Bat'Carré N°13

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BA CARRÉ T’ numéro 13 // décemBre 2014 - février 2015 MADAGASCAR JACE l’ArtistE tout-tErrAin Patrimoine de l’océan Indien

description

JACE à l'affiche et sa destination préférée, l'île rouge. Madagascar, c'est aussi la côte Est à découvrir, le canal des Pangalanes, l'effervescence du port de Tamatave, l'île des Forbans où les baleines viennent se prélasser... Autre vedette à l'honneur, le patrimoine de l'océan Indien, ses jardins, son histoire et ses multiples cultures...

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ÉT’numéro 13 //décembre 2014 - février 2015

MADAGASCARJACE l’artiste tout-terrain

Patrimoine de l’océan Indien

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le magwww.batcarre.com

ÉVASION CULTURELLEÉVASION JEUNESSEÉVASION CULTURELLEÉVASION COLLECTION RÉUNIONÉVASION CULTURELLEÉVASION ROMANAU CŒUR DE L’ÎLE LES ENTRETIENS DU PATRIMOINEESCAPADEFOU EN LONG, EN LARGE ET EN DIAGONALE !PATRIMOINEPÊCHE NOCTURNE AUX REQUINS À LA POINTE DES GALETSBEAUX-ARTSMARY SIBANDÉOCÉAN INDIENVOYAGE D’ÉTUDES À CHANDIGARHRENCONTREJACE, L’ARTISTE TOUT-TERRAINHORIZONGOUZOU DE PAR LE MONDEVOYAGE-VOYAGEÀ L’EST DE MADAGASCARAKOUTJÉRÔME PACMAN, DJ DANS L’AIR DU TEMPSCINÉMAREGARDS CROISÉS SUR LE PREMIER FESTIVAL DU FILM RÉUNIONNAISTERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES D’ESCALE EN ESCALEPAPILLES EN FÊTEMAKIS AU FROMAGE FRAIS, VELOUTÉ D’AVOCAT, TOMATES SÉCHÉES ET SHISO

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Couverture Illustration JaceÉditeur BAT’CARRÉ SARLtrimestriel gratuit

Adresse 16, rue de Paris97 400 Saint-DenisTel 0262 28 01 86www.batcarre.comISSN 2119-5463

Directeur de publication Anli [email protected] 24 98 76

Directrice de la rédactionFrancine [email protected] 28 01 86

RédacteursJean-Paul TapiePierre-Henri AhoDominique LouisStéphanie LégeronBenoît VantauxAkoutFrancine George

Secrétaire de rédactionAline Barre

Directeur artistique P. Knoepfel, Crayon [email protected]

Photographes et illustrateurs Marc HellerSébastien MarchalJaceChristian VaisseMarinette DelannéJean-Noël ÉniloracRichard Bouhet pour l’AFPCollections privées de Pierre-Henri AhoÉtudiants de l’ENSAMBruno Marie

Création & exécution graphique Crayon noir

Vifs remerciements à à JaceGilles PignonMarc HellerBéatrice BinocheSandra Rabaritsialonina et l’équipe d’Air Madagascar

Développement web Anli Daroueche et New Lions Sarl

PublicitéFrancine George : 0262 28 01 86

DistributionTDL

Impression Graphica 305, rue de la communauté97440 Saint-AndréDL No. 5565 - Décembre 2014

Tous droits de reproduction même partielle des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.

ERRATUMNous souhaitons présenter toutes nos excuses pour les erreurs qui se sont glissées dans le N°12, à savoir : • Dans le texte de Pierre-Henri Aho, il fallait lire : « Picasso affirmait que la plus belle femme de Paris n’aura pas eu autant sonportrait exécuté par des peintres que Vollard. » • Dans le texte de Paola Bassani page 44, une répétition malencontreuse de paragraphe.Toutes nos excuses également à notre relectrice Aline Barre à qui nous n’avons pas donné le temps nécessaire de relecture.

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L’enfant-roi !

Quel plaisir d’offrir des cadeaux aux petites frimousses pendant cette

grande fête de Noël qui est avant tout la leur !

Jace à l’affiche…

En ce temps de Noël, il fallait bien donner la parole à un grand enfant qui

n’a pas envie de se prendre au sérieux. Madagascar est son univers préféré,

notamment la peinture sur les voiles des pêcheurs Vezo.

Madagascar, c’est aussi la côte Est à découvrir, l’île des Forbans, la douceur de

vivre sur le long canal des Pangalanes, l’effervescence du port de Tamatave…

L’océan Indien ?

Un patrimoine à découvrir, à préserver dans cet univers aux valeurs partagées

qu’est l’océan Indien. La Réunion vue par le prisme de son patrimoine, les

jardins de l’océan Indien, Culture, Beaux-Arts, Histoire… une fête des sens

qui a traversé le temps, un mirage pour certains, un espoir pour d’autres.

Que l’enthousiasme règne pour tous en cette période de trêve !

Joyeuses fêtes de fin d’année et à l’année prochaine !

Francine George

Bonne balade sur www.batcarre.com

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Modeste Madoré, après les légumes, s’amuse àcroquer les fruits avec toujours autant d’humour.les illustrations, joyeuses et fantaisistes, ont de quoirégaler les petits et leurs parents. impossible dese lasser de ce bel album cartonné qui met en scènese fendre la poire, partir en cacahuètes, mi-figue,mi-raisin d’une manière aussi drôle.

4 ÉVASION JEUNESSE

SÉLECTION FRANCINE GEORGE

Dans l’univers de Modeste Madoré, tout est magni-fiquement dessiné et coloré. son ami Pok-Pok,l’endormi, part un dimanche en pique-nique où ilrencontre la famille tang, la famille fourmis… et lesmoustiques qui viennent sonner l’heure du départ.un album irrésistible pour les tout-petits.

le troisième volet des contes de la réunion etde l’inde vient de paraître avec son CD d’accom-pagnement mis en ambiance par Maya Kamaty.les deux contes Djalnagri et Grand-Mère tortueet les deux papangues sont illustrés par tolliam.une belle initiative où se mélangent le français, lecréole, l’anglais et l’hindi.

TUTTI FRUTTI

AUTEUR Modeste MadoréÉDITIONS Océan Éditions

ZISTOIRES DE PIQUE-NIQUE

AUTEUR Modeste MadoréÉDITIONS Océan Éditions

DANS MON SOUBIK

CONTE DE LA RÉUNION ET D’INDEÉDITIONS Epsilon Jeunesse

ENZO, 11 ANS, SIXIÈME 11AUTEUR Joëlle ÉcormierÉDITIONS Nathan

« Cette année, je rentre en sixième 11, j’ai onzeans, et nous sommes en 2011. alors il va forcémentse passer un truc. Je me demande bien quoi, parceque, globalement, je n’ai pas beaucoup de bol. »tout est dit, le petit enzo s’adresse à tous lesgamins qui vont franchir l’année prochaine la portedu collège. un beau moment de lecture.

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5ÉVASION COLLECTION RÉUNION

une rêverie sous les arbres à la réunion, à Maurice,à Mayotte, mais aussi en France, en Belgique, enespagne… le rêve n‘a pas de frontières, et la sen-sibilité du regard non plus. sèves nous raconteplein d’histoires imaginées par le photographeFrançois-louis athénas et prenant vie sous laplume poétique de la romancière Joëlle Écormier.Comme des instants qui durent une éternité.

Yves-Michel Bernard, historien et enseignant, pro-pose un voyage dans l’art du paysage à la réunionau travers d’un recueil d’œuvres cultes du patrimoineréunionnais visité et revisité par différents artistesdepuis les peintures paysages d’adolphe leroy auXiX e siècle, en passant par les photographies d’au-teurs, jusqu’à l’interprétation proposée aujourd’huipar la plasticienne Gabrielle Manglou.

De commune en commune, Jacques Dumorarecense les réunionnais morts pour la France dansun tableau où figurent, par ordre alphabétique,leur nom, leur prénom, leur régiment, leur grade,le lieu, les circonstances et la date de leur décès.Puis, dans un autre tableau, leur sépulture, pourqu’on n’oublie jamais.

SÈVES

PHOTOGRAPHIES

François-Louis AthénasTEXTES Joëlle ÉcormierÉDITIONS Ter’la

MÉMOIRE RÉUNIONNAISE, LA GRANDE GUERRE

AUTEUR Jacques DumoraÉDITIONS du Mahot

Dans son premier roman, Jacques Dumora racontel’histoire d’un jeune Dyonisien enrôlé dans le 96 e

régiment d’infanterie qui, du fond de sa tranchée,attend l’assaut final au pied du Mort-Homme situésur la rive gauche de la Meuse. une épopée historique où l’espace réunionnais estévoqué pour échapper aux horreurs de la guerre.

OCTAVEOU LE MORT-HOMME

AUTEUR Jacques DumoraÉDITIONS Orphie

L’ART DU PAYSAGEÀ LA RÉUNION

AUTEUR Yves-Michel BernardÉDITIONS Ter’la

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6 ÉVASION ROMAN

Grand prix du Roman Métis

Après une saison littéraire foisonnante de

nouveaux talents, un prix Nobel attribué au

grand écrivain français, Patrick Modiano, c’est

au tour de la ville de Saint-Denis et de La

Réunion des Livres de décerner ses prix pour

un roman « qui met en lumière les valeurs du

métissage, de la diversité et de l’humanisme ».

Parmi les trente livres reçus des différents

éditeurs nationaux, qui maintenant appré-

cient la teneur de ce prix, quatre finalistes

ont été retenus par le jury composé de

personnalités littéraires réunionnaises et

d’écrivains francophones :

• Jean Hatzfeld pour Englebert des collines

• chez Gallimard.

• Fabienne Kanor pour Faire l'aventure

• chez JC Lattes.

• In Koli Jean Bofane pour Congo INC.

• Le testament de Bismarck chez Actes Sud.

• Victor Gary pour L'escalier de mes illusions

• chez Philippe Rey.

Et le lauréat est

Congo INC. Le testament de Bismarck

d’In Koli Jean Bofane !

Après Maryse Condé en 2010, Lyonel Trouillot

en 2011, Tierno Monénembo en 2012 et Léonora

Miano en 2013, In Koli Jean Bofane est venu

sur notre île début décembre pour recevoir

son prix. Il a dû vite repartir à Bruxelles, car

son roman Congo Inc. figurait dans la liste

des cinq finalistes pour le prix Russel,

l’équivalent du Goncourt en Belgique. Son

séjour, pourtant bref, a marqué tous ceux

qui l’ont rencontré, un grand homme, pétri

d’humanisme et qui sait à quoi tient la joie

de vivre !

Son roman est une perle rare, de celui qui

marque une époque. Écrit d’une main alerte,

il raconte l’histoire d’un Pygmée qui veut

devenir mondialisateur, et qui, chemin fai-

sant, rencontre une multitude de personnages,

à commencer par les Shégués, ces enfants

des rues, qui le recueillent à son arrivée dans

la grande ville. À lire absolument parce que

c'est drôle, malgré les horreurs, parce que

c'est humain, parce que l’on entend avec la

musique des mots battre le cœur de Kinshasa,

laboratoire de notre futur ?

En 2015, une belle rencontre avec In Koli Jean

Bofane vous est réservée dans Bat’Carré.

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Prix Métis des lycéens

Le 9 décembre 2014, le jury des lycéens qui

se densifie de plus en plus - 22 jeunes de dix

lycées réunionnais, cette année – s’est réuni

pour choisir leur lauréat. En très peu de temps,

ils ont accepté de s’impliquer dans la lecture

des romans sélectionnés « pour défendre notre

métissage à nous», dit l’un d’entre eux, et

globalement, pour venir défendre le choix

de leur classe, car souvent ils n’ont pas pu

tout lire, lors d’une délibération où ils sont

seuls maîtres et juges.

Parmi les quatre romans sélectionnés, deux

étaient dans la liste du Grand Prix Métis.

• Englebert des collines de Jean Hatzfeld

• chez Gallimard.

• Itinéraire d’un poète apache de

• Guillaume Staelens chez Viviane Hamy.

• Faire l’aventure de Fabienne Kanor

• chez JC Lattès.

• Chems Palace d’ Ali Bécheur chez Elyzad.

Et le lauréat est

Itinéraire d’un poète apache

de Guillaume Staelens chez Viviane Hamy.

Après des débats houleux où il fallait tran-

cher « entre Englebert et Apache », leur choix

s’est porté sur Itinéraire d’un poète Apache

qui, basé sur la vie de Rimbaud, leur parle à

la première personne. Un bel enthousiasme

les anime lorsqu’ils justifient leur choix. Ils

s’identifient au héros, qui d’emblée leur parle

de leurs préoccupations d’adolescents. De ce

fait, ils cheminent avec lui tout au long de son

périple de l’Amérique du nord à l’Amérique

latine. « Il a choisi de voyager, de défier la

société américaine, il lui arrive plein d’aven-

tures, il tombe amoureux, il se drogue… Ses

goûts ne sont pas forcément les nôtres, ce

qui nous a plu c’est qu’il découvre la vie

aussi, à chaque endroit nouveau, il élargit sa

vision. Il apprend de ses échecs, il n’est pas

figé. Il aime la musique, c’est un artiste, il

dessine, c’est un personnage qui nous a

beaucoup touchés. »

Début 2015, Guillaume Staelens - après

Delphine Coulin, Carole Zalberg et Cécile

Ladjali - viendra à la rencontre des lycéens

réunionnais, une occasion de le retrouver

dans Bat’Carré.

7ÉVASION ROMAN

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8 AU COEUR DE L’ ÎLE

Les EPOI ont réuni pour leur seconde

édition une cinquantaine de spécialistes

de cet espace au riche patrimoine

à identifier et à préserver.

La Réunion, organisatrice via L’ENSAM

et la DAC OI de ce colloque aux résonances

internationales, se trouve donc au centre

d’une démarche innovante destinée

à créer un pont culturel et stratégique

de l’Inde à l’Afrique en passant par les îles

de l’océan Indien sur la question

du patrimoine.

TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE MARC HELLER DR RÉGION RÉUNION

SERVICE RÉGIONAL DE L’INVENTAIRE

Les entretiensdu Patrimoine

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10 AU CŒUR DE L’ ÎLE

Les premiers EPOI

Villes, Patrimoines et Développement

En novembre 2011, les premiers Entretiens

du Patrimoine de l’Océan Indien, se sont

déroulés au théâtre du Grand Marché de St-

Denis sous la direction d’Attila Cheyssial,

architecte DPLG, Docteur en sciences de

l’Éducation. Initiés par la DAC OI et l’ENSAM

en partenariat avec les collectivités lo-

cales, ces trois jours denses de conférences,

d’échanges et de débats organisés par Pierre

Rosier, directeur de l’ENSAM-Réunion assisté

de Béatrice Binoche, chargée de mission, ont

réuni pour la première fois une trentaine de

chercheurs, de scientifiques et d’enseignants

venant d’Inde, d’Afrique en passant par les

îles de l’océan Indien et par l’Europe.

Le Président d’honneur était l’éminent pro-

fesseur Kirti Chaudhuri. Cette première étape

avait pour thème la ville patrimoniale. L’ob-

jectif du colloque était de créer un réseau

dynamique apte à identifier et préserver un

patrimoine situé sur un espace géographique

construit sur des valeurs culturelles en pro-

fondes résonances. Les fondations des villes

côtières l’illustrent bien, car elles puisent

leur richesse dans l’histoire des flux de po-

pulation, des échanges commerciaux et des

apports croisés de différentes cultures « en

interface avec l’océan et ses connexions ma-

ritimes. Leur destin se distanciera de leurs

origines coloniales et elles constituent au-

jourd’hui un maillage économique et por-

tuaire à l’échelle mondiale ». Trois jours donc

d’interventions de très haut niveau, chacun

découvrant les expériences de l’autre. Un

processus s’est mis en marche, et le plus

marquant a été que pour la première fois

« l'intelligence collective » s’est mise au ser-

vice d’un espace géographique qui coupe le

cordon aux ancestraux échanges Nord-Sud.

Des chercheurs africains et indiens l’ont d’ail-

leurs souligné, jamais jusqu’ici ils n’avaient

eu l’occasion de débattre les uns avec les

autres, chacun étant cantonné dans son

univers respectif. L’île de La Réunion était

donc là pour « créer un pont » entre ces deux

pôles de l’espace indien-océanique.

Les seconds EPOI

Jardins-Paysages et Sociétés

Fin septembre 2014, la seconde édition des

EPOI - organisée par Pierre Rosier et l’Insti-

tut National du Patrimoine sous l’égide de

Marc Nouschi, Directeur de la DAC OI et du

présidentd’honneur Gaëtan Siew, l’architecte

mondialiste, membre du conseil d’adminis-

tration de Futur Cities - s’est déroulée éga-

lement sur trois jours au théâtre du Grand

Marché, avec une cinquantaine de spécia-

listes internationaux invités à débattre

cette fois-ci des Jardins, Paysages et Socié-

tés dans l’Océan Indien. Ils sont venus du

Kenya, d’Afrique du Sud, de Madagascar, de

Maurice, des Comores, d’Inde, d’Australie, de

Métropole, du Portugal, d’Allemagne… tous,

des scientifiques préoccupés par l’avenir du

patrimoine naturel sous la menace de col-

lapse bioclimatique. Les fauteuils étaient

pleins et les habitués plus à l’aise pour

échanger et lancer plus loin la réflexion.

La première journée consacrée au Paysage

à La Réunion et dans l’Océan Indien était

placée sous la présidence de Francis Hallé,

célèbre botaniste et biologiste, auteur d’ar-

ticles et d’ ouvrages sur la forêt tropicale.

L’île de La Réunion, classée au Patrimoine

mondial de l’UNESCO pour ses cirques, pitons,

remparts et la richesse de sa biodiversité, fut

l’objet de nombreuses interventions montrant

tour à tour à quel point le patrimoine y est

riche, diversifié, historiquement changeant.

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12 AU CŒUR DE L’ ÎLE

Première journée

Le Paysage à La Réunion et dans l’océan

Indien

Gaëtan Siew, qui a ouvert les débats sur

l’ambiguïté de l’espace, pose déjà la ques-

tion de savoir si tous ces paysages seront là

dans 500 ans. Puis, il décline les maux des

temps modernes entre utilité et futilité pour,

au final, apporter la tonalité générale de ce

colloque : « La beauté peut sauver la planète,

car au final seul ce qui est beau est durable. »

Marc Heller, mandaté par la Région pour ef-

fectuer l’inventaire des Jardins de La Réunion

vus du ciel, expose son travail, les belles

photos ci-jointes en témoignent. Bernard

Leveneur, historien et directeur du musée

Léon Dierx, a présenté le paysage en mé-

moire avec ses repères historiques, montrant

à travers des récits de voyage et un certain

nombre d’images peintes ou dessinées, la

mutation de l’île qui est passée d’un paysage

riche en cultures variées (indigo, tabac,

épices, poivre, thé, café, coton, girofle, riz,

blé, maïs…) à un paysage monolithique de

culture de la canne à partir de la moitié du

XIX e siècle par la conjonction d’opportunités

économiques et de dégradations climatiques.

Puis, cette île à sucre, en crise depuis les

années 1980, ouvre les vannes à une « nou-

velle spéculation », immobilière cette fois-ci,

grâce à la défiscalisation, changeant irré-

versiblement le paysage. Un exposé qui a

marqué les esprits et servi d’étalon sur les

trois jours, chacun s’y référant de temps à

autre. Bako Raosoarifetra, maître de confé-

rences à l’université d’Antananarivo, a lui

surpris la salle dans son exposé sur l’ar-

chéologie préventive et les paysages sacrés,

montrant ainsi que les cultes, les mythes et

les traditions sont parties intégrantes du pay-

sage. De même que Chantal Blanc-Pamard,

directrice de recherche au CNRS, a fait une

démonstration étonnante entre deux façons de

gérer un patrimoine naturel à Madagascar.

D’une part, l’allée de Baobabs à Morondava,

« une patrimonialisation par le haut » sur 320

hectares, six espèces en danger ou menacées,

une journée nationale de reboisement, et,

d’autre part, « une patrimonialisation par le

bas », en toute discrétion, sur les terres hautes

de l’Est où les pratiques agricoles tradition-

nelles tirent partie des cycles de culture et

des pestes végétales pour en faire du charbon

de bois.

Yves-Michel Bernard, docteur en histoire de

l’art contemporain, s’est, quant à lui, penché

sur les paysages culturels de La Réunion de-

puis les premiers peintres recensés tel Albert

Le Roy jusqu’aux photographes contemporains

en mettant en exergue : « le dialogue entre-

tenu depuis deux siècles entre les artistes et

le paysage réunionnais est ininterrompu avec

cette promesse toujours renouvelée de bous-

culer le dogme… ».

Seconde journée

Le Paysage et les Jardins : un outil pour

penser ensemble l’écologie

Jean-Michel Jauzé, géographe à l’Université

de La Réunion, a ouvert la matinée à l’hôtel

de Ville de St-Denis sur le thème des paysages

ruraux rodriguais et de leur mise en valeur

éco-touristique, puis se sont succédées plu-

sieurs descriptions de jardins remarquables

aux Seychelles, à Moroni, tandis que se tenait

au Grand Marché les conférences anglo-

saxonnes où l’on débattait de la biodiversité

au Kerala, dans le sud-ouest de l’Inde et des

paysages transformés de Goa. L’après-midi

était consacrée notamment à l’école du

Jardin planétaire du paysagiste Sébastien

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14 AU CŒUR DE L’ ÎLE

Clément et au Jardin de Zanzibar, premier

exportateur aujourd’hui encore de clous de

girofle. L’intervention d’Anthony Wain, archi-

tecte paysagiste de Cape Town a laissé des

traces. L’après-midi s’est achevé par une

autre surprise, l’intervention de Gilles Pignon,

conservateur régional de l’inventaire du pa-

trimoine culturel, qui revenait sur Le mythe

du paradis terrestre chez les premiers colons

de Salazie en relatant l’histoire des Francs-

Créoles. En difficulté du fait de la crise de la

canne et en rébellion contre l’autocratie du

gouverneur, ils se sont installés dans le cirque

de Salazie à partir de 1830 sous l’impulsion

de Nicole Robinet de la Serve, créateur d’une

société secrète affiliée aux Francs-Maçons.

Troisième journée

Comment conjuguer Protection

et évolution

La valorisation du patrimoine naturel et cul-

turel constituait le point d’orgue de cette

journée avant les premières conclusions des

présidents de séance. Madagascar et les

paysages culturels de l’Indianocéanie étaient

au centre des préoccupations avec un zoom

particulier sur les plantes médicinales et la

richesse de leurs traditions, tant sur le plan

personnel que dans les rites religieux. Et pour

clore les échanges, les perspectives touris-

tiques des sites naturels ont été évoquées.

Francis Hallé, qui a montré à plus d’une re-

prise, son franc-parler, un brin moqueur dans

le style « j’hésite entre l’Eden ou le Paradis »,

est sorti enthousiaste par la teneur du col-

loque, en soulignant que, pour lui, le « off »,

l’informel que l’on ne maîtrise pas, est tout

aussi important. C’est là que les échanges se

font et que les réseaux se créent. La Réunion

lui a réservé quelques belles surprises,

notamment la forêt de Bélouve et le Jardin

des Mascareignes. Par contre, il ne cache

pas sa déception quant au laisser-aller qu’il

a constaté au Jardin de l’État, parsemé « de

fausses étiquettes, ce n’est pas sérieux, il

vaut mieux ne rien mettre dans ce cas ».

Le président d’honneur Gaëtan Siew, habi-

tué aux colloques internationaux, était lui

aussi satisfait de cette mise en commun des

savoir-faire. Pour la troisième édition des

EPOI, il suggère d’apporter une nécessaire

dimension économique en intégrant au pla-

teau des chercheurs et des scientifiques une

« réalité terrain » avec des chefs d’entreprise.

Toute cette énergie dépensée, selon lui, ne

mènera nulle part si le Patrimoine ne de-

vient pas un moteur de développement : « le

patrimoine peut être innovateur, évolutif,

sinon le sens de l’appropriation se perd et il

n’est plus qu’un lieu nostalgique ». « Le patri-

moine peut vivre de sa propre vie, les bâti-

ments peuvent être transformés en paysages

à embellir, on doit redécouvrir l’économie

des bio-fertilisants, la vraie identité de l’es-

pace passe par le vécu, l’appropriation… ».

Une première réponse est apportée avec le

projet de création d’une charte du Patrimoine

de l’océan Indien et le projet de création

d’une route des jardins de l’Océan Indien….

Les actes du colloque permettront à chacun

de se replonger dans le matériau livré à la

réflexion collective. Il est évident que les élus,

pas suffisamment nombreux dans la salle,

ont matière à puiser dans leur conception de

futurs aménagements du territoire. Nous

sommes en plein dans l’ère écologique et

l’aménagement du territoire se construit,

plus que jamais, vu la densité des popula-

tions, pour les besoins du futur en respec-

tant l’héritage du passé.

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16 AU COEUR DE L’ ÎLE

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TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE GAËTAN HOARAU

Novembre 2014

Poésie du cosmos et aventure extraordinaire de la sonde Rosetta

prête à larguer le robot Philae sur la comète Tchouri ?

Ou

Poésie de notre magnifique jardin sous-marin, « une neige à l’envers »

photographiée par Gaëtan Hoarau lors de la ponte des coraux

dans le lagon de Saint-Pierre ?

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FOU

EN LONG, EN LARGE ET EN DIAGONALE !

18 ESCAPADE

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Fin de l’historique. Si vous souhaitez en savoir plus sur le

sujet, il existe un excellent livre d’Olivier Bessy, plus quelques

autres ouvrages sur la question.

Ce n’est pas le propos de cet article. Ce dont j’entends vous

parler, c’est du Grand Raid vu de l’intérieur. En direct du

cerveau d’un fou.

J’y ai participé une demi-douzaine de fois (sans compter

une Grande Traversée et quelques Passe-Montagne). Je

n’ai pas toujours terminé. Mais j’ai ni une fois dans les

cent premiers (96 ème exactement, en 1995). Avant que votre

admiration ne s’exprime, je précise que c’était à une époque

où le nombre de participants était bien moins important

qu’aujourd’hui : moins de 600 nisseurs. Et le prol de la

course était encore à taille humaine : 123 kilomètres et

6 350 mètres de dénivelé positif.

Observez le prol de la course : on croirait

une courbe des températures chez un

malade sujet à de brusques accès de èvre.

Ce n’est pas une comparaison anodine :

chaque concurrent pourrait, en suivant le

prol du bout du doigt, vous renseigner

sur ce qu’il ressentait à ce moment précis

de la course. Pas besoin d’être lunatique,

ou cyclothymique : même le concurrent

le plus équilibré au départ subit lui aussi

ces hauts et ces bas.

La course qui consiste à traverser la Réunion d’un bout à l’autre a porté bien des noms et

connu bien des avatars. La toute première, en 1989, s’est déroulée dans le sens nord-sud

et a été baptisée « La marche des cimes». L’année suivante, en changeant de sens, elle a

changé de nom : elle est devenue « La grande traversée». Qui a disparu avant de ressusciter

doublement, avec « La passe-montagne» en automne et « La course de la pleine lune» au

printemps. Une seule a survécu, la seconde, mais elle a encore changé de nom : « Le grand

raid». Sauf qu’à la suite d’un article dans une revue spécialisée, elle est devenue, dans la

bouche de nombreux compétiteurs, notamment métropolitains, « La diagonale des fous».

L’auteur de l’article s’était inspiré du titre d’un film de Richard Dembo, « La diagonale du

fou», titre puisé dans le vocabulaire du jeu d’échecs.

TEXTE JEAN-PAUL TAPIEPHOTOGRAPHIE RICHARD BOUHET POUR L’AFP

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en voie ferrée TEXTE JEAN-PAUL TAPIE

PHOTOGRAPHIE DR

Cool, Raoul !

La course commence par une tension qui s’accentuejusqu’au coup de sifflet donnant le départ. Depuis desheures, vous vous demandez si vous allez être à la hau-teur, si vous n’allez pas piteusement vous effondrer dèsque la pente va s’accentuer et renoncer avant le cinquièmekilomètre. Vous avez envie de vomir, de pisser, votreventre se tord, vous souffrez mille douleurs, votre corpsn’est que souffrance. Autant regarder la vérité en face :vous n’êtes pas prêt, vous ne l’avez jamais été. Vousenvisagez de vous carapater en douce. Mais le départvous libère. Vous vous laissez emporter par l’ambiance,brusquement vous avez des ailes, vous devez vouscontrôler pour ne pas piquer un sprint dès la lignefranchie. Vous avez envie de rire, de plaisanter, de parler ;vous aimez les inconnus qui vous entourent ; vous avezl’impression, si vous êtes zoreil, que vous pourriez parlercréole avec l’accent de Saint-André ou de Saint-Joseph,au choix. Puis vous vous raisonnez, vous vous répétezqu’il reste plus de 120 kilomètres à parcourir, vous vousexhortez au sérieux et à l’impavidité. De toute façon,l’accentuation de la pente vous aide à remettre vos idéesen place. C’est parti, vous venez de quitter la chausséebitumée, vous êtes sur le sentier et vous vous souvenezà quel point les sentiers réunionnais sont exigeants etpiégeurs. Très vite, vous avez dans la tête un ordinateurde course qui enregistre toutes les données : vos musclessont bien huilés, les articulations sont souples, le souffleest profond et rythmé, vous n’avez pas faim, vous buvezrégulièrement, taux de sucre stable dans le sang, pas derisque d’hypoglycémie. Tous les voyants sont au vert.Vous avez l’impression que vous n’avez jamais été aussien forme et vous ne pouvez vous empêcher de commencerà revoir à la baisse les temps de passage que vous vousétiez xés.

Sauf que vous commencez à trouvercette portion un peu fastidieuse, pluslongue que dans votre souvenir. Ellen’en nira donc jamais ! Où est donc cechu poste de contrôle ? Il devrait êtrelà ! Et si vous l’aviez dépassé sans vousen apercevoir ? Impossible !Il a dû être repoussé de quelques kilo-mètres, ce n’est pas possible. Vous avezl’impression de ne plus avancer. Vousforcez légèrement l’allure. Oh l’erreur !Oh la boulette ! Votre souffle vous rap-pelle que vous êtes en train d’essayer decourir à plus de 1 500 mètres d’altitude.Votre corps fait parvenir au cerveauquelques données inquiétantes. Vousvous apercevez qu’ils parlent tous lesdeux de vous à la troisième personne,comme deux médecins au pied du litd’un malade : ils sont des observateursneutres de votre effort et ne se gênentpas pour critiquer votre comportement.Vous ne comprenez pas leur attitude.Ils devraient vous encourager et au lieude cela, ils vous jugent, désapprouventvotre envie d’accélérer, se demandentpour qui vous vous prenez.

20 ESCAPADE

Page 23: Bat'Carré N°13

Fonce, Alphonse !

Mais voici le fameux contrôle, il est là – en plus, ilprécède un long faux-plat prolongé d’une longue des-cente que vous aimez bien – et dans l’euphorie de l’objectifatteint, tout le monde se réconcilie. Les deux médecinsvous sourient, rassurants. Votre corps se remet à envoyerdes données encourageantes, votre cerveau en prendconnaissance en hochant aimablement la tête : vous êtesentre les mains d’une équipe compétente et formidable.L’union faisant la force, vous recommencez vos calculs :si j’arrive à Cilaos avant cette heure-là, je m’arrête unedemi-heure, ce sera largement suffisant pour me restau-rer et me faire masser, je repars et… Comme Perrettefaisant des plans sur la comète, vous venez de manquerde vous étaler de tout votre long dans les scories. Vousvous reprenez, en colère contre votre légèreté. Vivementque cette descente se termine… Normalement, vousauriez dû en voir déjà le bout, ce n’est pas possible, ilsont rallongé le parcours…La mi-course, enfin. Dans votre tête, la voix de Radio-Râleur s’éteint, remplacée par celle d’un journalistesportif qui commente votre performance avec desadjectifs dithyrambiques. Arrêt au stand. Votre corps se met à tourner au ralenti.Vous récupérez. Tout irait mieux si vous aviez un peuplus d’appétit. Vous savez qu’il faut s’alimenter, maisbon, ça ne passe pas, ces pâtes doivent être mal cuites,ou pas assez de beurre, ou trop sèches… Vous vousrendez compte que, sans en avoir eu conscience, Radio-Râleur vient de reprendre son programme d’émissions.

Ça repart, Gaspard !

Pour l’oublier, vous repartez. Désormais,à chaque mètre parcouru, vous vous ditesque l’arrivée se rapproche. D’y penservous rend presque hilare. Si vous vousécoutiez, vous vous mettriez à courirsur cette portion de route.

Surtout ne vous écoutez pas !

Dès la montée suivante, vous comprenezque vous venez d’entrer dans une autrecourse. Désormais, la voix doléante dansvotre tête ne cessera plus d’émettre etvotre corps va multiplier comme àplaisir les messages d’alerte : une petitedouleur dans le genou droit… uneautre au bas des reins… l’horreur decette descente dans mes mollets… lesravages de cette montée dans mesquadriceps… l’ennui de cette portionplate dans ma tête… Peu à peu, le mondeextérieur se ferme à vous ; vous devenezun monde à vous tout seul, un mondeen perdition ; comme un naufragéquelques heures après le naufrage,vous prenez conscience que vous êtestout seul dans votre chaloupe, qu’elleprend l’eau de partout, que vous n’avezde provisions que pour deux ou troisjours et que l’océan, autour de vous, estimmense, interminable, inni. D’ailleurs,si ça se trouve, il n’y a plus aucune terreimmergée, il n’y a que vous sur ce vasteocéan, ou plutôt ce sentier qui n’ennit pas, qui n’en nira plus, qui vousconduira jusqu’au bout, mais pas lebout que vous imaginiez en prenant ledépart.

Page 24: Bat'Carré N°13

Radio-Râleur s’est tue : des terroristes en ont pris lecontrôle et balancent sur les ondes des messages plusterriants. Ils déversent dans votre esprit des tombereauxde plaintes, de gémissements, de prophéties de mauvaisaugure, de menaces, d’insultes. Votre corps se boucheles oreilles, il essaie de ne rien entendre. Réfugié au nfond de votre cerveau comme De Gaulle à Londres en1940. Un ultime îlot de résistance continue de vousencourager à mettre un pied devant l’autre, à venir àbout de cette côte, à proter de la douce pente de l’autreversant. De temps à autre, une question jaillit au mi-lieu de ces voix contradictoires : où est la joie de tout àl’heure ?

Tu t’affoles, Jean-Paul !

Brusquement, vous réalisez que cette voix, ce n’est plusla vôtre. Vous ne connaissez pas la personne qui est entrain de se plaindre, de se lamenter, de dire que ce n’estpas juste, que ça ne devrait pas être aussi dur, on nevous avait pas dit que ce serait aussi difficile. Vous vousmettez en colère en constatant que dans cette portionoù vous êtes censé monter, le sentier descend, vous faitperdre un dénivelé qu’il va falloir reprendre. Ce n’estpas du jeu. La colère vous gagne, bientôt il n’y en a plusque pour elle. Elle a pris le contrôle. Elle a consqué lemégaphone et on n’entend plus qu’elle. Elle exhorte lecorps à la rébellion. Elle balance des arguments qui vousauraient paru stupides il y a encore quelques heures,mais qui à présent vous semblent raisonnables. Lesorganisateurs de cette course sont des salauds, toutsimplement, appelons les choses par leur nom. De queldroit vous imposent-ils cette montée hallucinante aucentième kilomètre ? Et ce détour, est-il vraiment indis-

pensable ? Comment est-il possibleque l’on laisse agir des types pareils entoute impunité ? Il faudrait les arrêter,les emprisonner, les mettre hors d’étatde nuire ! Que fait la police ? Vous n’avezplus qu’une envie, les dénoncer auxjournaux, mettre à jour devant les yeuxde tous leurs méfaits et leur cruauté. Sivous abandonniez, quelle claque ceserait pour eux ! Ils ne feraient plusleurs fanfarons en lisant ce que vousdéclareriez à la presse ! Les journauxlocaux feraient leurs gros titres de vosrécriminations : « Un concurrent dénoncel’inconscience des organisateurs et seporte partie civile ! Trois arrestations etdeux mises en examen ! Le directeur dela course tente de mettre n à ses joursaprès avoir demandé pardon au concur-rent dans une dernière lettre ! »Voilà, ça y est, vous êtes devenu fou !Complètement fou ! Vous êtes totale-ment à votre place dans cette courseréservée aux individus dans votre genre !Vous atteignez le dernier sommet, vousentamez l’ultime descente ! Ah ah ! Unrire sarcastique vous déchire la poitrine.Ils croyaient venir à bout de vous ! Ahles fous ! Il n’y a plus que des fous danscette course et vous vous sentez remar-quablement bien, vous n’avez jamais étémieux, vous êtes fou, irrémédiablementfou et c’est tellement bon !

Fin

Je ne saurais trop vous recommander la nouvelle « Putain de Roche Ecrite ! », récompensée par lePrix de la nouvelle de l’océan Indien et parue chez Orphie. Son auteur est le même que celui de cetarticle : c’est une garantie qui vaut de l’or.

22 ESCAPADE

Page 25: Bat'Carré N°13
Page 26: Bat'Carré N°13

AUTEUR PIERRE-HENRI AHO

ILLUSTRATION DROITS RÉSERVÉS PIERRE-HENRI AHO

Avec l’esprit des lumières et des moyens modernes pour contribuer aux avancées

de son époque, le naturaliste néerlandais Pollen a laissé à la postérité des dizaines

et dizaines d’illustrations sur la magnifique biodiversité de Madagascar

et des Mascareignes, ainsi que de précieux écrits nous enseignant grandement

sur le rapport de l’homme à la nature.

Ses souvenirs du XIX e siècle offrent l’occasion de se déconnecter de la « crise requins »

et rappellent la pertinence du rôle de l'histoire dans notre compréhension de ce que

nous sommes aujourd’hui. Un clair de lune sur notre passé mettant en lumière

la vie d’un de ces nombreux aventuriers qui ont laissé des traces tangibles

de leurs parcours au sein de l’Indianocéanie. Une image ancienne pour décrire

une réalité actuelle sous l’angle toujours variable,

mais vivant, de la tradition.

24 PATRIMOINE

Pêche nocturne aux requins à la Pointe des Galets

Page 27: Bat'Carré N°13

Genèse d’un voyage

Les Pays-Bas ont marqué la trépidante histoire

des conquêtes de la mer des Indes et le com-

merce international. Les Hollandais seront les

premiers à s'établir aux Mascareignes en 1598

et à imprimer des récits de leurs découvertes

tout au long du XVII e siècle. Près de 300 ans

après, dans la seconde moitié du XIX e siècle, un

naturaliste néerlandais du nom de François

Pollen publie une relation de son voyage de

trois ans à Madagascar et la plupart de « ses »

îles adjacentes, poursuivant une longue tra-

dition d’exploration, d’activités scientifiques

et commerciales de son pays dans nos contrées.

Dans son encyclopédie dont l’édition s’étale

sur six ans, Pollen documente et représente

la faune pour la postérité, en dressant un

inventaire des espèces animales observées

quelques années auparavant in situ.

Certaines, inconnues en Europe avant son

périple, portent son nom. À La Réunion, on lui

doit la première description du Tuit tuit et sa

classification scientifique !

Bien sûr, François Pollen observera également

avec une studieuse attention les sociétés de

l'océan Indien, participant à leurs rites et

coutumes, tout en arpentant leur territoire.

Ses publications contiennent un grand nombre

d’illustrations stupéfiantes, dont quelques-

unes mettent en valeur La Réunion 1.

Premières impressions sur La Réunion

Pollen livre une agréable et douce description

de Saint-Denis, en commençant par observer

la spécificité de ses habitants, préfigurant

les analyses anthropologiques bien connues

de son temps. Intéressé par la vie sociale, il

va jusqu'à regretter qu'il n'y ait pas un kiosque

à musique pour animer le jardin de l'État !

En visitant les alentours dionysiens, jusqu'à

Sainte-Marie, il admire une nature luxuriante

d’exotisme. Dès son arrivée, il est comblé d'un

sentiment unique qui ne peut se partager qu'

avec les personnes qui ont vu ces paysages

merveilleux, disait-il. La traversée de laMon-

tagne par ses sentiers nous rappelle à quel

point ce quartier est central dans l’arrivée

des visiteurs sur l’île avant l’invention des

moyens de transports modernes (du train

à l’avion, en passant par l’automobile). Son

observation géologique du littoral, qui n’a pas

encore de route du côté de la mer, lorsqu’il

prendra la navette entre Saint-Denis et La

Possession, surprend l'explorateur qui repu-

blie deux dessins de Louis Maillard dans le

texte de ce passage.

Page 28: Bat'Carré N°13

26 PATRIMOINE

À l’Etang Saint-Paul, il est subjugué par l’abon-

dante biodiversité qui y réside. C’est ici qu’il

commence, en compagnie du taxidermiste

et collègue aventurier Van Dam, la cueillette

et l’étude des spécimens qu’il ramènera en

Europe - allant des insectes aux poissons en

passant par les mollusques et les oiseaux

endémiques de notre région du monde.

Son émerveillement se poursuivra tout au

long de son voyage. Des hommes réunionnais,

il retiendra ses rencontres avec des notables

tels que Richard, Hery, le baron Daricault, le

Docteur Lacaille avec lequel il correspondait

avant son arrivée, Charles Coquerel, l’ancien

maire de Fondaumière qui parlait néerlandais,

et un certain Rétout 2. Pollen coopère ainsi avec

plusieurs érudits réunionnais et contribue

même à l'Album de La Réunion de Roussin,

qui imprime pour notre prestigieux voyageur

plusieurs de ses ouvrages et illustrations.

Pollen met d’ailleurs en relief tout au long de

son texte les études de savants réunionnais.

Témoin oculaire de la vie de ces contrées en

pleine mutation, il effectuera de nombreuses

parties de chasse et autres sessions d’études

de la nature environnante. S’il a su féconder,

en son temps, la science de ses trouvailles

biologiques, ses souvenirs des îles de l’océan

Indien méritent aujourd’hui notre plus grande

estime.

Epinephelus Retouti sera le nom donné à une espèce pêchée avec ce dernier qui laissa un très bon souvenir à Pollen. Dans la gravure en titre, Rétout est assis à côtédu feu. C’est lui qui emmena Pollen à sa toute premièrechasse aux requins dans l’océan Indien.

2

Page 29: Bat'Carré N°13

3

Extrait de Poissons de Madagascar et de l’île de La Réunion par François P.L. Pollen

« Les côtes de La Réunion abondent en requins, (Acanthias vulgaris) connus par les habitants

sous le nom de Requin aguilat, d’anges marins (Myliobatis aquila), qui acquièrent une gran-

deur considérable, et en s’occupant de la pêche, cela donnerait, comme nous l’avons dit, de

bons profits. Les pêcheurs de La Réunion s’en occupent cependant comme par hasard, et

nous attribuons cette négligence au fait qu’ils ignorent ce que les requins fournissent, ou

qu’ils ne possèdent pas toujours l’appât nécessaire ou les moyens efficaces. Du moins ce que

nous apprîmes, pendant notre séjour à La Possession de notre estimé ami M. Antoine Rétout

père, nous prouve qu’on n’avait pas toujours à sa disposition un animal mort, un cheval, une

vache, un âne ou un mulet, pour attirer les monstres, et on devait attendre ordinairement

qu’une telle occasion se présentât pour aller avec espoir de succès à la pêche, et même les

pêcheurs n’y allaient pas volontiers, parce qu’à cette pêche, il faut plusieurs gens (…)

Cependant si on s’en occupait davantage et qu’on put se passer des forces de l’homme par

des moyens artificiels, avoir plus de grandes provisions d’appât et trouver des débouchés

pour vendre l’huile, les nageoires et les peaux avec plus de profit qu’actuellement, cette

pêche serait très avantageuse (…)

Avant de se mettre à pêcher on a soin d’attacher à la côte quelque grand animal mort, au

moyen d’une ligne et d’une ancre, de manière qu’il soit toujours dans l’eau. Plus le cadavre

est vieux, plus on a de chances, puisque la putréfaction donne plus d’odeur et attire mieux

les requins. La pêche se fait le plus souvent par un temps obscur, sur un rivage plat. Le Point

des Galets où je fis cette pêche, on y trouve des rivages semblables à Saint-Paul, Saint-Gilles,

entre Saint-Louis et Saint-Pierre, au rivage de Champ Borne, entre Saint-Benoît et Sainte-

Suzanne et sur celui entre Sainte-Marie et le Butor, sans parler d’autres petites places (…).

Dans la nuit où nous assistâmes à cette pêche, on attrapa 2 requins de 12 pieds de longueur.

Les pêcheurs nous assuraient que la pêche n’était pas grande, que si elle avait été très

bonne, on en aurait attrapé une demi-douzaine. Chaque fois qu’ils attrapaient un requin, ils

lui ouvraient aussi soigneusement l’estomac pour en voir le contenu, qui consistait le plus

souvent en toutes espèces d’ordures, de vieux souliers ou d’autres objets, même de gros ga-

lets, et une fois quelques semaines après que nous eûmes fait notre pêche avec Rétout père,

on prit en société de notre ami Lantz un requin de l’estomac duquel on retira le bras d’une

femme blanche, dont un des doigts était orné d’une bague, probablement celle d’une nau-

fragée. On a eu soin de faire empailler le monstre, qui avait englouti ce noble membre, qu’on

a conservé aussi dans l’alcool. On trouve de très grands requins sur les côtes des isles Mas-

careignes, des Comores et de Madagascar, enfin partout dans les mers des Indes. Pendant

le jour, les requins aiment à suivre les navires au large, pour faire la chasse aux ordures et

aux restes de la table, qu’on jette par-dessus le bastingage, tandis que vers la nuit ils se rap-

prochent des côtes et des bas-fonds. Le célèbre voyageur Bory de St. Vincent mentionne

avec enthousiasme la pêche en vue de l’île de La Réunion d’un requin qui avait près de quinze

pieds de longueurs, 5 pieds et demi de circonférence et onze pouces d’un œil à l’autre…» 3

Pollen publie ces images en 1868 dans le premier tome du titre de son ouvrage qui en comprend cinq publiés chez différentséditeurs et qui s’intitule Recherches sur la Faune de Madagascar et de ses dépendances, d’après les découvertes de FrançoisP.L. Pollen et D.C. Van DAM. La première partie, intitulée Relation de Voyage, comprend une trentaine de planches représentantdes scènes et paysages remarquables qui illustrent le récit des deux aventuriers. En revanche, le texte ici cité est tiré d’une desparties du quatrième tome, publié en 1874 avec P. Bleeker comme co-auteur sous le titre Poissons de Madagascar et de l’île deLa Réunion, où sont reproduites 21 rares estampes représentant les poissons découverts lors du voyage de Pollen. Ces planchescolorées, surtout le texte qui les accompagne, nous renseignent considérablement sur la vie sous-marine en eau douce et dansles mers des deux îles ainsi que sur la description des pratiques traditionnelles de la pêche au XIX e siècle (Pollen, Les pêchesà Madagascar et ses dépendances, p. 17-18).

Page 30: Bat'Carré N°13

L’installation A reversed retrogress, scene 1 de Mary Sibandé,

exposée au musée Léon Dierx jusqu’au premier jour de mars, est un chef

d’œuvre d’art contemporain, une allégorie autobiographique ancrée dans

l’imaginaire fantasmé autant que dans l’histoire douloureuse de son pays,

l’Afrique du Sud. Une chance incroyable nous est offerte de pouvoir admirer

le travail de cette artiste de renommée internationale.

TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL

28 BEAUX-ARTS

MarySibandé

Page 31: Bat'Carré N°13

Au musée Léon Dierx

Jusqu’au 1er mars 2015

Du mardi au dimanche

De 9h30 à 17h30

Page 32: Bat'Carré N°13

Le règne du bleu

Une grande et majestueuse robe bleue affublée d’un tablier,

ou d’un accessoire de servante, c’est l’histoire de Sophie 1.

Depuis 2007, Mary Sibandé exprime à travers ses œuvres

cette opposition permanente entre servitude et liberté.

Tout a commencé en dernière année des Beaux-arts de

Johannesburg pour le passage de son diplôme. Jusque-là,

Mary Sibandé avait beaucoup crayonné sans savoir dans

quelle voie artistique elle allait s’engager, le stylisme l’attirait

également. Le sujet imposé pour son diplôme de n d’année

« s’interroger sur ses origines » ne l’inspirait pas alors que

ses collègues s’étaient déjà lancés frénétiquement dans

leurs recherches. C’est alors qu’elle rendit visite à sa grand-

mère qui lui racontait toujours plein d’histoires de sa jeunesse,

de ses rêves et de ses brimades d’antan. Le sujet était là et

depuis, Mary Sibandé n’a cessé de tirer le l de cette mémoire

en rendant hommage à sa grand-mère, mais aussi à toutes

ces femmes d’Afrique du Sud qui n’ont jamais pu quitter

leur rôle de servante. Mary Sibandé n’avait que neuf ans au

30 BEAUX-ARTS

moment de l’Apartheid, elle n’avait pas

véritablement conscience des bouleverse-

ments qui étaient en train d’émerger pour

la population noire, et pour les femmes

de son pays. Elle réalisa, comme un effet

boomerang, qu’elle était la toute première

de sa famille à pouvoir faire des études, à

être libre de travailler dans le domaine

qu’elle souhaitait.

C’est ainsi que Sophie est née, dans cette

robe de princesse, de style victorien, d’un

bleu intense, avec son accessoire de sou-

brette. Comme un dé au temps, Mary

Sibandé a donné à ses sculptures une allure

gigantesque, remis au centre de chaque

scène les désirs et les aspirations avec de

plus en plus d’audace, jusqu’aux scènes

purement oniriques. Toujours les yeux

fermés, « c’est là que les rêves deviennent

Sophie est, en Afrique du Sud, le nom couramment donné par les patrons blancs aux servantes noires.

1

Page 33: Bat'Carré N°13

réalité » 2, Sophie matérialise, sans cultiver la révolte, les

espoirs, les fantasmes de toutes ces femmes prisonnières

de leur quotidien, mais qui ont toujours gardé l’esprit libre.

La couleur est très importante en Afrique du Sud, et ce n’est

pas par hasard si elle a inondé de bleu sa créature fétiche -

son alter ego - parce qu’en fait, Mary Sibandé a d’abord voulu

entrer dans la peau de sa grand-mère,

« être à la fois la narratrice et la réalisatrice

de l’histoire ». Le bleu donc, symbole de

liberté qui renvoie aussi à la croix bleue

de l’église et à ces femmes – les servantes

de Dieu – de condition modeste, toujours

bien habillées le jour du Seigneur. D’autre

part, le choix d’un mannequin – en bre

de verre – lui est venu à l’esprit en sorte de

clin d’oeil, car, petite, elle aimait regarder

les vitrines et se disait : « Quand je serai

grande, j’achèterai toutes ces robes. » Mais

sa puissance de création ne pouvait pas

s’arrêter là, et à partir du mannequin sta-

tique, elle a créé, à chaque tableau, une

envolée lyrique où le réel et l’imaginaire

sont mis en contraste.

Entre rêve et réalité, le paradoxe existe dans

toute l’œuvre de Mary Sibandé avec des

Les extraits cités proviennent de la conférence de Mary Sibandé qui a eu lieu au Théâtre Vladimir Canteren novembre dernier, en partenariat avec le musée Léon Dierx.

2

Page 34: Bat'Carré N°13

32 BEAUX-ARTS

zones d’ombre, un jeu de miroir où le regard se soustrait du

réel, des ambiguïtés, où ce qui semble morbide n’est que le

reet d’une chrysalide en passe de devenir papillon.

Et le pourpre prend le pouvoir

Le temps est alors venu de faire évoluer son œuvre, d’appor-

ter quelque chose de nouveau. Et là, Mary Sibandé raconte

aujourd’hui une autre Sophie prise dans ses cauchemars,

« la construction-destruction », la dualité toujours, hantée par

les démons de la création, mais enracinée dans l’histoire de

son pays. Le bleu s’efface pour laisser place au pourpre. Le

pourpre est devenu une évidence. Pourpre, couleur que seuls

les riches pouvaient se permettre de porter à une époque,

car cette teinture coûtait excessivement cher ; pourpre, la

couleur du clergé, pourpre, la couleur de la magie. Et pourpre,

l’eau teintée lancée au canon par les policiers, à Cape Town,

sur les manifestants anti-apartheid pour les marquer an

de pouvoir les pourchasser et les arrêter.

On arrive ensuite à ce face-à-face entre le

bleu et le pourpre, entre des forces oppo-

sées, où « l’effondrement de l’une donne

naissance à l’élévation de l’autre ». En même

temps, Mary Sibandé exploite encore plus

loin l’histoire de ses ancêtres, avant Sophie.

Les créatures chimériques, branches ten-

taculaires, lianes ottantes, symbolisent

l’évolution de sa démarche artistique, « les

lignes invisibles qui se déploient comme

un rhizome, cheminent, se croisent, se

dispersent ». Pour la première fois, le visage

est masqué, tout le corps se fait absorber

en présage d’une disparition certaine, pour

repartir du début, de ses origines, de ce

qui sous-tend la naissance du personnage,

un bras levé et un bras baissé, livré au

public qui la regarde.

Page 35: Bat'Carré N°13
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Chandigarh, située au nord-ouest

de l’Inde, est la dernière œuvre

réalisée par le grand Maître

Le Corbusier. Ville nouvelle construite

entre 1951 et 1965 au sortir de l’Indépendance

et du premier conflit

indo-pakistanais, Chandigarh a de quoi faire rêver

plus d’un étudiant réunionnais. L’ENSAM, École Nationale Supérieure

d’Architecture de Montpellier/La Réunion,

a permis à cinq de ses étudiants accompagnés de Pierre Rosier

le directeur, et de Jane Coulon leur enseignante, de réaliser ce rêve. En échange, cinq étudiants

du CCA - Collège d’Architecture

de Chandigarh - vont poursuivre les échanges

en venant compléter

leur projet sur notre île.

V O Y A G E

É T U D E S

C H A N D I G A R H

34 OCÉAN

INDIEN

TEXTE FRANCINE GEORGE

CROQUIS ET PHOTOGRAPHIE JANE COULON ET SES ÉLÈVES,

FRÉDÉRICK CAUMES, CÉLINE CHANE-SING-GUAN,

NORA DAHBI, MARGAUX HENRI-THIEULENT

ET SANDRINE LEC-KAO

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Page 38: Bat'Carré N°13

36 OCÉAN INDIEN

Le Corbusier,

l’architecte du mouvement moderne

Né en octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds en

Suisse, Le Corbusier fut naturalisé français

en 1930. L’année 2015 fêtera le cinquantenaire

de sa disparition. L’Artiste, dans la mémoire

collective, est connu et réputé comme un des

pères fondateurs de l’architecture moderne.

Mais en fait, Le Corbusier laisse libre cours à

sa créativité généreuse et excelle tout aussi

bien en peinture, sculpture, décoration, fa-

brication de tapis, photographie, gravure,

dessin, littérature, poésie, même si l’archi-

tecture et l’urbanisme constituent le cœur

de sa virtuosité.

« Je suis peintre, fondamentalement, avec

acharnement, puisque je peins tous les jours.

J’ai commence,́ il est vrai, tardivement, à l’âge

de 33 ans, et tout de suite sérieusement. (...)

Le matin a ̀ la peinture, l’après-midi, à l’autre

bout de Paris, architecture et urbanisme.

Mesure-t-on à quel point ces jardinage, la-

bourage, sarclage patients et obstinés des

formes et des couleurs, des rythmes et des

dosages, alimentèrent chaque jour les archi-

tectures et les urbanismes qui naissaient au

35, rue de Sèvres ? Je pense que si l’on accorde

quelque chose à mon œuvre d’architecte,

c’est à ce labeur secret qu’il faut en attribuer

la vertu profonde. »

Le Corbusier à Chandigarh

Suite au conflit indo-pakistanais, après le

retrait de l’armée britannique en 1947, la

province du Penjab de l’Empire britannique,

située au nord-ouest de l’Inde, est scindée en

deux parties ; d’un côté la partie musulmane

revient au Pakistan, tandis que l’autre partie

sikh et hindoue revient à L’Inde. De là, une

nouvelle capitale pour le Penjab s’impose,

l’ancienne capitale Lahore étant restée pa-

kistanaise.

Jawâharlâl Nehrû, premier ministre du gou-

vernement, demande à Le Corbusier « une

cité libérée des traditions du passé, une ville

nouvelle pour l’homme libre, un symbole de

la foi de la nation en l'avenir ». Pays basé

ancestralement sur le principe des castes,

Nehrû souhaitait bâtir des villes résolument

modernes, incarnations de la République

indienne aux yeux du monde.

La réponse humaniste de Le Corbusier est

inscrite dans sa doctrine qu’il travaille

depuis presque 30 ans avec « la ville radieuse » :

« Mon devoir à moi, ma recherche, c'est d'es-

sayer de mettre cet homme d'aujourd'hui

hors du malheur, hors de la catastrophe ;

de le mettre dans le bonheur, dans la joie

quotidienne de l'harmonie. »

Page 39: Bat'Carré N°13

La construction de Chandigarh

Au pied de l’Himalaya, Chandigarh a été conçue

comme « une cité-jardin ». Le Corbusier, sur

la trame de Mayer, a structuré la ville en 60

secteurs, tous équipés des infrastructures de

base et reliés par un système de voies de V1

à V7 hiérarchisé par importance décrois-

sante. À ceci, s’ajoute une arborisation des

rues selon leur taille et leur orientation.

« Chandigarh sera la ville d’arbres, de fleurs

et d’eau, de maisons aussi simples que celles

du temps d’Homère et quelques splendides

édifices du plus haut modernisme où règnera

la règle mathématique… », soulignait Le

Corbusier dans sa démarche conceptuelle.

Pionnier de l’utilisation du béton brut, l’em-

preinte de Le Corbusier dans la ville tient aussi

à l’utilisation de ce matériau de construction

pour ses principaux édifices. « Puissent nos

bétons si rudes révéler que sous eux, nos

sensibilités sont fines. » Le climat tropical

humide avec de fortes amplitudes thermiques

n’a pas toujours été en conformité avec les

ambitions du concepteur, en terme d’isolation

notamment, lorsque le thermomètre signale

un 37 ° à l’ombre durant la saison chaude.

La zone piétonne du Secteur 17 - considéré

comme le coeur commercial - est le sujet

d’étude des étudiants de la CCA et de l’EN-

SAM.

Phare de Chandigarh, le complexe du Capi-

tole surplombant la ville au nord-est est

dédié à l’administration du Penjab et du

Haryana : la Haute Cour, le Secrétariat, le

Palais de l’Assemblée. Et pour parfaire le

tout, La Main Ouverte, sculpture symbole de

Chandigarh.

Page 40: Bat'Carré N°13

LA MAIN OUVERTE

Elle est ouverte puisque

tout est présent disponible

saisissable

Ouverte pour recevoir

Ouverte aussi pour que chacun

y vienne prendre

Les eaux ruissellent

le soleil illumine

les complexités ont tissé

leur trame

les fluides sont partout.

Les outils dans la main

Les caresses de la main

La vie que l'on goûte par

le pétrissement des mains

La vue qui est dans la palpation.

Pleine main j'ai reçu

Pleine main je donne.

Extrait du poème de L’angle droit de Le Corbusier

38 OCÉAN INDIEN

Page 41: Bat'Carré N°13
Page 42: Bat'Carré N°13

Jace,l’artiste tout-terrain

40 RENCONTRE

Page 43: Bat'Carré N°13

PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE & ILLUSTRATION JACE

Il marche d’une allure de géant, le dos légèrement courbé

– l’habitude de se camoufler dans une capuche ? – un pas chassant lourdement l’autre. Mais ce qui le caractérise vraimentc’est l’infinie gentillesse qui émanede son regard, un regard tout sourire, d’une grande finesse.Jace, l’homme invisible, plus par jeu que par nécessité aujourd’hui, la quarantaine sonnante, a toujoursenvie de jouer les diablotins dans la rue. Père du Gouzou depuis maintenant 22 ans, cet artiste réunionnais à la dimension internationale, a dessiné son petitbonhomme ocre dans les endroitsles plus visibles comme les plusinaccessibles. Un tag, une grandefresque, le Gouzou, aujourd’hui uneinstitution, a investi la planète et livre son message, léger, drôle,tendre, absurde, caustique …Très sensible à la rencontre et à l’échange, l’artiste subversif, le roi du détournement, cherche toujours de nouvelles pistes à explorer. Dernièrement, il a marquéd’un geste artistique le tunnel d’entrée dans la capitale de l’outre-mer autant qu’il a peint, avec grandbonheur, les toiles des pêcheursVezo à Madagascar. Derrière l’artiste, se cache un grandprofessionnel au cœur tendre.

Page 44: Bat'Carré N°13

42 RENCONTRE

Qu’est-ce qui vous a amené au graff ?

J’ai utilisé ma première bombe lorsque j’avais dix ans pour

peindre mon vélo d’un beau rouge pailleté. S’il vous plaît !

Au lycée, je lisais beaucoup de comics et puis, en cours de

dessin, je suis tombé sur un livre Subway Art qui retrace le

travail des graffeurs new-yorkais sur le métro et ça a été un

grand choc pour moi, j’étais en admiration devant ces légendes

du Graffiti. J’ai eu un gros ash, je trouvais ça cool, ce côté

underground. C’était l’époque du Hip-Hop, de la culture

skate, j’étais en plein là-dedans. À La Réunion, nous étions

une poignée à peindre sur l’île lorsque j’ai commencé mes

premiers tags en 1989.

Comment est né le Gouzou ?

J’ai d’abord tâtonné. À l’époque, c’était le dogme de la lettre

et je souhaitais réaliser quelque chose de plus personnel,

c’est comme ça qu’est né ce petit personnage coloré en

ocre, sans visage, un peu baba cool. C’était en 1992. Au début,

j’intervenais sur des affiches publicitaires que je détournais

et aussi sur les affiches de minitel rose, il y en avait beaucoup

à l’époque.

Et maintenant le Gouzou est devenu une institution…

Oui, le Gouzou est majeur et vacciné, il a maintenant 22 ans !

À l’origine, le Gouzou était simplement une bouffée d’oxygène,

je me destinais à faire de la déco, des choses plus sérieuses

et je m’éclatais à dessiner, en parallèle, des Gouzous dans

la rue. Et puis, le public a répondu favorablement. Ça s’est

enchaîné naturellement, les gens se sont intéressés à moi,

j’ai travaillé sur différents supports, j’expose en galerie, mais

je continue à peindre dans la rue. C’est important pour moi

de me dire que je me lève le matin, j’ai quelque chose à dire,

quelque chose à partager, je ne suis pas le énième mouton

qui traîne ses pieds pour aller bosser.

Pourquoi le Gouzou sans visage ?

Cela permet tout simplement à chacun de

s’identier, d’imaginer ce qui lui passe par

la tête en voyant mon petit personnage,

c’est une façon aussi de lui donner plus de

force dans certaines situations.

Que raconte le Gouzou ?

Je ne délivre pas forcément des messages

avec le Gouzou, je m’insurge bien évidem-

ment contre ce monde capitaliste, contre

le monde boursier, ce pouvoir nancier

qui nous domine, contre la consommation

à outrance. Mon personnage est dans la

dérision, mais aussi dans l’auto-dérision,

je dénonce également ma propre bêtise !

Vous avez des formes d’expression

assez caustiques parfois…

Oui, j’essaye d’exprimer mon engagement

avec humour, c’est parfois incisif. Mais,

parfois, il y a des choses plus poétiques.

Une fois, j’avais détourné une affiche

publicitaire pendant une campagne élec-

torale, et je l’ai vue, par la suite, placardée

dans le bureau d’un élu !

Comment ça se passe, vous faites

du repérage avec une idée en tête ou

vous improvisez sur place ?

Il n’y a pas de processus déni. Je tombe

sur un spot qui m’inspire et je crée de

toutes pièces ou je feuillette mon carnet

de dessins, et je trouve quelque chose qui

me plaît. Parfois, je repère un spot et je

me dis, il n’y a qu’à cet endroit-là que je

peux exprimer cette idée. Donc, ça dépend…

Page 45: Bat'Carré N°13

Le temps de créer un Gouzou…

Une peinture de jour peut durer cinq minutes à plusieurs

heures. Mais, en général, je ne m’éternise pas sur les lieux

du crime. Il m’est arrivé de peindre un mur pendant 7 heures,

la nuit, sans lumière et d’autres fois trois murs d’affilée.

Les risques du métier…

Pendant de nombreuses années, j’ai joué avec le feu. Je me

suis fait arrêter moult fois, j’ai eu des amendes, des menaces

de plaintes. La pire expérience, c’est à New York. C’était en

1999. Quand je suis parti là-bas, j’étais comme fou. C’était

comme si je partais en pèlerinage, je me rendais à la Mecque

du Graffiti ! J’étais avec des potes du côté de Broadway. Alors

là, tolérance zéro ! On avait à peine sorti nos bombes – qui,

entre nous soit dit, avaient déjà été retenues à l’aéroport

pendant 24 heures dans nos sacs alors que ça se passait bien

avant le 11 septembre – que les ics sont arrivés. Ils m’ont

embarqué, menotté et je suis resté en garde à vue pendant

trente heures. Je n’en menais pas large. J’avais un avocat

commis d’office. Il a cherché le propriétaire du mur – pourri

– et il ne le trouvait pas. Puis, ils m’ont enn relâché en me

disant que je n’étais pas le bienvenu aux USA ! J’avais la

boule au ventre, mais j’y suis retourné pour exorciser ma

peur.

Les risques physiques…

J’ai un affreux vertige, mais ça ne m’empêche pas d’aller

graffer une falaise la nuit, accroché à un arbre, ou à un rocher,

parfois dans des postures vertigineuses.

Vous avez réalisé le pilier témoin du pont Saint-Étienne,

le tunnel du Barachois…

C’était vraiment du sport. Pour le pilier, ça n’a pas été facile.

Pour le tunnel, c’était encore pire, je me suis greffé sur les

travaux pendant trois nuits. Il n’y avait pas de nacelle, c’était

vraiment acrobatique !

Depuis le 11 septembre, la réglementation est devenue

drastique pour les aérosols…

Oui, nous n’avons plus le droit de voyager avec nos bombes

aérosols. C’est toute une organisation, il faut les commander

dans le pays où l’on va, parfois j’ai des contacts, ça s’arrange

bien, ce n’est pas toujours facile, je m’adapte !

La chasse aux Gouzous…

Ce n’est pas un travail en solitaire, les gens

réagissent à ce que je fais, il y a une vraie

interaction avec le public. Quand je voyage,

je m’amuse avec les clichés locaux, c’est

souvent efficace. Parfois, je peux faire peur,

avec mon grand chapeau, mes lunettes et

mon masque, parfois les gens rigolent,

parfois j’ai quelques surprises…

Par exemple…

Au Havre, j’avais trouvé sur la plage un

vieux tuyau percé, et je me suis dit, tiens

ça fera bien la trompe de l’éléphant, je

sors mes bombes et en un temps, trois

mouvements, je fais mon dessin. Dans

mon dos, j’ai entendu une maman dire à

son ls : « Viens voir, il y a un crocodile,

là. » … Je me suis dit, oups, il est temps que

je m’en aille !

Vous parlez d’interaction avec le public,

quel exemple vous a marqué…

J’étais pion dans un collège pendant mes

études et j’avais sympathisé avec un jeune.

Il m’a demandé de faire le logo et un mur

d’une Poussada, une sorte d’auberge au

Brésil. J’étais donc avec lui dans les quar-

tiers chauds de Fortaleza, et on s’est fait

une virée de nuit. Je ne parlais pas un mot

de portugais, ni de brésilien. Je l’ai donc

suivi avec ses potes, on a commencé à

peindre ensemble, à gauche, à droite, et

puis je me suis mis à peindre un gamin

avec des ingues, et je me suis retourné

pour lui demander comment ça se disait

en brésilien, et là, j’avais en face de moi la

maman avec plein de gamins autour qui me

regardaient et il y en avait un qui portait

un ingue !

Page 46: Bat'Carré N°13

44 RENCONTRE

Lorsqu’un Gouzou disparaît…

Oui, c’est un art éphémère, je le sais bien. Même si les pein-

tures à la bombe sont tenaces, il y a des couleurs qui passent

plus vite avec les UV, comme le rose, le violet, le rouge. On

peint souvent sur des endroits qui sont destinés à être détruits

aussi. L’œuvre achevée, j’ai appris à m’en détacher. En 25

ans de pratique et avec plusieurs milliers de graffs à mon

actif, il ne doit en subsister que 10 %, au mieux !

Récemment, à Saint-Pierre, l’équipe de nettoyage

de la CIVIS a repeint une de vos fresques murales alors

que par ailleurs, elle vous a commandé le relooking

de ses bus…

J’étais évidemment un peu déçu, d’autant qu’il y avait des

murs bien plus crasseux à nettoyer et, ce qui m’a étonné,

c’est que nous avions reçu l’autorisation de peindre. Après,

l’humain est une erreur… Euh… Pardon, l’erreur est humaine.

Mais, toute blague mise à part, c’est surtout dommageable

pour les étudiants qui se sont investis dans le projet et pour

les marmailles malentendants qui l’ont réalisée, ils étaient

tellement contents de leur après-midi. Maintenant, il ne

faut pas en faire une affaire d’État, c’était une erreur.

Vous avez souvent affaire à ce genre d’erreur…

Ça m’est déjà arrivé justement sur Saint-Pierre pour le seul

mur pour lequel j’avais reçu une autorisation, c’est à se

demander ! Bon, en contre-exemple, je peux dire que la

Communauté d’agglomération m’a demandé s’ils pouvaient

effacer une de mes interventions, car la surface initiale était

pourrie et ils m’en ont ensuite commandée une autre.

Vous gardez une trace de vos dessins….

J’archive tous mes dessins dans des car-

nets. Mes créations sont protégées.

À ce sujet, vous avez intenté un procès

à une marque chinoise…

Oui, ce n’était pas évident du tout. C’était

en 2007, un fabricant de textile chinois

avait plagié mon Gouzou sur une chemise.

C’est pas facile de gagner un procès avec

eux, parce qu’ils ont des moyens colossaux,

c’était vraiment David contre Goliath et ils

partent du principe qu’ils nous font l’hon-

neur de nous copier. Mais j’ai tenu bon,

et ça a fait jurisprudence.

Les Gouzous font partie du paysage

réunionnais, ils ont parcouru le monde,

mais c’est à partir du Havre que tout

a décollé…

Oui, j’ai commencé en Métropole dès 93,

lorsque je suis parti au Havre, ma ville

natale, pour nir mes études de Bio.

C’est une ville portuaire et industrielle,

reconstruite après-guerre en béton gris,

un bon terrain de jeu ! En 1996, j’ai fait

ma première expo collective, Biograffiti.

De là, je suis parti en Europe, en Angleterre,

en Italie, en République Tchèque, en Al-

lemagne, dans le quartier rouge d’Amster-

dam, où j’ai eu un peu chaud aux fesses,

les mecs n’aiment pas trop que l’on inter-

vienne sur leur mur, ça devient un repère

trop visible. Puis, New York, le Brésil, la

Chine, l’Inde, la Thaïlande, l’Afrique du

Sud… Peindre dans la rue est propice à la

rencontre et ça m’a aussi donné la possi-

bilité d’échanger avec les artistes du pays,

ce qui est toujours une belle expérience.

Page 47: Bat'Carré N°13

Vous avez investi les rues, mais vous avez fait pas mal

d’expositions…

Oui, j’ai fait plusieurs expos à Paris, en Métropole, à Londres,

Budapest, Bombay, Bangkok, Capetown, Johannesburg….

L’expo collective de Bombay était intéressante. Nous étions

plusieurs artistes réunionnais à partir en Inde, Pondichéry

puis Bombay. C’était dingue parce que tout ce qui est du

domaine public est soumis à une autorisation préalable

encore plus stricte qu’ailleurs. À Bombay, je me suis évadé

du groupe et je suis parti tout seul, de mon côté. Et pendant

15 jours, je me suis perdu dans les rues de Bombay à taguer

dès qu’un endroit me plaisait. C’est une grande mégapole,

il y avait du monde partout. Je me sentais mal à l’aise. Les

gens s’agglutinaient autour de moi, c’était assez intrusif,

j’aime bien avoir mon espace, mais d’un autre côté, c’était

super, ça avait un goût de reviens-y. Le style Bollywood, plein

de couleurs, m’a inspiré pendant plusieurs mois.

Vous êtes exposé à la galerie MathGoth à Paris…

Oui, c’est en plein quartier chinois. J’avais auparavant fait

une expo dans leur lo une année, ça avait bien marché, on

a sympathisé et puis voilà ! Il y a la galerie Hamon au Havre

où je suis en expo permanente aussi.

L’endroit, à l’étranger, où vous vous êtes senti le plus

à l’aise ?

En Thaïlande, les gens sont tellement gentils, toujours prêts

à rendre service, ils regardent en silence, ça changeait de la

cohue de Bombay. Et bien sûr, à Madagascar, c’est un endroit

fétiche pour moi, c’est ce qui me tient le plus à cœur.

Quelle est l’expérience qui vous a le plus marqué ?

À New York, j’ai fait une résidence d’artistes dans le quartier

de Manhattan pendant deux mois sur un immeuble à

l’abandon. Nous étions plusieurs artistes à l’intérieur et à

l’extérieur. C’est ce qui est chouette dans le Graff, on met

son ego de côté et on peut réaliser une œuvre à plusieurs

artistes en l’espace de quelques heures.

D’autres prestations, un peu atypiques….

Oui, à Pantin, sur le canal de l’Ourq, j’ai

réalisé une énorme fresque de 20 mètres

de haut. Et puis, un clin d’oeil, j’ai fait un

tag sur un mur qui a servi de décor au lm

Régis Wargnier Pars vite et reviens tard

avec José Garcia.

Comment vous percevez les ateliers

en prison…

Je reviens d’un atelier de graff à Mayotte

et ça m’a beaucoup marqué. La prison, c’est

un lieu hermétique, ce n’est pas l’espace de

la rue. Ça me donne des frissons à chaque

fois que je passe la porte, j’ai grandi dans

l’univers du Graffiti et ça me pend au nez

à chaque fois. Je me dis tiens, si je me fais

arrêter dans un pays étranger, voilà ce qui

va m’arriver.

D’ailleurs, c’est ce qui m’est arrivé à New

York. J’ai déjà fait plusieurs ateliers, au

Port, à la prison de Domenjod, au Havre,

à Madagascar… et à chaque fois, c’est vrai-

ment un grand moment. C’est une paren-

thèse d’un côté comme de l’autre. Pour

les prisonniers, c’est comme une touche

d’espoir, une façon de se projeter dans

l’avenir, et pour moi, j’apprends beaucoup

d’eux, de leurs conditions de vie. C’est une

vraie rencontre.

Page 48: Bat'Carré N°13

46 RENCONTRE

Vous ne vous exprimez pas seulement sur un mur,

un bout de tôle ou une falaise, mais aussi sur les voiles

des pirogues de pêcheurs…

Oui, le délire ! La première fois, en 2003, nous étions cinq,

quelqu’un lmait aussi. Ça avait mal commencé, nous nous

sommes fait prendre nos bombes de peintures à l’aéroport.

Les pêcheurs, des personnes vraiment adorables, nous

ont préparé des décoctions de plantes, du goudron fondu…

pour que nous puissions retrouver les couleurs que l’on

nous avait consquées.

Madagascar, pour moi, c’est toujours un grand événement.

Au moment où toutes les voiles ont été mises à l’eau, c’était

magique, comme un rêve de gamin !

C’est à Madagascar où je ressens le plus de choses. Il n’y a

pas d’eau, pas d’électricité, c’est un voyage dans le temps.

On a l’impression d’être un saltimbanque, là-bas.

J’y suis reparti en 2009 avec d’autres artistes en partenariat

avec le Leu Tempo festival. On a monté un projet. On leur

offrait des voiles toutes neuves et on prenait leurs vieilles

voiles pour faire une expo ici.

En 2013, j’ai invité huit artistes, on a monté des partenariats

avec Air Madagascar et Mauvilac sur le même principe, on

leur a donné quarante voiles neuves, les huit artistes, des

graffeurs italiens, espagnols, métropolitains, réunionnais,

chacun avec sa propre écriture... nous sommes partis trois

semaines là-bas, c’était un festival !

On va faire un DVD et sortir un livre.

Vos sources d’inspiration aujourd’hui ?

Au départ, ça a été bien sûr la BD, Hergé en particulier, puis

la mouvance graffiti new-yorkaise et parisienne des années

70-80. Keith Haring, notamment, et maintenant, c’est plus

le quotidien, ce qui m’entoure, ce qui me fait réagir.

Et au niveau musique, toujours attaché

au Hip-Hop ?

Non, ça varie tous les jours, j’aime beau-

coup les artistes réunionnais, autant que

la musique punk, la musique indienne,

le reggae…

Vous avez publié quelques ouvrages

sur les Gouzous à travers le monde,

mais aussi les ches d’électrocution

scolaires qui ne sont pas à mettre entre

toutes les mains …

Je suis un autodidacte, mais mon univers

reste le dessin. Je continue à explorer plein

de pistes. Là, il s’agit de ches scolaires

très moralisatrices qui datent de quarante

ans et je me suis fait un plaisir de les

détourner.

Votre avenir immédiat…

Des projets dont je ne peux pas encore

parler et d’autres qui se précisent, un

atelier avec des jeunes à Diego Suarez, un

atelier en prison à Mada aussi, un projet

pour le carnaval en Colombie…

Vos lieux d’évasion

Je vis au Tampon, en pleine nature et quand

je pars, j’ai envie de voir du monde, que

ça grouille, qu’il y ait le plus de spots pos-

sibles, pour moi la ville, c’est l’exotisme !

Votre rêve

J’ai un projet de lm d’animation et j’aime-

rais bien faire un lm comme Kusturica,

c’est un fou, c’est absurde… et ça me plaît !

Depuis le début, la vie m’a réservé de belles

surprises, alors, je me laisse porter.

Le mot de la n…

Tant que ma main droite fonctionne en

adéquation avec mon cerveau, je continue-

rai à égayer le quotidien des gens, n’en

déplaise à certains….

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Page 50: Bat'Carré N°13

Gouzou de par le mondeSur un tuyau percé, un mur délabré, une épave,du pôle Nord au pôle Sud,dans la neige, le désert, au cœur des villes,sur les toiles des pirogues des pêcheurs Veso à Madagascar,le Monde ♥ Jace.

OEUVRES DE JACE

48 HORIZON

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Page 52: Bat'Carré N°13

à l’est de madagascar

La côte Est

Afrique du Sud

Mozambique

Tanzanie

Page 53: Bat'Carré N°13

TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL

AU CENTRE DE L’ÉDEN,

IL Y A LE CANAL

DES PANGALANES

SITUÉ SUR LA CÔTE EST

DE MADAGASCAR.

LE CHAPELET D’ÎLES,

DONT L’ÎLE SAINTE-MARIE

ET L’ÎLE AUX FORBANS,

LUI FONT ÉCHO JUSTE

EN FACE DE TAMATAVE,

PREMIER PORT

DE MADAGASCAR.

UN VOYAGE DANS LE TEMPS

ET DANS L’ESPACE

À NUL AUTRE PAREIL.

51 VOYAGE-VOYAGE

Page 54: Bat'Carré N°13

52 VOYAGE-VOYAGE

Tamatave, le port d’attache

L’océan est ainsi du côté de Tamatave, fou-

gueux dès les premières lueurs du jour. D’un

bleu de nacre, il déverse sans relâche ses

rouleaux, laissant une brume rafraîchissante

sur le rivage d’où l’on peut observer le va-et-

vient des pêcheurs qui poussent leurs barques

ou tirent leur filet, le soir venu. Il est toute-

fois déconseillé de s’y baigner, mieux vaut

partir plus au nord, pour profiter du lagon de

Foulpointe. Toamasina – Tamatave – pays des

Betsimisaraka – en traduction littérale, les

nombreux qui ne séparent pas – est située à

360 km de Tana, sur la côte est de Madagas-

car face à l’Océan Indien. Le plus grand port

de l’île rouge, construit en eaux profondes en

1929, après que le cyclone de 1927 ait détruit

la ville, fournit 35 % des emplois directs. Port

pétrolier, une grande raffinerie longe la zone

portuaire laissant au paysage ses masques

ingrats d’activités industrielles…

Point d’arrivée des denrées importées à

Madagascar, c’est aussi le point de départ

des denrées exportées, café, vanille, poivre,

girofle… La ville sent bon les épices, surtout

au marché où elles sont vendues en petits

sachets. On peut y déguster, paraît-il, les

meilleures soupes chinoises de tout l’océan

Indien. Il est très agréable de flâner dans

Tamatave, ville plate, quadrillage du centre

facilitant le repérage, pousse-pousse à bras

ou à vélo, dès qu’un brin de fatigue se fait

sentir, grandes allées bordées de banians, à

l’ombre desquels une pause contemplative

n’est pas inutile. De nombreuses excursions

s’effectuent à partir de Tamatave. Tout près,

sur l’île aux prunes, le plus grand phare de

l’Afrique s’érige à 60 mètres de hauteur. Aux

alentours, réserves naturelles et parcs zoo-

logiques permettent de découvrir la beauté

sans pareil de la forêt tropicale où se logent

caméléons et lémuriens qu’il est toujours plai-

sant de croiser sur son chemin. Tamatave,

c’est aussi le point de départ d’un fabuleux

voyage sur le canal des Pangalanes et vers

l’île Sainte-Marie….

Office Régional de tourisme de Tamatave

Maison de l’Information - 83, Boulevard Joffre

Toamasina 501 - MADAGASCAR

Tel : +261 (0)20 53 349 06

GSM : +261 (0)34 45 450 85

[email protected] ou [email protected]

www.tamatave-tourisme.com

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Page 56: Bat'Carré N°13

54 VOYAGE-VOYAGE

Sainte-Marie, l’île aux forbans

Très longiligne, l’île Sainte-Marie s’étire sur

presque 50 km de long et ne mesure que 5

km de large. Île principale d’un archipel de

petites îles, le paysage est très diversifié du

nord au sud. Lagon et eau turquoise au sud,

mangrove à l’est, forêt tropicale au centre,

piscines naturelles au nord, station balnéaire

à l’ouest, et partout, la gentillesse des habitants,

le calme et le charme d’antan retrouvés.

Le chef-lieu Ambodifotatra est un village qui

recèle quelques trésors historiques, le Phare

des Sorciers, le square Albrand, la fontaine

de Saint-Ignace, le vieux port du petit bara-

chois, l’ancienne citadelle de la Compagnie

des Indes, et la toute première église catholique

de Madagascar. Observatoire des baleines à

bosse de juin à septembre, l’île Sainte-Marie

bénéficie d’un climat tropical clément.

Située aux confins de deux grandes routes

commerciales, celle de la Mer rouge et celle

de la route des Indes, elle fut, au XVII e et au

XVIII e siècle, un refuge pour les pirates. De

grands noms de la piraterie y sont évoqués,

John Avery, William Kidd, la Buse… et dans

la baie des Forbans, plusieurs vaisseaux y

ont échoué. Un projet de recherches archéo-

logiques maritimes est lancé… la chasse au

trésor est ouverte !

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56 VOYAGE-VOYAGE

Le canal des Pangalanes

où coule la vie douce

Entre lacs et lagunes, le canal des Panga-

lanes démarre à Tamatave pour s’éteindre

700 kilomètres plus bas à Farafangana en

longeant l’océan. Les jours s’écoulent souriants

et paisibles sur le canal des Pangalanes. Les

habitants des rives puisent dans la forêt les

ressources de la terre, et sur le fleuve, pêchent

encore à la nasse. Des boutres glissant sur

l’eau, on aperçoit quelques constructions

éparses sur pilotis et des enfants qui courent

en riant et puis viennent sauter dans l’eau

pour se rafraîchir.

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58 VOYAGE-VOYAGE

Parfois, on peut croiser des embarcations

précaires faites de bois évidés qu’un pêcheur

dirige à la pagaie. Le soir, les berges s’animent,

toilette, vaisselle, brossage des dents, cha-

cun vaque à ses occupations avant la veillée

nocturne. Une grande parenthèse pour res-

pirer l’air de la vie !

L’histoire du canal des Pangalanes remonte

au temps de la colonisation française. Le gé-

néral Gallieni ordonna en 1896 la construc-

tion du canal pour faciliter les transports de

marchandises qui échouaient souvent sur

les bancs de sable et qu’il fallait transborder

d’une rive à l’autre de ce maillage inextricable

de lacs, de lagunes et de cours d’eau. L’objectif

de Gallieni étant de prendre possession des

lieux afin de pouvoir exercer un meilleur

contrôle sur sa région administrative. Cette

nouvelle voie fluviale a été inaugurée en 1901.

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60 AKOUT

DJ DANS L’AIR DU TEMPS

Jérôme Pacman se découvre très tôt une passion pour la musique. Nous sommes dans les années 80, la

culture hip-hop émerge et Jérôme adhère au mouvement en devenant « break dancer ». Quelques années

plus tard, c’est en passant des vacances à Ibiza qu’il a une nouvelle révélation : la House Music. Le

Summer Of Love et l’avènement de l’Acid House sont des évènements marquants qui lui donneront

envie de passer derrière les platines. Sa carrière est lancée. En plus de jouer dans les clubs les plus

renommés tel que le Rex Club, Jérôme participe aux phénomènes des raves parties à Berlin pour Mayday

et à Londres pour le Club Uk.

Jerome

PORTRAIT

ET PROPOS RECUEILLIS PAR

GUILLAUME PEROUX

Pacman

Page 63: Bat'Carré N°13

En 1995, il sort « Mouvement Perpétuel » référencé parmi les 50 meilleurs titres de l’année par le

magazine Muzik. Il devient aussi résident du collectif Magic Garden. Ce dernier donne naissance aux

fameuses compilations « Jérôme Pacman’s House Café ». Quelques années plus tard, la sortie d’un autre

mix « Jérôme Pacman’s Family » lui vaut d’être encensé par la presse (notamment par Dj Mag). En 2004,

Jérôme sort le maxi « Hot Flashes » puis signe un remix de « Let Me Ask You » de Shonky, le tout sur

le label Freak n’Chic. Depuis le début, Jérôme Pacman n’a jamais perdu son identité musicale. Cette

intégrité lui a permis de rester l’un des DJ’s français les plus respectés.

Page 64: Bat'Carré N°13

62 AKOUT

EN TANT QUE PILIER DE LA SCÈNE ÉLECTRONIQUE PARISIENNE,

PEUX-TU NOUS RACONTER CE QU’ÉTAIT L’AMBIANCE DES DÉBUTS ?

Ce qui était différent de maintenant, c’est que tout le monde vivait la même chose au même moment. Il

n’y avait pas d’antécédents. C’était « la première fois » pour tous. Il y avait beaucoup d’innocence et en

même temps on sentait qu’on était en train de vivre un truc unique, presque révolutionnaire. De ce fait,

c’était une ambiance de communion.

De plus, il n’y avait pas internet ni de médias, les soirées étaient « secrètes », parfois illégales, et pouvaient

attirer des milliers de personnes dans des endroits insolites qui changeaient d’un week-end à l’autre.

C’était la course à l’information pour savoir où cela se passait. Ça pouvait parfois ressembler à un jeu

de pistes pour y aller. Tout cela donnait une part de mystère et de magie aux soirées.

QU’EST-CE QUI A PRINCIPALEMENT CHANGÉ AUJOURD’HUI PAR RAPPORT

AU DÉMARRAGE DU MOUVEMENT ?

Depuis l’avènement des Da Punk, particulièrement à la sortie de leur premier album Homework en

1997, tout s’est professionnalisé. Environ 2 millions d’albums vendus, ça a fait changer la vision que

beaucoup avaient ou n’avaient pas de cette musique. Les médias ont beaucoup contribué à ça. Nous

étions revenus et acceptés dans la société.

Aujourd’hui, avec internet, il est beaucoup plus facile de savoir ce qu’il se passe, mais aussi de se faire

une oreille musicale, car on a accès à tout très rapidement. Du coup, la scène électronique est devenue

beaucoup plus mûre. Il y a énormément d’artistes intéressants. Le fait qu’il n’y ait plus besoin d’investir

une année de salaire dans du matos et pouvoir tout faire avec un ordinateur a libéré des talents, mais

également des conneries. 90% des productions actuelles sont faites sur un ordinateur sans une âme

derrière qui pilote.

TU N’ES PAS SEULEMENT DJ, TU PRODUIS AUSSI DES TITRES, DES REMIX

ET DÉJÀ QUELQUES CD MIX. QUELS SONT TES GUIDES ET INFLUENCES ARTISTIQUES ?

Je n’ai pas vraiment d’artistes de prédilection, c’est une vision globale. Ce que je peux dire c’est que j’ai

un background qui vient de l’électro et du hip-hop (la 1ère vague des années 80), du Funk, de la Soul,

une partie de la New Wave, de ce qu’on appelait l’Acid Rock dans les années 70, et aussi un peu de Pop

et de chanson française (lol).

Je suis évidemment aussi inspiré par tout ce que j’ai connu depuis mes débuts jusqu’à aujourd’hui en

House et Techno. Les productions de Chicago, New York, Detroit, de la n des années 80 à aujourd’hui.

L’ambient, la bleep et la progressive house londonienne des années 90. La minimale/micro et les

productions actuelles qui viennent de l’est de l’Europe notamment (Russie, Roumanie, Ukraine).

Page 65: Bat'Carré N°13

DEPUIS TON PREMIER SAMPLER « AKAI 950 », TON HOME STUDIO

A DÛ BIEN ÉVOLUER, TU PEUX NOUS DÉCRIRE TON UNIVERS DE CRÉATION ?

J’ai un studio composé de « hardware » et de « software ». Je ne suis pas un tout analogique ou tout

numérique. J’utilise des machines des marques Elektron, Moog, Korg, ou Waldorf.

Côté programme, je travaille essentiellement sur Logic ou Live. Les deux ont leurs atouts et leurs défauts.

Ça dépend des créations. Le « workow », c’est-à-dire la manière de travailler, sera différente en fonction

du programme utilisé.

D’une manière générale, j’utilise le hardware pour le rendu organique et les softwares pour l’éla-

boration sonore. Je bosse quelques jours sur un morceau puis je le laisse en quarantaine une semaine

ou deux. Pendant ce temps je travaille à autre chose, j’expérimente ou je commence un nouveau truc,

puis je reviens sur mon morceau. Ça me permet d’avoir du recul et de voir plus clairement ce qui va

ou ne va pas, faire le ménage, continuer, terminer ou abandonner.

QU’EST-CE QUI FAIT QU’UN DJ SORTE DU LOT ET DEVIENNE UNE « RÉFÉRENCE » ?

ET QUELLES SONT LES QUALITÉS QUI TE FONT DURER DANS CE MÉTIER ?

Aujourd’hui c’est difficile à dire. Beaucoup d’organisateurs privilégient les « bancables » comme on dit

ou bien des DJ sans talent qui ne leur coûtent pas un rond. C’est difficile de se faire une place.

Je crois qu’il faut être authentique, trouver sa propre originalité, rester dèle, chercher à s’approfondir

et savoir évoluer. Ça ne veut pas dire que l’on ne doit pas être inspiré par d’autres, au contraire, mais

plutôt ne pas faire comme les autres.

Pour durer, il faut savoir se remettre en cause, c’est à mon avis essentiel. Ceux qui passent comme des

étoiles lantes sont souvent des DJ qui sont restés sur des positions et qui n’ont pas su évoluer. Ça peut

être aussi des personnes qui sont arrivées au bout de leurs limites tout simplement.

PARMI TOUS LES ÉVÉNEMENTS FRANÇAIS OU INTERNATIONAUX

QUE TU AS FRÉQUENTÉS, LESQUELS T’ONT GRAVÉ LE PLUS DE SOUVENIRS ?

Encore une fois, difficile à dire. Bien souvent j’ai de très bons souvenirs de soirées que ce soit avec 200

personnes ou 10 000 personnes. Alors, pour répondre, je vais dire que ce qui m’a le plus marqué ont été

les soirées Mozinor à Paris à mes débuts ainsi que certaines « raves parties ». Des soirées en Italie dans

les années 90 notamment à Rimini, je pense particulièrement à Exogroove, avec toute cette foule

excentrique qui ne demandait qu’à rêver, puis beaucoup de soirées en Angleterre dans les années 2000,

bien souvent à Londres comme à The End. Et enn des soirées qui se passent à Paris aujourd’hui, comme

Katapult ou Concrete par exemple.

Page 66: Bat'Carré N°13

64 AKOUT

CES GRANDES SCÈNES À TRAVERS LE MONDE ONT ÉTÉ L’OCCASION DE MULTIPLES

COLLABORATIONS AVEC DE GRANDS NOMS DU DJING, QUELLES RENCONTRES

RESTENT LES PLUS MARQUANTES ?

Si on parle international, les noms qui me viennent en tête maintenant sont Juan Atkins, Francesco

Farfa, Kenny Hawkes, Blake Baxter, Raresh ou encore Sven Vath.

TU ES DÉJÀ VENU À LA RÉUNION, PEUX-TU NOUS DIRE L’IDÉE QUE TU T’EN FAIS ?

La dernière fois que je suis venu, j’ai vécu Dina… Quel flippe ! Mais ça ne m’empêche pas de beaucoup

aimer cette île, son climat, son soleil et ses magniques couchers de soleil, ses massifs et ses cascades,

les ti-punchs et rhums arrangés, rougails et massalés… Et bien sûr la mer, ses lagons et récifs

coralliens. Maintenant si tu me parles des soirées, j’ai un très bon souvenir d’une organisée par Gaetan

(l’année de Dina), c’était plein de monde avec une très bonne ambiance dans un endroit improbable.

NOUS AVONS DE NOUVEAU LE PLAISIR DE TE RECEVOIR DANS NOTRE ÎLE POUR UNE

SÉRIE DE DATES. C’EST À LA FOIS DU TRAVAIL, MAIS AUSSI UN PEU DES VACANCES ?

J’ai la chance de vivre de ma passion donc je ne trouve pas que ce soit un travail à proprement parler bien

que cela demande beaucoup d’investissements physiques et mentaux. Alors on va dire des vacances, du

kiff et du plaisir ! J’ai hâte.

ENFIN, POURRAIS-TU NOUS DONNER TA DÉFINITION DE LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE ?

ET COMMENT LA VOIS-TU ÉVOLUER DANS LES ANNÉES À VENIR ?

C’est pour moi une musique universelle qui délivre des messages personnels. Au-delà de son aspect

dynamique qui fait danser, il y a un tas de textures sonores qui massent les neurones et des lignes qui

racontent des choses. Elle permet de voyager dans des univers colorés d’émotions. Quant à son évolution,

je n’en ai aucune idée et je ne préfère pas savoir.

Time will tell !

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66 CINÉMA

Regards croiséssur le premier Festival du Film Réunionnais…

Page 69: Bat'Carré N°13

TEXTE DOMINIQUE LOUIS

PHOTOGRAPHIE DROITS RÉSERVÉS TÉLÉ KRÉOL

Tout part d'une conversation.

Renan Chiraux, professionnel

du cinéma, qui partage son temps

entre la Réunion et l'Hexagone,

s’étonne auprès de Thierry Araye,

directeur de Télé Kreol, qu'il y ait

si peu de talents locaux alors que

son média offre un formidable

espace de diffusion audiovisuelle.

Pour Thierry Araye, au contraire,

l'île a un formidable potentiel qui

manque de médiateur pour aller

de l'idée jusqu'au film réalisé.

Il n'en faut pas plus pour que

germe l'idée du Festival du Film

Réunionnais. Un pari difficile basé

sur une organisation inédite de

sélection de 85 œuvres, tous genres

confondus, par les internautes

sur le site de Télé Kréol.

Loin d’être anecdotique, cette

pré-sélection va déclencher un

véritable engouement du public.

Début novembre, au Cinépalmes

de Sainte-Marie, les dix membres

du jury (réalisateur, scénariste,

graphiste, institutionnel…) ont,

pendant trois jours, départagé

les concurrents de la pré-sélection

faite par le public. Tous les soirs,

le public était invité à visualiser

toutes les œuvres.

Progressivement, les fauteuils

se sont remplis jusqu’à faire salle

comble à la soirée de clôture.

Regards croisés

Page 70: Bat'Carré N°13

Pourquoi ce Festival du Film Réunionnais ?

R.C. Il existe une production de clips pléthoriques dans l'île et nous voulions savoir si des

réalisateurs réunionnais étaient prêts à jouer le jeu et à tenter l'aventure de la fiction si l'on

lançait un festival pour récompenser la variété des métiers de ce secteur.

L'idée part donc de la musique ?

R.C. Il y a 10 ans, lorsque l'on voulait s'exprimer par le film, c'était extrêmement compliqué.

Aujourd'hui, avec le numérique, les choses ont considérablement changé et on voulait savoir

si ce potentiel était exploité.

T.A. Notre ambition, à Télé Kréol, c'est d'encourager et de donner une meilleure place aux

producteurs et réalisateurs de La Réunion. L'idée d'un festival, c'était d'encourager ces « gars

la kour » et leur permettre de s'exprimer.

Pari audacieux que de mixer le clip, la fiction, le documentaire, vous n’avez pas

la crainte que l'on qualifie votre festival d'un peu fourre-tout ?

R.C.Cela peut être considéré comme un peu fourre-tout ou comme de l’audace ou cela peut

paraître original puisque l'on a décidé de récompenser un meilleur réalisateur, toutes caté-

gories confondues, parce que le Festival du Film Réunionnais est avant tout un festival

« métier ». On a voulu, grâce à ce festival, pousser les gens à s'exprimer un peu plus librement

sur le sujet de la Réunion. Et cela, dans tous les formats, et on espère, peu à peu, passer à

d'autres formes d'expressions audiovisuelles, davantage de fiction.

T.A. Le festival ne se limite pas aux trois jours où il se déroule. Tout au long de l’année, nous

allons consacrer des émissions spéciales sur Télé Kréol au cours desquelles seront diffusées

les oeuvres primées, mais aussi nous avons le projet de les présenter dans l’Hexagone. Une

manière de maintenir en jambes les futurs participants à notre manifestation qui va

s'inscrire dans la durée.

68 CINÉMA

ENTRETIEN AVEC THIERRY ARAYE & RENAN CHIRAUX

Palmarès du festival du film de La Réunion

• Meilleur réalisateur : Erika Etangsalé avec Seuls les poissons morts suivent le courant

• Meilleur scénariste : Yann Gorriz avec Glyn

• Meilleur acteur : Beryl Coutat avec Speedating

• Meilleurs graphistes : Jeremy Sam-Long, Julien Boyer, Dany Turpin, Nicolas Mathieu

• et Nicolas Vidot avec A drop too much

• Meilleur espoir réalisateur : Tibo Koch avec Bizness

• Meilleur espoir scénariste : Paul Tarroux avec R-I-P

• Meilleur espoir acteur : Anthony et Arthur avec "La Réunion"

• Meilleur espoir graphiste : Sébastien Hubaut avec Little Horrible Planet

• Prix du public : Stéphane Bertaud avec Tiburce – Le Macatia

• Prix spécial du Jury : Yann Gorriz avec Glyn

Page 71: Bat'Carré N°13

Seuls les poissons morts suivent le courant, …

Son parcours personnel l'a conduite aux Beaux-Arts de Dijon et à l'I.L.O.I., l'institut de l'image

de l'océan Indien. Pour le reste, tout ce qu'elle a envie d'exprimer est contenu dans son film.

Un film où Erika Étangsalé a souhaité mettre en lumière (et en ombre également) le destin

de ces Réunionnais qui, un jour, ont choisi, pour trouver du travail, de partir vers la métro-

pole via le BUMIDOM, Bureau pour le développement des migrations dans les départements

d'outre-mer. Un choix qui, pour certains, rimera avec départ définitif, déracinement, exil.

Ce volet de notre histoire lui a d'ailleurs donné accès à l'histoire de son propre père, parti

via le BUMIDOM. L'intérêt d'Erika Étangsalé pour le sujet a nourri leurs échanges à tel point

que la voix off du film s’est inspirée de l'un de leurs mails, même s'il se nourrit aussi d'autres

témoignages de ceux qui sont partis via le BUMIDOM.

Seuls les poissons morts suivent le courant a déjà fréquenté et connu les faveurs d'autres

festivals, mais ce Papang d'Or 2014 constitue une consécration, qui plus est, dans son île.

À thème engagé, film engageant. Ce premier film, commencé en 2011 à l'I.L.O.I. a vécu le

parcours difficile des premières oeuvres à faible (c'est un euphémisme) budget. Et, à côté

de cet aspect financier, s'est greffé un énorme investissement en matière de mobilisation,

tant côté technique que côté prestation devant les caméras. D'abord de l'I.L.O.I.,lui-même,

dont les locaux constituent une partie des décors, mais aussi de nombreux techniciens qui

vont donner de leur personne pour permettre à Erika d'aller au bout de cette première

œuvre.

L'absence de moyens est aussi génératrice d'idées. Habituellement, pour une scène en extérieur,

on a soigneusement repéré les lieux, dessiné le story board. Là, l’équipe technique et les

comédiens partaient à l'aventure sur les routes de banlieue autour de Paris, avec dans la

tête l'esprit de ce qu'ils souhaitaient rendre. Un pari audacieux, presque inscrit dans la logique

de la prise unique ou en tout cas de la rationalisation à l'extrême. Le film tire sa force de

tous ces aléas que certains pourraient qualifier de faiblesse originelle.

Cette mobilisation se ressent aussi dans le jeu des acteurs, investis sans compter dans

l'intention dont était porteuse Erika. D'un échange de regards, Kristof Langromme (Yves) et

Vincent Fontano (David) savent faire passer toute la tension de deux systèmes de représen-

tations, de deux conceptions du monde. La confrontation de deux générations où le choix

du fils va générer un tremblement de terre dans les (fausses ?) certitudes que s'est forgé le

père. Yves le père, arrivé plein d'espoir, a vite compris que le système était fait pour se perdre,

avec, en plus, le devoir de donner l'impression, à ceux restés au pays, que l'on avait réussi.

Une conviction qu'il enfouit tous les jours sous son manteau, sous sa casquette. Jusqu'à ce

que David, affirmant son choix de rentrer au pays, vienne faire exploser ce château de

cartes. Pour Yves, c'est la goutte de trop. Rentrer c'est déchoir, rentrer c'est trahir, rentrer

c'est se trahir. La violence de sa réaction à la décision de David, c'est tout cela qui, du plus

profond de lui-même, lui jaillit à la gueule, insupportable. Après la colère, vont se réveiller

des sentiments, des questionnements, qu'il croyait avoir enfouis, enterrés, éradiqués.

Seuls les poissons morts suivent le courant ne juge pas, il montre et laisse à chacun le soin

de tirer sa conclusion. La force de la réalisatrice tient à ce choix. Un bel exercice cinémato-

graphique pour celle qui a encore du mal à assumer l'étiquette d'auteur et dit : « J'ai juste

envie de réussir à faire les films que je porte en moi et c'est déjà relever de nombreux défis. »

PAPANG D'OR 2014 ERIKA ÉTANGSALÉ

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Page 73: Bat'Carré N°13
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UN OUTRE-MER D’EXCEPTION, LES TAAF, À DÉCOUVRIR CETTE FOIS-CI

EN QUELQUES ÉPISODES HISTORIQUES, SITES INCONTOURNABLES

ET ANIMAUX EMBLÉMATIQUES. UNE ÉCHAPPÉE DONT LE FIL CONDUCTEUR

EST UN VOYAGE AU LONG COURS, DEPUIS LES ÎLES ÉPARSES JUSQU’EN TERRE

ADÉLIE, EN PASSANT PAR LES ÎLES SUBANTARCTIQUES FRANÇAISES.

LES PHOTOGRAPHIES ET LES TEXTES FONT PARTIE DE L’EXPOSITION DES TAAF

QUI SERA INAUGURÉE LE 17 DÉCEMBRE À PARIS, À L’AQUARIUM TROPICAL

DE LA PORTE DORÉE. UNE REPRODUCTION DES PANNEAUX PERMETTRA

AUX RÉUNIONNAIS DE DÉCOUVRIR L’AN PROCHAIN, AU SIÈGE DES TAAF

À SAINT-PIERRE, CETTE GRANDE EXPOSITION QUI CÉLÈBRERA LES 60 ANS

DU TERRITOIRE.

TEXTE STÉPHANIE LÉGERON

PHOTOGRAPHIE BRUNO MARIE

Terresaustrales et antarctiques

françaises d’escale en escale

72 TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES

Page 75: Bat'Carré N°13

HIPPOLYTE CALTAUX AUX GLORIEUSES

En 1878, ce commerçant réunionnais résidant aux

Seychelles aborda les rivages d’un petit archipel

désert. Le ministère des Colonies l’autorisa à

l’occuper « à ses risques et périls ». Il s’y installa

dès 1880 et y planta le drapeau français. Faisant

face aux Anglais qui convoitaient ce territoire

insulaire, il le nomma « Glorieuses » en l’honneur

de la révolution des Trois Glorieuses de 1830. À

partir de 1885, il planta une cocoteraie sur la

Grande Glorieuse avec l’aide d’ouvriers seychellois.

La France prit possession du petit groupe d’îles en

1892, nommant Hippolyte Caltaux garde-pavillon.

Il occupera les lieux de façon discontinue, exploitant

le coprah de la cocoteraie et le guano de l’île du Lys

jusqu’en 1907.

LA MAISON PATUREAU À JUAN DE NOVA

Nichée dans une forêt de filaos près du camp

militaire, cette maison de maître décrépite évoque

l’histoire coloniale de l’exploitation du phosphate

à Juan de Nova. Entourée de deux pavillons, la

Les îles Éparses, joyaux tropicaux

résidence était occupée occasionnellement par

Hector Patureau, un franco-mauricien ayant obtenu

la concession de l’île en 1952. Les ouvriers et

contremaîtres, mauriciens et seychellois, édièrent

de nombreuses installations dont une usine de

concassage. Dès la première année de production,

plus de 50 000 tonnes de guano furent transbordées

vers l’Europe. Les conditions de travail extrême-

ment rudes provoquèrent des révoltes ouvrières.

L’effondrement du cours du phosphate mit un terme

à l’activité à la n des années 1960.

LE LAGON D’EUROPA

Un récif frangeant quasi-continu encercle Europa.

Dans cette forêt sous-marine, se développe une

grande variété de coraux. Le lagon est le refuge

d’une faune tropicale abondante : tortues vertes

et imbriquées, requins, raies, poissons de récif,

crustacés... S’ouvrant au nord sur le lagon externe,

une lagune intérieure peu profonde occupe l’est

d’Europa sur environ 900 hectares, soit près du

tiers de la surface de l’île.

LA COCOTERAIE DE GRANDE GLORIEUSE LA MAISON PATUREAU À JUAN DE NOVA

LE « PETIT LAGON» D’EUROPA

Page 76: Bat'Carré N°13

LA VALLÉE DES BRANLOIRES & LA BAIE AMÉRICAINE

Au nord-est de l’île de la Possession, la vallée des

Branloires, qui s’étire entre le plateau Jeannel et

le mont de l’Alouette, est la plus vaste de l’île. Cette

langue d’une ancienne calotte glaciaire, tourbeuse

et recouverte de mousses, débouche sur la mer au

niveau de la baie Américaine. Surnommé « baie US »

ou « BUS », ce mouillage relativement abrité était

fréquenté au XIX e siècle par des chasseurs de phoques

américains qui y avaient installé des abris, des

chaudrons en fonte et un four. Du « village des

phoquiers » ne subsistent aujourd’hui que quelques

ruines. La baie doit son nom à l'America, un des

navires phoquiers anglo-saxons qui s’y abritaient

de la puissante houle d’ouest.

LES ORQUES

A l’île de la Possession, ces cétacés mesurant jusqu’

à neuf mètres de long fréquentent notamment la

baie du Marin et la « piscine », une zone jonchée

d’algues nichée entre la baie Américaine et la petite

Manchotière. Vivant et chassant en groupes, les

orques s’approchent des côtes en quête d’éléphants

de mer et de manchots.

Elles ont besoin d’environ 70 kg de nourriture

par jour et n’ont pas de prédateurs. Les mâles se

reconnaissent à leur nageoire dorsale qui peut

atteindre 1,80 m de haut. Dans les eaux de Crozet,

les pêcheurs de légines déplorent de fortes

déprédations causées par les orques, qui ont pris

l’habitude de prélever ces poissons de fond dans

les eaux de surface, sur les lignes des palangriers.

POINTE BASSE & LE JARDIN JAPONAIS

Au pied des monts Jules Verne qui dominent le

nord de l’île de la Possession, pointe Basse est le

point le plus bas de la grande Coulée. Ce site orni-

thologique majeur de l’archipel héberge le champ

des Albatros, lieu de reproduction des grands

albatros ou albatros hurleurs, dont l’envergure

avoisine 3 mètres. À l’extrémité de la pointe, le

panorama s’ouvre à l’ouest sur la roche Percée et

la pointe des Moines. Le long de la mer côté est,

le jardin Japonais est un éboulis de blocs rocheux

très verdoyant entrecoupé de mares. La faune y est

exceptionnelle : plus grande colonie de manchots

royaux de l’île, gorfous macaronis, papous, otaries

et cormorans se partagent cet espace façonné à la

manière d’un jardin zen.

Crozet, l’archipel des tempêtes

ORQUE MÂLE DANS LA BAIE DU MARIN LE CHAMP DES ALBATROS À POINTE BASSE

BORNE ÉDIFIÉE DANS LA BAIE US

LORS DE L’ESCALE DU NAVIRE L’ANTARÈS

74 TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES

Page 77: Bat'Carré N°13

LE PLATEAU CENTRAL

La baie des Swains et le golfe du Morbihan marquent

la limite orientale du plateau Central, ceinturé au

sud par le massif Gallieni. Le cœur de la Grande

Terre alterne grandes plaines rocheuses, montagnes,

vallons, lacs, rivières, souilles, que parcourent des

troupeaux de rennes dont la population est estimée

à plusieurs milliers. Au nord du volcan du Diable,

Armor est le site d’une ancienne station d’élevage

de saumons, dont les alevins furent introduits

dans les années 1980. A l’extrême nord, le bassin

de la Gazelle était le refuge en 1940-1941 de navires

« corsaires » allemands. La presqu'île Bouquet de

la Grye abrite à Port-Couvreux les vestiges de la

ferme des frères Bossière, abandonnée depuis 1931.

LE MONT ROSS

Dominant le massif Gallieni au centre-sud de la

Grande Terre, le mont Ross surplombe l’ensemble

des îles Kerguelen. Cet ancien volcan fréquemment

nimbé de nuages tient son nom de l’explorateur

polaire James Clark Ross qui visita l’archipel en

1840. Deux sommets plongent vers l’est dans une

vaste caldeira : le Grand Ross, qui est le point le

plus élevé avec 1 850 m d’altitude,

et le Petit Ross se dressant à 1 721 m. Partiellement

recouvert de glaciers, le mont Ross est très difficile

d’accès en raison de ses arêtes effilées, de son

isolement et de ses conditions climatiques. Il est

le dernier sommet de France à avoir été gravi, sa

première ascension ayant été accomplie en 1975

par deux alpinistes français.

PORT-JEANNE D’ARC

En 1893, les frères Henry et René Bossière

obtinrent la concession exclusive de l’archipel

pour une durée de 50 ans. Ils rent bâtir l’usine

baleinière, destinée à l’éclairage des villes, par des

Norvégiens en 1906. La production d'huile de

mammifères marins débuta rapidement puis fut

interrompue par la Première Guerre mondiale et

reprise en 1919. Des treuils hissaient les baleines

sur la plage, où elles étaient découpées. Le lard

était fondu dans des chaudières à charbon. En

1922, l’unique station baleinière de France ferma

face à la concurrence des navires-usines. Fortement

dégradé au cours du temps, le patrimoine de

« PJDA » fait l’objet depuis 2001 d’un programme

de conservation physique et numérique.

Kerguelen, îles de la désolation

L’ANCIENNE STATIOND’ARMOR

LA SILHOUETTE ENNEIGÉE DU MONT ROSS LES VESTIGES DE L’USINE BALEINIÈRE

Page 78: Bat'Carré N°13

LES OUBLIÉS DE SAINT-PAUL

En octobre 1929, la société « La Langouste Fran-

çaise » des frères Henry et René Bossière, armateurs

du Havre, débarqua à l’île Saint-Paul une trentaine

d'Européens. La campagne de pêche terminée, l’Austral

repartit pour la France en mars 1930, laissant sur l'île

7 personnes dont une femme enceinte, pour entre-

tenir les installations. L'administrateur leur avait

promis de les ravitailler sous trois mois, mais ne put

honorer cet engagement. Louise Brunou accoucha

d'une petite Paule qui ne vécut que 2 mois. Faute de

vivres frais, trois hommes furent emportés par le

scorbut. Un autre quitta l'île sur un bateau et dispa-

rut. Quand l’Ile St-Paul accosta en décembre 1930,

seuls 3 des 7 gardiens oubliés avaient survécu…

LA MARE AUX ÉLÉPHANTS

En contrebas de la base, près de la Cale, ce site

attirait une forte concentration d’éléphants de mer

avant la chasse intensive des phoquiers aux XVIII e

et XIX e siècles. La Mare aux Eléphants est une plage

de roches magmatiques gorgée de petites nappes

d’eau, que prolonge un terrain herbeux. A proximité

se trouvent les derniers vestiges de la maison du

colon Heurtin.

De nombreuses otaries d’Amsterdam se rassemblent

et se reproduisent à la « MAE ». Les jeunes otaries

à fourrure jouent et se rafraîchissent en attendant

d’affronter l’océan. Ces mammifères marins sont

suivis par les scientiques : dénombrements, mar-

quages, pesées, poses de balises pour comprendre

les trajets en mer, sont effectués régulièrement.

LA POINTE D’ENTRECASTEAUX

& LE PLATEAU DES TOURBIÈRES

Au sud-ouest d’Amsterdam, la pointe d’Entrecas-

teaux est un promontoire rocheux cerné de falaises

plongeant dans la mer 700 m plus bas. La plus

grande colonie au monde d’albatros à bec jaune

s’y reproduit après de longs voyages océaniques,

près des albatros fuligineux, des skuas, pétrels et

gorfous sauteurs. En saillie de la pointe, le rocher

la Cathédrale longe une plage de galets où se

prélassent des otaries. Sur les 22 espèces d’albatros

existant dans le monde, 18 sont menacées, dont

l’albatros d’Amsterdam. Sa population est estimée

à seulement une trentaine de couples nicheurs par

an. Elle vit sur les hauteurs, au plateau des Tour-

bières, un site à accès réglementé classé depuis

2006 en réserve naturelle.

Saint-Paul et Amsterdam, le district subtropical

LA QUILLE ET LA DIGUE NATURELLE

DU CRATÈRE

LA CALE, LIEU DE RASSEMBLEMENT DES OTARIES LA POINTE D’ENTRECASTEAUX

76 TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES

Page 79: Bat'Carré N°13
Page 80: Bat'Carré N°13

Makis au fromage fraisvelouté d’avocattomates séchées & shiso

Recette

de l’Atelier de Ben

78 PAPILLES EN FÊTE

RECETTE BENOÎT VANTAUX

PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC

Page 81: Bat'Carré N°13

Ingrédients pour 8 personnes

150 g de riz à sushi

375 g d’eau

5 ml de Mirin

45 ml de vinaigre de riz

1 cuillère à café rase de sel

1 cuillère à café rase de sucre

12 pétales de tomates confites

100 gr de fromage frais type Boursin

sel, poivre

4 feuilles d’algues Nori

1 avocat mixé en pulpe

1 courgette

2 barquettes de shiso

1 poignée de petits pois frais

Matériel : siphon, natte à maki

Recette par étapes1. Laver le riz plusieurs fois. L’égoutter

et le mettre dans une casserole avec

l’eau froide. Le faire cuire environ 15

minutes à couvert, puis le laisser encore

10 minutes à couvert, hors du feu.

mélanger le mirin, le vinaigre de riz,

le sel et le sucre. incorporer ce mélange

au riz chaud ; filmer au contact et réserver

au réfrigérateur.

2. couper la courgette en lanières,

cuire les petits pois à l’anglaise.

3. Poser une feuille de nori sur la natte,

le grand côté devant soi.

Avec une cuillère en bois mouillée,

étaler le riz en gardant une bande

d’algue visible sur le bord en haut.

étaler une bande de fromage et une

bande de tomates collées ensemble.

Avec un pinceau, humidifier la bande

d’algue visible et rouler en serrant bien.

filmer. Procéder de la même manière

pour les 3 autres rouleaux.

mettre au réfrigérateur 2 heures.

4. couper les rouleaux en 6 tronçons

et disposer 3 makis avec la garniture.

Pour accompagner ce plat à l’esprit

japonais, la Cave de la Victoire vousconseille un Jasnières sec, Domaine de

la Roche Bleue 2013. Bon appétit !

Restaurant l’Atelier de Ben

12, rue de la Compagnie

Saint-Denis

T. 0262 41 21 40

Retouvez cette recette filméesur www.batcarre.com

BONNESPOUR NOTRESANTÉ

Nos huîtres en direct de :NormandieBretagneOléron

35 avenue de la Victoire97400 Saint-Denisîle de La Réunion

T. 0262 217 403

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