Quinzaine litteraire

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La Quinzaine littéraire propose la chronique d’ouvrages principalement contemporains, appartenant aux champs des lettres, des arts, ou des sciences humaines. La valeur littéraire de ses articles, leur signature prestigieuse, mais aussi la consignation de paroles inédites – notamment sous forme d’entretiens – ont indéniablement marqué le monde de l’édition et la vie intellectuelle de ces quarante dernières années.

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SOMMAIRE

• L. LIV••O. LA eUI.ZAI••

5 BO.A.S "BA.ÇAIS

•• LIT'rIi:.A'l'U••

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1.

Il

18 A.TS

11 .88,A1.0 BCOROMI.POLITleU.

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.......IG•••••'!".5

Svetlana Allilouyeva

Philippe BoyerAlbert Cohen

Léon Edel

H. P. Lovecraft

Mouloud Mammeri

Jean Tardieu

Edmond Jahès

Pierre Cabanneet Pierre RestanyFernand Benoit

NorthroD Frve

François Quesnay

Donald N. Michael

Fernand Braudel

Milovan DjilasSacha SimonGeor!!es Bortoli

Pierre Daumard

Hu!!Uette Bastide

Shakespeare

En une seule année

Mots d'ordreLes valeureru

Une lettre d'André Gide

The lile 01 Henry JamesThe treacherow years1895-1901Maud-EtJelyn.La mort du lionUn portrait de lemtt&eGustave FlaubertDagon et autrf!$ récitsEpouvante et surnaturelen littératureInvecrah

Les isefra, poèmes deSi Mohand-ou-MhandPoèmf!$ à jouer (Théâtre II)Les porlf!$ de toile

Elya

L'Ot1ant-garde au XX" siècle

Art et Diewc de la Gaule

Anatomie de la critique

Tableau éeonomiquedesPhysiocraIesu.s.A. 1985

Une sociéIé imparfaiteLa g~f!UTe SOI1ÏétiqueVivre ci Moscou

Le priz de renseignementen Fnmœlnslilutriœ th villGge

Biehard fi

par Maurice Nadeau

par Lionel MirischDar .losane Duranteau

par Diane Fernandez

par Serge Fauchereau

par Michèle Cote

par Claude Bonnefoy

par Philippe Bover

par Marcel Billot

Dar Jean Selz

par Anne Fabre-Luce

Bernard Cazes

par Michel LutfalIa

par François Châtelet

par Janina Lagneau .par M. F.

par Louis, Arenilla

.par Michèle Albrand

par Georges Perec

par Gilles Sandier

Crédits photographiques

La ~inzaiDe-

François Erval, Maurice Nadeau.

Comeiller : Joseph Breitbach.

Comité de rédaction :Georges Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Fernandez, Marc Ferro,Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :Anne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaïde Blasquez.

Rédaction, administration :43, rue duTemple, Paris·4·,Téléphone: 887·48-58.

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Directeur de la publicationFrançois Emanuel.

Imprimerie: Graphiques Gambo.

Printed in France

p. 3

p. 6

p. 7

p. 9

p. Il

p. 13

p. 15

p. 17

p. 21

p. 22

p. 25

p. 28

Magnum

Gallimard

D. R.

D. R.

L'Herne

Vasco

Bernard Carrère

Arthaud

D. R.

Calmann-Lévy

Mercure de France

Bernand

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LE LIVRI!: DII:

La fille de StalineLA QUINZAINE

1Svetlana AllilouyevaEn une $eule annéetrad. du russe (remarquable~ent)

par Nadiejda GneditzRobert Laffont, éd., 396 p.

Le passag~ de la, fille deStaline à l'Occident et la pu­blication de Vingt lettres à unami ont fait tant de bruit qu'onsemble en être désormaisquitte avec l'événement: àQreuve le peu d'empresse­sement à signaler ici et làt'intérêt exceptionnel des nou­velles confidences de Svet­lana Allilouyeva. On s'estpeut-être dit aussi qu'ellen'avait plus rien à révéler, ouque, réfugiée aux Etats·Unis(. entre les mains des Amé­ricains .), vomie par son pays(qui vient de lui retirer lanationalité soviétique) , ellene pouvait qu'être conduite àtirer le profit maximum durôle de vedette qui lui estéchu. Pour un camp, contrel'autre, n'est-elle pas deve­nue, en outre, a r me deguerre?

StleIlGnG AUiluyeiIG e~ aoB c mari,. indien.

Ces préventions s'évanouissent àla lecture d'En une seule année, auton d'évidente sincérité de l'auteur,à la sympathie que peu à peu ilsuscite. Pour feindre les sentimentsqu'elle montre, il faudrait à Svet·lana moins de naïveté, et si l'onétait porté à croire qu'elle a détestéson père en tant que principal res­ponsable du suicide d'une mèrequ'elle adorait - après tout, cen'est pas une mince raison -, onconstate qu'elle n'est pas plus en­fermée dans les histoires de famillequ'elle n'a paru l'être, pendant dix­sept ans, entre les murs du Krem­lin. L'école, l'Université, les amisqu'elle s'est choisis, ses propres ob­servations et réflexions, ses préoc­cupations, la droiture qu'on lui voitet l'attention qu'elle porte à sonprochain, autant de sources oud'éléments qui ont formé son juge­ment et l'ont menée à condamner,outre son père, le régime dont il futpendant plus de vingt ans l'incarna·tion. Etre fille du dictateur ne luia pas facilité les choses. Ce n'estpas un mince mérite que d'avoirréussi à l'oublier soi-même commeà le faire oublier à ses condiscipleset amis.

Ce ne sont pourtant pas les vuespolitiques qui l'ont menée là où elle.se trouve présentement. Commebeaucoup de cette génération desfils et petits-fils, elle n'a que désin·térêt ou même mépris pour ce donts'occupe une poignée de nantis :dix familles, dit-elle, pas plus, etqui forment un~ nouvelle classe deseigneurs, administrant ce qu'ilsapeellent encore Révolution ouSocialisme et qui n'est plus pourelle que mensonge, exactions, escla­vage,,_ au sein d'un des régimes lesplus rétrogrades qui soient. En rom·pant avec ce régime et en cherchantrefuge à l'étranger, Svetlana n'a faitque profiter des circonstances. Sesamis auraient-ils eu les mêmes pos­sibilités : ils n'auraient pas manquénon plus de saisir l'occasion auxcheveux.

Ce qui les anime, c'est moins uneidéologie, ou même un idéal, quel'impossibilité de continuer à pOr­ter un carcan qui limite leurs mou­vements, comprime leurs pensées,étouffe leurs désirs les plus natu­rels, les empêche de vivre. Le paysde li: l'internationalisme proléta­rien » a été en fait coupé du monde,et il cuit dans son jus millénaire de

chauvinisme grand.russien, d'anti·sémitisme, de xénophobie. Ce queLénine appelait la « com-vantar­dise) (une propriété qu'ont lescommunistes de se croire plus ma·lins que tout le monde, et de don·ner leurs ordres à l'Histoire) estvenue corser ce bouillon de sor­cières.

Pour Svetlana, qui n'a d'autreambition que de vivre libre et heu­;reuse, tout autre pays ou régimeparait un paradis : l'Inde misérableet ses castes, la Suisse aux horizonslimités, l'impitoyable Amérique oùelle se voit exposée nue et impuis­sante à la curiosité de la foule.Quand elle caractérise le climat del'URSS, elle n'y va pas par quatrechemins : « La police secrète aufoyer, à la cuisine, à l'école. Au­dessus de tout ça un homme ( ... )qui, avec quelques complices, avaitreconverti notre pays en une prison,dans laquelle tout être vivant, dèsqu'il pensait un tant soit peu, étaitassassiné... ».

Elle hait son père et les éternelsbeni . oui - oui ne manquerontpas de la taxer de « délire anti·communiste ». En fait, elle haitseulement ceux qui empêchent les

autres de vivre. Son état habituelse caractérise plutôt par une bien­veillance diffuse pour l'humanitéentière et une attention particulièreà l'égard de ses amis, surtout ceuxqui, parmi eux, figurent les victi­mes. Elle a, de plus, la tête solide­ment fichée sur les épaules, et l'ona du mal à reconnaître en cettefemme brave, franche et lucide, lanévrosée ou l'aventurière que dé­noncent Kossyguine et ses acolytes.C'est bien pourquoi, d'ailleurs, sesparoles portent, avec une force quepossédaient seuls jusqu'à présentl'auteur du Premier Cercle, celui duVertige, celui encore de l'Accwé;elles possèdent l'acceIlt inimitablede la vérité, on ne doute pas qu'el­les soient la vérité, quelque souf­france qu'on ait à voir celle-ci gi.sant parmi les débris des espoirspiétinés. Une fille qui se voit repro­cher par· son père de tenir des« propos antisoviétiques» quandelle sait ce que signifie une telleexpression tombant d'une telle bou­che n'a pas envie d'employer lelangage des théoriciens : elle ap­pelle « contre·révolution » ce qui asuccédé à la Révolution de 1917, et

~La Quinzaine littéraire, du 16 IIU 28 /étlrûr 1970 3

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«Ch•• lui, le premier mouvement était toujoura prémé­

dité: aSlI&ssiner 8es adversaires. Pour le reste, on verrait

plus tard».

,~ La fllle de Staline

contre·révolution comme il n'yeneut jamais de plus ample, de plushypocrite, de plus sanguinaire.

Ce n'est pas d'un coup que lesécailles lui 99nt tombées des yeux.Enfant préféré du dictateur, jus­qu'à son adolescence, elle étaitmoins préparée que personne à dé·couvrir la vérité. Il aura fallu lesuicide d'une mère, la déportationd'un premier amoureux, coupabled'être juif, l'envoi en Sibérie dedeux tantes « qui en savaient trop »et l'exécution de quelques oncles, lescoups de téléphone qu'on surprendet qui ne laissent aucun doute surla responsabilité du père en tantqu'assassin, la découverte de lavraie histoire de la Révolution etdu Parti alors que l'esprit se for·tifie et rejete les nourritures frela­tées, il aura fallu tout cela pourrefuser de continuer à croire queStaline incarne, comme on l'a en­foncé dans la tête de millions deRusses et d'autres millions d'hom­'mes à la surface de la terre, « cequ'il y a de plus beau dans l'idéaldu communisme D. « Chef génial »,doué d'une « toute-puissance infail·lible li ? Avant que son père meureet avant « les demi-efforts bientimides de cette tête de cochon fan·faron et bon bougre », Khroucht­chev, pour lever une partie du voiele, Svetlana sait que l'homme dontelle est la fille est un despote à lafaçon de ses prédécesseurs, les tsars,un tyran d'autant plus redoutable'VI'il règne au nom d'une idéologiequi prétend abattre toutes les tyran·nies. Déjà, lors de son entrée à

'l'Université, elle avait voulu se dé­barrasser du nom qu'elle portait :

.Stalina, et qui lui pesait (mais, auregard du Chef, elle sut immédia·'tement ce qu'il lui en coûterait), lepère, mort, elle le répudie en adop­tant le nom de sa mère.

Les circonstances dans lesquelles'elle 's'est échappée de Russie la pei­gnent autant que ses déclarations.Après avoir divorcé d'un deuxièmemari (le fils de Jdanov) et avoir euun enfant du premier comme dudeuxième, on ne saurait affirmerqu'elle tombe amoureuse du « vieilIndien malade D - il a dix-sept ansde plus qu'elle et elle va sur la qua·rantaine - qu'elle rencontre dansle couloir de l'hôpital où ils se fontsoigner tous deux. Il est déjà ex­traordinaire qu'elle rencontre unIndien dans < un hôpital et plusextraordinaire encore qu'elle ose luiparler. C'est l'ère post-krouchtche.

'. vienne : les étrangers (il s'agit demembres des partis frères) ne sont

plus comme du temps de Stalinesystématiquement parqués, bienqu'il soit mal vu de leur adresserla parole. Svetlana enfreint lesconsignes: la douceur de l'homme,le fait qu'il vienne d'ailleurs etqu'elle puisse parler avec lui enanglais, une certaine volonté de dé­fier les imbéciles de l'Appareil et defaire la nique au règlement, la fontse rapprocher de lui. Au point qu'ildevient question de mariage. Alors,les Kossyguine et les Souslov se fâ­chent. Une loi khrouchtchévienne,fruit d'une déplorable libéralisation,permet au mari étranger d'emme­ner sa femme. Voit-oJi la fille de'Staline préférer, un autre pays à sapatrie bien-aimée, s'installer enInde, et, qui sait ? faire des décla·rations à la presse? On renvoie

chez lui « le vieil Indien malade »(alors, dit Kossyguine, qu'il existetant de « sains et beaux jeunesRusses») et un an et demi s'écouleavant que, par faveur diplomatique,il revienne occuper un poste de tra·ducteur à l'Institut de Littératuremondiale. Il revient pour mourir.Pourquoi faut·il que Svetlana semette en tête de respecter l'enviequ'il avait de savoir ses cendresjetées dans le Gange et se proposeelle-même pour ce pieux devoir?

Passons sur la suite de 'l'histoire,pourtant passionnante et révélatri­ce, qui lui fait découvrir, dans levillage de Kalakankar, non, certes,« l'homme nouveau», mais deshommes vrais, et la fait aboutir ­après des heurts sans nombre, destracasseries infinies suscités parceux qui la tiennent au bout d'unelaisse, ses compatriotes, à l'am­bassade américaine de Delhi, puis,après un transit de plusieurs semai­nes en Suisse, aux Etats-Unis. Elleavait fait passer entre des màinsamies le manuscrit de ses VingtLettres, son seul viatique, et la voiciprécipitée IOUI le feu des projéCo

teurs. Expérience cuisante : « Lepassage de ma Russie du black-outau monde de la « liberté de lapresse » était si violent, et si brus·que, que j'avais l'impression qu'onm'avait écrasé les os ». Il lui fautfaire l'apprentissage du NouveauMonde, qui est aussi le monde capi.taliste, avec ses tares, ses injusti­ces, sa férocité. C'est lui qu'ellechoisit malgré tout en brûlant solen­nellement son passeport soviétique.Elle ne doute pas qu'une autresorte de solitude l'attend.

A mettre l'accent sur un person·nage, aussi attachant et sur sonaudacieuse aventure,' on risque deperdre de vue l'essentiel: l'extraor·dinaire document de première mainque constitue son ouvrage et la ré·vélation circonstanciée de ce qu'est

la vie en URSS, tant dans les hau·tes sphères que dans l'intelligentsiaet parmi les non-conformistes.Svetlana brosse à nouveau un por·trait de son père, plus nuancé quedans les Vingt lettres, mais sansdoute plus féroce : c'était, dit-elle,« essentiellement un homme sansinstruction », un ignorant qui tran­chait de tout sans rien savoir etqui avait le redoutable pouvoir de« simplifier les choses », de les « ré.duire au niveau pratique ». « Chezlui, dit-elle encore, et cela fait froiddans le dos, le premier mouvementetait taujours prémédité : assassi·ner ses adversaires. Pour le reste,on verrait plus tard D. Cette même« simplicité », on la' retrouve dansla vision que Staline se faisait desautres : « il y a les plus forts quesoi, dont on peut avoir besoin ; ceuxde même force, chez qui il fautvoir des gêneurs, et les moins fortsque soi, qui ne servent à rien D.

Sauf dans les dernières années desa vie, où le délire de persécutionl'emporte, il est un homme froid et 'raisonnable, maître de ses émotions,

"désintéressé et même ascétique pour

tout ce qui ne regarde pas son uni.,que passion : l'exercice du pou.voir, absolument dépourvu de touttrait diabolique : l'expérience duséminaire lui a appris à considérerles hommes comme un troupeauqu'il faut « abuser pour le tenir àsa merci», une conception ultra­primaire du marxisme lui a fourniun certain nombre d'autres recet­tes. « L'invention d'un monde mi­cachots mi-casernes, voilà le fin dufin des « immenses mérites histori­ques D de mon père D. Encore unefois, elle ne prétend pas avoir latête politique.

Les dignitaires du régime (pau­vres dignitaires qu'un clin d'œil dumaître envoie ad patres) jouissentd'énormes privilèges pour le tempsoù ils sont en faveur et, apparais­sent comme les délégués de la toute­puissance. Pour Svetlana qui les aapprochés de très près, ce ne sontque de pâles, marionnettes (commeMolotov qui va jusqu'à' dire ouià la déportation de sa femme : ellea le tort d'être juive), ou des inca­pables, comme Kaganovitch - quifait raser les plus beaux monumentsde Moscou - ou des faibles, com­me Jdanov, qui ont besoin d'uneforte armature dogmatique et qui,au besoin, la créent, ou des rouéscomme Mikoyan, ou des caractérielscomme, Béria. Tous ignorants d'uneréalité qui ne passe pas la porte deleurs luxueuses datchas (ors, marebres, tentures, tapis et porcelaines,collections coûteuses) et tous par­faitement cyniques. A la diffé~nce

des Boukharine, Zinoviev, Radek- qui ont aidé Staline à se hisserau pouvoir - ils ont continué deplier l'échine et s'en félicitent :c'est grâce à une obéissance de tousles instants qu'ils ont pu survivre,fût-ce en tremblant.

Plus rafraîchissante est la peineture que fait l'auteur de ses amis :Andrei Siniavski, avec qui elle tra­vaillait étroitement à l'Institut delittérature mondiale et dont elle aosé prendre publiquement la défen­se; Berta, fille d'un Noir et d'uneJuive américains - révolutionnai·res enthousiastes des années trente- que les bureaucrates voudraienttransformer en uzhèque en dépit dela couleur de sa peau (laquelle luivaut d'ailleurs maintes avanies) etqui devient spécialiste de l'Afriquesans avoir pu y mettre le pied;Alyocha, le musicien qui n'a jamaispu se faire entendre et sa mère, p0é­tesse qui n'a jamais eu le droit depublier; les savants de l'atome etdes fun dont les RU88e8 ignorent

~

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ROMANS

La ftlle~ de Staline Une forme ouverte

FRANÇAIS

w. QuiDame Jj.t~,.ue, du 16 GU " livmr 1970

.. CALMANN-LEVY1

ARTHUR InESUER

les principesd'économie

politiquePréface de

J. -F. Faur!t-Sou/et

14.40F

à paraitre :

TURGOTécrits économiques

J.-B. SAYcours d'économie politique

QUESNAYle tableau

économiquedes physiocrates

Préface deMIchel Lutfalla

11.40F

MALTHUS

reuses, et la moins énigmatiquen'est pas cette femme vêtue denoir (la mort?) qui marche lanuit dans les rues de la ville, sa·chant bien que celui qui la re·garde finira par la rejoindre.

L'amour joue donc, lui aussi et,bien sûr, avec la mort. Comme, ausein de l'Organisation omnipré.sente et à laquelle chaque individuest peut-être affilié sans le savoir,les bourreaux jouent avec leursvictimes (les uns et les autres inter­changeables). Le Patron de l'Or.ganisation, qùi ne quitte guère sa« bibliothèque » (et observatoire)paradoxalement débarassée detous les livres, est aussi la marion­nette de ceux qu'il dirige, jusqu'àce qu'il soit mystérieusement mis« hors jeu ». .

Ces quelques coups de sonde nepeuvent rendre compte que de cer­tains aspects de ce livre, riche,.complexe et difficile. C'est cetterichesse, .cette complexité et cettedifficulté (qui ne frôle la gratuitéqu'à cause de partis pris trèsactuels de présentation), que pré­cisément ils tendent à souligner.La mer est profonde, et son fondaccidenté, mais les eaux sont pois.sonneuses, et chacun doit y fairebonne pêche: il suffit d'être atten­tif et patient.· Il y a enfin, dansMots d'ordre (un ordre que Phi­lippe Boyer, en véritable écrivain,a imposé aux mots : son ordre),une volonté presque musicale, unlyrisme sous-jacent, qui donnentaux jeux de l'intelligence la di·mension plus humaine d'une bles­sure.

Lionel Mirisch

Le démonde Socrate.

1Philippe Boyer

Mots d'ordre

Change

Seuil éd., 216 p.

Ce que l'on peut dire d'un tellivre est donc terriblement sujetà caution, subjectif. Dans sa cons·tante mobilité (bonds en avant,bonds en arrière, frissons de peurou de désir qui ne cessent de trou·bler la phrase la plus limpide),dans la remise en cause, d'unepage à l'autre .et jusqu'à la der­nièrp., jusqu'au dernier mot, detout ce qui a été dit avant, cet ou­vrage n'offre au premier abordqu'un chatoiement de questionssans réponse, un perpétuel débatvenu de sphères de l'esprit où vivreest particulièrement incommode.C'est le jeu, et il faut l'acceptercomme tel, comme ce « jeu dupendu» qui, réduit longtemps àun rôle contrapuntique, surgit à lafin comme l'activité essentielle,(ré)génératrice, et dont la solution(éventuelle mais plausible) est :un objet auquel on n'aurait paspensé jusque.là, de désir tendu,visant au centre (ici même) : nevisant désormais qu'un but ima·ginaire, toujours sûr de l'attein­dre. Cet objet c'est l'arc, suggère­t·on. Mais pourquoi pas la penséecréatrice, ou même le stylographe ?Et le but, pourquoi pas le livreà écrire?

Le but, pourquoi ne serait-ce pasnon plus une femme rêvée, derêve, avec qui un accord tacite peromet. enfin l'apaisement, donc lesilence (le livre se termine sur cet« accord») ? Car, auprès des troishommes de ce roman, hommes quisont bien évidemment le même,en trois faces, phases, de sa vie,quantité (une société,. un monde)de femmes désirées vont et vien­nent, blondes et brunes toutes

_ sculpturales, hiératiques, dllnge.

Forêt de symboles ou récitd'aventures, roman d'amour oudébat ontologique sur le livre quis'écrit? Mots d'ordre, le premierroman de Philippe Boyer,. neHotte pas entre ces possibilités,il semble chercher plutôt à lesrassembler, à intégrer tous les pos­sibles, et si solide que soit sa subs­tance, il demeure une forme ou­verte que seul l'interprète, le lec­teur, s'y glissant, aura le droit defermer sur soi, derrière soi, poursoi.

les noms ; Essénine-Volpine, fils dupoète fameux et mathématicien, quia trouvé une forme originale decontestation : il réclame et exige lerespect de la loi; Fanny Nevskaia,l'actrice au franc-parler qui brocar­de les importants. C'est là le tissuvivant dont est faite une Russie quiexistait déjà du temps de Tolstoi etde Dostoïevski, et qui vit, travailleet souffre, aspire à la liberté.li( Quand tu rentreras chez toi,Andrei, écrit Svetlana à l'adressede Siniavski, tu retrouveras ta fem­me, ton fils, tes amis. Ta place enprison sera prise par ceux qui ontcondamné un écrivain innocent.Telle est l'histoire de Russie, sinis­tre, inexplicable, grotesque ».

Pourtant, le dictateur a fini parmourir. Chose inouïe : il a mêmeété officiellement condamné en rai­son de ses « crimes ». Dès que « lafoudre frappa le sommet de la mon­tagne », écrit Svetlana, « on entre­prit de respirer, de parler, de pen­ser, on se mit à se promener, dansles rues, d'un pas naturel. Moiparmi eux ». On croit que « le jour~tait arrivé de ne plus tremblerpour sa vie, celle de sa famille,celle de ses amis », et les libéra­teurs se présentent en foule : Béria,Malenkov, Kaganovitch, Molotov,Boulganine. Après quelques révolu­tions de palais, Krouchtchev l'em­porte et c'est poussé par tout uncourant qu'il révèle l'envers du dé­cor précédent. Lui aussi, hélas!avait été complice : il s'aperçoitqu'à vouloir « tout mettre sur ledos du mort formidable », c'est«discréditer formellement le Par­ti» et parce qu'il n'a pas le cou­rage d'y faire des coupes sombres,le Parti, menacé, se retourne toutentier contre lui. Révolution hon­groise, révolte des étudiants géor­giens et révolte des ouvriers deNovotcherkassk : voici Khroucht­chev entre deux feux. Et qui s'ap­plique à scier la branche sur la­quelle il est assis. Après quelquesannées, où du moins l'air du dehorsa pu pénétrer jusqu'à revigorer l'in·telligentsia, la chape retombe. Pourcombien de temps encore ?

La réponse, comme la conclusiondu livre de Svetlana Allilouyeva,appartiennent à l'avenir. Et cha­cun sait, Svetlana la première, quec'est pure illusion de croire qu'onpeut se contenter de tirer indivi­duellement Sôn épingle du jeu. Ellea' raison de faire confiance aux« hommes· d'Espérance» dans leurcombat contre les «hommes deMémoire ». Mau1'ÎCe N~au

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Solal et MangeclousIN:f:DIT

1Alhert CohenLes valeureuxGallimard éd., 362 p.

Les Solal de Céphalonie, lié.par un cousinage qui les emplitd'orgueil; assument chacun dansson style propre la condition diffi.cile qui est celle des Juifs de laDiaspora.

Saltiel est un exemple de piété,de respect sans faille pour la Loidans son antique tradition. Salo·mon, petit homme ingénu quivend de l'eau d'ahricot, adoreDieu et sa création avec un en·thousiasme attendrissant et nondénué de quelque niaiSerie. Lésomhre Mattathias, convaincu quepour un Juif vivre est un luxe qui8e paie cher, amasse les sous avecune fixe âpreté, obsédé par le sen·timent qu'il n'aura jamais asezd'argent pour se racheter, en casde malheur. Michaël, toujoursluisant de transpiration, se voueà un donjuanisme sans frein :quand il paraît, les femmes aumoins démontrent qu'elles ne sontpas contaminées par l'antisémitis.me, - et Michaël vole de victoireen victoire'.

Quant à Mangeclous, - personanage de très haute fantaisie, granddévoreur, grand rêveur, myth,oma.ne, mégalomane, cyclothymique,toujours au bord de la gloire etde la fortune ou à deux pas dusuicide, péroreur incessant, - parsa truculence, sa grandiloquence,l'excès de ses élans comme l'excèsde son langage, - il fait penserparfois aux plus belles inventionsde Dickens, ou de Céline, ou deRabelais.

En reprenant la geste de cesValeureux, Albert Cohen avertitle lecteur que nous sommes cettefois en 1935, c'est-à-dire avantl'époque où se situe Belle 'du Sei.gneur. Et si le Solal de Genève(important personnage à la Sociétédes Nations) n'apparaît pas enpersonne dans ces pages, il estpourtant heaucoup' question delui, en son ahsence, puisque cehrillant neveu de Saltiel a envoyéaux Valeureux un chèque confor.tahle pour qu'ils se transportent àGenève auprès de lui.

Après des adieux emphatiquesà Céphalonie, Mangeclous ayant,devant le public, serré sur soncœur ses trois petits garçons enredingote et gihus, mais toujourspieds nus (<< pingouins », «pin.gouillons », dit le narrateur), les

Albert Cohen.

cinq cousins s'emharquent dansdes tenues houffonnes (frac, etsouliers à crampons, - ou hiensmokings,chaussures de tennis, etmasque d'escrimeur, par exemple)dont chacune, a été longuementméditée, son incohérence apparentecouvrant de profondes raisons, ­des raisons de sécurité.

Mangeclous emporte, avec forcevictuailles orientales, le titre pres­tigieux de recteur de l'Universitéde Céphalonie, - titre d'autantplus enviahle qu'il se l'est confé­ré lui.même, fondant ladite uni­versité dans son propre apparte­ment, à savoir trois caves en Èmfi­lade où il vit avec l'ohsèseRehecca son épouse «< je salue tescent vingt kilogs, jardin de moncœur »), les trois pingouillonsmerveilleusement intelligents (àsix ans Eliacin, l'aîné, poursuitles travaux d'Einstein, et réfuteavec autorité les thèses du princede Broglie), - et deux longuesfilles somnolentes, Trésorine etTrésorette, qu'on aura bien de lapeine à marier, vu leur absenceconjuguée de dot et de heauté.

Mais toute cette cocasserie, ­invention débridée, semhle·t.il ­déguise et en même temps révèleles contradictions de la conditionjuive dans ce qu'elle a, en fait, demoins amusant. Parfois, rarement,il est vrai, le récit crève commeune bulle, et le lecteur éhahi setrouve face à face avec AlbertCohen, qui pense à sa mort, à samère, à la guerre, aux désastresde l'extermination dans les camps.Le temps à 'peine d'entrevoir

l'écrivain à sa tahle, - et repa·raissent, haguenaudant, se cha­maillant, et prenant le Ciel à té·moin, les cinq Céphaloniens envoyage, grotesques, grandioses,solennels, tantôt haisant le solcrasseux de la France sur le quaide déharquement, et tantôt obser.vant une minute de silence devantla tomhe du Soldat inconnu.

Epris d'honnenrs et de recon·naissance officielle, ils s'appellenteux-mêmes « délégation françai.se» (puisque leurs papiers sontfrançais) ; ils écrivent au prési.dent de la République, et à lareine d'Angleterre, sollicitant sansrougir des titres, des fonctions"des décorations de toutes sortes.Mangeclous ne va-t-il pas jusqu'àbriguer une charge de cardinal"où il assure qu'il ferait merveille,- à condition, bien entendu,qu'on ne lui demande pas de seconvertir, car il est un hon Juif.

Nous ne sommes pas très loinalors de la raillerie d'un PatrickModiano, quand il invente les fol.les tentatives et les incroyablesprétentions de Raphaël Schlemilo­vitoh. Ici aussi, la difficulté d'êtrejuif se manifeste, par une extra­vagance qui n'est pas inexplicable.Le grand problème de l'adaptationqui ne doit pas être, pour le Juifreligieux, une assimilation totaleoù son identité se perdrait, - onen voit chez les Valeureux, la di·mension écrasante. Est·ce un pro­blème insoluble ?

Les Solal de Céphalonie, en 1935,rêvent d'un futur état juif. EtMangeclous s'interroge sur ce queseront les Juifs de cet état :« ...pourvu aussi qu'i:ls ne 'devien­nent pas trop bronzés. Ccu si tu esbronzé et heureux et blondinet, :tudeviens moins intelligent et en.quelque sorte hoUanJdais.» Indi­gné, Saltiel s'écrie: « Et parfaite­ment, mon cher, nous deviendronsnormaux, nous serons comme lesautres, nous ne serons plus étran­gers et malheureux ! »

« Et s'i'l me plait à moi d'êtreanormal et étranger! cria Mange.clous. Et pas comme les autres, etmême malheureux! Non, mon­sieur, je ne renoncerai pas à cethonneur! Anormal je suis, anor­mal je resterai, et grand profit mefasse !... »

L'orgueil et la mélancolie de cechoix se lisent en filigrane au longde ce roman plein de verve et dedrôlerie, où le comique n'est quela part visihle de l'iceherg.

/O$4Re DuranteGu

La lettre d'André Gide que nouspublions ne comporte ni date nisignature. Elle est adressée à LéonBlum, alors président du Conseil,et les événements auxquels elle faitallusion laissent penser qu'elle a étéécrite en décembre 1936.

Dans le « grand proscrit », onaura reconnu Léon Trotsky. Celui·ci avait bénéficié de l'exil politiquedans notre pays, de l'été 1933 auprintemps 1935, au milieu de tra·casseries sans nombre suscitées parles communistes français (1). Il estvictime d'une mesure d'expulsionaprès que Laval est revenu de Mos­cou, en mai 1935, où il a concluavec Staline les fameux accords surla nécessité pour la France de « poreter son armement à la hauteur desimpératifs de sa défense natio­nale ».

La Norvège, où le parti travail·liste vient de gagner les élections,accorde l'autorisation de séjourqu'avait sollicitée l'ancien compa­gnon de Lénine. Il débarque dansce pays le 18 juin 1935 et y écritla Révolution trahie. Entre paren·thèses, on trouve dans l'ouvrage cepassage sur Léon Blum et les « nou­veaux amis de l'URSS » :

Léon Blum, qui fut l'adver·saire du bolchévisme dam sapériode héroïque e t 0 u v ritles pages du Populaire aux cam·pages contre l'URSS n'imprimeplus une ligne sur les crimes dela bureaucratie soviétique. Demême que le Moise de la Bible,dévoré du désir de voir la facedivine, ne put que se prosternerdevant le postérieur de la divineanatomie, les réformistes, idolâ·tres du fait accompli, ne sontcapables de connaître et de re­connaître que l'épais arrière-trainbureaucratique de la révolution.

Trotsky, qui s'est engagé à ne pass'immiscer dans la politique inté·rieure du gouvernement norvégien,ne tarde pas, cependant, à ê.re l'ob­jet de mesures vexatoires et de per­sécutions. Le 6 août 1936 dans lanuit, alors qu'il était absent de sondomicile, une bande, officiellementqualifiée de « fasciste D, tente des'emparer de ses archives: les cam­brioleurs étaient déguisés en poli.ciers. La « droite» accuse les tra­vaillistes au pouvoir de donner tou·te facilité à Trotsky pour « fomen­ter la révolution et troubler les rela­tions internationales de la Nor­vège ». C'est précisément le mo­ment où des mesures restrictivespour sa liberté de mouvement etd'expression sont prises à l'encontre

Page 7: Quinzaine litteraire

Une lettre d'André Gide

,

(1) Un article de Jacques Duclospublié en décembre 1934 dansl'Humanité, parIait des «mainsde Trotsky couvertes de sang deKirov". «On salt que c',est Sta­line qui fit assassiner 80n' fidèledisciple et dauphin éventuel).

Léon Trot!ky

exprime dans Retour de l'URSS etRetouches.... Gide ne peut être in·sensible au sort d'un des deux prin•cipaux artisans de la Révolutiond'Octobre désormais condamné àl'errance et en butte aux persécu­tions de son tout.puissant advel'­saire. Déjà, avec Romain Rolland,Gide était intervenu en faveur deVictor Serge, grâce à eux libéré desprisons staliniennes. Et, dans unelettre à Jean Paulhan, récemmentpubliée dans la N.R.F.• il protestecontre un article de Cingria quiparlait dans cette revue avec un peutrop de désinvolture du « grandproscrit ». Si An~ Gide n'agit pasde sa propre initiative (la lettre quenous publions semble l'indiquer),du moins ne cache-t·il pas sa sym­pathie à l'exilé en un moment oùla plupart des intellectuels franç$dits de gauche tressent des couron·nes au· « Père des peuples » et ap­p~uvent bl'\lyamment les Procèsde Moscou. "

, Maitre Gérard Rosenthal nousfait remarquer que' Léon Blumn'eut pas à faciliter le transit deLéon Trotsky par la France"et pourcause : embarqué de fôrce vingt­quatre heures avant la date fixéepour le départ du bateau, LéonTrotsky, accompagné seulement desa femme. débarque le 9 janvier1937 à Tampico. Le voyage a durévingt-et-un jours. Il n'y a pas eud'escale.

c'est-à-dire des paiements des dif·férents éditeurs. Je vous remer·cie bien pour votre amitié agis­sante. Nous vous embrassons tousdeux chaleureusement. Nos sa­luts les plus cordiaux à tous lesamis. Qu'on envoie immédiate·ment a~ Mexique tous les maté­riaux et lettres. Salut et frater­nité! V'otre Léon Trotsky.

Léon Sedov, tout comme son pè-re, sera assassiné par les Servicessecrets staliniens, mais c'est le pèrequi survivra au fils, pour peu detemps, il est vrai.

On voit mieux le sens de la dé·marche d'André Gide auprès de sonami de jeunesse Léon Blum. Reve­nu d'URSS avec les sentiments qu'il

Trotsky, avant de s'embarquerpour le Mexique, craint pour savie. Il sait que Staline chercheraà l'atteindre par tous les moyens,fût-ce en plein Océan, et il envoieà son avocat parisien, notre amiMaitre Gérard Rosenthal, cettelettre qui en dit long :

(... ) Il paraît qu'on veut nousfaire partir demain. Je m'abs­tiens des commentaires sur lesconditions de ce départ. En toutcas je vous fais comme à monavocat la communication suivan­te : s'il nous arrive, à Nathalieet moi, quelque mauvais tour enroute ou ailleurs, c'est LéonSedov, mon ,fils, qui devrait d4·poser de tous mes « biens »,

La lettre d'André Gide à Léon Blum.

de l'e~é par le ministre de la jus­tice. Trotsky est finalement arrêtéet trans~rté au bord d'un fjordsous la surveillance de treize poli­ciers. Heureusement, le Mexiqueaccepte' de lui donner l'h~italité.

C'est qu'entre-temps avait com­mencé, précisément en août, le pre­mier" des Procès dits de Moscou.Zinoviev et' Kamen~v figuraientparmi les seize accusés à qui l'onreproche (faussement) de s'être misaux ordres de Léon Trotsky pourassassiner Staline, affamer le peu-

La Quiœaino littéraire. lu. 16 lm 28 fivrier 1970

pIe russe, faciliter l'invasion del'URSS par les impérialistes selondes directives données par Hitler etle Mikado. Trotsky, dans des arti­cles ou des déclarations à la presse,réduit à néant ces accusations fan.tastiques et révèle les vrais buts deSiaIine, ce qui ne plait ni' à l'inté­ressé ni au gouvernement soviéti­que, ,qui mettent en demeure legou_vernement norvégien d'expulser« l'indésirable » sous peine de voirle commerce maritime de la Nor·vège (4" flotte marchande du mon­de) boycotté. Les ministres socialis­tes s'inclinent: « Nous ne pouvonspas sacrifier à Trotsk..y:. les intérêtsvitaux du pays!» s'écrie l'und'eux.

Mon cher ami,On fait, de nouveau, appel à

notre amitié pour me demanderd'Intervenir auprès de toi : Ils'agit encore du grand proscrit.Après avoir refusé, le Mexiqueaccepte de l'hospitaliser, tu lesais. D'autre part il est à expira·

.tlon du bail (si j'ose dire) avecla Norvège; prêt à partir; maisgagner le Mexique n'est paschose aisée. La question se po­se -ou, du moins, on me de­mande officiellement de te laposer: le gouvernement françaislui accorderait-II le transit (avecprotection assuréè) le temps depasser d'un bateau sur un autre.

Forcé de quitter Paris ce soir,et regrettant de ne pouvoirattendre ta réponse, tu voudrasbien donner celle-cl à Magde­leine Paz qui saura la transmet­tre.

Dols-je 'ajouter qu'II y a ur­gence.

Bien avec toI.J'al, en vain, cherché à te télé­

phoner ce matin.

Page 8: Quinzaine litteraire

LITT••ATU••

Henry JaBles ou

Un Portrait de Femme,trad. par Philippe Nee!.Stock éd., 702 p.

Gustave Flaubert,trad. par Michel Zeraffa.L'Herne, 156 p.

Maud.Evelyn. La Mort du Lion.Introd. par Tzvetan Todorov,Trad. par L. Servicen.Aubier-Flammarion éd.

La scène

de la bougie éteinte

ges masculins sont relégués dansune aimable nullité ou entourés duprenant mystère (rich mystery) queconfère l'absence. Alors revient enmémoire cette .galerie de personanages évanescents qui n'eussentpoint existé tels quels si l'enfanced'Henry eût été düférente : le mariberné et boîteux de sa premièrenouvelle A tragedy of Error (1864)que sa femme veut faire assassi·ner; le sourd mentionné dans uncanevas des Carnets dont on espèrequ'il sera un mari complaisant etaveugle; le mari Touchett dominépar son épouse dans le Portrait deFemme; le père de Kate, LionelCroy, que James se reproche den'avoir pas assez fortement dépeintdans les Ailes de la Colombe «( Ilne fait qu'entrer et sortir, pauvreapparition qui aurait dû être belle,éblouissante, accablante»); les fi·gures du père absent, du tuteurdémissionnaire et du ft! '1tôme perovers dans le Tour d'Ecrou.

Non moins importante que la« faiblesse » de l'image virile pater­nelle (en regard de la présenceusurpatrice de William) apparaît lechoix des scènes conservées par lamémoire de James. Citons celle dela bougie éteinte: James avait en·viron dix ans, William onze, lors.que leur institutrice Lavinia leurapprit comment éteindre une flam·me en se saisissant de la mèche en·tre pouce et index. Expérience ja.lousement « épiée» par le cadet,que l'aîné reproduit aussitôt, maisqu'Henry se refuse à effectuer, augrand mépris de Lavinia. Bien sûr,lui dit-elle, vous avez peur. Vousn'êtes pas comme Lui. Episode oùl'on peut être tenté de voir tout unrés eau d'associations jamesien(flamme, bougie, peur, ressenti·ment) exactement comme dansl'Autel des Morts. Mais même sansprétendre se servir de cette « grai.ne» pour interpréter et conclureà une double castration (si le pèrea manqué, le frère et les femmesont marqué) on ne peut qu'êtresaisi par la singularité du terrainqui enregistre urie si bénigne humi·liation, par l'approche craintive etdétournée de l'action (la scène est« épiée », c'est la femme qui dirigeet le frère qui triomphe tandis quele prot;agoniste se refuse à l'épreuve

rabilité, et que James qualifie de« terrain» (sail) où le fait prendracine. Dans cette préface, le voca·bulaire de James s'inspire conti·nuellement du biologique (germe,graine, essence féconde, aiguillon,virus, idée-germe) comme s'il rap­prochait l'élaboration artistique dela gestation. Analyse de la créationqui donne à réfléchir: d'une partil apparaît combien serait artificielde dissocier la graine du terrain, lematériel de l'intelligence qui rem·ploie, en coupant le cordon ombi·lical entre l'écrivain et l'écrit puis­que c'est la sensibilité qui capte ouécarte; d'autre part on saisit comabien l'art et la vie, loin de s'oppo­ser, se nourrissent l'un de l'autre,l'art étant de la vie transfigurée.

De plus, les « ~vénements» nemanquèrent point dans la vie del'écrivain. Pour n'en citer que quel.ques·uns : en mai 1844, alors quele jeune Henry n'a qu'un an etdemi, son père a la vision d'une« forme fétide » tapie dans un coinde sa chambre, apparition maléfi·que qui «brisa sa virilité ». (Ilavait été, par ailleurs, amputé d'unejambe à treize ans). Mort en 1870,à l'âge de vingt.quatre ans, d'unedouce cousine angéliquement révé­rée, Minny Temple; mort, en1892, de la sœur cadette et bienaimée d'Henry avec qui « il se sen·tait marié », Alice James, quin'avait cessé toute sa vie d'oscillerentre la folie, l'appel du suicide etune passion frénétique de la vie.Mort, par le suicide, en 1894, d'uneamie et confidente de James, MissW0015On, qui se tue à Venise. Mê­me s'il n'y avait pas eu autant dedrames dans la vie de James (quoi.qu'ils expliquent l'importance quetient dans l'œuvre le culte desmorts), les mémoires (1) dont onparlait plus haut, si révélateursd'une démarche qui exige toujoursde remonter le cours du temps,montrent à quel point il n'existepas pour cette sensibilité si parti.culière de fait insignüiant.

Les quarante premières pages deA Small Boy and Others sont par­ticulièrement frappantes : les sou­venirs y sont évoqués, non pas àl'ombre du père, dont on a vu qu'ilétait lui·même un être diminué,fantomatique, mais à travers le frè­re ainé, William. De même on de·meure frappé pàr la vision des fem­mes, toutes dépeintes au premierplan, composant un monde matriar·cal impérieux, qu'elles soient fem­mes de la famille, nurses ou insti­tutrices, tandis que les personna-

De quelque façon que l'on ajus.te sa lunette, et à plus forte raisonsi l'on se sert de la lorgnette psy·chanalytique (une méthode commeune autre) ce qui ·ne cesse d'appa.raître chez James, c'est cette sub­tile interaction entre l'extérieur etl'intérieur dont tant de critiques ontdernièrement dégagé l'importancedepuis Jean Delay dans sa présenta­tion de la correspondance Martindu Gard-Gide jusqu'à· MarcelMoré dans son essai sur Verdi.

vISIOn; aussi bien écoutons Jamesparler de lui-même dans cette ad·mirable autobiographie qu'est ASmall Boy and Others écrite danssa vieillesse: « Mon principe domi·nant, je l'avoue, et celui par lequelje ne cesse aujourd'hui d'être gui­dé est que, dès qu'il s'agit de proje.ter une image, il n'existe point defragment, si minime soit·il, quin'ait son importance pour la mé­moire ou qui ne puisse servir dequelque façon à l'esprit... » Cesfaits minimes provoquent en Jamesdes « vibrations » grâce auxquellesl'écrivain est à même de composerson œuvre. Vibrations si ténues, sisubjectives, que Percy Lubbock,dans son édition des Lettres deJames met en doute la possibilitéd'écrire une biographie de James:seul l'auteur lui·même serait capa­ble de juger, de peser, de présen.ter les événements de sa proprevie.

Sur cette imbrication du vécu etdu créé, sur cette rencontre (uni­que) entre une certaine sensibilitéet le spectacle de la vie, Jamesinsiste d'ailleurs longuement danssa préface aux Dépouilles de Poyn­ton, texte capital pour saisir saconception de la création. Jamess'y explique sur la collaboration en­tre le fait et l'auteur fécondé, com­me sur celle entre l'auteur fécon­dant et le fait choisi : sans le créa·teur, le fait resterait parcelle per­due au sein du chaos. « Rien n'estmoins commùn qu'un œil perspi.cace, capable de discerner un su·jet... La vie étant toute inclusionet confusion, et l'art discriminationet sélection, ce dernier, en quête dela valeur latente et durable quiseule lui importe, flairera cettesubstance avec un instinct aussi sûrque le chien flairant la présenced'un os enterré ».

L'accent est donc mis sur la vi·sion, sur la qualité de celle.ci, surle tri que doit opérer la sensibilité,cette sensibilité dont on disait à lafois le caractère unique et la vulné.

Henry James, dont tout lesouci fut d'élaborer une tech­nique des points de vue, se·rait sans doute agréablementchatouillé de voir la multipli·cité d'approches que son œu·vre suscite. Si, au terme deson Introduction à MaudEvelyn et à La Mort du Lion,Todorov, avec la grâce d'unepirouette, conclut au sujet deJames ; • Aucun événementne marque sa vie; il la passeà écrire des livres; une ving­taine de romans, des nouvel­les, des pièces de théâtre,des articles. Sa vie, autrementdit, est parfaitement insigni·fiante (comme toute présen·ce) ; son ~uvre, absenceessentielle, s'impose d'autantplus fortement -, Léon Ede!,lui, vient de nous donner letome IV d'une remarquablebiographie à laquel.le il seconsacre depuis trente ans,dont chaque page dénote l'in·fluence de l'événement vécusur la scène de l'imaginaire.D'un même écrivain, il y a, nuldoute, plusieurs lectures.

A celle proposée. par Todorov,on peut opposer une autre appro­che qui mettrait autant l'accentsur le pourquoi de l'œuvre que surle comment, où le comment, dansune certaine mesure, serait com­mandé par le pourquoi. Points devue inconciliables ou complémen.taires ? Fidèles à l'esthétique jame­sienne, laissons au lecteur le soinde conclure.

Précisons tout de même combienil importe de ne point perdre l'au·teur lui·même de vue, sa singula.rité, la puissance unique de sa

ILéon EdelThe Life of Henry lame!,The treacherous Years1895·1901. N.Y. 1969.

111

Page 9: Quinzaine litteraire

la richesse des possiblesdu réel) que révèle cette scène en­fantine, symbolique de toute l'op­tique jamesienne.

Cette opproche indirecte du réel,qui a subi comme une altérationdans son trajet, nous la retrouve­rons dans la vision du monde qu'ontles personnages du Portrait de Fem­me. Isabel Archer communique àtravers la frigidité et le refus. Maissi elle incarne cette peur devantla vie, sur laquelle un du Bos a euraison d'insister, elle célèbre à safaçon la revanche de l'écrivain,prÏ$e grâce à la création, puisqueson personnage, ambigu, reste libred'évoluer dans le miroir du lec­teur : Isabel est-elle naïve ou pha­risienne (ou les deux); son expé.rience débouche·t-elle sur la con·naissance ou sur le masochisme (ousur les deux)? Autant de ques­tions, autant de réponses. Si Jamesest un nostalgique en proie à cequ'on pourrait appeler une névrosedu regret, n'est-ce pas d'avoir choisidès l'enfance de remplacer l'actionpar la contemplation ?

Ce choix est moins vécu commeune diminution que comme unpoint de départ pour de subtilescompensations. Evoquant le petitgarçon rêveur qu'il fut, Jamesécrit : li. Il pourrait avoir à se pri­ver de beaucoup de choses, et mê­me de tant de choses, comme c'estle cas de tous ceux pour lesquelsla contemplation prend à ce pointla place de l'action... mais en fait,je pense qu'il allait en tirer un pro­fit infini» (1). Cette ambiguïté duli: voyeur », à la fois délivré desépreuves et maître à bord sur lesplans spirituel et imaginaire est fla­grante chez le Ralph du Portrait.

James s'identifie également à despersonnages ~n apparence éloignés :la frêle silhouette de Pansy, esquis­sée, disponible, sert le" besoin ducréateur de se mirer dans l'ina­chevé, d'y contempler ses virtuali·tés, d'où, dans l'œuvre, toute unegalerie de doubles rajeunis grâceauxquels les protagonistes" vieillisfrôlent encore le futur. Et encore,James se retrouve jusque dans Ma­dame Merle, à qui il confie le soind'énoncer sa propre théorie de lapersonnalité; jusque dans la nar·ratrice de Maud-Evelyn, LadyEmma, li. prise au.. spectaCle D d'unemacabre li. fantaisie à trois D aupoint d'avouer : « Je- crains aprèstout que mon anecdote ne soit unsimple exposé de ma propre folie ».Loin d'être seulement un témoin,Lady Emma est celle qui, insidieu-

sement, provoque les confidences,mène le jeu sans lequel il n'y au·rait point de réeit, ll.On rôle seconfondant avec celui de l'écrivaincréateur. Ce que James vise à tra­vers ce lien inteme qui le relie àses personnages, c'est à explorer larichesse des possibles. Le roman ap­paraît comme le lieu idéll1 pourceux que hantent les visag~$ d'eux­mêmes demeurés inconnus. Si Gidedisait que l'on écrit avec &es p0s­sibles, si certains écrivains se consu·ment de curiosité pour ce qu'ils au­raient pu devenir et subissent jus­qu'à la folie la nostalgie d'être cequ'ils n'ont pas été, encore faut·ilfaire le départ, pour les compren·dre, entre ce qu'ils ont choisi d'être,et ce qu'ils ont choisi de vivre debiais à travers leurs doubles.

La oomplezité

de l'être

Ce que toute œuvre ne cessed'illustrer, c'est la complexité del'être si multiple en ses facettes,si divers grâce à ses plans d'exis­tence, qu'il devient illusoire de pro­noncer à son sujet le mot d'essence,comme il est téméraire de vouloirle saisir ou le juge~ : il est déjàréfugié ailleurs. Pourtant il existe;il est toujours quelqu'un par rap­port à quelqu'un, ce qui prouvenon point son néant, mais ses poten­tialités. Selon James, les personna­ges de Flaubert n'ont pas ces dimen­sions multiples. Aussi, malgré toutel'admiration qu'il voue au créateurd'Emma et à sa personnalité « cor·rompue» mais si peu « corruptri­ce », éprouve-t-il des réticencesquant aux héros choisis. Loin d'ac­complir le trajet d'une consciencequi s'élargit jusqu'à la révélation(trajet parcouru par l'héroïne duPortrait) Emma reste embourbée,li( conscience objet liée au mondepar des sens et no"n par un regard »,(2) vaincue par la bêtise. James exi·ge du mal qu'il ait "plus d'enver­gure et de la nature humaine qu'el­,le ait plus de ressources; peu luichaut la médiocrité des miroirsexigus.

D'où un registre de thèmes par·ticulièrement riche : pour ne pù.1er que des vingt premières nou­velles, voici quelques-uns des thè·"mes traités : désir d'être autre;l'horreur des ainés et revanche rem­portée sur les cadets; poids d'unefatalité pesant sur l'amour (la fem-

Henry lame&., jeune.

me, le mariage tuent); vengeancecontre la femme vampire; regardposé sur un autre qui a vu l'amour(pour ne point dire le sexe); fas­cination du rival. Dans ces pre­mières nouvelles, particulièrementviolentes, le crime et le ressenti­ment jouent un grand rôle.

Une vengeance plus secreten'est-elle pas aussi le sujet deMaud.Evelyn où le jeune hommeprend prétexte d'avoir été refusépar une Lavinia bien en chair pourse mettre à aimer une ombre?Amour dont il tire des joies tangi­bles puisque le voilà devenu li: grossans embonpoint », li: replet, heu­reux, joli garçon », prêt à fuir lesréalités charnelles dans la mort. lifaudrait citer encore d'autres thè­mes, ceux relevés par Jean-JacquesMayoux dans sa pénétrante étudede James : le regret lancinant à lavue du trop tard ; li: la révélation desoi évitée au profit de celle desautres D, l'horreur de soi et la pour­suite de l'échec; le refus de vivre,car li( vivre c'est se retenir de vivrepour conserver intacte l'imaginationillimitée de la vie D (3); ceux ana­lysés par Todorov (c présence de laquête, absence de ce qui la provo­que D, c présence D du fantôme; lamort comme source de vie, le se­cret, rapports cie la vie et de l'écri-

ture) sans oublier celui de 1~homo­se:lUalité lié, selon nous, au thèmede l'imposture et du secret.

Que le c secret D conceme "lasexualité, plusieurs critiques "l'ontsuggéré (4). Le volume IV de LéonEdel apporte à ce sujet d'impor­tantes (et de discrètes) précisions,avec la publication des lettres d'unJames isolé, vieilli, au jeune sculp­teur Hendrick Andersen, traité. dèsla première rencontre en li( alterego D. (N'ont-ils pas, fait remar­quer Edel, le même prénom; nesont-ils pas tous deux c artistes »et c cadets » ?).

Curieux ton que celui de cettecorrespondance, à la fois angoisséet efféminé, étrangement matemel,au vocabulaire tactile qui rappellebrusquement quelque c h 0 se:l'étonnante scène où Isabel Archerest embrassée par Goodwood dansle Portrait. Le vertige qu'éprouvenotre froide héroïne, qui nous vautune série d'admirables images liqui­des insolites, trahirait-il des attraitset des effrois éprouvés par Jameslui-même? De plus, analysant leTour d'Ecrou, ~del rappelle com­ment James a bien connu le senti­ment qu'avait Miles d'être exclud'un monde viril. Ceci à cause dudanger que représentait la femme:danger lié aux fantasmes d'un petit

~La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 févrÛIr 1970 •

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Il n'était pasHenry que l'amputation patemelleinquiétait. (Sur ce sujet, on liraavec intérêt l'identification du filsau père mise en lumière par O.Mannoni) (5).

Si ce thème de l'homosexualité,dont il nous paraît être continuelle·ment question en sourdine dansl'œuvre, n'est pas le secret de Ja­mes, ni la clef de l'œuvre, car ilfaudrait remonter plus loin pouren connaître les raisons secrètes etles clefs, cependant il projette unéclairage particulier sur l'universdu romancier, sur la texture et lechoix de ses personnages. (Hommesimposteurs ou évanescents; fem·mes vampires ou femmes confiden­tes; sentiment d'exclusion qui ani·me tant de héros; quête-fuite etsecret jamais dévoilé; atmosphèrede société secrète, de complicité etde mystère; dialogues qui demeu­rent en suspens, incompréhensiblespour le tiers; désir et impossibilitédes a v eux; multiplicité des« complots» etc). Une des toutesdernières nouvelles de James est àrelire dans cet éclairage : La Tour­née de Visites où l'escroquerie, toutcomme la boisson chez Lowry ou lejeu chez Zweig, pourrait bien êtrele symbole d'un «vice» plus ca·ché. Des courants de communica·tions étranges, toujours entre êtresd'un même sexe, baignent d'ailleursles romans les plus élaborés deJames, où les personnages ont leplus d'épaisseur: Ralph et Osmonddans le Portrait ne communiquent­ils pas à travers Isabel ?

Ainsi la présence de James sefait-elle continuellement sentir àtravers l'œuvre qu'il a détachée delui-même. Comme l'écrivait Wil·de : « La forme objective est enréalité la plus subjective. L'hommeest moins lui-même quand il parlepour son compte. Donnez-lui unmasque et il dira la vérité ».

Diane Fernandez

(1) Henry James: A Small and Others.Londres, 1913. Notes of a sonand brother, Londres, 1914.

(2) Michel Zéraffa j PersonJJ§ et perosonnage (cf. 1étude d"Emma etIsabel) Kllncksleck 1969.

(3) Jean·Jacques Mayoux Vivant. PI·11er.. Julliard, Lettres Nouvelles.

(4) Stephen Spender : The DestructiveElement Londres 1935.Edmund Wilson ln The TripleThlnker•. New York 1938.J.-B. Pontalls : Après Freud. Jul·liard, 1965.

(5) O. Mannoni : Clef. pour l'lm.nalre, Seuil, 1969.

10

H.P. LovecraftDagon et autres récitsTrad. de l'américainpar Paule PérezPierre BeHond éd., 352 p.

Epouvante et surnaturelen littératureTrad. de l'américainpar J. Bergier et F. TruchaudChristian Bourgois éd., 170 p.

LovecraftCahiers de l'Heme, 380 p.

Lovecraft est depuis peul'objet de démonstrations ad­miratives variées: éditions etrééditions coïncident avec laparution d'un recueil d'hom­mages, avec des expositionsou des spectacles autour deson œuvre. A-t-on découvertun nouvel Edgar Poe?

Inconnu de son vivant, ayantune vie étrangement recluse,Howard Phillips Lovecraft (1890.1937) avait déjà les qualités requi.ses pour devenir un écrivain mau·dit. On scrute aujourd'hui son héré·dité, l'échec de son mariage, sesmanies et ses phobies. Il n'est pasmauvais qu'un écrivain mauditsoit éthylique ou toxicomane, maiscelui.ci n'était gourmand que deglaces; il faudra s'en contenter...

En fait, il y a plus de quinze ansque Lovecraft a été présenté pourla première fois au public fran·çais. La Couleur tombée du ciel,qui, avec Démons et merveilles,représente de loin le meilleur deson œuvre, parut en 1954, qua·trième titre de la collection « Pré·sence du futur» (1) de Denoël.Comme ses autres ouvrages l'annéesuivante, l'œuvre ne passa pas ina·perçue et fut plusieurs fois réédi.tée ce qui ne contente pas les zéla·teurs de Lovecraft : ils font la peetite bouche parce que le « génie »s'est trouvé placé dans une collec­tion de science.fiction. En outre,les traductions leur paraissent«faibles» ou « désinvoltes »... (2)

La presque totalité des contesde Lovecraft (une soixantaine, de 2à 120 pages) est à présent traduiteen français. Dagon rassemble descontes de diverses époques dontcertains même sont inachevés. OrLovecraft reste peu traduit hors deFrance. Si l'on en croit la biblio.graphie de L'Herne, les traduc.

tions françaises représentent à ellesseules autant que toutes les autres.Exception faite d'Edmund Wilsonqui écrivit dans les années qua·rante un article intitulé « Contesmerveilleux et ridicules », la cri­tique américaine non spécialiséedans le fantastique a assez généra­lement ignoré Lovecraft. Un arti­cle récent de l'Américain VemonShea déclare Sans ambages« Dans le coton du charlatanismede Poe se trouvait le génie, tandisque H.P.L. était seulement douéd'un talent exceptionnel... Si l'œu­vre de Lovecraft est jugée du pointde vue du grand art, c'est plutôtun échec» (L'Heme, p. 298).Après tout, Edgar Poe n'était-ilpas encore méconnu en Amériquequand on le célébrait en France ?

Cette fois, il nous sera plus diffi·cile de convaincre l'Amérique deplacer Lovecraft dans son pan·théon littéraire. Pour qui connaitles contes et nouvelles d'ArthurMachen, d'Algemon Blackwood,de Bram Stoker, de Lord Dunsany,de M.R. James, Lovecraft paraitbien moins original pour unebonne partie de son œuvre. L'au·teur d'Epouvante et surnaturel enlittérature connaissait ces auteurset les admirait au point de les dé·marquer parfois d'assez près (3).Les difficultés sont d'une autresorte lorsqu'on en vient à la tenuelittéraire du maitre. Voici une di·zaine de lignes d'un des premiersparagraphes de Je suis d'ailleurs:

Dans le crépuscule moite, jemontai donc les degrés de pierreusés par les siècles jusqu'au der.nier, et ensuite, entamai la dan·gereuse ascension en m'aidant desaillies précaires aux jointures despierres. Epouvantable, affreux etlisse, ce puits de pierre morte, unpuits d'encre, fissuré, désert, siniSetre avec ses chauves-souris éton­nées dont j'éveillais les ailes silen­cieuses. Mais plus affreuse et plusangoissante encore la lenteur dema progression ; car j'avais beaumonter et monter, au·dessus demoi l'obscurité ne s'éclaircissaitpoint ; une nouvelle terreur gran­dit en moi, celle que suscite lapourriture maudite et vénérable.Des frissons m'ébranlaient...

De tels passages sont courantschez Lovecraft. On aurait tort demettre ces effets forcenés sur lecompte d'une médiocre traduc­tion : l'œuvre de Lovecraft est leroyaume du superlatif absolu. Ses

personnages monologuent mais nedialoguent guère; ils s'exprimentordinairement par le rictus, la gri­mace, le hurlement d'horreur.Plus le hurlement est fréquent etviolent, plus l'action est intense :c'est un signe. En elles.mêmes,les monstrueuses entités de Love­craft sont peu impressionnantes,ou bien elles sont laissées à l'ima­gination du lecteur avec les lootsrituels : « effrayant, vivant l'in­concevable, l'indescriptible, l'in­nommable monstruosité... Je nepeux même pas donner l'ombred'une idée de ce à quoi ressemblaitcette chose, car elle était une com­binaison horrible de tout ce quiest douteux, inquiétant, importlUl,anormal et détestable sur cetteterre ». L'auteur se dérobe avecune hécatombe d'épithètes ne sug­gérant rien de l'horreur que peu.vent susciter d'un seul mot un Poe,un Wells ou un Klipling (certes,un abominable impérialiste, maisl'a-t-on relu récemment ?). Lanouvelle vague de fans de Love.craft, qui se donne commodémentla caution de citations de Heideg­ger, Derrida, Lacan (et j'en passe)ne parviendra pas, malgré son im·pressionnante panoplie linguisti.que, à nous faire admirer là « uneperpétuelle torsion pour exprimerl'indicible» (L'Herne, p. 95) (4).C'est un mauvais service à rendreà Lovecraft que de le mettre surle même pied que Kafka ou EdgarPoe, que de déclarer : « Le, écritsde Lovecraft sont des poèmss enprose ».

Les auteur.

qu'il admirait

Lovecraft rêvait de faire uneœuvre aussi forte que ces auteursqu'il admirait : Machen, Black·wood, Dunsaoy. Dans 20 contesil a égalé ses maitres. Dans quel­ques autres, dans Démons et mer­veilles, il les a dépassés. AvecEpouvante et Surnaturel, qui cons­titue un des manuels les plus auto.risés qu'on puisse trouver sur lalittérature fantastique (anglo.sa­xonne surtout), Lovecraft a dit songoût pour la littérature gothique :« des éclairages étranges, des trap­pes humides, des lampes éteintes,des manuscrits tombant en pous­sière et effroyables, des portes quigrincent, des tentures qui bougentet ainsi de suite... Rien de tout ce·

Page 11: Quinzaine litteraire

tout,a fait Poe

la petitecollectionmaspero

Les socialistesavant MarxAnthologie en 3 volumes

Votre mervenleuse oité d'or et de marbre n'est que la

.omme de oe que vou. aves vu et aimé dans votre jeu-

la n'est complètement mort au·jourd'hui, même si une techniqueplus raffinée leur donne une formemoins naïve et apparente ». Châ·teaux, tombeaux, vampires et re·venants sont effectivement nom·breux dans l'œuvre de Lovecraft,dans Dagon et Je suis 'd'ailleurs enparticulier. Les textes américainsrassemblés par « L'Herne » sont làpour en témoigner : Lovecraftétait un homme du XVIIIe siècle,un contemporain de Walpole etBeckford, bien aise d'habiter,comme tous ses personnages etcomme autrefois Hawthorne, obsé­dé comme lui par l'hérédité et ladégénérescence, dans cette Nou­velle Angleterre où l'on brûlait lessorcières et dont il ne sortira pra­tiquement jamais de toute sa vie.

Dans son attachement au passé,Lovecraft voyait la société d'un œilpessimiste : « se livrant au bruit, àl'excitation, aux distractions barba­res et aux sensations animales, ilsprirent leur ennui pour un affaire­ment prétendûment utile» (Dé.mons et merveilles). Or on ne peutvoir en Lovecraft un passéistepréoccupé par les époques païen.nes, comme l'étaient Machen etBlackwood : il regardait beaucoupplus loin, ailleurs, au-delà dumonde humain, et il se montreplus résolument moderne que cesauteurs encore très pris dans les

ne.se.

courants d'occultisme et de mysti­cisme de la fin du siècle. Le hérosde Démons et merveilles, Carter,malgré des goûts à la Des Essein­tes, a quelques phrases très durescontre l'occultisme et la religionet conclut : « la fausseté, la stupi­dité grossière et l'incohérence dela pensée ne sont pas l'équivalen~du rêve ». Le rêve, l'évasion horsde la vie réelle, le grand mot love­craftien vient d'être dit. Ces êtres,ces paysages inouïs dont regorgentses livres, Lovecraft les découvredans ses rêves, ses rêves que, com­me l'auteur de Peter lbbetson, si·gnificativement absent d'Epou­vante et surnaturel, il sait liés àson enfance.

L'appareil et le savoir scientifi-

H.P. Lovecraft.

ques sont, certes, importants chezLovecraft, comme le sont aussi leslivres maudits, tel le fabuleuxNécronomicon. En fait, le rêve estle matériau et l'outil essentiels dusavant lovecraftien : preuve d'uneexistence et d'un monde autres,c'est ce qui l'amène à fouiller ledésert australien (Dans l'abîme dutemps) ou le Pacifique (L'Appelde Cthulhu). Mieux que les explo.rateurs de Jules Verne ou de RiderHaggard, Randolph Carter par."iendra au terme d'un voyage fan­tastique à travers de dangereuseset merveilleuses contrées au·delà

de la vie, de l'espace et du temps,au pied du grand Nyarlathotep lui­même, le Chaos rampant : etl'homme qui avait pu être un petitgarçon en vacances chez -son grand­père reçoit alors la révélation :

Ce n'est pas au·delà de mersignorées mais dans votre passébien connu que vous devez pour­suivre votre quête ; dans un retouraux étranges illuminations de l'en­fance et aux visions inondées desoleil et de magie que les vieuxpaysages apportaient à de jeunesyeux grands ouverts. Sachez quevotre merveilleuse cité d'or et demarbre n'est que la somme de ceque vous avez vu et aimé dans vo­tre jeunesse.

Celui qui se plaint qu'il y a tropde sang, trop de hurlements ettrop de portes qui grincent dansles films d'horreur ne comprendpas que ce sont là les signes dis­tinctifs, les conventions du genre.Il me semble qu'on ne lit pas toutà fait les contes de Lovecraft com­me on lit ceux de Pierre Reverdy.Il faut les aborder avec l'intentionde respe~ter la règle du jeu; àcette condition, un bon conte est,pour prendre une de ses expres­sions, le meilleur antidote à la ba­nalité. Que l'œuvre de Lovecraftne soit pas à proprement parlerlittéraire mais un peu marginalen'empêche pas qu'elle puisse inté·resser - la littérature au premierchef. Lovecraft est un de ces écri·vains-mythes cam m e l'étaientAnne Radcliffe, l'auteur du Moineou celui de Melmoth. C'est plusqu'il n'en faut pour justifier leshommages qui lui sont rendus.Après «L'Herne», quelle revueaméricaine nous rendra la pareilleen faisant un J.H. Rosny, ou unMaurice Renard?

Serge Fauchereau

1. Dans l'Abîme du temps, Par-delà leMur du sommeil et Je sUÏ3 d'ailleurs sontégalement dans la coll. « Présence du fu·tur» ; Démons et merveilles a été rééditédans la coll. « 10/18 ».2. Un peu de 'Pudeur aurait dû retenirFrançois Truchaud de s'en prendre auxtraductions de ses prédécesseurs : onn'arrive pas à croire que des amateursavertis de littérature fantastique aient pulaisser autant d'erreurs dans leur traduc·tion d'Epouvante et surnaturel: le châ·telain d'Ütrante est rebaptisé Manfield ;Bürger, Maupassant et Th. Gautier voientleurs titres modifiés, tandis que ceux deVilliers de l'Isle Adam et Erckmaun·Cha·trian sont rendus méconnaissables; etque dire de ceci : « Victor BUBO, avecdes récits comme Han d'ldande, Balzac,avec Peau d'Ane, Séraphita, Louis Lom·bert emploient tous deux le surnat~el

à un plus ou moins grand niveau» (p.M). Quel que soit le traducteur du livre,tout cela n'est pas d'un « grand niveau D.

3. On a découvert une source de Love­craft dans l'énorme Diable au XIX· liècledu Dr Bataille (l'Herne, p. 141·146) ; jeme suis demandé si Lovecraft, grand lec­teur s'il en fut, n'aurait pas lu égalementle roman de science·fiction de Defonte·nay, Star (Cf. Raymond Queneau, Bmons,chiffre& et lettre&, NRF, « Idées », pp.261·272). Il est regrettable que, dansEpoutumte et surnaturel, d'excellentsauteurs comme J.-H. Rosny et MauriceRenard ne soient pas nommés, et peuvraisemblable que Peter Ibbeuon ait étéomis involontairement.4. Ces dissertations usant d'un amphi.gouri à la mode sont heureusement peunombreuses dans « l'Herne Il qui renferm.~

des textes et témoignages des auteursconsacrés du genre {J. Bergier, H. Juin,F. Lacassin, T. Owen, M. Béalu) et desolides études dont la plus 10nBue et laplus remarquable est de Gérard Klein.

CELESTIN FREINET

Pour l'écoledu peuplePAUL LAFARGUE

Le droit à la paressePIERRE JALEE

L'impérialismeen 1970WOLFANG ABENDROTH

Histoire du mouvementouvrier en EuropeL. ALTHUSSER et E. BALIBAR

Lire le CapitalWALTER BEN.JAMIN

Essais sur Bertolt BrechtCHARLES BETTELHEIM

Planification etcroissance accéléréeLa constructiondu socialisme en ChineN. BOUKHARINEetE. PREOBRA.JENSKY

ABC du communismePIDEL CASTRO

Révolution cubaine.JEAN CHESNEAUX

Le Vietnam

REGIS DEBRAY

Révolution dans la révo­lution? et autres essais

FRANTZ PANON

Les damnés de la terreSociologied'une révolutionPour la révolutionafricaineM.I. FINLEY

Le monde d'Ulysse

LORAND GAIIPAR

Histoire de la PalestineCHE GUEVARA

Le socialisme et l'hommeŒuvres (4 voU

Générat V.N. GIAP

Querre du peuple,armée du peuple

P.-O. LISSAGARAY

Histoire de la Communede 1871 (1 vol. triple)GEORG LUKACS

Balzac etle réalisme françaisROSA LUXEMBURG

Œuvres (4 vol.)MALCOLM JI:

Le pouvoir noirMAO TSE-TOUNG

Ecrits choisis (3 voUPAUL NIZAN

Aden ArabieLes chiens de gardeLes matérialistesde l'antiquitéchaque vol. 5,90 F

FRANÇOIS MASPERO1. place Paul-Painleve. Paris ~.

La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970 11

Page 12: Quinzaine litteraire

PO*SIB

Poésie kabyletaire dans un hôpital de SœursBlanches. Il est ainsi inhumé,selon son vœu, en terre étrangère.

Toute une période de l'histoirekabyle s'exprime à travers la viede ce personnage haut en cou­leur. Les misères de la pauvretéet de l'exil vécu sur sa propreterre, sont les principales inspira.trices de sa poésie, transfiguréesau besoin par le kif ou l'alcool.Et seule la résignation religieuseempêche la protestation de semuer en cri de révolte.

LA LIBRAIRIE TSCHANN a le

plaisir de vous Inviter à rencon·

trer Albert MEMMI qui signera

"ensemble de ses livres à l'oc­

casion de la parution de son

roman LE SCORPION (Ed. Galli­

mard) le mercredI 18 févrIer,

de 18 à 20 h, 84, bd Montpar­

nasse, Paris-14°, DAN.-74-57.

Michèle Cote

Volontairement, le poète couleson chant dans une forme fixe« l'asefrou », trois strophes detrois vers où alternent deuxrimes seulement. Le lyrisme estcontraint, épuré. Plus suggestifsans rappeler la manière des gra­veurs néolithiques du Sahara.

1. Ed. de Minuit.2. Respectivement publiés en 1952, 62,

65 chez Plon.3. Khammès = le métayer au' quint

(kham8â = cinq).~. La particule Si qui précède son nom

n'est nullement d'origine marabou·'tique, mais transmise par son père,fin lettré, qui l'avait placé dans unezaouïa pour apprendre la languesacrée.

L'intérêt majeur de cette antho­logie réside dans le paradoxe quesouligne Mouloud MalllJlleri lui­même: le plus personnel despoètes se trouve être le plus répan­du. L'adéquation est parfaite entrel'expression poétique d'un hommené pauvre parmi les pauvres, etla vision socio-politique de toutela communauté dont. il est issu. Ilne s'agit pas de «reflet », maisd'interaction, d'osmose entre lesstructures de l'univers de l'œuvreet les structures mentales descontemporains de cette œuvre.

pour avoir revendiqué son iden·tité. De son histoire, la collectivitékabyle n'avait subi pareille muta·tion et atomisation :

ce qui lui fait utiliser souvent unemétaphore devenue célèbre: luimoissonne, rassemble les gerbessur l'aire, les bat... et nn autreemporte le grain. '

Famélique, nomade, apatride,il le restera jusqu'à sa mort soli·

Qui jamais n'obtiennent ce qu'ilsdésirent,

« le monde pour tousa volé en morceaux»

Du jour au lendemain, on assisteà l'exode vers la Tunisie, à l'in­terversion des rôles économiquespuisque les honnes terres sontconfisquées au profit des Algé­riens collaborateurs ou des Alsa­ciens-Lorrains devenus Français

« Beaucoup qui font vœu dedévotion

Ruissellent de péchésLors même que leur chapelet

ne quitte point leur couIls ont laissé le Koran pour

l'intrigue ».

Ainsi psalmodie le poèt~, quisait, ailleurs, fustiger les « charo­gnards » au pouvoir, « la vale­taille » qui a le vent en poupe etcommande, les imposteurs poli­tiques et religieux :

« Celui qui avait une paire debœufs

Devient khammès (3)....Les hommes sont ramollis

comme des fruits mûrsCoupés en deuxFoulés aux pieds sur le sol ».

Si Mohand visité bientôt parun ange qui lui assigne le destinde rimer, entre en poésie commeon entre en religion (4). Sa renom·mée grandit. On l'invite de par­tout et ses goûts de sybarite pourl'absinthe, la cocaïne et les fillesne sont imputés qu'à l'envers deson génie. Il n'en est pas richepour autant (car les drogues sontchères, les amours vénales) , niheureux, car il se dit en proie àun mal secret (l'impuissance sansdoute), que « Dieu seul connaît »'et qui lui fait distinguer deuxsortes d'amoureux: ceux qui ontdomestiqué (sic) leur bonheur etles frustrés,

trement de la tradition orale: ladifficulté d'attribution et l'abon.dance des variantes ? Le chantreest en effet toujours repris par sesauditeurs qui participent du mêmefonds culturel et peuvent aména­ger le texte initial d'autant plusfacilement qu'illettrés ils ne peu­vent le fixer p,ar l'écriture, et quele poète lui-même avait fait vœude ne jamais se répéter.

Si Mohand répond par toute savie au stéréotype dù poète dontl'histoire confine à la légende,dont le « carm'en » est aussi bienle vers que la formule magique.Sa naissance, entourée d'un halomythique, revendiquée par plu­sieurs villages à l'instar des septcités grecques pour Homère, nepeut pas davantage être datée pré­cisément, puisque l'état civil, enKabylie, n'eut pas d'existence offi­cielle avant 1891. On penche néan­moins pour 1845 et pour le ha·meau Icheraiouen, dans la régionde Tizi-Ouzou. Ni l'une ni l'autrede ces coordonnées n'est indiffé­rente. Mouloud Mammeri en estconscient qui précise que cettezone de piémont, «intermédiaireentre une montagne aux coutumesancestrales vives et denses et uneplaine plus ouverte aux influencesdu dehors, était donc plus per­méable aux aléas de l' his.toire ».

La date importe aussi puisqueSi Mohand naquit à une époqueoù la Kabylie se sentait indépen­dante, et que son adolescence futmarquée par les premières révol­tes de 1857 (la résistance du bas­tion kabyle) prélude au sursautépique de 1871 où elle est écrasée

La Quinzaine.""rat..

43 rue du 'rempl,·. Paria 4,c.c.P, 15.S~1.53 Paris

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, Mouloud Mammeri,Les isefra,poèmes deSi Mohand-ou-Mhandédition bilingueMaspero éd., 480 p.

Il est en Kabylie un nom quetout le monde connaît, dont toutle monde vénère la légende : SiMohand-ou-Mhand des Aït-Iraten.Lorsqu'en 1960 MQuloud Feraounavait fait paraître en un recueilbilingue les poèmes du chantrenational (1), c'était grâce à Bou­lifa qui avait, au début du siècle,collationné les poésies kabyles desa connaissance, qu'il avait enten­dues chanter ou déclamer par le« meddah » lui-même, ses témoinsoculaires ou ses proches disciples.

Si Mohand n'est peut-être, d'ail­leurs, qu'un nom plus prestigieuxque les autres, tant il est vraiqu'« ici, tout le monde il estpoète», comme on le disait àSaint-John Perse en Guadeloupe.Aujourd'hui Mouloud Mammeriqui enseigne Démosthène, Virgileet la littérature française à l'Uni­versité d'Alger, et dont on n'avaitguère entendu parler depuis laColline oubliée, le Sommeil duJuste, l'Opium et le Bâton (2),nous donne une édition presquesavante des «isefra» de Si Mohand,texte berbère en regard de la tra­duction française. Presque savante,car comment déterminer l'authen­tique de l'apocryphe, commentétablir scientifiquement un textelorsqu'on bute sur des obstaclesinhérents à tout esSai d'enregis-

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Poèmes à jouer

La Quimùao Utténire, du 16 au 28 févn.r 1970

1Jean TardieuPoème. ci jouer (Thétitre 11)Gallimard éd., 328 p.Le. Porte. de ToileGallimard éd., 168 p.

Parmi les auteurs qui ont pro­fondément modifié le fonctionne­ment de la littérature, qui ontminé le langage du dedans, onoublie souvent de citer Jean Tar­dieu. C'est peut-être qu'on ne saitpas où situer cet écrivain discret,ennemi des querelles, des mani­festes, du tapage, et qui maniede la dynamite avec des -gestesrares et mesurés d'orfèvre hollan­dais ou de musicien de chambre.Du côté d'André Breton, puisqu'ilest avec celui-ci, Julien Gracq etLise Deharme l'un des respon­sables du très précieux c Faroucheci quatre feuille. :t? Du côté deQueneau à cause d'Un mot pourun autre que les critiques drama­tiques qui aiment le long, le sé­rieux, le reposant, tiennent pourune pochade de cabaret ? Du côtéde Beckett, d'Ionesco et du théâ­tre de l'absurde parce qu'il n'y ani action ni logique apparentedans la Serrure ou la Sonate etles trois messieurs? C'est oublierque l'œuvre de Tardieu est commeces pierres travaillées dont les facet­tes peuvent bien refléter les nuan·ces de la lumière, mais dont le durnoyau est quasiment infracassable.

Réunissant des textes déjà con­nus et des inédits, les deux volu­mes qui viennent de paraître, l'unde théâtre, Poèmes ci jouer etl'autre sur l'art, les Portes detoile nous permettent de mieuxsaisir ce qui fait, sous uneapparente dispersion, la singula­rité et l'unité de la démarche deJean Tardieu. Qu'il écrive pourla scène ou dans les marges destableaux, Tardieu est d'abord, etradicalement, poète. Qu'il ait pro­fondément le sens du théâtre etdu jeu, qU'il déchüfre la peinturemieux que quiconque au pointnon pas d'en décrire, mais d'enréinventer les lignes, les mouve­ments, les résonances, ses Poè·mes à jouer et les Portes detoile en témoignent, sans pourautant nous autoriser à le direauteur dramatique (donc confrèred'un quelconque Achard) ou cri­tique d'art. Le critique di88èquedes œuvres,' les rapporte à desrègles formelles, à une histoire-de la peinture ou à la biographie

de l'artiste. L'auteur dramatiqueanime des personnages et tire lesficelles d'une histoire. Le critiqueet l'auteur dramatique s'efforcentd'éclairer (une œuvre, une situa­tion), ils parlent à peu près unmême langage où l'explication, la·discussion ont leur large part. Lesmots pour eux sont des outilti.Pour Tardieu au contraire, il sontla matière première ; ils n'ontpas pour fonction de traduire desimages, des émotions, mais de lesfaire naître ou d'en répercuterl'éch9.

Aussi bien ses pièces dont Syl­vain Dhomme, Pierre Peyrou etsurtout Jacques Poliéri ont mon·tré l'efficacité scénique sont-ellesmoins des drames que des ora·torios ou des c poèmes à jouer :t.Lui·même le précise, la -plupartd'entre elles ne comportent pasd'action, mais présentent, à l'exem·pIe d'une sonate ou d'une sym·phonie, la combinaison d'un cer­tain nombres de thèmes poéti.ques. En fait, tous les textes dra­matiques de Tardieu n'ont pas lemême degré d'abstraction. Certai·nes pièces, notamment du Théâtrede chambre, conservent commeun fantôme d'action. Le person­nage du Guichet qui se heurte àl'absurdité de l'administration,qui est détourné de son cheminpar cette absurdité même, resteencore un personnage de théâtre,passe pour victime d'une étrangemésaventure. Même dans lesTemp. du Verbe (Poème. ci jouer)où la réalité présente vacille, estcomme envahie, et presque gom·mée, non par la résurgence, maispar la permanence du passé, etcela à.cause d'un déréglement dudiscours, d'un discours dont onpourrait dire qu'il c retarde :t

comme une horloge retarde, unehistoire se dessine, des person·nages se déterminent les uns parrapport aux autres. Mais dansrA.B.C. de notre vie, dans Rythmeà trois temps, comme dans la So­nate et les Trois messieurs, l'his­toire disparaît au profit d'un puréchange de IlOns - et de signes.Sons du poème et bruits de fonds,voix bruissante d'un_ peuple ano­nyme, mais tour à tour aimant,souffrant, se réjouissant, s'accor­dant au souffle du vent ou auxrumeurs de la ville, s'ordonnentselon- une progression musicale,naissent des corps des protago­nistes et des choristes pour sedéployer dans l'espace scénique,répondre aux sollicitations lumi·

Jean Tardieu.

neuses, se marier ou s'opposeraux lignes du décor, aux gestesdes acteurs. Ces paroles ainsinouées et dénouées dans le graveou dans l'aigu, si insolites ou obs­cures qu'elles puissent paraître,sont plus que les figures d'un jeu,elles sont comme l'écho des mur·mures du monde ou de nos rêve­ries secrètes. C'est ce que noussignifie le c protagoniste :t à lafin de L'A.B.C. de notre vie :

rai oublié le sens de. mot•.

Je ne .uis qu'un murmure .oulevépar la joie,

serré par la douleur.

Des mots? Moins que de. mots :de. sons, de. plainte., de. cris,

des 8estes de la voix,un murmure .ans paroleparmi d'autre. murmure••.•

Tardieu sait capter, transmet·tre ces murmures. Cependant,aussi abstrait, aussi proche de lamusique qu'il soit, son théâtre estessentiellement scénique, appellele geste et le déploiement dansl'espace. n suppose une incarna·tion des voix, une mise en scène(et sur ce point les indicationsdu poète sont si précises qu'ellesconduisent à un élargissement duchamp de l'expressio1l dramati·que) non point réaliste, maistransfigurant les éléments de laréalité, suggérant rapprochementset métamorphoses. Sans douteest-ce là, pour le théâtre contem·porain, un apport extrêmement

preCieux, analogue à ce que futpour la peinture, la découverte ,de l'informel.

Rien d'étonnant donc, si lapeinture, comme la musique, estchère à Jean Tardieu, si, dansl'une de ses pièces les personna­ges sont e~prisonnés élans les pro­jections lumineuses de toiles deBraque, de Miro, de Chagall, sonttransportés dans l'univers de cespeintres. Lorsqu'il parle dansles Portes de toile de Corot oude Georges de La Tour, de Satieou de Ravel, d'Hartung ou - deVieira da Silva, Tardieu ne pro­cède pas autrement. Ses proses etses poèmes nous transportent: àcotIp sûr au cœur d'une œuvre, desa tonalité ou de sa probléma.tique. Par le verbe, le poète chantesur le même rythme, explore lemême paysage, les mêmes figures,fait jaillir les mêmes trilles oules mêmes signes que les musi·«liens ou les peintres, -nous donneA voir ou à entendre. Non pointanalyste, mais alchimiste, dansles marges d'une œuvre picturaleou musicale, il en erée une autre,poétique, qui se mire dans la pre­lQière oU consonne avec elle.

Ces œuvres d'art, en définitive,comme il fait de la réalité dansson théâtre, il les transforme enpoème. Comme Jacques Villon,dont il parle si bien, il accomplitl'acte néçessaire « pour que cemonde devienne un autre monde,sans cesser d'être ici :t.-

Claude Bonnefoy

18

Page 14: Quinzaine litteraire

Les revues

REivues françaises

ESPRIT(N° 1 - Janvier 1970)

Gros numéro consacré à l'AdmInIs­tration et présenté par éasamayor.Rébarbatif pour qui n'est pas concernéde l'intérieur par ce problème. C'estpourquoi, on apprécie le témoignaged'André Lepage qui raconte une expé­rience vécue de dégradation de lapersonnalité à l'intérieur d'une entre­prise privée.

LA REVUE DE PARIS(N° 1 Janvier 1970)

Entre une étude du général Beaufresur les modalités de la prochaineguerre et les souvenirs de Mgr Mobitsur son séjour à Madrid, André Pieyrede Mandiargues parle de Lermontov,l'auteur très peu connu en France deUn Héros de notre temps.

RAISON PRESENTE(N° 13 - la trimestre 1968)

Ce numéro s'ouvre par un Appelaux prêtres du fameux Curé Meslierdont les œuvres complètes sont enInstance de parution (1). Outre quel­ques études philosophiques, on retien­dra le texte du Dr Henri Bangou, mairede Pointe-à-Pitre sur Personnalité etculture aux Antilles, synthèse rapide

(1) Ct. Maurice Dommanget : Le Testamentdu cur6 Muller, Les Lettres Nouvelles, Julliard.

INFORMATIONS

Romans à paraître

Avec le Gé",ral de l'armée morte,par Ismail Kadaré, Albin Michel nouspropose la première traduction fran­çaise d'une œuvre littéraire albanaise.Le livre parait avec une préface deRobert Escarpit et nous offre, à tra­vers une intrigue quelque peu maca­bre, une vision inattendue et pleined'humour du petit peuple d'Albaniavingt ans après la seconde guerremondiale.

Dans la collection des «LettresNouvelles" (Denoël), on attend beau­coup du nouveau roman de GenevièveSerreau, Cher point du monde, dontle héros est un comédien profession­nel et un militant révolutionnaire(amateur) qÙi, tout au long d'un iti­néraire le menant de l'expérienceprémonitoire de la mort à la réalitéde cette mort, ne cessera de confon­dre le théâtre et la vie, son person­nage réel et son double imaginaire,l'utopie d'un monde réconcilié et larévolution truquée des technocrates,l'amour impossible et les compromis­sions de l'amour vécu. Autres titres :Anamorphoses, par Jean-Cl.aude Hé­mery, l'auteur de Curriculum vitae(voir le n° 11 de la Quinzai~e), et

1f

mais à peu près complète de toute lalittérature de la Martinique et de laGuadeloupe.

L'AAC(N° 27-28)

Numéro consacré à Joseph Delteil.Interviews, témoignages, études, toutest dit sur cet écrivain vigneron quioccupe une place bien à part dans lalittérature contemporaine. Les nomsd'Henry Miller, de Montherlant, deCrevel, de Breton, d'Aragon, d'Arra­bal, de Jean Cau sont, parmi d'autres,non moins célèbres, au sommaire decette revue.

C'(N° 1)

Une nouvelle revue trimestrielle depoésie publiée à Paris, revue dont onne discerne pas encore quelle serason orientation. Des influences mul­tiples (et contradictoires) s'y fontjour : André du Bouchet (chez AlainMalclès), Henri Michaux (chez Châ­teaureynaud), René Char (chez Jean­Paul Seguin), Artaud (chez AndréDrean). De jeunes poètes qui cher­chent leur voix...

J.W.

Revues étrangères

Wyndham Lewis Special IssueLondres, revue Agenda, vol. 8, n° 1224 p., 67 reproductions

Toujours inconnu chez nous, Wynd­ham Lewis (1884-1957) est copieuse-

Ainsi des exilés, premier roman deViviane Forrester ayant pour cadre unestation balnéaire de Belgique, justeaprès la guerre, dont les habitants.hantés par le passé récent, demeu­rent engourdis dans cette atmos­phère nostalgique qui suit les grandsévènements.

Deux premiers romans aux éditionsdu Seuil : Graffites, par J.R. Gaxie etYahia pas de chance, par l'AlgérienNabile Farès. Signalons égalementun livre traduit du serbo-croate : lesVoleurs de feu, par Vuk Vtcho.

Chez Gallimard, on pourra lire unnouveau roman de Romain Gary,Chien blanc, ainsi que la suite de laBâtarde de Violette Leduc : la Folieen tête. Dans la collection «Le Che­min" parait un premier roman deJ.A. Bourrec, la Brûlure et, dans lacollection «Du monde entier", unrecueil de contes 'de la romancièredanoise Karen Blixen, Contes d'hiver,ainsi qu'un récit poétique qui se pré­sente comme une sorte d'éducationsentimentale à l'américaine: Cri dansle désert, par Franck Conroy.

Au Mercure de France, Olivier Per­relet, qui avait publié chez le mêmeéditeur. en 1967, un roman intituléLes petites filles criminelles (voir le

ment réédité et étudié en Grande-Bre­tagne depuis quelques années. La pa­rution d'un numéro spécial abondam­ment Illustré de la revue Agenda mar­que sa sortie officielle du purgatoireoù il se trouvait depuis deux ou troisdécennies. Ce n'est que justice carLewis est l'un des meilleurs peintreset l'un des écrivains anglais les plusintéressants de ce siècle; ceci étantreconnu, on peut se laisser aller ~

l'antipathie qu'inspirent le personnageet ses idées.

Il n'est certes pas commode de dé­fendre Wyndham Lewis, mais qu'espè­re donc l'un de ses critiques les plusenthousiastes, E.W.F. Tomlin, en s'enprenant au communisme soviétique etchinois? A quoi sert de se réjouir au­jourd'hui, comme C.H. Sisson, quequelques exceptions se soient trou­vées pour approuver Franco pendant laguerre civile (des catholiques, Eve­lyn Waugh en tête, et Roy Campbellqui manifestait son originalité ens'engageant dans les rangs franquis­tes) ? On peut se féliciter de l'impor­tance et de la célébrité du triumviratPound-Eliot-Lewis entre les deux guer­res, mais appelons un chat un chat, etce trio, des fascistes - ce qui n'em­pêche pas de saluer leur génie. Du­rant les années où T.S. Eliot se faisaitle porte-parole à Londres de Maurraset de l'Action française, WyndhamLewis publiait Hitler (1931). A l'ap­proche de la guerre, Eliot perdra son

n° 30 de la Quinzaine), nous donneaujourd'hui, sous le titre du Dieumourant, trois récits symboliquesayant pour thème la recherche del'absolu et la nostalgie de l'ascèse,tandis que Michel Vachey présente,après C'était à Mégara, un secondroman particulièrement représentatifdes recherches littéraires actuellesla Snow. Autres titres : le Pistonné,par Claude Berry, l'auteur-réalisateurdu Vieil homme et l'enfant, qui a tiréde ce premier livre un film à paraitreprochainement sur les écrans pari­siens; Trois contes, première œuvrede François Lejeune.

Chez Robert Laffont où, dans la col­lection • Pavillons", parait un nou­veau· roman de Graham Greene :Voyage avec ma tante, on annonceégalement un court récit de FrançoiseXénakis dans la lignée de Kafka :Elle lui dirait dans l'île et un premierroman : Point virgule, par EvelyneSoren.

Chez Grasset, Yves Buin, l'auteurdes Alephs (voir les nO' 10 et 51 dela Quinzaine), publie la Nuit verticale,tandis que Françoise MaHet-Jorispublie, sous le titre de la Maison depapier, une chronique inspirée de savie familiale. Dans le domaine étran­ger, on pourra également lire, traduitde l'italien, Madame aller et retour,

. par Lisa Marpurgo et, traduit du portu­gais, l'Instinct suprême, par A. Fer­reira de Castro.

enthousiasme et Lewis fera amendehonorable. Soit, mais l'homme qui apu intituler un livre Les Juifs sont-Ifshumains ?, dont seule la bibliographied'Agenda fait état, ne saurait jamaisen être blanchi.

Wyndham Lewis fut d'abord un peip­tre. Sa revue Blast (1914), à laquelleKandinsky collabora, était destinée àdéfendre la peinture nouvelle et lesidées de Lewis en matière d'art. Lewisa dit son admiration pour Picasso etChirico (plus tard, Il célébrera aussiMax Ernst et Yves Tanguy), et cesaffinités marquent aussi dans quelsparages peut se situer son œuvre.Vers 1912, Lewis peint des abstrac­tions géométriques et combine les in­fluences du cubisme, du futurisme etde l'expressionnisme pour aboutir àun art très particulier qu'il nommevortlclsme, Isme dont il sera, avecpeut-être le sculpteur Gaudier·Brzes­ka, le seul représentant.

Ces tableaux vortlclstes formentl'une des périodes les plus intéressan­tes du peintre, des œuvres d'unestructure très élaborée, très sculptu­rales, culminant avec la série inspiréepar Timon d'Athènes. C'est au coursdes années 20 et 30 que Lewis se ré­vélera l'un des plus grands portraitis­tes du xx· siècle: portaits de T.S.Eliot et d'Ezra Pound, et le féroce por­trait d'Edith Sitwell de la Tate Galle­ry. Le graphisme des œuvres de sadernière manière fait parfois songer àAndré Masson mais, dans son ensem­ble, l'art de Lewis reste unique et nepeut être défini par quelque rappro­chement ou étiquette de mouvement.

C'est grâce à sa revue BIast, qu'ildirigeait avec l'aide de Pound, queLewis en vint à la littérature. Plu­sieurs des grands peintres de notreépoque ont écrit; il n'en est guèrecependant dont les écrits peuvent ba­lancer l'œuvre picturale. C'est pour­tant le cas avec Wyndham Lewis,comme avec ses compatriotes WilliamBlake et D.G. Rossetti. Son œuvrecomporte des essais, des romans, despoèmes, plus de trente volumes, deTa" (1918) à The Red Priest (1956)- fe Prêtre rouge! seuf quelqu'und'aussi éloigné du socialisme que'Lewis pouvait forger un pareil concept.

On n'en finirait pas d'énumérer toutce qu'a combattu celui qui se bapti­sait lui-même l'Ennemi: « le culte desenfants, le snobisme littéraire, l'homo­sexualité, l'idolâtrie de l'inconscient,l'exaltation et l'exploitation simultanéedes Noirs, le jazz, les romans poli­cers... " Moins nombreuses que sesaversions, les affections de l'écrivainn'étaient pas moins discutables. Sesmeilleures œuvres sont celles où lesidées sociales et politiques sont ausecond plan. De l'un de ses livres,Lewis disait au lecteur : « je vous pried'oublier sa politique, si vous la trou­vez détestable ". Faute de pouvoirl'oublier, il faut s'efforcer de n'y paspenser en lisant ses romans : Ta",The Revenge for Love, Self Condem­ned ou bien son unique recueil devers, l'étrange One-Way Song; de lamême façon qu'on regarde ses toilessans arrière-pensée. Car, en dépit detout, Wyndham Lewis fut un hommede génie.

Serge Fauchereau

Page 15: Quinzaine litteraire

L'oubli du livre

plr MICHEL WINOCK pl JEAN-PIERRE AZEMA

déjà paru:

LA ,." REPUBUQUE par ALBERT SOBOUL

LA Il''''' REPUBUQUE par LOUIS GIRARD

LA IV"'" REPUBUQUEpar JACQUES JULLIARD

CALMANN-LÉVY

NAISSANCE ET MORT DE...

LA IlleREPUBLIQUE

Philippe Boyer

nom oublié, mémoire de cetoubli : « nous partons de ce quifut oublié. Le livre se fait à partirde l'oubli du livre. » C'est à re­prendre la langue première, cellede la mère, à la pétrir, à en chan­ger l'ordre, que le livre apparaît.Mais l'interdit qui pèse sur lui lesoumet à l'exigence de sa propreperte.

Elya tue Yaël, le livre tue lelivre. Mais aussi la naissance dulivre tue la mère du livre. Et celuiqui tue, c'est celui qui fait le livre.Le prix du livre est exigence deruine, exigence de crime. « Ah,combien de fois es-tu morte pourle livre? En te supprimant, jem'identifiais à chacune de sespages, je m'appropriais Elya.»Cette appropriation fait apparaîtreaussitôt que rien jamais n'appar.tient. Elya comme image du désirde Yaël, se substituant à elle, de­vient ce lieu de l'autre où le livre,en ce qu'il se manque à lui-même,ne se donne à lire que commequestion. n s'articule des portesqu'il ouvre et non de celles qu'ilferme : « un livre, telle une suc·cession de portes, dont le passagede l'une à l'autre est seul à dire,seul à lire. » Entre les portes lesilence est à l'œuvre, porteur designes, porteur de traces.

Et si, parlant du livre, on n'ena rien su dire, alors peut-être enaura-t-on repéré par hasard, etsans même le savoir, une portepossible.

Edmond Jabès.

au .~iÜ!nce, le sacrifice de sa voix. Il

Sacrifice de cette voix qui estcomme le reflet de la voix mater·nelle. La naissance est la premièrelIDort et le premier crime. Le pre­lIDier cri aussi. Elya, enfant mort­né d'un impossible inceste, est ceJlivre des premières traces, contem·1P0raines du premier cri. Mais ces1traces sont déjà la marque deJI'exil, posées sur le corps par unelIDain étrangère, anonyme, avantlIDême que la main de la mèrevienne marquer son bien.

Elya est encore ce livre quiefface Yaël comme livre et commelIDère. « Après "Yaël", "Elya";après la parole à l'affût du livre,ile livre du refus de la parole. » LaDDère est parole à l'affût de l'en·lant, ce texte précédant toutelParole. Elya refuse la parole pourretrouver l'écriture de son nom;

Mémoire de l'arrièr.livre

Yaël, devient l'ordre du livre,Elya, l'enfant mort-né d'un amourimpossible. Mais l'ordre de Yaël,nom d'origine, c'est peüt-être' aussil'ordre de ce Dieu absent dontl 'histoire juive porte le nom danssa mémoire et son oubli : nom dedésir, nom interdit. Et le livre,enfant mort-né, « c'est-à-dire mortafin de naître» ouvre à l'ordred'un nom propre qui est celui despremières traces : là où la mortde Dieu est naissance du désir.

Ainsi, ce que raconte le livre,c'est toujours et obstinément cequ'il est : mémoire de l'arrière­livre perdu depuis toujours.« D'une entreprise qui n'a cher·ché qu'à se libérer du joug de laparole et qui, un jour, s'est enlisédans ses marécages, je n'aurai riensauvé ». Ecrire, c'est se libérer dela parole, tenter de l'effacer jus­qu'à cette arrière-parole qu'estle cri d'origine, cri de mort et denaissance. « Ne crois pas que lelivre, qui n'est pas épargné nonplus par la. maladie, disparaisseavec le livre. Il ne meurt que dansson filigrane. Et nous savons qu'ilnous incombe d'aller le chercherau-delà, où il nous restitue notreunivers écrit. » Cet univers écritque tente de rejoindre l'homme dela Lettre, n'est-ce pas finalement cenom du désir qui n'a pas de nom ?

Le livre de Jabès s'inscrit d'évi·dence dans le champ de l'histoireet de la culture juive. Mais ceseJ:'ait encore masquer l'enjeu dulivre que de le réduire à sa seuleinscription historique. Dire ici quele juif est d'abord homme d'exil,c'est aussi faire ouverture à la mé­moire de cet autre exil qu'est lanaissance - pour chacun d'entrenous. « Car être juif c'est, à lafois, s'exiler dans' la parole etpleurer son exil. Le retour au livreest retour aux sites oubliés. » Exildans la parole du Christ qui, sefaisant entendre, occulte l'écrituredont elle est né. Exil dans laparole de la mère. Les sites oubliéssont aussi ceux des premières ins·criptions, des premières traces ins­crites snr le corps mémoired'écriture. Le livre est au prix deperdre la voix, la parole pleine etchaude de la mère. Car il s'agitbien de remonter derrière la pa­role pour trouver la trace : « lelivre est le lieu où l'écrivain fait,

Parler du livre de Jabès pourl'ouvrir plutôt que pour le fermer,exige d'abord qu'on ne s'embar­rasse d'autre intention que de n'enrien dire, ou de dire à propos dece rien. Suivant ainsi la voie tracéepar le livre, comme impossibilitéet comme absence. Alors seule­ment, risquant par détour de lerejoindre. L'attente, l'oubli. Letitre de M. Blanchot devient ainsimode de lecture. Et si l'on veutencore parler de récit, aux confinsde l'histoire (juive) et d'un désir(muet), ce serait l'histoire du livrelui-même qu'il faudr,ait évoquer,émanation d'un premier livre, ori­ginel et toujours perdu, et commeen écho, l'histoire de. celui quiécrit : s'y perdant et perdant lelivre pour s'y trouver et le trouver.

Cette difficile remontée auxsources du livre se fait sans hâteni souci, mais plutôt par retenueet réserve ; ne laissant sur la pageque l'amorce d'un chant dont lesilence est l'écho; ouvrant desportes vers les marges blanches.

Elya, c'est un livre et un nom.Comme Ya,ël. Les lettres sont lesm·êmes, à l'ordre près. Un livrepour effacer un livre. Un nompour effacer un nom. Parcequ'écrire, c'est toujours réécrire,c'est toujours effacer. Effacer laparole aussi, celle de Yaël, femmed'origine. « Lorsque nous nous ren­contrâmes, Yaël, bien que tousdeux jeunes encore, nous étionsarrivés au terme de notre errance ;toi, dans ton devenir de parole etmoi, dans celui, parallèle, d~hom.me de la Lettre. »

y aël, dans le livre précédent,était la femme de la parole perodue, mémoire d'un nom qui est àl'origine du monde: le nom d'unefemme, et d'une mère. L'hommede la Lettre, celui qui écrit,s'efforce de retenir, en ces motsrares venus s'inscrire sur la page,la mémoire d'un livre toujoursperdu : arrière-livre, comme gageet possibilité du livre. Ainsi lelivre n'est jamais que la porte dulivre, et chaque mot, porte d'unmot perdu. Le livre se fait enten­dre, en un imperceptible murmuredes marges, à fleur de mémoireattentive et distraite. Et il se faitentendre précisément à ce momentprivilégié où l'ordre de la mère,

1Edmond JabèsElyaGallimard, éd., 192 p.

La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970 lS

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AB'I'8

Avant-garde

1Pierre Cabanne et PierreRestany,L'avant-garde au XX" siècle.Balland éd., 474 p.

« L'avant-garde existe, nousl'avons rencontrée. »Cette « dévote» paraphra!le ou­

vre un long dialogue en guise depréface de MM. Cabanne et Resta­ny au cours duquel ils tentent decerner la nature de ces momentsde créativité qu'on appelle avant­garde tant qu'ils n'ont pas été re­connus et accepté8. Pour PierreCabanne, ils 8eraient une rupturesociologique, pour Restany unerupture de langage.

N'entrons pu dam le débat,puisqu'aussi bien l'un et l'autresont d'accord pour affirmer que lebilan qu'ils publient reflète avanttout leur attitude pe1"8onnelle de­vant les «moments, les pe1"8onna­lités, les mouvements d'avant-gar­de depuis le début du siècle )).C'est donc un choix plus qu'unbilan qu'ils propo8ent à traverssoixante-douze articles classés al­phabétiquement, trente-huit àPierre Cabanne contre trente-troisà Restany, le soixante-douzième- et premier puisqu'il s'agit del'abstraction lyrique - leur étantcommun.

Voici, assez doctement énoncépar Pierre Restany, comment aété fait cet équitable partage :« Une 'ois reconnue la dimensionobjective du temps, deux attitudessont possibles : être l' horloger del' histoire qui attend que sonnentles consécrations, ou s'engagerpleinement dans l'aventure dulangage, dans le présent de lacommunication. C'est ce que nousavons laït dans ce livre, dans lalogique de nos personnalités et denos options respectives. ))

Il n'y a pas à s'y tromper. Bienqu'il lui arrive d'avancer sa pen­dule et de chiper Warhol, le hardedge et le cool art à son compère,Pierre Cabanne est bien l'horlogeren question, mais pour ce qui estde l'histoire ce serait plutôt AlainDecaux. La période qu'il a priseen charge, du début du siècle jus>que vers 1945, il la raconte beau­coup plus qu'il ne l'analyse et, dece fait il écrit le plus banalementdu monde le roman de l'avant­garde, tel que bien d'autres avantlui l'ont fait. Rien n'y manque.Soutine est «le peintre crasseuxet lamélique de la Cité Falguiè­re », Diaghilev répond à Cocteau« Etonne-moi )), Paul Guillaumeinvente les bals nègres et Sonia

Il

Delaunay prophéti8e l'avènementdu prêt-à-porter.

Il semblerait pourtant que Ca­banne se veuille plus hardi queses devancie1"8. Il n 'hé8ite pas eneffet à compter au nombre despe1"8onnalités qui pour lui corres­pondent à des étapes-clés del'avant-garde, Aubrey Beardsleydont « le principal titre de gloireest d'avoir tenté de 'aire, avant lesurréalisme et Bacon, l'éducationsexueUe des Anglais)); GaudiCl qui n'a pas lait avancer l'archi­tecture d'un pas»; GertrudeStein et ses frères dont on saitqu'ils soutinrent exclmivementPicasso, Matis!le et Juan Gris, les­quels ne figurent que par la bandeà son ilITentaire. Et pourquoi cetéreintement de Balthus dont on sedemande bien ce qu'il a à voiravec l'avant-garde?

Pierre Cabanne reproche à« l'esthète passéiste Malraux )) sonMusée imaginaire. Pourquoi pas !à chacun son musée, mais le sienne 8erait-il pas le musée Grévin?

Il en va tout autrement avecRestany. Lui, ce sont ses campa­gnes qu'il raconte et personne nesongera à le lui reprocher. Il ena le droit. L'avant.garde, il y par­ticipe, il la vit avec l'impétuosité,la fougue que l'on sait. Il est unde ces critiques promoteU1"8 quiont animé les arts pla8tiques de­puis vingt am. Lo1"8qu'il parle desbiennales ou des galeries expéri­mentales, c'est en connaissance decause et en ce qui concerne Klein,Arman, Raysse et quelques autres,c'est à lui que les futurs horloge1"8de l'histoire auront recours, nonpour savoir s'ils portaient les che·veux longs ou courts, mais pourconnaître le sens de leurs recher­ches, de leurs manifestations.

Certes, il faut faire la part de!leS enthousiumes excessifs, de sesoutrances verbales (Cl César, lemoderne démiurge du polyurétha­ne )), « La grandeur de Fautrier,c'est celle de l'insurgé vain­queur ))) il n'en reste pas moinsqu'il introduit - de façon par­tielle et volontairement partiale,mais il le revendique - aux mul­tiples formes que revêt actuelle­ment ce qu'il est encore convenud'appeler art.

Malheureusement, cela ne sau­rait suffire à justifier pareil ou­vrage qui ressemble par trop à unrecueil factice de fonds de tiroirou de textes écrits à la hâte, queseul en effet, l'ordre alphabétiquepouvait ra88embler. Marcel Billot

1Fernand BenoitArt et Dieux de la Gaule314 photos et 4 cartesArthaud, éd., 200 p.

Dans un vaste domaine del'archéologie, notammentpour les obscures périodesde la protohistoire, l'art estle principal et souvent leseul instrument de connais­sance à l'aide duquel on par­vient peu à peu à déchiffrerles modes d'existence et depensée des peuples dispa­rus. Le titre même de l'ou­vrage de Fernand Benoit, Artet Dieux de la Gaule, estrévélateur de cette indisso­ciable union des croyancesde l'homme et des formescréées de sa main.

C'est souvent à partir de lamort, c'est-à-dire à partir de ceque nous ont livré les nécro­poles, que la vie s'anime auxyeux de ces sortes de nécro­manciens que sont les archéo­logues. Leur tâche n'a pas étéfacile en ce qui concerne unecivilisation aussi dispersée etinstable que le fut le mondedes Celtes.

La complexité des mouve­ments de migration en Europeoccidentale a été telle Qu'il estimpossible de savoir avec pré­cision comment se sont for­mées les zones de populationles plus stables à l'époque dela grande expansion celtique,entre le V," et le Il'" siècleavant J.-C. Pour mieux compren­dre sur Quelles données et surQuelles incertitudes se fondentl'histoire et la géographie dece Que furent, à l'époque deleur indépendance, avant l'in­vasion romaine, les peuplesque, faute d'une meilleure dé­nomination, on appelle gaulois,il serait profitable de commen­cer par lire l'ouvrage de GuidoA. Mansuelli sur les Civilisa­tions de l'Europe ancienne (éga­Iement publié chez Arthaud).On y trouvera une utile ap­proche des problèmes étudiéspar Fernand Benoit.

A partir de l'occupation ro­maine, tout devient plus facilepour l'archéologue et pourl'historien, encore que leschroniques contemporaines ne

puissent être utilisées sanséclaircissements et que beau­coup de pierres n'aient paslivré leur secret. Nous ne con­naissons aucune littérature desCeltes du continent, et cellesde la Celtique insulaire, gal­loise et irlandaise (les poèmesépiques des Mabinogion) , neremontent pas au-delà du hautMoyen Age. Des poèmes chan­tés par les druides ne noussont parvenus que des échoschez les auteurs romains. Ettout ce qui peut être dit ausujet de leur religion se fédultà quelques aperçus sur le cultedes ancêtres et sur la croyanceà la survie. Même plus tard, àl'époque d'une imprégnationromaine des cultes, la part desurvivance d'un.e magie Indo­eur.opéenne devait Introduiredans l'imagerie sculptée dessanctuaires bien des élémentsdemeurés mystérieux.

Aussi, lorsque César, dansses Commentaires de la Guerredes Gaules, citait les dieuxadorés par les Gaulois: Mer­cure, Apollon, Mars, Jupiter,Minerve, nous devons compren­dre qu'il n'était pas en mesurede découvrir en quoi les dieuxainsi nommés se différenciaientprofondément de ceux qu'ilsavaient en partie empruntés àla théogonie gréco-romaine.

Pluralité

des iDflu8nOH

Le reflet de ces conjoncturesspirituelles apparaît dans l'artgaulois en même temps ques'y révèlent les divergencesesthétiques dues à la pluralitédes influences qui ont orientéses créations. Ce manque d'uni­té a été pendant longtemps lacause d'un désintérêt des his­toriens de l'art, sauf en ce quiconcerne les monnaies où s'estmanifesté le style gaulois leplus original. Pour Fernand Be­noit, une continuité celtique sedégage à travers les styles suc­cessifs qu'il étudie à partir desœuvres les plus primitives quela terre gauloise ait recélées.Il constate ainsi la persistancede certains caractères d'originepréhistorique et l'utilisation demotifs et de symboles • barba­res. (le chien et la tête cou­pée) prolongée jusqu'à l'épo­que romanisée.

Page 17: Quinzaine litteraire

La Gaule et ses· dieuxDans le répertoire iconogra­

phique très étendu, les inten­tions symboliques ne sont pastoujours identifiables, surtoutlorsqu'elles se cachent dans lapure abstraction des signes,héritée du langage magique. Leculte du héros, apparu dèsl'époque mégalithique avec lesstatues - menhirs, nombreusesen Corse (où elles ont étél'objet d'une étude approfondiede Roger Grosjean) (1), se re­trouve avec les cavaliers com­battant de Glanum et les figu­res de guerriers, découvertes àEntremont, cette capitale del'archéologie celtique méridio­nale. Ce sont encore des guer­riers qui participent à unescène d'initiation ou de résur­rection sur les parois du chau­dron de Gundestrup trouvédans un marais, au nord duJutland, mais dont l'origine estrestée ignorée. Le beau décoren relief d'argent se réfère authème du «chaudron d'immor­talité. que l'on voit entourédes dieux de la mythologie cel­tique avec leurs attributs:roue de Taranis et maillet de« l'Assommeur., libérateur desâmes. Toute une zoologie fan­tastique y est aussi figurée, legriffon et l'hippocampe ailé voi­sinant avec le serpent des di­vinités chtoniennes.

Le style à la fois réaliste etsynthétique du chaudron deGundestrup se différencie, parsa finesse, des styles étrus­ques ou hellénistiques qui ontapporté leur contribution etsouvent leur lourdeur à lasculpture gallo-romaine. Maiscelle-ci, dans son évolution du1" au lue siècle, s'est affirméepar une technique de la sta­tuaire qui ajoute à ses sourcesromaines un génie particulier.La force, parfois la sensualité,des bas-reliefs de mausolées,annoncent la formation d'unart qui trouvera son plein épa­nouissement au Moyen Age.

Ceux qui ont eu la chance devoir, cet été, l'exposition desTrésors de l'Art champenois auMusée d'Art et d'Histoire deFribourg ont pu remarquer enmême temps que de très bellespièces du xv" et du XVI" siècle,une série de sculptures gallo­romaines provenant du MuséeSaint-Didier, à Langres. A côtéde divinités dont les figura­tions ont été si bien étudiéespar Fernand Benoit : Epona et

Masque de Tarbes.

son cheval, le Dieu cornu, leDieu au maillet, etc., un Bustemasculin, montrant non plusl'effigie d'un dieu mais le por­trait d'un homme vêtu d'une pè­lerine à capuchon, était un ex­cellent exemple de cet art qu'ilne semble pas trop prématuréd'appeler pré-roman. On sentpar quel caractère monumentall'œuvre se rattache encore àl'antiquité et par quel goût

d'une observation sensible lesculpteur appartient déjà à lagrande époque de la sculpturemédiévale.

Par ces pierres sculptées,dont beaucoup sont demeuréeslongtemps dans l'ombre dé­serte des musées d'archéolo­gie, et que des travaux plusattentifs commencent à éclaI­rer d'un jour meilleur, nous ap­paraît de plus en plus instruc-

tive et enrichissante l'explora­tion de la grande nuit gauloise.

Jean Selz,. Roger Grosjean, La Corse avantt'histoire (Klincksieck, 1966).Sur la conquête par les Celtes del'Europe occidentale à l'âge du fer, surleur place dans l'évolution de la civi­lisation occidentale. sur la survivancede leurs mythes et de certaines valeursfondamentales. on lira utilement l'ou­vrage qui vient de paraître de JeanMarkale: Les Ce/tes et /a civilisationceltique. Payot. éd., 492 p. (N.D.L.R.).

La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970 1'7

Page 18: Quinzaine litteraire

B88AI

La nouvelle

La tâche du critique consiste à reforger les maillons

rompus d'une chaine rattachant la création à la connais­

sance, l'art à la science, le mythe au concept.

Northrop FryeAnatomie de la critiqueTraduit de l'anglaispar Guy DurandColl. Sciences Humaines,Gallimard éd., 455 p.

c'est dans l'optique desefforts décisifs que fait la cri­tique littéraire depuis unevingtaine d'années pour cons­tituer son propre objet qu'ilfaut considérer les mérites deces essais dont la publicationaux Etats-Unis remonte à1957. L'intérêt de ce travailréside principalement dans lagageure qu'il tente de- soute­nir à propos de la critique lit­téraire dont Frye veut struc·turer l'édifice à la fois globalet autonome.

Rien, en effet, n'apparaît pluscapital pour l'avenir de ce typed'écriture que de se remettre enquestion par rapport aux autrestypes de discours. On sait aussique cet « exercice» a longtempsété considéré comme « parasi­taire » vis-à·vis de l'œuvre « créa.trice D.

Il s'agit tout d'abord pour N.Frye d'un problème de délimita·tion de champ. Son désir est deconstituer une « grammaire » spé­cifique du discours critique peromettant de le dissocier du langagecréateur qui est l'objet de sesénoncés. Ces « clefs de composi­tion» ne doivent pas non plusrecouper les autres «grammaires»,celles des sciences humaines parexemple. Pour lui, la critique doitêtre par rapport à l'œuvre, ce quela philosophie est à la sagesse,c'est-à-dire un domaine de réfle­xion indépendant. Ce sont leslangages mathématique et musicalqui semblent les plus appropriés àisoler la critique des autres formesde discours, en raison de leur ri­gueur et de leur absence de conte·nu émotionnel. Mais ce sont encoredes formulations idéales...

En fait les essais contenus dansce livre se fondent sur les distinc·tions formulées par Aristote danssa Poétique et sa Rhétorique,d'une part, et sur la pensée Tho·miste, de l'autre, et l'apport del'esthétique allemande, préfich­téenne. Les quatre grands chapitres

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qu'il présente concernent respec.tivement : la critique historique(théorie des modes), la critiqueéthologique (théorie des symboles),la critique des archétypes (théoriedes mythes) _et la critique rhéto.rique (théorie des genres). Lesexemples littéraires sont pris pourla plupart dans la littératureanglaise (on sait que les autres tra­vaux de Frye portent principale.ment sur Shakespeare, Milton etSpencer) et surtout dans l'AncienTestament qui apparaît comme lasource par excellence, l'archétypeprivilégié dont sont issus tous lesautres mythes, symboles et méta­phores de la littérature dans sonensemble.

Partant comme Aristote des ori.gines formelles de l'art, Frye re­prend l'étude des modes tragique,comique et ironique de l'œuvre lit­téraire en utilisant les niveaux decaractérisation des personnagesselon une axiologie rationnelle :dans la mimésis supérieure, lehéros est Dieu ou comparable à

lui, l'œuvre relève alors du mythe,les demi-dieux donnent l'écrituredes légendes, le héros tragique, latragédie et l'épopée. Dans la mi­mésis inférieure, on trouve l'hom­me moyen de la comédie, de lasatire et de l'il'onie. Le mode tra­gique souligne l'aliénation du perosonnage par rapport à son groupesocial, la comédie relève aucontraire de son intégration augroupe. D'une manière générale,les modes supérieurs tendent àl'impossible, au rêve de l'homme,alors que le mode inférieurdemeure plus proche de la réalitéquotidienne.

Le mode thématique qui estcelui de la pensée (diano'ia) s'op­pose au mode imaginatif desmythes (mythos) et à celui de lasituation morale des personnages(ethos). Dans son développementhistorique la création littéraire aprogressivement évolué du mode

imaginatif vers le mode théma­tique, c'est·à-dire de l'a_ffabulationencyclopédique et oraculaire àl'écriture de fiction « thématique »qui ironise sur des situations par­ticulières et humaines.

Frye fait appel aux quatreniveaux de la critique médiévale(littéral, allégorique, éthique etanagogique ou mystique) pourenvisager les niveaux de signifi­cation de l'œuvre du point de vuede sa polysémie fondamentale. Lesymbole peut être littéral ou des­criptif : il est alors une structureverbale minimale renvoyant à lafinalité interne de l'œuvre. Lesymbole abstrait le germe hypo­thétique qui est à la base de toutdiscours littéraire. Les complexesd'images contenus dans un poèmesont la matière, ou texture à la·quelle s'attache l'école de la «Nou­velle Critique » américaine. Celle.ci considère l'œuvre comme une« structure ambiguë de motifsenchevêtrés» dans 1 e s que 1 s« l'image récurrente » du symbole

renvoie à des rapports internes.C'est, pour Frye, une critique decommentaire qui refuse de remon­ter aux sources véritables desimages. En effet, s'il y a tautologiede l'œuvre par rapport à elle·même, elle se situe à un niveauplus profoud et les points de vueheuristiques, pour inépuisablesqu'ils soient, doivent «remonter»dans l'univers des images signi­fiantes jusqu'aux instances d'ordrearchétypal.

Considéré comme fondamental,l'archétype est « l'agent symbo­lique de la communication» à tra·vers les âges; (le symbole n'enreprésente que l'élément instan­tané) il révèle une unité organi­que « semblable à l'unité organi.que de la nature Jl. Sans accréditerl'existence d'un inconscient collec­tif immanent à la création litté­raire (celle-ci est toujours pourFrye, comme pour Aristote

« l'imitation d'une action et/oud'une pensée) l'auteur remonte• la chaîne symbolique des imagessignifiantes» (comme la croix, oula couronne) dans une optiquejungienne et analyse successive­ment les imageries « apocalypti.que », « démonique », et « analo·gique ». Tous ces ensembles se rac­cordent à une totalité archétypalequi fonctionne comme un ordrenaturel et dans lequel se situe l'af­frontement originel entre le désiret la réalité, le rituel et le rêve.Les mythes sont alors des arché·types « déphasés » ou désacralisésqui « descendent» au cours del'histoire depuis le niveau du divinjusqu'à celui de l'humaine condi­tion sous l'égide de grands cycles,tell! ceux de la naissance et de lamort, ou celui des saisons.

Dans son quatrième essai, Fryepropose une classification desœuvres d'art à partir des troisautres catégories aristotéliciennesconcernant la «musique» (mélos),l'aspect visuel (l'opsis) et la dicotion (lexis). Pour lui, la notion derythme est inséparable de l'écri­ture en général. Que ce soit lerythme de récurrence propre à lapoésie, ou le rythme sémantiquedominant dans l'ouvrage en prose,le lyrisme inhérent à la créationartistique se fonde sur l'existence« d'accords fortuits» dans lerythme verbal ; ces accords dénon­cent l'existence d'un centre de gra­vité profond, situé en deçà de lapensée consciente et dans lequelintervient le jeu associatif durêve. La poésie jaillit de ce « mur­mure J) ou « brouillon» et com­pose les éléments de l'imagerie ly.rique, tel un idéogramme chinois,à la manière d'un collage associa­tif qui se détache peu à peu avecson rythme propre des zones feu·trées du subconscient.

Dans l'évolution de l'expressionthéâtrale, qui va du sacré au réa·liste en passant par le mythique« semble se dégager l'idée que lapoésie con.,titue un élément inter­médiaire et médiateur entre la lit.térature et la philosophie, quiviendrait rattacher par ses images,les chaînes symboliques d'événe·ments de la première aux idéesintemporelles de la seconde ».Entre «['autosacramental:ll duMoyen Age et la comédie propre·ment dite se trouvent « le mas­que J) et le mime, dans lesquels lamusique retrouve ses droits aumême titre que l'élément visuel.

Page 19: Quinzaine litteraire

critique ~. .amerlCalne

La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 f~rier .1970

dans la collection

chaque volume: 7.2Df

Anne Fabre-Luce

l'énoncent la psychologie,. la socio~

logie, la psychanalyse et la lin·guistique ?

En dehors de ces questions, aux·quelles, il faut bien l'avouer;'lacritiJIUe contemporaine n'a pas en­core répondu, ce travail présentele mérite insigne de tenter unesynthèse des modes d'approchede l'œuvre d'art (3). Sa lectùre,permettra au critique de mesurer,une fois de plus l'importance deson discours dans un monde où leproblème du langagé et de ses ma·nifestations demeure l'enjeu leplus passionnant, sinon le plus dif.ficile à assumer.

1. R. Genette; 'Enquête SUT la Critique,Tel Qnel, nO 14 p. 70.2. R. Barthes, Critique et Vérité, LeSenil, 1965, p. 46. .3. Les trois niveaux de significatiOn del'œuvre d'an (naturelle, conventionnelleet de contenu), que propose Panofsky,par exemple, JNlI'IÙ8IIent remplacer dansune optique « moderne» le principe decohérence proposé par Aristote. L'œuvred'an et /lU si,nifU:ations, Erwin Panofsky,Gallimard, 1969.

1920-1970: il Ya cinquante ansla scission de tours...

FLAMMARION

SCIENCE•••...DE L'HISTOIRE.J. BOUVIER: NAISSANCE D'UNE BANcaUE: L. CREDIT LYDNNAISF. eRAUOEL : I!CRITS SUR L'HISTDIREP. GOUeERT : 1CC acc PROVINCIAUX AU XVII. SII!CLI!E. LE ROY LADURIE: LI!S PAYSANS DI! LANGIUEDDC

...DE LA NATURET. ooeZHANSKY: L'HEREDITI! I!T LA NATURI! HUMAINI!LECOMTE OU NOUY: L'HDMME DEVANT LA SCII!NCEH. POINCARE : LA SCII!NCE I!T L'HYPDTHESI!R. RUYER: LA CYSI!RNI!TlcaUl!' ET L'DRlcalNI! DI! L'INFDRMATIDN

,.J, ULLMO: LA PENSI!I! SCIENTIFlcaUI! MDDERNE

...DE L1HOMMEFDNTANIER: L.S FIGlURI!S DU DISCCURSW . .JAMES: LI! PRAGIMATISMI!e. RUSSELL: SIGINIFICATIDN ET V.RITI!E. SOURIAU: L.A CORRI!BPDNDANC& DES ARTS

AUX ORIGINESDUCOMMUNISME,FRANÇAIS

ANNIE KRIEGEL

ment construite et qu'elle est ana·logue dans ses fonde.ments à l'or·dre naturel du monde. Dans cetteperspective aristotélicienne de lacontinuité des manifestations, il nesemble pas y' avoir de place pourles. ruptures. '

Ùn objectera sans doute aussi àla fréquence des correspondancesde type élétuentaire auxquelles leslaborieuses nomenclatures de cesessais ont donné lieu (peut-on vrai.ment rapprocher la « petite made­leine» de Proust de l'Eucharis.tie ?). Il y a, à n'en pas douter,un nombre considérable de « faus­ses fenêtres» dans cet édifice oùl'auteur fait correspondre chaquesaison de l'année à un genre litté.raire particulier.

Enfin deux questions se posentsurtout : Pourquoi dem.ander à dessystèmes de pensée révolus (l'Aris­totélisme et le Thomisme) derésoudre les problèmes spécifiquesde l'âge modeme, et ensuite com·ment peut·on envisager d'éviterdans l'activité critique la multidi·mensionalitéde l'homme telle que

de type documentaire exhaustif etencyclopédique (Anatomie de laMélancolie de Hurton), ~enre quise mêle intimement au roman.

C'est dans la Bible que N. Frye8emble situer la 'source communede tous les symboler. littéraires.Elle représente l'archétype domi­nant qui va de la Création à l'Apo.calypl!e au moyen d'un discoursfait d'identifications d'ordre méta­phorique. Forme suprême del'focriture « encyclopédique », ellecontient tous les thèmes de la lit­térature à venir, celui du Retour(l'Odyssée), celui de la Colère(l'Illiade), celui de la Construc­tion ou de la Destruction de laCité, celui des mondes Inférieuret Supérieur (Dante).

La tâche du critique consiste à« reforger les maillons rompusd'une chaîne rattachant la créationà la connaissance, l'art à lascience, le mythe au concept ».

En dehors de la contributionévidente qu'une entreprise de sys­tématisation telle que celle·ci peutoffrir à la critique littéraire entant que discipline autonome, unetentative de cet ordre ne peut man·quer de soulever quelques ques.tions de fond. On peut se deman­der, par exemple en quoi consistela distinction entre ce que Fryeappelle « modes» et ce qu'ilappelle « thèmes» dans l'œuvrf'littéraire. S'agit-il de « tonalité»et de « contenu » ? Pour ce quiest du « symbole » qu'il compareà l'ethos (situé entre la pensée- diano'ïa - et l'action - my­thos), il ne fait pas l'objet d'unevéritable analyse théorique. Sanature contradictoire, 'par exem­ple, (son double aspect de partici­pation et de résistance à la commu·nication des consciences) n'est pasabordé, pas plus qu'il ne l'est pourla métaphore qui semble envisagéesous l'aspect exclusif de « l'identi·fication ». Il semble aussi que lesunités minimales du discours,telles que l'image verbale d'uncôté, et l'archétype premier, del'autre, vus comme lieux de signi.fication intime sont précisémentles éléments sur lesquels s'instauretoute problématique textuelle etnon son point d'aboutissement.

Et puisque, en fait, il s'agit deconcepts anthropologiques appli.qués à une théorie de « l'origine »,comment rendre compte des my­thes sans écriture? L'auteursemble poser comme hypothèseque la littérature est déjà entière.

On peut, de nos jours le placerentre l'opéra (mélos) et le cinéma(opsis), c'est·à·dire à mi·chemindu mélodique et du visuel dans lespectacle. Les « moralités » elles,remontent aux archétypes et à lanaissance de la tragédie telle quela concevait Nietzsche, c'est·à·direà la représentation d'un affronte·ment entre le monde de la foliedionysiaque et celui de l'ordreapollinien.

A l'intérieur du cycle lyriqueque constitue l'œuvre d'art en gé.néral, poésie et fiction se rejoi.gnent grâce à la continuité desarchétypes. C'est ainsi que Fryepeut rattacher les processus d'~s.sociation oraculaire propre auxtextes sacrés (où dominent la pro­phétie, l'aphorisme, la paraboleet le proverbe) au lyrisme poéti­que moderne de Hopkins ou deT.S. Eliot. Leur ambiguïté poé­tique n'est pas différente en na­ture de celle des psaumes hébraï·ques par exemple. La fable et laparabole se retrouvent donc auxdeux extrémités de la chaîne histo·rique dans une association spéci­fique qui est celle des rythmessémantique (de la prose) etrécurrent (de la poésie).

Frye fait une distinction inté­ressante entre la fiction et le ro·manesque du point de vue de laconception des personnages : leromanesque, genre plus ancien,présen,te, de!! êtres stylisés, irréels,et « susceptible de représenter desarchétypes psychologiques» enrapport avec l'interprétation detype jungien. Le roman tend aucontraire vers la singularité de casindividuels et l'intégration de samatière à une conception de latemporalité de type occidental,c'est-à-dire le plus souvent contem·porain. Le romanesque demeureun genre plus universel et prochedu mythe.

Les autres formes de fiction ~iexistent à côté du « romanesque »et du « roman » sont « la confes­sion» dans laquelle la réflexiond'ordre politique, religieux ouesthétique domine (Rousseau),« la satire» de type Ménippéenqui ridiculise le « philosophe glo.rieux » et s'intéresse aux attitudesmentales des personnages comme àdes maladies de la pensée (Vol.taire, Rahelais, Swift) - alors quele romancier voit dans les attitudesde ses personnages des maladiesde la société et enfin « l'anato.mie » qui correspond à une œuvre

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ÉCONOMIE

LesPhysiocrates U.S.A. 1985

POLITIQUE

HI8TOIRB

car il montre de façon convain­cante l'importance de Quesnay surle plan des techniques d'analyseéconomique. Son Tableau, qui dé­crivait graphiquement la créationet la circulation des richesses à par­tir du secteur agricole, est en effetà l'origine des modèles économi­ques (tels que ceux de Leontieff),qui retracent les relations entre lesdiverses branches d'une économieet permettent, par exemple, de me­surer l'incidence d'une variation dela dépense (publique ou privée) surles niveaux de production respec­tifs de ces branches.

Il y a plus : Quesnay ne fut passimplement un précurseur remar­quable de ce qu'on pourrait appe­ler l'analyse macro-économique. Sonoriginalité, c'est aussi d'avoir affir·mé, comme le dit très bien HerbertLüthy (1) que « le travail humainne peut créer des richesses qu'ens'alliant aux forces productives dela Terre ». Est-ce aller à l'encontrede l'analyse marxiste? Je ne le croispas personnellement, si l'on veutbien se souvenir que l'apport deQuesnay a consisté à fonder la va­leur économique sur des bases natu­relles, à savoir les ressources dumême nom, alors que Marx, touten prenant comme fondement de lavaleur le travail humain, donc del'offre, n'a cessé en même tempsd'insister sur l'origine sociale desbesoins humains, c'est-à-dire de lademande. Or s'il est vrai que letravail humain devient au fil dutemps plus productif grâce au pro­grès scientifique et technique, etque les besoins changent en fonc­tion de la dynamique des sociétés,nous commençons maintenant àprendre conscience que la dialecti­que du travail et des besoins s'in·sère inévitablement dans un milieunaturel sans lequel la mécaniqueéconomique finirait par tourner àvide (2).

Ainsi notre dette intellectuelleenvers Quesnay, c'est d'avoir réin­troduit cette partie ~anquante, lanature, qui après avoir été édifiéesous ce qu'Auguste Comte appelaitl'âge théologique, avait été par unexcès inverse totalement passée soussilence par les libéraux et les socia­listes, pour une fois d'accord.

Bernard Cazes

François QuesnayTableau économiquedes PhysiocratesColl. « Les fondateursde l'économie»

. Calmann-Lévy éd., 272 p.

Voici une nouvelle collection quiva enfin permettre d'accéder, pour

.un prix modéré, aux grands texteséconomiques qui étaient générale­ment épuisés ou repris dans deséditions pour spécialistes. Son pre­mier titre : les écrits essentiels deFrançois Quesnay.

Si l'on ne connaît les physiocra­tes que par l'ironie voltairienne del'Homme aux quarante écus, cechoix peut surprendre. La présen­tation historique et théorique rédi­gée par M. Lutfalla est propre àéliminer d'éventuelles préventions,

ESPRITLettre sur

l'homosexualité•

L'Université :enquête aux U.S.A.

•Giacometti

•La violence

selon Freud etselon la Bible

•L'armée française

ou Tchad•

FËVRIER 1970, 8 F

ESPRIT 19, rue Jacob, Paris 68 l'l C.c.P. Paris 1154-51

(1)

(2)

Le Passé pr6sent. éd. du Rocher,p. 163.C'est d'ailleurs un des aspectsles plus originaux du livre deRlchta. la Civilisation au carre­four (Anthropos) que ce rappelde la dimension écologique dela vie économique et sociale.

1Donald N. MichaelU.S.A. 1985,Editions ouvrières, 215 p.

Une histoire vraie, et bien sûr cari·caturée, permet de définir l'attitudeprospective : en France, lorsqu'il s'estagi d'élaborer une politique de la jeu·nesse, on s'est adressé aux jeunes pourleur demander leurs opinions, leursdésirs, leurs espoirs. On a oublié quelc temps du dépouillement et de l'inter·prp.tation, de la définition et de la miseen œuvre de la politique choisie, lesjeunes pour lesquels celte politiquedevait être fondée étaient devenus desCt v·jeux n.

Aux Etats.Cnis, lorsque le ministèrede la Santé, de l'Education et desAffaires Sociales a voulu élaborer unepolitique satisfaisante de la jeunesse, ils'e~t adressé à un sociologue pour luidemander ce que seront les Etats·Unisen 1985. A partir de ce point d'arrivée,une politique cohérente et utile peutêtre préparée (sera·t·elle en œuvre?·c'est une autre histoire).

Le livre de Donald Michael est lerésultat Je cette enquête prospective.Ecrit simplement (et fort bien traduit),il est une recherche de bonne foi dllfutur probable de la société et de l'éco·nomie américaine. Si aucun palier de laréalité sociale n'est oublié (on trouverades développements intéressants sur lafamille et la sexualité), c'est sur la tech·nologie, l'économie et plus généralementsur l'extension de la rationalité à tous lestypes d'activité (l'économie est, rappe·lons.le, la science de l'aménagementrationnelle des ressources rares) quel'auteur a les choses les plus stimulantesà nous dire.

Retenons que, malgré les grands pro·grès de l'enseignement (machines àenseigner, etc.) le monde d'après.de.main souffrira d'une pénurie de main·d'œuvre qualifiée, la main·d'œuvrenon for m é e , notamment noire,étant au contraire excessive, et que leshommes nouveaux - chercheurs scien·tifiques, mathématiciens, économistesspécialistes des ordinateurs (la « techno·structure» chère à Galbraith) - travail·leront 60 à 70 heures par semaine. Voilàqui chan!!e des prophéties de certainsou des 35 heures présentes du plombiernew·yorkais.

Surtout le règne de l'ordinateur - ceque l'auteur appelle la cybernation ­conduira au travail continu, 24 heuressur 24. On voit immédiatement les consé·quences de cette activité échevelée surle peu de vie de famille qui restera en1985'! Il ne semble pas que l'autemles ait toutes tirées.

Donald Michael s'effraie des possibi·lités de sur-production : le vieux mythestagnationniste renait. Michael écrit :« Il &e peut que notre cOMommationnationale ne &oit plU &u//i&ante pourmaintenir le chômage (des non qualüiés)à un ni"eau tolérable ». Aussi faudra·t·iltrouver un système pour surpayer lesinutiles et permettre à la machinede con tin uer de tourner ration­nellement. Le rôle de l'Etat ne manquerapas de s'étendre sous la pression de cesfaits.

L'auteur conclut sur le caractère nonagréable du tableau tracé et sur sonpessimisme. En 't'ériré•..

1Fernand BraudelEcrits sur l'HistoireFlammarion éd.

L'œuvre de Fernand Braudelest considérable. Les écrits del'historien, la Méditerranée et lemonde méditerranéen à l'époquede Philippe Il - achevé il y amaintenant presque un quart desiècle -, Civilisation matérielleet capitalisme, paru en 1967, en­tre autres, constituent mainte­nant des modèles et ceux qui,historiens ou théoriciens, s'inté­ressent aux méthodes dessciences historiques ne peuventmanquer de s 'y référer.

Au . Collège de France, depuis1950, l'enseignant a révélé des do­maines de recherches nouveaux eta allié au travail historien la cri.tique de ce travail. A la sixièmesection de l'Ecole pratique desHautes Etudes, il a encouragé etprotégé les chercheurs qui vou­laient du nouveau, alors qu'iln'était pas entièrement d'accordavec eux. Et il a contribué à fairedes « Annales (Economie-Société­Civilisation) » la revue historiquela plus riche, la plus vivante et laplus solide qu'on puisse lire actuel­lement.

Précisément, l'intérêt de ce re­cueil de Fernand Braudel, Ecrit:.sur l'Histoire - qui regroupe destextes allant de 1946 l 1963 ­est de présenter les divers .aspectsde cette activité. Les articles sontdistribués en trois rubriques d'iné­gale longueur : le:. Temp:. del'Histoire, l'Histoire et les autre:.sciences de l'homme, Histoire etTemps présent. Il n'est pas sûr queces titres soient bien choisis. Ils ont,en effet, un côté formel qui ne rendnullement oompte du frémissementdes pages, de leur écriture, tantôtironique, tantôt érudite, tantôt cha­leureuse.

En fait, à travers ces différentstextes - différents par les objets,le ton, les objectifs - se manifes­tent, semhle-t-il, les trois « obses­sions » majeures de Fernand Brau­del. N'essayons pas de les classeret risquons l'arbitraire. Il y ad'abord le thème de l' « intérêt J)

ou de l' « utilité » de l'histoire.On retrouve ici l'admirateur deMichelet. Que l'historien s'entourede toutes les préca~tions, qu'ilfasse œuvre de science, qu'il uti­lise le contrôle des « disciplinesannexes » : il ne .saurait oublierque son travail - porterait-il sur

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Un grand historienle passé le plus lointain ou l'objetle plus abstrait - est du présent,qu'il a rapport à celui-ci et qu'enaucun cas ne saurait être aboliela co-présence du jadis, du naguèreet du maintenant.

Remarquable à cet égard estl'analyse consacrée au livre deMarwin Harris sur une petite villebrésilienne: l'étude portant sur lasituation actuelle de Minas Velhas- qui a survécu à « la catastro­phe des mines d'or» - rend intel­ligibles « les mécanismes mé.dié·vaux ou à demi-modernes que nousoffre l'histoire européenne ». Déjàles prétentions de la philosophiede l'histoire sont contestées, quivoudraient que l'ordre d'une pré­tendue chronologie mondiale pré­side au choix des historiens. Maisc'est plus encore dans le chapitre Vdu vingtième tome de l'Encyclopé­die française que se manifeste cerefus du· « tout-fait» de l'histoirespéculative. On se réjouira fort, parexemple, qu'à propos d'un essai dedéfinition de la notion de civilisa­tion, soient dénoncées les insuffi­sances radicales des « livres clairs,des plaidoieries habiles, des évoca­tions intelligentes d'Arnold Toyn­bee» ou les improvisations poéti­ques d'Oswald Spengler. Bref, l'his­torien n'a pas à supposer un ordrepréalable, manifeste ou caché ­qu'il soit désigné comme destin, cy­cle, répétition ou progrès -. Dansson présent, il a affaire à une dis­persion ;' il doit, dès lors, décou­vrir des fils, tisser une trame, sa­voir jusqu'où « on peut aller troploin» (dans le passé) et reconsti­tuer, ainsi des temporalités.

Voici la deuxième « obsession »admirateur cette fois de ceux qu'ilnomme ses maîtres, Lucien Febvreet Marc Bloch, Fernand Braudelpose la question essentielle dessciences politiques, aujourd'huicelle qui est la plus souvent éludée.Entendons bien qu'il ne s'agit pasde la question philosophique dutemps et de sa nature : le problèmeest celui de la pratique de l'histo­rien face aux « consécutions tem-·porelles», « aux suites d'événe­ments» que, dit-on, lui offre lepassé. Deux interrogations intedè­rent ici.

Celle du « fil du temps»d'abord. Voici un fi: présent» : unprésent politique, par exemple:jusqu'où est-on en droit de remon­ter pour que s'établisse une bonneexplication; car il' arrive qu'aucours de cette régression, le « fil »

se casse et que, dès lors, on entredans la variation romanesque. Ce­la, on l'appelle aussi le problème dela périodisation. Mais à le poserainsi, on reste dans l'abstrait. Fer­nand Braudel suggère constammentque la' pratique historienne aaffaire à des questions plus techni­ques, et qui exigent autre choseque des réflexions théoriques surla validité de telle ou telle cou­pure, traditionnelle ou originale.

Ainsi, la seconde « obsession »s'articule autour d'un thème plusimportant encore; celui de la di­versité des niveaux de temporalité.La chronologie - celle des événe­ments repérés, celle des années ­est un cadre vide. Quant aux infor­mations que livre - après queleffort! - le passé, il importe deles ordonner. La philosophie del'histoire - d'Augustin à Hegel età Spencer -, suivant en cela lesrécits historiens classiques - nefait guère de manières : pour or­donner son discours, elle s'accom­mode de ce cadre vide. Or, remar­que F. Braudel, et ce n'est pas parhasard qu'il a mis en tête de cerecueil quelques pages de la pré­face à la Méditerranée... à l'époquede Philippe 11, ce qui compte, cen'est pas le temps, le devenir, engénéral, mais la temporalité, pourainsi dire, matérielle - au sens oùBachelard utilisait cet adjectif -,les modes de vie réels (et imaginai­res) des sociétés. Sans doute, faut-ilen venir enfin à « l'histoire tradi·tionnelle, si l'on veut l'histoire nonde l'homme, mais de l'individu,l'histoire événementielle»; maisen-deçà il y a l'histoire sociale,« celle des groupes et des groupe­ments »; en-deçà plus profondé­ment, il y a « une histoire quasi­immobile, celle de l'homme dansses rapports avec le milieu quil'entoure... :

Je n'ai pas voulu négliger cettehistoire-là, presque hors du temps,au contact des choses inanimées, nime contenter, à son sujet, de cestraditionnelles introductions géo­graphiques à l'histoire, inutilementplacées au seuil de tant de livres,avec leurs paysages minéraux, leurslabours et leurs fleurs qu'on mon­tre rapidement et dont ensuite iln'est plus jamais question, commesi les fleurs ne revenaient pas avecchaque printemps, .comme si lestroupeaux s'arrêtaient .dans leursdéplacements, comme si les naviresn'avaient pas à voguer sur une merréelle, qui change av'ec les saisons.»

C'est cette histoire quasi-immo-

Fernand Braudel.

bile qui fascine Fernand Braudel,c'est à elle qu'il a consacré sesanalyses les plus riches et les plusnovatrices. N'est-il point, dès lors,sociologue autant qu'historien ? Latroisième « obsession » s'inscritici: les Ecrits sur l'Histoire posentconstamment la question du statutde la science historique face à cesdisciplines nouvelles-venues, impé­rialistes, remuantes, la sociologie,la psychanalyse, l'ethnologie. Ds'interroge sur la place que doiventoccuper ce qu'on tient trop facile­ment pour des l( sciences annexes »:la démographie, les géographies,l'économie, l'anthropologie physi­que, mais il ne tombe pas dans lepiège de l'interdisciplinarité. Ilsait bien que le « pluridiscipli­naire » à la mode est le « Tout enun » du n'importe quoi de la cul­ture, dont l'expresse finalité est laformation des cadres, de l'agent im­mobilier au P.D.G.; il sait bienqu'il convient de poser le problèmedes relations entre disciplines entermes tout à la fois institution­nels, techniques et théoriques. Celavaut à son lecteur des études d'au­tant plus probantes qu'elles trai­tent, non de telle relation en géné­ral - celle de l'histoire à la démo­graphie ou à l'étude statistique -,mais d'ouvrages effectivementécrits - de M. Sorre, de P. Chau­nu, d'O. Brenner, de A. Sauvy,d'E. Wagemann, de L. Chevalier ­pour les évaluer dans leurs résul­tats et leurs méthodes.

A la lecture de ces remarquablescritiques on en vient à se demandersi la perspective de Fernand Brau·deI n'est pas trop modeste ou, sil'on préfère, resserrée. Sévère pourles historiens «de profession:e,n'est-il point trop accueillant pour

les « sciences rivales », pour la so­ciologie en particulier ? Celle-ci, illa reçoit tout entière - avec unebienveillance trop grande. Il dialo­gue avec Georges Gurvitch commesi celui-ci, quelqu'ait été son ap­port, représentait l'essentiel des re­cherches de ce type ; il se met, pou.rainsi dire, en retrait par rapport àces disciplines de la fi: généralitéhumaine»: la sociologie, maisaussi la psychanalyse, la philoso­phie (dont il n'étudie pas précisé­ment l'impact sur l'histoire maisqu'on sent implicitement présen­tes).

Par souci de libéralisme, par vo­lonté de briser les cadres institu­tionnels, par volonté de donner àla recherche scientifique les chan·ces qui lui restent, Fernand Brau­del en arrive quelquefois à ne pasreconnaître aux travaux historiquesl'importance exemplaire qu'ils ontaujourd'hui. Il est vrai que les his­toriens ont des difficultés à élaborerleurs méthodes et que, souvent, lesplus inventifs sont dans le le droit­fil» d'une référence quelque peumassive: démographique ou autre.Il est vrai aussi qu'il y a plus d'in­formations, de suggestions dansleurs textes que dans les exposésprogrammatiques des théoricienssociologues, dans les réflexions desphilosophes sur la nature du tempsou dans les méditations des préten­dus adeptes de Freud sur le rap­port travail-désir.

Certes, fi: il n'y a pas de voieroyale pour la science», commel'écrit Marx à La Châtre - phraseque rappelle opportunément Fer­nand Braudel. Mais cet énoncé, ilconvient de l'entendre non commeaffirmation d'un empirisme prêt àtout recueillir, mais comme for­mule polémique. Cela signifie quechaque science - constituée parune tradition - doit sans cessedétruire ses méthodes, ses modèles,ses objectifs, son objet et s'interro­ger sur les relations qu'elle entre­tient avec les institutions. Et c'estd'abord dans son propre travail,dans les obstacles qu'elle y rencon­tre, dans le combat qu'elle doit me­ner contre l'ordre idéologique etadministratif régnant, qu'~lle puisesa force questionnante. Au vrai, leshistoriens n'ont guère à recevoir au­jourd'hui, de la sociologie en géné­ral, de la philosophie en général...Ils ont à construire leur science :dans leur pléthorique solitude.Comme l'a fait, dans son œuvre,Fernand Braudel.

Françoi.$ Châtelet

La Quinzaine littéraire, du 16 cm .28;évriB 1970 21

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POLITIQUE

DjilasBaudelaire

Guernica

( ... ] Personne ne s'étonnera qu'une pen·sée finDle, suprême, jaillisse du cerveaudu rêveur : «Je suis devenu Dieu!"qu'un cri SGUooge, ardent, s'élance de sapoitrine avec une én.ergie telle, une tellepuissance de projection, que, si les volon·tés et les croyances d'un homme ivreavaient une vertu efficace, ce cri culbute­rait les anges disséminés dans les cheminsdu ciel: « Je suis un Dieu! • Mais bien·tôt cet ouragan d'orgueil se transforme enune température de béatitude calme,muette, reposée, et l'universalité des êtresse présente colorée et comme illuminéepar une aurore sulfureuse Si par hasardun vague souvenir se glisse dans l'âmede ce déplorable bienheureux : N'y aurait­il pas un autre dieu? croyez qu'il seredressera devant celui-là, qu'il discutera­ses volontés et qu'il l'affrontera sans ter­reur. Qeul est le philosophe français qui

Après l'échange de lettres entreM. Brian Crozier (Franco, Mercure deFrance) et M. Herbert Southworth (voirla Quinzaine, n° 86, du 1« au 15 jan­vier), M. Brian Crozier nous écrit à nou­veau, et en particulier ceci :

Le 15 janvier 1970

S'il est exact que la partie de Guerniclloù se trouvent les bâtiments municipauxet le fameux chêne sacré étaient absolu­ment intacts après le supposé bombarde­ment nazi, il est bien évident que, lacause de la destruction partielle de laville, il faut la chercher ailleurs. Il n'estmême pas besoin d'être aviateur pourcomprendre cette évidence : il suffitd'avoir fait l'expérience des raids aériensdes anneés trente ou quarante. C'est moncas, et c'est, je suppose, le cas deM. Southworth. Sur ce point, qui est fon.damental, M. Southworth n'a rien dit. Ils'est borné à tenter de jeter le discrédit,ur Sir Archibald lames et moi-même.C'est facile, mais cela n'ajoute rien àl'évidence.

Par ailleurs, je n'ai jamais dit, ainsique M. Southworth me le reproche, quele professeur Seton-Watson m'avait sou­tenu sur le point précis de Guernica(lequel, soit dit en passant, est importanten soi mais d'une importance très relative.dans une biographe de Franco). Mais puis­qu'il me cite un passage de Seton-Watson,je lui rends la pareille. Dans le Spectatorde Londres du 24 novembre 1967, le pro­fesseur Seton-Watson a écrit, au sujet demon Franco :

oc Pour moi aussi, Franco était un desgrands «vilains. du drame intematio­nal, d'autant plus odieux qu'il seÎnblaitêtre de son propre gré l'agent de « l'archi­vilain D, Adolf Hitler. Cette vue sim­pliste ne suffit plus en 1967. M. Croziera re-examiné la carrière de Franco à lalumière des trente dernières années. Ila étudié une large gamme de sourcesespagnoles, il a vécu et travaillé en Espa­gne et causé avec de nombreux partici­pants aux événements, y compris Francolui·même. Le public anglophone a de bon­nes raisons de lui en savoir gré.,.

pour railler les doctrines allemandes mo­dernes, disait : «Je suis un dieu qui aimal diné ? " Cette ironie ne mordrait passur un esprit enlevé par le haschisch; ilrépondrait tranquillement : «Il est p0s­

sible que j'aie mal diné, mais je suis undieu.•

Ch. Baudelaire,

Les Paradis artificiels,Le Poème du haschisch.

Paris, « Bibliothèque de la Pléiade.[1961], p. 382·383.

L'auteur d'un travail sur Baudelairedemande si quelqu'un d'entre nos lec·teurs pourrait répondre à la question poséedans l'extrait ci-dessus des Paradis arti­ficiels : "Quel est le philosophe françaisqui, pour railler les doctrines allemandesmodernes, disait : «Je suis un dieu quiai mal dîné? •.

Pour ma part, je me réjouis de IGvoirque M. Southworth a l'intention de pré­senter à l'Université de Paris une thèsetraitant de la destruction de Guernica.

Brian Cro:r.ier.

D'autre part, M. Seton-Watson, dont lenom a été prononcé par les deux jouteurs,nous écrit ceci :

21 janvier 1970

L'auteur du livre cité por M. Southworthétait mon père, l'historien R.W. Seton­Watson, mort en 1951.

Lo critique du livre de M. Crozier quej'ai écrit pour l'hebdomadaire Spectatordu 24 novembre 1967, et que M. Croziercite dans la lettre qu'il vous a envoyéele 15 janvier, et dont il vient de m'envoyerune copie, qualifie ce livre d'étude sérieu­se et utile de la vie de Franco. SiM. Southworth lit le texte entier de monarticle, je ne pense pas qu'il en recevral'impression que je sois admirateur dugénéral. Le livre me semblait intéressant,et utile pour le public anglophone non­spécialiste qui veut se renseigner sur unepersonnalité importante de la politiqueinternationale. Cela n'empêche pas que lelivre puisse contenir des erreurs de fait.Je suis trop peu spécialiste des affairesespagnoles pour que je puisse reconnaîtrede telles erreurs, mais je sais bien, demon expérience personnelle d'historien d~

l'époque contemporaine d'autres pays,combien il est difficile d'éliminer leserreurs même dans des matières que l'onconnait relativement bien.

le suis absolument incompétent d'expri­mer une opinion sur la question du bom­bardement de Guernica. Je connais M. Cro­zier personnellement depuis des années, etje le connais comme journaliste, écrivainet commentateur sérieux de la politiqueinternationale. Perosnne n'est infaillible,mais M. Cro:r.ier est un homme d'hon.neur.

H. Seton-Watson,University of London

SchOllI of Slavonic and East EuropeanStudies.

1Milovan DjilasUne société imparfaiteCalmann.Lévy éd., 291 p.

De la Nouvelle Classe à uneSociété imparfaite, le chemin par.couru est long. Dans le premierlivre, un homme politique ausommet du pouvoir accusait le ré.gime dont il était cobâtisseur den'avoir pas su respecter la doctri·ne qui le fondait. Il dénonçait(dans une société qui prétendaitréaliser l'égalité et qui se voulaitsans classes) la formation d'unnouveau groupe de privilégiés,constitué par les bureaucrates duparti. En 1969, il rejette la doctri·ne elle·même. La Nouvelle Classesemblait aboutir à des conclusionsoptimistes : le croyant avait vules imperfections de sa religion,ou plutôt le mauvais usage qui enétait fait. Une fois les conscienceséveillées par la révélation de cesperversités, les dirigeants pou­vaient rentrer dans le droit che·min montré par le marxisme.

Une Société imparfaite est unlivre pessimiste. L'auteur ne croit

Miluvan Djilas.

plus à la cOllstruction d'une socié·té parfaite, qu'elle s'aide du marexisme ou de n'importe quelle au·tre idéologie : « ..•j'affirme qu'iln'existe pas de système absolu­ment supérieur aux autres, et deplus, que les systèmes fondés surla propriété privée ou la bureau­cratie du parti sont les uns com·me les autres inadaptés à la viedes nations et des hommes d'au·jourd'hui. »

La critique du marxisme déve·loppée dans Une socl.ete impar.faite part de deux hypothèses,présentées déjà dans la NouvelleClasse et qu'appuie l'observationempirique.

Premièrement, tout pouvoird'Etat né d'une révolution com·muniste se transforme progressive.ment en un gouvernement natio·nal, ou plus exactement en uneforme du communisme national.

Deuxièmement, le communismeest en voie de transformationcontinue, quoique demeurantidentique à lui.même quant aufond : ce qui demeure c'est unsystème selon lequel un monopoledu pouvoir règne sur l'économie,ainsi que sur ]a vie tout entière dupays. Le communisme d'aujour·d'hui est désintégré, car il a pero(lu son homogénéité, il « se dis·perse en autant de variétés qu'ily a de pays qui se réclament delui, et dont chacun diffère 'des au·tn~s sous le rapport de la doctrinecomme sous celui de la pratiquepolitique ». Mais cette désintégra.tion en communismes nationauxs'accompagne de l'éclatement dumarxisme.léninisme. Une idéolo·/!ie, considérée comme monoliti.que et monopolistique, se frac·t ionne en se fondant sur des basesnationales, et cela bien que, fidèleà l'héritage marxiste, les commu·nistes considèrent le nationalismecomme le plus mortel des péchés.Le marxisme, en se partageant en·tre des idéologies nationales, aperdu de sa force d'intégration, etprouvé qu'il est semblable à tousles autres mouvements qui se sontfixé des objectifs ultimes idéale­ment définis, « Les uns et les au·tres ont réalisé ce qui était pas·.~ible historiquement et sociale­ment, mais n'ont rien inventé et,à cet égard, ils présentent les mê·mes caractéristiques de réalismeou d'utopie que les sociétés et lesrévolutions qui les ont précédés. »

Restant fidèles à eux·mêmes, les

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Vivre en U.R.S.S.pays communistes ne peuvent passortir du dilemme où ils se sontenfermés. Ils n'ont pas plus dechance de transformer le marxis­me, et ce, au nom de la doctrineelle-même. L'impossibilité d'unprogrès quelconque peut-être im.putée à deux causes. D'une part,le marxisme se fige en une doctri­ne immuable dont la définition etle maintien appartiennent au mê­me groupe ; la doctrine résiste àtoutes les objections de la scienceou de l'expérience. En outre, sonimmuabilité est maintenue par lesgroupes dirigeants, qui freinenttoute transformation par « peurde perdre des privilèges économi.ques, par peur que le système depropriété qui les 'dote des avanta­ges matériels dont ils disposent nedisparaisse ».

Toutes les tentatives derenouveler le marxisme del'intérieur ont échoué.

L'expérience montre que toutesles tentatives de renouveler lemarxisme de l'intérieur (fut.cesimplement pour 1'« humaniser »)ont échoué. A vrai dire, elles nepouvaient p,as ne pas échouer, carune telle mutation équivaudrait àune destruction. La doctrine nepeut rester inébranlable qu'enanéantissant toute autre formeidéologique; l'ouverture SUl' lemonde conduirait inévitablementà la fin de la suprématie du mar­xisme en tant qu'idéologie. Sonimmu.abilité rend le marxisme« incapable de résoudre les pru­b:lèmes foooamentaux qui se po­sent aujourd'hui aux nations vi­vant sous sa loi car, en dépit descommunistes, des nouvelles formesde propriété et de nouveaux rap­ports de production se développentdans les pays socialistes brisant lespréjugés idéologiques et les stéréo­types bureaucratiques. » Au surplusI.a critique de Djilas vise, au-delàdu marxisme, toutes les idéologi~s

qui voudraient s'imposer totale­ment à l'homme.

S'il n'y a pas de salut dans lecommunisme, où l'homme peut.ille trouver, selon Djilas ? Dans laliberté de l'esprit sur le plan in­tellectuel, et dans la collaborationpacifique entre toutes les nationssur le plan économique. Incapa.ble de construire la société parfai.te l'homme ne peut qu'essayer del'améliorer; la situ~tion actuelledes pays communistes emprisonnés

1Sacha SimonLa gagelUe soviétiqueLaffont éd. 380 p.

Georges BortoliVivre à MoscouLaffont éd. 222 p.

Entre les schémas des doctes et la viequotidienne, il est vain de chercher lesrelais, l'explication : la réalité soviéti·que est bien souvent insaisissable. Deuxjournalistes qui ont séjourné de longuesannées en U.R.S.S. essaient, simultané·ment, de relater leur expérience.

Sacha Simon ne manque jamais del'intégrer dans un savoir : il présente,ainsi, un livre à deux tonalités, oùl'anecdote et le vécu appuient ou confir­ment la description et l'analyse. La Ga­gelUe soviétique est une sorte de petiteintroduction à l'U.R.S.S., bourrée d'in­formations utiles, pertinente et quireflète le point de vue de l'Occidental,toujours prêt à juger, à évaluer, à corn·parer.

Celle analyse clinique révèle les sym­pathies de l'auteur. Il aime les Russes,même soviétiques, mais les aspectsrévolutionnaires de l'organisation de lasociété le concernent, au fond, assez peu.Il est plus à son aise pour faire l'inven·taire de toutes les oppressions que lesystème secrète que pour décrire sesréussites. Il est vrai que celles-ci ne sontpas toujours sensibles aux Soviétiqueseux.mêmes, plus prompts à critiquer lesmille et un tracas de l'administrationqu'à établir un diagnostic exact de lasituation sociale, comparé à celle despays non socialistes. Je sais bien quenous sommes ceDllés la connaitre et quenous avons été suffisamment abusés:est-ce une raison pour expédier' en quel.ques lignes des conquêtes aussi impor­tantes que la sécurité de l'emploi, l'or­ganisation, le système éducatif, l'hygiènesociale, le soutien aux personnes âgées,la réduction de la misère ?

Est·ce parce qu'il n'a pas des objectifsaussi ambitieux? l'ouvrage de GeorgesBortoli nous a fait respirer un air plusdétendu, plus frais, plus soviétique.Aussi vraies que nature, vivementdécrites, ses scénettes de, la vie' quoti­dienne nous apprennent infiniment plusqu'il n'y paraît sur la réalité soviétique.Certes, le fichier du soviétologue ne s'yenrichit ni d'un fait ni d'un ~oncept.

Mais il se divertit et a l'impression, parinstants, de lire, pour l'Union Soviéti·que, les nouveaux carnets du MajorThompson.

M. F.

dans le corset d'une doctrine tota­litaire, ne leur permet pas ceteffort.

Ce n'est pas là un réquisitoire,ni une analyse scientifique dumarxisme de Marx, mais un juge­ment sur la pratique du matéria­lisme dialectique dans les paysdits communistes.

Janina Lagneau

1. Publié dès 1956 aux Etats· Unis, tra­duction française chez Calmann-Lévy.

Je suivais avec intérêt l'émission télévisée intitulée Pelengator(le Goniomètre). La séquence type était la suivante: le présenta­teur exhibait un objet quelconque - mettons un rasoir électrique- en annonçant :

• Voici le nouveau rasoir fabriqué par l'usine numéro... de laville de... Nous invitons tout spectateur qui aurait pu l'utiliser sanss'arracher la peau du visage à nous écrire d'urgence.

- Quant aux autres, à tous les autres qui se sont écorchés jus­qu'au sang, qu'ils évitent de nous envoyer des lettres. Notre secré­tariat n'est pas assez nombreux. -

Pelengator diffusà, plusieurs semaines de suite, un • concoursdu plus mauvais objet -. Le jury décerna le premier prix à un nou­veau magnétophone transistorisé où personne, semble-t-il, n'avaitjamais pu enregistrer le moindre son. Le second prix fut attribuéà des collants pour enfants - article précieux sous ces climats ­qui, fabriqués en série, présentaient néanmoins une légère imper­fection. Dans chaque paire, l'un des pieds regardait vers l'avant,l'autre vers l'arrière.

Le travallJ'observe les ouvriers qui repeignent mon appartement. Et je suis

fasciné par leur faculté de rester allongés sur une bâche en grillantdes cigarettes. Cela s'appelle le perekour, ou pause-tabac. Maisquelles pauses, grand Dieu! Le plus gros du travail est assuré parles femmes de l'équipe, leurs compagnons manifestant la plus viverépugnance à prendre le rouleau en main.

J'ai vu les camionneurs semer négligemment leur chargementtout au long des routes (faites très attention si vous roulez là-bas.Vous pouvez voir surgir devant votre capot n'importe quoi, de labrique au madrier). J'ai vu les bâtisseurs de Tachkent faire la siesteau haut de leur échafaudage, au bon soleil du midi. Et je ne saisque trop que mes compatriotes, ingénieurs ou techniciens, venusdiriger le montage d'usines, ne sont pas toujours enthousiasméspar le rendement de leur main-d'œuvre locale. Notez qu'il ne s'agitplus cette fois de la « Sphère de Service -, aux défaillances recon­nues, mais des secteurs clés - bâtiment ou industrie lourde ­que glorifie sans cesse la propagande officielle.

L'aloooiLa littérature boit beaucoup. Verlaille et son absinthe, Musset

avec ses cuites susciteraient tout au plus, à l'Union des Ecrivains,une ironie indulgente du genre: • Nous avons mieux chez nous. -

A cette intempérance littéraire, on peut trouver deux raisons. Lapremière bassement'matérielle : les écrivains gagnent énormémentd'argent. Alors que l'ouvrier, après avoir bu son salaire, essayé deboire celui de sa femme (mais en général elle résiste) et venduà la sauvette les pauvres meubles du ménage connaît des diffi­cultés d'approvisionnement, eux peuvent se procurer ces alcoolssi coûteux sans aucune limitation.

Et puis, les écrivains ne manquent pas de motifs de chercherl'oubli. " y a les • rédacteurs - qui coupent dans leurs manuscritset le glavlit - la censure - qui coupe dans ce qu'il en reste. "y a tous ces organismes officiels ou officieux qui les jugent, lesexhortent, les mettent en demeure, les condamnent, les répri­mandent, attribuent les gros tirages aux plus dociles et réduisentles contestataires à vivre de traductions.

Les plus courageux se font insulter. D'autres vivent dans unconformisme pesant. Certains enfin pratiquent le double jeu, l'artde deviner. jusqu'à quel point l'on peut aller trop loin -.

Dans tous les cas, l'alcool aide à vivre.Extraits de Vivre à Moscou

La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970

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BII8IlIGNIIIImIT

Le prix de l'enseignement

1Pierre DaumardLe prix de l'enseignement enFranceCalmann-Lévy éd., 269 p.

En 1968. la France a consa­cré 5 % de son produit natio­nal brut à l'enseignement; lescrédits de l'Education natio­nale représentent le 1/6 dubudget de l'Etat et leur ac­croissement est Inéluctable.Dans ces conditions, il estlégitime de déterminer le prixde l'enseignement en Franceet les facteurs qui entrentdans sa composition. C'est ceque fait Pierre Daumard.

Sa méthode consiste à invento­rier les charges financières ques'impose l'Etat pour accueillir etenseigner 12 millions d'élèves etétudiants. Elle discerne, dans lesfascicules budgétaires, les créditsaffectés au fonctionnement (rému­nérations de 700.000 fonction­naires, dépenses de matériel, allo­cations de scolarité), aux interven­tions publiques (bourses, aides àl'enseignement privé, transportsscolaires) et aux investissements.Le volume des crédits de fonc.tionnement permet de définir leprix de revient d'un élève.

L'aspectqualitatif

Il serait commode mais simplisted'imaginer un quotient peu affinétenant compte seulement du nom­bre des bénéficiaires ; en revanchela prise en considération de l'as.pect qualitatif (réduction du nom­bre d'élèves par classe, accroisse­ment de la durée de formation desmaîtres, adoption de nouveauxprogrammes et méthodes, dévelop­pement de l'aide sociale) donneralme idée plus exar.te des facteursqui conditionnent le prix de l'en­seignement. Daumard propose uneformule de coût unitaire dontl'utilisation fait ressortir immédia·tement les incidences financièresde n'importe quelle mesure pr,iseà ]a suite d'une réorganisation pé.dagogique, d'une augmentation desalaires ou d'effectifs, de l'intro­duction d'une réforme.

Ce calcul ne tient compte quedes sommes inscrites au budget.Or en 1964 pour un total de 8.200

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millions pris en charge par l'Etat(traitement du personnel et trans­ferts sociaux) les collectivités lo­cales ont dépensé 2.300 millions(entretien de locaux, investisse­ments) et les ménages 7.700 (fraisscolaires, etc.). Si l'on ajoute lesdégrèvrements d'impôts résultantde la prise en considération desétudiants dans le calcul du quo­tient familial, les sommes consa­crées à la formation technique etprofessionnelle par les entreprises,peut-être même le manque à ga­gner pour la collectivité, provoquépar toute prolongation de la scola­rité (immobilisation de terrains etbâtiments à valeur locative élevée,absence de tout prélèvement fis­cal sur une population croissante,etc. ), on déterminerait un coûtsocial infiniment supérieur.

Une significationpratique

Le choix délibéré d'une hypo­thèse de travail purement compta­ble répond à une volonté d'effi­cience ; la formule mathématiqueétablie par Daumard a une signi­fication pratique dans la mesureoù elle permet de prévoir et dediriger une politique scolaire au lieude la subir; c'est une idée souventreprise dans le livre que le finan­cement actuel de l'Education estle résultat d'une pression mécani­que, de compromis politiques etde traditions, que finalement lesdécisions ne devancent jamais lesévénements. La possession d'uneformule opératoire doit remetttreà l'Etat l'initiative de tout déve­loppement éducatif.

Un tel avantage est sérieusementatténué dans la mesure où le choixméthodologique de Daumard im­plique une définition classique del'éducation et le maintien de l'ins­titution scolaire traditionnelle. Or,si les facilités de prévisions bud­gétaires sont accrues, il ne s'ensuitpas nécessairement l'adoption descrédits ; ceux-ci une fois votés,assureront un fonctionnementmeilleur ; mais ils ne remédierontpas à l'inadéquation profonde dusystème scolaire aux situations ac­tuelles. Celle-ci réclame, contrai­rement aux présupposés du livre,un bouleversement radical des atti­tudes.

Tout d'abord une remise enquestion des concepts de cultureet d'éducation. La culture n'estplus un capital de connaissances

et de normes que le groupe socialconserve, fait fructifier et transmetpar l'éducation, celle-ci choisissantla période plastique de la jeunessepour installer commodément et dé­finitivement l'individu dans ununivers désormais familier. De nosjours, la culture est une relationde l'homme au monde, une rela­tion à la recherche incessante deson équilibre à travers les 'fluctua­tions d'un univers continuellementmodifié. L'éducation n'est plus unmoment de l'existence mais une for­mule de vie, par laquelle l'hommecherche à retrouver une familiaritérassurante. L'éducation devien­drait « nationale » en s'identifiantavec une fonction « éducation etculture» où seraient regroupésl'enseignement proprement dit, lesarts et les lettres, l'information etpeut-être les loisirs. Le prix del'enseignement, calculé à partird'une ventilation fonctionnelle desdotations budgétaires, méthode ré­cusée par Daumard, serait consi­dérablement accru; mais étantdonné l'élargissement de la clien­tèle, il n'est pas certain que lecoût unitaire soit plus élevé. Et leplein emploi des équipements ser­vant aux jeunes et aux adultes, du­rant les périodes et horaires sco­laires et en dehors, mettrait fin auscandale économique des faiblestaux d'utilisation.

Un bilan desooiite et des profite

A ce renouvellement conceptueldoit ensuite correspondre l'élabo­ration d'une théorie économiquede la fonction éducative et cultu­relle, en particulier un bilan descoûts et des profits escomptables.L'établissement de ces derniers estproblématique (voir le rapportRobbins, Higher Education); maisl'évaluation chiffrée des avantages(la technique du bene/it casting)justifierait la légitimité d'une af­fectation importante des ressourcesnationales à l'œuvre éducative. Laforce persuasive des argumentséconomiques serait encore renfor­cée si les théoriciens de l'éducationcessaient de considérer celle-cicomme une simple industrie pro­ductrice d'aptitudes et de connais­sances; car ces dernières consti·tuent également des produits récla·més par une clientèle sans cesseélargie.

Déjà, l'Etat et l'entreprise pri-

vée investissent des sommes consi.dérables pour livrer au public la«culture considérée comme biende consommation» selon l'expres­sion de Magnus Enzensberger. Ilest possible aujourd'hui et il serademain nécessaire, avec l'organi­sation des loisirs et l'élévation desniveaux de vie, de ne plus regarderavec tristesse comme une perte fi­nancière toute poursuite d'étudesqui ne trouverait p'as son aboutis­sement dans une activité profes­sionnelle. A la volonté d'épargnerd'autrefois, les sociétés modernessubstituent une éthique de la satis­faction immédiate des désirs etaspirations qui élève à la dignitéd'impératif moral l'exigence de laconsommation. La finalité socio­culturelle et l'utilité économiquese rejoignent, autorisant un dia­logue entre économistes et univer­sitaires et donnant à la fonctionéducative une sigirification soci.ale,illustrée par la recherche avouéed'une démocratisation de l'accèsà la culture et par le rôle de lacarte scolaire qui, en creant denouvelles zones d'attraction autourdes centres scolaires, constituel'extraordinaire instrument d'une« géographie volontaire de laFrance » commandant l'aménage­ment du territoire et les mouve­ments migratoires de la popula­tion.

Les sommes mises dans le circuitéconomique par une société quiveut assumer ses fonctions éduca­tives et culturelles sont considéra­bles. Par elles transitent des im­pulsions diverses qui contribuentà l'aménagement rationnel deschoses et des hommes eux-mêmes.'Le livre de P. Daumard, malgréla modestie de ses ambitions a lemérite de poser en toute connais­sance de cause le problème d'uneoption prioritaire en faveur del'édncation. Mais nous pensonsque cette option doit être solidaired'un renouvellement total desconcepts et des institutions.

LouÎ$ Arenilla

1. De la fonnule du coût unitaire ontire une fonnule analogue des dépeuseséducatives (U) présentées sous la fonned'un produit: U = P.E.T. VI (k + 1)P = population à scolariser ; E = tauxde scolariBation ; T = rappon entre lenombre d'enseignants et le nombre d'en­eeipaée; VI = uiveau de rémunérationdes enseignants, (k + 1) = rappon entrela dépense totale par élève et les dé·..-es de pen6DDeI.

Page 25: Quinzaine litteraire

« Faire -l'école »INFORMATIONS

E,·..I., cl.. 1.. Vllissière· de Rieutort (intérieur de la classe).

1Huguette BastideInstitutrice de villageMercure de France éd., 198 p..

Instituteurs de campagne. Ils'en trouve encore. Bravant lesintempéries, la boue, la crasse,l'ennui, l'oubli. Minables héroÏ­ques. Méprisés parce qu'ils sontpauvres, qu'ils ont perdu l'auto­rité dans la cité. Déchus.

On les embauche le plus souventau sortir du lycée et les voilàbrusquement unis pour le pire àla plus grande tâche et la plus dif­ficile, au moment même où ilsdécouvrent la vie, le mariage, lepremier bébé. Il ne leur reste qu'àse débrouiller, à ces bons à toutfaire, ces bouche-trous d'occasionqu'au moindre pas de travers, un'inspecteur saura remettre dans lerang.

La fatalité pèse sur les meil.leurs, pris qu'ils sont, malgré tout,par l'amour du métier, l'amourdes gosses, dans l'engrenage desstages, du C.A.P., de ces petitséchelons à grimper, humiliationaprès humiliation, vers la décora­tion pour bons offices, là retraiteet la petite maison.

Huguette Bastide témoibrne« Faire l'école - aller ramasserdu bois mort pour se chauffer cethiver - préparer le souper, ledéjeuner du lendemain - corrigermes cahiers ... Je vis seule, je tra·vaille seule, je suis seule au milieude quelques enfants qui ont leurmonde à eux bien fermé. ») Elle ditla routine des jours, le cafardet tout le gâchis; elle cite destextes officiels. Partie documen­taire qui, dans ce coin de Lozèrebien précis, peut servir d'illustra­tion à tout un pays - d'heureusesexceptions confirmant la règle ­du primaire au supérieur, de la.campagne à la ville. Le décorchange, mais c'est la même his­toire.

Une seule école échappait à cedérisoire: l'école maternelle nouevelle avec des cadres bien formés,un travail d'équipe, où l'enfants'épanouissait, car elle s'ouvrait àla vie, au rêve, à l'imagination, autravail créateur. Alors, évidem.ment, un ministre dit de l'Educa·tion a dû la trouver trop belle et,dans un discours récent menace dela condamner.

La foudre est tombée sur le toitde la maison, un soir de mai. Ona bien été obligé de le rafistoler,tant bien que mal, - plutôt mal

que bien. Quant à l'école priemaire, fondation du bâtiment, nigouvernement, ni direction de syn·dicat - grande machine à mar­chandages - n'ont osé y touchervraiment. Elle est restée la même,avec ses programmes, ses mé­thodes, sa discipline de l'ancientemps, et, pour encadrer des en·fants de plus en plus difficiles etexigeants, en un moment où dansl'unité familiale menacée l'auto­rité du père est contestée, unemain-d'œuvre féminine à bonmarché, souvent sans formation,vite débordée et résignée.

Les écoliers sont trop petits pourprotester. Ils se contentent de pIeu.rer, de s'ennuyer, de dormir, defaire du bruit, d'être malheureux.On en fait vite de petits vieux, desaigris, des mal-aimés, bousculés derebuffade en rebuffade, culpabi­lisés et honteux, craintifs ou vani.teux, à travers classements, puni­tions et programmes à boucler,depuis le Gaulois retrouvé à cha·que rentrée jusqu'au de Gaulle dela sortie et leur libération avec« Marseillaise» et distributiond'affreux livres enrubannés pourfermer le ban.

On aime entendre une voix pourbriser le silence, dénoncer le sys­tème. Pendant que le Tout-Parisdanse, que les Présidents jouentles Pères Noël, que dans un maga·zine féminin, des cover-girls écri·vent qu'elles ont trop d'argent,cette voix dit la misère, le décou­ragement et même le désespoir desjeunes instituteurs : « Ma tête queje croyais solide me semble sou­dain fragile, fêlée, ébréchée, desenvies subites d'en finir, des bouf­fées 'de mort s'y infiltrent et tra­versent mon esprit comme demauvais éclairs. »)

Le livre n'est pas seulement undocument sur les instituteurs etla vie d'un village de Lozère- partie finale, trop rédactionfrançaise, qui semble rajoutée - ilest plus que cela, heureusement.Quand, du témoignap:e d'une insti·tutrice solitaire, il devient réelle·ment confession, confidence defemme désenchantée, d é ç u ed'avoir trop espéré et tant atten·du, il est littérairement le plus in.téressant.

« Le ciel était si près, le mondeétait si loin et nous étions sifow. J)

8ooiologie,Philosophie

Chez Flammarion, où Maurice Clavelpublie un essai sur la société' deconsommation intitulé Oui est aliéné 1,on fait beaucoup de cas d'un ouvragedû à un psychanalyste suisse, S, Fantl,qui y expose quatre expériences psy­chanalystiques réalisées avec un géné­rai américain, un abbé, une jeune fem­me et un médecin américain. Le livres'Intitule Contre le mariage.

Sous la signature de Massin, le di­recteur artistique des éditions Galll·mard, parait un ouvrage somptueuse­ment Illustré: la lettre et l'Image, oùl'auteur s'est efforcé de restituer, desdessins des cavernes à l'ère de l'audio­visuel, l'évolution de la civilisation del'écriture, marquée, selon lui, par unretour à l'image après avoir été long­temps dominée par l'abstraction de lalettre, ainsi qu'en témoigne la placede plus en plus grande que tend èprendre, dans notre civilisation, lapublicité.

Chez le même. éditeur, dans la col·lectlon • Les classiques de la philoso­phie", on annonce un essai Inédit deHeidegger : Traité des catégories etde la signification.

Chez Payot parait, dans la collec­tion • Bibliothèque Scientifique", uneétude sociologique et< clinique desconséquences de l'héritage esclavagis­te que subissent les Noirs américains,par deux psychiatres eux-mêmes Noirsaméricains : la Rage des Noirs amérI-cains, par W. Grler et P. Cobbs.

Au Seuil, Alfred Willemer analyse leprocessus seloln lequel la société, se­crétant sa propre image, trouve dansla nécessité qu'elle éprouve de coïnci­der avec cette image, le moteur qui lapousse à l'action. L'ouvrage Intitulél'image-action de la société, paraitdans la collection • Esprit ".

Robert Laffont publie un texte deBertrand Russell paru en 1929 dansune revue è petit tirage : le Mariageet la morale.

Par cette déchirure montent lesmots purs, les passages les plusémouvants, meilleurs moments dulivre.

Livre tout gris de pluie et dedésespérance, sans sourire et sansrire, écrit par une femme que l'onsent gaie pourtant tout au fondd'elle-même, avec, pour se défen·dre, ses sursauts de colère, sa ré.volte et ce geste d'écrire pour seprouver qu'elle existe, pours'écouter vivre à travers «lesmots sincères, les phrases simplescomme un chemin, une herbe, un.ciel. »

Michèle Albrand

La Quinzaine littéraire, du 16 GU 28 lévrier 1970

Page 26: Quinzaine litteraire

COLLECTIONS

«En toute liberté»

Les collections consacrées à l'ac­tualité polltlque ne manquent pas.Elles répondènt à un Intérêt de plusen plus marqué chez le lecteur moyen- intérêt que l'on a fort bien pu me­surer à l'occasion des diverses foiresdu livre qui se sont déroulées récem­ment en France et dans les pays voi­sins - pour les ouvrages qui luipermettent d'ordonner et d'approfon.dlr les formations contradictoiresou sporadiques que la presse, la ra­dio et la télévision lui apportent aujour le jour sur des évènements dont"Incidence se fait sentir lourdementsur leur vie quotidienne.

Comme la plupart des collectionsde ce type, • En toute liberté" a étécréée peu après les événements demal. Elle fut du reste dès le début de

Juillet 68 I,naugurée par un ouvragede' réflexion sur cette révolution avor­tée qui a fait couler tant d'encre,ouvrage qui devait faire beaucoup debruit et soulever bien des contro­verses (plus de 60.000 exemphiiresvendus) et qui par sa conception,l'autorité de son auteur 'et la rapiditéde sa' parution illustre parfaitementla politique de ses éditeurs : la Révo­lution Introuvable, par Raymond Aron(voir le n° 59 de la Quinzaine). Ildevait être suivi, au lendemain desévènements de Prague, par un livrede Roger Garaudy où se trouvaientréunis, selon l'expression de l'auteur,• quelques fragments significatifs dudossier tchécoslovaque" éclairés pardes textes de Dubcek, Ota Sik etJlrl Hajek : la Liberté en sursis ­Prague 68. Puis devait venir, au mo­ment où la gauche s'efforçait de tirerla leçon des évènements de mai, unessai de Guy Mollet ou le leader du

Parti SOCialiste s'Interrogeait sUrl'avenir du socialisme français : lesChances du socialisme.

Mis en cause par "ensemble de sespartisans, devenu aux yeux du publicle responsable de la catastrophe dela gauche, François Mitterrand appor­tait à son tour sa volx au débat dansun livre qu'II devait Intituler Ma partde vérité et qui arrivait à son heure,à en juger par l'accueil qui devait luiêtre fait (35.000 exemplaires). En1969 était publié, sous le titre de laVérité sur l'économie tchécoslovaqueun recueil de conférences téléviséespeu avant l'occupation de la Tchécos­lovaquie et au cours desquelles OtaSik c'était efforcé d'expliquer à sesconcitoyens la situation de l'économiede leur pays. Cet exposé, dont l'lm·pact avait été très puissant et quidevait jouer un rôle sensible au coursdu « Printemps de Prague " devait

avoir un Immense retentissementdans tous les pays de l'est.

Enfin, attendu avec Impatience parses adversaires, comme par ses par·tisans, paraissait ce mois-cl le livred'Edgar Faure, un livre «essentielle­ment politique", pour reprendre j'ex­pression de l'auteur, puisqu'II • va àl'essence de la politique et parce qu'IIdébouche sur la politique ", et qui pré­sente en tout cas la double originalitéd'être l'œuvre d'un homme politiqueen activité et celle d'un empirisme quis'efforce de faire fi de toutes les doc­trines : l'Ame du combat (38 000exemplaires vendus).

Ces ouvrages ont Lln dénominateurcommun : ils sont tous l'œuvre d'unepersonnalité en vue dont l'autorité,dans le domaine concerné, est In­contestable, C'est là un impératif debase qui résume l'objectif de la col-

FEUILLETON

-- ~~b... ~

, " ..~~~~

~~~par Georges Perec

Après divers tâtonnements, reflets de tiraillements entre destendances orthodoxes qui prétendaient s'en tenir aux épreuves desJeux antiques ou, à la limite, aux douze qui furent choisies pourles Jeux d'Athènes de 1896, et des tendances modernistes qui sou­haitaientimposer d'autres disciplines telles que l'haltérophilie, lagymnastique, le foot-bail, l'Administration des Jeux a fini par fixerà 22 le nombre des épreuves à disputer.

A l'exception de la lutte gréco-romaine (qui est, ici, en fait, unesorte de pancrace où les lutteurs, outre qu'ils se battent à mainnue, peuvent se porter des coups de coude, ceux-ci étant entourésde lanières de cuir plombées), toutes ces épreuves appartiennentà ce que les Américains appellent le « Track & Field -, c'est-à-direà l'athlétisme. Douze sont des courses, parmi lesquelles 3 épreu­ves de sprint (100 m, 200 m, 400 m), 2 de demi-fond (800 et1500 m), 3 de fond (5000 m, 10000 m, marathon), 4 d'obstacles(110 m haies, 200 m haies, 400 m haies, 300 m steeple) ; sept sontdes concours, parmi lesquels 3 épreuves de sauts (hauteur, lon­gueur, triple saut) et 4 de lancers (poids, marteau, disque et jave­lot). A 'ces dix-sept épreuves s'ajoutent deux concours mixtescombinant plusieurs épreuves d'athlétisme, le pentathlon et ledécathlon. Assez inexplicablement, mais sans doute pour des rai­sons morphologiques, le saut à la perche n'est pas, ou n'est pluspratiqué. Il n'existe pas davantage d'épreuves de relais, elles n'au­raient ici aucun sens, elles ne seraient pas comprises par le public:la victoire d'un homme est toujours la victoire de son équipe, la vic­toire • par équipes - ne veut rien dire.

Po'ur que l'intérêt des Jeux soit assuré, il faut évidemment que lalutte soit chaude entre les représentants des villages. Chaque vil­lage est donc tenu d'aligner des concurrents au départ de chaqueépreuve et doit, par conséquent, former ses hommes en vue decette obligation. Il s'ensuit que l'entraînement des athlètes obéit àune spécialisation poussée et que l'on s'efforce de former, pourchaque type d'épreuve, ceux qui seront les meilleurs dans cetteépruve et dans cette épreuve seulement.

L'effectrf d'un village oscille entre 380 et 420 athlètes. Parmiceux-cl, un nombre variable (entre 50 et 70) de novices (ce sontdes garçons de 14 ans qui, venant des Maisons de Jeunes, arri­vent au village au fur et à mesure,que les Vétérans le quittent) etun nombre Immuable de COAcurrents, 330, réparti en 22 équipes de15 athlètes chacune. Lorsqu'un athlète quitte son équipe, soit parcequ'il est atteint par la limite d'âge, soit parce qu'il n'apparaît pluscapable d'aucune performance valable, soit par suite d'un accident,les directeurs sportifs choisissent. parmi les plus anciens des novi­ces (ils ont alors 17 ou 18 ans) celui qui leur semble, sur la basede critères morphologiques, physiologiques et psychologiques eten se fondant sur les résultats obtenus à l'entraînement, le plusapte à prendre sa place.

Page 27: Quinzaine litteraire

lectlon et qui lui confère toute sonoriginalité. S'il la limite, d'entrée dejeu, quant au rythme de parution destitres, il assure, du même coup, à laplupart des volumes, un grand reten­tissement.

Fondateur et directeur actuel de lacollection "En toute liberté., AlainDuhamel définit ainsi sa politique :«Nous nous en tenons exclusivementà des ouvrages qui se rapportent à unévènement précis de l'actualité poli.tique et nous demandons à nos lec:­teurs de s'en tenir exclusivement, deleur côté, à leur spécialité, au domal·ne où Ils font autorité. Notre ambl·tlon, en publiant ces livres qui «col·lent - à l'évènement et qui s'effor·cent de faire le point sur les problè­mes politiques qui font la une desJournaux est que leur parution soitsaluée à son tour par le public com­me un évènement-.

En préparation, un essai d'Edmond

Michelet où le ministre de la culturetentera de définir ce que représenteà l'heure actuelle pour un compagnonde la première heure son apparte­nance à un mouvement dont l'évolu­tion est inquiétante aux yeux de ceuxqu'on appellent les gaullistes • his­toriques ".

«Histoire immédiate»

Dans la collection • Histoire Immé­diate", Morvan Lebesque analyse leproblème des régionalismes dans unessai intitulé Comment peut-on êtrebreton? Tandis que Madeleine Chap­sai et Michèle Manceaux présententun document explosif sur la situationde l'Université "française, appuyé surune série d'entretiens avec une dou­zaine de professeurs en vue : lesAntl·mandarins. B. Eliade défend avecbrio un certain nombre de thèses

révolutionnaires sur l'enseignementdans une étude qu'il intitule l'Ecoleouverte. Autres titres : dans la col­lection • Politique., Cuba est·1l révo­lutionnaire 1, par René Dumont quinous y présente, en les commentantlibrement, une série d'entretiens avecFidel Castro, l'Italie chaude, analysede la situation politique actuelle dece pays, par J. Nobécourt, et les Pay·sans dans la lutte, par un des diri·geants du mouvement des jeunespaysans, B. Lambert; dans la collec­tion • Société., une étude très com·piète et sans doute la première dugenre sur le problème des transportsen France et dans le monde : le Mar·ché des transports, par J. Pellegrln,J. Frébanet et J.-N. Chapelut.

«Textes à l'appui lt -

Chez Maspero, Bernard Granotier

analyse la condition des travalIIeuraétrangers en France depuis 1945 dansun document à paraître dans la collec:­tion • Textes à l'appui. et qui a pourtitre les Travailleurs Immigrés.

« Les lettres Douvelles lt

Un nouveau titre dans la collection• Dossiers des Lettres Nouvelles. :Dans le poing de la Révolution, parJosé Yglesias. L'ouvrage, traduit del'américain, est un document de pre­mière main écrit par un reporter et unécrivain américain d'origine cubainequi, pour nous donner cette imageintime et vivante d'une petite bour·gade cubaine vivant à sa manière larévolution, s'y est installé pour troismois en 1967 en s'attachant à y me­ner la vie de ses habitants.

Les épreuves de classement régulièrement pratiquées dans cha·que village pour chaque équipe permettent de déterminer quelssont les trois meilleurs de ces quinze athlètes. Ce sont ces troisathlètes classés qui représentent le village dans les championnatslocaux, dans les épreuves de sélection et aux Olympiades. Les deuxmeilleurs ont, de surcroît, le droit, farouchement envié, de partici­per aux Atlantiades. En revanche, ce sont les 12 derniers, c'est-à·dire les athlètes non classés, qui prennent part aux Spartakiades.

On voit que ce mode de répartition en quelque sorte dynastiquerépond surtout à un souci d'organisation; il permet un décompteexact et rigoureux des athlètes ce qui, du point de vue des Offi­ciels, réduit au maximum toutes les opérations de contrôle. On sait,une fois pour toutes, qu'il y a, dans tout W, 60 sprinters de 100 mrépartis en 4 équipes de 15, que 6 participent aux championnatslocaux ou aux épreuves de classement, 12 aux Olympiades, 48 auxSpartakiades. On sait, de la même façon, que les Atlantiades ras­semblent 176 concurrents, les Olympiades 264 et les Spartakiades1056. Une fois fixés, ces chiffres sont bientôt devenus immuables,Ils se sont incorporés au rituel des éliminatoires; grâce à eux, ledéroulement d'une rencontre, quelle qu'elle soit, est toujours assu­ré d'une régularité absolue, ce dont l'Administration des Jeux, tou­jours soucieuse d'efficacité, ne peut que se réjouir.

C'est évidemment pour les Directeurs Sportifs, qu'ils soientresponsables d'un village entier ou seulement d'une équipe, quece système présente quelques inconvénients. Le plus grave estsans doute qu'il interdit le cumul. On sait - les palmarès de laplupart des Jeux, les doubles victoires de Thorpe à Stockholm, deHill à Anvers, de Kuts à Melbourne, de Snell à Tokyo, les triplesvictoires de Zatopek à Helsinki et d'Owens à Berlin, la quadruplevictoire de Paavo Nurmi à Paris, sont la pour le démontrer - qu'unsprinter est généralement aussi bon aux 100 m et aux 200, un cou­reur de demi-fond aux 800 et aux 1 500 m, un coureur de fond aux5000, aux 10000 ou au marathon. La plupart des Directeurs Spor­tifs auraient donc souvent tout intérêt, à la veille d'une grandecompétition, à aligner un même athlète - celui qui serait alors aumeilleur de sa forme - au départ de plusieurs épreuves. Bienque cela soit théoriquement possible, bien qu'aucune loi écriten'interdise le cumul, cela ne s'est jamais vu : aucun village ne s'estjamais risqué à engager dans une rencontre moins de concurrentsqu'il n'est normalement prévu, de peur sans doute d'indisposer lesOrganisateurs, ne serait-ce que parce que la présentation des Athlè­tes aux Officiels, lors de ('ouverture des Olympiades par exemple,affecte la forme d'un W grandiose dessiné par les 264 concurrents,et qu'une équipe à l'effectif réduit (mais comptant sur un seulde ses champions pour remporter plusieurs victoires) troubleraitla perfection de cette mosaïque humaine.

L'on préfère admettre, même si cela n'est pas toujours réelle-

La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 févriB 1970

ment vérifié, que les méthodes d'entraînement sont suffisammentappropriées aux différents types d'épreuves pour qu'un sprinter, parexemple, puisse être spécifiquement préparé pour le 100 m, tandisqu'un autre le sera pour le 200.

il reste évidemment les cas du pentathlon et du décathlon.L'une des conséquences de cet entraînement ultra-spécialisé estque l'on n'a pas le temps (ni à vrai dire la méthode) de former unathlète capable de pratiquer 5 ou 10 épreuves différentes avec unminimum d'efficacité. L'entraînement pluri-disciplinaire que suiventles novices lors de leur première année dans le village serait enco­re le mieux adapté, mais les maigres efforts qui ont-été faits pourle poursuivre d'une manière professionelle en vue de former desathlètes réellement polyvalents n'ont pas été couronnés de sucèès.Ceci s'explique aisément: les lois du Sport W, chaque village l'aassez vite compris, sont ainsi faites qu'il vaut mieux tout mettreen œuvre pour remporter 5 courses avec 5 athlètes préparés pources seules courses, qu'une seule victoire avec un unique athlètedevant triompher dans 5 ou 10 épreuves.

Les Organisateurs, d'abord étonnés par la faiblesse véritable­ment déplorable des résultats obtenus lors des décathlons et despentathlons, faillirent un instant supprimer ces épreuves. Ils lesmaintinrent, finalement, mais en les adaptant d'une façon tout à faitoriginale à la médiocrité des concurrents: ils en firent des épreu­ves pour rire, des fausses épreuves destinées à délasser le publicde la tension extrêmement forte qui règne pendant la plupart descompétitions : c'est déguisés en clowns, grimés d'une manièreoutrancière, que les concurrents du pentathlon et du décathlonpénètrent sur le stade et chaque épreuve est prétexte à dérision :le 200 m se court à cloche-pied, le 1 500 m est une course en sac,la planche d'appel du saut en longueur est souvent dangereusementsavonnée, etc. La victoire dans ces épreuves requiert certes quel­ques qualités sportives, mais surtout des qualités d'acteurs, uncertain sens du mime, du grotesque. Un novice faiseur de grimaces,ou affligé de tics, ou légèrement handicapé, s'il 'est par exemplerachitique, ou s'il boite, s'il.présente quelque tendance à l'obésitéou s'il est au contraire d'une maigreur extrême', s'il est atteint d'unfort strabisme, etc., risquera fort (mais l'on court souvent sur Wdes risques beaucoup plus graves que d'être livré aux facéties. d'unpublic hilare) d'être affecté à l'équipe du pentathlon ou dudécathlon. .

C'est là aussi, rarissime exemple de changement d'équipe, quepourra se retrouver, s'il a eu les appuis nécessaires, un athlète enexercice évincé à jamais de la compétition, à la suite d'un accidentpar exemple, s'il est encore trop jeune pour jouir des droits desvétérans et trop manifestement inapte à devenir entraîneur..

(à suivre).

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Richard Il, par Chéreau

1ShakespeareRichard IlOdéon.

D'humanisme chrétien, il n'ya, dans ce Richard Il, pas uneonce: aux orties, le roi dépos­sédé trouvant une grandeur danssa misère, dans son martyre sarédemption. Voici un gamin né­ronien, un petit Satrape de laRenaissance choisissant, ensomme, de se suicider quand ilcomprend qù'il a perdu au jeumatérialiste de l'histoire qu'iln'a pas su mener. Dans ce spec­tacle superbe d'intelligence toutest superbement païen. De là,sans doute, la rage des cagotset de l'engeance imbécile dé­chaînée contre ce spectacle etappelant sur lui la répression.Mais la sottise nationale peutbien s'acharner contre PatriceChéreau; de partout d é i àl'étranger appelle ce metteur enscène de 25 ans qui, d'entréede jeu, domine sa génération.J'admire d'ailleurs l'assuranceimpavide de nos Vadius et Tris­sotins qui crient à la trahisonde Shakespeare au nom d'unescience de la chose shakespea­rienne qui peut tout au plus re:monter chez nous à 1820 et auxoripeaux romantiques dont on acontinué, jusqu'à Laurence Oli­vier, de travestir Shakespeare.Avec Chéreau, comme avecStrehler, Planchon, Peter Brook- et lan Kott étant passé parlà - toute la niaiserie idéalisteest extirpée, - d'où les crisd'orfraie - ; le monde féodal etélisabéthain est retrouvé danssa cruauté et la violence de sesaffrontements, tous masquesarrachés; la réalité est ramenéeà ce qu'elle ést : I.e gratin aris­tocratique à une horde de bêtess'étripant ou une bande de pan­tins j.nfantiles et grotesques, lalutte pour le pouvoir à des sché­mas stratégiques selon Machia­vel, et le monde à une arène: ily a cinq tonnes de sable sur lascène de l'Odéon.

Comme dans tous les specta­cles de Chéreau il se joue surla scène et à la Cour d'Angle­terre, un jeu, un jeu violent, etles grosses machineries de boisissues de Léonard de Vinci,treuils, palans, pont-levis, passe­relles roulantes sont là pour le

servir, ce jeu, comme aussi pourle révéler, pour en rendre visi­ble le mécanisme et en scanderla brutalité cynique; déjà Plan­chon, dans Richard III rendaitvisible, par des machines debois la machine de l'Histoire. Lejeu qui se joue dans Richard Il-, Vilar aussi nous l'indiquait-, est celui d'une classe féo-dale précipitant du trône un roilamentable et sybarite qui ris­quait le lui faire perdre le pou­voir par l'avilissement de lamajesté, et portant au trône, en

Bolingbroke, l'arriviste providen­tiel qui, dans le bruit de bottescher "à tous les fascismes, valiquider la • pourriture ., la • dé­cadence ., c'est-à-dire faire ré­gner l'ordre qu'on devine, ou­vrant du même coup la Guerredes Deux Roses.

Comme il l'avait fait pour DonJuan, Chéreau demande aux ima­ges scéniques, agressives, vio­lentes, que la mise en scène apour but de constituer, il leurdemande de nous raconter cejeu, de nous livrer ce que leseul discours rhétorique risquede ne nous donner à entendrequ'imparfaitement, voire de nousmasquer. D'où cette polyphonieéchevelée mais pourtant rigou­reuse, et parfois provocante

mais jamais gratuite véritable­ment, de déplacements abrupts,mouvements arrogants, symétri­ques et ruptures, projections decorps dans l'espace, combat delitière et de chaise à porteurs,descente du roi dans le palandérisoire et tragique de l'His­toire, bref cette construction sa­vante, et toujours signifiante, del'espace et des gestes, chargéed'imposer sur la scène ce wes­tern élisabéthain qui, la musiqueaidant - la Callas, pop 'music,airs 1925 -, prend par moments

la figure d'un opéra. Cette belleet violente géométrie de l'es­pace,cette mise en scène éper­dument physique Où tout estaffrontement, défis, coups etblessures et mises à mort, ser­vie d'ailleurs par l'étonnantescience picturale de Chéreau, ­des Zurbaran, des Piero dellaFrancesca -, cette architecturede gestes toujours lisible faitau texte un contrepoint et uncommentaire lumineux.

Mois voilà que dans ce spec­tacle il s'est passé quelquechose : l'acteur Chéreau, quijoue le roi, a quelque peu per­turbé, et c'est fort bien, le sché­ma analytique conçu par le met­teur en scène, qui prétendaitnous montrer le fonctionnement

du pouvoir et la fin d'un mondepolitique. Et certes la mise enscène nous le donne à voir, cemécanisme de l'Histoire, maisle jeu de l'acteur, privilégiant unhomme, explorant les abyssesintimes d'un roi-enfant, confèreà cette mise en scène, qui pour­rait pécher par excès d'analyseet de démonstration, une sensi­bilité, et un pouvoir d'émotionqui éclatent dans la deuxièmemoitié (les longueurs de la pre­mière sont en partie imputablesà la pièce). Même si Chéreaune dispose pas encore d'un ins­trument vocal suffisant, sacomposition de Richard estéblouissante d'intelligence etde sensibilité, une sensibilitémoderne, accordée à cette finde siècle qui est le nôtre. Qu'ilsoit, au début, un Néron Renais­sant en robe blanche, virevol­tant sur son char aérien qui ades seigneurs pour chevaux etses mignons pour suivants, pou­pées au masque blême et auxyeux pailletés, - comme lui -,ou qu'il soit, à la fin, l'émigrant,l'exilé, traînant ses pieds dansla poussière et la couronne dansun panier, il demeure toujoursun enfant : d'abord un enfantinsolent, tyrannique, irresponsa­ble, fastueux et pervers, affer­mant le domaine royal pour cou­vrir ses dépenses, et ensuite, labanqueroute venue, et la chute,un enfant malheureux à qui ona cassé son jouet et qui s'eni­vre de son désespoir : et dansles deux cas, un enfant toujoursen porte-à-faux vis-à-vis de lui­même et du monde.

Et autour de lui, c'est bienaussi un monde infantile quecelui de ces coqs, ces renardset ces loups se battant dans lesable pour jouer aux puissantsà travers un rituel où la cruautéle dispute à la dérision. Et ilest bien que, dans une distribu­tion qui comporte des acteursaussi remarquables que GérardDesarthe, Michelle Marquais,Michel Hoppenot, Daniel Emil­fork ait poussé jusqu'à l'insoute­nable, jusqu'au monstre comiqueabsolu, le rôle de ce Duc d'York,relique hypocrite de l'ancientemps et des anciennes valeurs,dont il a fait un dinosaure fili­forme qui fait le matamore, don­nant à la dérision du person­nage la dimension du délire.

Gilles Sandier

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Livres publiés du 20 • •JanVier au 5 février 1970

RBEDITIONS

Jean-Michel FrankMa fenêtre sur la folleGrasset, 120 p., 9 F.

Marc PlétrlHistoire du reliefGrasset, 80 p., 9 F.

représentative d'uncourant littéraire quin'est pas sans rapportavec le «nouveau • Antonin Artaudroman - européen. Œuvres complètes

et Supplémentau tome 1Gallimard, 460 p., 26,10 F.Une rééditionrecomposéeconformément aux ­Intentions du poète etaugmentée de nombreuxtextes et documents

• John ClelandMémoires de Fanny HillPréface de GérardBauer.L'Or du Temps, 24,50 F.Un grand classique dela littérature érotique

• Daniel DefoeRomans • Tome IlIntroduction deFrancis LedouxTrad. de l'anglaispar Marcel Schwob etFrancis LedouxBibliothèque de laPléiadeGallimard, 1.760 p.,65 F.

PO*SI.

Lawrence FerlinghettiUn regard sur le mondechoix et traductionspar Mary Beach etClaude PélleuEdition bilingueCh. Bourgeois, 224 p.,18 F•

• E. EvtouchenkoDe la cité du ouià la cité du non.Préface d'A. LanouxGrasset, 216 p., 16 F.Voir le n° 16 de laQuinzaine.

sur la condition del'homme moderne,menacé parla schizophrénie.

• Clarice L1spectorLe bitlsseur de ruinesTrad. du brésilienpar V. de CantoGallimard, 328 p.,22,20 F.Une œuvre

• Hermann KantL'amphlthéitreTrad. de l'allemandpar Anne GauduPar un écrlcaln del'Allemagne de l'Est,un roman paru en 1967et qui a obtenu le prixHeinrich Mann

ROMANS.TRANGERS

• Tonlno Guerral'équilibreTrad. de l'Italienpar E. JolyGallimard, 168 p.,11,60 F.Par le célèbre scénaristed'Antonioni, un roman

• Edith ThomasLe Jeu d'échecsGrasset, 272 p., 18 F.A la ml-temps de sa vieune femme fait le bilanet choisit de payer le • John Hopkinsprix de la lucidité et L'arpenteurde la liberté... Trad. de l'anglais

par Pauline PetitGallimard, 224 p.,16,40 F.Les aventures d'unjeune Américain auPérou et un premierroman fort captivant.

Juan MontanerLes écarlatesPréface de L. PauwelsL'Or du Temps,296 p., 31 F.Six nouvelles érotiquesdans la grande traditiondu genre.

.Maurlce RaphaëlLe fesUval de deuxchoses l'uneAinsi solt·Il, ClaquemurLosfeld, 328 et 256 p., • Erskine Caldwell24,60 F le volume. Miss Mamma AlméeRéédition de Trad. de l'américaindeux romans parus dans par Marle Tadléles années 50 (l'auteur A. Michel, 256 p.,est également connu 15,90 F.sous le nom d'Ange Par l'auteur deBastlanl) . « La route au tabac -

et du «Petit arpent duBon Dleu-.

Jean ClémentlnL'affaire FomaslGrasset, 352 p" 20 F.Par le chroniqueur du«Canard Enchaîné-,un roman de« politique-fiction.qui met joyeusementà sac le monde desaffaires et de lapolitique..

ROMANSFRANÇAIS

Pierre FritschUne enfance lorraineTome Il : Nos cousinsd'AllemagneGrasset, 320 p., 18 F.La chronique d'unepetite ville ouvrièrede l'Est, de l'ar~lstlce .Jacques Sternbergde 1940 à la Libération. Attention planète

• Léo Malet habitéeTrilogie noire Losfeld, 416 p., 27,80 F.Losfeld, 448 p" 24,60 F. Par J'auteurRéédition en un seul de «L'employé-,volume de trois romans Grand Prix de l'Humourparus Il y a plus noir 1961, et de «Jede vingt ans. t'aime, Je t'aime -.

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•La Quinzaine littéraire, du 16 GU 28 févriB 1910

Page 30: Quinzaine litteraire

Livre. publiés du 20 janvier au 5 février 1970

Walker ChapmanLe rêve doré(les conquistadores)Trad. de l'américainpar Robert LatourA Michel, 320 p., 23,10 F.L'épopée extraordinairede ces aventurierslancés à la recherche del'Eldorado mythique etdont les découvertesont transformé le mondeoccidental.

Robert ChristopheLes grandes heuresd'ItaliePlon, 470 p., 30,60 F.L'histoire de l'Italieè travers ses grandspersonnages et sesmonuments les pluscélèbres.

HISTOI••

Préface de J.-P. SartreGallimard, 368 p.,30,90 F.Voir le n° 88 de laQuinzaine •

Daniel PhamInformatique à l'usagedes éducateursPréface de G.BachelardP.U.F., 114 p., 12 F.Les notions de basede l'Informatique.

• Jean BécarudGilles LapougeAnarchistesd'EspagneCollection • R •Balland, 164 p., 15 F.L'histoire del'anarchisme ousoixante-quinze annéesde luttes quiprécédèrent la flambéelibertaire de 1936.

Emilienne DemougeotLa formation del'Europe et les Invasionsberbares des originesgermaniques àl'avènement deDioclétienHors-texte, cartes etdér' antsAubier-Montaigne,616 p., 49 F.Six siècles d'histoireImpériale entre Césaret Justinien.

• Dominique DesantiL'InternationalecommunistePayot, 400 p., 24,80 F.De la révolution de1917 à la disparition duKomintern, l'histoire deshommes, des idées etdes évènements.

Jacques DuclosMémoires IIIPremière partie :de la drôle de guerreè la ruée vers

A la fols un bilan decette action etune étude prospective.

Jean FourastiéLettre ouverteà quatre milliardsd'hommesA. Mihel, 168 p., 9,30 F.A l'intention du grandpublic, une méditationsur les problèmespersonnels quicommandent l'existencede l'homme d'aujourd'huiet l'avenir de l'espèce.

Michel GauquelinLes horloges cosmiquesGonthier, 272 p., 22,90 F.Une étude sur la genèsede l'astrologie et surl'exploration dela science modernedans le domaine desInfluences quicontrôlent la vie.

Jean CordatRévolution despauvres et EvangileEditions Ouvrières,272 p., 22,50 F.Collection • Economieet humanisme •.

Jacques DevalAfin de vivrebel et bienA. Michel, 192 p.,11,50 F.Lettre d'un père à sonfils sur le bon usagede soi-même et desautres.

• Eugène IonescoDécouvertesColl. • Les sentiersde la création.20 hors-texte couleursde "auteurSki ra, 128 p., 33,55 F.Voir le numéro 88 de laQuinzaine.

Antonin LiehmTrois générationsEntretiens sur lephénomène cultureltchécoslovaqueTrad. du thèque parMarcel Aymin

• Michel ButorLa rose des vents(32 rhumbs pourCharles Fourier)Gallimard, 184 p.,12,60 F.Une extrapolationpleine d'humour parlaquelle se trouvesavamment complétéle tableau que Fourieravait prévu pourl'histoire de l'humanitéet qu'il avait laisséinachevé.

ESSAIS

chrétiens: les AymarasCerf, 484 p., 45 F.Une étude desmythologies etcoutumes morales de • Simone de Beauvoirces Indiens d'Amérique La vieillesseLatine qui ont assimilé Gallimard, 608 p.,les notions chrétiennes 30,90 F.en les mélangeant à Voir le n° 88 de laleurs habitudes de Quinzaine.pensée.

Emmanuel KantLettres sur la moraleet la religionIntroduction, traductionet commentaires parJean-Louis BruchEdition bilingueAubier-Montaigne,240 p., 26 F.Vingt-elnq lettres, pourla plupart inédites, quicontribuent à placerl'homme et l'œuvre dansleur juste éclairage.

Henri AvronLa philosophieallemandeSeghers, 224 p., 18 F.De Maître Eckart àHeidegger et à Marcuse,en passant par Kant,Hegel ou Nietzsche, unpanorama historique destendances de la penséeallemande.

PHILOSOPHIE

Francine RoureAlain ButeryMathématiques pourles sciences sociales200 figuresColl. • S.D.•P.U.F., 336 p., 38 F..Inaugurant cettenouvelle collection, unouvrage d'Introductionaux notionsmathématiquesfondamentales.

Suzanne BalousL'action culturellede la France dansI.e mondeP.U.F., 192 p., 18 F.

F. Parent-LardeurLes demoiselles demagasinEditioRs Ouvrières160 p., 13,50 F.Les rapports que legrand magasin entretientavec son personnel.

• Carl RogersLa relation d'aideet la psychotérapieEditions SocialesFrançaises, 240 p., 29 F.La première traductionen français d'un livrede base écrit par unpsychologue célèbredans le monde entier.

fondamentaux dela pédagogie, de Platonà Bergson, de Rousseauà Freinet, etc.

Oliver CotinaudLa rencontre dupsychologueCenturion, 256 p.,12,60 F.Une vue d'ensemble, àl'intention du grandpublic surla psychologie etses applications.

La liberté etl'ordre socialRencontresInternationales deGenève 1969.Ed. de La Baconnière,336 p., 36,60 F.Avec des textes deMarcuse, Aron, Ricœur,Danlèlou, etc.

Alnslie MearesSoulagement sansdroguesTrad. de l'anglaispar G. de CheriseyA. Michel, 256 p.,14,40 F.Comment dominer sesangoisses sans recouriraux tranquillsants.

Louis MilletL'agressivitéEd. Ouvrières,200 p., 15 F.L'agressivité et sesdifférents avatars dansle monde d'aujourd'hui.

J.-E. MonastOn les croyait

• Emile DurkheimLa science socialeet l'actionIntroduction etprésentation de J.-C.FillouxP.U.F., 336 p.,20 F.Un recueil de textes surle rapport de lasociologie à la pratiquesociale.

• Sandor FerencziŒuvres complètesT. " : 1913-1919Psychanalyse "Préface de M. BàlintPayot, 360 p., 34,70 F.Le deuxième volume desœuvres de ce pionnierde la psychanalyse.

Joseph FoliletLa paix du cœurCenturion, 208 p., 12 F.Une initiation à la paixdu cœur par "humouret la poésie.

Colette HovasseDu danger d'êtresérieuxCenturion, 160 p.,12,60 F.Pour un art de vivrebasé sur l'humour.

et de R. Dorgelès4 gravures h.-t.A. Michel, 392 p.,25 F.La vie et l'œuvre dece peintre, illustrateurde • La Comédiehumaine •.

A.J. FestugièreDe l'essence dela tragédie grecqueAubier-Montaigne,146 p., 24,10 F.Les sources profondesde la tragédie grecqueet ses aspectsspécifiques.

René GodenneHistoire de la nouvellefrançaise aux .xVII" etXVJII' siècles.Librairie Droz, 350 p.,46 F.Avec un répertoire parannée des titres denouvelles de cetteépoque.

Robert LafontRenaissance du SudGallimard, 320 p.,19,30 F.La littérature occitaneau temps de Henri IV.

Elsa TrioletLa mise en motsColl. • Les sentiersde la création.22 hors-texte ennoir et en couleursSki ra, 146 p., 33,55 F.Voir le n° 88 de laQuinzaine

CRITIQUEHISTOIREttlTTÉRAIRE

Franz WeyergansBibliothèque Idéaledes jeunesEd. Ouvrières, 272 p.,18,50 F.Réédition entièrementrevue et augmentée.

Emile ChanelLes grands thèmesde la pédagogieCenturion, 320 p.,18,30 F.Les textes

SOCIOLOGIEPSYCHOLOGIEETHNOGRAPHIB

. VercorsDestin ou libertéŒdipe d'après sophocleHamlet d'aprèsShakespearePlon, 306 p., 16,90 F.Deux personnages clés'du théâtre universel;deux héros de l'angoissede vivre qui résumenten eux des valeursspécifiques à notretemps.

Kléber HaedensUne histoire de lalittérature françaiseGrasset, 408 p., 35 F.qéédltion revue etaugmentée.

• Jean PaulhanJacob Cow, le pirateTchou, 192 p., 18 F.

A.-D. RabinelLa tragique aventurede Roux de MarillyPréface d'A. ChamsonPrivat, 308 p., 24 F.Le destin à la folspicaresque etexemplaire d'un hérosde la lutte duprotestantisme françaiscontre la politiquereligieuse de Louis XIV.

Jean SaintenyFace à Ho Chi Minh16 p. d'IllustrationsSeghers, 224 p.,15,66 F.Un témoignage capitalsur une despersonnalités les plusétonnantes et aussiles plus mystérieusesde notre temps.

F. Wilson-HuardCharles Huard(1874-1965)Préfaces d'A. Billy

BIOGRAPHIESMEMOIRESCORRESPON·DANCES

Samuel BernsteinAuguste BlanquiTrad. de l'anglaispar Jean VachéMaspero, 368 p.,23,70 F.Par un historienaméricain des idéessociales, qui volt enBlanqui un anti-marxlste.

Cahiers Romain RollandGandhi et RomainRolland Correspondanceextraits du JOl,lrnal ettextes diversA. Michel, 496 p.,31,70 F.A l'occasion ducentenaire de Gandhi,un ouvrage qui jetteune lumière nouvellesur l'homme et sur lechef d'Etat.

• J. Humbert-DrozMon évolution dutolstoisme aucommunisme (1891.1921).Ed. de La Baconnière,444 p., 46,60 F.Les Mémoires d'unjeune pasteur suissequi devint secrétairede l'Internationale en1921, sur la propositionde Lénine.

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Page 31: Quinzaine litteraire

Roger GentisLes murs de l'asileMaspéro, 96 p., 5,90 F. THÉATREUn réquisitoireimpitoyable contre la •condition qui est faite Calderonaux aliénés en France, Le ~agicienpar le directeur d'un prodl~ieuxétablissement TradUIt et préfacépsychothérapique de la par.B. Ses.érégion parisienne Edit~on bilingue

, " Aubier-Montaigne,288 p., 17,35 F.

Stalingrad (1939-1942)Fayard, 320 p., 20 F.Le Parti Communistedans la clandestinité.

Histoire économiqueet sociale de la FranceDes derniers temps de"âge seigneurial auxpréludes de l'âgeindustrielOuvrage collectif sousla direction deF. Braudel48 planches h.-t.P.U.F., 800 p., 68 F.La lente. mais puissanteprogression de labourgeoisie jusqu'àl'éclatement de lavieille sociétéseigneuriale.

D. Dharmond KosamblL'Inde ancienneTrad. de l'anglaispar C. MalamoudMaspero, 260 p., 23,70 F.Une étude approfondiesur tous les aspects'de l'Indianisme, quiexplique les structuresactuelles de l'Inde.

G. LegmanLa culpabilitédes Templierssuivi de L'innocencedes Templierspar Henri Charles Leaet de Les Templiers etle culte des forcesgénésiquespar Th. Wright, G. Wittet J. TennentTchou, 318 p., 25 F.Une révision du procèsdes Templiers appuyéesur des sourcesnouvelles.

POLITIQUEECONOMIE

Amilcar CabralGuinée CI Portugaise»Le pouvoir des armesMaspero, 120 p., 6,15 F.Un recueil de textespolitiques, par le leaderdu mouvement delibération de la Guinéeet du Cap vert.

Jean CharlotLe phénomène gaullisteFayard, 208 p., 24 F.Le gaullisme en tant que• parti d'électeurs ",comme en connaîtl'Angleterre, opposéaux • 'partls demilitants"caractéristiques de lavie politique françaisejusqu'en 1962.

• André Gunder FrankLe développement dusous-développement :l'Amérique latineTrad. de l'anglais parChrlstos Passadéos

Maspero, 376 p., 23,70 FLe sous-développementcomme produit de lastructure coloniale ducapitalisme mondial.

Georges LefrancGrèves d'hier etd'aujourd'huiAubier-Montaigne,302 p., 23,10 F.L'idée de la grève àtravers son histoireet à travers l'ensemblede problèmes qu'ellepose.

DOCUMENTS

Le plus long Jourdu JaponOuvrage colle.ctlf parla Société japonaise deRecherches sur laguerre du Pacifique.Trad. de l'américainpar Jane Fllllon8 hors-texteTrévise, 284 p., 25,90 F.Le compte rendu des-journées d'aoOt 1945 quidevaient se terminerpar la capitulationdu Japon.

Philippe AzlzTu trahiras sansvergogneFayard, 288 p., 22 F.A travers la figurede deux• collaborateurs"tristement célèbres,l'histoire d'unmouvement qui aprofondément marquéla France.

Jean-Bertrand BaryHomme avec deshommesEditions Ouvrières,184 p., 12 F.Un témoignage sur lemétier de prêtre.

RELIGION

Bilan de la théologiedu XX· siècleOuvrage collectif sousla direction de R. VanderGucht et H. VorgrimlerCasterman, 608 p., 65 F.Les grands courantsthéologiques du 'mondecontemporain analyséspar une équipeinternationale etinterconfessionnelle.

J.-M. LeclercM.-F. ValkhoffLes premiers défenseursde la liberté religieuseCerf, 400 p., 30 F.Un- recueil de textes dutemps de la Réforme etdes guerres de religion.

Michel LeclerqLe divorce etl'EgliseColl. • Points chauds.Fayard, 160 p., 15 F.Un bilan des recherchesthéologiques qui tendentactuellement à assouplirla doctrine séculairede l'Eglise en cedomaine.

O. LoretzQuelle est la véritéde la Bible?Centurion, 176 p.,17,10 F.Pour une nouvellelecture des Ecrituresbasée sur uneconception modernede la foi. .

ARTSURBANISME

Michel ButorLes mots dansLa peintureNombr. illustrationsen noir et en couleursCollection. Les sentiersde la création"Skira, 184 p., 33,55 F.Voir le numéro 88 de laQuinzaine.

• Robert KleinLa forme etl'IntelligiblePréface d'A. Chastel16 pl. hors texteGallimard, 504 p.,40,60 F. -L'ensemble des étudesde Klein surla Renaissance et l'artmoderne.

DIVERS

Bordas EncyclopédieVisages de la terre

Sous la direction deRoger CaratinlPréface de M. Le LannouNbr. IllustrationsLe tome VI de cette'encyclopédie thématiqueen vingt volumes aussioriginale par saconception que par saprésentation.

Jean-Louis BrauLes mauvais lieuxde LondresBalland, 224 p., 80 F.Un haut lieu dufantastique et dela violence : le Londresnocturne.

Jacques KermoalProcès en canonisationde Charles de GaulleBalland. 148 p.• 12 F.Un roman de • politique­fiction» des plussavoureux.

Livresdepoche

LITTERATURE

TieckContes fanstastiquesBilingue Aubier­Flammarion.

Yves BonnefoyDu mouvement et del'immobilité de Douvesuivi de Hier règnantdésert et accompagnéd'Anti-Platon et dedeux essaisGallimard poésie.

Saint-John PerseAmers suivi deOiseauxGallimard/Poésie.

THEATRE

Jean GenetHaute surveillanceGallimard/Le Manteaud'Arlequin.Reprise au format depoche, la célèbre piècede Genet, créée en 1949au Théâtredes Mathurlns.

Roger VitracLe coup de TrafalgarGallimard/Le Manteaud'Arlequin.Réédition au format depoche d'une pièce crééeen 1934 et qui serajouée .prochainement àParis dans une mise enscène de Planchon.

ESSAIS

BerkeleyCahiers de notes.et Essai d'une théoriede la visionTraduction et préfacepar André LeroyAubier-MontaignePhilosophie en poche.

BerkeleyTrois dialogueseptre Hylas etPhilonousprécédé d'un essaipar Michel Ambachersur La Philosophiede la natureCommentaire parM. AmacherTrad. par A. LeroyAubler-Montaigne/•Philosophie en poche.

BerkeleyPrincipes de laconnaissance humaineédition bilingueObéissance passive(extraits)Aubler-Montalgne/•Philosophie en poche.

J. Chasseguet-Smlrgell,a sexualité fémininePetite BibliothèquePayot.

Aldous HuxleyL'art de voirAvant-propos deG. NeveuxPetite Bibliothèque,Payot.

INBDITS

Jean BoulalneLes sols de FranceQue sais-je 1

Glan Carlo BravoLes soclaUstesavant MarxTrad. de l'Italienpar Alice ThéronPetite collectionMaspéro. 3 tomesAnthologie avecintroduction, notes etbibliographies dessocialistes du XIX'siècle.

Fernand BrunnerEckhart.Nombr. IllustrationsSeghers/Philosophesde tous les tempsEclalrée par des textesjusqu'Ici inconnus enfrançais. uneintroduction à lapensée du grandmystique allemand.

Noam ChomskyLe langage et la penséePetite Bibliothèque

Payot.Initiation à la méthodede la linguistiquemoderne.

Robert J. CourtineLa gastronomieQue sais-je?

Michel GoustardLes singes anthropoïdesQue sais-je 1

Léon E. HalklnErasmeEd. Ouvrlères/Classiques du XX' SiècleErasme contestataireavant la lettre.

Jean JolivetAbélardSeghers/Philosophesde tous les temps.Abélard oula philosophie dansle langage : une étudeéclairée par un choixde textes.

Annie KrlegelAux origine's ducommunisme françaisFlammarion/Questionsd'histoireVoir le n° 65 de laQuinzaine.

Albert LabarreHistoire du livreQue sais-je?

C. lemercler-QuelquejayLa paix mongoleFlammarion/Questionsd'histoire.le monde pendantla seconde moitié duXII' Siècle ou cinquanteannées d'histoirependant lesquellesle monde connut la paix.

André NicolasMarcuseSeghers/Philosophesde tous les temps.Une étude critique del'œuvrede ce philosophede la contestation.

Richard StaufferLa Réforme(1517-1564)Que sais-je'?

Catherine ValabrègueLa condition étudiantePetite BibliothèquePayot.Une enquête surle terrain : la conditionsociale, matérielle,politique. affectiveet sexuelle de l'étudiant.

Louis Gautier VignalMachiavelEd. ouvrièresClassiquesdu XX' sièclela penséede Machiavelaujourd'huI

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Page 32: Quinzaine litteraire

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dance s'insèrent à leur place chronologique dans l'ensemble de l'œuvre.C'est là «une méthode saine et féconde», comme le relève Michel

Décaudin dans le Bulletin de l'Université de Toulouse.

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