La Quinzaine littéraire n°2

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e e Ulnzalne La 2F 50 littéraire Numéro 2 1" Avril 1966 Le mythe Kennedy par Morgenthau Une littérature américaine de l'anti-amour. Un happening \ Rostand: un surréalisme biologique Sociologie: Margaret Mead Comment on devient homosexuel. Un sonnet contesté· de Mallarmé. '\ LénineparL de Jouve .Victor Hugo au microscope. Foucault: les mots et les choses. Maurice Nadeau : le dernier visage de Dri-eu. Apprentissages de Boulez. J. . Sternberg et Marlène. Socialisme : va la Chine ? Romans du Mexique, du Japon, de l'Allemagne de l'Est, d'Italie.. Magri tte .Livres de la quinzaine

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La Quinzaine littéraire n°2

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Page 1: La Quinzaine littéraire n°2

e eUlnzalneLa

2 F 50 littéraire Numéro 2 1" Avril 1966

Le mythe Kennedy par Morgenthau

Une littérature américaine de l'anti-amour. Un happening

\

,~ Rostand: un surréalisme biologique

Sociologie: Margaret MeadComment on devient homosexuel. Un sonnet contesté· de

Mallarmé. 'l·~'\

LénineparL

de Jouve .Victor Hugo au microscope. Foucault:

les mots et les choses. Maurice Nadeau : le dernier visage

de Dri-eu. Apprentissages de Boulez. J . .Sternberg

et Marlène. Socialisme : où va la Chine ?Romans du Mexique, du Japon, de l'Allemagne de l'Est,

d'Italie..Magritte .Livres de la quinzaine

Page 2: La Quinzaine littéraire n°2

SOMMAIRE

a LE LIVREDE LA QUINZAINB

5 ROMANS FRANÇAIS

8

8

9 ROMANS- :éTRANGBRS

10

11

11 HISTOIRBLITT:éRAIRB

18

15 aRUDITION

18 ART

17

18 SOCIOLOGIE

19 PHILOSOPHIE

10 LIVRES POLITIQUES

11

22

28 SCIENCES

24

15 MUSIQUE

28

27 TH:lATRE

28 CIN:éMA

29 PARIS

80 TOUS LBS LIVRBS

Théodore C. SorensenKennedyArthur M. SchlesingerLes mille jours de KennedyPierre Drieu La RochelleMémoires de Dirk RaspeJulien GreenAndré HardelletDaniel BoulangerCarlos FuentesManfred BielerJohannes BobrowskiLéonardo SciasciaYukio MishimaVictor Hugo :JournalBoîte aU% lettresPaul Léautaud :Journal Littéraire, T. XIX

Pierre-Jean Jouve:Poésie 1. IV. Poésie V. VI.Mallarmé:PoésiesMichel Seuphor :Le style et le criPatrick Waldberg :MagritteMargaret Mead :L'un et rautre sexeMichel Foucault:Les mots et les chosesGeorges Lukacs :LénineCharles BettelheimRené DumontRobert Guillain

William Peirce RandelUne interview deJean Rostand

Jean-Louis Boursin:Les structures du hasardPierre BoulezIgor Stravinsky

La littérature del'anti-amour

Joseph von SternbergUn happening

LETTRES DE NOSLECTEURS

J'applaudis à votre initiativede tout mon cœur.

La France est à peu près le seulpays à ne point posséder unepresse littéraire informant le pu·blic de la parution des livres, defaçon complète et objective.

Je souhaite que vos commen­taires et analyses soient succincts,concis, sans aucun privilège. Çanous changera de la « Républi­que des petits copains ».

Pour vous témoigner monapprobation, je m'inscris pourun abonnement d'un an...

Cette lettre de M. RobertChamneury, à Golfe-Juan, ré­sume le grand nomhre de lettresqui nous sont parvenues et quicontiennent encouragements etfélicitations. Notre Quinzainelittéraire était attendue, on ladit utile, parfois « indispensa.ble ~. Enfin, nous écrivent cèr·tains correspondants, nous avonsnotre Times Literary Supple­ment. Ce n'est pas encore tout àfait vrai. Du moins nos amhitionsvont-elles dans cette voie.

A côté des félicitations, il y aaussi les regrets et les critiques.

Le général Mast, à Paris, sedit « intéressé » et nous félicitede notre « initiative ». Il se dé­clare toutefois déçu de n'avoirpas trouvé d'article sur un romanqu'il vient de lire et aime entretous.

Evidemment, nous ne pou­vions parler, dans un premiernuméro, de tous les ouvragesintéressants que nous avons lus.En revanche, peut-être que notrecorrespondant y a trouvé desarticles sur des ouvrages dont ilne connaissait pas l'existence.Qu'il prenne patience. C'est surplusieurs numéros qu'il aura unevue assez complète croyons-nous,de l'actualité en toutes brancheset disciplines.

D'autres se trompent d'adresse,comme M. Chateau, à Paris, qui

attendait de lire dans la Quinzai­ne des « textes » et non du « ver­biage critique:.. En fait de« textes », celui de Samuel Bee­kett aurait eu de quoi le satis­faire. De toute façon ce n'estpoint notre rôle, les revues' litté­raires - il Y en a d'excellentes,bien qu'elles soient peu lues ­ayant pour destination essentiellede publier des textes. ·Nous endonnerons quand ils nous paraî­tront exceptionnels, c'est-à-direpeu souvent. Nous voulons nousconsacrer à la lecture et à l'appré­ciation des livres, signaler ceuxqui nous semblent importants,mettre en garde l'acheteur éven­tuel à l'égard d'autres qui nousparaissent d'un moindre 'intérêt.La Quinzaine peut jouer, de cettefaçon, un rôle de guide et intro­duire le lecteur dans des domainesparfois peu fréquentés de la pen­sée écrite.

D'autres critiques nous vien­nent de libraires qui attendent deLa Quinzaine qu'elle leur servesurtout d'instrument d'informa­tion. Déjà, avec ce deuxième nu­méro, un manque est comblé avecla bibliographie de nos dernièrespages. Elle comporte les renseigne­ments essentiels sur les livresque nous avons reçus. Ce qui nenous dispensera pas de revenir,par des articles et des études, surbeaucoup d'entre eux.

La présentation de notre jour­nal, son format, sa mise en pagesont reçu des approbations quasiunanimes. Nous en avons faitpart à notre directeur artistique,Pierre Bernard, qui nous a dé·claré « ne pas vouloir s'en tenirlà ».

C'est également ce que nousvoudrions dire à ceux qui nousfont confiance et qui nous l'ontmanifesté soit par des lettres soitpar des envois d'abonnements :nous espérons ne pas nous entenir là. L'accueil sympathiqueréservé à La Quinzaine littérairenous en fait même un devoir.

François Erval, Maurice Nadeau Publicité générale: au journal. Crédits photographiques :

La Publicité littéraire:71 me des Saints-Pères" Paris 6. Copyright La Quinzaine littéraire:Téléphone: 548.78.21. Paris, 1966.

La Q~~aine

z

Corueiller, Joseph BreitbachDirecteur artiatique Pierre BernardAdminUtrateur, Jacques Lory

Rédaction, adminiltration:

13 rue de Nesle, Paris 6.Téléphone 033.51.97,

Imprimerie :

Coty. S.A.U rue Ferdinand-GambonParis

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A.bonnements :

Un an : 42 F, vingt-trois numéros.Six mois: 24 F, douze numéros.Etudiants: six mois 20 F. .Etranger:Un an: 50 F. Six mois M F.

Règlement par mandat,chèque bancaire, chèque postalC.C.P. Paris 15.551.53. '

Directeur de la publicationFrançois Erval

p. 3. Cornell Capa, magnump. 4. Bob Henriques, magnump. 5. Collection p~rticulière

p. 6. Roger Violletp. 8. Robert Doisneaup. 9. H. Cartier-Bressonp. 12. Roger Violletp. 13. Paris-Matchp. 14. Giraudonp. 16 Galerie Denise Renép. 17. Galerie 101asp. 18. Galerie Louise Leirisp. 21. Agnès V~dap. 22. Keystonep. 23. R.H. Noaillesp. 26. Ed. c;lu Seuilp. 27. Roger Violletp. 28. Cinémathèque française

.p. 29. M. Franck

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Le D1ythe Kennedy

Théodore C. SorensenKennedy.Gallimard éd.

A.M. SchlesingerLes mille joursde Kennedy.De.noël, éd.

Hans J. Morgenthan est profes­seur de science politique etd'histoire moderne à l'Univer­sité de Chicago. Ii dirige leCentre pour l'étude de la poli.t~que étrangère et de la politi­q.ue militaire. Il a bien connul'ancien président des. Etats·Unis. Il cpnnaît de même ses.deu,x récents biographes amé­ricains. D'où l'intérêt de sonarticle à propos d'ouvragesqui, ici aussi, vont faire quel.que btuit.

Ma premlere rencontre avecJohn F. Kennedy, lors d'un han·quet organisé par l'Association·des Amis du Vietnam, me dé­concerta. J'avais tenté de saisirun homme et je n'avais surprisqu'une image qu'y avait-ilderrière cette courtoisie, cetteaisance, cette distinction, cetteprécision pre s que mécaniquedans le choix du geste, du mot ?A cette question - ainsi en adécidé le destin - l'Histoire n'aréussi à répondre qu'en partie. Ily avait certainement quelquechose derrière l'image mais quelnom lui donner? Cela s'appellela grandeur, répondent Schlesin­ger et Sorensen et leurs ouvragespeuvent être considérés ·commedes monuments destinés à perpé.tuer cette grandeur.

c..e t t e grandeur, cependant,Kennedy l'a-t-il confirmée ous'est.il contenté de l'assumer? Jene veux pas dire par là qu'il n'yavait pas en lui l'étoffe d'ungrand président et que, si ledestin lui avait permis de faireses preuves de façon. plus écla­tante, . il n'eût - pa~ . tenu sespromesses. Je dis seulement que,pour hrillantes que fussent lespromesses, le score final n'est pasconcluant. Elles reposaient pour­tant sur trois qualités' 'que lesouvrages de Schlesinger et deSorensen mettent pléinement enévidence.

Avant tout, Kennedy avait . la .vertu de ne pas' se prendre ausérieux. Etre' capahle de prendredu recul vis-à-vis de son -person­nage, de ne pas se laisser impres­sionner par lui, voilà certes ùntrait de grandeur chez un hommed'Etat. Voilà qui .lui permet, entous cas, de' considérer le mondecomme' il est, .saris se· laissertrouhIer par ses propres prohlè­mes. Cette vertu, il la partageaitavec deux de nos proch'es contem­porains : Eleanor Roosevelt et A.Stevenson.

Le détachem'ent de .Kennedy

La Quinzaine littéraire, 1" avm 1966

avait le tour ironique, hadin,des auto-critiques de Stevenson.Ironie vis-à-vis de lui·même quilui permettait une ohjectivitéd'autant plus grande à l'égard dessituations auxquelles il avait àfaire face. Un jour, lorsqu'ilétudia le memorandum de Schle­singer s'opposant. au déharque­ment de la Baie des Cochons,Kennedy fit remarquer : « Ar­thur a écrit un memorandum quine fera pas mal dans son livre surma présidence. », et, àvec cethumour sardonique qui le carac­térisait : «Il fera tout de mêmemieux de ne pas le puhlier demon vivant. J'ai hien envie de luisuggérer un titre pour son livre :Kennedy, les brèves années ». Et,ajoute Schlesinger, lors de .laparuti.on du premier tome desMémoires d'Eisenhower, Kennedylui dit d'un ton sec : « On diraitvraiment qu'Eisenhower était in·faillihle. Quand nous ~crirons no~

mémoires, il faudra nous y pren·dre autrement ».

La seconde des trois qualités deKennedy, étroitement liée, dureste, à la première, est son intel­ligence, une intelligence aiguë, auservice d'une ouverture d'esprit,d'une réceptivité peu communesaux idées et aux expériencesnouvelles, et d'une nQn moinsgrande vitalité. Autant de qualitésdont manquait cruellement leDépartement d'Etat à tous les'échelons, ce qui explique l'irrita·tion qu'il provoquait chez Kenne­dy, ainsi que le montrent lesdeux ouvrages. La crise dramati·que de Cuha, en 1962, fut àl'origine d'un passionnant houil·lonnement d,'idées, d'opinions, deprojets, de polémiques. Loind'échapper à Kennedy, ce mouve­ment intellectuel. pesa sur sadécision. Et ce qu'il y a précisé-.ment d'intéressant dans cettedécision, c'est non pas le pointde savoir si elle était honne oumauvaise en soi (j'ai pensé alors,et je continue à penser aujour­d'hui, qu'elle était mauvaise carKennedy n'était pas allé assezloin, ohnuhilé qu'il était par latactique à suivre vis-à-vis deKhroutchev, ce qui l'empêch.aitde concentrer tous ses efforts surla stratégie anti-castriste), maisqu'elle était le fruit d'rtn effortintellectuel collectif de grandequalité et dont l'histoire n'offrecertainenientpas heau cou pd'exemples; .,

La grandeur· potentielle deKennedy reposait également surune troisième. qualité que ·)aconjoncture historique n'a peut­être pas hien mise en valeur maissur laquelle les ouvrages de Schle­singer et de Sorensen jettent unepleine lumière.. C'est la facultéqu'il avait de sortir grandi del'épreuve, d'en tirer, non seule­ment un enseignement ainsi quenous le faisons tous et comme ille fit lui-même après la déhâcle

de la Baie des Cochons, mais hienune véritahle sagesse. L'hostilitéouverte de certains généraux de­vait nécessairement e n t r a verl'action de Kennedy. Bien qu'ilne les laissât jamais influencersa politique, il arriva à une sortede modus vivendi avec eu.x etréussit même à les amadouer pardes concessions secondaires, com·me à la fin de la crise de Cuha,en 1962, ou au moment du traitéd'interdiction des expériences

atomiques. Il était toujours prêt àreconnaître leur valeur dans lasphère qui leur était propre, c'est·à-dire dans la conduite des opé.rations militaires. « Il est hond'avoir des hommes tels que CurtLeMay et Arleigh Burke à la têtedes troupes une fois qu'on adécidé d'y aller », fit·il ohserverà Hugh Sidey, « mais il est honde ne pas écouter que ces homomes·là au moment où on décides'il faut y aller, oui ou non. Jesuis heureux d'avoir Lemay aucommandement de l'aviation.Tout le monde sait ce qu'il pense.C'est une honne chose ».

Lorsque Kennedy parla de lacrise cubaine aux memhres duCongrès et leur exposa son plan,le Sénateur de la Géorgie,' Russel,s'opposa au hlocus ,et, préconisal'invasion ; il était soutenu par lesénateur Fullhright qÙi avait étéle seul, parmi les proches conseil­lers de Kennedy, à s'opposer àl'invasion en 1961. « L'ennui. ».(quand vous mettez ensemble uncertain no.mhre de sénateurs)', dit

. Kennedy à Schlesinger par lasuite, c'est qu'ils finissent tou.jours par être domi~és par celui 1

qui adopte la ligne la plus impru-'dente 'et la. plus' rigide.- C'est cequi s'est passé l'autre jour après

l'intervention de Russel : il n'yavait plus personne. Pris indivi·duellement, ils se montrent pour­tant raisonnahles ». On ne peuts'empêcher d'évoquer ·le dictonromain Senatores boni viri,senatus autem mala bestia.

Ces deux ouvrages ne fontcependant pas la lumière - car,dans un sens, ce n'était .pas leurpropos - sur ce que je considèrecomme les trois grandes faihlessesde Kennedy. Faihlesses qui sontl'envers de ses vertus : une certai­ne tendance à confondre larhétorique et l'action, une certai­ne ahsence de chaleur communi­cative, et de façon générale ledésordre de son administration.

Dans une certaine mesure, onpeut dire qu'il y avait un vérita­hIe divorce entre les idées et lesactes de Kennedy (ainsi cple je l'aifait remarquer en janvier 1962dans c: Commentary ;». Il faisaitde la littérature politique d'unehaute qualité et non pas, commeun Churchill ou un Roosevelt, del'action verhalisée, une explica.tion des faits accomplis, ou uneestimation des faits à venir. Il n'yavait pas de rapport organique,dans la rhétoriqUe de Kennedy,entre les paroles et les acte.s. Lemeilleur exemple est le discoursde juillet 1961, au cours duquelKennedy s'engagea à construiredes ahris atomiques en se gardanthien de préciser le hut auquel ilsétaient destinés. Il ne resta plusà ses collahorateurs qu'à dégagerà partir de là une politique assezjudicieuse pour. s'ajuster auxparoles du Président.

Il n'y avait pas non plus derapport organique .entre les décla­rations grandioses de Kennedy enmatière de politique extérieure,comme, par exemple, sur laquestion de Berlin et nos relationsavec le monde communiste, etl'ensemhle de son programmepolitique. Aussi hien, les· thÎ>sesdont il se réclamait dans sesdifférents discours étaient-ellessouvent incompatihles eJ;ltre elles.Ainsi, au cours de son voyagetriomphal en Allemagne Fédé·raIe, Kennedy se fit le championdes aspirations nationales du peu·pIe allemand. Il parla commeaurait pu le faire un hommed'Etat allemand et fut acclamé enconséquence. Sa dé~laration :c: Ich hin ein 'Berliner ~ ne doitpas être tenue pour une J:1yper.hole; elle résumait dans uneformule frappante son adhésionsans réserve à .la politique alle­mande.

Mais son discours à l'Université.Américaine ouvrait également denouvelles perspectives à la' co­existence pacifique avec l'UnionSoviétique. Le prohlème allemand,cependant, est, et reste, depuisvingt ans, le point névralgique de

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• Kennedy

la guerre froide et les Etats-Unispouvaient difficilement adopter àla fois une position intransigeantesur la question allemande et tra­vailler à la coexistence pacifique.Les deux programmes s'excluaientl'un l'autre et il y avait lieu dechoisir. Nul ne le savait mieuxque les deux parties en présencemais la rhétorique kennedyennepréférait éluder la question.

Et c'est à cause de ce divorceentre les paroles et les actes chezKennedy qu'il ne réussit jamais ànous atteindre comme le firent unChurchill ou un Roosevelt. Nousétions sensibles à la haute tenuelittéraire et intellectuelle de sesdiscours mais ils n'avaient pas lapropriété de nous tirer deslarmes ou de galvaniser nosénergies. La seule fois où jesentis poindre en moi quelquechose en écoutant Kennedy, quiressemblait à l'émotion que jeressens inévitablement qua n dj'écoute, même aujourd'hui, lesenregistrements des discours deRoosevelt ou de Churchill, ce futlors de son discours sur la méde­cine obligatoire au MadisonSquare Garden.

Enfin, les incohérences de lagestion de Kennedy découlentdirectement de cette curiosité, decette vigueur, de cette inquiétudeintellectuelles qui le caractéri­saient.

L'équipe de Kennedy brillaitpourtant par une extraordinaireclairvoyance et une activité débor­dante dont les réalisations concrè­tes qu'elle nous a laissées nepeuvent donner qu'une faibleidée. Ces mêmes qualités intellec­tuelles restreignaient et sa capa­cité et sa volonté d'action.Kennedy prouva à maintes repri­ses qu'il avait une haute connais­sance des problèmes mais ou biencette connaissance n'avait aucuneincidence sur son action, ou bienelle le menait droit à l'ineffica­cité. Ainsi, il était on ne peut plusconscient du rôle de l'Armée dansla vie politique. Cependant, aumoment de la crise de Cuba, ilmaintint ses positions, sur laquestion des raids aériens tout aumoins, et ne fit que des conces­sions secondaires au moment dutraité sur l'interdiction des expé­riences nucléaires. Ce qui nel'empêcha pas, même après l'affai­re de la Baie des Cochons où illaissa pourtant des plumes, d'ac­cepter les conseils - constam­ment faux - de ces militaires ence qui concernait la situation auVietnam et d'en faire dépendre,quoique à contre-cœur, ses déci­sions ultérieures. Il n'était nulle­ment convaincu des mérites dela Force Multilatérale. Il permitcependant que ce plan baroquedevînt le fondement de notrepolitique européenne. Il étaitpleinement' conscient des faibles­ses du Département d' E t a t.Jusqu'au bout de son mandat,cependant, il ne chercha guère ày remédier. Il s'engagea, dans ses

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discours, à de grandes innova­tions en matière d~ droit civique etde politique sociale. Il laissa,cepcndant, à son successeur, lesoin de faire entrer les réformespromises dans les statuts.

Ce qui frappe, dans le gouver­nement de Kennedy, c'est doncbien la disproportion entre sonintelligence de la situation et lesrésultats obtenus. Le livre deSchlesinger revient souvent etavec brio sur le renouveau intel­lectuel dont Kennedy a été lepromoteur. Mais si l'on étudie lesfaits, on s'aperçoit que ce renou­veau n'a rien apporté de sensiblesi ce n'est un changement dans leclimat intellectuel. Au bout ducompte, si. Kennedy nous fitbeaucoup rêver à la terre promise,il ne lui a donné aucun commen­cement de réalité.

On peut difficilement attendrede tels ouvrages qu'ils s'appesan­tissent sur les faiblesses du hérosqu'ils exaltent. Les monumentsprésentent une image simplifiéedu modèle et ne reûennent que sagrandeur. Bien entendu, il fautpour cela qu'ils arrivent à nousconvaincre des qualités positivesde ce héros. De ce point de vue,l'ouvrage de Schlesinger est supé­rieur à celui de Sorensen. On peutmême dire qu'il est excellent eton pardonne aisément à l'ami delongue date qu'était Schiesingerd'avoir fait le panégyrique de sonchef. Etayée par une haute intel­ligence, un immense savoir et unexcellent jugement politique,l'analyse que fait Schlesinger dela gestion de Kennedy est mêmeun modèle du genre et ne sera pas.dépassée avant longtemps. Sesportraits de Rusk, Harriman, etBowles - pour ne citer que ces

trois-là que je connais person­nellement et dont je .peux doncgarantir l'exactitude - sont nonseulement tracés avec brio, maispénétrants et justes.

L'ouvrage de Schlesinger n'estpas seulement une étude historieque de première qualité, maisaussi un document humain quinous émeut par sa noblesse, parla mélancolie, la tendresse quis'en dégagent, par la sympathieque nous inspire nécessairementle héros et aussi par des qualitésde style.

Schlesinger a manifestement unpoint de vue et c'est dans l'ordre;tout historien qui se targue d'êtreplus qu'un chroniqueur ou unarchéologue dispose d'un point devue. Et c'est le vice majeur dulivre de Sorensen d'affecter den'en pas avoir. Sorensen laisse lesfaits parler par eux-mêmes. Maisc'est une propriété' des faits derester muets quand on ne les faitpas passer par le creuset d'uneintelligence perspicace qui dis­tingue ce qui est important de cequi ne l'est pas, et qui impose, àla masse informe des faits, unehiérarchie. Le livre de Sorensenest· à la fois informe et pédant.L'index établit, par exemple, uneliste de rubriques qui vont deKennedy et la boisson à Kennedyet f automobile, en passant parKennedy et le jeu, Kennedy etles préjugés, Kennedy et les ciga­rettes, Kennedy et le football,Kennedy et le GotlUt. Quant à lasignification profonde de toutcela, elle nous échappe et le livrenous apparaît comme un agglo­mérat assez indigeste de maté­riaux à l'état brut. Sorensen seconsidère comme un chroniqueuret non comme un historien. Lerésultat est que son livre peut être

recommandé comme un remèdeefficace pour les cas d'insomniegrave.

Il est pourtant difficile de sepasser complètement d'un pointde vue et même Sorensen se laissep:ufois aller à dire des chosesriches de signification. A proposde la décision prise par Kennedyde ne pas envoyer de troupes decombat au Vietnam, Sorensen ditceci :

Kennedy n'a jamais pris dedécision formelle au sujet de cestroupes. Mais dans le plus purstyle kennedyen, il s'arrangeapour ne donner aucune prise auxpartisans de fintervention. Ildonna f ordre à ses services de setenir prêts pour mettre ces troll­pes en place dans le cas où leurintervention se révélerait néces­saire. Il ne cessa d'augmenterfimportance de fassistance mili­taire : 2.000 hommes à la fin de1961, 15.500 à la fin de 1963.

De telles notations éclairentnon seulement le passé, mais aussile présent.

Il est dommage que Sorensenne se laisse pas aller plus souventà cette veine-là. Dans la série deconférences qu'il a consacrées àl'élaboration des décisions prési­dentielles (publiées en 1963 sousle titre : Decision Making in theWhite House) , il a prouvé qu'ilavait de l'intelligence et du style.Harcelé, peut-être, par un éditeurtrop pressé, Sorensen a moinsécrit un livre que réuni les maté­riaux pour écrire un livre. Ondéplore qu'il n'ait pas écrit lelivre qu'il aurait pu faire surKennedy s'il avait bien voulu s'endonner la peine.

Hans ]. Morgenthau

© The New York Rewiew of Books.

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ROMANS FRANÇAIS

Un nouveau -Drieu

Drieu La RochelleMém-oires de Dirk Raspe.Préface de Pierre Andreu.Gallimard éd.

Drieu la Rochelle lest tué, le15 mars 1945, laissant un romaninachevé. Maurice Nadeau nousparle de ce roman où Drieuprend un nouveau mage.

On nous avait promis merveilledes Chiens de paille. On sait cequ'il en fut. On nous annonceMémoires de Dirk Raspe comme« le plus grand roman de Drieu ».Cette fois, il se pourrait que cesoit vrai.

On sait assez que Drieu la Ro­chelle n'était pas romancier. Gillesest manqué, Rêveuse Bourgeoisielaisse le souvenir d'une ennuyeusehistoire de famille. Il excellaitdans le récit court - Le Feufollet -, les nouvelles - La Co­médie de Charleroi -, ou danscertaines allégories: L'Homme àcheval. Il lui a manqué, jusqu'àces Mémoires, le pouvoir d'animerdes personnages qui ne soient paslui, de bâtir des histoires .sansrapports directs et intimes avecses propres expériences. On saitaussi que cette faiblesse faisait saforce : le lecteur se laisse facile­ment convaincre par qui le prendpour confident.

Dirk Raspe, c'est encore lui,mais c'est aussi Van Gogh, dont ila voulu écrire la biographie inté­rieUre et qu'il accompagne dansquelques étapes de sa vie. Nonpour mieux éclairer le peintre ourévéler son « secret », plutôt afinde se mesurer à un grand modèleet voir peut-être l'écart qui l'enséparait. Lui aussi a voulu être unartiste, passionnément, et c'est àce titre qu'il entend passer à lapostérité.

Il entreprend ce récit quelquesmois avant la Libération, alorsqu'il pense déjà à se tuer. On nele dirait guère, à voir son aisance,son naturel, sa sérénité. Aprèsdeux tentatives de suicide il se

cache et reprend son roman qu'ilmène parallèlement à Récit- secret.Le 15 mars 1945 il laisse en guised'adieu ce manuscrit inachevé surlequel il prend soin de noter que« manquent trois parties », quine seront jamais rédigées.

En fait, il n'y travaillait plusdepuis plusieurs mois, c dégoûtéde Dirk et de moi-même dansDirk et de Dirk dans moi-même ».On dirait que son roman l'a dé­tourné de tâches plus graves àaccomplir avant de mourir, quel'écriture, à laquelle il s'accrochaitencore comme à une ancre desalut a perdu pour lui son effica­cité.

Ce qui l'a attiré chez Van Goghc'est moins la fin tragique qu'ilsont tous deux choisie que ledestin d'un artiste affronté à unesociété qui le méconnaît et lerejette, les visions qu'une existen­ce singulière, une peinture plussingulière encore manifestent, etqui s'achèvent dans une folietriomphante où Van Gogh seconsume. Dans la situation où setrouve Drieu, une certaine parentés'institue qui va jusqu'à la frater­nité admirative. Elle le porte assezhaut pour qu'il tente de résoudreune des questions qui l'ont hanté :celle des rapports de l'art avecla vie. A quelles conditions l'artest-il plus que la vie ?

La biographie de Van Gogh luisert de canevas, sur lequel il brodeà partir des études consacrées aupeintre - on regrette qu'il n'aitpu connaître le Van Gogh d'Anto­nin Artaud - à partir égalementde la correspondance avec Théo.De toute façon Dirk Raspe n'estpas Van Gogh. Il n'est pas nonplus Drieu. Tenant de l'un et del'autre, il se trouve doué d'uneexistence à lui, avec ses joies, sesexpériences, ses crises d'orgueil etde timidité, sa - sauvagerie, sesamertumes. Ses aventures, à Lon­dres, en Wallonie ou à La Haye,là où fut Van Gogh, relèvent engrande partie de l'imagination duromancier qui n'a jamais été simaître de ses moyens, si varié, siprofond. L'auteur attachant, mais

Drieu La Rochelle

si décevant aussi parfois qu'étaitDrieu, a donné toute sa mesuredans cette œuvre ultime, la plusméditée, la plus grave de cellesqu'il ait écrites.

Si les problèmes qui l'ont agitétoute sa vie ne trouvent pas icileur solution, du moins les pose-t­il dans leur ampleur et en s'effor­çant de les éclairer. Il veut savoirpourquoi la pauvreté n'est passeulement une affaire de niveaude vie et pour quelles raisons toutest retiré aux pauvres, y compris« l'esprit ». Quelle force ataviquepousse Dirk Raspe, qui a connules misères londoniennes, à sefaire évangéliste au cœur du paysminier, en Wallonie? Pourquoilui faut-il forcer les cœurs qui serefusent et qui résistent à toutevolonté d'effraction, caparaçonnésqu'ils sont par la misère, la mé­fiance, la haine ? Voici le plusdéjeté des êtres, c la fille Tris­tesse », que Dirk tire du ruisseaupour en faire sa compagne. C'estelle qui le méprise. Comme lasylphide Evelyn qui lui a préféréun peintre mondain pédéraste.Comme la jeune veuve confite enconformisme que sa sauvagerie

effraie. Dirk porte une tare eneffet : celle de l'art, que les plusdémunis tiennent pour un plaisird'esthète, bon pour les nantis ouleurs amuseurs, et que les bour­geois - parmi eux, les peintresarrivés - taxent de folie tant quecette folie n'est pas officiellementreconnue et productrice de profitou de considération sociale. DirkRaspe doit aller au devant detoutes les rebuffades, encourirtous les mépris, partager toutesles souffrances, trouver la beautédans la laideur et l'amour dans lahaine, pour que sa peinture excèdel'art et pour que l'art soit plusque la vie. Loin de s'enfermer enson génie et de prendre par luiune idéale revanche, il fait de sapeinture l'expression d'une véritédurement gagnée qui n'est pas ré­ponse orgueilleuse à la vie, maisrecherche nouvelle et questionne­ment incessant. L'auteur abandon.ne son héros à mi-route, alorsqu'est encore long le chemin quipasse par Arles et Auvers avantde conduire au suicide. C'est pourle rejoindre au terme du voyage.

Drieu ne mène pas ce débat à

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ROMANS

JEAN BLOCH-MICHEL : FroslnlaPIERRE DRIEU LA ROCHELLE: Mé­moires de Dirk RaspeJULES RAVELIN: Le reste est pourles yeuxYVES VEQUAUD : Le pelillivre avaléJEAN-MARIE LE CLEZIO : Le déluge

SCIENCES HUMAINES

ELIAS CANETTI: Masse et puissanceERNESTO DE MARTINO : La terredu remordsMICHEL FOUCAULT : Les mots etles choses

LITTERATUREETRANGERE

J. M. ARGUEDAS : Les fleuves pro­fondsPETER FAECKE : Une nuit de feuEDWARD GRIERSON : L'affaire Mas­singhamLEONID LEONOV: La forêt russe

ESSAIS

IWASKIEWICZ : ChopinARMAND SALACROU : ImpromptudélibéréLEON-PAUL FARGUE : RefugesRAYMOND QUENEAU: Une histoiremodèle

HISTOIREZOÉ OLDENBOURG: Catherine deRussieJ.H. ROY ET S. DEVIOSSE: La Ba­taille de Poillers

POESIEARAGON : Elegie à Pablo NerudaANDRE FRENAUD : L'Etape dans laclairièreOCTAVIO PAZ: Liberté sur parole

THEATREARMAND SALACROU : Théâtre VIII(Une femme trop honnête. Boule­vard Durand. Comme les chardons..•)Cahiers Paul Claudel. tome VI

COLLECTIONS DEPOCHEIdées

CARMICHAEL: Histoire de la ré­volution russeHENRI LEFEBVRE : Le langage etla sociétéJACQUES MADAULE : Histoire deFrance. tome Il

Idées·ArtHEINRICH WOLFFLIN : Principes.fondamentaûi de "l'histoire de 1art

Poés.ePAUL ELUARD: Capitale de la dou-leur .FEDERICO GARCIA LORCA: Poésies1922-1927MALLARME : Poésies -

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roman

de l'Académie Française

Or - nous revenons au para­doxe - en même temps que Ju­lien Green essaye de nous in­culquer sa conception magique del'homosexualité, il nous fournit

nierait volontiers aux psycholo­gues le droit de tirer parti de seslivres. Pour lui, la cause 'du tour­ment dont il avoue avoir tantsouffert, on ne doit pas la cher­cher dans son' éducation, dansses rapports au père et à la mère.Non, aux yeux de Green, ce tour­ment serait né sans causes,comme par enchantement.

On n'avait jamais exposé silimpidement une conception ma­gique de l'homosexualité. Il asuffi au petit Julien de regarderles illustrations de L'Enfer parGustave Doré pour ressentir toutà la fois la fascination et l'hor­reur de la nudité virile. La têted'un des ignudi de la Sixtine eutun effet foudroyant. Le petit gar­çon - il avait treize ans - larecopia dans son album. «Avecune application dévorante, je por­tai ce visage sur la feuille de pa­pier blanc crème Slins savoir queje l'installais en: moi du mêmecoup, à tout jamais.» Les cama­rades de lycée firent le reste :agacés par la candeur incroyableet l'orgueil puritain du jeunehomme, ils le séduisirent dans untrain de banlieue et achevèrentainsi de fixer son érotisme dansla direction maudite.

A croire Green, donc, tout luiserait arrivé du dehors. Il multi­plie 'les formules du genre de:«je ne comprenais pas », «je nesavais pas ce qui m'arrivait »,«tout m'était obscur ». L'homo­sexualité est présentée comme undestin, quelque chose qui voustombe d'en haut. Loin de résul­ter d'une histoire entre parentset enfant, elle échappe à toutesles déterminations psychologi­ques. Les parents furent parfaits,la mère douce et pieuse, le pèrebon et libéral, les cinq sœurs simerveilleuses d'affection.

Le jeune homme Green

Julien GreenPartir avant le jour. 1963.Mille chemins ouverts. 1964.Terre lointaine. 1966.Grasset éd.

D'autres ont dit ou diront le« charme» des trois volumes oùJulien Green, en trois ans, vientde raconter son enfance et sonadolescence. Pour nous, une auto­biographie n'est intéressante quesi elle permet d'avancer dans laconnaissance du cœur humain.Qu'on prenne du plaisir à voirévoqués le .Passy de 1900 ou laVirginie de 1920, peut-être; maisce n'est qu'un plaisir subalterneet, si l'on s'y bornait, on rédui­rait l'autobiographie de JulienGreen au divertissement mineurd'un écrivain désœuvré.

Or, elle est tout autre choseque cela: elle est un documentde premier ordre sur une desaventures encore à demi énigma­tiques où se trouve engagé maintjeune homme. Comment devient­on homo8exuel? Cette question,à laquelle Proust n'a pas ré­pondu, à· laquelle Gide a répondude la manière que l'on sait,Green à son tour la pose. avecfranchise. Le jour n'est pas loinoù le parallèle entre Si le grainne -meurt et leI! troÎs volumes deGreen sera classique. Tout dis­tingue les deux hommes: autantGidë aiguise son intelligence pourcomprendre ce qui lui arriva, au­tant Green s'efforce de maintenird~ le. flou ce qu'il· présentecomme des révélations 'successi­ves, comme des éblouissements.

Le grand paradoxe de son au­tobiographie, c'est d'ailleurs qu'ilcherche à soustraire sa jeunesse,et le problème qui l'a hantée, àl'investigation du psychologue.Julien Green ne pense certaine­

,ment p.as que cette trilogie soitune contribution à l'étude scien­tifique de l'homosexualité. Il estmême sûr du contraire, et il dé-

Maurice NtJ(leau

parades et foin de la galerie. Pour'peindre la misère intellectuelle etmorale il suffit peut-être de lavivre à la façon d'un homme quiva se tuer. La mort dont on va sefaire cadeau donne de l'acuité auregard.

Sans doute est-il porté par sonmodèle et s'identifie-t-il à lui. Ona du mal à penser qu'il endosseun nouveau rôle, le dernier, etqui le flatte. S'est-il d'ailleursjamais flatté cet homme qui apassé son temps à se déchirer enpublic et toujours pris le partides autres contre lui? Avec DirkRaspe, il se donne à la fois. sapunition et sa récompense. Il aété, il est un artiste, et il importepeu de ce point .de vue que sonœuvre n'ait pas été à la hauteurde ses ambitions. Il sait aussi quesa vie est un échec. Il a joué surles deux tableaux et il a perdu sesmises pour n'avoir découvert quetrop tard le lieu abyssal où art etvie prennent ensemble leur source,là où s'est efforcé d'atteindre VanGogh. Du moins a-t-il vu ce lieuqu'il désigne du doigt. C'est assezpour cette vie; Le roman setermine sur une interrogationdésabusée, alors que Dirk vaentreprendre de raconter unenouvelle entrevue avec la jeuneveuve qui le repousse : « mais àquoi bon raconter une rencontrenouvelle avec le néant? ». Cet« à quoi bon » est celui de l'au­teur.

Il aura eu néanmoins le temps,la force et le courage, dans cetteœuvre ultime, de donner la paroleau moraliste amer qu'il abritait,à l'observateur sans complaisancedes autres et de lui-même, aumisogyne qu'en fin ·de compte ilétait, au philosophe serein qu'ilentendait devenir, à l'artiste quegrandit son projet. Tous ces per­sonnages rassemblés. obéissentpour une fois à celui qui tient laplume et tiré d'eux le meilleurqu'ils ont à donner. Accordés, ilslui composent un nOllveau visagequ'on 'se plma désormais àévoquer.

les jeux de l'Amouret de la Mort

MARCEL BRIDNde l'autre côtéde la lorêt

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~ Un nouveau Drieu

la façon d'un pédant ou d'uncritique. Il montre, évoque, anime,et ce sont de vrais drames qu'ilmonte: pittoresques, touchants ouqui se transforment en tragédies.Du sein de la famille anglaise oùDirk, adolescent, passe ses vacan­ces, émerge une figure de pastc:ursympathiquement distrait parceque revenu de beaucoup de pour­suites vaines où les autres s'épui­sent, tandis que deux de ses filsincarnent la querelle dont laconscience de Dirk est le siège :est-ce la souffrance des hommesqui importe d'abord et avant tout,ou est-ce l'art, pour qui se sentartiste? Le Mr Mack, marchandde tableaux chez qui Dirk estemployé et qui -lui apprend àdistinguer la « mauvaise ~onne

peinture » de la « bonne mauvaisepeinture », la Mrs Pollock qui leloge et dont le « nu assez magni­fique était la cage de la pie laplus assourdissante », Evelyn, safille, dont il tombe amoureux, laprostituée londonienne qui regim­be sous l'insulte quand Dirk luidemande de poser pour lui, autantde personnages mystérieux dansles ressorts qui les font mouvoiret que ne suffit pas à définir leuroccupation, ou leur caractère. SiDirk les voyait seulement enpeintre il se bornerait aux appa­rences. Le romancier veut luifaire percer des secrets qui n'enresteront pas moins des secrets.C'est à ce prix que sa peinturesera autre chose que des « cou­leurs en un certain ordre assem­blées ». C'est à ce prix, également,que le roman existe.

Dans l'épisode wallon où Dirk,évangéliste, tente de réconciliera:vec elle-même une pauvre femmequi trompe son brave homme demari, dans les épisodes du paysde Dunthe ou de La Haye, parmiles proetituées les plus déchues, etqui le savent, Drieu se meut avecun naturel, une juste8lle de démar­che, une sympathie respectueusequ'on était loin d'attendre. Il alaissé toute coquetterie à la porteet il ne se fait pas fort de paraîtrebrillant, ou intelligent. Finies les

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CODlDlent on devient hODlosexuel

toutes les preuves d'une explica­tion par la psychologie. Le pèreétait irréprochable mais toujoursabsent, les sœurs trop nombreuseset trop aimantes, la mère, surtout,si charmante et bien intention­née qu'elle fût, dispensa à sonfils une éducation aberrante, niplus ni moins que la mère mas­culine et despotique de Gide aupetit André.

Madame Green menaça sonfils, quand il avait cinq ans, dela castration (l'li cut it off, luicria-t-elle, armée d'un couteau àpain - on sait que le même cau­chemar pesa sur l'enfance d'An­dré Gide). Quand il avait dix ans,et qu'elle le baignait, elle lui dé­signait avec horreur certaine par­tie «très précise ~ de son corps.Enfin, quand il eut quatorze ans,elle lui révéla, juste avant demourir, qu'elle avait eu un frèretrès heau, très aimé, mort (desyphilis) à cause d'une femme,et qu'il fallait se garder des fem­mes comme de la mort. Ici en­core, on songe à Gide, découvrantle plaisir à Biskra avec la jeuneMeriem mais repoussé vers lespetits Arabes par l'irruption trau­matisante de sa mère.

Mère et fUs

L'enfance de Julien Green illus­tre avec l'évidence d'un para­digme comment l'image qui restede la mère oriente la destiné~

sexuelle du fils. L'interdit lancésur le corps, la condamnation detout ce qui touche au sexe, leculte idolâtrique de la «pureté:t,la mise en garde contre les mala­dies vénériennes, la désignationdes femmes comme l'ennemi mor­tel: en faut-il plus pour rendreun jeune homme misogyne et lerejeter à la fois vers l'amour desgarçons et vers une exaltation re­ligieuse qui déguise de millenoms cet amour pour en masquerà la conscience la véritable na­ture?

Reste à savoir pourquoi Greenessaye de mettre sur le compted'une fascination magique ce quirelève d'une pédagogie désas­treuse. Pour disculper sa mère(dont il voudrait nous faire croirequ'elle n'était pas puritaine!) ?Pour se disculper lui-même, enlaissant entendre qu'on n'est pasresponsable d'un charme jeté parle sort? Surtout, me semble-t-il,à cause du caractère singulier queprit sa vie sexuelle, de six à vingt­deux ans. Il y avait une appa­rence de magie dans les manifes­tations de ses instincts, et Green,qui se vante d'avoir ignoré Freud,ne peut pas savoir à quel pointce qu'il nous livre de lui estconforme aux enseignements dela psychologie la plus moderne.

Refus de aomprendre

La sexualité de l'enfant, puisde l'adolescent, ne cessa d'êtreintermittente. Eveillée brutale­ment par la vue d'un dessin, oud'un corps, ou par les révélationsd'un camarade, elle se rendor­mait ensuite pour plusieurs an­nées quelquefois, et ce qui avaitété vécu dans les transes de l'émoile plus vif retombait dans l'oubli.Green a décrit là, avec beaucoupde justesse, ce qu'on connaîtsous le nom de périodes de la­tence. Et dans les élans religieuxqui, selon· lui, profitaient de cespauses pour envahir l'âme dujeune homme, comment ne pasreconnaître l'occulte travail de la·sublimation ?

En second lieu, cette sexualitéresta longtemps obscure à l'espritde celui qui en entendait les ap­pels. Le jeune ambulancier de laguerre de 14, le jeune étudiantde Charlottesville, Virginie, pou­vait tomber éperdument amou­reux, ici d'un camarade, là d'unsoldat, sans se rendre comptequ'il s'agissait d'amour. Combiende garçons se sont aiDlli consumés

de désirs homosexuels sans êtreconscients de la nature de leurspenchants? Evidemment, Greeneût avancé plus vite dans lacompréhension de lui-même s'ilavait accepté de lire HavelockEllis qu'un étudiant lui prêta ­ou, à plus forte raison, Freud.Mais il ne voulait pas se compren­dre lui-même, nous verrons dansun instant pourquoi.

Enfin, l'inversion du jeunehomme resta constamment plato­nique, voire cérébrale. Terre loin­taine est le beau récit de l'amourtrès étrange qui lia Julien à soncondisciple Mark. Sans lui avoirune seule fois adressé la parole,et persuadé de ne compter enrien à ses yeux, Julien se contentapendant plusieurs mois, pendantplusieurs années, de rôder nui­tamment devant la porte de Mark.Il trouva un jour le courage d'en­trer chez lui, mais jamais celuide lui avouer sa flamme.

Bref, Green adolescent nechercha point à réaliser ses dé­sirs, il passa à travers eux ensomnambule, comme à traversdes nappes de feu successives quile brûlaient sans qu'il sût com­ment ni pourquoi. Son inversion,il la vécut comme une impossi­bilité. Les visages, les corps quile séduisaient, tel ce marin deblanc vêtu rencontré dans la nuità Savannah, tel ce Mark brunaux joues roses, il les maintint àdistance, dans une zone d'horreursacrée où ils glissaient en fan­tômes.

Le visionnaire

Mais cette insistance à ne pascomprendre, cette obstination àne pas vivre ses passions, pour­quoi? Eh bien, il n'y allait derien de moins que de son œuvrefuture. L'amant qui s'ignore tel,l'homme assailli d'une ardentemais chaste convoitise, le damnéqui traîne son tourment sans en

connaître la nature : sous uneforme ou sous une autre, il repa­raîtra dans les romans de Green.Il sera soit le visionnaire, soit levoyageur sur la terre, soit le rê­veur éveillé, ou celui qui retientson souffle derrière une porteclose, ou enfin le criminel, quiassouvit dans le meurtre une faimsexuelle inavouée. Derrière cha­que héros de Green, on peut re­trouver l'étudiant de Virginie,derrière chacune de ses histoires,l'histoire transposée de cet amoursilencieux, hallucinatoire et tor­turant pour Mark.

Virginité et érotomanie

Le mystère qui est au cœurdes romans de Julien Green n'apas d'autre origine que l'ingé­nuité avec laquelle il sut se mas­quer à lui-même le sens de .sespassions juvéniles. Ingénuité quitient du miracle, comme il le faitobserver cent fois, et que pourrien au monde il n'eût changécontre le regard froid du psycho­logue. De là à conclure à de lacomplaisance, voire à de la tar­tuferie, il n'y a qu'un pas à fran­chir, et de nombreux lecteurs n'ymanqueront· point, agacés par lemélange de virginité et d'éroto­manie, de pratiques religieuses etde rêveries charnelles.

Qu'ils ne perdent pas de vuel'intérêt principal de cette auto­biographie. Le premier volume,Partir avant le jour, resteracomme un récit classique de lagenèse d'une homosexualité. Auxdeux autres, Mille chemins ou­verts et Terre lointaine, on seréférera pour une meilleure com­préhension de l'œuvre romanes­que. Terre lointaine, enfin, à no­tre époque où les amants des troissexes mènent tambour battantleurs conquêtes, est un dépayse­ment a s s e z merveilleux auroyaume oublié des secrets et desinterdits.

Dominique Fernande~

RENDEZ-VOUSLA MAISON DE

éditions de minuit

ROBBE-GRILLET ".25- mille

La Quinzaine littéraire, lU avril 1966 7

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ROMANS FRANÇAIS

jamai8Andréde son

André HardelletLe Seuil du jardin.Roman, réimpression.J.-J. Pauvert éd.Les Chasseurs.J.-J. Pauvert éd.

André Hardellet est l'hommedes seuils et des margelle8. Sondernier roman, aujourd'hui ré­édité, portait le titre d'un tableau,Le Seuil du jardin - où StèveMasson, héros du livre, avait sutransporter l'essentiel d'un rêve,dont finsistance à se reproduirelui semblait un avertissement.

Rien d'autre, dan8 ce rêve, quel'approche d'un jardin à l'aban­don. Mais autour du jardin, uneattente, un espoir inten8e8 - et,peu avant la fin du rêve, ce som­met dans la joie: Ma8son avaitpas8é la porte 8an8 le savoir, ilétait attendu. Une paix, un bon­heur sans équivalent existaientde ce côté-là. Quelques-un8, de­vant la peinture de Stève Masson,ne doutaient pas de cette forteexi8tence, et c'est elle qu'il8contemplaient, debout, muets,eux-mêmes au seuil du tableau.

Dans cette pension Temporeloù vit le peintre, un voi8in ama­teur de Beaujolais et spécialisteen soldat8 de _plomb l'invite unsoir à fêter l'achèvement de 80npropre chef-d'œuvre: la minu­tieu8e reproduction d'un combatde 1870.

Il arrive que le8 801dat8 deplomb rassemblés par la patienced'un vieil arti8an dan8 une 8tra­tégie en forme de bataille deRézonville, subitement dévoilés,révèlent autre chose qu'un mo­ment de guerre arrêté tout à coup- le poids du corp8 porté enavant, dan8 le mouvement 8U8­pendu de l'attaque. Il arrive quele halo rose et doré de8 bougiesde Noël, avec l'odeur même dusapin d'autrefois s'en vienne sou­dain - au delà de toute mémoire,jusqu'à recréer l'enfance elle­même, dans son goût de nou­veauté. Masson, encore une fois,a passé sans le savoir la porte ùujardin. Mais veut-il, un autre jour,retrouver l'émotion de cette sur­pri8e - qui l'a d'abord émer­veillé? Les soldats de Rézonvillene le transportent plu8. Il n'estmême pas près du seuil. Rien ne8e pa88e. Masson ne connaît pa8son propre chemin vers ce quilui importe le plu8. Et tout leroman p08e la question de 8avoirsi l'on peut espérer des méthodesrnres pour franchir volontaire­ment le seuil bienheureux qui 8edonne de loin en loin. Car ce n'estpas une griserie ni une vague béa­titude, ce jardin abandonné, aufond de chacun. C'est une réalitéobjective qui «double » pourainsi dire tous les êtres, et ditStève Masson, je crois seulementà cette réalité-là.

Avec Les Chasseurs, AndréHardellet, abandonnant la fictionromanesque, poursuit plus que

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jamai8, et au plus près, cette réa­lité. Son trè8 petit livre - unecentaine de pages étroites, illus­trées d'après de8 image8 d'Epinal- n'est pas ce qu'il faut pour le8champions de lecture accélérée.Au contraire. Ces texte8 brefs, enprose ou en vers, occupant peud'espace, exigent une luxueusedurée. Chacun d'eux ouvre unpuits. Qu'est-ce qu'un puits?André Hardellet le sait - en g-ros- et le dit:

Puits. Quand il se pencha surla margelle tiède, il reçut fhiver,le lierre et la profondeur enpleine figure.

Ainsi faut-il, aux margellesdes- mots, prendre le temps de sepencher. Faute de quoi, bien sûr,le livre sera mince. On peut lecomparer, en cela, il me semble,à un guide touristique : il fautfaire le voyage avec lui. Ou bienpeut-être nous ne verrons là quedu très joli français - sans savoirque cette langue, ci8elée commebijou (et Ile me dit-on pas qu'àses moments perdus André Har­dellet est orfèvre ?) a une autrefonction, qui requiert, pour l'effi­cace, un peu de notre accord, etmême un brin de perspicacité.Car le bijou est en forme de clé.

C'e8t peut-être la clé seulementd'une boîte à musique? La« méthode :), que l'auteur rêvaitd'abord 8cientifique - pour fran-

André Hardellet

chir le seuil du jardin - devientici plus intime et plus familière,artisanale, empirique, et son am­bition n'y perd rien. N'ayant plusd'e8poir en l'avenir de8 machinesà hypnose, André Hardellet porteun regard attentif (jusqu'à -êtresoupçonneux) sur ce que noussavons le mieux : il y trouve sou­vent la présence du secret. Cadet­Rousselle est très suspect. L'amiPierrot cache aU8si quelque chose

- et l'auteur dit sa perplexitéSUT rune des plus énigmatiqueschansons jamais écrites :

Va chez la voisineje crois qu'elle y est...Une plume qui manque, une

chandelle morte et un feu assoupine sont guère faits pour éclaircirla situation entre les trois saltim­banques nocturnes: le blanc, labrune et le bariolé.

... Ils doivent en savoir, toustrois, beaucoup plus long qu'ilsn'en disent.

C'est peut-être le fin mot?Nous en savons tous beaucoupplus que nous n'en di80n8. Nousfaisons, pour vivre, un peu sem­blant d'être bêtes: André Har­dellet nous le rappelle opportu­nément. Il franchit souvent dansun sens et dans l'autre, ces por­tes d'ivoire ou de corne qui nousséparent du monde invisible, dontGérard de Nerval (qu'il invoquevolontiers) avoue, dès les pre­miers mots d'Aurélia qu'il n'a pules percer san8 frémir. Il y a chezHardellet une joie de vivre, unesanté, qui font de lui un Nerva­lien tout à fait jovial. Mais l'es­8entiel n'est pas dans la mélan­colie - il est dans ce don defranchir et de faire franchir le8euil du regret.

Ce regret, sur moi, c'est commeune teigne... André Hardelletaime passionnément le présent,et encore plu~ passionnément lepassé perdu. Son goût de l'êtreveut tout à la fois: le maintenantet le jadis, le peut-être et lejamais plus. Il n'est pas bruyant,mais il est insatiable. C'est pour­quoi il aime tant, peut-être, ladouble page (36 et 37) où leschiens suivent à jamais un lièvreimpossible à rattraper. Vive lachasse et vive le lièvre ! Dans unsuspens réconciliateur comparableà celui de la bataille de Rézon­ville - tout conflit provi80ire­ment arrêté - voici la chasse enpleine vitesse, et la guirlande enévidence - avec ses emblèmes,ses cors, ses hures, 8es raisins,toutes choses exquises pour ceuxdont les gibecières sont plumiers,et les horizons tableaux noin.

L'image d'Epinal n'est pas icil'ornement du texte, le diverti8­8ement, l'intermède: elle parti­cipe à l'entreprise, au même titreque ce « Répertoire ~, où AndréHar~ellet recense des a880cia­tions d'imagesprécieusea.

Le surréalisme n'estloin de ce poète, à quiBreton écrivait (à proposroman)

Vous abordez là, en conqué­rant, les seules terres vraimentlointaines qui m'intéressent et lareconnaissance que vous y p~us­

sez offre un nouveau ressort àtout ce que je me connais commeraisons de vivre..

JosaFJe Duranteau

Daniel BoulangerLe Chemin des Caracoles.Laffont éd.

Les nouvelles de Daniel Bou­langer sentent la giroflée, lesgrain8 de poussière dansant dansun rayon de soleil et l'eau de vio­lette. Elles sont très courtes. Troisou quatre pages suffisent pourrecréer une ville, une saison,toute une vie même qui s'effriterapidement tandis que le per­80nnage meurt sous nos yeux.Daniel Boulanger ne présentejamais la mort comme une choseeffrayante, mais au contrairecomme un aboutissement nor­mal, prévu. Un vieil aristocrate,cloîtré comme un hibou, ne peutmourir que dans son vestibule:Le ciel bascula. Le froid du car­relage montait comme une eau. Lecordonnier borgne et son amietricoteuse meurent « d'un excè8de nuit », près d'un paravent delaque noire où un oi8eau jettetoute la lumière du ciel. Boulan­ger nous rend à tel point 8es per­sonnages familiers que leur exi8­tence a une importance énorme :il8 80nt là, nous les voyons, nousles connaissons depui8 des annéeset lorsqu'il8 disparaissent notrecœur se 8erre comme devant unrêve qui 8'évanouit.

On a comparé Boulanger àMaupa8sant. Son registre paraîtplus large: il yale Boulangertendre qui raconte avec une affec­tion nuancée d'humour la viedouillette d'un couple de pédé­ra8tes antiquaire8. Il 8'en dégageune telle harmonie que la dérisionserait déplacée. Il yale Bou­langer artiste qui décrit un ta­bleau qu'il aime: sur un e8caliersont p08é8 un coquillage, uneépée, un livre, une tête de mort,une pipe et un verre. Le regardmonte et redescend ces marche8jusqu'à ce que nOU8 connai88ionsl'aspect extérieur de8 objets, toutce qu'ils représentent pour lepeintre et davantage: ce qu'ilsreprésentent dans l'infini.

Il yale Boulanger collection­neur d'anecdotes qui rencontrela femme promenant dans lesrestaurants la photo de son cherdisparu afin de 8e faire offrir àdéjeuner par une bonne âme api­toyée. Il yale Boulanger poètequi parle de l'été comme « d'unefleur de pierre :). Le Boulangerprovincial Les demoisellesMabut ne quittaient plus leurfenêtre et prenaient même leurrepas en surveillant la chaussée.Et surtout le Boulanger indéfi­nis8able, qui nous entraîne dansdes voyages de l'esprit aussi mer­veilleux que la fameuse expédi­tion à Londres du chevalier desES8einte8.

S d, ~

es contes sont une pureteobtenue aprè8 un long polissa~e

amoureusement précis. Il ne resteque l'essentiel, une présence, lalumière, l'odeur~

Marie-Claude de Brun/lOfl

Page 9: La Quinzaine littéraire n°2

ROMANS ÉTRANGERS

Violent Mexique

Carlos FuentesLa mort crArtemio Cruz.Gallimard éd.

Dans l'histoire du roman mexi­cain d'aujourd'hui, Carlos Fuentesà moins de quarante ans, occupepeut-être la première place. Nonqu'il ait encore beaucoup pro­duit: deux livres, La Plw Lim­pide Région 1 publié voici deuxans et cette Mort crArtemio Cruz 1,

qui vient de sortir. Mais son talentest immense, dont il joue sur lemode des grands romanciers ins­pirés, avec la force et l'anarchiedes fleuves quand ils rompent lesbarrages. Le plus maîtrisé ou leplus tendre de ses chapitres estcomme un paquet d'eau que l'onreçoit en plein visage, sans qu'onpense à tourner la tête ou à fermerles yeux. Certes, nous ne compte­rons pas pour rien les risques denoyade, au fil de telle et tellepage où la violence et le jeu descourants contraires dégénèrentquelquefois en confusion et tour­billons dont on n'émerge qu'àgrand peine. Mais qui n'a rêvé dese laisser aller sur un grand fleuved'Amérique, quelque chose commele Rio Grande deI Norte?- Au cœur des deux romans, leMexique; La Plw Limpide Ré­gion est une macrosociologie dupeuple mexicain, dont Fuentes.décrit les classes sociales en illus­trant la tragi-comédie humaine,pitoyable ici : quand il évoque lesouvriers, les péons, les prosti­tuées..., là ignoble: quand il dé­nonce les intellectuels snobs et·riches, les cercles d'affaires, lesmilieux cosmopolites et outrageu­sement mondains, tous .pourris,perdus par l'argent - et le Mexi­que perdu, pourri par eux.

Pour donner à voir la réalitécomplexe, excentrique, bariolée,lamentable de ce monde, Fuentes,dans son premier roman, ordon­nait la composition de ses épisodeset choisissait son vocabulaire enfonction de son dessein, d'où les

La Quinzaine littéraire, 1er avrn 1966

scènes désordonnées, heurtées, sesuccédant sans transition et nnvocabulaire grouillant de motsétranges, étrangers, mexicains,américains (puisque les intérêtsdes possédants sont liés aux ban­ques des U.S.A.)c, français (les·Mexicains snobs semblent· imbusde culture française et· parlentvolontiers « le franxicain ~).

La Mort crArtemio Cruz n'estpas sans rappeler La Plw LimpideRégion. Ici aussi la brutalité, ledésordre, l'incohérence, les pa­roxysmes, la fièvre et le déliredoivent servir à l'évocation d'uneréalité mouvante et cyclothymi­que. Laquelle? Celle d'ArtemioCruz et du Mexique moderne àtravers lui. Cruz a soixante et onzeans. Il va mourir, il mourra. Surson lit d'agonie, où on l'opère envain, il revoit son passé, en remon­tant si l'on peut dire, puisque lesdernières lignes du roman décri­vent sa naissance, idée assurémentbizarre mais que le lecteur ne dis­cute pas car Cruz ressasse liondestin, ne cesse de penser à unautre destin, celui qu'il aurait dûvivre à partir de là, le ventre ma­ternel, si le Mal n'avait pas fondusur lui.

A la fin du livre donc, à l'instantde mourir, le voilà qui naît: dansune cahute sordide et de pèreinconnu, Mexicain promis, commeneuf Mexicains sur dix, à une viemisérable, mais Cruz vient aumonde avec la force, la violence

.. dans le sang, avec le goût de rui­ner l'ordre ignominieux des choses.établies, c'est-à-dire une société oùles riches font les lois et la loi,vendent le pays aux capitaux amé­ricains. Cruz combattra dans lesrangs des justes et s'imposera aupoint de bientôt représenter legrand espoir des paysans oppri-,. ,. ... . .

mes, Jusqu au. Jour ou, prIsonnierdes soldats de Villa et condamnéau peloton d'exécution, il ne peutsupporter la pensée, l'image de sa·mort et, contre la promesse de savie sauve, trahit. Magnifique pas­sage que celui de la nuit qui, pour

le condamné, devrait être la der­nière: on voit l'esprit de Cruzfabriquer des raisons de ne pasmourir, les unes futiles, les autresémouvantes et belles, par exemplecelle-là, qui a nom Regina, lagrande passion de Cruz, et penduepar les soldats de Villa: ... Ellelui demandait de continuer ·àvivre, comme si une femme morteavait besoin du souvenir crunhomme vivant pour être encoreautre chose qu'un corps dévorépar les vers· dans une fosse sansnom, dans un village sans nom.

C'est le début de la déchéanceet· du pouvoir: riche mariage,spéculation foncière, prêts à courtterme et à intérêts élevés aux pay­sans de l'état de Puebla, créationde sociétés mixtes mexico-nord­américaines, rachat d'un journalpour servir les intérêts du dollar...Histoire d'un homme qui n'est pasquelconque, qui a même des qua­lités exceptionnelles et toute sa viedurant cherchera, tout en conti­nuant à se vendre, à se racheter :dans l'amour - mais sa femme lelui interdit, disant qu'on ne peutêtre un salaud dans la vie et unpur dans son cœur ; par la pater­nité - mais son fils mourra enEspagne, qu'il a laissé s'engagerdans les Brigades Internationaleset Cruz découvre qu'il est criminelet -égoïste de chercher à vivre sondestin par le biais d'un autre,fût-ce son propre fils. Oui, histoired'un homme entre l'ange et la bêteet qui fait la bête définitivement.

La mort crArtemio Cruz est unechronique du Mexique qui s'ex­prime à travers la vie d'un homme,depuis 1889, date de naissanced'Artemio, jusqu'à sa mort en1960, et ·le moribond revoit sonpassé et l'histoire de son paysselon la liberté que lui laisse sonmal, c'est-à-dire d'éclair en éclairquand ~. i:t- .ient à la conscience,ou à la semi-conscience, ou quandil délire, d'où la composition de ceroman, désordonnée. et heurtée enapparence, tantôt 1930 et tantôt

1921, tel moment de la vie d'Arte­mio (1917) juxtaposé et succédantà tel autre (1940) car la conscienceignore la chronologie, compositiond'autant plus complexe qu'Arte­mio ajoute· à l'existence qu'il avécue celle qu'il aurait voulu vivre,dans le refus des compromissions,des trahisons, la lutte pure et dure.Ainsi le vécu et le rêvé, qui sedisputent son esprit, se battentdans les pages mêmes du livre...

Une tempête dans un crâne: tels'offre La mort crArtemio Cruz.Il parle, se parle, se voit, s'ima­gine, se refait, se défait, pendantqu'autour de lui le médecin, lecuré, sa femme et sa fille (la situa­tion rappelle Le Nœud de Vipè­res) attendent qu'il révèle l'endroitoù il a caché son testament. D'éton­nantes scènes de guerre civile suc­cèdent à la description de « par·ties » à bord de yachts. Lentement,trois cents pages durant, ArtemioCruz meurt,en arrive au momentde sa naissance, là où tout com­mence, là dù tout pourrait recom­mencer... }\lais il est toujours troptard. Par delà l'histoire d'unhomme avec ses qualités, ses dé­fauts, on pressent le poids du des­tin, ce quelque chose contre quoinous ne pouvons rien, qui nousvient dans le sang avec la vie, àla première minute, qui décidepour nous de notre ignominie oude notre honnêteté - comme,selon Fuentes, le destin a décidédu Mexique, par le biais de Ma­linche, la maîtresse de Cortès, quiguida le Conquistador jusqu'aucœur de l'empire de Moctezuma:ainsi le Mexique serait-il promis àune éternelle trahison, dans le viol,la violence, la colère...

Tous désordres dont nous pro­tègent, en gros, nos sociétés euro­péennes, qu'aussi bien nos littéra·tures n'expriment pas et qu'onira chercher dans Carlos Fuentes,inoubliable.

Yves Berger

1. Dans une traduction souvent belle,quelquefois laborieuse; de Robert Mar·rast.

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Page 10: La Quinzaine littéraire n°2

ROMANS ÉTRANGERS

Manfred BielerBoniface ou le matelotdans la bouteille.Traduit pas Jacques Chary.Le Seuil éd.

Johannes BohrowskiLe Moulin à Levine.Traduit par Luc de Goustine.Le Seuil éd.

La littérature de l'Allemagnede l'Est, qui commence à se libé·rer de l'emprise d'un régime poli­tique étroit est encore peu con­nue en France. Tout au plus peut·on glaner ici et là dans des antho­logies et des revues quelques pro­ses et quelques poèmes de PeterHuchel, de Stefan Hermlin, deVolker Braun, de Peter Hacks, deGünter Kunert; les traductionssont rares et l'Allemagne de l'Estne nous a pas donné jusqu'à cejour de livre important, si l'onfait exception de l'une ou l'autreœuvre d'écrivains connus avantla guerre, comme Anna Seghers,ou de romanciers plus jeunes,mais qui ont passé à l'Ouest, com·me Uwe Johnson. Cette littératu­re, elle aussi, comme celle de l'Al·lemagne fédérale, n'a d'existenceréelle que depuis quelques an·nées ; elle a dû non seulement re·faire son apprentissage, secouer lepoids du passé, mais peut-être plusencore celui d'une époque récen­te tout entière vouée au culte duréalisme socialiste.

Boniface ou le matelot dans labouteille est le premier roman deManfred Bieler ; publié en 1963,il était achevé dès 1961, mais onimagine mal qu'il ait pu paraîtreplus tôt.. Manfred Bieler, qui atrente-deux ans, partage son tempsentre son métier d'écrivain et ceuxde cultivateur, de baleinier ou descieur de long ; il vit à Berlin-Est.Son livre emprunte ses thèmes .àla guerre et à l'après-guerre, aunazisme, à l'occupation, au maté­rialisme et au néo-nazisme. En ce­la, il n'a rien de très original; cesont les thèmes de presque toutela littérature allemande d'aujour·d'hui. Mais Manfred Bieler, aulieu de les traiter tragiquement,les transpose et monte sur leurcompte une énorme farce, une co­médie loufoque où jamais ne sontpris au sérieux ni les hommes niles événements. De temps à autre,perce un soupçon de tendresse(lorsque Boniface retrouve sonamie Polle dans une clinique, parexemple), mais celui-ci est viteremplacé par un éclat de rire, onne s'attarde pas sur de tels sen­timents.

Boniface se lit avec plaisir;c'est un roman truculent, remplide trouvailles, de cocasseries, debouffonneries. On sent un peutrop peut-être que Günter Grassn'est pas loin. Mais il faut retenirle nom de Manfred Bieler, mêmesi ce premier livre n'apparaît quecomme une pochade aimable et

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savoureuse. Après tout, l'auteurn'a pas eu la prétention de faireautre chose.

Le roman de Johannes Bobrow·ski, Le Moulin à Levine, remar­quablement traduit par M. Luc deGoustine, est, en revanche, l'œu­vre achevée d'un écrivain plusambitieux, beaucoup plus maîtrede ses moyens. Malheureusement,Johannes Bobrowski est mort l'andernier des suites d'une péritoni­te, à quarante-huit ans. Il était néà Tilsitt et vivait à Berlin-Est. Le« Groupe 47 » lui avait décernéson prix en 1962. Il avait publiédeux recueils de poèmes, Sarmati­sche Zeit et Schattenland Strome,ainsi que deux recueils de nouvel­les, Miiusefest et Boehlendorf undandere. En 1965, il avait reçu lePrix Charles-Veillon pour ce ro­man qui avait été publié avec unégal succès dans les deux Allema­gnes.

Il y a dans ce roman, qui estpeut-être un « nouveau roman »,mais aussi un poème, un chant àla gloire d'un peuple qui a souf­fert cruellement comme il a faitsouffrir cruellement, un chant dejustice et d'espérance, non pasune histoire, mais des histoiresqui se chevauchent, s'interpénè.trent, s'alternent, se complètent.Tout d'abord, il y a l'histoire duMoulin de Levine. Nous sommese~ Prusse, quelque part sur la Vis­tule, en 1874. De riches Allemandsrépondant aux noms de Kossa­kowski, Kaminski, Tomaschewskifont la loi dans les villages où lesPolonais vivent chichement etportent des noms prussiens, Le­brecht ou Germano. Le grand-pè.re du narrateur, Bobrowski, estl'un de ces puissants propriétai.res; il possède un magnifiquemoulin. Lorsque le jeune Juif Le­vine, qui a quitté sa ville natale,vient construire de ses mains unpetit moulin en aval de celui dugrand-père Johann, celui-ci prendombrage. Un matin, le moulin duJuif est emporté par les eaux. Al·lemands, Polonais, Tziganes, tousse taisent; l'habitude du silenceest grande chez ces gens qui co­habitent depuis des générations.Tout le monde connaît le coupa·ble ; mais son nom ne sera pas ré·vélé. Levine quittera le village oùil n'a trouvé personne pour l'ac­cueillir, pour le défendre. Le pro·cès qu'il voudrait intenter augrand-père n'aura pas lieu. Maisquelque chose s'est passé néan­moins ; les humbles, les opprimésse sont ligués contre les proprié­taires ; le cirque du Tzigane Scar­letto symbolise leur lutte, et, endéfinitive, leur victoire, car legrand-père quittera, lui aussi, levillage pour vivre de ses rentesdans la ville voisine.

Il y a encore bien d'autres thè·mes dans ce roman : celui des ri­valités entre les clans religieux(baptistes et adventistes), entre lesraces, celui de la guerre contrel'injustice, celui de l'amour (entreLevine et Maria, la fille d'un Tzi-

gane) , celui du monde animal quisymbolise souvent l'animalité desactes humains. Johannes Bobrow­ski a construit son roman autourde « trente-quatre phrases à pro­pos de mon grand-père », qui sontautant de points d'appui pour lelecteur dans l'exploration d'unédifice romanesque compliqué,qui implique des superpositionsde plans, des digressions, le boule­versement chronologique des faits.Ce roman est en quelque sorteune longue « chanson de geste »sur l'impossibilité du dialogue en·tre les hommes.

René W intzen

Leonardo SciasciaLe Conseil d'Egypte.Collections Lettres Nouvelles.Denoël éd.

C'est l'histoire d'une impos­ture historique, montée dans laPalerme de la fin du XVII'- sièclepar un abbé cynique et sansscrupule, Giuseppe Vella.

Se servant de ses vaguesconnaissances de l'arabe - quepersonne, autour de lui, ne sem­ble en mesure de vérifier ­l'abbé feint de traduire un vieuxmanuscrit arabe, «le Conseild'Egypte ~ - d'où le titre ­sans aucun intérêt. En réalité, ilécrit à sa façon une histoire dela Sicile « qui fait apparaîtresans fondements les privilègesancestraux de la noblesse ~, cequi n'est pas pour déplaire à laroyauté. Elle ne ménage pas sesbienfaits à l'abbé Vella, jusqu'au,jour où le pot-aux-roses est décou­vert. Tel est l'argument savou·reux de ce récit, plus chroniqueencore que roman.

D'une chronique, il a le dérou­lement, le caractère historique etl'apparente objectivité. Les per­sonnages sont des pantins dont lenarrateur tire visiblement les fils.Il semble avoir pour eux le mêmemépris que l'abbé Vella avaitpour les humains et qui lui per­mit de se jouer de leur crédulité.Il est vrai qu'ils peuvent diffici­lement inspirer un autre senti­ment: aristocrates mondains fa­rouchement attachés à leurs pri­vilèges, homme d'Eglise corrom­pus et à la dévotion des grandsde ce monde, etc. Oui, rien qu'unehumanité méprisable, à l'excep­tion de l'avocat Di Blasi et deses amis libéraux, comme lui, enpolitique.

Ce sont des jacobins, tout nour·ris des- idées de la Révolutionfrançaise et décidés à les fairetriompher en terre sicilienne. Ilscomplotent. Leur chef, Di Blasi,est arrêté, atrocement torturé etdécapité. Alors que l'abbé Vel1aest le personnage central de la

premlere partie, dans la secondec'est Di Blasi qui prend la relève.C'est lui qui donne à ce récit, unpeu sec, sa seconde dimension.Avec Di Blasi, avec la lutte pourla fin des privilèges, passe ungrand souffle d'air. Et soudain,un personnage secondaire commela mère de Di Blasi bellefigure qu'on ne fait qu'entrevoir- devient attachant. Et, toutnaturellement, les pages consa·crées à Di Blasi, à son espéranceet à la torture, sont les plus bellesdu livre: émouvantes avec so­briété.

Après tout, ce coquin de Giu­seppe Vella est-il si loin de DiBlasi ? Dans l'esprit de l'auteur,il ne le semble pas. A sa manièrel'abbé lui aussi est un idéaliste.Cynique autant qu'on voudra, etattaché aux biens de ce mondeet à leur confort, et sensible à laconsidération d'autrui et astu·cieux avec intelligence dans l'im­posture. Mais cette imposture estpour lui comme une œuvre d'art:réussie, elle est parfaite, commeun chef-d'œuvre littéraire. Peului importe d'être démasqué, sila beauté de son imposture estreconnue. En outre, y a·t·il vrai·ment imposture lorsqu'il s'agitde l'Histoire ?

Pour l'abbé, l'Histoire n'existepas. Il « expliquait que le travailde l'historien n'est qu'un imbro­glio, une vaste imposture. Etqu'il y avait plus de mérite àl'inventer, l'Histoire, qu'à trans­crire fidèlement et simplementde vieux papiers, d'anciennesinscriptions lapidaires de tom·bes antiques, etc. • Et, toujoursà sa manière, l'abbé est polir larévolution: « Quant à la révo·lution, je vous l'avoue, j'éprouvepour elle, en revanche, un senti·ment différent: cet ôte-toi de làque je m'y mette me plaît assez,je dois le dire... Les puissants etles superbes qui courent auxabîmes, les malheureux quitriomphent... • Etonnant person·nage que cet abbé, et ambigu!Comme le récit de Sciascia. Niroman, ni chronique, ni pamphlet- et tout cela à la fois~

Naturellement, on sent biende quel côté est Sciascia et que,si son récit se passe au XVII'- siè­cle, les abus qu'il dénonce n'ontpas tellement changé, et que l'im·posture est de tous les temps:

Le Conseil d'Egypte suscite lasympathie et se lit avec plaisir.Il traite avec une désinvoltureapparente de sujets graves: l'im·posture et la liberté. On aime­rait être italien pour apprécierexactement, à sa juste valeur,l'accent, le ton nouveau queLeonardo Sciascia introduit dansla littérature italienne d'aujour­d'hui. Il a beaucoup lu les écri­vains français du XVIIIe siècle.Cela se sent à travers l'excellentetraduction - élégante et précise- de Jacques de Pressac.

Henri Hell

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le tombeau des Noguchi. Quel­qu'un prierait alors pour elle, quin'a pas de famille, et qui passeradans la mort avec tout le poids deses fautes, si elle demeure seule.Si bien que lorsqu'elle renonce àNoguchi, elle renonce en sommeà la vie éternelle. Elle le fait ensilence, sans une plainte. On peutremarquer aussi que cette vivan­te Kazu, si éclatante de force, defraîcheur, d'activité, si modernedans ses démarches, femme d'af­faires s'il en fut jamais, est la seu­le à ne jamais porter de vêtementseuropéens (sauf une fois un man­teau de vison, qu'elle laisse d'ail­leurs dans sa voiture). Le détailde ses kimonos est un enchante­ment : couleur, dessin, symbolis­me, signification (qui nous rejet­te, nous, aux devises que lesamoureux se faisaient, au XV· siè­cle, broder sur leurs manches).Admettons que cet enchantementrepose sur un pittoresque bien su­perficiel, comme celui des menus,qui font comme des poèmes aumilieu d'une page. Il en est d'au­tres, dont le ressort est plus sé­rieux : la nudité des deux petiteschambres de Kazu à son restau­rant de l'Ermitage, chambre8 sansmeubles, où elle dort traditionnel­lement sur un matelas qu'on dé­roule le soir à même les nattesqui couvrent le sol; là s'ouvre unjardin clos, petit, foisonnant deblancs chrysanthèmes, qui est sonjardin de prédilection. Ou biénelle va s'asseoir sur un banc, pourregarder l'étang. On le regardeavec elle. Ce pouvoir de contem­plation, Kazu ne l'a pas inventé,et il est probable qu'un long hé·ritage dont elle bénéficie d'ins,tinct, tout inculte et fruste qu'ellesoit par origine, le lui rend acces­sible et usuel. Voilà l'enchante­ment véritable : dans ce livre duret BOuvent ironique, la beauté dumonde et des êtres - la peau 8iblanche_ .. et .8i ferme de Kazudans l'échancrure de son ki­mono, l'éclat de l'étang SOU8la lune, le brouillard sur lespins et les saules, la blancheurdes chrysanthèmes - la beauté,unique consolation et qui pour­tant n'est jamais désignée commetelle, rayonne par tous les inter­stices du récit, comme s'il étaitpermis à chacun, acteur ou lec­teur, d'accéder par ces brusquesfissure8 à un autre monde, par oùcelui-ci pourrait être supporté.

Il n'y a qu'un grand écrivainpour éclairer de pareille lumièreune vulgaire histoire d'électionmanquée, et pour faire d'une ri­che aubergiste une héroïne plato­nicienne. Mais on se souvient dupremier roman traduit en françaisde Yukio Mishima: Le Pavillond'Or. Un jeune moine y mettaitle feu au temple qu'il desservait.Il cherchait son salut, comme Ka­zu, il échouait, comme elle. Il res­te à Kazu de se taire et de faireson métier. Le dernier mot est àl'ancien Japon stoïque.

Dominique Aury

vir dont elle est animée est trèsdifférente de ce que son mari at­tend d'elle : elle est devant lui,non comme une femme des an­ciens temps devant son mari tout­puissant et vénéré, mais commeun homme-lige devant son sei­gneur, comme un vassal devantson suzerain. D'être entrée danssa famille, elle ne croit pas pourautant avoir perdu sa roture etchangé de caste; elle a simple­ment acquis le droit d'être utile àun homme d'une essence supérieu­re ; dans les petites choses : veil­ler à son linge et à ses domesti­ques; dans les choses importan­tes : se ruiner pour son élection.Car elle se ruine, en le servant

aussi maladroitement qu'il est pos­sible. Elle est un peu comme lesvavasseurs qui se chargent desbasses besognes sans le dire aumaître pour ne pas compromettresa dignité. Ainsi mène-t-elle lanouvelle campagne électorale deNoguchi, et ce sera un échec. Latroisième. surprise est dans la con­clusion de l'histoire : la sépara­tion de Kazu et de Noguchi. Ellene suivra pas son mari dans 8aretraite, et lui n'acceptera pasqu'elle reprenne son métier. Il8divorcent. Chacun retourne à· sonêtre propre, comme aprè8 l'eupho­rie ou l'ivresse du banquet cha­cun revient à soi.

Le récit de Yukio Mishima estun roman très clas8ique de forme,qui se déronle tout droit 8elonl'ordre chronologique. Mai8 SOU8cet a8pect tranquille, il est trèssingulier, et appelle bien des re­marques. Par exemple, a-t-on rai­son de pen8er que le personnagede Noguchi - dans ce roman demœurs situé aujourd'hui et volon­tiers satirique - repré8ente l'an­cien Japon, et Kazu le nouveau ?Ce n'est pas sûr. Ou 8'il en est ain­si, l'ancien et le nouveau ne fontqu'un seul Japon, aus8i 8urprenantpour nous que le Japon de8 8a­mouraï et des porcelaines. Car ily a chez Kazu comme chez Nogu­chi la même conception stoïquede l'existence, et la même adhé­sion profonde à des croyances an­cestrales. Ainsi la récompense, laseule, que Kazu imagine à son dé­vouement envers Noguchi est-ellel'appartenance à la famille, l'ins­cription sur la liste des ancêtres,la certitude d'être ensevelie dans

Yukio MishimaAprès le banquet.Traduit par G. Remondeans.Gallimard éd.

Imaginez, sous l'encadrementd'un portique de bois, au bordd'un étang bordé de saules et depins, et sans oublier la lanternede pierre, imaginez une femmesouriante, en kimono traditionnel,le visage lisse et calme malgré lacinquantaine, c'est Kazu. Elle at­tend ses hôtes à l'entrée du res­taurant qu'elle possède et dirige.Elle est riche, libre, elle n'a plusrien à risquer, plus rien à souhai­ter. On ne tombe pas amoureuse,on ne refait pas sa vie sur uncoup de foudre, quand on est unefemme de cinquante ans, même ja­ponaise. Il faut croire que si. Etcertes elle ne choisit pas. Quelquechose en elle, qui n'est pas le be­soin d'amour, choisit à 8a place.Elle est éblouie, fascinée, par l'êtrele plus différent d'elle-mêmequ'elle ait jamais rencontré : unvieil aristocrate maigre et pauvre,qui fut plusieurs fois ministre, quis'est rallié au pal~ti réformiste etvient' d'être battu aux élections.Il a soixante-cinq ans.

A partir de ces données trèssimples 8e déclenche une histoireoù l'étrangeté des événements lecède entièrement à l'étrangeté descaractères. La première surprisevient de ·ce qu'il soit si facile àKazu d'épouser Noguchi. Ou biensi Noguchi tombe vraiment amou­reux ~d'elle'? Rien ne, le marque,sinôn leur insolite mariage. Kàzufait les premiers pas, mène d'abordsa conquête comme si elle était unhardi jeune homme et Noguchi'une femme timide, puis reprendse8 gestes de femme, pleure auxpieds de Noguchi. N'empêche quelorsqu'ils 8e retrouvent dans lamême chambre et enfin dans lemême lit on est tout étonné. Ondirait que c'est pour la forme etpour avoir prétexte à 8e marieren8uite. E8t-ce que Noguchi épou­se Kazu parce qu'elle est riche?Kazu a l'hàbitude de donner del'argent (drôles de mœur8) à de8hommes politiques, mai8 la 8euleidée qu'on pui8se croire Noguchiintéressé la jette dan8 l'indigna­tion. Alors pourquoi? Peut-êtrel'emprise de Kazu 8ur Noguchiparticipe-t-elle de ce célèbre pou­voir qu'ont les âmes forte8 8urle8 âmes faibles. Erreur encore :Noguchi est une âme forte, autantque Kazu. En outre, il est solidecomme un roc dans ses principe8,et souvent méprisant. Il ne prendpas femme pour lui céder (et nelui cédera d'ailleurs jamais, mê­me lorsque les conseils qu'elle es­saiera de lui donner seront excel­lents - et respectueux). L'un etl'autre ont la même conceptionquant au rôle d'une épousequ'elle serve.

Ici intervient la seconde surpri­se. Kazu ne se rend pas compteelle-même que la passion de ser-

SaDlouraÏ

La Quinzaine littéraire, 1"' avrn 1966 11

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REVUES HISTOIRE LITTÉRAIRE

Victor Hugo•DlICrOSCOpe

au

N.R.F.

Maurice Blanchot publie dansla Nouvelle Revue Française(1·' mars), un dialogue imagi­naire d'une force ~t d'une rigueuradmirables: L'entretien infini.Le sujet apparent en est la « fati­gue », le sujet réel, les, rapRôrtsentre le silence et la parole, l'écri­ture et le discours. Certainesnotations pourraient être tenuespour de pudiques confidences:Il ya un moment dans la vie d'unhomme - par conséquent deshommes - où tout, est achevé,les livres écrits, l'univers silen­cieux, les êtres en repos. Il nereste plus que la tâche de l'annon­cer: c'est facile. Mais commecette parole supplémén.taire ris­que de rompre l'équilibre - etoù trouver la force pour la dire ?où trouver encore une place pourelle? - on ne la prononce pas,et la tâche reste inachevée. Onécrit seulement ce que je viensd'écrire, finalement on ne l'écritpas non plus. .

Dans la même livraison, suitede l'étude d'Yvon Belaval surles rapports entre l'écrivain,l'homme, et l'œuvre.

Les Lettres Nouvelles

Les Lettres Nouvelles consa·crent une partie de leur numéromars-avril à James Joyce, mortil y a juste vingt-cinq ans. On y-trouve des souvenirs de jeunessedu frère, Stanislaus Joyce, quilui" reconnaissait une évidente su­périorité. Une «joycienne \ »,Hélène Berger, fait d'émouvan­tes - et peut-être scandaleuses- révélations sur les rapports deJoyce et de sa femme. Ellecite en particulier des lettres quiéclairent curieusement la person­nalité intime de l'écrivain.

Dans le même numéro, on peutlire, de Dionys Mascolo, un textequi va loin dans la peinture dupassage d'un adolescent à « l'âged'homme », à l'occasion despremiers mois de la dernièreguerre. Et aussi la suite de .l'im­portante étud.e de Roger Dadounsur l'anthropologue d'origine au­trichienne Geza Roheim.

Critique

Dans Critique (mars), on peutlire une intéressante étude deGeorges Sebbag sur Gombrowiczou la mise en relation. PhilippeSollers se livre à une Critique(aiguë) de la Poésie. On relève:... La poésie est devenue le plussouvent le champ de la niaiseriemythologique. Rien n'est plusopposé à la poésie que la croyanceà la poésie; un poète est désor­mais quelqu'un qui doit rompreaL'ec décision avec rexpression« poé.tique » et ses dieux, avecle s\"1nbolisme arriéré et senti·111 ('n(al, ~mphatique, dont noussommes encore accablés.

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Victor HugoJournal de ce quej'apprends chaque jour.Juillet 1846. Février 1848.Boîte aux lettres.Editions critiques établiespar René Journet etGuy Robert.Flammarion éd.

Deux érudits ont reP'ouvé, parmide vieux papiers d'archives, unjournal tenu par Victor Hugo.Ils viennent d'en publier deuxvolumes. D'autres vont suivre,dans le cadre des Cahiers VictorHugo. Georges Piroué, J'oman­cier et critique, a. publié unVictor Hugo romancier.

Il existe deux mameres depublier les papiers posthumesd'un grand écrivain disparu.L'une consiste à leur prêter l'ap­parence d'une œuvre retrouvée, àpeu près cohérente, quoique im­parfaite, à placer donc presquesur le même plan l'ébauche et letexte achevé. Cela ne va pas sansdésinvolture à l'égard 'du défunt,ni sans quelques tripatouillagesqui peuvent frôler la trahison.C'est ainsi qu'ont procédé PaulMeurice et plus tard, mais avecune, totale' honnêteté, Henri Guil­lemin pour" le dossier de VictorHugo Journal de ce que j'apprendschaque jour, partiellement utilisédans Choses vues et, pour à peuprès les trois quarts, inséré dansle Journal 1830-1848 publié parGallimard en 1954. Il es't clairque, mis à la portée de tous, detels condensés ont à h~ur créditd'assurer la survie de l'écrivain etd'enrichir la connaissance quenous avons de lui. Rien ne révèlemieux le reporter de g~nie qu'aété Victor Hugo que l'amalgamedes Fa.its contemporains et Souve­nirs personnels avec le Journal dece que j'apprends chaque jourréalisé par Guillemin.

Des « alluvions»

L'autre mamere est la méthodemême de l'Université, c'est-à-direl'édition critique typographique­ment fi d è 1e, chronologique,annotée, commentée, augmentéed'un vaste appareil biographiquedont l'ensemble constitue unretour aux sources admirahIe etle point de départ rêvé de toutesles études subséquentes. Ce travail,René Journet et Guy Rohertviennent de l'accomplir non seule­ment pour le Journal de ce quej'apprends chaque jour, maispour le dossier Boîte aux lettres,recueil de fragments poétiquesque l'édition de l'ImprimerieNationale avait en partie placé àla suite des Châtiments. Cesœuvres' forment les deux premiersCahiers Victor Hugo publiés chez

Flammarion, qu'on souhaite êtrele début d'un vaste corpus hugo.lien.

Relevons tout de _suite que cesdeux ouvrages ne s'adressentguère au grand public qui n ;épl"Ou,vera à les parcourir qu'ennui etdéception. Encore qu'on puisse sedemander s'ils ne répondeilt pasau goût nouveau du lecteurd'aujourd'hui pour le documentauthentique. Les techniques dereproduction et l'hégémonie de lascience sur nos esprits. ne "ontpas sails avoir modifié nos rap­ports avec la littérature. L'aborderen archéolo/!;ue, en homme delaboratoire qui déduisent duvestige l'édifice et du prélèvementd'un tissu le' corps entier, a quel­que chose de fascinant.

Nos deux chercheurs se sontdonc consacrés à nous restituel'des notes sous leur aspect pri­mitif. Mais, ce faisant, ils ontsurtout, comme par la bande et

Victor Hugo par Mérimée

malgré eux, tiré de ces pattes demouche les mœurs, les humeurs,artisanat et le génie... de lamouche. Victor Hugo sort à la foisdiminué et grandi de cet examendes rebuts. Diminué dans lamesure où son Journal nOUf;apprend peu de chose sur lui­même, rien d'intime et de révé­lateur, ne contient que peu de cesperles qu'il croyait lui-mêmepouvoir dénicher dans la houe.« Des alluvions », nous avertit-il,à savoir, venues du dehors, àpeine modelées selon sa façon depercevoir, des anecdotes f;ur laCham hre .dcs Pairs, sur l'Acadé­mie, la famille royale; quelquesconversations saisies sur le vif,dans la rue; une masse de rensei­~nements hétéroclites, puisés sansûoute dans la lecture def; journauxet qui n'ont fait que lui traverserl'esprit, puisque le jour où ilachevait A Villequier, le 24octobre 1846, il nous parle d'unvolcan. Le côté passif du person­nage, ses automatismes mentaux :la machine enregistreuse. Il en estde même en ce qui touche ,lepoète. Plus qu'un Juvénal inspiré,plus qu'un Prométhée vaticinantsur son rocher, la Boîte aux lettresnous offre à voir un versificateur

I"Ond-de-clli,·, lm érudit du diman­che qlli ne paraît devoil· ses donsl]ll'à des empnmts ail dictionnairefeuilleté en fonctionnaire diligentdu génie pe"sécllté pOlir nOIIITirde tl"Ouvailles de hasa,·d nneréplltation slll·faite. De v l' aiespontanéité, ancune ; de vl-ais cl'Ïsdll Cœlll', pas le moind'·e. Le poèteexerce Iln métie,', l'exilé joue nnn'lIe. Ce!:, donne des pages oùvoisinent les niots exochnate, exo­mologèse, exomide, flanqllés, parbonhem, de leIII' llérinition de lamain même dll viellx harde.

Cependant, 1111 sein de ceJOl/rual se font jOIll· de~ ohses­sions, celle dll, hOlleron, purexemple, se manifestent des pen­('hants qui de la marotte del'antithèse glissent à la prise enchal'l.:e de la diversité universelle,contrastée ou concordante. Millepetites secousses mettent le réelen IIuestion et, par leurs chocs,·épétés, peu à peu organisés, on(lirait que l'homme s'aguerrit etquc son monde, en s'éhrouant, secrée une assise nouvelle. De mê­me, au fond de la Boîte ft/LX

lettres, par un autre entrechoc desyllahes, on voit se forger quelquesheaux vers, non seulement derimes mais d'assonances intérieu­res, et s'éprouver une prosodiequi, intégrant le discontinu et lecontraignant à l'harmonie - ad­jonction par la disjonction ­représente la plu s étonnanteentreprise à la fois accidentelle etconsciente, de renouvellemcnt dulyrisme.

C'est ici qu'intervient la gran­deur. Car ce qui frappe le plusdans cette exploration du matélliauhugolien, c'est à' quel point !londisparate n'est pas le si~ne d'unedispersion mais d'une prodigieuseamplitude. On a pu parfoisregretter la vanité de Victor Hugoqui lui faisait tenir pour précieusela moindre de ses paroles. Peut­être n'avait-il pas tort. Tout cequi lui est étranger augmente sonenvergure et lui devient consuhs­tantiel, tout ce qui paraît pacotilleconcourt finalement à l'accomplis­sement du dessein. Tl cst tout cnn'étant, que rhéteur. Son être estdans sa contingence.

La méthode critique de Journetet Rohert ne nous apprendraitque cela que ce serait déjà heau­coup.

Sous un regard rajeuni

Cette a pproche, à partir desdéhris, de la matière et desstructures hugoliennes nous feravoir un jour ou l'autre différem­ment les œuvres majeures que,depuis peu, on réédite si volon­tiers, sans que se trouve encorerajeuni le regard que nousportons sur elles.

Georges piroué

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Paul LéautaudJournal littéraire.Tome XIXMercure de France.

« Maintenant, foutez-moi lapaix ! » grommela-t-il à l'infirmiè­re qui le soignait, pnis il se tour­na vers le mur ; denx henres plustard, il était mort. Ce fut son motde la fin; un vrai mot de Léau­taud. Il y a dix ans de cela. Ilavait quatre vingtrquatre ans.

Depuis, nous avons vu sortirtoute la fin de son Journal litté­raire : seize gros volumes denses,les deux premiers ayant paru deson vivant, en 1954 et 1955. Lapage initiale du tome 1 est datéede 1893; la dernière du tomeXVIII, du 17 février 1956, cinqjours avant sa mort. Entre deux,assez de texte pour remplir six ousept volumes de la Pléiade : luiqui auparavant avait si peu pu­blié, et si chichement !

C'étaient pour nous, année aprèsannée, de fameuses cures d'une dé­sintoxication qui finissait parressembler à une nouvelle intoxi­cation, tant elle créait le be­soin. On s'irritait souvent, carLéautaud est bien irritant quandil se met à irriter : mais, à la finde 1964, une fois lu le tome der­nier, nous nous sommes sentis toutdésorientés de le voir nous quitterencore.

Or voici que comme Fantômas,il revient. Avec un tome XIX,vraiment ultime celui-là, complé­mentaire et documentaire. L'édi­teur fait bonne' mesure, lui donton avait redouté un moment qu'ilne parvienne pas au bout de lapublication: c'est qu'à mesureque s'égaillait la clientèle dudébut, animée par la curiosité etle goût de l'indiscrétion plus sou­vent que par la conviction, appa­raissait peu à peu un nouveaupublic venu de tous les bords,insensible aux flux et reflux dusnobisme, résolû et assuré desraisons de sa préférence.

Ce tome XIX, que contient-il ?En tête, une « Histoire du Jour­nal », racontée par Marie Dor­moy avec verve, dans la couleur etle mouvement, sans hagiologie,sans rancune non plus. Avoir sau­vé le manuscrit de tant de désas­tres, en avoir dactylographié elle­même. 12.000 feuillets, avoir clas­sé et daté autant que possible cet­te masse désordonnée, avoir oc­cupé neuf ans de sa vie à en pré­parer et surveiller l'édition, oùelle eut la coquetterie de ne rienatténuer des sarcasmes, rebuffa­des, injures et grossièretés queLéautaud se complaisait à lui pro­diguer - voilà, à son actif, de fa­meux titres! A l'autre bout duvolume, un index de 175 pages enpetits caractères' sur deux colon­nes couvre la tQtalité de l'ouvra-

La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966

ge; dû à la patience dévouée deM. Etienne Buthaud, encore som­maire mais déjà suffisant, il ré­pond pleinement à la demandejustifiée de maints lecteurs.

Léautaud lui-même occupe lecentre du recueil, avec quantitéde « pages retrouvées » du Jour­nal, irrégulièrement échelonnéesde 1894 à 1921. Beaucoup d'his­toires de bêtes (je crois qu'onl'avait amené à les écarter par

crainte de surcharger de chiens etde chats sa faune dite littéraire).Quelques rédactions différentesde passages déjà connus, commel'anecdote touchante du bouquetde violettes offert à Verlaine. Di­vers passages qui s'étaient précé­demment égarés. Et surtout, dansles débuts, vers l'époque des Es­sais de sentimentalisme, de ten­dres mouvements de prose et d'unepoésie située entre Verlaine etFrancis Jammes, singulièrementattachants.

Pourquoi Léautaud a-t-il acco­lé le' qualificatif de littéraire autitre du Journal? Sans doute par­ce qu'au débu~ déjà convaincu,c'était sa manie, que la vérité deshommes se trouve dans leurs pe­titesses ou ,leurs turpitudes, etbien aise c.le se trouver rue de

Léautaud

Condé à même de fréquenter lesgrands messieurs de la littérature,il se proposait de noter sur euxau jour le jour une chronique in­discrète et clandestine; car il atoujours eu le goût de tromperson monde, - il avait assez souf­fert de son enfance et de sa jeu­nesse pour chercher une revan­che. De fait, la plupart des pagesqu'il nous a laissées sur Schwobou Gourmont, sur Valéry ou Gide,demeurent, fort précieuses.

Seulement, il ne prévoyait pasque son poste d'observation auraitbientôt cessé d'être bon. Quand lalittérature vivante eut déserté leMercure, que les vrais créateurss'y firent rares, que trop de mé­diocres s'y pavanèrent librement,il poursuivit, imperturbable, sesenregistrements : et cela fait au­jourd'hui beaucoup et beaucoupde pages terriblement inertes. Etpuis, témoigner n'est guère facile.Il était, par nature, voyeur plutôtque témoin : les trous de serruren'offrent que des vues étroites. Ilfaisait bon accueil aux comméra­ges, sans les contrôler, pourvu que,malveillants, voire méchants, ils

_fussent propres à nourrir sa mi­santhropie. Que de précautions nedevront pas prendre les historienspour manier ce « document » !

En revanche, le Journal a une

•reVIent

autre manière d'être littéraire qui,elle, prend valeur toujours davan­tage à mesure que passent les an­nées: celle d'une recherche etd'une découverte de soi par lemoyen de l'expression. On nous a(et Léautaud lui-même) un peutrop vanté Gide, qui se prenaitvolontiers pour un nouveau Mon­taigne, voire, pourquoi pas, pourun Montaigne amélioré : un exa­men de conscience aussi systéma­tiquement direct change l'objet,et il y a un parti pris de sincéritéqui conduit droit aux pièges del'insincérité. Léautaud, si éloignéqu'il fût de Montaigne, se trou­vait en vérité plus proche de laméthode de Montaigne, obéissantplus naïvement aux hasards 'del'occasion, acceptant plus docile­ment leurs surprises, et puisqu'iln'affectait pas de se chercher, ren­contrant plus souvent face à facel'étrange animal.

Oui, insupportable; oui, har­gneux, borné, buté, tranchant(mais sensible aussi, en secret, jus­qu'aux larmes). Oui, il prend seshumeurs pour des jugements, etse flatte de la rigueur de sa pen­sée quand il n'en finit pas de secontredire. Soit. Mais ce qui comp­te infiniment plus que tout cela,c'e8t que son Journal nous procu­re l'exceptionnelle familiarité d'unindividu unique irréductiblement,tel que chacun de nous devraitêtre, tel que chacun de nous semontre incapable d'être. En quoice petit clochard étriqué et grin­cheux atteint à une qualité si pu­re qu'elle se confond avec unesorte de grandeur.

Le sait-on assez? Je rêve main­tenant d'une édition réduite (maisnon point trop rédui,te), d'un prixabordable pour ce public peu for­tuné qui est souvent le plus francpublic, et qui ferait apparaîtrecela précisément. Il suffirait Jecouper le bois mort, les ragots,quelques-unes des redites, les pe­tites histoires périmées (mais nonpas, certes, les anecdotes exem­plaires), et tout ce qui se ressentun peu trop de la sottise des com­parses. Je sais bien qu'un descharmes profonds des mémoireset journaux intimes tient auxmornes étendues désertiques qu'ilfaut y traverser pour mériter lesoasis. Néanmoins la, première ur­gence est d'aider Léautaud à re­venir encore une fois parmi nous,pour y réaffirmer, nous en avonsgrand beRoin, une personnalité in­domptablement singulière, la seu­le apparemment que notre épo­que ait à présenter eri face desgrands originaux d'autres temps,- un peu Crébillon le père parson débraillé délibéré, un peu Di­derot par son allégresse dans tousles affranchissements (non par lapuissance, hélas), un peu et beau­coup Chamfort, et puis enfin, etsurtout Léautaud.

Samuel de Sacy

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POÉSIE

Epiphanies de Jouve

Pierre-Jean JouvePoésie I-IV. 1925-1938:Les Noces, Sueur de Sang,Matière Céleste, Kyrie.

Poésie V-VI. 1939-1947 :La Vierge de Paris, Hymne.Mercure de France éd.

Poésie VII-IX. 1948-1954 :Diadème, Ode, Langue.A paraître.

« Au milieu du chemin de lavie ., c'est-à-dire aux approchesde la quarantaine, Pierre JeanJouve, on le sait, n'hésita pas àsacrifier une œuvre déjà considé­rable pour tendre ses filets plusloin et plus haut. De sorte qu'au­jourd'hui, chargé d'œuvres etd'années, cet excellent poète pré­sente deux profils, selon qu'onl'aborde par sa fin ou son com­mencement.

Par sa fin, Jouve est le chantretout ensemble érotique et mysti­que - et grandement honorécomme tel - de Noces, Sueur deSang, Matière Céleste, Kyrie, laVierge de Paris, etc., lesquels repa­raissent en une édition collectivequi comprendra quatre ou cinqvolumes in-octavo.

Par son commencement, Jouveest le digne commensal des écri­vains de l'Abbaye dont il épousale souci de «participation hu­maine ~ avec une constance nonpareille, si l'on en juge par labibliographie de ses ouvragesreniés l, qui passe en importancecelle de n'importe quel autrepoète du groupe. c Pour respec­ter l'idiosyncrasie de chacun ~,

comme parle l'auteur de Paludes,et lui laisser, en quelque manière,l'embarras du choix, il ne seraitpas mauvais que l'unanimisterepenti lève enfin l'interdictiondOllt il frappe ses premiers livreset, tout bonnement, les réim­prime : on pourrait ainsi mesurerl'ampleur de son sacrifice (il y adéjà beaucoup d'insolite dansPrésences, et une vraie nostalgiede la solitude dans Parler), et l'onverrait bien mieux, à la lumièrede l'ancienne, comment s'est for­mée la nouvelle réligion de PierreJean Jouve.

Une «reconversionm.éthodique»

Car toujours il y eut un dieuau centre de sa poésie. Ton plusgrcmd Dieu de maintenant, t!estpeut-être ta plus grande ville, est­il écrit dans le Manuel de Déifica­tion. Un peu hâtivement adoptéepar le jeune provincial qui, débar­quant à Paris, se mit à l'école deJules Romains, cette maxime faitlong feu dans les premiers poèmesde Jouve. De même que soncontemporain Reverdy, et malgréune « bonne volonté ~ grande, il

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n'est pas à l'aise dans la ville:Chaque visage pesant lourd.Comme un nuage qui fait ombrelui cache, tel l'arbre la forêt, lafoule des hommes. Et lorsqu'en1925, date de publication desMystérieuses Noces, il s'éloigne dupaysage urbain pour célébrer l'En­gadine et autres hauts lieux (dontSalzburg, patrie de Mozart, à sixheures l'été), c'est tout naturelle­ment au rédempteur - au dieuqui s'est fait homme - qu'il dédieses nouvelles symphonies.

Tout naturellement - et Jouveinsiste sur ce point dans !lon« journal sans date ~ En Miroir ­car il s'agit d'un simple retourau culte de son enfance: Elevédans la religion catholique, jen'avais aucune conversion à fairepour y demeurer ; ... ma- conver­sion était celle qui « me tournaitvers » des valeurs spirituelles depoésie, valeurs dont je reconnais­sais l'essence chrétienne.

Régression donc (le môt est deJouve) plutôt que conversion, ouencore, si l'on ose s'exprimer enterme d'économie, reconversiondes pouvoirs du poète en vuede l'édification de l'œuvre nou­velle. Les valeurs spirituelles quigouvernent celle-ci sont claire­ment désignées par les maîtresqu'il allègue : François d'Assise,Catherine de Sienne, Jean de laCroix, Thérèse d'Avila et ce Jaco­pone de Todi, auteur du StabatMater, dont le nom francisé de­vient - ceci nous plonge dans unabîme de rêverie - celui du hérosdu Monde désert, roman de« mœurs ~ au sens honnête duterme.

A cette belle et nombreuse com­pagnie s'agrègent sans peine, carleur c essence chrétienne ~ n'estpas niable, Baudelaire et le Rim­baud d'Une Saison en Enfer. Sontégalement invoqués les noms d'Au­rélia, Diotima, Gradiva, Cynthia,Miranda, etc., qui sont de trèsbeaux noms et, quoique claï­ques ~, dotés d'une immense aura­spirituelle. - Il est entendu qu'unpoète de la taille de Jouve n'estpas sans droit sur ces figures duplus haut génie, mais le fait deles mettre en exergue à des textesqui ne les regardent que d'assezloin ne va pas sans rappeler ledandysme un peu voyant de cestouristes high life, qui collection­nent sur leurs bagages les étiquet­tes des plus fastueux palaces etcaravansérails.

Un peu voyant, aussi, est le pro­cédé qui consiste à renchérir sur« le soleil noir ~ (le ,oleU toutnoir), ou c la nuit obscure ~ (lanuit plus qu'obscure). De tellesexpressions, véritablement ,sa­crées, ,n'ont pas besoin de cetteconsécration superfétatoire.

Mais passons à des exercices destyle plus personnels, car c'est pareux que Jouve, après les Noces,établit et propage sa religion de

poète. Le premier en date est ceroman d'une autre Francesca,Paulina 1880, d'une morositébelle et soutenue. (N'était leurmorosité imperturbable, les ro­mans de Jouve se pourraientparfois confondre avec ceux deJouhandeau, pareillement éroti­ques et mystiques, mais corsés detous les ingrédients du vaudeville).Et derrière Paulina, voici Eve, lapécheresse originelle, qui porte« comme un troisième sein » lefruit volé à l'Arbre de Science et,mensonge inexpiable, l'offre àAdam de la part d'Elohim...

On s'étonne de ne point trouverle Paradis perdu, poème drama-

tique, dans le premier tome desœuvres de Jouve, car cette scène ­et tout ce qui s'ensuit - est néces­saire à l'entendement de Sueur deSang, qui évoque la répétitionsans fin de la Faute perpétrée aupied de l'Arbre de Sciencé, et quenotre poète, modeme Adam, a dumoins cet avantage sur l'autred'expliquer par la psychanalyse­science toute neuve dont il futnon seulement l'un des premiersusagers, mais aussi le notable pion­nier en collaborant à la traduc­tion, parue en 1923, des Troisessais sur la théorie de la sexua­lité de Freud.

Entre ce maître livre et cetautre, les Règles de la méthodesociologique de Durkheim, quiservit de trame à la doctrine una­nimiste, on mesure le chemin par­cburu par Jouve. Certes, il n'estpas de velours, le chemin deSueur de Sang! C'est un lit detessons et de gravats où s'épandentles chairs en déroute d'Eve livréeau saccage d'Eros - et cela cons­titue le plus édifiant des specta­cles.

Car avec les poètes du MoyenAge que Remy de Gourmont pré­sente dans le Latin Mystique(qu'attend-on pour réimprimercet admirable livre?), Jouveestime sans doute que, n'ayantguère changé depuis ces « stupidesbrûleurs d'herbes» que furent nosancêtres gaulois,' nous avons grand

besoin d'une religion propre àendiguer nos instincts barbareset, en premier lieu, notre sexualitéexubérante.

Aussi, traitant le mal par le mal,dépeint-il la fornication avec unealacrité qui rejoint celle d'unOdon de Cluny prêchant que la«féminine grâce n'est que sa­burre, sang, humeur, fiel ~, etpour tout dire « un simple sacd'excréments •. Enfin, et c'est làsa principale originalité, il faitappel à toutes les ressources de lasymbolique freudienne pour ima­ger nos «fécales amours », etrendre plus coercitive, si possible,l'espèce de malédiction q~i pèsesur la geste d'Eros. Au point quenul ouvrage mieux que Sueur deSang ne mérite l'extraordinairecompliment qu'adresse Gourmontaux poètes sermonnaires qui sont,à tant d'égards, les vrais précur­seurs de Jouve :

Tels, avec du lyrisme d'amour etde gloire, de larmes et de peur, lesfondements de la littérature catho­lique. Toujours elle proclama lavie intolérable et sordide, e.t pourmieux nous en dégoûter, elle s'in­génie à réduire à l'ordure le plaisirpour lequel l'humanité, qui en estfille, travaille jusqu'au déses­poir.

Il est de fait que cet érotisme àrebours, qui va « s'épaississantsur les mots obscènes et froids ~,

recèle ou engendre son propredégoût. Cela peut être de hautgoût dans telle pièce de vers outel chapitre de roman (par exem­ple l'Aventure de Catherine Cra­chat), mais l'on ne saurait c s'enfarcir ~ un plein recueil sanséprouver, à tout le moins, de l'im­patience. Aussi nous tarde-t-ild'arriver aux poèmes de Jouve quiprocurent à l'Eros contusionné etsouillé de Sueur de Sang le seulremède approprié: le Nada oul'absence. Mais nous voici à boutd'article. Ce sera pour une autrefois.

Maurice Saillet

1. Voici cette bibliosraphie, telle qu'ellefigure dans Vingt-einq am de littératurefram;«Ùe (1895-1920) d'Eugène M"Ontfort.LeIJ MweIJ romaineIJ et florentines, Mes­sein, 1910, 107 p. LeIJ Ordru qai chan·gent, poèmes, FiJ11ière, 1911, 46 p. Pré­IJences, poèmes, 1re série, Crès, 1912,127 p. Parler, poèmes, 2e série, Crès,1913, 162 p. Vow êteIJ deIJ hommeIJ,N,R.F., 1915, 128 p. Poème cqntre legrand crime, Genève, éd. Demain, 1916,53 p. Dame deIJ Moru, La Cbaux-de­Fonds, éd. d'Action Sociale, 1917, 160 p.1. Livre de la Nuit, Genève, Le Sablier,1919, 132 p. 2. Livre de la Grâce, Genève,Kundig, 1920,185 p. 3. TolJCarIa, Genève,Kundig, 1921, 91 p.- Lu AéroplanelJ, poèmes, Figuière,1921, 42 p. Tragiquu, suivis du VorageSentimental, réunion de l, 2 et 3, Stock.1922, 292 p.Il manque 'à cet inventaire au moinsdeux ouvrages : Artificiel, plaquette depoèmes tirée à 7 exemplaires en 1908ou 1909, dont Jouve signale l'exÏ5tencedans En Miroir, et un recueil de récits,Hôtel-Dieu. A noter que le sacrificede cette œuvre n'alla pas sans quelquehésitation : jusqu'à Sueur de Sang, leslivres de Jouve annoncent au verso dufaux·titre : PremierIJ PoèmeIJ (1915­1923). A nthologie, à paraître.

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ÉRUDITION

Un sonnet contestéde Mallarnté

El de ce qu'une nuit, lIGm ra~e ellIGm tempête,Ca deus êtra .e sont accoupu. en dormant,o S1uJ1upeare el toi, Dante, il peut naître un poète !

Un mm. met sou. lui IIG femme froide et sèche,Contre ce bonnet blanc frotte son auque-ci-mêcheEl travaille en soufflant inezorablement :

Parce que de la t1ÛJnde éI4ÏI ci point rôtie,Parce que le journal déftÛllait UA viol,Parce que nIT IIG ~or~e ipoble et mal bâtieLa .ervanIe oubIüJ de boutonner son col,

Parce que 4un lit, Vand comme une MJCr"Utie,Il voit, nIT la pendule. UA couple antique et fol,Ou qu'il n'a pu .ommeil, et que, lIGm mode5tie,S. jtmabe sou. le. drap. frôle une jambe au vol,

républicains comme le Corsaire,la Marseillaise et le Mot d'ordre.

Phtisique, il n'eut jamais lesmoyens de recevoir les soins quil'eussent peut-être sauvé. Quanden mai 1883, on le transporta dugarni où il logeait, rue de l'Ecolede Médecine, à la maison Dubois,on savait qu'il était perdu. Il mou­rut le 15 mai 1883. Gil Bias luiconsacra le 17 mai une noticenécrologique dans laquelle Fer­nand Xau ne manqua pas de rap­peler le sonnet Parce que... dontil cita le premier vers:Parce que de la viande était à

point rôtie...En 1885, le journaliste Monpro­

fit rassembla en un volume lesNouvelles laissées par ClémentPrivé, dont il se proposait de réu­nir les vers dans un autre recueilposthume. A notre connaissance,ce second recueil n'a jamais paru.On y eût certainement trouvéParce que..., dont Monprofit parledans son introduction au recueilde nouvelles comme d'un sonnetfameux depuis la· publicité que luiavait faite un autre journalisteami de Privé, Georges Puissant.

Ajoutons que parmi les nouvel­les de Privé, une est dédiée à LéonCladel, avec qui Mallarmé lui­même était en fort bons termes,et une autre à Tony Révillon.

M. Joseph Bollery, que ses sa­vants travaux sur Bloy et surVilliers de l'Isle-Adam ont depuislongtemps familiarisé avec l'his­toire littéraire des années 1860­1890, me faisait part, il y a deuxmois, de la surprise qu'il venaitd'éprouver en rencontrant le son­net de Privé dans le Mallarmé dela Pléiade: « Pour parler commeLéon Bloy, m'écrivait-il, si unange descendait du ciel pourm'affirmer que ce sonnet est deMallarmé, je lui dirais: Tumens! »

Pascal Pia

Mallarmé a probablement écritun autre Parce que, celui dontCazalis avait retenu l'incipit:Parce qu'un soir d'avril il lut dan5un journal, mais cette pièce, imi­tée de Privé ou imitée par Privé,reste à découvrir. Inutile d'atten­dre qu'on ait mis la main dessuspour retrancher des Poésie& deMallarmé ce qui n'y a été glisséque par mégarde.

Maeght, éditeur, publie un ou­vrage du dessinateur américainSteinberg. Il a été tiré 300 exem­plaires de tête numéroté5 com­portant une lithographie origi­nale. Ce livre paraît à f occasiond'une exposition des œuvre5 deSteinberg. Il comprend 160 de5­sins inédits dont lIO en couleurs,avec 22 photographies d'IngeMorath. Textes de présentationde Michel Butor et du critiqueaméricain Harold Rosenberg donton a pu lire récemment en fran­çais la Tradition du Nouveau.

hors-textes, gravures et photogra­phies de f époque. Reliure peau,chagrin, ou maroquin.

Les Editiom Galanis publientCLXXXI Proverbes à expérimen­ter de Jean Guichard-Meili, illus­tré de 24 bois gravés de Lapicque.Texte composé à la main en Elzé­vir Plantin· corps 24. Format25. X 30. 120 pages non cousuessous couverture. Etui-chemise entoile blanche. 50 exemplairesnumérotés sur papier d'Auvergnea1!ec suite.

ment Privé était ongmaire del'Yonne. Il était né à Fontaines,près de Toucy, le 15 mai 1842, etavait donc, à deux mois près, le·même âge que Mallarmé. Il estprobable que Mallarmé et lui eu­rent l'occasion de lier directementconnaissance entre 1862 et 1864,soit aux Gaillons près de Sens oùM. Mallarmé père avait une pro­priété, soit à Auxerre chez Lefé­bure, ou encore à Boisramart oùMallarmé, en septembre 1864,passa quelques jours chez ungrand-père de Lefébure. Privéétait alors agent des Ponts etChaussées. En 1867, il fut muté àSaint-Junien, dans la Haute­Vienne, mais il se plaisait si peudans l'administration qu'aprèss'être engagé pour la guerre de1870, il préféra reprendre saliberté et venir à Paris, où il vécutdès lors assez difficilement de sacollaboration à quelques journaux

que Parce que... fut repris à partirde 1880 dans plusieurs périodiquesparisiens, où il me souvient del'avoir vu au cours de recherchesconcernant Charles Cros et lesZutistes. Je regrette de ne pouvoirproduire de références détaillées,mais je ne ·crois pas m'avancertrop en disant que ce sonnet figuresoit dans les premières années duChat Noir, soit dans un des heb­domadaires du genre Panurge ouBeaumarchais que devaient sup­planter vers 1885 le Courrier fran­çais de Jules Roques et Gil Biasillustré.

Comme son ami Lefébure, Clé·

BIBLIOPHILIE

Pierre Rollet, libraire, 3, rueMarius-Reinand, à Aix-en-Pro­vence, annonce la première édi­tion des œuvres poétiques com­plètes de Frédéric Mistral. Letexte sera accompagné de varian­tes inédites et comprendra despoèmes encore inconnus. Onpourra le lire sous sa forme pro­vençale, placée en regard de laversion en français. L'ouvragecomprendra 2 volumes de 1.300à 1.400 page5 chacun, illustrés de

plus surprenante que le nom deClément Privé figure dans quan­tité d'ouvrages que Mondor auraau moins feuilletés, s'il ne les apas lus. Depuis 1912, date à la­quelle Edmond Bernard, ancienpharmacien devenu courtier enlivres clandestins, publia sous letitre d'Anthologie h05pitalière etlatinesque, une compilation decouplets gaillards et de poèmesplus ou moins libres, tous les re­cueils de chansons de salles degarde ont reproduit, comme avaitfait Bernard, le sonnet Parce que...suivi du nom de son véritableauteur.

Où ce sonnet avait-il paru pourla première fois? Je ne saurais ledire. Peut-être le rencontrerait-ondans un des journaux imprimés àAuxerre sous le Second Empire,car Privé, dès 1859, avait donnédes vers au Propagateur defYonne. Il est certain en tout cas

mais sans doute aussi parce quel'auteur en était Clément Privé,un des intimes de son ami Lefé­bure.

Mondor n'a pas ignoré l'exis­tence de Privé, - dans sa Vie deMallarmé, parue en 1942, il indi­que même que Lefébure, en 1864,avait montré à Mallarmé troispetits carnets remplis de sonnetsécrits en collaboration « avec C.Privé », - mais il ne semble pasavoir cherché à recueillir d'autresinformations sur ce Privé, auquelil ne donne pour prénom qu'uneinitiale.

Cette imprécision est d'autantPréfacés par M. Jean-Paul Sar­

tre, les poèmes de Mallarméviennent de prendre place dansune collection de poche. Il n'yaurait qu'à se réjouir de les voirassurés ainsi d'une diffusion plusétendue, si cette diffusion ne ris­quait de propager une erreur. Lanouvelle édition reproduit eneffet, page 184, un sonnet qui n'estpas de Mallarmé, et que personnene s'était avisé de lui attribueravant 1945.

Comme ce sonnet ne porte pasde titre qui le différencie d'au­tres sonnets authentiquement mal­larméens, il ne sera pas sup~rflu

d'en donner ici le texte.C'est Henri Mondor qui intro­

duisit ce sonnet dans les Oeuvrescomplètes de Mallarmé lorsqu'encollaboration avec G. Jean-Aubry,il se chargea de les réunir pour lacollection de la Pléiade. Ayantdécouvert un manuscrit de cesvers où il était facile de reconnaî­tre «la plus belle écriture dupoète », il en avait conclu qu'ils'agissait là d'un des premierstextes de Mallarmé, et d'un textequ'avaient pu lire ou entendre lirede bonne heure deux amis decelui-ci: Eugène Lefébure etHenri Cazalis.

Mondor se fondait : 1. Sur unelettre de 1864, dans laquelle Lefé­bure écrivait à Mallarmé : Je saismaintenant presque tous vos verspar cœur, mais il y en a naturel­lement qui me plaisent surtout :le Sonnet du bourgeois qui crée unpoète, la pièce· d'un Mendiant sifière et si belle.

2. Sur un billet de mai 1863 oùCazalis dit à Mallarmé: Si tu veuxm'être agréable, tu m'enverras tesdeux 50nnets sur l'Aumône. (Voilà5 franC5, va boire) et la Naissancedu Poète (Parce qu'un 50ir d'avrilil lut dam un journaL).

En fait, si la lettre de Leféburesemblait justüier le rapproche­ment établi par Mondor, celle deCazalis eût dû, au contraire, fairenaître un doute. Le vers qu'ellecîte ne se retrouve pas dans lesonnet que Mondor croyait in­connu, et qui l'était si peu que,vers 1882, les journalistes y fai­saient sans cesse allusion commeon fait encore allusion au sonnetd'Arvers.

Pourquoi Mallarmé avait-il priscopie de ce poème? Sans douteparce qu'il l'avait trouvé piquant,

Dans son édition des Oeuvrescomplètes d~ Mallarmé, HenriMondor a introduit un sonnetqui ne figurait pas dans les édi­tions antérieures des poésies.Pascal Pia pense que ce sonnetn'est pas de Mallarmé. Il ditpourquoi.

MallarméPoésies.Préface de Jean-Paul SartreCollection PoésieGallimard éd.

La Quinzaine littéraire, 1" avril 196615

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ART

Le style et le •crI

Mondrian: CompositÛJn rouge, jaune, bleue, 1921, Musée de la Haye.

Michel SenphorLe style et le cri.Le Seuil éd.

Michel S e u p h 0 r qui fut,croyons-nous, le premier historiende l'art abstrait en France, ras­setiIble ici des textes publiés entre1953 et 1964 ou destinés à desconférences. Il y ajoute « Trenteet une réflexions sur un thème » :le style et le cri. Ensemble un peudécousu, où les contradictionssont nombreuses, irritant parfoismais non dénué d'intérêt ni, parmoments, d'une certaine hauteurde vue.

La première partie refait l'his­torique des différents mouvementsqui sont à l'origine de l'art ahs­trait, du Futurisme à Dada enpassant par les « mouvementsrusses (Suprématisme, Rayonnis­me) les Synchromistes américains,De Stijl de Van Doesburg etMondrian, et quelques autres pluséphémères. Il y ajoute le plustardif Cercle et Carré qu'il fondaavec le peintre uruguayen Torrès-

Garcia dont il trace lin vivantportrait. On regrette pourtant quele Bauhaus ne soit·évoqué qu'enpassant et que Klee, à peinementionné, soit réduit à des pro­portions dérisoires 1. Cependantune grande partie de l'intense vieartistique qui s'est développée ­peu ou prou à partir du Cubisme- dans les années 1910-1925, estévoquée ici. Le phénomène russe,notamment, a v e c Malevitch,Tatlin, Burjulk (ami de Maïa­kowski) , Lissitzki, Larionov etGontcharova, Kandinsky, les frè­res Pevsner et Gabo, etc. montreun monde en pleine ébullition"d'où jaillissaient les idées, lestextes, les conceptions les plushardies, monde vite étouffé par ledogmatisme. Le réalisme socialis­te s'installe èt reste pendant plusde trente-cinq ans - au fait, ill'est encore! l'art officielsoviétique. Nous célébrerons, écritSeuphor, la gloire de Malévitch.Et celle de Lissitzki, et celle deTatlin. Et celle de vingt autresartistes de la grande époque quisont morts là-bas. La Russie

s'abstenant. Sourde et muettedevant un phénomène prodigieuxde son histoire.

L'auteur célèbre ensuite cer­tains artistes qu'il admire entretous Mondrian, Arp, SophieTauber-Arp et, dans quelquestextes d'un caractère plus réflexif,tente de dégager et de défendrela conception de l'art qui est lasienne. Conception presque mysti­que, comme l'était celle deMondrian, phare unique, point derepère capital autour duqueltourne tout un secteur de l'artcontemporain. Seuphor le voit« inactuel »2 mais toujours là,« isolé mais présent, inamoviblecomme un menhir ». Il saitévoquer en termes émouvants lahaute figure du Hollandais quifut l'exemple même de l'artisteintègre et désintéressé, son extrê­me pudeur, sa discrétion, la sorted'ascétisme avec lequel il se vouaà son art.

On en regrette davantage que,tout attaché à chanter les louan­ges du style, sa passion l'égare dèsqu'il aborde l'autre pôle de l'artcontemporain : le cri, et lui fassetrop souvent dépasser cette « me­sure » qu'il propose en modèle. Ilest choquant de trouver sous lamême plume des réflexions com­me : « L'art est la vraie noblessede l'homme. C'est par l'art seulque la grandeur passée a survécu.L'art est à la fois l'histoire et lamémoire de l'humanité », encompagnie d'expressions mépri­santes ou hargneuses envers desartistes qui ne sont pas de sonbord : telles que « folles de leurcorps », « livrés à un art femelle »,« artistes-pitres, bonimenteurs,acrobates », « convulsionnaires,séniles, incontinents ». Malgréquelques-unes des « réflexions »finales qui tentent de corriger unpeu cette partialité, aucune ana·lyse sérieuse du cri n'est entre­prise et la reproduction d'unPollock sur la couverture esttrompeuse.

Certes, nous ne doutons pas quela peinture « construite » ait saplace dans la vie et dans l'archi­tecture d'aujourd'hui où elleaurait dû depuis longtemps s'in­tégrer. Elle ne supprimera paspour autant le besoin d'un autreart, intimiste et secret, lyrique oupoétique, ou - pourquoi pas ? ­épique. Que cette peinture, aumoins, soit celle des vrais créa­teurs, non de leurs trop nombreuxsuiveurs. Michel Seuphor ne voitceux-ci et l'ennui qu'ils engen­drent que lorsqu'ils sont de l'autrebord. Son erreur, comme celle detout partisan - qui ne l'est à unmoment ou à un autre? - est depenser qu'une forme d'art nou-

'velle en exclut automatiquementune autre dont elle semble lanégation. Si nous considérons lavie de l'art au long des âges etles « mouvements » qui se sontsuccédé à une cadence rapide de­puis la fin du XIX· siècle, nousconstatons que loin de s'exclure

comme il le paraît dans la pas­sion du moment, ils s'additionnent.Nul n'a jamais pu faire que leprécédent n'ait pas existé, mêmes'il est né en réaction contre lui.Bien que le Cubisme se soit ainsiformé contre le Fauvisme et l'Ex­pressionnisme, il ne peut effacerles superbes toiles « fauvcs »peintes par Matisse, Dcrain, VanDongen, etc. De même les chefs­d'œuvre du Cubisme ne serontannulés ni par le Surréalisme, nipar l'Informel, pas plus que cesderniers ne seront supprimés parles mouvements à venir.

L'art est sans doute le seul do­maine où ce qui a été est pourl'éternité : le style de Mondrian,comme le cri de Pollock. L'œu­vre suprêmement maîtrisée dupremier satisfait notre besoind'équilibre et de raison, celle jail­lissante et tragique de Pollockapporte un écho à notre angoisse.Car l'homme est multiple etcontradictoire, comme le rappelleaussi Michel Seuphor, et c'est àdes œuvres diverses, parfois anti­nomiques, que s'abreuvent lesparts multiples de son être.

Geneviève Bonnefoi

1. «Il m'apparaît plutôt comme unaccumulateur de petits mystères qu'iltire de son esprit ainUlblement embrous·saillé. »2, Mondrian inactuel fut écrit en 1957.On vend aujourd'hui des robes et desfoulards «Mondrian» mais .on œuvreest·elle mieux connue pour autant?

Mort de Viotor Brauner

Victor Brauner vient de mou­rir. Compagnon des Surréalistes,il a inspiré de nombreux poètes :André Breton, René Char, Ben­jamin Péret. Au début de cetteannée, ses Dessins magiquesétaient rass~mblés et commentéspar Sarane Alexandrian en unbeau livre publié par les éditionsDenoël. (76 pages d'illustrations:70 F).

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Patrice WaldbergMagritte.62 planches en couleurs350 planches en noir.Bibliographiepar André Blavier.André De Rache éd. Bruxelles

La forêt surréaliste nous a par­fois caché ses arbres. Entendonspar là que l'idéologie concernantune collectivité d'artistes a im­posé dans l'esprit du public unenotion générale de ses principesqui tend à lui masquer les diffé­rences par lesquelles, assez profon­dément, chaque peintre de cegroupe se sépare des autres. C'estpourquoi l'ouvrage de PatrickWaldberg sur René Magritteprend la valeur d'une explorationrévélatrice d'une œuvre qui afonrni au Surréalisme un apporttrès personnel et dont on ne soup­çonnait pas l'.étendue. Sa diversiténous apprend; en outre, de quellesmultiples façons le peintre a surester, depuis une quarantained'années, fidèle à sa manière, àses idées, à ses hantises, sans épui­ser la source de ses inventions.

Sur l'homme, nous savions peude choses, sauf quelques traits deson caractère qui semblaientconfirmer l'impression que Ma­gritte a toujours été enclin à vi­vre «à l'écart ». Pour Paris, cetécart est immense lorsqu'il estmarqué par une frontière: lacuriosité esthétique des Parisiensest peu voyageuse. Et Magritte avécu toute sa vie - à l'exceptionde deux années. passées au Per­reux - dans son pays natal, laBelgique, pays lointain si l'on enjuge par la mauvaise connaissanceque nous en avons.

En nous racontant la vie dupeintre, Patrick Waldberg nousapprend ainsi beaucoup de chosessur les milieux littéraires dontl'activité fut grande à Bruxellesdans les années vingt. On s'y bat­tait autant qu'à Paris contre lesdénigreurs de l'avant-garde. Lavie de Magritte, cependant, ne futguère mouvementée. C'est peut­être à cause de cela qu'elle nousintrigue. De son enfance dans leHainaut une image émerge quipourrait être le sujet d'une deses toiles : dans un cimetière, dt"uxenfants sortent d'un caveau etvoient un peintre installé avecson chevalet au milieu des tombes.Un de ces enfants était René Ma­gritte qui avait l'habitude dejouer dans les caveaux en compa­gnie d'une petite fille. Ce jour-làil fit la découverte d'une fonctionétrange, celle du peintre.

Il avait quatorze ans, en 1912,lorsque sa mère, pour une raisoninconnue, se suicida en se jetantdans la Sambre. W aldberg ~ rai­son de se montrer attentif à cessouvenirs d'u~e enfance illustrée

La Quinzaine littéraire, l or avril 1966

d'images funèbres, car dans lamémoire du peintre, elles devaienttoujours briller d'un troublantéclat.

Si l'œuvre de Magritte n'est pasdépourvue d'un certain humour,cet humour n'apparaît jamais quefigé dans un bloc de glace. Il suf­fit peut-être à nous dissimuler lepessimisme dont sa vie porta tou­jours l'empreinte. Sur ce pessi­misme, il s'est expliqué, dans unelettre, d'une façon curieuse :«Mon défaitisme correspond àl'existence décevante - et à l'in­terdiction de croire que le sys­tème (sans lequel rien n'existe­rait) puisse être un refuge, unsecours quelconque ». Or, le mys­tère étant l'élément fondamentalde toute son imagination créatriceet, pour ainsi dire, le moteur quia mis perpétuellement en marcheson énergie de peintre, il semble­rait que peindre ne fut pas pourMagritte un moyen d'atteindre lebonheur. Ce fut cependant l'uni­que passion de sa vie. Mais lapassion et le bonheur ne sont pasune même chose et je pense àcette réflexion de Boris Paster­nak, dans Sauf-Conduit: «Toutepassion est un bond de côté exé­cuté à l'aveuglette pour éviterl'inéluctable qui fonce sur nous ».

Comment Magritte découvrit-ildans la peinture sa véritable des­tinée? Ce n'est pas dans sonpassage à l'Académie des Beaux­Arts de Bruxelles, où il entra en1916, qu'il trouva un encourage­ment à poursuivre un chemind'abord si hasardeux. A part lescours de Georges Eeckhoud surl'histoire de l'art, il n'en retiraque des impressions déprimantes.En 1919, il découvrit le Futurismeet en subit une passagère in­fluence sans pour autant sous­crire à ses thèses. La vie lui futdifficile et le Futurisme ne pou­vait résoudre les problèmes dusombre présent de l'existence. Ilse mit alors à travailler dans uneusine de papiers peints.

Le choc que lui procura, en1922, la reproduction d'une toilede Chirico, le Chant d'amour, futpour lui d'une importance déci­sive. L'auteur rappelle, à ce pro­pos qu'il en fut de même pourMax Ernst, en 1919, et pour Tan­guy, en 1923 : Chirico, soudaine­ment, leur avait ouvert les yeux.Pour Magritte, ce fut une prisede conscience de sa véritable rai­son de peindre. Il savait désor­mais qu'il pouvait avoir le couraged'exprimer à sa manière sa visiondu monde - d'un monde oùl'inabsolu n'est plus l'objet d'unevague rêverie mais où il peut êtredémontré avec la rigueur d'un syl­logisme.

C'est en 1926 que Magritte com­mença de devenir Magritte avecsa toile du Jockey perdu -unjockey faisant courir sa montureau milieu d'une forêt dont les

Magritte

arbres sont des quilles géantes,soigneusement menuisées, quoiquebranchues. Depuis lors, son œu­vre devait se poursuivre à l'abride toute hésitation et l'oil saitquelle richesse d'invention il ap­porta à bouleverser l'identité deschoses, à les soustraire à leurpesanteur, à leur fonction et 'ànotre logique visuelle.

Magritte devint un des princi.paux animateurs du groupe sur­réaliste belge qui formait ce .queWaldberg appelle «la Société du

Mystère ». E.-L.-T. Mesens, PaulNougé, Marcel Lecomte, CamilleGoemans, Louis Scutenaire, AndréSouris et, plus tard, Paul-Gustavevan Hecke, le fondateur de larevue Variétés, sont d'attachantesfigures auxquelles l'auteur consa­cre des pages très vivantes en nousmontrant les liens d'amitié qui seformèrent entre les Surréalistes deBruxelles et ceux de Paris. Amitiéparfois orageuse, d'ailleurs, detraditionnels dissentiments s'étantélevés entre André Breton et Ma­gritte, qui aboutirent à unebrouille éclatante en 1946. Celan'empêcha pas Breton de tenirl'œuvre de Magritte en hauteestime, ainsi que le prouve laplace importante qu'il lui a dQn­née dans la réédition récente(chez Gallimard) du Surréalismeet la peinture, ouvrage augmenté,depuis 1928, de nombreux textes.Breton, fort justement, a mis enlumière le rapport entre la pein.ture de Magritte et certains méca·nismes de la pensée : Il a abordéla peinture dans f esprit des «le­çons de èhoses » et, sous cet angle,(J instruit le procès systématiquede fimage visuelle dont il s'est pluà souligner les défaillances et àmarquer' le caractère dépendantdes figures de langage et de pen-sée. .

Cet esprit des «leçons de cho­ses» implique aussi chez Magritteune technique souvent académi­que, ce que W aldberg n'a quediscrètement relevé. C'est sansdoute le côté faible d'une peinturevolontairement méticuleuse etfroide. Mais on pardonne cela àMagritte parce que, malgré tout,il entraîne très loin notre enchan­tement par la puissance poétiquede ses métamorphoses, par la fata­lité angoissante ou merveilleusede ses rencontres d'objets, par ses

M~ri.tte :

Reconnai.sslmce Infinie

jeux où la matière et l'espace in­tervertissent leur rôle, et par ceque Scutenaire appelait ses « mys­tères précis ». Sur sa chaise Ion·gue Empire, le cercueil deMme Récamier n'est pas mieuxpeint que le portrait de David.

Devant certaines· toiles de Ma­gritte, que Waldberg appelle « jar­dinier-paysagiste de l'esprit happépar le mystère », nous ne son­geons pas' à nous interroger surle trouble qu'elles nous communi­quent, mais nous savons que nousne pourrons plus regarder d'unœil . innocent les plus simplesobjets qui nous entourent: ilsentreront, à notre insu, dans ledomaine de l'incertitude, dans cedomaine où la nuit voisine avecle jour, où les murs sont transpa­rents, les arbres savants, les mon­tagnes animales, les maisons végé­tales, les pommes célestes et lessouliers vivants, où les feuillessont des oiseaux et les poissonsdes cigares, où le dehors ne sedistingue plus du dedans - do­maine que le peintre a créé avecune rigueur persuasive et qui nousfait dire de lui, en inversant lestermes· d'une proposition de He­gel: il a élevé l'apparence à ladignité du réel.

Jean Selz

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SOCIOLOGIE

Etre à l'aise dans son corps

Margaret Mead.L'Un et fautre sexe.Gonthier éd.

La question posée d'emblée parce livre est celle-ci : les distinc­tions sociales entre les sexes, éla­borées par toute société humaine,mais dont l'ethnologue constatequ'elles sont souvent contradic­toires entre elles, donc sans vali­dité universelle, sont-elles néces­saires? Dès le début de sonlivre, l'auteur dévoile sa convic­tion. personnelle qui sous-tendtoute la démonstration de l'ou­vrage: les différences entre lessexes pourraient constituer unedes ressources les plus précieusesde l'humanité, utilisée certes partoutes les sociétés, mais jamaisexploitées à fond par aucune. Lasauvegarde de notre monde enpleine transformation est dansl'exploration méthodique desrestrictions et des avantages ré­sultant de l'existence des deuxsexes, de leurs différences, deslimites de leurs possibilités.

Mais l'auteur ne vèut pas seu­lement démontrer que hommeset femmes se trouvent modelés envue d'un rôle ou d'un autre, se­lon les sociétés, mais aussi qu'ilexiste des constantes de virilitéet de féminité dont toutes les so­ciétés doivent tenir compte. C'està l'aide de l'anthropologie socialequ'elle mènera à bien sa démons­tration, dont pourront tirerprofit nos propres sociétés, àcommencer par la civilisationaméricaine à qui cet ouvrage futdestiné. La discipline de l'anthro­pologie sociale trouve en effetchez les peuples dite c primi­tifs » auxquels elle s'attache, à lafois des variantes de comporte­ment humain que nos sociétés nepeuvent même imaginer et per­met corollairement de mettre enévidence les limites biologiquesque les cultures ne peuvent fran­chir sans cesser d'être humaines.La documentation que MargaretMead utilise est celle qu'elle arecueillie elle-même sur le ter­rain, chez sept populations duPacifique dont elle donne rapi­dement un portrait plus psycho­logique que culturel

Dans une premiêre partie, c leschoses du corps :t, elle veut mon­trer comment on apprend à êtrehomme ou à être femme, à recon­naître son appartenance à. unsexe ou à l'autre à travers lesétapes que franchit successive­ment l'enfant. La paissance jouelà un rôle fondamental, en cesens que la femme est biologi­quement faite pour porter etmettre au monde des enfants,tandis que l'homme n'en connaî­tra jamais l'expérience. Dès qu'ilperçoit ce partage des rôles, lavision du monde de l'enfant,qu'il appartienne à un sexe ouà l'autre, se polarisera de façonsignificative.

« C'est par le corps lui-mêmeque le corps apprend à se com-

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porter ». Si comme chez les Ara­pesh de Nouvelle-Guinée, la mèredonne le sein à son enfant sansmême qu'il ait à le réclamer, labouche prendra une connotationde passivité qui conviendramieux à l'épanouissement de lafemme, tandis que l'homme auraplus de difficultés à actualiser savirilité. Mais une femme au tem­pérament actif se sentira égale­ment mal à l'aise dans une tellesociété. parce qu'elle percevraque ses aspirations ne correspon­dent pas aux rôles que cette so­ciété assigne aux femmes. Dansune vision d'un avenir harmo­nieux dont Margaret Mead sepréoccupe beaucoup, il seraessentiel pour les hommes et lesfemmes de savoir être à l'aisedans leur propre corps par rap­port à leur sexe, au sexe opposéet à la société tout entière.

Dans une deuxième partie,c les problèmes de la société »,la question est posée de savoircomment les sociétés humainesont tenté de créer un mythe dutravail fondé sur les différencesentre les sexes. Biologiquement,l'homme serait apte à un travailqui exige des efforts importants,mais discontinus, alors que lafemme remplit plus facilementune tâche monotone et répétée.En ·revanche le rythme biologi­que de la vie féminine est discon­tinu, marqué de seuils beaucoupplus nets que ceux de l'homme :apparition des premières règles,perte de la virginité, premièregrossesse, ménopause. On pour­rait dire que les différentes socié­tés se donnent une idéologie fémi­nine lorsqu'elles acceptent lerythme de la vie des femmes etles impératifs du corps, plutôtque les contraintes d'une civili­slltion artificielle, mais transcen­dant la biologie. La civilisationaméricaine où tout est toujourspossible à réaliser, sans que lepassé soit une entrave, obéit ence sens à un schéma qui seraitcelui de la biologie inoins déter­minée du mâle.

Dans l'organisation de toutesles sociétés humaines connues, ilexiste une constante de la struc­ture familiale basée sur le rôlenourricier de l'homme envers saou BeS femmes et ses enfants.Cette constante est d'ordre social,tandis que les liens nourriciersentre la mère et l'enfant ressor­tissent plus de l'ordre biologique.Et c'est dans l'enfance que leshommes doivent apprendre àvouloir engendrer, aimer et nour­rir des enfants, afin de maintenirla société. Certains peuvent s'yrefuser, comme certaines femmespeuvent ne pas accepter leur rôlebiologique de procréatrice. Nousne savons pas si refuser une voietracée par la biologie comporte

plus de dangers pour la société,que s'engager dans une voie défi­nie socialement sans base biolo­gique.

Dans une dernière partie, dontles faits nous paraîtront peut·être tout aussi folkloriques quece qu'elle raconte des Iatmul deNouvelle·Guinée ou des Balinais,Margaret Mead retrace l'évolu­tion sexuelle de ses compatriotes,de l'enfance jusqu'au-delà dumariage. Les contradictions yabondent: alors que jusqu'à leurpuberté garçons et filles sontéduqués sans qu'on veuille faireapparaître de différenciationsexuelle entre eux, à ce momenton exige brusquement d'eux unesexualité de parade imposée parle jeu de « rendez-vous ». La gros­sesse hors du mariage restantinterdite, un dilemme se posepuisque les règles du jeu vou­dront que le garçon essaie d'ohte­nir le plus possible de la fillequi se doit de céder le moinspossible: la solution se trouvedans le c pelotage ». Pratiquédurant des années, il aboutitfinalement à un mariage oùl'homme doit don~er la preuvede sa virilité, et la femme aboutirà un plaisir sexuel total. Il n'estpas étonnant que les préliminai­res d'un tel mariage l'empêchentde s'accomplir harmonieusementdans de très nombreux cas.

v. lDOJU1e W8eJlaé

La conclusion et l'espoir for­mulés par l'auteur sont qu'il fautaménager la vie dans un mondereconnu bisexué, de manière àce que chaque sexe tire le maxi­mum de la présence de l'autre.Protégeons les différences sexuel­les, elles sont une source de ri­chesses pour la société. Unesociété qui assigne une façon des'habiller, des comportements,des relations avec les autres àdes individus qui appartiennentà une certaine classe ou à l'undes sexes, brime la personnalitéde quelques-uns, mais travailleà enrichir sa propre civilisation.Une autre conception souhaiteque disparaissent les différencesd'éducation entre garçons etfilles, parce qu'elle s'accompagnede la conviction que les dons,assignés selon les sociétés à l'unou l'autre sexe, ne sont en réalitéque ceux de certains individus. Onpeut très bien l'imaginer dansnos sociétés, puisque les deuxdifférences évidentes entre lessexes, le fait que ce soit la femmequi mette au monde les enfantset l'inégalité de force physiqueentre homme et femme, représen­tent de moins en moins descontraintes. Mais pour MargaretMead, la société y per.dra. Selonelle, ce n'est pas dans l'abolitionde ces distinctions que notre civi­lisation redeviendra plus belle,plus riche et plus variée, c'est en

accueillant toute la gamme desvirtualités humaines, et, en mêmetemps, en prenant le risque debriser l'épanouissement de cer­tains.

Ces conceptions qui nous heur­tent par leur côté réactionnaire,s'expliquent mieux dans la pers­pective de la discipline anthro­pologique, Celle·ci appréhende eneffet une société comme un toutque ses éléments - institutions,rites, système des croyances etdes valeurs, aussi bien qu'indivi­dus - concourent à former, main­tenir et faire évoluer. Mais cen'est pas là, malgré les dix expé­ditions qu'elle a accomplies surle terrain, la seule perspective quiintéresse Margaret Mead : ce ma­tériel et cette méthode anthropo­logiques ont été appliqués par elleà des problèmes concernant notrecivilisation contemporaine. Ellea le sentiment aigu que l'anthro­pologie sociale, tournée entière­ment vers le passé lorsqu'elles'attache à la préhistoire ou àdes sociétés actuelles immobili­sées dans une absence d'histoire,a le devoir impératif d'inclurele présent et de se tourner versl'avenir. Elle se doit de s'appli­quer à des problèmes tels qued'établir une transition entre unmonde menacé par une catastro­phe nucléaire vers un mondesans guerre, ou d'harmoniser lesrapports sociaux entre les sexes.Cependant les anthropologuesclassiques feront à MargaretMead l'objection de mettre l'ac­cent sur l'individu et l'action dela culture sur lui, plutôt que surla société. Si les psychologues

.tirent parti de ses études, les psy-chanalystes lui reprocheront d'uti­liser certains de leurs acquis théo­riques tout en refusant d'enaccepter toutes les implications.Telle qu'elle se présente, l'œuvrede Margaret Mead et tout parti­culièrement l'ouvrage dont onnous offre aujourd'hui la traduc­tion, sont stimulants pour l'es­prit précisément parce qu'elleabat les cloisons entre les diffé­rentes disciplines 'qui s'attachentà l'étude de l'homme. De sur­croît, elle peut nous éveiller auxproblèmes concernant n 0 t r ecorps, que notre civilisation atrop tendance à vouloir ignorer,tout imbue de la bonne consciencequ'elle a acquise en nous appor­tant le confort matériel.

Nicole Belmont

Les traductrices de l'ouvrage nous pel"mettront d'ajouter à la rapide biblio­graphie donnée à la suite du livre,l'adaptation française de deux essaisdatant de 1928 et 1935, publiée sous letitre c Mœurs et sexualité en Océanie »(Plon, collection Terre humaine, 1963),où l'auteur traite ces mêmes problèmesà l'aide des seules données recueilliessur le terrain et présentées de façonbeaucoup plus approfondie.

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PHILOSOPHIE

L'holllllle,. -.IncertaJ.D.ce Narcisse

Picas$o: Les Ménines, 1957. Dam $on livre, Michel Foucault analY$e le monde de larepré$entation c~ique dont- Vélasquez donna un modèle comple"e,o dénoué parPic4$$o, à l'époque contemporaine.

Michel FoucaultLes Mots et les Choses,une archéologiedes Sciences humaines.Gallimard éd.

Michel Foucault est, depuis sonHistoire de la folie, un des jeu­nes philosophes qui aujour­d'hui retiennent le plus fatten­tion. Son essai sur RaymondRoussel a fait également date.Dans les Mots et les Choses, ilse livre à une étude systémati­que des configurations menta­les qui ont rendu compte de lanature des sciences depuis lafin de la Renaissance. FrançoisChâtelet analyse cet ouvragede première importance.

L'œuvre de Michel Foucaultse développe avec une rigueurexemplaire. En 1961, c'était l'His­toire de la Folie à f âge classi­que; deux ans après, La Nais­sance de la Clinique; voici aujour­d'hui Les Mots et les Choses, unearchéologie des sciences humai­nes. Entre les trois recherches,la continuité est évidente: L'his­toire de la folie, c'est fhistoirede l'Autre - de ce qui, pour uneculture, est à la fois intérieur etétranger, donc à exclure (pouren conjurer le péril intérieur),mais en fenfermant (pour enréduire l'altérité); l'histoire del'ordre des choses c'est le thèmede ce troisième ouvrage. Est l'his­toire du Même - de ce qui, pourune culture, est à la fois disperséet apparenté, donc à distinguerpar des marques et à recueillirdans _des identités. Quant auregard médical, gont traite Nais­sance de la Clinique, il est l'entre-_deux, puisque la maladie est -àla fois le désordre, la périlleusealtérité dans le corps humain etjusqu'au cœur de la vie, maisaussi un phénomène de naturequi a ses régularités, ses ressem­blances et ses types.

Cependant, l'histoire du Mêmecelle qui recherche dans

quelles conditions et selon quel­les orgànisations se distribuentle langage et la perception, laparole et le monde, s'opèrent lesclassements et se repèrent diffé­rences et identites - possède uneplus grande ampleur que cellesqui visent à déterminer les diverscritères définissant le fou et lemalade. Il s'agit alors, en effet,de -l'histoire même du savoir, desmutations de son espace et de laconstitution de ses objets. Auvrai, le projet de l'ouvrage est

-triple: 1. c'est une archéologie,une étude systématique cherchantà reconstituer, à travers les œu­vres des praticiens et des théori­ciens, les configurations mentalesqui rendent compte de la naturedes « sciences »- depuis la fin dela Renaissance et de la manièredont elles ont regardé les « cho­ses »; 2. c'est une investigationtentant de révéler l'existence et

La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966

la signification d'ouvrages quel'histoire de la culture - décou­pée en « disciplines » (la philo­sophie, les lettres, les sciencesexactes, l'économie...) - négligeconstamment; 3. c'est une critiquequi retrouve à partir de quellesidées et de quels systèmes d'idées(ou de pseudo-idées) se sont for­mées ces fameuses «scienceshumaines » dont s'étend aujour­d'hui, d'une façon fort irritante,l'impérialisme ambigu.

En ces trois domaines, la réus­site est complète. Voici, sansaucun doute, l'analyse théoriquequi doit apporter aux scienceshumaines cette réflexion qui leurfait si notoirement dMaut. Larigueur, f originalité, l'inspira­tion de Michel J"oucault sonttelles qu'immanquablement, d~

la lecture de son dernier livrenaissent un regard radicalementnouveau sur le passé de la cul­ture occidentale et une conceptionplus lucide de la confusion de sonprésent.

L'économie du texte est ri­goureuse: un premier momentdéfinit la situation du signe, decette relation équivoque qui unitet distingue le mot et la chose,dans la p-ériode pré-classique : auXVIe siècle, le langage existe,d'abord, dans son être brut etprimitif, sous la forme simple,matérielle, d'une écriture, d'un

stigmate - sur les choses, d'unemarque répandue par le mondeet qui fait partie de ses plusineffaçables figures. En un sens,cette couche du langage est uni­que et absolue. Mais elle faitnaître aussitôt deux autres for­mes du discours qui se trouventl'encadrer: au-dessus d'elle, lecommentaire, qui reprend lessignes donnés, dans un nouveaupropos et, au-dessous, le texted(mt le commentaire suppose laprimauté cachée au-dessous desmarques visibles à tous; alors,le propre du savoir n'est ni devoir ni de démontrer, mais d'in­terpréter. Commentaire de fEcri­ture, commentaire des Anciens,commentaire des légendes et desfables: on ne demande pas àchacun de ces discours qu'oninterprète son droit d'énoncer unevérité : on _ne requiert de lui quela possibilité de parler sur lui.

Avec l'âge classique, la pro­fonde appartenance du langageet au monde se trouve défaite.Le primat de f écriture est sus­pendu. Disparaît alors cette cou­che uniforme où s'entreèroisentindéfiniment le vu et le lu, le visi­ble et 0l'énonçahle. Les choses etles mots vont se sépcrer. L'œilsera destiné à voir, et à voir seu­lement; l'oreille à seulemententendre. Le dücours aura bien

- pour tâche de dire ce - qui est,

mais il ne sera rien de plus quece qu'il dit. Désormais, domine,pour deux siècles, la représenta­tion: le langage se retire de lavérité, et entre dans son ère detransparence et de neutralité.Alors que la Renaissance suppo­sait l'interprétation et misait surles profondeurs indéfinies dulangage, s'introduit comme prin­cipe la- notion de l'ordre, unordre que la pensée, le discoursont à refléter, fidèlement et sim­plement. De l'ordre simple, lesavoir de type algébrique rendcompte; les ordres complexes,la taxinomie, la disposition entableaux ordonnés des identitéset des différences, les réfléchit.Se déploient alors, au XVII" et auXVIIIe siècles des savoirs tendantà la totale transparence. On éta­hlit des « grammaires généra­les » qui veulent assurer la com­plète intelligibilité de la parole,des « histoires naturelles» quiclassent choses et animaux endes organisations strictes, deshéories de l'échange qui cherchentà représenter correctement la cir­culation des richesses. C'est l'uni­vers ensoleillé où le signe estsouverain, où la correspondancedu mot - et de la -chose est poséecomme allant de soi...

Mais bientôt la lumière baisseet se projettent les ombres.L'évidence de la représentationest pauvre et l'unité qu'elle in­troduit exagérément simplifiante.C'est le troisième moment où« -les limites de la représenta­tion » apparaissent, en des recher­ches équivoques et significatives,dans ce désordre intelligent quiest à l'origine de notre moder­nité: nulle composition, nulledécomposition, nulle analyse enidentités et en différences ne peutplus justifier le lien des repré­senllations entre elles; f ordre,le tableau dans lequel il se spa­tialise, les voisinages qu'il défi­nit, les successions qu'il auto­rise... Ile sont plus en pouvoir .delier entre eUes les représenta­tions... La condition de ces liens,elle, réside désormais à f extérieurde la représentation, au delà deson immédiate invisibilité, dansu~e sorte d'arrière-monde i;lusprofond qu'elle-même et plusépais.

A la souveraineté de la repré­sentation, aux po:uvoirs du logosqui unifie arhitrairement ce quidit et ce qui est dit, se substituentles troubles richesses de l'homme,ce Narcisse incertain qui, de sonseul souffle, trouble l'image dontil attend délivrance et vérité.S'institue le sommeil anthrop~lo­gique. Nous en sommes; nous ysommes. Il n'est pas vrai que leXIX" siècle voit l'irruption del'histoire : l'histoire, commethème unifiant, était là d~puis

bien longtemps. Ce qui ~urgit,c'est les histoires, la plUralitéirrépressible des devenirs, la dif­férence vraie, qu'on ne peut

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~ L'homme,ce Narcisseincertain

LIVRES POLITIQUES

Lukacs hérétiqueDlalgré lui

contenir. Le déclin du primat dela représentation, de l'évidence,signifie que la pensée comprendenfin que son objet effectif, c'estl'impensé, ce fond mystérieux etexigeant qui la limite et l'oblige.Kant le dit, d'une autre façon etavec un autre poids peut-être,Ricardo l'économiste, Cuvier Jebiologiste, Bopp le philosophele prouvent.

Dès lors, se trouvent délivréesles trois disciplines autour des­quelles vont se construire, dansl'aberration de l'obscurité, nossciences humaines. Le travail, lavie, le langage constitueront lesobjets de savoir parcellaires etfructueux. Mais -l'homme, commeunique réalité;· êôurce et objetde toute connaissance, est désor­mais au centre: c'est de lui qu'ilfaut parler.

La psychologie, réplique huma­niste de la biologie, la sociologie,réplique humaniste de l'écono­mie politique, l'ethnologie, répli­que humaniste de la philologie,développent leur empire...

Est-ce bien de l'homme qu'ilfaut parler? Est-il bien l'objet(et le sujet) unique du savoirrationnel? C'est cela que Mich~l

Foucault, finalement, met endoute. Son analytique de la fini­tude montre à la fois pourquoila notion d'homme - mélangeinstable d'empirisme et de con­cept, de nature et de culture, deflagornerie et de sérieux - joueun rôle si éminent et usurpe,dérisoirement, ce rôle.

Il est probable qu'en essayantde présenter le mouvement d'en­semble du livre, nous avons dit cequ'il fallait en dire et que, cepen­dant, nous en avons manqué l'es­sentiel. Car l'essentiel n'est pasdans la rigueur, dans la richessede l'information, dans l'origina­lité des références. Il n'est pas,non plus, dans le style, dont l'af­féterie est souvent agaçante (il ya des passages « littéraires » donton se passerait bien, parfois un«gongorisme haut - allemand »dont on ferait aisément l'écono­mie). Il est dans la méthode. Mi­chel Foucault- courageusement- se veut archéologue: il sedonne pour tâche de décrire etd'analyser les bifurcations dusavoir. Il jette par-dessus bord lesphilosophies de l'histoire, idéa­listes ou matérialistes. Il a bienraison. Pourquoi s'embarrasserait­il à chercher la cause profonde,infrastructurelle, des mutationsde la science ?

Il reste que l'archéologie estseulement descriptive. Nietzschesignalait un autre chemin: celuide la généalogie - qui n'est autrequè celui du dépistage de celuiou de ceux qui - symboliquesd'une configuration socio-cultu­relle - sont à l'origine de notrebâtardise.

François Cluitelet

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Georges LukacsLénine.E.D.I. éd.

Les ouvrages de Georges Lu­kacs continuent trêtre publiés,avec ou sans agrément de rau­teur. Le Lénine qu'on nousdonne de lui en français est undes plus singuliers - tant parla date où il a primitivementvu le jour que par les idées quiy sont exprimées -. L'héréti­que était en germe dans cetteprise de position « léniniste ».C'est ce que nous expose unconnaisseur : Victor Fay.

Le Lénine de Georges Lukacs,qui vient de paraître en français,a été écrit en février 1924, peuaprès la mort de Lénine. Cettebrève étude suit la fameuse etmaudite Histoire et Consciencede Classe 1, parue en 1923. Onpeut même dire que Léninecomplète en quelque sorte cegrand ouvrage de Lukacs etdresse un premier bilan de l'héri­tage que se disputeront plus tardstaliniens et trotskystes.

Lukacs n'a jamais été trotskyste.Mais, malgré des efforts laborieuxd'adaptation, il n'est jamais deve­nu un vrai stalinien. Sa formationpremière, essentiellement philoso­phique, ses préoccupations métho­dologiques, enfin les circonstancesde son adhésion au part icommuniste et à la Communehongroise de 1919 lui rendaientimpossible un ralliement incondi­tionnel au stalinisme. Il n'acependant rien d'un martyr : ils'incline devant la force, plie sousla tempête. Comme Galilée, ilreconnaît ses « fautes », fait àplusieurs reprises son auto-critiqueet écrit même un regrettable élogede Staline en pleine période deréaction jdanovienne.

Il a fallu l'insurrection d'octobre1956 en Hongrie, pour que Lukacs,âgé alors de soixante et onze ans,redevienne lui-même, entre augouvernement d'Imre Nagy, refu­se de capituler même aprèsl'exécution de Nagy et de plusieursde ses compagnons de captivité.Libéré, autorisé à rentrer enHongrie après une détention enRoumanie, Lukacs reprend sonœuvre d'historien marxiste de lalittérature. Il renouvelle, en 1957,son autocritique concernant His­toire et Conscience de Cla&se,dont il n'a d'ailleurs pas autoriséla réédition, comme il n'a jamaispermis celle de son Lénine.

Oh ! Il est orthodoxe en diablenotre grand Lukacs ! Il suit pas àpas le raisonnement de Lénine, encoordonne les étapes, en dégagel'unité et la cohésion, en donneenfin une explication méthodolo­gique. Il est orthodoxe à samanière et s'en explique : c Lemarxisme orthodoxe ne signifiepas une adhésion sans critiqueaux résultats de la recherche de

Marx, ne signifie pas une foi enune thèse ou une autre, nil'exégèse d'un livre sacré. L'or­thodoxie, en matière de marxisme,se réfère bien au contraire etexclusivement à la méthode 2.

Pour comprendre toute l'œuvrede Lénine, tant théorique quepratique, il faut, précise Lukacs,la situer dans c la perspective der actualité de la révolution »,puisque « l'évolution du capita­lisme a fait de la révolutionprolétarienne, une questio" àl'ordre du jour » (p. 30). D'accordsur ce point avec Rosa Luxem­bourg, Lukacs considère que « larévolution ne pouvait plus venirtrop tôt du point de vue socio­économique », autrement dit quela transformation sociale dépendessentiellement du degré deconscience de classe et d'organisa­tion du prolétariat.

Suivre la trame de cet ouvrageserait le réduire à une explicationdu schéma de Lénine. En fait,Lukacs ne peut s'enfermer dansun cadre aussi rigide : il assortitson texte d'une multitude, non pasde réserves, mais de comment!liresoriginaux. Déjà, dans l'avant­propos de Histoire et Cons­cience de Classe, il écrit (endécembre 1922!) qu'on y trouve« l'écho de ces espoirs exagéré­ment optimistes que beaucoupd'entre nous ont eu quant à ladurée et au rythme de la révolu­tion » (p. 9). Deux ans après,précisant sa pensée, il ajoute dansson Lénine :' le capitalisme estentré dans la période qui doitdécider de sa survie ou de sadisparition (p. 80).

Il est évident que Lukacs a étél'un des premiers à tirer lesconséquences de la N.E.P. (1921)et de l'échec du mouvementrévolutionnaire allemand (1923).Il n'a j a mai s considéré ladisparition du capitalisme commefatale et l'a conditionnée par lapréparation théorique et pratiquedu prolétariat. D'où l~ rôleprimordial mais nullement uniquequ'il accorde au parti communiste.L'organisation léniniste, écrit-il,est à la fois produit et producteurde sa propre réalité : les hommesfont eux-mêmes leur parti (p. 63).Et pour éviter tout malentendu, ilajoute : il (le parti) n'a pas pourtâche d'imposer aux masses un...comportement élaboré dans r abs­trait, mais bien au contraire,d'apprendre en permanence desluttes et des méthodes de luttedes masses (p. 61). Car, lesconditions et les moyens de luttese transforment sans cesse (p. 60).

C'est pourquoi une forme d'or­ganisation qui a été utile... peutdevenir carrément un obstacledans des conditions de luttedifférentes (p. 61). Ce qui expli­que que tout dogmatisme dans lathéorie et toute pétrification dansl'organisation soient fatals auparti (p. 62). Le parti, poursuitLukaC8, n'est pas tout prêt àas,umer la mission ; lui non plus

n'est pas, il devient. Et le proces­sus d'interaction fructueuse entreparti et classe se répète, bien quedifférèmment, dans les rapportserltre le parti et ses membres(p. 64).

Lukacs établit, à la suite deLénine, un étroit lien de causalitéentre problèmes politiques etproblèmes d'organisation. Le parti(de type léniniste), écrit-il, ...estconçu comme rinstrument de lalutte de classe en période révolu­tionnaire (p. 49). Si la Russies'était trouvée à la veille d'unepériode de prospérité relativementcalme et d'extension progressivede la démocratie, les groupes derévolutionnaires professionnels seseraient alors figés dans le secta­risme ou seraient devenus desimples cercles de propagande(p. 50). Lukacs formule ainsi uneconception dialectique très soupledu parti et de son organisation. Iln'adopte la conception léninisted'un parti fortement centralisé etdiscipliné que dans la perspectivede l'actualité de la révolution.

Il nous est impossible d'aborderdans ce compte rendu tous lesautres thèmes dont traite Lukacset, notamment le rôle du parti etdes Soviets après la prise dupouvoir. Son orthodoxie particu­lièrement « flexible » lui permetde greffer sur l'exposé fidèle etpénétrant des conceptions léninis­tes, une série d'observations ausecond degré qui ouvrent d'autresperspectives permettant éventuel­lement d'aboutir à d'a u t r e sconclusions. Il est frappant deconstater, chez cet émigré coupépendant près de trente ans de soripays natal, chez ce philosopheprofondément absorbé par lesproblèmes de méthode, un senstrès précis du réel, non pas d'unréel immédiat, mais, justementgrâce à la médiation de rechercheset de réflexions méthodologiques,d'une réalité plus profonde, endevenir, et d'en dégager destendances encore cachées.

Léniniste scrupuleux, marxisteorthodoxe, Lukacs « lukacsise »,comme malgré lui tout ce qu'iltouche. Il a beau se vouloir simpleinterprète de la pensée de Lénine,sa propre pensée apparaît, entransparence, jusque dans lescommentaires les plus imperson­nels. Dans l'avant-propos de sonouvrage, il insiste sur la difficultéde vulgarisation avant que ce quidoit être vulgarisé n'ait déjà ététraité dans toute sa rigueurscientifique (p. 23). Il n'a pas su,heureusement pour nous, vaincrecette difficulté. Il a traité avectoute la rigueur scientifique, bienque d'une manière fragmentaire,les thèmes les plus vulgarisés duléninisme et, ce faisant, il en adévoilé les aspects et les dimen­sions inhabituels.

Victor Fay

1. L'Histoire et Conscience de classe.Editions de Minuit. ,2. Ce volume est publié par E.D.I., 29,rue Descànes, Paris 5.

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Où va la Chine?

Charles BettelheimLa construction dusocialisme en Chine.Maspéro éd.

René DumontLa Chine surpeuplée,Tiers Monde affamé.Le Seuil éd.

Robert GuillainDans trente ans, la Chine.Le Seuil éd.

Ces ouvrages sont bien diffé­rents à beaucoup d'égards. Le pre­mier est un travail d'économiste,dont le caractère un peu techni­que apparaît principalement dansles études consacrées à « la plani­fication et la gestion des unitésde production '>, aux « systèmesde rémunération dans les commu­nes populaires» l, à la politiquedes prix, mais qui s'ouvre ets'achève par deux chapitres d'untrès grand intérêt général : « ca­dres généraux de la planifica-

tion chinoise », « style spécifiquede la construction du socialisme ».Le second est une enquête agro­nomique, dont le noyau central(un carnet de voyage dans cinq ré­gions rurales typiques) est précé­dé d'une assez longue étude de se­conde main sur l'évolution de lapolitique agraire chinoise depuis1949, et se prolonge par des ré­flexions générales dans le styleparadoxal et poignant que con­naissent bien les lecteurs de RenéDumont. Le troisième est cons­truit comme un reportage journa­listique clas&ique, signé par unmaître du genre.

Leur ton diffère autant queleur structure. Sans aller jus-

La Quinzaine littéraire, 1" avrü 1966

qu'aux outrances récentes de Ju­les Roy, dont il est plus charita­ble de négliger dans cette chroni­que le cri un peu forcé de « pa­pillon qui tap.ait du pied », RenéDumont s'est visiblement entenduassez mal avec ses interprètes etinformateurs chinois, et conte sesimpatiences à son lecteur par lemenu. Charles Bettelheim s'entient à une analyse théorique se­reine et à un ton pondéré, qui nefont guère place au souvenir per­sonnel et au détail concret ; maisil Bait formuler avec une fermetédiscrète des interrogations quiconduisent souvent à des critiquesimplicites : « risque » de dog­matisme et de dépérissement de ladémocratie socialiste, que compor­te l'actuel style de construction dusocialisme chinois (pp. 173-175) ;opposition entre les exigences àlong terme de la division socialis­te internationale du travail et lemot d'ordre de Pékin « comptersur ses propres forces », etc. Ro­bert Guillain, auquel ses précé­dents écrits n'avaient guère {ait

une réputation de propagandistede la Chine populaire (<< les four­mis bleues... :t), réussit ce tour deforce de relater les analyses etles données qu'on lui a proposéeslà-bas sur un ton parfaitementambivalent, en évitant à la foisde les critiquer et de les prendreà son compte.

Pourtant ces trois ouvrages sor­tent également du lot; ils tran­chent sur la série fastidieuse deslivres hâtifs qu'a inspirée la Chi­ne depuis plusieurs années. Leursauteurs, qui avaient tous les troisvoyagé aéjà en Chine populaire,bénéficiaient de leur propre expé­rience. et étaient' capables de dis-

socier leurs réactions objectives du« choc émotionnel » bien connuchez quiconque affronte pour lapremière fois l'immensité chinoi­se. Ils ont su tous les trois réflé­chir, et nous aider à réfléchir. Po­sons-leur quelques questions!

La Chine, dont la marche ausocialisme était assez conforme au« modèle classique » jusqu'en1957 (reconstruction jus q u' e n1952, puis premier quinquennat),s'en est fort éloignée depuis :bond en avant, crise de 1960-62,« réajustement» depuis 1962. Au­cun des trois auteurs n'apportebeaucoup de précisions sur labrusque accélération de 1958, surce soudain abandon des prévisionséconomiques encore très classi­ques du VIII- Congrès (il ne s'enest pas tenu depuis) du Particommuniste en 1956. Mais sur lacrise de 1960-62, au sujet de la­quelle on reste fort discret à Pé­kin, ils admettent tous les troisqu'il y a eu conjonction entrele retrait des experts soviétiques,trois années agricoles catastrophi­ques, et de très sérieuses erreursde gestion. Le réajustement de1962 n'a de sens que par rapportà cette crise. Ses dispositions lesplus neuves : réduction du tauxd'accumulation, limitation de l'in­dustrialisation urbaine accélérée,arrêt des exagérations de l'indus­trialisation rurale (les « hauts­fourneaux de poche »), mesuresque Guillain considère un peu vi·te comme contraires à « l'ortho­doxie marxiste :t (p. 127), appa­raissent à Ch. Bettelheim commedes applications originales de cel­le-ci ; il souligne l'intérêt du ren­versement de la hiérarchie clas­sique industrie lourde - industrielégère - agriculture, notammentpar rapport à la tradition de laRussie stalinienne. C'est l'agricul­ture qui devient maintenant ceque les soviétiques ont appelé le« chaînon conducteur » ; l'indus­trie est « placée dans l'orbite del'agriculture », disent les écono­mistes chinois.

La succession de ces trois éta·pes récentes (bond en avant, crise,réajustement) se reflète très net­tement dans le destin des commu­nes populaires, dont l'échec totalet la disparition de fait avait étéannoncés tant en Union Soviéti­que qu'en France dans le feu dela controverse sino.soviétique. Nostrois auteurs sont unanimes à con­sidérer qu'il n'en est rien. Ils ontvu fonctionner les communes sousleur forme « réajustée », c'est·à­dire avec des brigades et des équi­pes autonomes au sein de ces col­lectivités politico-économiques deplusieurs dizaines de milliers depersonnes. Si Robert Guillain es­time un peu sommairement qu'el­les ont été « un échec économi­que mais un succès politique »,René Dumont, expert exigeant,considère qu'il y a là une « for­mule positive » du point· de "ue

1. Etudes dues à Jacques Charrière et àHélène Marchisio.

agricole, dont il souligne les fai­blesses dans tel ou tel cas concret,mais dont le principe lui sembleadapté aux besoins de la Chine.Pour Ch. Bettelheim, la commu­ne sous sa forme actuelle («à troiséchelons ») est une forme origi­nale de « médiation » entre for·ces productives et rapports de pro­duction : la petite dimension desunités de travail se combine avecune propriété d'Etat et avec unepropriété communale qui portentsur de grands ensembles; méca­nisation agricole et industrialisa­tion rurale pourront se réaliser àl'échelon supérieur, sans gêner unelongue persistance de l'artisanatrural et la mise en œuvre de tech­niques agricoles plus modestes àl'échelon de la brigade.

Le problème démographique,vu de Chine, est-il aussi aiguqu'on se le représente générale­ment en Occident ? Si Bettelheimest assez discret à ce sujet, Guil­lain y consacre un chapitre biendocumenté et Dumont en fait sonleit-motiv essentiel. Tous deux sedemandent, même en l'absence detoute statistique officielle depuis1960, dans quelle mesure la crois­sance démographique n'absorbepas au moins une part notable duprogrès de la production agricole.D'autre part, ils relient aussi cet­te question à celle de l'emploi;Dumont, d'après son expériencevillageoise, tend à considérer qu'ily a plein emploi, mais au prix dumaintien de la production à untrès bas niveau technologique;Guillain a eu dans les villes l'im­pression en revanche d'une certai.ne tendance au sous-emploi, aupersonnel en surnombre. Le con­trôle des naissances, envisagé defaçon éphémère en 1956·57, négli­gé dans le climat d'optimisme dubond en avant, est aujourd'hui« mené avec vigueur » (Guillain),et c'est bien « un fait nouveau »en Chine.

Au total, ces trois ouvrages con­cordent pour présenter de la Chi­ne populaire un bilan nuancé etcomplexe (cf. le chapitre de Guil­lain sur le climat culturel), maisfortement positif. Guillain notel'aspect « décontracté » de la fou­le de Pékin, il donne la note « ex­trêmement bien » à un Changhaï« méconnaissable », il considèrede façon plus générale (p. 8) que« quand les dirigeants de Pékinaffirment qu'ils ont réussi... ilsdisent la vérité ». Dumont estime« impressionnants » les résultatsobtenus dans les communes qu'ila visitées; encore s'interroge-t-ilavec inquiétude sur les « deuxmilliards» d'habitants que les di­rigeants chinois semblent prévoirdans un avenir assez proche. L'ho­rizon 1980 lui semble chargé d'in­quiétude, et une famine généralemenaçante pour tout le Tiers-Mon­de sauf pour la Chine. Enfin, cesont sans doute les pages de con-

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~ La Chine Du clan au gang

clusion de Bettelheim qui consti­tuent la défense la plus solide etla plus réfléchie de la « voie chi­noise » qui ait été présentée enOccident. Il va au-delà de la seu­le analyse des mécanismes écono­miques, pour tenter de saisir uneconception nouvelle de l'homme :attitude envers le travail manuel,réserve à l'égard des stimulantsmatériels (qui contraste avec lestendances récentes du libermanis­me), et surtout « rejet des valeursde la société de consommation ».A travers les phrases si densesqu'il consacre au « modèle améri·cain », à la société où la « con·sommation élargie» n'aboutit enfait qu'à une « insatisfaction crois·sante des besoins », il met enquestion l'avenir de l'Occident, etnon seulement. le choix des Chi·nois ; par un ra,çq:09rci saisissant, ilrétablit ainsi entre la Chine et lespays industriels cette solidarité dedestin que tendent aujourd'hui ànier certains amis un peu naïfsde la Chine.

Aucun de ces trois ouvrages nefait large place à la politiqueétrangère chinoise et à ce qu'onappelle couramment les « thèseschinoises » en matière internatio­nale. Ce qui est une façon heu·reuse à notre sens de dégagerl'étude de la Chine de celle de lacontroverse sino-soviétique. Si cet·t~ controverse constitue aujour.d'hui l'aspect le plus spectaculai­re et le plus sensationnel des af·faires chinoises, elle n'en e8t 8an8doute pas le plus fondamental àlon~ terme. Ce grand pays comp­te par lui-même.

Jean Chesneaux

William Peiree RandelLe Ku Klux KlanAlbin Michel éd.

En janvier 1965, à Macon enGeorgie, une cour fédérale pro­nonce un non·lieu en faveur desix membres du Ku Klux Klancoupables -du meurtre d'unprofesseur noir. En octobre de la­même année, douze jurés dutribunal d'Hayneville (Alabama)acquittent Collie Leroy Wilkin8,jeune « héros » du Ku Klux Klande 21 ans, qui avait tué unemilitante intégrationniste blanche.Qu'un siècle après la fin de laguerre de Sécession la premièrenation du XX· siècle n'en ait pasencore liquidé toutes les séquelleset doive admettre que l'OR peutassassiner impunément sur unepartie de son territoire est d'unanachronisme tragique. .

Il est bon que la lecture de telsévénements quotidiens s'accompa­gne de celle d'ouvrages commecette histoire du Ku Klux Klanécrite par un professeur à l'Uni·versité de Floride. Et ce, afin derappeler aux gens qui ont lamémoire courte, que ces activiste8à cagoule8 blanches ne relèvent nidu folklore américain ni du sim·pIe fait diver8, et que le prétenduproblème noir du Sud est unique.ment un problème blanc.

Le 24 décembre 1865, à Pula8ki(Tennessee), six officiers de l'ex­armée confédérée vaincue créentl'organisation du Clan du CercleKuklos, cercle en grec, et Klancomme dan8 les roman8 de WalterScott auteur très aimé dans leSud. C e 8 chevalier8 devaientdéfendre la pureté, le foyer, les

femmes et les enfants, surtout lesveuves et orphelins des soldatsconfédérés... Dan8 un premiertemps, il ne 8'agit que d'effrayerles noirs super8titieux pour le8tenir à l'écart de leurs ancien8maîtres. Mais de l'intimidation auchâtiment phY8ique, il n'y eutqu'un pas vite franchi : dè8 lor8,ce furent cinquante an8 d'exac·tions, de tortures et de meurtre8au nom du maintien de laSuprématie de la Race Blanche.C'était également un moyen de 8evenger de l'occupant Yankee avecses carpetbaggers, ses nigger.lovers, son Bureau des Affranchiset 80n programme de Recon8truc·tion. En fait, -vingt an8 après lavictoire du Nord, l'esprit du Suda triomphé chez lui et le KuKlux Klan connaît une période destagnation.

C'e8t un Klan moderne quirenaît en 1915, aidé en cela par lechef·d'œuvre cinématographiquede Grüfith, La Naissance d'uneNation, adapté ~'un roman 8udi8te

de Thomas Dixon paru en 1906 :The Clansman. Le Ku Klux Klandevient rapidement une organisa­tion rentable, transformée pard'avisés marchands de haine ensoc i été anonyme autorisée...L'essor est fulgurant 2.000membres en 1917, 5 millions en1925 ! De mouvement régional, ilest devenu parti national ens'attaquant aussi « aux Juifs, auxCatholiques et aux immigrants defraîche date » : les ennemis del'intérieur. Quarante ans plustard, ce sera l'infiltration commu­niste qui 8era dénoncée... Le8­dirigeant8 8'éliminent pour le8meilleures place8 lorsqu'ils nepeuvent ni 8'entendre ni 8'acheter.De 80ciété capitaliste, le Klandevient Gang. Les « purs » et les« mous » 8'en écartent; re8tent300.000 membre8 en 1927, recruté8pour la plupart parmi le8 « petit8blanc8 ». Attiré par le fasci8me etle nazi8me américain en 1939, leKlan di8paraît en fait dè8 PearlHarbor, et légalement en 1944,faute de pouvoir payer un arriéréconsidérable d'impôts.

La pol i t i que d'intégrationraciale de Wa8hington fait ressur­gir le mouvement et diver8 autre88emblable8 à partir de 1954-1955dan8 le8 Etats du Sud. L'évolutiondu Klan e8t achevée : il revientà ses origine8 locale8, hi8torique8et idéologique8... à 8a puretéoriginelle 8i l'on peut dire! Mal·heureusement, le livre de M.Randel 'ne traite pas de cette dé­cennie 1955·1965 qui marque pour­tant la naissance d'un troisièmeKlan : celui de l'ère maccarthY8teet de l'ère intégrationni8te.

Guy Braucourt

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Page 23: La Quinzaine littéraire n°2

SCIENCES

Jean Rostand : vers unsurréalisDle biologique

La Biologie,acquisitions récentes.Ed. Aubier.Montaigne.

Pour sa XXVI" semaine (du 9au 17 juin 1964), le Centre Inter­national de Synthèse avait choisid'honorer la Biologie. Ce centre,en activité depuis 1929, réunitannuellement dans les salons defhôtel Lambert, rue Colbert, unedocte assemblée qui -fait le pointsur des sujets d'importanceL'Histoire, science humaine duTemps Présent, 1963, L'Expérien.ce, 1962, L'Art et la Pyschologiedes Peuples, 1961, l'Ecriture,L'Unité de l'Etre, L'Infini et leRéel, etc.

Devant un public de philoso­phes, d'historiens, de chercheurs,une quinzaine ou plus de spécia­listes de la question traitéecommuniquent le tout dernierétat de leurs travaux et de leurpensée. Les exposés sont ensuiterassemblés et publiés en volume.

La Biologie, acquisitions récen­tes, vient ainsi de sortir auxEditions Aubier. Jean Rostand,dont la conférence s'intitulaitVues d'avenir sur la Biologie, abien voulu feuilleter pour nous levolume:

J. R. Ah, pour commencerje vois Naissance de la Biologiemoléculaire, ce sont les travauxde nos Prix Nobel. Après avoirexploré la cellule on arrive main­tenant à la molécule et par lamolécule on rejoint la chimie.Certains voudraient en profiterpour faire de la biologie unedépendance de la chimie, je penseque c'est excessif. Je crois qu'unebiologie moléculaire ne peut pasremplacer complètement la biolo­gie traditionnelle. Vous avez'ensuite des exposés sur LaStructure de la Cellule, Conna.is­sances cytologiques nouvelles etl'article d'Andrée Tétry : Généti­que et Biologie moléculaire. C'estun sujet extrêmement difficile etje crois qu'il n'est pas possibled'en parler plus clairement quene le fait ici Andrée Tétry.

Les derniers progrès de labiologie démentent d'ailleurs l'unde mes principes : je pensaisjusqu'à présent que la biologieétait la seule science qu'on puissetransmettre à l'homme de la rueassez facilement et sans la défor­mer maintenant qu'elle arejoint la chimie c'est un peu plusdifficile. Tout de même je croisqu'on peut suivre...

Cette affaire de génétique, vousen connaissez les. bases : l'ori adécouvert que l'un des consti­tuants essentiels des chromosomesétait le ruban d'A.D.N., acidedésoxyribonucléique). Toutes lesparticularités génétiques de l'être

La Quinzaine littéraire, 1er avril 1966

futur y sont inscrites, comme sielles étaient codées. C'est trèsintéressant philosophiquement :autrefois on s'im~ginait quel'homme futur, l'homunculus,était déjà contenu dans l'œuf, àl'état microscopique: ce n'est pasvrai, mais Albert Claude comparequand même le ruban d'A.D.N. àun homunculus chimique ils'agit de potentialités existantsous une forme chiffrée.

Puis vous avez l'exposé d'Etien.ne WoIff sur l'embryologie.Aujourd'hui l'embryologie peuttout faire, créer des monstres,mélanger un embryon de poulet àun embryon de souris, créer desembryons-chimères...

Qu'appelez-vous un « ê t r echimère» ?

J. R. On dit qu'un être estchimère quand il contient des.morceaux d'un être d'une autreespèce ou même d'un autre orga­nisme que le sien. Il y a à l'heureactuelle des hommes-chimères, deshommes qui vivent avec le reinde quelqu'un d'autre... On fait dusurréalisme biologique.

Dans quel sens employez-vousle mot « surréalisme » ?

J. R. Je crois que Breton adit à peu près : est surréalistetoute action qui détourne unobjet de sa destination première...Vous pouvez aussi lire ici un textesur les progrès de l'endocrinologie,en particulier chez les crustacés.On a découvert que c'est unehormone qui les fait muer. C'estaussi une hormone qui provoquela différenciation sexuelle... Savez­vous que cette hormone a étédécouverte par une jeune femmeMadame Hélène Charriaux-Cot­ton, l'une des meilleures biologis­tes de notre époque. Je trouve çabeau, moi, qu'il ait fallu attendrecette jeune femme, en dépit detous les travaux et de toutes lesrecherches faites dans le mondeentier, pour apercevoir un jourcette p~tite glande qui avaitéchappé à tout le monde... Ce sontaussi des hormones qui règlent lavie chez les végétaux. A ce proposvous savez qu'on fait désormaisdes embryons à partir de tissusnon reproducteurs? A partird'une feuille. de carotte, parexemple, on reproduit une carottetout entière. Demain, peut-être, àpartir de n'importe quelle ~ellule

d'un organisme hum.ain on re­produira cet être humain toutentier. On prendra' une celluledans votre bras, ou dans votrejambe, et on vou s refera...C'était quelque chose qu'on pou­vait prévoir depuis une trentained'années...

Le Meilleur des Mondes?

J. R. Quelquefois on me dit:vous y croyez, vous au Meilleurdes MoIi<{es tel que l'a décrit

Huxley? Je réponds: mais je n'aipas à y croire, nous y sommes...

N'avez-vous pas le sentimentque les gens. ne s'en aperçoiventpas encore. Serait-ce qu'ils nef acceptent pas?

J. R. OU qu'ils l'acceptentplus facilement qu'on ne croit?Tout ce qui est déjà possible :conserver la semence gelée d'hom­mes disparus, créer des hommes­chimères, transformer quelqu'unavec ses hormones, son sexe, soncaractère, ses vues du monde...Tout cela se fait aujourd'hui!

Mais personne, sauf vous, necherche à en imaginer les consé­quences morales, affectives, juri­diques même... En même temps,plus vous en parlez, moins on ale sentiment que ça vous plaît, cetriomphe de la biologie...

J. R. C'est probablement queje vis encore sur de vieux préju­gés : le respect de la personnalité,par exemple, de l'individu. J'aices sentiments, ou ces préjugés,comme on veut, très profondé­ment enracinés en moi: il mesemble que je n'aurais plus aucunplaisir à voir une personne quej'aime avec une figure retouchéepar la chirurgie, qui ne serait plusà elle...

Et un caractère «.amélioré »?

J. R. •.. oui, quand j'y songeje me dis que c'est probablementune espècè de narcissisme un peupuéril, qui va disparaître dans lesgénérations nouvelles. Ce culte Jel'individu sur lequel nous avonsvécu, est-ce que ça n'est pas toutsimplement un fétichisme? Unesorte de névrose. Ne faut-il pas

.souhaiter la venue au monde denon-névrosés, dans un monde sain,équilibré, heureux...

Où la souffrance et le besoin decréer n'auront plus leur place?

J. R. Ah le génie, bien sûr,y aura-t-il encore des génies telsque nous les concevons? Nosgénies sont tous plus ou moins desmalades. On est incapable d'aimer,de se dévouer, on prend la névrosecomme une solution... Faut-il culti­ver le génie à tout prix? Je n'ensais rien...

Et que deviendra le sens de latragédie, s'il n'y a plus de né­vroses?

J. R. Est - ce si effrayantqu'on manipule l'homme? Moi,

oui, je trouve ça effrayant. Maisn'est-ce pas justement parce queje fais partie d'une humanitéencore névrosée, qui croit à l'indi­vidu, au sacré, au tabou dunaturel ? Mes résistances ne sont­elles pas des symptômes? J'aiposé un jour la question à uneassemblée de psychanalystes. Ilsm'ont dit: on va réfléchir - etils ne m'ont jamais répondu...Pascal disait déjà : « la nature,cette ancienne coutume ». Non, lanature n'est pas parfaite, loin delà, on peut corriger la nature,tenter de faire mieux qu'elle.Mais il me semble, moi, que çam'intéressera moins. Vous connais­sez la réflexion de Montesquieu :« je n'admire pas la voix descastrats parce qu'ils sont faitspour ça... ». Un génie fabriqué,ça ne me dirait plus rien, mesemble-t-il. Mais c'est probable.ment ma réaction qui n'est pastout à fait saine. Je suis commeCyrano : « Mon sang se coagule,en pensant qu'on y peut changerune virgule »•. Non, chez moi, jecrois que ce refus de l'avenirbiologique est un symptôme !

Un symptôme que vous parta­gez alors avec beaucoup de gens !

J. R. En même tempe l jetrouve ça beau tout cela, quel'individu touche à l'homme, quel'espèce humaine parvienne àmanipuler son ruban. d'A.D.N.,c'est très beau! Je n'arrive pas àexpliciter mon malaise, on aurades gens plus robustes, plusvigoureux... après tout, le bilanest positif. Il y a d'ailleurs dessavants à qui j'en parle qui medisent : « mais de quoi vous 'plai­gnez-vous ? on ne vous comprendpas! ». Sont-ce les restes d'unevieille métaphysiqqe ? Après tout;quand on me dit: « ah, ça n'estplus comme avant, on ne peutplus trouver un vrai croissant niun vrai poulet », eh bien jetrouve que les gens exagèrent, cesont des objections de luxe qu'onn'a pas le droit de faire au regardde tout ce qui est acquis. Envérité, on ne sait pas très bien cequ'on voudrait... Alors comme onn'ose pas trop se plaindre duprésent, on se plaint de l'avenir!Je sais très, bien que je ne suispas content - mais qui est-ce quime rendrait content ?

Le bonheur aussi est une idéetroublante. Nous sommes habituésà la souffrance, nous faimons, ilsemble qu'elle recèle des fermentsnécessaires à la découverte de lavérité, au progrès... Quand on lasupprimera aveè une piqûre...

~

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~ Jean Rostand Le ,hasard pris au

J. R. Et la mémoire avecune autre! Quels sont les besoinsde l'homme ? Vous allez nousenlever, la souffrance,? Ça ne serapeut-être pas mieux mais plusmal... Tout va être modifié, nosrelations affectives seront toutesdifférentes. Ce qui m'étonne c'estcomme il y a peu de gens pourimaginer cela, faire de la prospec­tive affective. Les plus tranquillesce sont les prêtres. Souvent j'aiparlé avec eux : pour eux on nepeut pas toucher à l'â'me, l'âmes'en tirera toujours. L'instrumentsera plus ou moins bon,maisl'âme est sauvée... Nous qui necroyons pas, nous avons cettepeur matériali~t~ : si on toucheau .corps to~t" est changé! C'estsaris doute une peur très narcissi­que, il faudrait être moinssoucieux de soi et' plus soucieuxde l'avenir de l'espèce.

Qu'en pensent les jeunes ?

J. R. Je ne crois pas queles jeunes se posent ces questions.Ils veulent travailler - puis sedivertir. Il me semble que leurnarcissisme est moins âpre quene l'était le nôtre, ils cherchentmoins à devenir quelqu'un, ilspensent plus à (l'agrément quenous, que moi. Profiter-de la vie?Non, je n'ai pas été élevé commecela. Jamais je n'ai vu mon pèrepenser à prendre un plaisir. Lesgens voulaient se réaliser. Jamaisje n'ai vu mon père prendre desvacances, moi non plus je n'enprends pas, je ne comprends pasce que c'est. Les gens bien, commeon disait, les savants, ceux quientouraient mon p ère, prati­quaient une morale ascétique etaustère. Les jeunes ne sont pasascétiques.

Vous voyez, déjà le monde af­fectif a changé, et sans que tabiologie y soit encore pour grand­chose. Alors?

Propos recueillispar Madeleine Chapsal

Jean-Louis BoursinLes structures du hasard.Le Rayon de la ScienceMicrocosmeLe Seuil

La couverture d'un brillant pe­tit livre me revenait en mémoirece dimanche matin, lors de l'achatd'un paquet de Saint-Claude;trois chevaux en plein effort nedisputent certes pas une coursede hasard, mais les parieurs quipeuplaient le café se livraient(sans le savoir) à une pure lote­rie en perforant les fiches duPari Mutuel Urbain, puisqu'ilsétaient à peu près démunis de tou­te science hippique, en dépit desjournaux aux titres gras qu'ilsétalaient sur le comptoir.

Je ne me mêlerai d'ailleurs pasde discuter si, même' parmi lesspécialistes du turf, il peut existerune connaissance raisonnée desaléas de ce sport, n'ayant guèrefréquenté les pelouses. Mais ce quiest certain, et J .-L. Boursin nousle prouve abondamment, c'est quela résultante de ces milliers d'in­fluences qui nous échappent, tantdu côté des chevaux que des ins­pirations d'ordre magico-sentimen­tal qui viennènt aux joueurs, afinalement des conséquences siprécises, que le bénéfice annueldu P.M.U. peut être prévu avecune grande sécurité par les inspec­teurs des finances qui nous gou­vernent.

Dans le titre (Les structures duhasard), l'un d'!:s mots est décidé­ment à la mode. Quel profession­nel des sciences humaines n'a pasflirté avec le structuralisme? Lesecond mot paraît un peu flou :or il est probablement plus facileà définir avec rigueur que l'autre.L'auteur a opté ,pour l'introduc­tion du hasard comme « mesurede notre ignorance » ; on sait quecette acception reste liée à la

croyance en un déterminisme as­sez rigide que nous ne discuteronspas ici, car il est à la base du cal­cul classique des probabilités, quiconstitue au fond la matière de celivre de vulgarisation. Ce n'estpas le premier ouvrage qui paraîtsur le sujet, tant s'en faut (mêmesans remonter à l'abbé Moreux !).Mais on peut dire avec certitudeque nous nous trouvons devantl'un des meilleurs essais qui cons­tituent l'abondante (mais souventmédiocre) littérature spécialisée àce niveau.

Il semble difficile de reprocherà l'auteur de n'avoir guère pré­senté son acteur principal de fa­çon « moderne ». Il n'ignore cer­tainement pas les axiomatiquesabstraites qui se substituent peuà peu aux anciennes introductionssubjectives de la notion de proba­bilité. Il est resté très près, et àjuste titre compte tenu de son pu­blic, de l' cars conjectandi » deJacob Bernoulli (du nom du pre­mier traité, publié en 1713, quireprend l'ensemble des travaux

. nés des recherches de Pascal, Fer­mat et Leibniz, où l'on voit appa­raître la fameuse loi des' grandsnombres). Mais il apporte à cettematière ancienne, basée sur le rap­port classique du « nombre descas favorables au nombre total decas », toutes les ressources del'analyse qui en est sortie. C'estainsi qu'il élucide, dans un pas­sage à mon avis très réussi, cer­tains paradoxes célèbres qui cau­sèrent beaucoup d'ennuis aux pro­babilistes classiques" en faisantpreuve d'un art certain de l'analo­gie que tout bon professeur se de­vrait de cultiver.

Ii dissèque, avec simplici~é, lanotion (trompeuse pour le non-ini­tié) d'espérance mathématique, enindiquant soigneusement les limi­tes, mathématiques ou psycholo­giques - à ce sujet nous ne pou­vons, effectivement, que regretter

l'emploi ici abusif du terme « es­pérance », aussi mal venu que ce­lui, en un autre dom a i n e,d' « imaginaire ». Après tous sesprédécesseurs sérieux, et sans, dou­te malheureusement avec aussipeu de chances d'arriver à limiterune folie soigneusement répandueet entretenue, il répète avec desarguments fort sensés combien ilest vain de poursuivre la recher­che d'une martingale à la roulet­te ou à la loterie; gageons quecela lui vaudra le stock habituelde lettres d'illuminés, devant les­quels il se trouvera désarmé, ayanttc.ut dit dans son livre. Mais c'estle sort d'une telle entreprise.

Ayant garanti la qualité du sup­port scientifique de ces deux centspages qui constituent une excel­lente introduction à la « géomé­trie du hasard » (ce vieux motétant synonyme de mathémati­que), j'ai oublié ce qui est aussiimportant, sinon plus : il faut di­re quel plaisir on goûte à suivrel'humour de Boursin, qui a susaupoudrer de moments de déten~

te le cours très sérieux de son tra­vail. On ne s'ennuiera pas avec luien 1966, peut-être même en 1967s'il le prolonge par un livre surles statistiques, qui ne sont qu'ef­fleurées dans le dernier chapitre.Là aussi, il y a beaucoup de bal­lons à dégonfler a'!1 grand dam desrêveurs de lune et autres planétai­res. Il n'est jamais inutile detransmettre ses connaissances auplus grand nombre, surtout si onpeut l'accompagner d'une salutai­re démystification, sans ajouter.son nom à la longue liste des pé­dants.

André W Drus/el

L'initiation assurée par le livrede Boursin peut se poursuivre, àdes niveaux plus élevés mais avecl'assurance de la qualité et de lasimplicité, dans Les mathémati­ques de l'action (Rosenstiehl etMothes, chez Dunod) et le Cqlculdes Probabiütés (Professeur For­tet, Editions du C.N.R.S.).

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MUSIQUE

Stravinsky

Michel PhilippotIgor StravinskySeghers éd.

Des rares compositeurs dont ons'attache à reconnaître le génie,Igor Stravinsky est, sans doute;celui dont il est le plus difficile deparler. C'est qu'il exerce, à l'égardde qui entreprend d'écrire sur lui,une forme d'intimidation dont laraison tient à l'ambiguïté d'unedémarche créatrice fort singulière.

Stravinsky, d'une part, placeson activité tout entière sous lesigne de la lucidité et de- la ré·flexion, assimile la musique à de« hautes mathématiques », déclarene vouloir s'en remettre qu'à sa« volonté spéculative », suscitéepar quelque problème à résoudre.Par là il semble justiciable d'unecritique qui ne s'attache auxœuvres que dans la mesure oùelles renouvellent les formes et lelangage musical d'une pério~e

historique donnée. Mais cette cri­tique.là - la plus riche, au demeu·rant - ne lui ménage guère sessévérités: ainsi Pierre Boulezparle.t.il des renouvellements deStravinsky poursuivis avec moinsde bonheur que de désenchante.ment et André Hodeir, dans LaMusique depuis Debussy 1, consi·dère-t-il, au terme d'un inquiétantdéblaiement, la production stra­vinskyenne comme une vaste fail­lite que rachèterait, pratiquement,le seul Sacre du Printemps.

C'est que, d'autre part, le grandmusicien est également un hommede culture, ce qui implique lesplaisirs du goût et du jeu. Et plusencore, en cela, amateur de cul­ture: Arnold Schoenberg de­maQde, lui aussi, des modèles àl'histoire de la musique, maisseulement pour en tirer desmoyens susceptibles de le IlervÏr

dans son entreprise de rénovationdu langage musical, tandis que lemaître russe, si prompt, dès 1922,à se tourner vers les œuvres dupassé, les considère dans leurdonné entier, leur forme commeleur chair pourrait.on dire, pours'en étonner, en jouir et, à samanière, se les approprier.

Aussi, interroger l'œuvre '. deStravinsky et tenter de l'appré­cier, c'est, plus qu'avec n'importequel musicien, se confronter à cedilemme eSllentiel à toute réflexionen matière de musique: l'œuvreest-elle bonne parce qu'elle in­carne une étape nouvelle du« faire »musical - étape quidevient, alors; nécessaire et parconséquent historique - ou parcequ'elle appartient aux momentsparticulièrement heureux d'unitinéraire personnel qui Ile définit,à la fois, par la psychologie ducréateur, ses ressources profondeset le parti qu'il en tire? C'est lerare mérite du petit 'livre queMichel Philippot - lui-mêmecompositeur et appartenant à laplus exigeante avant.garde - vientde consacrer à Igor Stravinsky que

La Quinzaine littéraire, 1·' ollril 1966

de ne renoncer à aucune de cesdeux approches, apparemmentcontradictoires, mais toutes lesdeux nécessaires si l'on veut échap­per au dogmatisme et à l'éclec·tisme, et préserver, dans l'entre·prise créatrice, sa double dimen­sion de singularité et de novation.

L'irruption de StraVInsky daml'histoire, c'est avec le Sacre duPrintemps qu'elle s'opère. MichelPhilippot souligne combien a dûpeser dans la carrière du musi·cien, un chef-d'œuvre aussi pré.coce et à ce point écrasant qu'ilconserve, cinquante ans après, toutson pouvoir de scandale et d'in·cantation. Cette œuvre, note-t-il,constitue un sommet dont f alti­tude permet à celui qui f atteintcravoir une vue panoramique detoute musique. Aussi le maîtrerusse en serait-il venu à se sentircomme légitimement propriétairede toute musique à partir duSacrf. Et dominant toute musiqueà partir du Sacre, Stravinsky, parlà-même, aurait désormais déter·miné, sans peut-être s'en rendretrès consciemment compte, toutesa musique à partir de lui. LeSacre du Printemps, écrit encoreMichel Philippot, devient alorscomparable à un prodigieuxmiroir déformant au travers du­quel est d'abord contemplé Perogolèse (Pulcinella) puis un grandnombre de maîtres de la musiquepassée.

Dans sa géniale émancipationdu rythme et du timbre, dans samanière de traiter et distribuer lamatière sonore comme nn maté­riau objectif, purüié de tout effet- que ce soit le coloris orches­tral, répudié après Rossignol, oucette expressivité dont Stravinskya nié, en une profession de foifameuse, qu'elle puisse apparte·nir à l'essence de la musique -,le Sacre aura par conséquent ins­tallé le compositeur dans l'his­toire et, en même temps, réaliséd'un coup toutes ses ressources.Car la matière du Sacre; en sabrutalité élémentaire, en son priemitivisme 'folklorique, c'est deStravinsky qu'elle vient et c'est luiqu'à son insu, elle trahiL Passé

'le Saére et Noces qui le réitère,qu'aurait pu y ajouter le maître,de surcroît déraciné par la guerreet la Révolution? C'est alors quese rompt, inévitablement, l'unitédu faire et de l'objet créé : lavolonté d'organisation et de ré­organisation prévant sur lamatière élue que Stravinskychoisira, Ilelon son plaisir dumoment, parmi les produitsdéjà élaborés de la culture occi·dentale, en des métamorphoses quiressortissent plus aux phénomènesde mode qu'au renouvellementvéritable. Ainsi la poétique issuedu Sacre (à la fois technique etsentiment de la musique commearchitecture de rythmes, timbres etsegments mélodiques) permettrala réalisation d'œuvres qui, elles,n'intéressent que l'aventure per­sonnelle du compositeur mais sont,

cependant, avalisées par le chef·d'œuvre originel dont elles procè­dent.

La qualité de ces œuvres dépen­dra à la fois de l'ingéniositédéployée et du rapport qui s'éta­blit entre le compositeur et lemodèle sur lequel il s'exerce. Leproduit final, note Michel Phi­lippot nous paraît d'autant meil­leur chaque fois que la différenceest plus grande avec les goûtspropres de falchimiste. Ainsi,Tchaikovsky (le Baiser de la fée)est pour lui une mine moinsféconde que des compositeurs quilui sont plus étrangers commeRossini (Jeu de Cartes), GuiUaumede Machault (La Messe) ouWebern (Mouvements pour pianoet orchestre). Ce dernier point, àvrai dire, mérite quelques nuan·ces et Michel Philippot en aconscience qui en d'autres pages,souligne l'exceptionnel regain d'in·térêt de la production de Stra­vinsky depuis qu'en 1952, il s'estconverti à la technique sérielle.Car ce n'est pas un hasard s'il yest venu non par Schoenberg, tropentaché à ses yeux d'expression­nisme, mais par Webern, tardive­ment découvert et dont l'idéald'économie et d'organisationrigoureuse des éléments sonoresrejoint la maîtrise et le détache­ment presque mystique du Stra·vinsky d'aujourd'hui.

Cette aventure extraordinaire,celle d'un jeune compositeur devingt-neuf ans qui prend en mainl'histoire de son art et d'un hommede soixante·dix ans qui se rallietout naturellement aux efforts deses cadets les plus audacieux aprèsavoir presque exclusivement sacri·fié aux savoureux caprices de sesgoûts et de son ingéniosité, MichelPhilippot nous la retrace avec uneexc.eptionnelle volonté de justiceet de compréhension, avec, aussi,

. une compétence qui n'exclut nul·lement une aimable nonchalance,parfois une insistance, dans l'écri­ture. Tout ce qu'il dit de l'hommeet de son univers esthétique

,révèle une pénétration singulière.Et les réserves que l'on pourraitfaire, tiennent avant tout aux limi­tations nées de la brièveté imposéedu livre. Mais pourquoi, en ce cas,avoir fait suivre le récit de la viede Stravinsky d'un exposé sur sesœuvres qui ne reprend, souvent,que ce qui en a été dit dans sabiographie? Certaines partitions,d'autre part, nous semblent abor·dées un peu cavalièrement : pour~

quoi n'avons·nous droit,. à proposde Perséphone, qu'au trop longrécit des démêlés du maître avecAndré Gide? Et pourquoi avoirnégligé ce monument qu'est leConcerto pour deux pianos ?

Mais cela n'importe guère, fina·lemenL Ce livre, avec une pro­fondeur toute particulière, nouspropOile un remarquable ensemhlede clefs et de repères.

Michel-Claude }alard1. Presles Universitaires de France.1961.

Pierre BoulezRelevés d'apprenti.Textes réunis et présentéspar Paule Thévenin.Collection Tel Quel.Le Seuil éd.

On trouve dans Relevés d'ap­prenti des explications techniqueset des commentaires critiques.Qui mieux que l'auteur peut don­ner des précisions techniques surle langage et les problèmes de lamusique actuelle? De qui lesattend-on davantage? De qui lesacceptera-t-on plus facilement?Sa compétence, son autorité fontmerveille. Dès les premières pa·ges, on assiste à l'éxidosion d'uneforce critique exceptionnelle quiremet tout en question. Il y ap.artout une vertu polémique ca­chée, optimiste et vivante, por­tant une leçon d'énergie, de vo­lonté, de jeunesse, de rigueur.

Les critiques musicaux, les mu­sicographes, pas plus que les ama·teurs de musique, pas plus queles compositeurs eux - mêmes,n'échappent à la dureté de ~e

censeur qui les dépasse tous desi haut. Il manie le fouet de l'iro­nie, de la raillerie. Mais il n'im·porte. Les coups sont salutaires.

On ne résume pas Pierre Bou·lez. Il faut le lire. Il atteint par­fois l'extrême densité. Et il fautsuivre les détails de son exposépour comprendre exactemenLAinsi trouvera-t·on des notes quiconcourent à nne esthétique mu­sicale. des notes pour une techno­logie, des vues sur quelquesgrands compositeurs contempo·rains, «les notices extraites del'Encyclopédie Fasquelle ». L'ar·ticle série, si bref qu'il soit, ap·prendra beaucoup à tous ceux- et ils sont nombreux - quisont curieux d'un langage encoremal connu et en pleine évolu­tion. On me permettra de signa.1er, simplelllent, parmi les com·mentaires les plus remarquables,ceux qui touchent à la notion -d'estructure et à la notion de fonc­tion, aux problèmes rythmiqnesavec Messiaen, Stravinsky et We·bem, à la musique électroniquequi recèle tant de secrets que levulgaire n'imagine pas.

Beaucoup de points de vue pa·raissent dès l'abord incontesta·bles. n se trouvera sûrement deslecteurs pour discutailler. Ils au­raient à faire à forte partie. Maispersonne ne leur répondra. Onne doit pas oublier toutefois quela pensée technique actuelle dePierre Boulez s'exprime longùe­ment et avec précision dans Pen­ser la musique aujourd'hui. Maisce Relevés d'apprenti est en faitd'un maître. C'est un ouvrage àretenir longtemps, tel qu'on envoit très rarement surgir dansla musicographie.

Maurice Faure

2S

Page 26: La Quinzaine littéraire n°2

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Page 27: La Quinzaine littéraire n°2

TBÉATRE

La littérature del'anti-aDlour

Murray SchisgelLove, les dactylos, le tigre.Robert Laffont éd.

Un couple bizarre 1 (The OddCouple) de Neil Simon, est ledernier produit de cette étrangelittérature de l'anti-amour quise développe aotuellement auxEtats·Unis. Une littératurethéâtre et roman - telle que lestermes manquent à qui veut ladéfinir et dont la seule ressourceest d'inventer, pour te faire, unmot nouveau - « Luv ~, dansle vocabulaire de Murray Schi~

gal, par déformation de c Love ~,

ce que J.-J. Gauthier propose detraduire pàr c Amur :), ou anti­amour selon une terminologieque je préfère et que j'ai déjàeu l'occasion d'employer.

L'anti - amOur sentimentessentiellement masculin - n'estpas la' misogynie, ni même lerefus d'aimer. C'est au contraireun sentiment qui ressortit àl'amour, car les héros qui en sontatteints d.emeurent obsédés parle rôle que la femme a joué dansleur vie. La plupart d'entre euxont encore des épouses ou desmaîtresses. Mais, chose étrange,ou bien leur vie est une carica·ture de l'amour ou bien ils sem­blent faire les gestes, prononcerles mots de la passion sans rienengager d'eux-mêmes, malgréqu'ils en aient, et non point parcynisme mais par simple impuis­sance sentimentale.

Mieux encore, la plupart d'en­tre eux sont des divorcés et sil'on peut dire à juste titre quele roman d'amour finit par unmariage, le roman d'anti-amourcommence par un divorce. TI ya donc dans cette littérature unélément très important d'échecsentimental, mais non pas,comme dam les lettres classi­ques, celui de l'amoureux qui neparvient pas à conquérir lafemme qu'il désire: c'est aucontraire l'échec de celui qui,l'ayant conquise, a mesuré lavanité de sa victoire.

Un Couple bi~e met déjàen place la plupart des élémentsde l'anti-amour. Certes, à' s~en

tenir à la, pièce elle-même, et àelle ~ule, indépendamment detoutes autres œuvres - auxquel­les force sera pourtant de larelier --: on n'y verrait qu'unbon sujet de vaudeville: deuxdivorcés, qui ont eu à: se plain.dre amèrement, chacun, de lenrfemme respective, décident departager le même appartement(en tout bien, tout honneur,s'entend). Hélas, ils apprennentvite, à leurs dépens, que la coha­bitation de deux célibatairespeut être, aussi difficile que cellede deux amoureux ou époux.

Mais c'est dans Lut] 2, de Mur.

La Quinzaine littéraire, 1er avril 1966

ray Schisgal, que cette sensationde mal-être prend, pour ainsidire, corps. Car, cette fois, lapièce pose le problème dans lestermes les plus explicites: l'undes héros, le mari, cherche àfaire croire à un ami d'enfanceque l'amour existe; s'il y par­vient, il peut espérer confier auconverti l'épouse dont il veut sedébarrasser pour convoler à noueveau. Ses efforts sont couronnésde succès, certes, mais pas pourlongtemps, car le joyeux divorcédéçu par une seconde expériencematrimoniale n'a plus qu'à venirdéfaire ce qu'il avait si bien fait

et ruiner en son ami la foi dansl'amour, pour pouvoir reprendresa propre femme.

Encore une fois, c'est sous lecouvert dè la cOmédie, et non sansune note d'optimisQle qu'estexposé le sentiment d'anti-amour.Mais, il s'y trouve déjà un élé­ment nouveau: le sentimentd'échec, de frustration, .dè va­cuité que laisse l'amour à quin'a pas su, en user dûment. sedouble ici d'une sorte de suspi­cion - celle dont est· l'objetquiconque Ii'a pas réussi. à 'êtreheureux au sein de la civiUsation

,du bonheur (et en ce sens, l'anti·amour, .avant de gagner l'Europe,est encore un c filon :) littéraireprovisoirement américain). Avoir',raté .' s~: vie sentimentale, malgré

, les' connaÎ88ances que confère lasexologie la plus moderne (etdont témoigne la courbe stati~

tique idéale des rapports conju.gaux reportée sur nn tableau t:Jdhoc par une épouse avertie) nepeut manquer d'être suspect, demême qu'est suspect celui quin'est pas assez riche au pays dela richesse. Pour démarquer unmot de Sartre, il semble bien quedans la société ainsi caricaturée

« un pauvre a toujours fait quel­que chose » pour être pauvre.

En ce sens l'anti-amour estbien un produit aberrant de lacivilisation du bonheur: le res­sent celui qui se trouve déclasséparce qu'il n'est pas heureux.L'échec de la vie conjugale équi·vaut à une sorte de faillite finan­cière ou sociale. L'amour physi­que n'étant plus chiennerie, maishygiène du couple, passion peut­être, mais licite et conjugale, ilfaut être perverti comme unbeatnik. pour y voir une" singerie.Le beatnik, comme le divorcénon remarié, comme le malheu·

reux de quelque sorte qu'il soitest un asocial. Un raté. La proiede l'anti-amour.

S'il est un ouvrage où ce sen­timent s'étale, c'est bien dans ledernier roman de Saul Bellow,Herzog, et pourtant, de façonassez paradoxale, les critiquesaméricains qui lui ont 'fait untriomphe, les lecteurs américaimqui en ont fait un best.seller,n'ont pas dégagé de cette œuvrece concept tout nouveau d'anti­amour.

Bien que Saul Bellow ait étéhanté depuis 10ngteInp-s par lethème de la faillite sentimentaledu divorcé (Henderson, le faiseur.de pluie, est remarié et fuit saseconde femme en Afrique tandisque le pâle protagoniste de Aujour le jour n'en finit pas de selibérer de la pension alimentairequ'il verse à une ex-épouse quilui dispute même le droit de voir,de temps à autre, ses propres en­fants'.... sans parler de' son chien)o'est dans Heriog 'qu'il donne lapleiDe mesUre de l'aUti-amour.

Car ,H~rzog n'est pas las del'amour. S'il est deux fois divorcéet se retrouve solitaire, il nemeuble pas moins son désert sen-

timental de fort aguichantes perosonnes, mais, en quelque sorte,il n'y croit plus. L'univers danslequel il se meut est vide. Ausentiment d'échec - d'un échecinterdit par les lois non écritesde la société - se joint chez luiun sentiment d'irréalisme: si,dans un certain sens, il semblemettre en cause la société où ilvit et qui permet à une femmed'abandonner son mari, cettesociété lui paraît quasi irréelle,et pour tout dire, complètementabsurde. Cette étrange mise enquestion d'un univers collectifet organisé, à la suite d'une mésa·venture individuelle sentimen­tale trouve à s'exprimer de lafaçon la plus évidente dans lefait que Herzog entreprendd'écrire interminablement auxGrands de ce siècle - chefsd'Etat ou de religion, d'écoleslittéraires ou philosophiques ­pour leur exposer des idées plusou moins folles sur le monde etson train. L'anti.amour débouchesur l'utopie - au sens propred'ailleurs car Herzog ne se trouveplus de place dans le monde etsemble se trouver c nulle part :),dans un vacuum social engendrépar son vacuum sentimental.

Or de cet entrelacs étrange desentiments complexes, seul unconcept nouveau peut rendrecompte; celui qu'on peut bap­tiser par commodité c anti·amour :) et qui n'est peut-êtreque la forme la plus récente del'amour moderne.

Sentiment de méfiance, quecelui de l'anti-amour, en mêmetemps que de culpabilité, d'aso­ciabilité ; l'homme frappé d'anti­amour est un marginal; Iondivorce lui apparaît comme unscandale, non pas certes commeau temps de Paul Bourget, dupoint de vue de la religion, maisdu point de vue de la toute-pui~

sance morale du bonheur ; amou­reux, il l'est encore, mais ce sontdes ombres qu'il étreint; et l'onse demande comment il aura lecœur à retrouver dans un nou­veau mariage la paix de la récon­ciliation avec un monde qui nelui demande que d'être heureux.

Au demeurant, l'on comprendl'attitude du oêlèbre héros deJohn Updike, Cœur de Lièvre,à qui le mariage faisait prendreses jambes à son cou (Run, Rab­bitt, Rrm). n est vrai qu'Updikelui·même a écrit, depuis lors, desnouvelles à la gloire de l'amourconjugal. L'anti-amour n'est ja­mais qu'une situation provisoire.Malheureusement pour la litté­rature, peuwtre.

Marc Soporta

1. Si. la pièce e$t traduite et jouée enFrance, ce sera probablement sous letitre c: Un drôle de couple ~ qui tiendracertainement mieux l'affiche malsré ouà cause de sa vulsarité.2. Love, Théâtre de la Gaité-MoDlpar­nasse.

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CINÉMA

Les aventures de Pyglllalion

Joseph von SternbergSouvenirsd'un montreur d'ombres.Laffont éd.

Notre petit Sadoul illustré estpéremptoire: en Josef vQn Stern­berg il salue une des plus fortespersonnalités du cinéma - maisil précise : entre les années 25 et35. Précision doublement cruci­fiante. Loin d'être mort ainsiqu;on pourrait le croire, Stern­berg se survit depuis trente ans ; .et tout se passe comme si Zom­bie-Josef ne comptait plus quecomme créateur de la Sur-Femme,de la Nana Superlati;'e, de l'Eve­Lucifer, de la Vénus-Vamp ­Pygmalion et Prométhée tout

ensemble, dont la Galatée-vau­tour aurait dévoré plus que lefoie.

C'est contre cette crucifixionque Sternberg proteste par lapublication de ce livre de souve­nirs. Descendant de son Golgotha,en soulevant la pierre de satombe, comme on voudra) ilallonge à tout le monde une bellesérie de coups de pied en vache,à seule fin de prouver qu'il estbien vivant. Il s'explique, selonla formule employée à Pigalle.Est-ce à la loyale? C'est uneautre histoire.

Les précisions autobiographi­ques, il les a limitées au strictnécessaire. Aucun attendrisse­ment ni pittoresque superfétatoi­res. Rapide évocation de Vienne,entre Strauss et la cithare duTroisième homme, sur fond deGrande Roue et de cavalerie espa­gnole. La Famille? un père sur­tout, une brute fort vigoureusecapable de rosser un géant aprèsl'avoir poliment informé que lacouleur de ses cravates ne luiplaisait pas. Puis vient, très tôt,l'émigration en Amérique. Et lespremiers contacts avec le cinémaen qualité de projectionniste oude réparateur de pellicules. Enfinle métier de directeur, c'est-à-dire

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de réalisateur, à Hollywood, enEurope, au Japon, agrémenté devoyages aux quatre horizons.Bref, les hauts et les bas d'uneexpérience dont Sternberg seplaît à souligner les contra8tes :marchant nus-pieds puis hôte desrois, couchant sous les ponts puisdans les palaces, passant de l'osrongé comme ferait un chien, auxdîners officiels offerts par lesambassades d'une· douzaine denations.

Ce· n'est pas le' plus intéres­sant. Encore que les précisions etles anecdotes ne manquent· pas depiquant, concernant le fabuleuxzoo du Hollywood de l'âge héroï­que. Sur Griffith, par exemple,sur Chaplin (c'est méchant), surStroheim (très méchant; Queen

Kelly est qualifié de film lamen­table !}, sur Murnau, Muck Sen­nett, Cecil B. de Mille, GloriaSwag.son et Mary Pickford, surles mésaventures d'Eisensteindans le Nouveau Continent, surles grotesques d'Emil J anningsmarchant aux saucisses commeles moteurs d'auto marchent àl'essence, sur mille et un petitsdétails de la. toute petite histoire- révélant que ce fut le père duPrésident Kennedy qui finançala· Queen Kelly de Stroheim­Swanson, ou que Charles Laugh­ton fut toujours sur tous lesplateaux le roi des enquiquineurs.Au delà de ces commérages plusou moins malveillants (et plutôtplus que moins), ce qui retientdans Souvenirs d'un montreurd'ombres, c'est la méditation surle cinématographe. Nul doute,cet homme l'a dans le sang. Ilrêve, n'a pas cessé de rêver auxmoyens qui feraient du cinéma unart. Il aspire, n'a pas cessé d'as­pirer au statut d'artiste dans unebranche artistique où il n'est paspermis, ni possible, d'œuvrerseul. Tout le drame est là. Ettous les drames, angoisses, espoirs,déceptions, échecs et triomphesde la vie de Josef von Sternberg.Il profite de l'occasion offerte

par ces Mémoires pour dresser lecatalogue des obstacles qui sedressent sur le chemin de la réus­site esthétique, en même tempsqu'il évalue les instruments deson métier et jette quelquelumière sur leurs caractéristiquesmouvantes et évasives. Sternbergprésenter aussi les idées qu'il aessayé de faire partager à desmillions d'hommes - avec peu desuccès bien souvent (reconnaît-illui-même). Sur ce plan-là égale­ment, il s'explique.

Pour premier obstacle, et capi­tal, la dégradation et la sottisecriminelle inhérentes à toute acti­vité où l'argent règne en souve­rain. Sternberg ne mâche pas sesmots et la satire qu'il nous donnede Hollywood trahit plus d'amer­tume que de tendresse. Deuxièmeobstacle (et instrument tout à lafois, comme l'argent): le public,voulu immense, international, lafoule humaine, cette multitudedes quatre horizons que Stern­berg a appris à copnaître aucours de ses voyages et pourlaquelle il a conçu très vite uneméfiance armée d'un solide mé­pris. Le cinéma est un moyend'expression populaire, c'est lesèul langage international; or, àun véhicule qui doit être médio­cre pour rester populaire convien­nent les ,idées médiocres; donc,lorsqu'il y a grandeur dans unfilm, ,il ne faut pas confondrecette grandeur avec ce qui arendu ce film populaire. Conclu­sion: l''adorerais attirer les au­tres dans mon univers, mais monunivers n'est pas celui des foules,bien que les foules aient SOlwentfait la queue pour venir le voir.Inutile d'ajouter que ces déclara­tions n'engagent que Sternberg.

Troisième instrument formantobstacle: les acteurs. Instru­ments humains dont se sert untravailleur humain: cela ne sim­plifie rien. Voilà Sternberg inta­rissable. Les anecdotes pleuvent,d'une méchanceté cocasse, d'uneférocité pleine d'hum~ur. Malheu­reux J annings, malheureux GaryCooper, malheureux tutti quanti.Ce ne sont et ne doivent être quedes matériaux. Sternberg les choi­sit pour leur aptitude à extériori­ser une de ses idées, non une desleurs. D'ailleurs ils n'en ont pas.Sauf exception, les acteurs quiatteignent le succès sont des créa­tures de fauteur qui cherche unemarionnette et la rejette quandil s'en est servi. Marionnette, lemot est lâché. Naturellementtoutes ces aménités sont amuse­gueule. Des hors-d'œuvre. Unemarche d'approche. Ces acteurset actrices déchirés à belles dentsne servent qu'à épeler. On attendl'offensive. Quelques mines laprécèdent, l'annoncent: fairetourner sa femme n'est pas unmoyen de réduire les frais d'unfilm, on y perd non seulement defargent mais encore sa femme;allusions furtives et venimeuses

à une de mes actrices, à la dame­que -l'Ange - Bleu-a-rendue-célè­bre, à cette marionnette à cepoint manipulée qu'elle, a eu unevoix et une articulation parfaite­ment étrangères aux siennes etune expression de regard quin'était pas à elle. Bref - à Mar­lène Dietrich.

Enfin la voilà. C'est l'hallali.Sternberg, on le sent, se défoulede rancunes accumulées pendantdes décades. Il décrit, avec unsens impitoyable de la carica­ture, cette petite comédienneméprisée qui marchait avec unair de surdité bovine, sans regar­der devant elle, en donnant l'im­pression qu'elle allait d'un ins­tant à l'autre, se cogner à unmeuble; aux regards complète­ment voilés; dont le derrièreétait beaucoup plus expressif quela figure; qui n'attachait devaleur à rien sauf à sa fille, unescie musicale, et quelques dis­ques d'un chanteur qui s'appe­lait Whispering Jack Smith ; dontla personnalité était faite d'uneextrême sophistication et d'unesimplicité quasi enfantine. Etc...etc... Mille et une gentillesses,dans le décor ·reconstitué du Ber­lin des années folles. Et pourbouquet final, cette réflexion quitombe comme le couperet d~une

guillotine : sous-produit acciden­tel de l'Ange Bleu, Marlène ne sedoutait pas que la transformationd'une nullité en célébrité inter­nationale se ferait aussi rapide­ment et avec tant d'éclat.

Si l'on a bien compris, Mar­lène, sur le chemin de Josef vonSternberg, compta comme uninstrument-obstacle. Cet obsta­cle, pas plus que les autres, s'ila pu gêner Sternberg, ne l'aempêché de se livrer, autant qu'illui était possible, à ses recher­ches sur le plan formel, à ses com­positions plastiques raffinées, àson goût pour les atmosphèresbizarres et envoûtantes. Cela,grâce à l'importance du montagequi tient compte du rythme et dutempo, et au contrepoint son-imagequi travaillerait à réaliser un sonaussi «flexible» que l'image.Lorsque, Marlène oubliée pourun moment, Sternberg parletechnique, métier, discute esthé­tique, il passionne.

Il lui arrive d'agacer plus sou­vent qu'à son tour - quand ilénumère avec une infinie com­plaisance ses triomphes, évoquela place qu'il occupe dans lescinémathèques, rappelle ses titresde gloire et l'accueil réservé à sesfilms - et qu'il a joué au ballonavec Jack Kennedy. Petitesse degrand homme. D'ailleurs noussommes prévenus dès l'exerguedu premier chapitre: Aucunhomme n'est assez grand pouréprouver le besoin de se rapetis­ser. Ce que Sternberg s'est biengardé de faire.

lean-Louis Bory

Page 29: La Quinzaine littéraire n°2

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Documents

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La Quinzainelittéraire

Tenir entre ses mains les fac-similés des journaux d'autre­fois, déplier l'Aurore pour y lire "J'accuse" de Zola, le ,:,etitParisien du 24 mai 1885 pour y apprendre la mort de VictorHugo la correspondance IitlJraire secrète du 15 septembre1785 : pour y suivre l'affaire du "Collier de la Reine", - c'estpour l'amateur d'histoire... une satisfaction gourmande... c'estde l'histoIre vivante. On apprend, on réapprend, on s'étonne;on s'indigne, on s'amuse... Ah 1 si chaque jour le journalpouvait être aussi passionnant 1 . _

C'est en ces termes que Jacqueline Piatier, dans le Monde,signale le magnifique recueil de 85 JOURNAUX DU TEMPSPASSE qui, dit-elle, "reproduits en offset ont "gardé. leur"gran­deur nature et leur saveur du temps passé . 85 Journaux :12 des XVII- et XVIII- siècles, 21 de la Révolution, 23 pourNapoléon et la Restauration, 18 du Second Empire et de laTroisième, 11 journaux clandestins de l'Occupation. Les ~u­

méros choisis sont parus au lendemain des grandes dates del'Histoire et relatent - quelquefois comme des événementssans importance noyés parmi les potins du jour - l'abjurationde Galilée ou le 14 Juillet ou la bataille de Waterloo ! "Ceslectures sont passionnantes" écrit Les Echos. Et le CanardEnchainé : "Ce recueil panoramique est une réussite".

Les journaux reproduits au format réel et pliés si nécessaire,sont insérés ~ précédés d'une notice généraie qui sit~e chaque

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Dechirex

•••Les prochaines soirées de hap- •pening se dérouleront les 4, 5, •25 et 26 avril, au Théâtre de La •Chimère, 42, rue Fontaine, au •cours du Ille Festival de la Libre ••Expression, animé par Jean-Jac- •ques Lebel.

Bande sonore: Ollé! Ollé! Unecorrida au Mexique. La foulehurle en chœur.

De derrière l'écran par surprisesurgit une grosse moto derrièrelaquelle est assise une superbefille à la longue chevelure blonde,nue. La moto descend de la scèneet fonce comme un taureau dansla foule, la fille écrasant descerises sur le visage de tous ceuxqui s'approchent d'elle. Au mêmemoment, les joueuses de badming­ton dont on a mangé les robes enchoux sautent aussi dans la salleet se jettent dans le public en as­sénant des coups de raquettes.La foule excitée bouge autourd'une quatre-chevaux Renaultparquée au milieu de la salle.

Une fille à tête de mort, dé­vêtue, se dresse sur le toit de lavoiture. Un homme l'enveloppedans des spaghetti mous, elles'agite comme une sculpture hys­térique lançant les spaghetti dontson corps est couvert sur la foule.Une petite fille lit au micro untexte du Larousse Médical sur lapuberté, ses effeta physiques etmoraux. Danse mortuaire, arro­sage de spaghetti pendant que surla bande sonore on entend Maïa­kowsky lire un de ses poèmes enrusse, les bruits d'une canonnade,des mitrailleuses, des voitures depompiers se précipitant vers unincendie, encore les bruita d'unecorrida démente, la musiqued'Eric Dolphy et vers la fin unimportant extrait d'un discoursde Castro (reconnue, sa voix estsaluée d'applaudissementa sponta­nés dans la salle). Mouvementa dela foule, certains montent surscène. Les joueuses de badming­ton, maintenant nues et hyper­excitées, continuent de donner descoups de raquettes et de pousserles gens autour de la voiture quiest offerte au public. Des invitéscommencent à la démolir à coupsde pioche et de hache. Ferlin­ghetti entreprend la lecture deson poème The Great ChineseDragon pendant qu'un immensetube en plastique transparent segonfle lentement d'air et se dé­roule dans la salle pàrmi les genset finalement s'enroule comme unboa autour de la voiture où deuxcouples «inter-raciaux» s'enla­cent. Le tube prend des propor­tions énormes et paralyse le mou­vement de la salle. La moto conti­nue à rouler dans la foule, lesfilms se terminent. A 22 h. 45 onannonce par trois fois la fin duhappening, mais vers minuit etdemi il reste encore une centainede personnes dans la salle qui neveulent pas quitter les lieux. Onéteint les lumières. Fin.

Jean-Jacques Lebel.

Ce texte est extraitdu volume Happeningde Jean-Jacques Lebel.Dossiers des Lettres nouvelles,Denoël éd.

La mort aux spaghettis, une séquence deDechirex, 1wppening de J.-J. Lebel.

lanta, peinta au fluor, qui passenten comètes fluorescentes au-dessusdes têtes. Arrivent deux hommesportant casques et lunettes Cour­règes également peinta au fluor.On voit que la « partie ~, com­mencée lentement, peu à peu sedéchaîne. Les hommes portent deschemises blanches illuminées parla lumière noire.

Dans la partie droite (B) on acommencé la projection d'un ci­néma collage en couleur. Cinq ousix films de nature, de technique,de taille, de longueur et de cou­leur différentes apparaissent si­multanément sur l'écran. Un col­lage qui durera en se renouvelanttoujours, à peu près une heure(par exemple: le film de Mi­chaux sur la mescaline, un filmsur la sorcellerie au Dahomey, unfilm sur les accouchements - laConduite active de la délivrance- projeté à l'envers, de manièreà ce que les bébés rentrent dansle ventre de leurs mères au lieud'en jaillir, des films d'actualitépolitique au Vietnam, à Saint­Domingue, etc.).

Pendant toute la durée du hap­pening le film collage continueaugmenté de la bande sonore etdes actions spontanées qui ontlieu dans la salle.

PARIS

Le public est debout dans lasalle, une passerelle relie la scèneet la salle.

La scène est divisée en deux, àgauche un vaste cube blanc ou­vert devant; à droite un écrande cinéma à ras de terre. Noirtotal, la bande sonore commenceà faire entendre Eric Dolphy. Lapartie gauche s'allume (A) en lu­mière noire. Deux femelles ap­paraissent que l'on aperçoit àpeine, elles jouent au badmington.On ne voit clairement que les vo-

La Quinzaine littéraire, l or ovril- 1966 29

Page 30: La Quinzaine littéraire n°2

TOUS LES LIVRES

ROMANSFRANÇAIS

Marie-Claire BlaisUne StJÏ50n dansla vie d'EmmanuelGrasset, 10 F.Une histoire de famillepar unll jeune romancière·canadienne.

Jean Bloch-MichelFrosinia, récitGalIimard, 7 F.Un père, sa fille,deux vérités s'opposentPar l'a'uteur desGrondés circonstancu.

Daniel BoulangerLe chemin du CaracolesLaffont, 13,90 F.Voir l'article deM. Cl.'de Brunhoti, p.' 8.

Michel BoùrguignonLe· jardin- du innocermFlammarion, 18 F.Une pcÎéSie des bordade Marne.

Pierre BrandonLe 1GlI& et le cimentEd. du Pavillon, 15 F.Aujourd'hui avocat,l'ancien chef-euisinierd'lÙl grand restaurantétait. avec les brigadesinternationalesen .Espagne.

Marcel BrionDe Talitre côté de la forêtAlbin Michel; 12 F.La réalité transformée parles lIOuvenirs et parle rêve.

Michel Del CastilloLa premièrel iUU&io,..Jùlliard, 15 F.Second tome ,des A...interdit., par l'auteurde Tan&uy.

Mohammed DibLe taliIman, DOUVelles

Le Seuil, J,50 F..Entre le réaliaml'.·'~t là vision poétiqUe; .

Driéu' La RochelleMérhliires de' Dirk RatpePréfajle .de Pierre AndreuGallimard, 14 F.'Voir l\articlede Maûrice Nadeau, p. 5.

Lydie DuttierL'absenteCol. Vinitiale. ­Me~.:aiJF;a~~, 5,40 F.

Charles Estienneo et M .Illustrations de LapiCqùeLe Soleil Noir, 18,50 F.Une suite à l'Histoire d'O.

Jean GarmiersLe .pedateurMere. de France, 10,80 F.Un personnage et saconscience.

André HardelletLes chasseursJ .•J. Pauvert, 9',95 F.Voir l'article deJosane Duranteau, po 8.

Dominiq~e ·P. LargerLe ,vidame de NeuvilleCol. La vague.Albin Michel, 9,75 F.Une petite ville,au bord de la mer.

30

Pierre.Jean LaunayAux portes de TrézèneGrasset, 15 F.A Athènes, avec unconseiller britannique,parmi les partisans.

Jean MisùerLes .orgue. deSaint-SauveurGrasset, 15 F.

Jules RavelinLe rute ut pour lu yeuxGallimard, 14 F.Entre le mensonge etl'ha~ucination.

Marcel SchneiderLa Sybüle de CumuGrlllllet, 9,60 F.Au-delà de ce monde,dans le climat du réve.

Jean ThibaudeauOuverture "Col. Tel quel.Le Seuil, 12 F.

Maurice ToescaLes loupl-&GrousAlbin Michel, 12 F.La résistance aux troupellfrançaises,en Allemagne,en 1945.

Yves VéquaudLe petit livre avaléGallimard, 9 F.Le personnage-auteur, prisentre le burlesque etl'horreur.

ROMANSÉTRANGERS

José-Maria· ArgueduLes fleuve. profond.Traduit de l'espagnolpar J .•F. ReilleCol. La croix du Sud.GaIli.m8rd, 'l8 F.'Dans' les .valléesdu. Pérou.

Manfred Bieler'Boni/ace ou le matelotd(Jns la. bout8ÜleTrad. par Jacques CharyLe Seuil, 15 F.Voir la' critique de /René Wintzen, p. 10.

. André' Bitov.L'herbe du 'ciel'Traduit du russeLe Seuil, 12 F.Par .un jeune romanciersoviétique:

Lesley BlanchL'homme aux nell./ tipuRobert Laffont, 13,80 F.·L'Inde romantiquedu XIX' siècle,par l'ex-femmede Romain G(lry.

Johannes BobrowskiLe moulin à LevineTraduit parLuc de Goustine·Le Seuil, 15 F.

Mikhaël BoulgakovLe roman théâtralTraduit du russe etet présentépar Claude LignyRobert' Laffont, 13,90 F.Moscou 1925.

Tibor .DéryLa phrase inachevéeTraduit du hongroispar LazIo GaraAlbin Michel, 30 F.La fresque d'undemi-siècle, par l'undes plus grandsromanciers hongroisactuels.

Friedrich DürrenmattGrec cherche GrecqueTraduit de l'allemandpar Denise Van MoppèsAlbin Michel, 9,60 F.Les hasards d'uncourrier matrimonial.

John EhIeLa terre soumiseTraduit de l'americainLa Table ronde, 22,60 F.

Carlos FuentesLa man d'Artemio CruzGallimard, 19 F.Voir la .critiqued'Yves Berger, p. 9.

K.B. GildenQue vienne la nuitTraduit de l'anglaispar Laure CasseauPlon, cartonné, 30 F.La nostalgie du vieux Sud.

Natalia GinzburgLu mots. de la tribuTraduit de l'italienGrasset, 15 F.Une jeunesse antifascisteà Turin.

Patricia HighsmithLa cellule de verreTraduit de l'américain.Robert Laffont, 12,35 F.La vie dans lesprisons américaines,par l'auteur deL'inconnu duNord-Expreu.

Yachar KemalLe püierTraduit du turcpar Guzine Dino,Gallimard, 26 F.Une vieille paysanned'Anatolie.

Amos KenanLe cheval/iniAdapté de l'hébreupar Christiane 'Rochefort.et l'auteurGrasset, 13,50 F.Un .Israélien mal à l'aise.

Fletcher KnebelLe Président est /011.rraduit de l'américainpar Gilbert Vivier.et J.G. ChauffeteauStock, 19,50 ·F. ,Le destin du monde entreles mains d'unparanoiaque.

KonsalikErika Werner,chirurgienneTradùit de l'allemandAlbin Michel, 13,50 F.

Jerzy KosinskiL'oiseau barioléTraduit de l'anglaispar M~urice PonsFlammarion, 15 F.Un enfant dans l'horreurquotidienne.

Leonid LeonovLa forêt russe, t. 1Traduit du russepar Dominique ArbanCol. Littératuressoviétiques.Gallimard, 20 F.Le chef-d'œuvrede LeoBov.

Mendel MannLu plaines de Mcu:OvieTraduit du yiddischpar E. FridmanCalmann-Lévy, 16 F.La Pologne d'entreles deux guerres.

Leonardo SciasciaLe COns8Ü d'EgypteCol. Lettres NouvellesDenoël, 12, 30 F.Voir la critique deHenri Hell, p. 10.

Johannes Mario SimmelOn n'a paltoujours du caviarRobert Laffont, 18,55 F.Une histoire d'espionnagepar un des auteursbest·sellers dans son pays.

Abraham TertzLioubimovTraduit du russeJulliard, 15 F.alias Siniavski,qui vient d'être condamnéà 7 ans de déportationpar les tribunauxsoviétiques.

Lajos ZilahyLe siècle éCflTlateTraduit de l'américainStock, 24 F.'

LITTÉRATURE

Jacques ChardonnePropos comme çaGrasset, 9,60 F.Réflexions et aphorismes.

Cahiers Paul ClaudelClaudel homme de théâtreGallimard, 16 F.Correspondancesavec Copeau, Dullin,Jouvet.

Bemard B. DadiéLégendf!5 et poèmuSeghers, 13,50 F.Un poète de Côt~ d'Ivoireenrichit la littératurefrançaise.

Franz HellensPoétique du élémentset des mythuAlbin Michel, 16,50 F.Retour aux sourCes.

René de ObaldiaChoix de textes'Col. Humour secretJulliard; 15 F.Un savoureux comprimé.

POÉSIE

AragonElégie à Pablo NerudaIllustrationsd'André MassonGallimard, 12 F.

René-Guy CadouLes amis d'enfanceMaison de la' culturede Bourges .

,Quatorze poèmesposthumes.

André FrénaudLes rois mages,édition revueSeghers, 12,40 F.L'un des recueils qui ontfait la notoriété deFrénaud.

Pierre Jean JouvePoésie UV 1925-1938Lu Noces, Sueur de sang,Matière céleste, KyrieMere. de France, 30 F.Poésie V-VI 1939·1947:La Vierge de Paris,.HymneMere. de France, 24 F.Voir l'article deMaurice Saillet, p. 14.

MallarméPoésiesPréface de Jean.P. SartreCol. PoésieGalIimard, 3,50 F.

CRITIQUEHISTOIRELITTÉRAIRE

Roland BarthesCritique et véritéCollection Tel QuelLe Seuil, 4,50 F.Barthes répond à Picard

Claude BonnefoyEntretiens avecEu&ène IonelCoPierre Beifond, 9,25 F.

Jean.Louis Bory,Tout feu tout flam­Musique IlJulliard, 15 F.D'Eugène Sue à Queneau.

Jean DescolaHistoire littérairede l'E.pa&neFayard, 24,65 F.De Sénèque à Lorca.

Victor Hugoloumal de ce quej'apprend. c1urque jourJuillet 1846. Février 1848Boite aux lettruEdit. critiques établiespar René Journet etGuy RobertFlammarion 19,50 et 16 F.Voir la critique deGeorges Piroué, p. 12.

philippe SénartChemins· critiqUe5Plon, 12 F.D'Abellio ,à Sartre.

ESSAIS

Jacques EllulExégèse du nouveauxlieux I;ommunsCaImann·Lévy, 16,35 F.

Robert EscarpitLettre ouverte à DieuCol. Lettre ouverte.Albin Michel, 7,71 F.

Maurice GarçonLettre ouverte à laJusticeAlbin Michel, 8. F.Col. Lettre ouverte.

Pierre MélèseSamuel BeckettSeghers, 7,10 F.Beckett romanëieret dramaturge.

André VirelHistoire de notre imageMont-Blanc, 26,75 F..Une remise en questiondes. problèmes del'aventure ~umaine.

PHILOSOPHIE

Marie-Madeleine DavyLa connaislGllCe de lOiP.U.F., 5 F.

Michel FoucaultLu Mots et lu ChaIa,une archéolopdes sciencu humainaGallimard, 26 F.Voir la critique deFrançois Châtelet, p. 19.

Henri LefebvreSociolop de MlII'xP.U.F.,8 F.

HISTOIRE

C. Bea1sL'Amérique latine,monde. en révolutionPayot, 21,60 F.

Michel Debré,Pierre Mendèe-FranoeLe pond débœ'Préface deGeorges A1tschuierGonthier, 9,60 F.Texte des 3 émiasionaqui ont lDllrqw§ lacampagne présiélentielle.

Bernard FéronL'URSS sant idoleCastermann, 18 F.De Staline à Brej..,et Kossyguine.

André FontaineHistoire de la&uerre' froide, t. 1Fayard,De la Révolution d'octobreà la guerre de Corée.

A. Gautier WalterLa Chevalerieet les atpects 1ffC1'8Ude l'HistaireLa Table ronde, 28;80 :F

Morton H. HalperinLa Chine et la bombeTraduit de l'américainCalmann.Lévy, 1'0;&0 F.

Elizabeth LongiordVictoria, reined'An&leterre,Impératrice du InduTraduit de l'anglaispar Denise Van Moppès.Fayard, 30,85 F.

Marcel·Edmond NaegelenLa Révolution GISGIIinéeHongrie oct.·nov. 1956Berger.Levrault, 18 F.

William Peirce RandelLe Ku Klux KlanTraauit de l'améticainAlbin Michel, 21,60 F.Voir l'article deGuy Braucourt, p. 22.

Philip SchiifferTreize joursde l'histoire du mondeTraduit de l'allemandStock; 19,50 F.Comment éclatala II' guerre mondiale.

Page 31: La Quinzaine littéraire n°2

John TolandDülingerCalmann·Lévy, 19,90 F.Un des grands gangstersdes années vingt par lebrillant reporter deBastogne.

Albert VulliezTonnerre sur le PacifiqueFayard, 19,10 F.

Joseph WeinbergLe printemps du cendresSedimo, 20,60 F.Les camps deconcentration.

POLITIQUE

Georges LukacsLénineE.D.I., 5,90 F.Voir l'articlede Victor Fay, p. 20.

Théodore C. SorensenKennedyGallimard, 25,70 F.Voir l'article deHans J. Morgenthau,p. 3.

Georges SuffertDe Del/erre à ·MitterrandLe Seuil, 9,50 F.La campagneprésidentielle.

~CON()MIEPOLITIQUE

Eugène PréobrajenskyLa nouveUe économiqueTraduit du' rosse parB. JolyPréface de P. NavillePrésentation d'E. MandelE.D.T., 17,60 F.Un ouvrage capital pourle développement de lapensée marxiste.

SCIENCES

Jacques Berqueet diversNormes et valeurs del'Islam. contemporainPayot, 29,80 F.

Albert DucroqLe roman de la vieJulliard, 15 F.Nos 80Urces biologiques.

B. Whiteside,Serge Huttin et diversParacelseLa Table ronde, 14,40 F.

La Biologie,acquUitions récentesAubier.Montaigne,Voir l'entretien avecJean Rostand, p. 23.

LIVRES n'ART

François DaumasCivilisation del'Egypte pharaonique255 illustrations en noir8 planches en couleurs47 cartes et plansArthaud, 95 F.Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinwine Littéraire.

Eggers, Will, HolmqvistLes Celtes et lesGermains à l'époquepaïenneAlbin Michel, 49,36 F.

. Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinzaine Littéraire.

Will GrohmannAquareUes 1922de Hans HartungTexte Trilingue33 planches couleursLM. Erker, 93 F.Saint·Gall, SuisseUne étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinzaine Liuéraire.

Rafael Larco HoyleChecan, essai surles représentationsérotiques du Pérouprécolombien145 planches en couleurs36 illustrations en noirNagel, 186 F.Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinwine Littéraire.

Maurice NuéParis du poètes82 photosHachette, 42 F.Quatre-vingt poèmesde Villon à Aragon,accompagnés d'autant dephotos sur Paris.

Karl JettmarL'Art du steppesAlbin Michel, 46,27 F.Une étude à propos de celivre sera publiée dansLa Quinwine Littéraire.

Michel Seuphor·Le style et le criLe Seuil, 19,50 F.Voir la critique deGeneviève Bonnefoi,p. 17.

MUSIQUE

Pierre BoulezRelevés d'apprentiTextes réunis etprésentés parPaule ThéveninCol. Tel QuelLe Seuil, 35 F.Voir l'article deMaurice Faure, p. 27.

Jaroslav IwaszkiewiczChopinTrad. du polonaispar LÏ80wskiGallimard, 18 F.

Paul NetllHistoire de la danse etde la mU8Ïque de balletPayot, 20,55 F.

Michel PhilippotIgor StnJvinskySeghers, 7,10' F.Voir l'article deM.·CI. Jalard, p. 26.

Simone BenmUllllllEugène IonescoSeghers, 7,10 F.Une vue d'ensemble surle théâtre de Ionesco.

Aimé CésaireUne saison au CongoThéâtreLe Seuil, 7,50 F.Autour de la figurede Lumumba.

Armand SalacrouImpromptu délibéréGallimard, 10 F.Six entretiens avecSalacrou sur son œuvre.

Armand SalacrouThéâtre, t. VIITrois pièces de Salacrou.

Joseph von SternbergSouvenirsd'un montreur d'ombresLaffont, 20,10 F.Voir l'article deJean·Louis Bory, p. 28.

SPECTACLES

Jean.Jacques LebelLe HappeningNombreuses illustrationsDossiers desLettres NouvellesDenoël, 15,40 F.

SCIENCEFICTION

Algernon BlackwoodElève de la quatrièmedimensionCol. Présence du Futurpenoël, 6,15 F.Un des classiques dela cr; science-fiction ",mort il y a unedizaine d'années.

POLICIERS

P. Souvestre et M. AllainFantômas, t. XIRéimpressionRobert Laffont, 24,60 F.

HUMOUR

Pierre DaninosLe 36· dessolUHachette, 12 F.

Robert ShinosiRue AttarineCol. LabicheCalmann.Lévy; 9,90 F.

Pierre-Jean VaillardGuirlandea du 1OU7ÎresLa Table ronde, 12.35 F.

VOYAGES

R.L. BriickbergerSortilège. rr&UiccJimSedimo, 9,25 F.

SPORT

Philippe GaU880tHistoires de skiPréface deMarielle GoitschelCalmann.Lévy, 9,90 F.

INFORMATIONS

Siniavski et Daniel, récem·ment condamnés à Moscou, vontêtte dirigés sur le camp dePotma (République des Mordves)où se trouvent déjà 10.000 déte·nus. La déclaration de Siniavskià son procès, désormais connue,a de nouveau ému les écrivainset artistes dans le momie. EnFrance, une protestation a étésignée par des intellectuels com·munistes et sympathisants.

En 1965 ont été publiés21.531 titres parmi lesquels oncompte 4.213 réimpressions. Lestexte6 littéraires viennent en têteavec 6.195 titres (2.131 réimpres.sions) suivis par les sciencessoaiales : 2.682 titres, les sciencesmédicales: 2.361, les sciencespures : 2.265. Il y a eu, en 1965,1.762 traductions contre 1.955 en1964. Les traductio~ du rwseont régressé de 50 %, celles def allemand monté de 289 à 302.

Vient de paraître, dans lacoUection Les Lettres Nouvelles(Denoël éd.) le nouveau romande W itold Gombrowicz: Cosmos.

Maurice Werther, chef duservice diplomatique à la Télévi·sion fraru;aise, vient de .signer leservice de presse de son Kennedy(Seghers éd.) L'ouvrage est forméd'une étude et d'un choix detextes.

Toujours chez Seghers, pouravril : un Cummings dans la col·lection Poètes d'aujourd'hui. Sui·vront un Louis Brauquier, poètedes escales et des mers du Sud,et un Géo Lihrecht, le poètebelge qui s'est aventuré, solitaire,sur la route des morts qui vontvers la lumière.

En mai Gallimard publieles deux ouvrages de StanislausJoyce consacrés à son frère : LeJournal de Dublin et Gardien demon frère. Guidé par une admi·ration parfois agacée, Stanislausdonne de précieux renseigne.ments sur la personnaUté intimede Joyce.

Toujours chez Gallimard, la.publication d'un roman de fécri­vain islandais H alldor Laxness,prix Nobel : Le Poney merveil·leux, ainsi que dOns la collectionCroix· du Sud cèlle d'un nouveaurecueil, critique cette fois, deJorge Luis -Borges: DiscU88ion.

Les Editions ouvrières annon­cent Une image de la famille etde la société 80US la Restauration,

.par Raymond Deniel. Cette étudesera fondée sur f actualité immé·diate de fépoque en question ettelle qu'elle apparaissait clans lesjdurnaux dirï"gés ou inspirés pardes catholiques.

Les libraires amencains ontpris, depuis 1929, fhabitude deremettre à chaque nouveau Pré·sident des Etats·Unis un choix delivres, destiné à former la basede sa bibliothèque. Ce cadeaucomprend 250 volumes, choisisparmi les livres parus au coursdes derniers quatre ans - duréedu précédent mandat présiden.tiel - et porte sur les titres queles libraires estiment « im·portants et dignes d'être lus ~.

M. Johnson vient de recevoir cetenvoi traditionnel. Sur 250 volu~

.mes, 31 relèvent de la littératureau sens strict du terme. L'écra­sante majorité est composée delivres d'histoire, d'études politi.ques, de mémoires et de biogra.phies. Les autobiographies sem·blent très appréciées, et fortdiverses: du général Eisenhowerà Sammy Davis. Parmi les ro­mans on trouve la dernièreœuvre de William Faulkner. Lesauteurs étrangers sont peu repré.sentés.

Simenon ne semble pas des·tiné à une carrière fulgurante en·Pologne, si fon en croit le jour.nal Polityka de Varsovie. D'aprèscette publication, les œuvres dupère de Maigret manquent tropde crédibilité au moins pour lelecteur polonais. En voici quel.ques exemples : 1. Il n'existe' pqsà Varsovie un seul restaurant oùon peut commander par télé·phone un repas, ce qui semblepourtant indispensable pour lesinterrogatoires interminables ducommissaire Maigret. 2. Les sour·ces d'information de la policefrançaise sont inimaginables enPologne. Les concierges de Var·sovie sont trop paresseux poursignaler à la police un fait inha­bituel: d'ailleurs ils dormenttoute la journée. 3. Les prosti.tuées ne constituent pas non plusune source d'information. D'abordil n'en existe pas. Et si par ha·sard il en existe, elles se marienttrès rapidement. 4. Maigretobtient en quelques secondes uneliaison téléphonique avec Lon­dres ou New York. A Varsovie onne peut même pas téléphoner enprovince. 5. La police fraru;aiseconnaît très bien les hôtels oùhabitent les gangsters. A VarS011Ïeil n'existe pas assez d'hôtels pourles voyageurs.

Profell8eur Unrat, le célèbreroman de Heinrich Mann a étéporté deux fois à f écran et tou·jours sous le titre L'Ange bleu.Il vient d'être adapté en « musi·cal ~. Une fois de plus 'le- .titreoriginal de Heinrich M~n a "étéécarté et remplacé par celui. dePousse·café. La première· a déjàeu lieu à Toronto, avant que lapièce tente sa chance à Broad·way. Ses chances sont d'ailleursexcellentes: la musique est deDuke Ellington.

La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966 31

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Hall d"exposition du Collége Expérimental de Sucy-en-Brie.

une révolution techniqueau service de la réforme de l'enseignement

Le sème Plan prévoit, dans les cinq annéesà venir, la construction de 1200 CES,300C E G, 26800 classes primaires etmaternelles, que nécessite la scolarisa­tion de 8 millions d'enfants.Une expérience de six ans, un souciconstant de perfectionnement techniquepermettent à GEEP CIC de répondre àces trois impératifs:Rapidité - Quantité - Originalité.En 1966, GEEP CIC réalise les collègesexpérimentaux de Sucy-en-Brie, de.Marly­le-Roi, de Gagny dont l'architecture par­ticulière a été étudiée pour répondre auxbesoins pédagogiques nouveaùx : sallesde cours transfor>mables, équipées pourl'enseignement audio-visuel, prolongéespar des terrasses, "studios" d'équipe,combinant salle d'étude et chambre.

Ces trois réalisations de GEEP CIC dé­montrent que l'assemblage des modulesindustrialisés ne signifie pas monotoniemais variété, élégance et harmonie.

GE'E'P cieChantiers Industrialisés de ConstructionProcédés ALUMINIUM FRANÇAIS/SAINT. GOBAIN

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BMiment Externat du CoÎlége Expérimental de Sucy-en-Brie.