La Quinzaine littéraire n°2
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e eUlnzalneLa
2 F 50 littéraire Numéro 2 1" Avril 1966
Le mythe Kennedy par Morgenthau
Une littérature américaine de l'anti-amour. Un happening
\
,~ Rostand: un surréalisme biologique
Sociologie: Margaret MeadComment on devient homosexuel. Un sonnet contesté· de
Mallarmé. 'l·~'\
LénineparL
de Jouve .Victor Hugo au microscope. Foucault:
les mots et les choses. Maurice Nadeau : le dernier visage
de Dri-eu. Apprentissages de Boulez. J . .Sternberg
et Marlène. Socialisme : où va la Chine ?Romans du Mexique, du Japon, de l'Allemagne de l'Est,
d'Italie..Magritte .Livres de la quinzaine
SOMMAIRE
a LE LIVREDE LA QUINZAINB
5 ROMANS FRANÇAIS
8
8
9 ROMANS- :éTRANGBRS
10
11
11 HISTOIRBLITT:éRAIRB
18
15 aRUDITION
18 ART
17
18 SOCIOLOGIE
19 PHILOSOPHIE
10 LIVRES POLITIQUES
11
22
28 SCIENCES
24
15 MUSIQUE
28
27 TH:lATRE
28 CIN:éMA
29 PARIS
80 TOUS LBS LIVRBS
Théodore C. SorensenKennedyArthur M. SchlesingerLes mille jours de KennedyPierre Drieu La RochelleMémoires de Dirk RaspeJulien GreenAndré HardelletDaniel BoulangerCarlos FuentesManfred BielerJohannes BobrowskiLéonardo SciasciaYukio MishimaVictor Hugo :JournalBoîte aU% lettresPaul Léautaud :Journal Littéraire, T. XIX
Pierre-Jean Jouve:Poésie 1. IV. Poésie V. VI.Mallarmé:PoésiesMichel Seuphor :Le style et le criPatrick Waldberg :MagritteMargaret Mead :L'un et rautre sexeMichel Foucault:Les mots et les chosesGeorges Lukacs :LénineCharles BettelheimRené DumontRobert Guillain
William Peirce RandelUne interview deJean Rostand
Jean-Louis Boursin:Les structures du hasardPierre BoulezIgor Stravinsky
La littérature del'anti-amour
Joseph von SternbergUn happening
LETTRES DE NOSLECTEURS
J'applaudis à votre initiativede tout mon cœur.
La France est à peu près le seulpays à ne point posséder unepresse littéraire informant le pu·blic de la parution des livres, defaçon complète et objective.
Je souhaite que vos commentaires et analyses soient succincts,concis, sans aucun privilège. Çanous changera de la « République des petits copains ».
Pour vous témoigner monapprobation, je m'inscris pourun abonnement d'un an...
Cette lettre de M. RobertChamneury, à Golfe-Juan, résume le grand nomhre de lettresqui nous sont parvenues et quicontiennent encouragements etfélicitations. Notre Quinzainelittéraire était attendue, on ladit utile, parfois « indispensa.ble ~. Enfin, nous écrivent cèr·tains correspondants, nous avonsnotre Times Literary Supplement. Ce n'est pas encore tout àfait vrai. Du moins nos amhitionsvont-elles dans cette voie.
A côté des félicitations, il y aaussi les regrets et les critiques.
Le général Mast, à Paris, sedit « intéressé » et nous félicitede notre « initiative ». Il se déclare toutefois déçu de n'avoirpas trouvé d'article sur un romanqu'il vient de lire et aime entretous.
Evidemment, nous ne pouvions parler, dans un premiernuméro, de tous les ouvragesintéressants que nous avons lus.En revanche, peut-être que notrecorrespondant y a trouvé desarticles sur des ouvrages dont ilne connaissait pas l'existence.Qu'il prenne patience. C'est surplusieurs numéros qu'il aura unevue assez complète croyons-nous,de l'actualité en toutes brancheset disciplines.
D'autres se trompent d'adresse,comme M. Chateau, à Paris, qui
attendait de lire dans la Quinzaine des « textes » et non du « verbiage critique:.. En fait de« textes », celui de Samuel Beekett aurait eu de quoi le satisfaire. De toute façon ce n'estpoint notre rôle, les revues' littéraires - il Y en a d'excellentes,bien qu'elles soient peu lues ayant pour destination essentiellede publier des textes. ·Nous endonnerons quand ils nous paraîtront exceptionnels, c'est-à-direpeu souvent. Nous voulons nousconsacrer à la lecture et à l'appréciation des livres, signaler ceuxqui nous semblent importants,mettre en garde l'acheteur éventuel à l'égard d'autres qui nousparaissent d'un moindre 'intérêt.La Quinzaine peut jouer, de cettefaçon, un rôle de guide et introduire le lecteur dans des domainesparfois peu fréquentés de la pensée écrite.
D'autres critiques nous viennent de libraires qui attendent deLa Quinzaine qu'elle leur servesurtout d'instrument d'information. Déjà, avec ce deuxième numéro, un manque est comblé avecla bibliographie de nos dernièrespages. Elle comporte les renseignements essentiels sur les livresque nous avons reçus. Ce qui nenous dispensera pas de revenir,par des articles et des études, surbeaucoup d'entre eux.
La présentation de notre journal, son format, sa mise en pagesont reçu des approbations quasiunanimes. Nous en avons faitpart à notre directeur artistique,Pierre Bernard, qui nous a dé·claré « ne pas vouloir s'en tenirlà ».
C'est également ce que nousvoudrions dire à ceux qui nousfont confiance et qui nous l'ontmanifesté soit par des lettres soitpar des envois d'abonnements :nous espérons ne pas nous entenir là. L'accueil sympathiqueréservé à La Quinzaine littérairenous en fait même un devoir.
François Erval, Maurice Nadeau Publicité générale: au journal. Crédits photographiques :
La Publicité littéraire:71 me des Saints-Pères" Paris 6. Copyright La Quinzaine littéraire:Téléphone: 548.78.21. Paris, 1966.
La Q~~aine
z
Corueiller, Joseph BreitbachDirecteur artiatique Pierre BernardAdminUtrateur, Jacques Lory
Rédaction, adminiltration:
13 rue de Nesle, Paris 6.Téléphone 033.51.97,
Imprimerie :
Coty. S.A.U rue Ferdinand-GambonParis
Publicité:
A.bonnements :
Un an : 42 F, vingt-trois numéros.Six mois: 24 F, douze numéros.Etudiants: six mois 20 F. .Etranger:Un an: 50 F. Six mois M F.
Règlement par mandat,chèque bancaire, chèque postalC.C.P. Paris 15.551.53. '
Directeur de la publicationFrançois Erval
p. 3. Cornell Capa, magnump. 4. Bob Henriques, magnump. 5. Collection p~rticulière
p. 6. Roger Violletp. 8. Robert Doisneaup. 9. H. Cartier-Bressonp. 12. Roger Violletp. 13. Paris-Matchp. 14. Giraudonp. 16 Galerie Denise Renép. 17. Galerie 101asp. 18. Galerie Louise Leirisp. 21. Agnès V~dap. 22. Keystonep. 23. R.H. Noaillesp. 26. Ed. c;lu Seuilp. 27. Roger Violletp. 28. Cinémathèque française
.p. 29. M. Franck
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
Le D1ythe Kennedy
Théodore C. SorensenKennedy.Gallimard éd.
A.M. SchlesingerLes mille joursde Kennedy.De.noël, éd.
Hans J. Morgenthan est professeur de science politique etd'histoire moderne à l'Université de Chicago. Ii dirige leCentre pour l'étude de la poli.t~que étrangère et de la politiq.ue militaire. Il a bien connul'ancien président des. Etats·Unis. Il cpnnaît de même ses.deu,x récents biographes américains. D'où l'intérêt de sonarticle à propos d'ouvragesqui, ici aussi, vont faire quel.que btuit.
Ma premlere rencontre avecJohn F. Kennedy, lors d'un han·quet organisé par l'Association·des Amis du Vietnam, me déconcerta. J'avais tenté de saisirun homme et je n'avais surprisqu'une image qu'y avait-ilderrière cette courtoisie, cetteaisance, cette distinction, cetteprécision pre s que mécaniquedans le choix du geste, du mot ?A cette question - ainsi en adécidé le destin - l'Histoire n'aréussi à répondre qu'en partie. Ily avait certainement quelquechose derrière l'image mais quelnom lui donner? Cela s'appellela grandeur, répondent Schlesinger et Sorensen et leurs ouvragespeuvent être considérés ·commedes monuments destinés à perpé.tuer cette grandeur.
c..e t t e grandeur, cependant,Kennedy l'a-t-il confirmée ous'est.il contenté de l'assumer? Jene veux pas dire par là qu'il n'yavait pas en lui l'étoffe d'ungrand président et que, si ledestin lui avait permis de faireses preuves de façon. plus éclatante, . il n'eût - pa~ . tenu sespromesses. Je dis seulement que,pour hrillantes que fussent lespromesses, le score final n'est pasconcluant. Elles reposaient pourtant sur trois qualités' 'que lesouvrages de Schlesinger et deSorensen mettent pléinement enévidence.
Avant tout, Kennedy avait . la .vertu de ne pas' se prendre ausérieux. Etre' capahle de prendredu recul vis-à-vis de son -personnage, de ne pas se laisser impressionner par lui, voilà certes ùntrait de grandeur chez un hommed'Etat. Voilà qui .lui permet, entous cas, de' considérer le mondecomme' il est, .saris se· laissertrouhIer par ses propres prohlèmes. Cette vertu, il la partageaitavec deux de nos proch'es contemporains : Eleanor Roosevelt et A.Stevenson.
Le détachem'ent de .Kennedy
La Quinzaine littéraire, 1" avm 1966
avait le tour ironique, hadin,des auto-critiques de Stevenson.Ironie vis-à-vis de lui·même quilui permettait une ohjectivitéd'autant plus grande à l'égard dessituations auxquelles il avait àfaire face. Un jour, lorsqu'ilétudia le memorandum de Schlesinger s'opposant. au déharquement de la Baie des Cochons,Kennedy fit remarquer : « Arthur a écrit un memorandum quine fera pas mal dans son livre surma présidence. », et, àvec cethumour sardonique qui le caractérisait : «Il fera tout de mêmemieux de ne pas le puhlier demon vivant. J'ai hien envie de luisuggérer un titre pour son livre :Kennedy, les brèves années ». Et,ajoute Schlesinger, lors de .laparuti.on du premier tome desMémoires d'Eisenhower, Kennedylui dit d'un ton sec : « On diraitvraiment qu'Eisenhower était in·faillihle. Quand nous ~crirons no~
mémoires, il faudra nous y pren·dre autrement ».
La seconde des trois qualités deKennedy, étroitement liée, dureste, à la première, est son intelligence, une intelligence aiguë, auservice d'une ouverture d'esprit,d'une réceptivité peu communesaux idées et aux expériencesnouvelles, et d'une nQn moinsgrande vitalité. Autant de qualitésdont manquait cruellement leDépartement d'Etat à tous les'échelons, ce qui explique l'irrita·tion qu'il provoquait chez Kennedy, ainsi que le montrent lesdeux ouvrages. La crise dramati·que de Cuha, en 1962, fut àl'origine d'un passionnant houil·lonnement d,'idées, d'opinions, deprojets, de polémiques. Loind'échapper à Kennedy, ce mouvement intellectuel. pesa sur sadécision. Et ce qu'il y a précisé-.ment d'intéressant dans cettedécision, c'est non pas le pointde savoir si elle était honne oumauvaise en soi (j'ai pensé alors,et je continue à penser aujourd'hui, qu'elle était mauvaise carKennedy n'était pas allé assezloin, ohnuhilé qu'il était par latactique à suivre vis-à-vis deKhroutchev, ce qui l'empêch.aitde concentrer tous ses efforts surla stratégie anti-castriste), maisqu'elle était le fruit d'rtn effortintellectuel collectif de grandequalité et dont l'histoire n'offrecertainenientpas heau cou pd'exemples; .,
La grandeur· potentielle deKennedy reposait également surune troisième. qualité que ·)aconjoncture historique n'a peutêtre pas hien mise en valeur maissur laquelle les ouvrages de Schlesinger et de Sorensen jettent unepleine lumière.. C'est la facultéqu'il avait de sortir grandi del'épreuve, d'en tirer, non seulement un enseignement ainsi quenous le faisons tous et comme ille fit lui-même après la déhâcle
de la Baie des Cochons, mais hienune véritahle sagesse. L'hostilitéouverte de certains généraux devait nécessairement e n t r a verl'action de Kennedy. Bien qu'ilne les laissât jamais influencersa politique, il arriva à une sortede modus vivendi avec eu.x etréussit même à les amadouer pardes concessions secondaires, com·me à la fin de la crise de Cuha,en 1962, ou au moment du traitéd'interdiction des expériences
atomiques. Il était toujours prêt àreconnaître leur valeur dans lasphère qui leur était propre, c'est·à-dire dans la conduite des opé.rations militaires. « Il est hond'avoir des hommes tels que CurtLeMay et Arleigh Burke à la têtedes troupes une fois qu'on adécidé d'y aller », fit·il ohserverà Hugh Sidey, « mais il est honde ne pas écouter que ces homomes·là au moment où on décides'il faut y aller, oui ou non. Jesuis heureux d'avoir Lemay aucommandement de l'aviation.Tout le monde sait ce qu'il pense.C'est une honne chose ».
Lorsque Kennedy parla de lacrise cubaine aux memhres duCongrès et leur exposa son plan,le Sénateur de la Géorgie,' Russel,s'opposa au hlocus ,et, préconisal'invasion ; il était soutenu par lesénateur Fullhright qÙi avait étéle seul, parmi les proches conseillers de Kennedy, à s'opposer àl'invasion en 1961. « L'ennui. ».(quand vous mettez ensemble uncertain no.mhre de sénateurs)', dit
. Kennedy à Schlesinger par lasuite, c'est qu'ils finissent tou.jours par être domi~és par celui 1
qui adopte la ligne la plus impru-'dente 'et la. plus' rigide.- C'est cequi s'est passé l'autre jour après
l'intervention de Russel : il n'yavait plus personne. Pris indivi·duellement, ils se montrent pourtant raisonnahles ». On ne peuts'empêcher d'évoquer ·le dictonromain Senatores boni viri,senatus autem mala bestia.
Ces deux ouvrages ne fontcependant pas la lumière - car,dans un sens, ce n'était .pas leurpropos - sur ce que je considèrecomme les trois grandes faihlessesde Kennedy. Faihlesses qui sontl'envers de ses vertus : une certaine tendance à confondre larhétorique et l'action, une certaine ahsence de chaleur communicative, et de façon générale ledésordre de son administration.
Dans une certaine mesure, onpeut dire qu'il y avait un véritahIe divorce entre les idées et lesactes de Kennedy (ainsi cple je l'aifait remarquer en janvier 1962dans c: Commentary ;». Il faisaitde la littérature politique d'unehaute qualité et non pas, commeun Churchill ou un Roosevelt, del'action verhalisée, une explica.tion des faits accomplis, ou uneestimation des faits à venir. Il n'yavait pas de rapport organique,dans la rhétoriqUe de Kennedy,entre les paroles et les acte.s. Lemeilleur exemple est le discoursde juillet 1961, au cours duquelKennedy s'engagea à construiredes ahris atomiques en se gardanthien de préciser le hut auquel ilsétaient destinés. Il ne resta plusà ses collahorateurs qu'à dégagerà partir de là une politique assezjudicieuse pour. s'ajuster auxparoles du Président.
Il n'y avait pas non plus derapport organique .entre les déclarations grandioses de Kennedy enmatière de politique extérieure,comme, par exemple, sur laquestion de Berlin et nos relationsavec le monde communiste, etl'ensemhle de son programmepolitique. Aussi hien, les· thÎ>sesdont il se réclamait dans sesdifférents discours étaient-ellessouvent incompatihles eJ;ltre elles.Ainsi, au cours de son voyagetriomphal en Allemagne Fédé·raIe, Kennedy se fit le championdes aspirations nationales du peu·pIe allemand. Il parla commeaurait pu le faire un hommed'Etat allemand et fut acclamé enconséquence. Sa dé~laration :c: Ich hin ein 'Berliner ~ ne doitpas être tenue pour une J:1yper.hole; elle résumait dans uneformule frappante son adhésionsans réserve à .la politique allemande.
Mais son discours à l'Université.Américaine ouvrait également denouvelles perspectives à la' coexistence pacifique avec l'UnionSoviétique. Le prohlème allemand,cependant, est, et reste, depuisvingt ans, le point névralgique de
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3
• Kennedy
la guerre froide et les Etats-Unispouvaient difficilement adopter àla fois une position intransigeantesur la question allemande et travailler à la coexistence pacifique.Les deux programmes s'excluaientl'un l'autre et il y avait lieu dechoisir. Nul ne le savait mieuxque les deux parties en présencemais la rhétorique kennedyennepréférait éluder la question.
Et c'est à cause de ce divorceentre les paroles et les actes chezKennedy qu'il ne réussit jamais ànous atteindre comme le firent unChurchill ou un Roosevelt. Nousétions sensibles à la haute tenuelittéraire et intellectuelle de sesdiscours mais ils n'avaient pas lapropriété de nous tirer deslarmes ou de galvaniser nosénergies. La seule fois où jesentis poindre en moi quelquechose en écoutant Kennedy, quiressemblait à l'émotion que jeressens inévitablement qua n dj'écoute, même aujourd'hui, lesenregistrements des discours deRoosevelt ou de Churchill, ce futlors de son discours sur la médecine obligatoire au MadisonSquare Garden.
Enfin, les incohérences de lagestion de Kennedy découlentdirectement de cette curiosité, decette vigueur, de cette inquiétudeintellectuelles qui le caractérisaient.
L'équipe de Kennedy brillaitpourtant par une extraordinaireclairvoyance et une activité débordante dont les réalisations concrètes qu'elle nous a laissées nepeuvent donner qu'une faibleidée. Ces mêmes qualités intellectuelles restreignaient et sa capacité et sa volonté d'action.Kennedy prouva à maintes reprises qu'il avait une haute connaissance des problèmes mais ou biencette connaissance n'avait aucuneincidence sur son action, ou bienelle le menait droit à l'inefficacité. Ainsi, il était on ne peut plusconscient du rôle de l'Armée dansla vie politique. Cependant, aumoment de la crise de Cuba, ilmaintint ses positions, sur laquestion des raids aériens tout aumoins, et ne fit que des concessions secondaires au moment dutraité sur l'interdiction des expériences nucléaires. Ce qui nel'empêcha pas, même après l'affaire de la Baie des Cochons où illaissa pourtant des plumes, d'accepter les conseils - constamment faux - de ces militaires ence qui concernait la situation auVietnam et d'en faire dépendre,quoique à contre-cœur, ses décisions ultérieures. Il n'était nullement convaincu des mérites dela Force Multilatérale. Il permitcependant que ce plan baroquedevînt le fondement de notrepolitique européenne. Il étaitpleinement' conscient des faiblesses du Département d' E t a t.Jusqu'au bout de son mandat,cependant, il ne chercha guère ày remédier. Il s'engagea, dans ses
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discours, à de grandes innovations en matière d~ droit civique etde politique sociale. Il laissa,cepcndant, à son successeur, lesoin de faire entrer les réformespromises dans les statuts.
Ce qui frappe, dans le gouvernement de Kennedy, c'est doncbien la disproportion entre sonintelligence de la situation et lesrésultats obtenus. Le livre deSchlesinger revient souvent etavec brio sur le renouveau intellectuel dont Kennedy a été lepromoteur. Mais si l'on étudie lesfaits, on s'aperçoit que ce renouveau n'a rien apporté de sensiblesi ce n'est un changement dans leclimat intellectuel. Au bout ducompte, si. Kennedy nous fitbeaucoup rêver à la terre promise,il ne lui a donné aucun commencement de réalité.
On peut difficilement attendrede tels ouvrages qu'ils s'appesantissent sur les faiblesses du hérosqu'ils exaltent. Les monumentsprésentent une image simplifiéedu modèle et ne reûennent que sagrandeur. Bien entendu, il fautpour cela qu'ils arrivent à nousconvaincre des qualités positivesde ce héros. De ce point de vue,l'ouvrage de Schlesinger est supérieur à celui de Sorensen. On peutmême dire qu'il est excellent eton pardonne aisément à l'ami delongue date qu'était Schiesingerd'avoir fait le panégyrique de sonchef. Etayée par une haute intelligence, un immense savoir et unexcellent jugement politique,l'analyse que fait Schlesinger dela gestion de Kennedy est mêmeun modèle du genre et ne sera pas.dépassée avant longtemps. Sesportraits de Rusk, Harriman, etBowles - pour ne citer que ces
trois-là que je connais personnellement et dont je .peux doncgarantir l'exactitude - sont nonseulement tracés avec brio, maispénétrants et justes.
L'ouvrage de Schlesinger n'estpas seulement une étude historieque de première qualité, maisaussi un document humain quinous émeut par sa noblesse, parla mélancolie, la tendresse quis'en dégagent, par la sympathieque nous inspire nécessairementle héros et aussi par des qualitésde style.
Schlesinger a manifestement unpoint de vue et c'est dans l'ordre;tout historien qui se targue d'êtreplus qu'un chroniqueur ou unarchéologue dispose d'un point devue. Et c'est le vice majeur dulivre de Sorensen d'affecter den'en pas avoir. Sorensen laisse lesfaits parler par eux-mêmes. Maisc'est une propriété' des faits derester muets quand on ne les faitpas passer par le creuset d'uneintelligence perspicace qui distingue ce qui est important de cequi ne l'est pas, et qui impose, àla masse informe des faits, unehiérarchie. Le livre de Sorensenest· à la fois informe et pédant.L'index établit, par exemple, uneliste de rubriques qui vont deKennedy et la boisson à Kennedyet f automobile, en passant parKennedy et le jeu, Kennedy etles préjugés, Kennedy et les cigarettes, Kennedy et le football,Kennedy et le GotlUt. Quant à lasignification profonde de toutcela, elle nous échappe et le livrenous apparaît comme un agglomérat assez indigeste de matériaux à l'état brut. Sorensen seconsidère comme un chroniqueuret non comme un historien. Lerésultat est que son livre peut être
recommandé comme un remèdeefficace pour les cas d'insomniegrave.
Il est pourtant difficile de sepasser complètement d'un pointde vue et même Sorensen se laissep:ufois aller à dire des chosesriches de signification. A proposde la décision prise par Kennedyde ne pas envoyer de troupes decombat au Vietnam, Sorensen ditceci :
Kennedy n'a jamais pris dedécision formelle au sujet de cestroupes. Mais dans le plus purstyle kennedyen, il s'arrangeapour ne donner aucune prise auxpartisans de fintervention. Ildonna f ordre à ses services de setenir prêts pour mettre ces trollpes en place dans le cas où leurintervention se révélerait nécessaire. Il ne cessa d'augmenterfimportance de fassistance militaire : 2.000 hommes à la fin de1961, 15.500 à la fin de 1963.
De telles notations éclairentnon seulement le passé, mais aussile présent.
Il est dommage que Sorensenne se laisse pas aller plus souventà cette veine-là. Dans la série deconférences qu'il a consacrées àl'élaboration des décisions présidentielles (publiées en 1963 sousle titre : Decision Making in theWhite House) , il a prouvé qu'ilavait de l'intelligence et du style.Harcelé, peut-être, par un éditeurtrop pressé, Sorensen a moinsécrit un livre que réuni les matériaux pour écrire un livre. Ondéplore qu'il n'ait pas écrit lelivre qu'il aurait pu faire surKennedy s'il avait bien voulu s'endonner la peine.
Hans ]. Morgenthau
© The New York Rewiew of Books.
ROMANS FRANÇAIS
Un nouveau -Drieu
Drieu La RochelleMém-oires de Dirk Raspe.Préface de Pierre Andreu.Gallimard éd.
Drieu la Rochelle lest tué, le15 mars 1945, laissant un romaninachevé. Maurice Nadeau nousparle de ce roman où Drieuprend un nouveau mage.
On nous avait promis merveilledes Chiens de paille. On sait cequ'il en fut. On nous annonceMémoires de Dirk Raspe comme« le plus grand roman de Drieu ».Cette fois, il se pourrait que cesoit vrai.
On sait assez que Drieu la Rochelle n'était pas romancier. Gillesest manqué, Rêveuse Bourgeoisielaisse le souvenir d'une ennuyeusehistoire de famille. Il excellaitdans le récit court - Le Feufollet -, les nouvelles - La Comédie de Charleroi -, ou danscertaines allégories: L'Homme àcheval. Il lui a manqué, jusqu'àces Mémoires, le pouvoir d'animerdes personnages qui ne soient paslui, de bâtir des histoires .sansrapports directs et intimes avecses propres expériences. On saitaussi que cette faiblesse faisait saforce : le lecteur se laisse facilement convaincre par qui le prendpour confident.
Dirk Raspe, c'est encore lui,mais c'est aussi Van Gogh, dont ila voulu écrire la biographie intérieUre et qu'il accompagne dansquelques étapes de sa vie. Nonpour mieux éclairer le peintre ourévéler son « secret », plutôt afinde se mesurer à un grand modèleet voir peut-être l'écart qui l'enséparait. Lui aussi a voulu être unartiste, passionnément, et c'est àce titre qu'il entend passer à lapostérité.
Il entreprend ce récit quelquesmois avant la Libération, alorsqu'il pense déjà à se tuer. On nele dirait guère, à voir son aisance,son naturel, sa sérénité. Aprèsdeux tentatives de suicide il se
cache et reprend son roman qu'ilmène parallèlement à Récit- secret.Le 15 mars 1945 il laisse en guised'adieu ce manuscrit inachevé surlequel il prend soin de noter que« manquent trois parties », quine seront jamais rédigées.
En fait, il n'y travaillait plusdepuis plusieurs mois, c dégoûtéde Dirk et de moi-même dansDirk et de Dirk dans moi-même ».On dirait que son roman l'a détourné de tâches plus graves àaccomplir avant de mourir, quel'écriture, à laquelle il s'accrochaitencore comme à une ancre desalut a perdu pour lui son efficacité.
Ce qui l'a attiré chez Van Goghc'est moins la fin tragique qu'ilsont tous deux choisie que ledestin d'un artiste affronté à unesociété qui le méconnaît et lerejette, les visions qu'une existence singulière, une peinture plussingulière encore manifestent, etqui s'achèvent dans une folietriomphante où Van Gogh seconsume. Dans la situation où setrouve Drieu, une certaine parentés'institue qui va jusqu'à la fraternité admirative. Elle le porte assezhaut pour qu'il tente de résoudreune des questions qui l'ont hanté :celle des rapports de l'art avecla vie. A quelles conditions l'artest-il plus que la vie ?
La biographie de Van Gogh luisert de canevas, sur lequel il brodeà partir des études consacrées aupeintre - on regrette qu'il n'aitpu connaître le Van Gogh d'Antonin Artaud - à partir égalementde la correspondance avec Théo.De toute façon Dirk Raspe n'estpas Van Gogh. Il n'est pas nonplus Drieu. Tenant de l'un et del'autre, il se trouve doué d'uneexistence à lui, avec ses joies, sesexpériences, ses crises d'orgueil etde timidité, sa - sauvagerie, sesamertumes. Ses aventures, à Londres, en Wallonie ou à La Haye,là où fut Van Gogh, relèvent engrande partie de l'imagination duromancier qui n'a jamais été simaître de ses moyens, si varié, siprofond. L'auteur attachant, mais
Drieu La Rochelle
si décevant aussi parfois qu'étaitDrieu, a donné toute sa mesuredans cette œuvre ultime, la plusméditée, la plus grave de cellesqu'il ait écrites.
Si les problèmes qui l'ont agitétoute sa vie ne trouvent pas icileur solution, du moins les pose-til dans leur ampleur et en s'efforçant de les éclairer. Il veut savoirpourquoi la pauvreté n'est passeulement une affaire de niveaude vie et pour quelles raisons toutest retiré aux pauvres, y compris« l'esprit ». Quelle force ataviquepousse Dirk Raspe, qui a connules misères londoniennes, à sefaire évangéliste au cœur du paysminier, en Wallonie? Pourquoilui faut-il forcer les cœurs qui serefusent et qui résistent à toutevolonté d'effraction, caparaçonnésqu'ils sont par la misère, la méfiance, la haine ? Voici le plusdéjeté des êtres, c la fille Tristesse », que Dirk tire du ruisseaupour en faire sa compagne. C'estelle qui le méprise. Comme lasylphide Evelyn qui lui a préféréun peintre mondain pédéraste.Comme la jeune veuve confite enconformisme que sa sauvagerie
effraie. Dirk porte une tare eneffet : celle de l'art, que les plusdémunis tiennent pour un plaisird'esthète, bon pour les nantis ouleurs amuseurs, et que les bourgeois - parmi eux, les peintresarrivés - taxent de folie tant quecette folie n'est pas officiellementreconnue et productrice de profitou de considération sociale. DirkRaspe doit aller au devant detoutes les rebuffades, encourirtous les mépris, partager toutesles souffrances, trouver la beautédans la laideur et l'amour dans lahaine, pour que sa peinture excèdel'art et pour que l'art soit plusque la vie. Loin de s'enfermer enson génie et de prendre par luiune idéale revanche, il fait de sapeinture l'expression d'une véritédurement gagnée qui n'est pas réponse orgueilleuse à la vie, maisrecherche nouvelle et questionnement incessant. L'auteur abandon.ne son héros à mi-route, alorsqu'est encore long le chemin quipasse par Arles et Auvers avantde conduire au suicide. C'est pourle rejoindre au terme du voyage.
Drieu ne mène pas ce débat à
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ROMANS
JEAN BLOCH-MICHEL : FroslnlaPIERRE DRIEU LA ROCHELLE: Mémoires de Dirk RaspeJULES RAVELIN: Le reste est pourles yeuxYVES VEQUAUD : Le pelillivre avaléJEAN-MARIE LE CLEZIO : Le déluge
SCIENCES HUMAINES
ELIAS CANETTI: Masse et puissanceERNESTO DE MARTINO : La terredu remordsMICHEL FOUCAULT : Les mots etles choses
LITTERATUREETRANGERE
J. M. ARGUEDAS : Les fleuves profondsPETER FAECKE : Une nuit de feuEDWARD GRIERSON : L'affaire MassinghamLEONID LEONOV: La forêt russe
ESSAIS
IWASKIEWICZ : ChopinARMAND SALACROU : ImpromptudélibéréLEON-PAUL FARGUE : RefugesRAYMOND QUENEAU: Une histoiremodèle
HISTOIREZOÉ OLDENBOURG: Catherine deRussieJ.H. ROY ET S. DEVIOSSE: La Bataille de Poillers
POESIEARAGON : Elegie à Pablo NerudaANDRE FRENAUD : L'Etape dans laclairièreOCTAVIO PAZ: Liberté sur parole
THEATREARMAND SALACROU : Théâtre VIII(Une femme trop honnête. Boulevard Durand. Comme les chardons..•)Cahiers Paul Claudel. tome VI
COLLECTIONS DEPOCHEIdées
CARMICHAEL: Histoire de la révolution russeHENRI LEFEBVRE : Le langage etla sociétéJACQUES MADAULE : Histoire deFrance. tome Il
Idées·ArtHEINRICH WOLFFLIN : Principes.fondamentaûi de "l'histoire de 1art
Poés.ePAUL ELUARD: Capitale de la dou-leur .FEDERICO GARCIA LORCA: Poésies1922-1927MALLARME : Poésies -
5
roman
de l'Académie Française
Or - nous revenons au paradoxe - en même temps que Julien Green essaye de nous inculquer sa conception magique del'homosexualité, il nous fournit
nierait volontiers aux psychologues le droit de tirer parti de seslivres. Pour lui, la cause 'du tourment dont il avoue avoir tantsouffert, on ne doit pas la chercher dans son' éducation, dansses rapports au père et à la mère.Non, aux yeux de Green, ce tourment serait né sans causes,comme par enchantement.
On n'avait jamais exposé silimpidement une conception magique de l'homosexualité. Il asuffi au petit Julien de regarderles illustrations de L'Enfer parGustave Doré pour ressentir toutà la fois la fascination et l'horreur de la nudité virile. La têted'un des ignudi de la Sixtine eutun effet foudroyant. Le petit garçon - il avait treize ans - larecopia dans son album. «Avecune application dévorante, je portai ce visage sur la feuille de papier blanc crème Slins savoir queje l'installais en: moi du mêmecoup, à tout jamais.» Les camarades de lycée firent le reste :agacés par la candeur incroyableet l'orgueil puritain du jeunehomme, ils le séduisirent dans untrain de banlieue et achevèrentainsi de fixer son érotisme dansla direction maudite.
A croire Green, donc, tout luiserait arrivé du dehors. Il multiplie 'les formules du genre de:«je ne comprenais pas », «je nesavais pas ce qui m'arrivait »,«tout m'était obscur ». L'homosexualité est présentée comme undestin, quelque chose qui voustombe d'en haut. Loin de résulter d'une histoire entre parentset enfant, elle échappe à toutesles déterminations psychologiques. Les parents furent parfaits,la mère douce et pieuse, le pèrebon et libéral, les cinq sœurs simerveilleuses d'affection.
Le jeune homme Green
Julien GreenPartir avant le jour. 1963.Mille chemins ouverts. 1964.Terre lointaine. 1966.Grasset éd.
D'autres ont dit ou diront le« charme» des trois volumes oùJulien Green, en trois ans, vientde raconter son enfance et sonadolescence. Pour nous, une autobiographie n'est intéressante quesi elle permet d'avancer dans laconnaissance du cœur humain.Qu'on prenne du plaisir à voirévoqués le .Passy de 1900 ou laVirginie de 1920, peut-être; maisce n'est qu'un plaisir subalterneet, si l'on s'y bornait, on réduirait l'autobiographie de JulienGreen au divertissement mineurd'un écrivain désœuvré.
Or, elle est tout autre choseque cela: elle est un documentde premier ordre sur une desaventures encore à demi énigmatiques où se trouve engagé maintjeune homme. Comment devienton homo8exuel? Cette question,à laquelle Proust n'a pas répondu, à· laquelle Gide a répondude la manière que l'on sait,Green à son tour la pose. avecfranchise. Le jour n'est pas loinoù le parallèle entre Si le grainne -meurt et leI! troÎs volumes deGreen sera classique. Tout distingue les deux hommes: autantGidë aiguise son intelligence pourcomprendre ce qui lui arriva, autant Green s'efforce de maintenird~ le. flou ce qu'il· présentecomme des révélations 'successives, comme des éblouissements.
Le grand paradoxe de son autobiographie, c'est d'ailleurs qu'ilcherche à soustraire sa jeunesse,et le problème qui l'a hantée, àl'investigation du psychologue.Julien Green ne pense certaine
,ment p.as que cette trilogie soitune contribution à l'étude scientifique de l'homosexualité. Il estmême sûr du contraire, et il dé-
Maurice NtJ(leau
parades et foin de la galerie. Pour'peindre la misère intellectuelle etmorale il suffit peut-être de lavivre à la façon d'un homme quiva se tuer. La mort dont on va sefaire cadeau donne de l'acuité auregard.
Sans doute est-il porté par sonmodèle et s'identifie-t-il à lui. Ona du mal à penser qu'il endosseun nouveau rôle, le dernier, etqui le flatte. S'est-il d'ailleursjamais flatté cet homme qui apassé son temps à se déchirer enpublic et toujours pris le partides autres contre lui? Avec DirkRaspe, il se donne à la fois. sapunition et sa récompense. Il aété, il est un artiste, et il importepeu de ce point .de vue que sonœuvre n'ait pas été à la hauteurde ses ambitions. Il sait aussi quesa vie est un échec. Il a joué surles deux tableaux et il a perdu sesmises pour n'avoir découvert quetrop tard le lieu abyssal où art etvie prennent ensemble leur source,là où s'est efforcé d'atteindre VanGogh. Du moins a-t-il vu ce lieuqu'il désigne du doigt. C'est assezpour cette vie; Le roman setermine sur une interrogationdésabusée, alors que Dirk vaentreprendre de raconter unenouvelle entrevue avec la jeuneveuve qui le repousse : « mais àquoi bon raconter une rencontrenouvelle avec le néant? ». Cet« à quoi bon » est celui de l'auteur.
Il aura eu néanmoins le temps,la force et le courage, dans cetteœuvre ultime, de donner la paroleau moraliste amer qu'il abritait,à l'observateur sans complaisancedes autres et de lui-même, aumisogyne qu'en fin ·de compte ilétait, au philosophe serein qu'ilentendait devenir, à l'artiste quegrandit son projet. Tous ces personnages rassemblés. obéissentpour une fois à celui qui tient laplume et tiré d'eux le meilleurqu'ils ont à donner. Accordés, ilslui composent un nOllveau visagequ'on 'se plma désormais àévoquer.
les jeux de l'Amouret de la Mort
MARCEL BRIDNde l'autre côtéde la lorêt
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~ Un nouveau Drieu
la façon d'un pédant ou d'uncritique. Il montre, évoque, anime,et ce sont de vrais drames qu'ilmonte: pittoresques, touchants ouqui se transforment en tragédies.Du sein de la famille anglaise oùDirk, adolescent, passe ses vacances, émerge une figure de pastc:ursympathiquement distrait parceque revenu de beaucoup de poursuites vaines où les autres s'épuisent, tandis que deux de ses filsincarnent la querelle dont laconscience de Dirk est le siège :est-ce la souffrance des hommesqui importe d'abord et avant tout,ou est-ce l'art, pour qui se sentartiste? Le Mr Mack, marchandde tableaux chez qui Dirk estemployé et qui -lui apprend àdistinguer la « mauvaise ~onne
peinture » de la « bonne mauvaisepeinture », la Mrs Pollock qui leloge et dont le « nu assez magnifique était la cage de la pie laplus assourdissante », Evelyn, safille, dont il tombe amoureux, laprostituée londonienne qui regimbe sous l'insulte quand Dirk luidemande de poser pour lui, autantde personnages mystérieux dansles ressorts qui les font mouvoiret que ne suffit pas à définir leuroccupation, ou leur caractère. SiDirk les voyait seulement enpeintre il se bornerait aux apparences. Le romancier veut luifaire percer des secrets qui n'enresteront pas moins des secrets.C'est à ce prix que sa peinturesera autre chose que des « couleurs en un certain ordre assemblées ». C'est à ce prix, également,que le roman existe.
Dans l'épisode wallon où Dirk,évangéliste, tente de réconciliera:vec elle-même une pauvre femmequi trompe son brave homme demari, dans les épisodes du paysde Dunthe ou de La Haye, parmiles proetituées les plus déchues, etqui le savent, Drieu se meut avecun naturel, une juste8lle de démarche, une sympathie respectueusequ'on était loin d'attendre. Il alaissé toute coquetterie à la porteet il ne se fait pas fort de paraîtrebrillant, ou intelligent. Finies les
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CODlDlent on devient hODlosexuel
toutes les preuves d'une explication par la psychologie. Le pèreétait irréprochable mais toujoursabsent, les sœurs trop nombreuseset trop aimantes, la mère, surtout,si charmante et bien intentionnée qu'elle fût, dispensa à sonfils une éducation aberrante, niplus ni moins que la mère masculine et despotique de Gide aupetit André.
Madame Green menaça sonfils, quand il avait cinq ans, dela castration (l'li cut it off, luicria-t-elle, armée d'un couteau àpain - on sait que le même cauchemar pesa sur l'enfance d'André Gide). Quand il avait dix ans,et qu'elle le baignait, elle lui désignait avec horreur certaine partie «très précise ~ de son corps.Enfin, quand il eut quatorze ans,elle lui révéla, juste avant demourir, qu'elle avait eu un frèretrès heau, très aimé, mort (desyphilis) à cause d'une femme,et qu'il fallait se garder des femmes comme de la mort. Ici encore, on songe à Gide, découvrantle plaisir à Biskra avec la jeuneMeriem mais repoussé vers lespetits Arabes par l'irruption traumatisante de sa mère.
Mère et fUs
L'enfance de Julien Green illustre avec l'évidence d'un paradigme comment l'image qui restede la mère oriente la destiné~
sexuelle du fils. L'interdit lancésur le corps, la condamnation detout ce qui touche au sexe, leculte idolâtrique de la «pureté:t,la mise en garde contre les maladies vénériennes, la désignationdes femmes comme l'ennemi mortel: en faut-il plus pour rendreun jeune homme misogyne et lerejeter à la fois vers l'amour desgarçons et vers une exaltation religieuse qui déguise de millenoms cet amour pour en masquerà la conscience la véritable nature?
Reste à savoir pourquoi Greenessaye de mettre sur le compted'une fascination magique ce quirelève d'une pédagogie désastreuse. Pour disculper sa mère(dont il voudrait nous faire croirequ'elle n'était pas puritaine!) ?Pour se disculper lui-même, enlaissant entendre qu'on n'est pasresponsable d'un charme jeté parle sort? Surtout, me semble-t-il,à cause du caractère singulier queprit sa vie sexuelle, de six à vingtdeux ans. Il y avait une apparence de magie dans les manifestations de ses instincts, et Green,qui se vante d'avoir ignoré Freud,ne peut pas savoir à quel pointce qu'il nous livre de lui estconforme aux enseignements dela psychologie la plus moderne.
Refus de aomprendre
La sexualité de l'enfant, puisde l'adolescent, ne cessa d'êtreintermittente. Eveillée brutalement par la vue d'un dessin, oud'un corps, ou par les révélationsd'un camarade, elle se rendormait ensuite pour plusieurs années quelquefois, et ce qui avaitété vécu dans les transes de l'émoile plus vif retombait dans l'oubli.Green a décrit là, avec beaucoupde justesse, ce qu'on connaîtsous le nom de périodes de latence. Et dans les élans religieuxqui, selon· lui, profitaient de cespauses pour envahir l'âme dujeune homme, comment ne pasreconnaître l'occulte travail de la·sublimation ?
En second lieu, cette sexualitéresta longtemps obscure à l'espritde celui qui en entendait les appels. Le jeune ambulancier de laguerre de 14, le jeune étudiantde Charlottesville, Virginie, pouvait tomber éperdument amoureux, ici d'un camarade, là d'unsoldat, sans se rendre comptequ'il s'agissait d'amour. Combiende garçons se sont aiDlli consumés
de désirs homosexuels sans êtreconscients de la nature de leurspenchants? Evidemment, Greeneût avancé plus vite dans lacompréhension de lui-même s'ilavait accepté de lire HavelockEllis qu'un étudiant lui prêta ou, à plus forte raison, Freud.Mais il ne voulait pas se comprendre lui-même, nous verrons dansun instant pourquoi.
Enfin, l'inversion du jeunehomme resta constamment platonique, voire cérébrale. Terre lointaine est le beau récit de l'amourtrès étrange qui lia Julien à soncondisciple Mark. Sans lui avoirune seule fois adressé la parole,et persuadé de ne compter enrien à ses yeux, Julien se contentapendant plusieurs mois, pendantplusieurs années, de rôder nuitamment devant la porte de Mark.Il trouva un jour le courage d'entrer chez lui, mais jamais celuide lui avouer sa flamme.
Bref, Green adolescent nechercha point à réaliser ses désirs, il passa à travers eux ensomnambule, comme à traversdes nappes de feu successives quile brûlaient sans qu'il sût comment ni pourquoi. Son inversion,il la vécut comme une impossibilité. Les visages, les corps quile séduisaient, tel ce marin deblanc vêtu rencontré dans la nuità Savannah, tel ce Mark brunaux joues roses, il les maintint àdistance, dans une zone d'horreursacrée où ils glissaient en fantômes.
Le visionnaire
Mais cette insistance à ne pascomprendre, cette obstination àne pas vivre ses passions, pourquoi? Eh bien, il n'y allait derien de moins que de son œuvrefuture. L'amant qui s'ignore tel,l'homme assailli d'une ardentemais chaste convoitise, le damnéqui traîne son tourment sans en
connaître la nature : sous uneforme ou sous une autre, il reparaîtra dans les romans de Green.Il sera soit le visionnaire, soit levoyageur sur la terre, soit le rêveur éveillé, ou celui qui retientson souffle derrière une porteclose, ou enfin le criminel, quiassouvit dans le meurtre une faimsexuelle inavouée. Derrière chaque héros de Green, on peut retrouver l'étudiant de Virginie,derrière chacune de ses histoires,l'histoire transposée de cet amoursilencieux, hallucinatoire et torturant pour Mark.
Virginité et érotomanie
Le mystère qui est au cœurdes romans de Julien Green n'apas d'autre origine que l'ingénuité avec laquelle il sut se masquer à lui-même le sens de .sespassions juvéniles. Ingénuité quitient du miracle, comme il le faitobserver cent fois, et que pourrien au monde il n'eût changécontre le regard froid du psychologue. De là à conclure à de lacomplaisance, voire à de la tartuferie, il n'y a qu'un pas à franchir, et de nombreux lecteurs n'ymanqueront· point, agacés par lemélange de virginité et d'érotomanie, de pratiques religieuses etde rêveries charnelles.
Qu'ils ne perdent pas de vuel'intérêt principal de cette autobiographie. Le premier volume,Partir avant le jour, resteracomme un récit classique de lagenèse d'une homosexualité. Auxdeux autres, Mille chemins ouverts et Terre lointaine, on seréférera pour une meilleure compréhension de l'œuvre romanesque. Terre lointaine, enfin, à notre époque où les amants des troissexes mènent tambour battantleurs conquêtes, est un dépaysement a s s e z merveilleux auroyaume oublié des secrets et desinterdits.
Dominique Fernande~
RENDEZ-VOUSLA MAISON DE
éditions de minuit
ROBBE-GRILLET ".25- mille
La Quinzaine littéraire, lU avril 1966 7
ROMANS FRANÇAIS
jamai8Andréde son
André HardelletLe Seuil du jardin.Roman, réimpression.J.-J. Pauvert éd.Les Chasseurs.J.-J. Pauvert éd.
André Hardellet est l'hommedes seuils et des margelle8. Sondernier roman, aujourd'hui réédité, portait le titre d'un tableau,Le Seuil du jardin - où StèveMasson, héros du livre, avait sutransporter l'essentiel d'un rêve,dont finsistance à se reproduirelui semblait un avertissement.
Rien d'autre, dan8 ce rêve, quel'approche d'un jardin à l'abandon. Mais autour du jardin, uneattente, un espoir inten8e8 - et,peu avant la fin du rêve, ce sommet dans la joie: Ma8son avaitpas8é la porte 8an8 le savoir, ilétait attendu. Une paix, un bonheur sans équivalent existaientde ce côté-là. Quelques-un8, devant la peinture de Stève Masson,ne doutaient pas de cette forteexi8tence, et c'est elle qu'il8contemplaient, debout, muets,eux-mêmes au seuil du tableau.
Dans cette pension Temporeloù vit le peintre, un voi8in amateur de Beaujolais et spécialisteen soldat8 de _plomb l'invite unsoir à fêter l'achèvement de 80npropre chef-d'œuvre: la minutieu8e reproduction d'un combatde 1870.
Il arrive que le8 801dat8 deplomb rassemblés par la patienced'un vieil arti8an dan8 une 8tratégie en forme de bataille deRézonville, subitement dévoilés,révèlent autre chose qu'un moment de guerre arrêté tout à coup- le poids du corp8 porté enavant, dan8 le mouvement 8U8pendu de l'attaque. Il arrive quele halo rose et doré de8 bougiesde Noël, avec l'odeur même dusapin d'autrefois s'en vienne soudain - au delà de toute mémoire,jusqu'à recréer l'enfance ellemême, dans son goût de nouveauté. Masson, encore une fois,a passé sans le savoir la porte ùujardin. Mais veut-il, un autre jour,retrouver l'émotion de cette surpri8e - qui l'a d'abord émerveillé? Les soldats de Rézonvillene le transportent plu8. Il n'estmême pas près du seuil. Rien ne8e pa88e. Masson ne connaît pa8son propre chemin vers ce quilui importe le plu8. Et tout leroman p08e la question de 8avoirsi l'on peut espérer des méthodesrnres pour franchir volontairement le seuil bienheureux qui 8edonne de loin en loin. Car ce n'estpas une griserie ni une vague béatitude, ce jardin abandonné, aufond de chacun. C'est une réalitéobjective qui «double » pourainsi dire tous les êtres, et ditStève Masson, je crois seulementà cette réalité-là.
Avec Les Chasseurs, AndréHardellet, abandonnant la fictionromanesque, poursuit plus que
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jamai8, et au plus près, cette réalité. Son trè8 petit livre - unecentaine de pages étroites, illustrées d'après de8 image8 d'Epinal- n'est pas ce qu'il faut pour le8champions de lecture accélérée.Au contraire. Ces texte8 brefs, enprose ou en vers, occupant peud'espace, exigent une luxueusedurée. Chacun d'eux ouvre unpuits. Qu'est-ce qu'un puits?André Hardellet le sait - en g-ros- et le dit:
Puits. Quand il se pencha surla margelle tiède, il reçut fhiver,le lierre et la profondeur enpleine figure.
Ainsi faut-il, aux margellesdes- mots, prendre le temps de sepencher. Faute de quoi, bien sûr,le livre sera mince. On peut lecomparer, en cela, il me semble,à un guide touristique : il fautfaire le voyage avec lui. Ou bienpeut-être nous ne verrons là quedu très joli français - sans savoirque cette langue, ci8elée commebijou (et Ile me dit-on pas qu'àses moments perdus André Hardellet est orfèvre ?) a une autrefonction, qui requiert, pour l'efficace, un peu de notre accord, etmême un brin de perspicacité.Car le bijou est en forme de clé.
C'e8t peut-être la clé seulementd'une boîte à musique? La« méthode :), que l'auteur rêvaitd'abord 8cientifique - pour fran-
André Hardellet
chir le seuil du jardin - devientici plus intime et plus familière,artisanale, empirique, et son ambition n'y perd rien. N'ayant plusd'e8poir en l'avenir de8 machinesà hypnose, André Hardellet porteun regard attentif (jusqu'à -êtresoupçonneux) sur ce que noussavons le mieux : il y trouve souvent la présence du secret. CadetRousselle est très suspect. L'amiPierrot cache aU8si quelque chose
- et l'auteur dit sa perplexitéSUT rune des plus énigmatiqueschansons jamais écrites :
Va chez la voisineje crois qu'elle y est...Une plume qui manque, une
chandelle morte et un feu assoupine sont guère faits pour éclaircirla situation entre les trois saltimbanques nocturnes: le blanc, labrune et le bariolé.
... Ils doivent en savoir, toustrois, beaucoup plus long qu'ilsn'en disent.
C'est peut-être le fin mot?Nous en savons tous beaucoupplus que nous n'en di80n8. Nousfaisons, pour vivre, un peu semblant d'être bêtes: André Hardellet nous le rappelle opportunément. Il franchit souvent dansun sens et dans l'autre, ces portes d'ivoire ou de corne qui nousséparent du monde invisible, dontGérard de Nerval (qu'il invoquevolontiers) avoue, dès les premiers mots d'Aurélia qu'il n'a pules percer san8 frémir. Il y a chezHardellet une joie de vivre, unesanté, qui font de lui un Nervalien tout à fait jovial. Mais l'es8entiel n'est pas dans la mélancolie - il est dans ce don defranchir et de faire franchir le8euil du regret.
Ce regret, sur moi, c'est commeune teigne... André Hardelletaime passionnément le présent,et encore plu~ passionnément lepassé perdu. Son goût de l'êtreveut tout à la fois: le maintenantet le jadis, le peut-être et lejamais plus. Il n'est pas bruyant,mais il est insatiable. C'est pourquoi il aime tant, peut-être, ladouble page (36 et 37) où leschiens suivent à jamais un lièvreimpossible à rattraper. Vive lachasse et vive le lièvre ! Dans unsuspens réconciliateur comparableà celui de la bataille de Rézonville - tout conflit provi80irement arrêté - voici la chasse enpleine vitesse, et la guirlande enévidence - avec ses emblèmes,ses cors, ses hures, 8es raisins,toutes choses exquises pour ceuxdont les gibecières sont plumiers,et les horizons tableaux noin.
L'image d'Epinal n'est pas icil'ornement du texte, le diverti88ement, l'intermède: elle participe à l'entreprise, au même titreque ce « Répertoire ~, où AndréHar~ellet recense des a880ciations d'imagesprécieusea.
Le surréalisme n'estloin de ce poète, à quiBreton écrivait (à proposroman)
Vous abordez là, en conquérant, les seules terres vraimentlointaines qui m'intéressent et lareconnaissance que vous y p~us
sez offre un nouveau ressort àtout ce que je me connais commeraisons de vivre..
JosaFJe Duranteau
Daniel BoulangerLe Chemin des Caracoles.Laffont éd.
Les nouvelles de Daniel Boulanger sentent la giroflée, lesgrain8 de poussière dansant dansun rayon de soleil et l'eau de violette. Elles sont très courtes. Troisou quatre pages suffisent pourrecréer une ville, une saison,toute une vie même qui s'effriterapidement tandis que le per80nnage meurt sous nos yeux.Daniel Boulanger ne présentejamais la mort comme une choseeffrayante, mais au contrairecomme un aboutissement normal, prévu. Un vieil aristocrate,cloîtré comme un hibou, ne peutmourir que dans son vestibule:Le ciel bascula. Le froid du carrelage montait comme une eau. Lecordonnier borgne et son amietricoteuse meurent « d'un excè8de nuit », près d'un paravent delaque noire où un oi8eau jettetoute la lumière du ciel. Boulanger nous rend à tel point 8es personnages familiers que leur exi8tence a une importance énorme :il8 80nt là, nous les voyons, nousles connaissons depui8 des annéeset lorsqu'il8 disparaissent notrecœur se 8erre comme devant unrêve qui 8'évanouit.
On a comparé Boulanger àMaupa8sant. Son registre paraîtplus large: il yale Boulangertendre qui raconte avec une affection nuancée d'humour la viedouillette d'un couple de pédéra8tes antiquaire8. Il 8'en dégageune telle harmonie que la dérisionserait déplacée. Il yale Boulanger artiste qui décrit un tableau qu'il aime: sur un e8caliersont p08é8 un coquillage, uneépée, un livre, une tête de mort,une pipe et un verre. Le regardmonte et redescend ces marche8jusqu'à ce que nOU8 connai88ionsl'aspect extérieur de8 objets, toutce qu'ils représentent pour lepeintre et davantage: ce qu'ilsreprésentent dans l'infini.
Il yale Boulanger collectionneur d'anecdotes qui rencontrela femme promenant dans lesrestaurants la photo de son cherdisparu afin de 8e faire offrir àdéjeuner par une bonne âme apitoyée. Il yale Boulanger poètequi parle de l'été comme « d'unefleur de pierre :). Le Boulangerprovincial Les demoisellesMabut ne quittaient plus leurfenêtre et prenaient même leurrepas en surveillant la chaussée.Et surtout le Boulanger indéfinis8able, qui nous entraîne dansdes voyages de l'esprit aussi merveilleux que la fameuse expédition à Londres du chevalier desES8einte8.
S d, ~
es contes sont une pureteobtenue aprè8 un long polissa~e
amoureusement précis. Il ne resteque l'essentiel, une présence, lalumière, l'odeur~
Marie-Claude de Brun/lOfl
ROMANS ÉTRANGERS
Violent Mexique
Carlos FuentesLa mort crArtemio Cruz.Gallimard éd.
Dans l'histoire du roman mexicain d'aujourd'hui, Carlos Fuentesà moins de quarante ans, occupepeut-être la première place. Nonqu'il ait encore beaucoup produit: deux livres, La Plw Limpide Région 1 publié voici deuxans et cette Mort crArtemio Cruz 1,
qui vient de sortir. Mais son talentest immense, dont il joue sur lemode des grands romanciers inspirés, avec la force et l'anarchiedes fleuves quand ils rompent lesbarrages. Le plus maîtrisé ou leplus tendre de ses chapitres estcomme un paquet d'eau que l'onreçoit en plein visage, sans qu'onpense à tourner la tête ou à fermerles yeux. Certes, nous ne compterons pas pour rien les risques denoyade, au fil de telle et tellepage où la violence et le jeu descourants contraires dégénèrentquelquefois en confusion et tourbillons dont on n'émerge qu'àgrand peine. Mais qui n'a rêvé dese laisser aller sur un grand fleuved'Amérique, quelque chose commele Rio Grande deI Norte?- Au cœur des deux romans, leMexique; La Plw Limpide Région est une macrosociologie dupeuple mexicain, dont Fuentes.décrit les classes sociales en illustrant la tragi-comédie humaine,pitoyable ici : quand il évoque lesouvriers, les péons, les prostituées..., là ignoble: quand il dénonce les intellectuels snobs et·riches, les cercles d'affaires, lesmilieux cosmopolites et outrageusement mondains, tous .pourris,perdus par l'argent - et le Mexique perdu, pourri par eux.
Pour donner à voir la réalitécomplexe, excentrique, bariolée,lamentable de ce monde, Fuentes,dans son premier roman, ordonnait la composition de ses épisodeset choisissait son vocabulaire enfonction de son dessein, d'où les
La Quinzaine littéraire, 1er avrn 1966
scènes désordonnées, heurtées, sesuccédant sans transition et nnvocabulaire grouillant de motsétranges, étrangers, mexicains,américains (puisque les intérêtsdes possédants sont liés aux banques des U.S.A.)c, français (les·Mexicains snobs semblent· imbusde culture française et· parlentvolontiers « le franxicain ~).
La Mort crArtemio Cruz n'estpas sans rappeler La Plw LimpideRégion. Ici aussi la brutalité, ledésordre, l'incohérence, les paroxysmes, la fièvre et le déliredoivent servir à l'évocation d'uneréalité mouvante et cyclothymique. Laquelle? Celle d'ArtemioCruz et du Mexique moderne àtravers lui. Cruz a soixante et onzeans. Il va mourir, il mourra. Surson lit d'agonie, où on l'opère envain, il revoit son passé, en remontant si l'on peut dire, puisque lesdernières lignes du roman décrivent sa naissance, idée assurémentbizarre mais que le lecteur ne discute pas car Cruz ressasse liondestin, ne cesse de penser à unautre destin, celui qu'il aurait dûvivre à partir de là, le ventre maternel, si le Mal n'avait pas fondusur lui.
A la fin du livre donc, à l'instantde mourir, le voilà qui naît: dansune cahute sordide et de pèreinconnu, Mexicain promis, commeneuf Mexicains sur dix, à une viemisérable, mais Cruz vient aumonde avec la force, la violence
.. dans le sang, avec le goût de ruiner l'ordre ignominieux des choses.établies, c'est-à-dire une société oùles riches font les lois et la loi,vendent le pays aux capitaux américains. Cruz combattra dans lesrangs des justes et s'imposera aupoint de bientôt représenter legrand espoir des paysans oppri-,. ,. ... . .
mes, Jusqu au. Jour ou, prIsonnierdes soldats de Villa et condamnéau peloton d'exécution, il ne peutsupporter la pensée, l'image de sa·mort et, contre la promesse de savie sauve, trahit. Magnifique passage que celui de la nuit qui, pour
le condamné, devrait être la dernière: on voit l'esprit de Cruzfabriquer des raisons de ne pasmourir, les unes futiles, les autresémouvantes et belles, par exemplecelle-là, qui a nom Regina, lagrande passion de Cruz, et penduepar les soldats de Villa: ... Ellelui demandait de continuer ·àvivre, comme si une femme morteavait besoin du souvenir crunhomme vivant pour être encoreautre chose qu'un corps dévorépar les vers· dans une fosse sansnom, dans un village sans nom.
C'est le début de la déchéanceet· du pouvoir: riche mariage,spéculation foncière, prêts à courtterme et à intérêts élevés aux paysans de l'état de Puebla, créationde sociétés mixtes mexico-nordaméricaines, rachat d'un journalpour servir les intérêts du dollar...Histoire d'un homme qui n'est pasquelconque, qui a même des qualités exceptionnelles et toute sa viedurant cherchera, tout en continuant à se vendre, à se racheter :dans l'amour - mais sa femme lelui interdit, disant qu'on ne peutêtre un salaud dans la vie et unpur dans son cœur ; par la paternité - mais son fils mourra enEspagne, qu'il a laissé s'engagerdans les Brigades Internationaleset Cruz découvre qu'il est criminelet -égoïste de chercher à vivre sondestin par le biais d'un autre,fût-ce son propre fils. Oui, histoired'un homme entre l'ange et la bêteet qui fait la bête définitivement.
La mort crArtemio Cruz est unechronique du Mexique qui s'exprime à travers la vie d'un homme,depuis 1889, date de naissanced'Artemio, jusqu'à sa mort en1960, et ·le moribond revoit sonpassé et l'histoire de son paysselon la liberté que lui laisse sonmal, c'est-à-dire d'éclair en éclairquand ~. i:t- .ient à la conscience,ou à la semi-conscience, ou quandil délire, d'où la composition de ceroman, désordonnée. et heurtée enapparence, tantôt 1930 et tantôt
1921, tel moment de la vie d'Artemio (1917) juxtaposé et succédantà tel autre (1940) car la conscienceignore la chronologie, compositiond'autant plus complexe qu'Artemio ajoute· à l'existence qu'il avécue celle qu'il aurait voulu vivre,dans le refus des compromissions,des trahisons, la lutte pure et dure.Ainsi le vécu et le rêvé, qui sedisputent son esprit, se battentdans les pages mêmes du livre...
Une tempête dans un crâne: tels'offre La mort crArtemio Cruz.Il parle, se parle, se voit, s'imagine, se refait, se défait, pendantqu'autour de lui le médecin, lecuré, sa femme et sa fille (la situation rappelle Le Nœud de Vipères) attendent qu'il révèle l'endroitoù il a caché son testament. D'étonnantes scènes de guerre civile succèdent à la description de « par·ties » à bord de yachts. Lentement,trois cents pages durant, ArtemioCruz meurt,en arrive au momentde sa naissance, là où tout commence, là dù tout pourrait recommencer... }\lais il est toujours troptard. Par delà l'histoire d'unhomme avec ses qualités, ses défauts, on pressent le poids du destin, ce quelque chose contre quoinous ne pouvons rien, qui nousvient dans le sang avec la vie, àla première minute, qui décidepour nous de notre ignominie oude notre honnêteté - comme,selon Fuentes, le destin a décidédu Mexique, par le biais de Malinche, la maîtresse de Cortès, quiguida le Conquistador jusqu'aucœur de l'empire de Moctezuma:ainsi le Mexique serait-il promis àune éternelle trahison, dans le viol,la violence, la colère...
Tous désordres dont nous protègent, en gros, nos sociétés européennes, qu'aussi bien nos littéra·tures n'expriment pas et qu'onira chercher dans Carlos Fuentes,inoubliable.
Yves Berger
1. Dans une traduction souvent belle,quelquefois laborieuse; de Robert Mar·rast.
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ROMANS ÉTRANGERS
Manfred BielerBoniface ou le matelotdans la bouteille.Traduit pas Jacques Chary.Le Seuil éd.
Johannes BohrowskiLe Moulin à Levine.Traduit par Luc de Goustine.Le Seuil éd.
La littérature de l'Allemagnede l'Est, qui commence à se libé·rer de l'emprise d'un régime politique étroit est encore peu connue en France. Tout au plus peut·on glaner ici et là dans des anthologies et des revues quelques proses et quelques poèmes de PeterHuchel, de Stefan Hermlin, deVolker Braun, de Peter Hacks, deGünter Kunert; les traductionssont rares et l'Allemagne de l'Estne nous a pas donné jusqu'à cejour de livre important, si l'onfait exception de l'une ou l'autreœuvre d'écrivains connus avantla guerre, comme Anna Seghers,ou de romanciers plus jeunes,mais qui ont passé à l'Ouest, com·me Uwe Johnson. Cette littérature, elle aussi, comme celle de l'Al·lemagne fédérale, n'a d'existenceréelle que depuis quelques an·nées ; elle a dû non seulement re·faire son apprentissage, secouer lepoids du passé, mais peut-être plusencore celui d'une époque récente tout entière vouée au culte duréalisme socialiste.
Boniface ou le matelot dans labouteille est le premier roman deManfred Bieler ; publié en 1963,il était achevé dès 1961, mais onimagine mal qu'il ait pu paraîtreplus tôt.. Manfred Bieler, qui atrente-deux ans, partage son tempsentre son métier d'écrivain et ceuxde cultivateur, de baleinier ou descieur de long ; il vit à Berlin-Est.Son livre emprunte ses thèmes .àla guerre et à l'après-guerre, aunazisme, à l'occupation, au matérialisme et au néo-nazisme. En cela, il n'a rien de très original; cesont les thèmes de presque toutela littérature allemande d'aujour·d'hui. Mais Manfred Bieler, aulieu de les traiter tragiquement,les transpose et monte sur leurcompte une énorme farce, une comédie loufoque où jamais ne sontpris au sérieux ni les hommes niles événements. De temps à autre,perce un soupçon de tendresse(lorsque Boniface retrouve sonamie Polle dans une clinique, parexemple), mais celui-ci est viteremplacé par un éclat de rire, onne s'attarde pas sur de tels sentiments.
Boniface se lit avec plaisir;c'est un roman truculent, remplide trouvailles, de cocasseries, debouffonneries. On sent un peutrop peut-être que Günter Grassn'est pas loin. Mais il faut retenirle nom de Manfred Bieler, mêmesi ce premier livre n'apparaît quecomme une pochade aimable et
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savoureuse. Après tout, l'auteurn'a pas eu la prétention de faireautre chose.
Le roman de Johannes Bobrow·ski, Le Moulin à Levine, remarquablement traduit par M. Luc deGoustine, est, en revanche, l'œuvre achevée d'un écrivain plusambitieux, beaucoup plus maîtrede ses moyens. Malheureusement,Johannes Bobrowski est mort l'andernier des suites d'une péritonite, à quarante-huit ans. Il était néà Tilsitt et vivait à Berlin-Est. Le« Groupe 47 » lui avait décernéson prix en 1962. Il avait publiédeux recueils de poèmes, Sarmatische Zeit et Schattenland Strome,ainsi que deux recueils de nouvelles, Miiusefest et Boehlendorf undandere. En 1965, il avait reçu lePrix Charles-Veillon pour ce roman qui avait été publié avec unégal succès dans les deux Allemagnes.
Il y a dans ce roman, qui estpeut-être un « nouveau roman »,mais aussi un poème, un chant àla gloire d'un peuple qui a souffert cruellement comme il a faitsouffrir cruellement, un chant dejustice et d'espérance, non pasune histoire, mais des histoiresqui se chevauchent, s'interpénè.trent, s'alternent, se complètent.Tout d'abord, il y a l'histoire duMoulin de Levine. Nous sommese~ Prusse, quelque part sur la Vistule, en 1874. De riches Allemandsrépondant aux noms de Kossakowski, Kaminski, Tomaschewskifont la loi dans les villages où lesPolonais vivent chichement etportent des noms prussiens, Lebrecht ou Germano. Le grand-pè.re du narrateur, Bobrowski, estl'un de ces puissants propriétai.res; il possède un magnifiquemoulin. Lorsque le jeune Juif Levine, qui a quitté sa ville natale,vient construire de ses mains unpetit moulin en aval de celui dugrand-père Johann, celui-ci prendombrage. Un matin, le moulin duJuif est emporté par les eaux. Al·lemands, Polonais, Tziganes, tousse taisent; l'habitude du silenceest grande chez ces gens qui cohabitent depuis des générations.Tout le monde connaît le coupa·ble ; mais son nom ne sera pas ré·vélé. Levine quittera le village oùil n'a trouvé personne pour l'accueillir, pour le défendre. Le pro·cès qu'il voudrait intenter augrand-père n'aura pas lieu. Maisquelque chose s'est passé néanmoins ; les humbles, les opprimésse sont ligués contre les propriétaires ; le cirque du Tzigane Scarletto symbolise leur lutte, et, endéfinitive, leur victoire, car legrand-père quittera, lui aussi, levillage pour vivre de ses rentesdans la ville voisine.
Il y a encore bien d'autres thè·mes dans ce roman : celui des rivalités entre les clans religieux(baptistes et adventistes), entre lesraces, celui de la guerre contrel'injustice, celui de l'amour (entreLevine et Maria, la fille d'un Tzi-
gane) , celui du monde animal quisymbolise souvent l'animalité desactes humains. Johannes Bobrowski a construit son roman autourde « trente-quatre phrases à propos de mon grand-père », qui sontautant de points d'appui pour lelecteur dans l'exploration d'unédifice romanesque compliqué,qui implique des superpositionsde plans, des digressions, le bouleversement chronologique des faits.Ce roman est en quelque sorteune longue « chanson de geste »sur l'impossibilité du dialogue en·tre les hommes.
René W intzen
Leonardo SciasciaLe Conseil d'Egypte.Collections Lettres Nouvelles.Denoël éd.
C'est l'histoire d'une imposture historique, montée dans laPalerme de la fin du XVII'- sièclepar un abbé cynique et sansscrupule, Giuseppe Vella.
Se servant de ses vaguesconnaissances de l'arabe - quepersonne, autour de lui, ne semble en mesure de vérifier l'abbé feint de traduire un vieuxmanuscrit arabe, «le Conseild'Egypte ~ - d'où le titre sans aucun intérêt. En réalité, ilécrit à sa façon une histoire dela Sicile « qui fait apparaîtresans fondements les privilègesancestraux de la noblesse ~, cequi n'est pas pour déplaire à laroyauté. Elle ne ménage pas sesbienfaits à l'abbé Vella, jusqu'au,jour où le pot-aux-roses est découvert. Tel est l'argument savou·reux de ce récit, plus chroniqueencore que roman.
D'une chronique, il a le déroulement, le caractère historique etl'apparente objectivité. Les personnages sont des pantins dont lenarrateur tire visiblement les fils.Il semble avoir pour eux le mêmemépris que l'abbé Vella avaitpour les humains et qui lui permit de se jouer de leur crédulité.Il est vrai qu'ils peuvent difficilement inspirer un autre sentiment: aristocrates mondains farouchement attachés à leurs privilèges, homme d'Eglise corrompus et à la dévotion des grandsde ce monde, etc. Oui, rien qu'unehumanité méprisable, à l'exception de l'avocat Di Blasi et deses amis libéraux, comme lui, enpolitique.
Ce sont des jacobins, tout nour·ris des- idées de la Révolutionfrançaise et décidés à les fairetriompher en terre sicilienne. Ilscomplotent. Leur chef, Di Blasi,est arrêté, atrocement torturé etdécapité. Alors que l'abbé Vel1aest le personnage central de la
premlere partie, dans la secondec'est Di Blasi qui prend la relève.C'est lui qui donne à ce récit, unpeu sec, sa seconde dimension.Avec Di Blasi, avec la lutte pourla fin des privilèges, passe ungrand souffle d'air. Et soudain,un personnage secondaire commela mère de Di Blasi bellefigure qu'on ne fait qu'entrevoir- devient attachant. Et, toutnaturellement, les pages consa·crées à Di Blasi, à son espéranceet à la torture, sont les plus bellesdu livre: émouvantes avec sobriété.
Après tout, ce coquin de Giuseppe Vella est-il si loin de DiBlasi ? Dans l'esprit de l'auteur,il ne le semble pas. A sa manièrel'abbé lui aussi est un idéaliste.Cynique autant qu'on voudra, etattaché aux biens de ce mondeet à leur confort, et sensible à laconsidération d'autrui et astu·cieux avec intelligence dans l'imposture. Mais cette imposture estpour lui comme une œuvre d'art:réussie, elle est parfaite, commeun chef-d'œuvre littéraire. Peului importe d'être démasqué, sila beauté de son imposture estreconnue. En outre, y a·t·il vrai·ment imposture lorsqu'il s'agitde l'Histoire ?
Pour l'abbé, l'Histoire n'existepas. Il « expliquait que le travailde l'historien n'est qu'un imbroglio, une vaste imposture. Etqu'il y avait plus de mérite àl'inventer, l'Histoire, qu'à transcrire fidèlement et simplementde vieux papiers, d'anciennesinscriptions lapidaires de tom·bes antiques, etc. • Et, toujoursà sa manière, l'abbé est polir larévolution: « Quant à la révo·lution, je vous l'avoue, j'éprouvepour elle, en revanche, un senti·ment différent: cet ôte-toi de làque je m'y mette me plaît assez,je dois le dire... Les puissants etles superbes qui courent auxabîmes, les malheureux quitriomphent... • Etonnant person·nage que cet abbé, et ambigu!Comme le récit de Sciascia. Niroman, ni chronique, ni pamphlet- et tout cela à la fois~
Naturellement, on sent biende quel côté est Sciascia et que,si son récit se passe au XVII'- siècle, les abus qu'il dénonce n'ontpas tellement changé, et que l'im·posture est de tous les temps:
Le Conseil d'Egypte suscite lasympathie et se lit avec plaisir.Il traite avec une désinvoltureapparente de sujets graves: l'im·posture et la liberté. On aimerait être italien pour apprécierexactement, à sa juste valeur,l'accent, le ton nouveau queLeonardo Sciascia introduit dansla littérature italienne d'aujourd'hui. Il a beaucoup lu les écrivains français du XVIIIe siècle.Cela se sent à travers l'excellentetraduction - élégante et précise- de Jacques de Pressac.
Henri Hell
et porcelaines
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le tombeau des Noguchi. Quelqu'un prierait alors pour elle, quin'a pas de famille, et qui passeradans la mort avec tout le poids deses fautes, si elle demeure seule.Si bien que lorsqu'elle renonce àNoguchi, elle renonce en sommeà la vie éternelle. Elle le fait ensilence, sans une plainte. On peutremarquer aussi que cette vivante Kazu, si éclatante de force, defraîcheur, d'activité, si modernedans ses démarches, femme d'affaires s'il en fut jamais, est la seule à ne jamais porter de vêtementseuropéens (sauf une fois un manteau de vison, qu'elle laisse d'ailleurs dans sa voiture). Le détailde ses kimonos est un enchantement : couleur, dessin, symbolisme, signification (qui nous rejette, nous, aux devises que lesamoureux se faisaient, au XV· siècle, broder sur leurs manches).Admettons que cet enchantementrepose sur un pittoresque bien superficiel, comme celui des menus,qui font comme des poèmes aumilieu d'une page. Il en est d'autres, dont le ressort est plus sérieux : la nudité des deux petiteschambres de Kazu à son restaurant de l'Ermitage, chambre8 sansmeubles, où elle dort traditionnellement sur un matelas qu'on déroule le soir à même les nattesqui couvrent le sol; là s'ouvre unjardin clos, petit, foisonnant deblancs chrysanthèmes, qui est sonjardin de prédilection. Ou biénelle va s'asseoir sur un banc, pourregarder l'étang. On le regardeavec elle. Ce pouvoir de contemplation, Kazu ne l'a pas inventé,et il est probable qu'un long hé·ritage dont elle bénéficie d'ins,tinct, tout inculte et fruste qu'ellesoit par origine, le lui rend accessible et usuel. Voilà l'enchantement véritable : dans ce livre duret BOuvent ironique, la beauté dumonde et des êtres - la peau 8iblanche_ .. et .8i ferme de Kazudans l'échancrure de son kimono, l'éclat de l'étang SOU8la lune, le brouillard sur lespins et les saules, la blancheurdes chrysanthèmes - la beauté,unique consolation et qui pourtant n'est jamais désignée commetelle, rayonne par tous les interstices du récit, comme s'il étaitpermis à chacun, acteur ou lecteur, d'accéder par ces brusquesfissure8 à un autre monde, par oùcelui-ci pourrait être supporté.
Il n'y a qu'un grand écrivainpour éclairer de pareille lumièreune vulgaire histoire d'électionmanquée, et pour faire d'une riche aubergiste une héroïne platonicienne. Mais on se souvient dupremier roman traduit en françaisde Yukio Mishima: Le Pavillond'Or. Un jeune moine y mettaitle feu au temple qu'il desservait.Il cherchait son salut, comme Kazu, il échouait, comme elle. Il reste à Kazu de se taire et de faireson métier. Le dernier mot est àl'ancien Japon stoïque.
Dominique Aury
vir dont elle est animée est trèsdifférente de ce que son mari attend d'elle : elle est devant lui,non comme une femme des anciens temps devant son mari toutpuissant et vénéré, mais commeun homme-lige devant son seigneur, comme un vassal devantson suzerain. D'être entrée danssa famille, elle ne croit pas pourautant avoir perdu sa roture etchangé de caste; elle a simplement acquis le droit d'être utile àun homme d'une essence supérieure ; dans les petites choses : veiller à son linge et à ses domestiques; dans les choses importantes : se ruiner pour son élection.Car elle se ruine, en le servant
aussi maladroitement qu'il est possible. Elle est un peu comme lesvavasseurs qui se chargent desbasses besognes sans le dire aumaître pour ne pas compromettresa dignité. Ainsi mène-t-elle lanouvelle campagne électorale deNoguchi, et ce sera un échec. Latroisième. surprise est dans la conclusion de l'histoire : la séparation de Kazu et de Noguchi. Ellene suivra pas son mari dans 8aretraite, et lui n'acceptera pasqu'elle reprenne son métier. Il8divorcent. Chacun retourne à· sonêtre propre, comme aprè8 l'euphorie ou l'ivresse du banquet chacun revient à soi.
Le récit de Yukio Mishima estun roman très clas8ique de forme,qui se déronle tout droit 8elonl'ordre chronologique. Mai8 SOU8cet a8pect tranquille, il est trèssingulier, et appelle bien des remarques. Par exemple, a-t-on raison de pen8er que le personnagede Noguchi - dans ce roman demœurs situé aujourd'hui et volontiers satirique - repré8ente l'ancien Japon, et Kazu le nouveau ?Ce n'est pas sûr. Ou 8'il en est ainsi, l'ancien et le nouveau ne fontqu'un seul Japon, aus8i 8urprenantpour nous que le Japon de8 8amouraï et des porcelaines. Car ily a chez Kazu comme chez Noguchi la même conception stoïquede l'existence, et la même adhésion profonde à des croyances ancestrales. Ainsi la récompense, laseule, que Kazu imagine à son dévouement envers Noguchi est-ellel'appartenance à la famille, l'inscription sur la liste des ancêtres,la certitude d'être ensevelie dans
Yukio MishimaAprès le banquet.Traduit par G. Remondeans.Gallimard éd.
Imaginez, sous l'encadrementd'un portique de bois, au bordd'un étang bordé de saules et depins, et sans oublier la lanternede pierre, imaginez une femmesouriante, en kimono traditionnel,le visage lisse et calme malgré lacinquantaine, c'est Kazu. Elle attend ses hôtes à l'entrée du restaurant qu'elle possède et dirige.Elle est riche, libre, elle n'a plusrien à risquer, plus rien à souhaiter. On ne tombe pas amoureuse,on ne refait pas sa vie sur uncoup de foudre, quand on est unefemme de cinquante ans, même japonaise. Il faut croire que si. Etcertes elle ne choisit pas. Quelquechose en elle, qui n'est pas le besoin d'amour, choisit à 8a place.Elle est éblouie, fascinée, par l'êtrele plus différent d'elle-mêmequ'elle ait jamais rencontré : unvieil aristocrate maigre et pauvre,qui fut plusieurs fois ministre, quis'est rallié au pal~ti réformiste etvient' d'être battu aux élections.Il a soixante-cinq ans.
A partir de ces données trèssimples 8e déclenche une histoireoù l'étrangeté des événements lecède entièrement à l'étrangeté descaractères. La première surprisevient de ·ce qu'il soit si facile àKazu d'épouser Noguchi. Ou biensi Noguchi tombe vraiment amoureux ~d'elle'? Rien ne, le marque,sinôn leur insolite mariage. Kàzufait les premiers pas, mène d'abordsa conquête comme si elle était unhardi jeune homme et Noguchi'une femme timide, puis reprendse8 gestes de femme, pleure auxpieds de Noguchi. N'empêche quelorsqu'ils 8e retrouvent dans lamême chambre et enfin dans lemême lit on est tout étonné. Ondirait que c'est pour la forme etpour avoir prétexte à 8e marieren8uite. E8t-ce que Noguchi épouse Kazu parce qu'elle est riche?Kazu a l'hàbitude de donner del'argent (drôles de mœur8) à de8hommes politiques, mai8 la 8euleidée qu'on pui8se croire Noguchiintéressé la jette dan8 l'indignation. Alors pourquoi? Peut-êtrel'emprise de Kazu 8ur Noguchiparticipe-t-elle de ce célèbre pouvoir qu'ont les âmes forte8 8urle8 âmes faibles. Erreur encore :Noguchi est une âme forte, autantque Kazu. En outre, il est solidecomme un roc dans ses principe8,et souvent méprisant. Il ne prendpas femme pour lui céder (et nelui cédera d'ailleurs jamais, même lorsque les conseils qu'elle essaiera de lui donner seront excellents - et respectueux). L'un etl'autre ont la même conceptionquant au rôle d'une épousequ'elle serve.
Ici intervient la seconde surprise. Kazu ne se rend pas compteelle-même que la passion de ser-
SaDlouraÏ
La Quinzaine littéraire, 1"' avrn 1966 11
REVUES HISTOIRE LITTÉRAIRE
Victor Hugo•DlICrOSCOpe
au
N.R.F.
Maurice Blanchot publie dansla Nouvelle Revue Française(1·' mars), un dialogue imaginaire d'une force ~t d'une rigueuradmirables: L'entretien infini.Le sujet apparent en est la « fatigue », le sujet réel, les, rapRôrtsentre le silence et la parole, l'écriture et le discours. Certainesnotations pourraient être tenuespour de pudiques confidences:Il ya un moment dans la vie d'unhomme - par conséquent deshommes - où tout, est achevé,les livres écrits, l'univers silencieux, les êtres en repos. Il nereste plus que la tâche de l'annoncer: c'est facile. Mais commecette parole supplémén.taire risque de rompre l'équilibre - etoù trouver la force pour la dire ?où trouver encore une place pourelle? - on ne la prononce pas,et la tâche reste inachevée. Onécrit seulement ce que je viensd'écrire, finalement on ne l'écritpas non plus. .
Dans la même livraison, suitede l'étude d'Yvon Belaval surles rapports entre l'écrivain,l'homme, et l'œuvre.
Les Lettres Nouvelles
Les Lettres Nouvelles consa·crent une partie de leur numéromars-avril à James Joyce, mortil y a juste vingt-cinq ans. On y-trouve des souvenirs de jeunessedu frère, Stanislaus Joyce, quilui" reconnaissait une évidente supériorité. Une «joycienne \ »,Hélène Berger, fait d'émouvantes - et peut-être scandaleuses- révélations sur les rapports deJoyce et de sa femme. Ellecite en particulier des lettres quiéclairent curieusement la personnalité intime de l'écrivain.
Dans le même numéro, on peutlire, de Dionys Mascolo, un textequi va loin dans la peinture dupassage d'un adolescent à « l'âged'homme », à l'occasion despremiers mois de la dernièreguerre. Et aussi la suite de .l'importante étud.e de Roger Dadounsur l'anthropologue d'origine autrichienne Geza Roheim.
Critique
Dans Critique (mars), on peutlire une intéressante étude deGeorges Sebbag sur Gombrowiczou la mise en relation. PhilippeSollers se livre à une Critique(aiguë) de la Poésie. On relève:... La poésie est devenue le plussouvent le champ de la niaiseriemythologique. Rien n'est plusopposé à la poésie que la croyanceà la poésie; un poète est désormais quelqu'un qui doit rompreaL'ec décision avec rexpression« poé.tique » et ses dieux, avecle s\"1nbolisme arriéré et senti·111 ('n(al, ~mphatique, dont noussommes encore accablés.
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Victor HugoJournal de ce quej'apprends chaque jour.Juillet 1846. Février 1848.Boîte aux lettres.Editions critiques établiespar René Journet etGuy Robert.Flammarion éd.
Deux érudits ont reP'ouvé, parmide vieux papiers d'archives, unjournal tenu par Victor Hugo.Ils viennent d'en publier deuxvolumes. D'autres vont suivre,dans le cadre des Cahiers VictorHugo. Georges Piroué, J'omancier et critique, a. publié unVictor Hugo romancier.
Il existe deux mameres depublier les papiers posthumesd'un grand écrivain disparu.L'une consiste à leur prêter l'apparence d'une œuvre retrouvée, àpeu près cohérente, quoique imparfaite, à placer donc presquesur le même plan l'ébauche et letexte achevé. Cela ne va pas sansdésinvolture à l'égard 'du défunt,ni sans quelques tripatouillagesqui peuvent frôler la trahison.C'est ainsi qu'ont procédé PaulMeurice et plus tard, mais avecune, totale' honnêteté, Henri Guillemin pour" le dossier de VictorHugo Journal de ce que j'apprendschaque jour, partiellement utilisédans Choses vues et, pour à peuprès les trois quarts, inséré dansle Journal 1830-1848 publié parGallimard en 1954. Il es't clairque, mis à la portée de tous, detels condensés ont à h~ur créditd'assurer la survie de l'écrivain etd'enrichir la connaissance quenous avons de lui. Rien ne révèlemieux le reporter de g~nie qu'aété Victor Hugo que l'amalgamedes Fa.its contemporains et Souvenirs personnels avec le Journal dece que j'apprends chaque jourréalisé par Guillemin.
Des « alluvions»
L'autre mamere est la méthodemême de l'Université, c'est-à-direl'édition critique typographiquement fi d è 1e, chronologique,annotée, commentée, augmentéed'un vaste appareil biographiquedont l'ensemble constitue unretour aux sources admirahIe etle point de départ rêvé de toutesles études subséquentes. Ce travail,René Journet et Guy Rohertviennent de l'accomplir non seulement pour le Journal de ce quej'apprends chaque jour, maispour le dossier Boîte aux lettres,recueil de fragments poétiquesque l'édition de l'ImprimerieNationale avait en partie placé àla suite des Châtiments. Cesœuvres' forment les deux premiersCahiers Victor Hugo publiés chez
Flammarion, qu'on souhaite êtrele début d'un vaste corpus hugo.lien.
Relevons tout de _suite que cesdeux ouvrages ne s'adressentguère au grand public qui n ;épl"Ou,vera à les parcourir qu'ennui etdéception. Encore qu'on puisse sedemander s'ils ne répondeilt pasau goût nouveau du lecteurd'aujourd'hui pour le documentauthentique. Les techniques dereproduction et l'hégémonie de lascience sur nos esprits. ne "ontpas sails avoir modifié nos rapports avec la littérature. L'aborderen archéolo/!;ue, en homme delaboratoire qui déduisent duvestige l'édifice et du prélèvementd'un tissu le' corps entier, a quelque chose de fascinant.
Nos deux chercheurs se sontdonc consacrés à nous restituel'des notes sous leur aspect primitif. Mais, ce faisant, ils ontsurtout, comme par la bande et
Victor Hugo par Mérimée
malgré eux, tiré de ces pattes demouche les mœurs, les humeurs,artisanat et le génie... de lamouche. Victor Hugo sort à la foisdiminué et grandi de cet examendes rebuts. Diminué dans lamesure où son Journal nOUf;apprend peu de chose sur luimême, rien d'intime et de révélateur, ne contient que peu de cesperles qu'il croyait lui-mêmepouvoir dénicher dans la houe.« Des alluvions », nous avertit-il,à savoir, venues du dehors, àpeine modelées selon sa façon depercevoir, des anecdotes f;ur laCham hre .dcs Pairs, sur l'Académie, la famille royale; quelquesconversations saisies sur le vif,dans la rue; une masse de rensei~nements hétéroclites, puisés sansûoute dans la lecture def; journauxet qui n'ont fait que lui traverserl'esprit, puisque le jour où ilachevait A Villequier, le 24octobre 1846, il nous parle d'unvolcan. Le côté passif du personnage, ses automatismes mentaux :la machine enregistreuse. Il en estde même en ce qui touche ,lepoète. Plus qu'un Juvénal inspiré,plus qu'un Prométhée vaticinantsur son rocher, la Boîte aux lettresnous offre à voir un versificateur
I"Ond-de-clli,·, lm érudit du dimanche qlli ne paraît devoil· ses donsl]ll'à des empnmts ail dictionnairefeuilleté en fonctionnaire diligentdu génie pe"sécllté pOlir nOIIITirde tl"Ouvailles de hasa,·d nneréplltation slll·faite. De v l' aiespontanéité, ancune ; de vl-ais cl'Ïsdll Cœlll', pas le moind'·e. Le poèteexerce Iln métie,', l'exilé joue nnn'lIe. Ce!:, donne des pages oùvoisinent les niots exochnate, exomologèse, exomide, flanqllés, parbonhem, de leIII' llérinition de lamain même dll viellx harde.
Cependant, 1111 sein de ceJOl/rual se font jOIll· de~ ohsessions, celle dll, hOlleron, purexemple, se manifestent des pen('hants qui de la marotte del'antithèse glissent à la prise enchal'l.:e de la diversité universelle,contrastée ou concordante. Millepetites secousses mettent le réelen IIuestion et, par leurs chocs,·épétés, peu à peu organisés, on(lirait que l'homme s'aguerrit etquc son monde, en s'éhrouant, secrée une assise nouvelle. De même, au fond de la Boîte ft/LX
lettres, par un autre entrechoc desyllahes, on voit se forger quelquesheaux vers, non seulement derimes mais d'assonances intérieures, et s'éprouver une prosodiequi, intégrant le discontinu et lecontraignant à l'harmonie - adjonction par la disjonction représente la plu s étonnanteentreprise à la fois accidentelle etconsciente, de renouvellemcnt dulyrisme.
C'est ici qu'intervient la grandeur. Car ce qui frappe le plusdans cette exploration du matélliauhugolien, c'est à' quel point !londisparate n'est pas le si~ne d'unedispersion mais d'une prodigieuseamplitude. On a pu parfoisregretter la vanité de Victor Hugoqui lui faisait tenir pour précieusela moindre de ses paroles. Peutêtre n'avait-il pas tort. Tout cequi lui est étranger augmente sonenvergure et lui devient consuhstantiel, tout ce qui paraît pacotilleconcourt finalement à l'accomplissement du dessein. Tl cst tout cnn'étant, que rhéteur. Son être estdans sa contingence.
La méthode critique de Journetet Rohert ne nous apprendraitque cela que ce serait déjà heaucoup.
Sous un regard rajeuni
Cette a pproche, à partir desdéhris, de la matière et desstructures hugoliennes nous feravoir un jour ou l'autre différemment les œuvres majeures que,depuis peu, on réédite si volontiers, sans que se trouve encorerajeuni le regard que nousportons sur elles.
Georges piroué
Paul LéautaudJournal littéraire.Tome XIXMercure de France.
« Maintenant, foutez-moi lapaix ! » grommela-t-il à l'infirmière qui le soignait, pnis il se tourna vers le mur ; denx henres plustard, il était mort. Ce fut son motde la fin; un vrai mot de Léautaud. Il y a dix ans de cela. Ilavait quatre vingtrquatre ans.
Depuis, nous avons vu sortirtoute la fin de son Journal littéraire : seize gros volumes denses,les deux premiers ayant paru deson vivant, en 1954 et 1955. Lapage initiale du tome 1 est datéede 1893; la dernière du tomeXVIII, du 17 février 1956, cinqjours avant sa mort. Entre deux,assez de texte pour remplir six ousept volumes de la Pléiade : luiqui auparavant avait si peu publié, et si chichement !
C'étaient pour nous, année aprèsannée, de fameuses cures d'une désintoxication qui finissait parressembler à une nouvelle intoxication, tant elle créait le besoin. On s'irritait souvent, carLéautaud est bien irritant quandil se met à irriter : mais, à la finde 1964, une fois lu le tome dernier, nous nous sommes sentis toutdésorientés de le voir nous quitterencore.
Or voici que comme Fantômas,il revient. Avec un tome XIX,vraiment ultime celui-là, complémentaire et documentaire. L'éditeur fait bonne' mesure, lui donton avait redouté un moment qu'ilne parvienne pas au bout de lapublication: c'est qu'à mesureque s'égaillait la clientèle dudébut, animée par la curiosité etle goût de l'indiscrétion plus souvent que par la conviction, apparaissait peu à peu un nouveaupublic venu de tous les bords,insensible aux flux et reflux dusnobisme, résolû et assuré desraisons de sa préférence.
Ce tome XIX, que contient-il ?En tête, une « Histoire du Journal », racontée par Marie Dormoy avec verve, dans la couleur etle mouvement, sans hagiologie,sans rancune non plus. Avoir sauvé le manuscrit de tant de désastres, en avoir dactylographié ellemême. 12.000 feuillets, avoir classé et daté autant que possible cette masse désordonnée, avoir occupé neuf ans de sa vie à en préparer et surveiller l'édition, oùelle eut la coquetterie de ne rienatténuer des sarcasmes, rebuffades, injures et grossièretés queLéautaud se complaisait à lui prodiguer - voilà, à son actif, de fameux titres! A l'autre bout duvolume, un index de 175 pages enpetits caractères' sur deux colonnes couvre la tQtalité de l'ouvra-
La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966
ge; dû à la patience dévouée deM. Etienne Buthaud, encore sommaire mais déjà suffisant, il répond pleinement à la demandejustifiée de maints lecteurs.
Léautaud lui-même occupe lecentre du recueil, avec quantitéde « pages retrouvées » du Journal, irrégulièrement échelonnéesde 1894 à 1921. Beaucoup d'histoires de bêtes (je crois qu'onl'avait amené à les écarter par
crainte de surcharger de chiens etde chats sa faune dite littéraire).Quelques rédactions différentesde passages déjà connus, commel'anecdote touchante du bouquetde violettes offert à Verlaine. Divers passages qui s'étaient précédemment égarés. Et surtout, dansles débuts, vers l'époque des Essais de sentimentalisme, de tendres mouvements de prose et d'unepoésie située entre Verlaine etFrancis Jammes, singulièrementattachants.
Pourquoi Léautaud a-t-il accolé le' qualificatif de littéraire autitre du Journal? Sans doute parce qu'au débu~ déjà convaincu,c'était sa manie, que la vérité deshommes se trouve dans leurs petitesses ou ,leurs turpitudes, etbien aise c.le se trouver rue de
Léautaud
Condé à même de fréquenter lesgrands messieurs de la littérature,il se proposait de noter sur euxau jour le jour une chronique indiscrète et clandestine; car il atoujours eu le goût de tromperson monde, - il avait assez souffert de son enfance et de sa jeunesse pour chercher une revanche. De fait, la plupart des pagesqu'il nous a laissées sur Schwobou Gourmont, sur Valéry ou Gide,demeurent, fort précieuses.
Seulement, il ne prévoyait pasque son poste d'observation auraitbientôt cessé d'être bon. Quand lalittérature vivante eut déserté leMercure, que les vrais créateurss'y firent rares, que trop de médiocres s'y pavanèrent librement,il poursuivit, imperturbable, sesenregistrements : et cela fait aujourd'hui beaucoup et beaucoupde pages terriblement inertes. Etpuis, témoigner n'est guère facile.Il était, par nature, voyeur plutôtque témoin : les trous de serruren'offrent que des vues étroites. Ilfaisait bon accueil aux commérages, sans les contrôler, pourvu que,malveillants, voire méchants, ils
_fussent propres à nourrir sa misanthropie. Que de précautions nedevront pas prendre les historienspour manier ce « document » !
En revanche, le Journal a une
•reVIent
autre manière d'être littéraire qui,elle, prend valeur toujours davantage à mesure que passent les années: celle d'une recherche etd'une découverte de soi par lemoyen de l'expression. On nous a(et Léautaud lui-même) un peutrop vanté Gide, qui se prenaitvolontiers pour un nouveau Montaigne, voire, pourquoi pas, pourun Montaigne amélioré : un examen de conscience aussi systématiquement direct change l'objet,et il y a un parti pris de sincéritéqui conduit droit aux pièges del'insincérité. Léautaud, si éloignéqu'il fût de Montaigne, se trouvait en vérité plus proche de laméthode de Montaigne, obéissantplus naïvement aux hasards 'del'occasion, acceptant plus docilement leurs surprises, et puisqu'iln'affectait pas de se chercher, rencontrant plus souvent face à facel'étrange animal.
Oui, insupportable; oui, hargneux, borné, buté, tranchant(mais sensible aussi, en secret, jusqu'aux larmes). Oui, il prend seshumeurs pour des jugements, etse flatte de la rigueur de sa pensée quand il n'en finit pas de secontredire. Soit. Mais ce qui compte infiniment plus que tout cela,c'e8t que son Journal nous procure l'exceptionnelle familiarité d'unindividu unique irréductiblement,tel que chacun de nous devraitêtre, tel que chacun de nous semontre incapable d'être. En quoice petit clochard étriqué et grincheux atteint à une qualité si pure qu'elle se confond avec unesorte de grandeur.
Le sait-on assez? Je rêve maintenant d'une édition réduite (maisnon point trop rédui,te), d'un prixabordable pour ce public peu fortuné qui est souvent le plus francpublic, et qui ferait apparaîtrecela précisément. Il suffirait Jecouper le bois mort, les ragots,quelques-unes des redites, les petites histoires périmées (mais nonpas, certes, les anecdotes exemplaires), et tout ce qui se ressentun peu trop de la sottise des comparses. Je sais bien qu'un descharmes profonds des mémoireset journaux intimes tient auxmornes étendues désertiques qu'ilfaut y traverser pour mériter lesoasis. Néanmoins la, première urgence est d'aider Léautaud à revenir encore une fois parmi nous,pour y réaffirmer, nous en avonsgrand beRoin, une personnalité indomptablement singulière, la seule apparemment que notre époque ait à présenter eri face desgrands originaux d'autres temps,- un peu Crébillon le père parson débraillé délibéré, un peu Diderot par son allégresse dans tousles affranchissements (non par lapuissance, hélas), un peu et beaucoup Chamfort, et puis enfin, etsurtout Léautaud.
Samuel de Sacy
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POÉSIE
Epiphanies de Jouve
Pierre-Jean JouvePoésie I-IV. 1925-1938:Les Noces, Sueur de Sang,Matière Céleste, Kyrie.
Poésie V-VI. 1939-1947 :La Vierge de Paris, Hymne.Mercure de France éd.
Poésie VII-IX. 1948-1954 :Diadème, Ode, Langue.A paraître.
« Au milieu du chemin de lavie ., c'est-à-dire aux approchesde la quarantaine, Pierre JeanJouve, on le sait, n'hésita pas àsacrifier une œuvre déjà considérable pour tendre ses filets plusloin et plus haut. De sorte qu'aujourd'hui, chargé d'œuvres etd'années, cet excellent poète présente deux profils, selon qu'onl'aborde par sa fin ou son commencement.
Par sa fin, Jouve est le chantretout ensemble érotique et mystique - et grandement honorécomme tel - de Noces, Sueur deSang, Matière Céleste, Kyrie, laVierge de Paris, etc., lesquels reparaissent en une édition collectivequi comprendra quatre ou cinqvolumes in-octavo.
Par son commencement, Jouveest le digne commensal des écrivains de l'Abbaye dont il épousale souci de «participation humaine ~ avec une constance nonpareille, si l'on en juge par labibliographie de ses ouvragesreniés l, qui passe en importancecelle de n'importe quel autrepoète du groupe. c Pour respecter l'idiosyncrasie de chacun ~,
comme parle l'auteur de Paludes,et lui laisser, en quelque manière,l'embarras du choix, il ne seraitpas mauvais que l'unanimisterepenti lève enfin l'interdictiondOllt il frappe ses premiers livreset, tout bonnement, les réimprime : on pourrait ainsi mesurerl'ampleur de son sacrifice (il y adéjà beaucoup d'insolite dansPrésences, et une vraie nostalgiede la solitude dans Parler), et l'onverrait bien mieux, à la lumièrede l'ancienne, comment s'est formée la nouvelle réligion de PierreJean Jouve.
Une «reconversionm.éthodique»
Car toujours il y eut un dieuau centre de sa poésie. Ton plusgrcmd Dieu de maintenant, t!estpeut-être ta plus grande ville, estil écrit dans le Manuel de Déification. Un peu hâtivement adoptéepar le jeune provincial qui, débarquant à Paris, se mit à l'école deJules Romains, cette maxime faitlong feu dans les premiers poèmesde Jouve. De même que soncontemporain Reverdy, et malgréune « bonne volonté ~ grande, il
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n'est pas à l'aise dans la ville:Chaque visage pesant lourd.Comme un nuage qui fait ombrelui cache, tel l'arbre la forêt, lafoule des hommes. Et lorsqu'en1925, date de publication desMystérieuses Noces, il s'éloigne dupaysage urbain pour célébrer l'Engadine et autres hauts lieux (dontSalzburg, patrie de Mozart, à sixheures l'été), c'est tout naturellement au rédempteur - au dieuqui s'est fait homme - qu'il dédieses nouvelles symphonies.
Tout naturellement - et Jouveinsiste sur ce point dans !lon« journal sans date ~ En Miroir car il s'agit d'un simple retourau culte de son enfance: Elevédans la religion catholique, jen'avais aucune conversion à fairepour y demeurer ; ... ma- conversion était celle qui « me tournaitvers » des valeurs spirituelles depoésie, valeurs dont je reconnaissais l'essence chrétienne.
Régression donc (le môt est deJouve) plutôt que conversion, ouencore, si l'on ose s'exprimer enterme d'économie, reconversiondes pouvoirs du poète en vuede l'édification de l'œuvre nouvelle. Les valeurs spirituelles quigouvernent celle-ci sont clairement désignées par les maîtresqu'il allègue : François d'Assise,Catherine de Sienne, Jean de laCroix, Thérèse d'Avila et ce Jacopone de Todi, auteur du StabatMater, dont le nom francisé devient - ceci nous plonge dans unabîme de rêverie - celui du hérosdu Monde désert, roman de« mœurs ~ au sens honnête duterme.
A cette belle et nombreuse compagnie s'agrègent sans peine, carleur c essence chrétienne ~ n'estpas niable, Baudelaire et le Rimbaud d'Une Saison en Enfer. Sontégalement invoqués les noms d'Aurélia, Diotima, Gradiva, Cynthia,Miranda, etc., qui sont de trèsbeaux noms et, quoique claïques ~, dotés d'une immense auraspirituelle. - Il est entendu qu'unpoète de la taille de Jouve n'estpas sans droit sur ces figures duplus haut génie, mais le fait deles mettre en exergue à des textesqui ne les regardent que d'assezloin ne va pas sans rappeler ledandysme un peu voyant de cestouristes high life, qui collectionnent sur leurs bagages les étiquettes des plus fastueux palaces etcaravansérails.
Un peu voyant, aussi, est le procédé qui consiste à renchérir sur« le soleil noir ~ (le ,oleU toutnoir), ou c la nuit obscure ~ (lanuit plus qu'obscure). De tellesexpressions, véritablement ,sacrées, ,n'ont pas besoin de cetteconsécration superfétatoire.
Mais passons à des exercices destyle plus personnels, car c'est pareux que Jouve, après les Noces,établit et propage sa religion de
poète. Le premier en date est ceroman d'une autre Francesca,Paulina 1880, d'une morositébelle et soutenue. (N'était leurmorosité imperturbable, les romans de Jouve se pourraientparfois confondre avec ceux deJouhandeau, pareillement érotiques et mystiques, mais corsés detous les ingrédients du vaudeville).Et derrière Paulina, voici Eve, lapécheresse originelle, qui porte« comme un troisième sein » lefruit volé à l'Arbre de Science et,mensonge inexpiable, l'offre àAdam de la part d'Elohim...
On s'étonne de ne point trouverle Paradis perdu, poème drama-
tique, dans le premier tome desœuvres de Jouve, car cette scène et tout ce qui s'ensuit - est nécessaire à l'entendement de Sueur deSang, qui évoque la répétitionsans fin de la Faute perpétrée aupied de l'Arbre de Sciencé, et quenotre poète, modeme Adam, a dumoins cet avantage sur l'autred'expliquer par la psychanalysescience toute neuve dont il futnon seulement l'un des premiersusagers, mais aussi le notable pionnier en collaborant à la traduction, parue en 1923, des Troisessais sur la théorie de la sexualité de Freud.
Entre ce maître livre et cetautre, les Règles de la méthodesociologique de Durkheim, quiservit de trame à la doctrine unanimiste, on mesure le chemin parcburu par Jouve. Certes, il n'estpas de velours, le chemin deSueur de Sang! C'est un lit detessons et de gravats où s'épandentles chairs en déroute d'Eve livréeau saccage d'Eros - et cela constitue le plus édifiant des spectacles.
Car avec les poètes du MoyenAge que Remy de Gourmont présente dans le Latin Mystique(qu'attend-on pour réimprimercet admirable livre?), Jouveestime sans doute que, n'ayantguère changé depuis ces « stupidesbrûleurs d'herbes» que furent nosancêtres gaulois,' nous avons grand
besoin d'une religion propre àendiguer nos instincts barbareset, en premier lieu, notre sexualitéexubérante.
Aussi, traitant le mal par le mal,dépeint-il la fornication avec unealacrité qui rejoint celle d'unOdon de Cluny prêchant que la«féminine grâce n'est que saburre, sang, humeur, fiel ~, etpour tout dire « un simple sacd'excréments •. Enfin, et c'est làsa principale originalité, il faitappel à toutes les ressources de lasymbolique freudienne pour imager nos «fécales amours », etrendre plus coercitive, si possible,l'espèce de malédiction q~i pèsesur la geste d'Eros. Au point quenul ouvrage mieux que Sueur deSang ne mérite l'extraordinairecompliment qu'adresse Gourmontaux poètes sermonnaires qui sont,à tant d'égards, les vrais précurseurs de Jouve :
Tels, avec du lyrisme d'amour etde gloire, de larmes et de peur, lesfondements de la littérature catholique. Toujours elle proclama lavie intolérable et sordide, e.t pourmieux nous en dégoûter, elle s'ingénie à réduire à l'ordure le plaisirpour lequel l'humanité, qui en estfille, travaille jusqu'au désespoir.
Il est de fait que cet érotisme àrebours, qui va « s'épaississantsur les mots obscènes et froids ~,
recèle ou engendre son propredégoût. Cela peut être de hautgoût dans telle pièce de vers outel chapitre de roman (par exemple l'Aventure de Catherine Crachat), mais l'on ne saurait c s'enfarcir ~ un plein recueil sanséprouver, à tout le moins, de l'impatience. Aussi nous tarde-t-ild'arriver aux poèmes de Jouve quiprocurent à l'Eros contusionné etsouillé de Sueur de Sang le seulremède approprié: le Nada oul'absence. Mais nous voici à boutd'article. Ce sera pour une autrefois.
Maurice Saillet
1. Voici cette bibliosraphie, telle qu'ellefigure dans Vingt-einq am de littératurefram;«Ùe (1895-1920) d'Eugène M"Ontfort.LeIJ MweIJ romaineIJ et florentines, Messein, 1910, 107 p. LeIJ Ordru qai chan·gent, poèmes, FiJ11ière, 1911, 46 p. PréIJences, poèmes, 1re série, Crès, 1912,127 p. Parler, poèmes, 2e série, Crès,1913, 162 p. Vow êteIJ deIJ hommeIJ,N,R.F., 1915, 128 p. Poème cqntre legrand crime, Genève, éd. Demain, 1916,53 p. Dame deIJ Moru, La Cbaux-deFonds, éd. d'Action Sociale, 1917, 160 p.1. Livre de la Nuit, Genève, Le Sablier,1919, 132 p. 2. Livre de la Grâce, Genève,Kundig, 1920,185 p. 3. TolJCarIa, Genève,Kundig, 1921, 91 p.- Lu AéroplanelJ, poèmes, Figuière,1921, 42 p. Tragiquu, suivis du VorageSentimental, réunion de l, 2 et 3, Stock.1922, 292 p.Il manque 'à cet inventaire au moinsdeux ouvrages : Artificiel, plaquette depoèmes tirée à 7 exemplaires en 1908ou 1909, dont Jouve signale l'exÏ5tencedans En Miroir, et un recueil de récits,Hôtel-Dieu. A noter que le sacrificede cette œuvre n'alla pas sans quelquehésitation : jusqu'à Sueur de Sang, leslivres de Jouve annoncent au verso dufaux·titre : PremierIJ PoèmeIJ (19151923). A nthologie, à paraître.
ÉRUDITION
Un sonnet contestéde Mallarnté
El de ce qu'une nuit, lIGm ra~e ellIGm tempête,Ca deus êtra .e sont accoupu. en dormant,o S1uJ1upeare el toi, Dante, il peut naître un poète !
Un mm. met sou. lui IIG femme froide et sèche,Contre ce bonnet blanc frotte son auque-ci-mêcheEl travaille en soufflant inezorablement :
Parce que de la t1ÛJnde éI4ÏI ci point rôtie,Parce que le journal déftÛllait UA viol,Parce que nIT IIG ~or~e ipoble et mal bâtieLa .ervanIe oubIüJ de boutonner son col,
Parce que 4un lit, Vand comme une MJCr"Utie,Il voit, nIT la pendule. UA couple antique et fol,Ou qu'il n'a pu .ommeil, et que, lIGm mode5tie,S. jtmabe sou. le. drap. frôle une jambe au vol,
républicains comme le Corsaire,la Marseillaise et le Mot d'ordre.
Phtisique, il n'eut jamais lesmoyens de recevoir les soins quil'eussent peut-être sauvé. Quanden mai 1883, on le transporta dugarni où il logeait, rue de l'Ecolede Médecine, à la maison Dubois,on savait qu'il était perdu. Il mourut le 15 mai 1883. Gil Bias luiconsacra le 17 mai une noticenécrologique dans laquelle Fernand Xau ne manqua pas de rappeler le sonnet Parce que... dontil cita le premier vers:Parce que de la viande était à
point rôtie...En 1885, le journaliste Monpro
fit rassembla en un volume lesNouvelles laissées par ClémentPrivé, dont il se proposait de réunir les vers dans un autre recueilposthume. A notre connaissance,ce second recueil n'a jamais paru.On y eût certainement trouvéParce que..., dont Monprofit parledans son introduction au recueilde nouvelles comme d'un sonnetfameux depuis la· publicité que luiavait faite un autre journalisteami de Privé, Georges Puissant.
Ajoutons que parmi les nouvelles de Privé, une est dédiée à LéonCladel, avec qui Mallarmé luimême était en fort bons termes,et une autre à Tony Révillon.
M. Joseph Bollery, que ses savants travaux sur Bloy et surVilliers de l'Isle-Adam ont depuislongtemps familiarisé avec l'histoire littéraire des années 18601890, me faisait part, il y a deuxmois, de la surprise qu'il venaitd'éprouver en rencontrant le sonnet de Privé dans le Mallarmé dela Pléiade: « Pour parler commeLéon Bloy, m'écrivait-il, si unange descendait du ciel pourm'affirmer que ce sonnet est deMallarmé, je lui dirais: Tumens! »
Pascal Pia
Mallarmé a probablement écritun autre Parce que, celui dontCazalis avait retenu l'incipit:Parce qu'un soir d'avril il lut dan5un journal, mais cette pièce, imitée de Privé ou imitée par Privé,reste à découvrir. Inutile d'attendre qu'on ait mis la main dessuspour retrancher des Poésie& deMallarmé ce qui n'y a été glisséque par mégarde.
Maeght, éditeur, publie un ouvrage du dessinateur américainSteinberg. Il a été tiré 300 exemplaires de tête numéroté5 comportant une lithographie originale. Ce livre paraît à f occasiond'une exposition des œuvre5 deSteinberg. Il comprend 160 de5sins inédits dont lIO en couleurs,avec 22 photographies d'IngeMorath. Textes de présentationde Michel Butor et du critiqueaméricain Harold Rosenberg donton a pu lire récemment en français la Tradition du Nouveau.
hors-textes, gravures et photographies de f époque. Reliure peau,chagrin, ou maroquin.
Les Editiom Galanis publientCLXXXI Proverbes à expérimenter de Jean Guichard-Meili, illustré de 24 bois gravés de Lapicque.Texte composé à la main en Elzévir Plantin· corps 24. Format25. X 30. 120 pages non cousuessous couverture. Etui-chemise entoile blanche. 50 exemplairesnumérotés sur papier d'Auvergnea1!ec suite.
ment Privé était ongmaire del'Yonne. Il était né à Fontaines,près de Toucy, le 15 mai 1842, etavait donc, à deux mois près, le·même âge que Mallarmé. Il estprobable que Mallarmé et lui eurent l'occasion de lier directementconnaissance entre 1862 et 1864,soit aux Gaillons près de Sens oùM. Mallarmé père avait une propriété, soit à Auxerre chez Lefébure, ou encore à Boisramart oùMallarmé, en septembre 1864,passa quelques jours chez ungrand-père de Lefébure. Privéétait alors agent des Ponts etChaussées. En 1867, il fut muté àSaint-Junien, dans la HauteVienne, mais il se plaisait si peudans l'administration qu'aprèss'être engagé pour la guerre de1870, il préféra reprendre saliberté et venir à Paris, où il vécutdès lors assez difficilement de sacollaboration à quelques journaux
que Parce que... fut repris à partirde 1880 dans plusieurs périodiquesparisiens, où il me souvient del'avoir vu au cours de recherchesconcernant Charles Cros et lesZutistes. Je regrette de ne pouvoirproduire de références détaillées,mais je ne ·crois pas m'avancertrop en disant que ce sonnet figuresoit dans les premières années duChat Noir, soit dans un des hebdomadaires du genre Panurge ouBeaumarchais que devaient supplanter vers 1885 le Courrier français de Jules Roques et Gil Biasillustré.
Comme son ami Lefébure, Clé·
BIBLIOPHILIE
Pierre Rollet, libraire, 3, rueMarius-Reinand, à Aix-en-Provence, annonce la première édition des œuvres poétiques complètes de Frédéric Mistral. Letexte sera accompagné de variantes inédites et comprendra despoèmes encore inconnus. Onpourra le lire sous sa forme provençale, placée en regard de laversion en français. L'ouvragecomprendra 2 volumes de 1.300à 1.400 page5 chacun, illustrés de
plus surprenante que le nom deClément Privé figure dans quantité d'ouvrages que Mondor auraau moins feuilletés, s'il ne les apas lus. Depuis 1912, date à laquelle Edmond Bernard, ancienpharmacien devenu courtier enlivres clandestins, publia sous letitre d'Anthologie h05pitalière etlatinesque, une compilation decouplets gaillards et de poèmesplus ou moins libres, tous les recueils de chansons de salles degarde ont reproduit, comme avaitfait Bernard, le sonnet Parce que...suivi du nom de son véritableauteur.
Où ce sonnet avait-il paru pourla première fois? Je ne saurais ledire. Peut-être le rencontrerait-ondans un des journaux imprimés àAuxerre sous le Second Empire,car Privé, dès 1859, avait donnédes vers au Propagateur defYonne. Il est certain en tout cas
mais sans doute aussi parce quel'auteur en était Clément Privé,un des intimes de son ami Lefébure.
Mondor n'a pas ignoré l'existence de Privé, - dans sa Vie deMallarmé, parue en 1942, il indique même que Lefébure, en 1864,avait montré à Mallarmé troispetits carnets remplis de sonnetsécrits en collaboration « avec C.Privé », - mais il ne semble pasavoir cherché à recueillir d'autresinformations sur ce Privé, auquelil ne donne pour prénom qu'uneinitiale.
Cette imprécision est d'autantPréfacés par M. Jean-Paul Sar
tre, les poèmes de Mallarméviennent de prendre place dansune collection de poche. Il n'yaurait qu'à se réjouir de les voirassurés ainsi d'une diffusion plusétendue, si cette diffusion ne risquait de propager une erreur. Lanouvelle édition reproduit eneffet, page 184, un sonnet qui n'estpas de Mallarmé, et que personnene s'était avisé de lui attribueravant 1945.
Comme ce sonnet ne porte pasde titre qui le différencie d'autres sonnets authentiquement mallarméens, il ne sera pas sup~rflu
d'en donner ici le texte.C'est Henri Mondor qui intro
duisit ce sonnet dans les Oeuvrescomplètes de Mallarmé lorsqu'encollaboration avec G. Jean-Aubry,il se chargea de les réunir pour lacollection de la Pléiade. Ayantdécouvert un manuscrit de cesvers où il était facile de reconnaître «la plus belle écriture dupoète », il en avait conclu qu'ils'agissait là d'un des premierstextes de Mallarmé, et d'un textequ'avaient pu lire ou entendre lirede bonne heure deux amis decelui-ci: Eugène Lefébure etHenri Cazalis.
Mondor se fondait : 1. Sur unelettre de 1864, dans laquelle Lefébure écrivait à Mallarmé : Je saismaintenant presque tous vos verspar cœur, mais il y en a naturellement qui me plaisent surtout :le Sonnet du bourgeois qui crée unpoète, la pièce· d'un Mendiant sifière et si belle.
2. Sur un billet de mai 1863 oùCazalis dit à Mallarmé: Si tu veuxm'être agréable, tu m'enverras tesdeux 50nnets sur l'Aumône. (Voilà5 franC5, va boire) et la Naissancedu Poète (Parce qu'un 50ir d'avrilil lut dam un journaL).
En fait, si la lettre de Leféburesemblait justüier le rapprochement établi par Mondor, celle deCazalis eût dû, au contraire, fairenaître un doute. Le vers qu'ellecîte ne se retrouve pas dans lesonnet que Mondor croyait inconnu, et qui l'était si peu que,vers 1882, les journalistes y faisaient sans cesse allusion commeon fait encore allusion au sonnetd'Arvers.
Pourquoi Mallarmé avait-il priscopie de ce poème? Sans douteparce qu'il l'avait trouvé piquant,
Dans son édition des Oeuvrescomplètes d~ Mallarmé, HenriMondor a introduit un sonnetqui ne figurait pas dans les éditions antérieures des poésies.Pascal Pia pense que ce sonnetn'est pas de Mallarmé. Il ditpourquoi.
MallarméPoésies.Préface de Jean-Paul SartreCollection PoésieGallimard éd.
La Quinzaine littéraire, 1" avril 196615
ART
Le style et le •crI
Mondrian: CompositÛJn rouge, jaune, bleue, 1921, Musée de la Haye.
Michel SenphorLe style et le cri.Le Seuil éd.
Michel S e u p h 0 r qui fut,croyons-nous, le premier historiende l'art abstrait en France, rassetiIble ici des textes publiés entre1953 et 1964 ou destinés à desconférences. Il y ajoute « Trenteet une réflexions sur un thème » :le style et le cri. Ensemble un peudécousu, où les contradictionssont nombreuses, irritant parfoismais non dénué d'intérêt ni, parmoments, d'une certaine hauteurde vue.
La première partie refait l'historique des différents mouvementsqui sont à l'origine de l'art ahstrait, du Futurisme à Dada enpassant par les « mouvementsrusses (Suprématisme, Rayonnisme) les Synchromistes américains,De Stijl de Van Doesburg etMondrian, et quelques autres pluséphémères. Il y ajoute le plustardif Cercle et Carré qu'il fondaavec le peintre uruguayen Torrès-
Garcia dont il trace lin vivantportrait. On regrette pourtant quele Bauhaus ne soit·évoqué qu'enpassant et que Klee, à peinementionné, soit réduit à des proportions dérisoires 1. Cependantune grande partie de l'intense vieartistique qui s'est développée peu ou prou à partir du Cubisme- dans les années 1910-1925, estévoquée ici. Le phénomène russe,notamment, a v e c Malevitch,Tatlin, Burjulk (ami de Maïakowski) , Lissitzki, Larionov etGontcharova, Kandinsky, les frères Pevsner et Gabo, etc. montreun monde en pleine ébullition"d'où jaillissaient les idées, lestextes, les conceptions les plushardies, monde vite étouffé par ledogmatisme. Le réalisme socialiste s'installe èt reste pendant plusde trente-cinq ans - au fait, ill'est encore! l'art officielsoviétique. Nous célébrerons, écritSeuphor, la gloire de Malévitch.Et celle de Lissitzki, et celle deTatlin. Et celle de vingt autresartistes de la grande époque quisont morts là-bas. La Russie
s'abstenant. Sourde et muettedevant un phénomène prodigieuxde son histoire.
L'auteur célèbre ensuite certains artistes qu'il admire entretous Mondrian, Arp, SophieTauber-Arp et, dans quelquestextes d'un caractère plus réflexif,tente de dégager et de défendrela conception de l'art qui est lasienne. Conception presque mystique, comme l'était celle deMondrian, phare unique, point derepère capital autour duqueltourne tout un secteur de l'artcontemporain. Seuphor le voit« inactuel »2 mais toujours là,« isolé mais présent, inamoviblecomme un menhir ». Il saitévoquer en termes émouvants lahaute figure du Hollandais quifut l'exemple même de l'artisteintègre et désintéressé, son extrême pudeur, sa discrétion, la sorted'ascétisme avec lequel il se vouaà son art.
On en regrette davantage que,tout attaché à chanter les louanges du style, sa passion l'égare dèsqu'il aborde l'autre pôle de l'artcontemporain : le cri, et lui fassetrop souvent dépasser cette « mesure » qu'il propose en modèle. Ilest choquant de trouver sous lamême plume des réflexions comme : « L'art est la vraie noblessede l'homme. C'est par l'art seulque la grandeur passée a survécu.L'art est à la fois l'histoire et lamémoire de l'humanité », encompagnie d'expressions méprisantes ou hargneuses envers desartistes qui ne sont pas de sonbord : telles que « folles de leurcorps », « livrés à un art femelle »,« artistes-pitres, bonimenteurs,acrobates », « convulsionnaires,séniles, incontinents ». Malgréquelques-unes des « réflexions »finales qui tentent de corriger unpeu cette partialité, aucune ana·lyse sérieuse du cri n'est entreprise et la reproduction d'unPollock sur la couverture esttrompeuse.
Certes, nous ne doutons pas quela peinture « construite » ait saplace dans la vie et dans l'architecture d'aujourd'hui où elleaurait dû depuis longtemps s'intégrer. Elle ne supprimera paspour autant le besoin d'un autreart, intimiste et secret, lyrique oupoétique, ou - pourquoi pas ? épique. Que cette peinture, aumoins, soit celle des vrais créateurs, non de leurs trop nombreuxsuiveurs. Michel Seuphor ne voitceux-ci et l'ennui qu'ils engendrent que lorsqu'ils sont de l'autrebord. Son erreur, comme celle detout partisan - qui ne l'est à unmoment ou à un autre? - est depenser qu'une forme d'art nou-
'velle en exclut automatiquementune autre dont elle semble lanégation. Si nous considérons lavie de l'art au long des âges etles « mouvements » qui se sontsuccédé à une cadence rapide depuis la fin du XIX· siècle, nousconstatons que loin de s'exclure
comme il le paraît dans la passion du moment, ils s'additionnent.Nul n'a jamais pu faire que leprécédent n'ait pas existé, mêmes'il est né en réaction contre lui.Bien que le Cubisme se soit ainsiformé contre le Fauvisme et l'Expressionnisme, il ne peut effacerles superbes toiles « fauvcs »peintes par Matisse, Dcrain, VanDongen, etc. De même les chefsd'œuvre du Cubisme ne serontannulés ni par le Surréalisme, nipar l'Informel, pas plus que cesderniers ne seront supprimés parles mouvements à venir.
L'art est sans doute le seul domaine où ce qui a été est pourl'éternité : le style de Mondrian,comme le cri de Pollock. L'œuvre suprêmement maîtrisée dupremier satisfait notre besoind'équilibre et de raison, celle jaillissante et tragique de Pollockapporte un écho à notre angoisse.Car l'homme est multiple etcontradictoire, comme le rappelleaussi Michel Seuphor, et c'est àdes œuvres diverses, parfois antinomiques, que s'abreuvent lesparts multiples de son être.
Geneviève Bonnefoi
1. «Il m'apparaît plutôt comme unaccumulateur de petits mystères qu'iltire de son esprit ainUlblement embrous·saillé. »2, Mondrian inactuel fut écrit en 1957.On vend aujourd'hui des robes et desfoulards «Mondrian» mais .on œuvreest·elle mieux connue pour autant?
Mort de Viotor Brauner
Victor Brauner vient de mourir. Compagnon des Surréalistes,il a inspiré de nombreux poètes :André Breton, René Char, Benjamin Péret. Au début de cetteannée, ses Dessins magiquesétaient rass~mblés et commentéspar Sarane Alexandrian en unbeau livre publié par les éditionsDenoël. (76 pages d'illustrations:70 F).
Patrice WaldbergMagritte.62 planches en couleurs350 planches en noir.Bibliographiepar André Blavier.André De Rache éd. Bruxelles
La forêt surréaliste nous a parfois caché ses arbres. Entendonspar là que l'idéologie concernantune collectivité d'artistes a imposé dans l'esprit du public unenotion générale de ses principesqui tend à lui masquer les différences par lesquelles, assez profondément, chaque peintre de cegroupe se sépare des autres. C'estpourquoi l'ouvrage de PatrickWaldberg sur René Magritteprend la valeur d'une explorationrévélatrice d'une œuvre qui afonrni au Surréalisme un apporttrès personnel et dont on ne soupçonnait pas l'.étendue. Sa diversiténous apprend; en outre, de quellesmultiples façons le peintre a surester, depuis une quarantained'années, fidèle à sa manière, àses idées, à ses hantises, sans épuiser la source de ses inventions.
Sur l'homme, nous savions peude choses, sauf quelques traits deson caractère qui semblaientconfirmer l'impression que Magritte a toujours été enclin à vivre «à l'écart ». Pour Paris, cetécart est immense lorsqu'il estmarqué par une frontière: lacuriosité esthétique des Parisiensest peu voyageuse. Et Magritte avécu toute sa vie - à l'exceptionde deux années. passées au Perreux - dans son pays natal, laBelgique, pays lointain si l'on enjuge par la mauvaise connaissanceque nous en avons.
En nous racontant la vie dupeintre, Patrick Waldberg nousapprend ainsi beaucoup de chosessur les milieux littéraires dontl'activité fut grande à Bruxellesdans les années vingt. On s'y battait autant qu'à Paris contre lesdénigreurs de l'avant-garde. Lavie de Magritte, cependant, ne futguère mouvementée. C'est peutêtre à cause de cela qu'elle nousintrigue. De son enfance dans leHainaut une image émerge quipourrait être le sujet d'une deses toiles : dans un cimetière, dt"uxenfants sortent d'un caveau etvoient un peintre installé avecson chevalet au milieu des tombes.Un de ces enfants était René Magritte qui avait l'habitude dejouer dans les caveaux en compagnie d'une petite fille. Ce jour-làil fit la découverte d'une fonctionétrange, celle du peintre.
Il avait quatorze ans, en 1912,lorsque sa mère, pour une raisoninconnue, se suicida en se jetantdans la Sambre. W aldberg ~ raison de se montrer attentif à cessouvenirs d'u~e enfance illustrée
La Quinzaine littéraire, l or avril 1966
d'images funèbres, car dans lamémoire du peintre, elles devaienttoujours briller d'un troublantéclat.
Si l'œuvre de Magritte n'est pasdépourvue d'un certain humour,cet humour n'apparaît jamais quefigé dans un bloc de glace. Il suffit peut-être à nous dissimuler lepessimisme dont sa vie porta toujours l'empreinte. Sur ce pessimisme, il s'est expliqué, dans unelettre, d'une façon curieuse :«Mon défaitisme correspond àl'existence décevante - et à l'interdiction de croire que le système (sans lequel rien n'existerait) puisse être un refuge, unsecours quelconque ». Or, le mystère étant l'élément fondamentalde toute son imagination créatriceet, pour ainsi dire, le moteur quia mis perpétuellement en marcheson énergie de peintre, il semblerait que peindre ne fut pas pourMagritte un moyen d'atteindre lebonheur. Ce fut cependant l'unique passion de sa vie. Mais lapassion et le bonheur ne sont pasune même chose et je pense àcette réflexion de Boris Pasternak, dans Sauf-Conduit: «Toutepassion est un bond de côté exécuté à l'aveuglette pour éviterl'inéluctable qui fonce sur nous ».
Comment Magritte découvrit-ildans la peinture sa véritable destinée? Ce n'est pas dans sonpassage à l'Académie des BeauxArts de Bruxelles, où il entra en1916, qu'il trouva un encouragement à poursuivre un chemind'abord si hasardeux. A part lescours de Georges Eeckhoud surl'histoire de l'art, il n'en retiraque des impressions déprimantes.En 1919, il découvrit le Futurismeet en subit une passagère influence sans pour autant souscrire à ses thèses. La vie lui futdifficile et le Futurisme ne pouvait résoudre les problèmes dusombre présent de l'existence. Ilse mit alors à travailler dans uneusine de papiers peints.
Le choc que lui procura, en1922, la reproduction d'une toilede Chirico, le Chant d'amour, futpour lui d'une importance décisive. L'auteur rappelle, à ce propos qu'il en fut de même pourMax Ernst, en 1919, et pour Tanguy, en 1923 : Chirico, soudainement, leur avait ouvert les yeux.Pour Magritte, ce fut une prisede conscience de sa véritable raison de peindre. Il savait désormais qu'il pouvait avoir le couraged'exprimer à sa manière sa visiondu monde - d'un monde oùl'inabsolu n'est plus l'objet d'unevague rêverie mais où il peut êtredémontré avec la rigueur d'un syllogisme.
C'est en 1926 que Magritte commença de devenir Magritte avecsa toile du Jockey perdu -unjockey faisant courir sa montureau milieu d'une forêt dont les
Magritte
arbres sont des quilles géantes,soigneusement menuisées, quoiquebranchues. Depuis lors, son œuvre devait se poursuivre à l'abride toute hésitation et l'oil saitquelle richesse d'invention il apporta à bouleverser l'identité deschoses, à les soustraire à leurpesanteur, à leur fonction et 'ànotre logique visuelle.
Magritte devint un des princi.paux animateurs du groupe surréaliste belge qui formait ce .queWaldberg appelle «la Société du
Mystère ». E.-L.-T. Mesens, PaulNougé, Marcel Lecomte, CamilleGoemans, Louis Scutenaire, AndréSouris et, plus tard, Paul-Gustavevan Hecke, le fondateur de larevue Variétés, sont d'attachantesfigures auxquelles l'auteur consacre des pages très vivantes en nousmontrant les liens d'amitié qui seformèrent entre les Surréalistes deBruxelles et ceux de Paris. Amitiéparfois orageuse, d'ailleurs, detraditionnels dissentiments s'étantélevés entre André Breton et Magritte, qui aboutirent à unebrouille éclatante en 1946. Celan'empêcha pas Breton de tenirl'œuvre de Magritte en hauteestime, ainsi que le prouve laplace importante qu'il lui a dQnnée dans la réédition récente(chez Gallimard) du Surréalismeet la peinture, ouvrage augmenté,depuis 1928, de nombreux textes.Breton, fort justement, a mis enlumière le rapport entre la pein.ture de Magritte et certains méca·nismes de la pensée : Il a abordéla peinture dans f esprit des «leçons de èhoses » et, sous cet angle,(J instruit le procès systématiquede fimage visuelle dont il s'est pluà souligner les défaillances et àmarquer' le caractère dépendantdes figures de langage et de pen-sée. .
Cet esprit des «leçons de choses» implique aussi chez Magritteune technique souvent académique, ce que W aldberg n'a quediscrètement relevé. C'est sansdoute le côté faible d'une peinturevolontairement méticuleuse etfroide. Mais on pardonne cela àMagritte parce que, malgré tout,il entraîne très loin notre enchantement par la puissance poétiquede ses métamorphoses, par la fatalité angoissante ou merveilleusede ses rencontres d'objets, par ses
M~ri.tte :
Reconnai.sslmce Infinie
jeux où la matière et l'espace intervertissent leur rôle, et par ceque Scutenaire appelait ses « mystères précis ». Sur sa chaise Ion·gue Empire, le cercueil deMme Récamier n'est pas mieuxpeint que le portrait de David.
Devant certaines· toiles de Magritte, que Waldberg appelle « jardinier-paysagiste de l'esprit happépar le mystère », nous ne songeons pas' à nous interroger surle trouble qu'elles nous communiquent, mais nous savons que nousne pourrons plus regarder d'unœil . innocent les plus simplesobjets qui nous entourent: ilsentreront, à notre insu, dans ledomaine de l'incertitude, dans cedomaine où la nuit voisine avecle jour, où les murs sont transparents, les arbres savants, les montagnes animales, les maisons végétales, les pommes célestes et lessouliers vivants, où les feuillessont des oiseaux et les poissonsdes cigares, où le dehors ne sedistingue plus du dedans - domaine que le peintre a créé avecune rigueur persuasive et qui nousfait dire de lui, en inversant lestermes· d'une proposition de Hegel: il a élevé l'apparence à ladignité du réel.
Jean Selz
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SOCIOLOGIE
Etre à l'aise dans son corps
Margaret Mead.L'Un et fautre sexe.Gonthier éd.
La question posée d'emblée parce livre est celle-ci : les distinctions sociales entre les sexes, élaborées par toute société humaine,mais dont l'ethnologue constatequ'elles sont souvent contradictoires entre elles, donc sans validité universelle, sont-elles nécessaires? Dès le début de sonlivre, l'auteur dévoile sa conviction. personnelle qui sous-tendtoute la démonstration de l'ouvrage: les différences entre lessexes pourraient constituer unedes ressources les plus précieusesde l'humanité, utilisée certes partoutes les sociétés, mais jamaisexploitées à fond par aucune. Lasauvegarde de notre monde enpleine transformation est dansl'exploration méthodique desrestrictions et des avantages résultant de l'existence des deuxsexes, de leurs différences, deslimites de leurs possibilités.
Mais l'auteur ne vèut pas seulement démontrer que hommeset femmes se trouvent modelés envue d'un rôle ou d'un autre, selon les sociétés, mais aussi qu'ilexiste des constantes de virilitéet de féminité dont toutes les sociétés doivent tenir compte. C'està l'aide de l'anthropologie socialequ'elle mènera à bien sa démonstration, dont pourront tirerprofit nos propres sociétés, àcommencer par la civilisationaméricaine à qui cet ouvrage futdestiné. La discipline de l'anthropologie sociale trouve en effetchez les peuples dite c primitifs » auxquels elle s'attache, à lafois des variantes de comportement humain que nos sociétés nepeuvent même imaginer et permet corollairement de mettre enévidence les limites biologiquesque les cultures ne peuvent franchir sans cesser d'être humaines.La documentation que MargaretMead utilise est celle qu'elle arecueillie elle-même sur le terrain, chez sept populations duPacifique dont elle donne rapidement un portrait plus psychologique que culturel
Dans une premiêre partie, c leschoses du corps :t, elle veut montrer comment on apprend à êtrehomme ou à être femme, à reconnaître son appartenance à. unsexe ou à l'autre à travers lesétapes que franchit successivement l'enfant. La paissance jouelà un rôle fondamental, en cesens que la femme est biologiquement faite pour porter etmettre au monde des enfants,tandis que l'homme n'en connaîtra jamais l'expérience. Dès qu'ilperçoit ce partage des rôles, lavision du monde de l'enfant,qu'il appartienne à un sexe ouà l'autre, se polarisera de façonsignificative.
« C'est par le corps lui-mêmeque le corps apprend à se com-
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porter ». Si comme chez les Arapesh de Nouvelle-Guinée, la mèredonne le sein à son enfant sansmême qu'il ait à le réclamer, labouche prendra une connotationde passivité qui conviendramieux à l'épanouissement de lafemme, tandis que l'homme auraplus de difficultés à actualiser savirilité. Mais une femme au tempérament actif se sentira également mal à l'aise dans une tellesociété. parce qu'elle percevraque ses aspirations ne correspondent pas aux rôles que cette société assigne aux femmes. Dansune vision d'un avenir harmonieux dont Margaret Mead sepréoccupe beaucoup, il seraessentiel pour les hommes et lesfemmes de savoir être à l'aisedans leur propre corps par rapport à leur sexe, au sexe opposéet à la société tout entière.
Dans une deuxième partie,c les problèmes de la société »,la question est posée de savoircomment les sociétés humainesont tenté de créer un mythe dutravail fondé sur les différencesentre les sexes. Biologiquement,l'homme serait apte à un travailqui exige des efforts importants,mais discontinus, alors que lafemme remplit plus facilementune tâche monotone et répétée.En ·revanche le rythme biologique de la vie féminine est discontinu, marqué de seuils beaucoupplus nets que ceux de l'homme :apparition des premières règles,perte de la virginité, premièregrossesse, ménopause. On pourrait dire que les différentes sociétés se donnent une idéologie féminine lorsqu'elles acceptent lerythme de la vie des femmes etles impératifs du corps, plutôtque les contraintes d'une civilislltion artificielle, mais transcendant la biologie. La civilisationaméricaine où tout est toujourspossible à réaliser, sans que lepassé soit une entrave, obéit ence sens à un schéma qui seraitcelui de la biologie inoins déterminée du mâle.
Dans l'organisation de toutesles sociétés humaines connues, ilexiste une constante de la structure familiale basée sur le rôlenourricier de l'homme envers saou BeS femmes et ses enfants.Cette constante est d'ordre social,tandis que les liens nourriciersentre la mère et l'enfant ressortissent plus de l'ordre biologique.Et c'est dans l'enfance que leshommes doivent apprendre àvouloir engendrer, aimer et nourrir des enfants, afin de maintenirla société. Certains peuvent s'yrefuser, comme certaines femmespeuvent ne pas accepter leur rôlebiologique de procréatrice. Nousne savons pas si refuser une voietracée par la biologie comporte
plus de dangers pour la société,que s'engager dans une voie définie socialement sans base biologique.
Dans une dernière partie, dontles faits nous paraîtront peut·être tout aussi folkloriques quece qu'elle raconte des Iatmul deNouvelle·Guinée ou des Balinais,Margaret Mead retrace l'évolution sexuelle de ses compatriotes,de l'enfance jusqu'au-delà dumariage. Les contradictions yabondent: alors que jusqu'à leurpuberté garçons et filles sontéduqués sans qu'on veuille faireapparaître de différenciationsexuelle entre eux, à ce momenton exige brusquement d'eux unesexualité de parade imposée parle jeu de « rendez-vous ». La grossesse hors du mariage restantinterdite, un dilemme se posepuisque les règles du jeu voudront que le garçon essaie d'ohtenir le plus possible de la fillequi se doit de céder le moinspossible: la solution se trouvedans le c pelotage ». Pratiquédurant des années, il aboutitfinalement à un mariage oùl'homme doit don~er la preuvede sa virilité, et la femme aboutirà un plaisir sexuel total. Il n'estpas étonnant que les préliminaires d'un tel mariage l'empêchentde s'accomplir harmonieusementdans de très nombreux cas.
v. lDOJU1e W8eJlaé
La conclusion et l'espoir formulés par l'auteur sont qu'il fautaménager la vie dans un mondereconnu bisexué, de manière àce que chaque sexe tire le maximum de la présence de l'autre.Protégeons les différences sexuelles, elles sont une source de richesses pour la société. Unesociété qui assigne une façon des'habiller, des comportements,des relations avec les autres àdes individus qui appartiennentà une certaine classe ou à l'undes sexes, brime la personnalitéde quelques-uns, mais travailleà enrichir sa propre civilisation.Une autre conception souhaiteque disparaissent les différencesd'éducation entre garçons etfilles, parce qu'elle s'accompagnede la conviction que les dons,assignés selon les sociétés à l'unou l'autre sexe, ne sont en réalitéque ceux de certains individus. Onpeut très bien l'imaginer dansnos sociétés, puisque les deuxdifférences évidentes entre lessexes, le fait que ce soit la femmequi mette au monde les enfantset l'inégalité de force physiqueentre homme et femme, représentent de moins en moins descontraintes. Mais pour MargaretMead, la société y per.dra. Selonelle, ce n'est pas dans l'abolitionde ces distinctions que notre civilisation redeviendra plus belle,plus riche et plus variée, c'est en
accueillant toute la gamme desvirtualités humaines, et, en mêmetemps, en prenant le risque debriser l'épanouissement de certains.
Ces conceptions qui nous heurtent par leur côté réactionnaire,s'expliquent mieux dans la perspective de la discipline anthropologique, Celle·ci appréhende eneffet une société comme un toutque ses éléments - institutions,rites, système des croyances etdes valeurs, aussi bien qu'individus - concourent à former, maintenir et faire évoluer. Mais cen'est pas là, malgré les dix expéditions qu'elle a accomplies surle terrain, la seule perspective quiintéresse Margaret Mead : ce matériel et cette méthode anthropologiques ont été appliqués par elleà des problèmes concernant notrecivilisation contemporaine. Ellea le sentiment aigu que l'anthropologie sociale, tournée entièrement vers le passé lorsqu'elles'attache à la préhistoire ou àdes sociétés actuelles immobilisées dans une absence d'histoire,a le devoir impératif d'inclurele présent et de se tourner versl'avenir. Elle se doit de s'appliquer à des problèmes tels qued'établir une transition entre unmonde menacé par une catastrophe nucléaire vers un mondesans guerre, ou d'harmoniser lesrapports sociaux entre les sexes.Cependant les anthropologuesclassiques feront à MargaretMead l'objection de mettre l'accent sur l'individu et l'action dela culture sur lui, plutôt que surla société. Si les psychologues
.tirent parti de ses études, les psy-chanalystes lui reprocheront d'utiliser certains de leurs acquis théoriques tout en refusant d'enaccepter toutes les implications.Telle qu'elle se présente, l'œuvrede Margaret Mead et tout particulièrement l'ouvrage dont onnous offre aujourd'hui la traduction, sont stimulants pour l'esprit précisément parce qu'elleabat les cloisons entre les différentes disciplines 'qui s'attachentà l'étude de l'homme. De surcroît, elle peut nous éveiller auxproblèmes concernant n 0 t r ecorps, que notre civilisation atrop tendance à vouloir ignorer,tout imbue de la bonne consciencequ'elle a acquise en nous apportant le confort matériel.
Nicole Belmont
Les traductrices de l'ouvrage nous pel"mettront d'ajouter à la rapide bibliographie donnée à la suite du livre,l'adaptation française de deux essaisdatant de 1928 et 1935, publiée sous letitre c Mœurs et sexualité en Océanie »(Plon, collection Terre humaine, 1963),où l'auteur traite ces mêmes problèmesà l'aide des seules données recueilliessur le terrain et présentées de façonbeaucoup plus approfondie.
PHILOSOPHIE
L'holllllle,. -.IncertaJ.D.ce Narcisse
Picas$o: Les Ménines, 1957. Dam $on livre, Michel Foucault analY$e le monde de larepré$entation c~ique dont- Vélasquez donna un modèle comple"e,o dénoué parPic4$$o, à l'époque contemporaine.
Michel FoucaultLes Mots et les Choses,une archéologiedes Sciences humaines.Gallimard éd.
Michel Foucault est, depuis sonHistoire de la folie, un des jeunes philosophes qui aujourd'hui retiennent le plus fattention. Son essai sur RaymondRoussel a fait également date.Dans les Mots et les Choses, ilse livre à une étude systématique des configurations mentales qui ont rendu compte de lanature des sciences depuis lafin de la Renaissance. FrançoisChâtelet analyse cet ouvragede première importance.
L'œuvre de Michel Foucaultse développe avec une rigueurexemplaire. En 1961, c'était l'Histoire de la Folie à f âge classique; deux ans après, La Naissance de la Clinique; voici aujourd'hui Les Mots et les Choses, unearchéologie des sciences humaines. Entre les trois recherches,la continuité est évidente: L'histoire de la folie, c'est fhistoirede l'Autre - de ce qui, pour uneculture, est à la fois intérieur etétranger, donc à exclure (pouren conjurer le péril intérieur),mais en fenfermant (pour enréduire l'altérité); l'histoire del'ordre des choses c'est le thèmede ce troisième ouvrage. Est l'histoire du Même - de ce qui, pourune culture, est à la fois disperséet apparenté, donc à distinguerpar des marques et à recueillirdans _des identités. Quant auregard médical, gont traite Naissance de la Clinique, il est l'entre-_deux, puisque la maladie est -àla fois le désordre, la périlleusealtérité dans le corps humain etjusqu'au cœur de la vie, maisaussi un phénomène de naturequi a ses régularités, ses ressemblances et ses types.
Cependant, l'histoire du Mêmecelle qui recherche dans
quelles conditions et selon quelles orgànisations se distribuentle langage et la perception, laparole et le monde, s'opèrent lesclassements et se repèrent différences et identites - possède uneplus grande ampleur que cellesqui visent à déterminer les diverscritères définissant le fou et lemalade. Il s'agit alors, en effet,de -l'histoire même du savoir, desmutations de son espace et de laconstitution de ses objets. Auvrai, le projet de l'ouvrage est
-triple: 1. c'est une archéologie,une étude systématique cherchantà reconstituer, à travers les œuvres des praticiens et des théoriciens, les configurations mentalesqui rendent compte de la naturedes « sciences »- depuis la fin dela Renaissance et de la manièredont elles ont regardé les « choses »; 2. c'est une investigationtentant de révéler l'existence et
La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966
la signification d'ouvrages quel'histoire de la culture - découpée en « disciplines » (la philosophie, les lettres, les sciencesexactes, l'économie...) - négligeconstamment; 3. c'est une critiquequi retrouve à partir de quellesidées et de quels systèmes d'idées(ou de pseudo-idées) se sont formées ces fameuses «scienceshumaines » dont s'étend aujourd'hui, d'une façon fort irritante,l'impérialisme ambigu.
En ces trois domaines, la réussite est complète. Voici, sansaucun doute, l'analyse théoriquequi doit apporter aux scienceshumaines cette réflexion qui leurfait si notoirement dMaut. Larigueur, f originalité, l'inspiration de Michel J"oucault sonttelles qu'immanquablement, d~
la lecture de son dernier livrenaissent un regard radicalementnouveau sur le passé de la culture occidentale et une conceptionplus lucide de la confusion de sonprésent.
L'économie du texte est rigoureuse: un premier momentdéfinit la situation du signe, decette relation équivoque qui unitet distingue le mot et la chose,dans la p-ériode pré-classique : auXVIe siècle, le langage existe,d'abord, dans son être brut etprimitif, sous la forme simple,matérielle, d'une écriture, d'un
stigmate - sur les choses, d'unemarque répandue par le mondeet qui fait partie de ses plusineffaçables figures. En un sens,cette couche du langage est unique et absolue. Mais elle faitnaître aussitôt deux autres formes du discours qui se trouventl'encadrer: au-dessus d'elle, lecommentaire, qui reprend lessignes donnés, dans un nouveaupropos et, au-dessous, le texted(mt le commentaire suppose laprimauté cachée au-dessous desmarques visibles à tous; alors,le propre du savoir n'est ni devoir ni de démontrer, mais d'interpréter. Commentaire de fEcriture, commentaire des Anciens,commentaire des légendes et desfables: on ne demande pas àchacun de ces discours qu'oninterprète son droit d'énoncer unevérité : on _ne requiert de lui quela possibilité de parler sur lui.
Avec l'âge classique, la profonde appartenance du langageet au monde se trouve défaite.Le primat de f écriture est suspendu. Disparaît alors cette couche uniforme où s'entreèroisentindéfiniment le vu et le lu, le visible et 0l'énonçahle. Les choses etles mots vont se sépcrer. L'œilsera destiné à voir, et à voir seulement; l'oreille à seulemententendre. Le dücours aura bien
- pour tâche de dire ce - qui est,
mais il ne sera rien de plus quece qu'il dit. Désormais, domine,pour deux siècles, la représentation: le langage se retire de lavérité, et entre dans son ère detransparence et de neutralité.Alors que la Renaissance supposait l'interprétation et misait surles profondeurs indéfinies dulangage, s'introduit comme principe la- notion de l'ordre, unordre que la pensée, le discoursont à refléter, fidèlement et simplement. De l'ordre simple, lesavoir de type algébrique rendcompte; les ordres complexes,la taxinomie, la disposition entableaux ordonnés des identitéset des différences, les réfléchit.Se déploient alors, au XVII" et auXVIIIe siècles des savoirs tendantà la totale transparence. On étahlit des « grammaires générales » qui veulent assurer la complète intelligibilité de la parole,des « histoires naturelles» quiclassent choses et animaux endes organisations strictes, deshéories de l'échange qui cherchentà représenter correctement la circulation des richesses. C'est l'univers ensoleillé où le signe estsouverain, où la correspondancedu mot - et de la -chose est poséecomme allant de soi...
Mais bientôt la lumière baisseet se projettent les ombres.L'évidence de la représentationest pauvre et l'unité qu'elle introduit exagérément simplifiante.C'est le troisième moment où« -les limites de la représentation » apparaissent, en des recherches équivoques et significatives,dans ce désordre intelligent quiest à l'origine de notre modernité: nulle composition, nulledécomposition, nulle analyse enidentités et en différences ne peutplus justifier le lien des représenllations entre elles; f ordre,le tableau dans lequel il se spatialise, les voisinages qu'il définit, les successions qu'il autorise... Ile sont plus en pouvoir .delier entre eUes les représentations... La condition de ces liens,elle, réside désormais à f extérieurde la représentation, au delà deson immédiate invisibilité, dansu~e sorte d'arrière-monde i;lusprofond qu'elle-même et plusépais.
A la souveraineté de la représentation, aux po:uvoirs du logosqui unifie arhitrairement ce quidit et ce qui est dit, se substituentles troubles richesses de l'homme,ce Narcisse incertain qui, de sonseul souffle, trouble l'image dontil attend délivrance et vérité.S'institue le sommeil anthrop~logique. Nous en sommes; nous ysommes. Il n'est pas vrai que leXIX" siècle voit l'irruption del'histoire : l'histoire, commethème unifiant, était là d~puis
bien longtemps. Ce qui ~urgit,c'est les histoires, la plUralitéirrépressible des devenirs, la différence vraie, qu'on ne peut
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~ L'homme,ce Narcisseincertain
LIVRES POLITIQUES
Lukacs hérétiqueDlalgré lui
contenir. Le déclin du primat dela représentation, de l'évidence,signifie que la pensée comprendenfin que son objet effectif, c'estl'impensé, ce fond mystérieux etexigeant qui la limite et l'oblige.Kant le dit, d'une autre façon etavec un autre poids peut-être,Ricardo l'économiste, Cuvier Jebiologiste, Bopp le philosophele prouvent.
Dès lors, se trouvent délivréesles trois disciplines autour desquelles vont se construire, dansl'aberration de l'obscurité, nossciences humaines. Le travail, lavie, le langage constitueront lesobjets de savoir parcellaires etfructueux. Mais -l'homme, commeunique réalité;· êôurce et objetde toute connaissance, est désormais au centre: c'est de lui qu'ilfaut parler.
La psychologie, réplique humaniste de la biologie, la sociologie,réplique humaniste de l'économie politique, l'ethnologie, réplique humaniste de la philologie,développent leur empire...
Est-ce bien de l'homme qu'ilfaut parler? Est-il bien l'objet(et le sujet) unique du savoirrationnel? C'est cela que Mich~l
Foucault, finalement, met endoute. Son analytique de la finitude montre à la fois pourquoila notion d'homme - mélangeinstable d'empirisme et de concept, de nature et de culture, deflagornerie et de sérieux - joueun rôle si éminent et usurpe,dérisoirement, ce rôle.
Il est probable qu'en essayantde présenter le mouvement d'ensemble du livre, nous avons dit cequ'il fallait en dire et que, cependant, nous en avons manqué l'essentiel. Car l'essentiel n'est pasdans la rigueur, dans la richessede l'information, dans l'originalité des références. Il n'est pas,non plus, dans le style, dont l'afféterie est souvent agaçante (il ya des passages « littéraires » donton se passerait bien, parfois un«gongorisme haut - allemand »dont on ferait aisément l'économie). Il est dans la méthode. Michel Foucault- courageusement- se veut archéologue: il sedonne pour tâche de décrire etd'analyser les bifurcations dusavoir. Il jette par-dessus bord lesphilosophies de l'histoire, idéalistes ou matérialistes. Il a bienraison. Pourquoi s'embarrasseraitil à chercher la cause profonde,infrastructurelle, des mutationsde la science ?
Il reste que l'archéologie estseulement descriptive. Nietzschesignalait un autre chemin: celuide la généalogie - qui n'est autrequè celui du dépistage de celuiou de ceux qui - symboliquesd'une configuration socio-culturelle - sont à l'origine de notrebâtardise.
François Cluitelet
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Georges LukacsLénine.E.D.I. éd.
Les ouvrages de Georges Lukacs continuent trêtre publiés,avec ou sans agrément de rauteur. Le Lénine qu'on nousdonne de lui en français est undes plus singuliers - tant parla date où il a primitivementvu le jour que par les idées quiy sont exprimées -. L'hérétique était en germe dans cetteprise de position « léniniste ».C'est ce que nous expose unconnaisseur : Victor Fay.
Le Lénine de Georges Lukacs,qui vient de paraître en français,a été écrit en février 1924, peuaprès la mort de Lénine. Cettebrève étude suit la fameuse etmaudite Histoire et Consciencede Classe 1, parue en 1923. Onpeut même dire que Léninecomplète en quelque sorte cegrand ouvrage de Lukacs etdresse un premier bilan de l'héritage que se disputeront plus tardstaliniens et trotskystes.
Lukacs n'a jamais été trotskyste.Mais, malgré des efforts laborieuxd'adaptation, il n'est jamais devenu un vrai stalinien. Sa formationpremière, essentiellement philosophique, ses préoccupations méthodologiques, enfin les circonstancesde son adhésion au part icommuniste et à la Communehongroise de 1919 lui rendaientimpossible un ralliement inconditionnel au stalinisme. Il n'acependant rien d'un martyr : ils'incline devant la force, plie sousla tempête. Comme Galilée, ilreconnaît ses « fautes », fait àplusieurs reprises son auto-critiqueet écrit même un regrettable élogede Staline en pleine période deréaction jdanovienne.
Il a fallu l'insurrection d'octobre1956 en Hongrie, pour que Lukacs,âgé alors de soixante et onze ans,redevienne lui-même, entre augouvernement d'Imre Nagy, refuse de capituler même aprèsl'exécution de Nagy et de plusieursde ses compagnons de captivité.Libéré, autorisé à rentrer enHongrie après une détention enRoumanie, Lukacs reprend sonœuvre d'historien marxiste de lalittérature. Il renouvelle, en 1957,son autocritique concernant Histoire et Conscience de Cla&se,dont il n'a d'ailleurs pas autoriséla réédition, comme il n'a jamaispermis celle de son Lénine.
Oh ! Il est orthodoxe en diablenotre grand Lukacs ! Il suit pas àpas le raisonnement de Lénine, encoordonne les étapes, en dégagel'unité et la cohésion, en donneenfin une explication méthodologique. Il est orthodoxe à samanière et s'en explique : c Lemarxisme orthodoxe ne signifiepas une adhésion sans critiqueaux résultats de la recherche de
Marx, ne signifie pas une foi enune thèse ou une autre, nil'exégèse d'un livre sacré. L'orthodoxie, en matière de marxisme,se réfère bien au contraire etexclusivement à la méthode 2.
Pour comprendre toute l'œuvrede Lénine, tant théorique quepratique, il faut, précise Lukacs,la situer dans c la perspective der actualité de la révolution »,puisque « l'évolution du capitalisme a fait de la révolutionprolétarienne, une questio" àl'ordre du jour » (p. 30). D'accordsur ce point avec Rosa Luxembourg, Lukacs considère que « larévolution ne pouvait plus venirtrop tôt du point de vue socioéconomique », autrement dit quela transformation sociale dépendessentiellement du degré deconscience de classe et d'organisation du prolétariat.
Suivre la trame de cet ouvrageserait le réduire à une explicationdu schéma de Lénine. En fait,Lukacs ne peut s'enfermer dansun cadre aussi rigide : il assortitson texte d'une multitude, non pasde réserves, mais de comment!liresoriginaux. Déjà, dans l'avantpropos de Histoire et Conscience de Classe, il écrit (endécembre 1922!) qu'on y trouve« l'écho de ces espoirs exagérément optimistes que beaucoupd'entre nous ont eu quant à ladurée et au rythme de la révolution » (p. 9). Deux ans après,précisant sa pensée, il ajoute dansson Lénine :' le capitalisme estentré dans la période qui doitdécider de sa survie ou de sadisparition (p. 80).
Il est évident que Lukacs a étél'un des premiers à tirer lesconséquences de la N.E.P. (1921)et de l'échec du mouvementrévolutionnaire allemand (1923).Il n'a j a mai s considéré ladisparition du capitalisme commefatale et l'a conditionnée par lapréparation théorique et pratiquedu prolétariat. D'où l~ rôleprimordial mais nullement uniquequ'il accorde au parti communiste.L'organisation léniniste, écrit-il,est à la fois produit et producteurde sa propre réalité : les hommesfont eux-mêmes leur parti (p. 63).Et pour éviter tout malentendu, ilajoute : il (le parti) n'a pas pourtâche d'imposer aux masses un...comportement élaboré dans r abstrait, mais bien au contraire,d'apprendre en permanence desluttes et des méthodes de luttedes masses (p. 61). Car, lesconditions et les moyens de luttese transforment sans cesse (p. 60).
C'est pourquoi une forme d'organisation qui a été utile... peutdevenir carrément un obstacledans des conditions de luttedifférentes (p. 61). Ce qui explique que tout dogmatisme dans lathéorie et toute pétrification dansl'organisation soient fatals auparti (p. 62). Le parti, poursuitLukaC8, n'est pas tout prêt àas,umer la mission ; lui non plus
n'est pas, il devient. Et le processus d'interaction fructueuse entreparti et classe se répète, bien quedifférèmment, dans les rapportserltre le parti et ses membres(p. 64).
Lukacs établit, à la suite deLénine, un étroit lien de causalitéentre problèmes politiques etproblèmes d'organisation. Le parti(de type léniniste), écrit-il, ...estconçu comme rinstrument de lalutte de classe en période révolutionnaire (p. 49). Si la Russies'était trouvée à la veille d'unepériode de prospérité relativementcalme et d'extension progressivede la démocratie, les groupes derévolutionnaires professionnels seseraient alors figés dans le sectarisme ou seraient devenus desimples cercles de propagande(p. 50). Lukacs formule ainsi uneconception dialectique très soupledu parti et de son organisation. Iln'adopte la conception léninisted'un parti fortement centralisé etdiscipliné que dans la perspectivede l'actualité de la révolution.
Il nous est impossible d'aborderdans ce compte rendu tous lesautres thèmes dont traite Lukacset, notamment le rôle du parti etdes Soviets après la prise dupouvoir. Son orthodoxie particulièrement « flexible » lui permetde greffer sur l'exposé fidèle etpénétrant des conceptions léninistes, une série d'observations ausecond degré qui ouvrent d'autresperspectives permettant éventuellement d'aboutir à d'a u t r e sconclusions. Il est frappant deconstater, chez cet émigré coupépendant près de trente ans de soripays natal, chez ce philosopheprofondément absorbé par lesproblèmes de méthode, un senstrès précis du réel, non pas d'unréel immédiat, mais, justementgrâce à la médiation de rechercheset de réflexions méthodologiques,d'une réalité plus profonde, endevenir, et d'en dégager destendances encore cachées.
Léniniste scrupuleux, marxisteorthodoxe, Lukacs « lukacsise »,comme malgré lui tout ce qu'iltouche. Il a beau se vouloir simpleinterprète de la pensée de Lénine,sa propre pensée apparaît, entransparence, jusque dans lescommentaires les plus impersonnels. Dans l'avant-propos de sonouvrage, il insiste sur la difficultéde vulgarisation avant que ce quidoit être vulgarisé n'ait déjà ététraité dans toute sa rigueurscientifique (p. 23). Il n'a pas su,heureusement pour nous, vaincrecette difficulté. Il a traité avectoute la rigueur scientifique, bienque d'une manière fragmentaire,les thèmes les plus vulgarisés duléninisme et, ce faisant, il en adévoilé les aspects et les dimensions inhabituels.
Victor Fay
1. L'Histoire et Conscience de classe.Editions de Minuit. ,2. Ce volume est publié par E.D.I., 29,rue Descànes, Paris 5.
Où va la Chine?
Charles BettelheimLa construction dusocialisme en Chine.Maspéro éd.
René DumontLa Chine surpeuplée,Tiers Monde affamé.Le Seuil éd.
Robert GuillainDans trente ans, la Chine.Le Seuil éd.
Ces ouvrages sont bien différents à beaucoup d'égards. Le premier est un travail d'économiste,dont le caractère un peu technique apparaît principalement dansles études consacrées à « la planification et la gestion des unitésde production '>, aux « systèmesde rémunération dans les communes populaires» l, à la politiquedes prix, mais qui s'ouvre ets'achève par deux chapitres d'untrès grand intérêt général : « cadres généraux de la planifica-
tion chinoise », « style spécifiquede la construction du socialisme ».Le second est une enquête agronomique, dont le noyau central(un carnet de voyage dans cinq régions rurales typiques) est précédé d'une assez longue étude de seconde main sur l'évolution de lapolitique agraire chinoise depuis1949, et se prolonge par des réflexions générales dans le styleparadoxal et poignant que connaissent bien les lecteurs de RenéDumont. Le troisième est construit comme un reportage journalistique clas&ique, signé par unmaître du genre.
Leur ton diffère autant queleur structure. Sans aller jus-
La Quinzaine littéraire, 1" avrü 1966
qu'aux outrances récentes de Jules Roy, dont il est plus charitable de négliger dans cette chronique le cri un peu forcé de « papillon qui tap.ait du pied », RenéDumont s'est visiblement entenduassez mal avec ses interprètes etinformateurs chinois, et conte sesimpatiences à son lecteur par lemenu. Charles Bettelheim s'entient à une analyse théorique sereine et à un ton pondéré, qui nefont guère place au souvenir personnel et au détail concret ; maisil Bait formuler avec une fermetédiscrète des interrogations quiconduisent souvent à des critiquesimplicites : « risque » de dogmatisme et de dépérissement de ladémocratie socialiste, que comporte l'actuel style de construction dusocialisme chinois (pp. 173-175) ;opposition entre les exigences àlong terme de la division socialiste internationale du travail et lemot d'ordre de Pékin « comptersur ses propres forces », etc. Robert Guillain, auquel ses précédents écrits n'avaient guère {ait
une réputation de propagandistede la Chine populaire (<< les fourmis bleues... :t), réussit ce tour deforce de relater les analyses etles données qu'on lui a proposéeslà-bas sur un ton parfaitementambivalent, en évitant à la foisde les critiquer et de les prendreà son compte.
Pourtant ces trois ouvrages sortent également du lot; ils tranchent sur la série fastidieuse deslivres hâtifs qu'a inspirée la Chine depuis plusieurs années. Leursauteurs, qui avaient tous les troisvoyagé aéjà en Chine populaire,bénéficiaient de leur propre expérience. et étaient' capables de dis-
socier leurs réactions objectives du« choc émotionnel » bien connuchez quiconque affronte pour lapremière fois l'immensité chinoise. Ils ont su tous les trois réfléchir, et nous aider à réfléchir. Posons-leur quelques questions!
La Chine, dont la marche ausocialisme était assez conforme au« modèle classique » jusqu'en1957 (reconstruction jus q u' e n1952, puis premier quinquennat),s'en est fort éloignée depuis :bond en avant, crise de 1960-62,« réajustement» depuis 1962. Aucun des trois auteurs n'apportebeaucoup de précisions sur labrusque accélération de 1958, surce soudain abandon des prévisionséconomiques encore très classiques du VIII- Congrès (il ne s'enest pas tenu depuis) du Particommuniste en 1956. Mais sur lacrise de 1960-62, au sujet de laquelle on reste fort discret à Pékin, ils admettent tous les troisqu'il y a eu conjonction entrele retrait des experts soviétiques,trois années agricoles catastrophiques, et de très sérieuses erreursde gestion. Le réajustement de1962 n'a de sens que par rapportà cette crise. Ses dispositions lesplus neuves : réduction du tauxd'accumulation, limitation de l'industrialisation urbaine accélérée,arrêt des exagérations de l'industrialisation rurale (les « hautsfourneaux de poche »), mesuresque Guillain considère un peu vi·te comme contraires à « l'orthodoxie marxiste :t (p. 127), apparaissent à Ch. Bettelheim commedes applications originales de celle-ci ; il souligne l'intérêt du renversement de la hiérarchie classique industrie lourde - industrielégère - agriculture, notammentpar rapport à la tradition de laRussie stalinienne. C'est l'agriculture qui devient maintenant ceque les soviétiques ont appelé le« chaînon conducteur » ; l'industrie est « placée dans l'orbite del'agriculture », disent les économistes chinois.
La succession de ces trois éta·pes récentes (bond en avant, crise,réajustement) se reflète très nettement dans le destin des communes populaires, dont l'échec totalet la disparition de fait avait étéannoncés tant en Union Soviétique qu'en France dans le feu dela controverse sino.soviétique. Nostrois auteurs sont unanimes à considérer qu'il n'en est rien. Ils ontvu fonctionner les communes sousleur forme « réajustée », c'est·àdire avec des brigades et des équipes autonomes au sein de ces collectivités politico-économiques deplusieurs dizaines de milliers depersonnes. Si Robert Guillain estime un peu sommairement qu'elles ont été « un échec économique mais un succès politique »,René Dumont, expert exigeant,considère qu'il y a là une « formule positive » du point· de "ue
1. Etudes dues à Jacques Charrière et àHélène Marchisio.
agricole, dont il souligne les faiblesses dans tel ou tel cas concret,mais dont le principe lui sembleadapté aux besoins de la Chine.Pour Ch. Bettelheim, la commune sous sa forme actuelle («à troiséchelons ») est une forme originale de « médiation » entre for·ces productives et rapports de production : la petite dimension desunités de travail se combine avecune propriété d'Etat et avec unepropriété communale qui portentsur de grands ensembles; mécanisation agricole et industrialisation rurale pourront se réaliser àl'échelon supérieur, sans gêner unelongue persistance de l'artisanatrural et la mise en œuvre de techniques agricoles plus modestes àl'échelon de la brigade.
Le problème démographique,vu de Chine, est-il aussi aiguqu'on se le représente généralement en Occident ? Si Bettelheimest assez discret à ce sujet, Guillain y consacre un chapitre biendocumenté et Dumont en fait sonleit-motiv essentiel. Tous deux sedemandent, même en l'absence detoute statistique officielle depuis1960, dans quelle mesure la croissance démographique n'absorbepas au moins une part notable duprogrès de la production agricole.D'autre part, ils relient aussi cette question à celle de l'emploi;Dumont, d'après son expériencevillageoise, tend à considérer qu'ily a plein emploi, mais au prix dumaintien de la production à untrès bas niveau technologique;Guillain a eu dans les villes l'impression en revanche d'une certai.ne tendance au sous-emploi, aupersonnel en surnombre. Le contrôle des naissances, envisagé defaçon éphémère en 1956·57, négligé dans le climat d'optimisme dubond en avant, est aujourd'hui« mené avec vigueur » (Guillain),et c'est bien « un fait nouveau »en Chine.
Au total, ces trois ouvrages concordent pour présenter de la Chine populaire un bilan nuancé etcomplexe (cf. le chapitre de Guillain sur le climat culturel), maisfortement positif. Guillain notel'aspect « décontracté » de la foule de Pékin, il donne la note « extrêmement bien » à un Changhaï« méconnaissable », il considèrede façon plus générale (p. 8) que« quand les dirigeants de Pékinaffirment qu'ils ont réussi... ilsdisent la vérité ». Dumont estime« impressionnants » les résultatsobtenus dans les communes qu'ila visitées; encore s'interroge-t-ilavec inquiétude sur les « deuxmilliards» d'habitants que les dirigeants chinois semblent prévoirdans un avenir assez proche. L'horizon 1980 lui semble chargé d'inquiétude, et une famine généralemenaçante pour tout le Tiers-Monde sauf pour la Chine. Enfin, cesont sans doute les pages de con-
~
21
~ La Chine Du clan au gang
clusion de Bettelheim qui constituent la défense la plus solide etla plus réfléchie de la « voie chinoise » qui ait été présentée enOccident. Il va au-delà de la seule analyse des mécanismes économiques, pour tenter de saisir uneconception nouvelle de l'homme :attitude envers le travail manuel,réserve à l'égard des stimulantsmatériels (qui contraste avec lestendances récentes du libermanisme), et surtout « rejet des valeursde la société de consommation ».A travers les phrases si densesqu'il consacre au « modèle améri·cain », à la société où la « con·sommation élargie» n'aboutit enfait qu'à une « insatisfaction crois·sante des besoins », il met enquestion l'avenir de l'Occident, etnon seulement. le choix des Chi·nois ; par un ra,çq:09rci saisissant, ilrétablit ainsi entre la Chine et lespays industriels cette solidarité dedestin que tendent aujourd'hui ànier certains amis un peu naïfsde la Chine.
Aucun de ces trois ouvrages nefait large place à la politiqueétrangère chinoise et à ce qu'onappelle couramment les « thèseschinoises » en matière internationale. Ce qui est une façon heu·reuse à notre sens de dégagerl'étude de la Chine de celle de lacontroverse sino-soviétique. Si cet·t~ controverse constitue aujour.d'hui l'aspect le plus spectaculaire et le plus sensationnel des af·faires chinoises, elle n'en e8t 8an8doute pas le plus fondamental àlon~ terme. Ce grand pays compte par lui-même.
Jean Chesneaux
William Peiree RandelLe Ku Klux KlanAlbin Michel éd.
En janvier 1965, à Macon enGeorgie, une cour fédérale prononce un non·lieu en faveur desix membres du Ku Klux Klancoupables -du meurtre d'unprofesseur noir. En octobre de lamême année, douze jurés dutribunal d'Hayneville (Alabama)acquittent Collie Leroy Wilkin8,jeune « héros » du Ku Klux Klande 21 ans, qui avait tué unemilitante intégrationniste blanche.Qu'un siècle après la fin de laguerre de Sécession la premièrenation du XX· siècle n'en ait pasencore liquidé toutes les séquelleset doive admettre que l'OR peutassassiner impunément sur unepartie de son territoire est d'unanachronisme tragique. .
Il est bon que la lecture de telsévénements quotidiens s'accompagne de celle d'ouvrages commecette histoire du Ku Klux Klanécrite par un professeur à l'Uni·versité de Floride. Et ce, afin derappeler aux gens qui ont lamémoire courte, que ces activiste8à cagoule8 blanches ne relèvent nidu folklore américain ni du sim·pIe fait diver8, et que le prétenduproblème noir du Sud est unique.ment un problème blanc.
Le 24 décembre 1865, à Pula8ki(Tennessee), six officiers de l'exarmée confédérée vaincue créentl'organisation du Clan du CercleKuklos, cercle en grec, et Klancomme dan8 les roman8 de WalterScott auteur très aimé dans leSud. C e 8 chevalier8 devaientdéfendre la pureté, le foyer, les
femmes et les enfants, surtout lesveuves et orphelins des soldatsconfédérés... Dan8 un premiertemps, il ne 8'agit que d'effrayerles noirs super8titieux pour le8tenir à l'écart de leurs ancien8maîtres. Mais de l'intimidation auchâtiment phY8ique, il n'y eutqu'un pas vite franchi : dè8 lor8,ce furent cinquante an8 d'exac·tions, de tortures et de meurtre8au nom du maintien de laSuprématie de la Race Blanche.C'était également un moyen de 8evenger de l'occupant Yankee avecses carpetbaggers, ses nigger.lovers, son Bureau des Affranchiset 80n programme de Recon8truc·tion. En fait, -vingt an8 après lavictoire du Nord, l'esprit du Suda triomphé chez lui et le KuKlux Klan connaît une période destagnation.
C'e8t un Klan moderne quirenaît en 1915, aidé en cela par lechef·d'œuvre cinématographiquede Grüfith, La Naissance d'uneNation, adapté ~'un roman 8udi8te
de Thomas Dixon paru en 1906 :The Clansman. Le Ku Klux Klandevient rapidement une organisation rentable, transformée pard'avisés marchands de haine ensoc i été anonyme autorisée...L'essor est fulgurant 2.000membres en 1917, 5 millions en1925 ! De mouvement régional, ilest devenu parti national ens'attaquant aussi « aux Juifs, auxCatholiques et aux immigrants defraîche date » : les ennemis del'intérieur. Quarante ans plustard, ce sera l'infiltration communiste qui 8era dénoncée... Le8dirigeant8 8'éliminent pour le8meilleures place8 lorsqu'ils nepeuvent ni 8'entendre ni 8'acheter.De 80ciété capitaliste, le Klandevient Gang. Les « purs » et les« mous » 8'en écartent; re8tent300.000 membre8 en 1927, recruté8pour la plupart parmi le8 « petit8blanc8 ». Attiré par le fasci8me etle nazi8me américain en 1939, leKlan di8paraît en fait dè8 PearlHarbor, et légalement en 1944,faute de pouvoir payer un arriéréconsidérable d'impôts.
La pol i t i que d'intégrationraciale de Wa8hington fait ressurgir le mouvement et diver8 autre88emblable8 à partir de 1954-1955dan8 le8 Etats du Sud. L'évolutiondu Klan e8t achevée : il revientà ses origine8 locale8, hi8torique8et idéologique8... à 8a puretéoriginelle 8i l'on peut dire! Mal·heureusement, le livre de M.Randel 'ne traite pas de cette décennie 1955·1965 qui marque pourtant la naissance d'un troisièmeKlan : celui de l'ère maccarthY8teet de l'ère intégrationni8te.
Guy Braucourt
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SCIENCES
Jean Rostand : vers unsurréalisDle biologique
La Biologie,acquisitions récentes.Ed. Aubier.Montaigne.
Pour sa XXVI" semaine (du 9au 17 juin 1964), le Centre International de Synthèse avait choisid'honorer la Biologie. Ce centre,en activité depuis 1929, réunitannuellement dans les salons defhôtel Lambert, rue Colbert, unedocte assemblée qui -fait le pointsur des sujets d'importanceL'Histoire, science humaine duTemps Présent, 1963, L'Expérien.ce, 1962, L'Art et la Pyschologiedes Peuples, 1961, l'Ecriture,L'Unité de l'Etre, L'Infini et leRéel, etc.
Devant un public de philosophes, d'historiens, de chercheurs,une quinzaine ou plus de spécialistes de la question traitéecommuniquent le tout dernierétat de leurs travaux et de leurpensée. Les exposés sont ensuiterassemblés et publiés en volume.
La Biologie, acquisitions récentes, vient ainsi de sortir auxEditions Aubier. Jean Rostand,dont la conférence s'intitulaitVues d'avenir sur la Biologie, abien voulu feuilleter pour nous levolume:
J. R. Ah, pour commencerje vois Naissance de la Biologiemoléculaire, ce sont les travauxde nos Prix Nobel. Après avoirexploré la cellule on arrive maintenant à la molécule et par lamolécule on rejoint la chimie.Certains voudraient en profiterpour faire de la biologie unedépendance de la chimie, je penseque c'est excessif. Je crois qu'unebiologie moléculaire ne peut pasremplacer complètement la biologie traditionnelle. Vous avez'ensuite des exposés sur LaStructure de la Cellule, Conna.issances cytologiques nouvelles etl'article d'Andrée Tétry : Génétique et Biologie moléculaire. C'estun sujet extrêmement difficile etje crois qu'il n'est pas possibled'en parler plus clairement quene le fait ici Andrée Tétry.
Les derniers progrès de labiologie démentent d'ailleurs l'unde mes principes : je pensaisjusqu'à présent que la biologieétait la seule science qu'on puissetransmettre à l'homme de la rueassez facilement et sans la déformer maintenant qu'elle arejoint la chimie c'est un peu plusdifficile. Tout de même je croisqu'on peut suivre...
Cette affaire de génétique, vousen connaissez les. bases : l'ori adécouvert que l'un des constituants essentiels des chromosomesétait le ruban d'A.D.N., acidedésoxyribonucléique). Toutes lesparticularités génétiques de l'être
La Quinzaine littéraire, 1er avril 1966
futur y sont inscrites, comme sielles étaient codées. C'est trèsintéressant philosophiquement :autrefois on s'im~ginait quel'homme futur, l'homunculus,était déjà contenu dans l'œuf, àl'état microscopique: ce n'est pasvrai, mais Albert Claude comparequand même le ruban d'A.D.N. àun homunculus chimique ils'agit de potentialités existantsous une forme chiffrée.
Puis vous avez l'exposé d'Etien.ne WoIff sur l'embryologie.Aujourd'hui l'embryologie peuttout faire, créer des monstres,mélanger un embryon de poulet àun embryon de souris, créer desembryons-chimères...
Qu'appelez-vous un « ê t r echimère» ?
J. R. On dit qu'un être estchimère quand il contient des.morceaux d'un être d'une autreespèce ou même d'un autre organisme que le sien. Il y a à l'heureactuelle des hommes-chimères, deshommes qui vivent avec le reinde quelqu'un d'autre... On fait dusurréalisme biologique.
Dans quel sens employez-vousle mot « surréalisme » ?
J. R. Je crois que Breton adit à peu près : est surréalistetoute action qui détourne unobjet de sa destination première...Vous pouvez aussi lire ici un textesur les progrès de l'endocrinologie,en particulier chez les crustacés.On a découvert que c'est unehormone qui les fait muer. C'estaussi une hormone qui provoquela différenciation sexuelle... Savezvous que cette hormone a étédécouverte par une jeune femmeMadame Hélène Charriaux-Cotton, l'une des meilleures biologistes de notre époque. Je trouve çabeau, moi, qu'il ait fallu attendrecette jeune femme, en dépit detous les travaux et de toutes lesrecherches faites dans le mondeentier, pour apercevoir un jourcette p~tite glande qui avaitéchappé à tout le monde... Ce sontaussi des hormones qui règlent lavie chez les végétaux. A ce proposvous savez qu'on fait désormaisdes embryons à partir de tissusnon reproducteurs? A partird'une feuille. de carotte, parexemple, on reproduit une carottetout entière. Demain, peut-être, àpartir de n'importe quelle ~ellule
d'un organisme hum.ain on reproduira cet être humain toutentier. On prendra' une celluledans votre bras, ou dans votrejambe, et on vou s refera...C'était quelque chose qu'on pouvait prévoir depuis une trentained'années...
Le Meilleur des Mondes?
J. R. Quelquefois on me dit:vous y croyez, vous au Meilleurdes MoIi<{es tel que l'a décrit
Huxley? Je réponds: mais je n'aipas à y croire, nous y sommes...
N'avez-vous pas le sentimentque les gens. ne s'en aperçoiventpas encore. Serait-ce qu'ils nef acceptent pas?
J. R. OU qu'ils l'acceptentplus facilement qu'on ne croit?Tout ce qui est déjà possible :conserver la semence gelée d'hommes disparus, créer des hommeschimères, transformer quelqu'unavec ses hormones, son sexe, soncaractère, ses vues du monde...Tout cela se fait aujourd'hui!
Mais personne, sauf vous, necherche à en imaginer les conséquences morales, affectives, juridiques même... En même temps,plus vous en parlez, moins on ale sentiment que ça vous plaît, cetriomphe de la biologie...
J. R. C'est probablement queje vis encore sur de vieux préjugés : le respect de la personnalité,par exemple, de l'individu. J'aices sentiments, ou ces préjugés,comme on veut, très profondément enracinés en moi: il mesemble que je n'aurais plus aucunplaisir à voir une personne quej'aime avec une figure retouchéepar la chirurgie, qui ne serait plusà elle...
Et un caractère «.amélioré »?
J. R. •.. oui, quand j'y songeje me dis que c'est probablementune espècè de narcissisme un peupuéril, qui va disparaître dans lesgénérations nouvelles. Ce culte Jel'individu sur lequel nous avonsvécu, est-ce que ça n'est pas toutsimplement un fétichisme? Unesorte de névrose. Ne faut-il pas
.souhaiter la venue au monde denon-névrosés, dans un monde sain,équilibré, heureux...
Où la souffrance et le besoin decréer n'auront plus leur place?
J. R. Ah le génie, bien sûr,y aura-t-il encore des génies telsque nous les concevons? Nosgénies sont tous plus ou moins desmalades. On est incapable d'aimer,de se dévouer, on prend la névrosecomme une solution... Faut-il cultiver le génie à tout prix? Je n'ensais rien...
Et que deviendra le sens de latragédie, s'il n'y a plus de névroses?
J. R. Est - ce si effrayantqu'on manipule l'homme? Moi,
oui, je trouve ça effrayant. Maisn'est-ce pas justement parce queje fais partie d'une humanitéencore névrosée, qui croit à l'individu, au sacré, au tabou dunaturel ? Mes résistances ne sontelles pas des symptômes? J'aiposé un jour la question à uneassemblée de psychanalystes. Ilsm'ont dit: on va réfléchir - etils ne m'ont jamais répondu...Pascal disait déjà : « la nature,cette ancienne coutume ». Non, lanature n'est pas parfaite, loin delà, on peut corriger la nature,tenter de faire mieux qu'elle.Mais il me semble, moi, que çam'intéressera moins. Vous connaissez la réflexion de Montesquieu :« je n'admire pas la voix descastrats parce qu'ils sont faitspour ça... ». Un génie fabriqué,ça ne me dirait plus rien, mesemble-t-il. Mais c'est probable.ment ma réaction qui n'est pastout à fait saine. Je suis commeCyrano : « Mon sang se coagule,en pensant qu'on y peut changerune virgule »•. Non, chez moi, jecrois que ce refus de l'avenirbiologique est un symptôme !
Un symptôme que vous partagez alors avec beaucoup de gens !
J. R. En même tempe l jetrouve ça beau tout cela, quel'individu touche à l'homme, quel'espèce humaine parvienne àmanipuler son ruban. d'A.D.N.,c'est très beau! Je n'arrive pas àexpliciter mon malaise, on aurades gens plus robustes, plusvigoureux... après tout, le bilanest positif. Il y a d'ailleurs dessavants à qui j'en parle qui medisent : « mais de quoi vous 'plaignez-vous ? on ne vous comprendpas! ». Sont-ce les restes d'unevieille métaphysiqqe ? Après tout;quand on me dit: « ah, ça n'estplus comme avant, on ne peutplus trouver un vrai croissant niun vrai poulet », eh bien jetrouve que les gens exagèrent, cesont des objections de luxe qu'onn'a pas le droit de faire au regardde tout ce qui est acquis. Envérité, on ne sait pas très bien cequ'on voudrait... Alors comme onn'ose pas trop se plaindre duprésent, on se plaint de l'avenir!Je sais très, bien que je ne suispas content - mais qui est-ce quime rendrait content ?
Le bonheur aussi est une idéetroublante. Nous sommes habituésà la souffrance, nous faimons, ilsemble qu'elle recèle des fermentsnécessaires à la découverte de lavérité, au progrès... Quand on lasupprimera aveè une piqûre...
~
~ Jean Rostand Le ,hasard pris au
J. R. Et la mémoire avecune autre! Quels sont les besoinsde l'homme ? Vous allez nousenlever, la souffrance,? Ça ne serapeut-être pas mieux mais plusmal... Tout va être modifié, nosrelations affectives seront toutesdifférentes. Ce qui m'étonne c'estcomme il y a peu de gens pourimaginer cela, faire de la prospective affective. Les plus tranquillesce sont les prêtres. Souvent j'aiparlé avec eux : pour eux on nepeut pas toucher à l'â'me, l'âmes'en tirera toujours. L'instrumentsera plus ou moins bon,maisl'âme est sauvée... Nous qui necroyons pas, nous avons cettepeur matériali~t~ : si on toucheau .corps to~t" est changé! C'estsaris doute une peur très narcissique, il faudrait être moinssoucieux de soi et' plus soucieuxde l'avenir de l'espèce.
Qu'en pensent les jeunes ?
J. R. Je ne crois pas queles jeunes se posent ces questions.Ils veulent travailler - puis sedivertir. Il me semble que leurnarcissisme est moins âpre quene l'était le nôtre, ils cherchentmoins à devenir quelqu'un, ilspensent plus à (l'agrément quenous, que moi. Profiter-de la vie?Non, je n'ai pas été élevé commecela. Jamais je n'ai vu mon pèrepenser à prendre un plaisir. Lesgens voulaient se réaliser. Jamaisje n'ai vu mon père prendre desvacances, moi non plus je n'enprends pas, je ne comprends pasce que c'est. Les gens bien, commeon disait, les savants, ceux quientouraient mon p ère, pratiquaient une morale ascétique etaustère. Les jeunes ne sont pasascétiques.
Vous voyez, déjà le monde affectif a changé, et sans que tabiologie y soit encore pour grandchose. Alors?
Propos recueillispar Madeleine Chapsal
Jean-Louis BoursinLes structures du hasard.Le Rayon de la ScienceMicrocosmeLe Seuil
La couverture d'un brillant petit livre me revenait en mémoirece dimanche matin, lors de l'achatd'un paquet de Saint-Claude;trois chevaux en plein effort nedisputent certes pas une coursede hasard, mais les parieurs quipeuplaient le café se livraient(sans le savoir) à une pure loterie en perforant les fiches duPari Mutuel Urbain, puisqu'ilsétaient à peu près démunis de toute science hippique, en dépit desjournaux aux titres gras qu'ilsétalaient sur le comptoir.
Je ne me mêlerai d'ailleurs pasde discuter si, même' parmi lesspécialistes du turf, il peut existerune connaissance raisonnée desaléas de ce sport, n'ayant guèrefréquenté les pelouses. Mais ce quiest certain, et J .-L. Boursin nousle prouve abondamment, c'est quela résultante de ces milliers d'influences qui nous échappent, tantdu côté des chevaux que des inspirations d'ordre magico-sentimental qui viennènt aux joueurs, afinalement des conséquences siprécises, que le bénéfice annueldu P.M.U. peut être prévu avecune grande sécurité par les inspecteurs des finances qui nous gouvernent.
Dans le titre (Les structures duhasard), l'un d'!:s mots est décidément à la mode. Quel professionnel des sciences humaines n'a pasflirté avec le structuralisme? Lesecond mot paraît un peu flou :or il est probablement plus facileà définir avec rigueur que l'autre.L'auteur a opté ,pour l'introduction du hasard comme « mesurede notre ignorance » ; on sait quecette acception reste liée à la
croyance en un déterminisme assez rigide que nous ne discuteronspas ici, car il est à la base du calcul classique des probabilités, quiconstitue au fond la matière de celivre de vulgarisation. Ce n'estpas le premier ouvrage qui paraîtsur le sujet, tant s'en faut (mêmesans remonter à l'abbé Moreux !).Mais on peut dire avec certitudeque nous nous trouvons devantl'un des meilleurs essais qui constituent l'abondante (mais souventmédiocre) littérature spécialisée àce niveau.
Il semble difficile de reprocherà l'auteur de n'avoir guère présenté son acteur principal de façon « moderne ». Il n'ignore certainement pas les axiomatiquesabstraites qui se substituent peuà peu aux anciennes introductionssubjectives de la notion de probabilité. Il est resté très près, et àjuste titre compte tenu de son public, de l' cars conjectandi » deJacob Bernoulli (du nom du premier traité, publié en 1713, quireprend l'ensemble des travaux
. nés des recherches de Pascal, Fermat et Leibniz, où l'on voit apparaître la fameuse loi des' grandsnombres). Mais il apporte à cettematière ancienne, basée sur le rapport classique du « nombre descas favorables au nombre total decas », toutes les ressources del'analyse qui en est sortie. C'estainsi qu'il élucide, dans un passage à mon avis très réussi, certains paradoxes célèbres qui causèrent beaucoup d'ennuis aux probabilistes classiques" en faisantpreuve d'un art certain de l'analogie que tout bon professeur se devrait de cultiver.
Ii dissèque, avec simplici~é, lanotion (trompeuse pour le non-initié) d'espérance mathématique, enindiquant soigneusement les limites, mathématiques ou psychologiques - à ce sujet nous ne pouvons, effectivement, que regretter
l'emploi ici abusif du terme « espérance », aussi mal venu que celui, en un autre dom a i n e,d' « imaginaire ». Après tous sesprédécesseurs sérieux, et sans, doute malheureusement avec aussipeu de chances d'arriver à limiterune folie soigneusement répandueet entretenue, il répète avec desarguments fort sensés combien ilest vain de poursuivre la recherche d'une martingale à la roulette ou à la loterie; gageons quecela lui vaudra le stock habituelde lettres d'illuminés, devant lesquels il se trouvera désarmé, ayanttc.ut dit dans son livre. Mais c'estle sort d'une telle entreprise.
Ayant garanti la qualité du support scientifique de ces deux centspages qui constituent une excellente introduction à la « géométrie du hasard » (ce vieux motétant synonyme de mathématique), j'ai oublié ce qui est aussiimportant, sinon plus : il faut dire quel plaisir on goûte à suivrel'humour de Boursin, qui a susaupoudrer de moments de déten~
te le cours très sérieux de son travail. On ne s'ennuiera pas avec luien 1966, peut-être même en 1967s'il le prolonge par un livre surles statistiques, qui ne sont qu'effleurées dans le dernier chapitre.Là aussi, il y a beaucoup de ballons à dégonfler a'!1 grand dam desrêveurs de lune et autres planétaires. Il n'est jamais inutile detransmettre ses connaissances auplus grand nombre, surtout si onpeut l'accompagner d'une salutaire démystification, sans ajouter.son nom à la longue liste des pédants.
André W Drus/el
L'initiation assurée par le livrede Boursin peut se poursuivre, àdes niveaux plus élevés mais avecl'assurance de la qualité et de lasimplicité, dans Les mathématiques de l'action (Rosenstiehl etMothes, chez Dunod) et le Cqlculdes Probabiütés (Professeur Fortet, Editions du C.N.R.S.).
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... en ESPAGNEAU TEMPS DE GOYA
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MUSIQUE
Stravinsky
Michel PhilippotIgor StravinskySeghers éd.
Des rares compositeurs dont ons'attache à reconnaître le génie,Igor Stravinsky est, sans doute;celui dont il est le plus difficile deparler. C'est qu'il exerce, à l'égardde qui entreprend d'écrire sur lui,une forme d'intimidation dont laraison tient à l'ambiguïté d'unedémarche créatrice fort singulière.
Stravinsky, d'une part, placeson activité tout entière sous lesigne de la lucidité et de- la ré·flexion, assimile la musique à de« hautes mathématiques », déclarene vouloir s'en remettre qu'à sa« volonté spéculative », suscitéepar quelque problème à résoudre.Par là il semble justiciable d'unecritique qui ne s'attache auxœuvres que dans la mesure oùelles renouvellent les formes et lelangage musical d'une pério~e
historique donnée. Mais cette critique.là - la plus riche, au demeu·rant - ne lui ménage guère sessévérités: ainsi Pierre Boulezparle.t.il des renouvellements deStravinsky poursuivis avec moinsde bonheur que de désenchante.ment et André Hodeir, dans LaMusique depuis Debussy 1, consi·dère-t-il, au terme d'un inquiétantdéblaiement, la production stravinskyenne comme une vaste faillite que rachèterait, pratiquement,le seul Sacre du Printemps.
C'est que, d'autre part, le grandmusicien est également un hommede culture, ce qui implique lesplaisirs du goût et du jeu. Et plusencore, en cela, amateur de culture: Arnold Schoenberg demaQde, lui aussi, des modèles àl'histoire de la musique, maisseulement pour en tirer desmoyens susceptibles de le IlervÏr
dans son entreprise de rénovationdu langage musical, tandis que lemaître russe, si prompt, dès 1922,à se tourner vers les œuvres dupassé, les considère dans leurdonné entier, leur forme commeleur chair pourrait.on dire, pours'en étonner, en jouir et, à samanière, se les approprier.
Aussi, interroger l'œuvre '. deStravinsky et tenter de l'apprécier, c'est, plus qu'avec n'importequel musicien, se confronter à cedilemme eSllentiel à toute réflexionen matière de musique: l'œuvreest-elle bonne parce qu'elle incarne une étape nouvelle du« faire »musical - étape quidevient, alors; nécessaire et parconséquent historique - ou parcequ'elle appartient aux momentsparticulièrement heureux d'unitinéraire personnel qui Ile définit,à la fois, par la psychologie ducréateur, ses ressources profondeset le parti qu'il en tire? C'est lerare mérite du petit 'livre queMichel Philippot - lui-mêmecompositeur et appartenant à laplus exigeante avant.garde - vientde consacrer à Igor Stravinsky que
La Quinzaine littéraire, 1·' ollril 1966
de ne renoncer à aucune de cesdeux approches, apparemmentcontradictoires, mais toutes lesdeux nécessaires si l'on veut échapper au dogmatisme et à l'éclec·tisme, et préserver, dans l'entre·prise créatrice, sa double dimension de singularité et de novation.
L'irruption de StraVInsky daml'histoire, c'est avec le Sacre duPrintemps qu'elle s'opère. MichelPhilippot souligne combien a dûpeser dans la carrière du musi·cien, un chef-d'œuvre aussi pré.coce et à ce point écrasant qu'ilconserve, cinquante ans après, toutson pouvoir de scandale et d'in·cantation. Cette œuvre, note-t-il,constitue un sommet dont f altitude permet à celui qui f atteintcravoir une vue panoramique detoute musique. Aussi le maîtrerusse en serait-il venu à se sentircomme légitimement propriétairede toute musique à partir duSacrf. Et dominant toute musiqueà partir du Sacre, Stravinsky, parlà-même, aurait désormais déter·miné, sans peut-être s'en rendretrès consciemment compte, toutesa musique à partir de lui. LeSacre du Printemps, écrit encoreMichel Philippot, devient alorscomparable à un prodigieuxmiroir déformant au travers duquel est d'abord contemplé Perogolèse (Pulcinella) puis un grandnombre de maîtres de la musiquepassée.
Dans sa géniale émancipationdu rythme et du timbre, dans samanière de traiter et distribuer lamatière sonore comme nn matériau objectif, purüié de tout effet- que ce soit le coloris orchestral, répudié après Rossignol, oucette expressivité dont Stravinskya nié, en une profession de foifameuse, qu'elle puisse apparte·nir à l'essence de la musique -,le Sacre aura par conséquent installé le compositeur dans l'histoire et, en même temps, réaliséd'un coup toutes ses ressources.Car la matière du Sacre; en sabrutalité élémentaire, en son priemitivisme 'folklorique, c'est deStravinsky qu'elle vient et c'est luiqu'à son insu, elle trahiL Passé
'le Saére et Noces qui le réitère,qu'aurait pu y ajouter le maître,de surcroît déraciné par la guerreet la Révolution? C'est alors quese rompt, inévitablement, l'unitédu faire et de l'objet créé : lavolonté d'organisation et de réorganisation prévant sur lamatière élue que Stravinskychoisira, Ilelon son plaisir dumoment, parmi les produitsdéjà élaborés de la culture occi·dentale, en des métamorphoses quiressortissent plus aux phénomènesde mode qu'au renouvellementvéritable. Ainsi la poétique issuedu Sacre (à la fois technique etsentiment de la musique commearchitecture de rythmes, timbres etsegments mélodiques) permettrala réalisation d'œuvres qui, elles,n'intéressent que l'aventure personnelle du compositeur mais sont,
cependant, avalisées par le chef·d'œuvre originel dont elles procèdent.
La qualité de ces œuvres dépendra à la fois de l'ingéniositédéployée et du rapport qui s'établit entre le compositeur et lemodèle sur lequel il s'exerce. Leproduit final, note Michel Philippot nous paraît d'autant meilleur chaque fois que la différenceest plus grande avec les goûtspropres de falchimiste. Ainsi,Tchaikovsky (le Baiser de la fée)est pour lui une mine moinsféconde que des compositeurs quilui sont plus étrangers commeRossini (Jeu de Cartes), GuiUaumede Machault (La Messe) ouWebern (Mouvements pour pianoet orchestre). Ce dernier point, àvrai dire, mérite quelques nuan·ces et Michel Philippot en aconscience qui en d'autres pages,souligne l'exceptionnel regain d'in·térêt de la production de Stravinsky depuis qu'en 1952, il s'estconverti à la technique sérielle.Car ce n'est pas un hasard s'il yest venu non par Schoenberg, tropentaché à ses yeux d'expressionnisme, mais par Webern, tardivement découvert et dont l'idéald'économie et d'organisationrigoureuse des éléments sonoresrejoint la maîtrise et le détachement presque mystique du Stra·vinsky d'aujourd'hui.
Cette aventure extraordinaire,celle d'un jeune compositeur devingt-neuf ans qui prend en mainl'histoire de son art et d'un hommede soixante·dix ans qui se rallietout naturellement aux efforts deses cadets les plus audacieux aprèsavoir presque exclusivement sacri·fié aux savoureux caprices de sesgoûts et de son ingéniosité, MichelPhilippot nous la retrace avec uneexc.eptionnelle volonté de justiceet de compréhension, avec, aussi,
. une compétence qui n'exclut nul·lement une aimable nonchalance,parfois une insistance, dans l'écriture. Tout ce qu'il dit de l'hommeet de son univers esthétique
,révèle une pénétration singulière.Et les réserves que l'on pourraitfaire, tiennent avant tout aux limitations nées de la brièveté imposéedu livre. Mais pourquoi, en ce cas,avoir fait suivre le récit de la viede Stravinsky d'un exposé sur sesœuvres qui ne reprend, souvent,que ce qui en a été dit dans sabiographie? Certaines partitions,d'autre part, nous semblent abor·dées un peu cavalièrement : pour~
quoi n'avons·nous droit,. à proposde Perséphone, qu'au trop longrécit des démêlés du maître avecAndré Gide? Et pourquoi avoirnégligé ce monument qu'est leConcerto pour deux pianos ?
Mais cela n'importe guère, fina·lemenL Ce livre, avec une profondeur toute particulière, nouspropOile un remarquable ensemhlede clefs et de repères.
Michel-Claude }alard1. Presles Universitaires de France.1961.
Pierre BoulezRelevés d'apprenti.Textes réunis et présentéspar Paule Thévenin.Collection Tel Quel.Le Seuil éd.
On trouve dans Relevés d'apprenti des explications techniqueset des commentaires critiques.Qui mieux que l'auteur peut donner des précisions techniques surle langage et les problèmes de lamusique actuelle? De qui lesattend-on davantage? De qui lesacceptera-t-on plus facilement?Sa compétence, son autorité fontmerveille. Dès les premières pa·ges, on assiste à l'éxidosion d'uneforce critique exceptionnelle quiremet tout en question. Il y ap.artout une vertu polémique cachée, optimiste et vivante, portant une leçon d'énergie, de volonté, de jeunesse, de rigueur.
Les critiques musicaux, les musicographes, pas plus que les ama·teurs de musique, pas plus queles compositeurs eux - mêmes,n'échappent à la dureté de ~e
censeur qui les dépasse tous desi haut. Il manie le fouet de l'ironie, de la raillerie. Mais il n'im·porte. Les coups sont salutaires.
On ne résume pas Pierre Bou·lez. Il faut le lire. Il atteint parfois l'extrême densité. Et il fautsuivre les détails de son exposépour comprendre exactemenLAinsi trouvera-t·on des notes quiconcourent à nne esthétique musicale. des notes pour une technologie, des vues sur quelquesgrands compositeurs contempo·rains, «les notices extraites del'Encyclopédie Fasquelle ». L'ar·ticle série, si bref qu'il soit, ap·prendra beaucoup à tous ceux- et ils sont nombreux - quisont curieux d'un langage encoremal connu et en pleine évolution. On me permettra de signa.1er, simplelllent, parmi les com·mentaires les plus remarquables,ceux qui touchent à la notion -d'estructure et à la notion de fonction, aux problèmes rythmiqnesavec Messiaen, Stravinsky et We·bem, à la musique électroniquequi recèle tant de secrets que levulgaire n'imagine pas.
Beaucoup de points de vue pa·raissent dès l'abord incontesta·bles. n se trouvera sûrement deslecteurs pour discutailler. Ils auraient à faire à forte partie. Maispersonne ne leur répondra. Onne doit pas oublier toutefois quela pensée technique actuelle dePierre Boulez s'exprime longùement et avec précision dans Penser la musique aujourd'hui. Maisce Relevés d'apprenti est en faitd'un maître. C'est un ouvrage àretenir longtemps, tel qu'on envoit très rarement surgir dansla musicographie.
Maurice Faure
2S
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TBÉATRE
La littérature del'anti-aDlour
Murray SchisgelLove, les dactylos, le tigre.Robert Laffont éd.
Un couple bizarre 1 (The OddCouple) de Neil Simon, est ledernier produit de cette étrangelittérature de l'anti-amour quise développe aotuellement auxEtats·Unis. Une littératurethéâtre et roman - telle que lestermes manquent à qui veut ladéfinir et dont la seule ressourceest d'inventer, pour te faire, unmot nouveau - « Luv ~, dansle vocabulaire de Murray Schi~
gal, par déformation de c Love ~,
ce que J.-J. Gauthier propose detraduire pàr c Amur :), ou antiamour selon une terminologieque je préfère et que j'ai déjàeu l'occasion d'employer.
L'anti - amOur sentimentessentiellement masculin - n'estpas la' misogynie, ni même lerefus d'aimer. C'est au contraireun sentiment qui ressortit àl'amour, car les héros qui en sontatteints d.emeurent obsédés parle rôle que la femme a joué dansleur vie. La plupart d'entre euxont encore des épouses ou desmaîtresses. Mais, chose étrange,ou bien leur vie est une carica·ture de l'amour ou bien ils semblent faire les gestes, prononcerles mots de la passion sans rienengager d'eux-mêmes, malgréqu'ils en aient, et non point parcynisme mais par simple impuissance sentimentale.
Mieux encore, la plupart d'entre eux sont des divorcés et sil'on peut dire à juste titre quele roman d'amour finit par unmariage, le roman d'anti-amourcommence par un divorce. TI ya donc dans cette littérature unélément très important d'échecsentimental, mais non pas,comme dam les lettres classiques, celui de l'amoureux qui neparvient pas à conquérir lafemme qu'il désire: c'est aucontraire l'échec de celui qui,l'ayant conquise, a mesuré lavanité de sa victoire.
Un Couple bi~e met déjàen place la plupart des élémentsde l'anti-amour. Certes, à' s~en
tenir à la, pièce elle-même, et àelle ~ule, indépendamment detoutes autres œuvres - auxquelles force sera pourtant de larelier --: on n'y verrait qu'unbon sujet de vaudeville: deuxdivorcés, qui ont eu à: se plain.dre amèrement, chacun, de lenrfemme respective, décident departager le même appartement(en tout bien, tout honneur,s'entend). Hélas, ils apprennentvite, à leurs dépens, que la cohabitation de deux célibatairespeut être, aussi difficile que cellede deux amoureux ou époux.
Mais c'est dans Lut] 2, de Mur.
La Quinzaine littéraire, 1er avril 1966
ray Schisgal, que cette sensationde mal-être prend, pour ainsidire, corps. Car, cette fois, lapièce pose le problème dans lestermes les plus explicites: l'undes héros, le mari, cherche àfaire croire à un ami d'enfanceque l'amour existe; s'il y parvient, il peut espérer confier auconverti l'épouse dont il veut sedébarrasser pour convoler à noueveau. Ses efforts sont couronnésde succès, certes, mais pas pourlongtemps, car le joyeux divorcédéçu par une seconde expériencematrimoniale n'a plus qu'à venirdéfaire ce qu'il avait si bien fait
et ruiner en son ami la foi dansl'amour, pour pouvoir reprendresa propre femme.
Encore une fois, c'est sous lecouvert dè la cOmédie, et non sansune note d'optimisQle qu'estexposé le sentiment d'anti-amour.Mais, il s'y trouve déjà un élément nouveau: le sentimentd'échec, de frustration, .dè vacuité que laisse l'amour à quin'a pas su, en user dûment. sedouble ici d'une sorte de suspicion - celle dont est· l'objetquiconque Ii'a pas réussi. à 'êtreheureux au sein de la civiUsation
,du bonheur (et en ce sens, l'anti·amour, .avant de gagner l'Europe,est encore un c filon :) littéraireprovisoirement américain). Avoir',raté .' s~: vie sentimentale, malgré
, les' connaÎ88ances que confère lasexologie la plus moderne (etdont témoigne la courbe stati~
tique idéale des rapports conju.gaux reportée sur nn tableau t:Jdhoc par une épouse avertie) nepeut manquer d'être suspect, demême qu'est suspect celui quin'est pas assez riche au pays dela richesse. Pour démarquer unmot de Sartre, il semble bien quedans la société ainsi caricaturée
« un pauvre a toujours fait quelque chose » pour être pauvre.
En ce sens l'anti-amour estbien un produit aberrant de lacivilisation du bonheur: le ressent celui qui se trouve déclasséparce qu'il n'est pas heureux.L'échec de la vie conjugale équi·vaut à une sorte de faillite financière ou sociale. L'amour physique n'étant plus chiennerie, maishygiène du couple, passion peutêtre, mais licite et conjugale, ilfaut être perverti comme unbeatnik. pour y voir une" singerie.Le beatnik, comme le divorcénon remarié, comme le malheu·
reux de quelque sorte qu'il soitest un asocial. Un raté. La proiede l'anti-amour.
S'il est un ouvrage où ce sentiment s'étale, c'est bien dans ledernier roman de Saul Bellow,Herzog, et pourtant, de façonassez paradoxale, les critiquesaméricains qui lui ont 'fait untriomphe, les lecteurs américaimqui en ont fait un best.seller,n'ont pas dégagé de cette œuvrece concept tout nouveau d'antiamour.
Bien que Saul Bellow ait étéhanté depuis 10ngteInp-s par lethème de la faillite sentimentaledu divorcé (Henderson, le faiseur.de pluie, est remarié et fuit saseconde femme en Afrique tandisque le pâle protagoniste de Aujour le jour n'en finit pas de selibérer de la pension alimentairequ'il verse à une ex-épouse quilui dispute même le droit de voir,de temps à autre, ses propres enfants'.... sans parler de' son chien)o'est dans Heriog 'qu'il donne lapleiDe mesUre de l'aUti-amour.
Car ,H~rzog n'est pas las del'amour. S'il est deux fois divorcéet se retrouve solitaire, il nemeuble pas moins son désert sen-
timental de fort aguichantes perosonnes, mais, en quelque sorte,il n'y croit plus. L'univers danslequel il se meut est vide. Ausentiment d'échec - d'un échecinterdit par les lois non écritesde la société - se joint chez luiun sentiment d'irréalisme: si,dans un certain sens, il semblemettre en cause la société où ilvit et qui permet à une femmed'abandonner son mari, cettesociété lui paraît quasi irréelle,et pour tout dire, complètementabsurde. Cette étrange mise enquestion d'un univers collectifet organisé, à la suite d'une mésa·venture individuelle sentimentale trouve à s'exprimer de lafaçon la plus évidente dans lefait que Herzog entreprendd'écrire interminablement auxGrands de ce siècle - chefsd'Etat ou de religion, d'écoleslittéraires ou philosophiques pour leur exposer des idées plusou moins folles sur le monde etson train. L'anti.amour débouchesur l'utopie - au sens propred'ailleurs car Herzog ne se trouveplus de place dans le monde etsemble se trouver c nulle part :),dans un vacuum social engendrépar son vacuum sentimental.
Or de cet entrelacs étrange desentiments complexes, seul unconcept nouveau peut rendrecompte; celui qu'on peut baptiser par commodité c anti·amour :) et qui n'est peut-êtreque la forme la plus récente del'amour moderne.
Sentiment de méfiance, quecelui de l'anti-amour, en mêmetemps que de culpabilité, d'asociabilité ; l'homme frappé d'antiamour est un marginal; Iondivorce lui apparaît comme unscandale, non pas certes commeau temps de Paul Bourget, dupoint de vue de la religion, maisdu point de vue de la toute-pui~
sance morale du bonheur ; amoureux, il l'est encore, mais ce sontdes ombres qu'il étreint; et l'onse demande comment il aura lecœur à retrouver dans un nouveau mariage la paix de la réconciliation avec un monde qui nelui demande que d'être heureux.
Au demeurant, l'on comprendl'attitude du oêlèbre héros deJohn Updike, Cœur de Lièvre,à qui le mariage faisait prendreses jambes à son cou (Run, Rabbitt, Rrm). n est vrai qu'Updikelui·même a écrit, depuis lors, desnouvelles à la gloire de l'amourconjugal. L'anti-amour n'est jamais qu'une situation provisoire.Malheureusement pour la littérature, peuwtre.
Marc Soporta
1. Si. la pièce e$t traduite et jouée enFrance, ce sera probablement sous letitre c: Un drôle de couple ~ qui tiendracertainement mieux l'affiche malsré ouà cause de sa vulsarité.2. Love, Théâtre de la Gaité-MoDlparnasse.
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CINÉMA
Les aventures de Pyglllalion
Joseph von SternbergSouvenirsd'un montreur d'ombres.Laffont éd.
Notre petit Sadoul illustré estpéremptoire: en Josef vQn Sternberg il salue une des plus fortespersonnalités du cinéma - maisil précise : entre les années 25 et35. Précision doublement crucifiante. Loin d'être mort ainsiqu;on pourrait le croire, Sternberg se survit depuis trente ans ; .et tout se passe comme si Zombie-Josef ne comptait plus quecomme créateur de la Sur-Femme,de la Nana Superlati;'e, de l'EveLucifer, de la Vénus-Vamp Pygmalion et Prométhée tout
ensemble, dont la Galatée-vautour aurait dévoré plus que lefoie.
C'est contre cette crucifixionque Sternberg proteste par lapublication de ce livre de souvenirs. Descendant de son Golgotha,en soulevant la pierre de satombe, comme on voudra) ilallonge à tout le monde une bellesérie de coups de pied en vache,à seule fin de prouver qu'il estbien vivant. Il s'explique, selonla formule employée à Pigalle.Est-ce à la loyale? C'est uneautre histoire.
Les précisions autobiographiques, il les a limitées au strictnécessaire. Aucun attendrissement ni pittoresque superfétatoires. Rapide évocation de Vienne,entre Strauss et la cithare duTroisième homme, sur fond deGrande Roue et de cavalerie espagnole. La Famille? un père surtout, une brute fort vigoureusecapable de rosser un géant aprèsl'avoir poliment informé que lacouleur de ses cravates ne luiplaisait pas. Puis vient, très tôt,l'émigration en Amérique. Et lespremiers contacts avec le cinémaen qualité de projectionniste oude réparateur de pellicules. Enfinle métier de directeur, c'est-à-dire
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de réalisateur, à Hollywood, enEurope, au Japon, agrémenté devoyages aux quatre horizons.Bref, les hauts et les bas d'uneexpérience dont Sternberg seplaît à souligner les contra8tes :marchant nus-pieds puis hôte desrois, couchant sous les ponts puisdans les palaces, passant de l'osrongé comme ferait un chien, auxdîners officiels offerts par lesambassades d'une· douzaine denations.
Ce· n'est pas le' plus intéressant. Encore que les précisions etles anecdotes ne manquent· pas depiquant, concernant le fabuleuxzoo du Hollywood de l'âge héroïque. Sur Griffith, par exemple,sur Chaplin (c'est méchant), surStroheim (très méchant; Queen
Kelly est qualifié de film lamentable !}, sur Murnau, Muck Sennett, Cecil B. de Mille, GloriaSwag.son et Mary Pickford, surles mésaventures d'Eisensteindans le Nouveau Continent, surles grotesques d'Emil J anningsmarchant aux saucisses commeles moteurs d'auto marchent àl'essence, sur mille et un petitsdétails de la. toute petite histoire- révélant que ce fut le père duPrésident Kennedy qui finançala· Queen Kelly de StroheimSwanson, ou que Charles Laughton fut toujours sur tous lesplateaux le roi des enquiquineurs.Au delà de ces commérages plusou moins malveillants (et plutôtplus que moins), ce qui retientdans Souvenirs d'un montreurd'ombres, c'est la méditation surle cinématographe. Nul doute,cet homme l'a dans le sang. Ilrêve, n'a pas cessé de rêver auxmoyens qui feraient du cinéma unart. Il aspire, n'a pas cessé d'aspirer au statut d'artiste dans unebranche artistique où il n'est paspermis, ni possible, d'œuvrerseul. Tout le drame est là. Ettous les drames, angoisses, espoirs,déceptions, échecs et triomphesde la vie de Josef von Sternberg.Il profite de l'occasion offerte
par ces Mémoires pour dresser lecatalogue des obstacles qui sedressent sur le chemin de la réussite esthétique, en même tempsqu'il évalue les instruments deson métier et jette quelquelumière sur leurs caractéristiquesmouvantes et évasives. Sternbergprésenter aussi les idées qu'il aessayé de faire partager à desmillions d'hommes - avec peu desuccès bien souvent (reconnaît-illui-même). Sur ce plan-là également, il s'explique.
Pour premier obstacle, et capital, la dégradation et la sottisecriminelle inhérentes à toute activité où l'argent règne en souverain. Sternberg ne mâche pas sesmots et la satire qu'il nous donnede Hollywood trahit plus d'amertume que de tendresse. Deuxièmeobstacle (et instrument tout à lafois, comme l'argent): le public,voulu immense, international, lafoule humaine, cette multitudedes quatre horizons que Sternberg a appris à copnaître aucours de ses voyages et pourlaquelle il a conçu très vite uneméfiance armée d'un solide mépris. Le cinéma est un moyend'expression populaire, c'est lesèul langage international; or, àun véhicule qui doit être médiocre pour rester populaire conviennent les ,idées médiocres; donc,lorsqu'il y a grandeur dans unfilm, ,il ne faut pas confondrecette grandeur avec ce qui arendu ce film populaire. Conclusion: l''adorerais attirer les autres dans mon univers, mais monunivers n'est pas celui des foules,bien que les foules aient SOlwentfait la queue pour venir le voir.Inutile d'ajouter que ces déclarations n'engagent que Sternberg.
Troisième instrument formantobstacle: les acteurs. Instruments humains dont se sert untravailleur humain: cela ne simplifie rien. Voilà Sternberg intarissable. Les anecdotes pleuvent,d'une méchanceté cocasse, d'uneférocité pleine d'hum~ur. Malheureux J annings, malheureux GaryCooper, malheureux tutti quanti.Ce ne sont et ne doivent être quedes matériaux. Sternberg les choisit pour leur aptitude à extérioriser une de ses idées, non une desleurs. D'ailleurs ils n'en ont pas.Sauf exception, les acteurs quiatteignent le succès sont des créatures de fauteur qui cherche unemarionnette et la rejette quandil s'en est servi. Marionnette, lemot est lâché. Naturellementtoutes ces aménités sont amusegueule. Des hors-d'œuvre. Unemarche d'approche. Ces acteurset actrices déchirés à belles dentsne servent qu'à épeler. On attendl'offensive. Quelques mines laprécèdent, l'annoncent: fairetourner sa femme n'est pas unmoyen de réduire les frais d'unfilm, on y perd non seulement defargent mais encore sa femme;allusions furtives et venimeuses
à une de mes actrices, à la dameque -l'Ange - Bleu-a-rendue-célèbre, à cette marionnette à cepoint manipulée qu'elle, a eu unevoix et une articulation parfaitement étrangères aux siennes etune expression de regard quin'était pas à elle. Bref - à Marlène Dietrich.
Enfin la voilà. C'est l'hallali.Sternberg, on le sent, se défoulede rancunes accumulées pendantdes décades. Il décrit, avec unsens impitoyable de la caricature, cette petite comédienneméprisée qui marchait avec unair de surdité bovine, sans regarder devant elle, en donnant l'impression qu'elle allait d'un instant à l'autre, se cogner à unmeuble; aux regards complètement voilés; dont le derrièreétait beaucoup plus expressif quela figure; qui n'attachait devaleur à rien sauf à sa fille, unescie musicale, et quelques disques d'un chanteur qui s'appelait Whispering Jack Smith ; dontla personnalité était faite d'uneextrême sophistication et d'unesimplicité quasi enfantine. Etc...etc... Mille et une gentillesses,dans le décor ·reconstitué du Berlin des années folles. Et pourbouquet final, cette réflexion quitombe comme le couperet d~une
guillotine : sous-produit accidentel de l'Ange Bleu, Marlène ne sedoutait pas que la transformationd'une nullité en célébrité internationale se ferait aussi rapidement et avec tant d'éclat.
Si l'on a bien compris, Marlène, sur le chemin de Josef vonSternberg, compta comme uninstrument-obstacle. Cet obstacle, pas plus que les autres, s'ila pu gêner Sternberg, ne l'aempêché de se livrer, autant qu'illui était possible, à ses recherches sur le plan formel, à ses compositions plastiques raffinées, àson goût pour les atmosphèresbizarres et envoûtantes. Cela,grâce à l'importance du montagequi tient compte du rythme et dutempo, et au contrepoint son-imagequi travaillerait à réaliser un sonaussi «flexible» que l'image.Lorsque, Marlène oubliée pourun moment, Sternberg parletechnique, métier, discute esthétique, il passionne.
Il lui arrive d'agacer plus souvent qu'à son tour - quand ilénumère avec une infinie complaisance ses triomphes, évoquela place qu'il occupe dans lescinémathèques, rappelle ses titresde gloire et l'accueil réservé à sesfilms - et qu'il a joué au ballonavec Jack Kennedy. Petitesse degrand homme. D'ailleurs noussommes prévenus dès l'exerguedu premier chapitre: Aucunhomme n'est assez grand pouréprouver le besoin de se rapetisser. Ce que Sternberg s'est biengardé de faire.
lean-Louis Bory
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La Quinzainelittéraire
Tenir entre ses mains les fac-similés des journaux d'autrefois, déplier l'Aurore pour y lire "J'accuse" de Zola, le ,:,etitParisien du 24 mai 1885 pour y apprendre la mort de VictorHugo la correspondance IitlJraire secrète du 15 septembre1785 : pour y suivre l'affaire du "Collier de la Reine", - c'estpour l'amateur d'histoire... une satisfaction gourmande... c'estde l'histoIre vivante. On apprend, on réapprend, on s'étonne;on s'indigne, on s'amuse... Ah 1 si chaque jour le journalpouvait être aussi passionnant 1 . _
C'est en ces termes que Jacqueline Piatier, dans le Monde,signale le magnifique recueil de 85 JOURNAUX DU TEMPSPASSE qui, dit-elle, "reproduits en offset ont "gardé. leur"grandeur nature et leur saveur du temps passé . 85 Journaux :12 des XVII- et XVIII- siècles, 21 de la Révolution, 23 pourNapoléon et la Restauration, 18 du Second Empire et de laTroisième, 11 journaux clandestins de l'Occupation. Les ~u
méros choisis sont parus au lendemain des grandes dates del'Histoire et relatent - quelquefois comme des événementssans importance noyés parmi les potins du jour - l'abjurationde Galilée ou le 14 Juillet ou la bataille de Waterloo ! "Ceslectures sont passionnantes" écrit Les Echos. Et le CanardEnchainé : "Ce recueil panoramique est une réussite".
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Dechirex
•••Les prochaines soirées de hap- •pening se dérouleront les 4, 5, •25 et 26 avril, au Théâtre de La •Chimère, 42, rue Fontaine, au •cours du Ille Festival de la Libre ••Expression, animé par Jean-Jac- •ques Lebel.
Bande sonore: Ollé! Ollé! Unecorrida au Mexique. La foulehurle en chœur.
De derrière l'écran par surprisesurgit une grosse moto derrièrelaquelle est assise une superbefille à la longue chevelure blonde,nue. La moto descend de la scèneet fonce comme un taureau dansla foule, la fille écrasant descerises sur le visage de tous ceuxqui s'approchent d'elle. Au mêmemoment, les joueuses de badmington dont on a mangé les robes enchoux sautent aussi dans la salleet se jettent dans le public en assénant des coups de raquettes.La foule excitée bouge autourd'une quatre-chevaux Renaultparquée au milieu de la salle.
Une fille à tête de mort, dévêtue, se dresse sur le toit de lavoiture. Un homme l'enveloppedans des spaghetti mous, elles'agite comme une sculpture hystérique lançant les spaghetti dontson corps est couvert sur la foule.Une petite fille lit au micro untexte du Larousse Médical sur lapuberté, ses effeta physiques etmoraux. Danse mortuaire, arrosage de spaghetti pendant que surla bande sonore on entend Maïakowsky lire un de ses poèmes enrusse, les bruits d'une canonnade,des mitrailleuses, des voitures depompiers se précipitant vers unincendie, encore les bruita d'unecorrida démente, la musiqued'Eric Dolphy et vers la fin unimportant extrait d'un discoursde Castro (reconnue, sa voix estsaluée d'applaudissementa spontanés dans la salle). Mouvementa dela foule, certains montent surscène. Les joueuses de badmington, maintenant nues et hyperexcitées, continuent de donner descoups de raquettes et de pousserles gens autour de la voiture quiest offerte au public. Des invitéscommencent à la démolir à coupsde pioche et de hache. Ferlinghetti entreprend la lecture deson poème The Great ChineseDragon pendant qu'un immensetube en plastique transparent segonfle lentement d'air et se déroule dans la salle pàrmi les genset finalement s'enroule comme unboa autour de la voiture où deuxcouples «inter-raciaux» s'enlacent. Le tube prend des proportions énormes et paralyse le mouvement de la salle. La moto continue à rouler dans la foule, lesfilms se terminent. A 22 h. 45 onannonce par trois fois la fin duhappening, mais vers minuit etdemi il reste encore une centainede personnes dans la salle qui neveulent pas quitter les lieux. Onéteint les lumières. Fin.
Jean-Jacques Lebel.
Ce texte est extraitdu volume Happeningde Jean-Jacques Lebel.Dossiers des Lettres nouvelles,Denoël éd.
La mort aux spaghettis, une séquence deDechirex, 1wppening de J.-J. Lebel.
lanta, peinta au fluor, qui passenten comètes fluorescentes au-dessusdes têtes. Arrivent deux hommesportant casques et lunettes Courrèges également peinta au fluor.On voit que la « partie ~, commencée lentement, peu à peu sedéchaîne. Les hommes portent deschemises blanches illuminées parla lumière noire.
Dans la partie droite (B) on acommencé la projection d'un cinéma collage en couleur. Cinq ousix films de nature, de technique,de taille, de longueur et de couleur différentes apparaissent simultanément sur l'écran. Un collage qui durera en se renouvelanttoujours, à peu près une heure(par exemple: le film de Michaux sur la mescaline, un filmsur la sorcellerie au Dahomey, unfilm sur les accouchements - laConduite active de la délivrance- projeté à l'envers, de manièreà ce que les bébés rentrent dansle ventre de leurs mères au lieud'en jaillir, des films d'actualitépolitique au Vietnam, à SaintDomingue, etc.).
Pendant toute la durée du happening le film collage continueaugmenté de la bande sonore etdes actions spontanées qui ontlieu dans la salle.
PARIS
Le public est debout dans lasalle, une passerelle relie la scèneet la salle.
La scène est divisée en deux, àgauche un vaste cube blanc ouvert devant; à droite un écrande cinéma à ras de terre. Noirtotal, la bande sonore commenceà faire entendre Eric Dolphy. Lapartie gauche s'allume (A) en lumière noire. Deux femelles apparaissent que l'on aperçoit àpeine, elles jouent au badmington.On ne voit clairement que les vo-
La Quinzaine littéraire, l or ovril- 1966 29
TOUS LES LIVRES
ROMANSFRANÇAIS
Marie-Claire BlaisUne StJÏ50n dansla vie d'EmmanuelGrasset, 10 F.Une histoire de famillepar unll jeune romancière·canadienne.
Jean Bloch-MichelFrosinia, récitGalIimard, 7 F.Un père, sa fille,deux vérités s'opposentPar l'a'uteur desGrondés circonstancu.
Daniel BoulangerLe chemin du CaracolesLaffont, 13,90 F.Voir l'article deM. Cl.'de Brunhoti, p.' 8.
Michel BoùrguignonLe· jardin- du innocermFlammarion, 18 F.Une pcÎéSie des bordade Marne.
Pierre BrandonLe 1GlI& et le cimentEd. du Pavillon, 15 F.Aujourd'hui avocat,l'ancien chef-euisinierd'lÙl grand restaurantétait. avec les brigadesinternationalesen .Espagne.
Marcel BrionDe Talitre côté de la forêtAlbin Michel; 12 F.La réalité transformée parles lIOuvenirs et parle rêve.
Michel Del CastilloLa premièrel iUU&io,..Jùlliard, 15 F.Second tome ,des A...interdit., par l'auteurde Tan&uy.
Mohammed DibLe taliIman, DOUVelles
Le Seuil, J,50 F..Entre le réaliaml'.·'~t là vision poétiqUe; .
Driéu' La RochelleMérhliires de' Dirk RatpePréfajle .de Pierre AndreuGallimard, 14 F.'Voir l\articlede Maûrice Nadeau, p. 5.
Lydie DuttierL'absenteCol. Vinitiale. Me~.:aiJF;a~~, 5,40 F.
Charles Estienneo et M .Illustrations de LapiCqùeLe Soleil Noir, 18,50 F.Une suite à l'Histoire d'O.
Jean GarmiersLe .pedateurMere. de France, 10,80 F.Un personnage et saconscience.
André HardelletLes chasseursJ .•J. Pauvert, 9',95 F.Voir l'article deJosane Duranteau, po 8.
Dominiq~e ·P. LargerLe ,vidame de NeuvilleCol. La vague.Albin Michel, 9,75 F.Une petite ville,au bord de la mer.
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Pierre.Jean LaunayAux portes de TrézèneGrasset, 15 F.A Athènes, avec unconseiller britannique,parmi les partisans.
Jean MisùerLes .orgue. deSaint-SauveurGrasset, 15 F.
Jules RavelinLe rute ut pour lu yeuxGallimard, 14 F.Entre le mensonge etl'ha~ucination.
Marcel SchneiderLa Sybüle de CumuGrlllllet, 9,60 F.Au-delà de ce monde,dans le climat du réve.
Jean ThibaudeauOuverture "Col. Tel quel.Le Seuil, 12 F.
Maurice ToescaLes loupl-&GrousAlbin Michel, 12 F.La résistance aux troupellfrançaises,en Allemagne,en 1945.
Yves VéquaudLe petit livre avaléGallimard, 9 F.Le personnage-auteur, prisentre le burlesque etl'horreur.
ROMANSÉTRANGERS
José-Maria· ArgueduLes fleuve. profond.Traduit de l'espagnolpar J .•F. ReilleCol. La croix du Sud.GaIli.m8rd, 'l8 F.'Dans' les .valléesdu. Pérou.
Manfred Bieler'Boni/ace ou le matelotd(Jns la. bout8ÜleTrad. par Jacques CharyLe Seuil, 15 F.Voir la' critique de /René Wintzen, p. 10.
. André' Bitov.L'herbe du 'ciel'Traduit du russeLe Seuil, 12 F.Par .un jeune romanciersoviétique:
Lesley BlanchL'homme aux nell./ tipuRobert Laffont, 13,80 F.·L'Inde romantiquedu XIX' siècle,par l'ex-femmede Romain G(lry.
Johannes BobrowskiLe moulin à LevineTraduit parLuc de Goustine·Le Seuil, 15 F.
Mikhaël BoulgakovLe roman théâtralTraduit du russe etet présentépar Claude LignyRobert' Laffont, 13,90 F.Moscou 1925.
Tibor .DéryLa phrase inachevéeTraduit du hongroispar LazIo GaraAlbin Michel, 30 F.La fresque d'undemi-siècle, par l'undes plus grandsromanciers hongroisactuels.
Friedrich DürrenmattGrec cherche GrecqueTraduit de l'allemandpar Denise Van MoppèsAlbin Michel, 9,60 F.Les hasards d'uncourrier matrimonial.
John EhIeLa terre soumiseTraduit de l'americainLa Table ronde, 22,60 F.
Carlos FuentesLa man d'Artemio CruzGallimard, 19 F.Voir la .critiqued'Yves Berger, p. 9.
K.B. GildenQue vienne la nuitTraduit de l'anglaispar Laure CasseauPlon, cartonné, 30 F.La nostalgie du vieux Sud.
Natalia GinzburgLu mots. de la tribuTraduit de l'italienGrasset, 15 F.Une jeunesse antifascisteà Turin.
Patricia HighsmithLa cellule de verreTraduit de l'américain.Robert Laffont, 12,35 F.La vie dans lesprisons américaines,par l'auteur deL'inconnu duNord-Expreu.
Yachar KemalLe püierTraduit du turcpar Guzine Dino,Gallimard, 26 F.Une vieille paysanned'Anatolie.
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Fletcher KnebelLe Président est /011.rraduit de l'américainpar Gilbert Vivier.et J.G. ChauffeteauStock, 19,50 ·F. ,Le destin du monde entreles mains d'unparanoiaque.
KonsalikErika Werner,chirurgienneTradùit de l'allemandAlbin Michel, 13,50 F.
Jerzy KosinskiL'oiseau barioléTraduit de l'anglaispar M~urice PonsFlammarion, 15 F.Un enfant dans l'horreurquotidienne.
Leonid LeonovLa forêt russe, t. 1Traduit du russepar Dominique ArbanCol. Littératuressoviétiques.Gallimard, 20 F.Le chef-d'œuvrede LeoBov.
Mendel MannLu plaines de Mcu:OvieTraduit du yiddischpar E. FridmanCalmann-Lévy, 16 F.La Pologne d'entreles deux guerres.
Leonardo SciasciaLe COns8Ü d'EgypteCol. Lettres NouvellesDenoël, 12, 30 F.Voir la critique deHenri Hell, p. 10.
Johannes Mario SimmelOn n'a paltoujours du caviarRobert Laffont, 18,55 F.Une histoire d'espionnagepar un des auteursbest·sellers dans son pays.
Abraham TertzLioubimovTraduit du russeJulliard, 15 F.alias Siniavski,qui vient d'être condamnéà 7 ans de déportationpar les tribunauxsoviétiques.
Lajos ZilahyLe siècle éCflTlateTraduit de l'américainStock, 24 F.'
LITTÉRATURE
Jacques ChardonnePropos comme çaGrasset, 9,60 F.Réflexions et aphorismes.
Cahiers Paul ClaudelClaudel homme de théâtreGallimard, 16 F.Correspondancesavec Copeau, Dullin,Jouvet.
Bemard B. DadiéLégendf!5 et poèmuSeghers, 13,50 F.Un poète de Côt~ d'Ivoireenrichit la littératurefrançaise.
Franz HellensPoétique du élémentset des mythuAlbin Michel, 16,50 F.Retour aux sourCes.
René de ObaldiaChoix de textes'Col. Humour secretJulliard; 15 F.Un savoureux comprimé.
POÉSIE
AragonElégie à Pablo NerudaIllustrationsd'André MassonGallimard, 12 F.
René-Guy CadouLes amis d'enfanceMaison de la' culturede Bourges .
,Quatorze poèmesposthumes.
André FrénaudLes rois mages,édition revueSeghers, 12,40 F.L'un des recueils qui ontfait la notoriété deFrénaud.
Pierre Jean JouvePoésie UV 1925-1938Lu Noces, Sueur de sang,Matière céleste, KyrieMere. de France, 30 F.Poésie V-VI 1939·1947:La Vierge de Paris,.HymneMere. de France, 24 F.Voir l'article deMaurice Saillet, p. 14.
MallarméPoésiesPréface de Jean.P. SartreCol. PoésieGalIimard, 3,50 F.
CRITIQUEHISTOIRELITTÉRAIRE
Roland BarthesCritique et véritéCollection Tel QuelLe Seuil, 4,50 F.Barthes répond à Picard
Claude BonnefoyEntretiens avecEu&ène IonelCoPierre Beifond, 9,25 F.
Jean.Louis Bory,Tout feu tout flamMusique IlJulliard, 15 F.D'Eugène Sue à Queneau.
Jean DescolaHistoire littérairede l'E.pa&neFayard, 24,65 F.De Sénèque à Lorca.
Victor Hugoloumal de ce quej'apprend. c1urque jourJuillet 1846. Février 1848Boite aux lettruEdit. critiques établiespar René Journet etGuy RobertFlammarion 19,50 et 16 F.Voir la critique deGeorges Piroué, p. 12.
philippe SénartChemins· critiqUe5Plon, 12 F.D'Abellio ,à Sartre.
ESSAIS
Jacques EllulExégèse du nouveauxlieux I;ommunsCaImann·Lévy, 16,35 F.
Robert EscarpitLettre ouverte à DieuCol. Lettre ouverte.Albin Michel, 7,71 F.
Maurice GarçonLettre ouverte à laJusticeAlbin Michel, 8. F.Col. Lettre ouverte.
Pierre MélèseSamuel BeckettSeghers, 7,10 F.Beckett romanëieret dramaturge.
André VirelHistoire de notre imageMont-Blanc, 26,75 F..Une remise en questiondes. problèmes del'aventure ~umaine.
PHILOSOPHIE
Marie-Madeleine DavyLa connaislGllCe de lOiP.U.F., 5 F.
Michel FoucaultLu Mots et lu ChaIa,une archéolopdes sciencu humainaGallimard, 26 F.Voir la critique deFrançois Châtelet, p. 19.
Henri LefebvreSociolop de MlII'xP.U.F.,8 F.
HISTOIRE
C. Bea1sL'Amérique latine,monde. en révolutionPayot, 21,60 F.
Michel Debré,Pierre Mendèe-FranoeLe pond débœ'Préface deGeorges A1tschuierGonthier, 9,60 F.Texte des 3 émiasionaqui ont lDllrqw§ lacampagne présiélentielle.
Bernard FéronL'URSS sant idoleCastermann, 18 F.De Staline à Brej..,et Kossyguine.
André FontaineHistoire de la&uerre' froide, t. 1Fayard,De la Révolution d'octobreà la guerre de Corée.
A. Gautier WalterLa Chevalerieet les atpects 1ffC1'8Ude l'HistaireLa Table ronde, 28;80 :F
Morton H. HalperinLa Chine et la bombeTraduit de l'américainCalmann.Lévy, 1'0;&0 F.
Elizabeth LongiordVictoria, reined'An&leterre,Impératrice du InduTraduit de l'anglaispar Denise Van Moppès.Fayard, 30,85 F.
Marcel·Edmond NaegelenLa Révolution GISGIIinéeHongrie oct.·nov. 1956Berger.Levrault, 18 F.
William Peirce RandelLe Ku Klux KlanTraauit de l'améticainAlbin Michel, 21,60 F.Voir l'article deGuy Braucourt, p. 22.
Philip SchiifferTreize joursde l'histoire du mondeTraduit de l'allemandStock; 19,50 F.Comment éclatala II' guerre mondiale.
John TolandDülingerCalmann·Lévy, 19,90 F.Un des grands gangstersdes années vingt par lebrillant reporter deBastogne.
Albert VulliezTonnerre sur le PacifiqueFayard, 19,10 F.
Joseph WeinbergLe printemps du cendresSedimo, 20,60 F.Les camps deconcentration.
POLITIQUE
Georges LukacsLénineE.D.I., 5,90 F.Voir l'articlede Victor Fay, p. 20.
Théodore C. SorensenKennedyGallimard, 25,70 F.Voir l'article deHans J. Morgenthau,p. 3.
Georges SuffertDe Del/erre à ·MitterrandLe Seuil, 9,50 F.La campagneprésidentielle.
~CON()MIEPOLITIQUE
Eugène PréobrajenskyLa nouveUe économiqueTraduit du' rosse parB. JolyPréface de P. NavillePrésentation d'E. MandelE.D.T., 17,60 F.Un ouvrage capital pourle développement de lapensée marxiste.
SCIENCES
Jacques Berqueet diversNormes et valeurs del'Islam. contemporainPayot, 29,80 F.
Albert DucroqLe roman de la vieJulliard, 15 F.Nos 80Urces biologiques.
B. Whiteside,Serge Huttin et diversParacelseLa Table ronde, 14,40 F.
La Biologie,acquUitions récentesAubier.Montaigne,Voir l'entretien avecJean Rostand, p. 23.
LIVRES n'ART
François DaumasCivilisation del'Egypte pharaonique255 illustrations en noir8 planches en couleurs47 cartes et plansArthaud, 95 F.Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinwine Littéraire.
Eggers, Will, HolmqvistLes Celtes et lesGermains à l'époquepaïenneAlbin Michel, 49,36 F.
. Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinzaine Littéraire.
Will GrohmannAquareUes 1922de Hans HartungTexte Trilingue33 planches couleursLM. Erker, 93 F.Saint·Gall, SuisseUne étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinzaine Liuéraire.
Rafael Larco HoyleChecan, essai surles représentationsérotiques du Pérouprécolombien145 planches en couleurs36 illustrations en noirNagel, 186 F.Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinwine Littéraire.
Maurice NuéParis du poètes82 photosHachette, 42 F.Quatre-vingt poèmesde Villon à Aragon,accompagnés d'autant dephotos sur Paris.
Karl JettmarL'Art du steppesAlbin Michel, 46,27 F.Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinwine Littéraire.
Michel Seuphor·Le style et le criLe Seuil, 19,50 F.Voir la critique deGeneviève Bonnefoi,p. 17.
MUSIQUE
Pierre BoulezRelevés d'apprentiTextes réunis etprésentés parPaule ThéveninCol. Tel QuelLe Seuil, 35 F.Voir l'article deMaurice Faure, p. 27.
Jaroslav IwaszkiewiczChopinTrad. du polonaispar LÏ80wskiGallimard, 18 F.
Paul NetllHistoire de la danse etde la mU8Ïque de balletPayot, 20,55 F.
Michel PhilippotIgor StnJvinskySeghers, 7,10' F.Voir l'article deM.·CI. Jalard, p. 26.
Simone BenmUllllllEugène IonescoSeghers, 7,10 F.Une vue d'ensemble surle théâtre de Ionesco.
Aimé CésaireUne saison au CongoThéâtreLe Seuil, 7,50 F.Autour de la figurede Lumumba.
Armand SalacrouImpromptu délibéréGallimard, 10 F.Six entretiens avecSalacrou sur son œuvre.
Armand SalacrouThéâtre, t. VIITrois pièces de Salacrou.
Joseph von SternbergSouvenirsd'un montreur d'ombresLaffont, 20,10 F.Voir l'article deJean·Louis Bory, p. 28.
SPECTACLES
Jean.Jacques LebelLe HappeningNombreuses illustrationsDossiers desLettres NouvellesDenoël, 15,40 F.
SCIENCEFICTION
Algernon BlackwoodElève de la quatrièmedimensionCol. Présence du Futurpenoël, 6,15 F.Un des classiques dela cr; science-fiction ",mort il y a unedizaine d'années.
POLICIERS
P. Souvestre et M. AllainFantômas, t. XIRéimpressionRobert Laffont, 24,60 F.
HUMOUR
Pierre DaninosLe 36· dessolUHachette, 12 F.
Robert ShinosiRue AttarineCol. LabicheCalmann.Lévy; 9,90 F.
Pierre-Jean VaillardGuirlandea du 1OU7ÎresLa Table ronde, 12.35 F.
VOYAGES
R.L. BriickbergerSortilège. rr&UiccJimSedimo, 9,25 F.
SPORT
Philippe GaU880tHistoires de skiPréface deMarielle GoitschelCalmann.Lévy, 9,90 F.
INFORMATIONS
Siniavski et Daniel, récem·ment condamnés à Moscou, vontêtte dirigés sur le camp dePotma (République des Mordves)où se trouvent déjà 10.000 déte·nus. La déclaration de Siniavskià son procès, désormais connue,a de nouveau ému les écrivainset artistes dans le momie. EnFrance, une protestation a étésignée par des intellectuels com·munistes et sympathisants.
En 1965 ont été publiés21.531 titres parmi lesquels oncompte 4.213 réimpressions. Lestexte6 littéraires viennent en têteavec 6.195 titres (2.131 réimpres.sions) suivis par les sciencessoaiales : 2.682 titres, les sciencesmédicales: 2.361, les sciencespures : 2.265. Il y a eu, en 1965,1.762 traductions contre 1.955 en1964. Les traductio~ du rwseont régressé de 50 %, celles def allemand monté de 289 à 302.
Vient de paraître, dans lacoUection Les Lettres Nouvelles(Denoël éd.) le nouveau romande W itold Gombrowicz: Cosmos.
Maurice Werther, chef duservice diplomatique à la Télévi·sion fraru;aise, vient de .signer leservice de presse de son Kennedy(Seghers éd.) L'ouvrage est forméd'une étude et d'un choix detextes.
Toujours chez Seghers, pouravril : un Cummings dans la col·lection Poètes d'aujourd'hui. Sui·vront un Louis Brauquier, poètedes escales et des mers du Sud,et un Géo Lihrecht, le poètebelge qui s'est aventuré, solitaire,sur la route des morts qui vontvers la lumière.
En mai Gallimard publieles deux ouvrages de StanislausJoyce consacrés à son frère : LeJournal de Dublin et Gardien demon frère. Guidé par une admi·ration parfois agacée, Stanislausdonne de précieux renseigne.ments sur la personnaUté intimede Joyce.
Toujours chez Gallimard, la.publication d'un roman de fécrivain islandais H alldor Laxness,prix Nobel : Le Poney merveil·leux, ainsi que dOns la collectionCroix· du Sud cèlle d'un nouveaurecueil, critique cette fois, deJorge Luis -Borges: DiscU88ion.
Les Editions ouvrières annoncent Une image de la famille etde la société 80US la Restauration,
.par Raymond Deniel. Cette étudesera fondée sur f actualité immé·diate de fépoque en question ettelle qu'elle apparaissait clans lesjdurnaux dirï"gés ou inspirés pardes catholiques.
Les libraires amencains ontpris, depuis 1929, fhabitude deremettre à chaque nouveau Pré·sident des Etats·Unis un choix delivres, destiné à former la basede sa bibliothèque. Ce cadeaucomprend 250 volumes, choisisparmi les livres parus au coursdes derniers quatre ans - duréedu précédent mandat présiden.tiel - et porte sur les titres queles libraires estiment « im·portants et dignes d'être lus ~.
M. Johnson vient de recevoir cetenvoi traditionnel. Sur 250 volu~
.mes, 31 relèvent de la littératureau sens strict du terme. L'écrasante majorité est composée delivres d'histoire, d'études politi.ques, de mémoires et de biogra.phies. Les autobiographies sem·blent très appréciées, et fortdiverses: du général Eisenhowerà Sammy Davis. Parmi les romans on trouve la dernièreœuvre de William Faulkner. Lesauteurs étrangers sont peu repré.sentés.
Simenon ne semble pas des·tiné à une carrière fulgurante en·Pologne, si fon en croit le jour.nal Polityka de Varsovie. D'aprèscette publication, les œuvres dupère de Maigret manquent tropde crédibilité au moins pour lelecteur polonais. En voici quel.ques exemples : 1. Il n'existe' pqsà Varsovie un seul restaurant oùon peut commander par télé·phone un repas, ce qui semblepourtant indispensable pour lesinterrogatoires interminables ducommissaire Maigret. 2. Les sour·ces d'information de la policefrançaise sont inimaginables enPologne. Les concierges de Var·sovie sont trop paresseux poursignaler à la police un fait inhabituel: d'ailleurs ils dormenttoute la journée. 3. Les prosti.tuées ne constituent pas non plusune source d'information. D'abordil n'en existe pas. Et si par ha·sard il en existe, elles se marienttrès rapidement. 4. Maigretobtient en quelques secondes uneliaison téléphonique avec Londres ou New York. A Varsovie onne peut même pas téléphoner enprovince. 5. La police fraru;aiseconnaît très bien les hôtels oùhabitent les gangsters. A VarS011Ïeil n'existe pas assez d'hôtels pourles voyageurs.
Profell8eur Unrat, le célèbreroman de Heinrich Mann a étéporté deux fois à f écran et tou·jours sous le titre L'Ange bleu.Il vient d'être adapté en « musi·cal ~. Une fois de plus 'le- .titreoriginal de Heinrich M~n a "étéécarté et remplacé par celui. dePousse·café. La première· a déjàeu lieu à Toronto, avant que lapièce tente sa chance à Broad·way. Ses chances sont d'ailleursexcellentes: la musique est deDuke Ellington.
La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966 31
Hall d"exposition du Collége Expérimental de Sucy-en-Brie.
une révolution techniqueau service de la réforme de l'enseignement
Le sème Plan prévoit, dans les cinq annéesà venir, la construction de 1200 CES,300C E G, 26800 classes primaires etmaternelles, que nécessite la scolarisation de 8 millions d'enfants.Une expérience de six ans, un souciconstant de perfectionnement techniquepermettent à GEEP CIC de répondre àces trois impératifs:Rapidité - Quantité - Originalité.En 1966, GEEP CIC réalise les collègesexpérimentaux de Sucy-en-Brie, de.Marlyle-Roi, de Gagny dont l'architecture particulière a été étudiée pour répondre auxbesoins pédagogiques nouveaùx : sallesde cours transfor>mables, équipées pourl'enseignement audio-visuel, prolongéespar des terrasses, "studios" d'équipe,combinant salle d'étude et chambre.
Ces trois réalisations de GEEP CIC démontrent que l'assemblage des modulesindustrialisés ne signifie pas monotoniemais variété, élégance et harmonie.
GE'E'P cieChantiers Industrialisés de ConstructionProcédés ALUMINIUM FRANÇAIS/SAINT. GOBAIN
- 22, rue St-Martin Paris 4" Tél. 272,25.10,-887.61:57
BMiment Externat du CoÎlége Expérimental de Sucy-en-Brie.