La Revue du Projet n° 43

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N°43 JANVIER 2015 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS LIBERTÉ ! DOSSIER P. 5 LE GRAND ENTRETIEN NOTRE GÉNÉRATION EST RÉVOLUTIONNAIRE Nordine Idir P. 58 DANS LE TEXTE LA COMMUNE DE PARIS : LE TRÈS POSSIBLE COMMUNISME Jean Quétier, Florian Gulli P. 52 LIRE ENTRETIEN AVEC MAXIMILIEN LE ROY Parti communiste français Les tragiques événements du début du mois de janvier placent la question de la liberté sous une lumière nouvelle. Ce dossier, rédigé avant l'attentat contre Charlie Hebdo, entend (r)ouvrir, dans une perspective communiste, un chantier à la fois vaste et central. Nous espérons que ce numéro pourra notamment contribuer à éclairer une lutte plus que jamais d'actualité : le combat pour la liberté d'expression.

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N°43 JANVIER 2015 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS

LIBERTÉ !DOSSIER

P.5 LE GRAND ENTRETIEN

NOTRE GÉNÉRATION EST RÉVOLUTIONNAIRENordine Idir

P.58 DANS LE TEXTE

LA COMMUNE DE PARIS :LE TRÈS POSSIBLECOMMUNISMEJean Quétier, Florian Gulli

P.52 LIRE

ENTRETIEN AVECMAXIMILIEN LE ROY

Parti communiste français

Les tragiques événements du début du mois de janvierplacent la question de la liberté sous une lumière nouvelle. Ce dossier, rédigé avant l'attentat contreCharlie Hebdo, entend (r)ouvrir, dans une perspectivecommuniste, un chantier à la fois vaste et central. Nous espérons que ce numéro pourra notammentcontribuer à éclairer une lutte plus que jamais d'actualité : le combat pour la liberté d'expression.

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La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacRédacteur en chef : Guillaume Roubaud-Quashie • Secrétariat de rédaction : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : CarolineBardot, Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, Clément Garcia, Maxime Cochard, Alexandre Fleuret,Marine Roussillon, Étienne Chosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, Michaël Orand, Pierre Crépel,Florian Gulli, Jean Quétier, Séverine Charret, Vincent Bordas, Anthony Maranghi, Franck Delorieux, Francis Combes, CamilleDucrot, Stève Bessac • Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey • Édité par l’associa-tion Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 55369 637 Vénissieux Cedex) • Dépôt légal : Janvier 2015 - N°43. ISSN 2265-4585 - Numéro de commission paritaire : 1019 G 91533.

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3 ÉditoPierre Laurent le chantier des libertés

4 PoÉsiesVictor Blanc Vladimir Maïakovski : la voix de la révolution

5 regardÉlodie Laseille garry Winogrand

6 u33 le dossierlibertÉ !Pierre Crépel et Nicolas Dutent le spectre de la libertéMarie Leca-Tsiomis la liberté et l’EncyclopédieStéphanie Roza la liberté des anciens, la liberté des Modernes et lemarxismeEmmanuel Barot Marxisme et liberté : sartre et nous aujourd’huiMichel Vadée le règne de la libertéChantal Jaquet le self-made-man à l’épreuve de la complexionFrancette Lazard - Henri Malberg la liberté dans l’histoire du PcFNadège Cresson et Brieuc Guinard liberté, engagement et foiJean-Pierre Potier et Rima Hawi liberté et économieBernard Thibault la liberté et l’entrepriseGabriel Montrieux Quel usage politique de la liberté de consommer ?Clara Grande liberté et répressionBrigitte Gonthier-Maurin la liberté est-elle « sexiste » ?Arlette Cavillon et Danielle Lebail liberté : pays pauvres/pays richesMarie-Christine Vergiat liberté de circulation et frontièreseuropéennesMorane Chavanon liberté et migrationsSylvie Mayer et Yann Le Pollotec des libertés nouvelles ?

34 lectrices & lecteursFrancis Velain le projet communiste au défi des fab-labs

36 u39 traVail de secteursle grand entretienNordine Idir notre génération est révolutionnairebrêVes de secteur- Marée noire au bangladesh : « rompre le silence et agir avecurgence »- législatives au Japon : le PcF salue les progrès du Particommuniste japonais- eric Zemmour, l’incarnation de la pensée raciste et xénophobe

40 coMbat d’idÉesGérard Streiff extrême droite. la ronde des boucs émissaires

42 MOUVEMENT RÉELAndré Tosel liberté et nécessité selon gramsci

44 histoireFabien ArchambaultCalcio (football) et politique dans l’italierépublicaine

46 Production de territoiresCorinne Luxembourg et Dalila Messaoudi la ville côté femmes : lesusages féminins des espaces publics

48 sciencesMarion Cousin les mathématiques japonaises

50 sondagesGérard Streiff les Français et l’entreprise. information etmanipulation

51 statistiQuesMichaël Orand les nouveaux immigrés : de plus en plus d’européens, de plus en plus qualifiés

52 reVue des MÉdiaAnthony Maranghi (dés)information et (dis)crédit

54 critiQues• lire : Camille Ducrot entretien avec Maximilien le roy, auteur de bd.• Yves Vargas Jean-Jacques Rousseau, l’avortement du capitalisme• Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguianet Craig Calhoun Le capitalisme a-t-il un avenir ? • Nicole-Claude Mathieu L’anatomie politique 2. Usage, déréliction etrésilience des femmes • Roger Martelli L’Occasion manquée. Été 1984 quand le PCF serebiffe • Recherches internationales, n°99

58 dans le texteFlorian Gulli et Jean Quétier la commune de Paris : « le très possiblecommunisme »

61 bulletin d’abonneMent

63 notes

THÈMES DES PROCHAINSNUMÉROS DE LA REVUE DU PROJET : Média, Féminisme, nation...Vous avez des idées sur cesdossiers n’hésitez pas à nouscontacter : Écrivez à[email protected]

exPression Communiste

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Édito

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Le chantier des libertés

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elon les époques, les pays, les enjeux de leur com-bat, les hommes et les femmes qui se sont enga-gés et qui s’engagent aujourd’hui dans des com-bats libérateurs se sont fait et se font des idéesdifférentes de ce qu’ils nommaient dans le passéet de ce qu’ils nomment à notre époque « liberté ».

et nous inscrivons les luttes, petites et grandes, dont noussommes partie prenante dans une perspective d’émancipa-tion humaine. cette perspective était en son temps celle deMarx tout au long de ses combats. ceux qui vivent des rap-ports d’exploitation et de domination sur d’autres humainsont aussi leurs idées sur la liberté. elles se déclinent en « libertéd’entreprise », « libre circulation des capitaux », « liberté desmarchés financiers » quand ce n’est pas, par antiphrase,« liberté du travail ». au temps de la guerre froide, ceux-làmêmes qui menaient des guerres contre des peuples en luttepour leur libération se posaient en défenseurs du « mondelibre ».

Je ne crois pas sortir du sujet en écrivant que la guerre estaujourd’hui la première atteinte à la liberté des peuples et desindividus. c’est une tragique vérité que dénonçait récem-ment le pape : « pour survivre » le système « doit faire la guerrecomme l’ont toujours fait les grands empires » mais, « étantdonné qu’on ne peut pas faire la troisième guerre mondiale,alors on fait des guerres locales. » où est la liberté quand onest sous les bombes, quand on est exposé à la barbarie ? eton s’habitue un peu trop vite aux atteintes à la liberté commecelle du Patriot Act des États-unis, qui est une intrusion into-lérable dans la vie la plus personnelle de chacun et sur toutela planète. elle porte gravement atteinte à l’indépendance, lasouveraineté des nations.

dans notre pays, le chantier des libertés non seulement àdéfendre ou à reconquérir mais à conquérir est vaste et divers.nous ne voulons pas d’une société où l’on décide à la placedes gens ce qui est bon pour eux. nous ne voulons pas d’unesociété où ceux qui ne manquent de rien disent à ceux quimanquent, si ce n’est de tout du moins de beaucoup de choses,quels sont leurs « vrais » besoins et quels sont leurs « faux »besoins. il est des besoins qui n’ont d’existence qu’à causede la diversité de la vie actuelle. Mais le besoin d’être dégagéde l’incertitude du lendemain dans sa vie professionnelle,d’être respecté, d’être entendu dans la vie de la cité commede celle de son entreprise, autant de besoins – et je pourraissans peine allonger la liste – dont la satisfaction ne peut êtreque libératrice. dans une perspective d’émancipation humaine,il incombe à la société de décider démocratiquement quelssont les besoins qu’elle entend prioritairement satisfaire, quelssont ceux dont elle se propose d’encourager le développe-ment pour permettre aux individus de se construire une vieplus pleine, plus riche, en un mot, plus libre.

et pour cela il y a besoin de démocratie, et de plus en plus degens le disent, notre démocratie est en panne. la Ve républiqueavec son quinquennat, son président monarque, son sys-tème représentatif sont à changer. c’est d’ailleurs pour cela

que le Parti communiste et ses partenaires du Front de gaucheproposent d’écrire une nouvelle constitution, la Vie républiquecitoyenne, qui garantit les libertés démocratiques dans lasociété et dans l’entreprise. nous pouvons créer une sociétéoù les « rejetés » et les « maintenus » se retrouveraient comme« individus de l’histoire du monde », conscients qu’ils fontpartie d’une « même communauté », auraient une « citoyen-neté sociale » permettant à chacune et à chacun de sortir dela délégation passive, de ne plus se dévaloriser, de prendre laparole, de promouvoir de nouveaux droits et une nouvellelogique sociale dans une nouvelle vie publique. soyons lucides.ce serait un énorme progrès, si plus personne dans le mondene souffrait de malnutrition, d’absence d’accès aux soinsmédicaux ou à la scolarisation. Pour des milliards d’êtreshumains, ce serait une immense libération. Mais nous serionsencore très loin du compte quant aux libertés nécessairesaujourd’hui. nous serions très loin du compte en effet si uneminorité de l’humanité continuait seule à avoir voix au cha-pitre quand il s’agit de prendre des décisions concernant lesautres humains, voire toute l’humanité. nous serions encoreloin du compte même si cette minorité était élargie par desconquêtes démocratiques dans certains pays, mais demeu-rait une minorité.

nous vivons en effet une révolution dans les moyens d’ac-tion des hommes sur la nature et sur eux-mêmes, une révo-lution dans les conditions de progression de la productivité,de l’efficacité du travail humain. cette révolution, que l’onappelle souvent révolution informationnelle pour dire l’enjeuque représente maintenant dans les activités humaines lamaîtrise des données sur la réalité, autrement dit des infor-mations, permet de considérables réductions du temps detravail pour un même effet utile. Va-t-on continuer à utilisercette diminution pour faire pression sur les salariés par le chô-mage, la précarité ? la pression est énorme. les remises encause sont légion. Je ne prendrai qu’un exemple : le projet deloi Macron qui contribue à l’explosion des conventions col-lectives. ou bien va-t-on se saisir de cette révolution pourque chacun et chacune puissent se construire une vie plusriche, épanouissante y compris dans le travail ?

réinterroger l’idée de liberté c’est donc aussi s’interroger surla possibilité d’avoir du pouvoir sur sa propre vie et celle de lacollectivité. le communisme de nouvelle génération que nouscherchons à construire et qui fut un des fils conducteurs denotre dernière conférence nationale est la mise en partage,la mise en commun des avoirs et des savoirs, des pouvoirs. n

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PIERRE LAURENT,Secrétaire national

du Parti communiste français

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le temps des cerises republie, dans la collection lettresfrançaises, Vers et proses de Maïakovski, l’anthologieépuisée depuis de nombreuses années qu’elsa triolet

avait consacrée à son ami intime.

Vladimir Maïakovski est né en russie en 1893. Proche des bol-chéviques jusqu’à sa mort en 1930, Maïakovski prend fait etcause pour la révolution d’octobre. Maïakovski fonde le mou-vement futuriste russe au début des années 1910 et devient,avec essenine et Khlebnikov, le fer de lance de cette jeunegénération de poètes qui a fait entrer à grands fracas la poé-sie russe dans la modernité. géant en blouse jaune, la ciga-rette au bec, un regard de voyou, Maïakovski marque les esprits.l’anthologie d’elsa triolet, ses traductions, ses souvenirs trèsamoureux, permettent de situer la démarche du poète.

tout chez lui se démesure, sa silhouette, son talent, sonorgueil, son amour... dès le début, l’ambition est posée quisera celle de toute sa vie : « Je suis allé voir un camarade, quiétait alors pour moi un camarade du Parti, Medvédiev : ’’Jeveux faire un art socialiste.’’ serioja a longuement ri : ’’t’asles yeux plus gros que le ventre.’’ Je crois tout de même qu’ila sous-estimé mon ventre. ». et Maïakovski n’aura de cessede donner au prolétariat un art d’avant-garde, un art puis-sant, exigeant, méprisant ceux qui prétendaient savoir mieuxque les ouvriers eux-mêmes ce dont ils avaient besoin. Quelleautre poésie fut à ce point à la mesure de l’histoire ? Maïakovskis’empare du souffle épique, de la poésie lyrique, de l’anec-dote, du journalisme, du merveilleux, des slogans, boule-verse les rimes et les mots… reprenant l’une des intuitionsde la modernité, le poème-affiche (porté en France par lescalligrammes d’apollinaire), Maïakovski l’ancre dans la vieréelle. À l’agence rosta, avec le peintre constructivistealexandre rodtchenko, Maïakovski signe tous les jours desaffiches sur l’actualité, en vers, toujours drôles et perçantes…c’est une idée à reprendre.

son élan l’amène à pousser toujours plus loin. c’est cela aussi,Maïakovski : un refus des compromissions, tant poétiquesque sociales ou politiques, un mépris pour les demi-victoires,et pour les bureaucrates, ceux qui voient la révolution parle bout de la lorgnette. il pourfend l’ennemi intérieur :  l’oby-vatel, le médiocre petit-bourgeois, plongé dans le byt, l’iner-tie de la vie quotidienne. « Que peut-on voir avec de telsyeux ? le socialisme ? non, juste l’encrier et le presse-papier. »

en 1930, Vladimir Maïakovski se suicide. dans une lettre, ils’explique : « la barque de l’amour s’est brisée contre la viecourante ». il prévient toute autre explication : « pas de can-cans, le défunt avait ça en horreur. » la vie courante. encorece mot de byt. À nous de reprendre son combat. exiger sansrelâche le meilleur de nos forces.

VICTOR BLANC

Vladimir Maïakovski :la voix de la Révolution

« nous venons,des millions

de sans-dieu,de païens

et d’athées –et par

le front,le fer rouillé,

les champs –tous

avec ferveurfaire prière à dieu.sors,

non d’une doucecouche étoilée,

dieu de fer,dieu de feu

dieu, ni marsni neptune, ni véga,

dieu de chair –dieu homme !

[…]À présentsous les yeux de tous,nous ferons

nous-mêmesnos

miracles. »

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c et automne, le musée du Jeu de Paume nous permetde voir une amérique différente de celle d’hollywood.c’est celle de Ferguson comme d’Occupy Wall Street

que garry Winogrand a photographié toute sa vie durant. eneffet, il fut le fondateur de la street photography, celle qui a

quitté les studios comme les paysages naturels pour rame-ner des images de la rue et du petit peuple américain qui laparcourt. 

garry Winogrand

Los angeles, 1980–1983, Garry Winogrand - Épreuve gélatino-argentique.Garry Winogrand archive, Center for Creative photography, the university of arizona.© the estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

ÉLODIE LASEILLE

 

 

 

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Tout le monde brandit le drapeau de la liberté, même ses adver-saires. À l'heure où les confusions vont bon train, il est urgent queles communistes fassent valoir une conception ambitieuse de laliberté et placent cet enjeu central au cœur du débat public.

LIBERTÉ !D

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Le spectre de la libertécontraire. Rarement un mot aura étéle prétexte à un tel pillage, à un tel gal-vaudage et le signe d’un si profondmalaise dans la tumultueuse vie desidées !Face à l’insuffisance de lieux pourrenouveler cette problématique, toutun chacun semble se forger, dans soncoin, une vague idée de la liberté,convaincu que cette aspiration à laliberté est le but vers lequel nous ten-dons tous. Si tant est que nous soyonslibres, que cette liberté soit immanenteou à réaliser, quelles sont les fins quigouvernent cette recherche ? Force estde constater qu’en fonction de notrehéritage, de nos expériences concrètes,théoriques voire sensibles – incluantles motifs politiques qui nous pous-sent, consciemment ou non, à agir –une grande diversité de conceptionsde la liberté semble cohabiter. Cettecohabitation du divers n’a rien d’har-monieuse : elle relève plus de l’affron-tement que d’un dialogue serein àarmes égales. Et pour cause ! Sans for-cément mesurer leur portée et les loin-taines querelles dont ils sont issus, lesdiscours sur la liberté maintiennentvivante une tension, une rivalité, entredifférents présupposés et les projets enprésence plus ou moins compatiblesentre eux.Quel rapport en effet entre la libertéd’entreprendre martelée par les capi-talistes sous le visage de « la main invi-sible », l’existentialisme sartrien à lafois angoissant et responsabilisant qui« nous condamne à être libre » tout enouvrant la perspective de défaire posi-tivement « ce qu’on a fait de nous »(conception charnière d’une liberté-fardeau qui, sans nier les détermi-nismes qui nous oppressent, déclare

que « l’existence précède l’essence »),la praxis gramscienne, le spinozismejugeant « que les hommes se croientlibres parce qu’ils sont conscients de leurs désirs mais ignorants descauses qui le déterminent », ou encorela liberté des Anciens et celle desModernes ? « Choisir c’est renoncer »intimait Platon. Alors que choisir : lemarché ou l’État ? Dans une certaineacception contemporaine, à la fois cari-caturale et brutale, le marché (« lais-ser-faire, laissez-passer ») procéderaitdu naturel et exprimerait le régime dela liberté. Tandis que l’État imposeraitle régime artificiel de la contrainte. Ona longtemps envisagé une sorte decompromis, de moyen terme, qui s’estrévélé caduc. Cette variante insatisfai-sante et trouble du marché « régulé » abouché l’horizon : les gouvernementsBlair, Schröder, Hollande-Valls enconstituent des exemples caractéris-tiques.

UNE QUESTION ÉMINEMMENTPOLITIQUELa question de la liberté, de ses usageset de ses manifestations possibles, estdonc éminemment politique. Pour leParti communiste français elle a étél’objet de fortes ambivalences. S’il futbien seul lorsqu’il s’est agi de prendreposition contre le colonialisme et pourla liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, son soutien, d’abord indéfec-tible, puis distant, à l’URSS, l’a faitconsidérer comme suspect. À proposdu couple liberté/égalité, on disaitautrefois aux communistes : à l’Ouest,on a choisi la liberté, quitte à tolérerdes inégalités ; à l’Est, au nom de l’éga-lité, vous avez choisi la dictature ! LePCF y a apporté des réponses diverses,

PAR PIERRE CRÉPEL ETNICOLAS DUTENT*

out le monde se targue de« défendre la liberté ».Parodions qui vous savez :Un spectre hante le monde :le spectre de la liberté. Tousles hommes politiques du

monde se sont unis en une Sainte-Alliance pour l’exalter : le pape et letsar, Metternich et Guizot, les radicauxde France et les policiers d’Allemagne,Hugo et Napoléon III, Jaurès etClemenceau, Churchill et Staline,Marchais et Giscard, Allende etPinochet, Benoît XVI et Mgr Gaillot,Hollande et Sarkozy.

UN TERME AMBIGUIl existe une équivocité de la libertébien actuelle. Parmi une longue série,ce mot « piégé » est à la source deconflits et de confusions innombra-bles, tant ses emprunts sont biaisés oul’occasion de diverses manipulations,politiques comme sémantiques.Leibniz ne prévenait-il pas d’ailleurs,dans ses Nouveaux Essais sur l’enten-dement humain, que « le terme deliberté est fort ambigu. Il y a liberté dedroit, et liberté de fait ». Ce thème estun air lancinant de la bataille rhéto-rique et idéologique : on agite la libertécomme un étendard bien commode.Dans cette logique opportuniste, ondégaine ce refrain pour servir les inté-rêts particuliers du moment, au méprisde l’histoire, des polémiques et de lacomplexité inhérente à ce concept. Sibien qu’on y fait entrer tout et son

PRÉSENTATION

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plus ou moins nuancées, insistant sou-vent sur la différence entre les libertésdites « formelles » et les moyens del’exercer concrètement. Il a progressi-vement pris conscience, notammentdans les années 1970, de la nécessitéde brandir le drapeau de la liberté entoutes circonstances et de le chargerde connotations nouvelles. Où en est-on maintenant ?L’histoire nous a, au contraire, apprisqu’au-delà du capitalisme sauvage etdu stalinisme, de nombreuses voies sesont ouvertes et à de multiples reprises.Des luttes naissent ou rejaillissent. Ellesne s’opposent pas, pas plus qu’elles nese confondent. Ces mouvementsaujourd’hui s’entassent et répondentà plusieurs types d’exigences : démo-cratiques, civiques, égalitaires qu’on

aurait de la peine à hiérarchiser, tanttous s’imposent avec un caractère d’ur-gence, impérieux, qu’ils soient imbri-qués ou irréductibles entre eux. Car ladéfense des libertés est en prise à desvents mauvais en dépit de ses succèsfragiles, fluctuant selon la nature desrégimes politiques, l’évolution desmœurs et du droit, la géographie et lacapacité des aspirations sociales à sefaire entendre, ou pas.

Au-delà de la diversité de leurs pointsde vue, les hommes des Lumières(Montesquieu, Voltaire, Rousseau,Diderot et bien d’autres), ceux laRévolution française (Condorcet, Paine,Robespierre, etc.) ont eu des concep-tions larges et prometteuses de laliberté politique, bien que toujours« dans leur époque ». Progressivement,le courant « libéral » des années 1820(qui luttait certes contre la monarchiedécomplexée) s’est rabougri sur uneliberté des possédants, mais, au seinde la société, a monté une vision plusaudacieuse, plus ouverte, plus univer-

selle de la liberté. Comme le ditMaurice Lachâtre, dans son Nouveaudictionnaire universel, en 1873: « Lelibéralisme a fait place au républica-nisme ; ensuite le républicanisme a faitplace à la démocratie ». Il n’y a doncpas pour eux rupture mais continuité,entre la liberté et la république sociale.Le Grand Larousse du XIXe siècle (1872)n’opposait pas les différentes formesde la liberté : « Être libre, c’est êtreaffranchi de toutes les servitudes ; or,y a-t-il servitude pire que l’ignoranceet la misère ? [...] La vraie liberté, laliberté puissance n’est pas seulement,comme le prétend l’école libérale dulaisser-faire, le droit, mais bien le pou-voir de développer ses facultés sousl’empire de la justice et la sauvegardede la loi. Qu’est-ce qu’un droit abstraitsans les moyens de l’exercer ? À quoiservent aux aveugles les réverbères, etsuffit-il pour les paralytiques de décré-ter le droit de marcher ? » Marx a mon-tré, quant à lui, que le dépassementdes conceptions réductrices ou bor-nées de la liberté passait par l’annula-tion de toutes les formes d’aliénations,défi inextricablement pratique et théo-rique.

Comment Le marxisme Peut-iL aCtuaLiser La Liberté ?Il nous faut à présent trouver les moyenspar lesquelles concilier possibilité his-torique et nécessité historique.Autrement dit, répondre à la question :comment le marxisme peut-il actuali-ser la liberté sur le sol de détermina-tions héritées, ce nécessaire historiqueque les conservateurs nous présententcomme invariable ?Le capitalisme a pudonner l’illusion de défendre la liberté,Staline l’a d’ailleurs aidé à cacher sescrimes, en en perpétrant d’autres. Ilnous revient de substituer au « libre jeudes intérêts, des besoins et des pas-sions » supposant que « chacun vou-lant son bien particulier concourt parlà, sans le vouloir, au bien de tous »(Fable des Abeilles, Mandeville), uneconception de l’histoire dynamique, entrain de se faire, à la fois imprévisiblemais disponible à l’invention commele rappelait Isabelle Garo dans un essairécent. Souvenons-nous du Discours àla Jeunesseprononcé à Albi en 1903 parle journaliste et philosophe Jean Jaurès.

Dans un passage fameux, le puissanttribun scandait : « L’histoire humainen’est qu’un effort incessant d’invention,et la perpétuelle évolution est une per-pétuelle création »« Le monde libre » a manifesté sonimpuissance structurelle à offrir un ave-nir collectif acceptable pour tous. Il esttemps, en pensant avec – et parfoiscontre – tous les spectres qui nous habitent, et ce diffus composé par les troupes progressistes, de rallumerdans le ciel obscur les étoiles éteintes. La flamme de l’émancipation pourainsi se frayer un chemin, et, osons-le,constituer le nouvel « horizon indépas-sable » de notre temps ? Nombre dedétours seront nécessaires. Qu’est-cequi distingue la liberté de la démocra-tie ? Quels droits la majorité a-t-elle surles minorités ? Une révolution est-elleinfailliblement privative de libertés ?La liberté diffère-t-elle en fonction dusexe et du poids économique des pays ?Peut-on traiter la délinquance autre-ment que par la privation de liberté ?La liberté de consommer conduit-elleà la catastrophe écologique ? La révo-lution numérique, la redistribution desclasses sociales, les solidarités nou-velles et l’émergence « d’autres façons »de faire de la politique bouleversent-elles nos conceptions classiques de laliberté ? Une préservation de la libertéest-elle possible au sein d’un « tout »fortement déterminé par la vie et lesconditions matérielles, mais aussi, lesaffects ? Le libre arbitre est-il une illu-sion rétrospective ? Avec l’humilité quecommande une telle entreprise, ce dos-sier de LaRevue du projetesquisse desréponses à ces questions à la fois graveset brûlantes.

Pour y parvenir, Michel Vadée, dont laphilosophie est charnière dans le dia-logue contemporain entre marxismeet liberté, nous ouvre la voie. S’agissantde la liberté, il indique dans un pas-sage lumineux de Marx Penseur duPossible (L’Harmattan) qu’il : « s’agitd’une liberté concrète, d’une libertéréalisée dans l’action, par l’interven-tion pratique des hommes dans l’his-toire. Cette liberté est une finconsciente et conquise, non un attri-but, une propriété ou une “chose”, quiseraient déjà là chez l’homme au pointde départ. C’est une liberté à conqué-rir, plutôt qu’à reconnaître ou à retrou-ver. C’est un résultat, non un présup-posé ». Faisons de ces mots un fécondusage ! n

*Nicolas Dutent est coresponsablede la rubrique Mouvement réel.Pierre Crépel est responsable de larubrique Sciences. Ils sont lescoordonnateurs de ce dossier.

« la défense deslibertés est en priseà des vents mauvais

en dépit de sessuccès fragiles »

« il n’y a point de sentiment plus inséparable de notre être, que celui de la liberté. »Frédéric ii, Anti-Machiavel, 1740.

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un plaidoyer contre la peine de mortinfligée aux fugitifs : « Ce sont ceshommes plutôt enchaînés qu’enga-gés, qu’on punit de mort lorsqu’ilsveulent rompre des chaînes qui leurpèsent ». Les encyclopédistes plai-dent en général pour la liberté reli-gieuse, à l’exception du conservateurabbé Mallet, ce sont soit des chrétienséclairés comme le protestantJaucourt, ou J.J. Rousseau, soit desdéistes comme Voltaire, soit desathées comme Diderot ou d’Holbach.

Les encyclopédistes sont-ils libresde dire ce qu’ils veulent dans leurouvrage ?Pas du tout. On est en régime de cen-sure. Pour ses sept premiers tomes(1751-1757), l’Encyclopédie paraîtavec « approbation et privilège duroi ». Sa parution est d’abord inter-rompue après le tome II, suite à unecampagne jésuite, mais elle est sou-tenue, parfois de façon obstinée et ingénieuse, par de nombreux aris-tocrates et jusqu’à la Cour, parMalesherbes, voire Madame dePompadour. L’Église, cependant, lesparlements, le gouvernement la sur-veillent de près, et, suite à l’attentatde Damiens contre le roi (5 janvier1757) et aux nombreuses attaques deses adversaires jésuites, jansénisteset autres, la répression contre l’Ency -clopédie s’amplifie jusqu’à son inter-diction définitive en 1759. Pour lesdix derniers tomes, l’ouvrage seraimprimé clandestinement et diffuséen 1765 sous le régime de la « per-mission tacite ». Ainsi, dans tous lescas, les auteurs et éditeurs doivent-ils utiliser des ruses. N’oublions pasque Diderot a été enfermé au donjonde Vincennes en 1749 pour ses écritsdéclarés « contraires à la Religion, àl’État et aux bonnes mœurs ». Desarticles comme Dieu, Religion, etc.sont donc traditionnels et inoffen-sifs. Et c’est ailleurs, via les renvoisou dans des entrées apparemmentanodines, qu’il faut chercher les idéessubversives. Les doutes sur le cultede Marie sont exposés à l’article West-Morland (dans une notice consacréeà Mill, qui y est né), la critique dudogme de la survie post-mortem àl’article… Revenant !

on accuse souvent les hommes desLumières d’être déterministes et denier la liberté.Pour comprendre cela, il faut d’abordse souvenir que le christianisme sup-pose toujours une forme de libertéhumaine : en effet, si on ne supposepas une telle liberté, il ne peut y avoirni péché originel, ni donc rachatchristique, etc. Diderot, athée et maté-rialiste, conçoit pour sa part uneforme de déterminisme (bien que lemot n’existe pas encore), expriméedans des articles comme Involontaire,Volonté, Spontanéité, Fortuit, etc…Mais les encyclopédistes sont diverset un second article Fortuit, signécette fois par d’Alembert, tout enreconnaissant « les lois immuablesauxquelles tous les êtres sont sou-mis », soutient l’existence de la libertéfondée, il est vrai, sur le seul « senti-ment intérieur » que nous en avons.Le combat principal des Lumières estcelui de la raison contre les préjugés,pour le droit de penser par soi-même.

et les combats contre l’esclavage ?L’Église, complaisante avec les puis-sants, ne condamnait quasimentjamais l’esclavage, bien au contraire.Dans l’Encyclopédie, en revanche, onlit, sous la plume de Jaucourt, un desprincipaux rédacteurs de l’ouvrage,que « l’esclavage n’est pas seulementun état humiliant pour celui qui lesubit, mais pour l’humanité mêmequi est dégradée » (art. Esclavage) ;quant à Traite des Nègres, c’est un des

ENTRETIEN AVECMARIE LECA-TSIOMIS*

q uelles sont les aspirations dupeuple à la liberté au milieudu xviiie siècle ?

Les petits paysans, les ouvriers, les arti-sans sont sous le joug des seigneurs etde l’Église catholique. Même si cettedernière est divisée, par exemple entrejésuites et jansénistes, gallicans etultramontains papistes, elle est unie

pour contraindre les petites gens àobéir, à accepter leur sort, à admettrequ’ils sont dans le péché, etc.Rappelons-nous que tout ce qui faitpartie des contours actuels de la libertépolitique (suffrage universel, droit d’as-sociation, expression de partis poli-tiques, etc.) est alors totalement hors-épure. Outre les famines, le peuple esttoujours soumis aux corvées (journéesde travail obligatoire sans salaire), à laconscription forcée (tirage au sort deshommes qu’on envoie aux champs debataille), deux des servitudes les pluspesantes. Dans les régions de traditionprotestante, on voudrait pouvoir choi-sir sa religion, mais, depuis 1685(Révocation de l’Édit de Nantes), seulrègne le catholicisme, l’Édit de tolé-rance ne viendra qu’en 1787.

L’Encyclopédie rend-elle compte deces attentes ?En partie, car ce n’est pas le peuplequi y parle directement, bien sûr, maisdes élites éclairées, des magistrats,des nobles, des savants. La plupartdes encyclopédistes sont contre lescorvées imposées aux paysans, syno-nymes à leurs yeux de servitude etd’inefficacité. Quant aux « soldatsmalgré eux », l’article Transfuge est

La Liberté et L’ENCYCLOPÉDIE1789, an i de la liberté. de l’ancien régime, on retient souvent la censure, l’arbi-traire, les lettres de cachet, les corvées, le corsetage de la production et ducommerce, la monarchie absolue. alors qu’en était-il de la liberté ? Commentl’Encyclopédiediderot-d’alembert a-t-elle rendu compte de cet univers ?

« Lesencyclopédistes

plaident en généralpour la liberté

religieuse. »

« n’oublions pasque diderot a été

enfermé au donjonde vincennes en

1749 pour ses écritsdéclarés “contrairesà la religion, à l’État

et aux bonnesmœurs”. »

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*Marie-Leca-Tsiomis est professeurémérite de littérature française duXVIIIe siècle à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.

Propos recueillis par Pierre Crépel

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premiers textes français ouvertementabolitionnistes : « Que les colonieseuropéennes soient donc plutôtdétruites, que de faire tant de mal-heureux ! ». Certes, tous ne parta-geaient pas un tel point de vue, maisnombre d’articles de l’Encyclopédieont préparé l’abolition.

Comment les encyclopédistes sesituent-ils vis-à-vis de la libertépolitique ?Dans cette France de monarchieabsolue et de droit divin, les encyclo-pédistes sont partisans d’une monar-chie tempérée et, en ce sens, admi-rent le régime anglais ; nous sommesen 1750, pas en 1788 ou en 1791.L’Esprit des lois a été publié en 1749,sans nom d’auteur puis mis à l’index,mais les idées politiques de Montes -quieu sont omniprésentes dansl’Ency clopédie. Bien sûr, les Ency -clopédistes ne réclament pas la répu-

blique, mais ils rendent possibles desrevendications plus audacieuses. Parexemple, il y a dans l’Encyclopédieunenotion, tout à fait neuve pourl’époque, de la citoyenneté : « S’il y adivision dans la cité, [le citoyen]embrassera celui qui sera pour l’éga-lité des membres & la liberté de tous »écrit Diderot (art. Citoyen). Et, alorsque le roi Louis XV prétendait être le seul à représenter la nation,d’Holbach défend l’idée de la néces-saire représentation de la nation pardes citoyens choisis, permettant àchaque classe de la société – et nonplus aux seuls Clergé et Noblesse -d’avoir droit à la parole (art.Représentans). C’est une dynamiquesociale nouvelle qui apparaît.

et la liberté économique ?La plupart des encyclopédistes sontpour la liberté du commerce, notam-ment des grains (matière première

essentielle), soit totale, nationale etinternationale (Turgot, Quesnay), soitavec restrictions (Diderot). Ils ont rai-son, les initiatives étaient bloquées,les entraves à la liberté de productionsont manifestes, avec les corvées, lescorporations, les privilèges. Certains,comme Voltaire, savent gagner de l’ar-gent, mais ce ne sont pas des affai-ristes et il serait faux de réduire leursconceptions des libertés à celle desbourgeois, des banquiers, comme cesera le cas de Say, Constant, Guizot,etc., quatre-vingts ans plus tard. Larévolution industrielle n’est pas com-mencée en France. n

conçue comme « absence d’entraves »par rapport aux désirs personnels(sous-entendu des propriétaires) : lesautres, l’État, sont vus avant toutcomme des obstacles possibles à ma

liberté, dont il s’agit de se protéger.De l’autre côté, la « liberté desAnciens », c’est-à-dire des Grecs etdes Romains de l’Antiquité : selonConstant toujours, elle consistaitavant tout en la participation activeaux affaires de la cité (délibérationsen commun, exercice des chargespubliques, voix au chapitre dans lacondamnation des justiciés, etc.).C’est cette part prise à l’exercice de

la puissance souveraine, réalisableseulement, d’après lui, dans de petitescommunautés et sur des territoirespeu étendus, qui aurait amené lesAnciens à lui sacrifier leur indépen-

dance privée : ainsi Constant soulignecombien les lois antiques limitaientla liberté de mouvement individuelleet livraient en permanence la vie dechaque citoyen au jugement de sespairs, que la loi et les usages autori-saient à tout moment à prononcer unblâme public. Ce large renoncementà l’indépendance privée en échanged’une réelle part du pouvoir collectif,comme pacte passé entre l’individu

PAR STÉPHANIE ROZA*

L es débats politiques actuels surla notion de liberté s’enracinentpour l’essentiel dans des prises

de position qui remontent à laRévolution française et aux annéesqui ont suivi. C’est BenjaminConstant, un des pères fondateurs dupremier courant politique « libéral »,qui formalise les choses dans un dis-cours de 1819.

Liberté des modernes et des anCiensIl y aurait ainsi, selon lui, deuxconceptions possibles de la libertépolitique : d’un côté, la « liberté desModernes », propre aux membres desnations contemporaines de son dis-cours, étendues et fortement peupléespar rapport aux cités antiques. Cesindividus se consacrent avant tout àleurs affaires privées et attendentprioritairement de l’État qu’il garan-tisse leur sécurité dans ce genre d’en-treprise. La liberté moderne est donc

La Liberté des anCiens, La Liberté desmodernes et Le marxismeSous la restauration, face aux ultras et à Charles X, un courant « libéral » eutune forte influence. défense des libertés contre un pouvoir autoritaire ou/etrevendication des affairistes pour s’enrichir ? La question reste actuelle.

« La liberté ne réside pas dans lasatisfaction pulsionnelle et irréfléchie denos désirs, mais bien plutôt, dans notre

soumission volontaire à une loi que nousconsidérons juste et bonne. »

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à théoriser et politiser son concept deliberté, en mettant l’accent sur lesprocessus individuels et collectifs delibération, c’est-à-dire de victoires,fussent-elles toujours partielles et àprolonger sans trêve, contre l’ensem-ble des facteurs combinés d’exploi-tation et d’oppression caractéristiquesde la dictature du capital. Ses posi-tions sur la guerre d’indépendancedu FLN, Mai 1968, pour évoquer lesplus connues, l’usage de sa positionclé dans l’espace intellectuel pourmener sans relâche toutes les cam-pagnes de dénonciation nécessairescontre l’impérialisme, l’oppression,

la répression, ont révélé, par-delà lesméandres de ses relations avec lestrotskistes, le PCF sur la courtepériode 1952-1956, puis les jeunesmaoïstes autour de 1968, la continuitéd’un positionnement liant consciem-ment théorie et pratique politiquepour défendre la liberté des peuplesà s’autodéterminer, et celle des pro-létaires à se constituer en une forcecapable d’opposer sa propre perspec-tive de classe en matière de démocra-tie économique et politique – en par-ticulier contre les « élections piège àcons » dont il s’employait régulière-ment à briser les illusions.

PAR EMMANUEL BAROT*

L a philosophie de Sartre a tou-jours été centrée sur la questionde la liberté, y compris quand

c’était pour montrer qui peut lacontrecarrer, facteurs objectifs dedomination, de condition de classe,ou facteurs subjectifs, prégnance desidéologèmes formels de la républiquebourgeoise. Par-delà les éléments éli-tistes (à ses propres yeux d’ailleurs)de son œuvre d’avant-guerre jusqu’àL’Être et le néant, son passage progres-sif au marxisme après 1945 l’a amené

marxisme et Liberté : sartre et nous aujourd’huidans l’après-guerre, les débats entre Sartre et le parti communiste sur laquestion de la liberté furent âpres. un demi-siècle plus tard, la philosophie deSartre peut encore nous éclairer sur ce que veut dire faire usage de sa libertéen situation.

et le collectif, ne pourrait plus êtrecontracté par l’homme des grandesnations modernes. Dans sa critique,Constant vise, en fait, les révolution-naires de l’An II (Robespierre et lesJacobins), coupables selon lui d’avoirvoulu ressusciter artificiellement uneliberté définitivement obsolète, pro-voquant un déchaînement de vio-lence dans le corps social : la Terreur.Comme prise de position politique,

cette présentation de Robespierre estévidemment partiale. En fait, celui-ci pensait, après Rousseau, que laliberté ne réside pas dans la satisfac-tion pulsionnelle et irréfléchie de nosdésirs, mais bien plutôt, dans notresoumission volontaire à une loi quenous considérons juste et bonne. Ence sens, 1/ la frustration de certainsdésirs, loin d’être oppressive, est pro-ductrice de liberté, 2/ cette frustra-

tion nécessaire n’est légitime qu’àcondition d’être réciproque entre tousles membres du corps social. Parexemple, pour reprendre un débat del’époque révolutionnaire, le droit àl’existence de tous justifie qu’on limitesévèrement les appétits d’enrichisse-ment de certains, et, plus générale-ment, le droit à la propriété. Par ail-leurs, c’est vrai, les Jacobins étaientglobalement héritiers d’une concep-

tion aristotélicienne de la dignité del’homme passant par la participationau débat public et à la prise de déci-sions collective : l’homme est un « ani-mal politique ».

La Liberté et marxMarx se moque de cette liberté qui sedrape dans les oripeaux d’Aristote oude Cicéron, qui s’autoproclame àcoups de grandes déclarations et de

droits qu’elle décrète « naturels », sansparvenir vraiment à s’incarner dansla réalité des rapports sociaux. Sa cri-tique de fond est la suivante : tantqu’on n’abolit pas la propriété privéedes grands moyens de production (etmême si on la limite), l’homme conti-nue d’être avant tout un personnageprivé, préoccupé de ses intérêts per-sonnels comme opposés à ceux desautres : donc un personnageconforme à la description qu’en faitConstant. Il est illusoire de juxtapo-ser, à côté de ces préoccupations quile coupent des autres, et des droitsafférents, des préoccupations et desdroits civiques : en chacun, l’hommeprivé l’emportera toujours surl’homme public, le bien privé sur lebien public. La politique au sens étroitdu terme n’est donc pas émancipa-trice : au contraire, l’émancipationindividuelle et collective passe parl’abolition définitive du droit de pro-priété des grands moyens de produc-tion et le passage à une gestion col-lective des ressources matérielles denotre planète. n

« L’émancipation individuelle et collectivepasse par l’abolition définitive du droit de

propriété des grands moyens de productionet le passage à une gestion collective desressources matérielles de notre planète. »

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*Stéphanie Roza est docteure enphilosophie de l’université Paris-IPanthéon-Sorbone.

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Questions de méthode, une marge deliberté réelle au-delà de la productionde la vie, le marxisme aura vécu ; unephilosophie de la liberté prendra saplace. Mais nous n’avons aucunmoyen, aucun instrument intellec-tuel, aucune expérience qui nous per-mette de concevoir cette liberté nicette philosophie ».

Le mouvement réeL qui aboLit L’état aCtueL Refus de l’utopie, mais consciencedes fins que les exploités et opprimésdoivent poursuivre par-delà l’ordreétabli : preuve que Sartre avait plei-nement fait sienne l’idée maîtressede la dialectique matérialiste révolu-tionnaire, selon laquelle le commu-nisme, loin d’être une « Idée » ou un« idéal à réaliser », est avant tout, selonla formule de L’idéologie allemande,« le mouvement réel qui abolit l’étatactuel ». Cette tâche est confrontéeaujourd’hui à la nécessité de recons-truire les organisations d’un mouve-ment ouvrier en crise de longue date,et en l’occurrence, de s’adresser avecforce aux jeunes générations radica-lisées, qu’elles soient ouvrières ou dela jeunesse (lycéenne ou étudiante),qui, faute de perspectives program-matiques et stratégiques radicales,restent désemparées pour répondreaux agressions qu’elles subissent.Dans le contexte actuel d’une offen-sive totale de la bourgeoisie, serviepar un socialisme de pouvoir qui cri-

minalise les mouvements sociaux etles révoltes de la jeunesse – accumu-lant au passage mensonges et propa-gande pour expliquer que c’est de safaute si Rémi Fraisse a été tué par lagendarmerie – être sartrien, c’est rap-peler que pour combattre, il faut com-prendre les « situations », en mesurertoute la gravité, autant que pointer lafaiblesse des réponses apportées, enparticulier par les organisations réfor-mistes. Mais on ne peut être sartriensans aussi, à nos yeux, dépasser laprincipale limite de la figure de « l’in-tellectuel engagé » ou « compagnonde route » qu’il a incarnée. Contre« l’intellectuel organique » du prolé-tariat théorisé par Gramsci, ou l’in-tellectuel qu’on qualifiera de léniniste,organiquement lié à la classe maisexplicitement par la médiation duparti révolutionnaire, Sartre a presquetoujours cru qu’il lui fallait rester horsdes partis. Aujourd’hui, cette visiontrouve ses limites : toute pensée ettoute pratique de la liberté, pour êtrerévolutionnaires, doivent faire corpset s’organiser avec les agents actifs dela lutte des classes, avec ce « mouve-ment réel » qui, même s’il est encoresouterrain ou minoritaire, est juste-ment en train de gronder. n

La PersPeCtive d’unesoCiété sans CLasses et sans étatSes élaborations autour de la Critiquede la raison dialectique, sa défense dumarxisme comme la seule philoso-phie vivante, méritent aujourd’hui des’intégrer dans une vision stratégiqued’ensemble renouvelée. Le défi d’unetelle stratégie, c’est la capacité dedéployer dans les coordonnéescontemporaines la perspective d’unesociété sans classes et sans État, cecommunisme que Sartre appelait« fraternité », avec les moyens concretsde le conquérir. Revenant sur la sclé-rose stalinienne du marxisme, en 1957dans Questions de méthode, Sartrerappelait cependant que « cette sclé-rose ne correspond pas à un vieillis-sement normal », « produite par uneconjoncture mondiale d’un type par-ticulier ». Critiquer les déviationscontre-révolutionnaires du XXe sièclequi se sont produites au nom du com-munisme ne fut jamais pour Sartrel’occasion d’un reniement de cemarxisme dont il disait, dans cemême texte, qu’il est « loin d’êtreépuisé, presque en enfance », que« c’est à peine s’il a commencé de sedévelopper ». D’où son verdict sansappel : le marxisme « reste donc laphilosophie de notre temps : il estindépassable parce que les circons-tances qui l’ont engendré ne sont pasencore dépassées ». Son « existentia-lisme », fondé avant tout sur l’idéequ’aucune nature ni humaine, nisociale, ni divine ne peut être invo-quée pour justifier l’attentisme ou lerenoncement, que l’homme est pro-jet et toujours capable, même dansles fers, de refuser l’existant et derepousser les limites du possible, ilen a simultanément maintenu lanécessité, estimant qu’il avait orga-niquement sa place au sein dumarxisme. Tant que nous seronsdominés par le « règne de la néces-sité » (entretenu par la productionanarchique de la misère dans le capi-talisme), le marxisme est indépassa-ble, mais « Aussitôt qu’il existera pourtous, disait-il de nouveau dans

*Emmanuel Barot est philosophe. Ilest maître de conférences del’université de Toulouse- Jean-Jaurès.

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règne de liberté véritable est lui-mêmeréellement possible.Selon Marx, le développement desforces productives remplit cettedeuxième condition. Il est la conditionde possibilité de la liberté. Marx esti-mait que les conditions objectives etsubjectives de réalisation de la libertépour tous les hommes commençaientà être réunies. D’une part, les condi-tions objectives du fait de la premièrerévolution industrielle qui accroissaitla maîtrise de la nature d’une manièrespectaculaire ; d’autre part, les condi-tions subjectives du fait que la crois-sance rapide de la classe ouvrière et deson importance décisive dans le pro-cessus de production moderne, la coo-pération réunissant les ouvriers sala-riés en grand nombre sur les lieux deproduction, d’où leur force et la possi-bilité de leur action. Ces deux proces-sus s’engendrant l’un l’autre, Marx enconcluait que seules deux classes prin-cipales resteraient en présence. À la

suite des socialistes de son temps, ildénonça la division de la société enclasses opposées, en dominants etdominés, comme ce qui entrave l’ac-cès à la liberté pour la masse deshommes exploités.Nombreux sont ceux qui le constatè-rent : le mode de production capita-liste et la société civile modernen’avaient pas supprimé les inégalitéset les antagonismes de classes, malgréles idéaux proclamés et poursuivis parles Révolutions bourgeoises anglaise,américaine et française. Le nouveaurégime restait économiquement fondésur l’exploitation de l’homme parl’homme. Sous la forme nouvelle dusalariat ouvrier, il perpétuait les alié-nations, les oppressions de toute sorteet la répression politique. L’abolitiondu salariat, c’est-à-dire de l’achat et dela vente de la force de travail selon un

contrat soi-disant « libre » entre l’ou-vrier individuel et le capitaliste, étaitdonc le but de « la » révolution sociale.Dans les sociétés du XIXe siècle, laliberté « réelle » n’existait que pourcertaines classes et certains hommes.Pour l’ouvrier de cette époque bruta-lement mis au chômage sans aucunrecours, comme pour celui d’au-jourd’hui qui arrive « en fin de droits »,la « liberté » est dérisoire ; proclaméeen droit, elle est niée en fait. Pour quela liberté acquière quelque réalitépour eux, il est nécessaire d’utiliser àplein les forces productives existantes,ce qui n’est pas le cas avec les criseset dépréciations ou destructionspériodiques de biens ou de valeurs.Il est nécessaire de transformer lesrapports sociaux dominants, d’abo-lir le rapport social inégal entre lesdétenteurs du capital ou de la terre etles détenteurs de la force de travail. Ilfaut supprimer l’appropriation capi-taliste privée. Sans ce changementrévolutionnaire, le travailleur « libre »restera privé de liberté réelle, parceque privé des moyens matériels decette liberté. [...] L’abolition de l’asservissement écono-mique (exploitation de la force de tra-vail) ne peut se réaliser que par l’éman-cipation de la classe ouvrière qui est àla fois possible et nécessaire, ce quemontrent les luttes politiques duXIXe siècle en Europe.[...]

Le domaine de La néCessitéLes conditions de la réalisation de ceque Marx appelle le règne de la« liberté » sont décrites d’une manièrecondensée dans une page célèbre dutroisième livre du Capital, où domineson souci de fonder son propos sur unebase économique réaliste. Rapportonscette page pour l’analyser : « En fait, le royaume de la liberté com-mence seulement là où l’on cesse detravailler par nécessité et opportunitéimposée de l’extérieur ; il se situe donc,par nature, au-delà de la sphère de laproduction matérielle proprement dite.De même que le sauvage doit luttercontre la nature pour pourvoir à sesbesoins, se maintenir en vie et se repro-duire, l’homme civilisé est forcé, luiaussi, de le faire quels que soient lastructure de la société et le mode de laproduction. Avec son développement

L’ histoire est, au sens strict, leprocessus de création del’homme par lui-même. Engels

le fait bien ressortir [...] : « L’homme estle seul animal qui puisse sortir par letravail de l’état purement animal ; sonétat normal est celui qui correspond àla conscience et qu’il doit lui-mêmecréer. »

La Pensée de marx une Pensée de La LibertéNous avons vu Marx développer cetteidée, qui est fondamentale aussi pourlui. C’est en créant les conditions deleur existence, c’est-à-dire, avant tout,les moyens de production eux-mêmes,par leur activité productive ou travail,que les hommes « font » leur proprehistoire qui n’est autre chose qu’uneauto-transformation, et donc un auto-engendrement de l’homme.Pourtant, cela ne serait pas suffisantpour faire de la pensée de Marx : unepensée de la liberté. En effet, il faut

ajouter à l’idée d’une auto-création del’homme par le travail, l’idée d’une libé-ration des contraintes de la naturegrâce à cette activité elle-même. Si letravail, quels qu’en fussent les formeset les moyens, devait toujours absor-ber la majeure partie du temps pour laplupart des hommes sans aucune pos-sibilité de dépasser cet état de choses,la liberté resterait l’apanage du petitnombre, et le « règne de la liberté »serait utopique et illusoire. La libertécomme possibilité réelle pour tous leshommes implique quelque chose deplus que l’auto-création humaine, àsavoir un accroissement de la maîtrisede la nature tel que la diminutionconsécutive du travail « nécessaire »bouleverse le caractère et le contenudes activités humaines. C’est seule-ment si cette deuxième possibilité estune possibilité réelle que l’accès à un

Le règne de La Liberté*on a souvent accusé le marxisme d’être un déterminisme brutal, qui feraitdes idées, des actions, un simple reflet de la base économique et sociale,bref qui nierait la liberté de l’homme. voici, à l’encontre de ces affirmations,des extraits de Marx penseur du possible de michel vadée.

« il faut supprimer l’appropriationcapitaliste privée. Sans ce changement

révolutionnaire, le travailleur "libre" resteraprivé de liberté réelle, parce que privé des

moyens matériels de cette liberté. »

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*Extraits de Michel Vadée, Marxpenseur du possible, Paris,L’Harmattan, 1998, pp. 456-464,reproduits avec l’aimableautorisation de l’éditeur.

s’étend également le domaine de lanécessité naturelle, parce que lesbesoins s’élargissent ; mais en mêmetemps s’élargissent les forces produc-tives pour les satisfaire. En ce domaine,la seule liberté possible est quel’homme social, les producteurs asso-ciés règlent rationnellement leurséchanges avec la nature, qu’ils lacontrôlent ensemble au lieu d’êtredominés par sa puissance aveugle etqu’ils accomplissent ces échanges endépensant le minimum de forces etdans les conditions les plus dignes, lesplus conformes à leur nature humaine.Mais cette activité constituera toujoursle royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développementdes forces humaines comme fin en soi,le véritable royaume de la liberté quine peut s’épanouir qu’en se fondantsur l’autre royaume, sur l’autre base,celle de la nécessité. La condition essentielle de cet épa-nouissement est la réduction de la jour-née de travail. »

Ainsi, le possible par excellence, c’estcette liberté se développant dans uneforme de société où la production des-tinée à satisfaire les besoins nécessairesest socialement organisée, où laconcurrence et la volonté arbitraire desindividus ne font plus loi en ce quiconcerne ce domaine de la nécessité,mais où s’exercent « librement» les acti-vités « individuelles » en dehors dutemps de travail nécessaire. La libertédont il est question ici ne peut se rame-ner à « l’intellection de la nécessité », àla « nécessité comprise », et à la déter-mination du choix fondée sur la

connaissance « aussi bien des lois dela nature extérieure que de celles quirégissent l’existence physique et psy-chique de l’homme lui-même »,comme l’explique Engels quand il ditse placer dans le cadre de la concep-tion hégélienne « des rapports entrenécessité et liberté ».La manière dont Marx pose la libertédans la société communiste, en l’op-posant au « domaine de la nécessité »implique davantage : dans une sociétésans classes, la liberté se présente plu-tôt comme ouverture d’un champ depossibilités pour toutes sortes d’acti-vités inédites, affranchies de toutenécessité, que ce soit l’inévitable oul’indispensable. Toutefois, parvenir à cette forme desociété est impossible sans la connais-sance de la nécessité des lois naturellesimpliquées dans les techniques, et sanscelle de la nécessité des processussocio-économiques impliqués dans latransformation révolutionnaire de lasociété de classes actuelle en unesociété sans classes.C’est ici que se pose la question desavoir quel est le contenu de la libertépour Marx. Selon les textes, ce contenusemble entendu de deux manièresnotablement différentes : tantôt,comme dans la page du Capital citéeà l’instant, la liberté est la sphère des

activités individuelles laissées à l’arbi-traire et aux choix individuels au-delàdu travail nécessaire, tantôt Marx la faitconsister dans le travail lui-même, maisd’un travail tel que l’homme s’y réalisepleinement, ce qui suppose un dépas-sement – que l’on entend parfoiscomme une disparition totale – de ladivision du travail. C’est ce qui ressortd’une autre page célèbre, écrite en1845-1846, qui illustre concrètementce à quoi Marx peut penser aussi à lafin du Capital : « Dans la société communiste, où cha-cun n’a pas une sphère d’activité exclu-sive, mais peut se perfectionner dansla branche qui lui plaît, la société régle-mente la production générale, ce quicrée pour moi la possibilité de faireaujourd’hui telle chose, demain telleautre, de chasser le matin, de pêcherl’après-midi, de pratiquer l’élevage le

soir, de faire de la critique après le repas,selon mon bon plaisir, sans jamaisdevenir chasseur, pêcheur, berger oucritique. » [...]Ce qui est sûr, c’est que, lorsqu’il estquestion de liberté chez Marx, ce n’estpas d’une liberté absolue de vouloir,au sens du libre arbitre des métaphy-siciens ou de la raison des moralistesrigoristes, mais de celle de l’activitérationnelle délibérée que couronne leplaisir de l’acte au sens d’Aristote, voireau sens des matérialistes et des hédo-nistes. Marx rappelle que deux concep-tions philosophiques de la liberté s’af-frontent : « Jusqu’ici la liberté a étédéfinie par les philosophes sous undouble aspect : d’un côté par tous lesmatérialistes, comme puissance, com -me maîtrise des circonstances de la vied’un individu, d’autre part, par tous lesidéalistes, les Allemands en particulier,comme autodétermination, détache-ment du monde réel, comme libertépurement imaginaire de l’esprit. »Tout en adoptant la conception maté-rialiste, lorsqu’il décrit « le règne de laliberté », Marx semble dépasser cetteopposition, quoique la possibilité decette « liberté » repose sur la maîtrisedes « circonstances », celles de la pro-duction matérielle (rapport à la nature)et celle des rapports sociaux dans unesociété communiste. La liberté est tou-

jours liée à des moyens objectifs, sanslesquels elle n’est qu’illusoire. Elles’étend autant que ces moyens le per-mettent, sans s’identifier à eux. Leshommes sont libres à proportion desmoyens matériels dont ils disposent :« Il n’est pas possible de réaliser unelibération réelle, ailleurs que dans lemonde réel et autrement que par desmoyens réels ; [...] l’on ne peut abolirl’esclavage sans la machine à vapeuret la mule-jenny, ni abolir le servagesans améliorer l’agriculture.» n

il y a quelques mois, le 5 septem-bre 2014, disparaissait le philo-sophe michel vadée. Longtempsenseignant à l’université dePoitiers, michel vadée a été mem-bre du Centre de recherches et dedocumentation sur hegel et marxfondé par jacques d’hondt. il aécrit plusieurs ouvrages, parmi les-quels Marx, penseur du possible(1992). un livre important théori-quement parce qu’il restitue lacomplexité de la pensée marxiennede la liberté. un livre courageuxdans un contexte difficile où, aprèsl’effondrement des pays socialisteseuropéens, on faisait de marx unauteur dépassé, voire dangereux.La Revue du Projetsouhaite lui ren-dre hommage en en publiant unextrait.

« entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maîtreet le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »Lacordaire, 52e conférence de Notre-Dame, 1840.

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yeux ouverts. Il imagine en effet satrajectoire sociale sur le modèlebiblique d’une création ex nihilo, jail-lie de la volonté toute-puissante d’unDieu qui tire l’être du néant. Il est partide rien, dit-on communément, maisc’est parler pour ne rien dire car leself-made-manne surgit pas du néantpar je ne sais quel fait divin.Si la statue éponyme de BobbieCarlyle peut nourrir l’imaginaire en

représentant le self-made-mancomme un homme qui se sculpte lui-même, le marteau et le burin à lamain, elle révèle aussi que, contrai-rement aux apparences, le fils de sesœuvres ne se crée pas à partir de rien,il possède un socle sur lequel il s’ap-puie, une matière première qu’iltransforme, à savoir un précieux blocde pierre, sans lequel il ne peut façon-ner son corps. Ainsi, le prétendu self-

made-manne naît pas par générationspontanée, il est le fruit d’un désir,l’héritier d’une histoire familiale etsociale qui l’a précédé et il en porteles marques de fabrique malgré savolonté d’en effacer les traces. Naître,c’est toujours entrer dans une com-munauté et y prendre place à traversdes chemins singuliers que l’on sefraie avec ou malgré les autres, maisjamais sans eux.

Le fruit d’une iLLusionLa croyance en l’existence de self-made-men est le fruit de l’illusionrétrospective qui consiste à considé-rer une vie à la manière d’une œuvreachevée, en oubliant les échafaudagesqui ont permis de l’édifier et d’esca-lader échelon par échelon les plushauts sommets. Renforcée par le goûtdu merveilleux, le désir éperdu d’ad-mirer et le besoin de rêver pour fuirla réalité, cette croyance repose surune connaissance mutilée, parcequ’elle contemple un effet en igno-rant ses causes. La mise en scènefinale du parcours spectaculaireéclipse les conditions de possibilitéet les laisse en coulisses. En séparantl’effet de la cause, elle le fait apparaî-tre comme miraculeux ou comme

PAR CHANTAL JAQUET*

L a métaphore classique de l’as-cension sociale décrit le chan-gement de classe ou de situa-

tion des individus sous la forme d’uneélévation et d’une promotion de soitrouvant leur acmé dans la figure duself-made-man, fils de ses œuvres, quine doit sa fortune et sa réussite qu’àses propres mérites.

Ce n’est sans doute pas un hasard sile mythe du self-made-man apparaîtd’abord aux États-Unis avant derépandre dans tous les pays, au pointque le syntagme sera le plus souventrepris sans être traduit, car il va depair avec l’American Dream, cefameux rêve américain qui hantel’imaginaire et invite à croire que touthomme peut faire fortune grâce à sontravail et son courage, à l’instar de cespionniers immigrés, bâtisseurs d’em-pire à la force du poignet.Ce n’est pas non plus un hasard si l’onparle de rêve américain, puisque, sil’on en croit R. Wilkinson et K. Pickett,il est loin de se réaliser dans la réalitévu que les États-Unis sont le paysoccidental où en raison des inégali-tés la mobilité sociale est la plus fai-ble, tandis qu’elle est la plus forte auDanemark et dans les pays scandi-naves.

un songe CreuxL’idée d’un homme qui se serait faittout seul s’apparente de toute façonà un songe creux et sert bien souventd’alibi pour justifier l’immobilismedes sociétés, en le mettant au comptede la paresse, du manque d’initiativeet de détermination des individus,responsables en dernière instance deleur sort par leur absence de volontéde s’en sortir. Le self-made-man auto-proclamé est le prototype de l’hommequi se prend pour Dieu et qui rêve les

Le SELF-MADE-MANÀ L’éPreuvede La ComPLexionun individu est toujours un nœud de relations, son parcours n’est pas solitairemais solidaire d’une configuration sociale historique et géographique.

« Le prétendu self-made-men ne naît paspar génération spontanée, il est le fruit d’un

désir, l’héritier d’une histoire familiale etsociale qui l’a précédé. »

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« on a dit que la terreur était le ressort dugouvernement despotique. Le vôtreressemble-t-il donc au despotisme ? oui,comme le glaive qui brille dans les mainsdes héros de la liberté ressemble à celuidont les satellites de la tyrannie sont armés.que le despote gouverne par la terreur sessujets abrutis, il a raison comme despote :domptez par la terreur les ennemis de laliberté, et vous aurez raison commefondateurs de la république. Legouvernement de la révolution est ledespotisme de la liberté contre la tyrannie.La force n’est-elle faite que pour protéger lecrime, et n’est-ce pas pour frapper les têtesorgueilleuses que la foudre est destinée ? »robespierre, discours du 17 pluviôse an ii.

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surgi de lui-même. Ainsi la fascina-tion tient lieu de raison, la penséemagique de logique. Expliquer en effetque le self-made-man s’est fait de lui-même, c’est tomber dans un cerclevicieux en se donnant par avance celui-même dont il s’agit précisémentde comprendre la formation et laconstitution. Évoquer le génie, l’am-bition, la volonté, c’est toujours recou-rir à un deus ex machina, et s’appuyersur des principes incompréhensiblespour rendre un parcours compréhen-sible. Car d’où viennent le génie, l’am-bition et la volonté, évoqués commede mystérieux dons du ciel à l’appuides trajectoires sociales fulgurantes ?L’appel au génie, à l’ambition ou lavolonté comme autant de qualitésinnées n’est bien souvent que lemasque glorieux sous lequel se dissi-mule l’ignorance. Toute ambition,comme toute volonté, est ambition dequelque chose et présuppose donc cequelque chose à partir de quoi elle seconstitue : un objet à posséder, unmodèle à imiter, un idéal à réaliser. Ellen’est donc pas constituante, maisconstituée et ne saurait donc être invo-quée comme cause première explica-tive. Ainsi il est clair que le prétenduself-made-manne s’est pas fait de rienmais présuppose autre chose que lui-même, une série d’antécédents dontil procède : une misère première, l’as-piration à une vie meilleure, desmodèles alternatifs, des rencontresprofessionnelles, amicales et amou-

reuses qui lui font la courte échelle oubouleversent des trajectoires quiparaissaient jouées d’avance, pour nerien dire des institutions et des condi-tions politiques et économiques, pro-pices à la mobilité.

des ProduCtions Croiséesde L’histoire intime et deL’histoire CoLLeCtiveC’est pourquoi il s’agit de compren-dre les parcours singuliers, non pascomme des exceptions isolées maiscomme des productions croisées del’histoire intime et de l’histoire col-lective. Autrement dit, il s’agit de lesressaisir sous la forme d’une com-plexion, entendu comme un ensem-ble complexe de déterminations éco-nomiques, sociales, familiales etaffectives, qui se nouent dans un indi-vidu en relation avec un milieu donné.Forgée à partir du préfixe con- et dela racine plexus tirée du verbe plec-tere (nouer, tisser) la complexiondésigne l’assemblage des fils qui senouent et se dénouent pour consti-tuer le tissu d’une existence.Que les liens avec son milieu soientplus ou moins lâches ou resserrés, iln’empêche qu’un individu est tou-jours un nœud de relations et que sonparcours de transclasse n’est pas soli-taire mais solidaire d’une configura-tion sociale historique et géogra-phique. S’il s’en détache, il n’en romptjamais totalement les fils, aussi dissi-mulés soient-ils. Se faire, c’est tou-

jours se défaire d’un héritage donné,d’habitudes sédimentées, de repré-sentations ancrées et se refaire sousl’effet de ce que Spinoza appelle lesaffects, à savoir l’ensemble des modi-fications et des changements phy-siques et mentaux qui ont une inci-dence sur la puissance d’agir dechacun en l’augmentant ou en ladiminuant. En somme, une penséede la complexion récuse toute pos-ture héroïque en décentrant le self-made-man de lui-même pour resti-tuer le concours de causes intérieureset extérieures qui se combinent pourle produire en corps, comme tout unchacun, à la manière du cortège apol-linien :« Le cortège passait et j’y cherchaismon corps.Tous ceux qui survenaient et n’étaientpas moi-même,Amenaient un à un les morceaux demoi-même.On me bâtit peu à peu, comme onélève une tour,Les peuples s’entassaient et je parusmoi-mêmeQu’ont formé tous les corps et leschoses humaines.»Apollinaire, « Le cortège », Alcools n

*Chantal Jaquet est philosophe. Elleest professeure à l’université Paris-1Panthéon-Sorbonne.

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Révolution française, de la Commune,de la République. La réunion du dra-peau rouge et du drapeau tricolore vadonner ses couleurs originales à laRésistance antinazie.

Devenu en 1944/45 le premier parti deFrance, le PCF va promouvoir uneconception innovante des libertés poli-tiques en les conjuguant avec laconquête de solidarités sociales et dedroits nouveaux dans les entreprises.Il va, en même temps, continuer à seréférer au modèle soviétique qui fixeson identité, son projet et son mode defonctionnement. L’esquisse deréflexions nouvelles à la Libération

demeure sans lendemain. La guerrefroide va tout figer. Le PCF se ferme auxchangements de société qui s’accélè-rent. Certes, son influence se maintientélevée à travers l’engagement militant,les luttes sociales ou anticoloniales.Mais il va être pris au dépourvu par lerenouveau des aspirations libératricesdes années 60.

Le ChoC de 1968 d’autantPLus rudeDans la jeune génération étudiante,comme dans un monde du travail enpleine mutation, les débats d’idées sepassionnent sur le type de société àconstruire. Le PCF définit et soutientles « justes » revendications, contri-bue à nombre d’avancées sociales. Iltrace la voie du seul débouché poli-tique à ses yeux possible : la signatured’un programme commun de gou-vernement avec le PS. Son projet departi « communiste » est intemporel,déconnecté de la « perspective démo-cratique ». Il se résume dans l’énoncédes étapes et de leurs « lois », démo-cratie avancée, socialisme. Mais lemodèle soviétique est défiguré àPrague et va bientôt, se glacer puis sedécomposer. L’affrontement politiquesur la question des libertés devientcrucial, au cœur d’une intense batailled’idées que cristallise la publicationde L’Archipel du goulag.

Après la signature du programme com-mun, le PCF s’attend à un grand élanpopulaire. Surprise : c’est l’attentismequi prévaut. Le PCF stagne aux légis-latives de 1973. Georges Marchais pro-pose de faire sauter « les butoirs » etlance de grands débats politiques avecLe Défi démocratique, son livre-mani-feste. Cela ne va pas de soi. Nombre decommunistes considèrent encore lemodèle soviétique comme la carted’identité de l’avenir. La direction com-muniste décide de marquer les espritsen affirmant une conception novatrice :la « charte des libertés » en 1975. Le PCFse distancie – enfin ! – des atteintes per-sistantes aux libertés en URSS et

condamne de façon claire et nette lestalinisme. En 1976, à la veille du XXIIe

congrès, Georges Marchais crée le chocqu’il recherche. Il annonce en direct aujournal télévisé l’abandon de la notionde « dictature du prolétariat ». À relireles textes d’alors, leur souffle nous par-vient encore. La vision proposée meten relation les grands acquis des droitset libertés existants et les nouvellesconquêtes qu’appelle le combat contrel’exploitation et la domination.

L’opposition stérile entre démocratie« formelle » et démocratie « réelle » sem-ble bien dépassée. Le PCF se veut à l’of-fensive et ses initiatives sont perçuescomme telles. Déception : leurs effetspolitiques sont demeurés très limités.En une période de bouleversementshistoriques majeurs, il serait bien sim-pliste d’opposer les novations desannées 70 et les crispations des années80 sur la pente du déclin. Il va falloirencore près de 20 ans, de 1979 à 1994,pour abandonner, une à une, les pierresangulaires du modèle « marxiste-léni-niste » : socialisme scientifique, rôled’avant-garde de la classe ouvrière, cen-tralisme démocratique. Il ne suffit pasde se dégager d’un système doctrinairepour disposer d’une visée révolution-naire ancrée dans la créativité démo-cratique du peuple… Le chantier estencore devant nous !

FRANCETTE LAZARD*

C’ est toute une histoire !L’histoire d’une ambitionpour la libération humaine

qui, à travers le temps, motive etmobilise l’engagement communiste.L’histoire des structures qui la porte,de leurs contradictions et de leurserrements, de leurs conquêtes, deleurs effets dans la vie des individuset des peuples.

Le milieu des années 70 est un bonobservatoire de cette histoire. Après1968, deux ondes de choc vont cumu-ler leurs effets. En mai/juin 68 à Paris,l’espérance d’une société émancipéese manifeste avec une force inatten-due dans la diversité de ses expressions.En août à Prague, les tanks soviétiquesbrisent l’espoir d’un « socialisme àvisage humain ». Le PCF condamneMoscou et prend conscience de l’im-pératif d’une réflexion nouvelle sur laquestion des libertés.Son système de référence est ébranlé.Ni le modèle fondateur de la IIIeInternationale ni l’évocation du « Frontpopulaire » ne vont lui donner les clésde la période qui s’ouvre.

1920, 1936Le retour sur ces deux moments essen-tiels du parcours du PCF permet desaisir la complexité de son rapport àla question des libertés. Son éland’adhésion à l’Internationale propo-sée par Lénine trouve sa « force pro-pulsive » dans la révolution d’Octobre.Tous les partis communistes vontensuite devoir se structurer dans lemoule unique des « principes du léni-nisme » codifiés dès 1924 par Staline.L’efficacité révolutionnaire prime, lesdroits et libertés devront s’y subordon-ner. Tragédie de l’histoire… Le jeunePCF va rapidement subir les effets dela dérive stalinienne. Ce sera l’autori-tarisme, l’esprit de secte, la stratégie «classe contre classe » qui va renvoyerdos à dos le fascisme et la social-démo-cratie. Après la dramatique arrivée deHitler en 1933, l’Internationale com-muniste va chercher une stratégie d’al-liances antifascistes. La toute jeunedirection du PCF, avec Maurice Thorez,va y contribuer avec audace et créati-vité. Sa conception du « Front popu-laire » plonge ses racines dans le richeterreau national des Lumières, de la

La Liberté dans L’histoire du PCfdeux anciens dirigeants communistes proposent leur vision des rapports his-toriques entre pCF et liberté.

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« À l’évidence vient le temps de laconquête de libertés et de pouvoirs inédits

dans toutes les sphères de l’activitéhumaine. »

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hors des Chemins baLisésDans ces décennies de turbulenceset d’échecs, le PCF réussit à éviter unpiège fatal à tant d’autres forces révo-lutionnaires : le repli de secte ou lerenoncement social-démocrate. Ilperçoit les nouveaux défis del’époque sans cesser de contester laprétention hégémonique du capita-lisme. Il tente, en tâtonnant, à basbruit, de poursuivre la recherched’une alternative. L’enjeu est existen-tiel. La question des libertés se posedésormais comme jamais. Les civili-sations ont basculé dans l’ère de

HENRI MALBERG*

h istoriquement, le commu-nisme semble avoir un pro-blème avec les libertés, la

démocratie, les droits de l’homme.en convenez-vous ? et comment l’ex-pliquez-vous ?Oui, j’en conviens. L’histoire est pleinede contradictions. Nous aussi. Il y adans ces reproches une part de pro-cès d’intention. C’est injuste et celarelève d’une guerre idéologiqueobsessionnelle. Mais il y a aussi dansce questionnement une part légitimequi correspond à une contradictionde l’histoire au XXe siècle. Et elle neconcerne pas uniquement les com-munistes.

C’est-à-dire ?Nous combattions pour les libertéset un socialisme démocratique etavions du mal à répondre à la ques-tion « Pourquoi pas en Russie et àl’Est ? » Nous le pensions aussi, etl’avons parfois dit. Notre espoir étaitque ces sociétés débouchent sur unsocialisme démocratique. Cela n’a pasété le cas. C’est malheureux pourl’avenir du monde.Mais qui peut nier que le commu-nisme a été tout au long du XXe siècleun formidable levier des peuples dansleur lutte pour la liberté ?Il suffit de citer l’antifascisme, lesluttes de libération nationale et engénéral les luttes progressistes dansle monde. Sans l’apport direct desidées communistes, sans la révolu-tion d’Octobre, sans la puissance del’Union soviétique, qu’on l’aime ounon, et sans le militantisme de mil-lions de personnes encouragées parle communisme, rien de ce qui abougé dans le monde n’aurait été pos-sible. Pour les dirigeants des pays

capitalistes dominants, c’était clair.L’ennemi était là. Pour la France, ceque je dis est indiscutable. Le Particommuniste, en rapport avec ce qu’ily a de meilleur dans la traditionouvrière et socialiste – je n’oublie pasJaurès –, a tenu un très grand rôle danstoutes les luttes pour la liberté. Unrôle souvent moteur. Je pense à 1934,au Front populaire, à la Résistance, àla solidarité avec les peuples colo-niaux. Et souvent au prix du sang desmilitants, de la guerre d’Espagne à laRésistance et au massacre deCharonne. À Charonne, où je me trou-vais en février 1962 lors du martyredes personnes assassinées par lapolice de Papon, le sort de la guerred’Algérie a été scellé. Charonne futpour le général de Gaulle le signal qu’ilfallait arrêter la guerre, signer avec le

FLN et affronter définitivement lesultras d’Alger. J’ai le souvenir brûlantde cette manif, de l’entrée du métroet de mes sept camarades assassinéspar la police, tous membres de la CGTet presque tous militants du Particommuniste.Si je regarde ma vie, de dix-sept ans àplus de trente, une bonne partie demon activité militante a été consacréeà soutenir les combats des peuplesvietnamiens et algériens. Et me revien-nent des noms qui résonnent, commeNelson Mandela, les Rosenberg exé-

cutés sur une chaise électrique auxÉtats-Unis, Angela Davis… mais aussiSacco et Vanzetti, Gabriel Péri, HenriAlleg, Maurice Audin, Henri Martin,Georges Séguy et Henri Krasucki, quim’a honoré de son amitié, jeunesrésistants à seize ans, déportés, diri-geants du Parti communiste et de laCGT. Et les milliers de militantes etmilitants dont les noms figurent surles plaques des rues dans les villes deFrance. Et les femmes héroïques,comme Marie-Claude Vaillant-Coutu -rier, Danielle Casanova, Olga Bancic,décapitée à Hambourg par les nazis.Et tant d’autres. […] Quelles vies,quels destins ! Des générations de jeunes sontvenues au communisme dans cesluttes pour la liberté. On peut ajouter les rudes combats

quo ti diens dans les entreprises, lesgrèves étouffées, les militants syndi-caux sanctionnés. Et les manifesta-tions, les tracts, les affiches. Chaquefois qu’un risque pour la liberté s’estprésenté pour le pays, pour le mondedu travail, pour les libertés intellec-tuelles, le Parti communiste arépondu présent. Est-ce que cela aété linéaire, sans contradiction ? Non,j’y viendrai. […]Des événements fondateurs de la pen-sée communiste sur les libertés et ladémocratie se sont produits au sortir

toutes les fragilités. L’humanité risqued’y sombrer si de nouvelles frontièresd’émancipation ne parviennent pasà s’ouvrir. Aucun groupe humain,aucun cercle d’experts, aucun partini aucun prophète n’ont les clés del’avenir. L’idée qu’il faut, dans l’ur-gence de la conjoncture politique,construire de nouveaux rapports deshommes entre eux et avec la naturecommence à prendre vie partout.Nous le savons, aucun grand mou-vement historique n’a jamais été pré-conçu. Des pratiques politiques etsociales sont à inventer, s’inventent.

À l’évidence vient le temps de laconquête de libertés et de pouvoirsinédits dans toutes les sphères de l’ac-tivité humaine. La politique saura-t-elle se ressourcer en contribuant àfaçonner les nouveaux leviers del’émancipation humaine ? Belle rai-son de s’y engager ! n

« Le parti communiste, en rapport avec cequ’il y a de meilleur dans la tradition ouvrièreet socialiste – je n’oublie pas jaurès –, a tenu

un très grand rôle dans toutes les luttespour la liberté. un rôle souvent moteur. »

*Francette Lazard a été membre du Comité central, à partir de 1969, puis du Bureau politique du PCFjusqu’en 1997.

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de la guerre froide dans les années 1960et 1970. […] Ce furent les événementsde Mai-Juin 1968 en France et les aspi-rations qu’ils traduisaient chez les étu-diants et au sein de la classe ouvrière.Vint ensuite l’écrasement par l’Unionsoviétique du Printemps de Prague enTchécoslovaquie en août de la mêmeannée. Le Parti communiste françaisentreprit dès lors un profond mouve-ment de remise à jour théorique. Cefut une bouffée de créativité. Ainsi, leManifeste de Champigny de 1968confirma le tournant idéologique duParti communiste. En 1973 parut unlivre de Georges Marchais, Le Défidémocratique. En 1976, le XXIIe congrèsdu Parti communiste se tint sous letitre « Pour un socialisme aux couleursde la France », et un petit livre excep-tionnel fut publié, Vivre libres, qui anti-cipait de plus de vingt ans les positions

progressistes de la gauche en France.Par exemple, la revendication de l’abo-lition de la peine de mort y figurait bienavant son abolition par Mitterrand etBadinter. […]Avec un minimum d’ob-jectivité politique, il convient de noterque ces vingt années ont défriché unnouveau projet communiste pour lagauche et la France. Je me rappelle enfévrier 1966 une une de l’Humanité.Elle publiait un texte de Louis Aragonqui fit événement. Il déclarait : « Je nepuis imaginer qu’un communisteconsidère avec indifférence le verdict

rendu à Moscou dans l’affaire Siniavskiet Daniel. » […] Lorsque je balaie ainsil’histoire et le mouvement des idées,je me dis qu’une terrible injusticefrappe les communistes. Est-ce que cemouvement est linéaire, sans hésita-tion, débats internes ou errementsdivers ? Bien sûr que non. Nous avonstâtonné, parfois renoncé, puis noussommes repartis. […] Aucun parti poli-tique, à gauche, n’a autant poussé laréflexion historique critique sur l’his-toire, son histoire, et sur l’avenir, quele Parti communiste. J’accepte ce débatavec des camarades socialistes commeavec des personnes de droite. Chiche.

mais si votre regard sur l’histoire estexact, pourquoi ce doute sur le rap-port du Parti communiste avec laliberté  ? Pourquoi cette méfiancequi vous poursuit ?D’abord, réponse facile, on ne nousfait pas de cadeau, et peu de regardsobjectifs sont portés sur nous. […]Mais ma réponse est insuffisante. Lerapport des communistes à la liberté,à la démocratie et aux droits del’Homme a été traversé pendant desdizaines d’années par la contradic-tion entre notre combat déterminépour la liberté dans le monde capita-liste et ce qui se passait à Moscou eten Europe de l’Est. […]

Le monde impérialiste, oppresseur etagressif, se prévalait de défendre leslibertés, d’être « le monde libre ». Enface, le monde socialiste, historique-ment porteur de libération humaine,ne parvenait pas à relever le défi d’unsocialisme démocratique. Nous tentions de résoudre cettecontradiction en distinguant entre leslibertés formelles de la démocratiesous le capitalisme et les libertésréelles économiques et sociales sousle socialisme. Cela nous a fait perdrede vue que les libertés dites « for-melles » et les libertés dites « réelles »,libertés économiques et sociales, for-ment la même question. En vérité,cette séparation était artificielle etsans portée réelle. […]L’histoire a tranché. Il n’y a pas desociété nouvelle sans avancée de laliberté et de la démocratie. D’ailleurs,la conquête de nouvelles libertés etd’une démocratie plus réelle est aucœur de la construction d’une nou-velle société. […] Les communistescomprennent cela et savent égalementcombien les libertés, la démocratie, lesdroits de la personne, le pluralisme,l’indépendance des médias, la libertéde la presse, le droit à l’information età la culture, les droits des travailleursdans les entreprises sont un combatvital et un objectif pour l’épanouisse-ment humain. Il n’y a pas d’exceptionpossible qui tienne durablement aunom d’un avenir heureux qui, de fait,ne vient jamais. La force d’une sociéténouvelle tient, dans la durée, à une viepolitique libre, aux débats contradic-toires, à la recherche de l’interventionpermanente des citoyens dans la villeet des travailleurs dans les entreprises.Il reste beaucoup à faire et à inventer.C’est le sens du combat pour une VIe

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« il n’y a pas desociété nouvelle

sans avancée de laliberté et de ladémocratie. »

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« un simulacre de liberté fait endurerpluspatiemment la servitude. »jean-jacques rousseau,Lettres écrites de lamontagne, 1763-1764.

• Charles Rappoport, « Le socialisme et la liberté »,La brochure populaire, septembre 1934

• Charles Rappoport, Liberté capitaliste et libertéouvrière, La brochure populaire, octobre 1934.

• René Maublanc, Le marxisme et la liberté, Paris,Éditions sociales, 1945.

• Vivre libres ! Projet de déclaration des libertéssoumis à la discussion des Français, L ’Humanité,1975.

• Georges Marchais, Le défi démocratique, Grasset,1973.

• Pierre Juquin, Liberté, Grasset, 1975.• Georges Marchais, Le parti de la liberté pour les

femmes, PCF, 1975 (Discours à l’occasion del’année internationale des femmes).

• Étienne Fajon, Les communistes et la liberté, PCF,1976.

• Georges Marchais, La liberté guide nos pas, PCF,1977.

• André Lajoinie, Liberté, justice, paix, Conférencenationale, 1987.

• Déclaration des libertés, Paris, PCF, 1987.

*Henri Malberg a été membre duComité central à partir de 1972 etsecrétaire de la fédération de Parisjusqu’en 1995.

Le pCF et LeS LibertÉS À traverS queLqueS pubLiCationS

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tion papale qui va à l’encontre de cequ’on pense ? Vivre en société, c’est for-cément perdre un peu de ta liberté, maisil est illusoire de croire qu’on serait libreen dehors ! L’engagement personnelrejoint l’engagement collectif. Tu nepeux pas être libre, si les personnes àcôté de toi ne le sont pas. Dans l’enga-gement, il y a un choix, un pari : c’est lamanière concrète d’exprimer sa liberté.L’engagement suppose une attituded’humilité, celle de reconnaître qu’il ya d’autres projets pour l’humanité quele sien. Le MRJC est sensible au« doute », on n’est pas le seul à détenirla vérité, il faut savoir gérer les désac-cords et les divergences, savoir donnerle temps à la discussion, sans passertout de suite par un vote. Il s’agit de fairele meilleur choix, en fonction des infor-mations que tu as, et ainsi de ne pas leregretter. L’éducation populaire est fon-damentale pour cela et elle invite for-tement à une action collective, à du par-tage. Plus on en sait, plus on est libre.Le mandat, délégué par le collectif à desindividus, à condition que la déléga-tion soit contrôlée, concilie la liberté etle collectif.

Peut-on, doit-on associer liberté etreligion ?��n.C. : À la JOC, il y a des jeunes qui arri-vent avec des niveaux de croyance trèsdifférents, certains sont athées, d’au-tres envisagent d’entrer dans les ordres,on a tous les intermédiaires, il faut doncaccueillir tous les jeunes avec leurscroyances, la liberté religieuse est doncnécessaire à la base. La religion catho-lique laisse place à l’interprétation desÉcritures, au questionnement, celles-ci ne sont pas prises comme telles, à lalettre. Là encore, à la JOC, la religionsert de levier pour être encore plus libre,les textes d’Évangiles sont interrogés

pour faire écho à nos vies, et libre à cha-cun, d’y entendre et d’y voir ce qu’ilveut. Après l’accueil de la vie de cha-cun (le « voir »), le « juger » doit nouspermettre de prendre de la hauteur, durecul par rapport aux événements oupartages. Ensuite, nous sommes invi-tés à agir, non pas aveuglément, maisen connaissance de cause, selon nospropres choix. Cependant, certainespratiques religieuses peuvent profiterde la faiblesse des personnes pour lesendoctriner et, dans ce cas, les priverde leur liberté de choix, c’est le cas desévangélistes.b.g. : Le lien entre liberté et religion s’ap-pelle la laïcité. Il ne doit pas y avoir deloi catholique avant celle de la sociétédémocratiquement établie, pas de cha-ria. Séparer le temporel du spirituel etlaisser la liberté de conscience. Le pro-blème délicat, c’est de bien délimiterl’expression dans la sphère publique.Les dérives actuelles de certains mou-vements politiques, qui se servent desreligions, provoquent une renaissancepassagère de l’anticléricalisme. Il s’agitdes deux côtés, dans une société glo-balement de défiance, de diviser pourmieux régner par un renfermementsécurisant sur des gens « purs ».Pourtant, les questions de classe tra-versent toutes les religions, comme ellestraversent l’école, la prison, etc. La reli-gion porte en elle les valeurs d’éman-cipation et d’aliénation, comme le reste,comme la vie politique ou économique.S’agit-il de te rendre libre ou de te met-tre un chef qui pense à ta place ? Lathéologie de la libération montre qu’onpeut changer les rapports entre êtreshumains, aussi avec la Bible, et de façoncollective. Il y a donc plusieurs inter-prétations d’un même écrit. Il ne fauttomber ni dans le relativisme pur, nidans la certitude qu’on a la vérité. Onessaie de se rapprocher le plus possi-ble de la vérité, c’est une conviction,non une certitude. Les religions peu-vent aider à dire le sens. Il y a le besoinde croire et le besoin de répondre à laquestion : pourquoi je suis là et quelsens cela a-t-il ? n

ENTRETIEN AVEC NADÈGE CRESSON ETBRIEUC GUINARD*

Les jeunes ont-ils une liberté dechoix ?�b.g. : Oui et non, il ne doit pas s’agir seu-lement de choisir ses chefs et seschaînes. Il n’y a pas de liberté absolue,la question doit être posée concrète-ment.n.C.  : Il nous faut faire prendreconscience aux jeunes des possibilités,c’est la pratique de la JOC et de ce quenous appelons la « révision de vie » :montrer qu’on peut agir sur le monde,dans nos différents lieux de vie, lafamille, les amis, le quartier, l’école, leboulot… Parce que pour choisir, il fautconnaître, comprendre. Si on ne prendpas du recul, on aura tendance à bais-ser les bras, à se dire que c’est cuit. Laliberté de choix est liée à la possibilitéd’agir. Donc choisir c’est s’engager, c’estaussi renoncer à quelque chose d’au-tre. Selon d’où l’on vient, nous n’avonspas la même liberté, en réalité ou dansnotre esprit, certaines portes ou choixsont ou nous semblent fermés. La révi-sion de vie va ouvrir le choix des possi-bles, nous questionner, sur des chosesnon envisagées. Par l’interaction avecles copains, nous allons être question-nés, encouragés, conseillés. Là existeune vraie liberté de choix (d’orienta-tion, d’engagement, de métier, de vie…)

Liberté et engagement sont-ils com-patibles, contradictoires ?��n.C. : Les deux. Pour exercer sa libertéd’agir, de penser, il faut bien trouver unlieu, et l’engagement est ce lieu, onn’exerce pas notre liberté, la majoritédu temps, seul. Cependant, des enga-gements (politiques, associatifs, syndi-caux) peuvent nous conduire à une cer-taine rigidité, nous enfermer dans unemanière de penser, ou d’agir, par lespratiques accumulées au fil du temps.D’où l’importance de la relecture de sesengagements, d’avoir un lieu et unmoment pour en parler, se faire inter-peller, là encore, la révision de vie, quece soit à la JOC ou en Action catholiqueouvrière (ACO), nous y aide par ses pra-tiques et son respect des convictionsde chacun.b.g. : La question se pose pour tous. Parexemple, avec le baptême : si on estbaptisé, que faire face à une déclara-

Liberté, engagement et foiL’expression de la liberté, l’engagement qui permet de s’épanouir passent pardes voies diverses. nous en avons discuté avec deux jeunes engagés à lajeunesse ouvrière chrétienne (joC) et au mouvement rural de jeunessechrétienne (mrjC).

« dansl’engagement, il y aun choix, un pari :c’est la manière

concrèted’exprimer sa

liberté. »

*Nadège Cresson est ancienneresponsable de la JOC.Brieuc Guinard est membre duconseil d’administration national duMRJC.

Propos recueillis par Pierre Crépel

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seconde guerre mondiale que cestransferts État-industrie ont explosé :les « libéraux » ont un double langageincohérent, ils demandent « moinsd’État » (pour les pauvres) et exigentdes subventions d’État pour eux, mul-tipliant les organismes de contrainte(UE, FMI, OMC, etc.). Ils sont milita-ristes, alors que ceux du XIXe siècle vic-torien étaient en général pacifistes. Enraison des dépenses militaires et de larecherche publique, les pays capita-listes occidentaux ne sauraient réduirel’État au « minimum », contrairementà leur propagande.��

on parle beaucoup de friedrich vonhayek (1899-1992) et de miltonfriedman (1912-2006)...j.P.P. : Hayek est « libéral » en écono-mie, mais non en politique ; il a cau-tionné des régimes autoritaires, dumoment que ceux-ci soutenaient laliberté économique telle qu’il l’enten-dait. Son système idéal, alternatif à ladémocratie, est la « démarchie », avecdes grands électeurs, les partis poli-

tiques n’étant pas autorisés pour toutesles instances politiques. Mais il est vraiqu’il a une certaine réflexion sur laliberté, purement « individuelle » etnon collective chez lui. MargaretThatcher et Pinochet se disaient « libé-raux », d’autres aussi, au milieu du XXe

siècle en Europe continentale, qui ontaccepté des régimes sans liberté poli-tique.r.h. : Les capitalistes associent, quandça les arrange, libertés économique etpolitique, mais, la plupart du temps,c’est l’inverse : la pensée dite libérale– contractualistes et utilitaristes – surles questions de justice montre uneévolution vers la séparation entresphères économique, politique etsociale. Comme la démocratie poli-tique pose de sérieux problèmes d’in-compatibilité avec le système capita-liste, cette tension est en général

esquivée ou contournée. L’égalité réelleest abandonnée au profit d’une vagueégalité des chances ; l’opposition effi-cacité/équité devient le point centralde l’analyse « libérale » ; chaque indi-vidu se comporte comme un homoœconomicus et juge les inégalités dupoint de vue de sa situation sociale.j.P.P. : Hayek s’adressait aux intellec-tuels, pas au peuple ; il y avait un sou-bassement philosophique à ses théo-ries. Friedman, lui, passait à latélévision, visait les masses populaires,conseillait les gouvernements. Sur le plan économique, il y a des conver-gences et des divergences. Conver gence sur l’impôt négatif, poursupprimer les aides, contre « l’État-Providence », c’est-à-dire l’État social.Il y a des différences entre eux notam-ment sur la monnaie : Friedman veutsupprimer les banques centrales et lesremplacer par des petits comités avecrégulation bancaire ; Hayek plaidepour des monnaies privées en concur-rence, pour la « dénationalisation dela monnaie ». D’ailleurs, ils se détes-taient : à Chicago, ils n’ont jamais étédans le même département de l’uni-versité, certes, ils se retrouvaient à laSociété du Mont Pèlerin.

on nous dit que john rawls (1921-2002), philosophe américain, dans saThéorie de la Justice, aurait réussi àréconcilier liberté et égalité.r.h. : Rawls pense qu’il y a consensussur la primauté de la liberté politique.Mais, en particulier dans son dernierouvrage, il reconnaît que le capitalismeautorise des inégalités très importantesen matière de propriété réelle (celledes moyens de production et des res-sources naturelles), si bien que lecontrôle de l’économie et de l’essen-tiel de la vie politique reste entrequelques mains. La liberté politiqueest donc impossible sans une réduc-tion des inégalités. Cependant, l’interprétation de cesprincipes diffère suivant les commen-tateurs. Certains les voient coïncideravec le capitalisme de « l’État-provi-dence », tandis que, pour d’autres, ilss’accordent avec le capitalisme du« laissez-faire ». Les différences por-tent sur son « principe de différence » :les inégalités économiques et socialesne sont acceptables que si elles amé-

ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE POTIERET RIMA HAWI*

que signifie donc « libéral » et « libé-ralisme » en économie selon les pays,les traditions ?j.P.P. :On peut distinguer une dizainede « libéralismes » différents, dont lesrelations à la liberté, au sens usuel dumot, sont parfois à l’opposé les unesdes autres. Pour Jean-Baptiste Say,sorte de libéral pur à son époque (ilmeurt en 1832), la question socialen’existe pas. Au contraire, pour son dis-ciple, Adolphe Blanqui (le frère durévolutionnaire Auguste, aux idées trèsdifférentes), il faut la prendre encompte, ce qui ne l’empêche pas d’êtretrès anti-étatique, de condamner« l’État-ulcère » : c’est un libéral plus« social ». Dans le dernier quart du XIXe

siècle et avant 1914, des Britanniquescomme Alfred Marshall ou LéonardHobhouse se sont réclamés d’un« nouveau libéralisme » : pour eux, lapropriété ne doit pas être sacralisée ;

celui qui réussit est aussi redevable àla société, donc on ne doit pas pro-mouvoir la loi de la jungle ; mais ilssont anti-égalitaristes, pour la libertéd’entreprendre, contre le socialisme.Sur la fiscalité, Adam Smith et Jean-Baptiste Say se prononçaient tous deuxpour un impôt progressif sur le revenu.Les ultra-libéraux d’aujourd’hui neveulent pas le croire et préconisentl’impôt proportionnel et non progres-sif. La plupart des libéraux, au XVIIIe

siècle et dans la première moitié duXIXe, étaient hostiles aux impôts indi-rects, ou au moins réservés, parce queceux-ci sont anti-redistributifs ;aujourd’hui, leurs soi-disant disciplesaugmentent la part des impôts indi-rects. Au XIXe siècle, les libéraux étaientà peu près cohérents et revendiquaientpeu l’aide de l’État aux entreprises pri-vées. C’est surtout à partir de la

Liberté et éConomieLes capitalistes les plus durs se disent libéraux, il y aurait alors deux camps : leleur défendrait la liberté économique et politique ; l’autre serait étatique, diri-giste et ennemi de la liberté. il est temps de mettre un terme à cet enfumageet de cesser d’opposer liberté et égalité.

« on peut distinguer une dizaine de“libéralismes” différents, dont les relations àla liberté, au sens usuel du mot, sont parfois

à l’opposé les unes des autres. »

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liorent la situation des plus défavori-sés de la société. C’est ambigu : d’unpoint de vue pratique, ce principepourrait servir de justification à despolitiques aussi bien social-démo-crates que « néolibérales ». Car, d’uncôté, le principe de différence peut êtreinterprété comme la théorisation desmesures sociales des gouvernementsdémocratiques, telle l’assurance d’unrevenu minimum garanti. D’un autrecôté, un Hayek se dit en accord avecRawls : pour lui, le marché peut davan-tage satisfaire ce principe que n’im-porte quelle intervention délibérée del’État, les inégalités économiques ontdes conséquences sociales et écono-miques positives sur les plus défavo-risés, elles sont productives.

L’idée (l’illusion ?) que l’économie demarché et de concurrence, c’était le«  monde libre  », n’a-t-elle pas étéentretenue par les atteintes auxlibertés dans les pays de l’est ? j.P.P. :Certes, mais il ne faut pas en res-ter là. En 1962, on pouvait espérer avecKhrouchtchev que la situation évolue-rait dans le bon sens à l’Est. Il y a eualors des réformes intéressantes enURSS et dans les pays liés à elle, y com-

pris sur le plan économique. Les réfor-mateurs croyaient là-bas à une évolu-tion graduelle. On peut citer le cas d’OtaSik (1919-2004), en Tchécoslovaquie ;il se passait aussi des choses intéres-santes en Yougoslavie dans les années1970, avec le développement de l’au-togestion, avec les « unités de base dutravail associé », etc. L’idée qu’on pou-vait associer intelligemment plan etmarché dans le cadre d’une vie poli-tique plus démocratique n’était pas dutout absente dans les pays de l’Est, ycompris chez certains de leurs plushauts dirigeants. Malheureusement,les évolutions ont été freinées vers1964-65, puis avec la répression contrele Printemps de Prague et l’invasion dela Tchécoslovaquie en 1968. L’échectient à des raisons plus politiques

qu’économiques. Il n’est pas du toutdémontré que les réformes envisagéesétaient inefficaces.

Comment, sur le moyen et le longterme, promouvoir la liberté de touset être opérationnel en économie ? j.P.P. : Les économies sont de plus enplus imbriquées et les solutions« nationales » peu convaincantes. Ilva apparaître de plus en plus que lavision actuelle au jour le jour est dérai-sonnable. Pensons qu’on a disquali-fié toute idée de planification, de pro-jection dans l’avenir, que leCommissariat général au Plan a étésupprimé en France ! Quelle vision à20-30 ans reste-t-il ? Même dans lemonde anglo-saxon, ces préoccupa-tions apparaissent. Le bouillonnementqui a lieu chez les hétérodoxes detoutes sortes, en général nonmarxistes, est peut-être brouillon,mais il apporte des idées intéressantesdans lesquelles il faut faire le tri. C’estle cas de la réflexion sur « les com-muns », il faudrait insérer cela dansun projet politique, en cette périodede crise des partis. Le prix Nobel d’éco-nomie attribué à Elinor Ostrom en2009 en témoigne (voir son livre,Gouvernance des biens communs. Pourune nouvelle approche des ressourcesnaturelles, De Boeck, 2014). Donc,liberté réelle et économie efficace nesont pas contradictoires.r.h. : Il faut d’abord cesser d’opposercontinuellement liberté et égalité.Celle-ci n’est pas un fantasme, maisd’abord une volonté politique. Et, dansce sens, la question des communs estessentielle car la promotion de l’éga-lité passe par la question de l’appro-priation sociale, économique, poli-tique, culturelle… n

*Jean-Pierre Potier est professeur àl’université Lyon-2.Rima Hawi est maître deconférences à l’université deVersailles St-Quentin-en-Yvelines.Ils sont historiens de la penséeéconomique.

« La liberté sans ordreest un libertinage qui attirele despotisme. »Fénelon, Examen de la conscience d’un roi, Supplément.

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pour des perspectives de long terme,ce qui contrarie la recherche d’une ren-tabilité financière immédiate pour leseul propriétaire de l’entreprise. Plutôtque d’accepter la pluralité desréponses pour intervenir sur les élé-ments à l’origine de la crise, on nousoppose une soi-disant incompétence.C’est savoureux lorsqu’on constate lesrésultats des gestions conduites parceux qu’on nous présente comme « lesélites » !

d’après eux, les syndicats et, plusgénéralement, de nombreux salariésveulent se mêler de ce qui ne lesregarde pas et entravent le bon fonc-tionnement de l’entreprise, il fautdonc restreindre leurs droits et liber-tés, «  simplifier  » le code du travail,« encadrer » le droit de grève, etc. Laliberté devrait donc s’arrêter à laporte de l’entreprise ?Il n’y a pas d’usines sans ouvriers, demagasins sans vendeurs, de cabinetsd’architectes sans dessinateurs... ; lesyndicat est là pour assurer la défensede leurs intérêts matériels, affirmerque l’entreprise c’est aussi ceux qui ytravaillent. L’actionnaire sans ses sala-riés détient des actions de valeur nulle.Dès lors que son propre avenir et celuide sa famille dépendent de la péren-

nité de son contrat de travail, cela rendlégitime d’intervenir sur tout ce quireprésente une menace potentielle surlui. Il y a encore du chemin à faire pour

garantir l’un des principes du préam-bule de la constitution de 1946 : « Touttravailleur participe, par l’intermé-diaire de ses délégués, à la détermina-tion collective des conditions de tra-vail ainsi qu’à la gestion desentreprises ». Le syndicat a aussi pourvocation d’intervenir dans les débatsqui dessinent la société à partir de ses

ENTRETIEN AVEC BERNARD THIBAULT*

L e patronat et les gouvernementsnous disent : faire tourner uneentreprise, c’est compliqué, le

salarié « lambda » n’a pas les capaci-tés pour en mesurer les enjeux ; doncl’associer à la gestion et aux décisions,c’est inefficacité et perte de temps.qu’en penses-tu ?L’affirmation selon laquelle les travail-leurs seraient désintéressés, voire igno-rants des principaux facteurs quiinfluent positivement ou négativementsur l’avenir de l’entreprise, et donc surleur propre avenir, est bien sûr falla-cieuse. Il faut avoir à l’esprit que lanotion d’entreprise recouvre des réa-lités multiples. De la PME artisanale àla multinationale on peut releverautant d’attitudes variées sur la placequ’occupent les salariés dans l’élabo-ration des choix économiques et stra-tégiques qui sont retenus. Très sou-vent les vrais producteurs ont uneexpertise bien supérieure du fait deleur savoir-faire et de leur expériencedans l’entreprise, comparée à celle demanageur « de passage ». Ce qui estdérangeant pour nos décideurs, c’estque justement les travailleurs aspirentà participer à la décision avec leur pro-pre patrimoine de connaissances et

La Liberté et L’entrePrisedévelopper la démocratie à tous les niveaux dans l’entreprise est un gage dedéveloppement des libertés.

« Les libertés de quelques-uns

doivent êtrelimitées lorsque

celles du plus grandnombre s’en

trouventmenacées. »

d’où vient l’expression « Le renard libre dans le poulailler libre » ?La première attestation connue semble être due à un penseur autrichien,acteur ardent des révolutions de 1848, Ferdinand Kürnberger (1821-1879).dans l’article « Freiheit, die ich meine » [La liberté, telle que je l’entends]qu’il publie dans Neues Wiener Tagblatt le 3 mars 1870, il répond auprogramme du Hongrois modéré józsef eötvös (1813-1871) « une Égliselibre dans un État libre ». À ses yeux, cette Église libre dans un État libre,c’est « der freie Fuchs im freien Hühnerhof » [le renard libre dans lepoulailler libre] et « der freie Hecht im freien Karpfenteich » [le brochet libredans l’étang aux carpes libre].ensuite, l’expression a été reprise dans le champ économique par denombreux auteurs puis, dans le monde entier, par les révolutionnaires pourdésigner le capitalisme.

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propres valeurs et de ses revendica-tions. Il n’y a rien qui a priori ne« regarde pas » le syndicat.

La liberté, est-ce aussi celle de semettre à son compte, de créer sapetite entreprise  ? est-ce poser lesconditions pour qu’une grande partiedu travail se passe dans l’économiesociale et solidaire (coopératives,mutuelles, etc.) ? Y a-t-il là une placenouvelle pour la liberté, alternative àl’étatisme ?Il n’y a jamais eu et il n’y aura sansdoute jamais un seul et unique profildu « producteur ». On sème parfois desillusions en laissant entendre qu’onpeut s’extraire du contexte et du sys-tème économique général. Je penseentre autres aux « auto-entrepreneurs »qui souvent deviennent des « salariésdéguisés ». Dans le même temps il y aen permanence l’aspiration à se pré-munir de la gestion exclusivementcapitaliste où la recherche de profit estle moteur de l’activité. Les coopéra-tives, les mutuelles ou les réseaux« d’économie solidaire » témoignentde cette volonté. Ils rencontrent denombreux obstacles et sont l’objet deconvoitises. Ils contrarient la penséedominante.

délocalisations, déplacements decapitaux vers les paradis fiscaux,sous-traitances déloyales, corrup-tions, traités internationaux dés-équilibrés : cela doit-il être considérécomme des « libertés » ou comme du« libertinage » pour le Capital ?Les libertés de quelques-uns doiventêtre limitées lorsque celles du plus

grand nombre s’en trouvent mena-cées. Les libertés accrues octroyées aucapital et à ses capacités de mouve-ment sans contrôle ont comme consé-quence de menacer la vie et l’environ-nement de millions de personnes. Larichesse de quelques dizaines de mil-liers s’accroît pendant que les droitshumains les plus fondamentaux sontbafoués pour des centaines de millionsd’autres individus et leur famille. C’est

tout simplement antidémocratique !La démocratie ça ne peut pas être leslibertés pour « l’exploiteur » et lesdevoirs pour « l’exploité » ! C’est lesdroits et les devoirs pour tous.

depuis trente ans que les capitalistesclament « moins d’état ! » et se pro-clament «  libéraux  », y a-t-il, dansl’entreprise, plus ou moins d’état,plus ou moins de liberté ?Il me semble que, plus qu’elles necontestent de la présence de « l’État »,les entreprises s’efforcent d’en déna-turer la fonction, voire d’en affaiblirles capacités. Il s’agit pour elles, d’unepart de mettre l’État, autant que fairese peut, au service des intérêts deleurs propriétaires. Politique fiscale,d’éducation, d’aménagement du ter-

ritoire… tout doit alors être orientéen fonction des besoins de l’entre-prise, puisque c’est « le centre de lasociété », d’autre part, pour eux, il fautconfiner l’État dans un rôle de « pom-pier social » : à lui d’assumer lesconséquences sociales en organisantla solidarité entre les individus. Celan’est pas sans répercussion sur lareprésentation politique qui laisse

entendre, dans sa majorité, une cer-taine acceptation d’un « État pom-pier » pour réparer les plaies multi-ples provoquées par la gestion desentreprises. Lieu de création derichesse, producteur de biens et deservices, il est inacceptable de priverle citoyen de toute approche critiquesur ce qui se décide dans ces lieux quifaçonnent la société. En ce sens l’Étatne respecte pas le citoyen.

La liberté des producteurs (salariésou non) s’oppose-t-elle à celle desconsommateurs ?Acceptons l’évidence : les producteurssont aussi des consommateurs etbeaucoup de consommateurs sont àleur tour producteurs, même s’ils lesont sous différents statuts. C’est doncune division largement artificielle quede vouloir découper le citoyen entranches distinctes, voire d’opposerles deux facettes d’un même individu.

on a surtout l’impression qu’on nefait que se défendre. Peut-onconquérir de nouvelles libertés dansl’entreprise ?La capacité de se défendre est une pre-mière condition pour envisager l’of-fensive et la conquête de droits nou-

veaux. Sans résistance, pas d’espoir dejours meilleurs. Les droits sociaux etles libertés évoluent d’un même pas.En bien ou en mal, leurs mouvementssont parallèles et complémentaires. Lesreculs sociaux affaiblissent la démo-cratie. Le développement de la démo-cratie est susceptible de générer du pro-grès social. Aux défis complexes etnombreux doivent répondre de nou-velles libertés, de nouveaux droits per-mettant aux individus et aux collectifsde construire des réponses alternatives.Il n’y aura pas de sauveur suprême !

que proposes-tu à moyen et longterme pour allier communisme etliberté dans le monde du travail, afinnotamment de ne pas faire commedans les pays de l’est d’autrefois ?Tel qu’il a été longtemps pratiqué, lecommunisme a pâti des atteintes auxlibertés. Être capable de défendre unenouvelle articulation dans la conju-gaison de la recherche de l’intérêtgénéral, par le développement de ladémocratie à tous les niveaux, meparaît le défi le plus essentiel. n

« très souvent les vrais producteurs ont une expertise bien supérieure du fait de leur savoir-faire et de leur expérience

dans l’entreprise, comparée à celle de manageur “de passage”. »

« La démocratie ça ne peut pas être les libertés pour “l’exploiteur” et les devoirs

pour “l’exploité” ! C’est les droits et les devoirs pour tous. »

*Bernard Thibault est anciensecrétaire général de la CGT. Il estadministrateur du Bureauinternational du travail (BIT).

Propos recueillis par Pierre Crépel

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citoyen est ainsi pensé comme acteurprincipal des formes de résistancesordinaires, où l’objectif n’est pas delutter pour le pouvoir, mais contre lepouvoir du capitalisme marchand etde son arsenal de marketing. La ques-tion ne serait plus de changer lemonde par le haut et d’imposer règleset restrictions, mais bien de donneraux peuples les outils pour construire,librement, les fondements de la résis-tance politique. L’acte d’achat servi-rait de bulletin de vote amélioré, àeffet direct sur l’organisation écono-mique. C’est une formulation ambi-tieuse d’un usage politique de la libertéde consommer : pénétrer le champ del’économie conventionnelle pourconvertir une liberté individuelleconsumériste (individualiste) en uneliberté individuelle soucieuse du biencommun. Cette conception de l’ac-tion politique, proposant ainsi unretournement par une fusion entreintérêts individuels et intérêts collec-tifs, a de quoi séduire.

Les risques duConsom’aCteurPour autant, trois principales critiquespeuvent être adressées à cet usagepolitique – se voulant subversif – dela liberté de consommer.Premièrement – liberté individuelleoblige – les consommations éthiquess’apparentent à un ensemble dispa-rate où chacun compose en fonctionde ses habitudes et préoccupations.De l’écologie au social en passant parle patriotisme économique ou lesenjeux sanitaires, il est parfaitementpossible de voir dans cette pluraliténon coordonnée une richesse intrin-sèque, ou au contraire un risque debrouillage des directions prises.Deuxièmement, le sociologue FranckCochoy, dans un article intitulé « Faut-il abandonner la politique au mar-ché ? » revient de manière critique surles principes du consom’acteur enestimant que « le marché a certesl’avantage de l’exploration, de la sou-plesse, de l’invention, mais la poli-tique publique a pour sa part la vertude faire précéder les choix individuelspar des débats ouverts ». Atomisé etindividualisé, l’acte de consomma-tion est bien souvent privé du fonde-

ment même de la politique, à savoirla confrontation et la délibération,dévoilant une manière de penser laconstruction du politique, confinéeà la sphère privée et affranchie de toutdébat d’idées. Dès lors, de quelle poli-tisation parle-t-on ? Ces espaces demise en débat et de discussion exis-

tent néanmoins, mais à l’échellelocale : cafés ou projections débats,réunions publiques, etc. Ils sont orga-nisés par et pour certains groupes« initiés », plutôt dans de micro-espaces sociaux. Les notions de bienscommuns ou de responsabilités indi-viduelles envers le collectif risquentde se convertir en une norme moralefloue et parfois contradictoire. La for-mulation par certains groupes sociauxd’un ensemble d’intérêt collectifdevant s’imposer à tous, sans qu’unemise en débat soit opérée, pose alorsun très sévère problème de légitimité.Rien n’est peut-être aussi destructeurpour les principes de la consomma-tion éthique que l’image du « bobomoralisant ».Troisièmement, peser sur l’économiepar une consommation politique nedevient effectif qu’avec la force dunombre. L’idée même du consom’ac-teur repose sur « le secret espoir quele mécanisme concurrentiel permettede faire avancer les causes ainsi por-tées plus efficacement que les lois etles autres formes de régulationpublique » : c’est « politiser » la

PAR GABRIEL MONTRIEUX*

a lors que les modèles dits com-munistes ont été critiquéspour leurs restrictions en

matière de consommation, que lesrégimes à visée socialiste actuels, parexemple en Amérique latine, sontaccusés (à tort ou à raison) d’impo-ser à leurs populations un régime éco-nomique contraignant, la liberté indi-viduelle de consommer est souventprésentée comme une des plusgrandes forces de légitimation et d’ex-tension du capitalisme néolibéral.

un modèLe de Changementde soCiété « Par Le bas »Cependant, se développe aussi unmodèle de changement de société« par le bas », reprenant à son comptela liberté de consommer comme armeet force de proposition d’un contre-projet. Prenant acte de l’apparenteincapacité actuelle des pouvoirs poli-tiques à imposer des règles de fonc-tionnement aux marchés, cetteapproche célèbre la figure du« consom’acteur », responsable, dont

les choix de consommation sont gui-dés par des considérations éthiques.Toute liberté n’est effective qu’à par-tir du moment où l’on peut en user.Une série d’outils et de repères per-mettrait alors de construire des choixindividuels « éthiques » de consom-mation « engagée » (écolabels, com-merce équitable, structures de l’éco-nomie sociale et solidaire…). Le

queL usage PoLitique de La Libertéde Consommer ?Le contre-projet d’une liberté de consommer soucieuse du bien commun nepeut se substituer entièrement au débat politique général et ouvert sur l’orga-nisation de la société et sur le pouvoir.

« atomisé etindividualisé, l’actede consommation

est bien souventprivé du fondement

même de lapolitique, à savoir laconfrontation et la

délibération. »

« il existe uneformidable

opportunité, pourun capitalismetoujours plus

vorace, d’étendre lamarchandisation

des biens etservices par la

marchandisation de“l’éthique”. »

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consommation par la mise en concur-rence, dans le champ économique,de différents modes d’achats diver-sement « responsables » ou « politi-sés » (mais sans débat politique géné-ral et ouvert). Or, la capacité ducapitalisme à s’adapter et à se nour-rir des critiques qui lui sont adresséespour renforcer son influence (par lamarchandisation de l’humanitaire,par exemple) ne fait plus mystère. Est-il alors possible d’introduire, sur untel marché concurrentiel, de vraisespaces de consommations éthiques(principalement dans le domaine de

l’économie sociale et solidaire), oudes produits dits « citoyens » (du BTPà l’automobile en passant par l’ali-mentation ou les loisirs) ? Or, il existeune formidable opportunité, pour uncapitalisme toujours plus vorace,d’étendre la marchandisation desbiens et services par la marchandisa-tion de « l’éthique ». On est pris, bienmalgré soi, entre deux feux : d’un côté,étendre un maximum le champ deconsommateurs concernés pour exis-

ter politiquement ; de l’autre, conser-ver intacte la substance politique ini-tialement formulée sous peine de voircelle-ci se dissoudre et se transformeren un simple argument commercialde vente.

reConquérir L’éCheLLe deLa réguLation et de LaCoordination PoLitiqueAu final, l’usage politique de la libertéde consommer n’est pas qu’une solu-tion mais aussi un symptôme, celuide la perte de légitimité de la régula-tion politique. Cette approche « par

le bas », certes intéressante, peut êtreporteuse d’une impuissance : celle dese priver de l’outil régulateur queserait un État, à transformer. N’est-ce pas jouer à armes très inégales avecles grandes puissances économiquesorganisatrices du marché de laconsommation, possédant une forcede frappe communicationnelle iné-galable ? L’État (qui est certes unenjeu), en tant qu’organisation légale,rationnelle du pouvoir, reste plus légi-

time qu’une organisation écono-mique ou que de simples groupessociaux. Deux directions peuvent êtreévoquées. La première, sous formed’utopie, consiste à se demanderquelle place pourraient occuper desformes de consommation hors mar-ché (troc, autoconsommation, gla-nages, systèmes d’échanges locauxou SEL, bénévolat) visant à prévenirles récupérations marchandes ; laseconde à dire que la politique n’ajamais quitté le marché, qu’elle estinhérente au libéralisme en endos-sant le rôle d’organisateur contrai-gnant et de garant de la « libre concur-rence ». Il faut donc reconquérirl’échelle de la régulation et de la coor-dination politique et non pas seule-ment convertir une liberté individua-liste en une liberté altruiste. La voietrès classique, qui rappelle que l’in-térêt collectif prime sur l’intérêt indi-viduel, tant que cet intérêt collectifest légitimé par le débat public, resteporteuse, et pas moins ambitieuse.S’il est utile de reformuler une régu-lation « par le bas », il l’est aussi derecouvrer la légitimité de l’organisa-tion collective et du pouvoir poli-tique. n

« L’usage politique de la liberté deconsommer n’est pas qu’une solution mais

aussi un symptôme, celui de la perte delégitimité de la régulation politique. »

*Gabriel Montrieux, est politiste. Ilest doctorant en sciences politiquesà l’université Lyon-2.

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aggravantes pour les faits commisdans les transports en commun, auxabords d’un établissement d’ensei-gnement ou d’une enceinte sportive :il n’y a plus aucun vol simple, toussont devenus aggravés !

Y a-t-il d’autres causes ?Oui, la multiplication des contrôlesd’identité ne peut qu’entraîner desréactions violentes à l’égard des forcesde l’ordre, car ceux qui les subissentsont peu aptes à contrôler leur impul-

sivité. La pénalisation croissante dela consommation de cannabis n’ar-range rien, alors que, pour certains,disent-ils, c’est le moyen de « parve-nir à dormir le soir » (l’anxiolytiquedu pauvre). Les fameuses peines plan-cher ne font qu’accroître le phéno-mène. Les détenus ressortent piresqu’avant et on leur demande d’êtremeilleurs ensuite ! Pure illusion depenser que la prison telle qu’elle existeen France est à même de prévenir larécidive ! �

que faire des petits délinquants ?��Outre la prévention, il faut favoriserles mesures de suivi et d’accompa-gnement social hors les murs de laprison, en mettant vraiment lesmoyens dans les services de proba-tion, les soins gratuits (psycholo-giques, psychiatriques, médicaux –en addictologie). Il faut recruter plusde travailleurs sociaux, décentraliserles centres de suivi, les rendre facile-ment accessibles. Il faut surtout chan-ger profondément le sens de la peine,qu’elle ne soit plus une exclusioncompensant symboliquement le malcausé (ce qui justifie les pires condi-tions de détention), mais qu’elle viseréellement la réinsertion sociale, lamodification des conditions qui ontrendu possible un passage à l’acte. �Lasurpopulation carcérale rend tout tra-vail social impossible en détention, ilfaut instaurer un numerus claususqui

contraindra les juges à faire sortir cer-tains détenus s’ils veulent en incar-cérer d’autres. Pas de « sortie sèche »,sans logement, sans projet, sans suivi !Elle doit être préparée, la détentiondoit donc être réservée à des délin-quants qui ont commis des faits assezgraves. En Allemagne, les surveillantspénitentiaires sont aussi des éduca-teurs. Le travail en prison doit êtrefavorisé et bien encadré, les salairesrevalorisés (actuellement ils sont déri-soires, c’est de l’exploitation éhontée,

qui en profite ?). À la sortie, ceux quiy ont travaillé doivent bénéficier duchômage, d’une couverture socialeefficiente. ��

que faire des grands criminels ?��Les conditions dans les « maisonscentrales », pour les longues peines,sont plus satisfaisantes ; il faut néan-moins améliorer le maintien de liensfamiliaux, en créant plus de structuresd’accueil pour des parloirs familiaux.Pour la criminalité organisée, lespeines financières sont souvent beau-coup plus efficaces : la prison est unrisque calculé, les criminels saventqu’en sortant ils ont des tapis d’or quiles attendent ; il faut donner à la jus-tice les moyens d’opérer des saisiesde patrimoines plus efficacement etd’enrayer aussi les financementsd’armes, de stup…�Pour les criminelssexuels ou atteints de pathologies psy-chiatriques, il faut naturellement met-tre le paquet sur les soins. Commecertains ont vocation à sortir un jour,il faut veiller à la continuité des soins,donc avoir plus de psychiatres, demédecins coordonnateurs… on enmanque cruellement ; la pauvreté etla désaffection de la psychiatrie enFrance ont un effet direct sur la priseen charge de nombreux détenus.��

La prison n’a pas toujours existé,peut-on penser qu’elle n’existerapas toujours ?��

PAR CLARA GRANDE*

hormis les vrais bandits, qui esten prison et pourquoi ? desrécalcitrants ? ��

La population carcérale est jeune,sans travail ou précaire, étrangère,issue de l’immigration ou des classesles plus défavorisées de la société(banlieues au premier chef ). Ellepurge des peines courtes, ne permet-tant en aucun cas une réinsertion, carrien n’a le temps de se mettre en place(ni formation, ni travail, ni logement,ni soins, ni même restauration deliens familiaux). Les maisons d’arrêtsont pleines à craquer et génèrent dela délinquance. Ces détenus sont engénéral condamnés pour inadapta-tion à la norme et intolérance à la frus-tration. Ils ont commis des vols (pourdes butins souvent dérisoires), desviolences (souvent en lien avec desvols), des petits trafics ou des bra-

quages toujours dérisoires liés auxstupéfiants, ou encore des actes diri-gés contre l’autorité (outrages, rébel-lions). C’est lié aux conditions d’exis-tence : carences éducatives ouaffectives, précarité et pauvreté, dif-ficultés de logement, absence de priseen charge médicale de troublesdépressifs. Notre droit a récemmentnourri cette catégorie de délinquantspar la création de circonstances

Liberté et réPressionil n’y a pas de liberté possible sans égalité. plus les conditions de travail etd’existence des travailleurs sont dégradées, moins il est possible de tenir undiscours progressiste sur la prison et la délinquance.

« nous avions un droit des mineurs parmiles plus audacieux d’europe et on

le démantèle consciencieusement depuis vingt ans. »

« des prisonsouvertes, sans

stigmatiser ceux quipurgent une peine, il

faut garder, voirecréer du lien social,

corriger lesinégalités, créer dela reconnaissance,

respecter etvaloriser ceux qui y

passent… »

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Certes, mais il a existé pire : la peinede mort, le bannissement… Je douteque la prison disparaisse un jour, maisj’espère qu’elle existera sous d’autresformes : des prisons ouvertes, sansstigmatiser ceux qui purgent unepeine, il faut garder, voire créer du liensocial, corriger les inégalités, créer dela reconnaissance, respecter et valo-riser ceux qui y passent… D’autrespays, l’Allemagne notamment, extrê-mement vigilante à la question deslibertés et de la dignité humaine, enraison de son histoire, sont bien plusen avance que nous. ��et la place de l’argent dans la «  jus-tice  »  ? s’il y a «  justice de classe  »,comment la dépasser ?��Les petites amendes n’ont pas beau-coup de sens, elles n’ont un effet dis-suasif que pour de la toute petitedélinquance, ou du routier. La justicede classe se loge davantage dans les

moyens d’assurer sa défense (face auministère public et aux parties civilesdans le domaine pénal ; face auxsociétés de crédits à la consomma-tion dans le domaine civil) et dansceux dont on dispose pour se sous-traire à la justice ou non, pour adou-cir la peine ou non. ��Il faut agir à lafois sur les causes de fond et sur letraitement immédiat des dégâts. Lajustice des mineurs devrait être unepriorité absolue. Il faut rétablir(comme il y a dix ans) un suivi pourles jeunes majeurs jusqu’à 21 ans, aulieu de 18 aujourd’hui. C’est aberrantqu’on demande à cette jeunesse laplus défavorisée d’être autonome etinsérée socialement à 18 ans, alorsque l’entrée dans la vie active se faitbien plus tard. Nous avions un droitdes mineurs parmi les plus audacieuxd’Europe et on le démantèleconsciencieusement depuis vingtans : alignement sur le droit des

majeurs, appauvrissement des struc-tures institutionnelles ou associativespartenaires (conseil général, protec-tion judiciaire de la jeunesse, asso-ciations d’action éducative en milieuouvert). Il faut dépénaliser certainsfaits, soit totalement, soit en les ren-dant contraventionnels (usage de pro-duits stupéfiants, outrages…), facili-ter l’accès au droit des plus démunis,revaloriser l’aide juridictionnelle (quicorrespond à ce que sont payés lesavocats commis d’office). Il faut unepolice de proximité, qui fasse du lienavec les populations et de la préven-tion. Il faut rendre le permis deconduire gratuit, pour mettre le holàà la répression de la conduite sanspermis.��

et avec un régime politique harmo-nieux et sans exploitation, y aurait-iltoujours des bandits  ? des tribu-naux ? de la répression ?��

temoiGnaGeCe témoignage s’est exprimé lors d’une dis-cussion préparatoire à ce dossier qui a eu lieuà la fédération du rhône du pCF.

j’ai été responsable d’une petite « association culturelle desjeunes de f. », commune de 7 000 habitants au nord de Lyon,avec un taux de 27 % de logements sociaux regroupés essen-tiellement en deux pôles. Celle-ci s’adressait aux enfants etjeunes de 5 à 20 ans et à leurs parents. La municipalité, àl’époque, n’était pas intéressée par ces problèmes des jeunes…sauf lorsque cela se traduisait par des voitures brûlées, desbris de vitres, des provocations vis-à-vis d’habitants, etc.L’association a vécu cahin-caha, jusqu’à l’obtention de sub-ventions dites de « politique de la ville ». j’ai décidé de m’yinvestir. j’ai été étonnée de la rapidité avec laquelle les chosesse sont améliorées. vis-à-vis des jeunes, il fallait de la consi-dération, faire appel à leur raisonnement, leur cœur parfois,comme on l’aurait fait avec des adultes, surtout ne pas mon-trer qu’on aurait peur d’eux : répondre à leur provocation, soitpar la plaisanterie, soit par la fermeté, mais toujours avec unegrande cohérence dans son attitude, dans ses exigences, dansses interdits éventuellement. Par exemple, il a fallu deux moispour qu’ils ne fument plus dans les locaux.

Les jeunes ont besoin de sentir un cadre, raisonnable, établiavec eux, si possible, respecté. en cas de gros accroc, nousavions décidé de nous adresser à la police si nous l’estimionsnécessaire. Cela s’est produit aux premières vacances où, sousun futile prétexte, trois jeunes ont cassé la figure à un anima-teur. nous avons demandé à la mairie de les convoquer avecnous. une plainte a été déposée. Cela a fait beaucoup de bruitparmi les jeunes du quartier mais, au fond, la plupart ont com-pris que ces trois-là avaient dépassé les limites du tolérableet cela a éclairci l’atmosphère.

Parallèlement, un véritable conseil d’administration a étéconstitué, comprenant aussi des jeunes de plus de 16 ans. nousavons recruté des animateurs (bafa, bafd), des emploisjeunes (à parité un du quartier et un d’ailleurs). des activitésont été mises en place selon les tranches d’âge. nous avonsintéressé les familles à y participer (sorties, repas…). nousavons systématiquement fait passer le bafa au maximum dejeunes, comme premier diplôme pour certains, leur mettantainsi un pied à l’étrier et les employant durant les vacances,les encourageant à aller plus loin. notre association a mêmeeu un prix national pour notre action en matière de formation.élément de valorisation parmi d’autres : un animateur estdevenu éducateur spécialisé de la Protection judiciaire de lajeunesse (Pjj), un autre conducteur de transports en CommunLyonnais (tCL), ce qu’il désirait ; deux enfants ont eu des prixde poésie au niveau départemental…

dans le quartier, la petite délinquance a pratiquement dis-paru et le regard d’une partie de la population a changé (pastoute malheureusement). Certes, pas de miracle : il y a aussides problèmes de drogue et ça, c’est autre chose. quand lapetite délinquance est répandue, le passage à la grande estlargement facilité, et tout ce qui permet à des jeunes d’évitercet engrenage (où de fait ils sont exploités) est bon. Pour ceque j’en ai vu, ceux qui ont terminé en prison, venaient defamilles à gros problèmes et là aussi il y faudrait agir. bien sûr,ici, il n’y a pas la concentration de pauvreté et de rejet commedans certaines cités. mais cela coûterait déjà moins cher à lasociété de mettre en place des petites structures de ce genreavec des personnels bien formés ! Cela diminuerait un peu lechômage, ce qui vaut mieux que d’aider des familles de chô-meurs à difficilement survivre.

mado jorrand est secrétaire de la section PCF de Neuville-sur-Saône (Rhône).

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mâle », écrit Simone Beauvoir dansLe Deuxième Sexe, « c’est le travail quipeut seul lui garantir une libertéconcrète. Dès qu’elle a cessé d’êtreun parasite, le système fondé sur sadépendance s’écroule ».Parce qu’il est la condition de l’auto-nomie économique des femmes, letravail est au cœur de leur émancipa-tion. C’est la raison pour laquellej’avais décidé de consacrer le premierrapport thématique de ma présidencede la Délégation aux droits desfemmes du Sénat, il y a trois ans, authème « Femmes et travail ». Partantdu constat d’un « statu quo inégali-taire », témoignant de l’épuisementd’une dynamique face à la perpétua-tion d’un ordre sexué inégalitaire, j’aivoulu, avec ce rapport, avancer uncertain nombre de pistes, selon uneapproche systémique qui replace letravail, son organisation et sa concep-tion au cœur d’un ordre social éman-cipateur. Car l’enjeu est bien d’agirpour un nouvel âge de l’émancipa-tion.

Les PoLitiquesvoLontaristes À engagerC’est cet enjeu qui se pose à nousaujourd’hui et que tout projet poli-tique doit relever. Un impératif à cela :engager la refonte de nos institutionspour construire une République quiplace les citoyennes et citoyens au

cœur de l’appréhension de l’action etde l’intervention politiques. Permettrel’exercice du pouvoir par tous ettoutes implique notamment une rota-tion dans les responsabilités auxmoyens de la parité, du non-cumuldes mandats exécutifs et du non-cumul dans la durée, de la mise enplace d’un réel statut de l’élu. Cesconditions donneront à chacune etchacun les moyens de s’impliquerdans la vie de la Cité.

Cela passe aussi bien évidemmentpar la conduite de politiquespubliques volontaristes transversales.La loi égalité adoptée par le Parlementen août dernier a incontestablementimpulsé une dynamique. Mais il ne

PAR BRIGITTE GONTHIER-MAURIN*

s i l’on considère la « liberté »comme le fait de ne pas êtreempêché d’agir, sens le plus

communément envisagé, et que l’onpasse cette notion au tamis de l’éga-lité femmes/hommes, les choses nesemblent plus aussi évidentes. Car sila « liberté » en tant que telle n’est passexiste, le sexisme, lui, est bien uneentrave à la liberté. Cette liberté setrouve organisée dans un cadre et uneconstruction sociale pensés d’abordpar et pour les hommes. Les nom-breuses études de genre ont bienmontré que cette réalité apparaissaitaussi bien dans la sphère politique,économique, professionnelle, sociale,éducative, démocratique et mêmejusque dans l’organisation spatiale etarchitecturale de nos territoires.

Le travaiL au Cœur deL’émanCiPation des femmesL’entrave à la liberté prend alors desformes multiples qui sont désormaislargement identifiées, qu’il s’agissede l’invisibilité des femmes dans desdomaines comme la culture et les arts,du plafond et des parois de verreencore si prégnants dans la sphèreprofessionnelle. « C’est par le travailque la femme a en grande partie fran-chi la distance qui la séparait du

La Liberté est-eLLe « sexiste » ?Si la « liberté » en tant que telle n’est pas sexiste, le sexisme, lui, est bien uneentrave à la liberté. Le combattre par des politiques volontaristes dans la Citéet en particulier, en matière d’éducation c’est agir pour une société plus libre.

« agir pourdéconstruire ces

stéréotypes[femmes/hommes],

dès le plus jeuneâge, c’est agir en

faveur de la“liberté” »

Il y aurait des normes, donc des trans-gressions, et aussi des malades psy-chiatriques, des mineurs en recherchede transgression. En revanche, si onparvenait à réduire les inégalitéssociales, à améliorer les dispositifséducatifs, et à changer le regard posésur la délinquance (c’est la questiondu vivre-ensemble plus que de lasécurité), on limiterait beaucoup lacasse. Il faut bien des outils de régu-lation sociale, donc des tribunaux,mais on pourrait penser à d’autresformes de justice, plus réparatrices,mettant plus en lien les auteurs et lesvictimes lorsque cela est possible,

pour une restauration de l’image desoi à travers du collectif… Doncmoins de répression, c’est bien lelégislateur qui crée le premier de ladélinquance en créant de nouvellesinfractions, de nouvelles circons-tances, etc. il faut donc dépénalisercertains comportements ! ��

bref, quelle place pour la liberté (etpour ses restrictions) dans un pro-jet porté par les communistes ?��Il n’y a pas de liberté possible sanségalité. Plus les conditions de travailet d’existence des travailleurs sontdégradées, moins il est possible de

tenir un discours progressiste sur laprison et la délinquance. La luttecontre les inégalités rejoint celle pourla liberté. Les restrictions à la libertédoivent dès lors venir sanctionnerprincipalement les passages à l’actequi ne sont pas la résultante directeou indirecte d’une inégalité… Maislà, on est vraiment dans l’utopie (cequi aide à penser et guide nos actionsnéanmoins). n

*Clara Grande est membre duSyndicat de la Magistrature.

Propos recueillis par Pierre Crépel

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et, si on le faisait, on se suiciderait.J’ai remarqué que, là-bas chez lespopulations les plus modestes, dansles rapports sociaux, il y a moins d’ex-clusion, que les gens souffrent moinsdu regard des autres, alors qu’ici c’estla guerre à l’intérieur de la mêmeclasse.

e. : Déjà en France, la liberté ça ne sepense pas de la même façon pour toutle monde. Pour certains, c’est la libertéd’entreprise ; pour d’autres, c’est « jefais ce que je veux, quand je veux »,etc. Alors, ailleurs, c’est encore plusdivers. Et en outre, ça change avec lesépoques. Souvent, on est surpris dece que les gens entendent par liberté.

f. : La pauvreté là-bas, l’austérité ici,c’est le même processus, c’est priverd’imaginaire. Partout, il faut la libertéde se projeter, d’imaginer d’autreshorizons possibles. Le PCF s’est sou-vent centré sur les grands combatséconomiques et sociaux, mais il nefaut pas assécher celui sur les liber-tés, au sens où les gens l’entendenteux-mêmes.

g. : C’est différent. Je prends un sim-ple exemple. Des copains en Afriquevoulaient monter un équipementsocial, mais ils n’avaient même pasles codes d’entrée administratifs leurpermettant de mettre leur projet enplace, il a fallu que ce soit des gens« du Nord » qui débloquent les accès.

h.  : Dans un pays pauvre, c’est laliberté d’être, de penser. Chez nous,c’est la liberté d’acheter ; finalement,notre liberté, elle n’est pas bien belle.

i. : Mon idéal serait de dire oui, maisles mouvements de création deliberté, comme la décolonisation,c’est venu en général des élites locales,formées chez nous, alors... ?

j. : Dire que la liberté est universelle,c’est un point de vue très européo-centré.

K. : Dans les pays pauvres, la libertépeut s’inspirer de notre modèle, maiselle est de plus en plus conditionnéepar des extrémismes religieux. Cheznous la liberté, c’est les mœurs, la

VOICI QUELQUES RÉPONSES ET LESTÉMOIGNAGES D’ARLETTE CAVILLONET DANIELLE LEBAIL*

a. : Oui, évidemment. L’aspiration àla liberté, c’est universel, ce sont seu-lement les conditions qui font qu’elles’exprime de différentes façons et queles urgences ne sont pas les mêmes.

b. :Non, bien sûr. Quand tu rêves sim-plement de survivre, comme au Niger,et quand tu rêves d’avoir une vie meil-leure, comme en France, ça n’a rienà voir. Certes, chez nous, il y a aussile quart-monde…

C.  : Pour moi, les aspirations à laliberté et même à la démocratie sontles mêmes partout, quelle que soit lasituation. Quand on dit « liberté, éga-lité, fraternité », je crois que c’est dansle bon ordre : la liberté est la premièreaspiration humaine.

d. : J’ai posé une question de ce genreà une Mexicaine, elle m’a répondu :on n’a pas le temps de réfléchir à ça

Liberté : PaYs Pauvres/PaYs riChesÀ la fête de l’Humanité rhône, le 29 novembre, nous avons posé à des mili-tants divers, originaires de France, d’afrique, d’asie ou d’amérique latine laquestion suivante : la liberté, l’aspiration à la liberté, est-ce la même chosedans un pays comme le nôtre et dans un pays comme le niger, le mexiqueou l’indonésie ?

s’agit que d’un premier jalon qui doiten appeler d’autres et qui, face à ladoxa « austéritaire », risque de seconsumer très rapidement. Prenonsun exemple : quid du droit à l’IVG,aujourd’hui quarantenaire, si dans lemême temps l’accès à ce droit, libé-rateur pour les femmes, se réduitcomme peau de chagrin ?Parallèlement, doit se conduire untravail de fond sur les mentalités et

les comportements pour décons-truire les stéréotypes de genre. Cequi pose clairement la question del’éducation. Cette éducation à l’éga-lité, attaquée frontalement par lesréactionnaires de tous poils, est fon-damentale. J’ai encore pu le consta-ter dans les travaux que nous avonsmenés avec la Délégation sur les sté-réotypes femmes/hommes dans lesmanuels scolaires et dans ceux que

nous consacrons en ce moment auxstéréotypes dans les jeux et lesjouets. Travaux qui rappellent quenous sommes face à des construc-tions sociales et commerciales dontles enjeux sont colossaux. Or agirpour déconstruire ces stéréotypes,dès le plus jeune âge, c’est agir enfaveur de la « liberté ». Car si lesfemmes ont évidemment tout à ygagner, l’humanité tout entière ensortira plus libre. n

*Brigitte Gonthier-Maurin estsénatrice (PCF) des Hauts-de-Seine,vice-présidente de la commission dela culture, de l’éducation et de lacommunication, vice-présidente dela délégation aux droits des femmes.

« L’histoire (c’est ma définition de 1830, et j’y tiens), est la victoireprogressive de la liberté. »michelet, Des jésuites, 1843.

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sexualité, etc., c’est plus ou moinsacceptable par le courant dominant,c’est un peu boboïsant, mais la libertédans l’entreprise est interdite.

L. : Je n’ai jamais vécu dans des payspauvres, alors franchement, je ne saispas.

m.  : C’est le même concept, maisconcrètement c’est différent. Je suisSahraouie, ici je peux le dire, là-bas jeprends vingt ans de prison.

n. : Je suis Malien. Il y a une matricecommune, mais ce n’est pas la mêmechose. Ici c’est un idéal, là-bas, tu n’asmême pas la démocratie de base, lapluralité.

arlette Cavillon  : La première deslibertés, c’est la paix. En Europe et enAmérique du Nord, on a à peu près lapaix militaire (encore qu’en Irlande,en ex-Yougoslavie, aujourd’hui en

Ukraine, ce soit moins évident). Mais,dans le reste du monde, ce n’est pasle cas, en peu de temps, une guerredémarre ici ou là et le droit d’existerpeut disparaître du jour au lende-main.danielle Lebail : Je vais parler de ceque je connais, c’est-à-dire de laFrance et du Kurdistan. L’aspirationà la liberté individuelle et collective,c’est un besoin qui est le même par-tout, la différence, c’est seulementune question de degré. Bien sûr, là-bas, ils ne sont même pas libres devivre leur histoire, leur culture. C’estun peuple entier qui est opprimé.Mais la répression en Turquie touchetous les opposants quels qu’ils soient :journalistes, étudiants, avocats. Ici,on n’a qu’une impression de liberté,il faut voir le nombre de militants syndicaux qui sont traînés devant lestribunaux. On n’a pas la liberté d’in-formation, il n’y a aucun débat con -tra dictoire sur le fond.

donc tout est lié ?d.L. : Oui. Plus le droit à la liberté recu-lera dans les pays dits démocratiquescomme le nôtre, plus la liberté recu-lera aussi dans les dictatures. LesKurdes sont aussi réprimés en France.Trois militantes ont été assassinéesen plein Paris ; un adhérent d’un cen-tre culturel kurde est passé « en jus-tice » sous prétexte que son actionétait compatible avec le PKK, partique l’Union européenne classe (defaçon scandaleuse) dans les organi-sations terroristes.a.C. : Quand, dans un pays d’Afrique,la France envoie des bombes, des mili-taires ou des « conseillers », le gouver-nement local et le nôtre bafouentensemble les libertés. Bien entendu,c’est toujours « au nom de la liberté »qu’ils interviennent et ce prétexte s’ap-puie souvent sur des réalités, au moinsau début, comme au Mali, mais on voitbien que le fond de l’affaire est ailleurs.Quand quelques pays « libres » dispo-sent de l’arme nucléaire, ce n’est paspour propager la liberté. La liberté nese divise pas. Je ne crois pas que laliberté d’un peuple doive écraser lasolidarité, que la Catalogne ou l’Italiedu Nord puissent « librement » se déta-cher, parce qu’elles sont riches etqu’elles auraient le droit de laisser tom-ber les régions moins chanceuses deleurs pays. n

*Arlette Cavillon est membre dubureau national du Mouvement de laPaix.Danielle Lebail est membre duComité exécutif national du PCF. Ellerevient d’une délégation auKurdistan.

« nous criions Liberté ! mais enprononçant ce mot, nous lui donnionsdes sens différents. Pour les uns, c’étaitla liberté de disposer à son gré de sapersonne et du produit de son travail.Pour les autres, c’était le droit dedisposer des hommes et du produit deleur travail. »abraham Lincoln, cité par G. marchais, dans Le Défidémocratique, 1973.

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Canada ou l’Australie, dont les res-sortissants sont dispensés de visas. Ilva sans dire que les accords avec lespays dits du Sud sont quasimentinexistants. Nous constatons égale-ment la démultiplication de statutsliant titre de séjour et emploi etvariant en fonction de la nature del’emploi occupé ; le pire étant le sta-tut des travailleurs saisonniers faisantdes migrants de véritables « travail-leurs jetables » en fonction desbesoins des employeurs, pouvant êtreexpulsés dès que l’on n’a plus besoinde leurs bras.

Il y a aussi les migrants qui arriventen situation régulière et qui se retrou-vent sans statut du fait du durcisse-ment permanent des conditions deséjour régulier. Ils sont désormais lagrande majorité des migrants dits« irréguliers » vivant sur le sol de l’UE(jeunes majeurs, étudiants en find’études, bénéficiaires de visas desanté non renouvelés...)Il y a enfin ceux (et de plus en pluscelles) qui arrivent dans des condi-tions irrégulières, le plus souvent, entraversant la Méditerranée dans desconditions de plus en plus dange-reuses comme le souligne un nom-bre croissant de rapports émananttant des ONG que des organisationsinternationales et qui vient de fairedire à l’Organisation internationalepour les migrations (OMI) quel’Europe était désormais le continentle plus dangereux pour les migrants.Au moins 25 000 personnes sont

mortes en Méditerranée au cours des20 dernières années dans une certaineindifférence, au-delà de quelqueslarmes de crocodile. Peu importe queces femmes et ces hommes soient,pour l’essentiel, au regard des natio-nalités concernées (Erythréens,Soudanais, Somaliens, Syriens, Afghansou Palestiniens…) de potentielsdemandeurs d’asile qui ne peuventexercer leurs droits.

Les Centres de rétentionEt quand ils arrivent néanmoins àfranchir les frontières de l’Europeforteresse, ils (elles) sont de plus enplus enfermé(e)s, durant des pér -iodes de plus en plus longues, dansdes centres de rétention au sein des-quels les conditions de vie sont assi-milables à celles des prisons, voirepires, notamment dans les pays dusud de l’Europe, alors qu’ils n’ontcommis aucune infraction pénale.Ils sont majoritairement expulsésvers leur pays d’origine ou les payspar lesquels ils ont transité, et ceuxqui restent dans nos pays vivent leplus souvent dans des conditions demisère extrême puisqu’ils n’ont laplupart du temps droit à aucuneprestation sociale.La réalité est donc assez loin desvisions fantasmées de l’extrême-droite, relayées par un nombre crois-sant d’acteurs politiques. L’enjeu pourla Gauche européenne est donc derepartir à l’offensive pour décons-truire les idées reçues, décrypter lesfaits, nourrir un débat argumenté etconstruire des propositions alterna-tives permettant de renouer avec lesvaleurs de la République ou plus sim-plement celles de l’Humanité si biendécrites dans la Déclaration univer-selle des droits de l’Homme. n

PAR MARIE-CHRISTINE VERGIAT*

P our ce qui concerne la libertéde circulation des marchan-dises, des services et des capi-

taux, les choses ont bien avancédepuis les débuts de la constructioneuropéenne et surtout depuis la miseen œuvre du Marché unique tant surle plan intracommunautaire que vis-à-vis des pays tiers puisque l’Unioneuropéenne (UE) démultiplie lesaccords de libre-échange pour fairetomber les barrières douanières et« éliminer les obstacles à la liberté decirculation ». Les enjeux autour del’accord UE/USA sont suffisammentprégnants dans les esprits pour quel’on voie ce dont il est question.

une euroPe forteressseS’agissant des personnes, noussommes loin du compte et cela vauttant au sein de l’UE qu’à l’extérieur.Dans l’Union, les contrôles aux fron-tières ont, certes, été largement sup-primés du moins pour les ressortis-sants des pays qui ont intégré l’espaceSchengen et dès lors que l’on veut sedéplacer à l’intérieur dudit espacepour une courte durée. Un récentarrêt de la Cour de Justice de l’Union,vient de le rappeler, la libre circula-tion et même d’installation ne vaut,au-delà de trois mois de séjour, quepour ceux qui ont un emploi ou dis-posent de revenus suffisants. Loin desfantasmes du tourisme social mis enavant par l’extrême droite et malheu-reusement relayés par de nombreuxcommentateurs, la liberté de circula-tion continue à obéir à des règlesstrictes y compris à l’intérieur de l’UE.Les Roms ne sont que la triste illus-tration de ce phénomène d’autantplus qu’ils sont, pour ceux et cellesqui viennent en France, majoritaire-ment ressortissants d’un pays, laRoumanie, qui n’est même pas encoredans l’espace Schengen.

une muLtiPLiCité destatutsMais pour les migrants hors UE, c’estpire encore. Nous avons vu ces der-nières années se démultiplier les sta-tuts. D’abord pour les pays avec les-quels sont signés des accords deréciprocité comme les États-Unis, le

Liberté de CirCuLation et frontièreseuroPéennesSi la liberté de circulation existe dans l’union européenne pour les marchan-dises et les capitaux c’est loin d’être le cas pour les êtres humains.

« Le pire étant le statut destravailleurs

saisonniers faisantdes migrants de véritables“travailleursjetables” en

fonction desbesoins des

employeurs. »

*Marie-Christine Vergiat est députéeeuropéenne (Front de gauche).

Réagissez aux articles,exposez votre point de vue.

Écrivez à [email protected]

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sous l’angle du danger et du coûtqu’ils représenteraient pour les socié-tés dites d’accueil : « on ne peut pasaccueillir toute la misère du monde ! »,dit-on.Comme le soulignait Catherine Witholde Wenden dans Les Immigrés et lapolitique (1988), en Europe, jusquedans les années 1970, les flux migra-toires étaient considérés par les pou-voirs publics comme une questiond’ordre purement technique et éco-nomique. Il était laissé au patronat lesoin de gérer comme il l’entendaitl’arrivée d’une main-d’œuvre avan-tageuse et peu coûteuse. Ce n’est querécemment que le contrôle desmigrants est apparu, pour les États,comme une opportunité politique demettre en scène leur propre puis-sance.

une CréoLisation dumonde, une dYnamiqueLa politique européenne de ferme-ture des frontières, commencée aprèsle choc pétrolier de 1973 et qui necesse de se durcir depuis, allant mêmejusqu’à la création en 2004 d’une

Agence européenne pour la gestionde la coopération opérationnelle auxfrontières extérieures, plus connuesous le nom de FRONTEX, via sesconséquences meurtrières en Médi -terranée, pose alors un paradoxe.L’invocation d’une libéralisation tou-jours plus importante du marché,s’incarnant dans des délocalisations,une exploitation intensive des res-sources naturelles, des ingérencespolitiques, s’accompagne d’une assi-gnation à résidence pour ceux et cellesqui ont eu la malchance de naître dumauvais côté de la planète. La migra-tion est présentée à tort comme rele-vant de la responsabilité individuelle,quand elle est un enjeu collectif, à lafois ressort et produit de l’économiecapitaliste mondialisée.Un projet de transformation socialesupposerait de repenser la questionmigratoire et le droit à la libre circu-lation des individus, à l’aune d’une« créolisation du monde », pourreprendre l’expression de PatrickChamoiseau. Pour l’écrivain, nousallons vers une composition dessociétés de plus en plus plurielle, cequi ne doit pas être vu comme unesuccession de greffes mais commeune vraie dynamique. Dépasser le« nous » fictif d’une identité euro-péenne fantasmée dressée contre un« eux » stigmatisé, pour réappréhen-der l’expérience sociale collective etinventer de nouvelles formes de soli-darités. n

PAR MORANE CHAVANON*

À l’heure où l’on ne cesse devaloriser la libre circulationdes capitaux et la mobilité des

étudiants et travailleurs des pays occi-dentaux, les migrants provenant despays du Sud font l’objet d’un contrôleaccru et d’une véritable criminalisa-tion. Les corps migrants ne bénéfi-cient pas des mêmes droits, à com-mencer par celui à la libre circulation,ni de la même image sociale en fonc-tion de leur provenance.

Le ContrôLe des migrants,une oPPortunitéPoLitique Pour Les étatsAu sein de l’Union européenne et dela zone Schengen, les déplacementsde citoyens communautaires sontprésentés comme les symboles d’unmonde moderne et « connecté ». Àl’inverse, les migrants originaires descontinents africain ou asiatique, émi-grant pour des raisons politiques, éco-nomiques voire écologiques versl’Europe sont immédiatement perçus

Liberté et migrationsLa migration est présentée à tort comme relevant de la responsabilité indivi-duelle, quand elle est un enjeu collectif, à la fois ressort et produit de l’écono-mie capitaliste mondialisée.

*Morane Chavanon est politiste. Elleest doctorante en sciences politiquesà l’université Lyon-2.

« Le “libéralisme” c’est la“concurrence effrénée” : lestravailleurs, isolés et sans défense,livrés à la merci de maîtresinhumains ».Léon Xiii, Rerum Novarum, 1891.

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classe. Certains parlent de « neutra-lité du net », c’est vite dit, ce serait àcreuser (voir le dossier « Fab-lab » dun° 40, octobre 2014).

quels sont alors les enjeux poli-tiques ?s.m.  : Il y a des contradictions. Aumoment où Nice-Matin se constitueen Société coopérative d’intérêt col-lectif (SCIC), ce qui est intéressant,Macron veut modifier la loi anti-concentration de la presse, soi-disantpour tenir compte de la presse surInternet, c’est-à-dire de fait pourcontourner les règles au profit desgroupes financiers.Y.L.P. :Effectivement. Le fait de chan-ger la donne ne doit pas signifier, aunom du « changement », le retour àavant 1945. Le logiciel libre, c’est aussidu travail gratuit qui est ensuiteexploité par les grandes firmes. Poury échapper, il faut un autre fonction-nement de l’économie : si on se dirigevers une économie de la contribution,c’est bon ; si c’est une économie dela prédation, alors les biens communssont l’objet d’une espèce de pillage etle numérique exacerbe les contradic-tions.

Peut-on parler d’une liberté d’en-treprendre au bon sens du terme ?s.m. : Un exemple, apparemment, c’estle crowd-funding, c’est-à-dire le finan-cement participatif. Par un appel aupeuple, les salariés de Nice-Matin ontobtenu 500 000 euros, les ouvrièresde Lejaby 375 000. Ce n’était pas suf-fisant, mais, du coup, la Banquepublique d’investissement (BPI) a dûaccepter de participer à la relance.Cela dit, les gens ont donné sansretour prévu ; mais ces sommesauraient dû être prises sur les impôts

qu’on paie ; il y a alors le risque de sesubstituer à la puissance publique,de décharger le pouvoir de ses devoirs.Y.L.P. : Oui, voici un autre exemple, lesgens qui ont des projets culturels envue se disent souvent : obtenir l’ar-gent public (pourtant naturel en cedomaine) c’est de plus en plus diffi-cile et puis souvent, c’est sous desconditions de dépendance inaccep-tables ; les banques diront non ; doncon essaie le crowd-funding. Ainsi c’estsouvent un choix par défaut.

un vrai espace de liberté, ne serait-ce pas du « ni marché, ni état » ?Y.L.P. : C’est effectivement une idéequi monte en force.s.m. : Il y a de nouvelles façons de fairedans le sens de l’intérêt public. Oui,le secteur « public » classique n’estquelquefois que de l’étatique, n’allantpas dans le sens de l’intérêt public, iln’y a qu’à voir ce qui s’est passé pourle barrage de Sivens dans le Tarn, oùles populations n’ont pas été consul-tées, les enjeux écologiques pas prisen compte, les intérêts de tous les pay-sans partiellement oubliés au profitde quelques-uns. Une régie locale del’eau n’est pas toujours un espace dedécision collectif. La proposition deloi du PCF sur l’eau tente de dépas-ser ces obstacles :http://www.pcf.fr/sites/default/files/exe_brochure_eau_web.pdf n

ENTRETIEN AVEC SYLVIE MAYERET YANN LE POLLOTEC*

L’économie sociale et solidaire, est-ce de nouvelles libertés ?s.m. : Je dirais plutôt des potentialitésde libertés. Par certains côtés, lesfameux nouveaux droits pour les sala-riés sont déjà là dans les coopératives.Les travailleurs peuvent participercollectivement aux stratégies de l’en-treprise, ce qui leur est interdit ail-leurs. Mais ces potentialités ne setransforment en réalité que dans cer-tains cas. Par exemple, les sociétairesdu Crédit mutuel ou du Crédit agri-cole (en principes mutuelles) ont defait beaucoup moins de droits que lesactionnaires de la BNP, car tout estbouclé à l’avance. Donc c’est à voirsur chaque cas.

et dans la révolution numérique ?Y.L.P. :Le numérique a une puissancegigantesque qui peut jouer dans lesdeux sens, celui des possibles pourles gens, celui d’aliénations et decontraintes nouvelles. Prenons les bigdata, c’est-à-dire les immensesmasses de données, souvent brutes,non structurées, variées, arrivant etchangeant rapidement. Autrefois, cesdonnées étaient à la discrétion de trèspeu de monde. Aujourd’hui, elles sontsouvent largement accessibles, sansrestriction juridique, financière outechnique, c’est l’open data, il y a doncdes possibilités de maîtrise et d’inter-vention pour tout le monde, en prin-cipe. Mais si le rapport de forces n’estpas en faveur de l’intérêt général, alorsça peut déboucher sur des coercitionset un contrôle social terribles. C’estpourquoi est illusoire cette idéologiedu « solutionnisme », qui prétend oufait croire qu’il suffirait de laisser agirla « révolution numérique » en courspour faire disparaître les sociétés declasse. Ces potentialités ne dispen-sent pas de faire de la politique. Il nes’agit pas que du respect de la vie pri-vée (question certes importante),mais aussi de savoir qui a la maîtrisedes processus. Par exemple, les don-nées et méthodes produites librementpar les usagers représentent aussi dutravail (non rétribué), d’où une sourcede profits potentiels pour ceux qui lesaccapareront. C’est une question de

des Libertés nouveLLes ?Les nouvelles formes d’organisation, économie solidaire, fab-lab... peuventouvrir des espaces de liberté si les rapports de force sont en faveur de l’inté-rêt général, ce qui nécessite des luttes politiques intenses.

*Sylvie Mayer et Yann Le Pollotecsont respectivement responsable dusecteur Économie sociale et solidaireet Révolution numérique du Conseilnational du PCF.

« Le peuple de genève, enconsacrant cet édifice aux étudessupérieures, rend hommage auxbienfaits de l’instruction, garantiefondamentale de ses libertés. »Fronton de l’université de Genève, loi du 26 juin 1877.

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la rubriQue «lectrices et lecteurs» Fait aPPel À Vous !La Revue du projet est un outil au service de l’élaboration du projet

communiste du xxie siècle. Ce travail ne peut se faire qu’en associantle plus grand nombre à notre réflexion collective. La rubrique « Lectrices

et lecteurs » vous ouvre ses colonnes tous les mois : n’hésitez pas àréagir, à donner votre avis, à nous envoyer vos remarques sur les dossiers

thématiques que nous réalisons ! Écrivez à [email protected] !

il y a 150 ans, le 28 septembre 1864, était fondée l'association internationaledes travailleurs, également connue sous le nom de première internationale.tentative inédite visant à donner au mouvement ouvrier une forme institu-tionnelle dépassant les frontières, l'association internationale des travail-leurs connaîtra une postérité bien au-delà de sa dissolution en 1872. elleinspirera notamment l'internationale ouvrière de 1889 et l'internationalecommuniste de 1919. Le manifeste inaugural et le règlement provisoire del'ait ont été rédigés par Karl marx à l'automne 1864. Ces textes constituentle cadeau de nouvelle année de La Revue du projet à ses lecteurs.

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Toute l’équipe de La Revue du projetvous souhaite une belle année 2015

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francis velain* réagit au dossier « Fab-lab, du bidouillage informatique à l’invention sociale »paru dans La Revue du projet, n° 40, octobre 2014

dans les années 50, « les castors », construisaient collective-ment eux-mêmes leur habitation. il y a quelques années, s’ou-vraient des garages de réparation automobile où tous les outilsétaient mis à disposition du particulier. les fab-labs ne s’inscrivent pas dans cette seule dynamique. ilstouchent à l’évolution du travail. l’idéologie libérale-libertaire yest fortement présente. les travaux de Michel clouscard sontune base de départ pour l’analyse. la mise en perspective his-torique et l’examen du positionnement du capital sont aussiutiles. le concept est né au Mit. le premier a coûté 20 millionsde dollars pour révéler les promesses du « numérique ». Puis,l’équipement fut modifié, son prix ramené à 20 000 dollars,pour former des étudiants aux potentialités du numérique enmatière de production matérielle. Pour J.b. say (1767-1832) économiste libéral : « l’agglomérationdes hommes [est] nécessaire pour que les connaissances utilesse conservent et s’accroissent. […] l’homme isolé ne sauraitjamais que ce qui lui aurait appris sa propre expérience. dans lasociété, chacun profite de l’expérience de tous ».

LesFAB-LABS, une resPonsabiLité PubLiquela démarche « fab-labs » s’inscrit pour une part dans le prolon-gement de ces considérations. certains veulent en faire uneaffaire privée et non une responsabilité publique. Mais elle peuteffectivement concourir à une appropriation sociale du meil-leur des avancées scientifiques et techniques, tant dans la sphèrepersonnelle qu’économique. elle cherche à intégrer la dyna-mique de l’apprentissage par la pratique et le travail collectif etses effets sur [l’intelligence de] l’individu et le collectif. en celaelle rejoint les analyses de Piaget dont les travaux sur « l’appren-tissage expérientiel […] soulignent le rôle proactif de l’individusur son environnement dans l’acte d’apprendre. en effet, l’ap-prentissage est nécessaire à l’émergence de toute intelligence,car les nouvelles connaissances sont indispensables pour s’adap-ter à l’environnement » (Piaget 1972, le Moigne 1984).deux aspects positifs dans la démarche – diffusion des connais-sances et formation aux qualifications nécessaires – sont doncrepérables, non comme nouveautés devant tout à la technolo-gie mais comme prise en compte renouvelée de considérationsanciennes où progressistes et bourgeoisie ont déjà puisé. lesfab-labs sont aussi des lieux où particuliers, PMe ou multinatio-nales louent des outillages qu’ils n’ont aucune utilité à acheter.de quoi vivent les hommes qui animent ces lieux ? d’où vient lebudget de fonctionnement de ces structures ? et de quoi viventou vivront leurs usagers ou clients ? J’ai beau relire l’interview de Y. Moulier-boutang (La revue du pro-jet, octobre 2014), j’ai toujours du mal à croire que la sociétéfuture échappera au besoin de produire et répartir le puddingde Marx ; qu’il suffira d’y échanger « marques » et « appellationscontrôlées » plutôt que produits ou brevets. Par contre, j’en-tends Fabien eychenne. le fab-lab, « c’est un endroit où l’onpeut faire un prototype. de là à devenir de véritables usines, enl’état actuel, je n’y crois pas. Pour cela, il faudrait un perfection-nement des machines. de plus, ces lieux ne sont pas penséspour de la production de masse ».

Le finanCement des FAB-LABSJ’ai aussi du mal à concevoir que les savoirs ne fassent pas usagemais seulement pratique. Pour moi, « financement » du travailet moyens de subsistance des uns et des autres restent un pro-blème ! À la création du cnaM en 1794, grégoire déclara : « Je

n’ai point encore parlé des dépenses, soit fixes, soit variables,de cet établissement ; nous les avons calculées à la somme de16 000 liv. annuelles, […] si l’on considère d’ailleurs qu’il s’agit icid’éclairer l’industrie, de porter partout son flambeau, on sentiraque peut-être jamais il ne fut d’argent placé à plus haut intérêt ».une telle lucidité reste d’actualité !

neil gershenfeld, initiateur du concept, ne cache pas les raisonsde la création du fab-lab à 20 000 dollars après celui à 20 mil-lions : « aujourd’hui, quand vous dépensez autant d’argent, legouvernement demande que vous fassiez du travail de proxi-mité, ce qui veut souvent dire des cours dans des écoles voi-sines, un site internet ; tout un tas d’activités pas très passion-nantes. donc je me suis mis d’accord avec le directeur duprogramme qui me finance : plutôt que de parler du système,je donne aux gens l’accès aux machines ».aujourd’hui la recherche publique, les universités françaises,créent leurs fab-labs. les fab-labs associatifs courent aux sub-ventions, au mécénat et parfois développent des offres mar-chandes pour assurer leur budget. l’appropriation sociale dessciences et techniques coûte toujours avant de pouvoir rappor-ter ! de « jeunes entrepreneurs créatifs » y voient le moyen defaire profit de ce besoin social et économique stratégique. le 9 octobre 2014, L’usine digitale titrait : « connaissez-vousTechShop, le fab-lab qui fait du business ? ». derrière le fab-labparisien « usine io », La Tribune a retrouvé « quelques fondsd’investissement connus (xavier niel, henri seydoux, Jacquesantoine granjon, arnaud de grange...) mais avec entre 500 000et 800 000 euros de matériel, le loyer dans le 13e arrondisse-ment, il va falloir, essentiellement avec les abonnements, entre1,5 et 2 millions d’euros de chiffre d’affaires par an pour être àl’équilibre ».Voilà qui ne fera pas disparaître les problématiques de la pro-priété des moyens de production et de l’échange marchand !les fab-labs de renault, airbus, air liquide, ne lèveront pas l’hy-pothèque. la charte du mouvement associatif fab-lab non plus.elle ne promet pas la révolution des rapports sociaux.Plus que le fab-lab, c’est le numérique qui doit retenir notreattention. il « va animer la prochaine révolution industrielle, c’estle pétrole du xxie siècle ». Pour le capital, le fab-lab est uneréponse organisationnelle du travail numérique et de ses qua-lifications au concept de société et d’économie de la connais-sance. Produire de la connaissance devenant objet d’une indus-trie et d’un commerce, il faut « produire du jus de cervelle »(Pascal lamy - lcP - 2 avril 2014). le capital s’en donne déjà lesmoyens en formant les nouvelles générations de salariés à cevaste projet.il faut gagner une formation républicaine aux enjeux, usages ettechniques numériques et investir politiquement l’entreprise.les salariés de la révolution numérique y vendront leur force detravail même si leurs aspirations et besoins diffèrent de ceux dela révolution industrielle.

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*Francis Velain est ingénieur informaticien.

« L’appropriation sociale dessciences et techniques coûte

toujours avant de pouvoirrapporter ! »

Le projet communiste au défi des fab-labs

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

Le grand entretien

notre générationest révolutionnaireau lendemain du congrès du mouvement jeunes communistes de France(mjCF), nordine idir, son secrétaire général, en résume l’orientation. pourLa Revue du projet, il revient sur les batailles menées par les jeunes com-munistes, expose l’analyse qu’ils font de la situation de la jeunesse deFrance. nordine idir évoque également le rôle qu’entendent jouer les jCdans le mouvement communiste et leur apport au projet communiste denouvelle génération.

ans le marasme général, lecongrès du mjCf parle de«  génération révolution  ».en quoi la jeunesse defrance a-t-elle intérêt àune transformation révo-

lutionnaire de la société ?nous parlons de « génération révolu-tion » car nous vivons une période debouleversements intenses. la crise, dumoins dans sa dernière phase avec l’im-plosion de la bulle financière de 2008,ouvre une nouvelle séquence. des recon-figurations sont à l’œuvre à l’échelle mon-diale et sont le fruit de changementssociaux considérables. nous vivons uneépoque où les formidables développe-ments humains se confrontent à des loisde l’argent toujours plus violentes. cettecontradiction fait émerger de nouvellesaspirations populaires et remet en sellel’idée d’une alternative. la révolutioninformationnelle symbolise à cet égardcette dynamique et les formidablespotentiels de lutte.

les grandes mobilisations des dernièresannées en sont l’illustration. Voilà pour-quoi nous caractérisons notre généra-tion comme étant révolutionnaire. nouspensons qu’il existe les germes d’unchangement de société radical qui met

les besoins humains au cœur. la jeu-nesse de ce pays a intérêt au change-ment de société parce qu’elle subit l’en-semble des oppressions et desrelégations dans la formation, le monde

du travail, l’accès à la citoyenneté. notregénération est en capacité de relever lesdéfis sociaux de demain. elle est pour-tant brimée par des dispositifs infantili-sants et précaires. la jeunesse de cepays a intérêt à une transformation révo-lutionnaire car c’est la voie pourconstruire son avenir et le maîtriser. lapériode politique où les mobilisationssociales d’ampleur fleurissent, montreles potentiels de révolte.

quelle analyse faites-vous de lapolitique du gouvernement à l’égardde la jeunesse ?les jeunes ont porté leur suffrage large-ment pour le président actuel en 2012

pour en finir avec nicolas sarkozy. Plusque des promesses, ce sont des aspira-tions portées durant les mobilisationsdes quinquennats de droite précédentsqui les a animés. François hollande a

notamment déclaré vouloir être jugé surla justice et la jeunesse.cela s’expliquait par la mobilisation quenous avons menée avec plus de soixanteorganisations de jeunesse pour exiger deremettre les jeunes dans la sphère du droitcommun. Force est de constater que lesdispositifs mis en place depuis deux anss’inscrivent dans la continuité des poli-tiques de précarisation précédentes. lesjeunes sont en effet au cœur de la spiraleinfernale du coût du travail et sont mépri-sés comme jamais. les chiffres recordsde chômage et de pauvreté nous placentdans une situation alarmante, confirméepar le dernier rapport de l’uniceF sur leseffets de la crise pour les plus jeunes. nos

D« La jeunesse de ce pays a intérêt à une

transformation révolutionnaire car c’est lavoie pour construire son avenir et le

maîtriser. »

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formations sont attaquées par l’austéritécomme jamais et soumises aux deside-rata des actionnaires. notre génération connaît un bascule-ment : celui de se construire sans lessolidarités d’institutions socialesconquises de haute lutte. nous sommesstructurés par la débrouille et les priva-tions.

le pire, c’est que les mobilisationssociales de notre part sont mépriséesou sévèrement réprimées. de la luttepour nos camarades sans-papiers auxluttes contre les restrictions budgétairesdans le monde éducatif en passant parles luttes d’entreprises ou les manifes-tations de cet été pour la liberté du peu-ple palestinien, nos actions sont discré-ditées en permanence. on nous refusele droit à exprimer une dénonciation surnos conditions de vie, nos aspirationsqui sont malgré tout structurées par undiscours de solidarité.

votre congrès a été l’occasion defaire le point sur les campagnesmenées par le mouvement jeunescommunistes. quelles sont-elles ?quelles nouvelles batailles ont étélancées ?nous pensons qu’il faut tracer des conti-nuités dans nos campagnes pour mar-quer notre génération. nous construi-sons des campagnes autour de deuxgrands axes de bataille.la lutte pour la conquête de nouveauxdroits et la sécurisation de nos parcoursde formation et d’emploi constitue notrepremière intervention. nous voulonsfaire en sorte que chaque jeune puisse

« Force est deconstater que lesdispositifs mis en

place depuis deuxans s’inscrivent

dans la continuitédes politiques de

précarisationprécédentes. » Champ : jeunes issus du secondaire dont la région de formation se situe en France métropolitaine.

Source : Enquête Génération 2004 (CEREQ).

TAUX DE CHOMAGE EN FIN DE TROISIÈME ANNÉE DE VIE ACTIVE DES JEUNES ISSUS DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Champ : jeunes diplômés issus du supérieur dont la région de formation se situe en Francemétropolitaine.Source : Enquête Génération 2004 (CEREQ).

TAUX DE CHOMAGE EN FIN DE TROISIÈME ANNÉE DE VIE ACTIVE DES DIPLÔMÉS DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

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être en maîtrise de son parcours de vie.Pour cela, il faut actionner les leviers quipermettent de mettre les besoins desjeunes au cœur de toute politique dejeunesse. en clair, il s’agit de rompre avecles politiques de relégation actuelle.accès égal aux formations sur l’ensem-ble du territoire, réglementations et accèsà un emploi digne pour les jeunes ensituation de formation professionnelle(apprentis, stagiaires), appropriationsociale des finalités de la production etla recherche : voilà les piliers d’un soclede droits sociaux qui ne sera viable quepar une reprise en main sur nos richesses.nous mènerons la bataille acharnée pourdéconstruire les discours dominantautour du coût du travail et montrer lesvéritables injustices.

c’est un statut social qui a pour ambi-tion de ne pas en rester à la simpledénonciation d’un cycle infernal de pertede nos droits. nous voulons retirer nosvies des méandres du marché pour seréaliser au travail et relever les défissociaux de demain.notre seconde campagne porte sur laPalestine. nous bataillons pour conqué-rir la reconnaissance de l’État dePalestine dans les frontières de 1967 parla France. Face aux affres du colonia-lisme, nous ne pouvons rester specta-teurs. cette perspective est réalisableau vu des derniers événements et mobi-lisations. notons que les jeunes y ontpris une place motrice et nos initiativesde terrain attestent de cette dynamique.nous avons 30 000 pétitions de jeunespour la reconnaissance de l’État pales-tinien le 28 novembre dernier. Pourautant, l’urgence est bien présente tantle peuple palestinien est agressé en per-manence par un gouvernement israé-lien d’extrême-droite qui poursuit lacolonisation et les bombardements entoute impunité. nous voulons mettreles autorités françaises devant leur res-ponsabilité tant la responsabilité de laFrance et de l’union européenne estgrande. la reconnaissance ne doit

qu’être un premier pas pour avancervers la réalisation d’un État palestinienviable et souverain. cela passe par l’ap-plication des résolutions internationalespour entamer la décolonisation des ter-ritoires occupés. enfin, les prisonniersconstituent une autre problématique àrésoudre pour œuvrer à rendre la paroleà un certain nombre de représentantslégitimes (et élus) du peuple palesti-nien, dont Marwan barghouti. une cam-pagne internationale pour leur libéra-tion est lancée depuis un an et nouscomptons nous y investir pleinement.cette campagne constitue un outil pré-cieux pour dérouler d’autres fils en mon-trant que notre action peut avoir desrépercussions internationales. Par ail-leurs, la situation en Palestine cristallised’autres sujets que nous devons inves-tir : la prétendue «  importation duconflit » révèle un travail de fond deforces réactionnaires pour apposer desgrilles de lecture ethno-religieuses surle monde et particulièrement la sociétéfrançaise. Par le récit de nos voyages,nous déconstruisons des clichés savam-ment entretenus et pour donner lesréelles perspectives d’action qui per-mettraient de relayer l’aspiration d’unpeuple à vivre sur sa terre. il s’agit aussid’un enjeu politique pour évoquer lesrelations internationales et construireune culture de paix face aux périls inter-ventionnistes et belliqueux au nom d’in-térêts économiques contraires aux peu-ples. la situation au Moyen-orient, enukraine, le démontre assez bien.

Le mjCf a modifié ses statuts, dansquels buts ?nous sommes partis du constat quenous sommes à une période charnière.la violence de la crise nécessite uneréponse à la hauteur des enjeux. Pourcela, nous voulons adapter notre mou-

vement aux réalités des jeunes pour leurdonner l’espace politique pour réaliserleurs aspirations. nous déployons despratiques d’éducation populaire, de soli-darité concrète pour politiser les besoinsdes jeunes, leur donner un cadre d’ex-pression. Par des actions comme destournois sportifs, du soutien scolaire,l’accès aux vacances, il s’agit de montrernotre utilité concrète. bien évidemment,nous restons actifs dans les luttes quo-tidiennes. nous voulons simplement amplifier notreaudience auprès des jeunes. notre

objectif de passer le cap des 20 000adhérents dans trois ans correspond àcette ambition. il s’agit moins d’un butquantitatif que de lier les aspirations dechangement de nombreux jeunes avecun cadre pour les réaliser. Faire sa placeà un maximum de jeunes relève d’unedémarche essentielle pour réaliser nosobjectifs politiques. le nombre ne faitpas tout mais il permet quand même demener un rapport de forces face auxforces de l’argent. les dynamiques col-lectives sont plus qu’essentielles pourtransformer radicalement la société.c’est à la fois une condition en mêmetemps qu’une démarche à alimenter enpermanence.

Comment concevez-vous le rapportdu mjCf avec le PCf ? quel  peut-être selon vous l’apport les jeunescommunistes à la construction duprojet communiste de nouvellegénération ? se limite-t-il aux ques-tions de jeunesse ?

nous concevons le rapport entre le MJcFet le PcF de manière fraternelle etconstructive. nous avons des interven-tions complémentaires. il s’agit pour nousd’être une porte d’entrée en politiquepour les jeunes de ce pays et leur don-ner les outils de compréhension dumonde pour agir collectivement. nousne cachons pas évidemment notre visée,résolument révolutionnaire. nous réfléchissons quotidiennementaux voies pour dépasser ce capitalismedestructeur qui empêche de bâtir notreavenir. la perspective d’un autre mondereprend forme et nous voulons y parti-ciper. nous concevons ainsi cettedémarche à travers les défis d’avenir quiattendent notre génération. Quelle agri-culture pour nourrir la planète ? Quelleindustrie pour répondre aux besoins

énergétiques et sociaux ? comment sor-tir des logiques d’affrontement qui nousmènent à la guerre ? Quelle école, quellesformations pour demain ?Voilà des chantiers qui ne sont pasminces ! notre génération doit y pren-dre pleinement place pour y faire valoirles solutions de partage. Plus qu’unappendice délégué aux affaires de jeu-nesse, nous concevons notre mouve-ment dans une dynamique collective auservice des jeunes et de notre idéal. n

« adapter notre mouvement aux réalitésdes jeunes pour leur donner l’espace

politique pour réaliser leurs aspirations. »

« Construire uneculture de paix face aux périls

interventionnisteset belliqueux aunom d’intérêtséconomiquescontraires aux

peuples. »

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Marée noire au Bangladesh :« rompre le silence et agir avec urgence »Nous apprenons qu’une catastrophe environnemen-tale et humaine se déroule actuellement auBangladesh : une marée noire est en train de détruirela plus grande forêt de mangroves du monde dont200 000 personnes, souvent très pauvres, dépendentpour leur nourriture. Située dans le Sundarbans, dansle delta du Gange, ce sont déjà près de 50 km2 qui sontrecouverts par les 350 000 litres de pétrole qui se sontéchappés lors d’une collision entre deux bateaux. Surplace, on assiste à des scènes irréelles où, livrés à eux-mêmes, les Bangladais tentent seuls de lutter contrela marée noire, armés de pelles et de filets de pêche.Le pétrolier quant à lui se contente de racheter auxBangladais le pétrole qu’ils ramassent : le cynisme etla cupidité atteignent ici leur paroxysme. Aussi, au-delà du drame humain ce sont aussi près de 260 espècesd’oiseaux, des espèces déjà menacées, comme le tigredu Bengale, le crocodile marin ou le python indien quisont directement mis en danger dans une forêt clas-sée au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le PCF déplore que cette catastrophe, touchant unpays pauvre, ne provoque pas de réactions à la hau-teur du drame. Trente ans après la catastrophe deBhopal presque jour pour jour, c’est encore la préser-vation des profits qui passe avant la protection de l’en-vironnement et des populations qui y vivent. Ces popu-lations sont victimes d’une double injustice : la pauvretéqui les rend très vulnérables pour faire face à de telsévénements et l’indifférence générale de la commu-nauté internationale. Au contraire, des moyens d’ur-gence pour enrayer cette pollution devraient être déblo-qués dès maintenant, et, à plus long terme, devrait êtreinstaurée une solidarité internationale pour permet-tre à ces pays de sécuriser leurs moyens de transportde combustibles et pouvoir se doter d’une législationenvironnementale du même niveau que celle des paysriches.

SECTEUR ÉCOLOGIE

Législatives au Japon : Le PCF salue les progrès du Parti communiste japonaisEn provoquant des élections législatives décidées le18 novembre pour le 14 décembre, le premier minis-tre conservateur Shinzo Abe espérait couper court audébat sur sa politique. Il a réussi son coup de force, fai-sant passer l’abstention de 40 à 47 %. Il ressort ren-forcé de cette élection et remporte avec son allié cen-triste « Le Komeito », 325 sièges sur les 475 de la chambrebasse, avec le projet d’aller plus loin dans sa politique

des « abenomics » et de rogner encore sur le pouvoird’achat des Japonais.

Dans ce contexte difficile, le PCJ est la formation quiprogresse le plus, remportant 21 sièges contre 8 en2012. Alors que Shinzo Abe a d’ores et déjà promis unenouvelle hausse de la TVA en 2017 et qu’il prépare unrecul historique de la constitution pacifique du Japon,le PCJ apparaît aujourd’hui comme la force d’opposi-tion déterminée à résister au côté du peuple japonais,mais également en mesure de proposer des mesuresalternatives, comme la proposition d’une fiscalité pro-gressive que le PCJ oppose à la hausse de la TVA.

Le PCF félicite chaleureusement le Parti communistejaponais et son président, Shii Kazuo, pour ce résultatqui confirme et amplifie les progrès des dernières élec-tions municipales et sénatoriales.

SECTEUR INTERNATIONAL

Éric Zemmour, l’incarnation de la pensée raciste et xénophobeÉric Zemmour s’est encore répandu dans les média.Le quotidien est cette fois-ci italien, Corriere della serra,certainement pour échapper aux poursuites judiciairespour incitation à la haine raciale.

Invité sur toutes les ondes, Éric Zemmour est le plusgrand propagandiste de la théorie d’extrême droite dugrand remplacement. Islamophobe confirmé, il théo-rise l’impossible mélange entre Français et Arabes,compare l’immigration à l’invasion allemande pen-dant la guerre, et affirme, pour justifier la déportationde musulmans que la « situation d’un peuple dans lepeuple, des musulmans dans le peuple français, nousconduira au chaos et à la guerre civile ».

Le racisme n’est pas une opinion mais un délit. Quelledifférence entre Éric Zemmour et le sulfureux BlocIdentitaire avec lequel même Marine Le Pen refuse des’afficher officiellement ? Quelle différence entre ÉricZemmour qui veut déporter les musulmans et ledéputé-maire d’extrême droite Jacques Bompard quidéclarait récemment aux assises de la remigration duBloc Identitaire, militer pour « encourager le départ deceux qui polluent notre société ».

Il semble malheureusement qu’il n’y ait guère de dif-férences entre ces idéologues de l’extrême droite dureinterdits d’antenne et Éric Zemmour dont les médiaont assuré la promotion du livre Le suicide français.Face à cette normalisation, aussi inquiétante que scan-daleuse, de la pensée raciste et xénophobe incarnéepar Éric Zemmour, le PCF appelle au sursaut.

SECTEUR LUTTE CONTRE LE RACISME

BRÈVES DE SECTEUR

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a campagne de solidarité avecgaza, l’été dernier, a permis auxmilitants communistes, de tis-ser des liens nouveaux, danscertains quartiers, avec dessecteurs de la jeunesse popu-

laire réticente jusque-là à la chose poli-tique. elle a permis aussi de constaterque de drôles d’idées pouvaient circu-ler dans ces cités, véhiculées pard’étranges apôtres. Pas le genre barbu-djellaba, plutôt celui de bonimenteursbranchés qui la jouent « anti-empire »pour vendre leurs vieilles lunes antisé-mites. c’est notamment le travail de genscomme alain soral, qui ciblent les popu-lations jeunes et musulmanes des quar-tiers populaires.soral n’est pas un inconnu. Venu dumonde du spectacle, et après, paraît-il,un bref passage au PcF au début desannées 1990, il incarne, un temps, cequ’on appela les « bruns-rouges », autourde la revue L’Idiot International : une phra-séologie néogauchiste au service d’unprojet autoritaire, un propos prétendu-ment anticapitaliste et une haine de ladémocratie.en 2007, avec des membres du gud

extrême droiteLa ronde des boucsémissairesdu juif ou de l’arabe, qui sera le bouc émissaire de la droite ultra ?L’idéologue alain Soral, qui tente de rabattre les jeunes de banlieue, optepour l’antisémitisme. mais d’autres, au Fn, prônent le rapprochement avecisraël et voient plutôt dans la communauté musulmane le nouvel ennemide l’intérieur. ou comment l’extrême droite louvoie, infiltre, teste ets’adapte ?

(groupe étudiant d’extrême droite), ilfonde l’association « Égalité et réconci-liation » (transformé récemment en partipolitique).sa philosophie ? le « nationalisme degauche ». Étrange oximoron, typique decette confusion entretenue par le per-sonnage. la page de garde de son siteest symptomatique de cette volontéd’embrouille. un mot d’ordre s’affiche :«  gauche du travail et droite desvaleurs  »  ; le propos est agrémentéd’images. À gauche du bandeau d’ou-

verture, on distingue une assemblée depersonnalités, Fidel castro, che guevara,des leaders du tiers-monde, lesquelssemblent s’adresser à deux personnagesà droite de l’écran, un couple insoliteformé par Jeanne d’arc et alain soral lui-même !ce bricolage mégalo pourrait prêter àsourire ; n’empêche qu’en ces temps deméli-mélo idéologique et de grand n’im-porte quoi, il rencontre quelques échos.

La banLieue dans La hottede marine Le Pen ?soral part, entre autres, de réalités, l’ex-plosion des inégalités de classe, le brouil-

lage des repères gauche/droite, la trahi-son récurrente d’élites socialistes, le trai-tement méprisant des pays du sud, l’in-gérence sans vergogne de puissancestelles que les États-unis, pour caricatu-rer ces enjeux, transformer la critiqueen sentiment haineux, détourner lescolères, trouver des boucs émissairesfaciles, glisser de l’argument de classevers des délires de races et de« souches ». À sa manière, il a apportésa petite pierre à l’entreprise de dédia-bolisation du Front national. Formation

dont il fut membre du comité central(2007). en 2009, soral se présente auxélections régionales en Île-de-Francesur la liste « antisioniste » du comédiendieudonné dont il est, dit-on, le gourouet l’idéologue.c’est donc ce personnage qui, ces der-niers temps, s’est senti investi d’une mis-sion : amener dans la hotte du Frontnational les jeunes des banlieues.objectif compliqué quand on sait enquelle considération la droite extrêmetient l’étranger, de surcroît venu du sud.Mais soral a cherché de nouvelles portesd’entrée. dieudonné et son théâtre dela Main d’or en est une, la plus média-

« un personnage qui, ces derniers temps,s’est senti investi d’une mission : amener

dans la hotte du Front national les jeunes desbanlieues. »

PAR GÉRARD STREIFF

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tique. soral, homme de spectacle, necraint pas, pour la cause, de jouer parexemple les « bons » courants du rapcontre les mauvais, jugés lubriques ou« cosmopolites ». signe de ces relations(tendues), la chanson du rappeur Médineintitulée Mc soraaaal...

comment peut s’établir une complicitéentre un dandy de la droite radicale et desjeunes de milieux populaires ? entretenantune obsession anti-israelienne au nomd’un « anti-sionisme », il nourrit un dis-cours antisémite discret. soral connaît lepoids des mots et le coût des lois, il segarde bien d’user de mots qui fâchent etde rhétoriques prohibées mais sa proseest à lire entre les lignes. il y a dans sa lit-térature un antisémitisme implicite, allantde soi, convenu, sous-entendu, tacite.« Pas la peine d’insister, vous m’avez com-pris ! » répète-t-il à ses adeptes. lesquels,dans les tribunes de discussion de sonsite, se montrent beaucoup moins pré-cautionneux que lui. et disent tout hautce que le clan pense tout bas.soral propage pareillement un conser-vatisme moral, anti-homosexuels, anti-féministe, anti-mariage-pour-tous, il lajoue machiste, autant de « valeurs » cen-sées rencontrer les expressions les plusmoralistes d’une certaine lecture réacde l’islam.là encore, le propos est plutôt pervers,et biaisé. Quand soral (qui aime s’affi-cher dans la posture du dragueur, il enfit des romans, des essais, des specta-cles) part en guerre contre le féminisme,c’est parce que, dit-il, il y voit une maniede la bourgeoisie pour détourner d’une

analyse marxiste de la condition de lafemme… c’est ce genre de charabia gau-cho-facho ou facho-gaucho, comme onvoudra, qui attire certains.le projet était donc d’amener dans lacorbeille de Marine le Pen l’électoratmusulman, à commencer par la jeunessedes cités. notons, au passage, que d’au-tres, à droite, ont nourri cet espoir, etmarqué malheureusement des points.exemples : l’udi lagarde, en seine-st-denis, qui a su séduire ces mêmesmilieux par un clientélisme forcené.Problème pour soral : le Fn s’est divisésur l’enjeu ; on s’y dispute l’oreille de laprésidente et ce parti ferait, depuis peu,les yeux doux à israël (voir l’extrait joint),sous l’influence d’un certain aymericchauprade, « géopolitologue discretpassé par l’École de guerre », nous signaleMarianne. « soral n’a pas d’influence surMarine, dit ce dernier, il s’est auto-investi

d’une mission que personne ne lui aconfiée. si sa mission est de ramener lesmusulmans en leur expliquant que le Fnest un parti antisémite ou antisioniste –parce que j’ai l’impression que ça devientun peu la même chose — il s’est trompéd’adresse. »c’est un peu comme si, dans ces milieuxextrémistes, soral avait, aujourd’hui, fina-lement moins la cote, qu’un serge Moati,« juif et socialiste » comme l’écrit com-plaisamment Le Monde, lequel Moati,dans son Le Pen, vous et moi, a bienœuvré à la normalisation de ce parti defachos-bobos qu’est le Fn.il n’en demeure pas moins qu’unerécente enquête iFoP, pour la Fondationpour l’innovation politique (FondaPol),de dominique reynié, montre que c’estchez les électeurs de Marine le Pen quese situe le plus haut niveau d’antisémi-tisme. n

« Soral propagepareillement

un conservatismemoral,

anti-homosexuels,anti-féministe,

anti-mariage-pour-tous »

extraits

Le Fn, LeS juiFS, LeS muSuLmanS« Le fn aurait-il fini par choisir son camp entre israréliens et Palestiniens, entrejuifs et musulmans puisque dans ce parti on mélange allégrement les deux sujets.Car le front est toujours tiraillé entre, pour être un peu caricatural, la ligne « que-nelle » du nom du geste popularisé par dieudonné et reprise par alain soral, jean-marie Le Pen et bruno gollnisch et la seconde, celle de Louis aliot qui n’hésite pasà mettre en avant ses origines juives et s’était rendu en israël pendant la cam-pagne présidentielle de marine Le Pen. [...] Les toutes dernières déclarations demarine Le Pen sur le fn, « meilleur rempart pour les juifs de france » ou cellesencore justifiant les actions de la Ligue de défense juive et son existence au momentoù il était question de sa dissolution, laissaient à penser qu’entre le père et le com-pagnon, entre jean-marie Le Pen et Louis aliot, la présidente frontiste avait faitson choix. Le manifeste d’aymeric Chauprade (publié mi-août sur son blog et inti-tulé « La france face à la question islamique ») vient-il confirmer ce virage ? [...]Chauprade n’est pas n’importe qui. il reprend l’image d’un fn « rempart pour lesjuifs de france ». mais il va plus loin. finie l’époque d’une bande de gaza assimi-lée à un camp de concentration par bruno gollnisch et jean-marie Le Pen. finiel’époque aussi où Chauprade lui-même déclarait que « la france vit une épura-tion sourde de ceux qui ne vont pas dans le sens des intérêts américains et israé-liens » et qu’il connaît « la souffrance cruelle et humiliante infligée par israël auxarabes, Libanais ou Palestiniens ». on était alors au tournant des années 2010.un revirement idéologique à 180 degrés et une défense nouvelle de la politiquede l’état israélien : « il faut faire preuve de réalisme et ne plus adopter de positionsystématique mais s’adapter ».

romain massa/marianne. net

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eLLe communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.

nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl marx, Friedrich engels - L’Idéologie allemande.

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La Liberté, dimensionProPre À une naturehumaine gramsci a toujours donné à la volontélibre définie comme puissance d’agir etde penser une fonction cruciale, mais ilcritique toute conception spiritualistede la liberté comme libre arbitre qui sefait principe absolu de choix transcen-dant les conditions de la situation don-née. gramsci n’est pas un matérialistedéterministe ; il entend reformuler laconception idéaliste de l’action humaineconcrète qui inclut la pensée et le conti-nuum de ses manifestations – idéolo-gie, sens commun, religion, philosophie,conception du monde. la réalité histo-rique et sociale est le produit de l’acti-vité humaine tout à la fois matérielle etvolitive. la connaissance n’a jamais affaireà une matière pure, mais elle élaboretoujours déjà le donné en en faisant lerésultat de son activité. l’objectivité dela connaissance renvoie à une intersub-jectivité de plus en plus universalisable.la liberté est la dimension propre à unenature humaine qui est production, voirecréation de l’ensemble des rapportssociaux qui sont à la fois en perpétuelle

Liberté et néCessitéseLon gramsCi

transformation et posés comme confi-guration relativement stables.

La Liberté, ProCessus deL’auto-transformation la liberté est processus de l’auto-trans-formation indéfiniment plastique de cettenature humaine qui n’est pas une subs-tance immobile et invariable. gramsci lapense comme liberté collective et indivi-duelle se constituant dans l’affrontementde classes et groupes collectifs en lutte

pour l’hégémonie au sein d’institutions etde pratiques spécifiques. la liberté estdonc « histoire » liée à la promesse dumonde moderne qui est l’assimilation desmasses les plus nombreuses dans unmode de vie plus actif. le capitalisme nepeut porter à son terme cette promessecar il lui faut maintenir la subordination,la subalternité des masses productivesau niveau de subalternité requis pour sapropre reproduction élargie. dans lamodernité capitaliste la liberté est iné-gale et dissymétrique en ce que lesgroupes dominants réussissent à dirigerles sociétés et la civilisation en se faisant

désirer ou supporter dans la passivité parles subalternes, en les incluant dans desformes de conscience et vie éthiques,politiques, culturelles qui se nouent autourde l’État et s’élargissent à toute la sociétécivile par les appareils privés d’hégémo-nie. la liberté est lutte d’hégémonies entredes groupes qui cherchent à se faire infi-niment plus libres que ceux qu’ils domi-nent. ces groupes dominés et dirigés ontcependant la possibilité de revendiquerd’être assimilés en tant qu’acteurs à toutes

les activités sociales. ils ne le peuvent ques’ils libèrent leurs capacités d’actioncomme dirigeants démocratiques orga-niques de la production et organisateursdes formes politiques transformées – Étatet appareils d’hégémonie de la sociétécivile. la liberté au sens capitaliste impliqueune limitation structurale de cette capa-cité ou puissance multiforme d’agir, desentir et de penser des subalternes.

une diaLeCtique de LanéCessité et de La Libertéen ce point gramsci renouvelle la pro-blématique classique, issue d’engels

« Gramsci la pense comme libertécollective et individuelle se constituant dans

l’affrontement de classes et groupescollectifs en lutte pout l’hégémonie au seind’institutions et de pratiques spécifiques. »

interprétant le marxisme comme une philosophie de la praxis, antonioGramsci développe une dialectique originale de la nécessité et de la liberté.andré tosel analyse la conception gramscienne de la liberté et montre cequ’elle a de décisif dans la lutte pour l’hégémonie des masses subalternes.

PAR ANDRÉ TOSEL*

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dans le marxisme des deux inter -nationales, relative aux rapports entrenécessité et liberté. il ne s’agit plus defaire de la nécessité des conditions don-nées dans les structures économiquesune nécessité comprise qui permetd’identifier (dans les contradictions) despossibles pour une transformation. ils’agit de nourrir la liberté de la compré-hension modificatrice d’un ensemblede rapports de forces où se concentrel’agir historique et de faire apparaître cequ’il faut nommer une dialectique de lanécessité et de la liberté. À première vue,cette dialectique prend la forme d’unemise en tension des trois niveaux de rap-ports de forces définissant une situa-tion donnée. le premier niveau est celuides rapports définissant la structurecomme un système d’éléments consis-tants qui imposent leur contrainte avecla rigueur d’une nature apparemmentrégie par des lois naturelles détermi-nistes. le second niveau est celui desrapports de forces politiques. il s’arti-cule en plusieurs moments. le premierest le moment économico-corporatifoù les forces sociales fondamentalesinscrites dans la structure usent de lamarge d’action liée à leur position en pre-nant conscience de leurs intérêts faceaux autres, s’unissent plus ou moins enleur propre sein et dans le conflit pourse donner une existence quasi politique.le second moment est proprement poli-tique ou plutôt éthico-politique : cesforces luttent pour occuper et exercerle pouvoir de l’État qui est appareil decontrainte mais elles doivent pour celal’élargir en direction permanente, enl’élargissant en État éthico-politiquepénétrant les formes de l’activité sociale.le troisième moment est à la fois mili-taire et politico-militaire, car le recoursà la guerre est inclus dans la politique.la liberté est bien lutte d’hégémoniesentre forces fondamentales et elle seconfigure comme formation d’unevolonté collective plus ou moins unifiée.

La Liberté est Passagegramsci affirme que la liberté est pas-sage, passage de la nécessité réaliséedans la structure à la liberté incarnéedans les niveaux du politique, de l’éthiqueet du juridique. il nomme catharsis cepassage. c’est tout à la fois la purifica-tion et la traduction d’un complexe deformes et de puissances distinctes en

un autre : la structure cesse d’être unenature qui écrase les capacités et lesprédétermine pour devenir milieu etoccasion pour une production de formesde vie et de pensée faisant une sociétéplus civilisée et inclusive. ce passagerévèle rétroactivement que la nécessitéreprésentée par la structure peut êtremodifiée et cesser d’être une nature nonmodifiable définie par les lois d’un déter-minisme. il devient possible aux forcescollectives ainsi formées par leur actiondans ce passage tout à la fois de trans-former l’État et les appareils d’hégémo-nie, et, dans le cas des forces subalternesde transformer la structure. comme lemontre le marché capitaliste, déterminé,la structure n’est pas extérieure à l’agirdes volontés associées. elle est le résul-

tat durable qui fait automatisme et sys-tème de régularités, issu d’une infinitéd’actes volontaires individuels qui s’ob-jectivent et se pétrifient dans le méca-nisme automatique du marché. la libertéest ainsi présente en cette structure quise fait nécessité. inversement, les insti-tutions éthico-politiques chargées d’ob-jectiver la liberté des classes en luttehégémonique doivent d’une certainemanière imposer leur puissance ennécessité relative, en obtenant le consen-sus des forces alliées et en remplaçantle marché déterminé par une structurenouvelle où prévaut le principe de la pla-nification sous une volonté collective.ce ne peut être seulement celle du nou-vel État éthico-politique mais celle desmasses des subalternes mises en situa-tion d’être actives dans la production etla culture en sortant de la subalternité.

« la structure de force extérieure quiécrase l’homme, l’assimile à soi et le rendpassif, se transforme en moyen de libertéen instrument d’une nouvelle formeéthique-politique, et génératrice de nou-velles initiatives »

La Liberté, PuissanCe d’un monde qui est un drame en aCtela liberté se réalise ainsi en un processusde libération des subalternes qui peuventproduire un nouveau conformisme actifde masse ; il s’agit d’en finir avec l’homooeconomicus et sa liberté abstraite dechoix. Mais cette libération présupposedeux conditions liées : il faut que lesmasses puissent sélectionner à partird’elles-mêmes un appareil de directionpolitique, un parti nouveau qui demeureen relation organique avec elles et soitcapable d’interpréter le senti de leur vécuet de le traduire en propositions d’initia-tives. inversement, d’autre part, pour nepas subir l’imposition d’une théorie venuedu haut du parti et de l’État, ces massesdoivent transformer leur sens commun,se faire acteurs d’une réforme intellec-tuelle et morale. la liberté se condensealors en la formation d’une conceptiondu monde, d’une philosophie qui est artpolitique, qui est à la fois théorique et pra-tique ; car il s’agit bien non seulement depenser un monde à faire, mais de fairemonde avec les activités humaines trans-formées. la liberté est puissance socio-historique de monde sans rien de garanti.on ne peut pas prévoir le cours de l’ac-tion, du passage de la nécessité à la libertéou inversement ; on ne peut prévoir quedans la mesure où l’on se constitue enforce agissante, où on agit. la liberté estpuissance d’un monde qui est un drameen acte. l’histoire de la liberté est une dra-matique du monde et des individus.

la liberté personnelle s’éclaire en cemême sens : « si l’individualité est l’en-semble des rapports auxquels chaquehomme s’intègre, nous créer une per-sonnalité signifie acquérir la consciencede ces rapports ; modifier notre proprepersonnalité signifie modifier l’ensem-ble de ces rapports ». n

« La liberté estbien lutte

d’hégémonies entreforces

fondamentales etelle se configure

comme formationd’une volonté

collective plus oumoins unifiée. »

*André Tosel est philosophe. Il estprofesseur émérite de philosophie àl’université de Nice Sophia-Antipolis.

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » jean jaurès

i depuis une trentaine d’an-nées le footballest devenu unterrain d’investigation pour leshistoriens, la production his-torique, qu’elle soit françaiseou italienne, a quelque peu

négligé l’étude du calcio italien après lachute du fascisme. or l’immédiat après-guerre voit l’émergence d’un phénomèneculturel nouveau, l’attachement identi-taire et affectif à une équipe de football,qu’on désigne par un néologisme, le tifo,qu’illustrent symboliquement les mani-festations de joie exubérantes du prési-dent de la république sandro Pertini pen-dant la finale de la coupe du monde en1982. la culture du tifo investit les imagi-naires sociaux à l’échelle nationale et cris-tallise des sentiments d’appartenancedivergents, voire opposés. elle engendreégalement un mouvement associatif puis-sant, qui constitue une instance de socia-bilité originale, mais évolutive. Parallèlementà la construction de cette culture com-mune à tous les groupes sociaux, la pra-tique de masse du football est encadréepar les mouvements politiques, selon lemodèle du collateralismo, par le biais desEnti di promozione sportiva, notammentl’Unione Italiana Sport Popolare (uisP)pour le Parti communiste et le Parti socia-liste italiens, et le Centro Sportivo Italianopour le mouvement catholique.

Calcio (football) etpolitique dans l’italierépublicaineLe football en italie dans la seconde moitié du XXe siècle s’inscrit dans l’his-toire politique et culturelle de la société italienne. vecteur de politisationdes masses, il est un élément cristallisateur d’identités multiples qui coexis-taient chez les italiens.

le football, dans les décennies de l’après-guerre, quand il devint, selon la formule de sergio giuntini, le « sport national parantonomase », constitue un vecteur depolitisation des masses et un élément cris-tallisateur d’identités multiples qui coe -xis taient, emboîtées, chez les italiens.l’histoire du calcio ne pouvait qu’êtreimmergée dans une étude de la sociétéitalienne, articulant le temps court de l’his-

toire politique et le temps long de l’histoireculturelle, mettant en perspective les pro-cessus de mutation sociale et d’accultu-ration et cernant les enjeux de la construc-tion par les acteurs sociaux d’une mémoirepolysémique.

un fait soCiaL totaLces recherches s’inspirent des travauxd’alfred Wahl qui, rompant avec les tradi-tionnelles histoires événementielles, avaitmontré comment le football était passéen France du statut de sport marginal àcelui de fait social total, intégrant dans sesobservations une multiplicité d’éléments(culturels, juridiques, économiques, poli-tiques) et étudiant leurs connexions et lereflet de cette complexité dans les expé-riences individuelles. le football n’est pas

un objet historique autonome. alain corbina ainsi ébauché une histoire du footballqui aurait contribué à « métamorphoserla culture ouvrière en une culture natio-nale » : c’est l’encadrement puissant despartis ouvriers, des années 1930 auxannées 1960, qui a rendu ce sport « popu-laire », au sens où cette catégorie a étépolitiquement construite, entre autres,grâce au football. les spécialistes d’his-

toire religieuse ont pour leur part étudiél’émergence du mouvement associatifsportif catholique et la promotion du foot-ball par les patronages.l’attention des historiens italiens était,quant à elle, polarisée sur l’instrumentali-sation du football par le régime fasciste,selon le modèle de la « capture du consen-sus » élaboré par renzo de Felice, qui pré-sente le sport et ses organisations commedes instruments de contrôle social et demobilisation autoritaire. toutefois d’au-tres paradigmes historiographiques telsque « l’invention de la tradition » d’erichobsbawm ou la « nationalisation desmasses » de george Mosse semblent pluspertinents.les tentatives d’utilisation du football decompétition et du football de masse à des

« L’immédiat après-guerre voitl’émergence d’un phénomène culturelnouveau, l’attachement identitaire et

affectif à une équipe de football, qu’ondésigne par un néologisme, le tifo. »

PAR FABIEN ARCHAMBAULT*

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fins de légitimation symbolique, de mobi-lisation nationale et de contrôle social,n’ont été possibles, après la chute du fas-cisme, que grâce à des échanges cultu-rels et des processus d’acculturation réci-proques. c’est dans cette perspective que

stefano Pivato a écrit l’histoire d’un autresport, le cyclisme, dont il montre la placecentrale qu’il occupa dans le projet del’Église d’étendre sa présence dans toutesles strates de la société.

Les Partis PoLitiques,agents de soCiaLisation et d’identifiCationsYmboLiquela réflexion s’articule autour de trois axesde recherches. tout d’abord, dans lesdécennies de l’après-guerre, les partis poli-tiques constituèrent les principaux agentsde socialisation et d’identification symbo-lique. la pratique sportive, et donc princi-palement celle du football, n’a pas échappéà cet encadrement généralisé. Mieuxencore, dès 1944, les élites politiques ita-liennes ont considéré les formes de socia-bilité associative liées au football, tisséesdans le cadre de manifestations sportives,comme un moyen privilégié de promou-voir leurs projets politiques. l’histoire desEnti di promozione sportiva, de 1944jusqu’au début des années 1970, momentde leur autonomisation, constitua dès lorsun premier axe de recherches. elle repré-sentait le meilleur observatoire pour ana-lyser la traduction dans la sphère associa-tive sportive et ses structures desocialisation, des tensions sociales, poli-tiques et idéologiques qui parcourent lasociété italienne. elle permit d’étudier laconstitution des sous-cultures catholiqueet communiste par le biais de ces struc-tures de contrôle social, notamment là oùelles se sont le plus développées, dans lecentre et le nord de l’italie, mais aussi dansla société méridionale.

Les dYnamiques de Ladiffusion du sPeCtaCLefootbaLListiqueun deuxième axe de recherches fut consa-cré à l’étude des dynamiques de la diffu-sion du spectacle footballistique, qui com-plète celui de la diffusion du jeu, à différentsniveaux, national, régional et local. le foot-ball a en effet représenté un facteur d’uni-fication nationale en créant les conditions

d’un discours social commun, de trenteà Palerme. Vecteur d’une culture de masse,le football a su concilier son succès avecles cultures locales, assurant une conti-nuité avec les traditions campanilistiques.si, comme l’affirme amalia signorelli, « la

culture de masse n’est pas une uniformi-sation générale », il restait à déterminer lesfacteurs de l’émergence du tifo pour leséquipes des « petites patries », en rendantcompte du jeu complexe entre les forcespolitiques et économiques homogénéi-santes et les cultures locales. certes, lapassion pour le football renforça les iden-tités locales traditionnelles, mais elle finitaussi par stimuler les communicationsentre les « cent capitales de l’italie » parl’entremise de championnats et de com-pétitions dont le cadre était justementnational.

L’attaChement identitaireet affeCtif À une équiPe defootbaLLenfin, l’étude de la culture du tifo et de sesmanifestations constitua le troisième axede recherches. le football gagne en effetà être étudié tant dans sa dimension de

pratique et de réalité sociale que commesystème de représentations autonome,en décalage avec la réalité sociale. uneculture partagée n’est pas monolithiqueet évolue en fonction de processus d’ac-culturation et de circulation des modèles,dont il faut interroger les significations touten étudiant les acteurs sociaux qui les pro-meuvent. il s’agissait d’une part de saisirl’historicité d’un système de représenta-tions et, d’autre part, d’analyser les moda-lités de l’expression de la passion pour lefootball chez plusieurs types de tifosi, desmilieux populaires aux élites intellectuelleset politiques, notamment par l’étude desdivers objets d’identification du tifo, des

équipes locales à la Nazionale, en passantpar les grandes équipes urbaines qui drai-nent des supporters à une échelle natio-nale.l’analyse des choix qui amènent à soute-nir une grande équipe nationale permetde déterminer dans quelle mesure lesappartenances sociales façonnent lesidentités culturelles. la traditionnelle oppo-sition entre clubs « de gauche » et « dedroite  » ne doit pas être considéréecomme le reflet d’une réalité particulière,mais plutôt comme l’image stéréotypée,enracinée dans la durée, qu’une collecti-vité se donne d’elle-même et qu’elle sou-haite donner aux autres. l’attachementaux couleurs d’un grand club n’est pasréductible à un positionnement politiqueprécis mais il s’effectue dans le cadre d’unimaginaire culturel qui est structuré pardes oppositions politiques. Peu importeà la limite que le marquage politique d’unclub ne reflète pas la composition socialede ses fidèles, l’important réside dans lesreprésentations que véhicule ce club. lesétiquettes différenciées en termes poli-tiques opposant la « gauche » (le Milan, laroma, le torino) et la « droite » (l’inter -nazionale, la lazio, et dans une moindremesure, la Juventus) sont des exemplesde ce que Paul Veyne appelle la « visco-sité » des définitions collectives. Par « vis-cosité », il faut comprendre le fait que lesreprésentations et les auto-représenta-tions sociales vivent plus longtemps quel’effective réalité des groupes sociaux,devenant ainsi des stéréotypes. À ce titre,le tifo participe d’une « mentalité » ou d’un« imaginaire collectif », au sens que MichelVovelle donne à ces notions : il ne s’agit pas

tant d’étudier les raisons objectives quirégissent les oppositions entre tifosi maisla manière dont ils se plaisent à raconterleur choix et à expliquer leur appartenance.en définitive, le tifoest un compromis per-manent entre une identité réelle et uneidentité imaginaire. n

« La passion pour le football renforça lesidentités locales traditionnelles, mais elle

finit aussi par stimuler les communicationsentre les “cent capitales de l’italie” par

l’entremise de championnats. »

« L’attachement aux couleurs d’un grandclub n’est pas réductible à un

positionnement politique précis mais ils’effectue dans le cadre d’un imaginaire

culturel qui est structuré par desoppositions politiques. »

*Fabien Archambault est historien.Il est maître de conférences enhistoire contemporaine à l’universitéde Limoges.

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Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rapportsde l’homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

a construction de la ville desgrands ensembles à la fin desannées 1960 a répondu à plu-sieurs objectifs, en particulierl’impérieuse nécessité de trou-ver une solution à la situation

de mal-logement importante tout enmaintenant une relation forte entre lelieu de travail et le logement. or, les car-rières professionnelles féminines sontalors généralement courtes, souventarrêtées lors de la première grossesse,ou encore à temps partiel. ces espaces

urbains de « chemins de grue » dessinéset rapidement bâtis par les hommes sontl’espace vécu des femmes pour l’essen-tiel. aujourd’hui, dans l’ensemble desvilles occidentales, les femmes sont plusnombreuses que les hommes à vivre

La quotidienneté du quartier comme espace vécu est souvent féminine. unprojet de recherche-action participatif débuté à Gennevilliers permet auxhabitantes et aux habitants de partager leurs connaissances de la ville etd’échanger sur ce que peut être un urbanisme qui faciliterait des modes d’ha-biter émancipateurs.

dans des villes construites par leshommes. Pour autant, si cela signifie queles femmes ont une plus grande appro-priation de l’espace public urbain, en seréférant au nombre de lieux fréquentés,cela ne se traduit pas par une occupa-tion pérenne des lieux comme peuventle faire les hommes (bancs, halls d’im-meuble…), mais par une circulation oùles arrêts sont rares. enfin, cet habiterféminin est confronté aux déficiencesgénérales de l’habiter de l’ensemble dela population dans nombre de ces quar-tiers de grands ensembles. c’est-à-direque la fonction même d’habiter a long-temps été réduite à la seule fonction deloger. or la ville de la mondialisation, issuede la compartimentation de la villemoderne, en ne permettant pas la mixitéfonctionnelle, renforce la fragmentation

genrée de l’espace public. en effet la rup-ture spatiale entre les lieux d’activitésprofessionnelles et les lieux de logementraréfie la mixité d’usages des espacespublics et avec la mixité genrée.il ne s’agit alors pas tant de la seule forme

urbaine que du fond de ce qui construitl’urbanité quotidienne. or, cette quoti-dienneté du quartier comme espacevécu est souvent féminine. les politiquesurbaines ne se penchent sur la questionféminine qu’au début des années 1980en faisant des femmes non plus desoccupantes silencieuses des quartiersmais des relais de la démarche dedéveloppement social des quartiers. ils’agit, entre autres, d’encourager la for-mation et la professionnalisation. eneffet, durant la décennie suivante lesfemmes accèdent plus nombreuses àl’emploi, bien que cet emploi soit sou-vent à temps partiel et à durée détermi-née. néanmoins, la lutte pour la placedes femmes dans l’espace urbain estd’autant plus difficile qu’il s’agit d’uneconstruction sociale du territoire « aprèscoup » et qu’elle ne va pas encore de soipour l’ensemble de la société, acteursinstitutionnels compris, ceci dans uncontexte où la conception de l’urbanismeest à repenser au prisme d’un habiterplus diversifié.

un Projet de reCherChe-aCtion PartiCiPatif comme l’ensemble de la région pari-sienne, gennevilliers a connu, pendantla période de la reconstruction, la pro-duction de grands ensembles de loge-ments collectifs. elle a, par la suite, connules différentes périodes des politiquesde la ville : habitat et Vie sociale,

PAR CORINNE LUXEMBOURGET DALILA MESSAOUDI*

La ville côté femmes :les usages féminins des espaces publics

« aujourd’hui, dans l’ensemble des villesoccidentales, les femmes sont plus

nombreuses que les hommes à vivre dansdes villes construites par les hommes. »

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Cartes mentales

développement social des quartiers,développement social urbain, interven-tions de l’agence nationale de renouvel-lement urbain… c’est sur cette dernièrepériode que nous avons choisi de nousattarder, à travers deux quartiers l’un, lequartier des grésillons, sortant d’uneopération anru, le second, les agnettes,récemment classé anru 2.« la ville côté femmes » est un projet derecherche-action participatif et critiqueà gennevilliers qui s’appuie sur une expé-rience d’éducation populaire, orientéeà la fois vers l’habiter, le droit à la ville, lamixité des usages des espaces publicsen prenant conscience de la perma-nence d’un contrôle social sur lesfemmes. cette approche permet auxhabitantes et aux habitants de s’enga-ger dans le projet en partageant leursconnaissances de la ville, mais aussid’échanger sur ce que peut être un urba-nisme qui faciliterait des modes d’habi-ter émancipateurs.

Les Cartes mentaLesPour renforcer cette première approche,les cartes mentales sont un outil perti-

nent. il a l’avantage de rendre plus lisi-bles les « marqueurs spatiaux ». cescartes ne respectent pas la métriquehabituelle mais c’est, entre autres, deces distorsions que l’on tire des infor-mations. avec un minimum d’élémentsde contextualisation (âge, date d’arrivéeà gennevilliers, quartier de résidence oude travail) et une feuille blanche, nousavons demandé aux hommes et auxfemmes de représenter leurs déplace-ments dans la commune en différen-ciant les parcours appréciés en vert, lesparcours sans intérêt (ni aimé ni mal-aimé) en noir, les parcours faisant l’ob-jet d’un malaise, d’une appréhension,d’une méfiance en rouge. en trait pleinsont dessinés les trajets de jour, en poin-tillés les trajets nuit, en variant les cou-leurs selon le ressenti. ce protocole aété mis en œuvre auprès d’un premierpetit échantillon de plus de 70 habitanteset habitants.

l’analyse de 76 cartes également répar-ties entre hommes et femmes tend àmontrer que les femmes s’approprie-raient plus largement le territoire com-

munal, elles le connaissent mieux et leterritoire parcouru est plus étendu quecelui des hommes. si ceux-ci le parcou-rent sans doute, ils ne représentent etne citent que peu de quartiers sur lessept de la commune.

les femmes, plus que les hommes, fontressortir des espaces publics appréciésou au contraire évités. elles montrentune plus grande appropriation territo-riale en même temps qu’une confron-tation à des espaces vécus comme peuaccueillants alors que ces mêmes lieuxsont ou bien appréciés ou ignorés parles hommes. de ces premiers résultats,l’idée du confinement spatial féminin setrouve nuancée par l’étendue de trajetsrépondant essentiellement à des raisonsutilitaires. n

*Corinne Luxembourg estgéographe. Elle est maître deconférences à l’université d’Artois.Dalila Messaoudi est docteure engéographie des universités de ParisVIII et Paris X.

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La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. etnous pensons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sansscience n’est souvent qu’une impasse.

n dit que le japon étaitfermé sur lui-même pen-dant l’ère d’edo et qu’ils’est ouvert à l’époquemeiji. Peux-tu préciser cecadre ?

il est vrai que, au début de l’époque d’edo,après une période d’échanges commer-ciaux et culturels avec l’asie et l’europe(notamment les Portugais), les premiersdirigeants (shoguns) de la dynastie destokugawa mettent en place des lois pourlimiter les contacts avec les étrangers,et avec la religion chrétienne que lesjésuites veulent importer. entre 1633 et1639, des mesures drastiques sont prisespour appliquer cette politique de ferme-ture du pays (Sakoku鎖国) : les Japonaisne peuvent plus voyager à l’étranger, leshollandais deviennent (en théorie) lesseuls européens autorisés à pénétrer auJapon dans le comptoir qui leur estréservé, à nagasaki, et les ouvrages étran-gers sont interdits. Mais les historienstendent à relativiser l’idée de la ferme-ture totale du pays : les chinois et lescoréens ont également des relationscommerciales avec le Japon et, à partirde 1720, l’interdiction sur les livres occi-dentaux est levée, pour ceux qui n’ontpas de rapport avec le christianisme.l’époque d’edo correspond égalementà une période de paix, de développe-ment, et plusieurs domaines de connais-sances que l’on qualifierait aujourd’hui

Les mathématiquesjaponaises

de scientifiques connaissent des évolu-tions importantes. ainsi, les spécialistesdu calendrier ou de la médecine ont parexemple proposé de nombreux ouvragesdurant cette période et certains sho-guns s’entourent d’un groupe de savantscollaborant pour faire évoluer les tech-niques et méthodes de leur domaine. lachine constituant un interlocuteur pri-vilégié depuis des siècles, de par sa proxi-mité géographique et culturelle, les

savants japonais étudient de manièreplus profonde les ouvrages chinois, maisils savent aussi s’en détacher pour pro-poser des résultats originaux. durantl’époque d’edo, des ouvrages scienti-fiques européens commencent égale-ment à être traduits, et utilisés par lespraticiens japonais, notamment enmédecine. au début du xixe siècle, les

études hollandaises (rangaku蘭学) s’in-tensifient et plusieurs théories, tellesque l’héliocentrisme ou l’électricité, sontdiffusées grâce aux traductions de trai-tés hollandais.

quel était l’état des mathématiquesjaponaises en 1860 ?en 1860, il n’existe aucune traduction detraité mathématique occidental en japo-nais, probablement en raison du succèsdes mathématiques traditionnelles(wasan 和算). durant la période d’inten-sification de l’activité culturelle qui carac-térise l’époque d’edo, le wasan se développe à partir de la tradition mathé -matique « algorithmique » chinoise : dansun énoncé typique de cette tradition, unproblème mathématique est proposé(en général grâce à une situationconcrète), puis une procédure (c’est-à-dire un ensemble d’actions à effectuer,souvent sur un instrument de calcul) estdécrite, et le résultat est enfin donné.les méthodes algébriques ou trigono-métriques élaborées par les mathéma-ticiens japonais à partir de la secondemoitié du xViie siècle ont donné lieu à denombreux travaux, émancipés par rap-port au savoir chinois : voir, notamment,ceux de seki takakazu 関孝和 (1642-1708) et takebe Katahiro 建部賢弘(1664-1739). elles sont toujours ensei-gnées, au milieu du xixe siècle, depuis leniveau élémentaire (dans des écolesgérées par les populations locales, lesterakoya 寺子屋 ) jusqu’au niveau supé-rieur, dans des écoles privées spéciali-sées. certaines recherches mathéma-tiques sont également effectuées enrapport avec l’élaboration du calendrieret les méthodes de calcul proposées parles calendéristes chinois sont perfec-

développées au japon sous l’ère edo (1600-1868), les mathématiques ontévolué à l’époque meiji (1868-1912) en s’adaptant aux concepts étrangers.

ENTRETIEN AVEC MARION COUSIN*

O « dans l’histoire, s’ilexiste des résultatscommuns entre lesdifférentes cultures,la forme des textes,les intérêts pour les

applicationspratiques ou la

nature des objetsétudiés varient

d’une civilisation àl’autre »

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tionnées. la forme des textes mathé-matiques de la tradition du wasan estnéanmoins bien différente de celle destextes européens ou américains : parexemple, en géométrie, la démonstra-tion argumentative héritée d’euclide, quiprouve les résultats obtenus, n’est paspartie intégrante des textes du wasan.

qui a décidé d’introduire les mathé-matiques occidentales et pour-quoi ?en 1853, avec les interventions ducommodore Perry, les États-unis impo-sent au Japon d’ouvrir ses frontières aucommerce extérieur. la situation enchine (guerres de l’opium) montre augouvernement japonais que, pour pren-dre une position forte dans le concertdes nations et éviter la colonisation, ilest nécessaire d’engager le pays dansun vaste mouvement de modernisation,mouvement qui caractérise l’époqueMeiji (1868-1912). il faut notamment doterle pays d’un armement et d’une marineefficaces, domaines dans lesquels lespays d’occident ont montré leur effica-cité. c’est pourquoi, en 1868, lorsquel’empereur prononce son « serment encinq articles », il incite explicitement àl’importation des concepts et modèlesétrangers : « la connaissance doit êtrerecherchée partout à travers le Mondeafin que l’intérêt de l’empire soit promu. ».de nombreuses mesures sont alorsprises par le gouvernement pour intro-duire de manière rapide et profonde lesconnaissances, les modèles d’organisa-tion, de production, ainsi que les théo-ries et méthodes scientifiques occiden-tales, fondées sur les mathématiquesoccidentales (yōsan洋算).

Comment s’est faite cette introduc-tion  ? s’agit-il d’un remplacement,d’une greffe, d’un échange... ?en 1872, le décret de l’éducation Gakusei学制 instaure l’enseignement des mathé-matiques occidentales du primaire ausupérieur, dans un système éducatif quiest lui-même complètement remodelé.il faut remplacer le réseau étendud’écoles, pluriel, protéiforme et décen-tralisé de l’époque d’edo par un systèmehiérarchisé, inspiré des modèles occi-dentaux, à plusieurs niveaux dépendants,et dont les programmes sont fixés parl’État. ainsi, c’est la politique du gouver-nement qui impose le remplacement duwasan. les pratiques traditionnelles etl’enseignement de celles-ci sont com-plètement abandonnés, elles devien-nent un sujet pour les historiens. lesmathématiciens de l’ère Meiji se consa-crent à la traduction de traités étrangers,ou à la mise en place d’un nouveau lan-gage mathématique japonais adapté auxméthodes et concepts étrangers. cetransfert scientifique ne constitue pas

une simple adaptation technique, il s’agitd’adopter un processus de pensée et lesacteurs du pays récepteur doivent pro-poser des ouvrages originaux, qui ne sontpas dans la continuité du savoir en place(wasan) et dont la forme est bien diffé-rente des traités traduits, étant donnéles contrastes entre les cultures euro-péennes et japonaises.du côté des européens, si certainsdomaines scientifiques intéressent (spo-radiquement) les savants (certaines pra-tiques japonaises d’acupuncture sont,par exemple, introduites en France auxixe siècle), les résultats du wasan n’at-tirent pas les mathématiciens américainset européens envoyés au Japon.

Le processus a-t-il été analogue enChine ?en chine, ce sont les jésuites qui intro-duisent, dès le début du xViie siècle, lesouvrages mathématiques européens.Pour établir un dialogue avec les savantschinois et, à terme, introduire le christia-nisme, les missionnaires mettent envaleur leurs connaissances scientifiques.

en mathématiques, en 1607, le mission-naire Matteo ricci (1552-1610) et le savantchinois xu guangqi徐光啟 (1562-1633)proposent une traduction partielle desÉléments d’euclide basée sur la versionlatine commentée de christophorusclavius (1538-1612). cette vision desmathématiques suscite de nombreuxdébats chez les chinois, qui ne compren-nent pas l’intérêt des textes longs et « inu-tiles » que constituent les démonstra-tions. ainsi, même si l’introduction des

*Marion Cousin est docteure enhistoire des sciences.

Propos recueillis par Pierre Crépel

mathématiques européennes est plusprécoce chez les chinois, ceux-ci pré-fèrent continuer de développer leurspropres pratiques, en introduisant cer-tains résultats européens pour complé-ter le savoir traditionnel. c’est une foisde plus la situation politique et lescontraintes dues à la situation interna-tionale qui forceront les autorités chi-noises, au début du xxe siècle, à impo-ser l’enseignement des mathématiquesoccidentales en chine. les savants ducontinent utiliseront d’ailleurs les tra-vaux japonais de l’ère Meiji lors de cettenouvelle importation plus générale desconnaissances occidentales.

Le théorème de Pythagore est lemême partout, mais les mathéma-tiques sont-elles universelles etqu’est-ce que cela voudrait dire ?si les résultats du théorème de Pythagoresont évidemment connus et utilisés parles Japonais avant l’ère Meiji, le conceptmême de « théorème » (énoncé mathé-matique qu’il s’agit de démontrer) estabsent des pratiques traditionnelles !ainsi, dans le Japon de l’époque d’edo,ce qu’on appelle aujourd’hui le « théo-rème de Pythagore » est une procédurequi permet de calculer la longueur ducôté d’un triangle rectangle. depuis laMésopotamie ou l’antiquité chinoise, lesrésultats associés à ce théorème dePythagore sont utilisés et enseignés parles mathématiciens, mais c’est la formequi varie d’une culture à l’autre  : enMésopotamie, les scribes apprennent àrésoudre les problèmes qui lui sont asso-ciés, dans la chine antique, les savantsproposent des procédures pour traiterces problèmes et, dans la grèce antique,ils s’intéressent surtout à la justificationqui permet de montrer que le théorèmeest valide. dans l’histoire, s’il existe desrésultats communs entre les différentescultures, la forme des textes, les intérêtspour les applications pratiques ou lanature des objets étudiés varient d’unecivilisation à l’autre.

que reste-t-il aujourd’hui desmathématiques japonaises d’autre-fois ?aujourd’hui, les techniques et procé-dures du wasan和算 constituent uni-quement un sujet d’étude historique. auJapon, de nombreuses études ont étémenées pour mettre en évidence lesapports des mathématiciens japonaisde l’époque d’edo mais, en europe ouaux États-unis, il faut attendre la fin duxxe siècle pour que des recherchessérieuses soient menées sur le sujet. n

« au japon, denombreuses

études ont étémenées pour

mettre en évidenceles apports des

mathématiciensjaponais de

l’époque d’edomais, en europe ou

aux États-unis, ilfaut attendre la findu XXe siècle pour

que des recherchessérieuses soient

menées sur lesujet. »

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PAR GÉRARD STREIFFSo

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Les français et l’entrepriseinformation et manipulationÀ l’occasion de la journée du livre d’économie (fin novembre),iPsos et le Monde ont sondé l’opinion sur l’entreprise. Miracle,s’émeut le quotidien : « la France est réconciliée avec l’en-treprise ». c’est « une conversion massive », estime encorele journal ; c’est la fin de « la grille dominants-dominés qui apu prévaloir par le passé », ajoute brice teinturier, d’iPsos.c’est peut-être aller un peu vite en besogne. il est vrai quel’opinion subit depuis dix ans (au moins) un formidable pilon-nage libéral, entamé par sarkozy, amplifié par hollande, visantà discréditer l’État (et sa dette !) ; cette propagande laisse destraces, la confiance dans la puissance publique est atteinte ;et il semble que l’électorat socialiste y a été particulièrementsensible.

Mais on s’interrogera sur le caractère unilatéral des questions,sur leur formulation (la notion d’entreprise est liée à l’idée deliberté, l’État, lui, est assimilé à contrôle et réglementation),sur les silences aussi : il y est question d’une entreprise en soi,sans statut (privée ? publique ?), sans actionnaires, sans aucunrapport avec le cancer financier, sans lien avec les inégalitéscroissantes.on remarquera ensuite que les sondés ne font pas ou peu lelien entre le nom des entreprises (qu’ils connaissent majori-tairement, genre total, Psa, edF) et le nom des patrons, qu’ilsignorent, à plus de 90 %.on notera enfin la singularité de l’électorat Front de gauche/PcF,sa résistance aussi au bourrage de crâne patronal.

Pour vous, l’entreprise évoque-t-elle quelque chose de positif ?

ensemble des sondés, 89 %PC/front de gauche, 75 %Ps, 93 %umP/udi, 98 %fn, 87 %

Pour faire face aux difficultés économiques, pensez-vous qu’il faut que l’Étatfasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté ? ou que l’État lescontrôle et les réglemente plus étroitement ?

ensemble (confiance), 80 %PC/front de gauche, 50 %Ps, 74 %umP/udi, 97 %fn, 78 %

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PAR MICHAËL ORAND

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en 2013, les immigrés, c’est-à-dire les personnes nées à l’étran-ger et de nationalité étrangère à leur naissance, étaient 5,8millions en France. en dix ans, le nombred’immigrés a augmenté de 800 000 per-sonnes, faisant passer la part de la popu-lation immigrée de 8,0 % en 2004 à 8,8 %en 2013. cela ne signifie cependant pasque seuls 800 000 nouveaux immigréssont arrivés en France sur cette période :il faut également tenir compte des décèset des sorties du territoire. chaque annéeen moyenne, ce sont 200 000 immigrésqui sont arrivés en France, pour 50 000décès et 60 000 départs.

Parmi ces 200 000 immigrés environarrivant chaque année, l’origine géogra-phique la plus représentée est l’europe(graphique), en particulier le Portugal, leroyaume-uni, l’espagne et l’italie. en 2012, près de la moitié(46 %) des nouveaux entrants sur le territoire français venaientainsi d’un pays européen. Viennent ensuite les immigrés afri-

cains, qui représentent 30 % des entrées (dont 17 % pour leMaghreb), puis l’asie, l’amérique et l’océanie avec 24 % des

nouveaux migrants. ainsi, l’immigrationeuropéenne semble la source principalede l’accroissement du nombre de nou-veaux entrants au cours des dernièresannées.

les nouveaux migrants sont relativementjeunes : la moitié d’entre eux sont âgésde 19 à 36 ans au moment de leur arri-vée. Quelques pays font exceptions, avecdes immigrés plus âgés, notamment labelgique et le royaume-uni. ce sont éga-lement majoritairement des femmes,puisque 58 % des nouveaux immigréssont des immigrées, n’entrant plus seu-lement pour des raisons familiales,comme cela a pu être le cas par le passé.

enfin, les nouveaux migrants sont de plus en plus diplômés :63 % d’entre eux ont au moins un diplôme du niveau du bac-calauréat.

À l’heure où le fantasme du « grand remplacement » a micro ouvert dans tous les grands média, et où ses pro-moteurs peuvent asséner mensonges et contre-vérités, sans le moindre début de réaction, à longueur dejournées, il apparaît plus que nécessaire de recadrer le débat avec des éléments concrets. Les chiffres lesplus récents publiés par l’insee concernant les immigrés et plus particulièrement les nouveaux migrantsdépeignent en effet un tableau bien différent de celui que nous présentent les charlatans d’extrême-droite.

Les nouveaux immigrés :de plus en plus d’européens, de plus en plus qualifiés

NOMBRE D’IMMIGRÉS PAR AN ET PAR RÉGION D’ORIGINE

Source : INSEE, Recensements

« 58 % des nouveauximmigrés sont des

immigrées, n’entrantplus seulement pour

des raisons familiales,63 % d’entre eux ontau moins un diplôme

du niveau dubaccalauréat. »

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a multiplication d’affaires declowns qui terrorisent lapopulation a poussé de nom-breuses rédactions à publierpartout les mêmes histoiresde « clowns psychopathes »

– mélangeant rumeur et faits divers –même si celles-ci manquaient de crédi-bilité journalistique. les journalistes vontdans le sens de la panique morale : « ven-dre une version amplifiée de son étatémotionnel dans la forme la plus cruepossible ». c’est ce que stipule l’une desdix règles critiquant le journalisme bri-tannique contemporain toutes édictéesdans l’ouvrage de nick davies, Flat EarthNews (2008).

reCherChe dusensationnaLismecette recherche du sensationnalismeet les contraintes temporelles ont pousséune boîte de production, Keep in News,

(dés)information et (dis)crédit

à fabriquer de toutes pièces un repor-tage sur les « clowns » qui était à l’originedestiné au magazine « 66 minutes » dela chaîne M6. c’est après avoir demandéà deux mineurs de porter des masquesdans le but de faire peur aux passants

dans un parc de douai que le journalisteet les jeunes clowns ont été interpelléspar la police nationale (observatoire dela déontologie et de l’information,12/11/2014). cet épiphénomène des faux

clowns, « clowns tueurs » ou autres « kid-nappeurs » – créés ou non ex-nihilo – està l’image du traitement général de l’in-formation qui se focalise sur toutessortes de violences observées. de toutesles informations traitées dans nos Jt,plus de la moitié ont trait aux faits diversliés aux violences contre les personnes.Parmi celles-ci, on retrouve essentielle-ment des faits divers mettant en avantdes adolescents et des enfants (ina statn°30, juin 2013). la précipitation et larecherche de « l’exclusivité » amènentles média et leurs « petits soldats » lesjournalistes à manquer de rigueur et àcompromettre les éléments fondamen-taux du journalisme : la vérification desfaits et leur crédibilité.

on se souvient de la fausse pageFacebook consacrée au soutien degérard depardieu au moment où l’ac-teur avait décidé de s’exiler fiscalementen belgique avant d’atterrir en Mordovie,dans la patrie de Vladimir Poutine.Quelques jours avaient suffi pour quecette page de « fan » atteigne les 50 000membres. après que l’information a étérelayée par la chaîne pure player bFM tV

PAR ANTHONY MARANGHI

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La recherche du sensationnel et de l’exclusivité détourne les journalistes dela vérification des faits. Le public n’est pas toujours passif et phénomènenouveau, les internautes fréquentent de plus en plus les sites parodiquesde non-information.

« de toutes lesinformations

traitées dans nosjt, plus de la moitié

ont trait aux faitsdivers liés aux

violences contre les personnes. »

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et par France 2, l’équipe du Petit Journalfinira par rapidement identifier l’admi-nistrateur de la page pour découvrirqu’elle avait été créée par un étudiantde l’union des étudiants communistesde l’ieP de bordeaux dans un but iro-nique. une fois la supercherie dévoilée,ce dernier a profité de la situation pourla retourner au profit de ses convictionsen déclarant ainsi sur les réseaux sociaux :« cette page a démarré après que gérarda uriné sur la moquette d’un avion. Voyezle chemin parcouru : 50 000 membres[...]. Merci encore, et continuons toujoursplus loin. espérons que la prochaine foisnous serons encore plus nombreux poursoutenir les salariés de Florange, pourdéfendre l’industrie nationale et nosemplois contre les Mittal et consorts, etprotéger enfin les grands principes poli-tiques, sociaux, qui ont fait cette Franceforte » (Sud Ouest, 19/12/12).cette information – aussi anecdotiquequ’elle soit – montre bien le problèmede la crédibilité des sources qui étaitpourtant très simple à vérifier  : unerecherche sur un moteur de rechercheaurait permis – en l’espace d’un coupd’œil – d’éviter d’ébruiter une fausseinformation. comme l’énonce herbertgans dans son ouvrage Deciding What’sNews (1979), les journalistes cherchentavant tout des sources disponibles etfaciles d’accès, ce qui a pour consé-quence une réduction de l’éventail dessources et une uniformisation de l’infor-mation traitée.

Les PastiChes de sitesd’informationtoutefois, le public n’est pas forcémentpassif par rapport au message média-tique. le spectateur ne peut être assi-milé à un « canard assis » attendant sa« piqûre hypodermique » ou une « ballemagique » qui serait tirée du « revolver »

du média et qui lui viserait la « tête »comme l’expliquaient les théoriciensbéhavioristes arthur a. berger, burrhusF. skinner et ivan Pavlov dans les années1930. ce dernier peut « résister » auconditionnement classique en fonctionde l’information dont il dispose et fairele choix de se détourner de l’informationclassique. si ces derniers peuvent setourner vers les sites d’information alter-

natifs, on peut noter une nouvelle ten-dance chez les internautes : la fréquen-tation de plus en plus élevée des sitesparodiques de non-information. on peutl’observer à travers le succès grandis-sant des pastiches de sites d’informa-tion. reprenant le modèle américain TheOnion, le site français Gorafi – qui pos-sède dorénavant une chronique auGrand Journal de canal Plus – dépasserégulièrement les 900 000 visiteursuniques par mois selon Les Inrocks(11/06/2013). le site parodique s’estnotamment fait connaître par certainespersonnalités politiques qui ont reprisau premier degré les « informations »qu’il divulguait comme l’anciennePrésidente du Parti chrétien-démocrate,christine boutin, qui a cité « la stratégieprovisoire d’avancement à potentialitédifférée » sur la loi de la famille (Le Figaro,4/02/2014). aux côtés du Gorafi, touteune flopée de sites sont récemmentapparus détournant quant à eux l’infor-

mation locale (Nord Presse en belgiqueou encore Sud ou Est, La Voix du morse,Le Gros Dijon, etc.), leur but est de fairesourire le lecteur en recherche « d’infor-mation positive ».

l’humour des titres comme des conte-nus des articles de ces sites d’informa-tion peuvent mener à la désinformations’ils ne sont pas connus du public qui les

lit. si le Gorafi le stipule sur son site –« Jusqu’à preuve du contraire, tous lesarticles rédigés ici sont faux » de nom-breux commentateurs – crédules – tom-bent dans le panneau. comme le rap-pelle Zvi reich, ancien journaliste, maîtrede conférences en communication àl’université ben gourion, dans un articleintitulé Source Credibility as a JournalisticWork Tool (2011), les journalistes met-tent en avant la crédibilité comme étantle facteur le plus important dans le choixde leurs sources d’information. c’est àeux que revient la tâche et la responsa-bilité d’écrire et/ou de relayer une infor-mation sérieuse afin qu’elle ne puissefinir par être assimilée au pastiche jour-nalistique. comme l’énonce le Gorafi lui-même : « si un jour vous nous preniezpour un concurrent, si tout le monde semettait à nous prendre au sérieux, on arrê-terait tout. et on perdrait foi en l’huma-nité, aussi » (20 Minutes, 20/02/2013). n

« L’humour des titres comme certainscontenus des articles de ces sitesd’information peuvent mener à la

désinformation s’ils ne sont pas connus du public qui les lit. »

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PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE DUCROT

Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projetdes communistes.

entretien avec maximilienLe roy, auteur de bd

Comment devient-on dessinateur et scénariste debande dessinée politique ?L’aspect politique rejoint en fait des préoccupations dela vie personnelle. Je ne me vois pas parler d’autres chosesque de ce qui est pour moi naturel et instinctif. Je faisdes biographies historiques qui permettent de raconterun moment collectif à partir d’une figure individuelle.La BD sur Gauguin m’a permis d’aborder la question dela vie des colonies à la fin du XIXe siècle, celle sur Thoreau,la vie préindustrielle en Amérique.Mes personnages sont des personnes que je rencontrede façon provoquée ou fortuite dans la vie réelle dont jemets le témoignage en image. Ou des personnes dispa-rues dont j’ai étudié les œuvres que je trouve largementméconnues malgré leur intérêt actuel. J’utilise toujoursla médiation d’une autre personne en me disant que celapourrait faire écho aujourd’hui. Ma volonté est de fairedes liens avec notre actualité dans une démarche mili-tante où l’histoire est vue comme un levier pouraujourd’hui ou pour demain. Par exemple, l’ouvrage Dansla nuit, la liberté nous écoute, qui traite de la question dela guerre d’Indochine, était reliée à l’actualité de la loi de2005 sur le rôle positif de la colonisation.Sur la BD du Chili, en projet, la parole est donnée à uneexilée qui a rencontré Allende et qui montre les événe-ments avec son prisme à elle. C’est terriblement anxio-gène, car quand on écrit sur Gauguin, il faut être le plusprécis possible dans le cadre des sources qu’on possède,entre autres les correspondances. Mais quand la per-sonne est encore vivante, c’est pire, je suis obligée de lasolliciter sans cesse malgré les matériaux écrits que j’aiaccumulés : je demande des précisions pour des détailscomme l’habillement ou les dialogues. Pour l’anecdote,plusieurs historiens rapportent une phrase qu’Allendeaurait prononcée lorsque Pinochet essayait de le fairesortir de la Moneda : « vos avions, vous pouvez vous lesmettre dans le cul ». Mais ma témoin estime qu’il estimpossible qu’Allende ait dit cela, il était beaucoup troppoli. Du coup cette phrase n’apparaît pas dans la BD.

C’est un long travail de ping-pong avec le témoin, mêmesi celui-ci n’est pas coscénariste et me laisse carte blanche.

L’écriture est vécue comme un acte militant ?Le mot « militant » est compliqué, comme le mot« engagé ». Ils sont très employés et très galvaudés.« Militant » pour les gens, c’est être encarté dans un partiou une association. Mais moi je ne le suis pas. Après sion voit l’étymologie (du latin miles, celui qui se bat), alorsça me va. Si je suis objectif avec moi-même mon inten-tion est de transmettre, de relayer des idées, des sortesde messages. J’entre dans cette logique de transmissionde façon militante parce que j’ai envie de faire réfléchir.Ce qui fait peur dans la version militante c’est le côtétract, en donnant de la chair à une idée, j’évite ça. Dansla presse j’ai souvent lu que mes lecteurs ne se sentaientpas alpagués, qu’ils n’avaient pas l’impression de me lireavec un flingue sur la tempe, que je ne les forçais pas àadhérer à mon propos. Ça pour le coup, ce n’est pas volon-taire, c’est sûrement à cause du filtre de l’image qui estplus fort que celui de l’écrit. Quand on passe par l’imageon développe tout un tas d’affects qui donnent un côtéplus doux et moins idéologique au travail.

donc tu considères tes bd comme des sortes d’essais ?Je passe ma vie à lire des essais pour la documentation. Jelis très peu de romans ou de BD. Du coup, la BD est unesorte d’outil. Vers 15-16 ans j’ai réalisé qu’on pouvait fairemétier de la BD. Comme j’aimais et écrire et dessiner c’étaitparfait. C’est bien après que j’ai vu que c’était plus facilede faire passer des idées par ce biais, quand j’ai eu desretours des lecteurs qui m’expliquaient que jamais ils n’au-raient lu des essais sur la Palestine. Je pouvais utiliser laBD comme un vecteur pour le fond. J’ai pris consciencede la dimension populaire et non élitiste de la BD. Il n’y apas d’appréhension, pas de « je ne vais pas comprendre ».C’est presque l’inverse puisqu’on considère que c’est unformat pour enfants : on m’a souvent demandé si montravail servait à conscientiser la jeunesse. Mais mon publicest en fait plus âgé que moi. Je ne prends pas non plus deposition professorale, pédagogique. J’ai juste l’idée detransmettre le plus largement possible à des publics variés.

dessinateur et scénariste de bandes dessinées, maximilien Le roy peutaussi être décrit comme reporter quand il part en palestine et revient avecdes albums remplis de témoignages ou historien quand il s’attache à réha-biliter des figures oubliées comme blanqui (Ni Dieu ni maître) ou albertClavier (Dans la nuit la liberté nous écoute) passé dans les rangs duvietminh. entretien avec un auteur qui fait de la bd un média particulier.

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un des points qui apparaît régulièrement dans cetéchange est l’importance de la documentation. tu nefais pas de la bd reportage mais tu restes assez loin desclous de la fiction…En fait je mène un véritable travail biographique qui com-mence par la lecture de toutes les biographies de mespersonnages. Je m’attache à leurs correspondances quiamènent un éclairage plus intime. Et je complète avec lesbouquins critiques (comme les livres anti-blanquistes ouanti-Gauguin qui était accusé d’être pédophile). Et puisil y a aussi toutes les lectures sur le contexte de l’époque. Un de mes projets en cours porte sur une révolte de mineurscommunistes en 1941 à Montigny-en-Gohelle dans le Nord-Pas-de-Calais. Je voulais travailler sur la guerre et laRésistance en ancrant mon propos dans le monde ouvrierdes années 1940 pour sortir des sentiers battus. J’ai décou-vert cette révolte un peu par hasard et j’ai contacté un his-torien spécialisé qui m’a envoyé tous ses travaux : avec latension de l’occupation et des réquisitions de l’armée alle-mande, des mineurs du charbon se mettent en grève etfinissent en camp. Je veux rendre cette expérience la plussensible possible donc j’ai beaucoup lu sur le systèmeconcentrationnaire. Mais j’inclus dans mon travail desanecdotes qui le rendent plus réel : par exemple, en lisantL’Espèce Humained’Antelme, je suis tombé sur un momentoù, dans le camp, les prisonniers trouvent un bout de miroiret se redécouvrent dedans. Cette anecdote, je l’utiliseraisûrement dans mon scénario. Mes travaux restent de la fic-

tion : je pars du documentaire pour aller vers l’écritureintégrale des caractères.Souvent j’essaie de mettre des annexes pour aller plusloin. Une fois qu’on a fini le récit, j’aime bien qu’on puisselire les personnes avec qui j’ai éventuellement travaillé.Ils peuvent parler de l’album mais aussi de ce que je n’aipas pu traiter, car la BD est très contraignante dans sonorganisation en pages, en planches et en bulles. Et puisles lecteurs ne sont pas obligés de les lire. En revancheaucune bibliographie sauf pour ma première BD. Maisest-ce que les lecteurs de BD vont aller utiliser une biblio-graphie ?

Pour finir, je voudrais parler de l’actualité récente : tu asreçu une interdiction de séjour en israël… au fond, c’estune sorte de reconnaissance de ton travail ?Honnêtement, je préfère ça à une légion d’honneur. Jecomprends la logique d’Israël, même si cela pose la ques-tion de la démocratie. Ce qui m’ennuie vraiment c’est dene pas pouvoir retourner en Palestine mais sinon c’est debonne guerre. Le truc dingue c’est ce qui s’est passé après :le site de ma maison d’édition a été hacké et mon nomtransformé avec des caractères hébreux. J’ai aussi eu ledroit aux tribunes injurieuses sur des sites Internet commecelui de la ligue de défense juive (LDJ), de personnes quine me connaissaient même pas. Alors que mon proposn’est pas de relayer les positions du Hamas, mais plutôtde laisser la parole aux civils et aux progressistes… n

bibLioGrapHie :• Maximilien Le Roy, Hosni, Ed. La Boîte à Bulles,2009.

• Maximilien Le Roy (dir.), Gaza, un pavé dans lamer, Ed. La Boîte à Bulles, 2009.

• Soulman (dessin), Maximilien Le Roy (scénario), LesChemins de traverse, Ed. La Boîte à Bulles, 2010.

• Maximilien Le Roy, Faire le mur, Ed. Casterman,2010.

• Michel Onfray (scénario), Maximilien Le Roy(dessin), Nietzsche – Se créer liberté, Ed. LeLombart, 2010.

• Maximilien Le Roy, Dans la nuit la liberté nousécoute, Ed. Le Lombart, 2011.

• A. Dan (dessin), Maximilien Le Roy (scénario),Thoreau, la vie sublime, Ed. Le Lombart, 2012.

• Eddy Vaccaro (dessin), Maximilien Le Roy(scénario), España la vida, Ed. Casterman, 2013.

• Emmanuel Prots (dessin), Maximilien Le Roy(texte), Palestine, quel Etat ?, Ed. La Boîte à Bulles,collection Carnets de voyage, 2013.

• Christophe Gauthier (dessin), Maximilien Le Roy(scénario), Gauguin, loin de la route, Ed. LeLombard, 2013.

• Loïc Locattelli (dessin), Maximilien Le Roy(scénario), Ni Dieu, ni maître, Ed. Casterman, 2014.

Jean-Jacques Rousseau, l’avortementdu capitalisme

Delga 2014

YVES VARGAS

PAR VINCENT METZGER

Cinq livres sur Rousseau, sans comp-ter les contributions à des ouvrages col-lectifs, voilà un compagnonnage delongue durée ! Et ce n’est pas sans effets.

Yves Vargas a dû répondre aussi à de multiples sollicita-tions, ce qui donne un recueil composé à partir de textesde circonstances, mais réellement composé. Les lecteurssavent ou sauront assez vite que l’une des préoccupa-tions majeures de notre auteur est de lutter, parfois piedà pied (la polémique fondée sur une érudition pointil-leuse est une des armes favorites de l’auteur), contre ce

qu’on pourrait appeler les erreurs de catégories :« Bref Emile n’est pas un traité pédagogique, ni un traitéde psychologie enfantine… Emile traite de l’anthropo-logie ». Ou encore : « la raison du maintien de la propriétéindividuelle n’est ni morale ni économique, elle est poli-tique ». On a donc un partage clair entre les sections :anthropologie, politique, philosophie, quelques chapi-tres consacrés à la réception, avant celui qui donne sontitre à l’ensemble : Rousseau se voit confronté à quelques-uns de ses contemporains et singulièrement à Mandeville,salué par les maîtres du libéralisme au siècle dernier.Mais au-delà de la diversité des objets d’étude, on voitdans ce livre une double continuité : la première orientela lecture vers ce matérialisme « têtu » mais singulierauquel Yves Vargas avait déjà donné un nom dans unprécédent livre : le matérialisme hypothético-émergent(cf. Les promenades matérialistes de Jean-JacquesRousseau, Le temps des cerises, éd. 2005).Mais il y a aussi cette « autre histoire » qui fonde la seconde

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et à une marginalisation progressive au profit de l’émer-gence d’autres formes d’organisation économique.Même si nombre d’analyses de ce livre mériteraient d’êtrediscutées, nuancées et approfondies, il n’en demeurepas moins que cet ouvrage collectif permet de repensernotre époque dans une perspective de temps long chèreà Fernand Braudel. n

L’anatomie politique 2Usage, déréliction et résilience des femmes

Éditions La Dispute, « Le genredu monde », 2014

NICOLE-CLAUDE MATHIEU

PAR MORANE CHAVANON

C’est une collection des différentesinterventions publiques et contribu-tions écrites de Nicole-ClaudeMathieu qui constitue la chair de cette

Anatomie politique 2. Et le moins que l’on puisse direc’est que le titre de l’ouvrage révèle à la perfection soncontenu ! Au fil des pages, le regard de l’anthropologuescanne le paysage intellectuel et politique international,non sans humour et avec un ton parfois acide, afin demettre en lumière la place qui est faite aux femmes.Des hommes qui parlent à la place des femmes. Desfemmes qui parlent d’autres femmes, en proie à une vio-lence qu’elles ne connaissent pas, à l’aune d’une posi-tion académique et non d’une compréhension profondedu vécu de ces dernières : « il m’apparaît que si c’est aunom des droits humains que les femmes luttent contrel’excision, c’est au nom des droits de l’homme (le res-pect des autres hommes) que les relativistes culturelsacceptent le laisser-faire en ce domaine. » Nicole-ClaudeMathieu décortique à partir de l’étude de différentessociétés, dont la société occidentale contemporaine, lesmécanismes de l’oppression des femmes, qui se dou-blent d’une confiscation de leur parole. Exploitation descorps et mise sous scellé des mots.Quelques mois après la polémique sur la « théorie dugenre » et le fantasme de son pouvoir de destruction civi-lisationnelle qui s’instillerait doucement via les salles declasse, L’anatomie politique 2 apparaît comme la preuve(s’il en fallait une) de son absurdité. Le féminisme n’estpas un dogme mais un domaine de recherche et deréflexion militante complexe, pluriel et travaillé par sespropres controverses. Si les gender studies, portés par desauteurs comme Judith Butler, remettent l’individu aucentre de sa construction personnelle, valorisant seschoix et le sentiment de ce qu’il est, contre les détermi-nismes biologiques, c’est ce caractère individualiste queNicole-Claude Mathieu va critiquer. Pour elle, ce qu’ilfaut réinterroger, outre la possibilité de s’émanciper etde composer avec les différents attributs sexués (traves-tissement, transsexualisme etc.), c’est la hiérarchisationdes sexes et la dévalorisation perpétuelle de ce qui estdit « féminin ». Elle en appelle à une réflexion collectiveet matérialiste sur les « rapports de classes de sexe »,colonne vertébrale de l’organisation sociale via la « divi-sion socio-sexuée du travail » et la « division sexuelle dutravail de reproduction ». Cette « anatomie » a donc lemérite d’écarter la question du genre du seul chemin dela psychologie et de l’individu, pour la remettre au cœurd’un projet politique collectif qui questionne les rap-ports de force sociaux et économiques en vue de les trans-former. n

continuité, celle des derniers chapitres. Ainsi l’auteurrevient sur « Rousseau et Marx ». C’est pour une lecturedélibérément limitée à un corpus de références, un sortparticulier étant fait à Engels et à son Anti-Dühring, avecà l’évidence une certaine bonne humeur. C’est une notequi révèle sans insister les rapports que Vargas voit entreles deux auteurs : « il faut, dit-il, se pencher surtout surleur abstraction de commencement qui écarte les faitset construit un modèle épuré ». Court passage qui faitespérer davantage. n

Le capitalisme a-t-il un avenir ? La Découverte, 2014

IMMANUEL WALLERSTEIN,RANDALL COLLINS, MICHAELMANN, GEORGI DERLUGUIAN ETCRAIG CALHOUN

PAR YANN LE POLLOTEC

Ce livre, par son titre même, poseune question devenue taboue dansle paysage intellectuel des grands

média dominants. En effet, affirmer comme le faitWallerstein que le capitalisme est un système historique,non-naturel et que comme tous les systèmes historiques,il est mortel, relève du blasphème dans le débat politiquefrançais contemporain.Les cinq auteurs sont d’accord pour diagnostiquer que« le monde est entré dans une période historique som-bre et orageuse » et que le « système monde » capitaliste,tel que nous le connaissons, est en passe d’atteindre seslimites historiques – qu’il n’est plus soutenable y com-pris pour lui-même. Ils se placent tous dans une pers-pective macro-historique de moyen et de long terme. Ilsrefusent tout déterminisme mécanique et tout prophé-tisme. Par contre, les uns et les autres répondent demanières différentes, voire opposées à la question del’avenir du capitalisme. Ainsi Wallerstein ne voit pasd’avenir au capitalisme parce qu’il considère que les capi-talistes ne sont plus aujourd’hui en mesure « d’accumu-ler sans fin du capital ». Pour lui, du chaos actuel, consé-quence de l’épuisement du capitalisme, va naître unnouveau système-monde, fruit de l’affrontement ducamp de « l’esprit de Porto Alegre » avec le camp de « l’es-prit de Davos ».Pour Collins la montée exponentielle du « chômage tech-nologique » (robotique, automatisation…) de la classemoyenne entraînera l’effondrement du capitalisme àl’horizon 2030-2050.Georgi Derlugian revient sur la faillite politique et intel-lectuelle de la nomenklatura et l’effondrement du sys-tème soviétique diagnostiqué dès les années 1970 parWallerstein et Collins.Mann conteste l’analyse de Wallerstein présentant lecapitalisme comme un système-monde. Mann pensequ’on se dirige vers un « capitalisme stable, prospèremais à faible croissance » avec tout de même une mino-rité d’exclus rassemblant entre 10 et 20 % de la popula-tion (sic). Seul un conflit nucléaire ou une brusque accé-lération du changement climatique représenteraient unemenace pour l’avenir du capitalisme. Calhoun considère que le risque de crise systémique estfortement accru par l’externalisation sans frein des coûtssociaux, sanitaires et environnementaux des entreprisesvers l’ensemble de la société. Cependant il ne croit pasà un effondrement du capitalisme, mais plutôt à un déclin

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L’Occasion manquée Été 1984 quand le PCF se referme

Arcane 17, 2014

ROGER MARTELLI

PAR IRÈNE THÉROUX

Roger Martelli compte parmi les meil-leurs connaisseurs de l’histoire du PCFet, à ce titre, a produit plusieursouvrages historiques précieux.Assurément, le présent opuscule

relève d’une autre catégorie. Le livre est un essai politiqueà matériau historique constitué en trois parties. La pre-mière relate la genèse, le déroulement et l’immédiat avalde la crise que connaît la direction du PCF en 1984, aulendemain d’un nouvel échec électoral cuisant (euro-péennes), d’autant plus retentissant que la direction duPCF avait tenté de minimiser les précédents, tablant surune prompte reprise. C’est à partir de cette date qu’unecontestation interne organisée et large (incluant les prin-cipaux dirigeants) commence durablement, par vagues :reconstructeurs, rénovateurs, refondateurs… Riche, cettesection n’en apparaît pas moins assez partiale – valori-sant les uns au détriment des autres selon un criteriumpolitique, anachronique et peu explicité. La seconde, deloin la plus discutable, retrace, à grandes enjambées, lesannées 1990 et 2000 – au cours desquelles l’auteur tientun grand rôle qu’il tait superbement – vues comme le

prolongement de ce moment 1984 posé comme nodal :la matrice bolchevique s’avère décidément irréformable.La troisième est un recueil de documents d’archives assu-rément intéressant mais dont le caractère partiel donneune tournure partiale au corpus. Historiographiquement,Roger Martelli signe ainsi un livre qui s’inscrit étrange-ment dans la lignée des historiens positivistes du XIXe siè-cle : l’histoire est celle des grands hommes, leur psycho-logie y est donc prépondérante, le monde social etéconomique et ses mutations sont choses secondes. Sontdonc mis au cœur de la réflexion les décisifs « ressortsmentaux » de Maurice Thorez et de Georges Marchais.Sont écartés les bouleversements économiques, sociauxet politiques (les changements sont telluriques au Partisocialiste dans les années 1970 et 1980). Sont même bro-cardés les communistes qui les intégreraient à la réflexion :« contexte, prétexte » semble dire l’auteur. Enfin, on res-tera étonné devant certains jugements rétrospectifs quiaccordent une telle place à la direction du PCF dans l’évo-lution de l’histoire de France, de l’Europe et du monde.Après « le retard » de 1956, il y aurait donc eu « l’occasionmanquée » de 1984, parmi les dernières chances de sau-ver un PCF décidément condamné à la disparition. Servipar une écriture élégante, l’ouvrage pourra trouver unpublic. L’éclairera-t-il ? Assurément, en pointant les années1980, Roger Martelli, avec une chronologie bienvenue,met le doigt sur une décennie trop peu pensée et pour-tant décidément décisive. En cela, l’homme politique faitœuvre utile et l’invitation au débat qu’il lance explicite-ment est ô combien pertinente. n

« L’économie mafieuse et criminelleinternationale »

Recherches internationales, n° 99

PAR ALEXIS COSKUN

Alors que plusieurs affaires judiciaires rela-tives à la fraude fiscale et à des délits finan-ciers ont émaillé le gouvernement fran-çais et le principal parti du droit français,

l’UMP, ce numéro permet d’approfondir certaines desthématiques les plus brûlantes au cœur de l’actualité.Avec sa contribution «Dans les eaux glacées de la financecriminelle », Jean-François Gayraud revient sur les muta-tions du système capitaliste et de l’inclusion même en sonsein de la fraude et de la corruption comme pierre angu-laire de son fonctionnement. Des techniques comme latitrisation, ou les manipulations frauduleuses du tradingà haute fréquence étant stigmatisées par l’auteur commepermettant de légitimer une sorte de délit d’initiés.Deux articles doivent être lus en commun, ceux deVincent Piolet « Paradis fiscal, combien de définitions ? »et du syndicaliste Jean-Christophe Le Duigou, «Des para-dis fiscaux aux places financières offshore » car ils per-mettent de traiter d’une problématique clé pour l’en-semble de l’activité productive mondiale, celle del’évasion fiscale et monétaire. Les difficultés à définir lanotion même de paradis fiscal ainsi que l’hypocrisie duG20 qui avait, sous l’égide de Nicolas Sarkozy, décrété lafin des paradis fiscaux en imposant à ceux-ci de simple-ment lier des conventions avec douze autres États y sontmises en exergue. S’il n’existe pas de définition juridiqued’un paradis fiscal, si une telle entreprise de qualifica-tion oblige à des considérations géopolitiques, retenonsa minima le faisceau d’éléments qualificatifs proposépar l’OCDE et présenté par Jean-Christophe Le Duigou,

qui souligne quatre critères : « des impôts inexistants outrès bas, une absence de transparence des opérationsréalisées, une législation empêchant l’échange d’infor-mations avec les autres administrations et enfin l’accep-tation de l’existence de sociétés ayant une activité fic-tive ». L’OCDE classe les paradis fiscaux en trois listesnoires, grise et blanche en fonction de l’implication despays dans ces différentes caractéristiques. Ce qu’il estintéressant de comprendre, toujours dans ce même texte,c’est que les paradis fiscaux sont devenus une véritable« colonne verticale de l’économie mondiale » ; puisqueprès de 55 % du commerce international passe par lesparadis fiscaux qui ont ainsi dépassé leur seule vocationinitiale d’optimisation fiscale. On soulignera la contri-bution de Belaid Abrika « La corruption, une gangrènemondialisée » qui souligne que 3 % des échanges inter-nationaux sont aujourd’hui détournés, ce qui équivautà une somme de 1 000milliards de dollars annuels. Il estici utile de tracer un parallèle entre parasitisme du capi-tal et de la production et appropriation indue de richessesau travers de la corruption qui empêche le développe-ment et la pleine expression des forces productives.Le texte de José Luis Solis Gonzalez « La violence auMexique : État Narco, organisé et “groupes d’autodé-fense” communautaires dans l’État de Michoacán » per-met encore d’illustrer l’actualité tragique de ces derniersjours, à savoir la disparition de 43 étudiants mexicains.Le lecteur y trouvera une approche politique et écono-mique des phénomènes d’implication du narcotraficdans la bourgeoisie et les institutions mexicaines, de pro-duction de cocaïne et de la violence qui en découle ainsique de la résistance populaire organisée face à cette vio-lence.La lecture de ce numéro est donc indispensable à toutesprit voulant étoffer son recul critique et améliorer sacompréhension du monde contemporain. n

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Le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La revue du projet propose des éclairagescontemporains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

La Commune de Paris :« le très possiblecommunisme »Le 18 mars 1871, le peuple de paris se soulève et tient tête, deux mois durant, au gouverne-ment d’adolphe thiers, élu par une assemblée nationale majoritairement royaliste. Cetteinsurrection, le dernier grand épisode révolutionnaire français du dix-neuvième siècle, revêtpour marx une importance particulière : « gouvernement de la classe ouvrière », laCommune doit aussi être analysée comme une préfiguration de la révolution communiste. PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER

La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité

des intérêts qu’elle a exprimés montrent que c’était une forme politique tout à fait susceptible

d’expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiel-

lement répressives. Son véritable secret, le voici : c’était essentiellement un gouvernement de

la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des ap

pro-

priateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation écono-

mique du travail.Sans cette dernière condition, la Cons

titution communale eût été une impossibilité et un

leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de so

n

esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases écono-

miques sur lesquelles se fonde l’existence des classes, donc, la domination de classe. Une fois

le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d’être l’at-

tribut d’une classe.

C’est une chose étrange. Malgré tous les discours grandiloquents, et toute l’immense litté-

rature des soixante dernières années sur l’émancipation des travailleurs, les ouvriers

n’ont pas

plutôt pris, où que ce soit, leur propre cause en main, que, sur-le-champ, on entend retentir

toute la phraséologie apologétique des porte-parole de la société actuelle ave

c ses deux pôles,

capital et esclavage salarié (le propriétaire foncier n’est plus que le commanditaire du capita-

liste), comme si la société capitaliste était encore dans son plus pur état d’innocence virgin

ale,

sans qu’aient été encore développées toutes ses contradictions, sans qu’aient é

té encore dévoi-

lés tous ses mensonges, sans qu’ait été encore mise à nu son infâme réalité. La Commune, s’ex-

clament-ils, entend abolir la propriété, base de toute civilisation. Oui, messieurs, la Commune

entendait abolir cette propriété de classe, qui fait du travail du grand nombre la richesse de

quelques-uns. Elle visait à l’expropriation des expropriateurs. Elle voulait fair

e de la propriété

individuelle une réalité, en transformant les moyens de production, la terre et le ca

pital,

aujourd’hui essentiellement moyens d’asservissement et d’exploitation du travail, en simples

instruments d’un travail libre et associé. Mais c’est du communisme, c’est « l’impossible » com-

munisme ! Eh quoi, ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour

comprendre l’impossibilité de perpétuer le système actuel – et ils sont nombreux – sont deve-

nus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coo-

pérative ne doit pas rester un leurre et une duperie ; si elle doit évincer le syst

ème capitaliste ;

si l’ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon u

n plan

commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l’anarchie constante et aux

convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capita

liste, que serait-

ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ?

Karl Marx, La Guerre civile en France – 1871, Éditions sociales, Paris, 1952, p. 52 sq.

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La Commune : Premiergouvernementde La CLasse ouvrière Les contemporains de la Communede Paris l’ont interprétée de plusieursfaçons : une saine réaction contre lacentralisation du pays, une tentativede restaurer le pouvoir de la bourgeoi-sie des villes de province, une volontéde réinventer le républicanisme àl’échelon municipal, ou encore le projet libéral de réalisation d’un « gou-vernement à bon marché » par la suppression de l’armée et du fonc-tionnarisme d’État. Ces diverses inter-prétations, si elles ratent l’essentielpour Marx, étaient néanmoins lesigne que la Commune était « uneforme politique tout à fait suscepti-ble d’expansion ». Beaucoup de tra-ditions politiques, de nombreuxgroupes sociaux, s’y retrouvaient. Pour Marx, la Commune est « essen-tiellement un gouvernement de laclasse ouvrière ». Non pas donc la sim-ple continuation de luttes anciennes,la concrétisation de projets politiquespassés, mais un fait radicalement nou-veau dans l’histoire. Le gouvernementde la classe ouvrière, c’est d’abord ungouvernement auquel participe laclasse des producteurs dans toute sadiversité. Jamais les couches popu-laires n’ont été aussi nombreuses dansune assemblée élue. On compte parmiles 92 membres du conseil de laCommune, 25 ouvriers, 12 artisans et4 employés. Jamais plus on ne retrou-vera en France une représentationaussi fidèle de la population. Par ail-leurs, les représentants étaient « révo-cables à tout moment ». La liberté poli-tique ne se réduisait pas à la libertéd’élire une fois tous les cinq ans. Ellesupposait une participation active etpermanente des citoyens. Mais cesmesures visant une réappropriationdu politique n’étaient pas encore l’es-sentiel. Car l’émancipation du citoyenest une « impossibilité », tant que l’in-dividu demeure dominé en tant queproducteur. Tant que la Républiques’arrête aux portes de l’atelier, tant quela propriété privée des moyens de pro-duction maintient son pouvoir exor-bitant, la liberté politique demeureinachevée. La Commune a tenté de s’attaquer àla « domination de classe ». Elle a tentéde « réaliser l’émancipation écono-mique du Travail ». Le 16 avril 1871fut ainsi décidée « la remise aux asso-ciations d’ouvriers, sous réserve decompensation, de tous les ateliers oufabriques qui avaient fermé, que lescapitalistes en question aient disparuou qu’ils aient préféré suspendre letravail ».

L’éphémère gouvernement de laclasse ouvrière ne fut pas un Étatouvrier. La Commune de Paris « futune révolution contre l’État lui-même ». Les communards ne se sontpas emparés de l’État pour le fairefonctionner pour leur propre compte,ils ont tenté de le « briser ». Cela signi-fie trois choses : « la suppression del’armée permanente » et « son rem-placement par le peuple en arme » ;la mise sous contrôle communal dela police ; la subordination de l’admi-nistration et des fonctionnaires à laCommune. Briser l’État, c’est donc« restituer au corps social toutes lesforces jusque-là absorbées par l’Étatparasite », c’est renforcer le contrôleet l’initiative des classes laborieuses.

Le Communisme :retournement du stigmateLes adversaires de la Commune n’ontqu’un mot à la bouche : commu-nisme ! Comme dans les premièreslignes du Manifeste du Parti commu-niste, dans lesquelles le communismeétait dépeint sous les traits d’un« spectre » hantant l’Europe, Marx leprésente ici en premier lieu commeun épouvantail brandi par les « porte-parole de la société actuelle ». Or, quedisent-ils du communisme ? Qu’ildétruit la propriété et qu’il est impos-sible. Deux affirmations que Marxentend récuser.Accusé d’abolir la propriété en géné-ral, « base de toute civilisation », lecommunisme abolit en fait, nous ditMarx, la « propriété de classe ». Pourcomprendre le sens de cette distinc-tion, il faut souligner le fait que Marxcomprend la Commune comme unetentative visant à soustraire les tra-vailleurs à la domination de ceux quipossèdent les moyens de production,à « exproprier les expropriateurs ». Cefaisant, Marx reprend une formulequ’il avait déjà employée à la fin dulivre I du Capital pour déconstruirela fable consistant à présenter le capi-taliste comme un épargnantconsciencieux qui aurait, à la diffé-rence des autres travailleurs fainéants

et dispendieux, mis de côté les fruitsde son travail pour les réinvestir.L’histoire du capitalisme est aucontraire, dès la fin du Moyen Âge,tachée du sang de l’expropriation vio-lente de la paysannerie anglaise et sepoursuit par les ravages de la coloni-sation. C’est donc par opposition àcette dépossession imposée par lecapital qu’il faut comprendre l’idéeselon laquelle le communisme entendfaire « de la propriété individuelle uneréalité ». Loin d’être une simple néga-tion abstraite de la propriété indivi-duelle, le communisme permet jus-tement de dépasser la promessehypocrite d’une société fondée sur lapropriété privée mais excluant, dansles faits, l’immense majorité de lapopulation de toute propriété. L’autre critique que formulent lesadversaires du communisme portesur sa prétendue impossibilité. Pourdémontrer au contraire que le com-munisme est possible, Marx com-mence par prendre les classes domi-nantes à leur propre jeu : c’est bienplutôt le capitalisme lui-même quiest devenu impossible. Fondé surl’anarchie de la production et le des-potisme sur le lieu de travail, le capi-talisme ne peut qu’entraîner crises etgaspillage des forces productives.C’est donc en mettant en évidence lecaractère éminemment contradic-toire du mode de production capita-liste que Marx peut affirmer la possi-bilité du communisme, compris« comme l’ensemble des associationscoopératives [qui] doit régler la pro-duction nationale selon un plan com-mun ». Contre toute forme d’uto-pisme, Marx répète ici ce qu’il disaitdéjà dans les Grundrisse : c’est parceque les conditions matérielles de lasociété sans classe se forment sous lemasque de la société actuelle que lecommunisme n’est pas synonyme de« donquichottisme », c’est-à-dire derêveries abstraites. n

1871, « À L’aSSaut du CieL ».À la demande du Conseil général de l’association internationale des travail-leurs, marx rédige, quelques jours après la semaine sanglante (21-28 mai 1871)qui mit un terme à la Commune de Paris (18 mars – 28 mai 1871), La Guerre civileen France. dans cette analyse « à chaud », marx prend la défense de la Commune,antithèse du pouvoir impérial de napoléon iii, premier « gouvernement de laclasse ouvrière », en même temps qu’il essaie de dégager les enseignementspolitiques de l’événement.

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CitoYennes, CitoYens... PartiCiPez !

Chaque mois un thème qui vous ConCernePour Construire ensembLe un Projet d’émanCiPation humaine

« beauCouP mettent de L’énergie À résister, iL en fauttout autant qui se mêLent du débat PoLitique ! »Pierre Laurent, secrétaire national du PCf, a invité ainsi l’ensemble des forces sociales, syndicales, associa-tives, à investir le débat d’idées et à participer à la construction d’une véritable alternative politique à gauche.Nous voulons nous appuyer sur l’expérience professionnelle, citoyenne et sociale de chacune et chacun, en mettant à contribu-tion toutes les intelligences et les compétences. La Revue du projet est un outil au service de cette ambition.Vous souhaitez apporter votre contribution ? Vous avez des idées, des suggestions, des critiques ? Vous voulez participer à ungroupe de travail en partageant votre savoir et vos capacités avec d’autres ?

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Marc Brynhole Olivier Dartigolles Jean-Luc Gibelin Isabelle Lorand Alain Obadia Véronique Sandoval

AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

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CULTURE

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LUTTE CONTRE LE RACISME

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DROITS DES FEMMES ET FÉMINISME

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ÉCOLOGIE

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ÉCONOMIE ET FINANCES

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ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

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L’ÉQUIPE DE LA REVUE Jean Quétier

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Hélène BidardRédactrice en chef

adjointe

Davy CastelRédacteur en chef

adjoint

Guillaume Roubaud-QuashieRédacteur en chef

Igor MartinacheRédacteur en chef

adjoint

Clément GarciaVice-rédacteur en chef

Frédo CoyèreMise en page et graphisme

Caroline BardotRédactrice en chef

adjointe

Noëlle MansouxSecrétaire de rédaction

Vincent BordasRelecture

Sébastien ThomasseyMise en page

Stève BessacHistoire

Nicolas Dutent Mouvement réel

Regard

Camille DucrotLire

Gérard StreiffVice-rédacteur en chef

Combat d’idées Sondages

Anthony MaranghiRevue des médiaCommunication

Corinne LuxembourgProduction de territoires

Florian GulliMouvement réelDans le texte

Séverine Charret Production de territoires

Marine RoussillonCritiques

Michaël OrandStatistiques

Étienne ChossonRegard

Maxime CochardCritiques

Francis CombesPoésies

Franck DelorieuxPoésies

Pierre CrépelSciences

Léo PurguetteVice-rédacteur en chefTravail de secteurs

COMITÉ DU PROJET

COMITÉ DE PILOTAGE

DU PROJET

Alain VermeerschRevue des média

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t

notes

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Parti communiste français

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