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Rev Med Liege Liege 2005; 60 : 5-6 : 516-525 516 I NTRODUCTION Près de 15 % des patients diabétiques sont confrontés à des ulcérations et plaies du pied pendant leur vie (1, 2). Dans la population des patients diabétiques, l’incidence annuelle d’ul- cère de pied est de 2 %. Ce pourcentage est nettement supérieur (7 %) en cas de polyneuro- pathie diabétique avancée (3). Le problème du pied diabétique est la cause principale d’hospita- lisation (20 % des hospitalisations) des patients diabétiques. Près de la moitié de l’ensemble des amputations non-traumatiques de membre infé- rieur concerne des patients diabétiques (4). Le patient diabétique est exposé à un risque d’am- putation de membre inférieur quinze fois plus important que le patient non-diabétique (1, 3, 4). Ces quelques données épidémiologiques illus- trent l’ampleur du problème du pied diabétique. Une prévention adéquate et un traitement optimal sous-entendent une bonne compréhen- sion de la physiopathologie complexe du pied diabétique et des lésions dégénératives du sys- tème vasculo-nerveux. P HYSIOPATHOLOGIE Le pied diabétique est la conséquence d’une perturbation prolongée de la glucorégulation (3, 5). Il s’observe après une durée moyenne de 20 ans de diabète. L’hyperglycémie chronique pro- voque une polyneuropathie, une dysfonction de la microcirculation, une athérosclérose accélé- rée, une susceptibilité accrue aux infections et une altération du tissu conjonctif. Ces cinq facteurs contribuent, souvent de façon combinée, au développement du pied dia- bétique (6). On estime que 40 % des pieds dia- bétiques sont neuropathiques purs, 50 % neuro-ischémiques et 10 % ischémiques purs. Ainsi, la neuropathie joue un rôle étiopathogé- nique (de façon isolée ou en combinaison avec d’autres facteurs) dans 90 % des pieds diabé- tiques. LA POLYNEUROPATHIE DIABÉTIQUE En cas d’hyperglycémie de longue durée, une partie du glucose est transformée par l’aldose- réductase en sorbitol. Le sorbitol est ensuite réduit par la sorbitol-déhydrogénase en fructose («polyol pathway»). Le tissu nerveux est dépourvu de sorbitol-déhydrogénase et, par conséquent, le sorbitol s’accumule dans les fibres nerveuses et dans les cellules de Schwann (3, 6, 7). En outre, une atteinte des vasa nervo- (1) Service de Chirurgie Cardio-Vasculaire et Thora- cique, CHU Sart Tilman,Liège. LE PIED DIABÉTIQUE RÉSUMÉ : La physiopathologie du pied diabétique est com- plexe. Plusieurs facteurs interviennent : la neuropathie diabé- tique, la micro- et macro-angiopathie, l’infection et la déformation osteo-articulaire du pied. Ces différentes causes agissent souvent ensemble et retardent la cicatrisation d’un ulcère de pied. Une prévention efficace sous-entend une com- préhension des mécanismes physiopathologiques du pied diabé- tique. La glycosylation non-enzymatique des protéines et du tissu conjonctif joue un rôle crucial dans la neuropathie, l’an- giopathie et l’ostéoarthropathie diabétiques; dès lors, une gluco- régulation rigoureuse est une étape primordiale dans la prévention et la prise en charge du pied diabétique. Un diagnos- tic précoce et un traitement immédiat des ulcères de pied sont essentiels. Les infections doivent être traitées de façon radicale (débridement, drainage, antibiothérapie prolongée), les lésions vasculaires seront recherchées et éventuellement corrigées, les plaies demandent des soins locaux adéquats et une décharge efficace. Les meilleurs soins sont offerts dans le cadre de la Cli- nique du Pied Diabétique, où une équipe de diabétologue, infec- tiologue, chirurgien vasculaire, radiologue interventionniste, chirurgien plastique, podologue et infirmière spécialisée prend en charge le patient souffrant de pied diabétique. Cette approche multidisciplinaire permet de réduire de moitié le nombre d’amputations de jambe chez le patient diabétique. MOTS CLÉS : Pied diabétique – Revascularisation – Amputation – Mal perforant – Ulcère THE DIABETIC FOOT The pathophysiological mechanisms underlying a diabetic foot disease are complex and multifactorial, including neuropathy, ischemia, infection and abnormal foot biomechanics. All these factors are often intricated and source of delayed wound hea- ling. Insight in the pathophysiology of the diabetic foot provides a comprehensive basis for a protocol of primary and secondary preventive care. Since non-enzymatic glycosilation of proteins and of connective tissue underlies structural changes in vessels, nerves and osteo-articular structures, a rigid control of blood glucose levels is of paramount importance. Early recognition of the etiology of foot lesions and prompt management of foot ulcers are essential for successful outcome. Aggressive treat- ment of infections, clinical assessment and correction of vascu- lar occlusive disease (diabetic macroangiopathy), adequate wound care and appropriate off-loading (pressure relief) of the ulcer are essential steps in the treatment protocol. It is not sur- prising that optimal management of the diabetic foot requires a multidisciplinary approach in a Diabetic Foot Clinic, coordina- ting care-provisions by a team of diabetologist, infectiologist, vascular surgeon, interventional radiologist, plastic surgeon, podiatrist and specialized nurse. Applying evidence-based mul- tidisciplinary treatment results in a 50% reduction of major lower-limb amputation in this high risk group. KEYWORDS : Diabetic foot – Lower limb revascularisation – Limb salvage – Amputation – Neuropathic foot ulcer – Foot deformity H. VAN DAMME, R. LIMET (1)

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INTRODUCTION

Près de 15 % des patients diabétiques sontconfrontés à des ulcérations et plaies du piedpendant leur vie (1, 2). Dans la population despatients diabétiques, l’incidence annuelle d’ul-cère de pied est de 2 %. Ce pourcentage est nettement supérieur (7 %) en cas de polyneuro-pathie diabétique avancée (3). Le problème dupied diabétique est la cause principale d’hospita-lisation (20 % des hospitalisations) des patientsdiabétiques. Près de la moitié de l’ensemble desamputations non-traumatiques de membre infé-rieur concerne des patients diabétiques (4). Lepatient diabétique est exposé à un risque d’am-putation de membre inférieur quinze fois plusimportant que le patient non-diabétique (1, 3, 4).Ces quelques données épidémiologiques illus-trent l’ampleur du problème du pied diabétique.

Une prévention adéquate et un traitementoptimal sous-entendent une bonne compréhen-sion de la physiopathologie complexe du pieddiabétique et des lésions dégénératives du sys-tème vasculo-nerveux.

PHYSIOPATHOLOGIE

Le pied diabétique est la conséquence d’uneperturbation prolongée de la glucorégulation (3,5). Il s’observe après une durée moyenne de 20ans de diabète. L’hyperglycémie chronique pro-voque une polyneuropathie, une dysfonction dela microcirculation, une athérosclérose accélé-rée, une susceptibilité accrue aux infections etune altération du tissu conjonctif.

Ces cinq facteurs contribuent, souvent defaçon combinée, au développement du pied dia-bétique (6). On estime que 40 % des pieds dia-bétiques sont neuropathiques purs, 50 %neuro-ischémiques et 10 % ischémiques purs.Ainsi, la neuropathie joue un rôle étiopathogé-nique (de façon isolée ou en combinaison avecd’autres facteurs) dans 90 % des pieds diabé-tiques.

LA POLYNEUROPATHIE DIABÉTIQUE

En cas d’hyperglycémie de longue durée, unepartie du glucose est transformée par l’aldose-réductase en sorbitol. Le sorbitol est ensuiteréduit par la sorbitol-déhydrogénase en fructose(«polyol pathway»). Le tissu nerveux estdépourvu de sorbitol-déhydrogénase et, parconséquent, le sorbitol s’accumule dans lesfibres nerveuses et dans les cellules de Schwann(3, 6, 7). En outre, une atteinte des vasa nervo-

(1) Service de Chirurgie Cardio-Vasculaire et Thora-cique, CHU Sart Tilman,Liège.

LE PIED DIABÉTIQUE

RÉSUMÉ : La physiopathologie du pied diabétique est com-plexe. Plusieurs facteurs interviennent : la neuropathie diabé-tique, la micro- et macro-angiopathie, l’infection et ladéformation osteo-articulaire du pied. Ces différentes causesagissent souvent ensemble et retardent la cicatrisation d’unulcère de pied. Une prévention efficace sous-entend une com-préhension des mécanismes physiopathologiques du pied diabé-tique. La glycosylation non-enzymatique des protéines et dutissu conjonctif joue un rôle crucial dans la neuropathie, l’an-giopathie et l’ostéoarthropathie diabétiques; dès lors, une gluco-régulation rigoureuse est une étape primordiale dans laprévention et la prise en charge du pied diabétique. Un diagnos-tic précoce et un traitement immédiat des ulcères de pied sontessentiels. Les infections doivent être traitées de façon radicale(débridement, drainage, antibiothérapie prolongée), les lésionsvasculaires seront recherchées et éventuellement corrigées, lesplaies demandent des soins locaux adéquats et une déchargeefficace. Les meilleurs soins sont offerts dans le cadre de la Cli-nique du Pied Diabétique, où une équipe de diabétologue, infec-tiologue, chirurgien vasculaire, radiologue interventionniste,chirurgien plastique, podologue et infirmière spécialisée prenden charge le patient souffrant de pied diabétique. Cetteapproche multidisciplinaire permet de réduire de moitié lenombre d’amputations de jambe chez le patient diabétique.MOTS CLÉS : Pied diabétique – Revascularisation – Amputation –Mal perforant – Ulcère

THE DIABETIC FOOT

The pathophysiological mechanisms underlying a diabetic footdisease are complex and multifactorial, including neuropathy,ischemia, infection and abnormal foot biomechanics. All thesefactors are often intricated and source of delayed wound hea-ling. Insight in the pathophysiology of the diabetic foot providesa comprehensive basis for a protocol of primary and secondarypreventive care. Since non-enzymatic glycosilation of proteinsand of connective tissue underlies structural changes in vessels,nerves and osteo-articular structures, a rigid control of bloodglucose levels is of paramount importance. Early recognition ofthe etiology of foot lesions and prompt management of footulcers are essential for successful outcome. Aggressive treat-ment of infections, clinical assessment and correction of vascu-lar occlusive disease (diabetic macroangiopathy), adequatewound care and appropriate off-loading (pressure relief) of theulcer are essential steps in the treatment protocol. It is not sur-prising that optimal management of the diabetic foot requires amultidisciplinary approach in a Diabetic Foot Clinic, coordina-ting care-provisions by a team of diabetologist, infectiologist,vascular surgeon, interventional radiologist, plastic surgeon,podiatrist and specialized nurse. Applying evidence-based mul-tidisciplinary treatment results in a 50% reduction of majorlower-limb amputation in this high risk group.KEYWORDS : Diabetic foot – Lower limb revascularisation – Limbsalvage – Amputation – Neuropathic foot ulcer – Foot deformity

H. VAN DAMME, R. LIMET (1)

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rum (microangiopathie) cause des lésions isché-miques des nerfs (8). Cette microangiopathie estla conséquence de la glycosylation non-enzyma-tique de la membrane basale des capillaires et dela matrice endoneurale. Les fibres nociceptivessont atteintes en premier, résultant en une pertede la sensation de douleur aiguë et de tempéra-ture. Le pied devient hyposensible et indolore.La disparition du signal douloureux protecteurrend le pied vulnérable aux micro-traumatismesrépétitifs dans les zones d’appui, sans que lepatient s’en rende compte (9). Dans un stadeplus avancé, on assiste à une atteinte des nerfs dusystème nerveux autonome. On parle de «auto-sympathectomie». Les conséquences sont unediminution de la sudation, avec une sècheressecutanée exagérée. L’anhydrose favorise la for-mation de fissures et de crevasses. Ces endroitsd’effraction de la barrière cutanée constituentune porte d’entrée pour des infections.

L’infection superficielle évolue insidieusementvers la cellulite et la suppuration profonde, defaçon indolore. Il y a aussi une perte d’autorégu-lation au niveau microcirculatoire (voir plus loin).

L’atteinte des nerfs moteurs résulte en uneatrophie des muscles intrinsèques du pied.L’amyotrophie s’accompagne d’une rétractiondes orteils en griffe, à cause d’un déséquilibreentre muscles extenseurs et fléchisseurs desorteils (Figure 1A). La statique du pied estmodifiée. Le coussinet graisseux protecteursous les têtes métatarsiennes glisse en distal,exposant les articulations métatarso-phalan-giennes aux micro-traumatismes par hyperpres-sion focale. La dégénérescence nerveuse induitaussi une régénération des nerfs périphériques,qui se traduit cliniquement en dysesthésies dou-loureuses et sensation de brûlures profondes auniveau du pied.

La fréquence de la polyneuropathie augmenteavec la durée du diabète. On estime que, aprèsune durée de 10 ans de diabète, 70 % despatients présentent une polyneuropathie. On l’adit, dans 90 % des pieds diabétiques, la poly-neuropathie joue un rôle étiopathogénique. L’in-cidence annuelle d’ulcération du pied chez lepatient atteint de polyneuropathie diabétiqueatteint 7 %, versus 1 % des patients diabétiquessans neuropathie (1, 2, 9).

Il est intéressant de noter que le taux d’ulcé-ration du pied, pourtant sévèrement déformé,des patients atteints de polyarthrite rhumatis-male est nettement moindre que celui despatients diabétiques avec des déformations ana-logues. Ceci s’explique par une conservation del’intégrité du reflex nociceptif et vasomoteur

chez le patient atteint de polyarthrite rhumatis-male.

LA MICROCIRCULATION ET LE DIABÈTE

Un diabète de longue durée se complique, auniveau microcirculatoire, d’un épaississementde la membrane basale des capillaires, par accu-mulation de glucosamine glycanes, et d’uneouverture de shunts artériolo-vénulaires préca-pillaires (10). Ces troubles microcirculatoiress’observent aussi au niveau rétinien et gloméru-laire. Les shunts artériolo-vénulaires augmen-tent le débit sanguin cutané. Le fluxthermorégulatoire est accru aux dépens du fluxcapillaire nutritionnel. Il en résulte une hypoxietissulaire et un retard de cicatrisation, même encas de pouls périphériques palpés. Cette dys-fonction microcirculatoire non-occlusive est res-ponsable d’un pied chaud, de veines cutanéesturgescentes, et d’une hyperoxémie du sang vei-neux.

La diapédèse des leucocytes est limitée parl’épaississement de la membrane basale. Ceciexplique une réduction des signes inflammatoiresen cas d’infection de l’ulcère du pied, d’ostéoar-thrite ou d’abcès plantaire. La glycosylation non-enzymatique de lipoprotéines (dont le taux estaugmenté en cas de diabète de type 2) est unesource de radicaux libres, interférant avec la fonc-tion endothéliale (réduction de synthèse d’oxydenitrique). La dysfonction endothéliale aboutit àune perte d’homéostasie de la vasoréactivité arté-riolaire et de la thromborésistance. En plus, laglycosylation protidique rend les globules rougesplus rigides et moins déformables, ralentissantainsi le flux microcirculatoire.

A cause de la polyneuropathie, le réflexenociceptif antidromique est diminué. Une stimu-lation des nerfs nociceptifs s’accompagne nor-malement d’un signal rétrograde, avec libérationde la substance P vasodilatatrice au niveau de lazone de douleur. Ce réflexe neurogène vasodila-tateur est donc aboli chez le patient diabétique.Il n’y a plus de réponse d’hyperhémie en cas demicrotraumatisme du pied.

En résumé, la microangiopathie est à la foisstructurelle (épaississement de la membranebasale, microthromboses) et fonctionnelle (dys-fonction endothéliale, neuropathie vasomotrice).

LA MACROANGIOPATHIE DIABÉTIQUE

Le diabète se caractérise par une athérosclé-rose accélérée qui atteint préférentiellement lesartères jambières infrapoplitées, épargnant lesartères du pied (artère pédieuse, artères plan-taires) (10). L’artériopathie apparaît dix ans plus

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tôt chez le patient diabétique. Il n’y a pas d’obli-tération des artérioles (“small vessel disease”).La maladie des petits vaisseaux est un conceptinapproprié, qui doit être abandonné.

Les artères jambières sont exposées à despressions artérielles élevées en position debout,à cause de l’abolition de l’autorégulation arté-riolaire (neuropathie autonome). Chez l’individunormal, la position debout provoque une vaso-constriction des artérioles des membres infé-rieurs, évitant ainsi une syncope par hypotensionorthostatique. Cette pression artérielle élevée auniveau jambier explique la distribution deslésions artérielles occlusives chez le patient dia-bétique. Dans la moitié des cas, on observe unemédia-calcinose, associée aux lésions athéro-scléreuses occlusives des artères jambières; dèslors, la pression de perfusion au niveau de lacheville n’est pas mesurable à cause de l’incom-pressibilité des artères jambières. On se base surla mesure de pression des orteils (mini-brassardautour du gros orteil) ou sur l’aspect morpholo-gique de la courbe vélocimétrique.

Dans près de 60 % des ulcères du pied diabé-tique, on observe des lésions artérielles occlu-sives, responsables d’un certain degréd’ischémie (6, 10). Le rôle de la macroangiopa-thie est prédominant dans le diabète de type 2(personnes âgées, dyslipémie, hypertension),tandis que, dans le diabète de type 1, la neuro-pathie est déterminante dans l’étiopathogénie dupied diabétique.

L’ischémie, même modérée, réduit l’apportd’oxygène à la zone d’ulcère et retarde, ou com-promet, la cicatrisation. L’ulcère prend un aspectatone et peut rester ouvert pendant des mois,exposant le patient à un risque infectieux. Lepatient diabétique avec un pied neuro-isché-mique a un risque d’amputation trois fois plusimportant que le patient avec un pied neuropa-thique (52 % versus 18 % à sept ans de suivi)(11, 12). Leur survie est aussi moindre (25 % desurvie à sept ans versus 58 %).

L’INFECTION ET LE PIED DIABÉTIQUE

Le patient diabétique se défend mal contrel’infection. Près de 20 % des pieds diabétiquessont infectés (6). La dysfonction microcircula-toire (épaississement de la membrane basale) etleucocytaire (diapédèse chémotactique et phago-cytose diminuées) facilitent la formation dephlegmon profond (13). Souvent, ces infectionsprofondes du pied diabétique s’installent silen-cieusement, avec peu de fièvre et peu de réac-tion inflammatoire. Le seul signe constant estune hyperglycémie (dérégulation du diabète).L’infection d’un ulcère accélère souvent la

nécrose tissulaire par thrombose des capillaires;en outre, la cicatrisation est défectueuse à causedes enzymes bactériennes protéolytiques (Figure2).

ALTÉRATIONS DU TISSU CONJONCTIF

Une glycosylation non-enzymatique du colla-gène rend le tissu conjonctif moins élastique, àcause d’une interférence avec les liaisons inter-moléculaires (“cross-links”). Cliniquement, il ya une rétraction des capsules articulaires et unepeau moins souple, avec une mobilité articulairediminuée. Le pied devient plus rigide avec amor-tissement réduit des chocs d’appui. La bioméca-nique et la statique du pied sont modifiées(déformation des orteils en griffe par hyperex-tension au niveau métatarsophalangien (Figure1A), pied creux («pes cavus»), effondrement dela voûte transversale). Une hyperpression focali-sée au niveau des têtes métatarsiennes se traduitpar une hyperkératose cutanée réactionnelle etpar érosion plantaire (mal perforant plantaire).Les callosités augmentent de 30 % la pressionfocale (14). Dès lors, une abrasion régulière desplaques hyperkératotiques s’impose.

La neuro-ostéoarthropathie de Charcot est laconséquence d’une résorption osseuse accélé-rée, avec destruction ostéo-articulaire au niveaudu mi-pied (effondrement de la voûte plantaire,protrusion plantaire de l’os cuboïde et navicu-laire) («rocker-bottom foot» ou pied cubique).Une telle déformation s’observe chez 1 % despatients diabétiques (15). Les géodes osseuses,secondaires à l’ostéoclasie, doivent être distin-guées des foyers d’ostéite. Après la phase d’os-téoclasie, caractérisée par rougeur, œdème etdouleur profonde du pied, suit une phase derégénération osseuse exagérée. L’ostéoarthropa-thie est un processus autolimitant dont on neconnaît pas l’origine. Des microtraumatismes etles shunts artériolo-vénulaires jouent certaine-ment un rôle favorisant dans la destruction et leremodelage ostéoarticulaire du mi-pied.

ASPECTS CLINIQUES

Un ulcère neuropathique se situe typiquementsur la face plantaire (têtes métatarsiennes)(Figure 1B) ou sur les bords du pied, correspon-dant aux zones d’appui exagérées d’un pieddéformé ou aux zones de friction dans un souliertrop serré.Vingt et un pourcent des ulcères depied diabétique sont la conséquence directe dechaussures inadaptées. Un tel ulcère reste sou-vent indolore et, par conséquent, négligé par lepatient. L’ulcère est entouré d’une plaque d’hy-perkératose (callus). Sous les callosités peut se

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produire une micro-hémorragie et la collectionhématique peut secondairement s’infecter. Lepied neuropathique est chaud et hyperhémiqueavec des veines superficielles turgescentes,secondaires à l’ouverture de shunts artériolo-vénulaires.

Chez le patient diabétique, l’athérosclérosedes membres inférieurs reste souvent asympto-matique jusqu’au moment de l’apparition d’untrouble trophique suite à un micro-traumatisme.Le stade 4 d’ischémie (gangrène, trouble tro-

phique) n’est quasi jamais précédé de stade 2(claudication) ou de stade 3 (douleurs de repos).Un ulcère ischémique atteint les extrémités desorteils et le talon. La nécrose tissulaire s’infectefacilement (gangrène humide). Le sepsis focalprovoque la thrombose des artérioles avoisi-nantes et rend la nécrose rapidement extensive(Figure 2). L’infection s’installe préférentielle-ment dans le milieu humide des espaces interdi-gitaux (ulcère en «kissing») et en dessous desongles (ongle incarné, onychomycose). Uneostéoarthrite est suspectée par le contact osseux

Fig. 1A. Déformation ostéo-articulaire d’orteil en griffe. L’hyper-extension métatarsophalangienne s’accompagne d’un glissement ducoussinet graisseux sous la tête métatarsienne. Deux zones d’appuiexagéré s’observent : la face dorsale de l’articulation interphalan-gienne proximale et la face plantaire de la tête métatarsienne.

Fig. 1B. Cette image de résonance magnétique du pied montre unmal perforant plantaire face à la tête métatarsienne. L’orteil estrétracté et a perdu tout contact d’appui.

Fig. 2. Gangrène humide d’une cicatrice d’amputation de gros orteil,sans revascularisation préalable. Le sepsis local induit des micro-thromboses, responsables d’une extension rapide de la nécrose tis-sulaire.

Fig. 3. Ostéoarthrite métatarsophalangienne avancée du deuxième ettroisième rayon, avec résorption osseuse des têtes métatarsiennes

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du stylet introduit au fond de l’ulcère; elle seraconfirmée par IRM (90 % de spécificité) ou parscintigraphie osseuse (75 % de spécificité) (16).La radiographie osseuse standard ne devientpositive qu’au stade tardif d’ostéoarthrite avan-cée (Figure 3). En cas de mal perforant plantaire,la porte d’entrée est souvent très limitée (érosionponctiforme au centre d’une plaque d’hyperké-ratose plantaire, ulcère de contact interdigital,mycose entre les orteils). La suppuration s’étendplus loin et est plus profonde que ne le laissesuspecter le petit orifice d’entrée. Une ostéoar-thropathie de Charcot se traduit cliniquementpar un pied chaud et gonflé. La statique du piedest totalement modifiée (pied cubique). Le dia-gnostic différentiel avec une ostéomyélite peutêtre difficile, aussi bien sur le plan cliniquequ’au niveau des investigations complémen-taires (RNM, scintigraphie osseuse, radiogra-phie osseuse).

PRÉVENTION

Le rôle central de l’hyperglycémie dans ledéveloppement des neuropathie, vasculopathieet arthropathie rend une glucorégulation rigou-reuse indispensable dans la prise en charge dupatient avec pied diabétique (2, 5, 6, 9, 17, 18).Les complications liées à l’hyperglycémie s’ins-tallent, de façon insidieuse et fruste, pendant unepériode de dix à vingt ans (18). Même si onconsidère la polyneuropathie comme irréver-sible, on peut s’efforcer de stabiliser la situationou d’en ralentir la progression.

Il est important d’identifier le pied à risque etde le protéger, ce qui demande une éducation dupatient diabétique. Une inspection régulière dupied, de préférence par un proche ou par lemédecin traitant, permet d’identifier au stadeprécoce les complications dégénératives du pieddiabétique (2, 17, 18). Quelques règles élémen-taires sont : ne pas marcher pieds nus, porter deschaussures adaptées (hautes et larges en avantpour limiter le frottement contre les orteils engriffe) avec semelles orthopédiques adéquatespour redistribuer les zones d’appui (Figure 4),une hygiène rigoureuse des ongles et desespaces interdigitaux, l’application d’une crèmehydratante pour lutter contre le désèchementcutané plantaire, port de chaussettes en lainerenouvelées chaque jour.

Un contrôle des autres facteurs de risqued’athérosclérose (tabagisme, hypertension, dys-lipémie) est primordial pour sauvegarder le sys-tème artériel. Un excès pondéral doit êtrecorrigé afin de réduire les charges au niveau dupied. L’éducation demande un accompagnement

continu du patient (2). Le médecin de famillejoue un rôle central dans cette éducation. Achaque consultation, il faut enlever les chaus-sures et chaussettes pour inspecter les pieds(18). Il est surprenant qu’il n’y ait que 22 % despatients qui portent des chaussures sur mesure etdes semelles souples (20). Beaucoup de patientsne les mettent que pour sortir de leur maison(21). Il est évident qu’une protection des zonesd’appui doit être permanente, chaque fois que lepatient se mobilise, que ce soit à l’intérieur ou àl’extérieur de la maison. Souvent, le patientessaie de minimiser les problèmes de pied dia-bétique («self neglect») et ne voit pas l’utilité desoins réguliers chez un podologue (abrasion deszones d’hyperkératose, soins d’ongles, adapta-tion des semelles). L’abrasion des zones d’hy-perkératose diminue de 30 % la pressionsous-jacente, et doit être faite à chaque visite(tous les quatre mois) (14). Depuis 2003, deuxvisites par an chez le podologue sont rembour-sées (arrêté royal, publié dans le Moniteur Belgedu 17 mars 2003, page 12856).

TRAITEMENT

Dès qu’un pied diabétique se compliqued’une ulcération ou de nécrose, une hospitalisa-tion s’impose (17). Une prise en charge précoce,avant une mutilation avancée du pied, augmenteconsidérablement les chances de sauvetage dumembre inférieur (19). La première mesure estune optimisation de la glucorégulation, ce quiimpose souvent le recours à l’insuline. Les prin-cipaux objectifs du traitement sont l’éradicationde l’infection, l’amélioration de la vascularisa-tion du pied et l’interruption des micro-trauma-tismes répétitifs.

Nous discutons successivement la prise encharge du pied diabétique neuropathique, neuro-ischémique et infecté.

1) Pied neuropathique

L’ulcération du pied neuropathique demandeun repos strict avec décharge totale du pied per-mettant d’interrompre le cycle de micro-trauma-tismes répétitifs (17). La zone d’hyperkératosequi entoure l’érosion plantaire sera excisée pro-gressivement (14). Souvent, l’orifice de l’ulcèreest plus petit que la cavité sous la plaque d’hy-perkératose (Figure 1B). En cas d’un ulcère pro-fond, le tissu nécrotique et fibrineux seradébridé régulièrement, afin de limiter le risquede surinfection.

Un pansement hydroactif (hydrogel, hydro-colloïdes, alginates) favorise la granulation. Lepied sera surélevé pour faire régresser l’œdèmetissulaire, peu propice à la cicatrisation (1).

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LE PIED DIABÉTIQUE

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Après une semaine de repos strict, une chaus-sure de Barouk pour décharger l’avant-pied per-mettra une mobilisation a minima (Figure 4). Lacicatrisation d’un ulcère neuropathique déchargé(plâtre ou attelle de décharge, chaussure deBarouk) prend en moyenne six semaines. Mal-heureusement, seulement 30 % des patients res-pectent rigoureusement les conseils de déchargeet de repos (22). Une fois l’ulcère neuropathiquecicatrisé, il faut adapter une chaussure surmesure, avec semelle orthopédique adéquate.L’assurance maladie couvre 75 % du prix, et leschaussures sont renouvelables chaque année(Figure 4).

2) Pied neuro-ischémique

En cas de pied neuro-ischémique, on s’effor-cera de rétablir une perfusion adéquate au niveaudu pied (23, 24). Une ischémie, même modérée,peut suffire pour développer un trouble tro-phique, du fait de l’intrication avec une neuro-pathie sévère, une déformation de l’architecturedu pied et de la fréquence d’infections secon-daires. L’absence d’un pouls pédieux et un fluxamorti à l’écho-doppler sont une indication àl’artériographie. Une artériographie classiqueavec produit de contraste iodé fournit lameilleure imagerie des artères jambières et desartères du pied. Une bonne hydratation (un litrede Hartmann en 24 heures) et une protectionnéphronique (alcalinisation des urines, acétyl-cystéine (deux ampoules de Lysomucil® i.v. 30minutes avant l’artériographie) diminuent l’effet

néphrotoxique des produits de contraste. Cecisous-entend une hospitalisation pour tout exa-men artériographique chez le patient diabétique.L’imagerie par résonnance magnétique (angioRNM) est perturbée par des signaux veineuxprécoces (shunts artériolo-vénulaires) et offre demoins bonnes images des artères jambières.L’écho-doppler couleur permet d’évaluer la per-méabilité et la compressibilité des artères jam-bières et pédieuses.

S’il n’y a pas un flux direct vers le pied, unerevascularisation par pontage ou par interven-tion endovasculaire (angioplastie percutanée ouPTA) s’impose. Les indications de revasculari-sation sont plus larges chez le patient diabétique,pour qui une pression de perfusion plus élevéeest nécessaire pour obtenir la cicatrisation d’un

Fig. 4. Différentes chaussures pour pied diabétiqueA : chaussures de Barouk pour décharge d’ulcère de l’avant-pied oude talon.B : chaussure préfabriquée avec semelle orthopédique souple etamovible.C : chaussure sur mesure pour pied déformé.

Fig 5A et 5B.Anastomose distale d’un pontage veineux fémoro-plantaire, derrièrela malléole interne.

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ulcère ou d’une nécrose limitée. Grâce à la res-tauration d’un flux pulsatile adéquat au niveaudu pied, on obtient une cicatrisation rapide etdurable d’un ulcère neuro-ischémique (25). Larevascularisation concerne le plus souventl’étage sous-inguinal. La veine saphène interneest le conduit de premier choix pour les pontagesfémoro-poplité et fémoro-jambier. Les progrèstechniques ont permis d’étendre le niveau derevascularisation aux artères pédieuses et plan-taires (26, 27) (Figures 5A et 5B). Le succès deces pontages distaux dépend principalement dela qualité de la veine saphène, du choix d’un sited’anastomose distal adéquat et d’une techniqueméticuleuse et atraumatique au niveau de cesartères de petit calibre (1,5 à 2 mm de diamètre)(28). Si la macroangiopathie diabétique se limiteaux artères jambières, on peut sélectionner l’ar-tère poplitée comme site d’anastomose proximal(court pontage poplitéo-tibial ou poplitéo-

pédieux) (26) (Figure 6A). Pour les longs pon-tages fémoro-jambiers ou fémoro-pédieux, latechnique de la veine saphène «in situ» est pré-férée (meilleure congruence avec l’artère rece-veuse, moins de risque de torsion ou de couduredu conduit veineux) (Figure 6B). La perméabi-

Fig. 6A. Artériographie d’un pon-tage poplitéo-pédieux avec la veinesaphène interne retournée. Le pédi-cule d’un lambeau libre (flèches) estanastomosé sur l’artère pédieuse.Fig. 6B. Pontage fémoro-tibial pos-térieur avec la veine saphène «insitu».

Fig. 7A, 7B et 7C. Un lambeau libre avec le muscle grand droit pourcouvrir une amputation transmétatarsienne ouverte. Le muscle trans-posé est ensuite couvert par une greffe de peau.

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lité est de 80 % et le taux de sauvetage demembre est de 88 % à quatre ans, aussi bienpour les pontages fémoro-tibiaux que fémoro-pédieux (26, 27). Par contre, la survie à quatreans n’est que de 54 % (26). En cas d’absence deveine saphène interne utilisable (situation obser-vée dans 20 % des cas), on a recours à d’autresconduits autologues : la veine saphène internecontrolatérale, les veines saphènes externes, lesveines de bras ou l’artère radiale (29). Souvent,ces pontages seront composés de plusieurs seg-ments mis «bout à bout». Les pontages prothé-tiques sur artères tibiales ou pédieuses secaractérisent par un taux d’échec élevé (perméa-bilité à un an de 30 %). La pluri-segmentarité etla localisation des lésions artérielles chez lepatient diabétique sont peu propices à la tech-nique d’angioplastie percutanée. Seules les sté-noses courtes avec un lit d’aval acceptable seprêtent à la dilatation percutanée.

En cas de gangrène d’un ou plusieurs orteils,une amputation limitée s’impose, de préférencedans un deuxième temps, après la revascularisa-tion. Si on doit amputer plus que deux rayonsmétatarsiens, une amputation trans-métatar-

sienne est préférable et donne une meilleure sta-bilité au pied (meilleure distribution des pointsd’appui).

Une escarre du talon peut être largementdébridée. Dans un deuxième temps, une calca-nectomie partielle, avec couverture par lambeaulibre, permet de garder un appui correct (30). Lelambeau musculaire ou fascio-cutané permet decouvrir des larges zones de perte tissulaire et decontrôler les infections chroniques (Figures 7A,7B et 7C). En cas d’ostéoarthrite limitée, l’ap-proche chirurgicale consiste en une résection dela tête métatarsienne, associée à une couverturepar mini-lambeau de rotation (31).

Un mal perforant plantaire requiert une exci-sion large de la zone de cellulite dans les logettesdu fascia plantaire (Figures 8A, B et C). Le piedsera mis en repos strict, et la cavité plantaire trai-tée par soins locaux (au début, trois fois par jour).

3) Pied infecté

Les infections superficielles sont principale-ment colonisées par les staphylocoques et lesstreptocoques. Les infections profondes sontsouvent poly-microbiennes avec des staphylo-coques (60 %), streptocoques (35 %), entéro-coques (Escherichia coli, Proteus) (20 %),gram-négatifs (Pseudomonas, Peptostrepto-coques) (50 %) (6, 32, 33). Les bactéries anaero-bies sont présentes dans la plupart des infections

Figures 8A, 8B et 8C. Un mal perforant plantaire infecté, avec cel-lulite et écoulement purulent de la plante du pied. Une excision enellipse permet d’éradiquer le foyer septique. La perte de substanceplantaire se fermera de seconde intention, grâce aux soins locaux.

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nécrosantes et malodorantes. Un prélèvement tis-sulaire (biopsie) permettra d’identifier les diffé-rents germes (34); un simple frottis risqued’isoler les germes non-pathogènes de surface(Staphylocoques epidermidis, Diphthéroides) (1,32).

Une antibiothérapie à large spectre contregram-positifs, entérobacter et anaerobies[amoxycilline - clavulinate (Augmentin®, Sta-phycid®, Clavucid® 4 x 1 g/j i.v.)] sera instauréed’emblée et, secondairement, adaptée selon l’an-tibiogramme. En cas d’ostéoarthrite ou infectionprofonde, une double antibiothérapie [fluoro-quinolone (Ciproxine®, Tarivid®) et clindamycine(Dalacin®)] sera administrée en intraveineuxd’abord, per os ensuite pour une durée de sixsemaines. En cas d’infections extensives (cellu-lite avec lymphangite), on a recours à des anti-biotiques plus puissants [imipenem(Tienam®,Meronem®), piperacilline+ tazobactam(Tazocin®)]. Les aminoglycosides (gentamycine,Geomycine®; vancomycine, Vancocin®) sont àadministrer avec prudence pour une durée courte(huit jours), à cause de leur néphrotoxicité. L’ap-plication locale de pommades antibiotiques est àproscrire, car on sélectionne ainsi des germesmultirésistants.

Parfois, un débridement des tissus infectés ouune amputation ouverte de l’orteil infecté doitêtre fait en semi-urgence, avant tout geste derevascularisation, pour contrôler le sepsis local.C’est la seule situation où la revascularisation neprécède pas le geste d’amputation limitée.

Pour le pied de Charcot, l’antibiothérapies’avère inutile, mais le diagnostic différentiel estparfois difficile à établir par rapport à uneostéoarthrite. Le traitement de base consiste enune décharge totale du pied (repos au lit, suivid’un plâtre ou d’une orthèse de décharge). Onpeut freiner la phase hyperhémique et ostéoly-tique par des diphosphanates (35). La déforma-tion du pied impose ensuite une chaussureadaptée, afin d’éviter des érosions des proémi-nences osseuses.

L’amputation du membre inférieur est l’ul-time choix en cas de nécrose extensive ou d’in-fection incontrôlable, d’ischémie dépassée oud’impossibilité de revascularisation distale (4).Une amputation majeure n’est pas anodine et estcaractérisée par une mortalité opératoire de 7 à10 % (4, 36). Dans 20 % des amputations sousle genou, la cicatrisation est retardée et nécessitedes soins secondaires. Dans 15 % des cas, lesamputations sous le genou seront ultérieurementconverties vers l’amputation mi-cuisse. L’avenirfonctionnel du patient diabétique amputé est fort

compromis. Seulement 50 % des patients ampu-tés sous le genou récupèrent une marche auto-nome avec une prothèse, 20 % nécessitent del’aide et 30 % restent non ambulatoires (4, 12).Parfois, une amputation s’impose malgré unerevascularisation correcte; un pontage distal per-méable, néanmoins associé à une progression dela nécrose tissulaire (souvent infectée), s’ob-serve essentiellement chez le patient diabétiquedialysé (26). Ce sous-groupe de patients secaractérise par un taux élevé d’échec de chirur-gie de sauvetage de membre et par une espé-rance de vie limitée (moins de dix-huit mois).

CONCLUSIONS

L’approche optimale du pied diabétique estmulti-disciplinaire (17, 23, 31). Un arrêté royal de2004 a défini la convention des «Cliniques cura-tives du Pied Diabétique de troisième ligne».L’équipe comprend un diabétologue, un chirur-gien (vasculaire, plastique ou orthopédique), unpodologue, un infirmier et un orthésiste. L’acti-vité minimale est de 52 nouveaux cas la premièreannée et de 26 nouveaux cas par an ensuite. Un telcentre de coordination de soins assure aussi bienla prévention que le traitement du pied diabétique.Plus tôt un pied diabétique est pris en charge, plusgrande est sa chance de guérison. Le patient doitconsulter dès le moindre problème au niveau dupied (phlyctène, rougeur locale, érosion au centred’une callosité plantaire). On peut espérerréduire de moitié le taux d’amputation de jambeen appliquant rigoureusement les règles de pré-vention des complications dégénératives du pieddiabétique (2, 17, 18, 37). Tel est l’objectif de laDéclaration de Saint Vincent (Copenhague, 1990)(36). Pour les patients diabétiques qui consultentrégulièrement une Clinique de Pied Diabétique, letaux annuel d’amputation de jambe n’est que de0,11 %. Les patients atteints de pied diabétiquequi ne sont pas suivis régulièrement sont exposésà un risque vingt fois plus élevé d’amputation (2% par an) (37). La valeur des Cliniques de PiedDiabétique est donc bien établie; malheureuse-ment, le patient souffrant de pied diabétique y estsouvent adressé trop tardivement (19). Le rôle dumédecin généraliste est donc crucial.

Chaque pied diabétique tend à la récidive (10à 20 % par an) (1, 2, 38). Une résection de têtemétatarsienne ou d’orteil modifie la statique dupied et prédispose à des nouvelles érosions. Lesmesures préventives de chaussures adaptéesavec semelles souples ont une importance qu’onne peut sous-estimer (21).

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Les demandes de tirés à part sont à adresser au DrH. Van Damme, Hôpital Universitaire de Liège, CHUdu Sart Tilman, 4000 Liège (Belgique)E mail : [email protected]