'Les chants de la lumière' -...

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1 "Les chants de la lumière" … de feu et de couleur : vitraux du 19e siècle le Christ, Marthe et Marie vitraux de l'ancienne Miséricorde, Figeac - atelier Feur, 1877 Le bouleversement des idées, les destructions et les spoliations provoqués par la Révolution obligent l'Église à chercher un nouvel équilibre pour se redresser. Cette reconquête débute sous l'Empire car Napoléon voit dans la restauration des valeurs religieuses, celle de l'ordre. Elle se poursuit sous la Restauration (1815) et s'épanouit durant le Second Empire (1852-1870). Le dynamisme de la foi catholique, conjugué au développement urbain et à la réouverture des sanctuaires, favorisent les restaurations et les nouvelles constructions d'églises. Parallèlement, le XIX e siècle découvre le Moyen Âge à travers les lectures du Génie du Christianisme de Chateaubriand (1802) ou encore de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (1831). Clergé, intellectuels, artistes, archéologues et architectes étudient ou rêvent la fin du XII e siècle et le XIII e siècle. Ils reconnaissent dans cette période l'expression parfaite de l'art catholique. Édifices, mobilier, peintures murales et vitraux sont alors élaborés sur un modèle idéal gothique. A l'exemple de ce qui se passe dans toute la France, les quatre églises de Figeac connaissent d'importantes restaurations au XIX e siècle. Le vitrail est alors l'un des éléments majeurs du décor. Toutes les baies des églises de la ville sont dotées de verrières peintes fabriquées par des ateliers de renommée nationale. Ces œuvres offrent ainsi un bel exemple des recherches des archéologues,

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"Les chants de la lumière"… de feu et de couleur : vitraux du 19e siècle

le Christ, Marthe et Marie vitraux de l'ancienne Miséricorde, Figeac - atelier Feur, 1877

Le bouleversement des idées, les destructions et les spoliations provoqués par laRévolution obligent l'Église à chercher un nouvel équilibre pour se redresser.Cette reconquête débute sous l'Empire car Napoléon voit dans la restaurationdes valeurs religieuses, celle de l'ordre. Elle se poursuit sous la Restauration(1815) et s'épanouit durant le Second Empire (1852-1870).Le dynamisme de la foi catholique, conjugué au développement urbain et à laréouverture des sanctuaires, favorisent les restaurations et les nouvellesconstructions d'églises.Parallèlement, le XIXe siècle découvre le Moyen Âge à travers les lectures duGénie du Christianisme de Chateaubriand (1802) ou encore de Notre-Dame deParis de Victor Hugo (1831). Clergé, intellectuels, artistes, archéologues etarchitectes étudient ou rêvent la fin du XIIe siècle et le XIIIe siècle. Ilsreconnaissent dans cette période l'expression parfaite de l'art catholique.Édifices, mobilier, peintures murales et vitraux sont alors élaborés sur un modèleidéal gothique.A l'exemple de ce qui se passe dans toute la France, les quatre églises de Figeacconnaissent d'importantes restaurations au XIXe siècle. Le vitrail est alors l'undes éléments majeurs du décor. Toutes les baies des églises de la ville sontdotées de verrières peintes fabriquées par des ateliers de renommée nationale.Ces œuvres offrent ainsi un bel exemple des recherches des archéologues,

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historiens, architectes, chimistes, artistes et du savoir-faire des manufactures auXIXe siècle.

Parmi l'ensemble de vitraux des églises de Figeac, quatre verrières, provenant del'ancienne Miséricorde et déposées en 1993, ont fait l'objet d'une restauration.Elles sont présentées au public dans cette exposition.

Vitraux du 19e siècle : industrialisation des ateliers

la Sainte Famille dans l'atelier, vitraux de l'ancienne Miséricorde Figeac - atelier Feur, 1877

Les manufactures royales du XIXe siècle ont retrouvé les secrets de la fabricationdu vitrail.Mais, très rapidement, elles ne peuvent plus répondre à la demande et pratiquentdes tarifs trop élevés. Les premiers grands ateliers provinciaux apparaissentalors entre 1830 et 1835 et se multiplient à partir de 1850. Ils ont la taille devéritables entreprises qui diversifient souvent leurs lieux de production, pourcertains jusqu'à l'étranger. Toutefois leur caractère familial premier est engénéral conservé : plusieurs parents travaillent dans la même fabrique. Ces fabriques ont adapté les techniques aux besoins, proportionnels à l'ampleurdes travaux. Ainsi, des innovations sont faites pour contrôler la production. Elle doit êtreintense et sans défaut. Il n'est plus question de "recettes" mais de procédésscientifiques. Les plaques de verre sont plus plates, plus fines, d'une épaisseurrégulière et les oxydes pour colorer le verre sont purs et dosés correctement.Afin d'y produire davantage, les coûts sont limités en modifiant et en simplifiant

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les procédés de fabrication. Ainsi, les dessins sont réutilisés, les mêmespersonnages sont réorganisés selon le cadre architectural environnant et lesmotifs répétitifs des bordures sont obtenus par impression ou au pochoir. Cette fabrication quasi industrielle des vitraux demande une répartition précisedes tâches selon les compétences. Le maître verrier crée le modèle, décide des couleurs. Il peint aussi le vitrail avecl'aide de plusieurs assistants. Les autres membres se chargent des tâches moinsnobles : coupe du verre, cuisson et mise en plomb.Toutefois, les verriers s'attachent à la qualité de la production, garantie d'uncarnet de commandes bien rempli. Les vitraux sont exposés dans l'atelier même,aux sièges des sociétés savantes, dans les salons ou encore aux expositionsuniverselles. Toute récompense obtenue fait l'objet de commentaires dans lapresse générale ou plus spécialisée. Les commanditaires avertis se réfèrent alorsà ces appréciations

DocumentsComparaison du vitrail ci-contre avec un vitrail de Notre-Dame de Lavardac, Lotet Garonne, La sainte Famille dans l'atelier, Henri Feur, 1889. On remarque queces deux vitraux sont presque identiques. Les différences sont les bordures, lescouleurs et l'agencement des personnages. Les maîtres verriers réutilisaient lesmêmes modèles en les adaptant à la nouvelle baie. Gravure de l'atelier de Louis-Victor Gesta à Toulouse. Carte des églises du Lotornées de vitraux des ateliers de Joseph Villiet et Henri Feur. A Figeac, les vitraux proviennent essentiellement des grands ateliers du sud-ouest. Louis-Victor Gesta de Toulouse œuvre à Notre-Dame du Puy et à Ceint-d'Eau à la fin du XIXe siècle. Les frères Périé du Puy en Haute-Loire, installent lesvitraux du chœur de Notre-Dame du Puy en 1886. Implantés à Bordeaux, les ateliers Villiet et Feur réalisent la majorité des vitrauxreligieux de Figeac.

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Aujourd'hui les ateliers pratiquent des techniques plus pointues. Véritableslaboratoires d'innovation, ils sont maintenant dirigés par une nouvelle générationde maîtres verriers. L'artisan n'est plus seulement le spécialiste cantonné danssa maîtrise d'œuvre, mais celui qui intègre la démarche de l'artiste.

Ateliers ayant collaboré avec des artistes contemporains

L'atelier Dominique Duchemin de Paris a travaillé avec :David Rabinovitch à la cathédrale Notre-Dame-du-Bourg de Dignes en 1996,Aurélie Nemours à l'église Notre-Dame de Salagon en 1997,

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Robert Morris, à la cathédrale de Maguelone en 1998, Christophe Cuzin à l'égliseSaint-Martin de Lognes en 1999, Jean Michel Albérola à la cathédrale de Neversde 1998 à 1999, et Sarkis à l'abbaye de Silvacane en 1999, 2000.

L'atelier Bernard Dhonneur de Marseille a travaillé avec :Claude Viallat à la cathédrale de Nevers en 1992, et à l'église Notre-Dame-des-Sablons d'Aigues-Mortes en 1992.

L'Atelier Jean Mauret de Saint-Hilaire-de-Lignières a travaillé avec :Jean-Pierre Raynaud à l'abbaye de Noirlac en 1976 et à l'église de Charenton-sur-Cher en 1984,Gotffried Honegger à la cathédrale de Nevers en 1994,et Jan Dibbets à la cathédrale de Blois entre 1995 et 2000.

L'atelier Jean-Dominique Fleury de Toulouse, a travaillé avec :Marc Couturier à l'église Saint-Léger d'Oisilly en 1994,Pierre Soulages à l'abbatiale de Conques en 1994,et Martial Raysse à l'église Notre-Dame-de-l'Arche-d'Alliance de Paris en 1999.

L'atelier Pierre-Alain Parot d'Aiserey, a travaillé avec :Gérard Garouste à l'église Notre-Dame de Talant en 1997.

L'atelier Jacques Simon de Paris a travaillé avec :François Rouan à la cathédrale de Nevers entre 1991 et 1996 et à l'église Saint-Jean-Baptiste de Castelnau-le-Lez en 1994.

Vitraux du 19e siècle : la commande

Au début du Moyen Âge aurait été jugé déplacé, voire présomptueux, lareprésentation d'un personnage vivant sur un vitrail. Vers la fin du XIIe siècle, lesdonateurs commencent à y figurer. Puis la présence de personnages laïquesprouve l'existence d'individus assez riches et puissants pour faire don de vitrauxaux églises. Des corporations d'artisans font souvent don de vitraux. Assurait-ilainsi en même temps une publicité à leur métier ? Les ressources financières jouent un rôle essentiel dans l’exécution et la mise enplace des verrières. Elles déterminent le type de représentation, du plusélémentaire au plus étudié. Les vitraux les plus simples sont ornés de motifsgéométriques, comme dans les parties hautes de Notre-Dame du Puy. Lesfigures les plus modestes sont les saints en pieds que l’on trouve à Notre-Damedu Puy et à l'église de Ceint-d'Eau.

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Les financements influent également sur l’avancée des travaux qui sont souventréalisés en plusieurs étapes. De plus, les donateurs, privés ou regroupés enconfréries, peuvent avoir des exigences particulières quant à la représentation.L'ensemble des vitraux est alors très hétérogène. Ainsi trois verriers ont participéaux travaux de Notre-Dame du Puy et deux mains ont travaillé à Ceint-d'Eau.Dans les vitraux de ces deux églises, il n'y a pas de suite logique ni d'unitéstylistique.Le cas de Saint-Sauveur est particulier. C'est l'abbé Massabie qui dirige destravaux à partir de 1869. Pour cela, il lance des souscriptions auprès desFigeacois. Ainsi, les sommes rassemblées lui permettent de ne faire intervenirqu’un seul atelier - Villiet - et d’établir un programme iconographique cohérentpour la nef.

C'est sous l'initiative du clergé et de l'Église que l'aventure du vitrailcontemporain débute en France.En 1937, le père Couturier, convaincu que l'art religieux peut tirer profit de l'artprofane, invite quelques artistes à soumettre des cartons pour les vitraux del'église de Notre-Dame-de-Toute-Grâce d'Assy, en Haute-Savoie. Il y avait entreautre Fernand Léger, Marc Chagall et Georges Rouault. La multitude des stylesn'en fît pas un succès, cependant cette première approche a permis ledéveloppement de l'art contemporain dans les édifices religieux anciens oumodernes. Depuis, de nombreux artistes ont reçu des commandes, encommençant par Matisse à la chapelle du Rosaire à Vence (1974-1950), Braqueet Ubac à l'église de Varengeville-sur-Mer (1951-1954), Bazaine à Chaux(1954) et bien d'autres.

Vitraux du 19e siècle : des oeuvres signées

Saint-Sauveur, atelier Villiet, "le laboureur", 1872

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Les plus grands ateliers identifiaient toujours leurs productions. Certains, commeGesta, préfèrent insérer leur nom dans un cartouche, visible au bas du vitrail.Villiet et Feur ont, le plus souvent, peint leurs monogrammes dans la scène enmentionnant la date et le lieu de fabrication.Joseph Villiet a été formé chez Thibaud et Thévenot à Clermont-Ferrand. Il partpour Bordeaux en 1851. Sa présence à l’exposition universelle de 1855 puis sonabsence regrettée des critiques à celle de 1867, montrent la renomméenationale de son atelier. Figeac lui confie la réalisation des vitraux de Saint-Sauveur en 1872 et Cahors, ceux du chœur de la cathédrale en 1873.

Henri Feur, originaire de Bordeaux, apprend son métier auprès de Villiet. Devenucontremaître et alors âgé de quarante ans, il reprend l'atelier le 15 août 1877.Propriétaire du nom qu'il ne manque pas de mentionner en entête de sescourriers, Feur tire parti de la réputation de son prédécesseur et étend sonactivité dans le Lot. Il signe une de ses premières œuvres en septembre 1877 avec les vitraux de laMiséricorde de Figeac. Puis, il crée les verrières de la chapelle Notre-Dame-de-Pitié de Saint-Sauveur et celles de Saint-Thomas (église des Carmes) en 1883. Iltravaille également à l'église de Ceint-d'Eau en 1896.

la signature d'Henri Feur

Les vitraux contemporains résultent le plus souvent de la rencontre d'un artisteavec l'atelier d'un maître verrier. On retrouve sur certains vitraux les deuxsignatures.

Vitraux du 19e siècle : la technique

Les opérations de fabrication du vitrail se sont transmises jusqu'à nos jours, àpeu près identiques à celles décrites par le moine rhénan Théophile, au début duXIIe siècle. Les étapes de l'élaboration de la verrière se déroulent selon le rite

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immuable : esquisse, carton, coloration, coupe, peinture, cuisson, mise en plombet pose.

La première démarche est d'établir, à partir des mesures de la fenêtre, uneesquisse à échelle très réduite qui doit indiquer la forme du vitrail, les lignes dudessin, les couleurs, le tracé des plombs et l'emplacement de l'armature quimaintiendra le vitrail.L'artiste agrandit ensuite le modèle à la taille normale, panneau par panneau,c'est le carton. Toutes les données y figurent : tracé du plomb, figures,ornements. Ce patron servira de guide tout au long du travail. Le carton est reproduit et le double est découpé avec des ciseaux à double lamece qui permet d'éliminer une bande de papier (de la taille de l'épaisseur duplomb). C'est le calibrage (ci-contre). Les calibres servent de guide pour lacoupe du verre.

Il faut ensuite choisir les feuilles de verre à partir des indications de colorisportées sur le carton ; c'est la coloration.Puis, le verre est posé sur le carton et coupé. Les irrégularités sont corrigées àl'aide d'une pince nommée grugeoir. La phase suivante est celle de la peinture. L'artiste doit tenir compte de l'effetproduit par le passage de la lumière à travers le verre puisque la peinture modifiesa translucidité.

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Jusqu'au début du XIVe le peintre verrier dispose uniquement d'une peinturevitrifiable appelée grisaille. Elle se compose d'un mélange d'oxyde de fer ou decuivre et d'un fondant constitué de verre broyé qui permet la vitrification lors dela cuisson. La grisaille permet de souligner les ombres. Plus tard serontégalement utilisés le jaune d'argent, pour les teintes jaunes, la sanguine, pourcréer les tons chairs et les émaux, pour un large éventail de nuances.Pour fixer cette grisaille il faut porter les pièces peintes à une température de500 à 600 degrés, ce qui permet au fondant de s'incorporer au verre. C'est uneopération délicate car si la grisaille est mal cuite, elle aura tendance à s'écailler.Une fois la cuisson terminée, les pièces refroidies sont retirées du four etdisposées sur la table pour y être assemblées et former les panneaux. Les piècesde verre sont alors serties dans des baguettes de plomb dont la section est enforme de H.

Une première pièce est donc insérée dans le plomb de bordure et maintenue pardes pointes métalliques puis elle est fermée par une autre baguette qui servira àsertir la pièce suivante et ainsi de suite. Lorsque toutes les pièces d'un panneausont reliées par le réseau de plomb, les points de jonction des différentesbaguettes sont soudés à l'étain. Pour assurer l'étanchéité, le panneau est enduitd'un mastic liquide qui doit pénétrer sous les ailes du plomb.Les panneaux sont alors prêts à être posés dans la fenêtre où le serrurier aurainstallé l'armature.

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Peindre sur le verre :

Les couleurs du vitrail résultent d'une savante composition entre la couleur duverre et les effets de la lumière. L'artiste joue sur ces deux paramètres pourobtenir la plus belle harmonie.Lorsqu'elle traverse des couleurs translucides, la lumière produit des effetsd'optique comme l'irradiation. Certaines couleurs s'estompent, s'animent ous'étendent.L'artiste doit alors choisir les bonnes associations de verres. Il utilise ensuite ledécor pour équilibrer la luminosité, cerner les formes et rendre les détails.Plusieurs techniques de peinture sont à sa disposition. A partir du XIXe siècle, lagrisaille de différentes couleurs et plus ou moins foncée, souligne les ombres. Le"Jean Cousin" ou la grisaille à base de sanguine permettent de créer les tonschairs. Avec le jaune d'argent, le peintre obtient des teintes jaunes. Les émauxoffrent un large éventail de nuances. Enfin, la gravure d'un verre doublé permetde contraster deux couleurs.

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La technique du vitrail au plomb dite "traditionnelle" est restée quasi-immuabledepuis le Moyen Âge. L'outillage est resté sensiblement le même. La grandedifférence entre les deux époques réside principalement dans la coupe du verre,réalisée au fer rouge durant le Moyen Âge, au diamant dès le XVe et à l'heureactuelle au coupe verre.Le XXe siècle a apporté une extrême diversité et une prodigieuse inventivitétechnique et esthétique, grâce notamment aux recherches très poussées sur leverre et au progrès des connaissances scientifiques (on sait désormais que lalumière est un phénomène corpusculaire et ondulatoire).L'industrie du verre a favorisé l'agrandissement des morceaux de verre grâce àla fabrication mécanisée du verre plat de plus en plus sophistiquée, assurant,malgré de grandes dimensions, résistance et sécurité. Exemple: Christophe Cuzin, église de Lognes, 1999Il a imaginé des vitrauxmonochromes d'une seule pièce de verre trempé en utilisant le plomb non pas entechnique d'assemblage, mais à la manière d'une bordure décorative.Des verres spécifiques sont élaborés pour répondre aux exigences de qualité delumière et de translucidité souhaitées par l'artiste. Exemple : Pierre Soulage, abbatiale Sainte Foy, Conques, 1987-1994Il a fait desrecherches techniques sur le verre au CIRVA (Centre international de recherchesur le verre) à Marseille en 1998, puis au Centre de recherche de Saint-GobainVitrage à Aubervilliers. Il a travaillé sur un verre d'une granularité irrégulière,d'un blanc laiteux, qui se coule dans les baies et se colore subtilement à

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l'unisson des nuances de la pierre. La lumière se répand dans l'édifice sans sefixer sur les parois.Le plomb et les barlotières tracent un réseau entre les éléments constitutifs duvitrail. La plupart du temps, ils s'estompent dans la vision d'ensemble. Desartistes contemporains ont mis ces mêmes éléments en valeur et leur ont donnéune dimension plastique. Exemple : Jean Pierre Raynaud, abbaye de Noirlac, 1976Son but était depréserver le concept de verre neutre opalescent qui était en parfaite cohérenceavec l'esprit de ce lieu monastique. Avec le verre soudé, les morceaux de verre coloré qui constituent le dessin sontsoudés sur une seule feuille de verre, qui dispense de l'usage de la plombure. Exemple : Olivier Debré, église Lugagnac, Saint-Eutrope-de-Borne, 1998

Vitraux du 19e siècle : ils racontent

Henri Feur, Présentation de Marie au Temple, 1877, chapelle de la Miséricorde

Et le prêtre la reçut et, l'ayant embrassée, il la bénit et dit : "Le Seigneur Dieu aexalté ton nom dans toutes les générations. En toi, aux derniers jours, leSeigneur manifestera la rédemption aux fils d'Israël." Et il la plaça sur le troisièmedegré de l'autel. Et le Seigneur fit descendre sa grâce sur elle. Et ses pieds semirent à danser et toute la maison d'Israël l'aima." Ecrits Apocryphes, Protévangile de Jacques (7,2).

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Henri Feur, Jésus, Marthe et Marie, 1877, chapelle de la Miséricorde

Le visage du Christ est une copie de l'original. Comme ils faisaient route, il entradans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison. Celle-ciavait une sœur appelée Marie, qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutaitsa parole. Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service.Intervenant, elle dit : "Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servirtoute seule ? Dis-lui donc de m'aider." Mais le Seigneur lui répondit : "Marthe,Marthe, tu te soucies et t'agites pour beaucoup de choses ; pourtant il en fautpeu, une seule même. C'est Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui serapas enlevée." Evangile selon saint Luc (10, 38-42).

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Henri Feur, La sainte Famille dans l'atelier, 1877, chapelle de la Miséricorde

Le visage de Marie est une copie de l'original.Puis Jésus arriva à l'âge de huit ans. Quant à Joseph, il était charpentier et il nefaisait rien d'autre que des jougs, des ages et des charrues. Un cultivateur luiapporta une pièce de bois à scier. Jésus dit à son père : "Père, apprends-moi àscier." Jésus prit ses mesures pour scier. Il dégrossit et équarrit le bois. Il montrason travail à Joseph, son père, et lui dit : "Est-ce ainsi que tu veux que je fassemaintenant ?". Ecrits apocryphes, Histoire de l'enfance de Jésus (13, 1-2).

Le rôle des vitraux de la Miséricorde

A Figeac, un Bureau de Bienfaisance est institué le 3 octobre 1827 dans lequartier Ortabadial par les sœurs de la Charité de Nevers, qui gèrent égalementl’hôpital depuis 1734. On y offre de la soupe chaude, des vêtements et desremèdes. Les religieuses prolongent ainsi l'œuvre de la Miséricorde, fondée auXVIIe siècle et disparue à la Révolution. En 1864, cet organisme municipal étendson activité avec la création d'un orphelinat-ouvroir puis d'une salle d'asile pouraccueillir les enfants de trois à six ans. En 1887, les sœurs de Nevers sontremplacées par les sœurs de la sainte Famille.Parmi les bâtiments de la Miséricorde, une chapelle est restaurée grâce à SophieSer (Mère Joséphine). En 1861, elle lègue mille deux cent francs (soit environtrois mille quatre cent quatre-vingt six euros) pour financer des verrières. Ces

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images illustrent les préoccupations de l’œuvre caritative et éducative de laMiséricorde. Ainsi, les petits enfants et Marie, la sœur de Marthe, écoutant laparole du Christ, tout comme l'instruction de Marie au Temple évoquentl'enseignement. Montrer Jésus apprenant le métier de son père comme laprésence de Marthe, patronne des ménagères et des cuisinières, rappellel'importance de l'apprentissage dispensé aux jeunes filles de l'ouvroir.Plus généralement, ces scènes répondent aux préoccupations de l'Église. Durantle XIXe siècle, celle-ci s'interroge sur la portée des images pieuses. De nombreuxtraités d'iconographie édités à partir de 1840 illustrent ces recherches. Dans lemême temps, le clergé valorise certaines dévotions afin de toucher la population.Les figures à résonance affective ou qui bénéficient d’une piété populaire commela sainte Famille et la Vierge, connaissent un grand succès. Le Christ, quant à lui,est souvent représenté en consolateur ou enseignant, telle l'Église.En 1992, commencent les travaux pour transformer les bâtiments de laMiséricorde en Maison d'Accueil pour Personnes Agées Dépendantes (MAPAD).Les vitraux de la chapelle sont alors déposés.

Pour en savoir plus

Avec la diversité des techniques, il n'y a plus d'école ni de courant, car chaqueartiste a son propre langage et apporte une réponse personnelle adaptée à desarchitectures souvent très puissantes.Exemples : Martial Raysse, église Notre-Dame-de-l'Arche-d'Alliance, Paris, 1999.Proche du pop art, l'artiste opte pour une figuration très imagée et haute encouleur de l'Ancien Testament.Carole Benzakem, église de Varennes-Jarcy (Essonne), 1999-2000.Ses vitraux décrivent des brassées de tulipes multicolores, signe d'offrande Jean Michel Alberola, cathédrale de Nevers, 1998-1999.L'artiste met en lumière l'Apocalypse et le Couronnement de la Vierge.Jan Dibbets, cathédrale de Blois, 1995-2000Ses vitraux présentent des poissons, des croix byzantines et des extraitsbibliques en latin, en hébreu et en araméen.Gérard Garouste, église Notre-Dame, Talant, 1997.Ses vitraux présentent Juda et les douze tribus d'Israël.Daniel Coulet, église Notre-Dame, Aubin, 2001.Les vitraux situés au nord illustrent la vie de sainte Emilie de Rodat, ceux ducollatéral nord des moments de l'histoire du père MarieEugène Grialou, deux personnages ayant des relations étroites avec Aubin.

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Vitraux du 19e siècle : le style

Les quatres vitraux de la chapelle de la Miséricorde

Nouveau propriétaire des modèles de Villiet, Feur crée des vitraux dans le stylede son prédécesseur. Inspirés par le passé, ces artistes adaptent l'art du vitrail àleur temps.Imprégné des recherches sur le XIIIe siècle, Joseph Villiet orne ses encadrementsde motifs néo-gothiques, fleurons et feuillages (ci-dessus). Mais, dans les scènescentrales, il s'éloigne du Moyen Âge. Compositions sages et attitudes rigides despersonnages appartiennent au répertoire Classique tandis que l'expressionalanguie des visages, les paysages qui reflètent les sentiments des personnagessont des références romantiques (ci-dessous), détail de "Jésus, Marthe etMarie").L'ensemble contribue avant tout à émouvoir. Lorsque Feur succède à Villiet, il rachète tous les cartons (modèles) et le fonddocumentaire de l'atelier. Ainsi, le style de Feur est très empreint de celui deVilliet. Il se distingue toutefois par l'adoption systématique du fond bleu paysagé,par l'irruption d'éléments pittoresques comme des oiseaux et par la multiplicationde détails dans les visages et les vêtements. Ces deux artistes s'inscriventparfaitement dans l'art religieux de la fin du XIXe siècle, avant tout chrétien etprofondément marqué par l'éclectisme.

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Les artistes contemporains font aujourd'hui beaucoup parler la couleur. Ils necherchent pas à reproduire les tons et les couleurs des objets de la nature, ils"distribuent" des tons et des valeurs en vue d'une harmonie générale qu'ilsveulent mettre en accord avec l'architecture. Les formes et les nuances semarient entre elles et sont soutenues par la ferronnerie.Exemples:Claude Viallat, église Notre-Dame-des-Sablons, Aigues-Mortes, 1992.D'un côté, la Méditerranée et les salins tous proches sont évoqués par destaches violettes sur fond rose pâle. De l'autre, l'illustration biblique - le Père, lesaint Esprit, la lumière et le sang du Christ – est symbolisée par des touches bleufranc et "rose à l'or" qui se découpent sur des fonds jaune vif ou rouge vermillon.Sarkis, réfectoire de l'abbaye de Silvacane, novembre 1999-mai 2000.Une pluie de pétales d'or éclaire d'une lumière quasi-divine l'architecturecistercienne.