiles

• • • • •

Les « Jeunes Bibliophiles » : Une: collection de très beaux volumes. pour ceux qui ont déjà le respect et • l'amour des livres. Les couvertures • attirantes et luxueuses, le papier· bien épÜis, la typographie claire, et : . les illustrations nombreuses sont. bien adoptées à chaque volume. •

• Théophile Gautier Le roman de la momie Gautier-Languereau éd.,

.. • • • 22 F •

• Les nombreuses illustrations en. noir et en couleu~s forment à elles • seules toute une documentation sur • l'Art Egyptien. :

Gérald Durrell Féeries dans l'île Gautier-Languereau éd., 22 F

• • • • • • • Le frère de Lawrence Durrell se.

souvient avec bonheur des cinq all- • nées qu'il a passées dès l'âge cIe· dix ans dans l'île de Corfou avec • une famille follement encombrall-: te au milieu des animaux les plus. divers. •

Marie-Claude de Brunho" • •

VILD la plus belle sélection

de livres d'étrennes

t. _ _ _

'"GENS DE JUSTICE texte de Julien Cain

GENS DE ~ MEDECINE

texte du Professeur Mondor

chaque volume contenant 48 dessins en 2tons de Daumier 67.70 F

les meilleurs dessins du XIX· siècle 102 plall'Ches couleurs 154 F

ET BALLET .... ~-: d'aujourd'hui

SERGE LIDO

Serge Lido .Préface de Georges Auric de l'Opéra de Paris 20 illustrations 54 F

'" l' ,PAYS ;;.: ............ ~;=~? ~BASQUE par Francis Amunatagui

L'ILE DE FRANCE par Jacques Perret

chaque vol. 30.20 F

NUBIE splendeur sauvée texte de Max-Pol Fouchet

NAQUANE VAL CAMON ICA découverte d'une civilisation

texte de Claude Roy

chaque vol. 260 p. 160 illustrations noir et couleurs 49,35 F

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Page 28: La Quinzaine littéraire n°17

PARIS

On se demande ce que serait la vie musicale de Paris sans l'exis­tence du Domaine musical. En premier lieu, ses concerts ont le grand mérite d'avoir fait connaître au public parisien les musiciens de l'Ecole de Vienne qui sont à la source de la cc musique nouvelle ». Arnold Schoenberg, Alban Berg et Anton Webern ne sont plus de simples noms. L'univers sonore propre à chacun d'eux, leur lan­gage musical spécifique, leurs res­semblances et leurs différences, tout cela est devenu familier au public du Domaine musical. Cha­cun a pu, en toute connaissance de cause, selon son tempérament et sa sensibilité, faire son choix. Tel préférera le lyrisme tourmenté de Berg, tel autre l'extrême raffine­ment sonore à la limite du silence de Webern, tel autre le sérieux tout germanique et un peu lourd de Sèhoenberg. Le Domaine musical a réussi avec persévérance à familia­riser l'oreille parisienne, dont on sait la proverbiale légèreté, avec une musique qui n'est jamais légère. Ce n'est pas rien.

Mais il y a plus. C'est grâce à ces concerts que Paris ne fait pas figure de ville de province dans le monde de la musique vivante ; celle d'aujourd'hui, celle qui se fait devant nous, au fil des jours, avec ses audaces et ses naïvetés, ses réussites et ses échecs, ses œuvres véritablement novatrices et celles qui se contentent de suivre la mo­de. En bref, depuis leur création sous l'impulsion de Pierre Boulez, voici quatorze ans, les concerts du Domaine musical sont, à Paris, le champ d'expérience de la musique

, nouvelle. Le public parisien a appris ainsi à connaître et à appré­cier les travaux de ces jeunes mu­siciens venus de tous les horizons qui se nomment Stockhausen, Luigi Nono, Gilbert Amy, Earle Brown, Penderecki, Luciano Berio, Jean­Claude Eloy, Xenakis, Henri Pous­seur, Mauricio Kagel, Bussotti, An­dré Boucourechliev, Bruno Ma­derna, et bien d'autres. ' A force d'écouter leurs œuvres (il n'est pas d'autre connaissance d'une musique nouvelle pour le public que celle qui naît de l'accoutumance, de la répétition), il s'est habitué peu à peu non seulement à une musique mais à des musiques qui avaient de quoi le dérouter, dans ses façons de sentir, de penser, d'écouter; des musiques qui ne sont pas loin d'opérer un bouleversement total de la conception musicale, et qui pro­posent à l'auditeur des structures dont la complexité et la variété n'ont d 'égal que la nouveauté.

« Il semble que la génération actuelle puisse prendre congé de ses prédécesseurs», écrivait Pierre Boule'll non sans raison. Et, plus loin, dans le même article: cc Eli­miner quelques préjugés sur un Ordre naturel, repenser les notions acoustiques à partir d'expériences

%8

Boulez au Dlusical plus récentes, envisager les problè­mes posés par l'électro-acoustique et les techniques électroniques, telle est la démarche qui s'impose maintenant ».

Un nouvel aménagement de l'espace musical, totalement rééva­lué, un temps musical nouveau, totalement libre, disponible telles sont les deux caractéristiques essentielles de l'expression musi­cale actuelle. En outre, il faut remarquer que depuis une dizaine. d'années l'œuvre musicale a cessé d'être un système sonore clos, fer­mé sur lui-même. Elle n'est plus une forme achevée, une fois pour toutes, mais un (c réseau de possi­bles », qui se modifient sans cesse. L'œuvre ouverte accueille l'aléa­toire, le hasard.

(c L'univers de la mus i que aujourd'hui, écrit Boulez, est un univers relatif; j'entends: où les relations structurelles ne sont pas

Pierre Boulez

définies une fois pour toutes selon des critères absolus; elles s'orga­nisent, au contraire, selon des schémas variants. »

Le dernier concert du Domaine musical offrait deux œuvres -très différentes l'une de l'autre -où s'incarnent parfaitement ces tendances.

Les Zeitmasze (mesures de temps), de Karlheinz Stockhausen, pour flûte, hautbois, cor anglais, clarinette et basson qui datent de 1955-56, sont une œuvre à « forme variable ». Chacun des cinq instru­mentistes a sa (c mesure de temps » - un tempo « aussi vite que pos­sible », un autre « aussi lent que possible », un tempo «rallentando»

DODlaine

ou (c accelerando». Toutes ces c( mesures de temps» - qui sont fonction des capacités de l'instru­ment et de celui qui en joue - ' se juxtaposent, se superposent avec la plus grande indépendance à l'égard du chef qui dirige les exécutants.

Eclat, de Pierre Boulez, est écrite pour quinze instruments: neuf instruments à clavier ou à per­cussion, , C( instrument, dont le son n'est plus modifié après l'attaque », plus deux cordes, deux cuivres et deux vents. Le chef d'orchestre joue de ces instruD1ents comme d'un clavier. Par des signes de la main, il traduit sa volonté de l'ins­tant aux exécutants - signes qui déterminent les uns l'ordre cycli­que de certaines figures, les autres les 'départs, les troisièmes les tempo, les intensités. Cette sorte de jongle­rie correspond à une complète liberté rythmique, traduit une libre durée sonore. Comme le confiait Boulez à Martine Cadieu dans les Nouvelles littéraires, « il y a une notion particulière du temps dans Eclat: des moments d'action et des moments de contemplation se suc­cèdent». C'est ainsi que toute la première partie de l'œuvre est par­semée de points d'orgue, de points d'arrêt. Boulez dit encore: « Je dis­tends, en dirigeant, ou je raccour­cis, les signes sont ou très rappro­chés ou très écartés. C'est une conception du temps non direction­nelle: on ne va pas vers un but, on vit dans l'instant comprimé. /'ai voulu créer une « poétique de l'instant. »

Cette C( poétique de l'instant » le compositeur ne l'a pas créée seule­ment par le sentiment de la durée, mais par l'extraordinaire raffine­ment de la substance sonore, par l'extrême mobilité de la couleur et la 'subtilité complexe des combi­naisons de timbres. D'une grande concision ( elle ne dure pas plus d'une huitaine de minutes) l'œu­vre fascine véritablement l'audi­teur. Elle est comme un bel objet qui brille de mille feux subtils et chatoyants. Elle frap­pe par sa richesse, la tension secrète qui la soutient et la vitalité qui l'anime : il ne s'agit pas d'un jeu raffiné et gratuit de ,sonorités. Elle n'est pas sans nuire aux Zeitmasse de Stockhausen qui la précédaient - œuvre, certes, de grande virtuosité, mais dont l'aus­térité n'évite pas toujours un aspect quelque peu démonstratif. On se dit en l'écoutant que son auteur est bien de la même race qu'un Paul Hindemith, comme on 1

se dit en écoutant Eclat que Boulez est le digne descendant de Debussy - et pas seulement par la sensua­lité sonore de sa musique; Une per­pétuelle invention, une vérité abso­lue, une constante audace à l'inté­rieur d'une exigence formelle intransigeante - telle était la leçon de Debussy, tels sont les préceptes que Boulez met en action.

Henri Hell

« Si l'Anarchie au XIX' siècle a été mise en échec, c: est parce que les anarchistes ne disposaient ni des moyens ni des solutions pra­tiques pour arriver à leurs fins. Aujourd'hui, nous disposons ou nous devrions disposer des moyens et de la technologie nécessaires pour mettre en pratique l'Anarchie, pour vivre sans être gouvernés. L'économie doit redevenir naturelle, c'est-à-dire non financière. Les puissances possédantes deviennent de plus en plus écœurantes. Voyez le Vietnam, c'est indéfendable. »

Ainsi parle, d'une voix très dou­ce, un homme souriant, celui pour qui l'Anarchie est un mode de pen­sée, une manière d'être : John Cage. L'influence de cet homme rayonne avec intensité sur la mu­sique et l'art actuels, elle s'exerce en profondeur sur la culture paral­lèle, que ce soit à Tokyo, à Buenos Aires, à New York, à Nice, à Stockholm, à Prague ou à Paris. MacLuhan, à coup sûr, s'est ins­piré de Cage et vice versa, d'ail­leurs. Cage ne cherche cependant pas à conyaincre, ni à s'imposer -:- il se contente de rayonner.

Il regarde par la fenêtre, il rit en fermant les yeux, il émet des signes clairs, audibles, dans un code très simple. Il ne dédaigne pas d'enseigner, au contraire, mais par des méthodes qui réinventent l'idée d'enseignement. Il retraMlllet ce qui lui a été transmis, c'est tout. Son passage vers 1952 au Black Mountain College a provo­qué une mutation - dans le sens de l'ouverture de l'œuvre à la c0-

opération créateur-public - qui n'a pas fini d'affecter la musique, la littérature, la peinture, et ce qu'on a plus tard appelé le hap­pening. Dans sa classe de la New School for Social Research, il se borna à discuter de son travail avec ses élèves (qui allaient devenir les forces vives de l'avant-garde new­yorkaise). Ils discutaient ensuite de leur propre travail, pour faire con­naissance. Son cours, en fait, consis­ta uniquement en travaux prati­ques. Les « élèves» réalisaient en classe des concerts et Cage, dans son rôle de « Maître », stimulait leurs recherches èt leurs expérimenta­tions sans', jamais leur imposer ses Vues, ni sa direction. Il apportait à la musique un nouvel état d'es­prit : l'indéterminé . .

La voie qu'il ouvrait allait trans­former peu à peu l'arrière-monde, inexploré, sauvage, de l'Art (avec un grand A) en un monde nouveau que notre génération allait pouvoir défricher et habiter. Il est de cette lignée - Satie, Schwitters, Picabia, Duchamp, Artaud - qui a repous­sé les frontières, les limites de l'activité créatrice, beaucoup trop loin disent ses adversaires. Un dis­ciple, Dick Higgins, du groupe Fluxus, composa une pièce ' intitu­lée Danger Music où l'on coupe les cheveux de l'auteur. Un critique outré vocifère: ([ En quoi est-ce de la musiquc? li et Higgins de ré­pondre: «; C'est audiblé, donc c'est

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John Cage entouré de • vIte "nus,

de la musLque. » Cage approuve sans réserve.

D'après lui, contrairement à la légende, Marcel Duchamp n'a ja­mais cessé de travailler. « Ce qu'il fait, ce qu'il vit, voilà son œuvre. On a simplement tardé à prendre conscience de ce qu'il la continuait sans pinceaux, ni tubes, ni toiles. » Quant au concert, Cage pense qu'il est partout, dès que la perception est branchée. L'accent est rus sur la perception plutôt que 'sur la conception ou la production. A ses yeux, à ses oreilles, le concert est une célébration inutile; cela ne l'empêche pas de continuer à en faire, pour voir, pour entendre ce qui arrivera. Cette contradiction lui rappelle une histoire qu'il a lue dans Suzuki. Une femme, un seau à la main, s'approche d':un puits. Elle s'aperçoit qu'un superbe mas­sif de belles de nuit en obture l'orifice. Pour ne pas déranger les fleurs, elle renonce à puiser de l'eau et rentre chez elle écrire un poème. Suzuki ajoute que c'est le fait d'écrire qui la fit passer à côté de l'illumination. Le poème a tout gâché en essayant de signifier (de se substituer à) l'événement.

Cage me parle de son souci d'en­gager l'auditeur dans sa musique au lieu de lui fournir un « pro­duit » tout fait, achevé. Il est pour le do it yourself. Je lui ra­conte que la veille, au Théâtre de France, j'avais assisté à une repré­sentation des Paravents. En dépit d'une mise en scène solide, du talent considérable de quelques in­terprètes, du texte souvent beau, ce n'eût été pour moi qu'une bonne soirée - avec tout ce que cela comporte d'édulcoré, de convention­nel, par rapport à la légalité cul­turelle si la représentation n'avait été interrompue " par cer· tains spectateurs sortis de leur iner­tie. Non que j'éprouve la moindre sympathie pour les boy scouts de la Décence qui piquent une crise fasciste lorsque, sur scène, quel­qu'un parle de bander ou de mourir en chiant - Genet moins que qui­conque n'a de leçon à 'recevoir des minus de l'Occident chrétien qui, au fond, entérinent simplement l'Ordre moral de France-Dimanche et de la Télévision d'Etat - mais, en tant que phénomène dramati­que, cette participation du public apportait à la pièce" une dimension qui lui faisait défaut : celle de l'échange et du danger réel. Hélas! une fois les pétards éteints, les sacs de farine lancés, le public regagne ses places numérot~es et la pièce repart « normalement », dans la continuité et la direction prévues, comme si rien ne s'était passé. Le « bon sens » théâtral , reprend le dessus. Genet l'a senti puisqu'il écrit à Roger Blin : « Le jeu des " interprètes est à la ré(J,lité militaire ce que leurs bombes fumigènes sont à la réalité du napalm. » La grandeur de Genet réside tout de même dans le début d'incendie qu'il" a provoqué dans les esprits.

John Cage, au contraire, s'est

toujours méfié des structures qui court-circuitent d'avance toute par­ticipation de l'auditoire. Il pense que le théâtre des opérations doit rester ouvert pour que les specta­teurs puissent transgresser l'inter­dit qui les isole, les retient et les fige. Il les a souvent invités à bouger, mentalement et physique­ment, avec ce résultat que, à l'un de ses concerts à l'université de Rochester, ils ont bel et bien pris possession des lieux. Alors qu'il jouait un morceau d'Ichianagy avec David Tudor et deux musiciens canadiens, des spectateurs affublés de costumes extravagants (volés dans un magasin) s'étaient mis à vendre des bonbons, à manger et à boire dans la salle. Du balcon, on déversa des morceaux de papier et tout cela était dirigé par quelqu'un qui était monté à la place du chef d'orchestre. « Soudain, dit Cage, la scène était prise d'assaut par la foule. Quelques personnes âgées, venues écouter un concert normal, repartaient furieuses.» Cage, ce-

John Cage

pendant, était radieux et, en le di­sant, il éclate de rire. « Les ma­nifestants n'étaient pas contre la musique. Pour eux le concert était un panty-raid1 ! Pareillement, lors du récent happening du festival de Cassis, la foùle a bousculé les règles et les contraintes pour se jeter littéralement à l'eau, dans le port, et attraper le Serpent du Loch Ness. A Rochester, les spectateurs avaient investi le cercle magique et joué à être Cage. Celui-ci ne considère pourtant pas la musi­que comme un jeu infernal. Il opte pour le maintien de certaines règles dictées par des impératifs techniques et une permanente exi­gence de qualité dans l'exécution. Il a horreur du bâclé.

La danse le faséine. Il la voit liée à la mort, à la destruction, au

La Quinzaine littéraire, 1·" au 15 décembre 1966

corps humain. La finitude de la danse contraste avec l'infinitude de la musique. Depui~ quelques années, il est directeur musical de la compagnie Merce Cunningham, venue à Paris pour le IVe festival international de Danse. Du 9 au Il novembre on a pu assister à quatre spectacles épurés, désormais classiques en regard de l'avant­garde actuelle, mais qui, dans le contexte de ce festival académique, ont dû paraître plutôt audacieux.

En quoi consiste la partition que Cage a composée pour Variations V ? D'abord, il a voulu que ce soit le mouvement même des danseurs qui provoque la musique. Des an­tennes sont placées sur scène de manière à capter les mouvements et déclencher des émissions de sons. Aussi, seize yeux photo-élec­triques balayent la scène et, lors­qu'un dangeur interrompt un fais­ceau, cela déclenche d'autres émis­sions. Des radios, un circuit de télévision, toutes sortes de projec­tions de films et de diapositives

sont utilisées - créant dans l'es­prit de ceux qui s'ouvrent à l'ex­périence, un phénomène de disso­ciation - ainsi que des enregistre­ments sur bande, The Williams Mix des cigales et des oiseaux de Saint­Paul-de-Vence, quarante-huit heu­res d'eau coulant d'un robinet dé­fectueux, dont Cage dit que la sonorité est semblable à des instru­ments de percussion indiens sans cesser "d'être l'enregistrement d'un événement naturel, non intentionné. Variations V, ,ce collage déroutant, déboussolant, de matériaux et de techniques qui s'inscrit dans le courant le ' plus subversif de l'art actuel a été composé surtout au téléphone selon ce que l'auteur ob­tenait de ceux à qui il demandait de l'aide. La partition, publiée, a déjà été jouée par d'autres. Pour

l'écrire, il a entrepris une opération de hasard littéraire à partir du y Ching, le grand livre de divina· tion. Les réponses du Y Ching lui ont donné la matière et la structure de son texte. Notons que pendant une autre danse, H ow to pass, kick, fall and run, Cage lit au hasard et à haute voix des passages de son livre, Silence"2. Collision ou col­lage? Cela dépend du regardeur­auditeur.

Pour Winterbranch, il a choisi Sounds de Lamonte Young. 11 s'agit de la friction du verre sur du métal et de la friction du bois sur du métal, amplifiées au maxi­~um. Cage regrette qu'encore peu de gens ' passent le cap de la per­ception, au-delà de l'indignation et de l'agacement. Et pourtant, Win- ' terbranch est l'eXpérience senso­rielle par excellence. Les danseurs - abstractions indéchiffrables se meuvent dans un imposant vo­lume de silence. Des spots de scène, des projecteurs mobiles, des lumières de salle s'allument et se taisent un peu partout. On remar­que la sonorité des lumières et on devient sensible à leurs phrases, à leurs tons, intensités et directions. Ce n'est que lorsque la musique inouïe de Lamonte Young com­mence, à mi-chemin de Winter­branch, de tout casser qu'on prend conscience du silence que les lu­mières viennent de déchirer, de rendre audible et visible. Catapultés de l'autre côté de la « danse », de la « musique », de nos habitudes perceptuelles, de nos réflexes condi­tionnés, nous ne sommes plus au théâtre mais sur les lieux d'un ter­rible accident psychique dont la lecture, pleinement intensive, met à contribution tous nos sens, tous nos fluides, toutes nos possibilités de captage. Je suis sûr que nous aurons été beaucoup à avoir vécu Winterbranch comme l'initiation à une nouvelle « réalité ».

Pour Place, Cage a adopté une partition de Gordon Mumma, inti­tulée Mesa. David Tudor y joue une sorte d'accordéon électronique. Bien entendu, le compositeur ne l'a pas écrite à partir de la choré­graphie de Cunningham, il s'agit d'une rencontre de hasard. Cage joue lui-même du piano dans N oc­turnes d'Erik Satie. Mal, prétend­il en ri'ant. Comme Satie eût ap­précié cet interprète !

Tout à coup il bondit vers la porte et avant de disparaître me dit d'une voix parfaitement calme : « Nous passons de l'ère de la conti­nuité à celle de la flexibilité. »

lean-Jacques Lebel

1. Rite annuel célébré dans les Campus, au cours duquel les étudiants envahis· sent les bâtiments des étudiantes pour y dérober sur leurs personnes le plus possi· ble de sous-vêtements. Ensuite, ils les revêtent. 2. A Paris, malgré le ronron mondain et fatigué qui couvre de plus en plus les signes de révolte et de renouvellement, se trouvera·t·il tout de même quelques esprits pour accueillir èomme une très bonne nouvelle l'édition française de Si­lence que Maurice Nadeau nous annonce?

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Succès de N ovem'bre

SUCCÈS

A. Maurois J.P. Chabrol D. Lapierre C. Paysan Goscinny-Uderzo T. Capote P. Bodin G. Cesbron J. Cabanis S. Japrisot

DE VENTE

Lette à un jeune homme La gueuse Paris brûle-t-il ? L.es feux de la Chandeleur Astérix chez les Bretons De sang froid Une jeune femme C'est Mozart qu'on assassine La bataille de Toulouse La dam'e dans l'auto

SUCCÈS DE CRITIQUE

D'après les articles publiés dans les principaux quotidiens et hebdomadaires parisiens.

E. Charles-Roux J. Cabanis B. Parain M. Bataille P.A. Lesort M. Random F.A. Burguet J. Forton G. Lemercier D. Boulanger

Oublier Palerme La bataille de Toulouse France marchande d'églises La ville des fous Vie de Guillaume Périer Les puissances du dedans Le protégé Les sables mouvants Dialogues avec Dieu Les Portes

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Grasset Gallimard Gallimard Laffont Seuil Denoël Gallimard Gallimard Grasset Laffont

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LA QUINZAINE L ITT tRAIRE V OUS RECOMM A NDE

Romans français

P ierre Bourge­J osé Cabanis J .-Cl. Hémery Suzanne Prou Maurice Roche

Romans étrangers

Max Frisch William Golding Peter Hiirtling Philippe Roth

Poésie

Les Immortelles La Bataille de Toulouse Curriculum vitae Les Patapharis Compact

Le Désert des miroirs La Nef Niembsch Laisser courir

Eugenio Montale Poésies, 3 vol.

Essais

George Painter

Essais sur l'A rt

W . Fraenger

Théâtre

Marcel Proust Les années de maturité

Le royaume millénaire de Jérôme Bosch

Slavomi,r Mr.ozek T héâtre

Correspondance

S. Freud Correspondance 1873-1939

Gallimard GaUimard Denoël Calmann-Lévy Le Seuil

Gallimard Gallimard Le Seuil Gallimard

Gallimard

Mercure de France

Denoël'

Albin Michel

Gallimard

QUINZE JOURS

Voici novembre . Les arbres perdent leurs dernières feuilles . Les mar­

, chands de chrysanthèmes se lavent les dents. Les morts vont avoir de la visite.

J'avais sept ans. Ma mère m'habil­lait en catafalque, et hop! sur les tombes . J'adorais ça. Poincaré riait dans les cimetières;' j'y pleurais. Ma famille dispersait ses larmes sur plusieurs tombes. Je pleurais, moi, sur la , seule tombe de mon grand­père. Elle était à droite, un ·péu à l'écart mais elle me fascinait plus qu"aucune autre, à eause de l'in~-\ '" cription extraordinaire qui s'y '-trou­vait gravée, au beau milieu, en lettres capitales, dorées, biseautées, de , cinq centimètres:

PIERRE BOURGEADE 1874-1925

Homonyme à moi? ... Ou syno­nyme ? ... Ou même, peut-être ... ? Je n 'ai jamais pu en décider. Le mystère, pourtant, glaçait mes os. J'en oubliais de pleurer. Ma mère, voyant que je ne pleurais pas, dé­cidait que je ne priais pas et, pas­sant derrière moi pour aller déposer quelques larmes sur ma grand-mère_ elle me donnait une chiquenaude sur l'oreille, en me disant: «Prie.» Je priais. (Je ne prie plus.)

A ces rites touchants, mais mono­tones, la proximité du superbe ca­veau de la

FAMILLE DURAND-RIDEL

apportait quelque distraction. En effet, ma mère, essuyant enfin ses beaux yeux noirs, venait m'arracher à ma stagnation réparatrice , et me conduisait à une dame, en voiles de deuil, dont je pressentais vague­ment la beauté, qui tendait vers moi une main 'étroite, gantée, odo­rante. «Dis bonjour à Madame Durand-Ridel. - Bonjour, Ma­dame. - Il est gentil, votre petit garçon », disait Madame Durand­Ridel d'une voix profonde, que je n'avais pas oubliée quand elle de­vint ma maîtresse, quinze ans plus tard.

Oui, combien novembre est propre aux rêves! Et combien les Ma­dames Durand-Ridel sont belles, toutes nues, assises sur le coin des tombes, dans l'imagination des élè­ves de huitième! Qu'elles soient appelées à jouer un grand rôle dans « l'éveil des sens » dont leur a parlé solennellement (quoique à mots couverts) le préfet des études, pour les mettre en garde, dès la rentrée, ils n'en doutent pas une seconde - mais lequel? ... Nul ne les éclai­re . L'hiver vient. Des ombres s'éten­dent sur la terre. Il leur faut ap­prendre. Puis il leur faudra vivre. Puis, mourir.

7 novembre. C'esL mon anniver­saire, et c'est l'anniversaire de la révolution d'Octobre. J'aime cette admirable coïncidence. J'aime le

peuple rusSe . J'aime le cmema. Je vais voir , Octobre, d'Eisenstein.

La critique" on le sait, fait :lil fine bouche devant Octobre. « Film chaotique ... film confus ... », voilà ce que nous lisons partout. Or il est vrai qu'Octobre est chaotique, mais pas plus que la Révolution elle-

·même. Or il ès! vrai qu'Oc~obre (mais pas plus que toute révolu­tion) est un chaos d'images fréné-

Octobre, d'Eisenstein

tiques. Les plus belles sans doute du cinéma. Il faut voir ces bour­geoises hystériques, - capelines, mousselines, dentelles - crever à coups d'ombrelle le visage d'un jeune combattant! Il faut voir ce cheval, tout blanc, accroché aux poutrelles d'un pont par les na­seaux, ou ces cheveux de femmes qui glissent sur ce pont, au moment où l'ouvrage métallique se soulève, coupant Saint-Pétersbourg en deux: quartiers populaires d'un côté, quar­tiers bourgeois de l'autre! On dirait 1'Age d'Or. On sent que l'univers se brise. On s'attend à voir des évêques précipités par les fenêtres, mêlés à des violons tziganes, à des boùteilles de champagne, à des fu­sils-mitrailleurs, à des cache-corset, et c'est ce qui arrive, avant la fin, lorsque le peuple et la marine s'em­parent du Palais d'Hiver. Qu'après la plupart Qe ces images, Eisenstein nous jette à la figure un symbole naïf de ce qu'elles ,peuvent évoquer dans le bas-peuple (l'impérialism~ : une machine qui écrase tout ,sur son passage; la liberté: une femme nue, etc_) n'est pas vain: car l'ou­vrier' qui tire, dans la nuit, des éoups de fusil contre le Palais d'Hiver, imagine peut-être la Libel· té sous la forme d'une femme nue et délectable, aux seins purs, qui ouvrira ses bras au peuple. Il faut aller voir Octobre, et le revoir, f>t pleurer en songe~nt aux conster­nantes niaiseries dont un René Clé­ment, flanqué de « vedettC(s » insub­mersibles, a tissé cette fable: Paris brûle-t-i1 ? Il est vrai que le Palais d'Hiver a été pris, mais que ParÏ.3 n'a pas brûlé - ni à l'aller, ni au retour.

Pierre Bourgeade

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TOUS LES LIVRES

ROMANS FRA NÇAIS

Samuel Beckett Bing Ed. de Minuit, 17 p. 10 F. Le dernier Beckett.

Marie-Anne Desmarest L'île des sortilèges Denoël , 240 p., 11,30 F. Aventures en Nouvelle­Guinée.

Robert Giraud La coupure Denoël, 200 p., 10,10 F. Conflit des générations chez les truands.

Anne Philipe Les rendez·vous de la colline Julliard, 188 p. 15 F. Le dialogue d'une mère et de sa fille.

ROMANS ÉTRANGERS

Louis Auchincloss 53' Rue tra·d. de l'américain par Solange de La Baume Plon, 416 p., 18 F. Une peinture de la haute société des Etats-Unis . .

Jacques Hamelink Le règne végétal trad. du néerlandais par M. Buysse Albin Michel, 168 p., 12,34 F. Six nouvelles surréalis· tes.

Jozsef Lengyel Le pain amer trad. du hongrois par Tibor Tardos Les Lettres Nouvelles Denoël, 208 p., 15,40 F. Quatre récits de la vie des camps staliniens.

Alistair Maclean 48 heures de grâce trad. de l'anglais par J. Gavrand Plon, 352 p., 18 F. Aventures dans les mers d'Irlande.

Frédéric Prokosch Les sept sœurs trad. de l'anglais par Marcelle Sibon Stock, 374 p., 19,50 F.

Juan Rulfo Le lIano en flammes trad . de l'espagnol par M. Levi-Provençal Les Lettres Nouvelles Denoël, 212 p., 15,40 F. Voir en p. 13, l'art icle de Jacques Fressard.

Paul André L'écrin des souvenirs Debresse, 87 p., 9 F.

Gabriel Audisio Fables Pierre Belfond, 110 p., 12,30 F.

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé Gallimard, 138 p., 10 F. Premiers poèmes de Dubillard.

Franck Jotterand Ribemont·Dessaignes Poètes d'aujourd'hui Seghers, 7,10 F.

Claire Laffay Pour tous vivants essai de biologie poétique Debresse, 91 p., 9,90 F.

Charles Le Ouintrec Stances du verbe amour Albin Michel, 136 p., 12,34 F.

Jacques Madaule Marle·Jeanne Durry Poètes d'aujourd'hui Seghers, 7,10 F.

Jean-François Waltz Les pavots et les gerbes Debresse, 103 p., 12 F.

Roland Dubillard La maison d'os Gallimard, 172 p., 10 F. Une des meilleures pièces de ces dernlère~ années.

Slawomir Mrozek Théâtre suivi de En pleine mer, Bertrand. strip-tease adapté du polonais par Claude Roy, Georges Lisowskl, et Thérèse Ozleduszyka Albin Michel. 336 p., 27,66 F. Un grand dramaturge polonais.

G. Ribemont-Dessaignes Théâtre .L'Empereur de Chine .. , • Le serin muet .. , .Le Bourreau du Pérou> Gallimard, 317 p., 18 F.

HISTOIRE LITTÉRAIRE CRITIQUE

Jean V. Alter Les origines de la satire antl·bourgeoise en France Moyen·Age • XVI' siècle Lib . Oroz, 236 p.

G.-A. Astre, A. Bosquet. J. Brown, M. dei Castillo, M. Saporta, etc. Hemingway Hachette, 296 p., 200 i11., dont 8 H.-T. en coul., 40 F. Le témoin, l'homme d'action et le romancier.

Charles-Vincent Aubrun La comédie espagnole (166-1680) P.U.F., 160 p., 16 F. Etude structuraliste et sociologique.

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966

Hermann Broch Création littéraire et connaissance trad. de l'allemand par Albert Kohn Gallimard, 378 p., 30 F. Par l'auteur des « Somnambules ..

Robert Couffignal Apollinaire Desclée de Brouwer 144 p., 4,95 F.

Alain Jouffroy Saint·Pol·Roux Mercure de France. 294 p., 24 F. Un grand poète méconnu.

Georges Painter Marcel Proust. T. ri 1904·1922 : Les années de maturité Mercure de France, 518 p., 30,85 F. Voir l'entretien avec George D. Painter, p. 9.

MÉMOIRES

Jacques Danon Entretiens avec Elise et Marcel Jouhandeau Pierre Belfond, 214 p .. 9,25 F.

lIya Ehrenbourg La nuit tombe trad. du russe par Wladimir Volkoff Gallimard éd. 376 p., 20 F. Mémoires des années ;30.

René Piédelièvre Souvenirs d'un médecin légiste Flammarion, 10 F. Ouelques-unes des plus grandes Instructions criminelles du siècle.

ESSAIS

Sidney Cohen LSD trad. de l'anglais par M.-C. Pasquier Gallimard, 211 p., 13 F. Voir en p. 19, l'article de René de Solier.

Hilaire Cuny Werner Heisenberg Seghers, 200 p., 7,10 F. Le père de la mécanique quantique.

Marguerite Gillot Amours en marge La Table Ronde, 208 p., 13.40 F. L 'homosexual ité chez l'homme et la femme.

Roger Judrin Goûts et couleurs Portrait abécédaire Plon, 256 p., 18 F. Ce que révèle la peur des mots.

Robert linssen Spiritualité de la matière ilanète, 208 p., 19,50 F. L'unité fondamentale du monde.

OuYrIIC- pa.W6s ellt:re le 6 et le 10 Ao"e_1are

POLI TIQUE HISTOIRE SOCIOLOGIE

Edouard Calic Himmler et son empire Stock, 684 p., 29,80 F. Par un rescapé du camp d'Orianenburg.

H.-C. d'Encausse Réforme et révolution chez les musulmans de l'Empire Russl:> Armand Colin, 312 p., 50 F.

Pedro Cunill L'Amérique Andine Magellan, 308 p., 20 F. Problèmes et contrastes d'une région peu connue.

Dominique Dallaymc Dossier prostitution Laffont, 316 p., 21.65 F.

Allen R. Dodd Trouver du travail à 40 ans trad . de l'amérlcaih par F. Watkins préf. de J.-F. Reve~ Laffont éd. 293 p. 15 F. Le drame de toutes les sociétés industrialisées.

René Dumont et Bernard Rosier Nous allons à la famine Seuil, 280 p., 15 F. Un tableau impitoyable

Edward J. Epstein Le rapport Epstein Laffont, 245 p., 13.90 F. Contre-enquête sUr le rapport Waren et l'assassinat du président Kennedy.

Jean Ferrandi Les officiers français face au Vietmin'" 1945-1954 Fayard, 312 p., 19.50 F.

Y. Le Gall, Nicole Phelouzat, EvelY:1e Sullerot, etc. Mass Media, t. 1., 2 et 3 Lib. Bloud et Gay, 19,50 F.

K.-S. Karol La Chine de Mao Laffont, 483 p., 24,70 F. Une importante contribution à la compréhension de la Chine nouvelle.

André Kedros La résistance grecque (1940-1944) Laffont, 544 p., 24,70 F. Le combat d'un peuple pour sa liberté.

Werner Klose Histoire de la jeunesse hitlérienne trad. de l'allemand par J. Barbier Albin Michel éd., 256 p. 18,50 F. Un secteur important de l'histoire du nazisme.

Jean Meynaud Sport et politique Payot, 324 p., 16 F. Relations des Pouvoirs publics et des milieux sportifs.

Gabriella Parca Las Italiennes se confessent Gonthier, 224 p., 12,85 F Un rapport Kinsey à l'italienne.

PHILOSOPH IE

André Amar L'Europe a fait le monde prét. de Th. Maulnier Planète, 202 p. , 17 F. Les moments décisifs de la pensée européenne.

Georges Dum~zil La religion romaine archaïque Payot, 684 p., 50 F. La continuité de l'héritage indo-européen et de la réalité romaine.

Galilée Dialogues et lettres choisies trad. par P.-H . Mlche~ Hermann, 432 p., 24 F. Première traduction française.

Alexandre Koyré Etudes galiléennes Hermann, 344 p., 18 F. Les débuts de la science classique.

Jacques Lacan Ecrits fz-uil, 912 p., 50 F. Toutes les études de Lacan.

Emile Lehouck Fourier, aujourd'hui Dossiers des Lettres Nouvelles. Denoël, 288 p., 15,40 F.

André Malet Le traité théologlco­politique de Spinoza et la pensée biblique Les Belles Lettres. 318 p.

HUMOUR

Jean Clervers Petit manuel du parfait cardiaque Promotion et Edition, 1-' 8 p. Un humoriste se penché sur • l'infarctus ".

René Goscinny Interludes préf. de Sempé Denoël, 256 p., 10,10 F. La télévision génératrice d'un nouveau genre comique.

RÉÉDITIONS

Adrien Dansette Histoire de la Libération de Paris Fayard, 416 p., 26 F.

Pouchkine Eugène Onéguine, les Récits de Belkin, La Dame de Piqua, la Fille du Capitaine, Boris Goudonov trad. par M. Bayat présenté par G. Haldas Rencontre, 624 p.,

13,55 F. Volume 1 de la série • De Pouchkine à Gorki " .

Georges Sadoul Histoire du cinéma mondial des origines à nos jours Flammarion, 719 p. , 38 F.

POC H E INÉDITS

Michel-Antoine Burnier Les uxistentialistes et la politique Gallimard, Idées. 192 p. 3 F. Sartre et ses amis. 1945-1965.

Fidel Castro Discours de la Révolution Coll. 10/18. Plon éd .• 320 p., 4,50 F.

Jean Cazeneuve Bonheur et civilisation Gallimard, Idées. 200 p. 3 F. Par le successeur de Georges Gurvitch à la chaire de sociologie de la Sorbonne.

Ernst Die:z Histoire de l'Art Islam Payot, 200 p., 6 F. Le dernier tome de l'Histoire de l'Art Payot.

Jean Duvignaud Introduction à la sociologie Gallimard .. Idées. 200 il 3 F. La SOCiologie de

. nos jours.

Pierre Foix La graphologie dans la vie moderne Payot. 180 p., 3,60 F.

Georges Gurvitch Etudes sur les classe* sociales Médiations. Un cours important de Georges Gurvitch.

Pierre Simon Le contrôle des naissances Payot, 300 p., 6 F.

POCHE

Fontenelle Histoire des Oracles et autres textes 10/18, 320 p., 6,60 F.

Karl Jaspers Initiation à la méthoo. philosophique Payot, 160 p. 3,60 F.

Henri Rochefort La lanterne Coll. Libertés Pauvert, 208 p., 3 F.

Léon Trotsky Leur morale et la nôtre Coll. Libertés Pauvert, 144 p., 3 F.

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Page 32: La Quinzaine littéraire n°17

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