La revue du projet n°21

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N°21 NOV 2012 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF u P. 6 LE DOSSIER HABITER LA VILLE P. 30 ANTONIO GRAMSCI Vers une nouvelle culture socialiste par Razmig Keucheyan P. 24 NOTRE COMBAT POUR LA PROTECTION SOCIALE par Jean-Luc Gibelin P. 23 HAUSSE DU SMIC PLÉBISCITÉE par Gérard Streiff MOUVEMENT RÉEL SONDAGE LE GRAND ENTRETIEN

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La revue du projet n°21

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N°21NOV2012

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

u P.6 LE DOSSIER

HABITER LA VILLE

P.30 ANTONIO GRAMSCIVers une nouvelle culturesocialistepar Razmig Keucheyan

P.24 NOTRE COMBATPOUR LA PROTECTIONSOCIALEpar Jean-Luc Gibelin

P.23HAUSSE DU SMICPLÉBISCITÉEpar Gérard Streiff

MOUVEMENT RÉELSONDAGELE GRANDENTRETIEN

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LA REVUE DU PROJET - NOVEMBRE 2012

SOMMAIRE2

4 FORUM DES LECTEURS

5 REGARDNicolas Dutent Daido MoriyamaMiroir de la mémoire

6 u22 LE DOSSIERHABITER LA VILLECorinne Luxembourg Habiter le monde

Catherine Peyge Penser la ville du vivreensemble

Christophe Robert Le logement, au cœur despréoccupations des ménages en France

Karl Marx Le logement et la loi générale del’accumulation capitaliste

Jacques Girault Aperçus sur le logementpopulaire en région parisienne (XIXe-XXe

siècles)

Anne Querrien Du logement ouvrier à l’habitatpopulaire

Jean-François Parent L’invention par le peuplede nouveaux modes de vie

Anne d’Orazio L’ habitat participatif, unealternative citoyenne  ?

Marion Guenot Ni précarité, ni charité, deslogements pour étudier  ! 

Jacques Bourgoin Une politique volontaristepour une ville pour tous

Mireille Schurch Sortir de la marchandisationdu logement par une intervention publiquefoncière

Laura Fanouillet et Hortense Pucheral L’habiteret la crise environnementale  : l’occasiond’une nouvelle politique

Makan RAFATDJOU De quoi le logement est-ille nom  ?

23 SONDAGESHausse du SMIC plébiscitée

24-27 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENJean-Luc Gibelin Notre combat pour la protec-tion sociale participe à la construction du pro-jet communiste BRÊVES DE SECTEURÉnergie Pour une transition énergétiqueréussieMédia Actions pour Presstalis et l’audiovisuelpublicLGBT Débat sur l’égalité des couples  :mariage, adoption, filiation

28 COMBAT D’ IDÉESGérard Streiff La littérature et le pouls chavirédu monde

30 MOUVEMENT RÉELRazmig Keucheyan Antonio Gramsci. Vers unenouvelle culture socialiste

32 HISTOIREEric J. Hobsbawm L'URSS, sa chute et l'avenirdu marxisme

34 PRODUCTION DE TERRITOIRESDalida Messaoudi Transferts de production etconcurrence internationale  :chronologie de 50 ans de délocalisations

36 SCIENCESYves Boubenec Réconcilier le citoyen avec lascience

38 REVUE DES MÉDIAAlain Vermeersch Le «  choc de compétitivité  »ou simplement un choc antisocial

40 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Florian Gulli, Le Néolibéralisme

• Bernard Stiegler, États de choc. Bêtise etsavoir au XXIe siècle

• Antoine Bevort , Annette Jobert , MichelLallement , Arnaud Mias, Dictionnaire dutravail

• Alain Ménil, Les Voies de la créolisation,Essai sur Édouard Glissant

• Slavoj Zizek Pour défendre les causes per-dues

• Faites entrer l’infini, n°53

• « Agenda social 2012, résistance etreconquête » Économie et Politique, n°694-695

• « Le corps, territoire politique » Cahiersd’histoire, N° 118

[email protected]

Nous disposons d'une édition La Revue du Projet publiée et recommandée par larédaction de Mediapart. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet

Chaque mois, retrouvez La Revue du Projet dans les colonnes du journal deJean Jaurès et sur le site Internet www.humanite.fr.

Parce que prendre conscience d'un problème, c’estdéjà un premier pas vers sa résolution, nouspublions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s’exprimantdans la revue.

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.

HommesFemmes

La Revue du Projet du mois d'octobre et son dossier sur la culture, suscite de nombreux débats.N’hésitez pas à y participer, donnez-nousvotre avis.

UN APPELAUX BÉNÉVOLES

Pour vivre, la version papier doit rencon-trer de nouveaux lecteurs et nous devonsétendre notre visibilité sur la toile pourélargir notre audience et diffuser nosréflexions. C’est pourquoi nous lançonsun appel à tous les bénévoles qui pour-raient nous apporter leur concours...Vous êtes prêt à nous aider à renforcerla connaissance de la Revue du projetdans les fédérations et sections ainsiqu'auprès des élus pour assurer uneplus grande diffusion militante de larevue politique du PCF. Vous vouleznous aider à améliorer la dimensionInternet de la Revue. Faites-vousconnaître. Écrivez-nous :

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NOVEMBRE 2012 - LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

AU BESTIAIRE DE CE MOIS-CI :LE CRAPAUD !E rrare humanum est, perseverare

diabolicum. Et pourtant... Jepoursuis mon bestiaire avec, ce

mois-ci, les crapauds fous. Commevous le savez sans doute, les crapaudsvivent quelque part et vont se repro-duire ailleurs, appelons cet ailleursla mare originelle. C’est donc à inter-valles réguliers de vastes transhu-mances qui se déroulent... À partpour les crapauds fous ! Ces crapaudspeu ordinaires vont ailleurs, se per-dent, bref, débloquent et comme ilssont peu nombreux, ils accèdent enpetit nombre à la reproduction.

« Jusque là, c’est simple. »

L’histoire se complique lorsqu’uneautoroute est construite sur le che-min de la transhumance des cra-pauds mainstream. C’est la catas-trophe : 100% périssent... Et quisauve l’espèce dès lors ? Les cra-pauds fous. CQFD.

La morale de l’histoire, vous l’avezdéjà saisie : en temps de crise il fautêtre déviant, subversif, bent disentles sujets de Sa Majesté.

Et le revendiquer. Car il faut mon-trer que le problème n’est pas de per-fectionner, d’améliorer, de corriger ;le problème est de changer, de ren-dre visibles les mouvements dialec-tiques possibles dans les impassesactuelles.

C’est valable pour le capitalisme,c’est aussi valable pour le Parti com-muniste français. Laissez-moi vousentretenir de deux micro-exemples.Premier exemple vécu dans une sec-tion importante du parti : « tu com-

prends, on ne veux pas que tuadhères, après, on ne s’occupera plusde toi... ». Deuxième exemple tiréd’une étude empirique : une foisl’adhésion effectuée et le premiercontact pris, il s’écoule plus de troismois minimum avant que l’on pro-pose une activité quelconque... Alorsque le premier motif d’engagement,c’est l’action.

Mon propos ne vise pas à culpabili-ser quiconque mais à interroger lemoment dans lequel nous sommespour la construction du parti com-muniste. À mon sens, c’est l’heureoù le besoin de changementsinternes s'appuie sur trois réalités :1. le changement fondamental depériode historique, le besoin d’of-fensive pour le mouvement commu-niste et transformateur 2. la révolu-tion informationnelle et lesconséquences pour l’organisationdes relations humaines, y comprisdonc politiques 3. l’existence d’unapport nombreux d’adhérents quiconstituent une nouvelle force surlaquelle nous pouvons appuyer l’ef-fort commun.

Et c’est donc devant un réel besoind’expérimentation que noussommes à toutes les échelles et cebesoin a une direction : celui de viseravec la révolution informationnelleune efficacité sociale et politiquenouvelle par la mise en commun, lepartage, le travail collaboratif.

Pour nous, investir en pratique lechamp de la révolution information-nelle (je n’ai pas dit passer notretemps devant des ordinateurs sansplus parler aux gens, que l’on me

comprenne bien), c’est répondre àdes questions aussi diverses que laconstruction de la VIe République,l’organisation de la démocratielocale, le développement de la par-ticipation des militants à des réseauxde travail nationaux... Bref, ce n’estpas de la technique ! C’est de la poli-tique pure, du changement civilisa-tionnel, des forces sociales nou-velles… Un jeune homme de 23 ansa dit il y a quelques mois à sa grand-mère, je suis content d’avoir connule monde d’avant ! Le monded’avant, et il a 23 ans ! Le nombre demoins de 30 ans regardant les jour-naux télévisés (13h, 20h) est ridicule.

Bref, impossible de penser la poli-tique d’après avec les outils de la Ve

République et du système informa-tionnel précédent. Impossible. Aumieux, on peut avoir de bonnesintuitions que l’on est condamné àressasser. Les transformations encours changent l’économique etl’anthroponomique, ce que nousappelons être humain en termesplus simples. La parole est une pos-sibilité issue de la plasticité de l’es-prit humain. Elle n’a rien d’instinc-tif, elle est le produit de la culture.Or déjà, des médecins signalent quel’influence des technologies sur lesenfants fait qu’ils ne sont « pascâblés » pareil que nous.

Il faut donc faire mouvement, vite eten pratique. Ou nous serons rangésau musée. Celui de la révolution pré-cédente. « Ce serait dommage non ? »Ironique surtout car c’est précisé-ment un communisme de nouvellegénération qui se cherche. n

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LA REVUE DU PROJET - OCTOBRE 2012

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FORUM DES LECTEURS

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - Secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Nicolas Dutent, Amar Bellal, Marine Roussillon, Renaud Boissac, Étienne Chosson, AlainVermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette - Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère - Mise en page : Sébastien Thomassey - Éditépar l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) - Imprimerie Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex) - Dépôt légal : novembre 2012 - N°21 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

Quelques réactions aux nouvelles noires de septembre

Merci pour le fou-rire !Adorable texte, morceau d'anthologie.Cela me fait un peu penser à ceux-celles quiévoquent "la vraie vie", histoire de réveillerun mort dont le cœur bat encore.

AGNÈS

HOMMAGE AU CINÉASTE KURDE YILMAZ GUNEYNous avons reçu, en hommage au cinéaste kurde Yilmaz Guney, mort le 9 septembre 1984, un important texte du Dr AliKacik qui a rencontré le cinéaste en prison, la prison où Yilmaz Guney a fait de nombreux séjours.

L'affaire de 2013 par Francis Mizio

À pic cette nouvelle ! En plein dans le millede l'actualité.Comme nous sommes tous le maillon fai-ble de quelqu'un, nous n'allons pas tar-der à nous égorger mutuellement les unsles autres. À la plus grande joie desmachines à fabriquer les statistiques. Lapauvreté, le chômage vont baisser, fautede participants. Des appartements vontse libérer, les locataires étant partis repo-ser au cimetière...Peut-être faudrait-il songer à investirquelques actions dans les pompes funè-bres générales... Mais les riches, quidétiennent déjà l'armement, y ont sansdoute déjà songé.Brrr ! Il fait froid, dans le monde.

ANNIE

Cessez le jeu !par Didier Daeninckx

Le trait est gros...comme chez Guignol, parce qu'il faut bien que les enfantscomprennent, alors qu'ils ne font attention à rien (tiens, je fais du J. Leroy). Onne rencontre jamais des caricatures comme celle-là. Nous oublions trop sou-vent que Himmler était bon époux, bon père, ami fidèle et homme cultivé, enmême temps que le monstre...La caricature fait rire de ce dont on a peur, parfois. Elle ne scrute pas les causes,elle montre le ridicule ou l'horreur du résultat. C'est ce qui produit les mons-tres qu'il nous faut débusquer et combattre...

GILBERT

L’invisible par Jerôme Leroy

Je découvre la revue, merci, c'est beau, c'est humain, comme l'on dit chez “F”: j'aime.GEORGIE

« Yılmaz Güney né le 1er avril 1937 áSiverek au Kurdistan Nord. Issu d'unefamille kurde et pauvre, il est contraintde travailler dès l'âge de neuf ans. C'esten faisant de la distribution bobines de16 mm à l'aide de sa bicyclette qu'il faitconnaissance avec le septième art. Yilmaz était un réalisateur, scénariste,metteur en scène, acteur et écrivainkurde et artiste révolutionnaire engagé,se voulant témoin de son temps. Güneyne veut pas céder à la facilité et auxmodes du moment ; il veut peindre « lesmille et un visage » de la souffrance etdes passions des hommes. Le Mur,

tourné en France et traitant des condi-tions pénitentiaires en Turquie est lefruit de ce « devoir de témoigner ». Ilreçoit un accueil mitigé de la part de lacritique en raison notamment de la vio-lence de certaines de ses scènes qui pour-tant ne sont qu’un pâle reflet des réali-tés turques. Il y a dix-huit ans, YilmazGüney, est mort en exil à Paris, à l'âgede 47 ans. Il laisse derrière lui une vasteœuvre cinématographique, témoignagepoignant de la misère des paysans et desouvriers du Kurdistan , mais aussi deleurs aspirations à la justice et au bon-heur. En particulier Umut (Espoir, 1970)

qui remporte l'Ours d'Or à Berlin, faitconnaître Güney aux cinéastes euro-péens et confirme ses talents de réalisa-teur. Yol (Palme d'Or au Festival deCannes, 1982), histoire de détenus quiretournent dans leur village pour unecourte permission, ou Le Troupeau, quidécrit l'écart entre deux mondes, celuides campagnes où vit encore la moitiéde la population et les grandes villesmodernes, avec leurs gratte-ciels et leursbidonvilles. »

EXTRAITS DU TEXTE DU DR ALI KACIK,ÉCRIT LE 9 SEPTEMBRE 2012

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Daido Moriyama est un artiste japonais dont le travails'impose avec force mais discrétion depuis presque undemi siècle.

La galerie Polka s'est lancée dans une entreprise ambi-tieuse qui vise à restituer, à travers trois moments àla fois distincts et cohérents, les grandes périodes etles lieux emblématiques qui ont jalonné le parcoursartistique du japonais certes pris dans les réalités par-ticulières de son pays et son époque mais résolumentouvert sur le monde.

Présenté actuellement le cycle « Hokkaido Northern »se veut une entrée en matière à la fois dense et carac-téristique du procédé photographique de Moriyama.Que son objectif se fixe à Hokkaido, Shinjuku, Osakaou Tokyo… il livre des clichés qui interpellent autantpar leur pouvoir symbolique, la puissance du grain etdes contrastes que l'attractivité de cadrages dyna-miques, souvent informels.Il y a comme un savantmélange de spleen et de contemplation onirique dansce travail.

Qu'il s'agisse de chiens errants, de rues hantées parl'enfance, la folie ou la misère, de peluches qui ironi-

sent derrière la fenêtre d'un particulier, de passagersabattus ou songeurs dans ces transports qui rythmentet ordonnent le quotidien, d'affiches usées par le temps,de paysages qui hésitent entre les phares de la ville etune empreinte rurale encore bien visible, une solitudevertigineuse… Le Japonais livre chaque photographiesous la forme d'un poste d'observation de sa mémoireet de ses sinuosités.

Les effets de surexposition, la prégnance du noir etblanc dans ses errances et le choix décomplexé desflous qu'il s'autorise ici et là participent sans équivoqueà cette impression.

Suivront les cycles « Paris », clichés inédits, lesquels,de la rue Mouffetard aux quais de Seine en passantpar la rue du Cherche-Midi ou l'édification naissantedu centre Pompidou, se jouent des références artis-tiques occidentales modernes. Petits commercesdéserts, rues encombrées, urbanisme triomphant, men-diant égaré dans la frénésie et l'indifférence d'une villemonde...  et « Sérigraphies ».

NICOLAS DUTENT

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Daido Moriyama, miroir de la mémoire

Daido Moriyama, Hokkaido, Japon, 1978© Daido Moriyama, courtesy Polka Galerie

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PAR CORINNE LUXEMBOURG*

«J e vous prie, M. Worthing, ne meparlez pas du temps. À chaque foisque les gens me parlent du temps,

j’ai l’impression très nette qu’ils veulentme parler d’autre chose. »Oscar Wilde, De l’Importance d’êtreconstant.

Temps qu’il fait, temps qui passe, tempsd’attente, temps de l’urgence, temps devie, temps d’habiter… Habiter, rien sansdoute de l’existence humaine n’est autantsoumis au temps, à sa pression, à l’ur-gence. Rien sans doute d’autre qu’habi-ter ne constitue une problématique aussicentrale pour l’ensemble de l’humanité.Rien sans doute comme habiter n’estautant un lien essentiel entre nous,hommes et femmes et notre environne-ment, n’est autant cœur de notre posi-tion, de notre positionnement vis-à-visdu système économique et politiquedans lequel nous vivons. Rien d’autreparce qu’habiter ne se borne pas à seloger, mais l’inclut.Nous avons souhaité ce dossier « Habiterle monde » afin d’apporter des élémentsde réflexion, d’échanges, à différenteséchelles, du logement au monde. Si habi-ter n’est pas seulement se loger, habitersignifie s’impliquer dans le monde, enparticiper et participer de sa transforma-tion. Cela suppose alors que le logementne soit pas conçu comme une marchan-dise et donc de l’abstraire de tout sys-tème spéculatif immobilier. Une telleréflexion se trouve dans un contexte poli-tique qui devrait être marqué par lavolonté gouvernementale de légiférer surle logement, en modifiant à nouveau les

termes de la loi SRU (Solidarité, renouvel -lement urbain), et décrivant les axes d’unservice public national et décentralisé dulogement.Cela sous-tend alors deux réflexions :celle de la place de plus en plus impor-tante prise par le fait de se loger dans lebudget des ménages, relançant éventuel-lement le débat de la gratuité, et corré-lativement celle de la nécessité deconstruire massivement des logementsde qualité accessibles à tous, pour touset partout. Quel serait alors le logementpopulaire ? Quel devrait-il être ? Héritierd’expérimentations architecturales eturbanistiques des années 1960-1970comme celles de Jean Renaudie, deRoland Simounet, parmi d’autres, toutcomme celles moins aventureuses degrands ensembles ?Parce qu’il est le logement dont la voca-tion est de loger le plus grand nombre, lelogement social ne peut se résumer à êtrecelui des plus modestes comme veut l’ycontraindre la loi MOLLE (Mobilisationpour le logement et la lutte contre l’ex-clusion ), ni à être le pis-aller d’un par-cours résidentiel débouchant nécessai-rement sur l’accession à la propriété. Lerisque est grand, et malheureusementvérifié trop fréquemment, qu’une tellelimitation dans l’attribution du logementsocial n’entraîne une fragmentationsocio-spatiale ou n’en renforce une,consécutive aux pertes d’emplois.Habiter le logement et participer de saville, ou vouloir y participer. Habiter lelogement comme un moyen, une passe-relle vers le droit à la ville au sens définipar Henri Lefebvre, redéveloppé récem-ment par David Harvey. Habiter la ville, yavoir droit, bien sûr comme l’accès à nom-

bre d’aménagements, mais avoir droit d’endécider démocratiquement. Participerà/de la ville pour tous.Or quelle ville construisons-nous autourdes écoquartiers qui remplacent touteopération d’urbanisme ? Quelle ville dura-ble voulons-nous ? Que souhaitons-nousvoir durer alors que la ville capitaliste estpar définition celle de l’obsolescence desnormes, des technologies voire des maté-riaux. Comment habiter alors cette villedurable où le capitalisme comme toujoursdétruit les lieux au fur et à mesure qu’il encrée d’autres, chaque fois de moins bonnequalité ? Quelle réponse voulons-nousapporter à l’étalement urbain, mélangedu choix d’accéder à la propriété de lapetite maison individuelle et du rejet depopulations aux revenus trop bas pouraccéder à la ville centre ?Nous avons conscience, dans ce dossierd’être malgré tout resté très urbanocen-trés, non pas qu’il ne soit pas tout aussiessentiel de parler, de s’interroger à pro-pos de ce qu’habiter signifie dans lesespaces des campagnes ou dans cesespaces intermédiaires entre la ville et lacampagne, le temps sans doute nous auramanqué pour approfondir sérieusementcela, d’envisager les problématiques liéesaux mobilités, aux transports. Nous espé-rons néanmoins avoir réalisé un dossierutile, riche de réflexions et d’expériencesqui permettent de fabriquer, d’habiter poé-tiquement le monde.

« Plein de mérites, mais poétiquementL’homme habite cette terre… »Hölderlin. n

*Corinne Luxembourg est géographe,responsable de la rubrique Production deterritoires. Elle est coordonnatrice de ce dossier.

LE DOSSIER

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LA REVUE DU PROJET - NOVEMBRE 2012

Le dossier de ce mois est une invitation à réinventer notre façon d'habiter etde vivre ensemble dans la ville. Sur la base de rappels historiques, réflexionset propositions concrètes visent à sortir de la dictature du marché pour fairerespecter et construire un véritable droit au logement et à la ville pour tous.

HABITER LE MONDE

Habiter la ville

ÉDITO

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NOVEMBRE 2012 - LA REVUE DU PROJET

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ENTRETIEN AVEC CATHERINE PEYGE*Revue du projet : Logement et droit à laville sont-ils deux questions indissocia-bles ?Catherine Peyge : Le logement et le droità la ville sont intimement liés dans un pro-jet de société fondé sur l’humain. Quandnous évoquons le droit au logement pourtous et partout, nous faisons œuvre poli-tique de haut niveau : nous reconnaissonsquelque chose de très fort, que la droiten’a eu de cesse de dévoyer. Chacun a desdroits, beaucoup plus de droits qu’engénéral il n’en exerce.

RDP : Comment peut-on faire respecter ledroit au logement ?C.P. : La lutte pour le droit au logementcommence pour moi par la lutte contreles expulsions. Déclarer indignes les expul-sions, c’est la seule manière de démontrerque l’accès au logement pour tous et par-tout est un véritable droit que l’on ne peutpas abolir, quelle que soit la raison et que« de bonne ou mauvaise foi » pouremployer l’expression consacrée, en aucuncas il n’est envisageable de jeter des per-sonnes à la rue. Cette notion d’interdic-tion des expulsions peut aussi se conju-guer avec la notion d’interdiction dedémantèlement de camps de Roms, quiprocède du même mépris des droits.Le droit au logement s’exprime bien sûrpar la construction, par la rénovation maisaussi par la prise de conscience claire parune société donnée, que tout au long desa vie, une personne a le droit de vivre dansun lieu choisi et adapté.Ce postulat est valable pour tous les âgesde la personne, pour toutes les personnes.La Sécurité sociale, malgré des difficultés,a ancré l’idée que les soins sont et restentun droit. Que le droit au logement soit siaffirmé, qu’il devienne impossible de nepas tout faire pour inventer les conditions

de son respect ! Nous serons conduits ànous prononcer clairement sur les articu-lations entre le droit d’usage et le droit depropriété. La réquisition n’est-elle pas envi-sageable ? Les marchands de sommeil, lespropriétaires véreux ne sont-ils pas degrands délinquants, véritables « pollueurs »de la société ?

Je souhaite qu’une commission parlemen-taire soit constituée d’urgence afin de chif-frer toutes les conséquences des expul-sions dans tous les domaines, pour lesenfants, les couples, pour les maladies quise déclarent ensuite, pour les scolaritésgâchées, pour la violence qui engendre laviolence. La garantie de pouvoir bénéfi-cier toute sa vie d’un véritable droit aulogement pourrait mettre à mal le systèmemarchand proche de l’arnaque qui n’hé-site pas à condamner des foyers à s’endet-ter pour des décennies, au prétexte dedevenir propriétaire, loin de la ville si lesmoyens de la famille sont restreints. Sesont constituées au fil des années, deszones insuffisamment urbanisées pourêtre indépendantes des villes, de plus enplus lointaines de ces agrégats d’habita-tions. Des zones de relégation qui nel’avouent pas, mais qui ressentent plusqu’ailleurs encore, le poids des difficultéset des malheurs du quotidien. Cette ques-tion est en train de devenir « grand public »,après les enseignements des dernièresélections, ou bien par la présence de cetteproblématique dans le monde culturelcomme dans le récent roman Les lisières.

RDP : Comment alors aborder la questiondu vivre ensemble ? C.P. : Il y a certes, le vivre ensemble, entresoi, entre ceux qui se ressemblent et sontunis par de puissants intérêts de classe,forgés dès la naissance comme le décri-vent les études passionnantes des PinçonCharlot. La question du logement, dansun pays riche comme le nôtre, avec salongue expérience du logement socialmaintenant centenaire ne peut pas se pen-ser en dehors de la recherche d’une véri-table mixité humaine, dans une ville mul-tifonctionelle, créant un climat tangiblede solidarité et de moments partagés. C’estle grand défi des décennies à venir.La ville, avec ses transformations voulues,consenties ou obligées n’est-elle pas leplus fertile des endroits permettant à laRépublique de se transformer en creusetcontribuant à la naissance et au dévelop-pement de la création, de la culture, de laconnaissance des autres, à l’échange, toutce qui peut faire barrage aux peurs, fondsde commerce de toutes celles et ceux quipensent avoir intérêt à diviser pour domi-ner. J’ajouterai qu’il est indispensable demettre au cœur de la fabrication et de latransformation de la ville, la démocratie,afin que puisse s’exercer un droit au loge-ment qui aille plus loin que le clos et lecouvert. Je pense que ces deux chantiers de ladémocratie et du droit au logement pourtous et partout sont à mener de front, afinde ne pas avoir à rectifier ensuite de graveserreurs ou de regretter des conséquencespolitiques qui pourraient aller jusqu’à met-tre en cause la notion d’égalité républi-caine, dans son principe même. n

*Catherine Peyge est maire de Bobigny. Elleest responsable du collectif Droit à la ville,logement du PCF.

PENSER LA VILLE DU VIVRE ENSEMBLE

Les marchands de sommeil, les propriétaires

véreux ne sont-ils pas de grandsdélinquants, véritables

« pollueurs » de la société ?

“”

LE LOGEMENT, AU CŒUR DES PRÉOCCUPATIONS DES MÉNAGES EN FRANCELe logement est un véritable problème de société, tant les difficultés qu’il soulève ont des répercussionsau-delà de la sphère du logement. La politique du logement doit prendre un tournant résolument social.

PAR CHRISTOPHE ROBERT*

L oin de régresser, le mal-logement s’estprofondément enraciné dans notrepays, et ses visages se sont diversifiés :

du « sans abri » à toute la zone grise du

non-logement (habitations de fortune,campings, chambres d’hôtel à l’année…),en passant par l’inconfort et l’habitatdégradé, on comptabilise 3.6 millions depersonnes mal-logées. Et si l’on considèretous ceux qui sont en situation de fragi-

lité de logement (impayés de loyer,menaces d’expulsion…), ce sont 10 mil-lions de personnes qui sont touchées parla crise du logement.Le logement est devenu une source depréoccupation majeure pour nos conci-

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Habiter la ville

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LE DOSSIER

moine enfin (entre ceux qui peuventacquérir un logement et les autres).Le logement doit être considéré commeun véritable problème de société, tant lesdifficultés qu’il soulève ont des répercus-sions au-delà de la sphère du logement.Quand 600 000 enfants sont mal-logés,ceci a des effets sur leur santé, leur déve-loppement et leur réussite scolaire. Quanddes jeunes ne parviennent pas à se loger,ce sont leurs projets de vie qui peuventêtre bloqués (formation, emploi, instal-lation en couple, choix de fonder une

famille…). Pour une majorité de ménages,le logement ne permet plus de se proje-ter dans l’avenir. Cette situation est d’au-tant plus préoccupante qu’elle remet encause les fondements mêmes de notrepacte républicain (égalité des droits, cohé-sion sociale…) et de notre système de pro-tection.

AGIR FACE À LA MASSIFICATION DES PROBLÈMESFace à l’ampleur de la crise, la politiquedu logement est apparue singulièrementinsuffisante et trop peu protectrice pourles personnes modestes. Au lieu d’une poli-tique ambitieuse, c’est une sorte de « voi-ture balai » qui s’est mise en place, pourtenter de « rattraper » les plus défavorisés.Et au-delà de l’annonce de grands prin-cipes (non-remise à la rue, accueil incon-ditionnel, droit au logement…), la poli-tique du logement n’a pas pris le tournantrésolument social attendu.

La crise du logement ne pourra pas êtreenrayée tant que les pouvoirs publics nes’attaqueront pas au déséquilibre entrel’offre et la demande de logements1. Nitant que les dynamiques de marché conti-nueront d’alimenter la ségrégation sociale,avec d’un côté des ménages riches quis’agrègent par affinité sur certains terri-toires, et de l’autre les pauvres qui sontrepoussés vers les fractions les moins valo-risées du parc immobilier et des territoires.

UNE STRATÉGIE GLOBALE POUR LE LOGEMENTLa gravité de la situation appelle une autreapproche que celle qui consiste à agir tou-jours à la marge, que ce soit pour aider lesplus démunis à ne pas sombrer, ou pourlimiter les excès du marché. Elle imposed’agir sur le cœur de la politique du loge-ment, d’en repenser les orientations géné-rales afin que le logement réponde enfinaux besoins sociaux, partout où ils exis-tent. Pour que ce changement de cap soitpossible, la fondation Abbé-Pierre, avecla participation de nombreuses organisa-tions, a élaboré un « contrat social pourune nouvelle politique du logement »autour de quatre axes majeurs : produiresuffisamment de logements accessibles,réguler les marchés et maîtriser le coût dulogement, œuvrer pour plus de justicesociale et de solidarité, construire une villeéquitable et durable. Ce contrat a été signépar l’actuel président de la République,qui s’est engagé à le mettre en œuvre aucours de son quinquennat. Un engage-ment fort que la fondation Abbé-Pierresalue, et qu’elle entend suivre dans la duréeavec la plus grande attention. Et avec biensûr une vigilance soutenue sur le sort desplus défavorisés, qui doit enfin pris encompte à sa juste mesure. n

*Christophe Robert est délégué généraladjoint de la Fondation Abbé-Pierre.

toyens. Comme si le contexte de précaritédans le champ de l’emploi gagnaitaujourd’hui la sphère du logement. Alorsque l’accès au logement est devenu unvéritable parcours du combattant pour lesplus pauvres, les jeunes en difficulté d’in-sertion, les familles monoparentalesmodestes, etc., il se complique aussi pourde nombreux ménages insérés sociale-ment et économiquement.

UN NOUVEAU FACTEUR D’INSÉCURITÉ SOCIALEFacteur d’exclusion pour les ménages pré-caires (ils sont plus de 4 millions à vivreavec moins de 500 euros par mois aprèsavoir payé leurs dépenses de logement),le coût du logement expose aussi et deplus en plus, les classes moyennes aurisque de décrochage (pouvoir d’achatdégradé, marges de manœuvre réduites,impayés). C’est donc à un nivellement parle bas que l’on assiste à l’échelle de lasociété, les plus défavorisés étant « tirés »toujours plus vers le bas, tandis que lescatégories qui étaient parvenues à se his-ser parmi les classes moyennes, se retrou-vent menacées de rétrogradation et debasculement.Si la situation n’a pas encore explosé, c’estparce que les ménages font le « dos rond » :ils s’adaptent, acceptent des taux d’effortexcessifs, diminuent leurs exigences enmatière de surface, de confort… Commeces demandeurs d’emploi qui finissentpar accepter des contrats précaires, lesménages réduisent leurs aspirations parrapport au logement. Ils procèdent à desarbitrages, restreignent leurs dépensesd’alimentation et de chauffage, renoncentà se soigner… Les effets de la crise du loge-ment peuvent être amortis grâce aux soli-darités familiales, amicales, associatives…tant que celles-ci sont en capacité des’exercer. Mais ces solidarités de proximiténe peuvent compenser l’affaiblissementgénéral des mécanismes de protection, nigarantir la même efficacité et une égalitéde traitement pour tous.

UN RÉEL PROBLÈME DE SOCIÉTÉLa crise du logement actuelle est d’autantplus préoccupante qu’elle témoigne d’évo-lutions majeures à l’échelle de la société.Car le logement n’est plus seulement lereflet d’inégalités sociales, mais est à l’ori-gine de nouvelles inégalités : face au coûtdu logement (qui pénalise avant tout lesplus modestes) ; dans les perspectives rési-dentielles (entre les ménages aisés quideviennent de plus en plus propriétaires,et les modestes contraints de se tournervers le parc HLM) ; inégalités de patri-

La gravité de la situation appelle une autreapproche que celle qui consiste à

agir toujours à la marge, que ce soitpour aider les plus démunis à nepas sombrer, ou pour limiter les

excès du marché.

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PAR KARL MARX*

«P our saisir la liaison intime entrela faim qui torture les couchesles plus travailleuses de la

société et l'accumulation capitaliste, avecson corollaire, la surconsommation gros-sière ou raffinée des riches, il faut connaî-tre les lois économiques. Il en est toutautrement dès qu'il s'agit des conditionsdu domicile. Tout observateur désinté-ressé voit parfaitement que, plus lesmoyens de production se concentrent surune grande échelle, plus les travailleurss'agglomèrent dans un espace étroit ; que,plus l'accumulation du capital est rapide,plus les habitations ouvrières deviennentmisérables. Il est évident, en effet, que lesaméliorations et embellissements desvilles – conséquence de l'accroissementde la richesse – tels que démolition desquartiers mal bâtis, construction de palaispour banques, entrepôts, etc., élargisse-ment des rues pour la circulation com-merciale et les carrosses de luxe, établis-sement de voies ferrées à l'intérieur, etc.,chassent toujours les pauvres dans descoins et recoins de plus en plus sales etinsalubres. Chacun sait, d'autre part, quela cherté des habitations est en raisoninverse de leur bon état [...]. Le caractèreantagonique de l'accumulation capita-liste, et conséquemment des relations depropriété qui en découlent, devient ici tel-lement saisissable que même les rapportsofficiels anglais sur ce sujet abondent envives sorties peu orthodoxes contre la «propriété et ses droits ».

UN BAPTÊME DANS L’INFAMIEAu fur et à mesure du développement del'industrie, de l'accumulation du capital,de l'agrandissement des villes et de leurembellissement, le mal fit de tels progrès,que la frayeur des maladies contagieuses[...] provoqua de 1847 à 1864 dix actes duparlement concernant la police sanitaire,et que dans quelques villes, telles queLiverpool, Glasgow, etc., la bourgeoisieépouvantée contraignit les municipalitésà prendre des mesures de salubritépublique. Néanmoins, le docteur Simons'écrie dans son rapport de 1865 :« Généralement parlant, en Angleterre, lemauvais état des choses a libre carrière ! »Sur l'ordre du Conseil privé, une enquêteeut lieu en 1864 sur les conditions d'ha-bitation des travailleurs des campagnes,

et en 1865 sur celles des classes pauvresdans les villes. [...] Citons une observationgénérale du docteur Simon : « Quoiquemon point de vue officiel, dit-il, soit exclu-sivement physique, l'humanité la plusordinaire ne permet pas de taire l'autrecôté du mal. Parvenu à un certain degré,il implique presque nécessairement unenégation de toute pudeur, une promis-cuité révoltante, un étalage de nudité quiest moins de l'homme que de la bête. Êtresoumis à de pareilles influences, c'est unedégradation qui, si elle dure, devientchaque jour plus profonde. Pour lesenfants élevés dans cette atmosphèremaudite, c'est un baptême dans l'infamie.Et c'est se bercer du plus vain espoir qued'attendre de personnes placées dans detelles conditions qu'à d'autres égards elless'efforcent d'atteindre à cette civilisationélevée dont l'essence consiste dans lapureté physique et morale. »

C'est Londres qui occupe le premier rangsous le rapport des logements encombrés,ou absolument impropres à servir d'ha-bitation humaine. Il y a deux faits certains,dit le docteur Hunter : « Le premier, c'estque Londres renferme vingt grandes colo-nies fortes d'environ dix mille personneschacune, dont l'état de misère dépassetout ce qu'on a vu jusqu'à ce jour enAngleterre, et cet état résulte presque entiè-rement de l'accommodation pitoyable deleurs demeures. Le second, c'est que ledegré d'encombrement et de ruine de cesdemeures est bien pire qu'il y a vingt ans.Ce n'est pas trop dire que d'affirmer quedans nombre de quartiers de Londres etde Newcastle la vie est réellement infer-nale. » À Londres, la partie même la mieux poséede la classe ouvrière, en y joignant les petitsdétaillants et d'autres éléments de la petiteclasse moyenne, subit chaque jour davan-tage l'influence fatale de ces abjectesconditions de logement, à mesure que

marchent les «améliorations », et aussi ladémolition des anciens quartiers, à mesureque les fabriques toujours plus nom-breuses font affluer des masses d'habi-tants dans la métropole, et enfin que lesloyers des maisons s'élèvent avec la rentefoncière dans les villes. « Les loyers ont prisdes proportions tellement exorbitantes,que bien peu de travailleurs peuvent payerplus d'une chambre. » Presque pas de pro-priété bâtie à Londres qui ne soit surchar-gée d'une foule d'intermédiaires. Le prixdu sol y est très élevé en comparaison desrevenus qu'il rapporte annuellement,chaque acheteur spéculant sur la perspec-tive de revendre tôt ou tard son acquêt àun prix de jury (c'est-à-dire suivant le tauxétabli par les jurys d'expropriation), ousur le voisinage d'une grande entreprisequi en hausserait considérablement lavaleur. De là un commerce régulier pourl'achat de baux près d'expirer. « Des gen-tlemen de cette profession il n'y a pas autrechose à attendre; ils pressurent les loca-taires le plus qu'ils peuvent et livrentensuite la maison dans le plus grand déla-brement possible aux successeurs.» Lalocation est à la semaine, et ces messieursne courent aucun risque. Grâce auxconstructions de voies ferrées dans l'in-térieur de la ville, « on a vu dernièrementdans la partie est de Londres une foule defamilles, brusquement chassées de leurslogis un samedi soir, errer à l'aventure, ledos chargé de tout leur avoir en ce monde,sans pouvoir trouver d'autre refuge quele Workhouse ». Les Workhouses sont déjàremplis outre mesure, et les « embellisse-ments » octroyés par le parlement n'ensont encore qu'au début. Les ouvriers chassés par la démolition deleurs anciennes demeures ne quittentpoint leur paroisse, ou ils s'en établissentle plus près possible, sur la lisière. « Ils cher-chent naturellement à se loger dans le voi-sinage de leur atelier, d'où il résulte quela famille qui avait deux chambres est for-cée de se réduire à une seule. Lors mêmeque le loyer en est plus élevé, le logementnouveau est pire que celui, déjà mauvais,d'où on les a expulsés. La moitié desouvriers du Strand sont déjà obligés defaire une course de deux milles pour serendre à leur atelier. » Ce Strand, dont larue principale donne à l'étranger unehaute idée de la richesse londonienne, vaprécisément nous fournir un exemple del'entassement humain qui règne àLondres. L'employé de la police sanitairea compté dans une de ses paroisses cinqcent quatre-vingt-un habitants par acre[40 ares], quoique la moitié du lit de laTamise fût comprise dans cette estima-

LE LOGEMENT ET LA LOI GÉNÉRALEDE L’ACCUMULATION CAPITALISTE

À mesure que l'accumulation du capital

s'accélère dans une villeindustrielle ou commerciale, etqu'y afflue le matériel humain

exploitable, les logementsimprovisés des travailleurs

empirent.

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LE DOSSIER Habiter la ville

SUITE DE LA PAGE 9 > tion. Il va de soi que toute mesure de police

qui, comme cela s'est fait jusqu'ici àLondres, chasse les ouvriers d'un quartieren en faisant démolir les maisons inhabi-tables, ne sert qu'à les entasser plus àl'étroit dans un autre. « Ou bien il faut abso-lument, dit le docteur Hunter, que ce modeabsurde de procéder ait un terme, ou bienla sympathie publique (!) doit s'éveillerpour ce que l'on peut appeler sans exagé-ration un devoir national. Il s'agit de four-nir un abri à des gens qui ne peuvent s'enprocurer faute de capital, mais n'en rému-nèrent pas moins leurs propriétaires pardes payements périodiques. »

LA JUSTICE CAPITALISTEAdmirez la justice capitaliste ! Si le pro-priétaire foncier, le propriétaire de mai-sons, l'homme d'affaires, sont expropriéspour causes d'améliorations, telles quechemins de fer, construction de rues nou-velles, etc., ils n'obtiennent pas seulementindemnité pleine et entière. Il faut encore,selon le droit et l'équité, les consoler deleur « abstinence », de leur « renonce-ment » forcé, en leur octroyant un bonpourboire. Le travailleur, lui, est jeté sur lepavé avec sa femme, ses enfants et sonsaint-crépin, et, s'il se presse par tropgrandes masses vers les quartiers de la villeoù la municipalité est à cheval sur lesconvenances, il est traqué par la police aunom de la salubrité publique ! Au commencement du XIXe siècle il n'yavait, en dehors de Londres, pas une seuleville en Angleterre qui comptât cent millehabitants. Cinq seulement en comptaientplus de cinquante mille. Il en existeaujourd'hui vingt-huit dont la populationdépasse ce nombre. « L'augmentationénorme de la population des villes n'a pasété le seul résultat de ce changement, maisles anciennes petites villes compactes sontdevenues des centres autour desquels desconstructions s'élèvent de tous côtés, nelaissant arriver l'air de nulle part. Lesriches, ne les trouvant plus agréables, lesquittent pour les faubourgs, où ils se plai-sent davantage. Les successeurs de cesriches viennent donc occuper leursgrandes maisons; une famille s'installedans chaque chambre, souvent mêmeavec des sous-locataires. C'est ainsi qu'unepopulation entière s'est installée dans deshabitations qui n'étaient pas disposéespour elle, et où elle était absolument dépla-cée, livrée à des influences dégradantespour les adultes et pernicieuses pour lesenfants ». À mesure que l'accumulation du capitals'accélère dans une ville industrielle oucommerciale, et qu'y afflue le matériel

humain exploitable, les logements impro-visés des travailleurs empirent. Newcastle-on-Tyne, centre d'un district dont les minesde charbon et les carrières s'exploitent tou-jours plus en grand, vient immédiatementaprès Londres sur l'échelle des habitationsinfernales. Il ne s'y trouve pas moins detrente-quatre mille individus qui habitenten chambrées. La police y a fait démolirrécemment, ainsi qu'à Gateshead, ungrand nombre de maisons pour cause dedanger public. La construction des mai-sons nouvelles marche très lentement,mais les affaires vont très vite. Aussi la villeétait-elle en 1865 bien plus encombréequ'auparavant. À peine s'y trouvait-il uneseule chambre à louer. « Il est hors de doute,dit le docteur Embleton, médecin de l'hô-pital des fiévreux de Newcastle, que ladurée et l'expansion du typhus n'ont pasd'autre cause que l'entassement de tantd'êtres humains dans des logements mal-propres. Les maisons où demeurent ordi-nairement les ouvriers sont situées dansdes impasses ou des cours fermées. Aupoint de vue de la lumière, de l'air, de l'es-pace et de la propreté, rien de plus défec-tueux et de plus insalubre; c'est une hontepour tout pays civilisé. Hommes, femmeset enfants, y couchent la nuit pêle-mêle. Àl'égard des hommes, la série de nuit y suc-cède à la série de jour sans interruption, sibien que les lits n'ont pas même le tempsde refroidir. Manque d'eau, absencepresque complète de latrines, pas de ven-

tilation, une puanteur et une peste. » [...] Suivant le flux et le reflux du capital et dutravail, l'état des logements dans une villeindustrielle peut être aujourd'hui suppor-table et demain abominable. Si l'édilités'est enfin décidée à faire un effort pourécarter les abus les plus criants, voilà qu'unessaim de sauterelles, un troupeaud'Irlandais déguenillés ou de pauvres tra-vailleurs agricoles anglais, fait subitementinvasion. On les amoncelle dans des caveset des greniers, ou bien on transforme laci-devant respectable maison du travail-leur en une sorte de camp volant dont lepersonnel se renouvelle sans cesse. [...]. Dans son rapport du 5 septembre 1865, ledocteur Bell, un des médecins des pau-vres de Bradford, attribue, lui aussi, la ter-rible mortalité parmi les malades de sondistrict atteints de fièvres, à l'influencehorriblement malsaine des logementsqu'ils habitent. […] « Est-il besoin d'ajou-ter que ces habitations sont des antresinfects, obscurs et humides, tout à faitimpropres à abriter un être humain ? Cesont les foyers d'où partent la maladie etla mort pour chercher des victimes mêmechez les gens de bonne condition, qui ontpermis à ces ulcères pestilentiels de sup-purer au milieu de nous. » n

*Extraits du chapitre XXV (« loi générale del’accumulation capitaliste ») du livre I duCapital, 1867 (trad. Joseph Roy). Les notesinfrapaginales n’ont pas ici été reproduites.

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L’intervention des pouvoirs publicss’amorce, inspirée par les courants de lapensée réformiste qui s’exprime dans leMusée social, par exemple.La loi Jules Siegfried (1894) autorise laconstitution de sociétés privées d’habita-tions à bon marché. Les lois Strauss (1906)et Ribot (1908) permettent l’organisationde sociétés anonymes et de sociétés coo-pératives avec l’aide des communes et desdépartements. La loi Bonnevay (1912) créeles offices publics d’habitations à bon mar-ché.

Les premières sociétés d’HBM, privées,coopératives ou municipales, apparais-sent alors. Le conseil municipal de Parisadopte en 1910 un plan d’aménagementde cités-jardins, « forme par excellence del’urbanité nouvelle ».La Première Guerre mondiale arrête cesprojets. Pendant cette période, des plansd’ensemble s’élaborent.

LE LOGEMENT POPULAIRE DANS L’ENTRE-DEUX-GUERRESL’industrialisation accélère l’installationde provinciaux, de travailleurs étrangersou coloniaux. Et les premiers Algériensarrivent alors. Mais la question de leurhébergement ne se pose pas encore ! Auxabords de quelques usines, des baraquesles préfigurent. Pendant et après la guerre,la crise du logement populaire s’aggrave.Les pouvoirs publics réagissent de façonétroite. L’initiative individuelle s’accroît.Mais dans les années 1920, des réforma-teurs urbains, autour d’Henri Sellier, quiadministre l’office départemental desHBM depuis sa création en 1915, d’AndréMorizet et d’architectes, amorcent uneréflexion d’ensemble. Des initiatives vien-nent aussi des milieux patronaux et poli-

APERÇUS SUR LE LOGEMENT POPULAIRE EN RÉGION PARISIENNE (XIXe-XXe SIÈCLES)L’industrialisation dilate l’espace de résidence en région parisienneen établissant une ségrégation dans le logement et en dissociantrésidence et activité. Les mauvaises conditions et la cherté du loge-ment parisien depuis le milieu du XIXe siècle entraînent une mobilitépopulaire permanente.

PAR JACQUES GIRAULT*

Le développement de la banlieue per-met l’amélioration du logement popu-laire. En plus d’un siècle, on passe

d’une absence de contrôle politique surle logement à une volonté politique en rai-son des enjeux politiques et sociaux qu’ilreprésente.

LE LOGEMENT POPULAIRE EN BANLIEUEJUSQU’À LA GRANDE GUERRELes offres d’emplois industriels expliquentl’afflux des populations. Les quartierspopulaires de Paris se prolongent dans lescommunes attenantes (la Villette).L’industrialisation entraîne l’arrivée d’ou-vriers en banlieue sud-est (Ivry) et surtouten banlieue nord (Saint-Denis). Aux com-munes industrialisées avec des logementslocatifs, collectifs, toujours peu spacieux,s’opposent les communes de l’est et del’ouest, sans industrie, sans ouvriers dansun premier temps. Des lotissements pourcouches populaires, souvent édifiés parles occupants, naissent.La crise du logement populaire se pour-suit et les logements surpeuplés ou insuf-fisants caractérisent les quartiers et com-munes périphériques de Paris. Pourtantla banlieue attire de plus en plus en rai-son des travaux d’urbanisme et de l’aug-mentation des loyers dans Paris. Les acqui-sitions de terrains touchent toutes lescouches sociales dans des espaces parti-culiers, initiatives individuelles ou consé-quences des actions des sociétés d’épargneou des interventions coopératives.Des locataires, par exemple dans l’Unionsyndicale des locataires ouvriers, poursui-vent les actions pionnières des anarchistes(déménagements à la cloche de bois, syn-dicat des «Anti-Vautours», manifestations,démarches diverses).Le socialisme français prend peu encompte la question du logement. Il estimequ’il n’y a pas « de solution à la crise dulogement en régime capitaliste ». Des solu-tions partielles, selon eux, et André Morizets’inscrit dans cette tradition, peuvent êtretentées par l’action municipale.

Le socialisme français prend peu en compte la questiondu logement. Il estime qu’il n’y a

pas « de solution à la crise du logement en régime

capitaliste »

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tiques. En 1932, le Comité supérieur del’aménagement et de l’organisation géné-rale de la région parisienne apparaît dansun contexte particulier, puisqu’il s’agit decontrôler tout nouvel essor de l’agglomé-ration.L’action des pouvoirs publics répond mal-gré tout à la crise du logement. Un ensem-ble de lois modifient la situation sur le planfinancier, dans le cadre d’une extensionurbaine aménagée. Deux lois en 1928entendent remédier aux lotissementsdéfectueux (Sarrraut) et contribuer aufinancement des HBM (Loucheur).L’action des pouvoirs publics apparaîtdécisive (Office départemental des HBMde la Seine, mais aussi ville de Paris et raresoffices municipaux). Des habitations col-lectives en proche banlieue comprennentdes éléments de confort.Mais la crise économique des années 1930frappe l’industrie du bâtiment et le gou-vernement arrête les dépenses. Les pro-jets précédents s’achèvent, notammentles quinze cité-jardins.L’intervention municipale communistevise à assurer des bases pour une progres-sion du Parti en répondant à des besoinsdivers (équipements, transports, voiries,enseignement). Des expérimentationsmunicipales se produisent à Ivry notam-ment. Et le maire de Gennevilliers s’en ins-pire à partir du Front populaire et surtoutaprès la guerre ! La crise du logementdevient un vecteur possible pour un com-bat politique. Un changement d’attitudecommence à se manifester dans la prisede conscience par le Parti communiste del’ampleur de la crise du logement commevecteur possible d’une implantation.Inversement le socialiste André Morizetn’entend pas voir Boulogne-Billancourt,qui a déjà beaucoup d’emplois ouvriers,se transformer en commune d’habitatouvrier.L’urgence d’une politique de logementsocial se dessine alors que l’État, engagédans la poursuite d’une politique d’éco-nomies, tient moins compte des besoinspopulaires. Le Front populaire inverse latendance mais en quelques mois, l’orien-tation ne donne pas d’effets dans le loge-ment. Toutefois dans l’habitat populairecommencent à se mettre en place diversesstructures héritées de la dynamique cul-turelle nouvelle.Devant la persistance de la crise, l’habitatpavillonnaire poursuit sa poussée. Leslotissements s’étendent et le total de loge-ments individuels construits, le plus sou-vent précaires, dépasse amplement lesréalisations collectives. Les « mal lotis »demeurent. > SUITE

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LE DOSSIER Habiter la ville

SUITE DE LA PAGE 11 > L’attitude par rapport à la propriété du

logement se modifie. Les couchesmoyennes cherchent depuis longtemps àacquérir leurs logements. En milieu popu-laire, une telle aspiration commence à serépandre, entraînant de nouvelles socia-bilités. Et le temps libéré à partir du Frontpopulaire profite aussi à la maison !

LE LOGEMENT POPULAIRE DANS UNEBANLIEUE EN ESSOR MIEUX CONTRÔLÉPendant la guerre, la crise du logements’accentue en raison des destructions.Dans l’immédiat après-guerre, le parcimmobilier reste insuffisant, ancien, exiguet inconfortable. Le retard s’aggrave. Desprojets de rénovation grâce à l’architec-ture industrialisée s’esquissent (LeCorbusier, André Lurçat à Saint-Denis).Des maires jouent un rôle moteur, telsWaldeck L’Huillier à Gennevilliers.La législation se modifie. À partir de 1951,les habitations à loyers modérés rempla-cent les HBM. Avec la poursuite de l’ex-pansion démographique, la crise du loge-ment s’aggrave. Hôtels, meublés ouchambres individuelles, logements sur-peuplés abondent.Comme réponse, en raison de la néces-sité de reconstruire, l’État joue un nou-veau rôle financier et réglementaire (créa-tion d’un ministère de la reconstructionet de l’urbanisme, du Commissariat à laconstruction et à l’urbanisme pour larégion parisienne). En 1960, le Plan d’amé-nagement et d’organisation générale dela région parisienne lance de grands pro-

PAR ANNE QUERRIEN*

L es nouvelles formes architecturalesse sont développées parallèlementaux hiérarchies des usines : villas

pour les ingénieurs, maisons indivi-duelles pour les contremaîtres, immeu-bles collectifs à « habiter bourgeoise-ment » pour les ouvriers et les employés,« cantines » ou foyers pour les ouvriersrécemment arrivés de la campagne oude l’étranger et ayant laissé la famille aupays. Les bureaux des compagniesétaient au cœur des bourgs anciens àproximité des petits châteaux et des jar-dins des familles patronales. Malgré cesconstructions, la production a besoin de

recruter dans les environs, et nombreuxsont les ouvriers-paysans qui rejoi-gnaient le travail à pied ou à bicyclette.L’habitat populaire a été d’emblée com-plexe et multidimensionnel.

DES MODÈLES ARCHITECTURAUX PETITS-BOURGEOISL’aide apportée par l’État à la construc-tion d’habitations à bon marché (HBM)s’est accompagnée d’une normalisationtechnique et de la diffusion de modèlesarchitecturaux qui font du travailleur sta-ble un « petit bourgeois », quelqu’un quihabite un univers inventé par les bour-geois, mais de dimensions plus réduitespour des raisons économiques. Qu’ils’agisse d’immeubles collectifs ou de mai-

sons individuelles, des plans-types ontété établis qui séparaient la cuisine de lasalle à manger ou du séjour et des cham-bres, et qui enfermaient chacun dans safonction : père, mère, enfant. L’habitatdevient tendanciellement unifamilial ;l’accueil d’ouvrier en pension qui servaitde complément de revenu, a été interdit,le travail à domicile rémunéré également. Conjugué avec l’école de la République,l’habitat populaire produit de nouvellesfigures de travailleurs employés dans lesvilles à des tâches de services, dont la partdans le produit intérieur brut estaujourd’hui nettement supérieure à cellede l’industrie, même si certains artificesde dénomination et de comptabilité gon-flent ce chiffre. La distribution de reve-

DU LOGEMENT OUVRIER À L’HABITAT POPULAIRELe renouveau du logement populaire exige que de nouvelles mesures soient prises pour lui dégager desemprises urbaines bon marché ou gratuites. La propriété ne devrait plus être opposée à la location.

jets d’habitat collectif en s’appuyant surla Caisse des dépôts et consignations,l’Office central interprofessionnel du loge-ment, les offices publics d’HLM, commeà Gennevilliers, ou des initiatives particu-lières telle la création d’une société d’éco-nomie mixte, comme la Sonacotral.Conséquence de la crise du logement auxaspects spécifiques (vétusté et insalubriténotamment de nombreux logements), trèstôt apparaissent les bidonvilles, notam-ment pour les populations étrangères ounord-africaines. Le foyer devient une solu-tion « sommaire » pour loger les immigrésvenus pour occuper les emplois moinsqualifiés qu’offre l’agglomération.Le parti pris du logement collectif coïn-cide avec la progression du mouvementouvrier en banlieue et tout particulière-ment du Parti communiste. Les munici-palités gérées par le PCF poussent toutesdans ce sens avec le plus souvent la créa-tion d’offices municipaux d’HLM commeà Gennevilliers en 1947 qui contribuent àla constitution d’un bastion ouvrier etcommuniste.La construction de grands ensemblesrésulte d’un plan complet privilégiant lesfonctions résidentielles en banlieue quiabsorbe les populations chassées de Parispar les opérations de rénovation, commela cité des 4 000 à La Courneuve, avec lesconséquences dans la représentationqu’on en donne. L’extension d’une crisesociale de plus grande ampleur se traduitpar la transformation d’une partie du parcimmobilier en parc social aidé.

En région parisienne, près d’un Franciliensur deux habite un logement différent en1990 par rapport à celui de 1982. Des évo-lutions affectent le logement populaire,surtout collectif. Les HLM sont délaisséespar les milieux populaires : y progressentdes catégories à revenus plus bas, jeunes,inactifs, retraités et autres catégories moinsfavorisées, de plus en plus d’étrangers.Les habitants des grands ensemblesconnaissent les difficultés de transports,le bruit, la déshumanisation, la monoto-nie. Des particularités des populationsapparaissent : jeunes couples avec enfants,absence de vieilles personnes, sous-équi-pement et ses conséquences sur les ado-lescents et les jeunes, afflux d’étrangers,extension du chômage. D’où l’imagerécurrente que diffusent les média : legrand ensemble signifierait délinquance,désespoir. Le « mal des banlieues » y trou-verait ses racines.La maison individuelle connaît un succèsancien et croissant dans tous les milieuxsociaux, y compris les milieux populaires.Des conséquences sur les conditions devie en résultent (repli sur la famille,embourgeoisement), mais aussi des muta-tions dans l’occupation du temps librecomme la diffusion, ancienne et toujoursrenouvelée, du bricolage. n

*Jacques Girault est historien, professeurémérite d'histoire contemporaine à l'univer-sité Paris-XIII. Cet article des Cahiers d'his-toire (n°98, 2006) est reproduit avec l'aimableautorisation de la revue.

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nus à la population se fait majoritaire-ment par d’autres canaux que la rému-nération du travail industriel. L’habitatpopulaire s’est détaché de l’industrie,d’autant plus que celle-ci est largementabandonnée au profit d’autres localisa-tions. L’habitat populaire résiste cepen-dant grâce à une plus grande mobilité deshabitants qui, au lieu de faire cinq kilo-mètres aller et retour maximum pour allerà l’usine, font jusqu’à trente kilomètresen moyenne pour aller travailler etconsommer.La consommation est en effet devenuedans les quartiers populaires, pour leshabitants à faible revenu, un véritable tra-

vail d’évaluation des prix, d’informationdes amis, et de renseignement des entre-prises de production de biens et de ser-vices grâce à l’informatisation des caissesde supermarché. Le travail de transfor-mation effectué autrefois dans les cui-sines par les femmes, est maintenanteffectué en usine et présenté sous cello-phane ; dans le logement la cuisine dimi-nue de taille, mais réfrigérateur et congé-lateur prennent des tailles de plus en plusmonumentales. Les femmes travaillent

maintenant au-dehors et souhaitent par-ticiper aux conversations qui se tiennentdans le salon qui s’agrandit, et suivre avecle reste du ménage l’émission de télévi-sion. Un des cloisonnements essentielsau modèle « petit-bourgeois » a sauté etlaissé place à la modernité de l’installa-tion « à l’américaine ».

UN MOULE UNIFORMEAu prix d’un travail permanent, ou d’unlaisser-aller coupable, la femme règne surce petit monde dont les membres se réfu-gient chacun dans sa chambre ou dansson coin, avec les écouteurs et le téléphoneportable qui lui permettent de faire séces-sion en douceur. Le logement ressembleà un centre d’appels, où le dehors multi-plie les invitations à déserter. Ce logementmodelé comme un cocon par les pro-grammes de logement social, qu’imitentparesseusement les programmes privés,ne joue son rôle familial que les premièresannées d’enfance. Le logement populairecontemporain est ressenti comme unmoule uniforme, d’autant plus étouffantque les contrats de location interdisent dele modifier à volonté, sauf à le rendre dansle même état au départ. On n’a le droitd’habiter qu’en nomade, avec des affairesdéménageables !

LE LOGEMENT POPULAIRE À VENIRMais ce tropisme vers le dehors des mem-bres de la famille nous indique aussi qu’onne peut parler du logement populaire –qui devrait être bon marché, modifiable,aimable - qu’en s’intéressant également

à son environnement, aux transports quile lient à l’ensemble des lieux de travailou de loisir alentour et à la multiplicitédes espaces publics ou privés fréquenta-bles. Le renouveau du logement popu-laire exige qu’il ne soit pas relégué, et quede nouvelles mesures soient prises pourlui dégager des emprises urbaines bonmarché ou gratuites. Une réflexion col-lective, politique, syndicale et associative,devrait mettre en commun les droits etles devoirs associés à la propriété et à lalocation aujourd’hui pour définir un sta-tut de propriété sociale temporaire, ajus-table aux besoins de la vie, modifiable parceux qui ont des projets d’installationlongue, banalisée pour ceux qui préfèrentla mobilité. La propriété ne devrait plusêtre opposée à la location ; le droit d’usaged’un logement devrait être acheté contrac-tuellement pour un temps indéterminé ettransmis selon des règles qui en assurentun entretien normal. Un logement popu-laire ne doit être ni un bien spéculatif niun espace répétitif et pédagogique, maisdoit donner à chacun la liberté d’organi-ser sa vie hors travail à sa manière. Larichesse des aménagements intérieursdont sont capables les habitants des quar-tiers populaires est mise en valeur dansle livre Le renouvellement urbain. Le loge-ment populaire à venir sera toujours plusdivers, plus apte à accueillir les trajec-toires sociales les plus variées. n

*Anne Querrien est sociologue, militante del’association internationale de techniciens,experts et chercheurs (AITEC).

Un logement populaire ne doit être ni un bien spéculatif niun espace répétitif et pédagogique,

mais doit donner à chacun laliberté d’organiser sa vie hors

travail à sa manière.

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L’INVENTION PAR LE PEUPLE DE NOUVEAUX MODES DE VIEUne démarche novatrice afin de développer une dynamique de transformation des conditions de produc-tion de l’habitat populaire.

PAR JEAN-FRANÇOIS PARENT*

Individus déplacés, victimes de la vio-lence et de la misère, « d’impératifs »économiques aveugles, relégués et

stigmatisés dans des quartiers insalu-bres ou en périphéries de la « Ville »…Populations déracinées au sein de zonespavillonnaires devenues le cadremoderne de la solitude, de l’abandonsocial et du vide existentiel… Nul ne peutignorer qu’une fraction toujours crois-sante de la population mondiale « vit »dans des conditions matérielles ethumaines indignes.

UNE DEMANDE SOCIALE INSATISFAITECes situations sont connues et unani-mement déplorées. Elles donnent lieu àdes mesures de rattrapage concernantl’environnement matériel ; mesures d’or-dre quantitatif, mesures réactives carsoumises à l’urgence, stéréotypées carproduisant les mêmes logements sou-mis aux mêmes impératifs partout dansle monde, réductrices et conservatricescar censées répondre aux besoins pré-sumés d’un certain mode de vie indivi-duel et familial – et non aux besoins dif-férenciés et aux attentes collectives de

citoyens auteurs de leur vie en société.Ces mesures provoquent une demandesociale insatisfaite, de plus en plus cri-tique et soucieuse de dépasser une posi-tion de demandeurs et de consomma-teurs insatisfaits, pour faire reconnaître« un droit » de participants responsables.Cette situation – crise multiforme, crois-sante, insupportable et mesures inadé-quates pour y faire face – n’est pas celled’une période conjoncturelle de tensionet de désordre dont il suffira d’attendrele dénouement pour retrouver une situa-tion « normale ». Elle est révélatrice d’un

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LE DOSSIER

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Habiter la ville

système général qui, par sa cohérencemasquée, isole chacun des acteurs insti-tutionnels dans un cadre où s’imposentà lui des « solutions » nécessairement par-tielles et conservatrices. Ce cadre déter-mine les modes de représentation et decompréhension de la réalité, les formesde recherche et de formation (lesquellesne produisent plus l’indispensableréflexion critique et des outils d’engage-ments créatifs), les modes de production(lesquels privilégient des moyens tech-niques rentables et des visions « expertes »standardisées), et enfin les choix étatiqueset les pratiques politiques plus souventgestionnaires et réactives que prospec-tives et émancipatrices.

LA CRÉATION DU LABORATOIREINTERNATIONAL POUR L’HABITATPOPULAIRE C’est dans ce cadre général que leLaboratoire international pour l’habitatpopulaire s’est créé en 2008, qu’il a conçuet fait évoluer ses questionnements etses propositions afin de développer unedynamique de transformation des condi-tions de production de l’habitat popu-laire, non pas un habitat pour le pauvremais l’habitat d’un peuple qui prend lepouvoir de s’inventer de nouveauxmodes de vie.Pour affronter la dictature du marché etle formatage correspondant de consom-mateurs mystifiés, pour tenter de résis-ter à toute tentation d’aliénation concep-tuelle, le LIHP a progressivement préciséun horizon d’attente qui ne dissocie pasenvironnement matériel et environne-ment humain, production de l’habitat(ville et quartier) et développement d’uneculture de l’habiter, de la prise deconscience des différents effets des pro-cessus de construction (données écono-miques, techniques, scientifiques ethumaines). Horizon d’attente dont lepremier corollaire est la nécessaire impli-cation de l’ensemble des acteurs concer-nés et, tout particulièrement, les citoyens,non plus consommateurs de logementsmais concepteurs d’habitats ! Le droit àla recherche et à l’action pour tous…Le choix de la démarche a pris progres-sivement la forme de la recherche-action : mettre en situation de respon-sabilité partagée des personnes decompétences et de statuts différents, cha-cune étant à la fois et solidairement cher-cheur et acteur et apportant – à partir deson expérience – des savoirs, des inter-rogations, des motivations et des repré-sentations qui vont se confronter à cellesdes autres dans la conduite d’une pro-

duction commune nécessairement iné-dite. Démarche conflictuelle, inhérenteà tout projet émancipateur, et source deson dynamisme, de sa créativité et deson efficacité.

DES CHAMPS D’ACTION PRIORITAIRESAprès trois ans d’expériences dans descontextes aussi différents que ceux enga-gés par le LIHP se sont précisés deschamps d’interrogations et d’action prio-ritaires :Au plan conceptuel, à propos du phéno-mène urbain (la ville comme contrainteségrégative vs cadre de vie émancipa-teur ; de la place du travail et des activi-tés de production dans la ville ; des rap-ports ville-campagne (en interrogeantles clivages entre espace urbain et espacerural, environnement et milieux) ; desdistinctions essentielles entre : être logévs habiter, logement social vs habitatpopulaire ; de l’intégration d’une écolo-gie environnementale dans une écologieglobale incluant l’humain…Au plan méthodologique et stratégique,la participation des populations a à la foisvalidé le bien-fondé de la démarche pro-posée, renforcé la conviction qu’il est pos-sible de modifier radicalement l’état pré-sent… et souligné la complexité du projet.En effet, les tensions produites témoi-gnent de la réalité, du monde tel qu’il estet des acteurs tels qu’ils sont, souvent troprapidement qualifiés de partenaires indif-férenciés ou d’adversaires à éviter. Ladémarche de recherche-action consisteainsi à travailler collectivement sur dessituations d’échanges, de mise au pointet d’approfondissement nécessaires afind’élever la conscience de la nature et desenjeux des problèmes abordés : cela, nonabstraitement au plan idéologique, mais

dans le questionnement et dans l’analysede situations concrètes où s’engage leurtransformation. La recherche-action estbien ce travail rigoureux de recherche surles effets d’une action impliquant la diver-sité contradictoire de partenaires dontl’engagement à égalité dans la même

nécessité va ébranler certitudes, repré-sentations et modes de pensée et débou-cher sur de nouvelles cohérences, refletdialectique et de la réalité nouvelle et dela démarche qui la produit. On ne com-prend que ce qu’on transforme…D’où la complexité des missions du LIHPà la fois acteur parmi d’autres – ses mem-bres sont souvent architectes et urba-nistes – et acteur particulier car garantde démarches novatrices à mettre à ladisposition de tous. En bref, il doit s’as-socier localement à la conception et à laréalisation de projets progressistes etémancipateurs sans cesser de faire vivreles modèles théoriques que de telles pra-tiques permettent d’élaborer… Ambi -tieux programme à la mesure de la gra-vité de la situation ! n

*Jean-François Parent est architecte DPLG(diplômé par le gouvernement). Il est prési-dent du Laboratoire international pour l’ha-bitat populaire.

la nécessaire implication de l’ensemble des

acteurs concernés et, toutparticulièrement, les citoyens, nonplus consommateurs de logements

mais concepteurs d’habitats !

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PAR ANNE D’ORAZIO*

Dans quelques jours s’ouvriront àGrenoble les sixièmes rencontresnationales de l’habitat participatif

où se réuniront les militants de l’habitatgroupé, des coopératives d’habitants etde l’auto-promotion immobilière. Cerendez-vous annuel est l’occasion deconstruire des stratégies communes, desensibiliser et d’interpeller les collecti-vités locales et l’État.

Partant du constat que la production dulogement en France est fondée sur undualisme entre parc social et promotionimmobilière privée, peu de place est lais-sée à l’initiative habitante et à l’expres-sion de formes alternatives issues de lasociété civile. Pourtant, au cours desannées 1970, un mouvement d’innova-tion et d’expérimentation s’est organiséautour de l’habitat groupé autogéré. Descollectifs d’habitants ont revendiqué uneautogestion du quotidien et une maîtrisede leur cadre de vie fondées sur une cri-tique de la massification du parc socialet de l’individualisme du petit pavillon-naire.

Aujourd’hui, des initiatives se dévelop-pent dans un contexte nouveau de re-négociation des politiques sociales dulogement, de transformations des formesd’engagements. Ces démarches qui seréclament d’une double appartenance audéveloppement durable et à l’économiesociale et solidaire cherchent à travers unecritique des modes conventionnels de pro-duction du logement à initier de nouveauxrapports de voisinage, de nouvelles formesde solidarité et de nouveaux rapports à lapropriété par une certaine forme de ré-invention du quotidien. Elles sont portéespar des habitants qui veulent deveniracteurs d’un dispositif de promotion et defabrique de la ville dont ils sont ordinai-rement de simples usagers et des specta-teurs passifs.

L’HABITAT PARTICIPATIF, UNE UTOPIERÉALISTE ?Cette mobilisation autour de l’habitat par-ticipatif traduit pourtant des réalitéscontrastées. Si depuis quelques années,plus de 300 groupes-projets se sont consti-

tués aux quatre coins de France, seulesquelques opérations sont aujourd’hui encours d’aboutissement. Elles nous rensei-gnent largement sur le difficile parcoursqui attend les candidats à l’habitat parti-cipatif.Aujourd’hui, face aux aléas et épreuvesquotidiennes, les groupes d’habitants pei-nent à mener à bien leur projet qui restepour beaucoup un rêve inaccessible.

Inspirées des expériences des éco-quar-tiers nord-européens autant que des réfé-rences québécoises ou suisses en matièrede logement communautaire et de coo-pératives d’habitation, ces démarchesveulent impulser des dynamiques habi-tantes. Leur volonté est de « réinventernotre façon d’habiter et de vivre ensem-ble », en dehors des sentiers convention-nels du parc social et de la promotionimmobilière mercantile, par une « nou-velle approche de l’habitat ». Pour cela,elles imaginent des projets de mutuali-sation, de solidarité, de durabilité qui sefondent sur la position centrale du col-lectif d’habitants. « En positionnantl’usager au cœur de la réalisation et dela gestion de son lieu de vie », il devientdécideur et bénéficiaire direct des actionsqu’il entreprend. Il s’agit donc pour cesgroupes de constituer une offre produitepar et pour les habitants.

DES DÉMARCHES VARIÉES POUR UN MÊMEPROJET : « HABITER AUTREMENT »Deux grandes tendances occupentaujourd’hui cette scène alternative.D’une part, celle qui s’exprime autourde l’idée de coopératives d’habitants etd’autre part celle qui s’inscrit dans lesdémarches d’auto-promotion. La pre-mière promeut l’idée de devenir « col-lectivement propriétaire » et développeune réflexion sur l’accessibilité écono-mique et sociale du logement ; la secondecherche à mettre en oeuvre des projetsdans lesquels le groupe « habitant »endosse l’habit du maître d’ouvrage etse livre à lui-même un immeuble qu’ilaura programmé, financé et qu’il gérera.Dans tous les cas, il s’agit d’affirmer lerôle central du groupe dans la gestion deprojet afin « d’accéder à un logement àcoûts maîtrisés par la limitation des inter-médiaires, la programmation collectiveet surtout la coopération au quotidien.

L’ HABITAT PARTICIPATIF, UNE ALTERNATIVE CITOYENNE ?Une démarche qui réinvente notre façon d’habiter et de vivre ensemble, qui interroge collectivement l’in-térêt général et donne du sens à une action publique.

Tous ces facteurs mis bout à bout per-mettent aux ménages engagés dans desprojets participatifs de diminuer le poidsdes dépenses liées au logement et d’aug-menter ainsi leur « reste à vivre ». Engagées dans le champ de l’habitat, cesexpériences sont proches des dyna-miques de l’Économie sociale et solidaireet cherchent à élaborer des processus decircuits courts en s’inscrivant dans lesréflexions sur la consommation respon-sable.

VERS UNE INSTITUTIONNALISATION DEL’HABITAT PARTICIPATIFMalgré le faible nombre d’opérations encours il ne faut pas négliger la place queces initiatives occupent dans le débatpublic. Cette dynamique portée par lasociété civile trouve une écoute atten-tive auprès de collectivités locales quicherchent à renouveler les cadres de l’ac-tion publique dans un contexte d’impé-ratif de durabilité et de solidarité. Cette mobilisation des décideurs locauxet les coopérations qui se déploient avecles acteurs de la société civile donnentun nouveau souffle à des pratiquesconventionnelles dans le champ de l’habitat dont les compétences sont his-toriquement fondées sur des savoirstechniques et experts. L’adossement réci-proque entre stratégies de l’actionpublique et de la société civile s’opèredans une perspective pragmatique etopérationnelle. Dès lors, il s’agit deconstruire des pratiques qui ne sont plusstrictement dictées par les orientationsde l’agent public mais bel et bien d’in-terroger collectivement l’intérêt généralet de donner du sens à une actionpublique « co-construite ».

Si ces expériences sont aujourd’hui ina-chevées elles n’en restent pas moins unindicateur du renouvellement des formesde la participation citoyenne renouantainsi avec les initiatives issues de lasociété civile. Toutefois, l’institutionna-lisation de ces dispositifs peut faire cou-rir le risque d’une normalisation etréduire à néant l’essence même de ladémarche. n

*Anne d'Orazio est architecte-urbaniste. Elleenseigne à l’école nationale supérieure d’ar-chitecture de Paris La Villette (ENSAPLV).

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PAR MARION GUENOT*

Frais d'inscriptions, sécurité sociale,livres et matériel et bien sûr, loge-ment, chaque rentrée universitaire

nous rappelle combien, dans ce parcoursdu combattant pour obtenir une quali-fication, la vie n'est qu'un éternel recom-mencement. Dans un contexte de pré-carité sans cesse aggravée par uneaugmentation du coût de la vie étudiante(+3,7%) deux fois supérieure à l'inflationet à la maigre augmentation des bourses.Premier poste de dépense, le logementétudiant, dont les loyers augmententencore de 10 % en Île-de-France pourcette année universitaire, ces « studiosétudiants » que des bailleurs privéslouent à des montants exorbitants. Quantau logement social du CROUS, mieuxvaut ne pas trop rêver : « Obtenir un loge-ment m'éviterait de faire deux heures detransport par jour, malheureusement jene suis pas prioritaire » témoignaitencore récemment une étudiante deParis VIII Saint-Denis. Rien d'étonnant,lorsque l'on sait que sur près d'un mil-lion de demandes en France chaqueannée, moins de 8 % d'entre elles ontune chance d'être satisfaites (contre 60 %dans les années 1960).

LE LOGEMENT ÉTUDIANT UNE SOURCE DE PROFIT ET DE RENTABILITÉ Pas prioritaire, le logement étudiant ?Rien n'est moins sûr : « La résidence étu-diante, un bon investissement à l'abri dufisc ! » titrait la revue Challenges en maidernier, alors que le Figaro se félicitaitdu fait que « depuis deux ans, l'investis-sement en résidence étudiante a retrouvédes couleurs, notamment grâce auxencouragements de l'État. » Des avan-tages fiscaux aux partenariats public-privé, en passant par les dispositifs delabellisation CROUS permettant aux rési-dences étudiantes privées d'être comp-tabilisées comme logements sociaux,sans oublier le dispositif « pass-loge-ment » permettant de s'endetter auprèsde banques pour le dépôt de garantie,on ne peut que constater l'encourage-ment à faire du logement étudiant unesource de profit et de rentabilité, alors

que la pénurie de logements sociaux faitrage. Notre génération d'étudiants a connul'asphyxie budgétaire de l'ensemble duservice public d'enseignement supérieur,avec l'idée selon laquelle « le servicepublic ne peut pas tout ». Avec la libéra-lisation en revanche, tout est possible :on se souvient des dispositifs de « loge-ment intergénérationnel », où l'on pro-posait aux étudiants de devenir de véri-tables infirmiers pour les personnesâgées chez lesquelles ils logeraient à prixréduit. Des cadeaux fiscaux aux bailleursprivés, de la promotion par le CROUSdes offres immobilières privées, tous cesdispositifs ont un point commun : ilsnous apportent la preuve que les moyensnécessaires pour déployer un servicepublic du logement étudiant existent ;mais qu'ils doivent servir à engraisser lesbailleurs privés, les banques, même s'ils'agit pour cela d'aggraver encore la pré-carité étudiante. L'argument selon lequell'effort ne pourrait être fourni dans ce

contexte de crise ne tient pas : c'est en1977 que Raymond Barre refond « l'aideà la pierre », c'est à dire l'aide à laconstruction de logements pour créerl'aide personnalisée au logement (APL) ;ce qui a pour conséquence de faire stag-ner le nombre de logements sociaux étu-diants, quand la spéculation immobi-lière est dopée. Les bailleurs privéspeuvent augmenter les loyers, les APLaccompagneront, étant donné qu'ellessont plus importantes pour les étudiantsqui ont des revenus plus faibles. C'est,pour ainsi dire, l'argent de l'État quitombe directement dans les mains despropriétaires privés. Cette politiquedevait trouver son aboutissement dansla construction de grands pôles univer-sitaires de compétitivité, où les 9 m² insa-

lubres doivent céder la place à des loge-ments de plus grande superficie, et par-ticiper de l'attractivité du pôle de forma-tion. Nous voilà bien loin de l'idée depermettre à tous d'étudier dans debonnes conditions : des logements de700 euros par mois alors que la moitiédes étudiants subsiste avec seulement400 euros, ce besoin transformé en outilde rentabilité pour les bailleurs privés,en outil d'attractivité dans un enseigne-ment supérieur redevenu élitiste, avecquelques logements sociaux à la marge,en gage de charité.

EXTRAIRE LE LOGEMENT ÉTUDIANT DESGRIFFES DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ. Voici maintenant plus de deux ans queles étudiants communistes mènent cettebataille au mot d'ordre de « Ni précarité,ni charité, des logements pour étudier ! »,des étudiants organisés en comités derésidence, des rassemblements et actionscoup de poing, et font partager ce quidevrait constituer un véritable choix poli-tique courageux : redévelopper un vraiservice public du CROUS, construire deslogements sociaux étudiants et nationa-liser les résidences universitaires privées.Le droit au logement est indissociablede l'accès à l'autonomie, dans notre pro-jet pour la création d'un statut du jeunetravailleur en formation, nous exigeonsdonc de pouvoir l'extraire des griffes del'économie de marché. Pour redonneraux étudiants tout leur pouvoir pourprendre en main les politiques qui lesconcernent, nous devons rendre touteleur légitimité à des conseils d'adminis-tration constitués à parité entre les repré-sentants de l'État, des étudiants et dessalariés du CROUS qui pourront ainsidévelopper une politique de logementsocial ambitieuse plutôt que d'être can-tonnés à la gestion de la pénurie d'unservice public sous asphyxie la plustotale. Rompre avec les logiques de pro-fit pour répondre aux besoins de tous,n'est pas une question de moyens, maisde volonté politique. n

*Marion Guenot est secrétaire nationale del’Union des étudiants communistes (UEC).

NI PRÉCARITÉ, NI CHARITÉ, DES LOGEMENTS POUR ÉTUDIER !Une bataille menée par les étudiants communistes pour redévelopperun vrai service public du CROUS, construire des logements sociauxétudiants et nationaliser les résidences universitaires privées.

Le droit au logement est indissociable de l'accès

à l'autonomie, dans notre projetpour la création d'un statut

du jeune travailleur en formation.

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Habiter la ville

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PAR JACQUES BOURGOIN*

L utte contre les marchands de som-meil et l’habitat indigne, arrêté anti-expulsions, préemption contre la

vente à la découpe, restructuration urbainedes quartiers du Luth et des Grésillons,écoquartiers pour tous… Gennevilliersfait régulièrement la une du combat pourle droit au logement de qualité pour tous.Ce combat ne peut être que de dimensionnationale face à la situation dramatiquedu mal logement pour plus de trois mil-lions de nos concitoyens.

Une situation héritée des politiques desgouvernements de droite qui ont systé-matiquement organisé le désengagementde l’État, le démantèlement du logementsocial et sa marchandisation au profitunique de la spéculation immobilière.

GENNEVILLIERS, HAUTS-DE-SEINE ET LOI SRUGennevilliers, ville populaire de 43 000habitants compte 64 % de logementssociaux. Pourtant plus de 3 000 demandessont en attente, à l’image d’une réalitéfrancilienne marquée par un déficit deplus de 400 000 logements.Gennevilliers est une ville des Hauts-de-Seine, département dirigé successive-ment par Charles Pasqua, NicolasSarkozy et aujourd’hui Patrick Devedjian,qui ont organisé avec leurs amis poli-tiques Patrick Balkany et consorts, laségrégation urbaine et l’exclusion sociale.Résultat : quatorze villes des Hauts-de-Seine, sur trente-six sont hors la loiSRU et vingt deux villes en dessous de lanouvelle obligation de 25 % de logementsdits sociaux. Pire encore, le conseil géné-ral, qui a la délégation de l’État dans ledomaine de l’habitat, pousse les com-munes à construire en PLS (42 % de laproduction sociale des Hauts-de-Seineen 2012).

LES LOGEMENTS PLS SONT INACCESSIBLESAUX FAMILLES POPULAIRES.C’est pourquoi, la loi SRU, malgré desmodifications positives, pourra toujoursêtre contournée tant que nous ne gagne-rons pas le retour à sa définition initialedu logement social (PLA-I et PLUS), sanscomptabiliser le logement intermédiaire.Face à cette situation où de trop nombreuxsalariés, jeunes travailleurs, et étudiants,se trouvent exclus hors des Hauts-de-Seine, les initiatives contre le mal-loge-ment se multiplient. Neuilly et Levalloissont devenus des lieux symboliques derassemblement pour porter l’exigenced’un quota de 50 % de logements vraimentsociaux pour tout programme neuf dansles villes hors la loi SRU.En ce sens, le conseil municipal deGennevilliers a relayé l’appel de « la cam-pagne logement 92 » lancée en 2012 pardes associations comme l’Action catho-lique, la fondation Abbé-Pierre… en don-nant l’exemple et en s’engageant publi-quement (avec évaluation tous les ans) : • pour la construction de 700 logementspar an (50 % de logements sociaux, 50 %en accession à la propriété). • pour le logement des jeunes : avec 100logements par an pour les étudiants et lesjeunes travailleurs.• pour favoriser l’accès au relogement desfemmes victimes de violences conjugales.• pour l’éradication de l’habitat indigne.Objectif : plus aucun logement indignesur la ville fin 2014.• pour obtenir de l’État et du conseil géné-ral des financements conséquents pourla construction des logements sociaux.L’idée principale de notre démarche étantd’interpeller tous les conseillers munici-paux des Hauts-de-Seine et les associa-tions pour mettre au cœur des combats àvenir les questions du droit au logementavec le nécessaire engagement des éluslocaux.

ACCESSION SOCIALE À LA PROPRIÉTÉ ETREFUS DE LA VENTE DES LOGEMENTSSOCIAUX Autre terrain de la lutte idéologique dansles Hauts-de-Seine, celui de la vente deslogements sociaux. Ballon d’essai deSarkozy, alors président du conseil géné-ral en 2005, il a servi depuis aux décisionsde la droite au gouvernement. Constatons,

heureusement, l’échec partiel de cettedécision de la vente de 4 000 logementssociaux dans les Hauts-de-Seine, puisquesept ans après, moins de 1 000 logementsont été vendus. Les exemples dramatiquesdes copropriétés dégradées dans les citéspopulaires font réfléchir nos concitoyens.Par contre, des exemples locaux montrentcombien cette démarche contribue à laspéculation immobilière. Ainsi, une mai-son de ville de l’office départemental HLMachetée 190 000 euros par son locataire aété revendue par ce dernier 380 000 euros,cinq ans plus tard.Mais face à l’aspiration légitime d’accé-der à la propriété, nous avons réactivénotre coopérative HLM. Elle construit cin-quante logements par an au prix de3 200 euros le m², au lieu de 4 500 euros lem² dans le secteur privé neuf. Une clauseanti-spéculative interdit la revente de celogement dans les douze ans suivant sonachat. Cette production destinée princi-palement aux locataires de l’office HLMlibère autant de logements sociaux sansles détourner de leur objet.

LUTTE CONTRE L’HABITAT INDIGNEToute cette situation participe à la pros-périté de l’habitat indigne avec des loca-taires vulnérables qui sont la proie de pro-priétaires peu scrupuleux. À Gennevilliers,l’éradication de ce type d’habitat est unede nos priorités. Nous menons depuis plu-sieurs années des campagnes publiques,parfois à la limite de la légalité, comme lesmurages d’immeubles, la pose de pan-neaux d’affichage dénonçant les mar-chands de sommeil devant leurs biensindignes et l’utilisation de procédures coer-citives. C’est ainsi que nous avons gagnédevant le tribunal de grande instance deNanterre contre un propriétaire d’unimmeuble insalubre. Celui-ci a étécondamné à 15 000 euros d’amende etsept mois de prison avec sursis. Mais aupa-ravant, il a fallu définir en droit le conceptd’habitat indigne. Cela n’a été possiblequ’après les actions répétées de villescomme Gennevilliers et des associationsqui luttent pour le droit au logement,relayées par les parlementaires commu-nistes qui ont permis que ce concept soitprécisé en droit par la loi du 27 mars 2009.Nous avons, de plus, imposé à l’État,depuis 2003, une convention pour éradi-

UNE POLITIQUE VOLONTARISTE POUR UNE VILLE POUR TOUSÀ travers l’exemple de Gennevilliers on mesure l’intérêt réel des politiques locales progressistes animéespar les élus communistes, d’abord pour répondre partiellement aux besoins des populations, mais sur-tout en tant qu’expériences, propositions et exigences pour un vrai changement de politique du logement.

POUR UN F3 DE 60 M² : LOYER DE BASE - du PLA-I  : 309, 60 euros - du PLUS  : 348 euros - du PLS  : 523 euros.

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LE DOSSIER Habiter la ville

SUITE DE LA PAGE 17 > quer l’habitat indigne et obtenu le finan-

cement bonifié d’un logement social neufpour chaque logement insalubre détruit.Au total, 913 logements indignes ont étérépertoriés, 587 traités. Nous avons relogé290 ménages, représentant 571 personnesdont 156 mineurs.

ÉCOQUARTIER POUR TOUS En cours de réalisation, ce projet estemblématique à plus d’un titre de notrepolitique locale de l’habitat, en particu-lier parce qu’il réinscrit, dans la ville, l’an-cienne friche industrielle de neuf hectaresdes usines Chausson. À cet égard, l’instal-lation dans l’espace public d’une monu-mentale presse (8 mètres de haut, 150tonnes) a été bien plus que la simple posed’une première pierre.Elle symbolise les racines ouvrières denotre ville ; là où se sont construites dans

les luttes, les valeurs de solidarité qui carac-térisent Gennevilliers aujourd’hui :construire une ville de qualité pour tous,refusant l’exclusion sociale à l’opposé desécoquartiers pour les couches sociales pri-vilégiées. Sur 1 700 logements, 50 % serontde logements sociaux et 50 % seront enaccession libre ou sociale. Ceci est également le résultat d’un an dedébats publics avec nos concitoyens surdes thèmes complexes tels que la compa-cité urbaine, les modes de déplacement,les espaces publics, les énergies… et quidébouche sur des projets concrets pourtoute la ville. Ainsi la chaufferie biomasse,alimentée par du bois, qui viendra com-pléter le chauffage urbain existant, chauf-fera aussi les 11 000 logements sociaux etles équipements collectifs de la ville,contribuant à la baisse des charges, avecune TVA à 7 % au lieu de 19,6 %.

Ces quelques exemples montrent la per-tinence d’actes volontaristes d’élus locaux,de citoyens et de leurs associations…Mais ils ne pourront prendre l’ampleurnécessaire que dans le cadre d’une nou-velle et grande politique publique de l’Étatqui doit déclarer le logement « grandecause nationale ». Soyons franc – le nou-veau dispositif de défiscalisation « Duflot »,qui, à l’identique du « Scellier » va favori-ser la production spéculative, n’indiquepas le chemin du changement. Aucontraire, il faut réorienter l’argent publicvers l’aide à la pierre, condition indispen-sable à la mise en place d’une vraie rup-ture dans la politique nationale qui doitmettre au cœur de ses objectifs le droitfondamental au logement pour tous. n

*Jacques Bourgoin est maire de Gennevilliers,conseiller général PCF des Hauts de Seine.,

SORTIR DE LA MARCHANDISATION DU LOGEMENT PAR UNE INTERVENTION PUBLIQUE FONCIÈREDix millions de personnes sont touchées par la crise du logement. Le logement n'est plus considérécomme un bien premier, mais comme un objet de consommation et/ou de spéculation. Pour remédier àcette situation le groupe communiste, républicain et citoyen (CRC) a déposé une proposition de loi pourune stratégie foncière publique en faveur du logement.

PAR MIREILLE SCHURCH*

L’intervention publique en faveur dulogement n’est pas une nouvelle.Depuis 1912 avec la loi Bonnevay, il

existe un véritable volontarisme publicdans ce domaine, ce qui a permis laconstitution en France du parc de loge-ments le plus important d’Europe. Deplus, le droit au logement « constitue undevoir de solidarité pour l'ensemble dela nation » (loi du 31 mai 1990).Malgré cet interventionnisme historiqueet la reconnaissance d’un droit au loge-ment, la crise du logement est aujour d’huià son paroxysme. Au-delà de celle consta-tée depuis longtemps dans le logementsocial, cette crise atteint à présent lesclasses moyennes qui ne sont pas éligi-bles au logement social et ne parviennentpas pour autant à se loger sur le marchélibre.Pourtant, les textes législatifs ne man-quent pas : loi d’orientation pour la villede 1991, SRU de 2000, loi d’août 2004 rela-tive aux libertés et responsabilités locales,loi de juillet 2006 portant engagementnational pour le logement, ordonnance

de février 2007 relative aux offices publicsde l'habitat, loi de mars 2007 instituant ledroit au logement opposable et portantdiverses mesures en faveur de la cohé-sion sociale, loi Duflot de 2012 en faveurd’une mobilisation générale pour laconstruction de logements, la liste n’estpas exhaustive.Mais la réalité est là : 3,6 millions de per-sonnes ne sont pas ou très mal logées, unménage sur deux consacre plus de 18,5 %de ses revenus à son habitation princi-pale, ce taux d'effort monte à 26,9 % pourles locataires du parc privé, ce sont autotal 10 millions de personnes qui sonttouchées par la crise du logement selonla fondation Abbé Pierre.

LA BANALISATION DU LOGEMENT COMMEBIEN MARCHANDPlusieurs phénomènes expliquent cettesituation : d’une part la remise en causede la légitimité de l'intervention de l'État,qui consacre moins de 1%, de son bud-get à aider les Français à se loger, sonretrait progressif à la faveur de la décen-tralisation et la banalisation du logementcomme bien marchand laissé au méca-

nisme du marché, au transfert du finan-cement de la construction de logementsentre les mains des banques privées. Alorsque dans le même temps plus de 60% desménages français ont, en ce qui concerneleurs ressources, droit au logement social.De plus on a pu constater que l’approche

patrimoniale de l’immobilier a cédé le pasà un marché dominé par des fonds d’in-vestissement adoptant une approcheexclusivement financière de l’immobilier.Ainsi, le logement n'est plus considérécomme un bien premier, mais comme unobjet de consommation et/ou de spécu-lation. Cette conception marchande a étépar ailleurs renforcée par la mise en placede niches fiscales favorisant le placementspéculatif à l'image des dispositifs appe-lés Censi, Bouvard, de Robien ou encoreScellier. Le marché de l'immobilier est ainsi

L'État consacre moins de 1%, de son budget à aider les

Français à se loger.“ ”

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devenu un marché hautement spécula-tif, ne permettant plus l’acquisition deterrain par les collectivités territoriales oupar l’État qui sont dès lors désarmés pourlutter contre la ségrégation sociale quecette spéculation entraîne.

LE SOL MATIÈRE PREMIÈRE DU LOGEMENTConcrètement, aujourd'hui, les collecti-vités ou organismes qui veulent interve-nir en matière de construction de loge-ments publics, doivent au préalableacquérir des terrains à un prix abordable.« La crise du logement nous ramène à samatière première : le sol ». C’est pourquoi il est nécessaire de renfor-cer l'action foncière publique afin de limi-ter le poids de l'acquisition foncière pourrelancer concrètement la construction delogements publics, de permettre la consti-tution d'un portefeuille de réserves fon-cières, pour préparer à long terme la réa-lisation d'opérations d'aménagement ; lefreinage de la spéculation foncière par larécupération des plus-values liées à l'an-nonce de perspectives d'aménagementet la péréquation des charges foncièresafin de favoriser le logement social.Tous ces éléments permettraient de sor-tir de la financiarisation de court termede ce secteur. C’est dans cette optiqueque les sénateurs du groupe CRC au Sénatont déposé une proposition de loi pourune stratégie foncière publique en faveurdu logement autour d’un pôle publicfinancier permettant d'aider au finance-ment de logements sociaux et de loge-ments publics.Il est dans un premier temps impératifd’agir sur la définition même de la valeurfoncière, travailler à la définition d'unmécanisme permettant de la réguler en sefondant sur des indicateurs concrets etnotamment l'évolution de l'indice de

construction qui reste relativement stable. Il conviendrait également pour éviter lessurcoûts fonciers des effets d’aubainedans le cadre d'opérations d'aménage-ment d'utilité publique de mettre enœuvre un mécanisme permettant de fixerle coût foncier au jour de la définition d'unpérimètre d'opération révisé suivant l’in-flation à l’indice de la construction. Il nes’agit aucunement ici de mettre en placedes mécanismes spoliateurs, mais seule-ment de redonner de la cohérence et dela lisibilité au marché de l’immobilier per-mettant la définition de stratégies fon-cières publiques efficaces, qui passentnotamment par la capacité des collecti-vités de définir une programmation d'ac-quisition des terrains à bâtir nécessairesà la construction de logements accessi-bles à tous.

UNE AGENCE NATIONALE FONCIÈRE POURLE LOGEMENT Cela passe nécessairement par le renfor-cement des outils permettant d'agir surle levier foncier ce sera le rôle d’une d'uneAgence nationale foncière pour le loge-ment, répondant à plusieurs finalités.Elle permettrait de réaffirmer que la com-pétence logement est du ressort de l'État,État qui ne peut donc légitimement sedésintéresser de la question foncière, sup-port de toute construction.Elle permettrait ensuite de sortir de lalogique de fiscalisation de l'aide publiqueau logement et de renforcer l'aide directede l'État à la construction, ne passant passeulement par le subventionnement dela construction, mais directement par lesacquisitions foncières et immobilièresnécessaires aux opérations publiques deconstruction de logements. Elle permettrait enfin, de sortir les collec-tivités et opérateurs publics, des difficul-

tés qu'ils connaissent aujourd'huilorsqu’ils souhaitent participer à l'effortde construction, en reportant l'effortfinancier d'acquisition de terrains surcette agence.Le mécanisme serait simple, cette agenceacquerrait des terrains ou de l'immobi-lier afin de constituer un domaine publicde l'État, support de la construction delogements sociaux et répondant donc àl'intérêt général. Ainsi, la propriété fon-cière serait celle de la puissance publique,l'usufruit étant pour sa part confié auxdifférents opérateurs de construction. Sur la propriété de l'Agence nationale fon-cière, les droits à construire et à usage nepourraient être confiés qu'aux organismesHLM pour construire des logementssociaux, par un recours aux baux emphy-téotiques à construction et/ou à réhabi-litation. Les conventions passées entrel'Agence et les organismes HLM devraientcomporter particulièrement des disposi-tions favorisant l’accessibilité pour lespublics les plus démunis et promouvoirla diversité en taille des logements. Ellescomprendraient également des condi-tions en termes de projet architectural,d'économie d'énergie, de préservationd'espaces naturels collectifs dans la réa-lisation des programmes. Nous avons conscience que cette mise àdisposition du foncier, ne permettra pasà elle seule de répondre au déficit deconstruction. Mais parmi l'existence d'au-tres dispositifs, il s'agit avec la création decette Agence de créer un outil pérennefavorisant la réalisation des objectifs deconstruction de logements sociaux voirtrès sociaux dans les territoires. n

*Mireille Schurch est sénatrice de l’Allier(groupe CRC).

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LE DOSSIER Habiter la ville

PAR LAURA FANOUILLETET HORTENSE PUCHERAL*

L’habiter est au cœur de la question ence qu’il dessine la multiplicité desmodes de notre rapport au monde

en tant que nous l’habitons. L’habiter estun nous autant qu’il est un je – il désigneles conditions qui conviennent à notre vieet à son développement. Si c’est à traverslui que surgit une disjonction entre ledomaine public et le domaine privé, c’estparadoxalement en comprenant le glisse-ment opéré en son sein que nous pour-rons les harmoniser. Pourquoi l’habiterensemble diffère-t-il de l’habiter seul ?Pourquoi se pose un problème de coha-bitation ?

LE CHEZ-SOIL’habitat, censé nous protéger des intem-péries ou des hostilités du monde exté-rieur, surgit paradoxalement aujourd’huicomme une puissance d’altération denotre environnement. La question de l’ha-bitat est en ce sens la question de ce dontnous devons nous protéger, et donc de ceque nous devons préserver pour vivre.Avec elle c'est une conception de l'homme,de la vie bonne et de la politique qui esten jeu.La maison, (oikos en grec), est la racineétymologique commune de l’économieet de l’écologie. D’où l’intérêt de partird’elle comme de la base autour de laquellepenser un ordre nouveau, qui comprennela diversité des besoins quotidiens et l’in-tégrité des différents « chez-soi ». Nousavons ici l’occasion de redonner à l’éco-nomie l’art d’une gestion des besoins, etnon plus des seules courses utilitaires.L’expression chez-soi renferme déjàsémantiquement un lien entre l’habitathumain et l’être. Le chez (du latin casa, lamaison) et le soi, point d’intimité del’homme sous-tendent l’habiter commeespace de la constitution d’une identité.Nous avons tous fait l’expérience du retour,du « rentrer chez soi » et nous constatonsqu’il n’y a pas de représentation figuraleou verbale pour manifester le sentimentéprouvé ou représenter l’intimité retrou-

vée. Nous ne retrouvons pas seulementdes habitudes et des repères, c’est notreintimité que l’on recouvre et partant, notresoi. Et en ce sens, habiter, c’est autant êtrehabité. C’est être habité par une histoire,des souvenirs que l’intimité de l’habitatconserve malgré nous, en nous rappellantdans l’ineffable de ce qui constitue unchez-soi. Une rue, un quartier ou un paysparticipent à la construction de l’être del’habitant.L’intime est ce point de l’être, caché, quiatteste et « donne à voir la manière dontchacun d’entre nous est cette cachetteinviolable et inaltérable ». En tant quecaché, l’intime est aussi ce qui attire leregard et cette manière dont l’homme voileet dévoile sa secrète maison donne à voirl’idée de l’intime sans la dévoiler.L’intraduisible intimité du chez-soi résidepeut-être dans ce double mouvement devoilement et de dévoilement ; l’intimitéde la maison qui est fondamentalementcette part d’être, cachée, permet àl’homme d’exister. Cette intimité apparaît donc comme lacondition de possibilité d’un aller vers ledehors car l’être humain se tient dans leMonde à partir d’un dedans qui est l’an-crage même de sa capacité à aller vers leMonde. En permettant le retrait, l’habitatouvre l’horizon. Habiter est donc l’appro-priation d’un espace propre et tant qu’unbâtiment reste un simple logement, unabri ou un espace réduit à sa fonctionna-lité, il ne peut pas prendre la forme d’unchez-soi. L’intérieur fait également appelà l’idée d’un lieu propre et d’un territoireprivé et par là-même souligne le rapportdu sujet avec le monde extérieur ; l’inté-rieur est ce qui est retiré du dehors, c’estune limite posée entre mon corps et lemonde qui marque le besoin de retrait etd’un temps de retour vers soi. Il ne fautpas entendre ce retrait comme un renon-cement à aller vers autrui ni comme unealiénation, c’est au contraire ce mouve-ment vers l’intérieur qui permet àl’homme de se projeter vers l’extérieur. Eneffet, sans le proche et l’intérieur, le loin-tain et l’extérieur ne pourraient pas semanifester comme horizon et ouverturesur le Monde. Accueillir, c’est fondamen-

talement effectuer un mouvement versl’altérité, c’est un temps intime, un inves-tissement temporel et affectif que partagenotre oscillation ontologique entre l’in-time et le dehors, le proche et le lointain.Nous comprenons dès lors que l’opposi-tion classique entre intériorité et extério-rité ne relève pas nécessairement de l’évi-dence et au-delà de ce clivage, ces deuxpôles ont besoin l’un de l’autre pour seconstruire. Car si pour vivre l’homme aessentiellement besoin de se cacher, c’estbien dans un rapport à l’extériorité et audehors que ce rapport ontologique s’érige.Peut-on penser l’intériorité sans l’extério-rité ? Ils peuvent se dresser l’un contre l’au-tre ou se présenter l’un avec l’autre maisdans tous les cas, l’un ne se pense pas sansl’autre.

PENSER UNE RELATION COHÉRENTE ETÉQUILIBRÉE ENTRE L’INTIME ET LECOMMUNLa question est donc pour nous de com-prendre, au creux de l’articulation de l’in-time et du commun, comment, concrè-tement, ces deux temps de l’habitercohabitent. Comment – et particulière-ment en milieu urbain – se rencontrent-ils ? La crise environnementale sembleêtre l’affaire de tous et dans un mêmetemps les pouvoirs publics s’emparent dela question, proposent des lois, deman-dent l’application de normes et laissentparfois derrière eux un sentiment dedéfiance éprouvé par les citoyens. Pourqu’un individu soit disponible au chan-gement, ne devrait-il pas déjà être endehors de la nécessité ? Également, surquoi se fonde la rupture entre la ville –« mère de tous les maux » – et le milieunaturel ? Comment dépasser ce clivagesuranné ? Enfin, comment penser une rela-tion cohérente et équilibrée entre l’intimeet le commun ?

Dans l’article « La carpe et le lapin, éthiqueenvironnementale et pensée du milieuurbain », Hicham-Stéphane Affeissa inter-roge le silence de l’éthique environnemen-tale sur le développement urbain, dontl’ampleur constitue pourtant l’un des phé-nomènes les plus marquants des deux der-

L’HABITER ET LA CRISE ENVIRONNEMENTALE :L’OCCASION D’UNE NOUVELLE POLITIQUEComment composer un projet d’intérêt général, d’engagement commun, avec l’intimité du particulier, lasingularité du chez-soi ? La crise environnementale est-elle la manifestation d’une impossibilité à habi-ter ensemble, ou bien d’une manière d’habiter qui s’oppose au bien-être commun ? Que faire pour que levivre ensemble puisse cohabiter avec notre vivre ?

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niers siècles. C’est alors l’occasion pourlui de se demander s’il n’y a pas, dans lamanière dont l’éthique environnemen-tale aborde les problèmes que soulève lacrise écologique, quelque chose qui la ren-drait constitutivement incapable d’élabo-rer un discours sur le milieu urbain.L’éthique environnementale, qui se donnepour programme dès les années 1970« d’examiner systématiquement les valeursqui règlent le rapport de l’homme à sonenvironnement naturel, et pour objectifde restreindre sur la base de normes laclasse des actions permises à l'égard de lanature », s’articule autour de l’oppositionconceptuelle de la valeur instrumentaleet de la valeur intrinsèque des entités dumonde naturel. Cette distinction vise àattribuer une valeur non anthropocen-trique, indépendante de l’activitéhumaine, à la multiplicité des entités natu-relles. Ainsi, selon Andrew Light, c’est d’im-puter la crise environnementale à l’an-thropocentrisme de nos jugements devaleurs qui aurait conduit à trois ten-dances : 1. à un intérêt exclusif pour toutesles formes de vie qui manifestent desvaleurs proprement naturelles, pourl’étude des milieux sauvages dont le déve-loppement spontané n’est pas relatif auxhommes, ou pour la protection de la wil-derness ; 2. au déni des villes constituéespour les seuls besoins humains, témoinsd’une domestication à outrance ; 3. à lasurestimation de l’effet urbain en matièrede dégradation ou de dérégulation glo-bale.

Pourtant comme le souligne Hicham-Stéphane Affeissa, moins qu’une partiedu problème de la crise environnemen-tale, l’augmentation de la concentrationurbaine est un des éléments de sa solu-tion. L’urbanisation n’est pas à bannir, elledoit au contraire être pensée par une phi-losophie et soutenue par une politique,toutes deux environnementales. Car, « plu-tôt que de considérer que la ville est lamère de tous les maux écologiques dontsouffre la planète, il conviendrait de s’in-terroger sur les conditions sous lesquellesle processus actuel de métropolisation etd’étalement urbain pourrait être dirigé desorte à satisfaire des exigences optimalesde durabilité. »

Les voies à suivre sont donc celles d’uncommerce énergétique réellement éco-nome, d’un cycle de production, de dis-tribution et de consommation harmo-nieux, d’une récupération des déchets,d’un respect des diversités en présence,d’une équité sociale, d’une attentionconfiante aux territoires, etc. Rendre dura-ble signifie réduire quantitativement etmaîtriser qualitativement les flux et lesstocks de matière et d’énergie. C’est met-tre en place un écosystème local à mêmede gérer une économie durable globale.C’est enfin modifier le centre de gravitéde l’économie mondiale, par l’initiativedonnée aux territoires.

UNE « CITOYENNETÉ ÉCOLOGIQUE »La question de l’habitat est l’occasiond’une nouvelle politique, l’occasion dedévelopper ce qu’Andrew Light nommeune « citoyenneté écologique », c’est-à-dire une participation du public à l’entre-tien de son environnement local. Combiende personnes dans une ville se soucienten effet de leur lieu de vie, de sa beauté,de sa santé, de son rythme ? Avant lesexperts et les professionnels, il y a d’abordces désirs à libérer et à rendre possible, etces désirs sont ceux des habitants quoti-diennement concernés par les probléma-tiques environnementales, quand bienmême ils ne les formulent pas ainsi, maisles expriment à travers des inquiétudes

relatives à leur travail, leur avenir ou lesens même de leur existence. D’où l’ac-cent à mettre, pour la mise en place d’unedurabilité, au niveau de l’acteur civil local.Qu’est-ce qu’être un citadin ? Qu’est-cequ’habiter une ville ? Qu’est-ce quel’éthique de l’homme pour qui le milieuurbain est son milieu naturel de vie ? À partir de là nous pouvons faire deuxremarques. La première, c’est que l’Étatdoit rendre impossible la séparation del’activité humaine par rapport à l’environ-nement, en tant que cette séparationrepose sur le concept économique d’ex-ternalité. On dit en effet qu’il y a « exter-nalité » lorsque l’activité de consomma-tion ou de production d’un agent a uneinfluence sur le bien-être d’un autre, sansque cette interaction fasse l’objet d’unetransaction économique. C’est dire qu’untel concept laisse place à une négligenceenvironnementale, qu’il conviendrait deréguler par une politique fiscale allant dansle sens d’une durabilité et d’un principede responsabilité. Et la seconde, c’est devoir que la mise en pratique de la durabi-lité participe à l’élaboration d’une manièrede vivre reconnaissante de l’existence d’unbien collectif mondial, c’est-à-dire d’unhabiter commun manifeste d’une éthiquede la Terre. n

*Laura Fanouillet et Hortense Pucheral sontauteures de recherches en philosophie appli-quée (Université Paris-I).

L’urbanisation n’est pas à bannir, elle doit au contraire être

pensée par une philosophie etsoutenue par une politique, toutes

deux environnementales.

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LE DOSSIER Habiter la ville

PAR MAKAN RAFATDJOU*

Nous vivons une grave pénurie du loge-ment ! Constat partagé, causes mul-tiples : carence de constructions

neuves, surtout en logement social, etavant tout dans des communes défail-lantes à leurs obligations ; gel de logementsprivés à des fins spéculatives ; inadéqua-tion entre l’offre et la demande, en matièrede prix et de solvabilité, mais aussi enmatière de répartition géographique, etc.Cette crise quantitative se double d’unecrise qualitative, y compris dans l’offrenouvelle, généralisant et accentuant le mallogement ! Par-delà l’urgence, voire de« l’urgentissime », le logement ne peut êtreréduit à l’impératif d’un toit. Hautementsymbolique, cette seule préoccupationrisque même d’aggraver le mal, par la stig-matisation et par une baisse qualitative.Le logement c’est une part existentielle,émancipatrice ou aliénante, de la vie dechacun. Le lieu stable (demeure !) de lasphère intime (foyer !) à partir de laquellechacun devrait être en capacité dedéployer l’ensemble de sa vie et de ses acti-vités. Un lieu nodal où instaurer au quo-tidien une part essentielle de notre usagedu monde (habitation !), et de notre rap-port aux autres (chez-soi !). En ce début duXXIe siècle il est irréductible à un abri, quiscandaleusement manque déjà à beau-coup, à une somme de fonctions, qui n’enrestent pas moins indispensables, ou à unsimple agencement spatial, qui pourtantpeut en constituer la qualité première !

LE LOGEMENT, UN NŒUD DECONTRADICTIONS EN MOUVEMENT Une première étape a été franchie au débutdu XXe siècle, quand pour sortir d’une insa-lubrité générale une véritable révolutionde conception et de réalisation, d’indus-trialisation intensive et de standardisationfonctionnaliste, a réduit le logement à unvéritable dispositif. C'est-à-dire « unensemble de discours, d’institutions,d’aménagements, de décisions règlemen-taires, de lois, de mesures administratives,d’énoncés scientifiques, de propositionsphilosophiques, morales, philanthro-piques – avec une fonction stratégiquedominante, une certaine manipulation derapports de force – inscrit dans un jeu depouvoir… ». (Michel Foucault)Une autre étape se franchit sous nos yeux.La frénésie marchande amplifie une crise

foncière, source d’une double dynamiqueinfernale, entassement et étalement, etréduisant le logement à un produit, bienspéculatif ou bien de consommation !Parallèlement se réalise, enfin, le rêve cor-buséen : la machine à habiter, cette contra-diction dans les termes, se généralise sousles coups d’une standardisation norma-tive intensive : normes constructives,incendie, handicapés, écologiques… Lelogement prothèse du posthumain, voilàcomment on fabrique le vice avec lasomme de vertus supposées. Avec les sté-réotypes et préjugés que les opérateursprivés ont de leurs clients, aux visionsdéformées et abstraites qu’ont les opéra-teurs publics de leur locataires, tout celane produit plus que des ersatz de loge-ments que le formalisme façadier desarchitectures peine à masquer.Enfin, une certaine modernité devenue

l’auxiliaire du capital, a renversé notre rap-port temporel à notre spatialité. « La formede la ville change, hélas, plus vite que lecœur du mortel » regrettait un Baudelairefondant la nostalgie sur cette disjonctiondes temps. On pourrait dire aujourd’huique le cœur du mortel change bien plusvite que la ville ! Les incessants change-ments de nos modes de vie, d’activité etd’habiter s’inscrivent dans une logiqued’accélération (Hartmut Rosa) où l’ar-chaïque angoisse de la mort est subliméepar le rythme insatiable de la reproduc-tion du capital, comme si la trépidationnous éloignait de la trépanation !

HABITER, UNE COMPÉTENCE HUMAINEC’est ainsi qu’un ensemble de processuscontinue de dessaisir chacun d’une partde lui-même, de nous déconnecter tou-jours davantage d’avec notre habitation ! Mais, tout au contraire de la profusiond’objets techniques qu’envahissent nosvies, de nos bagnoles et de nos fringues,nos territoires, nos villes, nos immeubleset nos logements qui constituent une partde nos fondations sociétales, des fonde-ments de nos mémoires individuelles et

collectives, des structures de nos lienssociaux, sont par essence durables, résis-tants de fait à l’obsolescence, antagoniquesà la logique du jetable qu’exacerbent lestourbillons des modes saisonnières ! Habiter est une compétence humaineaussi universelle et différenciée que le lan-gage (Françoise Choay). Une compétenceactive, une activité en soi, celle de laisserdes traces, disait Walter Benjamin. Destraces matérielles et symboliques dansl’adéquation identitaire d’une histoire etd’une géographie singulières, dont la hautequalité a été très longtemps source de cettealchimie miraculeuse appelée génie dulieu (Christian Norbert-Schultz). Mais aussides traces réciproques qui nous consti-tuent, celles que nous laissons sur les ter-ritoires, et celles qu’ils laissent sur nous,des traces facteurs de sens nous obligeantà une appropriation continue, entremê-lant espaces de représentation et repré-sentations de l’espace (Henri Lefebvre) !Renouer avec notre habiter, en reprendrela pleine maîtrise dans un nouvel équili-bre de ses dimensions poétiques et sen-sibles, pratiques et fonctionnelles, archi-tecturales et urbaines, à toutes les échelles,du territoire à l’immeuble, nous réinven-ter individuellement et collectivement enréinventant nos logements, suppose unbouleversement gigantesque de ses moda-lités juridiques (statuts du sol, de l’immeu-ble, de la propriété, de l’occupant…), pro-ductives, normatives, constructives, deconception, de financement, de réalisa-tion, d’attribution, de gestion… Un grandservice public national et décentralisé dulogement peut en constituer un élémentmoteur et novateur qui, à l’instar d’un ser-vice public de l’éducation ou de la santé,ferait de la garantie de l’excellence d’unlogement pour tous et tout au long de lavie, hors de la sphère marchande, et audiapason de toutes les aspirations et tousles parcours de vie, de besoins et aspira-tions évolutives de chacun, un objectifpolitique de premier ordre, la garantie d’undroit concret. Reste à savoir si, par cestemps de crise, au nom d’un réalisme derepli et de régression la mise en œuvred’une telle politique doit être remise auxcalendes grecques, ou si au contraire unréalisme de combat et de progrès valantmise en œuvre immédiate de cette mesurene peut pas constituer l’une des portes desortie vers le haut, pour une meilleure qua-lité de vie, de société et de civilisation, dèsici et maintenant. n

*Makan Rafatdjou est architecte-urba-niste.

DE QUOI LE LOGEMENT EST-IL LE NOM ?La frénésie marchande amplifie la crise du logement. Commentrenouer avec notre « habiter » ?

Nous réinventer individuellement et collectivement

en réinventant nos logements,suppose un bouleversement

gigantesque.“

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Hausse du SMIC plébiscitéeLe «  coup de pouce  » donné au SMIC début juillet a étécosmétique. Cette hausse était pourtant une mesure plé-biscitée par les Français. Un sondage OpinionWay pourTilder-LCI, en juin, montrait que 63% des sondés trou-vait que c'était «  une bonne chose car elle amélioreraitla situation des salariés ». Cet enjeu est aussi très emblé-matique de bataille d'idées aujourd'hui. C'est un desdomaines où la bataille d'idées est la plus acharnée. « Laviolence de la crise » imposerait « une baisse des salaires »rabâche la vulgate libérale, la compétitivité serait à ceprix et donc l'austérité serait fatale... Dans le même temps,cette question du SMIC est aussi «  un marqueur idéolo-

gique » note par exemple Frédéric Latrobe de Tilder, quicommandait ce sondage, avec une très forte symboliquede gauche. Le choix des sondés, en effet, est très diffé-rent selon leur positionnement politique. 89 % des élec-teurs du Front de gauche trouvent qu'il s'agit d'une bonneidée alors 73% des électeurs de Sarkozy estiment quec'est une mauvaise chose !Rappelons que la revalorisation du salaire minimum en1981 a été de 6,4% ; que le Front de gauche, comme laCGT, réclament un SMIC de 1 700 euros bruts ; et qu'unerevalorisation du salaire minimum de 1% «  rapporte  » 11 euros chaque mois aux intéressés.

serait une bonne chose car elle améliorerait la situation des salariés serait une mauvaise chose car elle risque de nuire à la compétitivité des petites et moyennes entreprises NSP

Jean-Luc MélenchonFrançois Hollande

Francois BayrouNicolas Sarkozy

Marine Le Pen

Jean-Luc MélenchonFrançois Hollande

Francois BayrouNicolas Sarkozy

Marine Le Pen

43%

73%

34%

13%10%

89% 86%

66%

26%

57%serait une bonne chose :

serait une mauvaise chose :

36 %

63 %

1%

Selon la sensibilité politique (électeurs au 1er tour de la présidentielle) PENSEZ-VOUS QUE DONNER UN COUP DE POUCE AU SMIC...

PENSEZ-VOUS QUE DONNER UN COUP DE POUCE AU SMIC...

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

LE GRAND ENTRETIEN

TRAVAIL DE SECTEURS

Au nom de la « compétitivité » le financementde la protection sociale pourrait être boule-versé. Qu'en dit le PCF ?Invoquant la compétitivité, l'allégementdu «  coût du travail  », le gouvernementenvisagerait de fiscaliser une partie dufinancement de la protection sociale.Autrement dit, il s'agirait d'une baisse descotisations sociales employeurs compen-sée par une augmentation des prélève-ments sur les ménages. Nous nous oppo-sons très fortement à toute démarche dece type, que le support du transfert soitla contribution sociale généralisée (CSG)ou un autre. L'expérience a montré, notam-ment avec la vignette auto, que des pré-lèvements fiscaux fléchés vers la protec-tion sociale peuvent très vite êtredétournés de leur but. Mais surtout, nouscontestons le postulat selon lequel le « coûtdu travail » serait responsable de la situa-tion économique. De plus en plus d'éco-nomistes en font la démonstration, c'estle poids croissant des revenus financiersqui embolise le système productif dansson ensemble. Le financement de la pro-tection sociale doit être assuré à 100%par les cotisations sociales. Puisque nousproposons une augmentation desdépenses, il est nécessaire d'augmenterles recettes. Cela passe en premier lieu

par le développement de l'emploi et dessalaires. Nous proposons en outre, commemesure immédiate, de faire cotiser lesrevenus financiers au même niveau quele travail.

Vous ne parlez pas de dépendance mais deperte d'autonomie pourquoi ? Parler de dépendance renvoie à une situa-tion subie et irréversible, il est en revanchepossible de regagner de l'autonomie ou aumoins, de compenser sa perte. Par ailleurs,nous combattons la ségrégation initiée parla droite à propos de la perte d'autonomieentre les personnes en situation de handi-cap, l'invalidité et le grand âge. Ce qui lasous-tend, c'est la volonté d'y répondre defaçon différente avec une place offerte àl'assuranciel ! Les communistes défendentau contraire des réponses unifiées de ser-vice public à la perte d'autonomie.

Comment concrètement atteindre cet objec-tif ? Nous proposons la prise en charge de laperte d'autonomie à 100% par l'assurancemaladie et non par une nouvelle branchecar ce rôle correspond pleinement auxprincipes développés par Ambroise Croizat,ministre communiste fondateur de laSécurité sociale  : protéger contre les

risques de la naissance à la mort. Nousvoulons un pôle public de la perte d'auto-nomie au niveau de chaque départementadossé aux services du conseil général.C'est une manière de réaffirmer la perti-nence de l'échelon départemental auxbesoins de la population. Ces pôles publicsauraient une mission de coordination del'ensemble des acteurs pour répondre de

façon plus accessible et plus claire auxdemandes. Dans le même temps, un ser-vice public du service à la personne nousapparaît comme une priorité à mettre enplace. Un rapport rédigé par Valérie Rosso-Debord, alors parlementaire UMP, estimela valeur du temps consacré par les aidantsaux personnes atteintes de perte d'auto-nomie à l'équivalent de 500 000 emplois.Nous disons créons-les, faisons-en desemplois stables et qualifiés pour soulagerles aidants sans pour autant se passer del'entourage familial.

Nous voulons un pôle public de la perte d'autonomie

au niveau de chaque départementadossé aux services du

conseil général“

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LA REVUE DU PROJET - NOVEMBRE 2012

Le débat sur la protection sociale à la française secoue l'actualité : manque decompétitivité lié au « coût du travail », durée de cotisation retraites vouée à l'al-longement, déremboursement des médicaments… Interrogé à ce propos, Jean-Luc Gibelin, le responsable national du PCF en charge des questions de santéet de protection sociale livre son approche fondée sur la solidarité radicale-ment opposée à la doxa néolibérale.

Notre combat pour la protecà la construction du projet c

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NOVEMBRE 2012 - LA REVUE DU PROJET

rotection sociale participeojet communiste

PRESSION MÉDICALENb d'habitantspar médecingénéraliste

Nb de communes

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TRAVAIL DE SECTEURS

Une grande concertation est lancée pourdéboucher sur un « pacte de confiance » pourl'hôpital. Qu'attendez-vous de ce processus ?Nous apprécions la vraie modification dudiscours ministériel sur l'hôpital par rap-port au gouvernement précédent.Cependant la confiance, qui est un objec-tif louable, ne se construit pas à partir dediscours mais d'actes. Le choix de s'adres-ser aux organisations syndicales est unebonne chose mais l'hôpital mérite un débatpublic, un débat politique. En dehors dutravail entrepris par la commission desaffaires sociales du Sénat présidée parnotre camarade Annie David, le gouver-nement semble très frileux sur cet aspect.Pour le PCF, il n'est pas possible de chan-ger de politique en laissant en place lesdispositions légales et réglementaires qui

ont été combattues lorsque la gauche étaitdans l'opposition. Sinon, le sentimentd'avoir été trompé par un double discoursrenforcera dans la population la défiancevis-à-vis de la politique. Il faut un mora-toire sur la loi HPST, sur celle portant surles soins sans consentement en psychia-trie ou, par ailleurs, sur la réforme desretraites. Il faut se donner le temps d'unvaste débat public préalable à un débatparlementaire et au vote de nouvelles lois

répondant aux objectifs définis collecti-vement.

La légalisation de l'euthanasie fait partie desengagements de François Hollande. Commentabordez-vous la question ?C'est un sujet de société délicat, qu'il fauttraiter avec beaucoup de mesure et derespect pour les personnes en fin de vieet leur entourage. Des points de vue diverssur cette question traversent l'ensembledes courants politiques. Dans un premiertemps, nous défendons l’obligation de com-battre la douleur, cela demande de véri-tables moyens. Le développement dessoins palliatifs est une exigence d’huma-nité, qui n’est pas compatible avec l’achar-nement thérapeutique en fin de vie. C'estune question de dignité humaine pour les

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LA REVUE DU PROJET - NOVEMBRE 2012

ÉnergiePOUR UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE RÉUSSIELe débat sur la transition énergétique va débuter et le PCFcompte bien y prendre toute sa place. La plaquette « Pourune transition énergétique réussie : contribution au débatpublic » que nous avons éditée fait suite à une série de ren-contres qui, en 2011, avaient rassemblé syndicats, élus, mili-tants et scientifiques, à l’initiative des commissions Écolo-gie, Énergie et Recherche. Ce document traduit notre intentionde départ : convaincre plutôt que d’affirmer une positionempreinte de dogmatisme. Nous nous sommes donc atta-chés à faire une démonstration étayée par des informationscroisées. Nous fournissons une série de données incontour-nables, d’arguments reposant sur une analyse des avantageset inconvénients de chaque source d’énergie, un discoursqui lie notre projet de société aux besoins énergétiques afinde garantir le droit de chacun à l’énergie dans des conditionsde coût approprié à ses ressources, ici, en Europe et dans lemonde. On y retrouve un bilan détaillé des enjeux, en tête desquelsfigurent le développement humain durable et la lutte contreles bouleversements climatiques. « 80 % de la populationmondiale consomme 20 % de l’énergie totale ; 2 milliardsd’humains n’ont pas accès à l’énergie ; en France, on compteaujourd’hui 3,7 millions de foyers précaires énergétiques,soit près de 8 millions de personnes », rappelle le document.Or, et ce n’est pas un scoop, l’énergie est vitale, poursuit-il.« Elle doit être soustraite des griffes des marchés » pour deve-nir « bien commun de l’humanité ». Alors que le pétroles’épuise et que l’air se réchauffe, il y a urgence à mettre enœuvre une énergie plus propre et mieux partagée. Pour y par-venir, le PCF défend le mix énergétique public. Public, parceles questions sont trop cruciales pour échapper au contrôlecitoyen. Et mix, parce que, même en visant une consomma-tion plus économe, la collaboration des énergies – renouve-

lables et nucléaires – reste à ce jour l’unique façon de répon-dre à l’ensemble des besoins. Cette brochure montre bien que les enjeux énergétiques sontcomplexes. Le PCF est demandeur d’un débat sérieux, appro-fondi, documenté, dans lequel il est impératif que les citoyensaient les cartes en main pour décider. La version numériquesur www.energie.pcf.fr

VALÉRIE GONÇALVÈS, RESPONSABLE NATIONALE ÉNERGIE.

Média ACTIONS POUR PRESSTALIS ET L’AUDIOVISUEL PUBLIC• Presstalis : le réseau « Trame rouge » recueille 2 5OO signa-tures2 500 signataires de la pétition en ligne Presstalis doit vivre !Pour un service public de la distribution de la presse*, contrela suppression de 1 200 emplois, initiée par le réseau « Tramerouge », les salariés communistes de la presse, en collabora-tion avec le syndicat du Livre : retrait du plan de restructu-ration et « convocation par le ministère, d’une table rondepour refonder le système coopératif de distribution et ladéfense du pluralisme ». *pétitions24.net/presstalis

• Travail de la commission Média avec les parlementairesFG et les syndicatsLe 12 septembre, la commission Média FG, renforcée par descamarades de la Gauche anti-capitaliste et par de nouveauxsyndicalistes de l’audiovisuel public, s’est réunie avec les par-lementaires pour travailler à des propositions de lois et amen-dements : fusion CSA/ACERP (proposition FG de Conseil supé-rieur des Média), réforme Hadopi, loi anti-concentration,création d’un pôle public audiovisuel ; mais aussi financementde l’audiovisuel public alors que les réunions entre le minis-tère de la Culture et les syndicats se sont mal passées. PourCécile Cukierman, sénatrice : « Importants ces espaces de dia-

BRÈVES DE SECTEURS

Nous voulons, avec le pôle public, trouver une

adéquation entre recherche,production et réponse aux besoins

pour peser sur l'ensemble de l'industrie

pharmaceutique.

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patients, les familles mais aussi pour lesprofessionnels.

Pour quelles raisons militez vous pour un pôlepublic du médicament ?C'est une proposition originale dont noussommes fiers. En la faisant, nous affirmonsnotre ambition de sortir le médicamentdu système de l'argent. Pour nous, le médi-cament n'est pas un produit de consom-mation courante mais un produit qui doitêtre prescrit et donc remboursé à 100%.Il faut arrêter le mélange des genres. Lesarticles qui ne sont pas des médicamentsdoivent être sortis du circuit pharmaceu-tique et trouver leur place en épicerie. Nous voulons, avec le pôle public, trouverune adéquation entre recherche, produc-tion et réponse aux besoins pour peser

sur l'ensemble de l'industrie pharmaceu-tique. Elle est aujourd'hui entièrementorientée par les préconisations de cellulesde projection financière qui ne raisonnentqu'en termes de solvabilité des clientspotentiels. Nous voulons au cœur de cepôle public une entreprise publique de larecherche, de la production et de la dis-tribution du médicament. La pharmaciecentrale des hôpitaux de Paris pourraitêtre un socle sur lequel constituer ce pôle.

D'aucuns décrivent le système de protectionsociale français comme une « anticipation com-muniste » ? Partagez-vous cette approche ?Lorsqu'un tiers des Français est contraintde renoncer aux soins pour des raisonsfinancières, il est compliqué voire contre-productif d'affirmer cela sans nuance. Àsa fondation, la protection sociale à lafrançaise était marquée par son carac-tère solidaire et traversée par un idéalqui est le nôtre : on y contribue selon sesmoyens, on en bénéficie selon ses besoins.Je dirais qu'aujourd'hui c'est notre com-bat pour réaffirmer et approfondir lecaractère solidaire de la protection socialefrançaise qui rend concret nos orienta-tions politiques et participe à la construc-tion du projet communiste.

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NOVEMBRE 2012 - LA REVUE DU PROJET

logue politiques/syndicats. Les travaux parlementaires doiventêtre alimentés par les luttes et des propositions. Exiger deFilippetti des États généraux de la Presse ; organiser nous-mêmes cinq Forums en régions ». La Commission travaille aussipar mail avec la cinquantaine de participants à l’atelier Médiades estivales de Grenoble. Le 2 octobre, le Sénat débattait du financement de l’audiovi-suel public. L’occasion pour Pierre Laurent de développer nospropositions, en séance et auparavant devant le Sénat lors durassemblement intersyndical des salariés de France Télévisionset Radio France en grève. Pistes avancées : « envisager une aug-mentation de la redevance par paliers, rétablir le taux de la taxesur les chiffres d’affaires publicitaires, revoir les rapports avecles producteurs, taxer les agrégateurs de contenus. »La commission a exprimé publiquement ses désaccords et sespropositions, sur le pluralisme, le CSA, le Groupe HersantMedias, demandé des États Généraux de la Presse… Elle a sol-licité nos élus à l’Assemblée pour qu’ils déposent une demanded’enquête parlementaire sur le Groupe Hersant Média et l’exilfiscal en Suisse de Philippe Hersant. Une avancée : notre pro-position de création d’un Pôle public audiovisuel est reprisepar l’intersyndicale de TV5.

JEAN-FRANÇOIS TÉALDI, RESPONSABLE NATIONALDROIT À L’INFORMATION

LGBT DÉBAT SUR L’ÉGALITÉ DES COUPLES : MARIAGE, ADOPTION,FILIATIONL'égalité des droits pour tous les couples ? Y parvenir appellela poursuite de luttes opiniâtres. Sans attendre ! Alors qu’unelarge majorité de Français est favorable à ce progrès de société,les atermoiements du Président Hollande et de son Premierministre, non seulement aboutissent à un projet a minimadont on ne peut se satisfaire, mais ont aussi encouragé lesréactionnaires, qu'ils viennent de la droite ou de la hiérar-

chie catholique, à s'organiser et à multiplier les attaqueshomophobes qui ne sont malheureusement pas sans effet.L'inadmissible reculade du Premier ministre en témoigne.Nous exigeons à cet égard qu'il revienne sur ses propos : laloi doit être la même pour tous les citoyens et citoyennes, afortiori pour tous les maires et tous les élus de la République !Le droit au mariage républicain, quelle que soit l’orientationsexuelle et-ou l’identité de genre, c’est enfin le respect del'égalité de tous les citoyens et citoyennes devant la loi.Le droit à l’adoption, et plus généralement le droit à fonderune famille, c’est la concrétisation pour certains d’un projetde vie, de leur épanouissement – seul ou en couple –, l’aspi-ration humaine à transmettre au-delà de sa propre vie. C’estpourquoi il ne peut se contenter d’un vote de principe, maisdoit s’accompagner de mesures législatives et réglementaires,le rendant effectif dans la vie concrète. Il doit aussi prendreen compte l’évolution de la société et les liens nouveaux defiliation. Le projet gouvernemental, en se limitant au mariagesur le « modèle du couple marié hétérosexuel », et en repous-sant à plus tard les questions d’adoption, de filiation et deprocréation médicale assistée ( P.M.A.) n’y répond pas. Avec nos élus, nous sommes une force de proposition. Marie-George Buffet, qui déjà, en avril 2011, avait déposé une pro-position de loi très complète Lever les discriminations repo-sant sur le sexe, le genre et l’orientation sexuelle en matièrede filiation réactualise avec André Chassaigne cette propo-sition de loi en lien avec les associations et les citoyens. C’estainsi qu’elle a animé le 25 octobre dernier, à Aix en Provence,un atelier législatif.Le PCF et notre collectif s'impliquent sans réserve dans lefranchissement de cette étape sociétale, car dans les limitesdu projet de loi gouvernemental, ce mariage ne serait qu’«un mariage …sans les petits fours ! »

JEAN-CLAUDE RAFFY, SECRÉTAIRE DU COLLECTIF FIER-E-S &RÉVOLUTIONNAIRES.

Pour le PCF, il n'est pas possible de changer de politique en

laissant en place les dispositionslégales et réglementaires qui ont étécombattues lorsque la gauche était

dans l'opposition.

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D’ IDÉESCO

MBA

T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réaliste,

Par GÉRARD STREIFF

Alexis Jenni et L'art français de la guerre,Goncourt 2011). Depuis le 11  septembre2001 (sic), «  la brutalité est lâchée dansles arts  », elle est «  soudain estampilléelittérature  ». La fiction serait «  asservieau reportage ». Une sorte de tyrannie jour-nalistique contrôlerait l'édition, l'actualitéparasiterait le romanesque. Les réalistes-populistes auraient placé leurs hommespartout, imposeraient leur esthétique etleur «  style épais, vaseux, déprimant  ».D'ordinaire, ce genre d'amabilités visait lalittérature « noire », voici la blanche concer-née. L'autre nom d'auteur populiste citédans l'article, catégorie Essais cette fois,était Stéphane Hessel, taxé de « faux gen-til et vrai cabot ».

UNE ENVIE DU MONDETout le monde n'est pas de cet avis, heu-reusement. Frédéric Beigbeder (dernierouvrage paru, Premier bilan après l'apo-calypse, Grasset, 2011), par exemple, citeOscar Wilde : « Un livre n'est pas moral ouimmoral, il est bien ou mal écrit. » Il ajouteque l'envie de raconter des histoires vraiesest aussi vieille que la littérature, voirFlaubert ou Stendhal. Ce qui importe, c'estle talent. Autre question : pourquoi la forcepersistante du roman réaliste  ? PourBeigbeder, « nous assistons à une doubleréaction (au sens chimique mais aussi ausens littéraire et politique) ; c'est un retourau classicisme, un recul pour se rassurer.Le roman français fait une pause car il estfatigué par le surréalisme, Les gommes,l'Oulipo, les expériences de toutes sortes,une litanie de belles révolutions man-quées ».

Notons, en passant, que c'est une problé-matique proche qui a, en partie, traverséle festival d'Avignon, dont un critique pou-vait dire  : «  L'avenir de la planète et lesenjeux écologiques, la crise financière etses conséquences, l'ultralibéralisme et lesviolences sociales... À Avignon cet été, plusque jamais, on entendra battre le poulschaviré du monde. »

La rentrée littéraire a confirmé ce retourdu réel, cette envie du monde. « Une ren-trée littéraire politique  » titre, en Une, lemagazine Transfuge, dont l'éditorialisteécrit «  […] je veux vous parler d'artistesémergents et frondeurs qui s'escriment,dans l'anonymat ou presque, à mettre enquestion le conformisme du monde, sonconservatisme naturel. D'artistes, ano-nymes ou presque, énervés contre la fal-sification étouffante de notre société, sonmarketing triomphant, en art comme par-tout ailleurs. D'artistes, anonymes oupresque, répondant à l'injonction de MilanKundera, de réintroduire du « brouillard »dans le réel. D'artistes, anonymes oupresque, qui vomissent sur l'académismeambiant, cet embourgeoisement de l'artqui ressemble tant à la mort. »Le journal Le Monde parle d'une « rentréeriche et mouvementée  » et note  : «  Si lacrise économique mondiale s'est frayé unchemin en littérature depuis trois ans, saprésence se fait particulièrement sentircette année ». On retiendra ici deux thèmesimportants, l'entreprise et la science. Lesupplément littéraire du Monde du 7 sep-tembre consacre par exemple un fort dos-sier au thème de la vie professionnelle

Où en est la littérature ? Assisterait-on à un retour du réalisme ? Peut-onparler du monde sans perdre son âme ? Plus de réel, est-ce moins d'ima-ginaire ? Deux thèmes reviennent fort en cette rentrée 2012 : l'entreprise etla science. Entre commentaires et polémiques, échos d'un débat qui n'enfinit pas de rebondir.

u printemps dernier, ce futune mini-campagne au beau milieu de lacampagne électorale elle-même. Dans lescolonnes du journal Le Monde, le 19 mars,l'écrivain Charles Dantzig (dernier ouvrageparu, Dans un avion pour Caracas, Grasset,2011) signait un article polémique intitulé« Du populisme en littérature ». Le surti-tre était martial  : «  La fiction et la créa-tion littéraire sont aujourd'hui dominéespar des romans en forme de reportage oùtriomphe un réalisme d'origine célinienne,aussi vulgaire que malsain  ». Populisme,vulgarité, le ton était donné. Ce n'était pastout à fait un hasard si ce papier tombaità ce moment-là, avec ces mots-là. Dantzigentamait son pamphlet ainsi  : la politiquebarbote dans le populisme, la littératureaussi. Il y fustigeait le réalisme : « illusion »,«  utilitaire, remplaçable et remplacé  », àla forme «  plaintive et menaçante  ». Ilnotait  : « Le réel fluctue suivant l'état depuissance politique de tel ou tel parti. Dansles années 1950, c'était toute la littératuredu «  réalisme socialiste  » […]. Dans lesannées 1990, dirais-je, le réel est passé àla réaction.  » Du réalisme socialiste auréalisme réactionnaire ? Pour Dantzig, lalittérature va mal, obligée qu'elle serait dedécrire le monde, de s'engluer dans le réa-lisme, de traiter d'histoires vraies. Il s'of-fusquait que les romans d'aujourd'hui par-lent de guerre, de faits divers, de nazis(Jonathan Littell et Les bienveillantes), decolonisation (on devine une pique contre

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La littérature et le pouls chaviré du

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n projet réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

dans les romans de l'automne 2012  ; unevie qui serait aujourd'hui synonyme d'an-goisse, de solitude, de perte de sens  :« Adieu élans collectifs, fraternité et luttescommunes […] ; il s'agit de rendre d'au-tant plus sensible l'individualité des stra-tégies de survie au milieu d'un sauve-qui-peut généralisé. De la même manièrequ'avec le développement des nouvellestechnologies le travail empiète de plus enplus sur la sphère privée, la fiction, quandelle s'empare du travail, le fait en consi-dérant ses acteurs comme des êtres lais-sés seuls avec leurs souffrances et leursinterrogations – et aucun horizon collec-tif pour soulager les premières ou répon-dre aux secondes.  » Trois ouvrages sontparticulièrement valorisés  : Ils désertentde Thierry Beinstingel (Fayard),L'inconscience de Thierry Hesse (L'Olivier)et Branda bernicla de Pascal Guillet(Verticales). La science est particulière-ment à l'honneur avec un excellent PatrickDeville qui raconte, dans Peste et choléra,l'histoire du savant pasteurien AlexandreYersin (Seuil)  ; Yannick Grannec est abso-lument bouleversante avec La déesse despetites victoires qui ressuscite Kurt Gödel,mathématicien génial, proche d'Einstein,belle fiction sur amour et intelligence, créa-tion et politique ; Tom Bulloughs (Calmann-Lévy) fait de Tsiokovski, le père de l'astro-nautique moderne, le héros de Mécaniquesdu ciel ; Cédric Villani, « matheux d'excep-tion  » comme dit Sylvestre Huet dansLibération, signe son entrée dans la litté-rature avec un brillant roman, Théorèmevivant. Pourquoi cette thématiqueaujourd'hui ? Est-ce un retour de l'idéolo-gie du progrès  ? Une nostalgie du pro-grès ? Ou l'envie, via le romanesque, d'uneapproche plus réfléchie, plus distancée,d'un monde en crise ? De toute façon, onretrouve là un «  tricotage de faits objec-tifs et de probabilités subjectives » commele dit l'auteure Yannick Granec et desuperbes histoires où réel et imaginairefont bon ménage.n

ré du monde

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Fréd

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ÉCRIRE SUR LA RÉALITÉ SOCIALE« Quand Charles Dantzig écrit que la fiction est aujourd'hui « asservie au repor-tage  », il dit quelque chose de vrai et quelque chose de faux. La chose vraie,c'est que les romans réalistes ont beaucoup de lecteurs en France depuis Honoréde Balzac et Emile Zola. Du coup, beaucoup d'auteurs, un jour ou l'autre, sonttentés de s'y essayer. La chose fausse, c'est le terme « asservie ». La fiction n'estasservie nulle part, jamais, par personne, et certainement pas par une dictatureimaginaire du journalisme. Aucun éditeur ne contraint les auteurs à rédiger sousla torture des aventures sordides, ni même des histoires crédibles. Victor Hugon'a pas été victime du totalitarisme de la pauvreté quand il rédigea Les Misérables.Mais était-il si inadmissible, si obscène, si absurde, de désirer écrire sur la réa-lité sociale, la souffrance des déclassés, l'injustice et le malheur de l'humanité,après Dickens et avant Dostoïevski ? Certes, le succès du réalisme est agaçant.Le roman réaliste continue de rencontrer un large écho critique et public centcinquante ans après son invention. […] Dantzig pense que les romanciers réa-listes sont motivés par « un amour sournois du mal », c'est bien généreux de sapart. Je pense qu'ils font ce qu'ils veulent ou (quand ils sont géniaux) ce qu'ilspeuvent. Il n'est pas non plus interdit de supposer qu'écrire sur la laideur soit(peut-être) (parfois) (si on travaille beaucoup) un moyen d'accéder à une cer-taine forme de beauté ».L'humanisme du réalisme, Frédéric Beigbeder, Le Monde, 15 avril 2012

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MOUVEMENT RÉEL

PAR RAZMIG KEUCHEYAN*

« Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelonscommunisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellementexistantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'idéologie allemande

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LA REVUE DU PROJET - NOVEMBRE 2012

POURQUOI LIRE GRAMSCI AUJOURD’HUI ? Il arrive que les éléments saillants d’uneconjoncture politique soient plus faciles àappréhender par l’entremise de penseursdisparus. Leurs analyses regagnent soudainen actualité, parfois après avoir subi unelongue éclipse, car elles mettent en lumièrecertains déterminants essentiels de la nou-velle période. [...]

LA QUESTION STRATÉGIQUELe marxisme de Gramsci est un marxismepolitique, qui place la question stratégiqueau cœur de ses préoccupations. Tous lesproblèmes soulevés dans les Cahiers de pri-sonsont au service de la pensée stratégique.Ainsi, on ne comprend rien à la distinctionentre l’État et la société civile si l’on ne voitpas qu’elle doit permettre en dernière ins-tance de déterminer la stratégie adaptée àune situation donnée. Compte tenu du rap-port qu’entretiennent l’État et la sociétécivile dans un pays, tel mélange de « guerrede mouvement » et de « guerre de posi-tion » doit s’imposer. Dans le cas de la révo-lution russe, la première a pris le dessus surla seconde, car comme dit Gramsci, la sociétécivile russe était « primitive » et « gélati-neuse ». En Europe de l’Ouest, elle est denseet robuste, ce qui implique de subordonnerla guerre de mouvement à la guerre de posi-tion. Gramsci questionne dès la fin des

années 1920 l’universalité du modèle russede la « prise du palais d’Hiver ». La centra-lité de la question stratégique dans sa pen-sée vient de loin. L’expression de « révolu-tion contre Le Capital » qu’il emploie fin 1917pour qualifier la révolution bolchevique signi-fie que rien n’est entièrement déterminédans l’histoire, que la révolution peut surgirlà même où ne l’attendent pas ses plus fer-vents apôtres, à savoir les lecteurs du grandœuvre de Marx. Une caractéristique des pensées critiquesactuelles est la grande faiblesse, pour nepas dire l’absence totale, de réflexion stra-tégique en leur sein. Les modèles straté-giques du passé ont disparu, et ceux qui lesremplaceront n’ont pas encore eu le tempsd’éclore. Or, Gramsci est un excellent pointde départ pour renouer le fil de la penséestratégique. [...] Ce que fournit Gramsci, c’estun cadre d’analyse qui permet de placer leréel contemporain sous condition de la stra-tégie. Entre autres problèmes, celui de l’Étatn’a pas reçu l’attention qu’il mérite dans lespensées critiques actuelles. Sans doute l’at-tention s’est-elle par trop portée, au coursdes dernières décennies, sur les formes nonétatiques du pouvoir, la « microphysique dupouvoir » de Michel Foucault étant exem-plaire à cet égard. Or, quelle est la nature del’État néolibéral, par rapport aux formesd’État qui se sont succédées depuis les ori-gines de l’époque moderne ? Quel est sondegré d’interpénétration avec la sociétécivile, avec les organisations économiques,les média ou encore les partis politiques ?Comment les nouveaux liens entre l’État et

la société civile affectent-ils les conditionsde la transformation de l’un et de l’autre, etl’émergence de ce que Gramsci appelle la «société régulée », c’est-à-dire le commu-nisme ?

LES CRISES ORGANIQUESGramsci est non seulement un stratège, ilest aussi un penseur des crises du capita-lisme. Dans les sociétés que Gramsci quali-fie d’ « occidentales », les crises n’ont pasd’effets politiques immédiats. La raison enest que la société civile en absorbe ou amor-tit le choc, et empêche qu’elles contaminentla sphère politique. En « Occident », on trouveentre l’économie et la politique un ensem-ble de « tranchées » et de « fortifications »qui stabilisent le corps social et l’immuni-sent contre les catastrophes économiques.Surviennent toutefois les crises que Gramsciqualifie d’ « organiques ». Ce terme désigneles cas où ces tranchées et fortifications nerésistent plus, où la catastrophe ne peut plusêtre confinée à la sphère économique, cequi donne lieu à une crise « totale » du sys-tème. Celle-ci peut être de longue durée,Gramsci nous invite à concevoir les crisesnon sur le mode d’une temporalité uniqueet linéaire, mais comme des phénomènesspatio-temporellement complexes. La conception gramscienne des crises per-met d’interroger bien des aspects de la criseactuelle du capitalisme, celle qui commence(symboliquement) avec la faillite de la banqueLehman Brothers en 2008. Comment expli-quer qu’une crise de cette ampleur, malgréses effets désastreux en termes de chômage

Le plus prometteur des penseurs critiques contemporains est mort dans uneprison fasciste en 1937. Il s’agit d’Antonio Gramsci, communiste italien,auteur de célèbres Cahiers de prison dans lesquels il élève le marxisme versdes sommets.

*RAZMIG KEUCHEYAN est sociologue. Il est maître de conférences à l’université deParis-Sorbonne.

Vers une nouvelle culture socialiste(1)

Antonio Gramsci

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et de paupérisation, ne se soit pas traduiteà ce jour par un effondrement correspon-dant des structures politiques ? La sociétécivile joue-t-elle un rôle d’amortisseur de lacrise ? Peut-elle le faire indéfiniment ? Le«printemps arabe» de 2010-2011 s’expliquecependant en partie par le renchérissementdu prix des denrées alimentaires. Il consti-tue en ce sens une traduction dans le champpolitique de la crise économique. Commentse fait-il alors que dans cette région dumonde, celle-ci ait contaminé la sphère ins-titutionnelle ? Est-ce parce que la sociétécivile des pays concernés n’en a pas absorbéle choc, et qu’elle ressemble par conséquentaux structures sociales que Gramsci quali-fie d’« orientales », comme la Russie de1917 ? Mais ces révolutions ont été accom-plies par des sociétés civiles dynamiques,ce qui implique que certains secteurs de cesdernières sont en voie d’ « occidentalisa-tion ». On notera au passage que la ques-tion de l’« occidentalisation » des paysanciennement « orientaux » a fait l’objet,dans les années 1960 et 1970, de nombreuxdébats parmi les gramsciens latino-améri-cains qui se sont interrogés sur le modèle –« Orient », « Occident » ou intermédiaire –auquel correspondait leur continent.

LES ACTEURS DE LA TRANSFORMATIONSOCIALEGramsci nous offre également un appui surla question des acteurs de la transforma-tion sociale. Dans le marxisme classique, laclasse ouvrière tient lieu de principal « sujetde l’émancipation », en ce sens qu’elle estporteuse du changement historique. Nonpas, bien entendu, qu’elle ait jamais étél’unique acteur du changement social. Sonimportance résultait à la fois de son poidsdémographique dans les structures socialesdes deux premiers tiers du XXe siècle et desa prépondérance dans l’imaginaire poli-tique de cette époque. Avec la crise du mou-vement ouvrier qui s’enclenche vers la findes années 1950, et l’émergence d’une «nou-velle gauche » marxiste, anticolonialiste,féministe et écologiste, les acteurs de latransformation se multiplient et le proléta-riat est peu à peu déchu de sa centralité.Les femmes, les (post)colonisés, les fous,les étudiants, les prisonniers, les homo-sexuels... tous les acteurs relevant des« fronts » jadis qualifiés de « secondaires »apparaissent sur le devant de la scène, cequi tend à complexifier considérablementla composition et l’articulation des luttes.Cette prolifération des acteurs de la trans-formation se poursuit à l’heure actuelle. [...]À la lecture de Gramsci, le sentiment étranges’impose qu’il avait anticipé la situation où

nous nous trouvons aujourd’hui. C’est ce quiexplique d’ailleurs que nombre de théori-ciens critiques contemporains s’inspirent delui. D’un côté, il n’est plus concevable d’ac-corder à la classe ouvrière industrielle – leplus souvent blanche et masculine – la cen-tralité qui était jadis la sienne au sein dumouvement ouvrier. De l’autre, le capita-lisme n’a jusqu’à preuve du contraire pasdisparu, et il continue de se nourrir de cetteforme de domination très spécifique qu’estl’exploitation, c’est-à-dire la captation de laplus-value. Ceci implique de conférer uneplace déterminante, si ce n’est centrale, ausalariat, en tant qu’il est le substrat de lavalorisation du capital.

LA QUESTION DU PARTILes concepts de « groupes subalternes » etde « volonté collective » qu’élabore Gramscipermettent peut-être de sortir de cetteimpasse conceptuelle, qui est aussi uneimpasse politique. Le premier aide à penserla pluralité des situations de domination,tout en tâchant de concevoir la spécificitéde la logique du capital. Le second montrequant à lui le lien qui unit la question desacteurs de l’émancipation à celle des formesd’organisation. Après la défaite des conseilsde Turin en 1920, Gramsci est hanté par laquestion du « parti », comme lieu deconstruction de la « volonté collective »,mais aussi comme instance de socialisationdes savoirs (les deux sont étroitement liés,car l’émergence d’une volonté collectivesuppose à ses yeux l’élaboration de savoirscommuns). Les débats qui traversent lagauche radicale à l’heure actuelle à proposdu (supposé) déclin de la « forme parti »,l’émergence de la « forme réseau », ou d’au-tres types d’organisation, pourraient tirerbénéfice des intuitions du communiste ita-lien sur ces questions. Ils démontrent entout cas que les problématiques fondatricesde sa pensée sont actives jusqu’à ce jour. [...]

LA QUESTION DE LA CULTURECe qui intéresse Gramsci, c’est le point d’in-distinction entre les « structures » et les« superstructures », le moment où ellesentrent en fusion. C’est tout le sens, commeon le verra, de son concept de « bloc histo-rique ». Ceci l’a conduit à poser avec beau-coup d’acuité la question de la culture, deson rôle dans le maintien de l’ordre social,du lien entre « haute » culture et culture« populaire », ou encore de l’hégémonied’une culture nationale sur une autre, parexemple la française sur l’italienne au tour-nant du xxe siècle, ou l’états-unienne surtoutes les autres aujourd’hui. Les profondes transformations de la culture

contemporaine rendent d’autant plus pré-cieuses les idées de Gramsci en la matière.L’internationalisation de pans importantsdes cultures nationales, l’apparition de nou-velles technologies de la communicationcomme Internet, le brouillage de la distinc-tion entre culture « légitime » et culture« populaire » typique de l’époque « post-moderne » invitent à penser les formes cul-turelles à nouveaux frais. La culture commela langue est un vecteur d’hégémonie, unchamp de bataille traversé de notions et designifications qui sont de part en part poli-tiques. À ce titre, elle doit elle aussi êtreabordée stratégiquement. Les classes domi-nantes l’ont compris, le « populisme autori-taire » (l’expression est de Stuart Hall) parlequel elles ont répondu à la grande criseéconomique du milieu des années 1970 étantfondé sur un « recodage » conservateur devaleurs et d’affects présents dans la popu-lation. [...]

LIEN ENTRE THÉORIE ET PRATIQUELa théorie et la pratique sont [...] inextrica-blement mêlées dans la trajectoire deGramsci. L’auteur des Cahiers de prison anon seulement été un grand organisateurpolitique, il a aussi théorisé le rapport deplus en plus complexe existant entre cesdeux instances et évalué l’impact d’une divi-sion du travail grandissante sur le socialismeà venir. À l’heure du règne des « experts », de laspécialisation croissante de l’activité scien-tifique (en sciences naturelles aussi bien quesociales), une perspective gramscienne surles nouveaux rapports entre la théorie et lapratique s’avère éclairante. La grande leçonde Gramsci en la matière est que la divisiondu travail ne peut être combattue que col-lectivement. La question du rapport entrela théorie et la pratique est étroitement cor-rélée à celle de l’organisation, dont l’une desfonctions est de contrecarrer les effets per-vers induits par la spécialisation en mettantles savoirs en circulation. Bien entendu, àchaque époque correspond une – ou plu-sieurs – forme d’organisation distincte, adap-tée à la nature des rapports sociaux qui yrègnent, ou au développement des techno-logies. Reste à déterminer le type d’articu-lation de la théorie et de la pratique qui cor-respond à la période présente... C’est donc un programme de travail pourles années à venir que nous soumet Gramscidepuis un passé en apparence révolu. » n

(1)Extraits de « Antonio Gramsci, Guerre de mou-vement et guerre de position, La Fabrique, 2012,Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyanpubliés avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

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L'URSS, sa chute et l'avenir du marxisme

our tous ceux qui se sont conver-tis au communisme avant l’époque antifas-ciste, la jeune Union soviétique était un élé-ment essentiel. Il nous a été très […] difficilede nous libérer du mythe de la révolutiond’Octobre. L’URSS était la base dynamiquede la révolution mondiale. C’est un senti-ment que je n’ai, par exemple, jamais éprouvéavec la révolution chinoise, dépourvue detoute dimension universelle. […]. Ce n’estqu’au fil du temps que nous sommes deve-nus de plus en plus circonspects vis-à-vis dutype de socialisme qui régnait en URSS.Jusqu’aux années 1960, nous pensions qu’ilprogressait. Ce n’est qu’à ce moment-là quenous nous sommes rendu compte qu’il pié-tinait. […] Mais s’il n’y avait plus grand sensà être communiste après 1956 en Angleterre,la situation était tout à fait différente ail-leurs. C’est après 1956 que le Parti commu-niste espagnol a accru ses effectifs pourdevenir une force d’opposition à Franco ; eten Amérique latine, les intellectuels étaienttrop occupés à préparer une révolution quiparaissait possible pour réagir à la révéla-tion des crimes du stalinisme. […] J’ajouteque nous aurions dû découvrir la terreurstalinienne plus tôt, faire plus attention, maisl’URSS incarnait la force antiréactionnaire.Même dans les années 1945-1950, Stalineconservait une image de libérateur interna-tional acquise grâce à l’action de l’Arméerouge pendant la Seconde Guerre mondiale,alors que c’était un tyran à l’intérieur del’URSS. La dialectique était parfaitementtragique  !

UNE PROMESSE DE LIBÉRATIONPour nous, dans les pays de l’Ouest, surtoutpendant la guerre froide, l’URSS était lasuperpuissance de l’avenir. Jusqu’à la fin

des années 1950, économistes et hommespolitiques occidentaux pensaient même quele dynamisme de la Russie dépasserait celuide l’Occident ; nous éprouvons le même étatd’âme actuellement face à la Chine. Mais,après 1960, il était absolument évident quece ne serait pas le cas.[…] Dans le TiersMonde, l’URSS était d’abord la promesse dela libération du joug colonial, ensuite la voied’un progrès économique non capitalisteplus abordable que le marché libre. Au coursdes années 1940-1950, et même au-delà,l’URSS représentait un modèle de dévelop-pement. Les Indes cherchaient ainsi à imi-ter cette économie planifiée bien qu’elles nefussent pas communistes. La planificationéconomique semblait en effet rendre pos-sible le saut d’un pays agraire à l’industria-lisation […]. Ensuite, l’organisation sovié-tique de l’enseignement, l’émancipation, lesmesures antiféodales séduisaient beaucoupde gens. [..] Cette fonction de modèle a per-duré jusqu’à ce que des populations moyen-orientales tentent de l’appliquer à leurs pro-pres États ; elles se sont alors heurtées à defarouches résistances.C’est l’Afghanistan qui a marqué cette rup-ture. Jusqu’aux années 1980, il s’était engrande partie inspiré du soviétisme. Lorsqueles communistes y ont pris le pouvoir, ils ontentrepris de vastes réformes bénéfiquespour le pays. […] La réaction islamiste,appuyée par les activismes états-unien etsaoudien, a eu tôt fait d’effacer des mémoiresque les gouvernements prosoviétiques deKaboul ont électrifié le pays, mis sur piedune éducation féminine, des hôpitaux accep-tables bien que primitifs, et certaines néces-sités infrastructurelles comme l’eau pota-ble et des routes dans des régions indiennes.

DES ÉLÉMENTS STRUCTURELSDE FAIBLESSEMais le socialisme accusait, en dehors deces données conjoncturelles, des élémentsstructurels de faiblesse. D’abord, l’inflexibi-

HISTOIRE

ERIC J. HOBSBAWM

Il s’est éteint le 1er octobre 2012, àl’issue d’une vie de 95 ans, longuecomme un siècle, le XXe, celui despires violences de masse et des plusbelles espérances d’émancipation.Ce siècle avait 17 ans lorsqu’il estné, et Octobre était sur le point d’ar-river. À la croisée des grands che-mins, il est à Berlin en 1931-1933, aumoment de la crise finale de laRépublique de Weimar. Face aunational-socialisme conquérant, ilfait le choix du communisme. Depuisl’Angleterre ensuite, il consacrerasa vie à l’écriture d’une histoire dutemps long, sans frontière, de la findu XVIIIe siècle à nos jours. Marxistenon repenti, méfiant envers touteorthodoxie mécaniste et simpliste,il cherchera à faire progresser lathéorie et à utiliser «  la méthodemarxiste pour comprendre lemonde, puis le changer ». Laissonsdonc une dernière fois la parole àla finesse implacable de ses ana-lyses, à travers un exemple parti-culier, celui des espérances déçueset de l’échec final du régime sovié-tique.

vus par Eric J. Hobsbawm

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lité et le manque de dynamisme d’une éco-nomie centralisée. L’idéal d’une économietotalement planifiée s’est révélé irréalisa-ble […]. Elle n’est jamais parvenue à géné-rer de dynamique intérieure. […] À décharge,gardons à l’esprit que l’archétype originelde la planification était fondé sur les plani-fications de la Grande Guerre. Il n’a au fondjamais réussi à s’autonomiser de l’esprit del’économie de guerre, qui veut que l’on mobi-lise toutes les forces disponibles pour attein-dre un objectif prédéterminé. Mais, en tempsde paix, une fois l’objectif atteint, que fait-on  ? Il faut fixer un autre objectif, ou bienconserver le même. Il n’y a donc pas de dyna-mique interne qui continue à faire avancer :voilà la seconde faiblesse des économiesplanifiées. Elles se sont révélées très effi-caces tant qu’il s’est agi de fournir les biensde première nécessité à la population. Mais,lorsque l’économie mondiale a évolué versune économie de loisirs et que les gens ontdésiré davantage qu’une nourriture en quan-tité suffisante, la sécurité sociale et un sys-tème éducatif performant, la planificationn’était plus adaptée en raison de sa faibleproductivité.La troisième faiblesse de ce système consis-tait à considérer la politique exclusivementen fonction du pouvoir et de la décision. Lathéorie politique se résumait à la manièrede prendre le pouvoir, de le gérer et de leconserver. On pensait que procurer à man-ger au peuple garantissait la paix sociale,mais, à un certain moment, ça n’a plus suffi.En fin de compte, tous ces régimes se sonteffondrés pour avoir perdu le contact avecle gros de la population à cause de leurconception léniniste de la politique. Il n’yavait aucune consultation réelle du peuple.Ils ont également sous-estimé le problèmede l’hégémonie, en croyant qu’elle se rédui-sait à l’établissement du régime et à la cen-sure de ses opposants. Une hégémonie nes’impose pas de cette façon, il faut quelquechose de plus. Il est très révélateur que per-sonne n’ait cherché à défendre ces États aumoment de leur chute. Ils avaient promisbeaucoup, donné certaines choses, maisn’ont jamais réussi à créer chez la masse unsentiment d’identification au système. C’estlà, à mon avis, la faute rédhibitoire de l’idéeléniniste du Parti, qui était avant tout uneformation de cadres, de meneurs et de chefs,qui se désintéressait de la base. […] Le nau-frage du contre-modèle soviétique a permisaux États-Unis de se considérer comme les

patrons du monde et de mener leur proprepolitique sans aucune limite. Le résultat,absolument négatif, se dresse sous nos yeux :une situation de crise internationale et deguerres multiples. Sur un plan plus pure-ment politique, elle a grandement affaiblinon seulement les anciens communistes,mais aussi tous ceux qui croyaient au socia-lisme et à la possibilité de remplacer le capi-talisme. Depuis la chute du mur de Berlin,plus personne, même dans les rangs qui sedisent socialistes, n’a osé dire qu’il fallaitdépasser le capitalisme. La gauche étaitdémoralisée […]. Il a alors été possible auxgouvernements occidentaux, dont la majo-rité s’est convertie à cette espèce de théo-logie néolibérale de l’économie, d’imposerses « réformes », ses privatisations, d’affai-blir les organisations syndicales et de dimi-nuer la protection sociale, sans craindre dequelconques difficultés politiques. […] Lesconséquences de la disparition de l’URSSse révèlent donc, dans l’ensemble, asseznégatives, même si, évidemment, les popu-lations d’Europe de l’Est ont connu une amé-lioration de leur niveau de vie, et leurs intel-lectuels, une sorte de libération. Malgré tout,le système éducatif très performant mis enplace par le communisme a périclité, toutcomme le souci de protection de la culture,même si celle-ci était en partie officielle. Unrécent rapport sur la Russie vient de mon-trer que l’ancienne intelligentsia russe avaitsurvécu sous Lénine et sous l’Union sovié-tique pour s’éteindre sous Poutine  !

LE DÉPASSEMENT DU CAPITALISMEC’est la contradiction permanente entre leprogrès et le mode selon lequel il advient,sa réalisation historique. C’est là le noyaude l’analyse de Marx. Le capitalisme en actionrévolutionne tout et provoque de ce fait unesituation conflictuelle. […] Le problème his-torique principal, ce me semble, n’est pas labarbarie ou la terreur, dont la plus grandepartie se situe entre 1914 et la mort de Staline,même à l’intérieur de l’URSS, mais l’accélé-ration effrénée du progrès de tout, surtoutdans la seconde moitié du siècle, que per-sonne n’avait prévue. Les changementsautrefois séculaires se sont réduits à desdécennies, voire des années. […] Le fait estque le Parti communiste continue en tantque tel, même s’il a partout abandonné l’idéed’une économie totalement planifiée.Certaines de ses idées subsistent et recè-lent toujours une potentialité politique à l’in-

térieur du système […] Une organisationplus planifiée, plus étatiste que l’idéal capi-taliste, a toutes les chances de voir le jouret de prospérer, puisque les problèmes aux-quels se confronte le monde, comme celuide l’environnement, se trouvent hors de lasphère spontanée du système et de sa cor-rection. Cela n’implique pas pour autant queces États « étatistes » soient socialistes, […]Par ailleurs, le nouveau turbo-capitalismeglobal génère des crises dont la véritableprofondeur n’a pas encore été expérimen-tée dans les pays riches, à la différence del’Argentine ou de la Corée. Le capitalismeavait cru pouvoir maîtriser ses fluctuations,alors qu’il ne fait que les exacerber. Les élé-ments qui montrent la nécessité de quelquechose de mieux se multiplient, mais la prisede conscience ne s’opère et ne s’organiseque dans les parties du monde où le campprogressiste a établi des bases historiques.Ce n’est plus, pour le moment, un phéno-mène global. […] À mon avis, nous seronscontraints de dépasser le capitalisme puisquesa logique aboutit à une espèce de désinté-gration de la société et de la biosphère. […]L’idéal marxiste de la pleine réalisation despotentialités de l’homme est devenu possi-ble, il me semble, grâce à l’extraordinairedéveloppement des forces de production.N’importe quel homme dispose aujourd’huide voies de réalisation bien plus grandesque celles de son grand-père. Ce qui l’enempêche, c’est que le capitalisme fixe l’épa-nouissement humain dans la thésaurisationfinancière, le niveau de revenu, donc dansl’accélération de la production. Tant que celaprévaudra, ce rêve restera inaccessible  :l’homme ne se réalise pas tant qu’il n’aspirequ’à améliorer sa vie matérielle. Commeanalyse du monde, un marxisme émancipéde ses éléments historiques et théologiquesreste essentiel. Il aurait tout intérêt à tenirbeaucoup plus compte de dimensions négli-gées dans le passé, comme la culture, ceque Gramsci avait parfaitement perçu etpréconisé, déjà, en son temps.[…] Enfin, laquestion de l’agent historique est à reposer.On a longtemps cru que le prolétariat seraitcelui de la transformation sociale, mais l’éco-nomie moderne l’ayant fragmenté, voiredésintégré, il n’en est plus capable. Qui, désor -mais, pour assurer ce rôle ? » n

Extraits de l’entretien réalisé par ThéophileHazebroucq, en 2007, paru dans NouvellesFondationS, publiés avec l’aimable autorisationde la fondation Gabriel-Péri.

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PRODUCTION DE TERRITOIRES

PAR DALILA MESSAOUDI*

ujourd’hui, aucun terri-toire n’est protégé à long terme d’un chan-gement de localisation. L’attractivité d’unterritoire évolue sans cesse. L’intérêt deprendre en compte le facteur temps estde mettre en évidence qu’aucune implan-tation, qu’elle soit nouvelle ou déjà éta-blie, ne peut être considérée commeacquise.

LA MISE EN CONCURRENCE DESTERRITOIRESL’ouverture et la mise en concurrencedes territoires ont bouleversé le paysageindustriel et économique mondial. La sur-vie économique de nombreuses entre-prises s’est faite au prix d’un redéploie-ment spatial de leurs activités appelécommunément « délocalisation ». Ainsi,les délocalisations ont d’abord affectéles métiers où la main-d’œuvre consti-

Transferts de production et concurrence internationale :

chronologie de 50 ansde délocalisations

A

La géographie des délocalisations est en perpétuel changement et le pay-sage industriel en constante recomposition

*DALILA MESSAOUDI est docteure en

géographie et aménagement, laboratoire

Mosaïque, Paris-Ouest Nanterre La Défense

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

tuait une part importante du coût derevient. Ces activités ont connu desmoments très difficiles et ont eu pourconséquences de nombreuses fermeturesd’unités de production et la perte dedizaines de milliers d’emplois. En effet,certaines régions ont vu partir versl’étranger nombre de leurs activités tra-ditionnelles, tandis que d’autres filièressont aujourd’hui en sérieux déclin (tex-tile, habillement, cuir, jouet, électromé-nager, équipements automobiles parexemple).

Jusqu’aux années 1980, la géographiedes coûts a déterminé les premières loca-lisations. Depuis les années 1990, la « géo-graphie des compétences » s’est progres-sivement imposée comme un facteur delocalisation déterminant. Plusieurs paysen voie de développement proposentaujourd’hui des centres technologiques

qui offrent un réel savoir-faire, commel’agglomération de Bangalore en Inde,haut lieu de recherche et de développe-ment technologique. La main-d’œuvre,mais aussi le savoir-faire se transposentdès à présent d’un continent à un autre.Depuis une vingtaine d’années, une riva-lité aiguë s’est donc développée entre lesterritoires pour attirer les implantationsindustrielles. La géographie de la pro-duction se dessine à l’échelle internatio-nale en fonction de facteurs sur lesquelsjouent les entreprises. Les ressourcesnaturelles, la main-d’œuvre, la producti-vité, l’innovation, l’information, les pro-grès techniques sont autant de facteursqui se combinent et témoignent de l’at-tractivité territoriale. Derrière unerecherche constante de rentabilité, deperformance et de réduction de coût, lesstratégies de localisations remettent encause le lien qui unissait les entreprisesà leur territoire.Au début des années 1960, l'indispensa-ble adaptation aux contraintes écono-miques a été, comme on l’a vu, à l'origined'une première vague de transferts deproduction. Les entreprises ont alorscherché à réduire leurs coûts de produc-tion et notamment leurs charges sala-riales, tout en profitant de la flexibilitéde la main-d’œuvre. Motivés par des fai-

Derrière une recherche constante de rentabilité, de

performance et de réduction de coût, les stratégies de

localisations remettent en cause lelien qui unissait les entreprises à

leur territoire.

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bles coûts de main-d’œuvre, ces dépla-cements ont porté pour l’essentiel surdes produits de grande consommation(textile, jouets, chaussures par exemple). À l’échelle mondiale, les «  quatre dra-gons  » ont été historiquement les pre-miers pays d’accueil des délocalisations.Face à la montée des salaires, le Japonet les États-Unis ont délocalisé dans lesannées 1960 leurs productions en sérievers ces pays qui disposaient d’une main-d’œuvre peu onéreuse et abondante(Hongkong, Taiwan, Singapour et Coréedu Sud). Dans les années 1970, les « bébés tigres »se sont insérés dans cette nouvelle orga-nisation productive (Indonésie, Malaisie,Philippines, Thaïlande) et ont ouvert la

voie à l’ensemble de l’Asie orientale. C’estpar exemple le cas de ST Microelectronics,qui a délocalisé ses usines d'assemblageet de tests à Singapour et en Malaisie dèsles années 1960. Pour les industriels français et commeon peut le voir sur le graphique intitulé«  Chronologie de 50 ans de délocalisa-tions », ce sont les pays méditerranéens(le Maroc, la Tunisie et la Turquie plustardivement) qui ont accueilli les pre-mières activités délocalisées.

LES DÉBUTS DE LA MODULARISATIONLes années 1980 sont à l’origine d’unedeuxième vague de transferts. La créa-tion de grands blocs économiques s’estaccompagnée du développement de nou-

velles zones d’attraction. Ainsi, l’Europede l’Est est devenue pour la France etpour l’Europe de l’Ouest une zone privi-légiée. Certains pays comme la Bulgarie,la Pologne, la République Tchèque, laRoumanie, la Slovaquie sont devenus deslieux incontournables. L’Asie orientalepour le Japon et l’Amérique centrale pourles États-Unis se sont imposés égalementcomme les lieux d’accueil privilégiés. Deson côté, le Mexique a rempli cette fonc-tion pour les activités manufacturièresaméricaines (textile, automobile ou élec-tronique par exemple)1. Ces opérationsse caractérisent par la diversification desproduits délocalisables. C’est égalementles débuts de la modularisation. Chaqueprocessus de fabrication est alors décom-posé en autant d’opérations possibles etdifférentes, chacune pouvant donner lieuà une affectation géographique particu-lière. Les coûts salariaux ne sont plus lesseuls facteurs décisifs. Dorénavant, laproximité, la qualité du travail et la tailledes marchés sont privilégiées. Aux sec-teurs traditionnels du textile, de l’habil-lement, du cuir, du jouet et de la métal-lurgie s’ajoutent les délocalisations deséquipements électriques, électroniques,mécaniques, l’automobile, la plasturgie,la chimie et les services.Avec la mise à niveau technologique decertains pays d’accueils et l’apparitiondes pays émergents, les années 2000sont à l’origine d’une troisième vague dedélocalisations (cf. graphique ci-contre).Le centre de gravité des délocalisationss’est alors déplacé vers l’Est et les paysémergents d’Asie se sont imposés commedes concurrents sérieux, redoutablesmême, capables de proposer une offreglobale et à moindre coût. La Chine est,par exemple, un concurrent féroce pourde nombreuses activités comme celles àfort coefficient de main-d’œuvre (textile,habillement par exemple) mais aussi etde plus en plus, pour des activités plusqualitatives. n

1 Ces usines, appelées maquiladoras à bas coûtsde main-d’œuvre et aux conditions fiscalesavantageuses, ont accueilli les entreprises amé-ricaines qui importaient la matière premièreet réexportaient les produits finis aux Etats-Unis.

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NOVEMBRE 2012 - LA REVUE DU PROJET

CHRONOLOGIE DE 50 ANS DE DÉLOCALISATIONS DES ENTREPRISES FRANÇAISES À L'ÉTRANGER

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LA REVUE DU PROJET - NOVEMBRE 2012

SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*YVES BOUBENEC est docteur en neuros-ciences.

éducation est un élément essen-tiel de la formation du citoyen. Dans unedémocratie, l’État doit éduquer les citoyenset c’est à l’école qu’incombe la mission defournir un bagage culturel à chaqueFrançais, quel que soit son statut social.Cette éducation est censée être un terreausur lequel l’esprit critique va germer et sedévelopper. À terme, un citoyen doit êtreapte à raisonner par soi-même, à propo-ser un (contre-)argumentaire et à se for-ger une opinion pour voter ou s’engageren conséquence. Dans cet objectif, il estcrucial que tout un chacun puisse avoiraccès au panel le plus large possible deconnaissances, car bien souvent les débatscitoyens ne sont pas circonscrits à ununique domaine de réflexion. Le corpusminimum de savoirs est distribué entre lesmatières classiquement enseignéesjusqu’au lycée  : histoire, géographie, let-tres et philosophie et enfin mathématiqueset sciences (physique/géologie/biologie).Le but est ici de s’interroger sur l’influencede la connaissance scientifique sur notrevie de citoyen ainsi que sur notre manièrede penser et de considérer le monde.

DES CHIFFRES ET DES … LOGIQUES La société dans laquelle nous vivons estsubmergée d’informations. Le monde nousest montré en termes chiffrés ; budget del’État, sondages d’opinion, graphiques de

Par YVES BOUBENEC*

progression du chômage, rien n’y échappe.Force est de reconnaître que nombre d’en-tre nous n’est pas à l’aise avec de simplespourcentages et que la significativité d’unsondage ou d’une estimation nous est obs-cure. D’ailleurs, les filières dites «  litté-raires » accentuent ce phénomène en entre-tenant une peur des chiffres et un sentimentd’exclusion vis-à-vis des connaissancesscientifiques. De fait, une des lacunes del’éducation mathématique et scientifiqueactuelle, c’est le manque total de familia-risation avec les chiffres. Les sciences ser-vent à rendre concrètes les mathéma-tiques ; calculer un pourcentage, manipulerdes ordres de grandeur, des échelles… Quoide mieux pour relativiser la précision dessondages ou comprendre les politiqueséconomiques de l’État ?

On peut même se prendre un instant àrêver d’une décrédibilisation de M. Lenglet,économiste télévisuel en chef durant lacampagne présidentielle 2012, brandissantses petits graphes hors de tout contexteéconomique, n’hésitant pas à jouer sur leséchelles de ses graphiques pour montrerles tendances qui le servent au mieux.

Le cerveau apprend et conçoit le mondeen termes statistiques : les troncs des arbressont le plus souvent verticaux, la mer leplus souvent bleue, les voix de femmes plussouvent aigües, etc… Nous jugeons tout

au long de notre vie de la vraisemblancedes interprétations à donner à notre envi-ronnement. Ce faisant, nous sommes par-fois pris en défaut car ces estimations peu-vent nous induire en erreur. Si l’on ne faitpas preuve d’esprit critique, la manière etla forme sous lesquelles nous sont présen-tées des données peuvent influer grande-ment sur les conclusions que nous en tirons,de la même manière que notre perceptionpeut être trompée par une illusion. Lesétudes en communication s’appuient surce genre de biais dans nos raisonnementspour influencer nos décisions et nos com-portements, une approche typique de laprogrammation neuro-linguistique (PNL).La raison permet alors de distinguer le vraidu faux. Selon Jean-Pierre Kahane : « toutesles sciences ont en commun, un certainexercice de la raison, c’est-à-dire de lamémoire, de l’imagination, de l’esprit cri-tique, de l’aptitude à la mise en forme, quel’on peut appeler la méthode scientifiquesans chercher par-là à trop la formaliser ».Les sciences sont un moyen d’acquérir unerigueur de raisonnement qui est essentiellepour éprouver la solidité d’une rhétorique.À ce propos, le documentaire Ce n’est qu’undébut de Jean-Pierre Pozzi et PierreBarougier nous montre une école mater-nelle où des enfants de 4-5 ans appren-nent en quelques mois à s’écouter entreeux et à s’exprimer clairement, de manière(plus ou moins) logique. Cela nous donnetoutes les raisons d’être optimiste quantaux capacités de l’être humain à raisonneret à argumenter. Un raisonnement scien-tifique doit s’appuyer sur un ensemble d’ar-guments et de preuves liés de manièrelogique, sans laquelle la démonstration s’ef-fondre. Exactement ce qu’il est nécessaire

Réconcilier le citoyen avec la sJe suis citoyen ; l’État m’y a préparé. Ou plutôt aurait dû m’y préparer, caraux questions « Suis-je capable de me défendre contre des argumentsfallacieux ? », « Comprends-je le monde dans lequel je vis ? », la réponsepar l’affirmative n’est pas aussi évidente qu’elle devrait l’être. Il nous sem-ble que la science est un outil puissant pour attaquer ce problème.

L’

Les sciences sont un des moyens d’acquérir une

rigueur de raisonnement qui estessentielle pour éprouver la solidité

d’une rhétorique.“

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de maîtriser pour décortiquer les liens decausalité qui nous sont présentés dans lesmédia, sans démonstration. Par exemple,«  L’espérance de vie se rallonge DONC ilfaut travailler plus longtemps ». Pardon ?

LE MONDE À TRAVERS LE PRISME DU SAVOIR Ce qui fait en partie la beauté de la culturescientifique, c’est qu’elle se partage. C’estun bien «  compossible  » comme le diraitNormand Baillargeon, c’est-à-dire qu’il peutappartenir à plusieurs personnes en mêmetemps, à l’inverse d’un bien matériel oud’un brevet. C’est aussi pour cela qu’il fautfavoriser sa diffusion. Ce n’est pas parceque quelqu’un m’explique pourquoi la nuitest noire qu’il perd possession de cetteconnaissance.

La science ne se constitue pas en vase clos.Les savoirs issus de la recherche se répon-dent entre eux. Néanmoins, ils ne deman-dent pas mieux que de répandre dans lasociété leurs réponses et hypothèses lesplus essentielles à la compréhension dumonde et de nous-mêmes. L’objectif estsimple : faire en sorte que comprendre sonenvironnement soit à la portée de tous.Des exemples courants (pourquoi est-ceque j’éternue quand je regarde le soleil ?)peuvent déboucher sur des considérationsbien plus générales (comment mon œilenvoie-t-il une information visuelle à moncerveau  ?), voire philosophiques (qu’est-ce que la perception visuelle  ? commentse crée-t-elle ?). Attention toutefois  ; il ne s’agit pas nonplus de prôner la diffusion d’un savoir scien-tifique détaillé et exhaustif. Avoir connais-sance de quelques obscures cascades chi-miques ou de la phylogénie du condylureà nez étoilé n’est clairement pas notre pro-

pos. Ce qui importe le plus dans la science,ce sont des concepts larges et généraux,et qui donc intriguent l’humain depuis dessiècles. Les mythes de nombre de civilisa-tions témoignent du besoin de l’esprithumain d’expliquer chaque aspect dumonde, tel que le mit en évidence ClaudeLévi-Strauss. La science a aujourd’hui uncertain nombre de réponses à apporter àces questions. Toutefois c’est assez rare-ment qu’elle a l’opportunité de toucher lar-gement les citoyens. Le plus souvent, c’estautour de termes à la mode que se cristal-lisent les débats scientifiques médiatisés :nanoparticules, nucléaire, OGM… Mais ilfaut remarquer combien ces mots-clésrecoupent plus des notions d’ingénierieque des concepts de recherche fondamen-tale. Il est crucial que les axes de la diffu-sion scientifique soient indépendants desthèmes médiatiques. Cela ne signifie paspour autant qu’ils seront aux antipodes lesuns des autres. Par exemple, la génétiquepermet d’aborder la problématique desOGM, de leur construction, mais aussi desdangers de la radioactivité. La cadre de larecherche fondamentale apporte un éclai-rage en contre sur les débats scientifiquesd’actualité. En bref, il faudrait partir deconnaissances larges pour être capabled’appréhender des problématiques plusspécifiques.

QUI MANQUE DANS LA DANSE ? Jusqu’ici, nous avons insisté sur les impli-cations de la diffusion de connaissancesscientifiques dans la société. Encore unefois, nous ne prônons pas une uniformisa-tion des citoyens où chacun serait un scien-tifique en devenir. Par contre, nous pen-sons que les chercheurs doivent rentrerdans la danse de la diffusion du savoir. Ilest fondamental qu’ils en soient des pleinsacteurs. Pour cela, il faut les décomplexeret donner le goût à chaque scientifiqued’expliquer aux citoyens non pas le petitpérimètre de sa recherche mais des notionsplus générales. La communauté descitoyens fournit au chercheur les moyensmatériels de sa recherche pour faire pro-gresser la connaissance mais ce n’est pastout. Nous estimons que le scientifique doitfaire le parcours inverse et participer auprocessus de dissémination des savoirs. Pour ce faire, il existe déjà de nombreuses

structures et manifestations dont nous neciterons que les plus connues : Palais de ladécouverte, Cité des sciences, Fête de lascience, Nuit des étoiles, Semaine du cer-veau, la plateforme Curiosphere de FranceTélévisions… Malgré la difficulté d’obtenirparfois des crédits, ces organismes jouis-sent d’une large popularité. Un certain nom-bre de scientifiques participe bien sûr àces manifestations mais un nombre cer-tain ne voit pas vraiment l’importance etla nécessité d’y prendre part. Il faut faireprendre conscience aux acteurs de larecherche de l’intérêt des citoyens pour lascience.

Nous suggérons aussi de mettre l’accentsur la culture scientifique durant l’éduca-tion scolaire c’est-à-dire a) enseigner lesmathématiques en interaction avec lesautres disciplines afin d’en faire un vraioutil et b) diversifier les thèmes scienti-fiques enseignés dans les programmes del’Éducation nationale. Une culture large,généraliste et des méthodes de réflexionsont plus essentielles que l’enseignementde thèmes d’actualité ou à la mode. Poury parvenir, les scientifiques devraient inter-venir plus largement en milieu scolaire,pour y expliquer ce qu’est la recherche, ladémarche intellectuelle et pratique qu’elledemande et les découvertes qui y ont étéfaites. Il faut arrêter de faire du chercheurun personnage en blouse blanche devantde mystérieuses éprouvettes (image géné-ralement véhiculée par les média).

In fine, on peut légitimement espérer quel’intérêt pour la science amènera enfantset adultes à une meilleure maîtrise dubagage citoyen : se familiariser avec lesmanipulations numériques, avoir un cadrede compréhension du monde, être capa-ble de peser la validité d’un raisonnement. n

c la science

Faire en sorte que comprendre son

environnement soit à la portée de tout un chacun.“

Le scientifique doit participer au processus

de dissémination des savoirs.“

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Par ALAIN VERMEERSCH

REVUE DES MÉDIA

Les quotidiens nationaux et régionaux ainsi que les hebdomadairesont publié des articles où l'on retrouve 4 429 fois le terme « compéti-tivité » depuis le mois de septembre.

UNE OFFENSIVE CONCERTÉE...Depuis début septembre, une ava-lanche d'articles encourageait le gou-vernement à décider de la baisse ducoût du travail. Les Echos (05/09)titre  : « Coût du travail  : une étude duTrésor souligne l'impact des allége-ments de charges dans l'Hexagone ».Le Figaro (11/09) choisit « Un coût dutravail trop élevé et un goût au travailtrop faible  ».Claire Guélaud (Le Monde 08/09) vendla mèche : « Qu'elle semble loin, déjà,la campagne de François Hollande !Le candidat socialiste voulait en décou-dre avec la finance, son ennemi. Maisaussi avec ces dirigeants d'entreprisecapables, en pleine crise, de s'octroyerdes augmentations de rémunérations«  considérables  ». Il annonçait alorsune taxe à 75 % sur les très hautsrevenus... L'été est passé par là, avecson cortège de mauvaises nouvelles.L'industrie française n'en finit pas deperdre du terrain, la croissance est enberne, le chômage explose. Les chefsd'entreprise et leurs représentantshantent les allées du pouvoir. « Nousne faisons pas semblant d'aller mal »,précise Laurence Parisot le 29 août àl'université d'été du Medef. À Jean-Marc Ayrault, premier chef de gouver-nement à avoir accepté d'ouvrir le ren-dez-vous patronal, elle demanded'entendre «  le bien-fondé  » des exi-gences des entreprises. Et résumeleurs difficultés : un taux de marge

Le « choc de compétitivité »ou simplementun choc antisocial

historiquement bas, une capacité d'au-tofinancement qui s'effondre, un tauxde prélèvements obligatoires rapportéà la valeur ajoutée des entreprises de24,8 %... Il y a urgence, martèle la pré-sidente du Medef, à s'occuper de com-pétitivité. » La même récidive « Invitédu journal de 20 heures sur TF1, il aconfirmé son choix, pour 2013, d'unchoc budgétaire sans précédent, leplus important depuis trente ans, c'est-à-dire depuis le tournant de la rigueuren 1983. Le président a annoncé uneaccélération du chantier compétiti-vité, ce qui satisfera les chefs d'entre-prise. “Tout sera engagé dès la fin del'année”, a dit M. Hollande. Il s'agit defaire en sorte que les salaires ne soientpas les seules bases de prélèvementspour financer la protection sociale,autrement dit, c'est un allégement ducoût du travail. Au grand dam, sansdoute, d'une partie du PS, M. Hollandea indiqué que la CSG pouvait “fairepartie des discussions, mais pas elleseule”. » Libération, de son côté,estime (04/10)  : «  Aller vite pour nepas décourager l’opinion. Mais pas tropnon plus pour ne pas brusquer les par-tenaires sociaux. Telle est la délicate,car contradictoire, injonction deFrançois Hollande à son gouverne-ment. Jean-Marc Ayrault a convié septde ses ministres pour parler de lafuture réforme en faveur de la com-pétitivité des entreprises. Un timinga priori très étonnant, car le chef de

l’État avait déclaré qu’il présenteraitses mesures en fin d’année. Pourquoialors une réunion à Matignon ?« Pendant toute cette période deconsultation, il n’est pas interdit deréfléchir pour être en situation de ver-ser notre contribution au débat », adéfendu la porte-parole du gouverne-ment Najat Vallaud-Belkacem. Par ail-leurs, la fronde du patronat, et notam-ment des entrepreneurs contre lapolitique fiscale du gouvernement, aprobablement incité l’exécutif à don-ner très vite un signal aux entre-prises.  Fleur Pellerin confie : « avecl’effort demandé aux Français en 2013,on ne peut pas basculer massivementdes baisses de charges en une seuleannée sans risquer de casser le pou-voir d’achat. »

… DU FMI À L'UMPDans la valise du Monde diplomatique(09/10) sous le titre « Compétitivité  :l'aveu de Mme Lagarde » on peut lire :« Difficile de traduire plus brutalementle mot de “compétitivité” dont, depuisdes mois, se gargarisent ministres, res-ponsables de l’opposition, chefs d’en-treprises et grands médias. À la find’un entretien réalisé à Washingtonet publié jeudi 4 octobre par Le Figaro,Mme  Christine Lagarde, directricegénérale du Fonds monétaire interna-tional (FMI), se voit poser la questionsuivante  : “Le FMI tente de faire bais-ser les prix à l’échelle de la zone euro

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pour compenser le fait qu’il [l’euro] nepuisse dévaluer. Est-ce réalisable  ?”Oui, explique en substance la direc-trice générale du FMI, mais il faut bais-ser les salaires. Elle ajoute  : “En fai-sant baisser les prix des facteurs deproduction, en particulier le prix dufacteur travail, on espère rendre lepays plus compétitif et plus intéres-sant pour les investisseurs étran-gers”.»< Jean Peyrelevade (Le Monde25/09) estime pour sa part  : «  grâceau vote du pacte budgétaire et auxprogrès de la solidarité au sein de lazone euro, verra-t-on la disparitionprogressive de la méfiance des prê-teurs à l'égard des banques et desemprunteurs publics. Cependant, uneévolution aussi favorable laisseraentier le problème de compétitivitédes États concernés, dont chacundemeure responsable pour lui-même.De ce point de vue, dont tout dépend,notre pays, loin de progresser, conti-nue à reculer. Mais le “choc de com-pétitivité” souhaitable est sans cesserenvoyé à plus tard, alors que rien neserait plus urgent. Comment expliquerun tel aveuglement collectif ? Nos diri-geants politiques, toutes tendances

confondues, sont à l'image de l'opi-nion publique : ils ne comprennent pasles conditions de la création desrichesses échangeables. L'entrepriseest au cœur de la problématique. Unchoc de compétitivité, obtenu par dimi-nution des charges sociales dites patro-nales, est une condition nécessaire duredressement. Nous avons besoin d'unnouveau pacte social, en faveur desentreprises et dans chacune d'ellesafin de les encourager plutôt que lessanctionner.  ». François Fillon quantà lui, déclare aux Echos (11/10)  : «  Jemilite pour des mesures d'urgence, enremettant en cause certaines dépensessociales et en allongeant la durée dutravail. Le redressement national passepar un effort de travail supplémen-taire. Il faut supprimer la référence àla durée légale et autoriser une négo-ciation collective dans les entreprisessur le temps de travail, dans les limitesdes règles européennes.  »

VERS UNE « TRAJECTOIRE DE COMPÉ-TITIVITÉ » PLUTÔT QU'UN « CHOC »«  Le gouvernement proposera une“trajectoire de compétitivité” et nonle “choc” réclamé par les chefs d'en-

treprise car un bond des taxes sur lesménages tuerait l'espoir de repriseéconomique » (France Inter 15/10 YannLe Guernigou). «  Après avoir annuléla TVA sociale de Nicolas Sarkozy, ilveut convaincre que le coût du travailn'est qu'une partie du problème decompétitivité de la France. Le coût dutravail sera bien baissé mais selon desmodalités qui restent ouvertes. Dansle "choc", il peut aussi y avoir un effetchoc récessif  », poursuit la source.Donc plutôt qu'un choc, « on va faireune trajectoire de compétitivité. Uneforte hausse de la TVA ou de la CSGqui compenserait une baisse descharges des entreprises, une piste vive-ment combattue au sein du PS par deséconomistes comme Karine Berger,chargée de l'économie, et le députéPierre-Alain Muet ou par le ministredu Travail, paraît ainsi condamnée.  »Mais poursuit la source, «  Rien n'esttranché à ce stade ». « Il y a différentstypes d'impôts et de taxes, différentescatégories, on peut jouer sur pas malde paramètres.  ». Cette décision tra-duit les contradictions qui travaillentl'ensemble de l'exécutif. n

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CRITIQUES

LIRELe NéolibéralismePAR FLORIAN GULLI

Qu’est-ce que le « néolibéralisme » ? Que peut-on fairepolitiquement de ce concept ? N’est-il qu’une manièrehonteuse de parler de quelque chose que l’on connaît trèsbien et depuis longtemps, à savoir le capitalisme ? Ou met-il en lumière une réalité nouvelle devant laquelle les ana-lyses classiques étaient restées aveugles jusque-là ?

Les ouvrages de Serge Audier, d’une érudition extrême,rappellent que le néolibéralisme a d’abord été une doc-trine (élaborée entre autres par F. Hayek, L. Rougier, J.Rueff, W. Röpke, A. Rüstow). Née dans les années 1930, sapremière ambition fut de répondre philosophiquementà la crise généralisée du modèle libéral, rejeté de toutepart, tant par les partisans de la planification socialisteque par ceux du capitalisme organisé. La valeur théoriquede ce type d’approche est indéniable : elle redonne aunéolibéralisme toute sa complexité, loin des caricatures.Le néolibéralisme n’a rien d’une doctrine unifiée, il estune constellation d’auteurs aux analyses distinctes, par-fois divergentes, voire contradictoires.Néanmoins, cette investigation théorique est difficilementutilisable politiquement. D’abord, parce qu’à force d’in-sister sur la pluralité du néolibéralisme, on en vient à neplus comprendre ce qui fait son unité. Ensuite, parce quecette lecture s’en tient (et c’est évidemment son droit) àla philosophie néolibérale, laissant de côté ce que l’onpourrait nommer le « néolibéralisme réellement existant »,celui dans lequel nous nous débattons.

UN GOUVERNEMENT DES ÂMES Dans le sillage des analyses de Michel Foucault, PierreDardot, Chrisitian Laval et Maurizio Lazzarato (la listen’est pas exhaustive) proposent, quant à eux, une analysede la réalité néolibérale. La focale se déplace de la philo-sophie vers la « société néolibérale » et ses rapports depouvoir. La société néolibérale est l’ensemble des dispo-sitifs qui tendent à produire une subjectivité néolibérale,c’est-à-dire une subjectivité spontanément accordée auxexigences de la compétition économique. C’est là queréside l’originalité de cette approche : l’attention portéeaux processus de subjectivation. Dans La nouvelle raisondu monde, Dardot et Laval placent au cœur de leurs ana-lyses le « néomanagement » qui mobilise non seulementles corps mais aussi les âmes au service de l’entreprise.Les techniques prolifèrent : coaching, « analyse transac-tionnelle », « programmation neurolinguistique », etc. ;toutes subordonnées au même but : renforcer le moi afinqu’il soit en mesure de supporter la guerre économiqueet de s’y imposer. De son côté, Lazzarato montre, dans Lafabrique de l’homme endetté, que l’économie néolibéralede la dette dépossède les débiteurs de leur avenir en lessoumettant à l’exigence du remboursement, en mêmetemps qu’elle les disqualifie moralement et les culpabi-lise (on se rappelle la formule « PIGS » pour désigner les

pays endettés de la zone euro, le Portugal, l’Irlande, laGrèce et l’Espagne).

Dans cette perspective, le néolibéralisme est avant toutun gouvernement des âmes ; le management et l’endet-tement (d’autres dispositifs existent assurément) étantses bras armés. Ainsi pour les néolibéraux, l’homo oeco-nomicus n’est pas une description de l’homme. Il s’agitde tout autre chose ; de la définition de l’homme tel qu’ildevrait être, pour la plus grande utilité de l’entreprise. Lenéolibéralisme se propose de fabriquer ce nouvel hommeau moyen d’un dressage quotidien et parfois insensible.Nulle conspiration ici, mais un projet assumé ; MargaretThatcher déclarait dans le Sunday Times en 1988 : « theobject is to change the soul » (le but est de changer l’âme).

On peut peut-être reprocher à ces analyses d’inspirationfoucaldienne de faire l’impasse sur le concept d’aliéna-tion qui semble pourtant tout indiqué pour entrepren-dre la critique de la fabrication néolibérale de la subjec-tivité. Il s’agit d’affirmer que les dispositifs néolibérauxsont profondément aliénants, c’est-à-dire contraires aulibre développement de la nature humaine. Critiquer lenéolibéralisme à partir de l’idée de nature humaine ferasans doute sourire certains marxistes. Il n’empêche ; YvonQuiniou le rappelait encore récemment : « il y a desbesoins, des capacités génériques, propres à tous leshommes, donc des “invariants” naturels dont seule l’ad-mission permet de parler scientifiquement d’aliénationpuisqu’elle réside dans leur extinction » Le regain d’inté-rêt actuel pour l’aliénation, la souffrance au travail et, ceciimpliquant cela, pour les ouvrages de jeunesse de Marx,n’est pas sans rapport avec la diffusion des principes d’or-ganisation néolibéraux.

Pour terminer ce rapide tour d’horizon, il est indispen-sable de mentionner les analyses marxistes, ou « alter-marxistes », de Gérard Duménil et Dominique Lévi. Cesauteurs voient dans le néolibéralisme, le visage du capi-talisme contemporain. Le mot « néolibéralisme » nedésigne donc pas le noyau dur, transhistorique, du capi-talisme, à savoir l’accumulation, mais la forme qu’ellerevêt à partir des années 1970. Dans Crise et sortie de crise.Ordre et désordres néolibéraux, Duménil et Lévi font desrapports de classes le centre de gravité de leur analyse.Le « néolibéralisme » est, selon eux, le résultat d’une phasede la lutte des classes. Les classes capitalistes ont entre-pris une sorte de reconquista visant au rétablissement deleurs pouvoirs et de leurs revenus, pouvoirs et revenusayant connu un net recul durant le « compromis social-démocrate » qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale.Aux États-Unis, de 1945 à 1970, les revenus du 0,1 % desménages les plus riches n’ont cessé de décroître. EnEurope, les programmes des organisations de gaucheproposaient d’accentuer encore ce recul. Le néolibéra-lisme fut une réplique, un nouveau compromis. La recon-quista se fit sur tous les plans : création de nouvelles ins-

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des livres, des revues...

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titutions financières, nouvelles réglementations moné-taires, précarisation du travail, instrumentalisation duchômage, création de cercles de réflexion, reprise en maindes universités. Nouveaux rapports de force, nouvellehégémonie.

NÉOLIBÉRALISME ET CAPITALISME NE SONT PASSYNONYMESL’usage du mot « néolibéralisme » n’est donc en aucuncas le symptôme d’une critique sociale affaiblie, effrayéepar l’emploi du mot « capitalisme », désormais tabou.Néolibéralisme et capitalisme ne sont pas synonymes.Entre ces deux termes, il n’y a pas à choisir ; il faut lesassumer tous deux et en même temps.

Les analyses du néolibéralisme réellement existant don-nent à voir une réalité complexe, un écheveau de rap-ports de pouvoir difficile à démêler. Il n’y a plus désor-mais un lieu de domination, mais de multiples sites. Lenéolibéralisme nous concerne comme producteur, évi-demment, mais aussi comme consommateur. Mais aussicomme résidant de telle ou telle ville puisqu’on peut par-

ler, à l’instar du géographe marxiste David Harvey, d’unevéritable production néolibérale de l’espace urbain. Etencore comme étudiant, l’Université intégrant la logiqueconcurrentielle.Se passer de ce vocable, pour se replier sur la catégorieplus classique de « capitalisme », ce serait faire perdre àl’analyse une grande partie de sa proximité avec le réel.Ce serait hypothéquer grandement les perspectives dedépassement de cet ordre économique.

Bibliographie :Serge Audier, Le colloque W alter Lippm ann, Aux origines du« néolibéralism e »,Le Bord de l’Eau, 2012.

Serge Audier, Néolibéralism e(s), Une archéologieintellectuelle, Grasset, 2012.

Pierre Dardot, Christian Laval, La nouvelle raison du m onde,Essai sur la société néolibérale, La découverte, 2010.

Gérard Duménil, Dominique Lévi, Crise et sortie de crise.Ordre et désordres néolibéraux,PUF, 2000.

États de choc.Bêtise et savoir auXXIe siècleParis, Mille et une nuits, 2012.

BERNARD STIEGLERPAR FABIEN FERRI

Le temps est venu de la responsabilitécollective et du réengagement politique le plus fort possi-ble dans une situation de crise économique, politique etéducationnelle planétaire extrêmement dangereuse. Cettecrise généralisée résulte d’une bêtise systémique qui a elle-même été intériorisée par le monde académique commeun fait sans alternative possible : « C’est la possibilité d’unealternative à ce fait, et comme un nouveau droit, que le pré-sent ouvrage veut affirmer ». L’une des grandes thèses de cetouvrage est de soutenir que le savoir ne peut pas être opposéà la bêtise. Écrire une économie dans laquelle la bêtise et lesavoir ne sont jamais en opposition, mais en composition,tel est l’un des enjeux de cet ouvrage critique et program-matique. La question du savoir est liée à celle de l’individua-tion ; celle de la bêtise, à la désindividuation. La bêtise estainsi ce qui consiste à se laisser dominer par la pulsion et lemimétisme et à renoncer à produire son désir, c’est-à-direson individuation. Si on ne peut jamais vaincre la bêtise, onpeut en revanche la combattre, comme le fait cet ouvrage.En établissant un bilan de la pensée post-structuraliste,Bernard Stiegler montre que celle-ci a renoncé à nuire à labêtise, c’est-à-dire à la combattre. Toute critique de l’éco-nomie politique a été abandonnée par les intellectuels fran-çais qui ont été conduits à considérer comme une fatalitésans alternative possible le développement de la bêtise sys-témique. L’ambition de l’ouvrage est alors de relancer le pro-gramme d’une nouvelle critique de l’économie politiquefondée sur une thérapeutique en élaborant une philosophiedu choc technologique.

Dictionnairedu travailPUF, 2012ANTOINE BEVORT, ANNETTEJOBERT, MICHEL LALLEMENT,ARNAUD MIAS PAR CORINNE LUXEMBOURG

Voici une superbe somme sur le travail multipliant les pointsde vue disciplinaires, les échelles d’observation du bureau,de l’atelier à la firme multinationale, les origines géogra-phiques des chercheurs. Quoi de plus commun que de parler du travail ? Quelle autreexpérience plus largement partagée ? Et pourtant, le travailse définit difficilement : travail torture, travail émancipa-teur, travail outil de domination. L’orientation de ce diction-naire est de chercher à saisir le travail comme il est pratiquéet vécu à travers plus de 140 entrées parmi lesquelles ontrouvera les identités, les catégories professionnelles, lesmondes sociaux, les statuts et les institutions, les approchesphilosophique et économique et certains événementscomme le Premier mai ou le Front populaire. Certains dirontque les moments forts du mouvement social ne s’y trouventpas, c’est vrai, mais ce dictionnaire n’a pas vocation à êtreune histoire du travail mais bien à interroger le travail prisaujourd’hui au cœur des transformations imposées par lamondialisation capitaliste. On notera avec plaisir des entrées replaçant le travail commeoutil d’aménagement du territoire (territoires, ville, espace,frontières, nation…) tout comme des items s’intéressantaux conditions de travail, à leurs évolutions, à leurs risques,les questions sociales (risques psychosociaux, troubles mus-culosquelettiques, anthropologie, éthique…). Plus qu’undictionnaire, ou qu’un outil de recherche, ce Dictionnairedu travail est une mine d’éléments de réflexion accessibleà tous.

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CRITIQUESLes Voies de lacréolisation,Essai sur ÉdouardGlissant, De l’Incidence éditeur, 2011

ALAIN MÉNILPAR VICTOR THIMONIER

Un an après la disparition du poète Édouard Glissant, le phi-losophe Alain Ménil a publié, en novembre 2011, un amplelivre (630 pages), qui rend hommage à un aspect peu connude l’œuvre de Glissant, son travail de philosophe et d’es-sayiste, qui méritait d’être étudié en détail. De Soleil de laconscience (1955) à L’imaginaire des langues (2010), en pas-sant par le Traité du tout monde (1997) et Philosophie de larelation (2009), c’est toute l’œuvre philosophique de Glissantqui est ici présentée, critiquée et éclaircie. Il s’agit avant tout d’un livre de philosophie critique, il en al’exigence et la rigueur. On traite ici des thèmes chers auxpostcolonial studies (études postcoloniales), avec commepoint de mire les concepts essentiels et sans cesses mou-vants forgés par Glissant de « Tout-Monde » et de« Créolisation ». Alain Ménil se défie des préjugés et de la

Faites entrer l’infini,n°53

PAR VICTOR THIMONIER

La revue Faites entrer l’infini est la princi-pale publication de la Société des Amis deLouis Aragon et d’Elsa Triolet. On y trouve

de quoi intéresser aussi bien le lecteur novice que le pro-fond connaisseur des textes des deux auteurs clés de cetterevue, Elsa et Aragon. On apprend à lire ou à relire Aragon,on découvre Elsa trop souvent oubliée, on prend plaisir àdécouvrir que les études sont nombreuses sur ce couple.Les deux parties les plus importantes de la revue, le « CahierAragon » et le « Cahier Elsa », se composent souvent de récits,d’œuvres, ou de critiques inspirées par le travail de l’un oùde l’autre. Ainsi le « Cahier Aragon » du n°53, contient untrès beau texte de George Sadoul et une étude des relationsdu peintre Kijno et d’Aragon. Faites entrer l’infini permetdonc de faire se côtoyer des textes inédits ou réédités d’Aragonet d’Elsa et des articles sur les récentes publications autourdes deux auteurs ou de leurs proches : Gorki, Breton, Drieule Rochelle, George Sadoul... Loin d’une exaltation un peu fanatique du couple amou-reux, Faites entrer l’infini est avant tout une revue d’art, avecle couple d’auteurs comme principal fil conducteur. L’objeten lui même est très beau, 80 pages couleurs, largementoccupées par de belles photographies, des reproductionsd’œuvres et des publications originales. Quinze pages de cenuméro sont ainsi consacrées aux gravures étonnantes etchantantes de Michel Brugerolles, avec quelques textes quipermettent d’introduire le lecteur au travail du graveur ;quelques pages donnent à voir les collages surréalistes deGeorges Sadoul ; et le reste de la revue est empli de dessins,

de photographies ou de facsimilés. Même les « Notes de lec-ture » sont souvent appuyées de photographies et de des-sins, telle la note de lecture rédigée par Gérard Cartier surl’ouvrage de Francis Combes, L’Aubépine, où se mêlent habi-lement les vers de Combes et les esquisses de Denis Péru. Au fil des numéros de Faites entrer l’infini, publication bi-annuelle, on découvre que la mémoire et le travail autourd’Aragon et d’Elsa rassemble aujourd’hui un grand nombred’artistes et de critiques.

« Agenda social 2012,résistance etreconquête »Économ ie et Politique, n°694-695

PAR IGOR MARTINACHE

Cela fait penser à ces personnes qui recherchent leur pairede lunettes alors qu'elle trône sur leur front. À l'heure où lenouveau gouvernement s'alarme de la désindustrialisationet de la « crise » de l'endettement public, ses membres fei-gnent de ne pas percevoir le potentiel des outils qu'ils ontà leur disposition : la remise sur pieds d'un véritable pôlefinancier public. Certes, la « Banque publique d'investisse-ment » est sur les fonds baptismaux tandis qu'est prévu unrenouvellement de certains livrets d'épargne, mais la faibleambition de ces mesures est loin d'être à la hauteur desenjeux. On ne peut non seulement pas s'en tenir à une sim-ple réorientation de l'épargne sans recourir à la créationmonétaire, mais il faut aussi établir clairement la directionde ces investissements en établissant des critères clairs, déci-dés par l'ensemble des citoyens et non depuis les sommetsde l'État, avance Denis Durand dans sa contribution à ce

sclérose rapide des concepts et cherche à éviter les explica-tions univoques, faciles. Il s’éloigne des termes « à la mode »pour revenir à un questionnement plus complet, parfoisplus intime, sur l’identité et le métissage, tant sur le planpolitique que sur le plan esthétique. Deux chapitres miroirsportent ainsi sur l’œuvre de la relation : Esthétique et poé-tique/ Éthique et politique. Une part de l’ouvrage touche à l’intimité et à l’histoire deson auteur. On a ce curieux sentiment, souvent agréable, dene jamais s’en aller trop loin d’Alain Ménil. Sa présence estsensible, mais toujours avec délicatesse et élégance, commedans ce très beau chapitre : « Contrepoint personnel », oùl’histoire simple de l’auteur révèle la complexité d’une dou-ble appartenance. Sans faire exemple, cette vision indivi-duelle dévoile une facette des questions qui traversent l’œu-vre de Glissant. C’est dans ce creuset intime que se développela pensée des « Mondes temporels vécus » qu’Alain Ménilapplique tant à Glissant qu’à lui-même : cette singularité del’écriture et du concept, cette subjectivité de la perceptionqui empêche le manichéisme abrupt et qui permet d’envi-sager la relation selon le paradigme de l’individu intime etnon selon une appartenance absolue à un monde prédé-fini. Les mots fusent, multiculturalisme, politique, créolité,identité, colonialisme, métissage, différence, et souvent toutleur sens s’éclaircit dans l’ouvrage. Alain Ménil fait jouer lesreliefs et le lecteur comprend vite que tout n’est pas qu’une

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NOVEMBRE 2012 - LA REVUE DU PROJET

43dossier. La même pusillanimité, simple masque d'un véri-table choix politique, est également à l’œuvre dans la filièreaéronautique et spatiale, véritable laboratoire de la construc-tion européenne. L'exemple d'Air France-KLM rappelle quel'agitation autour du « coût du travail » fait oublier celui, bienplus prohibitif du capital. À lire également d'utiles décryp-tages sur le financement de la protection sociale dont lesprincipes sont progressivement minés par sa fiscalisationcroissante, sur la « conférence sociale » de juillet dernier, surl'inertie gouvernementale face à la remontée plus que préoc-cupante du chômage – alors même que les pistes sont loinde manquer pour l'endiguer, comme le montrent celles quisont présentées ici – ou encore sur le démantèlementannoncé de l'AGIRC, le système de retraites complémen-taires des cadres.

« Le corps, territoirepolitique »Cahiers d’histoire, n° 118

JEAN-BAPTISTE LE CAM

Ce dossier des Cahiers d’Histoire consacréau corps comme « territoire politique »

explore la problématique des relations entre le corps et lespouvoirs ou processus de domination. Dans une introduc-tion exigeante dont certaines formulations déroutent par-fois, les coordinateurs du dossier précisent leur question-nement : comment les forces de domination s’imposent-ellesen s’appropriant les corps ? Quelles sont les résistances àcet asservissement des corps ? La plupart des articles laissecependant de côté ce second axe.L’enquête sur les processus par lesquels le politique se sai-sit des corps fut au cœur des travaux pionniers de Michel

Foucault, qui ont stimulé une importante production his-toriographique, comme le souligne Jérôme Lamy dans sonarticle consacré à une « historiographie sélective des héri-tages foucaldiens ». Plusieurs articles montrent comment,dans des contextes différents, le corps devient un objet dediscours affirmant la légitimité d’instances de pouvoir oude rapports de domination. Ainsi, Pierre-Henri Ortiz nousapprend que dans l’Empire romain du début du Ve siècle,l’enjeu de la controverse qui oppose Augustin à Pélage àpropos des rapports entre ascèse et salut réside dans la dési-gnation du groupe qui doit dominer le nouvel ordre socialchrétien et exercer le pouvoir sur les fidèles. Dans un toutautre contexte, celui de la France des XVIIIe et XIXe siècles,on apprend que le discours médical sur le clitoris légitimela domination masculine. Sylvie Chaperon précise en effetque pour remédier au danger du « mépris de l’homme » liéà la fonction érogène du clitoris, les médecins s’attachent àdécrire le clitoris comme un organe physiologiquementvoué au coït et donc avant tout au service du plaisir mascu-lin. Enfin, dans un article particulièrement stimulant, PhilippeArtières s’intéresse à la question des archives du biopoli-tique. Se focalisant sur la France des XIXe et XXe siècles, ilmontre comment des processus d’archivage de correspon-dances entre médecins et homosexuels, d’informations surles tatouages des bagnards ou de lettres de délation ano-nyme visant des prostituées sont utilisés par des instancesde pouvoir pour identifier, surveiller et punir des individusréfractaires à l’ordre sexuel, militaire ou moral. Mais, à tra-vers l’exemple de bagnards effaçant leurs tatouages, P. Artièressouligne aussi que c’est dans un mouvement de réappro-priation de leur corps que des individus peuvent résister àla soumission que tente de leur imposer une instance depouvoir.

simple question « d’appartenance ». Les mots communi-quent et s’étendent, la pensée de Glissant entre en échosavec ses vers et avec ses contemporains, Césaire, FrantzFanon. On ressort pleins de vivantes questions, et elles sontparmi celles qui font du bien. Alain Ménil ne laisse plus entendre sa voix que dans ceslignes. Disparu il y a peu, cet essai est son dernier ouvrage.Cette voix aussi mérite d’être entendue.

Pour défendre lescauses perduesFlammarion, 2012.

SLAVOJ ZIZEK

PAR IVAN LAVALLÉE

« De défaite en défaite jusqu’à la victoirefinale ». Cette citation de Mao Ze Dong

caractérise bien cet ouvrage qui épouse l’optique « messia-nique » de la lutte pour l’émancipation universelle. Ce quia été discrédité opère un retour en force. Le mérite de cetouvrage est là, montrer que sous les cendres de l’histoirecouvent les braises de la révolution et qu’elles s’enflammentici et là avec une flamme toujours renouvelée. La dictaturedu prolétariat réinventée, le Parti seule organisation possi-

ble. « ... La nécessité du Parti découle du fait que la classeouvrière n’est jamais pleinement elle-même [...] ce qu’il y ade spontané est la perception inadéquate qu’on a de sa pro-pre position sociale, de sorte que la conscience de classe« adéquate » doit être arrachée de haute lutte » (p. 357).La mise en perspective historique et philosophique, du roiphilosophe de Platon, à la volonté de puissance de Nietzsche,à Heidegger, ou à Foucault, permet de séparer le bon grainde l’ivraie dans ces œuvres et de montrer leur part d’actua-lité tout en en pointant les dérives. De même, Staline est res-titué dans son contexte et dans l’histoire du mouvementrévolutionnaire. Pétri de dialectique hégelienne, cet ouvragemontre ce qui dans des textes à l’index de la police philoso-phique est à reprendre et dévoile « le potentiel émancipa-teur des échecs passés ». Il cherche le noyau dur récupéra-ble pour la révolution de ces « causes perdues » et en quoiles défaites associées ont conduit certains dirigeants révo-lutionnaires à renier ces concepts et à perdre leur boussolerévolutionnaire. Revisitant la perspective communistecontemporaine, il analyse les thèses de Negri et Hardt surla multitude, celles de Badiou et donne une large place au« malaise dans la nature ».Ce texte donne à réfléchir aux militants et dirigeants de lacause communiste, même si tout n’y est pas, on s’en doute,à prendre pour vérité révélée. On notera d’ailleurs ici ou làquelques sollicitations, inopportunes, de la vérité historique.

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COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

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