La revue du projet n°25

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N°25 MARS 2013 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF u P. 6 LE DOSSIER BIEN NOURRIR LA PLANÈTE BIEN NOURRIR LA PLANÈTE P. 4 POÉSIES MOUHAMMAD AL-NAWÂDJÎ OU L’AMOUR DES GARÇONS EN TERRE D’ISLAM Franck Delorieux P. 32 MOUVEMENT RÉEL UNE FILMOGRAPHIE DE PARTI : LA NÉCESSITÉ ET L’ENVIE Julie Cazenave P. 26 LE GRAND ENTRETIEN LE COMMUNISME DE NOUVELLE GÉNÉRATION, UN CHANTIER EXALTANT ET ESSENTIEL Pierre Dharréville

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La revue du projet n°25

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N°25MARS2013

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

u P.6 LE DOSSIER

BIEN NOURRIRLA PLANÈTEBIEN NOURRIRLA PLANÈTE

P.4 POÉSIES

MOUHAMMAD AL-NAWÂDJÎ OU L’AMOUR DES GARÇONS EN TERRE D’ISLAMFranck Delorieux

P.32 MOUVEMENT RÉEL

UNE FILMOGRAPHIE DE PARTI : LA NÉCESSITÉ ET L’ENVIEJulie Cazenave

P.26 LE GRAND ENTRETIEN

LE COMMUNISMEDE NOUVELLEGÉNÉRATION,UN CHANTIEREXALTANT ETESSENTIEL Pierre Dharréville

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4 POÉSIESFranck Delorieux Mouhammad al-Nawâdjî oul’amour des garçons en terre d’Islam

5 REGARDÉtienne Chosson « Fais un effort pour te souve-nir. Ou, à défaut, invente »

6 !21 LE DOSSIERBIEN NOURRIR LA PLANÈTEÉdito : Xavier Compain, Éric Coquard Pourquoil’agriculture est-elle un enjeu de civilisation!?Olivier de Schutter Vers un Fonds mondial pourla protection socialeGuillaume Quashie-Vauclin Le cheval, le bœuf et lecapitalisteAmbroise Mazal Politiques alimentaires! : y a-t-ilun pilote dans l’avion!?Michel Griffon Comment nourrir la planète!?André Chassaigne Répondre aux besoinshumains, c’est notre ambition agricoleGérard Le Puill Produire mieux pour mangertous, sans épuiser les solsMarc Dufumier Nourrir correctement et durable-ment l’humanité tout entièreMaxime Bergonso Construire une autre chaînealimentaireJean-Pierre Boinon Enjeux fonciers et alimenta-tion

Jean-Pierre Leroux Agriculture, pesticides etsanté publiqueGeneviève Savigny La politique agricole aumépris de l’alimentationGeorges Thin Allier! : expériences, incertitudes,actions et objectifsJean-Luc Bindel Pour une agriculture sociale etprogressisteGérard Pigois, Serge Pagnier, Yohann VignerEnseigner autrement pour produire autre-ment…Frédéric Landy L’heure est-elle encore à la révo-lution verte en Inde!?

24 FORUM DES LECTEURS

26 !29 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENPierre Dharréville Le communisme de nouvellegénération, un chantier exaltant et essentiel

30 COMBAT D’ IDÉESGérard Streiff Retour sur l’eurocommunisme

32 MOUVEMENT RÉELJulie Cazenave Une filmographie de Parti : lanécessité et l’envie

34 HISTOIREFrançois Jarrige Briseurs de machines au XIXe siècle

36 PRODUCTION DE TERRITOIRESAnne Martin Agriculture urbaine,!outil de liensocial ou projet de société ?

38 SCIENCESAliette Geistdoerfer Pour une gestion durable dela biodiversité marine

40 SONDAGESGérard Streiff Oui, prendre aux riches !

41 STATISTIQUESMichaël Orand Après le travail, encore 3 heuresde travail pour les Français...

42 REVUE DES MÉDIAAlain Vermeersch La France a peur

44 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• LIRE : Un éditeur au cœur de la lutte• Rémy Cazals, Bonaparte est un factieux ! Lesrésistants au coup d’État, Mazamet, 1851• Notes de la Fondation Gabriel-Peri, Désirs,répressions et liberté. Dialogue avec Dany-Robert Dufour • Danielle Tartakowsky, Joël Biard, La Grange-aux-Belles. Maison des syndicats• Michel Biard et Philippe Bourdin,Robespierre. Portraits croisés• « Claude Levi-Strauss », Europe, n°1005-1006

LA REVUE DU PROJET - MARS 2013

SOMMAIRE

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.Parce que prendre conscience d'un problème, c’est déjà un premierpas vers sa résolution, nous publions, chaque mois, un diagrammeindiquant le pourcentage d'hommes et de femmes s’exprimant dansla revue.

HommesFemmes

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MARS 2013 - LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, DIRECTEUR DE LA REVUE DU PROJET

ÉDITO

AU REVOIR !Comme disait l’autre. Mais

trêve de plaisanteries. LeCongrès vient de se passer.

Et de bien se passer. Je suisappelé à d’autres responsabili-tés. Et l’avenir de Montreuiloccupe mon temps et monesprit.

Bref, je quitte l’esprit léger, etmême avec une pointe de fierté,la Revue. Une équipe s’est consti-tuée. Des chefs de rubriques, desréunions de rubriques… au total,plusieurs dizaines de personnescollaborent chaque mois à la réa-lisation de la revue. Beaucoup dejeunes intellectuels, mais passeulement, avec beaucoup dediversité politique et surtout unvrai enthousiasme et le senti-ment, justifié, de participer à uneaventure qui construit l’avenirde l’engagement communiste.

Tout cela tient beaucoup auxefforts constants et patients denotre rédacteur en chef,Guillaume Quashie-Vauclin. Cen’est pas un remerciement deforme : c’est lui qui fait véritable-ment cette revue avec toutel’équipe. Alors bon vent à eux !

Pierre Laurent, notre secrétairenational, a proposé de lancer untravail d’une ampleur tout à fait

nouvelle sur le projet. Sage déci-sion, impérieuse nécessité. Ungroupe de pilotage sera bientôtdésigné et notre revue engageratoutes ses forces dans cet effortcollectif.

Sur ce sujet, le problème est dou-ble et nous n’avons cessé de lediagnostiquer. D’une part, nousdevons affronter la question dela crédibilité de ce que nous pro-posons et d’autre part, nousdevons affronter la nécessitéd’une élaboration ouverte, fai-sant appel aux nombreux acteurstant syndicaux, qu’associatifs,populaires ou intellectuels dis-ponibles pour le travail commun.

Cela pose, à tous niveaux, et pourtous les combats que nousmenons, la question de la qua-lité de notre relation politiqueaux « corps intermédiaires », aux« relais d’opinion », à celles etceux qui sont investis d’une res-ponsabilité sociale. La revueapporte chaque mois sa pierre àl’édifice en ouvrant ses pagessans complexe à la diversité dela gauche communiste et detransformation sociale.

Dernier mot, pour saluer l’excel-lent travail de décryptage de l’ac-cord Medef, réalisé par l'Huma-

Dimanche. Il faut vraiment quechacune, chacun prenne letemps de se pencher dans lacomplexité de cet accord qui estprofondément régressif et atten-tatoire au principe même de laloi républicaine en matière dedroit du travail.

Que la lectrice et le lecteur ne s'ytrompent pas : le paragraphe pré-cédent a été écrit sans exagéra-tion, sans excès : cet accord quisera bientôt la loi, si nous nerésistons pas, est un bond enarrière pour les salariés de cepays et aucune mesure de cetaccord, fût-elle celle portant surles complémentaires santé, nepeut être considérée comme uneavancée : tout est recul.

Chères lectrices, chers lecteurs,

À très bientôt. !

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Mouhammad al-Nawâdjî naquit au Caire en 1383 et mouruten 1455. Surnommé « Soleil de la Religion », voici ce qu’endit René R. Khawam dans l’introduction qu’il donne à sonédition de La Prairie des gazelles. Éloge des beaux adoles-cents : « On rapporte qu’il consacrait le plus clair de ses loi-sirs à l’histoire naturelle et à la poésie. La religion n’étaitpas oubliée : notre homme étudia à son heure les Traditionsislamiques (aux collèges al-Housayniyya et al-Djamâliyya),et il lui arriva de diriger des séances de prières mystiques –appartenait-il à quelque confrérie soufie ? on peut le sup-poser. »La Prairie des gazelles, dédiée à Allah et au prophète, estdivisée en chapitres thématiques dont les titres sont commedes programmes poétiques : « Des garçons qui exercent unart ou un métier », « Les porteurs de duvet » ou « Les por-teurs de grains de beauté »... À la beauté des garçons, répondla volupté des images – et inversement. René R. Khawamsouligne que dans cette poésie « les cinq sens trouvent dequoi se repaître en abondance : et le toucher, l’odorat et legoût (si négligés par l’imaginaire occidental) presque autantque l’ouïe ou le regard. » Il ajoute que cette poésie « s’in-vite enfin à jouer sur les mots non moins que sur les corps.Mais les mots eux-mêmes, façonnés par la langue, offertspar les lèvres, n’ont-ils pas un corps ? Ce que le sage Nawâdjise fait un plaisir de nous rappeler à l’occasion, attentif qu’ilest à célébrer, par-delà la chair promise aux caresses, lecorps écrit, le corps subtil du désir. » Notons que ce recueilfait écho à une anthologie grecque de l’époque de l’empe-reur romain Hadrien (117-138), La Muse adolescente de Stratonde Sardes, également consacrée aux jeunes hommes et danslequel les métaphores florales abondent tout autant : les« fleurs naturelles sont beautés garçonnières ».

FRANCK DELORIEUX

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POÉSIES

Mouhammad al-Nawâdjî, La Prairie des

Gazelles. Éloge des beaux adolescents. Texte

établi sur les manuscrits originaux

par René R. Khawam. Éditions Phébus, 1989.

Publié avec leur aimable autorisation .

Mouhammad al-Nawâdjî ou l’amour des garçons en terre d’Islam

Pour un [garçon], qui dirigeait la prière :Je n’oublierai jamaisce que j’entrevis de sa beautéla nuit où je le visitai en son oratoire.

Devant le mihrâb,tourné vers La Mecque il récitait,pieusement entourépar la foule : « Ne tuez pas vos semblables,Dieu les a rendus sacrés ! »

Je songeai : « As-tu réfléchià ce que tu récites ? Toi le meurtrier,toi dont les yeux assassinent ! »

*

Il a cueilli au jardinune rose pour moi,plus belle que sa bellepromesse non tenue.

Trempant sa tige dans la coupede vin que tenait sa paume,au parfum plus fortque celui de l’ambre gris, il dit :

« Toi, mon amour, bois agréablementde ma paumecette eau de ma boucherépandue sur ma joue ! »

*

J’ai fouetté avec des roses les jouesde celui que j’aime à la passion.Fleurs accordées par leur couleuret leur parfum, au discoursde ces joues mêmes !

Il me fit cette réponse : « Étrange,que tu n’aies pas osé atteindreplus directement ta cible !À moins que ton geste n’ait voulu en secretréconcilier ces fleurs et les miennes… »

*

J’ai vu la tige du narcisseprendre une nouvelle vigueurentre les doigts de celui que j’aime !

On eût dit un rameau d’émeraudeau bout duquel eût éclatéun bouton d’argent et d’or !

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L’exposition se tient à Bétonsalon, récemment installéau sein de l'université Paris Diderot, espace d'art visuelproposant une rencontre entre création contemporaineet recherche universitaire.

Le commissariat a été réalisé par Aliocha Imhoff etKantuta Quiros membres de la plate-forme curatorialeLe peuple qui manque dont l'ambition est de confron-ter art contemporain et théorie critique. Ainsi, cetteexposition part d'une réflexion de la poétesse améri-caine Robin Morgan autour de la possible création d'une

herstory, c'est-à-dire d'une histoire à rebours des dis-cours officiels et qui serait consacrée à celle des femmeset des minorités. Courageuse et passionnante, cetteexposition interroge les procédés de recherche et detransmission de l'Histoire à travers une série d'instal-lations, de dessins, d'archives et de vidéos tentant d'exis-ter dans une zone d'ombre de l'historiographie.

ÉTIENNE CHOSSON

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REGA

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« Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut, invente »

© Justine Frank, The Stained Portfolio,dessin et gouache sur papier, 33x38 cm, 1927-1928.

Courtesy : Rosenfeld Gallery, Tel Aviv.

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PAR XAVIER COMPAIN, ÉRIC COQUARD*

À travers la diversité des produits etdes savoir-faire, l’agriculture a assuréà l’humanité tout entière ses possi-

bilités d’évolutions et d’échanges. Dansl’histoire longue, l’agriculture a d’abordune fonction alimentaire au sens le plusfruste, celle d’assurer la survie. C’estencore cette fonction qui présente l’en-jeu majeur pour une grande partie dumonde actuel. Un milliard d’êtreshumains souffrent de malnutrition parinsuffisance alimentaire.

Mais rester sur cette acception quantita-tive porte en soi les fondements d’uneréponse productiviste qui peut être des-tructrice pour la santé publique et l’envi-ronnement, tout autant qu’aliénante pourle paysan et le consommateur. À la tyran-nie de la faim, on substituerait la tyran-nie de l’exploitation d’une population« nourrie » pour produire plus et non pourvivre mieux et s’épanouir. Aujourd’hui,une alimentation saine et diverse reste lefondement de la santé publique et socialedes populations, consommateurs commeagriculteurs. Toutes les études montrentcombien la diversité intrinsèque desrégimes alimentaires influe sur la santédes individus et groupes humains.

Dans tous les pays on voit se développerune classe qui ne souffre plus de la faimsur le plan quantitatif, mais souffre d’unealiénation alimentaire conduisant à desproblèmes de santé publique majeurs :obésité, diabète, pathologies cardiovas-culaires… L’alimentation ne peut être uni-quement dévolue aux seuls besoins calo-riques/jour de chaque humain. Elle est

enjeu fondamental de santé publiquemondiale, alliant quantité et qualité, diver-sité, savoir-faire, bien-être social, échangeslocaux, équilibre des territoires et de l’en-vironnement. Incontournablement, ilfaut, dans la chaîne de production agri-cole et alimentaire, mettre fin à l’utilisa-tion massive de pesticides qui en est leprincipal danger. Les politiques ultralibé-rales tentent d’imposer partout uneconcentration de l’agriculture sous le pou-voir de gros propriétaires, multinationalesagrochimiques et de la grande distribu-tion. Ces derniers s’approprient les terreset agissent pour l’interdiction du contrôledémocratique du processus de produc-tion agricole (génie génétique, pesticides,nanotechnologies…). En Asie, en Afrique,elles développent avec violence l’expro-priation des paysans et la déstructurationdes régimes alimentaires. La spéculationsur les matières premières agricoles, l’ab-sence de stocks alimentaires nourrissentles bulles financières et la volatilité desmarchés. En Europe, c’est pour « restercompétitif », réformes après réformes dela Politique agricole commune (PAC), quesont éliminées les exploitations familiales.Ce qui conduit à la standardisation del’alimentation des masses. L’Europe doittourner le dos aux « signaux des marchés »,afin de ne pas sacrifier sa préférence com-munautaire et ses outils de régulation.

Nous défendons une agriculture paysanneet le droit à la souveraineté alimentairepour tous. Il revient aux politiquespubliques de définir une répartition ter-ritoriale des productions qui empêche laconcentration agro-industrielle. Noussoutenons la pêche artisanale. Ces poli-tiques doivent favoriser la relocalisationdes productions, les circuits courts, le

développement de l’emploi, l’aménage-ment environnemental… Le financementdes activités agricoles de production doitêtre renouvelé. Ces politiques publiquesdoivent également assurer des prix rému-nérateurs garantissant une vie sociale sta-ble et enrichissante pour les agriculteurs.Pour la PAC 2014-2020, nous appelonsune politique volontaire d’appui pour unmaillage dense d’exploitations familialessur les territoires pour favoriser la qualitéet la diversité des produits, la relocalisa-tion des productions, la régulation desmarchés et du foncier. Nous condamnonsl’agriculture coloniale qui accapare desterres par la violence militaire, politiqueou financière, au détriment de celles etceux qui la cultivent et des peuples quil’entretiennent. L’agriculture doit sortirde l’OMC actuelle ainsi que du cadre despolitiques libérales au service des mar-chés spéculatifs. En ce sens, nous portonsl’émergence d’une nouvelle organisationmondiale de l’agriculture, une nouvellepolitique agricole et alimentaire.

Le Parti communiste français puise dansson histoire et son identité rurale pouravancer aujourd’hui vers les chemins dupossible. L’enjeu agricole et alimentaireen est un. Nous encourageons, dans l’ac-tion, la gauche à afficher son ambitionagricole et alimentaire. Le présent nousappelle à l’urgence d’un autre devenir del’humanité, émancipé des guerres, desdominations et de la faim. C’est ce sillonque nous empruntons.

*Xavier Compain est membre du conseilnational du PCF, chargé du secteur agricul-ture, pêche, forêt.Éric Coquard est consultant international enagriculture.

LE DOSSIER

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L’actualité nous le rappelle – et nous avons trouvé bon d’y revenir sous la formed’une petite fable humoristique (p. 8) – : production, transformation et commer-cialisation des produits agricoles sont pilotées par l’aveugle loi de l’argent, insen-sible à toute autre considération. À l’heure de la négociation de la futurePolitique agricole commune, le dossier explore les voies d’une nouvelle chaînealimentaire qui réponde enfin aux besoins de toute l’humanité.

POURQUOI L’AGRICULTURE EST-ELLEUN ENJEU DE CIVILISATION ?

Bien nourrir la planète

ÉDITO

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VERS UN FONDS MONDIAL POUR LA PROTECTION SOCIALEEn complément de l’indispensable reconquête des pays pauvres deleur capacité à se nourrir eux-mêmes, il est nécessaire de répondreaux besoins des populations pauvres, de plus en plus majoritaire-ment urbaines.

MARS 2013 - LA REVUE DU PROJET

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PAR OLIVIER DE SCHUTTER*

Au cours des cinq dernières années, sesont succédé trois flambées des prixalimentaires. Les crises de 2008, 2010

et 2011, présentent chacune leurs spéci-ficités propres. Mais, dans leur répétition,elles appellent en même temps plusieursconstats communs.

Un : nous sommes entrés dans une èrenouvelle, où la volatilité des prix devientla règle, et où l’évolution des prix agri-coles sur les marchés internationaux ainterrompu la baisse structurelle enta-mée à la fin des années 1970. La pressionde plus en plus forte sur les ressourcesnaturelles et les chocs météorologiquesliés au changement climatique en sontles causes principales ; la spéculationfinancière sur les produits dérivés desmatières agricoles, un facteur d’aggrava-tion.Deux : il est impératif, précisément pourrenforcer la résilience du système alimen-taire et afin, en particulier, de réduire lavulnérabilité des pays pauvres importa-teurs nets de denrées alimentaires, dedéconcentrer la production alimentaire –éviter, par exemple, que l’Afrique del’Ouest tout entière dépende du Vietnam,de l’Inde et de la Thaïlande pour l’impor-tation de son riz, ou que les marchés mon-diaux tremblent à l’idée de mauvaisesrécoltes de blé autour de la mer Noire.Cela appelle un réinvestissement massifdans la production dans les pays en déve-loppement là où les niveaux de produc-tivité demeurent très bas, notamment enAfrique subsaharienne. Au cours destrente dernières années, très peu a été faitpour soutenir l’agriculture vivrière dansces régions : il était plus aisé pour les gou-vernements d’importer des denrées ali-mentaires à bas prix – car incluant dessubsides massifs soutenant les agricul-teurs des pays de l’OCDE – que de seconsacrer à la tâche, difficile et moins ren-table politiquement, de soutenir les petitsproducteurs locaux. Chacun convientaujourd’hui que cette trajectoire doit êtreinversée : il faut redonner aux petits pro-

ducteurs des pays en développement lesmoyens de produire, y compris en favo-risant leur accès au marché, et rompreenfin avec cette dépendance du Sud parrapport au dumping pratiqué par le Nord.On achetait la paix sociale sans garantiraux populations une véritable sécuritésociale.Trois : la sécurité alimentaire n’est pasaffaire d’agriculture seulement, mais sup-pose également une croissance inclusive,et la mise sur pied de systèmes de protec-tion sociale performants. Pour les petitsagriculteurs, le droit à l’alimentation sup-pose qu’on respecte leur capacité de pro-duire, et qu’on la renforce. Ceci peut nonseulement faire reculer la pauvreté ruralede manière spectaculaire, en augmentantles revenus des plus pauvres dans leszones rurales, mais également bénéficieraux autres secteurs de l’économie locale,car cela favorise l’émergence de filièresagro-industrielles et la création d’emploisdans la transformation, le conditionne-

ment et la commercialisation des denréesalimentaires.Mais les petits agriculteurs ne sont passeuls à souffrir de la faim et de la malnu-trition. Partout, l’urbanisation avance, etla pauvreté extrême présente un visagequi, s’il est encore majoritairement rural,est de plus en plus celui des bidonvilles,ces chancres dans lesquels 1,3 milliard depersonnes s’entassent aujourd’hui, à lalisière des grandes cités des pays en déve-loppement. En 2050, 69% de la popula-tion mondiale habitera dans les villes.Pour ces populations, il faut créer desemplois décents, et il faut mettre sur pieddes systèmes de protection sociale per-

formants. Les politiques du passé misaienttout sur des prix bas pour les denrées ali-mentaires : l’on saignait les campagnesafin de calmer l’impatience des villes, etl’on achetait la paix sociale sans garantiraux populations une véritable sécuritésociale. Cela ne vaut plus aujourd’hui. Cequi s’impose à présent, c’est une approchemultisectorielle visant à réduire l’insécu-rité alimentaire qui, tout à la fois, sou-tienne les producteurs agricoles, protègeles acheteurs nets de nourriture par despolitiques redistributives, et garantisseles uns et les autres contre les effets de lavolatilité des prix des denrées alimen-taires. La protection sociale devient indis-pensable à la sécurité alimentaire, aumême titre que les efforts visant à dyna-miser la production agricole.

À L’ÉCHELLE MONDIALE, 80 % DESFAMILLES N’ONT DROIT À AUCUNE FORMEDE PROTECTION SOCIALECertains pays en développement ontmontré la voie. Au Mexique,Oportunidades – qui a succédé à Progresaen 2002 – couvre près de 6 millions deménages ruraux et urbains, bénéficiant àplus de la moitié des familles dans les troisÉtats les plus pauvres du Mexique, etjusqu’à 61% dans le Chiapas. En Afriquedu Sud, 10 millions de personnes béné-ficient du Child Support Grant, qui vise àsoutenir l’éducation, la santé et l’alimen-tation des enfants. Au Brésil, la combinai-son d’un ensemble de programmessociaux – dont Bolsa Familia, qui va auxfamilles les plus pauvres, et un pro-gramme d’alimentation scolaire qui béné-ficie à 49 millions d’enfants à travers lepays – a permis de réduire de 73% la mal-nutrition infantile entre 2002 et 2008. EnInde, le National Rural EmploymentGuarantee Act lancé fin 2005, et destiné àgarantir aux ménages ruraux pauvres aumoins cent jours de travail par an sur destravaux publics rémunérés à hauteur dusalaire minimum, couvre aujourd’hui52 millions de familles.Mais, à côté de ces quelques avancéesremarquables, la population de nombreuxpays pauvres demeure sans protectionsociale quelconque. À l’échelle mondiale,80% des familles n’ont droit à aucuneforme de protection sociale : la perted’emploi, la maladie ou la vieillesse leslaissent sans aucun secours, au momentoù les anciennes solidarités familiales oucommunautaires se dissolvent.L’absence de progression de la protectionsociale dans les pays pauvres tient à troisfacteurs. La volonté politique fait défautparfois, les gouvernements ne voyant pas

Il faut redonner aux petits producteurs des pays en

développement les moyens deproduire, y compris en favorisantleur accès au marché, et rompre

enfin avec cette dépendance du Sudpar rapport au dumping pratiqué

par le Nord.

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Bien nourrir la planète

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LE DOSSIERla protection sociale comme une priorité.Les budgets publics sont souvent insuf-fisants, notamment en raison du poidsde la dette extérieure, et l’administrationpeut ne pas avoir la capacité de mettre enœuvre de tels programmes. Enfin, pourles pays pauvres à l’économie la moinsdiversifiée, s’ajoute une crainte spécifique :celle de ne pouvoir financer des pro-grammes couvrant une large partie de lapopulation en temps de crise, si un chocexogène (par exemple, une chute brutaledes revenus d’exportations, ou une sou-daine hausse de la facture des denrées ali-mentaires importées) ou endogène (parexemple une sécheresse) venait soudainà frapper une économie fragile. Est-ce unhasard si les exemples cités de pays endéveloppement ayant su mettre sur pieddes régimes de protection sociale sont despays démocratiques, bénéficiant d’uneforte croissance économique, et suffisam-ment vastes pour que les chocs que subitune région du pays puissent être com-pensés par d’autres régions ?

INCITER LES GOUVERNEMENTS À ÉRIGERLA PROTECTION SOCIALE EN PRIORITÉLe Fonds mondial pour la protectionsociale que nous avons proposé, la rap-

porteuse spéciale des Nations Unies surl’extrême pauvreté et les droits del’homme et moi-même, vise à lever cesobstacles. Nous suggérons un mécanismepermettant aux pays pauvres qui souhai-tent mettre sur pied un socle de protec-tion sociale de recevoir un appui finan-cier de la communauté internationale àcette fin, de manière à inciter les gouver-nements à ériger la protection sociale enpriorité, et de manière à surmonter lesdifficultés de financement. Le Fonds com-prendrait en outre un volet de « réassu-rance », ouvrant aux pays pauvres la pos-sibilité de s’assurer contre le risque den’être plus en mesure – par leurs res-sources propres, à la suite de certainschocs, même avec le soutien de la com-munauté internationale – de financerl’augmentation de la demande de protec-tion sociale. Tandis que le premier volet– le « fonds » proprement dit – devrait per-mettre de lever l’obstacle du financementde la protection sociale, dontl’Organisation internationale du travailestime qu’elle coûterait entre 2 et 6 % duPIB pour la plupart des pays les moinsavancés, le second volet qui lui serait asso-cié – le mécanisme de « réassurance » –viserait à protéger ces pays spécifique-

ment contre le risque de ne pouvoir tenirleurs promesses à l’égard des populations,face à des évolutions imprévisibles – cequi ne veut pas dire que le risque ne seraitpas calculable, selon les méthodes actua-rielles classiques.Plusieurs gouvernements et plusieursagences internationales ont déjà expriméleur soutien à cette proposition. Ils com-prennent que la lutte contre la faim nepeut plus se ramener à l’aide humanitaireponctuelle, et qu’elle ne peut plus seconcevoir comme une opération visantà fournir de la nourriture aux pays qui neparviennent pas à se nourrir eux-mêmes :une réponse structurelle à la volatilité desprix sur les marchés internationaux passepar la reconquête des pays pauvres deleur capacité à se nourrir eux-mêmes, etpar l’établissement de socles robustes deprotection sociale pour leurs populations.Il est temps de les y inciter. !

*Olivier De Schutter est juriste. Il est profes-seur de droit à l’Université de Louvain(Bruxelles). Ancien responsable de laFédération internationale pour les droits del’homme, il est depuis 2008 rapporteur spé-cial des Nations-unies sur le droit à l’alimen-tation.

Un pauvre et vieux cheval sous le faix de grands ans,Gémissant et courbé marchait à pas pesants.Tirant sa triste vie, plaignant sa destinée,Il se prend à rêver et murmure et maugrée :

Je voudrais être un œufOu même mieux : un bœuf !Que ne suis-je promis à la belle mâchée,Que mon corps devienne une heureuse dînée ?

Le malheureux implorait tous les joursEn vain et sans secours.

Lorsque, par les clameurs, enfin émoustilléeÂme capitaliste accoucha d’une idée.

Beau cheval, bel équidé, ne pleure plus voiciUne solution. Tes problèmes : fini !Tu pourras fondre aussi dans la bouche des êtresHumains. Comme bon bœuf aux gens tu vas paraître.

– Ô nouvel alchimiste ? Où est ton athanor ?– Ma magie, belle bête, a autre nom : c’est l’or.Il transforme le sot en expert à deux têtes,Et du cheval galleux, il fait une autre bête.

Sitôt dit, sitôt fait. Cheval à l’abattoir.Et dans la grande usine, sous les coups de hachoir,La vieille carne chevalineDevient viande fraîche et bovine.L’étiquette en sera témoinQui a le plus, il peut le moins.

Ce qu’il advint quand un vieux ratLe même sort fort demandaTu imagines la réponseTant de kilos et puis tant d’onces.Quatre plats de ratsagnes vendus à fort bon prix.Pour le capitaliste, pas de petit profit.

Ainsi va notre monde, plein de nouveaux OvideD’infâmes Métamorphoses, auteurs impavides.Qui veut les destituer, est tôt démantelé :DGCCRF(1) meurt dans l’austérité.

Capitalistes font ainsiDe notre univers lieu pourri.Puisse leur règne mortifèreFinir bientôt dans la poussière.

1) - Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

LE CHEVAL, LE BŒUF ET LE CAPITALISTEAFFAIRE FINDUS, BILLET D’HUMEUR

SUITE DE LAPAGE 7 >

PAR GUILLAUME QUASHIE-VAUCLIN

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PAR AMBROISE MAZAL*

En octobre dernier, les États ontadopté un cadre stratégique mon-dial pour la sécurité alimentaire

auquel a contribué la société civile, dansle cadre onusien du Comité de la sécu-rité alimentaire à Rome. Ce document-cadre international contribuera à favo-riser la cohérence des politiques partoutdans le monde. Il place en son cœur ledroit à l’alimentation, plaide en faveurde l’agroécologie et reconnaît que, pouratteindre la sécurité alimentaire, les petitsproducteurs, les artisans pêcheurs, lespastoralistes et les populations indigènesont un rôle central.

Cela aura ainsi été un des rares « mérites »de la crise alimentaire et des émeutes dela faim de 2007-2008 : rouvrir enfin ledébat sur les modèles agricoles et sur larégulation mondiale de l’alimentation,après trente ans de doxa néolibérale dontla Banque mondiale et le FMI auront étéles promoteurs les plus zélés. Cette pen-sée unique s’est traduite, à l’échelle natio-nal, par des plans d’ajustement structu-rel dans le secteur agricole, undésinvestissement massif dans le sec-teur, l’extension de l’agriculture indus-trielle aux dépens de l’agriculture fami-liale. Sur le plan international, cela a

ouvert la voie à la libéralisation deséchanges (l’agriculture est entrée dansle champ de l’OMC en 1994) et la finan-ciarisation des marchés agricoles et saconséquence, la spéculation.

UNE REMISE EN CAUSE DU TOUTLIBÉRALISME ?Certes, des voix se sont élevées pourdénoncer les conséquences sociales etenvironnementales désastreuses du libé-ralisme dans le secteur agricole : en 1996,trois ans après sa création, la Via cam-pesina (organisation internationale desmouvements de petits producteurs) pro-posait en alternative au libre-échange leconcept de souveraineté alimentaire,c’est-à-dire le droit des peuples et despays à définir leur propre politique agri-cole, notamment grâce à des marchéscommuns protégés et l’intervention despouvoirs publics. En France, de nom-breuses organisations de terrain défen-dent depuis des décennies des alterna-tives de pratiques agricoles durables, etsur le plan politique, des organisations,à l’instar du Parti communiste, ont farou-chement défendu la préférence commu-nautaire à l’échelle européenne. Forceest de constater néanmoins que cesmouvements ne semblaient guère avoirde prise sur la marche en avant du libé-ralisme dans le secteur agricole.La hausse brutale des cours des princi-pales denrées alimentaires et les mani-festations contre la vie chère ont tout àcoup obligé la communauté internatio-nale à regarder en face le résultat despolitiques décrites ci-dessus : une per-sonne sur six dans le monde souffre

encore de la faim, tandis que nombre depays ont sacrifié leurs propres intérêtsagricoles en abandonnant leur souverai-neté au profit d’une dépendance auxmarchés mondiaux et aux acteurs del’agro-industrie.Par ailleurs, le monde ouvrait les yeux surles conséquences récentes de la dérégu-lation des marchés mondiaux : pro-grammes massifs d’investissements dansles agrocarburants aux dépens de l’ali-mentation ; achats massifs des meilleures

terres des pays en développement parl’agro-industrie pour profiter des haussesdes cours mondiaux ; spéculation dessphères financières sur les marchés agri-coles engendrant une désastreuse vola-tilité des cours…Dans ce moment de remise en questionde l’avancée du libéralisme, les pays duSud ne sont pas les seuls concernés.Depuis 1992, les pays européens ont éga-lement cédé aux sirènes néolibérales etentrepris au fil des réformes un déman-tèlement de la Politique agricole com-mune : brèches dans le principe de pré-férence communautaire et ouverture aux

Loin des sommets à Rome, les sociétés civiles ont

encore de belles luttes des classesdevant elles…“ ”

POLITIQUES ALIMENTAIRES : Y A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ?Signant l’échec de la libéralisation des marchés agricoles mondiaux depuis ces trente dernières années,la crise alimentaire de 2007-2008 a suscité la mise en œuvre d’une régulation mondiale de l’alimenta-tion. Un processus salutaire et prometteur, mais qui n’enlève rien à l’exigence de luttes sociales pour laterre et des conditions de vie dignes.

Résoudre la faim, instaurer des pratiques agricoles

durables et équitables n’est pas uneutopie mais à portée de main :

cela suppose simplement de mettre« l’humain d’abord » au cœur

des politiques économiques et sociales.

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Bien nourrir la planèteLE DOSSIER

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SUITE DE LAPAGE 9 > marchés mondiaux au sacrifice de filières

locales, suppression d’outils de régula-tion de la production et des prix, diktatde la grande distribution et confiscationde la plus-value aux producteurs, ruinedes « petits producteurs » au profit d’ex-ploitations de plus en plus grandes, ten-tatives de certains pays (essentiellementanglo-saxons) d’opérer de larges coupesdans le budget de la PAC…

LOIN DE ROME, LA LUTTE DES CLASSESDANS LES CAMPAGNES…La reconstruction d’une régulation mon-diale de l’alimentation et, partant, laconfrontation du modèle néolibéral auxobjectifs affichés de sécurité alimentairereprésentent donc une avancée impor-tante pour permettre d’éclairer les choixpolitiques. Engagée à partir de 2009, laréforme du Comité de la sécurité alimen-taire (CSA) regroupant les 183 États dela FAO ouvre des perspectives intéres-

santes. Sur la forme, elle associe enfinl’ensemble des acteurs en joignant auxÉtats la vingtaine d’institutions interna-tionales concernées et, enfin (!) lesacteurs de terrain, organisations pay-sannes et ONG. Surtout, le nouveau CSAse dote d’un panel scientifique de hautniveau qui a pour mission, à l’image duGIEC pour le climat, de faire la synthèsedes connaissances scientifiques mon-diales pour guider les politiques. Sur lefond, le CSA a, depuis 2010, publié desrègles de bonne régulation foncière pourl’achat et la location de terres, s’estemparé de questions aussi essentiellesque la volatilité des prix, les effets duchangement climatique ou la place desfemmes dans l’agriculture, en reconsi-dérant les politiques actuelles au prismedu droit à l’alimentation.Ainsi, la réforme du CSA était nécessaire,elle est bienvenue… Pour autant, ellen’est certainement pas la réponse à tous

les problèmes car les mauvais choix réa-lisés par les élites au pouvoir ne provien-nent pas d’un manque de connaissances,mais sont bien le résultat de conflits entredes intérêts particuliers et l’intérêt géné-ral. Résoudre la faim, instaurer des pra-tiques agricoles durables et, équitablesn’est pas une utopie mais à portée demain : cela suppose simplement de met-tre « l’humain d’abord » au cœur des poli-tiques économiques et sociales. Le Particommuniste prend toute sa place dansce débat : il interpelle sur le plan poli-tique les décideurs français et européenset il soutient les mobilisations des mou-vements sociaux et citoyens. Loin dessommets à Rome, les sociétés civiles ontencore de belles luttes des classes devantelles… !

*Ambroise Mazal est consultant sur lesquestions de sécurité alimentaire dans lespays en développement.

PAR MICHEL GRIFFON*

La Terre! : Ceux qui ont pour vocation de nourrirl’humanité, les paysans du monde, sont les pre-mières victimes de la faim. Comment expliquerce paradoxe!?Michel Griffon : Les causes sont multi-ples, mais fondamentalement c’est unproblème de civilisation : dans l’histoirede l’humanité les classes paysannes ontété déconsidérées, dévalorisées, aban-données, rejetées. Comme si ellesn’étaient pas dignes d’intérêt ! En Francemême, la revendication de la parité derevenu et de condition sociale avec lereste de la société est relativementrécente. Dans les pays en développementoù s’est développée la propriété indivi-duelle privative, je pense notamment àl’Amérique latine, la question foncièreest une grande cause de la pauvreté etde la constitution d’un véritable « sous-prolétariat » paysan. Là, c’est la coloni-sation espagnole qui a créé une classepaysanne exploitée. Mais ailleurs dansle monde, il reste encore une pauvreté« malthusienne », due à la rareté de laterre pour une paysannerie nombreusequi n’a pas accès aux outils d’une agri-culture plus productive.

Demain, quels seront les défis majeurs pourl’agriculture!?Il y a deux défis essentiels. Le premier

c’est de passer de 6 à 9 milliards d’êtreshumains avec les pressions sur les res-sources et l’environnement que celaentraîne. Le second défi, c’est que l’agri-culture dont la fonction était essentiel-lement de produire des aliments vadevoir produire de l’énergie. Il y a là uneopportunité historique pour sortir de lapauvreté 2 milliards de personnes sur laTerre. L’agriculture devra produire beau-coup plus, et avec la rareté de la terre celadevrait accroître les prix agricoles, lesrevenus paysans, la concurrence fon-cière. Qui va pouvoir saisir cette oppor-tunité ? Qui va en profiter ? Est-ce quecela sera l’occasion historique de confierenfin un espace de croissance écono-mique à l’agriculture familiale et aux pay-sans presque sans terre ? Ou est-ce queceux qui possèdent la terre vont en pro-fiter pour se l’approprier encore plus eten chasser les paysans ?

Où est le risque majeur pour l’environnement!?L’énorme risque c’est que l’on ne peutpas nourrir 9 milliards d’habitants avecles technologies très productivesactuelles, produire des biocarburants àla hauteur des espérances des industrielset des gouvernements et conserver enmême temps la biodiversité. Les seulsespaces hyper-productifs possibles quiexistent sur la planète sont les zones tro-picales humides où existe la plus riche

biodiversité. Il faudra donc faire deschoix. Ou bien on laissera faire le mar-ché et les intérêts des plus nantis s’im-poseront aux dépens des paysans et desécosystèmes. Ou alors les sociétés orga-niseront et contrôleront socialement etpolitiquement ces choix à travers unaménagement de l’espace, du paysage,incluant des zones pour la biodiversitédans les systèmes productifs, et l’on trou-vera les technologies qui conviennent.

Dans le cadre actuel de la mondialisation, com-ment se dessine la carte des besoins alimen-taires et de l’agriculture du XXIe siècle!?Il y aura de fortes disparités entre lesgrandes régions productives du point devue de la population et des surfaces dis-ponibles, du potentiel que la nature auto-rise en terme de rendements, des struc-tures agricoles, des capitaux etc. L’Asien’aura pas assez de ressources, en espaceet en productivité naturelle, pour faireface à ses propres besoins : elle va devoirimporter beaucoup. Le Moyen-Orient etle Maghreb qui manquent d’eau, égale-ment. L’Amérique latine qui a des sur-faces gigantesques, planes, des capitauxet des ressources productives considé-rables au regard de sa population, va êtreun grand exportateur du monde futur.Le Brésil est en train de devenir le cham-pion des exportations agricoles mon-diales, mais avec un risque écologiquegigantesque : en détruisant une grandepartie de l’Amazonie, il peut déclencherun mécanisme peut-être irréversible de

COMMENT NOURRIR LA PLANÈTE ?

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PAR ANDRÉ CHASSAIGNE*

Si l’on refuse clairement l’austéritépour l’Europe, alors il faut égalementrefuser l’austérité pour l’agriculture

et le monde rural en Europe. Cela tombebien. Nous sommes en plein débat surla nouvelle Politique agricole communepour la période 2014-2020. Mais le pro-jet de la commission européenne et l’ac-cord intervenu entre les chefs d’État etde gouvernement sur le budget euro-péen entendent continuer sur la voie del’ouverture des marchés et du désenga-gement des politiques publiques agri-coles. Il s’agit d’une véritable provoca-tion, alors que la question alimentairehante à nouveau les 500 millionsd’Européens et que 25 % des exploita-tions agricoles de l’Union ont disparu enseulement dix ans.

Tout reste donc à faire pour que, dansquelques semaines, le parlement euro-péen donne autre chose à voir qu’unbudget de la PAC amputé de plus de60 milliards d’euros sur six ans, et un lotde « mesurettes » sans effet sur la déré-gulation du secteur. Notre tâche est doncbien de faire bouger toute l’Europe surcette politique essentielle aux Européens.Comment conduire notre travail ?

SE DÉFAIRE DES CHAÎNES DE LA PENSÉELIBÉRALEEn expliquant que les parlementaires duFront de gauche, au parlement européen,comme au parlement français, mettronten avant des propositions essentiellespour l’avenir de l’agriculture européenne.Ils défendront un droit à l’alimentationde qualité pour tous les citoyens euro-péens et, dans le même temps, un droitau revenu pour tous les agriculteurs et

notamment pour les petites et moyennesstructures, avec un véritable rééquili-brage et une dégressivité des aides com-pensatrices, en primant les premiers hec-tares et en les plafonnant de façon justeet efficace. Ils affirmeront le besoin desoutiens publics tournés vers le dévelop-

pement de l’emploi agricole et agroali-mentaire, et la réorientation des pra-tiques agricoles pour favoriser une plusgrande autonomie des exploitations. Ilsagiront pour lancer de vrais programmesà l’échelle communautaire pour se libé-rer de la dépendance protéique et desimportations abusives.À l’opposé des orientations qui se des-sinent, une majorité de gauche en Francedoit porter l’ambition d’une politiqueagricole et alimentaire d’une tout autredimension avec une politique agricolecommune renouvelée et renforcée, quiose se défaire des chaînes de la penséelibérale.

DES OUTILS IMMÉDIATEMENTAPPLICABLESNous avons à notre disposition des outilsimmédiatement applicables, concrets etefficaces, qu’une majorité de gauche peutadopter pour concrétiser le changementen agriculture.Sans être exhaustif, je pense en premierlieu, à l’encadrement des prix des pro-duits alimentaires et à la déterminationde prix indicatifs au niveau européen.Avec l’instauration d’un coefficient mul-tiplicateur entre le prix d’achat au pro-ducteur et le prix de vente au consom-mateur, sous la forme d’un taux plafond,nous avons un levier pour contraindre àmieux payer les producteurs et permet-tre aux consommateurs d’accéder auxproduits alimentaires à des prix raison-

RÉPONDRE AUX BESOINS HUMAINS, C’EST NOTRE AMBITION AGRICOLEIl y a urgence en plein débat sur la nouvelle Politique agricole com-mune à faire bouger toute l’Europe sur cette politique essentielle auxEuropéens.

dégradation des écosystèmes, accentuééventuellement par le réchauffement cli-matique. L’Afrique augmente sa produc-tion à peu près au rythme de l’accrois-sement de sa population, elle ne pourrapas être globalement exportatrice. Lesgrands pays céréaliers extensifs, commel’Australie et le Canada disposent de trèsgrandes surfaces mais avec descontraintes climatiques et de coûts. LesEtats-Unis comme l’Europe, dont l’agri-culture intensive est extrêmement utili-satrice d’énergie, seront coincés parl’augmentation du prix du pétrole. Dansune logique de marché, aucun ne seraitaussi compétitif que le Brésil sur les nou-veaux marchés ; ni que les pays d’Europede l’Est où les capacités d’accroissementde la production et de la productivitésont immenses.

Que faut-il changer pour assurer la productionnécessaire tout en ménageant l’environne-ment!?Il faut d’abord réduire la pauvreté, doncles inégalités de répartition des moyensd’existence dans la société. Et dans lespays en développement, réduire la sous-alimentation passe d’abord par la distri-bution des terres à ceux qui en manquent.Il faut aussi inventer une nouvelle tech-nologie de production des cultures quisoit économe en énergie et en intrantschimiques. Avec des techniques utilisantde manière intensive l’ensemble desfonctionnalités écologiques des écosys-tèmes productifs, permettant une crois-sance des rendements. Cette agriculture,intensive en écologie et en connaissancesmais économe en capital, serait accessi-ble aux agriculteurs familiaux. Larecherche agronomique, qui a privilégiéjusqu’ici les voies de l’agriculture chi-mique et hyper-productive classique pourl’amélioration de la productivité, enmesure aujourd’hui les limites : en termesde prix et de pollution. Une nouvelle révo-lution technologique agricole, fondée surl’écologie, implique une connaissancefine des terroirs, de leur spécificité, etdonc une participation des producteurslocaux. En France, c’est une carte à jouerdans la nouvelle donne de l’agriculturemondiale. !

*Michel Griffon est ingénieur agronome,économiste. Ancien directeur scientifique duCentre de coopération internationale enrecherche agronomique pour le développe-ment (CIRAD), il est directeur général adjointde l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Entretien réalisé pour Denis Recoquillonpour La Terre, reproduit avec l’aimable auto-risation du journal.

Un véritable rééquilibrage et une dégressivité

des aides compensatrices, en primant les premiers hectares

et en les plafonnant de façon justeet efficace.

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Une gauche courageuse doit s’attaquer dès maintenant aux

intérêts particuliers de ladistribution, qui se bâtissent en

vidant les poches des plus pauvresde nos concitoyens.

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LA REVUE DU PROJET - MARS 2013

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LE DOSSIER Bien nourrir la planète

SUITE DE LAPAGE 11 > nables. Pour une efficacité optimale, cette

mesure s’appliquerait évidemment àtoute la chaîne des intermédiaires et auxproductions importées. Disons-le à nosinterlocuteurs : une gauche courageusedoit s’attaquer dès maintenant aux inté-rêts particuliers de la distribution, qui sebâtissent en vidant les poches des pluspauvres de nos concitoyens.Je pense également à la question de laspéculation sur les matières agricoles.Ces pratiques prédatrices ont des effetsdirects sur le quotidien des éleveurs. Ellescréent les conditions de véritables crisesalimentaires mondiales comme en 2007-2008. Il faut stopper la course de vitessedes investisseurs financiers vers les mar-chés de produits dérivés agricoles en

interdisant la spéculation sur les contratsà terme et les produits bancaires struc-turés sur une matière première agricole.Il faut dans ce domaine des réponseslégislatives extrêmement rapides etfortes. C’est ce que nous proposons dansle cadre des débats sur le projet de loi deséparation des activités bancaires et sousla forme d’une proposition de loi.Je pense aussi à l’information desconsommateurs et des producteurs fran-çais et européens, en imposant l’obliga-tion d’origine des produits alimentairespour tous les produits bruts ou transfor-més. C’est une exigence indispensablepour défaire l’opacité qui règne dans leséchanges, alors que « l’affaire Findus »vient d’éclater.

Je pense enfin à l’indispensable mobili-sation pour renforcer la protectionsociale et sanitaire des agriculteurs,comme la solidarité à l’égard des retrai-tés agricoles, avec l’exigence d’uneretraite au moins égale à 85 % du SMICassise sur de nouvelles contributions dusecteur bancaire et de l’assurance, et dela grande distribution. Ce sont là aussides mesures de justice sociale très atten-dues, que nous porterons dans le débatagricole en France. !

*André Chassaigne est député PCF du Puy-de-Dôme. Il préside le groupe GDR (Gauchedémocrate et républicaine) à l’Assembléenationale.

PAR GÉRARD LE PUILL*

«On peut exploiter indéfinimentdes ressources renouvelablespour autant qu’on les emploie

à un niveau inférieur à celui de leur régé-nération sous peine sinon de les épuisercomme l’or de la mine. Si toutefois onexploite les forêts, les poissons et la terrearable à des taux dépassant leur taux derenouvellement, eux aussi sont mena-cés d’extinction, tout comme l’or de lamine ».

En deux petites phrases, dans son livreEffondrement, le géographe américainJared Diamond nous éclaire sur les enjeuxagricoles et alimentaires du XXIe siècle.Ces enjeux sont mondiaux. Mais les solu-tions seront multiples, variées et surtoutlocales. À condition de définir des poli-tiques qui favorisent leur mise en œuvre.Nous sommes soumis au défi de produireplus tout en prenant soin d’améliorer l’étatdes terres agricoles au lieu de les épuisercomme aujourd’hui par des monocul-tures de rente.

VALORISER AU MIEUX LES RICHESSESNICHÉES DANS LA DIVERSITÉ DESTERRITOIRESDans la campagne pour l’élection prési-dentielle de 2012, Jean-Luc Mélenchona parlé de « règle verte » et de « planifi-

cation écologique ». Il s’agit là de deuxconcepts essentiels auxquels il convientd’ajouter un troisième : la souverainetéalimentaire. La France peut, en utilisantces trois leviers, jouer un rôle pionnierau sein de l’Union européenne pour défi-nir une politique agricole commune quivalorise au mieux les richesses nichéesdans la diversité des territoires. Ce quisuppose des complémentarités et descoopérations intelligentes en lieu et placed’une concurrence intracommunautaireet mondiale de plus en plus dévastatrice.Un colloque, tenu à Paris le 18 décembreà l’initiative du ministre de l’AgricultureStéphane Le Foll, a donné la parole à des

paysans qui ont opté pour la systémati-sation des bonnes pratiques agrono-miques à la fois productives et économesen intrants chimiques et énergétiques.C’est ce qu’ont montré des éleveurs quicultivent les légumineuses pour produiredu lait et de la viande à moindre coût

comme des céréaliers qui améliorent lastructure et l’état de leurs sols par le nonlabour. C’est aussi le cas des arboricul-teurs qui ont appris à réduire l’utilisationdes produits chimiques.Alors que les carburants et les engraischimiques vont être de plus en plus cherstandis que le réchauffement climatiquerendra les récoltes annuelles de céréalesplus aléatoires, il va falloir réapprendreà cultiver la diversité dans la proximité.Dès lors, la souveraineté alimentaire doitêtre vue comme le droit pour un paysd’utiliser de façon durable le potentieldiversifié de son agriculture pour nour-rir sa population sans pour autant opterpour l’autarcie. Pour la France, celaconsiste notamment à rechercher l’au-tosuffisance en production de viandebovine, ovine, porcine et de volaille. Maisen nourrissant ces animaux avec del’herbe et du grain, voire des fruits decertains arbres comme le châtaignier,produits sur le territoire national. Ce quin’est que très partiellement vraiaujourd’hui en raison des importationsmassives de tourteaux de soja.Alors que la discussion sur la réforme dela Politique agricole commune pour lapériode 2014-2020 entre dans sa phasedécisive en ce premier semestre 2013, laFrance devrait faire des contre-proposi-tions susceptibles de favoriser la souve-raineté alimentaire, la règle verte et la

Il faudrait une réforme qui impose de produire davantage

de protéagineux et d’oléagineux de manière à ne plus dépendre du soja importé, transgénique

de surcroît.

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PRODUIRE MIEUX POUR MANGER TOUS, SANS ÉPUISER LES SOLSLes défis majeurs auxquels vont être confrontées les agricultures du monde en ce XXIe marqué par leréchauffement climatique ne seront relevés qu’en utilisant le triptyque suivant : souveraineté alimentaire,règle verte et planification écologique.

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planification écologique en partant despropositions du commissaire DacianCiolos en charge de l’agriculture.

UNE ACTUALITÉ ESSENTIELLE : LANÉGOCIATION SUR LA NOUVELLEPOLITIQUE AGRICOLE COMMUNEUn premier succès a été obtenu avec l’ac-cord de la commission – après quatre ansde bataille à contre-courant – pour main-tenir dans une version amendée les droitsde plantation en viticulture. Par ailleurs,plutôt que d’accepter telle quelle la pro-position de la commission d’imposer unminimum de trois cultures sur chaqueexploitation céréalière en limitant la plusimportante à 70 % de la superficie de l’ex-ploitation et en hissant la plus marginaleà 5 %, il faudrait une réforme qui imposede produire davantage de protéagineuxet d’oléagineux de manière à ne plusdépendre du soja importé, transgéniquede surcroît.Plutôt que d’accepter de sortir 7 % desterres agricoles de la production pardiverses mesures dites « agri-environne-mentales » – mais non réfléchies car toutdroit sorties des cerveaux embrumés desidiots surdiplômés qui peuplent laDirection générale de l’agriculture àBruxelles – il faudrait que la France pro-posât que l’agro-écologie et l’agrofores-terie fussent aidées par la PAC en orien-tant une partie des aides pour promouvoirla mise en place de haies et de rangéesd’arbres dans les plaines céréalières. Onrenforcerait ainsi le captage du carbonepar les terres agricoles. On enrichirait lessols par les éléments nutritifs que lesarbres puisent dans la roche mère pourles restituer en surface. On purifierait l’eauqui migre vers les nappes phréatiques carles racines des arbres récupèrent l’azoteque les céréales n’ont pas consommé. Lesessais réalisés sont assez probants pouraffirmer que cette forme d’agroforesteriesera un atout majeur pour produire plusen freinant le réchauffement climatique.Nous voyons donc qu’il est possible d’avoirune application concrète de « la règleverte » en agriculture. Quant à la planifi-cation écologique, elle pourrait trouver saconcrétisation dans des contractualisa-tions entre les producteurs, les transfor-mateurs et les metteurs en marché, quitteà légiférer en ce sens. Ces contractualisa-tions existent déjà pour les cultures delégumes destinées à la conserve et à la sur-gélation. Il est possible de les étendre àbeaucoup d’autres productions. !

*Gérard Le Puill est journaliste honoraire etspécialiste des dossiers agricoles.

PAR MARC DUFUMIER*

Nous sommes déjà plus de 7 milliardsd’humains dans le monde et nousserons un peu plus de 9 milliards

d’habitants en 2050. L’apparition de nou-velles couches moyennes dans les paysémergents d’Asie et d’Amérique latine(Chine, Inde, Brésil, etc.) et la hausse pro-gressive de leur pouvoir d’achat se mani-festent par une consommation accruede produits animaux (œufs, lait etviandes). Et comme il faut de 3 à 10 calo-ries végétales pour produire une calorieanimale, il est à prévoir une augmenta-tion encore plus rapide de la demandeen produits végétaux. On peut raisonna-blement anticiper un doublement de lademande en productions alimentairesvégétales au cours des 40 prochainesannées. Pourra-t-on satisfaire cettedemande croissante en produits diver-sifiés, tout en ayant soin de ne pas sacri-fier les potentialités productives des éco-systèmes cultivés et pâturés au nom dela satisfaction des besoins immédiats ?

DES ÉCUEILS À ÉVITERIl nous faudra, autant que possible, évi-ter :

- l’élargissement inconsidéré des sur-faces cultivées ou pâturées au détrimentdes dernières forêts vierges et autresréserves naturelles de biodiversité ;- l’épuisement des ressources en eaux desurface et souterraines découlant d’irri-gations exagérées et mal conduites ;- la contamination de l’air, des eaux, dessols et de nos aliments par les engrais desynthèse et les produits pesticides ;- le recours exagéré aux énergies fossiles(produits pétroliers et gaz naturel) pourle fonctionnement des équipementsmotorisés ainsi que pour la fabricationdes produits phytosanitaires et desengrais chimiques (urée, ammonitrates,sulfate d’ammonium, etc.) ;- les émissions de gaz à effet de serre :gaz carbonique produit par la combus-tion des carburants, méthane issu de larumination de nombreux herbivores,protoxyde d’azote dégagé lors de l’épan-dage des engrais azotés de synthèse, etc. ;- la dégradation de la fertilité des sols(érosion, compactage, salinisation, etc.),suite à des labours trop fréquents et malconduits ou résultant d’irrigations insuf-fisamment maîtrisées ;- la prolifération inopportune de mau-vaises herbes, d’insectes ravageurs et dechampignons pathogènes pouvant cau-

NOURRIR CORRECTEMENT ET DURABLEMENT L’HUMANITÉ TOUT ENTIÈREDe nouvelles pratiques agricoles peuvent permettre de satisfaire unedemande croissante en produits diversifiés, tout en ayant soin de nepas sacrifier les potentialités productives des écosystèmes cultivéset pâturés. Mais la malnutrition est avant tout un problème de pou-voir d’achat.

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LE DOSSIER

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Bien nourrir la planète

ser de graves dommages aux plantes cul-tivées et aux animaux domestiques.

DES TECHNIQUES AGRICOLES INSPIRÉESDE L’AGROÉCOLOGIE Fort heureusement, il existe d’ores et déjàdes techniques agricoles inspirées del’agroécologie permettant d’accroîtresensiblement les rendements à l’hectare,sans recours excessif aux énergies fos-siles et aux produits phytosanitaires ;elles consistent en premier lieu à asso-cier simultanément dans un mêmechamp diverses espèces et variétés auxphysiologies différentes (céréales, tuber-cules, légumineuses et cucurbitacées),de façon à ce que l’énergie solaire puisseêtre au mieux interceptée par leur feuil-lage et transformée en calories alimen-taires au moyen de la photosynthèse. Cesassociations et rotations de cultures pro-tègent les sols de l’érosion, limitent lapropagation des insectes ravageurs etdiminuent les risques de très mauvaisesrécoltes en cas d’intempéries. L’inté -gration de plantes de l’ordre des légumi-neuses (haricots, fèves, soja, trèfle,luzerne, etc.) dans ces associations cul-turales permet de fixer l’azote de l’air

pour la synthèse des protéines et la fer-tilisation des sols.

La présence d’arbres ou arbustes au seinmême des parcelles cultivées ou le main-tien de haies vives sur leur pourtour pro-tège les cultures des grands vents et d’uneinsolation excessive, avec pour effet decréer un microclimat favorable à la pho-tosynthèse et à la fixation de carbone.Grâce à leur enracinement profond, ilssont capables d’intercepter les élémentsminéraux dans les sous-sols, au fur et àmesure de l’altération des roches mères.Transférés dans la biomasse aériennedes arbres et arbustes, les éléments miné-raux sont ensuite déposés à la surfacemême des terrains lors de la chute desfeuilles et branchages et peuvent alorscontribuer à leur fertilisation. Les arbreset arbustes hébergent aussi de nombreuxinsectes favorables aux cultures, favori-sent la pollinisation de celles-ci et contri-buent à limiter la prolifération d’éven-tuels insectes prédateurs.

L’association des élevages à l’agriculturefacilite par ailleurs l’utilisation des sous-produits végétaux dans les rations ani-

males et favorise aussi la fertilisationorganique des sols grâce aux excrémentsanimaux.

POUVOIR D’ACHAT ET MALNUTRITIONMais le problème de la faim et de la mal-nutrition n’est pas d’abord une questiontechnique. C’est la faiblesse du pouvoird’achat qui en est à l’origine. Les popu-lations les plus pauvres ne parviennenttoujours pas à se procurer des alimentsdisponibles sur le marché internationalqui sont vendus à des fabricants d’ali-ments du bétail et des usines d’agrocar-burants. Ainsi en est-il chez nous des per-sonnes qui fréquentent le Secourspopulaire et les Restaurants du cœur.Ainsi en est-il aussi et surtout des cen-taines de millions de personnes sous-ali-mentées des pays du Sud. Le plus urgentest donc de parvenir à une répartitionplus équitable des revenus à l’échellemondiale. !

*Marc Dufumier est ingénieur agronome. Ilest professeur émérite en agriculture compa-rée et développement agricole à AgroParisTech(Institut des sciences et industries du vivantet de l’environnement).

PAR MAXIME BERGONSO*

Quelque chose ne tourne pas ronddans le fonctionnement de notre sys-tème alimentaire ? Alors que dans

les pays du Nord le gaspillage est carac-téristique de la « chaîne alimentaire », lespays du Sud subissent la famine et lesémeutes de la faim éclatent. Notre rela-tive situation d’abondance nous faitoublier à quel point une réorganisationde notre système alimentaire est une prio-rité politique.LA CRISE ALIMENTAIRE Elle a de multiples causes : les crises desurproduction dans les pays du Nord, l’ab-sence de planification et de stocks de

sécurité, la libéralisation totale des mar-chés agricoles dans le cadre des accordsde l’OMC et sa conséquence, la spécula-tion financière sur les biens alimentaires.Les phénomènes spéculatifs ne sont pasnouveaux dans l’agriculture. La premièreexplosion de bulle spéculative, auXVIIe siècle, concernait les bulbes detulipes en Hollande. Le phénomène spé-culatif n’est ni plus ni moins qu’un pari :un acteur va tenter de prévoir l’évolutiondu marché et intervenir sur ce marché, àl’achat ou à la vente, en espérant tirer unbénéfice de l’évolution des cours. Les nou-velles technologies ont permis de déma-térialiser à très grande échelle presquetous les marchés et les matières premièresagricoles n’ont pas fait exception.

En France, on parle du MATIF : le Marchéà terme des instruments financiers, qui aété ouvert en 1986. Le fonctionnementest très simple. Par exemple un agricul-teur X plante 50 hectares de blé. Il anti-cipe une récolte future de 400 tonnes.Comme les cours au moment de ses semislui semblent rentables par rapport à sescoûts de production et son ambition derevenu, il va vendre une partie de sarécolte à ce moment sur le marché àterme. À la récolte, il vendra son blé surle marché physique et soldera en mêmetemps sa position sur le marché à terme.En face, on peut imaginer qu’un meunierou un éleveur a acheté cette quantité, enréalisant les opérations inverses, toujoursdans le même but. Remarquons que cetteopération n’est pas de la spéculation :l’agriculteur se protège d’une potentiellechute des cours. Même si ces outils necorrespondent pas à l’agriculture pay-sanne que nous défendons, il faut recon-naître une certaine utilité dans le cadred’un système capitaliste où la volatilitépeut être anxiogène pour beaucoupd’agriculteurs.Le lecteur averti par des années de luttecontre le capitalisme a pourtant évidem-ment compris que, comme pour tous lesoutils créés par les financiers, ils sont avant

CONSTRUIRE UNE AUTRE CHAÎNE ALIMENTAIREEn 2007, les spéculateurs financiers s’étaient emparés des déséqui-libres de l’offre et de la demande pour provoquer une succession tra-gique d’envolées et d’effondrements des cours mondiaux agricoles.Pour autant, les différents types de marchés sont-ils tous néfastes ?Surtout, quelles mesures structurelles pourraient être adoptées pourréguler les prix et les marchés ?

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tout pour les financiers. Il n’y a pas queles agriculteurs et les professionnels del’agroalimentaire qui ont accès à cesoutils ; les premiers sont mêmes peunombreux car les outils en questionnécessitent une formation adéquate, uneproduction adaptée et beaucoup detemps. Les banques, les fonds de pension,d’investissement et autres acteurs finan-ciers ont aussi accès à ce marché. Mêmesi le trader ne connaît pas forcément ladifférence entre blé et orge, si ce n’est ladifférence de cours, il peut acheter et ven-dre sur ce marché sans jamais intervenirsur le marché physique. Au milieu des

années 2000, alors que la crise des sub-primes engendre la crise financière quenous connaissons, les traders ont momen-tanément le moral en berne. Le marchéaction n’est pas assez rémunérateur et lafinanciarisation de l’appareil industrielsemble l’avoir tué. Il faut rapidement trou-ver une solution et, en 2007-2008, les prixdes matières premières s’envolent, toutcomme le nombre d’acteurs financiersactifs sur ces marchés. Il serait pourtantinexact de leur imputer intégralement lahausse des prix des matières premières.

De nombreux facteurs sont concomi-tants : l’augmentation de la demande despays émergents, l’émergence des biocar-burants, l’absence de stocks d’interven-tion et les aléas climatiques sont à pren-dre en considération. On peut penser quedans un contexte très nettement haus-sier, les acteurs financiers ont accentuél’augmentation des prix en se position-nant à l’achat. Les conséquences tragiquesde cette hausse des prix sont connues :les crises alimentaires et les émeutes dela faim se sont succédé ces dernièresannées. Ceux qui consacraient une grandepartie de leur revenu à l’alimentation ontdurement subi cette hausse.

UNE POLITIQUE INTERVENTIONNISTEFORTE POUR CONSTITUER DES STOCKSMONDIAUXLes communistes n’ont cessé de tirer lasonnette d’alarme tout au long de ce phé-nomène et ont apporté des propositionspour permettre à chacun de manger à safaim. L’idée qui guide nos propositionsest simple : les produits agricoles sontavant tout des biens alimentaires et doi-vent être utilisés en conséquence. Pourcontrer cette hausse, nous proposonsdonc d’arrêter l’utilisation des céréalespour la fabrication de biocarburants etde constituer des stocks d’interventionpour réguler les marchés. Quid de la spé-culation ? Nous nous opposons à l’inter-vention des acteurs financiers dans cedélire spéculatif, mais pas seulement envaines paroles. Nous avons besoin d’unepolitique interventionniste forte de la partde la puissance publique en constituant

des stocks mondiaux, régionaux et natio-naux pour endiguer la hausse. La consti-tution de ces stocks permettrait de régu-ler les prix, à la hausse comme à la baisseet surtout de s’assurer que la planètemange à sa faim. C’est aussi par la réor-ganisation et la régulation de ces stocksque nous voyons une porte de sortie à lacrise du gaspillage, la FAO estimant qu’untiers des aliments dans le monde seraientgaspillés. Les pertes dans les pays en voiede développement sont liées à 40% à demauvaises infrastructures de stockage etde transformation après la récolte.Réorganiser des stocks, très localement,afin de permettre aux populations d’or-ganiser leur approvisionnement : voilàune politique alimentaire démocratiquepour le XXIe siècle. Rien à voir avec lesmontagnes de beurre stockées naguèrepar l’Europe. Il s’agit bien de décentrali-ser ces stocks, en rapport avec les besoinsdes populations et en envisageant unesolidarité en cas d’aléas climatiques iné-vitables dans l’agriculture. Pour transfor-mer ces stocks localement, il faudra uneindustrie agroalimentaire de proximité.Cela permettra une transition écologiqued’un modèle de production aujourd’huipathogène pour les hommes comme pourla planète. L’enjeu alimentaire et agricoleétait le premier souci pratique des révo-lutionnaires de 1789 et de 1917, il devraaussi l’être pour les communistes d’au-jourd’hui. !

*Maxime Bergonso est ingénieur en agricul-ture. Il développe en France des projets agri-coles avec une association en milieu rural.

L’enjeu alimentaire et agricole était le premier souci

pratique des révolutionnaires de 1789 et de 1917, il devra aussi

l’être pour les communistesd’aujourd’hui.

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LE DOSSIER Bien nourrir la planète

PAR JEAN-PIERRE BOINON*

En France, l’agriculture resteprépondérante dans l’utilisationdes sols. La superficie agricole utilecouvre plus de la moitié du territoirefrançais et les deux tiers du territoiredes communes rurales. Cependant, lesexploitations agricoles ont perdu1,3 million d’hectares en vingt ans. Etdepuis les années 2000, la perte de sur!face agricole au profit des espaces arti!ficialisés (constructions, infrastruc!tures routières…) s’est accrue. Aurythme actuel, c’est l’équivalent d’undépartement français moyen qui dis!paraît tous les sept ans. Dès lors, lesconflits d’usage des sols s’accroissent,notamment dans les zones périur!baines fragilisant les exploitations agri!coles : coût du foncier accru, perte depotentiel d’activités, frein à l’installa!tion ou à la reprise d’exploitations.L’exercice de l’activité agricole estmême remis en cause dans ces espaces,en raison de nuisances (bruit, odeurs,épandages de pesticides…) non sup!portées par les riverains, ou du fait desconséquences sur le milieu des pra!tiques agricoles, notamment sur lesnappes phréatiques.ACCÉLÉRATION DU MOUVEMENT DECONCENTRATION ET D’AGRANDISSEMENTDES EXPLOITATIONSL’intensification qui a permis au coursdes années 1960 à 1990 d’augmenter for-tement la production agricole trouveaujourd’hui des limites. Elle ne fut pos-sible que grâce à une augmentation ducoût énergétique nécessaire à la fabrica-tion des engrais, pesticides et herbicidesutilisés pour augmenter les rendements.Cette intensification est aussi fortementconsommatrice d’eau et induit une pertede la biodiversité agricole. Elle a fragilisél’agriculture paysanne au bénéfice desgrandes exploitations disposant de fortescapacités d’investissement et principa-lement tournées vers une production

exportatrice, rendue possible en Francepar les mécanismes de soutien européen.La conséquence en fut une réductiondrastique de l’emploi agricole, qui estpassé de 4 millions d’actifs en 1960 àmoins de 800 000 en 2010.

Si dans les pays pauvres ou émergents àfort potentiel agricole, les achats de terrespar des fonds souverains et investisseursétrangers se développent rapidement, laFrance est encore peu concernée par lephénomène d’accaparement de terres.Quelques étrangers achètent des vigno-bles prestigieux, mais le phénomène n’estpas nouveau et à l’inverse, on a l’exem-ple de la société AgroGénération dontl’actionnaire principal est CharlesBeigbeder, qui loue 50 000 ha en Ukraine.Dans la dernière période, on note enFrance, une accélération du mouvementde concentration et d’agrandissementdes exploitations agricoles, avec un déve-loppement des formes sociétaires et uneaugmentation du prix des terres agri-coles supérieure à l’inflation. Malgré ladiminution de leur nombre, les exploi-tations agricoles françaises sont essen-tiellement des exploitations individuellesoù la majorité des travailleurs sont mem-bres de la famille du chef d’exploitation.La politique foncière mise en place avecle statut du fermage en 1946 a contribué

à façonner la structure des exploitationsagricoles françaises. Ce statut, en garan-tissant la stabilité du fermier, en enca-drant le montant des loyers, en garantis-sant l’investissement du fermier et saliberté de choix des productions, a étéune pièce maîtresse de la politique fon-cière française. Là où prédominait encorela grande propriété foncière, les limita-tions du droit des propriétaires fonciersau bénéfice des fermiers ont favorisé ledéveloppement de la propriété paysannepar le rachat des terres par ces derniers.

Afin d’accélérer la restructuration desunités de production agricole, les loisd’orientation agricole de 1960 et 1962,donnaient le pouvoir d’orienter l’affec-tation des terres agricoles aux agricul-teurs les plus favorables à la modernisa-tion, en encourageant les petits paysansà libérer leurs terres au bénéfice des agri-culteurs moyens aux gains de producti-vité potentiels élevés. Les outils mis enplace pour réaliser ces objectifs ont étéle contrôle des structures, qui nécessitede demander une autorisation d’exploi-ter, lorsqu’un agrandissement projetédépasse une superficie maximale défi-nie au niveau départemental, et lecontrôle du marché foncier assuré parles Sociétés d’aménagement foncier etd’établissement rural (SAFER), qui ontun droit de préemption lors des ventesde terrains agricoles. Parce qu’ils étaientcontrôlés par le syndicat agricole majo-ritaire, la Fédération nationale des syn-dicats d’exploitants agricoles (FNSEA),ces outils de contrôle du foncier n’avaientpas pour objectif de défendre les petitspaysans, mais d’assurer une assise fon-cière suffisante pour des exploitationsfortement productives.

DÉMANTÈLEMENT DE LA POLITIQUEFONCIÈRE FRANÇAISE, OBSTACLE À UNECONCURRENCE LIBRE ET NON FAUSSÉEÀ partir des années 1980, l’insertion del’agriculture dans les négociations com-merciales internationales a mis en évi-dence les contradictions du dispositiffrançais assez rigide réglementant l’ac-cès à la terre. Les exploitants agricolessont sommés de s’adapter rapidementaux signaux fournis par les marchésmondiaux des produits agricoles. Dansune Union européenne, où le foncier estbeaucoup moins réglementé qu’enFrance, la politique foncière françaisepeut paraître un obstacle à une concur-rence libre et non faussée. Ces évolutionsremettent en cause la politique foncièreantérieure et les lois d’orientation agri-

ENJEUX FONCIERS ET ALIMENTATIONL’enjeu foncier est un des défis majeurs pour l’agriculture et l’alimen-tation du XXIe siècle. La superficie agricole, disponible en quantitélimitée, tend à se réduire sous l’effet de l’érosion, de la déforestation,des conséquences des changements climatiques ou de la demanded’usages non agricoles. Il en résulte une vive concurrence pour l’ac-cès au foncier qui oppose les agriculteurs aux autres acteurs écono-miques, mais aussi les agriculteurs entre eux.

Une autre politique foncière est nécessaire en vue de

stabiliser le nombre d'exploitationsagricoles et favoriser lesinstallations de jeunes

agriculteurs, mais aussi defavoriser une agriculture plus

diversifiée avec le développementde modèles de productions

agricoles plus respectueux del'environnement, autonomes et

économes en ressources naturellesnon renouvelables.

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cole de 2006 et 2010 inscrivent les exploi-tations agricoles dans une logique entre-preneuriale, suppriment pratiquementle contrôle des structures en augmen-tant les seuils nécessaires pour deman-der l’autorisation d’exploiter, mais sur-tout en facilitant le contournement dela réglementation par le développementdes formes sociétaires. La recherche debaisse de coûts de production commeréponse à l’alignement des prix agricoleseuropéens sur les prix mondiaux, toutcomme les aides européennes fondéessur la superficie et non l’emploi, pous-sent les agriculteurs à augmenter leurs

superficies, et donc à accélérer encorel’exode agricole qui a conduit à la dispa-rition des agriculteurs au cours des 40dernières années.Une autre politique foncière est néces-saire en vue de stabiliser le nombre d’ex-ploitations agricoles et favoriser les ins-tallations de jeunes agriculteurs, maisaussi de favoriser une agriculture plusdiversifiée avec le développement demodèles de production agricole plus res-pectueux de l’environnement, auto-nomes et économes en ressources natu-relles non renouvelables. Les outilsréglementaires existants devront être

renforcés et démocratisés, notammentpar la définition d’un seuil de superficieau-delà duquel aucune autorisation d’ex-ploiter ne pourra être accordée, où lapréemption par les SAFER sera systéma-tique, ceci afin d’enrayer une hausse duprix des terres qui serait un obstacle àl’installation de jeunes agriculteurs. Enlien avec les élus locaux, une politiqueefficace de préservation des espaces agri-coles doit être mise en œuvre. !

*Jean-Pierre Boinon est économiste. Il estprofesseur émérite d’économie agricole àAgrosup Dijon.

PAR JEAN-PIERRE LEROUX*

Parmi les engagements pris en 2007lors du Grenelle de l’Environnementfigurait l’objectif de réduire l’usage

des pesticides de 50 % d’ici 2018. En 2011,le marché français des pesticides a pro-gressé de 1,3 % en volume et de 5 % enchiffre d’affaires. Le ministre del’Agriculture, Stéphane Le Foll, a déclaréle 24 juillet dernier, devant la mission d’in-formation sur les pesticides et leur impactsur la santé et l’environnement que cetengagement était hors de portée.

Cette mission sénatoriale, après sept moisde travaux et 95 auditions, a présenté le23 octobre dernier son rapport qui a étéadopté à l’unanimité. Parmi les constats,la sous-évaluation des dangers et risquesdes pesticides pour la santé : la santé desutilisateurs (producteurs, agriculteurs…)dont les pratiques ne leur assurent pasune protection suffisante, mais aussi lasanté des consommateurs.Le rapport formule une centaine derecommandations. Parmi celles-ci, lanécessité d’une refonte des procéduresd’autorisation de mise en vente des pes-ticides sur le marché. Actuellement, lafirme qui souhaite commercialiser unnouveau pesticide fournit à l’Agence euro-péenne de sécurité alimentaire (AESA ouEFSA en anglais) une étude attestant l’ab-sence de dangerosité des substancesactives. Après accord, celle-ci est alors

transmise aux agences nationales : enFrance, l’Agence nationale de sécuritésanitaire de l’alimentation (ANSES). Maisni l’AESA, ni l’ANSES n’effectuent d’ana-lyses en laboratoire. Leur expertise porteuniquement sur le dossier qui leur est pré-senté. Une procédure qui rend difficile lecontrôle des données.

DES AUTORISATIONS FONDÉES SUR LABONNE FOI DES FABRICANTSAutre préoccupation, le rapport pointel’insuffisance du suivi des produits aprèsleur mise sur le marché à l’aune de leurseffets sanitaires réels et l’insuffisance dela prise en compte de leur innocuité pourla santé dans les pratiques industrielles,agricoles et commerciales. Le rapport pré-conise la reconnaissance des maladiesprofessionnelles, une revendication quia fait l’objet de nombreuses mobilisations,ainsi que la mise en œuvre d’une réellepolitique de préventions des risques.Les pouvoirs publics préconisent pournotre santé de manger cinq fruits etlégumes par jour. Une nouvelle étude,publiée en août dernier par des cher-cheurs de l’université britannique d’Aston,démontre que le mélange de résidus decertains pesticides (l’étude portait sur troisfongicides très utilisés : le pyriméthanil,le cyprodinil et le fludioxinil) pouvant êtrecontenus dans ces aliments peut démul-tiplier leurs effets. Il semblerait ainsi quedes substances, jugées inoffensives endessous d’un certain seuil, puissentendommager, lorsqu’elles sont combi-

nées, certaines cellules du système ner-veux central et entraîner le développe-ment de maladies neurodégénératives(Alzheimer, Parkinson…), voire desrisques cancérigènes. C’est le fameux effet« cocktail ».Le problème est que cet effet « cocktail »n’est pas pris en compte dans les textescommunautaires. Le règlement européenREACH analyse les effets des substances,produit par produit, et la commissioneuropéenne n’a pas encore décidé d’in-tégrer cette piste de recherches dans sastratégie d’évaluation des produits.L’ANSES, quant à elle, a commencé autravers du programme Périclès, à travail-ler sur cette question et a identifié septcocktails de molécules les plus fréquem-ment présentes dans les aliments. Lesrecherches sont en cours et la proposi-tion de réduire la quantité des résidusautorisée dans les aliments formulée parcertaines ONG est jugée prématurée parl’ANSES.

L’EFFET « COCKTAIL » DE CERTAINSPESTICIDESLe lien entre certains pesticides, d'unepart, et l’augmentation de certains can-cers et la baisse de la fertilité, d'autre part,constitue une autre préoccupation. Sonttout particulièrement en cause les pesti-cides ayant des effets perturbateurs endo-criniens. Rappelons que notre systèmeendocrinien contrôle des fonctions essen-tielles comme la croissance, la reproduc-tion ou la régulation du métabolisme.

AGRICULTURE, PESTICIDES ET SANTÉ PUBLIQUEMalgré un certain consensus politique et scientifique pour diminuer l’usage des pesticides pour des rai-sons de santé publique, les engagements régulièrement répétés peinent à être tenus. Les procédurescomplexes des autorisations de mise sur le marché et les difficultés scientifiques à établir la responsa-bilité exacte de chaque pesticide en sont la cause.

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LE DOSSIER Bien nourrir la planète

SUITE DE LAPAGE 17 > Un colloque international sur « les effets

des perturbateurs endocriniens sur l’en-vironnement et la santé » s’est tenu à Parisles 10 et 11 décembre dernier, sous l’égidede l’ANSES. Il a été rappelé que les per-turbateurs endocriniens font partie des« risques émergents ». Un ensemble desubstances chimiques sont en cause : lesphtalates, les parabènes, le bisphénol A,les dioxines, certains pesticides… Dessubstances qui sont partout : dans l’ali-mentation, l’eau, l’air, les médicaments,les jouets, les produits ménagers…

Mais les mécanismes d’action de ces pro-duits dans l’organisme sont encore malconnus, même si de nombreuses étudesont déjà permis de formuler des constatset d’avancer des hypothèses convergentes.Un prétexte que les industriels mettenten avant pour continuer à poursuivre leurproduction et retarder la recherche deproduits de substitution.À l’occasion de ce colloque, DelphineBatho, ministre de l’Écologie, a annoncéqu’un groupe de travail, associant toutesles parties prenantes, avait la missiond’élaborer d’ici juin 2013 une stratégienationale comprenant des actions derecherche, d’expertise, d’information dupublic. Une liste de substances « suscep-tibles d’être en contact de populationssensibles ou pour lesquelles l’expositionest suspectée importante » sera établie etservira de base à l’adoption de mesuresréglementaires.Un programme d’action qui est généra-lement perçu comme une avancée, mêmesi certains estiment que suffisammentd’études ont déjà été menées et que leseffets avérés de certaines substances surla santé justifient des mesures immédiatesde retrait du marché. Dans le secteur del’agriculture et de l’industrie agroalimen-taire, cela se traduira à terme par de nou-velles pratiques plus soucieuses de lasanté de tous et de l’environnement. !

*Jean-Pierre Leroux est administrateur de lacaisse des écoles de Paris 10e.

Le rapport pointe l’insuffisance du suivi des produits

après leur mise sur le marché àl’aune de leurs effets sanitaires

réels et l’insuffisance de la prise encompte de leur innocuité pour la

santé dans les pratiquesindustrielles, agricoles et

commerciales.

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PAR GENEVIÈVE SAVIGNY*

À l’origine, la Politique agricole com-mune (PAC) affichait comme objec-tif principal d’assurer la sécurité des

approvisionnements pour les Européens– six pays en 1962 – et pour cela d’accroî-tre la production, d’assurer un revenuéquitable à la population agricole, de sta-biliser les marchés et garantir des prix rai-sonnables au consommateur. Des méca-nismes de régulation des prix et desproduits importés garantissaient cettestabilité du marché intérieur européen etont permis une forte diminution du bud-get des ménages consacré à la nourriture,parallèlement à l’industrialisation et à lastandardisation de l’alimentation.

Dans ses premières communications surle projet de PAC 2014-2020 actuellementen discussion, la commission européennea désigné la sécurité alimentaire commeun défi prioritaire. Cela s’est vite trans-formé en « production alimentaire via-ble » et traduit dans les objectifs politiquesen « besoin d’améliorer la compétitivitédu secteur ». Le reste en découle : des aidesdirectes à l’hectare afin d’abaisser le prixde revient des produits européens néces-saires à l’agro-industrie, dans la poursuitedu système installé lors de la réforme de1992 lors de la création de l’OMC et del’ouverture de l’agriculture à l’économiemondialisée.

LA RÉFORME DE LA PAC RATE L’OBJECTIFALIMENTAIREConstatant les déséquilibres dans lachaîne alimentaire, la commissioncherche à encourager la « contractualisa-tion », mais l’expérience du secteur fruitset légumes – ou depuis peu du lait (avecla disparition du système des quotas) –qui subit des crises récurrentes, montrequ’il n’y a pas de miracle. Les producteursdisparaissent (moins 25 % de fermes dansl’UE à 27 durant les 10 dernières années)et le prix de l’alimentation ne cesse d’aug-menter, au point que de plus en plus de

pauvres ne parviennent plus à se nourrirdécemment en Europe et dépendent del’aide alimentaire. Celle-ci dépend enbonne partie du PEAD (programme euro-péen d’aide aux plus démunis) inclus dansla PAC où il ne représente que 500 mil-lions d’euros soit moins de 1%. Pourtant,même cette somme modeste estaujourd’hui mise en cause par plusieurspays européens, prétendant que les aidessociales doivent relever des États et nonde l’UE.

La gestion caritative de la pauvreté et dela faim n’est pourtant pas à nos yeux lasolution. Comme les paysans se sont orga-nisés et luttent pour la souveraineté ali-mentaire, celle-ci concerne aussi lesconsommateurs, et en particulier les pau-vres des villes qui devraient être totale-ment intégrés dans la mise en place despolitiques alimentaires.La qualité et les productions tradition-nelles qui font la richesse de la cultureeuropéenne devraient également êtrefavorisées par la politique agricole. Or lesnormes de plus en plus drastiques pèsentnotamment sur les petites fermes ame-nées à cesser leur activité. Les quelquesmesures pour favoriser l’aménagementdes ateliers contenues dans le deuxièmepilier de la PAC (développement rural) oules politiques de labellisation (AOP, IGP…)peinent à contrebalancer la tendance.La crise alimentaire de 2008 n’a guèreinfluencé les politiques au-delà d’un dis-cours convenu et la réforme de la PAC ratel’objectif alimentaire. Pourtant, c’est unequestion qui intéresse de plus en plusd’organisations citoyennes, d’élus, et decollectivités locales où les initiatives foi-sonnent.Lors d’un colloque à Paris Nourrir les villes

LA POLITIQUE AGRICOLE AU MÉPRIS DE L’ALIMENTATIONMalgré l’intérêt croissant de citoyens et de collectivités territo-riales pour une alimentation saine et inscrite dans des territoires,la commission européenne rate, selon la coordination européenne,Via Campesina, l’opportunité de la réforme en cours de la Politiqueagricole commune pour infléchir le cadre libéral et répondre à cesenjeux.

Les pauvres des villes devraient être totalement intégrés

dans la mise en place des politiques alimentaires.“ ”

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et développer les campagnes pour une ali-mentation durable et responsable de nom-breuses initiatives étaient présentées pourpermettre une alimentation bio ou localedans les cantines, ou pour relocaliser l’ali-mentation dans un territoire donné, sansoublier les circuits courts à vocationsociale.

UN MONDE FOISONNANT D’IDÉES ET DERÉFLEXIONS POUR RÉPONDRE AU DROIT ÀL’ALIMENTATIONLa commission européenne elle-mêmea lancé récemment une réflexion pour« nourrir durablement la planète » avecun séminaire rassemblant à Bruxelles lesparties prenantes avec un appel ouvert à

participation et contributions. Plusieursdirections générales étaient représentées :santé, recherche, régions, environnement,sous la présidence d’un fonctionnaire del’agriculture qui a lancé brutalement leschoses. Précisant qu’il ne s’agissait pas denourrir le monde mais d’abord lesEuropéens, il a lancé : Notre système ali-mentaire n’est pas durable – il doit évo-luer – que peut faire l’interventionpublique ? » Le cadre reste libéral dans la« Stratégie 2020 » pour une croissanceintelligente, durable et inclusive, mais onperçoit l’arrivée de réflexions encoreimpensables il y a quelques années. Outredes chercheurs ou économistes, de nom-breux représentants de l’industrie agroa-

limentaire participaient à ce séminaire.Ils sentent le vent tourner et doivent auplus vite s’adapter à une nouvelle donne.En revanche, en dehors d’organisationspaysannes progressistes, peu d’agricul-teurs s’étaient impliqués. Quant auxcitoyens, aux usagers, ils restent très peureprésentés dans toutes ces instances,c’est pourtant un enjeu capital pour cha-cun. !

*Geneviève Savigny est éleveuse de volaillesfermières dans les Alpes-de-Haute-Provence.Ancienne secrétaire nationale de laConfédération paysanne, elle est aujourd’huimembre du bureau de la coordination euro-péenne Via campesina.

du rural profond pour lesquels l’agri-culture demeure le gros moteur de déve-loppement.Avec ses réalités fortes, des atouts diver-sifiés, des savoir-faire séculaires, unancrage historique d’une paysannerieprogressiste, le département disposed’un vrai potentiel fortement mis à malpar les évolutions de ces dernières décen-nies. L’Allier ne compte plus que 5 781exploitations en 2012. Pour 300 départspar an ne correspondent plus que l’ins-tallation de moins de 50 jeunes, tous pro-jets confondus, une trentaine seulementen structures « traditionnelles ». Dansces conditions, la superficie moyennedes exploitations augmente de façon« exponentielle » chaque année. Aujour -d’hui, notre agriculture manque de braspour mettre pleinement en œuvre sonpotentiel.Mettre au service des besoins de lasociété, cet atout économique, social,écologique est un réel défi dans unesituation où les plus forts potentiels dedéveloppement agricole se situent dansdes zones où la dépression démogra-phique se poursuit. Cet aspect en soi estun frein au déploiement… Qui sera inté-

ressé par une installation dans un désertdémographique ?

LE CONSEIL GÉNÉRAL : UN OUTIL D’APPUIL’attention des communistes et de leursélus pour l’agriculture n’est pas unedémarche nouvelle. Dès 1979, avant lapremière loi de décentralisation de 1982,les élus communistes du conseil géné-ral de l’Allier exerçant la responsabilitéde la présidence ont impulsé, en liaisonavec des organisations agricoles et pro-fessionnelles très représentatives et ausein desquelles les communistes étaientinfluents, des actions en faveur de l’agri-culture : installation des jeunes, qualité,protection sanitaire des cheptels, aideaux coopératives, CUMA (coopératived’utilisation du matériel), aide au drai-nage… comme en faveur de la voirierurale et communale.

Ces actions ont été durables même si ladroite qui a repris le conseil général en1982 en a modifié, parfois inversé les cri-tères.La reprise du conseil général par lagauche sous présidence communiste de1998 à 2001 a amené de nouvelles adap-tations, par exemple, une implicationforte dans la crise de l’ESB (encé !phalopathie spongiforme bovine) avecl’appui du laboratoire départemental

PAR GEORGES THIN*

De l’encouragement aux initiativeslocales à la remise en cause de ladomination financière, nous posons

l’objectif de reconquérir de l’autonomiepour les exploitations, de retravailler lesrapports de proximité entre les produc-teurs et les consommateurs dans uncontexte économique difficile dominépar le libéralisme économique et avecdes acteurs souvent dispersés et aux inté-rêts parfois contradictoires. Expérienceen cours qui prend le contre-pied de latyrannie de l’austérité dans l’enjeu uni-versel d’une agriculture paysanne enrecherche d’émancipation et de déve-loppement.

L’AGRICULTURE DE L’ALLIER : ATOUTS,MUTATIONS ET POTENTIELSPour un département comme l’Allier, laproduction agricole et les activités agroa-limentaires recouvrent d’importantsenjeux. Enjeu économique, en termesde richesses créées, d’emplois directs etinduits, enjeu social, enjeu de dévelop-pement des territoires que l’on dit

Les plus forts potentiels de développement agricole

se situent dans des zones où la dépression démographique

se poursuit.“

ALLIER : EXPÉRIENCES, INCERTITUDES,ACTIONS ET OBJECTIFSDans une politique agricole fortement encadrée et orientée par leslois du système capitaliste mondialisé, les communistes de l’Allier àla tête du conseil général posent la question du devenir d’un poten-tiel capable de contribuer aux enjeux alimentaires contemporains encréant de l’activité et de l’emploi en développant les territoires. Untravail qui a du sens, mais se confronte à la logique capitaliste.

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LE DOSSIER Bien nourrir la planète

SUITE DE LAPAGE 19 > d’analyses (privatisé depuis !).

En 2008, le PCF se voit à nouveau confierla responsabilité de la présidence duconseil général ; au sein de l’exécutif ilpilote les actions en faveur de l’agricul-ture et de la forêt dans un contexte d’ap-profondissement de la crise générale. Lepaysage syndical et professionnel a pro-fondément changé, modifiant les condi-tions de travail commun.

AGIR ET DONNER DU SENSDans le budget 2013, le conseil généralconsacre 3,17 millions d’euros en faveurde l’agriculture et de la forêt. Les actionsen direction des exploitations, des orga-nismes professionnels, associatifs, syn-dicaux ou coopératifs sont guidées parl’objectif de reconquête d’autonomie etde valeur ajoutée sur les exploitations etle département. Il ne s’agit bien sûr qued’une entrée dans un interstice étroit

laissé par la Politique agricole communequi détermine sur le fond la vie et l’ave-nir des exploitations.Le conseil général intervient en appuiaux installations, aux coopératives etCUMA, pour la modernisation et la miseaux normes des exploitations, les inves-tissements dans les bâtiments d’élevage,la qualité des productions, la promotiondes productions locales… Nous avonsmis en place une aide directe aux éle-veurs pour reconquérir une productionde bovins finis… Nous avons travaillépour permettre l’approvisionnement desrestaurants des collèges, EPHAD (Éta-blissement d’hébergement pour per-sonnes âgées dépendantes), etc. en pro-duits locaux en intégrant par exemple lebilan carbone dans les critères des appelsd’offres… Nous agissons sur d’autres ter-rains importants : orientation des struc-tures, banques, enseignement agricole

(chantier de sauvetage du lycée agricolede Lapalisse en cours)… Ces actions auxeffets réels, bien que limités sur les réa-lités économiques dominées par l’orga-nisation libérale et mondialisée des mar-chés agricoles, ont une résonance sur leplan du sens, d’autant plus qu’elles sontmises en œuvre dans la concertation.Un travail d’évaluation et de croisementdes approches est indispensable à l’éche-lon départemental et bien au-delà. Carce sens donné ne peut être totalementfécond que si nous parvenons à ouvrirplus grand les interstices et surtout à met-tre en cause les logiques capitalistes etleurs déclinaisons locales et régionales.Il nous faut, à ce propos, investir le chan-tier de nouvelle réforme de la PAC. !

*Georges Thin est responsable départemen-tal du PCF, collaborateur du groupe commu-niste du conseil général de l’Allier.

PAR JEAN-LUC BINDEL*

En acceptant d’inscrire l’agriculturedans les négociations de l’Organi -sation mondiale du commerce

(OMC), les dirigeants européens, qu’ilssoient de droite ou sociaux-démocratesont capitulé sans combattre face aux exi-gences américaines, démantelant defaçon systématique toute la Politiqueagricole commune qui était fondée surla préférence communautaire. Le patro-nat de l’industrie agroalimentaire, celuide l’agrochimie ou de la distribution, ontainsi privilégié, dans le seul but d’accroî-tre leurs profits, l’approvisionnement aumoindre coût, au mépris de la traçabi-lité, de la qualité des produits, laissantplace à toutes les fraudes à grandeéchelle, à la multiplication des crisessanitaires, comme cela vient une énièmefois d’être révélé par l’histoire des« lasagnes à la viande de cheval ».

Les milieux dirigeants de l’agricultureont accompagné ces politiques et imposéleurs choix qui ont pour conséquence

concentration des exploitations, utilisa-tion irrationnelle des terres, producti-visme et intégration européenne, sou-mission de l’agriculture aux intérêts desmultinationales de l’agroalimentaire, dela chimie et de la distribution. Notre sou-veraineté et notre indépendance alimen-taires sont remises en cause. Les consé-quences sociales de ces politiques semesurent par les restructurations et fer-metures d’entreprises, la perte dedizaines de milliers d’emplois dans l’agri-culture et l’industrie, la réductionconstante du nombre d’exploitationsagricoles.

LES BESOINS DES SALARIÉS AGRICOLESLors de la campagne pour les électionsaux chambres d’agriculture, notre fédé-ration a mis en avant des propositionsconcrètes pour une politique agricolenationale, créatrice d’emplois, respec-tueuse de l’environnement, structu-rante par l’aménagement du territoire,assurant un approvisionnement stabledes populations en produits agricoleset alimentaires à des prix socialement

acceptables, s’inscrivant dans la soli-darité internationale.

La prise en compte des revendicationssociales des salariés agricoles est essen-tielle pour atteindre ces objectifs. C’estce qu’ont clairement signifié les salariésde la production agricole qui ont, avec36% des voix, confirmé la CGT commepremier syndicat. La revalorisation dessalaires et du vpouvoir d’achat est unenécessité sociale et économique.

80% des salariés de l’agriculture sontpayés au SMIC, alors que les qualifica-tions mises en œuvre, notamment parl’utilisation de produits phytosanitaires,de mécanisation, de conduite informa-tique des élevages par exemple, ne ces-sent de s’élever. La revendication d’unsalaire minimum à 1 850 ! et la recon-naissance des qualifications dans de véri-tables grilles hiérarchiques de salaires

L’espérance de vie des salariés agricoles est en

moyenne inférieure de 6 ans à celle d’autres catégories

socioprofessionnelles, notammentdu fait des mauvaises conditions detravail, de l’utilisation des produits

phytosanitaires

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POUR UNE AGRICULTURE SOCIALE ET PROGRESSISTEL’agriculture et l’industrie agroalimentaire constituent des secteursessentiels à notre économie nationale qui sont bradés sur l’autel dela « concurrence libre et non faussée », véritable dogme imposé parles sociétés transnationales auquel l’Europe, dominée par les mêmesintérêts capitalistes n’a même pas fait mine de résister.

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répond à cette nécessité. La précarité del’emploi, les questions de logement etl’absence de transports publics en milieurural sont autant de sujets pour lesquelsla CGT avance des propositionsconcrètes pour développer l’emploi per-manent et répondre aux besoins des sala-riés agricoles.

L’espérance de vie des salariés agricolesest en moyenne inférieure de six ans àcelle d’autres catégories socioprofession-nelles, notamment du fait des mauvaisesconditions de travail, de l’utilisation desproduits phytosanitaires souvent sansréelle information sur leur dangerosité,et sans réelle formation. Notre revendi-cation d’un accès gratuit à la santé etd’une retraite à 55 ans répond pleine-ment à l’exigence de justice sociale.

Le développement de l’agriculture et del’agroalimentaire, la reconquête de notresouveraineté alimentaire, le renforcementde la qualité des produits et la sécuritésanitaire des aliments doivent s’appuyersur des politiques répondant aux besoinsdes populations et non aux exigences deprofits de quelques grands groupes qui,s’appuyant sur l’Europe, imposent de véri-tables carcans aux peuples. La renationa-lisation maîtrisée de la politique agricoledoit permettre de reconquérir notre sou-veraineté alimentaire autour de la struc-turation de véritables filières agricoles etagroalimentaires répondant aux besoinséconomiques. Les politiques impérialistesd’utilisation de l’arme alimentaire pourimposer les politiques libérales aux peu-ples, ouvrir les marchés pour leurs socié-tés transnationales, sont directement res-ponsables de la mort, de la malnutrition,de la faim qui touchent 1 milliard d’êtreshumains dans le monde. De par ses atoutsagricoles, notre pays s’honorerait à impul-ser des formes de coopération interna-tionale fondées sur la recherche de l’avan-tage mutuel, respectant le droit à lasouveraineté des peuples, répondant auxrevendications sociales des salariés agri-coles et de l’agroalimentaire.

Engager résolument des politiques enrupture avec les logiques capitalistes derecherche du profit, en donnant desdroits nouveaux aux travailleurs, agirpour une agriculture répondant auxbesoins des peuples, c’est cela construireune agriculture sociale et progressiste. !

*Jean-Luc Bindel est secrétaire général de laFédération nationale agroalimentaire etforestière (FNAF) CGT.

PAR GÉRARD PIGOIS, SERGE PAGNIER,YOHANN VIGNER*

Les lois d’orientation agricole de 1960et 1962 (Pisani) ont structuré unmodèle d’agriculture qui répondait

dans la période de l’après-guerre à lavolonté de couvrir les besoins alimen-taires de la population. Durant desdécennies, c’est la politique du « pro-duire plus » qui s’est imposée et il aurafallu attendre bien longtemps et quelquescrises majeures pour que soient enfinreconnus les stigmates de cette orienta-tion, renforcée au fil des ans par les poli-tiques libérales de l’UE.On mesure bien aujourd’hui les travers,les dangers et les conséquences de cemodèle productiviste pour les ressourcesnaturelles, l’emploi, l’aménagement desterritoires, la santé publique… Mais, au-delà des discours, il demeure encoreaujourd’hui le modèle dominant, témoi-gnant ainsi de la puissance du « logiciel »initial…Si le « succès » de cette orientation poli-tique a reposé sur des facteurs tels quela modernisation de l’agriculture (méca-nisation), les « révolutions techniques »(génétique végétale et animale, alimen-tation animale…), une politique de prix,il faut aussi comprendre que l’accompa-gnement mis en œuvre à l’époque par lacréation de l’enseignement agricolecontemporain en a certainement consti-tué l’un des plus efficaces.Les générations d’agriculteurs, qui par-tent en retraite aujourd’hui ont ainsi étéformées au « produire plus » par l’ensei-gnement agricole et ont su le mettre enœuvre.

L’ENSEIGNEMENT AGRICOLE DOITD’ABORD FORMER DES CITOYENS !Dans un monde de plus en plus com-plexe à appréhender, fournir aux futurscitoyens les outils de connaissance, decompréhension, d’analyse et de réflexionconstitue une priorité absolue. Il s’agitbien de permettre à chacun, à travers ledéveloppement d’une « culture dudoute » d’être responsable de ses pro-

pres choix et de ne pas être victime dechoix « formatés ».C’est ainsi que pourrait être proposée,sous des formes adaptées, l’introductionde cours de philosophie dans tous lesprogrammes de formation. Commentaccepter qu’à ce jour, les filières profes-sionnelles, prétendument réformées parla droite au nom de l’égale dignité entreles différents baccalauréats, soient lesseules à ne pas comporter de philoso-phie !

Il faut donner les bases culturelles, tech-niques et professionnelles les plus largesà toutes et tous si l’on veut des citoyensresponsables et en capacité de s’adap-ter au monde qui change. C’est pour-quoi, il faut allonger la durée de scola-rité, élever les niveaux de qualificationet ne pas enfermer les élèves dans unespécialisation précoce.

L’ENSEIGNEMENT AGRICOLE ET LESCONTENUS DE FORMATIONLes programmes de formation, histori-quement coécrits par le ministère del’agriculture et « la profession » (lire laFNSEA) qui continue aujourd’hui d’in-fluer sur les contenus, doivent échapperà ce lobbying.Il faut créer une structure d’élaborationdes programmes véritablement respec-tueuse de la diversité des points de vue,y compris en y associant la société civile.Les contenus doivent être retravaillés,indépendamment de tout modèle. Ils doi-vent prendre en considération les nou-velles fonctions de l’espace rural, intégreren profondeur toutes les dimensions dudéveloppement durable, s’ouvrir à ladimension internationale. L’enseigne -ment agricole public n’a pas vocation àpromouvoir un modèle en particulier. Ila en revanche le devoir d’assurer laréflexion autour des différents types deproduction et de commercialisation. Cetobjectif passe par la nécessité de garan-tir des formations multipliant les situa-tions diversifiées d’apprentissage. Lescours disciplinaires, les observations surle terrain, les visites et les rencontres avecles différents acteurs du monde rural et

ENSEIGNER AUTREMENT POUR PRODUIREAUTREMENT…Repenser un nouvel enseignement agricole, dans ses contenus etdans ses pratiques constitue un enjeu prioritaire si l’on veut encou-rager une réorientation de l’agriculture et une autre vision dumonde rural.

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PAR FRÉDÉRIC LANDY*

Quand a commencé la révolution verteen Inde ? On a coutume de soulignerl’alerte dramatique des deux mau-

vaises moussons successives de 1964et 1965, qui auraient servi de catalyseur,face aux risques de famine, pour révoquerla politique menée depuis 1956 favorisantles importations de blé américain.La révolution verte incluait trois éléments« technologiques » : semences améliorées,diffusion et subvention des engrais chi-miques, développement de l’irrigationsouterraine. Quatrième élément, fonda-mental : la machinerie des prix d’inter-vention (procurement prices), relativementélevés et surtout sans forte variabilité inter-annuelle. Les agriculteurs ont donc lagarantie de pouvoir vendre leurs surplusde façon rentable, ce qui est une incita-tion clé à l’intensification des systèmes deculture.

LES RÉSULTATS SONT SPECTACULAIRES Dès 1977, l’Inde exporte des céréales. Ceciest d’autant plus remarquable que cettepolitique alimentaire repose sur deuxpiliers apparemment contradictoires, mais

que l’Inde parvient à concilier : un voletproductiviste, facteur d’intensification del’agriculture ; et un volet social, avec la dis-tribution subventionnée de riz, blé et sucreproduits nationalement. L’Inde, dans ledilemme alimentaire que connaissent tousles pays du Sud – satisfaire les agriculteurs(avec des prix élevés) ou les consomma-teurs (avec des importations bon mar-ché) – a refusé de choisir.Mais la réussite de la révolution verte enInde est aussi fondée sur des mouvementsséculaires de fond qui ont fourni un ter-reau favorable à ce que « prenne » ce pro-cessus d’intensification. Ainsi d’une « tradition » ancienne de recherche agro-nomique, de la petite taille des exploita-tions engendrées par les fortes densitésde population, d’investissements en faveurde l’irrigation et ce dès la période préco-loniale, ou encore du cadastrage précoceet des réformes agraires qui ont suivi l’in-dépendance. L’Inde, pays de petits pro-ducteurs, offrait un bon cadre à l’intensi-fication agricole.

ANCIENNES ET NOUVELLES CRITIQUES DELA RÉVOLUTION VERTEQuand s’est arrêtée la révolution verte ?

En 1991, la signature d’un plan d’ajuste-ment structurel signe le début officield’une libéralisation économique : celle-civa épargner l’essentiel du système des prixet des subventions mais supprimer lesdirectives qui obligeaient les banquesnationalisées à prêter aux (petits) agricul-teurs. À la fin des années 1990, la haussedes rendements pour le blé et le riz ralen-tit fortement. La disparition de l’État volon-tariste des années 1960 explique en par-tie l’arrêt de la « révolution ».Mais la révolution verte était, bien avantce tournant, déjà l’objet de critiquesanciennes concernant les processus deconcentration auxquels elle présidait.Concentration culturale tout d’abord : lesgains de productivité ont concerné le blé,le riz ou la canne à sucre, laissant sur latouche d’autres cultures (protéagineux etoléagineux) pourtant fondamentales pourl’économie agricole et l’alimentationindienne. Les importations d’huile depalme sont désormais un fardeau consi-dérable pour la balance commerciale, etla « sécurité alimentaire » nationale.Concentration sociale ensuite. LesCassandre annonçant que la révolutionverte allait enrichir les riches et appauvrirles pauvres avaient tort : les riches sontdevenus plus riches et les pauvres… unpeu moins pauvres. Mais la périoderécente a aggravé les clivages socio-éco-nomiques. Les besoins en main-d’œuvreagricole déclinent étant donné certainsprocessus d’extensification : dans le sudde l’Inde, les rizières sont cultivées avecune et non plus deux récoltes par an, ouconverties en plantations. D’autre part, la

L’HEURE EST-ELLE ENCORE À LA RÉVOLUTION VERTE EN INDE ?L’analyse de la révolution verte montre que ses objectifs restent d’ac-tualité pour nourrir 1,2 milliard d’hommes en respectant les fonctionssociale, culturelle et environnementale de l’agriculture.

agricole, les stages et les séquences plu-ridisciplinaires sont autant de situationsqui permettent un enseignement ouvert.Cet objectif suppose l’attribution demoyens humains (dotation en person-nels et capacité à travailler en petitsgroupes) et logistiques (transport desélèves) à la hauteur des enjeux.

SOUTENIR LES EXPLOITATIONS DESLYCÉES AGRICOLES PUBLICSMises en place conjointement avec l’en-seignement agricole « moderne », elles ontété le reflet de l’époque où s’est imposé lemodèle d’agriculture productiviste qu’ellesavaient pour mission de vulgariser.Un plan de soutien et d’aide aux inno-vations de ces exploitations doit êtreentrepris pour qu’elles donnent à voir ladiversité des productions et des sys-tèmes. Le modèle dominant d’agricul-

ture est aujourd’hui sérieusementcontesté, interrogé, remis en cause parla société et les consommateurs, auregard des conséquences sociales, éco-nomiques, écologiques qu’il a générées…

Les questions de sécurité alimentaire, deconditions de production et de commer-cialisation, d’éthique citoyenne sont aucœur des débats dans notre société.Par son histoire singulière de cogestion

avec « la profession » agricole, l’ensei-gnement agricole est évidemmentinfluencé par ces questionnements.Il y a urgence à engager les réformes quile rendront vraiment indépendant, àcommencer par le soustraire à la tutelledu ministère de l’agriculture pour l’as-socier à l’Éducation nationale dans unministère unique de l’éducation et de laformation.Il y a urgence enfin à redonner la prioritéà l’enseignement agricole public danstous les secteurs de formation : la produc-tion, bien sûr, au regard des enjeux maisles services aussi qui constituent un enjeunon moins important, s’agissant du main-tien et du développement de territoiresruraux vivants et attractifs ! !

*Gérard Pigois, Serge Pagnier, YohannVigner sont syndicalistes dans l’enseigne-ment agricole.

Il faut créer une structure d’élaboration

des programmes véritablementrespectueuse de la diversité des points de vue, y compris

en y associant la société civile.

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baisse voire l’épuisement des nappes sou-terraines a engendré une course suicidaireà des forages de plus en plus profonds quia mis sur la touche les paysans dépour-vus de capital, tandis que les agriculteursaisés ont pu garder accès à l’eau.Concentration spatiale enfin. La révolu-tion verte s’est développée entre Punjab,Haryana et Uttar Pradesh occidental, dansles deltas rizicoles, ou dans les poches irri-guées par barrage. Elle s’est diffusée ensuitede façon fort précaire et des régions entièressont demeurées à l’écart du processus, enparticulier les collines forestières peupléesde minorités tribales adivasi, du Jharkhandà l’Andhra Pradesh : une bande méridienneaujourd’hui théâtre des révoltes maoïstesnaxalites, avec des cantons entiers tenuspar les guerilleros.Depuis les années 1990, comme laPolitique agricole commune européenne,la révolution verte est sous le feu de cri-tiques économiques, sociales et écolo-giques, qui mettent en question la dura-bilité du processus.Critique économique : Le poids de lamachinerie alimentaire et toutes les sub-ventions à l’agriculture ne dépassent pas1% du PIB, ce qui, vu les enjeux, ne paraîtpas un montant injustifié. Mais beau-coup d’argent est gaspillé, et des produitssubventionnés sont détournés vers lemarché libre.Critique sociale : alors même qu’un cin-quième de la population souffre de sous-nutrition, des exportations massives degrain ont souvent lieu. L’Inde ne peutdonc être considérée comme disposantde la sécurité alimentaire au sens fort duterme. Ne faudrait-il pas privilégier l’ali-mentation des plus pauvres, quitte à dis-tribuer davantage ?

Sur le front de l’agriculture, la révolutionverte avait certes pu rendre viables desexploitations d’un demi-hectare si ellesdisposaient d’irrigation, mais il est évidentque le salut des campagnes indiennes nepourra provenir de l’agriculture seule. Unediversification économique rurale « à lachinoise », avec une double activité et desemplois non agricoles viendraient sup-pléer à la petitesse des exploitations et aunombre des prolétaires agricoles.Critique environnementale : La pollutiondes nappes par les engrais chimiques sem-ble encore peu forte. Davantage que laqualité des eaux, c’est plutôt la qualité dessols qui est problématique, étant donnéle degré de salinisation de ceux-ci.Continuer à équiper, avec de nouveauxbarrages, les grands cours d’eau, ou met-tre en œuvre les projets de transferts entrebassins considérés comme excédentaireset bassins déficitaires, va réduire drasti-quement une partie du débit apparem-ment inutilisée mais indispensable aumaintien des écosystèmes aval en place.

QUELLES SOLUTIONS ?Le paradigme de l’intensification ne peutplus être conservé comme tel : une ges-tion plus raisonnée des ressourcesdemeure une nécessité. Les rendementspourraient stagner voire baisser au nomd’une réduction des intrants, mais avecune compensation grâce à la réductiondes pertes lors de la première transfor-mation, du stockage et du transport. Cecijustifie les processus d’intégration del’agriculture dans l’agroalimentaire,encouragés par l’État mais le plus sou-vent laissée au secteur privé. La gaucheindienne critique cette intégration : onvoit mal comment l’État parviendrait à

imposer des cahiers des charges suffisam-ment stricts pour que les producteursaient une sécurité garantie.Reste à reconnaître la « multifonction-nalité de l’agriculture ». Comme enEurope, l’agriculture produit des ser-vices environnementaux discrets, telsque la recharge des nappes ou la luttecontre le ruissellement dans les zonesde terrasses rizicoles. La Chine com-mence à verser des aides directes à sesagriculteurs. Il est temps que l’Inde fassede même, pour les encourager à contri-buer à la sécurité alimentaire de lanation, à contenir l’exode rural, et…maintenir des paysages. La valeur patri-moniale accordée en France à l’agricul-ture a augmenté avec la diminution dunombre de ses agriculteurs : c’est quandon perd quelque chose qu’on le regrettele plus… Étant donné le fort attache-ment pour l’agriculture et, ce qui n’estpas contradictoire, le dédain croissantpour cette activité, un semblable pro-cessus pourrait se produire en Inde.Cette fonction culturelle de l’agricultures’ajoute à sa fonction sociale et à sa fonc-tion environnementale, et la rend d’au-tant plus précieuse. Quant à sa fonctionalimentaire, la crise des prix agricolesmondiaux, depuis 2007, a montré qu’ellegardait un rôle de premier plan – en Indeencore plus qu’ailleurs. Produire pournourrir 1,2 milliard d’hommes n’est passi aisé. Comme quoi les objectifs pre-miers de la révolution verte ne sont passi surannés… !

*Frédéric Landy est géographe. Il est profes-seur à l’université de Paris-X, directeurdu Laboratoire de géographie comparée dessuds et des nords (Gecko).

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Bravo pour ce riche numéro Les mots piégés, sauf – pour « Sociétal » : articlemédiocre et un peu normand, - pour « Race » :très bon dans l'ensemble, mais auquel ilmanque le concept de « rejet de l'altérité ».J'utilise encore le Dictionnaire économique etsocial, Éditions sociales de 1975. Pourquoi nepas poursuivre cet inventaire des mots piégés,jusqu'à en faire un ouvrage, plus idéologiquequ'économique ? Cela manque.

JEAN

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FORUM DES LECTEURS

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - Secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Nicolas Dutent, Amar Bellal, Marine Roussillon, Renaud Boissac, Étienne Chosson, AlainVermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, Michaël Orand - Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère - Mise en page : SébastienThomassey - Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) - Imprimerie Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex) - Dépôt légal : mars 2013 - N°25 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

Suite aux excellents articles sur « le poids des mots ». Modeste contri-bution de quelques camarades pour mettre en pratique au quotidienune lutte contre la novlangue des journalistes : Les chevaliers du guet,un collectif d'internautes vigilants sur les dérives LQR des journalistes(la Lingua Quintae Respublicae, la nouvelle langue chérie des média).Cette façon de parler actuelle qui substitue aux mots de l'émancipa-tion et de la subversion ceux de la conformité et de la soumission… Leschevaliers du guet se proposent de donner un outil de résistance à celleset ceux qui se plaignent souvent des média sans toutefois s'engager(par impuissance) à les contrer.Il s'agit de repérer au jour le jour (ou à l'occasion) les pratiques LQRdes journalistes dans les différents média (presse écrite, radio, télévi-sion, Internet…) et de les contester directement auprès de leurs auteursdans le but de leur faire prendre conscience des dérives de langagesauxquelles ils se prêtent.Les chevaliers du guet partagent leurs coups de gueule et leurs propo-sitions d'actions grâce à la liste de discussion… Ils agissent ensuite enleur âme et conscience (et en leur nom) auprès des journalistes.

http://chevaliersduguet.free.frPIERRE

Les chevaliers du guet vous invitent...

Il y a sans doute de quoi écrire un livre à propos de ces mots. Mais il y en a d'au-tres qui à l'opposé de ceux cités dans l'article, font passer pour de la puredémocratie, de la liberté absolue ou mieux encore pour des concepts allant desoi, les pires enfantements de la société libérale. Tiens justement celui-là, quoide plus rassurant à l'oreille que la société libérale ou encore le libéralisme éco-nomique, ces mots qui portent en eux l'absence de contraintes, donc davan-tage de liberté. Il y a aussi ceux qui font dans le modernisme et voudraient, àpeine prononcés, faire couler ceux qui les utilisent dans le moule de la fatalité,comme la mon-dia-li-sa-tion. Mais que faire contre ce monstre ?

MARY

De la permanence artistique[…] La mise à disposition permanente d’une troupede comédiens auprès d’un metteur en scène direc-teur d'un centre dramatique national (CDN) permetde répondre avec une grande facilité aux besoins mul-tiples du théâtre : répétitions en journée, représenta-tions le soir, rencontres diverses dans les collectivi-tés, enregistrements, lectures, matinées poétiques etc.[…] La présence permanente de comédiens auprèsd’un metteur en scène, directeur du CDN pose aussi,notamment pour les jeunes comédiens en début decarrière, le problème de leur avenir à la fin des man-dats du directeur de CDN (trois à neuf ans). En effetleur expérience professionnelle, leur avenir passeaussi par leur confrontation à d’autres directions artis-tiques, d’autres répertoires, d’autres univers esthé-tiques, d’autres pratiques professionnelles. Ce seraitune manière de faire valoir leurs qualités d’artistesinterprètes auprès d’autres metteurs en scènes aveclesquels ils pourraient travailler à l’avenir. Or il appa-raît qu’il est difficile pour un metteur en scène, direc-teur de théâtre de laisser ses jeunes comédiens qui «lui doivent tout », vivre d’autres expériences artis-tiques. Enfin, ce mode de fonctionnement de la « per-manence artistique » n’est pas sans conséquences surla conscience sociale et politique des artistes en ques-tion. « Incrustés dans une institution », reniant leursdroits élémentaires, dépendants d’un seul systèmede représentations lié à un seul créateur, leur rapportau public et les valeurs qu’ils transmettent s’en trou-vent ramenés à la reproduction d’une seule penséeartistique. Cette forme de salariat est peut-être uneavancée par rapport au précariat, mais elle n’est pasla panacée. Elle peut être d’autant plus difficile à appré-hender comme système idéal dans la production artis-tique du spectacle vivant, que s’y mélangent desaspects relationnels, affectifs, qui viennent compli-quer les rapports de dépendance économique. [...]Comme dans tout processus de production et peut-être encore plus dans la création de spectacles où lefacteur humain est prépondérant (70 % des coûts),les modes de production « mis en œuvre » ne sont pasindépendants des caractéristiques et du sens de laproduction finale. Il serait donc contradictoire que cesecteur des arts et de la culture qui se prévaut légiti-mement d’une mission d’émancipation pour lespublics et la société, ne s’applique cette mission à lui-même. Le Front de gauche devrait donc adjoindre àsa revendication sur la permanence artistique, uneréflexion sur le statut d’artiste permanent et sur lestypes d’organisations les plus adaptés à la créationartistique comme coopération de talents, de savoir-faire et de techniques…

JEAN-PIERRE

Le cru de ce mois-ci est excellent,bravo pour le dossier « les mots piégés »

BÉATRICE

2 000 lecteurs supplémentaires se sont connectés sur Internetpour le numéro 24 de votre revue « Les mots piégés » !

(Bul

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ABONNEZ-VOUS !À LA REVUE DU PROJET

(Bulletin à découper ou photocopier et à renvoyer à : Association Paul-Langevin – 6, avenue Mathurin-Moreau - 75167 Paris Cedex 19)

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LA REVUE DU PROJET - MARS 2013

LE GRAND ENTRETIEN

TRAVAIL DE SECTEURS

À l’occasion de leur XXXVIe congrès, les commu-nistes ont affirmé leur volonté de rallumer lesétoiles. Dans la nuit noire de la crise, quels sontpour vous les moyens d’y parvenir!?Il faut rappeler que le vers d’Apollinairequi tire notre texte de congrès est sortidu chaos des tranchées. Il dit à la foisnotre ambition, haut placée et l’urgencequ’elle soit mise en actes. C’est un mes-sage d’espoir lancé à la face du monde etde tous ceux qui nous répètent sur tousles tons que «!ça va être dur!» et qu’il n’ya pas d’autre politique possible. Nousprenons le contre-pied. La gauche n’apas été portée au pouvoir, même parcelles et ceux qui ont voté quatre foispour François Hollande au printemps,pour mener une politique docile àl’égard des marchés financiers et sourdeaux aspirations du monde du travail etdes milieux populaires. Alors rallumer lesétoiles, c’est d’abord lever les doutes quiexistent sur la possibilité d’une autrepolitique, c’est lever les doutes sur lacapacité des citoyennes et des citoyensà imposer d’autres choix, c’est agir dèsaujourd’hui pour changer le rapport deforces et faire mouche avec des proposi-tions qui pourront se rendre incontour-nables. La campagne «! l’alternative àl’austérité, c’est possible! » que nous ini-tions avec le Front de gauche est un pre-

mier acte. Nous voulons plus largementouvrir la voie aux aspirations populaireset obliger la gauche au pouvoir à gou-verner avec le peuple. La crise est lerésultat de l’emprise de plus en plusforte des marchés financiers et de leurforce prédatrice. Nous devons lui oppo-ser la démocratie, cela suppose unereconquête, une révolution citoyenne.

Austérité, «!sécurisation de l’emploi!», compé-titivité, le texte adopté n’est pas tendre avec legouvernement et pourtant le PCF récuse lathèse des deux gauches. N’y a-t-il pas unecontradiction!?Le problème n’est pas de savoir combienil y a de gauches. Il est de savoir si nouspouvons nous entendre sur une poli-tique clairement à gauche, qui se fixe lecap de transformer la société en affron-tant les marchés financiers et leslogiques capitalistes. Or la politiqueactuelle du gouvernement ne prend pas

cette direction, loin s’en faut. Etlorsqu’un ministre nie l’existence de lalutte des classes pour éviter d’avoir à yprendre position, cela ne peut pas nousrassurer. Mais entendons-nous bien,nous ne cherchons pas une posture encalculant son hypothétique rapport élec-toral. Nous voulons être utiles. Nous nedemandons qu’à nous féliciter de l’ac-tion du gouvernement, c’est pourquoinous voulons être une force agissantepour gagner le changement. Nous vou-lons rassembler la gauche sur une poli-tique de transformation sociale quiréponde aux attentes. Nous ne lâche-rons rien dans le débat et dans l’action.L’accord national interprofessionnel, parexemple, doit être refusé par la gauche!:il détruit les fondements du droit du tra-vail et ouvre grand les portes à une pré-carisation massive déjà engagée. Nousrencontrons de plus en plus d’hommeset de femmes qui n’ont pas choisi lagauche pour cela et qui rejettent l’austé-rité qui leur est imposée. La contradic-tion n’est donc pas chez nous, qui allonsporter des propositions offensives face àla crise de civilisation qui se déploie dansnos sociétés ; elle est chez ceux qui refu-sent de la combattre efficacement. LeParti communiste va donc continuer àdire ce qu’il pense, à faire des proposi-

Président de la commission qui avait en charge la rédaction du texte du XXXVIe

congrès du PCF, Pierre Dharréville est membre du CEN. Alternative à l'austérité,Front de gauche, municipales, communisme, il revient pour La Revue du projetsur le cap fixé par les délégués réunis quatre jours aux Docks de Paris, à mi-che-min entre Aubervilliers et Saint-Denis (93).

Le communisme de nouveun chantier exaltant et ess

Il faut de vraies ruptures, cela suppose le courage

de déplaire aux marchés financiers pour répondre

aux besoins humains.“

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

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vaillent ensemble. Ce n’est pas d’au-jourd’hui qu’il y a des désaccords àgauche sur la politique nationale eteuropéenne, et pourtant, nous essayonsd’agir ensemble au plan local du mieuxque nous le pouvons. Donc nous appe-lons au rassemblement sur des projets,et nous appelons d’ores et déjà à en des-siner les grandes lignes avec lescitoyennes et citoyens de nos territoires.Avec les habitantes et les habitants,nous voulons faire des municipales unmoment de nouvelles conquêtes poli-tiques, où se réaffirmera le souhait d’uneaction publique et d’une démocratielocales fortes. C’est pourquoi nous allonségalement mener le débat sur lesréformes institutionnelles qui nous sontannoncées, comme sur les restrictionsbudgétaires sans précédent que l’onveut imposer aux collectivités locales.Nous imaginons déjà pour le mois de juindes assises de la démocratie locale, dontnous voulons faire un événementmajeur. Viendra le temps de décisions

stratégiques locales, mais pour l’heure, ilfaut travailler à créer les meilleuresconditions politiques pour que ces élec-tions municipales soient utiles à notrepeuple, dans toutes les communes deFrance.

Les communistes proposent d’engager la «!sai-son 2! » du Front de gauche en initiant notam-ment une « coopérative citoyenne ». Commentla voyez-vous!?Ce n’est pas une proposition à prendreou à laisser. Notre texte en donne le pro-fil! : «! un lieu où les apports et les expé-riences d’actrices et d’acteurs du mouve-ment social, associatif, intellectuel et cul-turel pourraient se croiser, chercherensemble à produire du sens, et alimen-ter la recherche d’une nouvelle perspec-tive politique!». Cela en dit beaucoup surnotre conception du Front gauche. C’estune forme politique nouvelle fondée surl’ouverture, le mouvement, la rencontre.Nous ne voulons pas ossifier, monter unepyramide, remplacer les organisations

ouvelle génération,essentiel

tions, à agir pour obtenir les victoirespopulaires que notre peuple est en droitd’attendre de la gauche après dix ansd’une politique de droite dévastatrice. Ilfaut de vraies ruptures, cela suppose lecourage de déplaire aux marchés finan-ciers pour répondre aux besoinshumains. Nous voulons rassembler lar-gement pour faire cela.

Les municipales sont dans toutes les têtes.Qu’ont décidé les délégués sur cette questiond’importance au regard de l’implantation duPCF!?Là aussi, nous voulons rassembler. Pourmettre en œuvre au plan local les poli-tiques solidaires et démocratiques dontla gauche doit être porteuse.«!Rassembler le plus largement possiblesur des projets ambitieux qui placentchaque institution en position de répon-dre aux besoins! », dit l’Humanifeste.Dans de nombreux endroits, nos éluscherchent à être utiles, avec nos valeurs,nos combats dans des équipes qui tra-

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TRAVAIL DE SECTEURS

politiques, c’est pourquoi nous propo-sons d’ouvrir un espace coopératif oùpuisse se produire le bouillonnementcitoyen, social et intellectuel qui pourravivifier encore notre démarche com-mune. C’est ce qui commence à se pro-duire au plan local dans les assembléescitoyennes qui sont le cœur battant duFront de gauche. Nous voulons permet-tre à des hommes et des femmes de sesaisir de politique pour changer leursvies et changer le monde. Il faut doncinventer les formes politiques de cetterévolution citoyenne. Partout se cher-chent et s’inventent des alternatives, desmobilisations… Elles doivent pouvoir seretrouver au sein du Front de gauche.Écrire la saison 2, c’est prendre acte detout le chemin déjà parcouru, et mesurercelui que nous pourrons parcourirencore dans les temps à venir. Nos objec-tifs, de rassembler la gauche sur unepolitique de transformation sociale sontencore devant nous, même si nousavons progressé dans cette direction. Ilfaut donc se donner les moyens de bous-culer la donne, de faire grandir les rap-ports de forces dans la société. Il faut

que les aspirations à vivre pleinement sefrayent un chemin et que les proposi-tions qui le permettent grandissent. Lacampagne pour une alternative à l’aus-térité, est déjà un épisode de la saison 2.Il ne faut pas voir cette nouvelle étapesous la forme d’une question de structu-ration, même si nous pouvons faire despropositions utiles de ce point de vue. Lanouvelle étape, c’est faire grandir encoreles fronts du changement, c’est aller versun nouveau Front populaire. Et notreproposition d’une grande campagne «!Etvous, quels changements de sociétévoulez-vous!?!», avec en perspective desassises du changement largementouvertes, va dans cette direction.

Vous affichez l’ambition de «! faire grandir lesfronts du changement!». Sur quels sujets prio-ritaires!?Je crois que nous les avons bien identi-fiés, mais d’autres surgiront dans l’actua-lité. Il y a l’austérité avec tout ce qui s’yrapporte! : la réduction de l’interventionpublique, l’état lamentable de la santé etde la protection sociale ou l’accord natio-nal interprofessionnel... Sur ce dernier

point, c’est pour nous une bataille priori-taire. Dans le même ordre de priorité, il ya le droit de vote des étrangers surlequel nous nous mettons en campagneavec d’autres, très largement. L’égalitédes droits est un chantier prioritaire etPierre Laurent a cité l’égalité entrehommes et femmes parmi les bataillessur lesquelles doivent venir des victoiresconcrètes rapidement. On pourrait y

ajouter les questions institutionnelles. Iln’est plus possible de modifier les règlesdémocratiques à la petite semaine, sansles gens, pour des intérêts boutiquiers,sans se remettre en face des questionsde notre temps et affronter le pouvoir dela finance. Il faut y ajouter l’enjeu éduca-

Nous proposonsd’ouvrir un espace coopératif où

puisse se produire lebouillonnement citoyen, social et

intellectuel qui pourra vivifierencore notre démarche

commune.

“”

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tif avec des réformes annoncées qui serefusent à assumer une réelle ambitionéducative et biaisent avec les questionsposées. Tout cela pose en grand la ques-tion d’un nouvel âge des services publicset de l’appropriation sociale. Il y a égale-ment le défi écologique et en particuliercelui de la transition énergétique qui aoccupé une part importante de nos tra-vaux. Il y a besoin d’un grand débat, maisaussi de volonté politique et de maîtrisepublique sur ces questions.

Le sujet de la propriété des moyens de produc-tion est revenu avec force dans les débats avecl’actualité de l’industrie. Où en sont les commu-nistes sur cette question!?Nous pensons qu’un nouveau mouve-ment d’appropriation sociale etcitoyenne est à l’ordre du jour. Nous sen-tons bien que ce mouvement se chercheet qu’il expérimente des formes nou-velles. Poser la question de la propriété,c’est poser la question du pouvoir. Nousavons déjà des propositions en ce sens, àpropos des conseils d’administration des

grandes entreprises par exemple, maisaussi concernant les unités de produc-tion que des grandes multinationalesferment ou mettent en vente, avec l’idéed’un droit de préemption. Nous parlonsde services publics d’un type nouveau,profondément démocratisés, et évo-quons également la question des natio-nalisations dont on ne saurait se servircomme d’un chiffon rouge. Il y a besoinde nationalisations, nous le voyons bien,dans le secteur des banques, des trans-ports, de l’énergie… Mais nous devonspousser notre travail, c’est un sujetessentiel dans la définition de ce com-munisme de nouvelle génération dontnous avons parlé lors du congrès.

Les congressistes ont en effet fait le choix detravailler à un « communisme de nouvelle géné-ration », quels en sont les contours!?Le communisme de nouvelle génération,il ressemble à ce que nous avons entre-pris ces dernières années, avec notredémarche offensive de rassemblement,avec ce parti investi de nombreux nou-

veaux adhérents, avec notre choix del’humain d’abord, avec cette nouvelleépoque, marquée par la crise, mais quiremet à l’ordre du jour des changementsmajuscules, avec la révolutioncitoyenne… Nous sommes bien des com-munistes d’aujourd’hui, et notre idéal,notre projet, nos valeurs, nous semblenttrouver aujourd’hui une jeunesse nou-velle, une expression nouvelle. Il fautpoursuivre et amplifier ce mouvement.C’est pour cela que nous avons décidéd’engager un grand chantier de travailsur notre projet communiste.L’Humanifeste en définit les grandeslignes. Nous voulons approfondir encore,et le rendre mieux audible, plus percu-tant dans notre manière de le concevoiret de le porter. Il y a des choses à creu-ser et nous voulons mieux indiquer dequelle manière il peut être mis en œuvre,construire les propositions à usageimmédiat qui pourront faire sens. C’estun chantier exaltant et essentiel surlequel nous voulons mobiliser toutes lesintelligences disponibles.

Éliane Assassi,!Caroline Bardot*, Lydie Benoist,Patrice Bessac,!Marc Brynhole, Laurence Cohen,Jacques Chabalier, Éric Corbeaux, Olivier Dartigolles, Isabelle De Almeida,!Pierre Dharréville, Yves Dimicoli,!Elsa Faucillon, Jean-Louis Frostin,!Gilles Garnier, Frédérick Genevée,Jean-Luc Gibelin, Bob Injey, Fabienne Haloui,Danielle Lebail, Patrick Le Hyaric,!Émilie Lecrocq,Isabelle Lorand, Annie Mazet, Christine Mendelshon, Jean-Charles Nègre, Francis Parny, Denis Rondepierre,Marine Roussillon, Lydia Samarbakhsh,Véronique Sandoval,!Pascal Savoldelli, Nathalie Simonnet, Marie-Pierre Vieu.

* En italique, les nouveaux membres de l’Exécutif.

Dans cet exécutif, la coordination se compose de :Éliane Assassi, Patrice Bessac, Lydie Benoist,Jacques Chabalier, Olivier Dartigolles, Isabelle De Almeida, Bob Injey, Jean-Charles Nègre, Lydia Samarbakhsh, Marie-Pierre Vieu.

Il a aussi élu :Jean-Louis Le Moing,! trésorierIsabelle De Almeida, présidente du CN.

Après le congrès tenu du 7 au 10 février, le nouveau conseil national du PCF s'est réuni jeudi 14 février et a élu son comité exécutif :

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D’ IDÉESCO

MBA

T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réaliste,

Par GÉRARD STREIFF

prou dans d’autres partis communistes,en Europe! : Espagne, Grande-Bretagne,Belgique, et au-delà Japon, Mexique…Moscou n’apprécie pas cette «!régiona-lisation! », s’agace de la rencontre deBruxelles puis tente une reprise en mainavec la conférence des partis commu-nistes de toute l’Europe à Berlin en (juin)1976.Reste que les trois ingrédients de ce qu’onnommera quelques mois plus tard l’eu-rocommunisme sont en place! : un travailde redéfinition du communisme! ; uneconvergence nouvelle au niveau ouesteuropéen! ; une volonté de différencia-tion avec l’Est. Le mot apparaît au débutde 1977 et il va se matérialiser de façonspectaculaire lors de la rencontre deMadrid (mars!1977) des trois partis com-munistes, le français, l’italien et l’espa-gnol qui sort de la clandestinité. Cetteinitiative engendre une explosion d’arti-cles, de commentaires, d’analyses globa-lement favorables sur le thème de la nais-sance de l’eurocommunisme. PourPierre-Vianson Ponté du Monde, «!nul neconteste l’apparition d’une nouvelle imagedu communisme en France! » et l’histo-rien Jean-Jacques Becker écrira! : «!Onput avoir le sentiment que GeorgesMarchais avait la tentation de se mettreà son compte, de jouer les Tito à la fran-çaise!». La notion séduit une large par-tie de la gauche et des enquêtes d’opi-nion en montrent la popularité. Unsondage Sofres d’avril 1977 indique qu’unenette majorité de Français (52!% contre

19) voit «!de grandes différences!» entrele socialisme du PCF et celui des pays del’Est! ; dans une même proportion, (50contre 18), les sondés estiment que leprojet du PCF est plus proche de celui deMitterrand que de Moscou. Même si, pourl’heure, les Français ne sont pas encoreconvaincus de la pleine indépendance duPCF (34 contre 36 et 30 sans opinion).Selon Alain Duhamel, «! les Français dis-tinguent de plus en plus l’eurocommu-nisme du socialisme tel qu’il existe dansles pays de l’Est. Cela retentit naturelle-ment sur l’image du PCF et, bien sûr, posi-tivement!». La couverture de presse estconsidérable. Les livres se multiplient, deFrançois Fontvielle-Alquier, de FernandoClaudin. La droite s’énerve. Pour le Figaro,«!c’est à Moscou qu’est né l’eurocommu-nisme!». Chirac dit que «!c’est une plai-santerie, les communistes sont des vas-saux fidèles du Kremlin! ». Mitterrands’impatiente! : il n’est «!pas très sensibleà la définition eurocommuniste!».

LE CONCEPT EST POPULAIRE MAIS FRAGILE Moscou y est radicalement opposé et lemanifeste de diverses manières. La social-démocratie s’interroge. Au PCF, il ne faitpas l’unanimité. Certains demeurentméfiants et trouvent qu’on leur force lamain. Une partie de la direction, avecGeorges Marchais et Jean Kanapa, estimeque la notion peut correspondre à leurprojet mais elle reste prudente dans sonexpression, use de formule comme «!ce

La notion d'eurocommunisme passa, telle une comète, dans le paysage poli-tique de l'année 1977. À peine venue, déjà disparue. On pourrait lui appli-quer cette réflexion de Bossuet : « Entre le temps où je n'étais pas et celuioù je ne suis déjà plus, que j'occupe peu de place dans le grand abîme destemps ». Retour sur un concept éphémère, fragile et pourtant prometteur.

ierre Laurent évoquait récemmentla notion d’eurocommunisme lors d’unesoirée pour le quinzième anniversaire dela disparition de Georges Marchais (voirencadré). Cette expression est apparueau cours de l’année 1977. Le communismeoccidental, après 1968, est travaillé pardes interrogations productives. En France,la direction du PCF entreprend une redé-finition de sa doctrine. Des ouvrages, desgestes ponctuent cette réflexion, commeLe défi démocratique en 1973, la condam-nation du stalinisme en 1975, le XXIIe

congrès en 1976, etc. La dimension euro-péenne de ce travail est forte. Le PCF,dont la place est désormais reconnue ausein du parlement européen (1973), prendmieux en compte la réalité de la commu-nauté européenne. Il cherche à dévelop-per la coordination entre partis commu-nistes de l’ouest européen, notammentavec la rencontre de janvier! 1974 àBruxelles. Dans la foulée, il entame uneconcertation accrue avec le parti com-muniste italien. La rencontre de novem-bre! 1975 Georges Marchais / EnricoBerlinguer donne lieu à un communiquéfaisant état d’une certaine analyse com-mune et d’un calendrier d’initiatives demasse, qui vont connaître un grand suc-cès (meeting de la Villette notamment).Cette même réflexion se retrouve peu ou

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Retour sur l’eurocom

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n projet réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

que certains appellent!» ou «!ce que l’onnomme eurocommunisme!», etc. Dans lapresse communiste, le premier (et un desrares) papier intitulé «!Peut-on parlerd’eurocommunisme!? ! » sort finfévrier!1977 dans l’hebdomadaire FranceNouvelle! : «!À lire une certaine presse,un nouveau spectre hanterait l’Europe!:le spectre de l’eurocommunisme. Ce n’estpas nous comme on sait qui avons inventéle mot et il ne fait pas partie de notrevocabulaire politique. Nous ne pensonspas en effet qu’il existe de modèles uni-versels ou régionaux de socialisme. C’està chaque parti communiste qu’il appar-tient de déterminer en toute indépen-dance sa politique! ; en outre notre soli-darité est indivisible! : elle va à l’ensembledes partis communistes, de toutes lesforces démocratiques et progressistes!».Cela dit, l’article considère l’eurocommu-nisme comme une réalité et en pointequelques caractéristiques! : la crise de lasociété capitaliste et ses conséquences!;une voie démocratique au socialisme!;un socialisme qui égale liberté! ; une poli-tique de larges alliances! ; la pleine indé-pendance des partis communistes.L’auteur ajoute que le XXIIe congrès duPCF n’est «!pas un phénomène marginalni le fruit d’une réflexion isolée!» ; il fauty voir «! les contours réels de l’approfon-dissement des stratégies d’une série departis communistes de pays hautementdéveloppés!». C’est un «! fait nouveau!».Nulle critique frontale des pays de l’Est,si ce n’est cette phrase!: !« !Les problèmesse posent dans des conditions très éloi-gnées de celles que rencontraient les

révolutionnaires russes voici 60 ans.!»Et pourtant, dès l’été et l’automne 1977,la dynamique s’essouffle. Les relationsentre Moscou et les partis communistesfrançais, italien et espagnol s’enveniment.Hasard du calendrier ou faiblesse du pro-jet!? Les trois partis à l’initiative du mou-vement vont connaître de sérieux pro-blèmes. L’espagnol est occupé par devives divisions internes. L’italien affronteune situation dramatique (avec le «! ter-rorisme! »). Au PCF, les enjeux de poli-tique intérieure (alliance, renégociationdu programme commun) occupent toutl’espace. Certes l’eurocommunisme conti-

communisme

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nue de faire parler de lui. En septem-bre! 1977, les commentaires sont encorenombreux à l’occasion de la parution deL’Eurocommunisme et l’État de SantiagoCarillo, mais ils portent plus sur les ten-sions entre Moscou et Carillo que sur leprojet lui-même.Fin octobre, un nouvel article, toujoursdans France Nouvelle, évoque le sujetmais le cœur n’y est plus ; l’enjeu, de fait,est marginalisé. La notion est quasiabsente de la campagne des législativesde 1978. Reste que l’eurocommunismemarque une date significative dans leprocessus de novation communiste. !

UN CONTEXTE PARTICULIERExtraits de l'intervention de Pierre Laurent en novembre 2012pour l'anniversaire de la disparition de Georges Marchais.La « voie démocratique » pour un parti communiste qui ensuite (XXIIIe congrès,1979) renonce au dogme « marxiste-léniniste » c'est faire œuvre d'audace dansun monde encore coupé en deux, en deux systèmes antagoniques, dont les fersde lance s'érigent en modèles. De janvier 1974 à juin 1976, sous la direction deGeorges, le PCF entreprit trois ans de travaux intensifs avec les partis commu-nistes d'Europe capitaliste pour faire converger leurs analyses et leur actionsur toutes les questions (de l'émancipation féminine au développement indus-triel) qui sont posées en Europe de l'Ouest. Cet effort aboutit au Sommet deMadrid en mars 1977 avec Enrico Berlinguer et Santiago Carillo où les trois par-tis communistes français, italien et espagnol ont réaffirmé leur refus de tout« modèle de socialisme » et leur volonté de concilier en permanence démocra-tie et communisme. « L'eurocommunisme », dans un contexte particulier, celuide l'existence puis du déclin soviétique, marque une étape sur laquelle il esttoujours utile de se pencher pour comprendre ce qu'était le PCF à cette périodeprécise. Il ne correspond plus aux exigences de notre temps mais il indique unchemin, celui de la nécessaire convergence des forces sociales et politiques deprogrès et de transformation pour accoucher d'une Europe des peuples, soli-daire, sociale, écologique et démocratique.

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MOUVEMENT RÉEL

PAR JULIE CAZENAVE*

« Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelonscommunisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellementexistantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

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hez plus d’un militant – mêmebien disposé – le mot «!archive!» provoquela réaction suivante! : c’est vieux, c’est pré-cieux, c’est vénérable, mais qui a envie dese coltiner de l’ancien pour l’amour de cequi est ancien!? Trop loin de la bataille «!iciet maintenant!». Plus tard, à la rigueur… Etpuis, quelle envie de regarder en arrièrepour un parti qui cherche à se réinventer etqui se réjouit de sentir le frémissement d’unrenouveau voulu de longue date. Trop heu-reux de s’arracher enfin aux vieilles imagesqui lui collent à la peau! ! Alors y replonger,merci bien, mais on passe son tour.D’ailleurs, c’est un peu le sort commun desarchives, leur redécouverte saute souventune génération. C’est qu’il faut un œil neufpour y chercher et pour y voir autre chosequ’un vieux reflet.

UNE MÉMOIRE VIVANTETenons-nous donc loin des mots qui éloi-gnent, rapprochons-nous des films.C’est avec un œil de néophyte que j’aid’abord regardé ces archives filmées.Arrivée par hasard dans l’association quien a la charge et ayant entendu dire queJean Epstein avait tourné un film pour laCGT, je les ai visionnées avec une curiositépurement cinéphile!: Les bâtisseurs (1938)pour moi, c’était de l’inédit!!Et ses images ont opéré, leur vitalité m’afrappée!: l’ondulante arabesque de la fouleparisienne du 14! juillet 1935 brandissantson serment de briser les ligues factieuses

(anonyme, 1935), les lignes de front heur-tées des mineurs en grève et des soldatscasqués (La Grande Lutte des mineurs,Louis Daquin, 1948), la tranquille colonnedes paysans décidés à passer à l’action(Ceux des champs, Ghislain Cloquet, 1952),la chaîne de travail des marins à bord duchalutier «!Franc-Tireur!» (Mon Ami Pierre,Louis Félix, 1951)… Et aussi! : la camarade-rie à l’unisson des grévistes devant et der-rière la caméra en mai et juin 36, l’humourdes ouvrières de Grandin (Nat Lilenstein,1975), la ferveur aveuglée des militantsconfectionnant leur cadeau à Staline, etjusqu’aux intellectuels, aux artistes et auxtechniciens qui lui dédiaient ce film(L’Homme que nous aimons le plus, ano-nyme, 1949) pour ses 70 ans. Et même!:l’agitation menaçante de l’index de MauriceThorez tandis que, dans une inflexion hautperchée, il s’époumone au Xe congrès duPCF! : «!Produisez, produisez, produisezencore, malgré et contre les trusts!! !» (LesLendemains qui chantent, Louis Daquin,1946).!J’étais tombée de plain-pied dansun monde, dans une histoire, dans sa repré-sentation. Je ne m’attarde pas ici sur lestares de cette propagande filmée. Enmatière de représentation, elle a aussi sesimpasses et ses ratés.

L'ANONYMAT DES FILMSJe préfère rassembler ici quelques traitsqui la distinguent et qui ne tiennent passeulement de la réussite propagandiste.Les génériques, par exemple!: La plupartdes films sont anonymes. Ce qui est remar-quable de la part d’une corporation dontJean-Luc Godard raillait les «!profession-nels de la profession!». Ainsi, Jean Renoirn’apparaît pas au générique de !La Vie està nous, ni Louis Daquin à celuides!Lendemains qui chantent ; dans les

années soixante-dix, le collectif Dynadia(collectif de réalisation créé à l’été 1968,Unicité maintenant) ramasse les noms entrois lignes, à égalité, sans crédit ni hiérar-chie générique.Si l’anonymat a pu être une protectioncontre les anathèmes professionnels mena-çant les communistes du métier, il illustreaussi la démarche militante d’une œuvreréalisée pour le PCF, la CGT, L’Humanité,ou une cause commune.Une mention supplée parfois l’anonymatet met en avant la dimension collective del’œuvre dans sa réalisation et dans sa por-tée, comme celle-ci!: «!Les Films populairesprésentent Grèves d’occupations. Ce sim-ple reportage, dû à l’initiative de l’Uniondes syndicats ouvriers de la région pari-sienne avec l’aide des techniciens de lasociété La Marseillaise a cherché à repré-senter les importants mouvements gré-vistes de juin! 1936 dans la région pari-sienne...» Cette mention est signed’engagement qui d’emblée jette un pontentre filmeurs et filmés. Elle est touchanteà l’égal de certains regards adressés à lacaméra au cours du film, qui témoignentd’une connivence établie à travers l’imagepar la reconnaissance d’une appartenance(et d’une action) commune.L’importance de cette reconnaissance n’estpas négligeable. Dans leurs travaux, les deuxsociologues, Monique Pinçon-Charlot etMichel Pinçon ont analysé l’organisation declasse des très grandes fortunes françaises.La puissance cumulée des capitaux – finan-cier, matériel, culturel et relationnel – quiassure leur domination sociale. MichelPinçon a lui-même témoigné du sentimentd’écrasement qui le saisit et contre lequelil doit lutter face à l’ascendant symboliquede la grande bourgeoisie qu’il côtoie et dontl’assurance de propriétaire – de ses terres,

Regarder en arrière pour se réinventer...

*JULIE CAZENAVE est responsable de Ciné-archives.

Une filmographie de Parti :la nécessité et l’envie

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de son histoire, de son image – lui signifie,à revers, son illégitimité et son insignifianceà lui fils d’ouvrier. Face à cette lourde domi-nation symbolique, le PCF, ses organisa-tions et ses alliés ont réussi un temps àincarner une autre conscience de classe, àfaçonner un blason au monde ouvrier, uneimage de soi, par soi et pour soi, une forcede représentation capable de le disputer àl’ordre établi. Cette force saute aux yeuxdans la filmographie du PCF. C’est son capi-tal culturel et symbolique.

UNE CONSCIENCE DE CLASSEDes exemples!? Quand dans une fête cham-pêtre les enfants d’ouvriers (La Fête deGarches, Silka, 1928) ou lors d’une occu-pation d’usine, les grévistes de RenaultBillancourt, parodient le bolchevique avecle couteau entre les dents, ils s’amusentde leur propre image fantasmée et carica-turée, ils maîtrisent leur représentationavec une évidente jouissance.D’autres!? Les banlieues rouges!: une imagequi s’est imposée, et qui a vécu!; les grèveset les manifestations! : un art noble dansles films du mouvement ouvrier (si volon-tiers criminalisé ailleurs, dans le «!champde l’information!»).Produire sa propre représentation (imageset valeurs), s’exprimer par soi-même fut unenécessité autant qu’un désir pour le PCF, lemoteur de sa production. En matière d’au-diovisuel, il est celui qui a le plus essayé parmitous les autres partis, mais cela a été pourlui un terrain de lutte ingrat! : il n’est jamaisparvenu à mettre en place l’équivalent de sapresse écrite. Ce n’est pas faute d’avoir eul’idée, mais les entraves ont été nombreuses!:cherté des équipements, de la production,censure et non-accès au circuit privé et com-mercial du cinéma, etc.Sans doute est-ce aussi dû, à un autreniveau, à la prépondérance de la cultureécrite parmi ses dirigeants. Ceux-ci ont sou-vent été «!patrons!» de presse – de MarcelCachin à Pierre Laurent – mais, ils sont peuà avoir eu des affinités ou une réelle curio-sité pour le médium audiovisuel à l’exem-ple de Paul Vaillant-Couturier. L’audiovisuel,de fait, est resté plus souvent un à-côté

dans l’arsenal de la propagande du PCF, tan-tôt repris, tantôt abandonné et impliquantponctuellement des professionnels adhoc.!La Vie est à nous! , réalisé pour soute-nir les candidats communistes aux élec-tions législatives de 1936, est ainsi l’heu-reux précipité d’un parti qui fait un effortde dépense, de curiosité et de créativitépour incarner sa nouvelle politique de Frontpopulaire. En retour, il bénéficie de l’élan etde l’adhésion qu’il suscite!: du concours d’ar-tistes et de techniciens du cinéma prêts às’investir et à faire beaucoup de «!per-ruques!» pour assurer au PCF un beau pro-totype de film militant.De cette rencontre en toute altérité résultesouvent le meilleur des réalisations de cettefilmographie partisane. De ce point de vue,la communication audiovisuelle du PCFn’est jamais aussi bonne que lorsqu’il résisteà la tentation d’annexer ce qui (se) créepour lui. Organiser l’altérité en son seinn’est certes pas le plus facile, mais enmatière de cinéma c’est un pari qui a plu-tôt réussi au PCF lorsqu’il l’a tenté.Mais, il a été aussi prompt à remiser cettealtérité, voire à l’ignorer, par méfiance àl’égard des initiatives «!francs-tireuses!» oupar désintérêt pour ce qu’il jugeait inopérantdans l’optique d’une propagande efficace.C’est pourtant à de jeunes réalisateurscommunistes agissant de leur propre ini-tiative que le PCF doit les films anticoloniaux réalisés sous sa bannièreAfrique 50! (René Vautier, Raymond Vogel,1950) et !Terre tunisienne !(Raymond Vogel,Jean-Jaqcues Sirkis, Jean Beckouche, 1951).C’est pourtant à des militants amateurs qu’ildoit ses premiers essais de sujets et decontre-actualités filmées.

LA RICHESSE DES FILMS AMATEURSLe début des années trente voit d’ailleursnaître une polémique. Est-il possible d’in-vestir des militants amateurs de la propa-gande cinéma du Parti!? Faut-il encoura-ger l’appropriation du cinéma par le peupleet pour le peuple en faisant œuvre d’édu-cation populaire ou bien vaut-il mieux ali-gner le PCF au niveau d’excellence capablede rivaliser avec la propagande adverse!?

Il est de fait, qu’en matière d’expérimenta-tion propagandiste à l’initiative du Parti, iln’exista pas d’expérience aussi aboutie encinéma que celle des rabcors et desAmateurs photographes ouvriers (APO)pour la photo et l’information.Reste que la collecte des films amateurs lan-cée depuis dix ans par Ciné-Archives auprèsdes militants remonte des pépites, en par-ticulier au tournant des années soixante. Ladirection du PCF s’est repliée sur sa com-munication papier. Dans le même temps, lespetites caméras sont devenues moins chères,et ce sont les films amateurs qui témoignentaujourd’hui de la période 1955-1965, en par-ticulier de l’engagement des militants com-munistes contre la guerre d’Algérie.Cette question de l’initiative et des formesd’expression audiovisuelle du PCF est plusque jamais actuelle! : vidéo, numérique etInternet démultiplient les réseaux de dif-fusion et rendent à nouveau possible unecontre-information audiovisuelle. Dans lesluttes à venir, l’aura qu’il cherche à recon-quérir, dans sa réinvention même, le PCFa un cran à gagner sur ce terrain pour conti-nuer d’enrichir son bouillon de culture. !

L’association Ciné-archives a été crééeen 1998 dans le but de préserver et depromouvoir le patrimoine audiovisuel duPCF et du mouvement ouvrier et démo-cratique. Le catalogue de films regroupeaujourd’hui des œuvres très diverses. Sitede ciné-Archives! : www. cinearchives.org(284 films en ligne actuellement). Plus de200 titres de son catalogue sont égale-ment consultables dans la salle des col-lections du Forum des images et dans lacollection de films documentaires de laBibliothèque nationale de France (BNF)ainsi que par le biais du dépôt légal desvidéogrammes de la BNF. Les films res-taurés sous convention avec les Archivesfrançaises du film sont visibles dans l’em-prise des AFF au sein du site François-Mitterrand (avenue de France, Paris-13e)de la BNF.

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Briseurs de machinesau XIXe siècleLongtemps considérée avec condescendance comme une manifestation d’ar-chaïsme, de sauvagerie, ou une réaction d’arrière-garde face aux pressions dela misère, la pratique des bris de machines s’avère en réalité riche et complexe.

histoire des mondes du travailau XIXe siècle, à l’ère de l’industrialisa-tion, a indéniablement perdu de sa cen-tralité dans l’historiographie des der-nières décennies. Mais elle a aussi étérevue et relue de diverses manières : quece soit par une plus grande attention àla pluriactivité, par l’étude des frontièreslongtemps poreuses entre le travail agri-cole et industriel, ou encore par l’intérêtcroissant porté à la culture des travail-leurs. Dans ces recompositions en cours,l’histoire des briseurs de machines offreun bon observatoire pour envisager l’ex-périence singulière des ouvriers duXIXe siècle confrontés aux mutations deleur activité et de leurs modes de vie.C’est l’histoire sociale britannique desannées 1950 et 1960, autour des figuresd’Eric Hobsbawm et Edward Thompson,qui a d’abord attiré l’attention sur ce phé-nomène et son ampleur en Angleterre,avant que le regard ne se tourne aussivers le continent.

« grande tondeuse », machine redouta-ble parce qu’elle périme en quelquesannées leurs anciens savoir-faire. En1819, à l’annonce de l’arrivée de l’une deces machines dans la ville de Vienne(Isère), les ouvriers dénoncent ce pro-cédé qui offre le « pernicieux moyen detondre, lustrer et brosser mille aunes dedraps par douze heures, étant conduitepar quatre hommes seulement ». Lorsquela machine arrive finalement, la popu-lation s’assemble, s’en empare, la briseavant de jeter les débris dans la rivière.Mais les troubles ne concernent pas queles travailleurs du textile. Aux lendemainsdes révolutions de 1830 et de 1848 enFrance, des imprimeurs typographes serendent en cortège dans les imprimeriesafin de détruire les presses mécaniquesrécemment installées dans les ateliers.D’autres métiers expriment leurs plaintesavec violence : les bonnetiers de l’Aubedans les années 1840, les scieurs de long,mais aussi les travailleurs ruraux qui sesoulèvent à plusieurs reprises contre lesbatteuses mécaniques, premièresmachines agricoles à pénétrer les cam-pagnes au milieu du XIXe siècle.Ces divers événements, et d’autresimpossibles à présenter ici, relèvent dedeux logiques distinctes. Ils peuvent cor-respondre, selon la célèbre formule d’EricHobsbawm, à des formes de « négocia-tions collectives par l’émeute », à uneépoque où toute forme de protestationet d’organisation ouvrière demeurait illé-gale. En menaçant l’outil de productionil s’agissait de faire pression sur le maî-tre pour obtenir de meilleurs salaires oude meilleures conditions de travail. Mais

PAR FRANÇOIS JARRIGE*

HISTOIRE

L’

L’AMPLEUR D’UNE PRATIQUEEntre la fin du XVIIIe siècle et le milieudu XIXe siècle, des groupes ouvriers diverset dispersés choisissent en effet dedétruire des mécaniques pour faireentendre leur voix et leurs revendica-tions. Les ouvriers fileurs du Lancashire,l’épicentre de la « révolution industrielle »britannique, s’ameutent ainsi à plusieursreprises à la fin du XVIIIe siècle, toutcomme leurs homologues normands audébut de la Révolution française. Dansles cahiers de doléances rédigés en 1789,certains dénoncent « les mécaniques decoton » qui « plongent le peuple dans laplus affreuse misère ». Au début du

XIXe siècle, c’est au tour des tisserandset, surtout, des tondeurs de draps,ouvriers qualifiés et bien payés de l’in-dustrie lainière, de se soulever contre lesmécaniques « tueuses de bras ». Les brisde machines atteignent leur apogée àl’époque du luddisme (1811-1813) enAngleterre, même si cet épisode insur-rectionnel fameux est loin de se réduireà la plainte contre les machines et lamécanisation. Sous la Restauration, cesont les ouvriers du Languedoc lainieren crise qui se soulèvent contre la

*FRANÇOIS JARRIGE est historien. Il est maître de conférences en histoirecontemporaine à l’université de Bourgogne.

L’histoire des briseurs de machines offre un bon

observatoire pour envisagerl’expérience singulière des ouvriers

du XIXe siècle confrontés auxmutations de leur activité et de

leurs modes de vie.

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dans de nombreux cas, les bris demachines relèvent aussi d’un réel refusdes mécaniques et de leurs effets sociaux,les violences se produisant principale-ment dans les groupes disposant des res-sources suffisantes pour résister auxtransformations industrielles, ou dansles territoires en crise caractérisés parune forte pression sur le marché du tra-vail.

GRAMMAIRE DE LA PROTESTATIONContrairement aux descriptions et inter-prétations proposées par les contempo-rains, les bris de machines ne se rédui-sent pas au seul déchaînement d’uneviolence débridée et archaïque, à desformes de jacqueries industrielles degroupes devant être civilisées à l’heuredu progrès. L’usage de la violence est sanscesse encadré et contrôlé par les travail-leurs afin de minimiser les risques del’action. Par ailleurs, la violence ne consti-tue en réalité que la partie émergée del’iceberg, celle qui se donne à voir le plusaisément au regard de l’historien. Lestravailleurs utilisent toutes les ressourcesdisponibles dans la société civile pourconstruire la légitimité de leur cause etde leurs actions auprès du pouvoir. Ilsmobilisent des argumentaires complexespour justifier le rejet des mécaniques, ilsrédigent des lettres de menace et de jus-tification, des pétitions. Leur argumen-tation s’articule autour des notions clésde « bien commun », de « bon droit »,« d’équité ». Comme l’écrit un typo-graphe dans une brochure publiée pourjustifier les destructions lors de laRévolution de juillet 1830 : « Lesmachines, plus voraces que les mons-tres terrassés par Hercule sont contrairesà l’humanité, aux droits de la nature etde l’industrie et à l’intérêt général desmembres de la société » (Les Justesalarmes de la classe ouvrière au sujet desmécaniques, par un vieux typographe vic-time de l’arbitraire, Paris, 1830). Ils fontappel à « l’intérêt général » et profitentdes contextes révolutionnaires pour légi-timer leurs actions. C’est ainsi qu’aprèsfévrier 1848 les troubles augmentent enFrance, les ouvriers se plaçant désormaissous la protection de la République et deses symboles.Par ailleurs, loin de refuser en bloc le« progrès technique », ce qui aurait peude sens pour des techniciens et ouvriers

hautement qualifiés, les travailleurs éla-borent plutôt des formes « d’économiepolitique » alternatives à celle qui s’im-pose peu à peu chez les économistes libé-raux et les réformateurs sociaux. Lamain-d’œuvre imagine toute une pano-plie d’instruments et d’arguments pourréguler le changement technique etnégocier avec les autorités et les élitesles transformations industrielles encours. Il peut s’agir d’appels à la taxationdes nouvelles méthodes mécaniques, decommissions chargées d’étudier les effetsdes machines, ou, plus fondamentale-ment encore, après 1830, d’un appel àl’association et à l’organisation desouvriers eux-mêmes pour tenter de maî-triser le changement technique et le met-tre au service des classes populaires.

LA PLURALITÉ DES INTERPRÉTATIONSL’histoire des bris de machines, en rai-son même de l’opacité de ces violences,a fait l’objet de nombreuses interpréta-tions et instrumentalisations contradic-toires. Trois lectures principales me sem-blent avoir fixé le sens de ces violenceset, en les délégitimant, contribué aussià les résorber. Il y a d’abord les écono-mistes libéraux, comme Jean-Baptiste

Say en France, et les technologues quivoient dans la machine les promesses del’avenir et dans ceux qui s’y opposentdes ignorants à contre-courant de l’his-toire et des lois du marché. Il y a aussiles radicaux et les républicains pour quiseule l’organisation politique compte.Comme l’affirme le journal La Réformeen 1848, ceux qui se laisseraient « entraî-ner à l’holocauste des machines se trom-peraient sur leur véritable ennemi ». Pourle journal républicain, la techniqueindustrielle n’est pas responsable de lamisère : l’ennemi des ouvriers « c’est legouvernement féodal-industriel ». Lareconnaissance de la souveraineté popu-

laire et du suffrage universel doit natu-rellement supprimer les effets néfastesdes mécaniques.Viennent enfin les interprétations desmouvements socialistes naissants, enquête de légitimité, celles des phalans-tériens, du communiste Étienne Cabetpuis de Marx lui-même. Pour ces auteurs,les bris de machines sont d’abord lapreuve du manque d’organisation destravailleurs, comme l’écrit Marx dans leCapital : « Il faut du temps et de l’expé-rience avant que les ouvriers, ayantappris à distinguer entre la machine etson emploi capitaliste, dirigent leursattaques non contre le moyen matérielde production, mais contre son modesocial d’exploitation ». Pour la penséesocialiste naissante, ce sont les formesde la propriété et de l’organisation dutravail qu’il faut changer pour domesti-quer les mécaniques. Dans le mouve-ment ouvrier en voie d’institutionnali-sation à la fin du siècle, la question desmachines continue d’être discutée etdébattue mais il revient désormais auxsyndicats d’organiser la phase de tran-sition en négociant des conditions accep-tables en termes de salaire ou d’organi-sation du travail.Le phénomène des bris de machinesdurant la première industrialisation per-met en définitive de suivre les négocia-tions complexes qui se jouent autour duchangement technique au début de l’âgeindustriel, il montre que les dominés nesont pas simplement un réceptacle pas-sif des transformations industrielles,mais qu’ils créent en permanence lesconditions de possibilité d’un échange,certes déséquilibré et modeste, mais bienréel. Ces violences accompagnent parailleurs le long processus d’organisationdes travailleurs, elles témoignent desréflexions menées par les ouvriers eux-mêmes sur leur travail et des tentativespour faire entendre leur voix sans cesserejetée et marginalisée. C’est peut-êtrel’un des principaux enseignements deces épisodes conflictuels pour notreépoque confrontée à son tour à desmutations radicales du travail et de sonorganisation. !

Il faut du temps et de l’expérience avant que les ouvriers,ayant appris à distinguer entre lamachine et son emploi capitaliste,dirigent leurs attaques non contrele moyen matériel de production,

mais contre son mode sociald’exploitation.

Marx, Le Capital

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PRODUCTION DE TERRITOIRES

PAR ANNE MARTIN*

a croissance urbaine des paysindustrialisés a rejeté le lien avec la terrehors des limites de la ville. Néanmoins,les jardins ouvriers ou familiaux commeles nomme la loi du 26! juillet 1956 sontun héritage de l’industrialisation rapidedes villes, un témoin de l’histoire d’unepopulation venant du monde rural, maisaussi un marqueur actuel de nouveauxcomportements urbains, de préoccupa-tions écologiques et économiques col-lectives et individuelles. Cela se traduitpar l’intérêt pour la fonction spatiale sym-bolique du paysage, l’occupation spatialealternative à l’étalement urbain, aussibien que par la production de biens ali-mentaires plutôt biologiques, avec desmodes de cultures, d’intrants plus res-pectueux de l’environnement.

Agriculture urbaine outil de liensocial ou projet de société ?

*ANNE MARTIN est étudiante à AgroSupDijon (Institut national supérieur dessciences agronomiques de l'alimentation etde l'environnement).

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

MAÎTRISE ALIMENTAIRE ET MISE EN COMMUNAujourd’hui encore, ces jardins, cultivésprioritairement pour une productionpotagère sont majoritairement situésdans les villes industrielles et les villesusines. L’histoire de ces jardins est ryth-mée de périodes de développement quicorrespondent pour la plupart auxcrises économiques. C’est ainsi qu’ils sesont développés pendant les années1930, se sont (re-)créés dans les années1980 et plus encore au courant desannées 2000.Ils répondent à la fois à une nécessitéde subsistance alimentaire et à unepréoccupation d’aménagement territo-rial. En effet, leur récent redéveloppe-ment illustre la nécessité d’une meil-leure maîtrise alimentaire, mais aussid’une mise en commun et deviennentalors espaces participatifs de codéci-sion. L’intérêt de ces jardins familiauxest qu’ils ne répondent pas dans leurconception à une démarche associativeou caritative, mais plutôt à une préoc-cupation de production locale etcontrôlée des produits, mêlée à unevolonté de partage de l’initiative.Le caractère collectif des jardins en faitun outil d’aménagement du territoire,un outil de couture du tissu urbain. Laco-élaboration de ces jardins entreacteurs publics et population est alors

moteur de l’aménagement du territoireet régulateur en partie des conflitsd’usage de l’espace périurbain.

Ce phénomène social n’est pas étran-ger aux associations pour le maintiende l’agriculture paysanne qui viennenten ville approvisionner directementleurs clients-adhérents en produitsfrais. Cette pratique est née du mouve-ment locavore (consommation d’ali-ments produits à moins de 150! km) etdes attentes de fermiers soucieux deréduire les maillons du réseau de distri-bution afin de profiter davantage desfruits de leur travail.

L’AGRICULTURE POUR INVENTER DENOUVELLES FORMES URBAINESL’engouement pour ces jardins fami-liaux, ouvriers, les AMAP, le développe-ment de l’agriculture urbaine devientun révélateur d’une société urbaine

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Les nouvelles formes d'agriculture urbaine vont-elles résoudre les problèmes desécurité alimentaire des pays en développement ?

LCes nouveaux modèles

d’agriculture urbaine semblentaujourd’hui au mieux un trop

faible moyen de productionalimentaire si ce n’est un gadget

de la ville tertiairiséepostindustrielle.

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détachée des espaces de productionagricole depuis longtemps et prenantconscience au fil des scandales tou-chant l’industrie agroalimentaire de lanécessité d’un meilleur contrôle de laproduction. Les processus de transfor-mation et de changement sont encours. On repère des signaux faibles dedynamiques d’acteurs investissant lechamp d’une action territoriale qui viseune meilleure intégration des dyna-miques urbaines et agricoles. De plus enplus, la ville se saisit de l’agriculture pourinventer de nouvelles formes urbaines,la planification territoriale envisage uneintégration des activités et des espacesagricoles, des initiatives locales érigentl’agriculture et l’alimentation en ques-tion publique. C’est notamment le casdans nombre d’écoquartiers compre-nant des projets d’agriculture verticaleau sein de tours de plus d’une dizained’étages visant parfois une relative auto-

nomie alimentaire complétée par laproximité d’une AMAP. Vont ainsi émer-ger toute une série de propositions defermes urbaines depuis le simple conte-neur surmonté d’une serre avec étal devente incorporé jusqu’à la ferme Cactusdont les serres verticales partent à l’as-saut du ciel arrimées à un mat structurelet technique.Néanmoins, si ce développement del’agriculture urbaine est intéressant dupoint de vue de la prise de consciencedes sociétés de la nécessité d’un retouraux circuits courts, et d’une remise enrelation de l’urbanité et de la biodiver-sité, la préconisation de sa généralisa-tion par l’ONU et la FAO comme outil derésolution des besoins de sécurité ali-mentaire des pays en développementne peut qu’interroger sur la conceptiond’un réel projet émancipateur de la partde ces organisations mondiales.En effet malgré la garantie annoncée

de rendement 5 à 6 fois supérieurqu’en plein champ pour ces productionshors-sol continuelles de proximité– indépendantes des saisons, des aléasclimatiques et des agressions animalesou bactériologiques, mais pas forcé-ment de la pollution – permettant decultiver sous nos latitudes des produitstropicaux ne voyageant plus, ces nou-veaux modèles d’agriculture urbainesemblent aujourd’hui au mieux un tropfaible moyen de production alimentairesi ce n’est un gadget de la ville tertiairi-sée postindustrielle. Qu’il s’agisse desmodèles de villes en transition, de lapermaculture, ou des récents dévelop-pements de jardins sur les frichesindustrielles de Chicago, et pour inté-ressants qu’ils soient, ils ne présententen aucun cas un changement de para-digme des relations entre villes et cam-pagnes, entre lieux de production etlieux d’accumulation capitaliste. !

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*ALIETTE GEISTDOERFER est ethnologue.Elle est directrice de recherche honoraire auCNRS et responsable de la formationCNRS/Musée national d’histoire naturelle« Techniques et culture anthropologiquemaritime. »

ans les années 1990, la diminu-tion mondiale des ressources marines estdénoncée par des scientifiques, des profes-sionnels, des média. L’opinion publique estalertée, car cette raréfaction, particulière-ment celle des poissons, toucherait unesource de protéine essentielle pour une par-tie de la population. Cette réalité scienti-fique est prise en compte par des orga-nismes internationaux (FAO, ONU) quidonnent l’obligation aux pays de prendredes mesures pour limiter les efforts depêche. La cause de ce déclin, ne serait quela surpêche, d’où des campagnes, parfoisirrationnelles, traitant les pêcheurs de « des-tructeurs » et certains poissons d’animaux« assassinés ».Les ressources marines présentent descaractéristiques biologiques qui exigent desméthodes de recherche, des modes d’ex-ploitation et de gestion originales, très dif-férentes de celles applicables aux ressourcesterriennes, donc moins familières au grandpublic qui peut absorber des informationssimplistes, comme «!acheter responsable,choisir du poisson durable!», alors qu’au-

Par ALIETTE GEISTDOERFER*

jourd’hui, les Français, consomment à 85!%des produits marins importés du mondeentier, dont la traçabilité n’est pas donnée,car pêchés en un pays, transformés dansun autre et revendus ailleurs.

ÉCOSYSTÈME ET CHAÎNES ALIMENTAIRESLes chercheurs scientifiques au sein d’or-ganismes publics, en France (Ifremer, CNRS,universités, Institut de recherche pour ledéveloppement, Muséum) étudient les condi-tions de vie des espèces marines et les com-posants des milieux marins! : géologiques,océanographiques, chimiques… ainsi queleur évolution. Il y a des centaines d’espècesde poisson. Ceux, présents dans une mêmezone, peuvent être différents quant à leurbiologie et physiologie et ils vivent en inter-actions, les uns avec les autres et avec d’au-tres espèces animales et végétales, au seinde ce qui est défini comme écosystème(habitat). Ils sont interdépendants préda-teurs ou aliments, ou les deux et partici-pent ainsi à ce qui est appelé «!des chaînesalimentaires!» ! : le cabillaud peut vivre, sai-sonnièrement, avec le hareng, il se nourritdes jeunes!et le hareng, des alevins de cabil-laud. Les poissons pratiquent des migra-tions d’ampleur et aux fonctions – alimen-tation, reproduction – diverses, variablesselon les saisons et les zones.Ainsi, pour vivre, chaque espèce exige unsystème de conditions particulières!: nour-riture + température de l’eau + taux de sali-nité + état géologique + force et directiondes courants + conditions météorologiques,etc. Facteurs de différentes natures, trèsvariables, que mettent en évidence les scien-

tifiques, grâce à une approche écosysté-mique. Ils démontrent, avec les profession-nels, qu’il ne faut pas simplifier les réalitésbiologiques, ni oublier les contextes écono-miques, sociaux et politiques, pour expli-quer rationnellement les relations entrepêche et biodiversité marine et pourconstruire les outils efficaces de gestion decelle-ci.Les ressources marines sont dites sauvages,limitées en quantité et qualité, car leshommes n’en maîtrisent ni la présence, nile renouvellement qui dépendent!des fac-teurs environnementaux et de leur exploi-tation par les sociétés humaines qui s’ennourrissent depuis des millénaires.

LA PÊCHE EN MER, UN SECTEUR ÉCONOMIQUE « RENTABLE »La pêche, n’est ni une chasse, ni une pré-dation, mais l’appropriation de la mer etdes ressources naturelles par des pêcheursqui acquièrent des droits d’usage en utili-sant outils et connaissances et en transfor-mant, par leur travail, des ressources sau-vages en produits commercialisables!quiacquièrent une valeur marchande.Dans les pays du Sud, cette production est,en partie, entre les mains des groupes dusecteur international de l’agroalimentairequi profitent d’une main-d’œuvre peu chèreet exportent les produits dans le mondeentier. En France, dans les pays industriali-sés, il y a plusieurs modes techniques, éco-nomiques et sociaux, de pêche. Des socié-tés privées arment à la pêche au large unou plusieurs navires et possèdent les ate-liers de transformation et les magasins de

Pour une gestion durablede la biodiversité marineScientifiques et professionnels doivent collaborer pour imposer desmesures politiques qui enrayeront la surexploitation des ressourcesmarines sauvages, permettront de manger du poisson en France demainet assureront le maintien des sociétés littorales.

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vente!de leur production. Les pêcheurs ontun salaire (souvent proche du SMIC) maissont aussi payés à la part, au sein de l’en-treprise. Pour ce qui concerne la pêche arti-sanale, armement à la pêche côtière, pêchediversifiée en espèces, le patron possèdeson bateau et ses engins, il travaille à bord,seul ou avec un équipage, rémunéré à lapart.Pour adapter la production du sauvage àce commerce, les pêcheurs, les armateursont cherché à diminuer les aléas par uneoptimisation technique (bateaux-engins depêche et de repérage) et pu ainsi augmen-ter la productivité. La surpêche!conduit àla réduction de la taille des espèces pêchéesau sein d’une population qui, ainsi, perd sacapacité biologique à se renouveler, parinsuffisance de reproducteurs et une baisseirréversible d’alevins. Ainsi, pour rentabili-ser leurs entreprises, des armements ontpuisé sans limites dans certaines popula-tions. Par exemple le cabillaud qui, enAtlantique Nord-Ouest, après un moratoirede quinze ans ne se reconstitue pas! ; d’au-tres, sont «!hors des limites de sécurité!»et donc surveillées!comme le merlan bleu,les anchois, etc.La fragilisation des populations de poissonest en grande partie due, à l’élévation de laproductivité et à l’accentuation de l’inté-gration de la distribution des produitsmarins. La vente de la viande diminuant,le poisson devient une source importantede profit, au sein du secteur agroalimen-taire! ; la concentration capitaliste interna-tionale se traduit, en France en 1990 (etdans bien des pays), par l’implantation descentrales d’achat et des «! grandes etmoyennes surfaces!» (GMS), grâce à l’ou-verture des frontières aux produits mari-times étrangers qui ont définitivement misen concurrence inégale les produits de lapêche locale, artisanale et même indus-trielle. Les rémunérations des pêcheursdépendent des aléas des cours du poissonsur les marchés locaux, les importationsont concurrencé irrémédiablement le pois-son débarqué et ont entraîné la faillite desociétés de pêche et surtout d’entreprisesartisanales.Désormais, le commerce des produits de lamer est en grande partie, dirigé par lessociétés internationales qui, de fait, tien-nent les rênes des pêches. Des départe-ments produits marins sont présents danstoutes les GMS et les Français, sensiblesaux campagnes publicitaires, remarquable-

ment ciblées, en ont doublé leur consom-mation (32!kg/an/personne).

POUR UNE PÊCHE DURABLE, UNE COLLABO-RATION SCIENTIFIQUES-PROFESSIONNELSLes pêches sont réglementées, en Francedepuis des siècles pour que les pêcheurspuissent gagner leur vie en préservant lacapacité des ressources à se renouveler. Demanière systématique et intense aujourd’hui,scientifiques et professionnels mettent encommun, connaissances et expériences,afin de résoudre ce problème. Des outils degestion des ressources marines ont été misen place, saison de pêche, taille des enginset des espèces, quotas, mais aussi sélecti-vité des chaluts, et sont régulièrement amé-liorés.Au sein d’organismes nationaux et inter-nationaux, Commission européenne (CE),Commission internationale pour l’exploi-tation de la mer (CIEM), les scientifiquesdonnent des avis sur l’état des ressources,les changements en cours, en mesurantles efforts de pêche et en évaluant lesconséquences, pour faire des recomman-dations, afin que les instances en titrepuissent prendre les mesures nécessairespour éviter des surexploitations, mora-toires, baisse des quotas, établissementde zones protégées. Par l’application desa politique commune des pêches, la CEa mis en place un encadrement croissantdes flottilles et des droits de pêche. EnFrance, grâce aux recommandations desscientifiques, retenues par les politiques,des espèces fragilisées, cabillaud (merdu Nord), thon en Méditerranée, retrou-vent une situation stable. La pêche dumerlu fut la pêche des grands chalutiers(Boulogne-sur-Mer et Lorient) pendantdes années, mais quand cette populations’effondre en mer du Nord (1990), lesarmateurs envoient leurs chalutierspêcher en grande profondeur, provoquantune surpêche d’empereurs, de sikis, donton ignorait les conditions de renouvelle-ment. Les situations ne sont pas irréver-sibles : cette pêche, désormais géréerationnellement, est un exemple qu’unepêche au chalut, en zone profonde, peutêtre une pêche durable.La baisse de la biodiversité marine n’est pasirrémédiable. Mais est-il possible de maîtri-ser la productivité des maîtres du commercedes produits marins qui travaillent princi-palement là où les contrôles sont difficileset où la main-d’œuvre ne coûte rien!? Est-

il possible de contrer des destructions rare-ment dénoncées!? Les bancs de poissonset les pollutions ne connaissent pas les fron-tières et les règlements n’auront des effetspositifs que si les pays coopèrent ce quin’est pas le cas partout, puisque «!la pêcheillégale!» (hors quotas et zones nationales),est difficile à identifier et à combattre. Troppeu prise en compte, aussi, pour des rai-sons économiques et politiques, la dégra-dation des écosystèmes côtiers, là où vivent,se nourrissent, se reproduisent la plusgrande diversité des espèces animales, làoù sont accusées les pollutions (rejetsurbains, agricoles, industriels, piscicultures),réalisées les extractions de graviers, etc.,mais aussi les variations naturelles (pluiesacides, température des eaux, salinité) etdes surabondances de mammifères marins.

ON POURRA MANGER DU POISSON EN FRANCE DEMAIN- si les pouvoirs politiques prennent desmesures qui n’auront pas pour seul effetde réduire des flottilles de pêche, principa-lement artisanales, au profit des sociétésfiliales internationales et du commerce inter-national!;- si certains acteurs ne privilégient pas defaux outils de gestion, comme la « privati-sation » de l’accès aux ressources, qui futun échec violent en Islande!;- si la production fraîche locale, de qualité,est valorisée pour que les pêcheurs béné-ficient de meilleurs prix d’achat en évitantque le poisson frais ne devienne un produitde luxe!;- si la recherche scientifique publique sedéveloppe afin de mieux «!maîtriser!» lamer et ses ressources pour que les régle-mentations soient fondées sur des réalitésscientifiques (y compris les dimensionssocio-économiques), et non sur la base decampagnes irrationnelles ou d’objectifs poli-ticiens.La moitié de la flottille de pêche françaisea été détruite en trente ans. Au nom de ladéfense du commerce international et delobbies associatifs, doit-on réduire les socié-tés littorales, déjà privées de bien desmétiers de la mer, à n’accueillir qu’un tou-risme, souvent éphémère ? !

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SONDAGES

Oui, prendre aux riches !L’enquête d'Ipsos (janvier 2013) intitulée « France 2013 : lesnouvelles fractures » et réalisée par le Centre d'études poli-tiques de Sciences Po (Cevipof) et la fondation Jean-Jaurèsa été très largement médiatisée par toute une presse disons« conforme » pour crier au danger populiste. Les Françaisvoudraient de l’autorité, ils chercheraient un chef ! C’est cequi a été surtout retenu de l'étude. De là à parler de droiti-sation de l’opinion, le pas a été vite franchi. En vérité, nousl’avons dit dans ces colonnes, l’opinion est ambivalente (nousreviendrons ultérieurement sur cette étude du Cevipof). Pour

l’heure, pointons quelques questions, posées lors de cettemême enquête, et nettement moins mises en avant dans cesmédia de la pensée unique à la mode d’aujourd’hui. Ainsi pourl’immense majorité, l’argent corrompt la société ; une bellemajorité (58 %) estime qu’il « faudrait prendre aux richespour donner aux pauvres » ; cette question distingue forte-ment gauche et droite : 83 % à gauche partagent cette idéecontre 29 % à l'UMP. De la même manière, les sondés necrient pas (massivement) haro sur les fonctionnaires commeon le prétend trop facilement.

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PAGE RÉALISÉE PAR GÉRARD STREIFF

QUELLE EST VOTRE PRÉOCCUPATION DOMINANTE ? Chômage : 56 % Pouvoir d'achat : 41 %

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PENSEZ-VOUS QUE L'ARGENT A CORROMPU LES VALEURS TRADITIONNELLES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE ?

Oui : 82 % Non : 18 %

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PENSEZ-VOUS QUE POUR ÉTABLIR LA JUSTICE SOCIALE, IL FAUDRAIT PRENDRE AUX RICHES POUR DONNER AUX PAUVRES ?

Oui : 58 % Non : 42 %0

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STATISTIQUES

Après le travail, encore 3 heuresde travail pour les Français(et 4 heures pour les Françaises !)Depuis quelques années, l’enjeu majeur pour les économisteset les statisticiens est la recherche d’une nouvelle mesure dela richesse, qui permettrait de combler les lacunes du PIB,connues depuis longtemps et dénoncées entre autres par lerapport Stiglitz en 2009. La principale de ces lacunes est l’ab-sence presque totale de prise en compte de la partie non-mar-chande de l’économie, et notamment tout ce qui concerne letravail non rémunéré. Pourtant, une étude de l’INSEE publiéeen novembre 2012 vient nous rappeler l’importance de ce tra-vail non rémunéré dans la vie des Français, en particulier dece qu’on nomme « travail domestique » : cuisine, ménage, soinsaux enfants, jardinage, bricolage… En effet, un Français consa-cre en moyenne 1 121 heures par an à ces activités, soit plusde 3 heures par jour. La cuisine et le ménage, avec respecti-vement 217 et 199 heures, sont les deux activités auxquellesles Français consacrent le plus de temps.

Sur l’ensemble de la population, ce sont donc finalement plusde 60 milliards d’heures de travail domestique qui sont réali-sées par les Français chaque année. C’est près de deux foisplus que le nombre d’heures consacrées par an au travail rému-néré, qui ne représente « que » 38 milliards d’heures par anen France. Si l’on cherche à estimer la valeur que représen-tent ces 60 milliards d’heures de travail, par exemple en appli-quant le salaire horaire moyen des professions exerçant ces

tâches (par exemple les assistantes maternelles pour la garded’enfants, les femmes de ménage pour le ménage…), on obtientlégèrement plus de 1 000 milliards d’euros, c’est-à-dire plusde la moitié du PIB tel qu’il est mesuré actuellement.Il va malheureusement sans dire que les Français ne sont pastous égaux devant le travail domestique. Et naturellement, laprincipale différence se situe entre les hommes et les femmes.Celles-ci réalisent en effet 64 % des heures de travail domes-tique. Si l’on exclut du compte les activités qui peuvent rele-ver plutôt des loisirs que du travail domestique (bricolage, jar-dinage, jeux avec les enfants…), les femmes réalisent mêmejusqu’à 72 % du total du travail domestique en France.

Ainsi, en moyenne, une femme seule sans enfants consacrera22 heures par semaine au travail domestique contre seulement17 heures par semaine pour un homme seul sans enfants. Encouple, même sans enfants, l’écart est encore plus important,avec 29 heures de travail domestique hebdomadaire pour lesfemmes, contre 20 heures pour les hommes. Mais c’est dansles foyers en couple avec enfants que l’on constate la plus grandeinégalité : les femmes en couples avec enfants consacrent deuxfois plus de temps au travail domestique que les hommes, avecen moyenne 34 heures par semaine contre 18. Ces inégalités entre hommes et femmes face au travail domes-tique sont certes inquiétantes, mais une perspective histo-rique nous permet une lecture un peu plus optimiste. Il y atrente ans, les femmes consacraient en moyenne plus de 2,5fois plus de temps au travail domestique que les hommes.Progrès technologique et progrès social ont permis aujourd’huide réduire cet écart à 1,7. Il reste du travail à effectuer pouratteindre l’égalité des sexes dans ce domaine mais une partiedu chemin a déjà été parcourue avec succès.

RÉPARTITION DU TRAVAIL DOMESTIQUE PAR CATÉGORIE(EN HEURES CONSACRÉES PAR AN)

Par MICHAËL ORAND

TEMPS DE TRAVAIL DOMESTIQUE HEBDOMADAIRE SELON LE SEXE ET LA STRUCTURE FAMILIALE

Source : INSEELecture : un homme seul sans enfant consacre 17 heures par semaine au travaildomestique, contre 22 heures par semaine pour une femme seule sans enfant

Source : INSEELecture : les Français âgés de 11 ans et plus passent en moyenne 217 heures par anà cuisiner

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Par ALAIN VERMEERSCH

REVUE DES MÉDIA

Un sondage Ipsos tente de démontrer des attitudes négatives de lapart des Français. La presse s'en est emparée.

Une enquête d’Ipsos, intitulée «!France2013! : les nouvelles fractures!» et réa-lisée pour Le Monde, avec le Centred’études politiques de Sciences Po(Cevipof) et la Fondation Jean-Jaurèsmontre que la crise économique etsociale de ces dernières années a conso-lidé le pessimisme de l’opinion publiqueen France. De quoi la France a-t-ellepeur!? Comment endiguer la crise de lareprésentativité politique!? Peut-onréduire les fractures sociales, ou sont-elles trop profondes!?

DES SENS DIFFÉRENTSDU MOT « CHEF »Ce sondage a entraîné de très nombreuxcommentaires. Ainsi Alain Garrigou(Blogs Monde diplo 31/01) conteste lebien-fondé des éléments exposés parIpsos. Selon lui, «!Le sondage fait appa-raître à la fois des biais si visibles qu’ilsen semblent énormes et une crédulitétout aussi énorme des commentateurs.87!% des sondés veulent « un vrai chefpour remettre de l’ordre », assure lesondage. Si l’échantillon était représen-tatif, cela signifierait que 87!% desFrançais ont un tel désir. Ce plébisciteest redoublé par un score tout aussimassif de 86!% de sondés estimant que“L’autorité est une valeur qui est sou-vent trop critiquée aujourd’hui”.!Bref,la France serait proche des foules deNuremberg. » Il remarque « Sur un panelde plusieurs centaines de milliers d’in-ternautes contactés par courrier élec-tronique, les volontaires répondent auxenquêtes mises en ligne. On a doncaffaire à des échantillons spontanés. Cerecours au volontariat a un défaut queconnaissent bien les sondeurs!: des per-sonnes politisées, souvent à l’extrêmedroite, s’expriment plus volontiers. Larémunération est censée corriger cebiais politique. Ainsi, les internautessont-ils invités à gagner des cadeauxou des primes, dont la valeur totale est

La France a peur ?

suffisamment attractive mais qui, divi-sée entre les gagnants, donne des gainsfaibles à chacun. Si la rémunération n’apas corrigé l’orientation politique del’échantillon spontané des internautessondés, c’est parce qu’elle ne motiveplus suffisamment d’internautes. Onpeut accepter le constat d’une droitisa-tion sans croire que 87!% des Françaissouhaitent un führer, un duce ou unmaréchal. Évidemment, les sondés ontmis des sens différents dans le mot“chef”. Il n’empêche. La formulation estlourde pour ne pas dire nauséabonde. »Il souligne ensuite « Dans le régimed’opinion, les gouvernants sont sanscesse confrontés à leur popularité,comme si leur légitimité était soumiseà cette première. D’où l’importance descotes de confiance. C’est ainsi que ledirecteur du Cevipof répétait invaria-blement le même propos!suggérant queFrançois Hollande, quoique élu depuisquelques mois, gouvernait un pays ancréà droite. Autrement dit, une politiquede gauche est-elle encore légitime!? Onvoit immédiatement les profits symbo-liques de juges et donneurs de leçonsqui, au nom de l’opinion publique, pré-tendent dire aux élus ce qu’ils doiventfaire. Une compensation à la menacede la crise. On pourrait ainsi dire queles sondages par Internet recrutent sur-tout les sots et les fachos. Au cours del’histoire, la domination sur les espritsa trouvé bien des procédés. Les son-dages par Internet ont inventé unerecette si judicieuse qu’elle prêterait àrire, si elle n’était si pitoyable. »« La France a peur mais pas tant queça », remarque Thomas Legrand (Slate.fr01/02) « 87!% des Français pensent !quele pays a besoin d’un vrai chef pour met-tre de l’ordre ». Les titres de la pressesur cette étude sont éloquents! : « laFrance a peur », la « France entre pes-simisme et xénophobie », « la Francese crispe »... Mais, on pourrait avoir une

lecture différente. N’y a-t-il pas une illu-sion d’optique!? Le pouvoir pyramidalest rejeté et c’est une autorité forte,certes, mais arbitrale, bienveillante etexemplaire qui paraît être la plus adap-tée aux volontés exprimées, plutôt quele traditionnel bonapartisme qui se cachederrière la vieille acception du mot« autorité ».! Serge Kaganski (LesInrocks 30/01) voit « Une Francemoche ». «!Ce sondage indique qu’à delégitimes interrogations, la majorité desFrançais apporte de bien mauvaisesréponses. Notre pays est sans doute endéclin économique, mais il est encoretrès loin d’être pauvre, son avenir démo-graphique est bon et les cycles écono-miques ne sont pas inéluctables. MM.Hollande, Ayrault et leurs ministres ontsans doute lu ce sondage. Après huitmois de flou mou au pouvoir, on espèrequ’ils ont saisi l’importance historiquede leur mandat, l’exigence absolue deleur réussite. »

D’autres journalistes comme Ivan Rioufol(Le Figaro 02/02) en rajoutent « Parceque les citoyens n’adhèrent pas à la pro-pagande sur les bienfaits de l’immigra-tion et de l’islam en France, voilà les ser-monneurs qui les traitent de ploucsracistes et xénophobes. De salauds, ensomme. » Y. de Kerdrel (Valeursactuelles 30/01) brandit « La France apeur. Et les Français sont inquiets poureux-mêmes. Une autre étude d’opiniona montré que trois quarts de nos conci-toyens craignent aujourd’hui de bascu-ler dans la précarité. C’est aussi pourcette raison qu’elle en appelle au retourde l’autorité, l’une des trois valeurs car-dinales avec l’ordre et le mérite queValeurs actuelles défend depuis desdécennies. La France a peur. Car aucunedes mesures prises par ce gouverne-ment depuis deux cent soixante-dix joursne peut la rassurer. La France a peur.Car chacun sait bien que notre pays

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continue de vivre largementau-dessus de ses moyens. LesFrançais ont tellement peur quejamais ils n’ont autant épargnéet réduit leur consommation. LaFrance a peur, enfin, car ce prési-dent « mou » et « flou » qui a étéélu au printemps dernier au nomdu « rassemblement »et de « l’apai-sement » ne cesse de créer des frac-tures inutiles et dangereuses dansle pays.!»

Michèle Cotta (Nouvel économiste30/01) s’alarme «!N’ayons pas peur desmots! : la dernière enquête du Cevipof,étayé par un sondage Ipsos est pure-ment catastrophique. La France est unpays dont chacun connaît le vieux fondanarchiste, datant de la Révolution fran-çaise. Comme dans le même temps, ilsmanifestent dans leurs réponses et leurcomportement, la volonté du repli, lerefus de la mondialisation, l’inquiétudedevant la construction d’une Europe oùchaque pays risquerait de renoncer àune part importante de sa souveraineté,on voit bien où leurs conclusions nousentraînent!: dans un monde fermé, repliéfrileusement dans son hostilité à l’uni-vers tout entier. On aura beau dire, etc’est sans doute vrai, que la crise estlargement responsable de la peur del’avenir traduite par les réponses de nosconcitoyens. Appeler un chef, s’en remet-tre à un chef, attendre de lui qu’il réduised’un coup de baguette magique ou d’uncoup de menton, le chômage et donnela recette d’une réindustrialisation mas-sive, c’est surtout, pour les Français,refuser de se réformer eux-mêmes.!»Alain Duhamel (Libération 31/01) parled’une « dépression française ». Selonlui, « La nouveauté de ce sondage estque la France présente de surcroît toutesles caractéristiques du populisme!: fortedemande d’autorité (87!% pensent quela France a besoin “d’un vrai chef pourremettre de l’ordre” rejet brutal de l’im-migration, aversion de la religion musul-mane, sentiment massif de déposses-sion, détestation du monde politique. Àlire ce sondage, la France n’est pas seu-lement décliniste, elle ne traverse pasune simple crise d’identité, elle est entréeen dépression et présente tous les signesd’une nation blessée, en proie à une ter-

d’envisager l’avenir. Dans uncontexte aussi délétère, on nes’étonnera pas de la faible estimedans laquelle les Français tien-nent leur classe politique. Quefaire alors!? La tentation auto-ritaire guette. Le rejet desélites politiques peut toute-fois se traduire d’une autremanière. » Il conclut « Un telclimat est gros de bour-rasques même s’il est impos-sible d’en prévoir les formes.

Il apparaît d’autant plus porteurpour le Front national que l’UMP

peine à se remettre en route aprèsses déchirements internes. Il laisse

entrevoir la possibilité de révoltesanalogues à celles des “indignés” dèslors que l’alternance n’est plus dépo-sitaire d’espoir. »

Jack Dion ironise (Marianne2 09/02)«!On nous ressasse que, pour 87!%des Français, le pays “a besoin d’unvrai chef pour remettre de l’ordre”. Oui,bon, et alors!? Que faut-il en déduire!?Que la foule est en mal d’un dictateurou bien qu’elle est en attente d’un diri-geant politique capable d’en finir avectoutes les formes de désordre!?Pourtant, le Monde s’interroge avecgravité sur ce qu’il appelle “l’obsessionfrançaise de l’homme providentiel”. Lejournal du soir en tire cette leçon, admi-nistrée à l’intention de FrançoisHollande!: “S’il n’est pas ce “vrai chef”,un autre s’imposera. Les Français, entout cas, y sont prêts.” Un petit coupde danger frontiste quand la gaucheest en difficulté, ça ne fait jamais demal, même si la ficelle, avec le temps,s’est usée. Il serait hasardeux de spé-culer sur les gains hypothétiques du“chef de guerre” qu’il est devenu, d’au-tant que rien ne permet de penser queles Français sont en mal d’un présidentsûr de lui et dominateur. On ne sauraiten déduire que les Français ont un pen-chant naturel pour le sauveur suprême,quel qu’il soit. En revanche, il est vraique les citoyens sont en quête d’uneboussole efficace et d’un cap politiqueclair. Pour l’heure, ils ont le sentimentque les dirigeants politiques ne diri-gent plus rien et que les puissancesfinancières tirent les ficelles.!» !

rible mélancolie, prête àsuivre les pires déma-gogues. Une France en danger, et mêmeen danger démocratique. »Chantal Delsol (Le Figaro 30/01) relève«!Pourquoi les Français sont-ils si tristes!?Pourquoi sont-ils si angoissés!? Ce n’estpas, comme le disent les commenta-teurs de l’enquête, parce que des «!incen-diaires!» d’extrême droite, ourdissantun complot, ont répandu chez un peu-ple idiot et influençable les graines d’unepeur rappelant les années 1930 (on l’auraremarqué, la peur écologique est ver-tueuse, mais la peur du peuple est pré-nazie). Les Français sont pessimistesparce qu’on ne les écoute jamais. Ilspourraient marcher sur la tête que leursgouvernants ne les regarderaient mêmepas. Nos élites sont autistes. Elles sesont juste fait une idée de ce que le peu-ple devrait être, mais ce qu’il est, celane les intéresse pas. Ce n’est pas l’opi-nion populaire qui est dangereuse!: c’estl’autisme des élites.!»

LA QUÊTE D’UNE BOUSSOLE EFFICACEÉric Dupin (Rue 89 10/02) constate deson côté, « Les difficultés et lesangoisses générées par la crise avi-vent une défiance sociale mortifère.La méfiance se manifeste encore dansle regard posé sur le vaste monde. Autotal, le besoin de protection, dontNicolas Sarkozy avait tenté de se fairele porte-parole pendant la campagneprésidentielle, est dominant. Unesourde peur du déclassement hantela France. Ce profond pessimisme a delourdes conséquences sur la manière

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CRITIQUES

LIREPAR JULIETTE COMBES LATOUR

En octobre prochain le Temps des Cerisesdevrait fêter son vingtième anniversaire.Sa création en 1993, fut le fait d’une tren-taine d’auteurs (dont Jorge Amado,Eugène Guillevic, Pierre Gamarra, PierreBourgeade, Gilles Perrault, RogerBordier…). Ce qui a réuni ces auteurs,c’était la volonté de faire vivre une maisond’édition d’inspiration progressiste, révo-lutionnaire, littéraire et poétique.Depuis, nous avons parcouru un beauchemin et constitué un fonds de près de600 titres dans le champ de la littérature,de la poésie et des essais. Nous avonsmené un travail de réédition de textesclassiques (tels Le Capital de Marx, desœuvres de Louis Aragon, de Paul Éluard,de Nazim Hikmet, de Vladimir Maïakovski,de Maxime Gorki), des inédits aussi deRobert Desnos et plus récemment deLouis Althusser et de Paul Nizan. Nousavons également soutenu de nombreuxauteurs d’aujourd’hui, des économistes,des philosophes, des historiens, desromanciers, des poètes… qui ont en com-mun de considérer que le capitalisme n’estpas l’horizon indépassable de l’humanité.Le chemin parcouru n’a pas été sans diffi-cultés. La concentration croissante dans lemilieu de l’édition, notamment en ce quiconcerne la diffusion et la distribution dulivre en librairie, menace sérieusementl’existence des maisons d’édition commela nôtre. 20 % de la profession réalise 80 %du chiffre d’affaires, les œuvres sont trai-tées comme des marchandises soumises àune rentabilité immédiate et il est néces-saire de soutenir le travail des maisons

d’édition militantes qui comme nous s’ef-forcent, bien au-delà de ces impératifsmarchands, de faire vivre les livres dans ladurée pour constituer un véritable fondsde la pensée critique et transformatrice.Nous avons eu le souci constant de défen-dre et de promouvoir une édition indé-pendante, notamment par le développe-ment de liens étroits de collaborationentre éditeurs.Nous avons joué un rôle de premier plandans la défense et l’organisation de l’édi-tion indépendante, en contribuant à lacréation de l’association l’Autre Livre, en2003, qui compte aujourd’hui plus de centcinquante éditeurs.Nous avons aussi été à l’initiative de lacréation d’une structure de diffusion-distribution pour les petits éditeurs.Malheureusement, cette entreprise, tropmodeste, n’a pas su résoudre réellementcette question cruciale pour les éditeurs.Mais il nous semble indispensable depoursuivre ce travail pour promouvoirune autre édition et s’imposer face auxmastodontes du métier.Dès notre création, nous avons soulevé laquestion de la coopération entre éditeurspour mener à bien de grands projetscomme la publication des œuvres com-plètes de Marx. Nous essayons, chaquefois que nous le pouvons, de favoriser lescoéditions avec d’autres. Des revues,comme La Pensée ou Ecopo, des éditeurs,comme les éditions Delga dans ledomaine des sciences humaines (deuxtitres pour l’instant : Domenico Losurdoet Annie Lacroix-Riz), des Maisons de lapoésie (Anthologie de la poésie palesti-nienne, Les poètes et la guerre d’Algérie).

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des livres, des revues...

Un éditeur au cœur de la lutte

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Il nous semble indispensable decontinuer et de développer cestentatives d’entraide et de sou-tien entre éditeurs afin que viveune édition critique, nécessairepour penser une alternative aucapitalisme.L’année 2012 a été particulière-ment difficile pour nous, dansun contexte d’aggravation de lacrise. Le changement du tauxde la TVA sur le livre a été unvéritable coup de massue pourbon nombre de maisons, entraînant des retours mas-sifs de la part des libraires. Nous aurions pu faire face,lutter comme nous nous sommes toujours efforcés dele faire, mais nous venons de rencontrer un sérieuxincident de parcours lié à un litige prudhommal avecune ancienne salariée et associée qui pourrait nouscontraindre au dépôt de bilan.Ce serait une issue malheureuse. Pour les trois sala-riées, bien sûr, pour les auteurs et au-delà pour tousceux qui sont attachés à l’existence d’une maisond’édition comme la nôtre qui contribue à faire vivre,sans dogmatisme, le marxisme, dans sa pluralité de« pensée devenue monde » comme disait HenriLefebvre. Ce qui caractérise notre politique éditoriale,dans tous les domaines (politique, théorie mais aussi

poésie et roman) c’est un fort esprit d’internationa-lisme et d’ouverture au monde et aux autres.Aucun désaccord personnel ou politique ne saurait jus-tifier la destruction de notre maison d’édition. Lapérennité du Temps des Cerises, dans les circonstancesprésentes, dépend de la réaction de tous ceux qui sesentent concernés par son existence. Le Temps desCerises n’a jamais été « la maison d’édition du parti »,c’est une maison d’édition indépendante fondée pardes intellectuels communistes ou proches du PCF. Maissi on entend « communiste » au sens du courant qui tra-verse la culture française, le Temps des Cerises n’a pasd’hésitation à se dire éditeur communiste. À ce titre,son existence ne peut laisser indifférents les militants etresponsables du PCF.

Bonaparte est unfactieux ! Les résistants au coupd’État, Mazamet, 1851Vendémiaire ÉditionsRÉMY CAZALS

PAR YOHANN CHANOIR

Ce livre est l'histoire d'une résistance, d'une résistancedoublement oubliée. D'une part, parce qu'elle a échoué.Et, d'autre part, parce qu'elle émanait des « petits », des« humbles », des ouvriers, elle n'a laissé guère de tracesdans l'historiographie. Rémy Cazals, spécialiste connu etreconnu de la Grande Guerre, évoque donc dans ces pagesla résistance au coup d’État de Louis-Napoléon Bonapartedu 2 décembre 1851 dans la petite ville du Tarn deMazamet. Il s'attache, par une analyse détaillée desarchives, à rendre audibles les « paroles d'en bas ». Dansun essai d'histoire sociale, coutumière à l'auteur, pourlaquelle il milite au sein du Collectif de recherche inter-national et de débat sur la guerre de 1914-1918 (CRID 14-18) pour renouveler l'approche sur la Grande Guerre, l'au-teur évoque d'abord le contexte social lourd des années

précédant le coup d'État. La lutte contre la dégradationdes salaires et des conditions de vie, le combat contre lesnouvelles machines, ont développé comme un réflexe dela contestation en même temps que l'habitude de pren-dre la parole. Résister à Mazamet s'inscrit donc bel et biendans une tradition. Le combat de 1851 a échoué et l'his-toire de la résistance devient, hélas, celle d'une répres-sion : internement, surveillance, proscriptions, déporta-tions en Guyane et en Algérie qui équivalaient à unecondamnation à mort sans bourreau. Dans le tableausordide de la terrible répression qui s'abat sur les parti-cipants, on découvre que les ouvriers du textile n'étaientpas les seuls. On rencontre aussi des notables acquis à lacause républicaine, bien que cette dernière eût fait cou-ler, avec abondance le sang ouvrier en 1848 et supprimérapidement le suffrage universel (masculin). Le livre mon-tre donc que la République est une idée jamais bornée,jamais achevée, qui repose sur un projet même fruste,hier à Mazamet, plus achevé, comme aujourd'hui enFrance. L'ouvrage de Rémy Cazals constitue un apportdéterminant pour celles et ceux qui veulent connaîtrecette petite ville et une période de son histoire, mal trai-tée et maltraitée, tout en offrant un élément capital pourde fécondes et nouvelles comparaisons d'échelle régio-nale et nationale, ou pour s'inspirer quand l'idée mêmede résistance semble impensable.

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LA REVUE DU PROJET - MARS 2013

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CRITIQUESDésirs, répressions et liberté.

Dialogue avec Dany-Robert DufourNotes de la Fondation Gabriel-Péri

PAR SHIRLEY WIRDEN

À l'occasion de la sortie du nouvelouvrage de Dany- Robert Dufour :

L'individu qui vient… après le libéralisme, la fondationGabriel-Péri a fait paraître en octobre 2012 un dialogueavec l'auteur intitulé Désirs, répressions et libertés tenu le3 mai 2012. La thèse principale du livre est que le triomphedu libéralisme économique est en lien direct avec la glo-rification sans fin des désirs. La méthode de l'auteur està la fois héritière de la psychanalyse, de la philosophiepolitique et de la philosophie du langage. Spécialiste desprocessus symboliques, il souhaite réfléchir aux grandsrécits qui fondent notre culture.Dany-Robert Dufour condamne avec fermeté le libéra-lisme économique. Selon lui, ce n'est pas seulement unedoctrine économique mais bien une pensée totale des-tructrice. Le libéralisme s'évertue à lever tous les inter-dits moraux au profit de la pléonexie (le désir de vouloirtoujours plus). La société de consommation au traversnotamment de la publicité mais aussi de la téléréalité,exacerbe les pulsions, tente de les libérer au profit del'achat. Or, le refoulement des pulsions par la symboli-sation, l'acceptation de la contrainte pour être libre estle principe de la civilisation. L'exhibition constante estle moyen pour passer d'une culture répressive à une cul-ture incitative. L'auteur semble vouloir retrouver uneforme de régulation en prônant l'invention d'une nou-velle forme de l'État, contre les thèses léninistes. S'il honorele programme du CNR que les gouvernements successifstentent de détruire, il critique la tentative foucaldiennede désinstitutionalisation. Selon lui, désinstitutionalisa-tion et dérégulation vont de pair. L'auteur prône le retourd'une certaine forme de libéralisme politique. Se défen-dant pourtant d'être réactionnaire, il critique dans lamême logique les revendications de levée totale des inter-dits lors de mai 1968.Il s'agit en fait dans son ouvrage de dénoncer la fausseéquation : vices privés = vertu publique. Le libéralismeapparaît comme une religion, une promesse de la richesseinfinie (théorie qui justifie en partie la théorie de la finde l'histoire de Fukuyama). Le libéralisme veut se fairemorale de l'égoïsme qui serait le seul moyen de la richessecollective. Or, l'expérience a prouvé que cela était faux :richesse personnelle oui mais crise pour les autres. Lelibéralisme s'inscrit dans la ligne d'Adam Smith : l'égoïsmeserait le fondement du lien social, les agents sociaux netravaillent que par égoïsme.Pour lui on s'est libéré de la nostalgie du désir du pèrejouisseur, évoqué par plusieurs psychanalystes et anthro-pologues comme Christian Geffrey dans le Nom du maî-tre, de façon sauvage par une déterritorialisation aux airs

deleuziens, par la marchandisation. La marchandise seraitdevenue le nouveau Maître.

Robespierre. Portraits croisésArmand Colin, 2012.MICHEL BIARD ET PHILIPPEBOURDIN (DIR.)

PAR JEAN-BAPTISTE LE CAM

Ecrite dès les lendemains immédiatsde la mort de l'« Incorruptible »,notamment par des Conventionnelsdésireux de faire oublier leur propre

responsabilité dans l'application des politiques répres-sives de 1793-1794, la légende noire de Robespierre n'acessé d'être reprise tout au long des XIXe et XXe siècles,y compris sous la forme déguisée de vérités scientifique-ment établies. Or en ce début du XXIe siècle, elle se portetoujours à merveille et continue d'avancer masquéeauprès du grand public. Ainsi, en septembre 2011, larevue Historia, qui prétend faire oeuvre de vulgarisationhistorique, osait consacrer un dossier à « Robespierre :le psychopathe légaliste ». Deux ans auparavant, Pierre-Yves Bournazel, conseiller municipal UMP de Paris, s'abri-tant sous l'autorité scientifique de François Furet, moti-vait son refus de voir une rue de la capitale prendre lenom de Robespierre en qualifiant ce dernier de « crimi-nel jugé devant l'histoire » dont l'action aurait inspiréles purges de Staline. Enfin, le 23 janvier 2013, France 3diffusait pour la troisième fois en moins d'un an uneémission intitulée « Robespierre : bourreau de laVendée ? ». On pouvait y entendre d'autoproclamés his-toriens n'hésitant pas à proférer les pires inepties sansle moindre fondement scientifique, faisant de Robespierreun « tyran », un « dictateur », qui aurait été le principal« inspirateur » des massacres de Vendée, lesquels préfi-gureraient les « Einsatzgruppen » nazis. Robespierre n'estplus seulement le précurseur du stalinisme mais aussiun Hitler avant l'heure !Dès lors, dans ce contexte où les fables, les caricatures,les anachronismes et autres raccourcis aberrants sur l'ac-tion de Robespierre peuvent s'appuyer sur d'importantsrelais médiatiques et politiques, la publication deRobespierre. Portraits croisés. est particulièrement bien-venue. En quinze articles synthétiques, clairs et doncparfaitement accessibles à un public large, dix-sept his-toriens spécialistes de la Révolution française et issus dedifférentes universités, dressent des portraits théma-tiques, nuancés et, surtout, contextualisés de l'action etdes positions de Robespierre en tant qu'avocat, militant,député ou membre du Comité de Salut Public. Plusieursarticles font un sort à l'image du Robespierre tyran san-guinaire, inspirateur et unique responsable des violencescommises sous la Terreur. Ils montrent ainsi qu'elle relèvede la caricature et absolument pas d'une vérité scienti-fiquement établie, tout en soulignant que relayer cettefable peut être un moyen redoutablement efficace pour

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MARS 2013 - LA REVUE DU PROJET

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« Claude Levi-Strauss »Europe, n°1005-1006

PAR VICTOR THIMONIER

Il est toujours délicat d'écrire sur ClaudeLévi-Strauss, pourtant on ne s'en prive pas.La revue Europe tente dans ce numéro une

mise à plat des nombreux ouvrages qui sont sortis, desnombreuses déclarations qui ont été faites depuis le décèsde l'ethnologue en 2009. Les nombreux essais que contientla revue permettent de recentrer la pensée de Levi-Straussdans le monde d'aujourd'hui qu'il considérait à la fin desa vie, avec le regard pessimiste de celui qui n'a pas réussià se faire entendre comme il l'espérait. L'article de WiktorStockzowski, est particulièrement instructif, il remet lespendules à l'heure sur l'épineuse question du socialismede l'ethnologue. C'est toutes ses déclarations d'admira-tion à la pensée de Marx qui sont ici démantelées. WiktorStockzowski rattache la pensée de Lévi-Strauss au « révi-sionnisme » marxiste d'Henri De Man, figure ambiguëdes années 1920, à la fois président du Parti ouvrier belge(POB) et collaborateur en 1940, tout en donnant à com-

prendre le développement de la pensée humaniste del'ethnologue à partir de cette influence originelle. C'estbien à l'exégèse d'une œuvre qu'on se livre ici. Un longentretien avec l'anthropologue Carlo Severi entre parfoisen contradiction avec l'article de Wiktor Stockzowski, enparticulier sur la question du marxisme de jeunesse, maiscet entretien permet aussi de reformuler le rôle de l'an-thropologie comme acte permettant de « subsumer l'en-semble des sciences sociales ». On remarquera dans cenuméro que le débat sur l'œuvre protéiforme de l'ethno-logue n'a pas fini de s’alimenter. Enfin, il est fait une largeplace à la théorie esthétique du structuralisme, au tra-vers notamment d'une analyse d'un tableau de Poussinpar Lucien Scubla. Ici c'est bien l'anthropologie structu-rale qui se livre au jeu de l'analyse de tableau, bien qu'ony soit habitué par Jean-Louis Schefer et autres, l'exerciceest toujours étonnant. On notera aussi l'intérêt des pagescréations de la revue qui ne cessent d'étonner à chaquenuméro. La nouvelle de Marc Pondruel, Le vieux taxianglais du Boulevard Beaumarchais, est une ode à l'ima-gination. C'est l'esprit qui s’emballe à partir d'une chosevue, pour donner libre cours à son désir d'histoire.

discréditer des pans entiers de l'expérience révolution-naire, voire toute idée et tout projet de transformationprofonde de la société. Cet ouvrage nous rappelle parailleurs que Robespierre est un homme de son temps,que ses combats et son action politiques sont partagéspar d'autres que lui et ne peuvent se comprendre si onles sort de leur contexte, qu'il s'agisse de défendre l'ac-cès à la citoyenneté politique des libres de couleur, delutter contre la pauvreté et la misère ou de mettre en oeu-vre une dictature provisoire sans dictateur au nom de ladéfense de la République.

La grange-aux-BellesMaison des syndicatsÉditions Créaphis, 2012DANIELLE TARTAKOWSKY, JOËLBIARD

PAR NINA LÉGER

Retracer toute l'expérience de la CGTdepuis 1906 dans le but de se loger

et de se financer : c'est là l'objet du livre de DanielleTartakowsky et de Joël Biard. Une des conditions de l'éman-cipation des travailleurs, c'est un syndicalisme indépen-dant. L'expérience de la Bourse du travail, sous autoritédu préfet, a été de ce point de vue peu concluante pour laCGT, exclue en 1906. La commission désignée pour trou-ver une solution de relogement va louer une usine désaf-fectée sise au 33 de la rue de la Grange-Aux-Belles. Les tra-vaux – considérables – à peine terminés, la propriétairemeurt : l'immeuble doit être vendu. La CGT contourne laloi de 1884 interdisant l'accès à la propriété aux syndicats

en créant une société en nom collectif, et c'est ainsi qu'ennovembre 1907, la CGT devient propriétaire. De l'expul-sion de la CGT de la Bourse à la construction de la Boursedu travail de Montreuil en 1989, l'idée d'une constructionambitieuse, d'un espace où l'on est « chez soi », polyva-lent, lieu de culture et de lutte, de travail et de loisir estrécurrente. Les différents achats sont toujours penséscomme provisoires dans l'attente de cette constructiondésirée mais hypothétique. La constitution en juin 1914d'une société anonyme dont les actionnaires sont des délé-gués des syndicats marque la fin de l'amateurisme qui pré-valait auparavant. La bonne gestion du patrimoine durantla guerre, associée à la forte syndicalisation des années1920 vont permettre d'acheter d'autres bâtiments dont le211, rue LaFayette, mais aussi ce qu'on appelle alors « letriangle sacré » : l'angle de l'avenue Mathurin Moreau etdu boulevard de la Villette où on trouve aujourd'hui le siègedu PCF. Les auteurs, à partir de sources très majoritaire-ment administratives, nous montrent comment se tradui-sent les ambitions, les oppositions et les luttes d'influencespolitiques dans la gestion pratique d'un patrimoine consti-tué de haute lutte. Si l'on devine ce que pouvait être ce« triangle sacré » où se trouvaient le PCF, des syndicats, laLigue contre l'oppression coloniale et l'impérialisme, puis,pendant les années fastes du syndicalisme que furent cellesde l'après 1936, toute la nébuleuse antifasciste ; on aspire,une fois l'ouvrage fermé, à en savoir plus sur les modesd'occupation des lieux. Les auteurs en conviennent parailleurs, et disent leur déception de ne pas avoir trouvéd'autres types de sources. Ils l'expliquent notamment parle caractère provisoire de la Maison des syndicats. Voici unouvrage qui permet de découvrir un aspect méconnu dusyndicalisme et qui, après avoir ouvert une voie, appelle às'y engouffrer pour creuser encore la recherche.

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