La revue du projet n°8

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P. 18 COMBAT D’IDÉES CRISE DE LA POLITIQUE : DÉFIANCE ET ATTENTE Par GÉRARD STREIFF u P. 6 LE DOSSIER PROJET SOCIALISTE : UNE ANALYSE CRITIQUE POUR AVANCER À GAUCHE P. 25 NOTES POUR LA CULTURE ET L’INFORMATION UNE NOUVELLE AMBITION POLITIQUE TEXTE ÉLABORÉ PAR LE FRONT DE GAUCHE P. 28 COMMUNISME EN QUESTION ACTUALITÉ DU COMMUNISME ? Par ISABELLE GARO N°8 MAI 2011 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF

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La revue du projet n°8

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P.18 COMBAT D’IDÉES

CRISE DE LA POLITIQUE : DÉFIANCE ET ATTENTEPar GÉRARD STREIFF

u P.6 LE DOSSIER

PROJET SOCIALISTE :UNE ANALYSE CRITIQUE POUR AVANCER À GAUCHE

P.25 NOTES

POUR LA CULTURE ET L’INFORMATIONUNE NOUVELLE AMBITION POLITIQUETEXTE ÉLABORÉ PAR LE FRONT DE GAUCHE

P.28 COMMUNISME EN QUESTION

ACTUALITÉ DU COMMUNISME ?Par ISABELLE GARO

N°8MAI2011

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2011

2 SOMMAIRE

FORUM DES LECTEURS

4 FORUM DES LECTEURS/LECTRICES

5 REGARDNicolas Dutent Révolutions dans l’objectif

6 u17 LE DOSSIER

PROJET SOCIALISTE, UNE ANALYSE CRITIQUE POUR AVANCER À GAUCHELaurent Mauduit Changer la vie

François Delapierre Un programme démocrate

Francis Parny Un programme de “changement raisonnable”

Philippe Marlière La social-démocratie, une force du passé

Yves Dimicoli L’ancrage au traité de Lisbonne

Nicole Borvo Une rupture nécessaire avecnotre système institutionnel

Marine Roussillon Une contradiction entre principes progressistes et propositions pourl’école

Denis Durand Une banque nationale d’investissement  ?

Catherine Mills Un projet fiscal peu ambitieux

Pierre Annoot Des propositions médiatiquespour les jeunes

Catherine Peyge Des propositions insuffisantes pour le logement

Jean- Piere Brard Rafistoler ou rompre  ?

18 COMBAT D’ IDÉESGérard Sreiff : Crise de la politique  : défianceet attente

SONDAGES : Economie  : prendre aux riches... pour donner aux pauvres

21 u 27 NOTES DE SECTEURINTERNATIONAL Jacques Fath Une politiqueétrangère hors du temps

INSTITUTION,DEMOCRATIE, JUSTICE Nicole BorvoCohen-Seat La réforme de la garde à vue

PORTUGAL José Cordon Crise économique etalternative politique

JEUNESSE Isabelle de Almeida En finir avec laprécarité de la jeunesse  !

TEXTE FRONT DE GAUCHE

POUR L’ART, LA CULTURE ET L’INFORMATION Une nouvelle ambition politique

28 REVUE DES MÉDIASAlain Vermeersch Le projet du parti socialiste

30 CRITIQUESCoordonnées par Marine RoussillonDavid Mccallam, A manifesto for the Artsand HumanitiesMoishe Postone, Temps, travail et domination socialeSamir Amin, Sur la Crise. Sortir du capitalisme ousortir du capitalisme en crise

Blog animé par Pierre Macherey, La Philosophie au sens large

32 COMMUNISME EN QUESTIONIsabelle Garo Actualité du communisme  ?

34 HISTOIRESophie Werish L’étranger et la révolutionfrançaise

36 SCIENCESAmar Bellal Agrocarburants  : des chiffrespour mieux comprendre

38 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

L'équipe de la Revue du Projet a le plaisir de vous annoncer que nous dis-posons désormais d'une Edition La Revue du Projet publiée et recom-mandée par la rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à

cette collaboration en réagissant, en commentant et en diffusant largement les contribu-tions que nous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projetNote : Pour tout commentaire concernant cette Edition, vous pouvez nous contacter àl'adresse suivante : [email protected]

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Je fais la promotion du "revenu de base inconditionnel" sur le réseau professionnelde l' Université d' Auvergne par le biais d' un film-essai européen de 100 minutes sur :http://ia700204.us.archive.org/19/items/le_revenu_de_base/ J'aimerai que vous le

consultiez sans a priori, c'est humaniste, universel, et finançable dans le cadre d' uneréforme fiscale. Qui d'autre que le Parti Communiste peut incarner cette idée généreuse ?C'est à mon humble avis la mère des batailles à livrer, adossées à un véritable DALO.Mais peut-être avez-vous déjà fait un article sur ce sujet ? Je viens d' apprendre la position de Pierre Laurent sur la candidature de Jean-LucMélenchon à la présidentielle, je suis comblé, car en tant que jeune adhérent du PCF jen'aurai pas supporté un refus de sa candidature même au profit d'André Chassaigne.Merci.

MN

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MAI 2011- LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

TERRANOVA : AVANT DE CRITIQUER, LIRE !

Le rapport Terranova* sur lesconditions d’une victoireélectorale de la gauche a fait

grand bruit. Ce rapport constatela disparition des ouvriers dubloc historique de l’électorat degauche. Les bien-pensants, leplus souvent sociaux libéraux,ont défilé sur les antennes. À mon sens, le principal reprochequ’ils font à ce rapport est de diretout haut ce qu’ils pensent toutbas.

Résumons. Le vote en faveur deSégolène Royal était constituédes couches les plus formées etles plus intégrées et des couchesles plus précaires, les plus jeuneset celles dont la famille est issuede l’immigration.

Pour aller vite, le vote en faveurde la candidate socialiste, sestructure d’un côté sur la based’aspirations sociétales pour lescouches formées et du besoin deprotection et de coups de poucepour s’intégrer pour les couchesles plus précarisées.

Au milieu de ces deux pôles, lesouvriers et les employés dont lacaractéristique, selon le rapportTerranova, est d’être plus conser-vateurs sur le plan des valeurs etsur le plan économique notam-ment dans le rapport à l’Unioneuropéenne et au capitalismecontemporain.

Ces quelques mots sont outra-geusement simplistes par

rapport à la qualité de l’analysedu rapport Terranova. Cepen-dant, l’essentiel est là. Le plusscandaleux n’est pas dans lerapport lui-même, mais dans lepoint implicite qu’il véhicule etque l’on résume de cette manièrelà : parce qu’il n’y a pas d’autrespolitiques économiques possiblesalors la reconquête du peuple desouvriers et des employés estimpossible.

C’est le renversement fantas-tique auquel nous assistonsdepuis deux décennies dans lesvieilles démocraties occiden-tales : pour gagner, la droitepopulise et extrêmise sondiscours en direction des forcestraditionnelles du travail humi-liées par le capital et les gauchessocial-démocrates se reconsti-tuent autour d’un « cercle deraison » alliant modernité socié-tale, acceptation des règles dumarché et main tendue aux plusfaibles.

Au fond, ce rapport a pour méritede reposer la question du blochistorique, c’est-à-dire des forcessociales sur lesquelles s’appuyerpour changer.

À mes yeux le problème pournous est simple. Il consiste d’unepart à travailler les contradic-tions socio-économiques desclasses les plus formées et enapparence les plus intégrées. Lacatégorie « bobo » est unmensonge qui tend à supprimer

les intenses effets de déclasse-ment que subissent les profes-sions intellectuelles précarisées.

Deuxièmement, il s’agit pournous de regarder avec lucidité lefait que les « clientèles » tradi-tionnelles des sphères politiséesnous ont coupés d’un rapport,ne serait-ce que réel, avec legrand nombre des ouvriers et desemployés qui forment ensemblela majorité du salariat. Recon-naître ce problème, faire un pasen direction de ce grand nombreque personne n’écoute, ni nereconnaît, c’est faire l’essentieldu chemin. L’intendance suivra.

Sur cette base, celui d’unesynthèse des aspirations socialeset sociétales, je pense que nouspouvons forger l’idée d’unealliance nouvelle, socialed’abord, politique ensuite decouches profondément éloi-gnées et séparées du point devue de leur appréhension du réelalors que la crise a accéléré laconvergence possible de leursintérêts matériels. Mais sur cela,il faut mettre des mots, il fautobjectiver le besoin de cettealliance.

Le titre de cet édito est : avant decritiquer, lire ! J’y insiste, cerapport est stimulant. Scanda-leusement stimulant. n

*Cercle de réflexion de la gauche progres-siste française et européenne.

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FORUM DES LECTEURSÉcrivez-nous à : [email protected]

Pages réalisées par CÉCILE JACQUET

L’écologie politique et ladécroissance qui en découledeviennent objectivement un

danger totalitaire pour le XXIe sièclesi l'on n'y prend garde.Alors que faire pour y « prendregarde » ?Il faut tout simplement en revenir àla raison. Non pas au sens de « raison-nable » pour amoindrir ses propresexigences, mais au sens de « raisonner». Au sens donc de la logique qui s'ap-puie sur des modes de raisonnementaux hypothèses vérifiables ou véri-fiées, c'est-à-dire des raisonnementsscientifiques. En plaçant ici la philo-sophie dans le champ des sciences. Ils'agit là d'un enjeu culturel et poli-tique fondamental pour l'émancipa-

tion humaine. Évidemment il ne s'agitpas de mythifier la science, le progrèsetc. ce qui reviendrait au piège duscientisme mais de placer l'avenir del'homme, de l'humanité, de sa libé-ration et de son émancipation entreses mains, dans sa capacité à créerson propre avenir en se libérant decroyances imposées de l'extérieurmais sans cesse régénérées et repro-duites de l'intérieur de la société, del'intérieur même de chaque personne.On ne peut par exemple parler vala-blement d'autogestion en dehorsd'une telle démarche. Ce sont enpermanence les capacités humainesqui vont être convoquées et mises àl'épreuve de la vie, du réel. L'effort delibération doit donc consister à

travailler en permanence au dévelop-pement des capacités des personneset des milieux dans lesquels ellesvivent et qu'elles doivent s'approprier.C'est finalement l'homme produc-teur-créateur qui doit se construireau-delà de l'homme soumis à toutedoctrine dogmatisées en croyances.Finalement…

Il n’est pas de sauveurs suprêmesNi Dieu ni César ni tribunProducteurs sauvons-nous nous-mêmes!Décrétons le salut communPour que le voleur rende gorgePour tirer l’esprit du cachotSoufflons nous-mêmes notre forgeBattons le fer quand il est chaud… n

PIERRE B.

B ien vieilli en fût au seuil de ma quatre-vingt

neuvième année, je me sens disponible en y

mettant une condition impérative - que ma

contribution s'inscrive à titre de préhistorien

amateur.

Chercheur sur le terrain depuis la prise de ma

retraite, précoce à titre de déporté résistant en

1978, j'ai tenté de vérifier la pertinence du

regard d'un passé de militant de base n'ayant

même pas subi l'épreuve du certificat d'études.

(...) S'il est encore temps il m'apparaît que la pen-

sée marxiste doit construire une réflexion à la

mesure de l'alerte que nous vivons, elle a besoin

de tous les concours, de tous les efforts qui s'of-

frent ; Ne laisser passer aucun apport, serait-il le

plus inattendu. Salut et merci pour ce courrier. n

ROGER H.

J’ai lu votre article avec intérêt sur le projet gou-vernemental de favoriser les profits de l'indus-trie du divertissement avec le rapport “culture

pour chacun”. J'ai récemment écrit un article sur lesujet, (en 2 parties) sur mon blog « canard aux figues » : http://canardauxfigues.blogspot.comSur le rôle des gouvernements dans l'opposition entre« peuple » et « élite », je marque un désaccord. Carcette opposition n'est pas l'apanage de la droite. J'aitenté de le faire comprendre : dès 1981, la gauche PS,dans un souci de plaire au peuple (pour mieux lecontrôler ?) et de lui vendre des produits culturelsmarketés, avait déjà opéré le tournant, en faisant pas-ser l'exigence et la qualité pour de l'élitisme.Le résultat a été l'explosion de toute cette industriedu divertissement, radios associatives, financementdes gros spectacles débiles façon Robert Hossein,liberté donnée aux chaînes TV en matière culturelle...flatteries envers les communautés, les groupesidentitaires, les groupes d'âge, les produits culturelsciblés par catégorie de populations. Tout ça avec lesourire condescendant de Jack Lang. Tout cela afacilité les offensives menées aujourd'hui par l'UMP.La gauche PS a déjà dévoyé la « culture pour tous » et le précepte d'Antoine Vitez d'une action « élitairepour tous ». Il ne faut pas se le cacher.Merci en tout cas pour l'intérêt que vous portez audébat et pour votre combat pour une Culturedémocratique. Par les temps qui courent, l'enjeu àdéfendre est énorme. n

JAN F.

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MAI 2011- LA REVUE DU PROJET

REGARD

© Guillaume Binet

Le regard tout en intensité de cet Égyptien qui fixe l’objectif pourrait se confondreavec ces milliers d’autres, qui ont fait taire toutes les certitudes. Certains ontsouhaité dès le début prendre part à ce choc visuel, culturel, et faire ainsi

témoigner au plus près les révoltes naissantes. De la place Tahrir (Le Caire) àBenghazi (Libye) en passant par Tunis, ces voix de l’insoumission (ou plutôt cesvisages), des anonymes qui parfois au prix de leur vie font vivre des colères saines,justes et utiles, ont été saisis par les photographes Dominic Nahr, Guillaume Binet,Julien Daniel, Lionel Charrier, Luca Sola, Olivier Laban-Mattei, Ron Haviv et YuriKozyrev. L’intuition d’un changement radical aidant, ils ont pu assister à cetteformidable expérience humaine, où le rêve général côtoie une violence oppres-sive qui progresse en silence. La force mobilisatrice, euphorique ou sanglante,d’un destin en marche. On voit s’exprimer ici sans détour un désir d’émancipationqui envahit tout et s’impose comme « l’œuvre des peuples arabes eux-mêmes »pour revisiter les propos de Marx. Ce monde intolérable que nous avons parfoissous les yeux, des gens nous montrent qu’il est possible de l’ébranler. n

NICOLAS DUTENThttp://blogs.mediapart.fr/blog/nicolas-dutent/220411/revolutions-dans-l-

objectif-le-regard-de-huit-photographes-sur-le-pr

Révolutions dans l’objectif, le regard de huit photographes sur le printemps arabe

ExpositionRévolutions Du 1er avril au 24 mai 2011 à la Galerie LA PETITE POULE NOIRE 12, bd des Filles du Calvaire75011 PARIS 

http://www.lapetitepoulenoire.com

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LE DOSSIER

Avant de parler descastings pour l'électionprésidentielle de 2012,la Revue du Projeta souhaité mettre en perspective le projet, en commençant par leprojet du Parti socialiste.

Présenté le 5 avril dernier, il appelle à commentaires,à critiques ou à enrichissement“commun” à gauche.

Nous espérons participer de ce travail de contenu.

PAR LAURENT MAUDUIT*

«Changer la vie »… À l’approchede la commémoration du tren-tième anniversaire de la

victoire historique de la gauche, celledu 10 mai 1981, le premier des souve-nirs qui revient à la mémoire, c’est forcé-ment la célèbre formule d’ArthurRimbaud, qui symbolisait le formidableespoir de l’époque. Le souvenir s’imposed’autant plus à l’esprit qu’une autreéchéance majeure pour le pays serapproche, celle de l’élection présiden-tielle de 2012, et qu’il pousse du mêmecoup à d’innombrables interpellations.Alors que les socialistes promettaient dechanger la vie, n’est-ce pas malheureu-sement trop souvent la vie qui les achangés ? Et cet espoir qu’ils portaienthier, et qu’ils n’ont pas toujours honoré- quand ils ne l’ont pas franchementbafoué -, peuvent-ils encore aujourd’huis’en prévaloir ? Pour faire échec à larégression sarkoziste et à la menace lepé-niste, peuvent-ils, en clair, renouer en2012 avec le souffle de 1981 ? Le peuvent-ils ou plus simplement le veulent-ils ?

LES 110 PROPOSITIONS, 1981-2011 Mediapart a décidé d’écrire un livrecollectif, pour dresser un bilan, trenteans après, des réformes promises en 1981par les socialistes, et consignées dansune plateforme connue sous le nom des« 110 propositions » et pour cerner dansla perspective de 2012, les enjeux,toujours actuels, de nombre de cespromesses. Intitulé « Les 110 propositions,1981-2011 » (Editions Don Quichotte,168 pages, 9,90 €), il est assorti d’un sous-titre qui résume son ambition : « Manuelcritique à l’usage des citoyens qui rêventencore de changer la vie ». Ce retour aux« 110 propositions » de 1981 présente,de fait, plusieurs intérêts majeurs.D’abord, à leur lecture, on mesure à quelpoint, en trois petites décennies, lemonde a radicalement changé. Adieu lespolitiques de relance ! Au diable les natio-nalisations, la défense des servicespublics, le relèvement des minimasociaux, du salaire minimum ! Article pararticle, on mesure à quel point au coursde ces trente dernières années, l’Etat areculé face aux marchés, le capitalismerhénan s’est effacé face au capitalisme

anglo-saxon. À quel point aussi les poli-tiques publiques ont été progressive-ment émasculées ; à quel point le modèlesocial a été démantelé. Pour quiconquefait lucidement le va-et-vient entre hieret aujourd’hui, ce retour permet deprendre la mesure de l’ascendant que lecapital a pris sur le travail, la mesure dela formidable flexibilité et précarité quele monde du travail a subies. Mais dumême coup, il éclaire aussi l’avenir etpermet de mesurer ce que sont devenusles socialistes. Les rêves que certainsd’entre eux continuent de porter, endéfendant toujours certaines de ces « 110propositions », même amendées. Ou lesrenoncements auxquels d’autres ontcédé, quand ce ne sont pas de franchesconnivences.Dans ce livre collectif, la rédaction deMediapart, s’est appliquée à faire un va-et-vient. Quel bilan de chacune de cespropositions : trente ans plus tard, ont-elles été mise en œuvre ? La gauche a-t-elle honoré sa promesse ou bien l’a-t-elle reniée ? Ou bien a-t-elle tenu paroleavant que la droite ne remette en causecette réforme ? A défaut de copier ces« 110 propositions », le PS a-t-il ambi-tion de renouer en 2012 avec la volontéde transformation sociale qui animaitce que l’on appelait en 1981 le « peuplede gauche », et qui a fait gagner FrançoisMitterrand ?

REGARD SUR LE MONDELe premier sujet d’inquiétude a trait auregard que les dirigeants socialistesportent sur le monde. Car, en 1981, onsent bien que les socialistes proposentau pays une nouvelle politique étran-gère. Une politique de rupture. Dénon-ciation – n’en déplaise au potentiel alliécommuniste - de l’occupation de l’Af-ghanistan par les troupes soviétiques,dénonciation des dictatures latino-américaines soutenues par Washington,dénonciation de la répression dont sontvictimes les travailleurs polonais et leurjeune syndicat Solidarnosc : c’est uneautre voie qu’ouvrent les socialistes. Trente ans plus tard, les socialistes ontle souffle court. L’époque, pourtant,devrait les inciter à avoir de l’ambitionet à donner fortement de la voix. Poursoutenir les révolutions qui se sont enga-gées tour à tour en Tunisie, en Egypte ou

CHANGER LA VIE Alors que les socialistes promettaient de changer la vie, n’est-ce pasmalheureusement trop souvent la vie qui les a changés ?

Projet socialiste : une analyse critique

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> SUITEPAGE 8

encore en Libye et dont l’onde de chocs’est propagée dans tout le mondearabe ; pour dénoncer l’insupportablecoupure du monde en deux que les néo-conservateurs américains ont organiséeaprès 2001, et qui, des interventions mili-taires en Afghanistan puis en Irak, aalimenté le terrorisme qu’elles préten-daient combattre… Et pourtant non !Quand les révolutions en Tunisie et enEgypte ont fait tomber les dictatures quisévissaient dans ces deux pays, quanden Libye Kadhafi a lâché ses sbires contreson peuple, les socialistes français – etau-delà une bonne partie de la gauche-est restée longtemps assez largementinaudible. C’est même peut-être pluspréoccupant que cela. A-t-on en effetentendu les socialistes français dire quela guerre d’Afghanistan n’était pas laleur ? Même pas ! Dans leur conventionpour définir une nouvelle politique exté-rieure, préparée par un proche de Domi-nique Strauss-Kahn, Jean-ChristopheCambadélis, les dirigeants socialistes sesont limités à dire que l’armée française« n’avait pas vocation » à rester dans cepays. De l’eau tiède…

LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALELe va-et-vient a tout autant valeur demise en garde pour la politique écono-mique et sociale. Il invite à interpeller lessocialistes sur leurs véritables intentions.Quelle politique fiscale conduiraient-ilspar exemple, en cas de victoire en 2012 ?Ils préconisent tous désormais une« révolution fiscale » - . Mais il faut allerau-delà du consensus car, en fiscalitécomme en de nombreux autresdomaines, le diable est dans les détails.Et parfois, sous des intentions généreusespeuvent se loger des conservatismes oudes habiletés. Il suffit pour s’enconvaincre de relever comment ont étéaccueillies par les socialistes les propo-sitions de réforme formulées par l’éco-

nomiste de gauche Thomas Piketty,notamment celle visant à fusionnerl’impôt sur le revenu et la Contributionsociale généralisée, en assortissant cenouveau prélèvement d’un barèmeprogressif. François Hollande, pour neparler que de lui, a ainsi jugé que les tauxd’imposition proposés par l’expertrisquaient de frapper trop durement lescontribuables les plus fortunés. Et repre-nant une idée ancienne de DominiqueStrauss-Kahn, il a émis l’idée qu’à l’avenir,l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF)pourrait devenir déductible des droits desuccession. Ce qui serait un moyen àpeine déguisé de faire disparaître cetimpôt fétiche de la gauche. Et de baisserles droits de successions.

LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUELa question de la propriété publique oudes services publics soulève des interro-gations du même type. Car, en 1981, lessocialistes ont le formidable couraged’aller à contre-courant du consensusambiant et de nationaliser des secteursclefs de l’économie. Mais ensuite, la vaguelibérale a, là encore, fait son office. Et lessocialistes ont été, eux aussi, contaminéspar la fièvre des privatisations. Même s’ilsrefusent le plus souvent de regarder enface ce triste bilan, ils ont même étécontaminés plus gravement que d’autrespuisque de 1997 à 2002, ils ont plus priva-tisé que tous les gouvernements précé-dents. Ce sont Lionel Jospin, et ses deuxministres successifs des finances, Domi-nique Strauss-Kahn et Laurent Fabius,qui en portent la responsabilité. Tout yest passé. Jusqu’à France Télécom, quidevait rester à 100 % public au motif qu’ils’agissait d’un service public ; jusqu’auxautoroutes…Alors, avec trente ans de recul, on est biencontraint de relever que les socialistesd’aujourd’hui n’ont pas la fougue d’hier.Car si plus grand monde n’évoque la

nécessaire nationalisation d’un groupeprivé qui produit de l’aluminium ou dela parapharmacie, la question desservices publics – et de leur défense -devrait à tout le moins faire l’unanimité.Et puis, surtout, la crise de ces dernièresannées a mis en évidence le rôle perni-cieux des grandes banques privées qui,délaissant ce que devrait être leurpremière mission, le financement del’économie, se lancent dans des spécu-lations pour leur compte propre et contri-buent fortement aux dérèglements fousde la planète financière. Faut-il donc envi-sager une renationalisation du secteurbancaire, comme le suggèrent des intel-lectuels comme Jacques Julliard – quivient de la seconde gauche, celle quiprécisément n’avait pas une franchesympathie pour le contrôle par l’Etat ?Ou bien faut-il seulement constituer ungrand pôle bancaire public, assumantdes missions d’intérêt général, autour enparticulier de La Poste ? Le moins quel’on puisse dire, c’est que les socialistesn’ont rien fait pour porter un projet dece type,…

LA POLITIQUE SOCIALEEt dans le domaine de la politique sociale,les constats qu’inspire notre va-et-vientsont sans doute encore plus cruels. Carquand on redécouvre la proposition n°22– « le contrat de travail à durée indéter-minée redeviendra la base des relationsdu travail », on se prend à penser que lemonde de 1981 s’est décidemmenteffondré et qu’il a laissé la place à un mondebeaucoup plus brutal, beaucoup plusinjuste. Parce que le capitalisme a fait peauneuve, et que le capital exerce une véri-table tyrannie sur le travail ; parce que ladroite a multiplié depuis deux décenniesles mesures de déréglementation du travail.Terrible constat ! S’il y a une propositionqui a été jetée aux oubliettes, c’est biencelle-là. Mais à la veille de l’élection prési-

pour avancer à gauche

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LE DOSSIER Projet socialiste : une analyse critique pour

SUITE DELA PAGE 7 > dentielle, il faut avoir le courage de regarder

les choses en face et de dire ce qui est :dans cette terrible évolution, les dirigeantssocialistes ont aussi leur part de respon-sabilité. Parce qu’ils ont contribué à déve-lopper les petits boulots ; parce qu’ils ontfavorisé le développement du travail àtemps partiel… Martine Aubry est bienplacée pour le savoir. Ministre du travailen 1992, c’est elle qui a pris les premièresmesures d’allégement de charges socialespour favoriser cette extension du travail àtemps partiel. Et de nouveau ministre dutravail dans le gouvernement de LionelJospin, de 1997 à 2002, elle a envisagé pardeux fois de soumettre au Parlement unprojet de loi visant à taxer les entreprisesqui recourraient exagérément au travailprécaire. Et par deux fois, le projet de loi aété… abandonné !

LA CULTURE PRÉSIDENTIALISTEEt puis, dans ce va-et-vient d’une époqueà l’autre, il y a une autre interpellation –sans doute la plus importante de toutes :le Parti socialiste va-t-il enfin sortir decette culture présidentialiste qui l’a, luiaussi contaminé. Car quand il arrive aupouvoir, en 1981, François Mitterrand

charrie avec lui un immense espoirdémocratique : il va mettre à bas les insti-tutions violemment antidémocratiquesde la Vème République, qui sont leproduit du coup d’Etat réalisé par leGénéral de Gaulle en 1958. On saitmalheureusement ce qu’il advint de lapromesse : à son tour – et même plusqu’à son tour –, François Mitterrandprofita de ce système du « Coup d’Etatpermanent », avec toutes les dérives quel’on sait, inhérentes à ce système depouvoir absolu : la nomination d’amis àtous les postes clefs, la cellule desgendarmes de l’Elysée, le mépris du Parle-ment et de tous les autres contre-pouvoirs… Et de réforme des institutions,il n’y en eut qu’à la marge, comme l’a luci-dement relevé en février 2011 Pierre Joxe,qui était pourtant un fidèle : « Mitterranda pris la lourde responsabilité de ne pasprofiter de son pouvoir pour transformerla République ». Or, trente après, où ensommes-nous ? Pour l’heure, les socia-listes semblent être tombés d’accord surle plus petit dénominateur commun. Uneréforme a minima, comprenant quelquespetites avancées, mais tempérées parbeaucoup de frilosité…

Les « 110 propositions » ont donc valeurde rappel. Elles avaient un souffle, celuidu réformisme radical. Leur force ad’abord été d’exprimer, mêmemaladroitement, ce qui cheminait danstout le pays : l’aspiration pour moinsd’autoritarisme, pour moins d’inéga-lités. Oui ! La force de cette plate-formea été de surfer sur cette formidabledynamique collective, qui a mis tout lepays en mouvement, pour une sociétéplus juste. Les socialistes avaient alorsd’abord le souci d’entendre ce quevoulait le pays. Et s’ils ont gagné en 1981,s’ils ont balayé les manœuvres de divi-sion du Parti communiste, c’est d’abordà cause de cela : parce qu’ils ont surfésur une formidable dynamique, celledu mouvement social, celle au-delàd’un mouvement qui affectait toute lasociété. C’est la principale leçon de ces« 110 propositions » : la gauche ne peutgagner que si, portant le rêve d’unetransformation sociale, elle sait enclen-cher une dynamique : il n’y a de victoirede la gauche que si le peuple entre enmouvement. n

*Laurent Mauduit est journaliste, cofonda-teur du site internet Médiapart.

PAR FRANÇOIS DELAPIERRE*

L’analyse du programme du Partisocialiste pour les élections de 2012est un exercice ingrat. On sait d’ex-

périence que le candidat désigné du PSen fera ce qu’il voudra. Le vainqueur desprimaires pourrait même être DominiqueStrauss-Kahn, qui le piétinera d’autantplus qu’il n’a pas participé à sa discus-sion. Sa lecture requiert un décodeurdoublé d’un diplôme de solférinologue.Les formulations à l’ambigüité calculéepullulent dans ces textes destinés à opérerdes synthèses entre les positionscontraires qui cohabitent au sein du PScomme on cache la poussière sous le tapisen se disant que personne n’ira y regarder.Enfin, il ne faut pas compter sur le secoursdes médias qui, faute de temps et demémoire, se laissent abondammentbourrer le mou par les factions socialistesconcurrentes qui rivalisent pour expli-quer que leur point de vue l’a emportésur tous les autres. Selon l’identité de celui

qui l’alimente, le journaliste parlera doncd’un tournant à gauche ou d’un chef-d’œuvre de modération. Car s’il a unevague idée de ce que contient le projetpour 2012, il n’a en revanche aucunsouvenir des éditions antérieures.

LE COUP DE RABOT PERMANENTLes exigences sociales sont encore revuesà la baisse conformément à la doctrinedémocrate. Le projet 2012 préconise unsimple « rattrapage du SMIC que la droitea déconnecté de la hausse des prix » alorsqu’en 2007 il voulait « porter le SMIC àau moins 1500 euros bruts le plus tôtpossible dans la législature ». Il défendune simple modulation des exonérationsde cotisations en cas de recours abusifaux contrats précaires. Les entreprisespourront faire le choix de la précarité enpayant un peu plus, alors que le projetsocialiste pour 2007 promettait : « Pourlutter contre la précarité, nous réaffirme-rons la primauté du CDI sur toute autreforme de contrat de travail. » Il ne revient

pas sur les réformes de la droite qui flexi-bilisent le temps de travail quand le projet2007 voulait « relancer la négociation surle temps de travail, pour étendre le béné-fice des 35 heures, avec création d’em-plois, à tous les salariés. Si la négociationn’aboutit pas, la loi interviendra. »On trouve aussi le deuxième pilier de laligne démocrate, la confiance dans lemarché. Même dans le secteur essentielde l’énergie, le projet PS 2012 ne prévoitaucune remise en cause des privatisa-tions et libéralisations alors qu’en 2007 ilpromettait de « réintroduire le contrôlepublic à 100 % d’EDF et mettre en placeun pôle public de l’énergie entre EDF etGDF – dont nous refusons la privatisa-tion. » De même, le projet 2012 proposeune « banque publique d'investisse-ment » uniquement dédiée à l’investis-sement industriel et sans moyensnouveaux puisqu’elle se contentera de« regrouper des outils existants » tandisque le projet 2007 envisageait un « pôlefinancier public » à vocation généraliste.

UN PROGRAMME DÉMOCRATE La comparaison avec le programme du PS 2007 montre que la conversion démocrate du PS se poursuitmalgré la crise historique que traverse le capitalisme.

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avancer à gauche

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Les rares « mesures de gauche » annon-cées ne changent pas la donne. Le salairemaximum, présenté comme une conces-sion au Front de Gauche, ne concerne-rait que les firmes dans lesquelles l’Etata des participations, soit 7 % des salariésdans 57 des 3 millions d’entreprises dupays. Et le « droit de partir à 60 ans » estun mot creux dès lors qu’est avalisé l'al-longement de la durée de cotisations quile fait rimer avec retraite amputée.

BIENVENUE CHEZ BISOUNOURSCe projet ne prépare aucun affrontementavec les puissances qui se coalisent pour-tant actuellement contre les gouverne-ments sociaux-démocrates dans toutel’Europe. Il ne cherche pas à combattrel’emprise des banques et de la financeinternationale, n’envisage aucun affron-tement avec les traités européens etsemble ignorer le fait que l’oligarchie aupouvoir dans notre pays pourrait semontrer insensible aux bonnes inten-tions du PS.Ainsi, le PS ne prévoit aucune mesurestructurelle pour sortir la dette publiquede sa dépendance face aux banques etaux marchés. Il prévoit plutôt d'affecterchaque année 25 des 50 milliards deressources nouvelles à rembourser pure-ment et simplement la dette. Il n’est pasquestion par exemple d’autoriser l’Etatà emprunter auprès de la banquecentrale ou d’obliger les banques àdétenir des titres de dette publique... Cesilence fragilise l'ensemble du projet duPS, car un gouvernement désarmé faceaux marchés financiers serait de faitsoumis à leur bon vouloir.De même, le PS ne prévoit aucune remiseen cause du cadre actuel de l'Union euro-péenne. Cela ôte toute crédibilité à sespropositions contraires au Traité deLisbonne : les "emprunts européens pourfinancer les investissements du futur"(rendus impossibles par les articles 310et 311 TFUE), la "taxation des transac-tions financières au sein de l'Union"(contraire à l'article 63 TFUE), "l’augmen-tation des droits de douane au niveaueuropéen sur les produits ne respectantpas les normes internationales en matièresociale, sanitaire ou environnementale"(contraire aux articles 21 TUE et 206TFUE). Quant à l’idée de "donner vie auxcoopérations renforcées, proposer lescontours d'un groupe pionnier adossé àla France et à l'Allemagne, autour d'ob-jectifs précis" et la "construction avec lespays qui le voudront, dons le cadre d'unecoopération renforcée permise par lestraités actuels, d'une communauté euro-

péenne des énergies", elle ignore visible-ment le contenu du traité qui conditionnele lancement d’une coopération renforcéeà l’accord de la Commission européenne,à l’unanimité à 27 pays au Conseil (art.329 TFUE), à la participation d’au moins9 Etats et le prévoit uniquement pourréaliser des objectifs de l’Union sans créerde distorsion de concurrence (art. 20TUE).Dès lors, le projet du PS ne cherche pasà créer dans la société un rapport deforces favorable au changement. Il validele cadre débilitant de la 5e République etabandonne toute perspective de 6e. Il nereprend les revendications d’aucune des

grandes mobilisations de ces dernièresannées, sur les retraites, les sans-papiersou les suppressions de postes dans lafonction publique… Sa stratégie estplutôt de capter le rejet de Sarkozy jusquedans l’électorat de droite. On lit ainsi unsurprenant hommage aux fondateurs del’UDF et du RPR, Chirac et VGE : « Depuis1958, par-delà les alternances et lesépoques, tous ceux qui ont exercé la magis-trature suprême ont contribué au rayon-nement de la France. Tous sauf l'actuelchef de l'Etat. » n

*François Delapierre est secrétaire nationaldu Parti de Gauche

PAR FRANCIS PARNY *

Hélas rien de fort qui symboliseraitune ambition nouvelle pour notrepays. Rien de comparable même

avec les nationalisations portées en 1981par exemple ou la réduction du tempsde travail qui en 2007 avait sans douteporté Lionel Jospin à Matignon. Il s’agiten quelque sorte d’un programme de« changement raisonnable ». On saitmalheureusement que le raisonnable estl’ennemi des révolutions.L’ambition affichée est celle du redres-sement de la France et d’un nouveaumodèle de développement. Mais cesobjectifs s’inscrivent dans une accepta-tion d’un monde concurrentiel dominépar les marchés financiers et dans uneconception de la croissance économiqueoù les gains de productivité ne sontjamais redistribués en faveur de l’em-ploi, des qualifications et des salaires.

CE PROGRAMME EST-IL DE GAUCHE ? Il y a certes des choses qu'on ne peutbalayer d'un revers de main, comme lacréation de 300.000 emplois jeunes oula modulation de l'impôt sur les béné-fices qui prévoit d’appliquer un taux de40 % lorsque ceux-ci sont distribués endividendes. Mais quelques propositionsconcrètes ne constituent pas une vision

de la société. Ce programme ne romptpas avec les logiques libérales et atlan-tistes des politiques menées cesdernières années. Pour l’OTAN par exemple, on frise le ridi-cule puisqu’il est suggéré d’évaluer lesconséquences de l’entrée de la Francedans l’OTAN. Tous les jours nous consta-tons qu’elle nous entraîne dans la guerre.Concernant l’Europe, il y a acceptationpar le PS de toutes les logiques issues dutraité de Lisbonne. Et cette acceptation des politiques libé-rales se retrouve au plan national. Leshypothèses économiques du parti socia-liste prévoient une inflation à 2 et uneaugmentation des dépenses publiquesà 1,7 %, c'est-à-dire moins vite que l’in-flation. Nous sommes dans une logiquede diminution de la dépense publiqueconfirmée par des propositions deréformes fiscales à budget publicconstant. Dans ces conditions, oncomprend que rien n’est dit sur l’arrêtde la RGPP ou la nécessité d’un pland’embauche de fonctionnaires pourtantnécessaire dans tous les services rendusà la population. Le PS annonce 10 000policiers recrutés, cinq cents magistrats,mais combien pour l’école considéréecomme une priorité ? On ne sait pas, etrien sur la poste. Rien pour empêcher ledémantèlement de notre système de

UN PROGRAMME DE « CHANGEMENT RAISONNABLE »Le programme rendu public par le Parti Socialiste nécessite un exa-men attentif, notamment pour celles et ceux qui aspirent à une alter-native aux politiques menées depuis des années sur la base deslogiques dominantes du système capitaliste.

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LE DOSSIER

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SUITE DELA PAGE 9 > de justice sociale, rien sur l’éventualité

d’une réduction du temps de travail oumême sur les 35 heures sans annualisa-tion et sans diminution de salaire ; riende précis sur le SMIC. Concernant laretraite, l’augmentation de la durée decotisation et de toutes les cotisations, ycompris les cotisations salariales confirmela position du PS dans le conflit. On sait pourtant que la mise en placed’une taxe sur les actifs financiers, évaluésà 305 milliards d’euros, permettrait derégler le problème d’une bonne couver-ture sociale. Un taux de taxe équivalentà celui des cotisations patronales de cejour rapporterait 24,3 milliards à la caissedes retraites. De telles mesures permet-traient de « marquer » un programme degauche remettant en cause le capitalismefinancier qui est le capitalisme de notresiècle et auquel il faut s’attaquer souspeine de se résigner à accepter sa domi-nation et la marchandisation de touteactivité humaine qu’elle induit. RENDRE L’ESPOIR AU PEUPLE DE GAUCHE

Un tel constat concernant le programmedu PS est-il désespérant ? Oui, si on croitle rapport de force à gauche immuable.Non, si on s’inscrit dans une dynamique,si on s’appuie sur les potentialités derassemblement qu’induit le mouvementsocial, sur les aspirations profondes denos concitoyen-ne-s et sur des proposi-tions, portées par le Front de gauche, quirompent avec les logiques précédentes.Il s’agit de rendre l’espoir au peuple deGauche et d’entraver ainsi la « résistible »ascension du vote FN.Le programme populaire partagé duFront de gauche est un outil. De sonappropriation par le plus grand nombredépend un vote en 2012 qui ne soit pasguidé par la crainte mais par l’espoir.C’est notre combat. n

*Francis Parny est responsable national duPCF et vice-président à la culture de laRégion Île-de-France.

PAR PHILIPPE MARLIÈRE*

Dans les trois décennies qui suivent lafin de la Deuxième Guerre mondiale(1945-1973), la social-démocratie

européenne (il faut ici préciser du nordde l’Europe) a remporté des victoires élec-torales significatives et a occupé le pouvoir.A partir des années 70, le compromissocial-démocrate a été bousculé par laforte progression du néolibéralisme auxÉtats-Unis et au Royaume uni, et l’appa-rition de nouvelles problématiques dansle champ des idées de gauche. La social-démocratie a répondu à ces défis avec untriple axe programmatique : un axe clas-sique s’est préoccupé de croissance écono-mique et d'emploi. Un deuxième axe atenté de s’approprier les thèmes postma-térialistes et anti-autoritaires les pluspopulaires dans l'opinion (défense del'environnement, sécurité alimentaire,liberté sexuelle, égalité homme-femme).Le troisième axe était d'inspiration néoli-bérale (stabilité monétaire, compressiondes dépenses publiques, privatisations,baisse des impôts, Etat social restreintmais « actif »).

Après les brèves expériences néokeyné-siennes du PS français (1981-1982) et duPASOK grec (1981-1984), la social-démo-cratie a mis en œuvre des politiquesnéolibérales. Cette conversion de fait ad'abord été passée sous silence, voireniée (Lionel Jospin et la « parenthèse dela rigueur » en 1982). Au milieu desannées 90, Tony Blair a revendiqué lenouveau cours économique et a nommécette nouvelle synthèse sociale-démo-crate « troisième voie ». S’il s’estdémarqué de l'ultralibéralisme hayé-kien, ce nouveau compromis a rejeté l’in-terventionnisme d’Etat et les politiquesredistributrices de la social-démocratiedes années 60-70. Le gouvernement dela Gauche plurielle de Lionel Jospin(1997-2002), en dépit d'un discours degauche plus traditionnel et de politiquescombattues par les tenants de l'ortho-doxie néolibérale (la réduction du tempsde travail), ne s'est pas écarté de manièresignificative du type social-libéral (Pacs,parité hommes-femmes, baisse desimpôts, privatisations, acceptation dupacte de stabilité européen).

L’IMPASSE DE LA TROISIÈME VOIEAprès avoir compté entre 1997 et 2002jusqu’à douze gouvernements dansl’Union européenne (UE), la social-démo-cratie est aujourd’hui au creux de la vague.Le discrédit touche avant tout le projetlibéral-technocratique de type « troisièmevoie ». La « nouvelle » social-démocratie(des années 90 à nos jours) a fait des choixen rupture avec ses idées et ses politiqueségalitaristes et redistributrices.Les politiques de type « troisième voie »ont contribué à accroître les inégalitésen Europe. Depuis les années 80, la partdes salaires dans les revenus nationauxest passée de 72,1 % à 68,4 %. Depuisles années 90, le taux d’activité est passéde 61,2 % à 64,5 %, ce qui signifie qu’unplus grand nombre d’actifs se partageun volume de richesses moindre. Selonl’indice Gini, les inégalités sociales ontfortement augmenté depuis les années80. L’« Europe sociale » n’a pas dépasséle stade du slogan, car elle est rejetéepar des formations appartenant au Partides socialistes européens. L’UE est unezone profondément inégalitaire : 20 %

LA SOCIAL-DÉMOCRATIE, UNE FORCE DU PASSÉLe parti social-démocrate a historiquement rempli trois objectifs majeurs : il a établi des liens étroitsavec la classe ouvrière (par le biais des syndicats) ; il a intégré la classe ouvrière aux régimes capita-listes et il a capté une large part du vote des classes moyennes.

santé et la casse de l’hôpital. Les propo-sitions sur des maisons de santé ou surla médecine libérale confirment mêmel’engagement d’une politique de subs-titution au service public. L’absence depropositions sur le maintien et l’exten-sion des services publics, sur leur rôledans la logique de redistribution desrichesses et la maîtrise sociale de secteursindispensables à la solidarité et à l’accès aux biens communs est sansdoute le marqueur le plus négatif d’unprogramme enlisé dans l’acceptationdes logiques libérales. Concernant les mesures en faveur dudéveloppement de l’emploi, de la forma-tion et d’une économie au service desimpératifs sociaux et écologiques, on nepeut qu’être déçu. Nous avons besoind’un véritable pôle financier publicpermettant de réorienter l’ensemble descrédits publics et privés vers ces objectifsen s’appuyant sur de nouveaux droitspour les salariés, sur leur lutte et sur desfonds régionaux pour l’emploi. En matière

Projet socialiste : une analyse critique pour

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PAR YVES DIMICOLI*

Tout se passe comme si les rédacteursdu programme, partageant un atta-chement commun avec la droite au

Traité de Lisbonne, auraient cherché à endissimuler la portée pratique pour empê-cher que la nécessité de réorienter laconstruction européenne, en criseprofonde, en se reliant aux enjeux detransformation sociale nationale, nedevienne un marqueur du débatgauche/droite en 2012. Mais on mesurealors la démagogie du discours social, enmême temps que l'on s'explique lesraisons du caractère limité et contradic-toire des objectifs affichés, si loin desenvolées contre le capitalisme et dubesoin d'une nouvelle civilisation.

SILENCE SUR LA BCECe qui frappe d'emblée, c'est le silencetotal sur la Banque centrale européenne(BCE), ses priorités, sa politique moné-taire, alors que les taux d'intérêt remon-tent, son indépendance et ses interditstels celui de financer par création moné-taire les dépenses publiques (achatsdirects de titres d'État), à l'heure où laRéserve fédérale des États-Unis le fait,elle, massivement.En 2007, encore, le PS promettait deréformer les missions de la BCE pourajouter à la sacrosainte lutte contre l'in-flation, l'emploi et la croissance. Il n'enest plus du tout question ! Ce recul mani-feste marche de pair avec un telconsensus pour l'« euro fort » que le PSne s'interroge même plus sur la hauteurdu taux de change, comme il a pu le fairenaguère en soulignant que la politiquede change européenne dépend desgouvernements et non de la BCE. Ces

questions semblent à ce point sanctua-risées dans la pensée des dirigeants PSqu'elles sont retirées du programme,comme mises à l'abri du débat pour 2012. Il est stupéfiant, par exemple, de neconstater ni mention, ni critique, nicontre-proposition au sujet des disposi-tions prises en mai 2010 face à la crise dela dette grecque et à son risque de conta-gion à l'Europe du sud. Pas un mot surles critères et les buts du Fonds de stabi-lisation financière, ni sur les terriblessacrifices qu'il impose, avec le FMI, auxpeuples des États les plus endettés. Il estvrai que les parlementaires socialistesont voté avec la droite en mai dernier leplan dit de « sauvetage » à la Grèce. Ilsont entériné ainsi toute une logique detraitement de la crise des dettes publiquesen Europe qui a débouché sur les déci-sions de pérennisation des dispositifslancés en mai 2010, avec fuite en avantdans les politiques d'austérité, casse du« modèle social européen », saccage desservices publics, pour rassurer les créan-ciers sur les marchés financiers... avec laperspective de nouvelles catastrophes.

SILENCE SUR LE PACTE DE L’EURO +Nulle part on ne trouve de critiques ou decontrepropositions sur le « pacte del'euro+ », décidé à Bruxelles le 25 mars.Rappelons que ce pacte, au nom de la luttecontre les déficits et dettes publics, exigeune réduction drastique des dépensespubliques et sociales ainsi qu'un reculsignificatif des prélèvements sur les entre-prises au nom de la compétitivité avec, àla clef, la perspective de 10 années supplé-mentaires d'austérité, au moins. Ce pacteinterdit toute hausse généralisée dessalaires et entend mettre un terme auxpratiques d'indexation. Dans le cadre de

L’ANCRAGE AU TRAITÉ DE LISBONNELe programme du PS affirme que « le capitalisme est à bout de souffle », que « l'urgence c'est de chan-ger de système » et que cela « nécessite d'agir à tous les étages de l'action publique », européen notam-ment. Pourtant, le niveau européen est largement occulté dans ce document où il est beaucoup questionde social et de la France, même si les mots « Europe » et « européen » y apparaissent 80 fois.

des plus pauvres reçoivent 4,5 % du PIBdans l’UE, contre 8,1 % en Inde et 5,1% aux Etats-Unis.Le capitalisme est aujourd’hui en crise.La gabegie financière et l’échec des poli-tiques néolibérales ont largementdiscrédité ce mode de production. Pour-tant, aucun parti social-démocrate enEurope ne semble prêt à remettre en

cause le positionnement « social-libéral » hérité des années 90. Certainsse font même les défenseurs des inté-rêts capitalistes contre des peuples quisouffrent (Grèce, Espagne). Aucune deces formations n’a exprimé le souhaitde revenir sur des décennies d’accom-pagnement social d’un capitalisme deplus en plus nocif pour les peuples et

l’environnement. La social-démocratieapparaît comme une force du passédans un monde qui bouge et qui a soifde justice sociale. n

*Philippe Marlière est professeur de sciencepolitique à University College London (uni-versité de Londres). Dernier ouvrage : LaSocial-démocratie domestiquée. La voie blai-riste, Bruxelles, Ed. Aden, 2008.

négociations décentralisées, il veut quela croissance annuelle des salaires soitinférieure ou égale à celle de la produc-tivité du travail, ce qui empêcherait toutnouveau partage de la valeur ajoutée. Ilentend limiter la progression de la massesalariale dans la fonction publique à celledes prix. Quant aux retraites, leur réformedoit être étroitement calée sur les seulesvariables démographiques, prescriptionavec laquelle le PS, lors du grand mouve-ment sur les retraites de l'automne 2010,s'est montré très conciliant en refusantde mettre en cause la tendance à l'aug-mentation du nombre d'années de coti-sations requises.

LE FONDS DE STABILISATION FINANCIÈREParallèlement au pacte de « l'euro+ », aété adoptée, le 25 mars à Bruxelles, unevaste machinerie censée pérenniser leFonds de stabilisation financière. Sousprétexte de sauvetage des États en diffi-culté, son but essentiel est de développerune capacité européenne, mi-intergou-vernementale / mi-fédéraliste, d'endet-tement public sur les marchés financiersinternationaux, pour rivaliser avec l'en-dettement public des États-unis et ledollar dans l'attraction des capitaux bala-deurs. C'est là le seul point sur lequel lePS avance une proposition à découvert,avec la création des « euro-bonds ». Ils'agirait de titres de dette publique quela zone euro, prise comme un tout, émet-trait sur les marchés financiers interna-tionaux en concurrence avec les titresaméricains en dollars. C'est, en quelquesorte, une version entièrement fédéra-liste de ce qui a été adopté le 25 mars àl'initiative de Merkel et Sarkozy. Dansces conditions, l'euro devrait être main-

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LE DOSSIERSUITE DE

LA PAGE 11 > tenu d'autant plus « fort » que, devenumonnaie d'endettement et plus seule-ment monnaie de placement, il exigeraitune subordination accrue de toute la zoneaux marchés financiers.Le PS cherche à donner le change avecl'idée d'instaurer une taxation de 0,05 %des transactions financières dans l'Unioneuropéenne. Cette idée, rappelons-le, afait l'objet d'une motion adoptée par leParlement européen et s'inscrit dans lafoulée des préconisations verbales deSarkozy et Merkel eux-mêmes. Il s'agitd'essayer de faire illusion auprès desalter-mondialistes en instrumentalisantla proposition de taxation Tobin dontson créateur lui-même disait qu'elledevait avoir pour fonction de libérer lapolitique monétaire de la Banquecentrale de la dictature des marchésmonétaro-financiers.C'est le silence, aussi, sur les déréglemen-tations et privatisations du marché uniqueeuropéen, de même que sur la « flexicu-rité » exigée par Bruxelles pour réformer

• Une démocratie plus directe La démocratie participative doit détenirune forme effective du pouvoir descitoyens. Son principe doit être consti-tutionnel et elle doit être organisée à tousles échelons. L’initiative législative descitoyens, comme celle des collectivitéslocales (à partir d’une certaine représen-tation), doit donc être prévue.• La citoyenneté à l’entrepriseElle doit être enfin inscrite dans la Consti-tution. La participation effective des sala-riés et des citoyens aux pouvoirs écono-miques est une question cruciale pour ladémocratie. Il faut non seulement conso-lider les droits existants, les développer,mais aussi poser la question du statut del’entreprise et de la responsabilité sociale.Pour ces raisons, le PCF – et c’estaujourd’hui un acquis du programmepartagé du Front de gauche, considèreindispensable pour la gauche d’engagerun processus constituant : le change-ment institutionnel ne peut qu’être lerésultat d’un débat démocratique intense(assemblées populaires, états géné-raux…) au terme duquel un projet serasoumis à référendum populaire. n

*Nicole Borvo Cohen-Seat est sénatricecommuniste de Paris, présidente du GroupeCRC-SPG, responsable Institutions, démo-cratie, justice au PCF.

les marchés du travail. Pourtant, en 2007,le programme du PS s'en revendiquait,avant même Sarkozy, pour tenter d'ins-trumentaliser l'idée, défendue par la CGT,de sécurité sociale professionnelle. Enfin, le programme du PS ignore laresponsabilité nouvelle énorme de l'Eu-rope pour que réussisse « le printempsarabe ». L'assumer nécessiterait, en effet,une réorientation radicale de la BCE etde l'euro, rompant avec les dogmesmonétaristes si précieux pour la domi-nation des capitaux allemands. De fait, le texte du PS se dit décidé àrelancer la « dynamique franco-alle-mande ». Mais il le fait sans mettre encause ce que ce couplage a de domina-teur, tant s'agissant de l'Allemagne vis àvis de la France, que de ce binôme enversle reste de l'Europe et du monde.Cet ancrage au traité de Lisbonne, dissi-mulé dans le texte, conditionne tout lereste du programme. C'est ainsi que,malgré un discours démagogique, lesobjectifs sociaux nationaux (emplois,

salaires, protection sociale, servicespublics, politique industrielle...) y sontd'autant plus limités et contradictoiresque les moyens financiers sont subor-donnés au pacte de stabilité renforcé, aupacte de l'euro+, au Mécanisme européende stabilité (MES) et doivent respecter uneindépendance de la BCE au service de lafinance internationale. Tout cela exige, eneffet, de faire reculer la part des richessesproduites servant au financement desservices publics et de la protection sociale,pour qu' augmente la part des prélève-ments financiers. D'où l'obsession de ladiminution des dettes et déficits publics,le refus de changer les critères du crédit,les relations entre la BCE, les banques etles entreprises, le refus de toute exten-sion-transformation du secteur public, lechoix de dé-responsabiliser, au plan fiscalet social, les entreprises pour une renta-bilité financière suffisamment attractivedans la compétition avec le États-Unis. n

*Yves Dimicoli, est responsable au PCF dusecteur économique et finances.

PAR NICOLE BORVO COHEN-SEAT*

Le constat du divorce entre les poli-tiques et les citoyens est patent :abstention, votes refuge, rejet des

acteurs politiques.La Constitution de 1958 et l’évolutioninstitutionnelle depuis – élection duPrésident de la République au suffrageuniversel, quinquennat, inversion ducalendrier – n’ont eu d’autre but que deconcentrer le pouvoir pour faire obstacleà la volonté populaire. N. Sarkozy apoussé à l’extrême une personnalisationoutrancière du pouvoir : il est le chef del’exécutif, le chef de la majorité prési-dentielle et du parti dominant de lamajorité.On peut parler de « monarchie élective »et de fait, tous les rouages de la démo-cratie sont en danger : proximité entre lemonde des affaires et les politiques ; tutelledu président monarque sur la justice, lesmédias, abaissement des contrôles démo-cratiques ; dissolution des autorités admi-nistratives indépendantes…Si ce constat est plus ou moins partagépar la gauche, la nécessité d’une ruptureinstitutionnelle ne l’est pas.

RENOUVELER NOTRE DÉMOCRATIE Le projet socialiste dans son chapitre III« Renouveler notre démocratie » déve-loppe un certain nombre de proposi-tions – indépendance de la justice, trans-parence de la vie politique, garantir uneinformation libre et pluraliste, limitationdes mandats et des cumuls dontcertaines sont le bien commun de lagauche ; d’autres à discuter ou préciser.En revanche, le projet socialiste est indi-gent dans trois domaines pourtantessentiels pour redonner au peuple sasouveraineté :• L’organisation des pouvoirs Concentration des pouvoirs, abaisse-ment du Parlement et de la souverainetépopulaire sont constitutifs de la VèmeRépublique. La rupture est donc néces-saire pour rétablir la primauté de l’As-semblée Nationale sur l’exécutif.De même, l’élection à la proportionnelle(à toutes les élections), avec obligationde parité, y compris dans les exécutifs ;la citoyenneté de résidence, l’interdictiondes cumuls de mandat, le statut de l’élu,sont des éléments indispensables d’uneréelle représentation de la diversité de lapopulation et de la diversité politique.

UNE RUPTURE NÉCESSAIRE AVEC NOTRE SYSTÈME INSTITUTIONNELUne opinion qui n’est pas partagée par toute la gauche.

Projet socialiste : une analyse critique pour

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PAR MARINE ROUSSILLON*

L e projet socialiste pour l’école partd’un constat que nous ne pouvonsque partager : la massification de l’édu-

cation ne s’est pas accompagnée d’unedémocratisation réelle et les réformesmises en œuvre par la droite accroissentles inégalités d’accès aux savoirs. À partirde là, il affirme la nécessité d’un « projetéducatif global » visant « la réussite de tous »et « l’émancipation ». Les mesures proposées se concentrent surles premières étapes de la scolarité : servicepublic de la petite enfance, droit à la scola-rité dès 2 ans et scolarité obligatoire à partirde 3 ans (c’est aussi une proposition duPCF), concentration des moyens surl’école primaire « avec un deuxièmeprofesseur par classe là où cela est néces-saire ». Ces mesures ne sont cependantaccompagnées d’aucune proposition demoyens supplémentaires. Jamais le projetdu PS n’évoque la possibilité de revenirsur les suppressions de postes. Commentpourra-t-il alors réaliser sa politique ? Cesmesures seront-elles sacrifiées auxexigences budgétaires ? Ou bien la «concentration des moyens existants » surle primaire se traduira-t-elle par une baissedes moyens alloués au secondaire ?

UN SYSTÈME SCOLAIRE DUALPlus inquiétant : malgré les déclarationsde principe, le projet socialiste entérinel’école inégalitaire construite par la droite.Il reprend la distinction entre un soclecommun qui doit être enseigné à tous etdes programmes qui ne seront enseignésqu’à une part des élèves. Il défend l’indi-vidualisation des parcours, qui fait pesersur les familles la responsabilité des choixde formation, accroît les inégalités etempêche la reconnaissance d’une forma-tion commune par une qualificationcommune. Enfin, en proposant unrapprochement entre primaire et collèged’une part et entre lycée et licence d’autrepart, il reprend à son compte la construc-tion d’une école à deux vitesses : d’uncôté, une formation limitée au soclecommun et à la scolarité obligatoire, del’autre, des établissements préparant uneminorité d’élèves à des études pluslongues. La recherche a montré que tousles enfants sont capables d’apprendre si

on leur en donne les moyens. Pour lescommunistes, il faut donc enseigner lemême programme à tous, dans le cadred’une école commune, refondée sur lemodèle de l’élève qui n’a que l’école pourapprendre, avec une scolarité obligatoirede 3 à 18 ans. L’élévation du niveau deformation ne passe pas par une sélectionaccrue mais par l’élévation du niveau desconnaissances dans toute la société. Lechoix d’un système scolaire dual va depair avec une nouvelle organisation desrapports entre école et territoire. Malgréles déclarations de principe sur la néces-sité d’un service public national, le PSpropose de mettre en place des « ProjetsÉducatifs Locaux » et de « confier auxétablissements et à leurs équipes péda-gogiques, en autonomie, une part impor-tante de la Dotation Horaire Globale ».Ces mesures construisent une école diffé-renciée en fonction des situations localeset des moyens des établissements.Le PS propose d’allonger le temps éducatifen revenant à la semaine de 5 jours, maisil inclut dans ce temps des moments« périscolaires voire extrascolaires » prisen charge par des associations1 et doncdifférents d’un établissement à l’autre. Lerisque est grand de voir ainsi le tempsd’école non pas augmenté mais diminué,au détriment des enfants pour qui l’école

est le seul lieu d’accès aux savoirs scolaires.Cette mesure permet en outre de recrutermoins d’enseignants, de les remplacerpar des animateurs et de transférer le coûtde la formation de l’État vers les collecti-vités locales.Pour le PCF, l’école ne peut assurer la réus-site de tous que dans le cadre d’un servicepublic national, garantissant l’égalitéd’accès aux savoirs sur tout le territoire.Le statut de fonctionnaire d’État pour tousles personnels doit garantir la qualité deleur formation et de leurs conditions detravail. Cela implique de revenir sur lessuppressions de postes et de recruter à lahauteur des besoins.Ce projet est donc marqué par la contra-diction entre des principes progressisteset des propositions qui renoncent àdonner à tous le même accès aux savoirset participent de la construction d’uneécole inégalitaire, dans la droite ligne despolitiques européennes que le PS acontribué à initier. n

1) Sur le rôle des associations d’éducationpopulaire dans la genèse du projet socialistepour l’école, voir J. Tovar, « À propos du projetdu PS sur l’éducation », http://www.demo-cratisation-scolaire.fr/spip.php?article106.

*Marine Roussillon est doctorante en lettreset membre du conseil national et du réseauécole du PCF.

UNE CONTRADICTION ENTRE PRINCIPES PROGRESSISTES ET PROPOSITIONS POUR L’ÉCOLEMalgré les déclarations de principe, le projet socialiste entérine l’école inégalitaire construite par la droite.

avancer à gauche

UNE « BANQUE NATIONALE D’INVESTISSEMENT » ?Une proposition loin du pôle financier public et des fonds régionauxpour l’emploi et la formation.

PAR DENIS DURAND*

Le PS propose la création d’une « Banquenationale d’investissement » ; c’est l’unedes propositions les plus commentéesde son programme. Il s’agirait de réunirdans un seul organisme la plupart desinstruments d’intervention économiquede l’État, des régions et des collectivitésterritoriales, en particulier les innom-brables programmes d’aides publiquesaux entreprises ou de participation enfonds propres, dont on a pu mesurer,

année après année, combien ils sontinefficaces pour développer l’emploi etles territoires.On est donc très loin du pôle financierpublic et des fonds régionaux pour l’em-ploi et la formation dont le PCF et le Frontde gauche proposent la création. À ladifférence du PS, nous ne proposons pasla constitution d’un organisme étatiqueunique, mais la mise en réseau de multi-ples établissements publics, mutualistesou actuellement privés qu’il faudraitnationaliser, dans une optique radica- > SUITE

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2011

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lement décentralisée, pour donner lemaximum de pouvoirs aux salariés etaux usagers de ces organismes, et pourque l’action du pôle public pèse sur lecomportement du système financierdans son ensemble. Or le programmedu PS fait une impasse totale sur unimpératif pourtant crucial : la lutte pourréorienter les critères du crédit bancaire. Pour le PS, il y aurait d’un côté la« Banque nationale d’investissement »,bras séculier de l’État pour accorder desaides aux entreprises et prendre desparticipations en fonds propres à la façond’un « fonds souverain » et, de l’autre,les banques (privées ou mutualistes) quipourraient continuer à favoriser l’expan-sion des marchés financiers plutôt quel’emploi, la formation et le potentiel dedéveloppement des territoires !

LA BCEC’est là une orientation très significativedu programme socialiste. Celui-ci parlebien d’« une redéfinition du rôle et desobjectifs de la BCE » ; mais, s’il s’agissaitvraiment de s’appuyer sur le pouvoir dela banque centrale européenne pourorienter les crédits vers les investisse-ments répondant aux exigences dumouvement social, alors il faudrait quela BCE et les banques centrales natio-nales qui, avec elle, constituent leSystème européen de banques centrales,aient les moyens de connaître les entre-prises et leurs conditions de finance-ment. Or le programme du PS prévoittout le contraire. Il indique que « lesdispositifs d’accompagnement desentreprises » de la Banque de Franceseraient rattachés à la « Banque natio-nale d’investissement » : ils seraient doncdéconnectés des banques centrales ! LePS ne saurait mieux faire sentir que pourlui la construction européenne actuelle,au service des marchés financiers, estplus que jamais tabou.

QUELLE ALTERNATIVE ?Une véritable alternative de gauchenécessite beaucoup plus que de vieillesrecettes étatiques. Face à la dictature desmarchés financiers, de nouveauxpouvoirs pour les citoyens, « du local aumondial », seront indispensables pourmobiliser les moyens financiers auservice d’objectifs porteurs d’unenouvelle perspective de civilisation. n

*Denis Durand est membre de la commis-sion économique du PCF.

Projet socialiste : une analyse critique pour

Ce projet reste paralysé parl’objectif de réduction de ladette publique.

PAR CATHERINE MILLS*

L es extinctions de niches fiscales etsociales : 50 milliards d’€ servirontpour moitié à la réduction de la dette

et pour moitié à des dépenses jugéesprioritaires pour l’avenir : 25 milliards,c’est peu pour envisager un avenirradieux. Le reste se ferait par redéploie-ment. Il n’est évidemment jamais ques-tion d’augmenter les prélèvements obli-gatoires considérés implicitementcomme excessifs.

La fusion CSG / IR : une propositiondangereuse. Présentée scandaleusementcomme un instrument de justice sociale,elle s’effectuerait au détriment desressources de la protection sociale. Elletendrait à l’accélération de la fiscalisa-tion, au détriment des cotisationssociales. Elle renforcerait l’étatisation dela gestion de la sécu, au détriment de lagestion par les salariés eux-mêmes. Enprétendant moins taxer le travail, le PSreprend en réalité le dogme de la miseen cause des cotisations sociales, consi-dérées comme un facteur d’alourdisse-ment du coût du travail et un handicappour la compétitivité. Alors que la protec-tion sociale et son financement consti-tuent un facteur de développementéconomique et social

Retenue à la source : On prétend faci-liter le paiement de l’impôt sur le revenu,or la retenue à la source fait de l’em-ployeur le collecteur de l’impôt, avectoutes les incertitudes que cela faitplaner. La retenue à la source ne s’appli-querait qu’aux revenus salariaux, doncpas aux plus riches.

Suppression du bouclier fiscal et autresniches fiscales et sociales : Le PS dénoncela multiplication des niches fiscales etsociales mais il ne précise pas précisé-ment le montant des niches auxquellesil souhaiterait mettre fin. Nous sommestrès loin d’un impôt sur le revenu de typeuniversel soumettant aux mêmes tauxde progressivité, l’ensemble des revenusdu travail, de la fortune et du capital,moyen d’élargir l’assiette et le rendementde l’impôt sur le revenu.

Mise à contribution des patrimoines (IS F) et droits de successions. Le PSexprime certes une volonté d’imposerle patrimoine, de taxer les grosses succes-sions, de taxer le capital, mais on chercheune proposition précise.

La modulation de l’IS : Le PS proposeune modulation du taux de l’impôt surles sociétés, le taux serait réduit pourcelles qui réinvestissent leur bénéfice etaccru pour celles qui les distribuent auxactionnaires. Mais on ne dit rien de lafinalité des investissements, en matérielset en recherche, ou de leur impact entermes d’emplois, de salaires et de qualitéenvironnementale des productions.

Fiscalité Ecologique : l’instaurationd’une taxe carbone. Cette propositions’inscrit dans une profonde transfor-mation des prélèvements fiscaux etsociaux tendant à accroître les prélève-ments indirects du type TVA sociale età réduire les cotisations sociales. Ontendrait aussi à un alourdissement dela fiscalité sur la consommation desménages moyens et modestes, sans s’at-taquer aux gâchis capitalistes. Si desmesures d’incitation forte à la promo-tion et au respect de normes environ-nementales sérieuses et efficaces sontindispensables, l’efficacité de tellesmesures suppose des droits d’interven-tion dans les gestions pour les salariéset les populations, notamment enmatière de contrôle des produits et desproductions, de choix des investisse-ments et d’utilisation de l’argent.

Les impôts locaux : la taxe profession-nelle considérée comme morte etenterrée. Or la nouvelle contribution, laCET entraîne une baisse des recettesfiscales des collectivités territoriales, de25 % à 30 %, ainsi qu’une déresponsa-bilisation sociale et territoriale des entre-prises. Au contraire, une nouvelle taxeprofessionnelle serait nécessaire repo-sant sur la prise en compte du capitaldes entreprises : les bâtiments et lesterrains, les équipements matériels etles actifs financiers. On ne peut à la foisdéclarer revenir sur la réforme catastro-phique des Collectivités territoriales etcontinuer à priver ces dernières deressources. n

*Catherine Mills est membre de la commis-sion économique du PCF.

UN PROJET FISCAL PEU AMBITIEUXSUITE DE

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LE DOSSIER

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MAI 2011- LA REVUE DU PROJET

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PAR PIERRIC ANNOOT*

Face à la situation de plus en plus inte-nable des jeunes de ce pays – résuméepar ce chiffre implacable : près d’un

jeune actif sur quatre est au chômage ! –,le PS a intégré fortement la dimension« jeunesse » dans son programme. Ilsemble avoir pris conscience de l’acuitéde ces enjeux et propose même d’en faireune « grande cause nationale ». Hélas,entre les flous et les silences, on peutdouter que ces déclarations dépassent lestatut des bonnes intentions…

LA PRÉCARITÉPourquoi des contrats de travail à tempsplein, mais pour une durée maximale decinq ans et dont le salaire, financé à 75 %du SMIC par l’État, serait complété parla collectivité ou l’association employantle jeune ? Pourquoi, si le poste correspondà un besoin réel, notamment dans lesquartiers populaires, où un grand nombrede postes devraient être créés dans lesservices publics, ne pas le transformer enun poste pérenne relevant du secteurpublic avec le statut correspondant ? Sontlaissées en suspens les questions aussipeu secondaires que la formation et l’in-sertion durable des jeunes ainsi embau-chés ou encore le devenir de ce type d’em-ploi, une fois les cinq années passées. Lasolution au chômage des jeunes réside-t-elle vraiment seulement là ?Le PS ne dit rien sur tous les instrumentsdes capitalistes pour faire régner la préca-rité en matière d'emploi des jeunes. Riensur le strict encadrement des stages, del'intérim, rien sur le cadrage national desdiplômes et leur reconnaissance dans lesconventions collectives. Rien sur la néces-saire remise à plat de tous les statuts d'ex-ception financés à coûts d'exonérationsde cotisations sociales qui n'ont eu pourseul effet depuis trente ans que de renforcerla précarité, augmenter le chômage et assé-cher le financement de la protectionsociale. Le PS semble incapable de sortirde ces raisonnements et promet même denouvelles exonérations aux employeurs.

L’ALLOCATION D’ÉTUDEDeuxième mesure-phare, l'allocationd'étude pour les jeunes en formation estproposée par le PS, idée reprise de

plusieurs organisations de jeunesse dontle MJCF, mais là encore, aucune précisionsur des aspects fondamentaux : montant,critères d'attribution, financement...Questions de taille et qui cachent desréponses peu engageantes : la fondationsocialiste Terra Nova propose ainsi unmontant équivalent à celui du RSA, soit460 €… Comment ne pas légitimementcraindre, dès lors, que le « parcours d’au-tonomie » promis relève du seul slogan ?Cette mesure figurait d’ailleurs dans lespromesses de Jospin en 1997 et n'a jamaisvu le jour...Concernant la formation initiale, si le

secondaire n’est tout simplement pasabordé – chacun sait bien qu’il ne s’y posepas de problèmes majeurs… –, il est ques-tion « d'un nouveau pacte éducatif », de« donner la priorité a la réussite dans lespremiers cycles universitaires », « derenforcer l’encadrement pédagogique »sans autres précisions. N’aurait-on paspu attendre d’un parti de gauche desengagements précis sur les suppressionsde postes, la carte scolaire, le processusd'« autonomisation » de l'université etdes lycées ? Sur les moyens et budgetsglobaux de l'Éducation nationale ?

Dès que l'on va au-delà du slogan, ons'aperçoit que le PS bute toujours sur lemême problème : ne pas s'attaquer auxracines du système. Il préconise ainsi ungrand emprunt européen pour financerles infrastructures et l'innovation mais nedit rien sur le changement nécessaire dustatut et des missions de la BCE, ni sur letraité de Lisbonne.En fin de compte, comme le précise d'ail-leurs un responsable socialiste, « toutprogramme qui serait une mise sousrespiration artificielle du système écono-mique actuel, moribond, nous fera passerpour les infirmiers de la mondialisation ».L'urgence pour nos vies mérite mieux quedes bonnes intentions. L'incapacitéactuelle du PS à remettre en cause leslogiques capitalistes et à tirer les leçons dela crise comme de ses échecs lors desdernières présidentielles et législatives,renforce toujours plus la nécessité dedonner de la force à ceux qui ne renon-cent pas à changer la vie. Aucune sortie decrise ne sera possible sans sortir du capi-talisme. Affirmer l'inverse, c'est à nouveaurisquer de lourdes déconvenues. n

*Pierric Annoot, secrétaire général duMouvement des jeunes communistes.

avancer à gauche

DES PROPOSITIONS MÉDIATIQUES POUR LES JEUNESPrésenté comme la mesure phare du projet PS pour les jeunes, le dispositif des 300 000 « emplois d'ave-nir » construit sur le modèle des emplois-jeunes pose bien des questions.

DES PROPOSITIONS INSUFFISANTES POUR LE LOGEMENTTrop consensuelles, les propositions socialistes ne sauraient suffireà répondre à l’ampleur d’une crise qui frappe plus de 8 millions deFrançaises et de Français1.

PAR CATHERINE PEYGE*

Présentées aux pages 25 et 26 duprojet, les propositions en matièrede logement sont résumées dans la

proposition n°12. Le parti socialistesouhaite ainsi « stopper l’envolée desloyers » et financer la « construction de150 000 logements sociaux », un chiffreconforme aux préconisations du rapportde la fondation Abbé Pierre.Si nous pouvons souscrire au constatprésenté et aux objectifs fixés, les propo-sitions restent insuffisantes pourrépondre à l’urgence de la crise actuelle.

La pénurie de logements, conjuguée àla cherté croissante des prix du loge-ment, continue de créer les conditionsd’une augmentation régulière dunombre de mal-logés en France. Elleimpose aujourd’hui des propositions derupture.La situation que nous vivons n’est pas lefruit du hasard mais bien le résultat despolitiques menées par la droite cesdernières années. En effet, la dépensepublique pour le logement s’est progres-sivement orientée vers les dispositifs dedéfiscalisation qui profitent aux ménagesaisés (15 milliards d’euros en 2009). Loin > SUITE

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2011

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LE DOSSIER Projet socialiste : une analyse critique pour

d’aider à résorber la crise, cette défor-mation voulue encourage une spécula-tion immobilière qui n’a fait qu’accen-tuer la crise. Or la volonté de réorienterconsidérablement la dépense publiquevers le financement de logementssociaux n’est pas clairement affichéedans le projet socialiste. Par ailleurs, la proposition de modifierla loi relative à la solidarité et au renou-vellement urbain (SRU) en augmentantla part de logements sociaux à 25 % danschaque ville ne s’accompagne d’aucunmoyen nouveau de la faire appliquer.C’est pourquoi les élus communistesproposent de coupler l’augmentationdu seuil (à 30 % dans les zones tendues)à la multiplication par 10 des pénalitésen cas de non respect de la loi.

L’ENCADREMENT DES LOYERSPour agir contre la cherté du logement,le parti socialiste se contente de vouloircontenir les augmentations futures desloyers (lors d’une première location oud’un changement de bail) tandis quenous défendons l’idée d’un « encadre-ment réglementaire des loyers » quipermette d’agir sur des prix actuels déjàtrop élevés2.Sur la question de l’encadrement desloyers, le projet du PS ne précise pas ledispositif choisi. Il indique seulementsa volonté de ne pas permettre desaugmentations déconnectées de l’évo-lution des revenus des ménages aumoment de la signature d’un nouveaubail et lors d’un changement de bail(d’un locataire à l’autre). Cette propo-sition n’aura donc aucun effet sur lesloyers actuels qui ont atteint en Ile-de-France notamment (surtout sur lespetites surfaces) des niveaux exorbi-tants.

Voici ce que le texte du PS précise :« Nous mettrons en place un encadre-ment des loyers lors de la première loca-tion ou à la relocation dans les zones despéculation immobilière, pour que lesaugmentations entre deux locataires nesoient pas déconnectées de l’évolutiondes revenus de ménages. Les propriétairesseront tenus de souscrire une garantiecontre les impayés de loyer, évitant aucandidat à un logement d’apporter unecaution personnelle. »L’encadrement règlementaire des loyersproposé par les élus communistes dansla proposition de loi du 30 mars 2011établissant un programme d’urgencepour le logement et de lutte contre laspéculation immobilière se trouve dans

le texte ci-dessous en italique. Il s’agitde prendre un arrêté annuel pour fixerun prix applicable selon la catégorie dubien, sa qualité énergétique, sa salubritéet son éloignement des services publics.C’est la première différence : les critèresfixant le prix à respecter sont multipleset vont au-delà de l’évolution du revenumoyen des ménages (proposition duPS).Même si la proposition de loi ne le précisepas, il paraît indispensable de proposerun dispositif permettant d’agir sur lesprix actuels. Cela peut se faire par unetaxation très dissuasive (pouvant aller à100 %) pour des propriétaires louant desbiens dont le prix au mètre carré est supé-rieur à un certain montant. Le PS nepropose pas de mesure de ce type.

I. – Avant l’article 1752 du code civil, estinséré un article 1752 A ainsi rédigé :« Art. 1752 A. – À l’exception du contratà bail passé par un organisme d’habita-tion à loyer modéré, le contrat de bail àlouer d’un bien immobilier à usage d’ha-bitation est réputé nul et non signé s’ilprévoit un prix supérieur ou inférieur auprix défini par arrêté applicable à la caté-gorie de ce bien sur le territoire sur lequelil se situe. Le contrat de bail à louer desbiens immobiliers à usage d’habitationne peut prévoir un prix supérieur ou infé-rieur au prix défini par arrêté qui lui estapplicable. Ce prix vise à garantir undroit effectif au logement. « Un arrêté du représentant de l’État,dans des conditions définies annuelle-ment par un arrêté du ministre en chargedu logement, détermine chaque annéepar quartier ou, dans les communes demoins de 80 000 habitants qui n’en comp-tent pas, sur le territoire de chaquecommune, le prix mentionné à l’alinéaprécédent. « L’arrêté sus-mentionné du ministre encharge du logement fixe, pour chaquerégion, un prix minimal et un prixmaximal applicables à chaque catégoriede logement. Il fixe également les taux demodulation maxima applicables à ces prixen fonction de la qualité énergétique et dela salubrité de ce logement ainsi que deson éloignement d’un service public. »Enfin, il est à noter que plusieurs ques-tions centrales sont absentes des propo-sitions socialistes ou seulement mention-nées de manière allusive. Les expulsionslocatives, qui sont la conséquence directede la crise et son expression la plusviolente, ne sont même pas évoquées,tout comme le nécessaire renforcementde la loi relative au droit au logement

opposable (DALO). C’est également le casdu 1 % logement et de la lutte contre l’ha-bitat indigne et les marchands desommeil.Condition sine qua non d’une vie socialeet familiale stable, le logement doitdevenir un des thèmes majeurs de l’élec-tion présidentielle de 2012. Trop consen-suelles, les propositions socialistes nesauraient suffire à répondre à l’ampleurd’une crise qui frappe plus de 8 millionsde Françaises et de Français3. n

1) Selon le rapport 2011 de la fondationAbbé Pierre, 8,2 millions sont en situationde mal logement ou de fragilité et de préca-rité en matière de logement.2) En Île-de-France, la part du revenu desménages consacrée au logement a atteint 38%.3) Selon le rapport 2011 de la fondationAbbé Pierre, 8,2 millions sont en situationde mal logement ou de fragilité et de préca-rité en matière de logement.

*Catherine Peyge, maire de Bobigny, res-ponsable PCF du droit à la ville, logement.

PAR JEAN-PIERRE BRARD*

La crise que traverse notre peuple n’estpas seulement économique, maisaussi morale, politique et sociale. À

des degrés divers, les autres peuples del’Union européenne sont confrontés àune réalité comparable. L’abstention, lesscores de l’extrême droite témoignentdu discrédit du politique, du douteprofond qui atteint nos peuples quant àla volonté et à la possibilité de changerde système. On nous rabat les oreilles ennous disant sur tous les tons que noussommes dans un système mondialisé,que nous sommes obligés de fairecomme les autres, que seuls, nous nepouvons changer les règles de l’éco-nomie internationale. Seuls ! Oui, nousétions seuls en septembre 1792 à Valmy.Seuls et à contre-courant, nous avons

RAFISTOLER OU ROMPRE ?Trop consensuelles, les proposi-tions socialistes ne sauraientsuffire à répondre à l’ampleurd’une crise qui frappe plus de 8 millions de Françaises et deFrançais.

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avancer à gauche

fait le Front populaire. Seul, de Gaullel’était le 18 juin 1940 ainsi que les résis-tants anonymes de la première heure. Tout cela est une question de volontépolitique. Le peuple n’a pas vocation àêtre l’engrenage d’un système mysté-rieux destiné à financer les privilègesd’une minorité pendant que la majorités’épuise au travail pour des salaires demisère. Nous sommes un grand peuplequi doit d’abord retrouver la confiancedans sa propre capacité à redeveniracteur de son propre destin. Notrepremier allié pour changer, c’est nous-mêmes et notre détermination. Notredeuxième allié, ce sont les autres peuplesde l’Union qui souffrent fondamentale-ment des mêmes maux que nous. Notretroisième allié, c’est la réunion despeuples du Sud qui cherchent la voie deleur libération économique après avoirconquis leur émancipation politique. Toutes ces modifications, ces révolutionsnécessaires n’apparaîtront pas sponta-nément. Il faut commencer quelque part.Notre pays a le rayonnement, le poidshistorique et le poids politique pour êtreà l’initiative. Notre peuple a besoin dechangement, il doit être capable de lepromouvoir sans déléguer sa capacitéd’invention et sa créativité au monarqueélu. L’élection est un moment de la viepolitique, c’est un temps d’engagementfort. Le mouvement populaire doitpousser et encadrer le pouvoir politique.S’il n’en est pas ainsi, nous sommescondamnés à revivre les mêmes désillu-sions résultant des engagements nontenus après 1981, 1988, 1997 parce quele mouvement populaire a délégué sonrôle au pouvoir politique. Le sujet n’estpas d’améliorer la situation actuelle, c’estd’en sortir. Il n’est pas de rendre lechômage et la misère plus supportables,c’est de décider de les éliminer. Cela nepeut se faire que par des choix clairs. LesFrançais en ont assez qu’on leur dise quetoucher au mécano du grand capital esttrop difficile. Il faut sortir des mièvreriesproposées par le Parti socialiste tellesque l’augmentation du SMIC dans lecourant de la législature. Ainsi lapremière perspective qu’on offre auxplus pauvres, c’est d’attendre ! Est-ceainsi qu’on espère mobiliser notre peuplecontre les puissants pour établir unnouveau rapport des forces ?La question qui se pose, la plus impor-tante, pour rompre avec la logiqueactuelle, c’est de décider une autre répar-tition des richesses. Plus pour ceux quitravaillent et ont travaillé toute leur vieet moins de dividendes pour les para-

sites qui détruisent les économies natio-nales et réduisent les peuples à la souf-france. Il y a de l’argent, beaucoup d’ar-gent. Il faut le faire circuler autrement.

Sans que la liste ne soit exhaustive, uncertain nombre de mesures fortes etimmédiates sont indispensables :• Augmenter les revenus en portant sansdélai le SMIC à 1500 € net par mois et enplafonnant les revenus du travail à 20fois le SMIC,• Plafonner les revenus annuels del’épargne à 20 fois le SMIC annuel à l’ex-ception des revenus réinvestis dans l’éco-nomie, dans l’emploi et dans larecherche,• Faire payer le coût des licenciementspuis de l’indemnisation du chômagequ’ils entrainent par les actionnaireslorsque les dividendes sont versés, • Interdire l’expatriation fiscale à l’instardes États-Unis, • Supprimer les niches fiscales et asseoirle calcul de l’impôt sur la totalité desrevenus. Rétablir la progressivité del’impôt,• Rétablir le pouvoir politique sur lesbanques centrales en mettant un termeà leur indépendance,• Réduire la dette en décidant un empruntobligatoire souscrit par les grandesfortunes et les très hauts revenus. L’em-prunt souscrit pour 10 ans produira unintérêt égal aux taux de l’inflation,• Nationaliser les principales banques etétablissements financiers. Constitution

d’un ministère des participationspubliques dont la politique sera débattuechaque année au Parlement. La propriétépublique sera constitutionnalisée et sacession ne sera possible qu’avec un votefavorable des trois cinquièmes du Parle-ment réuni en Congrès,• Nationaliser l’industrie pharmaceu-tique,• Créer le concept de besoin vital dontaucun citoyen ne peut être privé (eau,électricité, gaz, santé, communication,transports),• Garantir le droit au logement dignegrâce à une contribution financière auxloyers qui ne pourra dépasser 20 % desrevenus de la famille,• Assainir les relations financières inter-nationales en restructurant les dettessouveraines, en supprimant les paradisfiscaux, en favorisant l’établissement denégociations mutuellement avantageuxavec les États disposant de fonds souve-rains importants pour stabiliser etréorienter la finance internationale.Est-ce une utopie que tout cela ? C’estune confiance dans les capacités de notrepeuple à écrire une nouvelle page del’histoire en coopération avec les autrespeuples. Oui, comme aurait pu le direSaint-Just, de Hanoï à Brasilia, de Parisà Johannesburg, tous ont un égal droitau bonheur ! n

*Jean-Pierre Brard est député gauchedémocrate et républicaine de la Seine Saint-Denis.

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D’ IDÉES

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LA REVUE DU PROJET - MAI 2011

COM

BAT

«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

38 % (-9), le conseiller régional à 42 %(-11), le conseiller général à 43 (-11), lemaire à 52 (-13). « Face aux difficultés,les élus locaux représentent un rempartde protection. Or toute une partie del'opinion a le sentiment que ce filet desécurité est bel et bien troué » observePascal Perrineau, responsable duCevipof, qui pense même que le pilon-nage du pouvoir contre les collectivitéslocales, prétendues redondantes etparasitaires, aurait aussi fait desravages.Il est tentant d'interpréter après coup unévénement mais on peut penser que l'abs-tention massive aux cantonales s'expliqueaussi par cette dévalorisation, entretenuepar le pouvoir, du département et des éluslocaux. Notons que l'exigence d'honnêtetéà l'égard des élus est à la hausse (64 %, +5).Cette chute de la confiance politique sanc-tionne, toujours selon Perrineau, «  l'im-pression des Français que la scène poli-tique nationale n'est plus qu'un théâtred'ombres, que les élus sont impuissantsà répondre aux problèmes de la société,dépassés par les forces internationales,G20, Union Européenne...  »

Monte une demande forte de protection :l'étude indique que 40 % des sondéspensent que « la France doit se protégerdavantage du monde d'aujourd'hui  »(+10) ; ils sont plus nombreux que ceuxqui espèrent que le pays « s'ouvre davan-tage au monde d'aujourd'hui  » (27 %).Dans le même temps, la crise susciteraitun phénomène de rejet : 59 % disent

qu'  «  il y a trop d'immigrés » (+10). Plus généralement, on observe une dégrada-tion du moral des Français ; les termes quireviennent le plus volontiers sont « lassi-tude  » (34 %, +8 % en un an),« méfiance » (28 %), « morosité » (28 %).57 % se disent «  pessimistes  », la criseéconomique et financière est passée parlà ; cette crise d'ailleurs, 65 % estimentqu'on n'en sortira qu'après 2012. Unecrise donc que l'opinion croit durable.

A qui fait-on confiance ? A sa famille (74 %),aux gens qu'on connaît personnellement(57 %) ; 84 % se disent heureux enfamille. L'étude rappelle une donnéeconfirmée dans tous les sondages : lesgens font une assez nette coupure entrel'image, positive, qu'ils ont de leur histoirepersonnelle, individuelle et celle, trou-blée, de leur pays. 69 % estiment queles enfants d'aujourd'hui auront moinsde chances de réussir que leurs parents.

La défiance se manifeste à l'égard d'à peu prèstoutes les institutions, terme à prendre ausens large. La politique, on va en reparler,mais aussi les banques avec 20 % deconfiance (- 9 sur 2009) ; les entreprises(37 %, -4). Des structures restent cepen-dant plébiscitées, comme l'hôpital (78 %de confiance), même si ce lieu aussi voitson image un peu écornée (-5).Une majorité de sondés (58 %) dittoujours «  s'intéresser à la politique  »mais le mot suscite de la «  méfiance  »(39 %), voire du « dégoût » (23 %). Seuls6 % disent nourrir de «  l'espoir  ».

Par GÉRARD STREIFF

Crise de la politique : Les cantonales ont illustré, grandeur nature, la crise de la politique. Il y apeu, le deuxième baromètre sur la « confiance en politique » d'OpinionWay,pour le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-Po), tradui-sait déjà un approfondissement de cette crise mais aussi une envie de sefaire entendre, un désir de justice sociale, une critique du monde de l'en-treprise, une exigence de « réformer en profondeur » le capitalisme.

a politique a toujours nourriautant d'engouement que de répulsion.Vieille histoire. Voltaire écrivait déjà :«  La politique a sa source dans la perver-sité plus que dans la grandeur de l'esprithumain ». N'empêche : le discrédit actuelde la chose publique semble durablementinstallé. L'enquête du Cevipof, publiée enfévrier 2011, un an après une premièreétude de même nature, le confirme bien.56 % des Français ne font confiance nià la droite, ni à la gauche pour gouverner.C'est un peu moins qu'il y a un an (60 %)mais cela reste un mouvement très majo-ritaire dont on a déjà parlé dans cescolonnes. Notons un léger mieux pour lagauche ( 22 % de confiance, +7), un trèsléger recul de la droite (21 %, -1) mais leschiffres de confiance restent très bas.83 % (+2) considèrent que « les respon-sables politiques, en général, se préoc-cupent peu ou pas du tout  » des genscomme eux. Et 57 % (+9) pensent que«  la démocratie ne fonctionne pas bienen France ».

Les partis n'inspirent confiance qu'à 13 % dessondés. Phénomène nouveau : désor-mais, même les élus locaux, qui ont long-temps bénéficié d'une prime de proxi-mité, régressent : le Président est à29 % de confiance (-3), le député à

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réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

défiance et attente

RÉFORMER LE CAPITALISMEL'enquête du CEVIPOF est menéecourant décembre 2010, c'est à dire auterme d'une année sociale riche,marquée par un mouvement d'opposi-tion populaire fort à la réforme desretraites. De puissantes manifestationsn'ont cependant pas fait reculer unpouvoir sourd aux demandes de la rue.Les sondés continuent de se déclarer«  prêts à manifester  » : 50 %, tauxinchangé d'une année sur l'autre. Mais,interrogés sur l'efficacité des actionspubliques, on note un double mouve-ment. D'un côté, la croyance en la perti-nence des manifestations et des grèvesrecule. En même temps, les mêmes disent

accorder plus de crédit aux élections(56 %, +8 en un an). Est-ce la seuleapproche de la présidentielle qui remo-tiverait ainsi ? Pour le directeur duCevipof, cette insistance sur le momentde l'élection est à la fois rassurant surl'engagement démocratique des conci-toyens et inquiétant, ce sont ses termes,car « la scène électorale, en redevenantcentrale, risque de canaliser le senti-ment de défiance ». En d'autres termes,les sondés diraient : vous n'avez pasvoulu nous entendre dans la rue, vousallez nous entendre dans les urnes. Cemessage, lors du vote, pourrait-il setraduire en partie par un vote Frontnational ? C'est ce qu'a pensé par

exemple le directeur du départementopinion d'Harris Interactive, Jean-DanielLévy lorsqu'il présentait un autresondage, le 6 mars dernier dans Le Pari-sien, mettant Marine Le Pen en tête desintentions de vote : « Ce score élevé (…)est plus une forme d'expression pourfaire passer un message aux autresresponsables politiques que la volontéde porter (Mme Le Pen) au pouvoir  ».C'est, notamment, une des leçons desélections cantonales de mars.L'enquête ouvre en même temps d'au-tres perspectives. En matière économiqueet sociale par exemple. Il existe unedemande majoritaire pour que l'Etat règle-mente plus les entreprises. 53 % dessondés attendent cette action ; d'un autrecôté, il est vrai, 44 % pensent que l'Etatdoit «  faire confiance  » aux entreprises,signe d'une vraie division de l'opinion. Lamême opinion est très globalementcritique à l'égard des entreprises : onpense, à 77 % par exemple, que celles-ciprovoquent la hausse des prix ou à 69 %qu'elles ne pensent qu'à leur profit. Enmatière de justice sociale, à la question:« Faut-il prendre aux riches pour donneraux pauvres ? », 62 % sont d'accord, 37ne le sont pas. Un espace nouveau decontestation politique s'ouvre donc.Concernant l'avenir du système capita-liste, 47 % des sondés (+7) souhaitentqu'il soit « réformé en profondeur », 49 %(-4) qu'il soit «  réformé sur quelquespoints » ; seuls 3 % demandent qu'il « nesoit pas réformé  ». Du grain à moudrepour une bataille Front de gauche. n

AFFAIRES ET TOLÉRANCEIl y a eu l'EPAD, les cigares de Christian Blanc, la villa d'Alain Joyandet, le logementde Fadela Amara, celui d'Estrosi, le couple Woerth–Bettencourt, les vacancesd'Alliot-Marie, etc, etc.

Les sondeurs disent tous que la tolérance que les Français ont longtemps manifestéà l'égard de ce genre d'inconduites se termine. (Voir Le Monde du 5/2/11).

Emmanuel Rivière, département opinions, TNS / SOFRES : « Le sentiment monte que lespuissants mangent tous à la même table, dans de la vaisselle dorée  ».

Jérôme Fourquet, directeur IFOP : «  L'idée d'une connivence entre les puissantss'installe. Ce sentiment est accru par la crise. (…) Personne n'en sort grandi. Çarenforce le clivage peuple–élite. (…) 90 % des Français trouvent que les minis-tres sont trop payés, 75 % veulent instaurer un salaire maximum...  »

Roland Cayrol, politologue : «  Les enquêtes montrent que ça (la tolérance) change.(…) Il y a bien sûr le poids de la crise qui exige l'exemplarité des dirigeants alorsqu'on fait des sacrifices. La succession des affaires agit au fond comme unetriste confirmation des soupçons que l'on a à l'égard des politiques  ».

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Un sondage européen de l'Institut IMCResearch, publié le 14 mars, dans

plusieurs quotidiens de l'Union, montrequ'une majorité d'Européens pense que lepire de la crise économique est à venir.C'est particulièrement vrai des Françaisqui s'attendent, à 59 %, à une aggravationde la situation économique dans l'annéeà venir ; ils sont 72 % à penser que la situa-tion financière sera pire d'ici dix ans. Laconfiance au gouvernement est très basse ;87 % estime que « la classe politique »n'agit pas « avec honnêteté et intégrité ».82 % ne comptent pas sur les équipes enplace pour améliorer les choses. 62 %seraient favorables à des coupes dans lesdépenses publiques... à condition que l'éco-nomie donne des signes de reprise. De tousles Européens, les Français seraient lesplus nombreux (84 %) à penser que leurgouvernement dépense trop. On remar-quera en même temps que, trop souvent,les sondeurs posent des questions « confor-mistes », ouvrant rarement des espacescritiques. C'est pourquoi nous préféronsici proposer deux graphiques sur desthèmes abordés dans le sujet précédent(Opinionway/Cevipof, décembre 2010)

Économie : prendre aux riches...pour donner aux pauvres

Page réalisée par GÉRARD STREIFF

FAUT-IL QUE L'ÉTAT...

FAUT-IL PRENDRE AUX RICHES POURDONNER AUX PAUVRES ?

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :ù

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Actualités tourmentées,violentes, les notes de cemois-ci en sont le reflet :

Des institutions – garde à vue – à la politiqueétrangère, des élections au Portugal à la jeunesse et à la culture pour unenouvelle ambition politique,toutes portent la questionde l'espoir et duchangement !

INTERNATIONAL

UNE POLITIQUE ÉTRANGÈREHORS DU TEMPSLa logique de force de NicolasSarkozy conduit à l'impasse.

Aujourd'hui, 25.000 personnels,surtout militaires, sont déployés horsde l'hexagone1. C'est considérable.

C'est un poids pour les financespubliques. Mais cela ne traduit pas laréalité des contradictions du rôle poli-tique et militaire de la France dans lemonde. La Françafrique est à bout desouffle. Le redéploiement en cours desforces et bases militaires françaises àl'étranger exprime une double difficulté,à la fois budgétaire et politique, signifi-cative de l'affaiblissement structurel dela France comme puissance néo-impé-riale et néo-coloniale, concurrencée dansses zones d'influence « historiques »notamment par les Etats-Unis et par laChine, et incapable de faire face auxgrands enjeux d'un monde capitalisteen crise.

UN CHOIX VOLONTARISTEC'est dans ce contexte que N. Sarkozyavait décidé de réinsérer la France dans« sa famille occidentale ». Il s'agissaitd'inscrire la politique française dans lesillage néo-conservateur américain pourlui permettre de continuer à occupermalgré tout une place parmi les princi-pales puissances dominantes et les émer-gentes dans le nouvel état du monde.La crispation sur la force de frappe et ladissuasion nucléaire expriment claire-ment le choix volontariste du militairecomme moyen et garantie de cette placedans les nouveaux rapports de force.On retrouve d'ailleurs, dans le débat poli-tico-médiatique français récent, cettesacralisation politique de la logique deforce. Lorsque l'Allemagne, le Brésil etl'Inde, s'abstiennent à l'ONU sur l'inter-vention en Libye, ces pays sont pointésdu doigt comme n'ayant pas leur placefuture au sein des membres permanentsdu Conseil de Sécurité puisqu'ils ne votentpas en faveur de l'usage de la force consi-déré comme une capacité n'appartenantqu'aux véritables puissances suscepti-bles d'assumer l'ordre international.La France de N. Sarkozy, en revanche, faitpreuve de volontarisme en la matière :réintégration complète dans l'organisa-tion militaire de l'OTAN ; intégration dansles politiques et les zones de guerres

américaines avec le renforcement destroupes en Afghanistan et l'installationd'une base militaire dans le Golfe arabo-persique, en face de l'Iran ; rôle pilotedans les opérations militaires occiden-tales en Libye ; engagement direct desforces françaises en Côte d'Ivoire pourévincer Laurent Gbagbo2 au nom durespect des élections.

UNE PRÉTENTION DOMINATRICERemarquons qu'il s'agit bien d'une poli-tique d'ensemble, y compris intérieure,qui a sa cohérence propre fondée surune prétention dominatrice. Ainsi, l'ins-trumentalisation de l'immigration, del'Islam ou de l'identité nationale commethématiques à usage multiple, sert àcouvrir le champ électoral de l'extrêmedroite. Mais elle vise aussi à tenter dejustifier certaines réponses à des enjeuxréels du monde d'aujourd'hui. Desréponses d'exclusion ou de fermeturequasi-exclusivement sécuritaires. LaFrance, par exemple, a fait sienne la poli-tique européenne de tri répressif et ultra-restrictif des migrants. C'est aussi l'adop-tion d'un discours d'islamophobie quiaccompagne si bien l'inscription de lastratégie française dans l'option géné-rale de la guerre contre le terrorismedepuis le 11 septembre 2001.Nicolas Sarkozy nourrit la thèse du chocdes civilisations en externe et en interne.Son allié britannique l'accompagne. Lesdivergences avec l'Allemagne et les émer-gents, les prudences d'Obama, montrentcependant que tout cela ne va pas de soi.Cette stratégie française se révèle effec-tivement inadaptée aux défis du mondeactuel qui sont ceux du développementhumain, des réponses économiques etsociales aux enjeux de sécurité, de ladémilitarisation des relations interna-tionales, c'est-à-dire du désarmementmultilatéral et contrôlé, de la résolutionpolitique négociée des conflits sur la based'un droit non instrumentalisé, respec-tant les buts et les principes de la Chartedes Nations- Unies... dans une ONUrefondée.Même la Banque mondiale reconnaîtclairement - en rappelant la significa-tion des soulèvements dans le mondearabe - qu'il faut changer la nature despolitiques mises en œuvre pour répondreaux besoins sociaux et définir un ordreinternational garant d'une sécuritécollective. Son rapport 20113 soulignequ'un humain sur quatre (plus de 1,5milliard) vit dans un Etat fragile, dansdes zones de violence, de chômage et demisère... « L'insécurité subsiste - dit le

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

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rapport - mais elle est devenue un défimajeur de notre époque en matière dedéveloppement ». Emploi, justice, insti-tutions nationales stables, Etat de droit,scolarisation, formation... l'exigence està la sécurisation du développement.La vérité transparaît : c'est le capitalismelui-même, ses règles, ses modes degestion et de domination qui sont leproblème. La logique de force de NicolasSarkozy conduit à l'impasse. Elle estdangereusement hors du temps. LaFrance, pourtant, devrait et pourraitcontribuer tout autrement à l'histoiredes relations internationales et dumonde. n

1) Dont 8700 dans les DOM-TOM (forcesdites de «souveraineté»); 8000 dans des opé-rations extérieures (OPEX) et 5600 pour lesforces dites « de présence », essentiellementen Afrique.2) Notons qu'entre avril 2009 et avril 2011, 36scrutins présidentiels, législatifs ou référen-daires se sont tenus en Afrique. A l'exceptiondes élections au Niger, aucun de ces scrutinsne peut être considéré comme crédible.Certains ont été sérieusement manipulés oucarrément inversés.3) Rapport sur le développement dans lemonde 2011: conflits, sécurité et développe-ment.

JACQUES FATHresponsable des relations internationales

INSTITUTION, DÉMOCRATIE, JUSTICE

La réforme de la garde à vueLes dispositions, présentées commedes « avancées particulièrementsignificatives pour les libertés indi-viduelles et les droits de ladéfense », sont des dispositions aminima auxquelles il est presquetoujours possible de déroger, et quine sont accompagnées d’aucunemesure financière adéquate.

La réforme de la garde à vue votéepar le Parlement procède à la miseen conformité partielle du régime

de la garde à vue avec les exigencesconstitutionnelles et les dispositionsde la Convention européenne desdroits de l’homme.

LE CONTEXTE POLITIQUELe régime français de garde à vue setrouve, depuis plus d’un an maintenant,au centre d’un débat démocratiqueparticulièrement riche. Des journalistes,des avocats, des magistrats et de

nombreux citoyens se sont emparés desquestions posées par l’usage et lapratique de la garde à vue. Ils ont réaliséque le nombre de ces mesures avait crûde manière exponentielle pour atteindre792 093 en 2009, (soit une augmenta-tion de 54 % depuis 2000), et que cesgardes à vue étaient mises en œuvredans des conditions souvent indigneset trop souvent sans lien avec lesexigences des enquêtes pénales, entraî-nant des pratiques attentatoires à ladignité humaine.Les syndicats de policiers eux-mêmesont dénoncé la « politique du chiffre »sévissant au ministère de l’Intérieur. Labanalisation de la garde à vue est avanttout politique.Le contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, a dressé un bilan sévèredes conditions de détention et despratiques inadmissibles telles que laconfiscation systématique des soutiens-gorges et des lunettes.La délégation au droit des femmes duSénat a dénoncé de même les atteintesinjustifiées des personnes avec lesfouilles intégrales abusives, les investi-gations corporelles, et la suppressiond’objets intimes.La commission nationale de déonto-logie de la sécurité (CNDS), que person-nellement j’ai saisi 9 fois pour des casprécis a aussi émis des avis très critiques.Enfin, plusieurs groupes parlementairesd’opposition dont le groupe CRC-SPGdu Sénat, ont déposé des propositionsde loi portant réforme de la garde à vue.

LE CONTEXTE JURIDICTIONNEL Le régime français de la garde à vue ad’abord été condamné, indirectementmais très clairement, par la Cour euro-péenne des droits de l’homme, notam-ment dans l’arrêt Salduz contre laTurquie du 27 novembre 2008, pour direque le gardé à vue doit bénéficier de l’as-sistance de l’avocat dès les premiersstades de l’interrogatoire de la police (cequi n’était pas le cas en France).Dans l’arrêt Brusco contre la France, laCour revient sur la nécessité d’informerla personne sur son droit de se taire(idem).En France, de nombreuses juridictionsdu fond ont ensuite pris acte de cettejurisprudence et en ont tiré les consé-quences dans les affaires qui leur étaientsoumises.Dans ce contexte, sont enfin interve-nues des décisions qui ont rendu incon-tournable une réforme de la « garde àvue à la française ».

Le 30 juillet 2010, le Conseil Constitu-tionnel, saisi de questions prioritairesde constitutionnalité, a déclarécontraires à la Constitution les articlesrégissant la garde à vue de droit communen ce qu’ils n’instituent pas les garan-ties appropriées à l’utilisation de la gardeà vue dans son acceptation actuelle etqu’ils ne concilient pas suffisammentl’équilibre entre les exigences de l’en-quête et l’exercice des libertés constitu-tionnellement garanties.Parachevant cette contestation tousazimuts du régime français, la Cour decassation, dans ses arrêts du 19 octobredernier, a invalidé les régimes déroga-toires de garde à vue, et estimé que, pourêtre valide, une telle mesure devaitrespecter trois principes : la notificationdu droit au silence, la participation del’avocat aux interrogatoires, interven-tion qui ne saurait être différée, notam-ment en matière de criminalité orga-nisée, qu’en vertu de raisonsimpérieuses constatées par le magistrat.Le gouvernement a tenté jusqu’audernier moment, de se soustraire à laCour européenne des droits de l’hommeet au Conseil Constitutionnel, puisqueson projet initial créait « une auditionlibre » de 4 heures pendant laquellel’avocat ne pouvait intervenir. Les parle-mentaires dans leur majorité ontrepoussé ce stratagème.

LES DISPOSITIONS DE LA LOIEn réalité, les dispositions, présentéescomme des « avancées particulièrementsignificatives pour les libertés indivi-duelle)s et les droits de la défense », sontdes dispositions a minima auxquelles ilest presque toujours possible de déroger,et qui ne sont accompagnées d’aucunemesure financière adéquate. L’étuded’impact évalue à 74,8 millions d’eurosl’impact financier pour le ministère del’Intérieur. Pour la gendarmerie, celareprésenterait près de 64 millionsd’euros.

La reforme intervient principalementsur trois points :• La définition des conditions de recoursà la garde à vue avec pour objectif affichéde diminuer le nombre de garde à vueAujourd’hui, le code de procédurepénale ne fixe aucune condition de fondau placement en garde à vue, qui estlaissé à la pure appréciation de l’officierde police judiciaire, « pour les néces-sités de l’enquête » (article 63 du CPP).La nouvelle loi indique que la personnedoit être « soupçonnée d’avoir commis

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un crime ou un délit puni d’une peined’emprisonnement ». Nous avionsproposé que la peine énoncée soit auminimum de trois ans.

• Les modalités de contrôle de lagarde à vue et de sa prolongationLa nouvelle loi, au mépris de la jurispru-dence européenne (arrêt Medvedyev)qui considère que les magistrats duparquet ne sont pas des magistrats indé-pendants (puisqu’ils sont nommés parl’exécutif), met le contrôle de la garde àvue, ainsi que sa prolongation, maiségalement toute une série de déroga-tions au droit de la défense, entre lesmains du procureur de la République.Nous avons défendu le principe de lagarde à vue sous contrôle et sous auto-risation d’un magistrat du siège (le jugedes libertés et de la détention) le place-ment en garde à vue, sa prolongation,les éventuelles dérogations aux droitsreconnus, la mise en œuvre des fouillesintégrales et des investigations corpo-relles, etc… La majorité l’a reprise,prenant le risque évident d’être denouveau condamnée par la jurispru-dence européenne.

• Les droits de la personne placée en garde à vueLa nouvelle loi contient quelques avan-cées : Un certain nombre d’informationssont délivrées à la personne qui a le droitd’être assistée d’un avocat : droit de faireprévenir son employeur, son tuteur, soncurateur, droit de voir un médecin. Despropositions de notre part pour limiterau maximum les fouilles intégrales ontété acceptées. Le recours au médecin encas d’investigations corporelles est égale-ment une bonne chose.La notification de ces droits se fait parun officier de police judiciaire. L’avocatdoit intervenir si l’intéressé en fait lademande dès le début de la garde à vueet en principe les auditions ne commen-cent pas avant son arrivée dans la limitede deux heures. Cependant, la loi prévoitdiverses dérogations à ce principe.L’accès de l’avocat au dossier pénal resteencore trop limité.Pour notre part, nous souhaitions quela loi aille beaucoup plus loin. Outre lamise en conformité avec les injonctionseuropéennes sur l’indépendance du jugequi contrôle la garde à vue (ce qui plusglobalement peut renvoyer au problèmede l’indépendance souhaitable desmagistrats du parquet) à laquelle laFrance ne pourra longtemps se sous-traire, d’autres problèmes se posent.

Nous souhaitions la suppression desrégimes dérogatoires. Ces régimes quis’appliquent pour des crimes graves(délits, crimes en bande organisée, terro-risme…), portent une atteinte dispropor-tionnée au droit de la défense et de ladignité humaine (jusqu’à six jours degarde à vue et l’intervention de l’avocatau bout de trois jours). Nous considéronsque le droit à l’assistance d’un avocat doitêtre la règle et qu’après 24 heures, l’en-quête doit se dérouler sous le contrôle del’autorité judiciaire (magistrat du siège).Nous estimons aussi que les mineurs nedevraient pas être placés en garde à vue.Nous proposons une retenue desmineurs avant le déferrement devant lejuge des enfants conformément à l’es-prit de l’ordonnance de 1945.Enfin, en ce qui concerne l’aide juridic-tionnelle, nous proposons des mesurespour assurer une rémunération décentedes avocats afin que l’ensemble desavocats participent au service public dela justice, soit en faisant des dossiersd’aide juridictionnelle, soit en partici-pant financièrement.A mon avis, il faut revenir assez vite surcette loi ! n

NICOLE BORVO COHEN-SEATsénatrice communiste de Paris, prési-

dente du Groupe CRC-SPG, responsableinstitutions, démocratie, justice

PORTUGAL

Crise économique et alternative politiqueDans les circonstances actuelles,les convergences entre le Parti com-muniste portugais et le Bloc deGauche peuvent rendre crédible unealternative progressiste suffisam-ment rassembleuse.

L e Portugal traverse une crise écono-mique et sociale de grande ampleur.Les causes de celles-ci sont liées

d'abord au processus d'intégration duPortugal à l'UE qui a conduit notam-ment à une désindustrialisation mas-sive, à la précarisation du travail, à la pri-vatisation poussée du secteur public et àun appauvrissement considérable dupays (en 2007, pendant la présidenceportugaise de l'UE, qui allait conduire àla signature du traité de Lisbonne,200.000 personnes manifestaient déjàcontre la flexisécurité).La situation s'est depuis considérable-

ment aggravée depuis 2008 avec lapolitique des gouvernements euro-péens visant à faire payer à leurs peu-ples (crise des dettes publiques), parl'austérité généralisée, la factureengendrée par la gabegie financière. Etles pays les plus exposés aux attaquesspéculatives des marchés, la Grèced'abord, puis l'Irlande et maintenant lePortugal, se sont vus imposer, malgréla saignée sociale et la récession encours dans ces pays, une accélérationde réformes structurelles qui étaient engestation dans les politiques de l'UE.

PLANS DE RIGUEURLe gouvernement socialiste de JoséSocrates, appuyé au Parlement par ladroite (Parti social démocrate et Centredémocratique et social) a mis en œuvredepuis deux ans plusieurs plans derigueur visant à apurer le déficit et ladette publique (9,1 et 91,4 % du PIB) etsatisfaire ainsi les exigences de l'UE etde la finance : baisse des salaires dansla fonction publique, coupes dans lesaides sociales, l'éducation, la santé,hausse de la TVA, réduction des aides àl'emploi alors que le taux de chômageest à 13 %, le nombre de smicards aaugmenté de 4 % à 9,2 % en quatre anset qu’ au moins 18 % de la populationvit sous le seuil de pauvreté.Au mois de mars, au moment des déci-sions européennes visant la « gouver-nance économique » de l'UE, Socratesprésentait de nouvelles mesuresdevant le Parlement impliquant descoupes supplémentaires dans lessalaires et les pensions, l'augmenta-tion des prix, la privatisation des ser-vices publics. Le 23 mars, il était néan-moins contraint à la démission, dés-avoué par le rejet au Parlement (PCP,Bloc de Gauche et droite) de son nou-veau plan de rigueur. Dans le mêmetemps, des élections législatives antici-pées étaient convoquées le 5 juin 2011.Le Conseil européen des 24 et 25 mars2011 prenait -dans le cadre du « pactepour l'euro plus »- des mesures d'uneextrême gravité programmant un ave-nir de régression sociale pour les peu-ples européens. Au lendemain de cesommet, sous la double contrainte desmarchés et de l'UE, le gouvernementdémissionnaire de Socrates, toutcomme l'opposition de droite et lePrésident de la République CavacoSilva, réélu lors de l'élection présiden-tielle de janvier 2011, acceptaient unplan d'intervention de l'UE et du FMI,à hauteur de 80 millions d'euros condi-

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

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NOTES

JEUNESSE

En finir avec la précaritéde la jeunesse ! C'est l'intitulé du forum national du11 mai co-organisé par les forma-tions du Front de Gauche (PCF , GUet PG) en partenariat avec le MJCF.

Comme pour tous les forums natio-naux, un texte commun a étérédigé et validé, en voici des

extraits (le texte dans son intégralité estdisponible sur le site du pcf). Ce forumse veut un point de départ pour d'au-tres initiatives locales, pour des ren-contres avec les organisations de jeu-nesse, avec les jeunes, avec les éluslocaux et nationaux.Depuis plusieurs années, les jeunes ontmultiplié les luttes et les résistances. Des

manifestations anti-Le Pen ou contre laguerre en Irak à la mobilisation contrele CPE, du LMD à la LRU, dans les quar-tiers, dans les lycées et dans les facs, ilsont combattu les politiques ultralibé-rales et sécuritaires de la droite. Plusrécemment, durant la mobilisationcontre la réforme des retraites, les jeunesavec les organisations de jeunesseprogressistes se sont mobilisés.Assurés d’être la première générationqui vit moins bien que celle de sesparents, chaque domaine de la vie estpour eux la galère assurée : financer saformation, trouver un emploi stable, seloger de manière décente, se soignercorrectement, se déplacer librement,avoir accès à la culture… sans compterles discriminations et toutes les poli-tiques sécuritaires qui ont provoqué larévolte des quartiers populaires à l’au-tomne 2005. Cette situation est devenue le quotidien

de la très grande majorité des jeunesQu'elle soit en formation ou salariée, etparfois même les deux en même temps,qu'elle soit stagiaire, en recherche d’em-ploi, intérimaire ou en service volon-taire. Non seulement la précarité desjeunes fait pression à la baisse sur lesconditions de travail de tous les travail-leurs, quel que soit leur âge. Mais de plus,elle prépare les travailleurs de demain àune vie complète de précarité. En celala précarité des jeunes n’est plus un« entre-deux » marginal. La précarité estautant leur lot quotidien que le sort qu’onleur promet pour l’avenir. La jeunessen’est pas une classe sociale, car elle estlimitée dans le temps et englobe des indi-vidus de toutes catégories sociales. ll ya aussi en son sein les jeunes préparantdes diplômes rentables, valorisés sur lemarché du travail, les jeunes en mal d’in-sertion et les « déclassés », éjectés trèstôt du système scolaire et cumulant des

tionné par un programme d'ajuste-ment « basé sur des mesures d'austé-rité ambitieuses » et une politique de« croissance et compétitivité » alliantde nouvelles réformes structurelles etprivatisations1.

UNE ALTERNATIVE POSSIBLE À GAUCHELa politique du gouvernement s'estheurtée à des mobilisations crois-santes. Le 24 novembre 2010, le paysvivait sa première grève générale uni-taire depuis 22 ans. Des centaines demilliers de salariés ont manifesté le 19mars contre le dernier plan d'austérité.Des centaines de milliers de jeunessont descendus dans la rue les 12 marset 1er avril à l'appel d'un collectif« Génération précaire » et de la CGTPcontre la précarité et le chômage.La droite, quant à elle, avait fait savoirdès la campagne de l'élection prési-dentielle2 que si le pays se voyaitcontraint à accepter une interventionde l'UE et du FMI, cela impliqueraitdes sacrifices supplémentaires et unenouvelle majorité voire un gouverne-ment « d'unité nationale » pouvantplus facilement légitimer ces choix.Le Parti communiste portugais (PCP)et le Bloc de Gauche (BG) ont tousdeux rejeté le recours aux programmesdu FMI et de l'UE (une ingérence into-lérable pour le PCP alors que le peupleportugais ne s'est pas encore pro-noncé).Chacun des partis se présente aux élec-

tions avec ses propositions et son propreprojet. Le PCP avec la conviction de l'im-portance du renforcement de la CDU(Coalition démocratique unitaire que lePCP forme avec les Verts et l'AssociationIntervention Démocratique).A la demande du BG, une rencontre a eulieu le 8 avril entre les deux partis, qui apermis d'acter la nécessité de conver-gences possibles à un moment où il esturgent de donner des réponses à lasituation difficile que traverse le pays.Le PCP souligne en particulier « qu'unerenégociation immédiate de la dettepublique s'impose ». Dans le mêmetemps, il appelle « à une action conver-gente avec d'autres pays qui affrontentdes situations similaires de dettepublique pour stopper la spirale spé-culative ». Le BG demande « un auditdes comptes de la dette extérieurepublique et privée » de manière à allervers une « restructuration de la dette ».Dans les circonstances actuelles, cesconvergences peuvent rendre crédibleune alternative progressiste suffisam-ment rassembleuse, concrétisée pourle PCP dans la formation d'un « gou-vernement patriotique et de gauchecapable d'ouvrir une nouvelle phasedans le vie du pays contribuant à unenouvelle politique nationale dégagéedes intérêts du capital et descontraintes imposées par l'UE ».Cette alternative sera d'autant plus por-teuse d'une perspective progressistepour le Portugal et pour l'Europe, qu'elle

s'appuiera sur les mobilisations socialescroissantes et des propositions de rup-ture avec les politiques actuelles et lesinstitutions non démocratiques envigueur aujourd'hui, sur l'exigence d'uneréorientation profonde de la construc-tion européenne répondant aux exi-gences et aux urgences sociales, démo-cratiques, écologistes, des peuples3. n

1)Une des clauses du « pacte pour l'euro + »,le mécanisme européen de stabilité (MES)conditionne toute assistance financière d'unpays de l'euro en difficulté « à un programmed'ajustement macroéconomique... effectuépar la Commission et le FMI, en liaison avecla BCE. L'Etat membre bénéficiaire devramettre en place les modalités appropriéesd'une participation du secteur privé, en fonc-tion de la situation qui lui est propre et entotale conformité avec la pratique du FMI. »2) Le 23 janvier 2011, Cavaco Silva, soutenupar toute la droite (PSD et CDS), était rééludès le premier tour avec 52,9 % des suffrages.Il devançait le candidat du PS, ManuelAlegre, qui, avec 19,75 %, subissait un lourdéchec. Le Bloc de Gauche avait décidé desoutenir Manuel Alegre. Le PCP, avecFrancisco Lopes, obtenait, avec 7,15 %, unrésultat honorable. La participation au scru-tin (46,63 %) a été la plus faible depuis 1974.Le PCP et le Bloc de Gauche représententensemble 16 à 18 % des électeurs lors desdernières élections.3) Des initiatives en ce sens ont été prisestant au sein du groupe du GUE-NGL auParlement européen qu'au sein du PGE avecla déclaration « Face au pacte pour l'euro :pour une contre-offensive des peuples euro-péens ».

JOSÉ CORDONRelations internationales-Europe

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difficultés sociales. En outre, les effetsdévastateurs du chômage se sont parti-culièrement fait ressentir dans lajeunesse populaire, aggravant les inéga-lités entre jeunes. Les enfants d'immi-grés sont les moins bien lotis de tous. Cela étant dit, on ne peut faire l’impassesur un trait commun à tous les jeunes :il s’agit de l’absence d’autonomie. En effetpour l’instant, les jeunes sont considéréscomme des mineurs économiques : leursressources dépendent de leurs parents,ou de l’exploitation à laquelle ils font faceà leur entrée sur le marché du travail. Ilssont du point de vue de la redistributionsociale dans un quasi vide juridique.

UNE ALLOCATION D'AUTONOMIE UNIVERSELLE ET DE NOUVEAUX DROITS Pour en finir avec cette précarité géné-ralisée, nous voulons aller vers la miseen place d'un statut social pour les jeunespar un système d'allocations et denouveaux droits. Pour sortir les jeunes de la précarité, de

la dépendance familiale et du salariatforcé pour les jeunes scolarisés, nousproposons la mise en place d’une allo-cation d'autonomie universelle.Dans le texte commun , nous avançonsdes propositions pour l'accès et le droit :à un diplôme et une formation de qualitépour tous, avec la nécessaire réglemen-tation des stages, à un travail stable etbien rémunéré, à la santé et à une véri-table protection sociale, à l’accès au loge-ment, à l'accès aux transports, à la culture,au sport et aux loisirs, à l’exercice de lacitoyenneté et à agir pour l'égalité entreles jeunes femmes et les jeunes hommes.

UN STATUT SOCIAL DE LA JEUNESSECe qui unit la jeunesse, c’est l’absencede statut des jeunes. Aussi il y a urgenceà mettre la jeunesse en sécurité sociale.C'est le véritable objectif d'une politiquede rupture, la seule logique valable faceà l'expansion du projet libéral. Il fauttenter de résoudre les contradictions quis'exercent dans la jeunesse, en permet-

tant la reconnaissance de ce nouvel âgede la vie, en lui accordant un statut social.Un statut social de la jeunesse doit êtrepensé dans la continuité des combatsdu monde ouvrier aux XIXe et XXe siècle,des combats pour l'autonomie qui ontdébouché notamment sur la création dela Sécurité Sociale. Le premier objectifd'un tel statut, c'est de donner lesmoyens à tous les jeunes de leur auto-nomie financière et sociale vis à vis desinstitutions qui l'encadrent, notammentla famille. Cette revendication s'accom-pagne de revendications transitoirestelles que la création d'une allocationd'autonomie universelle versée à chaquejeune (sans tenir compte des ressourcesdes parents) qu'il soit en formation ouen recherche du 1er emploi : question clépermettant d'unifier toute la jeunesseautour d'un même combat, et libérerainsi ses potentialités. n

ISABELLE DE ALMEIDAJeunesse

POUR L’ART, LA CULTURE ET L’INFORMATION

Une nouvelle ambition politiqueÀ l’heure où les vieux démons travaillent à nouveau la droite française, oùl’obscurantisme et le populisme se conjuguent à de formidables régres-sions sociales, il est urgent, à gauche de retrouver les chemins de l’espé-rance et de l’utopie. L’art, la culture et les savoirs sont les conditions d’unepolitique de gauche authentiquement transformatrice et qui se fixe pourambition de dépasser les dominations et les aliénations générées par uncapitalisme financier et productiviste en crise majeure. Face à la montéede la désespérance et au retour de la barbarie, seule la culture peut ouvrirla voie de la civilisation.

LA CULTURE DONNE LE SENS DE L’ACTION PUBLIQUE

L e Front de Gauche affirme sonambition résolue de mettre l’art, laculture et l’information au cœur

de son projet politique de transforma-tion sociale, d’émancipation humaine,de révolution citoyenne et de planifica-tion écologique.La culture n’est pas une thématiqueparmi d’autres. Elle donne le sens globalde l’action publique et elle mobilise desacteurs qui occupent une place éminentedans le tissu éducatif, social, économiqueet médiatique. Plus fondamentalementnous sommes convaincus que la créa-

tion artistique, l’action culturelle, l'édu-cation populaire mais aussi la libre circu-lation des informations et des idées, laproduction et la diffusion des savoirs etdes connaissances et leur appropriationpar le peuple, sont des enjeux politiquesmajeurs pour ceux qui, comme nous,portent l’ambition d’une transformationprogressiste de notre société.L’art en contribuant à renouveler notreregard sur les choses et sur le monde, ennous incitant à accepter d’être « dérangés »nous aide à accueillir les différences, ladiversité, l’étonnement, l’interrogation.En cela il contribue à lutter contre lespostures conservatrices, de repli, de crainte

de l’autre. Comment redonner à l’art l’exer-cice plein et entier de sa liberté pour qu’ilnous aide à construire de nouveaux hori-zons ? Comment retrouver ce lien essen-tiel entre la création et l’appropriationpopulaire des œuvres et des pratiquesartistiques ? Comment remettre la démo-cratie culturelle, l’éducation populaire aucœur des avancées sociales ? Commentconvaincre que l’enjeu culturel concernetout le monde, et pas seulement les acteursculturels ? Comment convaincre que lesocial ne peut être dissocié du culturel,qu’il faut cesser de les opposer dans lesarbitrages budgétaires ? Peut-on sérieu-sement envisager de rompre avec le capi-talisme, le libéralisme et toutes les formesde domination et d’aliénation sans investirle champ du sensible, de l’imaginaire etdu symbolique ? La reconquête politiqueet idéologique des classes populaires nepasse t-elle pas pour une part importantepar là ? Pour paraphraser Gilles Deleuze,être de gauche aujourd’hui, c’est avoirbesoin que les gens rêvent, imaginent,ressentent… en un mot pensent.Il s’agit ainsi de mettre en débat les alter-natives permettant de nommer lessouhaits communs de celles et ceux quirêvent d’un nouveau monde. Nousvoulons faire de la culture un moteur de

Texte élaboré par le Front de gauche

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la transformation sociale, dans le respectde la diversité culturelle, un élémentconstitutif d’une nouvelle politique dedéveloppement humain, pour contri-buer à construire un « autre monde ».Les forces de la création, conjointementà celles du travail, ne doivent-elles pasengager le combat contre les mots et lesnormes que cette société capitalistefinancière essaye de modeler à l’imagede son fonctionnement en imposant sesseuls critères quantitatifs et concurren-tiels à tout le champ des activitéshumaines ?

ROMPRE AVEC LE PROJET CULTUREL DE LA DROITE L’élaboration des réponses à ces ques-tions est d’autant plus urgente que lemouvement culturel est en prise avec lesruptures régressives que tente de luiimposer le pouvoir actuel. Contraire-ment à une idée répandue, la droite a unprojet culturel. Il s’exprime par une offen-sive sans précédent contre le servicepublic de la culture et les politiques misesen place depuis la Libération et le Conseilnational de la Résistance, institutionna-lisées et généralisées après la créationdu ministère en 1959 et accompagnéesdepuis par les collectivités territoriales.

LA CASSE DU SERVICE PUBLIC DE LA CULTUREElle se traduit par :• toujours plus de difficultés pour lesprofessionnels des arts, du spectacle etde l’audiovisuel pour se maintenir dansl’emploi ;• la RGPP et les désengagements finan-ciers qui réduisent le périmètre de l’ac-tion publique du ministère et de sesdirections régionales ;• la reprise en main de la radio-télévi-sion publique ;• la réforme territoriale qui menace demettre en danger les financementscroisés des collectivités en faveur desarts et de la culture, des enseignementsartistiques, de l’action culturelle et del’éducation populaire…

À cela s’ajoute depuis peu le procès enélitisme instruit à l’encontre des artisteset de l'ensemble des acteurs culturelsaccusés d’intimider le peuple et d’êtreresponsable de l’échec de la démocrati-sation culturelle, encore faut-il mesureren quoi réside cet échec et s’il est aussiavéré qu’on veut nous le faire croire.Confronté à la raréfaction de l’investis-sement public qu’il organise, le pouvoiractuel tente d’instrumentaliser l’art et la

culture à des fins de paix sociale en théo-risant autour d’une « culture pourchacun » devenue « culture partagée »qui n’aboutirait en fait qu’à enfermer desgroupes sociaux entiers dans « leur »culture supposée, au lieu d’ouvrir large-ment, le partage et l'appropriation partoutes et tous de toutes les cultures. Enfait, il s’agit de maintenir la paix socialefortement mise à mal par les politiquesnéolibérales. Nous sommes bien dans lalogique d’une droite décomplexée dansle champ culturel comme dans tout cequi touche à l’humain : amoindrir lapuissance publique au profit des inté-rêts mercantiles, casser les solidarités auprofit d’une segmentation et d'une divi-sion du peuple.

LE PROJET CULTUREL DU POUVOIR VEUTSE CONSTRUIRE SUR LES RUINES DU SERVICE PUBLIC SELON TROIS ORDRES :L’ordre de l’argentL’ordre de l’argent pousse les feux de lamarchandisation de l’art et de la culturedans une vision consumériste où l’indi-vidu prétendu libre est seul face aumarché des « produits » culturels.Certains rêvent même de substituer àl’actuel ministère de la culture un minis-tère de l’économie et des industriesculturelles.L’ordre moralL’ordre moral autour de l’identité natio-nale et ses avatars, une vision passéisteet mercantile du patrimoine, le retouraux valeurs conservatrices du repli sursoi, du rejet de l’autre et de la diversitéculturelle. La réalisation de la Maison del’Histoire de France s’inscrit dans cettedémarche.L’ordre du divertissementL’ordre du jeu d'argent et du tout diver-tissement en privatisant les médiasaudiovisuels et le web autour du moinsdisant culturel, de la dictature de l’au-dimat et de l’omniprésence de la publi-cité. Et ne soyons pas dupes, ce « toutdivertissant » est un appareil de domi-nation des esprits.

ÉLABORER ENSEMBLE UN NOUVEAU PROJET CULTUREL DE GAUCHE« Là où croît le péril croît aussi ce quisauve » écrivait Hölderlin. Le temps dela résistance ne peut se concevoiraujourd’hui que dans le temps de larupture et de la reconstruction d’unealternative à ce monde vermoulu parl’argent, la concurrence entre les indi-vidus, la peur et la haine de l’autre.C’est pourquoi, face à ce renversementréactionnaire de perspective, à ce tour-

nant doctrinal impulsé par la droite, leFront de Gauche propose de soumettreau débat d’élaboration d’un projetculturel de gauche plusieurs ambitionsfortes qui pourront déboucher sur uneloi d’orientation et de programmationpour les arts et la culture.

NOUS SOUMETTONS D’ORES ET DÉJÀ AU DÉBAT SEPT CHANTIERS :1 • Refonder le service public de l’artet de la cultureRefonder en le transformant notreservice public de l’art et de la culture, àcommencer par le Ministère de la cultureet de la communication lui-même, endonnant un nouvel essor aux politiquespubliques d’aide à la création artistique.L’art n’est pas intimidant en soi, il estindispensable à toute visée émancipa-trice et il a besoin de liberté et de moyensaccrus. Nous réaffirmons la responsabi-lité nationale de l'État à l’égard de la créa-tion et la nécessité d’une interventionpublique forte dans le même temps, pourcréer les conditions de son partage parle plus grand nombre.

2 • Définir une compétence partagéeentre l’Etat et les collectivités territo-rialesFixer le cadre réglementaire d'unecompétence partagée entre l'État et lescollectivités territoriales au sein d'unedécentralisation démocratique leurgarantissant des moyens nouveaux. Surla base d’une vaste débat national etdécentralisé, en particulier grâce à lamise en place des Conférences régio-nales permanentes pour l’art et laculture, nous lancerons le chantier de laredéfinition des finalités et des moyensdes dispositifs d’aide à la création, lesstatuts et les cahiers des charges desétablissements culturels, la progressiondes droits sociaux des professionnels desarts et de la culture, les formes et lesmoyens de l'action culturelle, l'éduca-tion artistique à l'école, la place de l'artdans l'espace du travail comme danscelui de la ville, ainsi qu'auprès despublics « empêchés » (hôpitaux etprisons...), ainsi que la place et le rayon-nement de la culture française dans lemonde.

3 • Réaffirmer un lien étroit entre lesoutien à la création et la démocratieculturelleRéaffirmer le lien étroit entre les poli-tiques de soutien à la création et notreambition majeure de démocratie cultu-relle. Nous donnerons un nouvel élan à

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l’éducation populaire et à l’action cultu-relle qui permettent à chacune et àchacun, singulièrement dans les classessociales écartées des voies classiquesd’accès à la culture, de s’approprier et/oude produire à l’école, les œuvres et lespratiques artistiques, dans les entre-prises, dans les villes et les territoires, des’exprimer au sein de pratiques inno-vantes, de s’épanouir dans le vivreensemble, l’ouverture aux autres et lasolidarité de tous.

4 • Affranchir notre économie de laculture de la soumission à l’argentConforter en l’affranchissant des puis-sances de l’argent notre économie et nosindustries de la culture. Il s’agit desoutenir l’émergence d’une économiesociale, solidaire et durable, contre ladomination des grands majors ducinéma de la musique et de l'édition,contre la toute puissance du marché del’art sur les arts visuels et plastiques, pourdéfendre une édition, une distributionet une diffusion indépendantes deproduction, de distribution et de diffu-sion des œuvres artistiques dans toutesleur diversité.Encourager le pluralisme de la créationcinématographique et audiovisuelle parune réforme du fonds de soutien,permettant une meilleure redistribution,une augmentation de l’avance surrecettes et des aides sélectives à la diver-sité et à la coopération culturelles.

5 • Promouvoir un Internet libre, inter-actif et citoyenPromouvoir un Internet libre, interactifet citoyen par la mise en place d’unservice public d’accès aux réseaux, desplateformes publiques de télécharge-ment tout en garantissant les droits etles rémunérations des créateurs et desauteurs, contre la fracture numérique etla « googlelisation » de cette formidablerévolution technologique au potentielémancipateur considérable.

6 • Liberté, démocratie et culture pourl’information et les médiasDévelopper une politique des médias etde l’information qui s’appuie sur le trip-tyque liberté, démocratie et culture.Permettre aux citoyens de se former àune lecture critique des médias vial’école, les universités et l’éducationpopulaire. Il s’agit de soustraire lesmédias à la domination des pouvoirspolitiques et économiques et pour celaen premier lieu relancer les dispositifsanti-concentration concernant les

grands organes de presse, de télévisionet sur internet dans le but de promou-voir le pluralisme des idées et de la créa-tion. Nous reconstruirons un servicepublic de l’audiovisuel, de la productionà la diffusion, associant les salariés etleurs représentants, les usagers et les élusà sa gestion, à l’évaluation des missionsde service public et aux nominations.Le CSA sera démocratisé, sa composi-tion sera modifiée, ses compétencesélargies pour une appréciation qualita-tive des programmes audiovisuels,notamment ceux aidés par les pouvoirspublics ; il sera donné à ses sanctionsun caractère réellement dissuasif. Lesradios et télévisions à but non lucratifseront développées et financées par unfonds de soutien à l’expression audio-visuelle. À une époque où chaquecitoyen regarde la télévision environ 3heures et demie par jour, celle-ci doitpouvoir affirmer sa triple fonction àvocation civique : information, diver-tissement, et culture.Il faut réaffirmer la vocation des pouvoirspublics à réguler le secteur de l’audio-visuel, à sauvegarder la dimension créa-trice des programmes de télévision, àdéfendre l’indépendance des auteurs etdes producteurs et à maintenir une offrediversifiée d’œuvres de qualité.Il faut redéfinir une politique d’aide à lapresse permettant de l’affranchir dupouvoir des puissances industrielles etfinancières, de garantir l’indépendancedes journalistes et des rédactions, lepluralisme politique, idéologique etculturel.

7 • Exception et diversité pour unemondialité culturelleNous agirons pour relancer, au planeuropéen et international, notre combatpour une mondialité culturelle selon l’ex-pression d’Edouard Glissant : par lerespect des principes de l’exceptionculturelle en agissant pour la mise enapplication effective de la ConventionUNESCO de 2005 sur la diversité cultu-relle et la prééminence de ses principessur les directives de l’OMC. Il faudra aussimodifier les Traités européens pour queles financements publics de la culturene soient plus des dérogations toléréesmais deviennent des axes fondamen-taux de la construction européenne, etagir pour que l’Union européenne sedote enfin d’une authentique politiqueculturelle, permettant le renforcementde l’intervention publique, veillant àmaintenir l’art et la culture dans l’excep-tion aux règles de la concurrence « libre

et non faussée », par le libre développe-ment des outils publics de création et dediffusion.La refondation de l’action culturelle exté-rieure de la France, sinistrée par quatreannées de sarkozysme, au service durayonnement de la création et de lalangue française, sera entreprise.

UN DÉBAT PUBLIC NATIONAL ET DÉCENTRALISÉ, UNE LOI D’ORIENTATIONET DE PROGRAMMATION, DES MOYENS ACCRUSLe gouvernement et le Parlement enga-geront cette grande ambition dans lecadre d’un vaste débat public, national,décentralisé et ouvert à tous les acteursculturels comme à l’ensemble descitoyens. Celui-ci portera tout à la foissur le sens de cette politique culturellecomme sur les moyens nécessaires à saréalisation et pourrait déboucher sur uncadre législatif en termes d’orientationet de programmation pour l’art, la cultureet l’information.Il n’y a pas de politique culturelle ambi-tieuse sans moyens nouveaux. Nousproposons que le budget de la nationconsacré à l’art et la culture (Etat etcollectivités confondus) se fixe commeambition d’atteindre, en une législa-ture, 1 % du PIB, soit une augmenta-tion d’environ 1/3 des budgets publicsactuels. Ce qui serait justice quand onsait que la culture représente près de4 % de la richesse nationale produite.Tous les budgets culturels publicsdoivent progresser. Celui du Ministèrede la culture et de la communication,mais aussi ceux de l’Éducation natio-nale, garant de l’éducation artistiquedes jeunes, et des Affaires étrangères,garant du rayonnement de la langueet de la culture françaises dans lemonde.

À l’heure où les vieux démons travail-lent à nouveau la droite française, oùl’obscurantisme et le populisme seconjuguent à de formidables régres-sions sociales, il est urgent, à gauchede retrouver les chemins de l’espéranceet de l’utopie. L’art, la culture et lessavoirs sont les conditions d’une poli-tique de gauche authentiquementtransformatrice et qui se fixe pourambition de dépasser les dominationset les aliénations générées par un capi-talisme financier et productiviste encrise majeure. Face à la montée de ladésespérance et au retour de labarbarie, seule la culture peut ouvrirla voie de la civilisation. n

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REVUE DES MÉDIASPar ALAIN VERMEERSCH

Au lendemain de l’annonce du projet du PS, Le Figaro en fait sa uneen titrant : « Plus d’Etat, plus de dépenses. DSK, Royal, Hollande ouAubry devront endosser un programme qui augmente fortement lapression fiscale sur les Français ». Pour Les Echos, c’est « Un pro-jet socialiste ancré à gauche » avec une « fusion de la CSG et del'impôt sur le revenu » et « 50 milliards de prélèvements en plus ».

ser. Tant mieux. Ce qui est enrevanche presque insupportable estle côté Zola de la description de laFrance. Souffrances, déclassement,déclin, la France serait un champ deruines et 99 % de ses habitantsvivraient Germinal, en pire  !... Enréalité, l'important est de bien voirque ce projet n'est pas financière-ment neutre. Officiellement, il n'y apas de hausse générale d'impôts.Mais il y a quand même 50 milliardsd'euros de suppressions d'avan-tages fiscaux en tous genres. C'estla même chose  !... Quand on lit bienle texte, on voit aussi qu'une haussedes cotisations retraite est prévue...Le candidat écrit-il le programme oule programme lie-t-il le candidat  ?On verra très vite si l'idée d'un pro-gramme sans visage était une idéebrillante ou baroque  !  »Y. Thréard dans Le Figaro (06/04) estplus tranchant  : «  On ressort de cedocument plus déprimé qu'enentrant. Ses rédacteurs n'y sont pasallés de main morte pour noircir letableau du bas monde qui nousentoure... La sortie de l'euro n'estpas au programme. C'est vrai qu'elleirait de soi tant les mesures du PSmettraient nos finances à terre...Sur les autoroutes de la compétitioninternationale, le carrosse françaisdevenu charrette par leurs soinsrisque fort de verser dans le fossé  .»

DES EFFETS BÉNÉFIQUES POUR D'AUTRES...Pour L. Joffrin Nouvel Observateur(07/04) «  Un programme que la droiteet l'extrême gauche critiquent avec

violence ne peut pas être entière-ment mauvais. Soyons, même, pourune fois positifs en pondant, auterme d'un travail sérieux, un pro-gramme tout aussi sérieux, le PS afait un méritoire effort... Ce quimanque ? Un certain souffle, unevision plus ample de l'avenir du pays,sans doute. Un débat public large etactif qui passe toutes ces mesuresau crible de la critique démocra-tique, qui amende, précise et com-plète ce qui restera sinon un docu-ment d'experts respectable maislointain...  » «  A ce stade  », estime LeMonde (07/04) ce projet « court ainsile risque de ne pas marquer assezclairement les esprits. Ce risque estd'autant plus fort que, même si M.Aubry a imprimé sa marque, le pro-jet, n'est pas incarné par un candi-dat...  »Hervé Gattegno, du Point, déclare surRMC (04/04) : « Disons que c'est unprojet assez clair, avec des idéesneuves et d'autres moins, et en toutcas sur une ligne de gauche assezrobuste. Un projet dans lequel on sentl'influence de tous les courants :preuve que le PS a préféré la cohésionà la cohérence. » Il poursuit « Ceux quicroient que le candidat qui sera dési-gné sera prisonnier du projet se trom-pent. C'est une base de départ. Alorsoui, la coloration rose foncé de ce pro-jet sied mieux au teint de M. Aubryqu'à celui de DSK ou de F. Hollande.Mais il y a des idées estampillées DSK,comme l'entrée des salariés dans lesconseils d'administration des entre-prises ou la banque publique d'inves-tissement...  »

UNE COPIE DES PROJETS MITTERRAND-JOSPIN POUR LES UNS...«  Un faux air du programme de L.Jospin de 1997  : ainsi apparaît, auxyeux de nombreux observateurs, leprojet du PS pour 2012. Si le texteévoque un retour à la retraite à 60ans, il se garde bien de prôner desmesures chocs comme les nationali-sations de 1981 ou les 35 heures de1997 » remarquent Liaisons sociales.N. Baverez dans Le Point (07/04)

écrit  : «  Les mesures emblématiquesproposées se présentent comme uncollector de trois décennies d'échecsde politiques économiques. Côtéemploi, embauches massives defonctionnaires et création de 300 000 emplois jeunes  ; côté Etat,50 milliards d'impôts et 25 milliards de dépenses supplémentaires...Prélever plus pour contribuer plus...L'éternel retour de l'économie admi-nistrée est une impasse, tant il estvrai que l'Etat ne peut décréter ni lacroissance ni le plein-emploi... Autotal, conclut Baverez, ce pro-gramme ne vise pas à réformer lemodèle français, mais à flatter desclientèles...  »Dominique Seux dans Les Echos(05/04) remarque « Ce qui est intéres-sant, c'est par exemple la lecture dela mondialisation, moins caricaturalequ'on pouvait le craindre. Ou l'en-couragement aux entreprises àinvestir plutôt qu'à verser des divi-dendes. Ce qui est important, c'est,avec un projet clairement marqué àgauche, la volonté de montrer queles vannes financières ne seront pasouvertes. Les déficits devront bais-

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Le projet du parti socialiste

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euro imposent une austérité systéma-tique qui va ralentir la sortie de criseet nourrir le cercle fatal de la dépres-sion », ajoute le texte. « Les socialistesproposent notamment de renforcer lacoordination économique des pays del'UE, en la fondant sur un «  pilotagefin de la monnaie et du budget, l'inté-gration de l'économie et de l'écologie,la souveraineté énergétique et ledéveloppement des énergies renou-velables.  »

L'OPINION DES FRANÇAISSelon BVA (05/04), la mesure la plusappréciée du projet est celle consis-tant à encadrer le montant des loyers,vue favorablement par 86 % desFrançais. Suit juste derrière le plafon-nement des rémunérations dans lesentreprises dont l'État est dans lecapital (84 % favorables). 79 % sontégalement favorables à une TVA "éco-modulable". Ces mesures semblent populairesd'une part, et 58 % des Françaisdisent qu'un parti qui porterait cesmesures donnerait envie de voterpour son candidat à la Présidentielle,contre 36 % d'un avis contraire. 58 %jugent également le projet très diffé-rent de celui de la droite, 57 % réa-liste, 52 % efficace, 50 % ambitieux,48 % convaincant, mais 38 % seule-ment imaginatif. Pour TNS Sofres (07/04), le bilan estplus contrasté : 30 % disent avoir unjugement positif sur le programme duPS, 34 % un jugement négatif, tandisque 31 % disent ne pas avoir assezd'éléments pour juger. La création de10 000 postes de gendarmes et de poli-ciers de proximité est approuvée par80 % des répondants, 49 % jugeant lamesure réaliste, 31 % pas réaliste. La"TVA éco-modulable" est elle approu-vée par 76 %, 44 % la trouvant réa-liste, 32 % non-réaliste. Les proposi-tions les moins biens vues selon TNSSofres sont la fusion de l'impôt sur lerevenu avec la CSG pour faire un grandimpôt progressif, approuvée par 53 %,avec 32 % qui la trouvent réaliste, 21 %pas réaliste, et le rétablissement del'âge l'égal de la retraite à 60 ans dansle cadre d'une nouvelle réforme,approuvée par 70 %, et jugée réalistepar 34 %, irréaliste par 36 %. n

Le Monde (06/04) souligne «  Il enrésulte que si la moitié de ces proposi-tions ont déjà figuré dans un pro-gramme socialiste, l'autre moitié estnouvelle... » Guillaume Bachelay,rédacteur du projet, assume cetterépartition  : « C'est un bon équilibre. Ilfaut à la fois avoir de la suite dans lesidées et apporter des idées nouvelles  !Ce n'est pas parce qu'une propositiona dix ans qu'elle est inutile. La gauchen'a jamais cessé de créer des emplois-jeunes, que ce soit au gouvernementjusqu'en 2002 ou bien dans nosrégions à partir de 2004 avec lesemplois-tremplins.  »Pour Libération (05/04) «  A moins de400 jours du premier tour de la prési-dentielle, la direction du PS a compilé,élagué, affiné ses travaux et proposi-tions faites depuis deux ans pouraboutir à une première mouture d'unprogramme à disposition du futurcandidat... Chaque candidat devrait seretrouver dans ce projet, mais il estconçu pour laisser assez de marges àchacun pour se distinguer lors duchoix du représentant socialiste parles sympathisants de gauche : A.Montebourg et sa «  démondialisa-tion  », F. Hollande et son «  contrat degénération  »La Croix (04/04) constate «  Sans sur-prise, on retrouvera dans ce texte l'es-sentiel des idées mises en avant lorsde plusieurs forums thématiques etdes trois conventions nationales orga-nisées sur les nouveaux modes dedéveloppement, les enjeux internatio-naux et l'égalité réelle... Deux filsconducteurs ont guidé le projet :répondre au décrochage de la Francedans un contexte de mondialisation etau déclassement social qui menaceles classes moyennes et les jeunesgénérations... L'écriture de la syn-thèse qui a été confiée au jeune fabiu-sien, G. Bachelay veut souligner unvrai «  projet de société  », qui rompeavec le diktat du capitalisme finan-cier... Le PS devra aussi faire connaîtreses priorités immédiates en cas devictoire. L. Fabius doit présenter enmai ces mesures pour les 100 pre-miers jours.  »

DES CRITIQUES SUR LE FONDGuillaume Duval (Alternatives écono-miques) à Radio Nova (06/04) juge

que la proposition du PS de limiter leshauts salaires dans les entreprisesaidées par l'Etat va dans le bon sensmais reste timide. «  Au titre de 2009,explique-t-il, année où leurs rémuné-rations ont été exceptionnellementbasses, un patron du CAC 40 a touchéen moyenne 3,06 millions d'euros soit173 Smic et 7 d'entre eux ont touchéplus de 240 Smic annuels. Qui peutcroire sérieusement qu'une seule per-sonne puisse créer plus de richessesque 240 autres, quelles que soientson intelligence et sa capacité de tra-vail  ? Il poursuit «  Pourquoi se limiteraux entreprises où l'Etat est présentdans le capital  ? L'intervention del'Etat sur un tel sujet serait légitimedans toutes les entreprises, commepour le salaire minimum... Par ailleurs,on discute actuellement d'un pactepour l'euro. Celui-ci prévoit notam-ment une surveillance des salairespour éviter les dérapages au sein de lazone euro, pourquoi ne pas y inclureaussi un plafonnement commun dessalaires des patrons  ?  »

LE PROJET ET L'EUROPELe Monde (07/04) titre « Libre-échange  : le PS mène la bataille enEurope » Alain Frachon note que le PS« fait son aggiornamento sur une ques-tion-clé de ce début de XXIe siècle  : lelibre-échange... Ils ne veulent plus de«  l'Europe passoire  »... Du temps où ildominait la vie politique (1980-1995), lePS s'était coulé dans la pensée écono-mique du moment... La critique dulibre-échangisme, par son rejet, aaujourd'hui ses lettres de respectabi-lité, en France et aux Etats-Unis notam-ment... Le PS se rebiffe à son tour  :«  L'Europe demeure le seul continentqui s'impose le libre-échange dans unmonde qui ne cesse d'y déroger  » Ilpoursuit « Le PS veut que l'UE négocie«  pour que soient inscrites dans lesrègles du commerce international » unminimum de normes sociales et envi-ronnementales... M. Rocard parle d'un« protectionnisme européen sélectif ettemporaire ».Pour EurActiv.fr, « Le documentdresse un tableau assez noir del'Union, en proie à un «  inachèvementpolitique et social », « où la croissanceest la plus faible et le chômage le plusélevé  ». «  Les dirigeants de la zone

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Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

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CRITIQUES

A Manifesto for the Arts and Humanities, 2011http://www.fabula.org/atelier.php?Manifesto_for_the_Arts_and_Humanities

DE DAVID MCCALLAM

Par MARINE ROUSSILLON

En Grande-Bretagne, la suppression de tous les finance-ments publics à l’enseignement supérieur et à la rechercheen lettres, arts et sciences humaines suscite un vastemouvement de protestation et de théorisation de l’uti-lité sociale des Humanités, dans lequel s’inscrit le Mani-feste pour les Arts et les Humanités de David McCallam.En cinq sections, intitulées « Mondes possibles », « Ethos »,« Travail », « Égalité » et « Autonomie », et à partir del’exemple du Candide de Voltaire, McCallam montre queles études littéraires peuvent constituer un foyer de résis-tance aux logiques marchandes et néolibérales. Les Humanités participent de la formation du citoyen. Endéveloppant l’empathie, elles assument une fonction éthiquede construction de la communauté humaine. Dans le mêmetemps, elles proposent une expérience de la pluralité et dela négociation : en donnant toute leur place au désaccordet au dialogue, elles fondent cette communauté dans uneliberté critique partagée. Elles donnent à voir la possibilitéd’un fonctionnement économique, politique et idéologiquealternatif au capitalisme marchand et à la démocratie libé-rale. Sur le plan économique, le travail exercé par un étudiant

en Humanités produit des questions, des interprétationsqui ne peuvent pas être commercialisées et ne valent qued’être partagées. Sur le plan politique, alors que nos démo-craties substituent à l’égalité politique une égalité entreconsommateurs fondée sur la liberté de choix, l’universitémet en œuvre une démocratie fondée sur l’égalité des intel-ligences et l’exercice collectif de la raison. Enfin, sur le planidéologique, l’étude des Humanités nous donne les moyensde ne pas participer à notre propre oppression. Dans unmonde où le pouvoir opère dans des formes codées, elleapprend à briser les codes : à décoder et à transgresser.Soumettre les Humanités aux logiques marchandes, c’estdonc tâcher de briser le modèle d’un autre fonctionnementéconomique et politique possible.Pour défendre les Humanités, McCallam se propose d’endéfinir l’essence, sans s’intéresser aux conditions histo-riques de leur enseignement : restent alors à penser d’une

part les enjeux historiques de l’attaque que subissent lesHumanités (si elles sont par essence émancipatrices, pour-quoi est-ce justement maintenant qu’elles sont attaquées ?)et d’autre part les conditions de possibilité de l’enseigne-ment idéal qu’il décrit. Mais ce serait l’objet d’un autretexte : un manifeste pour une université émancipatrice. n

Temps, travail et domination sociale, 2009Perrin, 2011.

DE MOISHE POSTONE

Par JEAN QUÉTIER

La récente parution de la traduc-tion française de cet ouvrageaméricain de 1993 nous offre uneformidable occasion de décou-

vrir une réponse originale à la problématique qu’il annoncedès le sous-titre : celle de la « réinterprétation de la théoriecritique de Marx ». Il faut bien parler d’originalité car lelivre de Postone s’inscrit ouvertement en rupture avec cequ’il nomme les présupposés du marxisme traditionnel,lesquels ont trop souvent fait obstacle à une compréhen-sion renouvelée de la conception développée par Marxau sujet de deux thèmes centraux : le travail et le temps. La thèse de Postone est à la fois forte et troublante tant ellebouleverse des schémas routiniers de lecture qui s’étaientparfois mués en une seconde nature. En distinguant unecritique faite du point de vue du travail, celle du marxismetraditionnel qui pose l’autoréalisation du prolétariat commefin de l’histoire, d’une critique du travail lui-même, lequeltout comme le prolétariat doit être aboli et non accompli,Postone réexamine à nouveaux frais la question de l’éman-cipation dont est porteuse le mouvement communiste.Remettant en exergue la leçon de Marx dans l’Introductionà la critique de l’économie politique de 1857, il s’oppose àune perspective qui ne voudrait changer que les rapportsde distribution sans s’attaquer frontalement aux rapportsde production. En jouant simplement la carte du travailcontre le capital, travail qu’il suffirait en quelque sorted’étendre et de généraliser, le marxisme traditionnel oublieque celui-ci est précisément déterminé par le capital et qu’ildoit lui aussi être révolutionné. Postone dénie au concept de travail un caractère trans-historique qui conduirait à le modeler universellementsur le travail abstrait. En resituant ce dernier comme modede travail spécifiquement capitaliste, il ouvre la voie à unenjeu qui n’est plus simplement celui des diverses répar-titions de ses produits. C’est sa nature même qui est remiseen question, ainsi que celle de la richesse matérielle, dontla forme pourrait, dans une société communiste, échapperà la valeur pour prendre celle du temps, temps libre carlibéré de l’emprise du capital. n

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Sur la Crise. Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ?Ed. Le temps des Cerises. 2009.

DE SAMIR AMIN

Par AUGUSTIN PALLIÈRE

Dans cet ouvrage, Samir Amin fait le bilan, un bilan biensûr temporaire, de 40 années de recherches marxistessur le développement et le capitalisme à l'échellemondiale. Ce livre constitue une très bonne introduc-tion à la pensée de Samir Amin, pensée qui s’avère parbien des aspects essentielle aujourd’hui.D'abord, Samir Amin est un penseur du Sud. Il nous offreun regard « périphérique » sur une mondialisationdominée par les pays du « centre » capitaliste. Les expé-riences communistes de certains pays du sud sont richesd'enseignements à l'heure où semble se soulever la« seconde vague des luttes pour l'émancipation » que

l'auteur appelle de sesvœux. Elles nousapprennent que leprogrès ne pourra sefaire qu'en intégrantle plus grand nombredans le mouvement.Elles nous appren-nent aussi qu'il nefaut pas avoir lanaïveté de croire queles puissances impé-rialistes laisserontsans broncher lasituation leuréchapper. Il démontrede manière convain-cante que le capita-

lisme n'a rien à proposer à la grande majorité des indi-vidus des pays de la « périphérie ». La résolution de laquestion paysanne en découle. Au cœur de sa démons-tration, la critique du développement pensé comme unprocessus linéaire par stade. Ensuite, Samir Amin est un penseur marxiste, c'est à dire– affirme-t-il – nécessairement communiste. Les évolu-tions économiques du capitalisme mondialisé sont déve-loppées dans ce livre succinctement, mais elles sont arti-culées avec les contradictions politiques et idéologiquesqui les accompagnent et dont l'analyse est essentielle àl'action. Enfin, « être communiste c'est être internationaliste » :Samir Amin démontre que le capitalisme n'a d'autre voixaujourd'hui que le contrôle militaire de la planète. Lesluttes contre l'impérialisme doivent donc être au cœurdu combat communiste. À la lecture de « Sur la Crise » on est frappé de l'actualitédes propos du livre, des propos qui n'ont pas eu besoind'être pessimistes pour être lucides. n

La Philosophie au sens largeBlog du groupe d’études animé

PAR PIERRE MACHEREY

Par MARINE ROUSSILLON

Le blog La Philosophie au sens large contient les archivesdu groupe d’études animé par Pierre Macherey entre 2000

et 2010 ainsi que de nouveaux textes produits depuis. Cestextes analysent les modalités du « travail de l’esprit » ettentent d’en repolitiser les manifestations dans une pers-pective critique.Les textes les plus récents s’attachent en particulier àl’université. Cette réflexion s’ancre dans un double refus :celui d’une conception idéalisante de l’université commeessence, qui en fait une « église laïque » (conception portéenotamment par Derrida) et celui d’un discours désabusésur l’université comme institution fermée, ne pouvantêtre abordée que de l’extérieur, dans une logique d’af-frontement (le blog propose plusieurs lectures critiquesde Bourdieu). L’université est alors définie comme unecommunauté dynamique, active et conflictuelle : « unterrain d’exercice, où se décident des enjeux, non seule-ment idéels ou idéaux, mais matériels ». Le travail philo-sophique sur « ce qu’on fait à l’université » est alors aussiun travail politique, qui vise à remettre l’université dansle jeu social, à en faire un enjeu commun.Ce travail conjugue une approche historique et l’étudeprécise de pratiques quotidiennes mises en œuvre à l’uni-versité : le cours magistral, l’évaluation… La réflexionphilosophique aborde de nombreux problèmes politiques(le rapport entre formation générale et formation spécia-lisée, la place croissante de l’évaluation, la coexistencede l’université et des classes préparatoires) en en situantles enjeux pour la collectivité. L’intérêt de ce travail dépasse largement la communautéuniversitaire. Certes, la réflexion sur les pratiques univer-sitaires est précieuse pour tous ceux, étudiants, ensei-gnants, personnels, qui participent de cette commu-nauté. Mais elle engage aussi une réflexion plus généralesur l’organisation de la production et de la transmissiondes connaissances dans nos sociétés. Elle arme ainsi lacritique de la reconfiguration capitaliste et libérale dusystème de production et de diffusion des savoirs touten donnant les moyens de penser collectivement unsystème alternatif. n

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COMMUNISME EN QUESTION

Par ISABELLE GARO*

ment faire de nouveau jouer un rôlevéritablement politique à une notion sidéfaite et si compromise ? Une chose est du moins claire : s'af-fronter à la totalité de ses usages faitdésormais irréversiblement partie deson sens et inscrit, de façon constitu-tive, l'examen historique critique aucœur même du projet politique trans-formateur. Ce qui est une bonne nou-velle. Ainsi, si en première approche, lecommunisme se présente comme cettecontradiction qui lui serait seulementinterne et qui met aux prises l'actuali-sation possible du terme à la menacepermanente de son obsolescence et deson ineffectivité, cette contradiction serévèle être, plus fondamentalement, cequi scinde le réel lui-même et réouvrel'histoire comme espace du choix poli-tique collectif. Car si, comme le pensaitMarx, le communisme n'est ni un projetalternatif par avance descriptible, ni unrêve vide, et si, ajouterons-nous, il n'estpas non plus soluble dans ses piresusages, c'est bien parce qu'il désigneavant tout le mouvement théorique etpratique par lequel une réalité se cri-tique elle-même et envisage commenécessaire son propre dépassement,modifiant en retour les conditions quiont rendu une telle critique pensable etpossible. Permanence de la critiquedonc, comme l’envers des crises réellesles plus radicales.Et la crise du capitalisme est plus quejamais la définition de ce dernier, inso-luble donc. C'est pourquoi, si la résur-gence présente de la question commu-niste indique et décrit à la fois la situa-tion de crise généralisée qui est celledu capitalisme contemporain, gros nonde son autodépassement assuré maissurtout de ses variantes aggravées, elleéclaire aussi son autre face, la crise desalternatives et l'urgence de leur

reconstruction comme forces poli-tiques, dynamiques sociales, puis-sances imaginaires et initiatives théo-riques associées, capable de monter àl’assaut d’un mode de production quine disparaîtra pas de lui-même. Et c'estprécisément cette créativité politiquecollective que le mot a su parfois sibien cristalliser et dont il reste encharge  : il se peut que nous ne soyonsqu'au tout début d'une séquence, quipermettra peut-être la reconfigurationet le réancrage politiques du terme.

UN RÉANCRAGE NÉCESSAIREUn tel réancrage suppose que la capa-cité reconstruite du communisme àdésigner le dépassement-abolition ducapitalisme se combine à sa capacité àdevenir revendication mobilisatrice etpopulaire, visée et moyen d'une contre-hégémonie à construire. Ainsi, maiscontre toute attente pourtant, et endépit des résonnances finales duterme, c'est aussi la question desmédiations et des voies de transitions,celle de formes d’organisation et delutte, des élaborations stratégiques etprogrammatiques que le communismea le mérite de relancer. Cette actualité,si elle doit être durable, ne relève ni dela réduction de son usage à la labellisa-tion d'organisations, ni de la poétisa-tion du politique en finalité aussisublime que vague. Son actualisationpossible se joue très exactement dansl'entre-deux de la question de l'organi-sation et de celle des finalités poli-tiques, interrogeant l'une comme l'au-tre et l'une par l'autre. L'enjeu est derendre aussi concrète qu'orientée l'in-vention de transitions historiques,débutant par les luttes d'aujourd'huimême, comme puissance éruptive etfédérative, fermentation et construc-tion politique, révolutionnaire donc, en

est donc d'abord un gigan-tesque paradoxe que désigneaujourd'hui le terme, paradoxe qu'onpeut décliner de deux façons : On peut d’abord considérer que le com-munisme est un signifiant qui ressurgitau moment même où son référent sem-ble avoir disparu, moins défait par sonadversaire qu'effondré sur lui-même.De ce fait, il est logique mais très pro-blématique que son retour s'effectueavant tout sur le terrain de la théorie ettout particulièrement de la philosophie,sa pertinence politique demeurant trèsincertaine, au rebours de ce que futpendant longtemps sa forte présencepolitique et sa moindre théorisation.Mais à rebours, et selon un secondangle, on peut le considérer comme leseul terme du vocabulaire politiquecontemporain qui puisse tracer uneligne de partage entre les diverses ver-sions du ralliement au libéralisme d'uncôté, et le projet d'un dépassement-abolition du capitalisme de l'autre.

LE NOM D'UN FUTUR ÉMANCIPÉRéapparaissant en même temps que lecapitalisme lui-même devient de nou-veau nommable, fondant anti- et post-capitalisme en une nomination positivequi ne soit pas simple négation de sonautre, le communisme demeure le nomd'un futur émancipé. A en juger par sonrelatif regain, il semble que ce tran-chant critique sans équivalent corres-ponde aujourd'hui à ce que requiert lastructuration de la pensée et de l'ac-tion face à la déferlante libérale et à sapuissance dévastatrice : des principeset des perspectives. Mais alors, com-

Actualité du communisme ?Depuis quelque temps, le retour de la question communiste se présenteavec l'insistance d'un fait. Mais de quel type de fait peut-il bien s'agir,alors que notre présent est celui de la victoire sans partage du capitalismesous pilotage néolibéral et cela en situation même de crise ouverte ?

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* ISABELLE GARO est philosophe, professeurdes universités, Université Paris Descartes.Dernier ouvrage paru, Foucault, Deleuze,Althusser et Marx la politique dans la philo-sophie, Ed. Démopolis, 2011

tionnelle. Il est devenu impossible devanter le caractère libérateur de la res-tauration capitaliste dans les ancienspays dits «  socialistes  », tout comme ilest devenu impossible de légitimer lespolitiques libérales par la promesse d'unaccroissement du bien-être collectif oule simple souci du bien commun. Maiscette crise idéologique collatérale n'estpar elle-même prometteuse d'aucuneffondrement à venir, tant elle peutconduire à un effondrement de la poli-tique elle-même et à son remplacementpar la gestion autoritaire, militaire ettechnocratique du monde, attisant lesconflits religieux et ethniques, répan-dant un individualisme traversé despasmes identitaires. C'est dire que ladimension émancipatrice et internatio-naliste du communisme doit demeureret redevenir l'une de ses caractéris-tiques essentielles.

• C'est bien la puissance politique encore vivede la notion qui lui confère sa spécificité, per-mettant l'intervention collective et réfléchieau sein d'une réalité sociale traversée parla divergence des intérêts et des opposi-tions de classes, conçus comme tels,sans omettre aucune des autres formesde domination qui lui font cortège, celledes femmes tout spécialement, et tantd'autres. Du fait de sa dimension émi-nemment politique, le retour du termede «  communisme  » pose aussi la ques-tion de la «  forme-parti  », loin de toutesles caricatures qui y voient la causefatale des bureaucraties et des dérivesautoritaires, mais en poursuivant l'ana-lyse de ces dernières. Une telle analysepermet seule de comprendre que le sta-linisme et ses dérivés ne relèvent enrien du communisme bien qu'ils aientsuccédé à un processus révolutionnaire.Quant à l'actualité de la question de l'or-ganisation, elle est flagrante : bien au-delà du seul cas français, la crise pré-sente de la social-démocratie, celle desanciens partis communistes, les trans-formations du champ syndical, l'émer-gence d'une gauche radicale, mais aussiles dénis constants de démocratie et dedroit réouvrent le dossier de ce queMarx nommait « vraie démocratie ».Une vraie démocratie livrant à la déci-sion informée des salariés l'organisationdu travail, le partage des richesses, ettout particulièrement la grande pro-priété privée, dont la redéfinition a tou-jours été au cœur de la perspectivecommuniste.• En relation avec ce qui doit redevenir sa por-tée stratégique, le terme véhicule la question

générale non seulement des médiations maisaussi des transitions et des expériences histo-riques, question décisive pour construireune perspective anticapitaliste contem-poraine qui ne reste pas cantonnée àl'action défensive, ni à l'espace national.Pour ne pas rester seulement formelle etelle aussi doctrinaire, une telle questiondoit être réinscrite dans son passé et sonprésent en tant qu'ils offrent des lieuxd'expérimentations multiformes. C'estcette histoire que tend par-dessus tout ànier le récit libéral officiel, par ses amal-games et ses condamnations, mais sur-tout par son pouvoir d'occultation et defalsification. Le récit médiatique aujourd'huidominant des expériences politiques etsociales latino-américaines en est un bonexemple. S'il est aussi peu envisageableque souhaitable de rendre descriptif leterme de communisme, il s'agit bien de lepenser comme visée définie par l'aboli-tion des rapports d'exploitation et dedomination, ayant à ce titre très concretengendré des séquences politiques demobilisation et d'émancipation, de laCommune de Paris aux diverses expé-riences conseillistes, des révoltes indigé-nistes et des soulèvements populaires àtoutes les réappropriations radicales del'instrument de production par les pro-ducteurs eux-mêmes. Cet enjeu-là n'estnullement «  mémoriel  ». Il concernedirectement la façon dont des efforts detransformation anticapitaliste doiventêtre en mesure de se réapproprier leurpropre histoire, dans toute sa complexité.Seul le retour sur ces inventions en cir-constances permettra d'arracher leterme de communisme à sa condamna-tion mais tout autant à sa transformationen idée régulatrice et en horizon inacces-sible. C'est cet énorme massif d'interroga-tions qu'il faut désormais affronterensemble, parce qu'elles hantent de faitdes revendications et des luttes se vou-lant victorieuses, enfin. Le spectre duManifeste a mille visages désormais,mais ils ne font cependant qu'un, si par-ler de communisme doit enfin permet-tre de lier avenir et histoire, finalités etmédiations, contenus et formes, transi-tions et mouvement, afin, décidément,d'abolir le capitalisme. n

un sens lui aussi à revivifier.Beaucoup reste à faire pour qu'il soitenvisageable, un jour, que prospèrentdes fins sociales et politiques autres surla terre brûlée que laissent derrièreelles les politiques libérales en cours.Mais la colère et le sentiment d'injusticequ'elles répandent, la conflictualitésociale qu'elles avivent et la mémoirequ'elles réveillent font aussi partie de laperspective à faire renaître, pour autantque la réflexion stratégique fédère cescomposantes en leur donnant leurdimension pleinement politique. Finalement, le communisme n'est sansdoute rien d'autre que ce sens plein dumot «  politique  », colère comprise.

UN CHANTIERPour rapidement quadriller ce qui seprésente comme un chantier où fonda-tions, ruines et constructions neuves semélangent, on peut distinguer quelquesquestions. Le terme de communisme seprésente comme l’indispensableagenda de ces tâches combinées, s'ildoit un jour être possible d'échapper àla barbarie montante d'un capitalisme àla fois mondialisé, en crise et sansadversaire à sa hauteur, détruisant leshommes et la planète.

• Le mot a une histoire longue, qu'on ne sau-rait réduire à ses mésusages staliniens etbureaucratiques. Né au XIXe siècle, ilconstruisit son sens en interactioncomplexe et permanente avec un autrevocable, celui de socialisme. Leursnombreux avatars théoriques et poli-tiques respectifs, tout au long du XXe

siècle, loin de justifier leur abandonpour des dénominations plus neuves,artificiellement nettoyées de l'histoire,restituent bien plutôt son héritagecomplexe à un effort de transformationradicale qui, en tant qu'effort, n'est pasnouveau et doit penser ses propresexpériences, quelles qu'elles soient,sous peine de bégayer à l'infini.

• Cette dimension historique de la questionest inséparable de celle que l'on qualifierad'idéologique. Autre vieux mot lui aussi,mais qui n'a pas non plus perdu toutesses virtualités critiques si on cesse del'utiliser comme marqueur d'infamie ouschéma rigide. Non seulement il fautdisputer à l'adversaire politique samainmise persistante sur la définitiondu communisme, mais il s'agit de bienmesurer les actuelles difficultés querencontre désormais le discours libéral,en dépit de toute sa puissance institu-

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HISTOIREENTRETIEN AVEC SOPHIE WAHNICH, historienne, directrice de recherche au CNRS (laboratoire

d’anthropologie des institutions et des organisations sociales

"hors le souverain peuple" de fait,comme les nobles émigrés. Cette association inextricable desnotions de citoyen, patriote et nationalsigne en tant que tel un moment révolu-tionnaire car ce qui est alors affirmé,c’est une conception de la nation qui estsans référence à l’idée de race ou d’eth-nie, « de souche » pour prendre un voca-bulaire actuel. Une telle nation est fon-dée sur le seul contrat de souverainetélibérale  : obéir à des lois qu’on s’est soi-même données et qui répondent desprincipes de la déclaration des droits.L’adhésion à ces droits est celle de la rai-son sensible, un lien rationnel et affectifindissociable. C’est ce lien qui fait lepatriote capable de défendre constam-ment sur la place publique ces principes. On comprend que la seule contrainte àcette définition de l’identité politique estune contrainte de lieu et d’opinion,d’adhésion, pas une contrainte de sangou de nationalité même juridique, pasune contrainte d’acculturation longuenon plus, car cette adhésion peut êtreimmédiate quelle que soit son histoirepersonnelle, ou refusée durablementmême si on passait beaucoup de tempssur le territoire.

•Quelle place pour l'étranger dans lacitoyenneté telle que pensée par les révolu-tionnaires ?S. W. : Cette citoyenneté en acte ouvretoutes sortes de possibilités d’inclusiondans la cité de fait pour les étrangers entre1789 et 1791.En 1789, les étrangers présents sur le ter-ritoire de la France participent aux événe-ments révolutionnaires dès la convocationdes États généraux car tout homme de 25ans inscrit au rôle des impositions estappelé à voter. Or il n’est pas utile de dis-

poser d’une lettre de naturalité pour êtreassujetti à la taille qui est un impôt sur lespersonnes et qui donne le droit de vote. Très vite, les étrangers fondent des socié-tés fraternelles spécifiques liées à l'usagede langues étrangères, ou participent àdes sociétés fraternelles existantes quandils parlent français.  Ils discutent ainsi l'éla-boration de la loi et envoient des pétitionsà l'Assemblée nationale. Ils participentactivement à la fête de la Fédération,créent des légions étrangères pour allerse battre pour les idéaux révolutionnaires,se réfugient en France quand ils sont per-sécutés chez eux au nom de leur idéal etl'on voit apparaître ainsi des "patriotesétrangers".  Il y eut bien ainsi pendant lapériode révolutionnaire une citoyennetéde fait sans nationalité. Puis des règlesjuridiques viennent produire des obstaclesà la possibilité d’être un citoyen comme unautre puisqu’on met en place des règlesprécises pour devenir français et déclarerce que veut dire être citoyen. Les 30 avril - 2 mai 1790, le décret Targetest voté par l’Assemblée nationale. Ildécide que les étrangers établis en France« seront réputés Français et admis, enprêtant le serment civique, à l’exercice desdroits de citoyen actif après cinq ans dedomicile continu dans le royaume, s’ils ont,en outre, ou acquis des immeubles ouépousé une Française, ou formé un éta-blissement de commerce ou reçu dansquelque ville des lettres de bourgeoisie ». Les constituants tentent ainsi de réglerd'une manière pragmatique la situationdes « départements des frontières et desvilles maritimes [...] remplis d’hommesnés en pays étranger, mariés, proprié-taires depuis très longtemps, ou posses-seurs d’établissements de commerce ; ilsont occupé des fonctions civiles, les unsont été officiers dans les anciennes

L’étranger et la révolution française« C’est en faisant de la politique qu’on devient citoyen, en formulant et enélaborant les lois que l’on pense souhaitables, justes, nécessaires.»

•Les termes de “nation”, “nationalité”  et,dans une moindre mesure, de « citoyenneté »hantent le débat politique ces dernièresannées. Les  conceptualisations du XIXe siècle(l'incontournable Renan) semblent être lesplus sollicitées. Pourtant, la Révolution fran-çaise  ne porte-t-elle pas des conceptions ori-ginales en la matière ?Sophie Wahnich : Il faut bien entendre quela notion de nationalité n'existait pas aucœur de la Révolution française. Ni lemot nationalité, ni le mot citoyennetén’étaient employés à l’époque. Leshommes et les femmes utilisaient unesérie d’expressions telles que «  le droitdu citoyen  », parfois «  les droits decitoyen français  », la «  qualité  » ouencore le « titre » de français », le « titrede citoyen  »,  etc. Or ce   mot de« citoyen » effaça de fait les distinctionsentre l’appartenance légale à la nation,l'engagement patriotique et l’exercicedes droits politiques, et ce, dès 1789,avant même qu'il n'y ait une véritableconstitution. Il s’agissait alors avant toutde passer de l’état de sujet à l’état decitoyen et cette transmutation formida-ble concernait l’ensemble des personnesparticipant à l’événement révolution-naire. Devenir citoyen français ce n’étaitpas devenir "naturel" mais être inclus defait dans le peuple souverain françaisqui se définissait lui-même comme tel.Était alors citoyen celui qui voulait vivresous les lois élaborées par l'Assembléenationale constituante et qui adhéraitaux principes qui doivent régir ces lois,la Déclaration des Droits de l'homme etdu citoyen. Cette définition très pragma-tique était nouée à la position adoptéedans l'événement : devenir révolution-naire et ainsi être inclus comme patrioteet de fait citoyen français, ou devenircontre-révolutionnaire et se déclarer

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municipalités ; les autres sont officiers dela Garde nationale ; tous ont prêté le ser-ment civique ; ils forment dans beaucoupde villes le huitième, le septième, lesixième de la population : «  ce sont desamis de plus que vous acquerrez à uneconstitution qui voudrait rendre tous leshommes heureux  ».  Cette inclusion res-semble à ce que Siéyès appelle l'hospita-lité, une inclusion dans la cité par son ins-cription sociale et politique locale. « Ou ilfaut renoncer à croire aux progrès de l'es-prit humain, ou il faut espérer qu'il devien-dra très aisé à un étranger connu de sefaire adopter   dans une commune fran-çaise.  Cette adoption prouvera le domicile.Elle remplacera les lettres de naturalisa-tion, et vaudra mieux qu'elles. Une foisadopté dans une commune on sera citoyenfrançais, et si l'on veut établir domiciledans une autre cité, la nouvelle adoptionne sera qu'une simple formalité ».En fait le décret Target passe dans laConstitution de 1791 additionné du sermentcivique qui permet de déclarer l’amour deslois et leur respect. L’article 4 du titre II dela Constitution du 3 septembre 1791 per-met au pouvoir législatif d’accorder égale-ment des naturalisations exceptionnelles :il «  pourra pour des considérations impor-tantes, donner à un étranger un acte deNaturalisation, sans autre condition que defixer son domicile en France et d’y prêter leserment civique ». Moins d’un an plus tard,le 24 août 1792, Marie-Joseph Chénier,  seprésente à la barre de l’Assemblée, à la têtede plusieurs citoyens de Paris, pour propo-ser «  l’adoption de tous ceux qui dans lesdiverses contrées du monde, ont mûri laraison humaine et préparé les voies de laliberté. »Le 26 août 1792, on invente une citoyen-neté d'honneur et l’on déclare déférer letitre de citoyen français au docteurJoseph Priestley, à Thomas Payne,à  Jérémie Bentham, à WilliamWilberforce, à  Thomas Clarkson, àJacques Mackintosh, à  David Williams, àN. Gorani, à Anacharsis Cloots, à CorneillePauw, à Joachim-Henry Campe, à N.Pestalozzi, à Georges Washington, à JeanHamilton, à N. Madison, à H. Klopstock, età  Thadée Kosciuszko.L’acte ne prendra effet que si ceshommes  viennent prendre domicile effec-tif dans le pays qui les a faits citoyens.  Cefut le cas pour deux d’entre eux, ThomasPayne et Anacharsis Cloots, qui sont d’ail-leurs élus membres de la Convention. Enfin, en 1793, la Constitution est trèsouverte aux étrangers puisqu’elledéclare dans son article 4 « Tout hommené et domicilié en France, âgé de vingt et

un ans accomplis; Tout étranger âgé devingt et un ans accomplis, qui, domiciliéen France depuis une année - Y vit deson travail - Ou acquiert une propriété -Ou épouse une Française - Ou adopte unenfant - Ou nourrit un vieillard ; - Toutétranger enfin, qui sera jugé par le Corpslégislatif avoir bien mérité de l'humanité- Est admis à l'exercice des Droits decitoyen français. » Cependant dans lecontexte de guerre les étrangers vontdevenirs suspects et devront faire lapreuve de leur patriotisme sinon ils serontsoit exilés soit emprisonnés. On renonceégalement à choisir des représentants etdes fonctionnaires dans l’universalité dugenre humain et se met en place la néces-sité d’être un «  national  » pour prétendreà ces fonctions.

•C'est, semble-t-il, la percée électorale duFront national et  la dissémination de sesidées dans le paysage politique qui a motivévotre vaste entreprise  de thèse. La rééditionde l'ouvrage* qui en est issu s'inscrit dans uncontexte non moins lourd de Front nationalfort et en voie de banalisation, de débat surl'identité nationale organisé par un anciensocialiste, de  "croisade" (Cl. Guéant), deministres condamnés pour propos racistes, detraque des sans-papiers, de xénophobie ordi-naire, etc. On le sait, vous êtes partisane, à lasuite de Nicole Loraux notamment, d'un usagede l'anachronisme en histoire. Aussi,  face à ceprésent où la question de l'étranger est siomniprésente, on aimerait savoir ce  que,selon vous,  ce détour par la Révolution fran-çaise permet d'envisager. Autrement dit, pourparaphraser votre postface (et NicoleLoraux),  de quelles questions (et de  nouvellesmanières de les envisager) ce passé nousleste-t-il ?S. W. : Ce passé nous permet d’envisagerla citoyenneté et le patriotisme commerapport immédiat à la loi que l’on sou-haite se donner. De ce fait c’est en faisantde la politique qu’on devient citoyen, enformulant et en élaborant les lois que l’onpense souhaitables, justes, nécessaires.On est loin d’une réduction de la citoyen-neté au droit de vote et de la confiscationde la sphère d’élaboration des lois pardes professionnels de la politique. Enfinsavoir que les étrangers ont spontané-ment joué un rôle dans la Révolution de1789-1790, qu’ils   ont été conviés à lafabrique de la loi, à la fédération de 1790,permet de penser la Révolution françaisenon comme événement particulier nouéà un lieu, mais comme événement de laraison qui donne naissance à un peuplepolitique et qui à ce titre est un événe-ment singulier à valeur d'universel. 

De ce fait la conception de la citoyennetérévolutionnaire n’est pas culturaliste dutout. C’est l’usage de la raison qui fait lecitoyen et la culture n’est pas un obstacle.La liberté de conscience, liberté d’opinionmême religieuse, la culture comme règnedes opinions libres, conduit au respect desreligions différentes pourvu qu’ellesacceptent de reconnaître les principes dela déclaration des droits et donc la libertéreligieuse et la possible articulation decroyances religieuses et de pratiques poli-tiques révolutionnaires. Des religieux quirefusent cette articulation se comportentcomme des étrangers politiques et sontrejetés hors de la cité. Ainsi le 30 mai 1790les électeurs du Morbihan désignent–ils àla vindicte populaire les nobles et les prê-tres qui divisent la communauté :« Malheur à ces perturbateurs, à ceslâches transfuges de la cause commune,qui ne voyant que l’erreur au delà de leursopinions individuelles attisant partout lefeu de la discorde avilissent la religionqu’ils professent et déshonorent le carac-tère auguste dont ils furent revêtus.  »Ainsi la Révolution française permet derenouer avec l’imaginaire d’une égalisa-tion des citoyens qu’ils soient d’originefrançaise ou étrangère même en dehorsde l’espace européen, l’imaginaire d’unecitoyenneté sans nationalité, un imagi-naire où les écarts culturels sont descaractéristiques des individus libres, libresmême à l’égard de leur chefs spirituels sices derniers ne respectent pas les prin-cipes de cette liberté. Cela permettrait decesser de culpabiliser des individus aunom de leur inadéquation identitaire ousubjective. Le combat pour cette libertépourrait redevenir celui d’une politisation,non celui d’une inculcation de valeursdites nationales. Ces dernières sont mobi-lisées aujourd’hui non pour inventer lesmodes d’inclusion citoyens mais des fron-tières qui auraient dû rester labiles. Carc’est dans la porosité des situations que laliberté démocratique ou républicaine peutdevenir un objet d’adhésion de la raisonsensible de chacun, et non dans l’épreuvede passage. Adhérer par force à unelangue, à des manières d’agir, à des dis-cours, c’est fabriquer des citoyens tartuffeet finalement redoubler la xénophobie quis’installe comme effet de ce faux semblantinstitué. n

ENTRETIEN RÉALISÉ PARGUILLAUME QUASHIE-VAUCLIN

* L'impossible citoyen. L'étranger dans le dis-cours de la Révolution française, AlbinMichel.

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Par AMAR BELLAL*

bilan énergétique de chaque agrocarbu-rant par origine de culture : par exemple, pour l'huile de palme, nousavons un ratio de 9 : on dépense 1 unitéd'énergie fossile pour en récupérer 9.Seul le sorgho et le maïs pour certainesétudes, sont à la limite de la rentabilité

Agrocarburants :des chiffres pour mieux comprendreLa Directive Européenne sur les énergies renouvelables impose l'utilisa-tion de 10 % d'agrocarburant dans les transports d'ici 2020. Cela rendurgent une évaluation sérieuse de l'impact réel de ce qui est présentécomme une réponse à la crise climatique et à l'épuisement des res-sources fossiles.

P*AMAR BELLAL est ingénieur, membre dela commission écologie du PCF.

our le faire sérieusement, l'analyseincluant tous les impacts durant le cyclede vie des agrocarburants s'impose.Les agrocarburants liquides de 1re géné-ration sont constitués de 2 grandesfamilles : l'éthanol et le biodiesel.L'éthanol est produit par fermentationde plantes à base d'amidon (maïs, blé,orge..) tandis que le biodiesel est obtenuà partir de graines de plantes oléagi-neuses (colza, huile de palme, soja,arachide...). Ces agrocarburants peuventêtre alors mélangés à de l'essence(éthanol) ou au diesel (biodiesel). On peutdonc considérer que par cette substitu-tion aux énergies fossiles ils contribuentà diminuer l'émission de GES (gaz à effetde serre) et limitent le recours auxressources fossiles. Qu'en est il vérita-blement ?

LES AGROCARBURANTS ÉCONOMISENT-ILSLES RESSOURCES FOSSILES ?Pour répondre à cette question, nousdevons considérer la dépense en énergiefossile induite par la culture proprementdite, mais aussi la fabrication d'engrais,de pesticides, le transport, le stockageet le processus de transformation desmatières agricoles en agrocarburantliquide (par fermentation ou estérifica-tion)... Le tableau ci-contre présente le

énergétique, pour les autres cultures parcontre il y a bien un effet de levier quipermet d'économiser les ressourcesfossiles. Les ratios sont les plus élevéspour les plantes cultivées dans les zonestropicales, là où précisément sur notreplanète le rendement de production de

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biomasse est le plus fort (humidité etapport solaire important). Il y a donc unelocalisation géographique préférentiellede la production, non pas commandéepar les hasards de la géologie, commec'est le cas pour le pétrole au Moyen-Orient, mais par le climat. Remarquonsque le gasoil et l'essence présentent desratios légèrement inférieurs à 1 du faitdes dépenses de transport et de raffi-nage.

LES AGROCARBURANTS DIMINUENT-ILSL'ÉMISSION DE GES PAR RAPPORT L'UTILISATION DE CARBURANTS FOSSILES ?C'est la question centrale qui concentretoutes les controverses. Pour biencomprendre pourquoi, il faut évidem-ment dépasser la vision simpliste selonlaquelle les GES ne seraient dus qu'auxdépenses d' énergie fossiles liées à laproduction des agrocarburants. En effet,le méthane, le protoxyde d' azote (issudes engrais) ainsi que le changementd'affectation des terres pour produireces agrocarburants pèsent lourdement,et c'est ignoré dans la plupart des études,y compris dans les critères européens,le bilan de la FAO et de l'AIE en est unexemple : Les pertes dues au relâche-ment de carbone et de méthane initia-lement stockés par les écosystèmesdétruits (forêt, tourbière, savane, herbage,culture vivrière..) et remplacés par desterres pour produire des agrocarburants,représentent une « dette carbone » équi-valent à 48 ans d'économie de GESqu'engendrerait théoriquement uneculture de maïs-éthanol. Dans le casd'une conversion d'une partie de la forêtamazonienne en des champs de colza-éthanol, il faudra attendre 300 ans pourrevenir à l'équilibre, 400 ans dans le casd'une conversion de forêts tropicales endes plantations de palmiers à huile enIndonésie et Malaisie...On le voit, tousces délais dépassent largement leséchéances invoquées par le GIEC concer-nant l'urgence des mesures à prendrepour préserver le Climat (2050). En Europe du fait des réglementationslimitant la transformation de prairies ou

forêts en nouvelles terres agricoles, ona plutôt le cas de substitutions de culturesde denrées alimentaires par des culturesd' agrocarburants. Cependant, avec l'ac-tuelle mondialisation du marché agricoleet le libre échange, cela provoque indi-rectement un changement d'affectationdes terres en dehors d'Europe : les réduc-tions de superficies consacrées aux blé,soja et maïs alimentaires dans les paysdu Nord (ou Brésil, Argentine) se tradui-sent dans le Sud par la mise en culturede nouvelles terres initialement en fricheou par des destructions de forêts tropi-cales. Un exemple : les seules exigences euro-péennes d’ici 2020 d'incorporer 10 %d'  éthanol et de biodiesel dans tous lescarburants, vont provoquer une exten-sion des terres cultivées supplémen-taires de 69 000 km2 (la surface de laBelgique ou l'équivalent de toutes lesterres arables de la Grande-Bretagne...).La conversion de ces terres relâcheraientde 27 à 56 millions de tonnes de CO2 :ainsi l'impact serait de 81 à 167 % plusnéfaste en terme de GES que si on utili-sait directement les carburants classiquesou, dit plus simplement, l'équivalent del'émission en GES de 26 millions de véhi-cules supplémentaires en circulationpendant 20 ans.Autre facteur sous estimé : l'émission deprotoxyde d'Azote (N2O), gaz au pouvoirréchauffant 300 fois plus important quele CO2 : c'est dire l'importance crucialed'une évaluation la plus exacte possiblede ces rejets liés à l'utilisation d'engraisazotés. Difficile à évaluer car il nécessiteune traçabilité de la vie des molécules

au delà des émissions directes : celasuppose une connaissance très fine ducycle de l'azote (cycle aussi importanten science de l'écologie que le cycle del'eau par exemple). Avec un coefficientd'émission de 1 % jusqu'ici admis, ce gazannulerait de 20 % les réductions deGES des agrocarburants. Cependant desétudes récentes montrent qu'on seraitplus proche de 3 % voire 5 % ce  quidisqualifierait les agrocarburants dès lorsqu'ils nécessiteraient l'utilisation d'en-grais azotés.Pour une étude plus large des atteintesà l'environnement, il faudrait inclure lespollutions dues aux engrais, pesticideset la forte consommation en eau de cescultures : 9 000 litres d'eau sont parexemple nécessaires pour produire unseul litre d'agro-diesel à base de soja(4 000 litres pour le cas de la canne àsucre ou du maïs). L'impact sur la biodi-versité, évidente dans le cas de destruc-tions de forêts tropicales, est tout aussiréel dans le contexte Européen avec desmonocultures et une pression chimiquesur les terres qui les vident de toutesleurs richesses biologiques. Enfin, beaucoup d'espoirs sont portéssur les agrocarburants de 2e génération :le rendement énergétique serait supé-rieur d'un facteur 10 en moyenne, parrapport à la première génération, du faitdu progrès que constitue la possibilitéde décomposer la plante entière pourfabriquer les agrocarburants (graine ettige contre graine seulement aujourd'hui).Mais le procédé reste encore expérimentalet ne règle pas tous les problèmesprécités. n

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Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy [email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Economie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebhurer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

Valérie [email protected]

Jean-Louis Le Moing [email protected]

Danièle Lebail Services Publics et solidarités [email protected]

Isabelle Lorand Libertés et droits de la [email protected]

Sylvie Mayer Economie sociale et solidaire [email protected]

Catherine Peyge Droit à la ville, [email protected]

Gérard Mazet [email protected]

Eliane Assassi Quartiers populaires et liberté[email protected]

Richard Sanchez [email protected]

Véronique Sandoval [email protected]

Jean-François Téaldi Droit à l’information [email protected]

Nicole Borvo Institutions, démocratie, [email protected]

Jean-Marc Coppola Réforme des collectivités [email protected]

Jérôme Relinger Révolution numérique et société de la [email protected]

Jean-Marie DoussinCollaborateur

Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

Gérard StreiffCombat d’idées

Nicolas Dutent Communisme en question

Partice BessacResponsable de la Revue

Cécile Jacquet Secrétaire générale

COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

GuillaumeQuashie-Vauclin

Histoire

Marine RoussillonPages critiques

Alain VermeerschRevue des médias

Frédo CoyèreMaquette etgraphisme