Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

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a 3 f Dylan horna John Cage e e UlnZalne littéraire du 1 er au 15 déc. 1970

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Jacques Monod « la hasard et la nécessité » et François Jacob « La logique du vivant » par Jean Choay et Jean-Paul Aron ; critiques des ouvrages “Silence” de John Cage, “La flippeuse” de Philippe Wolff, et “A l’autre bout du monde” de Heather Ross Miller. Ainsi que Jean Ristat, Michel Huriet, Anne Hébert, Jean-louis Arnaud, Philippe Jaccottet, Marc Saporta ; tribune de Dionys Mascolo « contre les idéologies de la mauvaise conscience »

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Dylanhorna

JohnCage

e eUlnZalnelittéraire du 1er au 15 déc. 1970

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SOMMAIRE

3 LE LIVRE DE John Cage Silence par Marcelin Pleynet

LA QUINZAINE

4 Gide au Collège de France

5 Jean Ristat Du coup d'Etat en littérature, suivi par Philippe Sollersd'exemples tirés de la Bible et desauteurs anciens

6 ROMANS FRANÇAIS Paul Werrie La souille par Paul Otchakowsky-LaurensPhilippe Wolff La flippeuse par Anne-Marie de VilaineMichel Huriet Une fille de Manchester par Cella MinartAnne Hébert Kamouraska par Anne Fabre-LuceJean·Louis Arnaud Chacun sa bière par Claude Bonnefoy

9 Philippe Jaccottet Paysages avec figures absentes par Pierre ChappuisLeçonsRilke par lui-même

11 L1TIERATURE Dylan Thomas Œuvres par John MontagueETRANGERE

12 Entretien avec Iwaszkiewicz Propos recueillis par C. B.

13 Marc Saporta Histoire du roman américain par C. B.Heather Ross Miller A l'autre bout du monde par Jacques-Pierre Amette

14 TRIBUNE Contre les idéologies de la mauvaise par Dionys Mascoloconscience

16 SCIENCES Jacques Monod Le hasard et la nécessité par Jean ChoayFrançois Jacob La logique du vivant par Jean-Paul Aron

20 Hélène Michel-Wolfromm Cette chose-là par A.-M. de V.

21 HISTOIRE William L. Shirer La chute de la IIle République par Jean Duvignaud

22 THEATRE Théâtre du Soleil 1789, la Révolution doit s'arrêter par Lucien Attounà la perfection du bonheur

Whitkiewicz La MèreEdward Bond Demain la veille

24 MUSIQUE Boulez au T.N.P. par Anne Rey

25 CINEMA Marin Karmitz Camarades par Louis Seguin

26 EXPOSITIONS Formes et béton par Roger DadounGaleries par Jean-Jacques Lévêque

La QuinzaineIlth·r.url'

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François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph B.-eitbach.

Comité de rédaction :Georges Balandier,Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Dominique Femandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.

Secrétariat de la réclactionet documentationAnne Sarraute.

Courrier littéraire :Adelaide B!asquez.

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Rédaction, administration :43, rue du Temple, Paris (4e)

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Directeur de la publication :François Emanuel.

Impreuion S.I.s.s.Printed in France.

Crédits photographiques

p. 1 Le SeuilD.R.

p. 3 DenoëlDenoël

p. 5 D. R.p. 7 Gallimardp. 8 D. R.p. 9 Gallimard

Le Seuilp. 11 Le Seuilp. 12 Stock

p. 13 Gallimardp. 17 Le Seuilp. 19 Gallimard

p. 20 Gni"ssetp. 23 Martine Franck

p.24 Bemandp. 25 D. R.

·p.27 D. R.

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I.E I.IVRE DE

Cage et la modernité1. ... QUINZ ... INE

La QuinzaIne Uttéralre, du 1er au 15 décembl'e 1970

d'une analyse, que ce n'est pas lelieu de développer ici.

La forme poétique qu'empruntentles sûtra indiens se développe en ef­fet dans une culture dont l'organi­sation relève d'une tout autre « lo­gique» que la nôtre (1) - qu'onvoit par exemple au niveau de lamise ~n place de la langue lessûtra initiaux de la grammaire dePânINI : « Les voyelles â, ai, au,portent le nom de accroissement.Les voyelles a, e, 0, portent le nomde qualification secondaire... » etc.,et on se fera une idée de lacomplexité ainsi mise en jeu. Audemeurant, Cage n'est certainementpas parti sur cette piste, et pourentendre ce qu'il entend donnercomme définition de la poésie encitant cet exemple indien, il suffiten somme de souligner le caractèreirrationnel des éléments «musi·caux» que véhicule le signifiantpoétique. Mallarmé avait déjà, et

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l'édition anglaise et française deSilence, John Cage apporte, d'au­tre part, une précision tout à faitéclairante quant aux déterminationsde son travail de compositeur : « Sije regarde en arrière, je m'aperçoisque le souci de poésie m'accompa­gne depuis longtemps Il. Et Cagene veut pas seulement dire par là,qu'entre dix·huit et vingt et un ansil songea à une carrière littéraire,ou encore qu'il ne cessa en fait ja­mais d'écrire. Les deux tiers del'Avant-propos du livre de ce musi­cien, sont délibérément condition­nés, surdéterminés, si je puis dire,par la poésie : « Quand M.C. Ri­chards m'a demandé pourquoi je nefaisais pas un jour une causerieinstructive classique, ajoutant queje ne saurais rien faire qui choquedavantage, j'ai dit : « le ne faispas ces causeries pour surprendreles gens, mais par besoin de poé­sie. » Finalement, c'est à la poésieque John Cage fait essentiellementréférence non seulement lorsqu'ilentend justifier sa « méthode »,mais encore lorsqu'il entend rendrecompte des divers emprunts cultu­rels sur lesquels cette méthode s'ap­puie : « Selon moi, la poésie n'estpas la· prose purement et simpIe.ment parce que la poésie est d'unemanière ou d'une autre formelle.Elle n'est pas poésie du fait de soncontenu ou de son ambiguïté, maisdu fait qu'elle permet à des élé­ments musicaux (temps, son) des'introduire dans le monde desmots. Ainsi, par tradition, l'infor­mation si lourde soit-elle (les sûtraet shastra de l'Inde par exemple)se transmettait en poésie. Il étaitaisé de saisir cette méthode ».

John Cage précise ainsi l'impor­tance qu'il attache et qu'il fautattacher à des textes comme « Dis­cours sur rien», « Discours surquelque chose », et à l'aide de quel­le discipline il convient de les abor­der. Quoique insuffisamment déve­loppée, la définition que donne lecompositeur de ce qu'il entend parpoésie, n'en est pas moins suffisam­ment claire, pour qu'on puisse lasuivre à l'œuvre dans les textes quinous sont présentés aujourd'hui etdans toute la pratique de Cage.Pour lui la poésie n'est pas réducti­ble au signifié (son contenu), elleest poésie « du fait qu'elle permetà des éléments musicaux de s'intro­duire dans le monde des mots ». Cecaractère « musical» du signifiant(le mot pris comme suite de lettres)rattaché aux sûtra de l'Inde nousentraînerait dans la complexité

discoursetécritspar

la version américaine, et de plus sedistingue de celle-ci par l'additionde trois courtes déclarations surMarcel Duchamp, Jasper Johns etMiro. Quoiqu'il faille regretterl'absence de textes importantscomme par exemple « Compositionas process» (dont ne figure dansl'édition française que la troisièmepartie), le livre publié aujourd'huin'en reproduit pas moins un nom·bre suffisant des essais les plus si­gnificatifs de John Cage pour êtreconsidéré comme représentatif dela complexe démarche théorique dumusicien.

Aussi bien dans les manifesta·tions spectaculaires que dans lesécrits de ce compositeur ce qui sur­prend le plus, et qui est le plus faitpour surprendre, c'est le caractèrejoué, enjoué et quasi enfantin despropositions qui les déterminent.Attitude puérilement avant-gardis.te, gestes provocateurs qui donnentaux fragments d'une démarche peu,mal, voire tout à fait, inconnue, unaspect superficiel et incohérent.Cage sera ainsi connu comme lecréateur du piano préparé, maiscombien sont ceux qui ont entenduA mores (créé à New York en1953)? Cage sera l'inspirateur duhappening, du pop.art, adepte duboudhisme zen, dadaïste, mycologue,tout et rien, n'importe quoi, maisencore? Silence, pour peu qu'ons'y arrête, permet de revenir surles divers aspects de cette activitétapageuse, dont on doit retenir unedéclaration d'intention avant-gar.diste. Déclaration en somme initialedésignant plus particulièrement lechamp à l'intérieur duquel lecompositeur entend inscrire la som­me des textes aujourd'hui réunis etleurs références culturelles.

Dans l'Avant-propos de 1961, à

Mais ces notions elles-mêmesconviennent mal pour définir lapratique de Cage dont l'activitéconsiste précisément à contesterl'existence musicale d'un centre etd'une marge : « il s'agit évidem­ment de placer les choses qu'ons'était proposé de faire en rapportavec les choses alentour qu'on nes'était pas proposées» - « J'ensuis venu à penser qu'on pouvaitapprendre beaucoup sur la musi­que en se consacrant aux champi­gnons ». (( La flore de l'amateur demusique»). On dira donc plus jus­tement que c'est parce qu'il se veutpartout et nulle part que JohnCage occupe dans l'histoire de lamusique d'avant-garde une situa­tion marginale et de premier plan.

De .cette attitude apparemmentparadoxale, que tout au long desa carrière John Cage n'a cessé desystématiser, le recueil de texteset essais Silence répond. C'est celivre que nous devons interrogermaintenant si nous voulons déter­miner dans quelle mesure, commedit Proust : « Les paradoxes d'hierne sont pas devenus les préjugésd'aujourd'hui»; dans quelle me­sure cette avant-garde brillante etbruyante répond de sa propositiond'hier : « Bien entendu c'est uneautre école - ce point de départzéro ». (texte sur Erik Satie, 1958).

Composé de textes choisis dansl'édition .de Silence paru en 1961au ,. M.1.T. Press de Cambridge,Massachussetts, le livre qui paraîtaujourd'hui en français ne repro­duit donc pas dans son intégralité

Dans l'histoire de la musi­que moderne d'avant-garde, lasituation de John Cage est àla fois marginale et de pre­mier plan. Marginale dans lamesure où, systématiquement,le musicien refuse d'envisa­ger la discipline qui est lasienne dans le champ clos desthéories musicales plus oumoins contemporaines; depremier plan par l'influencequ'il a exercé et qu'il exercésur toute une génération dejeunes musiciens comme parexemple S. Bussotti, la MonteYoung, Metzger, certaines piè­ces de Stockhausen.

1John CageSilenceTrad. par Monique FongColl. « Les Lettres Nouvelles»Denoël éd., 184 p.

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~ John Cage

INFORMATIONS

Gide au Collège de Francedéfinitivement marqué ce point :« Son sortilège, à lui (l'art littérai­re), si ce n'est llhérer, 1wrs d'unepoignée de poussière ou réalité sansl'enclore, au livre, mêm.e commetexte, la dispersion volatile soit l'es·prit, qui n'a que faire de rien outrela musicalité de tout» (2). Maisalors que Mallarmé encre cetteCI musicalité» dans la matière mê­me de son travail (dans les lettres),Cage pratique l'opération inverse, ildétache la musiCalité des lettres, quila produisent, et, si je puis dire,l'idéalise : « La musique est-elle ­le mot, j'entends - est-il un son ?Le mot « musique » est-il de la mu­sique? » «( Communication »). Cet­te douhle position, parti pris d'irra­tionnalité poétique, mentalisationde la matière musicale, va conduireCage à une interprétation entière·ment phénoménologique. Décriteen elle-même et pour elle-même, endehors de toute construction concep­tuelle, la musique va se trouver mé·caniquement assimilée à tout ce quis'entend, et si, dès lors, tout estmusique, c'est que tout vaut n'im­porte quoi «( on peut apprendrebeaucoup sur la musique en se con·sacrant aux champignons») et quede toute façon le hasard seul déter­mine l'ordre.

Ce qu'il y a de particulièrementimportant à remarquer chez JohnCage c'est que c'est, d'une certainefaçon, la nouveauté et la radicalitéde sa dé~c~e qui l'entraînent in­consciemment sur le terrain mêmequ'il croit dénoncer. Sa critique dusymbolique, du psychologique, dela rationalité, du sujet enfin, fautede pouvoir. s'incarner dans unescience, a recours à un produit deremplacement susceptible de répon­dre de cette position, de l'extérieur.D'où le recours métaphysique auBouddhisme Zen, tel que D.T. Su­zuki, le maître japonais de Cage, ledéfinit : «Une transmission spé­ciale en dehors des Ecritures. Au·cune dépendance à l'égard de ~ots

et des lettres. Se diriger directementvers l'âme de l'homme. Contem­pler sa propre nature... » (3).

On voit bien comment ces princi­pes répondent de la pratique deCage refoulant la réalité du sup­portmawrieletirrésistibœmente~

traîné vers ce qu'on pourrait appe­ler une sorte d'empirio-mysticisme.Empirisme sensible notamment avecl'emploi mécaniste qu'il fait d'undes plus vieux livres de la Chineancienne le Yi-king ou Livre desmutations. Cage opérant à ce ni­veau7 et pour cause, le même retour-

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nement, la même réduction SpJ.rl­tualiste que celle qu'il opère sur lamatière musicale de la poésie. C'estla voie mystique qui déterminel'emploi d'un livre de signes permu­tables ou mutants (le Yi-king) àdes fins divinatoires - fins qui neprennent en considération que lecontenu symbolique de ces signes(leur interprétation). Dès lors lechamp parcouru par le composi­teur, dans un système dont lacomplète cohérence vient réduire àsa norme spiritualiste tout ce qu'ilenvisage, est complet. Chaque choseest ce qu'elle est et tout est pour lemieux dans le meilleur des mon­des : « J'ai dit, « La musique m'aplu, mais je ne suis pas d'accordavec cette note dans le programmequi dit qu'il y a trop de souffrancedans le monde »" Il m'a dit « Com­ment? Vous trouvez qu'il n'y' en apas assez?» J'ai dit, « Je pensequ'il y en a juste ce qu'il faut. »(Silence, p. 50). Il nous suffit,quant à nous, pour nous y retrou­ver de restituer au Japon ce quiappartient au Japon (le Zen de lacôte ouest), à la Chine ce qui appar­tient à la Chine (le Yi-King), à lapoésie et à la musique ce qui leurappartient (les lettres), et enfin àl'histoire ce qui appartient à l'bis­toire.

Pourtant, qu'on ne s'y trompepas, Silence, quelles que soient lesréserves, et, fondamentales, qu'ilfaut faire à son propos, est un livrequi marque une date dans l'histoi­re de la modernité. Moment ultimedu discours d'une certaine avant·garde, il en donne à lire tous leseffets progressifs (productivité desrapports interdisciplinaires, du pa­radoxe, aussi bien dans son activitéirrationnelle, voire de « rationalité»autre que l'occidentale) et les limi­tes forcément régressives (la confu­sion idéologique; le manque depratique scientifique). Peu de livresaujourd'hui font appel à un champréférentiel ausi vaste que celui dontse réclame le livre de Cage. Il mé­rite non seulement qu'on s'y arrête,mais qu'on y revienne.

Marcelin Pleynet

\1) Voir Linnart MalI, c Une a}>­proche possible du Sunyavada.,Tel Quel n° 32.

(2) Mallarmé c La Musique et lesLettres •.

(3) D.T. Suzuki, c Essais sur leBouddhisme Zen. t. I, éditions Al­bin Michel.

Un colloque, préparé par 'GeorgesBlin et présidé par Jean Delay, a réuniles 30 et 31 octobre derniers au Col­lège de France un certain nombre despécialistes français et étrangers del'œuvre d'André Gide. De ce colloques'est dégagée une image de l'hommeet de l'écrivain, fidèle en somme à lamultiplicité gldlenne.

Après Mme Marie-Jeanne Durry,M. Jean Delay retraça le long chemine­ment qui permit à Gide de parvenirà la conquête de sol et rappela l'impor­tance du Journal qui souligne la per­pétuelle osmose entre la vie de Gideet son œuvre. Sur le thème • AndréGide et autrui -, Robert Mallet montracomment Gide chercha perpétuelle­ment à s'évader de sol pour, en som­me, se mieux retrouver, après des en·richissements qui le portaient aux ex­trêmes : • André Gide, c'est l'expé­rience fln ,sol de l'autre, pour soi etpour autrui -.

Que Gide ait été attentif à l'imagepublique qu'on avait de lui, c'est ceque souligna Pierre Lafille tandis qu'àla séance suivante, animée par Geor­ges Blin, Yvon Belaval se livra à unmagistral exposé sur ce que • parlerveut dire - et montra comment la re­cherche de la vérité se confondait pourGide avec l'acte d'écrire : • un efforttoujours recommencé pour mettre bastous les masques -.

L'attitude (ou les attitudes successi­ves) de Gide il l'égard de l'U.R.S.S.donna lieu à un brillant commentaired'Albert Memmi pour qui Gide avaitfondé son élan sur un malentendu ra­dical, d'où devait procéder la décep­tion d'un homme qui avait préconisé la

GionoDes lecteurs se sont étonnés Il bon

droit que, dans notre n° 105, un titre:• Giono après mal 68 - ne correspon­de à aucun article sur le romancierd'Un de Baumugnes. En fait, un entre­tien avec Giono où celui-cI se disaitindifférent aux événements ne nousa pas paru donner des garanties d'au­thenticité suffisante. Nous l'avons ôtéalors que la page était composée avecson titre, lequel est malheureusementresté. Nous nous en excusons auprèsde nos lecteurs.

GuyotatA la suite des mesures prises contre

le roman de Pierre Guyotat, Eden, Eden,Eden, l'Union des Ecrivains s'élève unefois de plus contre la censure de faitvisant à interdire la publication ou lavente d'un ouvrage ~ittéraire, ou à res­treindre sa diffusion.

La Quinzaine littéraire s'associe Ilcette protestation.

libération de l'esprit et du corps.Un des ouvrages de Gide qui nous

Intéresse aujourd'hui le plus, Paludes,pamphlet Ironique contre le mondeconfiné de la littérature, permit IlM. Georges Albony de montrer toute lamodernité de cette œuvre de jeunesseoù • l'écriture prend sa source dansl'écriture, vit d'elle-même et ne ren­voie qu'à elle-même -. Elle établissaiten même temps Gide comme écrivain.

On devait entendre également, à pro­pos de l'esthétique gidlenne, Etiemble,Dominique Noguez, François Mouret(Liverpool), tandis que Georges Mou­nin, pour parler des Nourritures se pla­ça dans la situation du lecteur qui lesdécouvrit en leur temps. Il en profitapour donner à ce propos une leçon destructuralisme à l'assistance.

Daniel Moutote, sur le plan de l'éru­dition, Jacques Cotnam, sur celui del'accueil fait à André Gide au Québec,Walter Münch, à propos des influencesanglaises et allemandes subies par Gi·'de, Jean Hytier (qui professe à NewYork) s'accordèrent pour évoquer lecrédit dont a joui et continue de jouirl'auteur des Nourritures et des FauxMonnayeurs à l'étranger.

Ceux qui s'attendaient à des contro­verses passionnées à propos d'un homome et d'un écrivain qui ne cessa toutesa vie d'être discuté auront été sur­pris par l'accord entre eux des spécia­listes de Gide. Lui-même n'aurait pasmanqué de s'en étonner.

D'après des renseignements foumispar Mme Claude Ouémar

Signalons qu'une Exposition AndréGide se tient actuellement à la Biblio­thèque Nationale.

PrixLe Grand Prix de la Critique Litté­

raire 1970 a été attribué à MichelMohrt pour son recueil d'essais :"Air du Large. Pascal Pia a obtenu leprix de l'Edition Critique (à l'unani­mité) pour son Laforgue, publié dansle Livre de poche (voir la QuinzaineLittéraire nOf 93 et 97).

André Chastel a reçu le prix desAmbassadeurs pour l'ensemble de sonœuvre, à l'occasion de la parution deson ouvrage • le Mythe de la Renais­sance - (voir la Quinzaine Littérairen° 77).

le Grand Prix du roman de l'Aca­démie française a été attribué IlBertrand Poirot-Delpech pour La Follede Lituanie (voir la Quinzaine Il" 104).

Saint LouisDans le cadre des nombreuses ma­

nifestations organisées autour du sep­tième centenaire de la mort de SaintLouis, une exposition intitulée • LaFrance de Saint Louis - est actuelle­ment présentée au public dans la Salledes gens d'armes du PaI~is de Justice.

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roman

Collection des Lettres Nouvellescollection dirigée par Maurice Nadeau

plus reculée de l'édifice dont nousest donné, par ailleurs, le « dessin »imaginaire à ciel ouvert. Là unmeurtre politique et mythique, fixécomme un spectacle de marionnettesans fin répété, a lieu : celui deMarat par Charlotte Corday. Lafemme au couteau frappe l'hommeà la plume dans une baignoire. Ouencore : la femme-phallus percel'homme au pénis baigné par levagin maternel. Ou encore : lacontre-révolution assassine l'ami dupeuple, ce savant coupeur de têtes,vengeance de classe et de sexe surcelui qui avait osé déchirer le plusviolemment le voile de l'ancienrégime et, par avance, le masque,montant, du régime triomphant.« C'est pour avoir épousé la causedu peuple que je suis en' butte auxtraits des méchants qui me persé.cutent, que je suis dans les liensd'un décret de prise de corps,comme un malfaiteur. Mais jen'éprouve aucun regret; ce que j'aifait, je le ferais encore, si j'étais à

Les éditions Galanls (127, boulevardtitre d'. Ecritures -, une collection quiHaussmann, Paris-Se) lancent, sous lea pour ambition de réaliser, dans l'édi­tion courante et pour un prix modique,ce qui était jusqu'ici l'apanage de l'édi­tion de luxe : associer à des œuvresrares et d'une qualité d'écriture incon­testée des illustrations de qualité,dues aux meilleurs artistes d'aujour­d'huI. Premier titre paru : les CLXXXIProverbes à expérimenter, de JeanGuichard-Meili, illustrés par Lapicque,dont l'édition originale, de grand luxe,retenue dans la sélection des • Cin­quante livres de l'année 1966 -, estbien connue des bibliophiles.

A paraître : Sentier d'Hermès, deCamille Bourniquel, illustré par Manes­sier; Harpe, de Guillevic. illustré parUbac.

par Philippe Sollers

n'ont plus de sens - où l'événe­ment isolé n'est plus que le sym­bole d'un événement plus grand? »On dirait que son livre - ou plutôtla machination, la machinerie, qu'ilimplique - a ·pour fonction déro­bée d'éclairer de l'intérieur ce phal.lus hiéroglyphique érigé sur la pla­ce ruisselante de sang de la révolu­tion bourgeoise, celle qui castra unmoment si énergiquement - maisde façon trop éphémère - les re­présentants du trône et de l'autel.Eclairage d'opéra bouffe, historico­mystique, dont les deux figm'escentrales sont apparemment Maratet Charlotte Corday. Coup de pro­jecteur baroque : on entre par desjardins suspendus (forme poétique« à l'italienne»), on traverse unecour d'honneur (déclaration de lec­ture), on pénètre enfin, par une sé­rie de couloirs-promenades (la« promenade» étant ici, comme ilfaut savoir la lire chez Rousseau,une métaphore transparente de lamasturbation), dans la chambre la

Un ton qui rappelle parfois Boris Vian. Jean·FrançolsCornler.COMBAT L'originalitéet la maÎtrise de François Sonkin qui est un mélange unique de sociologie etde poète. Etienne Lalou. L'EXPRESS.Un petit livre d'apparence frivole. d'écrituresoignée qui en dit long sans en avoir l'air. Matthieu Galey. LE MONDE.

Rêver I~histoire

français sankinLES GENDRES

La nouvelle pièce de Joseph Breit­bach • Camarade Veygond -, vientd'être présentée pour la première foisau· Théâtre Municipal de Baden-Baden.Breitbach est un écrivain engagé etdepuis la publication, en 1962, duRapport sur Bruno, on sait avec quelleperspicacité il examine les rapportsentre la politique et la morale. DansCamarade Veygond. il traite avec uneironie cruelle l'hypocrisie du dogma­tisme, la contradiction entre les acteset les paroles des maîtres de l'intolé­rance politique.

Le jeune metteur en scène praguoisBohdan Denk a dirigé cette représen­tation avec beaucoup de talent. Maisl'ampleur de la pièce dépassait lespossibilités de ce petit théâtre. Lesuccès fut pourtant grand, mais Breit­bach méritait mieux.

Jean Ristat est un lecteur de Ba·taille. Est-il parti, pour écrire sonCoup d'Etat en Littérature, de cetexte paru dans Mesures en 1938et intitulé l'Obélisque? Texte où« les interprétations faites dans lesens de la politique immédiate

Un lecteur de Bataille

journalistes gâteux et serviles(exemple: l'article - digne du pro­fesseur Claude, de Saint-Anne, dontAndré Breton publia la photogra­phie dans Nadja afin, je suppose,de faire passer à la mémoire histo­rique la trogne même de l'aliéna­tion - de M. Bouret dans les Let­tres Françaises). C'est ainsi que larépression bourgeoise, aVeC sa poli­ce, ses agents d'information, sesécrivains soi-disant modernes, maisvirant, en fait, à l'académisme leplus éculé, espère maintenir partous les moyens son pouvoir de sur­face ébranlé en mai 1968.

Qu'on ne s'y trompe pas: empri.sonnement de militants gauchistes,privés de leurs « droits civiques etfamiliaux»; interdiction de textesportant en eux une connaissance dusexe : ces deux mesures sont pro­fondément solidaires, elles sontl'envers même de la mise en placedes inoffensifs « sex-shops » commede la contre-attaque politique du ca­pital. Elles préparent une vaste cam·pagne, incessante, de délit d'opi­nion. Marat : « Les princes ontgrand soin de gêner la liberté dela presse. Trop timides pour l'at­taquer d'abord ouvertement, ilsattendent que les citoyens en four­nissent un prétexte plausible : etdès qu'il s'offre, ils ne manquentjamais de le saisir. »

« La philosophie a préparé, com­mencé, favorisé la Révolution, celaest incontestable; mais les écrits nesuffisent pas, il faut des actions, orà quoi devons-nous la liberté qu'auxémeutes populaires ? »

(Marat)

Voici l'un des livres les plus ori­ginaux puhliés depuis longtemps.C'est-à-dire : le moins répétitif, lemoins prévisible. Ou encore : celuioù les gravures toujours trop viteeffacées de l'inconscient dans sonrêve nous parviennent découpéesavec une netteté rapide, vive, ser·rée.

A en croire certains, dont la célé­brité n'est que l'occasion pour l'idéo­logie technocratique dominante demettre une fois de plus en scène sonrefoulement, « l'érotisme» devraitêtre réglé dans un jeu tournant destéréotypes empruntés à la commer·cialisation sexuelle, se limiter à unfeuilletage visuel de magazinesillustrés. La « nouveauté» serait derefuser à la sexualité toute questionde base. C'est ainsi que GeorgesBataille sera traité, dédaigneuse­ment de « chrétien »; c'est ainsique la puhlication de ses ŒuvresComplètes sera finalement entouréedu plus lourd silence. Par ailleurs,le livre de Guyotat - l'un desgrands événements de ces dernièresannées - se voit dérisoirementfrappé d'une triple interdiction parle ministère de l'Intérieur, et celaavec la complicité active de certains

1Jean RistatDu coup d'Etat en littérature,suivi d'exemples tirés de la Bibleet des auteurs anciensColl. « Le Chemin »Gallimard éd., 125 p.

La Qulnza1ne Uttérafre, du 1er au 15 décembre 1970 5

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• Ristat

commencer. Hommes vils, qUl neconnaissez dans la vie que l'or, neme <'demandez pas quel intérêt mepressait; j'ai vengé l'humanité, jelaisserai un nom, et le vôtre est faitpour périr. »

C'est ce qu'il comporte d'incons­cient qui fait du livre de Ristat unsymptôme du plus grand intérêt.Notre hypothèse est que, par toutun jeu de relais complexe, « l'au­teur» s'est fait ici le porte-parole,le révélateur, d'un refoulé propreà la domination idéaliste bourgeoise.A la fois fascinée par ses originesmeurtrières, mais traînant avec elleune culpabilité déformée ; à la foisfière d'avoir ·su trancher sur le vifdes sujets qui s'opposaient à sa pri­se de pouvoir, mais craignant quele prolétariat ne suive trop bien, àson égard, son propre exemple. Lamachine mythologique montée endétails par Ristat pour animer cette«scène primitive» est l'expositiond'un conflit, d'une contradiction. Cequi nous permet de comprendre« théâtralement» que l'histoireréelle passe par une « équation »sexo-politique dont chaque classedoit élaborer et imposer dans le lan­gage la reproduction légendaire.Marat, comme un sexe nu, veni­meux, attire et repousse la conscien­ce bourgeoise : elle s 'y reconnaîtavec terreur, elle ne peut que dési­rer, sans fin, le retuer magiquementsous forme d'un crime « sacré»commis par une vierge, presque unedéesse. Comme la vierge foule leserpent, la bourgeoise Corday frap­pe le « crapaud» Marat. Ristat,dans de belles séquences lyriques, sefait porteur de la jouissance diviséeainsi dégagée. « On danse dans leséglises. La roue désaxée du soleilfrotte sur le carreau du firmamentau milieu des flammes des tonner­res ». Autour de ce choc rassembléen une seul image mortelle (le diri·geant populaire nu, écrivant; labourgeoise parée et frappant), ilconvoque Isis, Osiris, Jésus, Œdipe,etc. selon la flottante mise en scènede l'époque, de type occultiste, quiformait, en fait, le « retour» obligéet mystifié de ce que le christia­nisme avait réprimé après l'avoirintégré.

La guillotine rejoint alors la fa­talité qui tranche à la fois les couset les fils des Parques. CharlotteCorday et Marat sont transférésdans un drame cosmique « éter­nel ». On connaît les coulisses idéo­logiquement «égyptiennes» de larévolution de 1789. Ristat, rêveur

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et promeneur éveillé, induit par sondésir à retrouver sexuellement lesignifiant convulsif de ce passé, sefait l'acteur interne de tous lesrôles, comme si l'histoire « idéale »passait par le viol meurtrier d'unefemme « pure » en réaction contrele mâle « impur », ouvrant, de fa­çon violente, la réalité sociale. Noslivres d'histoire sont formels sur cecontre-investissement psychique :c'est bien un cri de soulagement(un orgasme non dissimulé) qu'ilsexpriment entre les lignes devant le« juste» crime de Charlotte Cor­day. Dirai-je toute la vérité? Dirai­je que Charlotte était une vulgaireputain conventine payée par les Gi­rondins, autrement dit par les « cen­tristes» d'alors? Qu'elle reste, aufond, le symbole de la bonne cons­cience de ceux qui fracassèrènt àbout portant - et recommencentsans fin - la mâchoire de Robes­pierre, hantise cachée de notre ré­publique soi-disant calmée? Il estsignificatif qu'Eisenstein, lorsqu'ilvoulut condenser massivement, dansOctobre, l'échec de la révolution de1905, ait choisi le plan d'une bour­geoise assommant à coup de para­pluie un soldat bolchevik. Mais là,plus d'un siècle a passé, et la nouevelle Corday n'a plus le relief som·bre de la criminelle hystériqued'une classe montante : ce n'estplus qu'une demi-mondaine sordi­de, excitée.

L'assassinat de Marat est un desnoyaux symboliques où l'accumula­tion inconsciente des mythes de tou­te une époque passe à fond perdudans l'histoire, un « épanchementdu songe dans la vie réelle », don·nant sa « profondeur» à l'événe­ment. Artaud l'a senti : dans leNapoléon d'Abel Gance, il a vouluêtre le « crapaud » Marat, prendresur lui l'énigme d'une question àpeine entamée que le livre de Ristat,dans son ambivalence « poétique»repose, tout en l'entraînant danssa dérivation sublimée. Car enfin, àtravers le meurtre et le mythe, quel­le force agit? Laissons le derniermot au grand refoulé de la placede la « Concorde », à ce mort troppeu connu dont le corps prématuréest mort par procuration: « Toutest perdu quand le peuple devientde sang-froid, et que, sans s'inquié­ter de la conservation de ses droits,il ne prend plus de part aux affai.res : au lieu qu'on voit la libertésortir sans cesse des feux de lasédition. »

Philippe SoUers

FuitesIPaul Werrie

La SouilleMercure de France éd., 293 p.

Un vallon. Cul-de-sac humide bor­dé de forêts où rôdent braconnierset francs-tireurs. Entonnoir que li­mite un mur étrange et symbolique,négation de tout chemin. Quelqueschâlets, dans l'un d'eux Yves. Yves,le collaborateur que protège à cau­se du service autrefois rendu un mé­decin énigmatique, malin aux deuxpieds-bots, résistant de surcroît. Enbas on fusille les amis qui n'ont puéchapper, mais ici il ne s'agit mêmeplus de proximité, comme à la ville.Yves est au cœur du ·danger, voisindu « Commandant» qui dirige unréseau, victime des sarcasmes choi­sis et des silences calculés du « Doc­teur» qui lui fait garder ses porcs :dans la souille, une justificationpour celui qui n'en a plus...

« Fuyard immobile! Un de cesfuyards qui dansent sur place com­me les Impalas à l'approche descarnassiers...·" Et Yves se vautredans cette nouvelle manière de fui­te, fuite suspendue qui maintenantle disperse entre gestes et paroles,attitudes et silences : toujours ilfaut aller plus vite que les autrescar ceux·là certainement guettentla faille, la fistule suintante par oùvous retourner comme un gant; àtout moment risquer d'en avoir tropfait et en faire effectivement trop,emporté que l'on est par les verti­ges convergents de l'expiation etde la peur, du reniement et de lahonte. « Le seul moyen de n'êtretraître à rien, c'est d'être traître àtout, non?» Et cette fuite (ce dis­cours violemment, exagérément sub­jectif), cette débandade tout à lafois lucide et hallucinée mais tou­jours déraisonnable, par son propre

1Philippe WolffLa FlippeuseDenoël éd., 250 p.

Dans son appartement. de la rési­dence des Tilleuls, Porte d'Orléans,avec vide-ordures et chauffage parle sol, elle a mis des lithos de Prisu­nic, une chaine stéréo qui vient dela F.NA.C. et un fauteuil de chezBobois et Roche. Pour sa fille Valé­rie, elle ne tolère que les couchesLotus (avec une épaisseur supplé­mentaire de mousse de cellulose etaussi une feuille de Polyéthylène) etla Blédine dernier cri parfumée aumiel.

Elle a 26 ans, elle est ravissante,elle ne manque jamais les soldesde Gudule et s'habille volontierschez Dorothée Bis, encore qu'elleaime donner à ses robes un genreindien, style Jean Bouquin. Quandson mari, directeur artistique d'uneagence de publicité, rentre du bu­reau, elle lui prépare des rognonssauce madère comme on lui a con­seillé dans cElle» ou dans c Millerecettes >t. Comme sa fille Valérie ne

désordre suscite elle-même les im­pulsions qui sans cesse la réacti­vent.

Ainsi n'y a-t-il pas dans « la Souil­le » de véritable progression drama­tique, tout juste un démesuré etconstamment relancé tournoiementdont le narrateur, centre et circon­férence à la fois, s'offre le suprêmeluxe de n'être plus le maître. Touteréalité n'est-elle pas viciée par lamon s t rue use dissimulation?L'amour, surtout, n'est plus quegestes parodiques jamais conduitsà leur terme.

C'est dans la mort que réside laseule solution. Déjà Yves le pres­sent qui se délecte à l'agonie desbêtes, à leurs ultimes convulsions.Mais quelle (s) mort (s) ? La sienne,fictive et grotesque, puisque con­damné par contumace, il sera exé­cuté en effigie, ne change rien, ilen faut une autre. Pour se procu­rer un sauf-conduit, Yves assassi­nera Alice la résistante un momentconvoitée. Alors par le crime (parle livre) la condamnation, et lecondamné, se trouvent a posteriorijustifiés, alors est consommée l'ex­piation d'un fuyard réconcilié aveclui-même, avec sa fuite qui peut en­fin déboucher, hors du vallon, surle salut, sur l'honneur, un honneurtout neuf, une vraie naissance.

Héros haïssable pour un livre quine l'est pas moins? Sans doute,mais l'auteur justement provoquesciemment dégoût et répulsion pourensuite les intégrer dans son déve­loppement. Nous autres lecteurs,comme les habitants du vallon,nous sommes constamment bernésmais à leur différence le savons.Ce n'est pas le moindre mérite dela Souille que de ne jamais re­noncer à cette exigence expiatoirequi l'anime.

Paul Otchakovsky-Laurens

parle pas encore, elle écoute, pourse distraire, Europe 1, R.T.L., MénieGrégoire, Michel Polnareff, les Rol­ling Stone et le soir, elle regarde latélé en mangeant du faux caviaravec son mari. Elle envie les sacsVuitton et l'ensemble Saint Laurentde son amie Claude. Quand elle sesent nerveuse, (<< on ne dira jamaisassez le désarroi de la jeune femmeseule au foyer devant sa tranche dejambon de Paris»), elle prend duvalium, mais « elle ne se trouve pasassez con pour travailler». Elle abeau assassiner en imagination unmannequin, un chanteur Pop, uneproductrice de la télé, une vieilledame abusive, guérir sa dépression(la dépression des grands ensem­bles, elle l'a lue dans la presse) enpartant aux Canaries avec son mariet un copain (<< elle sait aussi, grâceà la presse que «la femme moder­ne a droit à deux hommes,,), elle netournera jamais rond. C'est toujourselle qui parle, et cela ressemble àune chanson pop échevelée, obsé­dante, trépidante comme la vie, lavie à Paris.

Anne-Marie de Vilaine

Page 7: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

Entre hURlour et aRlertuRle

1Michel HurietUne fille de ManchesterGallimard éd., 240 p.

Un an après la Fête de la Dédi­cace, Michel Huriet publie UneFille de Manchester, qui est en réa­lité antérieur au précédent et quidoit probablement au succès rem­porté par celui-ci le fait de se voirpublié à son tour. Même si cedeuxième roman paraît moins subtilet moins accompli que le premier,il eût été dommage de ne pas leconnaître. Il y a, en effet, chezMichel Huriet, un si réel bonheurde narration, que ce petit livre serend immédiatement attachant et ced'autant mieux qu'il est servi parune écriture aisée et rapide qui,tout en restant fidèle aux modesd'expressions traditionnels, necraint pas de prendre le large entrouvant d'elle-même sa propre libé­ration : collages composés avec desarticles de journaux, des petits poè­mes naïfs, des comptines même,ajoutent une dimension nouvelle àun texte qui, sans cela, risquaitpeut-être de tomber dans les demi­teintes monotones de la mélancolie.

Une Anglaisedans les Vosges

Aussi prend-ton beaucoup de plai­sir à lire l'histoire de cette jeuneAnglaise amenée de Manchesterdans une petite ville des Vosgespar un fils de la bonne bourgeoisielocale, qui dépose sa femme surl'autel familial avec une fierté légi.time mais fortement mêlée d'inquié­tude : comment cette greffe sera-t­elle acceptée du côté Vagney-Tissa­ges? Or, c'est par Ann que les cho­ses seront vues et commentées;non pas au moyen d'un banal « je »,mais par le bil\is de ce « vous » quifit couler tant d'encre autour deMichel Butor et dont il diffère, sanstoutefois être un tutoiement à l'an­glaise. Le « vous» de Michel Hu­riet est plutôt celui du conteur ara­be, du sage, et peut-être mêmeaussi celui de l'écrivain-miroir :« Car oui, Ann vous vous êtes déci­dée à acheter des pantoufles! Vous!S'il est une chose au monde quevous vous étiez juré n'acheter ja­mais, c'est bien celle-là. A quelleextrémité vous a donc pas réduitece lent pourrissement, cet exü !... »

Cependant, et aussi vilainementchaussés soient-ils, les pieds d'Annn'expriment que dans une faiblemesure les étapes de ce changement

Michel Huriet

irréversible qui ont fait d'une Bri·tannique saine et sportive, cettebonne épouse française, soumise à sabelle-mère, supportant un mari in­fantile et poltron, astreignant soncorps à des grossesses rapprochéeset que l'on voit se plier sans rechi­gner aux convenances de sa provin­ce d'adoption. La chose paraît telle­ment énorme que, scandalisé, le lec­teur est prêt à bondir pour enavertir l'Ambassade de sa GracieuseMajesté, Scotland Yard, le Times,peut-être même Jack l'Eventreur.Mais non, il n'y a pas de quoi s'af­foler ! Car si elle se laisse si facile­ment dissoudre par les Vagney­Tissages; c'est sans doute qu'Annle voulait bien, satisfaite - pour­quoi pas? - d'avoir acquis uneraison sociale, une fonction sociale,une adresse sociale, une mission so­ciale : « Vous faisiez définitivementpartie de ces quelques mülionsd'humains qui disposent non seule­ment du nécessaire mais aussi duplus-que-nécessaire, d'une rationsatisfaisante de luxe et de superflusur la pente, Ann, sur celle que seulsde mauvais esprits qualifient de- qui jamais ne les satisfait...Mais vous étiez irrémédiablementdangereuse : vous commenciez àpenser que les gens moins chanceuxque vous étaient au fond punis pourquelque chose, que leur infortune,leur crasse, leurs ventres vides nepouvaient que représenter le châti~

ment mérité de quelque action cri-

minelle, connue seulement de ladivinité ». Amère leçon! Et qui nenécessitait même pas qu'Ann fûtabsolument anglaise, tant il paraîtévident que les Vagney-Tissages au­raient pareillement croqué une Pari­sienne, une Marseillaise ou uneTonkinoise.

Chronique maritale?Chronique maritale? Sociologi­

que ? Moins ambitieux, peut-être, leprojet de Michel Huriet n'en est pasmoins digne d'intérêt qui réussità trouver dans cette aventure banalematière à une fable touchante, pré­cisément, parce qu'elle ne vise pasun seul instant à changer en quoique ce soit le cours du monde. C'estainsi, semble-t-il dire, et voyez com·me on dépose aisément les armeslorsque l'on entre dans l'engrenageépouse-mère et comme on se résignefacilement à ramener le bonheur àune affaire que l'on exhibe devantles voisins !

Restent les Vagney-Tissages, les

Hans-Draps, les Nathan-Picard-Vê·tements de Travail, les Delassieux­Linge de Table et leurs escortes denotables, d'importants, de faiseursde pluie et de beau temps quel'on découvre avec un émerveille·ment d'ethnographe. Ainsi, ils sontencore tous là, pleins de vigueur,de bonne santé, plus que jamais dis­posés à durer et à proliférer ? Est­ce possible -! Cela l'est tellement,qu'il y a tout lieu de croire quec'est dans un étonnement semblableque Michel Huriet a puisé la ma­tière du livre, lui qui ne revient querarement en France et qui y décou­vre toujours un même spectacle,fascinant à force d'immobilité :comme un jeu d'échecs, demeurélà d'un voyage à l'autre et dont per­sonne, entre temps, n'aurait bougéles pions. Et voilà pourquoi sonroman est fait d'un constant balan­cement entre humour et amertumeet pourquoi aussi on ne sait pas, àle-lire, s'il faut rire ou pleurer.

Cella Minart

La Quinzaine Utta"alre, du 1er au 15 décembre 1970 7

Page 8: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

Rouge et blanc Les bruits du monde

1Anne HébertKamouraskaLe Seuil éd., 250 p.

« Le cœur souterrain, l'envers dela douceur, sa doublure violente »,telle est la matière secrète sur la­quelle s'acharne Elizabeth d'Aulniè­res, l'héroïne de Kamouraska. Maiscette dernière parturition se faitpour elle sous le signe de la mort :celle de son mari qui agonise quel­que part dans la maison, celle d'unamour arrêté en plein vol par lemeurtre et la fuite, et enfin celled'un monde ou bientôt la force desvaleurs traditionnelles ne parvien.dra plus à étouffer la force despassions qui brûlent sous la glacedes conduites victoriennes.

Le livre d'Anne Hébert est à lafois une douloureuse confession enmême temps qu'il se veut une auto­accusation impitoyable en face dela lâcheté intérieure qui permet auxvaleurs traditionnelles de l'emportersur la force de la passion. L'amourfou d'Elizabeth qui a pu mener leDr Nelson jusqu'au meurtre de sonmari, échoue en fait devant des ré­sistances plus profondes : celle de latoute-puissante bienséance, celled'un visage à sauver à tout prix dujugement social, alors que le corpsépuise ses fureurs dans le cauche­mar de rêves impossibles. Il s'agitlà d'une mauvaise foi exemplaire,d'un magistral échec devant sapropre vérité. Ce qui est essentielle­ment pitoyable chez cette femme,c'est qu'elle peut aller jusqu'au cri­me par amour, y entraîner une ser­vante fascinée par les deux amants,au point de la charger du meurtre(en vain d'ailleurs), puis porter

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l'enfant de son amour en le faisantprendre pour le .fruit d'une brèvesoumission au mari détesté, toutcela pour aboutir à un remariagede sauvetage et donner le changependant dix-huit ans à la sociétécanadienne, au bras d'un nouvelépoux méprisé. Ainsi se présente letriste bilan d'une vie, d'un tempé­rament amoureux de la transgres­sion et de la libération des valeursétablies.

Cette grande colère

Quand le récit commence, Eliza­beth va enfin être libre, mais ce serapour rien, et surtout trop tard puis­que l'amant criminel a fui depuislongtemps hors des frontières. Il nesurvit que dans la rage impuissantequi saisit cette femme, cette grandecolère qui traverse les mots. Cetexte a la force d'un cri, d'une im­puissance longuement modulée parcelle « qui habite la fièvre et la dé­mence» et qui voulait être pourl'autre « la vie et la mort inextrica­blement mêlées ». La quête d'abso­lu qu'elle poursuivait, réalisée briè­vement par le crime, retombe à ja­mais dans le remédiable (Elizabetha été acquittée), dans l'agonie lentede la honne conscience.

Et « la chienne qui se couchepour hurler à la mort» ne parvientpas à réveiller le disparu. Elle estcondamnée à suhir dans sa vie sapropre mort, tandis que s'épuisepeu à peu le souffle de son mariauprès d'elle.

L'auteur a su adroitement conju­guer les temporalités différentesdans cette « vision crépusculaire»qui épouse de nombreux parcours.On y voit la complaisance, la luci­dité, la vérité et le mensonge mêlerleurs courants dans cette âme colé­reuse et désenchantée.

Entre le rouge du sang versé etla blancheur secrète de la neigeimmense qui finit par recouvrir etneutraliser la présence des séismesles plus profonds, une voix sansavenir, mais avide, et possédée parla vision de la mort s'élève : ellehésite tragiquement entre le droità la vie et la prudente reconductionde ses fougues intérieures. Elleeffraie et inquiète tout comme cespetits cyclones blancs qui tourbil­lonnent sans fin dans les grandsespaces neigeux où la vie est deve­nue une impossible conquête.

Anne Fabre-Luce

IJean-LouiS ArnaudChacun sa bièrePierre Horay, 320 p.

Ça parle, ça grouille, ça bouge.Plus 98 grouille, plus ça parle. Plus

.ça bouge, plus les mots fusent, drus,s'entrechoquent, dérapent, se rat­trapent, passent à côté (des réali­tés), ouvrent des horizons (inquié­tants, fabuleux), explosent et brus­quement retombent (sur terre, dansle mille). Dans Chacun sa bière,Jean-Louis Arnaud organise unconcert de voix, nous fait entendre,à l'état brut, mais à l'intérieur d'unmontage subtil et riche en contre­points, tout ce que disent quelquespersonnages bien choisis - pourleurs différences d'âge, de situationsociale, de tempérament, mais aus­si pour toutes les chances qu'ilspeuvent avoir de se rencontrer ­par une belle journée de printempsqui pourrait bien être le premierjour de mai 1968.

Jean-Louis Arnaud ne cherche pasà recréer l'histoire de cette jour­née, à inscrire son récit, ses dialo­gues dans une succession d'événe­ments situés, datés, dont les pro·tagonistes sont connus. Les dra­peaux rouges ou noirs qui apparais­sent dans la rue, sur les chantiers,l'effervescence qui anime la ville,les mots d'ordre de grève qui cou­rent d'entreprise en entreprise, lescars de policiers qui bloquent lescarrefours, les grenades qui écla­tent, la première barricade quibrûle, le calme, le retour à l'ordrequi succède à l'affrontement, toutcela, en apparence, n'est qu'unetoile de fond. Henri, Frédéric, Mi­chel, Véra, Léna, Just, Moto, lesadultes arrivés et les jeunes gensdisponibles vivent l'événement,réagissent à l'atmosphère, sont en­trainés dans un mouvement dontils ne perçoivent ni l'origine ni lesens. En même temps, cette jour­née a un pouvoir révélateur. Elledétraque les horaires, dérange leshabitudes, oblige chacun à jeter lemasque. Ainsi les intellectuels em­bourgeoisés qui d'abord sont amu­sés, prêts à entrer dans le jeu, exci­tés comme par un feu de joie de­vant les premières planches quiflambent sur la chaussée prennentpeur dès qu'ils pensent à leur voi­ture. Michel, le publicitaire d'avant­garde s'affole parce que son fils estgardé à vue, Henri l'éditeur prendla fuite dans le rêve comme Mitrile photographe dans l'alcool. Fré­déric le romancier se fait entaulerpar Ime petite putain. Seuls lesjeunes gens trouvent le ton justeet traversent la journée avec bon­heur.

L'essentiel ici est la manière dontle thème est traité, dont les voixs'enchaînent, se chev'auchent ou serépondent. Jean-Louis Arnaud aadopté un style singulier, ramassé,étonnamment rapide où tout, mêmeles descriptions, les indications demouvements, d'actions, toujoursbrèves du reste, rappellent le langa­ge parlé. Langage non point relâ­ché, mais au contraire aiguisé, inci­sif, avec parfois un étrange pou­voir poétiq~e. Au commencement

il arrive que son langage irrite.C'est qu'il importe d'en saisir lacadence, ou plutôt les cadences, cha­cun des protagonistes ayant sonrythme, mais aussi ses images, sestics de vocabulaire.

Images et paro.les

Si tout le récit est en dialogue,pourtant nous ne sommes pas authéâtre. ·Le cinéma, lui, n'est pasloin. Les dialogues sont mouve·ments, les commentaires qui sépa­rent les répliques ne visent pas àexpliquer mais à montrer des lieux,des comportements, des gestes. Toutest images et paroles : Jean-LouisArnaud suit ses personnages, filmeleurs déplacements, leurs rencon­tres, enregistre leur propos, demeu·rant toujours à une certaine distan­ce, témoin, cameraman invisible.Comme au cinéma, encore, le mon­tage joue un rôle important. Achaque heure du jour, l'auteur nousmontre ce que chacun fait, ce quise passe dans quatre, cinq, dix en­droits, la rue, des bars, un taxi, unstudio de photographie, une exposi­tion d'urbanisme, etc., comment lespersonnages, qui tous, à un momentoù à l'autre se croiseront, se parle­ront, se comprendront, s'oppose­ront, parlent, chantent, bougent,agissent, s'intègrent au rythme dela ville.

La ville etses rumeurs

Ce que décrit Jean-Louis Arnaud,dans ce fort brillant premier roman,c'est la ville et ses rumeurs. Certes,les voix qu'il nous fait entendresont des voix privilégiées, cellesd'Henri, de Frédéric, de Just, ·maiselles sont porteuses de ces rumeursqu'elles ne cessent de déformer etde transformer. Surtout, ce qu'ilessaye de saisir, par un savant jeude montage, c'est, en un même ins­tant la multiplicité des événementset la variété des interprétations d'unmême événement. Par des moyenset avec un style très différents deceux de Michel Butor, il illustrecomme lui l'héritage d'Apollinaireet de la théorie simultanéiste, héri·tage qui le conduit naturellement àsouligner le sens de ses montagespar une disposition typographiquespéciale.

Bref, même s'ils sont souvent trèsprésents, les personnages l'intéres­sent moins que les bruits du mon­de, ou plutôt ne l'intéressent quepar rapport à ces bruits. Peu impor­te qui parle. Ce qui compte, c'estce qui est dit, c'est, dans un mêmelieu, dans une même ville, à partird'une même réalité, Ia diversité dece qui est dit. Car si tout le mondepuise au même tonneau, chacunboit sa bière, chacun vit sa vie.

Claude Bonnefoy

Page 9: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

Ces lieux., ces moments ...

LeçonsPayot, Lausanne, éd., 38 p.

RilkePhilippe Jacottet

surveillance pour empêcher la dé­rive des images, la « singerie» :« Ces lieux, ces moments, quelque­fois j'ai tenté de les laisser rayon­ner dans leur puissance immédiate,plus souvent j'ai cru devoir m'en­foncer en eux pour les comprendre;et il me semblait descendre en mê­me temps en moi». Réalité inté­rieure et extérieure, dans la quêtede l'essentiel, se rejoignent. De fait,le travail de Ph. Jaccottet est uneintériorisation du signe, un dépouil­lement progressif de tout ornementpar une suite d'essais, de repentirs,de négations.

Ses proses apparaissent donccomme une sorte de vagabondage (seresserrant en réalité autour du cen­tre), comme une approche du poè­me par la négative. Elles sont élanvers le poème, elles en communi­quent le besoin, elles soulignent unmanque. D'où la crainte constanted'en dire trop, de n'avoir pas trouvéle mot, dénis non seulement scru­puleux, mais inhérents au propos.Semblable démarche se distingue decelle de Ponge en même tempsqu'elle s'y apparente, car, si Pongelivre notes, variantes, remarques,recherches de dictionnaire, etc.comme le seul texte réellement écrit,le seul texte possible restitué dansson devenir, Ph. Jaccottet, mêmepareillement attentif aux choses etsoucieux d'exactitude, ne donne destravaux (Travaux au lieu ditl'Etang) que comme un pis-aller,dans l'attente ou l'espoir du mo­ment où le jaillissement poétiquedevienne possible, la méfiance àl'endroit du langage étant enfintrompée ou endormie.

Jusqu'à ces « bonds de côté », lelecteur était, si je puis dire, endifféré (ce sentiment, chez Ponge,viendrait au contraire du poèmeachevé), soit qu'on lui ait fait unrécit au passé ou qu'on ait introduitcomme un écho le souvenir, ou en­core (sans parler de l'écran queconstitue la ré-flexion morale) quel'accent ait été mis sur le sujet, per­sonnel ou impersonnel, par lequelpasser obligatoirement : « On estentré dans un cercle de collines...On ne s'en assure qu'en s'engageantdans les fourrés de roseaux plushauts que vous... » La phrase elle­même, me semble-t-il, concourt àdonner cette impression par son or­donnance mesurée (j'y reviendrai),car il arrive, généralement à la findu texte - et nous voici en direct- qu'elle se précipite soudain, vo­lontiers tronquée ou exclamative,dans un mouvement rappelant les

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Abandon à l'imagination et ré­flexion, mais librement déroulées,telles sont les proses de Paysagesavec figures absentes, autant de pro­menades, de rêveries où l'auteur,aussi bien que sur les lieux auxquelsil revient et toujours relativementà eux, s'interroge sur la poésie, surle réel, sur la présence, l'être aumonde. Ainsi la haute Provence oùPhilippe Jaccottet réside depuis denombreuses années n'est pas unrefuge (la première page du livre leprécise), et l'expérience poétique,poursuivie avec ferveur et patience,n'a de valeur que parce qu'elleconstitue, plus largement, une expé­rience de vivre.

« Il semble qu'il faudrait dormirpour que les mots vinssent toutseuls. Il faudrait qu'ils fussent dé­jà venus, avant même d'y avoirsongé. » Ecrite comme sous dictée,une parole immédiate répondant àun contact immédiat avec le réel se­rait seule juste. L'objet de la poésie,c'est le plus commun, le simple, levrai. Ou plutôt : l'entièrement vrai,c'est (ce serait) l'entièrement sim­ple, que l'image n'a pas caché, quela trouvaille n'a pas trahi. (La dé­nonciation du souci esthétique estsous-jacente aussi à tout le Rilkepar lui-même, notamment à proposdu rapprochement entre la recher­che de la poésie et la recherche dudivin, mais également à propos del'idée, réaffirmée par Rilke, que lecréateur n'a pas le droit de choisir,de rien refuser, même de laid,d'odieux). Cette parole naïve, cet« énoncé direct» auquel Holderlin- mais après avoir subi quels as­sauts? - a pu accéder (1) n'est pasce qui nous vient d'abord parce quel'originel - ou premier - est leplus enfoui et ne cesse de se déro­ber : « On laisse venir, on laissealler les images. Les premières quise présentent à l'esprit ne sont pasnécessairement les plus simples, lesplus naturelles, ni les plus justes;au contraire... » Si donc il est bonde se laisser guider d'abord par ledésir, il n'est pas moins nécessairede lui résister, d'exercer ensuite une

1Philippe JaccottetPaysages avec figures abentesGallimard éd., 176 p.

1

1Rilke par lui-mêmeColl. Ecrivains de toujoursSeuil éd., 190 p.

La QuInzaIne Uttéraire," du 1er au 15 décembre 1970 9

Page 10: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

.. Philippe Jaccottet

courtes flammes d'Airs, commedans ces deux images se rapportantaux cris d'Oiseaux invisibles: « Ily a une constellation, en plein jour,dans l'ouïe! Il y a de l'eau quisourd là, et là, et là ! »

Notre vie profonde

Ce ne sont là que de brèves échap­pées grâce auxquelles retrouver, nonau-delà mais au cœur du réel, « no­tre vie profonde». Qu'elles soientpour nous comme un salut n'empê­che pas de regretter leur sporadicité.y correspond - éclat, bribe, météo­rite, éjection d'un morceau de vécuhors du temps - le poème brefvers lequel Ph. Jaccottet s'est sentitiré malgré lui' depuis une dizained'années. Mais, et c'est là le point,de tels instantanés ne sont que deslancers; ils ne peuvent pas noussatisfaire parce qu'ils ne s'inscri­vent pas (et ne nous inscrivent pas)dans une durée comme le pourrait,un des textes le constate, la prose.Aussi voit-on que, par une sortede va-et-vient, le mouvement dupoète est autant d'être projeté de laprose vers le poème (ou l'image, quiest saut) que d'être rejeté du secondvers la première (vers « l'énoncédirect », qui est phrase ininterrom­pue). D'où l'alternance de livres depoèmes et de livres de proses (2).

N'est-on pas proche de MichelLeiris, oscillant aussi entre la poé­sie et le discours? (Je m'y réfère,lui ayant pris déjà le terme de lan~

cers, comIile à un auteur cher,assurément, peut-être autant quePonge, à Jaccottet lui-même). Mais,par la forme et la qualité de l'écri·ture, apparaît une différence essen­tielle.

Déchirure surdéchirure

La prose extraordinairement sou­ple et développée de Leiris s'enrou­le, se love sur elle-même; elle s'in­terrompt rarement (peu de coupu­res, qu'il s'agisse des phrases, desparagraphes, de la division en cha­pitres), elle contribue, autant que larésurgence des thèmes, à créer cetout, cette unité mythique qui de­vrait remédier, sur le plan del'écrit, à la discontinuité de l'exis­tence.

Au contraire, et conformément àla démarche tâtonnante dont j'ai

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parlé, les proses de Philippe Jaccot­tet, rarement longues, sont non pasd'une seule coulée, mais articulées;elles se présentent comme un assem·blage. Ph. Jaccottet lui-même cons­tate que, pour ses réflexions, il doits'en tenir à des notes, que le « dis­cours continu» lui est interdit(p. 159). Quant à la phrase, elleest d'un dessin toujours simple.C'est que l'attachement ici n'est pastant à l'Un qu'à l'Harmonieux. Tou­te distance, toute rupture n'est pas,comme pour Michel Leiris, intoléra­ble ; elle nécessite l'accord entre lesparties séparées, elle est la conditionde la naissance autant que de lamort : « Déchirure sur déchirure.Comme d'une infime graine tombéeen terre sort une tige, et de celle-cides branches, et de chaque branchedes feuilles, de la première énorme

.distance naissaient mille distancesde plus en plus courtes et subtiles,chaque pôle se formant aux extré­mités de chaque intervalle commeun fruit. »

Une transparencevoilée

Comme la prose rassemble desimages que la poésie risquerait deperdre en les maintenant dans leurisolement ou comme, sur un autreplan, l'écriture fait tenir ensembledes notes sans vraiment les fondredans un tout (des blancs séparentsouvent les paragraphes), de même,thématiquement, l'accent porte surce qui sauve le particulier de l'épar­pillement en le comprenant, maissans l'y faire s'évanouir, dans legénéral. Ainsi, l'heure de l'éternitéqui bat « dans toute l'étendue », oula tourterelle turque voyageantdans l'espace comme dans sa patrie(sans se dépayser ou s'égarer), ouencore, dans le pré de mai, les her­bes et les fleurs aperçues « au mi­lieu d'un plus vaste et vague en­semble ».

Ces exemples suffisent à rappelerl'importance, dans l'œuvre dePh. Jaccottet, de tout ce qui ména­ge une transition, assure un passa­ge, filtre, écluse, barrière, « buis­sons comme autant de peignes pourl'air », etc. On sait aussi de quelledélicatesse, de quelle approche timi­de s'accompagne l'équilibre des« contraires fondamentaux ». Notrelot n'est ni la clarté ni l'obscuritéabsolues, mais la pénombre ou la .transparence voilée, ce n'est pas laplénitude, mais la place reconnue

du manque, de l'ombre - le gouf­fre, la mort, mais domestiqués.

L'agonie d'unêtre cher

Tel est notre lieu, et si la joie estpossible, si la plupart des textes dePaysages avec figures absentes par­lent de plaisir, de fête, si, métapho­riquement, apparaissent dryades,nymphes, jeunes filles surprises àleur toilette, corps surpris dans leursommeil - images du Désir le plusprofond - si ailleurs sont faites,dans le même sens, des référencesà l'enfance (transport, émerveille­ment, indistinction entre le dedanset le dehors), ce. n'est pas sans laconscience de nêtre plus dans leJardin (qui n'a jamais existé) etd'avoir à le recréer. Leçons retracel'agonie d'un être cher, rongé, rui·né, devenu totalement étrangeravant d'être anéanti (peu de textes,dans notre poésie, sont aussi dé­pouillés). Mais, en dépit de l'arra·chement, de la misère, de l'horreur,de l'ordure indicible, « Ordure nonà dire ni à voir: à dévorer », endépit de l'innommable qu'il n'estpas permis d'éluder (rappelons-nousla leçon de Rilke), la vie exige denous plus qu'une -acceptation passi­ve : une remontée sereine, un actede créance, une salutation à laquelleaccède la fin du poème :

Je ne vois presque plus rienque la lumière,

les cris d'oiseaux lointainsen sont les nœuds,

toute la montagne du jourest allumée,

elle ne me surplombe plus,elle m'enflamme.

Voilà le centre vers lequel noussommes attirés. La vie ne peut êtreque ce mouvement (non agité), cetélan, cette marche vers le point« où tout s'apaise et s'arrête ». Lors­qu'il semble être atteint, toujoursfugitivement, en des pages où laphrase elle-même en prenant de lahauteur se fait admirablement lé­gère et ténue, ce n'est jamais l'im·mobilité totale (qui équivaudrait ausilence de la mort), mais un déli­cieux suspens qui est attention etattente, mesure, équilibre fragile.

Rien d'étonnant que se retrouvela métaphore de la demeure - ou­verte, lumineuse - ni que se réaf·firme l'attachement à « la voix mé­diterranéenne » (à Grignan même),aux dieux grecs, à « la maîtrise du

Sacré » et, bien entendu, à Holder­lin. Mais faire la même place auxdieux et aux nuages, aux arbres etaux nymphes, c'est poser, à l'instarde Rilke, « l'unité du ciel et de laterre ». Les dieux, les nymphes nesont que des figures : « pour êtretout à fait exact, je devrais, aprèsavoir évoqué, l'image de la Grèce,l'effacer, et ne plus laisser présentsque l'Origine, le Fond: puis écar­ter aussi ces mots; et enfin, reve­nir à l'herbe, aux pierres, à une fu­mée qui tourne aujourd'hui dansl'air, et demain aura disparu ». Ain­si des paysages de Cézanne « avecfigures absentes», par oppositionà ceux de Poussin; ainsi des der­niers poèmes de Holderlin d'où lesdieux se sont effacés sans que leurabsence soit néant.

Culture et nature

La culture, on le voit, ne contre­dit pas le contact immédiat avec leschoses. Elle ne s'oppose pas à lanature mais elle y conduit pourvuqu'on veuille, ayant fait détour parelle, se dépouiller du savoir et semettre en état d'ignorance. Je nevais pas, une fois encore, mettre enquestion cette communication enquelque sorte absolue où toute figu­re, tout langage trouverait son ori­gine et sa justification. Plutôt citerl'admirable livre de Roger Munierdans lequel le visible est définicomme la seule présence, comme laseule possibilité, pour le Seul (3) ­Ph. Jaccottet dirait l'Inconnu, l'In­saisissable - de se manifester eny disparaissant :

« Il n'est au fond de monde quece monde présent, qui naît et meurtavec moi, s'égale à mon passage.

Dans sa pérennité, indéfiniment,innombrablement discontinu etmortel. »

Pierre Chappuis

(1) Les deux derniers textes sur­tout sont consacrés à Holderlin età Rilke. Faut-il rappeler que Ph. Jac­cottet, traducteur de HOlderlin, apréfacé le volume de ses œuvrespublié dans la Pléiade? La traduc­tion de poèmes de Rilke, pour l'édi­tion du Seuil, est encore inédite.

(2) Paysages avec figures absen­tes fait ainsi suite à La Promenadesous les arbres (1957, Mermod, Lau­sanne), Eléments d'un songe (1961,Gallimard), La Semaison (1963,Payot, Lausanne).

(3) Roger Munier : Le Seul, pré.·facé par René Char (Tchou éd., coll.le Prix des mots).

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LITTERATURE

ETRANGERE

Dylanpar John Montague

Thomas1Dylan Thomas

Œuvres. 2 tomesLe Seuil éd.

Il ne doit pas y avoir beau­coup de gens qu'intéresse lalittérature et qui connaissentun peu d'anglais, à n'avoir pasentendu un disque de DylanThomas. Et au ~on de cettevoix « comme un gong ardentsur un océan de mélasse»pour reprendre sa propre ex­pression, même les plus ra­tionnels ressentent jusqu'à lamoelle la présence du génie,les purs accents du Barde qui,selon Blake: cc Voit le Présent,le Passé et l'Avenir/Dont lesoreilles ont entendu/le SaintVerbe/Marchant sous lesfeuillages antiques. »

Dès l'adolescence, Dylan Thomasa fait montre d'un implacable sensdu destin. Il réussit à rater sescompositions dans toutes les matiè­res, sauf en anglais, où ses notesétaient excellentes. Son père, quiaurait voulu être poète lui-même,était son maître et c'est là sans dou­te qu'il faut chercher la raisond'une précocité si unilatérale. Desannées plus tard, dans son Mani­feste Poétique, Dylan Thomas de­vait reconnaître sa dette : « C'estquand j'étais très jeune, tout justeentré à l'école que, dans le bureaude mon père, avant mes devoirs,que je ne faisais jamais, j'ai ap­pris à distinguer un style de l'au­tre... Ma première et plus grandeliberté était celle de pouvoir liretout ce que je voulais. Je lisaisn'importe quoi, les yeux pendants...

Autre raison pour l'irruption deDylan Thomas sur la scène littérai­re, c'est que le pays de Gallesn'avait pas encore trouvé sa voixen anglais, comme l'Irlande l'avaitfait avec Yeats et Joyce, l'Ecosseavec Mac Diarmid (une élégie dece dernier établit le parallèle). Dy­lan Thomas avait beau rejeter vio­lemment son patrimoine, « la terrede mes pères, ils peuvent la gar­der... », il coulait dans ses veines.Autant que les pentes de Swansea,il célébrait la campagne galloiseoù, enfant, il avait passé ses vacan·ces, et où il retournait avec sa fem­me et ses enfants. Et quand il s'estlivré à des expériences techniques,ou bien elles résonnent des asson­nances complexes de la métriquegalloise, ou bien elles affectent la

forme de losange chère au pasteur­poète du XVIIe siècle, Georges Her­bert, Gallois lui aussi.

Quoi qu'il en soit, le Londres deslettres, dominé par le vers intellec­tuel d'Eliot et d'Auden, se trouvasoudain confronté au plus pur génielyrique depuis Keats. Ce qui étaitextraordinaire, chez le jeune Tho­mas, c'est que sa vision était déjàentière. Du début de son premierrecueil, Dix Huit Poèmes : « Jevois les enfants de l'été dans leurruine... », jusqu'à la fin de l'un deses derniers textes: « Le temps metenait, vert et mourant... », le' pro­cessus poétique est celui de la cla·rification et non pas d'une modifi­cation. Malgré sa vie difficile, Tho­mas parvint graduellement à accep­ter et même à chanter le pouvoirdestructeur du temps, ce mariageincessant de la vie et de la mortqui l'obsédait:Le temps me tenait,

vert et mourant,Mais je chantais dans mes

chaînes comme la mer...Maintenant que la trajectoire est

accomplie et bien documentée, onse serait attendu à ce qu'une édi­tion aussi élaborée que celle duSeuil essaie de distinguer le poète desa légende. Comme Vernon Wat­kins l'explique dans la préface àl'édition anglaise des Aventuresdans le commerce des peaux, Tho­mas avait des priorités très claires.Ce qui comptait, il le savait, c'étaitla poésie; après cela, il était prêtà exploiter d'autres talents, commeson don du dialogue et du récit pi­caresque, pour distraire le puhlic.Car malheureusement, il faut bienvivre et il n'existe guère, pour lepoète romantique, de moyen hon­nête de gagner son pain. Le poètecontemporain le plus semblable àThomas, George Barker, aimait àrépéter là-dessus la phrase de Rilke :« Un emploi, c'est la mort, sans ladignité. »

Au début, cependant pour Tho·mas, la ligne de partage entre letravail sérieux et l'autre n'était passi nette. Ses premières nouvellessont plutôt des poèmes en prose etj'aurais préféré que les éditeurs deces œuvres les aient groupées avecles poèmes, afin de souligner l'ex·travagante imagination du jeuneécrivain. On les a dites surréalistes,mais à part le geste d'offrir des tas·ses de ficelle bouillie aux passants,à l'Exposition Surréaliste de Lon­dres en 1935, Thomas avait peu deliens avec la littérature françaisede l'époque. Chez lui, comme chez

Faulkner, c'est le mélange de psy·chologie et de folklore et les richescadences de la Bible de King Jamesqui exhalent ce rare fumet de chairbrûlée :

Et le bébé prit feu. Les flammess'enroulèrent autour de sa boucheet attaquèrent les gencives qui secontractèrent.

Autour de son cordon rouge, lesflammes léchèrent son petit ventrejusqu'à ce que la chair saignantes'affaissât parmi la bruyère.

Une flamme toucha sa langue.Hüiii! cria le bébé qui brûlait etla colline illuminée répercuta sonen.

Le Portrait de l'Artiste commeun jeune chien montre Thomas aumieux de sa forme d'amuseur. Laparodie de Joyce dans le titre donnele ton et rares sont les recueils denouvelles aussi vivants que ces vi·gnettes de la vie à Swansea. Ou aussipleins d'imagination verbale : sûrde son talent, Thomas y inclut unautoportrait, sous les traits du petit« Rimbaud de Cwmdonkin Drive »,obsédé sexuel et fou de mots.

Après cela, il y a peu de prosede qualité. Si bien qu'il est triste devoir la copieuse édition du Seuilfaire la part si belle aux textes deradio de Thomas, ou pire, à ses scé­narios. On trouve certes la char­mante fantaisie, Moi et mon vélo,mais pourquoi le public françaisqu'on imagine impatient d'en con­naître devantage sur un grand poè.te, devrait·il lire l'adaptation d'unenouvelle de Stevenson, auteur surlequel Thomas n'aurait jamais tra­vaillé s'il n'avait été payé pour lefaire? La traduction d'une adapta­tion par Thomas de la version an­glaise d'une autobiographie écrite

en gaélique occupe presque autantde place (et le fait qu'il existe déjàune traduction par Queneau dutexte anglais en rend le choix enco­re plus absurde).

On pourrait se dire que VingtAns de Jeunesse est un galop d'es­sai pour le chef-d'œuvre dramati.que de Thomas, Au Bois lacté. Maisceci serait attribuer aux rédacteursde cette édition un souci du géniede Thomas qu'ils n'ont manifeste·ment pas, puisque cette édition endeux volumes ne contient guère quela moitié de ses poèmes. On setrouve ainsi dans la situation para­doxale de voir dans l'essai introduc­tif de Karl Shapiro (poète avec qui,au reste, Thomas a fort peu encommun) donner une liste des poè­mes les plus certains de durer etdont la plupart ne sont pas inclusdans l'édition elle·même !

L'excuse présentée - « que leurdensité avait de quoi effrayer lepuhlic français » - a de quoi sur­prendre de la part de Denis Roche.En outre, comme je l'ai dit, l'œu­vre de Thomas devenait plus claireet de nombreux documents ont étépubliés, comme ses lettres à PamelaHapsford Johnson et à son ami etcompatriote Vernon Watkins, quiexpliquent les poèmes, souvent engrand détail. Denis Roche cite cespièces et les précoces Carnets dansun essai qui est finalement la seuletentative d'analyse de l'œuvre deThomas dans l'ensemble des deuxvolumes. Quand un poète s'est faitune légende, c'est pour lui édifierun monument qu'il faudrait s'enservir et non pas pour l'enterrer ànouveau sous le fatras qui l'a humi·lié et épuisé.

John Montague

La Q"'nu'ne Uttéra1re, du 1er au 15 décembre 1970 1 1

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Une histoireEntretien avec

Iwaszkiewicz du roman ,. .amerlcaln

Président de l'Union des EcrivainsPolonais, Directeur de la revue Tworc­zose (Création), romancier, essayiste,poète, également traducteur de nom­breux auteurs français, de Marivauxà Rimbaud, Claudel, Valéry, Gide etGiraudoux, Jaroslaw Iwaszkiewicz, dontles éditions Stock viennent de publier• Les Amants de Marone., est sur­tout connu en France comme l'auteurde Mère Jeanne-des-Anges que Kawa­lerowlcz a remarquablement adapté aucinéma. Mais s'il est peu et pas asseztraduit, il l'est depuis longtemps.

J. 1. - En 1926, grâce à la mèred'un de mes amis qui était française,un de mes romans, dit-il, a été tr.duit et publié chez Rieder. En 1938, unde mes livres de nouvelles a paru auSagittaire dans une traduction de C.zln, presque trop belle, d'une beautéf1aubertlenne.

De ces premiers textes aux Amantsde Marone, existe-t-il une certaine con·tlnulté? Ou bien ce roman occupe-t-ilune place à part dans votre. œuvre ?

J. 1. - Ce n'est pas celui de mestextes que je préfère. Je ne l'estimepas parfaitement réussi. Cependant ilest très caractéristique de ce genre dela longue nouvelle ou du court roman,comme vous voudrez, que j'affection.ne. Comment se rattache-t·i1 à mes au·tres textes? Ce n'est pas à moi deJuger. Mais Rynard Prybylski a intituléun essai sur mes premiers récits :Eros et Thanatos. Les amants de Ma­rone se placent sous le même signe.L'amour, la mort, ce sont les chosesqui composent la vie. Peut·être pour·ralt-on ajouter l'ambition, la carrière,mals je ne veux pas faire concur·rence à Balzac.

Sur qui vous avez écrit une pièce,«le Mariage de Balzac".

J. 1. - Vous savez que Balzac vieil·lissant (il devait mourir peu après sonretour) a fait en Pologne un long sé·jour chez Madame Hanska, <<l'étran·gère., au cours duquel il l'a épousée.Mais Balzac malgré sa grande connais­sance du cœur humain était souventdérouté par les habitudes du pays,ce qui entraînait de petits conflits. Lethème de la pièce, c'est donc • unétranger en Pologne". Je connais bienla maison de Mme Hanska. J'ai mêmerencontré dans ma jeunesse, en 1910,un vieil homme, du nom de Moise quiy avait été employé comme domesti·que. C'était lui qui entretenait les poê·les du pavillon où habitait Balzac,mais il se souvenait surtout de luiavoir préparé d'énormes quantités decafé.

Pourquoi Les amants de Marone Ilesont-ils pas un de vos textes préfé­rés?

J. 1. - Ce roman me touche de tropprès. Ce qui me gêne, c'est qu'il esttrop authentique. Le décor, l'atmos­phère, le sanatorium au bord du lac,certains personnages même ont exis.té. Si la situation de la jeune fille estcomplètement changée, l'histoire desdeux amis est vraie. J'ai même gardéJe nom de l'un d'eux, Aristarque, maisc'est Justement ce détail authentique

qui fait peu naturel.

:L'imagination vous parait donc êtrela première qualité du romancier?

J. 1. - Qui n'est pas réaliste? Danstout ce qu'on écrit, Il y a une part denous-mêmes. On introduit fatalementdes éléments autobiographiques. Maisau cours de l'élaboration, de l'écrituredu roman, ils doivent se disposer lesuns par rapport aux autres comme lescailloux dans une mosaique. Ce quicompte, ce n'est pas les cailloux, maisla mosaique.

Vous dirigez la revue Création. Quelest son rôle dans les lettres polonai·ses?

J. 1. - C'est d'abord une revue detextes où s'expriment les poètes, lesprosateurs, les essayistes; dans la·quelle on accueille volontiers les meil·leurs des jeunes écrivains. Ce qui mefrappe actuellement, en Pologne, c'estl'apparition d'écrivains venus de lacampagne, de souche paysanne, etqui pour la plupart traitent le thèmede la migration vers les villes et desdifficultés d'adaptation à la vie indus­trielle et urbaine. D'autre part, avec lapublication régulière d'une « revue desrevues., de l'Ouest comme de l'Est,Création fait régulièrement le point

. sur les problèmes littéraires et phi·. losophiques de notre temps, le nou­

veau roman, le structuralisme ou Mar·cuse. Pour cette raison, la revue esttrès lue par la jeunesse.

Toutes vos activités, à la revue, àl'Union des Ecrivains ne freinent·ellespas votre travail personnel?

J. 1. - De temps en temps, j'écris.J'ai écrit des nouvelles à Rome, auprintemps. A Rome, je n'ai que ça àfaire. J'habite bien à trente-clnq kilo­mètres de Varsovie, mais c'est devenula banlieue, j'ai tout le temps desvisites... Ah, J'oubliais. J'écris toujoursdes poèmes. A mon âge, ce n'est passérieux. Ce sont les jeunes gens quiécrivent des vers. Même libres, mesvers, ce sont des poèmes...

Claude Bonnefoy

1Marc SaportaHistoire du roman américainSeghers éd., 392 p.

Voici une precIeuse Histoire duroman américain. .précieuse, d'abordparce qu'elle manquait, précieuseaussi par la réunion de deux quali·tés qu'on trouve rarement ensem·ble dans les histoires littéraires, saprécision et son ouverture. Au dé·part, en effet, Marc Saporta savaitque son lecteur français attendaitde lui deux choses : un bon instru·ment de référence dont on puissese servir à tout moment et sansdifficulté, un guide permettant demieux comprendre l'évolution et laspécificité du roman américain.Aussi aurait·il pu céder à la ten·tation soit de rédiger un diction·naire des romanciers, soit d'écrireun essai brillant où il aurait faitla part belle à ses auteurs de pré·dilection. Mais se gardant de cesfacilités, il a réussi à nous donnerun livre utile sans néanmoins re·noncer à ses qualités d'écrivain.

D'entrée de jeu, il est évident quecette histoire est extrêmement ma­niable. Qui a besoin d'un renseigne­ment le trouve à l'instant. Les pagesannexes ne comportent pas seule·ment un index, ce qui va de soi etune table de concordance entre lesévénements historiques et littérairesce qui est classique, mais un réper·toire biographique des écrivains dequelque importance - ou de quel·que renom. Mais ce répertoire estaussi un répertoire critique. Sapor·ta ne se borne pas ici à donner lesprincipaux titres des œuvres. Enqudques formules ramassées etdont certaines sont de petits chefs·d'œuvre d'ironie ou de justesse(Elinor Wylie « poétesse et beautéfatale", William Goyen « un sudis­me innocent"), il fait le point surla vie, les œuvres, le public et- laqualité d'un écrivain.

Ce répertoire, ce petit dictionnai·re de poche est le reflet du livre.Ici comme là, on retrouve la préci­sion, la rapidité, la sûreté du trait.En trois cents pages, en effet, Sapor­ta dit l'essentiel sur la littératureaméricaine. On peut n'être pas d'ac­cord avec lui sur certains juge·ments, estimer qu'il passe trop vitesur certains auteurs, mais il fautreconnaître qu'il n'esquive aucunproblème ni ne néglige aucun genre,y compris ceux qu'oublient généra·lement les historiens de la littéra­ture. Non seulement le roman poli·cier et le roman de science·fictionont leur place ici, mais la bandedessinée, le roman populaire, la lit·térature de colportage qui au siècledernier contait les légendes del'Ouest sont sinon étudiés en profon·deur du moins signalés et leurs rap·ports avec la littérature propre·ment dite comme leur rôle dansla culture et la civilisation améri·caines sont clairement analysés.

En fait, le parti pris adopté parSaporta l'obligeait à interrogeraussi ces littératures marginales. Sison essai suit moins la chronologieque l'histoire des différents cou·rants littéraires dont certains sontnettement localisés (Sur la frontiè·

re, Le roman de l'Ouest, Le romandu Sud, le roman de la Côte Est,etc.), il s'attache surtout à montrerce qui fait la spécificité du romanaméricain. Aussi bien, à travers ladiversité des genres et des écoles,des influences régionales ou ethni­ques, ce qu'il montre, c'est la per­sistance plus ou moins marquée decertains thèmes qui ont leurs raci­nes profondes dans l'Amérique descolons et la guerre d'Indépendance.L'écrivain américain, de FenimoreCooper à Faulkner, de Melville àHemingway, de Thoreau à Nor­man Mailer, retrouverait toujourssoit le goût de ces aventures vécuesqu'inaugurèrent sur le sol du nou­veau monde pionniers et traceursde pistes, soit le souvenir effrayé

·ou la nostalgie du puritanisme dela Nouvelle Angleterre, soit enfince sens de la rébellion et de l'in·surrection qui anima les fondateursdes Etats·Unis.

Cette dernière tradition, celle des« Insurgents », Saporta dans saconclusion, et après des analysesnombreuses et pertinentes, n'hésitepas à affirmer qu'« elle est omni·présente. Et particulièrement dansle fait que tout romancier améri­cain est en même temps un rebelle,dressé contre ce qui subsiste d'in­justice dans la société américaine.Il est rare qu'il accuse, comme ail·leurs, la condition humaine. Le malqu'il dénonce, s'il le découvre, il nele situe pas dans le monde en géné·raI, mais s'applique à le localiserchez lui dans le cadre le plus fami­lier, comme s'il n'existait pas endehors des Etats·Unis ».

Ainsi tout le livre tend à dégagerce qu'il y a de spécifique dans leroman américain. Mais l'exposé,loin d'être systématique, témoigned'une grande souplesse, indiquantaussi bien les parentés avec la lit­térature européenne que les aspectsmultiples d'une œuvre donnée. Lefait que Truman Capote, par exem·pIe, figure dans deux chapitres, l'unconsacré au roman de l'opulence,l'autre à la littérature de recherchepermet à Saporta de jeter des ponts,de montrer les interactions constan·tes entre différents thèmes. Il ap­paraît alors, à un lecteur attentifque son découpage regroupant sousune même rubrique des écrivainsd'une même inspiration (poétique,politique, religieuse, régionale,ethnique, etc.), n'a rien de systéma·tique. Ou plutôt qu'aucun chapitren'est clos sur lui·même. Commedans ses romans, Saporta a procédéici à un jeu de collage ou de mon­tage, chacun des éléments séparésne cessant de renvoyer aux autreset ne prenant sens que par lesautres.

Même s'il étudie séparément desauteurs importants - et il y a dansson essai de fort belles pages surMelville, sur Faulkner « intrusdans sa propre maison, dans sondomaine» - c'est toujours en lessituant dans le devenir de la civili­sation et du roman américains. C'estpourquoi son bel essai n'est passeulement l'histt>ire du roman amé·ricain mais aussi le roman del'Amérique.

C.B.

Page 13: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

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et la nuit suivante la fièvre des ma­rais se déclare. C'est un même mou­vement, une même force. La forêt,comme la mer, reprend tout.

Il n 'y a pas de leçon à tirer.Tscharner n'en tire pas. Il prépareses herbes, prend son cheval, soigneses malades. Il n'a aucune illusion.La nature n'est ni protectrice nimalfaisante : elle est. Si l'humus etla feuille pourrie sont si doux, c'estqu'ils sont faits de la décomposi­tion de nos morts.

L'écriture volontairement sèche,abrupte, exprime bien ce mouve­ment de célébration réprimé quivient éclairer les meilleurs passagesdu roman. La dureté et la beautévont de pair. Dans ce livre la femmejoue le rôle d'intercesseur entrel'homme et son milieu. Elle appar­tient aux deux : d'où sa fragilité.On voit bien que le livre tend à sesituer au niveau mythologique.

Vieille mythologie païenne qu'onretrouverait sous la trace visible del'écriture, quelque chose d'oublié etde mystérieux. Cette touffeur de lavision donne le dessein du livre.

Jacques-Pierre Amette

Née en Caroline du nord, HeatherRoss Miller est connue en Francepar. un très beau récit, l'Orée dubois. La critique avait remarquéchez cette jeune femme un alliageréussi de tradition faulknérienne,évidemment, avec une fermeté sty­listique et une sensualité des plusétranges, faisant bruisser les motscomme une forêt, levant des nuéesd'images soigneusement enchâsséesdans un terreau riche, très fort,étourdiSsant. La souplesse deses phrases donnait un charmecomplexe, subtil à l'ensemble. Sonlivre avait une odeur entêtante.

On retrouve dans A l'autre boutdu monde cette richesse de résineet d'écorce, ce langage qui est sève,passage, métamorphose. La phrasea sa pulsation, d'ordre végétal. Maisla galopade d'un homme à pèlerinenoire jette comme une note glacéeau creux du livre. Ce cavalier soli­taire sorti tout droit d'une gravureromantique dérange les lieux dès lepremier paragraphe.

C'est le docteur Tscharner. Il aquitté l'Europe avec sa jeune épou­se. Il s'installe en Caroline. Noussommes à la fin du siècle dernier.Les chevauchées de ce médecin taci­turne et actif couvrent de son ombreles autres personnages. On meurtautour de lui, les saisons changent:pas lui. L'épouse disparaît, la se­conde femme perd ses couleurs. Neparlons pas des enfants. Tout peuts'écrouler. Tscharner continuera àtraverser la forêt pour donner despilules de camphre, saigner un ma­lade au scalpel, écraser des plantes,préparer des remèdes. La forêtblanchit, verdit, s'irise à l'autom­ne, et la vie passe ainsi au fil deschapitres, avec quelque chose demorne que rend bien la monotoniede la syntaxe.

Le roman, tel quel, déconcerte.Toute vie est subordonnée à l'équi­libre biologique. Le choix d'un doc­teur pour personnage principal estsignificatif. Significatif aussi cettescène où Cassandra connaît l'éphé­mère joie sensuelle d'un bain ausoleil. Elle étend sa robe, se jetteà l'eau. Les moustiques la piquent,

Heather Ross MillerA l'autre bout du mondeTrad. par Michel GressetGallimard éd., 244 p.

Heather Ross MillerA l'autre bout du mondeTrad. par Michel GressetGallimard éd., 244 p.

La Quhmdne UttftoaJre, dU 1er au 15 décembre 1970 13

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TRIBUNE

Contre les idéologies·par Dionys Mascolo .

Sous le titre. Faut-il réédu­quer l'intellectuel? -, BernardPingaud a récemment pris po­sition à propos de déclarationsde J.-P. Sartre sur le rôle desintellectuels, ici et mainte­tenant. (La Quinzaine. n° 104).

Dionys Mascolo donne ci·dessous son sentiment sur lespositions de Sartre et de Pin­gaud.

Sartre et Pingaud, l'un repre­nant l'autre, ont récemment avancé,sur le rôle de l'intellectuel dans sesrapports avec le projet révolution­naire avant et depuis Mai, un cer­tain nombre de propositions qui neme semblent pas à la hauteur de lanouveauté que nous vivons. Dansce qu'elles ont d'incomplet surtout,elles mettent en œuvre (et même envaleur) des équivoques qui ont cons·tamment, depuis un demi-siècle, faitoffice de freins (depuis peut-êtrel'acte de décision de Lénine fon­dant un pouvoir révolutionnairecontre toutes les règles ?) et qui ris­quent aujourd'hui encore de dé­tourner l'intellectuel de ce qu'ilpeut réellement.

L'intellectuelcc classique »

L'un pour le déclarer penmé,l'autre pour affirmer qu'il a encorede beaux jours devant lui, Sartreet Pingaud s'entendent sur une dé­finition de l'intellectuel: c'est l'in­tellectuel « classique ». Il se carac­térise par les traits suivants1) Comme tous les « techniciens dusavoir pratique », il travaille en faitpour les privilégiés; l'universalitédu savoir se trouve réduite en lui àservir le particulier. 2) Qu'il s'avisede cela, c'est alors qu'il devient àproprement parler un intellectuel etil ne peut plus vivre que dans lamauvaise conscience, laquelle leconduit à chercher une bonne cons­cience en dénonçant la société quigarantit ses privilèges : c'est sacontradiction. 3) Il a, enfin, un« capital idéologique » : le poids deses œuvres le tire en arrière.

Que l'intellectuel ainsi décrit doi­ve se supprimer en tant que tel(sans trop de pathétique: c'est sup-

. primer l'insupportable contradic­tion qu'il est) et qu'en Mai la néces­sité en soit apparue clairement, onne peut qu'en tomber d'accord avecSartre, et s'étonner que Pingaud

accepte un avenir où cet intellectuelcontinuerait « d'aimer son rôle».La question, pour nous, n'est pas là.Elle est en ceci que cette descrip­tion a toute la généralité mais aussitoutes les limites des descriptionssociologiques. L'analyse sartrienneest donc limitée à ce que l'on nom­me les intellectuels « de gauche»,masse indéfinie de personnes dispo­sant à divers titres d'une « audien·ce », n'ayant en commun que le va­gue commun aux divers humanis­mes auxquels les idéologies diversesdonnent lieu (athées, socialistes,chrétiens libéraux, capitalistes éclai·rés, progressistes...) et aucun prin­cipe, créateurs ou manipulateurs de« valeurs» dont ils sont dupes, pla­cés en effet sous le signe de lamauvaise conscience, voués d'ail­leurs à fournir de réguliers contin­gents de « compagnons de route»aux organisations, dans l'attente oùils sont toujours de recevoir de l'ex­térieur leurs attributs proprementpolitiques. Ce dernier point est es­sentiel. A s'en tenir. à cette défini­tion, il y aurait seulement une ac­tion révolutionnaire, mais pas depensée révolutionnaire, a fortioripas d'intellectuels révolutionnaires(le seul « intellectuel révolutionnai·re » dont l'existence soit implicite­ment reconnue serait en dernièreanalyse défini par l'âge: c'est l'étu­diant, celui qui n'a pas de passé,donc pas « d'intérêt idéologique»ou - ceci est une paraphrase ­celui qui n'a pas encore eu le tempsde faire œuvre). On voit la simpli.fication, encore assombrie d'un« trop tard» fataliste. Mais voicile plus grave. Une telle définition,fermant toutes les voies, suggère(sous-entend?) qu'il dépendraitd'une instance extérieure que lapensée théorique - puisque c'estd'elle qu'il s'agit ici de rappelerl'existence - reçoive la détermina­tion qui ferait d'elle une pensée ré­volutionnaire. Cette instance exté­rieure, ce sont les masses, oui, enprincipe ; et à défaut (comme il ar·rive), ce sera l'organisation qui ditqu'elle parle au nom de masses. Al'encontre d'une telle démarche,véritable idéologie d'intimidationsecrétée par l'intellectuel classiquelui-même dans son ardeur autocri­tique, et qui lui retire à l'avancetoute' perspective autre que celle dedevenir le sujet, l'esclave ou le fi­dèle de l'Organisation, il faut affir­mer qu'une telle instance extérieu­re n'existe pas; que la pensée révo­lutionnaire est sa propre instance ;qu'aucune autre autorité que la

sienne propre ne la fonde; et quec'est d'elle seule que l'organisation,et le projet révolutionnaire lui·mê·me, reçoivent toute existence ettout sens.

L'intellectuel« non classique »

En serait-il différemment que laquestion se poserait de savoir com·ment Lénine et Trotsky, Ho ChiMinh et Mao Tsé-Toung, qui nesont pas des travailleurs, ont cesséun jour d'être des intellectuels pe­tits-bourgeois - et Marx, dont l'ap­parition deviendrait un mystèrethéologique. Pour n'avoir été nidirigeants ni hommes d'organisa­tion, et avoir apparemment parléd'autre chose; Artaud, Breton, Ba­taille ne furent pas davantage cela.

Il faut donc admettre que l'intel­ligentsia n'est pas composée seule­ment d'intellectuels « classiques »,ou « de gauche », qu'une pensée li­bre existe déjà (un jeu de l'intelli·gence en quoi il n'est rien qui puis­se servir les privilèges), pensée post­révolutionnaire, libérée donc de tou­te naïveté idéaliste comme de toutesuperstition de mauvaise conscien­ce. C'est celle qui s'identifie à l'exi­gence communiste. C'est d'elle quel'on est en droit d'attendre aujour­d'hui que la pensée participe deplein droit, et en tant que telle, autravail révolutionnaire.

Ne nous en remettons pas ici à unjeu de mots. Celui dont la penséeÙdentitie à l'exigence communistes'est déjà, en un sens, supprimé parlà comme intellectuel. Nullementparce qu'il aurait fait effort pourse « rééduTIer », s'étant mis parexemple à écrire avec des ouvriersdans un journal de masses, maisau contraire parce qu'il n'aurapas renoncé au travail théorique(critique toujours, destructeur), etqu'il aura maintenu dans cetravail la vue selon laquelle, larévolution sociale ne faisant qu'unavec la recherche du vrai (des­truction du non-vrai), « il ne suf­fit pas que la pensée recherche laréalité, il faut aussi que la réalitérecherche la pensée ». Par opposi­tion à l'intellectuel classique, créa­teur de biens culturels, « ingénieurdes âmes », porteur de l'idée satis­faisante, féconde, l'homme de l'exi­gence communiste est l'homme por­teur de l'idée dépossédante, qUi n'estgrosse que de refus, de négation, dedés-illusion, de dé-ception. S'identi-

fiant à une exigence infinie, il vitle dénuement, le manque de sens,dans une abstraction égale à celledu prolétariat, et dans une pareillerupture avec l'intériorité. Loin devivre la « vie des idées» tellequ'elle est reçue, voire honorée dansle monde (vie culturelle), l'intellec­tuel révolutionnaire vit avec l'idéenon apprivoisée, privée de garantie,d'attaches, idée « juive », et tellequ'elle ne peut être reconnue au-de­hors avant que ne soit instituée pourle moins l'égalité absolue. Vie ca­chée, à demi-clandestine, seulementpartagée dans l'amitié, non exemp­te certes d'une juste et nécessaireschizophrénie, dont il n'est bienentendu pas question de guérir d'au­tre façon que par la révolution. Iln 'y a évidemment plus de place icipour la mauvaise conscience. Nimême pour une conscience malheu­reuse. La vie objectivement malheu­reuse de l'idée, le malheur de l'idée,l'idée prolétaire - comment celaconduirait-il à une mauvaise cons­cience ? ou, sauf accident mélanco­lique, à intérioriser le malheur?cela conduit à chercher une libéra­tion. La mauvaise conscience est lecomplément malheureux des pen­sées triomphantes, heureuses, quise nomment elles-mêmes « créatri­ces », et vivent la contradiction.Mais pas plus que la condition ou­vrière, le malheur de la pensée n'estune contradiction.

Rôle de l'intellectuel

Un phénomène original de révo­lution culturelle, rendu manifestepar mai, est en cours dans nos so·ciétés. Ce profond mouvement quibouscule toutes les habitudes men­tales a déjà fait perdre à la classedominante une grande part de sonpouvoir idéologique : les idées do­minantes de l'époque ne sont plusles siennes, mais les nôtres. En cesens nous vivons déjà sous un an­cien régime, dont la législation esttoujours en place, mais dont l'appa­rence de légalité même a disparu.Il est clair que le plus urgent (saufimprévu) est de précipiter la défaiteidéologique de la bourgeoisie. Ellen'en sera pas vaincue pour autant,mais réduite au moins à se défendreà découvert. Mieux armés qu'aucu­ne autre couche de la société pourle faire, c'est aux intellectuels querevient la tâche d'abattre le décor,en sorte que place nette soit faiteau véritable facteur historique : la

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de la mauvaise conscience

catalogue sur deDWlde. au BdltlODS Pa,ot,sentee QL 108. Boulevard IaiDt-8erma1D ParIs 1·

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BBBTBUD BUIIBLLintroductionàla pbilosopbie mathématique

Zl,aor

tement conduire les désirs latentsde tous s'ils viennent à se mallÜes­ter - au refus de toute autorité, detout ordre moral, de toute hiérar­chie, de toute délégation de pouvoiret de toute organisation en effet ­bref. combien la fleur libertaire quise prépare au cœur de l'idée com­muniste était plus près de montrerses couleurs que nous ne l'imagi­nions.

Dans la lumière qui s'est faitealors s'est dissoute la puissance d'in­timidation que l'Organisation pré­tendument dépositaire de l'idée ré­volutionnaire (et qui continue d'im­mobiliser les plus grandes masses)faisait peser sur les esprits. C'est dé­jà beaucoup. Il serait trop triste devoir les intellectuels pressés par lesfantasmes de la mauvaise conscien­ce perdre à nouveau de vue que lapensée théorique révolutionnaireest l'instance suprême et qu'ils enont la charge, et réintégrer complai­samment les idéologies d'intimida·tion où ils ont été longtemps séques­trés, laissant la théorie faire sanseux son chemin de taupe aveugledans le monde.

Dionys Mascolo

Dr D.W. \VIDIoonBnmODDement et pr018SSBde matuatlon ohell'eDlot

1O,70r

B08BBT.1I011iLes problèmes monétalresinternationauxau tournant des années 1970

(leur redonner vigueur de besoins,de désirs ...). Cette aggravation his­torique des idées, heureusementconstante, est ce qui tire du déses­poir philosophique. Il en est ainsi :l'histoire fournit des moments oùs'abolit cette patience qui faisaitprendre le mal en patience (ce n'estpas que le mal n'était pas pensécomme mal avant cela). Quant à« l'échec » de mai qui serait dû àson radicalisme, à son refus de l'or­ganisation (cf. Pingaud), il faut re­dire ceci : en raison même de ceradicalisme, un futur éloigné, cequ'il ne sera question de « réaliser »à l'échelle de toute la société, quebeaucoup plus tard, a été là préfi­guré, en un moment post-révolu­tionnaire qui transforma l'idée enquelque chose de vécu, l'événementprenant valeur d'exacte prophétie.Non pas souvenir donc - et l'im­mense plaisir que ce fut (nous avonsété réalistes, avons demandé l'im­possible et l'avons obtenu) comptepour peu de chose auprès de ce quien fut l'inappréciable importanceactuelle. Mieux que n'eût pu faireaucune réflexion optimiste, mainous a appris à quoi peuvent direc-

0.1. GOUtIADBegelOU la phIlosopbie de la erlse

tZ,80r

Mai aujourd'hui

Venons-en à mai 1968. Pour Sar­tre il n'y avait rien avant mai. Lesintellectuels qui ont participé aumouvement n'ont vu - vainement- en mai qu'une occasion de réali­ser des idées qu'ils avaient« avant D. Pour Pingaud, mai nefut qu'un moment avant et aprèslequel les mêmes problèmes exacte­ment se posent, et la fidélité à maiest impossible.

Il est vrai que nous ne sommespas nés en mai (sont nés en maiceux qui étaient en âge ou en étatde naître, et c'est sans importance:ce qui donne sa jeunesse à la jeu­nesse même, c'est la mise en doutede tout ce qui se présente commevrai, dans tous les ordres, et il nenous est pas donné d'en finir aveccette manière d'être). En mai, di­sons-le en pensant à demain, non àhier, nous sommes devenus des mi·litants et avons tenté alors, avecbeaucoup d'autres, et selon nosmoyens, de favoriser l'apparition deformes insurrectionnelles dans lemouvement; il s'agissait de pousserles choses le plus loin possible dansle sens de l'exemplarité. Quant à yvoir l'occasion de « réaliser nosidées D, s'il n'en fut rien, c'estd'abord que nous avons presque tou­jours été conscients que le mouve­ment n'en serait pas capable. Maissurtout, il ne s'agissait vraiment pasde cela. (Et il ne s'agira sans doutejamais de cela. Dans aucune hypo­thèse, peut-être, ces idées ne sontde celles que l'on « réalise D, maisbien plutôt de celles que l'on peutseulement mettre en branle : uncommencement... Mais cela relèved'une autre réflexion.)

La fidélité à mai ne s'en imposepas moins, pour la simple raisonque le travail de métamorphosealors amorcé se poursuit. Elle estdonc moins fidélité que présence.« Rien n'est comme avant D et« tout est comme avant» sont deuxillusions. On peut bien dire que, phi­losophiquement, mai n'a rien ap­porté de nouveau. Aucune idée, au­cun concept politique inédit n'ensont sortis, notre outillage concep­tuel n'a pas changé, nos « idées »sont les mêmes. Sartre a donc tort.Mais Pingaud, qui lui donne tort,infiniment plus. Car, historique­ment, la nouveauté de mai est iné­puisable. Ces « idées» (c'est-à-diredes rêves, des désirs, des besoinsconceptualisés), l'événement est ve­nu leur redonner une actualité, lesremettre en vigueur comme jamais

lutte de classes. C'est là l'œuvrede la pensée théorique. Son sens estde préparer intellectuellement à laguerre civile si la résistance de laclasse qui opprime oblige à laguerre civile.

Pour être en mesure de jouer cerôle, l'intellectuel n'a pas à se cher­cher d'abord quelque justificationextérieure ou morale que ce soit.Il Servir le peuple D, il y a encoredans cet engagement dont la no­blesse est certaine un mouvementqui place à part du peuple. Il luisuffit de ne pas se nier l'oppressionqu'il subit, et qui, littéralement,ne ferait-il que parler, lui dérobesa parole. TI s'agit alors pour lui dese libérer, lui : la pensée à laquel­le il s'identifie. En ce sens la révo­lution est l'affaire des intellectuelsautant et plus que celle des travail­leurs. TI y a même dans l'exigencethéorique quelque chose d'irréduc­tible qui n'appartient pas naturel­lement à la condition prolétarienne(voir Prague à ses débuts) : d'oùvient qu'une défaillance théoriqueest trahison, ce que ne peut êtrel'inertie des masses, l'absence dupeuple. Tout ouvriérisme, tout po­pulisme sont encore des erreurs néesdes fermentations de la mauvaiseconscience. Et soit dit contre touteconfusion: il n'y a pas d'ouvriéris­me dans notre volonté d'instituerun pouvoir ouvrier. Le communis­me passant par l'abolition de ladivision bourgeoise du travail, etquelque minoritaire que soit appe­lée à devenir la classe ouvrière" tantqu'il existera un travailleur manuel,c'est la classe ouvrière, c'est ce tra­vailleur qui décidera de toute l'or­ganisation de la société. C'est ence sens et uniquement en ce sens(qui est aussi tout le sens du maté­rialisme révolutionnaire) que nousavons Il besoin des masses D. Nonpour Il apprendre », mais pour nouslibérer, pour que soit admis ce quenous savons déjà, ce que nous vi­vons en pensée.

Pour conclure : l'intellectuel clas-. sique doit certes se supprimer com­

me tel. Mais il ne peut éviter de lefaire vainement, mystiquement ouservilement, et par suite révocable­ment, qu'en agissant à l'inverse dece. que lui indique la mauvaiseconscience : en affirmant l'autoritéintellectuelle de l'exigence révolu­tionnaire, autorité sans pouvoir, exi­gence anonyme qui fait de celui quil'a conçue l'égal du dernier deshommes, sans qu'un fi: renonce­ment D intellectuel y soit néces­saire.

La Quinzaine UttâaIre, du 1er au 15 décembre 1970 15

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SCIENCES

Jacques Monod:par Jean Choay

1Jacques MonodLe hasard et la nécessitéEssai sur la philosophienaturelle de la biologie moderneLe Seuil éd., 224 p.

Le hasard et la nécessité, essai surla philosophie naturelle de la biolo­gie moderne, est, en fait, l'histoirede deux révolutions : l'une aiguëet décisive, dans le domaine de labiologie, l'autre plus indécise, au« Royaume» des idées.

La première révolution dont Jac­ques Monod fut l'un des principauxartisans, et dont il décrit superbe­ment les conquêtes, les principes etles objectifs, a transformé la biolo­gie en une science constituée, déjàen partie théorique, à laquelle laqualification de moléculaire peutlégitimement être attribuée. Maiscette qualification montre aussi àquel point l'autonomi~, peut-êtremême l'existence de la biologie estmenacée par les sciences de la molé­cule, la physique et la chimie.

L'événement initial

L'événement initial fut la décou­verte, par Mendel, de la nature del'invariant biologique, le matérielgénétique. Le système de la biologiemoléculaire s'est formé en analy­sant le fonctionnement cellulaire àpartir des caractéristiques physico­chimiques de cet invariant.

Rappelons-les brièvement. Chimi­quement, il est composé d'une ma­cromolécule, l'acide désoxyribonu­cléique, constitué par une séquencede nucléotides dont les résidus debase sont de quatre types. Physique­ment, deux de ces séquences com­plémentaires sont associées en uncomplexe bi-hélicoïdal non covalent;souvent dénommé double hélice.Biochimiquement cette double sé­quence est hautement signifiante,puisque l'ordre de succession des ré­sidus nucléotidiques est le supportde l'information génétique. Elle estcapable; lors de la division cellulai­re . de se reproduire, identique àelle-même: c'est le phénomène dé­nommé réolication. Par ailleurs elleprogramme l'ensemble des réactionschimiques de la cellule; elle estdonc capable de transmettre, sousforme d'ordres, certaines des infor­mations qu'elle détient : c'est lephénomène dénoIIimé traduction.L'étude de cette traduction, en réa­lité transmission, de l'information

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des séquences nucléotidiques aux sé­quences peptidiques a nécessité lacréation d'un nombre important denotions relatives soit à la structuremême du materiel génétique (gènerégulateur, segment opérateur, seg­ment promoteur, opéron, codon)soit à la régulation de la transmis­sion (répresseur), soit à la traduc­tion elle-même (messager, code gé­nétique). Cette machinerie se re­trouve, monotone, dans toutes lescellules de tous les vivants et l'onpeut constater l'identité de leurtype de molécules informationnelles,l'universalité. du code génétiquecomme ]a siniilitude de leurs gran­des voies métaboliques.

Ces résultats n'ont pas manquéde soulever de profondes dificultésd'interprétation; pour les leverJacques Monod, ainsi que d'autresbiologistes moléculaires proposentdeux principes fondamentaux, véri­tables règles du système, on peut lesénoncer de la façon suivante : lesphénomènes biologiques sont réduc­tibles aux lois de la physico-chimie,donc régis par leur nécessité, ils nesont cependant pas déductibles deces lois car seul le hasard les acréés. Ainsi l'apparition des vivantsdans l'univers, loin d'être nécessai­re, est fortuite, fortuite égalementleur constitution chimique et leurspropriétés. On peut penser qued'autres molécules informationnel­les, d'autres systèmes énergétiquesou d'autres - codes génétiques au­raient pu exister. On peut imaginerdes « vies» à nombre de moléculesessentielles plus bas ou plus élevé.Mais l'imagination ne doit pas sedébrider car tout système créé parle hasard ne peut fonctionner ques'il en est physico-chimiquementcapable. La nécessité reprend sesdroits imprescriptibles.

La propriétéla plus spectaculaire

La propriété la plus spectaculairedes organismes vivants, leur fina­lité, nommée par Jacques Monodtéléonomie afin d'échapper à laconnotation liée à cette notion, neconstitue bien entendu pas une ex­ception à cette règle, on en trouvedéjà la trace au niveau moléculaire.La téléonomie de l'organisme est larésultante de tous les systèmes parti­culiers qui le constituent, commeeux elle est la fille du hasard et dela nécessité. L'instable stabilité dumatériel génétique est ~galement

toujours fortuite car imprévisible,et parfaitement nécessaire car elleest la conséquence du second prin­cipe de la thermodynamique. Lanécessité physico-chimique est doncla grande loi du règne vivant quedes coups de dés en nombre infinicréent de façon continue.

Une réponseaffirmative

Le système de la biologie molécu­laire a été construit à partir del'étude de la structure et du fonc­tionnement des organismes, parti­culièrement des plus simples d'entreeux, les virus et les bactéries. Cesconcepts, articulations et règles sont­ils extensibles à l'ensemble des phé­nomènes de la biosphère, l'évolutiondes espèces et l'émergence du cer­veau humain en particulier? Jac­ques Monod répond de façon absolu­ment affirmative à cette question :l'évolution est causée par des modi­fications chimiques du génome, cesmodifications sont fortuites et ellessont la conséquence de l'instabilitéthermodynamique moléculaire.

Pour parvenir à une théorie del'évolution, il doit introduire unenouvelle règle : c'est la sélectionnaturelle qui choisit parmi lesstructures apparues. En effet lesmodifications du matériel généti­que provoquent des changements deperformance ou de téléonomie ; sontseules retenues les performancesles plus efficaces face au mondephysique et biologique. Jacques Mo­nod réalise la fusion de la biologiemoléculaire et de la théorie darwi­nienne ; on assiste à la naissance dela théorie darwinienne moléculairede l'évolution.

Dans cette théorie toute téléono­mie préétablie est exclue ; on cons­tate naturellement au cours de l'évo­lution une amélioration des perfor­mances et l'apparition de formes deplus en plus complexes et autono­mes, toutefois ce « progrès» n'estqu'une conséquence de mutationsfortuites sélectionnées. L'émergencedes structures est toujours préala­ble à leur téléonomie. Ainsi l'évolu­tion des espèces, loin de constituerune exception au principe de Clau­sius en devient une manifestationpuisque l'instabilité de l'invariantest à l'origine des organismes queleurs performances destinent à lasélection.

L'apparition de la structure laplus complexe de la biosphère, le

cerveau humain, n'échappe pas àce mécanisme. Sa performance ma­jeure est la simulation, c'est-à·direle déploiement rationnel de l'imagi­naire. Sa dimension propre est l'ex­périence langagière dont les travauxactuels des linguistes ont égalementmontré le caractère fortuit. Le lan­gage a créé le monde humain enpermettant une autre évolution,idéelle cette fois. Jacques Monodsuggère d'ailleurs l'intérêt qu'auraitl'application de règles de sélectionà l'histoire des idées.

L'apparition des concepts et desénoncés de la biologie moléculaireétait déjà d'un grand intérêt. Leurinsertion dans une théorie généraledarwinienne moléculaire est unévénement épistémologique de pre­mière grandeur. La fin de la biolo­gie se doit d'engendrer de profondeshypothèses. François Jacob a dé­montré avec une extrême précisionles mécanismes de recherche quiont abouti à un tel événement. Lalecture de l'histoire de la biologiepar Jacques Monod met en éviden­ce trois grandes coupures : Mendeldécouvre le véritable invariant bio­logique, l'hérédité; Darwin, le véri­table fondement de l'évolution, lasélection naturelle ; Avery, Watsonet Crick donnent à la biologie molé­culaire son essor décisif.

D'un très grandintérêt

La théorie proposée par JacquesMonod est d'un très grand intérêtcar sa force de synthèse et sa vio­lence polémique sont telles qu'ellene peut qu'être génératrice d'expé­riences destinées à l'infirmer ou àla confirmer, en particulier dans undomaine où le savoir biochimiqueest encore insuffisamment avancé,la connaissance même du matérielgénétique. Si paradoxal que ce puis­se être la structure de ses enchaîne­ments nucléotidiques est peu élu­cidée, faute de méthode appropriée.La cartographie comparée des en­chaînements peptidiques d'espècesvoisines est loin d'être suffisante.Par ailleurs des enzymes aux cu­rieuses propriétés, capables de re­monter l'information génétiqued'un acide ribonucléique à un acidedésoxyribonucléique semblent avoirété détectées. Peut-être permettront­ils d'éclairer le mécanisme de cer­tains changements de génome. Toutun univers de fusion, de fragmenta­tion, de délétion, s'ouvre, et cette

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n'est qu'un accident

Jacques Monod nous rappelle que l'homme est enfouidans deux systèmes d'information, le matériel génétiqueet le langage. Cette présence du langage empêche deressentir l'effroi de la solitude.

théorie oblige les chercheurs à s'yprécipiter. Divers niveaux expéri­mentaux sont envisageables : com·prendre la chimie de l'évolution, lareconstruire par simulation, enfinsi cela est concevable la réaliserartificiellement. Les travaux à venirparviendront peut-être à déterminerla probabilité de l'improbable.

Mais que l'on ne s'y trompe pas,tout retour en arrière est désor­mais impossible. Ce nouveau systè­me a exorcisé les ombres qui pla­naient séculairement sur la théoriebiologique. En effet, les notions deforce vitale, entéléchie, orthogénèse,dépassement, venues de tous les sec­teurs idéologiques, religieux ou pro­gressistes, ont toujours supposé uneorganisation latente préalable àl'émergence des structures. En leséliIillnant et en mettant en question

la diffuse notion de « vie » la biolo­gie moléculaire a transformé la bio­logie en une science comme lesautres.

Mais le coût de cette transforma­tion est élevé car, la biologie concer­ne tous les vivants, donc égalementl'homme lui-même. De plus nombrede nos idées politiques, religieuses,philosophiques, sont pénétrées d'élé­ments mal contrôlés provenantd'idées vitalistes pré-scientifiques.

L'avènement d'une nouvelle bio­logie, évanescente et pure, a pOurJ. Monod, un corollaire nécessaire,l'avènement d'une philosophie natu­relle, origine d'une véritable révolu­tion intellectuelle. En effet le tempsest venu de mettre radicalement enquestion la place de l'hoDllJle dansl'univers. L'homme non seulementn'est plus le centre du monde, mais

il n'est plus inséré dans un réseaude déterminations qui rendait saprésence déductible ; non seulementil est inutile, mais plus grave enco­re il n'est qu'un accident. De pluscet accident n'est pas contraire auxlois de la physique et de la chimie.

Cette révolution suppose l'éradi·cation d'une illusion fondamentale,que nous appellerions volontiers an­thropotélique, et qui consiste à fai-

re de l'homme et de son esprit la finde l'univers. Elle témoigne d'uneincapacité à assumer la disparitiondu géocentrisme. Depuis le XIX·siècle cette illusion accapare la no­tion d'évolution pour tenter de re­trouver la quiétude de l'état pré­copernicien.

Une proie facile

Les religions sont bien entenduune proie facile pour la « nouvellecritique» de J. Monod. Les croyantsdevront se convaincre qu'il est inu­tile et vain de chercher la trace deDieu dans les brins de la doublehélice.

Les systèmes post-hégéliens deMarx et de Engels ne sont pas da·vantage épargnés. Leur projetn'était pourtant pas de lier l'hom­me à de vieux rites ou d'anciennesparoles. Il visait au contraire à lelibérer, des contraintes qui ont re­jeté une partie de l'humanité horsdu monde humain. Mais ce projet,par la médiation de la dialectique dela nature, n'a pas résisté à faire del'homme la finalité de l'univers. Lesconséquences de ce glissement sontlourdes, et le refus par Lyssenkode l'invariant génétique est riche deconnotations galiléennes. Nous ajou­terions que le renouveau d'intérêtpour le Engels de la dialectique dela nature est significatif.

Pour assumer cette nouvelleconception, philosophique et natu­relle, de l'homme dans l'univers,Jacques Monod propose une éthiquede la connaissance basée sur le pos-

tulat d'objectivité, cette éthique per­mettant seule l'accès au «Royau­me » des idées.

Son «Essai» provoquera main­tes polémiques, certaines inutiles :les chrétiens ont toujours un « quiaabsurdum » possible. Les marxistesont la possibilité de « lire » JacquesMonod et d'y découvrir un matéria­lisme qui, pour être mécaniste, n'enest pas moins rigoureux. Ils pour-

ront ensuite dénoncer une nouvellephilosophie non dialectique.

Au-delà de ces propos il faut ad­mirer sans réServe cette réussiteparticulière de Jacques Monod; saphilosophie naturelle, aussi darwi·nienne soit-elle, ne l'a pas conduità la nécessité d'un discours opéra­toire, voire performant, il nous rap­pelle très justement que l'hommeest enfoui dans deux systèmes d'in­formation, le matériel génétique etle langage.

Présence dulangage

Toutefois cette présence du lan­gage et au langage empêche certai·nement de ressentir l'effroi de lasolitude. Les hommes sont dans lediscours et cherchent le vrai dis­cours. Penser avec Jacques Monodque cette.recherche doit partir d'unpostulat n'est-ce pas, au mieux ré­tablir le point fixe que durant toutun beau livre il a essayé d'écarter,au minimum rétablir une tonalitéopératoire qu'il avait paru éviter. Lascience pour la science qu'il nousprésente est-elle déductible ou in­ductible d'une philosophie natu­relie? L'auteur laisse cette interro­gation sans réponse. Ce n'est paspar hasard, mais par nécessité quele titre de son livre est tiré des pré­socratiques, c'est-à-dire du mondedes commencements.

Jean C/way

La Quinzaine littéraire, du 1er: au 15 décembre 1970 1 7

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F. Jacob et lapar Jean-Paul Aron

"logique.,.,

L'apparition d'organisations supérieures intègre dansla nature vivante des composantes que la génétique desbactéries n'explique pas: avec le sexe, avec la naissanceet la mort, la vie a fait des bonds dont aucune fl logique ft

n'est parvenue jusqu'ici à rendre compte. Avec l'hommeet son histoire, il s'agit d'une autre affaire encore.

1François JacobLa logique du vivantBibl" des sc. humainesGallimard éd., 354 p.

C'est une leçon d'histoire, et pas.seulement des sciences, que nousdonne François Jacob dans la pluséclatante et la plus érudite vue d'en­semble jamais prise sur l'évolutionde la biologie. D'emblée, la moder­nité de sa méthode s'affirme: à lavieille glose idéaliste des progrès dela conscience, il substitue la repré­sentation des étapes du savoir, desaccents qui marquent pour chaqueépoque sa problématique originale,des vérités comme des erreurs quicernent son profil épistémologique.Il n'est pas question de parcourir àrebours le cheminement de la rai­son vers son triomphe ultime. Ils'agit de s'installer dans une longuedurée, d'y voir converger desconcepts apparemment hétérogènes,de définir le système de leurs inter­actions. Surtout, il importe de met­tre en évidence la discontinuité deces conjonctures, de montrer l'émer­gence de nouveaux systèmes oùd'autres rapports se nouent entreles secteurs particuliers de la scien­-ce globale.

Structures d'accueil

La découverte en biologie est,telle quelle, toujours précaire. Spal­lanzani, dès 1785, révèle le rôle dela liqueur séminale du mâle dans lafécondation de l'œuf de grenouille.En 1824, Prévost et Dumas affinentl'expérience de Spallanzani et dé­montrent une fois pour toutes lafonction des « animalcules », des« zoospermes» de la fécondation.Il faut pourtant attendre 1875 pourque celle-ci soit, par Richard Hert­wig, analysée dans sa contextureproprement scientifique. Ce n'estpas seulement l'usage inédit d'unmatériel commode (l'œuf d'oursin)ou l'élucidation de phénomènes in­connus (la fusion des deux noyauxparentaux) qui constituent i'apportd'Hertwig à la biologie cellulaire,mais sa relation spécifique à- unepensée ambiante, à un réseaud'écoutes et d'échos. Sans doute lapart du créateur, pour autant, n'est­elle pas négligeable : Bütshli et

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Auerbach avaient, les années pré­cédentes, décrit des faits très pro­ches sans en percevoir le sens. Tou­tefois l'œuvre d'Hertwig n'est ren­due possible que par son temps, seul

armé pour prendre en charge desdonnées qui s'étaient déployées sanshorizon autour de Prévost et Du­mas. C'est que le temps d'Hertwigest aussi celui de Flemming, deBoveri, de Van Beneden qui, de1879 à 1887, expliquèrent la divi­sion chromatique, dans les cellulessomatiques et dans les cellules ger­minales ; c'est qu'il succède à peineà celui de Claude Bernard par quil'expérimentation s'est imposée enbiologie non pas telle une technique,au demeurant connue de longuedate, mais comme une modalité dela recherche, une démarche inhé­rente à son objet et indissoluble desconcepts.

Poupées russes

Suivons à présent dans StiS

rythmes h<lurtés l'aventure de l'hé­rédité. De la Renaissance à nosjours, on la voit changer de dimen­sion, de formes, de perspective. Achaque tranche historique corres­pond une figure du savoir : un espa­ce qui, de proche en proche, se creu­se, s'approfondit, du visible aumoins visible, jusqu'aux régionsd'abord construites par la pensée,faute d'apparaître" aussitôt à l'expé­rience sensible. Si bien que l'histoi­re de la biologie ressemble à un jeude poupées russes emboîtées les unesdans les autres. Derrière chaqueorganisation s'en dissimule une au­tre : « Au-delà de chaque structureaccessible à l'analyse finit par serévéler une nouvelle structure, d'or­dre supérieur qui intègre la premiè­re et lui confère ses propriétés. »

Première figure, la structure vi-

sible, au XVI~ siècle enchevêtréeavec le monde inanimé, avec la na­ture et les chimères, en un systèmequi enveloppe innocemment le fan­tasme et le réel : « Le médecin, dit

Paracelse, doit savoir ce qui estutile et nuisible aux créatures in­sensibles, aux monstres marins etaux poissons, ce qu'aiment et ceque détestent les animaux privés deraison, ce qui leur est sain et maL­sain. V oici sa culture concernant lanature. Et encore? Les pouvoirsdes formules magiques, leur origineet leur source, leur nature : qui estMélusine, qui est Sirène... » L'âgeclassique commence à mettre del'ordre dans ce visible, débarrassantles vivants de leur chape d'analo­gies et de similitudes afin de les ré­soudre dans leurs lignes et leurs sur­faces apparentes. D'où plusieursavenues de la science de la vie, par­fois opposées et cependant conver­gentes dans la constitution du sys­tème : au XVIIe siècle, le mécanis­me, la machinerie des poulies, desleviers, des essieus qui composentl'économie vitale; au XVIIIe, l'ani­misme, son contraire, l'activité mlel­ligente et bienveillante, impalpableet inssaisissable, ne se révélant àl'œil nu que par ses productionsmerveilleuses : la ruche des abeilles,la géométrie de ses alvéoles...

Ce système se donne les maté­riaux de sa cohérence : une classi­fication, des espèces aux \raits ·biensaillants permettant d'inventorierla vie sans rien laisser au hasard ouà l'ignorance; une « embryologie D

qui va chercher dans l'infinimentpetit, dans l'invisible absolu la cer­titude d'une visibilité future : c'estla préformation, la théorie du ger­me, miniaturisation de la forme ac­complie, portant en soi les germesde sa descendance. Miniatures deminiatures, quelle taille avaientdonc les germes du premier homme

et de la première femme ? Quel estle véhicule de cette filiation fabu­leuse? L'œuf? La semence dumâle ? Il y a des ovistes et des ani­malculistes, il y a ceux qui croientque les germes sont disséminés pri­mitivement dans l'univers et ceuxqui tranchent pour leur emboîte-­ment à l'intérieur des corps vi­vants. Mais ces disputes ne concer­nent que l'accessoire. Le principeest irrécusable; il répond à l'exigen­ce fondamentale du système : le dé­cryptage de la vie. Or voici qu'aumilieu du XVIIIe siècle, quand onn'a pas fini encore de s'invectiversur l'origine des germes, des om­bres se glissent sous cette belleordonnance. Des questions filtrentqui bientôt se transforment en pro­blème et modifient l'espace de laconnaissance : on va lui conférerune épaisseur et découvrir derrièrele visible les processus de la vie.C'est la seconde figure : l'organi­sation.

Le savoir à présent procède d'unedouble impatience: d'atteindre lesstructures fines des corps vivants :le tissu, puis la cellule ; de trouverà cette unité morcelée un principed'unité. Le vitalisme, souligne Ja­cob, se pose de ce fait contre l'ani­misme. Celui-ci venait relayer lemécanisme en lui empruntant sessous-entendus ; celui-là marque l'ir­réductibilité du vivant à la matière.Il vient par conséquent appuyerl'analyse qui accède aux profon­deurs de l'organisation, non pourl'identifier à la nature inorganiquemais pour lui arracher ses secretsspécifiques.

Dès avant 1830, l'organisation,unité du multiple, éclate dans sadéfinition statique. L'espace ne sau­rait plus suffire à en exprimer l'au­thentique complexité. Celle-ci, indi­que Lamarck, se réalise à travers letemps. La géologie du XIXe siècleapporte à la biologie une contribu­tion décisive : la terre a ses âgespropres recoupant ceux de la vie. ADarwin il appartenait, souveraine­ment, de débrider le temps biolo­gique, de le livrer à son impulsionirrésistible, d'abolir toute limite àson pouvoir de transformation.Cette mutation de paramètre étaitnécessaire à l'instauration de latroisième figure du savoir : le gène,ambigu, facteur de la stabilité héré­ditaire et de la variation. La pensée

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. ~vivantdufait ici un saut périlleux : le rap­port n'est plus du caché au visible,car ce qui est caché n'est que pro­visoirement ou artificiellement dé­robé à l'observation directe. Lastructure génétique, de Mendel àMorgan, est hétérogène à tout sys­tème apparent. Certes, on peut, surles chromosomes du noyau, repé­rer des éléments correspondants augène. Néanmoins, celui-ci, plusqu'une organisation spatialementdéfinie, est une unité de fonctionne­ment. Réelle, à travers ses effets.

Au cœur même de la structuredu gène se construit depuis deuxdécennies la biologie moléculaire :quatrième figure. En investissantl'espace de la configuration généti­que, elle éclaire son fonctionne­ment. Et l'intégration de cette phy­siologie et de cette cytologie s'effec­tue par l'intermédiaire de la physi­que et de la chimie. Le gène est unlong polymère d'acide désoxyribo­nucléique (A.D.N.) formé de deuxchaînes enroulées en hélice, commel'a montré Watson, l'une autour del'autre. Cette molécule géantecontient le programme de l'hérédi­té : elle le transmet par des messa­gers chimiques à des unités protéi­ques logées dans le cytoplasme :20 acides aminés qui vont consti­tuer les agents (protéines-enzymes)de toutes les réactions biologiquesrequises par le programme généti­que. Pour instruire ces unités, lastructure nucléique utilise un véri­table code. Chacune des séquencesd'A.D.N. se compose de sous-élé­ments, les nucléotides qui ne peu­vent être que de quatre sortes dif­férentes. Ils s'organisent trois partrois en triplets (ou codons) d'infor­mation. Les messagers sont de troisespèces : un messager transcrip­teur, portant les informations del'unité nucléique aux granules cyto­plasmiques à partir desquels sontfabriqués les protéines-enzymes. Dece texte transcrit, un messager tra­ducteur, chargé à la fois de l'alpha­bet de l'A.D.N. et de celui des pro­téines, va collecter les acides ami­nés : il y a un messager traducteurpour chaque acide aminé. Enfin unmessager fabricateur qui adresseaux granules cytoplasmiques le plande synthèse des protéines. La cellu­le est une usine de montage où s'é­difient, de la bactérie à l'homme,l'ensemble des appareillages produi­sant, contrôlant et ajustant, à quel­que degré de complexité que ce soit,les régulations des organismes vi­vants.

Constellationsépistémologiques

L'originalité de l'entreprise deJacob consiste dans la mise en place,face à chaque figure, de véritablesconstellations épistémologiques oùse rencontrent des problèmes, des re­cherches, souvent fort éloignés àl'intérieur de la biologie, mais aus­si d'autres sciences, d'autres techni­ques qui ont, directement ou indi­rectement, influé sur ses développe­ments. Sans doute ces ensembless'enrichissent-ils au XIX' siècle,après que la biologie se fut consti­tuée en science autonome. Maisdéjà, à l'âge classique, les référen­ces à la géométrie cartésienne, à lamécanique newtonienne situent labiologie dans une configuration quila déborde de tous côtés. Vers lemilieu du XIX' siècle, cette syn­thèse interdisciplinaire occupe unepart imposante de l'ouvrage : lespassages consacrés à la géologie deLyell, à la chimie de Liebig, à l'ana­lyse statistique de Boltzmann et deGibbs, et au XX, siècle, à la cyber­nétique, à l'informatique, à la chi­mie ou à la physique des polymèresfont éclater toutes les frontières etrompent définitivement l'isolementde la biologie.

Une question se pose alors: oùfixer les limites d'une telle constel­lation? Il s'agissait évidemmentpour Jacob d'utiliser ceux desconcepts « étrangers» qui étaientintel'Yenus plus ou moins explicite­ment dans la problématique desêtres vivants. Cependant, au XIX'siècle, les liens de la biologie avecl'économie, la sociologie, la démo­graphie sont évidents et opératoires.Faut·il rappeler, d'autre part, quel'endocrinologie sexuelle qui tint,pendant plus de cinquante ans, uneplace capitale dans la physiologiegénérale n'institua son domainequ'après que Freud eut publié sespremiers travaux sur l'instinctsexuel ? Enfin, à l'ère de la sémio­logie, et lors même qu'on n'hésiteplus à formuler en termes de lin­guistique la structure du code géné­tique, doit-on se taire sur cette rela­tion privilégiée ? Il est à souhaiterque dans le sillage de Jacob lechamp de l'histoire des sciencess'ouvre toujours plus largement etqu'elle renonce du même coup àses dernières pudeurs, au sentimentd'une indiscrétion de l'histoire so­ciale ou culturelle à son égard. Com­ment disjoindre l'œuvre de Cuvier,

à laquelle F. Jacob attache unesignification privilégiée au· débutdu XIX' siècle, de la création duMuseum d'histoire naturelle? Labiologie, à l'instar des sciences hu­maines, est inséparable des institu­tions peut-être parce qu'il y a entreces divers visages de l'organisationun peu plus qu'une identité lexico­logique.

Ordre et savoir

Dans l'introduction, puis à la findu livre, Jacob éclaire le sens pro­fond du titre : La logique du vi­vant. C'est une combinatoire, la co­hérence des éléments dans un sys­tème dont ia grammaire génétiqueest actuellement le modèle le plusaccompli. Mais c'est toute formed'agencements déchiffrables, quandJacob écrit que « toute une sériede structures biologiques, les poly­mères, les membranes, les organitesrépartis dans la cellule ont aussileur. logique interne» (p. 325).C'est sans doute le principe de toutsystème, comme « celui qui régitdes programmes complexes, le dé·veloppement d'un mammifère parexemple», et qu'on ignore encore(p. 334). C'est donc à l'instaurationde telles logiques que tend la vie,et à la reconstitution de leur avène­ment que s'essaie à son tour l'his­toire de la biologie qui s'est élevée,

d'intégrations en intégrations, jus­qu'à la biologie moléculai~e, prolo­gue à d'autres intégrations. Ici onne peut se défendre d'une légèresuspicion: Jacob n'introduit-il passubrepticement une finalité de laraison, ne lui prête-t-il pas une·nou­velle fonction transcendantale : larégulation d'une complexité qu'elles'est efforcée, dans son évolution, àcontrôler et à systématiser peu àpeu?

Le sexe et la mortPourtant, l'omniprésence dans

l'univers de systèmes codifiables nepréjuge pas de leur contenu spéci­fique. L'apparition d'organisationssupérieures intègre dans la naturevivante des composantes que la gé­nétique des bactéries n'expliquepas : avec le sexe, avec la naissan­ce et la mort, la vie a fait des bondsdont aucuné « logique» n'est par­venue jusqu'ici à rendre compte.Avec l'homme et son histoire, ils'agit d'une autre affaire encore.Jacob n'exclut pas que les systèmesainsi échafaudés ne soient déchif­frables en d'autres langues mais lalecture biologique en est impossiblecar le texte du code n'est pas, enl'homme, réductible aux textes déjàdécryptés. C'est sur cette constata­tion, et j'avoue m'en réjouir, quese ferme ce livre majeur.

lean-Paul Aron

La Qghmdne UtUnlre, du 1er au 15 décembre 1970 1 9

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Hélène WoIfromm etl·a sexualité féminine

1Hélène Michel WolfrommCette chose-làGrasset éd., 392 p.

Parce qu'elle était genereuse deson temps, débordante de vie, et s'in·téressait passionnément aux gens,le Docteur Hélène Michel-Wol­fromm ne s'est pas contentée desoigner ses clientes, elle a voulu lescomprendre, ce qui lui a permissouvent de les guérir... Morte à cin­quante-cinq ans en avril 1969, d'uncancer du poumon, Hélène W01·fromm laisse un des meilleurs livresqui ait été écrit en France sur lasexualité féminine.

Elle a créé en médecine une nou­velle spécialité : la gynécologie psy­chosomatique, qu'elle a enseignée àde nombreux élèves. Elle a été, avecle Dr Lagroua WeiH-Hallé, une despionnières du planning familial. Sesmalades l'adoraient, et son bureauétait tapissé de photos de bébés quelui envoyaient les femmes qu'elleavait guéries de leur stérilité. Sesnombreux amis, écrivains, méde­cins, psychanalystes gardent d'ellele souvenir d'une personnalité ex­ceptionnelle.

Très douée pour les études, tra­vailleuse, Hélène passa facilementl'externat et fut interne à vingt­trois ans. Elle aurait pu faire unecarrière officielle. A cette époqueelle rencontra François Michel,beaucoup plus âgé qu'elle, banquier,riche, intelligent, plein d'esprit.Rompant avec sa famille et son édu­cation puritaine, Hélène épousaFrançois Michel qui fut, jusqu'à lafin de sa vie, son grand amour...

Son mari ne voulait pas d'unefemme dévorée par son métier, ellene se présenta pas à l'oral duconcours d'assistanat des hôpitaux.François Michel, Israélite, dut se ré­fugier en zone libre en 1940 etgagna l'Algérie. Hélène le suivit àAlger où elle s'engagea comme mé­decin sous-lieutenant de l'Armée del'Air et des Forces combattantes.Après la guerre, elle revint à Paris,et commença à exercer.

Est-ce sa rencontre avec JacquesLacan pendant les années 50, ou cetélan chaleureux qui toujours l'avaitportée vers autrui? Très vite Hélè­ne Michel·Wolfromm choisit depratiquer 'une médecine que l'onappelle maintenant psychosoma­tique.

« Mais à cette époque », explique"son frère, René Wolfromm, Profes­seur à la Faculté de Médecine, « lamédecine française classique était

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contre la psychanalyse. Elle a prisun chemin très novateur. Les mi­lieux officiels lui étaient hostilesou bien ne la prenaient pas au sé­neux. »

Amie et collaboratrice d'HélèneWolfromm depuis 1955, le Dr Gil­berte Steg, qui assistait à toutes sesconsultations à l'hôpital Broca, ra­conte : « Elle disait qu'elle servaitde « poubelle ». Les médecins luienvoyaient toutes les femmes qui neguérissaient pas ou ne voulaientpas guérir. Elle les examinait trèssérieusement, son temps n'était paslimité. Elle les laissait parler jus­qu'à ce que leur problème apparût.Elle les revoyait plusieurs fois.Elle était toujours disponible. Elles'est intéressée tout de suite à lapersonnalité totale des malades. Ellea démontré que les gens qui ve­naient consulter pour une maladie,venaient pour autre chose. La mala­die n'était qu'un prétexte, un appelau secours. Elle faisait du Balintavant l'heure. Elle a d'ailleursconnu Balint par la suite et ils sesont beaucoup appréciés... »

« Hélène Wolfromm avait unevitalité et une puissance de travailconsidérables, et elle savait aussijouir de l'existence et de tout cequ'elle pouvait apporter », dit d'elleson amie Marianne Basch, gyné­cologue.

François-Régis Bastide qui laconnaissait bien la décrit amsi :« C'est une Sagittaire, fantastique­ment passionnée, ardente, détestantles demi-mesures et l'éau tiède. Ellene passait pas une seconde à rêver,et travaillait tout le temps. Dans sonmoulin à Tachainville, près deChartres, où elle passait tous sesweek-ends avec son mari et desamis, elle entraînait tout le mondedans d'incessantes activités. Le ma­tin, elle jouait au tennis, ensuite

elle tapait un chapitre de son livreà la machine, puis on jouait auportrait chinois, à la charade, ou onse baignait dans l'eau glacée del'Eure. C'était un personnage fié­vreux, jamais détendu, à moteur.Elle avait une énergie incroyable,un courage énorme... » Elle fumaitbeaucoup, buvait beaucoup, parlaitbeaucoup. Elle donnait beaucoupaux autres et leur prenait beaucoup.C'était un personnage excessif.

Pourtant, elle savait écouter sesmalades pendant des heures, mêmesi elle ne résistait pas, ensuite, àl'envie de leur parler d'elle. « C'é­tait une psychothérapie efficace enfin de compte. Elle avait l'air dedire : « finalement on est toutespareilles. » Les femmes qu'elle soi­gnait ne voulaient pas aller voir unpsychanalyste. Elles avaient besoind'une explication et d'un modèle...Elle savait écouter et d'autre partse proposer. Sur le plan de la psy­chothérapie médicale quotidienne,elle apportait quelque chose de posi­tif. Le fait d'être trop excitée, tropbavarde, de s'exposer trop avaitquelque chose d'utile, son agitationrassurait beaucoup de gens » dit leDocteur Serge Lebovici, psychana­lyste.

Ayant constaté que les deux tiersde ses patientes venaient consulterpour frigidité, Hélène Wolfromms'étonne de « l'inaptitude au plaisirde notre civilisation », et tente dedéfinir dans son livre, ce « nouveaumal du siècle» en se basant surl'observation de 1 656 cas.

Selon elle, les femmes frigides ap­partiennent le plus souvent à la pe.tite bourgeoisie. Une sur quatretravaille dans :un bureau. Elles re­noncent à leur métier plus souventque' les autres. La plupart ont unelégère tendance à l'homosexualité etsemblent plus attachées à leur mèrequ'à leur père. Leurs partenairessont en majorité des techniciens.Elles ont eu une éducation sexuelledésastreuse ou nulle.

Ignorantes de leur anatomie, ha­bitées par la peur et l'angoisse,« neuf femmes frigides sur dix ontreçu une éducation sexuelle déplo­rable » affirme Hélène Wolfromm.Il y a les pères qui imposent desinterdits très stricts, mais susurrentà leurs filles des conseils libertinstrès détaillés ; il y a les parents exhi­bitionnistes qui se promènent nusdevant leurs enfants; il Y a lesmères bien intentionnées qui croienttout résoudre en faisant à leur filleun petit cours de sexologie poéti­que... Hélène W olfromm raconte

comment la mère de Béatrice, lui atout expliqué lorsqu'elle eut douzeans :

« Tu as dans le ventre une oran­ge creuse qui contiendra un jour unenfant. C'est l'utérus. Il est attachéaux deux ovaires par deux canaux,deux espèces de macaronis terminéspar une main. Ce sont les trompes.L'ovaire est une amande qui chaquemois pond une perle. Quand la fem­me embrasse un homme de trèsprès, la perle rencontre un petittêtard et ça fait un enfant. »

Plus qu'une véritable éducationsexuelle, Hélène Wolfromm propo­se aux parents de créer un climatfavorisant la sexualité : « Entourerles enfants d'une tendresse sensuel­le, leur inspirer le goût des baisers,des caresses, du contact de .la peau,me paraît la seule pédagogie effi·cace » écrit-elle.

Bien qu'elle se soit insurgée trèstôt contre la loi de 1920 « quiconfond avortement et contracep­tion », et qu'elle ait aidé ses mala­des à prendre des mesures contra­ceptives, dix ans avant la fondationdu Planning familial, Hélène W 01­fromm pense qu'il faudra plusieursgénérations pour que les femmesacceptent d'être libérées par lacontraception.

« L'espacement des naissancesn'est qu'une mesure d'hygiène.Trop rationnelle, elle ressemble àla diététique : la contraception està l'amour ce que le régime est àl'art culinaire. La contraceptio11l estune politique à trop long terme. Elleaggrave les troubles sexuels autantqu'elle les améliore. Exercer unebonne contraception n'est pas signed'équilibre psychique comme je lecroyais autrefois. D'affreuses obsé­dées apportent des courbes de tem·pérature impeccables, n'oublient ja­mais diaphragmes ni pilules. Decharmantes filles, brillantes de fan­taisie, commettent hélas! quelquesnégligences. Mais le contrôle desnaissances permet aux femmes uneprise de conscience de leur réel dé­sir de maternité », écrit-elle.

Contraception, éducation sexuel·le, plaisir, amour, mariage. Tousces mots recouvrent une réalitécomplexe. Le grand mérite du livred'Hélène Michel-Wolfromm est denous révéler comment ces notionsmaniées si souvent de façon abstrai­te par les législateurs, les moralistes,les médecins et les « spécialistes »,sont vécues de l'intérieur par lesfemmes.

Anne-Marie de Vilaine

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HISTOIRE

Mort de la me

EF FLAMMARION

1William L. ShirerLa chute de la Ille RépubliqueStock éd., 1 047 p.

« - V oyons, mes enfants, il ya des canons, du matériel, reprenezla lutte!

- Mon colonel, on veut rentrerchez nous pour reprendre notre pe­tit boulot. Ce n'est pas la peined'essayer: il n'y a rien à faire! Onest perdu! On est trahi! »...

Quand le « brave colonel Costal »reçoit cette réponse de ses « en­fants », non loin de Sedan, le 14mai 1940, les blindés nazis fran­chissent la Meuse sans rencontrerde résistance. On attendait l'ennemià l'Ouest (comme en 1914), maisGuderian lance ses chars vers laManche par les Ardennes : il re­doute une contre-attaque. La plusforte armée du monde s'effondrecomme un château de cartes.

Quand une armée s'effondre decette sorte, c'est qu'un régime poli­tique et social se disloque avec lui.Clausewitz l'a dit voici bien desannées. William Shirer entreprenddonc en-deçà de l'histoire de la dé­faite de 1940 l'analyse de la Ille Ré­publique.

Shirer est un journaliste améri·cain venu très jeune en France,comme ces autres intellectuels amé­ricains qui s'appelaient Hernin­gay, Miller, ses aînés. Le pays letouche, il y reste vingt ans. Peu detemps avant la guerre, il part com·me correspondant, pour Berlin. Deprès il suivra l'évolution du Reichhitlérien, accèdera aux archivesaprès la défaite et tirera de son ex­périence un livre devenu classique(du moins pour quelques années) :l'Ascension et la chute du IlleReich (1).

Retenons ces titres : Chute duIlle Reich, Chute de la Ille Répu­blique. Optique profondément enra­cinée depuis la guerre dans le « nou­veau monde 1) : les grands empiress'effondrent (ajoutons-y le Japon)et les U.S.A. prennent en charge ledestin moral de l'humanité.

Shïrer n'est pas un moraliste. Ildédaigne l'impérialisme. Il constatesimplement - et tente de compren·dre comment la Ille République quia pu gagner la guerre de 1914 glisselentement vers la désagrégation de1940.

Son analyse n'a pas toujours lavigueur qu'on trouvait dans son étu·de sur le Reich hitlérien. L'appari­tion de Hitler, l'effondrement des(lIasses «libérales» et des partis

révolutionnaires était ici limitésdans le temps, gangrène ou pustulesur l'histoire de l'Allemagne; l'ef­fondrement français remonte plusavant et il met en cause la vie so­ciale de ce pays depuis le SecondEmpire. On serait tenté de dire quece régime ne s'est jamais relevé del'écrasement de la Commune, qu'ilpaie en 40 les crimes de M. Thiers,que sa vie apparemment ordonnéen'a été qu'une succession de compro­mis. La vie de la République relèveici davantage de la sociologie quede l'histoire.

La première partie de son .livreest la moins fmte : on y évoque l'af­faire Dreyfus, le scandale de Pana­ma, les contractions d'énergie de 14mais ce sont des événements, desanecdotes : la réalité est ailleurs,dans les profondeurs non analyséesde la société d'un pays qui a man·qué déjà une révolution et s'estenlisée dans le confort et l'oubli dutemps.

Les historiens professionnels (pastous, il est vrai !) n'aiment pas lesjournalistes qui écrivent l'histoirerécente. Ils préfèrent, pour leurpart, reconstruire un passé avec le­quel nous n'avons plus d'attaches.Shirer n'échappe pas à cette hargne.N'a-t-il pas le front d'utiliser lesdocuments dont l'effet de choc n'apas diminué sur nos contempo­rains?

Cette histoire directe et vécueporte un accent puissant : elle dé­borde le cadre de l'histoire, apporteà l'analyse sociale et plus générale­ment humaine un accent et uneforce insoupçonnée. S'ordonnentalors les souvenirs, les angoisses, leségarements. En ce sens, Trotsky di­sait, en parlant de la Révolutionsoviétique, qu'il est impossibled'échapper aux « affirmations im­plicitement normatives ». Qui, d'ail­leurs y échappe, sauf à sortir denotre « culture » ?

Le récit que fait Shïrer de laguerre de 1940 est saisissant. C'est]a meilleure partie du livre. Ilconnaît la réalité française non seu­lement par sa présence à Paris, detemps à autre, mais surtout, de l'au­tre côté de ]a barricade, par les té­moignages allemands et les attitudesou croyances de l'ennemi. Et cequ'il sait ne passe pas toujours di­rectement. Il lui faut, par courtoisiesans doute, sinon ruser, du moinsbiaiser.

Ainsi, il lui faut faire entendreque la presse française d'avant 1940dans sa presque totalité était unepresse corrompue ou du moins pero

vertie, que les généraux et les tech­niciens militaires, mis à part desexceptions détestées et connues(plus connues ensuite d'ailleurs!)s'étaient enfermés dans un créti­nisme bureaucratique, mortel pourl'existence du pays, que nombre depoliticiens cédaient aux tentationsde l'ennemi, pour ne pas dire plus..

Son analyse ou sa relation consti­tue donc un réquisitoire et apportenombre de pièces au procès déjà en­tendq. dans la plupart des esprits :le petit soldat qui à Sedan assuraitque l'Armée était trahie ne se trom·pait pas. Il se trompait seulementen pensant qu'il allait retrouverson « petit boulot » - et la France« des coteaux modérés ») ...

Le passé est fait de chances per­dues, on le sait. Il faut en prendreson parti. Après coup, ce qui a éténous apparaît sous la couleur de cequi aurait dû être : si le généralHunziger avait contre-attaqué dansles Ardennes au lieu de faire dé­manteler les fortifications et de ter·giverser bassement, si Gamelinavait su prendre une décision aulieu de s'enfermer dans une schizo­phrénie autoritaire et endormie, siBlanchard avait pu contre-attaquerde Belgique... Avant ces « si ) tar­difs, d'autres « si») apparaissent :l'intervention dans la Ruhr réoc­cupée, la défense de l'Autriche, dela Tchécoslovaquie, l'acceptationdes conditions soviétiques avant lepacte, tout cela aurait pu freinerl'invasion nazie. Shïrer le sait bienqui a décrit dans son précédent li­vre les hésitations et les angoissesde Hitler et de ses généraux.

Examinant le comportement deshommes politiques et des techni·ciens militaires, Shïrer paraît obser·

ver des animaux enfermés danS unzoo, prisonniers de barreaux symbo­liques qui sont autant d'institutions,de croyances figées, de peur. L'op­position entre la France et l'Alle­magne en 1940 n'est pas seulement'celle de deux régimes : elle est celled'un pays où l'industrialisation en·traîne la violence et une paranoïarationnelle de la puissance, et d'unautre qui ne parvient pas à entrerdans la vie moderne. S'agit-il dechances perdues ? On dirait plutôtque l'Europe s'effondre dans l'op­position de deux nations qui affron·tent le XXe siècle à reculons !

La description de Shïrer, aprèsd'autres mais avec une lucidité etune documentation supérieures, re·late un effondrement, une rupturedans l'écoulement historique: avecl'armée les structures sociales s'ef·fondrent en 1940, dans la dérisionet la trilhison. La destruction desrégimes (régime tzariste, régimeTchang Kai-chek en Chine) ne sefait pas autrement.

Le problème est moins historiqueque social : comment se fait-il quele régime de Pétain, celui de la IVeRépublique et celui de la Ve aientprolongé une société apparemmentdétruite? Comment se fait-il quela société française ait secrété lesbacilles d'une survie ou d'un pro­longement?

On comprend mieux la craintetoujours renouvelée des spécialistesdu maintien de l'ordre en France :ils pressentent que le plancher dela barque .n'est pas sûr et que l'en·semble de l'édifice repose depuis1940 sur du vide.

Jean Duvignaud

(1) Stock, éd.

D

La Qufimalne Uttéralre, du les: au 15 décembre 1970 21

Page 22: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

THilATRE

"1789~~, "la Mère~~

43 rue du ·fempl.,', ParÙl 4.C.c.P. 15.SH.53 Pari!

La QuinzaineU"....I"

cc La Mère))

C'est une vue autrement pes­simiste de l'Histoire que nouspropose Witkiewicz avec laMère, première pièce jouée enFrance de cet auteur polonaisqui s'est suicidé en 1939 pourprotester contre l'invasion alle­mande (1). Comme avec soncompatriote Gombrowicz, autrepoète de l'âme exilée, découvertlui aussi tardivement, il y a chezce Slave impénitent l'obsessionde l'Histoire dérisoire qui écra­se sous son monument immen­se l'homme, fragile insecte à lamémoire d'éléphant. Et commedans le théâtre de Gombrowicz,la trame de la Mère sembe as­sez simple. Un fils de vingt-septans qui n'en finit pas de malgrandir, et dont l'ambition pre­mière est de donner au mondeune nouvelle théorie humaniste,ne parvient pas à se détacherde sa mère qui lui voue unamour passionné et destructeur.Entre sa mère qui tricote pourlui jusqu'à l'aveuglement et safemme, dont il fait une prosti­tuée consentante, il ne perçoitqu'une issue tragique.

Mais Witkiewicz tout en pro­jetant ses fantasmes et son dra­me personnel dépasse l'anecdo­te pour rejoindre "universel. Ilapparaît aujourd'hui non pascomme un précurseur mais com­me un novateur génial. "a Mèrea été écrite, il faut le souligner,

1er au cœur et à l'esprit, à conci­lier divertissement et réflexionsans que jamais l'un ne gêne leplaisir de l'autre?

Hélas! vous ne verrez peut­être pas 1789 : après Milan, ladifficulté de trouver un lieu adé­quat, tout sauf un Théâtre, etaussi la peur du risque de quel­ques directeurs, habituellement« concernés lO par ce genre despectacles, fait que pour l'ins­tant le Théâtre du Soleil n'estassuré que de six contrats enFrance! Eh quoi, la Cuisine, leSonge d'une Nuit d'Eté, lesClowns, qui ont constitué lesétapes nécessaires à l'élabora­tion et à la réussite de 1789,seraient déjà oubliés? Specta­teurs, avec 1789, vous pourriezde nouveau avoir la parole. Pro­fitez-en ! Sinon vous manqueriez,et ça serait dommage pour vous,un très grand spectacle!

a pris la Bastille.• Mais; disentles comédiens, c'était une façonde raconter l'Histoire. Nous enavons choisi une autre. D Toute­fois, dans 1789, l'Histoire n'estqu'un prétexte parce qu'elle estla matière dans laquelle l'hom­me essaie de s'inventer son che­min. Et l'homme, qui suit aussivite qu'il le peut le cheminementde l'Histoire en marche, ne peuttout au plus que s'arrêter detemps à autre. pour se confron­ter à son passé. Une révolutionqui réussit est une révolutionmanquée : elle frustrera ungrand nombre d'espérances con­fusément entretenues dans undifficile mais nécessaire etpermanent dépassement.

Le Théâtre du Soleil, par unesérie d'actions présentées se­lon des formes, des esthétiqueset des techniques différentes,qui vont de la parodie débridéeà la stylisation efficace, racontela Révolution de 1789 depuis laconvocation des Etats Généraux,avec une fidélité réelle mais enne manquant jamais de donner,en contre-point, la position dela Compagnie face à l'événementbrut, ce qui permet aux specta­teurs de rejoindre l'Histoire d'au­jourd'hui. La participation activeet saine des spectateurs, quin'est rien d'autre qu'un regardlucide et attentif, constitue lacondition première de la réus­site de 1789 admirablement misen scène par Ariane Mnouchki­ne. Si les comédiens du Théâtredu Soleil, tous remarquables,qui imaginent des bateleurs defoire, des acteurs populairesjouant à chaud la Révolution,avec toutes les ficelles du mé­tier, pour un public supposéconcerné par l'Histoire qu'il vitau jour le jour, ne parvenaientpas à établir le dialogue avecleurs spectateurs, nous retom­berions dans la représentationthéâtrale avec tout ce qu'ellepeut avoir de figé pour une telleforme de spectacle. Et les spec­tateurs, éblouis par tant de vie,d'humour, de dérision insolente,happés par un rythme rapide,conçu autour d'un montage ci­nématographique nerveux, où lesséquences courtes succèdentà de plus longues dédoubléessur plusieurs aires de jeu, sontcontraints de participer 1ibre­ment ou de quitter les lieux.Mais comment partir quand leThéâtre du Soleil réussit à par-

perfection du Bonheur ».Pourquoi, en sous-titre, cette

citation de Saint-Just? Parceque le 17 jui Ilet 1791, avec lafusillade du Champ de Mars,• la Révolution est finie D, mal­gré une dernière tentative in­consciente de jouer à jouer par• l'aristocratie des riches qui aremplacé l'aristocratie des no­bles D. Le jeu théâtral est ter­miné: déjà Marat annonce l'iné­vitable guerre civile, déjà Ba·beuf en appelle à la révolutiondu peuple pour le peuple. Et leslumières s'éteignent à moitié auPalais des Sports de Milan, où,à l'invitation de Paolo Grassi,directeur du Piccolo Teatro, leThéâtre du Soleil vient de créertriomphalement, devant un pu­blic jeune et étonnamment atten­tif, 1789. C'est, dans la perspec­tive historique choisie par lescomédiens de la Compagnie, quiont conçu cette création collec­tive à partir de citations inté­grées à leur dialogue, le com­mencement de la fin d'un vieuxmonde qui vient de tisser sonlinceul. Et c'est aussi pour les« sans-culottes lO, manipulés pardes révolutionnaires en perru­ques, le commencement de laprise de conscience, le réveild'un long sommeil, qui est lepain de toute révolution, et quile mènera, à travers leurs héri­tiers spirituels, à 1848 et à laCommune de Paris.

Dans un raccourci idyllique,chacun l'a appris à l'école, en1789 le peuple s'est révolté et

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Il.

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Vill.

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Un praticable rectangulaireouvert à deux angles opposés,cinq aires de jeu principales si­gnalées par des toiles de fondamovibles, deux fausses coulis­ses apparentes avec leurs patè­res et tréteaux supportant unecentaine de costumes, des ma­rionnettes et des accessoiresdivers, l'ensemble délimitant unparterre dans lequel les specta­teurs sont invités à se déplacerlibrement au gré de leur envieet des péripéties d'une actionjouée, durant deux heures tren­te, par vingt-sept comédiens etmusiciens, tandis que ceux quisouhaitent plus de confort peu­vent s'asseoir sur les gradinsaménagés à l'extérieur du lieuscénique, c'est d'abord une faus­se représentation théâtrale, au­trement dit, un vrai jeu théâ­tral, avec ce que cela comportede naïf, de démesuré, de tendre,de simple, de poétique et de vio­lent à la fois, c'est 1789, cc laRévolution doit s'arrêter à la

IWitkiewiczLa MèreThéâtre Récamier

1Edward BondDemain la veilleT.N.P.

11789, la Révolutiondoit s'arrêterà la perfection du bonheurPiccolo Teatro, Milan.(Théâtre du Soleil)

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Page 23: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

"Demain la veille~~

en 1924, elle annonce à la foisle fameux cc l'enfer, c'est les au·tres ", de Sartre, et le théâtredit de l'absurde. Et précisément,Claude Régy a composé une mi­se en scène subtile qui déroute­ra quelques-uns. Tout en restantfidèle à un théâtre de chuchote­ment, entrecoupé de silencesmartelés à pas feutrés, il a vou­lu se renouveler et s'éprouver.

Par un éclatement incontrôlé,le spectacle se déroulant par­tout dans la salle et jusqu'aufoyer même du Théâtre Réca­mier, il reconstitue, avec la cam­pi icité du décorateur JacquesLe Marquet, la cérémonie rituel­le pour la remettre en miettes :Claude Régy nous rappelleconstamment que nous sommesau Théâtre. Par les maquillagescrayeux, les costumes noirs etles taches blanches, par le jeudes acteurs, fait de rupturesbrusques, il nous donne à voirune manière de rétrospective duthéâtre expressionniste des an­nées 25 et de l'un de ses en­fants naturels, le théâtre du tra­gique des années 50. En met­tant en scène Witkiewicz, Clau­de Régy ne pouvait oublier Sa­muel Beckett. Tous les acteurssont excellents même quand ilsn'ont qu'un petit rôle. Mais ilfaut bien détacher trois d'entreeux, Juliette Brac, dans un rôlede femme-prostituée, d'une vul­garité naïve, évite tous les piè­ges, et dessine, par fines tou­ches, une femme évanescente'et délicate. Michel Lonsdale, lefils dénaturé, est un Hamlet mo­derne, dont le physique et lavoix complètent un jeu où le si­lence alterne avec le cri, le toutconstituant un mélange fort etinquiétant. Il apporte un contre­point indispensable, et inverse­ment du reste, à la performan­ce de Maleine Renaud. Ceux quil'ont vue récemment dans Oh,les Beaux Jours, l'Amante an·glaise, la trouveront méconnais­sable. Et c'est vrai: elle est tou­jours aussi admirable; mais cet­te fois, elle est autre. Jusqu'oùpeut-elle encore aller dans sonrenouvellement? Un spectacleà ne pas manquer.

Décidément, l'Histoire sem­ble, cette quinzaine, la grandeaffaire des gens de théâtre :après Mnouchkine, Régy, Geor­ges Wilson nous propose auT.N.P., Demain la veille (1), dé-

Une scène de « 1789 »

cc Early Morning»

jà présentée sous un autre titre,Early Morning, au dernier Festi·val d'Avignon. Cette fois, jecrois que la pièce d'Edward Bondapparaîtra dans toute sa nou­veauté et témoignera du talentd'un auteur, connu déjà à l'étran­ger, mais qui a quelque diffi­culté à s'imposer en France. Lesréférences à la vie anglaise ysont plus universelles que, parexemple, dans la Route étroitevers le grand Nord, montée parGuy Lauzun à Nice.

Ici, c'est la reine Victoria,plongée de temps à autre, pardes anachronismes savoureux,dans notre époque, qui, entreson mari, le prince Albert, sesfils siamois, George et Arthur,symbole peut-être facile, maisaux vertus comiques certaines,des contradictions que tout pou­voir porte en lui, et « son. peu­ple, tente de 'naviguer commeelle peut : l'important est dedurer.. Early Morning est unegrande fr~sque historique amu­sée, sans queue ni tête, vue de­puis la cuisine de la politique,mais où domine un esprit caus­tique impitoyable qui dénoncetout à la fois le pouvoir, tou­jours ambitieux, égoïste et sour-

nais, la passivité de ceux quilaissent faire, soit parce qU'ilsveulent ménager leur place, soitparce qu'exclus, ils se sentent« petits» et gouvernés.

Contrairement. à Witkiewicz,Bond, s'il démolit lui aussi avecbonne humeur les statues enplace - imagine-t-on, en France,Jeanne d'Arc peinte sous lestraits repoussants d'une femmecupide, dévoreuse d'hommes ethomosexuelle, comme l'est de­venue sous la plume de Bond lapuritaine Victoria? - a néan­moins quelque tendresse pourle peuple, versatile, par cequ'ignorant. Ce peuple sentconfusément qu'il peut « faireun bout de chemin. avec leprince Arthur, qui, rejeté par lepouvoir, le rejette à son tour.Mais l'entreprise échoue : Ar­thur n'est qu'un révolté indivi­dualiste et n'a pour le peuplequ'une sympathie octroyée, com­me Goetz, dans le Diable et leBon Dieu. Dès lors, tandis quedans un paradis de folle opé­rette, notre terre qui n'est pasau ciel, les uns et les autres semangent entre eux, il n'y ad'autre issue, dans un hypothé­tique dialogue avec l'éternitéfaite homme, que celle que cha·cun porte au fond de lui-même.En définitive, Ariane Mnouch­kine, Witkiewicz et Bond nous

disent, par des voies différentes,la même chose : à chacun debien choisir son rôle dans unmonde que nous construisons.

Comme on le voit, la tâche deGeorges Wilson n'était pas ai­sée : la pièce de Bond est tropfoisonnante. Mais depuis Avi­gnon, les choses ont bien chan­gé. Sur l'immense plateau duPalais de Chaillot, habilementresserré par un praticable dis­cret, le rythme accéléré, et né­cessaire au déroulement duspectacle, s'est imposé, à telpoint qu'on pourrait imaginer,mais la surface à couvrir estencore trop grande pour les ac­teurs, une accélération plus for­te. Early Morning doit s'avalercomme un antidote amer, maisbénéfique, qu'avec leur talentGeorges Wilson et ses comé­diens font passer agréablement.Puisse le public du T.N.P. ne pass'y méprendre!

Lucien Attoun

(1) La traduction de Koukou Chan­ska et François Marié est publiée auxEditions Gallimard (collection Théâtredu Monde Entier) alors que. MargueriteDuras a apporté sa collaboration à laversion jouee. Dans la même collec­tion, Demain la veille (ou Early Mor·ning) d'Edward Bond, dans l'adaptatiol'!française d'Eric Kahane.

La QuInzaIne Uttéralre, du 1er au 15 décembre 1970 23

Page 24: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

MUSIQUE

Boulez au T.N.P.

la venue de Boulez au T.N.P.est un phénomène de basse fré­quence (mai 69 - novembre 70)qui, un peu après et longtempsavant son apparition, accélère lepouls du public parisien. Afind' • en être - au moins une fois,l'on s'arrachait cette année, pourvingt-sept francs, les dernièresplaces libres dans la grande salledu Palais de Chaillot et seul unmiracle pouvait, le lendemain,vous ouvrir les portes de lapetite Salle Gémier, affichantcomplet de longue date et plei­ne, en effet, comme un œuf (cequi faisait paraître dérisoire unprix des places relativementabordable). Ainsi transformé,par la force des choses, en ma­nifestation • underground., cesecond concert montrait troples limites, en France, d'uneconsommation musicale dite• de masse - et rappelait (com­me· l'a fort bien dit Boulez lui­même) qu' • une hirondelle nefait pas le printemps -.

l'essentiel reste, cependant,l'extraordinaire courant d'émo­tion et de sympathie que suscitechez • so.n - public, et en dépit

24

des ruptures officielles, ce • pe­tit homme chauve et napoléo­nien - (comme le caractérise unjournal anglais), ce chef auxmains nues, épandues commedes ailes, incisives ou tranchan­tes, avec qui l'écoute musicaledevient une passion d'apprendreet un besoin de découvrir.

Premier expérimentateur, enquelque sorte, d'une • nouvellecritique - musicale, Bou 1e zrompt en effet, avec la traditionsensualiste de l'interprétation:Sur les quelques auteurs qu'é­pargnent tant son obédience sé­rielle que ses principes icono­clastes (Debussy, Strawinski,Bartok et les trois Viennois), ilpose, comme un filtre ou com­me un projecteur, sa propreappréhension théorique des phé­nomènes musicaux en vue d'une• analyse structurale -, par ail­leurs consciente de la dimen­sion historique de chaque œu­vre. le résultat: ses exécutionsprofondément renouvelées et dé­jà célèbres de Jeux et de Pelléas(dont l'enregistrement vient deparaître), du Sacre, de Wozzecket, l'autre soir, à la grande salle

du T.N.P., de la Musique pourcordes, percussion et célesta deBartok et des Pièces op. 6 deBerg.

Grâce à la précision coloriste,à la plasticité et aux réservessonores d'un orchestre aussisubtil que le B.B.C. SymphonyOrchestra (dont Boulez est lechef permanent), le chef-d'œu­vre de Bartok y prit un carac­tère épuré, au-delà de la vio­lence (3e mouvement), de l'an­goisse (mouvement lent n° 2)et du lyrisme (final), prolon­geant, dans la prédominancedes articulations et des contras­tes rythmiques, l'esprit mêmede la fugue initiale.

• Dans les Pièces opus 6 deBerg - nous dit Boulez, .. la den­sité sonore arrive au point desaturation par l'accumulation etla superposition de toutes lescatégories de timbres. On n'aplus affaire, dans ce cas, à unedensité illusoire, due à de sim­ples redoublements, mais à uneaccumulation de parties réelles,ce qui ne va pas quelquefoissans une mécompréhension desdivers dessins attribués à desgroupes instrumentaux diffé­rents D. Conjurant le risqued' • opacité. sonore, dû à l'énor­mité de l'orchestre, à cette écri­ture par masses grouillantes età la complexité d'un climat ex­pressif où s'imbriquent fuséeslyriques et marches militaires,Boulez parvient à démultipliernotre écoute de chaque pièceet à en ordonner les couchessuccessives.

Cette technique de • sériali­sation. des plans orchestrauxdoit évidemment beaucoup auxrecherches du Boulez composi­teur dont on découvrait au mê­me concert une amplificationd'Eclat pour grand ensembleinstrumental, créé en 1965 etintitulé dans sa plus récente ver­sion Eclat-Multiples.

Pour l'instant • en devenir.comme le fut longtemps Pli se-·Ion Pli (entre autres), Eclat-Mul­tiples 1970 frappe tout autantpar la cohérence de son pland'ensemble en trois parties quepar le caractère apparemmenthétérogène des timbres qui s'yentrechoquent et dont 1e s• éclats - seuls s'allient (cé­lesta, harpe et cymbalum, gui­tare, mandoline, flûte, deux pia­nos dont l'un • préparé -, etc.).D'abord dispersées dans l'espa-

ce et prises dans une durée trèslente, de fines particules sono­res s'organisent peu à peu au­tour d'un noyau plus dense etsemblent tournoyer rapidementautour de ce centre en fusion.Puis, sur de longues pédales,tout se pétrifie par étapes, dansune conclusion plus contempla­tive, où l'on retrouve le mondeglacé du début.

A la tête de l'ensemble Musi·que Vivante, Boulez dirigeait lelendemain la première auditionfrançaise de ses Domaines, œu­vre autant à voir qu'à entendreet dans laquelle la dispositionscénique traditionnelle de la Sal­Ie Gémier ne nous permettaitguère d'entrer physiquement,comme il le faudrait.

Disposées, en effet, autour duchef, six petites formations deun à quatre musiciens reçoiventtour à tour (selon un ordre éta­bli avant chaque exécution) la• visite - d'un clarinettiste qui,s'approchant d'eux, vient intro­dUire et comme susciter par uncourt solo la séquence qui leurest confiée. Après qu'en a étéexploré de cette façon le sixiè­me • domaine., la musiquesemble pivoter sur son axe et leclarinettiste refait alors le mê­me parcours inversé, répondantcette fois aux petits groupesd'instrumentistes dont les par­ties sont, par rapport à leurs sy­métriques, écrites en • miroir -.

Comment cette œuvre, malgréson déterminisme proprementnumérique, parvient-elle à re­créer l'atmosphère d'une séan­ce de musique de chambre im­provisée entre amis? Commentla vie circule-t-elle dans des for·mes aussi manifestement éta·blies ? Il y a là une sorte d'illu­sionnisme dont Boulez a le se·cret et auquel participaient lar­gement, ce soir-là, l'espèce d'hu­mour à froid du clarinettiste Mi­chel Portal, la verve truculenteet inspirée avec laquelle il sem­blait improviser sa partie. Ainsise trouve illustré le projet deBoulez qui est de Il concilier cequi est proclamé inconciliablepar tant de gens superficiels : lanetteté et la logique des formeset des structures avec l'essorde l'imagination, de la fantaisie,de l'improvisation. Car il y a àl'intérieur de toute écriture unlibre jeu.•

Anne Rey

Page 25: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

"CIN'IIA

" Camarades!

du 10< Novembre 1970 au 31 Mars 1971

13 DÉPARTS PAR SEMAINE

d'analyse, de discussion et de ju­gement. Le premier est un em­ploi très brechtien de la chanson.Le second est l'insertion d'unelongue séquence de l'Heure· desBrasiers de Fernando Solanas.Le troisième est la citation dequelques phrases de Lénine, ex­traites des Thèses de principecontre la guerre, d'après l'an­thologie des Editions du Peuplereprise par la Librairie Gît-Le­Cœur, à l'orientation marxiste-lé­niniste, donc, parfaitement défi­nie, et aussi de trois paragra­phes du Manifeste dont le der­nier, qui sert de conclusion aufilm. La valeur de ces enrichisse­ments et leur possibilité de ré­flexion sont inégales. Autant leschansons permettent l'accèsd'une ironie fertile, autant l'ex­trait de Sotanas facilite l'intelli­gence de l'internationalisme, au­tant les réflexions écrites pa­raissent plus discutables, tropabondantes et, la dernière ex­ceptée, assez gratuites. Ellesrelèvent d'une superstition à la-

~

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qu'au désir de maintenir l'atten­tion et de donner au sujet lesmarques extérieures d'un cer­tain respect. A partir de là, troisprocédés veulent permettre unpremier recul et, en conséquen­ce, une première possibilité

politique réactionnaire et la for­me politique des œuvres »), sebornant, pour le premier, àcondamner les excès du sché­matisme (.. contre la tendanceà produire des œuvres au • stylede slogan et d'affiche - qui ex­priment des vues politiques jus­tes mais sont dépourvues deforce d'expression sur le planartistique ..). Cette lecture, parsa différence même, est caracté­ristique du désir de romprecommun au jeune cinéma gau­chiste qui assimile, peut-être unpeu hâtivement, l'académisme,voire la tradition, avec un stylede la classe au pouvoir, alorsqu'ils sont moins et davantage,et bien qu'ils ne se recoupentpas exactement. Dans Camara­des, fort heureusement, le pro­duit dépasse le propos et, visantà la simplicité des moyens etde la langue, rejoint Venan parun autre chemin. Karmitz, enfait, lutte contre la quantité parla qualité et, soucieux avant toutd'être lisible, veut • apprendreconsciemment le langage desmasses -.

Camarades trace le récit trèslinéaire d'une prise de conscien­ce. Un jeune chômeur monte deSaint-Nazaire à Paris pour ytrouver un emploi de bureau. Ilfinit par travailler en usine etassiste à l'éclosion de sa penséepolitique. La chronologie et lamise en scène obéissent à une·même rectitude. La qualité mê­me de la photographie - il fautsouligner le très beau travailde Pierre-William Glenn - cèdemoins à la tentation de séduire

Devant un film tel que le Ca­marades, de Marin Karmitz, levéritable, sinon le seul, problè­me critique est la question, quesoulevait brièvement Paul-LouisThirard, dans le numéro 119 dePositif, de savoir s'il toucheraitun public, quel public et de quel­le manière. Karmitz n'est pas leseul à avoir voulu faire de laclasse ouvrière l'héroïne de sonrécit. Même si l'on met de côtéle cinéma des pays socialistes,assez pauvres d'ailleurs en lamatière, on trouve en Francedes exemples aussi classiques,voire rabâchés, Que la BelleEquipe et le Point· de Jour ou,dans l'Allemagne des annéesvingt, les admirables et mécon­nus Unser Taglisches Brot etMutter Krause de Phil Jutzi;mais Camarades est vraisembla­blement le premier à se vouloirdélibérément politique, à aban­donner le mélodrame populistepour mieux insister, précis et di­dactique, sur le sens de l'histoi­re qu'il trace. Une telle préten­tion ne doit se justifier, ou non,que dans une pratique et, plusque jamais, la critique écrite nepeut y être qu'un relais. Elle per­met seulement un défrichementdes approximations, jouant lerôle intermédiaire, et provisoire,de l'hypothèse.

Le premier souci est un soucide clarté. Tandis que beaucoupde ses confrères ne peuventconcevoir la portée révolution­naire du fond sans une subver­sion préalable de la forme, l'am­bition de Karmitz est plus modé­rée si elle n'est pas fondamenta­lement différente. Il veut se re­porter aux Interventions dE: Ve­nan et se plaît à les résumer, enles interprétant de façon signifi­cative. Il déclare, dans Les Let­tres Françaises : .. un contenujuste sur une forme académiquea aussi peu d'efficacité qu'uneforme brillante et nouvelle surun contenu erroné., cependantque Mao insistait surtout sur lesecond point (CI mie trait com­mun à la littérature et à l'artde toutes les classes exploiteu­ses sur leur déclin, c'est lacontradiction entre le contenu

iMarin KarmitzCamaradesLuxembourg 1Studio MédicisStudio République

La Quinzaine UttéraJre, du 1f!r au 15 décembre 1970 25

Page 26: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

LES NOUVEAUX CAHIERSCHARLES PEGUY ET BLANCHE RAPHAEL: RabiLA BARRICADE ISRAELIENNE: Claude RanelIMAGES OU STEREOTYPES? : André ElbazSTRUCTURE DE LA METAMORPHOSE: E. Assor-ElmalehLE QUATRIEME MYTHE: David JassineAVOUEZ! : Joseph BergerLES ARABES HUMILIES?: Gérard IsraëlL'INTEGRATION DES JUIFS NORD-AFRICAINSDoris Bensimon-

EN FRANCE: DonathCES JUIFS DU SUD-EST ASIATIQUE: Eve Dessarre

Des textes de Théo Dreyfus, Joël Arkenazi, Sylvie Korcaz,Colette Sirat, E. Spatz

Ce N° 22 - Automne 1970 est en vente dans les grandes librairies et dansles drugstores ou au siège de la revue: 45, rue la Bruyère - (6 F).

~ Camarades !

quelle nul «gauchiste» (et jeplaide coupable, même pour l'a­venir) n'échappe tout à fait.Elles restent, bien entendu,« justes» mais prennent aussitrop facilement la relève d'uneanalyse, d'une description ou deconclusions plus concrètes et,partant, plus profitables.

L'histoire elle-même est, enbonne dialectique, la relationd'un parcours circulaire. Elle estconstruite autour d'un héros,Yan (et le comédien, et co-scé­nariste, s'identifie, ancien ou­vrier de Citroën, dans une cer­taine mesure avec le personna­ge), et va d'une première expé­rience ouvrière, aux chantiersde l'Atlantique, à l'entrée défini­tive, à Paris, dans une usine d'au­tomobiles. Elle se partage endeux parts de durées presqueégales. Dans la première lejeune homme, fils de p.etitscommerçants à demi-ruinés, setrouve comme englué dans lespièges de sa classe, entre unefamille qui lui fait bien sentir sadépendance, une petite amievendeuse, des copains enchaî­nés par la fiction des loisirs. Il vad'un travail sans issue, de ma­nœuvre à qui est refusée touteformation professionnelle, à unevague occupation d'enquêteurqui permet un tableau sommairemais habile de quelques fétichis­mes marchands. Lorsqu'il vientà Paris, à l'invitation d'un ami, ilpoursuit la même existence mar­ginale, divaguant d'une embau­che à l'autre, apprenant, à l'occa­sion la psychologie de l'acheteurvu par le placier (<< tous descons»), jusqu'au jour où il sevoit forcé au travail en usine,obligé de vendre sa force de tra­vail de la façon la plus directe.A partir de là il passe par troisétapes, révolte contre la maîtri­se, information générale du Co­mité d'Action et lutte au Comitéde Base.

Camarades ne vise pas à l'ori­ginalité ni à une nouveauté desystème mais, partant d'un pos­tulat individualiste et très au faitde ses propres limites, à uneproposition simple. Le faitqu'ainsi le héros n'appartiennepas, au départ, de par sesorigi­nes familiales, à la classe ou­vrière apporte à son aventure,et au récit, une certaine inno­cence qui n'est pas sans effica­cité. Le travail d'usine; présentécomme une chute dans l'inhu-

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main, voire, lors d'une scène devisite médicale qui est l'un despoints forts du film, dans le sor­dide, se voit dépouillé de touteauréole traditionnelle comme detoute poésie populiste. Seule de­meure la réal ité brutale de l'ex­ploitation. La haine du chef, l'iso­lement systématique des travail­leurs, l'accélération des caden­ces et la mécanique répressivedes licenciements sont décou­verts avec une naïveté qui leurdonne un poids tout nouveau,une âpreté point encore poliepar les frottements de l'habitu­de. De même pour la pratiquede la lutte. Les journalistes offi­ciels du P.C.F. et les critiquesqui, aujourd'hui, font assaut debonne volonté pour bien se pla­cer dans la ligne de M. Mar­chais, reprochent à Karmitzd'avoir complètement négligé lavoie habituelle de la stratégieouvrière, autrement dit de n'a­voir soufflé mot des syndicats.L'accusation est certes d'unemauvaise foi tout à fait natu­relle, car le réformisme syndi­cal est dénoncé avec précisionet insistance en trois endroitsau moins de Camarades, mais ilest évident que le chemin suivipar Yan ne suit pas la directionnormale de la C.G.T. ou de laC.F.D.T. et le conduit directe­ment au mode d'action pratiquépar les Comités de Base. L'expé­rience de Yan est caractéristi­que d'une attitude nouvelle,commune à une large partie dela jeunesse ouvrière. Bien enten­du il eût été plus probant, etsans doute plus efficace, d'insis­ter davantage et de décrire au'"trement que par le dialogue lesconditions et les limites du ré­formisme, de même qu'il eût été

plus fécond de présenter les co­mités de base sous un jourmoins arbitraire, mais l'on buteici sur une limite de Camarades,dont les auteurs, Karmitz aussibien que les travailleurs auprèsdesquels il a mené toute une en·quête préliminaire, sont parfai­tement conscients. Cette limiteest la barrière des moyens, l'im­possibilité de tourner en usineplus de quelques plans, grâce àdes subterfuges que trop d'insis­tance aurait vite éventés, et quiont en dé.finitive imposé jusqu'àla forme du récit, qui tourne etmédite autour de l'aventure plusqu'il ne la décrit.

Le cinéma politique, aujour­d'hui, est à créer mais les expé­riences ne manquent pas, ni leserreurs. Ayant reproché quel­ques replis derrière la citation,il va de soi que j'ose à peineévoquer ce que disaient, préci­sément, de l'erreur, Engels ouRosa Luxembourg. Mieux vautnoter que depuis quelques an­nées, des efforts importants ontété menés pour assurer cettecréation, en Amérique Latine, enItalie, à Cuba voire au Japon.Nous connaissons en France, de­puis 1968 et le travail malheu­reusement hasardeux et frag­mentaire des Etats Généraux(mais pouvait-il, dans le contex­te politique, en être autre­ment ?), un effort, également,dans ce sens. De ce point de vuele travail de Karmitz, ne serait­ce que parce qu'il se chercheun public prolétarien et parcequ'il veut lui proposer un dis­cours directement politique, etnon plus intégré et édulcorécomme dans les films de CostaGravas, est exemplaire.

Louis Seguin

EXPOSITIONS

Après avoir montré comment des«rythmes et animations modulairesen plâtre. pouvaient donner du mou­vement, de la profondeur, de la grâce,aux murs, aux plafonds, à n'importequelle surface (1), le Centre d'Art etde Recherche Plastique Architecturale,en présentant aujourd'hui les recher­ches de quatre sculpteurs - Paul Che­riau, Michel Gérard, Danièle Obled,Pierre Szekely - groupées sous la ru­brique «Formes et Béton» (2), poseen termes originaux non seulement letraditionnel problème de la relationarchitecture-sculpture, mais encore etsurtout celui de l'intervention de l'ar­tiste à la source même de la construc­tion et de la fabrication industrielle.

Michel Gérard en est vivementconscient. «J'ai réalisé, précise-t-il,plusieurs programmes de sculptureintégrée à l'architecture, en employantle béton ou le plastique - matériauxchoisis pour leur prix de revient peuélevé et leur très grande souplessede mise en forme." (II s'agit, en parti­culier, de vastes reliefs en béton don·nant une vie insolite à des murs debanque, et d'un jardin-sculpture de200 m2 pour le patio des laboratoiresBeytout à Saint-Mandé, avec partie enpolyester de 20 m2 destinée à éclairelle hall inférieur.) Programmes réalisésgrâce à une étroite collaboration - unevéritable symbiose - avec une équiped'architectes (Rémy. de Sèze, JacquesDulieu, Michel Maure!) avides eux­mêmes de poursuivre de telles expé·riences.

D'audacieusesperspectives

Les recherches actuelles de Gérardconstituent une nouvelle étape : .. Ilne s'agit pas de trouver des solutionsdécoratives de revêtement, il est né­cessaire de passer maintenant dans laconstruction et, en travaillant dès ledépart en équipe avec le maître d'œu­vre, de modifier l'aspect de "œuvrebâtie... D'où l'expérience entreprisechez un préfabricant industriel, et me­née selon trois directions : traces,signes, empreintes sur sable de fonde­rie, imprimés tels quels en béton; tra­vail manuel avec un matériau indus­triel, polystirène expansé en fond demoule travaillé avec chalumeau, etc.;et moules en plastique calés dans lefond de sable. S'il n'est pas certainque la mise en œuvre de ces procé­dés aboutisse encore à un «style~,

au moins une problématique claire est­elle proposée.

Les perspectives ainsi ouvertes sontaudacieuses, car il ne s'agit de rienmoins que d'opérer une transformationradicale du milieu urbain, de ce « cadrede vie. - murs, espace, chambres,objets ... - auquel enfin une centralesyndicale, la C.F.D.T., consent à s'inté·resser. Ces projets et ces recherches,si elles témoignent d'un climat nou­veau, se heurtent toujours à ce qu'onpeut appeler ici, sans jeu de mots, le«mur d'argent. : la sainte trinité dela construction composée des politi­ciens de l'. enrichissez-vous!., d'ar­chitectes-mandarins exploitant dansleurs agences cent à deux cents • nè­gres., et des promoteurs-<:onstruc-

Page 27: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

Formes et béton

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La galerie Athanor, place du Marchéau Vésinet montre la symphonie végé­tale et les dessins de THERON ­Grand Prix des Beaux-Arts de la Villede Paris.

La galerie M. Bénézit (93, bd Hauss­mann) expose les peintures récentesd'ADLEN jusqu'au 5 décembre.

Pierre RISCH a obtenu cet été le'1er prix de la Jeune Peinture auGrand Prix International de Genève(en permanence galerie Vallombreuseà Biarritz). .

La 'librairie lardanchet expose lesgravures de ·Dunoyer de Segonzacjusqu'au 20 décembre.

C'est LEFEVRE-DELESTANG qui suc­cède à B.Y. à la galerie Bruno Bassano,avec de belles aquarelles.

Pierre G. LANGLOIS qui fut lauréatdu Prix Emile Bernard présente GalerieVendôme, rue de la Paix, en décembre,ses œuvres récentes.

ORLEANS. - La Maison de la Cultureexpose, en décembre, les photogra­phies de Lucien CLERGUE.

Josette HERARD-MARLIN présentaiten novembre, au Centre Culturelde PORT - VILA (Nouvelles-Hébrides)ses œuvres récentes.

(Communiqué)

C'est Jean F,RELAUT qui succède àJ.-J. RIGAL aux cimaises de la galeriedes Peintres-Graveurs Boulevard duMontparnasse.

Jean-Luc GODARD était le dimanche15 novembre l'hôte de la Maison dela Culture d'Orléans (dir. OlivierKatian) où il présentait son film• Lutte en Ital ie -.

Les minéraux, proposés par RaymondFavre (naturels ou polis) sont à la

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sensuels, la sculpture de PeggyGoldstein (Galerie Lambert) n'est pasencore arrêtée à une formulation, dé­finie à l'intérieur d'un vocabulaire. Ellea la richesse de la quête, le foisonne­ment de l'inquiétude, mais la chaleurhumaine d'une grande générosité.

Jean-Jacques Lévêque

Roger Dadoun

(1) Cf. la revue Recherche et Architecture,no 4. 1970.

(2) Centre ARPA, 24, rue du Pont Louis­Philippe, Paris.

Le Corbusier n'avait pas droit de cité,est le pays du tourniquet de Saint­Laurent-du-Pont.

MaryanPlus de nature ici, ni d'espace; d'ail­

leurs, dans quel lieu se situent cesmonstres? Maryan qui, dans sa pein­ture, • mettait en scène -, a renoncédans ses aquarelles (Galerie ClaudeBernard) à toute localisation. De cesméandres inquiets, surgissent, parfoi.s,des silhouettes, au cœur des ces Lao­coon bigarrés, des figures de proues'élèvent, se distinguent, éructent,postillonnent. Plus proche du geste,l'aquarelle conserve les sursaûts de lamain, son inquiétude épidermique, lespulsations du sang. C'est une radio­graphie assez terrible d'un mal inté­rieur.

force ramassée qui donne à l'imagel'impact direct du signe.

Moins qu'un style, l'Ecole de Parisimpose une certaine élégance du dis­cours plastique qui. constitue d'ail­leurs, aux yeux de certains, une fai­blesse de plus en plus inadmissibledevant l'urgence du • dire -. Cette élé­gance-là ne gommant jamais les spé­cificités respectives de ceux qui com­posent le groupement le plus fluc­tuant, le plus r·elatif. Zao Wou Ki,Chinois de 1"Ecole de Paris, a une dou­ble raison d'illustrer cette qualité parquoi l'art, souvent, acquiert sa dimen­sion d'éternité. Au raffinement pari­sien, il ajoute celui de son pays, quiréside dans la rapidité de la touche,sa légèreté, la promptitude des ryth­mes, la science des mises en page. Sestableaux récents (Galerie de France)allient toutes ces qualités. La forcen'est point exclue dans les trouées su­bites sur le vide, les chutes de la lu­mière dans les suggestions végétales,certains frissons, justement retenus là,dans l'ampleur de l'aube et le silencedes étendues de nulle part.

Raynaud

Livrets

Dans les MaleriesDessins

Relief de Michel Gérard

teurs-industriels dictant leur loi duprofit maximum, fait, plus que jamais,main basse sur la ville. Les brillantesinitiatives de quelques artistes, lespercées opérées par quelques cellulesd'architectes, ne doivent pas cachetl'essentiel : que la France de la cons­truction, après avoir été le pays où un

Ils sont trois, qui n'ont, de com­mun, ici, que la technique utilisée.Encore que Titus-Carmel situe le des­sin comme une démonstration visuelled'un énoncé verbal. Segui, lui, en useavec une maîtrise diabolique, pour pla­quer des scènes qui sont perçues avecl'œil d'un photographe. Gian FrancoFerroni y cherche un cadre logiquepour l'intensité de ce qu'il a à dire.C'est ce dernier qu'il faudra retenir(les deux autres étant mieux connusdu public français). Voici une œuvretouffue, désordonnée, d'une acuité ex­ceptionnelle, et d'une intensité rare.On sent, sous le trait, battre le poulsde la vie, sourdre le cri (Galerie duDragon) .

Au risque de passer pour rétrogradeil faut dénoncer l'absurdité de l'inser­tion d'une œuvre qui ne se justifie quepar sa charge révolutionnaire chezlolas, dans le contexte le plus mon­dain, le plus rassurant, le plus • in -.Une œuvre qui a cette retenue dansle cri, cette pudeur dans la douleur,cette densité dans les moyens ­cette densité dans les moyens mis enœuvre, au point de passer pour limitée,demande d'autres lieux et, certaine­ment, un autre public que celui quivient aussi bien voir des Léonor Finiet des Max Ernst.

Aux • CLXXXI Proverbes à expéri­menter -, que nous propose Jean Gui­chard-Melli, Lapicque offre le contre­

point de 9 dessins, au pinceau, d'une

La QuInzaIne Uttéralre, du 1er au 15 décembre 1970 27

Page 28: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

e Pierre Herbart Quinzaine) • gouvernante italienne -. Au lendemain de la

ROMANS Histoires confidentielles ROMANS Gisela Elsner Leo Perutz Révolution, les réactions,Grasset, 232 p., 15 F. La génération montante ,Le Marquis de des paysans sibériens

FRANÇAIS Recueil de nouve'lIes ETRANGERS Trad. de l'allemand Boliber devant les problèmes depoétiques, par l'auteur par Lily Jumel Trad. de l'allemand la collectivisation.d' & Alcyon - et de Gallimard, 200 p., 18 F par O.N. Château Patrick White

Jean Basile & Souvenirs Anatoli Un procès sans pitié, A. Michel, 320 p., Le mystérieuxGrasset, 236 p., 18 F imaginaires -. Babi lar plein de verve et de 16,50 F MandalaL'acide Trad. du russe par démesure, des relations Réédition de ce roman Trad. de l'anglaisLa chronique d'une M. Menant dites & humaines -. fantastique publié en par Andrée R. Picardjeunesse aux prises Rafael Pividal

Julliard, 608 p., 31,30 F France avant la guerre Gallimard, 368 p., 27,50 F,avec la drogue. Plus de quartier

L'histoire de Un nouveau romanl'occupation de l'Ukraine eSlawomir Mrozek du grand romancierpour Paris par les Hitlériens, vue Une souris dans Susan Sontag

australien, sur leSeuil, 192 p., 18 F Derniers recoursJean-Louis Baudry

Par l'auteur d' & Unepar un enfant. l'armoire Trad. de l'américain problème du & Double -

La • Création •paix bien intéressante-

Trad. du polonais par A. Minkowski et de la recherchePremier état : l'année

(Prix Hermès 1964) et Miguel Angel Asturias par Thérèse Douchy Seuil, 336 p., 30 F de l'identité.Coll. • Tel Quel - de & Tentative de visite Trad. de l'espagnol A. Michel, 224 p., 19 F. Par l'auteur deSeuil, 224 p., 25 F.

à une base étrangère - Le larron qui ne croyait Six nouvelles où l'on « L'œuvre parle.Un livre d'une facture

(voir le n° 85 de la pas au ciel retrçlUve l'Jronie, le un livre dont POESIEtrès nouvelle sur comique poussé jusqu'à le héros, confronté à sal'origine cyclique de la Quinzaine) . par Claude Couffon l'absurde, de l'auteurUn ,nouveau roman du propre mort, épuisesignification et de la Prix Nobel de Littérature de • Tango. jusqu'à leurs limites Gaston Bonheurlinguistique. 1967 (voir les nO' 4, 9 et (voirie n° 23 de la extrêmes les ambiguïtés Chemin privé

Boris Vian 43 de la Quinzaine). Quinzaine) • de 'la condition humaine. Poèmes et chansonsLe loup-garou réunis par H. Parisot

G.E. Clancler Ch. Bourgois, Flammarion, 160 p., 12 FLes Incertains 240 p., 20,90 F Laurence Durrell Iris Murdoch S. Zalyguine L'ensemble des poèmesR. laffont, 312 p., 18 F. Treize nouvelles Nunquam Les demi-justes Au bord de de Jeunesse et desRéédition, revue et inédites qui ont pour Trad, de l'anglais Trad. de l'anglais l'Irtych chansons écrites enmodifiée, d'un roman dénominateur commun par Roger Giroux par Lola Tranec Trad. du russe par marge d'une carrière,paru en 1965 chez un humour à la fois Gallimard, 336 p., 26 F Gallimard, 384 p., 26 F Annie Meynieux par un grandSeghers. cruel et tendre. (Voir le n° 105 de la Par J'auteur de & La Gallimard, 184 p., 17 F journaliste.

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Page 29: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

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Michel FabreEsclaves et planteursColl. • Archives ­Julliard, 304 p., 20 F.Un ensemble detémoignages sur uneépoque et une culture,qui éclairent l'histoiredu problème racial.américain et sescomplexités actuelles

Ferdinand LotNaissance de laFrance·Edltion revue et miseà jourpar J. BoussardFayard, 728 p., 50 F.

• Jacques GeorgelLe franquismeHistoire et bilan1939-1969Seuil, 400 p., 30 FL'évolution, lesmécanismes internesdu régime franquisteet les chances futuresd'un changement depolitique en Espagne.

H.G. KœnigsbergerG.l. MosseL'Europe auxvr siècleTrad. de l'anglaispar S. ChassagneEd. Sirey, 400 p., 46 FUne contributionoriginale à l'étude decette période de notrehistoire, due à deuxuniversitairesaméricains.

• Nestor MakhnoLa Révolution russeen Ukraine(1918-1921)Avant-propos deDaniel GuérinColl.• Changer lavLe -Belfond, 240 p., 18 FPar un des premiers• guerilleros - littérairesde l'histoirecontemporaine,mort à Paris en 1935.

HISTOIRE

Patrick MooreL'atlas del'univers1 500 ill., nombr. carteslaffont, 272 p., 179 F(prix de souscription :149 F jusqu'au1er décembre)Une exploration et unecartographie complètedu ciel et de la terrevue du ciel.

Michel de CerteauLa possession deLoudunColl. • Archives ­Julliard, 350 p., 20 FL'affaire UrbainGrandier et, à traverselle, la radioscopied'une société maladed'elle-même.

Jean-Paul BertaudValmy, la démocratieen armesColl. • Archives ­Julliard, 326 p., 20 FUne reconstitutionminutieuse de la célèbrevictoire, 'à travers lesregistres de contrôledes troupes.

Jacques ChastenetDe Pétain à de Gaulle(11 juillet 1940 •25 aoOt 1944)Fayard, 272 p., 28 FUne mise au pointremarquablementdocumentée et d'unerare objectivité sur cesquatre années crucl·alespour la France.

A. Colin, 104 p., 14 FUne initiation à laportée d'un large publicà la théorie modernedes atomes et desmolécules.

F. UnkLa luneTraduit de l'allemandpar Françoise Lutz64 figuresA. Michel, 176 p., 18 FUne histoire dessciences "unairesappuyée sur les plusrécentes acquisitions ence domaine.

Carl BurkhardtRichelieu· T. 1 :La prise du pouvoirTrad. de -l'allemandpar H. Comsier16 p. d'illustrationsR. Laffont, 384 p., 30 FUne biographie à la .tolstrès rigoureuse et d'unegrande qualité littéraire.

• Maurice ChouryLe Paris communard

François MauriacLe nouveau Bloc­Notes· IV(1965-1967)Flammarion, 480 p., 38 F

Scientifique ­Flammarion,224 p., 20 FUn important ouvrage'Sur la problématique dela psychanalyse par lePrésident del'AssociationPsychanalytiquede France.

ESSAIS

Pierre SchaefferMachines àcommuniquer1 - Genèse dessimulacresSeuil, 320 p., 30 FLe premier tome d'unetrilogie consacrée àl'étude des mass-mediaet de leur genèse.

André JulgAtomes et liaisons

Ernst JüngerEssai sur l'hommaet le tempsTraduit de l'allemandpar H. PiardCh. Bourgois,592 p., 20,90 FRééditkm d'un ouvrageparu autrefois auxéditions du Rocher etdont le thème est aucœur même de 'Iapensée de l'auteur :la liberté.

SCIENCES

François BiraudJean-Claude RibesLe dossier descivilisations extra­terrestresFayard, 256 p., 24 FLes manifestationsde caractèrescientifique desréalités astronomiquesdu monde extra­terrestre.

Denis de RougemontLe cheminement desespritsEd. de la Baconnière,250 p., 20,80 FPour une unité del'Europe fondée enpremier lieu sur unecommunauté culturelle

G. Boulanger­BalleyguierLa recherche ensciences humainesEd. Universitaires,158 p., 25,90 FLes grandes étapes parlesquelles doit passerla recherche dans ledomaine des scienceshumaines.

SOCIOLOGIEPSYCHOLOGIE

Etudes surMontesquieuOuvrage collectifLettres ModernesMinard,104 p., 12 F• Archives des LettresModernes -.

Jean RicherNerval par lestémoins de sa vie5 planchesLettres ModernesMinard,413 p., 48 F• Nouvelle BibliothèqueNervalienne -.

La mort de Godotattente et évanescenceau théâtreOuvrage collectif sousla direction dePierre Brunei,Lettres ModernesMinard, 194 p., 22 FAlbee, Beckett, Betti,Duras, Hazaz, lorca,Tchékhov.

et le féminismeromantique1 plancheLettres modernesMinard, 228 p., 38 F• Bibliothèque delittérature etd'histoire -.

E.D. CancalonTechnique etpersonnages dans lesrécits d'André GicleMinard96 p., 11 FSérie • ArchivesAndré Gide-.

Dr BrusselPsychanalysedu crimeDr BensoussanTrad. de l'américainPréface dupar Benoit BraunTchou, 250 p., 25 FSix enquêtes policièreset médicales menées par. François Jacobun psychiatre La log!que du vivantnew-yorkllis. ~':re'd~:"re de

• Jean Laplanche Gallimard, 380 p., 32 FVie et mort enpsychanalyse• Nouvelle bibliothèque

Eliane BickertAnna AkhmatovaSHence àplusieurs volxResma, 128 p., 12,40 FL'itinéraire intérieurde l'un des plus grandspoètes russes de notresiècle.

Richard BolsterStendhal, Balzac

André GideLa symphoniepastoraleAvec une introduction,des notes, des lettresinédites, l'adaptationcinématographique de1945 et uneLettres Modernes,bibliographie,par Claude Martin.Minard, 261 p., 30 F.Edition critique établiesur les manuscrits etles diverses éditions.

littératurerévolutionnaireRécits chinois(1918-1942)Traduction etprésentation parM. Vallette-HémeryL'Herne, 336 p., 48 FUne anthologie desécrivains chinois quiont contribué par leurtémoignage à unerévolution nonseulement politique,mais aussi moraleet esthétique.

CRITIQUEmSTOIRELITTERAIRE

Burroughs, Ginsbergles lettres du YageTrad. de l'anglaispar Mary BeachAdaptation deClaude PélieuL'Herne, 78 p., 15 ~

Les lettres deBurroughs à un jeunepoète new-yorkaisalors inconnu, mais quia"ait devenir une grandevoix de la BeatGeneration : AllenGinsberg.

touise WeissMémoires d'uneEuropéenne· Tome III :1934-1939Payot, 272 p., 32,70 F(Voir le n° 66 de laQuinzaine) •

André Gide n° 1Etudes gidiennessous la directionde Claude MartinTextes de CécileDelorme, Jef Last etAlain Goulet MinardLettres Modernes,192 p., 21 FL'œuvre romanesque

E. de La Rochefoucauld d'André Gide et sonCourts métrages rayonnement dans leGrasset, 216 p., 15 F monde.Un recueil de souvenirssur des contemporains t 1Pierre Barbérlsillustres. Balzac et le mal

du siècleContribution à unephysiologie du mondemoderneTome 1 (1799-1829):Aliénations et prisesde conscienceTome 2 (1830-1833) :Une expérience del'absurde: de la prisede conscience àl'expressionGallimard, 816 et1176 p., 55 F et 75 FUne thèseadmirablementdocumentée et quiutilise avec beaucoupde doigté etd'originalité lesméthodes de pointe dessciences humaines.

Arno BrekerParis, Hitler et molPresses de la Cité,300 p., 22 FPar ·le sculpteurofficiel du Ille Reich,ami d'Hitler et d'Abetz.

BIOGRAPHIESMEMOIRES

Camille BelguiseLa vie a tout dictéGrasset, 192 p., 15 FA la fois un recueil desouvenirs et uneméditatkm sur la poésiedu quotidien, par lafemme de JacquesChardonne.

Marthe BibescoLe confesseur et·les poètesGrasset, 320 p., 25 FDe la poésie aumysticisme : un recueilde souvenirs, de lettreset de méditations, parla princesse Bibesco.

Didier CostePour mon herbeSeuil, 144 p., 25 FPar l'auteur du• Voyage organisé - etde • Journalexemplaire - (voir lesnO' 58 et 73 de laQuinzaine).

• De la révolutionlittéraire à la

La Qulnzal.... Uttéralre, du 1er au 15 décemb"e 1970 29

Page 30: Quinzaine littéraire 107 décembre 1970

Joseph-L. AliotoSan Franciscoque j'aime120 ill. en noir eten couleursVilo, 140 p., 45 FLe 20e volume de cettecollection dont nousavons parlé dans len° 96 de la Ouinzaine

HUMOURSPORTVOYAGESDIVERS

L. Van PuyvelveLa peinture flamandeau siècle de Rubens145 i11. en noir eten coul.Editions Meddens (Vilo) ,245 p., 153,20 FLe troisième volumed'une trilogie consacréeà l'art flamand.

A. MazahériLes trésors del'Iran125 ill. dont 87en couleurs17 dessins in texteSkira, 300 p., 175 FLa singularité et lapermanence d'unecivilisation dont serafêté l'année prochainele vingt-cinquièmecentenaire.

William GauntCités flamandesBruges, Gand, Anvers,BruxellesColl .• Cités d'art.98 ill. noir et couleursA. Michel, 160 p., 63,30 FQuatre cités célèbresdans le monde entierprésentées à leurapogée, c'est-à-dire duXIV' au XVIII' siècle.

Daniel SchlumbergerL'Orient helléniséNombr. i11. en noiret en couleursColl. • L'Art dans lemonde.A. Michel, 248 p., 52,40 FLe destin de l'art grecdans la Syrie, laMésopotamie, l'Iran etl'Inde.

Frédéric DardTout San-AntonioTextes choisis etprésentés par

Flammarion, 590 p.Les grands ensemblesde la peinture muraleromane, étudiés parrégions artistiques.

Otto DemusLa peinture muraleromanePhotographies deMax Hirmer250 pl. en noir et102 h.-t. couleurs

Paul TillichAux frontières dela religion et dela scienceTraduction de F. ChapeyPréface d'A. Barthel,postface de M. EliadeCenturion. 208 p., 14,95 FLa religion face auxgrands courants depensée nouveaux et àl'évolution du mondemoderne.

Sagesse éternellede la ChineChoix et présentationpar Marcel HertsensCenturion, 288 p., 38,70 FLes grands textes duconfusianisme et dutaoïsme.

Christoph CzwiklitzerAffiches dePicassoPréface de J. Adhémar345 affiches, 314 ill.140 pl. dont 70 en coul.Trinckvel, 362 p., 300 F.

André MartinLes croyants enU.R.S.S.(L'Eglise officiellecontestée - Procès etpersécutions)Fayard, 272 p., 24 FUne analyse, fondée surdes documentsauthentiques, desaspects les plus cachéset les plus significatifsde l'évolution religieuseen U.R.S.S.

René NelliJournal spiritueld'un Cathared'aujourd'huiResma, 216 p., 14,55 FL'actualité d'unedoctrine dont l'auteurretrouve ·Iaproblématique sous desformes spécifiquementmodernes.

ARTSURBANISME

• Yves BonnefoyRome 1630Coll. • Les balancesdu temps.Flammarion, 204 p., 60 FLe premier ouvrage decette nouvelle collectionqui se propose deprésenter quelques-unsdes instants décisifs del'histoire de la peinture.

Peter WeissTrotsky en exilTrad. de l'allemandpar P. IvernelSeuil, 176 p., 16 FUne tragédie historique,résolument optimiste etrévolutionnaire, parl'auteur de• L'Instruction. (voir len° 4 de la Ouinzaine).

RezvaniThéâtreCh. Bourgois,272 p., 20,90 FTrois pièces inédites,par l'auteur des• Années-Lula· :• L'immobile., • Lecerveau. et • Body •.

Jacques LoewCe Jésus qu'onappelle Christ(Retraite au Vatican1970)Fayard, 314 p., 20 FVingt-deux entretiens,rédigés à l'intention dePaul VI et de sesfamiliers.

Eloi LeclercLe cantique descréaturesou les symbolesde l'unionFayard, 280 p., 24 FUne exégèse du fameux• Cantique descréatures " qui aboutità une véritablepsychanalyse deFrançois d'Assise.

Boris VianThéâtre inéditTextes établis parNoël ArnaudCh. Bourgois,384 p., 23,70 FCe recueil réunit troispièces de Boris Vian :Tête de méduse - Sérieblême - Le Chasseurfrançais.

RELIGIONS

Friedrich GogartenDestin et espoirdu monde moderneTrad. de l'allemandCasterman, 208 p., 18 FUne étude duphénomène moderne dela sécularisation, parun théologien protestant.

Kateb YacineL'homme aux sandalesde caoutchoucSeuil, 288 p., 20 FUne pièce inédite dugrand auteur dramatiquealgérien, qui a pourtoile de fond la guerredu Vietnam et les ·Iuttesdu Tiers-Monde.

Radioscopie del'EuropePréface de M. PiatlerVilo, 212 p., 250 FUne enquête trèscomplète sur l'économieeuropéenne.

Jean FreireLes maquis au combatJulliard, 224 p., 14,30 FUn document à la foisvivant et très completsur l'implantation etl'organisation desmaquis.

Georges PillementLe théâtre d'aujourd'huiDe Jean-Paul Sartreà ArrabalEd. Le Bélier Prisma,528 p., 30,20 FUne anthologielargement commentée,qui groupe la plupartdes auteurs dramatiquesdes dernières années.

François NourissierHenri Cartier-BressonVive la France265 documents inéditsdont 17 enquadrichromieLaffont, 288 p., 75 FUn étonnant portrait dela France et desFrançaisd'aujourd'hui

Raymond DronneLa Libérationde ParisPresses de la Cité,348 p., 26,90 FUn document depremière main puisqueson auteur fut lepremier à pénétrer dansParis sur son charen août 1944.

THEATRECINEMA

Gérard GozlanJean-Louis PaysGatti aujourd'huiSeuil, 256 p., 18 FUne étude critique etbiographique qui éclaired'un jour nouveaul'homme et l'œuvre.

première et décisivebrèche dans lesystème stalinien.

Robert TownsendAu-delà dumanagementTrad. de l'américainArthaud, 216 p., 20 FUne mise en piècesaussi féroce que toniquedes mythes dumanagement.

DOCUMENTS

Jacques MinotL'entreprise EducationNationaleA. Colin, 432 p., 43 FUne contributionoriginale à l'œuvre derénovationadministrativedans un secteur clé.

Jacques NobécourtL'Italie à vifSeui·l, 368 p., 30 FPar le correspondant à. .Rome du • Monde " un Henri Jé!nnèsbilan sur l'Italie actuelle, Le d~~sler secretles forces politiques du telep~oneen jeu, les perspectives F!ammarlon, 192 p., 16 Fd'avenir. L.au~e~r .de ce

requlsltolre assure laprésidence del'association des usagersde télécommunications.

R. NitscheL'argentColl. • InternationalLibrary •Flammarion, 128 p.,19,50 FL'évolution de lamonnaie depuis saforme la plus primitivejusqu'à son rôle dansl'économie moderne.

Michel BodiguelCorsaires et négriers5 illustrationsEditions Maritimes etd'Outremer, 244 p., 18 FLes aventures descorsaires et négriersd'après les journauxde bord de l'époque.

Christian BrincourtMichel LeblancLes reportersPréface de J. Kessel16 p. d'illustrationsR. Laffont, 384 p., 24 FUn portrait sur le vifdu métier de reporter,à travers lesconfessions de centjournalistes.

• Vladimir DedijerLe défi de TitoStaline et laYougoslavieTrad de l'anglaispar M. PazPréface de K.S. KarolGallimard, 368 p., 32 FUn document depremière main surl'affaire yougoslave etune analyserétrospective de la

Bruno TavernierLes grandes routes400 documents inéditsLaffQnt, 288 p., 79 FL'histoire des grandsitinéraires de lanavigation mondiale detous les temps.

POLITIQUEECONOMIQUE

Celso FurtadoL'Amérique LatineTrad. du portugaispar E. BailbyEd. Sirey, 300 p., 44 FUn ouvrage de synthèsesur le développementéconomique des paysd'Amérique Latine.

Michel MollatGenèse médiévalede la France moderneXIV' et XV' siècles182 photosArthaud, 248 p., 50 FLa vie quotidienne enFrance pendant laguerre de Cent ans,d'après les témoignagesde l'époque.

Dictionnaire ducapitalismeOuvrage collectif sousla direction deGilbert Mathieu,Ed. Universitaires,564 p., 49,90 FUn livre de référencequi propose une imagefidèle de ceux qui fontou qui ont fait lecapitalisme moderne

Bernard KriefLe marketing enaction - Conceptset stratégieColl. • Management.Fayard, 408 p., 38 FUne étude de synthèsesur la méthodologie dumarketing et sesapplications pratiques.

Marie LavigneLes économiessocialistes soviétiqueset européennesA Colin, 512 p., 43 FUne vision globale etobjective du systèmeéconomique socialistetel qu'il est pratiqué enU.R.S.S. et dansl'Europe de l'Est.

• Marx EngelsEcrits militairesTraduits et présentéspar Roger DangevilleColl. • Théorie etStratégie.L'Herne, 664 p., 56 FUn ensemble de textesfondamentaux pour lacompréhension profondede la théorie marxiste.

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Bilan de noveDlbre

LES LIBRAIRES ONT VENDU

PayotStockSeuilGallimardMasperoGrassetDenoëlLaffontSeghersStock

GallimardSkiraDenoël LNGallimardLaffont

La psychanalyse des névrosasEspoir et révolutionLe franquismeLa logique du vivantMilitarisme, guerre, révolutionUne amitié contrariéeLe Grand Jeu (2 voL)NI Marx ni JésusHistoire du roman américainLa chute de la Ille République

Anthologie de la poésie russe Aubier-La renaissance du )(Xe siècle FlammarionHydrlotaphla ou Discours sur les umesGallimard

funérairesEcrituresImaginaires .Le protagonisteDu coup d'Etat en littératureLe bourreau affable

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"Do zi1 Charles de Gaulle Mémoires d'espoir (Plon) t 22 Jacques Monod Le hasard et la n6ce...lté (41 Seuil) 13 Erich Segal Love Story (Flammarion) 2 34 John Galsworthy La dynastie des Forsyte 1

. (Calmann-Lévy)

5 Yves Courrlère L1aeure des colonels (Fayard) 1

6 Michel Déon Les poneys sauvages (Gallimard) 9 27 . Anne Hébert Kamouraska (Le Seuil) 1

8 Philippe Alexandre Le duel de Gaulle-Pompldou (Grasset) 3 29 Gilbert Cesbron Ce que Je crois (Grasset) 6 1

10 Michel Tournier Le roi des aulnes (Gallimard) 1

LA QUINZAINE LITTERAIIIEVOlJS RECOMl\tIAN[lE

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants:Biarritz, la Presse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. - issoudunCherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Lyon, la Proue. - Montpellier,Sauramps. - Paris, les AIIscans, Aude, au Charlot d'or, Fontaine, la Hune,Julien-Cornic, Marceau, Présence du Temps, Variété, Weil. - Poitiers,l'Université. - Rennes, les Nourritures terrestres. - Royan, Magellan, ­Strasbourg-Esplanade, les 1Id6es et les arts. - Vichy, Royale.

ESSAIS

UTTERATURE

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Jean-François RevelMarc SaportaWilliam Shirer

Thomas Browne

Max ErnstJacques PrévertPaul Ritchlo. ­

Jean RlstatRamon Sender

J.-J. Dupeyroux Tchékhov Lénineet J.-e. Noyer La steppe - Selle 6 - MatérialismeJulliard, 480 p., 25,60 F La dame al petit chien - et empiriocriticisme

L'évêque Editions de Moscou.Le Pakistan Livre de ·Poche.8 plans, 36 III. etcartes historiques, Jules Vernecarte générale et Mistress BranIc:Imdessins Livre de Poche. INEDITSVilo, 310 p., 36 FUn nouveau volume dela collection• Guides modernes POESIE Suzanne BresardFodor --. Comment changer?

(Evoluer dans un

S. Mesnll-Grente Jean-François Chabrunmonde en mouvement)Centurion/Psychoguides

Le femme et son Les chMtIers Une étude à la foismétier chimériques théorique et pratiqueColl. • Femmes dans Flammarion/Poésie sur les problèmes quela vie- Un choix de poèmes pose à l'individu laGrasset, 160 p., 12 F écrits entre 1950 notion de changement.Des suggestions pour et 1970.les jeunes filles et pour

Daniel Chauveyles femmes Intéressées Alain Lancepar les problèmes Autogestion

du recyclage.Les gens perdus Seuil/Politiquedeviennent fragiles Une analyse approfondiePierre Jean Oswald/ des contenus concrets

Georges Sonnler Action poétique. de l'autogestion, par unLa montagne et homme qui joint àl'homme l'expérience militante42 hors-texte la compétence d'unA. Michel, 336 p., 39 F THEATRE cadre industriel.Une histoire de lamontagne et des Fioccarapports qu'elle Jean-Louis Barrault L..ltalien enentretient avec Jarry sur la Butte 90 leçonsl'homme. Gallimard/Le Manteau Livre de Poche.

d'ArlequinLe texte de la pièce

Marie-Louise HeersreprésentéeEric Bublozactuellement à

l'Elysée-Montmartre. Les Etats-Unis

POCHE contemporainsA. Colin/Dossiers

LITIERATURE Tennessee Williams Sciences HumainesLa statue mutilée Un ensemble deLivre de Poche. documents d'où se

Colette dégagent les caractèresLa naissance propres à ladu jour civilisation américaine.Flammarion ESSAIS

ColetteDaniel JoskiArtaudJulie de Camellhan Raymond Aron Ed. Universitaires/Livre de Poche. La philosophie Classiques du XX·

C.V. Gheorghiucritique de 11alstoire siècleSeuil/Points. La portée·

Le meurtre de révolutionnaire deKyralessa André Breton· l'œuvreLivre de Poche. Les vases d'Antonin Artaud.

communicantsVictor Hugo Gallimard/Idées Emmanuel RenaultBug JargaI suivi de

Thérèse d'AvilaLe dernier jour René Guénon et l'expérienced'un condamnéLivre de Poche. Le règne de mystique

la quantité et Seuil/Maîtres

Octave Mirbeaules signes des temps spirituelsGallimard/Idées. La vie et l'expérience

Le jardin des supplices de Sainte ThérèseLivre de Poche.

Allen Dulles d'Avila et leurLes secrets d'une signification pour les

Alan Paton reddition chrétiens d'aujourd'hui.Quant l'oiseau cI1sparut Livre de Poche.Livre de Poche.

M.-e.

Louis PergaudRoman Jakobson Ropars-WuiUeumierEssais de linguistique De la littérature au

De GoupIl à Margot générale cinéma : genèse d'uneLivre de Poche. Seuil/Points. écriture

Lénine A. Colin/U2Georges Simenon Textes sur les Une initiation àLa nuit du carrefour syncIcats l'esthétiqueLivre de Poche. Editions de Moscou cinématographique.

La QuIma"'e UttâaIre. du le: au 15 décembre 1970 31

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Réclamé par les spécialistes, attendu par tous les lecteurs cultivés,voici enfin le premier DICTIONNAIRE D'HISTOIRE UNIVERSELLEparu depuis cent ans.L'Histoire depuis cette époque, a pris de nouvelles dimensions. :économiques, sociales, idéologiques, dont le nouvel ouvrage sedevait de tenir compte. Si tous les événements, tous les personnagesde l'Histoire, de tous les peuples dans tous les pays y sont traités,une part importante n'en est pas moins réservée aux Etats les plusrécents d'Asie ou d'Afrique.Plus de 1 000 synthèses sur les sujets majeurs, 29 000 définitionsclaires et précises, 4 000 articles divers, 18 000 personnages, 6 000villes ou lieux historiques cités, traitent aussi bien des personnalitésqui ont marqué leur époque - qu'il s'agisse d'Alexandre Le Grand,de Juliette Gréco, d'Einstein ou de Hemingway... que des doctrineséconomiques, de l'Histoire politique des partis, de l'évolution socialeet culturelle des Etats.Truffé de faits, de dates, d'informations, le DICTIONNAIRE D'HIS­TOIRE UNIVERSELLE, l'est aussi d'anecdotes amusantes ou tragi­ques. Il est fait de toutes les histoires qui ont fait l'Histoire: tellecelle de Jeanne 1re , Reine de Naples, qui eut quatre maris et, pourse faire absoudre du meurtre présumé de l'un d'eux, vendit Avignon80 000 florins au Pape Clément VI. On y lit aussi bien la descriptiondes" fourches patibulaires" ce que fut la "cabale des Importants"que l'Histoire complète des Etats-Unis, du communisme ou même

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