Regards sur les droites n° 62

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    l’édito

    d’ AlainBergounioux 

    Et si la primaire se jouait plus à droite que prévu ?

    Ce constat est fait par l’éditorialiste politique du Figaro, Guillaume Tabard, le 1er sep-tembre. Il n’est pas fait pour nous surprendre. Nous l’avions fait nous-mêmes, depuislongtemps déjà. Une surenchère, en effet, saisit presque tous les dirigeants du parti« Les Républicains » -, le terme s’éloignant de plus en plus de la tradition française.C’est à qui proposera les mesures les plus dénitives pour empêcher les migrations, pas-sant sous silence que la crise actuelle concerne majoritairement des réfugiés, mêlant, à nouveau, les appréhensions anciennes qui existent dans l’opinion sur l’immigration et la sécurité. Le « pompon », si l’on peut dire, a été remporté par la porte-parole de « Les Répu-blicains », qui propose de « fermer les frontières, arrêter Schengen, arrêter la libre circulation ».Même un « notable » comme Xavier Bertrand envisage de faire emprisonner toutescelles et ceux qui sont chés selon le code « S » - sur un seul signalement. Bruno LeMaire ne parle que d’expulsion immédiate, etc… Ils font semblant d’ignorer qu’il existeun Etat de droit, et que la défense de la démocratie n’est pas plus efficace si l’on supprimeles libertés fondamentales. Gageons, cependant, que nous en entendrons d’autres.

    L’éditorialiste du Figaro ne veut pas considérer qu’il y a là une volonté de coller aux thèmes du Front national. Florian Philippot, pourtant, n’a-t-il pas proposé d’offrir unecarte du FN à la porte-parole de « Les Républicains » ? Guillaume Tabard préfère évo-quer la « droitisation » de l’opinion française. Les inquiétudes sont réelles - et le gouver-nement mène une politique pour y répondre. Mais la grande question pour desresponsables politiques - et, pourrions-nous dire aussi, pour des leaders d’opinion - estde savoir si on choisit simplement - et facilement (dans un premier temps)- d’aller dansle sens des appréhensions et de cultiver les peurs, ou d’expliquer la réalité des choses etde dire ce qui doit et peut être fait. Il faut, qui plus est, ne pas prendre comme allantde soi cette notion de « droitisation ». Notre société est certes contradictoire. Mais, lesétudes d’opinion montrent que les valeurs humanistes ne sont pas de vieilles lunes. Ellessont toujours présentes et continuent de structurer notre société. Les courants d’ex-trême-droite sont forts - et ont prospéré largement sur les problèmes de l’immigration.Mais, la reconnaissance de la dignité de la personne est aussi largement majoritaire - etn’anime pas seulement toutes celles et ceux qui se retrouvent dans les associations.La majorité de nos compatriotes souhaite qu’un pays, comme le nôtre, puisse unir hu-manité et responsabilité. La moindre des choses pour celles et ceux qui veulent incarnerla tradition républicaine française est de conforter ce sentiment, et non de le saper.

    La droite jouera clairement sa légitimité républicaine sur son attitude dans cette crisedes réfugiés pour notre pays et le projet européen. Nous lui conseillons de s’inspirer dela politique de la Chancelière d’Allemagne, à la tête, pourtant, d’un parti conservateur.Les solutions ne sont certes pas aisées. Mais, elles existent : s’entendre sur la nature dela crise, qui est une crise des réfugiés, unier la législation sur le droit d’asile en Europe,accepter une clef de répartition décidée en commun, dresser une liste de « pays surs »,dont les ressortissants ne peuvent revendiquer le statut de réfugiés… Ce que l’on doit

    attendre de la politique est de rappeler fermement ce que sont les valeurs de la Franceet de l’Europe et de proposer des politiques réalistes… Soyons, d’abord, nous-mêmes à la hauteur du moment historique, et espérons que les partis qui se revendiquent de la République le seront…

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    2/122 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

     Alain Juppé n'est nullement un novice en lamatière. En effet, le 17 octobre 1991, l’intéressé

    - alors Secrétaire général du RPR - s'en est prispubliquement aux  « féodalités corporatistes,au conservatisme et aux archaïsmes du milieuenseignant ». Pour « obtenir l'assentiment po-

     pulaire » sur les grandes orientations du RPR,il préconise un élargissement du champ d'ap-plication de l'article 11 de la Constitution, afinde « soumettre au peule français l'ensemble deces orientations par voie de référendum ». Ils'agit, notamment, de  « casser le collègeunique » et d'organiser « différents parcours deréussite », d'ouvrir la voie de l'apprentissage

     « dès la quatrième ». Il s'agit de passer en forceface au monde enseignant, et d'en haut. Bienque l'idée de ce référendum ait été approuvéeet reprise à son compte par Jacques Chirac lorsde l’élection présidentielle de 1995, ce référen-dum ne sera pas finalement mis en œuvre.

    En 1999, nouvelle initiative du même Alain Juppé qui organise  « Les entretiens de Bor-

    deaux » des 7 et 8 octobre, sur le thème : « Quels enjeux éducatifs pour les vingt ans àvenir ? ». Pour l'avenir, selon Alain Juppé, laquestion des contenus doit occuper une placeessentielle. La deuxième piste fondamentale àexplorer est celle de l'autonomie des établisse-ments. Pour Alain Juppé, s'il faut être très au-dacieux pour les universités, la prudenceconvient dans le second degré, en raison durisque d'un accroissement des inégalités.

    Troisième acte : la parution, le 26 août 2015,du livre du même Alain Juppé : « Mes chemins

     pour l'école » ( J.C. Lattès, 306 pages). Il ne s'agit

    plus formellement de passer en force et d'enimposer d'en haut. L’auteur « souhaite que l'on

    expérimente sur la base du volontariat avant de généraliser les changements s'ils s'avèrent efficaces. On ne va pas imposer le même

     schéma dans tous les établissements ». C'estainsi, par exemple, que « la revalorisation en-visagée de plus de 10 % pour les enseignantsdu premier degré » apparaît conditionnée par une présence accrue - et, éventuellement diver-sifiée - des professeurs des écoles dans leursétablissements. Pour ce qui concerne les en-seignants affectés aux réseaux d'éducationprioritaire, il faut, selon lui,  « créer les condi-tions pour que les enseignants en aient envie,une bonne équipe pédagogique, des moyensaccrus, une meilleure rémunération. Il faut ar-river à rebattre les cartes ; mais, là aussi, sur labase du volontariat ».

    Il n'est pas question, non plus, pour Alain Juppé - contrairement au Juppé de 1991 et auxautres dirigeants de droite actuels, décidés à

    participer aux primaires - de s'en prendre àtout ce qui a été mis en place par la gauche enmatière d'éducation : « Je ne compte pas reve-nir sur toutes les réformes du quinquennat 

     précédent au motif qu'elles ont été menées par un gouvernement socialiste. On fera une éva-luation des programmes, il y aura quelquesaménagements, mais je ne vais sûrement pasremettre en chantier la totalité des pro-

     grammes scolaires. Quant à la réforme des

    rythmes scolaires, l'enjeu est budgétaire plusque pédagogique ». Par ailleurs, à certainségards, son slogan de base : « mettre le paquet 

     sur le début du cursus scolaire, c'est-à-dire

     Alain Juppé et l’éducationPar Claude Lelièvre. Agrégé de philosophie, il est professeur honoraire d’histoire del’éducation à la faculté des sciences humaines et sociale-Sorbonne (Paris V), spécialiste

    dans l’histoire des politiques scolaires aux XIXe et XXe siècles. Il a participé à l'élaborationdu programme du PS lors de l'élection présidentielle de 2012.

     Alain Juppé vient de présenter son projet de réforme de l'Education nationale en vue de

    l'élection présidentielle à venir, une réforme de l'Ecole annoncée comme la « mère de toutes

    les réformes » - si ce n'est la « mère des batailles ».

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    3/12NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 3

    l'école maternelle et l'école élémentaire », s'ins-crit dans le droit fil de la philosophie de la « re-

     fondation de l'Ecole » - refonder l'Ecole à partir de sa fondation et de son fondement : l'écoleprimaire.

    Il n'en reste pas moins, comme le reconnaîtd'ailleurs Alain Juppé, que bien des  « contro-verses » sont à venir : en particulier sur lesquestions de financement ou du nombre depostes - et de leurs déplacements proposés, dusecondaire vers le primaire - ; et aussi, sur l'am-pleur inédite des autonomies proposées auxétablissements - sur le plan pédagogique,mais aussi programmatique et organisation-nel, voire statutaire.

     « Je vais beaucoup plus loin que la réforme ducollège de Najat Vallaud-Belkacem qui prévoit 20 % d'autonomie dans la gestion des emploisdu temps . Quant au recrutement, je proposed'avoir une vraie politique de ressources hu-maines, aujourd'hui totalement absente del'Education nationale. Vous connaissez uneentreprise où il n'y a jamais d'entretien d'em-bauche ? Il faut développer la notion de ''postesà profil'' : on définit le profil du poste vacant , onregarde le CV, on fait passer un entretien et onvérifie ainsi qu'on recrute le bon enseignant 

     pour le bon poste ».Pour ce faire, les collèges et lycées seraientdotés, à côté du conseil d'administration, d'un« conseil éducatif d'établissement » qui assu-merait la gestion de l'autonomie. Cette ins-tance présidée par le chef d'établissement,serait composée de 6 à 15 enseignants éluspar leurs pairs.

    Le Alain Juppé de 1999 avait conclu qu'en ma-tière d'autonomie « la prudence convient dansle second degré en raison du risque d'accrois-

     sement des inégalités ». Certes, selon les fortesparoles du sociologue Pierre Bourdieu,  « l' in-différence à la différence » engendre de la diffé-rence. Mais, une trop grande  « déférence aux différences » aussi. La ligne de crête est difficileà tracer, et se trouve être l'un des problèmescruciaux à résoudre.

    On retiendra surtout les grandes incertitudesqui planent sur les financements de ce qui estproposé par Alain Juppé, et sur les postes.Il s'est prononcé clairement, au printemps der-nier, pour reprendre la politique de la recon-duction de seulement la moitié des postes de

    fonctionnaires partant à la retraite. Quand onlui pose la question à propos des postes d'en-seignants, il reste tout à fait évasif. Et ses ré-ponses, quant aux financements de sespropositions, sont elles aussi non moins éva-sives ou à « géométrie variable ». Par exemple,pour la revalorisation des enseignants du pri-maire, on a eu droit à trois réponses diffé-rentes successives. « Nous devrons rechercher des marges de manœuvre dans le secondaire,

     par exemple, en allégeant le système des op-tions ; ou en n'entreprenant pas de troisièmelangue vivante avant d'avoir dépassé un cer-tain niveau dans les deux premières » (livre,p. 214) ; ou bien : faire des économies sur l'or-ganisation du baccalauréat - « en réduisant lenombre d'épreuves à quatre ou cinq, le restedes acquis étant soumis au contrôle continu »(dans une interview au Parisien magazine,avec d'ailleurs une surévaluation très pronon-cée de ce que cela ''rapporterait'' - ; ou bien en-core : « si on rapprochait progressivement dela moyenne européenne le temps d'enseigne-ment dispensé à nos élèves dans le secon-daire, qui est très lourd, cela dégagerait desmarges de manœuvre » (Le Monde, 27 août).

    Il n'y a, dans ce domaine, qu'une seule certi-tude : Alain Juppé est déterminé à ne pas aug-menter les dépenses faites en faveur del'éducation - qui lui paraissent suffisantes

    et dans l'exacte moyenne des pays de l'OCDE :6,1 % du PIB. Comme on peut penser qu'il yaura une certaine croissance (du PIB) durantle prochain quinquennat, cela revient à pro-grammer tranquillement une baisse du pour-centage dévolu à l'éducation, et à admettreque la France se retrouve en-dessous de lamoyenne des autres pays. C'est sans doutecela, l'humour ''Juppé'', quand il annonce quela réforme de l'Ecole est « la mère de toutes les

    réformes ».

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    4/124 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

     Le numéro de ce mois-ci consacre un dossier spécial aux défis et  problèmes auxquels se confronte la Conférence mondiale sur le cli- mat, la COP 21, qui se réunira à Paris, fin novembre. À lire ! 

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    Comment l’identité nationale

     française s’est-elle forgée ? La nationest-elle une construction intellectuelle ? 

    La nation est une construction sociale, poli-tique, culturelle, voire économique. Elle estmoins ancienne que ce que nous pensons or-dinairement. Fondamentalement, elle estissue de la grande Révolution, qui met fin àl’Ancien régime, au profit de nouvelles formesd’organisations et de sociétés.

    Ce qui signie, en clair, que laNation française s’est construite sur les ruines de l’Ancien régime.

    Oui. Elle a été construite pour permettre la find’une ère politique et sociale. Dans le cas de la

    France, c’est, bien entendu, la Révolution qui

    marque la rupture, avec la proclamation denouveaux principes. Lesquels s’imposerontprogressivement au XIX° siècle, non sans re-mises en cause, au prix de luttes incessantesentre républicains et réactionnaires.Plus généralement, l’avènement des nationsmodernes résulte d’un mouvement d’ensem-ble, qui obéit à la même logique de transfor-mation sociale et politique.

    Ce qui fonde la Nation, c’est aussi, et  peut-être même surtout, laDéclaration des droits de l’homme et du citoyen.

    Cette déclaration est un condensé program-

     Anne-Marie Thiesse…… est directrice de recherche au CNRS. Membre de l’équipe Transferts culturels à l’Ecolenormale supérieure, elle travaille sur la formation des identités nationales, régionales eteuropéenne. Outre ses nombreux articles dans des revues scientifiques et ses contributionstout aussi nombreuses à des ouvrages collectifs, elle a rédigé de nombreux ouvragestraitant de la culture populaire passée en France et des ressorts du patriotisme, avec un

    intérêt particulier pour les questions liées au régionalisme. Elle est l’auteure, notamment,du livre « Faire les Français. Quelle identité nationale ? », Paris, Stock, 2010.

     « La gauche ne propose plus sa conceptionde la nation, laissant ce terme être préempté,aujourd’hui, par la droite et l’extrême droite »

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    matique des nouveaux principes d’organisa-tion. Mais son projet n’est pas spécifiquementfrançais. Elle a été énoncée par « les Représen-tants du Peuple Français, constitués en As-semblée nationale », mais elle parle en termesuniversels. Elle ne définit pas ce que doit être

    la France, mais la Nation, au sens général. Sonpremier article stipule, d’ailleurs, que leshommes naissent et demeurent libres etégaux en droit. Le deuxième affirme que le butde toute association politique est la conserva-tion des droits naturels et imprescriptibles del'Homme (liberté, propriété, sûreté, résistanceà l'oppression), le troisième que la nation estsouveraine. On a là la définition de la nationmoderne. En elle seule réside la souveraineté.

    « Nul corps, nul individu ne peut exercer d'au-torité qui n'en émane expressément », est-ilclairement exprimé. Ils’agit là d’un principefondamental, qui remetclairement en causel’ancien principe de laverticale descendantedu pouvoir. De la nationseule émane le pouvoir légitime.La Nation est, de cepoint de vue, une com-munauté politique quin’est pas définie par unsouverain, mais par elle-même. Elle est supposée être une unité ensoi, pérenne. Elle est radicalement différented’un royaume fondé sur des rapports hiérar-chiques entre suzerain et sujets. Elle n’est pasnon plus définie par une volonté divine. La pro-

    clamation de la nation correspond à la sécula-risation du politique. Ces fondamentauxproclamés fortement dès 1789 sont proposéscomme seuls principes légitimes de l’organi-sation des États. Evidemment, cela ne se réali-sera pas d’un coup et suscitera de fortesoppositions !

    Quels sont les apports du principenational dans l’ordre social et 

     politique, à l’échelle hexagonale et européenne ? 

    Historiquement, le principe national a permisde poser l’idée d’égalité de naissance, de définir 

    un vaste ensemble de droits individuels et lareprésentation politique. Il a favorisé la mobi-lité sociale et géographique, permis de penser et de construire des universalités aussi bienpolitiques, juridiques que concrètes - la déter-mination des poids et mesures universels est

    lancée à la suite de la Révolution. C’est dans lecadre national que se sont construits le sys-tème parlementaire, les partis politiques etmême l’internationalisme ouvrier. Le principenational a été en phase avec la sécularisationdes sociétés européennes. Plus de religiond’Etat, mais le devoir pour l’Etat de garantir aux individus la liberté de croyances et pra-tiques religieuses. Ceci n’est pas anodin ! Ajou-tons que le principe national, bafoué par les

    colonisateurs sur les territoires conquis enAfrique ou en Asie, a été revendiqué ensuitepar les colonisés dansles luttes dites juste-ment de libérationnationale. Le nationa-lisme, nous ne le sa-vons que trop, a portéaussi l’impérialisme, larevendication de la «pureté nationale », et laxénophobie. La droitenationaliste de la fin duXIX° ne cessait de dé-noncer l’ennemi infiltréau sein de la nation,

    dans la France des années 1930 on parlait de« Cinquième colonne » et cette obsession res-surgit, aujourd’hui, en s’appliquant aux isla-mistes. Le continent européen a payé uneffroyable tribut aux nationalismes violents,

    en termes de guerres, de nettoyages eth-niques, de déplacements forcés de population.L’année 1914 fut marquée, de ce point de vue,par l’impuissance du mouvement internatio-naliste à enrayer l’affrontement terrible et des-tructeur des nationalismes. Nous n’avons pasoublié, non plus, la montée du national-socia-lisme et sa responsabilité dans la SecondeGuerre mondiale. Après guerre, les Etats-na-tions démocratiques de l’Ouest européen se

    sont tout à la fois engagés dans la construc-tion d’une union européenne et le développe-ment d’économies nationales puissantes où lamise en œuvre de la solidarité sociale a été in-

     « Le principe national a été en phase avec la sécularisation des

     sociétés européennes. Plus dereligion d’Etat, mais le devoir  pour l’Etat de garantir aux 

    individus la liberté de croyanceset pratiques religieuses. Ceci

    n’est pas anodin ! »

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    tensifiée par les luttes sociales et l’existence du« Bloc communiste ».

    Ne peut-on pas considérer que l'idéenationale appartient au passé et n'a

     jamais produit que patriotismes

    belliqueux, xénophobie et repli sur soi ? L’actualité et la montée en puissance des populismes, en Europe,n’en est-elle pas l’expression la plusaboutie ? 

    De nos jours, la référence à la Nation est assi-milée à la droite et l’extrême droite, en lien avecla xénophobie. Elle est pourtant beaucoup plusvaste que cela, dans la mesure où elle peutabriter toutes sortes d’opinions politiques ou

    idéologiques. Originellement, la nation a étéune référence progressiste, et même plutôt ré-volutionnaire, avant de devenir une sorte de «maison commune » dontles partis de droite et degauche produisaient desvisions différentes. Notreespace politique et socialest encore profondémentdéterminé par la référencenationale : que l’on songeà l’Assemblée nationale, àl’Education nationale, etc.La référence nationalereste intimement liée ànos institutions, à la sou-veraineté, à la redistribution ou à la justice so-ciale.Le problème est que la gauche ne proposeplus sa conception de la nation, laissant ceterme être préempté, aujourd’hui, par la droite

    et l’extrême droite. Toute la difficulté est là.

    Dans un contexte marqué par deschangements technologiques et sociaux au moins aussi importantsque ceux qui ont vu naître l’idéenationale, il y a deux siècles, laNation est-elle toujours la forme

     politique la plus adaptée ?

    C’est une question fondamentale, que la

    gauche ne devrait pas esquiver. En fait, laquestion nationale est indissociable de laquestion de l’international. Le principe d’égalitéde naissance, consubstantiel à l’idée nationale,posait la question de l’égalité économique. En

    1848, l’année du « Printemps des Peuples », leprincipe national a fait preuve de sa puissancemobilisatrice et est devenu déterminant pour l’avenir politique du continent européen,même si la plupart des insurrections nationa-listes ont été écrasées par les empires. Mais

    1848, c’est aussi la publication du Manifestecommuniste, qui proclame  « Prolétaires detous les pays, unissez vous ! ». Deux principesde modernité politique, économique et socialesont désormais posés. Ils sont a priori en op-position, mais on sait aussi que, après la Com-mune de Paris et sa répression, la SecondeInternationale se développe dans le cadre desEtats-nations. Jaurès, d’ailleurs, articule uneconception de la Nation compatible avec l’in-

    ternationalisme, non chauvine, qui ne dissociepas le combat pour le Peuple français des ob- jectifs de l’Internationale ouvrière. La création

    de la Troisième Internatio-nale, en 1919, a sembléconfronter radicalementréférence nationale et in-ternationalisme, mais làencore les relations sontplus complexes - le Particommuniste français, àpartir du milieu des an-nées 1930, a aussi un dis-cours patriotique. Mais,depuis la fin de la Guerrefroide et l’effondrement du

    système communiste, on observe une grandedifficulté de la gauche à penser, c’est-à-dire re-penser, l’internationalisme.Du coup, face aux changements induits par lamondialisation, on a l’impression que seule la

    référence à la Nation subsiste. C ’est ça ou rien !En tant que citoyenne, je m’étonne, et m’in-quiète, que le Parti socialiste ait délaissé la ré-flexion sur l’internationalisme. Ceci vaut,notamment, pour les événements qui se-couent la Grèce, aujourd’hui. Pensons-nousuniquement en tant qu’États souverains, auto-responsables ou en termes de solidarités in-ternationales des peuples ?

    La montée des populismes, en Franceet en Europe, n’est-elle pasl’expression la plus aboutie d’un

     patriotisme belliqueux, teinté dexénophobie et de repli sur soi ? 

     « Le problème est que la gauche ne propose plus sa

    conception de la nation,laissant ce terme être

     préempté, aujourd’hui, par la droite et l’extrême droite.Toute la difficulté est là. »

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    8/128 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    Elle résulte peut-être surtout de notre incapa-cité à envisager le Peuple hors d’un cadre na-tional, qui apparaît comme l’unique protectionde ses intérêts, alors même que les forces éco-nomiques et financières sont à une toute autreéchelle ! Le Front national de Marine Le Pen a

    troqué les aspects ultralibéraux qui étaientceux de son père, dans les années 1980, pour des références ultra-protectionnistes. Le FN,dans ses discours récents, se présente commeun rempart protégeant le Peuple contre lesméfaits du libéralisme mondial et il n’hésitepas à réquisitionner rétrospectivement Jaurès.Ce populisme a d’autant plus d’impact qu’il n’ya, pour l’heure, pas de pensée politique de dé-fense des travailleurs, dans une perspective in-

    ternationale solidement articulée aux réalitésde la mondialisation.Dans le cas contraire, ilserait possible d’avoir une vision d’avenir,sans céder à la tenta-tion du protection-nisme et du repli sur soi.

    La gauche doit 

    donc seréapproprier l’idéologienationale…

    Elle s’est clairementmise dans une im-passe, en cessant depenser l’international.Le vide idéologique est énorme vis-à-vis de ladroite et de l’extrême droite, qui se retrouvent,

    sur ce point, en position de force. Avec la cohé-rence, en prime.

    Face à la montée des populismes,quelles sont les conditions del’élaboration d’une identité collectiveeuropéenne ? 

    La construction européenne s’est opérée d’en-haut, selon un processus de représentationpolitique complexe. De là cette impression ré-

    currente que les décisions de Bruxelles étaientprises sans en référer au peuple, même si leParlement européen est maintenant élu ausuffrage direct par les citoyens européens. La

    citoyenneté européenne existe, mais la ques-tion qui se pose est de savoir s ’il existe un Peu-ple européen, dont émanerait unesouveraineté supranationale. Il est incontesta-ble que les habitants du Vieux Continent sontaujourd’hui très proches les uns des autres, en

    termes de mode de vie, de valeurs, decroyances. On peut d’ailleurs rappeler que l’Eu-rope est le continent le plus sécularisé, y com-pris parmi ses habitants immigrés. Mais lesentiment de faire « un Peuple » ne résulte passpontanément de similarités ni de conver-gences.

    Pourtant, depuis les années 1990,une identité européenne s’est forgée

     peu à peu.

    Oui, mais, ce quimanque le plus à l’Eu-rope et qui avait fait au-trefois la force desnations, c’est un espacepublic. En clair, des sys-tèmes de représenta-tion et de débats oùchacun peut avoir lesentiment d’appartenir à un ensemble. Lastructuration de la viepolitique, en Europe,par des partis natio-naux, est un sérieuxobstacle à une citoyen-neté européenne activeet vivante. Du coup, il

    semble régulièrement que les intérêts natio-naux sont à la fois plus importants que ceux

    des catégories sociales transnationales et, po-litiquement, plus sérieux que les intérêts com-muns aux différents Etats membres.

    Comment expliquez-vous larésurgence d’un nationalismexénophobe et populiste, au Danemark et en Hongrie ? 

    Paradoxalement, la faible capacité de contrôle,par les Etats-nations actuels, des forces écono-

    miques et financières, alimente le nationa-lisme. Ceci s’explique, en partie, par la faiblesseidéologique des partis démocratiques tradi-tionnels à proposer de nouveaux modèles po-

     « En tant que citoyenne, jem’étonne, et m’inquiète, que leParti socialiste ait délaissé la

    réflexion sur l’internationalisme.Ceci vaut, notamment, pour les

    événements qui secouent laGrèce, aujourd’hui. Pensons-

    nous uniquement en tant qu’États souverains, auto-responsables ou en termes

    de solidarités internationalesdes peuples ? »

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    NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 9

    litiques fondés sur la justice sociale, la redistri-bution et la solidarité entre les groupes so-ciaux et les différentes générations. Latentation d’un retour en arrière peut donc êtreforte.

    N’y a-t-il pas lieu de bâtir un récit national ? Sous quelles conditions ? 

    Le récit national, qui a été construit au XIXe siè-cle, en France, comme dans les autres pays eu-ropéens, a eu le mérite de bâtir unecommunauté solide et solidaire, de proposer à chaque citoyen, même le plus pauvre, un sta-tut dans un ensemble valorisé. Il a servi à« faire de l’inclusion ».L’histoire nationale,

    dans sa version Troi-sième République, quel’enseignement pri-maire a largement dif-fusée, exaltait deshéros nationaux ap-partenant à toutes lescatégories de la popu-lation, des monarquesaux paysans, en pas-sant par les bourgeois,les savants, les artistes.Tous ces héros avaientla passion de la libertéet de la justice ! Quefaire de ce récit vieux de plus de cent ans ? Cer-tains ont la tentation de le ranimer, au-

     jourd’hui, d’autres pointent, à juste titre, que lerécit national « Troisième République » ou-bliait, ou traitait fort mal, certaines catégoriesde personnes : les femmes, les populations des

    colonies, notamment. Du coup, ce vieux récitnational peut être mobilisé pour exclure denombreux « nouveaux arrivants » de la com-munauté nationale. Mais suffit-il de « rectifier » ce récit pour le faire fonctionner à nouveau ? Ne sommes-nous pas confrontés à de nou-veaux enjeux qui dépassent complètementcette représentation, laquelle n’envisage unecommunauté que comme un isolat dans desfrontières supposées éternelles - la Gaule au

    temps de Vercingétorix - ou d’Astérix - a lemême territoire qu’au XXe siècle ! On ne peutpas prendre en compte les mutations de l’èrenumérique, la mondialisation ou l’écologieuniquement dans le cadre hexagonal !

    L’historienne, Mona Ozouf, voit dansles grandes commémorations unetransgression de la réalité, en seréférant à la Révolution française et aux violences qu’elle a suscitées.Partagez-vous ce point de vue ?

    Dans les usages publics de l’histoire, il y a tou- jours un anachronisme, qui plaque le passé

    sur le présent. Ce n’estpas ainsi que les histo-

    riens procèdent. Ils es-saient de comprendrecomment des individusqui avaient une repré-sentation du monde etdes attentes très diffé-rentes des nôtres sesont comportés. Lacommémoration faitabstraction de nos diffé-rences avec nos ancê-tres pour « présentifier »l’événement. Nous nousl’approprions et le trans-formons en fonction de

    nos préoccupations présentes.Ce qui frappe le plus, dans les références ac-tuelles à 1789, c’est la propension récente - di-sons les trois dernières décennies - à éliminer l’épisode révolutionnaire proprement dit, et laviolence qui l’a accompagné. Ceci vaut égale-

    ment pour les révolutions qui ont suivi. Le rap-port à la Révolution a complètement changé.La gauche n’emploie d’ailleurs plus le terme de« Révolution » érigé, précédemment, en objec-tif. Comme si ce terme devenu illégitime devaitêtre remplacé par celui, plus consensuel etplus pacifique, de République.

    Propos recueillis par Bruno Tranchant 

     « Le récit national, qui a étéconstruit au XIX e siècle, en

    France, comme dans les autres pays européens, a eu le mérite

    de bâtir une communauté solide et solidaire, de proposerà chaque citoyen, même le plus

     pauvre, un statut dans unensemble valorisé. Il a servi à

     « faire de l’inclusion ».

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    10/1210 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    François Fillon s’exprime sur son pré-pro-gramme présidentiel, dans la perspective des« primaires » organisées par l’ex UMP, commes’il n’avait ni bilan, ni passé. Rappelons-lui, enpréalable, qu’il a été plusieurs fois ministres,dont une fois Premier ministre, et ce, pendantcinq ans, de mai 2007 à mai 2012. Son bilanse confond avec celui du dernier quinquennatde Nicolas Sarkozy. Jugeons plutôt.

    Une grave amnésie. Ledéficit public annuelmoyen atteignait, àcette époque, 5 %du PIB, en raison d’unclientélisme fiscal per-manent et catastro-phique pour lesfinances publiques. Ladette publique progres-sait de 600 milliards, encinq ans, soit d’un tiers.Le chômage augmen-tait de 1,1 milliond’hommes et defemmes dans la mêmepériode. Le nombre depersonnes situées sousle seuil de pauvreté, ouconduites à renoncer àse soigner, devenait,

    chaque année, plus im-portant. Le déficit du commerce extérieur cul-minait à 70 milliards par an, en 2012. Dans lemême temps, l’école publique et la petite en-fance étaient sacrifiées. Quant à l’emploi indus-triel, il régressait de 70 000 unités, par an,pendant cinq ans.Dans ces conditions, l’ancien Premier ministrede Nicolas Sarkozy paraît bien mal placé pour donner des leçons de volontarisme ou de

    vertu, ou même de savoir-faire. L’état calami-teux dans lequel la gauche a trouvé le pays, aulendemain du 6 mai 2012, résultait aussi desa responsabilité écrasante. Et sa défausse

    quelque peu « pleurnicharde » sur le présidentde l’époque n’y changera rien. Car, personnen’est obligé de rester Premier ministre contreson gré, à fortiori contre ses convictions pro-fondes.Il est, en outre, difficile de se présenter commeun homme neuf, lorsque l’on a exercé pendantdix ans, des responsabilités gouvernemen-tales éminentes, soit comme ministre, soit entant que chef du gouvernement. François

    Fillon a aussi perdul’élection présidentiellede 2012, car il était leprincipal soutien ducandidat sortant et co-responsable du bilancondamné par le suf-frage universel.Il semble encore plus dé-licat de vouloir trancher de tout, après le spectacledonné à l’automne 2012,lors de la tentative mal-heureuse de conquête dela présidence de l’UMP,sans parler de la dé-marche de constituer ungroupe parlementaire of-ficieux, en marge de celuidirigé par Christian Jacob,à l‘Assemblée nationale.

    Bref, François Fillon abeaucoup échoué, depuis 2007, à la fois sur le ter-rain gouvernemental et partisan.

    Une volonté de revanche sociale. L’avant-projetqu’il propose aujourd’hui est un programme de ré-gression sociale économique et politique. Il le placeà des années lumières de la tradition gaulliste et,notamment, de son ancien mentor, Philippe Se-guin. Il confirme une réelle radicalisation à droite.

    Son discours marque la fin du rôle de l’État régu-lateur et stratège, au bénéfice de compétences stric-tement régaliennes exercées de manièreautoritaire. Ainsi, François Fillon se coule plei-

    Il est, en outre, difficile de se présenter comme un homme

    neuf, lorsque l’on a exercé pendant dix ans, des

    responsabilités gouvernementales éminentes,

     soit comme ministre, soit en

    tant que chef du gouvernement.François Fillon a aussi perdu

    l’élection présidentielle de 2012,car il était le principal soutien

    du candidat sortant et coresponsable du bilan

    condamné par le suffrageuniversel.

     La dérive de François Fillon

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    11/12NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 11

    nement dans le moule “néolibéral” inspiré par l’école de Chicago. Il va jusqu’à prôner l’inscrip-tion dans la constitution de la règle de l’équili-bre absolu des finances publiques –budgétaires, sociales et territoriales -, au mé-

    pris de la préservation de toutes marges de ma-nœuvre contra cycliques, de tout pragmatisme. Ilne recule devant aucune des outrances du modèle« libéral », au risque de verser dans l’illusoire etle puéril. Car, il ne suffit pas de déclarer incons-titutionnel le déséquilibre des finances pu-bliques, à partir de 2022, pour y parvenir dansles faits et s’y tenir… surtout lorsqu’on se sou-vient de son bilan gestionnaire à la tête del’État.

    En fait, sa démarche économique, sociale etfiscale inaugure lagrande revanche despossédants. Suppres-sion de l’Impôt de soli-darité sur la fortune(ISF), réduction subs-tantielle de l’Impôt sur les sociétés, fin de l’en-cadrement des loyers,dégressivité des indem-nités de chômage, aunom de la stigmatisa-tion implicite de ceuxqui ont perdu leur em-ploi et devraient êtred’abord considéréscomme des victimes.Nous ne sommes plusen présence d’une lo-gique conservatrice,

    mais authentiquementréactionnaire.Sur le terrain stricte-ment social, l’ancien Premier ministre de Nico-las Sarkozy va encore plus loin dans sadémarche de régression. Il annonce, en effet,la fin des 35 heures et le retour aux 39 heureshebdomadaires, sans négociation, ni discus-sion, c’est-à-dire une baisse autoritaire des sa-laires d’un peu plus de 10 %. Notons que cette

    revendication n’est même plus vraiment por-tée par le MEDEF, d’autant qu’elle entraineraitune désorganisation profonde de la vie des en-treprises. Il suggère également un contrat

    unique de travail, afin de parvenir à une situa-tion générale de « contraintes assouplies ».Le flou de la formule a de quoi inquiéter de lapart d’un homme qui a toujours eu tendance,par ailleurs, à mépriser les corps intermé-

    diaires et les médiations syndicales, dans l’en-treprise et la société. François Fillon décrèteaussi, le report progressif de l’âge légal de laretraite à 65 ans, d’ici à 2023. Cette annoncemontre implicitement les limites du sens etdes résultats de la réforme imposée par sessoins, en 2010. Il est vrai que l’équilibre d’unsystème de retraite par répartition est essen-tiellement indexé sur l’emploi et la croissance,et non le report des bornes d’âge ou même l’al-

    longement de la durée de cotisations. Com-ment chercher à fairetravailler jusqu’à 65ans et plus, et de ma-nière systématique,des hommes et desfemmes qui sont reje-tés du marché du tra-vail dès 55 ans, parfoismême avant ? À ce pro-pos, d’ailleurs, la réfé-rence explicite deFrançois Fillon à l’instil-lation massive d’unedose de capitalisationtémoigne du vrai projetde la droite dans ce do-maine. Les questions desolidarités intergénéra-tionnelles, de pénibilitédes métiers, et d’inéga-

    lité d’espérances de vie,selon les réalités socio-professionnelles, sont

    désormais totalement négligées par un blocréactionnaire répondant, en priorité, aux appé-tits du monde de la banque et des assurancesprivées, qui attend avec gourmandise de pou-voir faire son marché au nom d’une logiquestrictement financière et spéculative. Le dossier des retraites représente un marqueur politique

    et sociétal toujours révélateur.Ces divers reculs programmés s’inscriventdans une politique d’austérité clairement affi-chée, puisque celui qui prétendait, au début du

    En fait, sa démarcheéconomique, sociale et fiscaleinaugure la grande revanchedes possédants. Suppressionde l’Impôt de solidarité sur la

     fortune (ISF), réduction

     substantielle de l’Impôt surles sociétés, fin de l’encadrement 

    des loyers, dégressivité desindemnités de chômage,

    au nom de la stigmatisationimplicite de ceux qui ont perdu

    leur emploi et devraient être d’abord considérés comme

    des victimes.

  • 8/20/2019 Regards sur les droites n° 62

    12/12

    quinquennat de Nicolas Sarkozy gouverner « un État en faillite » - ce qui ne l’a pas empêchéde rester à Matignon jusqu’au 15 mai 2012 -,propose la réduction des dépenses publiques,et donc, dans une certaine mesure, des com-

    mandes publiques de 110 milliards, en cinqans. Une telle potion, si elle était appliquéeconduirait, à coup sûr, à la déflation qui de-meure, faut-il le rappeler, le risque majeur au-quel semblent être confrontées la France etl’Europe.En fait, François Fillonn’a pas de projet dyna-mique pour le pays.Il s’enferme dans une

    r h é t o r i q u e m a l t h u -sienne, qui ignore, par ailleurs, les inégalités etles injustices qui restentà combattre, y comprispour mieux réduire lesdéficits que sa gestionpassée a largementcontribué à creuser. Riensur le volume des« niches fiscales » qui ontpourtant doublé sous sa longue gouvernance ;pas davantage sur les fraudes fiscales qu’il n’a ja-mais cherché à combattre quand il exerçait lepouvoir. François Fillon préfère s’attaquer auxplus faibles que d’écorner les intérêts des pluspuissants. Cela a toujours été sa marque de fa-brique. Son discours est celui de la déchirure so-ciale et de la culpabilsation des plus fragiles.

    Un discours politique inquiétant. Il le confirme,

    d’ailleurs, sur un plan plus politique, même sil’ensemble reste à la fois assez faible et plutôt dé-cevant. Ainsi, en termes de santé, il s’acharnecontre les bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat(AME), qu’il veut remettre en cause, alors qu’ils’agit d’une disposition indispensable pour desraisons humaines, mais aussi sanitaires. La pos-sibilité de se soigner est une liberté fondamen-tale. En outre, comment endiguer l’expansionéventuelle d’une épidémie sans soigner chacun,

    non selon son statut ou sa nationalité, maisselon ses besoins, en l’occurrence vitaux ?

    Il se réfère, désormais, à une conception fon-dée sur les quotas, en matière d’immigrationéconomique, selon l’origine ou l’ethnie, occul-tant les problèmes nouveaux posés par l’explo-sion du nombre de candidats à l’asile

    politique, en raison, notamment, de l’appro-fondissement dramatique des crises auProche et au Moyen-Orient. Qu’est devenu lemessage républicain d’un mouvement gaul-liste qui, autrefois, prétendait tendre la main àtous les peuples ? Il ne semble même pas avoir 

    pris en compte celui ré-cemment délivré par laCDU allemande sur lesujet.

    En réalité, nous avonsl’explication, à traversl’expression maintesfois affirmée de son« rejet » des extrêmes,de gauche comme dedroite. Cette fausse sy-métrie conforte enfin le

     « ni-ni », qui conduit, onl’a vu, au deuxième tour des élections départe-

    mentales au « et-et », auxquels il semble défi-nitivement rallié. Cette commodité délétèreconjugue à la fois faute lourde et duplicité.Rappelons-lui que placer sur un même plan,extrême droite et Parti communiste - car, c’estde lui qu’il s’agit -, n’a aucun sens, ni au regardde l’Histoire nationale, ni à celui de la contribu-tion apportée aux progrès des libertés démo-cratiques dans notre pays. L’affirmation de laRépublique ne peut passer par une quel-

    conque bienveillance, à fortiori, une cautionmême implicite, apportée ainsi à une extrêmedroite nationaliste et xénophobe, comme l’ontconfirmé les dernières déclarations de MarineLe Pen, le 30 août, à propos des migrants.À l’évidence, la dérive “libérale” sur le plan éco-nomique et social du député de Paris se dou-ble d’une dérive stratégique. Elle en dit long sur le niveau de rancœur qui apparait comme leprincipal mobile de l’action politique d’un

    homme ayant déjà beaucoup échoué. M.B

    En fait, François Fillon n’a pas de projet dynamique pour le pays.Il s’enferme dans une rhétorique

    malthusienne, qui ignore, par ailleurs, les inégalités et les

    injustices qui restent àcombattre, y compris pour 

    mieux réduire les déficits que sa gestion passée a largement 

    contribué à creuser.