Post on 08-Mar-2016
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e e a Ulnzalne
2 F 50 littéraire Numéro 17 1"' au 15 décembre 1966
Pour Noël:
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Le Goncourt. Painter et Proust. John
Cage. Le totalitarislne. Boulez. L'Inquisition
SOMMAIRE
a LE LIVBE DB LA QUINZAINE
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8 BOIIAN8 PBANÇAIS ., 8
S ENTBETIBN
10 POESIE aTBANGEBE
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12 LITTaBATUBE aT8AIlO*8E
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28 SaLECTIOIl DII: c LA QUINZAINE.
28 PABIS
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al TOVS LES LIV.Bf
La Quinzaine littérairo
2
Hannah Arendt
Irène Monési Edmonde Charles-Roux Michel Dard
A.D. Tavares-Bastos
M. Simon Eugenio Montale
Ettore Lo Gatto
Juan Rulfo
Alphonse Allais
Dr. Sidney Cohen
Henry Kamen
Guy Perrin
Jean-Jacques Faust
Léon Moulin
François Erval, Maurice Nadeau
Conseiller Joseph Breithach
Comité de Rédaction Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Gilbert Walusinski.
Informations: Marc Saporta
Direction artistique Pierre Bernard
Administration Jacques Lory
Rédaction, administration: 43 rue du Temple, Paris 4 Téléphone 887.48.58
Imprimerie: Coty S.A. Il rue F .-Gambon, Paris 20
Eichmann à Jérusalem Rapport sur la banalité du mal
Lukacs: revenir au concret
Nature morte devant la fenêtre Oublier Palerme Mélusine
George D. Painter: Proust était aussi hétérosexuel
La poésie brésilienne contemporaine Manuel Bandeira Poésies
Histoire de la littérature russe des origines à nos jours Le Llano en flammes
Le roman de Renart
Œuvres posthumes, 1 et II
Les meilleurs livres d'art de l'année
L.S.D. 25
Histoire de l'Inquisition espagnole
Sociologie de Pareto
Le 'Brésil, une Amérique pour demain
, La société de demain dans l'Europe d'aujourd'hui
Sigma II à Bordeaux Le langage à Baltimore Le Forum de Francfort
Pour Noël: ,livres d'enfants
Boulez au Domaine musical John Cage entouré de nus, vite
par Roger Errera
propos recueillis par N aiPl Kattan
par Alain Clerval par Maurice N adeau par Alain Clerval
propos recueillis par Madeleine Chapsal
par Jacques Fressard
par Mario Fusco
par Erik Veaux
par Jacques Fressard
par Samuel S. de Sacy
par Claude Pennee
par François~ Choay
par René de Solier
par François Bondy
par Jean-François Nahmias
par Ritta Mariancic
par Bernard Cazes
par- Marc Saporta par Tzavetan, Todorov par F.E.
par Marie-Claude de Brunhoff
par Henri Hell par Jean-Jacques Lebel
par Pierre Bourgeade
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p. 3 p. 4 p. 6 p . 7 p. 8 p. 9 p. 9 p. 10 p . Il p. 12 p. 13 p. 14 p. 15 p. 19 p. 20 p. 21 p. 23 p. 28 p. 29
Gallimard éd. Ed. de Minuit Mercure de France Cartier-Bresson, magnum Le Seuil éd. Viollet Mercure de France Seghers éd. Gallimard éd Club des Libraires Cartier-Bresson, magnum Club des Libraires Dessin de M. Henry Edition Et, 1966 Edition Et, 1966 Bulloz René Burri Le Seuil éd. H. Gloaguen
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem Rapport sur la banalité du mal Coll. « Témoins » Gallimard éd. 344 p.
Voici enfin le livre de Hannah Arendt 1 sur le procès Eichmann, qui a provoqué de vives réactions aux Etats-Unis et en Europe. Poarquoi ? Ayant assisté au procès, H. Arendt n'a voulu ni se h9rner au simple compte rendu d'audience, ni écrire une monographie sur la politique nazie d'extermination des juifs, mais introduire une réflexion politique à partir d'un procès qui n'a entièrement satisfait personne. Ne nous y trompons pas : il s'agit d'un livre sur le ·totalitarisme, s'inscrivant à la suite des précédents ouvrages de l'auteur et dépassant, à ce titre, les études magistrales de Hilher/f, Reitlinger3 et Poliakov4 dont Hanna Arendt fait d'ailleurs amplement usage.
Singulier accusé, dont la culpabilité était tenue pour certaine par le monde entier avant même qu'il ne prît place dans l'étrange cage de verre qui l'isola un peu plus du reste de l'humanité, et dont la personnalité manquait visiblement de relief. Ce n'est ni l'un de ces grands fauves que l'on vit, il y a vingt ans, dans le box de Nuremberg, ni un doctrinaire fanatique, ni un pervers. Alors ? Pour que ce petit-bourgeois en voie de déclassement devînt le haut fonctionnaire zélé de l'extermination, il fallait le système totalitaire nazi dont Eichmann, discipliné et incapable de penser, et de · se penser en dehors de la hiérarchie d'alors, était un produit à la fois banal et exemplaire.
Il y a un exemple privilégié de cette relation. Il a trait au langage. Eliminer de la société, puis détruire des millions d'hommes exigeait une action continue et coordonnée de tous les services. On craignait - bien à tort - des réticences ou des résistances qui auraient enrayé la machine de mort. Aussi un vocabulaire aussi neutre et aussi « technique » que possible fut-il utilisé. On parla de « traitement spécial » (Sonderbehandlung), de « personnes traitées de façon appropriée » (Entsprechend behandelt) , de « solution finale » (Endlosung). Les camps de la mort étaient gérés par l' « Office central d'administration et d'économie» (Wirtschaftsverwaltungshauptamt ). Ils se n,ommaient « camps de travail » (Arbeitslager), de « concentration» (Konzentrationslager), voire de « transit » (Durchgangslager). On ne parlait pas de chambres à gaz ou de fours crématoires, mais d' « installations spéciales » (Spezialeinrichtungen) ou de « bains » (Badeanstalten). On se tromperait en croyllllL dénoter le moindre humour macabre dans une opération verbale sciemment destinée à abolir tout réflexe autre que l'obéissance. Il fallait à l'administration de la mort son langage, qui la dis-
tingue et la protège tout à la fois. Elle l'eut, ce vocabulaire et plein d' « objectivité » (Sachlichkeit) et lourd de signification.
Veut-on des exemples de ces puissances du langage politique? Elles ne manquent pas. Les nazis commencèrent par employer, à propos de l'extermination des juifs, le vocabulaire de l'hygiène. On parla d' « opérations d'auto-nettoiement ». (Selbstreinigungsaktionen) à propos de massacres, de « nettoiement des juifs » (Judensiiuberingsaktionen) de « déjudaïsation » ' (Entjedung), sur le modèle de Entwsung (fumigation) ou Entlausunge (épouillement). Tout naturellement, on en vint à commander à une société fabriquant des insecticides le gaz utilisé dans les chambres. Le cycle était clos. S'étonnera-t-on alors qu'Eichmann, incapable de raisonner en dehors des cadres mentaux résultant d'un tel système, ait persisté, de son arrestation à son exécution, à décrire et à expliquer chacun de(! actes, même les plus meurtriers, de sa carrière, à l'aide de lieux communs et de clichés empruntés à la langue administrative du Ille Reich ?
Ceux qui se rassurent en pensant qu'il s'agit d'une attitude propre à un homme et héritée d'un régime disparu à jamais feront bien de méditer un mot de l'avocat -allemand - d'Eichmann: déclarant que son client n'était pas responsable de « 'cet amas de squelettes, de ces stérilisations, de ces assassinats par le gaz et autres affaires médicales similaires, Me Servatius précise à la demande d'un juge: « C'était bien une affaire médicale, puisque des médecins l'avaient mise au point? Il s'agissait de tuer, et tuer est une affaire médicale ». Ce génie de l'euphémisme et du mensonge utilitaire explique peut-être bien des verdicts récemment rendus en Allemagne occidentale et surtout en Autriche.
Etudiant le problème des attitudes envers un régime totalitaire, Hannah Arendt examine successivement, avant d'en venir aux victimes, les individus et les goùvernements auxquels elles eurent à faire face. Il y eut, parmi les individus, des refus exemplaires; citons, du côté allemand, l'abbé Lichtenberg, de Berlin, qui demanda à être déporté et mourut en cours de route, le sergent Schmidt, qui fournit des armes aux déportés évadés et fut fusillé, et le lieutenant Gerstein, dont Hochhut utilisa le personnage dans le Vicaire. La conduite des puissances tierces fut variée: quoi de commun entre ·la collaboration d'un Laval, la prudence toute diplomatique du Vatican, l'abstention de la Croix-Rouge, l'opportunisme peu glorieux des Hongrois et des Roumains, et l'attitude pleine de dignité et de courage politique du Danemark, où le pays tout entier, du roi au simple citoyen, s'opposa avec succès à l'action d'Eichmann, organisant l'évasion des juifs en Suède. Que, dans ce dernier cas, l'attitude
La Quinzaine littéraire, z." au 15 décembre 1966
Une . analyse totalitarisme
du
des Danois ait modifié jusqu'au comportement des autorités allemandes, cela veut dire - et Hannah Arendt le note avec force -qu'aucune résistance n'est totalement inutile, qu'aucun totalitarisme n'est sans faille, que le courage, comme la lâcheté, ou simplement la peur, est contagieux, en un mot que l'on ne naît pas plus bour;reau que l'on ne naît victime.
Ce sont les passages consacrés par l'auteur à la conduite de certaines communautés juives face au nazisme qui ont fait scandale. Sachons les lire. Contrairement à ce que certains critiques pressés ont affirmé, Hannah Arendt ne tente ni d'exonérer Eichmann (!), ni d'accabler a posteriori les victimes (ce serait indécent), ni de leur reprocher leur passivité. Elle dit ellemême que la question: « Pourquoi n'avez..vous pas résisté? » est « stupide et cruelle », et que d'ailleurs « aucun groupe, aucun peuple non juif n'avait agi différemment », ce qui ' est l'évidence. Pour elle comme pour nous, il restait, il reste encore aujourd'hui à comprendre, puisque ni les Allemands, ni les juifs, ni le monde en général n'ont réussi à élaborer une explication
Hannah Arendt
satisfaisante du phénomène nazi et des comportements de tous ordre!! qu'il a engendrés. Voici vingt ans, Rousset5, KogonS et Antelme7 nous avaient révélé les conduites sécrétées par l'univers concentrationnaire, et notamment les luttes pour le pouvoir - c'est-à-dire pour la survie - parmi les déportés, et les situations extrêmes, les choix inhumains devant lesquels certains furent placés. Nui ne les a accusés d'accabler leurs compagnonS de déportation. Après eux, et écrivant un contexte très différent, Hannah Arendt s'ef-
force d'expliquer le comportement des communautés juives face à leurs bourreaux. En çréant, en Europe orientale, des Conseils juifs dotés de pouvoirs considérables sur leurs ressortissants, les Allemands ont réussi à s'assurer une «. collaboration » utile pour les opérations préalables à l'extermination : la définition des victimes (le recensement), l'établissement de la liste de leurs biens (prélude à la spoliation), enfin leur choix même, très souvent opéré par la police juive. Les nazis se sont en outre servis de ces dérisoires « autorités » pour diviser au maximum les victimes : il y avait les puissants (fonctionnaires des divers services, riches d'un jour) et les autres, ceux que l'on déportait en premier et ceux qui restaient et devaient tirer de leur sursis la confirmation de leur espoir de survie.
Ces Conseils, cette police ont existé. Rossif, dans le Temps du ghetto, nous a montré cette dernière. Des témoins irrécusables, tels que Ringelblum, Donat et Kaplan ont fourni des détails saisissants. A-t-on oublié les négociations de Budapest racontées par Joël BraIlC) et qui ont entraîné l'assassinat de
Kastner en . Israël? La politique nazie s7accommodait très bien de l'espérance, raisonnable en toute autre circonstance, qu'une destruction globale était inconcevable, qu'il y aurait des survivants, pour la simple raison qu'il y en avait toujours eu jusqu'ici. Allant jusqu'à modifier le comportement des victimes, elle tendait en fin de compte à leur faire croire qu'il ne s'agissait que d'une persécution comme les juifs en avaient tant connu, et non d'un système d'op-
•
• Une analyse du totalitarisme
pression et de destruction absolument nouveau dans l'histoire de l'humanité.
Cela dit, on pourra discuter et on ra fait abondamment ici et là l'affirmation d'Hannah
-Arendt selon laquelle l'absence de Conseils juifs ou leur refus total dc collaborer de quelque manière avcc l'ennemi aurait diminué l'efficacité de la machine de mort nazie. Les situations étaient trop différentes de pays à pays pour qu'une causalité aussi simple - et dont les implications ne sont pas négligeables - puisse être établie en toute certitude.
Aux victimes, auX Alliés, aux Allemands, aux juges de Nuremberg comme à ceux de Jérusalem, . le totalitarisme nazi et sa politique d'extermination se sont présentés comme un phénomène sans aucun précédent, auquel on a tenté d'appliquer les conduites héritées de l'eXpérience antérieure. D'où les comportements des uns, les complicités ou les défaillances des autres et, dans l'ensemble, la piètre figure des (1 politiques )J. Prisonniers des limites étroites de l'institution judiciaire, les juges de J érusalem étaient sans doute, comme lcs juges de tous les autres pays sans exception, mal équipés pour s'attaquer à ce problème.
Le totalitarisme continue à présenter à l'historien et au philosophe les mêmes questions. Il arrive qu'ils débouchent sur des constats engendrant le malaise parce qu'ils remettent en cause les systèmes d'explication, c'est-à-dire souvent de protection, auxquels les individus et les collectivités tiennent d'autant plus qu'ils en sentent sourdement la fragilité. La face de
. Gorgone du totalitarisme n'a pas fini de hanter notre conscience. Saturés d'histoire, nous avons un besoin urgent de la philosophie politique pour comprendre notre temps. Hannah Arendt nous y convie avec une maîtrise et une rigueur inégalées.
Roger Errera
1. Dans une traduction malheureusement remplie d'erreurs et de contresens. 2. The destruction of the European Jews (Chicago, 1961). 3. The final solufÎOn. The attempt to exterminate the Jews of Europe, 1939-1945, The Beechhurst Press, New York, 1953. 4. Le Bréviaire de la haine, CalmanDLévy, 1951. L. Poliakov et J. WuH : Le III< Reich et les Juifs, Gallimard, 1959. Voir aussi, de L. Poliakov Auschwitz, Julliard, 1963, collection • Archives ». 5. L'Univers concentrationnaire, éditions du Pavois, 1946 ; éditions de Minuit, 1965. Les Jours de notre mort, éditions du Pavois, 1947. ' 6. L'Enfer organisé. Le Système des cam~ de concentration, La Jeune Parque, 1947. 7. L'Espèce humaine, Gallimard. 8. Chronique du ghetto de Varsovie, Robert Laffont, 1950. 9. The holacaust kingdom, New York, 1963. 10. Chronique d'une agonie. ]ouTllal du ghetto de Varsovie, présenté par Abraham 1. Katsb, avant-propos de Jean Bloch· Michel, Calmann-Lévy, 1966. Il. Alex We~ : rHisIoVe de Joël Brand, Le Seuil éd., 1957.
ENTRETIEN
Son appartement est situé au dernier étage d'un immeuble qui donne sur le Danube. Des livres tapissent les murs. Je regarde au hasard: œuvres complètes de Hc:gel et de Marx. Sur le bureau, des livres, des revues en hongrois, en allemand, en français. C'est ici que depuis dix ans Lukacs poursuit ses travaux.
On sait qu'il fut ministre de la Culture dans le gouvernement d'Imre Nagy. Après l'écrasement de la révolution hongroise, Lukacs vécut pendant quelques mois, en exil forcé, ~n Roumanie. Depuis son retour, il s'est attelé à la tâche de terminer sa somme philosophique. Un premier tome de plus de mille pages en a déjà été publié en allemand.
G.L. J'ai commencé ma véritable œuvre à soixante-dix ans. On semble croire qu'il existe des exceptions aux lois matérielles. Dans ce domaine, je suis un adepte d'Epicure. Moi aussi, je vieillis. J'ai longtemps cherché ma véritable voie. J'ai été idéaliste, puis hégélien. Dans Histoire et Conscience de classe, j'ai essayé d'être marxiste. Pendant de longues années, j'ai été fonctionnaire du parti communiste, à Moscou. J'ai pu relire, de Homère à Gorki. Jusqu'en
. 1930, tous mes écrits consistaient en expériences intellectuelles. Puis ce furent des ébauches et des préparatifs. Même si ces écrits sont dépassés, ils ont pu donner à d'autres une impulsion.
Il peut paraître étrange que j'aie dû attendre soixante-dix ans pour me mettre à la rédaction de mon œuvre. Une vie ce n'est pas grand-chose. Regardez Marx, ce génie colossal. Il n'a réussi qu'à donner une esquisse de sa méthode. On ne trou~e pas dans son œuvre toutes les réponses. Il était de son temps. J'utilise sa méthode pour mon œuvre sur l'esthétique. S'il vivait aujourd'hui, je suis persuadé qu'il écrirait sur l'esthétique.
J'interroge Lukacs sur ses amitiés de jeunesse alors qu'il était étudiant à Heidelberg. A-t-il connu Heidegger, Stefan George?
G.L. Je n'ai jamais connu ru George ni Heidegger.
.On dit que ce dernier a collaboré avec les nazis ?
G.L. On n'a pas besoin de le dire. Heidegger était un nazi. Il n'y a aucun doute là-dessus. D'ailleurs, il a toujours été réactionnaire.
Quels étaient vos amis ?
G. L. Max Weher, avec lequel j'étais très lié.
Lukacs est en tenue de travail : pantalon sombre, veste kaki. Petit
et mince il donne l'impression de posséder un monde. On oublie qu'il a quatre-vingt-deux ans.
On revient aux contemporains.
G.L. J'ai peu confiance dans la direction de la pensée contemporaine en Occident, qu'il s'agisse du néo-positivisme ou de l'existentialisme. Je trouve qu'il est plus utile de relire Aristote pour la vingtième fois.
v ous vous intéressez à la sociologie?
G.L. Wright Mills m'intéressait beaucoup. Il avait le sens de la réalité. Dans la sociologie américaine il a été une exception. Cette sociologie ne me satisfait point. Séparer la sociologie de l'économie me semble académique. Marx ne les dissociait pas.
On parle beaucoup de Marx jeune ...
G.L. C'est une invention de notre temps. La contradiction qu'on cherche dans son œuvre est fictive. Il n'a cessé d'approfondir sa philosophie. Voyez-vous, il s'intéressait d'abord à la réalité. Depuis
Aristote, il est celui qui a eu le sens de ce qui est uni ou séparé, non dans les livres, mais dans la réalité. C'est pour cela que j'élabore une ontologie sociale. La sociologie de groupe? Une invention pour manipuler la société. lriez-vous séparer par exemple le mouvement jacobin des groupes jacobins? En sociologie, il est nécessaire d'aller jusqu'au fondement objectif des mouvements. Il faut prendre les grands événements de la vie sociale dans leur totalité. Autrement, comment expliquer que des inventions géniales surgissent en même temps dans différents pays et dans différents domaines? Comment comprendre le lien qui rattache Newton et Leibniz? Les événements isolés n'ont aucun sens SI
on ne les place pas dans la perspective d'une totalité.
Lukacs
Pourtant, l'aliénation ...
• •
G.L. L'aliénation a existé dans toutes les civilisations. Depuis un demi-siècle, elle existe sous une nouvelle forme. Nombreux sont ceux qui croient qu'il s'agit là d'une conséquence de la technolo· gie, alors qu'une étude de la totalité montre que la technique n'est pas une force fondée en elle-même, mais une conséquence du mouvement des forces productives. Elle dépend de la structure sociale. Il faut toujours recourir à la méthode marxiste.
Nous revenons à la littérature. Que pensez-vous des nouvelles rechercT:tes techniques ?
G.L. Tout dépend de ce à quoi on applique la technique. Regardez le monologue intérieur cbez James Joyce et chez Thomas Marui. Pour Joyce, cette technique est un fait en soi, Thomas Mann l'utilise comme mode de construction, pour faire apparaître quelque chose d'autre. En dépit de ses multiples déguisements, une grande partie de la littérature moderne est encore naturaliste. Elle n'offre qu'un ta-
Georges Lu1wcs
bleau superficiel de la vie, sans refléter la réalité.
Et le théâtre de l'absurde?
G.L. L'absurde n'est rien d'autre que le grotesque. Rien de neuf là-dedans. Voyez Goya, Hogarth Daumier. Chez eux, l'absurde vien! de la comparaison de deux états: l'état normal et sa déformation. Le grotesque n'a de sens que s'il est mis en relation avec l'humain. Chez plusieurs écrivains contemporains, l'absurde n'est pas en relation avec l'humain; il est considéré comme un état naturel. Si l'on ne distingue pas ce qui est humain de ce qui ne l'est pas, c'est le sens de l'humain qui est perdu.. On n'obtient rien d'autre qu'une photographie immédiate d'un certain aspect de la vie. Encore une nou-
• revenir au
velle iorme du naturalisme! Si Eugene O'Neill est un admirable dramaturge, c'est qu'il propose une dialectique vivante des rapports entre l'humain et le grotesque. Prenons un autre écrivain : le romancier Jorge Semprun. II utilise le monologue intérieur pour évoquer le combat contre l'aliénation fasciste. Chez Beckett, ce combat h'existe pas. Il capitule devant l'aliénation moderne.
C'est là, chez vous, une prise de position politique?
G.L. Nullement. Un autre écrivain que j'admire est Thomas Wolfe. Son œuvre est un combat contre l'aliénation dans la vie américaine. J'admire également Styron et Elsa Morante qui, à mon avis, est plus douée que son mari, Moravia. Je ne prône ni une technique ni une idéologie. Ce que je défends, c'est l'intégrité de l'homme et je m'oppose à une littérature qui mène à la destruction de cette intégrité. Je ne nie pas la valeur de Joyce ou de Proust. Le premier est un excellent observateur et Proust un écrivain très important. Son œuvre continuera d'exercer une profonde influence sur la littérature parce qu'on y trouve une dialectique du passé et du présent. Cela nous permet de situer le problème de l'aliénation. Il n'en demeure pas moins que le passé n'a de véritable sens que dans la me~ sure où il agit sur le futur. Je ne parle pas uniquement des sociétés, mais également des individus. Cette recherche du temps perdu est le fait d'un homme qui n'a pas de futur. La véritable source de toute l'œuvre de Proust se trouve dans le dernier chapitre de l'Education sentimentale, quand Frédéric Moreau se remémore son passé.
' Et Sartre?
G.L. C'est un homme très vi· vant. Je le comprend beaucoup mieux depuis que j'ai lu les Mots. Quelle œuvre admirable! Il explique cet homme qui n'a jàmais eu de contact avec la réalité. J'at. tends que Sartre subisse le choc de la réalité. Il a été courageux lors de la guerre d'Algérie.
Et comme philosophe ?
G.L. Il a fait des progrès depuis l'Etre et le Néant. Il est plus près du marxisme. Cependant, il y a chez lui une faiblesse. Quand la vie l'oblige à changer de point de vue, il ne veut pas le changer radicalement. Il veut donner l'illusion de la continuité. Dans sa Critique de la raison dialectique, il acccpte Marx, mais il veut le concilier avec Heidegger. Vous voyez la contradiction. Il _y a un Sartre numéro un au début de la page, et un Sartre numéro deux à la fin de la même page. Quelle confusion dans la méthode et dans la pensée!
concret
• • • • • • • • • • -• Croyez-vous que l'écrivain a un •
rôle social à jouer ? • G. L. Les existentialistes 0 nt.
faussé le problème. On ne choisit • ni le lieu ni la date de sa naissance. • Nous disons oui ou non à la réa- • • lité qui existe malgré nous. L'hom- • me est un être « répondant ». Il • dépend de lui de dire oui ou non • mais il ne dépend pas - de lui de • dire oui ou non à la réalité telle • qu'elle existe. Et cette réalité est : celle d'aujourd'hui. Il ne dépend • ni de vous ni de moi qu'il y ait • des voitures dans la rue, ou que • vous aimiez votre femme et non • l'amie de votre grand-mère. Le seul • choix que vous avez à faire est de : ne pas traverser la rue ou de ne • pas aimer votre femme. Le rapport • entre la liberté intérieure et les né- • cessités extérieures est très com- • plexe. Marx n'a pas nié l'existence • du choix. Cela commence par le : travail : le maçon choisit une pier- • re, et ce choix fait que son tra- • vail est bon ou ne l'est pas. Toujours • est-il qu'il ne peut choisir qu'entre • deux pierres, non entre une pierre • • et un morceau de bronze. Le pro- • blème de la liberté et de la néces- • sité sociale se traite dans une per- • spective d'évolution historique. C'est • un problème dialectique. Considérer • la liberté sur un plan abstrait con- • • duit aux positions fausses. Je m 'op- • pose au bureaucrate qui définit la • fonction de la littérature. Sur le sta- . linisme, qui est une déviation du • marxisme, je n'ai pas hésité à ex- •
.. d d • poser mes opIllions u temps e Rakosi, j'ai fait une conférence : pour exprimer ces idées. On ne • peut parler de la liberté si on n'ana- • lyse pas la situation concrète. Je • suis pour' la liberté de l'écrivain, • mais il faut s'entendre. Quand • • dans un pays socialiste on empêche • un écrivain de s'exprimer, je m'élè- _ ve contre la confiscation de sa • liberté, mais ce n'est pas pour ac- • cepter votre liberté à vous, capi. • • talistes. Très jeune, j'ai compris • cette leçon. Pendant un bref mo- • ment, j'ai été critique dramatique • dans un grand journal. Mes chro- • niques ne plaisaient pas et ' j'ai dû •
. l' V • qUItter mon emp 01. ous savez comme moi que la liberté de presse : n'existe que d'une manière rela- • tive. Quand, dans les pays capita- • listes, on écrit dans un journal, • on connaît les limites à ne pas dé- • • passer. On pratique des accommo· • dements. De cette manipulation raf- • finée à la liberté, il y a loin. Le • bureaucratisme qui menace l'écri- • vain et le journaliste dans les pays • socialistes n'est qu'une autre for- • me de manipulation, brutale celle- • là. Si vous voulez qu'on discute : de ces deux formes de manipula- • tion, notre controverse pourrait • avoir un sens, mais je n'accepte pas • la prétention qui veut que, d'un'· côté, la liberté existe, et que, dt' • l'autre côté, elle soit absente. :
Je suis contre la discussion abs- • traite. Le marxisme nous ramène • toujours au concret. •
Propos recueillis • par Naim Kattall • •
La Quinzaine littéraire, 1"' au 15 décembre 1966
Colleétion , •
vient de paraître :
oeste L'œuvre complète des grands poètes contemporains en format de -poche
Breton Apollinaire
Clair de terre
Alcools
Supervielle Gravitations
Quenea U L'instant fatal
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Les noces Poésies de A. o. Banabooth
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"Un interminable feu d'artifice, polisson en diable, svelte, dans le vent, pétillant comme champagne rose et chairs de la même couleur" .-
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LE MYSTERE D'UNE
CELLE D' INITIATION UN HOMME
ET D'UN PEUPLE
MOISE MARYSE par CHOISY
EDITIONS DU MONT- BLANC - GENEVE
,
ROMANS FRANÇAIS
. Irène Monési, Nature morte devant la fenêtre Mercure de France éd. 256 p.
Ce roman paraîtra surprenant au lecteur français que sa littératur~ n'a guère familiarisé avec l'insolite, cette dimension étrangère qui vient des êtres.
C'est par un glissement imperceptible que s'accomplit le passage de la réalité la plus ordinaire a une surréalité où l'apparence habituelle des choses se dédouble curieusement pour laisser app~aître un envers troublant. La narratrice, une gouvernante anglaise entrée au service d'une famille ·française pour enseigner aux deux enfants, Agathe et Régis, les langues étrangères, est devenue, en l'espace de six ans, le témoin et la confidente du drame qui, lentement, la déchire. Une série d'indices, dont rien ne trahit à l'origine la valeur symbolique, convergent pour avertir le lecteur qu'il a pénétré dans une société close sur elle-même, corrompue par les poisons. Sommes-nous dans l'univers de Mauriac ? peut-être, mais qui aurait abandonné le masque de l'hypocrisie, du conformisme et de la pudeur, et où s'exercerait sans fin une Thérè&e Desqueyroux corrigée par une romancière anglaise.
L'alimentation végétarienne, l'étrange détachement du père, l'amour de ces chats dont le pelage ondoyant figure la nostalgie dévorante de la chaleur matricielle, dont tous les ' membres de cette famille sont hantés, le violon d'Ingres de la -mère, l'amour que nourrit le père pour la peinture sont autant de jalons qui dessinent l'itinéraire que
Irène M onési
doit suivre le lecteur pour pénétrer le mystère de cette étrange famille.
Voici une mère, Alhy, qui hait dans sa fille Agathe l'enfant qu'elle a été et qui s'effraie tant de retrouver chez elle la plus légère ressemblance qu'elle la rejette de toute son âme avec une persévérance diabolique. Par la volonté de la mère que dominent des constellations psychiques, la famille est le terrain où s'affrontent des instincts qu'aucune morale ne peut réprimer. C'est en effet sur les abîmes ouverts par l'inconscient, sur les ravages que
Mère et fille
peut causer l'ignorance des lois fondamentales de la nature humaine, qu'Irène Monési projette une lumière de soufre. Nous assistons au processus de destrUction qui conduit une famille à répéter, d'une génération à l'autre, le péché obscur, originel, sur quoi elle fut fondée.
Mariée à un homme trop faible pour la dominer, et qui, au lieu de la combattre, tente de l'excuser, puis s'éloigne d'elle progressivement, Alhy rejette sur ses enfants la faute dont elle est issue et les
ensorcelle au lieu de leur apporter de l'affection. Et, comme dans la tragédie antique, la fatalité de la naissance ne laisse pas de s'acharner contre les différents membres de la tribu. Ainsi Agathe, malgré la haine qu'elle nourrit pour sa mère, esclave de la fascination que cette femme exerce sur elle, s'éprend d'un amour incestueux pour son père moribond, puis épouse Paul, le meilleur ami de son frère, pour connaître à son tour le même destin que sa mère : l'horreur de Génitrix pour elle-même, l'aversion indéracinable de toute postérité.
Singulier pouvoir des femmes qui, comme des Parques, tissent l'écheveau infernal destiné à se refermer sur les êtres. Et tous les hommes, associés au destin de ces figures féminines, sont par elles asservis, mutilés: haine que l'espèce, à travers les femmes, perpétue contre elle-même au point de vouloir totalement s 'annihiler.
Le roman d'Irène Monési est attachant, elle a su faire affleurer poétiquement les motivations psychologiques qui animent tous ses personnages et, en évitant les implications du roman psychologique, leur donner une existence fantastique.
Longtemps après qu'on a achevé la lecture, ces étranges figures qu'on dirait natives d'un village de La Nouvelle Orléans, telle que la fait revivre Julien Green, poursuivent leur ronde d'étrangers sur la terre. Et, dans l'absence singulière de toute transcendance, nous reconnaissons en Irène Monési une romancière anglaise qui écrirait en français.
Alain Clerval
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6
L', , t eveneIllen ;>Iowlllbre 1966 4F
Bourse Illoribonde Jacques Brel. D limi L'envers du temps Solitude de Picasso lJ..52 contre blcycl~"e •. Le .olJaI. dloyen. Bo~e pourrie. l/n.e ju.ûœ Jadle. L'ElU"Ope ,u. marc~. l 0 Apri. F,tmt!O-Poùpe. L'IIlfoire da fllllr.Banlt. Le Paya de CoUe. en kuil. Siqueir." le Mul«Jin.
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Bourse llloribonde Jacques Brel. Dlimi L'envers du temps Solitude de Picasso
Un Goncourt bien fran9ais
Edmonde Charles-Roux Oublier Palerme Grasset, éd. 328 p.
En donnant son prix annuel à ce roman, l'Académie Goncourt s'est attiré beaucoup de sympathies. Celle des critiques qui ont, en g é n é r a l, parlé élogieusement d'Oublier Palerme pour des raisons avec lesquelles la mondanité n'a rien à voir, celle des braves gens qui commençaient à en avoir assez li 'user leurs méninges sur les productions dites du « n 0 u v eau roman », celle des éditeurs étrangers qui auront à proposer aux ressortissants de leur pays une marchandise «made in France» qui répond enfin à l'idée qu'ils s'en · font. Les Goncourt ont une fois de plus mérité leur réputation.
A vec Oublier Palerme on revient enfin au roman de papa - ou de maman -: une histoire, un peu tricotée à la va-vite, mais dont le fil est facile i suivre, des personnages vivants et pittoresques, des milieux dont l'exotisme excite la curiosité et que l'auteur connaît suffisamment pour <ln donner des images « typiques », des drames où l'amour, l'ambition, l'intérêt et les sentiments généreux font d'agréables mélanges détonants, tandis que supportant le tout, lui donnant son assise et son sens, s'affrontent deux civilisations: l'une, détestable et menaçante l'américaine, l'autre, rude, primitive, chevaleresque, mal accordée à l'évolution du monde mais gorgée des vraies val~urs de la vie et telle qu'on peut la rencontrer encore en Sicile. Oublier Palerme? Certes, non. C'est à Palerme que nous tenons par ioutes nos fibres d'Européens recuits dans une histoire séculaire et tournés vers un passé prestigieux. C'est à Palerme qu'il vaut la peine de vivre et de mourir.
Ouvertement, explic i t e men t, Mme Edmonde Charles - Roux oppose ainsi deux tableaux contrastés. Elle passe de l'un à l'autre, de l'un dans l'autre, en faisant courir parallèlement deux histoires qui n'auraient rien à voir entre elles si précisément elles ne se rejoignaient, par les aventures de ses personnages, et dans le milieu sicilien de New York, et à Palerme même. Autre habileté : sa narratrice, qui semble pourtant avoir des réactions bien françaises, est Sicilienne. Mais comme on croit difficilement à l'authenticité de ses origines, ce n'est peut-être pas une habileté, simplement une ficelle.
Cette Sicilienne, fille d'un médecin de Palerme, est rédactrice du grand magazine Fair et chargée de vanter à ses lectrices sous-développées les beautés touristiques et gastronomiques de l'Europe. Elle s'acquitte de sa tâche avec la condescendance qui convient, suivant les instructions qui lui ont été données : exciter l'appétit du voyage, taire l'essentiel au profit de l'acces-
soire piquant et pittoresque et surtout: ni inquiéter ni donner l'envie de découvrir, façonner en somme le plat européen de façon à le rendre digestible aux fragiles estomacs américains. Son amie Babs, préposée aux soins de beauté, la tante Rosie, chez qui elle loge -une affreuse poupée de soixante ans - la rédactrice en chef du magazine - une femme d'affaires névrosée et éthylique - sont autant d'échantillons du modèle féminin américain à la tête vide et au sexe Fiorello La Guardia. Il semble proaseptisé, bien que Babs ait connu, la nuit, dans Central Park et à l'intérieur d'une voiture, sous l'œil d'un voyeur, une aventure elle ausi typiquement américaine. Ah, les sauvages! La peinture de cette vie quotidienne: salle de rédaction d'un magazine féminin, 5e Avenue et bas quartiers, rapports entre Américains de souche plus ou
Edmonde Charles-Roux
moins récente et «étrangers », coktails et « parties », est dans l'ensemble d'un noir assez soutenu. L'auteur a rassemblé tous les traits négatifs de la vie américaine pour en faire un bouquet propre à chatouiller des odorats bien français~ mais comme elle parle 'd'expérience on ne peut que s'incliner.
Heureusement, dans ce New York infernal et gigantesque, aux rues en allées de cimetière, se sont implantées, au delà de Canal Street, de fort sympathiques minorités ethniques : Siciliens et Chinois. Beaucoup sont nés à New York, peu ont oublié le pays de leurs ancêtres, ses mœurs, ses coutumes, ses façons de vivre. Il en résulte, à tous les étages, de· curieux mélanges. Et l'on ne s'étonne point qu'un Américain de souche sicilienne, Carmine Bonnavia, prenne la tête du parti démocrate à New York, s'installe à Tammany Hall, joue les Fiorello La Guardia. Il se~le promis à une carrière politiquie plus éblouissante encore quand, soudain, le prend le mal du pays : c'est à
L.~ Quinzaine littéraire, 1er au 15 décpmbre 1966
Palerme qu'avec sa femme, Babs - la préposée aux· soins de beauté de Fair - il va accomplir son voyage de noces. Pour trouver làbas quoi ? Le sang, la volupté et la mort.
Entre-temps, l'auteur n'a pas quitté la Sicile des yeux. Elle nous en a montré la misère et les fastes, le primitivisme féodal à travers l'histoire d'une famille aristocratique et de ses clients, la résistance au fascisme mussolinien et à la guerre. Si, comme pour l'Amérique, le tableau est de convention, il est cette fois poussé au rose - ou· au rouge vif, le rouge du sang généreux qui coule dans les veines du fier baron de D. et de ses fils comme dans celles d'un peuple misérable et ombrageux.
Nous voici au terminus: c'est à Palerme que va se dénouer tragiqu~ ment l'histoire du beau, fort et taciturne Carmine, de l'insignifiante
mécanique prénommée Babs, de ces deux « Américani » dont chacun va retourner à ses dieux lares: Babs, en reprenant seule le bateau pour New York après une série de chocs psychologiques qui ont désintégré sa « personnalité », Carmine en s'offrant comme victime à une vendetta qu'il a déelanchée par orgueil ( son sang sicilien) et bêtise ( son
-sang américain).
Ce récit documenté, aux couleurs plates, convenablement cousu même si les coutures demeurent visibles, plaira à la centaine de milliers de lecteurs auxquels il est destiné. L'inspiration en est sympathique et la façon, dans le genre prêt à porter, fort honorable. La distinction dont il a été l'objet nous rappelle qu'entre l'Atlantique et la Méditerranée il existe un pays de coteaux modérés où, pour la satisfaction de ses habitants et en dépit de toutes les outrances ou modes intellectuelles, le roman continue doucement à ronronner.
M aunce N adeau
AUTEURS
Asturias
Miguel Angel Asturias, qui vient d'être nommé ambassadeur de son pays, le Guatemala, à Paris, prépare un recueil pour la collection • Nou· velles nouvelles. qui vient d'être lan· cée par Albin Michel. Comme dans ses romans - Une certaine mulâtresse - il s'agit de thèmes populaires guatémaltèques: légendes, cou· tumes, croyances, costumes ...
Le premier volume de cette collection l'Hôtel de la lune, est de Gloria Alcorta , journaliste franco-argentine et correspondante de la Prensa, de Buenos Aires, à Paris; l'auteur, qui écrit ses poèmes en françaiS et ses romans en espagnol, avait confié la traduction de ces nouvelles à Claude Coutton.
Le deuxième volume, en voie de parution, est le Règne végétal, du Hollandais Jacques Hamelink.
Malgré ce point de départ très international, la collection fera aussi une place aux auteurs français.
Fitzgerald
Vers la fin de sa vie, abandonné de tous, mourant lentement à Hollywood (il se couchait sur le côté gau· che, chaque soir, dans le but - disaitil - de fatiguer plus vite son cœur), Scott Fitzgerald ne trouvait de récon· fort que dans la présence de sa jeune disciple Sheilah Graham, dont il avait entrepris l'éducation.
Depuis que l'auteur de Tendre esl la nuit est redevenu à la mode, nul ne s'était encore préoccupé de faire l'inventaire précis des quàrante boîtes de documents entrepos~es à l'université de Princeton - cette université qui avait joué un si grand rôle dans la vie de Scott et qu'il a si longuement décrite.
Sheilah Graham a recherché, dans ces papiers, les notes que Fitzgerald avait préparées à son intention et qui se composent de conseils divers, opinions sur la littérature, etc. Elle va publier tout ce qui concerne cet aspect inconnu et inédit de l'écrivain dans un livre qu'elle prépare pour les éditions Viking, sous le titre College of One (Université pour une seule femme).
Isaac Bashevis Singer, l'un des plus grands auteurs yiddish vivants, vient d'obtenir, en collaboration avec le des· sinateur Maurice Sendak, le prix du meilleur livre illustré pour enfants avec Zlateh la chèvre et autres contes, décerné par un jury spécial réuni à New· York.
D'Annunzio
Le succès de d'Annunzio en Italie est attesté par la vente de près de 300000 exemplaires de l'Enfant de volupté, en une seule année, dans la collection de livres de poche de l'édi· teur Mondadorl. Fort de cette expé· rience, celui-ci prépare trois autres rééditions de poche du même auteur: le Triomphe de la mort, Alclone et Poème paradiSiaque.
On annonce parallèlement la publication des carnets inédits (1 500 pages) ainsi que du Livre secret et de la correspondance amoureuse .(lettres à Barbar.a Leoni, lettres à Donatella de Goloube).
D'Annunzio est inscrit au programme de l'agrégation en France, mais, en dehors des quatre titres au cata· logue des éditions Cal mann-Lévy, la plupart de ses œuvres (dont l'Enfant de la volupté publié dans la défunte collection • Pourpre.) sont Introuvables.
La Télévision française prépare d'ailleurs un film sur d'Annunzio tourné à la Vittoriale dans le cadre de la maison de l'écrivain actuellement convertie en musée.
T
ROMANS FR-ANÇAIS
Une aventure • rODlantlque
Michel Dard M~lusine Le Seuil éd., 256 p.
Michel Dard, comme le fut Raymond Abellio, comme l'a été Saint John Perse est, nous apprend son éditeur, un haut fonctionnaire international qui a parcouru le monde et jaugé les civilisations à la lumière de cette science hautaine que lui a enseigné l'expérience des coulisses du pouvoir et le spectacle des conseils internationaux : au milieu des passions contraires qui font éclater la vanité et l'utopie des institutions créées pour introduire quelque harmonie entre les Etats, l'homme est tenté de se placer, pour contempler l'histoire, sur une cime d'où semblent se confondre les agitations, les actions et les œuvres des hommes. N'est-il pas intéressant d'observer qu'une pente égale mène des hommes différents par l'âge, l'origine, la culture, mais que rapproche la communauté d'expérience, à rechercher un remède aux désillusions dans une méditation cosmique où se rejoignent les différentes leçons de la science,
Michel Dard
des religions, des langages, de la sorcellerie, des rituels primitifs f! Leurs songes qui s'abreuvent à ces sources, nourrissent une littérature fabuleuse qui exalte l'amour fou, les secrets des âges premiers de l'humanité, la fraîcheur d'un temps biblique frémissant de signes où s'établissait une connivence naturelle entre l'homme et la terre, l 'homme et les légendes qui, parfois, se levaient de ces terres secondes illuminées par la prescience.
L'auteur a voulu s'évader de l'étroitesse contemporaine, du lacis des structures modernes, dans une mystique de l'érotisme, de l'amour, dans une gnose universelle où se rencontreraient l'occultisme, les connaissances astrales, l'exégèse des écritures, l'étude de la Cabale, les mythologies. Un scepticisme policé, fortifié par l'expérience de la vie internationale, incline au messianisme; ayant pu mesurer la résistance des choses, la versatilité, l'inconsistance des hommes et des politiques, l'auteur en est venu à rêver d'un ordre supérieur où les idéaux fourvoyés, les ambitions contrariées, au-dessus des procédures dérisoires, pourraient se développer librement
par-delà les minuscules catégories humaines.
Deux aventures qui se nourrissent l'une de l'autre, se poursuivent parallèlement tout au long de ce récit : une initiation érotique, sentimentale qui conduit un homme à faire l'eXpérience de l'amour fou et de la douleur, et une quête spirituelle qui, à travers les degrés, les chutes, les métamorphoses de la passion, transportent le narrateur, de dépouillement en dépouillement, au seuil d'une vie nouvelle et d'une approche du divin. Un diplomate que sa maîtresse vient d'abandonner, profite d'une longue mission qui doit le conduire à New York, pour accomplir une croisière autour du monde, les Açores, les Bahamas, enfin la Floride. Au cours de la traversée, le voyageur ne peut se distraire de la souffrance du délaissement, et il tient un journal où il consigne, au gré de la mémoire, les épisodes de la liaison orageuse qui a mêlé sa vie à celle qu'il appelle, selon les circonstances, Andromède ou Mélusine. irlandaise, de son nom véritable Finnegan, il l'a rencontrée chez des amis, au cours d'une réunion qui rasseinhlait des apôtres du Réarmement moral, cette théosophie au rabais.
Femme fatale, Mélusine a intrigué Gabriel, le narrateur, par sa beauté, le pouvoir rayoimunt, le sombre magnétisme qui émane d'elle. Lointaine descendante des Lusignan, son enfance s'est écoulée à Pierre-L'Ange, haute bâtisse féodale construite sur la lande bretonne. La jeune femme semble tenir de la figure légendaire restituée par Jean d'Arras au XIe siècle, non seulement son nom de fée, mais ses pouvoirs de sorcière, une science divinatrice, les qualités de la sainte, de la ribaude et de la vierge. A la fois mystique et active, sereine et violente, une sagesse initiatique l'avertit du sort de ses proches. Un puissant courant dualiste déchire Mélusine entre les ténèbres ·et la
clarté, la pesanteur et la foi, l'esprit et la chair. Nourrie des légendes qui se confondent dans la nuit de l'histoire, armée de secrets, cette femme charmeuse résume toutes les aspirations qui pétrissent le cœur de l'homme.
Elevée à la campagne par son père, l'amour qui les unit est empreint d'une telle équivoque que sa mère exige le divorce. Mariée à Sébastien son cousin éloigné, séraphin inconséquent qui se tuera au volant de sa voiture, puis à Janus son beau-frère, histrion dépravé et alcoolique, possédé par le mal et la fureur de vivre, que ses excès conduisent en prison, .Mélusine est sur le point d'épouser en troisièmes noces, au moment de sa rencontre avec Gabriel, Ludwig, ancien 55 qui cherche son rachat dans une action évangélique, mais que ses fureurs et sa violence rendent invivable. L'amour des sens qui unit Gabriel et Mélusine s'exaspère d'une curiosité intellectuelle qui va les déchirer. La duplicité de Mélusine, sa science du mensonge et de l'intrigue, font éprouver au narrateur les tortures de la jalousie. Au terme de sa croisière qu'une brève idylle n'a pas pu détourner de l'objet de sa passion, Gabriel retrouve Finnegan, qui lui apprend qu'elle attend un enfant. Une nouvelle tentative de vie commune s'achève sur un échec, Mélusine délaissant son ancien amant au profit de Guillaume, un autre Lusignan qui la captive par son ascendant et sa fortune. Au terme de cette aventure romant~que, le narrateur se livre corps et âme à une petite prostituée hindoue, malade de la lèpre. Son dévouement inlassable est un choix qui ne se fonde pas sur l'amour, mais sur l'accomplissement qu'il espère de l'exercice de la charité.
Hymne mystique d'un romantisme effervescent, écrit dans une langue fastueuse, lyrique, surchargée de symboles qu'entache peut-être le recours trop constant au disparate de la culture.
Alain Clerval
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ENTRETIEN
George Painter : Proust
George D. Painter, 51 ans, conservateur adjoint au British Museum, a mis dix-huit ans pour faire son Marcel Proust (Mercure de France éd.) dont le deuxième volume vient de paraître. Une phrase de la préface étonne : « Que connaissent de la Recherche ceux qui ne connaissent que la Recherche? » Pour connaître une œuvre, ne suffit-il pas de la lire ?
G.P. En vérité c'est une boutade! Je pensais à la célèbre phrase de Rudyard Kipling : « What do they know of England who only England knows? » Bien sûr que la signification du livre se suffit à elle-même. La question à laquelle j'ai voulu répondre est: que signifiait ce livre pour Marcel Proust ? La plupart des gens lisent Proust en se demandant ce que ce livre signifie pour eux. Moi je voulais savoir : que signifie la Recherche pour son auteur ?
Et que répondez-vous ?
G.P. A la Recherche du temps perdu c'est la recherche d'un salut. Proust se sentait seul, abandonné, isolé. Il désirait être compris. Il allait écrire un livre, écrit-il à Madame de Noailles, en désirant y mettre assez de lui-même « pour que vous me connaissiez et m' estimiez un peu ». En se rendant compréhensible il tente de se sauver, de se justifier, de racheter un peu son isolement. Cela me fait penser à la confession du prince Muichkine sur la place · du Marché qui -avouait tous ses péchés dans l'espoir qu'ils seraient pardonnés.
Pensez-vous que Proust ait obtenu de ce livre ce que vous dites qu'il souhaitait?
G.P. A un moment, à Combray, le narrateur dit que tout lui semble devenu stérile et sans intérêt, désillusion, et il se retourne vers le passé où le monde était encore ravissant. Et, tout à fait à la fin, dans le Temps retrouvé, il découvre que ses premières impression"3, de beauté, de ravissement, étaient les vraies - -devenues immortelles ...
L'image que vous vous faisiez de Proust a-t-elle changé au cours de vos dix-huit ans de travail ?
G.P. Proust n'a pas changé, mais il -s'est mis à vivre devant moi, en chair et en os si je puis dire. Plus on le connaît, plus on admire la grandeur, la noblesse morale de son caractère. Il était intelligent, certes, mais plus encore courageux. Courageux et généreux.
C'était un homme qUl souffrait beaucoup?
G.P. _ Il y a sa souffrance, mais il y a aussi son grand bonheur,
, . • etait aussI pour moi la sensation capitale c'est que la sève d'A la Recherche du temps perdu est le bonheur. Il a beaucoup souffert à cause, justement, de son sens aigu du bonheur, souffert par l'amour, la maladie, la déception. Il a beaucoup ri aussi. Parfois je crois l'entendre rire, de ce rire innocent. La Recherche est, je crois, un grand chef-d'œuvre comique. On verse des pleurs puis on rit. C'est normal, pour rire il faut pleurer beaucoup.
Apportez-vous des documents nouveaux?
G.P. Il n'y a pas de document nouveau : tout ce que j'ai utilisé avait été publié déjà au moins une fois. J'ai pu mettre en lumière l'hétérosexualité de Proust. Albertine, ça n'est pas seulement un jeune hOinme, comme on l'a dit,
Marcel Proust
c'est cinq ou six jeunes filles qu'il a vraiment aimées, mélangées à cinq ou six garçons. -Pour moi il est très important que Proust soit aussi hétérosexuel, ça n'est pas par morale, vous pensez bien! Mais j'aime qu'Albertine soit aussi toli· tes les jeunes filles qu'on a aimées. Quant à ses amours anormales, la vérité . admirable et héroïque sur ses amours anormales, il l'a dite sans masque en contant ses amours anormales ...
Pourquoi avez.vous c h 0 i. s i Proust?
G.P. Mais il n'y , a pas que Proust! Auparavant j'avais écrit un livre sur Gide, qui n'est pas complet (bien des choses ont été
La QaiozaiDe littéraire, l or au 15 décembre 1966
hétérosexuel publiées depuis, dont Et Nunc manet in te). Je voudrais refaire ce livre, mais en ce moment je fais ' une biographie de Chateaubriand. Si je pouvais vivre deux cents ans, j'en ferais bien d'autres, ValeryLarbaud, Baudelaire ...
Chateaubriand après Proust ... Comment pouvez-vous?
G.P. Mais Chateaubriand n'est pas l'homme qu'on croit! On pense que c'est un monstre de vanité et d'insincérité. Je ne le crois pas. Je lui trouve la plus profonde sincérité. Evidemment il construit un personnage, qui est déjà bien cristallisé au moment où il entreprend les Mémoires d'outre-tombe, mais c'est quelqu'un de très bien. J'admire Chateaubriand, mais P roust est un autre moi-même. Proust est snob, pas moi, il est homosexuel,
pas moi, il est susceptible, irritable, moi je suis plutôt flegmatique, -et pourtant je crois que si j'ai étudié Proust c'est qu'en cherchant à le comprendre je voulais me comprendre moi·même - - comme tous ses lecteurs ...
y êtes-vous parvenu ?
G.P. Pour découvrir que je ne suis pas un créateur ...
POurtant vous écrivez ?
G.P. Je ne crée pas, je recrée. Autrefois je voulais écrire des poèmes. Tout jeune j'ai publié un volume de poésie, The road to Synodum. Mon père était professeur de littérature anglaise à Birmingham.
Il a maintenant soixante-dix-huit ans, il l'est toujours ... Je ne suis pas un écrivain, je suis un scholar, c'est un mot intraduisible en français qui ne veut dire ni universitaire, ni intellectuel, ni érudit, toutes choses que ,pour moi je récuse. Etre un scholar c'est avoir un idéal qu'on n'atteint jamais.
Pourquoi est-ce un Anglais qui fait une biographie sur Proust ?
G.P. Les Français n'imaginent pas à quel point Proust est lu en Angleterre.
_ V ous avez eu dû succès, en êtesvous content ?
G.P. Qu'ai-je fait de si extraordinaire? J'ai l'impression d'avoir aidé une vieille dame à traverser la rue; surgit alors un million-
George D, Painter
naire qui me dit : « Mon ami c'est très beau ce que vous venez de faire, je vais vous récompenser ... » Ça me gêne plutôt!
Pourquoi y a-t-il St peu de biographes?
G.P. Très peu de gens sont préparés à doilner leur vie pour n'écrire jamais qu'un seul livre sans la moindre garantie de rentabilité. C'est presque pour des raisons économiques qu'on y renonce: on ne peut pas se permettre ce luxe! Un génie peut écrire une œuvre de génie en deux mois. Mais une biographie, rien à faire, il faut le temps ...
Propos recueillis par MadeleineChapsal
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une révolution • • • • • • • • • • • •
POÉSIE ÉTRANGÈRE
technique .' • A. D. Tavares-Bastos La poésie brésilienne contemporaine Seghers éd., 292 p. -au service
• • • • • • • • • •
M. Simon Manuel Bandeira Seghers éd., « Poètes d'aujourd'hui », 191 p.
de la réforme • Si le roman brésilien commence • à trouver chez nous un public -: le bon accueil fait ces dernières • années aux livres de Guimarâes
de • Rosa en est le plus satisfaisant in-• dice -, il n'en vas pas de même • pour la poésie, qui reste encore, au • portulan de nos libraires, marquée : de la blancheur quasi vierge d'une • terra incognita. L'anthologie Ta-• vares-Bastos, que vient de repren-• dre Pierre Seghers, et qui nous pré-
l'ensel- 1 n' eme' nt: ~e;:: ;:è: i::!~:~:tn~o;!:t;!:~~ : être Vinicius de Morâes (le créa-• teur d'Orfeu Negro), est donc à • tous égards la bienvenue, car nul • n'était mieux placé que son auteur • lui-même écrivain bilingue et poète • • •
~----------------------------~----------------~~. .
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1 200 C.E.S. à construire en 5 ans ,. Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut y parvenir.- Portrait de 8andeira, par Foujita. 1932
Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-C.I.C.,: le plus ancien et le plus important des Constructeurs.
(4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves;. 2500 classes pour la seule année 1966),.
reste à la pointe de ce combat.. Grâce au dynamisme de son Service" Recherches ",. _ pour nous guider dans la décou
à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-C.I.C.,: vcrte de cette contrée neuve. ne cesse d'améliorer la qualité et le confort. La poésie en tant que genre lit-
de ses réalisations et de justifier. téraire, au Brésil, naît d'abord, en la confiance grandissante qui lui est faite.. plein dix-huitième siècle par mal-
: chance, d'une Arcadie néo-classi-• que importée tout droit de la ~é-• lropole, qui farde les belles mehs-• ses en bergères à rubans et englou-• lit les dieux du terroir sous un flot • de mythologie grecque. La réac-
G E E P C 1 C· tion viendra avec l'Indépendance . _ :. et un romantisme résolument tour
né vers les rives de la Seine, sans 22, rue St-Martin Paris 40 • qu'on soit guère parvenu, cette fois-Tél. 272.25.10 - 887.61.57 • là, à autre chose qu'à changer de
Poésie brésilienne
modèle et à produire de petits Lamartine de province. Le panorama d'Antonio Tavares s'ouvre donc, et c'est fort bien ains, sur l'irruption d'un lyrisme nouveau, cristallisé par la Semaine d'Art Moderne de Sâa Paulo en 1922, et qui rend pour la première fois un son véritablement spécifique. Sans doute l'impulsion est-elle encore venue d'Europe (d'Apollinaire et de Cendrars en particulier), mais tout se passe comme si le dynamitage de la joaillerie parnassienne - qui dominait encore à Rio -, l'éclatement subit de toutes les formes e tIes règles, l'explosiOI1 de liberté en somme, avaient permis à la poésie brésilienne de se découvrir elle-même, avec sa saveur propre. A travers les mille et une fantaisies de la lyre « moderniste » apparaissent enfin des visions spontanées du paysage urbain, de l'océan ou de la brousse, et le vieux folklore afro-indien fait son entrée en force. Pénombrisme, « anthropophagisme », vert-jaunisme, le -mouvement se scinde bientôt en de multiples branches, dont les noms, comme tombés d'une autre planète, nous sont à eux seuls un poème. Quelques grandes voix se détachent : les deux Andrade, Guilherme de Almeida, Frederico Schmidt, et, à la génération suivante, Cabral de Melo Neto, qui apportera le retour à la rigueur, le dédain des jeux verbaux, une sorte d'objectivité proche parfois de Ponge, mais au vrai pleinement autonome, irréductible maintenant aux modalités du vieux monde.
Placé en tête de ce volume par les hasards de la chronologie, l'octogénaire Manuel Mandeira, en qui d'aucuns - prenant un peu trop au pied de la lettre ses propres déclarations - verraient volontiers un lyrique mineur, me semble au contraire une des valeurs les moins contestables de la poésie ibéro-américaine contemporaine. Le premier de son pays à entrer dans la collection Poètes d'aujourd'hui, il y fait l'objet d'une étude intelligente et fine, par un critique qui le connaît intimement, dont le seul défaut consiste à se pousser un peu, parfois, sur le devant de la scène, mais qui nous ·donne en revanche d'ad· mirables traductions, et Dieu sait que ce n'est pas facile! Maniant toutes les formes du vers libre sans renocer pour autant aux rythmes traditionnels, prenant son bien dans la vie quotidienne (une route, un marchand de ballons, une pomme ou un affiche sur un mur), mariant l'humour à la mélancolie, voire à la gravité, Bandeira - comme notre Supervielle auquel il ressemble -ne force jamais le ton, même s'il ouvre la porte à l'imaginaire pOUI échapper au malheur qui l'assaille:
Je m'en vais à Pasargada Là-bas je suis ami du roi J'y ai la femme que je veux Dans le lit que j'ai décidé.
Jacques Fressaro
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Montale • • quarante ans de pOeDleS
Eugenio Montale Poésies Ed. bilingue, trad. de l'italien par Patrice Angelini avec le concours de Louise Herlin et Georges Brazzola Gallimard éd. 3. vol. 228, 184 et 184 p.
On n'a jamais fini de s'étonner des inconséquences qui caractérisent, en France, le domaine de l'édition, en ce qui concerne les traductions de textes étrangers. Une confirmation éclatante de cet état de choses est fournie par la récente traduction, chez Gallimard, des poèmes d'Eugenio Montale qui, sauf quelques tentatives éparses dans des revues ou des anthologies, n'avaient pour la plupart jamais été jusqu'ici publiés en France.
Ainsi donc, il aura fallu plus de quarante ans pour que le premier recueil de Montale, Ossi di seppia, soit accessible au public français (et plus de vingt-cinq pour les Occasioni)! Pourtant, il s'agit là d'une œuvre dont la beauté et l'importance ont été & ,ssitôt reconnues, qui a exercé et qui exerce encore en Italie une influence considérable; et Montale est un poète dont nul n'a jamais douté qu'il fût des plus grands de l'Italie contemporaine et, avec T. S. Eliot, le représentant le plus marquant de la poésie métaphysique.
C'est dire l'importance que revêt la publication par Patrice Angelini de ces trois volumes, qui contiennent le texte original de tous les poèmes avec une traduction en regard. Cette présentation simultanée de textes, rédigés entre 1920 et 1960 environ offre l'avantage de permettre une lecture d'ensemble et d'identifier plus aisément la voix unique de Montale, parfaitement reconnaissable à travers ses trois recueils, ce ton qui n'est qu'à lui et qui s'exprime à travers une p0ésie hautame et amère, sans jamais tomber dans les facilités de l'effusion sentimentale ou de la rhétorique, à la manière d'un Pascoli ou d'un d'Annunzio.
La ppésie de Montale est issuë d'une expérience difficile et douloureuse, dont S. Solmi a bien montré le lien, au départ, avec les épreuves de la première guerre mondiale et les années qui la suivirent. Pourtant, dans les premiers vers en particulier, la référence directe à un contexte historique est rarissime, et l'expression est volontairement purifiée, à la fois de ce qu'elle pourrait avoir de trop personnel et de contingent. D'où le caractère étrangement détaché, dépersonnalisé d'Os de Seiche. Le titre même , de ce recueil montre le soin avec lequel Montale a tenté de se limiter à l'essentiel, sans que pourtant l'urgence de ses questions et de son angoÏ$se cesse jamais d'être, immédiatemc:nt perceptible et communicable. Et il n'est rien de pl~ ~nt, que ces brefs paysages
Eugenio Montale
évoquant la côte rocheuse de sa Ligurie natale, écrasée de soleil, rongée par l'eau, le vent et le sel. Dans cet incessant dialogue avec le vent et la mer, peuplés de symboles simples et massifs, évidences d'un monde aveugle et écrasant, l'hom,me
est à tout instant remis en question. « Souvent j'ai rencontré le mal de vivre », écrit Montale, et c'est bien du constat de ce mal -de vivre que naît sa poésie.
On retrouve la même alternance de poèmes brefs et de textes amples
Un poème d'Eugenio Montale
Porte-moi le tournesol, que je le transplante dans mon terrain brûlé du vent salin; qu'il montre tout le jour aux faces mirQitantes du ' ciel d'azur l'anxiété de son jaune visage.
A la clarté tendent les choses ()bs~ures, les corps s'épuisent en flux de teintes: elles en musique. S'effacer,
la suprêmë aventure.
Oui, port!!-moi la plante qui nous mène où vont iurgir les blondes transparences et s'exhaler la vie, telle une essence; apporte-moi le tournesol fou de ~umière.
Traduit par Patrice Angelini.
La ~e littérain:, 1er au 15 décembre 1966
dans les Occasions (1939)~ Paysages, ici encore, mais plus variés, reflets de contrées nouvelles, souvent dédiés à un interlocuteur . 'mythique, souvenirs aussi, ces poèmes de la maturité tentent de se limiter à l'occasion qui en est la source, ou le prétexte, par pudeur sans doute, encore qu'il s'agisse avant tout ici d'un paysage in~érieur, approfondi de poème en poème, et d'une admirable densité.
La Tourmente, écho et dénonciation plus précisément datée - certains textes trop polémiques de Finisterre durent être publiés en Suisse pendant la guerre -, est le rt:.cueil Je plus élaboré, celui où conflue l'apport, pleinement assimilé, de toute une tradition poétique européenne. Bien entendu, la poésie de Montale demeure ici plus que jamais métaphysique, lourde de sens, mais avec une ouverture sur le monde qui tranche sur l'abstraction hermétique des premiers vers.
Les traductions sont pour la plupart de Patrice Angelini; qui, pour certains textes, a cependant préféré d 'autres versions, de Ph. Jacottet, de L. Herlin . Il était assurément difficile de rendre en français une langue aussi délibérément limitée aux mots essentiels, et de télescoper les images avec la même liberté. Et il est évident que certains éléments qui contribuent à la clarté et à ,la précision du français, l'ordre des mots, par exemple, ou les prononis, entravent l'exigence de fidélité du traducteur, et laissent toujours p~ser la"menace d'no. prosaïsme où se perd la Vigueur saeeadée de l'original. Ajoutons , que le rythme 'des
. vers français, quelle que soit leur liberté, risque de donner une impression de monotonie là où précisément les vers de Montale OBt un scintillement de pierres juxtaposéeS. D'autre part, l'extrême richesse du vocabulaire de Montal~, tout . à la fois archaïque et fiunilier, la variété d'un ton qui parfois frôle le la.ngage parlé ou, au contraire, j~ue subtilement des assonances et des allitérations sont particulièrement difficiles à tr~poser-.
P. Angelini ' a sagement adopté le parti de suiVre au plus près le texte original, l'ordre même des mots, parfois le 'jeu des rimes, '-et il est arrivé ainsi à de remarquables équivalellces. Plus à l'aise sans doute daÎls le recours à l'archaïsme,. il a peut-être accepté certaines expressions no. peu surannées (éjouistoi... je te dois reperdre... ce sien voyage ... ) et des négations incomplètes (qui ne passe ... ) qui surprennent.
Mais les-- réussites sont souvent remarquables, à la fois précises et musicales. Ajoutons que ces traductions sont accompagnées de notes, apportant une profusion quelquefois
, ingénue de détails érudits. Outre qu'elles éclairent nonlbre d'allusions voilées, elles prouvent l'infini scrupule apporté par Angelini à ce tra-vail considérable. '
Mario Fusco
Il
LITTÉRATURE ETRANGÈRE
Ettore Lo Gatto Histoire de la littérature russe des origines à nos jours Traduit de l'italien Desclée de Brouwer, éd., 923 p.
L 'histoire de la littérature russe de Lo Gatto marquera-t-elle dans la connaissance de l'Europe de l'Est une date comparable à celle de la parution du Roman russe de V 0-
guë? De quoi dispose en effet, outre ce dernier ouvrage, le lecteur français curieux de l'évolution de la pensée et de la littérature russes et soviétiques? D'ouvrages scientifiques, bien sûr, mais réservés par nature à un cercle restreint de spécialistes. De quelques opuscules de vulgarisation, souvent rédigés à la hâte. Enfin d'un nombre croissant de monographies de qualité (dans ce domaine, un effort sensible est accompli depuis la guerre, en liaison avec l'extension de l'enseignement du russe en France, lui-même dû à la place récente prise par l'Union soviétique dans la vie politique mondiale). Que la prise de conscience actuelle soit l'effet d'un intérêt extra-littéraire n'altère en tien le l'egard nouveau que l'on dirige d'Occident vers le monde russe.
Aussi l'étude monumentale du professeur Lo Gatto vient-elle à son heure. et il est certain qu'elle trouve ra auprès du public français l'accueil chaleureux qu'elle a déjà connu en Italie, et dont témoignent cinq éditions successives. On peut noter au passage la richesse des études slaves de l'autre côté des Alpes. On se souvient de la récente traduction du livre de A.M. Ripellino sur Maïakovski et le théâtre russe d'avant-garde!.
Ce n'est pas que l'on ait ignoré la Russie en France. Mais l'intérêt qu'on lui a porté a presque toujours été à un seul sens. Montaigne décrivait avec une ironie de grand seigneur l'ambassade d'Ivan le Terrible auprès du Saint-Siège. Mais la susceptibilité effarouchée des Moscovites, rapidement assimilés aux plantigrades dont ils portent les dépouilles, est un objet d'humour et de délectation distinguée qui conditionne en mal la compréhension de l'intérieur d'un univers pourtant non sans correspondances avec le nôtre. A la fin du XIX' siècle, les romanciers russes furent une révélation. Mais trop vite, on inséra l'isba, le samovar et le moujik dans une imagerie digne des « A la manière de ». Editions tronquées, textes amputés de pages jugées trop pesantes pour on ne sait quel goût de la mesure et de l'élégance qui firent néanmoins passer quelque chose du foisonnement de la pensée russe du temps. Gide, puis Camus redécouvrirent et firent découvrir un autre Dostoïevski en l'amenant à un universel encore synonyme de français, en l'interprétant au gré de leurs inquiétudes personnelles. Démarche loisible, d'autant que la
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De Saint-Serge ... a Staline qualité du critique atteint ici celle d'un auteur, et que, tout compte fait, une certaine sensibilité les unissait par avance.
Pour Lo Gatto, l'Europe occidentale, c'est l'étranger. De la Russie,
,capitale Kiev, à la Russie, .capitale Moscou, il marque ce qui, dans les lettres, est venu de l'histoire et des tourments d'un peuple de plus en plus certain de son existence. Il rappelle ce paradoxe qu'à l'origine, administrée par des conquérants scandinaves, convertie à l'orthodoxie, c'est-à-dire à la culture occidentale, par des prêtres bulgares, pas même maîtresse de sa langue littéraire qui est une déformation du vieux bulgare par les dialectes locaux (nous avons eu le latin en Sorbonne), la Russie, menacée dans sa réali té en tant qu'Etat par les Tatars, puis les Polonais, parle déjà d'une voix personnelle. Deux litté-
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Au XVIIIe siècle, le problème du choix de la langue se pose toujours, et n'est définitivement résolu qu'avec Pouchkine, qui réalise ce qu'a codifié quelques décennies auparavant Lomonosov, grammairien, savant et poète. Le russe moderne ne se fixe que tardivement. On mesure le poids de la tradition qui fait chercher l'originalité, tour à tour, dans un raffinement importé et dans la spécificité nationale. C.ela aide, . pour une part, à comprendre la violence des luttes qui opposent slavophiles et occidentalistes tout au long du XIX" siècle, avant de réapparaître à l'arrière-plan de la pensée russe contemporaine, par exemple dans l'accueil mystique que plus d'un poète réserve à la révolution d'Octobre.
La philosophie ·allemande supplante au XIX' siècle le brillant de~ lumières de Paris. Mais le débat
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Page du , manu&cnt de.' « ArlÙJes9ue& li de Gogol
ratures coexistent et se développent simultanément au · cours du Moyen Age. L'une, savante, est le fait de clercs qui recopient les textes sacrés et rédigent sermons et homélies, composant pour l'édification des générations futures l'histoire des princes et de leurs gestes. L'autre tient du folklore et des mythes païens sa plénitude populaire.
n'est pas de pure intellectualité. La réalité sociale, qui s'alourdit à mesure que s'accroît le retard par rapport aux grandes puissances, impose des thèmes, force l'imagination. D'où la nécessité, pour Lo Gatto, de rendre les couleurs d'un fond historique et spirituel, sans la connaissance duquel le lecteur laisserait passer une des significations
même du grotesque de Gogol ou de la douleur d~ Dostoïevski. Les plus grands, les (( constructeurs» dirait Elie Faure, ont une œuvre autonome, mms il n'est que de se, souvenir des remous .qui accompagnent le passage de Dostoïevski des sympathies socialisantes au nationalisme religieux, pOur ' voir l'influence qu'eut sur l'intelligentsia la critique. engag~e de Tchernychevski ou de Oobrolioubov:. · Et c'est à partir de là que l'on accepte <[ue · le rap.prochement entre , Dostoïevski et Tolstoï soit autre chose qu'un exercice d'école. .
En 1880, pause. La plus riche génération d'un réalisme multiple disparaît. Puis surgissent Tohékhov, Gorki, les symbolistes et les ((poètes de transition» que Lo Gatto analyse pour nous faire prendre, en quelque sorte, l'air du temps. Enfin la Révolution, guidée chez Blok par un Christ aux douze apôtres-soldats, purifiant . une Russie croupissante.
Les chapitres dédiés à la littérature du XX' siècle ne sont pas et de loin, les moins passionnants. Par leur matière énorme. Parce que les sources deviennent moins accessibles, le travail n'est pas encore entièrement préparé pour l'étude de la période. Enfin parce que la politique embarrasse celui qui veut s'en mêler. Il faut, pour mener à bien une telle entreprise, l'adresse, le goût sinon la courtoisie que montre Lo Gatto, parfois avec excès.
On a peine à croire que la même plume flétrit le pouvoir tyrannique emprisonnant Radichtchev au XVIII" siècle, décrit les ( nombreuses tentatives d'échapper à l'étau du réalisme socialiste» et ajoute (p. 781) que (( les plaidoyers en faveur de l'indépendance et de la liberté de l'art proltOncés par un Gorki, un Lounatcharski, un Trotsky, .. firent toujours honneur à ceux qui les prononcèrent, même si plus tard, pour différentes raisons, en partie justifiées peut-être par une situation exceptionnelle, leur voix fut étouffée ». Qui a oublié comment on fit taire Trotsky ? Et qui saurait trouver à cet acte des justifications partielles? Tout en admirant une érudition peu commune, présentée avec un talent qui fait oublier l'universitaire, on s'étonne de ne pas voir citer Staline plus que Saint-Serge. Aucun des deux ne fit à proprement parler œuvre littéraire. Et pourtant ?
Il.ne faut pas pour autant méjuger la valeur et la rigueur scientifique de cette histoire de la littérature russe, pas plus que la finesse d'analyse. Outre qu'il n'existe pas d'ouvrage aussi complet dans le genre, parfaitement mis à jour (par une ironie cruelle de l'actualité, le jeune critique, auquel Lo Gatto sans le nommer reconnaît emprunter une argumentation pour Pasternak, n'est autre que Siniavski, alors inconnu), cette histoire est un instrument irremplaçable pour qui veut entrer de plain-pied dans le monde russe.
Erik Veaux
Un grand
Juan Rulfo Le Llano en flammes Trad. de l'espagnol par Michelle Levi-Provençal Les Lettres Nouvelles Denoël éd., 207 p.
Longtemps, l'image même du Mexique fut obscurcie chez nous par un pittoresque de pacotille, une imagerie dérisoire où le folklore naïf se mêlait aux échos déformés de la révolution de 1911, les ponchos rutilants et les nouveaux flonflons des orchestres « typiques » aux pistolets énormes de Pancho Villa. Vinrent ensuite, après la seconde guerre mondiale, les films de l'Indien Fernandez, leurs péons rudes et fiers sous la moustache de Pedro Armendariz, et les grands agaves photogéniques soigneusement léchés par l'objectif de Figueroa. La falsification, pour être d'origine nationale, cette fois, ne s'en perpétuait pas moins, sous une forme plus pernicieuse encore, à travers cette stylisation truquée, ce pseudo-primitivisme qui fit un moment figure d'art officiel et dont les écrivains subirent le contrecoup. Quelle pente à remonter pour un romancier attentif avant tout à la réalité rurale de son pays, et reponssant d'emblée la moindre sollicitation cosmopolite ! Juan Rulfo a tenu ce pari et a su le gagner dès ses deux pre mie r s livres : un bref roman, Pedro Paramo, traduit chez Gallimard dans la collection « la Croix du Sud )J, et le recueil de nouvelles que voici, qui eût suffi à faire de lui un des meilleurs représentants de la jeune littérature mexicaine.
Né en 1918 dans l'Etat de Jalisco, dont les étendues sauvages lui sont familières, ayant une connaissance intime - par ses fonctions d'enquêteur de l'Institut indigéniste - des régions les plus difficilement accessibles et des milieux paysans les plus déshérités, Rulfo sait de quoi il parle et il en parle sans fard. Non qu'il se propose, certes, de fuir la convention régnante par un recours au document à l'état brut, en nous fournissant un dossier mi-scientifique mi-littéraire à la façon d'Oscar Lewis dans son Pedro M artinez, par exemple. Rien de plus éloigné de son style sobre et dense, au contraire, que les mérites ambigus du magnétophone, tel que l'emploie l'anthropologue américain. Et sans doute celui-ci brasse-t-il plus de matière et nous donne-t-il davantage d' « informations» concrètes sur les divers aspects de la vie quotidienne, mais sans atteindre jamais à cette unité de regard ni à cette dimension intérieure qui sont présentes ici et qui font tout le prix de l'écriture, au sens créateur du terme.
Car l'auteur de ces quinze récits poignants ne se fie pas non plus, comme bien souvent les romanciers de la génération précédente - un Mariano Azuela, un Martin Luis Guzman -, à la seule
• • conteur nleXICaln
insuffisances de la réformt> agrairt" magic de l'événement, à ces multiples épisodes dc l'épopée révolutionnaire dont le caractère dramatique ct coloré suffisait à retenir notre attention. La révolution, il n'en a d'ailleurs connu pour ainsi dire que les séquelles, cette chouannerie dcs « Cristeros » qui tinrent la campagne au nom du « Christ roi» jusqu'aux environs des années trente et qu'il utilise parfois comme toile de fond. Mais ce n'est plus, justement, que cela. L'épopée est mise au rancart. Les chefs de bande prestigieux plient bagage, et les grands mouvements de l'histoire passent à l'arrière.plan. Ce qui compte, désormais, c'est l'acuité d'une vision qui s'attache à la réalité immédiate, à l'homme de tous les jours emporté dans ce tourbillon dont il ne voit plus le sens, devenu prisonnier d'une violence qui ne débouche sur rien et qui n'est que l'horrible exutoire de la misère. Ainsi le héros (si l'on peut dire) du magistral Llano en flammes, qui donne son titre au recueil, court-il la montagne et le maquis parce qu'il ne peut plus redescendre dans la plaine et n'échappe-t-il au gibet que par les humbles détours du hasard. Ceux d'en bas, pour reprendre un titre fameux d'Azuela, sont peints maintenant à leur propre hauteur, sans mépris ni lyrisme postiche, sans emphase ni larme à l'œil, avec leurs problèmes véritables : la faim, la promiscuité, l'ignorance, le manque de travail.
Problèmes qui subsistent encore aujourd'hui, à bien des égards, et que la révolution, pour « institutionalisée » qu'elle soit, selon l'étrange terminologie officielle,
n'a pas toujours su résoudre. Les tomber dans un « behaviourisme J)
se changent parfois en farce tragi- réchauffé et d'ignorer la part de que, comme on peut le voir dans mystère qui demeure an fond des Ils nous ont donné la terre, où un choses. L'obsession de la mort, la groupe de paysans harassés sillon- fascinatiQn macabre même, consne désespérément le plateau aride tamment présente au Mexique, que vient de leur attribuer un délé- des masques aztèques aux gravures gué du gouvernement, plus prompt populaires d'un Posada et jusque à répartir des titres de propriété dans les crânes en sucre des confiqu'à s'inquiéter des moyens de la seurs, étend sur ces récits son mettre en, valeur. Le village de ombre inquiète. C'est le côté nocLuvina, avec ses vieillards éden- turne du réel, son autre face en tés, ses femmes en châle noir à la quelque sorte. Le meurtre, la porte de l'église et ses manœuvres cruauté font partie de l'ordre, ne agricoles qui reviennent une fois sont pas seulement le fruit de si· l'an « planter un autre fils dans tuations historiques exceptionnelle ventre de leur femme», surgit les. Il y a, bien sûr, les grandes d'une expérience personnelle qui rébellions et leurs horreurs; ces évoque irrésistiblement celle de hommes qu'on attache par les pieds Bunuel filmant, à la veille de la pour les traîner, affreusement, la guerre civile espagnole, les atroces tête en bas, par un lasso noué au masures des Hurdes. Ici comme là, pommeau de la selle, et qui nous c'est la même détresse prenant fi- font penser à certaines images du gure de destin, la même impuis- Que viva Mexico d'Eisenstein, l'ilsance, les mêmes illusions bien in- lusion épique en moins. Mais aussi tentionnées de pédagogues qui font le piège quotidien de la violence passer la morale et l'alphabet avant où l'on se trouve poussé presque le pain. Un monde où la mort d'une malgré soi, le coup de machette ou vache emportée par les crues en- d'aiguillon qui part tout seul, polU traîne, par une pente toute natu- ronsi dire, et qui reste présent à relle et que nul ne songe à remet- l'esprit comme "une issue toujours tre en question, les filles à la poss~ble. « Remigio Torrico, c'est . putasserie. Où leurs frères écono- moi qui l'ai tué», déclare, sur le misent pendant des mois pour ton le plus naturel du monde, le payer l'intermédiaire marron qui '" petit fermier de la Côte des Compromet de les faire passer au Texas. mères. Ensuite, eh bien, on re· Où l'on inculque la peur de l'enfer garde les morts, leur visage étranaux dégénérés mentaux, que l'on ge envahi de mouches bleues, et, conduit à la messe les poings liés avant qu'ils sentent trop mau· pour les poursuivre ensuite à coups vais, on les enfouit sous la terre, de pierres dans les ruelles. avec beaucoup de pierres dessus
Mais Juan Rulfo, poète et Mexicain, reste à cent lieues de Stein· beck ou de Caldwell, avec tout ce qu'ils font, parfois, d'un peu naive. ment photographique. Son enraci· nlment national le préserve ici de
pour qu'ils ne se lèvent pas de leur ' tombe.
Cette familiarité morbide, en effet, s'intègre parfaitement, chez les humbles héros de ce livre, à toutes les superstitions et à tous les déli-
~
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966 J3
~ Un grand conteur , . . mexIcaIn
res d'un catholicisme hispanique conduit à ses formes extrêmes et que l'auteur nous présente sous un jour tantôt tragique, tantôt bouffon, mais toujours saisissant. On chemine des semaines entières, dans la poussière et sous un soleil de plomb, pour aller voir la bonne ' Vierge dé Talpa, la seule qui soit « efficace» contre les plaies et les pustules. La foule rampe vers le sanctuaire dans un masochisme grandiose ; les danseurs trépignent, et le moribond s'invente de nouveaux supplices pour 'mieux s'écrouler aux portes du miracle, qui s'obstine à ne pas venir. Ou bien, comme dans la dernière npuvelle du recueil, c'est l'humour noir qui l'emporte, avec ce défilé ahurissant de bigotes inassouvies en quête d'un nouveau saint à canoniser, sur les os duquel elles marchent allégrement sans le savoir.
L'humour, d'ailleurs, sous la plume de Juan RuUo, demeure toujours présent, de même que la , poésie et, de façon plus souterraine ici que dans Pedro Paramo mais non moins singulière, le sens du fantastique. Ou plutôt tout cela ne fait qu'un, dans une saisie globale du réel qui n'en laisse échapper aucun élément. La poésie n'est pas, pour ce merveilleux conteur, un ornement surajouté que l'on donne en prime. Nul besoin, non plus, de la réconcilier avec la vie : elle en jaillit spontanément et sans effort, à chaque détour de la narration. « Ce dont j'ai le plus envie, s'exclame le malheureux Macario, à la fin de l'étonnant monologue qui constitue le premier récit, c'est de boire à nouveau quelques gorgées du lait de Felipa, ce lait bon et doux comme le miel qui coule des fleurs du magnolia ». Ni ce miel, ni ce magnolia ne sont là des fioritures. Ils résument exactement, au contraire, toute la solitude et la misère intime du personnage. Une simple goutte d'eau tombée par erreur, et qui creuse un trou !Ians la terre, suffit ainsi à faire vivre la soif, l'étendue désespérante du désert. Quelques traits sobres et nets, comme d'un lavis japonais, condensent, au-dessus des toits, les fumées aigres de l'aube, la tonalité grise où va se nouer le drame.
Chaque nouvelle du Llano en flammes en est un. qui débute souvent ' dans la banalité, sous des dehors sans surprise, semble-t-il, captés d'un regard neutre. Puis tout se précipite et la violence éclate, irrépressible, envahissante, multiforme. De ce contraste naît une sourde tension, une inquiétante palpitation des choses, qui introduit la nuance fantastique dont nous parIions plus haut. Certains, même, à propos des ombres errantes de Comala, ont eru pouvoir situer RuHo au voisinage de Borges. C'est lui faire dire plus qu'il n,e veut, et confondre les effets paralogiques chers au vieux ,maître arge~tin avec l'œil d'un poète 'grand , ouvert sur le monde, loin de Babel et de sa bibliothèque. Jacques Fressard
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1 HISTOIRE LITTÉRAIRE
Le Roman de Renart transcrit par J. Haumont Edition d'art H. Piazza
Le Roman de Renart transcrit dans le respect de sa verdeur originale pour la récréation des tristes et la tristesse des cafards par Albert-Marie Schmidt Albin Michel éd.
L'illustre Paulin Paris (1800-1881), l'un des grands «inventeurs» de notre littérature médiévale, fut sans doute un savant austère ,; c'était ,certainement un grand-père tendre. Il est charmant d'avoir nne petite-fille. Pour faire plaisir Il sa petite-fille, Paulin Paris alla cueil- ' lir dans un fatras assez inextricable de vieux textes le récit de diverses aventures plaisantes survenues à un certain goupil nommé Renart.
Décemment édulcoré, son livre parut en 1861. Depuis lors, reproduit, imité, démarqué, tronçonné, ou de quelque manière que ce soit, il n'a guère cessé de nourrir les bibliothèques enfantines. Ainsi re;;;suscita une tradition plusieurs fois séculaire de popularité.
Le piquant est que le héros du vrai Renart, ruffian, maUaiteur, hypocrite et hâbleur, n'est rien moins qu'un modèle de civilité pour ces enfants à qui nous devons de le voir réintégré dans notre folklore. Gardez-vous d'offrir à votre petitefille les adaptations succulente,:; d'Albert-Marie Schmidt ou de Jacques Haumont!
Renart, c'est tout un cycle, dont les origines, lointaines en tous sens, se perdent dans la nuit et dans les distances. Il ,y eut des textes écrits; il y eut surtout, semble-t-il, des contes de la veillée, que sans doute on enjolivait beaucoup plus Jibrement qu'on ne faisait des poèmes épiques, protégés des déformations orales par leur caractère magique ou sacré. On imagine aisément un loustic de village - à vrai dire, plus d'un clerc s'en mêle aus"i -fignolant quelque nouvel épisodl' à partir d'une circonstance minime de la chronique locale. Ce qui du moins paraît admis, c'est que le cycle écrit, tel que l'ont publié plusieurs érudits du siècle dernier, fut composé de 1175 à 1250 envÏToli.
Imaginez encore que, la propriété littéraire supposée ne pas exister, les amateurs d'Astérix se mettent à nous fabriquer des Astérix durant soixante-quinze ans. Aimable perspective pour les érudits qui auraient à s'y reconnaître dans sept ou huit siècles. C'est à peu près le cas de Renart, que l'usage divise en' vingtsept « branches» parfaitement hétérogènes. Des auteurs multiples, généralement inconnus, et de qualité fort inégale; à côté du bon, beaucoup de médiocre; du bavardage; des redites souvent décevantes; et, au total, trente millt: vers octosyllabes. Oui, vraiment, un fa'tras.
Paulin paris en aVlÛt sauvé le
Un Astérix Dlédiéval tiers, SI Je ne me trompe. !\.lhertMarie Schmidt était de moitié plus court, Jacques Haumont est encore un peu plus court; leurs livres sont de petits livres; je crois que cela suffit; à s'amuser trop longuement, on s'ennuie. Les deux derniers adaptateurs laissent également transparaître dans leur prose les octosyllabes d'origine, et se plaisent également à y reprendre quelques mots archaïques; cela 'est plus savoureux, et ne gêne pas. AlbertMarie Schmidt attend peut-être dr. son lecteur un peu plus d'aptitude à la voltige; son langage est plus tendu, sa technique plus rugueuse, son sourire quelquefois plus sarcastique. Je présume qu'il est plus proche du texte, et l'autre version plUs proche de notre disposition. Plus de charme d'un côté, et de l'autre plus de vigueur.
Dans les cas excessifs, je préfère la vigueur. Je songe à la scène d'unl! verdeur, d'une truculence, d'une grossièreté ravissantes où Renart met à mal dame Hersent, épouse
du loup Y sengrin, ou plutôt la met à bien, puisque ensuite la maligne ne se plaint que par feinte. AlbertMarie Schmidt a respecté les détails les plus orduriers avec une scrupuleuse délectation; il a eu raison, ils font partie du style même. Jacques Haumont, sans éliminer, Dieu merci, le scabreux épisode, en a un peu raboté les aspérités (diraije les saillies ?), jugeant que de ces. ornements si égayés il n'était pas susceptible. Quelques vers, nous ditil, « ont dû être supprimés ou adoucis en raison de la brutalité de leurs termes»: voilà un virage dangereux.
S'il le «négocie» avec trop de prudence, Albert-Marie Schmidt, lui, fonce avec trop de témérité lorsqu'il assure que le Roman de Renart nous étonne « par son âpreté vengeresse et par son audace licencieuse ». Plutôt la bonne grosse gauloiserie, mais assaisonnée d'une
très fine malice, qui défoulait les pauvres gens - étant entendu qu'elle s'exerçait aussi bien, et plus familièrement qu'âprement, envers les princes qui gouvernaient, fussent-ils d'église.
En quelques pages d'une brièveté approfondie et pénétrante AlbertMarie Schmidt analyse ce qu'il y a dans Renart de parodie, d'actualité caricaturée, de satire à peine déguisée. Toute une société se promène dans cette réserve prétendue zoolique, des paysans aux seigneurs et grandes dames en passant par une justice boiteuse et un clergé obtus. Chacun agrémenté de ses tics et de ses rites particuliers, malicieusement observés, subtilement rendus: quelle vivacité et quelle ruse dans un tel regard, qui sait si bien s'éteindre (comme celui du père Sorel) dès qu'on le regarde à son tour! Et ausi quel brio dans les passages où l'on v«;>it les thèmes et cadences des C?~ns de geste traités en for~ , d'« A la manière de ! »
Tous ces traits devraient uous apparaître vieillis: ils demeurent directement accessibles et parfaitement communicables. Si le tact et le goût des adaptateurs y sont pour beaucoup, le texte, après tant de siècles, y prête au point que, devant les entourloupettes de Renart, je ne pouvais me défendre de me rappeler constamment les discours patelins dont Hitler nous embobelinait avant 39 : ses ruses n'étaient ni plus déliées ni moins efficaces ; et ~otlf, crédulité valait celles des dupes du goupil.
Histoires de bêtes ou histoires humaines? Tout à la fois. Les récits passent de l'un à l'autre monde avec une désinvolture très décontractée. Par exemple dans la même scène de la louve. On y voit d'abord Renart forcer dame Hersent d'une manière tout animale, voire bestiale, - charmant tableautin d'un animalier (encore que je ne sache point
si les amours d'un goupil et d'une louve se rencontrent dans la na· ture); y sengrin, le mari, qui les a surpris, n'est pas content; et Re· nart nie l'évidence, insolent comme un vrai nazi: « Je n 'ai pas, dit·il, levé sa chemise, je n'ai pas descendu ses braies. » Ainsi partout ; des champs et des bois aux chaumières et aux châteaux il y a sans cesse ambivalence.
Souvenez-vous de La Fontai.n .. et du sempiternel débat: est-il un vrai animalier? On plaide le pour, (\n plaide le contre; les arguments opposés sont également forts. C'('ilt que la question n'a pas de sens. Le vieux fonds populaire et campae;llard d'observation, de contemplation et de réflexion, dans lequel tous les fabulistes du monde, si lettrés qu'ils aient été, ont toujours plongé leurs racines, n'est intéressé ni dans les ressemblances ni dans les différences; il n'est intéressé que dans l'ambiguïté.
Inutile d'aller chercher all-delà ou en deçà, du côté de la haute sociologie ou des objets de son étude; l'expérience commune et quotidienne suffit. Quand nous disons que notre teckel pense ceci ou cela, ou que notre canari s'ennuie dans sa cage, c'est déjà amorcer une fable. Ecartant les différences de la forme, nous SOlnmes sensibles à (me certaine identité des structures, des fonctions et des comportements. Nous rêvons que l'étrange monde des bêtes et le monde familier des hommes sont comparables et superposables. Tout naturellement nous exprimons l'un et l'autre en des termes équivoques, qui tradui3ent non pas une assimilation supposée réelle, dans les choses, mais l'assimilation des sentiments que nous formons nous-mêmes en leur présence.
Dans cette voie-là on va vite à des délires vertigineux, contre lesquels l'impérieux et fraternel Descartes a pris soin de nous prémunir. Quant à La Fontaine, le futé commence, dans son Discours à Mme de la Sablière, par couvrir d'éloges fleuris le tombeau du philosophe, puis, sans désemparer ,impavide, il revient à sa propre ligne en sens contraire. Il avait raison, lui aussi, dans la mesure où le maintien d'une certaine ambiguïté libère mieux la circulation des puissances de l'imaginaire ; une pensée qui ne s' appui.~ pas sur elles n'est guère une pensée, - et Descartes lui-même l'a souvent dit ... sans ambiguïté. Le tout est de ne pas trop se tromper sur l'imaginaire. .
Je crois bon (malgré ce qu'on a pu dire là contre d'une manière d'ailleurs sensée) que, avant de parvenir à l'âge cartésien, les enfants passent par La Fontaine; l'esprit mythologique qui leur est propre les rend plus aptes que nous .i admettre qu'il se joue sur deux tableaux entremêlés. Et, bien sûr, par Renart, pourvu que ce Renartlà soit expurgé dûment, c'est-à-dire indûment.
Samuel S. de Sacy
HUMOUR
Alphonse Allais Œuvres posthumes, 1 et II Edition établie par François Caradec et Pascal Pia La Table Ronde éd., 440, 384 p.
Au moment où paraît ce cinquième volume de ses œuvres complètes Alphonse Allais est mort depuis 61 ans. Jules Lemaître célébrait son « absurdité méthodique ». Pour tous il est l'inventeur d'un monde loufoque où existent les carrières de viande et dans lequel un wagon-restaurant s'appelle un boulotting-car ; un monde « avant que la France ne soit devenue protestante et que le rire ait cessé d'être le propre de l'homme ».
Mais les fleurs qu'on jette à l'amuseur dispensent généralement de reconnaître l'écrivain, qui est de premier ordre. Jules Renard le trouvait supérieur à Mark Twain. Et Laurent Tailhade après la lec-
1
ture d'un de ses recueils déclara : « Il n'est pas drôle du tout mais quel admirable écrivain! »
Allais peut très bien ne pas paraître drôle car, au-delà d'un homme d'esprit amateur de bons mots, il est humoriste. Et le véritable humour n'a rien à voir avec le style .chansonnier et la bonne société. Alphonse Allais ne prend rien au sérieux, surtout pas luimême. Les ridicules, les bassesses sont partout pour une sensibilité blessée dont les attaques sont filtrées par l'intelligence. L'humour est affaire de profondeur, de désespoil', devant tant de bêtise, de laideur, de bassesse il ne peut être que noir.
L'écrivain a créé deux personnages qui sont passés à la postérité. Le captain . Cap, sorte de poivrot lyrique, dont la carrure égale celle de W. C. Fields, que les intui-
La Quinzaine littéraire, lOT a" 15 décembre 1966
Une absurdité ntéthodique tions de l'alcool font délirer sur la sciepce à venir. Il y a un côté Courtial des Péreires dans Cap.
Et Francisque Sarcey. Du célèbre critique dramatique, apôtre du fameux bon sens et laudateur du gros public il a fait un Joseph Prudhomme terrifiant à force de banalité et de nullité. Ce Sarcey revu par Allais qui signe d'ailleurs imperturbablement du nom de sa victime écrit :
« Ah! ce Bonnat, quel talent! Comme c'est robuste et comme ça vous a un air de bonne marchandise , si j'ose m'exprimer ainsi en matière d'art! »
« La littérature c'est comme le commerce, le seul critérium de la valeur, c'est la clientèle. »
Ou encore: « Les dogmes catholiques ou
autres qui nous font hausser les épaules, à nous qui sommes l'élite, sont des plus profitables au bas
L /
peuple qui ne sait pas tout ce qUt nous savons. Sans compter qu'il y a de très bonnes choses dans le christianisme. Les idées de charité, de résignation, d'aide mutuelle, d'humanité en un mot, y foisonnent. »
Allais multiplie les insolences dans la bouche de cet oracle. Son Sarcey reconnaît avoir reçu de l'argent au moment de Panama, avoue l'existence d'un nègre ancien charcutier qui lui fait ses chroniques, multiplie au besoin les fautes de français.
Liberté absolue dans les sujets ainsi que dans le style naturel, désinvolte, tout au long de ce volume qui contient des textes publiés dans des revues (le Chat Noir, le Courrier français, .le Mirliton) et l'album primo-avrilesque.
En trois pages écrites à la diable sur une table de bistrot Allais
accumule le coq à l'âne, la digression. Il sait comme personne mettre son lecteur entre parenthèses. Ses clins d'œil surprennent toujours. Une petite tape sur l'épaule : ~( Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais... » Littérature familière. Il fait confiance à son lecteur. 11 le regarde entre les deux yeux.
Un jour le rédacteur en chef du J ournallui fait remarquer que quelques lignes manquent à l'un de ses articles. C'est une occasion de prouver qu'il existe une façon géniale, la sienne, de tirer à la ligne. Il ajoute le post-scriptum suivant:
« La dame que j'ai rencontrée hier dans l'omnibus PanthéonCOlLrcelle.s, et à l'enfant de laquelle j'ai dit : « Mon petit ami, si tu ne te tiens pas tranquille, je vais te fiche mon pied dans les parties », et qui m'a répondu : « Pardon, Monsieur, c'est une petite fille », est priée de passer · au bureau du Journal. »
jant pis pour le lecteur qui s'effare. D'ailleurs tant mieux car l 'humour prend une dimension supplémentaire en présence d'une personne qui ne le comprend pas.
Son univers peuplé de mastroquets auvergnats, de petites femmes, de littérateurs bons garçons, de petites gens, va du bitume au -bordel; baigné d'absinthe et de cocktails mirifiques - comme le pick-me-up que l'ami de Cap recommande pour les petits matins alanguis, c'est celui d'un solitaire qui rêve à la vie.
Alphonse Allais écrit clair, rapide, léger. Poète en deux mots, moraliste sur un point d'exclamation, pudique, secret, il est l'humoriste exemplaire c'est-à-dire, selon Stéphane Mallarmé, un écrivain complet.
Claude Pennee
15
SÉLECTION DE « LA QUINZAINE»
1966 aura' confirmé l'évolution qu'on décèle depuis quelques années dans la conception du livre d'art de langue française. , Dans l'euphorie consécutive à la découverte du musée imaginaire, dans le bonheur du papier retrouvé et enfin offert aux progrès des techniques de reproduction, les années 1950 avaient marqué le triomphe de l'image : 'le texte ne l'accompagnait plus que par convention et le plus ténu prétexte justifiait les fastes de l'illustration. Les mêmes su jets (primitifs flamands ou Picasso) étaient rabâchés par les Anêmes amateurs chez les différents éditeurs et les mêmes secteurs de l'histoire passée ou contemporaine laissés dans l'ombre. Les ouvrages étrangers relatifs à l'art ou à l'esthétique, ceux même dont subsistaient les auteurs français, étaient soigneusement ignorés : la traduction n'avait pas cours.
En 1966, il est encore possible de dresser une liste impressionnante de ces albums qui semblent avoir été édités dans le seul but d'orner les salles d'attente de médecins ou plus généralement de servir aux pres-
Théorie de l'art
1. Ecrits d'artistes
Vasari Les peintres toscans présentés par A. Chastel Coll. Miroir de l'Art Hermann éd., 6 F
Jeune femme, frœque d'Ajanta, Indes (Viollet)
Michelangelo Il carteggio di Michelangelo vol. 1 éd. posthume de 'Giovanni Poggi Florence 1965/1966, 110 F
Dada Almanach réédition de 1920 Something Else Press New York, 32 F
16
tations rituelles du nouvel an. Cependant, le sérieux paraît se taillet une part grandissante dans l'édition consacrée à l'art. Dans le moment même où commence à être dénoncé le statut dérisoire de l'histoire de l'art et de l'esthétique dans la vie culturelle française (voir P. Bourdieu: L'amour de l'Art, éd. de Minuit), les éditeurs paraissent vouloir assumer dans ce domaine une double tâche d'information et de structuration du savoir.
Le texte reprend enfin ses droits sur l'image. Le polygraphe peu à peu cède le pas au spécialiste. Nous en avons cette année quelques exemples remarquables avec, en particulier, A. Grabar, R. Martin, H. Schrade qui présentent respectivement l'art byzantin, l'architecture grecque et la peinture romane. Par ailleurs, l'art n'est plus exclusivement une marchandise onéreuse, un symbole de classe : quelques collections de poche (Idées-Art, Miroir de l'Art, Gonthier, Livre de poche illustré) en témoignent avec distinction.
Dans ce début de transformation, deux tendances attirent l'attention.
Le Corbusier Urbanisme Vincent Freal éd_, 21,60 F
Dubuffet Aloïse Cahiers de l'art brut, fascicule 7 30,85 F
2. Etudes de critiques ou historiens des XIX· et XXe
sièeles <Rééditions).
A. Blunt La théorie des arts en Italie de 1450 à 1600 Coll. Idées-Arts, Gallimard éd., 6,80 F
E. Faure Ecrits esthétiques Pauvert éd., 108 F
E. Faure Les constructeurs Gonthier éd., 5,85 F
F. Fénéon Au-delà de l'impressionnisme textes choisis et présentés par F. Cachin Coll. Miroir de l'Art Hermann éd., 6 F
H. Focillon L'Art d'Occident Le livre de poche illustré 2 tomes de 6 F
P. Francastel Peinture et société Coll. Idées-Art, Gallimard éd., 6,80 F
Les meilleurs livres
Il faut tout d'abord signaler -un changement de méthode parallèle à celui qui a marqué antérieurement l'ensemble des sciences humaines. La leçon de l'Institut Warburg est enfin appliquée : peinture, sculpture, archite'cture sortent de leur traditionnel isolement pour être confrontées les unes aux autres et' davantage encore, re-situées dans le contexte socio-culturel où elles s'insèrent. La collection « Art, Idées, Histoire », créée par Skira peut symboliser cette méthode à laquelle elle contribue cette année avec L'Europe des Cathédrales et Les fondements d'un nouvel humanisme de Georges Duby. Le même esprit de synthèse est à l' œuvre dans les livres de A. Grabar, R. Martin et H. Schrade.
En second lieu, on doit remarquer l'effort qui commence à être entrepris pour une publication des textes fondamentaux de l'histoire de l'art et de l'esthétique : écrits d'artistes, études des critiques ou esthéticiens du siècle passé ou contemporains, introuvables, épuisés ou jamais traduits en français.
H. Wolfflin Principes fondamentaux de l'Histoire de l'art Coll. Idées-Arts, Gallimard éd., 6,80 F
Vermeer ·(Bulloz)
Cl Tête de jeune füle 1)
R. Wittkower Art and Architecture tn Italy 1600-1750 Nouvelle édition Pelican History of Art éd., Londres 105 F
Ainsi, le ' public français . commence enfin à avoir accès aux travaux des esthéticiens de langue allemande de Wolfflin à Panofsky. Cependant, la vague de traduction ne se poursuit pas sans difficultés comme en témoigne l'arrêt de la collection de J.F. Revel, aux éditions Julliard. Enfin, l'effort de réédition des textes classiques n'est en aucune façon comparable à celui qui est actuellement poursuivi aux U.S.A .• en Grande-Bretagne ou en Allemagne.
La liste qui suit est inspirée par cette analyse. C'est une sélection partielle et partiale. A côté des rééditions ou traductions d'ouvrages de base, elle se borne aux livres qui par quelque moyen que ce soit (monographie, catalogue raisonné, glossaire, reproduction en fac-similé) renouvellent l'information ou présentent une synthèse originale. Cette sélection est complétée par quelques livres étrangers particulièrement importants, parus en 1966. Le lecteur désireux d'une information plus complète et moins orientée consultera son libraire.
Françoise Choay
[Antiquité : et premier art l°hrétien !
S. Giedion Naissance de l'architecture Coll. l'Eternel Présent Ed. de la Connaissance 125 F
E. Arendt Art and Architecture on the M editerranean Islands Leipzig, 1966, 83,80 F
Boardman, Dorig, Fuchs et Hirmer L'Art Grec Flammarion, éd. 95 F
R. Martin Monde Grec Architecture Universelle, Fribourg 1966 40 F
Musée archéologique national d'Athènes Catalogue Schnell et Steiner éd. Munich-Zurich, 15,45 F
A. Grabar Le premier âge chrétien Coll. l'Univers des formes Gallimard éd. 120 F
A. Grahar L'âge d'or de Justinien Coll. l'Univers des Formes Gallimard éd. 120 F
Henri Stern L'Art Byzantin Presses Universitaires 18,50 F
d'art de l'année
E. Alkurgal, C. Mango, R. Ettinghàuse Les Trésors de la Turquie Coll. Les trésors du monde Ski ra éd. 145 F
R. Krautheimer Early Christian and Byzantine Architecture Pelican History of Art éd., Londres 105 F
Art roman
H. Michel La fresque romane Coll. Idées-Art, Gallimard éd. 6,80 F
R. Oursel Univers Roman Architecture universelle éd. Frihourg 40 F
Peinture sur bois. Florence (Bulloz)
H. Schrade La Peinture romane Bruxelles éd. 133,07 F
Castille romane, 2 vol. Coll. La nuit des Temps, Zodiaque éd. 37,50 F
Introduction au monde des symboles Coll. La nuit des temps, Zodiaque éd. 60 F
Glossaire de termes techniques Coll. La nuit des temps, Zodiaque éd. 60 F
E. Kuhach et P. Bloch L'Art roman Coll. l'Art du monde Albin Michel 49,35 F
Art gothique
G. Duby L'Europe des Cathédrales, 1140-1280 Coll. Arts-Idées-Histoire, Skira éd., 115 F
G. Duby Fondements d'un nouvel humanisme 1280-1440 Coll. Arts-Idées-Histoire Skira éd .• 115 F
De la ReDai ..... ce au baroque
Splendeurs de l'Ermitage, peinture européenne du Xlv" au XVIe siècle, 3e vol., Hachette éd. 84,20 F
O. Benesch La peinture allemande de Dürer à Holbein Skira éd., 115 F
J. Lavalleye Breughel et Lucas de Leyde Flammarion éd., 69 F
P. Charpentrat L'Art baroque Coll. Les 9 muses Presses universitaires de France, 18,50 F
V. Lazarev Old Russian MuraIs & Mosaics Irom the XVIe. Century Londres, 1966, 100 F
E. Hempel Baroque Art and Architecture in Central Europe Pelican History of Art éd., Londres 105 'F
Vinci «Sainte Anne » (Viallet)
La Quinzaine littéraire. 1"' au 15 décembre 1966
• r-------------------------~ • • • • • •
collection goût
Art moderne et contemporain
de : notre temps • •
A. Chappuis Album de Paul Cézanne Un album de dessins et un album de commentaires Berggruen éd. Paris 465,55 F
J. et H. Dauberville Catalogue raisonné de l'œuvre peinte de Bonnard Tome 1: 1888-1905 Paris, B'ernheim éd., 257 F
J. Salomon Vuillard Album de 12 pastels Bibliothèque des Arts éd., 470 F
• M. Guérin • Catalogue raisonné de l' œuvre • gravée et lithographiée de Maillol • Tome 1 : les bois • P. Cailler éd., Genève 82,20 F •
P. Daix et G. Boudaille Picasso 1900-1906 catalogue raisonné de l'œuvre peint Ides et Calendes éd., Neuchâtel 141,50 F
Ingres. (Viollet)
r Ch. Zervos Pablo Picasso, V. 17 œuvres 1956-57 Cahiers d'Art éd., 250 F
W. Grohman Hans Hartung,
• • • • • • • •
ermeer texte de pierre descargues
aquarelles de 1922 Erker éd., St-Gall, 93 F
• toutes les .. peintures reconnues de
P. Waldberg René Magritte De Rache éd., Bruxelles, 1 .400 francs belges
• la main"d'un des grands maitres du • passé qui répond le plus étroitement • li notre sensibilité d'aujourd:hui.
• ce livre devient indispensable après • la magnifique exposition du musée • de l'orangerie à Paris. • • Vasarely •
un volume relié pleine toile sous liseuse en couleurs format 16 x 18
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Textes et maquette de Vasarely • Ed. du Griffon, Neuchâtel • 128,50 F • • M. Loreau • • Dubuffet et le voyage • au centre de la perception •
~ La Jeune Parque éd., 18,50 F • • 17
collection témoins
et témoignages
1
histoire de la
peinture de
1870 à 1940 les mouvements
d'avant-garde
par dora vallier à travers les divers mouvements
d'avant-garde, un "pèlerinage "de la peinture d'aujourd'hu
25 f format 15 x 20
224 pages nombreuses illustrations
au trait 8 planches en couleurs
plus de 200 reproductions en noir èt blanc
réparties sur 96 pages sur papier couché
broché sous couverture cartonnée
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éditions de la connaissance
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18
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~ Les meilleurs livres d'art de l'année
• • • • Catalogue des travaux • de Jean Dubuffet : fascicule xx: l'Hourloupe • J.J. Pauvert éd., 58,50 F
• • Les dessins magiques de Brauner : introduction de S. Alexandrian • Denoël éd., 66,84 F
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Renoir : « L'Algérienne ». (Bulloz)
• Dessins de Bellmer • Introduction de K. Jelenski • Denoël éd., 94,60 F • : L'Art Brut • Fascicule 6: Carlo, Laure, Anaïs, • Simone Marge. • Compagnie de l'Art Brut éd., • 30,85 F • • • L. Gowing • Turner, Imagination and Reality • The Museum of Modern Art : New York, 1966. 33,08 F
• • Bauhaus-Weimar. 1919-1924 • Werkstatt Arbeiten, Suddeutscher : Verlag • München. 73,60 F
• • Norma Evenson • Chandigarh : University of California Press
• 110 F • • Lorenza Truscchi : Jean Dubuffet, l'occhio di • Dubuffet • 246,80 F • • • : Arts exotiques • • • • • M. Beurdeley • L'amateur chinois des Han • au XXe siècle • Bibliothèque des Arts éd., ·123 F • • • J. Soustelle • L'Art du Mexique ancien • Arthauâ éd., 113,10 F • • • Sculptures Khmères, • Reflets de la civilisation d'Angkor • Bibliothèque des Arts éd., • 101,80 F
H. de Toulouse-Lautrec et M. Joyant L'Art de la cuisine 16 hors-texte couleur 16 hors-texte en noir 100 dessins de Lautrec. Bibliothèque des Arts, 51 F
L'Œuvre des faïenciers français du XVIe siècle à la fin du XVIIIe Coll. Connaissance des Arts Hachette éd., 90 F
5 000 vignettes françaises fin de siècle Préface de Massin
, J.J. Pauvert ~d., 68,50 F
Franke et Hirmer La monnaie grecque Flammarion éd., 145 F
F. Reyniers Sèvres, Musée national
1 de céramique. Céramiques américaines, vol. 13 Ed. des Musées Nationaux, 30 F
J. Thuile L'orfèvrerie du Languedoc du XIIe au XIXe siècle Tome 1: Montpellier Causse et Castelnau, éd., Montpellier, 250 F
H. Brunner Vecchi argenti europei Milano 1965, Paris 1966, 190 F
S. Grandjean Empire Furniture 1800 to 1825 London 1966, 84 F
Snowman Gold Boxes of Europe London 1966, 315 F
Dictionnaire des meubles et des ob jets d'art Répertoire des ventes aux enchères de janvier 1963 a Janvier 1965 Fischbacher éd., 101,80 F
Masque fétichiste du Gabon.
INFORMATIONS
~tudes gobi niennes
Aux éditions Klincksiek vient de paraÎtr~ le numéro annuel d'Etudes gobiniennes. revue publiée par deux savants professeurs: MM. Duff et Jean Gaulmier. Comme son nom l'indique , elle est consacrée à l'étude de la vie et de l'œuvre d'Arthur de Gobineau, célèbre par son Essai sur l'inégalité des races humaines et peu connu pour le reste de ses travaux littéraires, pourtant fort prisés d'un petit nombre.
Dans ce numéro on trouvera une correspondance inédite de Gobineau avec sa fille Christine, un fragment inédit des Souvenirs de Diane de Guldenchrone, source principale des biographies de Gobineau, des correspondances et des souvenirs des familiers de l'écrivain, un recensement de sa bibliothèque, une étude sur ses débuts littéraires, malchanceux en tant que poète, brillants en tant que critique (il a immédiatement reconnu le génie de Balzac et celui de Stendhal), avant qu 'il ait donné en feuilletons les admirables nouvelles de Mademoiselle Irnois et de Nicolas Belavoir. On sait qu'il devint ensuite secrétaire de TocqueVille et embrassa la carrière diplomatique.
Le dernier ouvrage en date sur Gobineau a été publié l'an dernier chez Jean-Jacques Pauvert. Il est de M. Jean Gaulmier et s'intitule: Spectre de Gobineau. Il constate que si Gobineau fut un assez piètre idéologue, il demeure un imaginatif, un « visionnaire -, et un écrivain du tout premier rang.
Avignon: 20 ans de Festival
Dedalus éditeur (diffusion Hachette) vient de publier un recueil, relié en toile, de quatre-vingt photographies parmi les plus belles (essentiellement dues à Agnès Varda) prises à Avignon depuis 1947 (année du premier Festival) . Beaucoup sont inédites, et accompagnées d'un choix de documents d'archives, de reproductions des décors, d'esquisses pour les costumes. On peut y lire des lettres d'auteurs du T.N.P., de comédiens, etc ...
Dans sa préface, Jean Vilar dit la persévérance qu'il fallut aux organisateurs du Festival pour qu'il se renouvelle chaque année depuis vingt ans, élargisse son public (3.000 spectateurs en 1947, 50.000 la dernière année), et fasse figure en France de prototype des festivals.
Les photos rappellent le souvenir d'admirables moments du théâtre: deGérard Philipe dans le Prince de Hombourg. et dans Les Caprices de Marianne. d'Alain Cuny et Maria Casarès dans La Ville de Claudel, de Jean Vilar dans Cinna et Meurtre dans la cathédrale. de Germaine Montero dans Mère Courage. de Laurent Terzleff répétant Nicomède. de Georges Wilson dans Thomas More.
Un index des auteurs, des pièces jouées et des participants aux différents festivals clôt ce volume réalisé par Pierre Faucheux.
Hemingway
Au moment où paraissent simultanément en France le volume collectif de la collection Génies et Réalités sur Hemingway, et le Papa Hemingway de Hotchner, on annonce à New York que Carlos Baker, chargé par Scribner 's et Mrs. Hemingway de la biographie « autorisée. de l'écrivain a achevé la rédaction du premier brouillon de son livre : mille feuillets, deux ans de recherches et des milliers de kilomètres de voyages autour du monde pour retrouver les principaux témoins de la vie de Hemingway, y compris les trois épouses survivantes (la quatrième, la plus importante, sans doute, Hedley, qui fut la compagne des temps difficiles, a disparu il y a quelques années), et tous [es membres de la famille.
MISE AU POINT
Dr Sidney Cohen LSD 25 Coll. « Témoins » Gallimard éd. 209 p.
Lyser Saure Diethylamid 25 : « vingt-cinquième composé de ce genre synthétisé par les laboratoires Sandoz ». L'ouvrage est dédié au Dr Albert Hofmann « qui a, le premier, fàie" la' syntMse du LSD, qui a découvert la psi~ocybinf! et la psilocyne 'dans -le champignon magique mexicain », Psilocybe mexicana, Agaric hallucinogène. A ces termes et définitions l'on doit ajouter la mescaline, alcaloïde du peyotl, cactée.
La redécouverte des hallucinogènes naturels, par Gordon Wasson et Roger Heim, devrait permettre d'introduire urie nuance, qui n'est guère admise, entre « prrnJuits naturels » (peyotl, champignons, 010-
liuqui ... ) et agents ou corps chimiques et produits thérapeutiques (le Pr Heim en donne une liste dans son ouvrage sur les champignons, paru en 1963). En effet, nous récusons le mot « drogue », et le principal reproche que l'on pourrait faire à l'ouvrage du Dr S. Cohen est de ne pas tenir compte de la différence précitée, d'utiliser le mot « drogue », quant au LSD, alors qU'il s'agit d'un « agent chimique », utilisé à tort et à travers, ici et là, depuis des doses infimes, de cent à trois cents microgrammes.
Les expériences entreprises sous le contrôle du Dr S. Cohen depuis 1954 portent sur des sujets (chap. VII, sept cas) et des malades (chap. VIII, huit cas), dans le cadre de l'hôpital, le jour, tout en soumettant le cobaye à des tests. Enfin une enquête, les réponses à un questionnaire émanant d'une quarantaine de « praticiens », permirent la constitution d'un dossier. Qu'en reste-t-il?
Sujets et malades ont vu des « choses merveilleuses », sont passés par les affres «( période noire », qui n'est à aucun moment évoquée sous ce nom et dans sa réalité: période d'affrontement), ont passé les tests. On reste perplexe: dans l'état « hors raison » (unsanity), pourquoi interrompre le « voyage » (déjà diurne: l'expérience est faussée par le jour, l'environnement, les conditions hospitalières), pourquoi cette pratique des tests étalonnés dans la normale, d'un excès à l'autre. Ici l'amplitude est différente; et l'acide est utilisé contre le « voyage» (surtout il ne faudrait pas voir, se laisser attirer par des « choses belles» !) afin d'explorer r..onscient et inconscient, de révéler moi et surmoi. Il est peu question, d'ailleurs, de l'Autre et du Plusieurs, d'une exploration en relation, avec un monde éprouvé ou parcouru (Mexique). En bref, si le sujet est sensible à la « richesse de composition, de signification, des visions procurées par la drogue », les expériences rapportées n'éclairent en rien ce problème, Images et Formes, ou l'essentiel: chimie du cerveau,
modification du psychisme (en liaison avec Images, Couleurs, Sons, Formes), état de lucidité et de duplicité, sous l'action d'un agent chimique. Ce livre n'est pas une histoire du LSD, mais un répertoire de cas ayant accepté la narration comme moyen d'expression; narration morcelée par le temps des tests.
On regrette surtout l'absence de tout comparatisme; en sélectionnant des expériences accomplies sous l'effet des produits naturels, non toxiques; et sous l'action d'agents chimiques, on mettrait à vif les différences. La prééminence du naturel est indéniable, et l'expérience entreprise dans les conditions vou" lues par le rituel met en valeur le rôle de la chamane, assistée de renfant, la Sabina de Huautla de Jimenez, infiniment savante, à tel point que les « trésors» des Indiens ne purent être forcés par la conquête, èt ont permis la constitution d'une nouvelle arme.
L'ouvrage, paru en 1964 (la version française, en 1966), en parle peu. Le LSD, , poudre ou 'substitut chimiqUe, expérimenté par hasard par le Dr Hofmann en 1943, a une singulière histoire, qui intéresse les hommes de science, militaires, psychologues, psychanalystes, historiens des religions - on ' voudrait l'espérer. En fait, il n'en est rien, et quant au seul LSD les « explications» avancées sont loin de constituer une somme. On reste sur sa faim. D'abord les témoignages ne sont pas répertoriés (initiales, âge, date, lieu, heures, etc.); d'autre part, au début, sévissait l'hypothèse, désir ou tentation de mieux comprendre la schizophrénie, de comparer.
Si aucune psychose n'est produite par le LSD, tout dépend des doses et fréquences, du psychisme du sujet, on le sait. Mais un problème est loin d'être éclairé: celui des images. , Pourquoi parler d'hallucinations et de drogues; puisque la vérité est autre, quand il s'agit de produits naturels, non toxiques. La plante est consommée, fait de manducation et des agapes, le soir. La « drogue » (terme désignant le LSD, selon le Dr S. Cohen) est prise à jeun, le matin, dans une salle d'hôpital, en présence d'observateurs (médecins, psychologues ... ). Le sujet reste soumis à l'environnement; la plupart du temps. (On étudie cependant les faits de privation sensorielle, mais l'ensemble n'est pas concluant.) Fai~ plus grave, aux approches du moment culminant, on questionne le sujet, qui est aussi soumis, nous l'avons dit, à une dizaine de tests, dont 1.. 'Rorschach (p. 85). A ce propos, il serait intéressant de connaître l'heure, le degré atteint par le sujet, le numéro de la planche présentée. L'ensemble reste vague, imparfait. Et l'erreur est évidente: laisser le sujet à la merci de l'environnement (observateurs, bruits ou objets), le harceler (questions, tests, dessins), le faire marcher, manger, etc. On croit rêver, dans la mesure où l'entour
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966
L. S. D. médical dispose du cobaye à son gré, dans des conditions en apparence normales, alors que l'observateur ou le testeur est sans doute ignorant, quant à l'expérience des hallucinogènes, et au gouvernement du sujet, qui doit affronter l'épreuve en toute liberté.
Maintenant, côté français, on constate combien les traducteurs sont sensibles aux américanismes tolérés. D'où une lourdeur, une monocordie de la phrase, sans concision, et admettant des locutions du genre « ça c'est»; on regrette, dans la transcription, le manque de notes, par exemple quant aux te'its; un seul éclairement, par rapport à l'état « hors raison» (unsanity), dû au psychédélique (qui révèle l'es· prit), et quelque flottement, quant
,quent, sans être hors la loi ,et vont certainement plus loin que « les Américains» invoqués ou évoqués par l'introducteur (se référant à Pomerand).
, Mauvaise leçon, donc; de parti pris et à l'aventure, la plus facile.
Quant au LSD, et en guise de conclusion, pour l'instant, les diverses « campagnes de presse» (rien ne distingue les pages du préfacier de ces campagnes) émanent comme d'une même source ou intention: volonté d'intoxication (de l'opinion). A dire vrai, « on manipule le public» assez aisément, dans certaine presse, parfois réputée sérieus~. Ainsi la Sabina de Huautla
' devint « prêtresse d'Oaxaca», ' depuis juste:p1ent - la preuve est maintenant donnée - l'ouvrage du
Le Mandala, symbole cosmogonique que l'on retrouve dans les civilisations qui ont fait usage de substances hallucinoélnp< à dp,. fins m'V.nrlUes (Ill n.rtistiques. CNlessus et page suivante, deux exemples récents : tableaux 'du jeune peintre allemand Hein Gravenharst. (EditWn Et, 1966).
au « cauchemar». (Une note explicative aurait pu parler de la « période noire ~) sous LSD.) La préfaceenquête, de ~ean-Francis Held? Désinvolte, proliférante, ayant pour référence ou contact Gabriel Pome'rand ( qui vient de publier le D. Man). Disons que l'on s'interroge, à ce propos, quant au manque de sérieux. Et comme l'introducteur estime nécessaire, dans sa germanophilie ou phobie, dans son indécision culturelle et si peu observatrice, de s'en prendre à Jean-Ja~es Lebel (p. XXIV), stoppons net: sur le plan français, invoqué par l'introd1:lcteur, le procès voulu par J.-F. Held, qui s'en prend aussi à Histoire d'O (p. XVI), est quelconque, et de mauvaise foi, ce qui est plus grave.
En effet, et sans sociologie inutile - mais cela paraîtra un jour, d'ici peu, on l'espère -, des « jeunes gens» (sans les situer « rue de la Huchette», comme a pu le faire le Dr X, ou côté beatnik), prati-
D.r S. Cohen. Mais pourquoi ne pa,; dire vrai, quant à l'expériènce des hallucinogènes, depuis Rouhier (1928), Felice (1935), Antonin Artaud, Gordon Wasson ?
Le divorce est là; et nous récusons l'emploi du mot « drogue» (qui peut satisfaire policiers et militaires). D'une part, des plantes (problèmes du cru et du frais, dn rituel, de la chamane, de l'ethnobotanique) ; d'autre part des agents chimiques, poudres ou produits de synthèse.' Mais tout est trouble. depuis ces narrations, quant aux poudres. et à la levée de bouclier éthique.
Tout deviendrait vrai, depuis l'expérience, quant aux plantes,. dans un rituel. Disons que ce comparatisme, cependant élémentaire, est à peine évoqué par le Dr S. Cohen. Son hôpital semble être à cent lieues du Mexique. Et si l'on évoque, vers la fin (p. 174), le groupe de Timothy Leary, il fau-
~
,19
~ L.S.D.
drait preCIser ce que furent les expériences au Mexique.
Bref, quant au public, ce livre peu scientifique fait illusion. La poudre dispensée aux sujets et malades, dans l'expérience diurne, est sans rapport avec le produit naturel. Dès lors, que penser ? La « citadelle chimique » dispense (aux médecins, aux militaires et aux policiers) des produits qui sont à la fois engrangés et utilisés. De l'autre côté, morale et règle médicalelégiste: interdiction, pour le commun des mortels. L'erreur est là: dans ce qui nous est caché par les laboratoires, les militaires et les policiers (à gauche et à droite). On s'en prend à une frange de la population, en oubliant de nous dire ce qui est pratique, et ce qui se trame,
depuis 1963 ou avant. Des journalistes sont ainsi devenus'- à leur insu? - les théologiens de l'arme psychogène.
Or c'est l'ordre qui est mis en question, depuis le procès intenté. Et l'on se demande pourquoi la presse se laisse manipuler. Quant aux manœuvres d'action psychologique, depuis la guerre d'Algérie, et par rapport à ce domaine: les Hallucinogènes, le dossier est ouvert. Que cache-t-on, dès ou depuis la campagne anti-LSD?
Un nouveau chapitre de «1'action psychologique». Le tour éthique ou dissimulateur ( des intérêts industriels et militaires sont évidemment en cause) adopté dans la querelle veut agir sur l'opinion. On condamne, on invoque les ravages (dans les campus, lors des «acid' parties »); on se garde de parler de' l'arme psychogène, cependant étudiée' dans la revue l'Armée, revue périodique de l'armée de
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terre française (N° 40, août-sept. 64, p. 9-16), par le colonel R. Nardi, sous le titre: « La généralisation des armes spéciales, l'arme psychochimique » ; étude renvoyant au nO 32 de la même revue (Nov. 19'63): « L'arme biologique ». Arme dépendant des ressources chimiques, fabriquées et réparties par telle citadelle. Pourquoi ne pas mettre en cause les laboratoires-usines ?
Depuis le « Top secret», intervenu en 1963 (mais le dossier jusqu'alors est connu), on se garde de donner les raisons de l'entreprise. Une valise chargée de l'un des produits en question ou une « cigarette » de LSD réduirait une capitale au sommeil pendant vingtquatre heures; certains bombardements furent toxigènes. Et les mili-
taires, mieux outillés et disposant du nerf de la guerre, ont su prendre le pas sur les botanistes, les savants (on préconise même le bombardement des zones fournissant cactées et champignons - le Mexique est-il menacé d'une nouvelle' destruction ?). Sans parodier le titre d'une étude de Philip Noel-Baker, et sans songer encore à telle nouvelle campagne en matière de désarmement, ne peut-on dire, questionner: « Les utilisateurs de l'arme psychochimique sont-ils parmi les militaires,? »
Certes. « Un füm présenté au SHAPE montre l'action ,de l'une de ces drogues versée subrepticement dans le café d'un groupe de jèunes soldats, à l'exception de leur chef. Ce groupe ( ... ) n'a plus par la suite aucune cohésion, reste totalement désorganisé », écrit le colonel R. Nardi (op. cit., p. 15). Abrégeons. Que penser de l'éthique, du droit qui condamnent l'utilisation de tels produits, pour le civil; qui 'le gardent - nous songeons à « r éthique
journalistique », aux « campagnes d'opinion orientées» - d'informer le public, d'aller aux sources, de signifier les différences entre produits chimiques et espèces végétales, entre expérience (elle est cosmogonique, et plonge au plus profond, au plus lointain, vers l'antérieur) et utilisation militaire ?
La levée de boucliers, uniquement pour le civil (quel amoralisme, dans ce fait), aboutit à obscurcir l'origine. Singulières Terres « latines », pillées, dévastées au XVIe
siècle. Maintenant les résurgences sont précises. On comprend, un peu tard, les raisons de la fureur espagnole, lors de la conquête, de la mise en conditionnement.
Les agapes fongiques, sans usurpation, plongent au plus secret, et révèlent l'évident: telle relation entre « Mystères, mets ou breuvages » (le silence vaut aussi à propos d'Eleusis, du Cycéon, du Sôma, du Haoma, des mystères de Zoroastre - il suffit de relire l'Avesta). Enfin s'éclairent, d'un jour nouveau, la cosmogonie du Mexique, l'art de vivre, dans la mesure où un rituel et la chamane, ou curandera (celle qui connaît le secret des herbes), permettent à l'homme de s'insérer dans l'univers, de mieux comprendre le lien entre microcosme et macrocosme. Les « visions » en question, images et formes perçues, enregistrées, éclairent aussi bien Hermès et l'art des Indiens du Mexique, la genèse de cet art (tout en ne pouvant faire oublier les monstrueux autodafés).
Sur un autre plan - et on comprend la fureur des « missionnaires», des théologiens amis des conquistadors, - ces « visions », l'atlas des images donnent la preuve si longtemps et si souvent cherchée de l'czntérionté, reléguant le christianisme, les mystiques, l'extase, dans une perspective « occidentale idéaliste» ; remettant en place «ce» qui prétend gouverner l'Occident, morale et mœurs. Les mystères subsistent ; la relation est établie entre « Mystères, muets ou breuvages ».
Les vues autoritaires sont sans pouvoir sur, les faits. Que la jeunesse cherche ' depuis ce qui serait à portêe de la main ne permet pas de crier au scandale. Que l'on ouvre non' le procès, mais le dossier des hallucinogènes, depuis des produits naturels, non toxiques, depuis des expériences, des textes, l'étude des codices (concernant aussi le maguey, le pulque), nous le souhaitons. La carte du monde est modifiée depuis l'avènement d'une nouvelle discipline et les recherches de l'ethno-botanique. Nous sommes peu nombreux à avoir, sur le terrain, pratiqué et consommé près des Indiens, en pays mazatèque, sous la direction de Maria Sabina, et à pouvoir dire « j'ai vu li (ce qui ne signifie pas « je sais »).
Ceux qui ont intérêt - lequel ? d'ordre éthique? - à cacher la vérité monopolisent un moyen d'information au détriment de là vérité.
René de Solier
HISTOIRE
Henry Kamen Histoire de l'Inquisition espagnole Trad. de l'anglais par T. Prigent et H . Delattre Albin Michel éd., 344 p.
1492 est l'année cruciale de l'hi~ toire espagnole: découverte de l'Amérique, conquête de Grenade et décret d'expulsion des juifs. Le catholicisme espagnol conquiert à la foi un continent et son pays. Mais tout cet or, toute cette gloire ne prévaudront pas, bien au contrahe, sur l'appauvrissement intellectuel d'une « société fermée» qui chassera les artisans maures comme If"s médecins juifs, imposera des conversions de masse que les théologiens considéreront comme « volontaires » du fait que l'alternative « le baptême ou la mort » constituait un « libre choix » et que la lutte ultérieure contre les mauresques et les marranes annulera en bonne partie. Ainsi se conjuguaient triompha. lisme et déclin.
En 1492, l'Inquisition espagnole - instrument et symbole de ce rétrécissement d'horizon - a 'douze ans. Elle durera officiellement jusqu'en 1834, et si pendant trois siècles et demi elle incarnera l'in· tolérance systématique - stalinisme et nazisme apparaissent en comparaison comme de sanglants et brefs interludes! - il est des degrés dans la virulence, des variations dans l'objet de la chasse. Mais des hérétiques aux illuministes poursuivis, il y a aussi une remarquable continuité. Pour Henry Kamen - spécialiste aussi bien de culture russe qu 'hispanique et traducteur des poèmes de Pasternak - c'est la convergence de l'orthodoxie et d'LI racisme, nullement typique du catholicisme dans son ensemble, loin de là, qui constitue cette unité. Le9 humanistes érasmiens, les protestants, les novateurs de l'exégèse biblique, les encyclopédistes - tous des « conversos », des juifs mal baptisés! En fait, les trois grands universitaires persécutés dans les années soixante-dix du XVIe siècle -parmi eux l'illustre théologien et poète Luis de Leon - avaient en commun une ascendance juive. De même, un siècle et deInÏ plus tôt, le célèbre théoricien du droit international, Juan Luis Vives, sera tenu en suspicion à cause de son origine : son père était mort sur le bûchel et les ossements de sa mère avaient été déterrés pour être brûlés 3 leur tour. L'impureté de sang est un caractère indélébile, et il est remarquable qu'une institution aussi importante de , la chrétienté n'ait compté pour rien la vertu du baptême par rappôrt à l'origine raciale que les « conversos », après tout, partageaient avec les apôtres.
Après Marcel Bataillon, Americo Castro et d'autres historiens, Kamen montre bien que le Saint Office n'était pas en Espagne l'instrument des papes, qui s'attachaient souvent à en limiter les dommages, ni même
Trois' siècles· d'Inquisition
Goya : CI L'Inquisition » (détail)
des rois d'Espagne, qui toutefois la défendirent contre Rome. Les atr~ cités dont l'Inquisition se rendit colfpable ne tranchent pas sur les mœurs de l'époque et Kamen la défend contre une «légende noire». Ses prisons étaient généralement plus humaines que les régimes pénitenciers des Etats, ses tortures souvent moins poussées que celles qui avaient cours dans les interrogatoires de la justice ordinaire. Alors que tant d'Etats - y compris la Genève de Calvin - se livrent à la chasse aux sorcières, ce '>Ont les inquisiteurs qui déclarent que la sorcellerie n'est pas un pouvoir démoniaque mais l'imagination de vieilles femmes. L'Inquisition n'a pas empêché l'éclat du « siècle d'or» - haute époque de la littérature et de la persécution, ensemble -; elle n'a censure qu'une seule phrase du Don Quichotte. Mais ses effets allaient bien au-delà de ses interventions directes. Kamen montre comment elle a détruit - . avec la complicité de nombre de ses
propres professeurs - ce centre de recherche que fut l'université de Salamanque. Et bien qu'elle ne s'occupât pas des cosmogonies de Copernic et de Newton, elle a paralysé toutes les sciences. n est vrai qu'elle n'était pas seule à le faire, et qu'une époque où les titres universitaires pouvaient être achetés mettait une prime sur l'ignorance. Les grandes universités ne formaient d'ailleurs pas des noyaux de résistance puisqu'elles étaient divisées par les intrigues et les jalousies. Mais si l'obscurantisme trouva lant de complices parmi les docteurs, il faut se demander comment on fait pour résister à une pression qui s'exerce pendant de longues générations. Ce drame de la longue durée, de l'absence d'espoir, aucun des CQmbats pour la liberté dans notre .siècle si tourmenté ne l'aura vécu exactement ainsi. Cela permet de comprendre des épisodes étrangers comme le « lavage de cerveau» d'un Pablo de Olavida, ministre réformateur de Charles III, arrêté en 177 6 pour hérésie par le Saint Office et condamné à huit ans d'internement dans un monastère.
Quatre ans avant son procès, Olavida avait écrit: « Toute enquête devant ce tribunal laisse dans notre pays une marque d'infamiè, non seulement sur celui qui y est exposé, mais sur toute sa famille et sa descendance}). Or, réfugié en France, Olavida se maintiendra dans son repentir et, adversaire farouche des idées de la Révolution française, il rentrera en Espagne « en odeur de sainteté».
L'Espagne de la contre-réforme avait persécuté et chassé ses élites intellectuelles et économiques et préférera la tutelle des financiers génois à ses propres compatriotes « impurs ». Son élite chassée contribuera à l'essor de pays ennemis comme les savants allemands chassés par Hitler profiteront aux pays . angl~::,axons. Mais comment expliquer cette ruée vers la déchéance, ce goût d'automutilation, cet échec d'une société pluraliste, alOl'S qu'un roi se vantait encore après la Reconquête de « régner sur troi~ religions »? Henry Kamen propose une interprétation assez surprenante. C'est la domination des grands propriétaires, d'une aristocratie hostile à toute élite concurrente -co~e on dit en Angleterre - à toute « méritocratie » qui expliquerait cette persécution systématique. La société dans son ensemble s'est appauvrie, mais qu'importait à sa caste dirigeante traditionnelle qui se voyait confirmée dans ses privilèges et son monopole des emplois d'Etat lucratifs! Contre cette interprétation, l'historien Trevor Roper - qui est spécialiste du XVIIe
siècle et non seulement des « derniers jours de Hitler » ! - a fait valoir dans le New Statesman des objections de poids. Si l'Inquisition était un instrument de classe des nobles, demandait-il, où voit-on que ceux-ci l'aient particulièrement soutenue? N'est-il pas significatif ··rue les jésuites - ordre aristocratique - lui étaient plutôt hostiles et que les dominicains qui la prônaient étaient un ordre plébéien de « prêcheurs des 'pauvres » ? N'y avait-il pas une jalousie active dans les milieux urbains eux-mêmes? L'étude de l'antisémitisme en Pologne et
La Quiuzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966
en Hongrie montre bien que certaines classes moyennes y étaient plus accessibles que les nobles qui se servaient des juifs. Lors de l'expulsion des moriscos de Valence, l'évêque qui était noble se lamentait: « Et qui fera désormais noll chaussures ?» Quant à l'enquête permanente sur le « sang impur », elle inquiétait la noblesse où les intermariages avaient été fréquents ,bien plus que dans le bas peuple. Sancho Pança se vantait - c'est Kamen qui cite ce passage - d'être, lui, du moins, sans aucun doute « vieux chrétien ». Mais Kamen évoque une pénétration à travers toutes les couches sociales des valeurs typiques de la noblesse. Dans ce cas ce n'est pas l'intérêt de la c( classe dominante » mais le triomphe de ses valeurs qui aurait empêché l'essor d'une Espagne moderne.
On le voit, la théorie sociologique de Kamen prête aux controverses. Cela n'empêche pas son ouvrage d'être à la fois extraordinairement condensé - trois siècles et demi d'histoire en trois cents pages - et lisible. Kamen considère l'Inqui~ition comme une des forces qu'. ont contribué à façonner l'Espagne, qui en garde jusqu'à ce jour la mat,!ue. Mais la conception d'un Orn.!"e qui ne prévaut qu'en combattant sans relâche les idées pernicieuses et les hérédités impures nous concerne audelà de l'œuvre de ce Saint Office qui, encore en 1826" fait pendre un maître d'école déiste. Preseott, l'bistorien qui a vécu la fin de l'Inquisition, pouvait écrire en 1837 : désormais « nous regardons avec dégoût toute prétention d'envahir les droits sacrés de la conscience inaliénable», Mais Dostoïevski savait déjà que les grands inquisiteurs pouvaient revenir. Aussi l'Inquisition ne nous apparaît-elle plu:; comme une « phase du développement écono-,nique et social de l'Espagne », comme le dit Kamen dan!! sa conclusion admirablement mesurée et modeste. Sinon, pourquoi cette histoire nous semblerait-elle aussi significative, aussi contemporaine?
François Bondy
ÉTRANGER
Italie
Une enquête sur les habitudes de lecture des Italiens révèle que 38 % des adultes ne lisent pratiquement jamais rien: ni livres, ni revues, ni journaux.
Parmi ceux qui lisent - l'enquête portait sur 2000 personnes de plus de 18 ans, de toutes les régions et de tous les milieux - 38,3 % seulement lisent le journal. Il s'agit en majorité de la population masculine, en parti· culier celle des villes de plus de 400 000 habitants.
Pour les hebdomadaires et mensuels, la proportion est de 52 % et les diffé· rences entre les habitudes de lecture des deux sexes diminuent - surtqut en raison du développement de la pressè féminine.
Mais, surtout, 78 % des personnes interrogées n·avaient lu aucun livre -pas même pédagogique ou documentaire - pendant la semaine considérée. La plus forte proportion de lecteurs adultes se trouve dans le groupe âgé de 18 à 34 ans, Il est loin d'être prouvé que le vide est comblé par la radio et la télévision: 25 % des adul· tes italiens n'écoutent jamais une émission; 50 % seulement déclarent brancher un poste de radio ou de télévision quotidiennement.
Aaie
Une enquête menée par l'Unesco révèle que, le Japon mis à part, la ph ... part des pays d'Asie se heurtent à des problèmes d'édition dont le taux d'anal· phabétisme (70 %) n'est qu'un alto pect. Le manque de ressources entrave l'importation de livres étrangers, Le prix du papier (fret mis à part) semble plus élevé pour les éditeurs asiatiques que pour leurs homologues européens, L'importation de pâte à papier et autres matières premières est inu· tile dans la mesure où la pénurie d'eau en divers points de l'Asie ne permet pas la fabrication du prodUit finI. Il est vrai que des essais sont en cours au Japon pour utiliser le bois de l'ar· bre à caoutchouc pour la fabrication du papier. mais, en cas de succès, le problème ne serait résolu que pour un nombre restreint de pays - tel la Malaysia. L'Unesco s'est engagée à discuter avec la Banque Internationale pour faciliter l'approvisionnement de cette région du monde en papier. En matière d'impression, le manque d'équIpement va de pair avec l'absence de personnel qualifié. L'Inde a InsIsté pour que les pays asiatiques en vole de développement créent des Instituts d'édition avec le concours du RoyaumeUni. des EtQts-Unis, de l'Allemagne et des Pays-Bas,
En admettant ces problèmes résolus, resterait à mettre en place un réseau de distribution. Il y a fort peu de libraires en dehors des grandes villes. Les bibliothèques elles-mêmes ne trouvent que difficilement à s'approvisionner, Le système préconisé a été de favoriser la création de bureaux centraux avant que ne se créent une multiplicité d'entrepôts d'éditeurs Individuels, dans l'anarchie,
Dans certains pays, comme Ceylan, le gouvernement a été amené à se substituer aux éditeurs défaillants, même pour la publication d'ouvrages secondaires dans la langue du pays. Les éditeurs locaux qui publient des manuels primaires ne veulent pas assumer les frais des manuels de l'enseignement secondaire en raison de la limitation des débouchés.
L'Unesco s'est aussi engagée à essayer d'obtenir l'appui de la Banque internationale pour persuader les banques nationales d·accorder un traitement préférentiel aux éditeurs, étant donné l'importance particulière de leur activité pour le développement de leurs pays respectifs.
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SOCIOLOGIE
Guy Perrin Sociologie de Pareto P.U.F. éd. 256 p.
Vilfredo Pareto, économiste et sociologue italien, qui vécut à Lausanne, est surtout connu pour un ouvrage volumineux et presque illisible : son Traité de sociologie générale. Aucun sociologue peutêtre n'a eu une postérité aussi diverse. Un véritable engouement aux Etats-Unis qui ont connu entre 1925 et 1940, selon l'expression de M. Gurvitch, (( une véritable crise de paretisme ». L'Italie fasciste l'a encensé comme un des pères du régime et le journal A vanti lui a décerné à sa mort le titre de (( Karl Marx de la bourgeoisie ». En France, il faut bien parler d'indifférence générale, à part M. Aron qui lui a consacré quelques ouvrages et M. Gurvitch qui l'a brièvement évoqué pour conclure que son seul intérêt est de (( constituer un exemple de ce qu'il faut éviter ». Le livre de Guy Perrin vient donc combler cette lacune, mais vient-il réparer une injustice? Autrement dit peuton lire Pareto de nos jours ? Pour y répondre il est nécessaire de rappeler les grandes lignes de sa sociologie.
Pareto et
Pour Pareto toutes les théories sociales, les représentations collectives ne sont que des « dérivations », c'est-à-dire des explications ' rationnelles destinées à masquer après coup la nature irrationnelle des actes sociaux. Les motivations réelles sont les (( résidus » (résidu) d'instinct de combinaisons » et de « persistance des agrégats » dont la nature est psychique et irrationnelle. Le domaine social est celui des actes non logiques. Au moins peut-on espérer que Pareto, professeur d'économie à Lausanne, ait tempéré ce parti pris évident de psychologisme en accordant une place aux faits économiques_ Il n'en est rien. S'il reconnaît que l'écono- . mie est insuffisante pour rendre compte des faits concrets, il refuse de l'intégrer à la sociologie. C'est qu'elles s'opposent l'une à l'autre_ La première traite des actions logiques (( qu'exécutent les hommes pour se procurer les choses qui satisfont leurs goûts », tandis que la seconde traite des actions non logiques résultant de résidus irrationnels. Non seulement il ne fait pas, comme Marx, de l'économie la réalité sociale privilégiée, mais il ne veut même pas, comme Halbwachs, en faire une valeur seconde soumise aux représentations collectives. Sur ce point, Pareto se pré-
les élites
sente comme l'anti-marxiste par excellence. On conçoit qu'ainsi amputée la sociologie soit impuissante à rendre compte de la réalité sociale. Le meilleur exemple est fourni par la conception pare tienne de classe sociale.
Pareto refuse de séparer la société entre bourgeois et prolétaires, car il existe selon lui des rivalités d'intérêts au sein de chacune de ces classes. Il préfère une distinction entre (( spéculateurs », tous ceux dont le revenu et variable, et (( rentiers » dont le revenu est fixe. Cette distinction, économique en apparence, est en fait psychologique, puisque les deux classes recouvrent exactement · les résidus d' (( instinct de combinaisons » et de (( persistance des agrégats ». De plus, comme le souligne Guy Perrin, la société pareticnne est totalement inconsciente d'elle-même; rien n'est plus étranger à Pareto que le concept de conscience de classe. Dans ces conditions, on ne peut pas parler d'une unité sociale, mais d'une abstraction fondée sur un critère psychologique.
Dans son dernier chapitre, Guy Perrin aborde ce qu'il y a de plus cohérent chez Pareto : la partie politique de son œuvre. La théorie de la (( circulation des élites » en est la meilleure illustration. Pareto, refusant systématiquement tou-
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• te valeur, nomme élite tous les
Toute la sp lendeur voluptueuse de l'Orient a a a
• individus qui réussissent dans un • • domaine quel qu'il soit : il y a • une élite des brigands comme il y • a une élite des saints_ Il y ' a aussi • une élite politique fondée sur une • certaine combinaison des deux rési-• dus. Il s'agit d'une véritable iné: galité biologique qui prédispose cer• tains êtres à diriger et , les autres '. à être dirigés. Or, parmi l'élite au , • pouvoir, certains ' de ses membres , • perdent les caractères de l'élite,
E • tandis que parmi les. êtres gouver-L . LIVRE ': nés, apparaissent des hommes d'élite.
MILLE NUITS ET UNE NUIT '·.' La 'circulation peut se faire conti-nuellement par le remplacement
- . - progressü des premiers par les se-- conds, comme elle peut se faire vio-: lemment par la révolution. D'un
traduction MARDRUS non expurgée • côté comme de l'autre, les dériva. • tions (théories sociales, mythes, re
A cOté de la Bible et des poèmes homériques, la troisième _ limons) sont employee' s comme grande œuvre collective de l'humanité a sa place marquée 0-
dans toutes les bibliothèques. Sindbad, Aladin, Ali Baba, - moyen, par l'ancienne élite pour ont enchanté notre enfance. Mais la splendeur poétique. ' • la gaieté truculente et l'érotisme naïf de ces contes mer- se maintenir au pouvoir, par la veilleux, n'ont été révélés que par la traduction non édul- • Il ' D corée du Dr Mardrus. • nouve e pour s en emparer. ans En voici enfin le texte intégral dans la grande édition que tout cela, bien entendu, les masses nous attendions: 8 volumes 16 x 21. sur vergé pur fil, illustré - . de 100 compositions décoratives en six couleurs.somptue~ _ ne jouent aucun rôle. On ne sau-se reliure pleine peau rouge. tranChes dorées, rehaussée rait mieux déprécier tout idéal pod'or et de couleurs, qui évoquent rubis, émeraudes et • perles roses. - litique. Pareto s'en prend parncu-La Librairie PILOTE peut encore, pendant un cours délai, _ d d la appliquer un prix de souscription extrêmement réduit pour lièrement à la érivation e cet ouvrage de haute bibliophilie: 880 Fies 8 volumes au • démocratie qu'il accable de ses sarlieu de 1.000F,le prix de chaque tome(110F au lieu de 125 F) •
~~~~=a; .. ~ n'étant versé qu'à sa parution, (un tome tous les 2 mois). casmes. D'ailleurs pour lui la dé-• Le tirage étant strictement limité à 7.000 exemplaires, •
demandez-donc d'urgence à la Librairie PILOTE 22, rue de • mocratie n'existe pas. l'''"B-O-N---------' Grenelle/une documentation gracieuse ou, mieux, l'envol. Il n'est pas besoin de préciser
à découper ou à reco- Immediat, pour examen gratuit, avec droit de retour dans pier et à adresse" à la Librairie les cinq jours, du tome 1 qui vient de paraltre, Vous ne ris- - que tout. sens de l'Histoire, toute
querez pas, ainsi, de laisser échapper une édition que les al b PILOTE,22, rue de Grenelle, bibliophiles vont se disputer et qui prendra sOrement une • idée de progrès sont tot ement an-
_____ P;..A;.;;.;R;,;;IS~7.------ très grande valeur. , - nis par Pareto. L'Histoire évolue : selon un processus ondulatoire, pé
riodique, oscillatoire_ Ce sont tantôt les résidus de la première elasse (instinct des combinaiso:r:.s), tantôt ceux de la seconde (persistance des agrégats) qui dominent dans la société. On a donc alternativement
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des périodes de ( foi » et des périodes de « scepticisme ?) et le Traité de sociologie générale se termine par une apologie de la violence. Pareto ne la justifie pas comme G. Sorel par une fin dont elle serait le moyen, mais en fait une valeur en soi, la seule valeur. Toute lutte a pour résultat la victoire du plus fort et seule la violence incessante purifie l'Homme en ne laissant subsister à chaque instant que les meilleurs : « Les massacres et les pillages sont le signe extérieur par lequel se manifeste la substitution de gens forts et énergiques à des gens faibles et vils ». Anti-égalitaire, sans finalité, violente, l'Histoire selon Pareto se résume dans ce mot à la fois décevant et tragique: ( Un cimetière des aristocraties ».
En fait, Pareto n'est pas un sociologue. Sa méthode scientifique et ses analyses ne sont là que pour justifier l'irrationalité des conduites humaines et l'inégalité biologique des hommes. Pareto n'est vraiment clair et cohérent que lorsqu'il laisse tombcr le masque du sociologue pour se montrer sous son vrai visage : un pamphlétaire politique. Mais ses idées ne font que reprendre celles exprimées depuis toujours par les partisans de l'absolutisme et dans lesquelles les régimes totalitaires ont pu trouver un faux-semblant de justUication philosophique. On croirait entendre Calliclès ou Thrasymaque et les théories paretiennes sont toujours justiciables des réfutations de Gorgias ou de la République.
Si elle ne faisait partie d'une collection nouvelle qui se propose de donner une vue exhaustive de la sociologie, on comprendrait mal la tentative de Guy Pelrin. Dans son introduction, il déclare vouloir «( présenter une œuvre encore imparfaitement connue, afin de contribuer par un effort d'appréciation objectU à lui rendre sa juste place dans l'histoire des idées », mais, au cours de son étude, il se voit obligé de critiquer le parti pris de psychologisme, l'anathème contre l'économie, les prétentions faussement scientifiques, l'absolutisme de la politique, et de conclure enfin : « Ses déboires (de Pareto) rappellent utilement qu'on ne saurait construire une science contre la raison ». On n'est pas loin, on le voit, du mot de M. Gurvitch : (( L'exemple de ce qu'il faut éviter D. En fait il semble que toute analyse objective de la sociologie paretienne soit forcée d'en constater les échecs et d'en dénoncer les dangers. Il aurait mieux valu développer les· rares côtés positUs, notamment cette psychanalyse des faits sociaux que Pareto aurait pu tenter s'il n'avait été aveuglé par son parti pris d'anti-rationalisme. C'~t une entreprise de ~e genre qu il faudrait faire à la suite de Pareto, plutôt que de' l'exhumer d'un oubli jus~fié pour conclure qu'il faut l'y l'eplonger.
/ean-François Nahmias
POLITIQUE
Jean-Jacques Faust Le Brésil, une Amérique pour demain Le Seuil éd., 256 p.
Rien de plus difficile pour un observateur européen que de se retrouver dans le labyrinthe des putschs, des pronunciamientos et des révolutions, volontiers pacifiques mais toujours recommencés, d'Amérique du Sud, que de voir clair dans le jeu complexe de la politique des républiques de ce jeune continent. On n'a que trop tendance, de ce côté-ci de l'Atlan· tique, à revêtir d'oripeaux pour opérette les hommes d'Etat latinoaméricains, à ne pas prendre au sérieux les incessantes crises idéologiques, soeiales et économiques des nations sud-américaines au des. tin encore incertain.
Voilà pourquoi le livre sur le Brésil de Jean.Jacques Faust vient à son heure. L'heure, 'précisément, où ce pays - grand non seulement par ses dimensions, mais aussi par les richesses humaines et matériel· les qu'il recèle - se trouve à un nouveau tournant de son histoire. Un tournant où il s'agira, sans doute, pour lui de trouver sa voie, non pas du côté d'une dictature du type «ligne dure », mais du côté d'une sorte de « gaullisme », adapté aux besoins d'une nation dont le premier souci devrait être désormais de gagner la dure bataille du développement. Le maréchal
. Castelo Branco, à la veille de céder sa place à son successeur, déjà dé· signé, le général da Costa e Silva, cherche à « démocratiser » la cons· titution. Reste à savoir si les sym· pathisants de la gauche ou' de l'extrême droite lui permettront de mener à bonne fin une entreprise qui a pour but de remettre une nouvelle fois le Brésil entre les mains du capitalisme bourgeois, sous la haute protection, s'entend, de l'armée, et, last but not least, avec la bénédiction des Etats-Unis. Il dépendra du ou des gouvernements à venir que le Brésil garde définitivement ou seulement temporairement le visage d'un « anti-Cuba ». Tl dépendra de la capacité des hommes de l'actuelle révolution que le Brésil sorte de l'impasse économico·· politique sans le secours de Marx ou de Lénine.
Directeur de 1960 à 1965 de l'agence France-Presse à Rio de Janeiro, Jean-Jacques Faust a vécu de l'intérieur, les yeux grands ouverts, la révolution brésilienne. Toutefois, non content de nous offrir un témoignage intelligent, un reportage brillant sur des événements politiques donnés, il a étoffé son livre à l'aide d'une documentation des plus riches et d'une analyse fouillée de la politique brésilienne de ces dix dernières années.
Le reportage journalistique contenu dans le Brésil... se lit d'une seule traite. Il est truffé d'anecdotes savoureuses, de flashes pittoresques, de tableaux d'atmosphère. Il est
• Un pays qUi se cherche.
Brasil~
ponctué des élans du cœur d'un « Carioca» occasionnel qui .,'est laissé prendre au charme d'une ville et de tout un pays.
L'histoire contemporaine du Brésil, qui constitue l'essentiel de l'ouvrage, raconte avec virtuosité les règnes successifs et contradictoires d'un Kubitschek, bâtisseur, dangereusement séduisant, de Brasilia, d'un J anio Quadros, champion d'une politique ascétique, d'un Goulart, nonchalamment communisant et, finalement, de Castelo Branco, l'homme de la « révolution ». La peinture de ces différents règnes nous vaut une galerie d~ portraits hauts en couleur. Carlos Lacerda, le « tombeur» des présidents, y occupe une place de choix.
M. Faust excelle particulièrement dans l'art de démêler les fils embrouillés de l'écheveau de la politique brésilienne: observant à la loupe le jeu des partis antagonistes, les coups fourrés des adversaires, le ballet des alliances; expliquant le pourquoi et le comment d'un coup d'Etat, définissant le rôle de l'armée et du « tenentisme de ses lieutenants ». Son essai nous propose le bilan fidèle d'une révolution qui, pour l'instant, n'a encore su qu'enrayer l'action tâtonnante d'une gau· che mal organisée et ralentir - si peu! - une inflation galopante, ne s'étant occupée jusqu'ici que
d'épuration et de lutte contre la corruption; d'une révolution dont le programme positif et constructif - réforme agraire, expansion ftCO
nomique et promotion sociale de;; masses sacrifiées - sera, du moins on ose l'espérer, pour demain.
Dommage que l'auteur de Brésil, une Amérique pour demain ait compromis, ici et là, la qualité de son essai politique en y glissant des pages d'information simplifiée sur l 'histoire et la vie économique, sociale et culturelle brésilienne. Des chapitres tels que « L'économie des cycles» ou « Une civilisation métisse» méritaient un tout autre développement. Sous leur ' forme présente - pour manuel scolaire ou guide touristique - ils n'avaient pas à figurer dans le livre de M. Faust.
Cela dit, le Brésil, une Amérique pour demain est une étude objective et exhaustive de l'actualité politique brésilienne. Contrairement à tant d'autres de ses confrères, Jean-Jacques Faust a su attendre d'avoir vécu longtemps au pays dont il nous parle aujourd'hui. Il s'est donné la peine de le déchiffrer sans hâte, ayant essayé de l'aimer pour mieux le comprendre. Cela mérite un grand coup de chapeau à une époque où les ouvrages du genre naissent habituellement dans un Boeing, au retour d'une expédition-éclair.
Ritta Mariancic
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966
ÉDITEURS
La Table Ronde
Une nouvelle collection va resserrer encore les liens noués entre la Table ronde et Combat après les dernières élections et qu'avait marqués la publication d'un premier ouvrage publié en collaboration entre la maison d'édition et le quotidien. Sous le titre. La Table ronde de Combat» elle publiera des œuvres des rédacteurs du journal ou écrits avec leur participation. Au programme: André Malraux ou le temps du silence, par André Brincourt; Réapprendre l'irrespect par FonvielleAlquier.
P. U. F. Prinoeton
_ C'est une sorte d'Opération Stendhal que lan<re le département des Langues romanes de l'université de Princeton (diffusion Presses universitaires de France). Il a créé récemment une collection • A la découverte» afin de mettre le public en contact avec des textes qui, malgré leur valeur littéraire n'ont pas encore connu le succès.
Tel est le cas de Dernières lettres de deux amants de Barcelone de Hyacinthe Latouche et François L'Héritier; ii s'agit d'une sorte de roman-vérité assez inattendu sur l'épidémie de fièvre jaune qui balaya la capitale catalane en 1821.
Sont annoncés le Dernier Homme de Grainville ; des fragments inédits sur le Libre Arbitre, l'Education et les Plaisirs, avec introduction et notes de P. de Saint-Victor; l'Art de penser de Condillac, avec une introduction et des notes par Karl Uitti.
FaJ"ard
En février, le Maupassant sur lequel travaille depuis deux ans Armand Lanoux, parallèlement à la grande suite romanesque qu'il prépare et qui aura pour cadre la fin du second Empire, la Commune et les débuts de la troisième République. Parmi les ouvrages d'histoire contemporaine, Fayard publiera J'ouvrage de M. R. D. Foot sur la Résistance française dont la parution à Londres a déjà soulevé des tempêtes: S.O.E. France.
A. Balland·J'. Leoat
Le quatrième volume des Œuvres complètes de Guillaume Apollinaire vient de paraître (André Balland et Jacques Lecat éd.). Le tome 1 réunissait les œuvres en prose; le tome 2, les chroniques; le tome 3, la poésie, le théâtre et la critique littéraire. Avec le tome 4, voici la critique d'art (Les peintres cubIstes, et 400 pages sur les expositions, Picasso, les Futuristes ... ) On voit la place d'animateur, de dé· couvreur, qu'occupe Apollinaire au début de ce siècle.
La correspondance groupe Tendre comme le souvenir, Lettres à sa mar· raine et plus de 500 lettres, dont une grande partie inédites. Les importantes Lettres à Lou n'y figurent pas: les éditeurs n'ont pu obtenir l'autorisation de les publier.
Ce gros volume, relié en cuir, est accompagné - comme les précédents - de son coffret qui contient les facsimilés d'une lettre à sa marraine, la photographie du poète (le front bandé, après sa blessure de 1916), le catalogue de J'Exposition Derain et la lettre de Jean Cocteau annonçant la mort d:Apollinaire à André Salmon.
Dans un article paru dans le numéro 9 de La Ouinzaine littéraire, Lucien Galimand a dit le bien qu'il pensait de cette première édition des Œuvres complètes d'Apollinaire.
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Léon Moulin La $ociété de demain
,dans l'Europe d'aujourd'hui Coll. Europa Una Denoël éd., 260 p.
Belge, sociologue, partisan d'une Europe plus cohérente, démocrate sans illusions sur la nature de l'homme, convaincu que le grand saut vers la société industrielle a, tout compte fait, été un phénomène positif, mais conscient que ce progrès a charrié avec lui bien des « anti-progrès», tel est le portrait de l'auteur qui se construit au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture du livre de Léo Moulin. Voilà qui est fort sympathique -mais de quoi parle ce livre? Le but recherché est exposé dès la première page: il s'agit de dessiner les traits futurs éventuels de la société européenne par référence à ce qu'elle est aujourd'hui - donc de nous présenter une Europe à venir en expliquant par quels enchaînements plausibles elle se déduit de l'Europe présente sans en être un simple duplicata un peu agrandi.
Cette démarche intellectuelle suppose trois sortes d'opérations: tout d'abord dégager ce qui, dans le processus de passage du présent au futur, ne changera pas - les éléments permanents du tableau ; puis les changements inévitables auxquels il faut s'adapter et dont on doit s'appliquer à mesurer les conséquences; enfin les changement introduits volontairement en fonction de ce qui est jugé souhaitable et réalisable.
La continuité et la permanence, Léo Moulin les aperçoit dans la présence persistante d'une civilisation européenne caractérisée selon lui par la coexistence paradoxale de deux éléments quelque peu hétérogènes : un esprit faustien de contestation et de démesure, et.1a qu~te individualiste du bonheur. n note qu'il n'y a pas à s'inquiéter du caractère radicalement nouveau de l'époque que nous vivons: elle est effectivement sans précédent, mais on ne saurait y voir la négation de l'héritage culturel européen, puisque le progrès scientifique et tech. nique n'a pu naître qu'en Europe, terre d'inquiétude et de remise en question permanentes. Position intéressante sur le plan théorique, puisqu'elle conduit à avoir une affinité profonde entre hl société industrielle et le vieil humanisme européen, et' à exorciser la crainte d'une incompatibilité p:rof~nde entre la machine et les valeurs. n n'est pas sûr qu'elle emporte l'adhésion des pessimistes « éclairés » qui, tout en hésitant à accepter la thèse ' extrême en vertu c.1e laquelle toute société idustrialisél' opte, ipso facto, pour une vision (Juantitative des choses qui la rend aveugle à tous les aspects qualitatifs de l'existence
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,RENC ONTR ES
L'Europe , . a venir
humaine, pensent que l'on peut aller trop loin dans la bonne direction, et souhaiteraient sans doute que l'auteur s'attarde un peu sur les propos du Pr Chouard qu'il cite p. 31: « Une croissance véritablement exponentielle du progrès scientifique et technique serait « apocalyptique »à brève échéance. »
Après le durable, il y a ce qui change, soit par une espèce de « cours naturel » des choses, soit par le fait d'une affirmation de volonté. Au sein de la première catégorie, Léo Moulin fait une distinction importante entre les changements qui n'auront vraisemblablement pas lieu, et ceux auxquels au contraire il faut se préparer. Selon l'auteur, ' deux perspectives sont à exclure: la prolétarisation des travailleurs, la « technocratisation» des grandes décisions régissant le développement économique et social - et les arguments qu'il donne à l'appui me semblént fort plausibles.
Quant aux tendances de fond dont l'effet continuera à se faire sentir au cours des deux ou trois prochaines décennies, elles sont traitées dans la rubrique « conséquences sociales du progrès t echnique », et l'on y trouve des phénomènes bien connus tels que croissance démographique et changements de structure de la population (qu'il est toutefois excessif de ne rattacher qu'au progrès scientifique et technique), l'urbanisme, l'élévation du niveau de vie et la croissance de la production, l'augmentation des loisirs et la recherche de la sécurité. Le chapitre consacré à ces phénomènes est assez bref et l'on sent qu'il est là surtout « pour mémoire». n y aurait eu avantage à l'étoffer dans deux directions: vers le passé, en montrant sous quelles: formes le coût du progrès économi- ' que s'est matérialisé (renchérisse- ' ment relatif du temps libre et des , activités dites « tertiaires», spécialisation des connaissances et frag- mentation du processUs de produc- , tion); vers l'avenir, en esquissant, l'ossature de la société européenne , dans vingt ans quant à ses dimen-' sions économiques et démographi: ques, car une telle projection prêterait certainement à des commentaires instructifs, sur l'ampleur des besoins en équipements collectifs ou les grandes directions du développement économique européen (Léo Moulin ne précise pas quelle croissance économique lui paraît la plus conforme au génie européen: courir l'espace comme les Russo-Américains, mais à plus petite échelle, ou chercher une ' voie originale, et laquelle ?).
La partie consacrée aux transformations délibérées est la plus longue et la plus originale du livre. On ne doit pas s'étonner qu'un nombre ,appréciable de pages soient consacrées non à décrire un futur amélioré, mais à démontrer qu'il y
a bien eu progrès et non point régression dans le proche passé. Une telle démarche est absolument essentielle à la cohérence intellectuelle du livre, car n'oublions pas que Léo Moulin se refuse à tourner le dos à la science et à la technique, puisqu'elles sont toutes deux filles de l'esprit européen; mais il lui faut ' alors pouvoir montrer qu'une telle option, loin d'avoir entraîné une régression, a été facteur de progrès, que ce dernier ne peut se poursuivre qu'en restant fidèle à la même orientation, et enfin que l'impression de décadence s'explique par des erreurs d'observation, ou par une conception trop idéalisée de l'homme moyen.
La réflexion sur les étapes accomplies ' et celles qui restent à franchir est cOI;lcentrée sur trois domaines: travail, éducation, loisirs. li faut feliciter l'auteur d'avoir accepté le risque d'être jugé insuffisamment « prospectif» en laissant une place importante dans son livre aux problèmes ' de l'homme au travail, même si cela est apparemment contradictoire avec la venue imminente d'une civilisation des loisirs. Mais le meilleur, on le trouvera dans ce que Léo 'Moulin dit de la démocratisation de l'enseignement. Il y a là une quarantaine de pages clairvoyantes et courageuses, qui agaceront tous ceux qui aiment les solutions simples et rapides car, pour l'auteur, ce genre de solution n'existe pas : le grand obstacle à l'égalité des chances tenant à la famille, il est difficile qu'il y ait une promotion sociale significative en moins de deux générations: il est vain d'espérer démocratiser par l'abaissement du niveau des études l'ouverture non sélective de l'Université à tous, ou la création de circuits d'enseignement parallèles au rabais.
Sous-jacent à un grand nombre de raisonnements de Léo Moulin, il y a l'idée que le matériau humain est hétérogène: «Sur 100 individus, il y a en moyenne, et quel que soit le groupe choisi, 10 % d'hommes « bien» (dont 2,5 % de sur-doués), 1 0 % de déficients irrémédiables, le restant se répartissant autour de la moyenne: les uns plus près des 4 ou des 5 / 1 O· des points et les autres se hissant jusqu'au niveau des 7J JOC'" (p. 218). En admettant que cela soit vrai, il serait intéressant de rechercher si la société
La lettre X (sigma) désigne la Semaine de recherche et d'action culturelle organIsée annuellement depuis 1965 par la ville de Bo~deaux et qui a rassemblé pour la seconde fois, du 14 au 19 novembre, une série de créateurs et de théoriciens appartenant à tous les domaines de l'express ion artistique et ' intellectuelle.
Art et eociété
Le premier malentendu tient au caractère particulier de Sigma, qui s'est placé d'emblée sur deux niveaux à la fois: celui de la sociologie et celui de la création individuelle. Dans les phrases liminaires, Robert Escarpit posait expressément la question « Action d'avant-garde ou opération de masse? Le style du Sigma tient de J'une et de l'autre ". Il en allait de même dans le point 2 du programme élaboré par Abraham Moles: « l'artiste doit-il œuvrer en vue d'un public ou est-il nécessairement isolé par sa création, dans la mesure même ou il se veut orienté autant que pOSSible vers le futur?"
C'est probablement faute d'avoir pris connaissance de cet exorde ou de J'avoir dûment interprété qu'une partie du publie a marqué quelque hostl.lité à certaines séances et que des participants se sont opposés les uns aux autres, Il est probable d'ailleurs que ces oppositions seront à porter au crédit de J'expérience, avec le recul.
L'une des escarmouches significatives, en l'occurrence, est celle qui a mis en présence Pierre Demarne, à l'issue de son exposé sur le thème Art et Cybernétique, Georges Patrix -secrétaire général du Groupe international d'Architecture prospective (G.I.A.P.) - et le signataire de ces lignes.
L'une des thèses défendues par Pierre Demarne, dans sa démonstration très bien élaborée, était que la machine électronique pouvait créer des œuvres d'art - et, sinon, y aider à la fois par sa mémoire et par son rôle de « manœuvre intellectuel", relayant en quelque sorte l'effort de la main de J'artiste, ' Or, l'une des doctrines du G.I .A.P.,
rappelée à diverses reprises au cours de la rencontre, et brillamment illustrée par un spectacle « ' total " de NIcolas Scholffer où les machines jouaient un grand rôle, est que la ville de l'avenir sera conçue comme un spectacle, donné en permanence dans la rue, à l'aide - notamment - de ces machines et de leurs jeux combinatoires de lumière et de mouvement. Thèse et doctrine, au demeurant, dont Michel Ragon a montré qu'elles sont légitimes et complémentaires.
Pour ma part, j'al critiqué une telle conception, au nom d'une distinction entre l'art-moyen de connaissance (connaissance de soi et connaissance de l'Homme). et l'art-divertissement. L'interventIon de la machine consacre l'avènement d'un art-divertlssement à l'état pur, dans la mesure où,' ne portant plus témoignage pour un créateur, il ne peut apporter de connaissance que de la machine et détourne J'attention du seul objet valable de la connaiss'ance - l'Homme.
industrielle ' dans sa dynamique La Beoonde chance
s'adaptera bien à cette strnqture Mais là où le malentendu devait déséquilibrée, autrement dit si la prendre des proportions plus grandes, gamme des métiers qu'elle offrira ce fut au cours de la soirée qui vit dans le futur s'harmonisera bien , décerner le prix de la Seconde
Chance, avec la dispersion des facultés intel- La règle de ce prix est Qu'il cou-lectuelles dans le corps social. On ronne une enquête SOCiologique, menée voit ainsi que l'intérêt du livre, de dans ' les bibliothèques d'entreprises Léo Moulin ne vient pas seulement de Bordeaux. En effet les abonnés de
ces bibliothèques constituent un jury de l'ampleur des problèmes aux- de masse qui fournit sur ses lectures quels il se mesure, mais également un certain nombre d'appréciations, lesdes multiples chemins adjacents 9uelles, traitées par un ordin~teur vers lesquels sa lecture convie notre, , electronlqu~, perm~ttent de déslgn~r
. , " , . les <Jeux livres qUI ont reçu le mell-espnt a s egarer. _ leur accueil du public d'entreprises.
Bernard Cazes Entre ces deux livres, un Jury-délégué
Sigma II à Bordeaux
choisit après confrontation publique avec les auteurs.
Tout conflit avait été évité l'an dernier car la machine avait désigné un livre intéressant de . Roger Chateauneu qui l'avait dignement emporté s~r un feuilleton d'Agnès Chabrier. Le fait que ce dernier ait pu f igurer en si bonne place dans les suffrages populaires n'avait pas donné lieu à récriminations puisque l'issue avait été heureuse.
Cette année, les deux finalistes étaient le Père M. Lelong, auteur d'un récit de voyage en U.R.S.S. et en Chine Il est dangereux de se pencher, et un roman d'Henri Castillou, International Petroleum, dont le moins qu 'on puisse dire c'est qu 'il relève de la lecture plus que de la littérature.
Castillou l'emporta. Or le but de l'opération était, de
toute évidence, de déterminer scientifiquement les goûts d'un public de masse, d'analyser les opinions de ce publie au moyen des fiches de lecture remplies par les jurés bénévoles (au nombre de 500, cette année) et de faire traiter par un ordinateur la masse d'informations contenues dans ces fiches.
Critique et opinion
Une partie de l'assistance, concernée uniquement par l'aspect d'avant~ garde de Sigma, manifesta bruyamment son mécontentement de voir analyser si longuement un ouvrage apparemment aussi dénué, pour 1ui, d'intérêt. Il eût mieux valu sans doute profiter de l'occasion pour chercher à savoir comment concilier le goût d'un public de masse, porté vers Castillou, et les techniques d'avant-garde dont Sigma offrait tant d'exemples - notamment deux expositions au musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
Tel aurait pu être le terrain d'entente. Il semble que nul ne s'en soit soucié, ce qui ne signifie pas que le problème ne sera pas abordé l'an prochain si l'on tire la leçon de l'impasse à laquelle cette soirée a abouti, ce qui n'est d'ailleurs pas sans intérêt ni signification.
Pourtant, le terrain aurait dû être préparé par le colloque qui, depuis la veille, groupait autour de la même table des critiques littéraires, de toutes tendances et de tous ordres, ainsi que des auteurs et des directeurs Iitté- ' raires, certains des participants réunissant d'ailleurs pluSieurs de ces titres.
Le colloque avait été, au départ, fort bien introduit par Robert Escarpit avec un document sur « les silences de la
.çritique " établissant que sur 1830 livres parus en avril et mai 1966, 320 seulement avaient été mentionnés par quatre ' grands hebdomadaires tenus pour suffisamment représentatifs de la vie littéraire.
Un malentendu
Or, pendant la discussion - trois. longues séances - au cours de la-. quelle Robert Kanters et Pierre de ' Boisdeffre devaient prendre la défense de la « critique d'humeur ", Robert Sabatier indiquer comment la critique s'adresse autant à l'auteur qu'au public, et Pierre-Henri Simon brosser un tableau de l'histoire de la critique, nul ne semblait s'attendre à la · vague de protestations venue du public et de certains partiCipants de Sigma Il, qui se mirent à évoquer Roland Barthes avec véhémence et s'apprêtaient à le réclamer sur l'ai r des lampions au moment où s'achevait la séance.
La « nouvelle critique " n'avait évidemment rien à voir là-dedans. Encore eût-on peut-être dû lui accorder une place dans le Sigma, en marge du colloque. Car, là encore, le malentendu était patent entre ceux qui n'étaient intéressés que par les recherches nouvelles et ceux qui se préoccupaient d'analyser certains aspects de la so"CIété face aux arts.
Marc Saporta
Tei était le thème du colloque international qui s'est tenu du 18 au 21 octobre à l'université John Hopkins, à Baltimore. Ce colloque, organisé par René Girard, professeur de littérature fnmçaise à Baltimore, avait pour but, plus particulièrement, de présenter au publie américain l'état actuel, en France, des recherches qui relient la littérature aux sciences humaines.
Ce thème assez général a déterminé une grande variété des sujets traités. Il est difficile d'en trouver le dénominateur commun, et même d'en indiquer clai rement les principales tendances_ Il reste pOSSible toutefois de diviser les communications suivant leur degré de généralité. Dans le premier groupe se retrouvent alors celles très importantes qui traitent des problèmes généraux de la connaissance: « Les rapports de l'invention littéraire avec toute invention " de Ch. Morazé ; « L'expérience de l 'intériorité et la pensée critique -, de G. Poulet ; « Structure: réalité humaine et concept méthodologique - , de L. Goldmann; et la communication du Dr J. Lacan, intitulée « Of structure as an in-mixing of an otherness prerequisite to any subject whatever -.
Les autres communications étaient consacrées à des problèmes plus concrets et témoignaient d'une certaine communauté d'intérêts parmi les spécialistes venus de sciences très différentes ; communauté que résume bien le terme proposé par R. Barthes pour désigner de telles recherches: la sémio-critique. Les problèmes de la littérature et de sa critique sont devenus aujourd'hui des problèmes de signification. Les principes du structuralisme ne sont plus un objet de querelle mais un point de départ pour des recherches fort variées. ' Le langage est au centre de l'attention non seulement des linguistes mais aussi des ethnologues. des philosophes, des psychanalystes, ou des critiques littéraires
• Cette réunion, précisaient les organisateurs de cette manifestation dans leur programme, doit servir de tribune permanente à la seconde génération littéraire d'après-guerre -.
Il convient de mettre l'accent sur le mot «second», car la première génération, celle de Günter Grass, Uwe Johnson, Peter Weiss etc ... possède déjà ' une tribune, sinon permanente, du moins très efficace dans les eongrès annuels du Groupe 47_ Son organisateur Hans-Werner Richter, a réussi à créer avec ce groupe un club extrêmement puissant, dont les jugements exercent une influence souvent décisive sur les décisions des .éditeurs allemands 1es plus importants. On a vu dans le passé certaines carrières interrompues après une condamnation des critiques de ce groupe qui, tout comme ceux du Forum de Francfort, interviennent immédiatement après la fin de la lecture d'un poème, d'une nouvelle ou d'un extrait de roman pour exprimer leur opinion.
Déjà l'âge des présidents de chacun de ces deux groupes révèle des objectifs différents. Horst Bingel. un jeune poète qui a réussi le tour de force d'organiser cette année pour la première fois le Forum de Francfort a 33 ans, une vingtaine de moins que Hans-Werner Richter_
La plupart des participants appartenaient à la même génération que Bingel qui se défend pourtant énergiquement de vouloir concurrencer le Groupe 47, Certains des fidèles de HansWerner Richter ont, en effet, assisté et même participé aux débats de Francfort. Il reste cependant indénia- '
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966
Le langage à Baltim.ore
• purs ». Dans cette perspective, la rencontre de plusieurs rapporteurs sur un problème proprement linguistique, celui de la personne du verbe, était symptomatique. E. Donato présenta un exposé général de ces problèmes dans un texte intitulé «Modèle linguistique et langages critiques », où il essayait également de retrouver la continuité historique entre le courant d'idées actuel et la pensée des années quarante.
Les propriétés du langage telles que les décrit la linguistique furent à la base de plusieurs communications _ Mais l 'analogie avec la littérature était recherchée à des niveaux divers : entre linguistique et poétique (N. Ruwet) , entre linguistique et littérature (R. Barthes), entre langage et littérature (T. Todorov). Roland Barthes insista sur la parenté entre la démarche des linguistes qui se penchent de plus en plus sur les propriétés du langage, mises en jeu par l'œuvre littéraire, et celle des écrivains modernes dont le propos essentiel se résume à une méditation sur le langage. Pour appuyer son dire, il analysa les notions de temps, personne et voix dans leur réalité littéraire et linguistique: le problème de l'écriture ne sera-t-il pas une transformation du problème linguistique du verbe? N. Ruwet s'éleva contre une assimilation hâtive de la poétique à la linguistique : malgré certains traits communs. la seconde ne pourra jamais se substituer à la première. L'obstacle majeur est le fait que l'objet de la linguistique est l'aptitude de créer incessamment de nl'uveaux énoncés, alors que celui des études littéraires est composé par des textes finis.
Des problèmes plus concrets encore ont été soulevés dans les communications de G_ Rosolato, J.-P. Vernant et J_ Hyppolite, Parlant sur • La voix et le mythe littéraire", le Dr Rosolato a décrit la • voix relative» qui « serait
comme l'indice d 'une serie d'oppositions grâce auxquelles le sujet, par rapport au discours, exerce son mouvement d'effacement et de retour, de battement -. J.-P. Vernant a esquissé une approche de la tragédie grecque, enrichie par les résultats d'une analyse linguistique raffinée du texte , et a soulevé le problème de l' intégration du contexte historique dans la signification interne d'une œuvre. J. Hyppolite a traité, dans son intervention, de la philosophie en tant que type de discours, recherchant, à partir de la préface de la Phénoménologie de l'esprit de Hegel, ses propriétés sémantiques et formelles.
Dans une des dernières communications de ce colloque, Jacques Derrida a su trouver une base commune aux problèmes soulevés par les différentes sciènces humaines, en interrogeant leur rapport envers la philosophie_ Prenant l'exemple- de l'ethnologie et plus particulièrement de Lévi-Strauss, il démontra les limites du prétendu • refus de la philosophie - pratiqué au nom d'un esprit scientifique_ • Le passage au-delà de la philosophie ne consiste pas à tourner la page de la philosophie (ce qui revient le plus souvent à mal philosopher) mais à continuer à lire d'une certaine manière les philosophes [ ... ] Faute de poser expressément ce problème, on se condamne à transformer la prétendue transgression de la philosophie en faute inaperçue à l'intérieur du champ philosophique. - En face de cet empiriSme, Derrida a dessiné l 'éventualité d'une autre réflexion qui consisterait à • questionner systématiquement et rigoureusement l'h i s toi r e de ces concepts" que nous employons. et qui • tente de passer au-delà de l'homme et de l'humanisme - au lieu de chercher dans l'ethnographie l'. inspiratrice d'un nouvel humanisme ».
Les sciences humaines resterontelles toujours humaines?
Tzvetan Todorov
Le Forum de Francfort
ble que les textes lus et les conceptions des participants se distinguent assez profondément des idées de leurs aînés_
Déjà la première génération des écrivains allemands d'après - guerre s'est Signalée par un besoin d'expérimentation qui a eu deux conséquences : d'abord une rupture avec la tradition littéraire allemande et ensuite une reprise de toutes les influences étrangères_ La seconde génération, elle, est carrément obsédée par l'expérimentation_ Les textes lus, à quelques très rares exceptions près, étaient tous à l'extrême pointe de l'avant-garde. Expériences stylistiques ou verbales, parfois même purement grammaticales ont triomphé à ces rencontres.
On pourrait croire que des lectures d'œuvres de ce genre manquent de public_ Erreur: toute une jeunesse passionnée se bousculait pour écouter ces écrivains, discutait les textes, critiquait ou louangeait, mais participait toujours avec un intérêt soutenu_ Chez ces jeunes écrivains on sentait aussi l'influence qui venait d'au-delà des frontières allemandes et c'est certainement Beckett qui a marqué le plus profondément cette génération_ Parmi les critiques on retrol :'.'lIit également les modes internationales: la IInguis· tique et le structuralisme ont fait prime et j'ai été même étonné, à la première discussion à laquelle j'assistai et où une jeune femme en minijupe . et total-look lisait des textes particulièrement difficiles, d'entendre surgir brusquement d~ns la discussion le nom de Saussure,
Ouelques écrivains déjà chevronnés (Erich Fried, l'auteur de La Fille et le Soldat et Werner Heissenbüttel, un des meilleurs poètes allemands d'aujourd'hui) ont fait la liaison entre deux générations_ Des critiques anglais, tchèque et yougoslave ont participé à ces discussions, leur donnant ainsi un caractère international, alors que le Groupe 47 se contente de voyager de Stockholm à New York (et l'année prochaine probablement à Prague), en se limitant à une participation exclusivement allemande.
F, E.
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SÉLECTION DE «LA QUINZAINE»
PoUr Noël • •
. Pour les très • Jeunes ·
De4à6ans
Henri Maik. L'oiseau charmant, charmant Desclée de Brouwer éd., 5 F 70.
Un joyeux petit livre imaginé et illustré par un peintre qui n'a pas pensé aux 10 commandements pédagogiques et a fait ce qui lui plaisait. Les couleurs sont fraîches, la composition des dessins originale.
Ericho Kishida Debout! Mon brave hippopotame Images de Chiyoko Nakatani Coll. Le Père Castor Flammarion éd. 7 F _
Peint avec beaucoup d'air et de couleurs. Les illustrations ne craignent pas les gros plans et portent allègrement un texte elliptique qui au fond n'a pas d'importance.
De 6 à 12 ans
Eva Janokovszky Si j'étais grand Illustrations de Laszlo Réber Flàmmarion éd. 6 F
Cet album, traité comme des dessins d'enfants au crayon de couleur, raconte sur un rythme de dessin animé ce qu'un petit garçon désirerait taire.
John Burningh.am Borka Flammarion éd. lOF
Les aventures d'une oie sans plumes ·racontées avec un humour anglais, une gentillesse anglaise, une poésie anglaise.
Henriette Filloux Cherche ma maison Illustrations de Philippe Thomas L'Ecole des Loisirs éd. 7,80 F
Un album original coupé en deux. Chaque page comprend deux éléments qui sont dispersés dans le livre grâce à' une section horizontale. En bas, un enfant (indien, écossais, etc.) en haut une maison : il s'agit de trouver la maison qui corresponde. Le texte aide à trouver la solution.
Laurent de Brunhoff Bonhomme Hachette éd. 8 F
Un nouveau ·personnage tout rond et gentil créé par l'auteur des Babar.
26
Une illustration de J ean-J acques Cor;es pour Cl Le chat et le Diable » de James Joyce.
Jean Merrien J anig le mousse Illustrations de Marie Wabbes L'Ecole de Loisirs éd. 5,10 F
Jean M errien, le spécialiste des histoires de mer, imagine qu'un petit mousse à bord de L'Heureuse sur
De 6 à 10 ans
Laurent de Brunhoff Je parle anglais avec Babar Je parle espagnol avec Babar Je parle allemand avec Babar Hachette éd. 7,50 F
Comment apprendre les langues en jouant.
Sir Chrysostome Le bricolage est un jeu ' d'enfant Dessins de Michel Oliver Coll. Jeux d'enfant Plon éd. 25 F
Un nouveau « faites-le-vous-mêmec'est-si-facile » illustré à la 'diable et amusant comme d'habitude.
Miroslav Sasek La Grèce Coll. Les Sasek Casterman éd. 13,50 F
Sasek, le peintre-humoriste-voyageur s'attaque cette fois à un enorme sujet. L'atmosphère est forcément plus « culturelle», mais dès
, que Sasek oublie les ruines et , les grands points de vue, il est toujours aussi drôle, vif et ironique.
la mer de Guinée en 1696, écrit sa A pàrtir de la 6-vie au jour le jour.
James Joyce Le chat et le diable Gallimard éd.
Le 10 août 1936 James Joyce écrivit à son petit-fils la légende du pont de Beaugency construit par le Diable en une nuit.
Séries
Filles de 6 à 8 ans
Maud Frère Le Journal de Véronique Illustré par Nadine Forster Volume VIl : La mer Volume III : Noël Tisné éd. 8,40 F
V éronique est une petite fille bavarde qui raconte ses joies et ses déceptions, ses farces et ses disputes. Le texte de Maud Frère est agréablement désinvolte, direct, vif.
Filles et garçons, de 4 à 9 ans
Laurent de Brunhoff Les Babar Babar à N ew York Hachette éd. 7,50 F
Le roi des éléphants fait un voyage aux U.S.A.
Astérix chez les Bretons Texte de R. Goscinny Dessins de A. Uderzo Coll. Astérix Dargaud éd. 6,90 F
Un esprit de potache chauvin, astucieux et de bonne humeur qui enchante la majorité de la population française - sauf quelques incorruptibles ... Il y a un phénomène Asterix comme il y a eu un phénomène Bardot. Cette fois nos Gaulois traversent la Manche.
Curiosité satisfaite
Filles et garçons, de "1 à 13 ans
M. Elting Pourquoi? Comment? Illustrations de T. Mauricke RST éd., 17,50 F
Pourquoi l'araignée ne se prendelle pas dans sa propre toile? Pourquoi éternuons-nous ? etc. etc. une suite de questions innombrables et des réponses claires, nettes qui satisfont les enfants. Les illustrations très « livre de classe » sont volontiers oubliées car le texte est très divertissant.
A partir de 12 ans
J.B. Snell Premiers chemins de fer
Vesey Norman Armes et armures Coll. Plaisir des images Hachette 20 F
Le titre de la coll~ction est bien choisi, les illustrations parlent toutes seules. Le lecteur les feuillette avec joie. Le texte précis est très sérieux.
A partir de 14 ans
L'ère des armes secrètes avec une introduction de Pierre Boulle
Les hommes sans pesanteur avec un exposé d'Albert Ducrocq et une conclusion de Wernher von Braun. Coll. les Dossiers « Espace » Casterman éd., 13,50 F
Les textes sont allégés par des anecdotes, des dialogues. Le sérieux règRé mais jamais l'ennuyeux. Quant aux illustrations elles sont « d'actualité ».
. ~ .
J ay Williams et Denise Meunier Léonard de Vinci RST éd., 17,50 F
Pas vraiment une biographie et pas du tout un livre d'art, ce volume apporte une suite d'anecdotes historiques, artistiques ou scientifiques qui cernent non seulement le talent de Léonard de Vinci mais le replace dans son époque.
M.D . . Poinsenet Jésus Illustrations tirées de l'œuvre de Fra Angelico Desclée de Brouwer, 19,50 F
La vie de Jésus est racontée d'une manière intelligente et simple, et merveilleusement illustrée par des reproductions extraites de l'œuvre de Fra Angelico.
Yves-Louis Pinaud Pratique de la voile Arthaud éd. 34,50 F
Tout! sur la technique de la voile! Les descriptions et les conseüs sont d'une grande précision, les schémas éclairent les débutants, et les photos de voile sentent l'air marin.
Les oollections
Karen Calissen Minéraux et roches photos coul. de Folke Johansson Nathan éd. 9,90 F
livres d'enfants
Une illustration de Michel Siméon pour « lames et la grosse pêche )) de Roalh Dahl.
Frantz Peter Mohres Le monde sous-marin Coll. couleurs de la nature Hatier éd. 15~50 F
Les naturalistes en herbe sont comblés par ces petits volumes frais, attrayants et intéressants.
Les diotionnaires
Jacques Baril Dictionnaire de danse
Roland de Candé Dictionnaire de musique
Roland de Candé Dictionnaire des mus~clens
Georges Sadoul Dictionnaire des films Coll. Microscome Le Seuil éd. 9,50 F
Ces volumes d'un format de poche, très faciles à feuilleter, sont très utiles. On a envie de les lire du début jusqu'à la fin, comme un roman.
Romans
De 8 à 12 ans
Comtesse de Ségur Le Général Dourakine Pauvre Blaise J.J. Pauvert éd. 16,50 F
Les volumes sont reliés en soie rouge avec des fer.., romantiques, le papier est bien blanc et les illustrations de l'édition originale rappellent de vieux souvenirs. Ce sont de très beaux livres-bibelots raffinés et agréablement désuets.
La ({ Bibliothèque Blanche » : de vrais écrivains donnent aux enfants l'habitude et le goût de lire. Les histoires poétiques amusantes ont · toujours le charme de l'inattendu. L'atmosphère de la collection est ({ littéraire ». La présentation très soignée.
Roalh Dahl James et la grosse pêche Illustré par Michel Siméon Gallimard, 10 F
L'auteur de Bizarre! Bizarre! Ter conte le merveilleux voyage d'un petit garçon et de ses amis les insectes qui traversent l'océan à bord d'une énorme pêche. L'humour insolite de . Roalh Dahl convient fort bien à ce monde mi-réel miimaginaire. Les dessins sont agréablement surréalistes.
Yvonne Escoula Contes de la Ventourlère Illustrée par Tibor Ssemus Gallimard éd. 10 F
Les chats bretons ont le pied marin, les rouges gorges sans plastron peuvent être pris pour des souris et les perroquets répondre au nom de Minet. Tout cela est normal lorsque y vonne Escoula l'écrit de son ton tranquille et parfaitement naturel.
Erich Kastner Le petit homme Illustré par Horst Lemke Gallimard éd. 10 F
L'auteur de Emile et les détectives a imaginé un nouveau. Tom Pouce, magicien jeune et inventif: bien que son lit soit une boîte d'allumettes il devient une vedette internationale.
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966
• • • • • • • • • • •
De 13 à 16 ans • • •
La ({ Collection Plein' Vent » :. pour les enfants (surtout les gar- • çons) qui ne savent jamais quoi· lire en dehors , des classiques, celte : collection d'aventures est parfaite. •
Anthony Fon Eisen Le Prince d'Omeya Laffont éd., 10 F
• • • • • • • En Syrie au XVIIIe, un prince.
doit fuir dans le désert mais il est • monté sur la plus belle jument du • monde. Leurs aventures racontées • avec une grande sensibilité et juste : ce qu'il faut d'exotisme se lisent • d'une traite. ' •
Ian Cameron Le cimetière des cachalots Laffont éd. 10 F.
• • • • • • •
Selon le folklore Eskimo toutes les • baleines vont mourir dans le même · · lieu sinistre appelé les Bouches de • l'Enfer... mais les ' chasseurs à la : volonté inébranlable ne sont pas • arrêtés par des superstitions... Un. récit bien mené jusqu'à la dernière • page, car les émotions des persan· • nages renforcent les tlangers. • • • •
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Les « Jeunes Bibliophiles » : Une: collection de très beaux volumes. pour ceux qui ont déjà le respect et • l'amour des livres. Les couvertures • attirantes et luxueuses, le papier· bien épÜis, la typographie claire, et : . les illustrations nombreuses sont. bien adoptées à chaque volume. •
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.. • • • 22 F •
• Les nombreuses illustrations en. noir et en couleu~s forment à elles • seules toute une documentation sur • l'Art Egyptien. :
Gérald Durrell Féeries dans l'île Gautier-Languereau éd., 22 F
• • • • • • • Le frère de Lawrence Durrell se.
souvient avec bonheur des cinq all- • nées qu'il a passées dès l'âge cIe· dix ans dans l'île de Corfou avec • une famille follement encombrall-: te au milieu des animaux les plus. divers. •
Marie-Claude de Brunho" • •
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'"GENS DE JUSTICE texte de Julien Cain
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SERGE LIDO
Serge Lido .Préface de Georges Auric de l'Opéra de Paris 20 illustrations 54 F
'" l' ,PAYS ;;.: ............ ~;=~? ~BASQUE par Francis Amunatagui
L'ILE DE FRANCE par Jacques Perret
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NUBIE splendeur sauvée texte de Max-Pol Fouchet
NAQUANE VAL CAMON ICA découverte d'une civilisation
texte de Claude Roy
chaque vol. 260 p. 160 illustrations noir et couleurs 49,35 F
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PARIS
On se demande ce que serait la vie musicale de Paris sans l'existence du Domaine musical. En premier lieu, ses concerts ont le grand mérite d'avoir fait connaître au public parisien les musiciens de l'Ecole de Vienne qui sont à la source de la cc musique nouvelle ». Arnold Schoenberg, Alban Berg et Anton Webern ne sont plus de simples noms. L'univers sonore propre à chacun d'eux, leur langage musical spécifique, leurs ressemblances et leurs différences, tout cela est devenu familier au public du Domaine musical. Chacun a pu, en toute connaissance de cause, selon son tempérament et sa sensibilité, faire son choix. Tel préférera le lyrisme tourmenté de Berg, tel autre l'extrême raffinement sonore à la limite du silence de Webern, tel autre le sérieux tout germanique et un peu lourd de Sèhoenberg. Le Domaine musical a réussi avec persévérance à familiariser l'oreille parisienne, dont on sait la proverbiale légèreté, avec une musique qui n'est jamais légère. Ce n'est pas rien.
Mais il y a plus. C'est grâce à ces concerts que Paris ne fait pas figure de ville de province dans le monde de la musique vivante ; celle d'aujourd'hui, celle qui se fait devant nous, au fil des jours, avec ses audaces et ses naïvetés, ses réussites et ses échecs, ses œuvres véritablement novatrices et celles qui se contentent de suivre la mode. En bref, depuis leur création sous l'impulsion de Pierre Boulez, voici quatorze ans, les concerts du Domaine musical sont, à Paris, le champ d'expérience de la musique
, nouvelle. Le public parisien a appris ainsi à connaître et à apprécier les travaux de ces jeunes musiciens venus de tous les horizons qui se nomment Stockhausen, Luigi Nono, Gilbert Amy, Earle Brown, Penderecki, Luciano Berio, JeanClaude Eloy, Xenakis, Henri Pousseur, Mauricio Kagel, Bussotti, André Boucourechliev, Bruno Maderna, et bien d'autres. ' A force d'écouter leurs œuvres (il n'est pas d'autre connaissance d'une musique nouvelle pour le public que celle qui naît de l'accoutumance, de la répétition), il s'est habitué peu à peu non seulement à une musique mais à des musiques qui avaient de quoi le dérouter, dans ses façons de sentir, de penser, d'écouter; des musiques qui ne sont pas loin d'opérer un bouleversement total de la conception musicale, et qui proposent à l'auditeur des structures dont la complexité et la variété n'ont d 'égal que la nouveauté.
« Il semble que la génération actuelle puisse prendre congé de ses prédécesseurs», écrivait Pierre Boule'll non sans raison. Et, plus loin, dans le même article: cc Eliminer quelques préjugés sur un Ordre naturel, repenser les notions acoustiques à partir d'expériences
%8
Boulez au Dlusical plus récentes, envisager les problèmes posés par l'électro-acoustique et les techniques électroniques, telle est la démarche qui s'impose maintenant ».
Un nouvel aménagement de l'espace musical, totalement réévalué, un temps musical nouveau, totalement libre, disponible telles sont les deux caractéristiques essentielles de l'expression musicale actuelle. En outre, il faut remarquer que depuis une dizaine. d'années l'œuvre musicale a cessé d'être un système sonore clos, fermé sur lui-même. Elle n'est plus une forme achevée, une fois pour toutes, mais un (c réseau de possibles », qui se modifient sans cesse. L'œuvre ouverte accueille l'aléatoire, le hasard.
(c L'univers de la mus i que aujourd'hui, écrit Boulez, est un univers relatif; j'entends: où les relations structurelles ne sont pas
Pierre Boulez
définies une fois pour toutes selon des critères absolus; elles s'organisent, au contraire, selon des schémas variants. »
Le dernier concert du Domaine musical offrait deux œuvres -très différentes l'une de l'autre -où s'incarnent parfaitement ces tendances.
Les Zeitmasze (mesures de temps), de Karlheinz Stockhausen, pour flûte, hautbois, cor anglais, clarinette et basson qui datent de 1955-56, sont une œuvre à « forme variable ». Chacun des cinq instrumentistes a sa (c mesure de temps » - un tempo « aussi vite que possible », un autre « aussi lent que possible », un tempo «rallentando»
DODlaine
ou (c accelerando». Toutes ces c( mesures de temps» - qui sont fonction des capacités de l'instrument et de celui qui en joue - ' se juxtaposent, se superposent avec la plus grande indépendance à l'égard du chef qui dirige les exécutants.
Eclat, de Pierre Boulez, est écrite pour quinze instruments: neuf instruments à clavier ou à percussion, , C( instrument, dont le son n'est plus modifié après l'attaque », plus deux cordes, deux cuivres et deux vents. Le chef d'orchestre joue de ces instruD1ents comme d'un clavier. Par des signes de la main, il traduit sa volonté de l'instant aux exécutants - signes qui déterminent les uns l'ordre cyclique de certaines figures, les autres les 'départs, les troisièmes les tempo, les intensités. Cette sorte de jonglerie correspond à une complète liberté rythmique, traduit une libre durée sonore. Comme le confiait Boulez à Martine Cadieu dans les Nouvelles littéraires, « il y a une notion particulière du temps dans Eclat: des moments d'action et des moments de contemplation se succèdent». C'est ainsi que toute la première partie de l'œuvre est parsemée de points d'orgue, de points d'arrêt. Boulez dit encore: « Je distends, en dirigeant, ou je raccourcis, les signes sont ou très rapprochés ou très écartés. C'est une conception du temps non directionnelle: on ne va pas vers un but, on vit dans l'instant comprimé. /'ai voulu créer une « poétique de l'instant. »
Cette C( poétique de l'instant » le compositeur ne l'a pas créée seulement par le sentiment de la durée, mais par l'extraordinaire raffinement de la substance sonore, par l'extrême mobilité de la couleur et la 'subtilité complexe des combinaisons de timbres. D'une grande concision ( elle ne dure pas plus d'une huitaine de minutes) l'œuvre fascine véritablement l'auditeur. Elle est comme un bel objet qui brille de mille feux subtils et chatoyants. Elle frappe par sa richesse, la tension secrète qui la soutient et la vitalité qui l'anime : il ne s'agit pas d'un jeu raffiné et gratuit de ,sonorités. Elle n'est pas sans nuire aux Zeitmasse de Stockhausen qui la précédaient - œuvre, certes, de grande virtuosité, mais dont l'austérité n'évite pas toujours un aspect quelque peu démonstratif. On se dit en l'écoutant que son auteur est bien de la même race qu'un Paul Hindemith, comme on 1
se dit en écoutant Eclat que Boulez est le digne descendant de Debussy - et pas seulement par la sensualité sonore de sa musique; Une perpétuelle invention, une vérité absolue, une constante audace à l'intérieur d'une exigence formelle intransigeante - telle était la leçon de Debussy, tels sont les préceptes que Boulez met en action.
Henri Hell
« Si l'Anarchie au XIX' siècle a été mise en échec, c: est parce que les anarchistes ne disposaient ni des moyens ni des solutions pratiques pour arriver à leurs fins. Aujourd'hui, nous disposons ou nous devrions disposer des moyens et de la technologie nécessaires pour mettre en pratique l'Anarchie, pour vivre sans être gouvernés. L'économie doit redevenir naturelle, c'est-à-dire non financière. Les puissances possédantes deviennent de plus en plus écœurantes. Voyez le Vietnam, c'est indéfendable. »
Ainsi parle, d'une voix très douce, un homme souriant, celui pour qui l'Anarchie est un mode de pensée, une manière d'être : John Cage. L'influence de cet homme rayonne avec intensité sur la musique et l'art actuels, elle s'exerce en profondeur sur la culture parallèle, que ce soit à Tokyo, à Buenos Aires, à New York, à Nice, à Stockholm, à Prague ou à Paris. MacLuhan, à coup sûr, s'est inspiré de Cage et vice versa, d'ailleurs. Cage ne cherche cependant pas à conyaincre, ni à s'imposer -:- il se contente de rayonner.
Il regarde par la fenêtre, il rit en fermant les yeux, il émet des signes clairs, audibles, dans un code très simple. Il ne dédaigne pas d'enseigner, au contraire, mais par des méthodes qui réinventent l'idée d'enseignement. Il retraMlllet ce qui lui a été transmis, c'est tout. Son passage vers 1952 au Black Mountain College a provoqué une mutation - dans le sens de l'ouverture de l'œuvre à la c0-
opération créateur-public - qui n'a pas fini d'affecter la musique, la littérature, la peinture, et ce qu'on a plus tard appelé le happening. Dans sa classe de la New School for Social Research, il se borna à discuter de son travail avec ses élèves (qui allaient devenir les forces vives de l'avant-garde newyorkaise). Ils discutaient ensuite de leur propre travail, pour faire connaissance. Son cours, en fait, consista uniquement en travaux pratiques. Les « élèves» réalisaient en classe des concerts et Cage, dans son rôle de « Maître », stimulait leurs recherches èt leurs expérimentations sans', jamais leur imposer ses Vues, ni sa direction. Il apportait à la musique un nouvel état d'esprit : l'indéterminé . .
La voie qu'il ouvrait allait transformer peu à peu l'arrière-monde, inexploré, sauvage, de l'Art (avec un grand A) en un monde nouveau que notre génération allait pouvoir défricher et habiter. Il est de cette lignée - Satie, Schwitters, Picabia, Duchamp, Artaud - qui a repoussé les frontières, les limites de l'activité créatrice, beaucoup trop loin disent ses adversaires. Un disciple, Dick Higgins, du groupe Fluxus, composa une pièce ' intitulée Danger Music où l'on coupe les cheveux de l'auteur. Un critique outré vocifère: ([ En quoi est-ce de la musiquc? li et Higgins de répondre: «; C'est audiblé, donc c'est
John Cage entouré de • vIte "nus,
de la musLque. » Cage approuve sans réserve.
D'après lui, contrairement à la légende, Marcel Duchamp n'a jamais cessé de travailler. « Ce qu'il fait, ce qu'il vit, voilà son œuvre. On a simplement tardé à prendre conscience de ce qu'il la continuait sans pinceaux, ni tubes, ni toiles. » Quant au concert, Cage pense qu'il est partout, dès que la perception est branchée. L'accent est rus sur la perception plutôt que 'sur la conception ou la production. A ses yeux, à ses oreilles, le concert est une célébration inutile; cela ne l'empêche pas de continuer à en faire, pour voir, pour entendre ce qui arrivera. Cette contradiction lui rappelle une histoire qu'il a lue dans Suzuki. Une femme, un seau à la main, s'approche d':un puits. Elle s'aperçoit qu'un superbe massif de belles de nuit en obture l'orifice. Pour ne pas déranger les fleurs, elle renonce à puiser de l'eau et rentre chez elle écrire un poème. Suzuki ajoute que c'est le fait d'écrire qui la fit passer à côté de l'illumination. Le poème a tout gâché en essayant de signifier (de se substituer à) l'événement.
Cage me parle de son souci d'engager l'auditeur dans sa musique au lieu de lui fournir un « produit » tout fait, achevé. Il est pour le do it yourself. Je lui raconte que la veille, au Théâtre de France, j'avais assisté à une représentation des Paravents. En dépit d'une mise en scène solide, du talent considérable de quelques interprètes, du texte souvent beau, ce n'eût été pour moi qu'une bonne soirée - avec tout ce que cela comporte d'édulcoré, de conventionnel, par rapport à la légalité culturelle si la représentation n'avait été interrompue " par cer· tains spectateurs sortis de leur inertie. Non que j'éprouve la moindre sympathie pour les boy scouts de la Décence qui piquent une crise fasciste lorsque, sur scène, quelqu'un parle de bander ou de mourir en chiant - Genet moins que quiconque n'a de leçon à 'recevoir des minus de l'Occident chrétien qui, au fond, entérinent simplement l'Ordre moral de France-Dimanche et de la Télévision d'Etat - mais, en tant que phénomène dramatique, cette participation du public apportait à la pièce" une dimension qui lui faisait défaut : celle de l'échange et du danger réel. Hélas! une fois les pétards éteints, les sacs de farine lancés, le public regagne ses places numérot~es et la pièce repart « normalement », dans la continuité et la direction prévues, comme si rien ne s'était passé. Le « bon sens » théâtral , reprend le dessus. Genet l'a senti puisqu'il écrit à Roger Blin : « Le jeu des " interprètes est à la ré(J,lité militaire ce que leurs bombes fumigènes sont à la réalité du napalm. » La grandeur de Genet réside tout de même dans le début d'incendie qu'il" a provoqué dans les esprits.
John Cage, au contraire, s'est
toujours méfié des structures qui court-circuitent d'avance toute participation de l'auditoire. Il pense que le théâtre des opérations doit rester ouvert pour que les spectateurs puissent transgresser l'interdit qui les isole, les retient et les fige. Il les a souvent invités à bouger, mentalement et physiquement, avec ce résultat que, à l'un de ses concerts à l'université de Rochester, ils ont bel et bien pris possession des lieux. Alors qu'il jouait un morceau d'Ichianagy avec David Tudor et deux musiciens canadiens, des spectateurs affublés de costumes extravagants (volés dans un magasin) s'étaient mis à vendre des bonbons, à manger et à boire dans la salle. Du balcon, on déversa des morceaux de papier et tout cela était dirigé par quelqu'un qui était monté à la place du chef d'orchestre. « Soudain, dit Cage, la scène était prise d'assaut par la foule. Quelques personnes âgées, venues écouter un concert normal, repartaient furieuses.» Cage, ce-
John Cage
pendant, était radieux et, en le disant, il éclate de rire. « Les manifestants n'étaient pas contre la musique. Pour eux le concert était un panty-raid1 ! Pareillement, lors du récent happening du festival de Cassis, la foùle a bousculé les règles et les contraintes pour se jeter littéralement à l'eau, dans le port, et attraper le Serpent du Loch Ness. A Rochester, les spectateurs avaient investi le cercle magique et joué à être Cage. Celui-ci ne considère pourtant pas la musique comme un jeu infernal. Il opte pour le maintien de certaines règles dictées par des impératifs techniques et une permanente exigence de qualité dans l'exécution. Il a horreur du bâclé.
La danse le faséine. Il la voit liée à la mort, à la destruction, au
La Quinzaine littéraire, 1·" au 15 décembre 1966
corps humain. La finitude de la danse contraste avec l'infinitude de la musique. Depui~ quelques années, il est directeur musical de la compagnie Merce Cunningham, venue à Paris pour le IVe festival international de Danse. Du 9 au Il novembre on a pu assister à quatre spectacles épurés, désormais classiques en regard de l'avantgarde actuelle, mais qui, dans le contexte de ce festival académique, ont dû paraître plutôt audacieux.
En quoi consiste la partition que Cage a composée pour Variations V ? D'abord, il a voulu que ce soit le mouvement même des danseurs qui provoque la musique. Des antennes sont placées sur scène de manière à capter les mouvements et déclencher des émissions de sons. Aussi, seize yeux photo-électriques balayent la scène et, lorsqu'un dangeur interrompt un faisceau, cela déclenche d'autres émissions. Des radios, un circuit de télévision, toutes sortes de projections de films et de diapositives
sont utilisées - créant dans l'esprit de ceux qui s'ouvrent à l'expérience, un phénomène de dissociation - ainsi que des enregistrements sur bande, The Williams Mix des cigales et des oiseaux de SaintPaul-de-Vence, quarante-huit heures d'eau coulant d'un robinet défectueux, dont Cage dit que la sonorité est semblable à des instruments de percussion indiens sans cesser "d'être l'enregistrement d'un événement naturel, non intentionné. Variations V, ,ce collage déroutant, déboussolant, de matériaux et de techniques qui s'inscrit dans le courant le ' plus subversif de l'art actuel a été composé surtout au téléphone selon ce que l'auteur obtenait de ceux à qui il demandait de l'aide. La partition, publiée, a déjà été jouée par d'autres. Pour
l'écrire, il a entrepris une opération de hasard littéraire à partir du y Ching, le grand livre de divina· tion. Les réponses du Y Ching lui ont donné la matière et la structure de son texte. Notons que pendant une autre danse, H ow to pass, kick, fall and run, Cage lit au hasard et à haute voix des passages de son livre, Silence"2. Collision ou collage? Cela dépend du regardeurauditeur.
Pour Winterbranch, il a choisi Sounds de Lamonte Young. 11 s'agit de la friction du verre sur du métal et de la friction du bois sur du métal, amplifiées au maxi~um. Cage regrette qu'encore peu de gens ' passent le cap de la perception, au-delà de l'indignation et de l'agacement. Et pourtant, Win- ' terbranch est l'eXpérience sensorielle par excellence. Les danseurs - abstractions indéchiffrables se meuvent dans un imposant volume de silence. Des spots de scène, des projecteurs mobiles, des lumières de salle s'allument et se taisent un peu partout. On remarque la sonorité des lumières et on devient sensible à leurs phrases, à leurs tons, intensités et directions. Ce n'est que lorsque la musique inouïe de Lamonte Young commence, à mi-chemin de Winterbranch, de tout casser qu'on prend conscience du silence que les lumières viennent de déchirer, de rendre audible et visible. Catapultés de l'autre côté de la « danse », de la « musique », de nos habitudes perceptuelles, de nos réflexes conditionnés, nous ne sommes plus au théâtre mais sur les lieux d'un terrible accident psychique dont la lecture, pleinement intensive, met à contribution tous nos sens, tous nos fluides, toutes nos possibilités de captage. Je suis sûr que nous aurons été beaucoup à avoir vécu Winterbranch comme l'initiation à une nouvelle « réalité ».
Pour Place, Cage a adopté une partition de Gordon Mumma, intitulée Mesa. David Tudor y joue une sorte d'accordéon électronique. Bien entendu, le compositeur ne l'a pas écrite à partir de la chorégraphie de Cunningham, il s'agit d'une rencontre de hasard. Cage joue lui-même du piano dans N octurnes d'Erik Satie. Mal, prétendil en ri'ant. Comme Satie eût apprécié cet interprète !
Tout à coup il bondit vers la porte et avant de disparaître me dit d'une voix parfaitement calme : « Nous passons de l'ère de la continuité à celle de la flexibilité. »
lean-Jacques Lebel
1. Rite annuel célébré dans les Campus, au cours duquel les étudiants envahis· sent les bâtiments des étudiantes pour y dérober sur leurs personnes le plus possi· ble de sous-vêtements. Ensuite, ils les revêtent. 2. A Paris, malgré le ronron mondain et fatigué qui couvre de plus en plus les signes de révolte et de renouvellement, se trouvera·t·il tout de même quelques esprits pour accueillir èomme une très bonne nouvelle l'édition française de Silence que Maurice Nadeau nous annonce?
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Succès de N ovem'bre
SUCCÈS
A. Maurois J.P. Chabrol D. Lapierre C. Paysan Goscinny-Uderzo T. Capote P. Bodin G. Cesbron J. Cabanis S. Japrisot
DE VENTE
Lette à un jeune homme La gueuse Paris brûle-t-il ? L.es feux de la Chandeleur Astérix chez les Bretons De sang froid Une jeune femme C'est Mozart qu'on assassine La bataille de Toulouse La dam'e dans l'auto
SUCCÈS DE CRITIQUE
D'après les articles publiés dans les principaux quotidiens et hebdomadaires parisiens.
E. Charles-Roux J. Cabanis B. Parain M. Bataille P.A. Lesort M. Random F.A. Burguet J. Forton G. Lemercier D. Boulanger
Oublier Palerme La bataille de Toulouse France marchande d'églises La ville des fous Vie de Guillaume Périer Les puissances du dedans Le protégé Les sables mouvants Dialogues avec Dieu Les Portes
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Grasset Gallimard Gallimard Laffont Seuil Denoël Gallimard Gallimard Grasset Laffont
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LA QUINZAINE L ITT tRAIRE V OUS RECOMM A NDE
Romans français
P ierre BourgeJ osé Cabanis J .-Cl. Hémery Suzanne Prou Maurice Roche
Romans étrangers
Max Frisch William Golding Peter Hiirtling Philippe Roth
Poésie
Les Immortelles La Bataille de Toulouse Curriculum vitae Les Patapharis Compact
Le Désert des miroirs La Nef Niembsch Laisser courir
Eugenio Montale Poésies, 3 vol.
Essais
George Painter
Essais sur l'A rt
W . Fraenger
Théâtre
Marcel Proust Les années de maturité
Le royaume millénaire de Jérôme Bosch
Slavomi,r Mr.ozek T héâtre
Correspondance
S. Freud Correspondance 1873-1939
Gallimard GaUimard Denoël Calmann-Lévy Le Seuil
Gallimard Gallimard Le Seuil Gallimard
Gallimard
Mercure de France
Denoël'
Albin Michel
Gallimard
QUINZE JOURS
Voici novembre . Les arbres perdent leurs dernières feuilles . Les mar
, chands de chrysanthèmes se lavent les dents. Les morts vont avoir de la visite.
J'avais sept ans. Ma mère m'habillait en catafalque, et hop! sur les tombes . J'adorais ça. Poincaré riait dans les cimetières;' j'y pleurais. Ma famille dispersait ses larmes sur plusieurs tombes. Je pleurais, moi, sur la , seule tombe de mon grandpère. Elle était à droite, un ·péu à l'écart mais elle me fascinait plus qu"aucune autre, à eause de l'in~-\ '" cription extraordinaire qui s'y '-trouvait gravée, au beau milieu, en lettres capitales, dorées, biseautées, de , cinq centimètres:
PIERRE BOURGEADE 1874-1925
Homonyme à moi? ... Ou synonyme ? ... Ou même, peut-être ... ? Je n 'ai jamais pu en décider. Le mystère, pourtant, glaçait mes os. J'en oubliais de pleurer. Ma mère, voyant que je ne pleurais pas, décidait que je ne priais pas et, passant derrière moi pour aller déposer quelques larmes sur ma grand-mère_ elle me donnait une chiquenaude sur l'oreille, en me disant: «Prie.» Je priais. (Je ne prie plus.)
A ces rites touchants, mais monotones, la proximité du superbe caveau de la
FAMILLE DURAND-RIDEL
apportait quelque distraction. En effet, ma mère, essuyant enfin ses beaux yeux noirs, venait m'arracher à ma stagnation réparatrice , et me conduisait à une dame, en voiles de deuil, dont je pressentais vaguement la beauté, qui tendait vers moi une main 'étroite, gantée, odorante. «Dis bonjour à Madame Durand-Ridel. - Bonjour, Madame. - Il est gentil, votre petit garçon », disait Madame DurandRidel d'une voix profonde, que je n'avais pas oubliée quand elle devint ma maîtresse, quinze ans plus tard.
Oui, combien novembre est propre aux rêves! Et combien les Madames Durand-Ridel sont belles, toutes nues, assises sur le coin des tombes, dans l'imagination des élèves de huitième! Qu'elles soient appelées à jouer un grand rôle dans « l'éveil des sens » dont leur a parlé solennellement (quoique à mots couverts) le préfet des études, pour les mettre en garde, dès la rentrée, ils n'en doutent pas une seconde - mais lequel? ... Nul ne les éclaire . L'hiver vient. Des ombres s'étendent sur la terre. Il leur faut apprendre. Puis il leur faudra vivre. Puis, mourir.
7 novembre. C'esL mon anniversaire, et c'est l'anniversaire de la révolution d'Octobre. J'aime cette admirable coïncidence. J'aime le
peuple rusSe . J'aime le cmema. Je vais voir , Octobre, d'Eisenstein.
La critique" on le sait, fait :lil fine bouche devant Octobre. « Film chaotique ... film confus ... », voilà ce que nous lisons partout. Or il est vrai qu'Octobre est chaotique, mais pas plus que la Révolution elle-
·même. Or il ès! vrai qu'Oc~obre (mais pas plus que toute révolution) est un chaos d'images fréné-
Octobre, d'Eisenstein
tiques. Les plus belles sans doute du cinéma. Il faut voir ces bourgeoises hystériques, - capelines, mousselines, dentelles - crever à coups d'ombrelle le visage d'un jeune combattant! Il faut voir ce cheval, tout blanc, accroché aux poutrelles d'un pont par les naseaux, ou ces cheveux de femmes qui glissent sur ce pont, au moment où l'ouvrage métallique se soulève, coupant Saint-Pétersbourg en deux: quartiers populaires d'un côté, quartiers bourgeois de l'autre! On dirait 1'Age d'Or. On sent que l'univers se brise. On s'attend à voir des évêques précipités par les fenêtres, mêlés à des violons tziganes, à des boùteilles de champagne, à des fusils-mitrailleurs, à des cache-corset, et c'est ce qui arrive, avant la fin, lorsque le peuple et la marine s'emparent du Palais d'Hiver. Qu'après la plupart Qe ces images, Eisenstein nous jette à la figure un symbole naïf de ce qu'elles ,peuvent évoquer dans le bas-peuple (l'impérialism~ : une machine qui écrase tout ,sur son passage; la liberté: une femme nue, etc_) n'est pas vain: car l'ouvrier' qui tire, dans la nuit, des éoups de fusil contre le Palais d'Hiver, imagine peut-être la Libel· té sous la forme d'une femme nue et délectable, aux seins purs, qui ouvrira ses bras au peuple. Il faut aller voir Octobre, et le revoir, f>t pleurer en songe~nt aux consternantes niaiseries dont un René Clément, flanqué de « vedettC(s » insubmersibles, a tissé cette fable: Paris brûle-t-i1 ? Il est vrai que le Palais d'Hiver a été pris, mais que ParÏ.3 n'a pas brûlé - ni à l'aller, ni au retour.
Pierre Bourgeade
TOUS LES LIVRES
ROMANS FRA NÇAIS
Samuel Beckett Bing Ed. de Minuit, 17 p. 10 F. Le dernier Beckett.
Marie-Anne Desmarest L'île des sortilèges Denoël , 240 p., 11,30 F. Aventures en NouvelleGuinée.
Robert Giraud La coupure Denoël, 200 p., 10,10 F. Conflit des générations chez les truands.
Anne Philipe Les rendez·vous de la colline Julliard, 188 p. 15 F. Le dialogue d'une mère et de sa fille.
ROMANS ÉTRANGERS
Louis Auchincloss 53' Rue tra·d. de l'américain par Solange de La Baume Plon, 416 p., 18 F. Une peinture de la haute société des Etats-Unis . .
Jacques Hamelink Le règne végétal trad. du néerlandais par M. Buysse Albin Michel, 168 p., 12,34 F. Six nouvelles surréalis· tes.
Jozsef Lengyel Le pain amer trad. du hongrois par Tibor Tardos Les Lettres Nouvelles Denoël, 208 p., 15,40 F. Quatre récits de la vie des camps staliniens.
Alistair Maclean 48 heures de grâce trad. de l'anglais par J. Gavrand Plon, 352 p., 18 F. Aventures dans les mers d'Irlande.
Frédéric Prokosch Les sept sœurs trad. de l'anglais par Marcelle Sibon Stock, 374 p., 19,50 F.
Juan Rulfo Le lIano en flammes trad . de l'espagnol par M. Levi-Provençal Les Lettres Nouvelles Denoël, 212 p., 15,40 F. Voir en p. 13, l'art icle de Jacques Fressard.
Paul André L'écrin des souvenirs Debresse, 87 p., 9 F.
Gabriel Audisio Fables Pierre Belfond, 110 p., 12,30 F.
Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé Gallimard, 138 p., 10 F. Premiers poèmes de Dubillard.
Franck Jotterand Ribemont·Dessaignes Poètes d'aujourd'hui Seghers, 7,10 F.
Claire Laffay Pour tous vivants essai de biologie poétique Debresse, 91 p., 9,90 F.
Charles Le Ouintrec Stances du verbe amour Albin Michel, 136 p., 12,34 F.
Jacques Madaule Marle·Jeanne Durry Poètes d'aujourd'hui Seghers, 7,10 F.
Jean-François Waltz Les pavots et les gerbes Debresse, 103 p., 12 F.
Roland Dubillard La maison d'os Gallimard, 172 p., 10 F. Une des meilleures pièces de ces dernlère~ années.
Slawomir Mrozek Théâtre suivi de En pleine mer, Bertrand. strip-tease adapté du polonais par Claude Roy, Georges Lisowskl, et Thérèse Ozleduszyka Albin Michel. 336 p., 27,66 F. Un grand dramaturge polonais.
G. Ribemont-Dessaignes Théâtre .L'Empereur de Chine .. , • Le serin muet .. , .Le Bourreau du Pérou> Gallimard, 317 p., 18 F.
HISTOIRE LITTÉRAIRE CRITIQUE
Jean V. Alter Les origines de la satire antl·bourgeoise en France Moyen·Age • XVI' siècle Lib . Oroz, 236 p.
G.-A. Astre, A. Bosquet. J. Brown, M. dei Castillo, M. Saporta, etc. Hemingway Hachette, 296 p., 200 i11., dont 8 H.-T. en coul., 40 F. Le témoin, l'homme d'action et le romancier.
Charles-Vincent Aubrun La comédie espagnole (166-1680) P.U.F., 160 p., 16 F. Etude structuraliste et sociologique.
La Quinzaine littéraire, 1" au 15 décembre 1966
Hermann Broch Création littéraire et connaissance trad. de l'allemand par Albert Kohn Gallimard, 378 p., 30 F. Par l'auteur des « Somnambules ..
Robert Couffignal Apollinaire Desclée de Brouwer 144 p., 4,95 F.
Alain Jouffroy Saint·Pol·Roux Mercure de France. 294 p., 24 F. Un grand poète méconnu.
Georges Painter Marcel Proust. T. ri 1904·1922 : Les années de maturité Mercure de France, 518 p., 30,85 F. Voir l'entretien avec George D. Painter, p. 9.
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Jacques Danon Entretiens avec Elise et Marcel Jouhandeau Pierre Belfond, 214 p .. 9,25 F.
lIya Ehrenbourg La nuit tombe trad. du russe par Wladimir Volkoff Gallimard éd. 376 p., 20 F. Mémoires des années ;30.
René Piédelièvre Souvenirs d'un médecin légiste Flammarion, 10 F. Ouelques-unes des plus grandes Instructions criminelles du siècle.
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Hilaire Cuny Werner Heisenberg Seghers, 200 p., 7,10 F. Le père de la mécanique quantique.
Marguerite Gillot Amours en marge La Table Ronde, 208 p., 13.40 F. L 'homosexual ité chez l'homme et la femme.
Roger Judrin Goûts et couleurs Portrait abécédaire Plon, 256 p., 18 F. Ce que révèle la peur des mots.
Robert linssen Spiritualité de la matière ilanète, 208 p., 19,50 F. L'unité fondamentale du monde.
OuYrIIC- pa.W6s ellt:re le 6 et le 10 Ao"e_1are
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René Dumont et Bernard Rosier Nous allons à la famine Seuil, 280 p., 15 F. Un tableau impitoyable
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André Kedros La résistance grecque (1940-1944) Laffont, 544 p., 24,70 F. Le combat d'un peuple pour sa liberté.
Werner Klose Histoire de la jeunesse hitlérienne trad. de l'allemand par J. Barbier Albin Michel éd., 256 p. 18,50 F. Un secteur important de l'histoire du nazisme.
Jean Meynaud Sport et politique Payot, 324 p., 16 F. Relations des Pouvoirs publics et des milieux sportifs.
Gabriella Parca Las Italiennes se confessent Gonthier, 224 p., 12,85 F Un rapport Kinsey à l'italienne.
PHILOSOPH IE
André Amar L'Europe a fait le monde prét. de Th. Maulnier Planète, 202 p. , 17 F. Les moments décisifs de la pensée européenne.
Georges Dum~zil La religion romaine archaïque Payot, 684 p., 50 F. La continuité de l'héritage indo-européen et de la réalité romaine.
Galilée Dialogues et lettres choisies trad. par P.-H . Mlche~ Hermann, 432 p., 24 F. Première traduction française.
Alexandre Koyré Etudes galiléennes Hermann, 344 p., 18 F. Les débuts de la science classique.
Jacques Lacan Ecrits fz-uil, 912 p., 50 F. Toutes les études de Lacan.
Emile Lehouck Fourier, aujourd'hui Dossiers des Lettres Nouvelles. Denoël, 288 p., 15,40 F.
André Malet Le traité théologlcopolitique de Spinoza et la pensée biblique Les Belles Lettres. 318 p.
HUMOUR
Jean Clervers Petit manuel du parfait cardiaque Promotion et Edition, 1-' 8 p. Un humoriste se penché sur • l'infarctus ".
René Goscinny Interludes préf. de Sempé Denoël, 256 p., 10,10 F. La télévision génératrice d'un nouveau genre comique.
RÉÉDITIONS
Adrien Dansette Histoire de la Libération de Paris Fayard, 416 p., 26 F.
Pouchkine Eugène Onéguine, les Récits de Belkin, La Dame de Piqua, la Fille du Capitaine, Boris Goudonov trad. par M. Bayat présenté par G. Haldas Rencontre, 624 p.,
13,55 F. Volume 1 de la série • De Pouchkine à Gorki " .
Georges Sadoul Histoire du cinéma mondial des origines à nos jours Flammarion, 719 p. , 38 F.
POC H E INÉDITS
Michel-Antoine Burnier Les uxistentialistes et la politique Gallimard, Idées. 192 p. 3 F. Sartre et ses amis. 1945-1965.
Fidel Castro Discours de la Révolution Coll. 10/18. Plon éd .• 320 p., 4,50 F.
Jean Cazeneuve Bonheur et civilisation Gallimard, Idées. 200 p. 3 F. Par le successeur de Georges Gurvitch à la chaire de sociologie de la Sorbonne.
Ernst Die:z Histoire de l'Art Islam Payot, 200 p., 6 F. Le dernier tome de l'Histoire de l'Art Payot.
Jean Duvignaud Introduction à la sociologie Gallimard .. Idées. 200 il 3 F. La SOCiologie de
. nos jours.
Pierre Foix La graphologie dans la vie moderne Payot. 180 p., 3,60 F.
Georges Gurvitch Etudes sur les classe* sociales Médiations. Un cours important de Georges Gurvitch.
Pierre Simon Le contrôle des naissances Payot, 300 p., 6 F.
POCHE
Fontenelle Histoire des Oracles et autres textes 10/18, 320 p., 6,60 F.
Karl Jaspers Initiation à la méthoo. philosophique Payot, 160 p. 3,60 F.
Henri Rochefort La lanterne Coll. Libertés Pauvert, 208 p., 3 F.
Léon Trotsky Leur morale et la nôtre Coll. Libertés Pauvert, 144 p., 3 F.
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