Bat'Carré N°11

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CARRÉ nUméRo 11 // aVRil - mai - jUin 2014 MARGUERITE DURAS la paSSionnée PRIX MÉTIS miano & ladjali RenconTRe aVec LOLITA MONGA ROSEMARY NALDEN & le bUSkaid SoWeTo Femme Artiste

description

En un clic, Bat’carré vous plonge dans l’océan Indien, carrefour d’influences à découvrir, à savourer, à partager… Bat’carré : "Allons faire un tour" avec un beau magazine qui met en relief romans, paysages, cultures et personnages de La Réunion et du monde entier !

Transcript of Bat'Carré N°11

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numéro 11 //avril - mai - juin 2014

MARGUERITEDURASla passionnéePRIX MÉTIS miano & ladjali

rencontre avecLOLITA MONGA

ROSEMARY NALDEN& le buskaid soweto

Femme Artiste

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ÉVASION CULTURELLEÉVASION BEAUX LIVRES, ÉVASION JEUNESSE & ÉVASION ROMANAU COEUR DE L’ÎLE DEUX FEMMES, LAURÉATES DU PRIX ROMAN MÉTISAU COEUR DE L’ÎLE FEMMES DE PÊCHEURSESCAPADELA DAME DE LA VALLÉE PERDUEAU FIL DES FESTIVALSLEU TEMPO 2014OCÉAN INDIENROSEMARY NALDEN, LA PUISSANCE DE L’ARCHETBEAUX-ARTSELLE ET LUI, L’ATELIER DES AILLEURSRENCONTRELOLITA MONGA, LA GRANDE DAME ET SON CLAPOTIS DES MOTSHORIZONLES PÉTRELS DE LA RÉUNIONVOYAGE VOYAGELE NÉPAL, ASCENSION DU SACRÉCHRONIQUE DE VOYAGEMADIBA, LE DERNIER VOYAGECOULISSE MARGUERITTE DURAS, LE ROMAN DE SA VIEPAPILLES EN FÊTENOISETTES DE FILET D’AGNEAU RÔTI AU SUCRE AMAMI OSHIMA, PLEUROTES ET PATATES DOUCESTAAFTERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES, ESCALES À KERGUELENRENDEZ-VOUS BDDES BULLES AU CHOIX

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Couverture Photographie IngimageÉditeur BAT’CARRÉ SARLtrimestriel gratuit

Adresse 16, rue de Paris97 400 Saint-DenisTel 0262 28 01 86www.batcarre.comISSN 2119-5463

Directeur de publication Anli [email protected] 24 98 76

Directrice de la rédactionFrancine [email protected] 28 01 86

RédacteursJean-Paul Tapie,Géraldine Blandin,Arnaud Andrieu,Stéphanie Légeron,Francine George.

Secrétaire de rédactionAline Barre

Directeur artistique P. Knoepfel, Crayon [email protected]

Photographes Éric Lafargue,Graham de Lacey,Arnaud Andrieu,Géraldine Blandin,Christian Vaisse,Jean-Noël Énilorac,Adeline Méliez,Sébastien Marchal,Gaetan Hoarau,Marten Persiel,Christiane Geoffroy,Bruno Marie,Doisneau.

Création & exécution graphique Crayon noir

Développement web Anli Daroueche et New Lions Sarl

PublicitéFrancine George : 0262 28 01 86

DistributionTDL

Impression Graphica 305, rue de la communauté97440 Saint-AndréDL No. 5565 - Mai 2014

Tous droits de reproduction même partielle des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.

ErratumDans le précédent numéro, la photographie de Bataye Kok a été injustement attribuée à Hippolyte, or elle était de Nicolas Anglade. Toutes nos excuses à l’auteur.

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Nous ne serons jamais assez fiers d’Éric Lafargue, champion national 2014

de la photographie professionnelle dans la rubrique Mode & Beauté, avec

la photo qu’il a réalisée pour la couverture du BAT’CARRÉ N°10. Un beau

titre qu’il a remporté dans un univers où la concurrence est particulièrement

vive.

Le BAT’CARRÉ N°11 est consacré à la femme, femmes de tous horizons,

femmes engagées que la passion relie. Des trajectoires peu communes qui

montrent bien que la détermination peut ouvrir de grands horizons dans

tous les domaines.

Femmes de pêcheurs de Terre-Sainte, discrètes et profondément rivées aux

flux de l’océan Indien. Une Anglaise qui révolutionne Soweto en redonnant

le goût de la vie grâce à la musique. Une romancière qui a bouleversé la

littérature française, mais pas seulement, le cinéma aussi.

ET une rencontre, avec une femme exceptionnelle, Lolita Monga, directrice

du CDOI depuis sept ans, qui se livre avec autant d’authenticité que de

liberté sur ses envies de théâtre.

Les hommes ne sont pas absents, un hommage particulier à Madiba grâce

à Sébastien Marchal, un autre photographe de talent.

Vive les femmes !

Francine George

Bonne balade sur www.batcarre.com

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PHOTOGRAPHIEÉRICLAFARGUE

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4 · ÉVASION BEAUX LIVRES SÉLECTION FRANCINE GEORGE

EN COLLABORATION AVEC LA LIBRAIRIE GÉRARD

JARDINS DE SAGESSE

Yolaine escande, sinologue et directrice de recherche au cnrs, dévoile les trésors des jardins chinois etjaponais, leur capacité à transmettre des valeurs ancestrales tout en restant un espace ouvert sur le monde.ce bel ouvrage, à l’iconographie inédite, nous fait pénétrer dans un univers magique où la nature, le rocherabrupt, l’arbre noueux deviennent l’essence de l’art, le pivot du jardin conçu pour laisser cheminer les voiesde la sagesse.

AUTEUR Yolande EscandeÉDITEUR Éditions du Seuil

FRANÇOIS SCHUITEN, L’HORLOGER DU RÊVE

chroniqueur de l’actualité bédéiste à la radio belge, thierry bellefroid nous invite à voyager au pays de Françoisschuiten, « créateur de rêves ». l’auteur nous fait découvrir, outre la finesse du trait et le décor des célèbresCités obscures, le champ immense du travail de l’artiste, scénariste de spectacles vivants, d’événementsurbains ; architecte d’exposition universelle ; concepteur de décors pour le cinéma et pour le théâtre...projets, réalisations, utopies, tout est mis en lumière dans ce splendide album à garder précieusementdans sa bibliothèque et/ou à offrir à ses meilleurs amis.

AUTEUR Thierry BellefroidILLUSTRATION François SchuitenÉDITEUR Casterman Édition

SALAZIE

ce nouvel ouvrage de roland bénard laisse aux belles photos le soin de parler du cirque de salazie, un paradisvert foisonnant de richesses. panoramas grandioses, treille de chouchou, voile de la mariée, piton d’anchaing,mare à poule d’eau, passerelle vertigineuse de l’îlet à vidot, chat à bois de pomme, vieille case tapisséede journaux, belles cases créoles ornées de lambrequins…le cirque, connu ou inédit, est revisité par l’œilamoureux de celui qui photographie la réunion depuis plus de 60 ans.

AUTEUR Roland BénardTEXTE HISTORIQUE Mario Serviable

COMMENTAIRES GÉOLOGIQUES René RobertÉDITEUR Austral Éditions

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5 · ÉVASION JEUNESSE SÉLECTION FRANCINE GEORGE

EN COLLABORATION AVEC LA LIBRAIRIE GÉRARD

ABCVERT

un abécédaire original de la réunion, très nature, où le dodo fait plonger le dauphin, la vanille et le vacoavoisinent avec l’usnée barbue, la babouk tisse sa toile sur un paysage de rêve… superbe !

TEXTE ET ILLUSTRATION Solen CoefficÉDITEUR Océan Jeunesse

UNE VIE EN BLEU

À partir d’une étiquette de paquet de pâtes, les auteurs parlent de la quête du bonheur aux touts- petits enjouant sur les couleurs. une poésie de la vie en quelque sorte. Frais et ravissant !

TEXTE Alice Brière-HaquetILLUSTRATION Claire GarralonÉDITEUR Océan Jeunesse

CÉTACÉ

les rencontres insolites d’une baleine espiègle en quinze tableaux. l’album bleu nuit invite à découvrir lesprofondeurs marines en jouant avec les mots. c’est assez amusant !

TEXTE ET ILLUSTRATION Coralie SaudoÉDITEUR Epsilon Jeunesse

RIKIKI, TERRIBLE PIRATE DES MERS

rikiki, fils de rikita Fleur de java et du cap’taine Grabuge, couple de pirates redoutés, veut tout de suiteêtre un grand et pour se faire entendre pousse des cris opportunément stridents. les illustrations magnifiquesne peuvent que donner envie de plonger dans le monde imaginaire des pirates. À l’abordage !

TEXTE ET ILLUSTRATION Marianne BarcilonÉDITEUR Kaléidoscope

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6 · ÉVASION ROMAN TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE ARNAUD SPÄNI

MURMURER À L’OREILLE DES FEMMES

dans ce recueil de nouvelles, douglas kennedy meten scène des femmes, comme dans tous ses romans,même si, parfois, le narrateur est un homme. char-meur invétéré, il sait déceler les affres de la sensibilitéqui donnent à la femme le courage de rompre avecl’ennui. en fait, tout au long de ces douze nouvelles,parues dans différents médias, le héros est le modusvivendi du couple pris au piège du quotidien. issu d’unmariage raté, « j’ai très tôt pris des notes », il met enscène, pour la première fois, ses parents dans « Guerrefroide ». certaines nouvelles pourraient devenir unroman, et c’est bien dans le roman que douglaskennedy s’illustre le mieux.

chacun d’entre eux est un best-seller traduit en unequinzaine de langues. rythme et suspens, universvariés, ses personnages ont toujours un accent devérité. il met ses héros en danger face à la questiondu choix alors qu’ils se sentent pris au piège de leurvie conjugale. La Poursuite du bonheur, son premiergrand succès, est la clé de voûte de ses fictions avecune certaine lucidité : « mais qu’est-ce que l’on veutvraiment ? »

UNE MISE EN DANGER PERMANENTE

pourtant, il n’est sûr de rien. après l’échec de sonsecond roman, Les Désarrois de Ned Allen, les états-unis le boudent pendant une quinzaine d’années.un bien pour un mal. il est ainsi plus libre d’explorertous les champs d’investigation et rencontre un succèsinternational. un de ses romans les plus réussis, Cetinstant-là, se situe dans le berlin avant la chute du mur,un autre tout aussi passionnant, Quitter le monde,suit la remontée des enfers d’une jeune femme quia perdu son enfant dans un accident.

dans son dernier roman, Cinq jours, qui traite de laquestion de la deuxième chance, on est interloquépar cette séance de scanner, la précision et la jus-tesse des mots. en réalité, il a effectivement passéun scanner, flirté, un peu, avec la manipulatrice pourengranger la matière nécessaire à son roman.

« un écrivain doit regarder la rue, pas son nombril. »il vit dans le monde actuel, s’en imprègne commeune éponge, servi par une mémoire phénoménale.douglas kennedy n’écrit pas seulement au fil de laplume, il travaille avec méthode, s’astreint aux millemots par jour, fait des recherches et c’est ce quidonne de l’épaisseur à ses romans.

À LA RÉUNION

la curiosité et le voyage sont ses moteurs. lorsqu’agora lui a proposé de venir faire la promotion deCinq Jours, il s’est demandé où pouvait bien setrouver la réunion. et son attirance pour les tropiquesl’a décidé. très surpris par le fait que « l’île soit siisolée, mais en même temps si connectée, avecles mêmes inquiétudes culturelles qu’ailleurs, fran-çaise, mais vraiment, avec une identité différente… »,il a adoré son séjour et espère bien y revenir. ses fans étaient au rendez-vous, deux heures dequeue avant de pouvoir obtenir une dédicace ! ilaccueille chacun avec la même gentillesse, une pointed’humour par-ci, une photo par-là… il se donne entiè-rement à son public qui le lui rend bien. new-Yorkaisdans l’âme, européen d’adoption, il vit entre paris,berlin, le maine et montréal et s’exprime dans unparfait français. son prochain roman serait un polardont l’action se déroulerait au maroc. À très bientôt donc !

Douglas Kennedyla vie tambour battant

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LÉONORA MIANO ET CÉCILE LADjALI ONT REMpORTÉ LE pRIx DU

ROMAN MÉTIS DE LA VILLE DE SAINT-DENIS ORgANISÉ pAR LA RÉUNION

DES LIVRES. LE gRAND pRIx pOUR LA SAISON DES OMBRESDE LÉONORA

MIANO ET LE pRIx DES LyCÉENS pOUR SHÂB OU LA NUIT DE CÉCILE

LADjALI. DEUx ROMANCIèRES ANCRÉES DANS LE SyMBOLISME, L’UNE

SUR LES TRACES DE L’hISTOIRE ET L’AUTRE SUR LES TRACES DE SON

ADOpTION.

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9 · AU COEUR DE L’ ÎLE TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC

Le grand prix du Roman Métis

Depuis quatre ans, le grand prix du Roman Métis

de la Ville de Saint-Denis décerné en décembre

récompense un roman francophone paru dans

l’année « mettant en lumière les valeurs de mé-

tissage, diversité et humanisme. » Ce prix de la

ville de Saint-Denis organisé par la Réunion des

Livres en partenariat avec la Dac OI et le Rectorat

rencontre en très peu de temps un vif succès

grâce aux grandes qualités littéraires d’un jury

composé d’écrivains et de passionnés de lecture

qui, ne pouvant pas tous se réunir sur place, ont

pris l’habitude d’échanger par mail. Une vingtaine

de romans envoyés par les maisons d’édition

sont sélectionnés chaque année.

Les quatre lauréats sont :

- En attendant la montée des eaux de Maryse

Condé, prix du Roman Métis 2010

- La belle amour humaine de Lyonel Trouillot,

prix du Roman Métis 2011

- Le terroriste noir de Tierno Monénembo, prix

du roman Métis 2012

- La saison de l’ombre de Léonora Miano, prix

du roman Métis 2013

En continuité du prix du Roman Métis et à l’image

du prix goncourt, le prix Métis des lycéens en est

à sa troisième édition. Cette année, huit lycées

ont participé à cette belle aventure qui les a

conduits à lire la dernière sélection du prix Métis,

à débattre et choisir, via un jury de deux jeunes

par lycée, le roman sélectionné.

La lauréate Cécile Ladjali est venue dernièrement

à La Réunion dans chaque lycée pour échanger

de vive voix avec les élèves et…

Les trois lauréats du prix du Roman Métis des

lycéens sont :

- Samba pour la France de Delphine Coulin, prix

du Roman Métis des lycéens 2011

- À défaut d’Amérique de Carole Zalberg, prix du

Roman Métis des lycéens 2012

- Shâb ou la nuit de Cécile Ladjali, prix du Roman

Métis des lycéens 2013

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10 · AU COEUR DE L’ ÎLE

Léonora Miano, prix du Roman Métis 2013

pour ses quarante ans, Léonora Miano a été fêtée,

et doublement consacrée. En premier lieu, elle a

reçu le grand prix du Roman Métis 2013 pour son

roman La saison de l'ombre paru chez grasset,

puis quelques jours plus tard, le prix Fémina. À

juste titre. Femme d’une autorité charismatique,

elle a conquis le parterre de spectateurs venus

l'applaudir lors de la soirée organisée à l'ancien

hôtel de Ville de Saint-Denis pour lui remettre

son prix en présence du maire, des membres du

jury et des partenaires associés.

Née à Douala, sur la côte du Cameroun, elle part

en France faire ses études littéraires en 1991. Elle

souligne que sur son passeport, il était alors écrit

« pays interdit : l'Afrique du Sud ». Elle voue sa vie à

l’écriture : « je veux savoir, voilà pourquoi j'écris »,

dit-elle de sa voix envoûtante.

Auteure de sept romans, de deux recueils de

nouvelles, d'un texte théâtral, elle est également

inspirée par le jazz « musique métisse par excel-

lence » et c’est en tant que chanteuse qu’elle a

franchi le pas en se produisant sur scène en

début d’année.

globe-trotteuse de la pensée humaine, elle a

publié un recueil - Habiter la frontière - de ses

conférences à travers le monde. Son œuvre vise

à « restituer les peuples subsahariens et afro-

descendants dans la globalité de l'expérience

humaine ». L'immense beauté de ses textes laisse

passer les messages de fond avec une profon-

deur de chair et de sang. Il y a toutefois quelques

barrières à franchir avant de suivre les person-

nages dans leur univers : « Il faut que les lecteurs

acceptent de passer le miroir, d'entrer dans un

autre monde. »

La saison de l’ombre est un roman complexe qui

nous met dans la peau des Mulango trahis et ven-

dus aux « étrangers venus du Nord par les eaux »

pendant la traite négrière. Cette confrontation à

l’histoire, mise en scène avec une grande virtuo-

sité, exhume le choc brutal de ces populations

enclavées qui vivaient de rites sacrés et ne

connaissaient comme horizon que le ruisseau

qui borde leur territoire. Cette oeuvre centrée sur

l'arrachement à sa terre, à sa famille, parle - et c'est

très rare - de la voix de ceux qui sont restés, de leur

destruction aussi, témoignant de ce côté-là de

l'histoire.

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Un rapport de mission pour l'UNESCO de la mère

de la chanteuse Sandra N'Kaké, La Mémoire de la

capture, lui a donné une base pour mailler son

imaginaire aux faits historiques.

En 2006, l’écrivaine camerounaise avait déjà

reçu le prix goncourt des Lycéens pour Contours

du jour qui vient paru chez plon, qui raconte

l’histoire de Musango, petite fille de neuf ans

rejetée par sa mère et plongée dans le calvaire

quotidien des enfants de la rue. Ainsi, ses romans

à portée universelle offrent une formidable dé-

couverte de « figures effacées des mémoires » et,

grâce à leur sens de l’épopée, plongent dans l’his-

toire avec réalisme, car seuls les écrivains sont

capables d’en extraire la dimension profondément

humaine.

profondément touchée de recevoir ce prix dans

cette partie de l’océan Indien, Léonora Miano

regrette néanmoins de ne pas avoir suffisamment

échangé avec le public et part un peu déçue,

comme s’il s’agissait d’un rendez-vous manqué.

Mais en tant que lauréate, elle devient membre

du prochain jury et elle est bien décidée à faire

des propositions et à se rendre disponible pour

aller à la rencontre des Réunionnais.

Cécile Ladjali, prix du Roman Métis

des lycéens 2013

Cécile Ladjali, quant à elle, a eu la chance de ren-

contrer de nombreux lycéens, d’échanger avec

eux, tout autant qu’avec le public. Une habitude

chez elle qui a travaillé pendant quinze ans en

Seine Saint-Denis avec des élèves difficiles à qui

elle a transmis avec une grande exigence l’amour

des belles lettres. De ses travaux avec ses élèves,

elle a publié en 2001 chez L’esprit des péninsules

un recueil de poèmes Murmures et une tragédie

Tohu-Bohu en 2002, qui sera mis en scène par

William Mesguich. En 2003, elle publie Éloge de

la transmission basé sur ses entretiens avec le

philosophe et écrivain george Steiner dans lequel

tous les deux décryptent le difficile chemin par-

couru par les élèves pour écrire les poèmes de

Murmures.

pour elle, la maîtrise du langage est avant tout

une garantie de liberté. Dans toutes sortes de si-

tuations, on se fait manipuler par des gens qui

ont le verbe haut et le sens de la répartie. Son parti

pris est donc d’enseigner à ces jeunes de la Seine

Saint-Denis la liberté qu’ils se doivent et qu’ils ne

peuvent atteindre qu’en ayant accès au langage.

« Le courant passe entre nous parce que je les

respecte tout en mettant la barre très haut. Tout

ce qui est beau est difficile. »

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12 · AU COEUR DE L’ ÎLE

L’écriture est une bouffée d’air à côté de la mis-

sion qu’elle s’est donnée en tant qu’enseignante :

« Les deux métiers ne sont pas exclusifs, ils s’en-

richissent mutuellement. » Après le succès de sa

fiction-autobiographie, Cécile Ladjali pensait que

l’écriture d’un nouveau roman irait de soi. Mais

pas du tout, en fait ! « c’est encore plus dur qu’avant,

et comme je ne suis pas du genre à renoncer, j’en

bave ! »

Shâb ou la nuit est effectivement une épopée

personnelle qui voyage entre des épisodes pleins

de lumière et d’autres, pleins de douleurs, pas

encore complètement cicatrisées. Un roman rare

sur l’adoption, mais aussi sur les liens de parenté.

Qu’est-ce qu’on attend de son père ou de sa mère,

biologique ou pas ? Sans doute d’être soutenu contre

vents et marées. Et ce que dénonce, parfois vio-

lemment, Cécile Ladjali dans Shâb ou la nuit, c’est

le fait de ne pas oser, de courber l’échine face au

potentat de certains professeurs. Comme elle était

jolie, même si elle était brillante en français, on la

destinait à un métier de vendeuse !

Elle a vite pris sa revanche, bardée de diplômes ;

Cécile Ladjali est agrégée de Lettres Modernes et

titulaire d’un doctorat sur la figure de l’androgyne

dans la littérature décadente.

Elle reconnaît qu’elle n’aurait jamais pu écrire son

roman si ses parents avaient été vivants. Elle en a

écrit une première version à la naissance de son

fils. puis, elle l’a reprise beaucoup plus tard. Toute

son histoire gravite autour de la cécité, son prénom

antinomique avec celui que sa mère iranienne

avait choisi pour elle, sa mère adoptive qui se

meurt d’une maladie orpheline qui rend aveugle,

dans cet imbroglio familial, elle cherche à retrou-

ver les pulsions de son histoire. parfois très rude

avec ses parents adoptifs, Cécile Ladjali l’explique

par le fait qu’elle leur en voulait de ne pas se battre

pour elle, de cette inculture qui les conduisait à

choisir toujours en dehors du beau, mais elle les

aimait profondément et a choisi d’écrire pour eux,

pour ceux qui n’avaient pas « le culot des mots

pour s’exprimer ». Un roman autobiographique

certes, mais qui pose beaucoup de questions

au-delà d’un style qui emporte et qui fait émerger

de vives émotions.

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Page 16: Bat'Carré N°11

femmes

TERRE SAINTE N'EST PAS UNE VILLE, NI UN QUARTIER. IL Y A LÀ L'ÂME D'UN VILLAGE

TISSÉE DE LA PATIENCE DES FEMMES QUI ATTENDENT LE RETOUR DE LEUR MARI,

PARTI EN MER DÈS LES PREMIÈRES LUEURS DU JOUR.

de pêcheurs

14 · AU COEUR DE L’ ÎLE TEXTE & PHOTOGRAPHIE ARNAUD ANDRIEU

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TERRE SAINTE LONTAN

Les gramounes que l'on croise aujourd'hui ra-

content volontiers le Terre Sainte lontan où la vie

s'écoulait au rythme des allées et venues des

pêcheurs, partis sur leurs barques, à la rame, afin

de ramener dans leurs filets bichiques, moules,

crabes, zourites, et de nombreuses espèces de

poissons bien plus abondantes à l'époque. On y

pêchait même le homard. La qualité du poisson

de Terre Sainte serait due à la présence de limon

vert dans ses eaux. La mer était si prolifique que

les pêcheurs n'hésitaient pas à distribuer le fruit

de leur labeur pour le cari. L'entraide était alors de

mise, et même si les moyens manquaient, que la

vie était rude, sans confort et qu'il y avait de nom-

breux marmailles à nourrir, l'on était heureux. La

vie était faite de plaisirs simples, l'on mangeait

tous ensemble dehors, les enfants jouaient dans

les rues, sur la plage ou dans la rivière, les hommes

s'adonnaient aux dominos, au darion sous les

banians pour passer l'après-midi. Des animations

étaient organisées, comme la course aux canards,

lâchés à l'eau, et qu’il fallait rattraper en nageant ;

la course en goni (sacs de jute), les jeux de hasard,

de loterie, de musique, les bals au Tambour

Cabaret et au Bon plaisir sur le front de mer et la

procession de Notre-Dame de Bon port depuis la

Croix des pêcheurs. Tout cela a disparu.

LES PREMIERS TEMPS

L’histoire de Terre Sainte commence au xVIIIe

siècle. Le sud de l'île est encore sauvage, inhabité,

la végétation est abondante, quelques esclaves

vont venir se réfugier près de la rivière d'Abord et

débuter le peuplement de la zone.

Terre Sainte et son activité de pêche traditionnelle

naissent en 1859, quand la jetée est créée. Au départ,

les cases sont très rudimentaires, des cases séparées

par des clôtures en paille. plus tard, au milieu du

xIxe, des cabanes en bambou servent d'habitat aux

ouvriers et artisans, dont certains sont des affran-

chis venus à la périphérie des villes. La population

augmente peu à peu, et s’installe dans un lacis

irrégulier de chemins et de routes. Les maisons

se tassent, mais comportent des jardinets bien en-

tretenus dont les arbres répandent une fraîcheur

bienfaisante et donnent à l'ensemble un aspect

bocager. Le littoral lui, est réservé aux commerces

et maisons de pêcheurs. La vie maritime était très

dynamique, de gros bateaux venaient mouiller au

large de Terre Sainte, certains venaient de très loin,

de Chine, entre autres. Les marchandises, comme

le sucre et le café, étaient entreposées dans une bâ-

tisse qui se trouvait à la place de l'école maternelle

peverelly. Les premières extractions de parfums

de l'île se sont faites dans le quartier à la fin du

xIxe, ce qui donnera lieu à la création d’une dis-

tillerie dans les hauts de Terre Sainte.

à Terre Sainte

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16 · AU CŒUR DE L’ ÎLE

L'on communiquait beaucoup. Mais l'on ne se

mélangeait pas. Il existait en effet une rivalité entre

ceux des hauts, ceux de « Bonne Mer » (les habi-

tants des bas) et ceux de Tanambo. pas question

pour une tantine des bas de fréquenter un gars

des hauts. Même entre les marmailles, c'était un peu

la guerre des clans.

Cette mésentente a aujourd'hui heureusement dis-

paru. Les gramounes que l'on croise sur le front

de mer sous les banians aiment à se regrouper

dans leur « salon », qu'elles entretiennent en le

balayant. Elles y refont le monde, échangent les

dernières nouvelles. Tout se fait ici, tout se voit.

Rien n'échappe à leur regard exercé. Elles se sou-

viennent de leur jeunesse, du lavoir commun où

elles puisaient l'eau de source, la « source bleue ».

Ce point de rendez-vous où elles échangeaient

les derniers ladi lafé, où elles lavaient leur linge

qu'elles étendaient ensuite tout le long

de la jetée, en posant des pierres dessus afin que

le vent ne l'emporte pas. Au même endroit, le pois-

son, que l'on ne pouvait conserver au frais, séchait

sur des sacs de jute, jalousement surveillé par les

femmes qui craignaient le larcin des chats. Leurs

cuisines étaient à l'époque remplies de filets de

pêche et il n'était pas rare de voir un moteur de

bateau dans la cour. Ces femmes attendaient, parfois

dans l'angoisse, les jours où le ciel se plombait de

gris, le retour de leurs maris pêcheurs. Lorsque les

vagues étaient trop fortes, ils devaient laisser leur

barque au port, et rentrer à pied sur Terre Sainte.

Les femmes priaient alors beaucoup, car beaucoup

périssaient en mer. pour nourrir leurs familles, elles

achetaient leurs victuailles chez les commerçants

du front de mer - aujourd'hui disparus pour la

plupart - et réglaient à crédit, sur carnet. Quand

la pêche était bonne, elles remboursaient les

boutiquiers.

Les femmes se désolent de la disparition du mé-

tier de pêcheur, trop dur pour les jeunes et trop

cher au regard des charges qu'ils doivent payer.

Ils sont concurrencés par des plaisanciers qui

pêchent sans quota et vendent moins cher leurs

poissons aux restaurants. Elles voient désormais

leurs maris, leurs fils, rester à terre, inactifs, se

détourner de la mer qui jadis leur amenait nour-

riture et argent.

Certains y retournent pour le plaisir à l'âge de la

retraite, mais seulement une dizaine de jeunes

vont à l'eau régulièrement pour vivre de la pêche.

Certains pêcheurs s'adonnent à la pêche sous-

marine, d'autres se regroupent pour acheter de

plus gros bateaux, partir en mer plus loin et plus

longtemps, pêcher des poissons qui

se font plus rares. Mais le petit pêcheur de Terre

Sainte qui partait seul au lever du jour, à la force

des bras puis avec un petit moteur, dont la

femme attendait le retour, les marmailles plein la

jupe, celui-ci a disparu.

Les pêcheurs, solidaires en mer, mais jaloux sur

terre, s'y mettaient pourtant à plusieurs pour

remonter leurs barques en haut des ruelles à

l'approche des raz-de-marée. Le dernier de 2007

a eu raison de l'emplacement de ces barques sur

le front de mer de Terre Sainte. Elles sont désormais

rassemblées dans le port de Saint-pierre, loin des

pêcheurs et ont été remplacées par des bateaux

en plastique.

VIE QUOTIDIENNE

LA DISPARITION DE LA PÊCHE

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SOUVENIRS PARTICULIERS

Ange, 80 ans, et Georges, 85 ans, ont eu sept enfants qui leur ont donné 21 petits-enfants, 30 arrière-

petits-enfants. Georges est à la retraite depuis 35 ans, mais retourne régulièrement à l'eau sur sa

barque dès qu'il fait beau temps. Ange, quant à elle, vit tranquillement au rythme des passages des

petits, avec, toujours, un pic d’inquiétude les quelques fois où son mari décide de sortir en mer.

Arlette et Regina sont deux gramounes que l'on voit tous les après-midi sur le front de mer, assises

sur le banc de pierre en train de discuter. Elles ont gardé l’habitude de se baigner le matin tout habillée

sur la plage des banians. Régina, fille de pêcheur, se remémore le temps où le parking devant la jetée

n'était pas goudronné. Elle mangeait sur le muret de la maison avec les autres enfants face à la mer

à la lueur de la bougie. À l'époque, il n'y avait pas d'école maternelle. On faisait « l'école marron » à

la maison avec d'autres enfants. Ils savaient ainsi lire, compter et écrire à 6 ans en arrivant à l'école

élémentaire.

Madeleine, 84 ans, est une gramoune gâtée, elle a 14 petits-enfants, 16 arrière-petits-enfants. Elle

est l'une des plus anciennes femmes de marins pêcheurs de Terre Sainte. Elle aime bien discuter,

parler du temps de sa jeunesse. Elle vit face à la jetée, devant les cases de pêcheurs, mais est la plupart

du temps dehors. Elle n'aime pas le poisson cru et les sushis, importés récemment, ni la viande cuite

trop vite, comme l'apprécient les zoreils. Elle est très dynamique et garde une très bonne mémoire

des dates, des événements passés. Les frais de médecins étaient très chers de son temps et elle n'allait

pas si rapidement qu'aujourd'hui voir un médecin. Ses cinq enfants morts en bas âge auraient peut-

être été aujourd’hui sauvés ?

La femme de Marco vit au-dessus de la croix des pêcheurs. Son mari, 72 ans, faisait des campagnes

de pêches dès son plus jeune âge sur de grands bateaux, en Antarctique, au Mozambique, Mada,

Maldives, Colombo, Diego, Cap Dame, Tromelin, Juan De Nova, Europa, les Glorieuses, la Nouvelle-

Amsterdam, Seychelles, Saint-Paul, Mayotte, Maurice, Rodrigues... Il partait longtemps et avait le mal

de mer dès qu'il rentrait à Terre Sainte. Il pêche encore pour le plaisir et on le croise régulièrement

dans Terre Sainte avec marinière et casquette de marin. Sa femme l'a toujours patiemment attendu

et la vie les a gâtés puisqu’aujourd’hui, ils coulent ensemble des jours paisibles, à l’abri des fureurs

de l’océan.

18 · AU CŒUR DE L’ ÎLE

Page 21: Bat'Carré N°11
Page 22: Bat'Carré N°11

20 · ESCAPADE TEXTE JEAN-PAUL TAPIEPHOTOGRAPHIE ADELINE MELLIEZ

J’APPELLE VALLÉE PERDUE UNE VALLÉE QUI NE MÈNE NULLE PART.

JE SAIS, L’EXPRESSION EST ROMANESQUE À L’EXCÈS.

C’EST UNE SÉQUELLE DE MES LECTURES ADOLESCENTES :

JULES VERNE, STEVENSON, FRISON-ROCHE, PALUEL-MARMONT

ET BIEN D’AUTRES AUTEURS PUBLIÉS DANS LA PETITE BIBLIOTHÈQUE VERTE

OU LA COLLECTION ROUGE ET OR.

TELLE EST DONC LA VALLÉE DU VÉNÉON ENTRE LES ALPES DU NORD

ET LES ALPES DU SUD, UNE VALLÉE PERDUE, AU CŒUR DE LAQUELLE

UNE FEMME, TEL UN PERSONNAGE DE ROMAN, TIENT À ELLE SEULE

UN PETIT HÔTEL, RESTAURANT, CAFÉ LITTÉRAIRE ET SPECTACLE MUSICAL...

la damede la vallée perdueLa cordée 38520 St-Christophe-en-OisansT. 04 76 79 52 37

Page 23: Bat'Carré N°11

ormalement, une vallée monte

vers un col qui permet de franchir

une barre montagneuse et vous

conduit, de l’autre côté, dans une

autre vallée. Une vallée perdue ne

mène nulle part. À un moment donné, elle se

heurte à une paroi apparemment infranchissa-

ble, et cela ne donne pas forcément un cirque

comme celui de Gavarnie. La route s’arrête, elle

ne va pas plus loin. Avec un peu de chance, elle

se prolonge d’un sentier qui permet de monter

un peu plus haut. Mais pas de col en vue. Pour

passer de l’autre côté, il faudra sûrement, au bout

du sentier, escalader la dernière partie. Sans être

certain de trouver une autre vallée de l’autre côté.

En clair, une vallée perdue est un cul-de-sac.

Telle est la vallée du Vénéon dans l’Oisans. À la

sortie du Bourg d’Oisans, il faut quitter sur la

droite la route qui mène au col du Lautaret pour

s’engager sur une route qui a tout l’air de savoir

où elle va. Au Bourg d’Arud, juste à l’aplomb des

Deux-Alpes, vous apercevez les dernières re-

montées mécaniques. Au-delà, la vallée tourne

le dos à tout ce modernisme encombrant, cette

société des loisirs acharnée. Elle s’ensauvage, si

j’ose dire, un peu plus à chaque kilomètre. Par

endroits, le Vénéon se précipite en chutes d’eau

à flanquer la trouille à n’importe quel kayakiste

confirmé. Il se calme un instant grâce à un bar-

rage, mais déjà la route, au-delà d’une base nau-

tique, entreprend, à coups de larges lacets, de

franchir une gorge étroite dans laquelle a été

installée une via ferrata, pour se hisser à la hau-

teur de Saint-Christophe-en-Oisans, un village

dont les hautes maisons se précipitent de part et

d’autre de la route, comme si elles rêvaient de

voir passer le Tour de France. Là, sur la gauche,

dans la portion la plus étroite, un petit hôtel qui

a l’air de rien, La Cordée, tenue d’une main

brouillonne, mais efficace par une femme du

pays, Marie-Claude Turc. L’endroit est aussi

inattendu que la propriétaire : on entre dans ce

qui paraît être un bistrot, mais qui s’avère être un

véritable capharnaüm, une caverne d’Ali Baba,

mais remplie de brimborions inutiles et bon

marché. On trouve de tout dans cette salle de

bistrot : des peluches énormes, des couteaux

suisses, des lunettes de vue pour lire, des bri-

quets, des cartes postales, des friandises, des

guides touristiques, des lunettes de soleil, des

bonnets en laine, des journaux, des désodorisants

pour voiture, des livres, des albums de photos, des

bibelots, des baromètres, des figurines kitsch en

pâte colorée… On dirait un inventaire à la Prévert, ou

encore un jeu de Kim, ce jeu où vous disposez d’une

minute pour tenter de caser dans votre mémoire un

maximum d’objets insolites que vous devez ensuite

énumérer. La patronne du lieu semble incapable de re-

fuser tout ce que les représentants de passage lui pro-

posent de prendre en dépôt. Cette disponibilité est

probablement dans sa nature. Elle s’occupe pratique-

ment de tout dans son hôtel-restaurant, à peine aidée

par une aide en cuisine. Elle sert en terrasse, au

comptoir et en salle. Elle monte vérifier si les cham-

bres ont été faites. Si vous le lui demandez, elle ira

aussitôt mettre en marche le hammam qu’elle a fait

installer dans une bâtisse derrière l’hôtel. Elle donne

l’impression de tout faire, et d’avoir le temps de tout

faire. Elle ne se hâte jamais. Elle devrait être classée

en même temps que son établissement.

Une salle un peu sombre, au-delà du bistrot, tient

lieu de restaurant, une demi-douzaine de tables, où

l’on vous sert une cuisine locale fortement impré-

gnée d’herbes sauvages que la patronne ramasse

elle-même. Quand ? Mystère et boules de gomme !

La nuit, peut-être…

Elle doit disposer d’encore un peu de temps libre, car

elle a annexé une autre maison, derrière l’hôtel,

qu’elle a transformée en salle de spectacles. Je m’y

trouvais au moment de la Fête de la musique : une

chorale de la région régalait un auditoire d’une cin-

quantaine de personnes avec un répertoire de chants

d’Europe centrale. Des échos slaves, tziganes ou russes

dans un village de l’Oisans : incongru et surprenant.

Au-delà de Saint-Christophe, de La Cordée et de sa

pittoresque patronne, la route continue sur une

quinzaine de kilomètres jusqu’à La Bérarde, terminus,

tout le monde descend. Et tout le monde grimpe : à

partir de là, on peut atteindre une demi-douzaine de

refuges d’où s’élancent les alpinistes à la conquête

de la Meije et autre sommet. Les débutants s’exercent

sur la Tête de la Maye. De belles randonnées, ennei-

gées jusqu’à la mi-juin, parfois au-delà, sont là pour

vous prouver que toute la montagne n’a pas été an-

nexée, équipée, outillée pour le plaisir des seuls skieurs.

Vous êtes arrivé au cœur de la vallée perdue. Mais

elle n’est pas perdue pour tout le monde.

N

Page 24: Bat'Carré N°11

22 · PUBLI-REPORTAGE

C O N S E I L G É N É R A L

NassimahDindar

10 ans de mandature, 10 ans d’engagement pour le patrimoine et la mémoire.

la réunion est jeune de ses 350 ans

d’histoire humaine et en même temps

riche du patrimoine, matériel et imma-

tériel que son peuplement aux origines

multiples a forgé. l’histoire institu-

tionnelle a fait de la collectivité dé-

partementale le dépositaire d’éléments

majeurs de ce patrimoine, aux visages

multiples : architectural, mobilier, pay-

sager, muséal…

le conserver, le restaurer, l’enrichir,

l’étudier et le faire connaître est une

responsabilité quotidienne, immense

et exaltante. elle a appelé le conseil

général sur tant de fronts à la fois

qu’il a dû faire des choix, sans toute-

fois jamais renoncer. depuis 2004, pas

une année qui n’ait vu l’assemblée dé-

partementale lancer ou accomplir un

chantier patrimonial ou une œuvre de

mémoire.

Page 25: Bat'Carré N°11

des chantiers patrimoniaux à haute valeur symbolique

C’est parce qu’il connaît ce que ces sites ou ce que ces collections précieuses racontent de La Réunion

que le Conseil général a lancé dès 2004 le 1er chantier de restauration du lazaret de la grande chaloupe,

lieu emblématique du peuplement singulier de notre île. plusieurs autres chantiers ont suivi, multi-

disciplinaires (mémoire orale, archéologie, ethnobotanique…) et se poursuivent aujourd’hui encore,

avec une attention constante portée à l’implication active des populations vivant à proximité et à la

qualité de l’accueil du public.

Un autre lieu de mémoire est ouvert dans l’ouest en 2007, sur le site de la pointe au Sel : l’éco-musée

du sel, créé en partenariat avec le Conservatoire du Littoral, qui raconte à un public de plus en plus

nombreux dans ses murs ce que les salines donnent à voir et à comprendre hors des murs.

Ont aussi été rénovés en 2008/2009 le jardin de l’etat - l’ancien jardin d’acclimatation de La Réunion

qui conserve encore un nombre important d’espèces botaniques rares - ainsi que la plus ancienne

bibliothèque de l’île, gardienne de son patrimoine imprimé et littéraire, devenue bibliothèque

départementale de la réunion qui, pour assurer pleinement sa mission singulière, a bénéficié d’une

extension de ses locaux.

Tout aussi fort a été en 2008 puis 2010 le geste fait par la collectivité en direction du patrimoine musical

de La Réunion : deux expositions de partitions et de disques ont pris leur part dans la longue et

minutieuse entreprise de conservation de la mémoire musicale de la réunion ; de même que l’exposition

« Les noms de la liberté » construite en 2013 autour des registres spéciaux dans le cadre des 350 ans du

peuplement de l’île préfigure l’ambitieux chantier patrimonial des futures archives du peuplement.

Au service du patrimoine, le Conseil général a aussi mobilisé les outils de la modernité en inaugurant

en 2011, et ce après plusieurs années de gestation, son 1er service public culturel numérique : l’icono-

thèque historique de l’océan indien qui ouvre avec plus de 10 000 images anciennes évoquant trois

siècles d’histoire et la diversité de ses témoignages. Cette offre s’enrichit progressivement - grâce

aux collections départementales et à la faveur de nombreux partenariats - tandis que son public se

fidélise et s’élargit, il a dépassé les 100 000 en 2013.

partager la mémoire, pour un mieux « vivre-ensemble »

Le Conseil général est aussi un passeur de mémoire. En plus d’accompagner chaque année les

manifestations associatives et artistiques liées au 20 décembre, au Dipavali, à la Semaine Créole etc ;

au-delà des accords de coopération signés avec plusieurs pays de peuplement et où la dimension

culturelle est toujours centrale, la collectivité départementale a veillé depuis dix ans à partager avec

le plus large public réflexions et manifestations sur le sens et la portée de textes ou d’événements-clés

de la mémoire collective : nationale (centenaire de la loi sur la laïcité en 2005, année du dialogue

interculturel en 2008…) ou locale (60 ans de la départementalisation en 2006, 150 ans du lazaret

en 2011, 50 ans de l’histoire des enfants de la creuse en 2013).

l’œuvre patrimoniale et mémorielle portée par le conseil général n’est évidemment pas achevée.

nul doute cependant que ce qui a été entrepris sur ces 10 années passées mérite d’être poursuivi,

dans le même élan, avec la même exigence, en mobilisant toutes les ressources disponibles :

humaines, scientifiques, associatives, traditionnelles, numériques… au bénéfice du patrimoine

insulaire.

Page 26: Bat'Carré N°11

24 · AU FIL DES FESTIVALS

TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC & MARTEN PERSIEL

UN TIGRE DANS LE MOTEUR !

les spectacles du leu tempo, payants et gratuits,

fédèrent tous les publics autour du rire, du plaisir,

de l'éblouissement, du talent tout simplement.

pendant cinq jours, la grande rue et le bord de

mer ont été envahis de clowns, d'acrobates, d'ac-

teurs, de marionnettistes, d'humoristes, et d'ar-

tistes à caresser du regard. cette année, grande

nouveauté, la danse des mots et l’humour caus-

tique étaient les invités de cette seizième édition.

Le tigre bleu, l’œil féroce et les crocs sortis, sym-

bole de la mise en danger de l’artiste, voire même

du spectateur, était l’emblème de cette seizième

édition du Leu Tempo Festival.

« Il a fallu se battre – comme un tigre – pour affir-

mer la même ligne volontariste et dynamique »,

explique le directeur de la programmation Jean

Cabaret, après une si belle édition anniversaire

avec plus de 16 000 spectacles vendus et une

fréquentation exceptionnelle de 30 000 personnes

dans la rue pour la grande parade.

leutempo 2014

Page 27: Bat'Carré N°11
Page 28: Bat'Carré N°11

Ce fut un super hommage à Baguett’, le créateur

du festival. Il n’était donc pas évident de continuer

sur cette lancée, « avec des spectacles forts tout

en apportant des nouveautés, des spectacles de

paroles à l’humour incisif » ; improvisations face

au public de Sébastien Barrier ; fantaisie orientale

de gwen Aduh qui rêve d’un autre monde et le

premier spectacle politique, la grande Saga de la

Françafrique. Un one man show porté par jérôme

Colloud, comédien aux mille ressorts qui met à

nu les liens occultes entre la France et l’Afrique en

habillant le message d’une performance épous-

touflante où le son frappe de plein fouet l’imagi-

naire. « Notre but est de sortir de la zone de confort

du spectacle de rue et d’offrir des spectacles

décalés apportant un propos qui fait réfléchir »,

souligne jean Cabaret.

L’humour, le corrosif n'étaient pas les seuls invités

de cette seizième édition, le burlesque, la fraîcheur

et la légèreté ont toujours eu leur place au Leu

Tempo. Les créations locales côtoient avec bon-

heur les créations internationales, performances

des acrobates de La Meute qui ont réuni quatre fois

neuf cents personnes, chorégraphie musicale de

Soraya Thomas, facétie décalée de Maria Dolorès,

badinage moqueur de Myriam Omar Awadi et

Nicolas givran autour du concept d’exposition

contemporaine ; fantaisie avec Vélocipèdes, spec-

tacle de déambulation conçu par Lolita Monga pour

emmener le théâtre dans la rue ; belle envolée

avec des Lettres à plumes et à poils ; fantaisie de

pleine nature avec la compagnie Cirquons Flex…

Il était impossible de tout voir ! Mais le public du

Tempo le sait bien et s’organise en conséquence.

L’ambiance du Leu Tempo est particulièrement

chaleureuse, les festivaliers se baladent en toute

quiétude, avec surgit de nulle part, de joyeux effets

de surprise, comme un père Noël au mois de mai

qui harangue la foule et la met en garde contre la

plus grande machination commerciale !

Les organisateurs du Tempo offrent vraiment

une programmation de grande qualité, les artistes

invités s’y plaisent, les journalistes en parlent, le

prosélytisme opère pour dénicher de nouveaux

talents à faire découvrir aux Réunionnais, sans

risque d’expansion fulgurante qui dénaturerait

l’esprit de grande fête familiale du festival : « l’es-

sentiel, pour nous, est de garder cette dimension

à taille humaine », conclut jean Cabaret.

Une belle édition donc cette année encore avec

des retombées bénéfiques pour les artistes réu-

nionnais invités, depuis, à se produire dans des

festivals européens. En attendant l’année prochaine,

restez en éveil, certains spectacles se jouent encore

sur l’île.

26 · AU FIL DES FESTIVALS

programme à co

nsulter sur www.lesecho

ir.com

PHOTOGRAPHIEMARTENPERSIEL

Page 29: Bat'Carré N°11
Page 30: Bat'Carré N°11

PHOTOGRAPHIEGRAHAMDELACEY

28 · OCÉAN INDIEN TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE GRAHAM DE LACEY – LE POULAILLER

Rosemary Nalden

Page 31: Bat'Carré N°11

la violoniste rosemary nalden a

tout quitté, sa famille, ses amis, les

musiciens de son orchestre, sa

carrière, son environnement très

confortable à londres, pour créer

une école pas comme les autres

dans le township de soweto où elle

est l’étrangère. parfois, un brin de

nostalgie la gagne, mais se dissipe

lorsque le groupe commence à

jouer. la musique pour laquelle

elle se lève tous les matins, la vo-

lonté de ces jeunes à qui elle en-

seigne l’excellence, et la magie qui

opère aux premières notes de

l’orchestre effacent toute trace de

regret. elle mène son équipe d’une

main de maître et laisse le talent

de ses jeunes et joyeux virtuoses

éclater sur les scènes mondiales.

l’unique et remarquable buskaid

soweto string ensemble est l’œuvre

de sa vie.

Page 32: Bat'Carré N°11

30 · OCÉAN INDIEN

L’histoire commence en 1992. Rosemary Nalden,

brillante élève du célèbre Sir john Éliot gardiner,

entend un appel à la BBC de jeunes sud-africains

qui souhaitent créer une école de musique à Soweto,

l’immense bidonville qui borde johannesburg.

Branle-bas de combat, Rosemary Nalden réussit

à mobiliser les 120 musiciens de sa connaissance

qui se produisent dans les gares de Londres et de

toute l’Angleterre pour récolter de l’argent. Une

belle somme, en petites pièces, 6000 livres de

l’époque,soit un peu plus de 7000 euros. Un ami

lui conseille d’aller sur place se rendre compte du

projet. Ce sont les prémices du BUSKAID SOWETO

STRINg ENSEMBLE ; l’ensemble à cordes du Bus-

kaid Soweto, Buskaid voulant dire en anglais faire

la manche.

Lorsqu’elle prend l’avion pour johannesburg, elle

a tout à fait conscience qu’elle va avoir un choc

culturel terrible et que la démarche n’est pas sans

risque. C’est l’époque de la fin de l’Apartheid en

Afrique du Sud, les troubles et les massacres se

perpétuent avant que Nelson Mandela n’accède

à la présidence. Mais au milieu de ces sombres

pensées, émerge l’intuition qu’une part inconnue

d’elle-même va se libérer et donner un sens à sa

vie.

Elle arrive dans un taudis nauséabond squatté par

des jeunes à la rue. La pièce devant servir de salle

de musique était attenante à la salle de bains,

avec des WC sans porte. Et en permanence, des

personnes venaient aux toilettes et repartaient

tandis qu’elle essayait de donner des leçons de

violon aux jeunes gamins, sans aucun doute très

motivés. Un cauchemar !

puis, il y a eu des dérives avec certains profes-

seurs, des vols et autres dérapages que Rosemary

Nalden ne pouvait tolérer. Elle se retire du projet.

poussée par le potentiel musical inné qu’elle a

perçu chez ses premiers élèves, elle décide de créer

un nouveau concept en construisant une école

qui ouvrira ses portes cinq ans plus tard.

En 1997, la grande aventure commence, à force

de ténacité, de patience, d’amour aussi pour ces

gamins déshérités, d’amour pour la musique qui

les réunit comme une famille soudée dans ce chaos

indescriptible où règne la terreur.

À l’entrée de l’école, un petit panneau avec un

pictogramme posé sur le mur en brique annonce

la couleur : « This is a gun-free zone 1».

Les enfants vivent tous des drames. Drogue,

alcool, assassinat, sida, faim, maltraitance... La

plupart d’entre eux ne voient jamais leur père ou

tout au plus une fois par an. La normalité pour

eux, c’est d’aller enterrer un oncle, un cousin, un

parent proche qui s’est fait tuer par balle. Ils vivent

plongés dans cet univers de violence, et à chaque

fois qu’ils franchissent les portes de l’école du

Buskaid, ils oublient, pour un temps, le fardeau

de leur existence. Seule, la musique a de l’impor-

tance.

Rosemary Nalden parle de ce petit garçon, haut

comme trois pommes, découvert par une mamie

dans une décharge et laissé pour mort. Son visage

et son corps étaient couverts de brûlures de ciga-

rette. Aujourd’hui, il porte encore quelques cica-

Ceci est un espace sans arme1

Page 33: Bat'Carré N°11

trices, mais il sourit au violon qui lui apporte une

indicible envie de vivre.

Le but de Rosemary Nalden n’est pas d’enseigner

le violon à des enfants comme dérivatif à leur

détresse. Son but est d’élever cette école au plus

haut niveau de qualité tout en aidant les enfants

à trouver les vraies valeurs de l’existence.

Elle leur enseigne aussi les valeurs fondamen-

tales de la vie collective. Respect de soi, respect

des autres, respect du groupe. Il est très difficile,

dit-elle, d’enseigner l’honnêteté aux enfants dans

ce contexte-ci. pour mener à bien son projet, les

élèves du Buskaid sont suivis sur le plan médical,

social et psychologique. Lorsqu’il y a des problèmes,

elle se charge d’aller à la rencontre des familles, à

leur domicile, pour qu’ils soutiennent leur enfant

dans cette démarche qui lui ouvre des perspec-

tives d’une vie décente en dehors du bidonville.

Son recrutement repose sur trois critères essen-

tiels, une vraie détermination, une sensibilité

musicale et un talent émergent. Elle s’occupe de

faire éclore le potentiel de l’élève, au prix d’une

discipline inflexible. Et si l’enfant n’a pas en lui

cette envie tenace de réussir, elle ne pourra pas

le conduire au sommet, là où il n’a sans doute pas

imaginé pouvoir accéder un jour.

Beaucoup de ses élèves ont obtenu des bourses

d’études dans des conservatoires internationaux.

Certains ont réussi à intégrer le prestigieux Royal

Northern College of Music de Manchester. Ces élèves

qu’elle a portés à bout de bras, avec, chacun, une

histoire personnelle lourde, sont devenus pour

certains musiciens professionnels.

pour Rosemary Nalden, c’est une fierté, une joie

immense de les voir s’envoler si haut, et un dé-

chirement aussi, comme une mère perd son en-

fant qui a grandi trop vite.

Ce ne sont pas les parents qui viennent inscrire

les enfants à l’école de musique, mais les enfants

eux-mêmes. Une petite fille, très timide, est ainsi

venue tous les jours de la semaine. Le week-end,

elle venait aussi. Le lundi, le mardi, jusqu’au di-

manche, pendant des semaines, inlassablement

la petite fille frappait à la porte en disant : « je veux

faire du violon ! » Finalement, Rosemary Nalden

lui a fait passer une audition et elle l’a intégrée

dans la formation. Elle fait maintenant partie de

ses meilleures élèves, avec une personnalité qui

s’est révélée chatoyante.

Rosemary Nalden est depuis le début fascinée par

le sens musical de ces jeunes. Et c’est avec un

grand enthousiasme et quelques brins d’humour

qu’elle leur transmet ses préférences musicales

qu’ils interprètent avec beaucoup d’aisance. Elle

commencera à produire son orchestre à cordes

en concert avec les œuvres de Rameau. Le Che-

valier de Saint-george lui tient aussi à cœur. Mais

pas seulement, le répertoire enseigné est très

large, musique baroque, classique, romantique,

contemporaine, ainsi que les standards de jazz,

de gospel et les propres arrangements du groupe

en musique traditionnelle et en afro-pop.

Page 34: Bat'Carré N°11
Page 35: Bat'Carré N°11

33 · OCÉAN INDIEN

Il n’y a pas de hiérarchie entre la musique, le chant

et la danse. Dans le même geste d’élégance, toutes

les performances sont réalisées dans une re-

cherche d’excellence.

L’école du Buskaid compte aujourd’hui 115 élèves,

de 6 ans à 33 ans. En 2000, la bassiste Sonja Bass

est venue la rejoindre pour apporter son soutien,

mais très vite Rosemary Nalden s’est rendu compte

qu’il lui serait difficile de trouver des enseignants

à Soweto. Alors, elle a formé les plus anciens qui

sont devenus les tuteurs des plus jeunes. Ainsi,

chaque élève qui entre au Buskaid peut poten-

tiellement devenir enseignant. L’esprit et les va-

leurs de Rosemary Nalden s’y perpétuent, mais

lorsqu’elle ne sera plus là, qui reprendra le flam-

beau de la Dame de fer ?

Chaque année, pendant les vacances, Rosemary

Nalden organise des ateliers de cordes dans le

bush africain pour y préparer, avec ses élèves, le

programme de l’année. Le Buskaid Soweto String

Ensemble est invité partout, à New york, en Aus-

tralie, en Corée, au Brésil, en Europe… à la Cité de

la musique à paris dans le cadre de la résidence

de Sir john gardiner qui les suit avec bienveil-

lance depuis le début. De grands artistes, donc,

applaudis dans le monde entier pour leur admi-

rable talent, leur énergie musicale et leur joie de

vivre sur scène. Les concerts et les ventes de DVD

servent aussi à financer l’école.

Rosemary Nalden est, de fait, un chef d’entre-

prise. Elle mesure depuis dix-sept ans maintenant

combien il est difficile de maintenir le Buskaid à

ce niveau d’exigence d’autant que, dans cette op-

tique, elle y a ajouté une fabrique d’instruments

et une bibliothèque. Ses partenaires la suivent fi-

dèlement, mais la santé financière de l’école n’en

demeure pas moins fragile. Elle dépense beau-

coup de temps et d’énergie pour convaincre les

sponsors et autres mécènes privés, l’État ne lui

apportant aucune aide.

Ainsi, Rosemary veille sur tout, les achats, les

réparations de violons, le fonctionnement de

l’école au centime près. Lorsqu’elle organise un

voyage, elle vérifie chaque détail, scrute chaque

frais engagé, trente personnes à emmener au

restaurant deux fois par jour, ce n’est pas simple !

Avant de partir, elle pèse toutes les valises pour

s’assurer que ses élèves n’emportent que l’essen-

tiel et qu’il n’y aura pas de problème à l’aéroport.

Le Buskaid Soweto String Ensemble s’est produit

pour la première fois à La Réunion, invité par

l’association Nakiyava à l’occasion du 350e anni-

versaire du peuplement de l’île. Rosemary Nalden

a choisi de présenter une œuvre du Chevalier de

Saint-george, surnommé le « Black Mozart »,

parce que sa musique est belle et parce que ce

compositeur et violoniste, métis guadeloupéen,

noir de peau, représentait au xVIIIe siècle l’excep-

tion à la cour du roi de France.

Le Buskaid a offert trois magnifiques concerts en

ce mois de décembre 2013. Le premier au Tampon

dans la salle Luc Donnat avec les jeunes du

Conservatoire Régional. Les répétitions ont été

courtes, ce qui a néanmoins permis de très beaux

échanges entre les élèves réunionnais et ceux de

Soweto. Le second, au jardin de l’État à Saint-

Denis, le dimanche 15 décembre, jour de l’inhu-

mation de Nelson Mandela. À travers la prestation

de l’ensemble orchestral du Buskaid, toute l’assis-

tance pouvait ainsi lui rendre hommage. Et la

tournée s’est terminée à l’église de Saint-gilles-

les-Bains.

En 2013, Rosemary Nalden a reçu une des plus

hautes distinctions de la sphère musicale, le prix

d’honneur du Royal philharmonic Society. Ce prix

a été décerné à cinq musiciens dans le monde.

Cinq lauréats, chacun pour un projet complexe

réalisé dans son propre pays, sauf Rosemary

Nalden, une Anglaise qui a créé le Buskaid Soweto

String Ensemble en Afrique du Sud. Cinq lauréats,

dont une seule femme, Rosemary Nalden.

Page 36: Bat'Carré N°11

34 · BEAUX-ARTS PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE CHRISTIANE GEOFFROY

LA PLASTICIENNE CHRISTIANE GEOFFROY SUR KERGUELEN ET LE CHORÉGRAPHE PACO

DÈCINA SUR CROZET SONT REVENUS LE VENDREDI 4 AVRIL 2014, ÉMERVEILLÉS DE LEUR

RÉSIDENCE ARTISTIQUE DANS LES TAAF. QUATRE MOIS D’ISOLEMENT, DE COMMUNION

AVEC LA NATURE ET DE VIE COLLECTIVE AVEC LES SCIENTIFIQUES DE LA BASE. DEUX FOIS

10 JOURS DE TRAVERSÉE SUR LE MARION DUFRESNE. ET TROIS MOIS DE QUESTIONNEMENT,

D’INTROSPECTION ET DE CHEMINEMENT VERS UN TRAVAIL CRÉATIF QUI SERA PRÉSENTÉ

EN 2015. CHAQUE ARTISTE A VÉCU UNE AVENTURE PASSIONNANTE AVEC LES RESSORTS

SINGULIERS DE SA SENSIBILITÉ.

INSTRUMENT DE MESURE SUR LA BASE DE KERGUELEN

Elle & lui l’Atelier des Ailleurs

Page 37: Bat'Carré N°11

pour cette deuxième édition des Ateliers des Ail-

leurs initiés par les TAAF, les artistes sélectionnés,

Christiane geoffroy et paco Dècina, ne seront pas

en résidence sur la même base. Leur point com-

mun, un travail de longue date sur le rapport entre

art, sciences et nature. Ils retracent, avec le même

enthousiasme, les grands moments de leur aven-

ture

ELLE : « MON TRAVAIL AVANCE

COMME JE COMPRENDS LA VIE. »

professeur à l’école des Arts du Rhin, Christiane

geoffroy travaille depuis 2010 sur les changements

environnementaux et collabore avec le labora-

toire de glaciologie et de géophysique de l’envi-

ronnement de grenoble. Dès l’annonce de son

départ pour les Kerguelen en novembre 2013, elle

tient un journal de bord sur l’espace des sciences

de Rennes :

www.espace-sciences.org/explorer/blog/46419.

humour, éblouissement, implication, désappro-

bation, parsèment, comme autant de petits cailloux

blancs, son parcours résidentiel au fil des jours.

Son projet d’art contemporain « Sub-antartica,

quand le tout est supérieur à la somme des par-

ties », réalisé dans le cadre de l’Atelier des Ailleurs,

va aborder les écosystèmes, leur évolution et les

changements auxquels ils sont soumis, toujours

dans l’idée de relier son travail d’art plastique aux

questions scientifiques.

Très indépendante, seule à s’occuper de tout, cette

femme débordante d’énergie raconte son excita-

tion extrême avant le départ et son stress à l’idée

de ne pas avoir tout anticiper, de l’essentiel à l’anec-

dotique.

Arrivée sur le district des Kerguelen, elle découverte

de la base de port-aux-Français, un village avec

poste, cinéma, bibliothèque, dortoirs. Au restau-

rant où sont alignées de grandes tables, « on s’as-

soit par ordre d’arrivée, on ne sait jamais qui l’on

va côtoyer ». Les horaires sont fixes, la réglemen-

tation est stricte. Interdit de s’éloigner, seule, de la

base. Les sorties sont très codifiées et chacune

d’entre elles participe à une démarche d’ensemble

planifiée sur l’année.

Très impressionnée par la cohabitation naturelle

des hommes et des animaux : « Les manchots

traversent l’espace, s’arrêtent près de vous et vous

regardent. » Christiane geoffroy, de jour en jour,

découvre l’archipel des Kerguelen, en partant sur

les différents lieux d’observation : « Le chaland glisse

le long des parois des îles en un long travelling aux

mille nuances. »

Cette poésie de la nature est toutefois entachée

par les protocoles scientifiques. « À leur dernier

stade de mue, les poussins sont transpondés... avec

un pistolet, on leur injecte sous la peau une très

fine gélule en résine qui transmet un numéro

d’identification. » Les manchots, quant à eux, sont

mesurés et pesés. « Le manchot porte une cagoule

afin de réduire son stress.» Ailleurs, ce sont les

pétrels bleus, dénichés au fond des galeries qu’ils

ont creusées dans la roche. Un sentiment contra-

dictoire l’envahit entre l’intérêt évident des ces

mesures pour la science et le stress des animaux

au cours de ces manipulations.

« Et si l’on observait l’animal comme l’on observe

la terre ? » Sur la base, à l ‘écart des bâtiments, des

installations gigantesques abritent une petite

Silicon Valley. Centre de surveillance des satellites,

de données sismiques, de champs magnétiques…

à l’échelle mondiale le monde et les ondes gardent

encore la trace nostalgique des lancements de

fusées soviétiques qui fonctionnaient symétri-

quement dans les deux hémisphères à Kerguelen

et à Sogra, au nord de la Sibérie, pour déclencher

des aurores boréales.

Christiane geoffroy échange beaucoup avec les

scientifiques et découvre un univers sauvage

peuplé d’animaux à profusion qui l’émeut à tel

point que même leurs fientes sur les rochers lui

évoquent un film de pollock en train de peindre.

Elle lit beaucoup aussi, observe tout le temps,

filme et photographie le plus possible au gré du

vent qui parfois sature la bande son. Chaque ins-

tant capté laisse l’empreinte de moments su-

blimes dont elle ne sait pas encore comment elle

va en transmettre l’intense beauté.

Page 38: Bat'Carré N°11

LUI : « LA DOUCEUR PERMÉABLE

DE LA ROSÉE »

Dans une démarche complètement différente,

avec la responsabilité d’une troupe, paco Dècina

a un devoir de restitution auprès des autres pour

créer sa pièce chorégraphique.

Après avoir fait des études scientifiques, il s’oriente

vers les arts plastiques puis étudie la danse et, plus

particulièrement les techniques afro-cubaines,

avec l’américain Bob Curtis. En 1986, il s’installe

en France, et fonde sa Cie post-Retroguardia. Il se

définit comme un chorégraphe de l’épure et de

l’harmonie.

Très énergique lui aussi, il fait autorité tout en

gardant ce charme italien qui lui permet d’impo-

ser ses vues avec délicatesse.

« Dans ce spectacle, je vais traiter de la douceur

de la nature comme remède et antithèse de la

violence imposée par notre société actuelle. »

La musique du spectacle « La douceur perméable

de la rosée » issu de sa résidence artistique sera

composée par Fred Malle à partir des échantillon-

nages recueillis durant son séjour à Crozet. D’ores

et déjà, plusieurs théâtres en métropole l’ont

programmé ainsi que Total Danse à La Réunion.

Quelle chance !

Le fonctionnement de Crozet est tout aussi co-

difié que celui de Kerguelen. paco Dècina se met à

apprendre un nouveau langage. La base à Crozet

est, comme à Kerguelen, remplie d’activités. Très

proche des équipes scientifiques et du personnel

de la base, il organise des séances de relaxation,

le soir, pour ceux qui veulent tenter de nouvelles

expériences.

pour lui, il existe un vrai clivage entre la fourmi-

lière du monde intérieur et l’immensité déser-

tique, vierge de toute population, du monde

extérieur. La base est là où tout se passe, une ville

fantôme où se rassemblent toutes les fluctuations

de l’esprit humain « On est donc obligé d’aller au

fond de soi pour gérer sa relation avec les autres

». Les sorties sont donc des respirations où

s’exhalent « le silence et le sens de l’immensité ».

L’intérêt, pour lui, est de s’imprégner de cette réa-

lité pour ensuite être capable de la partager avec

son équipe artistique. Capter les sons, témoigner

par la lumière, filmer l’instant magique…

« j’essaye avec la danse de donner un espace à

ce qui est prisonnier dans le corps. »

Son travail de questionnement sur la philosophie

et la médecine chinoise l’amène à relier le corps

aux souffles de la nature. pour lui, « le corps ainsi

traversé par le souffle vital peut révéler l’indicible

». C’est donc avec passion qu’il a, lui aussi, vécu

cette résidence à Crozet. Et de conclure : « La

graine créative est plantée, il faut juste lui laisser

le temps de pouvoir germer. » En attendant, une

vidéo sur son site www.pacodecina.fr montre un

incroyable ballet de manchots, comme si paco

Dècina les avait formés à exécuter cette choré-

graphie insolite.

36 · BEAUX-ARTS

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Page 40: Bat'Carré N°11

38 · RENCONTRE PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL

Lolita Monga

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La grande dame et son clapotisdes mots

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40 · RENCONTRE

Sa carrière fulgurante débute à Lyon où elle fait ses

premières armes, se poursuit avec la fondation de

la scène des Bambous et sa compagnie Acte 3 avec

Robin Frédéric où, déjà, elle produit des pièces qui

sont représentées à La Réunion, en métropole et à

l’étranger. Elle continue son ascension au théâtre

du grand Marché où ses pièces, Paradise, Majorettes…

font salle comble.

Lauréate de nombreux prix, de résidences d’artistes,

de bourses d’écriture, le ministre de la Culture,

Frédéric Mitterrand, en 2011, complète son palmarès

en lui remettant l’insigne de chevalier de l’ordre des

Arts et des Lettres : « parce que vous avez depuis

plus de quinze ans été l’une des âmes vivantes du

théâtre à La Réunion, parce que vous avez su faire

souffler un vent de liberté et de poésie sur le théâtre. »

Il est vrai qu’avec sa grande chevelure auburn, Lolita

Monga enflamme la scène de son aura, pugnace,

humaniste, énergique, prolifique, rêveuse et toujours

dans l’esthétique des mots. La femme dramaturge,

une vingtaine de pièces à son actif, est aussi une

femme engagée, présidente du SyNDEAC 2, elle

milite pour que la culture s’enracine dans toutes les

strates de la société réunionnaise et elle est, bien

évidemment, très fière de son île.

Ses thèmes de prédilection gravitent autour des

« petits riens » qui reflètent la profondeur du

quotidien, ses personnages, telle une peinture de

Caravage, incarnent les champs du réel avec leurs

joies, leurs tristesses, leurs interrogations et leurs

violences aussi, parfois. Lolita Monga invente un

théâtre de l’humain, proche du public à la manière

de peter Brook, modelé par une nouvelle langue

dans un univers de musicalité qu’elle fait rayonner

sur les scènes d’ici et d’ailleurs.

lolita monga, tout à la fois auteur, actrice et metteur en scène, est reconduite

pour la troisième fois à la tête du centre dramatique de l’océan indien1, autrement

nommé théâtre du grand marché. depuis 2010, elle est la première femme réunion-

naise à diriger, seule, une salle de cette envergure. comme tous les centres

dramatiques, ses missions sont multiples, en tout premier lieu la création, puis la

programmation, le travail à la sensibilisation des publics et la formation. lolita

monga y ajoute la décentralisation des spectacles en créant des formes itiné-

rantes, en travaillant avec des écoles, des associations, des quartiers pour faire

découvrir le théâtre et pour susciter des vocations. un lourd travail de l’ombre

où elle imagine sans cesse des ponts, des lieux d’échanges et de ressourcement.

bat la lang, le mois des auteurs, s’inscrit dans cette démarche de rencontre et de

proximité avec le public.

et tout le monde se souvient de son extraordinaire parcours théâtral, poétique,

émouvant, fantaisiste qu’elle a créé en 2012 pour le centenaire du musée léon

dierx.

Pour rappel le Centre Dramatique de l’océan Indien est un organisme, comme tous les centres dramatiques, dirigé par des artistes reconnus au niveau national et nommés directement par le Ministre de la Culture pour un mandat de trois ans. En 2007, Lolita Monga est nommée à la direction du CDOI avec Pascal Papani, puis elle est reconduite, seule, à ce posteen 2010, puis en 2013.

Syndicat des Entreprises Artistiques et Culturelles

1

2

Page 43: Bat'Carré N°11

Le clapotis des mots est une expression que Lolita

Monga, fille de l’île, aime bien, car elle se rattache

à la mer. Suivons-là, dans ce parcours singulier,

comme le petit poucet trouve son chemin de mots

en mots.

vocation

je suis née à Saint-Denis et j’ai passé mon enfance

à La Redoute. je suis l’aînée d’une famille de trois

enfants, ma sœur a 11 mois de différence avec moi

et mon frère, 10 ans. Quand j’étais toute petite, il

n’y avait pas de théâtre à La Réunion, il y avait

seulement Au théâtre ce soir à la TV. On était tou-

jours à se raconter des histoires, ma sœur et moi,

on était toujours dans un film. Il y avait à la TV une

série Les chevaliers du ciel, on prenait nos draps et

on s’amusait à tomber du ciel, on s’inventait des

rôles, on avait beaucoup d’imagination. On fabri-

quait des spectacles et tous les mercredis on invitait

nos parents à voir notre création de la semaine. On

était très fans de spectacles de cirque et on s’inven-

tait de faux numéros de cirque, on jouait aux

équilibristes sur une corde. Depuis toute petite, j’ai

toujours écrit des poèmes, des chansons. j’ai été

une enfant qui n’en faisait qu’à sa tête, mais mes

révoltes m’ont permis de tracer mon chemin et de

vivre ma passion. Une passion qui n’a jamais été

contrariée par mes parents qui ont été ouverts et

bienveillants.

lecture

Ma mère aimait beaucoup les livres, il y en avait en

abondance à la maison et j’adorais lire. je lisais tout

ce qu’il y avait à la bibliothèque, les romans clas-

siques, Le rouge et le noir ; Les mémoires d’outre-

tombe… je dévorais tout ce que je trouvais !

Lorsque j’aime un auteur, je lis toute son œuvre.

« Quand on est dans les mots,

on a envie de les vivre »

début

j’ai toujours voulu partir, même si avec mes parents

on a beaucoup voyagé. j’avais envie de découvrir

le monde ! j’imaginais un tas de choses derrière la

notion de voyage, c’était toujours mieux ailleurs.

j’ai donc prétexté aller faire mes études en mé-

tropole, je me suis inscrite à un BTS d’action com-

merciale à Lyon, un alibi pour partir. j’avais

dix-neuf ans. j’habitais Villeurbanne, juste à côté

du théâtre de l’Iris. Un jour, je suis entrée et je me

suis inscrite au cours tout en poursuivant mes

études de socio. puis, j’ai travaillé au théâtre à Lyon

et j’ai eu mon garçon qui a maintenant 28 ans.

je suis restée huit ans en métropole, et je suis re-

venue à La Réunion. Un matin, je ne me sentais

pas bien et j’ai décidé de revenir pour voir si j’allais

rester.

métiers

Au départ, j’ai commencé à travailler pour la ville

de Saint-Denis et très vite, j’ai fondé la compagnie

Acte 3 avec Robin Frédéric. j’étais en résidence à

Saint-Benoît au théâtre des Bambous et j’ai écrit ma

première pièce Le vieux rêve. C’est parti d’une

observation à l’aéroport alors que j’attendais un

comédien, j’ai regardé autour de moi, la gestuelle,

les retrouvailles et c’est parti de là. La pièce a bien

fonctionné et ça m’a donné envie de continuer.

Ensuite, je me suis concentrée sur le rôle de co-

médienne. je me souviens très bien, la première

fois où je suis montée sur scène, je tremblais,

j’étais effondrée, j’avais chaud, j’avais froid… au

bout de cinq minutes, je me suis rendu compte

que je n’étais pas morte et j’ai continué !

j’ai codirigé les Bambous avec Robin pendant

cinq ans, j’étais auteur, comédienne et metteur en

scène des créations de la Compagnie Acte 3. Ce

n’était pas évident de concilier les trois métiers. En

France, on est très spécialisé, plus que dans d’autres

pays. Au début, on me disait il vaut mieux faire une

seule chose bien et ne pas prendre le risque de mal

faire plusieurs choses à la fois. Mais, j’étais décom-

plexée, et je trouvais que ces trois métiers étaient

complémentaires et très différents à la fois et ça

me plaisait.

Bon, ce n’était pas systématique, la mise en scène,

ça vient avec le temps. Les costumes, ça m’intéresse

aussi, je rêve de faire des costumes, mais la tech-

nique, ce n’est pas mon truc !

Page 44: Bat'Carré N°11

42 · RENCONTRE

symbiose

je ne réfléchis à rien en écrivant. je ne veux pas me

mettre de barrières, je ne veux pas avoir d’images

sur le spectacle ou des comédiens en tête.

« Je ne veux pas bricoler mon imaginaire »

j’ai toujours écrit sans penser à la suite. En même

temps, je fais partie de cette famille de théâtre,

je suis comédienne et j’aime jouer des formes dif-

férentes de théâtre. Alors, quand j’écris, je reste

quelqu’un du plateau et j’écris pour les corps des

acteurs.

écriture

je ne prétends pas analyser la société, c’est plus

une écriture paysage, une peinture de ce que les

gens vivent au quotidien, leur joie, leur frustration,

leur colère. Laisser parler les petites choses, ces

petites choses qui racontent les grandes.

Au début, je racontais beaucoup d’histoires. Main-

tenant, de moins en moins, c’est plus ouvert. je

laisse une place au public pour que les gens se

questionnent. Il n’y a aucun intérêt à trouver le

coupable, ce qui important c’est que tout le groupe

se sente concerné, que tout le monde se sente

responsable.

inspiration

Ça dépend des pièces, ça tourne autour des gens,

du monde dans lequel je vis.

pour Majorettes, on parlait de fanfares dans le

nord de la France. j’ai été majorette dans le quartier

lorsque j’étais petite. j’ai pensé aux femmes seules,

et ça s’est très vite maillé, un clan dans un quartier,

des femmes qui prennent en main l’avenir du

quartier, continuer à rêver et à rester debout…

pour Paradise, c’est parti d’une image qui m’a

frappée après le cyclone, j’ai vu depuis le pont

cette jeune fille dans la ravine qui remontait le

courant d’eau boueuse. j’ai raconté ça autour de

moi et tout le monde s’est mis à raconter des his-

toires de disparus, ça grouillait, il y avait là une

effervescence incroyable, chacun racontait sa

propre vie à partir de ces disparus. C’était magique !

En général, je ne sais pas trop d’avance ce que je

vais écrire, je n’ai pas d’histoire a priori. je suis tou-

chée par les petits riens du quotidien qui font la

vie. je pique des phrases, j’écoute la radio, j’écoute

les gens, je laisse mes oreilles traîner. je peux écou-

ter trois conversations en même temps.

L’inspiration peut aussi venir d’une image, une si-

tuation dans un train ou ailleurs qui me marque.

Une lecture dans le journal, comme Vénus, cette

histoire incroyable de cette jeune femme africaine

arrachée à son pays et exhibée dans les foires puis

après sa mort disséquée sans vergogne.

rayonnement

Le problème de toutes les compagnies, c’est de

sortir de l’île, et même sur l’île, on ne joue pas énor-

mément. Autour de nous, dans l’océan Indien, c’est

difficile, les pays sont en difficultés financières.

Ce que j’écris est un théâtre de texte pas un théâtre

visuel ou de mouvement, c’est un peu compliqué

pour les tournées. À Colmar, Paradise était, par

exemple, sous-titré.

je m’évertue à tisser des liens et renforcer les ré-

seaux avec la métropole. Nous sommes en réseau

avec les Centres dramatiques de Colmar et de

Nancy. Majorettes cette année est programmée à

Colmar, Nancy, poitiers, en guadeloupe, et d’autres

lieux encore.

avignon

On a joué beaucoup de nos spectacles à Avignon,

c’est un format lourd, c’est cher. par contre, pour le

CDOI c’est essentiel, les rencontres, la découverte

de nouvelles créations. Avignon reste un festival

unique, un rendez-vous incontournable pour les

artistes, les programmateurs. Dans la jungle qu’est

devenu ce festival en quelques années, il est difficile

de se faire une place. Cette année, nous emmenons

Katerpilar, spectacle en partenariat avec Cyclones

production, la Fabrik parce que cette proposition

artistique est originale, pertinente et qu’elle peut

trouver un écho. On y croit et on espère qu’elle va

trouver son public et voyager ! On sait que l’on

peut affronter ce marathon !

Page 45: Bat'Carré N°11

cdoi

TROISIèME MANDAT

SEpTIèME ANNÉE À LA TÊTE DU CDOI

C’est génial d’avoir un toit. Le CDOI est un théâtre

d’auteurs, la mission n°1 c’est la création, mais on

ne s’occupe pas que de son projet, on accueille

d’autres spectacles, on fait partager d’autres esthé-

tiques qui ne sont pas les siennes. je tourne moins

autour de mon nombril !

On est au contact d’autres auteurs, d’autres met-

teurs en scène. Au CDOI, toute mon énergie est

concentrée sur tous les spectacles que je veux

défendre et pas seulement mes créations.

Dans une grande ville, le public est captif. Ici, il faut

aller chercher le public. Mais ce n’est pas qu’à La

Réunion, dans beaucoup d’endroits, c’est pareil.

L’inconvénient, c’est qu’un Centre dramatique est

très convoité, il faut savoir dire non et ça ne fait

pas toujours plaisir.

La direction du CDOI, c’est aussi tout l’aspect poli-

tique, le travail avec les partenaires, c’est une action

à long terme, les résultats ne sont pas immédiats.

Chaque année, c’est toujours un combat, même si

les partenaires vous font confiance, la culture est

un combat permanent. C’est toujours une lutte, il

faut sans cesse prouver comment on travaille,

pourquoi on fait tel choix. Tout ce travail de décen-

tralisation à Mafate par exemple, aller chez l’habi-

tant, il faut le justifier.

« À l’image de ce qu’on est, l’esprit de ce qu’on

inspire au CDOI, on constate de plus en plus

d’engouement pour le théâtre »

bat la lang

pour aimer le théâtre, il faut aimer la lecture. je

trouve important de travailler avec des auteurs

vivants, un auteur en chair et en os. Découvrir

un texte lu par la bouche d’un comédien, c’est

chouette.

Il n’y a pas beaucoup de gens qui écrivent pour

le théâtre. C’est important de susciter des vocations.

Un mois de résidence et ce n’est pas seulement de

l’événementiel. Les choses se tricotent, les compa-

gnies découvrent un auteur, c’est le terreau des

échanges, un partage avec tous les publics, les

enfants, les ados, les adultes.

« Ce sont des liens qui font grandir »

Bat la Lang, c'est toujours un moment fort et diffé-

rent à chaque édition !

Disons que cette année, on a proposé encore plus

de rendez-vous aux publics dans tous les coins de

l'île, que les auteurs étaient un groupe soudé qui

s'est tout de suite trouvé et la marche à Mafate y a

été pour beaucoup ! Le moment de lecture tous

ensemble pour les habitants de grand place était

très fort et très émouvant pour tous... Les compli-

cités sont nées à ce moment-là. Au théâtre on est

toujours surpris de voir le public présent pour dé-

couvrir les textes en lecture. Retrouver également

des auteurs d’autres éditions présents tant aux

soirées qu'aux différents stages nous conforte

dans le besoin des auteurs pays d'échanger, de se

confronter et de prendre plaisir à écrire ensemble.

La prochaine édition, c'est l'envie d'écrire tous dans

une même résidence, mais ça, ce n’est pas gagné !

Question de moyens ! En tous les cas, les auteurs

invités pour 2017 sont des pointures !

Ce que je retiens de cette édition 2014, ce sont des

instants, l'émotion d'une participante à la lecture

de son texte à la bibliothèque de la Source, le sourire

des collégiens à la médiathèque du Tampon,

l'accueil à la bibliothèque de la Montagne, le silence

des auteurs, des comédiens, des enseignants pen-

chés sur leurs feuilles... Et bien d'autres moments !

langue

j’aime travailler sur la langue, parfois des mots

malgaches, parfois des mots étrangers que j’ai

retenus, parfois des mots inventés… créer ma

propre langue, c’est ce qui m’intéresse, je veux

construire ma propre langue. Le son, la sonorité,

c’est très important.

Page 46: Bat'Carré N°11

44 · RENCONTRE

engagement

En ce qui concerne mon engagement, je pense

qu'on ne fait pas ce métier sans le défendre, avec

des armes, certes dérisoires, mais quand on est

persuadé que l'art est nécessaire à la société, on se

bat ! Se battre ce n'est pas défendre son pré carré ou

ses subventions, c'est une position citoyenne pour

la culture.

La culture est transversale, elle touche tous les do-

maines de la société, elle modifie les relations

sociales au quotidien, elle influence notre façon de

percevoir le monde et nous permet de mieux vivre

ensemble et de porter un regard critique et actif sur

le monde qui nous entoure. Elle donne du sens à

la vie.

« Et quand on fait un travail de fond avec

les publics dans les quartiers, les écoles,

les associations, on se rend vite compte que

notre travail a du sens par ce qu'on apporte

et par ce que les gens nous apportent :

un enrichissement mutuel ! »

vie privée

j’ai deux garçons, complètement différents l’un

de l’autre. joan a 28 ans et Léo 12 ans. joan n’est pas

du tout dans le théâtre, mais dans la politique. je lui

ai transmis le sens de l’engagement. C’est bien,

même si c’est inquiétant pour une mère. joan a fait

Sciences po, il est dans le combat de changement

de société, de qualité de vie. Il lit beaucoup, mais

des essais, il est plus dans la réflexion d’un intello

que dans celle de quelqu’un qui aime le théâtre et

ça rejaillit sur sa vie. Ma passion est artistique, et

pour joan, sa passion est politique.

Léo, lui est en 5e, c’est une autre génération, il est

dans l’ipad. Il est très sensible, très curieux, très joueur

aussi, contrairement à joan. Il est toujours en train

de courir, de taper dans une balle. Il est très critique

aussi. Il fait le répétiteur. Il connaît tous les textes

de tous mes rôles. Il veut être explorateur. Il adore

cuisiner aussi. C’est tout un art, il va faire des com-

mentaires sur le goût, le dressage d’un plat, les

couleurs, les saveurs …Il y a là aussi quelque chose

d’artistique. Léo est un bon vivant, il aime bien

manger.

joan n’a même pas de téléphone portable alors que

Léo est rivé sur ses jeux sur internet… Léo dit ce

qu’il pense. Les enfants ont souvent raison, ils ont

beaucoup de bon sens, à propos de choses très

simples, ils posent des questions pertinentes sans

parler de logique, mais sur des détails… L’enfant

sait que l’on fait un métier qui nous passionne, ça

lui donne le goût de la passion.

loisirs

Le théâtre, ce n’est pas toute ma vie, j’existe en

dehors du théâtre, j’ai une vie de famille aussi.

j’aime ma famille, l’endroit où je vis. j’adore cuisi-

ner, faire des choses simples, monter à Mafate, ça

me permet de prendre du recul sur ce que je fais.

Cuisiner, c’est aussi le plaisir de recevoir des amis.

rêve

Mon rêve pour l’avenir, ce n’est pas que tout le

monde vienne au théâtre, je ne vais pas aller à

l’opéra, par exemple, alors je ne vois pas pourquoi

tout le monde viendrait au théâtre !

Mon rêve serait d’apporter une bulle de rêve, de

questionnement, d’émotion. Si j’avais un rêve per-

sonnel, ce serait de partir six mois avec peter Brook

découvrir l’Afrique et les liens à tisser avec ce pays

que je ne connais pas.

nouveauté

pour la rentrée, plein de belles choses en perspec-

tive, des spectacles invités et surtout la nouvelle

création du théâtre du grand Marché « Onoma»,

un projet qui me tient particulièrement à cœur.

Deux personnages qui affrontent l'absence et dé-

couvrent le mystère de la vie, de la mort, des souve-

nirs. Ils deviennent si précieux et ils sont si fragiles,

au bord du vide. Alors, comme pour arrêter le temps

qui court et semble vouloir effacer toute trace, ils

ressuscitent des petits bouts de vie.

Finalement, une vie est toujours une histoire qui

peut se raconter, tel un conte. Chaque vie crée sa

mythologie propre, ses anges et ses démons. On se

penche sur son histoire. De quoi héritons-nous?

Que faire de notre héritage ? Sommes-nous prêts

à être les auteurs de ce que nous engendrons, alors

que nous ne cesserons jamais d’être les fils de nos

pères ?

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46 · HORIZON PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE GAETAN HOARAU

Les Pétrels de La Réunion

Page 49: Bat'Carré N°11

LE PÉTREL NOIR DE BOURBON L’île de La Réunion héberge une autre espèce unique au monde,

elle aussi en danger d’extinction, le pétrel Noir de Bourbon. plus petit, il se reconnaît à son plumage

tout noir. Il niche dans une zone géographique plus basse que celle du pétrel de Barau, entre 1 100 mètres

et 2 200 mètres, donc plus exposé encore à la prédation des chats et des rats.

Nettement plus en danger que son cousin, il risque de disparaître complètement dans les dix années

à venir. La SEOR (La Société d’Etudes Ornithologiques de La Réunion) qui gère les plans de conserva-

tions et met en place des plans de sauvetage en a recueilli quatre en 2014 et l’on estime la population

reproductrice à quelques dizaines de couples seulement.

VOUS AVEZ TROUVÉ UN OISEAU Contactez la SEOR en urgence au 0262 20 46 65. Mettez l’oiseau

dans un carton, au calme et faites des trous dans celui-ci afin que l’animal puisse respirer.

LE PÉTREL DE BARAU Il a l’air d’un canard en

train de barboter, tranquillement, sur l’eau calme

d’un lac. En fait, il s’agit du pétrel de Barau, oiseau

endémique de La Réunion qui va se nicher sur les

plus hauts sommets de l’île, comme le piton des

neiges (3 069 m), le gros Morne (3 013 m) ou le

grand Bénare (2 896 m).

Il s’aménage des terriers profonds sous des blocs

rocheux dans les zones rocailleuses, au milieu des

branles vert et blanc.

Le pétrel de Barau se nourrit au large, parfois à

plus de 100 km des côtes réunionnaises, jusqu’au

Sud de Madagascar.

Oiseau en danger d’extinction, il est la proie des

chats et des rats. Quant aux plus jeunes, les éclai-

rages artificiels provoquent les échouages de leur

premier envol. Chaque année, entre 200 à 800

jeunes pétrels sont affectés par cet aveuglement

mortel. C’est pourquoi, en ville, certains soirs d’avril,

toutes les lumières sont éteintes pour leur per-

mettre de gagner le large sans se blesser.

Page 50: Bat'Carré N°11

le NépAlASCENSION DU SACRÉ

48 · VOYAGE VOYAGE

TEXTE GÉRALDINE BLANDIN

PHOTOGRAPHIE GÉRALDINE BLANDIN & CHRISTIAN VAISSE

LA CAPITALE DU NÉPAL N'EST PLUS LA DESTINATION FÉTICHE POUR

RECHERCHER LA PAIX SPIRITUELLE. SEULS QUELQUES HIPPIES, NOSTAL-

GIQUES DES ANNÉES SOIXANTE-DIX, ARPENTENT ENCORE LES RUES DU

QUARTIER TOURISTIQUE DE THAMEL. LES BOUTIQUES DE SAROUELS ET

AUTRES TUNIQUES CÔTOIENT DÉSORMAIS LES MAGASINS REMPLIS DE

DOUDOUNES ET DE SACS À DOS. POURTANT, MÊME SI DEPUIS QUELQUES

ANNÉES, LE NÉPAL EST DEVENU LE PARADIS DU TREK, LA MONTAGNE

RESTE LE SANCTUAIRE DES DIVINITÉS.

Page 51: Bat'Carré N°11

Kathmandu

Chine

Inde

Page 52: Bat'Carré N°11

50 · VOYAGE VOYAGE

le voyage commence dans les rues de Kathmandu. la capitale

du népal est bruyante et grouillante. difficile de trouver sa

place entre les bus, les motos et les rickshaws ! en cinquante

ans, la population a doublé. près d'un million de personnes

y habitent aujourd'hui. les conséquences de cette explosion

démographique sont nombreuses : décharges sauvages, eau

courante non-potable et gaz d'échappement omniprésents…

Kathmandu manque de s'étouffer à chaque instant.

50 · VOYAGE VOYAGE

Page 53: Bat'Carré N°11

L’AUTOROUTE DES TREKKEURS

autrefois, les montagnes himalayennes n'étaient accessi-

bles qu'aux grands aventuriers. aujourd'hui, n'importe qui

peut s'y aventurer, seul ou accompagné d'un guide. le grand

classique, c'est d'aller dans la chaîne des annapurnas et

d'en faire le tour. dix à quinze jours de marche à traverser

des forêts, escalader des rochers et fouler la neige. ce sen-

tier, le plus fréquenté du népal, est surnommé « l'autoroute

des trekkeurs ».

l'autre possibilité dans les annapurnas est de rejoindre le

camp de base situé à 4 130 m d'altitude. très vite, les mar-

cheurs se retrouvent dans les hautes vallées himalayennes

et traversent ces nouveaux « villages » composés unique-

ment de gîtes. car il faut pouvoir accueillir les touristes, de

plus en plus nombreux chaque année : 390 000 en 1993,

600 000 en 2006.

pour attirer tous ces vacanciers en quête d’aventure,

certains gîtes jouent la carte du confort. au cœur des mon-

tagnes, à chommrong par exemple, à 2 000 m d'altitude, les

randonneurs peuvent se faire masser et consulter leurs mails

dans un cyber-café. plus loin, à machapucharé à 3 700 m, le

wifi est disponible dans chacune des chambres et la douche

chaude est à volonté ! ces gîtes « nouvelle génération » font

sourire les népalais, peu habitués à tant de confort, mais

plaisent aux touristes. en montagne, les journées sont

longues et souvent difficiles entre le froid, l'altitude et les

nombreuses heures de marche.

mais tous ces efforts sont vite oubliés car là-haut, il y a ce

sentiment d'être ailleurs. seuls les craquements des glaciers

se font entendre… le camp de base des annapurnas est situé

dans un cirque entouré de multiples sommets enneigés al-

lant tous au-delà des 6 000 mètres. le plus impressionnant

est l'annapurna 1 et ses 8 000 m, grimpé pour la première fois

en 1950 par les français louis lachenal et maurice herzog.

sur place, une stèle bouddhiste appelée chörten, entourée

de nombreux drapeaux de prière et de photos d’inconnus,

attire le regard. ce monument rappelle aux trekkeurs que la

montagne n'est pas sans risque. l'annapurna 1 est le sommet

le plus dangereux de la chaîne himalayenne avec un fort

taux de mortalité : un mort pour deux ascensions réussies.

Page 54: Bat'Carré N°11

rarement dans les sentiers pour s'y balader, les népalais y

vont pour travailler. ils sont guides, gîteurs, agriculteurs

mais surtout porteurs.

reconnaissables à leur large sangle autour de la tête accro-

chée à un gros panier en osier, ces hommes portent jusqu'à

30, 40, parfois même 50 kilos. un jour, ils traînent les ba-

gages de touristes venus découvrir la montagne. le lende-

main, ils ravitaillent les gîtes d'altitude. à l'origine, les porteurs

appartenaient à la tribu des sherpas, une tribu originaire du

tibet installée au pied de l'everest depuis cinq cents ans.

aujourd'hui, tous les porteurs ne sont plus des sherpas,

mais beaucoup en font encore partie. très croyants, ils ont

souvent dans leurs poches des drapeaux de prière, ces pe-

tits morceaux de tissus colorés visibles partout au népal,

qu'ils déposent tout au long du chemin pour remercier les

dieux de leur aide et leur protection.

les montagnes de l’himalaya portent la marque de la fer-

veur religieuse de ses habitants. chörtens, moulins à prière,

drapeaux multicolores ou encore pierres gravées de textes

ou d’illustrations sont partout le long des sentiers et à l’entrée

des villages. le népal est bel et bien le pays du bouddhisme.

siddhartha gautama, plus connu sous le nom de bouddha,

est né au népal à lumbini, près de la frontière indienne il

a y 2 500 ans. la petite ville est aujourd’hui un lieu de pè-

lerinage sacré pour les bouddhistes du monde entier, tout

comme bodhnath, situé à quelques kilomètres de Kath-

mandu. à bodhnath, il y a le plus grand stûpa du népal. le

stûpa, ce monument en forme de dôme surmonté d’une

tour où sont peints les yeux de bouddha. chaque jour, des

milliers de bouddhistes du monde entier viennent en faire

le tour dans le sens des aiguilles d’une montre, tout en ré-

citant des textes sacrés et des prières. sur cette immense

place bordée de boutiques, de restaurants et de monastères,

l’ambiance est sereine, empreinte de spiritualité qui tranche

avec le reste de la ville.

LA MONTAGNE A UN CARACTÈRE SACRÉ

52 · VOYAGE VOYAGE

Page 55: Bat'Carré N°11

à quelques kilomètres du stûpa, pashupatinath, le temple

hindou le plus important du pays. construit le long de la ri-

vière sacrée bagmati, pashupatinath est l'endroit de prédi-

lection pour l'incinération des hindouistes. tout au long de

la journée, des cérémonies de crémation se déroulent sur les

berges de la rivière. un brin voyeurs, fidèles et touristes

s'assoient sur l'escalier face aux ghâts de crémation. un corps

enveloppé dans un linceul blanc repose sur le bûcher. ses

proches le recouvrent de paille et allument le feu. en quelques

secondes, le corps s’embrase.

les cendres seront ensuite jetées dans la rivière sacrée

bagmati. autour, la vie continue. la foule déambule dans ce

lieu sacré, squatté par les singes et les sadhus, ces hommes

reconnaissables à leurs cheveux ébouriffés et leur corps

enduit de teinture et de cendres. les sadhus ont choisi la

voie du renoncement. ils ne possèdent rien et passent leur

vie à errer sur les routes de l'inde et du népal.

PASHUPATINATH, LE TEMPLE HINDOU

Page 56: Bat'Carré N°11

54 · VOYAGE VOYAGE

Page 57: Bat'Carré N°11

LES CITÉS ROYALES

À pashupatinah, les vendeurs de babioles côtoient les fidèles venus se recueillir. Les bâtiments modernes

se mêlent à l’architecture d’époque. L’endroit est un lieu de contrastes, à l’image de Kathmandu. La

capitale népalaise n’est pas que pollution visuelle, sonore et olfactive. Kathmandu est aussi et surtout

un ancien royaume dont la vieille ville est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979.

pour le découvrir, il faut être un brin fouineur et prendre le temps de se perdre dans les nombreuses

ruelles de la capitale, jusqu’à tomber sur le quartier historique et son palais. Là, le parfum d’encens se

mêle aux tintements de cloches. Les temples de bois sculpté, en pierre ou en bronze sont nombreux

et s’éparpillent autour de la grande place qui servait autrefois de parking pour les éléphants royaux. Les

bâtiments ont tous deux, trois ou quatre toits superposés, la marque du style pagode imposé par les

Newars. Cette ethnie, particulièrement douée pour l’art, a parsemé un grand nombre d'œuvres archi-

tecturales dans toute la vallée de Kathmandu. Deux anciennes cités royales, patan et Bhaktapur, sont

également classées à l’Unesco.

LA VIE QUOTIDIENNE

Et puis au Népal, il y a cette autoroute, la Mahendra highway, longue de 232 km. pas très touristique au

premier abord, cette ligne droite qui traverse le Népal d’est en ouest révèle pourtant de nombreuses

surprises. Elle permet de découvrir quelques grandes villes aux allures indiennes, aux immeubles multi-

colores et aux femmes habillées d’un sari et d’une paire de baskets. À quelques kilomètres, des petits

villages peuplés de paysans quasi-nus, vivant dans des habitations faites de branches et de boue, où

l’électricité n’a jamais existé. Sur cette autoroute, il y autant de charrettes tirées par des boeufs que de

motos et de camions. Et puis, on aperçoit quelques églises, perdues au milieu de cette terre dédiée à

Bouddha et à Krishna.

Un mélange des genres où le seul point commun est le sourire de ses habitants. partout au Népal, les

gens sourient à chaque instant, peut-être pour oublier le quotidien. Car ce petit pays coincé entre l’Inde

et la Chine est l’un des plus pauvres au monde. Il connait une situation politique difficile même si elle

s’est un peu stabilisée en 2006, après dix ans de guerre civile. Aujourd’hui, la monarchie n’existe plus,

le pays est devenu une république fédérale. Mais pour les Népalais, peu de choses ont évolué. Dans

un anglais approximatif, tous racontent leur quotidien, sans jamais se plaindre. Du travail 7 jours sur

7, des taxes qui ne cessent d’augmenter et des visas impossibles à obtenir sans bakchich. Alors, ils

discutent avec les touristes venus découvrir leur petit paradis, et s’imaginent qu’un jour, eux aussi,

pourront aller au-delà de leurs montagnes, les plus hautes du monde.

Page 58: Bat'Carré N°11

56 · VOYAGE VOYAGE

Page 59: Bat'Carré N°11
Page 60: Bat'Carré N°11

58 · CHRONIQUE DE VOYAGE TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL

Madiba le dernier voyage

APRÈS DIX JOURS DE FUNÉRAILLES SUIVIES PAR LE MONDE ENTIER, NELSON MANDELA,

LE HÉROS UNIVERSEL DE LA LUTTE POUR LA LIBERTÉ ET POUR LA RÉCONCILIATION, VA

BIENTÔT REJOINDRE SA DERNIÈRE DEMEURE DANS LE VILLAGE DE SON ENFANCE À QUNU.

AU STADE DE SOWETO, LIEU DU PREMIER SOULÈVEMENT CONTRE L’APARTHEID, LA CÉRÉMONIE

INTERNATIONALE A VU DÉFILER TOUS LES GRANDS DE CE MONDE, BARACK OBAMA SERRANT

LA MAIN DE RAOUL CASTRO, L’HOMMAGE DÉCHIRANT DE SES COMPAGNONS DE L’ANC, ET

DE L’ARCHEVÊQUE DESMOND TUTU, SON TRÈS FIDÈLE AMI. À PRETORIA, ILS ÉTAIENT PLUS

DE 100 000 À SE BATTRE POUR LE VOIR UNE SECONDE ET LUI DIRE ADIEU, NOIRS ET BLANCS

RÉUNIS DANS LA DOULEUR. CELA FAIT MAINTENANT 10 JOURS QUE LE PAYS DANSE ET

CHANTE À LA MÉMOIRE DE MADIBA, LE PÈRE DE LA NATION ARC-EN-CIEL. SÉBASTIEN SUIT

CES OBSÈQUES À TRAVERS LES MÉDIAS RÉUNIONNAIS. MAIS UN APPEL IRRAISONNÉ LE

CONDUIT À SAUTER DANS L’AVION POUR SUIVRE EN DIRECT L’ULTIME CÉRÉMONIE.

Page 61: Bat'Carré N°11

FACE À L’ÉCRAN NOIR, LE TEMPS S’ARRÊTE, IL EST ENCORE IMPOSSIBLE D’ACCEPTER LE DÉPART DE MADIBA

Page 62: Bat'Carré N°11

LE TRAJET

C’est parti, l’aventure commence !

De Saint-Denis à johannesburg, Sébastien est devenu une

boule de nerfs, alors il boit un peu pour apprivoiser ce temps

mort où il réalise qu’il ne sait vraiment pas comment il va s’y

prendre. Il n’a aucune accréditation pour passer les barrages

et aller au plus près du convoi qui conduit Nelson Mandela à

sa dernière demeure. Savoir oser !

23h, il atterrit à Durban, un peu groggy, et se rend à l’hôtel. Im-

possible de dormir. Tôt le lendemain matin, il part chercher sa

voiture de location, et prend quelques photos deci delà de

gens qui se baignent tous au même endroit, dans une étroite

bande surveillée par des maîtres-nageurs. Certains sont à moitié

habillés, d’autres portent des bonnets de bain très colorés, des

cris lui parviennent lorsque de grosses vagues déferlent sur la

plage, la joie de vivre… Il commence à se détendre. Il monte

dans sa voiture. Le volant est à droite ! Un détail auquel il

n’avait pas pensé ! Il a 600 km à faire pour arriver au plus près

de Qunu, village où Mandela a passé son enfance, là où il va

être inhumé selon les rites traditionnels. Or, Qunu est inconnu

au bataillon sur son gpS. Il écoute la radio. Le corps de Mandela

devrait arriver à l’aéroport de Mthatha en milieu de journée, ce

samedi. Ce sera sa destination.

Cette petite ville est située à 35 km de Qunu. pas de temps à

perdre. Il roule sans s’arrêter, fasciné par l’immensité de l’es-

pace qu’il découvre pour la première fois. Le gpS lui indique

de tourner à gauche…200 km plus loin ! L’échelle de ses repères

a pris un sacré coup de distorsion. plus il s’approche, plus le

ballet d’avions et d’hélicoptères devient incessant, une cen-

taine d’entre eux sont venus déposer les quelque 4500 invités

à la dernière cérémonie d’adieu célébrée avant l’inhumation.

C’est quasiment un dispositif de guerre qu’il a fallu mettre en

place dans ce petit aéroport habitué à la rotation de deux

avions par jour.

60 · CHRONIQUE DE VOYAGE

LA DÉCISION

Sa nuque est glacée. Il appuie sur la souris, Clic,

la réservation est faite, le montant va être débité !

Sébastien est secoué par une bonne décharge

d’adrénaline. plus moyen de faire machine arrière.

Le fou ! Il faut être inconscient pour prendre une

telle décision, mais c’est plus fort que lui. Ça fait

des jours que ça lui trotte dans la tête, il ne focalise

que sur une réalité, il habite tout à côté. Au pas-

sage, il s’aperçoit qu’avec l’âge, on prend des res-

ponsabilités, mais aussi on prend peur. Sébastien

est un bourlingueur, habitué à voyager seul, alors

pourquoi cette peur soudaine de l’inconnu ? Il

n’est jamais allé en Afrique du Sud et son anglais

n’est pas en bonne forme. Tant pis !

Autant la cérémonie officielle au stade de Soweto

ne l’a pas vraiment attiré, trop d’officiels, tout est

cadré d’avance, autant rendre hommage à Mandela

sur la terre de son enfance lui semble un acte qui

a du sens. Nous sommes quoi dans la vie ? pas

grand-chose, se dit-il, à côté de ce géant qui a

conduit son pays à la liberté en évitant guerre

civile et bains de sang.

Page 63: Bat'Carré N°11

LE POINT DE MIRE

Sébastien entre dans la ville, Mthatha n’offre pas, de prime

abord, une image rassurante. Il se demande s’il peut garer la

voiture en toute sécurité. Sur l’autre rive, le campus de l’Uni-

versité et ses alentours semblent plus accueillants. Les rues

sont bloquées, de part et d’autre, le convoi mortuaire va passer

par là. À l’intuition, il sort de la ville et trouve un Bed & Breakfast.

Il range sa voiture et revient à pied au centre, son appareil

photo en main. Il erre sans trop savoir où se diriger. Il a vraiment

l’air d’un touriste, un peu perdu de surcroît. Un jeune l’aborde

et le conduit chez lui. Il a une bouille bien sympathique. Il le

présente à sa mère qui berce sa petite sœur pour l’endormir.

Tout le monde s’installe à la terrasse, Sébastien prend des photos.

Et là, surgit devant ses yeux le corbillard. Un coup au cœur. Il

ne peut réprimer quelques larmes silencieuses qui glissent sur

ses joues. Il laisse son appareil en berne. C’est cet instant qu’il

était venu chercher, vivre et partager. Cette image restera au

fond de lui jusqu’à la fin de sa vie. Les gens criaient dans la rue :

« Tata Madiba » - papa Madiba ! - nom lui venant de ses ancêtres.

puis, le calme est revenu.

En redescendant dans la rue, Sébastien rencontre

un journaliste italien. Ils sympathisent et cherchent

un endroit pour se remettre de leurs émotions. Ils

se retrouvent dans une arrière-cour jonchée de

cannettes, et descendent dans une sorte de cave

où tout le monde, complètement ivre, expose fiè-

rement son T-shirt à l’effigie de Mandela. Ce sont

les seuls Blancs. Sébastien, son LEICA en bandou-

lière, n’est pas très rassuré. Ils avalent une pizza,

boivent leur bière et sortent rapidement de ce

bouge obscur. Des états d’âme infondés. La fin de

l’Apartheid ne date que d’une vingtaine d’années et

pourtant les Noirs sud-africains sont accueillants,

chaleureux, sans a priori racial.

puis, ils tentent le tout pour le tout, des accrédi-

tations, sésames nécessaires pour se rendre à Qunu.

Ils embarquent avec eux le gamin pour qu’il les

aide dans ce labyrinthe administratif.

Page 64: Bat'Carré N°11

62 · CHRONIQUE DE VOYAGE

Après de nombreuses et longues heures d’at-

tente, on leur indique une salle remplie d’une

quarantaine d’ordinateurs avec des gens rivés

dessus comme des zombies. Il est une heure du

matin et force est de constater qu’il est impossible

de s’approcher, la route pour Qunu est définiti-

vement barrée. Ils s’inscrivent néanmoins sur la

liste d’attente tandis qu’une journaliste de la BBC

se trouve, elle aussi, juste derrière eux. Un inci-

dent entre la presse et l’armée se propage comme

une traînée de poudre. L’AFp, comme certains au-

tres médias, avait loué une maison équipée

d’électricité dans le village de Qunu en prévision

des obsèques. Il venait de monter une plateforme

élévatrice leur permettant de prendre des images

à 18 mètres de hauteur lorsqu’un hélicoptère de

combat de l’armée, avec tireurs d’élite à bord, leur

a foncé dessus pour vérifier qu’ils n’avaient pas

d’armes. Finalement, les journalistes filmeront, le

lendemain, le passage du cercueil de Mandela vu

d’un talus.

Dimanche matin. Il ne reste plus qu’à se rabattre dans les stades

où la cérémonie sera retransmise en direct. Ils traversent à

nouveau la ville. Les rues sont désertes. L’attente marque un

temps suspendu. Le vent du Transkei s’est levé. Le caddy man

pousse son chariot vide, faute de client. Qu’est-ce que l’on

mange ? Ce n’est pas l’histoire d’aujourd’hui. Ils trouvent un

stade de cricket - le Khaya Majola Oval Stadium - où l’immense

écran installé sur les gradins sommeille encore. peu à peu,

l’espace se remplit, les adultes occupent les chaises installées

sur la pelouse tandis que les enfants courent partout en liberté.

Un bébé, tout juste en âge de s’asseoir, semble parlementer

avec Mandela qui fait la couverture d’un journal posé à terre.

Un clin d’œil à l’homme des symboles qui arborait fièrement

le maillot des Springboks à la finale de Coupe du monde de

rugby au stade d’Ellis park en 1995.

Le ciel est lourd et le feu du soleil claque brutalement entre

deux séries de nuages. Soudain, les premières images appa-

raissent. Un gros plan sur le corbillard qui avance lentement,

escorté par les militaires, le cercueil apparaît enveloppé du

drapeau de l’Afrique du Sud dont Mandela a été le premier

président noir... L’assistance se lève, le poing levé, et chante

« Invictus », le poème préféré de Mandela.

Page 65: Bat'Carré N°11

Dans la grande bulle blanche plantée au milieu d’un champ,

les 4500 invités, dont quelques dignitaires étrangers, assistent

à la dernière cérémonie. Coups de canon, hymnes religieux,

chœurs d’enfants, les honneurs déployés pour cet homme

d’État sont accompagnés de témoignages bouleversants, sans

artifices. Quatre-vingt-quinze immenses bougies blanches

sont dressées autour d’un autel où, tour à tour, les proches et

la famille vont prononcer leur discours d’adieu. Les souvenirs

passent. Il y a vingt ans, en ce mois décembre 1993, Nelson

Mandela et Frederik De Klerk recevaient ensemble le prix

Nobel de la paix à Oslo. Son ami l’archevêque Desmond Tutu,

qui a failli ne pas être là, car il critique trop ouvertement la

politique corrompue du président Zuma, pourtant issu de

l’ANC, est brisé par l’émotion. Nelson Mandela, après être resté

27 ans de sa vie en prison, est élu à la tête de l’État de 1994 à

1999. Il confie alors à Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en

1984, la présidence de la Commission de la Vérité et de la

Réconciliation qui, après trois ans d’enquêtes et des milliers

d’auditions, a rendu publiques ses conclusions. Véritable fon-

dement de la réconciliation sud-africaine, car tous les crimes

commis pendant l’Apartheid ont été jugés, que leurs auteurs

aient lutté pour ou contre la ségrégation.

L’INTIMITÉ POUR L’ÉTERNITÉ

puis, les caméras sont coupées. La mise en terre

a lieu dans la plus stricte intimité. Mandela va

reposer auprès de ses parents et de ses trois en-

fants décédés. L’inhumation a lieu selon les rites

Thembu, clan royal auquel Mandela appartenait.

Le chef de la tribu Inkosi Bonginkosi a dirigé toute

la cérémonie rituelle : « Il doit rentrer chez lui parce

que son esprit connaît l’endroit et le chemin pour

rejoindre les ancêtres. » Dans son autobiographie

Un long chemin vers la liberté publiée en 1996,

Mandela a écrit : « je ne doute pas un seul instant

que lorsque j’entrerai dans l’éternité, j’aurai le

sourire aux lèvres. »

Madiba reste maintenant à jamais le modèle,

dans le monde entier, du combat pour la liberté

et pour la paix. Avant lui, personne n’avait réussi

à réconcilier victimes et bourreaux sur les décom-

bres encore fumants des exactions commises.

Page 66: Bat'Carré N°11

Margueritte Durasle roman de sa vie

Page 67: Bat'Carré N°11

65 · COULISSE

TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE DOISNEAU – COLLECTION GAMMA-RAPHO

Passionnée, complexe, drôle,

grande amoureuse, intellectuelle, généreuse,

narcissique, guerrière, exigeante…

une légende !

« Il se trouve que j’ai du génie,

j’y suis habituée. C’est tout.»

Marguerite Duras n’est pas seulement

écrivain, elle est entrée en littérature.

Elle traverse le 20e siècle et s’en empare,

c’est aussi le roman de sa vie, l’histoire

des colonies françaises, la Seconde Guerre

mondiale, la guerre d’Algérie, mai 68,

la libéralisation des femmes…

Femme engagée, femme de combat,

elle s’investit en politique, et, chose rare,

reconnaît ses erreurs. Femme de lettres,

elle est aussi journaliste à Libération

et fait scandale en 1985 avec son article

« Sublime, forcément sublime » sur

Christine Villemin. Femme du 7e art,

elle invente un autre cinéma en brouillant

les pistes, voix désynchronisées, le récit

s’impose à l’image. Femme de théâtre,

elle adapte de grands auteurs autant

que ses propres textes qui, parfois,

se transforment en film ou en roman.

Pas dans le sens du recyclage, mais dans

un art bien à elle de mettre en scène des voix

solitaires qui expriment l’errance, la folie,

le cri du silence.

Marguerite Duras, c’est enfin le Goncourt

avec L’Amant.

Le TEAT Champ Fleuri nous a offert

Une nuit durassienne pour fêter le centenaire

de sa naissance en projetant l’adaptation

de son roman par Jean-Jacques Annaud.

Page 68: Bat'Carré N°11

1 - Marguerite Duras et l’urgence d’écrire

Elle a consacré toute sa vie à l’écriture, à toute forme

d’écriture, romans, pièces de théâtre, scénarios

de films, articles de presse… mais toujours dans

cette recherche d’absolu qui lui fait dire dans l’un

de ses nombreux interviews : « Quand je rentre

dans le livre, quand je me mets à mon bureau, j’ai

l’impression d’entrer quelque part. Ce n’est pas la

solitude. C’est un endroit foisonnant. Mais difficile,

car il ne faut pas faire d’erreurs. C’est sacré, écrire. »

Cette injonction, presque mystique, à écrire va

guider son œuvre : « La phrase s’accorde aux mots

qui viennent, il faut aller vite, prendre la crête des

mots, car on oublie tout, tout de suite. »

Elle fut associée, un temps, au Nouveau Roman

mené par Robbe-grillet, phrases courtes, descrip-

tion du banal, personnages non identifiés, absence

de dénouement… Moderato Cantabile, étudié au

lycée, en est la quintessence.

Mais elle s’en détache sans peine, car sa vie dans

l’écriture ne peut se résumer à une tendance, elle

cherche jusqu’au dernier souffle à atteindre la

pureté du sens. « C’est du Duras, disait-elle, ce n’est

pas du Duras », un souffle, un style unique, très

imagé, repérable à sa musicalité.

Travail acharné, exigence féroce, elle bouscule

les codes du roman, mais aussi du théâtre et du

cinéma. Elle est entrée en littérature comme une

religieuse voue sa vie à Dieu, en quête d’absolu.

Elle puise dans sa prime jeunesse en Indochine

la source d’une partie de ses romans, mais pas

seulement. Au fil du temps, elle crée des person-

nages auxquels elle s’identifie et elle renoue avec

les intrigues qu’elle a écrites une vingtaine, voire

une quarantaine d’années plus tôt. Elle explore

la puissance des mots sur toutes les scènes, mu-

sique, film, théâtre. Son œuvre est un labyrinthe

où la récurrence des thèmes et des personnages

se déploie dans des espaces infinis jalonnés par

la diversité des supports artistiques.

Forcément déçue par l’adaptation de ses romans,

elle les porte à l’écran ou sur une scène de théâtre.

D’abord scénariste et dialoguiste - Hiroshima mon

amour d’Alain Resnais en 1959 - elle réalise une

vingtaine de films dont quelques-uns resteront

des films culte, comme India Song en 1975 avec

des textes en voix off sur une musique de Carlos

d’Allessio ou Le Camion en 1977 où elle dialogue

avec gérard Depardieu sur un film qui pourrait se

faire et que le spectateur doit donc imaginer.

pendant toute cette période de création cinéma-

tographique, son fils jean, qu’elle surnomme

Outa, participera à la réalisation de la plupart de

ses films.

Elle n’appréciait pas que sa vie soit résumée à une

biographie et souvent renvoyait à ses écrits :

« j’aime mes livres. Ils m’intéressent. Les gens de

mes livres sont ceux de ma vie. » Mais il est en fait

très difficile de dénouer l’écheveau complexe de

son imagination et de faire la part du réel et de

l’imaginaire chez Marguerite Duras. Au fond, c’est

l’œuvre qui importe !

En 1998, Laure Adler lui consacre, chez gallimard,

une biographie particulièrement bien documen-

tée qui apporte un éclairage multiple à partir

d’archives officielles et privées et de rencontres

avec Marguerite Duras pendant les huit années

de ce long travail d’exploration et de recherche.

66 · COULISSE

Page 69: Bat'Carré N°11

2 - Marguerite Duras en trois romans

Le Barrage contre le Pacifique

l’empreinte de l’enfance en Indochine

Son enfance passée en Indochine va marquer

une partie de son œuvre. Elle s’en éloignera pour

mieux y revenir, du Barrage contre le Pacifique

paru en 1950 à L’Amant de la Chine du Nord paru

en 1991.

Marguerite Donnadieu est née le 4 avril 1914 à

gia Dinh en Indochine. Elle y vivra jusqu’à l’âge

de 18 ans, mis à part un séjour de deux ans en

métropole. Son père, henri Donnadieu, décède,

elle est alors toute jeune. Son nom de plume vient

de lui, un village du Lot-et-garonne dont il est

originaire. Sa mère, institutrice, élève donc seule

ses trois enfants. Un fils aîné, voyou qu’elle vénère,

un fils cadet qu’elle délaisse tout autant que « sa

petite misère », sa seule fille.

Le premier roman de Marguerire Duras, Les

Impudents a pour héros le frère aîné, « ce voleur

d’armoire ». L’histoire d’Un barrage contre le

Pacifique est celle de sa mère, ruinée et abusée

par l’administration coloniale qui lui a vendu des

terres régulièrement inondées. On y voit la dé-

chéance de sa mère, devenue presque folle, ses

cris et ses moments d’abattement tout autant que

l’ambiance si particulière, la beauté des paysages

du golf de Siam, son enfance livrée à elle-même

avec le petit frère. Un abîme de souffrance. Sa mère

qui ne l’aimait pas sera, en fait, présente dans

toute son œuvre :

« Dans les histoires de mes livres qui se rapportent

à mon enfance, je ne sais plus tout à coup ce que

j'ai évité de dire, ce que j'ai dit, je crois avoir dit

l'amour que l'on portait à notre mère mais je ne

sais pas si j'ai dit la haine qu'on lui portait aussi et

l'amour qu'on se portait les uns aux autres, et la

haine aussi, terrible, dans cette histoire commune

de ruine et de mort qui était celle de cette famille

dans tous les cas, dans celui de l'amour comme

dans celui de la haine et qui échappe encore à

tout mon entendement, qui m'est encore inac-

cessible, cachée au plus profond de ma chair,

aveugle comme un nouveau-né au premier

jour. Elle est le lieu au seuil de quoi le silence

commence. »

Elle a raté de peu le prix goncourt, mais à l’époque

son adhésion au parti communiste a rebuté le

jury.

Anxieuse à l’idée de tomber dans la déchéance,

comme sa mère, elle s’emploiera à asseoir sa

position financière. En 1958, elle cède ses droits

d’auteur à René Clément pour l’adaptation d’Un

Barrage contre le Pacifique. Elle pourra ainsi ac-

quérir la propriété de Neauphle-le-Château, havre

de paix où elle écrivait beaucoup et qui a aussi

servi de décor à ses films, Nathalie Granger, Le

Camion.

La douleur

les années de guerre

À 18 ans, elle retourne en France pour faire des

études imposées par sa mère, droit, Sciences po,

et elle devient fonctionnaire au Ministère des

Colonies. Elle rencontre le poète Robert Antelme.

Ils se marient en 1939, leur enfant meurt à la nais-

sance. peu de temps après, elle apprend le décès

de son petit frère qui la plongera dans le chaos.

Elle fait la connaissance chez gallimard de l’écri-

vain Dyonis Mascolo, spécialiste de Nietzsche et

de Saint-just, qui deviendra son amant : « Nous

étions dans une entente esthétique. » dira-t-il. Et

Dyonis Mascolo insiste sur le fait que Robert

Antelme était son ami : « Quand Marguerite et

Robert étaient ensemble, il avait des maîtresses,

Marguerite des amants, je n’ai jamais trompé

Robert. »

En 1943, Marguerite Duras s’installe avec son mari

Robert Antelme rue Saint-Benoît, au n°5, et elle

restera jusqu’à la fin de sa vie dans cet apparte-

ment devenu mythique.

Page 70: Bat'Carré N°11

Le couple s’inscrit au parti communiste en 1944,

« espérant retrouver un esprit de fraternité ».

Marguerite Duras est une vraie militante, une

femme engagée.

pendant la guerre, elle, son mari, son amant

entrent dans la Résistance. Ils font partie du réseau

dirigé par Morland, pseudo de François Mitterrand.

En 1944, Robert Antelme est arrêté avec sa sœur

par la gestapo et envoyé à Dachau. À la libération,

Dyonis Mascolo part chercher son ami, mourant.

Marguerite Duras a tenu un journal durant cette

période et une quarantaine d’années plus tard,

elle l’a retrouvé « dans deux carnets des armoires

bleues de Neauphle-le-Château ».

À partir de ces carnets, dont elle ne se souvenait

plus, elle publie en 1985 un recueil de nouvelles

La Douleur. La première partie est consacrée à

l’attente atroce du retour de Robert L. Elle travaille

au service des recherches du journal Libres afin

de communiquer aux familles des nouvelles des

prisonniers. On plonge directement dans cette

réalité du quotidien et en même temps le texte

sublime l’attente, l’angoisse de la mort avec des

évocations si précises qu’elles pourraient être

filmées. puis, la nouvelle se poursuit avec le retour

tout aussi atroce de son mari mourant. Dans les

autres parties, elle met en scène l’exaltation et le

déferlement de haine à la libération en y tenant

un rôle actif. Un livre clé qui témoigne d’héroïsme

autant que de trahisons dans cette période tra-

gique, nœud d’interactions contradictoires.

Robert Antelme publie en 1947 un livre poignant

L’espèce humaine qui relate, avec une grande

retenue, sa survie dans les camps.

C’est aussi l’année du divorce, la naissance de

jean, fils de Marguerite Duras et Dionys Mascolo

avec qui elle vit désormais.

En 1950, Marguerite Duras est exclue du parti

communiste.

Le groupe de la rue Saint-Benoît formé du trio

et des amis écrivains, philosophes, tels qu’Edgar

Morin, georges Bataille, Maurice Blanchot, jean

genet, Clara Malraux, Maurice Nadeau, Maurice

Merleau-ponty… fera l’objet d’un film de jean-Marc

Turine qui couvre la période de 1942 à 1964.

À la fin des années 50, Marguerite Duras se sépare

de Dionys Mascolo, commencent pour elle ses

premières expériences journalistiques et ciné-

matographiques. Les amants se succèdent.

L’Amant

l’apothéose de sa carrière

1984, georges Orwell. Non. Marguerite Duras !

pour son célèbre roman autobiographique, L’Amant,

Marguerite Duras avait en premier lieu choisi la

photographie absolue. L’histoire commence par

cet instant où sa vie bascule, elle vient de passer le

week-end à Sadec dans la maison familiale avec

sa mère et ses frères et se rend, seule, au pensionnat

à Saigon :

« C’est le passage d’un bac sur le Mékong. Sur le bac,

à côté du car, il y a une grande limousine noire

avec un chauffeur en livrée de coton blanc. Oui,

c’est la grande auto funèbre de mes livres. C’est la

Morris Léon-Bollée. Dans la limousine il y a un

homme très élégant qui me regarde. Ce n’est pas

un Blanc. Il est vêtu à l’européenne, il porte le

costume de tussor clair des banquiers de Saïgon.

Il me regarde. j’ai déjà l’habitude qu’on me regarde. »

Cette rencontre avec L’Amant alors qu’elle n’a que

quinze ans, va forger son destin d’écrivain et sa

recherche de plaisir dans la vie. Marguerite Duras

n’est pas qu’une grande intellectuelle, son œuvre

brillante est chargée d’émotions, d’observations

subtiles du désarroi et des comportements sin-

guliers dans des situations d’interdits.

L’Amant, le roman de l’apothéose, rencontre de

suite l’adhésion du public dès sa sortie en septembre

1984. Si bien que Bernard pivot, contrairement à

68 · COULISSE

Page 71: Bat'Carré N°11

ses habitudes, consacre son émission exclusive-

ment à Marguerite Duras. Une émission, pièce

d’anthologie, où elle se livre, tour à tour enjouée,

sérieuse, drôle, énigmatique, lucide, une Marguerite

Duras comme à la ville, telle que ses proches la

décrivent, touchante et terrible à la fois.

Quelques semaines plus tard, en novembre 1984,

c’est la consécration, elle reçoit le prix goncourt.

Succès mondial, l’Amant est traduit en 27 langues,

2,5 millions d’exemplaires seront vendus.

Mais Marguerite Duras est affaiblie, elle se relève

d’une sévère cure de désintoxication : « je suis une

alcoolique qui ne boit pas. »

Et l’histoire de L’Amant devient une saga à la

Marguerite Duras. Claude Berri souhaite produire

le film tiré de son roman. jean-jacques Annaud,

auréolé de ses succès avec L’ours et Au nom de la

rose, est rapidement pressenti pour la réalisation.

Marguerite Duras participe dans un premier temps

au scénario, mais assez vite, se fâche avec jean-

jacques Annaud. La passion charnelle sur laquelle

il centre le film ne reflète pas assez la teneur

dramatique et sociale du roman.

Une nouvelle hospitalisation plonge Marguerite

Duras pendant cinq mois dans le coma dont elle

sortira particulièrement meurtrie par des souvenirs

de viol dont elle ne sait pas s’ils sont du domaine

de l’hallucination ou de la réalité. Le tournage du

film se poursuit avec une jeune comédienne jane

March qui joue son rôle et Tony Leung Ka Fai dans

celui de l’amant chinois. La voix off de jeanne

Moreau, actrice fétiche de Marguerite Duras, semble

faire le lien.

pendant ce temps, Marguerite Duras écrit L’Amant

de la Chine du Nord, qui est en fait l’histoire de

L’Amant revisitée et surtout l’écriture du film qu’elle

avait imaginé. L’Amant de la Chine du Nord paraît

en 1991, en même temps que le film de jean-jacques

Annaud sort sur les écrans ! Elle dit avoir passé un

an de bonheur à se plonger une dernière fois dans

l’univers sensuel de son enfance indochinoise.

3 - Les dernières années avec Andréa

Son dernier amant, le jeune yann Andréa, surnom

qu’elle lui a donné, yann Lemée de son vrai nom,

accompagne, soigne, et se soumet à la tyrannie

de Marguerite Duras durant les dernières années

de sa vie.

Ils se sont rencontrés en 1975 lors de la projection

du film India Song à Caen. Il est littéralement

envoûté et lui écrit des lettres d’amour et d’admi-

ration sans bornes. Elle ne lui répond pas et un

jour, lui fait parvenir son roman, qu’il apprécie un

peu moins que les autres, mais il s’abstient de tout

commentaire. Elle comprend le signal et son in-

tuition ne la trompe pas. Il lui offrira l’exigence de

vérité dont elle a besoin pour parachever son

œuvre. En 1980, elle lui demande de le rejoindre

à Trouville où elle réside de temps à autre dans

son appartement face à la mer. Il a 28 ans, elle en

a 66. Alors, commence une vie tumultueuse à

deux, dictée par l’amour des mots.

Elle en a fait son exécuteur littéraire.

En 1992, elle écrira sur lui Yann Andréa Steiner, il

écrira sur elle, M.D., à propos de son hospitalisation

en 1989. Il recueillera le texte de ses derniers écrits,

Écrire et C’est tout, avant qu’elle ne décède le 3

mars 1996. yann Andréa disparaît alors pendant

deux ans jusqu’à ce qu’il revienne avec Cet amour-

là, récit de ces seize années avec elle qui sera adapté

à l’écran par josée Dayan avec jeanne Moreau

incarnant l’immortelle Marguerite Duras.

Page 72: Bat'Carré N°11

PAPILLES EN FÊTE · 70 RECETTE BENOÎT VANTAUX

PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC

Noisettes de filet d’agneau rôtiau sucre Amami Oshima, pleurotes et patates douces

Recette de l’Atelier de Ben

Page 73: Bat'Carré N°11

Ingrédients

pour quatre personnes

800 g de filet d’agneau

25 cl jus d’agneau

20 g de sucre noir Amami Oshima

2 g de xérès

200 g de pleurotes

400 g de patates douces

30 g de beurre

Ail et persil

Recette par étapes

1 Cuire en robe des champs les patates

douces, peler et écraser à la fourchette

avec du beurre.

2 Dans une casserole faire fondre

le sucre Amami Oshima avec le xérès

et mouiller avec le jus d’agneau faire

réduire à consistance légèrement

sirupeuse, si elle est trop sucrée,

équilibrer en ajoutant une goutte

de xérès à nouveau.

3 Cuire à la cuisson souhaitée le filet

puis le trancher en quatre.

4 Faire sauter à feu vif les pleurotes

dans une poêle en ajoutant un peu

d’ail et de persil.

5 Dresser les assiettes avec une

tranche de filet entourée d’une

quenelle de patate douce, de pleurotes

et de pousses de graines germées pour

donner du volume à la décoration.

Parsemer d’une pincée d’ails

et d’oignons frits pour parfaire

le dressage.

En accompagnement de ce plat

fin et léger, la Cave de la Victoire

vous conseille un Morey Saint-Denis

En la rue de Vergy, 2008, domaine

de Michel Gros.

Pour enchanter vos papilles !

Restaurant L’Atelier de Ben 12, rue

de la Compagnie - tel : 0262 41 21 40

Retouvez cette recette filméesur www.batcarre.com

Page 74: Bat'Carré N°11

72 · TAAF TEXTE STÉPHANIE LÉGERON

PHOTOGRAPHIE BRUNO MARIE

LES TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES,

TERRITOIRES RICHES EN BIODIVERSITÉ, REPRÉSENTENT UN IMMENSE ESPACE PROTÉGÉ

DE 2,39 MILLIONS DE KM² DE ZONES ÉCONOMIQUES EXCLUSIVES (ZEE),

RÉPARTI SOUS DES LATITUDES EXTRÊMEMENT VARIÉES, DES PAGES DE SABLE BLANC

SUR LES ÎLES EPARSES À LA CALOTTE GLACIAIRE DE LA TERRE ADÉLIE.

À BORD DU MARION DUFRESNE, LA TROISIÈME OPÉRATION PORTUAIRE DE L’ANNÉE

ASSURE, EN PLUS DES MISSIONS LOGISTIQUES, LA RELÈVE DES ÉQUIPES SCIENTIFIQUES

ET MARQUE LE DÉBUT DES CAMPAGNES ESTIVALES DE RECHERCHES.

DESTINATION, LES ÎLES KERGUELEN, SITUÉES À UNE LATITUDE PROCHE DE 50° SUD,

DANS LA ZONE DITE DES « CINQUANTIÈMES HURLANTS ».

terresaustrales et antarctiques françaises

Escale à Kerguelen

Page 75: Bat'Carré N°11

L’ANSE DU GROS VENTRE SUR LA PÉNINSULE RALLIER DU BATY

Page 76: Bat'Carré N°11

Le « Marduf », de l’avis de tous, n’est pas un bateau

comme les autres. Nous l’avions quitté l’an dernier

à Crozet, suite au ragage à l’ouest de l’île de la

possession qui occasionna l’évacuation des pas-

sagers. Réparé en cale sèche à Durban, en Afrique

du Sud, le navire ravitailleur et océanographique

des TAAF reprenait du service deux mois plus

tard. Remis de son infortune, le Marion resplendit

maintenant au soleil, fin prêt à parcourir les 9 000

kilomètres de la rotation australe. Nous sommes

105 passagers à bord. Les marins s’affairent à leurs

postes. Bientôt les amarres se détachent. Nous

franchissons la sortie du chenal, en partance vers

le grand sud. Quelques dauphins bondissent de-

vant la proue. À perte de vue, l’océan calme et bleu.

Un souffle de liberté gagne l’étrave où se sont

réunis pour l’appareillage de nombreux passagers

de cette « Op » qui s’annonce exceptionnelle. Si la

météo le permet, la tournée de ravitaillement des

îles subantarctiques sera jalonnée de sites rarement

approchés : îles Froides à Crozet, îles Nuageuses,

arche des Kerguelen...

Deux semaines se sont déjà écoulées. Le temps

passe vite. Les échanges à bord sont continuels.

Du matin jusqu’au soir, la vie en communauté.

Des affinités se créent. photographie, repas, confé-

rences scientifiques, projections de documen-

taires rythment les journées. Avant l’arrivée à

Crozet, la houle s’est enflée, faisant tanguer et rou-

ler le navire. Des paquets de mer se sont abattus

sur le pont, les embruns ont déferlé. par mesure

de sécurité, les accès extérieurs ont été fermés. Le

commandant a annoncé des creux de douze

mètres. Quelques précautions étaient vite de mise :

rangement, amarrage des sacs à dos dans les

cabines, prise d’appuis sous la douche, vigilance

au cours des repas, pose de patchs derrière l’oreille

pour les âmes sensibles aux humeurs du grand

large.

Depuis l’appareillage au port de la pointe des

galets, nous sommes descendus une fois à terre,

dans un grand champ d’albatros. À pointe Basse,

site protégé de Crozet où nichent les albatros

hurleurs. L’envergure de ces oiseaux embléma-

tiques des mers australes, les plus grands repré-

sentants de leur espèce, peut dépasser trois mètres.

Comme nous l’a expliqué Fabrice de la réserve

naturelle des TAAF, des tendons bloquent les

articulations de leurs ailes, leur permettant d’éco-

nomiser leur énergie en vol. Ils utilisent la force

du vent pour planer sans effort au-dessus des

vagues et sillonner les immensités océaniques.

Nous avons ainsi photographié ces infatigables

voiliers qui par contraste avec leur aisance aérienne

se meuvent si maladroitement au sol. En contre-

bas, de petits manchots avaient élu domicile dans

les anfractuosités d’une falaise, les gorfous maca-

ronis, au bec et aux yeux rouges, coiffés « punk »

avec leurs aigrettes jaunes.

Le Marion maintient son cap à bonne vitesse vers

les îles Kerguelen, attirant dans son sillage les oi-

seaux des mers subantarctiques. Albatros, pétrels,

damiers du Cap et prions voltigent au ras de l’eau,

tourbillonnent, virevoltent autour du navire. Les

moins farouches le longent à quelques mètres du

bastingage, l’œil inquisiteur.

Le navire n’est plus qu’à quelques milles au nord-

ouest de la grande Terre. La mer moutonne.

Nous sommes en vue de petites îles. Ce sont les

Nuageuses, ainsi nommées par le capitaine bri-

tannique james Cook qui aborda en 1776 ces

côtes fréquemment nimbées de brouillard. À

l’horizon, la péninsule Loranchet étire une ligne

sombre. Imperceptiblement les reliefs se dessi-

nent. Bruno cherche des yeux ce qui symbolise

la porte d’entrée de la grande île mythique. Il

reconnaît les deux colonnes immuablement an-

crées dans la mer. Vestiges du volcanisme originel,

elles se dressent à 103 mètres d’altitude. On imagine

l’arche naturelle avant que l’érosion n’emporte sa

voûte de basalte entre 1908 et 1913, dates des

expéditions de Raymond Rallier du Baty. Cette

curiosité géologique ne manqua pas d’attirer

l’attention des navigateurs depuis sa découverte

en 1774 par yves de Kerguelen de Trémarec.

Il est rare que le Marion Dufresne passe par ici.

jean-paul Kauffmann, auteur du très bel ouvrage

74 · TAAF

Page 77: Bat'Carré N°11

« L’arche des Kerguelen » n’a pas eu cette chance…

Nous profitons de la nôtre d’autant plus que

les TAAF nous proposent un survol en hélico.

Rendez-vous sur la « DZ » (Drop Zone). Les pales

vrombissent dans l’air froid au-dessus de la cabine

de pilotage. L’équipe logistique de la plateforme

nous fait signe de monter. Ouverture des vitres et

calage des boîtiers pour éviter les reflets et les

vibrations indésirables. Vue du ciel, l’arche effondrée

révèle des angles inédits. L’appareil d’hélilagon

s’enfonce maintenant dans la baie. Sur le sable

dur, de lourds éléphants de mer se prélassent. Des

dizaines de manchots royaux sont attroupés dans

leur costume noir et blanc sur un petit coteau

herbeux irrigué par deux cascades. Nous nous

éloignons de l’hélicoptère et retirons nos gilets de

sauvetage. Cette plage a gravé son nom dans

l’histoire de l’archipel. C’est ici, dans la Baie de

l’Oiseau, qu’eut lieu en 1774 la prise de possession

officielle des îles Kerguelen par la couronne fran-

çaise, lors de la seconde expédition d’yves joseph

de Kerguelen de Trémarec. Le Sergent Lafortune,

qui accosta depuis le canot Le gros Ventre, écrivit

dans son journal : « Nous laissâmes sur le rivage

avant de nous embarquer des lettres dans plusieurs

bouteilles, de la monnaie de France et un pavillon

blanc. » De retour à bord, un cadre enchanteur

nous attend pour dîner : à travers le hublot, l’arche

des Kerguelen s’irise doucement dans la lumière

du crépuscule.

Un mois à Kerguelen, une durée suffisante pour

permettre de parcourir quelques-uns des sites

extraordinaires que recèle cet archipel jadis sur-

nommé « îles de la Désolation ». Quand nous ne

sommes pas en randonnée pendant plusieurs

jours, nous logeons sur la base de « pAF ». À port-

aux-Français, les installations étonnent par leur

modernité et leur confort, quelque peu insolites

si l’on se remémore l’éloignement des lieux : la

terre habitée la plus proche, l’île de La Réunion,

est distante de 3 490 kilomètres !

La station technique et scientifique de port-aux-

Français est l’unique établissement permanent

des îles Kerguelen. Accueillant entre 45 personnes

pendant l’hiver austral et 120 personnes pendant

l’été, elle a tout d’un village miniature. Les rési-

dents disposent d’infrastructures de qualité :

chambres spacieuses, salle de restauration, bar,

bibliothèque, cinéma et petit hôpital, respective-

ment appelés « Cinéker » et « Samuker » dans le

lexique taafien, gérance postale, salle de muscu-

lation, boutique « Coop »… Au-delà des moyens

nécessaires au bon déroulement de la vie quoti-

dienne, la plus grande base des TAAF affiche une

technologie de pointe : laboratoires de biologie et

géophysique, station Météo France, centre spatial

de suivi des satellites...

Dès notre arrivée à Kerguelen, nous accompa-

gnons trois ornithologues de la réserve naturelle

des TAAF, avec lesquels nous effectuons une ran-

donnée en terrain escarpé à l’île haute, au sud-

ouest de la péninsule Courbet. La petite île de 6 km

de long pour 2 km de large domine le golfe du

Morbihan du haut de ses 300 mètres, offrant de

beaux panoramas sur les nombreuses îles alen-

tours. Nous repérons les empreintes de l’unique

mouflon rescapé de la campagne d’éradication

lancée par les TAAF. Seules traces visibles laissées

par ce survivant solitaire qui continue de se jouer

des chasseurs et d’échapper aux regards…

Nous sommes début décembre. Dans un site cette

fois très éloigné de la base, nous allons retrouver

une autre équipe d’ornithologues : le canyon des

Sourcils Noirs sur la presqu’île jeanne d’Arc. À

partir de port-aux-Français, ce sanctuaire d’alba-

tros, haut-lieu de l’ornithologie à Kerguelen, est

accessible après une demi-journée à bord du

chaland l’Aventure II, qui nous dépose au halage

des Naufragés, puis quatre heures de transit à

pied. Le temps se couvre. Nous avons en ligne de

mire la « grenouille », bloc de roche qui surplombe

en saillie le haut versant que nous allons gravir.

Le ciel de traîne signale le passage récent d’un

front froid. Subitement, une averse de grésil nous

gifle le visage. La fraîcheur de l’air pénètre à travers

nos gants. Le poids des sacs à dos se fait sentir

mais la moindre pause nous refroidit vite. Le gré-

sil fait place aux flocons, et tout à coup c’est fini, le

ciel commence à se dégager. Nous étions prévenus,

Page 78: Bat'Carré N°11

76 · TAAF

LE MARION DUFRESNE AVEC EN ARRIÈRE-PLAN LE FRONT DU GLACIER COOK

Page 79: Bat'Carré N°11

la météo est très changeante à Kerguelen. Arrivés

au sommet, s’ouvre devant nous un grand désert

de rocaille qui décline en pente douce dans les

nuages. À l’horizon, on imagine le canyon des

Sourcils Noirs, refuge de milliers d’albatros qui

plonge ses falaises dans l’eau glacée. Vers la fin

du transit, au sol dur et instable se substituent les

souilles, flaques boueuses dans lesquelles nous

enfonçons nos guêtres. Le point gpS manquant

de précision, nous cherchons le chalet dans les

renfoncements du canyon, et découvrons sa

position dans les tout derniers mètres. Le mode

de vie dans les cabanes ou « arbecs » a un aspect

amusant et atypique que nous ne tardons pas à

apprécier. L’accueil de nos quatre hôtes scienti-

fiques est convivial et chaleureux. Le chalet est

fonctionnel, composé d’une cuisine où brûle un

petit radian, de deux chambres à lits jumeaux

superposés, d’une mezzanine et de sanitaires.

Boîtes de conserve et produits secs sont fournis

par l’IpEV dans des touques hélitreuillées depuis

le Marion Dufresne.

pour aller d’un point à l’autre, il est nécessaire de

parcourir de longs itinéraires à pied. La marche

fait partie intégrante du voyage. Il faut cette lenteur

dans les déplacements pour s’immerger en pleine

nature et se rendre compte des distances. Avec

6 675 km², la grande Terre est la troisième plus

grande île française après la Nouvelle Calédonie

et la Corse. Elle est aussi la plus vaste de toutes

les îles subantarctiques. Les randonnées y sont

relativement ardues compte tenu des risques

d’intempéries et des terrains qui ralentissent la

progression, comme les champs d’acaena, rosa-

cée native de Kerguelen, que nous traversons dans

la péninsule Courbet. À l’issue de deux jours de

randonnée et de prises de vues, nous posons nos

sacs à dos au cap Ratmanoff. Une foule compacte

colonise des kilomètres de plage. Devant nous

sont rassemblés près de 300 000 manchots royaux.

Face à une telle démesure, il est aisé de compren-

dre que Kerguelen ait fait rêver les plus grands

navigateurs.

L'ARCHE DES KERGUELEN, PORTE D'ENTRÉE DE L'ARCHIPEL

Page 80: Bat'Carré N°11

Les moments de contemplation sont fréquents

dans les TAAF, survenant au hasard d’une plaine

nue et venteuse à vous donner le vertige, face

aux mimiques cocasses des manchots, ou encore

au milieu des rangées de chaudrons rouillés

déversés par l’ancienne usine baleinière de port

jeanne d’Arc.

En dépit du déchaînement de la mer, du froid,

de la puissance incessante du vent qui fait de

l’archipel une terre sans arbres, Kerguelen attire

et magnétise. par sa minéralité, ses lumières

diffuses, ses ciels chargés. L’archipel garde une

très grande part de mystère. De péninsules mo-

notones en reliefs acérés, d’à-pics dangereux en

plages poudrées de neige, les paysages distillent

la beauté du dépouillement. Les conditions clima-

tiques sévères et l’éloignement des terres désolées

ne sont pas favorables à l’installation humaine,

certes. Mais quand au détour d’étendues âpres et

dénudées surgissent les éléphants de mer, les

colonies de gorfous sauteurs ou les majestueux

albatros fuligineux, le grand archipel cesse d’ins-

pirer la désolation et ne peut que fasciner chacun

de ses visiteurs.

Stéphanie Légeron et Bruno Marie préparent un livre inédit sur les TAAF qui devrait sortir d’ici la fine de l’année 2014.

78 · TAAF

SUR L'ÎLE DU CIMETIÈRE ONT ÉTÉ RECENSÉES UNE TRENTAINE DE TOMBES DE CHASSEURS AMÉRICAINS, DATANT DU MILIEU DU XIXE SIÈCLE

Page 81: Bat'Carré N°11

BAT’ CA

RR

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NUMÉRO 1 // JUILLET - AOUT 2011

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LISBONNEÀ L’OMBRE DES CONQUISTADORS

RENÉ ROBERTLE FEU SACRÉ DE LA TRANSMISSION

TERRE DE PASSION

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É T’NUMÉRO 9 // AVRIL-MAI 2013

LEU TEMPO15 E ÉDITION

RENCONTRE AVEC ÉRIC LANGUET

HAMPILE ROYAUME OUBLIÉ

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BAT’ CA

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NUMÉRO 2 // OCTOBRE - NOVEMBRE 2011

VOYAGE DANS LE PATRIMOINEÀ LA RÉUNION

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NUMÉRO 10 //SEPTEMBRE-DÉCEMBRE 2013

CULTUREMANGA

RENCONTRENICOLAS GIVRAN

& DES HOMMES

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NUMÉRO 3 // DÉCEMBRE 2011 - JANVIER 2012

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des jouets

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NUMÉRO 11 //AVRIL - MAI - JUIN 2014

MARGUERITEDURASLA PASSIONNÉEPRIX MÉTIS MIANO & LADJALI

RENCONTRE AVECLOLITA MONGA

ROSEMARY NALDEN& LE BUSKAID SOWETO

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É T’NUMÉRO 4 // FÉVRIER - MARS 2012

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���������UN PARADIS TOUT PRÈS D’ICI

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É T’NUMÉRO 5 // AVRIL - MAI 2012

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É T’NUMÉRO 6 // SEPTEMBRE - OCTOBRE 2012

PATAGONIEFIN ET COMMENCEMENT D’UN MONDE

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É T’NUMÉRO 7 // NOVEMBRE - DECEMBRE 2012 // JANVIER 2013

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É T’NUMÉRO 8 // FÉVRIER-MARS 2013

MAFATELA VIE AU-DESSUS DES NUAGES

RENCONTRE AVEC TIERNO MONÉNEMBO

BATAYE KOKJIM, UNE PURE LÉGENDE

���������LE PAYS DU MATIN CALME

Une année en compagnie de Bat’carré, le magazine de toutes les balades.

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80 · RENDEZ-VOUS BD EN COLLABORATION AVEC DES BULLES DE L’OCÉAN

LA FANTAISIE DES DIEUX

en cette date anniversaire du génocide au rwanda qui a entraîné la mort de 800 000 rwandais, principa-lement des tutsis mais aussi des Hutus opposants, le journaliste patrick de saint-exupéry nous livre cet albumdocumentaire dessiné par Hippolyte. présent en 1994, il est revenu sur les lieux avec Hippolyte, à la rencontredes rares témoins rescapés. du 6 avril au 10 juillet 1994, huit mille personnes, sans armes ni défense, sonttuées par jour, en moyenne. Flash-back sur l’opération turquoise, les zones d’ombre du rôle de la Francelors du massacre de bisesero, lieu historique de résistance des tutsis. au travers de cet album-reportage,ancré dans l’histoire, les mots jaillissent comme des coups de poignard : « cette bande dessinée est stricte-ment la réalité. ce sont des mots qui ont été prononcés. chaque image est exacte. il n’y a pas une virgulede fiction. » ainsi, la légèreté du trait peut rendre compte de cette folie exterminatrice où l’horreur est esquissée,le silence de la mort aussi.

AUTEURS Hippolyte et Patrick de Saint-ExupéryÉDITEUR Édition des Arènes

L’HÉRÉTIQUE

couverture grise, sombre, à l’image du naufrage, et pages intérieures lumineuses, avec un air de tintin, cetalbum, à l’inverse des autres, n’annonce pas la couleur. en suivant à la trace le naufragé volontaire d’alainbombard, paru il y a 60 ans, sébastien Gannat restitue fidèlement le récit de cette aventure incroyable, latraversée de l’atlantique en canot pneumatique sans eau, ni vivres grâce à laquelle alain bombard adéveloppé des méthodes de survie en mer. sébastien Gannat lui rend un bel hommage avec cet albumpassionnant, plein de vie, de courage et de ténacité.

AUTEUR Sébastien GannatÉDITEUR Des bulles dans l’océan

MARRAKECH

depuis 2010, casterman et lonely planet éditent une nouvelle collection d’itinéraires dans les villes. le proposest de sortir des sentiers battus avec des descriptions de sites, des anecdotes historiques, des ambiancesintimes, des paradis cachés… l’ensemble magnifiquement illustré par des auteurs qui connaissent particu-lièrement bien la ville ; François schuiten pour bruxelles, jacques Ferrandez pour marrakech. de quoi rêver,flâner en douceur, en feuilletant chez soi ces guides pleins de saveurs et superbement illustrés.

AUTEURS Jacques Ferrandez et Olivier CirendiniÉDITEUR Lonely Planet et Casterman

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