La revue du projet n°18

40
u P. 6 LE DOSSIER P. 34 HISTOIRE ÊTRE CITOYEN SOUS LE DIRECTOIRE : LES FORMES D’ORGANISATION POLITIQUES par Philippe Bourdin P. 28 FG BOBO, FN PROLO : LA NOUVELLE RENGAINE par Alain Vermeersch P. 22 LE CAS CESARE BATTISTI : UN PASSÉ QUI NE PASSE PAS par Gérard Streiff N°18 JUIN 2012 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF REVUE DES MEDIA COMBAT D’IDÉES

description

La revue du projet n°18

Transcript of La revue du projet n°18

Page 1: La revue du projet n°18

u P.6 LE DOSSIER

P.34 HISTOIRE

ÊTRE CITOYEN SOUS LE DIRECTOIRE : LES FORMES D’ORGANISATION POLITIQUESpar Philippe Bourdin

P.28 FG BOBO, FN PROLO : LA NOUVELLERENGAINEpar Alain Vermeersch

P.22 LE CAS CESARE BATTISTI : UN PASSÉ QUI NE PASSE PASpar Gérard Streiff

N°18JUIN2012

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

REVUE DES MEDIACOMBAT D’IDÉES

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page1

Page 2: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

2 SOMMAIRE2

APPEL À CONTRIBUTIONS

Nous disposons d'une édition La Revue du Projet publiée et recommandée parla rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaborationen réagissant, en commentant et en diffusant largement les contributions quenous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet

Note : Pour tout commentaire concernant cette édition, vous pouvez nous contacter à l'adressesuivante : [email protected]

Parce que prendre conscience d'un problème, c’estdéjà un premier pas vers sa résolution, nouspublions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s’exprimantdans la revue.

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.

4 FORUM DESLECTEURS/LECTRICES

5 REGARDEugène Atget Paris pour horizon

6 u21 LE DOSSIERSPORT$, L’HUMAIN D’ABORDNicolas Bonnet Refonder le sport

Patrick Clastres Les jeux olympiques à laremorque de l'histoire

Emmanuelle Oulaldj, Nicolas Kssis Pour desolympiades populaires  !

François-Emmanuel Vigneau L’avenir est-il pavéde grands stades et de grandes salles  ?

Claire Pontais Tout commence à l’école  !

Yvon Léziart L’émancipation par le sport

Anne Roger L’apprentissage des techniquessportives au cœur de l’émancipation 

Catherine Louveau Les femmes dans le sport  :inégalités et discriminations

Marion Fontaine Conquérir le temps libre

Béatrice Barbusse Une autre conception dusport professionnel 

Christophe Bassons Peut-on envisager un Tourde France propre  ? 

Jean Lafontan Démocratisation du sport, unequestion urgente pour tous

Marie George Buffet Une nouvelle loi cadrepour le sportValérie Fourneyron Extrait du discoursd’investiture

22 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff Le cas Cesare Battisti : un passéqui ne passe pas

24 SONDAGESRousseau contre Hobbes

25 BULLETIN D’ABONNEMENT

28 REVUE DES MÉDIAAlain Vermeersch FG bobo, FN prolo :la nouvelle rengaine

30 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Côme Simien, Les massacres de septembre1792 à Lyon

• Roger Bourderon, 1940-1943, le PCF àl’épreuve de la guerre. De la guerreimpérialiste à la lutte armée

• Robert Charvin, Côte D’ivoire 2011. Labataille de la seconde indépendance

• Pierre Merle, La ségrégation scolaire

• Bertrand Mas, Frédéric Pierru, NicoleSmolski, Richard Torrielli (dir.), L’hôpital enréanimation. Le sacrifice organisé d’un ser-vice public emblématique

32 COMMUNISME EN QUESTIONHenri Pena-Ruiz Entretien avec Karl Marx, l’argent roi

34 HISTOIREPhilippe Bourdin Être citoyen sous leDirectoire : les formes d'organisationpolitique

36 PRODUCTION DE TERRITOIRESGuy Burgel Ville, le silence et l’exigence

38 SCIENCESSylvestre Huet Choix technologiques, démocra-tie et savoirs : comment sortir de l'impasse ?

40 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

HommesFemmes

« BEAUCOUP METTENT DE L’ÉNERGIE À RÉSISTER, IL EN FAUT TOUT AUTANTQUI SE MÊLENT DU DÉBAT POLITIQUE ! »Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a invité ainsi l’ensemble des forces sociales, syndicales, associatives, à investir le débat d'idées et à participer à la construction d'une véritable alternative politique à gauche.Nous voulons nous appuyer sur l'expertise professionnelle, citoyenne et sociale de chacune et chacun, en mettant à contribu-tion toutes les intelligences et les compétences. La Revue du projet est un outil au service de cette ambition.Vous souhaitez apporter votre contribution ? Vous avez des idées, des suggestions, des critiques ? Vous voulez participer à ungroupe de travail en partageant votre savoir et vos capacités avec d'autres ?

LAISSEZ-NOUS VOS COORDONNÉES, NOUS PRENDRONS CONTACT AVEC VOUS.

Nom : ........................................................................................... Prénom : ..................................................................................................

Adresse postale : .............................................................................................................................................................................................

Portable ........................................................................................ Adresse électronique :...........................................................................

Profession ........................................................................................................................................................................................................

Centre d'intérêt ou compétences : ..............................................................................................................................................................

Contactez-nous à l'adresse suivante : [email protected]

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page2

Page 3: La revue du projet n°18

3

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

3

PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

LA GAUCHE FRANÇAISE ETLE GOUFFRE EUROPÉENL e produit intérieur brut (PIB) de

la Grèce a décru massivement :au moins 15%. La dette privée

et publique de ce pays s’est accruetout aussi massivement en faisantabstraction des mesures d’annula-tion. Au total, la Banque centraleeuropéenne détient 172 milliardsd’euros de dette grecque dont 104milliards d’euros garantis par les gou-vernements de l’Union et 55 milliardsd’euros en obligations de l’État grec.Au plan international, on estime lafacture de la dette privée et publiqueà plus de 400 milliards d’euros.

Ces chiffres nous laissent, nous,commun des mortels, pantois. Ilstraduisent l’ampleur de l’impasse del’Europe austéritaire. Un tsunamimenace la zone euro, l’Union euro-péenne ; et plus la crise avance plusle risque de son extension à toutel’Europe du Sud menace.

Les banques grecques affrontent unrun c’est à dire un retrait massif desdépôts en euros dont une grande par-tie partira vite du pays pour être net-toyée et réinvestie sous d’autres cieux.Certaines banques grecques affron-tent déjà un refus de refinancementde la Banque centrale européenne.

En un mot, la gauche française, lenouveau gouvernement est devantde sombres perspectives et un choixcornélien car il s’agit de rompre avectrois décennies de constructioneuropéenne pour sauver la construc-tion européenne.

La sortie de la Grèce de l’euro est unfantasme. Un fantasme utile, unépouvantail mais un fantasme tout

de même. Le coût serait exorbitantet les conséquences imprévisibles :personne ne peut prédire les effetsd’une rupture de confiance des mar-chés dans la monnaie unique.

Huit économies européennes sontactuellement en récession dont septmembres de la zone euro.L’Allemagne, elle-même, affronte unvolant de chômage et de précaritéinsupportable.

QUELLE EST NOTRE RESPONSABILITÉ ? Certainement pas de passer notretemps en commentaires, gloses etautres amabilités à l’encontre despolitiques gouvernementales fran-çaises et allemandes. Le nouveauprésident français a ouvert dans lediscours la porte de l’Europe de lacroissance et de la réorientation dela BCE. Quoi que nous pensions desa détermination réelle ou suppo-sée, il s’agit d’un pas, d’une contra-diction utile, y compris du point devue de sa propre politique.

Notre responsabilité est d’apporternotre contribution à la constructiond’un rapport de forces européen quidéverrouille la Banque centrale euro-péenne pour en faire l’outil d’unecroissance nouvelle, sélectionnantles activités humainement et écolo-giquement utiles, sanctionnantl’économie de casino, réduisant ladette publique, soutenant les ser-vices publics. C’est le fameux créditsélectif, c’est-à-dire une créationmonétaire levier d’un projet écono-mique nouveau qui entend éradi-quer le principe de rentabilité finan-cière comme critère d’allocation desressources.

Après les élections législatives, le rap-port de forces européen à la foisintergouvernemental, politique etsocial devra donc nous servir deboussole pour l’action. PierreLaurent, notre secrétaire national,préside le Parti de la gauche euro-péenne, très bien. Nos frères grecssont en passe de devenir le premierparti grec. Tant mieux. Les forcescommunistes et de transformationont trouvé une dynamique nouvelleen Europe cette dernière décennie.Parfait.

Reste qu’à l’échelle du continent,nous sommes pour le momentforces éparses face à deux blocs,conservateurs et sociaux-démo-crates, qui de fait cogèrent les affaireseuropéennes. Il s’agit, à ce point, desavoir ce que nous voulons : soitconsidérer que nous sommes larelève face aux deux blocs, soit consi-dérer qu’il s’agit d’emporter la massede l’électorat social-démocrate etleurs formations politiques vers unestratégie de rupture avec la construc-tion libérale de l’Union pour un nou-veau modèle de croissance et dedémocratie.

Ces deux options sont bien deuxstratégies différentes car l’une seconforte dans la contestation et l’au-tre affronte le réalisme d’une nou-velle politique. Aux amis grecs, peut-être demain au pouvoir, notresolidarité impose non pas seulementde les acclamer lors de meetingsmais de contribuer à les sortir de lacruauté de leur sort présent. n

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page3

Page 4: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

44

FORUM DES LECTEURS

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac, Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Nicolas Dutent, Amar Bellal, Marine Roussillon, Renaud Boissac, Anne Bourvic, AlainVermeersch, Corinne Luxembourg - Direction artistique : Frédo Coyère. Mise en page : Sébastien Thomassey - Édité par (association Paul-Langevin6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) Imprimerie Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Venissieux Cedex) - Dépôtlégal : juin 2012 - N°18 - numéro de commission paritaire en cours d'attribution.

Deux articles de La Revue du projet ont suscitéde nombreux commentaires sur Mediapart

Les 150 sociétés qui (dé)tiennent le monde Faut-il germaniser notre modèle social ?

Cette étude est intéressante mais pas suffisante. Si l'industriefinancière a pris le pouvoir au travers de ces 150 établisse-

ments bancaires, ils ont pris la place laissée libre par le pouvoirpolitique qui ne fait plus office de contre pouvoir de la finance,la fameuse dérégulation. La question est pourquoi les politiqueslaissent faire, alors que ce n'est pas dans l'intérêt général ? Laréponse est évidente, trop de mélange entre finance et politique,et perte du sens du bien commun.

P.J.

Faut-il (re)socialiser l'Allemagne ?Seulement rappeler que la sécurité

sociale a été créée en Allemagne en1883.Angela Merkel défend les rentes des trèsvieux retraités allemands qui votent àdroite. Une étude socio-politique de cetélectorat serait intéressante. L'égoïsmeidiot d'Angela Merkel est une des rai-sons de la montée des néo-nazis enGrèce. Elle en porte la responsabilité.L'obstination de cette femme finira parfaire beaucoup de mal à l'Europe.Atavisme politique ?

POJ

Ce billet fait écho à l'article du « Diplo », titré « Les marchés ont unvisage ».

Tous les socio-démocrates européens qui ne sont plus des politiquessont désormais aux affaires... Et ça m'a rappelé un autre article du« Diplo », qui racontait ce qu'étaient devenus les "Verts" allemands.

LA VRAIE GAVROCHE

L’article n'est pas excellent en soi ; il l'est si on l'utilise, si on en « fait »quelque chose.

L'article recense scientifiquement les entreprises qui détiennent l'essentieldu capital financier, c'est-à-dire qui arraisonnent les peuples et se font leursennemies. L'austérité, c'est elles plus la complicité objective des États quilégifèrent en faveur de cette austérité. Il y a lien organique, consubstantiel,entre les États en question et ces entreprises financières. On peut allerjusqu'à dire que ces sociétés ont façonné ces États, qu'elles les font fonc-tionner comme un mécanisme unique avec ce qu'elles sont. Les États se sontendettés. Avec qui, sinon avec elles, pour elles. Cela donne la mesure ducontenu démocratique dérisoire de nos sociétés et de nos États. Car il fautaller plus loin, ces sociétés financières qui détiennent l'essentiel des richessesmondiales sont issues du capitalisme industriel dont elles prolongent l'ac-tivité capitalistique d'appropriation de la plus-value, des profits.[...] Il n'y a, dans cette politique financière, aucune volonté humaine quidécide ou puisse décider ; il n'y a qu'une dynamique systémique. C'est lecapitalisme lui-même qui s'auto-régule, non dans le sens de sa moralisationet de sa modération, mais dans celui de ses besoins. Le capitalisme, pourdurer, se doit de se mettre toujours plus en valeur. Cette excroissance finan-cière est ce moyen de continuer à se mettre en valeur. C’est ça ou la fin sys-témique et historique, non seulement du capitalisme financier, mais aussi etsurtout du capitalisme, tout court.

J. C. P.

J’ai vu récemment, un reportage TV à cesujet qui fait froid dans le dos : le chô-

mage ne durant que très peu de temps, desouvriers allemands se résignent au tempspartiel, venant ainsi grossir les bataillonsde travailleurs très pauvres. En revanche,ceux qui ont des craintes pour leur emploi,acceptent de trimer 43h par semaine dontune ou deux heures à titre gratuit. Paraît-ilque c'est bon pour la compétivité des entre-prises allemandes tout en sachant que lepatron, lui en retire de très gros bénéfices.La conclusion de ce reportage : en Allemagne,la population laborieuse n'imagine mêmepas de revendiquer de meilleures conditionsde travail et salariales et des syndicats,fidèles alliés des patrons, jouent le rôle deDRH. En Allemagne, l'espérance de vie recule.Quel beau pays ! Quant à moi, je suis contented'être française, d'avoir pu étudier la langueet la culture allemandes et surtout d'avoirpu lire Marx et Brecht. Mais c'était, du tempsd'une autre France, un temps très lointaind'une école émancipatrice.

E. G.

A garder, classer, archiver. Très intéressant. Merci. A.L.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page4

Page 5: La revue du projet n°18

En approchant les différents sujets abordés par Adgeton se plaira, sans jamais se lasser, à reconnaître deslieux familiers mobilisant nos souvenirs et mettant notrequotidien en perspective. On sera ému de retrouver desambiances qui demeurent quasiment inchangées, ons’étonnera dans d’autres cas de la manière dont le XXe

siècle et l’ère industrielle auront, à des degrés diverscertes, précipité et dévoyé cet imaginaire dans le règnede l’uniformité et de ses contraintes.C’est davantage l'esthétique que l'esprit d'une époqueque retiennent ses clichés. Comme le dira fort juste-ment Walter Benjamin  : «   Sitôt que la figure humainetend à disparaître de la photographie, la valeur d'expo-sition s'y affirme comme supérieure à la valeur rituelle.Le fait d'avoir situé ce processus dans les rues de Paris1900, en les photographiant désertes, constitue toutel'importance des clichés d'Atget. »Ce défricheur nous lègue un héritage inestimable quifait témoigner, avec une portée encyclopédique, la poé-sie et les secrets que libère l’urbanisme.    Lumière parfaitement répartie, clair-obscur métho-dique, souci permanent et singulier de l'architecture,

cadrages ne laissant jamais place au hasard... l'ambiancefeutrée des décors est si parfaitement agencée qu'ellepourrait laisser croire à une mise en scène de la capi-tale aux accents cinématographiques.On oscille ainsi constamment entre la recherche d'unevérité de l'instant et l'exigence fixée par une compositiondes images d'une précision et d'une intensité théâtrales.Si la reconnaissance d'Adget a été tardive on ne peutpas douter – cette rétrospective achève de nous enconvaincre – que l'influence de ce dernier sera à la foisdéterminante dans l'émergence de la photographiedocumentaire et motrice dans l'épanouissement de laphotographie moderne.Une fois n'est pas coutume c'est un travail de valorisa-tion de la mémoire photographique considérable qui aété ici entrepris (grâce aux fonds importants consti-tués au fil des ans par le musée Carnavalet, archivesqui ont été complétées par celles de la George EastmanHouse de Rochester et des collections de la FundaciónMapfre à Madrid).

NICOLAS DUTENT

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

REGA

RD

55

Eugène Atget, Paris pour horizon

© E

ugèn

e A

tget

« On se souviendra de lui comme d'un historien de l'urbanisme, d'un véritable romantique, d'unamoureux de Paris, d'un Balzac de la caméra, dont l'œuvre nous permet de tisser une vastetapisserie de la civilisation française. » Berenice Abbott

Exposition présentée au Musée Carnavalet du 25 avril au 29 juillet.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page5

Page 6: La revue du projet n°18

PAR NICOLAS BONNET*

L es trentième jeux olympiques d'étéde l'ère moderne auront lieu du 27juillet au 12 août 2012 à Londres.

Durant le mois de juin, le nouveau prési-dent de la République fera ses premierspas sur le terrain du sport avec au rendez-vous le retour de l’équipe de France defootball pour l’Euro 2012 en Pologne eten Ukraine ainsi que le quatre-vingt-dix-neuvième Tour de France cycliste. Autantd’événements qui cristallisent les pas-sions et qui questionnent l’opinionpublique sur la réalité sportive et lesvaleurs qu’elle véhicule. Bien sûr il y abeaucoup de questions dans les têtes : lessalaires indécents, la médiatisation, ledopage, la corruption…L’avenir du sportest-il définitivement voué au business età la marchandisation à tous les étages,des Jeux olympiques à la pratique quoti-dienne de chacune et chacun ? Le sportpeut-il encore être porteur de progrès etd’émancipation pour l’être humain ? Àquelles conditions ?La barre est haute. D’autant que les choixpolitiques des dernières années ontdémantelé progressivement la colonnevertébrale du modèle sportif français. Leconstat est lourd : 5 000 postes de pro-fesseurs d’EPS (éducation physique etsportive) supprimés, un budget en stag-nation qui n’a jamais dépassé 0,2% dubudget national, la fin des directionsdépartementales de la jeunesse et dessports et des directions régionales enperte de capacités de mission et d’ac-tion, la disparition de 15% des effectifsde fonctionnaires liée au non remplace-ment d’un fonctionnaire sur deux par-tant en retraite, les fermetures de huitCREPS (centre régional d’éducationpopulaire et de sport) mais aussi l'aban-don pur et simple de métiers et de mis-sions. Les premières enquêtes montrentune inversion de courbes quant à la pra-tique sportive régulière aujourd'hui en

France. Les catégories sociales les plusen difficulté en sont les premières vic-times. Par ailleurs, de plus en plus d'ins-tallations et de manifestations sportivessont confiées à des sociétés privées dontle but n'est souvent que la rentabilitéfinancière.De tels choix politiques ont conduit àopposer les pratiques entre elles et à pen-ser leur développement uniquement dansla concurrence en mettant fin à l’unité dumouvement sportif, à la solidarité entrele sport amateur et le sport professionnel.Il va falloir reconstruire, répondre auxenjeux d’actualité, aux aspirations despopulations et porter de nouveaux pro-grès ayant le souci de l’humain d’abord.Cette reconstruction ne peut être conduitesans une rupture radicale avec l’idéologiedominante dans le sport qui tend à mas-quer la réalité des enjeux. L'avenir dumodèle sportif français mérite un granddébat démocratique, avec le mouvementsportif, les parlementaires, les élu-e-slocaux et les partenaires sociaux concer-nés. Le changement ne peut pas venir qued'en haut mais de l'intérieur et des par-ties prenantes. Il faut donc vivifier les pou-voirs citoyens et notamment la démocra-tie dans le sport. Nous devons interrogerla place des associations, la place du tempslibre et la place du corps dans notre société.Toutes les doctrines d'oppression com-mencent par la négation ou le contrôle ducorps. Le corps est un enjeu de domina-tion et donc de pouvoir. L’enjeu politiquemajeur est le droit à dominer son proprecorps et à l'accomplir dans toutes lesdimensions de son potentiel physique etintellectuel.

UNE NOUVELLE ALTERNATIVE AUXPOLITIQUES LIBÉRALES EST POSSIBLE ÀPARTIR DE SIX POINTS• Le sport n’est pas une marchandise, c’est

un droit ! La spécificité du sport commeactivité créatrice de l’être humain doitêtre réaffirmée, nous devons sortir défi-

nitivement le sport des logiques de laconcurrence marchande par une nou-velle loi cadre renforçant le service publicdu sport.

• Le sport ne peut pas se réduire à un ins-trument des politiques de cohésionsociale ou de promotion de la santé.Au-delà de sa fonction préventive,comme toute activité culturelle, le sportdoit rester un outil d’éducation, de libé-ration, permettant à chacun(e) de déve-lopper ses capacités inventives et créa-trices, sa liberté.

• La vie associative est un pilier essentielde l’organisation du sport en France.Les clubs constituent autant d’espacesde formation citoyenne. Elle doit êtrepréservée de toutes dérives et concur-rences commerciales et soutenue auregard d’objectifs éducatifs et démo-cratiques par une intervention publiqueforte et une valorisation du bénévolat.

• La démocratie doit devenir constitu-tive de la vie sportive. L’objectif decitoyenneté passe par la démocratisa-tion et la maîtrise collective des struc-tures d’organisation et de gestion dusport (clubs, fédérations, comités olym-piques et sportifs, services publics,entreprises…).

• Le sport professionnel, ses manifesta-tions et leur traitement médiatique, lerecrutement des jeunes et leur charge detravail, l’appel aux joueurs étrangers doi-vent viser des objectifs humanistes deprogrès pour toutes et tous. L’ensembledes richesses créées par la haute perfor-mance sportive, qu’elles soient cultu-relles, économiques ou technologiquesdoivent participer au développement dusport pour l'ensemble de la population.

• L’Europe doit être un territoire détermi-nant pour défendre la spécificité éduca-tive du sport et lutter contre sa marchan-disation. n

*Nicolas Bonnet est responsable de la com-mission Sport du PCF.

LE DOSSIER

6

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

À la veille des jeux olympiques, ce dossier interroge les pratiques sportives,facteur d'émancipation de l'individu ainsi que les enjeux politiques d'au-jourd'hui pour ouvrir une nouvelle ère pour le sport, en rupture avec le déman-tèlement libéral programmé ces dernières années.

REFONDER LE SPORT

Sport : l’humain d’abord

ÉDITO

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page6

Page 7: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

77

ENTRETIEN AVEC PATRICK CLASTRES*

La Revue du Projet : Quelles lectures peut-onfaire de l'évolution des jeux olympiquesmodernes depuis 1896  ?Patrick Clastres : Ceux-ci ont été sou-vent lus comme un miroir de la marchedu XXe siècle, dans la mesure où ils ontépousé les fureurs du siècle, plus d'ail-leurs que son progressisme : l'affronte-ment entre les démocraties et les régimestotalitaires au fil des années 1930, lalongue « guerre froide » sportive, ainsique les manifestations des Sud et despeuples opprimés. Le CIO (comité inter-national olympique) a ensuite produitune lecture qui tendrait à faire croire quel'olympisme a servi la cause de la paix etdu progrès humain. Or, si l'on examineles entrées comme les sorties de guerrenotamment, on constate que c'est loind'avoir été le cas. Au mieux, le CIO a étéimpuissant. Au pire, il a contribué à l’ar-mement patriotique des corps et au res-sentiment en excluant les nations jugéesresponsables des deux guerres mon-

diales. Ses initiatives diplomatiques,comme la constitution d'une équipecommune aux deux Allemagne ou auxdeux Corée à Séoul, seront couronnéesd'échec. Il n’aura pesé favorablement surle destin des peuples qu’à son corpsdéfendant comme dans le cas desathlètes noirs américains, exclus des Jeuxde Mexico 1968 pour avoir levé un poingganté de noir en faveur des droitsciviques. Les jeux olympiques n'ontjamais été à la pointe du progressismeau XXe siècle. Ils ont toujours été à laremorque de l'histoire.

La Revue du Projet : Qu'en est-il de l'associa-tion des peuples à l'organisation des jeuxolympiques modernes  ?P.C. : Jusqu'à ceux de Stockholm en 1912,les jeux olympiques sont organisés paral-lèlement aux expositions universelles etcommerciales. Les populations localessont tenues à l'écart, au profit des seulsvisiteurs. Mais il ne faut pas oublier quejusqu'à la guerre de 1914, les populations

sont très faiblement sportives, et com-mencent à peine à s'intéresser aux spec-tacles sportifs. En fait, seules les coursescyclistes et les combats de boxe sont vrai-ment populaires, et nombre de sportsolympiques comme l’escrime, la lutte oubien encore la gymnastique ne font pasrecette. On assiste à compter des Jeux deParis de 1924 à une progressive massifi-cation du spectacle sportif, mais sans véri-table implication des populations dansl'organisation des Jeux. La rupture inter-vient véritablement avec les Jeux de Berlinen 1936 : des dizaines de milliersd'Européens et plusieurs millions d'Alle -mands assistent aux compétitions, maisrestent simples spectateurs. L'organi sationest prise en charge par le comité d’orga-nisation du pays concerné en lien avec leCIO et les gouvernements locaux. Le finan-cement repose essentiellement sur lesdeniers publics, du moins jusqu'aux Jeuxd’Atlanta en 1996. On assiste alors à la miseen place d'un nouveau modèle : les infra-structures lourdes sont prises en chargepar les fonds publics, les collectivitéslocales et les États, tandis que les parte-naires privés cherchent à dégager desbénéfices sur la billetterie et tous les à-côtés commerciaux. Ce modèle s'appuie,enfin, sur un troisième pilier qui le rendbénéficiaire : les milliers de « volontaires »désormais totalement intégrés au dispo-sitif. Par leur engagement bénévole, ilscontribuent à « l’olympisation des esprits »au moment où le CIO tente de lutter contrela « déprise sportive », c'est-à-dire le faitqu'un nombre croissant de jeunes despays riches se détournent du sport com-pétitif et du spectacle des JO, comme l'ontmontré de récentes enquêtes.

La Revue du Projet : Existe-t-il selon vous unmoyen d'enrayer les évolutions actuelles et defaire réellement des JO un instrument au ser-vice de la paix, des solidarités internationaleset du développement du sport ?P.C. : Comme je l'ai dit, à l'échelle du XXe

siècle, les jeux olympiques n'ont pas étéau service du progrès humain. On le voitdans le retard à intégrer les femmes etles minorités nationales, dans la mise àl'écart des athlètes handisport ou encoredes seniors. Faut-il pour autant tout met-tre par terre ? Comme l’art, le sport peutservir les grandes causes et les idéauxuniversels. Encore faut-il que le CIO etles CNO (comité national olympique)deviennent des instances démocratiques,

directement représentatives des citoyenssportifs, et qu’ils soient intransigeantsavec toutes les formes de discriminationen faisant appliquer la neutralité poli-tique et la laïcité dans l’enceinte olym-pique. Et pour éviter que les jeux olym-piques ne soient qu'une simple additionde championnats du monde et qu'ils res-tent le lieu d'un sépara tisme archaïque,le CIO aurait tout intérêt à créer desépreuves mixtes de relais en athlétismeet en natation : des équipes nationales –quel plus beau symbole ? – seraient alorsconstituées de deux valides, deux han-

disport, et deux seniors, hommes etfemmes à chaque fois. Je pense aussi quele CIO pourrait faire monter sur lepodium, à côté des athlètes récompen-sés pour leurs performances sportives,d'autres champions élus par leurs pairssur la base de leur éthique sportive etcitoyenne. Peut-être aussi, pour rappro-cher le sport de l’art, faudrait-il récom-penser les prouesses esthétiques. Noussommes en effet dans un espace qui estcelui des symboles : ce serait une manièrede promouvoir des modèles émancipa-teurs et de sortir d'une simple logiquede performance objectivement mesura-ble qui risque d'amener les Jeux à leurperte. Lorsque les sponsors vont pren-dre conscience que les jeunes généra-tions ne sont plus devant leurs écrans,ils risquent de s'en détourner pour finan-cer des jeux bioniques, des jeux des sur-hommes. Le CIO serait ainsi ironique-ment victime de la marchandisation etdu pacte avec les firmes multinationalesque ses dirigeants ont eux-mêmes déci-dés au seuil des années 1980 sous la hou-lette de Juan Antonio Samaranch. n

*Patrick Clastres est historien, professeur depremière supérieure à Orléans. Il est l’auteur,notamment, de Jeux olympiques. Un siècle depassions, Les quatre chemins, 2008.

LES JEUX OLYMPIQUES À LA REMORQUE DE L'HISTOIRE

Pour éviter queles jeux olympiques ne soient

qu'une simple addition dechampionnats du monde et qu'ils

restent le lieu d'un sépara -tisme archaïque, le CIO aurait toutintérêt à créer des épreuves mixtes

de relais en athlétisme et en natation.

”Les jeux olympiquesn'ont jamais été à la pointe

du progressisme au XXe siècle.“

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page7

Page 8: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

Sport : l’humain d’abord

PAR EMMANUELLE OULALDJ,NICOLAS KSSIS*

Les prochains jeux olympiques vontse tenir à Londres du 27 juillet au 12août 2012. Cet événement pharao-

nique qui se transforme toujours plus enune immense kermesse aux sponsors, sedéroulera alors que la Grande-Bretagnes'enfonce dans la récession, et que lesmesures d'austérité se multiplient audétriment des plus démunis et de ser-vices publics déjà largement atrophiéspar des décennies de thatchérisme et deblairisme. L'État, la ville et la populationvont devoir supporter sur leurs épaulesun budget public de près de 13 milliardsd'euros, bien loin des 3 milliards annon-cés au départ. On peut même parler de29 milliards si l'on prend en compte lescoûts indirects, dont la présence poli-cière et militaire.

LES OLYMPIADES POPULAIRES DE BARCELONE EN 1936Revenons ici sur un fait de l’histoire quepeu de gens connaissent. Et pourtant...En 1931, le comité international olym-pique (CIO) décide de confier l’organi-sation des JO de 1936 à l’Allemagne nazie.

Dans le sport français, seule la FSGT(fédération sportive et gymnique du tra-vail) s’engage et entame une large cam-pagne en faveur du boycott. Elle décidede participer à des olympiades popu-laires impulsées par le Front populaireespagnol et programmées du 19 au 26

juillet 1936 à Barcelone. L'opinion fran-çaise est partagée, le gouvernementsocialiste qui soutient dans un premiertemps les olympiades et les sportifs dela FSGT, décide de ne pas subventionnerles athlètes et propose un vote à laChambre des députés le 9 juillet. Ladroite vote pour la participation aux Jeuxallemands, la gauche s'abstient, seulPierre Mendes France vote contre.

L'histoire retiendra les Jeux de Berlin.Pourtant dès le 14 juillet une délégationde France arrivera à Barcelone, parmi 22autres pays et 6 000 participants. Maisdans la nuit du 18 au 19 juillet, soit laveille de l'ouverture des Jeux, des pre-miers coups de feu éclatent. C'est le coupde force militaire de Franco. Les olym-piades populaires n'auront pas lieu. Siune partie des délégations est rapatriée,certains sportifs font le choix de prendreles armes aux côtés des républicainsespagnols. L'un d'eux dira « Nous étionsvenus défier le fascisme sur un stade et

l'occasion nous fut donnée de le com-battre tout court ». Si le contexte n’est pas le même, l'exem-ple des Olimpiada Popular de Barcelonedoit nous rappeler notre capacité à résis-ter, à oser et laisse entrevoir encoreaujourd'hui des pistes dans cette voie. Il

Il s'agirait d'extirperdu sport la rivalité entre nations et

grandes puissances, de libérerl'organisation du diktat

des sponsors, de lutter fermementcontre la discrimination et le

racisme et d'émanciper les épreuvesdes seuls critères compétitifs

et des records.

“”

POUR DES OLYMPIADES POPULAIRES !Au regard de ce qui semble un processus irrésistible d'ultra-commercialisation des anneaux, commentpenser et concevoir un autre modèle olympique, qui plongerait la signification de ces jeux dans la réa-lité et la diversité profonde des pratiques populaires du sport à travers le monde ?

8

LE DOSSIER

Une dimension inter-culturelle et festive doit

pouvoir associer toute lapopulation à l'événement

dans une perspective d'éducation populaire.

“”

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page8

Page 9: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

9

> SUITEPAGE 10

La campagne de lobbying concernant la nécessité de « grandsstades » ne relève-t-elle pas d'une vision libérale alors qu'ilconvient de mettre en œuvre une politique sportive humaniste,sociale en matière d’équipements sportifs ?

9

L’AVENIR EST-IL PAVÉ DE GRANDS STADESET DE GRANDES SALLES ?

PAR FRANÇOIS-EMMANUEL VIGNEAU*

Au cours des dernières années, unecampagne de lobbying a été menéepar plusieurs ligues de sports pro-

fessionnels pour réclamer des finance-ments publics afin de moderniser les« grands » stades ou palais des sportsexistants, d’en construire de nouveaux…et d’en laisser la jouissance aux clubsprofessionnels. Cette campagne, relayéepar les acteurs du BTP (bâtiment et tra-vaux publics), a dénigré les enceintesfrançaises existantes en invoquant leurprétendue vétusté, voire leur dangero-sité et un manque de « grands équipe-ments » par rapport à nos voisins euro-péens.

DES INTERROGATIONSUne analyse critique de ces argumentsconduit à formuler plusieurs questionset observations, notamment :

• en matière de sécurité, le cadre légis-latif et réglementaire français, en par-ticulier depuis le drame de Furiani, estl’un des plus rigoureux en Europe ;

• en termes de capacité et de « moder-nité », le patrimoine français de « grandsstades » et de « grandes salles » n’a-t-ilpas permis d’organiser plusieurs com-pétitions internationales au cours desdeux dernières décennies dont deuxcoupes du monde de football et derugby ?

• en termes de capacité encore, le nom-bre de sports populaires et la sociolo-gie des supporters dans les pays voi-sins sont-ils suffisamment similairesavec la situation française pour que lacapacité de nos stades et/ou nos palaisdes sports soit déterminée à l’aune del’affluence des spectateurs dans cespays ?

• en termes de capacité toujours, est-ceparce que nos stades seront plus grandset que les places seront plus chèresqu’ils attireront davantage de specta-teurs, alors qu’actuellement ils ne sontque rarement complets ?

• est-ce que construire de « grandes »enceintes modernes aujourd’hui per-met d’accueillir des compétitions inter-nationales demain et de développer lesport après-demain ? Les installationsolympiques d’Athènes ou de Pékin ser-

vent-elles aujourd’hui à développer lesport grec et le sport chinois ? Après lesJO, de nombreux équipements deLondres seront, au moins partielle-ment, démontés ;

• une « grande » enceinte moderne garan-tit-elle la réussite sportive du clubqu’elle abrite comme le prétend le« modèle économique » présentécomme la panacée en matière de sport ?De nombreux clubs français ne sont-ils pas « descendus » en division infé-rieure malgré un nouveau stade ?Plusieurs stades récents ne sont-ils paspratiquement déserts ? Ce modèle éco-nomique est-il compatible avec la « glo-rieuse incertitude du sport » ?

• l’accueil de concerts permet-il de « ren-tabiliser » des équipements sportifs ouconduit-il à exclure la pratique au pro-fit du spectacle, voire à exclure le sportau profit de manifestations beaucoupplus rémunératrices ?

• existe-t-il un marché pour des sallesmultifonctions (arena) en France, alorsque le réseau des Zénith permet d’ac-cueillir l’essentiel des concerts ?

• le modèle des arena est-il fonctionnel

Une approche humaniste consiste à développer un « service

public d’accès au sport de hautniveau » permettant à tous lesjeunes qui en ont les capacités

physiques et la volonté des’épanouir en « exprimant » tout

leur potentiel sportif.

“”

s'agirait d'extirper du sport la rivalitéentre nations et grandes puissances, delibérer l'organisation du diktat des spon-sors, de lutter fermement contre la dis-crimination et le racisme et d'émanci-per les épreuves des seuls critèrescompétitifs et des records. Le dopage ettoutes les autres dérives liées au sportspectacle seraient évidemment des ten-tations amoindries.

INVENTER DE NOUVELLES RÈGLESLa question est aujourd’hui de transfor-mer en profondeur un olympisme quine fait qu’épouser la mondialisation éco-nomique. Ce ne sont pas de simples amé-nagements qui permettront de résoudreles contradictions. Elles sont trop fortes.Les règles doivent changer, il faut oser etréinventer. La composition des déléga-

tions doit assurer la parité avec autantd’hommes que de femmes. Elle doit êtreintergénérationnelle, tous les âges de lavie devraient pouvoir participer à desépreuves aux contenus adaptés.Pourquoi ne pas imaginer des équipesinternationales et mettre fin une bonnefois pour toute au classement par pays etaux hymnes nationaux ? Une dimensioninter-culturelle et festive doit pouvoirassocier toute la population à l'événe-ment dans une perspective d'éducationpopulaire. Pourquoi ne pas imaginer dif-férents lieux d’accueil, sur chaque conti-nent par exemple ? Cela donnerait unetaille humaine à ces rassemblements etpermettrait d’imaginer des équipementssportifs à dimension raisonnable tour-nés vers le sport de la population à pluslong terme. Les catastrophes écolo-

giques, tels qu’à Sotchi en 2014 où laconstruction du village olympique, depatinoires et de pistes de ski sont réali-sées au détriment d’une région monta-gneuse et forestière classée au patri-moine mondial de l’Unesco, pourraientainsi être évitées. Osons enfin interdireles sponsors, la sélection des spectateurset des participants par l’argent et la pri-vatisation des retransmissions télévisées.Rêvons, imaginons, créons, c’est la seulevoie vers l’émancipation. En participantaux jeux sportifs mondiaux de la confé-dération sportive internationale du tra-vail (CSIT), la FSGT essaie, avec d’autres,de tendre vers cette ambition. n

*Emmanuelle Oulaldj est membre de ladirection nationale collégiale de la FSGT,Nicolas Kssis est journaliste sportif.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page9

Page 10: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

10

LE DOSSIER Sport : l’humain d’abord

SUITE DE LA PAGE 9 >

PAR CLAIRE PONTAIS*

Lorsqu’un gouvernement souhaite fairedes économies sur le dos de l’école, ilest toujours tenté de commencer par

l’EPS, le sport scolaire et les arts. Soit encherchant à les renvoyer hors de l’école(accompagnement éducatif, « cours lematin, sport l’après midi ») pour rempla-cer les enseignants par des animateursqui coûtent moins cher, soit en diminuantles horaires scolaires et/ou en réduisant

la teneur culturelle. Ainsi, le socle com-mun limite le rôle de l’EPS à des objectifsde santé (version hygiéniste = bouger) etde paix sociale (sport = respect des règles).L’éducation sportive est alors, dans lemeilleur des cas, renvoyée aux collectivi-tés locales, ou au pire à la sphère privée,sous la responsabilité des familles. Celane peut, à terme, que renforcer les iné-galités sociales, géographiques, entre gar-çons et filles. L’école, c’est le seul lieu obligatoire pourtous les élèves jusqu’à 16 ans (12 millions),

TOUT COMMENCE À L’ÉCOLE ! L’école est le seul lieu obligatoire pour toutes et tous d’ouverture àla pratique sportive.

pour l’accueil de spectacles culturels ?Les spectacles culturels et « sportifs »n’ont-il pas suscité, depuis l’Antiquité,deux archétypes d’équipements dis-tincts : le théâtre grec et l’amphithéâ-tre romain (arène) ?

Sans doute n’est-il pas inutile de mettrela campagne de lobbying concernant lesstades en perspective avec des orienta-tions politiques.En effet, la modernisation et la construc-tion d’enceintes de spectacles sportifs, degestion privée, mais avec des finance-ments publics – la fameuse « socialisationdes dépenses et privatisation des recettes »– est justifiée ainsi : dans le cadre de laconcurrence entre clubs européens, il fautdonner aux clubs français des ressourcessupplémentaires afin d’acheter et de payerplus cher des joueurs meilleurs. Cette« marchandisation » des sportifs et, a for-tiori, la spéculation sur la valeur mar-chande de joueurs déjà formés relèventd’une approche « libérale ».Une approche humaniste consiste à déve-lopper un « service public d’accès au sportde haut niveau » permettant à tous lesjeunes qui en ont les capacités physiqueset la volonté de s’épanouir en « expri-mant » tout leur potentiel sportif. Le« modèle sportif français » a longtempsépousé cette approche, notamment grâceau réseau des établissements nationaux(INSEP, institut national du sport, de l’ex-pertise et de la performance, écoles natio-nales, CREPS), aux cadres techniquessportifs (CTS) d’État placés auprès desfédérations, à la qualité des formations

des éducateurs sportifs garantie par desdiplômes d’État, aux conventions d’ob-jectifs entre le ministère chargé des sportset les fédérations… Or, les précédents gou-vernements de droite ont contribué àdémanteler ce service public d’accès ausport de haut niveau pour ouvrir de nou-veaux marchés (notamment en matièrede formation) au secteur privé.

UNE APPROCHE HUMANISTEAfin que les équipements sportifs contri-buent efficacement au service public d’ac-cès au sport de haut niveau, il convientnotamment :• de moderniser, de développer les cen-

tres d’entraînement, en particulier lesCREPS, en les adaptant aux méthodesles plus récentes en matière de prépa-ration physique, technique, tactique etmentale, de recherche appliquée, desuivi médical, de récupération…

• d’établir le schéma directeur d’équipe-ments sportifs d’intérêt national prévupar l’article L. 312-1 du code du sport ;

• d’exploiter au mieux les bâtiments exis-tants de grand volume (par exempleparcs des expositions, friches indus-trielles) et de recourir à des installationstemporaires pour les manifestationsexceptionnelles.

Plus largement, la mise en œuvre d’unepolitique sportive humaniste, socialenécessite, en matière d’équipements spor-tifs, de :

• « déconstruire » les représentationsusuelles, en particulier de remettre en

question l’adage « qui peut le plus, peutle moins » selon lequel un équipementdimensionné pour l’accueil de grandescompétitions satisferait ipso facto lesautres finalités de pratique (entraîne-ment, EPS, loisir, santé). En effet, cettehypothèse est erronée d’un point de vuefonctionnel et pas soutenable sur lesplans économique et écologique ;

• repenser les équipements, non plus seu-lement pour les sports, mais surtoutpour les sportifs. C’est-à-dire concevoirles espaces sportifs selon les fonctionsqui leur sont assignées (formation, accèsau haut niveau, sport-santé, sport-loi-sir, promotion du sport, sport-specta-cle…) pour satisfaire les motivations depratique de la population et les objec-tifs des politiques publiques en matièrede sport ;

• mutualiser ou assembler les espacesfonctionnellement complémentairesafin d’éviter de constituer des « ghettossportifs » et, au contraire, de favoriser larencontre de catégories de populationvariées.

En effet, l’objectif « politique » à attein-dre me semble être que les espaces spor-tifs favorisent l’épanouissement indivi-duel et la cohésion sociale. Ce que jerésume ainsi : « des activités physiques etsportives pour chacun dans des équipe-ments sportifs pour tous ». n

*François-Emmanuel Vigneau est diplôméen architecture, docteur en géographie etaménagement du territoire. Il notammentl’auteur de : Les équipements sportifs, LeMoniteur, 2006.

où ils ont leur premier contact (et parfoisle seul) avec le sport et les activités phy-siques artistiques. Dès le plus jeune âge, les enfants desfamilles favorisées font des randonnéesen forêt, vont à la mer, la piscine, dansdes clubs spécifiques (bébés nageurs,baby-gym, baby-basket). Dans les milieuxdéfavorisés urbains, nombre d'enfants nesavent pas faire de vélo en sixième, nesavent pas nager ni courir longtemps sanss'arrêter… Sans l’école, la majorité desenfants ne vivraient pas d’activités depleine nature, la majorité des garçons neconnaîtraient pas la danse, l’immensemajorité des filles ne feraient jamais desports collectifs, etc. L’école, c’est donc le seul lieu d’accès à laculture pour tous. Au-delà de la décou-verte de la culture physique, sportive et

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page10

Page 11: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

1111

artistique, sa fonction est de faire appren-dre pour permettre à chacun de dévelop-per des pouvoirs nouveaux : des pouvoirsd’agir « par corps » qui donne uneconfiance en soi et une plus grande liberté,des pouvoirs pour mieux penser la com-plexité de son activité et apprendre à por-ter un regard critique sur les faits (en tantqu’acteur, spectateur, organisateur, etc.),des pouvoirs d'agir avec les autres : écou-ter, donner son avis, débattre, partager,coopérer et s'enrichir de la présence del'autre. L’EPS est un enseignement privi-légié pour réhabiliter les savoirs collectifsdans l’école d’aujourd’hui, dans lesquelsl’autre est une ressource, le besoin de l’au-tre est une condition pour réussir. Ces pouvoirs nouveaux sont la condition

pour que tous les élèves aient une réelleliberté de choix. Quand on se sent nul (ounulle) dans un sport, on ne peut pas oserpousser la porte d’un club ou d’une asso-ciation, d’autant que le milieu sportif n’estpas majoritairement organisé pour lesadultes débutants ou les plus faibles, nisur le plan des formes de pratique, ni surle plan de l’encadrement.

L’EPS est un enseignementprivilégié pour réhabiliter

les savoirs collectifs dans l’écoled’aujourd’hui, dans lesquels l’autre

est une ressource, le besoinde l’autre est une condition

pour réussir.

“”

La mission de l’école, service public, estdonc de créer toutes les conditions pourque chacun-e trouve suffisamment deplaisir ici et maintenant à apprendre etse transformer pendant le cours d’EPS, etoser poursuivre ensuite, après l’école, pen-dant l’enfance, l’adolescence et plus tardpour avoir une pratique sportive physiquerégulière.

DES MESURES D’URGENCELes conditions à réunir pour que celafonctionne sont assez simples. Demanière urgente : • rétablir les postes « volés » par le gou-

vernement Sarkozy pour assurer unenseignement à tous dans des classesà 24 élèves.

• assurer une formation de qualité auxenseignants pour qu’ils soient en capa-cité de faire progresser tous les élèves,en particulier ceux et celles qui n’ontque l’école pour apprendre.

• pour l’école primaire, rétablir l’épreuveobligatoire au concours pour assurerune formation initiale à tous les pro-fesseurs des écoles et une formation « àdominante EPS » plus poussée pourceux et celles qui le souhaitent. Cela adéjà existé en formation continue, maisl’institution n’a jamais voulu s’intéres-ser à ces pratiques qui favorisent pour-tant le travail d’équipe et assurent lapolyvalence des enseignements. Le pré-texte est de ne pas toucher à la polyva-lence des enseignants, pourtant illu-soire, notamment au CM1-CM2.

• créer un forfait horaire USEP (unionsportive de l’enseignement du premier

degré) pour les professeurs d'école,comme il existe un forfait UNSS (unionnationale du sport scolaire) pour lesprofesseurs EPS. Ces décharges USEP,déjà expérimentées, sont la seule solu-tion pérenne pour développer une pra-tique sportive scolaire de masse.

• avoir une politique ambitieuse d’équi-pements proches des écoles (nonconcurrence).

DES OBJECTIFS-HORIZONS EN DÉBAT• augmenter l’horaire EPS à tous les

niveaux de la scolarité (4 heures parsemaine), et revoir l’ensemble descontenus de programmes. Il faut enri-chir le temps scolaire et non le dimi-nuer !

• développer le dialogue entre l’école etles élus et responsables associatifs locauxpour améliorer l’offre éducative globaleet la complémentarité école-hors écoleen respectant les missions des uns et desautres : d’un côté, éviter la substitutionau sein de l’école et de l’autre, revoir lescontenus des loisirs qui sont souventexcessivement « scolarisés ».

Ces mesures sont de nature à assurer uneréelle entrée en culture de chaque enfantet par la même, à faire que chaque adulte,par une pratique sportive plus éclairée,contribue à faire évoluer le sport lui-même. n

*Claire Pontais est secrétaire nationale duSNEP-FSU.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page11

Page 12: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

12

LE DOSSIER Sport : l’humain d’abord

PAR YVON LÉZIART*

Le sport depuis son apparition enFrance, à la fin du XIXe siècle est, soitparé de toutes les vertus éducatives

(faire du sport c’est s‘éduquer), soitdélesté de toute responsabilité éduca-tive en raison de sa proximité aux pou-voirs économiques et politiques (le sportest une courroie de transmission desvaleurs du capitalisme). Cette analysedichotomique est évidemment carica-turale et cache l’existence, dès la nais-sance du sport, d’une volonté de faireexister un « sport éducatif ». Pierre deCoubertin défend déjà l’idée d’un sportéducatif reposant sur la pratique de plu-sieurs activités sportives. La création desfédérations sportives uni-sports au débutdu XXe siècle entraîne immédiatementla création de fédérations affinitaires sou-cieuses de maintenir une valeur éduca-tive au sport. Plus près de nous la FSGT,sous l’impulsion de René Moustard etRobert Mérand, s’est attachée à propo-ser une pratique sportive riche éduca-tive et autogérée. Ce court retour en his-toire du sport confirme que la recherched’une éducation par le sport est perma-nente. Éducation, démocratie, émanci-pation se côtoient dès lors, dans les dis-cours, avec parfois quelques confusions.

LA DÉMOCRATISATION SPORTIVE« Le sport pour tous », est un des slogansmassivement employés. Il est présentdans les discours de Pierre de Coubertin.Le sport doit être ouvert à tous ceux quisouhaitent le pratiquer. La volonté de ledémocratiser est incontestable. Peut-oncependant se contenter de ce slogan ?L’ouverture aux pratiques sportives n’en-traîne aucune réflexion sur les condi-tions de vie des pratiquants, ni ne pré-voient ou revendiquent des changementsdans les conditions sociales des plusdéfavorisés. L’ouverture sportive enté-rine les positions sociales et politiquesen vigueur. C’est une avancée démocra-tique conservatrice si l’on peut s’expri-mer ainsi.Un second slogan « Tous les sports pourtous », moins souvent utilisé réclame quetous les sports soient ouverts à tous. Ladiscrimination par l’argent en particu-lier est combattue. Il s’agit alors d’offrir

aux plus déshérités la possibilité d’accé-der aux pratiques sportives jusqu’alorsinaccessibles pour eux. La limite posée

concerne cependant les effets à longterme de cet engagement. Ouvrir à tousla pratique de tous les sports ne certifiepas que les sports les plus onéreuxdeviendront le quotidien des moins favo-risés. Elle peut cependant faire germerdes envies et des engagements politiquesmilitants.À ce manifeste est associée parfois chezles plus volontaristes et les plus militantsl’idée de la pratique de tous les sportspour tous au plus haut niveau possible.Cette orientation porte en elle un trèshaut niveau d’exigence. Exigence de for-mateurs qualifiés, exigence des condi-tions de la pratique. Antoine Vitez et JeanVilar dans le domaine de la culturesituaient leurs interventions à ce niveau.

DE LA DÉMOCRATISATION À L’ÉMANCIPATION Les assimilations entre démocratie etémancipation sont fréquentes. L’éman -cipation par le sport est présentée alorscomme la phase la plus élaborée de ladémocratie. Jacques Rancière nous inter-roge à ce propos, en affirmant qu’aucuneinstitution n’est en elle-même émanci-patrice. Il s’agit de distinguer égalité etréduction des inégalités. Les réducteursdes inégalités ajoute-t-il, maintiendronttoujours leurs privilèges sous couvert deles supprimer. Cette remarque salutairepermet sans doute de dire que la démo-cratisation est une condition de l’éman-cipation mais qu’elle ne la garantit pas. L’émancipation, c’est donner des habi-tudes, des manières de sentir, des formesde pensée et de langage qui fassent dechacun des participants actifs et respon-

sables d'un monde commun. N’importequi, peut ce que peut n’importe qui. Ils’agit donc de mettre l’intelligence enpossession de son propre pouvoir enrévélant les propres capacités de cha-cun. Là, où on localise l’ignorance il y atoujours un savoir. Le processus d’ap-prentissage n’est donc pas un processusde remplacement de l’ignorance del’élève par le savoir du maître, mais undéveloppement du savoir de l’élève parlui-même. L’émancipation met l'accentsur le principe d'unité et d'égalité desintelligences. Elle pose, comme centrale,la capacité d'autodépassement et affirmela possibilité d'inventer de futurs qui nesont pas encore imaginables.

CONDITIONS DE L’ÉMANCIPATIONPAR LE SPORTLa déclinaison de l’émancipation sur leplan de la pratique pose des exigencesfortes. Elle demande du temps, desmoyens, des formateurs qualifiés pourpermettre le développement de chacunpar lui-même, au maximum de ses pos-sibles. Il faut être vigilant aux formes depratique proposées. Un club, une fédé-ration sportive peuvent souhaiter démo-cratiser les APSA (activités physiquessportives artistiques) tout en maintenantcertains de leurs membres, dans unesituation de dominés ou dans un rap-port hiérarchique fort. L’émancipation n’est pas compatibleavec les voies de transmission directive.Elle n’adhère pas non plus à l’idéologiedu « tout se trouve en chaque individu ».La création de soi ne se fait jamais exnihilo. Des potentialités existent enl’homme mais c’est par une confronta-tion à soi-même et aux autres hommes,à la culture, aux œuvres, (rappelons quele sport construit des œuvres) quel’homme se transforme. L’homme vitdans un monde de culture. Le sport yparticipe. C’est dans ce terreau qu’il puiseses propres voies de développement. Onpeut comme Michel Serres et d’autrespenseurs, crier haro sur la compétition.Si l’on prend pour unique modèle celuidu très haut niveau et de ses dérives (évi-tons cependant de n’accorder à la pra-tique sportive de haut niveau que descaractères négatifs, elle aussi peut êtreémancipatrice), il est alors aisé de mon-trer qu’elle conduit à l’aliénation (alié-nation par l’argent, aliénation par l’en-vironnement, aliénation par l’absencede pensée critique). La compétition peutêtre facteur d’émancipation si elle estpensée comme une confrontation à soi,une confrontation aux autres sans que

L’émancipation, c’est donner des habitudes, des

manières de sentir, des formes depensée et de langage qui fassent dechacun, des participants actifs et

responsables, d'un mondecommun.

“”

L’ÉMANCIPATION PAR LE SPORTL’émancipation pose le primat du développement de l’homme par lui-même au plus haut niveau d’accomplissement possible. Les pra-tiques sportives, sous certaines conditions, en sont un des éléments.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page12

Page 13: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

1313

> SUITEPAGE14

PAR ANNE ROGER*

Aujourd’hui, quand il s’agit d’évoquerla dimension éducative, donc éman-cipatrice, du sport, les discours se

portent majoritairement en premier lieusur les valeurs associées à ce sport. Aussi,volontairement, j’aimerais me position-ner davantage sur le plan des pratiqueset partir d’une représentation courante,celle du champion considéré comme unemachine à répéter des gestes techniques,toujours les mêmes, jusqu’à en devenirprisonnier, « aliéné » diraient d’aucuns,pour la déconstruire et rappeler que fina-lement ce qui permet aux sportifs des’émanciper est également en germedans la dimension technique.

LA PERFORMANCE ? De mon point de vue, il s’agit donc deposer le travail technique, partie inté-grante de l’entraînement de tout sportifqu’il soit champion olympique ou jeunesportif sans expérience et quel que soitle niveau de pratique, comme dimen-sion fondamentale de l’émancipation,comme lieu d’acquisition de nouveauxpouvoirs. Ce point me semble fonda-mental à réintroduire dans le débat tantdans le monde sportif aujourd’hui émer-gent de nouvelles pratiques, notammenttoutes celles classées dans le fourre-toutsport-santé, qui laissent sur le bord dela route la dimension technique et doncculturelle du sport. À une conceptionunitaire et globale du sport qui intègre-rait à la fois la dimension technique, per-

formative, la santé (comme point dedépart de nouvelles expériences et nonplus comme seul but en soi), le partage,la convivialité, etc. semblent en effetaujourd’hui s’opposer des pratiques quel’on voudrait laisser penser « auto-nomes » et spécifiques. Ainsi, ce qui estproposé aux adultes souhaitant se main-tenir en forme, s’entretenir, évacue deplus en plus les aspects techniques pourse centrer sur les dimensions physiolo-giques et musculaires, une pratiquehygiénique en quelque sorte. L’activité

technique, comme processus visant àproduire une réponse motrice répon-dant à la logique de performance spéci-fique à une activité sportive donnée, n’estpas au cœur de ces pratiques : footing,renforcement musculaire, marche, nagede longue distance, vélo… L’essentieldevient de bouger, de se fatiguer, de sedonner bonne conscience en oubliantque pour explorer de nouvelles sensa-tions, de nouveaux espaces il fautapprendre des gestes techniques fins. Lamême logique se retrouve parfois dansles pratiques sportives proposées auxjeunes enfants ou adolescents dans les-quelles le jeu semble devoir suffire, unjeu qui pourrait amener à des appren-tissages techniques s’il était créé et penséen ce sens mais qui souvent se cantonne

à la dimension ludique sans la connec-ter avec la dimension technique, ladimension de l’apprentissage liée auxtechniques sportives, objets et moyensculturels. Bref, on reste ici sur le pôle del’animation… première pierre nécessairemais insuffisante selon nous pour uneformation sportive qui transforme l’in-dividu et le rend plus libre de ses choix.De la même manière, la performancesemble faire peur, rejetée en bloc elle secharge de connotations négatives, et lesport de performance devient progres-sivement un espace réservé à l’élite,confisqué dès lors aux jeunes sportifs etsportives en herbe… La performanceaseptisée, minimisée, l’aspect techniqueest lui aussi encore évacué. Nous devonsveiller à ne pas déposséder la jeunessede ces lieux d’expérience exceptionnelset irremplaçables.

EN QUOI CET ESPACE TECHNIQUEEST-IL UN LIEU D’ÉMANCIPATION ?Il l’est pour diverses raisons que nousn’évoquerons que succinctement.L’apprentissage technique est l’espacede l’infiniment fin. Il donne accès à dessensations très fines, très personnelles.Il permet d’accéder à une complexiténon visible vue de l’extérieur et qui pour-tant est source d’émotions énormes, deplaisir intense. Qui peut se douter de lajoie ressentie par le jeune sportif ou lajeune sportive quand une sensation tech-nique s’associe à davantage d’efficacitéet de performance ? Qui peut décrypterce que signifie la lueur dans leurs yeuxquand ils viennent de ressentir ce quepermet le placement technique recher-ché, la petite intention qu’ils viennentde réussir à mettre en œuvre…le travailtechnique est un lieu d’expérimentationmais aussi de création. N’en déplaise auxpourfendeurs de la technique qui ne l’en-visagent que comme un lieu d’aliéna-tion. Rien n’y est jamais figé, toute actionest sans cesse reproblématisée… Ce tra-vail technique, cet espace technique per-

L’APPRENTISSAGE DES TECHNIQUESSPORTIVES AU CŒUR DE L’ÉMANCIPATIONLoin du lieu d'aliénation présenté par certains la dimension tech-nique des pratiques sportives est primordiale pour accéder à unebonne maîtrise de soi.

Le travail technique est un lieu d’expérimentation mais

aussi de création.“ ”

les règles de la civilité soient bafouées.La pratique sportive apprend à se connaî-tre, à choisir en connaissance, à évaluerles effets de ses actions, à modifier aprèsanalyse ses orientations. C’est une écolede la responsabilité des choix effec-tués…En apprenant à se bien connaîtrel’homme s’émancipe. Cette démarchedemande à ce que les individus soientconfrontés, dans leur pratique à des pro-blèmes dont ils portent, en eux, la réso-

lution, sans qu’ils en aient conscience.C’est par un réajustement permanent deses potentialités que l’homme s’engagedans un processus émancipateur.

En conclusion, l’émancipation est unedémarche exigeante. Elle pose le primatdu développement de l’homme par lui-même au plus haut niveau d’accomplis-sement possible. Le sport, comme tousles lieux de transmission, de confronta-

tion humaine directe ou indirecte peutparticiper de cette exigence. Certainesfédérations sportives (la FSGT par exem-ple) se sont engagées dans cette voie.Cette démarche coûteuse apparaît, dansune perspective sociale délicate, commeune nécessité pour rendre l’homme tou-jours plus responsable de ses choix. n

*Yvon Léziart est professeur des universitésen sciences et techniques des activités phy-siques et sportives à l’université de Rennes II.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page13

Page 14: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

14

LE DOSSIER Sport : l’humain d’abord

SUITE DE LA PAGE 13 >

PAR CATHERINE LOUVEAU*

Concernant l’accès au sport la distanceentre les femmes cadres ou travail-lant dans le tertiaire et les femmes

ouvrières et agricultrices, ayant souventconnu des scolarités courtes, est toujoursconsidérable à l’aube du XXIe siècle. Lestrois quarts des femmes ne pratiquantaucune activité physique sont employéesou ouvrières. Quelle que soit la positionsociale, les hommes ont toujours plus deprobabilité de pratiquer du sport. Ceconstat d’une sous-représentation desfemmes des milieux populaires perdureparmi les filles adolescentes. En théorie et réglementairement, lesfemmes peuvent pratiquer tous lessports. Dans les faits, une quarantainecomptent moins de 20% de femmes ; ily a toujours très peu de femmes dans lessports considérés comme « masculins »,tels le rugby, les sports de force, de com-bat rapproché, les sports à risque etmotorisé, etc. Elles y sont minoritaireset surtout encore très malvenues. Le foot-ball n’a pas connu cet « engouement »annoncé par les media après 1998, la FFF(fédération française de football) comp-tant à ce jour moins de 3 % de femmes.Plus généralement, les femmes ne repré-sentent qu’un tiers des licenciés, moinsde 40% des sportifs de haut niveau« aidés » et elles sont sous-représentéesdans les postes d’encadrement. Desdéclarations de principe sur la mixité et

au mieux la parité existent de longue dateau plan national et international (CIO).Sans effet voyant sur les faits ainsi qu’onpeut l’observer en France puisqu’ellesreprésentent moins de 10% des cadrestechniques et administratifs.

UN PROCÈS DE VIRILISATIONLes inégalités et discriminations pren-nent souvent la forme d’un procès devirilisation qu’il faut bien qualifier d’in-cessant. Si la femme « active » et mus-clée est un modèle donné comme posi-tif (comme signe de tonicité, de« forme »...), nombre de sportives per-formantes demeurent questionnéesquant à leur identité de « vraies femmes ».

En particulier dans des sports dans les-quels elles sont peu nombreuses et quel’histoire et la culture ont dévolus auxhommes (foot, rugby, boxes, cyclisme,haltérophilie…). C'est justement un« trop de virilité » qui a amené, dans lesannées soixante, la mise en place decontrôles de féminité pour toutes lessportives concourant au niveau interna-tional. Elles devaient prouver être de« vraies femmes ». Toujours mis en œuvre

partant d’un « doute visuel » [sic], cescontrôles relèvent d’une pratique discri-minatoire n’admettant pas, pour lesfemmes, les différents morphotypes exis-tant parmi les femmes comme parmi leshommes. Leur invisibilité dans les média est extrê-mement significative : 80 % du tempsconsacré au sport sur les chaînes hert-ziennes ne montre que des hommes.Elles sont d’autant moins médiatiséesqu’elles font du foot, du rugby, de l’hal-térophilie, de la lutte etc. C’est-à-dire desactivités jugées « non féminines » et dites« non vendables » (ce que les audienceslors de retransmissions de matches dehandball ou de football en 2012 démen-tent d’ailleurs). Alors que leurs perfor-mances et compétences sont avérées, etpeut-être même à cause de cela, les spor-tives sont de plus en plus enjointesaujourd’hui de s’exposer dans le regis-tre de la femme séduisante ; les tenuesqu’on leur demande de porter dans lescompétitions de haut niveau, voire qu’onleur impose (moulantes, jupettes obli-gatoires, etc.), les images de nombred’entre elles, publicitaires ou « sportives »attestent d’une sexualisation exacerbéede leur présentation. Elles ont un « prix »à payer pour la médiatisation de leursperformances.

POURQUOI TANT DE DISCRIMINATIONS ?Toute l’histoire du sport s’est construitepar et pour les hommes. Depuis leXIXe siècle, il a été pensé et organisé pour

Les images de nombre d’entre elles,

publicitaires ou « sportives »attestent d’une sexualisation

exacerbée de leur présentation.

“”

LES FEMMES DANS LE SPORT : INÉGALITÉS ET DISCRIMINATIONSLes inégalités et les discriminations entre les sexes perdurent à tous les niveaux de la pratique sportive :accès à la pratique et aux diverses disciplines sportives, place dans le sport de haut niveau, accès auxpostes de responsabilités, invisibilité ou présence conditionnelle dans les media.

met ainsi de gagner de nouveaux pou-voirs, de se sentir plus fort, d’être plusperformant, plus confiant, de se surpren-dre soi-même. Autant d’éléments qui jus-tifient que l’on revendique avec forcecette dimension technique de la pra-tique, liée évidemment à celle de la per-formance. Sans elle, les jeunes sportifsrisquent de se voir confrontés rapide-ment à la frustration d’un non-progrès,à l’ennui, voire même à des blessures.

UNE FORMATION EXIGEANTEInévitablement, envisager la formationsportive en intégrant la dimension tech-

nique telle que suggérée ci-dessus néces-site un contexte favorable : du point devue politique, une conception du sportglobale et unitaire doit être défenduedans laquelle la dimension techniqueassociée à la performance doit occuperune place centrale et résister aux formesde pratiques qui isoleraient certainsaspects. Le sport santé, le sport loisir,peuvent aussi se concevoir en intégranttoutes ces dimensions et le sport de per-formance ne doit pas être réservé à uneseule élite. Dès lors, il convient de don-ner les moyens aux entraîneurs des clubssportifs accueillant les jeunes quotidien-

nement sur les terrains sportifs de pou-voir les encadrer qualitativement, ce queseule une formation considérée commeun secteur « noble » et comme un maillonessentiel des politiques de développe-ment des fédérations peut permettre. Ilfaut oser être ambitieux. Les jeunes spor-tifs ne doivent pas être pris en otage dechoix qui ne les mettent pas au cœur etne prennent pas en considération cequ’ils ont à gagner à pratiquer une acti-vité sportive. n

*Anne Roger est maître de conférences ensciences et techniques des activités phy-siques et sportives à l’université Lyon I.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page14

Page 15: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

1515

former les hommes à la masculinité et àla virilité, pour qu’ils deviennent, de« vrais hommes ». Hommes et femmessont certes différents mais ces diffé-rences, entre autres morphologiques,sont pensées et incorporées comme uneinfériorité naturelle, alors qu’il s’agitd’une construction culturelle, sociale,alimentant des représentations ; c’est surces différences naturalisées (le sexe « fai-ble ») que se sont ancrées, socialementet politiquement, les inégalités et les dis-criminations.Car sur les faits et les processus à l’œu-vre dans la production de ces inégalités,deux niveaux sont engagés. D’un côté,ce qui relève de la culture, du social, desituations conjoncturelles constituantdes conditions d’impossibilité, des « obs-tacles », s’agissant de l’accès des femmesaux pratiques sportives et plus généra-lement au monde du sport. Ces inégali-tés relèvent par ailleurs de l’institution, idest des modes d’organisation du sportmoderne et contemporain, de choix poli-tiques attestés par des discours, des

textes, des lois. Si des conditions sociales,géographiques produisent des inégali-tés, la place des femmes et des deux sexesdans les pratiques sportives est en mêmetemps tributaire du niveau institution-nel et politique.

COMMENT EN FINIR AVEC CESINÉGALITÉS ?Il faut inlassablement rendre visibles cesinégalités et discriminations. Depuis plu-sieurs décennies de revendications et devigilance, et en dépit des lois, les chan-gements concernant les conditions devie et activités des femmes sont déce-vants, elles demeurent assignées à desplaces, fonctions, métiers, sous-repré-sentées, inégalement traitées. Quand onlaisse « faire les choses », par souci éga-litaire, les pratiques dominantes onttoutes probabilités de se reconduire, leslogiques de distinction et de discrimina-tion tendent alors à se reproduire. Lesrecommandations de toutes sortes n’ontpas manqué mais elles demeurent trèssouvent au rang de principes incanta-

toires. Les démarches volontaristes sontdésormais nécessaires ; les lois et textesexistants, incitatifs voire anti-discrimi-nations doivent être appliqués sous peinede sanctions. La différenciation et les iné-galités entre les sexes n’attendent pas lenombre des années, autre plan d’actionnécessaire. Les catégorisations sexuées,« masculinité » et « féminité », ainsi queles rapports sociaux entre les sexes s’in-corporent. C’est pourquoi le sport etl’éducation physique doivent constituerdes occasions de mise en évidence desinégalités et d’apprentissage de l’égalité.Les enseignants, éducateurs et anima-teurs doivent bénéficier d’une formationà l’égalité.Inégalités et discriminations ont doncsouvent partie liée. L’égalité est une ques-tion de traitement, de considération,d’importance, tant au tant au plan deslois que des pratiques et des représen-tations. L’égalité est donc politique. n

*Catherine Louveau est sociologue, profes-seur en STAPS à l’université Paris-Sud.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page15

Page 16: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

16

LE DOSSIER Sport : l’humain d’abord

PAR MARION FONTAINE*

Il y a plus d’un siècle, en 1880, PaulLafargue, socialiste français et gendrede Karl Marx, faisait paraître un pam-

phlet au titre délibérément provocateur :Le droit à la paresse. Avec une ververéjouissante, il y dénonçait le « dogmecapitaliste du travail » auquel, à ses yeux,même une partie de la classe et du mou-vement ouvrier avaient cédé, alors mêmequ’il faisait des travailleurs « non plus deshommes, mais des tronçons d’hommes ».Au-delà du mélange de provocation etd’appel plus pratique à la réduction dutemps de travail, ce pamphlet constitueune singularité : c’est à gauche l’un desrares textes à accorder une place centraleau temps du loisir, évoqué, comme undéfi, sous les traits du péché de paresse,et à revendiquer l’appropriation par lesouvriers de ce temps, monopolisé jusque-

là par les élites. La portée politique decette revendication ne va pas de soi,même à gauche. Depuis le XIXe siècle, lescombats de cette dernière s’adossentavant tout à la figure du travailleur et auxenjeux de la production. Si la réductionde la durée du travail est une demandeancienne, pour lutter contre le chômageet la sur pro duction, améliorer les condi-tions de vie ouvrière, les implicationssociales du temps ainsi libéré, les condi-tions de son éventuelle prise en chargesont longtemps peu questionnées.

LE TEMPS LIBRE AU CŒURDE L’UTOPIE SOCIALISTECependant, et notamment à partir de l’en-tre-deux-guerres, cette indifférence senuance peu à peu. Certes, les proclama-tions théoriques demeurent isolées. Léon

Blum est l’exception lorsqu’en 1934 il placele temps libre au cœur de l’utopie socia-liste : le loisir dans la société future n’auraplus à être uniquement, dit-il, « un courtmoyen de détente, de récupération desforces », mais « la partie la plus importantede la vie et le moyen d’épanouissementcomplet de la personne humaine ». Au-delà de ces déclarations, on constate sur-tout que la gauche, dans ses différentescomposantes partisanes, syndicales,municipales, associatives, s’efforce de plusen plus de prendre en compte et de pren-dre en charge la place nouvelle du tempsdu loisir dans les vies ouvrières. Certes, ils’agit aussi de lutter contre l’influence clé-ricale ou patronale dans ce domaine. Parailleurs, la dimension morale et émanci-patrice que la gauche veut conférer autemps libre n’est pas sans la conduire par-fois à une dérive moralisante. On assisteainsi à d’innombrables dénonciations des« mauvais » loisirs, ceux de la culture demasse, du sport athlétique aux romansfeuilletons en passant par le cinéma. Cesdénonciations sont bien intentionnéessans doute mais, à force d’être aveugles àla réalité des pratiques et des goûtsouvriers, elles virent à la stérilité. L’actionde la gauche en matière de temps libre nepeut cependant être résumée à l’instru-mentalisation ou au moralisme.L’engagement des militants, animateursdes fanfares, du sport ouvrier ou ducinéma pour tous ouvrent la voie à l’ap-prentissage d’un autre rapport au tempsdans des vies dominées jusqu’alors par letravail, et fondent la possibilité d’unedémocratisation effective des loisirs. Cetteambition démocratique est consacrée parle Front populaire. Ce dernier accélère laconstruction du temps libre en tant quedroit, et non plus en tant que privilège.Simultanément, il se préoccupe de l’or-ganisation de ce temps libre, non pour lecontrôler mais pour donner à tous la pos-sibilité d’y avoir réellement accès. Entémoignent l’ensemble des initiatives, toutcomme l’ébullition associative à laquellepréside le jeune Léo Lagrange, le très cha-rismatique sous-secrétaire d’État àl’Organisation des sports et loisirs. Le modèle de rapport travail/ loisirs quefixe le Front populaire marque durable-ment, au moins jusqu’aux années 1980,

la mémoire et l’action de la gauche. Sansdoute jusqu’en 1981, et à l’exception dela Libération, celle-ci accède-t-elle trèspeu au pouvoir à l’échelle nationale. Maisles sphères associatives et municipaleslaissent malgré tout suffisamment d’es-pace pour permettre l’exercice d’une véri-table influence en matière d’occupationet de gestion des loisirs. Reste que lemodèle défini par le Front Populaire estpeu à peu remis en cause.

UNE POLITIQUE DU TEMPS LIBRELa diffusion des loisirs de masse amoin-drit progressivement l’influence des orga-nisations militantes. Comme le constateEdgar Morin en 1962, « c’est la vacance desvaleurs qui fait la valeur des grandesvacances » : le temps libre, entendu commetemps de l’individu et de la consomma-tion, semble de moins en moins compa-tible avec une prise en charge politique etune quelconque visée d’éducation oud’émancipation. De surcroît, le rapport autemps lui-même change : le processus deréduction du temps du travail continue sadiminution séculaire, mais de nouvellesquestions se posent, qu’elles concernentle temps « vide » du chômage de masse, lafragmentation des rythmes de vie ouencore la part continuellement importantedu temps contraint (transports et autres).Le ministère du Temps libre, institué dansle gouvernement de Pierre Mauroy en 1981,veut encore ignorer ses mutations et conti-nuer à traiter le temps des loisirs commeen 1936. Cette ignorance n’est pas pourrien dans la durée de vie très éphémèred’un ministère qui disparaît dès 1983. Il semble que, depuis cet échec, la réflexionpolitique sur le temps libre se soit pres -qu’effacée. Si le gouvernement de LionelJospin met en œuvre au début des années2 000 une nouvelle étape dans la réduc-tion du temps de travail, celle-ci nedébouche guère sur de nouvelles réflexionsen matière de sens et d’usage du tempsainsi libéré. On peut le regretter. Si la démo-cratisation du temps libre n’est plus contes-tée, celle-ci reste incomplète et par ailleursse heurte à des défis pressants, touchantpar exemple à la place de la culture mar-chande. À l’heure où apparaît de plus enplus la nécessité d’inventer un nouveaumodèle de développement, la question destemps liés du travail et des loisirs, de leurscontours, de leur contenu, du sens à leurdonner, reste plus que jamais posée. n

*Marion Fontaine est maître de conférencesen histoire contemporaine à l’universitéd’Avignon et des pays de Vaucluse, auteurde Une politique du temps libre ? 1981 – 1983Jean Jaurès Fondation, 2011.

CONQUÉRIR LE TEMPS LIBRESi la démocratisation du temps libre n’est plus contestée, celle-cireste incomplète et par ailleurs se heurte à des défis pressants, tou-chant par exemple à la place de la culture marchande

Le loisir dans la sociétéfuture n’aura plus à être

uniquement, un court moyen dedétente, de récupération des forces,mais la partie la plus importante

de la vie et le moyend’épanouissement complet de la

personne humaine.

“”

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page16

Page 17: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

1717

> SUITEPAGE 18

PAR BÉATRICE BARBUSSE*

Après avoir été longtemps honni parceux qui ont construit le sport, leprofessionnalisme s’est progressi-

vement installé et imposé dans le pay-sage sportif au point qu’il gagne peu àpeu mais inéluctablement l’ensembledes disciplines sportives. Aujourd’hui,d’aucuns peuvent le regretter et pour-tant en devenant professionnelle l’acti-vité sportive délivre de facto auxsportif(ve)s concerné(e)s un statut socialque n’assure pas celui de sportif de hautniveau. Il serait donc irresponsable denos jours de soutenir l’idée selon laquellele professionnalisme est une aberrationdont il faudrait se débarrasser.

UN DÉVELOPPEMENT LIBÉRAL DU SPORTPROFESSIONNELPour autant, à voir les nombreusesdérives générées par le sport profession-nel – paris en ligne illégaux, trucages, cor-ruptions, dopage, inflation salariale sanslimite, rétro-commissions, organisationde filières d’exploitation de jeunes spor-tifs, multiplication des compétitions,

comportements des sportifs… – il est légi-time d’interroger les modalités de sondéveloppement. En effet, durant ces troisdernières décennies, il s’est développécomme bon lui semblait en toute auto-nomie. Il est devenu ainsi le cœur d’unesociété de spectacle dont le situationnisteGuy Debord1 avait esquissé la logiqueinterne dès les années 1960. Une société

où le paraître devient l’objectif ultime car« le spectacle ne veut en venir à rien d’au-tre qu’à lui-même » mettant dès lors ausecond plan la dimension sportive. Endevenant une fin en soi, il a fini par s’im-poser à tous les acteurs sportifs commeune évidence (économique surtout). Or la spectacularisation s’accompagnenécessairement d’une marchandisation

UNE AUTRE CONCEPTION DU SPORT PROFESSIONNEL Il est de la responsabilité de L’État d’impulser le changement de capet de donner la nouvelle direction à suivre en organisant la régula-tion du sport professionnel.

car sans marchandises pas de spectaclepossible. Alors tout devient objet de mar-chandisation, les sportif(ve)s en premierlieu. Les clubs se sont transformés enentreprise de spectacle (secondairementsportif) oubliant souvent que leur cœurde métier consiste à produire de la per-formance sportive et personne pour leleur rappeler. La dimension économico-marchande a pris le pas sur la logiquesportive et on se retrouve face à des situa-tions où perdre un match peut pour unjoueur rapporter beaucoup plus que dele gagner comme c’est déjà le cas dansle football mondial2 avec la légalisationet l’explosion des paris en ligne ! Gagnerde plus en plus d’argent et laisser joueren toute liberté la loi de l’offre et lademande (favorisant des niveaux desalaire indécents totalement déconnec-tés des performances réalisées), faire duspectacle aussi souvent que possible (enmultipliant les compétitions notammenten en faisant des « événements » et enimposant donc des rythmes de travailaux sportifs qui mettent en danger leurintégrité physique), le mettre en scènecoûte que coûte (dans de grands et beauxstades, salles, dojos, piscines…) au prixsouvent de déficits abyssaux et d’inves-tissements publics conséquents de lapart des collectivités territoriales, telssont les résultats d’un développementlibéral du sport professionnel.

On n’aurait jamais pu atteindre le possible si dans

le monde on ne s’était pas toujourset sans cesse attaqué

à l’impossible.

(MAX WEBER, LE SAVANT ET LE POLITIQUE)

“”

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page17

Page 18: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

18

LE DOSSIER Sport : l’humain d’abord

SUITE DE LA PAGE 17 >

ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE BASSONS*RÉALISÉ PAR NICOLAS BONNET

Nicolas Bonnet : Comment êtes-vous devenucycliste professionnel  ?Christophe Bassons : C’est vraiment parhasard ! Je suis issu d’une famillemodeste, mon père est ouvrier enmaçonnerie et ma mère agent d’entre-tien. Je n’avais aucun contact avec lesport de haut niveau. Quand j’étaisgamin, je jouais toujours dehors avecmes copains et je me déplaçais en vélo.Un jour, je me suis inscrit à une course,sans être licencié, j’ai fini troisième del’épreuve et le club m’a proposé de lesrejoindre. J’ai signé ma première licencel’année de mes 18 ans. J’ai continué mesétudes après le BAC jusqu’en DUT Géniecivil.Le déclic a été en 1995 lors de mon ser-vice militaire au sein du Bataillon deJoinville. Ce fut mon premier contact

PEUT-ON ENVISAGER UN TOUR DE FRANCE PROPRE ?

DES MESURES D’URGENCEMais il est possible d’avoir une autreconception du sport professionnel, uneconception plus humaine, plus respon-sable à l’égard de la collectivité, pluscitoyenne. Non seulement cela est pos-sible mais il est grand temps de penser« un autre modèle économique » entreautres et de rompre avec cette approcheà dominante marchande qui a envahi lesport professionnel européen. Il est dela responsabilité de l’État d’impulser lechangement de cap et de donner la nou-velle direction à suivre en organisant larégulation du sport professionnel. Pourpréserver l’unité du sport français, pourconstruire un sport professionnel viableéconomiquement et humainement, ilest grand temps d’intervenir au niveaunational mais aussi européen bien sûr. Il est grand temps de plafonner lessalaires des sportifs professionnels d’au-tant qu’il existe diverses modalités demise en œuvre : plafonner la part rela-tive de la masse salariale par rapport aubudget, imposer un écart maximal entrele plus petit et le plus élevé des salaires…Il est grand temps de penser de nouveauxcadres de socialisation pour nos sportifsen herbe en proposant d’autres modali-tés et contenus de formation : prévoirdans la formation des sportifs de haut

niveau des apprentissages de leur futurenvironnement de travail, les mêlerdavantage à leurs pairs générationnels…Il est grand temps d’imposer aux clubsprofessionnels des missions éducativeset sociales plus importantes par exem-ple en fixant une somme « plancher »(que les clubs professionnels sous formede sociétés commerciales reversent aux

associations auxquelles elles sont ratta-chées par une convention) afin de don-ner de réels moyens de développementau sport pour tous. Il est grand temps derepenser la régulation des paris sportifsen ligne. Il est grand temps d’impulserune autre répartition des richesses spor-tives entre les disciplines et non pas seu-

lement entre le sport pour tous et le sportprofessionnel. Il est grand temps de régu-ler le marché du travail sportif dans saglobalité (transferts, rôle et missions desagents…). Il est grand temps de penserune autre gouvernance du sport profes-sionnel, d’y faire vivre le dialogue socialpour tous les travailleurs du sport et passeulement les sportifs. Ce n’est pas seu-lement le fond qu’il faut modifier maisaussi la forme, la méthode. Le sport professionnel arrive au boutd’une évolution qui a montré toute sadangerosité pour le sport en général etpour les acteurs sportifs eux-mêmes. Ilne tient qu’à nous de penser un autrepossible fût-il difficile à mettre enœuvre. n

*Béatrice Barbusse est présidente de l’USIvry handball et maître de conférences ensociologie à l’université de Paris Est –Créteil. Elle est l’auteur de Être entraîneursportif, éditions Lieux Dits, 2012.

[1] Guy Debord, La société du spectacle,Gallimard, 1967.[2] Il est particulièrement intéressant d’ob-server l’évolution du football professionnelcar il préfigure ce qu’il pourrait se passer sila dynamique de développement du sportprofessionnel ne se modifiait dans l’avenir.

La dimension économico-marchande a pris le

pas sur la logique sportive et on seretrouve face à des situations oùperdre un match peut pour un

joueur rapporter beaucoup plusque de le gagner comme c’est déjàle cas dans le football mondial1

avec la légalisation et l’explosiondes paris en ligne !

avec le sport de haut niveau avec unentraîneur exceptionnel, Michel Thèze.Je suis devenu champion du monde mili-taire et champion de France espoir en1995. Trois propositions m’ont été faitespour intégrer une équipe professionnelleet j’ai choisi de suivre Michel Thèze dansl’équipe Force Sud, puis j’ai intégréFestina avant de rejoindre La Françaisedes Jeux en 1999. Devenir professionneln’a jamais été mon objectif, j’ai toujourssu que je pouvais reprendre mes étudesà tout moment. J’ai refusé de faire le Tourde France pendant trois ans car je savaisque je ne pourrais pas récupérer aprèsune telle épreuve. Après l’affaire Festina,j’ai cru au « Tour du renouveau » et doncje l’ai fait, avant d’abandonner…

N.B. : Pourquoi certains cyclistes se dopent  ?Pourquoi as-tu refusé  ?C.B. : Cela dépend de beaucoup dechoses : l’estime de soi, le fait d’être biendans sa peau et le plaisir sur le vélo sans

avoir besoin de vaincre à tout prix, maiségalement de la situation financière etsociale de chacun, la capacité de pou-voir faire un choix joue un rôle majeur.Il y a beaucoup de pression, des contratsqui peuvent être multipliés par dix. Latentation est grande avec une pressioncollective car il y a une solidaritéd’équipe. On t’explique que tu en aurasbesoin pour récupérer, que c’est bonpour ta santé, que tu as des aptitudesphysiques naturelles incroyables et doncune capacité de progression importante.Pour être vainqueur, il faut avoir faim etprendre des risques. C’est le résultat spor-tif qui leur donne l’impression d’exister.Les ressentis ne sont plus une priorité etla douleur est alors perçue comme uneennemie à éliminer ou à inhiber. Le corpsdevient un moyen de réussite et nond’épanouissement, il n’est plus respecté,quitte à transgresser les règles et lesvaleurs essentielles au sport. Dans cesconditions, c’est très dur de résister aux

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page18

Page 19: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

1919

> SUITEPAGE 20

d’un père de famille qui dénonce ce sys-tème pour permettre aux jeunes de résis-ter face au dopage. J’ai voulu faire unlivre sur la dignité de la personne.L’objectif du sport devrait être l’épanouis-sement personnel, or j’ai découvert unmilieu où tu dois te fondre dans le moule,tu dois te plier au système, tu es complè-tement assisté, jusqu’à faire porter tonsac… Le sportif devient un outil du sys-tème pour des résultats, il n’a plus deconscience, il est formaté.

N.B. : Peux-tu imaginer un Tour de France pro-pre  ?C.B. : C’est difficile de faire bouger leslignes. Le Tour de France fait partie denotre patrimoine, c’est un grand événe-ment populaire, gratuit, très médiatiqueavec des enjeux financiers énormes. Cen’est pas facile de faire évoluer les men-talités dans le peloton car tous les cou-reurs ont le goût de la gagne. Cependant,il y a une grande évolution après l’affaireFestina, notamment grâce à Marie-George Buffet, ministre des Sports àl’époque. Il y a eu une prise en considé-ration de la santé des sportifs par la loiavec des moyens pour une meilleuredétection et une lutte contre les trafi-quants. La France était en avance sur lemonde entier mais, depuis, on a lâchédu lest. Les autres pays étant en retard,

l’harmonisation internationale sur lesproduits dopants s’est faite en partie parle bas. Par exemple aujourd’hui, il y adeux listes de produits interdits, une pourles compétitions et une moins contrai-gnante pour l’entraînement ! Il y a éga-lement obligation d’avoir l’accord des

fédérations sportives avant un contrôlesur une compétition internationale. Dansce cas-là, il n’y a plus de contrôle réelle-ment inopiné.

N.B. : Quelles propositions devrions nous faireselon toi  ?C.B. : D’abord revenir à une liste uniquedes produits interdits et assurer l’indé-pendance des contrôles. Ensuite, nousne devrions pas accepter la présence de

L’objectif du sport devrait être l’épanouissementpersonnel, or j’ai découvert un

milieu où tu dois te fondre dans le moule, tu dois te plier au

système, tu es complètement assisté,jusqu’à faire porter ton sac… Le sportif devient un outil du

système pour des résultats, il n’aplus de conscience,

il est formaté.

”pressions. Tu encaisses les défaites alorsque les autres trichent et qu’on te dit defaire comme eux. Si tu ne fais pas pareil,tu as l’impression de déranger. Meconcernant, la situation était difficile àvivre, mais j’ai eu le soutien de monépouse et je savais que je pouvais repren-dre mes études à tout moment même sije ne me posais pas la question de mareconversion. J’avais la possibilité de faireun choix.

N.B. : Pourquoi avoir dénoncé le dopage etavoir pris position publiquement  ?C.B. : Je n’ai pas dénoncé le dopage, cesont les autres qui m’ont dénoncé car jene me dopais pas ! Après l’affaire Festina,la défense de mes coéquipiers était : « Nenous attaquez pas car tout le monde lefait sauf Bassons ». J’étais l’exception. Uncoureur parmi tant d’autres qu’aucunjournaliste n’avait interrogé avant cetteaffaire. Du jour au lendemain, les jour-nalistes me sont tombés dessus. Mes co-équipiers me demandaient de ne pasparler. J’ai écrit ce livre pour les généra-tions futures. C’est la réflexion d’un mari,

Le corps devient un moyen de réussite et non

d’épanouissement, il n’est plusrespecté, quitte à transgresser

les règles et les valeurs essentiellesau sport.

“”

PORTRAIT :Cycliste professionnel de 1996 à2000, membre de l’équipe Festina, ilrefuse de se doper et deviendra lesymbole du coureur propre. En 1999,il abandonne le Tour de France sousla pression du peloton qui nesupporte pas ses prises de position.Il subira notamment les remon-trances de Lance Armstrong qui luipropose d'abandonner et quidéclare : « S'il pense que le cyclismefonctionne comme cela, il se trompeet c'est mieux qu'il rentre chez lui ».En 2000, il publie son premierouvrage sur le dopage, Positif, auxEditions Stock. En 2001, il aban-donne le cyclisme professionnel etintègre la fonction publique aprèsavoir obtenu son professorat desport. Il se tourne vers la pratique dutrail et du VTT où il devient l'un desmeilleurs français.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page19

Page 20: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

20

Sport : l’humain d’abord

SUITE DE LA PAGE 19 >

LE DOSSIER

PAR JEAN LAFONTAN*

L’apparence peut être trompeuse. Lesport a-t-il envahi la vie desFrançais ? Des média, de tout un

business lié au spectacle et au profes-sionnalisme, aux grands événements ?Certainement ! Mais dans la vie quoti-dienne ? Ce qui frappe d’abord, c’est lepeu de connaissances scientifiques dis-ponibles qui fassent consensus, sur l’étatdes pratiques sportives. Entre 43 et 89%de Français (et moins de Françaises) pra-tiqueraient, plus ou moins « régulière-ment », un sport ! 65% pour l’INSEE, pra-tiqueraient une fois par semaine (89%avec les vacances incluses), 48% s’exer-ceraient une fois par mois pour IPSOS,

47% (soit 23,5 millions de Français)déclareraient pratiquer un sport (2009)pour INEUM Consulting, 32% déclarentne jamais pratiquer un sport, bref, on serend compte que l’état des connais-sances est à parfaire et que la démocra-tisation est à mieux définir.

POURQUOI FAIRE DU SPORT ?Pour la santé, pour la cohésion sociale,répond massivement une partie des poli-tiques. Les études disponibles surchar-gent le sport de ces responsabilités, l’in-tégrant dans notre pharmacopée ou aurang des extincteurs sociaux dans lesbanlieues désignées comme posant desproblèmes de cohésion sociale. Bien desétudes sociologiques disponibles, contes-tent pareil intérêt mais, inlassablement,

ces options refont surface. Cette instru-mentalisation fait porter aux fédérationssportives des responsabilités qui relè-vent de politiques publiques et conduitplus à leur culpabilisation qu’à leur dyna-misation. Ne doit-on pas, a contrario,faire du sport un enjeu de développe-ment de soi consubstantiellement lié auxautres par le fait associatif ; son dévelop-pement repose sur une inventivité,dénuée de tout rapport direct au travail,produit de l’imagination des individus,de leurs talents et capacités et dont lelibre accomplissement permet toutes lesvariétés de techniques corporelles, qui,de plus en plus adossées à des techno-logies, en décuplent les prouesses. Lesport est d’abord une activité qui s’abs-trait du réel, procure du plaisir et formele socle d’une émancipation, momenta-née mais indispensable à l’existencehumaine. Si cette approche est fondée,on voit bien que le sport ne peut être dis-socié du social et du politique, sans y êtresoumis ou instrumentalisé, mais porteurd’une exigence fondamentale, parce qu’ilest sur le chemin du libre développe-ment de chacun. La démocratisationpuise ses exigences dans cette vision qui

DÉMOCRATISATION DU SPORT, UNE QUESTION URGENTE POUR TOUSLa démocratisation du sport, replacée au cœur de la question socialeet politique, doit contribuer à instituer une citoyenneté active et ins-pirer des structures publiques rénovées.

médecins dans les équipes dont le butest de les assister pour la performance.Il faudrait imposer des médecins indé-pendants aux équipes. Nous devrionsavoir une autre approche de la médecinedu sport, elle est aujourd’hui trop liée autraitement des symptômes par la prisede médicaments, sans chercher les ori-gines des pathologies. Beaucoup sontdus à un manque de préparation, à l’ali-mentation, l’hydratation, le manque derécupération voire le surentraînement.L’athlète, comme tout être humain, doitaccepter la maladie, la fatigue et la bles-sure. Il faudrait mettre en place une poli-tique de prévention avec beaucoup plusde phases de récupération entre les com-pétitions car le dopage est dans de nom-breux cas lié à l’amélioration de la récu-pération. Enfin, il faut former les jeunes à dire non,à refuser le dopage en ayant un avis eten leur donnant les moyens de défendreleurs idées. L’entourage joue un rôle cru-cial, notamment pour le bien être etl’épanouissement personnel. Il faut tra-vailler auprès des sportifs dès la pré-ado-lescence afin de leur apporter les outilspour qu’ils se forgent leur propre avis,qu’ils ne soient pas sous influence.Réfléchir avant d’agir pour pouvoir assu-

mer tout ce que l’on fait est essentiel pouravoir une estime de soi nécessaire à unevie sereine et constructive.

N.B. : Quels progrès pour ton sport souhaite-rais-tu  ? C.B. : D’abord, une autre couverturemédiatique qui ne parle pas uniquementdu résultat mais qui serait capable denous faire vibrer en parlant du plaisir dela pratique, de la culture du vélo, dessouffrances comme des joies.J’ai été séduit par le programme du Frontde Gauche l’Humain d’abord, car l’axecentral c’est l’émancipation, c’est l’hu-main avant le résultat sportif. C’est met-tre en valeur les bénévoles qui œuvrentsur le terrain. Le slogan du Front degauche « Prenez le pouvoir » invite lespratiquants et les bénévoles à prendre laparole pour changer les choses. Nous ne

devons pas attendre les solutions d’ail-leurs et être à la merci des autres, c’estl’expérience que je retiens de mon par-cours. Je suis scandalisé quand j’entendsqu’un gamin qui n’a pas participé à unentraînement est puni le samedi et nefait pas le match. Lorsqu’un gamin vientdans un club, c’est d’abord pour le jeu.Il faut revaloriser le jeu dans le sport etformer les éducateurs sur cette base. Lenombre de licenciés et les résultats spor-tifs ne devraient pas être la référencedans le financement public des fédéra-tions. Ce devrait être le contenu de lapratique. Je vois des jeunes qui ont demoins en moins le temps de respirer etde s’amuser. Il faut mettre fin à l’occu-pation permanente et mieux considérerles bienfaits du repos et de la réflexion.Prendre le temps de s’écouter respirer,sentir son cœur battre, sentir le sang pas-ser dans les artères, apprendre à connaî-tre son corps. Ce n’est que lorsqu’onprend conscience de sa complexité qu’onle respecte comme il le mérite. n

*Christophe Bassons est ancien cyclisteprofessionnel, professeur de sport à la direc-tion régionale de la jeunesse, des sports etde la cohésion sociale d’Aquitaine.

La médecine du sport estaujourd’hui trop liée au traitement

des symptômes par la prise de médicaments,

sans chercher les origines des pathologies.

“”

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page20

Page 21: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

2121

(financiers, équipements, encadrement).La démocratisation ne peut donc seréduire à l’accès de tous à un modèlesportif dominant (compétitif et associa-tif) mais à la prise en compte de la ges-tion de la diversité des aspirations de lapopulation. Les clubs doivent-ils doncchercher à répondre à tous les besoins,c'est-à-dire devenir, de fait un servicepublic, mais qui dénaturerait sa compo-sante associative ou bien ne doit-on pasimpulser des politiques locales pu -bliques, assises sur un service publicnational rénové, qui généreraient le vivierindispensable de pratiquants aux clubs ?Depuis le début des années 60, le modèlesportif français s’est traditionnellementconstruit sur une entente entre l’État etle mouvement sportif ; cela a donné, etdonne encore de bons résultats sportifsmais pas nécessairement de bons résul-tats socio-sportifs. Depuis le milieu desannées 80, le repli de l’État, la marchan-disation accrue et le cortège de déviancesque ce secteur a produit à grande échelle(corruption, violence, dopage,…) ontproduit des forces centripètes qui conflic-tualisent ce milieu. Un besoin nouveaud’orientation s’affirme avec force et sedispute entre des responsabilitéspubliques neuves ou une privatisationaccrue. Un nouveau modèle à forte assisepublique est à inventer, dépassant lemodèle cogestionnaire antérieur.

DÉMOCRATISER LES INSTANCESEn sus des conditions sociales, écono-miques, administratives, la question dela structuration du mouvement sportifvient en force. L’Europe dans les rapportsde François Rochebloine et de André-Noël Chaker et en France le CNOSF(comité national olympique et sportiffrançais), avancent des propositions pourrendre le pilotage des fédérations spor-tives plus démocratique. Le débat estserré tant les enjeux, essentiellementfinanciers, sont considérables et lesusages de ce secteur fortement marquéspar une absence de transparence dansles décisions. Une aspiration à plus decontrôle apparaît. Les questions ne fontque débuter. Dans l’immédiat, s’esquis-sent des modèles de « gouvernance » liésà l’air du temps libéral : le modèle entre-

preneurial tend à être copié (conseil desurveillance et directoire) en le présen-tant comme le seul susceptible de faireface au manque de « professionnalisme »des responsables, fréquemment béné-voles. Il nous semble que cette questionne devrait pas se satisfaire d’apprécia-tions et de décisions trop rapides tantque ne sera pas explorée plus précisé-ment la répartition des pouvoirs entre lepolitique (décisions à prendre), l’exécu-tif et le contrôle des décisions. En toutétat de cause le dossier est ouvert et n’at-tend plus qu’un débat plus large parmiles citoyens et leurs représentants.Cette question en appelle une autre qui,en sus de ce que devrait être un minis-tère en charge des sports, devrait abor-der largement le statut d’un organismenational, placé auprès de ce ministère,et susceptible d’être un organe d’exper-tise, de conseil et de contrôle sur l’en-semble des questions que les activitéssportives posent à toute la société. LeCNOSF, avec les ministères précédents,Chantal Jouanno et David Douillet, ontbricolé une instance, après un simula-cre démocratique particulièrement affli-geant, appelée « conférence nationaledu sport » ; composée de 32 membres,propulsant le MEDEF à égalité de repré-sentation avec les collectivités territo-riales et l’État, écartant toute la sociétécivile au prétexte qu’elle ne porteraitaucune question d’intérêt général, attri-buant sans vergogne ce label au MEDEF.Cet organisme doit être immédiatementdissous et une nouvelle procédure, asso-ciant largement toutes les forces inves-tissant le secteur sportif, doit être miseen place. Le mouvement sportif doit sesocialiser et faire de sa rencontre avec laquestion sociale un acte de fécondationréciproque en lieu et place d’une auto-nomie revendiquée mais stérile du pointde vue de l’intérêt social qu’il porte.La lutte pour la démocratisation du sportdoit devenir une action constante,consciente et replacée au cœur de laquestion sociale et politique commemoment d’institution d’une citoyennetéactive et lieu d’émancipation de son indi-vidualité au quotidien. n

*Jean Lafontan est syndicaliste, membre ducentre de recherche EPS et société.

en constitue son substrat revendicatif.Une partie de la maladie du sport est liéeaux objectifs étriqués qu’on lui impose(santé, insertion…) ; le remède est dansl’urgence d’installer durablement le sportdans ce qu’il est et ce qu’il porte. Premièredécision à prendre pour le nouveau gou-vernement.

DÉMOCRATISER LES PRATIQUESPartons du constat qu’en 54 ans le nom-bre de licenciés a été multiplié par 86 etle nombre de pratiquants par beaucoupplus. L’explosion du nombre est-il le signed’une démocratisation ? L’accord desobservateurs, se fait sur les phénomènesde ségrégation liés au sexe, aux revenus,aux diplômes, à l’habitat, etc. ; bref, delourdes inégalités sont profondémentagissantes dans ce secteur dont lescouches les plus populaires font les frais. Les politiques publiques depuisles années 1980 (années d’entrée mas-sive en lice des média) ont quelque peucapitulé devant ce qu’il est traditionnel-lement appelé le sport de masse, pourtous, populaire, grand public… pour secentrer sur des publics restreints, dits« cibles » et que la générosité démocra-tique ne pourrait condamner : public desfemmes, handicapés, jeunes, habitantsdes ZUS (zone urbaine sensible). L’État-providence est alors devenu sélectif,délaissant une approche globale et dif-ficile de lutte contre les inégalités au pro-fit d’actions d’assistance. Cette orienta-tion s’est menée en même temps que lafinanciarisation du sport s’est accrue parsport professionnel et spectacle sportifinterposés et que la politique dite deRGPP (réforme générale des politiquespubliques) a totalement désintégré unministère, déjà faible et maintenant sanspuissance d’intervention.Les actions de démocratisation doiventjouer sur le triple niveau de développe-ment du sport : des formes de compéti-tion et de pratique (multiplication dechacune des formes), des cadres deregroupement (associatif, public, privé,« libres »…), des moyens disponibles

Le sport ne peut être dissocié du social et du politique,

sans y être soumis ouinstrumentalisé, mais porteurd’une exigence fondamentale,

parce qu’il est sur le chemin du libre développement

de chacun.

“”

Un nouveau modèleà forte assise publique est à

inventer, dépassant le modèlecogestionnaire antérieur.“

Réagissez à ce dossiercontactez-nous !

[email protected]

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page21

Page 22: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

LE DOSSIER

22

PAR MARIE-GEORGE BUFFET*

Le point de départ est de considérer lesport comme un droit pour toutes ettous. Même si ce n’est pas une évi-

dence dans le débat citoyen et politique,le sport est un droit comme le droit à laculture, à la santé, au travail, au logement.C’est en mettant le sport à ce niveau là,que nous pourrons conjuguer les lois, lesmesures concrètes, les moyens humainset financiers nécessaires. Nous avonsbesoin d’une loi cadre qui pose les ques-tions de l’accessibilité à toutes et tous etl’organisation des fédérations. Une loicadre qui précise les missions de servicespublics partagés par l’État et les fédéra-tions sportives en fonction des besoinsdes populations. Une loi cadre qui repo-sitionne la responsabilité de l’État dans laconstruction des infrastructures sportiveset aux côtés des collectivités territoriales.Je sais bien que le mouvement sportifdemande toujours plus de responsabilitéet de pouvoir, mais ça ne doit pas être unmoyen pour l’État de se défausser sur lemouvement sportif. L’État doit assumerses responsabilités.

UNE AVANCÉE DÉMOCRATIQUECette loi cadre devra aller plus loin que laloi de 2000, bien plus loin. Je n’avais pasété assez loin sur le fonctionnement démo-cratique du mouvement sportif, du club

au CNOSF en passant par les fédérations.Aujourd’hui, nous sommes bien loin ducompte sur la place de la licenciée et dulicencié dans les choix de gestion, dans leschoix sportifs des fédérations. Tout ce quia été raconté après la coupe du monde defoot sur la gouvernance des fédérationsne veut rien dire. Ce n’est pas une ques-tion de gouvernance ou de dirigeants ama-teurs ou professionnels, c’est une ques-tion de fonctionnement démocratique. Sivous donnez la parole aux licenciés dufoot, ils vont vous répondre sur les objec-tifs de la fédération, sur les choix priori-taires pour leur fédération.

Cette loi cadre devra revenir sur les ques-tions éthiques et réaffirmer l’unité dumouvement sportif. Ne cédons pas auxsirènes visant à une fausse pureté révolu-tionnaire qui laisse de côté le sport pro-fessionnel en disant occupons-nous plu-tôt du sport amateur. Non, nous avons ànous mêler de la régulation et de l’éthiquedans le sport professionnel, de la situa-tion des sportives et sportifs profession-nels, du statut et des missions des liguesprofessionnelles, nous avons à nous mêler

de la mutualisation des richesses qui sontproduites dans le sport pour qu’elles ser-vent à tous. Nous avons à nous mêler dela formation, des diplômes pour créer unevéritable filière de formation et desdiplômes du sport avec les CREPS. Nousavons à reconstruire un véritable minis-tère des Sports avec le personnel et lesmoyens nécessaires à son fonctionne-ment. Parce que le sport est un droit, ilmérite un ministère et un budget à la hau-teur des besoins.Enfin, cette loi cadre pourra être une pre-mière pierre pour mener le combat àl’échelle européenne. Nous ne pourronspas maintenir le sport professionnel dansle cadre des valeurs et de l’éthique du sportsans une intervention européenne forteavec des mesures qui s’appliquent à tousles clubs européens. Je pense à un vérita-ble contrôle de gestion des clubs, à l’en-cadrement des rémunérations des agentssportifs et la limitation des transferts quiont transformé les sportifs en véritablesmarchandises. Nous devons impulser auniveau européen une nouvelle sécurisa-tion du parcours des sportifs profession-nels, de la formation à la reconversion eninstaurant un salaire minimum et unsalaire maximum et en mettant fin auxparis sportifs qui sont une source de cri-minalité.Nous sommes à quelques semaines desJO de Londres. J’espère que notre pays sedonnera les moyens de reconstruire notrepolitique sportive par une large consulta-tion des acteurs et actrices du sport pourpouvoir dès la fin 2012 ou début 2013, enfonction du calendrier parlementaire, fon-der cette nouvelle loi cadre sur la pratiquesportive. n

*Marie-George Buffet est députée de Seine-Saint-Denis, et a été ministre de la Jeunesse, dessports et de la vie associative de 1997 à 2002.

UNE NOUVELLE LOI CADRE POUR LE SPORTNous avons besoin de refonder une politique sportive dans notrepays, c’est l’enjeu d’une nouvelle loi cadre pour le sport. Depuis ladernière loi cadre, qui date des années 2000, beaucoup de chosesont changé dans les pratiques sportives et de nouveaux défis sontà relever.

Sport : l’humain d’abord

Cette loi cadrepourra être une première pierrepour mener le combat à l’échelle

européenne.“”

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page22

Page 23: La revue du projet n°18

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

23

«C’est un grand honneur et uneimmense fierté d’arriver dansce ministère dans lequel j'ai

travaillé il y a plus de vingt ans mainte-nant, chargée du suivi de la médecinedu sport nationale et de la lutte anti-dopage. [...] Ce ministère élargi s’imposecomme une évidence. J’ai toujours étéconvaincue que les quatre domaines pla-cés désormais sous ma responsabilitésont intimement liés et que le sport doitêtre un vecteur d’intégration, de citoyen-neté, d’éducation et d’unité pour la jeu-nesse.

Nous avons pris durant la campagne,avec le président de la République, trenteengagements pour le sport. Ces engage-ments concernent le sport et l’éduca-tion, le sport et la santé, le sport et lacohésion sociale, le rayonnement de laFrance par le sport, l’organisation dusport en haut de l’État comme sur tousles territoires. Ces engagements sontnécessaires et permettront au sport deretrouver la place qu’il n’aurait jamaisdû cesser d’avoir dans les politiquespubliques. Pour tenir ces engagements,je ne négligerai aucun acteur. Ma volontéest de travailler avec tous ceux qui font

le sport aujourd’hui : le mouvement spor-tif et le CNOSF bien sûr, les millions debénévoles sans qui rien ne serait possi-ble, les fédérations, les ligues, les spor-tifs de tout niveau, les acteurs écono-miques. L’objectif n’est pas de divisermais bien de rassembler. Je n’opposeraipas le sport professionnel au sport ama-teur, ils ont besoin l’un de l’autre et senourrissent mutuellement. La périodeactuelle est difficile, nous en avons tousconscience. Mais les marges de manœu-vre existent, de belles idées sont à por-ter et la France doit rayonner à l’inter-national grâce au sport.Les prochaines grandes manifestationssportives (Roland-Garros, l'Euro 2012, leTour de France, les jeux olympiques etparalympiques de Londres) seront l’oc-casion de rappeler le rôle du sportcomme ambassadeur de la France. Jesouhaite que nos sportifs y brillent.J'espère aussi qu'ils seront une sourced’inspiration pour la jeunesse et tous lesFrançais.[…] Je souhaite une vie associative dyna-mique, ouverte à tous, moteur de pro-grès social et de cohésion. L’associationremplit, à coté de l’école, cette vocationd’un « autre lieu éducatif » : elle permetà chaque jeune de se construire. La vieassociative enrichit la qualité de la viesociale, elle permet, aux jeunes notam-ment, de conduire des projets, de s’en-gager, de s’intégrer, de se construire uneidentité. Je souhaite enfin que ce minis-tère serve un projet d’éducation popu-laire fort avec l’ensemble de ses réseaux.Oui, je veux le renouveau de l'éducationpopulaire.

Enfin, je veux aider la jeunesse à se sen-tir plus forte, plus unie, plus respectée,plus solidaire, plus confiante en son ave-nir. Depuis des années, et particulière-ment pendant la dernière campagne pré-sidentielle, la jeunesse a exprimé soninquiétude, sa peur face à un futur incer-tain, la souffrance d’un manque de consi-dération. Je veux leur redonner de l’es-pérance et des perspectives sur tous lesterritoires, promouvoir en le renforçantle service civique [...] Je sais pouvoirm’appuyer sur les partenaires du servicepublic du sport, l’ensemble des acteursde la jeunesse, la force du mouvementassociatif et de l’éducation populaire, lescollectivités locales, les compétences desfonctionnaires de l’Etat pour mener àbien les missions qui me sont confiées.Depuis que je suis engagée dans la viepublique, ma méthode a toujours étébasée sur l'écoute, le dialogue, la concer-tation, mais qui doivent naturellementdéboucher sur l'action et l'efficacité.J'emploierai les mêmes méthodes pourm'occuper du Sport, de la Jeunesse, del'Education populaire et de la VieAssociative. C'est pourquoi je vais m’at-tacher à rencontrer tous les acteurs dèsà présent. Les responsabilités sontimportantes, je suis dès aujourd'hui autravail avec l’ensemble des membres dugouvernement de Jean-Marc Ayrault,avec enthousiasme et détermination,animée par un seul objectif : servir lechangement pour la France. » n

*Valérie Fourneyron est ministre des Sports,de la jeunesse, de l’éducation populaire et dela vie associative.

DISCOURS D’INVESTITURE DE VALÉRIE FOURNEYRON*Prononcé le 17 mai 2012. Extraits

Ma méthode a toujours été basée sur l'écoute,

le dialogue, la concertation, mais qui doivent naturellement

déboucher sur l'action et l'efficacité.

“”

23

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page23

Page 24: La revue du projet n°18

D’ IDÉESCO

MBA

T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réaliste

Par GÉRARD STREIFF

çais, ce qui est tout un programme, Faceau mur chez Flammarion. On pourraitdire qu'il s'agit d'une histoire douloureuseet malheureusement banale de répres-sion. Mais, vu du côté italien, le dossiercontinue de susciter une véritable colèred'autant plus troublante qu'elle émanele plus souvent de milieux de gauche. Onpeut penser que c'est moins le cas Battistiqui est alors en jeu que l'affaire des« années de plomb », appellation problé-matique et réductrice pour caractérisertout un pan de l'histoire italienne, toutela décennie 1970.

Dans un entretien qu'il donne au cinéastePierre-André Sauvageot (Résistances,2003, Label Vidéo), Cesare Battisti a cetteformule : «  Votre 68 a duré un mois, lenôtre a duré dix ans  ». L'expression estabrupte mais stimulante. Un mouvementd'émancipation secoue l'ensemble dumonde occidental à la fin annéessoixante ; il prend en Italie une vigueurparticulière. On a parlé volontiers de mou-vement « culturel » à son propos, au sensoù tous les pouvoirs de domination vontse trouver contestés, sur une longuepériode, de manière spectaculaire, uneeuphorie démocratique va bousculer toutle pays. Une partie notable du mouve-

ment ouvrier, des quartiers populaires,de la jeunesse, de l'intelligentsia, bref dece qu'on appelle les forces vives se meten mouvement. Des salariés exigent denouveaux rapports dans l'entreprise ; lesliens entre syndicats ouvriers et syndi-cats étudiants sont étroits ; dans la cité,la puissance des propriétaires est miseà mal ; les rapports inégalitaires Nord/Suddans la péninsule sont contestés ; lesexisme est sur la défensive (divorce,avortement) ; dans l'Église même, descommunautés de base aspirent à uneautre foi... Le peuple de gauche italien,dont les communistes, force populaireconsidérable, est massivement concerné.Pourtant la situation politique est blo-quée : toute alternative semble impossi-ble dans le mesure où le PCI (un quartde l'électorat) est interdit de gouverne-ment selon une sorte de diktat américainqui prévaut alors.Les milieux progressistes vont se diviser.L'impatience des uns conduit à la radica-lisation alors que l'attentisme des autresnourrit la défiance. Un entrelacs de mani-pulations policières et de provocationsgauchistes, d'attentats de l'ultra droiteet de manigances atlantistes, on parlerade «  stratégie de la tension  », fait bas-culer le combat politique dans une vio-

Depuis une dizaine d'années, l'affaire Battisti suscite toute une littératureenfiévrée, faite autant de commentaires critiques que de campagnes desolidarité. Elle entraîne aussi une durable incompréhension franco-ita-lienne, comme si, de part et d'autre des Alpes, on ne parlait décidémentpas la même langue. Drame italien, le cas Battisti est aussi un peu uneallégorie de la crise de la gauche dans ce pays.

esare Battisti est né en 1954,au sud de Rome, dans une famille d'ou-vriers agricoles. Jeune homme, il militeau PAC (prolétaires armés pour le com-munisme), se trouve embarqué dans lalutte armée, écope de la prison. Au termed'un procès expéditif, et en son absence(il s'est évadé), on lui attribue des meur-tres, de policier notamment, qu'il a tou-jours niés. Il trouve refuge au Mexiquepuis en France. La « doctrine Mitterrand »en effet accordait le droit d'asile aux acti-vistes italiens. À Paris, Battisti survitcomme concierge, refonde une famille etdevient auteur de polars. En 2004, à lasuite des tractations politiciennes entrepouvoirs français et italien, Paris reniesa parole et se dispose à livrer àBerlusconi des anciens militants gau-chistes dont Battisti, devenu un monstreaux yeux des média outre-alpins. Il estbrièvement incarcéré à la Santé mais unecampagne de solidarité permet de le libé-rer. La menace d'extradition cependantpersiste et il reprend sa cavale, se retrouveau Brésil. À nouveau, il connaît la prison ;mais le ministre de la Justice brésilienlui accorde finalement l'asile politique aunom du droit universel. Cesare Battistiréside dans ce pays et vient de sortir unnouveau livre, écrit en prison et en fran-

C

Le cas Cesare Battistiun passé qui ne passe pas

24

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page24

Page 25: La revue du projet n°18

n projet réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

lence pure et une partie de la contesta-tion recourt à une lutte armée suicidaire,avec au total plusieurs centaines de mort.

Une guerre civile déchire le pays maisaussi la gauche. Des ultras-gauchistesvont jusqu'à tuer des syndicalistes aumême titre que des patrons. On ne peutoublier que, dans la complexité de l'époque(Aldo Moro fut assassiné en 1978 par lesBrigades rouges avec une probable impli-cation des services secrets américains),la violence terroriste fut singulièrementmarquée par l'anti communisme. Dans lemême temps, au nom de «  l'antiterro-risme », des milieux critiques se rangentdu côté de la répression ; une intelligent-sia, sensible à la contestation à ses débuts,va se mettre au service de l'appareil d'État(les futurs «  juges de gauche  » notam-ment). Tout s'est passé comme si, coin-cée entre le sectarisme le plus dur et l'op-portunisme le plus plat, c'est la gauchequi avait implosé ; elle est sortie en miettes,en ruines, et tout le mouvement de libé-ration des origines a sombré avec elle. Lacontestation a été criminalisée et l'assas-sinat de Moro signe son discrédit défini-tif. Le parti communiste italien ne survi-vra pas longtemps à cette tempête. Il vase transformer en une structure de cen-tre-gauche, ectoplasmique, alors que lesforces communistes, divisées, sont àreconstruire. Aventurisme et renonce-ment ont fait le lit de la droite. Et deBerlusconi.

Le cas Battisti rappelle donc cette guerre« fratricide ». Quarante ans plus tard, on

a l'impression que les reproches (ou lamauvaise conscience) sont toujours aussivifs1. Ce passé ne passe pas et peu d'ana-lyses rétrospectives ont été menées. Pourl'historien Pierre Milza « l'interprétationdu phénomène terroriste qui a ébranléla République italienne entre 1969 et l'ex-trême fin des années 1980 reste difficileà faire, tant sont mêlées les questionsrelevant de la politique intérieure et cellestenant à la situation internationale, tantsont partagées – à des degrés diverscertes – les responsabilités de chaqueprotagoniste dans un jeu qui, globale-ment, relève de l'affrontement planétaireentre le camp des démocraties libéraleset celui du “socialisme réel”  ». Tout sepasse comme si, en Italie, les années 1970ressemblaient à un trou noir, mortifère.Et aujourd'hui, quand le journal Le Monde,par exemple, demande à Giancarlo deCataldo, juge (de gauche) et écrivainconnu (Romanzo criminale), de commen-ter le dernier livre de Battisti, il déclare :« Je n'arrive pas à dépasser les premièrespages, c'est plus fort que moi. » Il seraittemps pourtant de tourner la page. Etque l'amnistie prévale. n

[1] On le vérifie encore avec la polémique(avril 2012), en Italie, autour dudocumentaire de Marco Tullio Giordana,« Romanzo di une strage » (Roman d'unmassacre) : ce long métrage revient surl'attentat du 12 décembre 1969, PiazzaFontana à Milan qui fit 17 morts etprécipita l'Italie dans dix ans de terrorisme.Le documentaire montre que le crime estd'abord imputable aux fascistes, manipuléspar les services secrets, eux-mêmesinstrumentalisés par les Américains« inquiets d'un compromis historique entrecommunistes et démocrates-chrétiens ».

tis

25

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

LA PRISON, JE L'AI CHERCHÉE«  La pression de mes persécu-teurs était en train de faire de “maRio” une ville où mes nerfs usésauraient pu me pousser à desactes inconsidérés. En quelquesorte, mon arrestation m'a évitéde toucher le fond, d'être rattrapépar mes anciennes frustrationsau sujet d'une société en pleinedégénérescence, société quej'avais rêvé de changer. Quitte àpayer pour cela le prix fort. Ce quia bien été le cas.Consciemment ou non, la prison,je l'ai cherchée. Parce qu'il étaitbon d'avoir, à côté d'une vie réelledevenue intolérable, une deuxièmevie végétale d'où l'on peut contem-pler la première en simple specta-teur. Et, bien sûr, depuis, je ne cessepas de me souvenir. Il y a desgestes, des sons de voix dont je neme remets pas. Amour ou rage,des voix à l'intérieur de ma tête,bien au-delà de mon ouïe, des voixtrès faibles et pourtant monumen-tales car elles sont comme ces pré-sences qui ne commencent à exis-ter que lorsqu'elles disparaissent.Janaïna. Jamais auparavant je nem'étais retrouvé dans une relationaussi déchirante, conflictuelle. (…)La prison est une sorte de longueinsomnie où je cultive l'absence. »

Extraits de Face au mur, Flammarion, 2012

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page25

Page 26: La revue du projet n°18

D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Rousseau contre Hobbes

Page réalisée par GÉRARD STREIFF

EN GÉNÉRAL, LES ÊTRES HUMAINS ONT ENVIE :l DE VIVRE DANS UNE SOCIÉTÉ ÉGALITAIRE

ET SANS PRIVILÈGE (ROUSSEAU) 31%l D'AVOIR DU POUVOIR ET DE GRIMPER LES

ÉCHELONS (HOBBES) 65%• NSP 4%

LA MORALE ET LA LOI :l IL FAUT SE FIER À SON CŒUR POUR DIRE

LE BIEN ET LE MAL (ROUSSEAU) 65%• C'EST LA LOI QUI DIT LE BIEN ET LE MAL(HOBBES) 31%

L'HOMME EST :l BON PAR NATURE (ROUSSEAU) 66%l MAUVAIS PAR NATURE (HOBBES) 30%• NSP 4%

DANS UN RÉGIME DÉMOCRATIQUE, APRÈSLES ÉLECTIONS:l IL FAUT SURVEILLER DE PRÈS LES ÉLUS

(ROUSSEAU) 63%l ON EST OBLIGÉ DE FAIRE CONFIANCE AUX

ÉLUS (HOBBES) 35%

LE PREMIER RÔLE DE L'ÉTAT, C'EST :l DE VEILLER AU BIEN ÊTRE

DE LA POPULATION (ROUSSEAU) 60%l DE MAINTENIR L'ORDRE ET LA SÉCURITÉ

(HOBBES) 35%

26

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

A ma droite, Thomas Hobbes (1588-1679), auteurdu  Léviathan (1651). À ma gauche, Jean-JacquesRousseau (1712-1778) qui signa, notamment, Discourssur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi leshommes (1762). Pour l'un, l'homme est un loup pourl'homme, mieux vaut l'encadrer sévère. L'autre pense quela bonté de nature sera confortée par un « contrat social ».La revue Philosophie magazine (avril 2012), avec l'InstitutIpsos, a sondé l'opinion sur les idées de l'un et de l'autre.Comme on dit, y a pas photo : Rousseau l'emporte trèslargement sur Hobbes, les deux tiers des sondés misantsur la bonté naturelle, le rôle protecteur de l'État, la démo-cratie directe, la morale plutôt que la loi. En même temps,le sondé voit son prochain plus arriviste qu'égalitariste.

SELON VOUS,

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:40 Page26

Page 27: La revue du projet n°18

REVUE RECOMMANDÉE PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART !

BULLETIN D’ABONNEMENT TARIF : Durée 1 an/10 numéros : 50 €

ABONNEZ-VOUS À

10 N°PAR AN

Prénom.........................................................................Nom ...........................................................................

Adresse ............................................................................................................................................................

........................................................................................................................................................................

Code Postal............................................Ville....................................................................................................

Adresse électronique ...............................................Mobile(*) .............................................................

CULTURE, LOGEMENT… SERONT LES THÈMES DE FUTURS DOSSIERS

(À photocopier et à renvoyer à l’adresse ci-dessus) :

(*) informations utilisées uniquement dans le cadre de lʼabonnement

SERVICE ABONNEMENT - i-Abo/La Revue du projet11, rue Gustave-Madiot - 91070 BONDOUFLE

Tél. : 01 60 86 03 31 - Fax : 01 55 04 94 01 - Mail : [email protected]

o Je règle par chèque bancaire ou postal (France uniquement) à l’ordre de «La Revue du Projet»

Date : / / Signature

HTTP://PROJET.PCF.FR/

LA REVUE DU PROJETEn ligne sur : http://projet.pcf.fr/7451

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page27

Page 28: La revue du projet n°18

28628

Par ALAIN VERMEERSCH

REVUE DES MÉDIA

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

Analyses à charge satisfaites, déni de succès pour le Front de gauche,assignation des classes populaires au FN.

LE VOTE FNLe géographe Christophe Guilluy dansSlate.fr (27/04) décrit depuis dix ans laprécarisation d’une France périphé-rique majoritaire, confrontée à la bru-talité de la mondialisation et très préoc-cupée par les questions d’immigration.Voici son analyse sur le vote FN, lesclasses populaires et la gauche. «  Cequi a explosé, c’est que les catégoriesqu’on croyait être des classes moyennesne le sont plus. Il s’agit plutôt d’unepopulation qui a pris en pleine gueulela mondialisation, mais concrètement.C’est-à-dire avec une déflation salariale,la précarisation sociale, la paupérisa-tion et la fin de l’ascension sociale pourles enfants, d’où le vote des jeunes pro-létaires pour Marine Le Pen. La gauchepense que si les gens votent FN, c’estparce qu’ils sont vraiment cons. C’estune condescendance que j’ai souventtrouvée en discutant avec le PS.Pourtant au XXIe siècle, qui est le siè-cle de l'accélération de la mondialisa-tion et de l’émergence des sociétés mul-ticulturelles, on ne peut plus aborderla question sociale sans évoquer la ques-tion identitaire. Les gens vont voterpour Hollande par rejet de Sarkozy. Etl’ouvrier de base a compris qu’Hollanden’allait pas changer sa vie, ça ne serapas vraiment un vote d’adhésion.  »Sylvain Crépon, sociologue (La Croix24/04) note «  Le FN recrute toujoursdans l’électorat qui vit la précarité ouqui a peur de la vivre, notamment dansles zones industriellement sinistrées.on voit le FN à plus de 40 % dans cer-tains villages. Il s’agit d’un électoratouvrier qui a souvent été chassé desvilles ou de la proche périphérie par lesprix de l’immobilier. À l’inverse, dansles villes, même les quartiers populairessont majoritairement composés de

FG bobo, FN prolo :la nouvelle rengaine

classes moyennes.  » Béatrice Gibelin,géographe, remarque (Libération26/04) «  Marine Le Pen obtient plusde 20% dans 43 départements contre25 en 2002. Doit-on encore qualifierce vote de protestataire ou de colèrequand il est ancré sur les mêmes ter-ritoires depuis quinze ans voire plus? Les difficultés économiques et lacrainte du chômage, pour soi-mêmeou ses enfants, dans des zones où lemarché de l’emploi est étroit, sont uncontexte favorable pour que les dis-cours tenus par Marine Le Pen trou-vent un écho. Enfin, le retrait de l’Étatpour raison de restrictions budgétairesmet en péril les services publics. End’autres termes, dans ces campagnespériurbaines se développe là aussi lesentiment d’abandon. C’est ce mêmesentiment de menace et d’abandonque l’on retrouve dans le vote d’ex-trême droite de nombreux pays euro-péens. La défense de la Nation et deses valeurs fait alors de l’étranger, sur-tout s’il est musulman, une menaceinterne et un bouc émissaire.  »

LA CAMPAGNE ANTI-FN DE JEAN-LUCMÉLENCHON, UN ÉCHEC ?Dans Médiapart (25/04), VincentGoulet, auteur de Médias et classespopulaires constate «  Le Front deGauche et Jean-Luc Mélenchon ontréussi à rassembler l’électorat de lagauche radicalement anti-libérale, ras-semblement qui s’était avéré impos-sible en 2007. En revanche, son ambi-tion de faire reculer l’influence du Frontnational dans l’électorat populaire aéchoué. La tentative de «  re-diaboli-sation » de Marine Le Pen conjuguéeà l’insulte ont finalement eu peu deprise sur ce vote, alors que la prési-dente du parti d’extrême-droite agis-

sait sur des catégories de perceptionsprofondément ancrées dans la sensi-bilité populaire. » Selon lui, le vote LePen «  sans être toujours d’adhésiontotale, révèle une forme de reconnais-sance de soi dans le discours lepeniste.Il est sans doute possible, à partir deschèmes qui sont apolitiques et par-tagés par tous, de proposer des visionsde la réalité du monde social alterna-tives à celles du Front National, dedétourner, reformuler et subvertir lesthématiques de la peur et du repli pourconstruire un référentiel politique pro-gressiste. Les schèmes sont des caté-gories fondamentales nées de la pra-tique, et c’est d’abord dans la pratiquequ’ils peuvent trouver leurs prolonge-ments politiques. La lutte pour l’hé-gémonie culturelle, préalable à la direc-tion de l’État pour Antonio Gramsci,doit véritablement s’incarner danstoutes les fractions des classes popu-laires. » La politologue Janine Mossuz-Lavau explique (Slate.fr 12/05) « Il n’apas réussi à capter comme il l’espé-rait l’électorat populaire, et plus pré-cisément l’électorat de la précarité,parce qu’il s’est adressé précisémentà cette population, mais avec un lan-gage très idéologique, très historico-théorique sur l’histoire de laRépublique et de la Révolution fran-çaise. Or ce n’était pas forcément audi-ble par les milieux de la précarité, ces8 millions de Français qui vivent sousle seuil de pauvreté avec moins de 954euros par mois. En revanche, MarineLe Pen a séduit… Malheureusement,elle est la seule qui a su parler de pré-carité aux populations concernées ense faisant comprendre. Il faudraitquand même que d’autres leaders poli-tiques réfléchissent à la manière des’adresser aux gens de ces milieux-là,

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page28

Page 29: La revue du projet n°18

2929

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

qui n’ont pas de culture politique affir-mée, qui sont «dans la dèche» et ontune aspiration: qui peut nous en sor-tir?  » Alain Mergier de la FondationJean Jaurès (Les Echos 24/04) sou-ligne « L'élément structurant de cetteélection reste pour moi l'inquiétudetrès forte des classes populaires surla situation économique et la mondia-lisation. Une inquiétude à ce niveau-là pousse à se mobiliser et à voterFront national. Et ce, même si MarineLe Pen n'a pas réalisé une très bonnecampagne. L'inquiétude qui tenailleles catégories populaires les pousseà se mobiliser en fonction de leur situa-tion personnelle. Si l'antisarkozysme

est fort, l'anti-socialisme l'est davan-tage encore dans ces milieux. La luttecontre l'immigration est une clef pourles milieux populaires. À leurs yeux,Jean-Luc Mélenchon est dans le déni.Ce sont les électeurs de gauche quil'ont pendant un temps placé hautdans les sondages, mais c'était parcequ'ils trouvaient Hollande trop mou.Ils voulaient lui donner des muscles.Mais ce n'était pas des intentions devote de conviction.  » ChristopheGuilluy dans Slate.fr (27/04) constate«  Qu’est-ce qui fait que malgré uneoffre sociale géniale, un discours fan-tastique de tribun, les classes popu-laires ne l’ont pas choisi ? Alors qu’il

était sur le papier ce qu’il y avait demieux. Là pour le coup on avait la pos-sibilité de voter bien à gauche. Doncil faut prendre en compte ce constat,mais la gauche refuse malgré tout dele faire. » Sylvain Crépon, sociologue(La Croix 24/04), relève « L’électoratde Jean-Luc Mélenchon est très poli-tisé, souvent diplômé, inséré écono-miquement et souvent employé dansle secteur public. L’électorat du FN estau contraire peu politisé, en mal d’in-sertion, issu du secteur privé. Il y abien du populisme dans les deux dis-cours, mais celui du FN s’appuie surune dimension ethnique, quand celuidu Front de gauche vante le citoyen. »

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page29

Page 30: La revue du projet n°18

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

30630

CRITIQUES

Les massacresde septembre 1792à LyonAléas éditeur, 2011.

CÔME SIMIEN

PAR JEAN-BAPTISTE LE CAM

Dans cet ouvrage consacré aux mas-sacres du 9 septembre 1792 à Lyon,

Côme Simien, jeune historien, apporte un éclairage nou-veau sur ces violences révolutionnaires, jusqu'à présent enpartie délaissées par l'historiographie de la Révolution fran-çaise ou instrumentalisées au service d'une écriture parti-sane de cette période. Après avoir reconstitué le plus préci-sément possible le déroulement de cette journée de violencesrévolutionnaires et l'identité des victimes, Côme Simien selance dans une analyse rigoureuse et nuancée de la genèsede ces massacres. Il montre à quel point, à la veille de cettejournée, une partie du peuple lyonnais est saisie d'une peurdu complot contre-révolutionnaire, d'un sentiment de pré-sence angoissante de l'ennemi de la Révolution, qui agiraittant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la ville. À cette peur col-lective éminemment politique s'ajoute une mémoire de laviolence légitime qui est au cœur de l'imaginaire du peuplelyonnais et contribue elle aussi à expliquer le passage à l'acte.L'avant-dernier chapitre de l'ouvrage est consacré en grandepartie aux motivations de la foule massacrante. Elles sontelles aussi fondamentalement politiques. Ainsi, il s'agit, pourles acteurs du massacre, de se substituer à des autoritésjugées défaillantes, incapables de protéger le peuple desennemis de la Révolution. Dès lors, la violence est perçuecomme légitime par ceux qui l'exercent et prend la formed'une souveraineté populaire en acte. Pour finir, CômeSimien analyse précisément la manière dont cet événementdevient le lieu d'une lutte mémorielle entre acteurs poli-tiques, depuis ses lendemains immédiats jusqu'à la fin duXIXe siècle.

1940-1943, le PCF à l’épreuve dela guerre.

De la guerre impérialiste àla lutte arméeSyllepse, 2012.

ROGER BOURDERON

PAR ÉLOI SIMON

Cet ouvrage fait suite à plusieurs paru-tions : Les Télégrammes du Kominterndont les archives sont ouvertes, et un

ouvrage de 2009 de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre,L’affaire Guy Môquet. Enquête sur une mystification officielle,qui n’est qu’un condensé de négation de l’action des com-munistes en France dans la Résistance.

L’auteur s’emploie quant à lui, sources abondantes à l’ap-pui, à étudier l’évolution des positions politiques de la direc-tion du PCF entre la défaite de 1940 et 1943, année quimarque l’essor de l’action résistante avec la création duCNR (conseil national de la résistance). Quatre thèmes sont abordés : l’attitude du PCF vis-à-vis deDe Gaulle ; l’étude des appels du PCF de l’été 1940 (celuide Tillon, puis celui de Thorez-Duclos) ; l’évolution des posi-tions politiques du PCF à travers ses publications (tract etl’Humanité notamment) ; enfin l’étude de l’organisationde la direction du mouvement FTP entre 1941 et 1943. RogerBourderon expose le double mouvement que connaissentles deux grands thèmes du PCF dans les premières annéesde la guerre : la volonté d’indépendance nationale et l’ana-lyse de guerre impérialiste entre les capitalistes allemandset britanniques dans laquelle les communistes n’ont pas àprendre parti. On constate donc la montée en puissancede la première idée au fil des années avec la création trèstôt des comités populaires (dès 1940) pour lutter contre lesconséquences de l’occupation, pour organiser la solidarité.Et dans le même temps, l’analyse de la guerre impérialisteperd de l’importance car elle mène à une impasse straté-gique. Ce travail historique solide est une réelle avancéedans l’analyse de l’action du Parti communiste dans les pre-mières années de la guerre et doit permettre de mettre finau discours de l’idéologie dominante qui voudrait que lescommunistes ne soient entrés en résistance qu’à l’été 1941avec l’invasion de l’URSS.

Côte D’ivoire 2011.La bataille de la secondeindépendanceL’Harmattan, 2011.

ROBERT CHARVIN

PAR AUGUSTIN PALLIÈRE

En général, on discute peu de la situa-tion des pays africains. Et quand une

crise surgit, il est bien difficile de déceler les faibles voix quis’élèvent contre le consensus « françafricain ». Rien quepour cela, le livre de ce professeur de droit progressiste estsalutaire. Il analyse la crise ivoirienne et le processus qui a conduitde la tentative de coup d’État à la crise électorale de 2011et finalement à l’éviction de Laurent Gbagbo de la prési-dence le 11 avril 2011. Il montre que les forces occidentalesen général, la France en particulier, ont usé de toutes lesarmes – médiatiques, économiques, politiques et militaires– pour imposer leur candidat, Alasane Ouatarra. Les exac-tions commises par les forces rebelles dans le nord du paysont toujours été tues alors que les violences du camp pré-sidentiel ont été mises en exergue pour faire du présidentla figure même du dictateur sanguinaire. Les média fran-çais ont participé à l’opération en mettant sur le même planles plus vagues rumeurs et les informations vérifiées, lesvictimes civiles et les pertes des groupes armées et en tai-

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page30

Page 31: La revue du projet n°18

31

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

31

sant le rôle qu’ont pu jouer directement les soldats françaisdans la répression des manifestations populaires à Abidjan. L’auteur discute tout particulièrement la proclamation desrésultats des élections de décembre 2010. S’appuyant surla Constitution ivoirienne et sur les accords qui liaient lesdifférentes parties en présence, il démontre que cette élec-tion a été illégale. Ainsi, l’implication directe de l’arméefrançaise pour asseoir Ouattara sur le siège présidentiel estbien un coup d’État, même si il est légitimé par le conseilde sécurité. Cette analyse est l’occasion d’une réflexion surla démocratie dans les pays de la sphère de dominationcapitaliste. L’auteur montre comment, alors que les droitsles plus basiques sont refusés aux populations africaines,l’élection du président au suffrage universel direct est pré-sentée comme l’aboutissement le plus complet de la démo-cratie… à condition que les résultats des scrutins ne remet-tent pas en question les intérêts particuliers du capitalisme. Très convaincant dans le domaine du droit internationalet des relations internationales, l’auteur l’est un peu moinsquand il traite, rapidement, des racines de la crise ivoi-rienne. Le traitement de l’épineuse question de la nationa-lité ivoirienne dans un pays qui s’est construit sur l’immi-gration massive en provenance des pays voisins semblesimpliste. Ne reprend-il pas trop à son compte la propa-gande de Gbagbo sur la question des « étrangers » ?

La ségrégationscolaireLa Découverte, 2012.

PIERRE MERLE

PAR IGOR MARTINACHE

Dès avant son élection, le nouveauprésident de la République avaitannoncé son intention de faire del’éducation l’une de ses priorités.Une manière de répondre au

constat partagé de la « crise » de l’école dans notre pays.Mais le consensus s’arrête là, car chacun y va ensuite deson explication. De tous les facteurs avancés, il en est pour-tant un que l’on entend peu souvent invoqué : la forte ségré-gation qui caractérise le système scolaire hexagonal. Etpourtant, celle-ci exerce bel et bien un effet négatif non seu-lement sur les inégalités d’apprentissage, mais aussi sur lesrésultats de l’ensemble des élèves, comme le montre cetouvrage, en s’appuyant notamment sur les fameusesenquêtes PISA de l’OCDE – le « club des pays riches », peusoupçonnables de complaisances avec la gauche. Commedans d’autres domaines, les séparations entre élèves d’ori-gines sociales ou de genres différentes se sont ainsi large-ment maintenues malgré la perte de leur caractère officiel,et jouent à plusieurs niveaux : filières ou échelles géogra-phiques, jusqu’au sein même des établissements. Pierre Merle pointe aussi le rôle majeur des établissementsprivés dont le caractère de « refuge » d’enfants des classesfavorisées va en s’amplifiant, tout en s’employant à démon-ter la fausse solution de la « discrimination positive » ini-tiée par les conventions ZEP il y a déjà 30 ans. Car non seu-lement elle contribue surtout à stigmatiser les établissementsconcernés, mais quand on prend en compte l’ensembledes moyens alloués à ces derniers, on constate qu’ils res-

tent en réalité bien inférieurs à ceux des centres-villes, dotésd’enseignants plus anciens et qualifiés, et donc mieux rému-nérés. Enfin, menées au nom du « libre choix », les politiquesd’assouplissement de la carte scolaire initiées par le socia-liste Alain Savary, faute d’avoir pu unifier le service public,ont elles aussi un effet ségrégatif problématique. Un petit ouvrage de synthèse à verser d’urgence au débatsur l’école pour permettre d’en faire évoluer les lignes, carà côté de la question des moyens, celle de leur répartition– et de celle des élèves – est tout aussi cruciale.

L’hôpital en réanimation.Le sacrifice organisé d’unservice publicemblématiqueÉditions du Croquant, 2011.

BERTRAND MAS, FRÉDÉRICPIERRU, NICOLE SMOLSKI,RICHARD TORRIELLI (DIR.),

PAR IGOR MARTINACHE

Ce n’est pas le moindre des para-doxes de notre époque : le système de santé, et notammentl’hôpital public, est malade et sa situation ne semble guères’arranger. On en connaît les symptômes – franchisesmédicales, déremboursements, pénurie de soignants, etc.–, qui compromettent toujours davantage l’accès aux soinspour tous, mais le diagnostic s’arrête trop souvent à cestade. D’où l’intérêt d’un ouvrage comme celui-ci, issu d’uncolloque organisé par le Syndicat national des praticienshospitalier anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHAR-E). Les 27 contributions qui le composent émanent de méde-cins, mais aussi de sociologues, économistes et politistes,qui décortiquent le virus qui ronge aujourd’hui l’organisa-tion de la santé publique. Celui-ci a un nom, lamarchandisation rampante, et a été inoculé par une nébu-leuse d’agents bien identifiables – patrons d’assurance etde cliniques privées, hauts fonctionnaires et décideurspolitiques – qui sont parvenus à réduire les enjeux de santéà une simple question d’efficacité comptable, dont la défi-nition est elle-même largement biaisée. Les auteursmettent ainsi à jour les soubassements des dernières« réformes » qui ont affecté l’organisation hospitalière, duplan « Hôpital 2007 » à la récente loi « Hôpital, Patients,Santé, Territoires » (HPST), dissimulés sous une nov-langue qui prolifère là aussi avec vigueur, qu’il s’agisse desAgences régionales de santé, de la tarification à l’activité oudes groupes homogènes de maladie. Un démontage clairet sans détours qui n’en reste pas moins rigoureux. L’ouvrage vaut aussi au-delà du sujet dont il traite pour satrop rare capacité à réunir acteurs et chercheurs, qui plusest de différentes disciplines, ainsi que pour la présentationà la fois fine et pédagogique qu’il fait des principes du NewPublic Management, c’est-à-dire cette pénétration crois-sante des logiques gestionnaires du privé lucratif dansl’ensemble des administrations et services publics, souscouvert de la fausse neutralité d’instruments qui seraientpurement « techniques ». Bref, qui dénient la dimensionpolitique de choix qui se présentent sous le masque de lanécessité.

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page31

Page 32: La revue du projet n°18

COMMUNISME EN QUESTION

32

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

enri Pena-Ruiz. : Bonjour, mon-sieur Marx. Je ne peux vous cacher mon émo-tion. Vous représentez tant de choses pour ceuxque révolte le monde comme il va ! Aujourd'huile capitalisme fait rage. C'est le règne de l'ar-gent roi. Comment caractériser le genre de rela-tions qu'il instaure entre les hommes ?Karl Marx : L'argent en possédant la qua-lité de tout acheter, en possédant la qua-lité de s'approprier tous les objets estdonc l'objet comme possession éminente.L'universalité de sa qualité est la toute-puissance de son essence. Il passe doncpour tout-puissant... L'argent est l'entre-metteur entre le besoin et l'objet, entrela vie et le moyen de subsistance del'homme. Mais ce qui sert de moyen termeà ma vie sert aussi de moyen terme àl'existence des autres hommes pour moi.C'est pour moi l'autre homme.(Marx se lève et récite de mémoire unextrait de Goethe.)

H.P. : Il y a aussi le fameux réquisitoire deShakespeare, dans sa pièce intitulée Timond’Athènes... (Toujours debout, Marx récite main-tenant la célèbre diatribe sur l’argent.)K.M. : « De l'or  ! De l'or jaune, étincelant,précieux  ! Non, dieux du ciel, je ne suispas un soupirant frivole... Ce peu d'or suf-firait à rendre blanc le noir, beau le laid,juste l'injuste, noble l’infâme, jeune levieux, vaillant le lâche... Cet or écarterade vos autels vos prêtres et vos servi-teurs ; il arrachera l'oreiller de dessousla tête des mourants ; cet esclave jaunegarantira et rompra les serments, bénirales maudits, fera adorer la lèpre livide,

donnera aux voleurs place, titre, hom-mage et louange sur le banc des séna-teurs ; c'est lui qui pousse à se remarierla veuve éplorée. Celle qui ferait lever lagorge à un hôpital de plaies hideuses, l’orl'embaume, la parfume, en fait de nou-veau un jour d'avril. Allons, métal mau-dit, putain commune à toute l'humanité,toi qui mets la discorde parmi la fouledes nations...  » (Marx se rassoit, et me sourit avant delancer un très bref commentaire qui estcomme une invitation à l'analyse.)Shakespeare décrit parfaitement l’es-sence de l'argent.

H.P. : C'est effectivement saisissant ! Finalementn'est-ce pas la même idée que Goethe etShakespeare, à des époques fort différentes,mettent en évidence ? Ne mettent-ils pas encause la mercantilisation de tous les rapportshumains ?K.M. : Commençons d'abord par expliquerle passage de Goethe. Ce qui grâce à l'ar-gent est pour moi, ce que je peux payer,c'est-à-dire ce que l'argent peut acheter,je le suis moi-même, moi le possesseurde l’argent. Ma force est tout aussi grandequ'est la force de l'argent. Les qualitésde l'argent sont mes qualités et mesforces essentielles – à moi son posses-seur. Ce que je suis et ce que je peux n'est

L’entretien que vous allez lire n’a jamais eu lieu. Et pourtant rien n’estinventé ! Karl Marx est bien l’auteur de toutes les réponses qu’il a faitesà Henri Pena-Ruiz, puisque cette « vraie-fausse » interview a été écrite...à partir de ses livres ! (Note de l’éditeur)

PAR HENRI PENA-RUIZ*

HQue diantre !

il est clair que tes mains et tes piedsEt ta tête et ton c... sont à toi ;

Mais tout ce dont je jouisallégrement

En est-ce donc moins à moi ?Si je puis payer six étalons,

Leurs forces ne sont-elles pasmiennes ?

Je mène bon grain et suis un grosmonsieur,

Tout comme si j’avais vingt-quatre pattes.

GOETHE, FAUST (MÉPHISTOPHÉLÈS)

*HENRI PENA-RUIZ est philosophe, professeur en première supérieure au lycéeFénelon.

L’argent roiEntretien avec Karl Marx

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page32

Page 33: La revue du projet n°18

33

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

donc nullement déterminé par mon indi-vidualité [...]. Moi qui par l’argent peuxtout ce à quoi aspire un cœur humain,est-ce que je ne possède pas tous les pou-voirs humains ? Donc mon argent netransforme-t-il pas toutes mes impuis-sances en leur contraire ? Si l'argent estle lien qui me lie ù la vie humaine, qui lieà moi la société et qui me lie à la natureet à l'homme, l'argent n'est-il pas le liende tous les liens ? L'argent ne peut-il pasdénouer et nouer tous les liens ? N'est-il non plus de ce fait le moyen universelde séparation ? Il est la vraie monnaiedivisionnaire, comme le vrai moyend'union, la force chimique universelle dela société.

H.P. : Ne pourrait-on rapprocher ta diatribe deShakespeare de l’analyse que vous faites du féti-chisme de l'argent dans la société capitaliste ?K.M. : Shakespeare souligne surtout deuxpropriétés de l'argent. Tout d'abord il estla divinité visible, la transformation detoutes les qualités humaines et naturellesen leur contraire, la confusion et la per-version universelle des choses ; il fait fra-terniser les impossibilités. Ensuite il estla courtisane universelle, l'entremetteur

universel des hommes et des peuples. Laperversion et la confusion de toutes lesqualités humaines et naturelles, la fra-ternisation des impossibilités – la forcedivine – de l'argent sont impliquées dansson essence en tant qu'essence géné-rique aliénée, aliénante et s'aliénant, deshommes. Il est la puissance aliénée del'humanité.

H.P. : La mondialisation des échanges et de laconcurrence serait-elle celle de ces relationsfaussées par l'argent ? K.M. : L'argent – moyen et pouvoir univer-sels, extérieurs, qui ne viennent pas del'homme en tant qu'homme et de la sociétéhumaine en tant que société –, moyen etpouvoir de convertir la représentation enréalité et la réalité en simple représenta-tion, transforme tout aussi bien les forcesessentielles réelles et naturelles del'homme en représentation purement abs-traite et par suite en imperfections, en chi-mères douloureuses, que d'autre part iltransforme les imperfections et chimèresréelles, les forces essentielles réellementimpuissantes qui n'existent que dans l'ima-gination de l'individu, en forces essentiellesréelles et en pouvoir.

H. P. : Pensez-vous vraiment que l’argent cor-rompt tout ce qu'il touche ?K.M. : Il transforme la fidélité en infidé-lité, l’amour en haine, la haine en amour,la vertu en vice, le vice en vertu, le valeten maître, le maître en valet, le crétinismeen intelligence, l'intelligence en créti-nisme.

H.P. : Face à cette puissance aliénante de l'ar-gent roi, qui intervertit le vrai et le faux, le réelet l'imaginaire, quelle est la tâche majeure dela pensée ?K.M. : La première tâche de la philoso-phie, qui est au service de l'histoire,consiste, une fois démasquée l'imagesainte qui représentait la renonciationde l’homme à lui-même, à démasquercette renonciation sous ses formes pro-fanes. La critique du ciel se transformeainsi en critique de la terre, la critiquede la religion en critique du droit, la cri-tique de la théologie en critique de lapolitique. n

Extrait de Entretien avec Karl Marx, Plon, 2012

publié avec l’autorisation de l’éditeur.

ix

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page33

Page 34: La revue du projet n°18

34

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

Être citoyen sous le Directoire (II) :les formes d’organisation poLe Directoire (1795-1799), n’est en rien le moment ultime, divagant,incompréhensible, de la Révolution. « République bourgeoise » peut-être,il s’applique à établir fermement l’ordre civique et politique, à achever letemps des émotions populaires. L’idée d’un espace politique apte à trans-cender les communautés particulières, donc susceptible de laisser s’expri-mer la diversité individuelle, s’impose peu à peu.

our qu’il existe, encore faut-il quele débat politique puisse se nourrir de l’im-primé et de la vie associative. Or, la consti-tution de l’an III interdit, et la police y veille,toute association «  contraire à l’ordrepublic  », et expressément celles qui sequalifieraient de «  sociétés populaires  »,qui, traitant de politique, s’affilieraiententre elles, tiendraient des séancespubliques distinguant entre adhérents etassistants. Mais, dans les faits, on observeun réveil des structures militantes. Lesanciens Jacobins se retrouvent très viteà Toulouse au sein du Club des patriotes,qui correspond avec la capitale et le restede la province, à Angers dans le cadre dela Société de littérature et de jeux, affiliéeà son homologue nantaise, à Sète dans leCercle patriotique, à Montpellier, Toulon,Metz, etc. À Paris, ils se retrouvent rueSaint-Honoré dans le comité Amar, quiréfléchit aux meilleurs moyens pour res-tituer la Constitution de 1793 aux Français,dans l’église des Quinze-Vingt, ou plusnombreux encore au Club du Panthéon,autour de Lebois, ancien partisan de Marat,ou de Drouet, célèbre depuis la fuite duroi à Varennes. Cette « Réunion des amisde la république », bourgeois, militaires etquelques ouvriers, qui comptera jusqu’à

2 000 membres, est présidée par un « ora-teur » et réunie les jours pairs. Elle entendproposer « un contrepoison salutaire auxpoisons aristocratiques  »  : commentantla presse et publiant La Vérité au peuple,elle discute de la vie chère, des prêtresréfractaires, des émigrés et des Chouans,des persécutions des patriotes amnistiés.Une opposition plus radicale au régime s’yorganise bientôt, notamment sous laconduite de François Noël, dit Gracchus,Babeuf, ancien feudiste, grand lecteur desLumières, rédacteur du Tribun du Peuple.Il attire autour de lui et de son journal d’an-ciens militants sans-culottes  : commer-çants, anciens de la garde nationale, arti-sans indépendants, mais aussi membresdes professions libérales, employés de l’ad-

ministration. Ils doivent constituer uneavant-garde révolutionnaire défendant unprogramme qui propose une nouvelle orga-nisation communautaire et n’exclut pas laloi agraire, alors que la question de la pro-priété des terres se repose avec acuitésous le Directoire : en mars 1796, le régimesupprime la vente des biens nationaux enpetits lots et exige un versement initialéquivalent à la moitié du prix total, écar-

tant de nouveau la petite et moyenne pay-sannerie.

LA CONJURATION DES ÉGAUX DEGRACCHUS BABEUFLa «  Conjuration des Égaux  » illustre lenouveau mode d’intervention de l’oppo-sition démocratique au Directoire, fondésur le « secret ». Pour Babeuf, son princi-pal concepteur, seule une avant-garde révo-lutionnaire, organisée et clandestine, estsusceptible de faire triompher une révo-lution populaire. Il rassemble ainsi ungroupe hétéroclite composé de porte-parole (Antonelle, Varlet, Félix Lepeletier,Sylvain Maréchal, auteur du Manifeste deségaux), d’anciens militants du Club desJacobins et des sections de l’an II, deshébertistes et des robespierristes. La pré-sence de « patriotes » européens (commeBuonarroti) confère au mouvement uneportée qui dépasse les frontières de laFrance. L’opposition au libéralisme écono-mique du Directoire et au rétrécissementdes libertés politiques constitue le«  ciment  » de ce noyau dur habitué destribunes du Club du Panthéon (fermé le26 février 1796) et des colonnes du Tribundu Peuple... Riche de 590 abonnés, le jour-nal touche d’abord, comme l’ensemble dela Conjuration, la population parisienne,mais 238 lecteurs sont répartis dans lesdépartements, particulièrement dans leVar, le Pas-de-Calais et le Nord. En mars 1796, alors que les mesures offi-cielles de répression se renforcent, legroupe, qui prétend pouvoir s’appuyer sur17 000 militants, se dote d’une structure

Par PHILIPPE BOURDIN*

*PHILIPPE BOURDIN est professeurd’histoire moderne à l’université Blaise-Pascal (Clermont II).

HISTOIRE

P

L’oppositionau libéralisme économique du

Directoire et au rétrécissement deslibertés politiques constitue le

« ciment » de ce noyau dur habituédes tribunes du Club

du Panthéon.

“”

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page34

Page 35: La revue du projet n°18

35

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

insurrectionnelle  : le «  Directoire secretde salut public  » coiffe une organisationpyramide et hiérarchisée d’agents (selonleur position dans cette structure concen-trique, les agents ne partagent pas tousle même degré d’information sur le « butconcerté  ») qui doivent encadrer le sou-

lèvement populaire. Selon Babeuf, uneétape transitoire sera nécessaire avant laréalisation de la société idéale, durantlaquelle le pouvoir sera dévolu au direc-toire secret et des mesures immédiatesimposées pour s’associer le peuple : loge-ment des pauvres chez les riches, distri-bution gratuite de pain et de vivres, etc.Diffusé par une intense propagande (pam-phlets, chansons), le programme des conju-rés, s’il s’inscrit dans l’héritage des«  Exagérés  » et des «  hébertistes  », enradicalise les propositions. Dans le domaineéconomique, sont prévues  : la nationali-sation du commerce, la suppression de lamonnaie et des héritages, l’obligation dutravail (dégagé de tout esprit de profit etlimité à une partie de la journée), la pla-nification des productions agricoles, uneconsommation égale pour tous. Dans ledomaine politique, la démocratie directeest favorisée au détriment d’un exécutifmorcelé, confiné aux questions écono-miques. Mais les divisions idéologiques des conju-rés, notamment sur la collectivisationdes terres, la crainte des petits proprié-taires devant l’infléchissement commu-niste du programme, le manque d’expé-rience des militants devant l’action

clandestine, fragilisent un mouvementque les autorités (en particulier Carnot),aidées par des traîtres à la cause, vontrapidement anéantir. Après le vote, enavril 1796, d’une loi punissant de mortl’apologie de la Constitution de 1793 etles appels à la dissolution du Directoire,Babeuf et ses amis sont arrêtés le 21 flo-réal an IV (16 mai 1796). Une tentative desoulèvement, menée par d’anciensJacobins et des citoyens des faubourgsSaint-Antoine et Saint-Marcel, pour mobi-liser l’armée du Camp de Grenelle, les 23et 24 fructidor an IV (9 et 10 septembre1796), met un terme final à l’aventurebabouviste, bien que les fidèles de celle-ci n’aient qu’été minoritaires dans la cir-constance. Le procès des babouvistes alieu à Vendôme de février à mai 1797. Ila pour effet de permettre la diffusionauprès d’un large public des idéaux éga-litaires et démocratiques dont s’inspire-ront les meneurs des mouvements révo-lutionnaires du premier XIXe siècle(Buonarroti publiera lui-même, en 1828,La Conjuration de l’égalité). Babeufcependant est condamné à mort et guillo-tiné avec son ami Darthé, le 8 prairial anV (27 mai 1797).

UNE DÉMOCRATIE QUI TARDE À S’APAISERL’atonie relative des « néo-jacobins » – caril faut compter avec une presse d’opiniontoujours vivace, comme le prouve LeJournal des hommes libres – laisse pourun temps place libre aux modérés et auxroyalistes du Club de Clichy, qui peuventcompter sur des feuilles complices (laQuotidienne, le Censeur des journaux, lesActes des apôtres et des martyrs, etc.).La victoire royaliste aux élections de l’anV sonne l’heure de gloire de cette officinetandis qu’au 18 Fructidor retentit le glaspour les journalistes amis, dont plusieurssont déportés à l’île d’Oléron. Les ambi-tions restauratrices demeurent cependantau cœur du projet de l’Institut philanthro-pique, organisé en réseaux provinciaux(Sociétés des amis de l’ordre, Coterie des

fils légitimes, Enfants du soleil, Compagniesde Jésus ou de Jéhu) qui ne parviendrontjamais à réaliser le plan d’insurrection totalrêvé depuis 1793. Le danger incite une partie de la gaucheà défendre désormais, au nom de la sau-vegarde de la République, la Constitutionde l’an III. Elle compose avec le bon vou-loir fluctuant du Directoire (répressif enl’an V, encourageant de fructidor an V àfloréal an VI) pour renforcer clandestine-ment ou officiellement un réseau de cer-cles constitutionnels sur tout le territoire,au sein duquel les nuances vont être infi-nies entre les différentes conceptions poli-tiques et sociales. Une partie de ces cer-cles, fondés par les élus locaux, se limitentà une défense et une illustration des choixgouvernementaux, à la seule préparationdes élections.  D’autres, au sein desquelsrenaît le militantisme populaire, et qui fontdes émules parmi les administrateurs desdépartements, s’inquiètent de la contre-révolution et de la paupérisation, renouentavec la volonté de régénération antérieu-rement exprimée, fondée sur l’école, lesfêtes, le théâtre. À Paris, en l’an VII, dansla salle du Manège puis dans une églisede la rue du Bac, beaucoup d’anciens duClub du Panthéon, comme Drouet ou LePelletier, discutent sans complexe (et avantexpulsion par Fouché, ministre de la Police)de mesures de salut public, de Babeuf, dela «  patrie en danger  ». Dans une démo-cratie qui tarde à s’apaiser, les bruits sontnombreux sur les conjurations possibles,tout en s’interrogeant sur leurs différentesdéclinaisons politiques. Souvent recasésdans les administrations, d’anciens res-ponsables de la Terreur (Varlet, Pache,Antonelle, Prieur de la Marne) conserventdes liens discrets tout en prétendant s’êtreretirés dans leur espace privé. RigomerBazin prophétise une « conspiration popu-laire » qui mettrait fin à toutes les autres. n

*II) Cet article fait suite à celui paru sous le

même titre dans La Revue du projet, n° 12,décembre 2011.

:on politique

Selon Babeuf, une étape transitoire sera

nécessaire avant la réalisation de la société idéale, durant laquellele pouvoir sera dévolu au directoire

secret et des mesures immédiatesimposées pour s’associer

le peuple.

“”

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page35

Page 36: La revue du projet n°18

36

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

PRODUCTION DE TERRITOIRES

PAR GUY BURGEL

a ville ne fait pas recette dansle débat public en France. Après les élec-tions régionales de 2009, qui avaient faitl’impasse en Île-de-France sur les défisdu Grand Paris, la dernière campagneprésidentielle vient à nouveau d’en infli-ger la preuve. Mis à part quelques pro-pos bienveillants sur la banlieue, le motmême de ville a été absent du langagede la plupart des candidats. Ce silenceassourdissant n’est pas seulement para-doxal dans un pays, qui compte plus de80% de citadins, où la quasi-totalité deshabitants ont des consommations et descomportements de type urbain, révélésencore par les résultats des derniers scru-tins (abstention plus forte en ville, pous-sée du Front national dans les espacesles moins métropolisés). Il devrait inter-peller les responsables politiques, le pré-sident François Hollande en tête, aumoment où l’idée de croissance revientet tend heureusement à contrebalancerla morosité de la crise et l’omniprésencede l’austérité. Car s’il fut un temps dansl’histoire de la France contemporaine, oùl’accélération de l’urbanisation fut conco-mitante du progrès, ce fut bien pendantles Trente glorieuses (décennies 1950-70) : élévation des niveaux de vie, du loge-ment à la voiture, démocratisation de laculture, accumulation économique à tra-vers l’industrialisation en profondeur duterritoire et la banalisation des services,renouvellement du creuset social, dans

Ville, le silence et l’exigence

L

Une véritable révolution de la politique de la ville est nécessaire enFrance alliant intelligence et persévérance.

GUY BURGEL, est professeur de

géographie/urbanisme à l’université Paris

Ouest-Nanterre La Défense.

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

une communauté nationale qui se« moyennisait », une société qui se fémi-nisait, notamment par l’emploi, et uneéducation qui se généralisait.

LA VILLE PROGRESSIVECe n’est pas le lieu de s’étendre ici surles raisons, qui depuis plus de vingt ansont soudain désenchanté cette ville pro-gressive  : crise du système économique(scepticisme sur la croissance, doute surl’échange), crise des matérialités urbaines(insuffisance de la construction de loge-ments, contradictions de la mobilité, égaleangoisse devant les dilutions périphé-riques et la densification des zones cen-trales), crise de l’intégrateur urbain (échecde l’école, crainte d’un communautarismequi remplacerait les luttes sociales).L’inquiétude et les ambiguïtés nées despréoccupations environnementales s’ad-ditionnent à ces incertitudes  : le déve-loppement durable contre la croissance ?la catastrophe climatique ou des pollu-tions localisées ? Et l’impuissance à défi-nir les bons périmètres géographiqueset institutionnels d’un nouveau gouver-nement de la ville se résout dans des gou-vernances vagues, qui ajoutent une crisede la citoyenneté aux contradictionsobjectives. Mais il paraît plus essentielencore d’insister sur les principes refon-dateurs aujourd’hui de la politiqueurbaine, une espèce d’axiomatique quivoudrait rendre espoir à la ville.La première condition est incontestable-ment de rétablir les bases sur la longuedurée de la ville progressive  : les 3 «  I »,instruction, immigration, innovation.Restaurer une éducation nationale,publique, efficace et équitable partout etpour tous, de la maternelle à l’université,est une priorité incontournable. C’est leseul moyen dans un monde urbain à la

fois pluraliste et changeant d’assurer avecbonheur les mutations individuelles etcollectives, les innovations technologiqueset culturelles nécessaires, et surtout lescompréhensions mutuelles indispensa-bles au melting pot social. Ce retour à unsystème éducatif de la réussite doit s’ac-compagner de la conviction que la voca-tion initiale de l’école est d’être une ins-

tance de formation, et pas d’acquisitionde techniques, a fortiori de métiers. Cettelogique s’inscrit en faux contre la fuiteen avant actuelle de professionnalisa-tions précoces et mutilantes. On ne serapas un citoyen actif et épanoui, parcequ’à 15 ans, on aura été «  orienté  » enapprentissage, souvent contre son gré.Cette priorité éducative ne souffre d’au-cune limitation, même budgétaire : inves-tir dans la jeunesse n’est pas s’endetter,mais bâtir l’avenir.

SAVOIR INNOVERLa France a besoin d’immigration, parcequ’elle vieillit, parce que c’est le seulmoyen d’amplifier avec l’enrichissementculturel et matériel son ouverture aumonde. Pour la réussir, il faut en mêmetemps assurer l’intégration des popula-tions d’origine étrangère (l’emploi, le loge-ment, l’école, la citoyenneté), et affirmerles valeurs intangibles de la République(la laïcité, le respect de la femme). Lesunes sont d’autant mieux acceptées quel’autre est acquise. La ville de la haute

Il faut une vision politique et une adhésion

populaire, pour transformer le silence sur la ville, en exigence

de la ville.“

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page36

Page 37: La revue du projet n°18

37

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

croissance en apporta la démonstration.Mais il faut en outre savoir innover.Comprendre que le développement del’emploi, même dans les grandes villes,ne peut plus être seulement « technopo-litain  », mais aussi d’économie banale,localisée (l’  «  altermétropolisation  »).Montrer que la ville « intense », en alter-native de la périurbanisation, n’est pasnécessairement densifier avec des tourset des barres. Se battre encore pour chan-ger, et pas réduire, les mobilités, afin deles rendre plus efficaces, moins pénibleset moins consommatrices d’énergie. Bref,mettre l’imagination au pouvoir.

Ces prémisses admises, on pourra veniraux grandes lignes d’une véritable re-création de la ville. Elles apparaissentsouvent dans l’inversion des termes despolitiques urbaines suivies jusqu’à main-tenant. Depuis près de dix ans, l’ANRU(Agence nationale pour la rénovationurbaine) a amplifié de ses financementsmassifs (plus de 40 milliards d’euros pro-grammés) et de son volontarisme portéau plus haut sommet de l’État, les erre-ments suivis depuis des décennies : met-tre l’accent principal sur la matérialitéde la ville, en traitant les façades, les revê-tements, les cheminements, quand cen’est pas en faisant imploser des immeu-bles, de façon provocatrice en périodede pénurie de logements. C’est évidem-

ment se tromper de cible, prendre lecontenant pour le contenu, et oublier quesans des mesures sociales radicales surl’école, l’emploi, les services publics, touturbanisme, si imaginatif soit-il, est vouéà l’échec. Ce n’est pas l’argent qui manque,mais l’intelligence et la persévérance pourl’investir à bon escient et provoquer deseffets de levier sur la ville tout entière.

Il faut aussi en finir avec les incantationsbien-pensantes et toujours répétées  : lamixité résidentielle, dont on n’a jamaisprouvé qu’elle améliorait les relationsentre les groupes, le rapprochement habi-tat-emploi, tarte-à-la crème d’aména-geurs qui rêvent peut-être du modèle dela mine et du coron, mais n’observent pasles sociétés urbaines complexes. On pré-fèrera toujours aux injonctions et auxprescriptions la compréhension fine desprocessus pour les accompagner, les inflé-chir ou éventuellement les amplifier. Àcet égard, la mobilité sociale entre géné-rations, parce qu’elle porte l’espoir, estplus prometteuse que le mélange des sta-tuts immobiliers (logements locatifs eten accession à la propriété). De la mêmefaçon, les reprises spontanées de cen-tralité (retournement de l’attractivité enfaveur des zones centrales), dont témoi-gnent tous les recensements des années2000, à Paris comme dans les grandesagglomérations provinciales, devraient

retenir l’attention. Elles montrent quel’extension périphérique des villes n’estpas inéluctable, pour autant que des poli-tiques ambitieuses de transports collec-tifs, de réforme foncière et d’imagina-tion architecturale, encourageraient cestendances « naturelles  ».

Mais il s’agirait là d’une véritable révolu-tion de la politique de la ville en France.Il faut cesser de la confondre avec le trai-tement des quartiers difficiles et la réso-lution sectorielle des problèmes immé-diats (pénurie de logements, difficultésquotidiennes de transports). La ville estune totalité, qui embrasse tous les terri-toires, tous les groupes sociaux, et asso-cie leurs logiques antagonistes : accumu-lation et pauvreté, exclusion etembourgeoisement, centre et périphé-ries. À ce titre, elle réclame une straté-gie, qui articule de façon logique et chro-nologique, défis de court terme etambitions de long terme, projets locali-sés et déclinaison d’un récit urbainmythique, et même institutions démo-cratiques chargées de la mettre en œuvre.Désormais, la compétence territoriale outechnique n’est pas suffisante. Il faut aussiune vision politique et une adhésion popu-laire, pour transformer le silence sur laville, en exigence de la ville. n

ce

1975-1990 : la moitie de la croissance demographiqueest dans les villes nouvelles

1990-2006 : la moitie de la croissance demographiqueest à moins de 20 km de Notre-Dame

La reprise de la centralite parisienne au tournant du XXIe siecle

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page37

Page 38: La revue du projet n°18

38

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2012

SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*SYLVESTRE HUET est journaliste spécialisédans les sujets scientifiques.

a plupart des scientifiques assi-milent une approche rationnelle des choixpolitiques, ou du débat entre citoyens etentre ceux-ci et leurs élus, à un simplepartage de connaissances. Avec parfois,d'ailleurs, l'idée que ces connaissancesseraient apportées par eux-mêmes auxcitoyens et aux élus. Puis, dès lors quece partage des connaissances aurait lieu,le débat serait posé en termes rationnels,et la décision prise, de ce fait, le seraitelle aussi. Cette idée plonge ses racinesdans une tradition fort respectable, quiremonte aux Lumières et au courant ratio-naliste ainsi qu'à la rencontre de nom-breux scientifiques et intellectuels avecle PCF après la Seconde Guerre mondiale.

L'ILLUSION DU PARTAGE DU SAVOIR POURPARTAGER LE POUVOIR.Cette vision est, à mon avis, une illusion.Illusion d'abord parce que l'approcherationnelle des citoyens ne se fonde pasnécessairement sur la connaissance desfaits issus de l'activité scientifique. Ellepeut parfaitement, et à raison, se fondersur leur simple expérience de l'exercicedu pouvoir politique, économique etmédiatique et considérer que cette expé-rience fonde rationnellement une réac-tion de méfiance ou de refus d'usagesde technologies dont les mécanismes etles effets sont peu connus puisque nou-veaux ou qui ont dans le passé déjà mon-tré leur capacité à produire des catas-trophes. Ils nous ont menti sur l'amiante,pourquoi nous diraient-ils la vérité sur

Par SYLVESTRE HUET*

les transgènes végétaux ? Les centralesnucléaires de Tchernobyl et de Fukushimaont causé d'énormes dégâts, pourquoicela ne se reproduirait-il pas pour lesnôtres ? Les questions et l'attitude derefus qui découlent de ces expériencessont tout à fait rationnelles. Mais allonsplus loin et évoquons deux raisons com-plémentaires et plus radicales encore quidétruisent cette illusion.Tout d'abord, le partage des connais-sances, au sens du savoir accumulé parla recherche mais aussi des questionsidentifiées comme sans réponse à un ins-tant donné par les scientifiques et lesingénieurs, est une illusion. Cette affir-mation que certains jugeront peut-êtrebrutale n'a en réalité rien de méprisantet ne vise pas particulièrement lescitoyens ne disposant pas d'une forma-tion initiale de haut niveau.La science contemporaine ne constituepas seulement, tant par ses réponses quepar ses questions identifiées, un volumetrès difficilement synthétisable et assi-milable par les citoyens comme par lesresponsables politiques, elle se construitau prix d'une spécialisation de plus enplus étroite qui rend très délicat le par-tage des connaissances à l'intérieurmême du système scientifique. Les scien-tifiques eux-mêmes ont du mal, voire sontdans l'impossibilité, de lire tout ce qui sepublie dans leur sous-domaine de spé-cialité. Exiger un partage des connais-sances généralisé à l'ensemble de lasociété alors même qu'il est difficile àréaliser au sein des laboratoires ne sem-ble donc guère... raisonnable.Quant au monde politique il suffit d'ob-server le fonctionnement de l'Office par-lementaire d'évaluation des choix scien-tifiques et techniques (OPECST) pourconstater que toutes les forces politiques

délèguent à un petit nombre de « spé-cialistes » le soin de déterminer ce qu'ilfaut savoir et décider dans tel ou teldomaine technique.

SLOGAN OU PARTAGE DE CONNAISSANCESEn matière de biotechnologies végétales,le soin extrême pris à ne jamais distin-guer les risques et avantages des deuxtransgènes dominants au plan des appli-cations – les semences Ready Round Up,donc une tolérance à un herbicide et lessemences dites Bt donc permettant unefabrication de toxine insecticide par laplante – montre bien la volonté d'évitertout débat précis au bénéfice de formulesgénérales qui ont l'avantage de s'accom-moder de l'ignorance non seulement desdétails mais même des informations prin-cipales sur le sujet.Si les décisions politiques majeures prisesl'ont bien été par les responsables poli-tiques au plus haut niveau – voir à cetégard l'étude récente réalisée par le cabi-net Transversales pour le comité d'en-treprise d'EDF qui retrace l'historique desdécisions majeures pour l'électro-nucléaire en particulier lors du tournantde 1974 – les forces politiques qui ont gou-verné le pays depuis 50 ans se sont tou-jours tournées vers la technostructure,la haute fonction publique, les organismesde recherche publics et l'entreprisepublique historique pour lui demanderde leur proposer une réponse « clé enmain » à sa question sur la politique éner-gétique. Convaincues de son caractèreimpératif en raison du manque de res-sources fossiles sur le territoire national,elles ont tout fait pour la mettre en œuvresans chercher à en convaincre les citoyenspar un débat argumenté, mais en arra-chant leur accord à l'aide de moyens pro-pagandistes, souvent d'ailleurs laissés à

Choix technologiques, démocratie et savoirs : comment sortir de l'impasse ?

L

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page38

Page 39: La revue du projet n°18

39

JUIN 2012 - LA REVUE DU PROJET

la discrétion des industriels. Puis, unefois l'affaire faite, le souci majeur des res-ponsables politiques et des élus fut d'enparler le moins possible à leurs électeurs.A l'inverse, sur l'utilisation de la trans-génèse végétale, la proposition de larecherche publique d'un usage modéréet contrôlé, et d'un effort de recherchesur la balance des avantages et desrisques, n'a pas été suivie. Pourquoi ?Parce que l'urgence économique de sonutilisation n'apparaissait pas, du moinspas au point de se fâcher avec un grandnombre d'électeurs, beaucoup plus nom-breux que les agriculteurs qui voulaientutiliser les semences transgéniques. Ducoup, la France est aujourd'hui embrin-guée dans un conflit avec l'UE en raisonde son interdiction peu fondée scientifi-quement et juridiquement de l'usage dumaïs dit Bt de Monsanto. Mais surtout,même la recherche n'est plus possiblecomme le montre la destruction de l'es-sai sur le virus du court-noué de la vignepar la station de l'INRA à Colmar, dansdes conditions de sécurité maximale.Dans les deux cas, nucléaire et transgé-nèse végétale, l'idée d'un partage desconnaissances comme base d'un accordde la société pour leur usage massifs'écroule assez vite, dès que l'on inter-roge la diffusion des savoirs qui sont àla source de ces technologies, ou envi-ronnent leur mise en œuvre.

RÔLE DES PARTIS POLITIQUES Transformer chaque militant, mais éga-lement chaque responsable ou candidatà une fonction délibérative ou exécutivedans les institutions politiques en« sachant tout » capable de prendre, dece fait, les bonnes décisions est doncimpossible. Même s'il ne faut pas sous-estimer la nécessité de sans cesse « élar-gir le cercle des connaisseurs », selon laformule de Brecht. De ce point de vue,les politiques éducatives et culturelles,et singulièrement celles qui concernentles média, sont au premier rang des prio-rités. Il s'agit d'une action de long terme,mais dont l'ambition doit être très éle-vée, nos civilisations, et pas seulementdans leur dimension démocratique, nepourront pas reposer sur des technolo-gies de plus en plus sophistiquées etsimultanément réduire les populations àdes consommateurs ignorants de leurscaractéristiques essentielles ou des condi-

tions sine qua non à réunir pour les uti-liser à moindre risque.  Un sine qua nonde facto : il serait irresponsable de pré-coniser son usage en l'absence de pré-cautions maximales. Un sine qua non poli-tique. En démocratie, le nucléaire, parexemple, ne peut s'imposer durablementà une population qui le refuserait.

BESOIN DE STRUCTURES COLLECTIVESMais, dans l'immédiat il est de la respon-sabilité principale des responsables poli-tiques de mettre en place les structurescollectives permettant une maîtrise desactivités à risques, que ces risques soientconnus, comme ceux du nucléaire, ou qu'ilssoient encore méconnus comme ceux quidérivent d'innovations, de technologiesnouvelles comme la transgénèse végétaleou les nanotechnologies. Cet impératifvaut pour tous, citoyens comme gouver-nements puisque les gouvernants sontdevant ce problème de la connaissancecomme de l'expertise dans le même étatque chaque citoyen, peu ou prou.Il existe déjà de nombreux exemples, plusou moins élaborés, plus ou moins ache-vés, de telles structures. Après la SecondeGuerre mondiale, ce sont les structuresd'État, les directions centrales des minis-tères dans notre pays, qui jouaient ce rôle.Elles ont, ces trois dernières décennies,considérablement évolué sous la tripleinfluence de l'usage de plus en plus mas-sif de technologies de plus en plus com-plexes, de la vague ultralibérale du « moinsd'État » lancée par Reagan et Thatcher,mais aussi de l'expérience douloureuseque certains responsables politiques ontvécue lorsqu'ils se sont trouvés en pre-mière ligne de gestion de risques techno-logiques – ou de risques ressentis commetels (la crise du sang contaminé en Franceavec les procès contre des ministres, ycompris le Premier).L'institution de structures de type« Agences », Autorités administrativesindépendantes, mais aussi la formalisa-tion de l'activité d'expertise collective –qu'il s'agisse du GIEC ou de l'adoption dechartes de l'expertise dans la plupart desorganismes de recherche publics et même– il y a peu, à l'Académie des sciences – estun mouvement que l'on repère dans la plu-part des pays développés. De manièregénérale, ces créations visent à déplacerhors de l'exécutif la réalisation de l'exper-tise des risques et de la recommandation

à l'autorité publique, voire – c'est le casdes Autorités administratives indépen-dantes – l'exercice d'un pouvoir réel.

AMBIGUÏTÉ DE L’EXTERNALISATION DEL’EXPERTISECe mouvement d'externalisation de l'ex-pertise voire du pouvoir de décision pro-cède de plusieurs motivations dont cer-taines sont profondément positives etd'autres plus ambiguës. Ce qui est posi-tif, c'est la conscience de la complexitédes effets économiques, sociaux, sani-taires et sociétaux (songeons à la pro-création assistée) de l'usage massif detechnologies de plus en plus puissantes,invasives et complexes. Que les gouver-nements, les responsables politiques pren-nent conscience de leur fragilité devantce mouvement, qu'ils se méfient des tech-nostructures établies par le passé, c'estbien sûr positif. Réfléchir plus longtemps,de manière plus complète, en procédantà des consultations d'experts et descitoyens, avant de recourir à des techno-logies puissantes et nouvelles est plutôtraisonnable.Autrement dit, expliciter l'espace deschoix et le nourrir en ayant recours à l'ex-pertise et à la consultation publique nepeut se limiter à lancer quelques sloganssimplificateurs qui ne peuvent que seretourner contre la crédibilité politique.Dans cette perspective, l'une des respon-sabilités des élus et des gouvernants estde mettre en place et de faire vivre – parla nomination de leurs directions en par-ticulier – les diverses structures suscep-tibles de produire de l'expertise voire dela décision en matière de gestion derisques, de manière à ce qu'elles remplis-sent correctement leurs fonctions.Comment organiser un débat citoyen leplus honnête possible ?1 Comment expli-quer le fonctionnement de ces structuresaux citoyens ? Voila autant de questionsqui relèvent du politique, de ses décisionset sur lesquelles la compétence et leniveau de connaissances des élus et desdirigeants doivent être sans faillespuisque c'est là qu'ils sont attendus etnon sur leurs connaissances de physiquenucléaire ou de sismologie. n

Document extrait d’une intervention deSylvestre Huet à la Fondation Gabriel-Péri.

1) À cet égard la procédure de la Commissionnationale du débat public est à critiquer

?

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:41 Page39

Page 40: La revue du projet n°18

Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy É[email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Économie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebhurer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

Valérie GoncalvesÉ[email protected]

Jean-Louis Le Moing [email protected]

Danièle Lebail Services Publics et solidarités [email protected]

Isabelle Lorand Libertés et droits de la [email protected]

Sylvie Mayer Economie sociale et solidaire [email protected]

Catherine Peyge Droit à la ville, [email protected]

Gérard Mazet [email protected]

Eliane Assassi Quartiers populaires et liberté[email protected]

Richard Sanchez [email protected]

Véronique Sandoval [email protected]

Jean-François Téaldi Droit à l’information [email protected]

Nicole Borvo Institutions, démocratie, [email protected]

Jean-Marc Coppola Réforme des collectivités [email protected]

Jérôme Relinger Révolution numérique et société de la [email protected]

Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

Amar Bellal

Sciences

Marine Roussillon

Pages critiques

Alain VermeerschRevue des

médias

Partice Bessac

Responsable de la Revue

Guillaume Quashie-Vauclin

Responsableadjoint

COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

Nicolas Dutent

Communisme en question

Gérard Streiff

Combat d’idées

FrédoCoyère

Mise en pagegraphisme

Côme SimienHistoire

AnneBourvicRegard

RenaudBoissac

Collaborateur

Corinne Luxembourg

Territoires

RdP-18_V6:Mise en page 1 24/05/12 11:42 Page40