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Collection «Aliments dans les villes» Le consommateur urbain africain et les SADA Ibrahima Dia Programme «Approvisionnement et distribution alimentaires des villes» AC/02-97F - 1997 Communication présentée au séminaire sous-régional FAO-ISRA «Approvisionnement et distribution alimentaires des villes de l’Afrique francophone» Dakar, 14 • 17 avril 1997

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Collection «Aliments dans les villes»

Le consommateur urbain africain et les SADA

Ibrahima Dia

Programme

«Approvisionnement et distribution alimentaires des villes»

AC/02-97F - 1997

Communication présentée au séminaire sous-régional FAO-ISRA«Approvisionnement et distribution alimentaires

des villes de l’Afrique francophone»Dakar, 14 • 17 avril 1997

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Résumé

Cette étude est un document de synthèse dont l’ob-jectif est de contribuer au développement d’uneapproche des SADA centrée sur le consommateurcomme acteur autonome. Après un bref rappel sur lafaible place qu’occupe le consommateur urbain afri-cain dans les politiques, programmes et recherchessur les SADA africains, il est proposé un cadre d’ana-lyse qui prenne en compte les différentes dimensionsculturelles, sociologiques et économiques du conceptde consommateur urbain en Afrique francophone del’ouest. Dans une première partie, l’étude aborde leconsommateur par rapport aux caractéristiques desménages et des modèles de consommation.

Les facteurs déterminant les comportements d’achatdes différentes catégories sociales urbaines sont en-suite analysés. Les facteurs liés à l’accessiblité, aussibien physique que financière, aux aliments et ceuxliés aux relations entre consommateurs et commer-çants sont mis en évidence.

La dernière partie du document est consacrée à desréflexions sur les répercussions des comportementsdes consommateurs urbains sur les SADA ainsi quesur les perspectives d’évolution de la vie urbaine etses impacts sur les attitudes des citadins.

En conclusion l’étude souligne quatre aspects:

• l’amélioration de la connaissance du consommateurcomme acteur;

• le renforcement des associations de consomma-teurs;

• l’éducation sanitaire et nutritionnelle des consom-mateurs et commerçants;

• le renforcement des services de contrôle de qualitéde l’Etat.

Présentation de l’auteur

Ibrahima Dia est un environnementaliste. Il a travaillécomme chercheur à l’Institut des Sciences del’Environnement, à l’ADRAO et à l’ISRA. Il collaboreavec plusieurs institutions et organismes nationaux etinternationaux et participe à la formation des étu-diants de l’Université de Saint-Louis et de Dakar, oùil est chargé des enseignements en sociologie rurale,en environnement et en méthodologie de recherche.

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Table des matières

RésuméPrésentation de l’auteur

1. Introduction

2. Les caractéristiques du consommateur et de la consommation en milieu urbain africain2.1. Caractéristiques des ménages2.2. Fonctionnement des ménages urbains2.3. Caractéristiques de la consommation

3. L’évolution des facteurs déterminants de la consommation alimentaire en milieu urbain3.1. Les disponibilités physiques de produits dans les villes3.2. Le pouvoir d’achat3.3. Les conditions objectives de vie en milieu urbain3.4. Les composantes culturelles3.5. Le comportement d’achat et d’approvisionnement: Les modalités d’approvisionnement

4. Les relations sociales entre consommateurs et commerçants4.1. Commerçants et consommateurs comme acteurs individuels4.2. Commerçants et consommateurs comme acteurs collectifs

5. L’urbanisation rapide et le comportement des consommateurs5.1. Les répercutions immédiates des comportements du consommateur sur les SADA5.2. Les perspectives d’évolution des comportements des consommateurs et les SADA

6. Recommandations

Notes de bas de page

Bibliographie

Liste des tableaux

1: Modalités d’approvisionnement: produits et lieux

iiiiii

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2246

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1Introduction

Problèmatique

Les politiques de sécurité alimentaire ont été long-temps orientées uniquement vers les populationsrurales. Dans cette optique le consommateur n’ estpas considéré comme un acteur séparé du produc-teur car en fait le consommateur est supposé produi-re lui-même sa nourriture ou l’acquérir par troc. Danstous les cas la mise sur le marché de produits agri-coles beaucoup plus comme l’offre d’un surplusqu’une réponse raisonnée à une demande.

Bien que dans les villes africaines, on pouvait remar-quer dans la période coloniale et dans les années 60une population ayant encore des activités de produc-tion agricole, qui leur permettait de se nourrir une par-tie de l’année, la mise sur le marché de produits agri-coles était une tradition qui répondait à des stratégiescommerciales dans lesquelles divers acteurs sontimpliqués. Le modèle de pensée dominant del’époque qui ne retenait des producteurs que l’objec-tif d’autosuffisance traduisait plus une perception desplanificateurs qu’une analyse objective de la réalitédes stratégies de production et de mise sur le marchédes produits agricoles par les producteurs.

L’approche dite de «développement administré» aprévalu jusqu’à maintenant dans le domaine de l’ap-provisionnement et de la distribution, en particulierpour les denrées alimentaires dites de premièrenécessité. Elle consiste à favoriser ou à défavoriser laconsommation de produits ciblés à travers desmesures administratives. Cette approche a long-temps caché le rôle déterminant de la demande (duconsommateur) au profit de l’offre «orchestrée» parl’Etat. Ainsi tout est ignoré du consommateur puisqueles planificateurs africains nourissaient l’idée demodeler les styles de consommation en fonctiond’objectifs qu’ils se sont eux-même fixés.

Le développement du secteur informel et des mar-chés dits parallèles, les échecs répétés des diffé-rentes politiques de régulation, la fraude etc. ont misen évidence la nécessité de prendre en compte lescaractéristiques de la demande du consommateurcomme facteur déterminant des comportements desdifférents acteurs de l’approvisionnement et de la dis-tribution alimentaires et par conséquent de la dyna-mique de l’offre. Dés lors la connaissance et lareconnaissance du consommateur comme acteurdevient un élément déterminant dans toute politiquede planification des systèmes d’approvisionnement etde distribution alimentaires (SADA). Cette connais-

sance est d’autant plus importante que le phénomè-ne d’urbanisation et les perspectives d’évolutiondémographique, vont modifier de manière profondel’évolution de la demande alimentaire aussi bien surle plan qualitatif que quantitatif.

L’émergence du phénomène urbain comme problè-me majeur du siècle à venir et la libéralisation deséchanges appellent nécesseraiement une prise encompte renforcée du consommateur par les straté-gies de développement des SADA. En Afrique fran-cophone oú le rôle de la société civile est toujoursplus reconnu, cette évolution se déroule dans uncadre politique de démocratisation. Dans ce domainel’émergence des associations de consommateursconstitue une innovation sociale importante.

La principale difficulté que pose la prise en compte duconsommateur dans les analyses sur les SADA, estl’imprécision du concept qui renvoie à une diversitéde réalités aussi bien objectives (catégories sociales,et économiques) que subjectives (perception, préfé-rences alimentaires, prise de conscience de sesdroits ou non, etc.).

Pour surmonter cette difficulté, un cadre analytiqueglobal est nécessaire. Ce cadre doit considérer d’unepart les facteurs structurels tels que les caractéris-tiques socio-démographiques des ménages, les acti-vités et sources de revenus, les lieux de résidence,etc. D’autres caractéristiques plus fonctionnelles, quiont trait aux règles d’organisation interne desménages (décisions d’achat concernant l’alimenta-tion, savoir et savoir-faire culinaire, etc.) et d’organi-sation de la consommation (le choix des types d’ali-ments et les périodes de consommation), influencentles choix et les modalités d’accès aux aliments.

Au-delà des caractéristiques intrinsèques desconsommateurs, ce sont les différents comporte-ments d’achat adoptés qui influencent le plus direc-tement les systèmes d’approvisionnement et de dis-tribution. Et les décisions des consommateurs dépen-dent de son environnement, de ses revenus, de soncadre de vie. Ces déterminants économiques ne sontcependant pas isolés de l’héritage culturel desacteurs et d’un ensemble de valeurs.

Méthodologie

L’évaluation de la documentation disponible sur lespolitiques d’approvisionnement alimentaire des villesafricaines montre que si la planification centraliséeest abandonnée dans tous les pays francophonesd’Afrique dans la définition des politiques agricoles, ilreste que la nécessité d’axer la production sur lesbesoins des consommateurs est encore ignorée.

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Ainsi très peu d’études ont été consacrées auconsommateur et très peu d’attention est accordéeaux consommateurs dans les documents de redéfini-tion des politiques. Les études sur les insuffisancesdu système d’approvisionnement alimentaire mettentl’accent sur les problèmes d’informations sur lademande (quantités, prix, qualités) et de formationdes agents, mais rarement sur les relations entre lessystèmes de distribution et le comportement duconsommateur.

Ce document est une tentative de synthèse desconnaissances disponibles sur le comportement duconsommateur urbain africain dans les villes franco-phones en vue de dégager un cadre d’analyse quipermette de mieux situer le consommateur dans lesprogrammes d’amélioration des SADA. L’étude sebase donc essentiellement sur la documentation dis-ponible. Des enquêtes légères auprès de personnesressources (universitaires, responsables d’associa-tions de consommateurs à Dakar) ont permis de com-pléter les informations.

La revue de la documentation disponible montre queles études orientées sur les consommateurs vien-nent à peine d’être entamées par des universitairesdes facultés de gestion des universités africaines,mais elles sont essentiellement des études de mar-keting et portent pour la plupart sur les produitsmanufacturés1.

Des études réalisés dans le cadre de programmes derecherche d’organismes extérieurs (FAO, CIRAD,Université catholique de Louvain, etc.) fournissentquelques informations utiles sur les consommateursmais restent axés en priorité sur les réseaux de dis-tribution et d’approvisionnement (CHEYNS, 1996;THUILLIER et BRICAS, 1996; BRICAS, 1996). La lit-térature grise des associations de consommateursest également très pauvre en études qui renseignentsur les consommateurs (BIKORIMANA, 1997).

Dans les journaux des associations de consomma-teurs des données sont collectées sur le comporte-ment d’achat des consommateurs, mais les objectifs(illustrer une revendication, disposer d’outils pédago-giques de formation) limitent la portée de tellesenquêtes. Des problèmes d’appréciation de la métho-logie utilisée se posent également.

2Les caractéristiques du consommateur et de la consommation en milieu urbain africain

2.1Caractéristiques des ménages

L’analyse des contraintes de la ville et le cosmopoli-tisme de la vie urbaine, mais aussi une certaineapproche évolutionniste avaient alimenté des hypo-thèses d’interprétation sur l’évolution des ménagesurbains fortement partagées par les spécialistes.Parmi celles-ci la réduction de la taille, le recul de lapolygamie, le développement de l’individualisme.Ces changements dont les prémisses étaient repé-rables au niveau de l’élite urbaine dans la périodecoloniale semblaient inéluctables. Dans la réalité, lesévolutions des structures des ménages ont été trèsvariables et n’ont pas été linéaires.

Structure des ménages

Les ménages urbains découlent d’un processus his-torique très récent en Afrique du fait de l’importancede la migration d’origine rurale dans la constitutiondes villes. Ainsi même si l’évolution des structuressociales devraient être influencée par les contraintesdu cadre de vie urbain, les comportements desménages dépendent des structures rurales. End’autres termes, le mode d’adaptation des individusoriginaires des sociétés rurales à la ville se fera enréférence aux structures sociales rurales d’origine.Ainsi le groupe ethnique d’appartenance est un fac-teur important pour comprendre par exemple, lastructuration de la famille africaine en ville. Si lanotion de «famille élargie» a été souvent utilisée enAfrique pour rendre compte de la différence entre lemodèle familial nucléaire européen et le modèle afri-cain, elle ne rend pas suffisamment compte de toutesles réalités, ni des divers contenus fonctionnels. Lequalificatif «d’élargie» a des sens différents.

Les spécialistes des sociétés rurales ont essayé derendre compte de cette réalité en tentant de caracté-riser les familles rurales par la description des combi-naisons de différentes unités sociales remplissantdes fonctions sociales et économiques spécifiques.Ces fonctions sont celles de la résidence, de laconsommation, de la production et de l’épargne. Sipour le ménage de type européen ces fonctions ten-dent à se confondre dans l’unité sociale nucléaire(couple et ses enfants), elles sont séparées dans laréalité africaine rurale.

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Les unités de résidence

Elles désignent un niveau de segmentation sociale. Ils’agit en général d’un lignage ou d’un segment delignage réunissant des couples de générations diffé-rentes en un même lieu de résidence. Ces couplespartagent un même espace de résidence sous ladirection d’un membre, souvent le plus âgé.

Les unités de production

Il peut s’agir d’un couple ou de plusieurs couplesapparentés qui exploitent la même terre et gèrentleurs ressources en commun (terre, capital, main-d’oeuvre ).

Les unités de consommation

Il peut s’agir d’un couple ou de plusieurs couplesapparentés qui partagent les même repas et mettenten gestion commune leurs productions vivrières ouleurs revenus financiers destinés à assurer la repro-duction de leur unité sociale.

Les unités d’épargne

Il peut s’agir soit d’un couple, soit de l’un desconjoints d’un couple, soit d’un segment du ménage(la femme et ses enfants par exemple), qui épargneséparément ses propres ressources.

Les combinaisons d’unités sociales et économiquesdiffèrent selon le groupe ethnique, allant d’un modèlemononucléaire de type occidental à un modèle poly-nucléaire réunissant plusieurs générations. Les casextrêmes sont constitués d’une part par le ménagedes ethnies «soninke» et «bambara» qu’on rencontreau Mali et au Sénégal et d’autre part par le ménagede l’ethnie «peul» rencontrée dans la plupart despays d’Afrique de l’Ouest. Pour le premier type laréférence est le segment de lignage qui peut regrou-per plusieurs générations vivant dans le même espa-ce. A cette unité de résidence correspond les unitésde production et de consommation qui peuventatteindre cinquante personnes (une vingtaine decouples) mangeant à partir de la même cuisine etgérant ensemble un stock commun.

Dans le deuxième type (peul) l’indépendance estaccordée au couple qui devient ainsi une unité deproduction et de consommation indépendante. Sataille dépasse rarement cinq personnes. Des échan-ges de repas sont permis, mais le gendre ne peutmanger en présence de ses beaux parents.

Les migrants tentent en ville de respecter le modèlefamilial de l’ethnie d’origine et un ensemble de consi-dérations idéologiques accompagne cette volonté demaintenir une certaine identité. Ainsi on retrouve enville la séparation entre les fonctions de résidence, deconsommation et d’épargne. La fonction de produc-tion étant en ville une fonction indépendante (emploi),elle influe sur les autres fonctions.

Au-delà des différences par ville certaines constantesont été notées:

• la séparation entre les activités des épouses et desmaris. Les jeunes actifs ont également des activitésséparées. Cela renforce l’existence d’unitésd’épargne séparées. Ce fait a des incidences surles comportements alimentaires dans la mesure oùil autorise des espaces d’alimentation individuelle etcrée des obligations de participation individuelle àl’alimentation du groupe;

• les unités de consommation ne correspondent pasaux unités de résidence. En effet les gens qui viventensemble ne partagent pas tous la même cuisine etles gens qui mangent ensemble ne logent pas tousensemble sous le même toit.

A Ouagadougou, E. Cheyns parle de «membres duménage et invités permanents» pour désigner l’unitéde consommation urbaine. Ces «invités permanents»représentent 1.39 sur une moyenne de 7.5 per-sonnes. L’unité de consommation exclut les membresrésidents du ménage qui mangent à l’extérieur sansrecevoir de l’argent pour cela par le chef de conces-sion.

A Dakar, il est également fréquent que le ménage cui-sine aussi pour des parents qui logent séparément.Dans certains cas cette pratique correspond à unabonnement appelé «bool». A chaque repas un platest envoyé au membre externe de l’unité de consom-mation.

A l’origine il s’agissait d’un réflexe de solidarité enl’encontre des immigrés récents, parents ou recom-mandés au ménage. Progressivement la participationfinancière du migrant a été institutionnalisée.Aujourd’hui, les familles pauvres et les femmes desfamilles moyennes l’ont intégré dans leurs stratégiesde consommation. Les abonnés des «bools» devien-nent membres de l’unité de consommation selon desformes diverses mais qui peuvent aller jusqu’à fairel’objet de contrats très explicites. Les abonnés peu-vent ainsi négocier la durée des repas et sont de plusen plus exigeants.

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Les difficultés d’accès au logement individuelexplique en partie cette dichotomie entre unités derésidence et unités de consommation. Dans cer-taines familles les jeunes couples préfèrent resterencore chez les parents ou partager le même maisonque leurs frères. Chaque couple affirme son indépen-dance en développant une cuisine indépendante. Lesdifficultés économiques et quelques fois l’héritageculturel (cas des soninké, des toucouleurs etc.) peutconduire à des stratégies de partage des repas où lapréparation se fait à tour de rôle.

A Dakar la baisse du pouvoir d’achat des populationsaprès la dévaluation a conduit à des stratégie de re-groupement entre frères ou entre amis dans le casdes travailleurs célibataires. Ainsi contre toute atten-te c’est la polynucléisation des ménages qui se ren-force au détriment de l’individualisation.

Cette polynuclérisation est constatée à Dakar ou lenombre de ménages polynucléaires est passé de 7pour cent en 1969 à 23 pour cent en 1989. Les don-nées qualitatives sur le mouvement de regroupementdes ménages apparentés après la dévaluation dufranc CFA (ARDIS, non daté) en 1993, mais aussi lesproblèmes d’accès au logement et l’évolution du chô-mage autorisent à penser que les ménages polynu-cléaires vont constituer le phénomène dominant dansles prochaines années. A Ouagadougou la taille desménages (unités de consommation) est passée enun an de 7.64 à 8.27 (CHEYNS, 1996). Les ménagesde très grande taille (supérieure à huit personnes)représentent prés de 40 pour cent des ménages.Dans la réalité il s’agit de regroupement de plusieurscouples.

La polynuclérisation peut conduire à deux types decomportement alimentaire:

• Le renforcement de la consommation de groupe.Dans ce cas les différents ménages s’organisentpour planifier ensemble toutes leurs dépenses aussibien alimentaires que non alimentaires. Cette stra-tégie a pour conséquence la consommation de platsadaptés au grand nombre: riz à base de sauce,couscous à base de mil et maïs. Ce cas se ren-contre à Dakar chez les familles polynucléaires decommerçants wolofs, mais aussi chez les soninké,quelles que soient leurs activités et chez les tou-couleurs. Dans ces cas l’approvisionnement en rizse fait mensuellement et celui en mil se fait pourplusieurs mois, en fonction des opportunités dumarché.

• Le développement de la consommation individuali-sée. Dans ce cas le regroupement à pour but de separtager les charges locatives, et souvent l’eau et

l’électricité. Il faut cependant noter que le fait d’êtreensemble permet des solidarités en cas de rupturede stock et quelquefois des achats groupés (achatd’un animal, stock de mil dans les marchés hebdo-madaires, etc.).

Des variantes peuvent exister: les ménages peuventpartager les repas de midi et individualiser le petitdéjeuner et le repas du soir.

Taille et composition des ménages

La taille des ménages urbains sera fortement influen-cé par le type de ménage. Les moyennes statistiquescachent de grandes disparités qui influent sur ladiversité des comportements alimentataires. A Dakar,la moyenne est de sept personnes par ménage maisplus de 50 pour cent des ménages se situent au-des-sus de cette moyenne.

Pour assurer l’alimentation de ménages de taillesimportantes, il est nécessaire de disposer de stocksde céréales suffisants (riz, maïs, sorgho) pour lespopulations dont le régime alimentaire est basée surles céréales (Dakar, Ouagadougou et Bamako ).

Pour les régimes à dominante de racines et tuber-cules, le stock n’est pas nécessaire du fait de latransformation artisanale avant consommation et dustyle alimentaire (THUILLIER, 1996).

La composition par tranche d’âge montre une majori-té d’enfants de moins de sept ans. A Ouagadougou ily a en moyenne quatre enfants pour sept personnes.A Dakar les enfants de moins de neuf ans constituent54 pour cent de la population. La jeunesse de lapopulation oblige donc à prévoir la préparation quoti-dienne des repas à domicile pour l’alimentation desenfants, même quand les parents ont des activités àl’extérieur et sont quelques fois obligés de passer lajournée en dehors du ménage.

2.2Fonctionnement des ménages urbains

Gestion de l’alimentation

Certaines valeurs culturelles rurales déterminentencore les responsabilités des membres du ménagerelatives à l’alimentation. L’époux chef de famille a laresponsabilité de procurer les ressources alimen-taires à toute la famille. Si en milieu rural, il doit lui-même produire les céréales ou tubercules de base etconstituer un stock que vont gérer les femmes, enmilieu urbain la pratique répandue consiste à acheterun stock de base et à remettre à l’épouse une alloca-tion financière pour l’achat des autres composants du

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régime alimentaire (viandes, poissons et ingrédients).Cette somme appelée «dépense» ou «popote» selonles milieux et gérée par les femmes est souvent fixemais peut faire l’objet de négociations entre la femmeet son mari. Dans le cas de ménages à revenusmoyens et irréguliers la «dépense» est quotidiennemais fixe alors que dans les ménages pauvres elleest quotidienne mais aléatoire d’autant plus qu’elleinclut l’achat de céréales que ces familles ne peuventconstituer en stocks durables. Les familles riches pré-fèrent mensualiser la «dépense quotidienne». Lechoix des plats fait l’objet de négociations quoti-diennes entre maris et épouses. Les enfants etdépendants ne sont pas consultés. En réalité ce sontles épouses qui décident, surtout dans les ménagespolygames. Quand le mari veut «commander» un platspécial ou a des invités, il lui est demandé d’aug-menter la dépense qui fera l’objet de négociations.

Mode d’acquisition des produits

Les modalités d’acquisition des aliments dépendentdes types de produits et des niveaux de revenu desménages.

Cas des céréales

L’acquisition des céréales comme le riz et le mil sefait en gros. Le mari se charge des achats en gros engénéral et s’approvisionne d’habitude dans lesmêmes circuits chaque mois. A Dakar il s’agit souventdu «boutiquier du coin» pour le riz, le sucre etc. AOugadouga, Cheyns note que 60 pour cent desachats de céréale sont réalisés par les hommesquand il s’agit de gros et 80 pour cent par les femmesquand il s’agit d’achat au détail.

A Cotonou, les achats directs sur les marchés rurauxsont importants, mais l’essentiel des achats de grosse font au seul marché central de Dantokpa.

Les familles à faibles revenus achètent le riz et lesautres céréales au détail. Dans ces contextes lesachats sont entre les mains des femmes. Les famillesà revenus irréguliers mais importants achètent desstocks de plusieurs mois et complètent par le détailchaque fois qu’il y a rupture de stocks.

Cas de la viande

La viande est achetée en détail et rarement stockée.Seules les familles aisées disposant de congélateurssont en mesure de stocker de la viande. Dans ce casc’est le mari qui s’approvisionne à l’abattoir.Occasionnellement, l’approvisionnement se fait enachetant sur le marché un mouton «sur pied» pourles familles aisées.

A Dakar il arrive que des abattages de bovins soientorganisés dans les quartiers sur l’initiative d’uneassociation ou d’un opérateur. La viande est alorsrépartie en tas de dimensions égales entre les parti-cipants à l’opération, qui se partagent ensuite lescoûts et frais2. Ce type d’opération s’organise aussidans les lieux de travail et garantie un approvisionne-ment de viande de meilleure qualité et à moindre prix.

A Ouagadougou le mode de stockage de viande leplus important reste cependant l’achat de pouletsvivants.

Cas des poissons

Pour les villes comme Dakar l’offre de poissons fraisest importante, mais les prix varient fortement. Lesmodes de stockage traditionnel (bouillie3) sont aban-données au profit de la congélation. Cette possibilitéexiste essentiellement pour les familles aisées, maisdes services de congélation sont de plus en plus dis-ponibles dans les quartiers populaires, ou certainesfamilles moyennes disposent de matériels de congé-lation sur-dimensionnés qu’elles rentabilisent en pro-posant aux voisins des services de «gardiennage» deleurs poissons moyennant des frais journaliers delocation.

Dans le cas du poisson l’achat de gros n’est fait parle mari qu’à titre exceptionnel et rarement seul. Laconnaissance de la qualité du poisson frais et desrègles de marchandage sont des compétences queseules les femmes maîtrisent.

Dans les villes de Ouagadougou et de Cotonou, lepoisson transformé est souvent stocké. Ce sont lesfemmes qui achètent également sur les marchés degros du fait de leur expertise de la qualité.

Cas des racines et tubercules

Ces produits sont plus achetés en détail que stockés.Ainsi ce sont les femmes qui s’en occupent.

Cas des condiments et légumes

Les légumes européens sont rarement stockéscompte tenu du besoin de fraîcheur des consomma-teurs. En période de forte production, les ménagèrespeuvent acheter des stocks pour quelques semainesen fonction de leur appréciation de l’évolution desmarchés.

Quelles que soient les catégories sociales considé-rées, les achats de détail sont effectués par lesfemmes en fonction des besoins journaliers. Si pourles familles des salariés des catégories sociales

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aisées les achats concernent en majorité les condi-ments et les légumes, les familles moyennes etpauvres, mais aussi les familles riches de commer-çants, peuvent acheter tout en détail.

Dans les cas où les épouses travaillent, les achatsquotidiens sont confiées à des domestiques par leurspatronnes. Quand elles ont d’autres types d’occupa-tion (commerce etc.), elles peuvent confier les achatsquotidiens à des parents ou à leurs filles, ou profiterde leurs activités pour faire des achats. On peut noterque les enfants (garçons et filles) n’interviennentpresque pas dans les opérations, ni dans les déci-sions d’achat. C’est seulement quand ils atteignentun certain âge qu’ils peuvent accompagner leursparents pour les aider dans les achats.

Les femmes sont aussi responsables de la transfor-mation des produits et de la préparation des repas.L’importance de la transformation des produitsdépend des types de plats à préparer. A Ouaga-dougou, les plats principaux sont le «tô» à base demaïs et le riz au gras. Le riz est d’utilisation directealors que le «tô» qui est fait à partir de la farinedemande une première étape de transformation dumaïs ou du sorgho. Les femmes préfèrent stocker lescéréales et s’occuper elles-mêmes de la transforma-tion domestique au fur et à mesure des besoins,qu’acheter directement de la farine.

Pour le couscous au Sénégal, les étapes de prépara-tion sont plus nombreuses et l’étape finale demandeune certaine expertise de la part des femmes. Cetobstacle favorise l’achat direct du couscous «frais»sur le marché. Un réseau dominé par le groupe eth-nique serère gère la filière (de la transformation à lamise sur le marché) du couscous. Une enquête del’USAID en 1988 dans 26 quartiers de l’aggloméra-tion dakaroise recense 94 unités de transformationdu mil (moulins à mil). Dans ce réseau les pilleusesde mil d’origine serère jouent un rìle important.

L’activité professionnelle de la femme ne constituepas une contrainte majeure pour les activités domes-tiques de transformation, car les charges de travailsont transférées aux domestiques dont l’un des cri-tères de recrutement est la maîtrise des techniquestraditionnelles de préparation alimentaire.

Savoir faire culinaire

La préparation des repas incombe aux femmes. Ainsila culture culinaire se transmet traditionnellement demère en fille. Le transfert de ce savoir- faire culinairese fait depuis la tendre enfance et doit àtre suivi deprès à domicile puisqu’il n’y a pas d’éducation for-melle dans ce domaine. Pour la plupart des familles

urbaines, le temps nécessaire à l’apprentissage com-mence à devenir une véritable contrainte. D’une part,la scolarisation des filles leur laisse peu de temps deprésence à la maison et de l’autre, les mères tra-vailleuses et commerçantes préparent de moins enmoins elles-mêmes et confient ce rôle aux domes-tiques. Ainsi on peut attribuer la diversification desplats dans les ménages urbains aux domestiques.Celles-ci sont d’origines diverses et acquièrent descompétences culinaires par des expériences diversi-fiées et pour certaines, par une formation techniqueprofessionnelle dans des centres de formation spé-cialisés (les «centres ménagers»). Les domestiquesconstituent aujourd’hui les véritables facteurs de dif-fusion du savoir faire culinaire.

Technologie culinaire

L’art culinaire africain reste celui du «cuit». L’accèsaux sources d’énergie constitue une préoccupationprincipale des ménagères. Le charbon et le bois sontencore très souvent utilisés mais de réels efforts d’in-troduction du gaz butane sont constatés dans lescapitales. Il est probable que les problèmes d’accèset de coût de l’énergie modifient les choix culinaires.Dans la plupart des pays sahéliens, le gaz butane estsubventionné pour réduire l’exploitation des forêts,mais il est probable que l’évolution de la consomma-tion demandent des subventions trop élevées, ce quiamènerait les autorités à y renoncer complètement.Dans cette hypothèse, il y a de fortes chances que lavariable «temps de cuisson» détermine les choix deplats et par conséquent la nature de la demande. Lademande en produits précuits peut être plus impor-tante.

2.3Caractéristiques de la consommation

Régime alimentaire et nutritionnel

Les types de régime alimentaire peuvent être classésen fonction du produit de base: céréales ou tuber-cules. Il faut cependant noter que si dans les pays oùla base alimentaire est céréalière, il n’existe pas deplats à base de tubercules (Sénégal, Mali et Burkina);il en est différemment dans les pays où dominent lestubercules mais où les céréales comme le riz sontaussi consommés et sont même en nette progression(Cotonou et Abidjan).

A Ouagadougou, le maïs tend à supplanter le sorghodans la préparation du «tô» car les citadins estimentque le maïs a une présentation plus «jolie». Que cesoit le riz, les autres céréales ou les tubercules etracines, les plats sont accompagnés de sauces àbase de feuilles ou de pâtes d’arachide et de

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légumes. Le poisson frais ou transformé et lesviandes viennent compléter le régime alimentaire.

Les plats de riz cuit dans la sauce sont plus exi-geants en huile, en poisson (riz au poisson dominantà Dakar) et en viande (riz gras à Ouagadougou). Cesplats sont essentiellement consommés comme platprincipal à midi. Les repas du soir peuvent être lesmêmes, mais ils comportent également des plats àbase de bouillies accompagnées de lait (Dakar) ou deviande.

Une proportion importante de familles urbaines pré-parent des repas à base de pâtes alimentaires impor-tées, de sauces et de pain. Ce régime n’est pas tou-jours adapté aux grandes familles dont les repas dusoir sont à base de couscous. Dans les familles decommerçants, et en particulier chez certains groupesethniques de Dakar (serère, toucouleur, soninké) cetype de régime est dominant pour les repas du soir.Dans d’autres familles la prise du repas du soir étantdifficile à organiser, l’alimentation individuelle de rueest privilégiée.

Dans les quartiers moyens et pauvres des villes sedéveloppe un important commerce alimentaire derue. A Ouagadougou et à Cotonou, cette alimentationde rue est devenue une pratique «normale» alorsqu’à Dakar, c’est le lot des familles pauvres et lesgrandes familles à revenus moyens.

Du point de vue nutritionnel il faut noter que la viandeet le poisson consommés dans les sauces serventjuste à donner du goût. La quantité est donc très limi-tée. L’huile d’arachide et l’huile de palme constituentles autres éléments caractéristiques du régime nutri-tionnel.

Pratiques alimentaires, les séquences de consommation

Dans toutes les villes la séquence de consommationest constituée par le petit déjeuner, le déjeuner et lerepas du soir. La plupart des repas se prend à domi-cile. Les modèles de consommations à l’européennesont très répandus pour le petit déjeuner qui com-prend une boisson chaude (café, lait ou tisane)accompagnée de pain. Selon le niveau de vie, le cho-colat, le beurre et les fromages peuvent s’y ajouter.Ce modèle de consommation est relativement coû-teux et n’est pas à la portée de tous les ménages.Compte tenu de la dévaluation du franc CFA et del’inflation, la tendance est à la baisse. En effet, unefrange importante des ménages qui ont adopté lemodèle européen de petit déjeuner ont substitué lecafé et le lait à la tisane locale (kinkeliba). Pour cer-taines familles, cette substitution ne concerne que les

enfants et les femmes tandis que les hommes ten-dent à renoncer au petit déjeuner. La substitution destisanes au lait peut avoir des conséquences nutri-tionnelles pour les enfants qui buvaient du lait seule-ment au moment du petit déjeuner.

A Cotonou par contre, le petit déjeuner est à base depâtes de bouillies. Il est acheté aux marchandesambulantes. Ainsi plus de la moitié des travailleurs nejugent plus nécessaire de le prendre à domicile. Pourle repas de midi, on note également un taux impor-tant de repas pris à l’extérieur (près d’une personnesur huit). A Cotonou, c’est donc surtout le repas dusoir qui regroupe la famille.

A Dakar, les travailleurs et les commerçants installésassez loin de leurs domiciles prennent à l’extérieurleurs repas de midi. La majorité des membres duménage n’est pas concernée. Les chefs de famillesaisées et véhiculés et ceux qui habitent près de leurslieux de travail préfèrent rentrer déjeuner en famille.A Ouagadougou, les repas sont pris à l’extérieur parbesoin de regroupement entre amis et pour des rai-sons de socialisation plus qu’en raison descontraintes de la vie urbaine. Les «maquis», «gar-gottes» et points de grillades (de poisson et de pou-lets) sont des lieux de rencontre, d’échanges sur lesaffaires de la cité et constitue des manifestations demodernité pour ceux qui les fréquentent. Le repas àdomicile reste le modèle dominant.

Il apparaît ainsi que quel que soit le milieu considéré,le repas à domicile est préféré, car il constitue aussiun moment de socialisation. Cette fonction sociale dela prise de repas doit être prise en compte par lespolitiques.

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3L’évolution des facteurs déterminants de la consommationalimentaire en milieu urbain

La question de l’accessibilité des urbains aux ali-ments qu’ils souhaitent consommer est une questioncentrale quand on aborde la question des détermi-nants de la consommation alimentaire en Afrique. Eneffet nous sommes dans le plupart des cas dans unesituation où l’offre de produits est insuffisante là oùl’on en a le plus besoin. La question de l’accessibilitéprésente ainsi deux aspects: la disponibilité du pro-duit en quantité et en qualité là où se trouve leconsommateur, et la disponibilité de ressources duménage.

3.1Les disponibilités physiques de produitsdans les villes

L’organisation des villes en quartiers reflétant les dif-férentes catégories sociales est le premier détermi-nant de la disponibilité des aliments. Les villes afri-caines construites pendant la période colonialeconcentrent dans les centres villes les marchés lesplus importants. C’est le cas à Dakar (Sandaga, ker-mel), à Cotonou (Dantokpa) et à Ouagadougou(Grand marché). En réalité il ne s’agit pas de mar-chés de gros mais surtout de grands marchés dedétail où la gamme de produits est large («on trouvetout»).

Pour les habitants des quartiers du centre-ville l’ac-cès est facile. C’est également dans ces quartiersqu’on trouve les supermarchés qui vendent les pro-duits de luxe d’origine européenne.

Dans les quartiers périphériques de la banlieue ontrouve des marchés secondaires et des boutiques.Les quartiers aisés ont donc un accès facile et priori-taire aux produits et disposent également de plus demarge de négociation étant mieux informés sur lesprix. Cet avantage est valable aussi bien pour les pro-duits d’origine locale que pour les produits importés.Les habitants des quartiers périphériques ont peu dechoix sur les qualités et dépendent des intermé-diaires, qui jugent selon leurs stratégies person-nelles, l’opportunité de la distribution d’un produitdonné. Certains produits locaux comme le soumbalaà Ouagadougou, l’huile de palme à Cotonou et àDakar, sont directement accessibles aux consomma-teurs à travers des réseaux ethno-géographiques dedistribution qui relient directement les vendeurs desquartiers aux producteurs-transformateurs des vil-lages.

3.2Le pouvoir d’achat

Les revenus urbains sont essentiellement dominéspar les salaires des fonctionnaires de l’administration.Dakar regroupe à lui seul 55 pour cent de la massesalariale payée aux fonctionnaires au Sénégal. Lerapport doit être sensiblement le même dans lesautres capitales compte tenu de la concentration dupouvoir administratif et des infrastructures dans lescapitales. Les revenus du secteur commercial et del’industrie sont aussi variables selon les villes. A côtéde ces couches sociales relativement sécurisées lescapitales regroupent une population composée majo-ritairement de ménages dont les revenus sont trèsfaibles et surtout très irréguliers et aléatoires. A Dakarune enquête menée par la Direction des statistiquesétablie une classification des revenus annuels quidonnent des indications sur les classes de revenus:

FCFA/an -> FCFA/mois

1: < 342 000 28 800 2: 342 000 - 655 000 55 583 3: 655 001 - 1 080 000 90 000 4: 1 080 001 - 1 872 000 156 0005: > 1 872 000

Le pouvoir d’achat ne sera pas déterminé unique-ment par le niveau des revenus mais aussi par l’im-portance des autres charges, en particulier lescharges locatives. Il va également varier en fonctiondes types de ménages (polynucléaires ou mononu-cléaires) et des apports des différents composants del’unité de consommation. Les données disponiblesainsi que les méthodologies d’approche desenquêtes statistiques réalisées pour d’autres objec-tifs ne permettent pas faire de telles analyses.

Si la différence de revenus induit des clivagessociaux, elle ne conduit pas à la démarcation deschoix des plats de base. C’est l’importance accordéeaux différents composants des plats qui va changer.La réduction des proportions se fera dans l’ordre sui-vant:

- viande/ poisson frais,- huile,- ingrédients,- feuilles,- céréales.

Ainsi «quand le pouvoir d’achat des ménages dimi-nue, la viande et le poisson sont sacrifiés avant leslégumes de base (oignons, feuilles de manioc,oseilles de gunée)».

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Pour la plupart des plats en sauce, la présence de laviande est un signe d’aisance et a une valeur symbo-lique. En outre la consommation à domicile de plats à«dominante viande» tend à disparaître quand aug-mente la pauvreté.

Dans la plupart de villes africaines les politiquesd’ajustement structurel et la dévaluation ont fait pro-gresser la pauvreté. La récession économique desannées 80, caractérisée par une contraction impor-tante des recettes d’exportation et une augmentationsubstantielle du service de dette, a entraîné unaccroissement de la population défavorisée.

Le revenu monétaire non-agricole moyen a chuté de45 pour cent entre 1978 et 1985. D’après la Centraledes Bilans de la Banque Centrale des Etats del’Afrique de l’Ouest (BCEAO), le secteur moderne aaccusé une baisse de l’emploi de l’ordre de 30 pourcent entre 1979 et 1984.

Aux problèmes de licenciements dans les entrepriseset de départs volontaires dans l’administration s’ajou-te celui du non-versement prolongé des salaires danscertains pays. Parallèlement, on constate une pro-gression majeure du secteur informel. La dévaluationdu franc CFA en janvier 1994 s’est traduite en milieuurbain par une contraction notable des pouvoirsd’achat et de la qualité de la vie, conduisant à unepaupérisation nette et générale.

On assiste ainsi à l’adoption de stratégies de survieindividuelles et collectives. Pour les plus pauvres leproblème principal est celui de la sécurité alimentai-re. Tout le ménage se mobilise pour tenter de faireface à l’augmentation du coût de la vie et en premierlieu, des prix des denrées. Les hommes sont à larecherche permanente d’emplois ou de travail sou-vent occasionnels ou mal rémunérés et cumulent plu-sieurs activités. Pour pallier à la diminution de lacontribution du mari à la préparation des repas, lesfemmes se consacrent au petit commerce, à laconfection et à la vente de vêtements, à la fabricationde bière, de façon permanente ou en période de sou-dure, ou pour faire face à des besoins d’argent spé-cifiques.

L’alimentation de rue constitue en fait souvent la pre-mière stratégie d’insertion dans la vie économiqueurbaine dans la mesure où elle ne requiert qu’unminimum d’investissement et de formation. Lesenfants ne vont plus à l’école et se consacrent augardiennage des voitures, au transport des panierssur les marchés, voire au vol ou à la mendicité.

Certaines catégories de ménages urbains se retrou-vent le plus souvent en situation d’insécurité alimen-taire. Il s’agit en particulier:

• des ruraux récemment arrivés qui sont en généraldes agriculteurs non qualifiés et ont des problèmesd’intégration dans les circuits économiques urbains;

• des femmes seules avec enfants à charge (veuvesou mères célibataires);

• des fonctionnaires déflatés qui ont dû faire face aunon-versement prolongé de leurs salaires ou qui nepeuvent pas faire face aux montées des prix enpériode de soudure ou de mauvaise campagneagricole compte tenu de leurs salaires;

• des ménages urbains qui se consacrent à des acti-vités peu rémunérées et/ou à forte concurrence dusecteur informel (portage d’eau, petit commerceinformel, vente de denrées alimentaires).

Les systèmes de solidarité sont encore vivaces danscertaines villes et permettent parfois à certaines caté-gories de faire face aux difficultés. C’est ainsi que lesréseaux familiaux entre ville et campagne basés surl’envoi de vivres de la campagne à la ville, et de laville à la campagne, en période de soudure ou en casde famine, sont essentiels à la sécurité alimentaire debien des ménages en particulier des migrants récentset de ceux qui ont encore des attaches rurales. Maisles systèmes d’entraide familiale subissent les effetsde la récession économique et s’effritent progressive-ment. Certains ménages urbains solvables préfèrentmême prendre leurs repas à l’extérieur dans la mesu-re où ceci leur permet d’échapper à leurs obligationsd’hôtes. On constate donc une dégradation de lavaleur sociale des repas chez les plus pauvres.

La question de la sécurité alimentaire des pluspauvres mérite une étude approfondie pour l’identifi-cation de stratégies adaptées, mais la question debase reste celle de savoir s’il faut accepter cette ten-dance comme une donnée structurelle à laquelle lesSADA doivent s’adapter ou la considérer comme uneanomie sociale à résoudre en s’attaquant auxracines, notamment à la question de l’emploi.

3.3Les conditions objectives de vie en milieu urbain

L’évolution historique de la distribution des fonctionsdans les villes africaines montre un éloignement pro-gressif des lieux de travail de ceux de résidence. Lesservices (commerces, petits métiers) se sont égale-ment rapprochés des lieux de travail et on assiste enune concentration des activités dans les centres-villes. Les moyens de transport sont déficients et lesconditions de déplacement difficiles et coûteuses entemps et en argent. On parlera ainsi de villes-dortoirspour désigner ces quartiers de la banlieue où résident

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la majorité des travailleurs des couches moyennes etdu secteur indépendant.

La consommation domestique (partage en famille durepas de midi) devient une contrainte objective àlaquelle les ménages tentent de s’adapter. Les chefsde ménages et les femmes commerçantes sont ainsiobligés de déjeuner sur les lieux de travail et de pré-voir les repas de midi à domicile pour les enfants etles dépendants. Cela alourdit les charges d’alimenta-tion et obligent les ménages à réajuster leursdépenses. C’est ainsi que les dépenses pour lesrepas de midi préparés pour les dépendants et lesenfants sont réduites au juste nécessaire et les«repas de qualité», réservés aux week-end.

Dans les lieux de travail plusieurs options sontoffertes aux travailleurs. Les restaurants offrent unevariété de plats cuisinés, mais en général il faut payercomptant. Pour les clients fidèles, le paiement à la findu mois est permis. Il arrive également que les tra-vailleurs s’organisent et confient à une préparatriceun budget de préparation4. Ce système est cepen-dant contraignant dans la mesure où il crée des obli-gations de gestion. C’est ainsi que des femmes ontpu exploité ce créneau en livrant sur place des platscuisinés qu’elles préparent chez elles.

Cette innovation, qui semble avoir plus de succès àDakar depuis l’instauration de la «journée continue»dans l’administration, présente l’avantage de la quali-té et de la flexibilité pour les deux parties. Les prixsont réduits par le fait que la restauratrice n’a aucunecharge locative. Pour le consommateur, les optionsproposées lui permettent de réajuster en permanen-ce ses dépenses. Il décide de prendre ou non unrepas en fonction de sa situation financière et de sesbesoins prioritaires. La qualité est parfois un argu-ment avancé. En définitive, il se crée un climat fami-lial entre les travailleurs d’une entreprise qui parta-gent les repas et les femmes restauratrices.

L’organisation en commun des repas répond aussi àdes préoccupations d’économie d’échelle. A Dakar,en calculant les plus bas prix par repas achetés dansles restaurants (sandwich ou plats cuisinés), soit 350franc CFA par repas, les besoins financiers d’unefamille de dix personnes se chiffrent autour de 3 500franc CFA/jour. Avec cette somme la famille peut pré-parer correctement des repas pour au moins deuxjours. A titre illustratif un repas de riz au poisson ouà la sauce de dix personnes nécessite les dépensessuivantes5:

Produit FCFA

Riz ( 2 kg): 500Huile (1/2 litre) 325Poisson: 500 Légumes: 250 Ingrédients: 200 Energie: 125

Total: 1900 FCFA soient 190 FCFA par personne

Pour le riz à la sauce les dépenses d’huile, de pois-son ou de viande sont moins élevées. Par contre lesdépenses d’ingrédient peuvent être plus élevées. Ilfaut noter que les dépenses de légumes et de condi-ment varient fortement selon les saisons.

Dans un contexte où l’alimentation individuelle estune tradition et où le repas se vend à des prix abor-dables, l’attribution à chaque membre de la famille desa «dépense» quotidienne devient possible. C’est lecas à Cotonou où l’aliment de base est constitué depâtes de tubercules avec de la sauce. Les résultatsd’une enquête budget-consommation réalisées àCotonou montrent que sur sept jours, les ménagesn’ont préparé le repas à domicile que 1,8 fois «Ceux-ci sont complétés par des plats préparés ou des pro-duits supplémentaires achetés pour les trois quartsd’entre eux, à raison de 3,65 produits par jour.Autrement dit, sur les 5,49 produits utilisés par jour etpar ménage seul le tiers est cuisiné à domicile»(THUILLIER et BRICAS, 1996).

Les auteurs de cet ouvrage soulignent égalementque «pour une dépense hebdomadaire moyenne de4 145 franc CFA, on sait que 1 091 franc CFA, soitplus du quart (26 pour cent) sont consacrés auxdépenses de restauration de d’alimentation de rue(...). La consommation de préparations marchandesque ce soit à domicile après achat, dans la rue, surles lieux de travail, à l’école ou dans les petits res-taurants apparaît comme une caractéristique impor-tante des styles alimentaires à Cotonou. Par ce biais,la population accède à des aliments que lescontraintes de la vie urbaine ne lui permettent pas depréparer ou de consommer à domicile. Pour la popu-lation défavorisée ce mode d’alimentation constitueun moyen de se nourrir à faible coût.» (THUILLIER etBRICAS, 1996).

Dans ce contexte les repas du soir sont surtout pris àdomicile pour disposer d’un moment de regroupe-ment de la famille. En effet l’enquête révèle que seuls«14 pour cent des enquêtés déclarent avoir pris leursrepas du soir hors de leurs domiciles».

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On ne dispose pas de données sur les prix des platscuisinés à Cotonou mais le fait que seuls 33,6 pourcent des aliments soient utilisés pour des prépara-tions domestiques prouve que les plats préparés neprésentent pas des écarts de coût significatifs. Lanature de ces plats expliquent certainement cetteparticularité. En effet, les plats consommés àCotonou sont des bouillies de céréales, des pâtes fer-mentées de maïs («akassa»), des semoules de ma-nioc («gari») et divers produits transformés à base detubercules et de racines.

3.4Les composantes culturelles

Les produits et plats typiques comme élémentd’identité

Les plats constituent un élément d’identification cultu-relle de premier ordre à tel point que les nouveauxcitadins tentent de conserver certaines habitudes deconsommation typiques de leur région d’origine. Cesdivers styles de consommation se retrouvent tous enville favorisant ainsi la diversité, mais chacun aimerappeler son plat de terroir d’origine. C’est le cas despopulations originaires du sud du Sénégal à Dakarpour un lot de plats typiques à base d’huile de palme.A Cotonou trois régimes alimentaires coexistent6

bien que ce soit le modèle rural du Sud qui domine.Cette volonté d’identification se retrouve aussi dansle choix des produits locaux transformés. A ce sujet,E. Cheyns souligne à propos du soumbala, un pro-duit typique burkinabé que «la consommation dusoumbala permet d’affirmer une identité, en expri-mant son appartenance à un terroir (...). Les soum-bala n’ont pas les mêmes méthodes de fabricationdonc pas les mêmes caractéristiques intrinsèques.Selon les régions du Burkina Faso, la population dis-tingue les soumbala «Bobo», «Mossi», «Bissa», etc.Consommer du soumbala de son village ou produitpar une personne de même origine ethnique ou géo-graphique, fait partie de jeu de l’identité culturelle»(CHEYNS, 1996). On peut rapprocher le cas dusoumbala à celui du couscous à Dakar. Les membresde l’ethnie serère achètent aux préparatrices dumême groupe ethnique pour la qualité un peu fer-mentée du couscous qu’elles proposent.

Le repas comme moment de socialisation

Les repas sont en général au nombre de trois dans lajournée et constituent traditionnellement des mo-ments où toute la famille et les dépendants (sourga)se retrouvent autour du chef de famille qui en profiteainsi pour réaffirmer sa position.

C’est donc un moment privilégié de réaffirmation desrôles et places de chacun. Dans les ménages poly-games les petits déjeuners sont organisés autour dessous-ménages (chaque mère avec ses enfants). Il enest de même avec les ménages polynucléaires oùchaque couple gère son petit déjeuner. La gestion dela «popote» ou de la dépense par les femmes consti-tue un symbole quotidien de réaffirmation de leur rôlecentral. Cette fonction d’intégration sociale, de com-munication et d’éducation du repas permet de com-prendre la difficulté des familles urbaines à s’adapterà la «journée continue». Cette situation frustrent alorsla majorité des familles et seules les familles aiséesarrivent à satisfaire ce besoin culturel.

La perception des aliments

La manière dont les aliments sont perçus influencefortement les modalités d’approvisionnement. Ainsion comprend la difficulté pour les populations d’inté-grer la viande congelée dans leurs habitudes deconsommation car les femmes estiment que la vian-de congelée perd de son goût. La viande fraîche-ment abattue est préférée et perçue comme plussaine. E. Cheyns parle de «trajectoire du goût»: «laviande est appréciée pour son goût et pour sa capa-cité à agrémenter la sauce (...) la viande découpéeen petits morceaux et mijotée dans la sauce a surtoutle rôle de donner du goût à la sauce: elle est perçuecomme un exhausteur de goût, et ce qui est attendud’une viande, c’est son pouvoir de diffusion dans lasauce. (...) c’est donc une viande abattue depuis peuet bien saignante qui prime sur la tendreté.».

A part les plats que préparent les familles riches etpauvres et dont les différences dépendent seulementdu niveau d’investissement, dans la perception com-mune certains plats sont «typés» «plats de pauvres»ou «plats de riches». C’est le cas au Sénégal où lesplats de riz dans lesquels le poisson frais est rempla-cé par le poisson séché ou fumé est considérécomme un repas de misérables. Bien que ces typesde plats soient réputés plus riches sur le plan nutri-tionnel et malgré les campagnes faites par les nutri-tionnistes auprès des populations, les réticences res-tent fortes. A l’opposé les plats à base de viande et depoulet sont considérés comme des «plats de riches».

On note les mêmes clivages à Ouagadougou en cequi concerne la base des plats, notamment les platsà base de spaghettis ou de tubercules. Les ménagestransforment les plats et leurs compositions . Quandle pouvoir d’achat diminue, les plats de spaghettis oude tubercules sont réduits, voire supprimés pour nelaisser que le tô et le riz.

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3.5Le comportement d’achat et d’approvisionnement: les modalités d’approvisionnement

Les modalités d’approvisionnement peuvent se clas-ser en cinq types:

1. l’auto-production;

2. l’achat en gros ou demi-gros auprès des marchésruraux pour le stockage;

3. l’achat en gros et demi-gros dans les marchéurbains pour le stockage;

4. l’achat au détail dans les marchés et lieux fermés;

5. l’achat au détail dans la rue et auprès des mar-chands ambulants.

L’autoconsommation

L’autoconsommation reste encore une des modalitésd’approvisionnement dans certaines villes (Ouaga-dougou et Cotonou) où subsistent encore des popu-lations qui ont une activité de production agricole. AOuagadougou les enquêtes de E. Cheyns (1996)montrent que c’est surtout le maraîchage qui fait l’ob-jet d’autoproduction (31 pour cent). Pour les céréalesseuls 5,4 pour cent des ménages affirment en avoirproduit eux-mêmes7. Les dons de céréales sont plusimportants (9,3 pour cent) et proviennent des villagesd’origine. Le même phénomène est observé à Dakarmais concerne surtout les régions proches (50 à 60km).

A Cotonou, l’autoproduction représente 10 pour centdes céréales et seulement 6 pour cent des tuberculeset racines qui sont les denrées les plus utilisées. Letaux de viande autoproduite est de 2 pour cent et cor-respond à l’aviculture domestique. Au Sénégal lesenquêtes disponibles n’abordent pas cette questionmais il semble selon certaines informations qu’avecle recul de la ceinture verte, la production maraîchè-re des citadins diminue. Par contre une intense acti-vité d’aviculture se développent dans les quartierspopulaires sur les terrasses des maisons mais iln’existe aucune estimation disponible du poids decette activité dans l’autoconsommation en viande. Ilen est de même pour la production de poisson et l’onsait qu’une partie importante de la population deDakar est constituée de pêcheurs et s’auto-approvi-sionne.

L’acquisition marchande

On peut distinguer par ordre de présence dans lafilière de distribution des produits alimentaires leslieux d’achat suivants:

• les marchés ruraux (le producteur, marché hebdo-madaire, sur la route),

• les importateurs, • les marchés urbains de gros et grands marchés, • les marchés secondaires, • les petits marchés de quartiers, • les boutiques de quartiers,• les supermarchés.

Ces différents marchés ont des fonctions distinctes,mais qui peuvent se combiner selon le produit ou lasituation locale.

Les lieux d’achat n’ont pas seulement des fonctionscommerciales pour les consommateurs; ils ont égale-ment des fonctions sociales. Le marché est un lieu oùs’établissent des réseaux de relations, où l’on échan-ge des informations et où l’on fait des transactions.Le marché dépasse le simple cadre d’approvision-nement en produits de consommation. C’est aussi unlieu de communication qui a trait à tous les aspectsde l’existence de l’homme, de la vie matérielle à la viespirituelle: rencontres, cosmétiques, pagnes, restau-ration, voyants, etc.

L’analyse des lieux d’achat peut donc se faire partype de marché et de fonctions, mais dans ce cas, ladifficulté est de comparer différentes situationslocales. On peut mieux analyser les choix des lieuxd’achat à travers les produits recherchés et les objec-tifs poursuivis.

Compte tenu de la difficulté de comparer les donnéesquantitatives disponibles, nous nous sommes limitésà traduire les informations et données disponibles enappréciations qualitatives.

Le premier mode d’achat reste important à Cotonouoù 17 pour cent des ménages s’approvisionnentdirectement dans les nombreux marchés ruraux. Engénéral l’approvisionnement dans les marchésruraux n’est pas systématique. C’est à l’occasion dedéplacements pour des raisons sociales et profes-sionnelles que les «gens en profitent pour s’approvi-sionner». Ce sont donc les achats en gros et en détailen ville qui constituent les modalités dominantes.

On note partout le peu d’achats faits dans les super-marchés modernes, mais cette observation cachedes spécificités sociales: en effet certaines catégo-

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ries de cadres s’approvisionnent essentiellementdans les supermarchés. Les supérettes de quartiersont également très sollicitées pour les produits desupermarché (fromage, laits, saucissons, gâteaux,boissons, etc.) qu’elles vendent en détail.

Il en est de même des boucheries modernes(Bamako, Ouagadougou et Dakar) qui offrent uneviande de qualité qui est préférée par les ménagesmoyens et aisés pour la préparation des plats quidemandent de la viande tendre (steak, etc.). Le clas-sification de la viande est de type occidental (gigot,steak, épaule, entrecôte, etc.) et les prix sont fixes etplus élevés (CHEYNS, 1996).

L’acquisition du poisson et de la viande est essentiel-lement marchande.

En ce qui concerne les produits cuisinés les choixsont plus restreints et font plus appel à des critèresde prix, de qualité, de confiance et de proximité (voirle tableau 1).

4Les relations sociales entre consommateurset commerçants

Les liens entre consommateurs et commerçants peu-vent s’apprécier à deux niveaux selon qu’on considè-re ces deux acteurs à titre individuel ou collectif. Dansla plupart des sociétés africaines les rapports tradi-tionnels d’échange se faisaient entre familles spécia-lisées dans des secteurs de production et de servicesprécis. Les personnnes qui pratiquaient un métierdonné ne formaient pas une corporation et des rap-ports privilégiés étaient établies entre familles ayantdes activités complémentaires. Un producteur decéréales avaient par exemple «son» producteur-four-nisseur de lait, «son» pêcheur etc. et vice versa. Unesorte d’obligation sociale qui se traduisait par un sen-timent d’appropriation réciproque (en wolof, et enpulaar les expression «mon» pêcheur ou «mon peul»sont bien connus). Les relations sociales consti-tuaient la base de confiance entre les familles etrégulent les transactions.

4.1Commerçants et consommateurs comme acteurs individuels

En ville les acteurs sont différents. La fonction com-merciale est dans la plupart des cas occupée par despersonnes «étrangères» avec lesquels les consom-mateurs n’ont aucun lien social traditionnel. Les rap-ports entre commerçants et consommateurs vontdonc être construits dans la dynamique des rapportsd’échange ou chaque acteur essaie d’atteindre uncertain nombre d’objectifs.

Dans la vie urbaine cette préoccupation d’établir desrelations durables et stables se rencontre chez lesménagères qui cherchent des garanties de qualité etestiment qu’en raison de la confiance accordée auxcommerçants, celui-ci sera «gêné» de les «tromper».Les valeurs culturelles partagées par les deux par-ties, prévoient qu’on doit rendre la monnaie à quivous fait confiance.

A Dakar chaque ménagère a sa «cliane» ( terme fran-çais «client» qui désigne dans le langage populaireaussi bien le commerçant que l’acheteur avec lequelon a établi des rapports de fidélité). Le terme declient n’est pas neutre, il renferme un contenu précisde «rapports privilégiés» voir de «fidélité». Mais iciles rapports ne sont pas exclusifs, ils sont juste pré-férentiels évitant ainsi à la ménagère d’être dépen-dante du commerçant.

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Tableau 1

Modalités d’approvisionnement: produits et lieux

Villes Produits Marchés Marchés Marchés Installations Installations Rue Rue

ruraux de gros secondaires modernes traditionnelles et fixe et ambulant

Dakar Mil + ++ +

Riz ++ + +++

Huile ++ +++

Viande + ++ + +++

Poisson + ++ +++

Légumes + ++ +++

Plats cuisinés ++ ++ +

Ingrédient ++ ++

Cotonou Tubercule

Céréales +++ ++ ++ ++

Légumes +

Viande + +

Poisson ++

Plats cuisinés ++ +++ ++

Ouaga- Riz + ++ + + +++

dougou Maïs +++ +++ + +

Sorgho ++ + +

Viande + +++ + + +

Poisson +++

Plats cuisinés ++ +++

Ingrédient ++ + +++

Légende

+ faible ++ fréquent +++ dominant

Les rubriques

Marchés ruraux - Tous les achats faits à proximité des zones de production: directement chez le producteur, au marché hebdomadaire, dans les

abattoirs pour la viande, dans les plages de débarquement pour le poisson.

Marché secondaires - Tous les marchés de quartiers, quels que soient leurs tailles, où on peut trouver une multitude de produits (céréales, vian-

de, produits préparés, poissons, etc.).

Installations modernes - Supermarchés, supérettes de quartier, boucheries modernes et kiosques à viande, poissonneries et restaurants dans un

lieu bien fermé.

Installations traditionnelles - Boutiques de quartiers, bouchers traditionnels de quartier avec hangar.

Rue et fixe - Lieu de vente sur rue avec des installations de fortunes (tables, etc.) à découvert.

Rue et ambulant - Vendeurs non fixes circulant avec les marchandises.

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Les objectifs poursuivis par les consommateursdépendent des produits visés et des servicesconnexes qu’ils peuvent obtenir.

Cas de la viande

A Ouagadougou, les enquêtes de E. Cheyns mon-trent que pour la ménagère qui achète de la viandedeux critères sont déterminants: la qualité sanitaire etla fraîcheur. Ces critères dépendent en effet du typede plat et de la sauce. Ainsi la vente en tas de 100 et200 franc convient mieux à la ménagère qui négocie-ra pour que le mélange de morceaux lui convienne.

La recherche de la qualité sanitaire conduit égale-ment les ménagères à préférer certains lieux (commeles abattoirs et les marchés de secteurs) et certainesheures (tôt le matin «avant que les mouches et lachaleur n’aient altéré la viande et que de nombreusesmains de ménagères n’aient touché les tas de vian-de» (CHEYNS, 1996).

A Ouagadougou et à Dakar, c’est l’usage (le plat àpréparer) qui définit la choix de la viande et parconséquent celui du vendeur. Les bouchers vendentla viande en tas qui comprennent différents types deviandes, ce qui arrange les ménagères en convenantà la préparation de la sauce. La vente en tas présen-te l’avantage par rapport à la vente au kg, de per-mettre une négociation entre les clients.

Dans la mesure où l’on n’est jamais sûre de l’originede la viande et des conditions d’abattage et de distri-bution, l’établissement de liens de fidélisation estimportant pour la ménagère qui veut réduire lesrisques. Dans une ville cosmopolite comme Ouaga-dougou certains musulmans s’approvisionnent chezdes bouchers de même religion, pour être sûr quel’animal ait été abattu dans des conditions «nor-males».

Cas des céréales

L’approvisionnement en céréales se fait de préféren-ce en gros, et donc le rapport entre consommateur etcommerçant n’est pas quotidien. Il faut cependantnoter que les familles pauvres s’approvisionnent quo-tidiennement, en particulier en riz. A Dakar le moded’approvisionnement dominant est la boutique ducoin. La qualité et le prix étant souvent standardsc’est le boutiquier qui se charge de chercher lameilleure qualité pour ces clients fidèles en casd’offre suffisante du produit sur le marché. C’est enpériode de rupture d’approvisionnement sur le mar-ché que la fidélisation prend tout son sens. Le com-

merçant se sent obligé de réserver son stock auxclients fidèles et souvent sans spéculer sur les prix.

Contrairement à Cotonou où les boutiques de quar-tiers8 ne sont pas des lieux privilégiés d’achat, l’his-toire spécifique de Dakar a fait des boutiques dequartiers les points de distribution les plus importantsde plusieurs denrées alimentaires (riz, sucre, huile,tomates, pâtes alimentaires, farine, lait industrieletc.). L’essentiel des produits vendus étant importésou manufacturés, le réseau était dominé par des liba-no-syriens (grossistes) et mauritaniens (détaillants )qui contrôlaient ce secteur (MBOW, 1976).

Les détaillants mauritaniens installés dans chaquerue ou ruelle de la ville ont développé des rapportsde proximité très personnalisés avec les familles. Laboutique du maure sert aussi de caisse d’épargne etde crédit. En effet la plupart des familles confient«leurs dépenses quotidiennes» au maure etquelques fois certains chefs de ménage laissent chezle boutiquier le stock de vivres achetés mensuelle-ment afin de mieux gérer et contrôler les prélève-ments.

D’autre part, les maures connaissant bien les habi-tants auxquels ils octroient des marchandises en cré-dit. Depuis le départ des maures en 1989 de Dakarsuite à des conflits entre les deux pays, aucune éva-luation de la reprise de ces activités par des sénéga-lais et des commerçants originaires de la Guinéen’est disponible.

Cas des produits transformés typiques (soumbala, couscous)

Pour les produits typiques préparés et vendus, lesqualités spécifiques, mais aussi les conditions hygié-niques de préparation déterminent le choix du lieud’achat. Dans ces conditions les relations de proximi-té sont essentielles. Il faut connaître le vendeur-pré-parateur. C’est le cas du soumbala à Ouagadougouoù les femmes «peuvent baser leur confiance sur untype de vendeuse ou de préparatrice, en établissantune relation de proximité. Il peut s’agir du choix des’approvisionner directement au village (57 pour centdes ménages), ou de se fidéliser chez une vendeuseà Ouagadougou (30 pour cent des ménages). Laconfiance peut dans ce cas être générée par le faitd’acheter le soumbala chez une préparatrice âgée,qui a le savoir traditionnel» (CHEYNS, 1996).

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Cas des aliments cuisinés

Certains aliments cuisinés sont réputés etre la spé-cialité de certains groupes ethniques qui ont lessecrets de leur préparation. C’est le cas à Dakar desmaures noirs et des haussa, spécialistes de la grilla-de de viande.

Le groupe ethnique d’appartenance est donc le pre-mier critère de choix. Certaines catégories socialesqui viennent dans les dibiteries dans une optique derestauration accordent de l’importance à la qualitédes lieux, mais ce critère est rarement pris en comp-te par la majorité des gens qui mangent à la sauvet-te quelques morceaux.

A Cotonou où l’achat des aliments préparés est domi-nant, l’exigence de qualité est plus forte pusiqu’ils’agit de plats à base de pâtes fermentées qui pré-sentent des risques d’intoxication très élevés: laconfiance et donc l’existence de relations de proximi-té sociale et géographique, est d’autant plus impor-tante.

4.2Commerçants et consommateurs comme acteurs collectifs9

Bien que les commerçants constituent des entitéssociales bien identifiables par type de produit et déve-loppent des stratégies de groupe d’abord vis a vis deleurs fournisseurs, et ensuite, vis a vis des consom-mateurs, ces derniers adoptent plutôt des comporte-ments individuels. Les relations de proximité que lesconsommateurs ont établi avec «leurs» commer-çants, mais aussi le fait que le contrôle des prix et dela qualité était assurée par les services de l’état, ontlongtemps empêché les consommateurs «d’objectivi-ser» leurs rapports avec les commerçants.

L’émergence des associations de consommateursest un phénomène très récent dans les pays afri-cains. Elles étaient au nombre de six dans six paysen 1990. Aujourd’hui on en compte plus de cent dansquarante cinq pays d’ Afrique. Tous les pays del’Afrique francophone ont mis en place une associa-tion nationale de consommateurs et la majorité encomptent plus de deux. A l’origine les associations deconsommateurs étaient perçues, à tort ou à raisonpar la majorité des citadins comme une affaire depays développés.

Une minorité d’intellectuels des classes moyennesest à la base de la création des associations. Leurpréoccupation première était la qualité des produitsdans un contexte de libéralisation des politiquesd’ajustement structurel qui exposait les consomma-

teurs à la recherche de produits moins chers à toutessortes de produits (déchets, produits périmés ouinterdits à la consommation en Europe, etc.).

Les interventions des associations de consommateurce sont basées sur les revendications et le lobbyingà l’image des mouvements des consommateurseuropéens, mais la difficulté de faire avancer lesrevendications, dans certains pays comme auSénégal, ont fait évoluer ces associations dans plu-sieurs directions:

La spécialisation

Certains responsables estiment que l’inefficacité deleurs association est liée à la dispersion des efforts.Ainsi vont émerger des associations de défense parsecteurs (électricité, eau, alimentation, services detransports, etc.). Le secteur de la consommation ali-mentaire a été relié à celui de l’environnement.

L’adaptation de l’approche aux réalités locales

Le besoin de base sociale et de légitimité face auxautorités et aux commerçants a conduit certainesassociations à opter pour une démarche d’implanta-tion dans les quartiers populaires avec des structuresorganisées à l’image des organisations politiques(cellules, comités, etc.). Cette implantation a contribéà modifier les modes d’intervention. En effet lespauvres démunis des quartiers sont plus préoccupéspar la sécurité d’approvisionnement et la maîtrise desprix, que par les questions de qualité. La démarchede revendication et de lobbying apparaît moins perti-nente à leurs yeux. Ainsi les femmes des quartierspauvres membres des associations vont-elles pous-ser les leaders à s’orienter vers de nouveaux modesd’action.

• la réalisation de projets de gestion de stock et decentral d’achats pour les produits comme les riz,l’huile, le sucre, etc.;

• l’établissement de relations directe avec les produc-teurs pour certains produits locaux comme l’huile depalme, les poissons transformés, etc.

Au Mali, c’est également cette voie qui a été pri-vilégiée par les consommateurs qui après qu’uneévaluation de la filière ait montré que les marges desintermédiaires étaient exagérées, ont demandé àl’état un soutien pour installer des kiosques au profitde jeunes chômeurs.

Ces évolutions sont favorables à l’émergence d’uneconscience nouvelle sur la nécessité d’impliquer lesconsommateurs à travers leurs organisations dans

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toutes les discutions concernant l’approvisionnementet la distribution des aliments. Il faut cependant noterque ces associations sont encore jeunes et ne dispo-sent que de très peu de moyens pour jouer leur rôle(mettre en oeuvre des projets et se prononcer objec-tivement sur les sujets sur lesquels elles peuvent êtreinterpellées). La démarche militante prédomine surl’approche scientifique et peut conduire à des erreursd’appréciation.

Une bonne connaissance de sa base sociale à savoirle «consommateur urbain» est le premier défi quedoit relever le mouvement associatif des consomma-teurs pour éviter un décalage entre les responsableset les consommateurs.

Le second défi est celui de l’information et de la sen-sibilisation des citoyens sur les enjeux de l’approvi-sionnement alimentaire, sur les problèmes sanitaireset les aspects nutritionnels. C’est aussi le rôle desassociations de consommateur de faire comprendreaux commerçants les besoins des consommateurs etd’étudier avec eux les stratégies pour y répondre.

Les associations sont des partenaires privilégiés desstructures publiques et peuvent représenter une forcede proposition et aider la communication entre l’étatet les consommateurs. Elles doivent participer à lamise en place des cadres de concertation etd’échanges entre l’état et les commerçants pourrégler les conflits et anticiper les problèmes d’appro-visionnement.

A moyen terme les associations de consommateurveulent prendre le relais de l’état dans la constitutiondes stocks de sécurité. Ce rôle que l’état a voulufaire jouer à la SONADIS ne peut être efficacementrempli que par les consommateurs.

Les associations pour alerter l’Etat et informer l’opi-nion, doivent assumer une fonction de surveillance. Ace titre leurs moyens et la formation des leaders doi-vent être renforcées, surtout pour payer les exper-tises nécessaires à l’accomplissement de leurs mis-sions et à leur crédibilisation. Les limites du militan-tismes et du volontarisme sont vites atteintes quandles attentes augmentent. Il faudra donc professionna-liser sans «bureaucratiser» le mouvement.

5L’urbanisation rapide et le comportement des consommateurs

5.1Les répercutions immédiates des comportements du consommateursur les SADA

Les comportements actuels des consommateursdéterminent des formes de demandes qui sont satis-faites de manière très différentes selon les capitalesconcernées. Si pour une ville comme Cotonou leconsommateur semble trouver une offre adaptée àson mode d’alimentation, il en est différemment deDakar où la combinaison d’une alimentation indivi-duelle et d’une alimentation collective pose encoredes problèmes.

La différence entre ces deux situations extrêmess’explique par la différence de la qualité de l’offred’aliments préparés de ces deux villes (prix, qualité,styles alimentaires). A cotonou une chaîne cohérentede transformation artisanale de produits locaux et depréparation de plats cuisinés permet une offre stableet adaptée10 alors qu’à Dakar la préparation à domi-cile basée sur des denrées importées reste le moded’alimentation dominant mettant ainsi en permanen-ce la ménagère en situation d’insécurité face auxcommerçants.

Les secteur de distribution est maîtrisé par le secteurdit informel qui assure la liaison entre les marchés etles urbains. Dans le contexte où la base de l’alimen-tation est constituée par les produits locaux, lecontrôle social par les consommateurs est plus effi-cace. Pour les produits importés l’insécurité de l’ap-provisionnement affaiblie le pouvoir de négociationdes consommateurs. En outre l’augmentation rapidede la demande fait que les commerçants peuventcibler les produits les plus rentables et les popula-tions les plus solvables.

L’évolution de la ville a confiné les populations lesplus pauvres dans des zones excentrées où les pro-blèmes d’acheminement des produits augmentent lescoûts d’accès pour les populations. En outre le moded’approvisionnement journalier lié à l’instabilité desrevenus expose les couches sociales pauvres. Sil’offre ne suit pas assez vite la demande une partieimportante des populations urbaines sera ainsi expo-sée à l’insécurité.

L’alimentation de rue semble offrir une alternativepour les plus pauvres, mais aussi pour les classes

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moyennes. C’est ainsi que dans la plupart des villeson assiste à la diversification des offres et des quali-tés. La structure et les contraintes de fonctionnementdes ménages moyens contibuent à concilier une ali-mentation individuelle et collective. Dans des villescomme Dakar et Ouagadougou, d’occasionnelle, l’ali-mentation de rue tend à devenir pour certaines caté-gories de citadins un mode «normal» de nutrition,jusqu’ à rentrer dans les traditions à Cotonou.

L’alimentation de rue est encore perçue comme unealimentation de complément (ou d’entre-deux repas)alors qu’elle est devenue la principale forme d’ali-mentation pour certaines couches sociales et cer-tains repas. Ce décalage entre la perception et la réa-lité explique la faible exigence des consommateurspar rapport aux aliments de rue. Plusieurs cas rap-portés par les milieux médicaux soulèvent les pro-blèmes sanitaires liés aux conditions d’hygiène desaliments de rue. A Dakar, les bouillies avec du laitsont les aliments de rue les moins chèrs mais aussiles plus sensibles aux conditions d’hygiène.

5.2Les perspectives d’évolution des comportements des consommateurs et les SADA

Les tendances lourdes des comportements desconsommateurs dans les différentes villes montrentqu’on évolue vers une situation de compromis entrele modèle de consommation individuel et la prépara-tion domestique collective. La structure sociale et lesrevenus vont faire peser la balance d’un côté ou del’autre. Il apparaît cependant que la transformationalimentaire jouera un rôle déterminant dans la capa-cité des SADA à répondre aux besoins des consom-mateurs. Les associations de consommateurs sontaussi appeler à jouer des fonctions d’approvisionne-ment et de sécurisation dont l’efficacité peut modifiertrès fortement les comportements des différentsacteurs.

6Recommandations

Améliorer l’information des consommateurs

Un SADA efficace est celui qui s’adapte à la deman-de dans sa diversité et spécificité. Le consommateururbain africain exprime des besoins qu’il serait dan-gereux de tenter de standardiser en recherchant descomportements «moyens» qui n’existent pas dans laréalité. Cette réalité change assez vite compte tenudes mutations sociales et technologiques. Il est doncimportant de disposer en temps réel des informationsnécessaires pour ajuster les politiques et aider lesacteurs à imaginer des solutions et à affiner desstratégies en leur fournissant les indications adé-quates. Le niveau actuel de connaissance desconsommateurs urbains est très faible. Il est doncurgent de multiplier les études de cas et de mettre enplace un observatoire à l’échelle de la sous régionpour comprendre tous les paramètres d’évolution dela consommation.

Renforcer les unions des consommateurs

L’émergence fulgurante des associations de consom-mateurs et leurs évolutions récentes prouventqu’elles correspondent à un demande sociale réelle.Les fonctions de régulation du marché et de contrôlede la qualité qu’elles sont entrain de jouer sont deséléments à prendre en compte dans les stratégiesd’amélioration des SADA qui correspondent au mieuxaux besoins des consommateurs. On doit égalementse rendre compte que la frontière entre les fonctionsde consommation et celles d’approvisionnement quiconfinerait les consommateurs dans la revendicationet le lobbying n’est pas opérationnel dans le contexteafricain d’insécurité et de règles imparfaites. Il fautdonc accompagner le mouvement des associationsde consommateurs en appuyant les projets de cen-trales d’achats pour créer des contre-pouvoirs éco-nomiques.

Des programmes d’éducation sanitaire et nutritionnelle adaptés pour les consommateurs et les commerçants

Le déficit d’information et de connaissances despopulations sur les problèmes sanitaires et nutrition-nels constitue un handicap sérieux. Ainsi les modesde stockage, de manutention et de préparation intè-grent très peu des préoccupations sanitaires et nutri-tionnelles, malgré l’existence d’activités d’informa-tions dans ces domaines.

Il faut donc évaluer les faiblesses de ces programmeset engager un programme d’envergure dans ces

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aspects. Les associations de consommateurs et decommerçants doivent être les partenaires et lesmaîtres d’oeuvre de ces programmes. Les restaura-teurs et en particulier les restaurateurs de rue doiventrecevoir un appui sur le plan organisationnel. Un dia-gnostic approfondi de leurs contraintes et besoinsdoit être fait et des programmes d’appui développésà leur intention.. C’est seulement à travers des pro-grammes concrets d’appui qu’on peut les sensibiliseret les éduquer sur les problèmes sanitaires et nutri-tionnels.

Des services de contrôle de la qualité

La libéralisation constitue la principale menace pourle consommateur qui ne dispose d’aucun moyen decontrôle de la qualité des produits. Ce rôle reste celuide l’état, qui doit recentrer son intervention dans cesecteur. Les services de contrôle actuels de la quali-té des aliments sont démunis et il semble que l’admi-nistration a du mal à assumer ces fonctions tech-niques. L’Etat doit donc sous-traiter cette fonctionavec les structures privées et les universités en colla-boration étroite avec les associations de consomma-teurs.

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Notes de bas de page

1. D’après M. Dankoko, Assistant en gestion,Faculté de Sciences économiques et de gestion,UCAD, Dakar (communication du mois de février1997).

2. Cette opération, désignée par le terme «tong-tong», permet aux consommateurs de sauter lesintermédiaires en s’occupant eux-mêmes de tousles services: convoyage, abattage, etc.

3. Le terme wolof «muusal» désigne cette technique.

4. Le terme de «popote» est utilisé pour désignercette forme d’organisation. La popote contribue àrenforcer les relations au sein de l’entreprise.

5. Données indicatives recueillies par interviewauprès de trois menagères.

6. Thuillier et Bricas (1996) distinguent trois«régimes nutritionnels» ruraux: celui du Nord, oùla base amylacée est dominée par le sorgho et lemil et est complétée par l’igname; celui du Centredans la parties nord du Zou, considéré commeintermédiaire, où l’igname, le maïs et le maniococcupent une place centrale mais où la place dusorgho et des oléagineux est significative; et celuidu Sud et de la région de l’Atlantique, dominé parle manioc et le maïs, avec un apport significatif deprotéines par le poisson.

7. Cette enquête a été réalisée en période de sou-dure. On peut donc supposer que le pourcentaged’autoproduction est en fait plus élevé pour lescéréales.

8. A Cotonou, les boutiques de quartier proposentdes produits industriels locaux ou importés quisont rarement de grande consommation. La pré-paration à domicile étant faible, ces boutiques ontdes fonctions commerciales limitées.

9. Ce sous-chapitre est basé sur des entretiens avecM. Kamouté, Représentant de l’Organisationinternationale des consommateurs (OIC).

10. 659 ateliers de mouture artisanaux qui traitent150 tonnes de produits par jour ont été recensésà Cotonou. Ces ateliers fonctionnent en presta-tion de service. Les activités de transformationsont dominées par certains groupes socio-cultu-rels ou géographiques pour leur savoir faire etpar la localisation des produits agricoles. Ilsconstituent donc des groupes qui peuvent rédui-re les coûts d’acquisition des aliments.

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