Bat'Carré N°13
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Transcript of Bat'Carré N°13
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RR
ÉT’numéro 13 //décembre 2014 - février 2015
MADAGASCARJACE l’artiste tout-terrain
Patrimoine de l’océan Indien
BAT’ CA
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le magwww.batcarre.com
ÉVASION CULTURELLEÉVASION JEUNESSEÉVASION CULTURELLEÉVASION COLLECTION RÉUNIONÉVASION CULTURELLEÉVASION ROMANAU CŒUR DE L’ÎLE LES ENTRETIENS DU PATRIMOINEESCAPADEFOU EN LONG, EN LARGE ET EN DIAGONALE !PATRIMOINEPÊCHE NOCTURNE AUX REQUINS À LA POINTE DES GALETSBEAUX-ARTSMARY SIBANDÉOCÉAN INDIENVOYAGE D’ÉTUDES À CHANDIGARHRENCONTREJACE, L’ARTISTE TOUT-TERRAINHORIZONGOUZOU DE PAR LE MONDEVOYAGE-VOYAGEÀ L’EST DE MADAGASCARAKOUTJÉRÔME PACMAN, DJ DANS L’AIR DU TEMPSCINÉMAREGARDS CROISÉS SUR LE PREMIER FESTIVAL DU FILM RÉUNIONNAISTERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES D’ESCALE EN ESCALEPAPILLES EN FÊTEMAKIS AU FROMAGE FRAIS, VELOUTÉ D’AVOCAT, TOMATES SÉCHÉES ET SHISO
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Couverture Illustration JaceÉditeur BAT’CARRÉ SARLtrimestriel gratuit
Adresse 16, rue de Paris97 400 Saint-DenisTel 0262 28 01 86www.batcarre.comISSN 2119-5463
Directeur de publication Anli [email protected] 24 98 76
Directrice de la rédactionFrancine [email protected] 28 01 86
RédacteursJean-Paul TapiePierre-Henri AhoDominique LouisStéphanie LégeronBenoît VantauxAkoutFrancine George
Secrétaire de rédactionAline Barre
Directeur artistique P. Knoepfel, Crayon [email protected]
Photographes et illustrateurs Marc HellerSébastien MarchalJaceChristian VaisseMarinette DelannéJean-Noël ÉniloracRichard Bouhet pour l’AFPCollections privées de Pierre-Henri AhoÉtudiants de l’ENSAMBruno Marie
Création & exécution graphique Crayon noir
Vifs remerciements à à JaceGilles PignonMarc HellerBéatrice BinocheSandra Rabaritsialonina et l’équipe d’Air Madagascar
Développement web Anli Daroueche et New Lions Sarl
PublicitéFrancine George : 0262 28 01 86
DistributionTDL
Impression Graphica 305, rue de la communauté97440 Saint-AndréDL No. 5565 - Décembre 2014
Tous droits de reproduction même partielle des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.
ERRATUMNous souhaitons présenter toutes nos excuses pour les erreurs qui se sont glissées dans le N°12, à savoir : • Dans le texte de Pierre-Henri Aho, il fallait lire : « Picasso affirmait que la plus belle femme de Paris n’aura pas eu autant sonportrait exécuté par des peintres que Vollard. » • Dans le texte de Paola Bassani page 44, une répétition malencontreuse de paragraphe.Toutes nos excuses également à notre relectrice Aline Barre à qui nous n’avons pas donné le temps nécessaire de relecture.
L’enfant-roi !
Quel plaisir d’offrir des cadeaux aux petites frimousses pendant cette
grande fête de Noël qui est avant tout la leur !
Jace à l’affiche…
En ce temps de Noël, il fallait bien donner la parole à un grand enfant qui
n’a pas envie de se prendre au sérieux. Madagascar est son univers préféré,
notamment la peinture sur les voiles des pêcheurs Vezo.
Madagascar, c’est aussi la côte Est à découvrir, l’île des Forbans, la douceur de
vivre sur le long canal des Pangalanes, l’effervescence du port de Tamatave…
L’océan Indien ?
Un patrimoine à découvrir, à préserver dans cet univers aux valeurs partagées
qu’est l’océan Indien. La Réunion vue par le prisme de son patrimoine, les
jardins de l’océan Indien, Culture, Beaux-Arts, Histoire… une fête des sens
qui a traversé le temps, un mirage pour certains, un espoir pour d’autres.
Que l’enthousiasme règne pour tous en cette période de trêve !
Joyeuses fêtes de fin d’année et à l’année prochaine !
Francine George
Bonne balade sur www.batcarre.com
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le magwww.batcarre.com
Modeste Madoré, après les légumes, s’amuse àcroquer les fruits avec toujours autant d’humour.les illustrations, joyeuses et fantaisistes, ont de quoirégaler les petits et leurs parents. impossible dese lasser de ce bel album cartonné qui met en scènese fendre la poire, partir en cacahuètes, mi-figue,mi-raisin d’une manière aussi drôle.
4 ÉVASION JEUNESSE
SÉLECTION FRANCINE GEORGE
Dans l’univers de Modeste Madoré, tout est magni-fiquement dessiné et coloré. son ami Pok-Pok,l’endormi, part un dimanche en pique-nique où ilrencontre la famille tang, la famille fourmis… et lesmoustiques qui viennent sonner l’heure du départ.un album irrésistible pour les tout-petits.
le troisième volet des contes de la réunion etde l’inde vient de paraître avec son CD d’accom-pagnement mis en ambiance par Maya Kamaty.les deux contes Djalnagri et Grand-Mère tortueet les deux papangues sont illustrés par tolliam.une belle initiative où se mélangent le français, lecréole, l’anglais et l’hindi.
TUTTI FRUTTI
AUTEUR Modeste MadoréÉDITIONS Océan Éditions
ZISTOIRES DE PIQUE-NIQUE
AUTEUR Modeste MadoréÉDITIONS Océan Éditions
DANS MON SOUBIK
CONTE DE LA RÉUNION ET D’INDEÉDITIONS Epsilon Jeunesse
ENZO, 11 ANS, SIXIÈME 11AUTEUR Joëlle ÉcormierÉDITIONS Nathan
« Cette année, je rentre en sixième 11, j’ai onzeans, et nous sommes en 2011. alors il va forcémentse passer un truc. Je me demande bien quoi, parceque, globalement, je n’ai pas beaucoup de bol. »tout est dit, le petit enzo s’adresse à tous lesgamins qui vont franchir l’année prochaine la portedu collège. un beau moment de lecture.
5ÉVASION COLLECTION RÉUNION
une rêverie sous les arbres à la réunion, à Maurice,à Mayotte, mais aussi en France, en Belgique, enespagne… le rêve n‘a pas de frontières, et la sen-sibilité du regard non plus. sèves nous raconteplein d’histoires imaginées par le photographeFrançois-louis athénas et prenant vie sous laplume poétique de la romancière Joëlle Écormier.Comme des instants qui durent une éternité.
Yves-Michel Bernard, historien et enseignant, pro-pose un voyage dans l’art du paysage à la réunionau travers d’un recueil d’œuvres cultes du patrimoineréunionnais visité et revisité par différents artistesdepuis les peintures paysages d’adolphe leroy auXiX e siècle, en passant par les photographies d’au-teurs, jusqu’à l’interprétation proposée aujourd’huipar la plasticienne Gabrielle Manglou.
De commune en commune, Jacques Dumorarecense les réunionnais morts pour la France dansun tableau où figurent, par ordre alphabétique,leur nom, leur prénom, leur régiment, leur grade,le lieu, les circonstances et la date de leur décès.Puis, dans un autre tableau, leur sépulture, pourqu’on n’oublie jamais.
SÈVES
PHOTOGRAPHIES
François-Louis AthénasTEXTES Joëlle ÉcormierÉDITIONS Ter’la
MÉMOIRE RÉUNIONNAISE, LA GRANDE GUERRE
AUTEUR Jacques DumoraÉDITIONS du Mahot
Dans son premier roman, Jacques Dumora racontel’histoire d’un jeune Dyonisien enrôlé dans le 96 e
régiment d’infanterie qui, du fond de sa tranchée,attend l’assaut final au pied du Mort-Homme situésur la rive gauche de la Meuse. une épopée historique où l’espace réunionnais estévoqué pour échapper aux horreurs de la guerre.
OCTAVEOU LE MORT-HOMME
AUTEUR Jacques DumoraÉDITIONS Orphie
L’ART DU PAYSAGEÀ LA RÉUNION
AUTEUR Yves-Michel BernardÉDITIONS Ter’la
6 ÉVASION ROMAN
Grand prix du Roman Métis
Après une saison littéraire foisonnante de
nouveaux talents, un prix Nobel attribué au
grand écrivain français, Patrick Modiano, c’est
au tour de la ville de Saint-Denis et de La
Réunion des Livres de décerner ses prix pour
un roman « qui met en lumière les valeurs du
métissage, de la diversité et de l’humanisme ».
Parmi les trente livres reçus des différents
éditeurs nationaux, qui maintenant appré-
cient la teneur de ce prix, quatre finalistes
ont été retenus par le jury composé de
personnalités littéraires réunionnaises et
d’écrivains francophones :
• Jean Hatzfeld pour Englebert des collines
• chez Gallimard.
• Fabienne Kanor pour Faire l'aventure
• chez JC Lattes.
• In Koli Jean Bofane pour Congo INC.
• Le testament de Bismarck chez Actes Sud.
• Victor Gary pour L'escalier de mes illusions
• chez Philippe Rey.
Et le lauréat est
Congo INC. Le testament de Bismarck
d’In Koli Jean Bofane !
Après Maryse Condé en 2010, Lyonel Trouillot
en 2011, Tierno Monénembo en 2012 et Léonora
Miano en 2013, In Koli Jean Bofane est venu
sur notre île début décembre pour recevoir
son prix. Il a dû vite repartir à Bruxelles, car
son roman Congo Inc. figurait dans la liste
des cinq finalistes pour le prix Russel,
l’équivalent du Goncourt en Belgique. Son
séjour, pourtant bref, a marqué tous ceux
qui l’ont rencontré, un grand homme, pétri
d’humanisme et qui sait à quoi tient la joie
de vivre !
Son roman est une perle rare, de celui qui
marque une époque. Écrit d’une main alerte,
il raconte l’histoire d’un Pygmée qui veut
devenir mondialisateur, et qui, chemin fai-
sant, rencontre une multitude de personnages,
à commencer par les Shégués, ces enfants
des rues, qui le recueillent à son arrivée dans
la grande ville. À lire absolument parce que
c'est drôle, malgré les horreurs, parce que
c'est humain, parce que l’on entend avec la
musique des mots battre le cœur de Kinshasa,
laboratoire de notre futur ?
En 2015, une belle rencontre avec In Koli Jean
Bofane vous est réservée dans Bat’Carré.
Prix Métis des lycéens
Le 9 décembre 2014, le jury des lycéens qui
se densifie de plus en plus - 22 jeunes de dix
lycées réunionnais, cette année – s’est réuni
pour choisir leur lauréat. En très peu de temps,
ils ont accepté de s’impliquer dans la lecture
des romans sélectionnés « pour défendre notre
métissage à nous», dit l’un d’entre eux, et
globalement, pour venir défendre le choix
de leur classe, car souvent ils n’ont pas pu
tout lire, lors d’une délibération où ils sont
seuls maîtres et juges.
Parmi les quatre romans sélectionnés, deux
étaient dans la liste du Grand Prix Métis.
• Englebert des collines de Jean Hatzfeld
• chez Gallimard.
• Itinéraire d’un poète apache de
• Guillaume Staelens chez Viviane Hamy.
• Faire l’aventure de Fabienne Kanor
• chez JC Lattès.
• Chems Palace d’ Ali Bécheur chez Elyzad.
Et le lauréat est
Itinéraire d’un poète apache
de Guillaume Staelens chez Viviane Hamy.
Après des débats houleux où il fallait tran-
cher « entre Englebert et Apache », leur choix
s’est porté sur Itinéraire d’un poète Apache
qui, basé sur la vie de Rimbaud, leur parle à
la première personne. Un bel enthousiasme
les anime lorsqu’ils justifient leur choix. Ils
s’identifient au héros, qui d’emblée leur parle
de leurs préoccupations d’adolescents. De ce
fait, ils cheminent avec lui tout au long de son
périple de l’Amérique du nord à l’Amérique
latine. « Il a choisi de voyager, de défier la
société américaine, il lui arrive plein d’aven-
tures, il tombe amoureux, il se drogue… Ses
goûts ne sont pas forcément les nôtres, ce
qui nous a plu c’est qu’il découvre la vie
aussi, à chaque endroit nouveau, il élargit sa
vision. Il apprend de ses échecs, il n’est pas
figé. Il aime la musique, c’est un artiste, il
dessine, c’est un personnage qui nous a
beaucoup touchés. »
Début 2015, Guillaume Staelens - après
Delphine Coulin, Carole Zalberg et Cécile
Ladjali - viendra à la rencontre des lycéens
réunionnais, une occasion de le retrouver
dans Bat’Carré.
7ÉVASION ROMAN
8 AU COEUR DE L’ ÎLE
Les EPOI ont réuni pour leur seconde
édition une cinquantaine de spécialistes
de cet espace au riche patrimoine
à identifier et à préserver.
La Réunion, organisatrice via L’ENSAM
et la DAC OI de ce colloque aux résonances
internationales, se trouve donc au centre
d’une démarche innovante destinée
à créer un pont culturel et stratégique
de l’Inde à l’Afrique en passant par les îles
de l’océan Indien sur la question
du patrimoine.
TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE MARC HELLER DR RÉGION RÉUNION
SERVICE RÉGIONAL DE L’INVENTAIRE
Les entretiensdu Patrimoine
10 AU CŒUR DE L’ ÎLE
Les premiers EPOI
Villes, Patrimoines et Développement
En novembre 2011, les premiers Entretiens
du Patrimoine de l’Océan Indien, se sont
déroulés au théâtre du Grand Marché de St-
Denis sous la direction d’Attila Cheyssial,
architecte DPLG, Docteur en sciences de
l’Éducation. Initiés par la DAC OI et l’ENSAM
en partenariat avec les collectivités lo-
cales, ces trois jours denses de conférences,
d’échanges et de débats organisés par Pierre
Rosier, directeur de l’ENSAM-Réunion assisté
de Béatrice Binoche, chargée de mission, ont
réuni pour la première fois une trentaine de
chercheurs, de scientifiques et d’enseignants
venant d’Inde, d’Afrique en passant par les
îles de l’océan Indien et par l’Europe.
Le Président d’honneur était l’éminent pro-
fesseur Kirti Chaudhuri. Cette première étape
avait pour thème la ville patrimoniale. L’ob-
jectif du colloque était de créer un réseau
dynamique apte à identifier et préserver un
patrimoine situé sur un espace géographique
construit sur des valeurs culturelles en pro-
fondes résonances. Les fondations des villes
côtières l’illustrent bien, car elles puisent
leur richesse dans l’histoire des flux de po-
pulation, des échanges commerciaux et des
apports croisés de différentes cultures « en
interface avec l’océan et ses connexions ma-
ritimes. Leur destin se distanciera de leurs
origines coloniales et elles constituent au-
jourd’hui un maillage économique et por-
tuaire à l’échelle mondiale ». Trois jours donc
d’interventions de très haut niveau, chacun
découvrant les expériences de l’autre. Un
processus s’est mis en marche, et le plus
marquant a été que pour la première fois
« l'intelligence collective » s’est mise au ser-
vice d’un espace géographique qui coupe le
cordon aux ancestraux échanges Nord-Sud.
Des chercheurs africains et indiens l’ont d’ail-
leurs souligné, jamais jusqu’ici ils n’avaient
eu l’occasion de débattre les uns avec les
autres, chacun étant cantonné dans son
univers respectif. L’île de La Réunion était
donc là pour « créer un pont » entre ces deux
pôles de l’espace indien-océanique.
Les seconds EPOI
Jardins-Paysages et Sociétés
Fin septembre 2014, la seconde édition des
EPOI - organisée par Pierre Rosier et l’Insti-
tut National du Patrimoine sous l’égide de
Marc Nouschi, Directeur de la DAC OI et du
présidentd’honneur Gaëtan Siew, l’architecte
mondialiste, membre du conseil d’adminis-
tration de Futur Cities - s’est déroulée éga-
lement sur trois jours au théâtre du Grand
Marché, avec une cinquantaine de spécia-
listes internationaux invités à débattre
cette fois-ci des Jardins, Paysages et Socié-
tés dans l’Océan Indien. Ils sont venus du
Kenya, d’Afrique du Sud, de Madagascar, de
Maurice, des Comores, d’Inde, d’Australie, de
Métropole, du Portugal, d’Allemagne… tous,
des scientifiques préoccupés par l’avenir du
patrimoine naturel sous la menace de col-
lapse bioclimatique. Les fauteuils étaient
pleins et les habitués plus à l’aise pour
échanger et lancer plus loin la réflexion.
La première journée consacrée au Paysage
à La Réunion et dans l’Océan Indien était
placée sous la présidence de Francis Hallé,
célèbre botaniste et biologiste, auteur d’ar-
ticles et d’ ouvrages sur la forêt tropicale.
L’île de La Réunion, classée au Patrimoine
mondial de l’UNESCO pour ses cirques, pitons,
remparts et la richesse de sa biodiversité, fut
l’objet de nombreuses interventions montrant
tour à tour à quel point le patrimoine y est
riche, diversifié, historiquement changeant.
12 AU CŒUR DE L’ ÎLE
Première journée
Le Paysage à La Réunion et dans l’océan
Indien
Gaëtan Siew, qui a ouvert les débats sur
l’ambiguïté de l’espace, pose déjà la ques-
tion de savoir si tous ces paysages seront là
dans 500 ans. Puis, il décline les maux des
temps modernes entre utilité et futilité pour,
au final, apporter la tonalité générale de ce
colloque : « La beauté peut sauver la planète,
car au final seul ce qui est beau est durable. »
Marc Heller, mandaté par la Région pour ef-
fectuer l’inventaire des Jardins de La Réunion
vus du ciel, expose son travail, les belles
photos ci-jointes en témoignent. Bernard
Leveneur, historien et directeur du musée
Léon Dierx, a présenté le paysage en mé-
moire avec ses repères historiques, montrant
à travers des récits de voyage et un certain
nombre d’images peintes ou dessinées, la
mutation de l’île qui est passée d’un paysage
riche en cultures variées (indigo, tabac,
épices, poivre, thé, café, coton, girofle, riz,
blé, maïs…) à un paysage monolithique de
culture de la canne à partir de la moitié du
XIX e siècle par la conjonction d’opportunités
économiques et de dégradations climatiques.
Puis, cette île à sucre, en crise depuis les
années 1980, ouvre les vannes à une « nou-
velle spéculation », immobilière cette fois-ci,
grâce à la défiscalisation, changeant irré-
versiblement le paysage. Un exposé qui a
marqué les esprits et servi d’étalon sur les
trois jours, chacun s’y référant de temps à
autre. Bako Raosoarifetra, maître de confé-
rences à l’université d’Antananarivo, a lui
surpris la salle dans son exposé sur l’ar-
chéologie préventive et les paysages sacrés,
montrant ainsi que les cultes, les mythes et
les traditions sont parties intégrantes du pay-
sage. De même que Chantal Blanc-Pamard,
directrice de recherche au CNRS, a fait une
démonstration étonnante entre deux façons de
gérer un patrimoine naturel à Madagascar.
D’une part, l’allée de Baobabs à Morondava,
« une patrimonialisation par le haut » sur 320
hectares, six espèces en danger ou menacées,
une journée nationale de reboisement, et,
d’autre part, « une patrimonialisation par le
bas », en toute discrétion, sur les terres hautes
de l’Est où les pratiques agricoles tradition-
nelles tirent partie des cycles de culture et
des pestes végétales pour en faire du charbon
de bois.
Yves-Michel Bernard, docteur en histoire de
l’art contemporain, s’est, quant à lui, penché
sur les paysages culturels de La Réunion de-
puis les premiers peintres recensés tel Albert
Le Roy jusqu’aux photographes contemporains
en mettant en exergue : « le dialogue entre-
tenu depuis deux siècles entre les artistes et
le paysage réunionnais est ininterrompu avec
cette promesse toujours renouvelée de bous-
culer le dogme… ».
Seconde journée
Le Paysage et les Jardins : un outil pour
penser ensemble l’écologie
Jean-Michel Jauzé, géographe à l’Université
de La Réunion, a ouvert la matinée à l’hôtel
de Ville de St-Denis sur le thème des paysages
ruraux rodriguais et de leur mise en valeur
éco-touristique, puis se sont succédées plu-
sieurs descriptions de jardins remarquables
aux Seychelles, à Moroni, tandis que se tenait
au Grand Marché les conférences anglo-
saxonnes où l’on débattait de la biodiversité
au Kerala, dans le sud-ouest de l’Inde et des
paysages transformés de Goa. L’après-midi
était consacrée notamment à l’école du
Jardin planétaire du paysagiste Sébastien
14 AU CŒUR DE L’ ÎLE
Clément et au Jardin de Zanzibar, premier
exportateur aujourd’hui encore de clous de
girofle. L’intervention d’Anthony Wain, archi-
tecte paysagiste de Cape Town a laissé des
traces. L’après-midi s’est achevé par une
autre surprise, l’intervention de Gilles Pignon,
conservateur régional de l’inventaire du pa-
trimoine culturel, qui revenait sur Le mythe
du paradis terrestre chez les premiers colons
de Salazie en relatant l’histoire des Francs-
Créoles. En difficulté du fait de la crise de la
canne et en rébellion contre l’autocratie du
gouverneur, ils se sont installés dans le cirque
de Salazie à partir de 1830 sous l’impulsion
de Nicole Robinet de la Serve, créateur d’une
société secrète affiliée aux Francs-Maçons.
Troisième journée
Comment conjuguer Protection
et évolution
La valorisation du patrimoine naturel et cul-
turel constituait le point d’orgue de cette
journée avant les premières conclusions des
présidents de séance. Madagascar et les
paysages culturels de l’Indianocéanie étaient
au centre des préoccupations avec un zoom
particulier sur les plantes médicinales et la
richesse de leurs traditions, tant sur le plan
personnel que dans les rites religieux. Et pour
clore les échanges, les perspectives touris-
tiques des sites naturels ont été évoquées.
Francis Hallé, qui a montré à plus d’une re-
prise, son franc-parler, un brin moqueur dans
le style « j’hésite entre l’Eden ou le Paradis »,
est sorti enthousiaste par la teneur du col-
loque, en soulignant que, pour lui, le « off »,
l’informel que l’on ne maîtrise pas, est tout
aussi important. C’est là que les échanges se
font et que les réseaux se créent. La Réunion
lui a réservé quelques belles surprises,
notamment la forêt de Bélouve et le Jardin
des Mascareignes. Par contre, il ne cache
pas sa déception quant au laisser-aller qu’il
a constaté au Jardin de l’État, parsemé « de
fausses étiquettes, ce n’est pas sérieux, il
vaut mieux ne rien mettre dans ce cas ».
Le président d’honneur Gaëtan Siew, habi-
tué aux colloques internationaux, était lui
aussi satisfait de cette mise en commun des
savoir-faire. Pour la troisième édition des
EPOI, il suggère d’apporter une nécessaire
dimension économique en intégrant au pla-
teau des chercheurs et des scientifiques une
« réalité terrain » avec des chefs d’entreprise.
Toute cette énergie dépensée, selon lui, ne
mènera nulle part si le Patrimoine ne de-
vient pas un moteur de développement : « le
patrimoine peut être innovateur, évolutif,
sinon le sens de l’appropriation se perd et il
n’est plus qu’un lieu nostalgique ». « Le patri-
moine peut vivre de sa propre vie, les bâti-
ments peuvent être transformés en paysages
à embellir, on doit redécouvrir l’économie
des bio-fertilisants, la vraie identité de l’es-
pace passe par le vécu, l’appropriation… ».
Une première réponse est apportée avec le
projet de création d’une charte du Patrimoine
de l’océan Indien et le projet de création
d’une route des jardins de l’Océan Indien….
Les actes du colloque permettront à chacun
de se replonger dans le matériau livré à la
réflexion collective. Il est évident que les élus,
pas suffisamment nombreux dans la salle,
ont matière à puiser dans leur conception de
futurs aménagements du territoire. Nous
sommes en plein dans l’ère écologique et
l’aménagement du territoire se construit,
plus que jamais, vu la densité des popula-
tions, pour les besoins du futur en respec-
tant l’héritage du passé.
16 AU COEUR DE L’ ÎLE
TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE GAËTAN HOARAU
Novembre 2014
Poésie du cosmos et aventure extraordinaire de la sonde Rosetta
prête à larguer le robot Philae sur la comète Tchouri ?
Ou
Poésie de notre magnifique jardin sous-marin, « une neige à l’envers »
photographiée par Gaëtan Hoarau lors de la ponte des coraux
dans le lagon de Saint-Pierre ?
FOU
EN LONG, EN LARGE ET EN DIAGONALE !
18 ESCAPADE
Fin de l’historique. Si vous souhaitez en savoir plus sur le
sujet, il existe un excellent livre d’Olivier Bessy, plus quelques
autres ouvrages sur la question.
Ce n’est pas le propos de cet article. Ce dont j’entends vous
parler, c’est du Grand Raid vu de l’intérieur. En direct du
cerveau d’un fou.
J’y ai participé une demi-douzaine de fois (sans compter
une Grande Traversée et quelques Passe-Montagne). Je
n’ai pas toujours terminé. Mais j’ai ni une fois dans les
cent premiers (96 ème exactement, en 1995). Avant que votre
admiration ne s’exprime, je précise que c’était à une époque
où le nombre de participants était bien moins important
qu’aujourd’hui : moins de 600 nisseurs. Et le prol de la
course était encore à taille humaine : 123 kilomètres et
6 350 mètres de dénivelé positif.
Observez le prol de la course : on croirait
une courbe des températures chez un
malade sujet à de brusques accès de èvre.
Ce n’est pas une comparaison anodine :
chaque concurrent pourrait, en suivant le
prol du bout du doigt, vous renseigner
sur ce qu’il ressentait à ce moment précis
de la course. Pas besoin d’être lunatique,
ou cyclothymique : même le concurrent
le plus équilibré au départ subit lui aussi
ces hauts et ces bas.
La course qui consiste à traverser la Réunion d’un bout à l’autre a porté bien des noms et
connu bien des avatars. La toute première, en 1989, s’est déroulée dans le sens nord-sud
et a été baptisée « La marche des cimes». L’année suivante, en changeant de sens, elle a
changé de nom : elle est devenue « La grande traversée». Qui a disparu avant de ressusciter
doublement, avec « La passe-montagne» en automne et « La course de la pleine lune» au
printemps. Une seule a survécu, la seconde, mais elle a encore changé de nom : « Le grand
raid». Sauf qu’à la suite d’un article dans une revue spécialisée, elle est devenue, dans la
bouche de nombreux compétiteurs, notamment métropolitains, « La diagonale des fous».
L’auteur de l’article s’était inspiré du titre d’un film de Richard Dembo, « La diagonale du
fou», titre puisé dans le vocabulaire du jeu d’échecs.
TEXTE JEAN-PAUL TAPIEPHOTOGRAPHIE RICHARD BOUHET POUR L’AFP
en voie ferrée TEXTE JEAN-PAUL TAPIE
PHOTOGRAPHIE DR
Cool, Raoul !
La course commence par une tension qui s’accentuejusqu’au coup de sifflet donnant le départ. Depuis desheures, vous vous demandez si vous allez être à la hau-teur, si vous n’allez pas piteusement vous effondrer dèsque la pente va s’accentuer et renoncer avant le cinquièmekilomètre. Vous avez envie de vomir, de pisser, votreventre se tord, vous souffrez mille douleurs, votre corpsn’est que souffrance. Autant regarder la vérité en face :vous n’êtes pas prêt, vous ne l’avez jamais été. Vousenvisagez de vous carapater en douce. Mais le départvous libère. Vous vous laissez emporter par l’ambiance,brusquement vous avez des ailes, vous devez vouscontrôler pour ne pas piquer un sprint dès la lignefranchie. Vous avez envie de rire, de plaisanter, de parler ;vous aimez les inconnus qui vous entourent ; vous avezl’impression, si vous êtes zoreil, que vous pourriez parlercréole avec l’accent de Saint-André ou de Saint-Joseph,au choix. Puis vous vous raisonnez, vous vous répétezqu’il reste plus de 120 kilomètres à parcourir, vous vousexhortez au sérieux et à l’impavidité. De toute façon,l’accentuation de la pente vous aide à remettre vos idéesen place. C’est parti, vous venez de quitter la chausséebitumée, vous êtes sur le sentier et vous vous souvenezà quel point les sentiers réunionnais sont exigeants etpiégeurs. Très vite, vous avez dans la tête un ordinateurde course qui enregistre toutes les données : vos musclessont bien huilés, les articulations sont souples, le souffleest profond et rythmé, vous n’avez pas faim, vous buvezrégulièrement, taux de sucre stable dans le sang, pas derisque d’hypoglycémie. Tous les voyants sont au vert.Vous avez l’impression que vous n’avez jamais été aussien forme et vous ne pouvez vous empêcher de commencerà revoir à la baisse les temps de passage que vous vousétiez xés.
Sauf que vous commencez à trouvercette portion un peu fastidieuse, pluslongue que dans votre souvenir. Ellen’en nira donc jamais ! Où est donc cechu poste de contrôle ? Il devrait êtrelà ! Et si vous l’aviez dépassé sans vousen apercevoir ? Impossible !Il a dû être repoussé de quelques kilo-mètres, ce n’est pas possible. Vous avezl’impression de ne plus avancer. Vousforcez légèrement l’allure. Oh l’erreur !Oh la boulette ! Votre souffle vous rap-pelle que vous êtes en train d’essayer decourir à plus de 1 500 mètres d’altitude.Votre corps fait parvenir au cerveauquelques données inquiétantes. Vousvous apercevez qu’ils parlent tous lesdeux de vous à la troisième personne,comme deux médecins au pied du litd’un malade : ils sont des observateursneutres de votre effort et ne se gênentpas pour critiquer votre comportement.Vous ne comprenez pas leur attitude.Ils devraient vous encourager et au lieude cela, ils vous jugent, désapprouventvotre envie d’accélérer, se demandentpour qui vous vous prenez.
20 ESCAPADE
Fonce, Alphonse !
Mais voici le fameux contrôle, il est là – en plus, ilprécède un long faux-plat prolongé d’une longue des-cente que vous aimez bien – et dans l’euphorie de l’objectifatteint, tout le monde se réconcilie. Les deux médecinsvous sourient, rassurants. Votre corps se remet à envoyerdes données encourageantes, votre cerveau en prendconnaissance en hochant aimablement la tête : vous êtesentre les mains d’une équipe compétente et formidable.L’union faisant la force, vous recommencez vos calculs :si j’arrive à Cilaos avant cette heure-là, je m’arrête unedemi-heure, ce sera largement suffisant pour me restau-rer et me faire masser, je repars et… Comme Perrettefaisant des plans sur la comète, vous venez de manquerde vous étaler de tout votre long dans les scories. Vousvous reprenez, en colère contre votre légèreté. Vivementque cette descente se termine… Normalement, vousauriez dû en voir déjà le bout, ce n’est pas possible, ilsont rallongé le parcours…La mi-course, enfin. Dans votre tête, la voix de Radio-Râleur s’éteint, remplacée par celle d’un journalistesportif qui commente votre performance avec desadjectifs dithyrambiques. Arrêt au stand. Votre corps se met à tourner au ralenti.Vous récupérez. Tout irait mieux si vous aviez un peuplus d’appétit. Vous savez qu’il faut s’alimenter, maisbon, ça ne passe pas, ces pâtes doivent être mal cuites,ou pas assez de beurre, ou trop sèches… Vous vousrendez compte que, sans en avoir eu conscience, Radio-Râleur vient de reprendre son programme d’émissions.
Ça repart, Gaspard !
Pour l’oublier, vous repartez. Désormais,à chaque mètre parcouru, vous vous ditesque l’arrivée se rapproche. D’y penservous rend presque hilare. Si vous vousécoutiez, vous vous mettriez à courirsur cette portion de route.
Surtout ne vous écoutez pas !
Dès la montée suivante, vous comprenezque vous venez d’entrer dans une autrecourse. Désormais, la voix doléante dansvotre tête ne cessera plus d’émettre etvotre corps va multiplier comme àplaisir les messages d’alerte : une petitedouleur dans le genou droit… uneautre au bas des reins… l’horreur decette descente dans mes mollets… lesravages de cette montée dans mesquadriceps… l’ennui de cette portionplate dans ma tête… Peu à peu, le mondeextérieur se ferme à vous ; vous devenezun monde à vous tout seul, un mondeen perdition ; comme un naufragéquelques heures après le naufrage,vous prenez conscience que vous êtestout seul dans votre chaloupe, qu’elleprend l’eau de partout, que vous n’avezde provisions que pour deux ou troisjours et que l’océan, autour de vous, estimmense, interminable, inni. D’ailleurs,si ça se trouve, il n’y a plus aucune terreimmergée, il n’y a que vous sur ce vasteocéan, ou plutôt ce sentier qui n’ennit pas, qui n’en nira plus, qui vousconduira jusqu’au bout, mais pas lebout que vous imaginiez en prenant ledépart.
Radio-Râleur s’est tue : des terroristes en ont pris lecontrôle et balancent sur les ondes des messages plusterriants. Ils déversent dans votre esprit des tombereauxde plaintes, de gémissements, de prophéties de mauvaisaugure, de menaces, d’insultes. Votre corps se boucheles oreilles, il essaie de ne rien entendre. Réfugié au nfond de votre cerveau comme De Gaulle à Londres en1940. Un ultime îlot de résistance continue de vousencourager à mettre un pied devant l’autre, à venir àbout de cette côte, à proter de la douce pente de l’autreversant. De temps à autre, une question jaillit au mi-lieu de ces voix contradictoires : où est la joie de tout àl’heure ?
Tu t’affoles, Jean-Paul !
Brusquement, vous réalisez que cette voix, ce n’est plusla vôtre. Vous ne connaissez pas la personne qui est entrain de se plaindre, de se lamenter, de dire que ce n’estpas juste, que ça ne devrait pas être aussi dur, on nevous avait pas dit que ce serait aussi difficile. Vous vousmettez en colère en constatant que dans cette portionoù vous êtes censé monter, le sentier descend, vous faitperdre un dénivelé qu’il va falloir reprendre. Ce n’estpas du jeu. La colère vous gagne, bientôt il n’y en a plusque pour elle. Elle a pris le contrôle. Elle a consqué lemégaphone et on n’entend plus qu’elle. Elle exhorte lecorps à la rébellion. Elle balance des arguments qui vousauraient paru stupides il y a encore quelques heures,mais qui à présent vous semblent raisonnables. Lesorganisateurs de cette course sont des salauds, toutsimplement, appelons les choses par leur nom. De queldroit vous imposent-ils cette montée hallucinante aucentième kilomètre ? Et ce détour, est-il vraiment indis-
pensable ? Comment est-il possibleque l’on laisse agir des types pareils entoute impunité ? Il faudrait les arrêter,les emprisonner, les mettre hors d’étatde nuire ! Que fait la police ? Vous n’avezplus qu’une envie, les dénoncer auxjournaux, mettre à jour devant les yeuxde tous leurs méfaits et leur cruauté. Sivous abandonniez, quelle claque ceserait pour eux ! Ils ne feraient plusleurs fanfarons en lisant ce que vousdéclareriez à la presse ! Les journauxlocaux feraient leurs gros titres de vosrécriminations : « Un concurrent dénoncel’inconscience des organisateurs et seporte partie civile ! Trois arrestations etdeux mises en examen ! Le directeur dela course tente de mettre n à ses joursaprès avoir demandé pardon au concur-rent dans une dernière lettre ! »Voilà, ça y est, vous êtes devenu fou !Complètement fou ! Vous êtes totale-ment à votre place dans cette courseréservée aux individus dans votre genre !Vous atteignez le dernier sommet, vousentamez l’ultime descente ! Ah ah ! Unrire sarcastique vous déchire la poitrine.Ils croyaient venir à bout de vous ! Ahles fous ! Il n’y a plus que des fous danscette course et vous vous sentez remar-quablement bien, vous n’avez jamais étémieux, vous êtes fou, irrémédiablementfou et c’est tellement bon !
Fin
Je ne saurais trop vous recommander la nouvelle « Putain de Roche Ecrite ! », récompensée par lePrix de la nouvelle de l’océan Indien et parue chez Orphie. Son auteur est le même que celui de cetarticle : c’est une garantie qui vaut de l’or.
22 ESCAPADE
AUTEUR PIERRE-HENRI AHO
ILLUSTRATION DROITS RÉSERVÉS PIERRE-HENRI AHO
Avec l’esprit des lumières et des moyens modernes pour contribuer aux avancées
de son époque, le naturaliste néerlandais Pollen a laissé à la postérité des dizaines
et dizaines d’illustrations sur la magnifique biodiversité de Madagascar
et des Mascareignes, ainsi que de précieux écrits nous enseignant grandement
sur le rapport de l’homme à la nature.
Ses souvenirs du XIX e siècle offrent l’occasion de se déconnecter de la « crise requins »
et rappellent la pertinence du rôle de l'histoire dans notre compréhension de ce que
nous sommes aujourd’hui. Un clair de lune sur notre passé mettant en lumière
la vie d’un de ces nombreux aventuriers qui ont laissé des traces tangibles
de leurs parcours au sein de l’Indianocéanie. Une image ancienne pour décrire
une réalité actuelle sous l’angle toujours variable,
mais vivant, de la tradition.
24 PATRIMOINE
Pêche nocturne aux requins à la Pointe des Galets
Genèse d’un voyage
Les Pays-Bas ont marqué la trépidante histoire
des conquêtes de la mer des Indes et le com-
merce international. Les Hollandais seront les
premiers à s'établir aux Mascareignes en 1598
et à imprimer des récits de leurs découvertes
tout au long du XVII e siècle. Près de 300 ans
après, dans la seconde moitié du XIX e siècle, un
naturaliste néerlandais du nom de François
Pollen publie une relation de son voyage de
trois ans à Madagascar et la plupart de « ses »
îles adjacentes, poursuivant une longue tra-
dition d’exploration, d’activités scientifiques
et commerciales de son pays dans nos contrées.
Dans son encyclopédie dont l’édition s’étale
sur six ans, Pollen documente et représente
la faune pour la postérité, en dressant un
inventaire des espèces animales observées
quelques années auparavant in situ.
Certaines, inconnues en Europe avant son
périple, portent son nom. À La Réunion, on lui
doit la première description du Tuit tuit et sa
classification scientifique !
Bien sûr, François Pollen observera également
avec une studieuse attention les sociétés de
l'océan Indien, participant à leurs rites et
coutumes, tout en arpentant leur territoire.
Ses publications contiennent un grand nombre
d’illustrations stupéfiantes, dont quelques-
unes mettent en valeur La Réunion 1.
Premières impressions sur La Réunion
Pollen livre une agréable et douce description
de Saint-Denis, en commençant par observer
la spécificité de ses habitants, préfigurant
les analyses anthropologiques bien connues
de son temps. Intéressé par la vie sociale, il
va jusqu'à regretter qu'il n'y ait pas un kiosque
à musique pour animer le jardin de l'État !
En visitant les alentours dionysiens, jusqu'à
Sainte-Marie, il admire une nature luxuriante
d’exotisme. Dès son arrivée, il est comblé d'un
sentiment unique qui ne peut se partager qu'
avec les personnes qui ont vu ces paysages
merveilleux, disait-il. La traversée de laMon-
tagne par ses sentiers nous rappelle à quel
point ce quartier est central dans l’arrivée
des visiteurs sur l’île avant l’invention des
moyens de transports modernes (du train
à l’avion, en passant par l’automobile). Son
observation géologique du littoral, qui n’a pas
encore de route du côté de la mer, lorsqu’il
prendra la navette entre Saint-Denis et La
Possession, surprend l'explorateur qui repu-
blie deux dessins de Louis Maillard dans le
texte de ce passage.
26 PATRIMOINE
À l’Etang Saint-Paul, il est subjugué par l’abon-
dante biodiversité qui y réside. C’est ici qu’il
commence, en compagnie du taxidermiste
et collègue aventurier Van Dam, la cueillette
et l’étude des spécimens qu’il ramènera en
Europe - allant des insectes aux poissons en
passant par les mollusques et les oiseaux
endémiques de notre région du monde.
Son émerveillement se poursuivra tout au
long de son voyage. Des hommes réunionnais,
il retiendra ses rencontres avec des notables
tels que Richard, Hery, le baron Daricault, le
Docteur Lacaille avec lequel il correspondait
avant son arrivée, Charles Coquerel, l’ancien
maire de Fondaumière qui parlait néerlandais,
et un certain Rétout 2. Pollen coopère ainsi avec
plusieurs érudits réunionnais et contribue
même à l'Album de La Réunion de Roussin,
qui imprime pour notre prestigieux voyageur
plusieurs de ses ouvrages et illustrations.
Pollen met d’ailleurs en relief tout au long de
son texte les études de savants réunionnais.
Témoin oculaire de la vie de ces contrées en
pleine mutation, il effectuera de nombreuses
parties de chasse et autres sessions d’études
de la nature environnante. S’il a su féconder,
en son temps, la science de ses trouvailles
biologiques, ses souvenirs des îles de l’océan
Indien méritent aujourd’hui notre plus grande
estime.
Epinephelus Retouti sera le nom donné à une espèce pêchée avec ce dernier qui laissa un très bon souvenir à Pollen. Dans la gravure en titre, Rétout est assis à côtédu feu. C’est lui qui emmena Pollen à sa toute premièrechasse aux requins dans l’océan Indien.
2
3
Extrait de Poissons de Madagascar et de l’île de La Réunion par François P.L. Pollen
« Les côtes de La Réunion abondent en requins, (Acanthias vulgaris) connus par les habitants
sous le nom de Requin aguilat, d’anges marins (Myliobatis aquila), qui acquièrent une gran-
deur considérable, et en s’occupant de la pêche, cela donnerait, comme nous l’avons dit, de
bons profits. Les pêcheurs de La Réunion s’en occupent cependant comme par hasard, et
nous attribuons cette négligence au fait qu’ils ignorent ce que les requins fournissent, ou
qu’ils ne possèdent pas toujours l’appât nécessaire ou les moyens efficaces. Du moins ce que
nous apprîmes, pendant notre séjour à La Possession de notre estimé ami M. Antoine Rétout
père, nous prouve qu’on n’avait pas toujours à sa disposition un animal mort, un cheval, une
vache, un âne ou un mulet, pour attirer les monstres, et on devait attendre ordinairement
qu’une telle occasion se présentât pour aller avec espoir de succès à la pêche, et même les
pêcheurs n’y allaient pas volontiers, parce qu’à cette pêche, il faut plusieurs gens (…)
Cependant si on s’en occupait davantage et qu’on put se passer des forces de l’homme par
des moyens artificiels, avoir plus de grandes provisions d’appât et trouver des débouchés
pour vendre l’huile, les nageoires et les peaux avec plus de profit qu’actuellement, cette
pêche serait très avantageuse (…)
Avant de se mettre à pêcher on a soin d’attacher à la côte quelque grand animal mort, au
moyen d’une ligne et d’une ancre, de manière qu’il soit toujours dans l’eau. Plus le cadavre
est vieux, plus on a de chances, puisque la putréfaction donne plus d’odeur et attire mieux
les requins. La pêche se fait le plus souvent par un temps obscur, sur un rivage plat. Le Point
des Galets où je fis cette pêche, on y trouve des rivages semblables à Saint-Paul, Saint-Gilles,
entre Saint-Louis et Saint-Pierre, au rivage de Champ Borne, entre Saint-Benoît et Sainte-
Suzanne et sur celui entre Sainte-Marie et le Butor, sans parler d’autres petites places (…).
Dans la nuit où nous assistâmes à cette pêche, on attrapa 2 requins de 12 pieds de longueur.
Les pêcheurs nous assuraient que la pêche n’était pas grande, que si elle avait été très
bonne, on en aurait attrapé une demi-douzaine. Chaque fois qu’ils attrapaient un requin, ils
lui ouvraient aussi soigneusement l’estomac pour en voir le contenu, qui consistait le plus
souvent en toutes espèces d’ordures, de vieux souliers ou d’autres objets, même de gros ga-
lets, et une fois quelques semaines après que nous eûmes fait notre pêche avec Rétout père,
on prit en société de notre ami Lantz un requin de l’estomac duquel on retira le bras d’une
femme blanche, dont un des doigts était orné d’une bague, probablement celle d’une nau-
fragée. On a eu soin de faire empailler le monstre, qui avait englouti ce noble membre, qu’on
a conservé aussi dans l’alcool. On trouve de très grands requins sur les côtes des isles Mas-
careignes, des Comores et de Madagascar, enfin partout dans les mers des Indes. Pendant
le jour, les requins aiment à suivre les navires au large, pour faire la chasse aux ordures et
aux restes de la table, qu’on jette par-dessus le bastingage, tandis que vers la nuit ils se rap-
prochent des côtes et des bas-fonds. Le célèbre voyageur Bory de St. Vincent mentionne
avec enthousiasme la pêche en vue de l’île de La Réunion d’un requin qui avait près de quinze
pieds de longueurs, 5 pieds et demi de circonférence et onze pouces d’un œil à l’autre…» 3
Pollen publie ces images en 1868 dans le premier tome du titre de son ouvrage qui en comprend cinq publiés chez différentséditeurs et qui s’intitule Recherches sur la Faune de Madagascar et de ses dépendances, d’après les découvertes de FrançoisP.L. Pollen et D.C. Van DAM. La première partie, intitulée Relation de Voyage, comprend une trentaine de planches représentantdes scènes et paysages remarquables qui illustrent le récit des deux aventuriers. En revanche, le texte ici cité est tiré d’une desparties du quatrième tome, publié en 1874 avec P. Bleeker comme co-auteur sous le titre Poissons de Madagascar et de l’île deLa Réunion, où sont reproduites 21 rares estampes représentant les poissons découverts lors du voyage de Pollen. Ces planchescolorées, surtout le texte qui les accompagne, nous renseignent considérablement sur la vie sous-marine en eau douce et dansles mers des deux îles ainsi que sur la description des pratiques traditionnelles de la pêche au XIX e siècle (Pollen, Les pêchesà Madagascar et ses dépendances, p. 17-18).
L’installation A reversed retrogress, scene 1 de Mary Sibandé,
exposée au musée Léon Dierx jusqu’au premier jour de mars, est un chef
d’œuvre d’art contemporain, une allégorie autobiographique ancrée dans
l’imaginaire fantasmé autant que dans l’histoire douloureuse de son pays,
l’Afrique du Sud. Une chance incroyable nous est offerte de pouvoir admirer
le travail de cette artiste de renommée internationale.
TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL
28 BEAUX-ARTS
MarySibandé
Au musée Léon Dierx
Jusqu’au 1er mars 2015
Du mardi au dimanche
De 9h30 à 17h30
Le règne du bleu
Une grande et majestueuse robe bleue affublée d’un tablier,
ou d’un accessoire de servante, c’est l’histoire de Sophie 1.
Depuis 2007, Mary Sibandé exprime à travers ses œuvres
cette opposition permanente entre servitude et liberté.
Tout a commencé en dernière année des Beaux-arts de
Johannesburg pour le passage de son diplôme. Jusque-là,
Mary Sibandé avait beaucoup crayonné sans savoir dans
quelle voie artistique elle allait s’engager, le stylisme l’attirait
également. Le sujet imposé pour son diplôme de n d’année
« s’interroger sur ses origines » ne l’inspirait pas alors que
ses collègues s’étaient déjà lancés frénétiquement dans
leurs recherches. C’est alors qu’elle rendit visite à sa grand-
mère qui lui racontait toujours plein d’histoires de sa jeunesse,
de ses rêves et de ses brimades d’antan. Le sujet était là et
depuis, Mary Sibandé n’a cessé de tirer le l de cette mémoire
en rendant hommage à sa grand-mère, mais aussi à toutes
ces femmes d’Afrique du Sud qui n’ont jamais pu quitter
leur rôle de servante. Mary Sibandé n’avait que neuf ans au
30 BEAUX-ARTS
moment de l’Apartheid, elle n’avait pas
véritablement conscience des bouleverse-
ments qui étaient en train d’émerger pour
la population noire, et pour les femmes
de son pays. Elle réalisa, comme un effet
boomerang, qu’elle était la toute première
de sa famille à pouvoir faire des études, à
être libre de travailler dans le domaine
qu’elle souhaitait.
C’est ainsi que Sophie est née, dans cette
robe de princesse, de style victorien, d’un
bleu intense, avec son accessoire de sou-
brette. Comme un dé au temps, Mary
Sibandé a donné à ses sculptures une allure
gigantesque, remis au centre de chaque
scène les désirs et les aspirations avec de
plus en plus d’audace, jusqu’aux scènes
purement oniriques. Toujours les yeux
fermés, « c’est là que les rêves deviennent
Sophie est, en Afrique du Sud, le nom couramment donné par les patrons blancs aux servantes noires.
1
réalité » 2, Sophie matérialise, sans cultiver la révolte, les
espoirs, les fantasmes de toutes ces femmes prisonnières
de leur quotidien, mais qui ont toujours gardé l’esprit libre.
La couleur est très importante en Afrique du Sud, et ce n’est
pas par hasard si elle a inondé de bleu sa créature fétiche -
son alter ego - parce qu’en fait, Mary Sibandé a d’abord voulu
entrer dans la peau de sa grand-mère,
« être à la fois la narratrice et la réalisatrice
de l’histoire ». Le bleu donc, symbole de
liberté qui renvoie aussi à la croix bleue
de l’église et à ces femmes – les servantes
de Dieu – de condition modeste, toujours
bien habillées le jour du Seigneur. D’autre
part, le choix d’un mannequin – en bre
de verre – lui est venu à l’esprit en sorte de
clin d’oeil, car, petite, elle aimait regarder
les vitrines et se disait : « Quand je serai
grande, j’achèterai toutes ces robes. » Mais
sa puissance de création ne pouvait pas
s’arrêter là, et à partir du mannequin sta-
tique, elle a créé, à chaque tableau, une
envolée lyrique où le réel et l’imaginaire
sont mis en contraste.
Entre rêve et réalité, le paradoxe existe dans
toute l’œuvre de Mary Sibandé avec des
Les extraits cités proviennent de la conférence de Mary Sibandé qui a eu lieu au Théâtre Vladimir Canteren novembre dernier, en partenariat avec le musée Léon Dierx.
2
32 BEAUX-ARTS
zones d’ombre, un jeu de miroir où le regard se soustrait du
réel, des ambiguïtés, où ce qui semble morbide n’est que le
reet d’une chrysalide en passe de devenir papillon.
Et le pourpre prend le pouvoir
Le temps est alors venu de faire évoluer son œuvre, d’appor-
ter quelque chose de nouveau. Et là, Mary Sibandé raconte
aujourd’hui une autre Sophie prise dans ses cauchemars,
« la construction-destruction », la dualité toujours, hantée par
les démons de la création, mais enracinée dans l’histoire de
son pays. Le bleu s’efface pour laisser place au pourpre. Le
pourpre est devenu une évidence. Pourpre, couleur que seuls
les riches pouvaient se permettre de porter à une époque,
car cette teinture coûtait excessivement cher ; pourpre, la
couleur du clergé, pourpre, la couleur de la magie. Et pourpre,
l’eau teintée lancée au canon par les policiers, à Cape Town,
sur les manifestants anti-apartheid pour les marquer an
de pouvoir les pourchasser et les arrêter.
On arrive ensuite à ce face-à-face entre le
bleu et le pourpre, entre des forces oppo-
sées, où « l’effondrement de l’une donne
naissance à l’élévation de l’autre ». En même
temps, Mary Sibandé exploite encore plus
loin l’histoire de ses ancêtres, avant Sophie.
Les créatures chimériques, branches ten-
taculaires, lianes ottantes, symbolisent
l’évolution de sa démarche artistique, « les
lignes invisibles qui se déploient comme
un rhizome, cheminent, se croisent, se
dispersent ». Pour la première fois, le visage
est masqué, tout le corps se fait absorber
en présage d’une disparition certaine, pour
repartir du début, de ses origines, de ce
qui sous-tend la naissance du personnage,
un bras levé et un bras baissé, livré au
public qui la regarde.
Chandigarh, située au nord-ouest
de l’Inde, est la dernière œuvre
réalisée par le grand Maître
Le Corbusier. Ville nouvelle construite
entre 1951 et 1965 au sortir de l’Indépendance
et du premier conflit
indo-pakistanais, Chandigarh a de quoi faire rêver
plus d’un étudiant réunionnais. L’ENSAM, École Nationale Supérieure
d’Architecture de Montpellier/La Réunion,
a permis à cinq de ses étudiants accompagnés de Pierre Rosier
le directeur, et de Jane Coulon leur enseignante, de réaliser ce rêve. En échange, cinq étudiants
du CCA - Collège d’Architecture
de Chandigarh - vont poursuivre les échanges
en venant compléter
leur projet sur notre île.
V O Y A G E
É T U D E S
C H A N D I G A R H
34 OCÉAN
INDIEN
TEXTE FRANCINE GEORGE
CROQUIS ET PHOTOGRAPHIE JANE COULON ET SES ÉLÈVES,
FRÉDÉRICK CAUMES, CÉLINE CHANE-SING-GUAN,
NORA DAHBI, MARGAUX HENRI-THIEULENT
ET SANDRINE LEC-KAO
36 OCÉAN INDIEN
Le Corbusier,
l’architecte du mouvement moderne
Né en octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds en
Suisse, Le Corbusier fut naturalisé français
en 1930. L’année 2015 fêtera le cinquantenaire
de sa disparition. L’Artiste, dans la mémoire
collective, est connu et réputé comme un des
pères fondateurs de l’architecture moderne.
Mais en fait, Le Corbusier laisse libre cours à
sa créativité généreuse et excelle tout aussi
bien en peinture, sculpture, décoration, fa-
brication de tapis, photographie, gravure,
dessin, littérature, poésie, même si l’archi-
tecture et l’urbanisme constituent le cœur
de sa virtuosité.
« Je suis peintre, fondamentalement, avec
acharnement, puisque je peins tous les jours.
J’ai commence,́ il est vrai, tardivement, à l’âge
de 33 ans, et tout de suite sérieusement. (...)
Le matin a ̀ la peinture, l’après-midi, à l’autre
bout de Paris, architecture et urbanisme.
Mesure-t-on à quel point ces jardinage, la-
bourage, sarclage patients et obstinés des
formes et des couleurs, des rythmes et des
dosages, alimentèrent chaque jour les archi-
tectures et les urbanismes qui naissaient au
35, rue de Sèvres ? Je pense que si l’on accorde
quelque chose à mon œuvre d’architecte,
c’est à ce labeur secret qu’il faut en attribuer
la vertu profonde. »
Le Corbusier à Chandigarh
Suite au conflit indo-pakistanais, après le
retrait de l’armée britannique en 1947, la
province du Penjab de l’Empire britannique,
située au nord-ouest de l’Inde, est scindée en
deux parties ; d’un côté la partie musulmane
revient au Pakistan, tandis que l’autre partie
sikh et hindoue revient à L’Inde. De là, une
nouvelle capitale pour le Penjab s’impose,
l’ancienne capitale Lahore étant restée pa-
kistanaise.
Jawâharlâl Nehrû, premier ministre du gou-
vernement, demande à Le Corbusier « une
cité libérée des traditions du passé, une ville
nouvelle pour l’homme libre, un symbole de
la foi de la nation en l'avenir ». Pays basé
ancestralement sur le principe des castes,
Nehrû souhaitait bâtir des villes résolument
modernes, incarnations de la République
indienne aux yeux du monde.
La réponse humaniste de Le Corbusier est
inscrite dans sa doctrine qu’il travaille
depuis presque 30 ans avec « la ville radieuse » :
« Mon devoir à moi, ma recherche, c'est d'es-
sayer de mettre cet homme d'aujourd'hui
hors du malheur, hors de la catastrophe ;
de le mettre dans le bonheur, dans la joie
quotidienne de l'harmonie. »
La construction de Chandigarh
Au pied de l’Himalaya, Chandigarh a été conçue
comme « une cité-jardin ». Le Corbusier, sur
la trame de Mayer, a structuré la ville en 60
secteurs, tous équipés des infrastructures de
base et reliés par un système de voies de V1
à V7 hiérarchisé par importance décrois-
sante. À ceci, s’ajoute une arborisation des
rues selon leur taille et leur orientation.
« Chandigarh sera la ville d’arbres, de fleurs
et d’eau, de maisons aussi simples que celles
du temps d’Homère et quelques splendides
édifices du plus haut modernisme où règnera
la règle mathématique… », soulignait Le
Corbusier dans sa démarche conceptuelle.
Pionnier de l’utilisation du béton brut, l’em-
preinte de Le Corbusier dans la ville tient aussi
à l’utilisation de ce matériau de construction
pour ses principaux édifices. « Puissent nos
bétons si rudes révéler que sous eux, nos
sensibilités sont fines. » Le climat tropical
humide avec de fortes amplitudes thermiques
n’a pas toujours été en conformité avec les
ambitions du concepteur, en terme d’isolation
notamment, lorsque le thermomètre signale
un 37 ° à l’ombre durant la saison chaude.
La zone piétonne du Secteur 17 - considéré
comme le coeur commercial - est le sujet
d’étude des étudiants de la CCA et de l’EN-
SAM.
Phare de Chandigarh, le complexe du Capi-
tole surplombant la ville au nord-est est
dédié à l’administration du Penjab et du
Haryana : la Haute Cour, le Secrétariat, le
Palais de l’Assemblée. Et pour parfaire le
tout, La Main Ouverte, sculpture symbole de
Chandigarh.
LA MAIN OUVERTE
Elle est ouverte puisque
tout est présent disponible
saisissable
Ouverte pour recevoir
Ouverte aussi pour que chacun
y vienne prendre
Les eaux ruissellent
le soleil illumine
les complexités ont tissé
leur trame
les fluides sont partout.
Les outils dans la main
Les caresses de la main
La vie que l'on goûte par
le pétrissement des mains
La vue qui est dans la palpation.
Pleine main j'ai reçu
Pleine main je donne.
Extrait du poème de L’angle droit de Le Corbusier
38 OCÉAN INDIEN
Jace,l’artiste tout-terrain
40 RENCONTRE
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE & ILLUSTRATION JACE
Il marche d’une allure de géant, le dos légèrement courbé
– l’habitude de se camoufler dans une capuche ? – un pas chassant lourdement l’autre. Mais ce qui le caractérise vraimentc’est l’infinie gentillesse qui émanede son regard, un regard tout sourire, d’une grande finesse.Jace, l’homme invisible, plus par jeu que par nécessité aujourd’hui, la quarantaine sonnante, a toujoursenvie de jouer les diablotins dans la rue. Père du Gouzou depuis maintenant 22 ans, cet artiste réunionnais à la dimension internationale, a dessiné son petitbonhomme ocre dans les endroitsles plus visibles comme les plusinaccessibles. Un tag, une grandefresque, le Gouzou, aujourd’hui uneinstitution, a investi la planète et livre son message, léger, drôle,tendre, absurde, caustique …Très sensible à la rencontre et à l’échange, l’artiste subversif, le roi du détournement, cherche toujours de nouvelles pistes à explorer. Dernièrement, il a marquéd’un geste artistique le tunnel d’entrée dans la capitale de l’outre-mer autant qu’il a peint, avec grandbonheur, les toiles des pêcheursVezo à Madagascar. Derrière l’artiste, se cache un grandprofessionnel au cœur tendre.
42 RENCONTRE
Qu’est-ce qui vous a amené au graff ?
J’ai utilisé ma première bombe lorsque j’avais dix ans pour
peindre mon vélo d’un beau rouge pailleté. S’il vous plaît !
Au lycée, je lisais beaucoup de comics et puis, en cours de
dessin, je suis tombé sur un livre Subway Art qui retrace le
travail des graffeurs new-yorkais sur le métro et ça a été un
grand choc pour moi, j’étais en admiration devant ces légendes
du Graffiti. J’ai eu un gros ash, je trouvais ça cool, ce côté
underground. C’était l’époque du Hip-Hop, de la culture
skate, j’étais en plein là-dedans. À La Réunion, nous étions
une poignée à peindre sur l’île lorsque j’ai commencé mes
premiers tags en 1989.
Comment est né le Gouzou ?
J’ai d’abord tâtonné. À l’époque, c’était le dogme de la lettre
et je souhaitais réaliser quelque chose de plus personnel,
c’est comme ça qu’est né ce petit personnage coloré en
ocre, sans visage, un peu baba cool. C’était en 1992. Au début,
j’intervenais sur des affiches publicitaires que je détournais
et aussi sur les affiches de minitel rose, il y en avait beaucoup
à l’époque.
Et maintenant le Gouzou est devenu une institution…
Oui, le Gouzou est majeur et vacciné, il a maintenant 22 ans !
À l’origine, le Gouzou était simplement une bouffée d’oxygène,
je me destinais à faire de la déco, des choses plus sérieuses
et je m’éclatais à dessiner, en parallèle, des Gouzous dans
la rue. Et puis, le public a répondu favorablement. Ça s’est
enchaîné naturellement, les gens se sont intéressés à moi,
j’ai travaillé sur différents supports, j’expose en galerie, mais
je continue à peindre dans la rue. C’est important pour moi
de me dire que je me lève le matin, j’ai quelque chose à dire,
quelque chose à partager, je ne suis pas le énième mouton
qui traîne ses pieds pour aller bosser.
Pourquoi le Gouzou sans visage ?
Cela permet tout simplement à chacun de
s’identier, d’imaginer ce qui lui passe par
la tête en voyant mon petit personnage,
c’est une façon aussi de lui donner plus de
force dans certaines situations.
Que raconte le Gouzou ?
Je ne délivre pas forcément des messages
avec le Gouzou, je m’insurge bien évidem-
ment contre ce monde capitaliste, contre
le monde boursier, ce pouvoir nancier
qui nous domine, contre la consommation
à outrance. Mon personnage est dans la
dérision, mais aussi dans l’auto-dérision,
je dénonce également ma propre bêtise !
Vous avez des formes d’expression
assez caustiques parfois…
Oui, j’essaye d’exprimer mon engagement
avec humour, c’est parfois incisif. Mais,
parfois, il y a des choses plus poétiques.
Une fois, j’avais détourné une affiche
publicitaire pendant une campagne élec-
torale, et je l’ai vue, par la suite, placardée
dans le bureau d’un élu !
Comment ça se passe, vous faites
du repérage avec une idée en tête ou
vous improvisez sur place ?
Il n’y a pas de processus déni. Je tombe
sur un spot qui m’inspire et je crée de
toutes pièces ou je feuillette mon carnet
de dessins, et je trouve quelque chose qui
me plaît. Parfois, je repère un spot et je
me dis, il n’y a qu’à cet endroit-là que je
peux exprimer cette idée. Donc, ça dépend…
Le temps de créer un Gouzou…
Une peinture de jour peut durer cinq minutes à plusieurs
heures. Mais, en général, je ne m’éternise pas sur les lieux
du crime. Il m’est arrivé de peindre un mur pendant 7 heures,
la nuit, sans lumière et d’autres fois trois murs d’affilée.
Les risques du métier…
Pendant de nombreuses années, j’ai joué avec le feu. Je me
suis fait arrêter moult fois, j’ai eu des amendes, des menaces
de plaintes. La pire expérience, c’est à New York. C’était en
1999. Quand je suis parti là-bas, j’étais comme fou. C’était
comme si je partais en pèlerinage, je me rendais à la Mecque
du Graffiti ! J’étais avec des potes du côté de Broadway. Alors
là, tolérance zéro ! On avait à peine sorti nos bombes – qui,
entre nous soit dit, avaient déjà été retenues à l’aéroport
pendant 24 heures dans nos sacs alors que ça se passait bien
avant le 11 septembre – que les ics sont arrivés. Ils m’ont
embarqué, menotté et je suis resté en garde à vue pendant
trente heures. Je n’en menais pas large. J’avais un avocat
commis d’office. Il a cherché le propriétaire du mur – pourri
– et il ne le trouvait pas. Puis, ils m’ont enn relâché en me
disant que je n’étais pas le bienvenu aux USA ! J’avais la
boule au ventre, mais j’y suis retourné pour exorciser ma
peur.
Les risques physiques…
J’ai un affreux vertige, mais ça ne m’empêche pas d’aller
graffer une falaise la nuit, accroché à un arbre, ou à un rocher,
parfois dans des postures vertigineuses.
Vous avez réalisé le pilier témoin du pont Saint-Étienne,
le tunnel du Barachois…
C’était vraiment du sport. Pour le pilier, ça n’a pas été facile.
Pour le tunnel, c’était encore pire, je me suis greffé sur les
travaux pendant trois nuits. Il n’y avait pas de nacelle, c’était
vraiment acrobatique !
Depuis le 11 septembre, la réglementation est devenue
drastique pour les aérosols…
Oui, nous n’avons plus le droit de voyager avec nos bombes
aérosols. C’est toute une organisation, il faut les commander
dans le pays où l’on va, parfois j’ai des contacts, ça s’arrange
bien, ce n’est pas toujours facile, je m’adapte !
La chasse aux Gouzous…
Ce n’est pas un travail en solitaire, les gens
réagissent à ce que je fais, il y a une vraie
interaction avec le public. Quand je voyage,
je m’amuse avec les clichés locaux, c’est
souvent efficace. Parfois, je peux faire peur,
avec mon grand chapeau, mes lunettes et
mon masque, parfois les gens rigolent,
parfois j’ai quelques surprises…
Par exemple…
Au Havre, j’avais trouvé sur la plage un
vieux tuyau percé, et je me suis dit, tiens
ça fera bien la trompe de l’éléphant, je
sors mes bombes et en un temps, trois
mouvements, je fais mon dessin. Dans
mon dos, j’ai entendu une maman dire à
son ls : « Viens voir, il y a un crocodile,
là. » … Je me suis dit, oups, il est temps que
je m’en aille !
Vous parlez d’interaction avec le public,
quel exemple vous a marqué…
J’étais pion dans un collège pendant mes
études et j’avais sympathisé avec un jeune.
Il m’a demandé de faire le logo et un mur
d’une Poussada, une sorte d’auberge au
Brésil. J’étais donc avec lui dans les quar-
tiers chauds de Fortaleza, et on s’est fait
une virée de nuit. Je ne parlais pas un mot
de portugais, ni de brésilien. Je l’ai donc
suivi avec ses potes, on a commencé à
peindre ensemble, à gauche, à droite, et
puis je me suis mis à peindre un gamin
avec des ingues, et je me suis retourné
pour lui demander comment ça se disait
en brésilien, et là, j’avais en face de moi la
maman avec plein de gamins autour qui me
regardaient et il y en avait un qui portait
un ingue !
44 RENCONTRE
Lorsqu’un Gouzou disparaît…
Oui, c’est un art éphémère, je le sais bien. Même si les pein-
tures à la bombe sont tenaces, il y a des couleurs qui passent
plus vite avec les UV, comme le rose, le violet, le rouge. On
peint souvent sur des endroits qui sont destinés à être détruits
aussi. L’œuvre achevée, j’ai appris à m’en détacher. En 25
ans de pratique et avec plusieurs milliers de graffs à mon
actif, il ne doit en subsister que 10 %, au mieux !
Récemment, à Saint-Pierre, l’équipe de nettoyage
de la CIVIS a repeint une de vos fresques murales alors
que par ailleurs, elle vous a commandé le relooking
de ses bus…
J’étais évidemment un peu déçu, d’autant qu’il y avait des
murs bien plus crasseux à nettoyer et, ce qui m’a étonné,
c’est que nous avions reçu l’autorisation de peindre. Après,
l’humain est une erreur… Euh… Pardon, l’erreur est humaine.
Mais, toute blague mise à part, c’est surtout dommageable
pour les étudiants qui se sont investis dans le projet et pour
les marmailles malentendants qui l’ont réalisée, ils étaient
tellement contents de leur après-midi. Maintenant, il ne
faut pas en faire une affaire d’État, c’était une erreur.
Vous avez souvent affaire à ce genre d’erreur…
Ça m’est déjà arrivé justement sur Saint-Pierre pour le seul
mur pour lequel j’avais reçu une autorisation, c’est à se
demander ! Bon, en contre-exemple, je peux dire que la
Communauté d’agglomération m’a demandé s’ils pouvaient
effacer une de mes interventions, car la surface initiale était
pourrie et ils m’en ont ensuite commandée une autre.
Vous gardez une trace de vos dessins….
J’archive tous mes dessins dans des car-
nets. Mes créations sont protégées.
À ce sujet, vous avez intenté un procès
à une marque chinoise…
Oui, ce n’était pas évident du tout. C’était
en 2007, un fabricant de textile chinois
avait plagié mon Gouzou sur une chemise.
C’est pas facile de gagner un procès avec
eux, parce qu’ils ont des moyens colossaux,
c’était vraiment David contre Goliath et ils
partent du principe qu’ils nous font l’hon-
neur de nous copier. Mais j’ai tenu bon,
et ça a fait jurisprudence.
Les Gouzous font partie du paysage
réunionnais, ils ont parcouru le monde,
mais c’est à partir du Havre que tout
a décollé…
Oui, j’ai commencé en Métropole dès 93,
lorsque je suis parti au Havre, ma ville
natale, pour nir mes études de Bio.
C’est une ville portuaire et industrielle,
reconstruite après-guerre en béton gris,
un bon terrain de jeu ! En 1996, j’ai fait
ma première expo collective, Biograffiti.
De là, je suis parti en Europe, en Angleterre,
en Italie, en République Tchèque, en Al-
lemagne, dans le quartier rouge d’Amster-
dam, où j’ai eu un peu chaud aux fesses,
les mecs n’aiment pas trop que l’on inter-
vienne sur leur mur, ça devient un repère
trop visible. Puis, New York, le Brésil, la
Chine, l’Inde, la Thaïlande, l’Afrique du
Sud… Peindre dans la rue est propice à la
rencontre et ça m’a aussi donné la possi-
bilité d’échanger avec les artistes du pays,
ce qui est toujours une belle expérience.
Vous avez investi les rues, mais vous avez fait pas mal
d’expositions…
Oui, j’ai fait plusieurs expos à Paris, en Métropole, à Londres,
Budapest, Bombay, Bangkok, Capetown, Johannesburg….
L’expo collective de Bombay était intéressante. Nous étions
plusieurs artistes réunionnais à partir en Inde, Pondichéry
puis Bombay. C’était dingue parce que tout ce qui est du
domaine public est soumis à une autorisation préalable
encore plus stricte qu’ailleurs. À Bombay, je me suis évadé
du groupe et je suis parti tout seul, de mon côté. Et pendant
15 jours, je me suis perdu dans les rues de Bombay à taguer
dès qu’un endroit me plaisait. C’est une grande mégapole,
il y avait du monde partout. Je me sentais mal à l’aise. Les
gens s’agglutinaient autour de moi, c’était assez intrusif,
j’aime bien avoir mon espace, mais d’un autre côté, c’était
super, ça avait un goût de reviens-y. Le style Bollywood, plein
de couleurs, m’a inspiré pendant plusieurs mois.
Vous êtes exposé à la galerie MathGoth à Paris…
Oui, c’est en plein quartier chinois. J’avais auparavant fait
une expo dans leur lo une année, ça avait bien marché, on
a sympathisé et puis voilà ! Il y a la galerie Hamon au Havre
où je suis en expo permanente aussi.
L’endroit, à l’étranger, où vous vous êtes senti le plus
à l’aise ?
En Thaïlande, les gens sont tellement gentils, toujours prêts
à rendre service, ils regardent en silence, ça changeait de la
cohue de Bombay. Et bien sûr, à Madagascar, c’est un endroit
fétiche pour moi, c’est ce qui me tient le plus à cœur.
Quelle est l’expérience qui vous a le plus marqué ?
À New York, j’ai fait une résidence d’artistes dans le quartier
de Manhattan pendant deux mois sur un immeuble à
l’abandon. Nous étions plusieurs artistes à l’intérieur et à
l’extérieur. C’est ce qui est chouette dans le Graff, on met
son ego de côté et on peut réaliser une œuvre à plusieurs
artistes en l’espace de quelques heures.
D’autres prestations, un peu atypiques….
Oui, à Pantin, sur le canal de l’Ourq, j’ai
réalisé une énorme fresque de 20 mètres
de haut. Et puis, un clin d’oeil, j’ai fait un
tag sur un mur qui a servi de décor au lm
Régis Wargnier Pars vite et reviens tard
avec José Garcia.
Comment vous percevez les ateliers
en prison…
Je reviens d’un atelier de graff à Mayotte
et ça m’a beaucoup marqué. La prison, c’est
un lieu hermétique, ce n’est pas l’espace de
la rue. Ça me donne des frissons à chaque
fois que je passe la porte, j’ai grandi dans
l’univers du Graffiti et ça me pend au nez
à chaque fois. Je me dis tiens, si je me fais
arrêter dans un pays étranger, voilà ce qui
va m’arriver.
D’ailleurs, c’est ce qui m’est arrivé à New
York. J’ai déjà fait plusieurs ateliers, au
Port, à la prison de Domenjod, au Havre,
à Madagascar… et à chaque fois, c’est vrai-
ment un grand moment. C’est une paren-
thèse d’un côté comme de l’autre. Pour
les prisonniers, c’est comme une touche
d’espoir, une façon de se projeter dans
l’avenir, et pour moi, j’apprends beaucoup
d’eux, de leurs conditions de vie. C’est une
vraie rencontre.
46 RENCONTRE
Vous ne vous exprimez pas seulement sur un mur,
un bout de tôle ou une falaise, mais aussi sur les voiles
des pirogues de pêcheurs…
Oui, le délire ! La première fois, en 2003, nous étions cinq,
quelqu’un lmait aussi. Ça avait mal commencé, nous nous
sommes fait prendre nos bombes de peintures à l’aéroport.
Les pêcheurs, des personnes vraiment adorables, nous
ont préparé des décoctions de plantes, du goudron fondu…
pour que nous puissions retrouver les couleurs que l’on
nous avait consquées.
Madagascar, pour moi, c’est toujours un grand événement.
Au moment où toutes les voiles ont été mises à l’eau, c’était
magique, comme un rêve de gamin !
C’est à Madagascar où je ressens le plus de choses. Il n’y a
pas d’eau, pas d’électricité, c’est un voyage dans le temps.
On a l’impression d’être un saltimbanque, là-bas.
J’y suis reparti en 2009 avec d’autres artistes en partenariat
avec le Leu Tempo festival. On a monté un projet. On leur
offrait des voiles toutes neuves et on prenait leurs vieilles
voiles pour faire une expo ici.
En 2013, j’ai invité huit artistes, on a monté des partenariats
avec Air Madagascar et Mauvilac sur le même principe, on
leur a donné quarante voiles neuves, les huit artistes, des
graffeurs italiens, espagnols, métropolitains, réunionnais,
chacun avec sa propre écriture... nous sommes partis trois
semaines là-bas, c’était un festival !
On va faire un DVD et sortir un livre.
Vos sources d’inspiration aujourd’hui ?
Au départ, ça a été bien sûr la BD, Hergé en particulier, puis
la mouvance graffiti new-yorkaise et parisienne des années
70-80. Keith Haring, notamment, et maintenant, c’est plus
le quotidien, ce qui m’entoure, ce qui me fait réagir.
Et au niveau musique, toujours attaché
au Hip-Hop ?
Non, ça varie tous les jours, j’aime beau-
coup les artistes réunionnais, autant que
la musique punk, la musique indienne,
le reggae…
Vous avez publié quelques ouvrages
sur les Gouzous à travers le monde,
mais aussi les ches d’électrocution
scolaires qui ne sont pas à mettre entre
toutes les mains …
Je suis un autodidacte, mais mon univers
reste le dessin. Je continue à explorer plein
de pistes. Là, il s’agit de ches scolaires
très moralisatrices qui datent de quarante
ans et je me suis fait un plaisir de les
détourner.
Votre avenir immédiat…
Des projets dont je ne peux pas encore
parler et d’autres qui se précisent, un
atelier avec des jeunes à Diego Suarez, un
atelier en prison à Mada aussi, un projet
pour le carnaval en Colombie…
Vos lieux d’évasion
Je vis au Tampon, en pleine nature et quand
je pars, j’ai envie de voir du monde, que
ça grouille, qu’il y ait le plus de spots pos-
sibles, pour moi la ville, c’est l’exotisme !
Votre rêve
J’ai un projet de lm d’animation et j’aime-
rais bien faire un lm comme Kusturica,
c’est un fou, c’est absurde… et ça me plaît !
Depuis le début, la vie m’a réservé de belles
surprises, alors, je me laisse porter.
Le mot de la n…
Tant que ma main droite fonctionne en
adéquation avec mon cerveau, je continue-
rai à égayer le quotidien des gens, n’en
déplaise à certains….
Gouzou de par le mondeSur un tuyau percé, un mur délabré, une épave,du pôle Nord au pôle Sud,dans la neige, le désert, au cœur des villes,sur les toiles des pirogues des pêcheurs Veso à Madagascar,le Monde ♥ Jace.
OEUVRES DE JACE
48 HORIZON
à l’est de madagascar
La côte Est
Afrique du Sud
Mozambique
Tanzanie
TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL
AU CENTRE DE L’ÉDEN,
IL Y A LE CANAL
DES PANGALANES
SITUÉ SUR LA CÔTE EST
DE MADAGASCAR.
LE CHAPELET D’ÎLES,
DONT L’ÎLE SAINTE-MARIE
ET L’ÎLE AUX FORBANS,
LUI FONT ÉCHO JUSTE
EN FACE DE TAMATAVE,
PREMIER PORT
DE MADAGASCAR.
UN VOYAGE DANS LE TEMPS
ET DANS L’ESPACE
À NUL AUTRE PAREIL.
51 VOYAGE-VOYAGE
52 VOYAGE-VOYAGE
Tamatave, le port d’attache
L’océan est ainsi du côté de Tamatave, fou-
gueux dès les premières lueurs du jour. D’un
bleu de nacre, il déverse sans relâche ses
rouleaux, laissant une brume rafraîchissante
sur le rivage d’où l’on peut observer le va-et-
vient des pêcheurs qui poussent leurs barques
ou tirent leur filet, le soir venu. Il est toute-
fois déconseillé de s’y baigner, mieux vaut
partir plus au nord, pour profiter du lagon de
Foulpointe. Toamasina – Tamatave – pays des
Betsimisaraka – en traduction littérale, les
nombreux qui ne séparent pas – est située à
360 km de Tana, sur la côte est de Madagas-
car face à l’Océan Indien. Le plus grand port
de l’île rouge, construit en eaux profondes en
1929, après que le cyclone de 1927 ait détruit
la ville, fournit 35 % des emplois directs. Port
pétrolier, une grande raffinerie longe la zone
portuaire laissant au paysage ses masques
ingrats d’activités industrielles…
Point d’arrivée des denrées importées à
Madagascar, c’est aussi le point de départ
des denrées exportées, café, vanille, poivre,
girofle… La ville sent bon les épices, surtout
au marché où elles sont vendues en petits
sachets. On peut y déguster, paraît-il, les
meilleures soupes chinoises de tout l’océan
Indien. Il est très agréable de flâner dans
Tamatave, ville plate, quadrillage du centre
facilitant le repérage, pousse-pousse à bras
ou à vélo, dès qu’un brin de fatigue se fait
sentir, grandes allées bordées de banians, à
l’ombre desquels une pause contemplative
n’est pas inutile. De nombreuses excursions
s’effectuent à partir de Tamatave. Tout près,
sur l’île aux prunes, le plus grand phare de
l’Afrique s’érige à 60 mètres de hauteur. Aux
alentours, réserves naturelles et parcs zoo-
logiques permettent de découvrir la beauté
sans pareil de la forêt tropicale où se logent
caméléons et lémuriens qu’il est toujours plai-
sant de croiser sur son chemin. Tamatave,
c’est aussi le point de départ d’un fabuleux
voyage sur le canal des Pangalanes et vers
l’île Sainte-Marie….
Office Régional de tourisme de Tamatave
Maison de l’Information - 83, Boulevard Joffre
Toamasina 501 - MADAGASCAR
Tel : +261 (0)20 53 349 06
GSM : +261 (0)34 45 450 85
[email protected] ou [email protected]
www.tamatave-tourisme.com
54 VOYAGE-VOYAGE
Sainte-Marie, l’île aux forbans
Très longiligne, l’île Sainte-Marie s’étire sur
presque 50 km de long et ne mesure que 5
km de large. Île principale d’un archipel de
petites îles, le paysage est très diversifié du
nord au sud. Lagon et eau turquoise au sud,
mangrove à l’est, forêt tropicale au centre,
piscines naturelles au nord, station balnéaire
à l’ouest, et partout, la gentillesse des habitants,
le calme et le charme d’antan retrouvés.
Le chef-lieu Ambodifotatra est un village qui
recèle quelques trésors historiques, le Phare
des Sorciers, le square Albrand, la fontaine
de Saint-Ignace, le vieux port du petit bara-
chois, l’ancienne citadelle de la Compagnie
des Indes, et la toute première église catholique
de Madagascar. Observatoire des baleines à
bosse de juin à septembre, l’île Sainte-Marie
bénéficie d’un climat tropical clément.
Située aux confins de deux grandes routes
commerciales, celle de la Mer rouge et celle
de la route des Indes, elle fut, au XVII e et au
XVIII e siècle, un refuge pour les pirates. De
grands noms de la piraterie y sont évoqués,
John Avery, William Kidd, la Buse… et dans
la baie des Forbans, plusieurs vaisseaux y
ont échoué. Un projet de recherches archéo-
logiques maritimes est lancé… la chasse au
trésor est ouverte !
56 VOYAGE-VOYAGE
Le canal des Pangalanes
où coule la vie douce
Entre lacs et lagunes, le canal des Panga-
lanes démarre à Tamatave pour s’éteindre
700 kilomètres plus bas à Farafangana en
longeant l’océan. Les jours s’écoulent souriants
et paisibles sur le canal des Pangalanes. Les
habitants des rives puisent dans la forêt les
ressources de la terre, et sur le fleuve, pêchent
encore à la nasse. Des boutres glissant sur
l’eau, on aperçoit quelques constructions
éparses sur pilotis et des enfants qui courent
en riant et puis viennent sauter dans l’eau
pour se rafraîchir.
58 VOYAGE-VOYAGE
Parfois, on peut croiser des embarcations
précaires faites de bois évidés qu’un pêcheur
dirige à la pagaie. Le soir, les berges s’animent,
toilette, vaisselle, brossage des dents, cha-
cun vaque à ses occupations avant la veillée
nocturne. Une grande parenthèse pour res-
pirer l’air de la vie !
L’histoire du canal des Pangalanes remonte
au temps de la colonisation française. Le gé-
néral Gallieni ordonna en 1896 la construc-
tion du canal pour faciliter les transports de
marchandises qui échouaient souvent sur
les bancs de sable et qu’il fallait transborder
d’une rive à l’autre de ce maillage inextricable
de lacs, de lagunes et de cours d’eau. L’objectif
de Gallieni étant de prendre possession des
lieux afin de pouvoir exercer un meilleur
contrôle sur sa région administrative. Cette
nouvelle voie fluviale a été inaugurée en 1901.
60 AKOUT
DJ DANS L’AIR DU TEMPS
Jérôme Pacman se découvre très tôt une passion pour la musique. Nous sommes dans les années 80, la
culture hip-hop émerge et Jérôme adhère au mouvement en devenant « break dancer ». Quelques années
plus tard, c’est en passant des vacances à Ibiza qu’il a une nouvelle révélation : la House Music. Le
Summer Of Love et l’avènement de l’Acid House sont des évènements marquants qui lui donneront
envie de passer derrière les platines. Sa carrière est lancée. En plus de jouer dans les clubs les plus
renommés tel que le Rex Club, Jérôme participe aux phénomènes des raves parties à Berlin pour Mayday
et à Londres pour le Club Uk.
Jerome
PORTRAIT
ET PROPOS RECUEILLIS PAR
GUILLAUME PEROUX
Pacman
En 1995, il sort « Mouvement Perpétuel » référencé parmi les 50 meilleurs titres de l’année par le
magazine Muzik. Il devient aussi résident du collectif Magic Garden. Ce dernier donne naissance aux
fameuses compilations « Jérôme Pacman’s House Café ». Quelques années plus tard, la sortie d’un autre
mix « Jérôme Pacman’s Family » lui vaut d’être encensé par la presse (notamment par Dj Mag). En 2004,
Jérôme sort le maxi « Hot Flashes » puis signe un remix de « Let Me Ask You » de Shonky, le tout sur
le label Freak n’Chic. Depuis le début, Jérôme Pacman n’a jamais perdu son identité musicale. Cette
intégrité lui a permis de rester l’un des DJ’s français les plus respectés.
62 AKOUT
EN TANT QUE PILIER DE LA SCÈNE ÉLECTRONIQUE PARISIENNE,
PEUX-TU NOUS RACONTER CE QU’ÉTAIT L’AMBIANCE DES DÉBUTS ?
Ce qui était différent de maintenant, c’est que tout le monde vivait la même chose au même moment. Il
n’y avait pas d’antécédents. C’était « la première fois » pour tous. Il y avait beaucoup d’innocence et en
même temps on sentait qu’on était en train de vivre un truc unique, presque révolutionnaire. De ce fait,
c’était une ambiance de communion.
De plus, il n’y avait pas internet ni de médias, les soirées étaient « secrètes », parfois illégales, et pouvaient
attirer des milliers de personnes dans des endroits insolites qui changeaient d’un week-end à l’autre.
C’était la course à l’information pour savoir où cela se passait. Ça pouvait parfois ressembler à un jeu
de pistes pour y aller. Tout cela donnait une part de mystère et de magie aux soirées.
QU’EST-CE QUI A PRINCIPALEMENT CHANGÉ AUJOURD’HUI PAR RAPPORT
AU DÉMARRAGE DU MOUVEMENT ?
Depuis l’avènement des Da Punk, particulièrement à la sortie de leur premier album Homework en
1997, tout s’est professionnalisé. Environ 2 millions d’albums vendus, ça a fait changer la vision que
beaucoup avaient ou n’avaient pas de cette musique. Les médias ont beaucoup contribué à ça. Nous
étions revenus et acceptés dans la société.
Aujourd’hui, avec internet, il est beaucoup plus facile de savoir ce qu’il se passe, mais aussi de se faire
une oreille musicale, car on a accès à tout très rapidement. Du coup, la scène électronique est devenue
beaucoup plus mûre. Il y a énormément d’artistes intéressants. Le fait qu’il n’y ait plus besoin d’investir
une année de salaire dans du matos et pouvoir tout faire avec un ordinateur a libéré des talents, mais
également des conneries. 90% des productions actuelles sont faites sur un ordinateur sans une âme
derrière qui pilote.
TU N’ES PAS SEULEMENT DJ, TU PRODUIS AUSSI DES TITRES, DES REMIX
ET DÉJÀ QUELQUES CD MIX. QUELS SONT TES GUIDES ET INFLUENCES ARTISTIQUES ?
Je n’ai pas vraiment d’artistes de prédilection, c’est une vision globale. Ce que je peux dire c’est que j’ai
un background qui vient de l’électro et du hip-hop (la 1ère vague des années 80), du Funk, de la Soul,
une partie de la New Wave, de ce qu’on appelait l’Acid Rock dans les années 70, et aussi un peu de Pop
et de chanson française (lol).
Je suis évidemment aussi inspiré par tout ce que j’ai connu depuis mes débuts jusqu’à aujourd’hui en
House et Techno. Les productions de Chicago, New York, Detroit, de la n des années 80 à aujourd’hui.
L’ambient, la bleep et la progressive house londonienne des années 90. La minimale/micro et les
productions actuelles qui viennent de l’est de l’Europe notamment (Russie, Roumanie, Ukraine).
DEPUIS TON PREMIER SAMPLER « AKAI 950 », TON HOME STUDIO
A DÛ BIEN ÉVOLUER, TU PEUX NOUS DÉCRIRE TON UNIVERS DE CRÉATION ?
J’ai un studio composé de « hardware » et de « software ». Je ne suis pas un tout analogique ou tout
numérique. J’utilise des machines des marques Elektron, Moog, Korg, ou Waldorf.
Côté programme, je travaille essentiellement sur Logic ou Live. Les deux ont leurs atouts et leurs défauts.
Ça dépend des créations. Le « workow », c’est-à-dire la manière de travailler, sera différente en fonction
du programme utilisé.
D’une manière générale, j’utilise le hardware pour le rendu organique et les softwares pour l’éla-
boration sonore. Je bosse quelques jours sur un morceau puis je le laisse en quarantaine une semaine
ou deux. Pendant ce temps je travaille à autre chose, j’expérimente ou je commence un nouveau truc,
puis je reviens sur mon morceau. Ça me permet d’avoir du recul et de voir plus clairement ce qui va
ou ne va pas, faire le ménage, continuer, terminer ou abandonner.
QU’EST-CE QUI FAIT QU’UN DJ SORTE DU LOT ET DEVIENNE UNE « RÉFÉRENCE » ?
ET QUELLES SONT LES QUALITÉS QUI TE FONT DURER DANS CE MÉTIER ?
Aujourd’hui c’est difficile à dire. Beaucoup d’organisateurs privilégient les « bancables » comme on dit
ou bien des DJ sans talent qui ne leur coûtent pas un rond. C’est difficile de se faire une place.
Je crois qu’il faut être authentique, trouver sa propre originalité, rester dèle, chercher à s’approfondir
et savoir évoluer. Ça ne veut pas dire que l’on ne doit pas être inspiré par d’autres, au contraire, mais
plutôt ne pas faire comme les autres.
Pour durer, il faut savoir se remettre en cause, c’est à mon avis essentiel. Ceux qui passent comme des
étoiles lantes sont souvent des DJ qui sont restés sur des positions et qui n’ont pas su évoluer. Ça peut
être aussi des personnes qui sont arrivées au bout de leurs limites tout simplement.
PARMI TOUS LES ÉVÉNEMENTS FRANÇAIS OU INTERNATIONAUX
QUE TU AS FRÉQUENTÉS, LESQUELS T’ONT GRAVÉ LE PLUS DE SOUVENIRS ?
Encore une fois, difficile à dire. Bien souvent j’ai de très bons souvenirs de soirées que ce soit avec 200
personnes ou 10 000 personnes. Alors, pour répondre, je vais dire que ce qui m’a le plus marqué ont été
les soirées Mozinor à Paris à mes débuts ainsi que certaines « raves parties ». Des soirées en Italie dans
les années 90 notamment à Rimini, je pense particulièrement à Exogroove, avec toute cette foule
excentrique qui ne demandait qu’à rêver, puis beaucoup de soirées en Angleterre dans les années 2000,
bien souvent à Londres comme à The End. Et enn des soirées qui se passent à Paris aujourd’hui, comme
Katapult ou Concrete par exemple.
64 AKOUT
CES GRANDES SCÈNES À TRAVERS LE MONDE ONT ÉTÉ L’OCCASION DE MULTIPLES
COLLABORATIONS AVEC DE GRANDS NOMS DU DJING, QUELLES RENCONTRES
RESTENT LES PLUS MARQUANTES ?
Si on parle international, les noms qui me viennent en tête maintenant sont Juan Atkins, Francesco
Farfa, Kenny Hawkes, Blake Baxter, Raresh ou encore Sven Vath.
TU ES DÉJÀ VENU À LA RÉUNION, PEUX-TU NOUS DIRE L’IDÉE QUE TU T’EN FAIS ?
La dernière fois que je suis venu, j’ai vécu Dina… Quel flippe ! Mais ça ne m’empêche pas de beaucoup
aimer cette île, son climat, son soleil et ses magniques couchers de soleil, ses massifs et ses cascades,
les ti-punchs et rhums arrangés, rougails et massalés… Et bien sûr la mer, ses lagons et récifs
coralliens. Maintenant si tu me parles des soirées, j’ai un très bon souvenir d’une organisée par Gaetan
(l’année de Dina), c’était plein de monde avec une très bonne ambiance dans un endroit improbable.
NOUS AVONS DE NOUVEAU LE PLAISIR DE TE RECEVOIR DANS NOTRE ÎLE POUR UNE
SÉRIE DE DATES. C’EST À LA FOIS DU TRAVAIL, MAIS AUSSI UN PEU DES VACANCES ?
J’ai la chance de vivre de ma passion donc je ne trouve pas que ce soit un travail à proprement parler bien
que cela demande beaucoup d’investissements physiques et mentaux. Alors on va dire des vacances, du
kiff et du plaisir ! J’ai hâte.
ENFIN, POURRAIS-TU NOUS DONNER TA DÉFINITION DE LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE ?
ET COMMENT LA VOIS-TU ÉVOLUER DANS LES ANNÉES À VENIR ?
C’est pour moi une musique universelle qui délivre des messages personnels. Au-delà de son aspect
dynamique qui fait danser, il y a un tas de textures sonores qui massent les neurones et des lignes qui
racontent des choses. Elle permet de voyager dans des univers colorés d’émotions. Quant à son évolution,
je n’en ai aucune idée et je ne préfère pas savoir.
Time will tell !
66 CINÉMA
Regards croiséssur le premier Festival du Film Réunionnais…
TEXTE DOMINIQUE LOUIS
PHOTOGRAPHIE DROITS RÉSERVÉS TÉLÉ KRÉOL
Tout part d'une conversation.
Renan Chiraux, professionnel
du cinéma, qui partage son temps
entre la Réunion et l'Hexagone,
s’étonne auprès de Thierry Araye,
directeur de Télé Kreol, qu'il y ait
si peu de talents locaux alors que
son média offre un formidable
espace de diffusion audiovisuelle.
Pour Thierry Araye, au contraire,
l'île a un formidable potentiel qui
manque de médiateur pour aller
de l'idée jusqu'au film réalisé.
Il n'en faut pas plus pour que
germe l'idée du Festival du Film
Réunionnais. Un pari difficile basé
sur une organisation inédite de
sélection de 85 œuvres, tous genres
confondus, par les internautes
sur le site de Télé Kréol.
Loin d’être anecdotique, cette
pré-sélection va déclencher un
véritable engouement du public.
Début novembre, au Cinépalmes
de Sainte-Marie, les dix membres
du jury (réalisateur, scénariste,
graphiste, institutionnel…) ont,
pendant trois jours, départagé
les concurrents de la pré-sélection
faite par le public. Tous les soirs,
le public était invité à visualiser
toutes les œuvres.
Progressivement, les fauteuils
se sont remplis jusqu’à faire salle
comble à la soirée de clôture.
Regards croisés
Pourquoi ce Festival du Film Réunionnais ?
R.C. Il existe une production de clips pléthoriques dans l'île et nous voulions savoir si des
réalisateurs réunionnais étaient prêts à jouer le jeu et à tenter l'aventure de la fiction si l'on
lançait un festival pour récompenser la variété des métiers de ce secteur.
L'idée part donc de la musique ?
R.C. Il y a 10 ans, lorsque l'on voulait s'exprimer par le film, c'était extrêmement compliqué.
Aujourd'hui, avec le numérique, les choses ont considérablement changé et on voulait savoir
si ce potentiel était exploité.
T.A. Notre ambition, à Télé Kréol, c'est d'encourager et de donner une meilleure place aux
producteurs et réalisateurs de La Réunion. L'idée d'un festival, c'était d'encourager ces « gars
la kour » et leur permettre de s'exprimer.
Pari audacieux que de mixer le clip, la fiction, le documentaire, vous n’avez pas
la crainte que l'on qualifie votre festival d'un peu fourre-tout ?
R.C.Cela peut être considéré comme un peu fourre-tout ou comme de l’audace ou cela peut
paraître original puisque l'on a décidé de récompenser un meilleur réalisateur, toutes caté-
gories confondues, parce que le Festival du Film Réunionnais est avant tout un festival
« métier ». On a voulu, grâce à ce festival, pousser les gens à s'exprimer un peu plus librement
sur le sujet de la Réunion. Et cela, dans tous les formats, et on espère, peu à peu, passer à
d'autres formes d'expressions audiovisuelles, davantage de fiction.
T.A. Le festival ne se limite pas aux trois jours où il se déroule. Tout au long de l’année, nous
allons consacrer des émissions spéciales sur Télé Kréol au cours desquelles seront diffusées
les oeuvres primées, mais aussi nous avons le projet de les présenter dans l’Hexagone. Une
manière de maintenir en jambes les futurs participants à notre manifestation qui va
s'inscrire dans la durée.
68 CINÉMA
ENTRETIEN AVEC THIERRY ARAYE & RENAN CHIRAUX
Palmarès du festival du film de La Réunion
• Meilleur réalisateur : Erika Etangsalé avec Seuls les poissons morts suivent le courant
• Meilleur scénariste : Yann Gorriz avec Glyn
• Meilleur acteur : Beryl Coutat avec Speedating
• Meilleurs graphistes : Jeremy Sam-Long, Julien Boyer, Dany Turpin, Nicolas Mathieu
• et Nicolas Vidot avec A drop too much
• Meilleur espoir réalisateur : Tibo Koch avec Bizness
• Meilleur espoir scénariste : Paul Tarroux avec R-I-P
• Meilleur espoir acteur : Anthony et Arthur avec "La Réunion"
• Meilleur espoir graphiste : Sébastien Hubaut avec Little Horrible Planet
• Prix du public : Stéphane Bertaud avec Tiburce – Le Macatia
• Prix spécial du Jury : Yann Gorriz avec Glyn
Seuls les poissons morts suivent le courant, …
Son parcours personnel l'a conduite aux Beaux-Arts de Dijon et à l'I.L.O.I., l'institut de l'image
de l'océan Indien. Pour le reste, tout ce qu'elle a envie d'exprimer est contenu dans son film.
Un film où Erika Étangsalé a souhaité mettre en lumière (et en ombre également) le destin
de ces Réunionnais qui, un jour, ont choisi, pour trouver du travail, de partir vers la métro-
pole via le BUMIDOM, Bureau pour le développement des migrations dans les départements
d'outre-mer. Un choix qui, pour certains, rimera avec départ définitif, déracinement, exil.
Ce volet de notre histoire lui a d'ailleurs donné accès à l'histoire de son propre père, parti
via le BUMIDOM. L'intérêt d'Erika Étangsalé pour le sujet a nourri leurs échanges à tel point
que la voix off du film s’est inspirée de l'un de leurs mails, même s'il se nourrit aussi d'autres
témoignages de ceux qui sont partis via le BUMIDOM.
Seuls les poissons morts suivent le courant a déjà fréquenté et connu les faveurs d'autres
festivals, mais ce Papang d'Or 2014 constitue une consécration, qui plus est, dans son île.
À thème engagé, film engageant. Ce premier film, commencé en 2011 à l'I.L.O.I. a vécu le
parcours difficile des premières oeuvres à faible (c'est un euphémisme) budget. Et, à côté
de cet aspect financier, s'est greffé un énorme investissement en matière de mobilisation,
tant côté technique que côté prestation devant les caméras. D'abord de l'I.L.O.I.,lui-même,
dont les locaux constituent une partie des décors, mais aussi de nombreux techniciens qui
vont donner de leur personne pour permettre à Erika d'aller au bout de cette première
œuvre.
L'absence de moyens est aussi génératrice d'idées. Habituellement, pour une scène en extérieur,
on a soigneusement repéré les lieux, dessiné le story board. Là, l’équipe technique et les
comédiens partaient à l'aventure sur les routes de banlieue autour de Paris, avec dans la
tête l'esprit de ce qu'ils souhaitaient rendre. Un pari audacieux, presque inscrit dans la logique
de la prise unique ou en tout cas de la rationalisation à l'extrême. Le film tire sa force de
tous ces aléas que certains pourraient qualifier de faiblesse originelle.
Cette mobilisation se ressent aussi dans le jeu des acteurs, investis sans compter dans
l'intention dont était porteuse Erika. D'un échange de regards, Kristof Langromme (Yves) et
Vincent Fontano (David) savent faire passer toute la tension de deux systèmes de représen-
tations, de deux conceptions du monde. La confrontation de deux générations où le choix
du fils va générer un tremblement de terre dans les (fausses ?) certitudes que s'est forgé le
père. Yves le père, arrivé plein d'espoir, a vite compris que le système était fait pour se perdre,
avec, en plus, le devoir de donner l'impression, à ceux restés au pays, que l'on avait réussi.
Une conviction qu'il enfouit tous les jours sous son manteau, sous sa casquette. Jusqu'à ce
que David, affirmant son choix de rentrer au pays, vienne faire exploser ce château de
cartes. Pour Yves, c'est la goutte de trop. Rentrer c'est déchoir, rentrer c'est trahir, rentrer
c'est se trahir. La violence de sa réaction à la décision de David, c'est tout cela qui, du plus
profond de lui-même, lui jaillit à la gueule, insupportable. Après la colère, vont se réveiller
des sentiments, des questionnements, qu'il croyait avoir enfouis, enterrés, éradiqués.
Seuls les poissons morts suivent le courant ne juge pas, il montre et laisse à chacun le soin
de tirer sa conclusion. La force de la réalisatrice tient à ce choix. Un bel exercice cinémato-
graphique pour celle qui a encore du mal à assumer l'étiquette d'auteur et dit : « J'ai juste
envie de réussir à faire les films que je porte en moi et c'est déjà relever de nombreux défis. »
PAPANG D'OR 2014 ERIKA ÉTANGSALÉ
UN OUTRE-MER D’EXCEPTION, LES TAAF, À DÉCOUVRIR CETTE FOIS-CI
EN QUELQUES ÉPISODES HISTORIQUES, SITES INCONTOURNABLES
ET ANIMAUX EMBLÉMATIQUES. UNE ÉCHAPPÉE DONT LE FIL CONDUCTEUR
EST UN VOYAGE AU LONG COURS, DEPUIS LES ÎLES ÉPARSES JUSQU’EN TERRE
ADÉLIE, EN PASSANT PAR LES ÎLES SUBANTARCTIQUES FRANÇAISES.
LES PHOTOGRAPHIES ET LES TEXTES FONT PARTIE DE L’EXPOSITION DES TAAF
QUI SERA INAUGURÉE LE 17 DÉCEMBRE À PARIS, À L’AQUARIUM TROPICAL
DE LA PORTE DORÉE. UNE REPRODUCTION DES PANNEAUX PERMETTRA
AUX RÉUNIONNAIS DE DÉCOUVRIR L’AN PROCHAIN, AU SIÈGE DES TAAF
À SAINT-PIERRE, CETTE GRANDE EXPOSITION QUI CÉLÈBRERA LES 60 ANS
DU TERRITOIRE.
TEXTE STÉPHANIE LÉGERON
PHOTOGRAPHIE BRUNO MARIE
Terresaustrales et antarctiques
françaises d’escale en escale
72 TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES
HIPPOLYTE CALTAUX AUX GLORIEUSES
En 1878, ce commerçant réunionnais résidant aux
Seychelles aborda les rivages d’un petit archipel
désert. Le ministère des Colonies l’autorisa à
l’occuper « à ses risques et périls ». Il s’y installa
dès 1880 et y planta le drapeau français. Faisant
face aux Anglais qui convoitaient ce territoire
insulaire, il le nomma « Glorieuses » en l’honneur
de la révolution des Trois Glorieuses de 1830. À
partir de 1885, il planta une cocoteraie sur la
Grande Glorieuse avec l’aide d’ouvriers seychellois.
La France prit possession du petit groupe d’îles en
1892, nommant Hippolyte Caltaux garde-pavillon.
Il occupera les lieux de façon discontinue, exploitant
le coprah de la cocoteraie et le guano de l’île du Lys
jusqu’en 1907.
LA MAISON PATUREAU À JUAN DE NOVA
Nichée dans une forêt de filaos près du camp
militaire, cette maison de maître décrépite évoque
l’histoire coloniale de l’exploitation du phosphate
à Juan de Nova. Entourée de deux pavillons, la
Les îles Éparses, joyaux tropicaux
résidence était occupée occasionnellement par
Hector Patureau, un franco-mauricien ayant obtenu
la concession de l’île en 1952. Les ouvriers et
contremaîtres, mauriciens et seychellois, édièrent
de nombreuses installations dont une usine de
concassage. Dès la première année de production,
plus de 50 000 tonnes de guano furent transbordées
vers l’Europe. Les conditions de travail extrême-
ment rudes provoquèrent des révoltes ouvrières.
L’effondrement du cours du phosphate mit un terme
à l’activité à la n des années 1960.
LE LAGON D’EUROPA
Un récif frangeant quasi-continu encercle Europa.
Dans cette forêt sous-marine, se développe une
grande variété de coraux. Le lagon est le refuge
d’une faune tropicale abondante : tortues vertes
et imbriquées, requins, raies, poissons de récif,
crustacés... S’ouvrant au nord sur le lagon externe,
une lagune intérieure peu profonde occupe l’est
d’Europa sur environ 900 hectares, soit près du
tiers de la surface de l’île.
LA COCOTERAIE DE GRANDE GLORIEUSE LA MAISON PATUREAU À JUAN DE NOVA
LE « PETIT LAGON» D’EUROPA
LA VALLÉE DES BRANLOIRES & LA BAIE AMÉRICAINE
Au nord-est de l’île de la Possession, la vallée des
Branloires, qui s’étire entre le plateau Jeannel et
le mont de l’Alouette, est la plus vaste de l’île. Cette
langue d’une ancienne calotte glaciaire, tourbeuse
et recouverte de mousses, débouche sur la mer au
niveau de la baie Américaine. Surnommé « baie US »
ou « BUS », ce mouillage relativement abrité était
fréquenté au XIX e siècle par des chasseurs de phoques
américains qui y avaient installé des abris, des
chaudrons en fonte et un four. Du « village des
phoquiers » ne subsistent aujourd’hui que quelques
ruines. La baie doit son nom à l'America, un des
navires phoquiers anglo-saxons qui s’y abritaient
de la puissante houle d’ouest.
LES ORQUES
A l’île de la Possession, ces cétacés mesurant jusqu’
à neuf mètres de long fréquentent notamment la
baie du Marin et la « piscine », une zone jonchée
d’algues nichée entre la baie Américaine et la petite
Manchotière. Vivant et chassant en groupes, les
orques s’approchent des côtes en quête d’éléphants
de mer et de manchots.
Elles ont besoin d’environ 70 kg de nourriture
par jour et n’ont pas de prédateurs. Les mâles se
reconnaissent à leur nageoire dorsale qui peut
atteindre 1,80 m de haut. Dans les eaux de Crozet,
les pêcheurs de légines déplorent de fortes
déprédations causées par les orques, qui ont pris
l’habitude de prélever ces poissons de fond dans
les eaux de surface, sur les lignes des palangriers.
POINTE BASSE & LE JARDIN JAPONAIS
Au pied des monts Jules Verne qui dominent le
nord de l’île de la Possession, pointe Basse est le
point le plus bas de la grande Coulée. Ce site orni-
thologique majeur de l’archipel héberge le champ
des Albatros, lieu de reproduction des grands
albatros ou albatros hurleurs, dont l’envergure
avoisine 3 mètres. À l’extrémité de la pointe, le
panorama s’ouvre à l’ouest sur la roche Percée et
la pointe des Moines. Le long de la mer côté est,
le jardin Japonais est un éboulis de blocs rocheux
très verdoyant entrecoupé de mares. La faune y est
exceptionnelle : plus grande colonie de manchots
royaux de l’île, gorfous macaronis, papous, otaries
et cormorans se partagent cet espace façonné à la
manière d’un jardin zen.
Crozet, l’archipel des tempêtes
ORQUE MÂLE DANS LA BAIE DU MARIN LE CHAMP DES ALBATROS À POINTE BASSE
BORNE ÉDIFIÉE DANS LA BAIE US
LORS DE L’ESCALE DU NAVIRE L’ANTARÈS
74 TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES
LE PLATEAU CENTRAL
La baie des Swains et le golfe du Morbihan marquent
la limite orientale du plateau Central, ceinturé au
sud par le massif Gallieni. Le cœur de la Grande
Terre alterne grandes plaines rocheuses, montagnes,
vallons, lacs, rivières, souilles, que parcourent des
troupeaux de rennes dont la population est estimée
à plusieurs milliers. Au nord du volcan du Diable,
Armor est le site d’une ancienne station d’élevage
de saumons, dont les alevins furent introduits
dans les années 1980. A l’extrême nord, le bassin
de la Gazelle était le refuge en 1940-1941 de navires
« corsaires » allemands. La presqu'île Bouquet de
la Grye abrite à Port-Couvreux les vestiges de la
ferme des frères Bossière, abandonnée depuis 1931.
LE MONT ROSS
Dominant le massif Gallieni au centre-sud de la
Grande Terre, le mont Ross surplombe l’ensemble
des îles Kerguelen. Cet ancien volcan fréquemment
nimbé de nuages tient son nom de l’explorateur
polaire James Clark Ross qui visita l’archipel en
1840. Deux sommets plongent vers l’est dans une
vaste caldeira : le Grand Ross, qui est le point le
plus élevé avec 1 850 m d’altitude,
et le Petit Ross se dressant à 1 721 m. Partiellement
recouvert de glaciers, le mont Ross est très difficile
d’accès en raison de ses arêtes effilées, de son
isolement et de ses conditions climatiques. Il est
le dernier sommet de France à avoir été gravi, sa
première ascension ayant été accomplie en 1975
par deux alpinistes français.
PORT-JEANNE D’ARC
En 1893, les frères Henry et René Bossière
obtinrent la concession exclusive de l’archipel
pour une durée de 50 ans. Ils rent bâtir l’usine
baleinière, destinée à l’éclairage des villes, par des
Norvégiens en 1906. La production d'huile de
mammifères marins débuta rapidement puis fut
interrompue par la Première Guerre mondiale et
reprise en 1919. Des treuils hissaient les baleines
sur la plage, où elles étaient découpées. Le lard
était fondu dans des chaudières à charbon. En
1922, l’unique station baleinière de France ferma
face à la concurrence des navires-usines. Fortement
dégradé au cours du temps, le patrimoine de
« PJDA » fait l’objet depuis 2001 d’un programme
de conservation physique et numérique.
Kerguelen, îles de la désolation
L’ANCIENNE STATIOND’ARMOR
LA SILHOUETTE ENNEIGÉE DU MONT ROSS LES VESTIGES DE L’USINE BALEINIÈRE
LES OUBLIÉS DE SAINT-PAUL
En octobre 1929, la société « La Langouste Fran-
çaise » des frères Henry et René Bossière, armateurs
du Havre, débarqua à l’île Saint-Paul une trentaine
d'Européens. La campagne de pêche terminée, l’Austral
repartit pour la France en mars 1930, laissant sur l'île
7 personnes dont une femme enceinte, pour entre-
tenir les installations. L'administrateur leur avait
promis de les ravitailler sous trois mois, mais ne put
honorer cet engagement. Louise Brunou accoucha
d'une petite Paule qui ne vécut que 2 mois. Faute de
vivres frais, trois hommes furent emportés par le
scorbut. Un autre quitta l'île sur un bateau et dispa-
rut. Quand l’Ile St-Paul accosta en décembre 1930,
seuls 3 des 7 gardiens oubliés avaient survécu…
LA MARE AUX ÉLÉPHANTS
En contrebas de la base, près de la Cale, ce site
attirait une forte concentration d’éléphants de mer
avant la chasse intensive des phoquiers aux XVIII e
et XIX e siècles. La Mare aux Eléphants est une plage
de roches magmatiques gorgée de petites nappes
d’eau, que prolonge un terrain herbeux. A proximité
se trouvent les derniers vestiges de la maison du
colon Heurtin.
De nombreuses otaries d’Amsterdam se rassemblent
et se reproduisent à la « MAE ». Les jeunes otaries
à fourrure jouent et se rafraîchissent en attendant
d’affronter l’océan. Ces mammifères marins sont
suivis par les scientiques : dénombrements, mar-
quages, pesées, poses de balises pour comprendre
les trajets en mer, sont effectués régulièrement.
LA POINTE D’ENTRECASTEAUX
& LE PLATEAU DES TOURBIÈRES
Au sud-ouest d’Amsterdam, la pointe d’Entrecas-
teaux est un promontoire rocheux cerné de falaises
plongeant dans la mer 700 m plus bas. La plus
grande colonie au monde d’albatros à bec jaune
s’y reproduit après de longs voyages océaniques,
près des albatros fuligineux, des skuas, pétrels et
gorfous sauteurs. En saillie de la pointe, le rocher
la Cathédrale longe une plage de galets où se
prélassent des otaries. Sur les 22 espèces d’albatros
existant dans le monde, 18 sont menacées, dont
l’albatros d’Amsterdam. Sa population est estimée
à seulement une trentaine de couples nicheurs par
an. Elle vit sur les hauteurs, au plateau des Tour-
bières, un site à accès réglementé classé depuis
2006 en réserve naturelle.
Saint-Paul et Amsterdam, le district subtropical
LA QUILLE ET LA DIGUE NATURELLE
DU CRATÈRE
LA CALE, LIEU DE RASSEMBLEMENT DES OTARIES LA POINTE D’ENTRECASTEAUX
76 TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES
Makis au fromage fraisvelouté d’avocattomates séchées & shiso
Recette
de l’Atelier de Ben
78 PAPILLES EN FÊTE
RECETTE BENOÎT VANTAUX
PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC
Ingrédients pour 8 personnes
150 g de riz à sushi
375 g d’eau
5 ml de Mirin
45 ml de vinaigre de riz
1 cuillère à café rase de sel
1 cuillère à café rase de sucre
12 pétales de tomates confites
100 gr de fromage frais type Boursin
sel, poivre
4 feuilles d’algues Nori
1 avocat mixé en pulpe
1 courgette
2 barquettes de shiso
1 poignée de petits pois frais
Matériel : siphon, natte à maki
Recette par étapes1. Laver le riz plusieurs fois. L’égoutter
et le mettre dans une casserole avec
l’eau froide. Le faire cuire environ 15
minutes à couvert, puis le laisser encore
10 minutes à couvert, hors du feu.
mélanger le mirin, le vinaigre de riz,
le sel et le sucre. incorporer ce mélange
au riz chaud ; filmer au contact et réserver
au réfrigérateur.
2. couper la courgette en lanières,
cuire les petits pois à l’anglaise.
3. Poser une feuille de nori sur la natte,
le grand côté devant soi.
Avec une cuillère en bois mouillée,
étaler le riz en gardant une bande
d’algue visible sur le bord en haut.
étaler une bande de fromage et une
bande de tomates collées ensemble.
Avec un pinceau, humidifier la bande
d’algue visible et rouler en serrant bien.
filmer. Procéder de la même manière
pour les 3 autres rouleaux.
mettre au réfrigérateur 2 heures.
4. couper les rouleaux en 6 tronçons
et disposer 3 makis avec la garniture.
Pour accompagner ce plat à l’esprit
japonais, la Cave de la Victoire vousconseille un Jasnières sec, Domaine de
la Roche Bleue 2013. Bon appétit !
Restaurant l’Atelier de Ben
12, rue de la Compagnie
Saint-Denis
T. 0262 41 21 40
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35 avenue de la Victoire97400 Saint-Denisîle de La Réunion
T. 0262 217 403
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