Trajectoires de vie des familles de la zone Intersalar (Bolivie...

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Une étude du projet EQUECO : « L'émergence du quinoa dans le commerce mondial : quelles conséquences sur la durabilité sociale et agricole dans l'Altiplano Bolivien ? » (co-financement ADD / ANR) Trajectoires de vie des familles de la zone Intersalar (Bolivie) et changements de pratiques agricoles Mémoire présenté par Sophie CHAXEL en vue de l'obtention du DIPLÔME D'INGÉNIEUR AGRONOME de Montpellier SUPAGRO et du DIPLÔME D'AGRONOMIE TROPICALE de IRC-SUPAGRO Membres du jury : Geneviève CORTES, université Montpellier III Pierre GASSELIN, INRA, SAD Pascale MOITY-MAÏZI, SUPAGRO, IRC Octobre 2007

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Une étude du projet EQUECO : « L'émergence du quinoa dans le commerce mondial : quelles conséquences sur la durabilité sociale et agricole dans l'Altiplano

Bolivien ? » (co-financement ADD / ANR)

Trajectoires de vie des familles de la zone Intersalar (Bolivie) et changements de pratiques agricoles

Mémoire présenté par Sophie CHAXEL en vue de l'obtention du DIPLÔME D'INGÉNIEUR AGRONOME de Montpellier SUPAGRO et du DIPLÔME D'AGRONOMIE TROPICALE de

IRC-SUPAGRO

Membres du jury : Geneviève CORTES, université Montpellier IIIPierre GASSELIN, INRA, SADPascale MOITY-MAÏZI, SUPAGRO, IRC

Octobre 2007

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SOMMAIRE

Introduction.......................................................................................................................................... 1 1 Description de la zone Intersalar...................................................................................................... 3

2 Construction de la méthodologie....................................................................................................17

3 Des communautés d'études à la reconstitution des trajectoires de vie.......................................... 39

4 Fréquence, rythmicité et formes des bifurcations...........................................................................51

5 Interactions entres activités et conséquences sur les pratiques techniques et organisationnelles.. 61

6 Pluralité et hiérarchisation des causes du changement de pratiques.............................................. 69

Les limites de l'étude.......................................................................................................................... 84

Conclusion..........................................................................................................................................85

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Remerciements

J'adresse en premier lieu un grand merci à Pierre Gasselin pour m'avoir donné la chance de réaliser cette aventure. Merci pour les bons conseils donnés et le soutien apporté tout au long du stage. On m'avait pourtant prévenu « attention, Pierre il est super exigeant, il fait bosser beaucoup ses stagiaires » et bien, c'est vrai..! Mais j'ai appris énormément de choses donc merci!

Merci de tout coeur aux équipes de AVSF et en particulier à Florinda, Mamerto et Clemente pour leur appui pour la réalisation de ce travail ainsi que pour tous les moments de vies partagés dans la zone. Vous avez su donner à ce vieil hôpital de Salinas une ambiance chaleureuse et familiale où il fait bon vivre!

Un grand merci à Mélanie. Bon on aura jamais franchi la cordillère à dos de lamas et en cholita mais on a passé des supers moments. En tout cas, tu fais de supers étiquettes, si si !

Merci également à Anaïs, Dorian, Peter, Javier, Alberto, Yuselis et Roberto pour m'avoir aidé dans la réalisation de ce stage.

Merci à Julio d'avoir accepté de m'accompagner dans cette aventure jusqu'aux plaines les plus reculées du Nord (et un grand merci aussi pour t'être occupé de ta belle maman pendant quelques semaines...!)

Merci à Pascale Maïzi d'avoir accepté d'être ma directrice de mémoire et pour ses bons conseils.

Merci aux membres permanents du projet Equeco en Bolivie : Pablo, Manuela, Richard Joffre et Jean Vacher.

Et enfin mes remerciements les plus sincères et chaleureux à toutes les personnes qui m'ont témoigné leur confiance en acceptant de me conter leur vie. Un grand merci en particulier à Virginia et Faustina de La Kaza, à Dora, Primo, Alfredo de Huanaque et Wilson, Francisca et Gregoria de Tolamayu.

Ah.. et merci à Clément mon co-bureau d'avoir supporté mes petites phases de craquage surtout en fin de rédaction! (t'inquiète t'y passera aussi..!)

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AVANT-PROPOS

Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet de recherche EQUECO « L'émergence du quinoa dans le commerce mondial : quelles conséquences sur la durabilité sociale et agricole dans l'Altiplano Bolivien ? » mené dans la zone Intersalar (Bolivie) depuis 2006. Le projet EQUECO s'intéresse à la durabilité de l'agriculture de la zone Intersalar depuis la libéralisation des échanges commerciaux. Pour cela, « Il analyse les relations entre l'essor récent de la culture du quinoa et les dynamiques de développement local impulsées par le marché international, dans le contexte écologique et social fragile des hauts plateaux boliviens. Il examine, dans une démarche interdisciplinaire de recherche tournée vers l'action, comment la notion de développement durable peut permettre aux acteurs locaux de concevoir de nouveaux jeux de normes négociées pour une gestion plus sûre et plus équitable de leurs ressources naturelles et de leurs relations avec le marché international » (Appel à proposition de recherche, EQUECO, 2006). C'est donc un projet basé sur une interdisciplinarité importante et qui doit aboutir à la mise en place d'une synthèse participative et à la formalisation d'orientations pour le développement local.

Au niveau de son organisation, le projet est articulé autour de sept work packages (WP) définis suivant différents axes de recherche (cf. Annexe 7). Cette étude s'insère dans le WP3 qui porte sur l'analyse de la viabilité des systèmes de production sous incertitudes (marché, climat…) et des stratégies de vie. Le WP3 est fortement lié au WP5 qui s'intéresse quant à lui à l'organisation, la gestion et l'utilisation des espaces et des ressources.

Cette étude s'inscrit à la suite de deux études : le diagnostic agraire de la Province Daniel Campos réalisé par D.FELIX en 2004 et les travaux de diagnostics des systèmes d'activités des familles de la zone Intersalar réalisés par A.S. ROBIN et J. PARNAUDEAU en 2006. Je conseille de ce fait vivement aux lecteurs de prendre connaissance de ces ouvrages afin de mieux saisir l'origine et la portée de cette présente étude.

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GLOSSAIRE

Al partir : Forme de métayage dans laquelle la famille chargé des opérations culturales ou de la garde du troupeau d’une personne extérieure partage la récolte ou les naissances de l’année avec le propriétaire des terres ou des animaux (partage à parts égales)

Ayllu : Division territoriale originaire (pré inca et inca)

Ayni : Système d’échange de service entre familles pour la réalisation de travaux agricoles ou domestiques.

Boliviano (Bol) : monnaie bolivienne, 1€=10 Bol (Novembre 2006)

Cargos: Devoirs à accomplir envers la communauté

Charque : viande séchée de lama

Chulpar : Petite construction d’habitation pré inca, d’intérêt archéologique

Contribuyente : Terme qui désigne une famille qui possède des droits (notamment celui de recevoir des terres cultivables) et des devoirs (réalisation des cargos) dans une communauté.

Comunario : membre de la communauté

Corregidor : Autorité principale de la communauté

Estante : qualifie une personne ou famille vivant de manière permanente dans sa communauté

Faena : Travaux communautaires obligatoires

Guano : Déjections des animaux d’élevage utilisé comme engrais organique

Manto (Système de): Forme d’assolement collectif

Marka : Division territoriale originaire (pré inca et inca)

Mink’a : Système de travail payé en nature, le plus souvent en produits, issus de la récolte

Municipio : Division territoriale politico-administrative créée en 1994, remplaçant les anciennes sections provinciales

Pampa : Plaine

Peon : Ouvrier agricole salarié, rémunéré financièrement

Pisara : produit transformé du quinoa , sous forme de grains toastés, cuisiné comme le riz

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Pito : produit transformé du quinoa, sous forme moulue, consommé ainsi ou dilué dans l’eau

« Profesional » (dans le contexte bolivien ») : personne mettant en œuvre une activité valorisant des études supérieures et reflétant un certain niveau d’instruction

Quintal: unité de poids, (1 quintal = 46kg)

Residentes : qualifie une personne ou famille ayant migré et vivant de manière permanente hors de la zone de la communauté

Salar : Dépôt quaternaire de sel et de minéraux de type évaporite formés lors de l’évaporation progressive de la mer emprisonnée par le soulèvement des Andes (Felix, 2004). Grandes étendus planes.

Tarea: unité de mesure de surface agricole (1 tarea= 0,64 ha)

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INTRODUCTION

L'Altiplano et en particulier la zone Intersalar est le berceau du quinoa Real (Chenopodium quinoa), une des seules cultures avec la pomme de terre qui s'adapte à grande échelle aux conditions difficiles du milieu (froid et sécheresse prononcés et aux régimes aléatoires). L'élevage se cantonne aux camélidés (lamas, alpagas) et aux ovins. Les faibles possibilités de diversification des produits agricoles ont poussé les populations Aymaras a développer des stratégies de minimisation et de dispersion des risques, stratégies fondées essentiellement sur la mise en place d'échanges entre différents étages agroécologiques et la diversification des activités. Encore aujourd'hui, la migration fait partie intégrante du mode de vie des familles comme le prouve la catégorisation fréquente de la population entre residentes et estantes.

Néanmoins, depuis une trentaine d'années, la situation a bien changé. Le succès du quinoa dans le commerce international a provoqué une hausse considérable des prix. Il est désormais rentable de cultiver du quinoa. De plus cette augmentation des prix est couplée au développement de la mécanisation ce qui rend possible l'extension des surfaces cultivées.

Dans ce contexte en pleine mutation, les familles mettent en place de nouvelles stratégies qui revêtent plusieurs formes telles que de nouvelles pratiques, de nouvelles formes de gestion du territoire ou encore des changements dans l'organisation sociale.

La durabilité du système agraire Aymara dépend notamment de l'équilibre entre agriculture et élevage. En l'occurrence, un déplacement (ou une rupture?) de cet équilibre s'observe actuellement. La culture du quinoa progresse, l'élevage diminue, l'espace productif se réorganise faisant apparaître des problèmes en terme de gestion de la fertilité et de gestion sociale des ressources naturelles : les sols s'épuisent. En parallèle, un front pionnier du quinoa se forme générant de nouveaux conflits pour le foncier dans le système communautaire. C'est toute la durabilité de l'agriculture qui est en jeu.

Dans ce contexte, l'objectif de cette étude est de contribuer à la compréhension des « nouvelles » stratégies des familles et les moyens mobilisés pour les mettre en oeuvre pour apprécier les changements de pratiques techniques et organisationnelles notamment au niveau agricole. Pour ce faire, le choix a été fait de s'intéresser aux trajectoires de vie des familles.

Ce travail s'inscrit dans l'approfondissement du diagnostic de la situation agraire actuelle de la zone Intersalar. Il répond à la demande formulée par P. Gasselin (INRA, SAD) dans le cadre du groupe de travail WP3 du projet EQUECO (cf. Annexe 1).

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Cette étude sera composée de quatre grandes parties : tout d'abord nous dresserons un panorama de la zone Intersalar afin de présenter les grandes caractéristiques de ce territoire ainsi que de l'environnement socio-économique des familles (partie 1). La deuxième partie sera consacrée à la présentation de la problématique, des hypothèses ainsi que de la méthodologie et des concepts sur lesquels nous nous sommes appuyés pour réaliser cette étude (partie 2). Suite à cela, une présentation des communautés étudiées sera effectuée ainsi que la présentation des trajectoires de vie (partie 3). Enfin, une analyse plus fine des bifurcations (ou rupture) dans les trajectoires de vie sera réalisée (partie 4, 5 et 6). Ceci nous permettra de conclure en montrant en quoi les trajectoires de vies contribuent à la compréhension des changements de pratiques (à la fois techniques et organisationnelles) des familles.

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1 Description de la zone Intersalar

1.1 LOCALISATION DE LA ZONE INTERSALAR

La zone Intersalar est située au Sud-Ouest de l'Altiplano bolivien, à la frontière avec le Chili (cordillère occidentale au Sud-Ouest, frontière naturelle, qui culmine à 5995 mètres d’altitude, Cerro Altotoroni de la cordillère Sillajuay).

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Figure 1: Localisation de la zone d'étude (carte A.S. Robin et J. Parnaudeau, 2006)

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1.2 UNE ZONE ENCLAVÉE ET À « HAUTS RISQUES » POUR L'OCCUPATION HUMAINE

1.2.1 DES RELIEFS ET DES SOLS TRÈS VARIÉS

Une des principales caractéristiques de la zone Intersalar est la diversité et la richesse de ses paysages. Étant donné que la nature des sols est étroitement liée au relief et qu'elle conditionne les activités agricoles, il est important de présenter les grands ensembles géologiques qui composent ce territoire ainsi que les propriétés des sols associés (Figure 2) (d'après D. FELIX, 2004).

La zone est bordée à l'Ouest par la Cordillère Occidentale qui s'étend sur plus de 50km et se compose de montagne abruptes et de volcans dont l’origine remonte à l‘ère secondaire. Les roches affleurantes sont principalement « volcaniques andésitiques, riches en minéraux altérables libérant argiles et cations stabilisateurs (Ca2+) qui confèrent aux sols des flancs de ces montagnes une bonne fertilité chimique » (Felix, 2004).

En descendant vers l'Est débute les grandes plaines de l'Altiplano, les pampas. Elles sont constituées de dépôts quaternaires détritiques sableux et sabloargileux. « Les sédiments non consolidés sont prédominants et confèrent une structure très fragile aux sols qui sont de ce fait très susceptibles à la désertification. De plus les changements brutaux de températures dans les zones basses et froides entraînent la désagrégation des roches, accélérant leur altération. » (Felix, 2004). L'altitude moyenne de ces zones se situe entre 3700 et 4000 mètres d’altitude.

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Figure 2: Grands ensembles géologiques et sols associés (source: D. Felix, 2004)

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Enfin l'Altiplano compte de grands plateaux sableux ou salés: les salars (Thunupa, Coípasa et Empexa). Ces zones correspondent à des « dépôts quaternaires de sel et de minéraux de type évaporite, formés lors de l’évaporation progressive de la mer qui avait été emprisonnée par le soulèvement des Andes » (Felix, 2004). Les caractéristiques de ces grands espaces désertiques (composition des sols et aridité) rendent impossible le développement de la végétation. En périphérie des salars, on trouve les zones de pelars, mélange d’argiles, de sable et de sel qui devient glaiseux après une chute de neige ou de pluie.

1.2.2 DES CONDITIONS CLIMATIQUES DIFFICILES

La zone Intersalar est marquée par des conditions climatiques difficiles notamment du fait des basses températures (250 à 300 jours de gel par an) et de l'aridité (très faibles précipitations (70-150 mm/an) (Bilan Projet Intersalar, AVSF, 2006). Le diagramme ombrothermique (cf. Annexe 4) présente les précipitations et les températures moyennes sur une année dans la zone de Salinas de Garci Mendoza, au centre de la zone d'étude. Malgré le fait que ces données ne sont pas très fiables et que les conditions sont assez variables entre le Nord et le Sud de la zone, elles permettent néanmoins de donner une idée des conditions difficiles du milieu.

A ceci s'ajoute des régimes très aléatoires : les habitants de la zone ont connu d'importantes sécheresses notamment en 1941/42 et en 1982/83, aléas climatiques qui ont eu de forts impacts sur les mouvements migratoires et les systèmes d'activités. Les gelées sont également fréquentes notamment dans les zones de pampa et conditionnent les potentiels de production agricole ainsi que les résultats d'élevage (une période de mises bas des ovins a lieu en juin, période où les températures sont très basses, et donc le taux de mortalité est parfois élevé).

Étant donné que les pluies se concentrent entre les mois de novembre à mars, la plupart des cours d'eau sont asséchés pendant une grande partie de l'année. On trouve de ce fait seules quelques rivières permanentes (notamment celle de Huanaque) et de nombreux autres cours d’eau qui apparaissent à la saison des pluies.

Ces conditions extrêmes limitent les possibilités de diversification des productions agricoles sauf dans certaines parties très limitées du territoire agricole, abritées et/ou irriguées. Sinon, la culture de quinoa (cf. fiche technique en recto) et de pommes de terre sont les deux seules cultures capables de s'adapter à grandes échelle à ces conditions. Quand à l'élevage, il se cantonne à l'élevage de Camélidés (lamas et alpagas dans les zones qui présentent des ressources en eau suffisantes) et à l'élevage d'ovins.

Ces conditions sont de ce fait déterminantes des pratiques. Par exemple, le choix de la date et du mode de labour sont essentiels pour maximiser la capacité de rétention des eaux de pluie par les sols. Le choix de la date de semis entre septembre et octobre est stratégique : le sol doit être humidifié dans les cinq jours qui suivent le semis, faute d'une baisse sensible des taux de levées et donc des rendements. Plusieurs stratégies existent : certains procèdent à un étalement des dates de semis des différentes parcelles, d'autre prennent en compte des «indicadores del tiempo » pour apprécier la probabilité des précipitations, etc.

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Rappel sur le système de culture de quinoa et d'élevage de lamas (AS. ROBIN, 2006)

Production, transformation et commercialisation du quinoa

Production :

L’itinéraire technique est constitué de trois grandes phases :, le labour, le semis et la récolte (avec éventuellement une défriche préalable). Ces opérations sont réalisées sur deux ou trois ans :

Année 1 : Défriche (éventuellement)Année 2 : Labour + semis (mécanisés ou manuels)Année 3 : récolte

Au niveau des travaux agricoles annuels, l’organisation est la suivante : Janvier – Février (saison des pluies, sol humide) : labour de la parcelle 2Mai – Juin : Récolte de la parcelle 1 (arrachage, séchage, battage et vannage)Juin - Juillet : défriche parcelle 3Septembre – Octobre : Semis de la parcelle 2

S’ajoutent des travaux de contrôle des adventices (en montagne, entre novembre et février) et des ravageurs (en plaine entre le semis et la récolte).

Transformation : Le quinoa est vendu brut ou transformé notamment en Pisara, Pito, semola.

Commercialisation : vente à ANAPQUI (Association National des Producteurs de Quinoa), à des entreprises privées (JATARI,QUINUABOL…), ou à des intermédiaires (à la feria de Challapata ou à des commerçants se rendant des les communautés (système de troc))

Elevage de lamas

Conduite des troupeaux de lamas :

Les troupeaux pâturent librement avec ou sans surveillance de l’éleveur (risques d’attaques de prédateurs, risques de dégâts des animaux sur les cultures…). Ils sont généralement parqués la nuit dans les corrales ou le guano qui peut être récupéré peut ensuite être réutilisé comme engrais organique pour les cultures.

Alimentation : Les animaux se nourrissent de jeunes feuilles, des épines de certains buissons et de jeunes pousses d’herbes ou des résidus de culture (Felix, 2004).

Prophylaxie : des bains déparasitant (parfois campagnes communautaires de santé animale) et injections antiparasitaires sont réalisées une fois par an (Felix, 2004).

Reproduction : Les femelles lamas mettent bas pour la première fois vers l’âge de 2-3 ans, puis chaque année. Autrefois les mâles et femelles étaient conduits séparément afin de pouvoir synchroniser les naissances en les rassemblant à une date précise. Aujourd’hui la diminution du temps accordé aux troupeaux a entraîné l’abandon généralisé de cette pratique (Felix, 2004).

Productions : Les lamas sont principalement élévés pour la viande (fraîche et transformé en charque) ; Des produits dérivés sont exploités (laine et cuir).

Commercialisation : La vente est réalisée dans la communauté même ou dans la zone, sur la base de commande inter-personnelles ou dans les ferias (Challapata, Oruro notamment).

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1.2.3 DES AMÉNAGEMENTS ENCORE FRAGILES

L'habitat s'organise autour de petits bourgs plus ou moins peuplés, les communautés dont la localisation est le plus souvent conditionnée par les disponibilités en eau, facteur limitant dans ce territoire aride. Deux petites villes plus importantes sont présentes dans la zone : Llica et Salinas de Garci Mendoza.

Nous sommes face à un territoire particulièrement enclavé. Bien que les salars soient utilisés comme « axes de communication car les véhicules peuvent les parcourir à vive allure notamment du fait de l’absence d’obstacles et de leur surface lisse (en prenant toutefois garde à ne pas s’enliser dans les zones périphériques de pelars) » (FELIX, 2004), les axes routiers sont encore peu développés. Seules des pistes de terres permettent de rejoindre les villes les plus proches (Challapata, Oruro, Uyuni,..) ce qui représente malgré les efforts du gouvernement en place encore un frein au développement économique de la zone. L'accès à l'électricité n'est pas encore à la portée de tous. Mis à part les petits pôles urbains (Salinas et Llica), la plupart des communautés n'ont pas encore accès au réseau électrique hormis les quelques personnes qui ont pu acquérir un groupe électrogène ou un panneau solaire.

La disponibilité en eau est très irrégulière. La majorité des communautés ne dispose que des ressources nécessaires pour leur consommation et celles de leurs animaux. Les familles sont généralement équipées de puits (dont la profondeur varie de 1 à 20 mètres) et où seuls un ou quelques point d’eau plus ou moins permanents servent d’abreuvoir aux lamas et moutons. Certains villages situés au pied de volcans possèdent néanmoins des sources permanentes suffisamment importante pour mettre en place un système d’irrigation (irrigation de petites parcelles et/ou terrasses en bordure de rivière) (Felix, 2004).

En considération de ces caractéristiques, la zone Intersalar peut être caractérisée comme une zone à « hauts risques ». Depuis toujours les populations ont su néanmoins s'adapter à ces conditions et mettre en place des stratégies afin de minimiser les risques du milieu.

1.3 UN TERRITOIRE AVEC UNE IDENTITÉ FORTE

Ce territoire est peuplé depuis bien avant notre ère par les populations indigènes Aymaras. La conception de la vie des Aymaras repose sur la grandeur et la simplicité de la Pachamama (« la terre mère ») et du Tata Inti (« le père soleil »). Ces sont des peuples qui vivent en communion étroite avec la nature, la terre étant à la fois symbole d'appartenance à un univers cosmique et source de vie. La culture Aymara repose sur de grands principes tels que le respects des ancêtres (Jiliris) ou le principe de réciprocité de donner pour recevoir comme le témoignent les nombreuses fêtes traditionnelles et rituels en l'honneur des divinités qui font partie intégrante de la culture Aymara (MEGUILLANES et al., 2005). Malgré les invasions espagnoles et cent années de vie républicaine, les peuples Aymara ont su préserver leur culture et leur tradition dont nous présenterons ici quelques grands traits.

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1.3.1 MODE DE VIE DES POPULATIONS AYMARAS

• Un système agraire Aymara raisonné et adapté aux conditions du milieu

Les populations indigènes ont su s'adapter et exploiter ce milieu difficile en mettant notamment en place un système agraire raisonné. En vue des conditions biophysiques difficiles du milieu, les possibilités de diversification de produits sont limitées. Le quinoa est la culture qui s'adapte le mieux aux conditions arides et constitue de ce fait, avec la pomme de terre, la base de l'alimentation des peuples Aymaras. Les cultures sont depuis toujours pratiquées sur les sols plus fertiles des flancs de montagnes.

Les zones de pampa, plus sujettes au gelée et à l'érosion n'étaient de ce fait, pas mises en culture et plutôt réservées pour le pâturage des animaux. Ces populations ont su maîtriser l'élevage extensif de petits camélidés andins (lamas pour la viande et en moindre mesure alpagas pour la laine) ainsi que l'élevage d'ovins. De ce fait les communautés situées en zone de pampas sont traditionnellement des zones où l'élevage est l'activité prédominante.

Les animaux sont enfermés le soir dans des enclos de pierres (les corrales) ce qui permet de stocker et de récupérer les excréments (guano) pour les utiliser ensuite comme engrais naturel pour les cultures. Cet équilibre entre agriculture et élevage est une des bases fondamentale de l'entretien de la fertilité de l'écosystème artificialisé, et donc de la durabilité de l'agriculture Aymara.

Dans certaines communautés, la réalisation de systèmes de cultures irriguées est rendue possible sur une portion congrue du territoire grâce à la présence de sources d'eau suffisamment importantes. Les familles réalisent du maraîchage (carottes, tomates, oignons, choux...) destiné essentiellement à l'alimentation de la famille.

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Photo 1: Cérémonie de la Sata Kallara qui précède le semis, communauté de Huanaque (photo: SC)

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• Des populations fondamentalement migratrices et pluriactives

Afin de diversifier leur alimentation et minimiser les risques du milieu, les populations Aymaras ont établi des stratégies qui reposent notamment sur des échanges entre différents étages agro-écologiques et ce tout d'abord afin d'échanger des produits de consommation. La proximité avec la côte pacifique chilienne et notamment avec l'oasis de Pica dans le désert de Tarapaca (qui compte de nombreuses exploitations fruitières) et l'enclavement de la zone du reste du territoire bolivien a incité les populations frontalières à réaliser des échanges de leurs productions agricoles (pommes de terre, pommes de terres déshydraté (chuños), viande de lamas séchés (charque), quinoa, laine...) contre d'autres produits de consommation (riz, sucre, huile, fruits, coton...). Cette pratique, le trueque, même si elle a aujourd'hui considérablement diminué (je l'ai observé à de nombreuses reprises, notamment au sein d'une même famille), semble avoir fait partie intégrante de la culture Aymara.

La mobilité de la population se reflète également dans sa pluriactivité : des migrations pendulaires temporaires vers la ville ou vers des zones agro-industrielles à la recherche de travail sont fréquentes et prennent différentes formes aux différentes époques de l'histoire (comm. A. VASSAS, 2007). Pour certains auteurs, elles s'inscrivent dans une stratégie de gestion des risques mise en place par les familles notamment dans les zones rurales (BROWMAN, 1987, MORLON, 1987). Ces migrations peuvent être temporaires : le chef de famille accompagné souvent de ses enfants migre pour chercher un travail dans les basses terres ou dans les mines afin de garantir un revenu supplémentaire à sa famille et lui permettre ainsi de vivre dans la communauté, une situation très justement résumée en trois mots « partir pour rester » (CORTES, 2000). Mais ces migrations temporaires peuvent parfois devenir définitives ce qui fût par exemple le cas pour de nombreuses familles suite aux sécheresses de 1941/42 et 1982/83.

La mobilité apparaît donc comme une tradition et fait encore aujourd'hui partie intégrante du système de vie des peuples Aymaras comme le reflète la catégorisation fréquente de la population entre « estantes » (ceux qui vivent en permanence dans la communauté) et « residentes » (famille qui ont une double résidence en ville). Mais nous limiterons l'usage de ces termes car leur définition n'est pas exhaustive et peut varier d'une communauté à l'autre voir d'une famille à l'autre surtout en vu des enjeux actuels autour de la quinoa. Pour éviter toute confusion nous préférerons donc employer les terme de « permanents » et « mobiles ». Autre témoignage de cette mobilité: « en 1940 quasiment toute la population de moins de 50 ans parle l’espagnol » (FELIX, 2004).

1.3.2 UNE ORGANISATION SOCIALE BASÉE SUR UN DOUBLE SYSTÈME ORIGINAIRE ET POLITICO

ADMINISTRATIF

Malgré les invasions successives (inca, espagnole), les populations indigènes ont su préserver au cours du temps leur organisation sociale comme en témoigne la prédominance du système communautaire. En Bolivie, il existe par conséquent deux types de découpages territoriaux : les divisions territoriales originaires (pré incas et incas) et le découpage politico administratif actuel (ROBIN, 2006) (cf. Annexe 5). Les fondements du système communautaire reposent sur le fait que toutes les ressources du milieu (eau, terres, ressources minières) sont collectives. Il n'existe pas de titres de propriétés. La gestion des ressources s'effectue donc au

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niveau communautaire. De ce fait, l’allocation des terres est décidée par la communauté, à priori selon les besoins de chaque famille et la disponibilité (FELIX, 2004). Chaque famille qui a le droit de cultiver et d'exploiter les ressources de la communauté a en retour des devoirs envers sa communauté, les cargos. Dans certaines communautés, notamment dans la zone de Salinas, on parle alors de contribuyente pour toute personne ayant des droits et des devoirs dans la communauté. Il existe différents types de cargos:

Tout d'abord chaque personne doit être en mesure d'assumer les fonctions d'autorités originaires de la communauté. Pour cela, des comunarios sont désignés chaque année (début janvier) en accord avec l'ensemble de la communauté (estantes et residentes) afin que chaque contribuyente assume ces charges au moins une fois dans sa vie. Les principales autorités traditionnelles de la communauté sont généralement au nombre de trois (d'après les normes de la communauté de La Kaza, 2006) :

– le corregidor : c'est le rôle le plus important dans la communauté dans le sens où le corregidor doit diriger la communauté, animer les réunions et représenter la communauté dans les réunions aussi bien au niveau de l'Ayllu que du district ( il est donc à ce sens reconnu par la Constitution Politique de l'état). Il doit veiller à ce que tout se passe bien dans la communauté au niveau de la répartition et de l'utilisation des ressources et il doit régler les désaccords, notamment, en cas de conflits fonciers. Il a également un rôle important à jouer pour le maintien des rituels et des coutumes.

– Le presidente de l' OTB (Organización Territorial de Base) : il coordonne la communauté avec le corregidor. Il est en plus chargé de présenter les projets de la communauté auprès des institutions du municipe. Ce rôle est apparu lors de la création de la Ley de Participación Popular (loi de Participation Populaire, LPP, 1994) qui a instauré les municipios en leur attribuant une plus grande autonomie de gestion.

–Le responsable de la Junta escolar : il coordonne les activités de l'école avec les élèves, les parents d'élèves et le professeur et veille à son bon fonctionnement. Étant donné que toutes les communautés ne possèdent pas d'école, ce rôle n'est pas systématique.

Ces différentes fonctions sont obligatoires et nécessitent un engagement important dans la communauté que ce soit au niveau de moyens mis en oeuvre (notamment financiers) et du temps à y consacrer ce qui amène parfois les familles (notamment celles qui ne sont pas permanentes dans la communauté) à réorganiser leur système d'activités pour pouvoir les réaliser ou à trouver des arrangements au sein même de la famille (une personne de la famille à même de réaliser les tâches). Dans le cas contraire, la non réalisation de cargos peut parfois générer des conflits importants, qui peuvent conduire à des sanctions pour la personne en question (interdiction de cultiver par exemple).

En plus de ces trois statuts, tous les comunarios de la communauté se doivent de participer aux réunions de la communauté et à des travaux collectifs pour la communauté, les faenas. Ces travaux sont organisés par le corregidor pour la construction ou l'entretien des aménagements de la communauté tel que le nettoyage des chemins, la restauration de murets de pierres, la construction d'un bâtiment communal (école, salle de réunions, centre de

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formation pour les femmes..). Il est généralement toléré que les personnes qui ne peuvent pas participer aux faenas (ce qui est le cas pour la majorité des migrants) substituent leur participation physique par une contribution financière d'un montant égal au coût de la main d'oeuvre salariée non qualifiée.

1.3.3 DES FORMES DE GESTION TRADITIONNELLE DU TERRITOIRE: LE SYSTÈME DE MANTAS

La gestion communautaire du territoire communautaire se traduit parfois par la mise en place d'un assolement collectif, le système de mantas (ou mantos). Il consiste à diviser les terres de la communauté en parties. Chaque partie est cultivée une année sur n et le reste du temps, elle est laissée en jachère. « Ce mode d’organisation traditionnel permet de limiter les risques d’intromission du bétail dans les parcelles cultivées et d’organiser plus facilement les travaux communautaires, les parcelles étant regroupées » (FELIX, 2007).

1.4 UN ENVIRONNEMENT SOCIAL ET ÉCONOMIQUE EN PLEINE MUTATION

Malgré un patrimoine culturel et historique fort, de profonds bouleversements touchent la zone depuis les années 50. Le contexte économique et social est en train de changer rapidement ce qui a des effets importants sur les modes de vie des famille et l'organisation des systèmes d'activités.

1.4.1 LE « BOOM » DE LA QUINOA ET LA MONÉTARISATION DES ÉCHANGES

Dans la société Aymara, la culture de quinoa était avant tout destinée à l'alimentation de la famille. Cependant la situation a changé. Dans les années 70, l’abandon des cultures de quinoa dans diverses zones du Pérou, du Chili et de l’Equateur a entraîné une forte augmentation de la demande. Parallèlement l’ouverture progressive et hésitante du marché à l’Union Européenne et des États-Unis depuis le début des années 80 confirme cette tendance à la hausse de la demande internationale de quinoa (LAGUNA, 2001). Cette ouverture du marché à l'international entraîne une hausse importante de la demande et par conséquent une hausse rapide des prix (cf. Annexe 6). D'une culture de consommation, le quinoa passe progressivement à une culture de rente.

Étant donné que la zone est un bassin de production important d'un quinoa que le marché reconnaît de qualité, elle suscite un vif intérêt de la part d'entreprises privées et de petits intermédiaires qui font du marché noir vers le Pérou. Ces derniers se concentrent dans de petits pôles urbains tels que la ville de Challapata qui constitue un important marché du quinoa, la feria de Challapata. Dans la zone de Llica, les contrôles de plus en plus importants à la frontière ont freiné les échanges commerciaux vers le Chili et la pratique du trueque. Un autre marché s'est donc créé à la frontière dans les années 70, la feria de Pisiga.

Le fait que les intermédiaires et les entreprises privées aient tendance à tirer les prix aux producteurs vers le bas pousse les producteurs à s'organiser pour créer en 1983 la première organisation nationale de producteurs de quinoa : ANAPQUI (Association Nationale de Producteurs de Quinoa), organisation qui se décline en organisations régionales telle que APROQUIGAN dans la zone d'étude. Les objectifs initiaux de ANAPQUI sont d'augmenter

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les revenus des agriculteurs en cherchant des marchés plus rémunérateurs telles que les filières biologiques ou équitables ou en valorisant les produits dérivés de quinoa (pito, pipocas...). C'est chose faite puisque en 1994, avec l'augmentation du marché biologique dans les pays occidentaux, ANAPQUI décide de se dédier exclusivement à la vente de quinoa cultivé selon les normes de l’agriculture biologique (LAGUNA, 2001).

Cependant, étant donnée la hausse toujours plus forte de la demande, la concurrence a joué ses effets et les entreprises privées telles que JATARY ou SAITE proposent actuellement des prix aux producteurs similaires à ceux d'ANAPQUI.

1.4.2 DE LA MÉCANISATION DES PRATIQUES À LA RÉORGANISATION DE L'ESPACE PRODUCTIF

L'ouverture du marché de quinoa et la hausse rapide des prix a été couplée au développement de la mécanisation. Les premiers tracteurs font leur apparition dans les années 70 dans la zone de Salinas et un peu plus tard dans la zone de Llica. Au même moment, des techniciens font leur entrée dans les communautés et amènent avec eux engrais chimiques et insecticides, prônant les vertus de l'agriculture traditionnelle. Les agriculteurs sont donc incités à produire de plus grandes surfaces et à modifier leurs pratiques à la fois techniques et organisationnelles. Dans les années 80, il devient également possible de semer de façon mécanisée.

L'utilisation du tracteur étant impossible dans les zones de montagne et de piémont, le passage à des pratiques mécanisées implique la mise en culture des terres de pampa. L'enjeu économique autour du quinoa entraîne une colonisation rapide de ces espaces (notamment dans les communautés qui comptent de grandes étendues de pampas) d'autant plus que le système « traditionnel » aymara de gestion de la terre octroie à celui qui la défriche le droit de la cultiver à vie (à lui et à ses descendants), tant qu’elle n’est pas abandonnée pendant plus d’une génération (FELIX, 2004). En repartant du fait que les zones de pampas ne sont pas cultivées, les premiers défrichements se sont réalisés en accord avec l'ensemble de la communauté. « Les premiers arrivés ont été les premiers servis ». Cependant le regain croissant d'intérêt pour le quinoa a entraîné des retour de migrants dans l'activité agricole. Dans certaines communautés, où l'espace en pampa est désormais totalement occupé, d'importants conflits éclatent entre les familles et entre les communautés. En vue de cette pression sur le foncier, les temps de jachère ont tendance à être réduit. L'activité d'élevage a également tendance à diminuer.

Les bouleversements ont été moins marqués dans les communautés de montagne sans accès aux terres de pampa, du fait des faibles disponibilités en terres mécanisables. Le système de gestion communautaire y est encore bien présent.

Ce déplacement de l'équilibre élevage/agriculture ainsi que la mise en culture de sols fragiles et fortement sujets à l'érosion pose désormais de nouvelles questions en terme de durabilité de l'agriculture faisant naître de nouveaux besoins en terme de gestion communautaire du foncier (Bilan AVSF projet Intersalar, 2006).

En vue de la situation actuelle, les communautés formulent de nouvelles normes communales pour la gestion du territoire, fortement incitées par AVSF (Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières).

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1.4.3 LE DÉVELOPPEMENT DU TOURISME

La zone présente un potentiel touristique important de part la qualité exceptionnelle de ses paysages (salar de Thunupa ou Uyuni, volcan Thunupa...), un riche patrimoine culturel et historique (notamment les vestiges de villages préincaïques, les chulpas) ou encore des ressources naturelles remarquables (sources d'eau chaudes...). En vue de l’intérêt que commencent à porter les entreprises nationales de tourisme à la province Daniel Campos, certaines communautés développent l'activité de tourisme sous la forme de l'agrotourisme communautaire. Cette activité offre de nouvelles perspectives de diversification. AVSF accompagne les communautés de la zone de Llica qui le souhaitent dans la construction de projets centrés sur le développement du tourisme communautaire.

1.4.4 L'ÉDUCATION POUR TOUS

Les possibilités d'accès à l'éducation n'ont pas été les mêmes pour les différentes générations. Au retour de la guerre du Chaco (1932-1936) les ex-combattants reviennent à leurs communautés décidés de donner une éducation à leurs enfants, chose qui leur a manqué lors des campagnes. Une délégation se forme alors à Llica, des slogans forts sont prononcés tels que « ¡ queremos escuela, abajo la ignorancia, viva Bolivia ! » (MEGUILLANES et al., 2005). Ces demandes aboutissent à la création de la première école à Llica en 1937 (Nucléo Indigenal de Llica). Néanmoins, malgré la généralisation des écoles primaires, aucune possibilité ne s'offre dans la zone en terme d'éducation supérieure avant les années 50. Seuls quelques jeunes saisissent des opportunités pour aller étudier en dehors de la Province mais la grande majorité continue à travailler soit avec leurs parents dans le secteur agricole ou émigrent. Néanmoins, les migrations au Chili ont sans aucun doute eu un effet majeur sur le développement du système éducatif notamment dans la région de Llica. Nombre sont ceux qui ont pu constater la performance du système éducatif chilien (et qui y ont d'ailleurs appris à lire

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Photo 2: Les chulpas (en premier plan), le salar de Uyuni et le volcan Thunupa (en arrière plan), toutes les richesses de la zone Intersalar (photo: SC)

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et à écrire) et qui ont ensuite eu la volonté de développer quelque chose de similaire dans leur propre région. Constatant le manque de possibilités d'accès à l'éducation supérieure, une commission se forme à Llica dans les années 50 afin de réfléchir aux possibilités d'instaurer un institut de formation supérieure. L'école Normale Rurale Franz Tamayo voit alors le jour à Llica en 1961 afin de former des instituteurs pour les zones rurales ainsi que le collège en 1965 ouvrant de nouvelles perspectives aux jeunes de la région (MEGUILLANES et al, 2005).

Au cours des premières années de son fonctionnement, les jeunes diplômés de la Normal restent dans la région afin de combler le manque de professeurs. Mais s'en suit une vague de migration importante. Le marché local de l'emploi est saturé et les jeunes professeurs émigrent dans toutes les provinces du pays.

1.4.5 L'EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES: LES MINES

La région compte d'importantes ressources minières qui ont toujours constituées des sources d'emploi importantes pour les populations, notamment lors des périodes de creux (où il n'y a pas de travaux agricoles) ou après une mauvaise récolte. Dans la province Daniel Campos, on peut citer la présence des mines du Cerro Chinchilguay situées sur la communauté de Huanaque. Ces mines qui présentent encore des vestiges de la colonisation espagnole au XIIXème siècles ont été exploitées par les habitants de la communauté de 1965 a 1975. Un peu plus au Sud, les mines soufrières de San Paulo de Napa et Abra de Napa, exploitées pendant tout le début du siècle par une des plus grandes coopérative minière du pays, Unión Progreso sont désormais épuisées mais de nombreuses personnes de la région y ont travaillé. La coopérative s'est redéployée et exploite désormais un gisement de soufre à ciel ouvert situés aux alentours de 5300 mètres dans les hauteurs de la cordillère Sillajuay.

La nouvelle loi du gouvernement en 2007 sur la nationalisation des ressources minières a permis cette année la reprise de l'activité minière dans de petits gisements communautaires telles que les mines du Cerro Chinchilguay.

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Conclusion partielle:

La zone Intersalar peut être qualifiée de « territoire agricole extrême et à hauts risques » de part ses conditions climatiques difficiles (pentes, aridité, basses températures et régimes aléatoires), une situation géographique enclavée et des infrastructures encore peu développées. Mais c'est également le berceau d'une culture et d'une identité forte que les Aymaras ont su préserver au cours des siècles (encadré en bas de page). Ces populations ont su domestiquer cet espace notamment grâce à la mise en place d'un système agraire adapté (présentant un bon équilibre entre agriculture et élevage) et des stratégies de dispersion des risques basées notamment sur la mobilité et la pluriactivité. Néanmoins, depuis les années 50, de profonds bouleversements occasionnés par la hausse des prix du quinoa couplée à la mécanisation se répercutent sur la gestion et l'exploitation des terres, remettant en cause toute l'organisation sociale Aymara. De nouvelles opportunités apparaissent (éducation, travail). Les stratégies familiales évoluent.

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La Visión Cósmica de la Tierra – Territorialidad.

La tierra y territorio como el centro de la vida comunal, es el espacio donde la comunidad se nutri de sus manifestaciones culturales, sociales, religiosas y económicas.

La tierra y territorio, es un espacio de co existencia de respeto y cultura es una prioridad para la comunidad de Lak’aza que existe y en el está estructurado su organización geopolítica, sociopolítica y cultural.

La tierra y territorio de la comunidad, es el espacio ritualizado y se traduce la visión cósmica de respeto a la Pachamama y uywiris, estos rituales ofrecidos en nuestros q’ollus sagrados y lugares: Maraga, Kala Sayata, Janco Katavi, Pucara, Piurano, etc.

extrait des normes communales de la communauté de la Kaza, 2006

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2 Construction de la méthodologie

2.1 LA PRISE EN COMPTE DES TRAJECTOIRES DE VIE: LES ANTÉCÉDENTS DE LA RECHERCHE

2.1.1 ENRICHIR LES APPORTS DE L'ANALYSE-DIAGNOSTIC

• La reconnaissance de différentes formes de rationalités

Une des méthodes courantes pour faire un état des lieux de l'agriculture dans une petite région agricole est la réalisation d'un diagnostic agraire (DUFUMIER, 1996, APOLLIN & EBERHART, 1999, FERRATON, COCHET, BAINVILLE, 2003). Ce travail est essentiel par la connaissance qu'il donne du fonctionnement, de la logique et des résultats technico-économiques des systèmes de productions agricoles d'un territoire donné (et des systèmes de culture et d'élevage). Il est cependant susceptible de présenter des limites liées au type de rationalités que l'on prête aux agriculteurs. La rationalité de l’agriculteur se manifeste par la cohérence de l’ensemble des prises de décisions de ce dernier et se traduit par la mise en place d’un système de production spécifique (PAUL, 1994). Dans la méthodologie du diagnostic agraire, la compréhension de la rationalité des agriculteurs s'appuie presque exclusivement sur une théorie majeure qui est celle de l'optimisation des ressources matérielles disponibles. En l'occurrence, la littérature nous montre que, bien que les décisions des familles sont largement fondées sur « une rationalité des moyens » (en fonction des ressources disponibles dans un environnement agroécologique et socio-économique donné), les choix des familles sont aussi dictés par une « rationalité axiologique » (fondée sur les valeurs morales de l'individu), une « rationalité identitaire » et une « rationalité régie par des affects ». Ces quatre formes de rationalité peuvent entrer en synergie ou en tension, tensions que l'on observe notamment dans les divergences entre discours et pratiques (d'après A.S. ROBIN, 2006). On part donc avec le présupposé que les acteurs sont susceptibles de prendre des décisions qui n'optimisent pas les ressources dont ils disposent au titre d'une logique guidée par leurs affects, leurs valeurs morales ou encore leurs identités (comm. pers. P. GASSELIN, 2007).

• Une prise en compte plus importante des interactions entre activités agricoles et non agricoles

Le diagnostic agraire présente une autre limite : il ne tient pas véritablement compte des interactions qui existent entre le système agricole et les activités non agricoles de la famille. Il se concentre sur l'étude du système de production agricole. Selon MAZOYER (1997), le système productif agricole est caractérisé par le type d'outillage et d'énergie utilisé pour défricher l'écosystème, pour le renouveler et exploiter sa fertilité. Le type d'outillage et l'énergie utilisés sont eux-mêmes conditionnés par la division du travail régnant dans la société. En l'occurrence, dans la zone Intersalar, nous sommes face à une population anciennement et fondamentalement pluriactive et mobile. De nombreux facteurs exogènes (contexte socioéconomique, mutation de l’agriculture, aléas climatiques, limitation de la quantité de terres cultivables...) et endogènes (culture, éducation des enfants, maladie…), incitent les familles à mettre en place des systèmes plus complexes et à « devenir une unité active plurisectorielle dont la logique et le fonctionnement ne peuvent pas être perçus par la

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seule économie agricole » (BRUN, 1989 ; CORSI, 1993, cités par PAUL, 1997). Cette diversification d’activités et des espaces de vie correspond à une stratégie de dispersion des risques dans un environnement souvent qualifié de « hostile ». En Europe, cette stratégie est aussi très répandue notamment en zone de montage ou dans les situations de crise (territoriale ou sectorielle). La diversification des activités peut prendre plusieurs formes allant de la pluriactivité individuelle (LACOMBE, 1984), à la constitution d’exploitations sociétaires de grande taille (HERVIEU, 1993), en passant par des activités de diversification (COLSON, 1986, MULLER, 1987). La conduite d’une activité agricole peut alors s’expliquer par des raisons diverses qui ne peuvent se résumer à la seule fourniture d’un revenu (LAURENT et al., 1998; BLANCHEMANCHE, 2000).

Par conséquent, il ne faudra pas se limiter à l'étude du système de production agricole mais prendre en considération les autres activités de la famille afin de comprendre les stratégies familiales. Cela implique de montrer les interactions qui existent entre les différentes activités.

• Du territoire à des territoires

Une autre limite majeure du diagnostic agraire est qu'il se cantonne à n'interroger que les personnes qui se trouvent à un moment donné dans la zone étudiée. Il ne permet donc pas de tenir compte d'une partie de la population qui vit une grande partie du temps à l'extérieur du territoire et qui pourtant a une importance majeure sur les changements de pratiques techniques et organisationnelles. Dans ce travail, nous nous proposons d'ouvrir le spectre du diagnostic agraire en ne s'intéressant pas à un territoire mais aux territoires en « archipel » de cette population mobile.

2.1.2 VERS UNE APPROCHE DYNAMIQUE DES SYSTÈMES D'ACTIVITÉS

• Du concept de système de production au concept de système d'activités

En vue des limites du diagnostic agraire, le recours à un nouveau concept est nécessaire pour réaliser ce diagnostic. Pour ce faire, il nous faudra intégrer deux éléments essentiels:

– les résultats de l'étude des systèmes de productions agricoles d'une part (FELIX, 2004) ;– un concept qui considère la pluriactivité, inscrit ses acteurs dans des espaces

différenciés, élargit le champ des ressources que l'on reconnaît comme étant disponibles pour la famille et qui enrichit les registres de rationalité des acteurs.

Dans le sens où les différentes activités d'une famille sont en interactions car elles mettent en jeu notamment des capitaux communs dans la plupart des cas limités et parfois des productions, il est possible de parler de système d’activités. C’est donc bien ce système élargi, sorte de métasystème, qui permet d’analyser la cohérence des pratiques et des choix de la famille, y compris celles relatives à l’agriculture.A l’échelle d’une famille, le « système d’activités » peut ainsi être défini comme « l’ensemble des activités du ménage, chacune ayant son rôle propre dans le fonctionnement et le développement de l’ensemble. Ces activités sont liées entre elles, soit par des liens fonctionnels, soit par leur articulation temporelle. L’étude du système d’activités considère d’abord l’ensemble avant d’analyser chaque activité comme un sous-système » (MUNDLER, 2007).

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Dans cette étude, le système d'activités sera défini comme : « Un ensemble structuré d’activités localisées et en interaction mises en œuvre par une entité sociale donnée en mobilisant des ressources disponibles en vue de satisfaire les objectifs de l’entité sociale et permettre son maintien en équilibre dynamique dans un environnement écologique et social donné. » (comm. pers P. Gasselin, 2007).

– La définition du terme « activité » est un pré requis à l'utilisation de cette définition et dépend de la problématique retenue (est-ce une activité que de participer aux instances élues d'une collectivité? est-ce une activité que de percevoir une rémunération comme rente foncière? Est-ce une activité que d'exercer un travail productif qui ne donne pas lieu à une reconnaissance juridique et statistique ? Les retraités sont-ils des « inactifs »? etc.). Dans notre cas, nous nous sommes concentrés sur l'analyse des activités « productives » (qui supposent un travail humain et donnent lieu à une production de valeurs, monétaires ou non, pour la collectivité), activités souvent relatives à l'exercice d'un métier. Nous sommes cependant restés attentifs à considérer des activités « non productives » susceptibles d'avoir une incidence sur les changements de pratiques agricoles (situations de rentier, participation à des réseaux, à des instances associatives ou communautaires, etc.).

– L'entité sociale choisie pour conduire l'analyse (individu, ménage, famille nucléaire, etc.) dépend du contexte social et de la problématique à laquelle s'applique le concept. En l'occurrence, c'est la famille nucléaire qui a été retenue.

– On notera qu'à la différence de l'approche par les systèmes de production agricole, ce n'est plus la reproduction qui est en jeu mais l'équilibre dynamique du système. L'utilisation du concept de trajectoires contribue à caractériser cet équilibre. Nous sommes conscient que d'autres concepts tels que la flexibilité et la résilience mériteraient d'être mobilisés pour appréhender cet équilibre dynamique (INGRAND et al., 2006). Cependant, le temps disponible dans ce stage ne nous a pas permis d'établir un cadrage théorique suffisamment abouti sur ces concepts pour les appliquer à l'étude des systèmes d'activités. Ils ne seront pas mobilisés comme notions centrales de notre analyse mais en toile de fond.

–Dans cette définition, la notion de « ressources » renvoie à un ensemble qui regroupe les dotations en capitaux disponibles pour l'entité sociale et les capabilités associées (A. SEN). Les différentes formes de capitaux (« naturel », physique, humain, financier, social) sont perçues comme des « ressources pour l’action », les actions étant conditionnées par la capabilité des personnes. Notre étude n'a pas pour ambition de quantifier et reconnaître toutes les formes de capitaux mobilisés par les familles : nous avons privilégié l'examen des capitaux naturels, humains et physique, tout en restant éveillés à la prise en compte d'autres formes de ressources lorsque cela s'avérait particulièrement utile à la compréhension des changements de pratiques agricoles.

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Un premier diagnostic des systèmes d'activités est présenté dans les deux mémoires suivants :– Analyse-diagnostic des systèmes d’activités des familles dans la zone Intersalar

(Bolivie): propositions de pistes pour l’action (A.S. ROBIN, 2006) ;– Pluriactivité, logiques familiales et durabilité des systèmes de production agricole :

Analyse-diagnostic des systèmes d’activités dans la zone Intersalar (J. PARNAUDEAU, 2006).

• Les limites du diagnostic des systèmes d'activités

Le diagnostic des systèmes d'activités a permis d'élargir le champ de compréhension des pratiques mises en oeuvre dans la zone Intersalar mais se heurte à de nouvelles limites méthodologiques et conceptuelles. Une des principales limites est que le diagnostic des systèmes d'activités réalisé en 2006 rend mal compte de l'évolution des systèmes d'activités. En effet, les systèmes d'activités ont été caractérisés à partir de « variables d'état », un peu comme si une photographie du système d'activités était prise. C'est assez performant pour s'intéresser au fonctionnement du système d'activités et comprendre notamment les interactions qui s'établissent entre activités.Cependant, ces indicateurs « statiques » du système ne permettent pas de savoir dans quelle dynamique se situe le système d'activités, quels sont les changements à l'œuvre au sein de la famille, et comment cette famille se situe dans les changements observés à l’échelle du territoire. Il apparaît donc nécessaire d’appréhender le SA dans une perspective dynamique, ce qui a motivé la formulation de ce stage et le choix méthodologique de prendre en compte les trajectoires familiales.

• Le choix de s'intéresser aux trajectoires de vie

Trois pistes méthodologiques complémentaires ont été envisagées en amont de la formulation du profil du stage. Cerner la dynamique des systèmes d'activités pouvait passer par :

1. Une typologie des systèmes d'activités fondée sur des variables du changement (taux de mise en culture, fréquence de changement de type de combinaisons d'activités, etc.) : dans quel type de changement le système d'activités est-il engagé depuis quelques années et avec quelle intensité.

2. Resituer le système d'activités dans l’histoire des membres de la famille, dans les trajectoires de vie de la famille, tâchant ainsi de comprendre comment s'est différencié le système d'activités et de cerner les principales ruptures dans son histoire propre.

3. Resituer ces trajectoires de vie et ces dynamiques contemporaines des systèmes d'activités dans une histoire du territoire établie sur le temps long, en identifiant les périodes stables, les ruptures, les évènements marquants, les relations de cause à effets entre les changements observés dans l’écosystème cultivé et les changements techniques et sociaux, en repérant ainsi des régularités historiques.

Au début du stage, il était demandé de produire une analyse à partir des deux premières entrées méthodologiques, associant typologie dynamique et analyse de trajectoires. Mais dans la mesure du temps imparti et en concertation au sein du projet de recherche, il a été décidé en juin de limiter les objectifs du stage à « montrer en quoi les trajectoires de vie (caractérisées principalement au travers de la succession des différentes combinaisons d’activités et de la mobilité spatiale) contribuent à expliquer les changements de pratiques

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agricoles mises en œuvre par une famille nucléaire » (GASSELIN, 2007). En agronomie, le concept de trajectoire a été utilisé afin de montrer l'évolution des exploitations agricoles au cours du temps long (MAZOYER, DUFUMIER, 1998). Il permet en effet la mise en évidence de trajectoires d’évolution des systèmes d’exploitation qui retracent l’histoire et la logique de leur différenciation au cours des dernières décennies (CAPILLON et Coll. repris par LANDAIS, 1996). Cette approche permet de se rendre compte de la diversité des exploitations ainsi que de leur origine mais présente néanmoins certaines limites. En effet, cette seule tendance historique ne permet pas de comprendre globalement les stratégies mises en place par les familles et au delà, le fonctionnement global de l’exploitation et ce du fait qu’elle ne prend pas en compte des facteurs fortement influents. C’est le cas par exemple de l’enchaînement des phases qui marquent le cycle de vie (installation, désendettement, préparation de la transmission et/ou de la cessation d’activité…) qui s’accompagnent de plus en plus souvent de changements structurels et fonctionnels profonds (LANDAIS, 1996). Apparaît donc l'intérêt de s’intéresser aux trajectoires de vie, ce qui permet d’aboutir à une typologie plus fine et intégrant mieux les stratégies des familles. Les trajectoires de vie permettent de donner aux typologies statiques d'une situation contemporaine en appréhendant leur dynamique ou en les replaçant dans un processus de différenciation.

Dans ce travail, les trajectoires de vie seront vues au sens d'une succession de combinaisons d'activités réalisées par la familles, activités qui sont localisées dans le sens où elles nécessitent une organisation spatiale de la famille et en particulier de sa ou ses résidences.

• L'émergence de « trajectoires techniques »

Les trajectoires de vie font émerger des trajectoires techniques. Ces trajectoires techniques caractérisent l'enchaînement, la succession, l'évolution de systèmes techniques agricoles repérés au niveau des systèmes de cultures et des systèmes d'élevage. Ces trajectoires techniques apparaissent révélatrices de processus d'apprentissage individuel caractérisant l'appropriation d'une nouveauté technique (nouvelle au moins pour l'individu qui la met en oeuvre). Ces trajectoires apparaissent donc utiles pour étudier les conditions de l'adoption et de la maîtrise d'une innovation technique (comm. JM BARBIER, 2007). Il est alors intéressant de repérer dans les trajectoires les changements qui procèdent d'un glissement progressif (par agrégation de petits changements) des changements plus radicaux qui peuvent s'opérer à l'occasion d'un changement de génération ou suite à une formation technique ou sous l'injonction d'un projet de développement. Il est remarquable que l'introduction de la mécanisation dans un système technique, en l'occurrence celui de la culture de la quinoa, ne procède pas ou très rarement d'une rupture brusque et radicale de l'ensemble de la logique technique de l'exploitation agricole contrairement à ce que l'analyse superficielle pourrait laisser penser. Ainsi l'agriculteur procédera par petites touches, par essai sur les terres de plaines propices à la mécanisation sans engager toute sa force de travail et ses semences sur des terres mécanisées. La transition technique s'opère le plus souvent dans le cadre d'une gestion maîtrisée des risques, en n'engageant pas toute l'exploitation dans l'innovation technique (comm. pers. GASSELIN, 2007).

On distingue les trajectoires techniques établies à l'échelle d'un vie des trajectoires techniques repérées sur le temps historique par des anthropologues, sociologues et historiens (travaux de Leroy Gourand et Yves Clos, Mazoyer)

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2.1.3 COMPRÉHENSION DU FONCTIONNEMENT DES SYSTÈMES D'ACTIVITÉS

• Les cinq grandes familles de capitaux

Lors du passage d’un système d’activités à un autre, et ce quel que soit son niveau de complexité, la famille peut faire le choix d’allouer les ressources familiales disponibles entre les différentes activités. Ces choix stratégiques sont fondamentaux pour caractériser les différents types de systèmes. De ce fait, afin d’arriver à une meilleure compréhension des systèmes, il est intéressant de distinguer différentes familles de capitaux. En s’inspirant de plusieurs auteurs (ELLIS, 2000 ; MOSER, 1998, GAFSI, 2006), il a été possible d’identifier cinq grands types de capitaux (Vaillant cité par Bathfield, 2007) :

– « Le capital « naturel » comprend la terre, l’eau et les ressources génétiques dont dispose la famille ;

–Le capital physique comprend le capital matériel créé par les processus de production économique (bâtiments, aménagement parcellaire, outils, machines, etc.), dans le but de générer des revenus futurs.

–Le capital humain1 fait référence aux dimensions quantitatives et qualitatives du travail disponible au sein de la famille : instruction, habileté (compétences, savoir-faire) et santé. Le capital humain augmente par l’investissement dans l’éducation et la formation, ainsi que par les compétences acquises par la réalisation de plusieurs métiers. C’est un capital en transformation constante, en fonction du cycle familial.

–Le capital financier (et substituts : bétail, joaillerie, réserve alimentaire) correspond à la réserve d’argent à laquelle peut accéder la famille (de manière générale, épargne et prêts). Ce n’est pas un capital directement productif, mais il a une place dans le « portefeuille d’actifs » de la famille car il est convertible sous une autre forme de capital, ou utilisé directement pour la consommation.

–Le capital social est le capital le plus difficile à décrire. On pourrait y inclure l’autorité (charismatique, légale, traditionnelle), l’insertion dans un réseau social (technique, commercial ou autre), la connaissance des formes de coordination (conventions, normes, règles), les formes de solidarité auxquelles la famille peut prétendre. Ce capital relève de l’appartenance plus ou moins marquée à un groupe. Le groupe social d’appartenance peut alors conditionner à des niveaux variables l’accès ou le développement de certaines activités.

1 Dans les conditions d’une économie paysanne naissante (facteurs de production limités, notamment capital), le travail familial devient l’élément central de leur système d’activités (TCHAYANOV, 1990). De ce fait la répartition de la force de travail familiale entre l’activité agricole et les autres activités est à la fois un élément important pour rendre compte de la différenciation des ménages et pour comprendre leurs stratégies dans le choix de leur activité (G. BIBA, 2000)

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• Différentes formes d'interactions entre les activités

Les interactions entre activités sont de diverses natures. Dans une perspective de modélisation du fonctionnement des systèmes d’activités, nous pouvons considérer plusieurs types de relations fonctionnelles entre sous-systèmes qui contribuent à fonder la cohérence globale du système d’activités (document de travail, P. GASSELIN, 2007) :

–Une interaction « produit » qui traduit l’existence d’un flux de matière entre une activité « amont » qui fournit un intrant ou la matière première à une autre activité « aval » (transfert de fertilité entre système de culture et système d’élevage, atelier de transformation et/ou activité de commercialisation d’une denrée agricole produite par l’entité sociale, etc.).

–Une interaction « ressource » autour de la mobilisation d’une même ressource en quantité limitée par plusieurs activités du système. Cette interaction « ressource » peut être déclinée pour chacune des cinq catégories de « capitaux » qui permettent la mise en œuvre du système (capital « naturel », physique, financier, humain, social). On distinguera notamment :

• Interactions « Capital humain » :En premier lieu, les interactions « travail » en examinant en particulier la répartition des tâches des différentes activités dans le temps, au sein de l’entité sociale et la priorité accordée aux opérations élémentaires simultanées (en discernant les niveaux d’astreintes).

Les interactions « compétence » où le savoir et le savoir-faire mobilisés dans une activité renforcent ou permettent la mise en œuvre d’une autre activité (exemple: savoir conduire un tracteur, dans sa ferme et comme prestataire de service ou comme ouvrier agricole).

• Interactions « Capital physique » : Elles caractérisent les situations où deux activités mobilisent le même moyen de production dont la durée de vie est pluriannuelle (équipement, bâtiments, outillage).

• Interactions « Capital naturel » :Les interactions «foncier » où l’existence d’une activité (1) permet de développer une autre activité liée aux terrains utilisés (exemple: développement d’une activité immobilière ou de gîtes sur des parcelles devenues constructibles) ou (2) entre en concurrence en termes de surface avec une autre activité du système (cas de la diversification agricole).

Les interactions «irrigation » entre deux activités demandeuses en eau lorsque les droits d’irrigation sont limités.

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• Les interactions « capital financier » qui traduisent (1) les relations entre les rythmes et les niveaux de trésorerie des différentes activités et/ou (2) les processus de capitalisation entre activités.

• Les interactions « capital social » , notamment lorsque deux activités son liées par les relations sociales que l'une d'elle (ou les deux) suppose ou permet (exemple négoce du vin / vigneron).

–Une interaction « patrimoniale » s’observe lorsque la mise en œuvre simultanée de plusieurs activités fonde ou s’organise autour d’une valeur de patrimoine immatériel (paysage, races et variétés locales, patrimoine culturel et symbolique, patrimoine bâti, patrimoine culinaire, etc.) ou de combinaisons héritées du passé régional (exemple: production de raisin de table pour payer les vendanges).

–Une interaction spatiale est à l’œuvre lorsque la mise en œuvre simultanée de plusieurs activités d’un même système entraîne un rapport particulier à l’espace qui conditionne les pratiques techniques et organisationnelles (par exemple, durée de transport entre deux activités, organisation multipolaire de la vie familiale, etc.).

–Une interaction temporelle est à l'œuvre lorsque l’existence ou l’organisation d’une activité à un moment donné, et les pratiques associées sont conditionnées par une perspective d’évolution du système d’activités, qui anticipe un changement à venir (abandon ou mise en place d’une activité, départ à la retraite, vente de terres, investissement, etc.).

Ces interactions ne sont ni exhaustives, ni exclusives ni systématiques. Elles peuvent prendre des caractéristiques différentes selon la nature de l’interaction mais aussi selon le système d’activité considéré. Nous distinguons les interactions :

– Obligatoire: la relation est une condition sine qua non de la viabilité des deux activités considérées.

Exemple autour d’une interaction « capital physique » : Pour certains paysans des Andes boliviennes, seule l’association d’une activité de production de quinoa mécanisée et d’une activité de tractoriste permet et justifie l’investissement lourd que représente un tracteur. Les deux activités valorisent le même équipement et c’est leur combinaison qui conditionne le dimensionnement du matériel.

–Facultative: la relation n'est pas une condition sine qua non de la viabilité des deux activités considérées.

Exemple autour d’une interaction spatiale : l’exercice d’une activité salariée de postier à mi-temps au bourg, combinée à la viticulture sur des parcelles éloignées du village, oblige le postier-vigneron à organiser ses déplacements et ses chantiers viticoles en tenant compte de ses horaires de postier, voire à tenter de les aménager. Cependant, cette interaction entre les deux activités ne conditionne pas fondamentalement la viabilité des deux activités, même si l’organisation du travail s’en trouve contrainte.

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–Concurrentielle : la relation entre les deux activités entraîne une concurrence autour de l'objet de la relation fonctionnelle.

Exemple : les interactions « ressources » qui mobilisent une ressource en quantité limitée (travail, terre, eau, équipement, etc.) sont concurrentielles en ce qu’elles ne peuvent pas être mobilisées simultanément dans la réalisation des deux activités, ce qui suppose de faire un choix d’allocation de la ressource à telle ou telle activité.

–Complémentaire : la relation entre les deux activités permet de mieux " valoriser " l'objet de la relation fonctionnelle.

Exemple autour d’une interaction « capital social » : la combinaison d’une activité d’élevage de lamas et celle de négociant de petits camélidés andins permet de valoriser les mêmes réseaux socio-techniques et commerciaux pour les deux activités. Ainsi, le négoce de lamas permet à l’éleveur d’accéder à des informations techniques et à des opportunités de commercialisation dont il n’aurait pas eu le bénéfice sans l’activité de négoce, et réciproquement le travail d’élevage donne au négociant une connaissance des bêtes et des pratiques d’élevage utiles pour apprécier les animaux dont il fait le commerce.

–Symétrique : la relation traduit un rapport de réciprocité entre plusieurs activités.Exemple autour d’une interaction « patrimoine »: la production de raisin et la production d’olive fondent en Languedoc Roussillon une valeur paysagère indivisible, que l’on ne peut pas attribuer davantage à la vigne ou à l’olivier: la vigne et l’olivier interagissent de façon symétrique pour générer une valeur patrimoniale.

–Asymétrique : la relation traduit un rapport de non-réciprocité entre plusieurs activités.Exemple autour d’une interaction « produit » : une activité de production fournit de la matière première à l’atelier de transformation, de façon unilatérale. La relation y est donc asymétrique, en particulier lorsque les sous-produits de la transformation ne sont pas récupérés dans l’activité de production de matière première.

Afin de simplifier la visualisation des types d’interactions fonctionnelles, une représentation graphique du système d’activité a été imaginée (BATHFIELD, 2006). Ce sera l'objet de la partie 5.

2.2 PROBLÉMATIQUE, QUESTIONS DE DÉPART ET HYPOTHÈSES

2.2.1 DE LA PROBLÉMATIQUE AUX QUESTIONS DE DÉPART

Bien qu'il existe des formes collectives de gestion et de régulation de l'utilisation du territoire par le biais par exemple de normes communautaires, les choix des orientations productives et des pratiques techniques et organisationnelles sont aussi le fruit de décisions familiales, décisions qui sont conditionnées par les ressources de la famille mais également par son environnement social, économique et physique.

La problématique à la base de cette étude est par conséquent la suivante : comprendre les logiques qui président aux choix et aux décisions de changements de pratiques agricoles à la lumière de la trajectoire de vie de la famille.

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De cette problématique centrale découlent de nombreuses questions :

– Dans un premier lieu, qu'est ce qu'une trajectoire? Comment la caractériser et sur quels critères la délimiter ?

– Ensuite quelle est l'unité d'observation à prendre en compte : la famille nucléaire ? La famille élargie ? L'individu ? L'exploitation ?

Une hypothèse est que au cours d'une trajectoire de vie, la famille passe d'une combinaison d'activités à une autre en changeant l'allocation de ses ressources. Ce changement peut être accompagné ou non d'une réorganisation spatiale. De cette manière, il faudra se demander comment se déroule le passage d'un système d'activités à un autre et quelles sont les conséquences éventuelles sur les pratiques techniques et organisationnelles et en même temps sur l'organisation spatiale ou sur l'allocation des ressources.

Nous centrons l'observation sur les changement de pratiques. Quels sont-ils dans la zone ?

L'analyse des pratiques va permettre de déterminer des stratégies d'acteurs, stratégies qui peuvent être expliquées par différentes formes de rationalités. De ce fait, il faudra s'interroger sur les registres de rationalités à mobiliser et comment les utiliser pour expliquer les choix de pratiques.

Enfin revenons au thème central du programme de recherche dans lequel s'insère notre étude (Equeco, 2006) à savoir la durabilité de l'agriculture dans la zone Intersalar. Il sera nécessaire de distinguer les pratiques durables. Qu'est-ce qui permet à la famille de mettre en place ces pratiques ? Au contraire, qu'est-ce qui contraint les familles à ne pas le faire ?

2.2.2 POURQUOI CONSIDÉRER LES TRAJECTOIRES DE VIE? HYPOTHÈSES

Nous avons été amenés dans une première phase de terrain à réaliser une pré typologie de trajectoires afin de raisonner l'échantillonnage des familles enquêtées. Pour cela nous avons privilégié un critère relatif aux activités et notamment à l'activité de production agricole plutôt qu'un critère de mobilité spatiale. Ceci nous a conduit à distinguer trois grands types de trajectoires :

– T1 : les trajectoires de « sortie de l’activité de production agricole »– T2 : les trajectoires de « continuité de l’activité de production agricole »

• T2A : « continuité de l’activité agricole sans diversification d’activité »• T2B : « continuité de l’activité agricole avec diversification d’activités »

– T3 : « Sortie temporaire de l’activité de production agricole puis retour à l’agriculture (en conservant d’autres activités) ».

Les hypothèses sous-jacentes à cette typologie sont que la trajectoire des combinaisons d’activités d’une famille contribue à expliquer les changements de pratiques agricoles, notamment par :

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– Des logiques de coûts d’opportunités : dans ce domaine, l’analyse ne sera conduite que pour des changements majeurs, interprétés à partir de l’évolution des prix des principaux produits agricoles, de l’ouverture d’un marché de l’emploi dynamique (mines, haciendas chiliennes, tourisme, etc.), de l’acquisition d’une compétence professionnelle, etc. Il ne sera donc pas fait d’analyse économétrique.

– Des logiques d’interactions entre activités : on se référera aux travaux par P. Gasselin et B. Bathfield (2007) sur les concurrences et complémentarités dans la mobilisation des capitaux, sur les flux de matières entre activités, sur les équilibres de trésorerie, sur les complémentarités patrimoniales, les effets d’anticipation de changements d’activités (= « interactions temporelles »), les concurrences et complémentarités spatiales, etc. Dans ce domaine, on prêtera une attention toute particulière :• aux questions d’organisation du travail (ce qui aurait supposé l’identification des

principales astreintes facultatives et obligatoires de chaque activité, leurs simultanéités et l’ordre de priorité qui leur est alors donné, étude que nous n'avons pas pu réaliser de façon détaillée) ;

• aux interactions spatiales entre activités (activités développées en ville pendant la période où les enfants doivent étudier, contraintes de gestion à distance d’une activité agricole dont on délègue la gestion technique, etc.).

– La construction d’un rapport renouvelé au changement technique: A titre d’exemple, les trajectoires peuvent révéler des phases d’expérimentation dans des activités non agricoles, qui constituent des précédents favorables ou non (selon l’issue de l’expérience…) à la mise en œuvre d’un changement dans les activités agricoles (« apprentissage » de la logique du réseau socio-technique, de l’échange sur les pratiques, etc.). De même, l’échange avec des agriculteurs d’autres régions peut susciter des changements de pratique.

– La construction d’un certain rapport au territoire, susceptible de contribuer à expliquer que l’agriculteur porte une attention plus ou moins forte au maintien d’un potentiel de fertilité (compris ici dans sa définition la plus large de « capacité de production de biomasse »), et développe des pratiques plus ou moins préjudiciables pour l’environnement. Ce rapport au territoire sera caractérisé par l’analyse de discours (éventuellement croisé par l’examen des pratiques contemporaines, lorsque cela s’avère facilement réalisable) dans les dimensions suivantes :• le « lien alimentaire » : argumentaire développé autour des qualités gustatives, de

l’origine géographique et/ou de la maîtrise/connaissance de l’itinéraire technique qui légitiment une volonté d’autoconsommation des produits agricoles ;

• les liens familiaux : expression ou non d’une volonté de maintien du lien à la famille, participation aux évènements de la vie familiale, etc ;

• les « liens fonciers » : spéculation, symbolique, patrimonial, conflits, etc ;• les liens fondés sur l’engagement dans l’action collective locale (organisations de

producteurs, « cargos », etc.).

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Au delà de ces quatre registres d'explication des changements de pratiques agricoles, nous sommes restés attentifs à repérer d’autres éléments explicatifs des changements de pratiques (sans en faire pour autant un champ spécifique de l’investigation, mais qui n’en restent pas moins majeurs) :

– Les trajectoires peuvent révéler la construction d’un certain rapport subjectif au travail agricole : sur les plans identitaire, relationnel, et de l’exercice du corps au travail ;

– L’examen des trajectoires révèle aussi des changements de logique de gestion des risques. Déplacement de l’équilibre relatif entre les deux grands modes de gestion : dispersion et/ou réduction, renouvellement du rapport subjectif au risque par l’expérience de l’aléas dans des activités non agricoles, etc.

Partant de cette prétypologie, des enquêtes ont été réalisées avec des familles situées dans chaque trajectoire dans chacune des communautés étudiées.

2.3 MÉTHODOLOGIE D'ENQUÊTES ET TRAITEMENT DE L'INFORMATION

Étant donné le caractère expérimental de cette étude, nous avons dû concevoir une méthodologie de travail que ce soit pour la réalisation des enquêtes ou pour le traitement et l'analyse des données. Les principales caractéristiques sont les suivantes.

2.3.1 DES CHOIX DÉCISIFS DANS LA MÉTHODOLOGIE

• Le choix raisonné des communautés étudiées

La première étape du travail de terrain a été le choix des communautés d'étude. En vue des objectifs, il a paru plus sage de restreindre le nombre de communautés afin de pouvoir enquêter un nombre représentatif de familles par communauté tout en s'imprégnant bien du contexte communautaire. Les critères de choix se sont portés dans un premier temps sur les conditions agro-écologiques des communautés (disponibilité relative en terres de cerro et/ou de pampa) ainsi que sur les orientations productives agricoles, en particulier sur le niveau d'avancement de la culture de quinoa en pampa. Dans la mesure du possible, le choix est allé vers des communautés déjà étudiées par A.S. Robin et J. Parnaudeau en 2006. D'autres critères sont également rentrés en compte tels que l'accessibilité des communautés et les possibilités d'immersion. De par la présence d' ONGs (dont AVSF), programmes de recherche et entreprises dans la zone, certaines communautés sont devenues hostiles à la venue de personnes étrangères, notamment d'étudiants. En considération de tous ces éléments, le choix des communautés a été raisonné collectivement en début de stage au sein de l'équipe EQUECO et a abouti au choix de trois communautés : deux communautés dans la zone de Salinas (La Kaza et Tolamayu) et une communauté dans la zone de Llica (Huanaque). Les caractéristiques des communautés seront présentées ultérieurement.

• La sélection des familles enquêtées suivant la typologie de trajectoires

Afin de raisonner le choix des familles enquêtées, il a fallu faire un repérage exhaustif préalable des types des trajectoires (présentées en 1.2.2) des familles des trois communautés étudiées. Dans les petites communautés (La Kaza et Tolamayu), il a été possible de passer

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dans chaque famille afin de recueillir des informations sur l'ensemble des familles de la communauté. Ceci a permis la réalisation d'un registre de toutes les familles de la communauté aussi bien permanentes que migrantes. Ces registres ont pu être ensuite complétés avec des informateurs « clé » (personnes ayant une connaissance précise de la population des communautés concernées et de leurs trajectoires de vie). Dans les plus grosses communautés (Huanaque), au regard du nombre élevé de familles, ce travail n'a pas pu être réalisé. De ce fait, il a été nécessaire de demander à des informateurs « clés » de nous indiquer des familles dans chacune des trajectoires.

• Des récits de vies complémentés d'observations in situ

Afin de reconstituer les trajectoires de vie des familles, le choix a été fait de se baser sur des récits de vie plutôt que sur l'application d'un questionnaire. De cette manière, la personne enquêtée « raconte » son histoire, qu'est ce qu'elle a fait au cours de sa vie, quels ont été les événements déterminants... Un guide d'entretien a néanmoins été réalisé afin de ne pas oublier de faits importants (cf. Annexe 2). Au cours des enquêtes, les activités non agricoles ont été prises en compte au même titre que les activités agricoles, ce qui est en décalage par rapport à la formation initiale en agronomie. Pour l'étude des changement de pratiques techniques, il a été nécessaire de reconstruire préalablement, à dire d'experts et après revue bibliographique, des « variables de ruptures » par des changements de pratiques caractérisant l'évolution de la logique globale des principaux systèmes de culture et d'élevage de la zone (cf. paragraphe 1.4.3).

Ce style d'enquête nécessite un bon niveau de confiance entre enquêteur et enquêté, ce qui a été facilité par le fait de passer du temps dans chaque communauté et de partager la vie des familles que ce soit dans les travaux agricoles (enquêtes réalisées en pleine période de récolte de quinoa) et dans les autres moments de la vie quotidienne (repas, discussions informelles, fête,...) ainsi que par un passage régulier dans les communautés (cf. Annexe 3). Ces discussions informelles échangées lors de « moments de vie » permettent également de réaliser des observations in situ comme par exemple l'organisation du travail agricole de la famille. Étant donné la quantité d'informations à recueillir, le choix a été fait de limiter le nombre d'enquêtes à 30, sans pouvoir croiser l'information entre plusieurs membres de la familles. Un diagramme de parenté est présenté dans le chapitre 6.

• La réalisation de diagramme de parenté

Dans certaines familles, des enquêtes ont néanmoins été effectuées auprès de plusieurs membres ce qui a rendu possible la création de diagrammes de parenté (= arbre généalogique de la famille avec informations relatives à la résidence, aux activités et aux relations entre les différents membres notamment en terme de transmission de capital matériel). Cet outil a été d'une aide précieuse notamment pour la compréhension empirique des règles de transmission de l'héritage (notamment foncier) ainsi que pour l'organisation spatiale de la famille (établir les relations entre residentes et estantes) et a été utile notamment dans les familles qui rencontrent d'importants conflits pour l'accès au foncier (cf. partie 6).

• La réalisation d'enquêtes dans les communautés et dans les villes

Afin de prendre en compte tous les types de familles dans différentes trajectoires, des

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enquêtes ont été réalisées dans les communautés mais également dans des villes où une grande partie de la population réside surtout en dehors des périodes de travaux agricoles. Le choix des villes s'est fait suivant les principales destinations des flux de migration de chaque communauté étudiée (Bolivie: Oruro, Challapata, Cochabamba et Chili: Pica, La Tirana, Iquique). Les contacts des residentes enquêtés ont été obtenus auprès des membres de leurs familles ou de personnes de la communauté. Cette phase de travail a été également l'occasion de complémenter les observations in situ sur l'organisation spatiale de la résidence et les échanges éventuels entres estantes et residentes.

• Le choix d'enregistrer les enquêtes

Afin de ne pas perdre d'informations et de donner un caractère plus informel à la discussion, le choix a été fait d'enregistrer (dans la mesure du possible) les entretiens. Notre étude implique l'analyse des choix des personnes enquêtées. Nous n'avons pas établi de hiérarchisation du discours en présupposant que chaque personne a la compétence d'argumenter et de justifier ses choix. Ainsi, le discours des agriculteurs a autant de valeur que le discours scientifique. On a par conséquent réalisé une retranscription partielle d'extraits de discours pour étayer l'interprétation que nous avons faite de leurs choix.

• Des restitutions dans les communautés suivies d'une séance de travail sur le mode participatif

En fin de phase de terrain, des restitutions des premiers résultats de l'étude ont été réalisées dans les communautés de Huanaque et de La Kaza. Étant donné les tensions actuelles qui existent dans la communauté de Tolamayu (division de la communauté entre deux familles, corregidor en phase d'être expulsé...), il a été compliqué d'y organiser une restitution.. Une journée a été programmée dans chacune des deux communautés (cf. photos en Annexe 39). L'organisation générale était la suivante :

– dans un premier temps (le matin): réaliser une restitution des premiers résultats de l'étude pour ensuite recueillir les commentaires et les observations des comunitarios.

– Dans un deuxième temps (l'après-midi): réaliser une séance de travail visant à débattre collectivement avec l'ensemble de la communauté des causes et des effets des changements de pratiques agricoles. Des ateliers ont ainsi été mis en place sur le mode participatif: le premier visant à reconstruire une frise chronologique des événements qui ont eu des impacts sur les pratiques techniques et organisationnelles. Le deuxième atelier visait à débattre des éventuelles différences de pratiques entre les personnes situées dans les différentes trajectoires. Faute de temps, le deuxième atelier n'a pu être réalisé que dans la communauté de Huanaque.

La préparation de ces journées s'est faite avec certains des membres permanents EQUECO résidant en Bolivie: les membres permanents en Bolivie du WP3 et du WP5 (Anaïs VASSAS et Pablo LAGUNA) avec l'appui de Manuela VIEIRA (WP7) pour la construction des outils participatifs. Nous avons rencontré des difficultés au moment de la mise en place des ateliers participatifs, difficultés que je tenterais d'expliquer et d'analyser en quelques points :

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– tout d'abord, une intégration difficile dès le début de la phase de terrain en Bolivie : de par des tensions déjà existantes entre les chercheurs et les membres d'Avsf, le fait d'avoir passé plus de temps avec les équipes Avsf et ce dès le début du stage n'a pas facilité mon intégration au sein de l'équipe Equeco. J'ai eu quelques difficultés à trouver ma place mais je me suis néanmoins efforcée de rester neutre dans ce conflit.

– des périodes longues passées dans la zone Intersalar, à 10 heures de bus de La Paz, et par conséquent des échanges limités avec les membres du projet : les moyens de communications (Internet, téléphone) sont encore très limités dans la zone Intersalar ce qui a rendu les échanges difficiles avec l'équipe.

– peu de consultations sur la méthodologie du fait du recadrage effectué lors de la venue de P. Gasselin en Bolivie début juin. Suite à cela, je n'ai pas consulté les membres de l'équipe, notamment P. Laguna (arrivé en Bolivie fin juin) sur le déroulement des enquêtes ce qui apparemment a mal été accepté.

– mon absence lors du séminaire Equeco début juillet : j'ai fait le choix de ne pas participer au séminaire Equeco en juillet afin de rester dans la zone et d'avancer dans mon travail d'enquêtes dans lequel j'avais pris du retard. Malgré un mail envoyé pour avertir et m'excuser auprès de l'équipe, cette absence m'a ensuite été reprochée.

– des désaccords quant au contenu et à la forme de la restitution: des discussions (parfois houleuses) ont eu lieu au moment de la préparation des ateliers notamment sur l'organisation du débat (recherche ou recherche action), la forme de l'atelier et la manière d'intégrer la restitution (au départ, il a été proposé de reconstruire toute la démarche diagnostic suivant une méthode participative avant d'arriver à la forme finale de la journée : une demi journée de restitution et une demi journée d'ateliers participatifs).

Tous ces éléments accumulés ont créé des tensions que nous n'avons pas réussi à apaiser avant le départ de Bolivie. Ceci s'est ressenti sur le traitement et l'analyse des ateliers qui n'a malheureusement pas abouti.

2.3.2 LES LIMITES DE LA RETRANSCRIPTION ET LA CONSTRUCTION DE GRILLES D'ANALYSE

• La décomposition de la trajectoire en différents champs lexicaux

L'idéal pour traiter ce genre d'enquêtes serait une retranscription intégrale des enquêtes. Cependant, étant donné la quantité d'informations recueillies et en considération du temps imparti, ce travail n'a pas pu être mené. Une grille d'analyse a été mise au point afin de systématiser l'information. Pour cela, le choix a été fait de décomposer la trajectoire en différents registres. Ces registres, repérés dans le discours, découlent de la définition que nous prenons de la trajectoire de vie (une succession de combinaisons d'activités localisées) et des objectifs de l'étude, à savoir montrer en quoi les trajectoires de vie contribuent à expliquer les changements de pratiques agricoles. Les registres retenus sont les suivants:

– la succession de combinaison d'activités ;– l'évolution de la composition familiale ;– l'organisation spatiale de la résidence ;– l'évolution des pratiques agricoles ;– l'évolution des pratiques d'élevage ;

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– les principaux changements dans les ressources disponibles ;– l'engagement de l'individu enquêté dans l'action collective (charges communautaires

notamment).

• La prise en compte du « territoire » et de l'environnement social et économique de la famille

Les décisions de la famille sont conditionnées par son environnement social et économique, notamment par le territoire dans lequel elle s'intègre. Comme le soulignent CAPILLON et SEBILLOTE (1982), la diversité des objectifs à atteindre et les stratégies mises en œuvre dépendent de la perception que le ménage a de l’environnement au sein duquel il est plongé ainsi que de la nature de ses relations avec les autres acteurs et avec les marchés. Il a donc été nécessaire de prendre ces éléments en compte afin de les mettre en relation à la trajectoire de vie de la famille. Il a fallu pour cela déterminer les caractéristiques de chacun en fonction des objectifs de l'étude, à savoir déterminer les éléments de l'environnement socio économique et du territoire qui peuvent avoir une influence sur les trajectoires de vie des familles à l'échelle communautaire et supra-communautaire.

En ce qui concerne l'environnement socio économique nous considérons les éléments suivants :

– Les sources d'emploi ou d'activités, telle que l'ouverture d'une mine, ou la création d'une école de formation des maîtres d'école (la « Normal ») ;

– L'évolution des prix agricoles (quinoa, viande, laine) ; – Les moyens de communication ; – Les ressources collectives telles que les ressources naturelles ;– Les organisations (ONGs, groupement de producteurs, coopératives) présentes dans la

zone.

Nous avons retenu pour la notion de territoire, 3 dimensions différentes mais complémentaires:

– Une dimension identitaire (approche sociologique) : le territoire correspond à une entité spatiale dotée d’une identité propre (nom, limites, histoire, patrimoine, groupe sociaux) ;

– Une dimension matérielle (approche économique) : le territoire est conçu comme un espace doté de propriétés naturelles ou résultant de l’aménagement de l’espace définissant des potentialités ou des contraintes de développement.

– Une dimension organisationnelle (approche juridique et politique, sociologique) : le territoire est défini comme une entité dotée d’une organisation des acteurs sociaux et institutionnels (hiérarchie, domination, solidarité…) (LAGANIER R., VILLALBA B. & ZUINDEAU B., 2002).

• « Mode d'emploi » de la grille d'analyse

L'intérêt de la grille d'analyse est qu'elle permet une double lecture : • Suivant l'axe horizontal, elle permet une analyse de la trajectoire dans sa

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temporalité : il est ainsi plus facile de comprendre la succession de combinaisons d'activités, des lieux et des organisations de résidences, d'évolution de la composition de la famille...

• Alors que suivant l'axe vertical , elle met en évidence les relations de causalités entre les événements dans les différents registres de la trajectoire, par exemple elle montre si un événement familial a une répercussion sur les activités réalisées par la famille.

De plus, le fait de mettre en relation la trajectoire proprement dite à des éléments de son environnement permet de montrer quels sont les événements « exogènes » qui ont eu un impact sur la vie des familles et par conséquent sur les changements de pratiques.

2.4 DE L'ÉTUDE DES PRATIQUES A LA COMPRÉHENSION DES STRATÉGIES FAMILIALES

La lecture de notre grille met en évidence au cours de la trajectoire des phases « régulières » où les activités de la famille et les pratiques (techniques ou organisationnelles) sont relativement stables.Ces phases sont interposées avec des phases dites de « bifurcation » où des changements se produisent. Pour étudier et comprendre les pratiques, il faut procéder en trois étapes: tout d'abord décrire les pratiques notamment au cours des phases « régulières », ensuite il faut analyser les phases de ruptures où se produisent des changements de pratiques afin de mettre en lumière les rationalités des acteurs et les stratégies des familles. Enfin il faut réaliser une analyse externe afin d'évaluer leurs effets et leurs performances.

2.4.1 DESCRIPTION DES PRATIQUES PENDANT LES PHASES DE « STABILITÉ »

La prise en compte de pratiques des agriculteurs est un fait relativement nouveau. Pendant longtemps, le développement agricole a été conçu essentiellement comme un changement ou une amélioration des techniques agricole (JOUVE, 1997). Suite aux échecs successifs des projets de développement conçus sur cette base, une remise en cause s'est opérée et on a commencé à s'intéresser aux façons de faire des agriculteurs, c'est à dire à leurs pratiques.

• Définition d'une pratique et différenciation de différents niveaux de pratiques

TEISSIER (1975) distingue bien les pratiques des techniques et en propose une définition. Les techniques sont des « ensembles ordonnées d'opérations ayant une finalité de production » tandis que les pratiques sont « des manières de faire contingentes de l'opérateur ». Les premières relèvent d'un savoir, les secondes d'un savoir-faire (TEISSIER 1975, cité par JOUVE 1997).

Il est possible de distinguer différents niveaux de pratiques en fonction du référentiel système auxquelles elles se reportent:

– Les pratiques au niveau de systèmes de production agricole: il s'agit notamment des orientations productives de la familles (élevage de lamas, d'alpagas, d'ovins, culture de quinoa, culture de quinoa pour consommation,..) et des formes de combinaison des ressources disponibles.

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– Les pratiques au niveau des systèmes de cultures et d'élevage: Ce sont les éléments qui décrivent le système de culture ou d'élevage tels que le mode de labour, de gestion de la fertilité, les variétés semés, le mode de gestion d'un troupeau...).

Les concepts de système de culture et de système d'élevage retenus seront ceux développés par SÉBILLOTTE M. (1982) et LANDAIS E. (1987), avec les apports ultérieurs de JOUVE Ph., LHOSTE Ph., MEYNARD J.-M., MILEVILLE P (1997).

Le système de culture est ainsi défini comme un « ensemble de modalités techniques mises en oeuvre sur des parcelles traitées de manières identiques. Chaque système de culture se définie par :

– la nature des cultures et des ordres de succession ;– les itinéraires techniques appliqués à ces différentes cultures, ce qui inclut le choix des

variétés pour les cultures retenues » (SEBILLOTE M, 1990).

Alors que le système d'élevage est en ensemble d'éléments en interaction dynamique organisé par l'homme en vue de valoriser des ressources par l'intermédiaire d'animaux domestique pour obtenir des production variées (lait, viande) (LANDAIS E., 1987).

• Description des systèmes de culture et d'élevage

Une description des systèmes de culture et d'élevage a été réalisée au cours de chaque phase de « stabilité » et ceci lors de quelques enquêtes plus approfondies. Cependant, au regard des objectifs, le choix a été fait de s'intéresser plus spécifiquement aux périodes de bifurcation au cours desquelles se produisent des changements de pratiques.

2.4.2 LES PHASES DE BIFURCATION SONT DES MOMENTS EXPLICATIFS POUR DES CHOIX

Il existe au cours des trajectoires de vies des changements qui peuvent être brusques ou imprévisibles et qui pourtant ont des conséquences importantes sur la vie sociale des individus. De nombreuses propositions ont été faites afin de les qualifier: « turning points » (Hughes ou Abott, 1997), « révolutions » (Kuhn, 1998), « événement » (Sewell, 1999) avant d'aboutir au concept de « bifurcation » (Balandier, 1998). Les bifurcations au sein d'une trajectoire de vie sont même perçues par certains auteurs comme un « carrefour bibliographique » durant lesquels une personne (ou une famille) est amenée à faire des choix et à opérer parfois un changement brutal dans son parcours (BIDART, 2006). Ceci laisse donc entrevoir qu'il n’y a donc pas de définition absolue et universelle des bifurcations. Celles-ci constituent simplement « un outil parmi d’autres pour analyser et qualifier des situations de changement. » (GROSSETI, 2006).

Dans notre étude nous considérons qu'une bifurcation correspond à un changement d'état plus ou moins rapide du système (en l'occurrence du système d'activités) au cours duquel la famille est amenée à modifier ses activités ou ses pratiques aussi bien techniques qu'organisationnelles et ce sous l'influence de nombreux facteurs à la fois endogènes et exogènes à la famille.

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A ce sens, nous pourrons considérer qu'une bifurcation peut correspondre à une rupture aussi bien dans les activités que dans les pratiques de la famille.

De ce fait, lors de l'analyse des trajectoires, un « zoom » sur une bifurcation sera réalisé pour chaque famille enquêtée, bifurcation qui se veut significative et importante pour comprendre des changements de pratiques. L'hypothèse de départ est que les phases de bifurcations sont des moments déclencheurs et explicatifs des choix. Les bifurcations peuvent être de nature différentes telles qu'un changement d'activités, un changement de pratiques agricoles techniques ou organisationnelles ou plusieurs éléments combinés. Par conséquent, le premier travail d'analyse est de décrire chaque bifurcation de manière systématique. Pour cela, une grille a été réalisée et se décompose de la manière suivante:

– forme de la bifurcation (rapide, lente) ;– le contenu de la bifurcation à savoir :

• les changements de combinaisons d'activités ;• les changements d'organisation spatiale de la résidence ;• les changement de pratiques techniques agricoles et les conséquences

organisationnelles ;• les changements de pratiques organisationnelles et les conséquences techniques ;• la nature du faisceau explicatif de la bifurcation.

– et éventuellement, les changements de logiques de gestion des risques.

2.4.3 ANALYSE DES CHANGEMENTS DE PRATIQUES LORS DES PHASES DE BIFURCATION

Notre étude est centrée sur les pratiques agricoles et plus particulièrement sur les changements de pratiques. L'analyse part du postulat que les agriculteurs ont de bonnes raisons de faire ce qu'ils font. Comme le disent très justement BLANC-PAMARD, DEFFONTAINES et FRIEDBERG (1992), « on découvre de la pertinence là où l'on ne voyait auparavant que de la banalité ». Afin de comprendre les changements de pratiques, il est important de s'intéresser aux périodes de ruptures afin de comprendre les rationalités qui conditionnent les choix et les décisions des acteurs.

• Évolution des pratiques agricoles et définition de critères de rupture

Lors de l’examen de l’évolution des pratiques agricoles, les variables de rupture doivent permettre de repérer les changements radicaux de logique et de fonctionnement des systèmes de culture et d’élevage. Les variables de ruptures caractérisent des changements techniques et/ou organisationnels. Les changements techniques et/ou organisationnels ne se produisent pas toujours de façon immédiate, totale et irréversible : ainsi, les « dates » de rupture peuvent correspondre à des époques précises ou bien à des périodes au cours desquelles les changements sont mis à l’épreuve, affinés, abandonnés, repris, étendus, etc. Il est entendu que ces variables de ruptures ne sont formulées (à partir d’une revue bibliographique et à dire d’experts) qu’à titre d’hypothèse : en d’autres termes, il est possible que pour une famille ou une communauté donnée, le changement en question n’ait pas eu lieu ou bien qu’il se soit produit avant la période considérée (profondeur historique de 50 ans maximum).

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Les variables de ruptures identifiées pour repérer les principaux changements de pratiques dans les systèmes de culture de quinoa sont les suivantes :

(1) le mode de préparation du sol (manuel, tracteur loué, tracteur en propriété),(2) le mode de semis (manuel, tracteur),(3) le mode de gestion de la fertilité (temps de repos, nombre d’animaux, mantos,

quantités apportées, etc.), (4) et l’organisation technique et sociale de la récolte (substitution de l’ayni par des

formes plus individuelles de rémunération d’une main d’œuvre occasionnelle, mécanisation ou motomécanisation du vannage et/ou du triage, etc.).

Une réunion de coordination avec Ivonne Acosta2 et Yucelis Abreu Fuentes3 a permis de définir les variables de ruptures utilisées pour repérer les principaux changements de pratiques dans les systèmes d’élevage de lamas et d’ovins:

(1) la composition du troupeau (les brebis demanderaient davantage de soin : besoins d’eau plus fréquents, plus sensibles aux parasites, sautent plus facilement les murets, mettent bas la nuit avec un risque de mortalité des agneaux à cause du froid en particulier en juin-juillet, etc.),

(2) l’orientation productive (laine auto-consommée et plus tard vendue, viande, apparition d’un marché du guano, cuir),

(3) la gestion du pâturage (avant seulement dans la pampa, maintenant aussi dans le cerro, etc.),

(4) la gestion des « maltones » (jeunes mâles et femelles de moins de deux ans) : différenciée du troupeau (conduit près de la maison) ou non,

(5) la gestion des mâles (autrefois un troupeau de plusieurs mâles –individuel ou collectif-, maintenant un nombre de mâles réduit associé au troupeau de femelles, etc.)

• Analyse des zones de ruptures

Grâce aux variables déterminées préalablement, il est possible d'identifier au cours de chaque bifurcation les ruptures qui s'opèrent au niveau des pratiques. Il ne reste qu'à analyser ces ruptures en relation à la trajectoire de vie et à des éléments « exogènes » déterminants. Pour cela nous repartirons des hypothèses sur les logiques de changement de pratiques pour construire une grille d'analyse des ruptures. De ce fait, seront déterminés pour chaque rupture:

– les logiques de coût d'opportunité ;– les logiques d'interactions entre activités (organisation du travail et organisation spatiale

des activités) ;– la construction d'un rapport renouvelé au changement technique ;– la construction d'un certain rapport au territoire.

Ces quatre axes constitue le « faisceau explicatif ». Toutes ces logiques ne s'expriment pas systématiquement dans chaque bifurcation : leur poids explicatif varie d'une rupture à l'autre et nous nous attacherons à en préciser l'importance relative. C'est la combinaison de plusieurs logiques, convergentes ou en tension, qui constitue le faisceau explicatif des changements et

2 Stagiaire dans le projet EQUECO réalisant une étude diagnostic sur l'élevage3 Stagiaire AVSF réalisant une étude diagnostic sur l'élevage

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des choix qui les fondent. Les différentes formes de rationalités reconnues dans cette étude (optimisation des moyens, axiologiques, affective et identitaire) sont mobilisées pour interpréter les choix, sans leur accorder a priori, une importance relative plus ou moins grande.

• Compréhension des stratégies des familles

Suite à la phase d'analyse, il sera possible de mettre en évidence les synergie ou les tensions qui existe entre ces différentes formes de rationalités et les conséquences sur les pratiques agricoles. Ceci aboutira à la caractérisation de stratégie. Une stratégie sera définie comme un ensemble de décisions et d’actions cohérentes et coordonnées intervenant selon une logique dans un contexte donné et sur un pas de temps déterminé (A.S. Robin, 2006). Nous partons par conséquent du postulat qu'il n'y a pas de stratégie ex post mais seulement des stratégies ex ante. Ce n'est seulement qu'après analyse des décisions et des rationalités des familles que nous leurs reconnaissons une stratégie. « Ainsi, les fameuses « stratégies paysannes » qui reviennent si souvent dans la littérature sont rarement, comme au sens premier militaire, des actions planifiées consciemment et dirigées vers un but précis. Il s’agit le plus souvent de solutions ad hoc, qui n’acquièrent l’aspect de quelque chose de défini qu’au travers d’une rationalisation postérieure, qu’elle soit le fait des acteurs eux-mêmes ou d’un observateur étranger. La plupart du temps, d’ailleurs, pour les acteurs, l’explication fait appel à « la chance », à « la volonté de Dieu ». Ce que les chercheurs décrivent comme des « projets » (qu’il s’agisse de migrations, d’investissements, d’éducation, de productions…) sont bien souvent avant tout des « paris ». (JOBBÉ-DUVAL, 2005).

2.5 SCHÉMA RÉCAPITULATIF DE LA MÉTHODOLOGIE

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Figure 3: Cadre théorique de la méthode utilisée

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3 Des communautés d'études à la reconstitution des trajectoires de vie

3.1 DESCRIPTIF DES COMMUNAUTÉS ÉTUDIÉES

3.1.1 LOCALISATION ET CONDITIONS AGRO-ÉCOLOGIQUES

Les trois communautés étudiées présentent des conditions agro-écologiques très différentes et ce du fait de leur localisation (figure 3).

La communauté de Huanaque (municipalité de Llica, province Daniel Campos), est située dans la zone frontalière avec le Chili et à proximité du Salar d'Uyuni. C'est une communauté de montagne où les possibilités de mécanisation sont limitées du fait d'une faible proportion de terres de pampas. L'élevage est donc une activité importante. La communauté de Huanaque compte d'importantes ressources hydriques (rivières et sources) ce qui permet aux habitants de pratiquer des systèmes de cultures irriguées en terrasses ainsi que l'élevage d'alpagas. Les ressources minières sont également importantes de part la présence sur la communauté du cerro Chinchiguay.

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Figure 4: Localisation des communautés étudiées dans la zone Intersalar (d'après AS. ROBIN, 2006)

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La communauté de La Kaza dans la municipalité de Salinas (province Ladislao Cabrera) est dans une zone qui peut être qualifiée de « mixte » avec un équilibre entre terres de pampa et de montagnes (cf. Annexe 8). La culture de quinoa et élevage sont pratiqués depuis toujours. Elle est bornée à l'Est par le pelar. Faute de ressources hydriques suffisantes, l'irrigation n'y est pas possible.

Enfin, la troisième communauté, Tolamayu, est localisée au Nord de la zone (municipalité de Salinas, province Ladislao Cabrera), dans une région où l'élevage est depuis toujours l'activité dominante. C'est une communauté assise de pampa sans accès aux terres de montagne. Les ressources en eau sont très limitées. Il n'y a pas d'irrigation.

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Photo 3: Communauté de Huanaque, zone de montagne (photo SC)

Photo 4: Communauté de La kaza, entre montagne et pampa (photo SC)

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3.1.2 DES DYNAMIQUES AGRICOLES TRÈS VARIABLES D'UNE COMMUNAUTÉ À L'AUTRE

La dynamique du secteur agricole des communautés a été fortement conditionnée par leurs conditions agro-écologiques.

• Une diminution de l'élevage et le développement important de la culture mécanisée dans les communautés de pampa

Dans les communautés qui présentent de grandes étendues de pampa (Tolamayu et en moindre mesure La Kaza), la hausse des prix de la quinoa couplée à la mécanisation a eu un impact important sur la gestion des ressources et la réorganisation de l'espace productif. Ces communautés ont été la cible d'une colonisation des terres de pampa pour la monoculture mécanisée de quinoa, et ce au détriment de l'élevage. Nombres de « residentes » reviennent désormais cultiver des terres en plus de leurs activités en ville. Nous verrons que ces défrichements n'ont pas été réguliers dans le temps et se sont accélérés à la fin du XXème siècle. Ce phénomène est encore plus remarquable dans la communauté de Tolamayu, qui, il y a à peine 50 ans, était une zone presque exclusivement réservée à l'élevage de lamas et d'ovins. L'agriculture n'était pratiquée que sur de petites surfaces encerclées par des murs de pierres, et servait exclusivement à l'alimentation de la famille. Aujourd'hui presque toute la pampa est mise en culture, l'habitat s'est même réorganisé en conséquence (avec la construction de maisons dans la zone de culture en plus de la maison dans la zone de pâturage) (Figure 5). Une zone est réservée à l'élevage de lamas, élevage qui est en forte régression. La totalité des terres mécanisables de ces deux communautés est désormais occupée. Les temps de jachère ont donc tendance à diminuer. Étant donné l'enjeu économique autour du quinoa, des conflits pour le foncier se forment. De petites disputes entre personnes d'une même famille ou entre deux familles (La Kaza), ces conflits peuvent devenir sérieux jusqu'à diviser totalement une famille ou une communauté (c'est le cas dans la communauté de Tolamayu).

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Photo 5: Communauté de Tolamayu en zone de pampa (photo SC)

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Figure 5: Évolution de l'occupation de l'espace dans la communauté de Tolamayu

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• Le maintien de l'élevage et de la culture manuelle de quinoa dans les communautés de montagne

Dans les communauté de montagne (Huanaque), du fait de l'impossibilité d'extension de la culture mécanisée de quinoa, les effets liés à l'évolution du contexte ont été beaucoup moins marqués. L'organisation territorial Aymara de mantos est toujours respectée (Figure 6) ainsi que les nombreuses fêtes et rituels en l'honneur des divinités et des ancêtres. La communauté compte trois mantos. De ce fait le temps de jachère entre deux cycles de culture est d'au minimum deux ans. Depuis l'arrivée d'Avsf, elle est en train de définir un quatrième manto. L'élevage est resté une activité importante pour les familles d'autant plus que la communauté de Huanaque dispose d'importantes ressources hydriques notamment dans la zone d'élevage de Camacha. L'élevage de lamas (et d'ovins) est dominant mais certaines familles maintiennent des troupeaux d'alpagas. La majorité des familles pratiquent également de l'agriculture irriguée en terrasses.

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Figure 6: Organisation du territoire dans la communauté de Huanaque

échelle: 1/80 000

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Une réorganisation de l'espace productif s'est néanmoins produite. En effet, avant les années 50, la plupart des familles regroupaient tous les jeunes mâles lamas en un seul troupeau qui était dans le cerro Chinchilguay. Ces lamas alimentaient les échanges avec le Chili (trueque). Chaque famille disposait alors d'un troupeau comportant les mères et leurs petits plus proches de la maison. Cette pratique a aujourd'hui complètement disparue. Chaque famille possède désormais son propre troupeau avec les mères, leurs petits, quelques mâles reproducteurs et les jeunes mâles de moins de trois ans castrés. Les raisons invoqués pour avoir arrêté ce mode de gestion des troupeaux sont multiples: des problèmes de disponibilités de main d'oeuvre pour la surveillance de deux troupeaux, des attaques de plus en plus fréquentes de puma dans le cerro Chinchilguay ou encore la réduction des échanges avec le Chili (difficultés de passer au Chili sans papiers...). Il en a été de même dans les communautés de Tolamayu et de La Kaza.

3.1.3 DES POSSIBILITÉS DE TRAVAIL ET DE FORMATION VARIABLES SUIVANT LES COMMUNAUTÉ

Les communautés étudiées sont plus ou moins peuplées. Les infrastructures sont également très inégales d'une communauté à l'autre. Leur localisation et leur environnement socio économique a fortement conditionné l'organisation et la destination des flux migratoires ce qui se répercute naturellement sur l'évolution des systèmes d'activités. Nous présenterons les caractéristiques propres à chacune des communautés étudiées.

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Figure 7: Evolution de la gestion des troupeaux de lamas (Huanaque)

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• Huanaque, une communauté sous l'influence du Chili

La communauté de Huanaque est une grande communauté (37 familles permanentes). Elle compte de ce fait des infrastructures telles qu'une école, un collège, un poste de santé ou un centre d'artisanat et de formation pour les femmes, le centro de madres.

Les habitants de la communauté de Huanaque, du fait de la proximité avec le Chili, ont toujours été en relation étroite avec la côte pacifique : que ce soit pour réaliser le trueque jusqu'aux années 50 ou pour aller trouver un travail salarié dans les oasis de Pica ou dans les riches familles chiliennes. Du fait des faibles quantités de terres cultivables, la diversification des activités a toujours été essentielle pour les familles notamment nombreuses, la seule activité agricole ne pouvant pas couvrir les besoins familiaux notamment en terme d'éducation des enfants. C'est donc une zone où la migration a été et reste importante. Beaucoup de jeunes de la communauté se sont installés définitivement au Chili où ils ont pu être nationalisés constituant ainsi des réseaux organisés (au travers de « centro de residentes ») pour appuyer les nouveaux arrivants (logements, travail) et constituer une communauté culturelle (repas à base de quinoa et de charque, danses, compétitions de sport, etc.). Des flux migratoires se sont ainsi constitués. La proximité avec Llica (à peine 45 minutes de voiture) a offert de nouvelles opportunités de formation supérieure grâce à la création de la Normal et a renforcé ce phénomène d'exode rural. Les jeunes sont partis travailler dans toutes les provinces de Bolivie et beaucoup ne sont jamais revenus.

Enfin, de part sa proximité avec le Salar d'Uyuni, la communauté de Huanaque est à moins de deux heures de voitures de la ville d'Uyuni. Cette proximité fait de la ville d'Uyuni, le deuxième lieu favori de migration des habitants de Huanaque. Ceci a également ses conséquences sur les systèmes d'activités. En effet, constatant le développement de plus en plus important du tourisme autour du Salar d'Uyuni, les habitants de la communauté, appuyés par AVSF, ont décidé de monter un projet de tourisme communautaire. Il ont commencé pour cela à construire une auberge ainsi qu'un petit musée, ils travaillent à la restauration des sites archéologiques de la communauté (village chullpares, mirador) et ont formé une petite association communautaire pour la gestion de ces activités.

De plus, la communauté de Huanaque compte sur son territoire des réserves naturelles importantes telles que les mines du Cerro Chinchilguay et la proximité des mines de souffre de San Paulo de Napa et de Abra de Napa. Ces ressources ont toujours constitué des sources d'emploi et de revenus pour les populations de la communauté.

• Tolamayu et La Kaza plutôt tournées vers Salinas, Challapata et Oruro

Tolamayu et La Kaza sont de petites communautés : onze familles permanentes à La Kaza et à peine sept pour Tolamayu. Les infrastructures sont donc beaucoup moins développées qu'à Huanaque. Il y a seulement une petite école à La Kaza, alors qu'à Tolamayu, il n'y a ni école, ni centre de santé. De part la proximité de Tolamayu et La Kaza à des villes comme Salinas, Challapata (ou Huari) ou encore Oruro, les habitants de ces communautés ont toujours eu des relations importantes avec ces petits pôles urbains que ce soit pour le travail, l'éducation ou le commerce. Beaucoup ont migré à Challapata (ou à Salinas) afin de scolariser leurs enfants (collèges les plus proches). Cependant étant donné que ces villes offrent peu de possibilités en termes d'enseignement supérieur, le nombre de professionnels avec un titre de l'enseignement

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supérieur est encore faible. Les métiers sont plutôt orientés autour de l'activité de commerce (notamment de quinoa avec la présence de la feria de Challapata) et de la mécanique (école de mécanique industrielle à Salinas).

Le développement important de la culture de quinoa en pampa a permis à certaines familles de capitaliser et d'investir dans un tracteur ou un camion ouvrant de nouvelles perspectives d'activités (tractoriste, transport de marchandises ou de passagers...). Il faut également noter que les habitants de ces communautés s'approvisionnent généralement à la feria de Challapata. De cette manière, il vendent leur quinoa le samedi et achètent des produits de consommation le dimanche. Les entreprises d'achat de quinoa (SAITE, JATARY) sont présentes dans ces communautés.

Dans la région, la brasserie de Huari (maintenant aux main de la Cerveceria Boliviana Nacional S.A. (CBN S.A.) constitue une opportunité de travail. La ville de Oruro compte également de nombreuses ressources minières. Le tableau 1 reprend les différentes caractéristiques des communautés étudiées.

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Tableau 1:Caractéristiques des communautés étudiées

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Contexte social

Tolamayu Non

La Kaza Non

Huanaque Oui

Conditions agroécologiques

Systèm es de

cultures irrigués

Évolution des orientations productives

Nom bre de fam illes

Moyen d'accès et proxim ités des centres

urbains

InfrastructuresEnvironnem ent économ ique et institutionnel

Exclusivement terrains de pampa

Communauté à tradition élevage où la culture

mécanisée de quinoa en pampa est aujourd'hui

prédominante. Diminution importante de l'élevage

7 familles permanentes, beaucoup de

familles installées en ville et qui

viennent cultiver (13)

Challapata (2h), Oruro (3h), Salinas (2h) pas de bus

Absence d'école. Puits pour l'eau. Pas

d'électricité

Présence de AVSF en 2005,

entreprises privées (SAITE),

APROQUIGAN, proximité feria de

Challapata

Importants conf lits pour l'accès au foncier, individualisme prononcé pertes des fêtes et des rituels.

Tensions avec le corregidor. Pas de normes communales.

Communauté mixte: pampa et cerro, en bordure de pelar

Communauté mixte (élevage et agriculture), forte

progression de la culture mécanisée de quinoa dans les

terres de pampa, diminution de l'élevage

11 familles permanentes, beaucoup de

familles qui font des aller retour

entre la ville et la commuanuté

Salinas (45min.) Challapata (2h30) à 1 heure à pied de l'axe Salinas-

Challapata

École, réseau eau potable. Pas d'électricité

Présence de AVSF depuis 2004,

entreprise privées (AJATARY),

APROQUIGAN, proximité feria de

Challapata

Maintien du système originaire: autorités, fêtes, mais abandon des rituels. Nombreuses réunions entre

autre pour l'élaboration des normes communales. Quelques

tensions pour l'accès au foncier.

Communauté de cerro avec peu de terres de pampa à proximité du

salar d'Uyuni

Communauté à dominante élevage. Possibilités limitées de cultures mécanisées de

quinoa

37 familles permanentes, peu reviennent pour

cultiver. Beaucoup de migrants

Llica (45min.), Uyuni (2h par le Salar), proximité

avec le Chili pas de bus

École, collège, réseau eau potable, pas

d'électricité (quelques groupes électrogènes et panneaux solaires)

Présence de AVSF depuis 2004,

intermédiaires, APROQUIGAN,

proximité feria de Pisiga

Maintien d'un système de mantas. Forte identité culturelle (maintien de

toutes les fêtes et des rituels). Élaboration de projets au niveau

communautaire (notamment développement du tourisme).

Normes communales.

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Figure 8: Représentation de la trajectoire de vie

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3.2 RECONSTITUTION DES TRAJECTOIRES DE VIE DES FAMILLES ET REPÉRAGE DES BIFURCATIONS

3.2.1 MATÉRIEL D'ENQUÊTES

Au cours du travail de terrain, 29 enquêtes de trajectoires complètes ont été réalisées : 9 enquêtes pour la communauté de La Kaza, 13 pour la communauté de Huanaque et 7 pour la communauté de Tolamayu. Dans la mesure du possible, les enquêtes ont été réalisées équitablement entre les trois types de trajectoires. Une liste qui répertorie pour chaque enquête à la fois les conditions (lieu de l'enquête: ville ou communauté), le type de trajectoire ainsi que la bifurcation étudiée est présentée en annexe 8. Plusieurs autres enquêtes, entretiens et conversations ont été conduits avec les dirigeants des communautés, les techniciens d'AVSF ou les membres de l'équipe Equeco. Ils n'ont pas fait l'objet de retranscription mais ont été très utiles pour le déroulement de l'étude.

3.2.2 PRÉSENTATION D'UNE TRAJECTOIRE DE VIE

Chaque enquête a fait l'objet d'un traitement systématique afin d'aboutir pour chaque famille étudiée à une représentation schématique de sa trajectoire de vie. Toutes les trajectoires de vie (TV) sont présentées en annexes (annexe 9 à 37).

Afin de faciliter la lecture des trajectoires et la compréhension de l'analyse, nous allons à présent détailler une des trajectoires. Prenons l'exemple d'une femme célibataire avec enfants qui est revenue cultiver dans sa communauté (La Kaza) après plus de dix ans passés en ville (Santa Cruz, Villazon, Oruro..). Cette personne appartient de ce fait au type 3 (« Sortie temporaire de l’activité de production agricole puis retour à l’agriculture (en conservant d’autres activités) »). La représentation de sa trajectoire de vie (Figure 8) nous permet de mettre en valeur plusieurs éléments :

Suivant l'axe horizontal: Cette représentation de la trajectoire permet de suivre l'évolution dans la temporalité des activités réalisées, de la composition de sa famille, de l'organisation de la résidence et des actions collectives effectuées. Elle permet également de mettre en évidence l'évolution de ses pratiques à la fois dans la culture de quinoa et dans l'élevage. Il est ainsi possible de repérer des phases plutôt stables avec peu de bifurcations (enfance dans la communauté) et au contraire des phases avec de nombreux changements (établissement d'une vie professionnelle avec migrations fréquentes, retour à la communauté...). Ceci nous renvoie au cycle de vie de la famille et aux différentes étapes qui le constituent (enfance, études, installation dans la vie active..). On réalise que les phases de bifurcations se produisent le plus fréquemment à des moments charnières du cycle.

Suivant l'axe vertical :La lecture verticale de la trajectoire permet de mettre en parallèle les différents champs de la trajectoire de vie et de repérer les relations de causes à effets d'un registre à l'autre. Les relations les plus déterminantes sont matérialisées par des flèches. De ce fait, il est possible de montrer que la trajectoire de vie des familles est conditionnée par deux types d'événements :

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– d'une part, des événements ou des facteurs exogènes (flèches violettes) qui viennent influencer la trajectoire de vie de la famille (notamment ses activités et ses pratiques). Dans cet exemple, il est possible de mettre en évidence que la hausse du prix du quinoa a eu un impact sur la trajectoire. Cette personne a commencé à produire du quinoa pour vendre alors qu'au début elle ne produisait que pour de l'auto-consommation, elle a donc ralenti ses activités de commerce (elle ne va plus acheter des vêtements à Santa Cruz). Cela a aussi une influence sur ses pratiques (elle cultive plus de terres et elle passe à une culture plus mécanisée).

– D'autre part, des événements endogènes à la famille (flèches rouges). Il est alors possible de mettre en évidence qu'un changement d'activité et/ou de pratique est très souvent conditionné par des événements familiaux. Par exemple, elle revient dans la communauté suite au décès de sa soeur qui gardait ses enfants.

Cette représentation de la trajectoire permet également de mettre en évidence l'existence de changements « en chaîne ». Un changement d'activités ou de pratiques est souvent dû à un ensemble de facteurs constituant un faisceau explicatif. Par exemple, suite à la mort de sa soeur, elle revient à Oruro s'occuper de ses parents. De ce fait, elle retourne cultiver dans sa communauté avec ses parents. Étant donné que le prix du quinoa est élevé elle augmente progressivement ses surfaces cultivées et mécanise ses pratiques. De ce fait, elle doit refaire sa place dans la communauté et assumer des cargos (elle prend la place de corregidor à la place de son frère qui vit à Santa Cruz).

Enfin nous avons repéré dans chaque trajectoire une bifurcation qui apparaît comme très significative dans la vie de la famille afin de l'analyser. Chaque bifurcation est mentionnée par une croix verte. Pour cette famille, elle correspond au retour progressif à l'activité de production de quinoa (pour l'auto-consommation puis pour la vente). L'analyse des bifurcations fera l'objet central de notre étude. En effet, nous avons fait l'hypothèse que les bifurcations sont des moments révélateurs et explicatifs des choix d'une famille. De ce fait l'analyse des bifurcations pourra nous permettre de mettre en évidence différentes formes de stratégies familiales. Pour ce faire nous procéderons en deux temps:

– dans un premiers temps, nous nous intéressons à comprendre comment se déroule une bifurcation, comment la famille procède pour mettre en place une nouvelle activité ou une nouvelle pratique. Pour cela nous nous intéresserons dans une première partie à décrire et à interpréter la fréquence, la rythmicité et la forme des bifurcations (chapitre 4). Ensuite, nous nous pencherons sur le fonctionnement du système d'activités lui même afin d'expliquer comment les interactions propres au système d'activités peuvent parfois conduire la famille à modifier ou adapter ses activités et ses pratiques (chapitre 5).

–Dans un deuxième temps , nous ferons un panorama de toutes les raisons (à la fois endogènes et exogènes) qui peuvent pousser la famille au cours d'une trajectoire de vie à changer de système d'activités ou de pratiques (chapitre 6).

Ceci nous permettra de conclure en montrant comment les trajectoires de vies peuvent être explicatives des changements de pratiques d'une famille.

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4 Fréquence, rythmicité et formes des bifurcations

La vie d'une famille est parcourue par des phases de changements importants au cours desquelles se produisent de nombreuses bifurcations. Rappelons qu'une bifurcation sera entendue dans cette étude comme un changement d'état plus ou moins rapide du système (en l'occurrence du système d'activités) au cours duquel la famille est amenée à modifier ses activités et/ou ses pratiques aussi bien techniques que organisationnelles et ce sous l'influence de nombreux facteurs à la fois endogènes et exogènes à la famille.

Nous verrons dans un premier temps que les bifurcations ne se produisent pas à la même fréquence ni à la même rythmicité au cours du cycle de vie familiale. Il sera également possible de mettre en évidence des relations entre les trajectoires de vie d'une génération à une autre, bien que suite à l'évolution rapide du contexte socio économique, de nouvelles formes de bifurcations apparaissent. Cela nous conduira à regarder plus en détails les bifurcations et à s'intéresser aux changements de pratiques à la fois techniques et organisationnelles des familles. La forme des bifurcations (rapide/lente) pourra alors être révélatrice de différentes stratégies de gestion des risques ou encore de phases d'essai ou d'apprentissage qui précédent l'adoption ou l'appropriation d'une nouvelle technique ou d'une nouvelle activité.

4.1 CONTINUITÉ ET DISCONTINUITÉ DANS LES TRAJECTOIRES DE VIE

4.1.1 FRÉQUENCE ET RYTHMICITÉ DES BIFURCATIONS

Différentes étapes constituent le cycle de vie (enfance, études, installation, vie professionnelle, retraite, préparation de la transmission...). Les bifurcations n'ont pas la même fréquence au cours de la vie d'un individu ou d'une famille. Elles sont notamment plus fréquentes et plus visibles au cours des phases « charnière » entre deux phases du cycle (partie 3.2). C'est par exemple le cas lors de la scolarisation des enfants où la famille peut être poussée à migrer en ville ou suite à un mariage et à la constitution d'un foyer où les parents devront au contraire réorganiser leurs activités afin d'être plus disponibles pour s'occuper de leurs enfants. De ce fait la trajectoire de vie d'une famille est composée de périodes plus calmes et plus continues où peu de bifurcations apparaissent. Par contre ces phases sont rythmées par des périodes de forts changements au cours desquelles de nombreuses bifurcations se produisent. Nous verrons par la suite que les causes des bifurcations peuvent être très diverses.

4.1.2 DES BIFURCATIONS « GÉNÉRATIONNELLES »

Cependant, les nouvelles contraintes et opportunités liées à l'évolution rapide de leur environnement socio-économique poussent les familles à développer de nouvelles activités et à déployer de nouvelles stratégies qui rompent la continuité des parcours plus « classiques » de leurs parents ou grand parents. En effet, jusqu'aux années 50, il était fréquent que les enfants une fois installés (mariage et constitution d'un foyer) reproduisent la trajectoire de vie de leurs parents en s'installant à leur tour dans l'agriculture comme « héritiers » de

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l’exploitation familiale et du patrimoine familial. Cependant, avec l'évolution du contexte socio-économique, de nouvelles opportunités apparaissent (notamment en terme d'accès à l'éducation). Des discontinuités que l'on pourra qualifier de « bifurcations générationnelles » se forment alors comme par exemple l'apparition de phases de formation, chose rare il y a à peine cinquante ans (Figure 9). De même la hausse des prix de la quinoa provoque le retour de nombreux migrants ce qui ouvre de nouvelles opportunités dans le secteur agricole. De nouvelles tendances apparaissent alors, telles que des retours de plus en plus fréquents à l'activité de culture de quinoa.

4.1.3 DES TRAJECTOIRES « EMBOÎTÉES » D'UNE GÉNÉRATIONS À L'AUTRE

L'étude des trajectoires nous permet de mettre également en évidence des « formes d'emboîtement » où la trajectoire des parents vient influencer la trajectoire des enfants de part notament des transferts de capitaux d'une génération à l'autre. Un parent peut par exemple faire profiter à ses enfants de son insertion dans un réseau professionnel ainsi que des compétences qu'il a acquis. C'est par exemple le cas des personnes qui sont allées travailler dans les exploitations fruitières au Chili étant enfants pendant les vacances car une personne de la famille travaillait et vivait au Chili et qui plus tard, à l'âge adulte, vont s'installer définitivement au Chili car elles savent que les conditions de vie (climat, salaires, opportunités d'emploi, système éducatif...) sont meilleures qu'en Bolivie (cf. Annexe 27 TV 18 ou Annexe 28 TV 19). Cet exemple nous permet de mettre en évidence l'existence de différents transferts de capitaux d'une génération à l'autre (Figure 9):

– des transferts de capital financier : leur sens est variable au cours du cycle de vie. En effet, lors de l'enfance, de l'adolescence et des études, les transferts vont essentiellement de la génération n-1 à la génération n alors qu'arrivés à la phase de vie professionnelle, ils s'inversent. Il est de coutume que les enfants une fois installés aident financièrement leurs parents dans la communauté.

– des transferts de capital humain : il est fréquent que les enfants aident leur parents dans les taches agricoles (récolte, surveillance des animaux...). De ce fait un transfert de capital « travail » est souvent effectué de la génération n à la génération n-1. À l'inverse, les parents font profiter de leur savoir faire à leurs enfants (la mère qui apprend à ses filles à tisser ou à préparer le pito, le père qui enseigne à ses enfants comment tuer un lama ou tailler des arbres fruitiers au Chili).

– Des transferts de capital social : un des parents, s'il a migré, peut faire profiter à ses enfants de son insertion professionnelle dans un secteur d'activité. Une fois âgé, les parents vont transmettre à leurs enfants une « contribution » (droit à cultiver) dans la communauté.

– Des transferts de capital naturel et de capital physique : Lors de la phase de préparation de la succession, les enfants peuvent recevoir de leurs parents des terres, du matériel, un troupeau afin de faciliter l'installation de ces derniers.

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4.2 FORMES DES BIFURCATIONS ET STRATÉGIES DE GESTION DES RISQUES

La décision de mettre en place un nouveau système d'activités ou une nouvelle pratique est conditionnée par un rapport personnel de l'individu et de la famille à la prise de risques. Ce rapport est lui même en relation à la capacité d'investissement et aux contraintes d'accès de la famille à toutes les ressources matérielles qu'il s'agisse aussi bien de financement ou de blocage (impossibilité d'accès au crédit, pression foncière, blocage d'accès aux terres disponibles...). En effet, pour une famille qui dispose de ressources mobilisables, la prise de risques apparaît plus maîtrisable grâce aux ressources disponibles que pour une famille plus démunie. La bifurcation devient alors un « pari », un « défi », un « moyen de prendre en main son destin » et d'oser quitter une situation (ASSEGOND et al., 2007). La forme d'une bifurcation (à savoir son caractère rapide ou lent) peut permettre de mettre en évidence cette relation à la prise de risques.

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Figure 9: Transfert de capitaux et emboitement des trajectoires entre différentes générations

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4.2.1 BIFURCATIONS EN ÉTAPES ET MINIMISATION DE LA PRISE DE RISQUES

Au cours du cycle de vie, une famille est amenée à faire des choix et à modifier son système d'activités. C'est notamment le cas lorsque les enfants sont en âge d'aller au collège. Si il n'y a pas les infrastructures disponibles dans la communauté comme c'est fréquemment le cas (Tolamayu, La Kaza) et si elle ne dispose pas d'un réseau social favorable (personnes de la famille en ville qui pourraient accueillir les enfants), la famille est amenée à migrer en ville pour accompagner les enfants. Elle est donc conduite à réorganiser ses activités. Ceci passe le plus fréquemment par un arrêt de l'élevage. En vue, de la prise de risques importante que représente cette bifurcation, la cessation de l'élevage peut passer par différentes phases progressives avant d'arriver à l'arrêt complet de cette activité. Étant donné que la principale contrainte liée à l'élevage est le temps de travail et surtout le temps de présence important à passer dans la communauté, certaines familles essaient de maintenir cette activité en modifiant leurs pratiques organisationnelles :

– De ce fait, dans certains cas, l'arrêt de l'élevage est précédé par une phase où le propriétaire laisse son troupeau aux mains d'un berger. Ce dernier est alors chargé de maintenir le troupeau. Il peut être rémunéré par un salaire mais dans la plupart des cas, il est rémunéré en nature car il garde la moitié des animaux nés. Cette organisation du travail est nommé « al partir » ou encore « a media ». Toutes les dépenses éventuelles (fourrage, produits vétérinaires..) sont alors divisées entre le propriétaire et le berger (cf. Annexe 26 TV 17 ou Annexe 14 TV 5).

– Une autre forme d'organisation du travail consiste à regrouper son troupeaux avec ceux d'autres personnes de la communauté (cf. Annexe 19 TV 10). Il devient alors possible de se répartir le travail en organisant des rondes de surveillance suivant les disponibilités de chacun.

Il a été constaté que ces formes d'organisation sont le plus souvent transitoires. Elle constituent en effet une stratégie de gestion des risques le temps de la phase d'installation d'un nouveau système d'activités : un départ en ville représente souvent une prise de risque importante pour la famille (surtout si elle ne dispose pas d'un capital important notamment financier) car cela implique qu'elle doit réorganiser ses activités autour d'un nouveau lieu de résidence sans toujours savoir si cela aboutira à une réussite (notamment économique). De ce fait, le maintien d'un troupeau sur le mode « al partir » ou le fait de regrouper son troupeau avec d'autres familles peut constituer un « filet de sécurité » lors de la phase d'installation :

− Tout d'abord parce que l'activité d'élevage continue à procurer un revenu et ce tout en dégageant du temps de travail pour la recherche et la réalisation d'autres activités.

– Deuxièmement, parce que le maintien d'un troupeau permet un éventuel retour en arrière en cas d'échec de l'installation en ville.

De ce fait, ce genre de bifurcation « en étapes » révèle dans les trajectoires de vie des phases de transition. Un changement de pratique tel que l'arrêt de l'élevage est dans ces situations fortement conditionnées par les résultats de la phase d'installation d'un nouveau système d'activités. Une réussite conduira à un arrêt de l'élevage (cf. Annexe 19 TV 10) alors qu'un échec poussera la famille à revenir à l'activité agricole.

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« hemos vivido 10 años en La Kaza. Después como los hijos entraban en la escuela superior, ya no se podría más, ya nos hemos vivido aquí. En 1996 por allá, cerca 10 años, estamos aquí. Los primeros años, he ido estableciendo, estamos aquí, allá, aquí, allá. »

4.2.2 TEMPS DE MATURATION AVANT LA MISE EN PLACE D'UN NOUVEAU PROJET ET MINIMISATION DE LA PRISE DE RISQUE

La bifurcation peut être anticipée. Dans ce cas, elle est précédée d'un phase de « maturation » au cours de laquelle la famille construit, pense, prépare la mise en place d'une nouvelle activité. Prenons le cas d'un professeur de Huanaque qui projette d'aller s'installer dans l'agriculture dans la région des Basses Terres vers Santa Cruz (cf. Annexe 26 TV 17). La naissance du projet est à la fois le fruit de son expérience personnelle et de ses projets d'avenir (il a participé à la création d'une coopérative à Llica qui fonctionne très bien mais qu'il ne lui rapporte pas d'argent, du coup il veut créer sa propre société).

“Cuando estaba este tiempo, yo era presidente de la cooperativa, hubo mucha ganancia, compramos movilidad, equipaje, todo. Entonces, en este tiempo, me venia la idea con un grupo de profesores, unos 3 o 4, agarremos una sociedad a responsabilidad limitada. Porque en la cooperativa, la ganancia debería estar distribuida a los socios. No hay mucho futuro.”

Ensuite elle est conditionnée par son réseau social et informationnel et les conditions de son environnement (il n'y a pas de terres à Huanaque, l'agriculture est entièrement manuelle et le prix de la quinoa est bas, or un ami l'informe que vers Santa Cruz la situation est complètement différente).

« Uno de los socios había ido en el cuartel en Santa cruz y allá trabajaba con japoneses, latifundistas. El amigo les ha visto así que queríamos hacer igual, ahí se gana bien la plata. ».

Ensuite la maturation du projet passe par une phase d'étude de viabilité et de capitalisation pour arriver à réunir les moyens nécessaires pour le mettre en place. Au cours de cette phase, la personne peut procéder à des réorientations des objectifs (type d'activités, lieu,etc.)

« Empezamos a hacer aportes por varios años, empezamos a reunir 16 socios para esta industria. »

« Entonces nos decimos “por qué no cambiamos de proyecto ? » « Por qué no empezamos a cortar madera primero, para capitalizar primero y recién entrar en la agricultura ? »

Enfin arrive la phase de réalisation du projet, où la famille procède à un rupture au niveau de son système d'activités: elle migre et change complètement ses activités.

“Después de muchas peripecias, sufrimientos, compramos una cerradora de Brasil, una maquina, cortadora de tronques. Nos costo 15000dolares. Mediana, no grande. Compramos un motor en Cochabamba de la misma marca brasileña. La maquina llegó a Santa Cruz. Nos instalamos en Villa Tunari, todo listo para trabajar.”

Elle a cependant minimisé la prise de risque du fait d'une longue phase de maturation et de préparation. De ce fait, même si la seule étude des pratiques laisse percevoir une rupture très rapide, cette bifurcation est en fait très longue. Entre la naissance de l'idée et la réalisation du

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projet plusieurs années se sont écoulées.

4.2.3 PRISE DE RISQUE IMPORTANTE LORS DE BIFURCATIONS RAPIDES

Des personnes apparaissent comme plus entrepreneuses que d'autres. Ceci se reflète dans leur trajectoire de vie où l'on note de nombreuses phases de bifurcations rapides (cf. Annexe 37 TV 28). Ces personnes savent saisir des opportunités de travail (mines, quinoa, réseau socio-techniques...) et n'hésitent pas à tout laisser pour aller tenter leur chance. Dans leur discours, ceci se résume en trois mots : « buscar la vida ». Cela peut se traduire par des échecs et des retours. Par exemple, après être allé travailler dans les mines, cette personne est revenue à sa communauté suite à un accident de travail.

Cependant d'autres facteurs rentrent en jeu pour comprendre la forme de la bifurcation, facteurs qui ne sont pas seulement liés seulement à un rapport à la prise de risque. C'est le cas par exemple des phases d'apprentissage ou d'essai lors de la mise en place d'une nouvelle pratique notamment technique.

4.3 ADOPTION, APPROPRIATION ET UTILISATION D'UNE NOUVELLE PRATIQUE

L’adoption d'une nouvelle technique est considérée comme le premier temps de l’usage, en amont de l’appropriation et peut se traduire par la mise en essai d'une nouvelle pratique. L’appropriation de la technique « exige selon Proulx et Breton, la réunion de trois conditions sociales. Pour s’approprier un objet technique, l’individu doit en effet démontrer un minimum de maîtrise technique et cognitive de cet outil. Cette maîtrise devra s’incorporer de manière créatrice à ses pratiques courantes. Par ailleurs, l’appropriation doit pouvoir donner lieu à des possibilités de détournements, de réinventions, voire de contributions directes des usagers à la conception des innovations techniques » (BOUDOKHANE, 2006). L’utilisation, quand à elle renvoie au simple emploi d’une technique dans une situation de face à face avec l’outil. Ces différentes phases se traduisent lors des bifurcations au cours desquelles la famille procède à un changement de ses pratiques. C'est ce que nous montrerons au travers d'exemples dans cette deuxième partie.

4.3.1 PHASES D'ESSAIS ET ADOPTION DE NOUVELLES PRATIQUES

L'adoption d'une nouvelle pratique, notamment une pratique technique agricole, peut parfois passer par des phases d'essais au cours desquelles la famille ne va pas engager toutes ses ressources (notamment tout son capital foncier) dans sa mise en oeuvre. C'est fréquemment le cas lors d'un passage du semis manuel au semis mécanisé.

Prenons le cas d'une migrante ayant quitté la communauté (La Kaza) à la fin des années 70 (époque à laquelle le semoir n'était pas encore apparu dans les communautés et où elle cultivait la quinoa avec ses parents de façon entièrement manuelle, a pulso) et qui revient cultiver dans les années 90 (Figure 10 et Figure 11) (cf. Annexe 13 TV 4). Les possibilités techniques ont bien changé. La plupart des comunarios cultivent désormais les terres de pampa et ce de façon mécanisée (labour et semis). Dans ce nouveau contexte, la personne est donc amenée à faire évoluer ses pratiques notamment le mode de semis. Elle ne connaît pas cette nouvelle pratique, elle n'a jamais essayé, elle ne sait donc pas les résultats que cela peut

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avoir sur la récolte. De ce fait, elle va essayer cette nouvelle pratique sans y engager toutes ses terres. Les premières années, elle va semer la moitié de ses terres manuellement et l'autre moitié avec un tracteur. Elle constate que les rendements ne sont pas mauvais en culture mécanisée donc elle va adopter cette nouvelle pratique sur toutes ses terres de pampa et arrêter de cultiver en cerro

Cet exemple révèle plusieurs éléments:

– l'importance des premiers résultats dans l'adoption d'une nouvelle pratique: en effet, si les résultats en semis mécanisé avaient été mauvais, cette personne n'aurait probablement pas adopté cette pratique aussi rapidement et ce indépendamment du contexte (mauvaise années ou bonnes année sur le plan des conditions climatiques, nature des terrains cultivés...) ;

– le coût pour la mise en place d'une nouvelle pratique (salaire d'un tractoriste à payer, terres disponibles en pampa...) ;

– l'influence du réseau socio technique dans lequel évolue la famille : presque toutes les personnes de la communauté cultivent ainsi donc elle est incitée à faire de même (confiance).

4.3.2 DIFFUSION DES NOUVELLES PRATIQUES AGRICOLES AU COURS DU TEMPS

L'objet de l'appropriation est différent au cours de l'histoire. Par exemple, bien que maintenant le labour mécanisé soit quelque chose d'acquis dans le sens où les personnes qui en ont la nécessité et les moyens (notamment financiers) adoptent cette technique sans faire de phase d'essai, ce n'a pas été le cas il y a 30 ans lorsque les tracteurs ont fait leur première apparition dans les communautés.

Le labour mécanisé est arrivé dans une phase de diffusion où il est adopté par une grande majorité (ceci est à nuancer car les famille n'ont pas toutes les mêmes possibilités quant à l'accès aux ressources et les mêmes objectifs par rapport à l'activité agricole (auto consommation/rente, revenu principal/revenu secondaire...), alors que le semis mécanisé, technique apparue une quinzaine d'année plus tard, fait encore l'objet d'hésitations quand à son adoption (même si aujourd'hui la grande majorité l'accepte). Il est également possible de rencontrer des personnes « réfractaires » qui ont adopté ces pratiques bien après l'ensemble des personnes de leur réseau socio -technique. C'est le cas de cette famille de la communauté de La Kaza qui a décidé de passer au labour mécanisé sur les terres de pampa seulement dans les années 90 (cf. Annexe 38 TV 29).

“tenemos poca plata para pagar un tractorista y a mi papa no la gustaba, no entendía. Se enojo en uno de estos y lo acepte. Renegado contra los tractores estaba!”

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Figure 11: Evolution des pratiques agricoles au cours de la trajectoire de vie

Figure 10: Trajectoire de vie et éléments déterminants dans le choix des activités

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4.3.3 PHASE D'APPRENTISSAGE ET APPROPRIATION D'UNE NOUVELLE PRATIQUE

Alors qu'on voit bien que dans l'exemple précédant, la personne adopte une nouvelle pratique en en délégant la réalisation à une tierce personne (un tractoriste), dans d'autres cas les personnes sont amenées à apprendre une nouvelle technique qu'elles devront elles-mêmes réaliser et mettre en pratique. De ce fait elles traverserons une phase d'apprentissage au cours de laquelle elle devront arriver à la maîtriser voire à l'adapter. Cet apprentissage peut prendre plusieurs formes :

– lorsqu'elle en a l'occasion, la personne peut mobiliser des instances d'appui techniques (par exemple une ONG ou un groupement de producteurs) pour s'informer sur de nouvelles pratiques. Par exemple, certaines personnes ont su profiter de la présence du programme PROQUISA (régionale de PROQUIOR) pour mettre en place des pratiques de lutte raisonnée contre des ravageurs telles que les pièges à lumière (cf. Annexe 12 TV 3).

– Cependant, ces programmes sont encore fragiles et ont fait leur apparition récemment. De ce fait, la phase d'apprentissage passe plutôt par un « auto-apprentissage » au cours duquel la personne, teste, essaie, cherche des informations dans son environnement.

– Enfin, la phase d'apprentissage peut résider dans une expérience personnelle passée. C'est par exemple le cas des personnes qui ont travaillé comme chauffeur pour une personne qui possédait un tracteur. Elles ont ainsi appris à conduire, à réparer un tracteur, des acquis qu'elles utilisent désormais dans d'autres activités (tractoriste à son compte, labour et semis de ses parcelles...) (cf. Annexe 30 TV 21).

4.3.4 INFLUENCE DES INSTANCES TECHNIQUES (PROJETS DE DÉVELOPPEMENT)

La présence d'une ONG ou d'un programme de développement dans une région va avoir des incidences sur les trajectoires techniques des familles. Par exemple, la présence de l'ONG AVSF depuis 2004 dans la zone a des répercussions sur les pratiques des agriculteurs. C'est le cas dans la communauté de La Kaza, où en 2006, suite à une aide financière versée aux familles pour acheter du guano et défricher des terres de cerro, une vingtaine de familles ont commencé à amender des terrains et à cultiver d'avantage en cerro. Ces ruptures sont brusques et vont parfois à l'encontre de la logique familiale mise en place dans son système de production. En effet, certaines familles qui n'ont pas le projet de cultiver en cerro et qui viennent juste pour les périodes de travaux agricoles dans la communauté ont néanmoins profiter de cette aide pour défricher des terres en cerro, chose qui va les contraindre à passer plus de temps dans la communauté alors qu'elles ont déjà d'autre activités contraignantes en ville.

La présence d'instances techniques peut également avoir des influences sur la perception que la famille a de son territoire. Il a en effet été possible de rencontrer à Huanaque des personnes qui ont complètement intégré le discours d'une ONG dans leur propre discours ce qui a des répercussions sur le choix de leurs pratiques. C'est le cas d'une famille qui est revenu à des pratiques plus manuelles (semis et labour) depuis la présence de AVSF dans la communauté (cf. Annexe 22 TV 13). Cette famille a reçu des discours divergents concernant le labour mécanisé (d'une part, c'est quelque chose de positif car il permet d'enfouir de la matière

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organique et d'autre part le labour mécanisé va à l'encontre d'une agriculture durable car suite à un labour, les terres sont plus sujettes à l'érosion). Elle est passée par des allers-retours entre ces deux modes de labour avant de trouver le système qui la satisfait et qui est en adéquation avec sa conception du territoire.

« Primero hemos hecho barbechado. Hay una planta que se llama “quela”, antes había harto. Nos han dicho que esta planta es abono y que con el tractor está revuelta y esto es bueno. Una vez cada 4, 5 años, una barbechada. Porque si barbecho cada ano, por la erosión de la tierra, el viento se lo lleva todo. Esto nosotros tenemos que cuidar y era cierta, hay que cuidar de nuestra tierra. Como no tenemos, como se llama, ... barreras, tenemos que cuidar. »

Conclusion partielle:

Nous pouvons mettre en évidence qu'une bifurcation est synonyme de changement, de transition dans le sens où elle peut marquer le passage d'une étape du cycle de vie à une autre. Néanmoins, l'univers socio-économique des familles a beaucoup évolué depuis une cinquantaine d'années. De ce fait, il est possible de constater dans les trajectoires de nouvelles formes de discontinuités. Les nouvelles opportunités qui s'ouvrent désormais dans la région (plus grandes possibilités d'accès à l'éducation, avancées techniques dans le secteur agricole, hausses des prix du quinoa...) font apparaître de nouvelles formes de ruptures et de bifurcations tels que des retours rapides à l'activité de culture ou des départs pour la scolarisation des enfants. Les trajectoires présentent aussi des formes d'emboîtement dans le sens où une bifurcation peut être conditionnée par des transferts de capitaux d'une génération à l'autre.

Enfin, l'étude plus minutieuse des bifurcations permet de mettre en évidence différentes formes de stratégies familiales. Alors que certaines personnes, qu'on pourra qualifier d' innovatrices ou d'entreprenantes sans qu'il s'agisse là d'un jugement de valeur, peuvent changer rapidement d'activités ou de pratiques, la plupart des familles modifient leurs activités ou leurs pratiques de façon plus étalonnée. Ceci peut traduire à la fois une stratégie de gestion des risques, une phase de maturation ou une phase d'apprentissage qui précède la mise en place d'un nouveau système d'activités ou d'une nouvelle pratique. Il apparaît alors que la faculté de la famille à changer de pratiques est à la fois conditionnée par des facteurs exogènes (présence d'instances d'assistance technique ou appartenance à un réseau socio-technique adéquat) mais également par des facteurs endogènes à la famille (les ressources dont elle dispose).

De ce fait, nous exploiterons cette dernière idée afin de comprendre qu'est ce qui, dans l'allocation des ressources, conditionne le passage à une nouvelle pratique. Pour cela, nous nous intéresserons à la compréhension du fonctionnement du système d'activités.

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5 Interactions entres activités et conséquences sur les pratiques techniques et organisationnelles

Une bifurcation est caractérisée comme un changement d'état du système (en l'occurrence du système d'activités). De ce fait, il apparaît donc essentiel d'arriver à comprendre comment fonctionne le système d'activités de la famille pour saisir comment il évolue.

Au cours d'une bifurcation, la famille procède à une réorganisation de l'allocation des ressources dont elle dispose (nous considérons en particulier son capital naturel, humain et financier) afin de mettre en place un nouveau système d'activités. Cependant, il faut rappeler que les interactions entre activités sont de diverses natures car elles mettent en jeu des relations fonctionnelles qui ne se reportent pas seulement aux ressources de la famille. D'autres facteurs rentrent en compte dans les prises de décisions tels que l'organisation de l'espace dans lequel la famille met en place ses activités, les perspectives d'évolution (telle que l'anticipation d'un changement d'activités) qui peuvent varier au cours du cycle de vie familial, les flux de produits qui peuvent exister entre les activités de la famille ou encore des caractéristiques propres à son territoire (construction ou préservation d'un patrimoine). Dans un premier temps, nous montrerons donc, par le biais d'exemples, les différentes natures d'interactions qui peuvent exister au sein d'un système d'activités.

Le mise en place d'une nouvelle pratique ne peut de ce fait s'expliquer que par la combination de toutes les interactions qui rentrent en jeu entre les différentes activités de la famille (même si on reconnaît que certaines soient plus déterminantes que d'autres). La compréhension du fonctionnement du système d'activités pourra de ce fait permettre d'expliquer certains choix des familles pour la mise en place de nouvelles pratiques. Nous illustrerons cette hypothèse dans un deuxième temps grâce à une étude de cas plus approfondie.

5.1 DIVERSES NATURES D'INTERACTIONS AU SEIN DU SYSTÈME D'ACTIVITÉ

5.1.1 DES INTERACTIONS « PRODUITS »

Une activité (« aval ») peut permettre de fournir des intrants ou de la matière première à une autre activité (« amont »). Une interaction « produits » intervient donc entre les deux activités. C'est par exemple le cas de l'activité « culture de quinoa » et de l'activité « transformation de quinoa ». La culture permet d'apporter la matière première à l'activité de transformation. Ces deux activités sont le plus souvent indissociables (cf. Annexe 14 TV 5).De même l'activité d'élevage va permettre de générer le précieux guano (excrément animal), produit qui sera utilisé pour fertiliser les terres cultivées. Une interaction « produit » se crée de ce fait entre l'activité élevage et l'activité de culture (quinoa ou maraîchage).

Ces interactions sont de ce fait de type asymétriques car l'activité 1 en amont impacte l'activité 2 en aval sans retour à l'activité 1.

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5.1.2 DES INTERACTIONS « RESSOURCES »

La famille dispose de ressources qui sont par nature limitées (ressources qui nous renvoient aux cinq grandes familles de capitaux : « naturel », physique, humain, financier, social). De ce fait, elle est obligée de procéder à une allocation de ses ressources entre ces différentes activités ce qui donne lieu à différentes formes d'interactions.

• Des interactions « capital humain »

Le capital humain se réfère à la dimension à la fois quantitative et qualitative de la main d'oeuvre famille disponible. De ce fait on pourra distinguer deux formes d'interactions :

– Des interactions « travail » qui renvoie à la répartition de la main d'oeuvre familiale entre les différentes activités. Par exemple, une famille qui pratique l'élevage ovin et la culture de quinoa sera amenée à répartir la main d'oeuvre familiale entre les deux activités, qui plus est au cours des périodes de pic de travail. C'est notamment le cas en juin quand la récolte de quinoa chevauche la période de mise bas des brebis. La récolte de quinoa, entièrement manuelle, nécessite une quantité de main d'oeuvre considérable. De plus, le troupeau de brebis, pendant les périodes de mises bas requière une surveillance journalière du troupeau et ce aussi bien le jour (il faut surveiller le troupeau afin que les animaux ne rentrent pas dans les parcelles cultivées) que la nuit (afin de surveiller la naissance de petits pendant la nuit, ils pourraient en effet mourir du fait des températures parfois extrêmement basses). La nature de ces interactions est donc de type concurrentielle. Elles peuvent conduire les familles à se retrouver en situation de saturation du temps de travail ce qui les poussera à modifier leurs pratiques aussi bien techniques que organisationnelles.

− Des interactions « compétence » : La capital humain donne lieu à une autre forme d'interactions qui se reporte à a dimension qualitatif de la main d'oeuvre. En effet, l'acquisition d'une nouvelle compétence peut donner lieu à des interactions « compétence » entre deux activités. C'est un cas fréquemment rencontré pour les tractoristes. Le fait d'avoir appris à conduire un tracteur va permettre à la fois de proposer ses services de tractoriste à un prestataire de service et de les mettre en oeuvre dans sa propre exploitation. Ce type d'interactions apparaît dans la majorité des cas comme complémentaire entre les deux activités.

• Des interactions « capital physique »

Dans le même registre, le fait de posséder un tracteur va permettre à la fois de l'utiliser sur ses propres terrains (et donc va profiter à l'activité de culture de quinoa) et en plus va ouvrir une nouvelle opportunité à la famille car elle va pouvoir réaliser une nouvelle activité (celle de tractoriste à son compte). Ces interactions sont donc de type complémentaires.

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• Des interactions « capital naturel »

Ces interactions se créent entre deux activités qui mettent en jeu une même ressource naturelle telle que la terre. C'est actuellement le cas entre la culture de quinoa et l'élevage. Depuis la mécanisation, la culture de quinoa a envahi les terres de pampa autrefois réservées au pâturage des animaux. Ces deux activités sont donc en interaction « foncière » de type concurrentielles. Ceci a conduit à de nouvelles formes d'astreintes. Les bergers (en grande majorité les femmes) sont en effet obligés d'aller faire pâturer les animaux de plus en plus loin et surtout dans les zones de montagnes ce qui rend l'activité d'élevage plus difficile. En effet, suivre toute la journée les animaux dans des zones parfois très accidentées nécessite une bonne condition physique. Cette activité est de ce fait difficilement réalisable par des personnes âgées et pousse parfois à l'arrêt d'une activité d'élevage (en général les ovins) (cf. Annexe 11 TV 2).

Il existe également des interactions « irrigation » qui portent sur la ressource eau. Cependant, étant donné les conditions de la zone et la faible proportion de terres irriguées, ces formes d'interactions sont peu significatives.

• Des interactions « capital financier »

Des activités peuvent générer un revenu temporairement. D'autres, au contraire, permettent d'alimenter la trésorerie de la famille tout au long de l'année. De ce fait, des interactions se forment entre les différentes activités lucratives. C'est le cas par exemple des activités salariales saisonnières (comme le travail saisonnier dans les exploitations fruitières au Chili) qui permettent de générer une revenu à la famille pendant quelques mois de l'année alors que la vente de quinoa peut s'échelonner tout au long de l'année et ainsi couvrir les besoins réguliers de la famille. La famille doit trouver son équilibre quant à la gestion de sa trésorerie. Ces interactions sont le plus souvent complémentaires. Cependant si la famille vend sa production de quinoa d'une seule traite, ces interactions deviennent alors concurrentielles.

De plus, une activité peut permettre de capitaliser pour une autre activité. C'est un cas fréquent à Tolamayu. Nombre sont ceux qui, grâce à la culture de quinoa ont réussi à investir dans un tracteur ou un camion générant ainsi des interactions entre l'activité agricole et des activités telles que celles de chauffeur ou de tractoriste. Ces types d'interactions apparaissent donc comme asymétriques.

• Des interactions « capital social »

La combinaison d’une activité d’élevage de lamas et de négociant de petits camélidés andins permet de valoriser les mêmes réseaux socio-techniques et commerciaux pour les deux activités. Ainsi, le négoce de lamas permet à l’éleveur d’accéder à des informations techniques et à des opportunités de commercialisation dont il n’aurait pas eu le bénéfice sans l’activité de négoce, et réciproquement le travail d’élevage donne au négociant une connaissance des bêtes et des pratiques d’élevage utiles pour apprécier les animaux dont il fait le commerce.

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De même un retour à la communauté après de nombreuses années d'absence (passées notamment dans un autre pays à la culture bien différente comme le Chili) peut poser des difficultés à la famille car elle doit réapprendre les règles et coutumes sociale du territoire dans lequel elle s'insère (cf. Annexe 20 TV 11).

“los primeros meses estaban difícil para acostumbrarse a Huanaque, yo me acostumbre con la gente de allá. Aquí es distinto, la maniera de hablar, el vocabulario.”

5.1.3 DES INTERACTIONS « PATRIMONIALES »

L'association de plusieurs activités peut permettre de maintenir une valeur de patrimoine immatériel. Par exemple, le maintien de l'élevage de lamas et de la culture de quinoa en cerro avec l'entretien des murailles de pierre contribue à la préservation d'une qualité de paysages que l'on reconnaît à cette région. Pour remplir cette condition, les interactions entre ces deux activités sont obligatoires. Ces activités génèrent de ce fait des externalités positives quand au maintien d'un patrimoine régional et permettent le développement d'autres activités telles que l'agro-tourisme (c'est le cas à Huanaque).

5.1.4 DES INTERACTIONS SPATIALES

La population de la zone Intersalar est particulièrement mobile. De ce fait, cela génère des interactions spatiales assez fortes entre les différentes activités mises en place par les familles. Par exemple, une famille qui migre en ville pour l'éducation des enfants va devoir réorganiser ses pratiques si elle veut maintenir l'activité d'élevage. Elle va par exemple déléguer la gestion de son troupeau sur le mode « al partir ». Ces interactions apparaissent comme obligatoires pour la viabilité des ces différentes activités.

5.1.5 DES INTERACTIONS TEMPORELLES

La réalisation d'une activité est parfois conditionnée par une perspective d'évolution du système d'activités. C'est le cas par exemple d'un jeune dentiste qui projette d'aller s'installer dans quelques années en Argentine. Il vient cultiver la quinoa car il a conscience que cette activité peut lui faire gagner de l'argent très rapidement, capital qu'il pourra ensuite mobiliser pour son installation en Argentine (cf. Annexe 33 TV 24). Il n'a pas l'intention de pérenniser son activité de culture de quinoa et par conséquent, il est peu soucieux de la préservation d'un capital productif ce qui aura des conséquences sur les choix de ces pratiques techniques (mécanisation, pas de fertilisation organique, peu de présence dans la communauté...).

5.2 COMBINATION D'INTERACTIONS ET CHANGEMENT DE PRATIQUES

Nous venons de montrer qu'il peut exister des formes d'interactions très diverses entre les activités d'une famille. Même si certaines de ces interactions apparaissent comme plus déterminantes que d'autres au niveau des choix des pratiques (c'est notamment le cas des interactions « travail », « capital physique » ou encore « temporelles »), la compréhension des logiques familiales ne peut se faire qu'au regard d'un faisceau d'interactions au sein du système d'activités de la famille. De ce fait, nous allons détailler une étude de cas dans

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laquelle nous présenterons les relations fonctionnelles les plus déterminantes pour le choix des pratiques de la famille. Pour cela, nous modéliserons le système d'activités grâce à la représentation développée par B. BARTHFIELD (2007).

5.2.1 MODE DE LECTURE DE LA REPRÉSENTATION

Cette représentation du système d’activités nécessite une lecture spécifique qu’il est bon d’expliciter. Les flèches représentent les liens entre les activités. Elles peuvent être simples ou doubles (BATHFIELD, 2007).

Dans le cas d’une flèche simple, cela signifie que l’activité 1 impacte l’activité 2 sans retour de l’activité 2 de la même nature. Par exemple l’activité 1 peut servir à capitaliser pour aider l’activité 2 sans que cela soit réciproque.

Dans le cas de flèche double, les activités 1 et 2 sont en interrelation constante pour des liens de même nature. Par exemple, l’activité 1 est en interrelation constante avec l’activité 2 du fait d’une relation temporelle, c’est à dire un projet mettant en cause les deux activités les rend indissociables temporairement.

Un référentiel de couleurs indique la ou les natures des interactions entre deux activités. Afin de faciliter la lecture, nous nous réduirons à cinq types d'interactions qui apparaissent comme les plus déterminantes dans la prise de décision de la famille à savoir les interactions « produits », « travail », « capital physique », « capital financier » et « spatiale » (ce qui implique qu'il existe d'autre types d'interactions). L’hexagone ConFAComOS indique le caractère Concurrentiel/Complémentaire, Facultatif/Obligatoire, et Symétrique/Asymétrique de chaque relation (BARTHFIELD, 2007).

Les lettres « A » et « B » symbolisent les membres du ménage qui vont participer à la réalisation d'une activité ou d'une autre.

Nous enrichirons cette approche par une représentation évolutive du système d'activités où seront précisé entre autre les facteurs exogènes qui ont conditionné la bifurcation.

5.2.2 PRÉSENTATION D'UNE ÉTUDE DE CAS

Prenons la cas d'une famille qui réalise de l'élevage (ovins et lamas) ainsi que de l'agriculture (culture de quinoa manuelle en cerro) (cf. Annexe 21 TV 12). La hausse du prix du quinoa va inciter la famille à intensifier cette activité et à cultiver de plus grandes surfaces. Le père du mari possède un tracteur. De ce fait, son fils va saisir cette opportunité et devenir salarié de son père. Cette nouvelle activité de tractoriste va donc rentrer en interaction avec les activités de culture et d'élevage : en effet, le mari va utiliser le tracteur de son père pour labourer et semer ses propres terres (interactions « physique » et « compétences » complémentaires). Ceci ne va pas nuire aux activités d'élevage (interactions « travail » facultatives). Par contre, depuis l'augmentation de sa surface cultivée de quinoa, la famille a du mal à gérer sa main d'oeuvre disponible notamment durant la phase de récolte (juin). Les activités

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Activité 1 Activité 2

Activité 1 Activité 2

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d'élevage (ovins et lamas) et de culture de quinoa sont en fortes interactions concurrentielles sur le travail durant cette période. La famille arrive donc à une saturation du capital travail ce qui la pousse à modifier son système d'activités. Elle va choisir de sacrifier l'activité la plus exigeante en travail à savoir l'élevage ovin (trois périodes de mises bas contre une pour l'élevage de lamas). La vente du troupeau va permettre de capitaliser pour l'activité de culture de quinoa (notamment pour l'achat de carburant) (interactions « financières » asymétriques).

“Terminamos las ovejas hace 3 años. Yo tenía mucho trabajo y no tenía disponibilidad. Ya tenía mi esposo, tenía que sobrevivir, tenía que cosechar quinua. Cuando volví, ya mi papa había vendido los corderos. Y la otra vez, yo vendí que quedaba para comprar diesel para las maquinarias.”

Les activités d'élevage sont en interactions « produits » avec la culture de quinoa car elles génèrent du guano. La réduction de l'élevage va donc entraîner une diminution de la production de guano ce qui va diminuer le potentiel de durabilité de l'activité agricole.

Toutes les activités de la famille se concentrent sur le territoire communautaire ce qui les fait entrer en interactions spatiales complémentaires.

Le schéma évolutif de fonctionnement du système d'activités de cette famille (Figure 12) permet de mettre en évidence ces différentes formes d'interactions qui ont conduit la famille à faire évoluer son système d'activités et ses pratiques. Dans cette bifurcation, un ordre de priorité très clair est donné entre les différentes activité : l'activité de culture de quinoa est prioritaire par rapport aux autres activités. La famille adapte ses pratiques en conséquence.

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Figure 12: Schémas évolutifs de fonctionnement du système d'activité lors d'une phase de bifurcation (d'après BATHFIELD, 2007)

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Conclusion partielle :

La compréhension du fonctionnement du système d'activités fait apparaître des interactions de natures très diverses entre les activités de la famille (interactions « produits », « ressources », « patrimoniales », « spatiales », temporelles »). Même s'il apparaît que certaines formes d'interactions sont plus déterminantes que d'autres (comme c'est le cas de relations concurrentielles sur le travail), ce n'est qu'au regard de l'ensemble des interactions qui s'établissent au sein du système d'activités que nous pouvons comprendre la nécessité d'une famille de changer ou d'adapter ses pratiques (par exemple le passage à la culture mécanisée ou l'arrêt de l'élevage ovin).

Néanmoins, cette seule approche ne permet pas de tout expliquer. Les raisons qui poussent une famille à réaliser une bifurcation sont très diverses et dépasse cette seule forme de logique. C'est ce qui sera présenté dans la troisième partie.

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6 Pluralité et hiérarchisation des causes du changement de pratiques

La compréhension des causes d'une bifurcation permet d'apporter un éclairage sur les formes de logiques familiales qui conditionnent les choix de leurs pratiques. De ce fait, nous nous attacherons dans ce chapitre à comprendre les causes et origines de ces bifurcations et à en montrer la diversité. L'analyse sera centrée sur deux bifurcations qui apparaissent comme les plus représentatives de la situation actuelle : le retour à l'activité agricole et en particulier à la culture de quinoa et l'arrêt de l'élevage.

6.1 LES RAISONS DU RETOUR À L'ACTIVITÉ AGRICOLE

Depuis l'ouverture du marché du quinoa, de nombreux « migrants » reviennent vers l'activité agricole pour cultiver le quinoa. Par « migrant » on entend toute personne qui avait interrompu l'activité agricole pour chercher d'autres sources de revenus aussi bien en zone rurale (migration rural/rural) que en ville (migration rural/urbain) (VARGAS, 1998). Nous serions amenés à penser que ces retours sont associés directement à la hausse des prix rapide du quinoa de part l'évolution des coûts d'opportunités qu'elle peut engendrer notamment pour les professions qui demandent peu de qualification et aux salaires peu rémunérateurs (ouvriers, techniciens, mécaniciens, plombiers, mineurs...). En l'occurrence, le traitement des enquêtes nous montre que, bien que pour la majorité des retours, la hausse du prix du quinoa a été le facteur déterminant dans la prise de décision, il existe d'autres raisons qui dépassent cette seule forme de rationalité sur les coûts d'opportunité. Les catégories sociales des personnes (profesional ou no profesional) qui reviennent à l'activité agricole est tout aussi diverse.

6.1.1 LA HAUSSE DU PRIX DU QUINOA

La hausse des prix du quinoa a provoqué une nouvelle vague d'intérêt pour l'activité agricole. Il est possible de rencontrer de nombreuses personnes qui avaient quitté la communauté et ce pour diverses raisons (scolarisation des enfants en ville, meilleures conditions de travail au Chili, travail salarié dans les mines plus rémunérateur et plus sûr, réalisation d'études supérieures...) et qui reviennent aujourd'hui cultiver dans leur communauté en vue de l'enjeu économique. Certains avaient prévu de revenir après une migration temporaire en ville estimée nécessaire pour la famille (c'est notamment le cas de personnes qui sont partis pour scolariser leurs enfants en ville) (cf Annexe 9, TV 1). D'autres au contraire ont quitté la communauté sans vraiment savoir ce qu'elles allaient rencontrer, juste avec l'espérance de trouver des conditions de vie meilleures (cf. Annexe 20, TV 11 et Annexe 37 TV 28). Ces personnes sont donc parties sans aucune certitude de revenir un jour telle que le montre ces paroles d'un jeune revenu cultiver à Huanaque après plus de quatre années passées au Chili « Cuando estaba en Chili, me he olvidado de mi pueblo. ». Dans tous les cas, le point commun à ces personnes est qu'elles ont été soit confortées dans leur choix de revenir ou alors incitées à revenir du fait de la hausse des prix du quinoa. Dans certains cas, ce retour est concomitant à une diminution des offres d'emploi, comme c'est par exemple le cas au Chili actuellement :

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l'augmentation des problèmes de ravageurs dans les grandes exploitations fruitières a provoqué une baisse de la production et de ce fait une diminution de l'offre de travail saisonnier pour les récoltes.

Plus surprenant, des personnes réalisant des activités bien rémunérées reviennent cultiver (c'est par exemple le cas de médecins ou des dentistes). Ces dernières voient en effet dans l'activité agricole et ce depuis la hausse récente des prix, un « bon placement ». En effet, avec les nouvelles techniques (mécanisation des pratiques) et avec une organisation du travail adaptée (emploi de saisonnier pour la récolte, emploi d'un tractoriste), la culture de quinoa demande peu de temps effectif passé dans la communauté. Un professionnel peut donc investir plutôt son capital financier dans cette activité tout en conservant une autre activité en parallèle et tirer ainsi des bénéfices de l'activité agricole en plus de son salaire (cf. Annexe 23, TV 14). Cet exemple nous montre bien que les raisons qui conduisent à la reprise de l'agriculture ont une influence sur les choix des pratiques à la fois techniques et organisationnelles, ensemble de décisions auquel on pourra reconnaître une stratégie de la famille. De plus, le fait de changer de système d'activités nécessite une réorganisation à la fois de l'organisation du travail et de la résidence et fait appel à des transferts de capitaux entre différentes activités.

6.1.2 DES ÉVÉNEMENTS ENDOGÈNES À LA FAMILLE

Des événements familiaux peuvent être également à l'origine du retour de migrants dans l'activité agricole. C'est le cas par exemple pour les personnes qui reviennent s'occuper de leurs parents âgés et/ou malade (cf. Annexe 29, TV 20), ou suite à la création d'un foyer avec la naissance d'enfants (cf. Annexe 22, TV 13) ou encore suite au départ des enfants de la communauté pour étudier.

« Me vine aquí, y después, con el matrimonio, ya no puedo ir. Porque era un poco más de responsabilidades con el matrimonio. Hay que atender a sus hijos. No es como una vida de soltero. Un soltero, hace lo que puede hacer, es más tranquil, mas libre.”

En plus de l'attention journalière apportée (à un parent ou à de jeunes enfants), apparaît un manque à combler de main d'oeuvre familiale pour mener à bien les différents travaux agricoles. Par conséquent un membre de la famille en l'occurrence migrant se doit de venir en aide afin d'aider à la réalisation des tâches les plus pénibles. Le retour à l'activité n'est donc pas lié à la hausse du prix du quinoa mais à des logiques d'organisation du travail. L'agriculture et notamment l'agriculture manuelle et l'élevage sont des activités très exigeantes en main d'oeuvre. Faute de ressources suffisantes pour employer des salariés, la main d'oeuvre est le plus souvent familiale. De ce fait, la famille doit savoir gérer sa disponibilité de main d'oeuvre disponible et ce aux différentes époques de l'année afin d'organiser ses activités.

« Fue allá, por una semana. El 18 de agosto he llegado. El 18 es el aniversario de la Provincia Daniel Campos. He llegado a Llica, después me vine aquí y mi papa no bajó a Llica, estaba mi mama no más. Era 10 años mayor que mi mama. Estaba muy cansado. Y ahí, casi no me reconoce. “quién eres, quién ha llegado?” me ha dicho. “yo soy Dora”. “ah...” me ha dicho no más. “quién es Dora?”. “Que hago?” me he dicho, “que hago” ? Esta semana le atendré. Había tantas cosas para empezar, empezaba la siembra ya. Había que llevar, acabar, poner abono, todo estas cosas. Yo siempre mayormente estoy con las ovejas porque estoy mal del riñón y no puedo hacer mucha chacra, rápidamente me canso, no avanza mucho y por esto siempre me han

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mandado al ganado. Mi hermano ha empezado a trabajar con mi mama, yo con las ovejas me quedé. Así como en este momento empiezan a parir, no le puede dejar las ovejas solas. Me quede, una semana, dos semanas, ya un mes! Y más cosas se presentaban, más cosas. Estuve trabajando, a mis compañeras les mandé un carta para decir que me voy a atrasar, que busca otra persona para me remplaza porque mi papa estaba mucho más delicado. Por el más que todo, para atenderle. Como le va dejar a mi papa? ». Arrivée pour donner de l'argent à ses parents et faire la fête 3 jours à Llica, elle est restée auprès de sa famille depuis l'an 2000.

Dans ce genre de situation, on peut constater l'existence de liens familiaux particulièrement forts qui conditionnent l'attachement au territoire. Ce style de migrants, malgré des contraintes organisationnelles liées aux activités qu'ils exercent, s'efforcent de maintenir une relation avec la famille et avec la communauté.

“pero mira sabe que, estando en los Yungas, estando en el Altiplano y estando en Tihuanaco, siempre he venido cada año. Para mi era como una ley, como un compromiso con mis padres. Era el año nuevo, Siempre he venido.”

6.1.3 LE MAINTIEN D'UN CAPITAL NATUREL OU SOCIAL

La mécanisation a permis une occupation rapide des terres de pampa dans les communautés qui présentent des conditions agro-écologiques propices, jusqu'à se traduire par à une répartition de toutes les terres cultivables (c'est le cas dans les communautés de La Kaza et Tolamayu). Les enjeux actuels autour du quinoa font donc naître de nouvelles formes de pression notamment sur les personnes qui possèdent des terres mais qui ne les cultivent pas. Plutôt que « possèdent » nous préférerons « disposent de droits de cultiver sur des parcelles reconnues par l'ensemble de la communauté » attribuant de ce fait au foncier une valeur à la fois de capital naturel et social. De ce fait, des migrants se retrouvent aujourd'hui dans l'obligation, sous peine de perdre leurs droits, de revenir cultiver la terre. Une pression familiale s'ajoute fréquemment à la pression communautaire dans le sens où les membres de la famille permanents dans la communauté veulent préserver un patrimoine familial (cf. Annexe 12, TV 3). Ce retour à l'activité agricole est souvent perçu par les familles concernées comme une obligation et non comme un choix.

« Mi mama estaba encargada de mis terrenos, estaban descansando. Ella me contó un día: « mira Edwin, tus terrenos están volviendo así, entonces que vas a hacer? », querían adueñarse de mis terrenos. Entonces, volví por obligación , por no perder mis terrenos. »

En plus du devoir de cultiver les terres pour ne pas les perdre, le retour à l'agriculture peut être aussi conditionné par la réalisation des cargos . De ce fait, la nomination d'un migrant comme autorité traditionnelle (corregidor, presidente del OTB ou Junta escolar) peut entraîner une reprise des activités agricoles. Néanmoins, des formes d'arrangement existent au sein de la famille. Un membre de la famille peut par exemple jouer le rôle d'autorité (avec néanmoins l'accord de tous les comunarios) pour se substituer à la personne absente.

« SC : - Y sus hermanos no vienen en la comunidad?

Comunario: - Uno esta en Oruro, el otro en Santa Cruz. No vienen. Justamente el menor, el que está en Santa Cruz, es el corregidor. Y de esta manera yo tengo que estar. No quería hacer su cargo.

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SC: - Y los contribuyentes no dicen nada ?

Comunario: - Legalmente yo soy supleante del corregidor. O sea que cuando uno de la familia es corregidor, es autoridad legalmente, parece que todo la familia somos corregidor ! »

6.1.4 LA RECONNAISSANCE D'UNE QUALITÉ DE VIE MEILLEURE DANS LA COMMUNAUTÉ QUE EN VILLE

La communauté est perçue parfois comme un espace agréable à vivre, sûr et convivial. Cette conception du territoire pousse par conséquent certaines personnes à revenir vivre et cultiver dans la communauté. On peut citer l'exemple de nombreux professeurs à la retraite, qui à la fin de leur carrière reviennent dans leur communauté (cas fréquemment rencontré à Huanaque) (cf. Annexe 23, TV 14) ou de femmes célibataires ayant vécu en ville et ayant rencontré des difficultés (cf. Annexe 18, TV 9).

“Yo me siento más tranquil aquí. Es más seguro. En la ciudad, es peligroso, no se puede dejar la casa así. Aquí toda la gente son conocidos, es un pueblo. En Uyuni, tengo mi casa pero no hago como para hacer aquí, por competencia trabajamos aquí. El clima tampoco no me gusta.”

“En la ciudad es más agitado, todo los días hay que salir. Aquí es más tranquil. En la ciudad, corrimos riesgo, prefiero vivir en el campo.”

Le territoire peut aussi être perçu comme la source d'une bonne alimentation. Le travail d'agriculteur est alors fortement valorisé et perçu comme une activité essentielle et complémentaire des autres secteurs d'activités et incite de ce fait des personnes à venir cultiver dans une première intention de produire des produits destinés à l'auto-consommation.

“Los profesionales se van a sacar la plata, nosotros mantenemos. Ellos tienen plata, pero sin los campesinos qué comerían? Entre campesinos y profesionales, nos necesitamos. El profesor va a cobrar su plata pero quién está en el mercado? Hay que saber cuidar al ganado, hay que saber cultivar.”

6.2 LES RAISONS DE L'ARRÊT DE L'ÉLEVAGE

Alors que l'activité agricole connaît un succès croissant, l'activité d'élevage suit une tendance générale à la baisse. En vue de la progression de la culture de quinoa dans les zones de pampa (zones qui, il y a à peine 50 ans, n'étaient pas ou très peu mises en culture et de ce fait réservées au pâturage), on pourrait imaginer que l'essor de la culture mécanisée continue d'exercer une pression sur les terres, faisant ainsi compétition à l'activité d'élevage. Ceci pourrait alors pousser les familles à diminuer ou à arrêter cette activité pour mettre les terres en cultures. En l'occurrence, l'étude des trajectoires de vie nous révèlent que cette explication est incomplète.

6.2.1 LES EXIGENCES DU TRAVAIL D'ÉLEVAGE

Les raisons qui poussent les familles à arrêter l'activité d'élevage sont le plus souvent liées à des problèmes d'allocation de main d'oeuvre entre différentes activités auxquels s'ajoutent des

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problèmes d'interactions spatiales entre activités. L'activité d'élevage requiert un temps de travail élevé et une présence fréquente dans la communauté pour la surveillance des troupeaux. De plus, une attention plus particulière est nécessaire lors des périodes de mise bas durant lesquelles la présence journalière d'un berger devient obligatoire, et ce même jour et nuit dans le cas des ovins en période gélive en raison des hauts taux de mortalité de agneaux. Elle limite et conditionne de ce fait les migrations temporaires. La grande majorité des personnes qui pratiquent l'élevage aujourd'hui sont les personnes « permanentes » dans la communauté.

“Ya me volví a los 9 años y ya no fue a Chile, me quedé en Huanaque, al lado de mis padres. Mi padre tenía ya más ganado, como 50 llamitas, 30 ovejas, 20 alpacas, antes no teníamos. Entonces había más obligaciones para quedarse y no se podía viajar así.”

L'abandon de l'élevage nous renvoie à des logiques d'interactions entre activités (notamment des interactions spatiales), interactions qui sont propres à chaque famille et au système d'activités qu'elle met en place. L'analyse d'une bifurcation permet de comprendre ces logiques ainsi que les raisons qui poussent à arrêter l'élevage.

Un des exemples le plus fréquemment rencontré est l'arrêt de l'élevage lors d'une migration en ville. C'est le cas par exemple des familles qui partent en ville pour scolariser leurs enfants (cf. annexe X, TV 1) ou qui saisissent une nouvelle opportunité de travail (cf. Annexe 19, TV 10). Étant donné que l'élevage nécessite une présence importante dans la communauté pour surveiller le troupeau, il est difficile pour les familles d'arriver à concilier à la fois de nouvelles activités en ville tout en maintenant un troupeau. Cela implique en effet une proximité entre le lieu de travail et la communauté ainsi que du temps disponible à libérer pour aller s'occuper des animaux, deux conditions qui sont parfois difficiles à réaliser.

Bien que certaines personnes aient imaginé de nouvelles pratiques organisationnelles afin de se décharger en partie de la gestion du troupeau (berger, famille, al partir), le fait de ne pas vivre dans la communauté nuit parfois aux performances techniques de l'activité d'élevage. Plusieurs personnes se sont ainsi fait voler des animaux qui étaient laissés en libre pâture en leur absence. Face à cela, ils se sont découragés et ont arrêté l'élevage.

6.2.2 UNE RÉDUCTION DE LA MAIN D'OEUVRE FAMILIALE

L'arrêt de l'élevage ne peut s'expliquer que par le seul départ des adultes de la communauté. En effet, des personnes ont arrêté cette activité et ce, sans avoir quitté la communauté. Ce sont alors posés des problèmes de disponibilité des enfants. Le départ des enfants (éducation, service militaire, migration pour le travail...) peut pousser les familles à interrompre l'activité d'élevage. Il est important de souligner que les enfants font partie intégrante de la main d'oeuvre familiale (cf. Annexe 25, TV 16). Après l'école, durant les week-end ou pendant les vacances, les enfants se doivent d'aider leur parents notamment dans des tâches telles que la garde du troupeau, qu'ils partagent le plus souvent avec les femmes. Spedding (1999) parle même d'exploitation des enfants par les parents. Les parents organisent des « tours de garde » :

“Siempre hicimos la agricultura y la ganadería, esto era nuestro medio de subsistancia. Cuanto hay más familia, hay más ayuda para la agricultura y la ganadería””yo he crecido con llamas

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siempre, bastante teníamos, más de 100. tenía ovejas también, 80. Yo he crecido con mis abuelos en el Chinchilguay. Allí era el lugar de pastoreo. porque mi papa trabajaba en la mina de azufre y mi mama siempre estaba con el ganado, con la chacra con los hijos mayores, nosotros ayudamos bastante por todo por el ganado, por la chacra. Nos hacía turnar siempre mi mama.”

De cette manière, le père de famille peut réaliser d'autres activités saisonnières en dehors de la communauté (par exemple travailler dans les mines ou dans exploitations fruitières du Chili). On comprend alors que la réduction de la main d'oeuvre disponible suite au départ d'un ou de plusieurs enfants peut amener les familles à réorganiser leurs activités et de ce fait à sacrifier l'activité la plus exigeante en main d'oeuvre tout au long de l'année à savoir l'élevage.

6.2.3 LES ALÉAS CLIMATIQUES

Dans certains cas, l'arrêt de l'élevage peut être aussi la conséquence d'événements qui dépassent le seul contexte familial et, de ce fait, la simple volonté de la famille. C'est par exemple le cas lors de catastrophes climatiques telles qu'une sécheresse. La crise fourragère entraîne un amaigrissement des animaux qui sont alors plus fragiles aux maladies. En cas d'étiages fourragers prolongés (comme c'est le cas en 1941 et en 1983), cette situation peut entraîner la mort de nombreux animaux. Certaines familles sont alors obligées de sacrifier les animaux qui restaient avant de tout perdre.

Comunario: - « Me lo he terminado púes. La enfermedad se agarro mis llamitas, sarna se agarraron. Entre mujeres, su guaguas también estábamos y no se podía curar la llamas y esta vez, había nada para curar.

SC: - Las llamas poden morir de la sarna ?

Comunario: - Si con la sarna se mueren púes. De ahí, hemos terminado, sin uno, hemos vendido toditos. »

Cet arrêt de l'élevage peut être transitoire pour les familles qui sont restées dans la communauté (cf. Annexe 11, TV 2). Mais les sécheresses ont été la cause de grands mouvements de migration. Pour les personnes qui sont alors parties en ville chercher un travail, l'arrêt de l'élevage a été généralement définitif (cf. Annexe 34, TV 25).

6.2.4 D'AUTRES RAISONS PLUS HYPOTHÉTIQUES

D'autres éléments qui n'ont pas été mentionnés dans les enquêtes et qui n'ont pas fait l'objet d'une investigation spécifique pourraient néanmoins être approfondis ou formulés à titre d'hypothèses pour expliquer l'arrêt de l'activité d'élevage :

– Les variations des prix des produits animaux qui peuvent également faire évoluer les logiques de coûts d'opportunités et expliquer un arrêt de l'élevage pour la réalisation d'autres activités ;

– Un renforcement des échanges commerciaux avec d'autres régions d'élevage dotées de conditions plus favorables : une spécialisation des zones de production pourrait se produire (par exemple, la zone de Salinas en culture de quinoa et la zone Nord en élevage) et de ce fait ces zones pourraient se complémenter aux travers d'échanges

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(guano contre quinoa par exemple) ; – Une é volution relative des productivités du travail d'élevage défavorable par rapport aux

autres activités productives ou sources d'emploi ;– Une évolution des modes de consommation alimentaire et en particulier de produits

carnés ou encore des causes sanitaires majeures.

De plus, il faudra distinguer les raisons d'être d'un abandon de l'élevage des éléments qui permettent cet abandon, notamment l'absence de réactivité face à la chute des rendements du quinoa.

6.3 DES CHOIX ET DES PRATIQUES QUI SONT CONDITIONNÉS PAR LES CARACTÉRISTIQUES DU TERRITOIRE COMMUNAUTAIRE

La famille est plongée dans un territoire communautaire avec des caractéristiques matérielles qui lui sont propres (conditions biophysiques et aménagements), une identité plus ou moins marquée et des règles quand à l'organisation sociale des acteurs. Nous nous limiterons dans cette partie à considérer le territoire communautaire, dans lequel sont mis en oeuvre les activités d'agriculture et d'élevage, sans oublier cependant que les familles vivent dans des territoires discontinus en archipel. Le territoire communautaire conditionne les décisions des familles ce qui laisse apparaître d'importantes divergences entre les trajectoires de vies d'une communauté à l'autre. Nous présenterons ici les éléments du territoire communautaire qui ont des conséquences fortes sur les choix des pratiques des familles.

6.3.1 DES LOGIQUES DIFFÉRENTES SUIVANT LA DISPONIBILITÉ DE TERRES MÉCANISABLES

Les conditions agro-écologiques du territoire sont des éléments essentiels dans les prises de décisions de la famille. Dans les communautés qui présentent de grandes étendues de pampa (comme c'est le cas à Tolamayu ou à La Kaza), l'influence de la hausse des prix du quinoa a eu des effets beaucoup plus forts et fréquents sur les trajectoires des familles. On y rencontre en effet beaucoup plus de familles revenues cultiver la terres suite à un basculement de leur logique de coûts d'opportunité ou dans un but spéculatif. Suite aux pressions que cela a engendré sur le foncier, on y trouve également des familles qui reviennent par obligation pour ne pas perdre leur patrimoine. Au contraire, dans les communautés de montagne (comme Huanaque), étant donné les faibles disponibilités en terres mécanisables, peu de familles reviennent pour cultiver pour cette seule logique de coût d'opportunité mais beaucoup plus à cause de la création de liens particuliers au territoire : lien familiaux, alimentaires, affectifs.. Ces personnes sont en général plus âgées. Nous verrons par la suite que cela peut avoir des conséquences importantes sur les choix des pratiques notamment techniques de la famille et de ce fait sur la durabilité de l'écosystème cultivé.

A l'inverse, les migrations sont beaucoup plus importantes à Huanaque car, faute de ressources foncières dans la communauté, les jeunes doivent aller chercher d'autres opportunités de travail à l'extérieur (ceci s'étant accentué d'avantage depuis la création de la Normal).

“Los jovenes han estudiado, son profesionales, se van a Cochabamba, a Uyuni, a Santa Cruz... Otro factor es que somos estrechos. No hay suficiente terrenos.”

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Cet exode rural est assez marqué tel que le montre la baisse régulière du nombre de familles permanentes dans la communauté :

“Ahora hay 36 familias en Huanaque, el número de familias ha disminuido porque las familias han migrado. Antes en la decada de 80, había 200 personas en la comunidad. Más antes era más, había 80 hasta 100 familias permanentes.”

Au contraire dans les communautés de La Kaza et de Tolamayu, de plus en plus de familles viennent cultiver en faisant des va-et-vient entre la ville et la communauté. Les interactions spatiales et l'organisation du travail au sein des systèmes d'activités avec activités agricoles sont donc plus marquées, ce qui a des conséquences sur les décisions quant aux choix des pratiques à la fois techniques et organisationnelles.

6.3.2 L'IMPORTANCE DES AMÉNAGEMENTS DISPONIBLES DANS LA COMMUNAUTÉ DANS LES CHOIX DES FAMILLES

Nombre de départs de la communauté (avec arrêt ou non de l'agriculture) sont liés à la scolarisation des enfants. Il apparaît en effet clair que l'absence d'une école ou d'un collège dans une communauté ou à proximité (comme c'est le cas à Tolamayu) va encourager la famille à migrer et à faire évoluer leurs systèmes d'activités alors que dans les communautés comme Huanaque, l'existence du collège et de l'école permet aux familles d'organiser différemment leurs pratiques et ce pour différentes raisons : permanence dans la communauté, disponibilité de main d'oeuvre plus grande,...

6.3.3 LES RÈGLES D'ACCÈS AU FONCIER TERRITORIALISÉES

Les règles d'accès au foncier sont des éléments déterminants dans le choix des activités et des pratiques agricoles. Elles sont très variables d'une communauté à l'autre voire d'une famille à l'autre. Par exemple, certaines communautés maintiennent des systèmes de gestion communautaire assez fort. C'est le cas de Huanaque qui a toujours conservé sont système de mantos. De ce fait, la répartition des terres s'effectue encore au niveau communautaire. Bien que chaque famille doit disposer de terres dans chaque mantos et ce suivant ses besoins, il arrive que des familles n'aient pas ou très peu accès aux terres d'un manto (du fait de répartitions au cours d'un héritage). De ce fait, elle devra développer d'autres stratégies qui passent souvent par la migration et la diversification des activités.

Dans d'autres communautés les règles d'accès au foncier reposent essentiellement sur le statut de contribuyente. C'est le cas dans les communautés de La Kaza ou Tolamayu.

Il est possible de rencontrer différentes formes de successions d'une contribution : − Soit le père de famille transmet sa « contribution » à l'un de ses fils (en général le fils

cadet s'il accepte). Ce dernier peut ensuite répartir les terres entre ses frères mais il sera le seul à devoir réaliser les cargos.

– soit la « contribution » du père est divisée entre tous ses fils et chacun reçoit de ce fait des droits sur la terre et des devoirs.

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Nos enquêtes montrent que le mode de transmission apparaît comme une décision propre à chaque famille. Par contre, la création d'une nouvelle « contribution » est une décision collective. Une famille peut faire la demande de créer une nouvelle « contribution » mais cette demande ne sera acceptée qu'avec l'accord tous les autres contribuyentes de la communauté. A la Kaza comme à Tolamayu, étant donné que les terres sont toutes occupées, le nombre de contribuyentes est désormais fixé et rarement modifiable. Chaque famille possède de ce fait un nombre de contribution limité qu'elle doit gérer entre tous ses membres, ce qui génère des tensions importantes en son sein. On constate alors la formation de stratégies pour l'accès au foncier telles que des alliances ou le défrichements importants de terres comme marque d'occupation et d'appartenance (cf. étude de cas dans l'encadré et Figure 13)

6.3.4 LES DROITS DES FEMMES ET LEURS TERRITOIRES ?

Le droit d'accès aux ressources foncières des femmes est parfois très limité voir absent. Il existe en effet une règle dans les transmissions des « contributions » selon laquelle les femmes ne peuvent pas être contribuyentes. Les veuves et les mères célibataires peuvent accéder à des terres sur décision de la communauté, mais ne sont pas bénéficiaires d'une « contribution » au sens plein du terme (qui serait donc transmissible). La logique avancée est d'éviter le cumul au travers des mariages. Dans certaines communautés, ces règles ne sont pas appliquées systématiquement (à Huanaque et à la Kaza, certaines femmes possèdent en effet une contribution). Dans d'autres (Tolamayu), cette règle est bel et bien en vigueur. Les femmes célibataires et sans enfants, n'y ont reçu de leur père qu'une petite parcelle qui leur permet de contribuer à subvenir à leurs besoins alimentaires. De plus, dans la plupart des cas, elles n'ont pas eu l'opportunité d'accéder à l'éducation et de quitter la communauté et ce du fait de l'obligation d'aider leurs parents, notamment dans la surveillance des troupeaux. De ce fait, on rencontre de nombreuses femmes qui, contrairement à la dynamique communautaire (augmentation de l'agriculture en vu de la hausse des prix) maintiennent une agriculture vivrière et un peu d'élevage, l'activité d'élevage représentant la seule activité qui leur permet de mobiliser un capital en cas de nécessité (achat des produits de consommation, payement d'un médecin et de médicaments en cas de maladie). Les trajectoires de vie sont assez représentatives de ces situations (cf. Annexe 11 TV 2 ou Annexe 32 TV 23). Elles présentent en effet peu de bifurcations, une permanence dans la communauté (peu de migration), et peu d'engagement dans l'action collective. Le pouvoir de prises de décisions est très réduit voir inexistant. Ces observations conduisent à nuancer les théories relatives au principe d'équité supposément fondateur des sociétés Aymaras.

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Deux familles se divisent les terres de Tolamayu. Afin de préserver l'anonymat, on les nommera les Montaigu et les Capulet. Depuis toujours ces deux familles ont des relations plutôt difficiles. Mais cette situation s'est empirée depuis la hausse des prix de la quinoa. La famille Montaigu (cf. figure 14) traverse

en effet de profondes querelles et ce autour d'une contribution.

L'histoire a commencé quand le grand père, Zacaria, a créé quatre « contributions » afin de distribuer ses terres entre ses quatre fils (une règle prive en effet les femmes de la famille de ce droit : elles n'ont reçu que quelques brebis et un lopin de terre ce qui leur permet de survivre dans la communauté). Mais

Zacaria avait aussi élevé un fils adoptif, Wilson. A sa mort en 1999, ses fils découvrent dans son testament que la contribution de Zacaria et les dernières terres qu'il cultivait doivent revenir à son fils

adoptif, alors recueilli par son fils cadet, Benigno. Les prix du quinoa n'avaient alors jamais été aussi élevés. De ce fait, les quatre frères intensifient cette activité, voir pour certains reviennent cultiver. Il

se répartissent les terres qui restent libres. Apparaît alors une grave tension au sujet de Wilson. Certains discutent sa légitimité et refusent de lui reconnaître une contribution (un des frères Prudencio

soutient que Wilson n'est pas de la famille, il est adopté, alors que ses propres enfants n'ont pas de droit d'accès à la terre). D'autres l'appuient et respectent la volonté du grand père. La famille se divise alors,

les tensions montent.

En parallèle, la famille Capulet, plus solidaire, est agacée de voir tous ces conflits familiaux autour de l'accès à la terre et décide de couper totalement la relation avec la famille Montaigu. La communauté est

en pleine division.

Figure 13: Diagramme familiale d'une famille de Tolamayu (« les Montaigu »)

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6.4 DES PRATIQUES QUI SONT PARFOIS CONDITIONNÉES PAR LA CONSTRUCTION D'UNE CERTAIN RAPPORT AUX TERRITOIRES

« l’individu construit son identité, ses façons de voir et ses façons de faire les choses au travers de ses interactions, qui participent à donner du sens à ce qu’il dit et à ce qu’il fait » (Darré, 1995)

Chaque individu est amené à construire un rapport particulier avec le territoire de sa communauté. Cette vision (ou ces visions) du territoire peuvent dans certains cas influencer le choix des pratiques notamment agricoles mises en place par la famille. Comme le souligne J.C. ABRIC, la représentation (ou la vision) apparaît comme « un ensemble organisé d'opinions, d'attitudes, de croyances et d'informations se référant à un objet ou à une situation » (in. JODELET, 1989). De ce fait, les représentations « nous guident dans la façon de nommer et définir les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et le cas échéant, prendre une position à leur égard et à la défendre » (JODELET, 1989). Les représentations influent de ce fait sur les actes et les décisions (BOUDOKHANE, 2006).

A.S. ROBIN et J. PARNAUDEAU (2006) ont ainsi pu établir des relations entre des formes de logiques familiales, les pratiques agricoles et la vision que les familles ont de leur territoire. La famille peut avoir différentes formes de liens à son territoire qui peuvent rentrer en synergie ou en opposition ce qui a des conséquences sur le choix des pratiques d'une part et sur des divergences entre le discours et la pratique d'autre part. Enfin, la vision du territoire est quelque chose qui est en constante évolution du fait notamment des changements rapides de l'environnement socio-économique.

De ce fait, la compréhension des relations qui lient la famille à sa communauté peut parfois permettre d'interpréter l'origine d'une bifurcation et des changements de pratiques agricoles. Étant donné que le rapport au territoire est quelque chose de subjectif et propre à chacun, il ne nous est seulement possible de proposer des hypothèses quant aux relations qui lient les rapports au territoire et les changements de pratiques et ce en nous appuyant sur des éléments du discours et des observations. Cela fera l'objet de cette dernière partie.

6.4.1 LES LIENS FONCIERS

Nous avons présenté le cas de personnes qui suite à l'ouverture du marché du quinoa reviennent cultiver ou intensifient l'activité cette suivant des logiques de coût d'opportunité. La famille affecte alors une valeur spéculative au territoire communautaire ce qui la conduira à mettre en place des pratiques afin de dégager un maximum de profit (avec les moyens dont elle dispose). Elle opte donc pour des pratiques tels que le défrichement important des terres de pampa ce qui est accompagné par une mécanisation des pratiques (labour et semis), un recours fréquent à des salariés agricoles (peones) pour la récolte ainsi que peu ou pas de fertilisation (afin de minimiser les coûts intermédiaires). Ce rapport peut être plus ou moins fort suivant les familles qui reviennent et leurs objectifs (culture de quinoa comme revenu principal ou secondaire).

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Les liens au territoire peuvent être également de nature patrimoniale. Une personne revient cultiver pour ne pas perdre ses terres. L'activité de culture de quinoa peut alors passer au second plan dans ses priorités (ordre d'importance donnée entre les activités de la famille). La famille aura de ce fait plutôt tendance à ne pas accorder beaucoup de temps à l'agriculture et à déléguer les travaux agricoles aux mains d'autre personnes : emploi d'un tractoriste pour le semis et le labour, contrôle des adventices et des ravageurs délégué à un membre de la famille.

Parfois, le lien à la communauté est obligatoire. C'est le cas par exemple des femmes seules qui ne subsistent que par le biais de l'agriculture et de l'élevage. Le territoire est alors perçu comme « la source du maintien de la famille » (PARNAUDEAU, 2006).

6.4.2 DES LIENS DANS L'ENGAGEMENT COLLECTIF

Les engagements dans le collectif vont souvent de pair avec d'autres visions du territoire. Par exemple, une personne qui revient cultiver le quinoa dans un but purement spéculatif et ce en plus d'autres activités estimées prioritaires en ville aura plutôt tendance à ne pas ou peu s'engager dans l'action collective de la communauté, c'est à dire à faire le strict minimum pour ne pas perdre ses droits (engagement minimal pour ne pas être « passager clandestin »).

“No quiero ser contribuyente, no quiero cargo. No me interesa. Yo tengo plano de irme a trabajar a Brasil o Argentina. Ahora el precio de la quinoa esta alto entonces voy a cultivar. ”

D'autres au contraire font preuve d'un engagement fort au sein de leur communauté. Parmi eux, il est fréquent de retrouver les personnes qui reviennent cultiver et qui placent cette activité comme prioritaire par rapport à leurs autres activités (revenu principal ou en phase de le devenir). Elles sont en effet amenées à « refaire leur place » dans la communauté afin de gagner ou/et pérenniser leurs droits sur le foncier. Ces personnes sont donc présentes aux réunions et très attentives et actives par rapport aux nouveaux projets de la communauté (notamment pour l'établissement des nouvelles normes communautaires), elles assument l'ensemble de leurs cargos. Dans le discours, elles intègrent le plus souvent un discours porté au niveau communautaire sur les bienfaits de l'agriculture organique, le respect de la biodiversité et de l'écosystème cultivé grâce à de bonnes pratiques. Il semble cependant que dans la pratique, elles ne le mettent pas toujours en application (tensions entre une relation fondée dans l'engagement collectif et une vision spéculative). Au cours de la restitution dans la communauté de la La Kaza, on peut interpréter certaines situations par ces formes de rapport au territoire notamment lorsque à la question « qui sont ceux qui sont revenus cultiver après un moment d'absence ? », l'ensemble des personnes, même celles avec qui j'avais longuement discuté et qui m'avaient confirmé le fait qu'elles aient une trajectoire de type 3, se disent devant l'assemblée « permanents » ou s'exclament « non, on a jamais arrêté, on était toujours là ! ». L'engagement est porteur d'identité, d'un statut dans le collectif. De ce fait, le désengagement produit une exclusion.

Certaines personnes témoignent d'un engagement fort dans l'action collective et ce du fait de liens affectifs ou identitaires avec leur communauté. Des familles perçoivent la communauté comme le berceau d'une culture, de leurs racines. Il faut donc la préserver et la protéger. Elles feront de ce fait preuve d'une implication forte dans le développement de la communauté et participeront activement aux réunions et à l'entretien du patrimoine communautaire (restauration du mirador à Huanaque, construction d'un musée...). C'est le cas de « migrants »

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qui reviennent suite à une formation supérieure ou une fois à la retraite pour faire profiter la communauté des compétences qu'elles ont acquises durant leur carrière (par exemple un ingénieur agronome, quelqu'un qui a acquis des compétences en organisation administrative, un professeur... ).

« Yo siempre me recuerdo este saqueo cultural que tenía. Venían instituciones publicas, privadas. Así que voy ahá para orientar. Pero no trabajo solo en mi comunidad si no que en otras comunidades de Salinas en el sector de San Martin, de Chalacota »

« Directamente, me fui a trabajar a Huanaque. Una grande suerte! Profesor en mi comunidad! »

Pour certains, le territoire communautaire est alors perçu comme un espace agréable, convivial et tranquille qui les pousse à revenir (retraités à Huanaque).

6.4.3 DES LIENS FAMILIAUX

Nous l'avons présenté ultérieurement, certaines personnes sont liées à leur communauté par des liens familiaux forts. Ceci les pousse à maintenir une relation avec la communauté, à participer aux événements festifs et à rester attentifs aux besoins à la fois de leurs parents et des autres comunarios. Ces situations peuvent entraîner parfois les personnes à revenir vivre dans la communauté et reprendre les activités d'agriculture et d'élevage (valeur patrimoniale donnée à l'espace communautaire).

“No soy indiferente, siempre voy a ver que están haciendo allá, que son los problemas allá, como están allá, al nombre de mis padres”.

6.4.4 LES LIENS « ALIMENTAIRES »

Aujourd'hui encore, des personnes cultivent le quinoa quasi exclusivement pour l'autoconsommation. Bien qu'en général, ce soit plutôt par nécessité que par volonté (par exemple pour les femmes célibataires sans enfants qui n'ont pas eu accès à la terre), certaines personnes viennent cultiver en plus d'une activité salariale (c'est par exemple le cas des retraités). Se crée donc un lien alimentaire. Le territoire est perçu comme « une source d'aliments sains » (PARNAUDEAU, 2006). Ceci va se répercuter sur les pratiques car la famille aura de ce fait tendance à cultiver de petites surfaces, avec peu ou pas d'utilisation d'insecticides.

6.4.5 UNE CONCEPTION DU TERRITOIRE QUI PEUT ÉVOLUER ET SE RÉPERCUTER SUR LES PRATIQUES

Dans un environnement aussi dynamique que celui de l'Intersalar, les rapports au territoire peuvent également évoluer ce qui aura des répercussions sur le choix des pratiques. Par exemple, bien qu'à la base certaines personnes reviennent cultiver pour diverses raisons qui ne sont pas directement liées à la hausse rapide des prix agricoles (familiale, risques de perdre ses terrains, assumer un cargo dans la communauté, logiques d'interactions spatiales entre activités, construction d'un rapport nouveau au territoire...), une prise de conscience des possibilités et de l'enjeu économique autour du quinoa peut parfois s'opérer et conduire à des

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changements dans la conception du territoire. Prenons par exemple la cas d'une personne qui, suite à un décès, revient dans sa communauté dans les années 90 après 15 ans d'absence et ce afin de s'occuper de ses parents et de se enfants (cf. Annexe 11 TV 4). Dans un premier temps, elle revient contrainte afin d'assumer ses responsabilités auprès de sa famille. Elle n'a jamais attaché plus d'importance à l'agriculture et n'a jamais aimé vivre dans la zone rurale.

« Yo estaba por Santa Cruz, mi hijita nació allí. Me lo he traído aquí con mi mama, les dejaba a ellos. Tenía una hermana mayor que estaba con mi mama. Cuando yo vino en 92, fallecida mi hermana y de esta manera me ha quedado. Hasta ahora, estoy en el campo. »

Mais rapidement, elle prend conscience que la situation a bien changé. Les prix du quinoa ont fortement augmenté, la culture est désormais mécanisable. De ce fait sa conception du territoire va évoluer. Avant elle percevait le monde rurale comme une zone sans intérêt où le travail était pénible, et la nourriture peu variée ; maintenant il y a beaucoup de profit à faire en cultivant la quinoa (vision opportuniste et spéculative). Elle reste donc dans la communauté et s'investit dans l'activité agricole.

“comunario : -Antes la quinua no costaba mucho como ahora.

SC :- pero le gusta cultivar ?

Comunario: -claro púes, quiero tener dinero entonces me gusta!

SC: -Pero le gusta vivir en el campo?

Comunario: No me ha gustaba, antes no sabía quedarme así. Una semana, dos semana, ya volaba. Pero ahora no, meses estoy.”

Elle adapte de ce fait ses pratiques : défrichement, passage au labour et au semis mécanisé. Elle va également changer ses habitudes alimentaires. D'un lien « alimentaire » à la communauté elle passe à un lien plus « spéculatif ».

“comunario: - harto ha cambiado. Antes la gente pobre comían puro chuños, quinua y la gente rica comían arroz y fideos. Pero ahora es diferente, ha cambiado. Ahora la gente rica come chuño y la quinua. La gente pobre come el fideo y el arroz. No te parece que la cosa ha cambiado mucho no ve ? Antes comíamos puro chuño, chuño y quinua. Nosotros no queríamos comer el chuño y la quinua, queríamos comer el arroz y el fideo pero queremos comer el chuño y la quinua pero no hay chuño, no hay quinua cuesta carro.

SC: - porque ahora no comen quinua ? Venden todo?

comunario: - Todo vendemos.

SC: - Usted no guarda nada para su consumo ?

comunario: - No, nada.”

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Conclusion partielle :

L'étude des trajectoires nous permet de mettre en évidence que la reprise et l'abandon d'une activité, mais également la façon dont celle-ci est mise en oeuvre, (en l'occurrence agriculture ou élevage) a diverses explications qui peuvent soit être mises en relation au contexte supra communautaire (évolution des prix, évolution du marché du travail, accès à l'éducation, aléas climatiques, etc. ), soit au contexte communautaire (conditions agro écologiques, pression sur le foncier, réalisation de cargos, règle d'accès au foncier, droits des femmes, etc.) mais aussi à des éléments endogènes à la famille (évolution de la main d'oeuvre familiale, héritage, mariage, accident de santé, acquisition d'une nouvelle compétence, etc.). Ainsi, la décision et sa mise en pratique semblent être l'expression d'une combinaison de logiques diverses, parfois convergentes, parfois contradictoires : les choix sont le résultat d'un faisceau d'explications mises en tension. La famille est donc amenée à reconsidérer son système d'activités, à le modifier ou à l'adapter suivant différentes logiques et priorités ordonnées majeures qui l'ont poussé à le faire :

− logique de coût d'opportunité (retour à l'activité agricole suite à la hausse des prix du quinoa par exemple) ;

– logique d'interactions entre activités, au niveau spatial (arrêt de l'élevage suite à une migration en ville pour l'éducation des enfants) ou dans l'organisation du travail (arrêt de l'élevage suite au départ des enfants ou à la vieillesse) ;

– construction d'un rapport au territoire : vision spéculative (culture du quinoa pour faire un bon « placement »), liens familiaux (retour à l'agriculture et l'élevage pour s'occuper de ses parents âgés), lien affectif (la communauté est perçue comme un lieu sûr et convivial), lien alimentaire (le territoire est source de bonne alimentation).

– la construction d'un vision nouvelle du métier d'agriculteur (valorisation de l'agriculture par rapport à d'autres secteurs d'activités).

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Les limites de l'étude

Cette étude présente des limites que nous expliciterons ici :

• Tout d'abord, l'évolution des systèmes d'activités n'a pas été repérée grâce à des variables de changement, ce qui aurait permis de réaliser une typologie afin de déterminer dans quel type de changements et avec quelle intensité le système d'activité est engagé. De ce fait, il n'est pas possible d'appréhender la dynamique contemporaine de l'agriculture et de l'élevage dans la zone.

• Les trajectoires de vie ont été reconstituées à l'échelle de la famille mais elles n'ont pas été situées dans le temps historique. De ce fait, elles ne rendent pas compte de leurs places dans les changements techniques et sociaux, dans les ruptures historiques et dans la régularité de leur déroulement. On ne saisit donc pas en quoi ces trajectoires sont représentatives ou non des grands mouvements de l'histoire.

• L'étude des trajectoires, exigeante en temps d'enquête, d'analyse et de traitement ne permet pas d'en réaliser un grand nombre ce qui limite la capacité à établir la représentativité de trajectoires.

• Ce même nombre limité ne permet pas de reconstruire par comparaison l'évolution de la répartition sociale et spatiale dans différents types de systèmes d'activités.

• L'analyse en terme de stratégie reconstruite ex-post ne permet pas d'établir dans quelles mesures les trajectoires identifiées résultent d'un projet formalisé pour une logique pluri-annuelle explicitée au sein de la famille.

• Dans la plupart des cas, une seule personne a été enquêtée par famille ce qui limite les possibilités de croisement de l'information et ne permet pas d'expliciter précisément le rôle joué par chacun des membres dans l'organisation du travail et la prise de décision.

• Des courbes d'évolution des prix agricoles et des prix relatifs de la main d'oeuvre auraient du accompagner l'argumentaire de cette étude. Néanmoins nous avons tenter de les chercher tout au long du stage mais sans succès.

• Enfin, il faut souligner l'absence de neutralité dans l'analyse des trajectoires de vie. Le fait de procéder par récit de vie implique une part de subjectivité dans l'interprétation que la personne qui enquête fait du discours de son interlocuteur. La vision présentée ici est la mienne, femme, âgée de 25 ans, célibataire, sans enfants, ce qui a pu parfois me conduire à interpréter certains éléments du discours en mobilisant un référentiel d'expériences qui m'est propre, ou à me projeter pour comprendre des événements familiaux que je n'ai pas encore vécu. Cette absence de neutralité m'a semblé néanmoins être dans certains cas un atout car les divergences de points de vue peuvent induire de nombreuses questions qui peuvent surprendre et contribuer à expliciter l'intention de la personne enquêtée.

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Conclusion

En quoi l'étude des trajectoires de vie contribue à la compréhension des choix, des pratiques agricoles et des stratégies des familles ?

Il a été possible dans un premier temps d'observer que la vie d'une famille est composée de phases plutôt « stables » suivies de phases de changements importants (ou bifurcations) qui accompagnent souvent le passage d'une étape du cycle de vie à une autre. Les bifurcations réalisées par une famille n'ont pas les même caractéristiques suivant les générations et ce du fait des nouvelles opportunités liées à l'évolution rapide du contexte socio économique. La hausse du prix du quinoa couplée à la mécanisation a par exemple ouvert de nouvelles perspectives dans l'activité agricole, incitant de ce fait de nombreuses familles à intensifier ou à revenir cultiver suivant une logique de coût d'opportunité. De même, les nouvelles possibilités d'accès à l'éducation génèrent de nouvelles formes de rupture liées à la scolarisation des enfants. Cependant, dans tous les cas, les bifurcations se veulent révélatrices de différentes formes de stratégies et de logiques qui conditionnent les choix des pratiques (notamment agricoles) de la famille.

La forme de la bifurcation (rapide ou lente) peut mettre en reliefs des stratégies de gestion des risques. En effet, un changement progressif de pratiques agricoles (et donc une bifurcation plutôt lente) pourra traduire une minimisation de la prise de risques par la famille qui n'engagera pas toutes ses ressources dans la mise en place d'une nouvelle activité ou d'une nouvelle pratique agricole. Ceci lui permet de garder une marge de manoeuvre en cas d'échec. De plus, la mise en place d'une nouvelle pratique s'accompagne souvent de phases de maturation (ou d'apprentissage) au cours desquelles la famille prend connaissance et prépare la mise en place de nouvelles pratiques. Ce rapport au changement technique est conditionnée par le réseau socio-technique dans lequel s'insère la famille (environnement institutionnel, présence d'ONG, adhésion à un groupement de producteurs ou à une coopérative...). Les premiers résultats technico-économiques obtenus suite à la mise en place d'une nouvelle pratique semblent également primordiaux pour comprendre la décision de la famille de l'adopter ou non.

La capacité de la famille à modifier ses pratiques ou son rapport à la prise de risques sont fortement conditionnés par les ressources dont elle dispose ainsi que par l'ensemble des interactions entre ses différentes activités. Ces interactions peuvent être de natures très diverses ( « produits », « ressources », « patrimoniales », « spatiales », temporelles »). La compréhension du fonctionnement du système d'activités permet de mettre en valeur les relations les plus déterminantes pour les choix de pratiques mises en place au cours de la bifurcation. C'est par exemple le cas des relations concurrentielles sur le travail ou sur l'espace qui peuvent fréquemment entraîner les familles à modifier ou à adapter leurs pratiques à la fois techniques et organisationnelles.

Enfin, les territoires et notamment le territoire communautaire ont une influence importante sur les choix des pratiques des familles de part les possibilités qu'il offre en terme de ressources, d'organisation sociale et de règles et coutumes qui font son identité. De ce fait, chaque personne est amenée à construire une vision de son territoire, représentation qui dans certains cas peut venir influencer le choix des pratiques agricoles et rentrer en synergie ou en

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opposition avec d'autre formes de logiques.

Ce travail de nature éminemment exploratoire dans l'étude des trajectoires de vie des familles de la zone Intersalar (Bolivie) constitue une tentative pour examiner les changements de pratiques agricoles dans une perspective diachronique. Il s'inscrit dans une proposition de cadrage conceptuel et méthodologique qui pourrait s'avérer complémentaire aux analyses diagnostic des systèmes de production tels qu'enseignées dans mon école. Ces éléments restent bien entendu à affiner et à tester dans d'autres dynamiques agraires pour en évaluer la capacité d'apport à la compréhension des logiques paysannes.

Cette étude souligne la diversité des territoires communautaires. Même si des éléments mettent en valeur différentes dynamiques suivant les communautés (au travers notamment des trajectoires des familles), une étude plus approfondie pourrait être réalisée afin de montrer le caractère territorialisé des trajectoires de vie.

Par ailleurs, la reconnaissance des phases et des bifurcations techniques qui maillent le déroulement d'une trajectoire de vie pourrait consolider l'appareillage méthodologique dont disposent les agents du développement dans l'accompagnement de porteurs de projets, qu'il s'agisse d'installation en agriculture, de développement d'une nouvelle orientation productive, d'une diversification des activités ou même d'une initiative collective (atelier de transformation en coopérative, entreprise de commercialisation associative, etc.). Ceci contribuerait au balisage des étapes du projet afin d'en anticiper les différentes phases et possibilités d'évolution dans le cadre d'un dialogue entre l'agent de développement et le porteur du projet.

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Tables des figures et des tableaux Figure 1: Localisation de la zone d'étude (carte A.S. Robin et J. Parnaudeau, 2006).............. 3Figure 2: Grands ensembles géologiques et sols associés (source: D. Felix, 2004)................... 4Figure 3: Cadre théorique de la méthode utilisée....................................................................38Figure 4: Localisation des communautés étudiées dans la zone Intersalar (d'après AS. ROBIN, 2006)......................................................................................................................................... 39Figure 5: Évolution de l'occupation de l'espace dans la communauté de Tolamayu ............... 42Figure 6: Organisation du territoire dans la communauté de Huanaque...................................43Figure 7: Evolution de la gestion des troupeaux de lamas (Huanaque)....................................44Tableau 1:Caractéristiques des communautés étudiées............................................................ 47Figure 8: Représentation de la trajectoire de vie.......................................................................48Figure 9: Transfert de capitaux et emboitement des trajectoires entre différentes générations53Figure 10: Trajectoire de vie et éléments déterminants dans le choix des activités................ 58Figure 11: Evolution des pratiques agricoles au cours de la trajectoire de vie......................... 58Figure 12: Schémas évolutifs de fonctionnement du système d'activité lors d'une phase de bifurcation (d'après BATHFIELD, 2007)................................................................................. 67Figure 13: Diagramme familiale d'une famille de Tolamayu (« les Montaigu »)..................78

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LISTE DES ABRÉVIATION ET SYMBOLES

ANAPQUI : Association Nationale de Producteurs de Quinoa

APROQUIGAN : Association de Producteurs de Quinoa et d’Eleveurs (régionale d’ANAPQUI pour la province Daniel Campos)

AVSF: Agronomes et Véterinaires Sans Frontières ou VSF-CICDA: Vétérinaires Sans Frontières – Centre Internationale de Coopération pour le Développement Agricole

Bs : bolivien, monnaie officielle de la Bolivie (1€ = 10bs au 1 octobre 2004)

EQUECO (programme): émergence de la quinoa dans le commerce mondial

SA: Système d’activités

SC : système de culture

SE : système d’élevage

SP: Système de Production

TV : Trajectoire de vie

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Table des matièresSommaire.................................................................................................................................... 5Remerciements............................................................................................................................7Avant-propos...............................................................................................................................9Glossaire....................................................................................................................................11Introduction................................................................................................................................. 1 1 Description de la zone Intersalar............................................................................................3

1.1 Localisation de la zone Intersalar....................................................................................3 1.2 Une zone enclavée et à « hauts risques » pour l'occupation humaine.............................4

1.2.1 Des reliefs et des sols très variés ........................................................................4 1.2.2 Des conditions climatiques difficiles.................................................................. 5 1.2.3 Des aménagements encore fragiles .................................................................... 7

1.3 Un territoire avec une identité forte................................................................................ 7 1.3.1 Mode de vie des populations Aymaras............................................................... 8Un système agraire Aymara raisonné et adapté aux conditions du milieu................... 8Des populations fondamentalement migratrices et pluriactives................................... 9 1.3.2 UNE ORGANISATION SOCIALE BASÉE SUR UN DOUBLE SYSTÈME ORIGINAIRE ET POLITICO ADMINISTRATIF...................................................... 9 1.3.3 Des formes de gestion traditionnelle du territoire: le système de mantas.........11

1.4 Un environnement social et économique en pleine mutation.......................................11 1.4.1 Le « boom » de la quinoa et la monétarisation des échanges........................... 11 1.4.2 De la mécanisation des pratiques à la réorganisation de l'espace productif..... 12 1.4.3 Le développement du tourisme.........................................................................13 1.4.4 L'éducation pour tous........................................................................................13 1.4.5 L'exploitation des ressources naturelles: les mines...........................................14

2 Construction de la méthodologie.......................................................................................... 17 2.1 La prise en compte des trajectoires de vie: les antécédents de la recherche................ 17

2.1.1 Enrichir les apports de l'analyse-diagnostic......................................................17La reconnaissance de différentes formes de rationalités.............................................17Une prise en compte plus importante des interactions entre activités agricoles et non agricoles...................................................................................................................... 17Du territoire à des territoires....................................................................................... 18 2.1.2 Vers une approche dynamique des systèmes d'activités................................... 18Du concept de système de production au concept de système d'activités..................18Les limites du diagnostic des systèmes d'activités......................................................20Le choix de s'intéresser aux trajectoires de vie...........................................................20L'émergence de « trajectoires techniques »................................................................ 21 2.1.3 Compréhension du fonctionnement des systèmes d'activités........................... 22Les cinq grandes familles de capitaux........................................................................ 22Différentes formes d'interactions entre les activités................................................... 23

2.2 Problématique, questions de départ et hypothèses........................................................ 25 2.2.1 De la problématique aux questions de départ................................................... 25 2.2.2 Pourquoi considérer les trajectoires de vie? Hypothèses.................................. 26

2.3 Méthodologie d'enquêtes et traitement de l'information............................................... 28 2.3.1 Des choix décisifs dans la méthodologie.......................................................... 28Le choix raisonné des communautés étudiées........................................................... 28La sélection des familles enquêtées suivant la typologie de trajectoires.................... 28

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Des récits de vies complémentés d'observations in situ..............................................29La réalisation de diagramme de parenté..................................................................... 29La réalisation d'enquêtes dans les communautés et dans les villes.............................29Le choix d'enregistrer les enquêtes............................................................................. 30Des restitutions dans les communautés suivies d'une séance de travail sur le mode participatif................................................................................................................... 30 2.3.2 Les limites de la retranscription et la construction de grilles d'analyse............31La décomposition de la trajectoire en différents champs lexicaux............................ 31La prise en compte du « territoire » et de l'environnement social et économique de la famille......................................................................................................................... 32« Mode d'emploi » de la grille d'analyse.....................................................................32

2.4 De l'étude des pratiques a la compréhension des stratégies familiales..........................33 2.4.1 Description des pratiques pendant les phases de « stabilité »...........................33Définition d'une pratique et différenciation de différents niveaux de pratiques.........33Description des systèmes de culture et d'élevage....................................................... 34 2.4.2 Les phases de bifurcation sont des moments explicatifs pour des choix.......... 34 2.4.3 Analyse des changements de pratiques lors des phases de bifurcation........... 35Évolution des pratiques agricoles et définition de critères de rupture........................ 35Analyse des zones de ruptures.................................................................................... 36Compréhension des stratégies des familles.................................................................37

2.5 Schéma récapitulatif de la méthodologie...................................................................... 37 3 Des communautés d'études à la reconstitution des trajectoires de vie................................. 39

3.1 Descriptif des communautés étudiées........................................................................... 39 3.1.1 Localisation et conditions agro-écologiques.....................................................39 3.1.2 Des dynamiques agricoles très variables d'une communauté à l'autre..............41Une diminution de l'élevage et le développement important de la culture mécanisée dans les communautés de pampa................................................................................ 41Le maintien de l'élevage et de la culture manuelle de quinoa dans les communautés de montagne ............................................................................................................... 43 3.1.3 Des possibilités de travail et de formation variables suivant les communauté44Huanaque, une communauté sous l'influence du Chili ............................................. 45Tolamayu et La Kaza plutôt tournées vers Salinas, Challapata et Oruro................... 45

3.2 Reconstitution des trajectoires de vie des familles et repérage des bifurcations...........49 3.2.1 Matériel d'enquêtes .......................................................................................... 49 3.2.2 Présentation d'une trajectoire de vie................................................................. 49

4 Fréquence, rythmicité et formes des bifurcations................................................................. 51 4.1 Continuité et discontinuité dans les trajectoires de vie................................................. 51

4.1.1 Fréquence et rythmicité des bifurcations.......................................................... 51 4.1.2 Des bifurcations « générationnelles »............................................................... 51 4.1.3 Des trajectoires « emboîtées » d'une générations à l'autre................................52

4.2 Formes des bifurcations et stratégies de gestion des risques.........................................53 4.2.1 Bifurcations en étapes et minimisation de la prise de risques ........................ 54 4.2.2 Temps de maturation avant la mise en place d'un nouveau projet et minimisation de la prise de risque.............................................................................. 55 4.2.3 Prise de risque importante lors de bifurcations rapides .................................. 56

4.3 Adoption, appropriation et utilisation d'une nouvelle pratique..................................... 56 4.3.1 Phases d'essais et adoption de nouvelles pratiques........................................... 56 4.3.2 Diffusion des nouvelles pratiques agricoles au cours du temps....................... 57

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4.3.3 Phase d'apprentissage et appropriation d'une nouvelle pratique....................... 59 4.3.4 Influence des instances techniques (projets de développement).......................59

5 Interactions entres activités et conséquences sur les pratiques techniques et organisationnelles......................................................................................................................61

5.1 Diverses natures d'interactions au sein du système d'activité ...................................... 61 5.1.1 Des interactions « produits ».............................................................................61 5.1.2 Des interactions « ressources »......................................................................... 62 Des interactions « capital humain »........................................................................... 62 Des interactions « capital physique » ........................................................................62 Des interactions « capital naturel »............................................................................63Des interactions « capital financier » .........................................................................63 Des interactions « capital social »..............................................................................63 5.1.3 Des interactions « patrimoniales »....................................................................64 5.1.4 Des interactions spatiales..................................................................................64 5.1.5 Des interactions temporelles............................................................................. 64

5.2 Combination d'interactions et changement de pratiques .............................................. 64 5.2.1 Mode de lecture de la représentation................................................................ 65 5.2.2 Présentation d'une étude de cas.........................................................................65

6 Pluralité et hiérarchisation des causes du changement de pratiques..................................... 69 6.1 Les raisons du retour à l'activité agricole...................................................................... 69

6.1.1 La hausse du prix du quinoa............................................................................. 69 6.1.2 Des événements endogènes à la famille............................................................70 6.1.3 Le maintien d'un capital naturel ou social.........................................................71 6.1.4 La reconnaissance d'une qualité de vie meilleure dans la communauté que en ville............................................................................................................................. 72

6.2 Les raisons de l'arrêt de l'élevage ................................................................................. 72 6.2.1 Les exigences du travail d'élevage....................................................................72 6.2.2 Une réduction de la main d'oeuvre familiale.................................................... 73 6.2.3 Les aléas climatiques........................................................................................ 74 6.2.4 D'autres raisons plus hypothétiques.................................................................. 74

6.3 Des choix et des pratiques qui sont conditionnés par les caractéristiques du territoire communautaire .................................................................................................................... 75

6.3.1 Des logiques différentes suivant la disponibilité de terres mécanisables......... 75 6.3.2 L'importance des aménagements disponibles dans la communauté dans les choix des familles....................................................................................................... 76 6.3.3 Les règles d'accès au foncier territorialisées.....................................................76 6.3.4 Les droits des femmes et leurs territoires ?.......................................................77

6.4 Des pratiques qui sont parfois conditionnées par la construction d'une certain rapport aux territoires........................................................................................................................79

6.4.1 Les liens fonciers ............................................................................................. 79 6.4.2 Des liens dans l'engagement collectif .............................................................. 80 6.4.3 Des liens familiaux........................................................................................... 81 6.4.4 Les liens « alimentaires »..................................................................................81 6.4.5 Une conception du territoire qui peut évoluer et se répercuter sur les pratiques.....................................................................................................................................81

Les limites de l'étude.................................................................................................................84Conclusion................................................................................................................................ 85Références bibliographiques.................................................................................................... 87

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Liste des abréviation et symboles........................................................................................... 136Abstract................................................................................................................................... 141Résumé....................................................................................................................................142

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ABSTRACT

The Intersalar zone is characterized by extremely extreme climatic conditions which limit the possibilities of diversification of the products from the quinoa culture and from the breeding of lama and sheep. It is also a territory with a strong identity where the Aymaras people preserved their organization and their culture along centuries. In particular they set up a logical agrarian system based on a balance between agriculture and breeding as well as strategies of minimizing risks caused by immigration and multiactivities.

Nevertheless, for about thirty years, deep changes have disturbed the fragile balance of this ecosystem. The opening of the quinoa market coupled with mechanization as well as the new possibilities of access to education pushed the families to deploy new strategies and to modify their agricultural methods. The durability of agriculture is threatened today.

This study contributes to the comprehension of the “new” strategies of families in order to appreciate changes in technical and organisational practices especially at the agricultural level. The study is based on an analysis of the life trajectory of families and especially on the junction phases which mark the various stages of the family life cycle. During a junction a family is brought to modify its system of activities and its practices. The analysis of the junction then allows revealing various forms of strategies (behaviour facing risk management, phase of training or interactions between activities) which condition the decision making of families concerning their practices. In addition a relationship with the territory is evaluated. This relationship is in agreement or in opposition with the other forms of family logics. It also leads to influence the practices or to explain discordances between speech and acts.

Keywords:

Bolivia, quinoa, life trajectories, practices, activity systems, life strategies, junctions

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RÉSUMÉ

La zone Intersalar est caractérisée par des conditions climatiques extrêmement rigoureuses et aléatoires qui limitent les possibilités de diversification des produits à la culture du quinoa et à l'élevage de lamas et d'ovins. C'est également un territoire avec une identité forte où les peuples Aymaras ont préservé leur organisation et leur culture au cours des siècles. Il y ont notamment mis en place un système agraire basé sur un équilibre entre agriculture et élevage ainsi que des stratégies de minimisation des risques fondées sur la migration et la pluriactivité.

Néanmoins, depuis une trentaine d'années, de profonds bouleversements viennent perturber l'équilibre fragile de cet écosystème. L'ouverture du marché de la quinoa couplée à la mécanisation ainsi que les nouvelles possibilités d'accès à l'éducation ont poussé les familles a déployer de nouvelles formes de stratégies et à modifier leurs pratiques agricoles. La durabilité de l'agriculture est aujourd'hui menacée.

Cette étude contribue à la compréhension des « nouvelles » stratégies des familles afin d'apprécier les changements de pratiques techniques et organisationnelles notamment au niveau agricole. Elle s'appuie pour cela sur une analyse des trajectoires de vie des familles et plus particulièrement sur les phases de bifurcations qui marquent les différentes étapes du cycle de vie familial. Au cours d'une bifurcation la famille est amenée à modifier son système d'activités ainsi que ses pratiques. L'analyse des bifurcations permet alors de révéler différentes formes de stratégies (rapport à la gestion des risque, phase d'apprentissage ou logiques d'interactions entre activités) qui conditionnent la prise de décision des familles quant à leurs pratiques. S'ajoute à cela la construction d'un rapport au territoire qui vient entrer en synergie ou en opposition avec les autres formes de logiques familiales et qui peut venir influencer les pratiques ou expliquer des discordances entre le discours et la pratique.

Mots clés :

Bolivie, quinoa, trajectoires de vie, bifurcations, pratiques, systèmes d'activités, stratégies de vie