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Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1990 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 3 juil. 2020 07:17 Jeu Revue de théâtre 4 e Quinzaine internationale du théâtre de Québec «Une fête de théâtre par tous et pour tous» Jean-Louis Tremblay Numéro 57, 1990 URI : https://id.erudit.org/iderudit/27300ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Cahiers de théâtre Jeu inc. ISSN 0382-0335 (imprimé) 1923-2578 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Tremblay, J.-L. (1990). 4 e Quinzaine internationale du théâtre de Québec : «Une fête de théâtre par tous et pour tous». Jeu, (57), 112–122.

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Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 1990 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 3 juil. 2020 07:17

JeuRevue de théâtre

4e Quinzaine internationale du théâtre de Québec«Une fête de théâtre par tous et pour tous»Jean-Louis Tremblay

Numéro 57, 1990

URI : https://id.erudit.org/iderudit/27300ac

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Éditeur(s)Cahiers de théâtre Jeu inc.

ISSN0382-0335 (imprimé)1923-2578 (numérique)

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Citer cet articleTremblay, J.-L. (1990). 4e Quinzaine internationale du théâtre de Québec : «Unefête de théâtre par tous et pour tous». Jeu, (57), 112–122.

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4e quinzaine internationale du théâtre de québec : «une fête de théâtre par tous et pour tous»

Salle rf 6, présenté à la Quinzaine internationale du théâtre de Québec par le Théâtre Pouchkine d'Union soviétique. Un spectacle «remarquable par le naturalisme, poussé à ses ultimes limites, que le metteur en scène, Youri Eriomine, a imprimé tant au jeu des acteurs qu'au dispositif scénique». Photo : Felix (Paolo Felicetti).

«La quatrième Quinzaine internationale du théâtre de Québec, une fête de théâtre par tous et pour tous» : c'est ainsi que s'exprimait la directrice générale de l'événement, madame Rachel Lortie, lors de l'ouverture du festival qui s'est tenu à Québec du 18 mai au 3 juin 1990. Depuis la précédente Quinzaine, la direction se débat comme un diable dans l'eau bénite pour justifier ses choix. Accablée par les uns, considérée avec une certaine dérision par les autres, appuyée avec abnégation par une grande partie de son entourage, la directrice tente toujours de prouver aux gouvernements qui la subventionnent et au public qui la suit que son festival possède des caractéristiques qui lui sont propres et soutient que sa vocation n'est pas de présenter un théâtre pour initiés seulement, mais des spectacles qu'on ne voit pas dans les autres festivals. Même s'ils revêtent quelquefois un caractère commercial, on s'assure, dit-on, de leur très grande qualité.

Au cours de cette quatrième Quinzaine, on aura vu des spectacles aussi différents que Djan, parabole épique d'un peuple qui, parti à la quête de son identité, s'enlise dans un désert physique et moral jusqu'à ce qu'un Moïse contemporain venu de Moscou lui indique le chemin qui le sauvera, et l'Illusionniste, un texte de jeunesse de Sacha Guitry qui ne cherche qu'à plaire au petit bourgeois parti en goguette dans le Paris écervelé de l'entre-deux guerres; le texte maladroit d'un auteur qui a produit de bien meilleures choses. À des spectacles aussi grandioses que Medea présenté par le Dùsseldorfer Schauspielhaus, on opposait le banal monologue d'un amateur de hockey; À Julia, dont la première coïncidait avec l'inauguration de l'événement, certaines productions qui roulaient depuis des mois, presque des années. Rien dans ce melting pot ne serait anachronique, s'il n'y avait ces prix qu'on attribue le dernier soir et qui, obligatoirement, mettent en concurrence des éléments au demeurant incomparables.

Personnellement, j'avais choisi pour une première fois de m'y plonger totalement, ce qui supposait de voir tous les spectacles, d'aller à toutes les tables rondes et conférences de presse, en fait de devenir un «festivalier» à part entière. J'en suis sorti enchanté, car, en deux semaines, j'avais pu assister à la représentation d'une histoire vivante et illustrée du théâtre contemporain : spectacles de style épique ou naturaliste, inspiré de Stanislavski ou de Grotowski; dans la tradition anglo-saxonne ou celle du boulevard français. J'avais vu évoluer là, devant moi, de superbes comédiens qu'un tour du monde ne m'aurait pas permis de rencontrer; j'ai pu discuter avec eux, suivre leur démarche professionnelle. Tantôt, j'ai partagé tous ces plaisirs avec un public d'initiés, tantôt je me suis laissé emporter par l'enthousiasme de salles combles.

Bien sûr, un tel programme ne va pas sans déceptions mais, pour qui est familier de telles manifestations, il apparaît normal que des moments d'enthousiasme et de déception se succèdent. L'important, c'est que ces derniers ne l'emportent pas.

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les grands courants contemporains Au cours de cette Quinzaine, plusieurs compagnies ont présenté des spectacles dont la forme était parfaitement définie, offrant ainsi au spectateur le plaisir de retrouver ou de découvrir un style, un genre, qui appartient à quelque grand courant de l'art théâtral contemporain.

C'est avec une pièce de style réaliste anglo-saxon, À Julia de Margareta Garpe, que s'est ouverte la Quinzaine. Présenté ce soir-là en première publique, le spectacle semblait tiré à bout de bras par des comédiens (Andrée Lachapelle, Linda Roy et Paul Savoie) que ne soutenaient ni les circonstances — un bruyant orage déferlant sur la tente du Bois de Coulonge — ni la mise en scène de Michèle Magny qui aurait dû étoffer la banalité du texte, plutôt qu'enliser les comédiens dans un arbitraire jeu de va-et-vient, situé dans le no woman s land d'une mauvaise scénographie de Michel Demers. Alors qu'il était impératif de sentir le territoire de la mère et de la fille, surtout au moment difficile de leur séparation, trois pièces sans cloisons accaparaient tout l'espace du théâtre. Fort heureuse­ment, le talent d'Andrée Lachapelle nous a permis de partager quelques moments d'émotion avec cette femme déchirée entre son rôle de mère et celui de comédienne, cette actrice vieillissante chez qui le téléphone ne sonne plus.

Le Théâtre Pouchkine, venu d'Union Soviétique, nous a présenté l'adaptation d'une nouvelle de Tchekhov, Salle n" 6, dans un esprit tout à fait «stanislavskien». En Union Soviétique, le spectacle était audacieux, car il se voulait une attaque virulente contre le totalitarisme et l'incapacité d'une société à accepter sa marginalité; ici, il était surtout remarquable par le naturalisme, poussé à ses ultimes limites, que le metteur en scène, Youri Eriomine, a imprimé tant au jeu des acteurs qu'au dispositif scénique.

Déjà, le lieu même de la représentation avait quelque chose d'éminemment troublant. Amenés en autobus depuis le Palais Montcalm, les spectateurs se retrouvaient dans un quartier éloigné que le plus québécois des Québécois ne fréquente pas nécessairement tous les jours. C'est là qu'avait lieu le spectacle, dans une partie désaffectée de l'ancienne École Technique, avec des murs sales, des

Woyzeck, «restitute] dans le cadre d'un cirque avec chapiteau et piste» par le Théâtre de la Ville, de Genève. Spectacle mis en scène par Bernard Meister et présenté â la Quinzaine internationale du théâtte de Québec. Photo : Jésus Moreno.

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Lear, présenté par le Tartana Teatro d'Espagne â la Quinzaine. «Les matériaux bruts utilisés pour [la] fabrication [des marionnettes géantes] accentuaient la dimension tragique et angoissante du spectacle.»

espaces vides où flottaient des odeurs nauséabondes, une obscurité gênante. Une enfilade de pièces et de couloirs pour arriver dans une salle au centre de laquelle se dressait un immense quadrilatère formé de planches à claire-voie qui permettaient d'apercevoir au centre cinq hommes, malades internés, qui croupissaienr sur le sol.

Si le quatrième mur était une règle d'or dans le naturalisme russe, on a poussé ici le principe jusqu'à considérer les spectateurs comme des intrus, à oublier leur présence «officielle», en les plaçant dans une situation de voyeurs tout autour de l'aire de jeu.

Ce jeu, bouleversant de vérité, obligeait le public à entrer dans l'action, à souffrir avec les malades, à ressentir l'injustice dont le docteur Ragin était victime, à se révolter contre l'oppression du pouvoir. Au bout d'à peine une heure, comme s'ils avaient été surpris par les gardiens du cachot, les spectateurs étaient chassés de la salle. Aucun applaudisse­ment, aucune envie de crier «bravo», seulement une grosse boule dans la gorge, comme savent faire naître les grands moments d'émotion.

Dans un style tout à fait autre, le Théâtre de la Ville de Genève présentait un Woyzeck d'après l'oeuvre de Georg Bùchner. Ici, c'était Brecht lui-même qui semblait tirer les ficelles du triste destin de Johann Christian Woyzeck. Resituée dans le cadre d'un cirque avec chapiteau

et piste, la pièce offrait, par la succession de ses quelques dizaines de numéros, ses «songs», ses acteurs qui, tout à coup, s'arrêtent de jouer pour sortir de scène, une illustration extrêmement convaincante du style épique tel que le définit déjà l'histoire théâtrale contemporaine. Un spectacle où il était difficile de s'émouvoir, car, dès que pointait l'émotion, on s'efforçait de changer l'état d'âme du spectateur.

Recomposée à partir de fragments de textes laissés par Bùchner à sa mort, la pièce reprend les thèmes classiques des grandes fresques épiques : aliénation de l'homme dans une société qui l'écrase, injustice du destin, dérision de la vie militaire, fourberies des tenants du pouvoir. L'actualité du sujet étonne, d'autant plus que l'auteur est mort en 1837. C'est grâce au metteur en scène, Bernard Meister, que la pièce est apparue aussi contemporaine; par une mise en scène alerte, il a fait de cette histoire bien triste un spectacle amusant où se détachaient l'interprétation remarquable du bonimenteur, Michel Rossy, qui donnait, à coups de fouet, le rythme du spectacle, et celle de Michou (il faut se rappeler que nous sommes au cirque), le cheval noir qui ouvre le spectacle et le ferme, emportant le fils de Woyzeck vers un monde qu'on souhaite meilleur.

Dans un style contemporain aussi, l'Illusionniste de Sacha Guitry, que présentait le Théâtre des Bouffes Parisiens avec Jean-Claude Brialy dans le rôle titre, aurait pu être un exemple intéressant du théâtre de boulevard et s'inscrire comme un moment agréable et divertissant de cette Quinzaine; malheureusement, la production n'a vraiment pas donné ce à quoi nous pouvions nous attendre : un spectacle avec la mécanique, le brio, la facilité gratuite, le rire au porteur qu'exige le genre. Cette pièce de Guitry, qui, je pense, n'a jamais été reprise auparavant, et pour cause, est mal construite et n'offre que l'intérêt de montrer l'amertume et le cynisme qui semblent avoir habité l'âme de son auteur et qu'une parfaite maîtrise d'écriture a par la suite habilement masqués. Comme interprète, Jean-Claude Brialy «désillusionna» un public venu en curieux pour le voir en chair et en os; personne ne fut dupe de son jeu alourdi et de cet air désabusé qu'il affichai :, laissant voir au public tout l'ennui que lui donnait le fait de devoir «performer» en province ou reprendre brièvement un spectacle après

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plusieurs mois d'arrêt. Par contre, en table ronde, il s'est révélé un conteur aussi habile qu'éblouis­sant. Le public aurait certainement préféré ces racontars un peu «mémère» à un spectacle bâclé, facile, sans intérêt aucun : une triste erreur de ce festival.

à l'heure du chassé-croisé européen Prélude à l'Europe de 1992, l'art devançant les politiques, c'est aussi un chassé-croisé des cultures du vieux continent que présentait cette Quinzaine : les Espagnols reprenaient à leur manière un Lear bien britannique, les Yougoslaves une Nastassya Filippovna inspirée de Dostoïevski, les Russes le mythe de Phèdre, les Grecs les personnages de Choderlos de Laclos dans un texte de l'Allemand Heiner Muller, alors que les Allemands du Dùsseldorfer Schauspielhaus revenaient aux sources du théâtre avec Medea , réécrit par Hans Henry Jahnn.

En reprenant le personnage de Lear, le Tartana Teatro d'Espagne dénonçait les malheurs que provoquent les abus du pouvoir. Ici, c'est à Lear plutôt qu'à Gloucester que des brigands crèveront les yeux; ce n'est qu'à ce moment-là que, devenu aveugle, Lear pourra voir la réalité de son destin et atteindre, comme Œdipe, à une certaine grandeur morale. Carlos Marquerie, le metteur en scène, a ramené l'action à un peu plus d'une heure et choisi de dissimuler les acteurs derrière d'immenses marionnettes. Les matériaux bruts utilisés pour leur fabrication accentuaient la dimension tragique et angoissante du spectacle. Bien que l'esprit shakeaspearien ait été parfaitement respecté et que la production ait fait preuve d'une imagination tout à fait intéressante, il était facile de ne pas y adhérer peut-être à cause du texte qu'on ne comprenait pas, de la musique qui soulignait trop la dimension

Quartett de Heiner Muller mettait en scène le «duel» de la Marquise de Merteuil et du Vicomte de Valmont. Spectacle créé par le Théâtre Attis de Grèce, présenté â la Quinzaine en 1990.

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Nastassya Filippovna d'Andrzej Wajda, mis en scène par Mira Ertsig. Spectacle présenté par le Théâtre national de Belgrade lors de la Quinzaine internationale du théâtre de Québec.

incantatoire du spectacle ou d'un certain essoufflement qui survient quelquefois en fin de parcours, car ce spectacle était un de ceux qui clôturaient le festival.

Par ailleurs, dans Quartett, les personnages de Laclos étant devenus, grâce au cinéma, familiers du public, il était facile, même en grec, de sentir toute la force qui imprègne le duel de la Marquise de Merteuil et du Vicomte de Valmont, les deux seuls personnages que Heiner Muller a retenus de l'œuvre pour en faire un spectacle d'une intensité presque insoutenable. Passions des personnages, destruction, jalousie, humiliation, séduction, désespérante angoisse, tout y était pour mousser le véritable enjeu de la pièce : une recherche d'identité qui amènera les deux personnages à troquer leur sexe en troquant la robe de mariée contre l'épée. Autant la pièce a pu toucher les uns par cette incroyable explosion de forces intérieures d'une violence extrême, autant elle est demeurée un habile exercice de style pour ceux qui en ont davantage remarqué la facture intellectuelle.

Les Yougoslaves du Théâtre national de Belgrade sont venus présenter les personnages russes de Nastassya Filippovna, un texte d'Andrzej Wajda mis en scène par Mira Ertsig. Cela a d'ailleurs prêté à confusion, car tout le monde croyait aller voir un spectacle portant la prestigieuse signature de Wajda. Ce n'était pas le cas, celui-ci n'étant, en fait, que responsable du texte, qu'il a tiré de l'œuvre de Dostoïevski et dont il a gardé deux seuls personnages avec l'héroïne : Rogojine et le prince Mujchkine.

Même si Nastassya Filippovna exprimait par la danse et le geste un personnage muet et evanes­cent, les propos de ses deux amoureux auraient eu intérêt à être compris, malgré le déploiement scénique qui partageait les scènes de délire où Nastassya Filippovna revient hanter les deux hommes et celles de leurs discussions. Ce n'est qu'à la toute fin que le spectacle prenait une dimension politique, lorsque Rogojine, vêtu en soldat, tire sur Mujchkine. Ce geste significatif aurait été plus troublant si le propos nous avait été plus accessible.

Alors que le Yougoslave Wajda s'inspire d'un personnage russe, c'est vers la Grèce antique que s'est tournée la poète Marina Tsvetaieva pour nous offrir une Phèdre qu'est venue présenter Alla Demidova avec le Théâtre de la Taganka. Le spectacle ne présentait pas les mêmes difficul­tés, car, aussi théâtral fut-il, on y retrouvait un important travail gestuel qui rappelait l'art de Maurice Béjart et Martha Graham. Alla Demi­dova, qu'on se plaît à nommer «la diva des divas russes», apparaissait comme le centre et le pivot de cette représentation, jouant à la fois le person­nage de Phèdre, l'auteur du texte, la poète Marina Tsvetaieva et l'actrice qu'elle est.

Malgré des ratés de départ importants (décors retardés par la grève du transport routier, éclai-

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rage dont l'imprécison tranchait sur la rigueur de la mise en scène), Alla Demidova nous est apparue comme la grande comédienne que sa ré­putation avait annoncée, capable, dans une langue que nous ne comprenions pas, de nous émouvoir, de nous tenir en respect pendant plus de deux heures, admiratifs. Ce fut un grand moment de cette Quinzaine. Que la Taganka ait réussi, sans artifices, à susciter tant de moments intenses de communion, à diffuser tant d'énergie, de grâce artistique, demeure ce qui impressionne le plus dans cette production de Phèdre.

Ce qu'a fait aussi le Dùsseldorfer Schauspielhaus en reprenant le mythe de Médée, mais avec des moyens colossaux. Ici, la tragédie s'incarne dans les douleurs contemporaines : le pouvoir de la jeunesse, l'angoisse de la décrépitude dans un corps vieillissant. Médée a fait don à Jason, son mari, de l'éternelle jeunesse. Il sera beau, attirant; jusqu'à la fin, il pourra paraître nu en scène et s'adonner avec ses fils aux jeux ambigus de la lutte, tandis que Médée, dont le corps est ravagé par le temps, se couvrira d'un long manteau noir. Quand elle s'en départira, ce sera pour montrer un corps peint de la tête aux pieds de tatouages, symbole aussi de son étrangeté raciale.

Werner Schroeter, le metteur en scène, a orchestré une cérémonie qui amène Médée, délaissée par Jason, à égorger ses deux enfants dans un paroxysme de cruelle sensualité. La production spectaculaire au-delà de toute exigence pouvait, par là même, entraîner

Alla Demidova, «la diva des divas russes», dans la Phèdre de Marina Tsvetaieva présentée à la Quinzaine par le Théâtre de la Taganka d'Union soviétique. Photo : A.Sternin.

Peter Lohmeyer (Jason) et Barbara Nusse (Médée) dans Medea, mise en scène par Werner Schroeter et présentée à la Quinzaine internationale du théâtre de Québec. Photo : Bermbach/Rothweiler.

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Françoise Faucher et Louise Marleau dans Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, mis en scène par Jean Salvy et présenté par le Théâtre du Gafé de la Place dans le cadre de la Quinzaine. Photo : André Le Coz.

«Lorraine Pintal a su rendre vivante une évocation biographique souvent fondée sur des lettres en conférant une réelle structure dramatique à la vie [de Madame de Maintenon].» Sur la photo : Lorraine Pintal dans Madame Louis 14. présentée par la Rallonge à la Quinzaine internationale du théâtre de Québec. Photo : André Panneton.

un affaiblissement de l'effet recherché, le public ressentant, au détri­ment de l'émotion, une certaine indifférence devant pareil déploie­ment. Néanmoins, il apparaissait évident que Medea remporterait le prix du meilleur spectacle.

le volet canadien et québécois À côté de toutes ces productions, la plupart montées avec des moyens importants — les moyens appropriés, dirait-on —, les spectacles canadiens et québécois apparaissaient comme les parents pauvres de la Quinzaine. Des pièces intimes, souvent à un ou deux personnages, constituaient principalement le volet maison, comme si c'était là l'essentiel de notre théâtre. La raison en est, semble-t-il, que les troupes canadiennes et québécoises doivent assumer seules les frais de leur venue à Québec. On est alors en droit de se demander pourquoi l'organisation du festival a si bien réussi à convaincre les étrangers de la valeur de l'événement et si peu nos gouvernements. Pourquoi ne dispose-t-on pas de budgets permettant de présenter des spectacles d'ici, dont la valeur soit comparable à celle de Medea du Dùsseldorfer Schauspielhaus ou de Salle n° 6 du Théâtre Pouchkine?

Dans le cadre de ce volet «intimiste» de la manifestation, le Théâtre de la Place proposait Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, adapté d'un

court roman de Stefan Zweig et mis en scène par Jean Salvy. Comme la distance prise par rapport à l'œuvre romanesque n'était pas assez importante, nous sentions davantage la présence de la prose que celle du dialogue. Personnellement, j'aurais préféré entendre lire le texte par Françoise Faucher ou Louise Marleau (les deux interprètes) que de le voir artificiellement dialogué.

Pour ceux qui ne connaissaient Gratien Gélinas que de nom, c'était l'occasion de voir jouer cet illustre homme de théâtre québécois, mais c'était là le principal intérêt, peut-être même le seul, de la Passsion de Narcisse Mondoux, qui n'avait pas sa place dans le cadre de ce festival. C'est aussi le cas du monologue de Kenneth Brown, adapté par Michel Garneau, la Vie après le hockey, qu'un comédien, se définissant lui-même comme amateur, défendair correctement. André Roy nous livrait d'un trait ce long récit d'un fanati­que du hockey, qui en arrive à imaginer une carrière éblouissante dont l'aboutissement serait de marquer le but gagnant de la série Canada-Russie. Le texte aurait dû cependant dépasser l'anecdote pour atteindre à une dimension poé­tique (l'auteur y arrive, mais demeure trop réser­vé quand il décrit le ciel obscur des plaines de l'Ouest) ou politique (tout le problème des francophones hors-Québec était là, latent). Des idées naissaient sans s'épanouir, des avenues s'ouvraient sans qu'on s'y engage. C'est d'autant plus malheureux que certains bons éléments

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auraient permis de dépasser le caractère amateur de la représentation, dont le jeu du comédien et le langage qui, quelquefois, s'est révélé malgré tout intéressant.

Il m'est resté de cette sélection «locale» le beau monologue de Madame Louis 14 où Lorraine Pintal, comédienne et auteure, fait revivre ce personnage souvent demeuré dans l'ombre qu'est Madame de Mainte­non, dont l'influence s'est étendue au-delà de la cour de Versailles et du règne du Roi Soleil. Lorraine Pintal a su rendre vivante une évocation biographique souvent fondée sur des lettres en conférant une réelle structure dramatique à la vie du personnage; de plus, en interprétant avec une égale vérité la préceptrice, la confidente, l'amante, elle nous a transmis du personnage l'intelligence subtile, la sensibilité, et elle nous a suggéré sa présence influente dans les domaines culturel et politique.

Venue de Winnipeg, la troupe du Théâtre Primus présentait Jour de canicule, travail de recherche axé sur les principes d'Eugenio Barba. Les comédiens ont fait un stage de trois mois à l'Odin Teatret, au cours duquel ils ont préparé cette production. Faute d'avoir assisté à un spectacle de ce maître à penser du théâtre contemporain, il m'est impossible d'évaluer l'écart ou l'étroite parenté qu'il peut y avoir entre le maître et les disciples. J'ai cependant, en dehors de cette précieuse référence, apprécié l'invention et la discipline du Primus, que d'autres ont pu, par snobisme, minimiser. Le rituel qu'on nous présentait, variantes sur une cérémonie de mariage, demeure familier à chacun de nous pour ses composantes essentielles. La cérémonie, en soi banale, acquérait une dimension théâtrale quand, par des chants, des danses, des jeux acrobatiques, elle tentait de faire apparaître la symbolique enfouie sous les rites. Pour ce faire, elle interpellait des personnages venus de l'antiquité classique ou empruntés à la mythologie danoise, ceci devant conduire à une réflexion sur les comportements nord-américains en cette matière. Un spectacle bien rodé, techniquement parfait, sans prétention autre que celle de nous livrer le résultat de ces mois de travail avec Eugenio Barba.

Enfin, la production du Théâtre Niveau Parking, Un sofa dans le jardin, mettait en lumière une autre forme de recherche, inscrite dans les préoccupations actuelles. Il s'agissait de traiter l'angoissant problème de la survie de l'espèce sur un ton qui serait celui du pur diver­tissement. Tâche difficile à laquelle s'adonne la jeune compagnie de Québec qui tient à ce que toutes ses productions aient cette double sa­veur.

Dans le spectacle offert à la Quin­zaine, le Théâtre Niveau Parking gagnait encore une fois son pari en

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Jour de canicule (Dog Day), «travail de recherche axé sur les principes d'Eugenio Barba», présenté par le Théâtre Primus de Winnipeg à la Quinzaine internationale du théâtre de Québec. Photo : Sarah Crawley.

nous présentant une famille peu ordinaire : une fille qui se passionne pour les dinosaures, une mère obnubilée par la télévision, un père qui fait sa fortune à la collecte des ordures, un oncle paléontologue. Le portrait de famille, cocasse en lui-même, devient irrésistible en s'animant, mais tout au fond demeure la question que chaque spectateur a envie de se poser devant la quantité de sacs «à vidanges» qui s'accumulent sur la scène : jusqu'à quand cette bonne vieille planète pourra-t-elle tenir le coup?

pour conclure Il me resterait à vous parler de trois spectacles pour que le tableau de cette dernière Quinzaine soit complet. Malheureusement, je n'ai pas vu le Trésor boréal, présenté en coproduction par le Théâtre Repère et Azimut 96°. Djan non plus, à cause d'un changement d'horaire; mais il semble que ce spectacle ait été à la hauteur de la réputation enviable que s'est créée le théâtre issu d'Union Soviétique. Quant à Die Pfarrhauskomôdie de Heinrich Lautensack, présenté par le Théâtre National de Bavière, c'est un spectacle qui m'a laissé dans un tel état d'indifférence que je ne suis pas arrivé à trouver drôle cette histoire de curés sautant leur ménagère, ni à être touché par les drames cruels qui s'y jouaient. Peut-être qu'une connaissance de l'allemand aurait pu me la révéler, mais je garde le sentiment que cette comédie grinçante atteindrait mieux un public qui serait encore astreint au joug catholique.

Plusieurs bons coups, donc, et quelques ratés. Si l'on repense à l'objectif de départ, tel que le définissait la directrice générale de la Quinzaine, «une fête de théâtre par tous et pour tous», on peut dire qu'il a été atteint. Au cours de ces deux semaines, chacun a pu trouver matière à satisfaire son appétit dramatique. Que certaines productions aient été décevantes, cela est souvent affaire d'appréciation, et normal, sauf pour une ou deux erreurs plus manifestes.

Avec Un sofa dans le jardin, le Théâtre Niveau Parking s'est donné comme tâche de «traiter l'angoissant problème de la survie de l'espèce sur un ton qui serait celui du pur divertissement» . Photo : Yvon Mongrain.

Djan, spectacle présenté à la Quinzaine par le Théâtre expérimental de la jeunesse de Turkménie.

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En dépouillant l'ensemble des critiques, je constate qu'une grande majorité de voix ont été largement favorables aux différentes représentations. Le public, pour sa part, a assez bien suivi, sans qu'on puisse dire cependant que l'événement ait encore pris racine dans le milieu théâtral québécois. Je pense à ce sujet qu'il y aurait lieu de déployer de grands efforts pour amener les comédiens de Québec à s'investir davantage dans le festival. Il apparaît aussi essentiel que la participation canadienne et québécoise se hisse à la hauteur des spectacles étrangers. Enfin, la notion de théâtre populaire mériterait d'être mieux cernée. Il reste bien sûr qu'un festival de cette envergure est plus facile à régler sur papier qu'à édifier en partant avec son bâton de pèlerin pour en assurer la réalisation.

jean-louis tremblay

LISTE DES PRIX Meilleure production : Medea du Dùsseldorfer Schauspielhaus. Meilleure mise en scène : Bernard Meister pour Woyzeck. Meilleure scénographie : Merdangouli Amansakhtov pour Djan. Meilleure production canadienne : Théâtre de la Rallonge pour Madame Louis 14. Meilleure comédienne : Krista Posh dans Die Pfarrhauskombdie. Meilleur acteur de soutien : Michel Rossy dans Woyzeck. Meilleure actrice de soutien : Goulnabat Achirova dans Djan. Prix spécial du jury : Salle n° 6 du Théâtre Pouchkine. Prix spécial du jury : Theodorous Terzopoulos pour la mise en scène de Quartett.

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