Bat'Carré N°7

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BA CARRÉ T’ NUMÉRO 7 // NOVEMBRE - DECEMBRE 2012 // JANVIER 2013 tanger la muse intemporelle rencontre avec jean colbe madagascar À la poursuite du saphir bleu Langevi lés amoureux de

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En un clic, Bat’carré nous plonge dans l’océan Indien à la découverte de ce carrefour d’influences à découvrir, à savourer, à partager… Bat’carré : Allons faire un tour avec un beau magazine qui met en relief paysages cultures et personnages inédits

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BA CARRÉ T’

NUMÉRO 7 // NOVEMBRE - DECEMBRE 2012 // JANVIER 2013

tangerla muse intemporelle

rencontre avec jean colbe

madagascarÀ la poursuite du saphir bleu

Langevi�lés amoureux de

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ÉVASION CULTURELLEÉVASION BEAUX LIVRES & ÉVASION ROMANS DU MONDEÉVASION JEUNESSEAU CŒUR DE L’ÎLE LANGEVIN, LE RENDEZ-VOUS DES AMOUREUXL’ÎLE MYSTIQUEDES RAVINES & DES ÂMESBEAUX-ARTSCENTENAIRE DU MUSÉE LÉON DIERXMISE EN SCÈNEVIDÉOOCÉAN INDIENÀ LA POURSUITE DU SAPHIR BLEURENCONTREJEAN COLBE, REGARD INTIME SUR SA VIEHORIZON SAUVAGEMOZAMBIQUEVOYAGE-VOYAGETANGER, LA MUSE INTEMPORELLELA CINÉMATHÈQUE DE TANGERBATAYE KOKTI KOKAU FIL DES FESTIVALSHUITIÈME FESTIVAL DE FABIENNE REDTCOULISSESTOTAL DANSE, LE G.U.I.D. À LA RENCONTRE DE TOUS LES PUBLICSPAPILLES EN FÊTERECETTE DE L’ATELIER DE BENRÉUNIONNAIS DU MONDEICHIGO ICHIE, DEUXIÈME ÉPISODEJEUXRÉSULTATS DES JEUX

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Couverture Photographie d’Éric LafargueÉditeur BAT’CARRÉ SARLbimestriel gratuitAdresse 16, rue de Paris97 400 Saint-DenisTel 0262 28 01 86www.batcarre.comISSN 2119-5463

Directeur de publication Anli [email protected] 29 47 50Directrice de la rédactionFrancine [email protected] 28 01 86RédacteursJean-Marc Lalo, René Robert,Anne-Line Siegler, Géraldine BlandinSylvain Gérard, Hippolyte,Rodolphe Sinimalé, Francine George

Secrétaire de rédactionAline BarreDirecteur artistique P. Knoepfel, Crayon [email protected] Éric Lafargue, Hervé Douris,Michel Denancé, Anne-Line Siegler,Géraldine Blandin, Sébastien Marchal, Jean-Noël Enilorac,Christophe Boisvieux et RolandBeaufre de l’agence Gamma, Rapho, Laurent Capmas, Hippolyte,Pierre Choukroun

Illustrateurs Hippolyte – PLCréation & exécution graphique Crayon noirVifs remerciements à Jean & Raymonde Colbe, Lise Di Pietro, Jean-Marc Lalo,Michel Denancé, René Rober,Hervé Douris, Éric Robin, Thomas Kocek, Patricia de BollivierGuillaume Siard, Véronique AscencioFrançois Berléand, Benoît Vantauxpour leur précieuse collaboration àce numéro.

Développement web Anli Daroueche, Axe DesignPublicitéFrancine George : 0262 28 01 86Anli Daroueche : 0692 29 47 50DistributionTDLImpression Graphica 305, rue de la communauté97440 Saint-AndréDL No. 5425

Tous droits de reproduction même partielle des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.

Toutes nos félicitations au photographe Laurent Capmas qui vient de recevoir la médaille d’or au salon professionnel de la photographie à Paris.

BAT’ CARRÉ

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Une fin d’année que certains annoncent apocalyptique ? Faisons diversion !

Allons Bat’Carré du côté de la rivière Langevin sans oublier de retrouverRené Robert qui nous en dévoile ses mystères. Baladons-nous aussi dansle temps, des années 50 aux années 70, avec le photographe Jean Colbeet son épouse Raymonde. Un siècle exactement, l’âge du musée LéonDierx à qui nous rendons également hommage.

Dans les coulisses du festival de Danse, nous avons suivi pour vousl’extraordinaire performance dans la rue des danseurs du ballet Preljocaj.Autre festival, celui de Fabienne Redt qui nous a permis de rencontrerFrançois Berléand. L’occasion de nous lancer dans le blog de Bat’carré :batcarre.blogspot.com sur lequel nous vous invitons à participer.

Autres balades, retrouvez sur le site de Bat’carré wwwbatcarre.com descompléments photos et vidéos et n’hésitez pas à poster vos commen-taires.

Bat’Carré disparaît assez vite dès qu’il est mis en place et pourtant il estdistribué dans 450 points sélectionnés sur toute l’île !

Si vous souhaitez soutenir notre publication et passer l’année 2013 ennotre compagnie, abonnez-vous à Bat’carré pour 42,50 € et vousrecevrez, chez vous, dans votre boîte aux lettres, les cinq numérossoigneusement mis sous pli.

Joyeuses fêtes de fin d’année et rendez-vous en février 2013 !

Francine George

www.batcarre.com

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Depuis 1853

MaîtriserProposerAnticiper

DévelopperAllégerFinancer

B A N Q U E P R I V É E

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ÉVASION BEAUX LIVRES & ÉVASION ROMANS DU MONDE · 4

SÉLECTION FRancine GeoRGe

« PRENDRE DE LA HAUTEUR POUR MIEUX SAISIR LA COMPLEXITÉ DE L’ÎLE »

Avec son compagnon des airs, le pilote Serge Farci,Hervé Douris a photographié pendant plus de 20 ans La Réunion, sous toutes ses formes, le tourdes côtes, les pitons, cirques et remparts, les terresagricoles, le développement urbain, les grandschantiers… De photos inédites en images spectaculaires, il nous livre sa vision de l’île qu’ilchérit au plus haut point ; il est accompagné par la plume de Bernard Grollier, avec qui il a réalisé le beau livre primé à Ouessant Au Cœur du parc national de La Réunion.

TITRE La Réunion, une îLe vue du cieL

AUTEURS HeRvé douRis et BeRnaRd GRoLLieR

EDITIONS epsiLon éditions

« PHOTOGRAPHIER EN UNE FRACTION DE SECONDE UN RÊVE ENTIER »

Romain Philippon a parcouru le monde à la rencontre des dormeurs dans la rue. Un travail de sept ans au cours de ses différentsvoyages qui donne un éclairage saisissant sur les conditions de vie, l’échappatoire du quotidien,souvent l’épuisement, l’abandon du corps dans des postures improbables… en fait, ce recueil sensible et singulier offre une part de rêve du Nord au Sud de la planète.

TITRE inconscience

AUTEUR Romain pHiLippon

EDITIONS pendant ce temps

www.pendantcetemps.fr

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LE PRIX RENAUDOT POUR SCHOLASTIQUE MUKASONGA

Les auteurs africains sont à l’honneur à Paris aussi. Scholastique Mukasongavient de recevoir le prix Renaudot pour son premier roman Notre-Dame du Nilpublié chez Gallimard. Scholastique Mukasonga, Rwandaise, rescapée de l’extermination tutsie, milite pour la réconciliation entre Tutsis et Hutus alors qu’elle a vécu les pires atrocités et que toute sa famille a été massacrée par les Hutus. Cette femme passionnante a dépassé le devoir de mémoire pouroffrir aux yeux du monde un bel exemple d’humanité. Dans Notre-Dame du Nil,où l’action se déroule dans un pensionnat pour jeunes filles destinées à devenirl’élite du pays, elle ne témoigne pas du génocide, il est latent, mais de la violence prête à exploser à tout moment dans les gestes du quotidien. Subtile, poétique, son écriture montre la voie de la puissance d’un roman face à la réalité tragique de ce génocide.

TITRE notRe dame du niL ∙ AUTEUR scHoLastique mukasonGa ∙ EDITIONS GaLLimaRd

LE PRIX NOBEL À MO YAN

Nous ne pouvons pas passer à côté de cette saison de remises de prix sans parler du grand auteur chinois, Mo Yan, prix Nobel 2012. L’accession à l’honneur suprême pour un écrivain n’a pas cessé de faire coulerbeaucoup d’encre sur la liberté d’expression en Chine, tout en tournant en dérision « le courant Mo Yan » (qui veut dire en chinois « celui qui ne parle pas »).Le politique s’empare là de littérature alors que Mo Yan réussit à braver la censure. Dans Beaux seins, belles fesses, interdit lors de sa première parution, il raconte l’épopée de son village natal durant le XXe siècle « où l’histoire officielle ne rejoint pas l’histoire vécue. »

TITRE Beaux seins BeLLes Fesses ∙ AUTEUR mo Yan ∙ EDITIONS seuiL

LE GRAND PRIX DU ROMAN MÉTIS POUR TIERNO MONÉNEMBO

Troisième édition du Grand Prix du Roman Métis organisée par la ville de Saint-Denis et l’association La Réunion des livres en partenariat avec la DAC OI,l’Académie de La Réunion et le Rotary Club. Un jury prestigieux composé de personnalités de La Réunion et de la vie littéraire internationale tels que Mohammed Aïssaoui, président du jury, Tahar Ben Jelloun, Alain Mabanckou, et Lyonel Trouillot primé en 2011. Quatre romans ont été sélectionnés dans un premier temps sur les dix-sept reçus. Le jury de ce grand prix fonctionne de manière particulière. Les jurés réunionnais se rencontrent et délibèrent traditionnellement, tandis que les jurés internationaux votent à distance en motivant leur choix. Le secrétaire général Sham’s regroupe ces mails et en restitue les commentaires lors des délibérations. Jusqu’ici tout a bien marché, il n’y a pas eu de ballotage. Le lauréat 2012 a obtenu une belle majoritéavec 9 voix sur 14. Il s’agit de Tierno Monénembo pour Le terroriste noir édité au Seuil, qui viendra le 6 décembre prochain recevoir son prix. Ce grand auteur guinéen a déjà reçu le prix Renaudot pour Le roi de Kahel en 2008.

TITRE Le teRRoRiste noiRe ∙ AUTEUR tieRno monénemBo ∙ EDITIONS seuiL

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ÉVASION JEUNESSE · 6

SÉLECTION FRancine GeoRGe

UNE AMITIÉ IMMORTELLE

Sachant sa fin venir, Emma, une sympathique mamie, emmène son amie de toujours Emmi, la tortue géante, faire le tour du monde. Un prétexte pour la préparer à son départ et lui faire rencontrer ses congénères qui prendront le relais lorsqu’elle aura disparu. Une belle histoire d’amitié illustrée à la fin par quelques indicationsutiles sur la vie des tortues.

TITRE emma et emmi

AUTEURS FaBienne Jonca & nancY RiBaRd

EDITIONS epsiLon Jeunesse

LE SOLEIL DOIT BRILLER POUR TOUT LE MONDE

Iris, résolument optimiste, ne veut pas s’embarrasser des soucis du quotidien. Hop, un coup de balai chez le voisin. Seulement, voilà, la vie n’est pas aussi simple. Monsieur Jasmin, son voisin, récolte tousles problèmes et n’arrive pas à y faire face jusqu’au jour où Iris ouvreles yeux et va à la rencontre de Monsieur Jasmin. Une jolie façon de montrer l’importance de la sensibilité aux autres.

TITRE iRis sans souci

AUTEURS améLie BiLLon-Le Gennec & coRaLie

EDITIONS epsiLon Jeunesse

LA NUIT, TOUS LES CHATS SONT GRIS

Edgar, le chat, se retrouve à la rue et cherche désespérément du travail pour survivre. Sa rencontre avec deux gentilles souris va luiouvrir la voie de l’amitié et le sortir de la triste impasse dans laquelle il se trouvait. Un livre plein d’humour pour parler de solidarité aux enfants.

TITRE edGaR, Le cHat-souRis

AUTEURS FaBienne Jonca & nancY RiBaRd

EDITIONS epsiLon Jeunesse

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Langevin, le rendez-vousdes amoureux

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9 · AU CŒUR DE L’ ÎLE

Le temps est couvert, mais ce n’est pas une raison pour rester chez soi. Direction la rivière Langevin, haut lieu de pique-nique familial sur l’île. À la sortie de Saint-Joseph, juste après La Balance, la route, de plus en plus sinueuse,longe la rivière, traverse un pont, côtoie quelques îlets épars et remonte jusqu’à Grand Galet. Les amoureux de la nature s’en donnent à cœur joie. Mais il n’y a pas qu’eux ! Des personnes âgées, par bus entiers, vont, elles, s’enfermer dans la salle du Benjoin pour danser tout leur saoul sur des standards rétro. Un bain de jouvence !

TEXTE FRancine GeoRGe

PHOTOGRAPHIE eRic LaFaRGue

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AU CŒUR DE L’ ÎLE · 10

LES AMOUREUX DE LA NATURE

Depuis le Piton de la Fournaise, la rivière Langevin court s’encaisserentre les remparts pour se jeter dans l’eau bouillonnante de l’océan. Surson passage, cascades et bassins d’eau créent de magnifiques paysagesqu’il est possible d’admirer uniquement à pied lors d’une randonnéequi, aux abords du Morne Langevin, s’aventure de Grand Galet auVolcan en passant par la forêt de Cap Blanc. Langevin est avant toutsynonyme de cascades, bassins où il fait bon se baigner, revigoré parla fraîcheur saisissante de l’eau. Un bonheur aquatique sans égal pourles jeunes qui s’aventurent à plonger. Le plongeoir de Trou Noir, pourles plus téméraires, se situe à dix mètres de haut. En plein été, lorsquela rivière est en crue, il est aussi très plaisant de simplement y tremperles pieds en faisant attention de ne pas glisser sur les rochers. Une foisque toute la famille - au sens large - est bien installée sur les bergesescarpées, la bâche arrimée aux arbres, le feu allumé pour laisser lezembrocal mijoter doucement, la principale activité du pique-nique dudimanche est de ne surtout rien faire. Se laisser porter par le temps,rêveries en silence ou en musique. Jeux de cartes ou de dominos entreamis. Bavardages tranquilles tandis que les enfants s’amusent et s’ébrouentgentiment dans l’eau. Ambiance reposante ou parfois animée, peuimporte si le soleil est de la partie, l’important est de partager ce plaisirdominical ensemble. Les pêcheurs, quant à eux, préfèrent s’isoler pourtaquiner le poisson. Et ils sont nombreux à venir là, pêcher à la mouche,le geste rapide et le lancer souple les distinguant nettement despêcheurs occasionnels. À La Marine, une fois par an, là où la lavebaignée par les vagues s’est figée pour toujours, les pêcheurs debichiques vont tenter leur chance.

PHOTOGRAPHIE HeRvé douRis

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ILLUSTRATION pL

LES AMOUREUX DE LA DANSE

Le Benjoin à midi. Un restaurant familial sert descarrys aux convives de passage. Juste derrière,l’un des célèbres dancings de La Réunion ouvreses portes de 9 heures à 17 heures. Aucun jeunene s’y aventure. Des cars entiers s’arrêtent. Ses oc-cupants viennent de toute l’île se défouler pourquelques heures. Chaise pliante, pique-niquerapide en bord de route. L’essentiel n’est pas là.L’agitation grandit, derniers préparatifs avant legrand saut. Aller-retour dans le bus pour allerchercher l’objet oublié. Un poudrier pour rectifierle maquillage, un coup d’œil par-ci par-là pourregarder qui est venu aujourd’hui. Un bonjour àla cantonade du play-boy local, arborant uneénorme paire de lunettes de soleil qui barre unvisage un peu plus jeune que la moyenne dugroupe. La salle est prête, le frémissementdevient brouhaha. C’est bientôt l’heure de rentreraprès la pause déjeuner.

Jacky, le maître des lieux, a créé son établisse-ment en 1987. Il a eu cette idée dans un hôtelà Maurice quand il a vu le plaisir que les per-sonnes âgées prenaient à danser. « Au départ,j’ai fait la tournée de toutes les associations depersonnes âgées de l’île et c’est parti commeça ! » Il y a des périodes plus fastes que d’autres,mais en général, le Benjoin ne désemplit pas.Les fins de mois sont difficiles et même si le ticketd’entrée pour payer l’orchestre n’est pas très cher,l’affluence est moindre le dernier dimanche dumois. Il faut dire que Jacky veille à ce que toutsoit comme il le conçoit pour ne décevoir per-sonne. Un élan de générosité dans la voix autantque dans le regard montre bien qu’il se consa-cre pleinement à ses clients pour faire tourner« son Benjoin » !Dans le dancing, l’ambiance est à la fête ! Bizar-rement, aucun bruit ne filtre à l’extérieur. Sur lesol carrelé d’une très grande salle, les couplestournoient dans un rythme cadencé, certainesdanseuses - il y a plus de femmes que d’hommes -s’aventurent aussi sur la piste et plaisantent avecles copines en jetant des œillades discrètes auxquelques hommes assis qui reprennent leursouffle. Peu de gens assis en fait. Ils sont là pourse donner à fond et, sans doute, rattraper le tempsde leur jeunesse où ils avaient rarement l’occa-sion de s’amuser. « Le créole sait danser. », ditJacky, « Ce qu’il faut, c’est un orchestre qui lesentraîne. »

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Parce qu’il y a un véritable orchestre qui joue unrépertoire complet de danses rétro. Un orches-tre différent tous les dimanches, composé desept à huit musiciens. Le clavier électroniquetend à remplacer les instruments à vent, il y a demoins en moins de saxo, de trompettes, et mêmel’accordéon, lui aussi, se fait rare. C’est dom-mage, car le public du Benjoin apprécie l’accor-déon. Jacky programme à l’avance le passagedes uns et des autres et sait tout de suite sil’orchestre est bon : « Avec eux, c’est clair etc’est direct. Ils viennent me voir à la sortie et jesais tout de suite si ça leur a plu ou non ! »

Une dame très âgée vêtue d’une longue tuniquebeige danse, un seul bras levé, toujours enmouvement. Très gaie, elle sourit à ses amiesqui l’entourent. En regardant bien, on s’aperçoitque son autre bras est tenu à l’horizontale… parun plâtre ! Dans un autre coin de la piste, unmonsieur, lui aussi d’un âge très avancé, s’amusecomme un fou, il ne fait danser personne, maissautille sur place, la mine réjouie. Quelquesdanses plus tard, une personne vient le cher-cher. Il part, le dos courbé, le pas lent, appuyélourdement sur sa canne ! Un triste retour auquotidien, sans doute ? « Alexandrie - Alexandra »fait toujours bouger les foules, les bras levés, ledéhanchement assuré, tout le monde chante !

L’orchestre enchaîne, tango - paso doble - chacha - quadrille… les jupes longues virevoltent,les chaussures glissent. Les femmes se sontparées de quelques accessoires scintillants, leshommes de leur plus belle chemise, parfoisd’un chapeau. Quelques couples évoluent avecune belle agilité, un charme irrésistible, il y a dela compétition dans l’air ! Parfois grand-mère etpetite-fille s’amusent sur une valse. Puis, leschoses sérieuses arrivent, une vague de ségaprend possession de la piste. Pas le droit derefuser une danse, tous les cavaliers trouvent às’occuper. Les cavalières dansent entre ellesaussi pour ne pas faire tapisserie. Quelquespersonnes reprennent leur souffle, un verre à lamain, assises sur les bancs à l’extérieur, laromance est déjà bien avancée... Le Benjoin estun rempart contre la solitude. Les habitués onttrouvé là une famille. De nombreuses rencontresont donné naissance à des couples, voire mêmeà des mariages. Un rock endiablé marque la finde la pause, les danseurs reprennent possessionde la piste. Quelle énergie, quelle vitalité ! EtJacky de conclure : « J’aime le métier que je faiset ces vieux, ils m’éclatent ! »

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LA POINTE DE LANGEVIN

C’EST L’UNE DES RÉGIONS LITTORALES LES PLUS PRISÉES

DE LA COMMUNE DE SAINT-JOSEPH. LA FRÉQUENTATION TOURISTIQUE Y EST IMPORTANTE.

ABOUTISSEMENT NATUREL DE L’ÉCOULEMENT DE LA RIVIÈRE LANGEVIN, CETTE RÉGION DE CONTACT DES EAUX TORRENTIELLES

ET MARINES PROPOSE AUX CURIEUX

DES PAYSAGES INATTENDUS ET SOMME TOUTE RARES. LEUR LECTURE NE MANQUE PAS D’INTÉRÊTS

GÉOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES.

TEXTE René RoBeRt

PHOTOGRAPHIE HeRvé douRis

RENDEZ-VOUS AVEC RENÉ ROBERT

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retrouvez René Robert dans son livre « Regardssur le patrimoine naturel »

La première chose qui frappe, c’est l’inexistence d’un vaste champ d’alluvionsau contact de la mer, comme c’est le cas pour les autres grands torrents(Rivière des Remparts, Rivière Saint-Etienne, Rivière des Galets…). Le littoralest marqué vers Saint-Joseph par une falaise morte précédée d’un cordon degalets, et de l’autre côté par un promontoire rocheux où les alluvions sonttotalement absentes. Le cours d’eau principal se termine par une petite cascadequi donne sur un bassin que les vagues viennent frapper. Il n’y a aucune tracede « delta alluvionnaire », classique des paysages des autres torrents. Premièresurprise et première curiosité.

Dans la réalité géographique, le delta est une des trois composantespaysagères d’un torrent. Il ne peut pas ne pas exister. Il a été construit jadiset se retrouve aujourd’hui presque totalement recouvert par des coulées delaves épaisses, venues de fort loin en amont, en réalité de la Plaine desSables (Piton Chisny). La vallée de Langevin a servi de canal naturel à cetévénement relativement récent (XVIe siècle). Il faudra beaucoup de tempspour que l’érosion dégage la couverture de laves et fasse réapparaître le deltaalluvionnaire de la Rivière Langevin.Il ne faut pas s’arrêter à cette première découverte. Le promontoire volcaniquede Langevin offre d’autres centres d’intérêts. Deux sont cités ici.

La présence d’une tranchée marine taillée au sein d’épaisses coulées ne peutpas se rater (au contact immédiat du parking). Grâce à des zones de faiblessedans les coulées, la mer a pu tailler un mince goulet limité par des falaiseshautes de plusieurs mètres. Chaque vague s’y engouffre et va se fracasser aubout de la tranchée en des gerbes d’eau toujours attrayantes, surtout lorsquela houle est forte. Le même relief se retrouve de l’autre côté du promontoire :il est plus difficile à approcher.

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Au revers du promontoire, là où l’épaisseur des coulées est relativement faible, la falaise littoraleest face à la houle. Les fortes vagues s’y heurtent et projettent des paquets d’eau de mer sur le reversde la falaise. Une partie de cette eau reste piégée dans de grandes cuvettes : dans cette eau, desêtres vivants se sont installés, créant de tout petits récifs coralliens (coraux, algues, oursins, étoilesde mer, poissons et coquillages…). Ne manquez pas d’aller voir ces aquariums naturels qui existentmalgré des conditions difficiles.

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L’ ÎLE MYSTIQUE · 18

Les ravines réunionnaises, ces endroits mystérieux, suscitent

fascination et crainte mêlées. Ainsi, visible et invisible, profane et sacré, affleurent à la frontière

d’un monde où croyances et pratiques locales sont teintées de magie.

[ Les « movézâm » (les fantômes)

et les « bébèt » (les monstres, démons)

peuplent mon île.

Cette vérité, je l’ai reçue enfant,

en écoutant les « gramounes »

(vieilles personnes) de ma famille.

Ces Invisibles hantent

les sablons de cendre,

les ravines ténébreuses

et les mornes luxuriants

de mon pays. ]

William Cally,

Grand-Mère Kalle

figure tutélaire du surnaturel

créole réunionnais

TEXTE & PHOTOGRAPHIE anne-Line sieGLeR

D E S R A V I N E S

E T D ES A M E

S

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L’ESPRIT DES LIEUX

Les ravines rassemblent, pêle-mêle, carcassesde voitures, petits bons Dieux, roues de vélo etoffrandes ferventes. Vastes, claires, ouvertes surla mer, ou encore sombres, sinueuses, caver-neuses, les ravines réunionnaises, peuplées desspectres de l’histoire, semblent baigner dans unparfum d’éternité. Le surnaturel est là, tapi dansun coin, prêt à surgir des barbes de lichensfantomatiques, des ramifications tortueusesdes tamarins, ou encore du crissement lugubredes bambous animés par le vent… ou peut-êtrepar quelqu’esprit égaré ?

Lorsque l’écrivain William Cally évoque lesravines de son enfance où on l’envoyait chercherde quoi nourrir les cabris de la famille, saplume transcrit un lieu de « peur véritable » :« On se racontait tant d’histoires de rencontreavec les êtres surnaturels des ravines… On disaitque des individus malveillants, des « malfézan »,y venaient déposer des « bouteilles de maladie »qu’il suffisait simplement de toucher pour contrac-ter un mal incurable. On pouvait également ycroiser l’âme en peine de femmes décédées« en mauvaise position », c’est-à-dire mortesenceintes. C’étaient encore des lieux connuspour avoir été parcourus jadis par d’angoissantsfugitifs, qu’ils fussent esclaves marrons, pirates,contrebandiers, maraudeurs, bandits ou assas-sins… »

UN ESPACE DÉFENDU

Aujourd’hui encore, des gramounes vous ra-content des histoires d’apparitions ou de voixentendues lors de la traversée d’un radier. Car,outre les croisées de chemins et les champs decannes, c’est aussi dans les lits des rivières,dans les arbres des ravines que s’exerce le« vativien », cet aller-retour entre le monde desmorts et celui des vivants. C’est là que lesesprits des morts peuvent exercer leur in-fluence. Les personnes mortes de façon violente– les suicidés, les noyés, les femmes mortes encouches, les accidentés ou encore les assassi-nés – deviennent des fantômes condamnés àl’errance. Car les âmes de ces personnes fauchéesavant leur heure n’ont pas été « ramassées »(par le bon Dieu) et ne trouvent pas leur place. Rancunières, les mauvaises âmes perturbent lequotidien des vivants et reviennent sur les lieuxoù elles ont souffert. En plus de hanter certainsarbres – manguiers et tamariniers – elles em-poisonnent leurs fruits, l’eau des ruisseaux etdes bassins. Le passage sous un arbre à desheures interdites – 18h00, minuit, parfois midi –n’est pas sans danger. Les âmes dites « pasramassées » forment une communauté d’« in-visibles » encore appelées « mauvaises âmes »,« âmes errantes », « âmes abandonnées », ou« bébèt ». À noter que le terme créole de « bébèt » vien-drait du malgache « biby » signifiant bête, in-secte, mais aussi démon, monstre. Qu’ils soientconformes ou non à l’image traditionnelle duspectre blanc, une chose est sûre, les « bébèt »ne touchent pas le sol et n’ont pas de jambes.Ils s’incarneraient sous des formes animales :lièvres, chiens, chats, poules ou chevaux. Tousont la propriété d’être blancs et énormes. Si vousleur jetez une pierre, alors ils se mettront à enflermonstrueusement ! D’autre part, la manifestationd’un chat blanc serait l’esprit d’un parent défuntqui vous suit pour vous protéger, celle d’un chatnoir chercherait à vous entraîner dans les té-nèbres. Immanquablement, à ces apparitionsanimales se greffent le « shat marron » (chatsauvage) et le « zoizo fouké », pendants deGrand-Mère Kalle.

Sources

Eve Prosper, Ile à peur. La Peur redoutée ou récupérée

à La Réunion des origines à nos jours,Océan Éditions, 1992.

Cally William, Grand-Mère Kalle

- figure tutélaire du surnaturel

créole réunionnais, Kapali éditions, à paraître fin 2012.

Magdelaine V., Marimoutou J-C. C. & Terramorsi B.,

Démons et merveilles, le surnaturel

dans l’océan Indien, Université de La Réunion, 2005.

Honoré Daniel, Kroyans

(Superstitions à La Réunion), UDIR, 1994

L’ ÎLE MYSTIQUE · 20

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Il existerait aussi des périodes propices auxapparitions des âmes errantes, le vendredi (no-tamment le premier vendredi du mois), et l’été,de novembre jusqu’à Pâques. L’époque de laToussaint à Noël correspond à « lo tan laksidan »,le temps des accidents, où catastrophes et sui-cides peuvent survenir, selon Daniel Honoré, dufait de la présence d’âmes « pas ramassées ». Habitant aussi au cœur des arbres, les « bebètZavan » rôdent pendant la période de l’Avent àla recherche de fruits à manger. Ces mauvaisesâmes sont capables d’envoûter, de rendre malade– physiquement et psychiquement – et de tuer. Aux croyances populaires créoles se sont su-perposées celles de l’hindouisme réunionnais.Ainsi, dans le panthéon des dieux hindous, les« Mini », qui se tiennent dans les branchagesfeuillus, sont devenus des esprits du mêmenom, assimilés à des âmes errantes. Ces espritsMini sont également capables de fondre surl’imprudent qui passe sans protection sousl’arbre où ils sont perchés. Les Malgaches entretiennent des croyancessimilaires, avec des spécificités complexes,reposant sur de nombreux interdits ou « fady ».

PRATIQUES SECRÈTES

C’est aussi dans les ravines que le passant dé-couvre en contrebas d’un radier toutes sortesd’offrandes et qu’il s’en tient éloigné, de peurd’attraper un sort. Les cérémonies sont toujoursmenées dans la plus grande discrétion, et lais-sent derrière elles dans un soubik ou un vane,fruits, cigarettes, bouteilles de rhum, encens,agrémentées parfois d’une poule noire sacrifiée,ou encore de bouts de tissus noués aux branchesdes arbres, et même d’habits abandonnés aprèsun rituel de purification. En principe, il ne fau-drait jamais rapporter chez soi des restes d’of-frandes, au risque de s’attirer une malédictionou la visite à minuit de quelqu’esprit vousdemandant de les restituer !

Les familiers des ravines vous parleront aussides « bouteilles de maladie » à ne surtout pasouvrir ! « Certaines personnes souffrant d'unemaladie mystérieuse, après avoir pris un bain àbase de vétyver, de feuilles de lilas, de plantain,

de jean robert, d'eucalyptus et d'ayapana marronen remplissaient une bouteille et la déposaienten ces lieux », écrit l’historien Prosper Eve. Lapersonne ne se débarrasse de sa maladie quelorsqu’un imprudent vient à ouvrir la fiole aux« fluides négatifs », abandonnée sous une roche.

LE SPECTRE DE L’HISTOIRE

De fait, les ravines sont aussi associées aumeurtre et au banditisme. L’histoire la plus mar-quante est bien sûr celle du trio diaboliqueSitarane Saint-Ange Fontaine qui sema la terreurau début du XXe siècle dans le Sud de l’île, ens’adonnant à des expéditions sanguinaires et àdes pratiques occultes. C’est d’ailleurs dans unegrotte au fond d‘une ravine sans nom, prèsdu lieu-dit la Chatoire au Tampon, qu’avaientl’habitude de se réunir les « buveurs de sang »avant leurs méfaits macabres ; c’est aussi làqu’on y retrouva leur butin en 1909.

Finalement, c’est peut-être au commencementde l’histoire de la Réunion qu’il faudrait chercherla crainte entretenue des ravines. L’imaginairede ces lieux a incontestablement été façonnépar le marronnage. Car dès le début du peuple-ment de l’île, ces lieux vallonnés inconnus furentle théâtre de conquêtes exaltantes mais aussi dedrames humains, de chasses à l’homme, dansun climat de peur et de violence nourri parl’esclavage. La toponymie s’en souvient, telle latristement nommée Ravine à Malheur, située surla commune de la Possession, qui aurait trouvéson nom en 1672, lorsque des esclaves ayantprojeté d'assassiner le gouverneur La Hure yfurent exécutés. Selon la légende, le célèbrepirate Olivier Levasseur – alias La Buse – y auraitaussi caché son trésor.

Ainsi, nombreux sont ceux à La Réunion qui,sans l’avouer clairement, croient à ces êtressurnaturels, bénéfiques ou maléfiques, qui peu-plent les ravines. Que l’on soit pétri de ce florilègede légendes et de croyances ou que l’on y soithermétique, au fond, peu importe. Peu importeque les esprits des morts viennent ou non hanterces ravines, car, tant que l’on parlera d’eux, ilscontinueront à exister.

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PUBLI-REPORTAGE BAT’CARRÉ · 22

La lettre au Père Noel

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joie inégalée de l’enfance

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Fidèles au poste

Le secrétariat du Père Noël fête sa cinquièmeannée d’existence à La Réunion. Jusqu’au 21 décembre, fidèles au poste, les secrétaires du Père Noël, coiffées de leur bonnet rouge, s’appliquent

à répondre aux enfants avec une jolie enveloppe, des mots doux à la manière créole et une surprise,réalisée cette année par l’artiste de la Plaine des Palmistes, Susy Gaps.

Il y a cinquante ans, La Poste s’est engagée à soulager le Père Noël en créant ce service à Libourne.Et pour économiser de l’énergie, avec un aller-retour de courrier qui consommait beaucoup de CO2,

le secrétariat du Père Noël s’est installé au Chaudron, en 2008. Cette année, le Père Noël, toujours plus écolo, va se déplacer dans le ciel réunionnais sur son vélo électrique.

La première lettre du père noel

L’histoire remonte à 1962 lorsque le ministre de La Poste et des Télécommunications, Jacques Marette, confie à sa sœur Françoise Dolto, la célèbre psychanalyste, le soin de rédiger le texte de réponse au Père Noël. Le succès est immédiat avec une croissance exponentielle en cinquante ans d’existence. De 5 000 lettres reçues la première année à 1,4 million en 2011. À La Réunion, le Père Noël en reçoit plus de 30 000. Il suffit donc d’écrire sur l’enveloppe

« Père Noël » et l’adresse qui convient le mieux à sa fantaisie : rue des lutins, pays des jouets, au pôle Nord… La Poste saura trouver le Père Noël pour la lui remettre. Par contre, pour recevoirune réponse, il faudra bien mentionner son nom, son adresse et son code postal, car le secrétariat

du Père Noël ne peut pas retrouver les enfants si leur adresse est incomplète ou illisible.

Le site du père noel

Le Père Noël vit avec son temps et se modernise peu à peu. Il est donc possible de lui envoyer un mail et même de lui écrire directement sur son site où de joyeuses surprises sont à découvrir.Atelier décoration, atelier gourmandises et surtout dessins, puzzles en ligne, animations, jeux divers

et variés en remontant les époques, de l’âge de Cro-Magnon à l’ère des grandes inventions.

Alors, n’oubliez pas d’écrire au Père Noël, même si vous n’avez pas été très sage, par courrier, par mail

[email protected] ou directement sur le site de La Poste dédié au Père Noël :

www.laposte.fr/pere-noel

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BEAUX-ARTS · 26

Le 12 novembre 2012, le musée Léon Dierx fête son centenaire. À cette occasion, un tout nouvelagencement a été réalisé pour valoriser cet espace en gardant l’esprit des lieux, celui dupremier musée d’art moderne de l’île. Le fonds initial collecté par Marius et Ary Leblond àParis auprès des artistes qu’ils côtoient est ensuite enrichi de collections privées réunionnaises,puis en 1947, de la somptueuse donation composée de 150 œuvres contemporaines du marchandd’art Ambroise Vollard.

Centenaire du musée Léon Dierx

LÉON DIERX, LE PRINCE DES POÈTES

Pourquoi Léon Dierx ? À l’époque, Léon Dierx,qui avait quitté son île à l’âge de 15 ans, étaitun des artistes les plus en vue de Paris. Il avaitaccueilli Marius et Ary Leblond quand ils sontvenus s’installer dans la capitale, l’un pourétudier l’histoire et l’autre la littérature. Ils ontd’ailleurs obtenu le prix Goncourt en 1909pour leur roman « En France ». Léon Dierxles introduit dans les milieux artistiquesparisiens où il a belle réputation. Le poèteparnassien, peintre et sculpteur, sera d’ailleursconsacré par ses pairs « Prince des poètes »lorsqu’il succède à Mallarmé. C’est donc à LéonDierx, l’artiste réunionnais le plus représen-tatif de l’époque, que Marius et Ary Leblondvont demander l’autorisation de nommer lemusée en son honneur. Il accepte avec la seulerestriction que ce soit fait après sa mort.

BRÈVE HISTOIRE DES LIEUX

À l’origine, Gustave Manès, riche propriétaireterrien, fait construire sa maison au numéro28 de la prestigieuse rue de Paris. AntoineRoussin en réalise d’ailleurs une lithographieoù, au premier plan, figure l’imposant murd’enceinte, disparu depuis. La façade, magis-trale, est construite en pierre alors que le corpsdu bâtiment reste traditionnellement en bois.Très originale, elle s’impose comme un modèleavec son portique à colonnes ioniques et sabalustrade décorée de vases. Le château Mo-range et le château Lauratet seront, plus tard,édifiés sur ce modèle. En 1860, la maison estacquise par la Colonie qui y installe l’évêché.Suite à la nouvelle loi de séparation de l’Égliseet de l’État votée en 1905, cette résidence del’évêché est réaffectée. Sous l’impulsion desartistes Marius et Ary Leblond - de leurs vraisnoms Georges Athénas et Aimé Merlo -, l’idéeémerge alors de faire de la maison Manès lepremier musée d’art moderne de l’île et del’océan Indien. Le musée Léon Dierx ouvreainsi ses portes le 12 novembre 1812.

TEXTE FRancine GeoRGe

PHOTOGRAPHIE séBastien maRcHaL

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visite virtuelle du musée Léon Dierxwww.cg974.fr/culture/leon-dierx

Inté�rieur du musé�e

vers 1930-1935

collection privé�e

Buste « La Mélancolie »

de Henri-Louis Cordier

Adèle Ferrand

Portrait présumé

de Geneviève Hortense

Le Coat de Kerveguen

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EO

MISE EN SCÈNE · 28

TEXTE FRancine GeoRGe

PHOTOGRAPHIE association ankRaJ-oi

pour plus d’infos www.tribunevideo.net

Patricia de Bollivier, Stéphane Pichard et Yohann Quëland de Saint-Pern explorent l’univers multiforme de l’art vidéo.

Au programme de cet événement inédit, résidence d’artistes, édition d’un DVD, exposition, projections et conférences

dans différentes salles de l’île. Thomas Kocek, directeur de l’École Supérieur d’Art de La Réunion,

souligne l’importance de l’image dans le monde d’aujourd’hui et l’intérêt d’accueillir Tribune Vidéo.

« Pour l’aspect pédagogique, c’est essentiel de pouvoir apporter un souffle venu d’ailleurs.

Les étudiants se sont fortement impliqués pour cette manifestation qui nous a permis, aussi, de convier le public à l’ESA.»

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Dans un questionnement sur « qu’est-ce qu’ilfaut faire pour ne rien faire ?», Myriam OmarAwadi joue sur les mots et, là aussi, sur l’artd’enjoliver. En face, le sculpteur Jean-ClaudeJolet avec « Light bulb » suspend le temps surfond noir où l’alchimie s’opère entre trois am-poules et le passage du liquide qui les illumine,comme des sculptures éphémères. Après le jeudu noir et blanc, trois autres vidéos se répondent.« L’Attente » de Maimuna Adma - à travers unhublot, une succession d’images décrit la baiede Maputo - répond à « L’esplanade » de StéphanePichard sur les rives du Niger au Mali, qui tentel’expérience de la profondeur. La scène semblepresque figée, à moins que non, un tricyclese déplace, tout en lenteur, jusqu’à étirer letemps à l’infini…

L’exposition des six artistes, sur la trentaineconviée à participer à cette démarche créative,a été conçue pour que les installations dialo-guent entre elles de façon à ce que le spectateurpuisse déambuler sans entrave, tient à préciserPatricia de Bollivier, commissaire de « Pointsde suspension ». Au fond de la salle, « l’hommeau casque rouge » interpelle d’abord par laluminosité du blanc qui l’entoure. « Coudrel’espace blanc », l’œuvre de Yohann Quëland deSaint-Pern, con-voque le dérisoire et interprètedes variations autour du personnage - homme -outil qu’il a créé en 2000. Avec « (In)acte VI :broder », Myriam Omar Awadi répond à cettevacuité du temps en mettant en scène une dou-ble installation, un lit recouvert d’un drap àpetites fleurs bleues et une vidéo projetée surle mur d’un homme assis sur le lit en train de lesbroder.

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EN DÉBUT D'APRÈS-MIDI, IL FAIT CHAUD À ILAKAKA SITUÉ ENTRE TULÉAR ET FIANARANTSOA. LE SOLEIL TAPE FORT. LA PEAU RUISSELANTE DE SUEUR, ILS SONT UNE DIZAINE À CREUSER LA TERRE À MAINS NUES DANS L'ESPOIR DE TROUVER LA PIERRE QUI FERA LEUR BONHEUR. DEPUIS UNE DIZAINE D'ANNÉES, LA FIÈVRE DU SAPHIR S’EST EMPARÉE DE CETTE ZONE DÉSERTIQUE QUI RECÈLE DES GISEMENTS D’UNE GRANDE RICHESSE.

OCÉAN INDIEN · 30

TEXTE & PHOTOGRAPHIE GéRaLdine BLandin

A L A P O U R S U I T E

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D U S A P H I R B L E U

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LES COMPTOIRS DE L’ELDORADO

Le saphir, comme le rubis, est une pierre pré-cieuse de la famille des corindons. Sa couleur peutêtre jaune, rose, verte, mais la plus recherchéeest surtout la pierre bleue, le vatomanga. Dansles années quarante, des premiers saphirsavaient déjà été trouvés dans la région d'Ilakakapar des géologues français. Mais à l'époque,leur découverte n'avait pas provoqué d'intérêtparticulier, car les pierres étaient troubles. Personne ne se doutait qu'elles deviendraientpures et transparentes après un traitementapproprié. Car les saphirs d'Ilakaka doivent êtrechauffés et taillés pour être commercialisés.À l’état brut, ils peuvent être confondus avec despierres fines de moindre valeur. Chaque soir aucomptoir d'Ambarasy, à la sortie de la ville, ils fontl’objet d’âpres convoitises lorsque les mineursviennent proposer aux négociants leur décou-verte du jour. L'enceinte est fermée, entouréepar une palissade en bois et l'unique entrée estgardée par des gendarmes, fusils au poing. Là,une cinquantaine de baraques en bois soustôles sert de bureaux d'achats. Les négociantssont surtout sri-lankais et thaïlandais. 80% de laproduction est exportée dans ces deux pays.Leur oeil expert sait reconnaître les plus bellespierres brutes qui seront ensuite expédiéesdans leurs ateliers. Le saphir sera ainsi chauffé ettaillé pour que son bleu d'origine soit accentuéet le prix d'achat multiplié. À Madagascar, leshommes ne connaissent pas le traitement despierres. Le gouvernement voudrait pourtant lesformer à ces savoir-faire pour que le pays gagneen valeur ajoutée. Seul, un négociant suisseinstallé à Ilakaka sait transformer les pierresbrutes en bijoux.

L’EXTRACTION À MAINS NUES

Ilakaka est actuellement le plus gros gisementde saphirs au monde. Il s'étend sur 250 km delong et 50 km de large. Il représenterait plus de40 % du marché mondial du saphir. Au bord dela rivière d'Ilakaka, les terrains miniers sontnombreux. La surface du sol est trouée tel unmorceau de gruyère. Plusieurs milliers de mineursy travaillent chaque jour, au péril de leur vie.Toute la journée, ils décapent. Autrement dit, ilscreusent avec leurs pioches et leurs pelles pouratteindre le niveau alluvionnaire, là où se nichele saphir. La mine est constituée d'un trou verticald'un mètre de diamètre et de cinq à vingt mètresde profondeur. Certaines fosses peuvent atteindresoixante mètres de profondeur. Le mineur enfileun sac de toile jusqu'à la taille et descend dansle trou, le long d'une corde à l’aide d’une manivelleactionnée par ses collègues. Au fond, faiblementéclairé par sa lampe frontale, il creuse à mainsnues une galerie, à l'horizontale cette fois-ci.Lorsqu’il manque d'oxygène, ses collègues luifont parvenir un sac plastique dans lequel ils’empresse de respirer. La terre extraite, qui de-vrait contenir les fameuses pierres précieuses,est remontée à la surface dans des sacs pourêtre ensuite tamisée dans l'eau de la rivière.

Les mineurs sont souvent rémunérés à la journée.Ils travaillent seuls, en famille ou financés pardes patrons malgaches ou étrangers. Parmi lesexploitants miniers, il y avait entre autres lebeau-frère d'Oussama Ben Laden, le milliardairesaoudien Mohammed Jamal Khalifa. Il a étéassassiné à Ilakaka en janvier 2007.

Aujourd'hui, la ferveur anime toujours autantSaphir City. Les mineurs continuent avidementà gratter le sol… 95 % d'entre eux ne trouverontjamais rien. 3% découvriront des petits caillouxqu'ils vendront difficilement et 2 % auront lachance de tomber sur le fameux caillou bleu…

A L’ORIGINE, LE DÉSERT

Tout a commencé en 1998 lorsqu'un paysan découvre par hasard une pépite de saphir près dela rivière d'Ilakaka. Les mois suivants, d'autres pierres sont mises à jour. La nouvelle se répandrapidement et des milliers de personnes issues de toutes les provinces malgaches débarquentici, en plein désert. En quelques années, ce no man's land d'une centaine d'âmes est devenu ungigantesque bidonville de plus de 40 000 habitants. Les dix-huit ethnies qui composent la populationmalgache y sont même représentées. Tous ont fui la misère et sont venus avec l'espoir de découvrirla fameuse pierre qui pourrait changer leur existence.

OCÉAN INDIEN · 32

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PUBLI-REPORTAGE BAT’CARRÉ · 34

Bernard Malherbe, responsable de Force EDF, structure humanitaire spécifique à cette grande maison, sélectionne à Paris les projets en osmose avec son éthique. L’énergie que déploie le romain Stefano Palazzi depuis vingt ans pour mener à bien son projet de développement global à Nosy Komba dans le village pilote d’Antintorona ne pouvait rencontrer que son approbation. C’est ainsi que dernièrement, deux agents d’EDF Réunion sont partis en mission là-bas pour analyser les conditions d’installation du réseau d’électrification qui sera mis en service en 2013.

VINGT ANS D’ÉNERGIE

FORCE EDFà Nosy Komba

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POUR CONSTRUIRE

UNE SOCIÉTÉ SOLIDAIRE

Le village pilote d’Antintorona fait partie des sixhameaux de l’île de Nosy Komba située au Nord-Ouest de Madagascar, dans la région de Nosy Be.Depuis 1992, Stefano, accompagné de plusieurspartenaires et associations humanitaires construitavec les habitants un modèle de vie collective quirespecte la culture malgache. Tout un environnementbasé sur les règles d’hygiène se structure parétapes, assainissement, installation de conduitsd’eau potable et de fontaines, construction dechemins cimentés, de maisons en béton, parcelli-sation…tandis que se déploie la partie éducativedédiée à l’enfant, école maternelle, école primaire,collège, internat de 75 places pour les enfantsvenus de l’autre côté de l’île, école d’art, école demécanique pour apprendre tous les métiers de laconstruction… Les élèves dès l’âge de six ansreçoivent un ordinateur pour se lancer dansl’apprentissage du monde de demain ! Et Stefanode clamer haut et fort : « Je vais chercher lesmeilleurs, le niveau d’intervention le plus hautpossible. » Très respectueux de l’expertise de sespartenaires, il impose le cadre d’intervention quiva dans le sens de la responsabilisation de chacun.Alors que Madagascar n’arrive pas à sortir du chaos,dans cette enclave bien à l’abri des convoitises,toute personne qui travaille est rémunérée, letaux de natalité est très bas, les revenus sontmutualisés. Ainsi, la contribution versée par leshabitants qui vont recevoir l’électricité à domicileservira à construire une nouvelle école.

L’EXPERTISE D’EDFAU SERVICE DU PROJET

Une fois la décision prise d’apporter un soutien logis-tique et financier au projet de Stefano, les ressourceshumaines et techniques sont mobilisées à partir de lastructure EDF la plus proche. C’est ainsi que Jean-PierrePoutaredy et Yves Lépinay, agents EDF réunionnais, sontdésignés pour accompagner cette mission. Ils n’étaientjamais allés à Madagascar et n’avaient aucune idéede ce qu’ils allaient faire là-bas. Le matin du départ,Bernard Malherbe leur explique la situation dans unbureau de la rue Sainte-Anne. Puis, ils prennent la directionde l’aéroport. Atterrissage à Nosy Be quelques heuresplus tard. Traversée de la baie en pirogue jusqu’au village. Le comité d’accueil conduit par Stefano les attend sur laplage. Éric, l’ingénieur français à la retraite qui a réaliséla station de production de glace, est présent aussi.Jean-Pierre et Yves ne se sentent pas dépaysés, ils ontseulement l’impression de se trouver 50 ans en arrière,à La Réunion. Par contre, ils sont impressionnés par ceque Stefano a réussi à réaliser en partant de rien. Unengagement hors du commun qui force l’admiration.Polyvalent, il aide ou dirige tous les travaux et sert ausside conciliateur en cas de discorde. En une journée, lesagents d’EDF aidés par Éric ont fait l’état des lieux,calculé les moyens à mettre en œuvre pour sécuriser leréseau et le mettre aux normes européennes. Chaquebâtiment, chaque habitation aura son disjoncteur, unecentaine de points de distribution seront nécessairespour alimenter tout le village. Il va falloir creuser destranchées pour enterrer les câbles. Une turbine a étéinstallée dans la rivière avec les moyens du bord, maisles fils sont mis à nu, les boîtiers ouverts représentantun vrai danger pour les enfants. De retour à La Réunion,Jean-Pierre Poutaredy et Yves Lépinay s’attaquent à lalourde phase de préparation, réalisation des plans,choix et commande du matériel qui sera acheminé aumieux pour que les travaux puissent commencer. Et en2013, ils partiront de nouveau à Antintorona mettre enservice le réseau qu’ils ont conçu, expliquer aussicomment l’exploiter.

UNE UTOPIE EN ORDRE DE MARCHE

L’histoire commence donc il y a 20 ans lorsque Stefano, en visite touristique, est subjugué par ce coin isolé deMadagascar. Il lui vient alors l’idée de construire un village autour de l’enfant, de son besoin de se nourrir, des’instruire, l’apprentissage d’un métier, l’éducation aussi de ses parents à mieux préparer son avenir... L’expérience acquise en Haïti du temps des Duvalier lui montre que pour réussir dans ce genre d’entreprise,il faut viser l’autonomie des personnes que l’on amène à sortir d’une situation précaire, mais aussi responsa-biliser les chefs de projet pour qu’ils aillent au terme de leur mission. Stefano va encore plus loin dans ladémarche, puisque son but est de créer un modèle reproductible de développement durable où les dimensionsécologiques sont associées aux dimensions humaines, sociales et économiques.

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RENCONTRE · 36

C O L B Eje

an

Depuis novembre 2011, les Archives départementales rendent hommage au photographe Jean Colbe à travers l’exposition Saint-Denis, la modernité des années 60qui va se poursuivre jusqu’au 30 juin 2013. Une occasion de faire connaissance avec l’homme et surtout le couple Colbe, l’un n’étant pas dissociable de l’autre. Raymonde épaule Jean depuis la création du premier Studio Colbe et aujourd’hui encore, elle parle pour lui, sous son approbation.

D’ailleurs, lorsque la conversation s’éteint un peu et que les mots viennent à manquer, Jean supplie Raymonde du regard pour qu’elle prenne le relais. C’est un immense plaisir de passer du temps à les écouter. Ils parlent d’une même voix dans une symphonie à deux. Jean Colbe, « L’oeil du témoin »*, photographe reporter, indépendant, maîtrisait aussi la photogravure et diverses techniques de développement photographique. Il a pris sa retraite bien avant que le numérique n’envahisse le marché.

* Titre du livre de Daniel Vaxelaire édité chez Orphie

regard intime sur sa vie

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L’EXPOSITION COLBE

AUX ARCHIVES DÉPARTEMENTALES

Coordonnée par Lise Di Pietro, directrice adjointe des Archives départementales, l’exposition conçue par le commissaire Nadine Rouayroux reconstitue en premier lieu l’ambiance chaleureuse du studio Colbe. On entre dans la boutique : comme autrefois,tout y est, même le laboratoire de développement des pellicules en argentique, qui rappelle étrangement les ateliers photos du lycée. Puis, dans le halldes archives, une immense photo aérienne du centre-ville interpelle les visiteurs. Elle est entourée de murs d’images qui témoignent du développement urbanistiquede Saint-Denis photographié par Jean Colbepour la SIDR, en particulier les quartiers de La Petite-Ile, La Source, Les Camélias,Sainte-Clotilde et le Chaudron.

En 2008, Jean Colbe, avec l’accord de sa femme Raymonde, a légué son fonds photographique aux Archives départementalesdont Lise Di Pietro décrit synthétiquement le contenu : « Le fonds Jean Colbe se composede négatifs souples et de tirages papier noir et blanc. Il est structuré en reportages thématiques classés par année, essentiellementconsacrés à la ville de Saint-Denis. Il comporte aussi des photographies de cérémonies familiales et des photographiesd’identité. Un témoignage sur La Réunion des années 50-70 à travers la vie de tous les jours, mais aussi à travers les grands événements. »

Support pédagogique pour les scolaires, l’exposition est visitée par les classes et sert également d’atelier créatif, comme le souligne Lise Di Pietro : « Un partenariat avec l’Académie de La Réunion a permis à trois classes de CE2 de rencontrer Jean et Raymonde Colbe et de réaliser des reportages photographiques sur leurs quartiers. Les photographies des classes sont exposées dans le hall des archives, en marge de l’exposition. Ce partenariat se poursuit avec d’autres classes de primaire. »

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39 · RENCONTRE

RENCONTRE AVEC RAYMONDE ET JEAN COLBE

QU’EST-CE QUI VOUS A DÉCIDÉ À CONFIER VOTREFONDS AUX ARCHIVES DÉPARTEMENTALES ? Nous avonsété obligés de déménager, après avoir vécuune trentaine d’années à Bellepierre dans une grande maison avec 5 000 m2 de terrain. J’y avais installé un laboratoire, avec un bureauet une salle de bain. (Raymonde) À notre âge, il faut être raisonnable, on ne pouvait plus resterlà-bas. Et donc, ici, dans cet appartement, nousavons beaucoup moins de place, il a bien fallu se séparer de toutes ces caisses de reportages et de ces milliers de clichés. Et d’ailleurs, c’est très drôle de revenir ici, rue Alexis de Villeneuve. C’est toute notre vie cette rue, le premier studio se trouvait à l’autre bout de la rue, nous nous sommes mariés à la Cathédrale, juste en face…

QUE PENSEZ-VOUS DE CETTE EXPOSITION ?C’est superbe. C’est un bel hommage à montravail. Le studio est vraiment bien reconstitué.Ce qui nous a le plus impressionnés, Raymonde et moi, ce sont les réactions des enfants, les questions qu’ils ont posées avec autant de facilité. Nous étions tous réunisdans une salle du théâtre de Champ Fleuri, ils étaient curieux de tout, c’était un grand moment.

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POUR FAIRE CONNAISSANCE, NOUS ALLONS REMONTERDANS LE TEMPS. QU’EST-CE QUI VOUS A AMENÉ À QUITTER VOTREALSACE D’ORIGINE POURVENIR À LA RÉUNION ?Je travaillais pour le journal Les Dernières nouvelles d’Alsace. J’avais déjà acquis pas mal d’expérience en prises de vue, en développement et en photogravure. J’ai répondu à la petite annonce de MonsieurFernand Cazal qui cherchait un photographe et un photograveur pour la création d’un nouveau journal – il s’agissait du Journalde l’île. Monsieur Cazal recherchait quelqu’unde l’Est, parce que pour lui, ce sont des genssérieux ! Je l’ai rencontré à Chatou, dans les environs de Paris, chez ses amis. Je connaissais La Réunion à travers ma collection de timbres ! Il a fallu demander la permission à mes parents, je n’avais que 20 ans à l’époque et la majorité était à 21 ans.Ma mère n’était pas contente de me voir partirsi loin, mais mon père au contraire trouvait que c’était bien pour moi – les voyages formentla jeunesse. Le voyage a été très long, un moisde bateau sur l’Éridan, j’avais hâte d’arriver !

VOS PREMIÈRES IMPRESSIONS EN ARRIVANT ?En débarquant à la Pointe des Galets, en décembre 1949, j’ai trouvé ça très triste, ça ne correspondait pas à l’idée que je me faisais de La Réunion. Puis, une jeune fille m’a sauté au cou, pensant que j’étais son fiancé !Il est vrai que ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vu et je lui ressemblais un peu…Avant de partir, je m’étais acheté dans un magasin spécialisé dans les habits tropicauxtoute une panoplie de vêtements, dont unebelle saharienne d’une blancheur immaculée.Puis, j’ai pris le petit train qui traverse le tunnelet je suis arrivé à Saint-Denis. En descendant,j’étais couvert de poussière noire ! J’étais quelque peu désappointé. Monsieur Cazal qui m’attendait pour me fairevisiter son imprimerie, rue Alexis de Villeneuve,m’a gentiment fait remarquer que nous n’étionsplus au temps des colonies - La Réunion est devenue un département en 1946.

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VOTRE INSTALLATION …C’était formidable, j’aimais ce que je faisais,beaucoup de photogravures et quelques reportages. Dès que j’avais du temps de libre,je parcourais La Réunion avec le fils Cazal avec qui je m’entendais bien et des amis que je m’étais fait à l’imprimerie. Nous étions trèssportifs, nous faisions beaucoup de randonnéeset des balades à cheval aussi…J’adorais faire des photos, j’emmenais toujoursmon appareil avec moi avec deux objectifs, un grand angle et un téléobjectif. Je faisais aussides cartes postales. J’aimais photographier les paysages, des scènes de rue aussi, le vendeur de pistaches sur le trottoir…J’habitais dans un pavillon dans le jardin du château Lauratet qui, à l’époque, était la maison Cazal.

VOUS VOUS ÊTES RENCONTRÉS ASSEZ VITE,EN FAIT…En ce temps-là, les jeunes se promenaient au Barachois, en fin de journée, les garçonsd’un côté et les filles de l’autre en écoutant la TSF qui diffusait des morceaux de musique.(Raymonde) Un jour où il pleuvait des trombesd’eau, mon oncle Raoul m’a proposé de nousabriter, ma copine et moi, dans sa voiture. Jean était avec lui et, ma foi, je l’ai trouvé très beau garçon ! (Jean) Oui, j’étais très timide,je n’osais pas lui parler. (Raymonde) Mon pèreétait très sévère, il envoyait mes frères pour me surveiller et Jean leur donnait des bonbonspour qu’ils aillent jouer un peu plus loin !

41 · RENCONTRE

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L’ANNÉE 1951 FUT UNE GRANDE ANNÉEPERSONNELLE ET PROFESSIONNELLE POUR VOUS…Oui, c’est l’année de parution du premier numéro du Journal de l’île de La Réunion.C’était le premier journal illustré, c’était la forcede Monsieur Cazal d’avoir compris avant les autres que c’était ce qu’il fallait faire. On suivait les compétitions sportives, on étaitpartout. Puis, je suis allé demander la main de Raymonde à Monsieur Garçonnet, un moment pas facile. Nous nous sommes fiancés en septembre et mariés en décembre.(Raymonde) Le photographe a perdu toutes les photos, on a dû refaire plus tard la photo de mariage en studio avec ma robe froissée ! Et nous sommes partis en voyage de noces à l’hôtel des Salazes à Hell-Bourg, un endroit superbe !

C’ÉTAIT LA BELLE ÉPOQUE … Oui, nous allions danser souvent. (Raymonde)Chacun organisait son bal, il y en avait tout le temps, bal des pompiers, bal de la gendarmerie et il y avait surtout le bal de l’hôtel de ville dans la belle salle du premierétage. Jean faisait le reportage et ensuite, nous dansions.

ARRIVE L’EXPIRATION DE VOTRE CONTRAT QUE VOUS N’AVEZ PASVOULU RENOUVELER ?Au départ, j’avais signé un contrat d’une duréede cinq ans. Tout se passait bien, je m’entendaisbien avec Monsieur Cazal. Puis, il a fait venir un nouveau directeur pour moderniser l’outil et on ne s’est pas entendu, sa jalousie enversmoi l’égarait. J’ai préféré m’en aller. C’est là que j’ai décidé de retourner en Alsace.(Raymonde) Nous commencions à peine à nousinstaller, Jean apprenait le traitement des photosen couleur, une place se libérait Aux DernièresNouvelles d’Alsace, j’avais trouvé un emploi à La Poste et le télégramme est arrivé, papa venait de décéder, nous sommes rentrés en urgence.

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VOUS CRÉEZ ALORS VOTRE PREMIER STUDIO…(Raymonde) Mon père tenait une quincaillerieen bas de la rue Alexis de Villeneuve. Il y avait un local vide, c’est là que nous avonsinstallé le Studio Colbe, c’était le premier laboratoire climatisé de l’île ! (Jean) Personne ne pensait que ça marcherait, et nous avons euun succès fou dès le départ. Je faisais les photosde mariage, les photos officielles et les commandes. (Raymonde) Moi, je travaillaisà la Poste à la Direction des Ressources Humaines et le soir, le week-end, je m’occupaisde la comptabilité et de tous les petits travaux.Nous avions pris mes trois petites sœurs avec nous et ma mère qui était malade. Puis, notre fils aîné, Christian, est né en 1958 et notre cadette, Corinne, en 1960.

VOTRE REPORTAGE LE PLUS DIFFICILE ? J’ai été le premier photographe à couvrir une marche sur le feu. Les Malbars n’étaient pas contents, ils disaient que ça portait malheur,que j’allais mourir dans l’année. Le directeur de l’usine de la Mare, Monsieur Lagourgue, m’avait demandé de faire ce reportage. Ensuite, les Malbars sont venus au studio demander les photos et c’est passédans les mœurs. Et puis, en 1959, la seconde visite du Général de Gaulle. C’était une folie, il a fallu tirer des milliers de photos,

43 · RENCONTRE

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tout le monde voulait sa photo souvenir ! `ENSUITE, VOUS VOUS INSTALLEZ AU BARACHOIS…Oui, il n’y avait rien à l’époque, c’était un désert.Nous avons ouvert le « Studio J. Colbe » au rez-de-chaussée du nouvel immeuble qui venait de se construire et nous avons pris un appartement au dernier étage. Puis, Air France s’est installé et petit à petit, les autres sont arrivés. On avait fait les chosesen grand, un beau magasin avec un comptoirfait sur-mesure. Il y avait le laboratoire, le studio et le magasin. J’étais représentant exclusif de Kodak, Polaroïd et Nikon. Nous allions tous les quatre ans au salon mondial de Cologne. Nous avons beaucoupvoyagé. Puis, les reportages se sont multipliés.Je travaillais, entre autres, pour Émile Hugo, le patron des Sucreries de Bourbon, il m’emmenait dans son avion prendre des photos aériennes. Je travaillais beaucoupsur l’urbanisation croissante de Saint-Denis,pour la SIDR, pour l’Équipement…jusqu’au moment où j’ai pris ma retraite. Le numérique, ce n’est pas pour moi !

Les derniers mots du couple :

« ON A EU UNE VIE BIEN RÉUSSIE !!! »

RENCONTRE · 44

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HORIZON SAUVAGE · 46

MOZAMBIQUEPHOTOGRAPHIE eRic LaGaRGue

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VOYAGE VOYAGE · 48

TEXTE FRancine GeoRGe

© Christophe Boisvieux

© Roland Beaufré

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TANGER

la muse intemporelle

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De nombreuses légendes accompagnentla naissance de Tanger. Fondée en 900 avantJésus-Christ par les Phéniciens, elle devientromaine en 706, puis arabe jusqu’en 1471,date à laquelle les Portugais s’en emparent.Espagnole, puis Portugaise à nouveau, ellefinit sous le joug des Anglais en 1661.Champ d’action privilégié des puissancesétrangères européennes, Tanger prend lestatut de ville internationale de 1923 à 1956,gouvernée par tous les pays occupants etun représentant du sultan. Période faste quia attiré de nombreux artistes, diplomates,espions, hommes d’affaires, voyageurs, aven-turiers, escrocs, tous…à la recherche d’uneldorado. Tanger, à la croisée des mondes, est depuistoujours le théâtre des rêves les plus fous.Pourtant, elle a su harmoniser ses contrastes.De tout temps, elle a inspiré les plus grandspeintres, écrivains, musiciens et vit au-jourd’hui des mythes qu’ils ont créés. Lecinéma n’est pas en reste et sa toute nouvellecinémathèque, anciennement le cinémaRIF, en garde précieusement la trace. Balade littéraire et cinématographiquedans cette ville mythique, rendez-vous descivilisations.

PREMIER REGARD ET INTUITION

En traversant le détroit de Gibraltar, les voya-geurs qui arrivent en bateau s’extasient devantcette vue panoramique à nulle autre pareille,comme le souligne l’Italien Attilio Gaudio : « Làoù les eaux bleues de la Méditerranée se mêlentaux eaux vertes de l’Océan, dans ce détroit quiest un des carrefours les plus fréquentés dumonde depuis des millénaires, une ville blanches’étale en amphithéâtre, offrant aux spectateursune des plus belles scènes naturelles du continentafricain. » Alexandre Dumas, fasciné, lorsqu’ils’approche de cette première escale africaine,écrit dans Véloce : « Il y a dans ce mot Afrique,quelque chose de magique et de prestigieuxqui n’existe pour aucune des autres parties dumonde ». Tandis que Pierre Loti souligne laproximité géographique de l’Europe tout ens’étonnant de ses différences : « Elle est tout prèsde notre Europe, cette première ville marocaineposée comme vedette sur la pointe la plus aunord de l’Afrique (…) ici, il y a quelque chosecomme un suaire blanc qui tombe, éteignant lesbruits d’ailleurs, arrêtant toutes les modernesagitations de la vie. » Tanger est donc un mondede contrastes, le point de rencontre entre le Nordet le Sud, l’Orient et l’Occident, l’Europe etl’Afrique, une « ville monde » qui a suscité toutesles convoitises et connu son apogée lorsqu’elleacquiert le statut de zone internationale.

VOYAGE VOYAGE · 50

© Roland Beaufré

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VOYAGE VOYAGE · 52

LUMIÈRE D’UNE RARE INTENSITÉ

Tous ceux qui décrivent Tanger, plus d’unecentaine de peintres, photographes et tout autantd’écrivains, s’extasient sur cette lumière siparticulière qui baigne la ville et ses rivages :« En fait, ce qui n’a pas changé à Tanger quatre-vingt-dix ans après la première visite deMatisse, c’est la lumière. », écrit Tahar BenJelloun dans Chambre 35, célèbre tableau peintà l’hôtel Villa de France où le peintre avait prisses quartiers. Presqu’un siècle plus tôt, EugèneDelacroix, invité en mission diplomatique, « dé-couvre aussi la lumière du sud qui va l'aider àfaire de ses tableaux une fête pour l'œil. » Dans son journal, il décrit cette grande histoired’amour avec Tanger qui se traduit par de nom-breux dessins, esquisses, aquarelles, tableauxtel La noce juive. Eugène Delacroix, à l’écrituresensible, parle aussi de ses rencontres émerveil-lées avec les Tangérois : « Ils sont plus près dela nature de mille manières : leurs amis, la formede leurs souliers. Aussi, la beauté s’unit à tout cequ’ils font. Nous autres, dans nos corsets, nossouliers étroits, nos gaines ridicules, nous faisonspitié. La grâce se venge de notre science. »

IMAGINAIRE FASCINANT

L’écrivain américain Paul Bowles - un des auteursles plus emblématiques du Tanger cosmopolite -s’y installe définitivement pour se consacrer àla littérature, laissant au passé son talent demusicien. Dans Mémoire d’un nomade, il décritson coup de foudre pour Tanger : « Si je dis queTanger me frappa comme une ville de rêve, il fautprendre l’expression dans son sens littéral. Satopographie était riche de scènes oniriques : desrues couvertes semblables à des couloirs, avecde chaque côté, des portes ouvrant sur des pièces,des terrasses cachées dominant la mer, des ruesqui n’étaient que des escaliers, des impassessombres, des petites places aménagées dans desendroits pentus, si bien que l’on aurait dit lesdécors d’un ballet dessiné au mépris des lois dela perspective, avec des ruelles partant danstoutes les directions. » À l’entrée de la médina,le Grand Socco – le grand marché – est décritpar quelques auteurs comme Joseph Kessel :

« Aujourd’hui comme autrefois, du matin jusqu’ausoir, marchands, acheteurs et curieux se rencon-trent en plein soleil, en plein vent, sur le GrandSocco, parmi les guenilles aux cent couleurs et larumeur aux mille cris. »

Le roi Mohamed V a choisi la place du GrandSocco pour prononcer son discours historiqueappelant à la réunification du pays. En 1956,Tanger sera rattachée au Maroc devenu indé-pendant et, pour éviter une trop grande fuitedes capitaux, elle est dotée d’une zone francheen 1960. Lieu foisonnant de scènes captivantes,où toute la corruption s’y donne rendez-vous,les écrits sur le Petit Socco ou le Chico Soccosont prolixes. L’Américain Truman Capote dansImpressions de voyage, décrit l’ambiance etl’effervescence des lieux : « Il n’y a pas un seulmoment du jour ou de la nuit où le Petit Soccone soit surpeuplé. C’est là pour les prostituéesun terrain de manoeuvre, pour les trafiquants dedrogue, une gare de triage. Et c’est encore unnid d’espions. C’est enfin, tout simplement,l’endroit où l’homme de la rue vient prendrel’apéritif du soir. »

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ENIGMATIQUE ET ENVOÛTANTE, TANGER

VEDETTE DU SEPTIÈME ART

En 1934, Jean Genet écrit dans Journal du voleur :« J’aurais voulu m’embarquer pour Tanger. Lesfilms et les romans ont fait de cette ville un lieuterrible, une sorte de tripot où les joueursmarchandent les plans secrets de toutes lesarmées du monde. De la côte espagnole, Tangerme paraissait une cité fabuleuse. Elle était lesymbole même de la trahison. » Paradis fiscal,charmes mauresques, opulence occidentale,refuge ou havre de paix, Tanger montre cequ’elle est tout en gardant sa part de mystèreselon Pierre Malo : « Nulle ville au monde n’estplus séduisante, et dans un sens, plus mystérieuse.Changeante, multiple, insaisissable, toujours prêteà vous accueillir, assoiffée d’or, gorgée de légendes,Jardin des Hespérides (…) Tanger ne semble sedonner que pour mieux se reprendre. »

Depuis le départ, Tanger est la trame idéale desfilms d’espionnage ou des films policiers commeLa môme vert-de-gris avec Eddie Constantine,Le lion et le vent avec Sean Connery, ou toutdernièrement Inception avec Leonardo di Caprio.Le cinéma d’auteur est aussi présent avec, parexemple, Un thé au Sahara, réalisé par BernardoBertolucci d’après le roman de Paul Bowles ouLoin, d’André Téchiné qui révèle le conflit inté-rieur de la jeune génération tiraillée entre partirou rester.

Tanger, à la grande époque internationale, offraitune kyrielle de salles obscures, les premiersfilms muets étaient visionnés à l’Alcazar, lesproductions égyptiennes au cinéma Vox, lesproductions hollywoodiennes ou les westernsau Cinéma-américano, les films espagnols ousud-américains au Cervantès, les films françaisau cinéma Paris … Aujourd’hui, presque toutesces salles ont disparu. La rénovation en 2007 ducinéma RIF et transformé à l’occasion en ciné-mathèque, tient du miracle. L’architecte Jean-MarcLalo a réussi l’alliance des techniques de pointe,décor rétro d’origine et rappel des couleurs dela rue. L’esprit des lieux a si bien été valoriséque les habitués d’une certaine époque ontl’impression que rien n’a été changé ! Lieu devie et d’échanges, un passage intérieur a ététransformé en café sous une longue verrière.Salle « Art et Essai » avec des films d’auteurs detous les pays, la Cinémathèque dispose de deuxsalles (300 et 50 fauteuils). Elle anime un ciné-clubpour enfants, des ateliers, des master-classes etdispose d’une salle de montage, et d’une biblio-thèque.

© Michel Denancé

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VOYAGE VOYAGE · 54

La Cinémathèque de Tanger

JEAN-MARC LALO, SPÉCIALISÉ DANS LES ÉQUIPEMENTS CULTURELS, EST DEVENU, LUI AUSSI, COMPLÈTEMENT AMOUREUX DE CETTE VILLE OÙ IL REVIENT CONSTAMMENT. IL NOUS PROPOSE CE VOYAGE CULTUREL ET ARCHITECTURAL VIA SA RÉALISATION, LA CINÉMATHÈQUE DE TANGER.

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TANGER À LA POINTE

Tanger, passage mythique et lieu cosmopoliteintense. Lieu fameux de villégiature d’artistesdepuis longtemps, on y rêve dans cet entre-deux d’Afrique et d’Europe. Durant ses heuresde gloire, la ville était divisée en plusieurs zonesinternationales. Les présences étrangères fontpartie du paysage urbain.

Aujourd’hui la ville s’agrandit, portée par le dé-veloppement des activités industrielles s’entas-sant autour de cette porte. Un port de plaisanceest en aménagement sur la baie de Tanger, leport industriel est déjà programmé à quelqueskilomètres de là.

Mais on traverse encore ces ambiances croi-sées : ici, les murs des maisons dans la kasbahont des fenêtres, là, les maisons ont des cor-niches chargées de mouluration, et toujours cesrues étroites contrastant avec ces avenues de laville moderne.

Le travail de la photographe tangéroise Yto Bar-rada exprime cette puissance particulière desimages de Tanger : oubli, évasion, abandon, re-conquête. Les côtes de l’Espagne visibles à l’œilnu, espoir d’une autre vie dans un monde del’autre côté.

Ville dense et dispersée dans ses étalements,les lieux publics sont urbains : des places, desmurs de remparts, des cafés, la mer, et encoreune fois, ces côtes de l’Espagne au loin.

La création de la Cinémathèque de Tanger estun travail sur le mythe et l’identité. Le cinéma Rifexiste depuis les années 40, fait partie d’unepoignée de cinémas installés dans la ville. Sonexploitation a été reprise par Yto Barrada, pouren faire une cinémathèque, en ouvrant le champdes films à l’ensemble de la production Nord-Africaine et Moyen-Orientale, depuis le Marocjusqu’à la Palestine.

La cinémathèque, c’est aussi un formidable tra-vail de programmation, avec Bouchra Khalili, ar-tiste vidéaste marocaine, avec la LanterneMagique pour les enfants, le public de demain.Une programmation destinée aux 2 salles de ci-néma mais aussi hors les murs, pour des festi-vals, des rencontres, comme actuellement auMusée du Jeu de Paume à Paris pendant 2 se-maines.

TEXTE Jean-maRc LaLo

PHOTOGRAPHIE micHeL denancé

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VOYAGE VOYAGE · 56

LE CINÉMA RIF DEVIENT

LA CINÉMATHÈQUE DE TANGER

Réaliser un projet culturel, pour un architecte,c’est formidable et éprouvant. C’est un travail deconcrétisation d’un projet au service de l’art,avec des budgets toujours limités. C’est pro-grammer dans le temps ce qui doit être faitmaintenant, ou ce qui peut être fait plus tard enfonction des ressources. Il y a également une di-mension onirique plus forte dans ces projets,dont on attend des émotions.

Et c’est là que la face mythique du lieu entre enrésonance avec nos rêves. Un lieu anobli par letemps et non usé. Forcément, cela a des liens in-conscients entre nous et ce bâtiment dans le-quel on entre.

Un lieu culturel, c’est associer des espaces des-tinés à l’œuvre artistique, et des espaces où l’onparle ensuite, on repense à ce que l’on a vu. Lecafé est ce sas entre ces mondes. Située sur laplace du Grand Socco, la terrasse du cinéma estun belvédère, un cadrage sur une scène tou-jours en tournage. Les taxis se succèdent, les ci-reurs de chaussures sont présents, les enfantscrient, un vendeur de musique marque sa pré-sence par un haut-parleur dans un landau. Et lamultitude des couleurs et des vêtements : caf-tans en laine, jeans, capuches pointues, ba-bouches jaunes ou baskets.

Lieu d’échange et d’influence, cette structureinédite dans le contexte marocain a trouvé unformidable écho à l’étranger. Saluée, entre autres,par la revue new-yorkaise NY Arts Magazine, lacinémathèque de Tanger fait tout récemmentpartie de l’annuaire « Art spaces directory » des100 lieux de culture qui font bouger le monde,édité par le New Museum de New York.

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tikok

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TEXTE sYLvain GéRaRd

PHOTOGRAPHIE & ILLUSTRATION HippoLYte

« MI DI PA MON NOM, MI DI TIKOK !

LA PROFESSION ? MI FÉ RIEN QUE COMBAT DE COQS !

A LA RÉUNION TOULMONN I DI TIKOK C'EST LE MEILLEUR !

SA MI KONÉ PA… MAIS TOULMONN I DI. »

PORTRAITDans le rond Tikok est un roi. Et comme un roi, il est épié, redouté, envié, craint. Sa maison n'a rien d'ostentatoire. Une grande varangue pour les voitures,un petit escalier pour atteindre la cuisineet le salon, et une porte au fond.

« Lé la ! » Un immense poulailler, parfaitement organisé, poules, chiens,boucs et une centaine de coqs dans des cageots individuels soignés. « Moin la entre 600 et 700 coqs en tout ! Et nena plusieurs cageots un peu partoutmais di pas où hein ! Sa lé dangereux ! »

59 · BATAYE KOK

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BATAYE KOK · 60

Comme beaucoup d'éleveurs, Tikok a grandi aumilieu des coqs, dans le fond de cour. Et leweek-end au rond, avec papa. Avant lui, sonpère en vivait déjà. Et tout jeune il a commencé à observer, à voir, à comprendre. Tikok a l'œil.Un œil sûr. Il sait reconnaître les bons coqs. Alors il achète, revend. Un coq dans sa mainpeut valoir dix fois plus cher que dans la maind'un autre éleveur. Une réputation construite aufil du temps et des victoires. Une vie de victoires. Sa maison est remplie decoupes. Partout ! Tikok est fier. « Et mi peu pasmettre toutes ! naurai point de place pour riend'autre seulement ! » Il est un des rares éleveurs de La Réunion à vivre des combats de coqs. Pas un hasard.Tikok ne sait ni lire ni écrire, mais il sait compter. On le dit aussi rusé que joueur et beaucoupd'éleveurs veulent « se faire » Ti-Kok sur le rond. Lui observe tout ça. Ils observent les coqs dansson rond. Chaque jour avec la même passion. Il observe les victoires à venir. Avec le sourire.

LA RENCONTRE

Le tan té dou, le jour la navé poin la briz. Kanknou débark la kaz Ti-Kok, nou kroiz in vye monntrinn balèye le pti shemin. Sa son tonton, ayi ossidann tan té fé Bataye Kok, ayi ossi té dann trin leron paryaj èk bann zamatërdkok konbatan. Noukoz inn ti ninstan èk vye monn la, lu rakont anoule tan avan kank lu té dsann a pat « Park déPrinse » dimansh matin pou fé konba. Té sa pao tanp, té sa pa la mèss, té atann rienk lër le roni rouv pou tante la shanse pou aranj la poshsinon sa pou ginye la shiass. Dann kozman vyemonn la mi kap parèye in lassuranse, lu tienbodroite èk son balié pou fé troi-pat, le tan i pass...

Ti-Kok i débark. Toudsuit pou toudsuit mi ro-mark in nafèr, sé pak zot i rosanm, non, lé anmissouk, dann son manièr, dann son kozé, nénaparèye inn forse i kouv annsou kom son tonton,komsik na in nafèr i déssot toute bann jénéras-sion. Bataye Kok... Konbadkok...

Paryaj... Ti-Kok la pa in békërdklé, lu fé rienk saminm jour an jour, sa son métié, son sël travaye,la pa in passtan. Pluse ankor, ayi minm i di : « Le ronnkok sa lé kom inn drog, toultan ou laprémajine ayi, ou ginye pa sanpassé, lé komsa minm,lé pa otreman. »

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Silence méditatif avant les tensions de l’entraînement qui fera le choix des coqs du prochain combat.

Ti-Kok i marsh pa son toussël dann ron parèyetoute bann zamatër. Na son kouzin, na son gar-son, sonn ti nëvë, son lékip, toute dann minmtrin. Askiparé pou lu jordu, lé pa fassil pou fékonba, fo fé soumin akoz nad boug lé krintifastër. Fok mi di ossi kank Ti-Kok i fé joué in kok, lu pèrd pa souvan, dizon prèske jamé.

Ce jour-là, il faisait beau, il n'y avait pas de vent.Lorsque nous arrivons chez Ti-Kok, nous ren-controns un Ancien en train de balayer la petiteroute. C'est son oncle, lui aussi faisait les Ba-tailles Coqs dans le temps, lui aussi était dans lebusiness des paris avec les professionnels descoqs de combats. Nous parlons un momentavec cet Ancien, il nous raconte le passélorsqu'il allait au « Parc des Princes » à pied ledimanche matin pour faire combattre. Il n'y avait ni temple, ni messe, il y avait justel'heure d'ouverture du « rond », que tous atten-daient pour tenter la chance et arrondir les finsde mois ou pour avoir la poisse. Dans les pa-roles de cet Ancien, je capte une assurance, ilse tient droit avec son balai dont il se sertcomme d'une béquille, le temps passe...

Ti-Kok arrive. Spontanément, je remarquequelque chose, ils ne se ressemblent pas, non,mais il y a chez lui comme une force qui couveen-dessous semblable à celle de son oncle,c'est caché, dans ses attitudes, sa façon de s'ex-primer, comme quelque chose qui transcendeles générations. Batailles Coqs... Combats deCoqs...

Les Enjeux... Ti-Kok n'est pas un oisif, il ne faitque ça tous les jours, c'est son métier, sonunique travail, ce n'est pas un passe-temps. C'est plus encore, il le dit lui même : « Le Galodrome c'est une drogue, tu y pensestout le temps, tu ne peux pas t'en passer, c'estainsi et ce n'est pas autrement. »

Ti-Kok n'agit pas seul dans les « ronds » à l'instarde tous les professionnels. Il y a son cousin, il ya son garçon, son petit neveu, son « staff », tousavec le même objectif. Il semble que pour lui,aujourd'hui, cela devient difficile de trouver descombats et il est obligé de passer par des « sous-mains » parce qu'il y a des gens qui le craignentà présent. Je dois préciser aussi que lorsqueTi-Kok fait « jouer un coq », il ne perd pas souvent,disons-le, presque jamais.

DANN KONBADKOK ? KISSA TI-KOK I LÉ ? TOULMONN I KONÉ...

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63 · AU FIL DES FESTIVALS

LE PALMARÈS DU JURY 2012

Le président du jury, Lucas Belvaux, souligne « qu’il faut beaucoup d’audace, beaucoup d’engage-ment pour réaliser une première et une seconde œuvre. La deuxième œuvre, c’est presque commeun premier film, c’est sans doute le plus dur dans la carrière d’un réalisateur, le sas d’entrée ou desortie définitive est là ! » Réalisateur et acteur, Lucas Belvaux est l’auteur de fictions exigeantes etengagées. Il filme la complexité humaine comme dans « 38 témoins » - basé sur un fait divers -avec la volonté viscérale d’interpeller le public pour que cela ne se reproduise plus. Un superprésident donc pour défendre avec « bienveillance » les six films en compétition. Les jurés, cette année, sont plutôt féminins, Natacha Régnier, Rachida Brakni, Anne Marivin,Amira Casar, Kelly Dargaud, accompagnées du réalisateur Fred Eyriey et du danseur réunionnaisÉric Languet.

Lucas Belvaux et son jury ont décerné à Mariage à Mendoza d’Édouard Deluc l’orchidée d’or dumeilleur film, et l’orchidée passion de la meilleure interprétation féminine à Pamela Contreras.L’orchidée noire de la meilleure interprétation masculine est attribuée à Jean-Pierre Darroussindans Rendez-vous à Kiruna d’Anna Novion.

Ce n’est pas un hasard si ce festival des premiers et seconds longs mé-

trages a obtenu depuis deux ans le label de Manifestation Artistique de

Qualité. Fabienne Redt a toujours cherché à aller au-devant des pu-

blics. Ainsi, « le festival se mobilise contre l’isolement » et se déplace

dans les prisons, les hôpitaux, les maisons de retraite. Nathalie Baye,

marraine de cœur, est venue soutenir cette initiative. Une expérience iné-

dite où elle partage son émotion d’être là, après la projection du film. Ce

festival est aussi l’occasion pour les scolaires de rencontrer acteurs et

réalisateurs, tout comme les professionnels dont les ateliers sont ou-

verts à tous. Et puis, la carte blanche sur la plage des Brisants, offre, gra-

tuitement, les joies du cinéma en plein air. Cette année, François

Berléand, avec qui nous nous sommes longuement entretenus,en prend

les commandes.

TEXTE FRancine GeoRGe

PHOTOGRAPHIE LauRent capmas/FestivaL du FiLm de La Réunion

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LA CARTE BLANCHE 2012Aux Maldives, François Berléand a pris beau-coup de plaisir à regarder des films en pleinair : « L’ambiance est gaie, c’est une façon diffé-rente d’aborder le cinéma. » Et lorsque FabienneRedt lui propose la carte Blanche, il acceptevolontiers. Trois films à choisir dont deux danslesquels il joue. Tout d’abord, il nous offre natu-rellement « son film de chevet », Bienvenue Misterchance, un des derniers rôles de Peter Sellers.Il l’apprécie tellement qu’il apporte le DVD àchaque fois qu’il est invité, comme on apportedes fleurs à la maîtresse de maison. Il souhaiteaussi donner une deuxième chance Aux âmescâlines de Thomas Bardinet qui eut le malheurde sortir en même temps qu’Harry Potter ! Un échec cuisant pour un film où il tient l’un deses premiers grands rôles. « La solitude duréalisateur est épouvantable dans ce cas-là ! »

Puis, François Berléand nous convie à revoir« Mon idole » de Guillaume Canet, le rôle qui l’apropulsé en tête du box-office. L’occasion delui demander quel acteur est son idole et lui, derépondre sans hésiter : « Michel Serrault. » Il semble en suivre la trace ! François Berléandnous raconte qu’à l’époque où il cumule les se-conds rôles, son agent lui disait « L’inconvénientavec toi, c’est que tu peux tout faire… » etquelques années plus tard, le succès aidant etperdurant, il s’entend dire « L’avantage avec toi,c’est que tu peux tout faire ! » Et c’est exactementce que l’on peut dire de Michel Serrault, excen-trique, drôle, sombre, mystérieux, dramatique…et excellent dans tous les registres !

SÉANCE TRANSAT AVEC FRANÇOIS BERLÉAND

Installé face au lagon, il se livre à bâtons rompussur son métier. D’une grande gentillesse, il abordel’entretien avec beaucoup de simplicité. Il plai-sante souvent, un brin cynique, pour masquerune sensibilité à fleur de peau ! Sourire esquissé de l’acteur charismatique,François Berléand nous confie que plus jeune, ilétait « très lunaire » et l’âge aidant, il est devenu« normal – agressif – parisien ! » Il doit sa longueet belle carrière à un traumatisme d’enfancequ’il raconte dans une sorte d’autobiographie« Le fils de l’homme invisible », parue en livre depoche. Il explique qu’à onze ans, il reçoit cette

sentence brutale de son père, sous l’emprised’un peu trop de vodka. Oui, son père est russe.Doux rêveur, l’âme d’un poète, il s’inventait desmondes, se gardait, bien évidemment, le rôle duhéros et conviait souvent les adultes dans sonunivers d’enfant en imaginant les scénariosles plus improbables. Cette révélation créedes situations ubuesques où, par le hasard deschoses, il arrive à se prouver qu’il est « invisible ».Sauf que, dans la réalité, lorsqu’il se déshabilleen plein milieu de la classe, il est effectivementnu, devant tout le monde ! Mais le petit Berléandn’abandonne pas et récidive dans ses expé-riences qui finissent par le conduire chez unpsychiatre : « Je ne le sais pas encore, mais cettehomme vient de fracasser mon enfance. » Lesannées passent et au hasard des circonstances,il entre dans un cours de théâtre. LA révélation !« C’est ça la vie ! » se dit-il, émerveillé et déter-miné. Il entame alors sa vie d’acteur, d’abord desecond rôle avec une palette large de person-nages, hypocrites, lâches ou bourrus, parfoissympathiques. « C’est plus amusant de jouer lesméchants ! » Il aime bien « les personnageslunaires » qui le ramènent à sa vraie nature.Quand il joue aux rebelles, c’est toujours avechumour, ce qui lui fait dire « je suis un cyniqueoptimiste ! » Il aime la vie, « les femmes, le vinet la bonne chère ! » et le cynisme est, pour lui,une forme de défense.

LE PIMENT DE LA TOILE

Il prend de plein fouet l’ère de l’internet et lapropagation en un éclair de ses moindres faitset gestes. « Un jour mon fils m’appelle » - Ah oui,François Berléand évoque brièvement, maisaffectueusement sa famille, il est le papa dedeux fils de 26 et 30 ans et plus récemment dedeux jumelles de quatre ans – « Papa, c’est trèsbien, tu ne vas pas voir les putes ! » Il resteinterloqué ! En fait, François Berléand habitePigalle. En sortant de chez lui, il dit bonjour àces dames, en tant que voisines, et déclinepoliment d’un petit signe de la main leur invita-tion d’usage. Mais quelqu’un, sans doute très bienintentionné, a filmé la scène sur son portable etl’a postée sur le net ! Sauf qu’il n’y avait rien àvoir !

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Quant aux dérapages médiatiques, il en asubi quelques-uns. Un jour à la radio, il plaisantesur François Bayrou quelque peu malmené laveille lors d’un débat avec Jean-Marie Le Pen.Une avalanche de commentaires le fait passerpour le soutien officiel du candidat à la prési-dentielle ! Récidive avec Eva Joly. Il voulaitsimplement s’élever contre le fait qu’il luisemblait bizarre de briguer la Présidence de laRépublique en gardant la double nationalité,française et norvégienne. Et puis, c’était aussisa façon de témoigner sur l’intégration, sa« babouchka » - sa grand-mère - parlait avecun accent russe, mais son père avait fait l’effortde parler sans accent. Dans le même temps,Patrick Besson fait un éditorial très moqueur.La toile s’emballe et il reçoit un océan d’injures.« J’ai dû faire des tonnes de démentis ! » Puis, leverdict des urnes est tombé : « Elle a fait 2,5%,ce n’est quand même pas de ma faute ! » Unretournement de situation étrange, car dans lefilm de Claude Chabrol, L’ivresse du pouvoir, basésur l’affaire Elf, il incarne Loïk Le Floch-Prigentet Isabelle Huppert, la juge d’instruction EvaJoly...

LES RENCONTRES INOUBLIABLES

Sa plus belle rencontre au cinéma, c’est effecti-vement avec Claude Chabrol. « On faisait partiede la famille, sa femme s’occupait du script, sonfils de la musique, d’autres étaient comédiens,il tournait toujours avec la même équipe tech-nique ! Je l’ai connu tard et je n’ai tourné que deuxfilms avec lui, mais c’est devenu tout de suite ungrand ami. Il nous donnait une énergie incroya-ble, et puis c’était un bon vivant, complètementfou de son métier.» Il y a eu plein d’autres rencontres, mais il revientsur la belle surprise que fut le film Mon idole deGuillaume Canet. « Je le connaissais bien, unsportif émérite. Il avait la tête du gendre idéal,pas assez tapé par la vie. C’était une période oùje tournais beaucoup de courts-métrages et j’enavais marre. Je lis le scénario et j’accepte defaire le film. J’ai été très surpris, Guillaume abeaucoup de talent. Pour son premier film, ilchoisit de jouer en même temps, ce qui n’estpas facile pour diriger les acteurs, mais il esttrès doué, il s’en est bien sorti. »

Une belle surprise aussi avec Les choristes. « Àl’origine, personne n’avait misé sur ce film !C’était un remake d’un film désuet La cage auxrossignols. Rien n’allait au départ. On a changédeux acteurs, le chef opérateur. J’étais parti àl’île de Ré, ils me rappellent sur le tournage etpuis on a tracé. Le film est sorti et a eu le succèsque l’on connaît.»A contrario, son plus mauvais souvenir res-semble encore aujourd’hui à un cauchemar, quece soit avant, pendant ou après le tournage : « Je n’arrivais pas à terminer le scénario et jen’avais aucune envie de faire ce film. Je me suisfait piéger parce que j’ai du mal à dire non. Leschoses ont traîné en longueur et finalement, jeme suis retrouvé embarqué dans cette galère.J’étais d’une humeur de chien ! Il y avait desacteurs vachement biens, je leur demandaisce qu’ils faisaient là et la réponse invariableétait « parce que tu as accepté de le faire ! ». « Tout le monde avait honte ! Impossible d’enrire ! »Ce qui décide François Berléand à faire unfilm c’est avant tout « le scénario, le rôle et lespartenaires. »

L’HOMME DE THÉÂTRE

Il accepte volontiers de jouer dans un premierfilm parce qu’il y a « toute une énergie » qui estmise en mouvement. Il défend avec beaucoupde conviction le premier film de Patrick Ridre-mont - Dead man talking - dans lequel FrançoisBerléand joue un directeur de prison presséd’en finir. « Un film sans budget réalisé avecbeaucoup de talent. Le traitement de l’image estmagnifique. Il y a une ambiance. » Le public etle jury des jeunes lui ont décerné le prix dumeilleur film. Après tout ce beau parcours, longs-métrages,télévisions, courts-métrages, théâtre, quelle estfinalement la préférence de François Berléand ?« Le théâtre, sans hésiter une seconde », nousrépond-il ! Les circonstances ont fait qu’il adernièrement enchaîné film sur film et, sansraison particulière, se sentait « triste, presquedépressif ». Puis, une opportunité est arrivée, eten montant sur scène pour les répétitions, toutest apparu limpide : « Le théâtre me manquait ! »

65 · AU FIL DES FESTIVALS

Page 68: Bat'Carré N°7

PUBLI-REPORTAGE BAT’CARRÉ · 66

Lorsque vous poussez la porte d’Opti’Kréateur,vous entrez dans un monde où votre personnalitésera habillée d’un nouveau regard. C’est aussi lemonde de l’excellence auquel chacun a droit.Mais revenons au grand plaisir de porter deslunettes soigneusement sélectionnées par lesopticiens visagistes François Meigné et HuguesNoël. Opti’Kréateur joue sur la gourmandise,l’acidulé berlingot qui ravive l’esprit pétillantdes fantaisistes. Plus sobres, les maîtres dudesign, tel Starck associé à Alain Mikli, revisitentles lignes vintage avec les ressorts de la hautetechnologie, par exemple, la branche « bionique »qui se tord sans se casser ou le manchon quiépouse les morphologies les plus diverses.Alain Mikli, avec sa ligne personnelle, crée aussiles formes et volumes les plus excentriques.Dans la même lignée, Théo sublime le rougetitane ou ose le vert fluo. Et pour les solaires, enpartenariat avec Tim Van Steenbergen, c’est latransparence sur monture zébrée pointilléepour l’homme, papillon purple électrique pourla femme. L’audace, toujours l’audace !

Le couturier, Thierry Lasry, référence des stars, ajoute la rareté au design avec des séries limitées. Chez Anne & Valentin, la gamme se décline du lumineux au très coloré, toujours pleine de vitalité. Michel Henau, lui, tend vers une recherche de formes plus contemporaines qui redessinent les traits du visage….et vous avez bien d’autres styles à découvrir !

EN CHAUSSANT LES LUNETTESD’OPTI’KRÉATEUR, VOUS VERREZ QUEVOUS AVEZ FAIT LE BON CHOIX, CAR TOUT L’ART DE CES OPTICIENS INNOVANTS EST MIS AU SERVICE DE VOTRE PERSONNALITÉ.

PHOTOGRAPHIE Jean-noëL eniLoRac

Joie de vivre & nouveau regard

Alain Mikli

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Dans une ambiance chaleureuse qui vous met tout de suite à l’aise, l’équiped’Opti’Kréateur vous conseille suivant votre personnalité, du mardi au samedi :

Saint-Denis55, rue LabourdonnaisT. 0262 40 90 099h - 13h / 14h - 19h

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Théo

Opti'KréateurCaroline Abram

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Starck

Michel Henau

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COULISSES · 68

danse

PASCAL MONTROUGE ET BERNARD FAILLE, DEPUIS QU’ILS ONT REPRIS LA DIRECTION DES TEAT NOUS OFFRENT,

AVEC UNE BELLE CONSTANCE, UNE PROGRAMMATION DE GRANDE QUALITÉ. DE PLUS, ILS SONT PRÉSENTS À TOUS LES SPECTACLES POUR ACCUEILLIR LE PUBLIC,

CE QUI FAIT QUE, MAINTENANT, ON SE SENT CHEZ SOIAU THÉÂTRE DE CHAMP FLEURI.LE PUBLIC ÉTAIT AU RENDEZ-VOUS POUR LE TROISIÈME FESTIVAL TOTAL DANSE

QUI A OFFERT, TOUT AU LONG DU MOIS DE NOVEMBRE, 45 REPRÉSENTATIONS SUR TOUTE L’ÎLE.

TEXTE FRancine GeoRGe

PHOTOGRAPHIE Jean-noëL eniLoRac

le G.U.I.D. à la rencontre de tous les publics

Page 71: Bat'Carré N°7

L’ILLUSTRE BALLET D’ANGELIN PRELJOCAJ

Angelin Preljocaj est considéré comme l'undes chorégraphes les plus importants de notreépoque.Basé à Aix-en-Provence, il dirige depuis1985 le ballet Preljocaj composé de 26 danseurspermanents. En 1996, il s’est installé au PavillonNoir, « écrin » architectural dédié à la dansecontemporaine dont il est le directeur artistique.Primé et reconnu dans le monde entier, le balletPreljocaj se produit sur les plus grandes scènesinternationales, du Japon aux États-Unis enpassant par toute l’Europe.

À La Réunion, nous avons la chance de pouvoirl’accueillir pour la seconde fois cette année. Etpour le festival Total Danse, accompagné duG.U.I.D. (Groupe Urbain d’Intervention Dansée)qui va à la rencontre du public et se produit dansla rue en couvrant le répertoire des spectaclesdu Ballet Preljocaj de 1985 à aujourd’hui. Une bellephilosophie que de donner à la danse contem-poraine ses lettres de noblesse en allant à larencontre de tous les publics. Angelin Preljocajn’est pas seulement un chorégraphe qui a atteintle seuil de l’excellence, il est aussi un maîtredans l’art de la transmission. Il a mis au point ledispositif des Affluents pour ses danseurs, afinde leur donner la possibilité de créer une pre-mière œuvre, et le G.U.I.D. destiné à mettre uneimage sur le concept de danse contemporaine.

LE GROUPE URBAIN D’INTERVENTION DANSÉE

Les six danseurs du G.U.I.D. vont se produire aumois de novembre sur toute l’île, rue piétonne,cour d’école, marché forain, place de la mairie...Le répertoire n’est pas écrit pour la rue, le direc-teur artistique Guillaume Siard a dû l’adapter enfonction des espaces, une sorte de réécriture.Véronique Ascencio, professeure de GuillaumeSiard à l’époque, a été nommée pour assurerl’encadrement des répétitions. Et c’est avec joieque les deux amis, dont les chemins se croisentdepuis trente ans, se sont retrouvés sous le cielréunionnais.Guillaume Siard explique qu’il n’est pas évidentde se produire dans le brouhaha de la rue, oùtout le monde n’est pas happé par le spectacle.Un coup infligé à l’égo des danseurs, mais aussià leur concentration. La rue est un exercice phy-siquement éprouvant, le rebond de la scènelaisse place à l’irrégularité du béton qui peutentraîner des chutes accidentelles. C’est d’ail-leurs ce qui s’est passé au cours des répétitions,un des six danseurs s’est blessé et il a dû pren-dre l’avion de retour. Un autre est arrivé pour leremplacer, mais les premières représentationsse sont faites à cinq.

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COULISSES · 70

De quoi déstabiliser toute l’équipe. D’un tempé-rament enthousiaste, Guillaume Siard a gardéson stress pour lui et c’est avec un grand calme qu’il a convoqué l’équipe tôt le matin pourredessiner les contours de chaque extrait afinde trouver, à cinq, la coordination qui fonctionnele mieux. On n’imagine pas le travail, le courage,l’endurance nécessaires à ces quelques pasde danse. Il n’y a pas d’improvisation possible,tout est pensé, répété et exécuté au geste près.Parfois, les corps se heurtent et le « porté »accroche, il faut tout recommencer. Derrièrel’enchaînement parfait, il y a aussi les caractères,« le danseur, à l’inverse des autres artistes, n’apas d’objet pour s’exprimer, il est donc mis à nuavec uniquement son corps pour développerson art », souligne Véronique Ascencio.

Responsables pédagogiques, titulaires du C.A.de formateur, le plus haut niveau de diplômepour les danseurs, ils se retrouvent tous les deuxsur le terrain de l’exigence, mais insistent aussisur le poids des responsabilités : « On peut, en uneheure, dégoûter une personne à vie. » D’autantque les vocations se décident très jeunes, à huitans Guillaume Siard voulait être « danseur etprofesseur pour pouvoir monter des spectaclesavec mes élèves » ; quant à Véronique Ascencio,c’est à l’âge de sept ans qu’elle décide d’êtredanseuse étoile au hasard d’une circulaired’inscription au conservatoire.

UNE EXTRAORDINAIRE PERFORMANCE

DANS LA RUESeize heures, il fait encore chaud. Deux calicotsdu TEAT sont posés pour délimiter l’espacerestreint dans lequel les cinq danseurs vontévoluer. Quelques chaises, de part et d’autre,laissent à penser que nous sommes au specta-cle. Pas de lever de rideau, pas de lumière quis’éteint pour marquer le début de la représen-tation.

Les danseurs du G.U.I.D.Déborah Casamatta, Julie Dariosecq, Solène Hérault, Benjamin Forgues et Martin Mauriès.Directeur artistique : Guillaume SiardChorégraphie : Angelin Preljocaj

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Ils entrent en scène, tout de noir vêtus ; un cri etles mouvements s’enchaînent, un autre et ils sedélient, toute la scène est ainsi composée du cri,annonciateur des mouvements suivants. Lesformes de leurs cinq corps s’aimantent à lamanière d’un rubicube que l’on désarticulepour trouver le bon alignement. À présent,Hélikopter, les cinq danseurs évoluent dans levrombissement du moteur, la jambe est tournéecomme une pale d’hélice rappelant les vieuxfilms d’aviateurs… Mermoz, Howard Hughes,l’esprit s’évade et les images se croisent. Làencore, les danseurs ont la faculté et la grâce dechanger de tableau, de s’habiller ou de se dés-habiller à une telle vitesse que l’on n’a pas letemps de s’en apercevoir. Des imperméableskaki viennent virevolter, mouvements amples etvolontaires, le ton est guerrier.

La foule, dense, en ce samedi après-midi, ruedu Maréchal Leclerc, s’écoule au ralenti derrièreles calicots. Certains cherchent à forcer le pas-sage avec leur poussette, d’autres pouffent derire, d’autres encore s’étonnent, mais continuentleur chemin et d’autres s’arrêtent, interloqués. Ilest vrai que certaines scènes particulièrementacrobatiques sont à couper le souffle. Beaucoupde spectateurs ne s’y sont pas trompés et assis-tent à toute la représentation, une longue demi-heure, sans même bouger ou chuchoter…

Maintenant, assis sur une chaise, les danseurssemblent en découdre avec un livre qui prendtoutes les postures sauf celui de la lecture,« ils m’ont tapé sur la tête… », les pages sontrageusement tournées, elles sont blanches, pasd’écrit donc ! Séquence étrange, le début dela fin, qui marque une pause dans le rythmesoutenu des corps propulsés entre ciel et terre.Sans avoir le décodage de ce que chaquescène a le dessein d’exprimer, ni la maîtrise dela danse contemporaine, chacun vit ce spectacleà sa mesure, avec son imaginaire, l’importantrestant de simplement vibrer à ce déferlementstupéfiant de figures parfaitement coordonnées.

Autre tableau dans le jeu de l’attirance et durejet, les danseurs livrent leur dernier souffled’énergie tandis que retentit, tonitruante, lamusique de fin. C’est vrai que jusqu’à ce stade,la musique était en repli, laissant toute la placeà la danse. Temps des applaudissements.Rappel sans effet. L’émerveillement se lit sur lesvisages, on voudrait tous que ça continue, maisle rêve s’achève et les premières gouttes depluie dispersent les spectateurs qui se sont, peuà peu, massés autour des danseurs du G.U.I.D.

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PAPILLES EN FÊTE · 72

Recette pour 5 personnes LES INGRÉDIENTS

Pour le foie mi-cuit 1 lobe de foie gras (environ 600 g)10 cl de vin jaune1,5 l de graisse d’oie ou de canard14 g d’assaisonnement

Pour le chutney d’abricots 200 g d’abricots secs200 g d’abricots surgelés3 cuillères à soupe de miel1 gousse de vanille3 cl de vinaigre de Xérèsgrains de poivre de Sechouanle jus d’un citronamandes, pistaches, ou pignons concassés

Recette de l’Atelier

de Ben

PHOTOGRAPHIE pieRRe cHoukRoun

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1. Déveiner le lobe. Assaisonner dessus et dessous. Arroser avec le vin jaune et rouler dans un film alimentaire en serrant bien. Percer de deux trous.

2. Mettre la graisse à chauffer dans une cocotte pouvant aller au four.L’amener à 80°C.Immerger le foie dans la graisse et enfourner à 80°C. Le foie doit atteindre 38°C à cœur, cequi représente environ 30 minutesde cuisson. Sortir le foie gras du bain.Laisser refroidir 10 minutes. Le filmer à nouveau bien serré et l’envelopper dans du papier d’aluminium.Mettre au réfrigérateur pendant 48 heures.

3. Le chutney d’abricots : Dans une cocotte, chauffer le mieljusqu’à ce qu’il mousse.Ajouter les abricots secs émincés et la gousse de vanille fendue et grattée. Au bout de quelques minutes, ajouter les abricots surgelésen quartiers et les grains de poivre de Sechouan enfermés dans un petitsac de gaze. Laisser compoter à feu doux. En fin de cuisson, ajouter le vinaigre.Lorsque le chutney est froid, ajouter le jus de citron.Au moment de servir, ajouter les amandes, pistaches ou pignonsconcassés.

Pour accompagner dignement ce foie gras mi-cuit La cave de La Victoire vous conseille le champagne Le Mailly grand crublanc de noirs.

Le chef Benoît Vantaux nous reçoit dans la cuisine de son restaurant situé au 12, rue de la Compagnie à Saint-Denis.

www.batcarre.comRetrouvez

cette recette filmée sur notre site dans la rubrique

Café coulé

Page 76: Bat'Carré N°7

RÉUNIONNAIS DU MONDE · 74

pour contacter Rodolphe et Nirina : [email protected]

TEXTE & PHOTOGRAPHIE RodoLpHe & niRina sinimaLé

Ichi ichIchigo ichie 1

// DEUXIÈME ÉPISODE

Page 77: Bat'Carré N°7

La tornade qui vient de s’abattre sur Tokyodisparaît tout aussi soudainement qu’elle étaitapparue. Elle emporte avec elle la pluie, et notrefatigue. Au-dessus, la voûte céleste et ses millionsd’étoiles bienveillantes. Sur nos visages, lesourire !Par le pouvoir du temps – et par la force du dé-tachement - nos sacs à dos sont passés d’unpénible 30 kg à un modeste… 10 kg. Nos seulespossessions sur Terre, désormais ! Ainsi plusnous voyageons et plus nous nous rapprochonsde l’essentiel…Nous reprenons nos sacs et avançons, décidés,vers l’inconnu nippon, trempés jusqu’aux os,mais heureux d’être ici. Notre odyssée prend alors la forme d’une jeunefemme lunaire. Immense chevelure noire et lissequi danse joyeusement dans le vent, balayantdélicatement de frêles épaules d’une blancheurstupéfiante. D‘un air amusé, la tokyoïte nousoffre le plus beau sourire que la Terre ait jamaisporté : « Konnichiwa ! Ogenkideskasu ? 1»Sur quoi Nirina répond, à ma (très) grandesurprise et le plus naturellement du monde, uninattendu (et néanmoins pertinent) : « Konnichiwa ! Hai okagasama-de ikaga desuka ? Eigo ga hanasemasu ka ? 2» :S’il est bien une raison de promouvoir le voyage,c’est bien celle de l’acquisition de nouvelleslangues, et je dois avouer que Nirina possèdeun véritable don pour cela… À moins que cela nesoit finalement que résurgence de vies passées ?

Réincarnation ou pas, nous apprenons en quelquessecondes que notre divine rencontre porte lenom de l’une des quatre directions cardinales :« Minami » - soit « le sud », en français. Elle estjournaliste, et elle vient tout juste d’interviewerune très grande star du reggae ici, Matisyahu 3.Elle en a encore les mains qui tremblent !

Minami parle un anglais parfait, et c’est doncdans la langue de Shakespeare que nous luiracontons ensuite nos premières aventurestokyoïtes et pluvieuses : l’invraisemblance dumétro, les subdivisions infinies et labyrinthiquesde la mégalopole, les taifus dansants et autresdaschungs ténébreux.

Le visage malicieux et plein d’empathie, ellenous montre une étrange maison, juste derrièrenous : une courte façade faite de petites briquesrouges, une étrange porte sans poignée ni nom,de microscopiques fenêtres… C’est la guesthouse tant recherchée ! Ainsi nous avons marché des heures, sous lapluie, en passant et repassant encore devantnotre destination, sans le savoir ! Je me souviensalors de ce que m’avait dit un vénérable et sagemoine bouddhiste, quelque part au nord de laThaïlande : « La Vérité, ô voyageur, est souventtrop proche de nous pour que l’on puisse seu-lement l’apercevoir. »« Il est tard, nous dit Minami, et le quartier estpeu sûr ! Il y a eu récemment une recrudescencede problèmes, certainement liés à la crise quitouche notre pays. Venez à la maison, vous êtesmes invités ! »« Peu sûr, Tokyo ? », me dis-je en mon for inté-rieur. Je me remémore alors avec une étrangenostalgie ce « crime », qui avait défrayé lachronique et mis en émoi la population, et donton pouvait lire les faits dans un journal destinéaux Gaijins 4 : « La Police de Tokyo a indiqué jeudi que deuxécolières ont été attaquées par un homme, quileur a coupé les cheveux. Selon la Police, l’unedes victimes, âgée de 17 ans, a été attaquée parl’homme alors qu’elle traversait un parc, sur lechemin de l’école : « L’homme s’est arrêté devantmoi et m’a coupé les cheveux ! » Une nouvelleattaque qui fait suite à celle qui avait touché uneautre étudiante, un peu plus tôt le matin-même.L’homme – dans la trentaine et aux cheveuxbruns - a utilisé semble-t-il des ciseaux de coif-feur. »

Je m’exclame : « Finalement, s’il est une secondechose que le voyage nous apprend, c’est quetout est très relatif en ce bas monde ! »

Nirina et Minami acquiescent, sans trop vraimentsavoir pourquoi, puis nous disparaissons dansla nuit claire et moite.

« Toute rencontre est importante, car elle est unique. »

1 « Bonjour ! Comment allez-vous ? »2 « Bonjour ! Ca va bien, merci. Parlez-vous anglais ? »

3 Matisyahu (« Gift of Gods ») est un chanteur Américain très célèbre au Japon, notamment pour ses remix de chants traditionnels hébreux mélangés avec les riffs langoureux et hypnotiques du reggae jamaïcain.

4 « Gaijin » signifie « non-Japonais », ou « étranger ». Ce mot est en réalité composé de deux termes Kanji : « gai », qui signifie « dehors »; et « jin », qui veut dire « personne ».

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HORIZONTALEMENT

Mises à mal

Diriger. On le recharge

Inventes. Fait l’appel

Personne. Condiment

Cosmos. Article de fond

Jus de fruits. Fin de rêve

Ferrure. Exilé. Badiné

Dégrisé

Cri d’abordage. Dieu cathodique

Volcan

Flotte Britannique. Métal et étalon

Complète. Ne reconnut pas

Décochai. Ras

Lac près de Luchon. Ébranchoir

Donneur de leçons

Fit reconnaître le manque. Crochet au collet

B

C

D

E

F

G

H

I

J

K

L

M

N

O

P

Q

VERTICALEMENT

Trônai. Formations

Gardées. Préposition savante. Maussade

Centres de pilotage. Mets d'hellène. Réserve d’images

Qui s’est fait corriger. Plaça. Surprendre

Elle charme. Inédit. Lettre de l’étranger

Dépouillé. Brut

Un bel emplumé. Policé. Fait son choix

Couchée. Émotionné. Menaces aériennes

Obtenir. Détenir. Plis indéniables

Mauvaise humeur. L’art de Stendhal

2

3

4

5

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1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

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JEUX · 76

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4 5 6 2 7391

6 8 24

2 1

7

5937

9

1

4 3

8 4

La grille du jeu est compose e de 9 lignes, 9 colonnes

et de 9 regions (les 9 carre s).

La grille du jeu contient toujours des chiffres de 1 a 9 et des cases vides,

le but est donc de remplir entie rement la grille de manie re logique.

La regle du jeu est simple : chaque ligne, colonne et region

ne doit contenir qu’une seule fois tous les chiffres de un a neuf.

Formule autrement, chacun de ces ensembles doit contenir

tous les chiffres de un a neuf.

La plupart du temps, le jeu est propose sous la forme d’une grille de 9×9,

et compose de sous-grilles de 3×3, appelees « regions ».

Quelques cellules contiennent des chiffres, dits « de voiles ».

Le but est de remplir les cellules vides, un chiffre dans chacune,

de facon a ce que chaque rangee, chaque colonne

et chaque region soient composees d’un seul chiffre allant de 1 a 9.

En consequence, chaque chiffre dans la solution apparait une seule fois

selon les trois « directions »,

d’ou le nom « chiffre unique ». Lorsque qu’un chiffre peut s’inscrire

dans une cellule, on dit qu’il est candidat.

5 4

82

75 2

49

21

3

MOYEN

2 4 1

6

3

94 3

17 5 4

5

1 5

8 9

35 6 7 1

DIFFICILE

SUdoku

JEUX · 78

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NOUS TENONS À REMERCIER NOS PARTENAIRES QUI SOUTIENNENT NOTRE PROJET AVEC UNE BELLE CONSTANCE :

RÉSULTATS DES JEUX DU NUMÉRO PRÉCÉDENT · 80

NOS PARTENAIRES

3 7

1 9 8 4 2 7356

162

9

6 9

869 4 3 1275

1

1 7 4

94257

591362478

8 635

5 489

5

7

2 9 5 7 3 4

4 9 3 2 61 85

4 8 6 5 1 2

13

25

192 47

37

8

3854 62 7 9

3

86

MOYEN

8 3 24 7 1 5 6

3986 4 5

38 6 9 2 1 5 7 4

347 2 1

69 4 1 7 2 8 3

9 18723 5 6 4

1 8 6

7 1 2

4 351 2 6 8 7 9

9 6 5 8

9

DIFFICILE

1 2 3 4 5 6 7 8 9

B E C O L O B S A C

C S O N C U N I R A

D H U I T D O T E R

E A T T I R E E E Q

F B E R G E F E C U

G I G I E N A G R I

H L A C H E M A I L

I L U E S I A B E L

J A M J A C N E J E

K G O E L E T T E

L E N T A S L I L L

M S E C S M E T U I

A D E M I H E U R E

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