Palestine n°62

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TRIMESTRIEL N°62 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130 palestine BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624 Gaza Parkour Team À Gaza, des jeunes investissent les décombres des bombardements israéliens pour en faire un terrain de jeu. Discipline internationale reconnue, le « Parkour » consiste à s’exercer à la pratique du déplacement libre, de l’acrobatie et de la voltige dans tous types de milieux. Un air de liberté à Gaza dans les ruines provoquées par les attaques successives israéliennes. L’occupation israélienne n’est pas un jeu, le blocus de Gaza est une réalité vécue quotidiennement par 1,8 million de Palestiniens. Les clichés de Mohammed Salem mettent en avant le contraste entre envies de vivre librement de la jeunesse et environnements dévastés. SOMMAIRE DOSSIER SPÉCIAL FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE > 3 Destructions en zone C > 12 Colonisation sous Netanyahou > 14 Soulèvements à Jérusalem-Est > 16 © Mohammed Salem

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Trimestriel de l'Association Belgo-Palestinienne octobre-novembre-décembre 2014

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TRIMESTRIEL N°62 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130

palestineBULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL

Belgique/BelgiëP.P.

Bruxelles X1/1624

Gaza Parkour TeamÀ Gaza, des jeunes investissent les décombres des bombardements israéliens pour en faire un terrain de jeu. Discipline internationale reconnue, le « Parkour » consiste à s’exercer à la pratique du déplacement libre, de l’acrobatie et de la voltige dans tous types de milieux. Un air de liberté à Gaza dans les ruines provoquées par les attaques successives israéliennes. L’occupation israélienne n’est pas un jeu, le blocus de Gaza est une réalité vécue quotidiennement par 1,8 million de Palestiniens.

Les clichés de Mohammed Salem mettent en avant le contraste entre envies de vivre librement de la jeunesse et environnements dévastés.

SOMMAIREDOSSIER SPÉCIAL FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE > 3Destructions en zone C > 12Colonisation sous Netanyahou > 14Soulèvements à Jérusalem-Est > 16

©Mohammed Salem

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Entendu lors d’une rencontre de la Coordination européennedes comités de soutien à la Palestine (ECCP) avec de hautsresponsables de la Commission européenne, en ce début d’oc-tobre : « Cet été, les intentions d’Israël étaient pures mais elles ontabouti à un bilan effroyable. 2154 Palestiniens tués dont une majoritéde civils, nous ne pouvons l’accepter. Le Hamas s’est lancé danscette guerre car il n’avait plus d’autre choix ; ses alliés égyptiens ayantété renversés par le général Al-Sissi, le blocus faisait des ravagesdans les rangs de la population qui appelait de ses vœux le retour de l’Autorité palestinienne… Ils ont donc utilisé leurs roquettes avecl’intention de massacrer des civils israéliens, mais sans y parvenir vu l’imprécision du tir de ces armes et le système bien au point deprotection israélien (4 civils tués). » Et de conclure « un État a l’obli-gation de protéger ses citoyens. Israël n’a fait que son devoir. Israëla, en outre, régulièrement informé les civils palestiniens de Gaza deses bombardements, pour qu’ils puissent s’enfuir » !

Aujourd’hui que les armes se sont tues, selon ces mêmes hautsfonctionnaires, c’est « à Mahmoud Abbas de reprendre la main etde profiter de la faiblesse du Hamas pour reprendre les négocia-tions de paix avec Israël. Il y a urgence, nous dit l’un d’eux, car nous,les Européens, n’avons plus les moyens financiers de porter à boutde bras les Palestiniens ni de participer sérieusement à la recons-truction de Gaza. » Discours parfaitement assumé, accompagné debons conseils « et surtout, ne parlez pas de crime de génocide carcela vous discrédite », un autre allant jusqu’à nous inviter à organiserune manifestation de soutien à la nouvelle Haute représentante del’Union européenne, Mme Federica Mogherini.

Voilà des propos qui témoignent de l’arrogance et de l’adhésiontotale de nombre de responsables de la Commission aux thèsesdu gouvernement Netanyahou vis-à-vis duquel aucune critique nefut formulée au cours de l’entrevue. Bien que passablement heurtés,voire même révoltés par ces propos, nous avons cependant soumisnos propositions d’action à ces messieurs de l’UE :– faire preuve d’un minimum de cohérence dans l’approche de laproblématique du Proche-Orient entre les proclamations relatives aurespect des droits de l’Homme et du droit humanitaire et leur appli-cation sur le terrain. En effet, pourquoi prendre des mesures desanctions contre la Russie et le Sri Lanka et pas contre Israël ?– exiger d’Israël la levée du blocus contre Gaza et assister la Pales-tine pour qu’elle accède à la Cour pénale internationale,

– prendre des mesures telles que la suspension de l’accordd’associations UE-Israël ; l’application urgente des Lignes

directrices de juillet 2013 en matière de financements dans lescolonies israéliennes; l’application des stipulations de l’avis de la

CIJ de 2004 relatif au Mur de l’apartheid; l’exigence de paiement par Israël des dégâts causés par son armée aux équipements fournis par l’UE et ses États membres à la population de Gaza; lasuspension de tout commerce d’armes avec Israël aussi longtempsque durera l’occupation; la reconnaissance de l’État de Palestine;l’assistance aux 11500 Palestiniens blessés au cours de l’opérationBordure protectrice et aux 600000 déplacés de Gaza.

Heureusement pour les Palestiniens, nos revendications, nos appelset nos actions commencent à porter leurs fruits tant au Parlementeuropéen que dans les parlements nationaux. Des gouvernementsprennent des initiatives fustigeant Israël pour ses crimes de guerreet ses crimes contre l’humanité commis cet été.

La session extraordinaire particulièrement émouvante du TribunalRussell sur la Palestine tenue à Bruxelles ce 24 septembre a fait à cetégard un travail de grande qualité pour la qualification de ces crimeset pour la dénonciation des graves manquements des alliés d’Israël.

palestine no 62Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche,Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri,Christiane Schomblond, Gabrielle Lefevre, Hocine Ouazraf et Nathalie Janne d’Othee / Relecture Ouardia DerricheAssociation belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asblSiège social rue Stévin 115 à 1000 Bruxelles Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / [email protected]

www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / Tout don de plus de 40 euros vousdonnera droit à une exonération fiscale. Graphisme Dominique Hambye & Élise DebounyAvec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Mauvaise foi EUROPÉENNE

par Pierre Galand, Président

palestine 02 ÉDITO

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palestine 03 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE

L’entrée au gouvernement israélien de partis d’extrême droite et ladernière offensive contre Gaza ont libéré dans la société des paroles

ouvertement racistes qui nous rappellent un temps que l’on croyait révolu.Pire, les témoignages entendus lors du dernier Tribunal Russell pour la Palestine

(p. 8) épinglent des intentions génocidaires exprimées et diffusées impunément enIsraël (p. 4-5). La classe politique israélienne elle-même dans ses plus hautes sphèressemble également contaminée par les discours fascisants (p. 6). Cependant et malgré

l’inquiétude devant cette montée du radicalisme, un autre Israël existe et survit toujours et desdiscours appelant au vivre-ensemble tentent courageusement de se faire entendre (p. 7).

DOSSIER

Israël droit dans le mur ?

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« génocide à Gaza, pogroms et massacres en Cisjordanie ». La référence au génocide est reprise même dans certains milieux juifsinternationaux puisque, dans le New York Times, suite au massacrede Gaza, trois cents survivants et descendants des victimes du génocide nazi ont écrit : « Un génocide commence avec le silencedu monde. Nous devons faire entendre notre voix et utiliser notrepouvoir collectif pour mettre fin à toute forme de racisme, y comprisle génocide en cours du peuple palestinien. » Depuis, le présidentpalestinien, Mahmoud Abbas, a utilisé le même terme à l’ONU àpropos de Gaza, ce qui lui a valu bien sûr les critiques les plusvives d’Israël. Il faut d’ailleurs signaler que tous les juristes inter-nationaux ne sont pas d’accord sur l’utilisation du terme.

L’INTENTION : UN ÉLÉMENT DÉTERMINANTIl ne suffit pas qu’il y ait destruction partielle ou entière d’un groupenational, ethnique, religieux ou racial pour qu’on parle de génocide.L’élément intentionnel est nécessaire. L’intention peut être prouvéeau travers de déclarations, d’ordres mais peut aussi être déduited’un modèle méthodique d’actes coordonnés. Quel que soit le motifdu crime (expropriation de terres, sécurité nationale, intégrité terri-toriale, etc.), si l’auteur du crime a l’intention de détruire un groupeou une partie de celui-ci, il y a génocide.

Dans le cas de la dernière agression contre Gaza, c’est à releverles déclarations des politiques, des militaires, des rabbins et des qui-dams que s’est attaché David Sheen. Le résultat de ses recherchesest effarant. De ceux qui préconisent le viol des femmes pourdissuader les fauteurs d’attentats (Mordechai Kedar, chercheur auCentre d’études stratégiques Begin – Sadate de l’université BarIlan) à ceux qui justifient le meurtre de non-juifs y compris desbébés palestiniens « s’il est clair qu’ils grandissent pour nous fairedu mal » (rabbin Yitzhak Shapira, dans la lignée du Kach), de ceuxqui glorifient les Juifs qui tuent des « Arabes » à ceux qui présententtous les Palestiniens comme des combattants ennemis y incluantles mères et leurs enfants (Ayelet Shaket, parlementaire du partisioniste religieux, Foyer juif), de ceux qui sont fiers d’avoir tué des«Arabes» (Naftali Bennett, dirigeant de Foyer juif, ministre de l’Éco-nomie) à ceux qui déclarent qu’il faut transformer l’armée en une

Incitation au génocideDES PALESTINIENS EN ISRAËL par Marianne Blume

INTRODUCTIONLors de la session extraoridinaire sur Gaza de 2014 du Tribunal Russell, David Sheen a montré, à partir de déclarations officielles etde messages sur les réseaux sociaux, combien les incitations au gé-nocide contre les Palestiniens faisaient partie du discours dominanten Israël, avant et durant l’opération Plomb durci (voir www.you-tube.com, David Sheen, Russell Tribunal 2014). Se basant aussisur les autres témoignages, le Tribunal Russell a d’ailleurs écritdans ses conclusions: «Le Tribunal a également mis en garde qu’ilétait possible que le crime de persécution devienne génocidaire.Le Tribunal a par ailleurs déclaré qu’il est reconnu que, dans dessituations où des crimes contre l’humanité étaient commis en touteimpunité et où l’incitation directe et publique au génocide se ma-nifestait dans tous les secteurs de la société, il était concevableque l’État ou les individus choisissent d’exploiter ces conditionsafin de perpétrer le crime de génocide.»

GÉNOCIDE, VRAIMENT ?Longtemps, la mention de génocide pour décrire les agressionsisraéliennes contre les Palestiniens a été prohibée car jugée soitlégalement fausse, soit exagérée, soit contre-productive. Pourtant,ce terme avait déjà été utilisé en Israël. En 2003, par Shulamit Aloni,ex-ministre de la Culture du gouvernement Rabin qui écrivait : «Nousn’avons pas de chambres à gaz ni de fours crématoires, mais iln’existe pas qu’une seule méthode pour commettre un génocide.»En 2004, par un professeur de l’université Ben Gourion, Lev Grinbergqui, dans une tribune de La Libre Belgique, parlait de « génocidesymbolique ». Ou en 2008, par Ilan Pappé qui notait déjà « génocideà Gaza, nettoyage ethnique en Cisjordanie » pour parler, actuelle-ment, de « génocide progressif » contre les Palestiniens. En 2013,Richard Falk, professeur américain de droit international et Rap-porteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’Homme dansles Territoires palestiniens, affirmait, quant à lui : « Israël ne se dirigevers rien de moins qu’un génocide palestinien». Et il ajoutait dansune interview à la chaîne de télévision russe: «Lorsque vous ciblezun groupe ethnique et que vous lui infligez ce genre de punitions,vous nourrissez une intention criminelle génocidaire. » En 2014,d’autres voix se sont jointes à ces dernières comme celle de NuritPeled qui, dans une lettre au Parlement européen, dit clairement

palestine 04 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE

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En fait, depuis 1948, les appels à éliminer les Palestiniens commegroupe en les tuant ou en les expulsant n’ont pas cessé. Et la listeen est trop longue pour les énumérer tous ici mais il semble bienque la dernière agression contre Gaza ait totalement « libéré » laparole. Il vrai que plus de 90% des Israéliens soutenaient l’opérationcontre Gaza et que, comme le dit Warshawski, la société israéliennese fascise. (Voir article dans ce bulletin)

FACEBOOK ET LES PAGES PALESTINIENNES ET ISRAÉLIENNESAlors que les pages Facebook où des Israéliens déversent leurhaine des Palestiniens et incitent au meurtre continuent à existersans problème (voir Kill a Palestinian “every hour”, says new IsraeliFacebook page sur Electronic Intifada), Facebook ne les ferme pas.Par ailleurs, il continue de supprimer des pages palestiniennespour incitation à la violence, antisémitisme, etc.

Si l’incitation au génocide devient évidente, Facebook et les autresmédias sociaux devraient être poursuivis pour complicité au casoù ils ne prendraient pas les mesures adéquates.

ET MAINTENANT ?On a l’habitude de qualifier une situation de génocide quand il est trop tard, quand la chose est faite. Dans l’esprit de la lettre desrescapés du génocide juif citée plus haut, ce qu’il faut, c’est dénoncer les incitations au génocide maintenant et agir avant qu’il ne soit trop tard. En Israël, les incitations au génocide sont évidentes. L’utilisation du terme génocide ne peut pas être untabou. Cela dit, une utilisation qui ne serait pas étayée par une analyse précise des faits à la lumière de la définition juridique relèverait de la propagande et serait dès lors contre-productive.

1/ L’article a été retiré assez vite vu le tollé qu’il a provoqué et l’auteur s’en est ex-cusé. Tout en continuant à défendre l’idée dans ses tweets.2/ Ou Shmuel Eliayhu, rabbin de Safed, disant : « S’ils n’arrêtent pas après que nousen ayons tué 100, alors nous devons en tuer mille. Et s’ils n’arrêtent pas après 1000morts, alors nous devons en tuer 10 000. Et s’ils n’arrêtent pas, nous devons en tuer100 000, même un million. Autant qu’il faut pour qu’ils arrêtent. »3/ Il a expliqué par la suite que “shoah” voulait simplement dire catastrophe!

armée de vengeurs qui ne s’arrête pas à trois cents Palestiniens tués(rabbin Noam Perel), de ceux qui prient pour qu’un autre milliond’enfants «arabes» meurent ( un responsable de la police) à d’autresqui sur les réseaux sociaux profèrent les pires horreurs, il faut consta-ter que l’incitation à éliminer les Palestiniens est bien présente. Ycompris aux USA où l’éditorial d’un journal pro-israélien en ligne,le Times of Israel (2014), est titré : «Quand le génocide est permis».Son auteur, Yochanan Gordon, s’y interroge ouvertement : «Si les dirigeants politiques et les experts militaires déterminent que le seul moyen d’atteindre leur objectif de maintien du calme est le génocide, est-il permis de réaliser ces objectifs responsables ?À partir de ce moment-là, quel autre moyen de se comporter avec un ennemi de cette nature y a-t-il si ce n’est celui de l’anéantircomplètement ? »1

Quant à Naftali Bennett, ministre de l’Économie et de la Diaspora,il admet implicitement qu’il y situation génocidaire à Gaza quand ildéclare : « Ce que Hamas fait est en fait un auto-génocide.»

UNE INTENTION RÉCENTE ? CONCERNANT SEULEMENT GAZA ?Tout le monde connaît les graffitis d’Hébron « Gazez les Arabes ».Mais se souvient-on par exemple du rabbin extrémiste OvadiaYoussef expliquant qu’on ne pouvait avoir de pitié et qu’il fallait annihiler les Palestiniens avec des missiles2 ? Ou du général MosheYaalon qui, en 2002, comparait la menace palestinienne à un cancer et disait appliquer seulement une chimiothérapie tout enprécisant que parfois dans les cas de cancer on était obligé decouper un membre ? Se souvient-on de Matan Vilnaï, vice-ministrede la Défense, qui en 2008 menaçait les Palestiniens de Gazad’une shoah s’ils continuaient à lancer des roquettes3 ? En 2012, leministre de la Défense « du front intérieur », Avi Dichter, a appelé Israël à “reformater” Gaza comme un disque dur d’ordinateur, saufque c’était en la bombardant. Ce genre de considération n’est pasnouveau. Amnon Kapeliouk rapporte une déclaration de YitzhakShamir datée de 1981 non moins effrayante: les Palestiniens serontécrasés comme des « sauterelles », « leurs têtes fracassées contreles rochers et les murs ».

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De retour à la maison, j’essaie d’identifier cette peur qui nous tra-vaille, car je suis loin d’être seul à la ressentir. Je réalise en faitqu’Israël en 2014 n’est plus seulement un État colonial qui occupe et réprime les Palestiniens, mais aussi un État fasciste, avec un ennemi intérieur contre lequel il y a de la haine. La violence colonialeest passée a un degré supérieur, comme l’a montré l’assassinat de Muhammad Abou Khdeir, brûlé vif (sic) par 3 colons ; à cette barbarie s’ajoute la haine envers ces Israéliens qui précisément refusent la haine envers l’autre.

Si pendant des générations, le sentiment d’un “nous” israélienstranscendait les débats politiques et – à part quelques rares excep-tions, comme les assassinats d’Emile Grunzweig puis de YitshakRabin – empêchaient que les divergences dégénèrent en violencemeurtrière, nous sommes entrés dans une période nouvelle, un nou-vel Israël. Cela ne s’est pas fait en un jour, et de même que l’assas-sinat du Premier ministre en 1995 a été précédé d’une campagnede haine et de délégitimation menée en particulier par BenjaminNetanyahou, la violence actuelle est le résultat d’une fascisation dudiscours politique et des actes qu’il engendre: on ne compte plusle nombre de rassemblements de pacifistes et anticolonialistes israéliens attaqués par des nervis de droite.

Les militants ont de plus en plus peur et hésitent à s’exprimer ou àmanifester, et qu’est-ce que le fascisme si ce n’est semer la terreurpour désarmer ceux qu’il considère comme illégitimes? Sur un arrière-fond de racisme lâché et assumé, d’une nouvelle législationdiscriminatoire envers la minorité palestinienne d’Israël, et d’un discours politique belliciste formaté par l’idéologie du choc des civilisations, l’État hébreu est en train de sombrer dans le fascisme.

Israël :VERSLE FASCISMEUn texte de Michael Warschawski, lundi 21 juillet 2014

Au cours des 45 dernières années j’ai participé à de très nom-breuses manifestations, de petits rassemblements faits de quelquesirréductibles à des manifestations de masse ou nous étions plus de 100 000; des manifestations calmes, voire festives et des mani-festations où nous avions été attaqués par des groupes de droitevoire par des passants. J’ai pris des coups, j’en ai rendus, et il m’estarrivé, surtout quand j’avais des responsabilités, d’être nerveux.Mais je ne me souviens pas avoir eu peur.

Mobilisé – en fait détenu en prison militaire pour avoir refusé de rejoindre mon unité qui devait aller au Liban – je n’ai pas participé,en 1983, à la manifestation où a été assassiné Emile Grunzweig;par contre j’ai été responsable du service d’ordre de la manifestationqui, un mois plus tard, traverse Jérusalem pour commémorer cetassassinat. Nous y avons connu l’hostilité et la brutalité des passants,mais là non plus je n’ai pas eu peur, conscient que cette hostilitéd’une partie des passants ne dépasserait pas une certaine lignerouge, qui pourtant avait été transgressée un mois plus tôt.

Cette fois j’ai eu peur. Il y a quelques jours nous étions quelquescentaines à manifester au centre ville de Jérusalem contre l’agres-sion à Gaza, à l’appel des Combattants pour la Paix. À une trentainede mètres de là, et séparés par un impressionnant cordon de policiers, quelques dizaines de fascistes qui éructent leur haine ainsi que des slogans racistes. Nous sommes plusieurs centaineset eux que quelques dizaines et pourtant ils me font peur : lors dela dispersion, pourtant protégée par la police, je rentre chez moi en rasant les murs pour ne pas être identifié comme un de ces gauchistes qu’ils abhorrent.

palestine 06 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE

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Alors que l’agression contre Gaza battait son plein, des Juifs israéliens ont manifesté leur désaccord, y compris dans les rues. Le 26 juillet, une manifestation a notamment eu lieu à Tel Aviv qui rassemblait quelque 7000 personnes.

recevoir un procès équitable devant les tribunaux militaires, alorsque les preuves les concernant ne sont pas révélées. Le rensei-gnement autorise un contrôle continu sur des millions d’individus àtravers une surveillance approfondie et intrusive et envahit la plupartdes secteurs de la vie d’un individu. Ce qui ne permet pas aux gens de mener des vies normales et incite à plus de violence, nousdistançant toujours davantage de la fin du conflit.

Des millions de Palestiniens vivent sous le régime militaire israéliendepuis plus de quarante-sept ans. Ce régime nie leurs droits fonda-mentaux et exproprie de larges étendues de terre pour les coloniesjuives qui sont soumises à des systèmes légaux séparés et différentset à l’application de lois différentes. Cette réalité n’est pas un résultatinévitable des efforts de l’État pour se protéger mais plutôt le résultatd’un choix. L’expansion des colonies n’a rien à voir avec la sécuriténationale. De même en est-il des restrictions à la construction et audéveloppement, à l’exploitation économique de la Cisjordanie, à lapunition collective des habitants de la bande de Gaza, et du tracéactuel de la barrière de séparation.

Au vu de tout cela, nous avons conclu qu’en tant que personnesayant servi dans l’Unité 8200, nous devons assumer la responsa-bilité de notre participation à cette situation et qu’il est de notre de-voir moral d’agir. Nous ne pouvons pas continuer à servir le systèmeen bonne conscience, en niant les droits de millions de personnes.À cet effet, ceux d’entre nous qui sont réservistes refusent de pren-dre part aux actions de l’État contre les Palestiniens. Nous appelonstous les soldats servant dans les unités de renseignement, passéset présents, de même que tous les citoyens d’Israël, à dénoncerces injustices et à agir pour y mettre fin. Nous croyons que l’avenird’Israël en dépend.»

Parmi ces voix dissidentes, il faut relever celle des réservistes del’Unité 8200, une unité chargée du renseignement notamment autravers des écoutes téléphoniques, de la surveillance d’Internet, etc.Leur prise de position est significative dans la mesure où ces Israéliens appartiennent à une unité d’élite, une de celles dont Israëlest fière, la crème des crèmes. Voici la lettre qu’ils ont diffusée:

«Nous, anciens combattants de l’Unité 8200, soldats réservistespar le passé et aujourd’hui, déclarons refuser de participer aux actions contre les Palestiniens et refuser de continuer à servir commeoutils dans l’affermissement du contrôle militaire sur les Territoiresoccupés.

Il est généralement admis que la conscription dans les renseigne-ments militaires échappe aux dilemmes moraux et contribue uni-quement à la réduction de la violence et des dommages enversdes personnes innocentes. Néanmoins, notre service militaire nousa démontré que le renseignement est une partie intégrante de l’occupation militaire israélienne sur les territoires.

La population palestinienne sous régime militaire est complètementexposée à l’espionnage et la surveillance des services de rensei-gnement israéliens. Alors qu’il existe des limitations drastiques dela surveillance des citoyens israéliens, les Palestiniens ne bénéficientpas de cette protection. Il n’existe pas de distinction entre les Palestiniens qui sont ou qui ne sont pas impliqués dans des violences.L’information qui est recueillie et conservée fait du tort à des per-sonnes innocentes. Elle est utilisée dans le but d’une persécutionpolitique et pour créer des divisions au sein de la société palesti-nienne en recrutant des collaborateurs et en entraînant des partiesde la société palestinienne contre elle-même. Dans de nombreuxcas, les services de renseignement empêchent les accusés de

UN AUTRE

Israëlpar Marianne Blume

palestine 07 DOSSIER FASCISATION DE LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE

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Les conclusions du Tribunal Russell pour la Palestine, un avertisseur d’incendie

pour la communauté internationale.

population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne parti-cipent pas directement aux hostilités ; l’utilisation disproportionnéede la force, le fait de diriger intentionnellement des attaques contredes bâtiments consacrés aux cultes, à l’enseignement et des hôpi-taux qui ne sont pas des cibles militaires; l’utilisation de Palestinienscomme boucliers humains; le fait d’employer des armes, projec-tiles, matières et méthodes de guerre de nature à causer des mauxsuperflus ou des souffrances inutiles ou à frapper aveuglément enviolation du droit international des conflits armés; et l’utilisation de la violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi lapopulation civile.

Crimes contre l’humanité : meurtre, persécution et extermination. Le Tribunal a mis en garde sur le fait qu’il était possible que lecrime de persécution aboutisse à devenir crime de génocide.Il a déclaré qu’il était reconnu que, dans des situations où descrimes contre l’humanité étaient commis en toute impunité et oùl’incitation directe et publique au génocide se manifestait dans tousles secteurs de la société, il était concevable que l’État ou des in-dividus choisissent d’exploiter ces conditions afin de perpétrer lecrime de génocide.

Enfin, il a appelé Israël à respecter ses obligations en droit inter-national et la Palestine à accéder sans délai au Statut de Rome dela Cour pénale internationale. Il a rappelé qu’il était du devoir desÉtats tiers de coopérer afin de mettre fin à la situation illégale quidécoule de la situation d’occupation, du blocus et des crimes com-mis dans la bande de Gaza. Il a également appelé l’Union euro-péenne à adopter des sanctions contre Israël, dans la ligne de sapolitique sur les mesures restrictives, afin de poursuivre les objectifsde préservation de la paix, de renforcement de la sécurité internatio-nale et de respect des droits de l’Homme. Le Tribunal a égalementappelé l’UE à exclure les entreprises israéliennes d’armement desprogrammes de recherche européens.

Les accusations de politiques d’apartheid énoncées lors des ses-sions précédentes du TRP et autrefois réfutées par la communautéinternationale semblent aujourd’hui être admises devant la réalitédes faits. Le TRP met aujourd’hui en garde la communauté interna-tionale contre les conséquences prévisibles de son silence devantles mesures disproportionnées prises par un gouvernement israéliendont l’impunité semble sans limites.

Les conclusions DU TRIBUNAL RUSSELL par Simon Moutquin, Association belgo-palestinienne et François Sarramagnan, Solidarité socialiste

2200 personnes disparues, majoritairement des civils, 11000 autresblessées, des quartiers entiers dévastés et des infrastructures depremière nécessité telles que des écoles et des hôpitaux en ruines,c’est le bilan de la dernière agression contre Gaza. Derrière ceschiffres, des personnes, des familles, des vies entières anéanties. Lacommunauté internationale estime à vingt années le temps néces-saire pour la reconstruction du territoire le plus densément peupléau monde, et d’un tissu économique ravagé, victime d’un blocus dehuit années imposé comme punition collective par Israël.

La succession ininterrompue des attaques contre la bande de Gazasuscite l’indignation, en plus de l’horreur de cette nouvelle opérationnommée Bordure protectrice. Comme le rapportait le chirurgienMads Gilbert lors de cette nouvelle session du Tribunal Russellpour la Palestine, un enfant palestinien de Gaza de 8 ans a déjàconnu 4 attaques violentes durant sa courte vie.

Face à cette nouvelle attaque, et au silence complice de la commu-nauté internationale devant les crimes commis par l’armée israé-lienne, face à l’impunité récurrente d’Israël, mise en parallèle avecles sanctions économiques européennes prises à l’égard de laRussie ou du Sri Lanka, devant l’indécence de la propagande is-raélienne qui pointe la résistance palestinienne, conséquence d’unepolitique coloniale, comme motif de ce nouveau massacre, desmembres du jury du Tribunal ont appelé à l’organisation urgented’une session extraordinaire sur les crimes commis à Gaza qui s’esttenue ce 24 septembre à l’Albert Hall à Bruxelles.

Cette session extraordinaire avait pour but d’examiner si des crimesde guerre, de génocide et des crimes contre l’humanité ont été com-mis par l’armée israélienne au cours de l’opération Bordure protec-trice. Tout au long de la journée, plusieurs témoins privilégiés se sontsuccédé à la barre pour livrer leurs récits de cette dernière opérationmilitaire israélienne à Gaza, en expliquer le contexte, éclairer sur lescomplicités de tiers, notamment de l’Union européenne, et identifierles conséquences qui en découlent en matière de droit international.

Voici quelques-unes des conclusions qui ont été tirées de ces témoignages considérés au regard du droit international : Crimes de guerre : l’homicide intentionnel, la destruction de biens,non justifiée par des nécessités militaires et exécutée sur une grandeéchelle; le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la

palestine 08 TRIBUNAL RUSSELL

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palestine 09 NEWS DU BDS

Les Palestiniens sont forcés de travailler dans les colonies dansdes conditions nettement inférieures à la norme en raison de ladestruction délibérée par Israël de l'économie palestinienne. Il estplus que temps que soient créés des emplois décents et dignesdans le cadre même de l'économie palestinienne.

Tous les principaux syndicats palestiniens ont appelé au boycott ettous sont membres du Comité national palestinien du BDS, la co-alition de la société civile qui dirige le mouvement BDS et qui acontribué à lancer la campagne contre SodaStream.

Campagne européenne « No association with occupation À la suite du massacre de cet été, plus de300 organisations syndicales, ONG et autresorganisations de la société civile ont appelél’UE à mettre fin à son soutien aux crimesd’Israël, notamment par la suspension del’accord d’association UE-Israël.L’accord d’association est le cadre principal des relations très étroitesentre l’UE et Israël. Il accorde à Israël un accès préférentiel au marché européen, permet aux ministères et aux producteurs d’armesisraéliens de bénéficier des financements européens et apporte à Israël le soutien nécessaire à la poursuite de sa politique criminelled’occupation, de colonisation et d’agression de la Palestine. Laissercet accord en vigueur malgré les crimes de guerre commis de façonrécurrente par Israël, c’est, pour l’UE, envoyer à Israël un messageclair de tolérance à l’égard des massacres de Palestiniens.Rejoignezla campagne «No associations with occupation » en vous rendantsur la page internet d’ECCP www.eccpalestine.org

News du BDS

SodaStream quitte la Cisjordanie SodaStream se retire d'une colonie maisreste impliquée dans le déplacement forcé de Palestiniens. Une victoire pour le mouvement BDS mais qui ne doit pas occulterpour autant les pratiques de la société.Fin octobre, SodaStream annonce son intention de fermer sa prin-cipale unité de production installée dans la colonie de MishorAdoumim en Cisjordanie. Une victoire de plus pour le mouvementBDS. En réaction à cette nouvelle, Rafeef Ziadah, porte-parole duComité national palestinien du BDS, nous explique :

L'annonce de SodaStream montre qu’aujourd'hui, le mouvementBDS est de plus en plus en mesure de réclamer des comptes auxsociétés coupables de participer à l'apartheid et au colonialisme israéliens. Les pressions de la campagne BDS ont forcé nombre de distributeurs européens et nord-américains à cesser leurs relationscommerciales avec SodaStream et le cours des actions de la société a dégringolé ces derniers mois, du fait des coups de plusen plus sévères portés à la réputation de la marque.

Même si la fermeture annoncée se vérifie, SodaStream restera cependant impliquée dans le déplacement forcé de Palestiniens.Sa nouvelle usine de Lehavim est en effet située à proximité deRahat, un township dont l'installation est prévue dans le Naqab(Néguev) et où des Bédouins palestiniens doivent être transféréscontre leur gré. SodaStream, en tant que bénéficiaire de ces plans,est donc complice de cette violation des droits de l'Homme.

Par ailleurs, il serait absurde de supposer que c'est par bonté d'âmeque SodaStream emploie des Palestiniens dans une colonie israé-lienne illégale située sur des terres volées aux Palestiniens.

Les travailleurs palestiniens sont nettement moins bien payés queleurs homologues israéliens et, récemment, SodaStream a licencié60 Palestiniens à la suite d'un conflit sur la nourriture destinée à larupture du jeûne du ramadan. Déjà auparavant, les travailleursavaient déclaré qu'ils étaient traités « comme des esclaves ».

Actualités et victoires du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions…

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Quelques mois après les opérations Gardiens de nos frèreset Bordure protectrice, alors qu’il n’y a toujours pas

d’accord de cessez-le-feu définitif entre Israël et les Palestiniens, qu’Israël multiplie les

provocations entre annonces de nouvellesconstructions dans les colonies et

interdiction d’accès à l’esplanade des Mosquées, les perspectives

d’une paix négociée semblentplus minces que jamais.

crimes israéliens commis depuis la création de la CPI en 2002 pour-ront alors y être jugés. Deuxièmement, les Palestiniens n’ont pour lemoment pas assez de soutiens internationaux pour y aller avec cer-titude. Autrement dit, ils subissent des pressions pour ne pas y aller.De nombreuses organisations de la société civile ont en effet déjàentendu que les représentants de l’UE considéraient la saisine de laCPI par les Palestiniens comme une véritable bombe nucléaire. Pourles États-Unis, aucune solution ne peut être apportée au conflit israélo-palestinien si ce n’est par un processus négocié. Enfin, les officiels palestiniens soulignent qu’aller devant la CPI ne mettrait pasfin à l’occupation. Cela contribuerait selon eux tout au plus à empê-cher un nouvelle attaque israélienne de la bande de Gaza.

Bref, l’adhésion au Statut de Rome est prévue dans la stratégiepalestinienne mais n’a selon eux que peu d’utilité si elle n’est pasaccompagnée d’autres actions. Les responsables des affairesétrangères palestiniennes ont néanmoins déjà pris contact avec laCPI et sont occupés à remplir toutes les formalités d’accessionpour que le côté administratif soit réglé le jour où ils décideront d’yadhérer formellement.

La stratégie palestinienne est donc destinée à rappeler non pas uni-quement le caractère illégal de la colonisation, mais également celuide l’occupation dans son ensemble. L’occupation israélienne violeen effet les règles du droit international humanitaire qui stipulentqu’une occupation ne peut être que temporaire, que la puissanceoccupante n’est pas souveraine sur le territoire occupé, elle ne peutdonc pas y apporter de changements définitifs et qu’elle doit gérerles territoires occupés au bénéfice de la population occupée. Uneinitiative qui pourrait être prise dans cette optique, ce serait la de-mande d’un nouvel avis de la CIJ sur la légalité de l’occupation.Cela permettrait peut-être de mettre au jour la nature profonde del’occupation israélienne qui tient davantage de l’annexion que d’uneoccupation par définition transitoire de territoires.

À la mi-novembre, deux représentants du département des Affairesde négociations de l’OLP étaient à Bruxelles. Leur présence nous apprend que l’OLP, ou plus largement ceux qu’on peut appeler les re-présentants de la « Palestine officielle » ont mis au point une nouvellestratégie vis-à-vis de la communauté internationale. À l’occasiond’une rencontre avec les représentants des ONG et associationsde solidarité belges, Ahsraf Khatib, conseiller en communication, etOmar Shihabi, conseiller juridique, ont exposé les différentes orien-tations de cette stratégie.

UNE RÉSOLUTION DU CONSEIL DE SÉCURITÉPOUR METTRE FIN À L’OCCUPATIONAvec le gel du processus de paix depuis maintenant de trop nom-breuses années et la politique constante du fait accompli d’Israël,l’OLP entend rappeler à la communauté internationale ses respon-sabilités dans le règlement de la question palestinienne. Pour cela,elle souhaite une résolution du Conseil de sécurité exigeant la fin del’occupation israélienne d’ici trois ans.

Pour parvenir à une fin de l’occupation dans ce délai, la premièreinitiative à prendre selon eux est de reprendre le processus de paixsur les bases d’Oslo. Ces bases, en effet, les parties israéliennes etpalestiniennes, ainsi que la communauté internationale s’accor-daient sur elles. Mais rien n’est moins certain que la réussite d’unetelle reprise du processus de paix.

Voilà pourquoi l’OLP s’efforce aujourd’hui d’obtenir le plus grand nom-bre de reconnaissances bilatérales de l’État de Palestine et cela,surtout en Europe. L’Union européenne est en effet le premier finan-ceur du processus de paix, et peut à cet égard jouer un rôle important.

Ensuite, s’ils n’obtenaient pas de reconnaissances en nombre suffi-sant, les Palestiniens iraient alors devant la Cour pénale internatio-nale (CPI). Pourquoi n’y vont-ils pas dès maintenant ? Selon eux, il n’ya premièrement pas d’urgence à cela, sachant qu’une fois ayantadhéré au Statut de Rome, les effets en seraient rétroactifs. Les

LA STRATÉGIE

DE LA Palestine officielle »

par Nathalie Janne d’Othée

palestine 10 STRATÉGIE OFFICIELLE

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mandat en force en déclarant qu’elle ne voulait pas seulement assister à la reconnaissance de l’État de Palestine par l’UE maiségalement à son établissement. Il ne reste donc plus qu’à espérerque les actes suivent les paroles.

Qui parle de reconnaissance d’un État, parle également de terri-toire, de frontières, de capitale. Si l’idée est de repartir des accordsd’Oslo, les observateurs sur le terrain rappelleront que la situationa beaucoup changé depuis 1993. La stratégie de l’OLP ne dit pasgrand-chose sur ce que sera la solution définitive. On continue àparler de deux États, mais quiconque visite le territoire palestinienaujourd’hui observera qu’une telle solution est déjà très éloignéede la réalité. Dans ce sens, les officiels palestiniens remarquent bienque la reconnaissance de l’État de Palestine n’est pas un but en soimais une manière de sortir du statu quo, de changer la configurationdes négociations.

UN RÔLE POUR LA SOCIÉTÉ CIVILE Si les membres du département des Affaires de négociations del’OLP ont insisté pour rencontrer des représentants de la société civile belge engagée dans la question palestinienne, c’est parcequ’ils considèrent qu’elle a un rôle à jouer. Les efforts palestiniensau niveau officiel doivent en effet être sous-tendus par des actionsde la société civile pour espérer aboutir. La reconnaissance de l’Étatde Palestine par la Belgique passe donc par une implication activede la société civile en sa faveur. À l’inverse, une question a été poséeaux représentants de l’OLP sur leur soutien au mouvement de Boy-cott, Désinvestissement et Sanctions, une campagne qui guide lagrande majorité des organisations de solidarité dans leur action pourla Palestine. Par le passé, Mahmoud Abbas s’est en effet déjà déclaré opposé au mouvement BDS. À en croire les deux repré-sentants rencontrés à Bruxelles, l’appel au BDS reste l’initiative de lasociété civile palestinienne, raison pour laquelle l’OLP ne s’y asso-cie pas, mais elle ne le critiquera pas non plus. Il est vrai que si tousles efforts vont dans le même sens, chacun à son niveau, l’occupa-tion israélienne de la Palestine prendra fin d’autant plus vite.

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L’UNION EUROPÉENNE AU CŒUR DE LA STRATÉGIE PALESTINIENNELa stratégie palestinienne accorde une grande valeur au rôle del’Union européenne et de ses États membres. Les États-Unis nesont en effet pas un médiateur neutre, rencontrant sans cesse lesexigences des Israéliens. Par ailleurs, l’UE engage des moyens fi-nanciers importants dans la construction de l’État palestinien, et voitles maigres réalisations et acquis systématiquement détruits par lapolitique d’occupation israélienne.

En juillet 2013, l’UE s’est engagée dans la bonne voie en publiantles Lignes directrices sur le non-financement des colonies. En juillet2014, une directive européenne non contraignante a été transposéepar tous les États membres en des Messages communs visant à sensibiliser les entreprises et les citoyens de l’UE à l’impact de la participation à des activités économiques et financières dans les colonies israéliennes. Pour les officiels palestiniens, ces deuxinitiatives vont dans le sens d’une non-reconnaissance de toutesouveraineté, autorité ou légitimité d’Israël sur le territoire palesti-nien occupé. Ils encouragent aujourd’hui l’UE et ses États membresà continuer à prendre des mesures dans ce sens. Parmi les mesuresenvisageables, les responsables européens pourraient faire l’effortde séjourner dans des hôtels palestiniens lorsqu’ils viennent en mis-sion dans le territoire palestinien occupé.

Les efforts actuels de l’Autorité palestinienne et de l’OLP visentmaintenant à obtenir le plus grand nombre de reconnaissances bilatérales de la part des États membres de l’UE. À la suite de la reconnaissance de l’État palestinien par la Suède, mais égalementde la résolution du parlement britannique qui l’a précédée de peu,la question est à l’ordre du jour de nombreux États membres, ou entous cas de leurs parlements. La France et l’Espagne pourraientainsi emboiter le pas à la Suède. Avec son nouveau gouvernement,peu d’espoirs sont permis pour la Belgique sauf si les pressions dela société civile se conjuguent à celle des partis d’opposition et pour-quoi pas à celles de certains membres des partis de la majorité. Deson côté, Federica Mogherini, la nouvelle Haute Représentante pour les Affaires extérieures de l’Union, a quant à elle démarré son

La stratégie palestinienne est destinée à rappeler non pas uniquement

le caractère illégal de la colonisation, mais également celui de l’occupation dans son ensemble.

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israélienne; quant à la zone C, elle reste sous le contrôle total del’Administration civile israélienne, autrement dit de l’armée. Commeleur nom l’indique, les accords intérimaires étaient censés valoirpour une période transitoire avant la remise de la gestion complètedu territoire palestinien à l’Autorité palestinienne, initialement prévueen 1999 mais qui n’a finalement jamais eu lieu. La zone C, qui représente plus de 60% de la Cisjordanie, est donc restée depuislors sous le contrôle total de l’armée israélienne. Un Palestinien ha-bitant en zone C est donc tributaire de permis délivrés par l’arméeisraélienne pour tout développement d’infrastructures.

De plus, les accords intérimaires n’avaient de légitimité que dans lecadre de l’application du processus d’Oslo, aujourd’hui tombé encomplète désuétude. Le cadre juridique valide sur le territoire palestinien occupé est celui du droit international humanitaire selonlequel la puissance occupante a des obligations vis-à-vis de la population occupée, dont notamment l’interdiction de destructionde ses biens mobiliers ou immobiliers, sauf dans les cas où cesdestructions seraient rendues absolument nécessaires par les opé-rations militaires (art. 53, Convention (IV) de Genève, 1949).

RÉACTIONS EUROPÉENNESEn 2011, les consuls européens en poste à Jérusalem ont publié unrapport sur les difficultés de plus en plus grandes rencontrées parles Palestiniens vivant en zone C. Ils y ont dénoncé les permis pourla construction de nouvelles infrastructures accordés au compte-gouttes aux Palestiniens et cela, au mépris de l’obligation d’Israëlselon le droit international humanitaire de fournir les services de baseà la population palestinienne occupée. Les refus systématiques depermis forcent donc les Palestiniens à construire sans permis. Israëlse réclame ensuite de l’argument pour détruire toute nouvelle

Le 2 octobre dernier, la RTBF rapportait la destruction par l’arméeisraélienne de 4,5 km de réseau électrique à Khirbet al Taweel, unvillage situé près de Naplouse en Cisjordanie. Ce réseau ayant enoutre été financé par la Coopération technique belge (CTB), l’infor-mation a provoqué de multiples réactions d’indignation au sein del’opinion publique belge ainsi qu’une demande d’explication de la partdu ministre des Affaires étrangères. Didier Reynders a en effet convo-qué l’ambassadeur israélien afin de lui faire part du mécontentementde la Belgique ainsi que pour réclamer des compensations. Le coûtdes destructions est estimé à quelque 55 000 euros.

DESTRUCTIONS EN ZONE CSi l’affaire a mis la problématique au grand jour, le phénomène desdestructions d’infrastructures palestiniennes en zone C n’est pasnouveau et commence à sérieusement faire monter la moutarde aunez des bailleurs de fonds internationaux qui les ont financées. Unmois après la destruction du réseau électrique, le CNCD-11.11.11,en mission sur le terrain avec une délégation parlementaire belge,rapporte de nouvelles destructions dans le même village de Khirbetal Taweel. Une mosquée, des maisons antérieures à la création de l’État d’Israël et des canalisations d’eau financées par l’UE ontencore été détruites depuis le 2 octobre. Selon le maire d’Aqraba,responsable pour le village de Khirbet al Taweel, la zone serait des-tinée à la construction de nouvelles colonies. Israël essaye donc defaire place nette pour ces nouvelles implantations.

Pour rappel, les accords intérimaires d’Oslo ont divisé le territoirepalestinien en trois zones, A, B et C, chacune sous juridiction civileet régime sécuritaire différents. La zone A est sous le contrôle civilet de police de l’Autorité palestinienne (AP) ; la zone B est gérée civilement par l’AP mais en ce qui concerne la sécurité par l’armée

palestine 12 DESTRUCTIONS EN ZONE C

Destructions D’INFRASTRUCTURES EN ZONE C, UNE POLITIQUE ISRAÉLIENNE CONSTANTEpar Nathalie Janne d’Othée

Les autorités israéliennes ont détruit un réseau électrique palestinien financé par la Belgique, provoquant de nombreuses réactions d’indignation. Le cas n’est pas isolé, il fait partie d’une politique constante et délibérée de destruction des infrastructures et de blocage de tout projet de développement palestinien dans la zone C, une politique qui énerve de plus en plus les acteurs de l’aide humanitaire sur place.

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ESPOIRS DE CHANGEMENTS Malgré ces multiples interpellations, la situation sur le terrain nes’améliore pas. L’Union européenne envisage aujourd’hui des procédures de réaction conjointe sur la question. Mais les réti-cences de l’Allemagne et des Pays-Bas rendent difficile une actioncommune. Les éventuelles démarches seront donc sans doute davantage conduites par les différentes représentations des Étatsmembres que par celle de l’UE. La Belgique compterait parmi leschancelleries qui veulent agir.

Par ailleurs, les dernières déclarations de Federica Mogherini, lanouvelle Haute Représentante de l'Union pour les Affaires étran-gères et la politique de sécurité, laissent penser que l’UE entend jouerun rôle plus important sur la scène moyen-orientale. La remplaçantede Catherine Ashton a en effet affirmé vouloir la reconnaissance etl’établissement d’un État palestinien d’ici à la fin de son mandat. Lareconnaissance internationale de l’État de Palestine peut en tout caschanger la donne dans la problématique des destructions de projetsde développement en zone C. Cela permettrait d’affirmer la souve-raineté du peuple palestinien sur l’ensemble du territoire occupé, ycompris la zone C, et enlèverait par la même occasion sa légitimité àtoute argumentation israélienne liée à l’obtention de permis.

Le sort de la zone C est symptomatique de l’occupation israélienneen elle-même. Une occupation motivée par de prétendus besoins demaintien de l’ordre mais qui recouvre essentiellement l’accaparementrécurrent et constant de territoire palestinien par Israël. Et sans uneinitiative forte de la communauté internationale vis-à-vis d’Israël, cettedépossession illégale des Palestiniens ne cessera pas.

construction érigée en zone C. Le rapport des consuls souligne queles destructions visent principalement les abris, les infrastructurescomme les puits, les citernes, les toilettes, ainsi que les des écoles,des cliniques ou encore des enclos à bestiaux. Bref, des infrastruc-tures indispensables au développement de base d’une communauté.

Déjà préoccupée par l’augmentation des destructions de projets dedéveloppement en 2011, la Commission européenne avait estiméà 49 millions d’euros le montant des projets européens détruitsentre 2001 et 2011. Durant l’année 2011, un groupe d’agences desNations Unies et d’ONG avaient dénombré 622 démolitions d’in-frastructures à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, toutes zonesconfondues. Les bailleurs de fonds de l’aide internationale évitentgénéralement de construire sans autorisation, sachant pertinem-ment les menaces de destruction. Or la population de la zone C estcelle qui a le besoin le plus urgent de cette aide, et l’UE, tout commeses États membres, passe parfois outre les autorisations qui tar-dent à venir si le projet est de nécessité vitale pour les populations.

Selon une source interne d’ECHO, l’administration européenne char-gée de l’aide humanitaire et de la protection civile, l’Union européenneinterpelle régulièrement les autorités israéliennes sur les destructionsd’infrastructures en zone C et ailleurs. Mais les Israéliens se bornentgénéralement à mentionner que les infrastructures détruites avaientété construites sans permis et s’engagent tout au plus à faire des efforts afin de faciliter l’obtention des permis de construire. Maislorsque leur sont rappelées leurs obligations au regard du droit international en tant que puissante occupante, dont la nécessité de dédommager les populations touchées ou les bailleurs de fonds,les autorités israéliennes y opposent une fin de non-recevoir.

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un organisme colonial très actif dans le quartier, a prétendu queces appartements avaient été régulièrement achetés, ce queconteste l’avocat représentant les familles spoliées. Le 11 octobre,c’était au tour de 58 logements privés d’être investis et occupésde force dans la colonie de Pisgat Ze’ev, toujours à Jérusalem-Est.Dans la nuit du 19 au 20 octobre, plusieurs dizaines de colons sesont installés dans le quartier palestinien de Silwan, au sud de lavieille ville, faisant doubler le nombre de colons israéliens danscette partie de Jérusalem-Est. L’opération s’est déroulée grâce ausoutien financier et logistique de l’organisation coloniale Ateret Cohanim, très active dans la vieille ville et au nord de celle-ci, dansle quartier palestinien de Sheikh Jarrah. Les deux immeubles auraient été achetés à un intermédiaire palestinien, relançant le débatsur les collaborateurs. Le 27 octobre, Benyamin Netanyahou annonçait la construction de 1060 nouvelles unités de logement,660 dans la colonie de Ramat Shlomo et 400 à Har Homa.

Cette activité intense de colonisation s’accompagne d’une violencetout aussi intense de la part des colons. Le 14 novembre, dans levillage de Aqraba (près de Naplouse) les colons, venant proba-blement de la colonie d’Itamar, incendient une mosquée. Le mêmejour, un groupe de colons venant de la colonie de Avnei Hefetss’est livré à un pillage en règle sur les terres d’un habitant de Tulkarem: 10 grands sacs remplis d’olives, un âne et des outilsagricoles ont disparu. Deux jours plus tôt, le propriétaire, Abdul-rahman Rajab, sa femme et ses trois fils avaient dû quitter précipi-tamment l’oliveraie, pour se protéger d’une agression de ces mêmescolons. Comme tous les ans, la saison de la récolte des olives a étél’occasion de nombreux actes de vandalisme, de harcèlement,d’agressions contre les personnes, de vols. Selon l’ONG israélienneYesh Din, sur les 246 dossiers traités par la police israélienne et sui-

Ces confiscations se sont faites au bénéfice d’une dizaine de familles de colons qui vivent à Gvaot, où le ministère israélien du Logement prévoit la construction de 15000 unités de logement.David Perl, président du conseil du Goush Etzion, a salué là «unedécision historique» qui «va changer de façon fondamentale la démographie du Goush Etzion, qui n’abrite aujourd’hui que 22000habitants.» La colonisation, qui s’était poursuivie pendant l’agres-sion contre Gaza, repassait au premier plan. Cette décision suscitade très vives critiques de la part tant des USA que du Royaume Uni.

Le 10 septembre, c’était le Conseil national israélien pour la planifi-cation et la construction qui décidait, pour la réalisation d’un projetde parc national sur le mont Scopus, l’annexion d’environ 700dunums de terres appartenant aux localités palestiniennes d’Al-’Issawiya et At-Tur, à Jérusalem-Est. Toujours en septembre, l’as-sociation La Paix Maintenant dénonçait la transformation de lacolonie agricole E2, près du village palestinien de Nahla (au sud deBethléem) en colonie de peuplement : en 2011, Ehud Barak y avaitautorisé l’installation d’une ferme. Comme ailleurs en Cisjordanie,les exploitations agricoles sont des colonies de fait qui préparentsouvent une colonisation de peuplement : la future colonie de GivatEitam devrait compter 2500 logements sur 1700 dunums de terrespalestiniennes, majoritairement déclarés terres d’État en 2004. Àterme, cela signifie la suppression, pour un hypothétique État palestinien, de tout axe de communication entre Bethléem et toutle sud de la Cisjordanie.

Fin septembre, le gouvernement israélien a autorisé la constructionde 2500 logements pour des colons israéliens à Jérusalem-Est. Le30 septembre, 25 appartements privés étaient investis et occupésde force dans le quartier de Silwan, au sud de la vieille ville. Elad,

ColonisationLE VÉRITABLE CREDO DU GOUVERNEMENT NETANYAHOUpar Julien Masri

palestine 14 COLONISATION

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la mosquée des Patriarches après le massacre perpétré par uncolon raciste en 1994. Un projet se dessine : l’hébronisation de Jérusalem, c’est-à-dire la délégitimation de la présence historique,culturelle et religieuse du peuple palestinien dans la ville, préludeau nettoyage ethnique.

Lors de l’inauguration de Leshem, la première colonie officiellementcréée depuis une vingtaine d’années, le 24 août 2014, le ministre duLogement Uri Ariel (du parti xénophobe Foyer Juif) a déclaré : « iln’y a pas deux États à l’ouest du Jourdain et il n’y aura pas deuxÉtats. Même si les négociations ont lieu, ce n’est pas sur la table».Les événements de ces derniers mois n’ont fait que confirmer lesdéclarations et les actes du gouvernement dirigé par BenyaminNetanyahou depuis son entrée en fonction. Un gouvernement to-talement ouvert aux thèses les plus extrémistes, reposant d’un côtésur un racisme anti-palestinien primaire et totalement décomplexéet de l’autre sur un fanatisme religieux totalement délirant dontCharles Enderlin a très bien dépeint la montée en puissance depuis 1967. Son propos est clair : pas d’arrêt de la colonisation,pas de négociations sur Jérusalem, pas d’État palestinien à l’ouestdu Jourdain.

Selon le droit international, un État occupant n’a pas le droit de confisquerdes terres occupées au profit de sa population. Très souvent, Israël faitusage d’une loi ottomane de 1858 qui prévoit que, si une terre n’est pas cultivée pendant plusieurs années consécutives, elle devient propriété del’Empire. Plus de 900 000 dunums, soit 16% de la Cisjordanie, ont ainsi étéconfisqués via cette loi et déclarés « terre d’État », bien que, selon la loi israélienne elle-même, la Cisjordanie ne fasse pas partie de l’État d’Israël.

vis par Yesh Din, il y eut seulement quatre inculpations. 223 dossiersfurent classés sans suite. Le 15 octobre, plusieurs dizaines de colonsont saccagé des puits près du village de Khirbet Samra, dans la vallée du Jourdain. De plus, les violences perpétrées contre des Palestiniens par des colons au volant de leur voiture, violences régulières à Jérusalem-Est, ont commencé à faire également desvictimes dans le reste de la Cisjordanie. Le 20 octobre, au retour del’école dans le village de Sinjil, Inas Khalil, 5 ans, et Nilin Asfour, 8 ans, ont été percutées par un colon au volant de sa voiture. Laplus jeune des fillettes devait décéder deux heures plus tard.

C’est dans ce contexte qu’a commencé ce que certains appellentmaintenant la bataille de Jérusalem. Pendant la fête juive de Souk-kot, des centaines de nationalistes religieux ont effectué des visitesde l’esplanade d’Al Aqsa, encadrés par les forces d’occupation.Ces visites et les fermetures consécutives de l’esplanade ontcontribué à l’installation durable d’une ambiance de colère à Jéru-salem, explosant parfois violemment. Le 15 octobre, une grandemanifestation de protestation contre ces fermetures eut lieu, avecla participation de plusieurs députés palestino-israéliens, pendantque l’esplanade était fermée. Un groupe de femmes ayant réussià entrer sur l’esplanade, elles en furent expulsées violemment parles forces d’occupation. Après la décision des autorités israé-liennes de fermer l’esplanade d’Al Aqsa le 30 octobre, le députépalestino-israélien Masoud Ghanayim a annoncé qu’un projet deloi préparé par un comité parlementaire devrait être débattu au Parlement israélien en novembre. Son objectif : diviser l’esplanadeentre musulmans et juifs, sous prétexte d’«égalité des droits, d’ac-cès et d’utilisation du Lieu saint ». Alors que la loi rabbinique et laloi israélienne actuelle interdisent aux juifs de prier sur l’esplanade,la proposition fait irrésistiblement penser à la division, à Hébron, de

Moins d’une semaine après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza et toujours en représailles à l’assassinat des trois jeunes colons qui avait déjà servi de prétexte

au déclenchement de l'agression contre Gaza, le gouvernement israélien annonçait, le 31 août, l'annexion de 400 dunums de terres dans le Goush Etzion, le bloc de colonies

entre Bethléem et la Ligne Verte. Plusieurs familles de Bethléem et des villages environnants de Surif,Jaba’, Husan et Wadi Fukin ont fait l’objet de ces confiscations de terres.

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Une fois encore, des troublespopulaires généralisés ont éclaté

à Jérusalem. Depuis juillet, des affrontements ont lieu entre de jeunes

Arabes et les forces de sécurité israéliennesutilisant des grenades lacrymogènes,

des balles d’acier enrobées de caoutchouc, des balles réelles et des matraques.

Cette prise de contrôle progressive n’a fait que s’accélérer après lemassacre de dizaines de fidèles musulmans à l’intérieur de la mos-quée par un colon israélo-américain durant le Ramadan en 1994.

Pour comprendre la récente vague de violence, il faut cependant regarder au-delà du seul Haram al-Sharif. Les tentatives de changerle statu quo de ce site religieux unique sont venues après des décennies d’occupation par Israël de Jérusalem-Est, occupationqui a commencé en 1967. En tant que non-juifs, les habitants arabesde Jérusalem sont soumis à des lois, règles, règlements et modes de répartition des fonds municipaux et nationaux ouvertement discrimi-natoires, notamment pour ce qui concerne les permis de construire,l’enseignement, les parcs publics, le ramassage des ordures et toutautre équipement urbain.

Ceci s’intègre dans une politique cohérente israélienne qui a pourbut de restreindre la croissance de la population arabe de la ville etde privilégier et développer sa composante juive.

Les habitants arabes autochtones de Jérusalem ont, pendant plusde quatre décennies et demie, été soumis à un barrage inexorablede tentatives pour les isoler dans des zones strictement limitées dela ville, certaines entourées de murs et clôturées. Alors que dans lemême temps, l’expansion de la population juive au sein des coloniesdans toute la Jérusalem-Est occupée – des colonies qui sont uneviolation du droit international – est subventionnée et soutenue àgrands frais par l’État israélien, et appuyée par des services de sé-curité oppressifs.

POURQUOI LES HABITANTS ARABES DE JÉRUSALEM SONT-ILS DESCENDUS DANS LA RUE ?Beaucoup se sont sentis provoqués par les tentatives toujoursplus nombreuses des fanatiques religieux juifs de s’emparer du troisième site le plus saint de l’Islam, le Haram al-Sharif, le Mont duTemple pour les juifs.

Les activistes religieux, représentés par des groupes de tutellecomme les organisations du Mont du Temple, ont souvent manifestéleur intention d’instaurer un culte juif sur le lieu saint musulman, dedétruire ses magnifiques structures du VIIe siècle – la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher – et de les remplacer par un nouveautemple juif. Le grand rabbin d’Israël a fustigé les juifs qui tentent deprier sur le site, suggérant que cela devrait être « passible de la peinede mort », car cela peut profaner le « Saint des Saints » – lieu où lesjuifs pensent que l’Arche d’alliance était gardée autrefois. Le ministrede la Défense israélien, Moshe Ya’alon, a déclaré de son côté que les venues de ministres et de législateurs israéliens sur le site étaient «pro-vocatrices » et qu’elles pouvaient avoir des « effets déstabilisants ».

Pourtant, les partis sionistes religieux extrémistes, comme le HabayitHayehudi (Foyer juif), qui soutiennent le culte juif sur le site ne sontpas marginaux dans la société israélienne – ils sont même large-ment représentés au gouvernement, au parlement, dans les servicesde sécurité et dans l’armée d’Israël. Nombre d’Arabes parlent aussid’un précédent de mauvais augure. Depuis la guerre de 1967, Israëlcontrôle la mosquée Ibrahimi à Hébron, qui abrite le Tombeau despatriarches, site juif vénéré. C’est une mosquée depuis près de 14siècles, avec une interruption durant les Croisades, mais le cultemusulman ici a été progressivement restreint et certaines partiesde la mosquée ont été accaparées pour un culte exclusivement juif.

palestine 16 SOULÈVEMENTS À JÉRUSALEM-EST

POURQUOI LES300 000 ARABES

DE JÉRUSALEM

se soulèvent-ils à nouveau ?par Rashid I. KhalidiSource : Reuters, 13 novembre 2013Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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arabe et musulman. Les gouvernements des États-Unis et des payseuropéens portent une lourde responsabilité pour avoir abandonnéles Jérusalémites à leur sort entre les mains des extrémistes de l’in-térieur et de l’extérieur du gouvernement israélien – d’énormesmontants en dons charitables défiscalisés venant des États-Unissoutiennent les colonies dans Jérusalem-Est.

Des extrémistes nationalistes religieux au plus haut niveau dugouvernement israélien, comme le ministre de l’Économie NaftaliBennet, chef du parti Habayit Hayehudi, et le ministre des Affairesétrangères Avigdor Lieberman, chef du parti Yisrael Beiteinu (Israëlnotre maison), y sont allés de leur propre voix pour manifester leurhostilité envers les Palestiniens, qu’ils soient citoyens d’Israël ouhabitants de Jérusalem. Bennet est allé jusqu’à dire qu’on devraitappliquer une « tolérance zéro » à une identité nationale non juive,et qu’Israël devrait empêcher que Jérusalem devienne jamais la ca-pitale d’un futur État palestinien.

Pour toutes ces raisons, les développements préoccupants danset autour du Haram al-Sharif sont considérés par les Palestiniens, etpar beaucoup dans le monde, comme une nouvelle tentative des fa-natiques religieux de débarrasser cette ville antique de sa riche his-toire culturelle arabe et musulmane – qui fait aussi partie intégrantede son patrimoine mondial. Si aucune mesure n’est prise pour in-tervenir par ailleurs, alors les manifestants à Jérusalem-Est n’aurontd’autre alternative que de défendre leur dignité, et leurs Lieux saints,par eux-mêmes.

Les Palestiniens à Jérusalem se considèrent eux-mêmes commevivant sous occupation, considération partagée par les NationsUnies d’ailleurs. Les États-Unis eux-mêmes ont voté en faveur de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies de 1969, laquelle résolution condamne les actions d’Israël dans la ville. L’occupation est attestée par l’omniprésence de gardes-frontièresparamilitaires puissamment armés dans les quartiers arabes, parles démolitions sélectives de structures appartenant à des Arabesaccusés de violer le code de la construction, par l’utilisation defouilles archéologiques à des fins politiques afin de s’emparer dessites stratégiques, et par une myriade d’autres harcèlements et dés-agréments quotidiens.

Les Palestiniens de Jérusalem, qui constituent 38% de la populationtotale de la ville, estiment que Jérusalem n’est pas gérée pour euxet par eux. Ils considèrent qu’elle est dirigée par l’État israélien et auprofit exclusif de sa population juive, avec l’objectif d’établir une hé-gémonie juive absolue sur la ville.

Avant 1967, Jérusalem était divisée entre l’Ouest, sous contrôleisraélien, et l’Est, sous contrôle jordanien. Après la guerre de 1967,Israël a annexé toute la ville et s’est maintenu en tant que forceoccupante à Jérusalem-Est. Depuis lors, ces politiques discrimi-natoires israéliennes ont systématiquement cherché à démembrerle cœur géographique et spirituel de la Palestine arabe.

Ces provocations ont créé les conditions d’une explosion de trou-bles majeurs dans Jérusalem, et peut-être bien au-delà, dans lereste de la Palestine occupée et plus largement dans le monde

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Les Palestiniens de Jérusalem considèrent que la ville est dirigée

par l’État israélien au profit exclusif de sa population juive.

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palestine 18 LIVRES/FILM

La sécurité de son territoire est la préoc-cupation primordiale de l’État d’Israël, de-puis sa création. Pour mieux se protégerde ses voisins, il a développé une stratégiequi l’amène à vivre enfermé entre quatremurs: le premier constitué contre les roquettes tirées depuis le Liban (1 km), ledeuxième, la barrière de sécurité édifiéeen Cisjordanie (900 km), le troisième, laclôture métallique montée dans le Golanet jouxtant la frontière avec la Syrie(120km) et enfin le mur érigé à sa frontièreavec l’Égypte (250 km). À cela, il faut encore ajouter le dôme anti-missiles aunord et au sud du pays. Dangers de l’extérieur mais aussi de l’intérieur où des protestations sociales sefont entendre contre l’augmentation desprix de denrées de base, contre les

livresISRAËL ENTREQUATRE MURS LA POLITIQUE SÉCURITAIREDANS L’IMPASSEpar Sébastien Boussois, Éditions GRIP, 2014

privilèges accordés aux ultra-orthodoxes,pour dénoncer la pénurie de logements etle coût exorbitant de la politique de défense, etc. Malgré leurs difficultés, lesIsraéliens continuent cependant à privilégier leur sécurité et à soutenir desgouvernements toujours plus sensibles àla question. L’auteur analyse toutes ces problématiqueset dégage des pistes de réflexion sur lamanière d’appréhender la société israé-lienne dans sa complexité.

Sébastien Boussois est chercheur associé à l’ULB, président du Cercle desChercheurs du Moyen-Orient (CCMO),conseiller scientifique à l’Institut MEDEAet auteur de nombreux ouvrages.

C.S.

Le processus de paix israélo-palestinienn’est plus, depuis longtemps, que le nomde code d’une politique du mensonge etde la violence. L’histoire, le déséquilibredes forces en présence, les enjeux mondiaux : tout concourt à polariser ledébat. Loin du prêt-à-penser médiatique,dans un souci constant de clarté et depondération, Rony Brauman met en lumière la complaisance française vis-à-vis du gouvernement israélien et dénoncela préoccupante situation d’apartheidvécue par les Palestiniens.À ses côtés, neuf personnalités non palestiniennes témoignent de la réalitéconcrète de l’occupation et de l’espoirqui, malgré tout, persiste : ce sont FrankEskenazi, Gilbert Achcar, Shlomo Sand,Caroline Abu-Sa’da, Guy Delisle, RenéBackmann, Eyal Weizman, Anne Paq etJean-Paul Chagnollaud.« Israël est assurément un État démocra-tique pour les juifs, mais tout aussi assu-rément un État juif pour les Arabes ».

Rony Brauman est professeur à SciencesPo (Paris) et à l’Université de Manchester ;il a dirigé MSF de 1982 à 1994.

Lecture vivement recommandée par C.S.

MANIFESTE POUR LES PALESTINIENS par Rony Brauman et ses invités, Éditions Autrement, 2014, photographies d’Anne Paq, illustrations de Guy Delisle

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ATLAS DES PALESTINIENS UN PEUPLE EN QUÊTE D'UN ÉTATJean-Paul Chagnollaud, Pierre Blanc et Sid-Ahmed Souiah, Éditions Autrement, 2011, cartographiede Madeleine Benoît-Guyod

Atlas des Palestiniens et non de laPalestine puisque l’État de Palestinen’existe toujours pas, cet atlas comporteplus de 120 cartes et infographies qui permettent de comprendre non seulement l’histoire, la géographie maisencore les réalités du terrain et les raisons du blocage diplomatique actuel.Tous les problèmes essentiels sont traitésmais, particularité de cet atlas atypique,les auteurs ne se contentent pas d’unétat des lieux. Ainsi, concernant la reconnaissance d’un État palestinien, ils donnent des pistes pour sortir de l’impasse. « Faute d’une initiative internationale d'envergure, il ne se passera rien... plus le temps passe etplus l'espace palestinien se réduit. »

M.B.

AL-MANARA Coffret CD-DVD en vente sur le sitewww.almanara.be et bientôt dans les Magasins du Monde-Oxfam, au prix de 20€

film

Al Manara est une création qui associedes musiciens belges et palestiniens, autour de Ramzi Aburedwan et d'ÉloiBaudimont. Le répertoire se construitcomme un dialogue dans lequel les propositions traditionnelles ou originalesde Ramzi trouvent dans les réponsesd’Éloi le complément indispensable à lanaissance d’un métissage riche en émotions. Aux mélodies poignantes palestiniennes fait écho la polyphonie européenne; à la douceur du chant, descordes, du nay et des percussions arabes,fait écho la puissance des cuivres euro-péens. Les textes sont choisis dans l’œuvredu poète palestinien Mahmoud Darwich.

Un superbe coffret a été réalisé suite à un concert exceptionnel qui s’est tenudans la cathédrale de Tournai en août2013. Produit par PAC, il comprend le CD & DVD de la soirée captée par Notélé, deux interventions d’Edgard Morin,un livret présentant le projet, les textes du spectacle et les photos de Véronique Vercheval.

THE IDEA OF ISRAELA HISTORY OF POWER ANDKNOWLEDGEIlan Pappé, Verso/New Left Books Londres, 2014

Depuis sa création en 1948, Israël a puisédans le sionisme la structure de l’organisa-tion de sa société civile et l’orientation desa direction politique. Dans ce nouvel ouvrage, Ilan Pappé s’intéresse à la perma-nence du rôle de l’idéologie sioniste; il yanalyse la manière dont celle-ci, opérant àl’extérieur du gouvernement et de l’armée,s’est immiscée partout et notamment dansles mondes de l’éducation nationale, desmédias et du cinéma et a nourri et conforté,par sa référence constante à l’Holocauste,les structures idéologiques de l’État.L’auteur examine la manière dont plusieursgénérations successives d’historiens ontprésenté le conflit de 1948 comme uneguerre d’Indépendance devenue mythefondateur incontesté dans la société israé-lienne jusqu’à l’apparition, dans les années90, de ceux que l’on a nommés les nou-veaux historiens: Pappé fut l’un d’entreeux. Il fut violemment attaqué et reçutmême des menaces de mort pour avoirénoncé la vérité historique sur les traite-ments réservés aux Palestiniens et sur lastructure occulte chargée de mettre le récithistorique au service du pouvoir. L’Idée d’Israël apporte des éléments essentiels au débat sur le passé et lefutur du conflit israélo-palestinien.

Ilan Pappé est professeur d’Histoire àl’Université d’Exeter ; il est l’auteur denombreux ouvrages dont « Le nettoyageethnique de la Palestine ». C.S.

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