Suzanne Pairault Infirmière 08 Le Lit No 13 1974

download Suzanne Pairault Infirmière 08 Le Lit No 13 1974

of 198

Transcript of Suzanne Pairault Infirmière 08 Le Lit No 13 1974

JEUNES FILLES EN BLANC * N 13LE SECRET DE LAMBULANCE

par Suzanne PAIRAULT

*Ilparat bien trange, ce malade qui choisi l'hpital le lit n 13, dont gnral les autres ne veulent pas.S'il ne semble pas beaucoup apprcier les rglements, en revanche .il semble trs curieux de tout ce qui se passe dans le monde hospitalier... mme de ce qui ne le regarde pas. C'est ainsi qu'il remarque l'hostilit manifeste par Rgine, la fille du grand patron, envers la jeune infirmire Genevive. Et celle-ci, qui a pris le n 13 en sympathie, dcouvre un jour avec angoisse que son protg a vol des mdicaments. Elle se demande si cet homme sympathique ne serait pas un trafiquant...Pour Genevive, qui passe successivement de la perplexit l'inquitude, la rvlation de l'identit du n 13 sera une norme surprise.

Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. Salle des urgences 1976

13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

14. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

16. La promesse de Francine 1979 (Francine)

17. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)18. Florence fait un diagnostic1981 19. Florence et l'trange pidmie 198120. Florence et l'infirmire sans pass198221. Florence s'en va et revient198322. Florence et les frres ennemis 198423. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

13. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

15. La promesse de Francine 1979 (Francine)

16. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)

Srie Florence

1. Salle des urgences 1976

2. Florence fait un diagnostic1981 3. Florence et l'trange pidmie 19814. Florence et l'infirmire sans pass19825. Florence s'en va et revient19836. Florence et les frres ennemis 19847. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre alphabtiqueJeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. Dora garde un secret 1974 (Dora)

3. Florence et les frres ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'trange pidmie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmire sans pass1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient1983 (Florence)8. Infirmire bord 1970 (Juliette)

9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

11. La Grande preuve de Florence1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)

13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

14. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)15. Le lit no 13 1974 (Genevive)

16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

20. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

21. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

22. Salle des urgences 1976 (Florence)

23. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

SUZANNE PAIRAULT

LE LIT NO 13ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

Itoute l'quipe tait son poste : le patron et ses deux assistants, dment casqus, masqus, les gants de caoutchouc remontant jusqu'au coude; le scialytique rpandait sur la table d'opration sa lumire crue. A un bout se tenait l'anesthsiste avec les appareils de ranimation; tout autour, quelques autres fantmes blancs des tudiants, sans doute, qu'on avait autoriss suivre l'intervention. Prs de la table charge d'instruments brillants, une silhouette menue que mme la

blouse chirurgicale n'arrivait pas paissir : Genevive, la jeune infirmire charge de passer ces instruments au chirurgien.On entendit le roulement doux du chariot sur le linolum du1 couloir. Le malade approchait; chacun se prparait agir. L'opration une hernie ne posait pas de grands problmes. Seule, Genevive sentait son cur battre trs fort. Pour elle, c'tait la premire fois qu'elle remplissait son rle. Et elle souhaitait tellement, tellement, que tout se passt bien... Elle l'avait tant dsir, ce poste! Elle pensait qu'il lui faudrait attendre encore longtemps : elle tait si jeune! Et puis tout s'tait fait si vite qu'elle n'y croyait pas trs bien encore.Quelques jours plus tt, elle avait son service au second tage de la grande clinique. Elle aidait aux pansements, elle s'occupait des oprs. C'tait dj trs passionnant pour quelquun qui avait la vocation de soigner. Voir une plaie se fermer peu peu, un malade reprendre ses forces de jour en jour. Savoir qu'on y est pour quelque chose pour beaucoup peut-tre. Le vieux mdecin qui faisait un cours l'Ecole ne rptait-il pas : N'oubliez pas, mesdemoiselles, qu'un malade, c'est le mdecin qui le traite, mais c'est souvent l'infirmire qui le gurit! Malgr tout, Genevive rvait toujours de la salle d'opration. Le mtier de chirurgien lui semblait le plus beau du monde : en si peu de temps, par quelques gestes, arriver sauver des vies, supprimer la douleur... Elle avait l'impression que ceux qui l'assistaient participaient un peu ce miracle.Un matin, comme elle s'apprtait commencer son service, la garde de nuit, son habitude, lui signala les vnements survenus depuis la veille. Ah! j'oubliais de vous dire : il y a un nouveau! En pleine nuit? c'tait une urgence, alors? Non : l'interne, M. Vincent, l'a amen hier soir. Il m'a dit seulement de le faire-cou-cher. Je l'ai regard plusieurs fois; j'ai l'impression qu'il a bien dormi. O l'avez-vous mis? demanda Genevive. Couloir B, numro 13. Il y avait de la place ailleurs, mais c'est l qu'il a voulu se mettre parce que du lit on voit tout le couloir. Il prtend que a le distrait. Genevive sourit. Au moins, en voil un qui n'est pas superstitieux!

La superstition est sans doute plus rpandue qu'on ne le croirait, car ce lit posait souvent des problmes. Les futurs oprs regardaient la pancarte appose au pied. Oh! pas ici, mademoiselle, je vous en prie! Il n'y a pas d'autre lit disponible? Voyons, disait Genevive, vous ne croyez pas ces sottises-l! Bien sr, je n'y crois pas! Mais pour une opration, tout de mme... Mme Coutand, la surveillante en chef, avait propos de changer ce 13 pour un 12 bis, comme on le fait dans certains htels. Le patron, M. Qunard, avait trouv cela ridicule. Mme Coutand n'avait pas insist, et le 13 tait toujours l.Un moment plus tard, en faisant sa premire tourne, Genevive avait vu le malade du 13. D'aprs sa fiche d'entre, il s'appelait Georges Tassel. La profession indique tait : employ de commerce. C'tait un homme encore jeune, peine grisonnant aux tempes, avec un visage hl, ouvert et anim. II n'a pas l'air trs malade, pensa la jeune infirmire. Il est vrai que cela ne veut rien dire. Les gens bronzs, comme lui, n'ont jamais mauvaise mine. Elle distribua les thermomtres. Le numro prit celui qu'elle lui tendait et fit une grimace comique. Il faut vraiment que...? Absolument! rpondit-elle.Devant son air d'autorit, il sourit. Elle avait encore tellement l'air d'une toute jeune fille! Jolie, sous la coiffe blanche qui mettait en valeur le brun luisant de ses cheveux. Dans sa peau claire, les yeux noirs semblaient deux pierres brillantes enchsses. C'est pour vous faire plaisir, dclara le numro 13. Vous croyez vraiment que cela sert quelque chose? Cela sert voir si vous avez de la fivre. Cela peut tre trs important. Dites-moi, qu'avez-vous? II haussa les paules. Je ne sais pas. Je suis ici pour qu'on le dcouvre. Mais enfin, vous souffrez bien de quelque chose? Par moments je souffre de partout : de la tte, du ventre, du dos... Puisqu'on vous a mis en chirurgie, je pense qu'on commencera par vous faire des radios. La radio est ici, au bout du couloir. On me fera ce qu'on voudra; je suis rsign tout.

Il poussa un grand soupir, mais ses yeux gardaient une lueur malicieuse. II est courageux! se dit la jeune fille. Elle pensait que le patron, M. Qunard, l'examinerait pendant la visite. Mais le patron dit simplement l'interne, le docteur Vincent : Ah! voici notre homme. On va commencer les examens : radio, puis laboratoire. Il est prfrable de l'avoir sur place. Nous attendrons les rsultats pour prendre la dcision finale. Ils passrent au malade suivant. Quand ils eurent fini, Genevive les suivit dans le bureau situ l'entre du couloir. M. Qunard s'assitun moment, causant avec ses deux internes : Vincent, d'abord, puis Rgine Lesdin, peine plus ge que Genevive. Rgine n'avait pas la valeur de Vincent, mais tout le monde savait qu'elle tait fille de patron, ce qui lui facilitait les concours.Il ne fut pas question du numro 13. Aprs le dpart de M. Qunard, Genevive aurait bien voulu interroger Vincent, mais elle n'osa pas. Ce grand garon blond, robuste, sportif, l'intimidait un peu. Elle l'admirait profondment, pour ses qualits de chirurgien, d'abord : c'tait l'lve favori de Qunard et son successeur probable. Mais aussi pour ses exploits sportifs : il s'tait class second au concours de ski de Val d'Isre et passait tous les jours une heure en salle d'escrime avant de prendre son travail.Avec Rgine, Genevive se sentait plus l'aise. La similitude de leurs ges les rapprochait; parfois, aprs le service, elles parlaient ensemble. La jeune infirmire questionnait l'interne sur des sujets mdicaux qui l'intressaient. Comme vous tes curieuse! disait Rgine. Vous n'avez pas besoin de savoir tout cela! Mais cela me passionne, rpondait Genevive.

Alors pourquoi n'avez-vous pas fait votre mdecine? Genevive soupirait. Faire sa mdecine, elle en avait rv depuis l'enfance. On se moquait d'elle parce que ses poupes taient toujours malades, elle leur posait des cataplasmes et leur faisait des pansements avec des morceaux de toile gomme. Plus grande, elle regardait de loin la facult de mdecine en se disant : Un jour, je serai l! Si elle l'avait pu, peine sortie du lyce, elle aurait commenc ses tudes. Mais la situation de sa famille exigeait que les enfants gagnent leur vie le plus tt possible. La mdecine, cela dure trs longtemps... Le frre de Genevive, qui, lui, rvait d'aventures et de voyages lointains, tait entr dans un bureau. .Elle-mme n'avait pas voulu tre charge aux siens, et, pour rester le plus proche possible du mtier qu'elle aimait, elle tait devenue infirmire.Tout cela, Rgine ne pouvait pas le comprendre. Elle avait travaill parce que maintenant toutes les jeunes filles travaillent; elle avait choisi la mdecine parce que l son pre pouvait l'pauler. Mais elle aimait pardessus tout la vie mondaine. Cela, Genevive ne le lui enviait pas: elle tait timide et en dehors de son travail ne se trouvait vraiment l'aise qu'avec des amis.Ce matin-l, elle interrogea la jeune interne au sujet du numro 13. Savez-vous ce qu'on doit lui faire? demanda-t-elle. Des examens, rpondit Rgine; toutes sortes d'examens, ce qu'il parat. Mais enfin, qu'est-ce qu'il a? Je n'en sais pas plus que vous : le patron n'a encore rien dit. J'espre que ce n'est pas quelque chose de grave! dit navement Genevive. Il a l'air si gentil... Ma foi, je ne l'ai pas beaucoup regard! avoua Rgine en riant.Il y avait pourtant des choses que Genevive devait savoir. II n'a pas de mdicaments prendre? pas de rgime spcial? Je ne pense pas, puisque M. Qunard n'a rien dit. J'ai envie de le lui redemander; qu'en pensez-vous? Je ne vous le conseille pas, du moins pour le moment, rpondit Rgine. Il est de trs mauvaise humeur cause de ces articles, vous savez... Quels articles? Ah! vous n'tes pas au courant? Il a paru dans L'Univers plusieurs articles trs injurieux pour les cliniques prives. Le patron a l'impression que celle-ci est vise en particulier. Que nous reprocherait-on? demanda Genevive aussitt mue.Elle aimait la clinique, et les critiques, quelles qu'elles fussent, ne pouvaient la laisser indiffrente.Rgine haussa les paules. Oh! toujours la mme chose : les

installations chirurgicales seraient trop anciennes, les laboratoires insuffisants, la nourriture mauvaise, les locaux mal tenus... Mais ce n'est pas vrai! protesta la jeune infirmire. Est-ce que M. Qunard ne va pas se dfendre? Il le voudrait bien, mais il faudrait avoir des arguments vraiment probants. Si la rponse est signe de lui, le public sourira et dira : II prche pour son saint, c'est naturel! Tel que je le connais, il doit en tre trs affect. Il l'est; c'est pourquoi, en ce moment, il vaut mieux le laisser tranquille. Genevive n'insista pas. Dans la matine, elle demanda au numro 13 s'il n'avait besoin de rien. Rien du tout, rpondit-il. Comme je ne sais pas pour combien de temps je suis ici, j'ai apport des livres, vous voyez. II dsigna celui qu'il tenait. Genevive vit que c'tait un ouvrage rcemment paru : Echappes sur la montagne. Tiens! fit-elle, j'ai vu ce livre il y a quelques jours... Vous l'avez lu? Pas moi, mais le docteur Vincent, notreinterne. Il l'avait oubli dans le bureau. Je me suis permis de regarder les photos. Le numro 13 la regarda avec attention. Vous connaissez bien le docteur Vincent? demanda-t-il. Je... c'est--dire que je travaille avec lui. Il tait dj la clinique quand j'y suis entre. Ah! oui... En somme, c'est surtout lui que vous avez affaire, beaucoup plus qu'au patron? Naturellement. Pourquoi lui parlait-il ainsi de Vincent? Elle commenait se sentir gne. Mais sans doute tait-il curieux, car il poursuivit : Vous soignez toujours les oprs? Vous ne travaillez jamais en salle d'opration? Elle secoua la tte. Cela ne vous plairait pas? Oh! si, rpondit-elle avec lan, presque malgr elle. Mais je pense qu'on ne voudrait pas de moi. Je suis trop jeune, je n'ai jamais fait ce travail-l depuis l'cole d'infirmires o on doit passer par tous les services. Le docteur Vincent, si vous lui en parliez, pourrait peut-tre vous aider. Non, non, surtout pas! s'exclama-t-elle. Pour rien au monde, elle n'et parl de ses dsirs au jeune interne. A Rgine Lesdin, oui, quelquefois mais Vincent! Sans doute se moquerait-il d'elle, et sans doute aurait-il raison... Excusez-moi, dit-elle, je ne peux pas m'attarder, j'ai beaucoup faire. Eh bien, bonne journe! Et bonne chance pour tout ce que vous souhaitez! Elle sourit sans rpondre. Ce qu'elle souhaitait ce poste en salle d'opration, elle ne devait pas l'esprer encore. Pourtant, ce jour-l, elle y pensa plus que de coutume. Elle se voyait dans la lumire crue, transforme en fantme blanc, comme les autres, guettant chaque signe du patron ou de Vincent...Car elle ne voulait pas se l'avouer, mais tout au fond elle savait bien que c'tait Vincent qu'elle aurait voulu assister.

II

Le miracle s'tait produit le lendemain, la salle de pansement. Pendant la visite, dj, le patron avait l'air proccup. Genevive s'tait demand si c'tait cause des articles calomnieux. Peut-tre y pensait-il, en effet, mais il avait d'autres soucis. En sortant d'une des chambres, il avait dit Vincent : C'est vraiment contrariant que Blanche nous quitte ainsi la fin de la semaine. J'avais l'habitude de travailler avec elle; elle est intelligente, rapide... Oui, dit Vincent, je crains que nous n'ayons du mal la remplacer. Genevive tait trop occupe par son service pour prter grande attention la conversation des mdecins. M. Qunard entrait dans une autre chambre et s'arrtait devant une de ses opres, une jeune femme qui venait d'avoir un gros anthrax la cuisse. Il consulta la feuille de temprature et frona les sourcils. Vous me l'amnerez en salle de pansement, dit-il Genevive. Je voudrais voir dans quel tat est la plaie. Vous la prenez tout de suite, docteur? Oui. Faites-la transporter, elle ne peut pas marcher encore. Genevive fit appeler les brancardiers et accompagna la malade jusqu' la salle de pansement, o elle l'installa sur la table. Vous tes confortable, dans cette position? Vous ne vous fatiguerez pas? Ce sera peut-tre un peu long, s'il faut changer les mches. J'ai mal au dos, dit la jeune femme. Je vais vous donner un coussin. L... est-ce mieux ainsi? Beaucoup mieux. Vous tes trs gentille, mademoiselle. Est-ce que cela va tre douloureux? Peut-tre un peu, mais si cela vous fait trs mal, dites-le : on pulvrisera un analgsique. Vincent serait l, et Genevive connaissait Vincent : il n'tait pas de ceux qui restent insensibles devant la douleur d'un malade.Elle prpara la bote d'instruments, la posa sur une table et commena drouler la bande. Quand M. Qunard arriva, aprs avoir termin sa visite, il ne restait plus qu' ter les compresses.Il eut un sourire de satisfaction. Je vois que tout est prt; c'est trs bien. J'ai oubli de vous dire, mademoiselle, que je vais avoir besoin de gants en avez-vous? Oui, docteur, les voici : j'ai pens que pour une plaie sep tique... M. Qunard enfila ses gants, souleva les compresses et fit la grimace. Ce n'est pas joli, joli. Il faut que je dbride un peu tout cela. Dois-je faire conduire la malade la salle d'opration, docteur? Non, je peux faire a ici; ce n'est pas grand-chose. Mais naturellement il va me falloir une ampoule de klne. Vous pouvez aller me la chercher, Vincent? En voici une, docteur , dit Genevive.II leva les yeux vers elle, prit l'ampoule sans mot dire et la brisa. Le jet analgsique, dirig par Vincent, fusa vers la plaie. Genevive prit la main de la malade. Vous verrez : vous n'aurez pas mal, pas mal du tout. Oh! regardez, vous qui aimez tant les fleurs! vous ne pouvez pas le voir de votre lit, mais le lilas a fleuri devant la fentre... La jeune femme dtourna les yeux un instant. C'tait ce que voulait Genevive : viter qu'elle regardt sa jambe pendant que le chirurgien incisait la plaie. Quand elle abaissa son regard, le coup de bistouri tait donn et Rgine pongeait le sang. Elle replaa les compresses et Genevive commena enrouler la bande.Le patron et Vincent se lavaient les mains. Genevive les entendit parler mi-voix. Elle est bien, cette petite, disait M. Qunard. Vous avez observ comment elle avait tout prvu? Je l'avais dj remarque, rpondit Vincent. Je la laisse souvent faire des pansements elle-mme; elle les fait aussi bien que moi. Vincent, vous ne pensez pas que... Puisque Mlle Blanche nous quitte... A votre avis, ne pourrait-elle pas...?. Certainement si. Avec un peu de pratique, elle serait parfaite. Parlez-lui-en donc, tout l'heure. Les brancardiers revenaient; Genevive les aida ramener la jeune femme dans sa chambre. Mademoiselle... vous ne pourriez pas me donner quelque chose? Ma jambe me fait mal, trs mal... Je vais vous faire une piqre; vous dormirez un peu et quand vous vous rveillerez vous ne souffrirez plus. Un moment plus tard, la malade somnolait. Genevive se souvint alors des quelques mots que le patron avait changs avec Vincent : Elle est bien, cette petite ... Et le jeune interne : Je l'avais dj remarque ...Mlle Blanche quittait la clinique... on lui cherchait une remplaante... Serait-il possible qu'on et song elle elle, Genevive? Non, il ne fallait pas y penser, ce serait trop beau... Et pourtant... Avec un peu de pratique, elle serait parfaite ... avait dit Vincent.Vers la fin de la matine, le jeune interne vint trouver Genevive dans le bureau o elle crivait son relev de pharmacie. Il faut que je vous parle, lui dit-il. Vousn'avez jamais fait de salle d'opration, n'est-ce pas? A l'cole d'infirmires, quand j'ai fait mon stage de chirurgie. Mais jamais depuis. Est-ce que cela vous plairait? Croyez-vous que vous vous y mettriez vite? Je le crois. J'ai toujours dsir faire ce travail. Il s'agit tout simplement de nous passer les instruments dont nous avons besoin; c'est ce que faisait Mlle Blanche. Cela demande videmment beaucoup d'attention... de la rapidit. Vous avez prouv ce matin que vous tiez capable de prvoir et de prendre une initiative intelligente. Voulez-vous rflchir jusqu' ce soir? Vous me donnerez votre rponse demain matin. C'est tout rflchi, rpondit-elle. Si vous je veux dire, si M. Qunard et vous tes prts me faire confiance, j'essaierai de ne. pas vous dcevoir. Eh bien, dit-il gaiement, march conclu! Le patron sera enchant. Il va parler Mme Coutand pour qu'elle fasse les changements ncessaires. Mlle Blanche est encore ici jusqu' la fin de la semaine, vous pourriez commencer lundi.II ajouta : Je serai content, moi aussi, de travailler avec vous... Elle ne sut que rpondre et rougit de plaisir. A ce moment, le tlphone intrieur sonna : on demandait l'interne la salle C. Genevive resta seule, le cur battant. Ce qui venait de se passer lui semblait irrel comme un rve. Comment avait-elle pu rpondre raisonnablement, avec calme, tandis que le monde se transfigurait ainsi autour d'elle? Maintenant, si elle n'avait pas appris depuis longtemps garder son sang-froid, elle se serait mise pleurer.Rgine entra dans le bureau. Genevive s'avana pour lui annoncer la bonne nouvelle. Mais Rgine, videmment, la connaissait dj : elle devait tre prsente quand M. Qunard et Vincent l'avaient discute. Alors? demanda-t-elle la jeune infirmire, vous tes satisfaite? Vous saviez...? Oh! oui, je suis trs heureuse! Vous dsiriez beaucoup cette place, n'est-ce pas? Je m'en rjouis sincrement avec vous. Mais tes-vous bien sre d'avoir assez rflchi, de ne pas regretter votre dcision? La regretter? pourquoi? demanda Genevive surprise.

Vous allez avoir beaucoup plus de responsabilits. Il y a une grande diffrence entre les soins et le travail que l'on fait au bloc opratoire. Je sais. J'essaierai de faire de mon mieux. Je n'en doute pas, rpondit gentiment Rgine. Ce que j'en dis, c'est dans votre intrt, vous le savez bien. Moi, je ne demande qu' travailler avec vous. Je sais , rpta Genevive.Les rticences de Rgine ne la troublaient pas. La jeune interne tait ainsi, toujours porte se mfier, voir les choses en noir. En prsence d'un malade, elle voyait les complications possibles, plutt que l'espoir de gurison. Vincent, au contraire...Genevive reprit son relev de pharmacie. Tout le monde tait si gentil pour elle; mritait-elle vraiment tout cela? Elle pensa tout coup au malade du lit n 13, avec qui elle s'tait laisse aller parler et qui lui avait montr de la sympathie. A lui aussi, elle voulait annoncer la grande nouvelle.Quand elle entra dans la chambre, le lit n 13 tait vide. Surprise, elle regarda autour d'elle. Le malade du 12 il devait partir l'aprs-midi et s'occupait ranger ses affaires se mit rire. Vous cherchez mon camarade de chambre, mademoiselle? Ah! il n'est pas souvent dans son lit, je vous assure! On dirait qu'il ne peut pas tenir en place. Du vif-argent, cet homme-l! Comme elle se retournait vers la porte, Tassel arriva. Il avait enfil des pantoufles et portait un manteau par-dessus son pyjama. L'instinct professionnel l'emportant, Genevive commena par le gronder. Vous n'tes pas raisonnable, voyons! On vous permet de vous lever, mais ce n'est pas une raison pour vous agiter ainsi! Puisque je ne suis ici que pour examens... Si on vous a hospitalis, c'est justement parce qu'on voulait faire ces examens dans le calme. Vous devriez le comprendre; vous n'tes pas un enfant! Etes-vous dj pass la radio? Non, pas encore; on me fera a demain matin, ce que je crois. Eh bien, jusque-l, vous allez me faire le plaisir de rester tranquille! II se mit rire. Si c'est pour vous faire plaisir, j'obirai. Quel nouveau supplice avez-vous encore invent mon intention? Genevive protesta. Appeler le thermomtre un supplice! Mais d'ailleurs ce n'tait pas pour cela que je venais. Je voulais vous annoncer que vos bons vux m'ont port chance. Vraiment? comment cela? Je commence travailler en salle d'opration lundi prochain! Le visage du numro 13 s'panouit en un large sourire. Vous voyez bien! Il suffit souvent de souhaiter une chose assez fort pour qu'elle se ralise. Alors vous tes contente? Enchante! Vous le devinez, puisque je vous avais dit quel point je dsirais ce poste.Je voulais que vous soyez parmi les premiers l'apprendre. Vous tes gentille, dclara Tassel. Cela me fait grand plaisir, moi aussi. Pour vous remercier, je vais me remettre au lit et j'y resterai... au moins une heure! Un bonheur ne vient jamais seul. Ce jour-l, comme Genevive s'apprtait quitter son service en fin d'aprs-midi, Vincent l'appela. Genevive! toujours contente? Bien sr! Alors, nous clbrons votre nomination. Voulez-vous venir prendre un pot avec moi? Oh! trs rapidement : je dois tre la Fac dans une heure. Elle accepta. Comme elle se dirigeait vers le foyer, Vincent l'arrta. Non, pas ici! Nous sommes la clinique toute la journe; on a besoin de prendre un peu l'air! A l'angle de l'avenue se trouvait un petit salon de th, appel La Ros Ecarlate. Quand on entrait, deux gros bouquets de ross rouges artificielles, placs de chaque ct de lacaisse, justifiaient le nom de l'tablissement. Quelques couples taient installs devant de petites tables; deux ou trois solitaires buvaient au bar.Vincent fit asseoir Genevive et la questionna : Du porto? un jus de fruits? Si vous voulez bien, dit la jeune fille, je prendrais volontiers une tasse de th. Aprs une journe de travail, cela me fait du bien. Vous tes comme moi, en ce cas. Je prends souvent une tasse de th au foyer quand la journe a t dure.

Malheureusement, le th n'y vaut pas grand-chose. Ici, il est meilleur. Pendant qu'on prparait le th, ils commencrent parler. Naturellement, la conversation porta d'abord sur ce qu'ils connaissaient bien tous deux, c'est--dire la clinique. Vincent avait une grande admiration pour le patron, admiration que partageait Genevive. Sur Mme Coutand aussi, ils taient du mme avis : une femme excellente, dont les airs autoritaires cachaient beaucoup d'indulgence.Ils ne parlrent pas de Rgine. Mais Genevive avoua Vincent combien elle tait intimide, malgr sa joie, de se trouver en salle d'opration le lundi suivant. Il la rassura. Nous vous aiderons, promit-il. Ds demain, dit Genevive, je commencerai revoir tous les instruments. A l'cole, je les connaissais tous, mais il y en a peut-tre que j'ai oublis. Lundi nous devons oprer une grosse hernie. Je peux vous dire d'avance ce que le patron vous demandera : bistouri, naturellement, puis carteurs, pinces de Kocher, ciseaux... A moins de complications, bien entendu. Esprons qu'il n'y en aura pas! Le temps passait avec une effrayante rapidit. Vincent regarda sa montre. Cinq heures : il faut que je file. Excusez-moi, j'ai une confrence que je ne peux pas manquer. A demain, Genevive. A demain, docteur. Dites Genevive , nous ne sommes pas devant les malades. Vous ne m'en voulez pas de vous laisser rentrer seule la clinique? Bien sr que non, Vincent! Il s'loigna trs vite et lui adressa de la porte un signe amical. Elle se leva et fit quelques pas sur l'avenue avant de regagner sa chambre. Elle ne pouvait penser qu'une seule chose : C'est trop beau...

Je peux vous dire d'avance ce que le patron vous demandera.

IIIMaintenant elle tait l, prte remplir le rle dont elle avait rv. Le matin, en mme temps que la joie , elle avait prouv une minute d'apprhension : novice comme elle l'tait, serait-elle la hauteur de sa tche? Mais prsent, elle tait tranquille. Les deux jours prcdents, elle avait pass en revue tous les instruments; en arrivant elle avaitplac prs d'elle, sur la table, ceux dont Vincent lui avait dit que le patron se servirait. Elle avait bien dormi, elle n'tait pas nerveuse. Elle tait sre que tout irait pour le mieux.La porte s'ouvrit; les brancardiers poussrent le chariot dans la salle. L'opr tait un tout jeune homme, presque un adolescent. Il dormait dj; on lui avait fait sa premire piqre anesthsique dans la pice voisine, afin qu'il ne ft pas impressionn par la vue de la salle d'opration, avec son arme de fantmes. Tandis qu'on l'allongeait sur la table, Genevive prouva pour lui un mouvement de sympathie. Que l'opration russt, que le jeune homme gurt vite, pour pouvoir tre heureux, lui aussi! Prt, patron? demanda l'anesthsiste. Oui. Il approcha son appareil et commena pratiquer l'intubation. Pendant ce temps, Vincent et Rgine disposaient les champs opratoires, laissant dcouvert le rgion de l'aine et de l'abdomen.Rgine tait place la droite du patron, entre lui et Genevive; Vincent se trouvait en face. Avant l'intervention, tout en enfilant ses gants, il avait adress la jeune infirmire un bonjour amical. Il souhaite que tout marche bien! pensa-t-elle. Je le lui dois lui aussi, puisque c'est lui qui m'a recommande au patron! M. Qunard demanda un bistouri. Comme on ne distinguait pas trs bien sa voix travers le masque, Rgine rpta l'ordre Genevive. Celle-ci tendit aussitt l'instrument. Un instant plus tard, on entendit le crissement lger de la peau entame par l'acier. Ecarteurs ... dit le chirurgien.Genevive, fascine, regardait les chairs s'ouvrir. A l'cole, elle avait dj assist des oprations; chaque fois, devant ce corps qui rvlait soudain ses secrets, elle prouvait le mme sentiment d'merveillement et d'admiration pour l'homme qui accomplissait ce miracle. La main de Qunard, habile et lgre, pntrait jusqu'au mcanisme profond de la vie. Vincent et Rgine, attentifs, pongeaient le sang qui suintait de la chair fendue. Drain ... entendit Genevive.Elle eut un instant d'hsitation. En lui numrant ce dont le patron aurait besoin, Vincent n'avait pas mentionn le drain. Etait-il normal d'en placer un ds maintenant, peine la plaie ouverte? Drain! rpta distinctement Rgine en se tournant vers elle.Ce n'est pas l'infirmire de juger : si on demandait un drain, c'tait sans doute qu'on avait constat quelque chose d'anormal.Les drains se trouvaient dans un rcipient strile, au bout de la table. Genevive en prit un avec sa pince et le prsenta l'oprateur. M. Qunard le saisit d'un geste impatient et le lana au milieu de la salle. J'ai demand les ciseaux droits! dit-il voix haute.Avant que Genevive et le temps de prendre les ciseaux, Rgine avait avanc le bras et s'tait empare de l'instrument demand. Le patron le prit en grommelant et poursuivit son travail.C'taient donc des ciseaux qu'il voulait : un des objets dont Vincent avait prvenu Genevive qu'il ferait usage! Que s'tait-il pass? Elle ne cherchait mme pas comprendre; un voile de larmes lui brouillait les yeux. Elle se domina et s'effora de ne penser rien, sinon ne plus commettre de faute.Jusqu' la fin de l'intervention, tout se passa bien. Le chariot revint chercher le malade. Genevive, n'osant s'approcher du reste de l'quipe aprs ce qui venait d'arriver, rangeait les instruments en silence.Le patron arracha son masque; il avait l'airtrs irrit. Vincent, cherchant l'amadouer, le questionna : a s'est bien pass, monsieur? La complication que vous craigniez ne s'est pas produite? D'accord, niais nous avons perdu vingt secondes. Vingt secondes, aujourd'hui, ce n'tait pas terrible, mais il y a des cas o la vie de l'opr en dpend! Genevive sentait un froid de glace l'envahir. C'tait pour elle, videmment, que M. Qunard parlait ainsi. Grce Dieu, tout s'tait bien termin, mais s'il en avait t autrement...Comment avait-elle pu commettre cette erreur? Pour le bistouri, pour les carteurs, elle n'avait pas hsit. Mais au lieu de demander ciseaux droits , le patron avait dit droits , simplement; c'tait peut-tre son habitude. Rgine avait rpt droits, comme lui. Le mot droits ressemble au mot drain ... Aurait-elle d, puisque justement la demande d'un drain l'tonnait, demander confirmation avant de le tendre?De toute faon, maintenant il tait trop tard!La salle se vida; Genevive acheva de nettoyer les instruments, les rangea dans les botes qu'elle porta la strilisation. Il ne devaitpas y avoir d'autre intervention avant l'aprs-midi, mais jusque-l elle ne savait que faire. Que devait-elle prparer? personne ne lui disait rien. Elle retourna dans la salle d'opration et s'y attarda; elle attendait, pour se rendre la cantine, que le djeuner ft fini; elle ne voulait pas se retrouver avec ses camarades.Quand elle descendit, Marion, la grosse cuisinire noire, la reut assez mal. Elle aimait beaucoup Genevive, mais elle ne pouvait s'empcher de bougonner. A quoi a 'essemble, veni' manger une heu' pa'eille? Ap's, si c'est pas bon, vous di'ez enco' que c'est la faute Ma'ion! On ne dira jamais cela, Marion, tout le monde sait bien que votre cuisine est excellente. Vous dites a pou' me fai' plaisi! Allons, tenez, je vais vous fai' sauter une petite escalope... Mais il reste du rti, je m'en arrangerai trs bien. Il est tout dessch, je le mett'ai dans une pu'e pa'mentier. Je ne veux pas que vous mangiez de la viande toute sche! La gentillesse de Marion rconforta Genevive; elle aurait voulu pouvoir confier sonchagrin cette femme dont elle connaissait le bon cur. Mais en dehors de ses fourneaux, Marion ne s'intressait pas grand-chose; la clinique, pour elle, c'taient les menus de chaque jour : malades, rgimes, personnel. C'tait dj bien assez compliqu pour lui faire tou'ner la tte , comme elle disait. Genevive se fora pour faire honneur l'escalope dore, entoure de pommes croustillantes, que Marion posait devant elle. Elle ne voulait pas vexer la cuisinire qui, les poings sur les hanches, la regardait manger.

C'est bon? Oui, c'est trs bon. Maintenant, qu'est-ce que vous allez p'end'e? Du f'omage? de la compote? Non, merci, je n'ai plus faim. Une tasse de caf, ce sera tout. Le djeuner fini, Genevive remonta lentement l'tage des infirmires. Elle voulait se ressaisir un peu avant l'intervention de l'aprs-midi. Mais peine avait-elle regagn sa chambre que le tlphone intrieur sonna. Elle alla rpondre et reconnut au bout du fil la voix de la surveillante gnrale, Mme Coutand. Genevive? Pourriez-vous descendre chez moi? J'ai vous parler, mon enfant. Je descends, madame. La voix semblait douce : Mme Coutand n'tait pas fche. Pourtant, de quoi pouvait-il s'agir, sinon des vnements du matin?Quand Genevive entra dans le bureau de la surveillante, celle-ci, contrairement son habitude, se leva et s'avana au-devant d'elle. Que s'est-il donc pass, ma petite fille? demanda-t-elle d'une voix compatissante. Vous vous tes trouble, je suppose? C'tait la premire fois... vous tiez mue... Je le craignais un peu, je vous l'avoue. Je suis dsole pourvous, Genevive. Je sais combien vous dsiriez cette place; le dpart de Mlle Blanche tait une occasion inespre de l'obtenir. M. Qunard... vous a parl? demanda la jeune fille, la gorge serre.Mme Coutand fit signe que oui. II... ne veut plus de moi? La surveillante hocha la tte. II ne vous reproche rien, vous. Il regrette de vous avoir donn ce poste alors que vous n'tiez pas encore au point, peut-tre un peu trop jeune. Je vois..., murmura Genevive. Ne vous dsolez pas, mon petit, dit Mme Coutand. Le patron est trs impulsif, vous savez. Il faut avoir de la patience : l'occasion se retrouvera plus tard... Les larmes montaient aux yeux de Genevive; elle se raidit pour ne pas pleurer. Que dois-je faire, madame, en ce cas? demanda-t-elle. Reprenez votre ancien service; vous y tes habitue, tout le monde vous retrouvera avec plaisir. Le mieux serait que vous y retourniez aujourd'hui mme; cela vous empchera de vous attrister. Quand vous aurez mon ge, vous saurez que contre les soucis le travail est le meilleur remde. Elle prit les mains de la jeune fille et les serra amicalement. Courage, Genevive! lui dit-elle. Vous tes une excellente infirmire; tout s'arrangera, vous verrez. Vous tes trs bonne, madame. La surveillante reconduisit Genevive jusqu la porte et la suivit des yeux tandis que la jeune fille remontait l'escalier. C'est dommage... murmura-t-elle. J'esprais qu'elle pourrait russir... Elle a d se troubler; cela arrive aux dbutantes. Et Qunard, il faut le reconnatre, n'est gure patient ! En arrivant dans son bureau, Genevive trouva Rgine qui rdigeait l'observation d'un malade. Elle eut un mouvement de recul : pour le moment elle et prfr ne rencontrer personne. Mais tout prendre, elle aimait mieux voir Rgine que Vincent.La jeune interne l'accueillit avec gentillesse. Je suis navre de ce qui s'est pass, Genevive. Ce matin j'tais un peu inquite, je l'avoue : vous tes encore inexprimente, il tait imprudent de vous confier la table d'instruments ds le premier jour. Que s'est-il pass? vous vous tes affole, tout coup... Je ne me suis pas affole, dit Genevive. J'tais sre d'avoir entendu demander un drain. Cela m'tonnait un peu, parce que M. Vincent m'avait dit l'avance de quels instruments le patron aurait probablement besoin. Mais ce n'est pas moi de dcider... Ainsi vous aviez mal entendu? Mais comment est-ce possible? J'ai fait tout ce que je pouvais pour vous aider : j'ai rpt votre intention ce que demandait M. Qunard... Je ne savais pas que pour dsigner les ciseaux droits, il disait parfois Droits , tout simplement. Alors, c'est la ressemblance des mots qui vous a trompe? Je parlais pourtant distinctement... Vous deviez vraiment tre un peu trouble. Genevive ne rpondit pas. Rgine lui rpta ce que lui avait dit Mme Coutand : il ne fallait pas s'inquiter : plus tard, quand elle aurait plus d'exprience... Merci de vouloir me consoler, dit Genevive. D'ailleurs tout le monde est si gentil pour moi... Elle prit les ordonnances de la journe et commena prparer ses mdicaments. Au bout d'un moment, elle interrogea encore : Je voudrais savoir... M. Qunard tait trs fch? Il est un peu nerveux en ce moment. Je vous ai dit qu'il tait trs contrari par les articles calomnieux parus dans l'Univers. Je comprends..., murmura Genevive. Le plus fch, poursuivit Rgine, c'tait Vincent. C'est normal : il se jugeait un peu responsable, puisqu'il avait pouss le patron vous prendre avec lui. C'est lui, d'ailleurs, qui a conseill M. Qunard de ne pas vous garder. Comment! c'est le docteur Vincent qui...? Oui; peut-tre sans lui le patron aurait-il tent une seconde exprience. Mais Vincent, justement, avait une autre infirmire proposer : une jeune fille avec qui il a travaill l'hpital, je crois. De sorte qu'on a pu vous remplacer tout de suite. Genevive dtourna la tte. Ainsi c'tait Vincent qui avait demand son renvoi! Vincent qui l'avait encourage, qui lui avait tmoign de l'amiti... Comme il avait d tre du pour ragir aussi durement! Elle se demandait comment elle aurait le courage de le revoir.Ce jour-l, en tout cas, elle tait bien dcide l'viter. Il devait assister M. Qunard pour, l'intervention de l'aprs-midi avec lanouvelle infirmire, sans doute! Peut-tre, puisque Rgine tait l, n'aurait-il pas besoin de revenir dans le service.L'accueil de ses malades rconforta un peu la jeune fille. Ceux qu'elle avait laisss nouvellement oprs avaient dj fait des progrs. Elle aida un jeune homme, relevant d'une appendicite, faire ses premiers pas autour de sa chambre. Avec vous, a va tout seul! dclara-t-il gaiement.Elle se demanda si elle retrouverait son malade du numro 13, Tassel, qui elle avait confi ses espoirs. Puisqu'il tait l pour examens , si on ne dcidait pas de l'oprer, il pouvait partir d'un moment l'autre. Elle eut un instant de plaisir en l'apercevant de loin dans son lit, ses cheveux grisonnants, pars sur l'oreiller, ses yeux, comme toujours, ptillants de malice. Alors? dit-il, vous voici revenue parmi nous?Elle secoua tristement la tte. J'ai manqu mon dbut, avoua-t-elle. J'ai fait une grosse btise : je me suis trompe d'instrument. Le chirurgien tait si furieux qu'il l'a lanc au milieu de la salle. Je croyais pourtant avoir bien entendu... Mais tout lemonde dit que je me suis trouble... on a peut-tre raison. Tassel la regarda attentivement. Cela vous fait beaucoup de peine? Oui, dit-elle. J'essaie de me raisonner, de me dire que tout n'est pas perdu. Plus tard, peut-tre... Vous tes trs brave , dit Tassel. Genevive soupira. Ne le croyez pas. Je souffre beaucoup dans mon orgueil. Quand j'imagine ce qu'ils doivent tous penser de moi... Tous? rpta-t-il. C'est--dire? Eh bien, le patron, l'anesthsiste, les internes... Tassel avana la main et prit amicalement celle de la jeune fille. Voulez-vous que je vous dise quelque chose? Eh bien, parfois, dans la vie, ce qui semble jouer contre nous finit par tourner notre avantage. Vous tes trop jeune pour le savoir, mais moi, je le sais... Elle se ressaisit. Mais assez pens moi, dit-elle. Si nous parlions un peu de vous, pour changer? On vous a fait de nouveaux examens? Oh! une quantit. Je finirai par connatre tous les services de la clinique. Et des analyses de laboratoire? Je ne les ai pas vues dans votre dossier. M. Qunard les a gardes. Et on ne vous trouve toujours rien? II haussa les paules. Il parat qu'on ne comprend rien mon cas. Mais vous souffrez encore? Il luda la question. Certains malades taient ainsi : une sorte de pudeur les empchait de parler de leurs maux. Genevive n'insista pas. Tassel se mit rire. Les mdecins, vous savez... Je n'ai pas grande confiance en eux. Cela dpend desquels! protesta Genevive presque malgr elle.Tassel la regarda avec malice, et elle se sentit rougir.

IVSI quelque chose pouvait aider Genevive supporter son chec, c'tait l'attitude de ceux qui l'entouraient. Aucune de ses camarades n'avait fait allusion l'incident de la salle d'opration; la remplaante de Genevive, venant du dehors, ne prenait pas ses repas la cantine, de sorte qu'on n'avait presque aucun contact avec elle. Genevive l'avait aperue alors qu'elle escortait un opr jusqu' sa chambre: elle tait gentille, maisdistante; toutes deux n'avaient chang que les quelques paroles indispensables au service. La nouvelle ne savait peut-tre mme pas qu'elle ! remplaait Genevive, et dans quelles conditions.La grosse Marion, elle, se doutait bien que tout ne tou'nait pas 'ond . Elle considrait un peu toutes les infirmires comme ses enfants; elle avait d'ailleurs ses prfres, parmi lesquelles Genevive. Mais elle ne posait pas de questions. Elle donnait ce qu'elle pouvait donner : de la bonne cuisine. On devinait sa sollicitude sa faon de poser un plat devant vous : J'ai mis un peu de cannelle dans le riz au lait; vous aimez a, hein? Elle ne disait rien, mais elle devinait beaucoup de choses-Genevive avait prouv un peu d'apprhension la pense de se retrouver en salle de pansements avec le patron et toute l'quipe. Si M. Qunard lui avait dit un seul mot de l'incident, elle craignait de laisser voir son dsarroi. Mais le regarder on aurait pu croire qu'il ne s'tait rien pass. Il se faisait aider par Genevive comme avant; elle avait mme l'impression qu'il lui parlait avec plus de douceur que de coutume. Peut-tre avait-il piti d'elle?Piti! quand elle aurait tant voulu mriter son estime!Le pire, c'avait t de revoir Vincent. Par bonheur, pendant plusieurs jours ils ne s'taient jamais trouvs seul seule. La prsence de Rgine, celle de l'infirmier ou des aides-soignantes, sauvait la situation : on ne pouvait parler que du service. A mesure que le temps passait, le souvenir se faisait moins cuisant : peut-tre Vincent avait-il oubli, mme si Genevive, elle, n'oubliait pas...Elle tait trs occupe et s'en flicitait : il y avait une pritonite, un insuffisant cardiaque que M. Qunard hsitait oprer et qui demandait une surveillance de tous les instants. Genevive n'avait mme plus le temps de s'accorder un moment de rpit en causant avec Tassel, comme elle avait plaisir le faire. Le numro 13, lui, semblait de plus en plus singulier. Les examens rpts qu'on lui faisait presque chaque jour ne semblaient apporter aucun claircissement sur son cas. Il se rendait successivement dans tous les services, subissait des tests neurologiques, endocriniens, hpatiques, rnaux. Quand Genevive essayait de l'interroger, il rpondait qu'il ne voulait pas parler de ses maladies, c'tait dj bien assez d'avoir affaire aux mdecins. Mais enfin, souffrez-vous? demandait-elle. Oui, par moments. Et d'o? Cela dpend : quelquefois c'est la tte, quelquefois l'estomac. En ce moment, ce n'est pas trs pnible. Peut-tre parce que vous vous reposez. Je pense que votre mtier doit tre fatigant. Oh! oui soupira-t-il en levant les yeux au ciel.Un jour, elle avait insist : Tout de mme, si M. Qunard vous garde en chirurgie, c'est qu'il pense devoir vous oprer? Sans doute, mais il n'est pas encore dcid. Je vous dis qu'il ne comprend rien mon cas. Il vous garde peut-tre justement parce que vous l'intressez. Il ne veut pas vous laisser partir avant d'avoir compris. C'est bien possible! dit Tassel en haussant les paules. Quand on tombe entre leurs griffes, on ne sait jamais quand on en sortira! Rgine, interroge par la jeune infirmire, dclarait qu'elle n'en savait pas plus long. Elle ne comprenait pas la curiosit de Genevive. Qu'est-ce que cela peut bien vous faire?Vous devriez tre contente; vous avez tant de travail en ce moment; c'est au moins un malade qui ne vous donne pas beaucoup de mal! D'aprs l'organisation de la clinique, les heures de service des infirmires n'taient pas toujours les mmes. Un soir que Genevive attendait la garde de nuit pour lui transmettre les consignes, elle voulut avant de partir faire le tour de ses oprs. La chambre o se trouvait le numro 13 possdait deux lits : le malade du 12, opr de l'aprs-midi, tait encore en salle de ranimation. Tassel est donc seul, se dit la jeune fille. C'est curieux qu'il ait ferm sa porte, il demande toujours qu'on la laisse ouverte. C'est curieux aussi qu'il ait dj teint; habituellement il lit assez longtemps avant de s'endormir. Elle poussa doucement la porte et jeta un coup d'il dans la chambre, claire seulement par l'ampoule du couloir. Le lit tait vide.Genevive alluma la lampe de chevet. Il tait vident que Tassel ne s'tait pas couch : le pyjama tait pli sur l'oreiller, les pantoufles ranges sous le lit.A une heure pareille, il ne pouvait tre question d'examen. O tait parti le malade? Un instant, Genevive se demanda si on ne l'aurait pas transfr dans un autre service mais non, on ne pouvait pas dplacer un de ses malades sans la prvenir. Le pyjama et les pantoufles semblaient attendre le retour de leur propritaire. Elle entrouvrit la porte du cabinet de toilette : le savon, le rasoir, la brosse dents taient leur place. Que signifiait donc cette absence?Genevive se demanda ce qu'elle devait faire. Tandis qu'elle hsitait, elle entendit un pas dans le couloir : elle teignit la lampe de chevet et attendit.Un instant plus tard, Tassel se glissait dans la chambre. Il portait son costume de ville et ses souliers. A la vue de Genevive, il sursauta. Vous... vous tes encore l? balbutia-t-il. Comment se fait-il que... Elle l'interrompit. C'est moi de vous poser la question, me semble-t-il. Que faites-vous tout habill, en pleine nuit, dans les couloirs de la clinique? Qui vous a autoris sortir de votre chambre? Tassel paraissait gn. Personne... C'est--dire que... Comme je ne me sentais pas mal, j'ai pens que... Que vous aviez le droit d'aller vous promener? Ecoutez-moi, monsieur Tassel : si on vous a hospitalis pour faire des examens, c'est qu'on jugeait ncessaire de les faire au repos, comprenez-vous? Vous tes sorti de la clinique? Un peu... J'ai fait quelques pas sur l'avenue... Et le portier vous a laiss passer? N'accusez pas le portier : je ne lui ai rien demand. J'avais dcouvert qu'il existait, du ct des cuisines, une petite porte... Naturellement, vous promener toute la journe dans la maison, vous finissez par connatre mme ce qui ne vous regarde pas! Veuillez vous recoucher immdiatement, je vous prie. II ta sa veste et commena dnouer les lacets de ses chaussures. Comme elle allait sortir, il lui tendit la main. Vous me pardonnez, mademoiselle Genevive? II avait l'air si confus, si gentil, qu'elle sentit son indignation s'apaiser. Elle prit la main qu'il lui tendait et lui sourit. Mais je serai oblige de signaler votre incartade! dclara-t-elle avant de le quitter.Une fois dehors, elle s'interrogea. Elle ne

pouvait pas prendre la responsabilit de laisser un malade quitter sa chambre la nuit pour aller rder elle ne savait o. Il avouait lui-mme qu'il tait sorti de la clinique : faire quelques pas dehors , disait-il. Mais en ralit, o tait-il all?Un instant, elle se demanda si le numro 13 n'avait pas la tte un peu drange, si tout ces examens qu'on lui faisait n'avaient pas pour objet de localiser un trouble crbral. Quand on lui parlait, il semblait non seulement quilibr, mais plein de bon sens-Bien sr, il y a des alins qui donnent cetteimpression... Pourtant, si tel tait le cas, M. Qunard l'et-il laiss sans surveillance spciale au milieu des autres malades?A qui Genevive devait-elle signaler les faits? En tant que manquement au rglement, cela regardait la surveillante. Mais l'important, c'tait moins l'indiscipline que le risque couru par le malade...L'interne responsable, c'tait Vincent. Elle devait lui signaler le cas ds le lendemain. C'tait pnible : elle ne s'tait jamais adresse directement lui depuis l'incident de la salle d'opration; Mais elle devait le faire : lui seul tait capable de prendre une dcisionau sujet de Tassel.Elle attendit le moment o Vincent arrivait dans le service aprs elle, mais avant le patron. Elle l'aborda dans le couloir et le fit entrer dans le bureau des infirmires, dsert cette heure. II faut que je vous parle du numro 13, lui dit-elle. Il ne m'est pas facile de le surveiller de prs, tant donn qu'il est constamment appel d'un bout l'autre de la maison. Malgr tout, hier soir, me trouvant exceptionnellement dans le service neuf heures, j'ai constat qu'il n'tait pas dans sa chambre.Il est rentr un peu plus tard, en costume deville, et m'a avou qu'il tait sorti de la clinique. Est-ce vous qui l'y avez autoris? Moi? dit Vincent, vous n'y pensez pas! En admettant que j'aie donn cette permission, je ne l'aurais pas fait sans vous avertir. Il est ici pour examens mais on ne fait pas d'examens la nuit, je suppose? Evidemment non. Je vous avoue, poursuivit-elle, que je trouve parfois son comportement un peu trange. Est-ce que...? Elle se toucha le front du bout du doigt.Vincent se mit rire. Non, vraiment, je ne crois pas... Aprs tout, n'est-ce pas, on n'est jamais sr! N'avons-nous pas tous notre petit grain de folie? Sa lgret irrita la jeune fille. Je ne plaisante pas, dit-elle. Je vous demande ce que je dois faire, voil tout. Excusez-moi... Ne vous inquitez pas : cette petite fugue ne me parat pas bien grave. N'en parlez personne et n'y pensez plus. Si vous pensez qu'il ne risque rien... fit-elle avec un peu d'amertume.Elle se sentait humilie. Vincent ne prenait pas l'incident au srieux, c'tait vident. Peut-tre la trouvait-il ridicule de s'tre tourmente pour si peu? Mais c'tait son devoir, elle, de surveiller les malades! Il n'attachait donc pas d'importance ce qu'elle disait : depuis son malheureux chec, il n'avait plus confiance en elle...

Un moment plus tard, on l'avertit qu'on allait remonter de la ranimation la pritonite de la veille: c'tait le voisin de lit de Tassel, le numro 12. Elle se dirigea vers la chambre pour s'assurer que tout tait prt recevoir le malade. Comme elle s'approchait, elle remarqua que la porte tait ouverte; Vincent, debout prs du lit n 13, parlait avec Tassel. Elle vit que tous les deux riaient; son approche, ils se turent brusquement. Ils se moquent de moi! pensa-t-elle. Tassel a d raconter Vincent comment je l'avais grond son retour; tel qu'il est, il a plutt d trouver cela drle. Et Vincent, au lieu de le rprimander comme il aurait d le faire, a ri avec lui mes dpens... L'interne sortit de la chambre; Genevive s'avana pour vrifier que le lit n 12 tait ouvert, les draps bien tirs, les bouillottes leur place. Aprs la ranimation, il fallait surtout viter que les malades prissent froid.Vous tes toujours fche contre moi, mademoiselle Genevive? demanda Tassel.Elle rpondit un peu schement : Cela ne me regarde plus; j'ai mis le docteur Vincent au courant; je ne suis ici que pour excuter ses ordres. On amena le chariot; Genevive aida les infirmiers installer le malade dans son lit. C'tait un jeune garon de seize dix-sept ans, au visage intelligent et veill. Eh bien, lui dit gentiment Genevive, voici les mauvais moments termins. Maintenant vous n'avez plus qu' vous reposer jusqu ce que vos forces reviennent. Ce sera long? demanda l'opr. C'est que je dois passer mon bac la fin de l'anne; je n'ai pas de temps perdre. D'ici quelques jours, on vous permettra de travailler dans votre lit. En attendant, est-ce qu'on va me donner manger? J'ai faim, moi! C'est un excellent symptme! dclara gaiement l'infirmire. Mais aujourd'hui, vous ne pouvez encore avoir que du liquide. Nous tcherons que ce soit bon! ajouta-t-elle en souriant. Si je dois tre opr, mademoiselle Genevive, dit Tassel, j'espre bien que ce sera vous qui me soignerez! Elle s'loigna sans rpondre. Qu'il se moqut d'elle avec Vincent s'il voulait! Il n'avait pas besoin d'elle; elle ne s'occuperait plus de lui.Toute la journe elle fut absorbe par son travail. Vers midi, comme elle passait dans la galerie qui donnait sur la cour, elle vit plusieurs convalescents regarder par la fentre; elle s'approcha pour voir ce qui les intressait. Rgine et Vincent sortaient ensemble de la clinique.Rien d'tonnant cela, puisque leur service finissait la mme heure. Malgr tout, Genevive prouva une impression douloureuse. Quelques jours plus tt, c'tait elle qui descendait ce perron avec l'interne. Il comptait sur elle, ce moment-l...Les deux jeunes gens se dirigrent vers la voiture de Vincent, range dans le parking rserv au personnel de la clinique. Rgine avait elle-mme une voiture, pourquoi ne la prenait-elle pas? Vincent lui ouvrit la portire et fit le tour du vhicule pour prendre sa place au volant.Il la soigne, notre jeune docteur ! dit en riant un des malades. Dame! c'est bien naturel, dclara un infirmier. C'est la fille du professeur Lesdin, vous ne le saviez pas? Ah, ah! il a de l'ambition, le jeunehomme! a se voit, d'ailleurs : il ne rencle pas devant le travail. Il est dj trs soutenu par le docteur Qunard. Oui, mais pour un jeune, pouser une fille de patron, c'est le pied l'trier! Il est beau garon : il a ses chances... Genevive s'loigna brusquement. Ils avaientraison : si Vincent pousait Rgine, sa carrire tait assure. Rgine, de son ct, devait le souhaiter : elle n'tait pas assez brillante pour esprer russir par elle-mme. Si elle ne devenait pas patron, elle pouvait devenir femme de patron...La jeune infirmire se reprocha aussitt cette pense. Rgine s'tait toujours montre gentille pour elle : c'tait mal le reconnatre que de lui attribuer un calcul intress. Vincent non plus n'tait srement pas capable... Comme il est difficile de se montrer toujours juste! Les deux jeunes gens pouvaient se plaire; ils pouvaient aussi n'tre l'un pour l'autre que de bons camarades...Malgr tout, ce jour-l, Genevive eut l'impression que l'aprs-midi ne finirait jamais.

LE LIT N 13Plus Genevive y pensait, plus elle tait blesse l'ide que Vincent et Tassel s'taient moqus d'elle. Qu'avait-elle fait, pourtant, pour s'attirer cette ironie? N'est-il pas naturel qu'une infirmire signale l'interne du service le comportement trange d'un malade? Et le numro 13 agissait de faon curieuse, c'tait certain. Comment pouvait-on lui faire des examens valables s'il allait la nuit se promener dans les rues?Vincent, en tout cas, n'aurait pas d prendre cette attitude. Les malades doivent obir leur infirmire; le feront-ils si le mdecin lui-mme la tourne en drision?Elle vitait le jeune interne de son mieux. Quant Tassel, elle ne lui adressait presque plus la parole. Elle tait souvent oblige d'entrer dans sa chambre, le numro 12, la pritonite, demandant des soins constants. Quoique adolescent, il semblait s'entendre avec son voisin, de vingt ans plus g que lui. En approchant de la chambre, Genevive entendait souvent Tassel parler et Christian rire.Trois jours aprs l'intervention, elle trouva un matin que le jeune garon avait les yeux trs brillants, le visage un peu rouge. Elle reprit sa temprature : la fivre tait remonte. Vous vous agitez trop! gronda-t-elle. Un opr de frache date a besoin de repos! Tassel intervint. C'est ma faute, mademoiselle Genevive. Je suis bavard, vous savez. Quand je trouve quelqu'un qui veut bien couter mes histoires... Elles sont si amusantes, vos histoires! dclara Christian. N'importe, il ferait mieux de se taire. Je serai oblige de le changer de chambre, s'il continue. Au moment o elle s'loignait, elle entendit le jeune garon murmurer : Que lui avez-vous fait, l'infirmire? Elle vous traite d'une faon... Elle qui est si gentille avec moi... Genevive n'entendit pas la rponse. Mais elle n'avait pas eu tort de rclamer plus de calme pour Christian. Le soir, la fivre tait encore monte. Elle le signala Vincent. C'est ennuyeux, murmura celui-ci en quittant la chambre. Je vais demander au patron de passer le voir. Quelle complication peut-il bien nous couver, ce petit? Vous croyez que cela pourrait tre grave? J'espre que non, mais on ne sait jamais... Ils changrent un regard. Pour la premire fois depuis longtemps, la jeune infirmire eut l'impression de retrouver leur ancienne entente, celle qui naissait de leur intrt commun pour un malade. Elle en prouva un immense bonheur. Mais elle se raidit et retourna dans son bureau sans ajouter une parole.A sa grande surprise, elle y trouva Tasse] appuy au mur, en robe de chambre et les mains dans ses poches.

Elle trouva Tassel appuy au mur. Que voulez-vous? demanda-t-elle un peu schement. Je voudrais vous parler, mademoiselle Genevive. D'abord, je veux vous dire que je suis dsole d'avoir fatigu mon jeune voisin; je cherchais simplement le distraire. Je me surveillerai, je vous le promets. Il ne va pas vraiment plus mal? Nous attendons la visite du patron pour le savoir. Je voulais aussi vous dire autre chose. Mme avant, j'avais l'impression que vous m'en vouliez. Et je ne sais pas de quoi. Si je vous ai dplu, c'est involontairement, je vous assure. Devant sa gentillesse, elle se radoucit. N'y pensez plus, dit-elle. Je vous l'avoue, j'tais un peu peine, l'autre jour, aprs m'tre inquite de votre sortie nocturne, quand je vous ai entendu vous moquer de moi, avec... Avec le docteur Vincent? Mais nous ne nous moquions pas de vous du tout! Je sais que Vincent... Ah! laissez le docteur Vincent tranquille! jeta-t-elle. D'ailleurs, ce qu'il pense de moi m'importe bien peu! Du moment que j'assure mon service... Tassel la regarda et sortit du bureau. Unmoment plus tard, le pas de l'interne se fit entendre dans le couloir. Pourriez-vous venir, mademoiselle Genevive? Le patron va passer voir le 12; j'aimerais que vous soyez l. Elle le suivit sans mot dire. Le docteur Qunard lui posa quelques questions et examina longuement le jeune garon. Je ne crois pas que ce soit inquitant, dclara-t-il enfin. Simple raction postopratoire, sans doute. Forcez un peu la dose d'antibiotique : quatre au lieu de trois. Si cela ne suffisait pas, nous essaierions la voie intraveineuse. Vous vous en chargez, Vincent? Oui, monsieur. Quand Genevive retourna dans son bureau, Vincent l'y suivit. Je suis soulag, lui dit-il, j'avoue que j'ai eu un peu peur. D'aprs ce que dit le patron, je pense maintenant que tout va s'arranger. Pas vous? Si, rpondit-elle simplement. Vous tes contente aussi? J'ai bien vu que vous tiez inquite. Elle se raidit de nouveau. Quelle importance pouvait-il accorder son opinion, avec ce que maintenant il devait penser d'elle? Mais peut-tre venait-il de parler avec Tassel; celui-ciavait pu lui dire que leur moquerie l'avait blesse. Il tait bon : il cherchait rparer. Ne comprenait-il pas que sa piti la blessait encore davantage? Oui, tout est pour le mieux , rpondit-elle froidement.Elle s'absorba dans la prparation de ses remdes. De toute la journe, elle ne revit pas Vincent. Elle administra au numro 12 les doses d'antibiotiques prescrites par M. Qunard; le lendemain, en prenant sa temprature, elle constata que celle-ci revenait doucement la normale. On tenait le bon bout : demain on pourrait dire que l'adolescent tait hors de danger. Eh bien, Genevive, il est tir d'affaire! C'tait la voix joyeuse de Vincent. Il se tenait devant la porte du bureau, appuy au chambranle. Puisque nous ne sommes plus inquiets ni l'un ni l'autre... Vous sortez cinq heures, aujourd'hui? Un peu surprise, elle fit signe que oui. Alors... Vous ne voudriez pas que nous allions prendre un pot ensemble? Nous pourrions retourner la Ros Ecarlate , puisque le th n'y est pas mauvais. Ainsi c'tait bien cela! Tassel avait dit

Vincent qu'elle se tourmentait, qu'elle tait malheureuse,.. Il cherchait faire un geste pour la consoler. Mais sa piti, elle n'en voulait pas! Je suis dsole, rpondit-elle, je ne suis pas libre. Demain, alors, peut-tre? Je ne sais pas; j'ai beaucoup faire en ce moment. Trs bien! rpondit-il en se redressant son tour.Comme il sortait, il croisa Rgine qui entrait dans le bureau. Celle-ci leur jeta tous deux un regard intrigu. Depuis l'incident de la salle d'opration, elle se montrait trs amicale envers Genevive; celle-ci, instinctivement, se rapprochait d'elle. Rgine s'intressait elle, sa situation; elle conseillait la jeune infirmire de suivre les cours d'assistante radiologiste, qui pouvaient lui assurer un meilleur avenir. Elle lui avait mme propos de parler d'elle son pre, le professeur Lesdin. Il avait le bras long, il pourrait l'aider..._Le lendemain, Genevive eut l'occasion de mettre son' amiti l'preuve. Le courrier lui avait apport une lettre de son frre; celui-ci, d'un an plus g qu'elle, avait d, au moment de la mort de leur pre, interrompre les tudes de lettres qui le passionnaient. Il tait entr dans le commerce, o il russissait mal. Il annonait sa sur qu'il venait de perdre sa place. Ne le dis pas maman, surtout, ajoutait-il. Elle a bien assez de soucis sans cela, la pauvre! Je trouverai quelque chose d'autre, ne t'inquite pas. Ne pas s'inquiter, c'tait facile dire! Voil trois fois dj que Jacques changeait de situation. Le malheur, c'tait qu'il n'aimait pas ce qu'il faisait. Il regrettait toujours ses tudes, le mtier de professeur de franais qui lui et permis de demander un poste l'tranger et de voir du pays. Sa journe finie, au lieu de chercher se perfectionner dans sa nouvelle branche, il lisait, lisait indfiniment...Voyant l'air proccup de Genevive, Rgine lui demanda ce qu'elle avait. La jeune infirmire, touche de sa sollicitude, lui confia ses soucis. Vous aimez beaucoup votre frre? questionna Rgine. Beaucoup! Si je pouvais travailler double pour lui faciliter la vie! Je voudrais tant le voir heureux! Peut-tre pourrait-on faire quelque chose pour lui, suggra la jeune interne. Comme vous tes bonne! soupira

Genevive.D'avoir pu se confier, la journe lui sembla moins pnible. Le numro 12 allait de mieux en mieux, la crise tait passe, on n'avait plus qu' attendre la gurison. Mademoiselle Genevive! dit-il le surlendemain, est-ce que je ne pourrais pas faire venir ma guitare? Je joue dj assez bien, vous savez! Il n'est pas permis de faire de la musique dans la clinique. Mais maintenant vous pouvez

bavarder avec votre voisin autant qu'il vous plaira. Il ne s'en prive pas! dit Tassel en riant. Il parle presque autant que moi, ce qui n'est pas peu dire! A propos, mademoiselle Genevive, j'aimerais bien changer quelques mots avec vous. Puis-je venir dans votre bureau? Mais, certainement , dit-elle. D'avance, elle affermissait sa rsolution. S'il veut me parler de Vincent, je n'couterait pas! se disait-elle. La veille encore, elle les avait vus causer dans la galerie. Qu'ils eussent de la sympathie l'un pour l'autre, c'tait leur affaire. Mais que ce ne ft pas ses dpens!Il ne s'agissait pas de Vincent. Ds que Tasse! arriva, il entra dans le vif de son sujet. Mademoiselle, je ne veux pas tre indiscret, mais j'ai appris que vous aviez des ennuis. Il parat que votre frre... Elle l'interrompit. Comment le savez-vous? demanda-t-elle. Dans une clinique, les bruits circulent vite. Je vois bien que vous tes proccupe. Je ne me trompe pas, n'est-ce pas? Votre frre serait sur le point de perdre sa situation? Genevive poussa un soupir. C'est dj fait, dit-elle. Et ce n'est pas lapremire fois... Pourtant il est intelligent et travailleur; je suis sre que dans un mtier qui lui conviendrait il russirait aussi bien, peut-tre mieux qu'un autre. Qu'aurait-il voulu faire? Il se prparait l'enseignement. Oh! il aurait fait un excellent professeur! Il sait si bien intresser les gens. Quand il raconte quelque chose, tout le monde l'coute. Ses lves l'auraient ador... Mais il n'a pas pu continuer ses tudes? Non. Jusqu'ici il a trouv des situations dans de grandes maisons de commerce. Mais cela ne l'intresse pas, pas du tout. Elle s'arrta : elle venait de se souvenir que la fiche d'admission de Tassel portait une profession employ de commerce . Elle craignit de l'avoir vex et acheva : II lui manque peut-tre quelque chose, sans doute le sens des affaires... Tassel ne se troubla pas. S'il n'est pas content, il faut lui chercher un autre mtier. C'est facile dire! Quand on n'a pas de formation professionnelle, pas de relations... Est-ce que votre frre rdige bien? Trs bien, rpondit-elle sans hsiter. Aulyce, il avait toujours des succs de ce ct-l. Je crois, dit Tassel, qu'il faut parler de son cas au plus de personnes possible; c'est ainsi qu'il aura la chance de trouver ce qui lui convient. Donnez-moi quelques dtails sur votre frre. Quel ge a-t-il? Vingt-deux ans. A-t-il fait son service militaire? Oui : il a devanc l'appel ds qu'il a d interrompre ses tudes. Il n'a plus aucune obligation militaire. O l'a-t-il fait, son service? En Afrique, au titre de la coopration. Alors il a voyag... Est-ce que cela l'intressait? Enormment. Il aurait mme voulu trouver une situation hors de France, mais on ne demandait que des techniciens, et il ne l'est pas. A ce que je vois, un peu d'aventure ne serait pas pour lui dplaire? Au contraire! Mais pourquoi me demandez-vous tout cela? Je pourrai peut-tre parler de lui des amis qui sait? Merci , rpondit-elle avec un sourire. Elle tait touche de sa gentillesse, mais ellen'avait pas beaucoup d'espoir. Rgine aussi avait dit Je pourrai peut-tre faire quelque chose ... Mais que pouvaient-ils, l'un et l'autre? Rgine dans son milieu mdical, Tassel employ de commerce ce commerce que Jacques dtestait! Elle ne comptait sur aucun d'eux pour aider efficacement son frre. Mais ils lui avaient tmoign de l'amiti; c'tait dj beaucoup.Un peu plus tard seulement, elle se posa de nouveau la question : comment Tassel tait-il au courant des ennuis de son frre? Elle ne les avait confis qu' Rgine; or Rgine ne parlait presque jamais au numro 13, qui ne l'intressait pas. Il n'y avait qu'une explication : Rgine avait racont la chose Vincent; c'tait lui qui, son tour, l'avait rpte Tassel.Vincent! toujours Vincent! Quelle raison avait-il, lui, de s'occuper de ses affaires? Encore par piti, peut-tre? Ah! non, c'en tait trop.Rgine, sans doute, rapportait tout au jeune interne (pourquoi pas, puisque dans la clinique mme on semblait les considrer comme destins l'un l'autre?) Eh bien, s'il en tait ainsi, elle ne dirait plus rien Rgine, voil tout!Celle-ci, dans la journe, l'interrogea au sujet de son frre. Elle rpondit schement quetout tait arrang : Jacques, finalement, gardait sa place. Mais, s'tonna Rgine, comment l'avez-vous su? Il n'y a pas eu de courrier depuis ce matin. Il vous a tlphon? Oui... c'est cela. Excusez-moi, je vous prie, j'ai beaucoup faire. C'tait vrai : on attendait l'arrive d'une malade, une grossesse extra-utrine, que le patron devait oprer le lendemain matin. Genevive lui fit prparer la chambre n 8; on venait d'achever quand la malade arriva. C'tait une femme toute jeune encore, trs ple, le visage convuls. Elle semblait dans un tat nerveux inquitant. Rgine l'examina. Faites-lui une injection de C 28; cela la calmera , dit-elle Genevive.Elle se tourna vers la malade. Un peu de patience, dit-elle; demain matin tout ira bien! Quand Genevive revint avec son plateau portant la seringue et l'aiguille strile, elle trouva la jeune femme en larmes. Ces mdecins sont extraordinaires! Demain matin tout ira bien ... C'est--dire que je n'aurai pas mon enfant, cet enfant que nous dsirions tant! Et peut-tre plus jamais d'autre... Genevive fit la piqre, puis s'assit au chevet de la malade et lui prit la main. Il ne faut pas dire cela! reprocha-t-elle doucement. Pourquoi n'auriez-vous plus d'enfant? Si on m'enlve tout, je... Il n'est pas question de tout vous enlever. De toute faon, vous n'auriez pas pu mener cette grossesse terme. Vous risquiez d'avoir un accident, une hmorragie, peut-tre d'en mourir. Tandis qu'en intervenant ds maintenant... Vous croyez que je peux encore esprer? Mais naturellement! La jeune femme finit par se calmer. Genevive resta auprs d'elle jusqu' ce qu'elle fermt les yeux. Elle se sentait elle-mme plus tranquille. Comme toujours, ce qu'elle donnait aux autres lui faisait du bien elle aussi.

VIC E soir-la, le personnel se trouvant brusque- ment rduit par suite d'une pidmie de grippe, on demanda celles qui y avaient chapp de faire un effort supplmentaire. Mme Coutand avait pri Genevive de rester dans le service jusqu' l'arrive de la garde de nuit, qui prendrait la relve huit heures.La jeune fille fit le tour des chambres et s'assura que tout allait bien. Depuis la piqre, la malade du 8 dormait paisiblement. Si elle pouvait reposer ainsi toute la nuit, pauvrepetite... Demain, au rveil, elle aurait encore un peu de peine en pensant cet enfant qu'elle avait souhait et qui ne pouvait venir au monde. Mais la vie reprendrait le dessus, avec l'espoir.L'espoir, c'tait cela qu'il fallait donner aux malades. De tous les rles de l'infirmire, ce n'tait pas le moins beau. D'autant plus qu'esprer, c'tait toujours une chance de plus de gurir. Le docteur Qunard le disait lui-mme : un malade qui a confiance est dj moiti sauv...Genevive commenait sentir la fatigue. Mais huit heures sonnrent : la garde de nuit arriva enfin cause de la pnurie momentane d'infirmires. Elle tait consciencieuse, mais dj ge et grommelait toujours. Est-ce que la nuit va tre dure? demanda-t-elle aussitt. Je ne crois pas : tout est tranquille. Il faut regarder de temps en temps le numro 8 : c'est une extra-utrine qu'on opre demain matin. Mais pour le moment elle dort. Si cela n'allait pas, prvenez le docteur Lesdin. La doctoresse? C'est elle qui est ici cette nuit? Oui, dans la chambre de garde des internes. Bon, bon, a va. Genevive s'loigna. En passant devant la chambre des numros 12 et 13, elle constata que le 12 dormait poings ferms. Il avait bien remont la pente, celui-l. Encore quelques jours et il quitterait la clinique : il retrouverait sa chre guitare... Mademoiselle Genevive! C'tait Tassel; il avait chuchot, pour ne pas veiller son voisin. Mais en voyant la jeune fille s'arrter, il sauta bas de son lit et la rejoignit dans le couloir. Elle commena par le gronder. Toujours vos cabrioles! Je crois que, si on doit vous oprer, vous ferez le grand cart sur la table! II se mt rire. Aprs tout, pourquoi pas? a distrairait un peu le chirurgien! Ne plaisantez pas : tant qu'on ne sait pas ce que vous avez, mieux vaut viter les mouvements brusques. C'est que j'ai quelque chose vous dire-Mais comment se fait-il que vous soyez encore ici, cette heure? La garde de nuit vient d'arriver; je l'attendais. Tassel frona les sourcils. C'est une mauvaise organisation, cela! Comment la surveillante n'a-t-elle pas prvu...? Vous tes sur vos pieds depuis douze heures! Oh! c'est tout fait exceptionnel! Beaucoup de nos infirmires sont grippes. Ah! j'aime mieux cela. Vous vous intressez donc beaucoup au fonctionnement de la clinique? Je m'intresse tout ce que je vois. Vous devez tre trs fatigue? Oui : je vais me coucher, et je vous conseille d'en faire autant! Pas avant de m'avoir entendu. C'est trs important. J'ai rflchi, cet aprs-midi, la situation de votre frre. Il faut absolument lui trouver un travail qui l'intresse. Elle sourit. Je sais bien, mais... Ecoutez-moi. Un de mes amis travaille dans un grand quotidien. Il cherche recruter des dbutants, pour les former si c'est possible. Un journal! Vous croyez qu'il aurait besoin d'un secrtaire? Une espce de secrtaire; lui, c'est un peu cela pour commencer du moins. Mais vous savez, dans un journal, les fonctions ne sont pas toujours trs bien dfinies. On commence par taper les articles des autres, puis on les pr- pare pour l'imprimerie, on coupe ce qui est en trop... Un jour o le journal manque de copie, on se hasarde rdiger soi-mme un entrefilet... Avant d'avoir le temps d'y penser, on se rveille journaliste. Et pour tout cela on ne demande pas de diplmes? Il n'y a pas des coles qui... Il y en a, mais plus de la moiti des journalistes n'y sont jamais passs. Votre frre crit bien, ce que vous dites. S'il a l'esprit curieux, il pourra faire son chemin. Genevive n'en croyait pas ses oreilles. Dj, travailler dans un journal, c'tait tellement prfrable tout ce que Jacques avait fait jusque-l! Et s'il pouvait aller plus loin...Ce n'tait pas possible. Tassel se leurrait : il avait l'habitude de tout voir en beau... Cependant elle leva sur lui des yeux brillants d'espoir. Vous... vous croyez vraiment que vous pourriez parler de Jacques ce monsieur? C'est un de mes amis. Je l'appellerai demain matin et lui demanderai un rendez-vous pour votre frre. Nous ne risquons rien essayer, n'est-ce pas? Oh! monsieur Tassel. Bon : puisque vous tes d'accord, je n'ai qu' aller de l'avant. Pour le moment, je rintgre

mon lit, hlas! Je n'ai pas l'habitude de me coucher d'aussi bonne heure, et je n'ose pas allumer pour lire de peur d'veiller mon jeune voisin.

En ce moment, vous tes malade aussi, ne l'oubliez pas! Pensez galement qu'on vous veillera sept heures, en vous apportant votre cher thermomtre ce qui n'est sans doute pas dans vos habitudes non plus! Ils rirent tous les deux. C'est vrai, dit Tassel, j'oubliais l'instrument de torture! J'oubliais aussi que vous ne devez plus tenir debout, aprs une journe comme celle-ci... Bonsoir, mademoiselle Genevive, demain. Non, ne fermez pas ma porte; s'il y a des alles et venues cela me distraira. J'espre bien qu'il n'y en aura pas! rpliqua-t-elle.Elle s'loigna. En passant devant la chambre 8, elle voulut y jeter un dernier coup d'il. La jeune femme dormait toujours, mais Genevive la trouva trs ple. Elle souleva le drap, puis la veste du pyjama : sur l'abdomen apparut une tache fonce qui n'y tait pas auparavant. Elle fait une hmorragie! pensa la jeune infirmire.En pareil cas, c'tait toujours un risque. La malade avait trop attendu pour aller voir son mdecin; celui-ci, ds qu'il l'avait vue, l'avait envoye en chirurgie. Le patron devait l'oprer demain matin mais pourrait-elle attendre jusque-l?

Genevive ne pouvait prendre elle-mme une dcision; il fallait appeler l'interne. Elle courut jusqu' la chambre de garde; Rgine, qui ne dormait pas encore, lisait, appuye sur un coude. Genevive! s'exclama-t-elle, que faites-vous ici? Vous devriez tre monte depuis une heure! C'est le 8, la grossesse extra-utrine... Celle que nous devons oprer demain matin? Qu'est-ce qu'elle a? elle saigne?

J'ai l'impression qu'elle fait une hmorragie interne. Bon, je viens. Quelques instants plus tard, les deux jeunes filles entraient dans la chambre. Genevive dcouvrit la malade : sur sa peau la tache s'tait un peu agrandie. Qu'en dites-vous? interrogea Genevive. J'ai pens qu'il valait mieux vous prvenir. Naturellement; vous avez bien fait. Elle est trs ple... le pouls est faible, un peu rapide... Je vois, je vois... Je n'ai pas besoin de vous pour me le dire. Rgine semblait mcontente. Mcontente ou nerveuse? se demanda Genevive. Le cas posait certainement un problme. Ne faudrait-il pas... hasarda-t-elle.Rgine se redressa. Ne vous affolez pas, Genevive. Puisque nous devons intervenir ds demain matin. Mais jusque-l vous... vous n'allez rien faire? Je ne peux pas oprer toute seule, n'est-ce pas? Voulez-vous que je tlphone M. Qunard? Rgine s'irrita. Ecoutez, Genevive, ce n'est pas vous de me dire ce que je dois faire. Je voudrais rester un moment seule avec la malade; laissez-moi. Genevive sortit. Sa responsabilit tait couvert. Mais si Rgine se trompait? Elle tait persuade que la jeune interne ne se rendait pas compte de la gravit de la situation. Elle, Genevive, se rappelait un accident de ce genre : on avait transport d'urgence une jeune femme qui faisait une hmorragie interne. Elle tait, elle aussi, trs ple : elle avait une tache bleutre sur l'abdomen... La jeune infirmire n'avait jamais oubli cette nuit-l. On avait appel le chirurgien pour intervenir sans tarder. Encore mal veill, les yeux bouffis de sommeil, il s'tait prpar la hte. Pendant l'intervention, il transpirait grosses gouttes; l'infirmire avait d lui ponger le front au-dessus de son masque. Quand on avait ramen la malade dans sa chambre, il avait soupir : Elle s'en tirera... Mais il tait temps! Et si demain matin, pour la jeune femme du 8, il n'tait plus temps? Si dans une heure la garde de nuit, en faisant sa ronde, la trouvait glace, exsangue?Genevive hsita. Rgine l'avait mise la porte. Mais elle voulait insister encore. Elleentra dans la chambre sur la pointe des pieds. La malade lui parut plus livide encore qu'auparavant. Rgine ne semblait pas s'en apercevoir. Elle se tenait au chevet du lit, les sourcils froncs, hsitante...Elle se tourna vers Genevive. Que me voulez-vous? demanda-t-elle brusquement. Je voulais vous dire ce que je viens de me rappeler : une fois, l'hpital... Vos souvenirs ne m'intressent pas. Vous n'avez rien faire dans le service; vous deviez tre partie huit heures, quand la garde de nuit est arrive. Vous bavardiez encore avec votre cher numro 13, je prsume! Si Mme Coutand le savait... Genevive reculait petits pas. Elle prit le couloir, passa devant la porte ouverte du numro 13 et se dirigea vers l'escalier.Mais tout coup, elle se ravisa. Quelque chose lui disait qu'elle ne se trompait pas, que la malade tait en danger. Rgine, aprs tout, n'tait qu'une interne pas mme une interne trs brillante, puisque l'influence de son pre, ce qu'on disait, avait jou un grand rle dans son avancement. S'il s'tait agi de Vincent, Genevive aurait eu confiance; s'il avait dit qu'elle s'inquitait tort, elle serait monte se coucher l'esprit en paix. Mais Vincent lui, tait d'une autre trempe!Vincent... pourquoi pas? Elle n'osait pas prendre sur elle d'appeler M. Qunard, mais si elle parvenait joindre Vincent... Elle n'avait mme pas besoin de lui dire qui l'appelait; il suffisait de lui faire savoir qu'on avait besoin de lui, qu'il devait venir de toute urgence au numro 8. Tel qu'elle le connaissait, il ne poserait pas de questions : il viendrait.Elle gagna le bout du couloir, o se trouvait un tlphone intrieur. Vincent avait sans doute dn la cantine, un peu tard selon sa coutume. Elle appela : ce fut la grosse Marion qui lui rpondit : Ah! c'est vous, Marion? Est-ce que le docteur Vincent est encore l? Non, madame (tant mieux, Marion n'avait pas reconnu sa voix). Mais il vient seulement de pa'ti', avec les deux aut'es. Je ne sais pas quelle heure je m'en i'ai, moi! Genevive n'avait pas le temps d'couter les dolances de la cuisinire. Vous ne pourriez pas me dire o il est? Est-il sorti de la clinique? a, madame, je c'ois pas. Ils ont dit qu'ils allaient 'ega'der une 'adio... Ils ne sont jamais p'esss de se coucher, ceux-l!

Genevive avait dj raccroch. Fbrilement, elle composait le numro de la radiographie. Pendant quelques instants, elle n'obtint pas de rponse. Ils sont dj partis! pensa-t-elle, le cur serr.Mais tout coup elle entendit dcrocher l'appareil. Une voix, qui n'tait pas celle de Vincent, pronona : All!... oui, qu'est-ce que c'est? Le docteur Vincent est-il l? demanda-t-elle. Vincent? oui. C'est personnel? De la part de qui? Elle ne rpondit pas. Je vous en prie, insista-t-elle, c'est grave! Vincent! appela l'autre, c'est pour toi! Il parat que c'est srieux! a vient de l'extrieur? demanda la voix plus lointaine de Vincent. Non, de la maison, probablement de ton service. Genevive entendit un pas s'approcher; elle eut un instant de panique. Vincent, lui, reconnatrait srement sa voix! Elle plaa vivement la toile de son tablier devant sa bouche; elle avait lu que de cette faon on pouvait dguiser son timbre. All! on me demande? Qu'est-ce que c'est? C'est pour le 8... L'extra-utrine? Qu'est-ce qu'elle a? elle ne va pas? Elle est trs ple... le pouls est mou... elle halte un peu. Sapristi! murmura Vincent. Je viens tout de suite. Qui nie demande? c'est vous, Rgine? Genevive marmonna quelque chose qui pouvait aussi bien signifier oui que non , puis elle raccrocha.Il allait venir! Elle se sentait plus tranquille.Maintenant on ferait ce qu'il faudrait, elle n'en doutait pas. Quand elle entendit le pas de Vincent, elle eut peur : s'il allait lui poser des questions? Elle se glissa dans une chambre vide et attendit qu'il ft pass.Il se dirigea vers la chambre 8 et ouvrit la porte. Genevive entendit un bruit de voix : Rgine, peut-tre, lui demandait ce qu'il faisait l; il saurait alors que ce n'tait pas elle qui l'avait appel. Chercherait-il savoir d'o venait le coup de tlphone?Il y eut un silence; Genevive imaginait Vincent pench sur la malade, prenant son pouls, l'auscultant. Peut-tre jugerait-il comme Rgine qu'il n'y avait pas de raison de se presser. Quand elle le verrait sortir de la chambre, elle irait se coucher sans inquitude.Mais ce ne fut pas Vincent qui sortit, ce fut Rgine. Elle semblait affole. Elle courut, plutt qu'elle ne marcha, vers le tlphone extrieur situ dans le bureau. Genevive l'entendit appeler. Je suis chez le docteur Qunard? Oui, madame, c'est de la clinique... Mlle Lesdin... Un silence, puis Rgine reprit : II faudrait que vous veniez, monsieur. C'est le 8, l'extra-utrine. Vincent est avec moi... Il pense qu'il faudrait oprer d'urgence... a se prsente assez mal... Nous prfrerions que vous soyez l. Elle raccrocha et retourna vers la chambre. Sur le seuil, elle changea quelques mots avec Vincent. II arrive... Je vais prparer la salle... j'appelle l'anesthsiste et l'infirmire... Bon, je compte sur vous. Que tout soit prt le plus tt possible. L'anesthsiste viendra srement, je sais qu'il est chez lui. Si vous ne pouvez pas trouver l'infirmire, prvenez-moi immdiatement : nous aviserons. Genevive hsita se montrer : si elle pouvait se rendre utile... Mais elle ne voulait pas que Vincent la trouvt dans le service; si on ne pouvait pas joindre l'infirmire, il serait temps d'intervenir.Un moment plus tard, Rgine vint annoncer que tout tait prt : l'anesthsiste et l'infirmire arriveraient d'un instant l'autre. Genevive poussa un soupir; sans doute, inconsciemment, avait-elle souhait qu'on et besoin d'elle...Elle vit le patron arriver, la malade emporte sur le chariot. Elle ne bougea pas de sa place. De toutes ses forces, elle souhaitait que l'intervention russt. A l'hpital, dans des circonstances analogues, on avait sauv l'opre. Dejustesse, mais on l'avait sauve. M. Qunard tait un as. Et Vincent...Un temps incalculable s'coula. Enfin le chariot revint, pouss par Vincent et Rgine. Puis le patron vint voir la malade; il ressortit avec Vincent; Rgine resta auprs de la jeune femme. Elle est hors d'affaire, dit M. Qunard au jeune interne. Mais j'ai eu chaud! Vous ne m'en voulez pas de vous avoir fait appeler, monsieur? Vous avez trs bien fait. Mais je suis sr que vous vous en seriez tir, Vincent. Je l'aurais tent si je n'avais pas pu vous trouver, naturellement. Le reste de la conversation se perdit dans le lointain. Genevive regagna lentement sa chambre. Elle tait puise, mais heureuse. Si la malade tait sauve, c'tait en partie grce elle... Comme elle avait bien fait d'appeler Vincent! Demain, quand il le saurait, il l'en remercierait peut-tre... En tout cas, il comprendrait que, malgr l'incident de la salle d'opration, elle pouvait tre bonne quelque chose...

VII

En allant prendre son service, le lendemain matin huit heures, Genevive tait encore trs fatigue par les vnements de la nuit. Elle avait mal dormi : rassure dans l'immdiat au sujet de sa malade par ce qu'en avait dit le docteur Qunard avant son dpart, elle ne pouvait malgr tout s'empcher de penser aux suites. Elle ne savait pas exactement comment s'tait droule l'intervention: avait-on pu sauver la jeune femme tout en lui conservant l'espoir d'une maternit qu'elle dsirait tant? Genevive se mettait sa place : si elle se mariait, elle souhaiterait, elle aussi, avoir des enfants!Elle s'inquitait un peu de l'atmosphre qu'elle trouverait dans le service. Rgine lui en voudrait sans doute d'avoir outrepass ses fonctions en appelant Vincent. Elle tait heureuse de l'avoir fait; autrement la malade n'aurait peut-tre pas survcu jusqu'au matin niais elle se rendait bien compte que, vis--vis de Rgine, c'tait un manque de confiance...La garde de nuit, qui remettait ses chaussures de ville avant de quitter la clinique, tait de fort mauvaise humeur. Ah! vous voil! dit-elle Genevive. Je vais enfin pouvoir aller nie reposer un peu! Ils finiront par nous tuer, en nous demandant un travail pareil! Vous savez bien que c'est cause de la grippe; en temps ordinaire, nous sommes moins surmenes. L'autre bougonna : Vous en parlez votre aise, vous! Vous sortez de votre lit; vous avez pu dormir tout votre content... Mais cela m'est arriv, moi aussi, de faire des gardes de nuit! protesta Genevive. Pas des nuits comme celle-ci! Vous ne savez mme pas ce qui s'est pass... Vous m'aviez dit que je n'aurais pas grand-chose faire : seulement aller voir de temps en temps si la malade du 8 dormait bien. Mais voil que tout coup, un peu aprs neuf heures, grand branle-bas : elle faisait une hmorragie! Je ne sais qui s'en est aperu le premier, mais toute la maison tait sens dessus dessous : Mlle Rgine, M. Vincent, on a mme appel M. Qunard! Ils ont ouvert la salle d'opration, on a transport la femme en toute hte... Ce n'est pas vous qui avez aid l'intervention, je suppose. On a d appeler l'infirmire de la salle. J'ai fait ce que je pouvais; je n'ai pas l'habitude de tous ces micmacs, moi! J'ai prpar le lit, j'ai rempli les bouillottes... Et tout s'est bien pass? Savez-vous si on a t oblig de faire une ablation totale? La garde haussa les paules. Je n'en sais rien; vous vous doutez bien que je n'avais pas le temps de m'occuper de a. Quand l'opration a t finie, M. Qunard a dit que a allait bien; M. Vincent a install une perfusion, il a fallu que je la surveille. Pas moyen de somnoler une minute! Vous avez pris les tempratures, ce matin? Bien sr; croyez-vous que je ne connaisse pas mon mtier? Personne n'avait plus de 374. Le numro 13 a bien essay de me jouer encore un tour mais a ne prend plus! Quel tour? interrogea Genevive curieuse. Je sais bien qu'il n'aime pas prendre sa temprature, mais... Il ne vous a pas racont ce qu'il m'a fait l'autre jour? a m'tonne! il en avait l'air si content! Il a dcouvert qu'on pouvait faire monter le thermomtre en le frottant avec la couverture. Alors, quand j'arrive pour le reprendre : 389! Vous pensez si j'tais ennuye... Je me demande si par hasard j'aurais oubli de faire redes