Progressistes n° 7

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N o 7 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 DOSSIER x ÉNERGIES RENOUVELABLES DANS CE NUMÉRO n 10tarif de soutien – 5tarif étudiant, chômeur, faibles revenus - 7tarif normal SCIENCE x LES RÉACTEURS À SELS FONDUS Par Jean-Pierre Demailly TRAVAIL x LES DYNAMIQUES LIBÉRALES DU NUMÉRIQUE Par Francis Velain ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ x LES RISQUES INDUSTRIELS EN FRANCE Par Yvette Veyret

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No 7 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

DOSSIER x

ÉNERGIES RENOUVELABLES

DANS CE NUMÉRO

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SCIENCE xLES RÉACTEURS À SELS FONDUS Par Jean-Pierre Demailly

TRAVAIL xLES DYNAMIQUESLIBÉRALES DU NUMÉRIQUEPar Francis Velain

ENVIRONNEMENTET SOCIÉTÉ xLES RISQUES INDUSTRIELS EN FRANCEPar Yvette Veyret

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SOMMAIRE

ÉDITO Donner la parole aux véritables acteurs de la science et des technologies... Pierre Laurent ........................................3

DOSSIER : ÉNERGIES RENOUVELABLESIntroduction : Débat sur l'énergie : et si on y mettait un peu de chaleur… renouvelable Amar Bellal .......................................... 5

Une réalité mondiale ...............................................................................................................................................................................6

France : développer l’usage de la chaleur renouvelable Hervé Nifenecker ........................................................................................8

La biomasse, une énergie renouvelable Paul Mathis ..........................................................................................................................10

La géothermie, une énergie écologique, renouvelable, non intermittente Ludovic Zanolin ..........................................................11

Le solaire thermique Claude Acket ...........................................................................................................................................................14

Pas d’énergie renouvelable sans matériaux rares Sébastien Elka .....................................................................................................15

Les contraintes du système électrique François Poizat ........................................................................................................................16

Stockage de l’électricité : le talon d’Achille de la filière énergétique Christian Ngô .....................................................................18

La quête de l’autonomie énergétique Amar Bellal ..............................................................................................................................20

Énergie renouvelable : les incohérences de l’Europe libérale Valérie Goncalves .............................................................................22

Industrie et énergies nouvelles renouvelables Fabrice Angéi ..............................................................................................................24

ADEME : le scénario aux pieds d’argile Jean-Claude Cauvin ................................................................................................................26

Énergie : entre illusions, intentions et réalité Claude Aufort ...................................................................................................................27

BRÈVES............................................................................................................................................................................................. 30-31

SCIENCE ET TECHNOLOGIEÉNERGIE Une ressource énergétique vitale encore inexploitée : les réacteurs à sels fondus en cycle thorium Jean-Pierre Demailly ......................................................................................................32

RECHERCHE La nature des découvertes et le caractère hasardeux des recherches Evariste Sanchez-Palencia ............................34

ÉPISTÉMOLOGIE La rationalité, la science et le scientisme Yvon Quiniou .............................................................................................36

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIESANTÉ PUBLIQUE Don de sang, médicaments dérivés… Éthique ou marchandisation ? Jean-Pierre Basset ..................................38

MÉDECINE DU TRAVAIL Santé au travail : quel pouvoir du médecin du travail ? Anne Rivière ...........................................................40

NOUVELLES TECHNOLOGIES Les dynamiques libérales du numérique Francis Velain ...........................................................................42

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉSÛRETÉ INDUSTRIELLE Les risques industriels en France Yvette Veyret ....................................................................................................44

RESSOURCES L’eau : ressource vitale et matière première du futur Stéphane Sarrade .......................................................................48

MARCHÉ CARBONE Le climat sauvé par la banque et l’entreprise ? Jean-Claude Cheinet ...................................................................50

TRANSPORTS Autoroute ferroviaire Lille-Bayonne vue depuis Tarnos : l’envers du décor Lise Toussaint ........................................52

ÉCOLOGIE Protéger la nature : un impératif pour un développement humain durable François Ramade .....................................54

LIVRES..................................................................................................................................................................................................... 56

POLITIQUE Du côté du PCF et des progressistes ................................................................................................................................... 58

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE Pour nourrir la recherche et le progrès scientifique, Nicolas Malaquin ..........................59

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

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ÉDITORIAL

humain d’abord » dit nos valeurs, notreobjectif, le chemin pour y parvenir. Ce choix vaut pour les sciences et les

technologies. Nous n’avons ni à les subir ni à en attendre le remède miracle à la crise, aux iné-galités et aux injustices.

Nous savons d’expérience que le progrès scienti-fique et technique ne signifie pas mécaniquementle progrès social. Souvent même, dans ce mondecapitaliste et inégalitaire, dangereux pour l’envi-ronnement, il permet des régressions spectacu-laires. La puissance mondiale des marchés finan-ciers naît aussi de la puissance de l’informatique.

Pour satisfaire les besoins de chacun des humainssur cette planète, la performance en soi n’est pastoujours nécessaire. Elle doit s’accompagner de la recherche d’une économie de moyens.

Plus l’intelligence intégrée dans les outils est grande,plus ceux qui les utilisent doivent être formés. Plus la technique est forte, plus la politique doitreprendre ses droits.

Aujourd’hui, tout est possible ou presque, tout vatrès vite ou presque, alors comprendre ce qui arrive,en mesurer les enjeux, ne pas subir, pouvoir direson mot deviennent les exigences de notre époque.

Le progrès ne vaut que s’il est partagé. Celles etceux qui créent et produisent les richesses doiventen être les premiers destinataires. Le travail, larecherche doivent passer avant le capital. Le par-tage des avoirs doit s’accompagner du partage des savoirs et des pouvoirs.

Il s’agit de faire de la société, du peuple, les déci-deurs. Plus les possibles sont nombreux, plus ladiscussion sur ce qui est bon de faire, pour qui

et pour quoi, devient essentielle. Plus les citoyensdoivent être appelés à participer et plus la sociétédoit leur en fournir les moyens.

On nous dit que la science et la technique sont desobjets trop complexes pour en saisir le commundes mortels. C’est, au contraire, de leur non-participation au choix que naissent leurs peurs.

Les soi-disant experts, toujours les mêmes, expli-quent en permanence ce qu’il faut penser. Il vau-drait mieux donner la parole aux véritables acteursde la science et des technologies, aux syndicalistes,aux consommateurs, aux usagers, aux citoyens.

82 % des Français pensent que « si on nous écou-tait les choses iraient mieux ». Nous le pensons aussi.La démocratie est fondée sur l’idée que, quels quesoient son histoire, son niveau de vie, son intelli-gence, sa culture, chaque individu doit pouvoir par-ticiper, à égalité, aux choix politiques. L’impact dessciences et des techniques sur nos vies est tel qu’ellesdevraient faire l’objet de débats populaires et dedécisions elles aussi démocratiques.

Plus la puissance des outils est grande, plus il fauten évaluer les effets, plus le peuple doit en être saisi.Pour aller vers une société plus humaine, nousavons besoin de citoyens plus savants et d’unescience citoyenne.

Progressistes, qui fête ses deux ans d’existence, estun de ces outils précieux permettant le partage del’information, des savoirs et nous questionne surles enjeux scientifiques et techniques. Un grandbravo à l’équipe de rédaction qui anime ce travaildepuis deux ans. n

PIERRE LAURENTSECRÉTAIRE NATIONAL

DU PCF

«Donner la parole aux véritablesacteurs de la science et des technologies, aux syndicalistes,aux consommateurs, aux usagers, aux citoyens»

«L’

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

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5DOSSIER

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a production de chaleur est souvent la grande oubliée desdébats autour de la transition énergétique. Dans les dis-cussions, l’énergie se réduit à l’électricité, et on consacre

peu de temps pour parler du gaz et du pétrole, qui représententprès des 75 % de notre consommation, principalement pour lechauffage et le transport. Les énergies renouvelables n’échappentpas à la règle : pour beaucoup, ce sont avant tout les énergies nou-velles – éolienne et solaire photovoltaïque – qui produisent del’électricité ; on oublie au passage l’hydraulique, celle qui en produit le plus ; et quant aux énergies produisant de la chaleur,elles arrivent loin derrière. Une perception et un imaginaire quise trouvent être l’exact inverse pour ce qui est de leur importancerespective dans les bilans nationaux.Les énergies renouvelables sont beaucoup plus efficaces dans laproduction de chaleur, et c’est pour cela qu’elles devraient êtredéveloppées prioritairement dans ce domaine. De quoi parle-t-on ? De la biomasse, des déchets, de la géothermie, du solaire thermique, qui ont beaucoup moins de place dans les médias.

Ainsi, comparons les deux technologies solaires : d’une part, les très médiatisés panneaux photovoltaïques et, d’autre part, les chauffe-eau solaires.

D’un côté, nous avons des appareils produisant de l’électricitéavec un rendement assez faible (ne serait-ce qu’au regard de l’éner-gie nécessaire à leur fabrication), et chers à un tel point que leurinstallation n’est possible que conditionnée à des montages finan-ciers incluant le rachat – obligatoire et à un tarif très élevé – par EDF de leur production. Point donc d’autoconsommation pour les habitants, le photovoltaïque en est réduit à un vulgaireinvestissement financier.

De l’autre côté, nous avons les chauffe-eau solaires, avec unetechnologie assez rudimentaire, efficace et utilisée massivementdans le monde entier : il s’agit appareil constitué d’un simpleréservoir d’eau de couleur noire, muni d’un peu de tuyauterie,qui, exposé au soleil, permet d’économiser autant d’énergie fos-sile. Pourtant, ces chauffe-eau restent encore très chers fauted’une production massive qui ferait baisser les prix, de sorte queleur coût se limiterait pratiquement à l’installation par des artisans.

Si les chauffe-eau solaires ne sont pas pris autant au sérieux quele photo voltaïque, c’est qu’il est difficile de faire des profits avecde l’eau chaude. Alors que revendre son électricité avec des tarifs garantis… la bonne affaire !

Autre exemple, le bois : il peut être utilisé directement dans des chaufferies collectives ou dans des chaudières individuelles.C’est efficace sur le plan environnemental à condition de bien gérerles ressources forestières et d’avoir des dispositifs filtrant les pous-sières des cheminées. Et pourtant, aujourd’hui des projets de centrales au bois fleurissent partout, non pas pour produire de lachaleur mais de l’électricité ! Et toujours la même motivation finan-cière: avec la revente de l’électricité produite à tarifs garantis. Utiliserainsi cette ressource est un vrai gâchis car les rendements sontmédiocres, avec le facteur aggravant suivant : le bois est importéjusque d’Amérique du Sud ! Là encore il est question d’investisse-ments très profitables sous couvert d’écologie pour une ressourcerenouvelable qui devrait être réservée à la production de chaleur.Mais difficile de vendre de la chaleur sur un marché, d’où l’orien-tation préférentielle des investissements.

Il faut sortir les énergies renouvelables des griffes du marché et lesdévelopper là où elles sont le plus efficaces en ayant pour critèrel’intérêt collectif, et donc aussi celui de l’environnement. Mais pointde dogmatisme ici, ceci vaut aussi pour le nécessaire développe-ment des technologies nouvelles, photovoltaïque et éolien, produi-sant de l’électricité, sachant qu’il faut poursuivre les recherchesvisant à résoudre l’épineux problème du stockage.Cette réflexion reste essentielle pour contribuer à répondre audroit à l’énergie partout et pour tous dans le monde, tout en faisant face à l’épuisement des ressources et en réduisant nos émis-sions de gaz à effet de serre. n

AMAR BELLALRédacteur en chef de Progressistes.

ÉNERGIESRENOUVELABLES

DÉBAT SUR L'ÉNERGIE : ET SI ON Y METTAITUN PEU DE CHALEUR… RENOUVELABLE

L

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

DOSSIER ÉNERGIES RENOUVELABLES6

Les énergies renouvelables représentent près de 13 % de laconsommation primaire d’énergie mondiale. L’essentiel decette énergie est issue de l’hydraulique et de la biomasse.

UNE RÉALITÉ MONDIALE

BILAN MONDIAL EN ÉNERGIE PRIMAIREBiomasse. Elle représente 10 % del’énergie primaire dans le monde,soit l’essentiel des énergies renou-velables. Elle comprend le bois, lecharbon de bois, les déchets agri-coles ou de l’industrie alimentaire,les déjections animales, les agro -carburants. Elle est renouvelabledans la mesure où les plantes re -stockent le carbone dégagé par com-bustion grâce à la régénération dela biomasse par photosynthèse. Maisce n’est pas toujours le cas : il fautcompter les déforestations sans reboi-sement, la surexploitation de la forêt,comme en France, les plantationsde palmiers à huile se substituant àdes forêts tropicales…L’essentiel des 10 % mentionnésconcerne le bois de chauffe dans lespays développés, et ailleurs dans lemonde surtout le milliard de per-sonnes qui utilisent exclusivementla biomasse comme énergie : ce n’estpas là un signe de pratique écolo-gique mais tout simplement de sous-développement, avec une espérancede vie faible, comme en Afrique, oùla biomasse (bois, excrément d’ani-maux) représente près de 50 % del’énergie primaire. Concrètement,chaque jour les femmes et les enfantsconsacrent de longues heures à allerchercher du bois pour cuire les ali-ments ; par ailleurs, l’OMS estime àplus de 2 millions de morts par anles victimes de l’inhalation des fuméesde cuisson.Hydraulique. Elle représente 2,5 %de l’énergie primaire mondiale.Destinée exclusivement à la produc-

tion électrique, elle correspond à16 % de l’électricité mondiale (contre40 % pour le charbon, 21 % le gaz,14 % le nucléaire, 5 % le pétrole et3,5 % le solaire, l’éolien et la géother-mie). Il y a pratiquement saturationdes capacités de production en France,et en Europe. Par contre, en Asie,Amérique du Sud, Russie et surtoutAfrique, il reste encore un très fortpotentiel. Cela dit, les investisse-ments sont lourds – même si aprèsamortissement le prix de l’électri-cité est un des plus faibles –, ce quisuppose, pour le continent africainnotamment, des financements inter-nationaux sur la base d’une vérita-ble aide au développement. Si l’hy-draulique dégage peu de CO2, d’autresproblèmes se posent : inondation degrandes surfaces, déplacement depopulation, écosystème fortementperturbé, risque de rupture. En France11 % de l’électricité est produite parhydraulique. Cette énergie permetune production de base, mais ausside répondre (avec le thermique) auxpériodes de pointe de consomma-tion. Elle permet en outre, par lesSTEP (station de transfert d’énergie

par pompage), de gérer le surplusd’énergie produite par le nucléaire.Ainsi, la Suisse, notamment, stockede l’eau en altitude grâce à des pompesalimentées par de l’électricité nucléairefrançaise, peu chère la nuit, puis vendson électricité à l’Italie, le jour, au prix fort et avec le label « vert »hydraulique…La privatisation en cours de l’hy-draulique s’avérera catastrophiquepour l’équilibre du réseau, car lesopérateurs privés pourront exercerun chantage au tarif en période depointe.Éolien, solaire thermique, solairephotovoltaïque, géothermie. Au total,ces sources ne représentent que 1,1 %de l’énergie primaire mondiale, 8 %de la totalité des énergies renouve-lables ou encore 3,5 % de la produc-tion d’électricité. On le comprend,illustrer un article de presse qui traitede la place des énergies renouvela-bles par une photo d’éolienne ou depanneau solaire contribue à donnerune fausse idée de la réalité.

POTENTIALITÉS ET LIMITES DE CHACUNE DE CES ÉNERGIESÉolien. Les plus grosses éoliennesont une puissance de 4 MW, on parlemaintenant pour l’offshore de pro-totype de 10 MW. De gros progrèsont été réalisés en termes de fiabi-lité et de puissance. Malgré cela l'élec-tricité éolienne reste très chère et estlargement subventionnée.Des obstacles physiques et tech-niques sérieux empêchent sondéploiement comme moyen de pro-duction de masse. Le principal pro-blème étant l’intermittence, autre-ment dit le fait que le vent ne soufflepas « à la demande ». Ainsi, pour pro-duire la même quantité d’électricitéqu’une centrale thermique de1 300 MW (qui fonctionne à peu près8 000 h/an), il faut installer 4 fois plusde puissance, soit plus de 5 000 MWd’éolien. Le vent soufflant dans lesmeilleurs sites 25 % du temps, soit2 000 h/an, le reste (6 000 h) est com-blé le plus souvent par des centralesà gaz à démarrage rapide (car le ventpeut cesser en quelques minutes).Tant qu’il n’y a pas de moyen destocker l’électricité en masse, l’éo-lien reste très lié à un développe-ment des capacités en gaz.L’éolien représente 3 % de l’électri-

CONSOMMATION D'ENERGIE PRIMAIRE DANS LE MONDE

(2011)

DÉTAIL DE LA PART DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Géothermie 2%Solaire 2%

Éolien 13%

Déchets 5%

Agrocarburant 21%

Biomasse 26%

Hydraulique 36%

Charbon20%

Pétrole36%

Gaz26%

Nucléaire8%

Renouvelable9 %

Texte tiré de labrochure « Pourune transitionénergétiqueréussie.Contribution au débatpublic». Entéléchargementsur le site pcf.fr

Il est à noter que l’essentiel des énergiesrenouvelables est composé de biomasse (en incluant les agrocarburants et les déchets) et d’hydraulique.

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cité mondiale, 4 % en France, 8 % enAllemagne. Pour un petit pays commele Danemark (l’équivalent d’une régionfrançaise), il est encore possible deproduire plus de 30 % de l’électricitépar ce moyen et importer de l’élec-tricité des pays voisins quand il n’ya pas de vent. À l’échelle d’un grandpays, la limite des 10-15 % sembledifficile à franchir durablement, pourdes questions d'équilibre du réseau.C'est la situation de l'Allemagne, quiatteint difficilement ce chiffre (solaire+ éolien : moins de 12 % en 2012)malgré les milliards investis et enayant saturé tous les sites possibles.Des usages futurs existent : le char-gement de batteries pour les voituresélectriques, ou des usines de fabri-cation de biocarburant seconde géné-ration, qui peuvent être alimentéesen électricité éolienne par temps devent. Ce serait un des moyens pos-sibles de stocker cette énergie et depallier l’intermittence.

LES ÉNERGIES SOLAIRESLe solaire thermique. Il se définitcomme l’utilisation directe de la cha-leur du soleil. Il permet d’obtenir del’eau chaude avec un rendement éner-gétique fort intéressant, mais restetrès peu développé car il dégage peude marge de profit pour le capita-lisme. Les chauffe-eau solaires seraientpourtant d’une grande efficacité pourréaliser des économies d’énergie enévitant le recours au gaz ; en plus il yaurait là un vrai potentiel industrielen France pour étendre ce type d’éner-gie à des millions de logements,comme le fait activement la ville deBarcelone par exemple. D’autresapplications existent, notammentdans la production électrique.Le solaire photovoltaïque.Très appro-prié pour fournir des quantités d’élec-tricité dans des endroits éloignés duréseau électrique ou pour constituerun appoint aux productions centra-lisées. Cela dit, sa contribution restetrès marginale : 0,1 % de l’électricitémondiale.

INTERMITTENCE ET RÉSEAUXUne autre façon de pallier le pro-blème de l’intermittence est de relierles sites de production entre eux :par exemple, quand il n’y a pas devent en Bretagne, il peut y en avoirdans la vallée du Rhône, ce qui pour-

rait compenser, mais cela reste encoreà démontrer (voir fig. 1). De plus, celanécessite l’installation des centainesde kilomètres de lignes haute ten-sion. L’Allemagne va devoir construire4 000 km de lignes électriques pouracheminer l’électricité produite parles parcs éoliens offshore en mer duNord vers le sud de l’Allemagne, làoù se situent les besoins. Il est doncimportant d’inclure le coût de laconstruction du réseau pour trans-porter ce type d’électricité. Il y a donc une croyance répandueà dissiper, car elle va à l’encontre dusens commun : en effet, dans la réa-lité, l’étalement dans le territoire desmoyens de production de très petitetaille impose de multiplier par qua-tre à cinq l'importance des réseauxde transport par rapport à ceux querequièrent les systèmes très concen-trés et centralisés.

LA GÉOTHERMIELa géothermie profonde haute tem-pérature permet de produire de l’élec-tricité, encore très marginale et àl’état de démonstration, limitée éga-lement par les obstacles techniqueset les atteintes à l’environnement(technique analogue à l’exploitationdes gaz de schistes).La géothermie moyenne-basse tem-pérature permet une utilisation enchauffage de logements ; associée àune pompe à chaleur, pour les bassestempératures, elle offre une démul-tiplication de la puissance électrique(pour 1 kW d’électricité alimentantla pompe à chaleur, on extrait 4 kWde chaleur), ce qui pourrait être appli-

qué à des millions de logements enFrance. Un vrai enjeu industriel etune vraie solution de substitution auchauffage électrique par effet Joule.

CONCLUSIONOn peut dire qu’hormis l’hydrau-lique, technologie mature, les autresénergies nécessiteront des sauts tech-nologiques majeurs et la construc-tion de vraies filières industriellespour espérer sortir d’une applica-tion encore marginale, voire confi-dentielle (éolien, solaire thermiqueet photovoltaïque, géothermie avecpompe à chaleur, agrocarburantseconde et troisième génération). Sepose ainsi la question des moyenspour la recherche appliquée, maissurtout fondamentale : en effet, c’estcertainement dans la recherche fon-damentale en physique que desdécouvertes se feront pour augmen-ter les possibilités de stockage d’élec-tricité ou améliorer le rendementphotovoltaïque. n

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Figure 1. Le graphique montre la puissance injectée heure parheure sur le réseau par l’ensemble des éoliennes d’Europe, entrele 1er septembre 2010 et le 28 mars 2011. On constate que, y compris pour de grands espaces comme l’Europe, on a desvariations très importantes et l’effet de compensation (foisonne-ment) ne se traduit guère : il n’y a pas compensation de labaisse ici par une augmentation là ! La puissance installée est de 65 000 MW; elle n’est jamais atteinte : le maximum se situe à environ 60 %, le minimum, en septembre, s’établit à un peumoins de 4 % de la puissance installée. (Source : Hubert Flocard, Sauvons le climat, novembre 2011.)

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8 DOSSIER

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

ÉNERGIES RENOUVELABLES

PAR HERVÉ NIFENECKER*

BAISSER EFFICACEMENT LES ÉMISSIONS DE CO2

François Hollande a fait de la tran-sition énergétique une pierre angu-laire de son quinquennat ; ce qu’ellepourrait être reste cependant à pré-ciser. Un débat sur l’énergie a étéconvoqué pour aider le gouverne-ment à arrêter des choix rationnels.Compte tenu de l’état de l’économiefrançaise, souffrant, entre autres,d’une balance commerciale large-ment déficitaire, toute politique éner-gétique doit faire l’objet d’une opti-misation économique. Il est doncsouhaitable que le développementdes énergies renouvelables se tra-duise par une nette réduction denotre consommation de combusti-bles fossiles, ce qui contribuerait defaçon importante à la diminutiondes rejets de gaz à effet de serre dansl’atmosphère. La France s’est enga-gée à couvrir 23 % de sa consomma-tion d’énergie finale à l’aide d’éner-gies renouvelables. La productionde chaleur renouvelable est uneméthode efficace qui permettraitd’atteindre cet objectif à un coûtmodeste. En diminuant la consom-mation de combustibles fossiles, etdonc les émissions de CO2, ce quidevrait être l’objectif final de la tran-sition énergétique, la balance com-merciale de la France serait grande-ment améliorée.L’habitat et le tertiaire sont de grosconsommateurs de combustiblesfossiles : 7 Mtep (80 TWh) de fioul et18 Mtep (210 TWh) de gaz pour unmontant supérieur à 16 milliardsd’euros par an, contribuant au défi-cit de notre balance commerciale.Ces combustibles fossiles représen-tent 16 % de la consommation éner-gétique finale. En les remplaçant d’ici

à 2030 essentiellement par des éner-gies renouvelables (et, pour le reste,par de l’électricité faiblement car-bonée), on pourrait atteindre les 23 %des énergies renouvelables dans laconsommation finale, sachant quela part actuelle des énergies renou-velables est de 12 %.

On constate que, dès maintenant,l’utilisation de la chaleur solaire pourla production d’eau chaude sani-taire, de la biomasse dans des chau-dières performantes et de la géother-mie de surface par des pompes àchaleur est plus compétitive que lessystèmes fonctionnant au gaz et aufioul.Plutôt que subventionner l’achat desystèmes (pompes à chaleur, cha-leur bois, chauffe-eau solaire), solu-tion onéreuse conduisant souvent àdes effets d’aubaine pour les ven-deurs, il serait préférable de décou-rager l’achat de chaudières à gaz ouà fioul, et ce soit en les mettant horsnormes, soit en instituant un sys-tème de bonus-malus à l’achat.

La durée de vie des chaudières gaz etfioul est de l’ordre de vingt ans, doncla plupart d’entre elles pourront avoirdisparu d’ici à 2035. Les importationsde combustibles auront été réduitesde plus de 10 milliards d’euros par ansur la base des tarifs actuels, l’émis-sion annuelle de 100 Mt de CO2 auraété évitée, et l’objectif de 23 % d’éner-gies renouvelables dans la consom-mation énergétique finale sera atteintsans qu’on n’ait eu à recourir au déve-loppement ruineux de la productiond’électricité par des renouvelablesintermittents.

LES RESSOURCES POUR LA PRODUCTION DE CHALEURLe soleil peut être utilisé pour la pro-duction de l’eau chaude sanitaire(ECS). La consommation d’énergiepour la production d’eau chaude estd’environ 50 TWh, elle devrait attein-dre 55 TWh en 2020. Or le soleil pour-rait en fournir les 3/4, soit environ40 TWh/an.Les besoins de chauffage atteignent380 TWh : 45 TWh fournis par l’élec-tricité, 95 TWh par le bois et 240 TWhpar les combustibles fossiles. L’usagedu bois pourrait fortement augmen-ter, en particulier dans les réseauxde chaleur, et permettre la fourni-ture de 120 TWh/an supplémentaires,en veillant à ce que les nouvelles ins-tallations obéissent aux normes lesplus strictes en ce qui concerne lesémissions polluantes (oxydes d’azote,dioxines, poussières…).Les sondes géothermiques, enfin,captent la chaleur du sol des terrainstraversés. Associées aux pompes àchaleur, elles autorisent le chauffagedes habitations individuelles et d’im-meubles collectifs. Des installationsbien dimensionnées permettent d’at-teindre, et même de dépasser, uncoefficient de performance de 3, soit1 kWh électrique consommé pour3 kWh de chaleur. Peuvent être ainsifournis 80 TWh (7 Mtep), la géother-mie se substituant à des installationsexistantes qui ont recours au gaz, aufioul ou au charbon. La consomma-tion d’électricité associée serait del’ordre de 25 TWh. Cette contribu-tion, avec celle du bois, permettraitde ne plus recourir aux combusti-bles fossiles pour le chauffage et laproduction d’ECS (240 TWh sur untotal de 290 TWh, le solde pouvant

Renoncer aux combustibles fossiles pour la production de chaleur dans le résidentiel et le tertiaire éviterait l’émission de près de 100 Mt de CO2.“ “

L’habitat et letertiaire sont trèsconsommateursde combustiblesfossiles – fioul etgaz – pour unmontantsupérieur à 16 milliardsd’euros par an,contribuant au déficit de la balancecommerciale.

FRANCE : DÉVELOPPER L’USAGE DE LA CHALEUR RENOUVELABLEL’utilisation des énergies renouvelables pour atteindre les butsaffichés d’économie et de préservation du climat est déjà très largement étudiée. Il reste à trouver et/ou à imposer lavolonté politique de faire appliquer ces recherches. Hérvé Nifenecker nous livre ici ses réflexions.

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facilement être fourni par l’effica-cité énergétique et l’électricité directe).

UNE STRATÉGIE POUR « SORTIR DES FOSSILES »La première mesure à prendre seraitd’amender la RT2012 (réglementa-tion thermique 2012), qui exige quela consommation d’énergie primairedes logements neufs soit limitée àmoins de 50 kWh/m2/an. Ainsi, unlogement de 100 m2 chauffé au gazconsommerait 5 000 kWh/an, pro-duisant 1 000 kg de CO2 par an. Avecune conversion de 2,58 entre éner-gie primaire et énergie finale, le loge-ment chauffé à l’électricité ne pour-rait consommer que 1 940 kWh/an.Dans le premier cas, on admet géné-ralement que la production d’eauchaude sanitaire consommerait envi-ron la moitié de la consommationtotale, soit environ 2 500 kWh/an. Onvoit que l’usage de l’électricité nepermettrait pas même aux habitantsde se laver à l’eau tiède. Il est doncclair que la mise en œuvre de la RT2012exclut l’usage de l’électricité.

C’était le but visé par les organisa-tions qui ont eu un rôle déterminantdans la rédaction des lois du Grenelle.Si les normes portaient sur l’énergiefinale et non sur l’énergie primaire,rien ne serait changé pour le gaz,mais l’usage de l’électricité resteraitpossible. Dans ce cas, la quantité deCO2 émis serait de l’ordre de 225 kg/an,soit 4,5 fois moins que dans le casdu gaz. Certains parlementaires

L’usage de la chaleur renouvelable est la voie la moins chère pour atteindre les objectifsque s’est fixés la France, et elle concourt en même temps, de manière très importante, à atteindre un autre objectif, celui de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 23 %par rapport à 1990.

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Votre revue est égalementtéléchargeable gratuitementsur www.progressistes.pcf.fr

La RT2012(réglementationthermique2012) favorisel’usage du gaz.L’amender estune nécessité.

avaient pris conscience de l’absur-dité consistant à favoriser la tech-nique la plus émettrice de gaz à effetde serre ; rien n’y a fait, et même lespompes à chaleur ont été excluesdes logements neufs.Il faut donc amender la RT2012 soiten définissant des normes en éner-gie finale, soit en ajoutant unecontrainte sur les émissions de CO2,ce qui serait conforme à l’esprit dela loi Grenelle.L’obligation d’achat de l’électricitéproduite par l’éolien et le photo -voltaïque est une pratique ruineusequi n’offre aucun intérêt (sauf pourles industriels regroupés dans leSyndicat des énergies renouvelables[SER] et France Énergie éolienne),ni pour diminuer les émissions deCO2 ni pour améliorer la balancecommerciale. La suppression descontrats futurs permettrait auxconsommateurs d’économiser envi-ron 70 €/MWh à l’horizon 2030, soitprès de 28 milliards d’euros par an.

ÉTENDRE L’ASSIETTE DE LA CSPELa CSPE (contribution au servicepublic de l’électricité) a atteint 7 mil-liards d’euros en 2013. Elle a conduità une augmentation de la factured’électricité de 16 %. Il faudrait qu’ellesoit payée également par les consom-mateurs de gaz et de fioul. Elle pas-serait alors à environ 10 % de la fac-ture énergétique. Le prix de l’électricitédiminuerait de 6 %, et celui du gazet du fioul augmenterait de 10 %.Il s’agit de définir des normes deconsommation de combustibles fos-siles par mégawattheure de chaleurproduite telles que, en pratique, leschaudières au fioul et au gaz devrontêtre retirées du marché du neuf. Onl’a dit, la durée de vie des chaudièresétant de l’ordre de vingt ans, le parcde chauffage serait pratiquementrenouvelé d’ici à 2035.Remplacer les combustibles pour laproduction de chaleur exclusivementpar l’électricité demanderait d’ac-croître les besoins de celle-ci de290 TWh/an, soit la production deprès de 25 EPR à construire d’ici à2030. C’est irréaliste !Une augmentation du prix de l’élec-tricité de 20 % rendrait compétitivela production de chaleur par les éner-gies renouvelables. Alternativement,des bonus pourraient être affectés

aux techniques de production dechaleur renouvelable. Pour accélé-rer le mouvement, en particulier enfaveur des chauffe-eau solaires, ilserait très efficace de mettre horsmarché ou de taxer à l’achat leschauffe-eau électriques. La produc-tion d’ECS en période de chauffeserait assurée essentiellement parles installations de chauffage, et enpériode bien ensoleillée essentielle-ment par des chauffe-eau solaires.

AMÉLIORER L’EFFICACITÉ DES FILIÈRES DE PRODUCTION RENOUVELABLE DE CHALEUREn raison de normes trop strictes(pour les chauffe-eau solaires), d’undéfaut d’approche industrielle dessystèmes et d’un manque de ratio-nalisation de la production despompes à chaleur et des chaudièresà bois, les coûts français sont nota-blement trop élevés. Il est nécessaired’avoir une vision industrielle de cesecteur.L’usage de la chaleur renouvelableest la voie la moins chère pour attein-dre les objectifs que s’est fixés laFrance, et elle concourt en mêmetemps, de manière très importante,à atteindre un autre objectif, celuide réduire nos émissions de gaz àeffet de serre de 23 % par rapport à1990. C’est aussi une voie qui réduitefficacement notre dépendance vis-à-vis du gaz et du pétrole. Elle per-mettrait d’économiser, annuelle-ment, environ 10 milliards d’eurosde combustibles fossiles à l’impor-tation. Elle fournirait 6 millions d’an-nées de travail en France, soit del’emploi pour 300 000 salariés pen-dant 20 ans.L’émission d’environ 100 Mt de CO2

par an, soit le tiers des émissionsactuelles serait évitée.Voilà ce que pourrait être l’amorced’une vraie transition énergétique.n

*HERVÉ NIFENECKER est président d’honneur de Sauvons le climat.

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DOSSIER10

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

ÉNERGIES RENOUVELABLES

LA BIOMASSE, UNE ÉNERGIE RENOUVELABLE

PAR PAUL MATHIS*

QU’EST-CE QUE LA BIOMASSE ?La biomasse trouve son origine dansles végétaux, par le processus de pho-tosynthèse, qui consiste en la cap-ture de l’énergie solaire pour fabri-quer toutes les biomolécules desplantes. La photosynthèse est lasource des toutes les molécules car-bonées qui servent à l’alimentationdes animaux et des micro-organismes,et aussi de tout l’oxygène atmosphé-rique. La biomasse est constituée demolécules qui appartiennent à troisgrandes catégories : les sucres, quivont des sucres simples (comme lesaccharose) à l’amidon ; les matièresgrasses, constituées de glycérol esté-rifié par des acides gras ; la ligno-cellulose, association très résistantede polymères, les celluloses et la lignine.En schématisant, ces molécules offrenttrois types de propriétés : de l’éner-gie, récupérable par combustion ;des structures tridimensionnellesutilisables pour des matériaux ; un contenu chimique valorisabledans la chimie de synthèse et dansl’alimentation.Pour simplifier sa description, entermes pratiques, la biomasse estclassée selon ses trois sources : laforêt, les cultures et les déchets.La forêt produit deux grandes caté-gories de bois : celui des fûts, quel’on appellera bois d’œuvre, ettoutes les « sous-catégories », moinsnobles : bois d’éclaircissage et d’éla-gage, houppiers et petit bois lorsde l’abattage.

La biomasse reste très utilisée dans le monde et est la première des énergies renouvelables. Elle recouvre de multiples réalités : du bois aux déchets secs, en passant par le biogaz.

Les cultures sont très variées. Ce sontles céréales qui produisent le plusde biomasse, suivies par les plantesproductrices de matières grasses, lesoléagineuses, et celles qui produi-sent du sucre, les saccharifères. Maisil y a aussi des plantes, comme lemiscanthus, qui sont cultivées pourleur paille.Les déchets sont encore plus variés :déchets de scierie, d’industries agri-coles et alimentaires, résidus d’élevage,effluents industriels et urbains, etc.

À QUOI SERT LA BIOMASSE ?De tout temps, la biomasse a serviaux humains, d’abord pour leur ali-mentation, puis pour la cuisson,ensuite pour des usages très variés.

Cela se poursuit avec son emploidans l’alimentation des humains etdes animaux ; la fourniture de cha-leur pour le chauffage, la cuisson, lesprocédés industriels ; les carburantspour le transport, appelés biocarbu-rants ; les matériaux pour la construc-tion, le mobilier, les textiles, le papier;la fourniture de molécules pour lachimie de synthèse. Sans oublierqu’une partie de la biomasse doitêtre retournée au sol pour assurer safertilité. Parmi ces emplois variés, lafourniture d’énergie est parfois consi-dérée comme prioritaire, mais c’estplutôt l’inverse car il s’agit là d’uneutilisation finale, destructrice desmolécules. Comment assurer lesmeilleurs usages ? Le marché est unoutil, mais il ne saurait dominer carla biomasse s’intègre dans des cyclesde production extrêmement longset complexes, parmi lesquels cer-tains facteurs ne sont pas rémuné-

rés : assurer la qualité des sols surdes siècles, préserver la biodiversité,maintenir la forêt comme territoirede promenade et de qualité de l’eau,notamment.

LA BIOMASSE ÉNERGÉTIQUEFourniture de chaleurLe bois énergie constitue déjà 44 %de nos énergies renouvelables ! Sousla forme de bûches, de plaquettesou de granulés, cet apport pourraprogresser, en particulier dans lesréseaux de chaleur pour le chauffageurbain ou industriel, car le bois restel’énergie de chauffage la moins chère.Il faut y ajouter l’incinération desdéchets secs renouvelables, voire decertains résidus de cultures. Mais lacombustion du bois est la source depolluants atmosphériques nocifspour la santé publique, particules ethydrocarbures aromatiques poly -cycliques. Les solutions techniques,bien que coûteuses, devraient êtresystématisées.

Biocarburants et biogaz Une première génération de biocar-burants fonctionne : éthanol et bio-diesel, substituts de l’essence et dugazole. Une seconde génération pré-voit de tirer parti de biomasses ligno-cellulosiques non alimentaires (boiset ses déchets, pailles) ; elle en est austade de pilotes pour la productiond’éthanol par voie enzymatique, etde biogazole par voie thermo chi-mique. La méthanisation de déchetsorganiques fournit du biométhane,dont l’emploi le plus prometteurdevrait concerner le domaine destransports. Il serait logique que cesdifférents types de production soientintégrés à terme dans les mêmes uni-tés de production, produisant parexemple carburants, produits chi-miques et aliments.

Matériau pour la construction et la chimieCes utilisations ressortissent à la bio -énergie, mais la biomasse matériaupeut aussi contribuer fortement àréduire le besoin en combustibles

Le bois d’œuvre remplace béton, acier etaluminium, dont la production émet beaucoupde CO2. La pétrochimie sera remplacée petit àpetit par la chimie biosourcée. Et n’oublions pasque le bois d’œuvre correspond à du carbonestocké pour environ un siècle : autant de CO2qui est soustrait à l’atmosphère !

“ “La Biomasse,énergie d’avenir ?, H. Bichat et P. Mathis, Quæ,2013.

44%C'est la part du boisénergie dans nos énergiesrenouvelables !

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Progressistes

LA GÉOTHERMIE, UNE ÉNERGIE ÉCOLOGIQUE, RENOUVELABLE, NON INTERMITTENTE

La géothermie pourrait jouer un rôle important pour le chauffage des habitations, à conditionde développer cette filière et les métiers qui lui sont associés.

fossiles. Le bois d’œuvre remplacebéton, acier et aluminium, dont laproduction émet beaucoup de CO2.La pétrochimie sera remplacée petità petit par la chimie biosourcée. Etn’oublions pas que le bois d’œuvrecorrespond à du carbone stocké pourenviron un siècle : autant de CO2 quiest soustrait à l’atmosphère !

LA BIOMASSE, UNE ÉNERGIE RENOUVELABLE ?Dans une réflexion centrée sur lesquestions énergétiques, il faut affir-mer que la biomasse est une éner-gie renouvelable… du moins en prin-cipe. La question peut être abordéesous deux angles : le bilan de gaz àeffet de serre (GES) et la productiondurable.Bilan GES. La combustion de bio-masse est la réaction inverse de saformation par photosynthèse : elleproduit autant de CO2 que ce qui aété absorbé par photosynthèse. Dansun régime d’équilibre, où il y a éga-lité entre biomasse produite et bio-

masse consommée, le bilan CO2 estdonc nul. Mais ainsi présenté ce bilanest théorique. Il faudrait en effet tou-jours établir un bilan effectif par laméthode des analyses de cycle devie pour tenir compte des émissionsde GES entraînées par les engrais,les procédés agricoles et industriels,les transports. De tels bilans ont étéétablis pour les biocarburants depremière génération. Le bilan n’estpas mauvais. Quels seront les bilansdes biocarburants des filières ligno-cellulosiques ? Nul ne le sait. Quantau biogaz, son bilan devrait êtrebon quand on l’obtient à partir dedéchets, et sans doute mauvais s’ilest obtenu à partir de culturesdédiées. Et gardons constammentà l’esprit les cas de déséquilibre :ainsi, la coupe d’une forêt ou leretournement d’une prairie entraînede fortes émissions de GES.Une production durable. L’agronomesait bien que la ressource en bio-masse est limitée par la capacité deproduction des sols. Ce point est

PAR LUDOVIC ZANOLIN*

Le terme géothermie, du grec géo(terre) et thermos (chaud), désigneà la fois la science qui étudie les phé-nomènes thermiques internes duglobe et les processus industriels quivisent à les exploiter pour produirede l’électricité et/ou de la chaleur.

LES PHÉNOMÈNESGÉOTHERMIQUESLa chaleur présente dans le sous-solprovient pour l’essentiel de la dé -sintégration des éléments radioac-tifs constitutifs de la croûte terres-tre et de la dissipation de l’énergieprimitive. Ses manifestations les plusvisibles sont bien connues (volcans,geysers, sources chaudes…) et saprésence peut s’appréhender aisé-ment grâce à la notion de gradient

géothermique. Le gradient géother-mique sur la planète est en moyennede 33 °C par kilomètre, comme enFrance métropolitaine, mais sa valeurpeut être nettement supérieure,notamment dans les zones de vol-canisme actif ou récent, où il peutatteindre plusieurs dizaines de degrésCelsius tous les 100 m.À faible profondeur, la chaleur dusous-sol peut être valorisée pour pro-duire de la chaleur ou du froid si elleest assistée par une pompe à cha-leur géothermique (PAC). Au-delàde quelques centaines de mètres,cette énergie peut être utilisée direc-tement pour des usages thermiques(chauffage de bâtiments, utilisationdans des process industriels, appli-cations agricoles…) ou pour pro-duire de l’électricité.Actuellement, plus de 35 pays ont

essentiel, surtout si l’on vise, commeil se doit, à une production durableà très long terme. La production debiomasse ne sera durable que si laqualité des sols est préservée.À cet égard, il faut souligner que lepotentiel de la biomasse énergétiqueest souvent surévalué. Il y a à celatrois raisons. La première, c’est la ten-dance à extrapoler à une large échellegéographique et à un temps long lesproductions constatées sur de petitessurfaces bien choisies, dans de bonnesconditions. La seconde, c’est la sur-estimation par les instances poli-tiques des terres disponibles pourdes cultures énergétiques. Et la troi-sième, c’est que la biomasse a desusages multiples, parmi lesquelsl’énergie n’est pas prioritaire. Mêmesurévaluée, la biomasse énergétiquene peut répondre qu’à une faible partde nos besoins. n

*PAUL MATHIS est ingénieur agronome,docteur ès sciences physiques, anciendirecteur de recherches au CEA.

recours à la géothermie pour pro-duire de l’électricité pour une puis-sance mondiale installée de 12 GWe.La production de chaleur par géo-thermie est présente dans 79 paysavec un total de 43 GWth installés(en 2012).

RÉGLEMENTATION FRANÇAISEParmi les différents types de gîtesgéothermiques, on distingue : – les gîtes géothermiques à hautetempérature (plus de 150 °C) ; ils sontessentiellement exploités pour pro-duire de l’électricité. Les procéduresd’obtention d’un titre d’exploitationsont identiques à celles des autresmines. – les gîtes géothermiques à basse tem-pérature (moins de 150 °C) ; ils peu-vent être exploités pour produire del’électricité (entre 90 et 150 °C) et de

s

L’Énergie,moteur duprogrès ?, P. Mathis,Quæ, 2014.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

DOSSIER12 ÉNERGIES RENOUVELABLES

la chaleur (surtout en dessous de90 °C). Un décret décrit les procéduresspécifiques à ce type de géothermie. – les gîtes géothermiques de minimeimportance (moins de 200 m et moinsde 500 kW) ; la nouvelle procédureest encadrée par le décret du 8 jan-vier 2015, lequel définit les activitésou installations de ce type qui n’ontpas d’incidence significative sur l’en-vironnement et en élargit le périmè-tre ; il simplifie le cadre réglemen-taire qui leur est applicable ensubstituant au régime d’autorisationen vigueur une déclaration de tra-vaux pour une large partie du terri-toire, précisée dans une carto gra-phie qui vient d’être établie).

DES TECHNOLOGIES MATURES La géothermie de minime importances’accompagne de la mise en œuvrede PAC pour élever la température dela chaleur prélevée dans le sous-solà un niveau compatible avec l’utili-sation que l’on veut en faire (en géné-ral le chauffage de bâtiments). Ce typede géothermie vise principalementle chauffage et le rafraîchissement demaisons individuelles, de bâtimentstertiaires ou résidentiels collectifs. Ilest très développé dans des payscomme l’Allemagne et la Suisse.La géothermie bassetempérature valo-rise directement la chaleur de res-sources que l’on rencontre dans lesformations sédimentaires profondesde hautes porosité et perméabilité,situées entre 500 et 2500 m de pro-fondeur.C’est ce type de ressources que l’ontrouve en France, par exemple dansle Bassin parisien ou le Bassin aqui-tain. Elles sont couramment exploi-tées pour le chauffage urbain, le chauf-fage des serres, de piscines etd’établissements thermaux, l’aqua-culture et le séchage. Des PAC peu-vent être utilisées en complément afin d’en optimiser la valorisation.Dans le cas des gisements de moyenneénergie (température comprise entre100 °C et 150 °C), on peut utiliser descentrales (électricité ou électricité-chaleur) fonctionnant avec un fluideorganique volatil (isobutane, isopen-tane…) évoluant en circuit fermé(technologie ORC).La géothermie haute température ethaute énergie cible majoritairementla production d’électricité. Les gise-

ments se rencontrent généralementà une profondeur comprise entre500 et 1 500 m, dans les zones de vol-canisme actif ou récent, aux fron-tières des plaques tectoniques. EnFrance, les ressources sont présentesdans les départements et régionsd’outre-mer insulaires (Guadeloupe,Martinique, La Réunion, Mayotte).L’électricité est produite dans descentrales à vapeur d’eau : la vapeurgéothermale à plus de 150 °C sortantdirectement des puits géothermiquesest envoyée dans une turbine cou-plée à un alternateur. Ces centralespeuvent aussi fonctionner en cogé-nération électricité-chaleur pour desapplications de chauffage ou de froid.C’est également le cas des centralesgéothermiques EGS (enhanced geo-thermal systems) qui s’adressent àdes réservoirs à faible perméabilité(bassins d’effondrement, zones péri-phériques des champs géothermiquesde haute énergie), fracturés naturel-lement, profonds de plusieurs mil-liers de mètres, qu’il est nécessaire

de stimuler par voie hydraulique ouchimique pour en augmenter la per-méabilité. Le pilote scientifique deSoultz-sous-Forêts, en Alsace, meten œuvre cette technique.

ÉTAT DE LA GÉOTHERMIE La France dispose de tout le tissuindustriel nécessaire pour produireles composants des boucles géother-miques et des installations de sur-face (tubes de forages, échangeurs,vannes, turbines, alternateurs, sys-tèmes de régulation, systèmes detraitement contre la corrosion, cen-trales binaires, etc.) pour la produc-tion d’électricité ou de chaleur.La filière française peut s’appuyernotamment sur l’expérience acquisedans le Bassin parisien, qui concen-tre la plus grande densité au monded’opérations de géothermie basseénergie en fonctionnement exploi-tant le même aquifère. À cela s’ajou-tent de solides compétences en matièred’exploitation d’installations énergé-

tiques, d’ingénierie du sous-sol, ainsiqu’un savoir-faire reconnu de socié-tés aptes à réaliser les forages les pluscomplexes à grande profondeur.

ProductionSituée au 3e rang européen en termesde capacité, la France joue un rôleimportant dans le développementde cette énergie. Le Grenelle de l’en-vironnement a prévu qu’entre 2006et 2020 la contribution de la géother-mie au mix énergétique français seramultipliée par 6, pour représenter1,3 million de tonnes équivalentpétrole (tep) substituées. La part de production d’électricité géo -thermique en France doit passer de15 à 80 MW.

Géothermie de minime importance On estime que la puissance instal-lée en 2012 atteint 100 MWth. Celacorrespond à une baisse de 16 % depar rapport à 2011. Les chiffres del’AFPAC (Association française despompes à chaleur) montrent que lemarché des PAC géothermiques pourles maisons individuelles s’est encoredégradé1. Le marché des champs desondes (plus de cinq sondes), quiémerge, ne compense pas cette baisse.En revanche, le marché de la géo-thermie sur nappe progresse trèslégèrement. En 2012, un total de1 950 MWthétaient installés en France.

Géothermie basse températureAvec 42 réseaux en fonctionnementet 27 réseaux à l’étude en 2012 (dontArcueil-Gentilly et Bagneux), la Franceest le pays européen qui compte leplus de réseaux de chaleur urbainsgéothermiques et se classe au 3e rangeuropéen, derrière l’Islande et laTurquie si l’on considère la puissancetotale installée en mégawatts ther-miques. Au total, 411 MWth sont ins-tallés dans la filière basse énergie, cequi correspond à 200 000 équivalentslogements, essentiellement en régionparisienne (170 000) et en Aquitaine.

Haute températureAvec 17,2 MWe installés en 2014(1,5 MWe de type EGS à Soultz-sous-Forêts et 15,7 MWe d’origine volca-nique à Bouillante, en Guadeloupe),la France se classe au 5e rang euro-péen des producteurs d’électricitéd’origine géothermique.

s

La France dispose de tout le tissu industrielnécessaire pour produire les composants des boucles géothermiques et des installationsde surface pour la production d’électricité ou de chaleur.“ “

1 GWe= puissance de 1 milliard de wattsélectriques.

1 GWth= puissance de 1 milliard de wattsthermiques.

1 MW = 1 mégawatt, soit 1 million de watts.

1 kW = 1 kilowatt,soit 1000 watts.

1 TWh = 1 térawattheure,1000 milliards de wattheures.

La France produitenviron 550 TWhpar an.

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PRODUCTION ANNUELLE, EMPLOIET PROGRESSION ATTENDUELa production annuelle de chaleuret de froid a été portée fin 2012 à460 000 tep. La production d’élec - tricité géothermique pour 2012 s’est légèrement tassée, à 51 GWh(0,051 TWh). D’après l’Associationfrançaise des professionnels de lagéothermie (AFPG), la géothermie aévité en 2012 l’émission d’environ1 Mt de CO2 ; par ailleurs, l’AFPGestime que le secteur représente, aminima, 4 000 emplois directs enFrance.Au-delà des 1,3 Mtep, objectif (quisemble à ce jour difficile à atteindreen 2020) du Grenelle, l’AFPG estimeque la géothermie en bassin d’effon-drement (type Soultz-sous-Forêts)sera en mesure de fournir 350 MWthen métropole en 2030.Pour l’électricité, entre bassins d’ef-fondrement et surtout zones volca-niques dans les DROM (extensionde la centrale de Bouillante [40 MWeen 2025], nouveaux projets dans lesDROM et importation possible de laDominique), l’AFPG comme l’ADEMEont des prévisions entre 200 et300 MWe en 2030. Pour la métropole,l’AFPG a avancé, le 19 mars 2015,dans le cadre du groupe de travailpréparatoire à la PPE, une prévisionde 8,1 MWe en 2018 et une fourchetteentre 39,7 et 53,5 MWe pour 2023.Pour la filière basse température àusage direct de la chaleur, de nou-veaux réseaux sont attendus en Île-de-France et en Aquitaine.Le développement de la géothermiede minime importance n’est pasquantifié au-delà de sa contributionà l’objectif 2020. Il devrait être faci-lité par la simplification des démarchesadministratives, l’existence de la car-tographie des zones sans risques(près de 90 % du territoire français)et la modification de la RT2012 (réglementation thermique 2012)pour s’aligner notamment sur les

dispositions plus favorables dontbénéficie la filière bois, puisque lagéothermie apporte les mêmes avan-tages : emploi local, faible importa-tion d’énergie, réduction des émis-sions de CO2.Le maintien des dispositifs d’aidesfiscales (crédit d’impôt pour le déve-loppement durable…) et de subven-tions (fonds « chaleur »…) est posépar l’AFPG comme condition essen-tielle pour maintenir l’attractivité dela géothermie dans plusieurs domaines(capteurs horizontaux pour les par-ticuliers, sondes verticales dans lecollectif, doublets sur les aquifèresdans le tertiaire).(N.B. : Le coût de rachat de l’électri-cité en métropole de 200 €/MWh,uniquement utilisé à Soultz-les-Forêts, va être remplacé par le sys-tème de complément de rémunéra-tion prévu pour toutes les EnR.)

PERSPECTIVES DE LA GÉOTHERMIE Si les contributions attendues de lagéothermie ne pourront modifierfortement le bilan énergétique du

pays, son développement peut avoirune influence sensible dans certaineszones du territoire national. C’estévidemment le cas pour la produc-tion électrique dans les DOM. Enmétropole, le recours à la géother-mie pourrait se développer davan-tage dans l’usage direct de la cha-leur, contribuant ainsi à la diminutiondes importations d’énergie et à laréduction des émissions de CO2.Les efforts de qualité, de qualifica-tion des techniques et des opéra-teurs de forage, de formation, derecherche et développement, d’in-

novation sont des conditions indis-pensables au développement de lagéothermie et au renforcement del’exportation du savoir-faire des opé-rateurs français, en particulier dansle domaine de la géothermie hautetempérature.

10 principaux pays producteurs (2012)

Pays Production

États-Unis 19,6

Philippines 10,2

Indonésie 7,9

Nouvelle-Zélande 6,2

Mexique 5,8

Italie 5,6

Islande 5,2

Japon 2,5

Salvador 1,5

Kenya 1,5

Reste du monde 4,2

Total mondial 70,4

LA PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉGÉOTHERMIQUE DANS LE MONDE

En métropole, le recours à la géothermiepourrait se développer davantage dans l’usagedirect de la chaleur, contribuant ainsi à ladiminution des importations d’énergie et à laréduction des émissions de CO2.“ “

Les dix principaux pays producteursproduisent 94 % de l’électricité d’ori-gine géothermique ; dix autres, dontla France, se partagent les 6 % res-tants. Le total de la production mon-diale 2012 (70 TWh) représente 0,3 %des 22 700 TWh de la productionélectrique mondiale mais a une placeimportante dans des pays commeles Philippines ou l’Islande.Concernant la France, la productionde 0,051 TWh représente 1/10 000des 560 TWh de la production totaledu pays. Cette production françaiseprovient essentiellement de la cen-trale de Bouillante, à la Guadeloupe.Notons que portée de 200 à 300 MWeen 2030 elle resterait marginale dansl’ensemble du parc, dont la puis-sance est de l’ordre de 100 000 MWe,mais qu’elle pourrait avoir une pro-duction significative dans les DROM.n

N.B. : Cet article est basé sur des textes et données de l’ADEME, du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et de l’AFPG.

*LUDOVIC ZANOLIN est ingénieur et mem-bre du Comité national de la géothermie.

1. Il n’en est pas de même des PAC aérothermiques dont le développement est très important.

Centralegéothermique de Nesjavellir(Islande). Les hautestempératures duesà l’activitévolcanique de l’îlepermettent deproduire à la fois de la chaleur et de l’électricité pour la capitale,Reykjavik.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

ÉNERGIES RENOUVELABLES

chauffe-eau solaire peut en grandepartie répondre à ces besoins.Dans les zones sans risque de gel, uneinstallation ECS peut être très simpleet peu coûteuse. Elle se réduit au cap-teur thermique plan duquel l’eau chaudeplus légère monte naturellement dansun réservoir placé au sommet de lamaison, en général sur la terrasse.Dans les zones où la températurerisque de descendre pendant l’hiversous zéro degré, il faut passer par unfluide intermédiaire (exemple: solu-tion d’eau glycolée) pour alimenter lecapteur et transférer la chaleur à l’eausanitaire consommée, à travers unéchangeur sous forme par exempled’un serpentin en cuivre placé au seindu réservoir tampon.

LE CHAUFFAGE SOLAIRELe chauffage, premier poste de consom-mation d'énergie, fait appel en Franceà environ 700 TWh. Un complémentlimité peut venir du soleil, sur la basede l’utilisation de capteurs thermiquesidentiques à ceux utilisés pour la pro-duction d’eau chaude sanitaire, ennotant que l’intermittence du soleildevient ici un problème majeur. Eneffet, si l’eau chaude sanitaire est uti-lisée toute l’année, le chauffage solairene l’est que les mois d’hiver lorsquela production solaire est réduite. Lesinvestissements ne sont utilisablesqu’une partie réduite du temps. Sicette intermittence du soleil peut êtreen partie compensée par la mise enplace d’un réservoir-tampon, mêmeen stockant un à deux mille litres d’eauchaude, il n’est pas possible de faireface aux longues périodes d’hiver avecpeu, voire pas de soleil du tout.L’apport relatif du chauffage solaire,

PAR CLAUDE ACKET*

L orsque l’énergie du soleil estutilisée pour créer de la cha-leur, c’est principalement l’ir-

radiation directe, ce que l’on appellefamilièrement les rayons du soleil,qui sera captée, et non le rayonne-ment diffus. On arrive à capter plus de 70 % del’irradiation solaire.En France, l’énergie produite se situeentre 300 (Nord de la France) et 600(Sud de la France) kWh/m² par an.Pour améliorer les performances etminimiser la surface de capteurs qu’ilfaut placer en toiture, on peut utiliserdes capteurs mieux isolés. Le videétant le meilleur des isolants ther-miques, les constructeurs ont ima-giné des tubes sous vide ou sous fai-ble pression de gaz rare (Krypton parexemple). Plus chers, ils représententune faible part du marché.

L’EAU CHAUDE SANITAIRE SOLAIRE (ECS)En France, pour répondre aux besoinsmoyens de 50 litres d’eau chaude paran et par personne, il faut dépenserannuellement environ 47 TWh. Enajoutant les besoins du tertiaire et del’industrie (douches d’ateliers…) cesont environ 60 TWh dédiés à la seuleproduction d’ECS, soit 3,3 % de l’en-semble des besoins français en éner-gie finale. Le solaire sous forme de

que l’on appelle la couverture solaire,ne peut devenir significatif pour unemême surface de capteurs que pourdes habitations à faibles déperditionsthermiques, dans les régions à faibleDJU (Degrés jour unité, 2400 à Paris1465 à Nice), et enfin à fort ensoleil-lement.Le coût d’une installation pour unchauffe-eau solaire individuel, équipéde 3 à 5 m² de capteurs et d’un ballonde 200 à 300 litres varie entre 4000 €et 8000€, pose incluse. En se basantsur une durée de vie de l’investisse-ment de 30 ans et un taux d’amortis-sement de 4 %, l’annuité de ce place-ment est de 346€.

IMPACT ENVIRONNEMENTAL,REJETS DE GAZ CARBONIQUELes panneaux solaires, venant en subs-titution même partielle à l’emploi decombustibles fossiles, permettent laréduction des rejets de gaz carbo-nique. Pour une installation ECS de4 m² de panneaux, les rejets de CO2sont réduits de 0,44 tonne. Étendu à15 millions de logements (voir ci-des-sous) le gain annuel des rejets seraitde 6,6 millions de tonnes.De même pour un chauffage associéà 15 m² de panneaux, les rejets de CO2sont réduits de 1,36 tonne par instal-lation.

SOLAIRE THERMIQUE, PERSPECTIVESÀ ce jour en France, l'ensemble del'apport solaire thermique est d’en-viron 1,6 TWh, basé sur l’installationd’environ 2,3 millions de m² de pan-neaux solaires (accroissement d’en-viron 250000 m² par an). À l’avenir,en supposant que la moitié des loge-ments puisse disposer de chauffe-eausolaires et que par ailleurs 1,5 millionde logements (5 % du parc) soientéquipés en panneaux solaires chauf-fage, un total de 25 TWh (2,1 Mtep)pourraient être produits par le soleilthermique. Ceci reposerait sur l’ins-tallation d’environ 50 millions de m²de panneaux solaires, soit moins de1 m² par habitant, quota concevablepuisque déjà pratiquement atteint enAutriche. n

CLAUDE ACKET est ingénieur dans ledomaine de l’énergie.

LE SOLAIRE THERMIQUE Beaucoup moins médiatisé que son homologue photovoltaïque, le solairethermique est largement sous exploité et pourrait produire une grande partiede l’eau chaude que nous utilisons quotidiennement. Un éclairage de ClaudeACKET, tiré de l’ouvrage collectif publié par l’association Sauvons le climat,Éléments pour une politique raisonnée de l’énergie.

Les panneaux solaires, venant ensubstitution même partielle à l’emploi decombustibles fossiles, permettent la réductiondes rejets de gaz carbonique.“ “

Le chauffe-eausolaire, moinsmédiatisé que les panneauxphotovoltaïques,est pourtant bienplus efficace pourdiminuer laconsommationd’énergies fossiles.

Éléments pour une politiqueraisonnée del’énergie, Sauvons le climat.

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PAS D’ÉNERGIE RENOUVELABLE SANS MATÉRIAUX RARESVent, soleil, vagues… Les énergies renouvelables puisent à des sources réputées inépuisables. Or, à y regarderde près, elles sont de fait hautement dépendantes de matières rares, à l’approvisionnement incertain. La recherche publique, bien mal suivie par les industriels, tente de pallier ces dépendances.

PAR SÉBASTIEN ELKA*

Un mât haut de 75 m, d’im-menses pales composites…Les éolien nes en construc-

tion à Saint-Nazaire seront descolosses de carbone et d’acier. Etnon seulement cela! Au cœur de la nacelle, la génératrice abrited’énormes aimants permanents.Les aimants ordinaires, ceux qui retien-nent la liste des courses sur la portedu frigo, sont banalement en ferritede strontium ou de baryum. Cela dit,pour les aimants des génératrices –comme des moteurs de véhicules élec-triques ou hybrides, disques durs ouhaut-parleurs –, on n’échappe pas auxterres rares. Puissants, résistants à lachaleur et aux contraintes magné-tiques, les aimants néodyme-fer-boresont riches en néodyme, dysprosium,terbium, voire praséodyme. D’autresoptions existent, non moins gour-mandes en samarium, gadolinium,lanthane.

COÛT DE L’ÉNERGIE ET RISQUES GÉOPOLITIQUESIl faut savoir que ces terres rares –utiles aux éoliennes, moteurs élec-triques, éclairages basse consomma-tion, lasers, etc. – se trouvent un peupartout dans le monde, mais sousforme d’oxydes mélangés, chimique-ment proches, donc difficiles à sépa-rer. On n’en produit pas en Europe –l’exploitation en serait trop polluante!– et pratiquement pas aux États-Unis;si bien qu’aujourd’hui 97 % de leurextraction sont le fait de la Chine…On mesure l’ampleur du risque géo-politique.D’autres matériaux « critiques »1 sontau cœur des énergies renouvelableset de toute possibilité de transitionénergétique. Il en est ainsi du cobalt,utilisé dans d’autres types d’aimantset différentes sortes de batteries, dont80 % des réserves connues se parta-gent entre la République démocra-tique du Congo, l’Australie et Cuba.C’est aussi le cas des matériaux du

photovoltaïque. Car si l’énergie solairea un potentiel gigantesque, sa trans-formation en électricité est encorepeu efficace et très coûteuse. Pouraméliorer les rendements, on testedes cellules solaires à base de cad-mium-tellure, nitrure de gallium ouautres alliages de métaux rares. À quoiil faut ajouter dans les panneaux solairesdes connecteurs, souvent à base d’ar-gent ou de cuivre, métaux assez abon-dants mais très demandés.La production des énergies renouve-lables (EnR) est intermittente et décon-centrée, aussi faut-il pouvoir les stockeret les distribuer intelligemment. Lestockage (important aussi pour tirerparti de la consommation réduite dela mobilité électrique) se fera avec desbatteries compactes et/ou de l’hydro-gène, ce qui implique des réactionschimiques efficaces et maîtrisées, etdonc d’excellents catalyseurs –aujourd’hui du platine ou d’autresmétaux nobles. Des recherches visentà leur substituer du graphène ou d’au-tres matériaux nanostructurés, avecdes résultats encourageants. Reste àporter ces découvertes du laboratoireà l’usine, et les industriels ne se bous-culent pas pour ce faire. Quant à ladistribution, elle appelle de l’électro-nique de puissance, basée sur dessemi-conducteurs économes, enri-chis par exemple en gallium, et surdes connexions améliorées au tungs-tène, titane, tantale ou germanium,tous matériaux rares.

LE RENOUVELABLE DURABLE EST UN COMBAT!On le voit, dans l'état des savoir-faire,il n'y a pas de développement possi-ble des EnR sans consommation d’élé-ments épuisables. Le renouvelabled’aujourd’hui n’est pas durable! Pourautant, nous apprenons peu à peu àréduire la quantité nécessaire de cesmatériaux – jusqu’à l’infime – et nousdevrions savoir bientôt les recycler oumême leur substituer des nanomaté-riaux à base d’éléments chimiquescommuns. Derrière tous ces dévelop-

pements, il y a l’exigence d’une connais-sance et d’une maîtrise aiguë de lamatière – issue pour l’essentiel dessciences nucléaires – qui nécessite dutemps et des ressources. Une exigenceloin d’être remplie quand les straté-gies financières des industriels ren-contrent les politiques d’austérité,l’absence de véritable politique indus-trielle ou d’aussi incohérentes quevirulentes prises de positions pro-EnRmais « anti-nano » et « pas dans monjardin » .On entend souvent dire qu’une alliancede grands intérêts – EDF, Areva etTotal, pour le dire vite – serait res-ponsable de la lenteur à laquelle sedéploient les EnR. De fait, ces richesacteurs pourraient bien mieux por-ter les indispensables transitionsénergétiques au lieu de s’arc-boutersur leur zone à défendre… Mais s’ar-rêter à cette explication des trop lentsprogrès des renouvelables est assu-rément un peu court.n

*SÉBASTIEN ELKA est rédacteur en chefadjoint de Progressistes.

1. Les éléments considérés comme« critiques » par la Commission européenne, à la fois importants économiquement et risqués en termes d’approvisionnement,sont, en 2013 : les terres rares lourdes etlégères, le magnésium, le niobium, l’anti-moine, le germanium, l’indium, le cobalt, le gallium, les borates et roches phosphatées,le béryllium, les métaux « nobles » de la famille du platine, les spaths de fluor, le silicium métal, le graphite naturel, lamagnésite, le tungstène et le charbon à coke.

Constructiond’éoliennesoffshore. Lanacelle (pièce aubandeau rouge Cf.photo) abrited’énormes aimantsnécessitant degrandes quantitésde métaux rares.

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DOSSIER ÉNERGIES RENOUVELABLES16

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

PAR FRANÇOIS POIZAT*

Un ami me disait croire quederrière une prise de cou-rant se trouvaient des élec-

trons prompts à nourrir son aspira-teur ou son téléviseur. Son père étaitingénieur EDF, c’est dire combienl’électricité est méconnue… car mys-térieuse. La démythifier sans avoir àrésoudre les équations de Maxwellest l’un des buts de cet article.

SYSTÈME OU RÉSEAU?Le dessin ci-dessous schématise unréseau bouclé, tel que celui que nousavons en France (malgré deuxantennes en Bretagne et PACA).Ailleurs, de grands pays, Chine, etmême États-Unis, en sont partielle-ment dépourvus.

Par ailleurs, notre réseau métropo-litain, sous très haute tension (jusqu’à400 kV), est maillé, et aussi relié àceux de nos voisins par des inter-connexions, mais chacune de nos« zones non interconnectées » (sous-entendu « au réseau métropolitain »)des DOM-TOM et des îles bretonnesdoit se contenter d’un réseau isolé,forcément moins robuste, et doncvulnérable en cas d’incidents.

LES CONTRAINTES DU SYSTÈME ÉLECTRIQUEComprendre la nature de l’électricité et les contraintes qu’elle impose au réseau de distribution est indispen-sable. Sans cela, impossible de comprendre les liens entre énergies renouvelables et mix électrique.

Il faut bien considérer aussi que lesystème électrique français ne se réduitpas à son réseau 400 kV ; il incluttoutes les sources de production(générateurs), centralisées ou dissé-minées, et tous les points de consom-mation (récepteurs), grands et petits.On conçoit bien qu’un réseau detuyaux, fût-il bien connecté, ne suf-fit pas : il faut l’alimenter !

MYSTÉRIEUSE ÉLECTRICITÉ : NONSTOCKABLE, NON COMPRESSIBLE,VÉLOCE…Mais générateurs et récepteurs dequoi, au juste ?On n’achète pas de l’électricité aukilo, ou au baril, non ! Ce n’est pasune matière, comme du minerai, ouun liquide, comme le pétrole, et l’élec-tron ne vaut pas par sa masse maispar son agitation. L’électricité estdonc un « service » insaisissable(quand on y touche, c’est nous quisommes « saisis » !) et peu descripti-ble : analogie possible à une fièvredont on mesurerait le degré par lanotion de « fréquence » ?La fréquence, exprimée en hertz, estun indicateur à tout instant de l’équi-libre entre la production et la consom-mation d’électricité : s’il y a plus dedemande que d’offre, la fréquencebaisse ; a contrario, si l’offre est supé-rieure à la demande, la fréquenceaugmente.

De même qu’il n’est pas bon pour lecorps humain de s’éloigner de la tem-pérature de 37 °C, de même l’objec-tif, en Europe occidentale, est de setenir à 50 Hz avec une tolérance de± 0,5 Hz. En dehors de cette four-chette, certaines utilisations sontcompromises et le réseau court le

risque de s’effondrer comme un châ-teau de cartes, de nombreux alter-nateurs pouvant ne pas tenir le choc,comme ce fut le cas en Italie (« nuitnoire » italienne du 28 septembre2003). La France a connu ce genrede désagrément, dit « black-out », le4 novembre 2006, à la suite d’unesuccession d’incidents en Allemagne.N’ayant aucune consistance maté-rielle, l’électricité en tant que tellen’est pas stockable comme l’eau dansune retenue. Qui pis est, elle n’estpas compressible, en ce sens qu’onpourrait espérer pouvoir un peu « tirerdessus », comme sur un réservoir degaz, nos gazinières s’accommodantd’une pression un peu plus faible…Et, pour couronner le tout, la propa-gation de l’onde électrique, quasiinstantanée, exporte un incident dusud au nord de la France en quelquessecondes.

OBJECTIF : PRODUCTION = CONSOMMATIONLe but des gestionnaires du systèmeest donc de garantir une productionégale à la consommation appeléepar les clients, professionnels et par-ticuliers. Cet équilibre est requis àtout instant et souhaitable en touterégion (Bretagne, notamment), neserait-ce que pour éviter de tropgrandes pertes en ligne (échauffe-ment par effet Joule, notamment).

Encore faut-il maîtriser les fluctua-tions, qui ne manquent pas.Les aléas de consommation sontessentiellement dus à des facteurssocio-économiques : les jours fériés(week-ends surtout) voient la miseau repos de l’outil productif (sousréserve des services vitaux) ; les grandsrendez-vous médiatiques sollicitentles téléviseurs, le retour au domicileet la relance de nos cuisinières, radia-teurs et gadgets sont perceptibles(pics bien visibles sur le graphe deproduction hebdomadaire, page ci-contre).Le facteur climatique est détermi-nant, accroissant les besoins de chauf-fage en hiver, qu’il soit assuré par des

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convecteurs d’appoint ou non, et declimatisation en été, notamment auxÉtats-Unis.Au titre des aléas de production, onpense évidemment aux pannes, inci-dents techniques, opérations demaintenance, tant dans les centralesque sur les réseaux (seul celui soustrès haute tension est à équilibrer).Dans le registre de l’offre, la météo-rologie prend de l’importance : siune usine hydraulique ne peut tur-biner lorsque le gel saisit les torrents,l’intermittence du vent, fluctuant etpeu prévisible, et des nuages devientpréoccupante.

DE QUELLES PARADES DISPOSE-T-ON ?En cas de montée des besoins d’élec-tricité, le « dispatcheur » fait appelaux différents moyens de produc-tion, en fonction de leur disponibi-lité, bien sûr (difficile de comptersur des barrages vides, en fin d’hi-ver…), et de leur prix. Classiquement,le merit order met en branle succes-sivement les moyens « de base » (enFrance, le nucléaire), puis de « semi-

base » (le thermique dit « classique »,plus cher car le combustible fossile– fuel, charbon ou gaz – n’est pas gra-tuit), pour finir par le plus précieux,l’hydraulique de retenues alpines ouautres pour faire face aux pointes de consommation.On notera que les énergies renou-velables, bénéficiant d’un achat obli-gatoire par EDF et d’une prioritéd’accès au réseau, sont de la produc-tion « fatale » (en ce sens qu’elles nedépendent que du soleil et du vent,et non de notre bon vouloir).Jusqu’à il y peu, l’enjeu et la craintedes gestionnaires de réseau tenaientà la possibilité physique de fournirassez de mégawatts (grandes cen-trales ou petites installations dissé-minées) pour répondre à la demandedes clients : le passage de la pointe(102 000 MW en février 2012, mais ilfaisait — 20 °C) a sûrement été lecauchemar de certains responsablesde RTE, cauchemar accru par l’an-

goisse d’un éventuel anticyclonefroid – sans vent – stagnant sur l’Europeoccidentale.

La problématique inverse n’est pasmoins préoccupante, car le carac-tère fatal de l’éolien et du solaire etleur répartition assez homogène(pour l’éolien du moins) sur l’Ouesteuropéen font que, par temps beauet venté, les électrons « verts » peu-vent inonder le continent : d’abordla Pologne et la République tchèque,puis les voisins occidentaux del’Allemagne, France incluse, ont subicet afflux d’électrons excédentaires,surtout durant les week-ends d’étéde faible consommation. Du coup,des centrales, notamment celles àgaz – au coût marginal excessif – seretrouvent dans l’impossibilité deplacer leur production sur le mar-ché EPEX (European Power Exchange),lequel en vient à afficher des prixnégatifs : cet OFNI (objet financiernon identifié) a pour conséquencede dissuader les investisseurs de gar-der en état de fonctionnement leursinstallations de semi-base (parfoisflambant neuf, comme le cycle com-biné au gaz d’Irsching) car leur busi-ness plan est compromis par la totale

imprévisibilité des cours. Jusqu’auxSuisses qui abandonnent leurs pro-jets de STEP (station de transfertd’énergie par pompage), outil de pré-dilection consistant à acheter auxFrançais l’électricité nocturne, paschère, pour permettre la remontéedu niveau d’eau dans leurs barragesavant de la turbiner de jour pour ven-dre, cher, aux Italiens ! Pis, de grandsélectriciens, comme l’allemand E.On,en viennent à scinder leurs porte-feuilles : d’un côté les énergies renou-velables, rentables car à tarif d’achatgaranti par les États, de l’autre les« vieilles » centrales classiques remi-sées dans une structure de défai-sance.

Cette dérive du grand marché libé-ralisé depuis 1997 (2000, en France)inquiète les responsables des réseauxeuropéens car on risque, en cas degrands froids, de manquer des indis-pensables moyens de semi-base pourpasser une sévère pointe de consom-mation. Alors, plusieurs solutions(ou espoirs de…) sont dans les car-tons pour éviter les délestages, c’est-à- dire la cessation brutale de distri-bution à une partie des clients.D’abord les « effacements » : il nes’agit pas là d’une nouveauté, EDFayant depuis longtemps travaillé ence sens avec les contrats HP/HC(heures pleines/heures creuses) pourinciter les abonnés à décaler leurconsommation vers des périodes demoindre tension et meilleur mar-ché, par exemple de leur chauffe-eau ; ou encore avec les contrats EJP(effacement jours de pointe). Le ges-tionnaire de réseau RTE explore lamême idée avec ses plans Écowatten Bretagne et PACA, le petit consom-mateur étant incité à réduire saconsommation pendant quelquesheures. La nouveauté tient au faitque des entrepreneurs avisés (Voltalis,notamment) veulent fédérer – moyen-nant rémunération, bien sûr – desclients disposés à saisir cette oppor-tunité, appelée « effacement diffus ».Autre idée, le « marché de capaci-tés » reposerait sur l’assurance quetel ou tel opérateur garantirait, souspeine de sanctions, la possibilitéde mettre sur le réseau quelquesdizaines ou centaines de mégawatts,moyennant finance. Pour l’heure,ce n’est que du papier…

Les lois de Kirchhoff régissant les courantsélectriques ne seront pas abolies par unamendement parlementaire.“

PRODUCTEURS : – EDF (sous l’appellation EDF-PEI en ZNI)– autres : GDF-Suez, E.On, ENEL, DirectÉnergie, etc.

TRANSPORTEUR, MONOPOLE ABSOLU : RTE (EDF-SEI en ZNI).

DISTRIBUTEURS :Dans l’Hexagone : ErDF+ 135 entreprises locales de distribution.En ZNI : EDF-SEI (monopole).N.B. : ZNI = zones non interconnectées (DOM, Corse, etc.).

LES ACTEURS DE LA FILIÈRE DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION(loi du 10 février 2000)

s

La productionélectrique doitsuivre laconsommation àchaque instant.

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DOSSIER18 ÉNERGIES RENOUVELABLES

PAR CHRISTIAN NGÔ*

L’électricité est de plus en plus uti-lisée, et à chaque instant la produc-tion doit être égale à la consomma-tion. Stocker l’électricité lorsque l’onen produit trop pour l’utiliser plustard, quand on en aura besoin, estdonc une nécessité.Les kilowattheures produits de manièrecontinue (centrales à gaz, hydrau-liques, nucléaires…) ont une souplessed’usage supérieure à ceux générés demanière intermittente (éolien ou solaire).La flexibilité de certains moyens deproduction (centrales à gaz) est aussiappréciée pour répondre rapidementaux demandes de pointe. Avoir del’électricité quand et où on en a besoinimpose de fortes contraintes à la pro-duction comme à la distribution.

LES MULTIPLES USAGES DU STOCKAGEOn stocke l’électricité pour :– lisser la production, car la demandevarie fortement en fonction de l’heure,du jour, de la saison (fig. 1). Poursatisfaire la demande dans l’ensem-ble de l’année, le producteur surdi-mensionne les moyens de produc-tion, puisque les moyens de stockagesont insuffisants1 :

Figure 1. Consommation d’électricité sur 24 heures pour un jour typique.(Source : RTE.)

– la revendre cher aux heures depointe alors qu’elle est achetée à basprix aux heures creuses2;– parer à l’intermittence d’énergiesrenouvelables comme l’éolien ou le

solaire. Une éolienne ne fournit del’électricité que lorsqu’il y a un ventsuffisant3, et un panneau solaire quesi le soleil brille. Un développementmassif des énergies renouvelablesintermittentes ne pourra se faire sansfortement développer des moyensde stockage et des centrales utilisantdes combustibles fossiles, émettricesde CO2 ;– assurer l’alimentation des systèmesnomades (téléphones portables, ordi-nateurs portables, tablettes…) ;– produire de l’électricité de bonnequalité pour des besoins spécifiqueset parer à des défaillances du réseau. Le moyen de stockage peut ultérieu-rement générer de l’électricité ou répon-dre en différé à un usage (fig. 2).

Figure 2. On peut utiliserimmédiatement l’électricité ou la stockerpour l’utiliser ultérieurement directement(batteries) ou indirectement (cumulus).

Les technologies de stockage exis-tantes ne permettent d’emmagasi-ner que peu d’énergie par unité devolume ou de masse comparée àcelle contenue intrinsèquement dansun combustible (tableau ci-dessous).

Certains, nombreux, se (nous) ber-cent d’illusion en faisant miroiter lerenforcement des interconnections,voire en vantant les smart grids qui,à écouter un Jeremy Rifkin, permet-tront l’essor de la « troisième révolu-tion industrielle » par la mise en com-mun des énergies réparties dans nosbâtiments basse consommation(BBC). Ils oublient qu’un réseau nepeut distribuer de l’eau que si unepompe, au moins, l’alimente.

Il n’y a donc là aucun espoir tant quene sera pas résolue la question dustockage des excédents d’électricité :nouvelles STEP (en dépit de Civens etRoybon ?), batteries (malgré leurs coût,poids…), conversions en matières faci-lement utilisables (H2, coal-to-gas…).Ce n’est pas pour demain, hélas.

CONCLUSIONContrairement à ce que pensent cer-tains idéologues, les lois de Kirchhoffrégissant les courants électriques neseront pas abolies par un amende-ment parlementaire. Si personne, enet hors de France, n’investit dans desinstallations de production « dispat-chables », c’est-à-dire pilotables adlibitum, les problèmes posés auxréseaux iront s’aggravant.

La seule chose qui perdurera seral’ardoise de l’éolien et du solaire : sion en ignore l’impact collatéral (ren-forcement de réseaux, complexifi-cation de la gestion…), le citoyencommence à en mesurer le coût direct,sous le tapis de la CSPE : les 3,5 mil-liards d’euros (hors TVA) prévus pour2015, répartis sur 359 MkWh se tra-duiront par une taxe d’1,2 ct€ parkilowattheure consommé, soit, pourune consommation moyenne de5 000 kWh, une dépense de 60 € paran et par foyer. Et ce n’est pas fini,une taxe similaire, mais 5 fois plusélevée, existant en Allemagne. n

*FRANÇOIS POIZAT, diplômé de Supélecet du Génie atomique, a fait toute sa car-rière à l’ex-Direction de l’équipement à EDF.

s STOCKAGE DE L’ÉLECTRICITÉ : LE TALOND’ACHILLE DE LA FILIÈRE ÉNERGÉTIQUEC’est le graal qui fait rêver les ingénieurs et les scientifiques du mondeentier : un procédé pour stocker l’électricité massivement… et peu cher. Celachangerait la donne pour le développement des énergies nouvelles.

Matériau ou système

1 kWh =

Essence 0,07 kg (70 g)

Batterie Pb 30 kg

Batterie Li-Ion 5-8 kg

Eau 3 600 kg d’eau à unehauteur de 100 m

ÉNERGIE STOCKÉE SELON LESDIFFÉRENTES TECHNOLOGIES

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LES MOYENS DE STOCKAGELes principales technologies4 sontindiquées dans la figure 3.

Le stockage nomade (téléphonesportables, ordinateurs portables…)est aujourd’hui dominé par les bat-teries de type Li-Ion (densité d’éner-gie de l’ordre de 200 Wh/kg).Les véhicules électriques ou hybridesrechargeables utilisent des batteriesde type Li-Ion d’une technologie plussûre que celle des équipementsnomades (densité d’énergie d’envi-ron 100 à 150 Wh/kg). Il faut 15 à20 kWh pour parcourir 150 à 200 kmgrâce à l’électricité.

Au niveau du réseau, les quantitésd’électricité à stocker sont bien plusconsidérables (des térawattheures).Le moyen de stockage le plus utiliséest fondé sur le pompage-turbinagede l’eau entre deux réservoirs situésà des altitudes différentes. Ce sontles STEP (stations de transfert d’éner-gie par pompage). Il y a environ350 STEP dans le monde, et leur puis-sance totale est proche de 150 GW.Elles permettent de moduler envi-ron 6 % de la puissance électriquemoyenne et représentent 15 % de lapuissance hydroélectrique mondiale.Grand’Maison, la plus grande STEPfrançaise, peut stocker 35 GWh.Les énergies renouvelables intermit-tentes nécessitent de développer des

moyens de stockage importants5. Laconstruction de STEP artificiellesutilisant l’eau de mer ou l’eau douceest une possibilité6.

L’HYDROGÈNELorsque l’électricité produite par uneéolienne n’a aucun usage (heurescreuses), son prix est nul ou mêmenégatif 7. Dans ce cas, on pourrait lamettre à profit pour produire de l’hy-drogène par électrolyse (il faut 4 à6 kWh/m3). L’hydrogène peut four-nir de l’électricité avec une pile àcombustible (rendement 50 %) ouêtre utilisé pur ou mélangé avec dugaz naturel (hythane) pour fournirde la chaleur par combustion avecun excellent rendement.Dans la plupart des applicationsmobiles, le volume est un facteurlimitant. L’hydrogène a une faibledensité énergétique par unité devolume (2 kWh/L à 700 bars ;2,3 kWh/L, liquide et un peu plus de3 kWh/kg avec des hydrures).

LE STOCKAGE DÉCENTRALISÉPlutôt que de gros systèmes centra-lisés, on peut envisager de stockerl’électricité avec un grand nombrede petits moyens décentralisés. Il ya déjà deux systèmes de stockaged’énergie aujourd’hui : le réservoirdes véhicules (6-8 TWh) et les cumu-lus qui équipent 11 millions de foyers(20 TWh/an de chaleur). Demain, les véhicules hybrides rechar-geables et électriques constitueront,par leur nombre, un gigantesquerégulateur du réseau électrique enstockant l’électricité aux heurescreuses. Il sera même possible d’uti-liser leur batterie pour alimenter unepartie de la maison en cas de besoin.

CONCLUSION ET PERSPECTIVESLe stockage est le point faible de la filière énergétique. La priorité poli-tique accordée aux énergies inter-mittentes (éolien, solaire) pour l’accès au réseau va avoir des consé -quences économiques et environ-nementales pour la France (augmen-tation des prix et des émissions deCO2). L’équilibre du réseau ne pourraen effet être assuré qu’en combinantdes moyens de stockage – aujourd’hui

largement insuffisants : il en faudrait200 fois plus, 360 fois plus enAllemagne –, des centrales utilisantdes combustibles fossiles, donc émet-trices de CO2, et un réseau intelli-gent dont une des fonctions sera dedemander l’« effacement » de cer-tains clients lorsque la productionélectrique est insuffisante. On vadonc passer d’une situation où l’ona de l’électricité pas chère quand onen a besoin à une situation où l’onaura de l’électricité chère quand onpourra la produire. n

*CHRISTIAN NGÔ est expert en énergie etanimateur du laboratoire d’idées Edmonium,site d’informations scientifiques ettechnologiques. (www.edmonium.fr).

1. La puissance moyenne utilisée en Franceest d’environ 65 GW et la puissance instal-lée est proche de 120 GW.2. Une partie de l’électricité éolienne produiteau Danemark est achetée à bas prix par laSuède et la Norvège aux heures creuses,stockée sous forme hydraulique, et turbinéeaux heures de pointes pour être revenduetrès cher aux Danois lorsqu’ils en ontbesoin.3. En Allemagne, le rendement de l’éolienmesuré sur une décennie est d’environ15 %. Les 62 GW d’éolien installés enAllemagne produisent 74 TWh/an, mais de manière intermittente. La France produit405 TWh/an avec 63 GW électriques de nucléaire installés.4. P. Odru (dir.), le Stockage de l’énergie,Dunod, 2010, et Our Energy Future,Resources, Alternatives, and theEnvironment, C. Ngô et J. Natowitz, Wiley, 2009.5. Avec 50 % de nucléaire et le reste enénergies renouvelables, il faudrait pouvoirstocker 14 TWh, soit un stockage environ200 fois plus important que ce qui existeaujourd’hui (D. Grand, C. Le Brun etR. Vidil., Techniques de l’ingénieur, 2015).6. F. Lempérière, « Stockage de l’énergie par pompage de l’eau de mer », inTechniques de l’ingénieur, ethttp://www.hydrocoop.org/fr/publications.php7. En Europe, le prix de l’électricité peutvarier, approximativement, de 500 €/MWh à plus de 3 000 €/MWh, selon l’offre et lademande.

Au niveau du réseau, les quantitésd’électricité à stocker sont bien plusconsidérables (des térawattheures). Le moyen de stockage le plus utilisé est fondésur le pompage-turbinage de l’eau entre deuxréservoirs situés à des altitudes différentes.

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Votre revue est égalementtéléchargeable gratuitementsur www.progressistes.pcf.fr

Figure 3.Différentsmoyens destockage enfonction de la quantitéd’énergiestockée et du temps de décharge.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

LA QUÊTE DE L’AUTONOMIE ÉNERGÉTIQUERégulièrement, on entend parler de tel ou tel écoquartier qui serait autonomeen énergie, et même des villes et des régions entières qui le seraient. Il fautpréciser ce dont il s’agit pour ne pas tomber dans des confusions lourdesd’arrière-pensées idéologiques.

PAR AMAR BELLAL*

AUTONOME DANS SON QUARTIER?L’idée d’autonomie énergétique estissue de la mise en avant des per-formances énergétiques des pre-miers écoquartiers (sis à Freibourget à Copenhague) : ainsi, la qualitéde l’isolation thermique des bâti-ments serait telle que la chaleur d’unesimple ampoule lumineuse perme-ttrait de chauffer une pièce, mêmepar grand froid. C’est vrai (mais avecune ampoule à incandescence !) : cesont des performances tout à faitactuelles et qu’il faudrait s’efforcerde reproduire à grande échelle – lesfameux bâtiments basse consom-mation (BBC) vont dans ce sens.Concernant la production d’eauchaude ? On nous répond qu’il y ades chauffe-eau solaires sur le toit.Pour ce qui est de l’électricité néces-saire aux usages électroménagers,informatiques et autres, il y a les pan-neaux solaires photovoltaïques, etune petite unité de biogaz collective.L’eau? On a un récupérateur de pluie(une remarque au passage : l’eau depluie n’est pas utili sable telle quelle ;il faut la traiter).Il semble bien qu’il y ait là vraimentune autonomie énergétique. Qu’enest-il vraiment? Regardons-y de plusprès.

Dans le bilan énergétique ne sontpas comptabilisées les dépenses liéesà la fabrication de ces équipements.On pourrait penser que c’est horsbilan puisque les usines qui les pro-duisent se situent hors du périmètrede notre écoquartier. Pourtant, cetteénergie grise est considérable, surtout

d’avoir un quartier de très grandeétendue avec une faible densitéd’habitations… mais alors il ne s’agirait plus d’un quartier.Plus : au-delà de l’autonomie enénergie, si on prend maintenant unindicateur plus général, qui comp -tabilise toutes les ressources con-sommées, l’empreinte écologiquepar exemple, encore plus de ques-tions se posent ; il faudrait, entreautres, rajouter les surfaces liées auxexploitations minières, agricoles, lesocéans nécessaires.

LES CONFUSIONSCe qui explique qu’on arrive à setromper, c’est qu’en matière d’éner -gie peu de gens ont le sens des échelleset font la différence entre 1, 10 et 100(et c’est compréhensible, tout lemonde n’est pas familier avec le sujet).La simple perception d’un panneausolaire sur un toit, la publicité aidant,le temps d’un reportage de deux mi -nutes au journal de 20 heures, peutconduire à penser que l’autonomieest possible. Ce faisant, on négligetoutes les interactions sociales liéesà une division du travail tellementpoussée à l’échelle planétaire qu’onne les perçoit même plus. C’est cequi rend pour le moins probléma-tique d’essayer de fixer une frontièreterritoriale à l’intérieur de laquelleon aboutirait vraiment à uneautonomie. En fait, on se rend comptequ’on a désespérément besoin deses voisins. L’idéologie dominante,individualiste, a beau essayer de lescacher, les nier, les mépriser, rien n’yfait, on a besoin d’eux, on est lié aureste de la société, au reste du payset même à l’appareil productif mon-dial : cachez-moi cette usine pollu-ante qui consomme de l’énergie queje ne saurais voir ! On s’aperçoit ainsique cette quête de la bulle autonomeest problématique, pour ne pas direvaine, la société est incontournable,l’humain est d’abord et avant toutun être social. Pour les valeurs com-munistes que nous partageons, c’estplutôt une bonne nouvelle.

LES ÉCOQUARTIERS,VERS UNE PRATIQUE GÉNÉRALISÉEPourtant, il y a là une idée très intéres-sante si on la sort de l’idéologie, si

lorsqu’on y inclut des produits dehaute technologie à haute valeurajoutée (comme les panneaux photo - voltaïques).Quand un de ses occupants se rendà son travail en voiture, prend le trainou le tramway ou, dans le cadre deses loisirs, passe une semaine à NewYork, en vacances, ce n’est pas comp -tabilisé dans le bilan. Évidemment,il fait son voyage hors du périmètrede la bulle écoquartier, on peutencore penser que ça ne comptepas non plus.On ne comptabilise pas l’énergiecontenue dans la nourriture et autresbiens de consommation. Prenonsjuste l’exemple de l’eau, élément vitalqu’on peut difficilement accuser departiciper à la société de consom-mation : elle nécessite beaucoupd’énergie pour être purifiée, trans-portée, puis retraitée dans une sta-tion d’épuration (avec des produitschimiques dont la productiondemande aussi de l’énergie).Bien sûr, on peut prendre en compte,pour l’eau, l’existence d’un récupéra-teur de pluie et, pour la nourriture,l’existence du petit potager (qu’il fautavoir le temps d’entretenir aussi : letemps est aussi une ressource). Celapeut aider, mais si on considère lesrendements, les besoins en eau, lacompatibilité avec la densité, on abeau faire tourner la calculette, onn’arrive pas à « boucler » le problèmede la recherche d’autonomie. À moins

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Lotissement solaire,écoquartier Vaubanà Freibourg(Allemagne).

Une mise en cohérence de nombreusestechniques réuniesdans un mêmequartier, mais qui ne doit pas conduireà des conclusionshasardeuses : on est en effetencore très loin de l’autosuffisanceet de l’autonomieénergétiques.

Ce qui explique qu’on arrive à se tromper,c’est qu’en matière d’énergie peu de gens ont lesens des échelles et font la différence entre 1,10 et 100 (et c’est compréhensible, tout lemonde n’est pas familier avec le sujet).“ “

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on en fait le point de départ d’unevraie préoccupation d’économie desressources et de réduction des atteintesà l’environnement, d’une pratiquenouvelle intégrée dès la conceptiondes bâtiments, dès les études d’ur-banisme (ce qui est aujourd’huipresque toujours le cas). Mais cesréelles avancées ne doivent pas nousconduire à verser dans le discoursindividualiste du type : « On peut se passer des autres, on peut vivredans une bulle, dans le mirage del’autonomie de notre quartier, dansl’entre-soi », en somme la versiondite autonome des tristes quartiersrésidentiels, hautement sécurisés,entourés de quartiers pauvres qu’onrencontre aux États-Unis et enAmérique du Sud.

En résumé: oui aux innovations tech-niques, y compris aux innovationssur le plan de l’organisation sociale ;non aux mirages et aux conclusionsrapides conduisant à une nouvelleforme d’entre-soi.

Revenons aux écoquartiers deFreibourg : ils sont indéniablementde vrais laboratoires d’idées dont,depuis vingt ans, l’Europe entière

s’inspire. Plus que de réelles inno-vations, c’est surtout la mise encohérence d’une multitude de tech-niques déjà éprouvées et réunies surun même espace qui a constitué vrai-

ment la nouveauté. Il n’en reste pasmoins qu’il est faux d’affirmer queces quartiers sont autonomes enénergie : ils sont reliés au reste dumonde, ne serait-ce que par le réseauélectrique national allemand. Ilsdépendent également de tous leséquipements au niveau national, etmême au niveau mondial, y com-pris les aéroports internationaux !Aéroports qui accueillent des avions,qui transportent entre autres desmédecins, lesquels se rendent à descolloques pour se former et qui, deretour en Allemagne, seront amenésà exercer leur métier avec plus d’ef-ficacité. Or la dépense énergétiquequi est à l’arrière-plan est-elle comp -tabilisée dans le bilan des écoquartierslors de la visite d’un de ces médecinspour soigner la bronchite d’un desenfants de ses occupants ? Non. Cetexemple est très ponctuel, il y en ades milliers d’autres possibles quidonnent la mesure de la complexitédu problème et montrent qu’on esttoujours très loin de l’autonomie.Au fond, s’il y avait vraiment besoinde conceptualiser jusqu’au bout cequi ressemblerait à un espaceautonome, alors le vrai écoquartierà construire est à dimension mon-diale, un écoquartier géant quicompterait aujourd’hui 7 milliardsde personnes et qui se stabiliseraitdemain à 10 milliards.

« SMALL IS BEAUTIFUL »?Cette question donne la réplique au très répandu small is beautiful(« ce qui est petit est beau ») : leséquipements de petite taille, à échelleréduite, seraient moins polluantsque les gros équipements. Rien n’est

moins sûr: rappelons que, contraire-ment aux apparences, la vraie effi-cacité se réalise souvent dans lamutua lisation d’équipements col-lectifs de grandes dimensions, quise révèlent au final, au regard desservices rendus à un grand nombrede foyers, plus économes, plus effi-caces sur tous les plans qu’une mul-tiplication de petites solutions. Onpeut en effet y concentrer lesmeilleures technologies qui soient,les plus propres aussi, et on peut très facilement les entretenir, les contrôler, les rénover, contrairementà une multitude (des dizaines de mil-liers parfois) d’équipements dis-séminés dans les habitations ou lesquartiers. L’inverse est vrai aussi, ilarrive ainsi réellement que small isbeautiful, pensons aux chauffe-eausolaires qui pourraient équiper desmillions d’habitations et éviteraientautant de dépenses énergétiques.

LA CIBLE RÉELLE : LES SERVICES PUBLICSOn pourrait refaire cette analyse àpropos de l’écoville autonome(Freibourg) et de l’écorégion autonome(Poitou-Charentes). Ici, le discourspolitique sous-jacent n’est pas inno-cent, il consiste à faire passer l’idéeque les services publics nationauxn’ont plus de pertinence, et ainsi pré-parer la régionalisation voulue parl’Europe de Bruxelles pour affaiblirles États. Le morcellement et la pri-vatisation des services publics sontdu même coup justifiés. n

*AMAR BELLAL est enseignant dans le secteur du bâtiment et rédacteur en chef de Progressistes.

Un exemple desmall is beautifulqui ici fonctionne :les chauffe-eausolaires, solutionécologique etélégante avec unrendementénergétique trèsappréciable.Cependant, leplus souvent, leséquipements degrandes taillesrestent largementplus écologiquespar les économiesd’échelles qu’ellespermettent.

Écoquartiers de Freibourg : ils sont indé -niablement de vrais laboratoires d’idées dont,depuis vingt ans, l’Europe entière s’inspire.“

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DOSSIER22

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

ÉNERGIES RENOUVELABLES

PAR VALÉRIE GONCALVES*

L’Union européenne veut por-ter à 27 % la part d’énergierenouvelable dans le mix

énergétique, et réaliser 27 % d’éco-nomies d’énergie. L’Europe dépense400 milliards d’euros en importa-tions d’énergie ; dans ce domaine,elle est dépendante à 53 %.La Commission européenne chiffreà 1 000 milliards d’euros le besoin eninvestissements sur dix ans. C’est1 % du PIB mondial, moins de 0,3 %des actifs financiers mondiaux. Lesmarges financières existent donc.Dans l’UE, l’évasion fiscale repré-sente 1000 milliards d’euros annuels.Chaque directive européenne n’aamené que désoptimisation du sec-teur, filialisations et privatisations.La concurrence devait faire baisserles prix pour les consommateurs,c’est le contraire qui s’est produit, etl’énergie pèse de manière croissantedans le budget des ménages.La précarité énergétique progressepour 75 à 150 millions de personnes,or UE veut mettre fin aux tarifs régu-lés. Partout où les tarifs réglemen-tés ont été supprimés, les facturesse sont envolées. Un Italien paie sonélectricité 45 % plus cher qu’unFrançais, un Belge 40 %, un Allemand80 %. L’accès de tous à l’énergieappelle des réponses politiques.

COOPÉRATION PLUTÔT QUE CONCURRENCEIl faut passer de l’Europe de la concur-rence à l’Europe de la coopérationénergétique.La France doit être à l’offensive pourune politique européenne indus-trielle répondant à des objectifs deprogrès humain et écologique.L’échelon européen est pertinentpour introduire des clauses socialeset environnementales dans leséchanges internationaux.

ÉNERGIE RENOUVELABLE : LES INCOHÉRENCES DE L’EUROPE LIBÉRALELa politique de l’Union europeenne est inefficace pour lutter contre le re chauf-fement climatique mais tre s profitable pour les placements financiers souscouvert d’investissement dans les énergies « vertes ».

La création d’une agence européennede l’énergie permettrait d’associersécurisation, indépendance et longterme avec des objectifs communs,telle la réduction des gaz à effet deserre (GES), la recherche, le droit àl’énergie… La diversité des situationsau plan européen concerne aussi lessources d’énergie possibles (nucléaireen France, charbon en Pologne…).Il faut prendre en compte le niveaudes différentes technologiques (coût,stockage de l’électricité, stockage duCO2), en respectant trois critères :social, environnemental et écono-mique.L’énergie n’est pas une marchandisecomme les autres, se vendant au grédes cours de la Bourse et sujette àspéculations. La lutte contre le réchauf-fement climatique exige d’agir enconséquence.Maîtriser le réchauffement clima-tique est une impérieuse nécessité,et c’est une bataille politique que lePCF entend bien mener. C’est le sensde la campagne, dont le PCF a prisl’initiative avec trente formationsprogressistes de toute la planète, lan-cée en janvier 2015 par une pétition.L’intervention des peuples est urgenteet nécessaire pour pousser les Étatsà conclure un accord positif lors dela tenue à Paris de la Conférence desNations unies sur le climat, dite

COP21, en décembre 2015. Un accordglobal est possible, à condition dedégager une vision solidaire du déve-loppement humain durable à l’échellede la planète ; les décisions doiventêtre contraignantes pour les États,mais différenciées sur des principesde solidarité et d’équité.Le PCF, à travers la GUE (Gauche uni-taire européenne), propose de rom-pre avec les politiques d’austérité etde financer par l’endettement « sain »auprès de la BCE les programmesvisant à une société bas carbone. Lemarché et le recours au secteur privéne sont pas à la hauteur des enjeuxqui nécessiteront des temps longs etd’importants investissements publics.Le service public est incontourna-ble, à l’opposé des politiques de déré-gulation et de privatisation.

LE CASSE-TÊTE IMPOSSIBLE DE L’INTERMITTENCE L’arrivée sur le réseau européen del’intermittence, électricité d’origineéolienne et photovoltaïque, met endanger la stabilité du réseau. Commeactuellement l’électricité ne se stockeque très difficilement, à moins d’avoirde nombreux barrages hydrauliquesà disposition, et que la productiond’énergies renouvelables (EnR) estprioritaire sur le réseau, elle y estdéversée y compris aux périodes defaible demande. Elle est subvention-née et produite à coûts fixes, ce quiincite les exploitants à surproduire.Ainsi, les prix de gros de l’électricitéen Europe sont tirés à la baisse durantles pics de production EnR, jusqu’à,devenir négatifs.On assiste à des mises sous cocon decentrales thermiques, qui sontconfrontées à des difficultés de ren-tabilité sur les marchés de l’énergie.Des pays comme la Suisse et la Norvègeutilisent ces surplus de l’électricitévia le stockage hydraulique. Ils achè-tent l’électricité lorsque son prix esttrès bas, la stockent et réservent leurscapacités de production pour la ven-dre au prix le plus fort aux heures depointe.En Allemagne, pays qui avait un objec-tif (non atteint) de 80 % de produc-

4,5% c’est la contributiondu photovoltaïquedans la productiongloblale d’électricitéen Allemagne en2013.

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tion d’EnR par l’éolien et le solaire, leprix de l’électricité est très élevé (presquele double du nôtre). Pour financer cesénergies « vertes » la facture d’électri-cité des Allemands est très fortementtaxée, les industriels électro-intensifsbénéficiant quant à eux d’exonérationsimportantes. Le développement incon-trôlé de l’électricité éolienne et solairen’a pas permis de dimensionner leréseau de transport en conséquence.De ce fait, l’absence d’une capacité detransport suffisante entre le nord et lesud de l’Allemagne provoque des fluxqui saturent les interconnexions despays limitrophes. Le choix de dévelop-pement tous azimuts des EnR en vuede la fermeture de toutes les centralesnucléaires contraint le pays à relancerla production à partir du lignite, par-ticulièrement polluante et productricede GES (plus de 60 % de l’électricitéest produite par le charbon et le gaz).

SITUATION EN FRANCEEn France, le récent débat sur la loi de transition énergétique a montré que certains courants politiques sontaffectés de mimétisme sur le modèle allemand.Alors que, d’ores et déjà, certains élec-tro-intensifs bénéficient de diversesexonérations de contribution du ser-vice public de l’électricité (CSPE) quireprésentent un montant total d’envi-ron 1 milliard d’euros, les dernièresmesures de la loi TURPE les exonèrentaussi jusqu’à 90 % du tarif d’utilisationdes réseaux publics d’électricité. Cemanque à gagner pour financer lesinvestissements sur les réseaux sera

PROPOSITIONS DU PCF Il est temps d’en finir avec ces poli-tiques de rachat des énergies « vertes »qui n’ont de cesse de créer des effetsd’aubaine au détriment des consom-mateurs domestiques.Il faut plutôt un mix énergétiquediversifié, incluant toutes les éner-gies disponibles, privilégiant cellesémettant le moins de CO2et prenanten compte le niveau de maturité desdifférentes technologiques avec letriple critère : social, environnemen-tal et économique. Un mix énergé-tique où différents critères peuventêtre privilégiés : compétitivité éco-nomique, faibles émissions de CO2,indépendance énergétique, prévisi-bilité des coûts et des tarifs, réponseaux besoins… Le modèle françaisavec son électricité hydraulique est bien placé en termes d’énergierenouvelable.Une condition sine qua non de laréussite d’une transition énergétiqueambitieuse est un effort public mas-sif de recherche, devant être menédans toutes les directions : énergiesrenouvelables ; nucléaire avec laGénération IV ; projet ITER ; char-bon propre et captage de CO2 ; éner-gie océanique ; carburant hors car-bone ; stockage de l’électricité ;économies d’énergies… Or un récentrapport remis au gouvernement surles infrastructures énergétiques faitétat d’un effort de recherche « aumême niveau que celui de 1980 ».Les parlementaires communistesont, à nouveau, dénoncé la privati-sation du secteur énergétique dansle cadre de la loi de transition éner-gétique. Ils ont demandé, sans suc-cès, l’abrogation de la loi NOME, loiscélérate qui a entre autres obligéEDF à vendre à ses concurrents lequart de sa production d’originenucléaire. Elle a également mis finaux tarifs réglementés pour les col-lectivités et les PME. Enfin, leurdemande d’un bilan de la dérégle-mentation du secteur énergétiquen’a pas abouti. n

*VALÉRIE GONCALVES est dirigeantenationale du PCF ; elle est en chargede la commission énergie.

pris aux ménages ou aux PME, commeen Allemagne. Parallèlement, la loiMacron s’apprête à leur faire un der-nier cadeau : leur octroyer le béné-fice d’un accès privilégié, au coût derevient, à l’hydroélectricité.

Des sommes monstrueuses s’accu-mulent : le CICE pour 20 milliards,le crédit impôt recherche pour 6 mil-liards, sans parler des exonérationssociales patronales et de l’exil fiscal(50 à 80 milliards d’euros par an).Si les entreprises fortement consom-matrices d’énergie peuvent bénéfi-cier d’une électricité compétitive et stable, cet avantage ne doit paspénaliser les autres usagers. Il fautmettre en parallèle les politiquesd’emploi, d’investissement sur lesmoyens de production, de rechercheet développement…

La libéralisation du secteur a permisla création de nouveaux marchés, tell’effacement sur les marchés de l’éner-gie. L’effacement consiste à coupertemporairement le fonctionnementdes appareils électriques chez unprofessionnel ou un particulier pen-dant quelques minutes lors de picsde consommation. Les agrégateursd’effacement sont rémunérés parune taxe prélevée sur les factures desusagers. Ce système fait pression surle renouvellement de nouveauxmoyens de production dont notrepays a besoin à court terme et orga-nise le concept de la décroissanceénergétique. C’est une conceptionqui consistera à adapter les besoinsà la production, à l’opposé du sys-tème électrique actuel.

Maîtriser le réchauffement climatique estune impérieuse nécessité, et c’est une bataillepolitique que le PCF entend bien mener. C’est le sens de la campagne, dont le PCF a prisl’initiative avec trente formations progressistes de toute la planète, lancée en janvier 2015.

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La création d’une agence européenne de l’énergie permettrait d’associer sécurisation,indépendance et long terme avec des objectifscommuns : la réduction des gaz à effet de serre(GES), la recherche, le droit à l’énergie.“ “

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L’électricitéd’origine éolienneet photovoltaïque,du fait de leurintermitence(imprévisibilité)met en danger lastabilité du réseau.Le risque étant lapanne généralepour toutel’Europe, commel’ont connue les États-Unis.

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PAR FABRICE ANGÉI*

P ar transition énergétique onentend le passage d’un sys-tème énergétique qui repose

essentiellement sur l’utilisationdes énergies fossiles, épuisables etémettrices de gaz à effet de serre(pétrole, gaz, charbon) à un bou-quet énergétique donnant la partbelle aux énergies renouvelables età l’efficacité énergétique. Cettetransition répond à la nécessité delutter contre le réchauffement cli-matique. Dans cette lutte, l’Unioneuropéenne s’est fixé l’objectif deréduire de 20 % les émissions degaz à effet de serre et d’accroître de20 % l’efficacité énergétique ainsique la part des énergies renouvela-bles d’ici à 2020.On ne peut penser transition éner-gétique et énergies renouvelablessans poser le préalable de l’accèspour tous à l’énergie. Sur la planète,2 milliards d’êtres humains n’ont pasaccès à l’électricité et ne disposentque de moyens rudimentaires pourse chauffer ; dans notre pays, la pré-carité énergétique touche 8 millionsde personnes. Il va être nécessaireau niveau mondial de produire plusd’énergie pour satisfaire les besoinsd’une population de plus en plusnombreuse.Personne ne remet en cause la néces-sité de développer les énergies renou-velables, pour autant il ne s’agit paslà de technologies miracles. Il n’y a

liées au développement des énergiesrenouvelables baisse de 22 %, notam-ment du fait que l’éolien et le pho-tovoltaïque sont marqués, pour lepremier, par une contestation crois-sante et, pour le second, par uneperte d’attractivité financière. Lafilière des énergies marines renou-velables (EMR) prend la relève. LeGroupement des industries deconstructions et activités navalescommunique le chiffre de 55 000 à80 000 emplois en France à l’horizon2030. L’éolien offshore, par exemple,a fait l’objet d’appels d’offres pourl’édification de parcs en mer, ce quiexige de disposer d’un outil indus-triel local, pérenne et pourvoyeurd’emplois.

UNE FILIÈRE INDUSTRIELLE QUI RESTE À CONSTRUIREBien que fort de 10 milliards d’eurosde chiffre d’affaires, le tissu indus-triel en France accuse dix ans deretard sur l’Allemagne dans le domainedes énergies renouvelables. En consé-quence, une bonne part des équipe-ments correspondants – éoliennes,chaufferies, panneaux solaires, etc. –est produite outre-Rhin et importée.Si d’aucuns estiment que les entre-prises françaises ne disposent pasd’une marge suffisante pour rattra-per ce retard sur les technologiesmatures, le potentiel de développe-ment de l’emploi, y compris indus-triel, reste important dans leur miseen œuvre. Les sous-traitants (piècesmécaniques et câbles, entre autres)se comptent déjà par centaines. Lesprojets requièrent ensuite beaucoupde main-d’œuvre locale pour leurimplantation (chaufferie bois, bio-gaz à la ferme, parc éolien…) et leurmaintenance.La CGT se prononce pour dévelop-per des filières industrielles des éner-gies nouvelles renouvelables. Commedans d’autres domaines, redonnerles moyens à la recherche peut nouspermettre de faire sauter des verroustechnologiques et de changer de para-digme (stockage massif de l’électri-cité, autonomie des batteries, etc.).Les technologies du renouvelableoffrent, à côté de projets de grandeenvergure (hydroélectricité, éolien,

pas de bonnes ou de mauvaises éner-gies. Pour l’illustrer, la France dis-pose d’un portefeuille de productionélectrique et thermique parmi lesmoins émetteurs de CO2 de l’Unioneuropéenne, avec un parc nucléaireet hydroélectrique couvrant, ensem-ble, 90 % de la demande.

UN VÉRITABLE GISEMENT D’EMPLOISToutes les activités sont concernéespar la transition, et avec elles lesemplois. La CGT ne voit pas d’oppo-sition entre écologie et industrie maisde vraies questions à investir : Queltype d’industrie et quelle structura-tion des filières ? Quelle territoriali-sation et quelle organisation de cir-cuits courts ? Quelle responsabilitésociale et environnementale sur lesterritoires doit s’imposer aux groupeset aux entreprises ?Certaines écoactivités sont des gi sements importants d’emplois nouveaux : rénovation thermique,efficacité énergétique, énergies re nou ve lables, réseaux intelligents,transports propres, économie circu-laire, gestion de l’eau, écologie indus-trielle, biodiversité et génie éco -logique. Une étude de l’Agenceinternationale pour l’énergie renou-velable (IRENA [InternationalRenewable Energy Agency]) publiéeen 2014 montre que les énergiesrenouvelables participent à la créa-tion d’emplois et à la croissance del’économie mondiale. En 2013, dansle monde, environ 6,5 millions depersonnes étaient directement ouindirectement employées dans l’in-dustrie des énergies renouvelablesavec un gain de 800 000 salariésconstaté entre 2012 et 2013.En France, l’Agence de l’environne-ment et de la maîtrise de l’énergie aévalué le poids des filières « vertes »en termes d’emplois : 310 260 en2012, dont 100 000 emplois directsdans le secteur de l’énergie renou-velable. Mais le rythme de croissancese tasse : l’emploi dans les activités

DOSSIER24 ÉNERGIES RENOUVELABLES

INDUSTRIE ET ÉNERGIES NOUVELLES RENOUVELABLESProduire les indispensables appareils pouvant capter l’énergie du soleil et duvent impose de développer une vraie filière industrielle qui manque à la France,avec un effort soutenu pour la formation. Industrie et écologie vont ici de pair.

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

Que ce soit dansle domaine dusolaire thermiqueet photovoltaïque,de la renovationdes logements, de la fabrication et installation depompes a chaleur,de systemes de ventilation, de chauffage... la transitionenergetique est unveritable gisementd’emplois.

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offshore), des gammes de solutionsénergétiques variées et modulaires,qui répondent précisément aux exi-gences nouvelles d’efficacité éner-gétique et d’innocuité qui marquentce début de XXIe siècle.C’est dans les domaines des éner-gies renouvelables et de l’efficacitééconomique qu’il y a incontestable-ment des filières nouvelles à créer etqu’il faut aller chercher les perspec-tives d’emploi les plus solides.Ajoutons-y le secteur des réseaux,puisqu’il faut adapter ceux-ci à l’ar-rivée massive de sources d’électri-cité intermittentes – venues de mil-liers de petits producteurs diffus –en insérant des systèmes de stockageet de pilotage à la demande.

L’ENJEU DE LA FORMATIONL’un des facteurs de croissance del’emploi demeure le développementdes compétences techniques. L’IRENAestime que des pénuries de compé-tences créent déjà des goulets d’étran-glement dans le déploiement desénergies renouvelables dans certainspays. Il ne s’agit pas dans ces sec-teurs de développer des métiers peu qualifiés et précaires mais devéritables métiers nécessitant desformations et des qualifications spécifiques.L’emploi lié aux énergies renouve-lables a été façonné par les change-ments régionaux, les réalignementsindustriels, la concurrence du mar-ché, les technologies et les procédésde fabrication. Il apparaît d’ores etdéjà nécessaire de sécuriser le poten-tiel industriel existant, en liaison avecl’anticipation de nouveaux besoins.Il est aussi urgent d’assurer la tran-sition des savoirs et des savoir-faireet d’engager les évolutions des métierset des modes de production. La struc-ture de l’emploi et le chômage desseniors privent une grande partiedes entreprises industrielles de leursavoir-faire. De la même façon, lesort réservé aux jeunes générations– bien souvent précarisées, et qui nesont pas de manière permanente

dans l’entreprise – contribue à cetteabsence de transmission du savoir,donc des métiers.Les territoires sont également impac-tés, notamment au regard des enjeuxautour de l’industrie, de l’emploi,des conversions de site et de bassin.Pour la CGT, il s’agit d’améliorer l’ex-pertise et la connaissance des évo-lutions prévisibles – comme desbesoins insatisfaits par filière – etd’engager cette réflexion dans unelogique territoriale de proximité.Dans le même ordre d’idées, la GPEC(gestion prévisionnelle des emploiset des compétences) doit devenir unoutil de gestion prévisionnelle desstratégies d’entreprise en ouvrantune véritable prospection sur lesbesoins de compétences, et donc lesformations à mettre en place enamont. Tout cela implique d’ouvrir

un véritable dialogue social en ter-ritoire pour obtenir des droits nou-veaux pour les salariés et nourrir effi-cacement les volets formationprofessionnelle des contrats de planÉtat-régions.C’est cette démarche que nous avonsconduite en Bretagne autour du parcéolien en mer de la baie de Saint-Brieuc pour faire émerger dans larégion une véritable filière indus-trielle, scientifique et énergétiqueautour de l’exploitation de ces éner-gies marines qui permettent de géné-rer des retombés économiques etsociales importantes.

POUR DES POLITIQUES PUBLIQUESÀ LA HAUTEURLes énergies renouvelables dans unenvironnement libéral et de dérégu-lation offrent des opportunités spé-

culatives. Chacun a en mémoire lesdéboires qu’ont subis nombre depropriétaires séduits par le miragede l’équipement en panneaux pho-tovoltaïques. C’est ainsi que les aidesde l’État, principalement sous formede crédit d’impôt, ne favorisent defait que les plus aisés. Qui, parmi lesparticuliers, peut aujourd’hui entre-prendre pour son logement les tra-vaux d’efficacité énergétique, quisont pourtant un secteur d’avenirpour la création de filières indus-trielles et d’emplois ?À une tout autre échelle, la non-consommation d’énergie devient unacte monnayable en espèces son-nantes et trébuchantes ou moyen detitres négociables sur une Boursedédiée, à la manière des quotas deCO2. Acheter des kilowattheures, vendre une non-consommationcomme on achète ou on vend desactions, voilà à quoi se réduit la tran-sition énergétique en l’absence demaîtrise publique, démocratique,des financements, de transparenceet de contrôle.Les aides et financements publicsdoivent être conditionnés à des cri-tères sociaux et environnementauxainsi qu’à la responsabilité socialedes entreprises. Pour être véritable-ment la banque de la transition éner-gétique, la Banque publique d’in-vestissement (BPI) doit prendre encompte, comme le précise la loi, lesenjeux environnementaux, sociaux,d’égalité professionnelle, d’équili-bre dans l’aménagement écono-mique des territoires à l’appui de sonengagement. Il importe égalementde mettre en place son comité deresponsabilisation sociale et envi-ronnementale indépendant commeappui à son conseil d’administra-tion. Ce qui doit pousser la logiquede la BPI vers un véritable pôle finan-cier public.L’énergie est un secteur stratégique :l’appropriation sociale via un pôlepublic de l’énergie, structure juri-dique et administrative indépen-dante, visant à renforcer la mise encohérence du secteur, est indispen-sable. n

*FABRICE ANGÉI est membre du bureauconfédéral de la CGT.

Les éoliennessont de véritablesouvrages d’art :béton, acier,rotors avec des aimantsgigantesquesnécessitant desmétaux rares. Les pales sontassemblées dansdes usines puistransportées parcamion jusqu’ausite d’exploitation. La dimensionindustrielle est une réalité.

JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Progressistes

Le tissu industriel en France accusedix ans de retard sur l’Allemagne dans ledomaine des énergies renouvelables. Unebonne part des équipements correspondants –éoliennes, chaufferies, panneaux solaires, etc.– est produite outre-Rhin et importée.

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Alors que l’Allemagne reconnaît officiellement son échec avec une production d’électricité à partir d’énergiesrenouvelables intermittentes de seulement 15 %, que doit-on penser du rapport de l’ADEME voulant porter cechiffre à 80% pour la France ?

PAR JEAN-CLAUDE CAUVIN*

UN PLAN « COM » PARFAITEMENT ORGANISÉDepuis plusieurs mois, l’Agence del’environnement et de la maîtrise del’énergie (ADEME) annonçait unimportant rapport : « Vers un mixélectrique 100 % renouvelable en2050 », qui devait être présenté lorsd’un colloque sur « les énergies renou-velables dans le mix électrique fran-çais » organisé les 14 et 15 avril 2015.Le 4 avril, le journal le Monde révé-lait que sa parution était reportée,mais le 8 avril des « fuites » très oppor-tunes permettaient sa publicationpar Médiapart.L’«affaire » était entendue ! Sans tropse préoccuper de ce que disait cetteétude, dans la course à l’émotionmédiatique, la presse annonçait :« En 2050, la France pourrait avoirune électricité 100 % fournie par lesénergies renouvelables et se passer dunucléaire. La preuve : on voulait cacherce rapport. » Bien entendu, les lob-bies antinucléaires s’emparaient decette « information » et en assuraientla gestion politique.

MAIS QUE DIT RÉELLEMENT CETTE ÉTUDE ?Elle consiste en un exercice d’écolepurement théorique qui imagine unmix électrique 100 % renouvelableà l’horizon 2050 et multiplie les scé-narios envisageables, avançant poury parvenir des hypothèses plus oumoins crédibles. Ces projections« théoriques » sont toutes construitesavec une forte contribution des éner-gies intermittentes (photovoltaïqueet éolien).Pour résoudre cette question, alorsque « la question du stockage à grandeéchelle de l’énergie électrique n’estpas résolue »1, la solution de l’ADEMEconsiste :– à se reposer sur des pistes pourstocker l’énergie, pistes qui sontencore loin d’être assurées à des coûtsaccessibles ;

– à piloter la demande en fonctionde la production, les compagniesd’électricité commandant via lecompteur « intelligent » des efface-ments de vos appareils électriques.Orwell n’est pas loin !Rien d’étonnant à ce que le rapportnous invite à prendre avec précau-tion ces résultats, « car rien ne garantil’adéquation, à chaque instant, entreproduction et demande », y lit-on.Difficile de résumer en quelqueslignes un document technique de119 pages qui aligne à l’envi toutautant de figures. Aussi nous limite-rons-nous, dans le cadre de cet arti-cle, à analyser deux questions clésde ce rapport : le scénario de réfé-rence et les estimations de coût.

LE SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE Il est fondé sur une consommationélectrique nationale ramenée en 2050à 422 TWh et se répartissant entrel’éolien (63 %), le solaire (17 %), l’hy-draulique (13 %) et le thermique (7 %). Les 422 TWh sont à mettre en regardde la consommation actuelle, qui estde 478,4 Twh2, et d’une prévision decroissance démographique de 10 %.À cela il faut ajouter que nous nepouvons nous accommoder d’unesituation de crise qui se traduit pardes coupures d’électricité pour descentaines de milliers de foyers et parla casse de l’outil industriel natio-nal. Enfin, la recherche d’économied’énergie et de réduction des émis-sions de CO2 passe par une utilisa-tion plus importante de l’électricitéavec, par exemple, le développement

de la voiture électrique, des trans-ports en commun ou des pompes àchaleur, sans compter les nouvellestechnologies. On comprend mieuxpourquoi le rapport souligne pudi-quement que « ces hypothèses sontambitieuses en termes d’efficacitéénergétique »… Elles sont tout sim-plement irréalistes.Dans cette configuration, 63 % del’électricité seraient donc d’origineéolienne, soit plus de 300 TWh paran. Lorsqu’on sait que la part de l’éo-lien dans la production actuelle estde 17 TWh (3,1 % de la production3,il faudrait multiplier par 18 cette pro-duction ou, dit autrement, installer100 000 éoliennes de 2 MW. Enmoyenne, plus de 1 000 par dépar-tement ! Le même constat peut êtrefait pour la production photovol-taïque prévue, qui nécessiterait demultiplier par 12 les surfaces actuelles.Comment ignorer les résistancessociales que peuvent engendrer detelles installations ?

ET TOUT CELA À QUEL PRIX ?Levons tout ce suite un contresenscolporté par la mouvance antinu-cléaire et que n’a pas manqué d’ali-menter une presse à la recherche desensationnel. Le rapport en ferait ladémonstration : « […] le nucléairen’est plus compétitif face aux renou-velables. » Or à aucun moment cetteétude n’aborde la question des coûtsde production des diverses filières.Sur ce point, l’analyse des chiffresfournis par la Commission de régu-lation de l’énergie et la Cours des

ADEME : LE SCÉNARIO AUX PIEDS D’ARGILE

DOSSIER ÉNERGIES RENOUVELABLES26

Objectif 100%d’électricitérenouvelable : la France peut-ellevraiment réussir là où l’Allemagne a échoué ?

Page 27: Progressistes n° 7

PAR CLAUDE AUFORT*

L’énergie est le « sang » nécessaireau développement des sociétés. Dansles pays industrialisés, elle est incon-testablement le socle sur lequelrepose le fonctionnement du sys-tème technique. Le besoin d’éner-gie se heurte à des aspects contra-dictoires de la réalité. Les organisationshumaines se développent dans unmonde fini, notamment du point devue des ressources fossiles, les besoinsurgents en énergie doivent prendreen compte des contraintes inéditeset des risques mal acceptés. Leshommes ont-ils les moyens de sor-tir de cet étau énergétique ?

DEUX ASPECTS CONTRADICTOIRESDE LA RÉALITÉ MONDIALED’une part, les conclusions du GIECaffirment avec 95 % de certitude queles activités humaines et les émis-sions de gaz à effet de serre (GES)sont responsables du changementclimatique. Les pays signataires duprotocole de Kyoto se sont engagésen 1997 à réduire les émissions deGES pour limiter à 2 °C la hausse dela température moyenne du globed’ici à 2050 ; au-delà de cette valeur,les impacts sur l’environnement etnos sociétés seraient dramatiqueset irréversibles. Cet engagement

implique que les pays développésdivisent par 4 leurs émissions de GES,en s’engageant dans une stratégiede sortie des énergies fossiles.D’autre part, la demande énergé-tique mondiale ne peut qu’augmen-ter. L’évolution de la démographiemondiale, la résorption des inégali-tés énergétiques, l’accès à l’eau douceet à Internet pour tous les peuples,la modification des modes de pro-duction pour ne pas aggraver les dés-équilibres écologiques terrestres exi-geront beaucoup d’énergie. D’ici à2050, nous devrons au moins dou-bler la production d’énergie primairesur la Terre.Pour affronter cette contradictionqui menace toutes les organisationshumaines, de nombreux scénariossont étudiés, parfois mis en œuvre.Ils adoptent comme hypothèse l’unedes deux perspectives politiques suivantes :– accélérer une transition vers unsystème énergétique indépendant,efficace et fondé sur 100 % d’éner-gies renouvelables à terme (c’est lecas de la stratégie allemande) ;– utiliser toute la diversité énergé-tique en permettant à chaque peu-ple de déterminer les choix indis-pensables qui répondent à ses besoins.Examinons ces deux perspectives endébat en allant à l’essentiel1, et en

95%c’est, d’après le GIEC, le degré de certitude que lesactivités humaineset les émissions de gaz à effet de serre sontresponsables du changementclimatique.

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ÉNERGIE : ENTRE ILLUSIONS,INTENTIONS ET RÉALITÉRéchauffement climatique, épuisement des ressources, droit àl’énergie et réalité des besoins : quels choix se posent pourl’avenir énergétique de l’humanité ? Une équation mêlant réa-lités techniques et enjeux politiques.

comptes permet d’affirmer que lecoût de production le plus faible est,de loin, celui de l’énergie hydrau-lique. Vient ensuite le nucléaire(54,4 €/MWh) puis l’éolien terres-tre, qui se rapproche de la compéti-tivité, alors que le mégawattheureproduit par les futures éoliennes off -shore est estimé à plus de 220 €.L’énergie solaire photovoltaïque restel’une des plus chères à produire(jusqu’à 370 €/MWh pour les petitesinstallations)4. L’étude de l’ADEME se contente d’exa-miner l’évolution des coûts globauxen fonction du taux de pénétrationdes EnR dans le mix électrique : actuel(20 % EnR) = 91 €/MWh ; scénario100 % EnR = 119 €/MWh ; scénario40 % EnR = 117 €/MWh. De plus, ceschiffres sont à accompagner desérieuses réserves :1. Ces résultats sont obtenus à par-tir d’hypothèses d’avancées tech-nologiques et de baisse des coûts(en particulier sur le stockage), quisont non explicitées et pour le moinsoptimistes.2. « La maîtrise de la demande estun élément clef pour limiter le coûtdu scénario 100 % » (paragraphe 5.5,p. 84). L’étude montre en effet quetout dépassement des 422 TWh deréférence entraîne rapidement uneaugmentation rédhibitoire de lafourniture.3. Alors qu’une augmentation dutaux de pénétration des énergiesintermittentes va entraîner des inves-tissements de plus en plus impor-tants pour développer et stabiliserle réseau, il est assez surprenant devoir que « l’évolution du réseau derépartition n’a pas été prise en compte »(paragraphe 5.1.1, p. 70) dans cetteestimation des coûts.

TOUT ÇA POUR ÇA ?C’est sans doute pour cela que lesconclusions du rapport précisentque « de nombreuses pistes, en lienavec l’analyse des paramètres les plusà même d’abaisser les coûts ou bienavec l’exploration de contraintes nonprises en compte à ce jour dans lamodélisation, restent aujourd’hui àexplorer. Plus précisément, dans lesmois à venir, de nouveaux cas d’étudespourront être considérés, dans le butde répondre aux questions [que l’étudesoulève] ».

Alors pourquoi autant de bruit autourd’un tel rapport qui n’apporte aucunélément franchement nouveau ?Serait-ce pour relancer une cam-pagne pour la sortie du nucléaire ?Ou bien pour justifier de nouveauxfinancements pour l’ADEME et sespartenaires ? À moins que ce soit les deux à la fois… n

*JEAN-CLAUDE CAUVIN est ingénieur de l’École centrale de Paris.

1. Académie des sciences, « Avis sur la transition énergétique », adopté à l’unanimitéen assemblée plénière le 6 janvier 2015.2. « Bilan électrique 2014 », RTE.3. « Bilan électrique 2014 », RTE.4. Luc Foulquier et Jean-Claude Cauvin,« L’énergie, les chiffres et l’idéologie »,in la Pensée, no 380.

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ayant conscience qu’il s’agit de choixvitaux pour l’avenir de nos petits-enfants.

LE PARADOXE, LES ILLUSIONS ET LA RÉALITÉ TECHNIQUEUn premier paradoxe s’impose pource qui concerne l’énergie. Le fluxsolaire qui tombe sur la Terre four-nit annuellement une quantité d’éner-gie environ 10 000 fois supérieure àla consommation mondiale. La viesur Terre dépend de ce flux. Le cen-tre de la Terre est aussi une sourceinépuisable d’énergie sous forme dechaleur. En plus de l’abondanced’énergie naturelle, Einstein2 nous amontré que toute matière est en soiune source d’énergie potentielle.Dans l’absolu l’énergie est une res-source inépuisable.Or, historiquement, les hommes onttoujours manqué d’énergie. Pourquoi?Pour produire une énergie domes-tiquée utilisable par les hommes, ilfaut convertir les sources d’énergienaturelle dans la forme d’énergiesouhaitée. Il faut donc que le déve-loppement scientifique et techno-logique invente et exploite des conver-tisseurs, c’est-à-dire des dispositifs,des techniques et des savoir-fairehumains qui assurent le passaged’une forme d’énergie à une autre.L’histoire authentique de l’énergieest celle des convertisseurs.

QUATRE SOURCES NATURELLESD’ÉNERGIELes énergies de flux (solaire direct,vent, vagues, courants marins…) uti-lisent des phénomènes physiquesqui ne produisent pas de GES. Leurprincipal avantage est leur renou-vellement permanent, d’où leur appel-lation d’énergies renouvelables (EnR).Mais, elles sont diffuses et cycliques,voire intermittentes. Alors que pourpasser des énergies denses aux éner-gies diffuses il suffit de laisser fairela nature, le passage inverse imposeà l’homme de faire tout le travail deconcentration que la nature n’a pasfait. Et ce passage contre nature a uncoût économique important. Parexemple, dans le domaine de la pro-duction d’électricité, le coût du méga-wattheure nucléaire est compris entre50 et 80 €, celui du gaz entre 80 et120 €, celui de l’éolien on shore 90 et160 € (supérieur à 180 € pour l’éo-

lien off shore), celui du photovol-taïque supérieur à 280 €. Par ailleurs,en l’absence de résultat dans larecherche relative au stockage del’électricité ou de la réalisation detrès nombreuses STEP3 là où cela estpossible et accepté, leur caractèreintermittent sera un obstacle impor-tant à leur développement. À la surface de la Terre, la biomasse,l’hydraulique et la géothermie sonttout à la fois plus denses, beaucoupplus régulières et se renouvellent àune vitesse moyenne. Elles sont consi-dérées comme des EnR. La placequ’on leur accordera dans le futurdépend de l’effort de recherche quileur sera consacré et de leur accep-tabilité par les populations.Enfin, deux types de source sont issusde l’écorce terrestre.

Les plus importantes actuellement(80 % de l’énergie primaire mon-diale) sont celles produites par lacombustion des hydrocarbures (char-bon, pétrole et gaz). Elles sont denses :1 kg de gaz naturel produit environ16 kWh, 12 kWh pour 1 kg de pétroleet entre 4 et 8 kWh pour 1 kg de char-bon. Elles sont transportables etstockables, mais dans des limites quine dépassent pas quelques mois deconsommation. Elles ne sont pasrenouvelables.Elles sont toutes, à des degrés divers,émettrices de 82 % des GES, le plusimportant étant le CO2 qui est engen-

dré par le processus physique uti-lisé : la combustion. Le charbon, laressource la mieux répartie sur laTerre, la plus abondante du point devue des réserves, la plus polluante,est le combustible no1 de la planète.Face aux besoins, son utilisation nefait que croître. Notre avenir dépenddonc de deux possibilités : trouverune autre source naturelle capablede le remplacer et/ou engager l’ef-fort de recherche pour réaliser lestockage et la séquestration du CO2

émis lors de sa combustion. Noussavons déjà que cette seconde solu-tion sera coûteuse et qu’elle pose desproblèmes financiers, de connais-sances fondamentales et d’éthique.La quatrième source d’énergie natu-relle, celle contenue dans le noyauatomique, est environ 1 million defois supérieure à celles des énergiesfossiles (avec la technologie des sur-générateurs). Cette densité énergé-tique permet des stockages pouvantcouvrir plusieurs années de consom-mation électrique, et la quantitéd’énergie évaluée qu’elles représen-tent permet de reculer les risquesd’épuisement de un millénaire. Leretour d’expérience français mon-tre qu’elles sont maîtrisables. Lesprocessus physiques utilisés ne sontpas producteurs de GES.Toutefois, deux conditions sont néces-saires pour que tous les avantagesde cette source naturelle soient cré-dibles. L’effort de recherche techno-logique sur la génération IV des réac-teurs de fission (notamment lessurgénérateurs) doit être renforcépour le court terme, comme celuisur la fusion pour le plus long terme.Leur développement dépend de leuracceptabilité par la société comptetenu des risques d’accidents gravesdéjà survenus.

LES CONVERTISSEURS ET LE CASPARTICULIER DE L’ÉLECTRICITÉUn constat s’impose : c’est une chaînede convertisseurs qui « crée » la source,et non l’inverse. Elle lui assure enmême temps un débouché. Sans elle,la source la plus fabuleuse peut res-ter sans emploi (c’est actuellementle cas de l’énergie nucléaire de fusion :le convertisseur en énergie électriquen’est pas encore opérationnel), tan-dis qu’un besoin vital peut demeu-rer insatisfait.

DOSSIER

Ces choix sont l’affaire de chaque peuple,qui doit les déterminer à partir de sa réalitégéographique, scientifique et technologique, géo -politique, économique, sociale et culturelle.“ “

28 ÉNERGIES RENOUVELABLES

Le flux solairequi atteint la Terre fournitannuellementune quantitéd’énergieenviron10 000 foissupérieure à laconsommationmondiale. Or,historiquement,les hommes onttoujours manquéd’énergie.Pourquoi ?

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Il convient d’accorder une attentionparticulière à une des énergies domes-tiquées utilisée : l’électricité. Ellereprésente la forme d’énergie la plusefficace, la plus pratique, la plus éco-logique du point de vue de son trans-port et de son utilisation. En plus deses utilisations énergétiques, elle estaujourd’hui indispensable dans lesdomaines essentiels de l’informa-tion et de la communication (Internet,téléphone…). Déjà très utilisée dansles transports collectifs, elle a sans

doute un avenir prometteur pour lesvoitures individuelles, sous réserved’un effort de recherche techno -logique soutenu. Le deuxième prin-cipe de la thermodynamique4 entraîneun rendement faible du processusde transformation contre natured’une énergie thermique en énergiemécanique utilisée pour produirel’électricité. La perte qui s’ensuit nepeut être réduite que par un effortde recherche très important en direc-tion des matériaux résistant à destempératures élevées (en applica-tion du principe de Carnot).L’effort de recherche dans tous lesdomaines est essentiel, nécessairemais pas suffisant pour desserrerl’étau énergétique dans lequel nousnous trouvons. Si la technique nepeut pas s’imposer sur une quel-conque volonté politique, elle peuten élargir les champs d’action.La réalité scientifique et techniquene nous laisse pas sans moyens nisans espoir pour le présent et le futur.Qu’en est-il de la réalité politique ?

LES FAITS, LES INTENTIONS… ET LA RÉALITÉ POLITIQUECompte tenu de ce qui précède, pourdisposer de l’énergie là où on en abesoin, au bon moment et corres-

pondant à l’usage que l’on veut enfaire, les choix sont multiples. Ilsdépendent de la source naturelle uti-lisée en fonction de sa densité, deses possibilités de stockage, de sadisponibilité, de sa régularité, de soncaractère renouvelable ou non et deses émissions toxiques (GES et autres).Ces choix sont l’affaire de chaquepeuple, qui doit les déterminer à partir de sa réalité géographique,scientifique et technologique, géo-politique, économique, sociale etculturelle. Mais l’enjeu de sortie descombustibles fossiles liée à la limiteacceptable du réchauffement clima-tique impose la nécessité d’une muta-tion dont on mesure mal les consé-quences dans tous les domaines dela vie. L’action des femmes et deshommes, la politique, doit prendreun nouveau visage, celui de la soli-darité, de la coopération et de ladémocratie dans une coconstruc-tion permanente qui définira pourchaque peuple les choix techno -logiques économiques et sociaux qui le feront avancer dans le respectdes équilibres naturels de la Terre.Dans cette perspective, la capacitéde régulation des marchés et le rôledes États face à la recherche de com-pétitivité par les grands groupes mul-tinationaux de l’énergie interrogent.Plusieurs aspects de la réalité mon-diale, européenne et nationale, trai-tés dans le présent numéro de la revue,montrent des constats accablants.

CONCLUSIONPour la première fois dans l’histoire,nous avons inventé et introduit desmoyens qui peuvent mettre en causeles équilibres humains et terrestres.Nous fabriquons des corps que lanature n’a pas sélectionnés, nousmettons en cause les équilibres éco-logiques, le nucléaire peut faire dis-paraître la vie. Nous ne pouvons plusconsidérer aujourd’hui que les actionshumaines, scientifiques et techniquesd’un coté, politiques de l’autre, sontindépendantes. Nous avons manifestement com-mencé à transporter l’imprévisibi-lité propre aux « affaires des hommes »dans le domaine même que nouspensions régi seulement par le carac-tère inaltérable des lois de la nature.Hannah Arendt5 considère que nouscaptons aujourd’hui la nature dans

le monde humain. Les domaines del’histoire des hommes et de la natures’interpénètrent maintenant. La poli-tique étant inhérente à la diversitéhumaine et à son renouvellementpermanent, le problème qui nousest posé est de prendre en comptece changement anthropologique eninventant de nouveaux rapports entrela nature et les affaires humaines.C’est un changement de civilisation.La concurrence, la compétitivité, lemarché, le pouvoir d’une élite nesont plus des évidences synonymesde progrès. La solidarité, la coopé-ration, la démocratie et le sens desresponsabilités individuelles et col-lectives sont devenus des exigencespour chaque individu sur la Terre.Ces considérations essaient de met-tre en évidence la nécessité d’uneréflexion fondamentale sur la nature,la culture et les potentialités intrin-sèques de la politique qui n’a jamaisauparavant révélé aussi ouvertementsa grandeur et ses dangers. n

*CLAUDE AUFORT est chercheur, ancien administrateur du CEA.

1. L’auteur de ce texte veut simplement éclairer quelques repères d’une analyse pluscomplexe qui permettra au lecteur d’accéderà la compréhension de la nature des chosesmieux expliquée dans la bibliographie suivante :

– Association Sauvons le climat, Élémentspour une politique raisonnée de l’énergie,« Les fiches du conseil scientifique », 2014.

– Paul Mathis, l’Énergie, moteur du progrès ?,éditions Quæ, 2014.

– André Lebeau, les Horizons terrestres,Gallimard, 2011.

– Jean-Marc Jancovici, Changer le monde,Calman-Lévy, 2011.

2. Albert Einstein a précisé la relation quiexiste entre la masse et l’énergie d’un corps :E = Δmc2 (Δm est la variation de masse et cest la vitesse de la lumière).

3. Il s’agit de stations de pompage capablesde délivrer des puissances de plusieurs milliers de mégawatts grâce à l’eau retenuedans des réservoirs et déversée au momentvoulu sur des turbines. Le barrage deGrand’Maison, dans l’Isère, a cette fonction.

4. C’est l’entropie (état de désordre) quiréduit d’environ deux tiers l’énergie électriqueproduite à partir de l’énergie thermique disponible. Cette loi de la nature a été découverte au XIXe siècle par Sadi Carnot.Rudolf Clausius et Ludwig Boltzmann en ont élaboré ensuite la connaissance théorique.

5. Hannah Arendt, Condition de l’hommemoderne, 1958, et la Crise de la culture,1961.

La politique doit prendre un nouveauvisage, celui de la solidarité, de la coopérationet de la démocratie dans une coconstructionpermanente.“ “

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Les peuplesdoivent avoir le droit de choisir.

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Plus de marges. Plus de bénéfices. Plusde pressions sur les sous-traitants.Malgré les scandales à répétition révé-lés dans la presse (suicides, accidentsde travail dramatiques…), Apple conti-nue d’exercer une pression infernalesur ses sous-traitants. 1,5 millions d’ou-vriers continuent ainsi de subir salairesindécents, heures supplémentairesforcées, complémentaires santé nonpayées… 50 % d’entre eux doivent effectuer90 heures par semaine, chacune deces heures rapportant de 2,10 à 2,60 €aux sous-traitants. Pendant ce temps,178 milliards de dollars seraient « pla-cés » par Apple dans les îles Viergesbritanniques.

Apple croque ses sous-traitants

BRÈVES30

FERMETURE DES ATELIÈRES, EX-LEJABY : LES BANQUES PLUSFORTES QUE LA RÉPUBLIQUELa liquidation judiciaire de la SCIC Les Atelièresa été prononcée le 17 février 2015 par le tribu-nal de commerce de Lyon. C’est la fin d’unebelle aventure portée par d’anciennes ouvrièresde Lejaby, déjà victimes d’une restructuration en2012. Malgré un chiffre d’affaires de 230000 €en 2014, leur fonds propres sont épuisés.Impayés importants, contexte économiquemorose ont eu raison de l’atelier de fabricationfrançaise de corseterie de 30 salariées. Maispas seulement. Deux banques s’opposent à laproposition de grandes entreprises, soutenuespar le préfet du Rhône, de concourir aux585000 € du fonds de revitalisation nécessairepour que la coopérative continue à produire.Rien à attendre non plus de la BPI (Banquepublique d’investissement), le projet de la coo-pérative ne rentrant pas dans ses critères. Onest loin du soutien au made in France tant vantépar le gouvernement. Muriel Pernin, présidente fondatrice de l’entre-prise, ne décolère pas : « Dans notre pays, lesbanques sont plus fortes que la République[...]. Avec notre argent, elles exécutent chaquejour des dizaines de PME, et aujourd’hui ce sontLes Atelières qui montent à la guillotine. »

MOBILISATION EN ALGÉRIECONTRE L’EXPLOITATION DU GAZ DE SCHISTELe 24 février 2015, date anniversaire de lanationalisation des hydrocarbures en Algérie (en1971), un sitting était organisé sur la place du1er-Mai à Alger en solidarité avec les populationsdes provinces sahariennes. Des forages expéri-mentaux y sont réalisés par la compagniepublique Sonatrach, épaulée par des partenairesétrangers. Avec ces forages, l’Algérie, 4e réservemondiale de gaz de schiste « récupérable »,espère compenser la baisse du cours dupétrole.La population est fortement mobilisée contrel’exploitation de cette ressource, dans ce paysoù manifester reste interdit.

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

Michel-Édouard Leclerc, P-DG de l’en-seigne qui porte son nom, a annoncé,mercredi 15 avril, 1 milliard d’eurosd’investissement en trois ans dans lenumérique ainsi que la création de10 000 emplois. « Ce ne sera pas forcé-ment les emplois qu’on avait avant »,annonce M. Leclerc, et d’affirmer quece sont 10 000 créations d’emplois« nettes ». « Même moi, ça m’effraie un

peu », commente le dirigeant.L’enjeu pour le groupe est de dévelop-per ses ventes en ligne. « Avec Internet,nous réalisons 2 milliards d’euros dechiffre d’affaires alors que le chiffre d’af-faires global réalisé sous l’enseigneLeclerc est de 44 milliards d’euros »,détaille M. Leclerc. « Ce n’est pas encoremajoritaire, mais on n’existait pas il ya cinq ans sur Internet. Ça va vite. »

Leclerc et le numérique

BILLET D’HUMEUR D’IVAN

JEUNES DOCTEURS : LE CHÔMAGE OU L’EXILMalade, Mme Fioraso s’en est allée, souhaitons lui la guérison la plus com-plète qui soit. Les problèmes, eux, restent. Ainsi, Libération du 30 janvier2014, sous la plume de Sylvestre Huet, relève que la précarité organiséedes jeunes chercheurs est un problème grave, non seulement pour cesjeunes à titre individuel, mais aussi pour les laboratoires et la recherchefrançaise en particulier. L’article cite les cas de trois jeunes docteurs qui,après des CDD, sont obligés soit de s’expatrier, comme Laurent W. enAllemagne, sur des postes précaires eux aussi, soit de changer complète-ment de travail, à l’instar de François G. qui, bien qu’ayant obtenu un prixprestigieux en cosmochimie, se retrouve aujourd’hui au chômage et doitse réorienter. En effet, le libéralisme à tous crins de ce gouvernement, pro-longeant et renforçant celui de Sarkozy, est en train de déstructurer larecherche française à coups de précarité des jeunes chercheurs. Uneenquête du monde signalée dans ce même article note que « Selon uneenquête réalisée en mai et juin 2014 par l’Association pour l’emploi descadres (APEC), seuls 56 % étaient en poste un an après leur thèse. Soit 7 pointsde moins que l’ensemble des bac + 5 et 6 points de moins qu’en 2012 ».Un esprit mal intentionné, et il n’en manque pas, pourrait penser que cesgouvernements n’ont de cesse de casser tout ce qui pourrait être pérenneau nom d’une compétitivité mal comprise qui conduit à privilégier l’inno-vation sur la recherche pour faire du profit à court terme, car, comme le disait si bien Keynes quand on lui posait la question du long terme, « à long terme je serai mort » ! n

IVAN LAVALLÉE

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Pierre Laurent, secrétaire national duParti communiste français, a été reçule 8 avril par Mme Catherine Bréchignacsecrétaire perpétuel de l’Académie dessciences, qui l’a invité à déjeuner. Surla photo, prise dans la salle des archivesde l’Académie des sciences, CatherineBréchignac; Jean Pierre Kahane, mathé-

maticien, académicien; Florence Greffedirectrice honoraire des archives; PierreLaurent. L’entrevue a donné lieu à unéchange constructif sur le rôle majeurdes sciences et des techniques dansle développement des sociétés et surles perspectives de libération humaineque cela permet d’envisager.

50 % des citoyens états-uniens, contre87 % des scientifiques, admettent dé -sormais l’idée d’une corrélation entreémissions de gaz à effet de serre etchangement climatique. Cette diffé-rence de perception entre populationet scientifiques aux États-Unis est mar-quée sur de nombreux autres thèmes.

C’est ce que révèle une enquête duPew Research Center, qui a posé desquestions identiques, d’un côté, à unpanel représentatif de la populationet, de l’autre, à des membres del’Association américaine pour l’avan-cement des sciences (AAAS). Les résul-tats sont consultables en ligne.

Recul du climato-sceptiscisme aux États-Unis

Le rapport d’une commission d’en-quête parlementaire1 présenté le 16 dé -cembre à la presse montre que la réduc-tion du temps de travail entrée envigueur en 2000 a réellement entraînédes créations d’emplois en France. Encinq ans, les « 35 heures » ont permisla création de 2 millions d’emplois(350 000 créations « nettes » si l’onprend en compte les emplois dispa-rus dans la même période), réduisantdonc le taux de chômage dans toutesles catégories.Pourtant, depuis leur mise en place,elles sont accusées de tous les maux.La commission d’enquête parlemen-taire remet les choses au clair : le pas-

sage aux 35 heures n’a eu d’effets néga-tifs ni sur la compétitivité de notre paysni sur sa productivité. Au contraire,cette réforme a même permis d’aug-menter le nombre global d’heures tra-vaillées en France.Selon l’Organisation internationale dutravail, on est passé de 11,8 % de chô-meurs en 1997 à 8,8 % en 2001, alorsmême que la population active passait de 25,5 millions à 26 millions.Autant de nouveaux cotisants et d’indemnisations chômages en moinsà financer pour l’État.

1. Instaurée à l’unanimité et présidée par ledéputé UDI Thierry Benoit ; la socialiste BarbaraRomagnan en était la rapporteure.

C’est officiel : réduire le temps de travail fait baisser le chômage

Pierre Laurent invité à l’Académie des sciences !

De g. à d., Catherine Bréchignac , Jean-Pierre Kahane, Florence Greffe, Pierre Laurent.

Économie et politique «Grèce/BCE alternatives »

La Revue du projet no 46« La Nation... »

L’eau : un besoin, un droit, un combat

Pour une transition énergétique réussie

Documents téléchargeables sur le site PCF, pour la versionpapier (payante) téléphonez au 01 40 40 11 59 ou écri-vez à : [email protected]

CONTRIBUTION AU DÉBAT

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

SCIENCE ET TECHNOLOGIE32

n ÉNERGIE

Un défi pour l’avenir de l’humanité : produire de l’énergie de manière massive sansépuiser les ressources ni dégrader les écosystèmes naturels.

PAR JEAN-PIERRE DEMAILLY*

utilisation croissante etnon contrôlée des com-bustibles fossiles depuis

la révolution industrielle metaujourd’hui les sociétés hu -maines face à des enjeux et àdes périls considérables. Lesressources naturelles sont eneffet limitées : de l’ordre d’unsiècle pour les ressources conven-tionnelles de pétrole, quelquessiècles pour le charbon, sousréserve que la consommationmondiale ne s’emballe pas. Enmême temps, pour se nourrir,l’humanité prélève déjà dansles écosystèmes terrestres etmarins beaucoup plus que lanature ne peut régénérer – certains experts chiffrentaujourd’hui1 ce taux à quelque160 %.Dans les pays développés, laproduction de nourriture esttributaire d’une agricultureintensive fortement consom-matrice d’énergie. Outre la dégra-dation de l’environnement etle réchauffement climatiquedésastreux susceptible d’êtreentraîné par des émissionsaccrues de dioxyde de carbone,l’humanité pourrait ainsi êtreconfrontée dès le milieu duXXIe siècle à de graves pénuriesalimentaires. Il sera bien entenducrucial de mieux contrôler lacroissance démographique etd’accroître l’efficacité énergé-tique, en adoptant si nécessairedes modes de vie plus frugauxet moins énergivores.Mais quels que soient les effortsconsentis, et hors scénarios dedécroissance très improbables,

il semble acquis que les besoinsglobaux de l’humanité irontcroissant et seront loin de pouvoir être couverts par lesénergies dites renouvelables –énergies solaire, éolienne, hydro-lienne, géothermie2 ; celles-cipeuvent d’ailleurs elles-mêmesengendrer de sérieuses nui-sances environnementales dufait de leur caractère dilué. Enl’état actuel de la science, laseule source d’énergie massi-vement disponible, et ayant unimpact théorique minimal surl’environnement, est l’énergienucléaire.

Cependant, même si les réac-teurs actuels de génération IIet III ont introduit des avancéesimportantes en matière de sécu-rité, il faut savoir que les réac-teurs à eau pressurisée (REP),constituant la grande majoritédes 450 réacteurs en service,dérivent en réalité au niveaufondamental d’une technolo-gie ancienne issue des pro-grammes militaires du milieudu XXe siècle (course à la bombe,moteurs de sous-marins et deporte-avions nucléaires…). Lesprincipaux problèmes sont,d’une part, des enjeux de sécu-rité qui restent sérieux, commeon a pu le voir à Fukushima, et,d’autre part, une mauvaise uti-lisation du combustible : seul

0,72 % de l’uranium naturel estfissile. Corrélativement, les REPentraînent une production mas-sive de déchets radiotoxiquesà longue vie, difficiles à gérer àéchelle de temps humaine.Nous voudrions plaider ici lacause d’une technologie révo-lutionnaire, en développementau CNRS : le MSFR (molten saltfast reactor), réacteur rapide àsels fondus en cycle thorium,est susceptible de faire passerl’horizon des ressources à desmilliers ou dizaines de milliersd’années, tout en réduisant demanière drastique la quantité

et la dangerosité des déchetsproduits, et en garantissant unesécurité de fonctionnementbeaucoup plus grande3. Cesréacteurs constituent l’un dessix types retenus en 2008 par leforum international « Généra -tion IV » visant à optimiser denombreuses caractéristiquesessentielles : durabilité des res-sources, impact environnemen-tal très faible, sûreté, caractèrenon proliférant.

LE MSFR : UNE INNOVATIONMAJEURE POURL’ÉLECTRONUCLÉAIRELe concept de réacteur nucléaireà sels fondus (RSF) a été ima-giné dès le début des années1950 à l’Oak Ridge National

Laboratory (ORNL), et un réac-teur expérimental de 8 MW-Th(une puissance de 8 millions dewatts), le MSRE, y a été conçuet exploité avec succès de 1965à 1969. La caractéristique fon-damentale des RSF réside dansl’utilisation d’un combustibleliquide, et non plus solide commedans les concepts actuels deréacteurs nucléaires. Les pos-sibilités de manipulation sonttrès souples : les sels fondussont chimiquement stables, nedemandent pas de mise en formeparticulière et peuvent être ponc-tionnés et injectés sans arrêt duréacteur ; de plus, le combus-tible liquide regroupe à lui seulla double fonction de combus-tible et de caloporteur.Dans la décennie écoulée, deschercheurs du CNRS ont ana-lysé scientifiquement les moyensde satisfaire aux critères desréacteurs nucléaires de géné-ration IV, tout en recherchantla plus grande simplicité auniveau du design4 . De cette ana-lyse résulte un concept inno-vant de réacteur nucléaire à selsfondus, en cycle thorium et àspectre neutronique rapide, dif-férent du concept historique del’ORNL et baptisé MSFR. Grâceà son spectre rapide, ce concept,simplifié et robuste, a pour com-bustible un sel fluoré liquide nenécessitant que peu de matièrefissile initiale et les toléranttoutes (235U, Pu, actinidesmineurs). La surgénération peuty être assurée par le thorium,élément naturellement 3 ou4 fois plus abondant que l’ura-nium, avec un taux d’utilisationproche de 99 %, ce qui assure

Une ressource énergétique vitale encore inexploitée :

les réacteurs à sels fondus en cycle thorium

L’

Nous voudrions plaider ici la cause d’une technologierévolutionnaire, en développement au CNRS : le MSFR« Génération IV » : durabilité des ressources, impactenvironnemental très faible, sûreté, caractère non proliférant.

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des ressources à un horizon trèslointain, de plusieurs milliersd’années ; la production destransuraniens, principaux élé-ments radiotoxiques à longuevie, est alors fortement réduite(par un facteur 1 000 à 10 000!). Le MSFR ouvre aussi la pos-sibilité d’exploiter et d’inciné-rer les déchets des centralesactuelles en cycle ouvert U-Pu,ce qui limite considérablementle stockage géologique à longterme des déchets tout en assu-rant la transition avec les réac-teurs de génération II et III. Soncycle fermé Th-233U est impro-pre à la production de maté-riaux fissiles de qualité militaire,un fort gage de non-proliféra-tion.Les possibilités d’ajustementen continu de la compositiondu sel combustible, les capaci-tés d’obtention de hautes tem-pératures (650-800 °C) garan-tissent un bon rendementthermodynamique (autour de50 %) et de très fortes densitésde puissance, sans pressioninterne importante – un fac-teur de sécurité crucial. Les selsfondus ont pour propriété d’avoirun fort coefficient de dilatationthermique, ce qui induit, parvariation de densité et à volumede cœur presque constant, uncoefficient de contre-réactionthermique très négatif. Le coef-ficient de vide est lui aussi trèsnégatif. Grâce à ces excellentscoefficients de sûreté, le com-portement du MSFR est intrin-sèquement sûr, toute augmen-tation intempestive de puissanceconduit à un échauffement ins-tantané du sel et à sa sortie ducœur hors zone de criticité, dansun vase d’expansion, voire dansdes réservoirs de vidange d’ur-gence. Cela conduit aussi à uneexcellente stabilité de fonction-nement : la réactivité s’ajusteseule par variation de tempé-rature, et la puissance par lademande calorique.Le MSFR a d’autres très grosatouts : une petite taille (seule-ment 18 m³ de sels fondus pourune puissance de 1,3 GW élec-triques), ce qui à terme devrait

conduire à une énergie très com-pétitive – certains experts esti-ment qu’elle pourrait être net-tement moins chère que lesénergies fossiles5. Les hautestempératures de fonctionne-ment sont également propicesà la cogénération de produitschimiques importants pour l’in-dustrie (ammoniac) et de car-burants de synthèse6.La mise au point du MSFR néces-siterait d’amplifier considéra-blement la recherche et déve-loppement, comme celle sur latenue des matériaux au fluageet à l’irradiation, le retraitementchimique en continu du sel etdes produits de fission gazeux,ou encore la technologie deséchangeurs de chaleur. C’est àl’heure actuelle un véritable défidu fait de la faiblesse des finan-cements en Europe et de l’ab-sence d’un milieu technique etindustriel fort soutenant cetteactivité en France. Avec un pro-gramme dédié de plusieurs cen-taines de millions de dollarsporté par l’Institut de physiquede Shanghai depuis 2011, laChine est aujourd’hui le seulpays qui se soit réellement donnéles moyens d’accéder à la tech-nologie de la « fission liquide »,même si des initiatives impor-tantes se développent en Indeet dans le secteur privé au Canadaet aux États-Unis.

RÉÉQUILIBRER LA RECHERCHE NUCLÉAIRE ET LA POLITIQUEINDUSTRIELLE DE LA FRANCEEn France, dans le secteur dunucléaire, le CEA est à ce jour

missionné principalement surl’énergie de fusion, à travers ledéveloppement du réacteurthermonucléaire ITER (pourInternational ThermonuclearExperimental Reactor) implantéà Cadarache, et sur le projetASTRID, un réacteur à neutronsrapides en cycle uranium-plutonium caloporté au sodium.Or ITER n’est en réalité qu’unprojet de recherche en physiquedes plasmas, et ne pourra enaucun cas aboutir à une tech-nologie industrielle utilisableavant les années 2050-2080 ; safaisabilité technologique n’estd’ailleurs pas encore acquise,et la viabilité industrielle encoremoins. ASTRID repose quant àlui sur un savoir-faire bien éta-bli, en particulier grâce aux réac-teurs Phénix et Superphénix desannées 1970-2000 ; la mise enœuvre de la surgénération garan-tit une bonne utilisation de l’ura-nium naturel. Néanmoins, legigantisme des réacteurs misen jeu (15 t de plutonium et5 000 t de sodium liquide pourASTRID), la nécessité de mul-tiples barrières de confinementdu sodium et le coût élevé duplutonium laissent planer undoute quant à la rentabilité éco-nomique à long terme des RNRsodium, sans compter les ques-tions de sécurité et de fiabilité

encore à résoudre, et le pro-blème de l’acceptabilité socialede tels réacteurs. Pour toutesces raisons, le MSFR, du fait deses caractéristiques exception-nellement prometteuses, sasécurité inégalée et sa complé-mentarité avec le parc nucléaireactuel, nous semble mériter unsoutien public et industriel beau-coup plus élevé que celui trèsmaigre dont il fait l’objetaujourd’hui en France. n

*JEAN-PIERRE DEMAILLY est mathématicien, spécialiste des équations fondamentales de la physique ; Institut Fourier, universitéGrenoble-Alpes et Académie des sciences.

1. Global Footprint Network,http://www.footprintnetwork.org/fr/index.php/GFN/page/earth_overshoot_day/2. David McKay, « Sustainable Energy– without the hot air »,http://www.withouthotair.com/3. Daniel Heuer, « Le thorium et lenucléaire du futur », https://www.you-tube.com/watch?v=M4MgLixMrz84. CNRS, LPSC, IN2P3, « Étude para-métrique des RSF et cycle thorium »,http://lpsc.in2p3.fr/gpr/msfr.htm5. Robert Hargraves, « Thorium EnergyCheaper than Coal @ ThEC12 »,https://www.youtube.com/watch?v=ayIyiVua8cY6. John Laurie, « La voiturenucléaire »,https://www.youtube.com/watch?v=bkj-vf1_pzQ

Les besoins globaux de l’humanité, fortement consommateursd’énergie, iront croissant.

Et si la technologie utilisant le thorium comme combustibleétait une alternativesérieuse pour le nucléaire dedemain? Sûreté accrue et volumede déchets amoindri semblentplaider dans ce sens.

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PAR EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA*

LA NATURE DE LA CONNAIS-SANCE SCIENTIFIQUEDans la vie courante, scienti-fique est souvent compris ausens de « exact », « sérieux »,« objectif », ou « mettant enœuvre des moyens difficilementcontestables ». En fait, d’unefaçon générale, la connaissancescientifique n’est pas exacte,mais approchée. La science nouspermet de comprendre approxi-mativement des parcelles de laréalité, et la recherche consisteprincipalement en un travaild’élaboration et d’améliorationdes théories scientifiques.Prenons l’exemple de la chutedes corps ; je connais trois typesassez différents de chute : chutedes petits corps denses (piècesde monnaie), chute des feuilles(d’arbre ou de papier) et chutedes chats (censés tomber surleurs pattes).Les lois de la chute des corpsont été établies par Galilée, quiles a dégagées à partir d’expé-riences variées où il découvritdes coïncidences remarqua-bles : en abandonnant une billesans vitesse initiale, celle-citombe en augmentant sa vitesseproportionnellement au tempsécoulé , et bien d’autres. Galiléeobserva cela pour des chutesdans l’air de quelques centimè-tres ou quelques mètres. Noussavons à présent que, en plusde la pesanteur, l’air exerce uneforce de résistance qui modifiece type de mouvement. Ainsi,les parachutistes qui se jettentd’un avion à grande altitudetombent à peu près comme unepièce de monnaie, mais leur

vitesse se stabilise à quelque200 km/h.Quant aux feuilles, lors de leurchute dans l’air, par leur formeet leur faible épaisseur, ellesmettent en mouvement l’airautour d’elles bien plus que lesparachutistes. Dans la chuted’une feuille, nous voyons lafeuille ; mais, pour y compren-dre quelque chose, nous devonstenir compte du mouvementde l’air environnant, qui s’écarte,certes, pour laisser tomber lafeuille, mais qui ne manque pasd’appliquer des forces sur elle,modifiant son mouvement parrapport à celui qu’il aurait étédans le vide. C’est un problèmeextrêmement complexe, faisantintervenir des phénomènes etdes théories difficiles et variés,dont le chaos déterministe et laturbulence, qui sont matière derecherche actuelle.

Et les chats ? Il n’y pas une grandedifférence entre la chute descorps inertes et celle des êtresvivants peu développés ; maisles animaux dotés d’un systèmenerveux développé disposentde modèles mentaux de cer-taines parcelles du monde exté-rieur. Ce sont des représenta-tions simplifiées et schématiquesde certains éléments du monde,qui concernent ce que les chosessont, comment elles évoluent,agissent entre elles et, surtout,avec le sujet. Ces représenta-tions ont des natures variées ;certaines, les réflexes, sont par-

faitement involontaires, incon -scients et automatiques. C’estle cas du réflexe de redressementdu chat, qui lui permet souventd’atterrir sur ses pattes.De manière générale, la scienceest notre connaissance de cer-taines parcelles de la nature, deleurs interactions et de leur évo-

lution. Contrairement aux appa-rences, les lois scientifiques sontsimples, en tout cas bien plussimples que l’infinie variété desquestions ouvertes auxquelleselles s’appliquent et apportentdes éléments de réponse, tou-jours partiels et approchés.La recherche scientifique est enfait une recherche de compré-hension de la causalité qui relieles éléments et phénomènes dela nature, elle n’est nullementune expérimentation pour sim-plement reporter les résultats,elle comporte des facettes oùl’on imagine une structure cau-

sale avec d’autres phénomènes,ce qui guide l’expérimentation.Il y a un va-et-vient entre uneimagination ouverte, parfoisdébridée, et une observationpatiente, perspicace et objec-tive. Citons François Jacob qui,dans La Statue intérieure, écrit :« Contrairement à ce que j’avaispu croire, la démarche scienti-fique ne consistait pas simple-ment à observer, à accumulerdes données expérimentales età en tirer une théorie. Elle com-mençait par l’invention d’unmonde possible, ou d’un frag-ment de monde possible, pourla confronter, par l’expérimen-tation, au monde extérieur. C’étaitce dialogue sans fin entre l’ima-gination et l’expérience qui per-mettait de se former une repré-sentation toujours plus fine dece qu’on appelle la réalité. »La science a vocation à étudiertout, mais elle ne connaîtrajamais tout. Des questions tellesque « Comment va tomber cettefeuille ? » n’ont pas de réponsescientifique et ne l’auront pro-bablement jamais. Mais, aucontraire, la science donne sou-vent des réponses à des ques-

n RECHERCHE

Lors d’une conférence à l’université d’été du PCF en 2014, Evariste Sanchez Palencia nousa fait part de ses réflexions sur le mouvement des sciences. Retour sur ce RDV marquant.

La nature des découvertes et le caractère hasardeux des recherches

Les lois scientifiques sont simples, en tout cas bienplus simples que l’infinie variété des questionsouvertes auxquelles elles s’appliquent.

Un exemple de chute des corps : celle des chats…

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tions qui ne s’étaient pas posées.Plus exactement, le développe-ment des connaissances four-nit des outils nouveaux ou faitapparaître une nouvelle visiondes choses où se posent desquestions d’une nature diffé-rente, dont certaines admettentune réponse.

L’ÉVOLUTION DES CONNAISSANCESAnalysons maintenant la genèsed’une nouvelle théorie ouméthode. La figure 1 représentela courbe typique décrivant leflux de publications d’une nou-velle théorie ou méthode.

On distingue clairement unepremière région faite des avant-gardes (parfois sans lendemain)et des articles fondateurs, sui-vie d’une deuxième d’appro-fondissement, développementet application systématique. Lapremière région est dominéepar l’originalité des idées et l’im-prévisibilité des découvertes ;la seconde par le nombre detravaux, la compréhension desphénomènes et les applications.Il est clair qu’elle ne pourraitexister sans la première.On peut illustrer le schéma quiprécède avec une découvertebien connue, quoique de naturenon scientifique, celle del’Amérique. Les avant-gardessont les expéditions sans len-demain des Vikings, qui ont étéarrêtées car elles conduisaientà des régions à environnementtrop hostile (les côtes améri-caines ne bénéficient pas du

courant chaud du Golfe), la par-tie A est le premier voyage deColomb, qui cherchait, à la suited’erreurs de calcul, un cheminplus court pour atteindre lesIndes et leurs richesses ; la par-tie BCD est constituée par lesvoyages des conquistadors. Seulecette dernière phase correspondau but visé : l’exploitation effré-née d’immenses richesses.

RECHERCHE, DÉVELOPPE-MENT ET VOLONTARISMELe volontarisme pour les appli-cations (économiques en par-ticulier) est voué à l’échec sansune recherche fondamentale

de qualité, source vivante denouveauté. À titre d’exemple,comparons les succès et échecsde trois grands programmes àfinalité bien définie lancés parles États-Unis au XXe siècle.L’hyperconnu projet Manhattana conduit à la construction despremières bombes atomiques.Il y a eu ensuite le programmeApollo, lancé par le présidentKennedy le 25 mai 1961, visantà mettre un homme sur la Luneavant la fin de la décennie. Lesdeux ont atteint leurs buts entemps voulu.Il est moins connu de nos joursque le président Nixon a signéle 23 décembre 1971 le NationalCancer Act 1971, assorti demoyens et budget de rêve, dontl’objectif était de vaincre le can-cer pour le bicentenaire de l’in-dépendance américaine, en1976. Des sommes immensesont été gaspillées avec un ren-

dement dérisoire en matièred’avancées contre le cancer.L’euphorie initiale est vite retom-bée, et les engagements ont étédiscrètement abandonnés àl’approche d’une échéancegênante.Pourquoi Manhattan et Apolloont-ils réussi et le NationalCancer Act 1971 a-t-il échoué ?N’en était-il pas la copieconforme ? Non, il en différaitsur un point essentiel : le pro-jet Manhattan est issu de lafameuse lettre d’Einstein àRoosevelt du 2 août 1939 danslaquelle le premier faisait étatde la faisabilité réelle, au pointde vue scientifique, des armesatomiques, si bien que l’enjeuse situait à un niveau techniqueet industriel. Il en était de même

du projet Apollo ; la possibilitéréelle de poser des hommes surla Lune et de les récupérer étaitacquise, et l’enjeu s’inscrivaitplutôt dans une course de vitesseavec l’Union soviétique pour lamaîtrise des lanceurs puissantset des techniques de décollageet d’alunissage. Bien au contraire,« vaincre le cancer » était (et est)un véritable défi : personne nesavait (ni ne sait) comment s’yprendre. Qui plus est, la naturemême du problème est scien-tifique, puisqu’on ne sait pasvraiment ce que c’est qu’un can-cer, ni comment et pourquoi ilse développe. La vraie naturede l’obstacle à surmonter pourvaincre le cancer était passéeentièrement inaperçue du pré-sident Nixon et de ses conseil-lers ; ils pensaient que c’était unproblème quantitatif ponctuelet isolé du reste de la science.Mais Cancer par rapport àManhattan ou Apollo était uneaffaire de ne pas savoir par rap-port à savoir, un obstacle essen-tiel qui – cela est bien plus dif-ficile à comprendre – ne pouvait

pas être surmonté par de l’ar-gent et du volontarisme.Or la recherche fondamentaleremplit des fonctions autres quecelle, primaire et affichée, d’étu-dier les propriétés de la natureet de son évolution. Les connais-sances contenues dans des livres,revues et autres supports nesont pas utiles en tant que telles; ce ne sont pas les bibliothèquesqui font des recherches ou quien tirent des applications, mêmesi elles sont nécessaires pourfaire des recherches ou trouverdes applications. Les connais-sances, pour être utiles, doiventêtre actualisées et manipulées,vivifiées par une activité met-tant en œuvre les hommes, seulsagents de leur évolution.Autrement dit, pour avoir une

chance de pouvoir utiliser lesconnaissances il faut être entrain de les manipuler. Ce pointest extrêmement important, caril donne la clé de la nécessitéd’une recherche fondamentaleactive – ou tout au moins d’uneactivation des connaissances –si l’on veut avoir une rechercheappliquée efficace. Et si l’onsonge à ce que l’innovation danschaque domaine vient en géné-ral d’un autre, le plus souventéloigné, on comprendra pour-quoi un tissu global de recherchefondamentale éveillé aux pro-blèmes ouverts est un élémentnécessaire à toute politique dedéveloppement. L’oubli de cepoint entraîne la désertificationintellectuelle et le déclin pro-grammé. n

*EVARISTE SANCHEZ-PALENCIAest mathématicien et membre del’Académie des sciences.

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La science a vocation à étudier tout, mais elle neconnaîtra jamais tout. Des questions telles que« Comment va tomber cette feuille ? » n’ont pas deréponse scientifique et ne l’auront probablement jamais.

Fig. 1. – Les publications d’une nouvelle théorie ou méthode :a, b, c = avant-gardes ; A = articles fondateurs ; AB = montée enpuissance; BCD = application exhaustive, D = fusion dans lesconnaissances générales.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

PAR YVON QUINIOU*

ffirmation de base : larationalité, dans sadimension théorique de

moyen d’accéder à la vérité, estdésormais scientifique et n’ap-partient plus à la philosophiecomme elle l’a cru pendant dessiècles. Et l’on ne peut plus dire,comme Aristote, que « lephilosophe est celui qui possèdela totalité du savoir dans lamesure du possible ». C’est laraison à l’œuvre dans la science,avec ses protocoles spécifiques,qui nous fait connaître le mondedans tous ses aspects, y com-pris l’homme, même si les sciences humaines ne peuventprétendre au même type ou aumême degré de scientificité queles sciences de la nature, pourl’instant tout au moins. Et niercette affirmation, en l’accusantd’être « scientiste » sous pré-texte qu’elle conférerait à la science un pouvoir exorbitant(c’est le sens habituel de ce termepéjoratif), de façon à la disqua -lifier… ne disqualifie que ceuxqui profèrent cette accusation.Pourtant, cette disqualificationexiste aujourd’hui sous la formed’un relativisme dominant dansla philosophie de la connais-sance, qui vise à limiter le pou-voir cognitif de la raison humaine

vis-à-vis de l’Être. Cela avaitcommencé par le positivismed’Auguste Comte au XIXe siècle,qui, tout en valorisant la science positive, la réduisait àn’être qu’une mise en relationsdes phénomènes à l’aide de loisformulables mathématique-ment : l’en-soi des choses luiéchapperait et relèverait d’unmythe métaphysique. Depuis,ce propos a été repris de dif-férentes manières, et l’on a vu,dans la dernière période, unFoucault assimiler la connais-sance à des « jeux de vérité »dépourvus de valeur objective(sans susciter beaucoup de réac-tions) et même, forme caricat-urale extrême, un Rorty souteniraux États-Unis qu’il n’y avait« pas plus de vérité dans unethéorie scientifique que dans unroman » !Or c’est la position rigoureuse-ment inverse qu’il faut soutenir,comme le fait Jacques Bouveresseen France, quitte à recourir àd’autres arguments que lui. Étantadmis que la réalité matérielleà laquelle nous avons accès, soitdirectement par nos sens, soitindirectement par notre intel-ligence aidée désormais de latechnique, existe par elle-même,il faut dire que la pensée scien-tifique nous en offre un refletobjectif. Je sais bien que ce terme

de « reflet », avec sa dimensionmétaphorique, est souvent sujetà caution en raison de la chargede passivité qu’il comporte etqu’il oublie que la connaissanceest une production active dusujet humain – et Althusser aeu raison d’en dénoncer, à ceniveau, le caractère empiriste.Mais il y a un autre niveau oùl’on peut le légitimer, quitte àle retravailler intelligemment :c’est celui qui s’intéresse à la portée ontologique de la connaissance.

Le matérialisme, qui est un ratio-nalisme, soutient que celle-cire-produit bien par ses produc-tions théoriques la réalité – ceque Marx avait justement indiquédans un texte sur la méthodede l’économie politique. Ce quiveut dire que l’esprit humain,dans la connaissance (ce n’estpas le cas ailleurs, comme dansl’art), ne constitue pas son objetmais nous en offre une représen-tation qui s’y accorde tel qu’il

est en lui-même. Certes, il le faitdans son élément propre, quiest celui de la pensée, ce quiinterdit de poser entre cettereprésentation et le réel, commel’indiquait remarquablementLénine dans Matérialisme etempiriocriticisme, une identitéde « coïncidence » mais seule-ment de « correspondance ».Mais celle-ci existe bel et bienet elle concerne l’essence deschoses1. Ce qui nous le prouve,en dehors du consensus scien-tifique sur les résultats d’unescience, c’est le fait que la connaissance nous confère unpouvoir sur le réel, contraire-ment à l’ignorance, l’erreur oul’illusion. La découverte des loisde son fonctionnement ou deson développement nous per-met d’y intervenir pour le maîtri -ser dès lors que nous avons misau point la technique corres -pondante, tirée de la théorie :soit pour produire un effet donnéà partir de sa cause connue, soitpour l’empêcher en intervenantsur cette même cause. Or com-ment cela serait-il possible siles lois en question n’étaientpas celles du réel lui-même ?Cette objectivité de la connais-sance vaut non seulement pourles sciences de la nature dites« exactes » mais, même si c’estavec des nuances et des pré-cautions à prendre, pour les sci-ences humaines dans de nom-breux secteurs. C’est ainsi queMarx a découvert et non inven-té les lois d’évolution de l’his-toire en général, du capitalismeen particulier, en rompant avec

n ÉPISTÉMOLOGIE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE36

« Scientisme »… le terme revient réguliè-rement dans les débats visant à disquali-fier tout argument fondé sur une baserationnelle et scientifique. Il est pourtantutile de revisiter sa définition et de le situersur le plan épistémologique, entrescience et rationalité.

La rationalité, la science et le scientisme

A

La science en marche,fondée sur la raison etl’expérience, la totalitédu réel auquel l’hommea accès et dont il faitpartie, doit êtreconsidérée commeintelligiblerationnellement, etdonc connaissable parcette même science.

La science, avec ses protocoles spécifiques, nous fait connaître le mondedans tous ses aspects. Pourtant, cette idée est aujourd’hui combattue, et taxée abusivement de « scientisme ».

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Progressistes

l’idéologie idéaliste qui lesmasquait ; c’est ainsi aussi queFreud a découvert certaines loisdu fonctionnement du psy-chisme humain à la lumière desa découverte de l’inconscient.On pourrait prendre d’autresexemples. Ils nous montreraientque pour la science en marche,fondée sur la raison et l’expé -rience, la totalité du réel auquell’homme a accès et dont il faitpartie, doit être considéréecomme intelligible rationnelle-ment, et donc connaissable parcette même science. C’est là nondu scientisme au sens péjoratifdu terme mais un postulatméthodologique qui a une impli-cation ontologique irrécu sable,du côté de l’Être donc, elle-même vérifiée, au moins tendanciellement.

Pourtant, on pourra m’objecterque tout n’est pas connu et nele sera jamais et qu’il y a ledomaine de l’action qui nesaurait s’appuyer sur la seulescience. Y aurait-il des limitesà la rationalité scientifique ?

QUELLES LIMITES POUR LA SCIENCE?Refuser a priori une pareillepossibilité serait verser dans undogmatisme effectivement scientiste, conférer à la scienceun pouvoir cognitif qu’elle n’apas toujours. Mais je ne voisque deux domaines qui soientconcernés, et il faut les délimi -ter avec précision et démon trerla limitation de la raison dansces deux cas.

Le premier est assez facile àétablir : il s’agit de l’infini duréel physique (ou matériel)comme tel. Car si la science estbien un processus indéfini, ellevise à embrasser la totalité infiniede l’être qu’elle présuppose,

37

mais elle ne peut, par défini-tion, y parvenir et ne peut s’enrapprocher qu’asymptotique-ment. Comme l’indique lephilosophe et physicien grecEftichios Bitsakis, pourtantmatérialiste, « elle ne peut seprononcer que sur le fini »2,chaque nouveau pas en avantqui lui permet de franchir unelimite lui ouvrant un autre champà connaître avec sa nouvellelimite. On peut le dire autrement,d’une manière plus abstraite etplus générale, inspirée de Kant: la science ne peut se pronon-cer, avec sa certitude spécifique,sur les caractéristiques ultimesdu monde matériel dontl’homme est issu. Est-il incrééou créé, par exemple, réelle-ment infini ou fini ? etc. Ce sontlà des questions métaphysiques

qu’aucun savoir ne peut résou -dre. On ne peut y répondre quesur le plan d’une option per-sonnelle qu’on dira « métaphy -sique » parce qu’elle concernela totalité du réel et qui relèveraalors d’une pensée ou d’une croy-ance rationnelle, ou encore d’uneconviction raisonnée comme ledit le philosophe Marcel Concheà propos de son propre athéisme.En ce sens, autant le matérial-isme qui affirme que l’hommeprovient de l’évolution de lanature matérielle (Darwin) etn’en est qu’une forme est bienprouvé, autant tout énoncé surle statut ultime de cette naturene saurait l’être, qu’il s’agissede l’athéisme (matière incréée)ou du théisme (matière créée): ce sont toutes deux des posi-tions métaphysiques et hors science… même si l’athéismeest plus proche de cette dernière.Affirmer le contraire relèveraitd’un scientisme insupportableparce qu’insoutenable théori -quement.

Le second concerne le domainedes valeurs que toute action,individuelle ou collective, engage.Je parle ici des valeurs moralesavec leur universalité propre,comme le respect de l’êtrehumain, et non des valeurséthiques qui relèvent depréférences existentielles per-sonnelles. Or il faut être clair :la science connaît ce qui est (quiinclut ce qui a été et, dans unecertaine mesure, sera); mais ellene saurait nous dire à partir delà et sur sa base propre ce quenous devons faire, ce qui cons -titue l’objet de la morale. Elleexplique, donc, elle analyse, elleprédit éventuellement (et deplus en plus) des états de la réa -lité, mais elle ne saurait les jugerdans l’ordre de la valeur : Sont-ils bien ou mal ? Devons-nousles accepter, les valoriser ou lescondamner, les refuser, doncles transformer ? Un exemplesimple le fera comprendre. Marx(à nouveau) nous fournit uneexplication du fonctionnementdu mode de production capi-taliste, avec ses contradictions,qui en prédit la fin, et donc ledépassement à terme. Mais riendans cette analyse factuelle nenous permet de conclure quecette fin doit être poursuivie.On peut affirmer, avec JosephSchumpeter, que ce pronosticest juste théoriquement, etcependant le condamner pra-tiquement parce qu’on estimeque le capitalisme témoigned’une grande productivitééconomique et tout faire, parconséquent, pour l’empêcherde se réaliser. Inversement, onpeut, sur la base d’une déval-orisation du capitalisme en rai-son de ses méfaits humains,juger non seulement souhaitablemais exigible moralement sondépassement et tenter de lehâter par l’action politique. Ona donc ici le même constat scientifique qui autorise deuxjugements de valeur morauxrigoureusement opposés! C’est

admettre que la science du réelne fonde en rien ces jugements,qu’on ne peut les déduire uni-voquement de ses analyses etqu’une autre instance intervientalors : la morale avec ses normesobjectives et impératives. Celle-ci s’enracine dans la raison pra-tique humaine, qui a le pouvoirde légiférer sur le bien et le mal.Certes, elle ne tombe pas du cielmystérieusement : avec Darwinon peut expliquer sa genèsenaturelle, puis historique. Maisexpliquer scientifiquement l’ori -gine de la morale comme il lefait, ce n’est pas en déduire unemorale scientifique, expressionqui n’a aucun sens et, commele dit Bertrand Russell, « nousne pouvons tirer de l’étude deschoses existantes, aucun enseigne-ment quant à la nature du bienet du mal ». C’est la raison, maisdans sa dimension pratique,qui peut seule le faire.

CONCLUSIONIl y a bien donc plusieurs formesde rationalité, et la reconnais-sance de cette pluralité permetd’éviter le scientisme sans porteratteinte à la science dans sondomaine propre. À quoi j’ajou -terai cette remarque ultime, quiest un paradoxe : c’est bien laraison qui me fait dire tout cela,mais une raison philo sophique,réflexive et critique. Une raisonde plus donc, qui confirme le pouvoir de la rationalité en général. n

*YVON QUINIOU est philosophe.

1. Lucien Sève, dans son dernier livre,La philosophie?, a remarquablementréhabilité la catégorie d’essence dans une perspective matérialiste… précisément contre le positivisme ou le relativisme ambiants.2. In Bertell Ollman et Lucien Sève(dir.), Dialectiques aujourd’hui,Syllepse, Paris, 2007, p. 156.

La science connaît ce qui est (qui inclut ce qui a été et,dans une certaine mesure, sera) ; mais elle ne sauraitnous dire à partir de là et sur sa base propre ce quenous devons faire, ce qui constitue l’objet de la morale.

Quoi qu’en disent Foucaultet Rorty, cet avion, appli cationdirecte des sciences, parmi elles la méca nique des fluides et des matériaux, vole.Comment cela serait-il possible siles lois en question n’étaient pascelles du réel lui-même?

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE38

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

PAR JEAN-PIERRE BASSET*

HISTORIQUELe don de sang bénévole a étéinstitutionnalisé par une loi dejuillet 1952. Il a précédé de plusde trente ans, par sa formeéthique, la création du Comiténational consultatif d’éthique.Le système français assure l’éga-lité de traitement des citoyens,quel que soit leur statut social,grâce à l’anonymat et à l’inter-diction du don dirigé (don desang au profit d’une personneprécise, la plupart du temps unmembre de la famille).La France a souvent été pion-nière en matière de transfusionsanguine. Quelques dates ponc-tuent son parcours :– 26 octobre 1914 : premièretransfusion sauvant un humain(blessé dans les tranchées de la

Première Guerre mondiale) ;– 1923 : création d’un servicede transfusion, à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, hôpital quideviendra le premier centre detransfusion en 1928 ;– les années suivantes, créationd’un centre de transfusion pardépartement ;– 1948 : à Paris, découverte del’exsanguino-transfusion (per-mettant de traiter la maladiehémolytique des nouveau-nés);– 1949 : création d’une fédé -

ration des donneurs de sangbénévoles ;

– juillet 1952 : adoption d’uneloi instituant les principeséthiques, hors commerce.Tous ces faits étaient les pre-miers au monde dans leurdomaine.Après 1986, la création d’unregistre de donneurs volontairesde moelle osseuse (DVMO), puisde la première banque « d’uni-tés de sang de cordons », recueil-lies lors des accouchements,élargissaient le champ d’action,permettant la greffe des leucé-miques.L’Établissement français du sang,qui assiste l’Agence de biomé-decine dans l’objectif d’obte-nir un registre de 240000 DVMO,fournit avec les associations dedonneurs de sang environ 90 %du total des inscrits.

Avec la création de l’Établisse-ment français du sang (EFS),établissement public, le 1er jan-vier 2000, le système transfu-sionnel voyait ses pratiquesmédicales et de sécurité sani-taire s’harmoniser sur l’ensem-ble du territoire.Entre 1992 et 1997, la mise enœuvre de la déleucocytation despoches de sang supprimait unegrande partie des risques decontamination, puis le phéno-typage des poches permettait

de fournir 200 types différents1

de concentrés de globulesrouges, éliminant ainsi des effetssecondaires sur les malades.Le sang humain permet d’ob-tenir deux catégories de pro-duits à finalité thérapeutique :les produits sanguins labiles(PSL), à durée de conservationtrès courte (concentrés de glo-bules rouges et plaquettes), quirelèvent, avec le plasma théra-peutique, du monopole de l’EFS,et les médicaments dérivés dusang (MDS), qui relèvent de lalégislation pharmaceutique etfont l’objet d’appels d’offresdes hôpitaux.

MODÈLE DE RÉFÉRENCE ETDÉBUT DE L’INDUSTRIALISATIONTout cela a fait de notre systèmetransfusionnel un modèle, laréférence recommandée parl’OMS aux pays en développe-ment qui veulent se doter deservices de santé publique.On notera que l’OMS recense500 000 morts annuelles defemmes dans les pays ne dis-posant pas d’un service de trans-fusions. Elles sont victimes del’hémorragie de la délivrancelors de leur accouchement. Cetaccident, disparu depuis deuxgénérations en France, a aussidisparu des mémoires, de sortequ’on ne mesure plus les pro-grès accomplis.Beaucoup moins connus dupublic que la transfusion, lesMDS issus du fractionnement –technique qui permet d’isoler etde recueillir les différentes pro-téines du plasma sanguin – trai-tent en moyenne 500000 ma l a -des par an. Ce sont les victimesde déficits immunitaires, de défi-cits de coagulation (hémophi-lie, par exemple), de troubles pul-monaires, de maladies génétiques,héréditaires et auto-immunes,certaines très rares, souvent inva-lidantes. Les MDS sont aussi uti-lisés en soins intensifs.Les produits sanguins sont tou-jours remboursés à 100 % par

n SANTÉ PUBLIQUE

Fondé sur la solidarité, le don, la gratuité et l’anonymat, le système transfusionnel,pilier de la santé publique, semble faire partie du paysage. Donc, peu s’en préoc-cupent alors que se déroule une opaque bataille de requins pour le transformer.

Don de sang, médicaments dérivés…Éthique ou marchandisation?

L’Europe libérale a beaucoup fait pour lamarchandisation en adoptant, dès 1993, une directivequi transforme en « médicaments » (donccommercialisables) les produits sanguins ayant subiun processus « industriel ».

L’EFSIl assure l’autosuffisance nationale avec 152 sites de prélèvements et 40 000collectes mobiles, 9 800 salariés. Il approvisionne 1 900 hôpitaux et cliniques.En 2013, il a recueilli 2 833 351 poches de « sang total », plaquettes et plasma,auprès de 1 625 735 donneurs. Il assure aussi des recherches dans les domainesdes thérapies cellulaires et tissulaires. Les donneurs de sang, sont organisésdans 2 850 associations rassemblées dans la Fédération française pour le donde sang bénévole. Partenaire de l’EFS, elle dispose de deux représentants auconseil d’administration de l’EFS et du LFB.

L’OMS recense 500 000 mortsannuelles de femmes lorsd’accouchement dans les pays nedisposant pas d’un service detransfusions.

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l’Octaplas ne disposant pas del’autorisation de mise sur lemarché pour la France. L’EFSconserve donc de fait le mono-pole… pour quelques mois.

Il est urgent que le public, enparticulier les malades et leursfamilles, prenne conscience dudanger pour deux raisons :– les produits importés sontsoumis à des normes sanitairesinférieures aux exigences fran-çaises2

– le caractère indigne du com-merce de produits humains.Si prise de conscience il y a,population, élus, malades, auxcôtés des donneurs de sang,sans doute pourrons-nous exer-cer une influence pour modi-fier des directives européennes,travailler à des convergencesavec les pays éthiques ou avecles organisations éthiques despays pratiquant des prélève-ments rémunérés.Mais il faut avoir conscienceaussi du contexte mondialdans lequel nous évoluons. Ilest bien décrit dans l’ouvragele Corps-Marché, de la socio-logue canadienne CélineLafontaine. Elle rappellequ’avec sang, tissus, cellules,

ovules… le corps humain, missur le marché en pièces déta-chées, est devenu la sourced’une nouvelle plus-value ausein de ce que l’on appelledésormais la bioéconomie.C’est la formule inventée parl’OCDE (rapport de 2009) dansun plan d’action visant à favo-riser la mise en place d’un modèlede développement au seinduquel l’exploitation et la mani-pulation technoscientifique duvivant constituent une sourcede productivité économique.Pour ne pas être en reste, la Commission européenneannonçait en février 2012 unplan stratégique pour « une bio -économie durable en Europe ».Oui, la défense de la santépublique, du modèle transfu-sionnel français, c’est mainte-nant, et elle nous concernetous. n

*JEAN-PIERRE BASSET est militantdu don de sang, Valence.

1 En 1936, la Société des nationsadoptait la nomenclature ABO, le sys-tème des groupes A, B, AB et O.Aujourd’hui, trente autres systèmes ontété identifiés, regroupant 360 phéno-types différents, souvent rares. Cela aconduit à la création d’une banque des« sang rares » à Paris.2 C’est difficilement croyable mais vrai,un rapport de l’IGAS (RM2010-089P,page 91), liste les exigences sanitairesappliquées aux produits français, maisnon appliquées aux produits importés.

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la Sécurité sociale, d’où l’achar-nement de multinationales àvouloir transformer le systèmeen « marché », toujours solva-ble pour elles, en France grâceà la Sécu et à l’hospitalisationpublique.D’une façon générale, les pro-grès médicaux conduisent à uneutilisation de plus en plus largedes produits sanguins. Aussi,depuis l’apparition du premiermédicament dérivé (le fac -teur VIII pour les hémophiles),des multinationales se sontconstituées afin d’exploiter cenouveau marché, estimé à 12 mil-liards d’euros.L’Europe libérale a beaucoupfait pour la marchandisation enadoptant, dès 1993, sous la pres-sion des lobbys, une directivequi transforme en « médica-ments » (donc commercialisa-bles) les produits sanguins ayantsubi un processus « industriel ».C’est le cas du plasma utilisépour les « médicaments » etdepuis le 1er février 2015, enFrance, du plasma thérapeu-tique à usage transfusionnel.Jusqu’en 2011, les gouverne-ments successifs, bénéficiantpour cela du soutien du mou-vement associatif des donneursde sang, avaient résisté au dik-tat européen et maintenu intact,par le monopole d’État, notresystème éthique.Puis en 2011, une tentative d’im-poser dans une spécialité – leplasma thérapeutique – l’Octo -plas, un produit de la multina-tionale Octapharma, fut vigou-reusement combattue… etrejetée par l’action des don-neurs de sang.

DES ACTIONS EN JUSTICECela entraîna une série d’ac-tions judiciaires de cette mêmefirme. Elle a finalement gagnécontre les institutions françaisesdevant la Cour de justice euro-péenne (CJUE) en mars 2014,puis devant le Conseil d’État,en juillet 2014, notre gouverne-ment ayant fait le choix de nepas défendre nos principeséthiques et notre système mal-gré les recommandations d’unrapport de l’Inspection géné-rale des affaires sociales (IGAS)l’y incitant depuis 2011.Cette double décision, CJUE etConseil d’État, brisant le mono-pole du service public EFS aouvert la voie à la commercia-lisation par la mise en concur-rence du service public et desfirmes commerciales.Aussi, à l’automne 2014, l’arti-cle 51 projet de loi du finance-ment de la Sécurité sociale est-il venu mettre cela en musique,en fixant au 1er février 2015 l’ou-verture à la concurrence. Puisl’article 48 de la loi Macron modi-fie le statut du Laboratoire fran-çais du fractionnement et desbiotechnologies (LFB), établis-sement public qui produit lesMDS à partir du plasma cédé(à son coût de production) parl’EFS, pour permettre d’en ouvrirle capital au prétexte de diffi-cultés de financement. Enfin,l’article 42 de la loi « santé »ouvre les vannes à la commer-cialisation généralisée de tousles produits sanguins.Les associations de donneursde sang – partenaires de l’EFS– organisées sur l’ensemble duterritoire, sur la base de la soli-darité, à tendance humanitaire,ont beaucoup de mal à com-prendre que leur raison d’êtrepuisse être volontairement miseà mal par le gouvernement. Lamobilisation pour défendre lesystème n’est pas à la hauteurde la gravité de l’attaque.Au jour de la rédaction de cetarticle, les réactions ont cepen-dant permis d’empêcher le gou-vernement d’accorder une auto-risation temporaire d’utilisationà Octapharma, son produit

UTILISATION DES TRANSFUSIONSLes transfusions requises par les acci-dentés, toutes catégories comprises,représentent moins de 1 % du sangdisponible. Donc l’essentiel se répar-tit entre :– traitements postcancéreux, aprèsles chimiothérapies;– maladies hématologiques ;– chirurgie ;– médecine hospitalière.

La mobilisation pourdéfendre le systèmen’est pas à la hauteurde la gravité del’attaque.

Acte de don du sang bénévole.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

PAR ANNE RIVIÈRE*

e fait, le travail causedes dégâts considéra-bles : 5 000 à 10 000 can-

cers professionnels par an, aprèsle très grand scandale del’amiante, une explosion desTMS ( troubles musculo-sque-lettiques) et la floraison desrisques psychosociaux. La refontedes tableaux listant les critèresdes maladies professionnellesn’évitera pas ces pathologiesmais réduira leur reconnais-sance. Des millions de journéesde travail perdues, et un coûtde 80 milliards pour la Sécuritésociale. Une étude a montré unexcédent de consultations, detraitements et d’hospitalisa-tions pour les ouvriers, de 30 à50 %, à la charge de l’assurancemaladie et non de la branche« accident de travail et mala-dies professionnelles ». Sanscompter les altérations de lasanté dues au non-travail.Le projet de « choc de simplifi-cation » pour les employeurspropose de supprimer les visitesmédicales d’aptitude à l’em-bauche, accusées d’être chrono -

phages, par manque de méde-cins, ou de les confier au méde-cin traitant ! Depuis 2011, déjà,les infirmières font des entre-tiens infirmiers, standardisés,aux lieux et place des consul-tations du médecin du travail.Celui-ci ne traitera que les casdes salariés ne pouvant plusrester à leur poste, soit en leréaménageant, soit en propo-sant un reclassement. Mais,selon la proposition de simpli-fication no 22, aménager le postereste trop compliqué, alors lesalarié devrait être apte ou inapte.Ces deux mesures ont été reti-rées de la loi Macron, et unecommission travaille sur lanotion d’aptitude.

LES ENJEUX DE LA CONTRO-VERSE SUR L’APTITUDE : UN DÉBAT À CLARIFIERLa notion d’aptitude fait dévierla médecine du travail vers uneforme de sélection de la main-d’œuvre. Si nombre de méde-cins du travail sont attachés àla délivrance du petit papier àla mention « apte », c’est de peurque la visite médicale ne dis-paraisse, mais ils ne mènent

guère la bataille pour préserverle sens de leurs actes. Les sala-riés y sont attachés pour desmotifs variés, et inappropriés :conserver l’acquis de la rencon-tre avec le médecin, avoir le sen-timent d’une garantie contreles risques, discuter de leur pro-blème de santé, sans bien faire

la différence avec un médecintraitant. Les employeurs y voientune assurance tous risques : « Lemédecin a dit qu’il n’avait pasde problème… »Certaines organisations syndi-cales voient dans les réformessuccessives menaçant cettemédecine un moyen de limiterle pouvoir de professionnelsperçus comme « au service del’employeur ». Les employeursveulent bien récupérer ce « tempsinutile » pour la production, etces frais, surtout si le service desanté au travail leur rend unautre service : leur sécurisationjuridique et financière, enappoint d’une gestion des res-sources humaines.Pourtant, la visite médicale per-met, à l’embauche, d’informersur les risques et les moyens deprévention et, périodiquement,de surveiller les effets du tra-vail sur la santé à plus long terme.

L’aptitude reste à ce jour l’en-semble des conditions que lemédecin fixe pour l’affectationau poste de travail d’une per-sonne. Mais elle débouche surl’absurdité de demander à unmédecin de juger un être « apteà être exposé à un cancérogène »sans que cela choque personne,pas même le législateur. Lalogique voudrait que ce soit l’in-verse : évaluer la non-dangero-sité du poste ! En revanche, l’inap-titude conserve tout son sens,car elle permet de soustraire unsalarié d’un poste qui met sasanté en danger (mais compro-met dans les faits son maintiendans l’emploi).La professeure Sophie Fantoni-Quinton, membre de la com-mission susmentionnée, évoqueun salarié n’ayant pas informéle médecin du travail de pro-blèmes de santé, qui auraitensuite eu un accident du tra-vail lié à ces problèmes : il devraitalors « partager » la responsa-bilité de l’accident avec l’em-ployeur. L’employeur ne seraitplus tenu de l’obligation légaleet jurisprudentielle de « sécu-rité de résultat », et échappe-rait à des plaintes pour fauteinexcusable.L’absence de suivi dans la duréedes dossiers des précaires etintérimaires, exposés à de mul-tiples risques peu traçables etqui se taisent par peur jusqu’àleur « désinsertion », illustre unsystème de non-reconnaissancede fait des maladies profession-nelles, qui appelle une profonderéforme et des moyens.La médecine du travail, spécia-lité à part entière (quatre annéesd’études), est en proie à unedestruction programmée de

n MÉDECINE DU TRAVAIL

La loi « Santé » ne dit rien sur la santé au travail. La nation doit garantir à tous la pro-tection de la santé. La santé au travail ne s’inscrit-elle pas dans la santé publique ?

Santé au travail : quel pouvoir du médecin du travail ?

D

La médecine du travail,spécialité à part entière(quatre annéesd’études), est en proieà une destructionprogrammée de longuedate, au mépris desbesoins sociaux.

La notion d’aptitude fait devier la medecine du travail vers une formede selection de la main-d’œuvre.

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longue date, au mépris desbesoins sociaux.

LA DÉMOGRAPHIE DES MÉDECINS DU TRAVAIL : UNE PÉNURIE ORGANISÉE ?Depuis les années 1970, desmédecins sortent de leur cabi-net et circulent dans les ateliers.Un groupe de médecins a mêmeconstitué un lieu de réflexionet d’élaboration collective desrègles de métier : la cliniquemédicale du travail, qui part del’analyse du travail et de ce quele salarié y déploie, en interac-tion, plutôt que d’une pureapproche technique. Jusqu’alors,le plein-emploi masquait le côté« médecine de sélection ». Lamontée du chômage a mis enévidence l’immoralité des condi-tions de travail détruisant lespersonnes. Ces médecins, sala-

riés protégés et leurs outils d’ana-lyse et de diagnostic devenaientun obstacle, à la mesure de l’exa-cerbation de la concurrence etde l’accumulation capitaliste,par leur capacité à mettre enévidence les dégâts causés parles conditions de travail.Sans supprimer purement etsimplement la médecine du tra-vail, il s’est agi de la réduire…au silence. Le manque repérédès 1990 de médecins du tra-vail (moins de 5 000 en 2014,bientôt plus que 2 000) a favo-risé l’introduction des infir-mières et des IPRP (intervenants

en prévention des risques pro-fessionnels), salariés non pro-tégés, et la pluridisciplinaritécomme panacée.

VERS LA SÉCURISATION JURIDIQUE ET FINANCIÈRE DE L’ENTREPRISELa grande réforme de 2011 adénaturé le rôle des services desanté au travail et détourné lafinalité des moyens de proté-ger la santé des salariés vers uneaide à la « gestion des risques »pour l’employeur.Au repérage traditionnel desrisques dans la fiche d’entre-prise par le médecin du travail,se substitue une aide à l’éva-luation des risques pour l’em-ployeur, et bientôt à la place del’employeur. Une responsabi-lité propre de celui-ci sera alorsendossée par les services de

santé au travail et par le méde-cin, dans une logique assuran-tielle.Les IPRP, sous l’autorité desdirecteurs, peuvent avoir à inter-venir en dehors de l’avis dumédecin, pour « améliorer lespostes de travail » ; soit en pra-tique une récupération desmarges de manœuvre que l’er-gonome a pu trouver pour aug-menter la productivité, sansbénéfice réel pour la santé dessalariés (exemple : l’ambiguïtédu lean et ses effets sur les TMS).Un faux paritarisme a été ins-tauré pour les services interen-

treprises de santé au travail : leconseil d’administration est« paritaire », mais avec voix pré-pondérante du président-employeur ; en échange, un sala-rié est chargé de la trésorerie.Et de fait, les syndicats n’inves-tissent pas assez les commis-sions de contrôle où ils sontmajoritaires et ont la présidence.Cette réforme s’intègre aussidans une évolution program-mée des deux autres institu-tions qui agissaient pour la pro-tection des salariés : les caissesde Sécurité sociale (CARSAT) etl’Inspection du travail. Toutesintègrent des plans d’actionnationaux ou déclinés régiona-lement ou localement, maisdéconnectés de la réalité vécuepar les salariés. La loi Macronsur les CHSCT (comité d’hy-giène, de sécurité et des condi-tions de travail) relaie les effortsdes employeurs pour diminuerles moyens du dialogue social,avec le démantèlement de lajustice prud’homale et la pres-sion sur les lanceurs d’alerte.

UN STATUT INCONFORTABLEET PEU ATTRACTIFLes récentes poursuites enta-mées, sur plainte des employeurs,par les instances disciplinairesdes médecins contre des prati-ciens pour leurs écrits faisantle lien santé-travail ont été sui-vies de « condamnations ».Les conseils de l’ordre ont orga-nisé des conciliations viciéesentre le médecin, tenu au secretmédical, et qui ne peut dès lorspas se défendre, et l’employeur.Les médecins poursuivis ont vuleurs écrits confortés par lacondamnation ultérieure desemployeurs par les tribunauxou par la reconnaissance desfaits visés en accident de tra-vail par la Sécurité sociale.Mais, sur le fond, l’ordre a déniéaux médecins du travail, indé-pendants par statut, tant la capa-cité d’établir un diagnostic, àpartir de la parole des salariés,que sa justesse en utilisant les

outils élaborés. Les écrits incri-minés n’ont pas de finalitémédico-légale mais facilitent lesuivi par le médecin traitant ouretracent les situations dans ledossier médical. Ces conflitsdevraient se régler devant unevraie juridiction, ayant la capa-cité d’instruire les faits et de direle droit, après expertise.

GÉRER LES RISQUES OU LES COMBATTRE : DES DILEMMES INSOLUBLESLes « clients » des services desanté au travail sont les entre-prises, et non les salariés.N’étant pas organisée en véri-table service public, investie demissions de santé publique, laprofession n’attire pas.L’indépendance du médecin,le lien de confiance à instaureravec les salariés pour le main-tien réel dans l’emploi et la pré-vention effective des inapti-tudes, en relation avec levieillissement au travail, peu-vent difficilement être conci-liés avec une liaison exclusiveà l’entreprise ou un rapportcommercial à celle-ci, qui a d’au-tres objectifs.Certains médecins proposentde reconstruire leur métier surd’autres bases, à partir desconstats de leur quotidien.Un collectif d’associations – Pourla défense de la santé des tra-vailleuses et travailleurs – a étécréé, qui a mis en ligne la péti-tion « Pour ne plus perdre sa vieà la gagner » et organise des étatsgénéraux de la santé au travailau mois d’octobre 2015.La commission Santé du PCFsoutient cette démarche. n

*ANNE RIVIÈRE est juriste.

À LIRESylvie Dimerman, Jean-MichelDomergue, Francine Fronchain, MariePascual, Jean-Michel Sterdyniak,« Construire un vrai métier de médecindans le monde du travail », inAlternatives économiques (www.alter-natives-economiques.fr), janvier 2008.Pascal Marichalar, Médecin du travail,médecin du patron ? Presses SciencesPo, 2014, 184 p.

Au repérage traditionnel des risques dans la fiched’entreprise par le médecin du travail se substitue une aide à l’évaluation des risques pour l’employeur,et bientôt à la place de l’employeur.

30 a 50 % des consultations,traitements et hospitalisationspour les ouvriers sont a la chargede l’assurance maladie et non dela branche « accident de travailet maladies professionnelles».

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE42

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

PAR FRANCIS VELAIN*

AUX ORIGINES D’UN DÉBATÀ ses débuts, l’informatique vitsa diffusion freinée par l’ab-sence d’applications logicielles.En ce temps-là, nul éditeur« libre » de logiciels ! Libre ausens libéral, c’est-à-dire indé-pendant des fabricants de hard-ware et des demandeurs d’ap-plications informatiques. Lefabriquant et les utilisateurs dela machine coopéraient au déve-loppement des logiciels.Jusqu’aux années 1960, le capi-tal ne tira pas toutes les consé-quences de la structure de toutordinateur : la séparation del’unité de traitement, du pro-gramme et des données, quiporte en elle-même la possi-bilité d’une émancipation del’activité logicielle de celle dumatériel. La « libéralisation »de ces deux activités ne pritson essor qu’à partir de la findes années 1960.Le débat sur le « libre » est uneénième déclinaison du débatqui divise depuis toujours leslibéraux au sujet des péages,des droits d’octroi et autresmonopoles. En 1976, dans sa

lettre ouverte aux hobbyistes,Bill Gates posa ainsi le problème :ceux qui développaient des logi-ciels devaient pouvoir vivre deleur commercialisation ; ceuxqui développaient leurs activi-tés en utilisant librement et gra-tuitement des logiciels préexis-tants étaient des voleurs.

LE « LIBRE » AU CRIBLE DE L’ÉCONOMIE POLITIQUEAu-delà de l’invective : d’uncôté, l’approche d’Adam Smith;de l’autre, celle de Jean-BaptisteSay.Les partisans du logiciel « pro-priétaire » ont choisi Adam Smith.Un logiciel est, dans leur optique,un produit qui fait usage parlui-même. Il vaut pour son coûtde production. Il faut le proté-ger de la contrefaçon d’autantqu’il est plus facile à copier qu’unsac à main, un parfum ou unAirbus. Il faut protéger les sourceset se prémunir de la copie numé-rique.Les partisans du logiciel « libre »ont choisi Jean-Baptiste Say.Pour eux, le logiciel suscite l’of-fre en créant la demande. Cen’est pas lui la marchandise,c’est l’activité qui prend appui

sur lui. Plus il est dupliqué, réuti-lisé, plus il suscite la demande,nourrit le marché de l’offre.Sources et binaires doivent être« ouverts », « libres » et non pro-tégés.Tous ces acteurs collaborent surce qui leur est vital : le dévelop-pement technologique qui assureà leurs activités leur place dansla division du capital. La colla-boration technologique entre« libre » et « propriétaire » n’estjamais compromission. C’estla condition de la concurrencelibre et non faussée entre euxet de l’exploitation du travailsalarié par les uns et les autres.

LE « LIBRE » ET QUELQUESRÉALITÉS OUBLIÉESUne immense littérature théo-rise depuis les années 1970-1980 autour de l’oppositionlibre/propriétaire. Il y est ques-tion du développement d’un« stock de biens logiciels com-muns ». Manque un interve-nant important : la recherche.Quel est son rôle dans l’élabo-ration des communs de l’indus-trie logicielle ?Les algorithmes des mathéma-ticiens grecs sont devenus desbiens communs de l’humanitédepuis fort longtemps. Si desbiens sont communs, alors ilssont accessibles à toute formed’usage, capitaliste ou pas. Unbien ne devient commun quepar choix social et politique : ladécision doit relever d’un pro-cessus démocratique.Pour décider du caractère com-mun d’un bien, il faut prendreen compte sa nature. La routefait forcément bien commun :il ne ferait pas sens d’enconstruire une à chaque indi-

vidu. Pour d’autres biens, laréponse est moins évidente :une automobile est-elle un biencommun ou individuel ? Ici desréponses sociales et politiquesdécident. Cette exigence de

débat vaut pour le logiciel, mêmesi la simplicité de sa « multipli-cation et diffusion » encouragecertains à s’en affranchir.Pour rendre commun un bien,il faut d’abord qu’il existe. Lesfinalités qui décident la sociétéà le considérer comme « com-mun » ne peuvent ignorer nison mode de production ni sanature. Son échange concerne-t-il des surplus, à l’exemple despratiques dans les jardinsouvriers ? Son échange est-il legarant des conditions de vie deceux qui le produisent ? Sa pro-duction peut-elle relever dessecteurs privés ou marchands ?

LE « LIBRE » AU CRIBLE DE L’HISTOIRE POLITIQUELa littérature du « libre » ne pro-pose pas de le passer ainsi aucrible de l’économie politiqueclassique. À défaut, on trouveutilité à se tourner vers l’Histoire.En 1969, CDC, petit concurrentd’IBM, déclencha un procèscontre le géant de l’informa-

n NOUVELLES TECHNOLOGIES

Les algorithmes des mathématiciensgrecs sont devenus des biens communs del’humanité depuis fortlongtemps. Un bien ne devient communque par choix social et politique.

Les dynamiques libérales du numériqueLe capital a fait le salariat « libre ». Mais de qui et de quoi une activité logicielle oumatérielle peut-elle être libre ?

Pour les partisans du logiciel « libre », le logiciel suscitel’offre en créant la demande. Ce n’est pas lui lamarchandise, c’est l’activité qui prend appui sur lui.

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Progressistes

tique au nom de la loi antitrust.La justice états-unienne pritalors – politiquement – encompte le fait que le traitementnumérique reposait sur la sépa-ration du matériel et de l’appli-cation. Au nom de la concur-rence libre et non faussée, lajustice des États-Unis poussadonc délibérément à une sépa-ration des activités matérielleet logicielle pour assurer le déve-loppement d’un marché libreet concurrentiel.L’obstacle que représentaitencore le besoin de connais-sance du jeu d’instructions del’unité de traitement fut rapi-dement surmonté par le déve-loppement de logiciels de com-pilation, des langages de hautniveau. Des systèmes d’exploi-tation firent normes (Unix, DOS,Windows…).

Cette décision anticipait aussil’évolution du matériel. La loiempirique de Moore promet-tait déjà l’ordinateur person-nel, les réseaux, l’informa-tique embarquée, les objetsconnectés.Mais il ne s’agissait pas seule-ment d’assurer le profit des unset des autres. Les thèses sur l’op-position libre/propriétaire n’ex-plicitent en rien les autres moti-vations de la justice états-unienneà partir des années 1960, etmoins encore celles de l’Agencepour les projets de rechercheavancée de défense (DARPA :

Defense Advanced ResearchProjects Agency).Cette agence n’eut de cesse d’im-pulser le développement de toutce qui favorisait une mise enréseau des ordinateurs les plushétérogènes, la portabilité desprogrammes sur toutes lesmachines, le besoin de systèmesd’exploitation et de protocolesde communications faisantnorme. Tout ce qui au final per-met de structurer un marchéconcurrentiel du travail et desactivités.Il faut replacer cette politiquedans le contexte de la concur-rence systémique Est/Ouest.Les États-Unis, dans la conti-nuité de leur effort de guerreentre 1939 et 1945, entendaientdévelopper le système tech-nique théorisé par NorbertWiener sous le terme de « cyber-

nétique ». En URSS, les techno-logies numériques furent réser-vées à la défense ; les États-Unischoisirent d’y recourir pour fon-der la puissance militaire surcelle de toute l’économie.Les États-Unis ne choisirent pasentre Adam Smith et Jean-Baptiste Say. Ils choisirent lesdeux : la justice définit le droitnécessaire à la protection deslogiciels propriétaires ; le sys-tème états-unien encourageaplus ou moins directement letravail des partisans du libre.Pour le capital, l’enjeu du déploie-ment du numérique n’était pas

un enjeu pour telle ou telle entre-prise. C’était un enjeu pour lesystème économique dans sonensemble, pour l’efficacité pro-ductive du travail dans toutesles activités, donc un gage deprofit pour le capital. C’est tou-jours d’actualité.

DU BON USAGE D’UNE ANALYSE POLITIQUE DU« LIBRE » ET DES AVANCÉESTECHNOLOGIQUESAujourd’hui, avec le langageVHDL, des entreprises conçoi-vent elles-mêmes les fonction-nalités du circuit numériquedont elles ont besoin. D’autresindustriels possèdent les moyensde production nécessaires àleur réalisation.Avec le fab-lab et l’usine numé-rique se jouent de nouvellesdivisions du travail et du capi-tal, de nouveaux éclatementsd’entreprises et une recons-truction du contrôle du pro-cessus productif par les grandsgroupes capitalistes.

L’évolution technologique dunumérique continue de nour-rir la possibilité de rendre « libres »des espaces pour l’activité ducapital. L’enjeu est crucial pourle secteur de production et, parconséquent, dans la sphère dela consommation dans une inter-action qui mérite réflexion.Le consommateur est devenuune marchandise à travers larevente à son insu de ses don-nées personnelles. Il est somméd’être « libre » en choisissantses applications « gratuites ».Le marché direct entre particu-liers via le Web est la promessedu marché parfait de la concur-rence libre et non faussée. Avec des start-up commeLendingClub, dont Google estactionnaire, les prêts de par-ticulier à particulier se disentantifinance en promettantdes taux entre 4,74 et 7,56 %aux prêteurs ! Derrière le covoi-turage, des start-up se fontune guerre féroce et plusencore mènent une guerretotale contre les servicespublics de transport.

Le législateur intervient parfoispour régler les différends. Maisil prend soin de maintenirouverte la « liberté » des nou-velles activités.La loi no 2014-58 de « moder-nisation de l’action publiqueterritoriale et d’affirmation desmétropoles » a instauré la libertéd’une offre privée d’autopar-tage et de covoiturage. Puis lalibéralisation du transport parcars fut annoncée. Les ciblessont claires : les services publicsde transport de personnes, lesréglementations du travail etde la protection sociale. Ceuxqui jouent les intermédiaires

sur le Web prennent leur com-mission en toute connaissancede cause.Les nouveaux modes de consom-mation « libre » bousculent lasphère de la production et deses régulations sociales.

Un énorme travail est devantnous pour imposer une concep-tion progressiste et commu-niste du numérique et le sortirde sa matrice libérale originelle.Il faut faire bon usage du terme« libre » afin de démêler, d’unepart, ce qui relève du besoin defaire progresser l’efficacité pro-ductive du travail et, d’autrepart, ce qui relève de la libertéde renouveler l’exploitation. Aunom du « libre », du commercede « particulier à particulier »,toute la vie sociale menace dedevenir marchandise. L’enjeuporte sur l’émancipation de tousou la liberté de quelques-uns àimposer d’immenses reculs àla société. n

*FRANCIS VELAIN est ingénieurinformaticien.

Un énorme travail est devant nous pour imposer uneconception progressisteet communiste du numérique.

Le consommateur est devenu une marchandise à travers la revente à son insu de ses donnéespersonnelles. Il est sommé d’être « libre » en choisissant ses applications « gratuites ».

Au nom du « libre », du commerce de « particulier à particulier »,toute la vie sociale menace d’être « marchandise ».

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

PAR YVETTE VEYRET*

es risques industrielsentrent dans la catégo-rie des risques techno-

logiques recouvrant les dangersliés aux activités industrielles,nucléaires, minières, aux trans-ports et à la présence de grandsbarrages. Ainsi, la fuite de pro-duits toxiques gazeux ou liquides(ammoniac, chlore, phosgène,acides…) est responsable depollutions des sols, des eaux desurface et des nappes, de l’air.Les risques d’explosion sontassociés aux installations de gazliquéfiés ou à l’utilisation et austockage de produits explosifs.Le BLEVE (abréviation de l’an-glais boiling liquid expandingvapour explosion), qui peut seproduire à la suite de la ruptured’un réservoir, résulte de la vapo-risation à caractère explosif d’unliquide à une température trèssupérieure à sa températurenormale d’ébullition à la pres-sion atmosphérique. Les BLEVEprovoquent une onde de sur-pression, projettent des frag-ments parfois sur de grandesdistances et ont aussi des effetsthermiques liés à la formationd’une boule de feu.Les dangers industriels tien-nent aussi aux incendies aux-quels peuvent être liés des pro-cessus de boiled over qui sedéclenchent quand sont asso-ciés un bac de produit en feu etde l’eau au fond du bac. Ce phé-nomène est à l’origine de vio-lentes projections de combus-tible, du bouillonnement ducontenu du bac, de l’extensiondes flammes et de la formationd’une boule de feu.Outre les victimes immédiates(morts) des accidents, ceux-cipeuvent avoir d’autres effetsimportants : thermiques pro-

voquant des blessures graves(brûlures) ; mécaniques liés auxexplosions (lésions de l’oreille); toxiques, pollutions qui peu-vent agir sur de vastes espaceset sur une longue durée (intoxi-cation, atteinte au système ner-veux, cancers…). Les dégâtsmatériels et à l’environnementsont aussi à considérer.La connaissance des risquesindustriels et des accidents relèvedu Bureau d’analyse des risqueset des pollutions industrielles(BARPI), service de l’État quirassemble l’ensemble des infor-mations liées aux accidentsindustriels en France. La basede données GASPAR (Gestionassistée des procédures admi-

nistratives relatives au minis-tère en charge de l’Écologie)recense les communes soumisesaux risques technologiques.

UNE PRISE EN COMPTEANCIENNE La question du risque lié auxactivités artisanale et indus-trielle n’est pas récente. EnFrance, elle date du XVIIIe siècle,des débuts de l’industrialisa-tion. En 1794, l’explosion de lafabrique de poudre de Grenelleprovoqua plus de 1 000 mortset entraîna une première prisede conscience. En 1806, l’or-donnance du préfet de policede Paris établit un cadre juri-dique destiné à protéger les

industriels, à en favoriser l’es-sor et à arbitrer les conflits deplus en plus nombreux entrevoisinage et industriels ; ce cadreoblige les exploitants d’activi-tés dangereuses, insalubres ouincommodes à déclarer ces acti-vités en distinguant trois caté-gories d’établissements selonles désagréments ou les dom-mages qu’ils peuvent générer.La loi du 19 décembre 1917 sou-met les établissements les moinsdangereux à un régime de sim-ple déclaration.Après la loi sur les installationsclassées du 19 juillet 1976 concer-nant toute activité ou nuisancepour l’environnement (on défi-nit par installation classée toute

n SÛRETÉ INDUSTRIELLE

Aborder les risques industriels nécessite, en vue de leur gestion pour la protection destravailleurs, de la population et de l’environnement, de les définir de façon rigoureuse.

Les risques industriels en France

L

44 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Progressistes

exploitation industrielle ou agri-cole susceptible de créer desrisques ou de provoquer despollutions ou nuisances), lesdirectives européennes Sevesode 1990 et 1996 ont été reprisespar la réglementation française.C’est notamment l’arrêté du10 mai 2000, qui concerne cer-taines installations classées uti-lisant des substances ou pré-parations dangereuses.Il convient désormais de maî-triser le risque à la source. Ledroit européen définit deuxclasses de dangerosité qui don-nent, dans la terminologie fran-çaise pour les établissementsles plus dangereux, la distinc-tion Seveso seuil bas et Sevesoseuil haut. La loi du 30 juillet2003 vise les établissementsindustriels à haut risque rele-vant de la directive Seveso 2 :ils doivent réaliser et mettre àjour une étude de dangers quiquantifie les risques et justifieles mesures de réduction de ces

risques prises par l’exploitantdes installations. La directiveSeveso 3, bientôt transcrite endroit français, reconsidère laclassification des substancesdangereuses et renforce les dis-positions relatives à l’accès dupublic aux informations enmatière de sécurité

CLASSIFICATION DESACTIVITÉS INDUSTRIELLESLa loi distingue trois régimesadministratifs des installationsclassées pour la protection del’environnement (ICPE) en fonc-tion de la gravité des dangersqu’elles présentent. Fin 2011,on recensait plus de 500 000 éta-blissements classés ICPE.

Les établissements Seveso sesituent principalement en Seine-Maritime, dans les Bouches-du-Rhône, le Nord, l’Isère, laGironde, la Loire-Atlantique etles départements d’Île-de-France.

LA GESTION DE CRISELe retour d’expérience mené àla suite de la catastrophe deToulouse (AZF, 2001) et des cata -strophes naturelles (caniculede 2003…) a mis en évidencel’insuffisante préparation desindividus et des pouvoirs publicsface à l’événement, et ce mal-gré la loi de 1987 relative à l’or-ganisation de la sécurité civile.Celle-ci a été réformée au tra-vers de la loi de modernisationde la sécurité civile de 2004,dont l’objectif est une prépara-tion des acteurs de la gestionde crise en s’appuyant sur desprocédures de vigilance et surl’engagement accru des acteurspublics et privés ainsi que descitoyens.La loi de 2004 a modifié la planification des secours.Désormais, il existe des plansd’organisation de la réponse dela sécurité civile (Orsec), dispo-sitif permanent de veille et d’or-ganisation unique de gestion

des événements catastrophiquesà l’échelle d’un départementou de la zone définie comme lacirconscription territoriale (laFrance métropolitaine est décou-pée en sept zones de défense :Paris, Nord, Est, Sud-Est, Sud,Ouest, Sud-Ouest) et destinéeà faciliter la gestion par les auto-rités déconcentrées de l’Étatd’une situation de crise dontl’importance implique la miseen œuvre de moyens dépassantle niveau départemental. Cesplans sont coordonnés par lepréfet (de département ou dezone). Quand l’accident dépassela zone, le ministre de l’Intérieurprend le relais. À l’échelle com-munale, le maire est responsa-ble de la sécurité, il s’appuiepour cela sur le plan commu-nal de sauvegarde (PCS).

À l’échelle de l’établissement,l’étude de danger permet d’en-visager les périmètres concer-nés en cas de crise. Pour les sitesclassés Seveso seuil haut, deuxtypes de plans de secours sontobligatoires :– les plans d’opération interne(POI), qui sont établis par ledirecteur du site en vue de gérerun incident circonscrit au site,ne menaçant donc pas la popu-lation à l’extérieur. Ces plansdoivent permettre de maîtriserle sinistre et de remettre l’ins-tallation en état de fonctionne-ment ;– le plan particulier d’interven-tion (PPI). Mis en place par lepréfet, il a pour objectif de trai-ter le sinistre sortant des limitesde l’établissement. Il s’agit deprotéger les populations. Le PPI

La question du risquelié aux activitésartisanale et industriellen’est pas récente. En France, elle date du XVIIIe siècle,des débuts de l’industrialisation.

QUELQUES ACCIDENTS INDUSTRIELS SURVENUS EN FRANCE DEPUIS LE MILIEU DU XXe SIÈCLE

1966 Feyzin

Explosion de stockage de propane liquide : 18 morts, 1 000 blessés.

1973 Saint-Amand-les-Eaux

Explosion d’une citerne de propane : 9 morts.

1987 Saint-Herblain

Incendie d’un dépôt d’engrais : nuage toxique.

1992 La Mède

Rupture d’une canalisation, nuage gazeux d’hydrocarbure qui s’enflamme : 6 morts, 2 blessés.

1993 La Voulte-sur-Rhône

Déraillement d’un convoi et incendie des wagons d’hydrocarbure : 6 blessés, 15 maisons détruites, pollutions des sols et des eaux.

2005 Béziers

Incendie d’un bâtiment contenant 1 700 t de produitsphytosanitaires : exposition potentielle de plusieurs milliers de personnes à la pollution atmosphérique générée.

1997 Port-Sainte-Foy

Collision entre un camion-citerne et un autorail : 12 morts et 43 blessés dans l’incendie qui s’ensuit.

2009 Dunkerque

Explosion accidentelle d’un camion-citerne : 1 ouvrier mort, 5 blessés.

2001 Toulouse

Explosion de 300 à 400 t de nitrate d’ammonium destiné à laproduction d’engrais : 30 morts, plus de 2 000 blessés. Les destructions matérielles sont considérables.

45s

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n SURETÉ INDUSTRIELLE

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

prévoit la mobilisation des ser-vices de secours publics (sapeurs-pompiers, gendarmes, police,SAMU), de l’ensemble des ser-vices de l’État et de la commune,les acteurs privés…Par ailleurs, la loi de modernisa-tion de la sécurité civile du 13 août2004 a réaffirmé le rôle du mairecomme acteur de proximité dansla gestion des risques et a renduobligatoire l’élaboration d’un

plan communal de sauvegarde(PCS) dans les communes com-prises dans le champ d’applica-tion d’un PPI. Le PCS déclinel’organisation de crise adaptéeà toutes les situations, il définitet répartit les missions de cha-cun selon ses compétences, ilorganise l’alerte, l’informationet le soutien à la population.

LA GESTION DES RISQUES TECHNOLOGIQUESElle implique fortement l’in-dustriel et mobilise de plus enplus les citoyens.

L’étude de dangerL’industriel doit élaborer un rap-port de sécurité (étude de dan-ger) qui identifie les sources derisques, les scénarios d’acci-dents envisageables, leurs effets

sur les personnes et l’environ-nement ainsi que leur proba-bilité. Les effets dominos surd’autres installations ou sur lemilieu naturel sont égalementenvisagés. L’exploitant doit s’at-tacher à réduire le risque à lasource. Les études de dangersconstituent des éléments indis-pensables pour l’établissement

des POI et des PPI, ainsi que lesbases de la communication avecle public au sein des commis-sions de suivi des sites (CSS)pour les établissements Sevesoseuil haut.

L’information du public Le droit à l’information descitoyens est un élément fort dela réglementation française : lepublic peut donner son avis surl’implantation d’un nouvel éta-blissement ; il a accès aux infor-mations contenues dans lesétudes de dangers ; l’inventairedes substances dangereuses pré-sentes dans l’établissement estmis à sa disposition ; il peut par-ticiper à l’élaboration des PPI ;les représentants du personnelsont consultés lors de l’élabo-ration des POI. En 2006 ont étécréés les comités locaux d’in-formation et de concertation(CLIC) auprès des établisse-ments Seveso seuil haut, et lescomités locaux d’informationet de surveillance (CLIS) auprèsdes établissements Seveso seuilbas. Les deux sont désormais

remplacés par les CSS, « lieuxde débats et de consensus », quipeuvent formuler des avis enmatière de plan de préventiondes risques technologiques oud’extension de sites de traite-ment de déchets. Les préfets enarrêtent les règles de fonction-nement : ordre du jour, frais defonctionnement ; secrétariat ;ouverture aux experts, au publicet à la presse. Ces CSS sont com-posés de cinq collèges (État, col-lectivités territoriales, riverainsou associations, exploitants,salariés), mais le nombre de leursreprésentants peut varier enfonction des circonstanceslocales, en veillant toutefois àconserver globalement un équi-libre. Les comptes rendus descomités sont considérés comme« des documents administratifscommunicables au public ». Bienqu’associés à l’élaboration desplans de prévention des risquestechnologiques (PPRT), les CSSne sont pas des instances deconcertation.

LES PPRTCes plans sont les équivalentspour les risques technologiquesdes plans de prévention desrisques naturels (PPRN). Les PPRT

Le droit à l’information des citoyens est un élément fort de la réglementation française : le public peut donner son avis sur l’implantationd’un nouvel établissement.

Les travaux rendusobligatoires par les PPRT sur leshabitations principalesdonnent lieu à créditd’impôt, mais unepartie demeure à lacharge des riverains.

En 1794, l’explosion de lafabrique de poudre de Grenelleprovoqua plus de 1 000 morts etentraîna une première prise deconscience.

LES RÉGIMES ADMINISTRATIFS

Déclaration. Pour les activités les moins polluantes et les moins dangereuses, l’exploitantdéclare son installation et peut commencer son activité (450 000 établissements).

Enregistrement. Un régime d’autorisation simplifié a été instauré en 2009 pour lesétablissements dont les risques sont minimes, maîtrisés : après contrôle du dossier déposépar l’exploitant qui doit prouver que son projet est conforme à la réglementation, le préfetenregistre ou non cette installation (environ 1 000 établissements).

Autorisation. Le régime d’autorisation concerne les activités à risques plus importants. Pour obtenir l’autorisation, qui est du ressort du préfet, l’exploitant doit déposer un dossierincluant notamment une étude d’impact et de dangers (environ 45 000 établissements).

Autorisation Seveso seuil bas(524 établissements fin 2011).

Autorisation Seveso seuil hautservitude d’utilité publique (524 établissements fin 2011).

Ces autorisations répondent à une directive européenne relative aux émissions industrielles (IED) de 2010, transposée en 2013. Les établissements Seveso haut et bas doiventeffectuer une évaluation des risques sanitaires etprocéder à une interprétation de l’état des milieux(IEM), de l’état de l’environnement.

46 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

s

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Progressistes

prescrits par le préfet sont éla-borés en concertation avec la oules communes sur le territoiredesquelles le plan doit s’appli-quer ; le ou les établissementspublics de coopération inter-communale (EPCI) compétentsen matière d’urbanisme et dontle périmètre d’intervention estcouvert en tout ou partie par leplan ; les exploitants des instal-lations à l’origine du risque ; lecomité de suivi de site (CSS).Instaurés par la loi de 2003,les PPRT délimitent autour dessites industriels classés Sevesoseuil haut des zones incons-tructibles et d’autres au seindesquelles des prescriptionspeuvent être imposées auxconstructions existantes etfutures (vitrage feuilleté, parexemple). Ces plans définis-sent également des secteursdans lesquels le délaissement(droit pour le propriétaire d’unbien grevé d’une servitude demettre en demeure la collec-tivité d’acquérir ce bien), ledroit de préemption urbaine(acquisition du bien par l’Étatou une collectivité) et d’ex-propriation sont applicablesquand le danger est très élevé.Le financement des mesurescorrespondantes est défini pardes conventions entre État,

industriels et collectivités ter-ritoriales. Les travaux rendusobligatoires par les PPRT surles habitations principalesdonnent lieu à crédit d’im-pôt, il ne reste pas moinsqu’une partie demeure à lacharge des riverains. Un totalde 421 PPRT concernant670 établissements industrielsdoivent être élaborés.

Ainsi, depuis quelques décen-nies, la cohabitation entre acti-vités industrielles potentielle-ment dangereuses et populationsemble mieux prendre encompte les dangers. Néanmoins,la maîtrise de l’urbanisationprônée par le PPRT demeuredifficile à mettre en œuvre.Beaucoup d’espaces sont déjàconstruits autour des lieux dan-gereux. Le PPRT est contrai-gnant et source de conflits entreles différents acteurs concer-nés (citoyens et élus, par exem-ple) : les collectivités qui sou-

haitent maintenir un dévelop-pement local n’ont guère inté-rêt à un zonage très restrictifqui limiterait les constructions(E. Martinais, 2012, 2013). Danstous les cas, les enjeux finan-ciers constituent un frein à laprise de décision, surtout sicelle-ci risque de compromet-tre la pérennité de l’activitéindustrielle, donc les emplois

et l’équilibre des financespubliques. Le délaissement, l’ex-propriation ou le renforcementdu bâti peuvent avoir un coûttrès élevé qui inquiète les élusdes collectivités, or le maintiende l’emploi est parfois à ce prix.Les services de l’État privilé-gient plus souvent la sécuritédes riverains, lesquels accep-tent mal le déclassement de leurbien immobilier ou l’éloigne-ment de leur lieu de travail.Située sur le pourtour de l’étangde Berre, dans les Bouches-du-Rhône, la raffinerie Total, for-

tement inscrite dans le tissuurbain, est soumise depuis 2009à l’élaboration d’un PPRT trèscontesté par une partie de lapopulation. Le collectif d’ha-bitants opposé aux PPRTdénonce « l’injustice de la régle-mentation ». Obligés à des tra-vaux de protection du bâti, lesriverains ne veulent pas avoirà participer financièrement àce qu’ils estiment être de la res-ponsabilité de l’industriel. S’ilssubissent un risque, c’est seloneux à l’industriel de prendreen charge leur protection(Osadtchy, 2014). n

*YVETTE VEYRET est géographe.L’industriel doit élaborer un rapport de sécurité (étude de danger) qui identifie les sources de risques,les scénarios d’accidents envisageables, leurs effetssur les personnes et l’environnement ainsi que leur probabilité.

Les PPRT délimitent des zones inconstructibles autour des sites industriels classés Seveso, seuil haut.

Pour aller plus loinEmmanuel Martinais,– « L’épreuve de la décision. Le PPRTou l’art de concilier les enjeux desécurité et de développement », in les Cahiers de la sécurité industrielle,août 2012.– « Lyon ou l’importance des risquestechnologiques », in Yvette Veyret,Richard Laganier (dir.), Atlas desrisques en France, éd. Autrement,Paris, 2013, p. 78-79. Yvette Veyret, Richard Laganier (dir.),Atlas des risques en France, éd.Autrement, Paris, 2013, 96 p.Clara Osadtchy, « Mobilisations etconflits liés à la maîtrise del’urbanisation autour des industries à risque », in Territoire enmouvement. Revue de géographie et aménagement, no 23-24, 2014,mis en ligne le 30 novembre 2014.http://www.ineris.fr/

Yvette Veyret, Richard Laganier(dir.), Atlas des risques en France,éd. Autrement, Paris, 2013, 96 p.

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n RESSOURCES

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

PAR STÉPHANE SARRADE*

UNE HISTOIRE D’EAUL’eau est une molécule chimiqueparticulière. Mais l’eau est bienplus qu’un atome d’oxygène liéà deux atomes d’hydrogène,c’est la molécule responsablede la vie sur Terre. C’est parceque notre planète se trouve dansce que les astronomes appel-lent la « golden zone » que l’eauexiste à l’état liquide à sa sur-face. La Terre est située à la dis-tance idoine du Soleil, alors quesur Mars, plus éloignée, l’eauserait essentiellement sous formede glace ; sur Mercure, trop prèsde l’astre solaire, l’eau s’est vapo-risée dans l’espace. Voilà pour-quoi les astronomes suivent enpermanence la trace de l’eauliquide pour identifier des pla-nètes hors du système solaire,qui, situées dans la zone idéale,pourraient abriter la vie.Mais pourquoi l’eau liquideconstitue-t-elle la ressourcevitale pour notre existence ? Toutsimplement parce que les pre-mières molécules complexes se

sont formées dans les océansprimordiaux. Au fil de l’évolu-tion, le métabolisme vivant s’estdéveloppé dans une phaseaqueuse : sang, lymphe ou sèvedes arbres. Notre organismecomprend 70 % d’eau, ce quinous montre le lien indéfecti-ble qui nous unit à cette molé-cule chimique très particulière.Nous pouvons rester trois moissans nous alimenter, trois jourssans boire et trois minutes sansrespirer. Il nous est nécessairede vivre près de sources d’eaupotable. Les premières grandescivilisations sont nées le longdes côtes océaniques et desgrands fleuves. C’est le Nil quia fait l’Égypte, dit-on. La civili-sation mésopotamienne est néeentre le Tigre et l’Euphrate.D’autres sociétés humaines sontapparues pour des raisons ana-logues le long du Gange, del’Amazone, du Yangzi Jiang(fleuve Bleu), du Niger ou duDanube.Ces grands fleuves ont consti-tué des sources d’eau potablepour les humains et le bétail, et

ont permis l’essor de l’agricul-ture. Les voies navigables onttracé les premiers liens cultu-rels et commerciaux. Au MoyenÂge, en Europe, c’est la maîtrisede la force hydraulique qui l’atransformée en une sourced’énergie immense et toujoursd’actualité. Depuis les premiersmoulins jusqu’aux grands bar-rages hydroélectriques, cetteénergie primaire est associéeaux premières grandes indus-tries : mines, métallurgie, pape-teries, tanneries…

DES BESOINS CROISSANTSCela dit, notre société moderneest de plus en plus dépendantede l’accès à l’eau.Plusieurs raisons, liées ou non,contribuent à cette situationd’« addiction » à l’eau.

Tout d’abord, la démographiebien sûr. Entre 1965 et 2010, c’est-à-dire pendant les quarante-cinqpremières années de ma vie, j’aiété le spectateur du doublementde la population mondiale.Actuellement, plus de 7 milliardsde Terriens doivent étancher leursoif et se nourrir ; 700 millionsd’entre eux n’ont pas un accès

direct à l’eau potable et 1 mil-liard n’a pas un niveau suffisantde nourriture ; 2 millions d’en-fants de moins de 2 ans meu-rent chaque année de patholo-gies liées à l’eau insalubre ouinsuffisante : virtuellement, unBoeing chargé d’enfants s’écrasetoutes les deux heures, alorsqu’en même temps le réseaud’alimentation de nos toilettesfonctionne avec de l’eau pota-ble. La raison de cette situationincroyable est que l’eau potablen’est pas distribuée de manièrehomogène à la surface de la pla-nète. L’eau recouvre environ70 % de la surface terrestre, etil faut y ajouter l’eau présentesous forme de vapeur dans l’at-mosphère et les eaux souter-raines des couches aquifères.La réserve totale en eau est esti-mée à 1,4 milliard de kilomètrescubes. Si toute cette eau étaitramenée à une bouteille de 1 l,la quantité d’eau douce dispo-nible représenterait environ lequart d’une cuillère à café…Plus de 97 % de l’eau de la Terreest salée. Seuls 2,6 % sont consi-dérés comme de l’eau douce,mais la majeure partie (2 %) eststockée dans les glaciers et lescalottes glaciaires, dans les régionspolaires et au Groenland. Cetteeau n’est pas directement dis-ponible. En fait, ce qui est réel-lement accessible se trouve dansle sol (0,59 %) ou dans les lacs,les rivières et les fleuves (0,01 %).Une eau douce en très faiblequantité et mal distribuée géo-graphiquement amène depuisdes années des situations destress hydrique sévère en Asiedu Sud-Est, en Afrique subsa-harienne et dans le pourtourméditerranéen.

L’eau potable pourrait être obtenue en grande quantité dans le futur. Une discrèterévolution est en cours : les procédés de dessalement par osmose inverse.

L’eau : ressource vitale et matière première du futur

2 millions d’enfants demoins de 2 ansmeurent chaque annéede pathologies liées àl’eau insalubre ouinsuffisante :virtuellement, unBoeing chargéd’enfants s’écrasetoutes les 2 heures.

Usine de dessalement d’eau de mer par osmose inverse à Oman.

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Mais le stress hydrique va aussiconcerner des régions mieuxdotées. L’augmentation démo-graphique induit une intensi-fication de l’agriculture et del’industrie, qui utilisent desquantités importantes d’eau.De même, la production d’éner-gie secondaire, via les centralesthermiques, mobilise aussi desquantités significatives d’eau.Enfin, l’augmentation de l’ac-tivité induit une pollution poten-tielle de l’eau avec les pesticides,les nitrates et d’autres polluantsissus de l’industrie. Tout celaconduit à limiter encore plus la quantité d’eau potable dis-ponible.L’eau, ressource vitale, est deve-nue une matière première rared’une valeur marchande avé-rée, équivalente parfois à celled’une denrée alimentaire.Cela commence par le com-merce de l’eau en bouteille, lar-gement rentable dans les paysindustrialisés et au-delà. Maisà qui appartient réellement l’eaupompée et embouteillée ? Je mepose la question de la dette car-bone de la bouteille d’Évian queje viens de trouver dans machambre d’hôtel à Tokyo. Celane s’adresse pas qu’aux paysriches, puisque l’eau en bou-teille devient un marché floris-sant en Afrique, Amérique duSud et Asie. Le Pakistan a servide pays test pour lancer PureLife une des 70 marques d’eauen bouteille de Nestlé Water,destinée aux pays hydrique-ment défavorisés.

PRODUIRE DE PLUS GROSVOLUMES D’EAU POTABLE :COMMENT FAIRE ?Depuis très longtemps, l’hommea essayé de domestiquer l’eaupour sa consommation, l’agri-culture, l’industrie et pour pro-duire de l’électricité. Les exem-ples les plus emblématiquessont les barrages, comme celuid’Assouan en Égypte ou celuides Trois-Gorges en Chine. Cesgrands travaux ont pour consé-quences des bouleversementsécologiques avérés ou poten-tiels. Mais même si les médias

s’accordent à jeter l’opprobresur ces grands ouvrages, quipourrait dire ce qui se seraitpassé en Égypte sans le barraged’Assouan, alors que la popu-lation égyptienne croît demanière constante et significa-tive depuis 1970 ?Les choix techniques sont limi-tés, car l’équilibre entre pro-duire de l’eau potable et pré-server l’environnement estprécaire. Toutefois, un procédés’impose naturellement, puisqu’ilconcerne le traitement de laquantité d’eau la plus impor-

tante : l’eau salée. Le dessale-ment de l’eau de mer a été effec-tué historiquement avec desprocédés thermiques, mais lecoût du pétrole a limité l’exten-sion des procédés utilisés, quine représentent plus que 20 %des usines installées. 80 % sontmaintenant dédiés aux procé-dés membranaires, et en parti-culier à l’osmose inverse.Ce procédé, développé dans lesannées 1950 par SrinivasaSourirajan et ses collaborateurs,fut rapidement considéré parles États-Uniens comme unerupture technologique pourproduire de l’eau douce, notam-ment sur les bâtiments de l’USNavy. Le principe en est sim-ple, il consiste à mettre en œuvreune membrane, un polymèredense ou très faiblement poreux,qui sous l’effet d’une pressionappliquée à l’aide d’une pompepermet de retenir tous les consti-tuants de l’eau salée et de nelaisser passer que l’eau pure.Ce procédé va à l’encontre duphénomène naturel d’osmose,qui consiste à créer un flux spon-tané depuis un compartimentdilué vers un compartimentconcentré. Ici, on s’oppose à ceflux en appliquant de fortespressions (60 à 80 bar) pourconcentrer encore plus l’eau

salée et produire, d’une part,une saumure et, d’autre part,une eau osmosée extrêmementpure avec un rendement de l’or-dre de 50 %. D’ailleurs, cettedernière n’est pas indiquée pourla consommation humaine carl’eau potable doit contenir desoligoéléments (sels…). Ici, cen’est pas compliqué, il suffit demélanger 1 m3 d’eau salée à

10 m3d’eau osmosée pour obte-nir de l’eau potable.Depuis quarante ans, des pro-grès considérables ont été faitsdans le secteur des membranes,de sorte que sur des unités indus-trielles modernes le coût de pro-duction est de l’ordre de0,50 €/m3 d’eau.Environ 120 millions de mètrescubes d’eau potable sont pro-duits par jour dans le mondedans de telles unités. Les plusimportantes, comme celles deAshkelon en Israël ou de Perthen Australie, produisent entre300 000 et 450 000 m3d’eau parjour. Le poste le plus importantdu procédé est celui de l’éner-gie électrique pour les pompes,qui peut être fournie de manièrerenouvelable dans des petitesunités, par énergie nucléairepour de plus grandes installa-tions. Dans les deux cas, cesunités fonctionnent avec desénergies décarbonées.Autre aspect important, celuide l’impact sur l’environne-ment. Les premières unités d’os-mose inverse de tailles consé-quentes furent installées dansles années 1980, dans les paysdu golfe Persique. L’eau saléeconcentrée, la saumure, étaitrejetée via un simple tuyau s’en-fonçant de quelques dizaines

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de mètres dans l’océan. Ce rejetsalin a fortement impacté l’en-vironnement et l’écosystèmelocal : poissons et plantes marinesl’ont déserté. Actuellement,d’autres solutions de rejet desaumure sont déployées. Parexemple, dans l’unité de Perthce n’est pas un simple tuyau quiest utilisé mais un réseau extrê-mement complexe, avec plu-sieurs sorties possibles, qui s’en-fonce dans l’océan. L’usine estconnectée au Centre nationalocéanographique australien,lequel indique en temps réel oùse trouvent les courants les plusviolents et les zones de turbu-lences. Le système de gestiond’effluents de l’usine de Perthchoisit donc la zone de rejet oùla turbulence est la plus élevéepour injecter, en discontinu età de faibles volumes, la sau-mure ; le rejet est immédiate-ment dilué et son impact surl’environnement est nul.Le xxie siècle sera probablementcelui de l’eau et du changementclimatique. Il est possible de lireles zones de conflit dans lemonde avec le crible de l’accèsà l’eau, de la bande de Gaza auTibet. Ces zones peuvent se mul-tiplier, et le dessalement de l’eaude mer constitue une solutiondurable et adaptée pour dimi-nuer le stress hydrique sur laplanète. Les chercheurs et lesentreprises françaises sont parmiles plus en pointe dans ledomaine des procédés mem-branaires pour la productiond’eau potable. Nous pouvonsainsi continuer à jouer un rôlemajeur dans ce domaine. n

*STÉPHANE SARRADE est cher-cheur au Commissariat à l’énergieatomique et aux énergies alternatives(CEA), directeur du département dephysico-chimie à la Direction del’énergie nucléaire du CEA Saclay,président du Club français des mem-branes et de l’association InnovationFluides supercritiques.

Les différentes couches d’unemembrane utilisée pour ledessalement par osmose inverse :on filtre ainsi le sel de l’eau demer par une sorte de « passoire »à mailles très fines.

Le dessalement de l’eau de mer avec des procédésthermiques, ne représentent plus que 20 % des usinesinstallées. 80 % sont maintenant dédiés aux procédésmembranaires, et en particulier à l’osmose inverse.

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n MARCHÉ CARBONE

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PAR JEAN-CLAUDE CHEINET*

« Si le climat était unebanque, vous l’auriez déjàsauvé ! » Hugo Chavez

intérêt pour le climat estd’abord venu de ce queles récoltes en dépen-

daient. Financiers et négociantsont spéculé jadis sur les stocksde blé, puis ont pesé pour adap-ter les semences aux prévisionsde production obtenues depuisles satellites, puis ont développédes systèmes d’assurance surles aléas des récoltes. Que fai-saient en amont les États et lesinstitutions internationales ?

L’ONU ÉCARTÉE ?L’ONU a alerté depuis plus d’unquart de siècle sur le réchauf-fement climatique et ses consé-quences ; elle a suscité des confé-rences internationales et lacréation du Groupe d’expertsintergouvernemental sur l’évo-lution du climat (GIEC). Celui-ci confirme le réchauffementclimatique en cours, et ne cesse,de rapport en rapport, de revoirà la hausse les prévisions d’élé-vation des températures de notreatmosphère et de clamer l’ur-gence d’agir. Or l’ONU n’est pasparvenue à faire en sorte quedes mesures efficaces soientprises par les États qui privilé-gient leurs égoïsmes nationaux.Dans nos sociétés capitalistes,les forces dominantes et lesfirmes minorent la chose et ten-tent d’en tirer profit en inven-tant des « produits verts » qui« n’attaquent pas la couched’ozone » ou qui sont « bonspour ma planète ». Manière

de verdir le capitalisme et detrouver de nouveaux créneauxmarchands.Si les États sont ou faibles ousans volonté devant les milieuxfinanciers et les lobbys, ne peut-on pas s’appuyer sur l’« écono-mie », c’est-à-dire sur les entre-prises ?

LE MARCHÉ DU CLIMAT ET LA DÉMISSION DES ÉTATSParadoxalement, c’est ONU elle-même qui a ouvert cette voieen proposant dans le Protocolede Kyoto (1997), en convergenceavec la Banque mondiale etl’OCDE, d’encourager les effortsà moins polluer par le recoursau marché et aux milieux finan-ciers. On met en place un sys-tème de quotas d’émissions degaz à effet de serre (GES), autre-ment dit de droits d’usage à pol-luer : 2 milliards de tonnesd’émissions de GES (CO2essen-tiellement) sont réparties gra-tuitement entre 12 000 sitesindustriels ; les pays « vertueux »aux industries moins polluantesépargnent une partie des quo-tas et peuvent les revendre auxpollueurs, à charge pour celui

qui rejette plus d’acheter uncomplément de droits (environ4 € /t) à ceux qui polluent moins.C’est un marché financier quis’ouvre, avec une Bourse du car-bone à côté des titres financierset des assurances.

Parallèlement, l’ultralibéralismedes gouvernants pousse à la pri-vatisation des biens communsque sont l’eau, les forêts et sitesnaturels, l’énergie, afin que lesfirmes en tirent profit. Mais lagestion durable de ces biens endevient plus difficile, car elle seheurte aux choix différents desdifférents acteurs (distributionde l’électricité, gestion des bar-rages privatisés, etc.).Abandonnant leurs politiquesde normes et de maîtrise de sec-

teurs vitaux, les États, au nomde la concurrence, cèdent aupremier lobby venu (commel’écotaxe, qui disparaît devantles transporteurs routiers, oucomme l’aide tarifaire au déve-loppement du photovoltaïqueet de l’éolien, qui profite àquelques firmes, ou bien lesexonérations de la taxe carbonepour les industriels au nom dela compétitivité…).Le système engendre de lui-même le gaspillage, car pourvendre plus il suffit de program-mer l’obsolescence des produitsindustriels : usure, réparationimpossible, pièces détachéesintrouvables, tout est bon pourvendre un produit neuf… etfabriquer ainsi des déchets touten rejetant des polluants dansl’eau et l’air.

LA FINANCE EST ARRIVÉE…La finance a un intérêt renou-velé pour le climat. Firmes etbanques se saisissent de tech-nologies nouvelles et non abou-ties ; leur exploitation est unfilon pour elles, d’autant ques’y ajoutent souvent aides « inci-tatives » et exemptions fiscalesdécidées par les États au nomde la compétitivité ou de la luttecontre le réchauffement clima-tique. Ces institutions créentdes filiales afin de ne pas appa-raître en première ligne, maisfournissent des capitaux pources nouvelles techniques (éner-gie éolienne ou photovoltaïque,géo-ingénierie, etc.) et se posi-tionnent pour en contrôler ledéveloppement. Bien plus, lesÉtats à la recherche d’une actionsur le climat – qu’ils s’interdi-sent au nom de ce même libé-

Le climat est un des facteurs fondamentaux du développement de nos sociétés, neserait-ce que pour la production alimentaire. Les financiers s’y sont donc intéressésdepuis longtemps. Cet intérêt prend actuellement une nouvelle ampleur.

Le climat sauvé par la banque et l’entreprise ?

Abandonnant leurspolitiques de normes etde maîtrise de secteursvitaux, les États, aunom de la concurrence,cèdent au premierlobby venu.

L’

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ralisme – s’engagent pour garan-tir les profits de ces firmes.Foin d’un changement de sys-tème, le climat est source deprofit ! Il suffirait donc de faireappel au privé, à l’intérêt indi-viduel, de culpabiliser les mau-vais citoyens qui ne trient pasbien, ne covoiturent pas, n’achè-tent pas des « produits verts ».Plus besoin de remettre en causeles logiques du capitalisme, lesÉtats aident, exemptent, et lescitoyens paient soit commecontribuables, soit commeconsommateurs.Les gouvernants y voient l’avan-tage supplémentaire de pou-voir réduire les dépenses derecherche fondamentale : lesfirmes se chargent d’exploiterles connaissances acquises etdes techniques connues.Les conséquences du réchauf-fement climatique ont un coûtdont le rapport Stern a établiune première approche. Les

sommes en jeu sont énormes(75 milliards de dollars assu-rés pour l’ouragan Katrina en2005, 2 milliards d’euros pourla canicule en France en 2003,et le nombre de cataclysmesnaturels a doublé en trenteans…), et les assureurs du sec-teur développent un systèmede réassurances où les sommesdégagées sont placées en titresfinanciers, les cat bonds. Cestitres sont « notés » par lesagences de notation et échan-gés en Bourse (Bourse Catexau New Jersey ou de Chicago…).Bien plus, des États émettentdes cat bonds souverains, etcertains de ces « dérivés clima-

tiques » portent sur les risquesde dépassement de paramè-tres climatiques (la pluie enmillimètres, le froid en degrésCelsius, la sécheresse…) ou dedisparition de telle ou telleespèce jugée utile par celui quis’assure… Jointe à la Boursedu CO2, l’approche libérale adébouché sur des subprimesde l’environnement.Plus de vingt ans de cette expé-rience ont conduit à des chif-fres records d’émission de CO2en 2013 et 2014.

UN ÉCHEC PATENTL’approche libérale conduit àune gestion dangereuse. Leszones contenant des minerais,terres rares ou pétrole devien-nent facilement des zones deguerre, avec des ravages humainset écologiques considérables.Fragmentés en micro-États ouen grandes régions, avec desdirigeants corrompus, les États,que ce soit en Europe ou surd’autres continents (Afrique,Moyen-Orient…), ne peuventrésister aux injonctions des multinationales.Même des États plutôt solidescomposent avec les intérêts desfirmes ; le mouvement de refusde l’exploitation des gaz deschistes et des oléoducs corres-pondants ne décourage pas leursmanœuvres pour contournerquelques règlements, souventavec succès.Gestion aussi à effets pervers.Le marché européen des droitscarbone s’est effondré du faitde la crise, du développementdes services (peu polluants) etdes délocalisations industrielles

vers les pays du Sud. À tel pointqu’en Europe il peut être plusavantageux d’acheter des droitsà polluer que de recourir oumême de maintenir des procé-dés plus propres. Et pour « sor-tir du nucléaire » (dans un butplus politicien qu’écologique),le gouvernement allemand s’ap-puie sur cette opportunité,relance le thermique à char-bon… et pollue plus que vingtans en arrière. Les cat bonds du Mexique ontété émis avec des critères dedéclenchement si nombreuxque, sur 200 événements clima-tiques, ils n’ont été déclenchésque 3 fois. Et sont-ils soutena-bles sur le long terme ? Le chan-gement climatique étant glo-bal, ils sont susceptibles des’effondrer comme les sub-primes… et ils ne restent en défi-nitive qu’une manière de répar-tir après coup le coût des dégâts,mais ne sont en rien une actionde prévention.Enfin, réduire l’action des Étatsau seul soutien au privé mon-tre que les politiques publiquessont sans prise sur le réel etdécrédibilise leurs auteurs.

UN RETOUR DES ÉTATS ET DE L’ONU ?La COP 20 de Lima, tenue récem-ment, semble amorcer un rééqui-librage encore bien ambigu ;elle a été précédée d’une décla-ration Chine - États-Unis et depressions de Ban Ki-Moon, secré-taire général de l’ONU. La décla-ration adoptée in extremisévoqueles contributions nationales desdifférents États, mais elles sontà définir par les États eux-mêmes

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Plus besoin deremettre en cause les logiques ducapitalisme, les Étatsaident, exemptent, etles citoyens paient soitcomme contribuables,soit commeconsommateurs.

et ne sont pas contraignantes,car liées à différents indicateursparmi lesquels les États peu-vent choisir ; quant à la detteclimatique des États capitalistesindustrialisés envers le Sud oule financement du « fonds vert »pour aider la transition du Sud,rien n’est fixé.La démarche amorce cepen-dant une construction liant lesÉtats, mais elle reste dans lecadre libéral ; seule la mobili-sation citoyenne peut faire bou-ger les lignes.Il faut oser supprimer les avan-tages fiscaux accordés aux firmes(par exemple les subventionsaux firmes exploitant les éner-gies fossiles), imposer une vraietaxe carbone et une taxe sur lestransactions financières… Lerôle des États est ainsi de rom-pre avec les logiques libéralesmortifères pour l’environne-ment et le climat, de casser lepouvoir des financiers dans cedomaine et d’oser revenir à uneréglementation contraignantesur des procédés moins pol-luants, sur la qualité, l’innocuitéet la durabilité des produits. LesÉtats doivent reconquérir leurrôle traditionnel d’organisationde la vie sociale dans le sens del’intérêt général. Ce faisant,l’ONU et ses institutions liéesretrouveront leur rôle de coor-dination des efforts planétaireset une action continue plus forteque celle de conférences épiso-diques.Il reste quelques mois avant laCOP 21, conférence de Paris enfin 2015, pour que grandisse laconscience du saut qualitatifque nous demande la lutte poursauver le climat ; celui-ci n’estpas une banque, et seuls lespeuples pourront amener lesÉtats à mettre en place lesmesures contraignantes et d’or-ganisation de la vie sociale quisont nécessaires. Évidemment,ils reculent, car ce sont leslogiques capitalistes qu’il fautrenverser. n

*JEAN-CLAUDE CHEINET estmembre de la commission écologiedu PCF.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015

laquelle il deviendra proprié-taire de la plate-forme. Les premiers trains de 750 m(80 camions/jour) devraienteffectuer deux allers-retoursquotidiens (ARQ) à partir dejanvier 2016 pour augmenter letrafic et faire circuler jusqu’à480 camions/jour sur des trainsde 1 050 m en 2024.C’est un projet de 400 M€ d’in-vestissements (dont 100 M€pour les wagons Modalohr).

DES CAPITAUX INTÉRESSÉSLe choix de Tarnos a été préco-nisé par Philippe Essig, ancienprésident de la SNCF, chargépar le gouvernement en 2008-2009 d’une mission de réflexionsur le fret ferroviaire. Il dirigeaussi la société Modalohr, quipossède le monopole de laconstruction des wagons(400 000 € l’unité) utilisés parles autoroutes ferroviaires. EtModalohr détient 10 % du capi-tal de Lorry-Rail, filiale privéede la SNCF choisie par l’Étatcomme concessionnaire du pro-jet car elle été la seule société àrépondre à l’appel à projetslancé par l’État. Cette entreprisepropose alors un emplacementsur des terrains de sa filialeSETRADA, située à Tarnos etdont l’activité semble s’essouf-fler (plutôt que le Centre euro-péen de fret de Mouguerre, oùla région et l’État ont massive-ment investi).Mais, à travers le territoire fran-çais, plusieurs centaines de garesde fret ont été fermées, 60 % desfiliales que la SNCF a rachetéessont à vocation routière et le fretsur rails est passé de 20 à 10 %de la part du transport en France.Le système d’autoroute ferro-

viaire s’inscrit dans cette logique.Il revient donc à entériner lecamion comme moyen de trans-port principal. Et les choses sontclaires : l’entretien des routesempruntées par ces camions seraà la charge du conseil départe-mental. De même, cet outilfinancé très majoritairement parl’État – mais entièrement auxmains du privé – participe à lacasse du statut des cheminotset écarte sérieusement la miseen place d’une ambitieuse poli-tique nationale des transports.Enfin, l’autoroute ferroviaires’inscrit dans une logique defonctionnement à flux tendu,de production éclatée favori-sant le dumping social.

LEVÉE DE BOUCLIERS UNANIME CONTRE UN PROJET MAL PENSÉLa Cour des comptes déclaraiten 2012 : « Les autoroutes ferro-viaires ne pourront être uneopportunité pour le fret ferro-viaire qu’à la condition de démon-trer leur capacité à fonctionnerà terme sans aide financièrepublique récurrente. » L’État s’esteffectivement engagé à com-penser le déficit « éventuel »d’exploitation de la ligne (pri-vatisation des profits, sociali-sation des pertes).L’Autorité environnementale1.pointe quant à elle tout unensemble de lacunes, d’ab-sences, voire de défaillances,tant sur les évaluations socio-économiques que sur les étudesd’impact environnemental2.L’Autorité de régulation des acti-vités ferroviaires (ARAF) a éga-lement pris position à l’unani-mité de ses membres contre leprojet, pointant des risques de

concurrence inéquitable, notam-ment vis-à-vis du transport parcombiné, tirant l’alarme sur ladisponibilité des sillons risquantde créer des conflits de circu-lation. En effet, si les trains del’autoroute ferroviaire devaients’arrêter (problème mécaniquesou autres) pendant leur trajet,il existe trop peu de voies degarage d’au moins 1 050 m pourque le train arrêté ne bloquepas l’ensemble de la voie.

Le Canard Enchaîné relevaitégalement, le 22 juillet 2014, lanécessité de « raboter » près de3 000 ouvrages d’art pour queles wagons transportant lescamions puissent passer (lespneus dégonflés).

UN CONTRE-SENS ENVIRONNEMENTAL, INDUSTRIEL ET ÉCONOMIQUEAu plan local, la ville de Tarnosa pris position pour condam-ner ce projet, d’autant plus quel’installation du terminal à l’en-droit précis prévu par Lorry-Rail serait une vraie catastrophe,

n TRANSPORTS

L’Autoroute ferroviaire Atlantique semble être un projet écolo-gique, soucieux du développement du rail et de la réduction duCO2. Mais derrière la façade, se cache une autre réalité.

Autoroute ferroviaire Lille-Bayonne vue depuis Tarnos :l’envers du décor

PAR LISE TOUSSAINT*

GENÈSE DU PROJET :GRENELLE IEn 2009, la loi Grenelle I fixeparmi ses objectifs la mise enplace d’un réseau d’autoroutesferroviaires à haute fréquencecomme alternative aux trans-ports routiers de longue distance.Le principe d’une autoroute fer-roviaire est de prendre desremorques de camions – par-fois même leur cabine – à unpoint A et de les décharger à unpoint B, sans arrêt intermédiaire.En cela, elle n’est pas compati-ble avec le système intermodaluniversel et international, avecconteneurs ou combinés adap-tables aux trains, poids lourds,cargos, etc. Le système d’autoroute ferro-viaire interdit d’aller chercherles marchandises directementdans une entreprise sans pas-ser par le transport de poidslourd qui, seul, fera la liaisonjusqu’au point A de l’autorouteferroviaire. Il en sera de mêmedu point B à la destination ducamion. Adieu, donc, intermo-dalité, transport de proximitéet wagons isolés.Malgré cela, le projet de construc-tion de l’un des deux terminauxde transbordement dans la villede Tarnos (12 260 hab.), dans lesud des Landes, avait de quoifaire rêver.La création de deux autoroutesferroviaires, dont l’Atlantiqueentre Lille (Dourges) et Bayonne(Tarnos), est annoncée par legouvernement le 18 septembre2013 ; l’État mettra en place uneconcession de dix-sept ans (deuxans de travaux et quinze ansd’exploitation), au terme de

Le système d’autorouteferroviaire revient doncà entériner le camioncomme moyen detransport principal. Et les choses sontclaires : l’entretien des routes empruntéespar ces camions sera à la charge du conseildépartemental.

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tant sur le plan économiquequ’environnemental.Depuis la fermeture des Forgesde l’Adour et la reconversion dela zone industrialo-portuaire dela commune, Tarnos, ville prin-cipale du port de Bayonne, ainsique ses partenaires ont tout faitpour attirer les entreprises à fortpotentiel de création d’emploiset de transformation, et pourdévelopper le trafic. S’y ajou-tent aujourd’hui des exigencesen matière de respect de l’en-vironnement et de la santé desriverains et des salariés.Immobiliser 10 ha pour des acti-vités de transits ne nourrissantabsolument pas les activités por-tuaires et ne créant que 75 emplois(chiffre revu à la baisse au fur et

à mesure des réunions) fait bon-dir les élus tarnosiens. Du côtédes entreprises locales, on appré-cie moyennement l’arrivée et ledépart de 400 camions supplé-mentaires par jour. L’entreprised’aéronautique Turboméca (plusde 1 500 emplois sur site) estdirectement concernée par cetteimplantation qui lui fait face, toutcomme le pôle territorial de coo-pération économique flambantneuf voisin (350 emplois). Et cedans un contexte où la régionAquitaine travaille à un nouveauschéma d’aménagement ambi-tieux du port.De plus, il y aurait doublementdu flux de camions, qui devront

traverser 7 km de zone résiden-tielle pour rejoindre l’autoroute,dans une agglomération desplus attractives de France etdont les routes sont déjà satu-rées. Les trains de 1 km de long,pour rejoindre la plate-formede chargement/déchargement,devront effectuer un certainnombre de manœuvres à bassevitesse entre Bayonne, Boucauet Tarnos. Cela signifiera despassages à niveau sur des axesstratégiques fermés pendant 10à 15 min. Pour l’accès des ambu-lances, pompiers et autresurgences, la responsabilité estrenvoyée… aux communes !Le respect des normes environ-nementales est également oublié.Le site, dans une situation déjà

non conforme aux prescriptionsde l’État, est en bordure d’unezone particulièrement sensibleen termes d’inondations (zoned’absorption des eaux pluvialesavec une nappe phréatique àmoins de 2 m sous le sol).

LA POPULATION ET LES ÉLUS LOCAUX MÉPRISÉSSur la forme, la situation est toutaussi lamentable. Le maire, com-muniste, de Tarnos a dû batail-ler ferme pour obtenir la tenued’une réunion publique pourque Lorry-Rail vienne présen-ter son projet à la population,quelques jours avant la ferme-ture de l’enquête publique offi-

cielle (5 mai-5 juin 2014). Lecontrat de concession, signéavant même le début de l’en-quête publique entre Lorry-Railet l’État, est encore inconnu. Lacommission d’enquête elle-même a reconnu en réunionpublique ne pas y avoir eu accès.Mais, de façon surprenante,cette même commission a donnéun avis favorable à tous les voletsdu projet, avec seulementquelques réserves.Parallèlement, le conseil com-munautaire et le schéma decohérence territoriale (SCOT)se sont tous prononcés contrele projet. La CGT SNCF basqueet des associations locales dedéfense de l’environnement se sont jointes à la réflexion età la lutte.Dans une ville où les habitantsont l’habitude d’être associésaux décisions municipales, yrépondant nombreux, l’opacitédes informations et le méprisauquel ils se sont heurtés adépassé le choc culturel. Enfin, une association a étécréée, regroupant des citoyensreprésentatifs de la diversitémunicipale. Plus de 420 per-sonnes y ont adhéré. Les réu-nions et rassemblements orga-nisés n’ont jamais regroupémoins de 350 personnes. Plusde 2 000 riverains ont signé unepétition. Comme ailleurs, la difficulté decette association sera de rem-porter son bras de fer sur le longterme. Depuis le début, le butde l’association (explicité danssa dénomination : Contre le ter-minal de l’autoroute ferroviaireà Tarnos [CTAFT]) a été de par-tir de chiffres – inquiétants parleurs conséquences sur Tarnos

– pour élever le niveau deconnaissances des citoyens surla situation du transport ferro-viaire en France.En dépit du temps qui passe, ildeviendra de plus en plus dif-ficile pour les autorités d’en-dormir ou de manipuler cesgens debout : ils savent, ils sontdéterminés, ils sont intellec-tuellement armés. La prochainemanche aura lieu au ministèredes Transports, où le secrétaired’État chargé des Transports dugouvernement Valls II, le LandaisAlain Vidalies, a accepté à forcede pression d’en recevoir unedélégation. n

*LISE TOUSSAINT est membre ducomité de rédaction de Progressistes.

Dans une ville où les habitants ont l’habitude d’êtreassociés aux décisions municipales, y répondantnombreux, l’opacité des informations et le méprisauquel ils se sont heurtés a dépassé le choc culturel.

1. Instance relevant de la législationeuropéenne chargée des évaluationsd’impacts environnementaux desgrands projets.2. Concernant le volet socio-économique : carence dans lajustification des hypothèses de trafic etde report modal route/fer ; imprécisionssur les évaluations socio-économiqueset leurs hypothèses. Concernant le voletenvironnemental : lacune importantedans l’étude d’impact qui ne présentepas d’évaluation des impacts du projetsur le plan des risques techno logiques ;incomplétude de l’étude préliminaire acoustique ; absence dejustification du choix de ne pas traiter à la source les impacts acoustiquesdécrits ; défaut d’identification despoints noirs bruit issus du projet et duprogramme; omission de localisationdes bâtiments sur lesquels le projetpeut avoir des impacts et non-traitement des mesures d’évitement, de réduction et de compensation ;manquement dans l’identificationéventuelle des espèces protégées surles extrémités du projet ; défaillancedans les évaluations Natura 2000. Au vu de ces éléments, on en conclutque les études sont incomplètes. Ce qui s’avère très inquiétant pour un projet de cette dimension.

Les wagons sont adaptables de manière universelle et internationale, ils sont conçus pouraller sur les trains, les cargos, les poids-lourds et aller directement chercher et amener lesmarchandises dans les usines ou commerces : c’est le système le plus intermodal possible.

Transport decamionsuniquement : tue lefret feroviaire et auprofit de la route(pollution,dégradation desvoies).

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n ÉCOLOGIE

PAR FRANÇOIS RAMADE*

UNE PLANÈTE FINIEBien qu’à de nombreuses reprisesdes peuples se soient trouvésconfrontés à la raréfaction desressources, en particulier ali-mentaires, ce n’est qu’à la findes années 1960 qu’est appa-rue une prise de conscience del’importance de cette crise(Conférence de Stockholm, 1972).Depuis, les pouvoirs publicsd’un nombre croissant de payset les organisations multilaté-rales internationales prennenten considération avec plus d’at-tention la problématique de lapréservation de la nature et deses ressources dans l’intérêt desgénérations futures.Au début du XXIe siècle, l’exa-men de tels problèmes conduità traiter de sujets aussi brûlantsd’actualité que la finalité de lacroissance économique, la néces-sité d’atteindre au plus vite unétat stationnaire dans les effec-tifs des populations humaines,

de ne plus utiliser de façon des-tructive les ressources natu-relles biologiques et de recyclersystématiquement celles qui nesont pas renouvelables. Cessujets sont sous-jacents aux pro-blématiques de protection dela nature telles qu’appréhen-dées, parfois confusément, parune majorité de ceux qui sontengagés dans ce domaine auplan professionnel ou à titreindividuel.Ces questions se rapportent àl’adéquation des termes du tétra-nome populations-ressources-environnement-développementqui conditionne l’impératif caté-gorique auquel l’humanitécontemporaine est soumise :atteindre l’objectif d’un déve-loppement durable.La conservation des ressourcesbiologiques et la préservationdes processus écologiques fon-damentaux, tels que le cycle del’eau, qui constituent la théma-tique essentielle des problèmesactuels de protection de la nature,

ont été rapidement perçues pardes écologues comme un pro-blème majeur, pouvant inter-férer avec le devenir de l’homme.Dès le milieu du XIXe siècle, desscientifiques pionniers dessciences de la conservationavaient attiré l’attention sur lesrisques que représentaient pourles populations humaines la

déforestation, la surexploita-tion d’espèces végétales ou ani-males, victimes de cueillettesou d’une pression de chasse oude pêche excessives.

UN NOUVEAU MODE DE DÉVE-LOPPEMENT NÉCESSAIRELa phase de développementatteinte par l’humanité rend deplus en plus urgente une pla-nification relative à l’utilisationet à la préservation de la natureet de ses ressources. Outre lesmilieux de la recherche orien-tés sur ces problématiques etdes membres d’ONG spéciali-sées dans la protection de lanature, l’impérative urgence deprotéger les habitats naturelsest perçue par beaucoup decitoyens.On a commencé à entrevoir l’in-contournable nécessité de pro-mouvoir un nouveau mode dedéveloppement, qui intègre lapréservation des processus éco-logiques fondamentaux et l’uti-

lisation rationnelle des res-sources naturelles. L’urgencede mettre en œuvre une préser-vation efficace des écosystèmespeu ou pas modifiés par l’hommedépasse largement les interro-gations liées aux finalités de lamondialisation des échangescommerciaux et la tristementcélèbre OMC, ainsi que les

concepts de planification limi-tés aux entreprises industrielles,à l’urbanisme et, dans les casles plus favorables, à la mise envaleur de certaines ressources1.Cette planification des secteursprivés et publics, de caractèremultidisciplinaire, pourrait met-tre un terme aux destructionsqui ont jusqu’à présent carac-térisé l’« aménagement » dumilieu. La planification clas-sique, mise au rebut par lestenants du libéralisme, présentel’inconvénient d’être univoque,et non pluridisciplinaire2. Dece fait, quels que soient les béné-fices que la société peut en tirer,elle est incapable d’assurer laconservation et l’utilisationrationnelle de la biosphère, afortiori d’assurer la pérennitédes équilibres écologiques glo-baux indispensables au main-tien de conditions de vie pro-pices aux organismes supérieurs– homme inclus.Longtemps, la préservation de

Parmi les causes de la crise de l’environnement dans laquelle se trouve plongée lacivilisation contemporaine, celles qui découlent de la quantité – par essence limitée– de ressources naturelles disponibles dans la biosphère figurent à la fois parmi lesplus préoccupantes et les plus controversées.

Protéger la nature : un impératif pourun développement humain durable

La conservation des ressources biologiques et lapréservation des processus écologiques fondamentaux,tels que le cycle de l’eau, ont été rapidement perçuespar des écologues comme un problème majeur,pouvant interférer avec le devenir de l’homme.

Le Parc national de Yellowstone (États-Unis), créé en 1872, fut la première aire protégée établie dans le monde.

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la nature a été considérée commeune problématique esthétique,dont l’objet était la sauvegardede paysages naturels remarqua-bles, voire comme une lubie dequelques savants. Elle a mêmeparfois été interprétée par desprogressistes comme ésotériqueou comme un « luxe » de bour-geois indifférents aux problèmesde société majeurs tels que laprécarité de la vie des classeslaborieuses…

UNE DIMENSION PLANÉTAIRE…La perception des dimensionsmondiales de ces problèmes etde l’impérieuse urgence de leurapporter une solution défini-tive avait émergé dans les ins-tances scientifiques, ce quiconduisit l’UNESCO à organi-ser, en 1968, la conférence inti-tulée Utilisation rationnelle etconservation des ressources dela biosphère.Les considérations sur l’im-portance de la conservationde la nature n’ont été réelle-ment prises en compte par lesdirigeants politiques que lorsde la Conférence de Stockholm.D’où la création du Programmedes Nations unies pour l’en-vironnement (PNUE) et, en1974, d’un programme globalde conservation « L’hommeet la biosphère ». Mis sur pied

par l’UNESCO, il eut pour objetl’établissement d’un réseaumondial de réserves de bio-sphère destiné à préserverdans chaque province biogéo-graphique du globe une sur-face minimale de chaque typed’écosystèmes caractéris-tiques, qui serviraient pourles générations futures detémoins peu ou pas pertur-bés par l’homme.

Dès 1980, l’Union internatio-nale pour la conservation de lanature (UICN) avait publié àl’attention des Nations uniesun document fondamental inti-tulé Stratégie mondiale la conser-vation de la nature pour un déve-loppement durable, quisoulignait l’urgence d’intégrerles objectifs de protection de lanature dans les activités éco-nomiques et énonçait les grandsprincipes permettant d’attein-dre cet objectif.Le rapport Bruntland, de 1987,Notre avenir commun, élaborépar la Commission des Nationsunies pour l’environnement etle développement3, souligna,au travers de la notion de déve-loppement durable, l’étroitedépendance qui existe entre laconservation des ressourcesnaturelles et la possibilité d’as-surer un développement éco-nomique suffisant pour les géné-rations futures.

Les dimensions capitales pourl’avenir de l’humanité de la pré-servation de la nature furentconfirmées lors de la Conférencedes Nations unies sur l’envi-ronnement à Rio, en mai 1992.C’est là que fut adoptée uneconvention sur la diversité bio-logique, aujourd’hui ratifiée par178 pays. Elle énonce des prin-cipes et des mesures relativesaux devoirs de chaque État pro-

pres à la conservation des espècesvivantes, donc ipso facto de lanature tout entière, car la pro-tection des végétaux et des ani-maux est inconcevable sans quesoit assurée celle des habitatsauxquels ils sont inféodés.

... ET DES APPLICATIONSLOCALESEn dépit d’une situation encoreprécaire dans l’application dece document juridique, quelquesprogrès ont été accomplis aucours des dernières décennies.On a assisté à une progressionconstante du nombre d’airesprotégées, parcs nationaux etréserves naturelles, au cours dudernier demi-siècle4.Le Parc national de Yellowstone(États-Unis), créé en 1872, futla première aire protégée éta-blie dans le monde. Il fallut atten-dre le début du XXe siècle pourque la création de telles airesconnaisse une croissance signi-ficative. Plusieurs pays établi-rent leurs premiers parcs natio-naux5 un peu avant 1920. Cen’est que depuis les années 1960qu’une augmentation soute-nue d’aires protégées est obser-vée au niveau mondial (il enexiste actuellement 160 000,couvrant 24,5 millions de kilo-mètres carrés).La France a manifesté un retardcertain par rapport aux autrespays développés. Paradoxa -lement, elle fut pionnière en lamatière : les premières réservesnaturelles du pays furent éta-blies en 1852, en forêt deFontainebleau, à l’initiative dela Société d’acclimatation, quidate de 1854, la première crééeau monde ! Mais il fallut atten-dre 1960 pour qu’une loi sur les

parcs nationaux soit adoptée.Le premier fut celui de la Vanoise(1963). La Société nationale deprotection de la nature avaitcréé la réserve naturelle desSept-Îles en Bretagne, et en 1972celle de Camargue, la plus vastede notre pays.La couverture du territoire natio-nal en aires protégées demeureaujourd’hui encore insuffisanteeu égard aux objectifs de pré-servation de la biodiversité (esti-mée à 10 % de la surface du pays).En dépit de la création en 1989du Parc national de la Guadeloupeet en 2007 de celui de La Réunion,la situation est plus défavorabledans nos communautés tropi-cales d’outre-mer, car leurs fai-bles étendues hébergent unefraction significative de la bio-diversité planétaire. n

Nota. Le lecteur pourra trouver uneanalyse approfondie de ces questionsdans un des nombreux ouvrages del’auteur : Éléments d’écologie : écologieappliquée, 7e édition, Dunod, Paris,2012, 816 p.

*FRANÇOIS RAMADE est professeurémérite d’écologie à l’université deParis-Sud. Il est président d’honneurde la Société française d’écologie, dela Société nationale de protection dela nature et membre d’honneur del’Union internationale pour la conser-vation de la nature (UICN).

1. Dès 1972, un écologue françaisréputé, Vincent Labeyrie (membre du PCF) avait expliqué l’importanced’utiliser les modèles écologiques dansl’aménagement de l’espace.2. Nous ne nous étendrons pas surl’aberration de ceux qui considèrentque la solution de ces redoutablesproblèmes pourrait être apportée par le libéralisme et les perversions du capitalisme.3. Le terme de « développementdurable » et les concepts écologiquesqui le sous-tendent ont été développéspar l’UICN au cours des années 1970et utilisés pour la première fois en mars1980, lors de la publication de sa « Stratégie mondiale de laconservation ».4. On pourrait citer le début de mise enœuvre de conventions internationalessur la protection des ressourcesocéaniques et sur les bois tropicaux.5. L Störa Sjefallet, en Suède 1908, le Parc national suisse, en 1914 ; la réserve de la basse Volga, en 1919,par un décret de Lénine.

Le Parc national de Yellowstone (États-Unis), créé en 1872, fut la première aire protégée établie dans le monde. Il fallut attendre le début du xxe sièclepour que la création de telles aires connaisse une croissance significative.

La planification relative à l’utilisation et à la préservation de la nature et deses ressources constitue incontestablement une urgence.

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LIVRES

Le principeJÉRÔME FERRARIActes Sud, 2015, 176 p.

Après son Sermon sur la chute deRome, Jérôme Ferrari revient avecun nouveau roman. Le Principes’articule autour du célèbre physi-cien allemand Heisenberg, l’un despères de la mécanique quantique,qui énonça le fameux principe d’in-certitude. Déjà dans Alph zéro, en 2002, l’auteur avait fait état deson intérêt pour la physique quan-tique ; ici, il décrit le parcours com-plexe du savant à travers le regardd’un apprenti philosophe, narra-teur jamais nommé portant un

regard, moderne mais sans jugement, sur l’homme. Le roman est construit en quatre parties, « Position », « Vitesse »,« Énergie » et « Temps ». Y sont abordées les différentes étapes dela vie de Heisenberg, et ce depuis que, jeune physicien, il lui futdonné de « regarder par-dessus l’épaule de Dieu », c’est-à-dire depercer les mystères de la physique, ce qui le mena à concevoirson célèbre principe d’incertitude : « La vitesse et la position d’uneparticule élémentaires sont liées de telle sorte que toute précisiondans la mesure de l’une entraîne une indétermination, propor-tionnelle et parfaitement quantifiable, dans la mesure de l’autre. »L’auteur nous offre un roman magistral et passionnant, écrit dansune langue superbe, où l’on découvre par l’entremise de la litté-rature les rivages parfois sauvages mais magnifiques de la phy-sique quantique.Jérôme Ferrari est écrivain et professeur de philosophie, prixGoncourt 2012 pour le Sermon sur la chute de Rome.

A.L.

La scienceexpliquée à mespetits-enfantsJEAN-MARC LÉVY-LEBLONDÉdition Le Seuil, 2012, 102 p., C’est sous la forme d’un dialogueentre le physicien et philosophe dessciences et sa petite-fille que Jean-Marc Lévy-Leblond aborde simple-ment les différents aspects de ladémarche scientifique à travers desexemples concrets.Il use de la forme du dialogue pournous proposer d’aller à la rencon-tre des réalités de la science, maisaussi du quotidien du scientifique.

Comme un sportif, le scientifique doit se déplacer intellectuel-lement, mais que fait-il dans son laboratoire ? À quoi sert la science? Quel est son rôle dans la société ? Y a-t-il une ou des sciences ?Est-ce facile de devenir chercheur ? Où est le plaisir de faire dessciences ?À travers leurs échanges, on découvre la complexité du travailscientifique ou l’importance des collaborations.Cette complexité est mise en regard de l’enseignement scienti-fique qui ne rend pas compte de cette réalité. La recherche scien-tifique, comme dans d’autres domaines, est une démarche par

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tâtonnement, avec son lot d’erreurs. Le chercheur doit alors fairepreuve de patience et d’humilité pour construire un autre che-min et comprendre ce qui se dévoile à lui.Malgré ses spécificités, l’activité scientifique est très liée aux autrespratiques humaines. Ce petit livre nous offre l’occasion de nousinterroger sur les rapports entre science et société à contre-courant des idées reçues.Jean-Marc Lévy-Leblond, est un physicien et essayiste français,professeur émérite à l’université de Nice.

A.L.

Et si le tempsn’existait pas? CARLO ROVELLIÉdition Dunod, collection Quaides sciences, 2014, 180 p.Dans cette édition actualisée deson essai sur l’espace et le temps,Carlo Rovelli s’interroge sur lesnotions d’espace et de temps etprésente les réponses apportéespar différentes théories physiques.Grâce à son talent de vulgarisa-teur, il nous fait partager sa pas-sion pour ses recherches sur larelativité générale, la mécaniquequantique, la gravité quantique,

la naissance de l’Univers ou le destin des trous noirs.On y découvre aussi son parcours personnel : de l’étudiant auchercheur rebelle, il partage son expérience et ses réflexions.Carlo Rovelli est chercheur au Centre de physique théorique deMarseille (CPT), il est responsable du groupe Gravité quantiqueet historien des sciences.

A.L.

Le développement durable à découvert

SOUS LA DIRECTION D’AGATHEEUZEN, LAURENCE EYMARD,FRANÇOISE GAILLCNRS Éditions, Paris, 2013, 363 p.

Ce livre est en fait une sorte de diction-naire qui aborde des thèmes et des enjeux

oncernent l’environnement. Chaqueet est traité en deux pages avec une

ibliographie récente. Il y a 149 articlesécrits par 193 scientifiques. C’est direl’ampleur du projet. L’ouvrage est divisé

en six parties : « Du développement durable à un devenir soute-nable », « L’environnement, un système global dynamique »,« Territoire et nouveaux biomes », « Les sociétés », « Incidence desactivités humaines sur le milieu », « Nouvelles approches dans larecherche ». Un glossaire facilite la compréhension.On peut aller chercher des éléments d’information et de réflexionsur un sujet donné. Par exemple, on trouve des textes sur le climat et l’énergie, le changement climatique, les écoquartiers, l’écologie urbaine, les terres rares, la transition énergétique, les gaz de schiste, l’éolien, les piles à combustibles, les énergiesde demain, le mix énergétique…

L.F.

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Fin d’un monde ouvrierLiévin, 1974MARION FONTAINE, École des hautes études en sciences sociales,Paris, collection Cas de figure, no 36, 2014

Liévin, 27 décembre 1974, 42 morts. L’une des catastrophesminières les plus meurtrières de l’après-guerre vient de se pro-duire, l’une des dernières aussi. Les vieux mythes du mineur mar-

tyr et de la mine infernale ressurgissent.L’événement n’est pas seulement ce rap-pel au XIXe siècle, il porte la trace des« années 68 » finissantes ; il donne lieuà des mobilisations d’un nouveau type.Entrent en scène de nouvelles figuresappelées à un bel avenir : celles de lavictime ou du « petit juge » luttant contreles élites minières. La catastrophe s’ins-crit dans ce moment de basculement,entre la fin des « Trente Glorieuses » etl’entrée dans la crise. Pour cerner quelquesaspects de ce basculement, l’auteureinterroge sous l’angle de l’histoire socialeet politique le processus de désindus-

trialisation ; elle tente de percer à jour cet instant où le mytheouvrier autant que la classe ouvrière perdent de leur évidence etoù la société industrielle, dans les faits et dans les images qui s’yattachent, amorce une mutation sans précédent.Marion Fontaine est maître de conférences en histoire contem-poraine à l’université d’Avignon, spécialiste de l’histoire du mondeouvrier et de l’histoire sociale et politique du sport. Elle est mem-bre du comité de rédaction de Progressistes.

Journal ResolisNO DE NOVEMBRE 2014

Démocratie participative et bonne gouvernance dans le mondeen téléchargement sur http://resolis.org

Les 110 pages de ce journal sont une plongée dans un monde oùles termes de progrès, science, travail, environnement, prennentpour nous une coloration et un sens nouveau.Voici un aperçudes sujets et des auteurs :la lutte contre la corruption au Rajasthan (Inde), par Om PrakashAya et Madhu Sudan Sharma ; la bonne gouvernance en SierraLeone selon Lew Wi Tok (Laissez-nous parler), par Marcella Samba-Sesay ; bonnes pratiques au Togo, par Atchimi Tossou ; un exem-ple de gouvernance démocratique locale à Rome, par Vanna Ianni; le BudgIT au Nigeria, start-up pour rendre accessible le budgetd’État, par Oluseum Onigbinde ; un programme de données car-tographiques en Éthiopie, par Lesfin Tekleab et Muluneh Abshiro; équipement en eau dans les quartiers défavorisés malgaches,par Landitiana Soamrina Miakatra ; budget participatif, servicespublics ruraux et réforme pilote de la démocratie locale à la muni-cipalité de Chengdu (Chine), par Ming Zhuang et Yves Cabannes.Suivent des articles concernant l’Argentine, le Niger, l’Arménie,l’Ouganda, l’Inde, les États-Unis, la France.L’article qui évoque la Chine dépeint un aspect de la vie politiquedu pays qui échappe à la quasi-totalité des commentateurs : cequi se passe sur le terrain. Un budget participatif, géré locale-ment, est destiné à compenser pour une part les disparités quele développement économique de la Chine a aggravées au cours

Votre revue vous la conseille et vous la recommande !

Les éditions Le Temps des Cerises est une maison d’édition progressiste,qui soutient des auteurs engagés.

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Tél. : 01 42 01 45 99 - 47, av. Mathurin-Moreau 75019 PARIS

des trente dernières années. C’est une expérience démocratiquequi n’intéresse actuellement que 2 700 villages et une populationde 6 millions de villageois. Les obstacles et les possibilités sontbien décrits, dans un article relativement long, et, comme le ditle comité éditorial, « cette réforme pilote est une expérience ins-tructive pour la communauté internationale ».

Le journal se termine surun article de PhilippeKourilsky, bio logiste, mem-bre de l’Académie dessciences, président deResolis. Philippe Kourilskyse consacre depuis plu-sieurs années à faire ger-mer et connaître des ini-tiatives originales dedémocratie participativeet de sortie du sous-déve-loppement. Il s’en expliquedans l’article qui terminele journal, en développantles idées d’altruité et dedevoir d’altruité. L’altruitéest la face rationnelle del’altruisme. Le terme et lanotion sont de Kourilsky,

et il a des raisons de biologiste comme de citoyen de montrer quel’attention aux autres est fondée en science et en raison. Unephrase clé de sa démonstration est que la liberté de chacun estnon seulement limitée par celle des autres, mais aussi construitepar celle des autres. Ainsi le devoir d’altruité est-il le régulateurde notre droit à la liberté. Cela a valeur individuelle, mais paraîtfonder une vue politique où l’attention aux problèmes du mondeest inséparable de la vision que nous pouvons avoir de l’avenirde la France.

J.-P.K.

APPEL À SOUSCRIPTION

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Progressistes J

POLITIQUE58

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Carnets rougesLa revue du réseau

ole du PCF, no 2, janvier 2015

Chaque trimestre, des militants politiquesou associatifs, des syndicalistes, des chercheurs apportentleurs analyses et leurs propositions sur des questions vivespour que l’éducation prenne toute sa place au cœur desdébats de société. Dans l’échange et la contradiction, cetterevue se propose de construire ensemble le projet d’unetransformation progressiste de l’école, pour mettre l’éduca-tion au service de l’émancipation individuelle et collective.Chaque trimestre : un dossier, l’interview d’un acteur de lavie politique et une rubrique « Propositions de lectures ».En téléchargement libre : http://reseau-ecole.pcf.fr/64828

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L’énergie, les chiffres et l’idéologieLa Pensée, revue éditée par la FondationGabriel Péri, consacre son dernier numéro àun sujet qui pose problème : « Les chiffres, lemeilleur et le pire ». À cette occasion, Luc

Foulquier et Jean-Claude Cauvin, tous deux membres du comitéde rédaction de notre revue, publient un article marquant :« L’énergie, les chiffres et l’idéologie ».Parce qu’il est essentiel de savoir de quoi l’on parle, les auteurspartent de quelques notions de physique et des unitésemployées dans le domaine de l’énergie pour clarifier quelquestermes – puissance/énergie, énergie primaire/énergie finale,kilowatt/kilowattheure – qui sont à l’origine au mieux de confu-sions, au pire de manipulations.À partir de données issues d’une importante bibliographie, ilsdécryptent ensuite la question des coûts et des tarifs de l’électri-cité. Ils montrent à travers cet exemple comment les chiffres –indispensables pour analyser une situation – peuvent être instrumentalisés au service d’un a priori idéologique.Rendez-vous nous est donné dans un prochain numéro de la Pensée pour poursuivre cette réflexion à travers la questionparticulièrement sensible du nucléaire. En savoir plus et/ou commander : http://www.gabrielperi.fr

La Revue du projetno 46dossier « Nation, une voievers l’émancipation ? »La livraison du mois d’avril de la Revuedu projet nous offre un dossier trèsattendu sur la nation, l’État-nation et l’Europe, bien loin du discours

ambiant propagé par les forces fascisantes largement relayéespar les médias. Le dossier replace le propos au cœur du combatde classe. Le titre du dossier donne le ton : « Nation, une voie versl’émancipation ? » Si on se souvient que la Révolution procla-mait que « la souveraineté populaire s’exprime dans la nation »,les titres des articles du dossier sont là pour en témoigner, citonsau hasard « Quelle conception communiste de la Nationaujourd’hui ? », « L’État-Nation dans la mondialisation : un éche-lon pertinent ? » et sans perdre de vue le fil rouge du PCF,« Internationalisme : un nouveau chapitre s’ouvre » ; aussi« Régionalismes et indépendantismes » ou encore « La France :nation et luttes de classes » ; « Protectionnisme ou protectionssolidaires internationalistes ? » et bien d’autres tout aussi enmesure d’armer le militant communiste dans son combat quo-tidien pour la souveraineté populaire et renouer ainsi avec latradition militante alliant drapeau rouge et drapeau tricoloredans le projet communiste, tout en plaçant la réflexion dans le contexte mondial et européen actuel. Bien entendu, lesrubriques consacrées à d’autres domaines – littérature, arts,sciences, histoire, combat d’idées… – sont toujours là.Une fois de plus l’équipe de la Revue du projet nous livre unnuméro riche pour la lutte.

Du côté du PCF et des progressistes...

La septième séance du séminaire aura lieu mardi 28 avril 2015à 18 h 30, à l’hôtel Mercure Paris-Porte de Pantin au 22, avenue Jean-Lolive (Mo Hoche), avec Sébastien Elka, respon-sable de transfert de technologie recherche-industrie, rédac-teur en chef adjoint de la revue Progressistes.Rencontre animée par Alain Obadia, président de la fonda-tion Gabriel Péri, membre du Conseil économique social etenvironnemental.

Économie circulaire : écologie, progrès et renouveau du système productifEn ces temps de crise, entreprises et financiers sont à l'affûtde « relais de croissance ». À la mode, consensuelle, l’économiecirculaire semble receler des opportunités des plus promet-teuses. Mais au-delà des discours les enjeux et réalités indus-trielles du concept ne vont pas sans fausses évidences et vraiescontradictions.Qu’appelle-t-on économie circulaire ? Une nouvelle industriedu recyclage ? Une appréhension des produits et services àtravers tout leur cycle de vie ? Un nouvel aménagement duterritoire soucieux des flux de matières et d’énergies de toutesles activités de production et de consommation ?

Sébastien Elka a coordonné le dossier sur l'économie circu-laire de la revue Progressistes, no 6, oct.-nov.-déc. 2014.

QUELLE POLITIQUE INDUSTRIELLE POUR INDUSTRIE ?

LES RDV DE LA FONDATION

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015 Progressistes

a situation des étu-diants en filières scien-tifiques n’a rien à envier

à celle des filières dites« humaines et sociales ». Lesmêmes réalités structurantesmarquent la vie et les étudesdes biologistes, des chimisteset des ingénieurs de demain,et ce au-delà des conditionsd’enseignement à proprementparler : un étudiant sur deuxest contraint de se salarier pourfinancer ses études, un étu-diant sur deux abandonne avantl’obtention du diplôme qu’il achoisi de préparer. Le parallèlepeut paraître simple, mais ilrecouvre des quotidiens diffi-ciles : Comment réviser sescours quand chaque soir onest à la caisse d’un fast-food ?Comment préparer ses TD

quand on doit impérativementse focaliser sur les centainesd’euros pour payer son loyer ?Comment réussir ses examensquand la veille on a du faire dubaby-sitting ?Ainsi, un potentiel chercheursur deux mettra avant l’heureun terme à ses études… Au lieude travailler sur des traitements

nouveaux pour des pathologiesrares, d’optimiser la construc-tion aéronautique ou d’amélio-rer les techniques de produc-tions agricoles, il préparera des

hamburgers pendant des annéesafin de suffisamment alimen-ter son curriculum vitae dansl’espoir d’un jour décrocher unCDI dans un domaine d’acti-vité qui a peu à voir avec sa formation.Cette question de la précaritéde vie ne s’arrête malheureu-sement pas au premier cycle.

Les doctorants contraints delaisser tomber leur thèse fauted’un financement sont égale-ment une réalité sensible.La logique mortifère des finan-

cements sur projets, déjà dénon-cée à plusieurs reprises pourleur inefficacité1, en plus de cor-seter la recherche dans desdomaines trop restreints pourêtre efficiente porte en elle laprécarité organisée, la soumis-sion organisée des doctorantsqui ont, au contraire, besoin desmoyens matériels et sociaux depleinement se consacrer à leurstravaux.

Le salaire étudiant permettraitenfin de considérer « l’étudiantcomme un travailleur, qu’il esten réalité, et de lui allouer unsalaire en rapport avec les ser-vices qu’il rend et qu’il est appeléà rendre à la collectivité »2.

Il s’agit de reconnaître la for-mation initiale pour ce qu’elleest : la période de la vie où l’onapprend l’ensemble des savoirs,savoir-faire et gestes techniquesnécessaires pour assurer plei-nement une activité profession-nelle. Et, dans le cas qui nousintéresse, qu’elle soit directe-ment appliquée pour les ingé-nieurs et techniciens ou qu’elleserve le progrès scientifique,technologique, humain pourles futurs chercheurs. n

1.http://sauvonslarecherche.fr/spip.php?article1903.2. Extrait du plan Langevin-Wallon.

Pour nourrir la recherche et le progrès scientifique, le salaire étudiant s’impose !

Contractualisation, précarité, appel à projets… Le quotidien des étudiants et des chercheurs est particulière-ment sombre et incertain. Face à ce chaos, une sécurité d’emploi et de formation est à construire.

L

59ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE

n LE POINT DE VUE de NICOLAS MALAQUIN Trésorier de l’UEC (Union des étudiants communistes).

Votre revue est égalementtéléchargeable gratuitementsur www.progressistes.pcf.fr

Affiche de l’UEC de la campagnecontre la loi Macron.

Un étudiant sur deux est contraint de se salarier pourfinancer ses études, un étudiant sur deux abandonneavant l’obtention du diplôme qu’il a choisi de préparer.Ainsi, un potentiel chercheur sur deux mettra avantl’heure un terme à ses études…

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PROCHAIN DOSSIER (avril-mai-juin) : AGRICULTURE

Jocelyn Bell en 1968, sur le site du radiotéléscope Mullard (Angleterre).

Hommage à ces femmes scientifiques privées de prix Nobel

Jocelyn Bell

Image composite visible/rayon X du pulsar du Crabe, né de la supernova historique SN 1054.Le gaz environnant la nébuleuse est agité par le champ magnétique et le rayonnement du pulsar. (NASA.)

Jocelyn Bell (née en juillet 1943)est une astrophysicienne britannique. Au cours de son travail de doctorante en 1957, elle découvre les pulsars. Ce sont des étoiles à neutrons en rotation, des objets très denses qui émettent un important rayonnementélectromagnétique. Un pulsar se signale pour un observateur distant sous la forme d’un signalpériodique, la période correspondant à la périodede rotation de l’astre. C’est ce signal qu’identifiepour la première fois la jeune astrophysicienne.C’est pourtant à son directeur de thèse, AntonyHewish, et à Martin Ryle que fut attribué laprestigieuse récompense. L’étude des pulsars à depuis permis de nombreux développement en astrophysique, allant de la relativité générale à l’étude des trous noirs, en passant par les ondes gravitationnelles.

Entrée libre. Le nombre de places étant limité, nous vous remercions de vous inscrire par mail à [email protected]

Samedi 6 juin 2015 à 19h00, siège du PCF, 2, place du Colonel-Fabien, 75019 PARIS

Enfants du Soleil : à la recherche de nos origines et de la vie dans l’Univers

CONFÉRENCE EXCEPTIONNELLE ! avec ANDRÉ BRAHIC