Suzanne Pairault Infirmière 05 L'Inconnu Du Caire 1973

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JEUNES FILLES EN BLANC * N° 05

L’INCONNU DU CAIRE

par Suzanne PAIRAULT

*

A travers les hublots de l'avion, Isabelle, la jeune infirmière, rêve déjà de l'Afrique où elle accompagne Mme Rivière, une dame âgée et cardiaque dont la fortune provoque bien des convoitises.

Mais à l'escale du Caire, la malade est victime d'une syncope. Un jeune homme inconnu aide Isabelle à transporter la vieille dame dans un hôtel.

A Kampala, les dangers se précisent. Une nuit, une ombre écarte les volets, enjambe le rebord de la fenêtre où dort Mme Rivière. La gorge sèche, Isabelle reconnaît l'intrus. C'est l'inconnu du Caire. Est-il ami ou ennemi? La jeune infirmière restera dans le doute, l'angoisse, jusqu'au jour où, lors d'un dangereux safari...

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. Salle des urgences 1976 13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)14. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)16. La promesse de Francine 1979 (Francine)17. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)18. Florence fait un diagnostic 1981 19. Florence et l'étrange épidémie 198120. Florence et l'infirmière sans passé 198221. Florence s'en va et revient 198322. Florence et les frères ennemis 198423. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)13. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)15. La promesse de Francine 1979 (Francine)16. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)

Série Florence

1. Salle des urgences 1976 2. Florence fait un diagnostic 1981 3. Florence et l'étrange épidémie 19814. Florence et l'infirmière sans passé 19825. Florence s'en va et revient 19836. Florence et les frères ennemis 19847. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre alphabétique

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. Dora garde un secret 1974 (Dora)3. Florence et les frères ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'étrange épidémie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmière sans passé 1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic 1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient 1983 (Florence)8. Infirmière à bord 1970 (Juliette)9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)11. La Grande Épreuve de Florence 1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)14. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)15. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)20. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)21. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)22. Salle des urgences 1976 (Florence) 23. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)

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SUZANNE PAIRAULT

L’INCONNU DU CAIRE

ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

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I

LE BOEING volait dans un ciel uniformément bleu, presque trop beau pour être réel. Sans l'inquiétude qu'elle éprouvait pour sa malade, Isabelle aurait souhaité que le -vol se prolongeât indéfiniment, tant c'était merveilleux de se sentir ainsi loin de la vie quotidienne, loin des poussières et des fumées, loin de tout.

En pensant à Mme Rivière, cependant, la jeune infirmière avait hâte d'arriver à destination, c'est-à-dire au cœur de l'Afrique. Le professeur Duteil, qui soignait la malade depuis longtemps, disait que ce voyage était une imprudence pour une

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personne dont le cœur risquait de flancher.« Rien ne vous presse, insistait-il. Vous n'avez pas

vu vos neveux depuis deux ans, vous pouvez bien attendre encore un peu. Nous avons en ce moment un nouveau médicament à l'étude, le BZ-45; si les expériences sont concluantes, je crois qu'il pourrait avoir sur vous un effet remarquable. A ce moment-là, rien ne vous empêchera de faire le tour du monde si vous en avez envie. »

Mais Mme Rivière, qui était veuve, sans enfants et puissamment riche, n'en faisait jamais qu'à sa tête.

« D'ici que vous ayez mis votre médicament au point, répliquait-elle, ma maladie se sera peut-être aggravée. Mes neveux insistent pour que j'aille les voir en Ouganda; ils sont, vous le savez, ma seule famille. »

Le professeur, voyant qu'il serait obligé de céder, avait mis une condition au départ : il n'était pas question pour la malade de voyager seule; elle serait accompagnée par une infirmière diplômée, munie de toutes les instructions nécessaires en cas d'accident.

« Bon! avait soupiré Mme Rivière. D'accord pour l'infirmière, puisque vous y tenez. Mais ne m'imposez pas une vieille ronchon dont la vue seule me donnerait la nausée!

— Auriez-vous la nausée devant une fille toute jeune, fraîche comme une rosé et gaie comme un pinson?

— Si elle est aussi jeune, elle n'est peut-être pas très capable.

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— C'est ce qui vous trompe : je l'ai eue dans mon

service pendant plusieurs mois et je sais qu'on peut compter sur elle. »

Le professeur, en effet, avait remarqué à l'hôpital cette jeune fille intelligente et vive, exécutant parfaitement les consignes du médecin et pour qui tous les malades éprouvaient de la sympathie. Il était heureux de lui procurer l'occasion de faire un beau voyage; en même temps il savait qu'il ne pouvait remettre cette malade difficile en de meilleures mains.

Quelques jours plus tard, Mme Rivière téléphonait au professeur :

« Elle est charmante, votre protégée. Je n'aurai pas l'impression d'avoir un garde-chiourme, comme je le craignais, mais une agréable compagne de voyage. Je crois que nous nous entendrons très bien.

— J'en suis sûr », avait répondu M. Duteil. Avant le départ, il avait fait des recommandations à la jeune fille.

« Vous avez vu son caractère fantasque, Isabelle, vous vous rendez compte qu'il faudra la surveiller de très près. Aucun écart dans le traitement, surtout : les gouttes matin et soir, les comprimés à chaque repas. En cas de syncope, immobilisez-la aussitôt et faites l'injection que je prescris. Emportez largement ce qu'il vous faut; je doute que là-bas vous puissiez vous procurer les produits nécessaires. »

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Isabelle avait tout prévu : le sac qu'elle portait à la main contenait les médicaments courants et les ampoules à utiliser en cas d'urgence; le

reste se trouvait dans la grande valise qu'elle avait donnée aux bagages et qu'on avait chargée dans la soute du Boeing.

Jusque-là, tout s'était bien passé. Le professeur Duteil avait accompagné la malade et son infirmière jusqu'à l'aéroport. Mme Rivière, qui n'en était pas à son premier grand voyage, s'était amusée à initier Isabelle aux détails du vol. Après le départ, elle avait pris une tasse de thé, puis s'était plongée dans un livre et n'avait pas tardé à s'assoupir.

La jeune fille, elle, étudiait la carte du voyage.

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« Dans un quart d'heure, se disait-elle, nous arriverons au Caire. Mme Rivière m'a dit qu'on nous ferait descendre de l'avion; cela lui fera du bien de marcher un peu. Ensuite nous ne nous arrêterons plus jusqu'à Kampala; ses neveux nous attendront à l'aéroport. Elle aura dîné dans l'avion; je lui ferai prendre une boisson chaude et la mettrai au lit aussitôt... Je lui donnerai un comprimé calmant si le voyage l'a agitée... »

A ce moment une voix retentit dans le haut-parleur.« Attachez vos ceintures, s'il vous plaît. Dans une

dizaine de minutes, nous nous poserons au Caire. »L'avion s'inclina pour virer; Isabelle, qui regardait

par le hublot, eut l'impression de ne plus voir qu'une grande étendue de terre d'un jaune verdâtre, puis, un instant plus tard, rien que le bleu éclatant du ciel. Elle avait attaché la ceinture de Mme Rivière et gardait la main de la malade dans la sienne; elle eut l'impression que cette main se crispait. Elle se pencha vers Mme Rivière et la trouva très pâle.

« Vous ne vous sentez pas bien? demanda-t-elle inquiète.

— Pas très bien... C'est ma tête... j'ai aussi un peu mal au cœur... »

Isabelle passa un bras autour d'elle; Mme Rivière s'appuya sur son épaule et esquissa un faible sourire.

« Je ne sais pas ce que j'ai..., murmura-t-elle. Tout tourne... »

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Isabelle tâta son pouls, qu'elle trouva lent. Mme Rivière lui serra les doigts, puis sa pression se relâcha, sa tête roula sur l'épaule de la jeune infirmière.

« Une syncope! » pensa celle-ci.Elle savait ce qu'elle devait faire : l'injection,

le repos. Pour la piqûre, elle avait tout ce qu'il fallait : l'ampoule, la seringue et l'aiguille stériles étaient dans son sac, à portée de sa main. Comme sa ceinture de sécurité la gênait pour les prendre, elle commença à la détacher. L'hôtesse de l'air, une jeune fille aimable avec qui elle avait échangé quelques mots pendant le trajet, s'avança aussitôt.

« Ne touchez pas à votre ceinture avant l'atterrissage, mademoiselle. »

Isabelle leva les yeux vers elle.« Je suis l'infirmière de cette dame; elle a un malaise;

je dois lui faire une piqûre immédiatement. »L'hôtesse s'approcha.« Mon Dieu! elle est évanouie! Vous ne voulez pas

que je demande s'il y a un médecin parmi les passagers?— C'est inutile : le sien m'a donné les indications

nécessaires.— En tout cas, je vais vous aider.— Merci », dit Isabelle.Elle prit dans la poche intérieure de son sac le tube

de plastique enveloppé d'une compresse.« Je peux vous aider à ôter sa veste, dit l'hôtesse.

Vous allez faire la piqûre au bras?— Non, à la cuisse, ce sera plus facile. » Tandis

qu'Isabelle cassait l'ampoule et remplissait la seringue,

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l'autre jeune fille débarrassait Mme Rivière inanimée de ses vêtements. Un instant plus tard, l'injection était faite. La malade n'avait pas même sursauté.

« Vous êtes adroite, dit l'hôtesse. Est-ce qu'elle va revenir à elle immédiatement? »

La jeune infirmière secoua la tête.« Non, malheureusement : la syncope va prendre fin,

mais l'injection entraîne un sommeil qui dure plusieurs heures. Il faut absolument que je trouve moyen de la faire étendre.

— Nous atterrissons dans quelques minutes; il y a une infirmerie à l'aéroport; nous pourrons l'y transporter. Je ferai appeler le médecin dès qu'on approchera les échelles. »

Isabelle réfléchit un instant. Parmi les recommandations que lui avait faites le professeur, une des plus importantes était de ne jamais confier la malade à un médecin de rencontre.

« Si elle a un malaise, avait insisté M. Duteil, ne laissez personne d'autre que vous intervenir. Vous savez ce qu'il faut faire; un médecin qui la verra pour la première fois ne le saura pas et risquera d'agir à contretemps. »

Isabelle imagina le praticien qu'appellerait l'hôtesse : si, voyant la malade toujours inconsciente, il voulait tenter de la ranimer, comment pourrait-elle s'y opposer? Le professeur Duteil l'avait prévenue qu'elle ne devait pas s'inquiéter dans le cas où après une injection Mme Rivière resterait endormie plusieurs heures; elle n'avait

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qu'à la faire coucher et à attendre; au réveil tout serait fini.

« Vous êtes très gentille, dit-elle à l'hôtesse, pourtant je préfère ne pas aller à l'infirmerie. Il suffirait que je trouve un hôtel au Caire.

— Vous ne deviez pas séjourner au Caire! Vous

m'avez dit que vous alliez jusqu'à Kampala.— J'en avais l'intention, mais il faut absolument que

ma malade se repose avant de poursuivre la route. J'avertirai sa famille de notre retard. Vous pourriez peut-être m'indiquer un bon hôtel? »

La jeune fille fronça les sourcils.« II y a un congrès au Caire; tous les hôtels sont

pleins. Et la ville est assez loin de l'aéroport; vous risqueriez d'avoir un long parcours à faire. Vous ne voulez vraiment pas que j'appelle le médecin de l'infirmerie?

— Vraiment non, je vous assure. »Tandis qu'elles parlaient, l'avion s'était posé sans

même qu'Isabelle s'en aperçût. Les passagers débouclaient leurs ceintures et rassemblaient leurs bagages à main. Plusieurs d'entre eux, qui avaient constaté l'évanouissement de Mme Rivière, se rapprochèrent.

« Qu'est-ce qu'elle a? C'est grave?— Non, non, dit Isabelle, ce ne sera rien.— Vous lui avez fait une piqûre, dit un monsieur. Je

suis médecin; puis-je vous demander ce que c'était? »Elle lui tendit la boîte, le monsieur la regarda avec

intérêt. Un autre passager, plus jeune, qui portait un léger

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pardessus gris et de grosses lunettes noires, la regarda à son tour. Puis il jeta un coup d'œil vers la malade.

« Vous descendez au Caire? demanda-t-il à Isabelle.— Oui, nous devions aller jusqu'à Kampala, mais

après cette syncope je préfère rester ici une nuit. Je vais demander un brancard.

— Ne bougez pas d'ici, dit l'étranger, attendez-moi.»II disparut. Un moment plus tard il revenait,

accompagné de deux employés égyptiens qui portaient une civière. Ils y déposèrent la malade et la descendirent de l'avion.

« Nous l'emmenons à l'infirmerie? demanda un des deux hommes en mauvais anglais.

— Non, non! » protesta Isabelle.Voyant qu'elle ne pourrait se faire comprendre des

deux porteurs, elle se tourna vers l'inconnu.

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« Expliquez-leur, monsieur, je vous en prie, si vous pouvez. Je suis infirmière, je préfère soigner moi-même ma malade selon les instructions du médecin traitant. S'ils voulaient seulement m'indiquer un endroit où nous loger... »

Les brancardiers traversèrent le terrain d'atterrissage où il faisait déjà presque nuit. Dans l'aérogare, quelques bureaux restaient éclairés; Isabelle vit avec soulagement que l'un d'eux portait le mot Information. Là, en tout cas, on pourrait lui indiquer un hôtel! Mais presque au même instant les lumières du bureau s'éteignirent; un rideau de fer s'abaissa lentement.

Instinctivement, Isabelle se retourna vers le jeune homme. Elle s'aperçut qu'il avait disparu.

Tandis qu'Isabelle faisait viser les papiers les porteurs déposèrent le brancard devant la porte et attendirent. L'un d'eux proposa d'appeler un taxi. Mais un taxi pour aller où? A moins que le chauffeur lui-même... Oui, les chauffeurs de taxi connaissent les hôtels... Là, on changerait un des chèques de voyage d'Isabelle et elle pourrait payer la voiture.

Mais les hommes? Ils attendaient visiblement leur pourboire. Ne pensant pas s'arrêter au Caire, Isabelle n'avait pas d'argent égyptien. Elle jeta un coup d'œil à l'intérieur de l'aérogare : le bureau de change, lui aussi, venait de fermer. Il fallait décider ces porteurs à accepter des pièces françaises. En somme, ils pourraient les changer le lendemain...

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Elle s'apprêtait à ouvrir son sac quand elle aperçut quelqu'un qui se dirigeait vers elle; sous les grosses lunettes noires elle reconnut le jeune homme qui l'avait aidée à descendre Mme Rivière de l'avion.

« Venez, dit-il, j'ai ce qu'il vous faut. Pas trop loin d'ici : un hôtel modeste, mais neuf et qui semble

propre. »Sans même attendre la réponse de la jeune fille, il se

pencha vers le brancard et souleva une des extrémités en faisant signe à un porteur de prendre l'autre. Un taxi attendait au bord du trottoir; le chauffeur ouvrit la porte et ils déposèrent la malade sur la banquette.

« II y a les porteurs... dit Isabelle. Croyez-vous qu'ils prendront de l'argent français?

— Ils ne demanderont pas mieux, dit l'inconnu. Mais ne vous inquiétez pas : ils ont ce qu'il leur faut.

— Comment... je... »II la poussa vers le taxi; elle monta à côté de Mme

Rivière et mit la tête de la malade sur ses genoux. Elle obéissait sans protester : le jeune homme faisait exactement ce qu'elle aurait fait elle-même, mais plus vite et plus efficacement. Quand il la vit installée, il monta lui-même près du chauffeur.

« Je vais avec vous, dit-il, je vous aiderai à la descendre. »

Elle ne protesta pas : elle était heureuse de ne pas se sentir seule. Ils arrivèrent bientôt devant un hôtel fraîchement repeint en blanc. Le patron, qui s'avança à leur rencontre, baragouinait le français.

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« Une malade! s'exclama-t-il. Mais il faut l'hôpital... Moi pas possible, ici... »

Le jeune homme répondit avec autorité :« Cette dame n'est pas malade : elle dort. Il ne faut

pas la réveiller. Donnez-moi tout de suite une chambre à deux lits et aidez-nous. » Le ton

de l'inconnu en imposa au patron, qui obéit. Tandis qu'ils emportaient Mme Rivière, Isabelle ressortit pour payer le taxi, mais il s'éloignait déjà.

Elle rejoignit les deux hommes devant l'ascenseur, leur ouvrit la porte et monta avec eux. « C'est vous, monsieur, qui avez réglé le taxi? demanda-t-elle.

— Ne vous occupez pas de cela : les taxis, ici, sont très bon marché.

— Mais je ne voudrais pas que vous...— Laissez : il est bien naturel de rendre un petit

service à des compatriotes. »La chambre était d'assez mauvais goût, mais

paraissait propre. On déposa la malade sur un des lits.« II faut venir remplir papiers, déclara le patron.— Je descends tout de suite, dit la jeune fille. Le

temps d'installer cette dame dans son lit. »Tout à coup elle pensa aux Caudry, les neveux de

Mme Rivière. Il fallait les prévenir immédiatement, si possible avant qu'ils partissent pour l'aéroport.

Elle déshabilla la malade, qui dormait maintenant d'un sommeil calme. C'était bien ce qu'avait dit le professeur Duteil : en cas de syncope, aussitôt après la piqûre elle s'endormira profondément, et le lendemain tout sera fini. Si l'incident s'était produit après l'arrivée à

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Kampala, tout eût été très simple. Il avait fallu que cela arrivât dans l'avion...

Heureusement, il y avait eu ce jeune homme! Sans lui, Isabelle aurait peut-être eu du mal à trouver un hôtel : sans doute, connaissait-il la ville et s'était-il aussitôt débrouillé. Elle voulait maintenant le remercier encore,

essayer de lui rendre le prix du taxi et le pourboire des porteurs.

Quand elle redescendit au bureau de l'hôtel, il ne s'y trouvait plus. Elle commença par expédier son télégramme aux Caudry, précisant qu'elle espérait pouvoir repartir le lendemain et que, de toute façon, elle enverrait une seconde dépêche. Puis elle remplit les papiers de police et exhiba les deux passeports. Le patron les examina avec une attention soupçonneuse, comme s'il espérait y découvrir une irrégularité.

« Visa égyptien transit, remarqua-t-il. Vous pas pouvoir séjourner longtemps.

— Je sais », répondit Isabelle, se félicitant d'avoir au moins ce visa.

Elle s'attarda un moment, feignant de regarder des cartes postales.

« Ce monsieur qui est arrivé avec nous, interrogea-t-elle, il est descendu à l'hôtel? »

Le patron fit signe que non.« II est parti, déclara-t-il avec un geste large.— Vous le connaissez?— Pas du tout.— Ah!... Pourrais-je avoir une bouteille d'eau

minérale pour la nuit? »

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Le patron reprit les passeports et les examina de nouveau, comme si le fait de demander de l'eau rendait les voyageuses plus suspectes. Mais

sans doute ne trouva-t-il rien d'anormal, car il se contenta d'enfermer les papiers dans un tiroir dont il mit ostensiblement la clef dans sa poche. Puis il alla chercher la bouteille et la posa sur le comptoir.

Isabelle reprit l'ascenseur et regagna la chambre. Mme Rivière ne bougeait pas; son souffle était calme et régulier, son pouls normal. La jeune infirmière fit sa toilette et se coucha à son tour.

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II

UN MINCE rayon de lumière, filtrant à travers les stores de la chambre, éveilla Isabelle dès l'aube. Plusieurs fois dans la nuit, elle s'était soulevée sur un coude pour constater que sa malade dormait paisiblement. En ouvrant les yeux, son premier regard fut pour Mme Rivière : celle-ci avait le visage reposé, le teint frais comme celui d'un enfant. Isabelle poussa un soupir de soulagement : la crise de la veille était finie, bien finie.

Un moment plus tard, d'ailleurs, la malade

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s'éveillait à son tour et promenait autour d'elle un regard surpris.

« Où suis-je donc? Nous devrions être arrivées... Ah! oui, je me rappelle, dans l'avion j'ai eu un malaise. J'ai perdu connaissance?

— Oui, madame, et nous avons dû faire escale au Caire. Mais vous allez tout à fait bien maintenant; j'espère que nous pourrons reprendre l'avion ce soir même.

— Vous avez pensé à prévenir mes neveux?— Naturellement, madame! C'est la première chose

que j'ai faite après vous avoir installée à l'hôtel. »Mme Rivière sourit.« Vous n'avez pas eu trop de mal à trouver une

chambre?— Un voyageur m'a aidée. J'aurais voulu le

remercier, mais il a disparu.— Quand on est dans l'embarras, on trouve souvent

des gens complaisants. Mais je suis désolée pour vous, ma petite Isabelle. Dès le début de notre voyage, voilà que je commence à vous causer des ennuis...

— Essayez surtout de ne pas recommencer! dit affectueusement la jeune fille. Le professeur Du-teil m'avait prévenue que vous pouviez avoir de ces syncopes...

— Oui, en général elles ne sont pas graves. Sauf lorsque je suffoque — alors, là, c'est plus ennuyeux, il faut faire une intraveineuse... Bah! n'y pensons pas : pour le moment je vais tout à fait bien. Si nous commandions le petit déjeuner? Je prendrais volontiers quelques tartines

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de pain grillé, avec du beurre et de la confiture d'orange...»

C'était présumer beaucoup des possibilités de l'hôtel. Au coup de sonnette d'Isabelle, les voyageuses virent entrer un garçon somnolent, traînant les pieds sur le carreau. Le déjeuner se fit attendre un bon quart d'heure; il se composait de thé amer et tiède, de pain rassis et de beurre rance. Mme Rivière réclama des biscottes et de la confiture, mais les biscottes étaient molles et humides, la confiture bonne à couper au couteau.

Isabelle remarqua avec plaisir que la malade, quoique habituée à un grand confort, prenait gaiement ces petits inconvénients du voyage.

« Espérons qu'à midi nous aurons plus de chance, dit-elle. Je connais Le Caire, j'y ai séjourné plusieurs fois. Ce matin je voudrais vous emmener au musée; l'après-midi, si nous en avons le temps, nous irons voir les Pyramides...

— N'oubliez pas, dit Isabelle, que je suis votre infirmière et dois veiller sur votre santé. Ce matin, vous allez bien alors qu'hier soir vous étiez très malade. J'exige absolument que vous vous reposiez toute la matinée.

— Mais le musée est toujours fermé l'après-midi! protesta Mme Rivière.

— Eh bien, il faudra vous en passer, voilà tout. Une autre fois vous aurez l'occasion de revoir toutes ces merveilles.

— C'est à vous que j'ai envie de les montrer, Isabelle! Vous, c'est la première fois que vous venez en Egypte. Si vous ne voulez pas que je sorte,

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pourquoi n'iriez-vous pas toute seule? Je vous promets de rester ici sans bouger. »

La jeune fille secoua la tête.« II n'en est pas question, déclara-t-elle avec fermeté.

Je suis ici pour vous soigner, pas pour faire du tourisme.— Et les Pyramides? Vous ne pouvez pas quitter Le

Caire sans les avoir vues!— N'oubliez pas que ce n'était pas dans le

programme, puisque nous devions aller directement jusqu'à Kampala.

— Justement : il faut bien que ma syncope ait servi à quelque chose! »

Isabelle ne put s'empêcher de rire. Mais Mme Rivière poursuivait son idée. Le professeur Duteil l'avait dit : « Quand elle voulait quelque chose, elle le voulait bien. »

« Je pense que, aux Pyramides non plus, vous ne voudrez pas aller toute seule?

— Certainement non.— Alors, voici ce que nous allons faire. Je me

reposerai toute la matinée; après le déjeuner nous prendrons un taxi et nous irons jusque-là tout doucement, sans fatigue aucune. D'accord?

— Ce n'est pas très loin? Combien de temps faudra-t-il?

— Deux ou trois heures à peine. Nous aurons largement le temps de nous reposer encore avant de reprendre l'avion cet après-midi. D'ailleurs, c'est bien simple, Isabelle : si vous n'acceptez pas, je me lève et je vais me promener à pied le long du Nil! »

Isabelle hésita un instant : son devoir professionnel

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l'autorisai-t-il à céder? Puis elle songea qu'il valait peut-être mieux pour Mme Rivière faire une promenade en voiture plutôt que de rester dans cet hôtel moyennement confortable, dans ce quartier mal aéré. Elle se laissa fléchir.

« Je vais téléphoner en bas pour commander un taxi », dit-elle.

Le patron, qui lui répondit, commença par lui demander si elles partaient bien le jour même; il y avait à la fin de l'après-midi un avion qui les mettrait à Kampala à 22 heures.

« Vous déjeunerez ici? demanda-t-il.— Non, mais nous voudrions un taxi pour aller

aux Pyramides après le déjeuner.— Un taxi? oui, oui, c'est facile.— Demandez le prix », chuchota Mme Rivière.

Cette fois, Isabelle eut l'impression que l'hôtelier ne la comprenait plus du tout.

« Je crois que vous feriez mieux de descendre, conseilla la malade. Faites-lui inscrire le prix du taxi et vérifiez notre réservation pour l'avion. N'oubliez pas d'envoyer aussi un télégramme à Kampala pour confirmer notre arrivée. »

Isabelle descendit. La chambre se trouvant au premier étage, elle jugea inutile d'appeler l'ascenseur et prit l'escalier. Au moment où elle débouchait dans le hall, elle aperçut un homme vêtu d'un manteau gris clair qui sortait vivement de l'hôtel par la porte à tambour et disparaissait au tournant de la rue. La silhouette lui rappela celle de l'inconnu de la nuit; elle pensa qu'il était passé à l'hôtel prendre des nouvelles de Mme Rivière,

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mais n'avait pas voulu les déranger. Elle désigna la porte à l'hôtelier.

« Ce monsieur qui vient de sortir, ce n'est pas... »II l'interrompit.« C'est un de nos clients, mademoiselle. Il habite

Alexandrie et vient ici pour ses affaires.— C'est étrange, murmura-t-elle, j'avais cru... »

Elle était un peu déçue; elle aurait aimé revoirl'aimable voyageur. Avant de remonter, elle

interrogea encore :« Personne n'est venu demander comment allait

Mme Rivière?— Personne.— On n'a pas téléphoné non plus?— Non, mademoiselle. »Après tout, le jeune homme complaisant n'habitait

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peut-être pas Le Caire. Il se pouvait qu'il fût, lui aussi, en transit, et eût profité de l'attente entre deux avions pour venir en aide à deux voyageuses en détresse. C'était un Français, en tout cas; n'avait-il pas dit : « II est bien naturel de rendre un petit service à des compatriotes »? S'il avait poursuivi sa route, il était bien probable que ni Mme Rivière ni Isabelle ne le reverraient jamais.

La malade semblait tout à fait ragaillardie. Elles cherchèrent ensemble un restaurant; Mme Rivière conseilla à Isabelle de se méfier des sauces trop épicées et de s'en tenir aux brochettes, qui étaient excellentes. Elle lui fit goûter aussi une sorte de gâteau de vermicelle copieusement arrosé de miel.

« Mon accident aura eu son utilité, dit-elle en riant : vous aurez vu les Pyramides et fait connaissance avec la cuisine égyptienne! »

Elles se sentaient maintenant tout à fait amies. Devant l'hôtel, leur taxi les attendait. Isabelle trouva la traversée de la ville interminable; au passage, cependant, elle admira le Nil, roulant majestueusement ses eaux nourricières d'un vert très doux. Puis brusquement ce fut le désert : un sol âpre et caillouteux, sans un brin de verdure.

« Les Pyramides! » s'exclama la jeune infirmière.Mme Rivière souriait de voir son ravissement

devant tous ces spectacles merveilleux qu'Isabelle ne connaissait jusque-là que par ses livres de classe : le Sphinx, les trois énormes mausolées des Pharaons. Le taxi s'arrêta; aussitôt un groupe

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d'Arabes, escorté d'un chameau efflanqué, se précipita vers les visiteuses.

« Ti veux collier? Trouvé dans la Pyramide, très très vieux... Pas cher...

— Ti veux monter sur chameau? Envoyer belle photo chez toi?

— Ti veux visiter Pyramides? Moi guide di gouvernement, moi tout savoir... »

Isabelle les regardait, un peu éberluée. Mme Rivière descendit du taxi avec elle et se dirigea vers un petit mur, sur lequel elle s'assit.

« Je ne pense pas, lui dit-elle, que vous ayez envie de vous faire photographier à dos de chameau? Je ne vous conseille pas non plus d'acheter un de ces colliers qui sont fabriqués par centaines en Allemagne ou en Italie. Mais vous pourriez peut-être visiter l'intérieur de la Pyramide; c'est intéressant, je resterai ici à vous attendre.

— Au soleil on étouffe, à l'ombre il fait froid. Croyez-vous que je vous laisserai attraper une pneumonie?

— Mais, Isabelle, les galeries intérieures... » La jeune fille secoua la tête.

« C'est inutile, madame. Je suis trop heureuse de voir tout cela, mais je ne vous laisserai pas — même si le Pharaon en personne m'invitait à entrer chez lui! »

Elles rirent toutes deux; Mme Rivière serra affectueusement la main d'Isabelle. Le professeur Duteil ne l'avait pas trompée : elle pouvait compter sur son infirmière.

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Isabelle et sa patiente regagnèrent l'hôtel où Mme Rivière s'allongea pendant une heure; puis les deux voyageuses reprirent le chemin de l'aéroport. Dans le grand hall des départs, Isabelle crut un instant apercevoir le manteau du voyageur de la veille. Mais elle se trompait certainement : si c'avait été lui, il se serait approché pour leur parler. En somme, elle ne l'avait vu que dans la demi-obscurité, alors que son attention était absorbée par son inquiétude au sujet de la malade; elle n'était même pas sûre de le reconnaître au grand jour.

Le trajet leur parut relativement court; après les grands déserts d'un jaune doré, immuable, on avait l'impression de survoler une forêt immense. Etaient-ce des arbres? Etaient-ce des champs? En tout cas, c'était du vert, un épanouissement de fraîcheur.

Enfin l'avion descendit, se posa, roula un moment pour se rapprocher des bâtiments de l'aéroport.

« J'espère, dit Mme Rivière, que mes neveux ont bien reçu le télégramme et qu'ils seront là pour nous accueillir. »

Isabelle cherchait des yeux, dans la foule, un couple ressemblant à l'idée qu'elle se faisait des Caudry. Elle les imaginait minces, affables, souriants, un peu comme Mme Rivière. Mais tout à coup elle vit s'avancer un homme grand et corpulent, le teint cramoisi, flanqué d'une jeune femme sèche, au visage pincé.

Celle-ci se jeta dans les bras de Mme Rivière.« Ma petite tante chérie! Que je suis heureuse de te

voir! Depuis le temps que nous t'attendions! »

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En tout cas, elle semblait aimer beaucoup la nouvelle arrivante. Isabelle, d'abord déçue par son aspect, éprouva pour elle un mouvement de sympathie.

« Mais tu as fait un voyage affreux! poursuivit la jeune femme. Enfin, tu nous raconteras tout cela. Allons vite à la maison! »

M. Caudry s'avança à son tour et embrassa sa tante sur les deux joues. Mme Rivière présenta Isabelle.

« Mon infirmière... je devrais dire plutôt mon amie.»

M. Caudry serra la main de la jeune fille, non pas avec l'énergie qu'on aurait pu attendre de sa carrure énorme, mais mollement et sans vigueur. Mme Caudry esquissa une inclination de tête protectrice. Puis ils se dirigèrent tous ensemble vers la sortie.

Une vaste auto, conduite par un chauffeur noir, les attendait. Avec des précautions infinies, Mme Caudry installa sa tante au fond de la voiture, plaça un coussin sous ses reins, un autre derrière sa tête.

« Tu exagères, Solange! dit Mme Rivière en riant. Je vais très bien, je t'assure.

— Mais hier tu as été malade... Tu verras, ici, je te soignerai, tu n'auras plus d'ennuis, je te le promets. »

Elle monta à son tour, en laissant une place à sa droite. Comme M. Caudry ouvrait la portière avant pour s'asseoir à côté du chauffeur, Isabelle s'approcha pour monter derrière à son tour. Mme Caudry l'écarta du geste.

« C'est la place de mon mari, déclara-t-elle. Viens ici, Norbert. »

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Isabelle se sentit un peu vexée — non pas de

voyager avec le chauffeur, qui l'accueillit d'un grand sourire, mais d'avoir eu l'air de vouloir occuper un rang qui n'était pas le sien.

« II va falloir que je me surveille! se dit-elle. Mme Caudry ne paraît pas tenir les infirmières en grande estime. Elle semble femme à me remettre à ma place chaque fois qu'elle en aura l'occasion! »

Pendant le trajet, la jeune fille n'ouvrit pas la bouche. Mme Rivière s'extasiait sur la fraîcheur de la ville, agrémentée de nombreux jardins et verte comme un coin de campagne anglaise,

« Je ne m'attendais pas à trouver pareil décor sous l'Equateur! Et vous, Isabelle? »

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Avant que la jeune fille eût le temps de répondre, Mme Caudry expliqua :

« La ville est située assez haut, et la proximité du lac Victoria y entretient l'humidité. »

La voiture sortit de la ville par une allée bordée d'arbres et s'arrêta devant une maison blanche, entourée d'un parc luxuriant. Deux serviteurs noirs s'empressèrent au-devant des arrivants. On conduisit les deux voyageuses dans leurs chambres, situées au bout de l'aile droite, au rez-de-chaussée.

« J'ai placé ton infirmière près de toi, dit Mme Caudry à sa tante. Tant qu'elle sera ici, il vaut mieux que tu l'aies à ta portée, n'est-ce pas? »

« Tant qu'elle sera ici »... Les mots sonnèrent désagréablement à l'oreille d'Isabelle. N'avait-elle pas été engagée par le professeur Duteil pour veiller sur Mme Rivière pendant tout le voyage de celle-ci?

Elle eut une autre déconvenue en gagnant la salle à manger, où un souper léger avait été préparé. Autour de la table ronde, on n'avait mis que trois couverts.

« Mais... et Isabelle? demanda Mme Rivière.— Ah! l'infirmière! Je pensais la faire servir à part.

Tu as besoin d'elle pendant les repas? » demanda Mme Caudry un peu gênée.

Elle donna cependant l'ordre d'ajouter un quatrième couvert. Isabelle prit sa place sans mot dire.

« Alors, tante, raconte-nous, commença aussitôt Mme Caudry. Tu as été malade dans l'avion?

La voiture s'arrêta devant une maison blanche.

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— Oui, j'ai eu une syncope; on m'a fait descendre au Caire. La difficulté était de trouver un hôtel pas trop loin de l'aéroport; en cette saison il y a des congrès, la ville est pleine. Mais tout a fini par s'arranger, comme tu vois.

— On aurait mieux fait de te conduire dans un hôpital, intervint sa nièce. Je m'étonne que Mademoiselle, qui est infirmière, n'y ait pas songé. »

Cette fois, Isabelle releva la tête.« J'ai agi selon les instructions précises du

professeur Duteil, madame. Il est le médecin de Mme Rivière et je dois lui obéir. »

Pendant un instant leurs regards se croisèrent. Sans comprendre pourquoi, Isabelle sentit qu'elle avait en Mme Caudry une ennemie.

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III

« A LORS, ma petite tante, on a bien dormi? »A* Chaque matin, en entrant dans la chambre, Mme

Caudry s'avançait vers le lit avec un grand sourire. Toute la journée, d'ailleurs, elle multipliait les attentions envers sa tante, qu'elle semblait aimer beaucoup. Elle s'informait de ses préférences, lui faisait préparer les plats qu'elle aimait. Chaque jour, des fleurs fraîches ornaient la table de chevet, près du divan sur lequel Mme Rivière reposait pendant sa sieste.

Cette affection commune aurait pu là rapprocher d'Isabelle — mais il n'en était rien, au contraire. Mme

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Rivière ayant indiqué nettement, dès le premier soir, que l'infirmière ne devait pas être servie à part, le couvert de celle-ci était toujours mis avec les autres. Mais on ne s'adressait jamais à elle; un soir, M. Caudry lui ayant posé une question anodine, sa femme lui jeta un coup d'œil impératif lui indiquant qu'il faisait fausse route. Il n'avait pas récidivé.

Sans cette animosité visible de Mme Caudry, Isabelle eût trouvé le séjour de Kampala enchanteur. La maison, située sur une colline, dominait la ville et une partie de la campagne jusqu'au lac. La nature était dans son plein épanouissement : des espèces exotiques, aux couleurs brillantes, voisinaient avec les essences européennes; on avait l'impression de vivre dans un immense bouquet de fleurs.

Les naturels du pays semblaient aimables et accueillants; le personnel était toujours souriant, prêt à rendre service. Isabelle éprouvait une sympathie particulière pour Egid, le valet qui, tous les matins, apportait le plateau du petit déjeuner dans les chambres. Il avait une façon de vous dire bonjour, sans servilité ni insolence, comme à de vieux amis. Le cuisinier, lui aussi, semblait flatté de voir qu'Isabelle appréciait les plats du pays : le poulet au miel, aux bananes; il l'appelait parfois d'un signe pour lui montrer ce qu'il préparait de bon dans ses casseroles.

Pourquoi Mme Caudry, seule, traitait-elle la jeune fille de cette façon? Elle aimait sa tante : elle aurait dû être heureuse de la voir bien soignée.

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Mais elle semblait se méfier de tout ce que faisait l'infirmière.

« Oh! vous lui donnez encore un de ces comprimés? Elle doit donc en prendre trois fois par jour?

— Mais oui, madame. »Mme Caudry haussait les épaules. Isabelle se

demandait si elle n'était pas jalouse de voir une autre personne qu'elle s'occuper de la malade.

Trois jours après l'arrivée des voyageuses, Mme Caudry profita d'un moment où sa tante sommeillait après sa toilette pour attirer Isabelle dans le salon.

« Je voudrais vous poser une question, lui dit-elle. J'ai besoin de savoir, pour des arrangements domestiques, combien de temps vous comptez rester en Ouganda. »

Isabelle haussa les sourcils.« Mais, madame... aussi longtemps que ma malade,

naturellement. »Mme Caudry eut un haut-le-corps.« Aussi longtemps! Nous avons bien l'intention de

garder ma tante plusieurs mois.— Il avait été convenu avec le professeur que

j'accompagnerais Mme Rivière pendant toute la durée de son séjour en Afrique.

— Si elle devait circuler continuellement, je le comprendrais. J'admets qu'elle ait eu besoin de quelqu'un pour le voyage. Et encore... Les hôtesses de l'air sont capables de pourvoir à tout.

— Il valait mieux que Mme Rivière ne soit pas seule quand elle a eu cette syncope.

— Entre nous, ne croyez-vous pas qu'en pareil

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cas on trouve toujours le secours dont on a besoin? Je sais : le professeur Duteil a exigé une infirmière — d'accord. Mais maintenant? Pensez-vous vraiment que votre présence soit indispensable? Les soins qu'il faut à ma tante, je suis très capable de les lui donner. J'ai suivi autrefois les cours de la Croix-Rouge. Peut-être vous autres, professionnelles, jugez-vous que ce n'est rien...

— Je suis sûre du contraire, madame, mais...— Mais quoi? »Isabelle ne sut que répondre. Ainsi c'était cela que

visait Mme Caudry : la renvoyer! Mais pourquoi? Il ne pouvait pas s'agir d'une question d'intérêt, puisque le salaire de l'infirmière était payé par la malade. Alors? le désir de soigner celle-ci elle-même — ou simplement de se débarrasser d'une étrangère pour qui elle n'éprouvait pas de sympathie?

« Qu'en pensez-vous? insista la jeune femme.— Il me semble que c'est à Mme Rivière de prendre

là décision, dit Isabelle. Si elle pense n'avoir pas besoin de moi... »

Elle hésita.« Pourtant, c'est le professeur Duteil qui m'a

engagée... je lui ai promis de rester auprès de Mme Rivière jusqu'à son retour... »

Mme Caudry l'interrompit.« Le professeur Duteil est sans doute une autorité

médicale. Mais il ne peut pas, à des milliers •de kilomètres, se rendre compte de la situation.

— Je pourrais lui écrire, suggéra Isabelle.— C'est mutile. Comme vous le disiez, c'est à

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ma tante de décider. Je vais lui en parler immédiatement. »

Mme Caudry entra dans la chambre de la malade et referma la porte. Un moment plus tard elle ressortit, le visage fermé.

« Eh bien? demanda la jeune infirmière.— Ma tante vous dira ce qu'elle pense. Nous ne

sommes pas du même avis, à ce qu'il paraît. »Dès que Mme Rivière aperçut Isabelle, elle lui fit

signe de venir s'asseoir à son chevet. Puis elle lui sourit gentiment et lui prit la main.

« Vous n'avez pas envie de me quitter, Isabelle?— Vous savez bien que non, madame.— Ma nièce juge que mon état ne nécessite pas la

présence d'une infirmière; elle pense qu'elle est capable de me soigner sans vous. Elle vous en a parlé, je le sais.

— Je crois que Mme Caudry ne m'aime pas beaucoup, dit Isabelle.

— Je pense surtout qu'elle est un peu jalouse, dit Mme Rivière. N'y faites pas attention, Isabelle, je vous en supplie. C'est une excellente femme, malgré ses petits défauts. Sa mère, ma sœur aînée, disait toujours : « Solange veut tout diriger elle-même »... J'ai l'impression qu'elle mène ce pauvre Norbert par le bout du nez. »

Elles échangèrent un sourire. Il était évident que, si M. Caudry avait de l'autorité à l'ambassade, il n'en avait guère dans son propre foyer.

« J'ai parlé très franchement à Solange, ajouta. Mme Rivière. Je lui ai dit que le professeur Duteil ne m'avait

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laissée partir qu'à condition d'être escortée par vous. Il vous a donné toutes les indications concernant mon état. Avec vous, je suis parfaitement tranquille; ma nièce devrait l'être aussi.

— Qu'a répondu Mme Caudry? demanda Isabelle.— Pas grand-chose; elle m'a dit que pour rien au

monde elle ne voudrait m'empêcher d'agir comme on me semblait. Je pense qu'elle se le tiendra pour dit. Pauvre Solange : elle ne cherche qu'à m'être agréable.

— Je l'ai bien vu », dit la jeune fille.Elle ne voulait pas insister. Cependant, elle était sûre

que Mme Caudry ne renoncerait pas aussi facilement à son idée.

Le lendemain matin, en se mettant à table, celle-ci déclara que sa tante avait mauvaise mine.

« Mais je me sens très bien! affirma Mme Rivière. J'ai probablement été un peu fatiguée par le voyage. Maintenant je suis tout à fait d'attaque. »

Mme Caudry hocha la tête.« L'effet du dépaysement ne se fait sentir qu'au bout

de quelques jours. Moi, je te trouve les yeux un peu cernés. N'est-ce pas, Norbert?

— En effet », répondit M. Caudry.On l'imaginait mal contredisant une opinion avancée

par son épouse. Mme Rivière, elle, protesta.« Que parles-tu de dépaysement, Solange? Ce pays

est parfait : on n'a jamais trop chaud, grâce à cette petite brise qui vient des collines.

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Ce matin encore, en me levant, je le faisais remarquer à Isabelle.

— Oh! Isabelle! marmonna Mme Caudry entre ses dents.

— Oui, elle l'a remarqué comme moi. D'ailleurs toi-même, quand tu m'écrivais pour m'inviter à venir vous voir, tu me répétais toujours que le climat était excellent.

— C'est exact, une fois qu'on y est adapté. A ce propos, tante, il y a quelque chose qui m'inquiète.

— Quoi donc, Solange?— Je me demande si le traitement que tu suis est

bien ce qu'il faut pour le pays.— Ce traitement m'a été prescrit par le professeur

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Duteil, qui me soigne depuis des années. — Le professeur Duteil te connaît, en effet, mais il

ne connaît pas Kampala. Comment pouvait-il savoir à l'avance quelles seraient tes réactions devant un tel changement de tes habitudes? Ce n'est pas seulement le climat, mais l'alimentation, le genre de vie...

— Ce genre de vie me convient parfaitement, je t'assure.

— N'importe, je serais plus tranquille si tu voyais un médecin du pays — par exemple un de nos amis, le docteur Dull, en qui nous avons toute confiance.

— Solange, je t'assure que je vais très bien et que je n'ai besoin de personne. »

L'insistance de sa nièce avait un peu agacé Mme Rivière. Le lendemain matin, elle resta au lit plus longtemps que de coutume. Après le déjeuner, comme la jeune infirmière rangeait des papiers sur la table de la malade, elle fit tomber par inadvertance une photo qui se trouvait entre les feuillets d'un buvard. En la ramassant, elle y jeta les yeux presque malgré elle. La photo montrait un adolescent en costume de bain, un ballon sous le bras. Des cheveux bouclés encadraient les yeux brillants, la bouche au large sourire.

« Le joli portrait! dit-elle. C'est quelqu'un de votre famille, madame? »

Mme Rivière leva les yeux.« Cette photo? Non, c'est celle d'un jeune garçon que

je connaissais... le fils d'une amie. C'était un bel enfant, en effet. Je ne sais pas ce qu'il est devenu.

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— La photo était dans votre buvard; dois-je l'y remettre ou la ranger avec vos papiers?

— Où vous voudrez; cela n'a pas d'importance.»Mme Rivière avait l'air un peu triste. Elle avait dit à

Isabelle combien elle regrettait de ne pas avoir eu d'enfant. Peut-être, en songeant au fils de son amie, éprouvait-elle un serrement de cœur?

La jeune infirmière rangea la photo et s'efforça de distraire la malade. Un peu plus tard, après le déjeuner, quand Mme Rivière alla faire sa sieste accoutumée, sa nièce l'accompagna dans sa chambre. Isabelle resta seule un moment avec M. Caudry, qui fumait, affalé dans un fauteuil. Il offrit une cigarette à la jeune fille, qui refusa.

« Vous ne fumez pas? » demanda-t-il.Hors de la présence de sa femme, il se montrait plus

sociable. Isabelle sourit.« Dans notre métier, on ne fume guère. Auprès des

malades, bien entendu, il n'en est pas question. Il ne faut même pas sentir la fumée.

— Vous avez raison, je n'y pensais pas. Vous aimez beaucoup votre travail, n'est-ce pas?

— Beaucoup. »II se mit à rire. Isabelle avait l'impression que cette

conversation banale, mais sans contrainte, était pour lui comme une détente.

« Ma femme est un peu jalouse de vous, je crois, dit-il avec une pointe de malice. Elle me dit toujours qu'elle voudrait soigner sa tante elle-même.

— Elle a une grande affection pour Mme Rivière, à ce que je vois.

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— Très grande. Depuis la mort de sa mère elle n'a pas d'autre famille.

— Mme Rivière non plus, je crois. Il est bien naturel qu'elles se rapprochent l'une de l'autre. »

M. Caudry fronça les sourcils.« Oh! tante Irène avait bien un autre neveu-Pas du

côté de ma femme; c'était — voyons, que je me rappelle — oui, le fils du frère de son mari.

— Vous dites « c'était ». Est-ce qu'il est mort?— Il vaudrait mieux qu'il le soit. C'est un vrai

chenapan; d'ailleurs il s'était brouillé avec sa famille. Le mari de tante Irène ne l'a jamais revu.

— Elle non plus?— Jamais! Ah! il ne se soucie guère de sa pauvre

tante, je vous assure... »M. Caudry eut un gros rire.« II se manifestera plus tard — au moment de

l'héritage! Car je connais tante Irène : toute sa fortune lui vient de son mari; c'est à la famille de son mari qu'elle la léguera. Elle ne nous l'a pas caché, d'ailleurs, »

Le chauffeur vint prévenir M. Caudry que la voiture attendait. Il se dirigea vers la porte.

« Bon après-midi, mademoiselle Isabelle!— Pour vous aussi, monsieur. »La jeune infirmière resta songeuse. Ce qu'elle venait

d'apprendre ouvrait à ses pensées des chemins nouveaux. Elle se rappelait la photo qu'elle avait vue le matin même dans les papiers de Mme Rivière. Et si c'était là le neveu dont M. Caudry lui avait parlé? Il se pouvait que, malgré la brouille et les torts du jeune garçon, sa tante eût

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conservé pour lui une certaine affection, ne fût-ce qu'en souvenir de son mari. Cela eût expliqué son expression de tristesse, le matin, à la vue de cette photo. Elle avait dit qu'il s'agissait du fils d'une amie, mais peut-être préférait-elle ne pas parler d'une situation qui lui était douloureuse...

De toute façon, puisque les Caudry savaient qu'ils ne devaient pas hériter de Mme Rivière, l'affection qu'ils témoignaient à leur tante était vraiment désintéressée. Si Mme Caudry éprouvait une certaine jalousie vis-à-vis de l'infirmière, pouvait-on le lui reprocher? Ce genre de sentiment n'était pas rare. Isabelle se rappelait qu'un jour, à l'hôpital, alors qu'elle faisait le pansement d'un petit blessé, la mère de l'enfant lui avait dit :

« Si vous saviez comme c'est pénible de voir que c'est vous qui pouvez le soulager, et non pas moi! »

Sans doute en était-il de même pour Mme Caudry. Isabelle se promit de respecter son sentiment et de la laisser en tête-à-tête avec la malade le plus souvent possible.

Elle prit un livre dans la bibliothèque et se mit à lire, en attendant qu'on eût besoin de ses services.

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IV

A u BOUT de quelques jours, Mme Rivière manifesta le désir de faire un peu connaissance avec le pays. Elle se sentait parfaitement reposée et n'avait pas l'intention de rester confinée dans la maison.

« Tu pourrais au moins me montrer la ville, dit-elle à sa nièce. Il doit y avoir des magasins amusants, des curiosités exotiques. Tu sais, Solange, combien j'aime fureter dans tout cela.

— Je sais, tante. Je pourrais dire au chauffeur de revenir nous chercher après avoir conduit

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Norbert à l'ambassade. Mais je ne sais pas, j'hésite encore... Tu es bien sûre que cela ne te fatiguera pas?

— Absolument sûre. N'est-ce pas, Isabelle? » Mme Caudry eut un geste d'impatience. La jeune fille répondit tranquillement :

« Certainement pas, madame. A condition, bien entendu, de ne pas descendre continuellement de voiture. Je suis sûre que cela vous fera plutôt du bien de bouger un peu.

— Eh bien, c'est entendu; allez vous préparer, mon petit. Nous partirons dès que la voiture sera de retour, si tu veux bien, Solange? »

Mme Caudry ne répondit pas. Mais tandis qu'Isabelle passait dans sa chambre pour enfiler une veste de toile, elle entendit la jeune femme murmurer :

« Tu as l'intention d'emmener l'infirmière à Kampala, tante? Tu ne crois pas que je serais capable de prendre soin de toi même pendant une heure ou deux?

— Ce n'est pas cela, tu le sais bien, répondit Mme Rivière. Mais Isabelle a besoin de se détendre un peu, elle aussi. Je suis sûre que cela l'amusera de voir la ville.

— Il faut savoir si tu l'as emmenée pour la distraire ou pour te soigner.

— Il me semble que les deux ne sont pas contradictoires. Elle est gentille et discrète, cette petite; elle ne nous gênera pas.

— Puisque tu y tiens... » dit Mme Caudry. La voiture revint de l'ambassade et les emmena

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toutes trois en ville. Kampala ne présentait guère e pittoresque architectural : la plupart des bâtiments étaient neufs, construits à la mode européenne. Cependant, les visiteuses furent enchantées par l'imprévu de la population : mélange de Blancs et de Noirs, de vêtements anciens et modernes. Certaines jeunes femmes kampalaises semblaient sortir de chez un couturier parisien; d'autres portaient d'immenses robes bariolées, les épaules rembourrées jusqu'aux oreilles, la jupe relevée à la taille en trois ou quatre bouillons.

« Quels étranges costumes! remarqua Mme Rivière. Je pense que cela doit remonter à des temps très anciens?

— Pas du tout, répondit Mme Caudry. Autrefois les femmes s'habillaient comme tu les verras encore parfois dans les campagnes, avec une sorte de pagne beaucoup plus pratique pour les travaux quotidiens. Ce sont les femmes missionnaires anglaises qui, en arrivant ici, ont été choquées par la légèreté des tenues indigènes et ont imposé à leurs adeptes ce monstrueux assemblage qui dissimule leur féminité.

— Les Ougandaises se sont bien rattrapées depuis! » observa* Mme Rivière en désignant deux jeunes filles qui passaient, vêtues de mini-jupes et exhibant des jambes sculpturales, couleur de bronze doré.

Isabelle ne disait rien; assise près du chauffeur, elle ne perdait pas une miette de l'intérêt du spectacle.

Elles mirent pied à terre dans la rue des boutiques. Mme Rivière et Isabelle s'extasièrent

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devant les objets d'ivoire et d'ébène, les soies brodées, spécimens de l'art du pays. Mme Caudry fit signe à sa tante de ne rien acheter : par des marchands qu'elle connaissait, elle pourrait avoir les mêmes objets à bien meilleur compte.

« Tu n'es pas trop fatiguée pour aller prendre le thé, ma petite tante? demanda Mme Caudry.

— Bien sûr que non! »Isabelle marchait derrière, un peu gênée. Mme

Caudry, certainement, ne souhaitait pas l'inviter, mais Mme Rivière n'aurait jamais voulu la laisser seule dans la voiture.

Elles entrèrent dans le salon d'un grand hôtel. Là, plus de robes imaginées par des missionnaires pudibonds; toutes les élégances se donnaient libre cours. Noires ou blanches, les femmes rivalisaient de coquetterie; l'ensemble était inattendu pour des Européennes, mais ravissant.

Elles remontèrent vers la fin de l'après-midi, enchantées.

« Tu n'es pas fatiguée, ma petite tante? Bien sûr? » demanda encore Mme Caudry en regagnant la maison.

Isabelle aurait voulu lui faire comprendre qu'il est toujours mauvais pour un malade d'attirer son attention sur sa santé. C'était un des premiers principes qu'on vous inculquait à l'école d'infirmières. Mais comment expliquer même une chose aussi simple à une personne qui ne vous écoute pas?

Mme Caudry, elle, traitait sa tante comme un objet fragile qu'un souffle risque de mettre en pièces. N'obtenant pas de réponse, elle insistait :

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« Je te trouve les mains un peu chaudes. Tu es sûre de ne pas avoir la fièvre? »

Mme Rivière s'impatienta :« Enfin, Solange, la maladie que j'ai ne donne pas la

fièvre! Je t'en prie, pensons un peu à autre chose qu'à mes misères. J'ai bien l'intention de faire d'autres promenades, je t'assure. »

Mme Caudry, voyant qu'elle faisait fausse route, céda aussitôt.

« Mais oui, nous sortirons encore. Nous irons voir le lac, les grandes plantations de thé... »

Pendant le reste de la journée, elle ne fit plus allusion à la fatigue possible de leur sortie. Mais le lendemain, au déjeuner, elle recommença :

« Je te trouve un peu pâle, tante... N'est-ce pas, Norbert? Non, tu n'as plus ta bonne mine d'hier matin... Je me demande si nous avons eu raison de descendre en

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ville...— Tu exagères, Solange. Je ne suis pas à la dernière

extrémité comme tu semblés le croire. Demande plutôt à Isabelle. »

Mme Caudry haussa légèrement les épaules.« Isabelle est très dévouée, je le sais; je ne doute pas

qu'en France elle ne soit une infirmière parfaite. Mais ce qui convient à Paris ne convient pas toujours sous l'Equateur... »

La jeune fille intervint.« Je m'en tiens à ce que m'a dit le professeur Duteil,

macramé. Il savait que nous venions ici et m'a donné ses instructions en conséquence.

— Le professeur... le professeur... Je ne conteste pas sa science, mais je répète que lui non plus ne connaît pas l'Ouganda. Nous en revenons toujours au même point... Je serais tellement plus tranquille, tante, si tu consentais à voir notre ami le docteur Dull...

— Voyons, Solange...— Après tout, que risques-tu? Il ne peut te donner

que de bons conseils.— J'en suis sûre, ma chérie, mais...— Tu pourrais au moins le voir pour me faire

plaisir. Je me sentirais tellement plus tranquille! Je ne peux pas m'empêcher de me tourmenter à ton sujet.

— Je t'assure que tu as tort, Solange.— Eh bien, admettons, là, j'ai tort. On ne peut pas

s'empêcher de se tourmenter pour ceux qu'on aime.— Encore faut-il qu'il y ait une raison...— La raison est de me tranquilliser. Tu veux bien le

voir, n'est-ce pas?

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— Je ne veux pas te contrarier, mais...— Elle accepte! s'exclama joyeusement

Mme Caudry. Norbert, pourrais-tu cet après-midi faire dire au docteur Dull que nous serions heureuses de le voir?

— Si vite! protesta Mme Rivière. On dirait vraiment que je suis mourante!

— Ne dis pas de choses pareilles, ma petite tante. Je serai heureuse d'avoir l'avis d'un médecin du pays, voilà tout. Tu enverras le message, Norbert?

— Entendu, ma chère », répondit M. Caudry. Un peu plus tard, quand Isabelle se trouva seule

avec sa malade, elle lui dit combien cette visite d'un médecin inconnu la contrariait.

« Rappelez-vous, madame, le professeur m'a bien recommandé de n'apporter aucune modification à votre traitement. Même en cas de malaise ou de syncope, il m'a indiqué ce que je devais faire et m'a mise en garde contre toute intervention étrangère. En ce qui me concerne, c'est vis-à-vis, de lui que je suis responsable de vous.

— Je sais, je sais..., dit Mme Rivière. Je sais aussi que je n'ai aucun besoin de ce médecin. Mais j'ai vu que cela faisait tant de plaisir à ma nièce... Ce docteur Dull ne me prescrira rien de nouveau : il se bornera à m'ausculter, à prendre ma tension... Si cela doit tranquilliser Solange, je ne peux vraiment pas lui refuser cette satisfaction. »

Isabelle comprenait à quel sentiment obéissait sa malade. Quel besoin avait donc Mme Caudry

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de compliquer les choses, quant tout allait si bien?Vers la fin de l'après-midi, le docteur Dull fit son

apparition. Dès le premier abord, il inspira de la méfiance à Isabelle. C'était un petit homme au visage rubicond, au ventre proéminent, mal équilibré par de courtes jambes. Ses cheveux, soigneusement ramenés sur un crâne à demi chauve, paraissaient gras et huileux. Même à distance, la jeune infirmière constata que son haleine dégageait une forte odeur d'alcool.

Après l'avoir présenté à sa tante, Mme Caudry se tourna vers Isabelle.

« Nous n'avons plus besoin de vous, lui dit-elle. Vous pourrez revenir tout à l'heure quand je vous appellerai. »

Le sang de la jeune fille ne fit qu'un tour. Cette fois elle était résolue à tenir tête.

« Je regrette, madame, dit-elle, mais tant que j'occupe mon poste auprès de Mme Rivière, il est de mon devoir d'assister aux consultations.»

Mme Caudry se tourna vers le docteur Dull comme pour lui demander son appui. Pas un instant elle n'avait songé qu'elle aurait dû lui présenter Isabelle. C'était à celle-ci, pourtant, que le médecin devrait demander — en dehors de la malade, bien entendu — ce que le professeur Duteil pensait du cas de Mme Rivière et quelles recommandations il avait faites à son infirmière!

Mais cela, le docteur Dull ne semblait pas s'en préoccuper plus que Mme Caudry elle-même. Il ne pensait pas à renvoyer Isabelle; pour lui elle

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n'existait pas, voilà tout. Elle aurait aussi bien pu être un petit chien qu'on laisse jouer dans un coin de la chambre : du moment qu'il ne fait pas de bruit, on ne lui demande rien. Elle n'avait pas l'habitude d'être ainsi traitée au chevet d'un malade!

Le médecin s'avançait à petits pas, d'un air important, vers le fauteuil de Mme Rivière.

« Mme Caudry m'a prié, madame, de venir vous voir. J'ai cru comprendre que vous étiez assez souffrante... »

Mme Rivière sourit.« Je crains qu'on ne vous ait dérangé inutilement,

docteur. Ma nièce s'inquiète toujours à mon sujet... »II hocha la tête avec gravité.« Vous avez une maladie de cœur, à ce qu'on m'a dit.

Quand le cœur est en jeu, on n'est jamais trop prudent. »II s'exprimait sur un ton pompeux, en cher chant ses

mots comme s'il rendait un oracle, Isabelle songeait au professeur Duteil — un grand patron, pourtant! — et à sa façon d'entrer dans les salles de l'hôpital avec un sourire. Rien qu'à le voir paraître, les malades se sentaient déjà mieux...

Mme Rivière exposait la situation.« Depuis plusieurs années, en effet, mon cœur n'est

pas ce qu'il devrait être. Mais en ce moment il ne me donne aucun souci. Je suis le traitement qui m'a été indiqué par mon médecin de Paris, le professeur Duteil, que vous connaissez peut-être de nom?

— Duteil? Naturellement, naturellement! fit le petit homme d'un air entendu.

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— Et je suis surveillée de très près par la meilleure des infirmières », ajouta Mme Rivière en regardant Isabelle avec affection.

Mme Caudry écarta la jeune fille et s'approcha.« J'aimerais, docteur, que vous examiniez ma tante.

Les changements de climat ont souvent une répercussion sur l'état des organes. Je voudrais savoir ce que vous pensez d'elle. Son infirmière va la mettre au lit...

— Solange, murmura Mme Rivière gênée, crois-tu vraiment que ce soit nécessaire? J'ai fait la connaissance du docteur Dull, nous l'appellerons en cas de besoin...

— Va, va, ma petite tante », dit Mme Caudry. Isabelle accompagna la malade et l'aida à se

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déshabiller. Mme Caudry et le médecin s'entretinrent un moment à voix basse dans le salon. Puis tous deux entrèrent dans la chambre. Le docteur Dull ouvrit un sac noir qu'il tenait à la main et en tira un stéthoscope qu'il appliqua sur la poitrine de Mme Rivière. Il ferma les yeux et parut s'absorber dans de profondes réflexions. « Oui, oui..., murmura-t-il. Evidemment, évidemment...

— Vous trouvez quelque chose d'inquiétant? interrogea Mme Caudry avec anxiété.

— Inquiétant, non... Et pourtant... »II prit son tensiomètre. Isabelle regardait le cadran du

coin de l'œil, mais elle ne put rien distinguer de précis.« Cela peut aller, déclara le docteur Dull. Tout de

même...— Quels chiffres trouvez-vous? interrogea la

jeune infirmière.— Oh! rien d'extraordinaire... Cependant il faut

prendre certaines précautions...— Vous envisageriez une modification du

traitement? questionna Mme Caudry.— Oui... de légers changements... »II passa dans la pièce voisine', suivi de Mme Caudry.

Un moment plus tard, cette dernière revint seule, une feuille de papier à la main.

« Voilà! dit-elle. Le docteur Dull a fait une petite ordonnance. Je vais envoyer le chauffeur à la pharmacie.»

Elle se dirigea vers l'office. Isabelle se pencha vers Mme Rivière.

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« Ne vous laissez pas faire, madame! supplia-t-elle. M. Duteil a prescrit exactement ce qu'il vous fallait. Il a recommandé de ne rien changer... »

La malade sourit.« Ne craignez rien, Isabelle. Je continuerai

naturellement à suivre le traitement du professeur. Mais je vois que ma nièce a une confiance illimitée en son médecin. S'il veut m'administrer un ou deux médicaments inoffensifs — des calmants, peut-être, car il a pu me trouver nerveuse, j'avoue que toute cette consultation m'a un peu irritée —, eh bien, je les prendrai pour faire plaisir à Solange, voilà tout. »

Isabelle ne répondit pas. S'il lui fallait entrer en lutte ouverte avec Mme Caudry, elle craignait de n'être pas de force. Et pourtant!

Quand le chauffeur revint avec les médicaments, elle les emporta pour les ranger dans le placard de la salle de bain. Elle jeta un coup d'œil sur l'ordonnance, puis sur les flacons.

« De la digitaline..., murmura-t-elle. C'est évidemment une médication qu'on prescrit à beaucoup de cardiaques. Mais M. Duteil n'en a jamais donné à Mme Rivière. Il devait avoir ses raisons... »

Duteil connaissait bien la malade. C'était un grand médecin, un professeur, un cardiologue. Ce docteur Dull, que valait-il? Les Caudry avaient grande confiance en lui — soit! Mais on voit tous les jours des malades crédules se livrer pieds et poings liés à des charlatans.

Isabelle devait-elle confier ses doutes à

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Mme Rivière? Mais s'il est une chose qu'on ne doit pas faire à un cardiaque, c'est le tourmenter. Si la malade voyait qu'Isabelle s'inquiétait, elle s'inquiéterait elle-même. Elle voudrait s'expliquer avec sa nièce; il en résulterait des discussions, une mésentente qui ne pouvait qu'être funeste pour son cœur.

« Je n'ai qu'une chose à faire, se dit la jeune fille : écrire au professeur, lui parler de cette consultation et lui demander ce qu'il en pense. »

Elle se retira dans sa chambre et écrivit longuement à M. Duteil. La lettre, consignée au chauffeur quand il partirait le matin avec son patron, avant le lever de Mme Caudry, serait mise à la poste avec le courrier de l'ambassade. M. Duteil, Isabelle en était sûre, lui répondrait immédiatement.

Jusque-là...Quand l'heure du coucher arriva pour la malade,

Isabelle passa dans la salle de bain afin de préparer les médicaments pour la nuit. Elle exécuta les indications du professeur, puis, délibérément, versa les dix gouttes prescrites par le docteur Dull dans la vidange du lavabo.

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V

QUELQUES jours plus tard, M. Caudry, en se mettant à table, dit à la jeune fille : « II va falloir que vous descendiez en ville, Isabelle. Le secrétaire du ministère de l'Intérieur m'a téléphoné ce matin au sujet de vos papiers; il a besoin d'une signature.

— En ce cas, remarqua Isabelle, il doit falloir aussi celle de Mme Rivière?

— Il ne m'a parlé que de vous. Oh! ne vous inquiétez pas, c'est sûrement un détail sans importance. Comme dans tous les pays neufs, l'administration est un peu tatillonne. »

Isabelle se tourna vers Mme Caudry.

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« Nous pourrions peut-être, madame, profiter de l'occasion pour faire faire une petite promenade à Mme Rivière?

— Oh! oui! dit aussitôt celle-ci. Pendant qu'Isabelle s'occuperait de ses papiers, nous irions prendre le thé dans cet hôtel si amusant...

— Je suis désolée, tante, mais aujourd'hui, malheureusement, j'attends une visite.

— Ne peut-on remettre cette signature à demain?

— Ce n'est pas souhaitable, déclara M. Caudry. Je vais emmener Isabelle; si elle à fini plus tôt que moi, je la renverrai avec le chauffeur. »

La jeune infirmière rassembla tous ses papiers et monta en voiture avec M. Caudry. Celui-ci était toujours aimable avec elle lorsque sa femme ne se trouvait pas dans les parages; il lui demanda si le pays lui plaisait et si elle était satisfaite de son séjour en Ouganda.

« Oh! oui! » répondit-elle avec enthousiasme.Il descendit à l'ambassade, et le chauffeur conduisit

Isabelle au ministère. Elle eut quelque peine à trouver le bureau où elle avait été convoquée; quand elle y parvint, elle se trouva en face d'un fonctionnaire noir, tout jeune, vêtu d'un élégant costume de toile blanche.

« Je suis désolé de vous avoir dérangée, dit-il dans un français très correct. Ce n'est rien : il nous manque une petite signature... De toute façon, cela n'avait rien d'urgent, je croyais l'avoir fait comprendre à M. Caudry. »

Il s'agissait, en effet, d'une simple autorisation

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de séjour, parfaitement eh règle, à cela près que la signature ne se trouvait pas à la place voulue. Le jeune homme s'excusa profusément : il déplorait qu'Isabelle eût jugé indispensable de venir aussi vite... Ils bavardèrent ensemble quelques instants, puis il indiqua à la jeune infirmière le chemin de l'ambassade, où il était convenu qu'elle retournerait à pied.

En passant, elle jeta un coup d'œil aux devantures de la ville. Beaucoup de choses la tentaient : elle voulait rapporter des bracelets de poil d'éléphant à quelques camarades de l'hôpital. Serait-elle assez riche pour s'offrir un de ces beaux tissus lamés dont étaient faites les robes de dîner de Mme Caudry? Il y en avait un surtout, d'un rosé assez soutenu, avec de grands feuillages d'argent...

Quand elle arriva à l'ambassade, on lui apprit que M. Caudry avait dû s'absenter avec la voiture; il la priait de l'excuser et lui demandait de patienter en attendant son retour.

Elle en fut contrariée : pourvu qu'il ne tardât pas trop! Mme Rivière devait prendre un médicament à cinq heures... Elle pensa à appeler un taxi pour regagner la ville, mais elle s'aperçut qu'elle n'avait pas assez d'argent sur elle. Elle s'installa dans le bureau de M. Caudry et attendit.

La petite table du bureau était couverte de magazines variés, mais Isabelle n'avait pas le cœur à lire. Quatre heures... quatre heures et demie... Bien sûr, Mme Rivière penserait à son médicament; elle demanderait à Mme Caudry de le lui préparer si elle ne le faisait pas elle-

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même. Il n'était pas prescrit de digitaline dans l'après-midi, heureusement. Même si Mme Caudry allait fouiller dans l'armoire de la salle de bain, elle ne remarquerait rien de suspect : le niveau du flacon baissait avec régularité : Isabelle, chaque soir, comptait religieusement les gouttes avant de les jeter dans le lavabo...

Elle se tranquillisa et contempla par la fenêtre les fleurs magnifiques qui bordaient la pelouse. Il était près de six heures quand M. Caudry pénétra dans son bureau.

« Excusez-moi, Isabelle; j'ai dû aller voir quelqu’un de toute urgence. L'affaire était compliquée, j'ai été retenu jusqu'à maintenant.

-— Cela s'arrangera, j'espère?— Oh! oui, oui, maintenant tout va bien. Vous ne

vous êtes pas trop ennuyée?— Peut-on s'ennuyer avec tout ceci sous les yeux? »

dit-elle en désignant les fleurs.En arrivant devant la maison, Isabelle constata avec

surprise que ni Mme Rivière ni sa nièce ne se trouvaient sur la terrasse. Il n'y avait personne dans le salon non plus. Mme Caudry apparut au bout du couloir.

« Ma tante s'est recouchée, annonça-t-elle. Je crois qu'il vaudra mieux la faire dîner dans son lit.

— Pourquoi? Il s'est passé quelque chose? Elle n'a pas eu de syncope, j'espère?

— Non, elle est fatiguée, voilà tout.— Mais quand je suis partie, au début de

l'après-midi, elle se sentait très bien : elle voulait même descendre en ville... »

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Mme Caudry haussa les épaules« Vous n'allez pas me dire que c'est votre absence qui

l'a rendue malade? Vous exagérez un peu votre importance, il me semble! »

Isabelle s'élança vers la chambre. Mme Rivière, qui était couchée, sourit et lui tendit la main. Elle semblait à la fois somnolente et agitée.

« Qu'y a-t-il donc? interrogea la jeune fille.— Je ne sais pas... c'est bizarre...— Vous ne vous sentez pas oppressée?— Non, pas du tout. J'ai sommeil... tellement

sommeil...— Mais alors il faut dormir tranquillement et ne pas

vous agiter comme vous le faites. Regardez : votre lit est tout défait!

— Je ne peux pas faire autrement; je m'agite malgré moi.

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— Je vais vous donner quelque chose pour vous calmer. »

Mme Rivière s'apaisa et s'endormit presque aussitôt. Isabelle, inquiète, demanda à Mme Caudry si elle n'avait rien donné à sa tante.

« Je lui ai donné ses médicaments à cinq heures, comme elle me l'a rappelé. Entre nous, vous auriez pu me laisser la consigne.

— C'est que je pensais être rentrée depuis longtemps. Vous êtes bien sûre de ne rien lui avoir donné d'autre? »

Mme Caudry se fâcha.« Dites-moi tout de suite que je l'ai empoisonnée!

Vous dépassez les limites, mademoiselle! »La jeune infirmière se domina pour répondre

doucement :

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« Je ne vous reproche rien, madame; je voulais seulement savoir si elle a pris quelque chose dans l'après-midi.

— Alors, elle n'a même pas le droit de boire une limonade sans vous en rendre compte?

— Je suis responsable d'elle vis-à-vis du professeur Duteil, madame.

— Votre protecteur et grand ami, n'est-ce pas? » ricana Mme Caudry.

Une fois de plus, Isabelle parvint à se maîtriser.« Excusez-moi, madame, mais la voyant agitée vous

auriez pu lui donner un sédatif, comme je l'aurais fait moi-même. En ce cas, il vaudrait mieux me le dire.

— C'est trop fort! » s'exclama la jeune femme. M. Caudry, qui jusque-là avait gardé le silence,

intervint :« Allons, allons, il n'y a pas de quoi se quereller! Ma

tante dort, c'est l'essentiel — n'est-ce pas, mademoiselle?— Naturellement, grommela sa femme, tu vas

encore lui demander son avis! »Aussitôt après le dîner, Isabelle retourna dans la

chambre de la malade. Celle-ci était toujours endormie, mais moins calme qu'à son habitude. Par moments ses lèvres remuaient; Isabelle, en se penchant, saisit quelques mots :

« Mais je ne veux pas, moi... »Puis, un moment plus tard :« Je n'aurais pas dû... certainement je n'aurais pas

dû... »Le lendemain, elle semblait de nouveau dans son état

normal. Isabelle lui demanda ce qui

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« Je n'aurais pas dû... certainement e n'aurais pas dû.. »

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s'était passé la veille; elle répondit qu'elle ne s'en souvenait pas.

Dans la matinée, elle appela la jeune infirmière. Celle-ci vint s'asseoir auprès de son fauteuil. Elle avait l'impression que Mme Rivière désirait lui parler.

« Qu'avez-vous? » demanda-t-elle gentiment. Mme Rivière la regarda, hésita un instant. « Non... je ne sais plus... Ne faites pas attention, Isabelle. Je crois que, par moments, je ne sais pas très bien ce que je dis... » La jeune fille insista :

« Je vois que quelque chose vous tourmente. Il ne faut pas le garder pour vous; cela ne peut vous faire que du mal. Dites-moi : de quoi s'agit-il?

— Non, je n'ai rien, rien du tout... »A ce moment, Mme Caudry entra dans lachambre.« Vous êtes encore en train de la faire parler! »reprocha-t-elle.Décidément, ses sentiments vis-à-vis de l'infirmière

ne s'amélioraient pas...

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VI

L'INCONNV DU CAIRE

LA MÉLANCOLIE de Mme Rivière fut de courte durée. La vie, chez les Caudry, était très gaie. Presque tous les jours, plusieurs personnes venaient prendre un verre dans la soirée. Jamais, dans ce cas, Mme Caudry n'appelait Isabelle; la jeune fille restait dans sa chambre, occupée à lire ou à écrire. Mais il y avait les déjeuners et les dîners; là, Mme Rivière ayant exigé sa présence, la venue d'invités ne l'excluait pas.

Isabelle voyait défiler toutes sortes de gens : Blancs, Noirs, métis. On discutait des affaires du pays. Parmi ces visiteurs, beaucoup faisaient partie de l'administration locale ou des diverses

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ambassades; les autres possédaient des exploitations agricoles : plantations de rnaïs, de canne à sucre, de thé, de café. Le soir, Isabelle inscrivait dans un carnet tout ce qu'elle avait entendu, afin de se rappeler plus tard les détails de la vie ougandaise.

Un soir, une jeune femme de l'ambassade d'Angleterre, Mme Peake, annonça que son mari et elle organisaient un safari pour distraire des amis dont ils attendaient la visite. Isabelle savait ce qu'on appelait un safari — non plus, comme autrefois, une expédition de chasse aux grands fauves, mais une excursion pacifique dans les réserves de bêtes sauvages. Elle n'espérait pas y participer jamais — comment aurait-elle pu abandonner plusieurs jours sa malade? Elle espérait seulement qu'au retour, M. et Mme Peake reviendraient dîner et raconteraient ce qu'ils avaient vu.

Tout à coup, Mme Peake se tourna vers Mme Rivière.

« Mais, j'y pense, dit-elle, est-ce que ce safari ne vous intéresserait pas? Nous partons à trois voitures; il y aurait largement de la place pour vous! Je vous assure que cela vaut la peine. Tous les étrangers qui viennent dans le pays sont enchantés de voir cela.

— Je n'en doute pas, dit Mme Rivière. Et je vous avoue que j'en meurs d'envie...

— C'est moins fatiguant que vous ne pourrie/, le penser, poursuivit la jeune Anglaise. Le trajet en voiture est un peu long, évidemment, mais la plupart des Toutes sont assez bien entretenues.

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On s'arrête pour la nuit dans des loges, c'est-à-dire des hôtels très suffisamment confortables, où on peut se reposer...

— On est un peu secoué sur les pistes, objecta son mari.

— Mais Mme Rivière n'est pas obligée de nous suivre; elle peut nous attendre à la loge. Elle verra les animaux d'un peu plus loin, voilà tout.

— J'avoue que c'est tentant... » murmura Mme Rivière.

Elle jeta un coup d'œil dans la direction d'Isabelle, devinant sans doute que les obstacles pouvaient venir de là. Elle n'avait pas tort : la jeune fille, a priori, trouvait le projet imprudent pour la malade. Les secousses de la voiture pendant de longues heures, des routes peut-être difficiles, malgré ce qu'en disait Mme Peake. D'ailleurs jamais Mme Caudry ne laisserait sa tante, qu'elle couvait comme un objet précieux, entreprendre un voyage dans ces conditions!

A la grande surprise de la jeune infirmière, Mme Caudry réagit tout autrement.

« C'est vrai, déclara-t-elle, il faut absolument que tante Irène voie les réserves. Je sais bien qu'elle a tout son temps : nous espérons la garder ici de très, très longs mois... Mais vous savez que nous n'allons presque jamais dans la savane : mon mari a horreur des longs trajets en auto. Et, ma foi, l'occasion me semble alléchante...

— Ne voudriez-vous pas venir aussi, chère madame? demanda la jeune Anglaise à Mme Caudry. Votre tante serait sûrement heureuse de faire l'excursion en votre compagnie...

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— Oh, ma tante a son infirmière pour s'occuper d'elle! fit Mme Caudry avec un peu d'aigreur. Car, c'est vrai, vous ne pensiez peut-être pas qu'il vous faudrait l'emmener, elle aussi?

— Nous en serons très heureux », déclara aimablement Mme Peake. Peut-être ne parlait-elle pas seulement par politesse, car elle semblait avoir de la sympathie pour la jeune infirmière. Celle-ci lui rendit son sourire.

« Oh! bien entendu, je ne m'embarquerai pas sans Isabelle! dit Mme Rivière. Je ne sais pas ce qu'elle pense de ce projet... »

Tous les yeux se tournèrent vers Isabelle. A part Mme Caudry, personne ne semblait s'étonner qu'une malade consultât son infirmière en pareil cas. La jeune fille, elle, était un peu gênée d'avoir à donner son avis devant tout ce monde.

« Je crains que ce ne soit pas très prudent, madame, dit-elle. Rappelez-vous la syncope que vous avez eue avant d'arriver au Caire. »

Mme Rivière fit la moue.« Ce n'est pas la même chose. Un trajet en avion ou

une simple course en voiture...— Je ne sais pas lequel est le plus fatigant des deux.

Vous vous portez très bien en ce moment; à mon avis il serait plus sage de ne pas tenter le sort.

— En mettant les choses au pis, si j'avais une syncope vous savez comment me soigner.

— Mais vous pourriez avoir un malaise plus grave, pour lequel nous aurions besoin d'un médecin.

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— Je n'en ai jamais eu : pourquoi en aurais-je maintenant?

— Précisément parce que vous seriez fatiguée. »

Mme Rivière fit la moue. Isabelle comprit qu'elle ne céderait pas facilement.

« Nous discutons là pour rien, trancha Mme Caudry. La seule chose à faire est de demander un avis vraiment compétent. Je prierai le^ docteur Dull de passer nous voir demain. D'accord, ma petite tante?

— D'accord », dit Mme Rivière.Le soir, en lui donnant ses médicaments, Isabelle lui

répéta combien elle trouvait le projet hasardeux.« Oh! Isabelle, soupira la malade, soyez gentille :

cela me ferait tellement plaisir!

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— L'occasion se retrouvera, dit la jeune fille.Je vois qu'on organise des safaris chaque fois qu'il y

a des visiteurs étrangers.— Oui, mais ce ne sera peut-être pas aussi bien.

M. Peake connaît parfaitement la région. Pour vous aussi, Isabelle, ce serait une chance extraordinaire. Je pense à vous aussi, mon petit.

— Je sais, dit Isabelle touchée. Mais moi, je dois penser à vous, à vous seule. Je ne crois pas que le professeur Duteil autoriserait ce voyage.

— Oh, si je le suppliais beaucoup... Il n'était pas très content, au début, de me laisser partir pour l'Ouganda. Mais quand il a vu combien j'en avais envie...

— Si encore nous avions le temps de lui écrire! » murmura Isabelle.

Elle pensait à la lettre qu'elle avait envoyée, et dont elle attendait toujours la réponse.

« Attendons de voir ce que dit le docteur Dull, proposa Mme Rivière. Après tout, il est médecin, il connaît le pays, il sait exactement ce qu'un safari comme celui-là représente de fatigue.

— Attendons », concéda Isabelle.Elle n'avait pas grande confiance dans le docteur

Dull, mais elle espérait qu'il se rangerait du côté de la raison.

Le praticien vint le lendemain. Il déclara que la malade avait meilleure mine qu'à sa première visite — ce qui était exact. Mais Isabelle pensait que cette bonne mine était due au repos. Dull, lui, croyait que ses médicaments en étaient responsables. Ces médicaments qui chaque soir prenaient le chemin du lavabo...

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« Ma tante meurt d'envie de faire ce safari, docteur, lui expliqua Mme Caudry. Son infirmière trouve que ce n'est pas prudent. Mais nous pensons, mon mari et moi, qu'en prenant toutes les précautions voulues...

— Bien sûr, elle peut le faire! affirma le docteur Dull. Une fois installée dans la voiture, et en prenant régulièrement ce que je lui ai prescrit...

— Eh bien, dit joyeusement Mme Caudry, c'est entendu! Je vais appeler Mme Peake pour le lui dire.»

Isabelle se tut. Elle aurait souhaité au moins recevoir la réponse du professeur Duteil avant que la décision fût prise. Naturellement il ne parlerait pas du safari. Mais s'il conseillait à Isabelle de se fier au docteur Dull, elle se plierait plus volontiers à l'avis de celui-ci. Elle lui avait parlé de la prescription de la digitaline; s'il l'approuvait, elle en ferait prendre à Mme Rivière pendant le voyage. Sinon, le médicament irait enrichir la composition des lacs...

Malheureusement, les courriers étaient lents : la réponse du professeur se faisait attendre. Elle n'était pas encore arrivée le lundi suivant, quand la grosse voiture verte envoyée par M. Peake s'arrêta devant la maison des Caudry pour y accueillir les voyageuses.

Mme Caudry installa sa tante au fond, avec des précautions infinies.

« Amuse-toi bien, ma petite tante, recommanda-t-elle. Je suis si heureuse que le docteur Dull t'ait autorisée à profiter de cette occasion! Je serais venue moi-même,

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mais je dois recevoir l'ambassadeur d'Allemagne après-demain...

— Ne t'inquiète pas, Solange, je serai très prudente. D'ailleurs, Isabelle est là : si j'étais tentée de faire des excentricités, elle se chargerait de m'en empêcher.

— Je l'espère bien! » dit Mme Caudry. Devant la villa des Peake, elles rejoignirent

les deux autres voitures. Mme Peake fit les présentations, puis monta elle-même avec les deux Françaises.

La petite caravane se mit en marche. On roula d'abord dans une campagne qui aurait pu se situer en Ile-de-France, puis les premières bananeraies apparurent : l'Afrique était là. La route monta; on approchait des plantations de thé, qui donnaient aux croupes des collines l'aspect d'un velours vert et brillant. Quand on s'arrêta pour faire un pique-nique à l'ombre d'un bosquet, Mme Peake demanda à Mme Rivière si ces premières heures de route ne l'avaient pas fatiguée.

« Pas le moins du monde, répondit la malade. Je me sens prête à aller jusqu'au Pacifique, s'il le faut! »

Mme Peake et Isabelle se mirent à rire.Après le repas, on vit apparaître les premiers lacs,

puis on longea la forêt équatoriale; un petit singe effrayé traversa la route et se perdit dans la verdure. Mme Rivière demanda si on pénétrait quelquefois dans la forêt.

« Jamais, dit Mme Peake. Les indigènes eux-mêmes n'osent pas s'y aventurer. »

On entra enfin dans la réserve où se trouvaient toutes sortes d'animaux : éléphants, buffles,

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antilopes. Sur les rives des lacs, des hippopotames à demi enfouis dans la vase tendaient vers les voitures leurs énormes gueules ouvertes et rosés. Un groupe de lions, épuisé par la chaleur de la journée, se reposait sous un buisson.

« C'est merveilleux! » murmura Isabelle enthousiasmée.

On parvint à la première loge, où les chambres furent distribuées. Puis, les chasseurs s'installèrent pour dîner sur la terrasse; des oiseaux pareils à de gros moineaux, mais de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, voletaient autour de la table. On servit un plat du pays : une purée de bananes vertes avec une sauce aux arachides fortement épicée.

« Vous ne devriez peut-être pas en manger, dit

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Isabelle à Mme Rivière. Je vais aller demander à la cuisine qu'on vous donne quelque chose de plus léger.

— Oh! Isabelle!— Prenez-en très peu, en tout cas.— Mais oui, mais oui, je suis très raisonnable; ne

me gâtez pas mon voyage! »Elle consentit pourtant à aller se coucher avant les

autres. Isabelle lui donna ses médicaments.« Savez-vous, dit-elle tout à coup, j'ai l'impression

que cette drogue du docteur Dull me fait du bien. »Isabelle faillit lui dire la vérité, puis se ravisa : elle

préférait attendre la réponse du professeur pour savoir au juste comment agir. La sensation de bien-être qu'éprouvait Mme Rivière après le trajet en voiture ne la rassurait pas : la malade était visiblement agitée, ses joues plus rosés, son pouls un peu plus rapide que de coutume.

« II faudra vous reposer demain matin, dit la jeune infirmière. Vos amis reviendront à la loge pour déjeuner et l'après-midi nous repartirons avec eux. »

Mme Rivière protesta :« Manquer l'excursion de demain matin! Mais,

Isabelle, nous devons aller voir les girafes!— M. Peake dit que la piste est mauvaise; vous

serez trop secouée.— Nous en reparlerons demain matin »,

déclara Mme Rivière.Le lendemain, elle insista pour partir. La jeune

infirmière, qui la trouvait toujours assez agitée, essaya de l'en dissuader, mais en vain. M. et

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Mme Peake encouragèrent leur invitée : la piste n'était pas si dure, après tout; Mme Rivière ne pouvait pas manquer les girafes!

Elles prirent place dans la voiture de tête, avec Mme Peake. Derrière elles, venaient les deux véhicules de leur groupe, plus deux autres dont les conducteurs avaient également passé la nuit à la loge et qui avaient décidé de se joindre à la caravane.

Le terrain était exécrable; la voiture cahotait durement. A plusieurs reprises, Isabelle remarqua que Mme Rivière portait la main à sa poitrine.

« Vous vous sentez mal? interrogea-t-elle.— Non, ce n'est rien.— Si vous voulez que nous nous arrêtions? »

proposa Mme Peake.A ce moment, on aperçut les premières girafes. Tout

le monde se précipita aux portières. Seule, Isabelle se pencha vers Mme Rivière. Celle-ci tenait sa gorge à deux mains. Puis, comme dans l'avion, elle perdit connaissance. Mais cette fois elle semblait suffoquer.

La jeune infirmière sentit un froid de glace l'envahir. En lui expliquant ce qu'elle devait faire en cas de syncope, le professeur Duteil avait ajouté : « Si elle avait des étouffements, ce serait plus grave; il faudrait appeler un médecin et faire une intraveineuse sans tarder. Mais jusqu’'ici elle n'en a jamais eu; espérons que cela n'arrivera pas. »

Maintenant, c'était arrivé. La simple injection qu'Isabelle avait faite au Caire se montrerait-elle

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suffisante? Et on était en pleine savane, à des kilomètres de tout secours...

Mme Peake avait fait arrêter la voiture. Les autres véhicules s'immobilisèrent l'un derrière l'autre. Les hommes mirent pied à terre.

« Que se passe-t-il? interrogea l'un d'eux.— C'est Mme Rivière qui est souffrante. Son

infirmière doit savoir ce que c'est. Vous avez ce qu'il faut pour la soigner, mademoiselle?

— Je crains que ce ne soit sérieux. Il faudrait un hôpital, un médecin...

— Le mieux serait sans doute de retourner à la loge et de téléphoner pour en appeler un. »

Isabelle inclina la tête. C'était la seule solution, évidemment. En attendant, elle pourrait toujours faire une première piqûre. Mais elle savait bien que ce ne serait pas suffisant. Et combien de temps faudrait-il pour retourner à la loge d'abord, faire venir le médecin ensuite?

Oh, pourquoi, pourquoi le docteur Dull avait-il permis ce safari?

A ce moment, un des occupants des deux dernières voitures s'approcha. C'était un jeune Noir à l'aspect intelligent et énergique. Il s'avança vers Isabelle.

« Je suis médecin, déclara-t-il. J'entends dire qu'il y a une malade? »

On s'écarta; il monta dans la voiture et prit aussitôt le pouls de Mme Rivière.

« Faible... » murmura-t-il.Il se tourna vers Isabelle.« C'est vous qui la soignez, mademoiselle?

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Pouvez-vous me dire ce qu'elle a pris comme médicaments depuis hier? »

Isabelle, à mi-voix, expliqua :« Un médecin de Kampala voulait lui donner de la

digitaline; je ne l'ai pas fait. J'ai préféré m'en tenir aux instructions du professeur Duteil, qui la soigne à Paris; voici son ordonnance. J'ai peut-être eu tort : la digitaline aurait-elle évité cette crise?

— Absolument pas, répondit le jeune homme sans hésiter. Heureusement, j'ai ma trousse; je vais pouvoir lui faire immédiatement une intraveineuse qui mettra fin à ces étouffements. »

II courut jusqu'à sa voiture et rapporta sa trousse. Isabelle dénuda le bras de Mme Rivière et plaça le garrot; le médecin tâta la veine du bout des doigts et enfonça l'aiguille.

Presque aussitôt, la respiration de la malade reprit un rythme plus régulier.

« Cela va suffire? demanda la jeune infirmière.— Non, dans un moment vous lui ferez une autre

injection. Mais ne vous inquiétez pas : tout ira bien. »Mme Peake organisait déjà le transfert : elle passerait

dans la seconde voiture, la première ramènerait Mme Rivière et Isabelle à Kampala.

« II vaut mieux la laisser aujourd'hui à la loge, conseilla le médecin. Ce soir, mademoiselle lui fera son traitement habituel. Je repasserai moi-même par là dans la soirée. Si tout va bien, comme je l'espère, elle pourra repartir pour Kampala demain matin. »

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Le jeune homme, ainsi qu'il l'avait dit, revint à la loge vers le soir. Isabelle le remercia chaleureusement.

« Je ne sais ce que j'aurais fait sans vous, lui dit-elle. J'ai voulu l'empêcher d'entreprendre ce safari...

— Oui, c'était extrêmement imprudent. Je suis heureux de m'être trouvé là.

— C'était vraiment providentiel! dit-elle. Puis-je vous demander votre nom? Vous venez de Kampala?

— Oui, je m'appelle le docteur Dima; je travaille à l'hôpital de la ville.

— Vous parlez remarquablement bien le français.— J'ai fait ma médecine à Paris, répondit-il en

souriant.— Vous connaissez le docteur Dull, à Kampala? »Le sourire s'effaça. Le jeune homme fit un geste

vague. Isabelle crut comprendre que, s'il connaissait le docteur Dull, il ne le tenait pas en grande estime.

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VII

QUAND la voiture regagna Kampala, le lendemain, Mme Caudry était chez elle. Elle s'élança aussitôt sur le perron.

« Déjà de retour! Mais que se passe-t-il donc? Ma pauvre tante...

— Mme Rivière a eu un malaise assez grave, expliqua Isabelle en aidant la malade à mettre pied à terre. Nous avons passé la nuit à la loge et sommes rentrées directement. »

Mme Caudry descendait les marches en courant.« Un malaise! Mais comment cela se peut-il? Elle

allait si bien ces jours derniers! Vous n'avezpas oublié de lui donner ses médicaments? »

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Isabelle se raidit sous l'insulte. Ce fut Mme Rivière qui répondit :

« Bien sûr que non, Solange! J'ai été parfaitement soignée. Les pistes étaient un peu trop dures pour moi, voilà tout. »

Mme Caudry n'osa pas répliquer. La première fois que l'on avait parlé du safari, Isabelle avait soulevé l'objection. Elle ne voulait pas reconnaître que la jeune infirmière avait eu raison.

« Heureusement, ajouta Mme Rivière, il y avait dans la voiture voisine un jeune médecin noir... Comment s'appelait-il, Isabelle? mes neveux le connaissent peut-être.

— Le docteur Dima; il travaille à l'hôpital.— Oh! nous ne fréquentons pas les hôpitaux! »

déclara Mme Caudry en pinçant les lèvres.Elles rentrèrent dans la maison. Sur la table du

vestibule, il y avait plusieurs lettres. Le cœur d'Isabelle battit lorsqu'elle reconnut l'écriture du professeur Duteil.

« Oh! une lettre du professeur! dit Mme Rivière. C'est pour vous, Isabelle. Je vais être jalouse! » ajouta-t-elle en souriant.

La jeune fille attendit d'avoir aidé la malade à se coucher pour rentrer dans sa propre chambre et déchirer l'enveloppe. Dès la première page, plusieurs mots étaient soulignés avec énergie.

Ma chère enfant,Vous avez très bien fait de m'écrire et je vous prie de

continuer à me tenir au courant de l'état

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de notre malade. Ne vous inquiétez pas de l'incident du Caire; comme je vous l'avais dit, ces syncopes sont sans gravité. Mais j'insiste pour que vous poursuiviez mon traitement sans aucune intervention étrangère. La digitaline n'a pu être prescrite que par un médecin ne connaissant pas la malade — et sans doute pas non plus sa maladie! Ce produit est absolument contre-indiqué dans son cas. Continuez les médicaments que je vous ai donnés; évitez surtout que Mme Rivière ne se fatigue; pour l'avion, passe encore, mais pas de longs parcours sur de mauvaises routes. J'espère que, avec ces précautions, elle pourra traverser sans encombre cette période de voyage que je juge dangereuse. Vous savez comme moi qu'il n'est pas facile de la faire obéir; heureusement, elle vous apprécie beaucoup : cela vous aidera sans doute à la maintenir dans le droit chemin!

Quoi qu'il en soit, ramenez-la-moi le plus tôt possible. Dès son retour, je voudrais essayer le EZ-45, dont je vous avais parlé. Les expériences ont été concluantes : le produit est maintenant au point et je crois que c'est exactement ce qu'il lui faut. Si je réussis, nous pourrons la considérer comme guérie.

Isabelle referma la lettre. Elle était infiniment soulagée : ainsi elle n'avait pas eu tort en s'abstenant de donner la digitaline. Maintenant elle se sentait forte : l'autorité de M. Duteil lui servait de garant.

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Elle hésita à montrer la lettre à Mme Rivière. Non pas à cause des allusions au caractère de la malade : celle-ci avait l'habitude de s'entendre reprocher son entêtement par son médecin. Mais le jugement porté par le professeur sur le docteur Dull était sévère; comment Mme Rivière réagirait-elle? Avec sa vivacité coutumière, il était probable qu'elle en parlerait aussitôt à Mme Caudry : il en résulterait des difficultés sans fin. Mieux valait attendre : tant qu'Isabelle pouvait obéir à M. Duteil sans provoquer d'esclandre, il était préférable de patienter.

Mme Rivière, comme Isabelle s'y attendait, manifesta une certaine curiosité au sujet de la lettre.

« Vous aviez écrit vous-même au professeur. Isabelle?

— Oui, madame, je lui avais promis de lui rendre compte de notre voyage.

— Vous lui avez parlé de ma syncope du Caire?

— Naturellement; il m'a totalement rassurée. Mais il insiste beaucoup sur le repos; il ignore, bien entendu, ce qui s'est passé hier.

— Le safari était sans doute une imprudence. J'aurais dû vous écouter, Isabelle. »

Un moment plus tard, elle demanda :« Vous ne voudriez pas me montrer cette

lettre? Le professeur ne vous dit rien de plus à mon sujet?»

Isabelle éluda la première question : elle avait décidé de garder la lettre pour elle.

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« II me parle de ce nouveau produit, le BZ-45...

— Je sais : il aurait voulu m'en administrer avant mon départ, mais le médicament n'était pas tout à fait au point; il attendait la fin des dernières expériences. Je sais qu'il veut m'en faire dès mon retour.

— Le produit est au point maintenant, madame. Ne croyez-vous pas que ce serait une raison de regagner Paris un peu plus tôt? Une fois guérie, vous pourrez faire tous les voyages du monde!

— Mes neveux ne me laisseront jamais partir, Isabelle. Solange me disait tout à l'heure encore qu'elle espérait me garder plusieurs mois.

— Naturellement il n'est pas question de départ avant que vous soyez tout à fait remise de ce dernier accident. Mais ensuite. »

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Mme Rivière fit une petite moue. Elle n'aimait pas avoir l'air d'obéir, même à son infirmière.

« Alors, je ne verrai pas cette lettre? » murmura-t-elle d'un air déçu.

Elle avait parlé si bas qu'Isabelle put faire semblant de ne pas l'avoir entendue. Elle n'insista pas. Mais elle paraissait contrariée.

Dans l'après-midi, alors que la jeune infirmière était dans sa chambre, Mme Caudry vint passer un moment avec sa tante. Elle avait la voix haute et perçante, de sorte qu'Isabelle, sans le chercher, entendait presque tout ce qu'elle disait. La voix de Mme Rivière, plus assourdie, restait imperceptible.

« Quoi! s'exclamait la jeune femme, ton docteur Duteil te conseille d'écourter ton séjour! Mais il n'en est pas question! Tu n'es pas malheureuse avec nous, ma petite tante? »

Isabelle n'entendit pas la réponse, mais il était facile de la deviner.

« D'abord, reprit Mme Caudry, pourquoi ne t'écrit-il pas directement, ce médecin, au lieu de correspondre secrètement avec ton infirmière? Je ne trouve pas cela correct, si tu veux le savoir... »

Un silence : c'était Mme Rivière qui parlait. Puis de nouveau la voix aiguë :

« Un nouveau médicament, dis-tu? Encore un de ces noms barbares, avec des lettres et des chiffres, pour mieux cacher les poisons qu'ils contiennent! On les connaît, ces grands médecins! Après avoir fait des expériences sur les animaux,

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ils en font sur les êtres humains. Je ne veux pas que tu serves de cobaye! »

La voix baissa d'un ton, mais poursuivit :« Ce que tu devrais faire, tante, je vais te le dire. Tu

devrais renvoyer ton infirmière. A quoi te sert-elle, en somme? Je suis bien capable de t'aider à te lever, à te coucher, de te donner tes médicaments. Tu vois qu'en cas de crise elle ne sait même pas ce qu'elle doit faire : pendant le safari, elle a été obligée d'appeler un médecin! J'en aurais fait autant, je t'assure... »

Mme Rivière devait protester, car l'autre concéda :« Admettons qu'elle soit capable... Mais peux-tu

vraiment avoir confiance? Cette façon d'écrire à ton médecin derrière ton dos... »

La conversation dévia, mais Isabelle resta songeuse. Pourquoi Mme Caudry cherchait-elle ainsi à l'évincer? N'y avait-il vraiment là qu'une jalousie d'infirmière amateur envers une professionnelle? L'intérêt pouvait entrer en jeu : quoique payée par la malade, Isabelle, évidemment, vivait aux frais des Caudry. Mais qu'était ce léger surcroît alimentaire auprès des énormes dépenses qui se faisaient dans la maison? Le personnel, les réceptions... Rien ne donnait une impression d'économie, bien au contraire...

Non, le peu que consommait Isabelle ne pouvait entrer en ligne de compte...

Les jours suivants, Mme Rivière resta quelque temps étrange, comme préoccupée. Parfois Isabelle avait l'intuition que la malade désirait lui parler, puis

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elle changeait brusquement d'avis etse renfermait dans un mutisme obstiné. Il était

évident qu'elle avait un souci; la jeune infirmière n'osait pas insister pour forcer une confidence; elle sentait pourtant que Mme Rivière eût été soulagée si elle avait pu se laisser aller.

« Peut-être m'en veut-elle, se disait Isabelle, de ne pas lui avoir fait lire la lettre du professeur... »

En d'autres circonstances, elle lui eût montré cette lettre sitôt reçue. Mais-le faire aujourd'hui, c'était renoncer à la ligne de conduite qu'elle s'était tracée, et qu'elle jugeait la seule efficace.

Physiquement, Mme Rivière s'était vite remise de l'accident du safari. Mme Caudry avait exigé que le docteur Dull vînt la voir; elle semblait avoir oublié que l'autorisation imprudente du petit médecin avait été à l'origine de cette malheureuse aventure. Dull, loin de s'attribuer la responsabilité qui lui revenait, lançait des accusations vagues :

« Si on avait pris les précautions que je demandais, rien de tout cela ne serait arrivé! »

Ce qu'étaient ces précautions, il ne le précisait pas, sans doute pour la bonne raison qu'il ne le savait pas lui-même. Mais il se félicitait du prompt rétablissement de la malade, que bien entendu il attribuait à ses soins.

Isabelle songeait parfois à la situation singulière dans laquelle elle se trouvait : soigner une malade, non pas avec mais malgré le médecin qui la prenait en charge! Elle se demandait si jamais infirmière au monde s'était trouvée devant le même problème. Elle ne regrettait rien;

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elle avait écrit au professeur Duteil pour le mettre au courant de ce qu'elle faisait; sauf contrordre de sa part, elle continuerait à agir de la sorte. Le seul risque eût été que le docteur Dull, Mme Caudry ou Mme Rivière elle-même ne soupçonnât la vérité. Mais les jours passaient, et la jeune fille se sentait de plus en plus tranquille.

Mme Rivière ne se déplaçait guère que pour descendre en ville avec sa nièce. Isabelle non plus ne sortait guère; comme elle avait besoin d'exercice, elle profitait souvent de la sieste de la malade pour marcher un peu autour de la maison. Celle-ci était située sur une colline, dans un quartier de parcs et de jardins; de loin en loin on apercevait une belle villa entre les arbres.

Isabelle eût préféré un lieu de promenade moins civilisé : la vraie campagne ougandaise, avec ses villages de huttes rondes, les champs de maïs et les bananeraies où elle aurait pu observer de près la vie du pays. Mais c'était déjà très beau, pensait-elle, de pouvoir regarder ces arbres inconnus, aux fleurs magnifiques, traversés tout le jour par de grands vols d'oiseaux.

Au cours de ces promenades, elle ne rencontrait jamais d'autres piétons : les habitants du quartier ne sortaient guère qu'en voiture. Un après-midi, cependant, elle aperçut à l'angle d'un mur un individu qui se rencoigna vivement, comme s'il cherchait à se dissimuler.

Elle hésita un instant : devait-elle poursuivre son chemin en passant devant lui, ou tourner les talons et revenir jusqu'à la grande route qu'elle venait de quitter? Puis elle se rassura : quel mal

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pouvait-on lui vouloir, à elle qui se promenait les bras ballants, sans sac, sans bijoux, sans rien qui pût tenter un voleur?

Elle reprit sa marche, mais soudain, alors qu'elle arrivait à la hauteur de l'homme, celui-ci surgit brusquement de sa cachette. A sa grande terreur, elle s'aperçut qu'il était masqué : un morceau de foulard bariolé lui enveloppait le visage; au-dessus on voyait des yeux brillants, un front noir, des cheveux légèrement crépus.

L'individu s'avança vers elle; Isabelle recula d'un pas.

« Que me voulez-vous? » balbutia-t-elle.Mais, tout en parlant, elle se rendit compte qu'il ne la

comprenait probablement pas. Peu d'indigènes parlaient le français : c'était l'anglais

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qui, avant la libération du pays, leur permettait de communiquer avec les colons britanniques.

Pensant que l'homme cherchait à voler, elle ouvrit les deux mains pour lui montrer qu'elle n'avait rien sur elle. Mais il s'avança plus près, grommelant quelques mots dans une langue inconnue, et la poussa contre le mur.

Isabelle ouvrit la bouche pour appeler au secours : peut-être pourrait-on l'entendre d'une des maisons voisines. Avant qu'elle eût le temps de proférer un son, l'assaillant, la serrant de plus près, la saisit des deux mains à la gorge. Elle sentit le souffle lui manquer. En un éclair elle vit défiler des images confuses : le visage de Mme Rivière, celui du professeur Duteil, la salle d'opération où elle avait plusieurs fois assisté celui-ci. Puis elle ne vit plus que du noir.

Quand elle rouvrit les yeux, elle était assise par terre, appuyée contre le mur; il n'y avait plus personne sur la route. Elle tâta sa gorge, où elle croyait sentir encore les mains sèches et nerveuses de son agresseur. Elle était endolorie de la tête aux pieds, mais elle respirait normalement. Ses bras, ses jambes, se mouvaient sans difficulté. Elle n'avait pas trace de blessures.

« Que m'est-il arrivé? » se demanda-t-elle.L'individu qui l'avait attaquée ne pouvait être qu'un

voleur. Sans doute l'avait-il fouillée; constatant qu'elle n'avait pas d'argent, il avait pris la fuite. C'était la seule explication plausible. Cependant, sous sa veste de toile, elle portait sa montre-bracelet; celle-ci était en or et avait une certaine valeur. Or elle était là, toujours

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jours à la même place; sur son poignet gonflé Isabelle sentait le bracelet qui lui meurtrissait la chair.

Elle se releva avec peine; elle souffrait d'un peu partout, conséquence probable de sa chute; ses genoux tremblaient si fort qu'elle craignait de les voir se dérober sous elle. Enfin, elle put faire quelques pas et reprit le chemin de la maison.

Elle se demandait ce qu'elle devait faire. Il n'était pas question de parler de l'agression à Mme Rivière, à qui toute émotion devait être évitée. Les Caudry, en revanche, devaient être mis au courant; ils jugeraient probablement nécessaire de signaler le fait à la police.

Mme Rivière reposait; sa nièce était seule dans le salon. La jeune infirmière alla la trouver et lui raconta son aventure en quelques mots.

« Je n'ai aucun mal, madame, ajouta-t-elle. Ce qui m'étonne beaucoup, c'est que cet individu ne m'ait rien dérobé, pas même ma montre, qui était pourtant visible sous la manche de ma veste. Je ne voudrais pas que Mme Rivière le sache, mais je pense qu'il est préférable de vous en parler. »

Mme Caudry parut bouleversée. Isabelle ne se doutait pas qu'une aventure lui survenant à elle pût affecter ainsi la nièce de la malade.

« Bien sûr! s'exclama-t-elle. Nous ne dirons rien à ma tante pour ne pas l'inquiéter, mais mon mari devra prendre des mesures...

— Est-ce que des agressions comme celle-là sont fréquentes dans le pays?

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— Mais non! pas du tout! C'est-à-dire... Enfin, nous parlerons de cela plus tard. Pour le moment, je vais appeler le docteur Dull afin qu'il examine votre gorge.

— C'est inutile, madame, je vous assure. Ma gorge me fera un peu mal pendant quelques jours, puis je n'y penserai plus.

— Non, non, je ne veux pas courir ce risque. J'appelle le docteur immédiatement, puis je téléphonerai à mon mari pour qu'il fasse un rapport à la police. Il est probable qu'on viendra vous interroger.

— Je suis prête à raconter ce qui s'est passé. Je voudrais seulement éviter que Mme Rivière...

— Je vous l'ai dit : nous ferons notre possible pour qu'elle ignore tout. Mais j'ai peur que ce ne soit difficile, si l'agression est en rapport avec ce que je soupçonne.

— Que soupçonnez-vous donc, madame?— Je vous le dirai lorsque ce sera confirmé. » Une

demi-heure plus tard, le docteur Dull arrivait, toujours aussi pompeux. Il examina la gorge d'Isabelle, la fit parler, tousser, prescrivit des compresses et déclara qu'il n'y avait rien de sérieux.

« Docteur, demanda Mme Caudry qui avait assisté à l'examen, est-ce que cette attaque par un Noir ne vous fait pas penser à quelque chose?

— Vous voulez dire? Oh, je crois que c'est maintenant bien fini...

— Je le croyais aussi, mais... »Ces allusions mystérieuses inquiétaient Isabelle,

mais elle n'osa pas poser de questions.

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Quand elle retourna auprès de sa malade, celle-ci, qui avait entendu un bruit de voix et reconnu celle du docteur Dull, demanda ce que le médecin venait faire à la villa.

« II s'agissait sans doute d'une visite amicale », répondit la jeune infirmière.

Mme Rivière la regarda d'un air soupçonneux. Elle avait l'impression qu'on lui cachait quelque chose.

« Vous avez fait une bonne promenade, Isabelle?— Le pays est vraiment magnifique », répondit la

jeune fille évasivement.Elle commençait à se rendre compte qu'il serait

difficile de cacher l'agression à Mme Rivière, qui s'intéressait à toutes les allées et venues de la maison.

Un peu plus tard, ce fut un officier de police qui se présenta avec M. Caudry. Il était en civil, ce qui surprit un peu la jeune fille : dans les pays neufs, les fonctionnaires du gouvernement tiennent à arborer l'uniforme de leurs fonctions! Il interrogea longuement Isabelle.

« Vous êtes sûre que c'était un Noir?— Oui, monsieur, absolument. Le masque ne

cachait que le bas de son visage. D'ailleurs j'ai vu aussi ses mains! ajouta-t-elle en portant instinctivement les mains à sa gorge.

— Vous n'avez pas remarqué les couleurs du foulard qu'il portait?

— Il était bariolé, comme ceux qu'on voit dans tous les magasins de la ville.

— Quelles étaient les couleurs dominantes?

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— Le rouge et le vert, je crois... Je n'en suis pas vraiment sûre. »

M. Caudry et sa femme échangèrent un regard. « Et il ne vous a rien pris? insista le policier. Il s'est contenté de vous serrer la gorge?

— Oui, monsieur.— J'ai l'idée que c'est bien cela, déclara M.

Caudry.— On le dirait. Il y avait plusieurs années,

pourtant... La police va redoubler sa surveillance. Quant à la jeune fille... »

Il s'éloignait; Isabelle n'entendit pas la fin.Quand ils se retrouvèrent seuls, M. et Mme Caudry

la prirent à part. M. Caudry toussota.« II faut, commença-t-il, que nous vous expliquions

quelque chose. Dans les premiers temps de la libération de l'Ouganda, il existait ici une secte de terroristes, dite « les Irréductibles », qui s'étaient donné pour mission de chasser tous les étrangers restant dans le pays. Leur procédé était toujours le même : ils commençaient par une agression comme celle dont vous avez été victime, et qui constituait un avertissement. Si la personne ainsi menacée n'en tenait pas compte, la seconde fois elle était étranglée pour de bon. »

Malgré elle, Isabelle frissonna.« Le gouvernement, poursuivit M. Caudry, a

pourchassé cette secte et pensait l'avoir complètement détruite : depuis plusieurs années on n'avait pas vu d'attentat comme celui-là. Des renseignements que j'ai obtenus par mes agents personnels m'ont fait soupçonner

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que la secte n'avait pas disparu; ce qui vient de vous arriver en est la preuve. La secte se reconstitue. Le fait est d'une extrême gravité.

— Mais pourquoi s'attaquer à moi, qui suis une touriste inoffensive?

— Les Irréductibles s'attaquent à tous les étrangers qui séjournent plus de quelques jours dans le pays. A l'exception de ceux qui y ont une fonction officielle, comme nous, par exemple.

— Et Mme Rivière? Vous pensez qu'ils pourraient venir l'attaquer jusqu'ici?

— Ma tante est une malade; d'ailleurs elle appartient à notre famille et l'immunité dont nous jouissons peut aussi s'étendre à elle. Vous, en revanche, après cette première menace, vous courez un danger certain. Je pense que nous n'avons pas le droit de le laisser ignorer à ma tante. »

Isabelle protesta :« Je pense, moi, que nous n'avons pas le droit de lui

donner cette émotion! »Mme Caudry sembla hésiter.« Il y aurait bien un moyen... Vous ne pouvez pas

rester ici sous le danger de cette menace. Mon mari n'a pas la possibilité de vous faire protéger efficacement par la police. Mais, bien entendu, si vous décidiez de changer vos projets...

— Vous voulez dire : de repartir pour la France sans Mme Rivière?

— Vous pourriez lui donner une raison : prétendre, par exemple, que vous êtes malade. Je suis sûre que

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le docteur Dull, mis au courant de la situation, ne refuserait pas de nous appuyer... Vous repartiriez ainsi sans que ma tante soupçonne la véritable raison de votre départ... »

Abandonner Mme Rivière! alors que seule la vigilance de son infirmière pouvait la préserver des prétentions d'un médecin peu sûr et de l'aveuglement de ses neveux! Il n'en était pas question!

« Alors, insista Mme Caudry, vous êtes d'accord? »Isabelle secoua la tête.« Absolument pas, madame. Je ne quitterai pas Mme

Rivière, à moins qu'elle ne me renvoie.— C'est sans doute ce qu'elle fera elle-même quand

elle sera au courant de la situation. Si vous restez, nous ne pouvons pas lui laisser ignorer à quel péril l'avertissement de cet après-midi vous expose. Réfléchissez, Isabelle; la nouvelle de cette agression peut lui donner un choc. Vous en prenez la responsabilité?

— Je la prends, madame. Je raconterai tout à Mme Rivière ce soir même. »

Mme Caudry se leva.« Je préfère lui en parler personnellement. Et je vais

le faire dès maintenant; attendez-moi ici, Isabelle. »La jeune fille resta seule avec M. Caudry. Elle se

tourna vers lui.« Vous étiez aussi partisan de mon départ, monsieur?— Le policier me l'a conseillé. C'est votre vie qui est

en jeu, ne l'oubliez pas... »

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Isabelle ne craignait qu'une chose : que Mme Caudry ne parvînt à persuader sa tante que le départ de l'infirmière s'imposait. Si Mme Rivière la renvoyait, quel recours aurait-elle? aucun. On ne reste pas auprès d'une malade contre sa volonté. Il faudrait alors tout lui avouer...

Un moment plus tard, elle pénétrait dans la chambre de Mme Rivière. Celle-ci, comme il fallait s'y attendre, était très agitée par la nouvelle que sa nièce venait de lui annoncer. Elle tendit les deux mains à Isabelle et serra convulsivement celles de la jeune fille. Elle voulait parler, mais Isabelle l'arrêta.

« Plus tard, dit-elle, dans un moment. Je vais vous donner un sédatif; nous parlerons quand vous serez calmée. »

La malade acquiesça. Une dizaine de minutes plus tard, elle se souleva dans son fauteuil et prit la parole :

« C'est vrai, Isabelle, tout ce que vient de me raconter ma nièce? »

Isabelle inclina la tête.« Mais ne vous inquiétez pas, madame, je n'ai rien.

Je reconnais que j'ai eu peur — ce qui est très mal de la part d'une infirmière! » acheva-t-elle en faisant la moue.

Elle voulait essayer de prendre l'affaire sur le ton de la plaisanterie. Mais Mme Rivière ne l'entendait pas ainsi.

« Ce n'est pas l'agression d'aujourd'hui qui m'inquiète: ce sont celles dont vous êtes menacée. Mon neveu, de par ses fonctions, est au courant

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de beaucoup de choses. Ma nièce a raison : il faut que vous repartiez. »

Isabelle se pencha gentiment vers elle.« Avez-vous envie de repartir, vous, madame?— Il ne s'agit pas de moi; je ne suis pas encore assez

bien pour refaire ce long voyage. Mais ma nièce peut s'occuper de moi jusqu'à ce que je sois capable de me mettre en route à mon tour.

— Je ne partirai pas sans vous, madame, déclara la jeune fille. A moins que vous ne soyez mécontente de moi et que vous ne me chassiez. Est-ce là ce que vous avez décidé? »

Mme Rivière la regarda avec affection et lui prit la main.

« Je ne vous chasserai jamais, Isabelle. Sans vous, je vous le dis franchement, je serais très malheureuse. Mais je pense à vous, à votre sécurité... Solange affirme que c'est grave...

— Je vous promets de ne plus sortir seule, madame; je n'ai aucune envie de finir étranglée, croyez-moi... » ajouta-t-elle en souriant.

Mme Rivière semblait très émue. « Peut-être... ainsi..., murmura-t-elle.

— Alors... vous me gardez?— Ma petite Isabelle! »Elle attira la jeune fille vers elle et l'embrassa sur le

front. Elle ne semblait plus lui en vouloir de ne pas lui avoir montré la lettre.

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VIII

ISABELLE avait toujours eu un excellent sommeil. Naguère, à l'hôpital-école, elle se désolait d'être obligée d'utiliser un réveil. « Je n'ai pas un sommeil d'infirmière! » disait-elle. La directrice des études la rassurait : s'il est commode de pouvoir s'éveiller de soi-même au moment voulu, en revanche le fait de bien dormir est une garantie d'équilibre, et pour une infirmière aucune qualité ne vaut celle-là!

A Kampala, Isabelle couchait dans une chambre voisine de celle de sa malade, au rez-de-chaussée de la maison.

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Elle avait fait mettre une sonnette à portée de la main de Mme Rivière; depuis le safari, elle laissait toujours la porte entrouverte, afin d'être prête à répondre au moindre appel.

Après l'agression, dormant moins paisiblement, elle décida de fermer la porte de communication pour que Mme Rivière ne risquât pas de l'entendre bouger. Mais de ce fait elle était moins tranquille et s'éveillait toujours plusieurs fois dans la nuit, prêtant l'oreille aux bruits qui venaient de chez la malade.

Un matin, en entrant dans la chambre de Mme Rivière, elle remarqua un détail qui la surprit. Le verre qu'elle posait tous les soirs sur la table de chevet — celui qui était censé contenir les gouttes du docteur Dull — était encore plein.

« Vous n'avez pas pris votre médicament? » interrogea-t-elle étonnée.

Mme Rivière parut se troubler.« Si... oh! si... balbutia-t-elle.— Mais le verre est plein; comment cela se fait-il?— Je... J'ai pris mes gouttes avant de m'endormir,

comme toujours. Mais plus tard j'ai eu soif, je me suis versé de l'eau minérale.

— Et vous ne l'avez pas bue?— Non... ma soif est passée... je me suis

rendormie... »Isabelle regarda la bouteille d'eau; celle-ci n'était pas

entamée.Mme Rivière n'avait donc pas vidé son verre... Cela

n'avait pas d'importance, puisque le verre,

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en fait, ne contenait que de l'eau pure; c'était pour cette raison qu'Isabelle le laissait simplement sur la table de la malade, au lieu de le lui donner elle-même, comme elle le faisait pour les autres médicaments. Mais pourquoi Mme Rivière avait-elle fait cela? Avait-elle simplement oublié la digitaline? ou se méfiait-elle des prescriptions du docteur Dull, elle aussi? D'où lui venait tout à coup cette méfiance?

Isabelle se promit de l'observer de plus près. Mais le lendemain, elle trouva le verre vide comme de coutume.

Les jours suivants, la jeune infirmière trouva que sa malade reprenait des forces. Elle-même se remettait du choc provoqué par son agression. Elle dormait tranquillement quand, une nuit, elle s'éveilla tout à coup en sursaut. Elle s'assit dans son lit et écouta : aucun doute, on bougeait chez me Rivière.

Si la malade ne se sentait pas bien pourquoi ne l'avait-elle pas appelée? Isabelle sauta à bas de son lit, enfila son peignoir, des pantoufles, et se précipita dans la chambre voisine.

A l'instant où elle ouvrait la porte, elle vit distinctement une silhouette masculine enjamber l'appui de la fenêtre et bondir dans le jardin. La main de l'homme se posa sur la barre de bois; au moment où il se retournait pour sauter, Isabelle eut vaguement l'impression que le visage ne lui était pas inconnu. Où pouvait-elle l'avoir déjà vu? Elle n'en savait rien.

Elle referma vivement la croisée, et, à la lueur de la veilleuse, examina Mme Rivière. Celle-ci

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ne bougeait pas; son souffle avait le rythme calme et régulier du sommeil.

Etait-il possible qu'elle n'eût rien entendu? Cela paraissait incroyable...

Isabelle regagna lentement sa chambre. Dans quelle intention avait-on pu chercher à s'introduire chez la malade? L'explication la plus vraisemblable eût été le vol. Cependant l'individu ne semblait avoir rien pris : la montre de Mme Rivière, son bracelet, son collier de perles, se trouvaient à côté d'elle sur la table de chevet... Il fallait attendre le lendemain pour avoir une certitude, mais jusqu'à présent le vol ne semblait pas avoir été le mobile de l'intrus.

Pouvait-il s'agir d'un de ces Irréductibles dont la jeune fille, quelques jours plus tôt, avait appris l'existence à ses dépens? ces fanatiques qui voulaient purger leur

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pays de toute présence européenne? Mais les Irréductibles étaient des Noirs, et le visage aperçu, la main qu'Isabelle avait vue sur l'appui de la fenêtre étaient, sans doute possible, ceux d'un Blanc. Pouvait-on imaginer que les Irréductibles utilisent parfois des Blancs pour leurs expéditions meurtrières?

S'il s'agissait des terroristes, les Caudry affirmaient que Mme Rivière ne courait aucun risque. Ce n'était pas à la malade qu'on en voulait, mais h elle, Isabelle — elle que ne protégeait aucune parenté officielle, elle qu'on pouvait sans hésitation faire partir — ou supprimer.

Elle connaissait le procédé des hommes de celle secte: intimidation d'abord, puis exécution de la menace. La seconde fois ils ne manquaient pas leur victime. Pas d'armes à feu, pas de bruit : deux mains qui serrent, l'air qui manque... Isabelle se rappelait l'horrible sensation déjà éprouvée. Et cette fois elle ne reviendrait pas à elle; ce serait fini pour toujours...

Un frisson lui courut le long du dos. Elle n'était pas peureuse; son métier lui avait enseigné à regarder la réalité sans faiblir. Elle se maîtrisa et chercha à examiner les événements de sang-froid. On cherchait à la faire partir, c'était évident. Mme Caudry d'abord, pour pouvoir s'occuper elle-même de sa tante... Mais cela, ce n'était pas grave, une simple question de vanité. Les Irréductibles, c'était autre chose. Isabelle commençait à se rendre compte que M. Caudry avait eu raison de lui dire que sa vie était en danger. Ils ne reculaient devant rien s'ils pourchassaient leur victime jusque chez elle.

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Alors... partir? Mais cela, Isabelle ne le voulait à aucun prix. Si vraiment les terroristes ne représentaient pas une menace pour la malade, le traitement du docteur Dull, par contre, en représentait une. Isabelle partie, le médecin imposerait ses médicaments, que Mme Caudry administrerait aveuglément en croyant bien faire. Dans ces conditions, même si Isabelle n'avait éprouvé aucune affection pour Mme Rivière — ce qui n'était pas le cas — elle ne l'aurait pas abandonnée.

Elle ne parvint pas à se rendormir. Le matin, en entrant dans la chambre de la malade, elle trouva celle-ci bien éveillée, plus dispose même que de coutume. Elle lui posa la question :

« Vous n'avez rien entendu de particulier, cette nuit, madame? »

Mme Rivière parut surprise.« Absolument rien. Vous avez entendu quelque

chose, vous, Isabelle?— Il m'a semblé... J'ai pu me tromper, naturellement

», ajouta-t-elle très vite.Elle ne voulait pas parler de l'individu qu'elle avait

vu s'enfuir par la fenêtre. Si Mme Rivière ne s'était aperçue de rien, mieux valait ne pas l'effrayer.

« Vous avez dû avoir un cauchemar, insista la malade. Rien d'étonnant à cela, ma pauvre petite, après ce qui vous est arrivé! Je vous conseille, pendant quelque temps au moins, de prendre un calmant pour mieux dormir. »

Isabelle réfléchissait.« Je me demande, murmura-t-elle, si je ne

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devrais pas malgré tout signaler à M. ou Mme Caudry ce que j'ai cru entendre.

— Ne le faites pas! dit vivement Mme Rivière. Vous connaissez ma nièce : elle a tendance à tout exagérer. Si vous lui faites peur, elle alertera toute la police de la ville! On ne dérange pas la police pour ce qui n'était sans doute qu'un cauchemar. »

Isabelle se tut. Pouvait-elle, en toute conscience, laisser ignorer à M. et Mme Caudry qu'on s'était introduit pendant la nuit dans la maison? Il eût été plus prudent de les avertir, au risque de mécontenter la malade. Isabelle pouvait s'adresser directement à M. Caudry...

Mais, si elle le faisait, que se passerait-il? Le pauvre homme était bien incapable de cacher quoi que ce fût à sa femme; elle, de son côté, s'empresserait d'en parler à Mme Rivière, sans souci du danger que les émotions représentent toujours pour un cardiaque. Elle appellerait la police : on penserait qu'il s'agissait d'une nouvelle tentative des Irréductibles dirigée contre Isabelle. Cette fois, la police même pouvait obliger la jeune fille à quitter le pays.

Peut-être, en interrogeant Egid — le valet qui parlait français — parviendrait-elle à faire un peu de lumière sur ce mystère. Egid habitait dans le parc même, avec le cuisinier; le bâtiment où il logeait ouvrait du côté de la grille, mais la fenêtre de sa chambre donnait presque en face de celle de Mme Rivière. Isabelle résolut de lui parler.

L'après-midi, Mme Caudry proposa à sa tante d'aller prendre le thé en ville. Mme Rivière, aus-

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sitôt, proposa à Isabelle de les accompagner. La jeune femme observa :

« Tu n'as pas besoin de ton infirmière pour prendre une tasse de thé! Il ne faut pas exagérer; tu finis par te comporter comme une véritable impotente! »

Isabelle se mit à rire et reconnut que Mme Caudry avait raison. La malade, elle, semblait contrariée. Elle profita d'un moment où elle se trouvait seule avec la jeune fille pour lui dire gentiment :

« J'aurais bien voulu vous emmener, Isabelle. Ma nièce préfère être seule avec moi; il ne faut pas lui en vouloir : il y avait si longtemps que nous ne nous étions vues! Mais maintenant que vous ne pouvez plus profiter de nos absences pour vous promener, j'ai peur que la journée ne vous semble bien longue.

— Ne craignez rien, madame : comment pourrait-on s'ennuyer dans ce beau jardin?

— Vous êtes gentille, Isabelle... »Aussitôt que la voiture eut emporté Mme Caudry et

sa tante, la jeune fille alla s'asseoir dans le salon et sonna. Un instant plus tard, le bon sourire d'Egid apparaissait à la porte.

« Vous désirez, mademoiselle Isabelle? Une limonade, un jus d'ananas?

— Non, merci, Egid, je n'ai pas soif.— Vous ne demandez jamais rien! Ça me

ferait plaisir de vous servir quelque chose.— Je n'ai pas envie de boire, mais je voudrais vous

poser une question. La nuit dernière, à votre connaissance, personne n'est entré dans le parc?

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— Dans le parc? oh, non, mademoiselle Isabelle, personne, absolument personne! J'en suis sûr, tout à fait sûr... »

Elle eut l'impression qu'il insistait trop. Savait-il quelque chose? Elle poursuivit :

« Je veux vous demander aussi... Vous savez que j'ai été attaquée par ces bandits qu'on appelle les Irréductibles. Est-ce que vous les connaissez? »

II sursauta.« Moi? Les Irréductibles? Bien sûr que non! Je ne

fréquente pas ces gens-là, moi!— Je le sais bien, dit-elle en souriant, mais vous

auriez pu entendre parler d'eux.— Pas depuis longtemps, mademoiselle

Isabelle. »Il semblait ennuyé. Bien qu'il n'eût rien à voir avec

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les terroristes, il pouvait répugner à accuser des frères de race. Isabelle, pourtant, voulait en apprendre davantage.

« Je me demande, dit-elle, si dans leurs crimes ils sont quelquefois aidés par des Européens. »

Egid se mit à rire.« Des Européens? Oh! non, c'est tout à fait

impossible. Les Européens sont leurs plus grands ennemis.

— C'est vrai », reconnut Isabelle.Le mystère demeurait entier. Mais, plus elle y

songeait, plus l'idée de rapporter à M. et Mme Caudry les événements de la nuit lui paraissait intolérable. Après tout, il ne s'agissait peut-être que d'une tentative isolée, qui n'aurait pas de lendemain. D'ailleurs, à dater de ce jour, Isabelle fermerait chaque soir la fenêtre de Mme Rivière. Elle avait remarqué cette fenêtre, qui était d'un modèle assez particulier, à petits carreaux; un homme ne pouvait pas y passer; même en brisant une vitre pour passer le bras, il était impossible d'atteindre la crémone. .

Cette pensée la tranquillisa. Egid insista pour lui apporter une citronnade, qu'elle but avec plaisir. Ensuite elle retourna dans la chambre de la malade. Il y avait un peu de désordre et elle voulait profiter de l'absence de Mme Rivière pour faire quelques rangements.

Elle plia avec soin le linge qui traînait et l'accrocha dans la salle de bain, puis, voyant des papiers sur la table, elle voulut les remettre dans le buvard. Parmi eux se trouvait la photo qu'elle avait déjà vue et qu'elle pensait être celle du neveu de la malade.

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Cette fois, en la retournant, elle vit qu'un nom était inscrit au dos : Jérôme Rivière. Suivait une date remontant à une dizaine d'années — sans doute avant les événements qui avaient séparé l'adolescent de sa famille.

Isabelle s'approcha de la fenêtre pour mieux voir la photographie. Et tout à coup ce fut comme un trait de lumière : des images récentes, jusque-là sans rapport les unes avec les autres, se rejoignaient soudain. Le visiteur nocturne, d'abord, puis, plus lointain mais plus précis, le voyageur qui l'avait aidée à loger Mme Rivière au Caire. Le visage de ce dernier, depuis lors presque oublié, resurgissait avec une hallucinante réalité. Il y avait des différences, certes : l'un était presque un enfant, l'autre un homme fait. Mais elle avait la certitude que c'était le même.

Elle n'arrivait pas à détacher les yeux de ce visage. L'adolescent était mince et brun, avec (1rs yeux vils, un sourire joyeux. L'autre, le voyageur, portait de grosses lunettes noires : d'ailleurs elle l'avait peu regardé : elle était trop angoissée ce soir-là pour penser à autre chose qu'à sa malade. Mais c'était lui, c'était bien lui! Il avait apparu tout à coup alors que Mme Rivière était sans connaissance; il s'était caché ensuite, afin de ne pas être reconnu.

Aussitôt, une autre question se posa, angoissante. Quelle raison pouvait avoir Jérôme Rivière de les suivre pendant leur voyage? quelle raison de s'introduire chez sa tante au milieu de la nuit?

Isabelle se rappelait ce que lui avait dit M. Caudry :

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le garçon dévoyé, rompant tout lien avec les siens, son oncle mourant sans l'avoir revu. « Un chenapan », c'était le mot qu'avait employé M. Caudry...

Il lui avait dit aussi autre chose — une chose à laquelle sur le moment elle n'avait pas attaché beaucoup d'importance. La fortune de Mme Rivière lui venait de son mari, et malgré les torts de Jérôme, elle jugeait de son devoir de faire du jeune Rivière son héritier. Isabelle n'avait vu là qu'un aspect de la question : la preuve du désintéressement des Caudry, puisqu'ils n'avaient rien à attendre de leur tante. Mais Jérôme, lui, savait peut-être que l'héritage devait lui revenir un jour.

Etait-il capable de songer à en profiter avant l'heure? de chercher à hâter la fin de sa tante pour entrer en possession de sa fortune?

L'individu qui était entré dans la chambre n'avait rien dérobé, mais il avait pu au contraire donner quelque chose à la malade. Il est facile de mêler à des médicaments un de ces poisons lents que les médecins eux-mêmes ne décèlent pas toujours. L'homme n'en était peut-être pas à sa première visite. Quelques jours plus tôt, Mme Rivière n'avait pas vidé son verre; était-ce parce que le goût lui avait paru suspect? Depuis lors elle le prenait sans appréhension. Et elle ne semblait pas aller plus mal — au contraire...

A l'escale du Caire, l'inconnu les avait aidées... Mais, s'il avait des intentions criminelles, il pouvait difficilement les mettre à exécution dans la chambre d'hôtel que Mme Rivière partageait avec

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Isabelle. Si c'était Jérôme, il avait besoin que sa tante arrivât au but de son voyage, que tout parût normal afin d'éviter les soupçons.

Jérôme Rivière... Isabelle répéta le nom à mi-voix, puis reprit la photo, cherchant à déchiffrer le secret de ce visage. Les yeux paraissaient si francs, le sourire si clair... Suffisait-il de quelques années pour transformer un tel enfant en criminel?

Pourtant, après tout, la jeune fille n'avait que des présomptions : peut-être ne s'agissait-il pas de Jérôme...

La tête d'Isabelle tournait; elle fit un effort pour se ressaisir. Une seule chose était sûre : cet homme ne s'introduirait plus dans la maison!

Le soir, après avoir aidé la malade à se coucher, elle se dirigea vers la fenêtre pour la fermer. Mme Rivière protesta :

« Que faites-vous, Isabelle? Vous n'ouvrez pas? Vous savez que j'ai besoin d'air pour dormir!

— Il y a un peu de brise; je vais ouvrir le vasistas de la salle de bain, pour que l'air ne tombe pas directement sur votre lit.

— Mais je vais étouffer! Que ferai-je si j'ai trop chaud? Cette espagnolette est si dure que je n'arrive pas à l'ouvrir moi-même.

— Vous sonnerez, madame, et je viendrai immédiatement. Je suis sûre que vous n'aurez pas trop chaud.

— Isabelle, je ne pourrai pas dormir si cette fenêtre n'est pas ouverte! »

Elle commençait à s'agiter. Le pire, c'est qu'elle avait raison : il n'existait aucun motif valable de

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fermer la fenêtre — sauf celui dont Isabelle ne pouvait pas parler. La jeune infirmière se décida enfin à lui donner un somnifère et ne la quitta que lorsqu'elle la vit endormie.

Elle laissa entrouverte la porte qui séparait les deux chambres. Une heure plus tard, elle entendit gratter au carreau. Elle prêta l'oreille; on gratta de nouveau, puis on frappa doucement du doigt contre la vitre.

« II est revenu! » pensa-t-elle.Un moment plus tard, elle entendit des pas s'éloigner.

Le visiteur s'était lassé. Mais Isabelle, brisée par l'émotion, ne put s'endormir avant l'aube.

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IX

ISABELLE, assise en face de Mme Rivière dans le salon, regardait sa malade avec inquiétude. Depuis plusieurs jours, celle-ci allait nettement moins bien. Elle n'avait pas eu de syncope, mais par moments elle portait la main à sa poitrine et disait qu'elle respirait mal. L'agitation qu'elle avait montrée quelque temps avant le safari, et qui semblait avoir disparu, lui revenait de temps à autre. Alors elle appelait Isabelle; on eût dit qu'elle désirait lui parler, mais elle se ravisait toujours et ne disait rien.

Mme Caudry constatait aussi l'état de sa tante.

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« Je vais appeler le docteur Dull », avait-elle annoncé ce jour-là.

Comme toujours, Isabelle tremblait à la pensée de ce que le médecin imaginerait de prescrire. Mais elle avait un autre sujet d'anxiété : l'individu qu'elle avait surpris dans la chambre de Mme Rivière. Il y avait là, outre un danger certain, trop de choses qu'elle ne s'expliquait pas. Le premier soir où il avait trouvé la fenêtre fermée, il avait gratté, puis frappé au carreau. Il espérait donc qu'on lui ouvrirait? Qui donc? Un des domestiques? Les domestiques ne couchaient pas dans la maison. Alors? Mme Rivière? ou Isabelle elle-même?

Si c'était Jérôme, il ne redoutait donc pas de se trouver en face de sa tante? Mais était-ce Jérôme? Elle en revenait toujours là. Elle avait été frappée par une ressemblance — mais les ressemblances fortuites ne sont pas exceptionnelles. L'escale forcée du Caire, le safari, l'agression dont elle avait été victime — tout cela ne la rendait-il pas un peu trop encline à se laisser emporter par son imagination?

Cependant, quoique l'inconnu ne tentât plus de pénétrer dans la chambre, il continuait à rôder autour de la maison. Mme Rivière l'avait-elle entendu? était-ce là l'explication de l'ombre qui semblait planer sur elle?

« Il vaudrait mieux que je lui parle... pensait la jeune infirmière. Mais je veux d'abord être sûre qu'il s'agit bien de son neveu... »

Pour cela, elle n'avait qu'un moyen : s'en assurer par elle-même. Quand elle entendrait le visiteur marcher

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dans le parc, elle sortirait par la petite porte qui se trouvait au bout du couloir. Elle irait au-devant de lui, l'appellerait par son nom. Se voyant découvert, il prendrait peut-être la fuite; sinon, elle lui parlerait...

Sa résolution prise, elle se sentit plus tranquille. Elle avait besoin de tout son calme : vers la fin de l'après-midi, le docteur Dull vint voir la malade. Comme d'habitude, il l'ausculta, hocha la tête, puis se dirigea vers le secrétaire. Mme Caudry, empressée, lui tendit une feuille de papier et un buvard.

Isabelle frémit : que ferait-elle s'il prescrivait un traitement qu'elle ne puisse contrôler?

Le petit homme toussota.« Eh bien, voyons, voyons... dit-il en fronçant les

sourcils. Il est évident que l'état n'est pas très satisfaisant... Nous aurions pu espérer mieux.

— C'est pour cela que je vous ai fait venir, docteur, susurra Mme Caudry. Vous allez sans doute modifier le traitement. »

Isabelle trembla plus fort. Le docteur Dull parut se recueillir.

« On pourrait faire... oh! bien des choses, évidemment... Mais, étant donné la situation, il ne faut pas courir de risques. Pour le moment, nous allons simplement renforcer la dose de digitaline...

— Vous m'aviez dit, objecta Mme Rivière, que cette dose était déjà très forte.

— Oui, mais voyez comme elle vous a bien réussi au début!

— Le docteur a raison, tante, intervint

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Mme Caudry. Fais ce qu'il te dira; je suis sûre que tu auras bientôt repris tes forces. »

Mme Rivière n'insista pas. Isabelle poussa un soupir de soulagement : elle jetterait dans le lavabo vingt gouttes au lieu de dix, voilà tout. Quand Dull fut parti, elle songea que cela ne résolvait pas le problème : que faire si l'état de la malade ne s'améliorait pas?

La soirée s'avançait, et avec elle l'heure où la jeune infirmière voulait exécuter son projet. Quoique courageuse, elle se sentait un peu émue à la pensée de ce qu'elle allait risquer là. Elle fit la toilette de la malade comme de coutume, puis se retira dans sa chambre et attendit, l'oreille au guet. Un moment plus tard, elle entendit des pas qui se rapprochaient de la maison. Elle se dirigea doucement vers la petite porte et sortit.

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L'homme était là, debout devant la fenêtre.Elle ne voulait pas l'aborder trop brusquement, de

peur qu'il s'échappât ou poussât un cri qui eût alerté toute la maisonnée. Elle s'avança vers lui sur la pointe des pieds; au crissement du sable il se retourna.

« Monsieur Rivière... » murmura-t-elle.Il eut un haut-le-corps, puis s'immobilisa, le corps

tendu, sur la défensive. Tout à coup il la reconnut :« Mademoiselle Isabelle... c'est bien vous?— C'est moi. Il faut que je vous parle. »Depuis qu'elle avait entendu sa voix — la voix de

l'inconnu du Caire — elle n'avait plus peur. Sans répondre, il l'entraîna doucement vers un auvent qui flanquait le logement des domestiques.

« Moi aussi, j'ai besoin de vous parler, dit-il gravement.

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— Mais on va nous entendre..., balbutia-t-elle en désignant le bâtiment voisin.

— Qui donc? Egid? Egid sait que je suis ici. C'est lui qui m'a ouvert la grille. »

Tout semblait de plus en plus mystérieux : Egid, l'homme de confiance, introduire un étranger dans le parc en cachette de ses maîtres!

Jérôme la fit asseoir en face de lui, sur une des caisses que l'on rangeait à l'abri de l'auvent. Aussitôt, ce fut elle qui attaqua :

« Vous êtes le neveu de Mme Rivière, n'est-ce pas? »II inclina la tête.« En ce cas, je tiens à vous dire ceci : tant que je

serai auprès d'elle, je la défendrai contre tous — même contre vous!

— Contre moi? » répéta-t-il comme s'il ne comprenait pas. Puis tout à coup son visage s'éclaira :

« Ainsi vous avez cru que je voulais du mal à ma tante?

— Si ce n'est pas le cas, répliqua-t-elle, pouvez-vous me dire ce que vous faites ici, en pleine nuit? »

Au lieu de répondre, il passa la main sur son front.« Vous avez raison... murmura-t-il. A votre place,

j'aurais pensé comme vous... »C'était étrange : cette entrevue qu'Isabelle avait

imaginée comme un affrontement semblait déjà, après quelques mots, se transformer en conversation amicale. Jamais, depuis son arrivée en

Ouganda, elle n'avait éprouvé pareille impression de

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détente. Quand Jérôme avançait la tête pour lui parler, la lumière de la lune éclairait son visage en face. A peu de chose près, c'était encore le visage de l'adolescent de la photographie.

« C'est une longue histoire, murmura-t-il. Etes-vous prête à l'entendre?

— Certainement.— Vous avez sans doute entendu parler de moi.

Je doute qu'on vous en ait dit beaucoup de bien. »Elle ne protesta pas.« J'ai entendu parler de vous par M. Caudry, fit-elle

simplement.— Tout ce qu'il vous a dit est probablement vrai.

Orphelin, j'ai été élevé en partie par mon oncle et ma tante. Grâce à eux, j'ai pu faire de bonnes études. Mais, vers dix-sept ans, le hasard m'a rapproché de quelques garçons plus âgés que moi, qui m'ont poussé à la révolte. Sous leur influence, j'ai beaucoup changé : je ne travaillais plus; je réclamais sans cesse de l'argent à mon oncle. Au début il m'en a donné, puis il a compris qu'il faisait fausse route. Nous avons eu des scènes terribles; j'ai fini par quitter la maison en insultant mon oncle et ma tante; je voulais leur prouver que j'étais capable de me débrouiller sans eux.

— Et vous l'avez prouvé? questionna-t-elle.— J'ai végété pendant plusieurs mois — assez pour

comprendre et me repentir. J'ai rompu avec les camarades qui m'avaient entraîné dans leur sillage; l'un d'eux, plus tard, a été arrêté pour

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escroquerie. Vous voyez que je vous dis tout...— Continuez, supplia Isabelle.— A ce moment-là, j'ai reconnu mes torts

envers mon oncle et ma tante, que j'aimais comme de véritables parents. Mais j'étais trop fier — trop orgueilleux, plutôt — pour chercher à me rapprocher d'eux avant d'être redevenu digne de leur estime. J'ai repris mes études et abordé la médecine tout en gagnant ma vie au moyen de quelques traductions techniques. Grâce à eux encore, puisque c'étaient eux qui m'avaient fait apprendre plusieurs langues...

— Vous êtes donc médecin? » interrompit Isabelle surprise.

Il fit signe que oui.« Quand j'ai appris la mort de mon oncle, poursuivit-

il, j'ai éprouvé un véritable désespoir. Il est mort accidentellement, vous le savez peut-être. Pour moi, il était mort sans me revoir, sans me pardonner...

— A ce moment, vous n'avez pas tenté de vous rapprocher de votre tante?

— J'ai craint qu'il ne lui soit trop douloureux de me voir revenir aussitôt après la mort de celui envers qui je me sentais si coupable. Mais à partir de ce jour, je n'ai plus vécu que pour elle. J'ai travaillé comme un forcené; je voulais pouvoir lui dire : « J'ai fait cet effort en mémoire « de lui. » Je ne sais si vous me comprenez.

— Je vous comprends parfaitement, dit Isabelle.— A cette époque, ma tante n'était pas malade; moi,

qui désirais me spécialiser en cardiologie, je travaillais avec le professeur Duteil...

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— Vous connaissez M. Duteil! s'exclama la jeune infirmière.

— C'est mon maître, en même temps que mon plus grand ami. Je lui avais raconté mon histoire : il m'encourageait. C'est lui qui, un jour, m'a appris qu'il avait été appelé au chevet de ma tante. Elle a été plusieurs semaines en danger, mais après la crise aiguë, il est resté optimiste pour l'avenir. Par lui, je suivais de jour en jour l'évolution de la maladie. Il m'a conseillé de ne pas chercher à revoir ma tante avant qu'elle soit moins fragile. Il me parlait sans cesse du BZ-45, sur lequel il fondait de grands espoirs...

— Je sais, dit Isabelle.— Quand elle lui a annoncé qu'elle voulait partir

pour l'Ouganda, il a considéré cela comme une folie. Mais vous connaissez ma tante : elle avait décidé d'aller voir ses neveux, elle irait contre vents et marées. Alors tout à coup j'ai eu une idée. J'avais un camarade ougandais, le docteur Dima, qui depuis son retour dans son pays m'invitait sans cesse à venir le voir. Je lui ai écrit que je viendrais passer mes vacances chez lui. J'ai pris le même avion que vous, afin d'intervenir si ma tante avait un accident en route — ce qui, malheureusement, s'est produit...

— ... mais, grâce à vous, n'a pas eu de suites graves, acheva la jeune fille. Je comprends maintenant pourquoi vous avez disparu aussi vite.

— Je ne voulais pas que ma tante risquât de me reconnaître : le choc aurait été trop grand.

Ici, je me suis installé chez Dirna et nie suis fait tenir

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au courant de l'état de la malade. Ce n'était pas difficile : le cuisinier de Dima est le propre frère d'Egid; celui-ci a été soigné par Dima à l'hôpital pour un paludisme grave; il se jetterait au feu pour lui. Un jour, j'ai appris que ma tante avait l'intention de faire un safari, avec l'autorisation de cet âne bâté en qui les Caudry semblent avoir toute confiance...

— Le docteur Dull! s'exclama Isabelle.— Docteur, il ne l'est même pas. Autrefois, dans

ce pays, il suffisait de s'intituler médecin pour pouvoir exercer; c'est probablement ce qu'il a fait. Ce safari m'apparaissait dangereux — mais que pouvais-je faire pour l'empêcher? absolument rien! J'ai demandé alors à Dima de s'arranger pour prendre place dans une des voitures qui devaient rejoindre les vôtres à la loge; il emportait tout ce qu'il fallait pour pratiquer une intraveineuse en cas de syncope avec étouffement. Sans lui, je ne crois pas que tante Irène aurait résisté à cette crise.

— J'ai eu très peur, murmura Isabelle.— Ce jour-là, vous avez dit à Dima que le

docteur Dull avait prescrit de la digitaline. Or je savais que la digitaline était contre-indiquée.

— Pourquoi pensez-vous qu'il l'a prescrite? Par simple ignorance?

— Probablement. Il savait qu'on donne souvent de la digitaline aux cardiaques et l'a ordonnée sans chercher plus loin. Vous avez dit à Dima que, jusque-là, vous n'aviez pas donné cette digitaline, ce qui m'a un peu rassuré. Mais en

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apprenant, après le safari, que ma tante était plus souffrante, j'ai craint que vous ne vous laissiez influencer par les Caudry et ne suiviez les directives de Dull. J'ai songé à m'adresser à vous, mais vous ne me connaissiez pas, on avait dû vous dire beaucoup de mal de moi; pourquoi auriez-vous eu confiance? J'ai résolu alors de jouer le tout pour le tout et de me faire connaître à ma tante.

— En demandant à Egid de vous introduire chez elle pendant la nuit? Vous ne redoutiez donc pas l'émotion que devait forcément provoquer cette intrusion nocturne?

— Je lui ai d'abord fait tenir par Egid une lettre où je lui parlais de mon affection et de mes remords; je lui disais que je travaillais avec le professeur Duteil et que, à propos de sa santé, j'avais besoin de la voir seule. Elle m'attendait;

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quand je suis entrée, elle m'a ouvert les bras.— Elle a dû être bien heureuse... murmura la jeune

fille. Vous lui avez sans doute proposé de la soigner?— J'ai commencé par supprimer la digitaline; elle

était persuadée, elle, qu'elle en prenait. Pour plus de sûreté, j'ai moi-même vidé par la fenêtre le verre que vous lui laissiez chaque soir. »

Isabelle sourit.« Un jour, vous avez oublié; j'ai trouvé le verre plein

et m'en suis étonnée. Mais Mme Rivière ne risquait rien : le verre ne contenait que de l'eau pure.

— Duteil, poursuivit Jérôme, espérait bien que ma tante n'aurait pas de crise grave pendant son voyage. Il m'avait dit, si cela se produisait, de lui faire une douzaine de piqûres d'un produit dont il m'avait remis une boîte. C'est ce que j'ai fait, et j'ai eu la joie de voir son état s'améliorer peu à peu, jusqu'au jour...

— Jusqu'au jour où j'ai fermé la fenêtre, acheva Isabelle, et interrompu le traitement sans le savoir. Mais pourquoi Mme Rivière ne m'a-t-elle pas tout dit?

— Elle avait peur que vous n'osiez pas vous fier à moi, que, croyant bien faire, vous ne préveniez sa nièce. Maintenant que nous voici en présence, je vous pose franchement la question : voulez-vous m'aider à la soigner? »

Isabelle hésita un instant : elle se rappelait ce qu'elle avait entendu dire du jeune homme; une demi-heure plus tôt, elle était prête à le regarder comme un criminel. Savait-elle seulement s'il disait la vérité? Et puis elle se rappela le mieux très net qui avait suivi les premières piqûres faites par lui à

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Mme Rivière, la rechute qui semblait se produire depuis que ces piqûres avaient cessé. Elle lui tendit la main.

« Vous pouvez compter sur moi », lui dit-elle.Il insista :« Vous devez savoir à quoi vous vous engagez. Nous

courons un risque : si les Caudry découvrent mon intervention, ils peuvent me faire appréhender par la police ougandaise, vous faire arrêter comme complice. La situation de Norbert Caudry lui donne une certaine influence, ne l'oubliez pas.

— Je suis prête à courir le risque », dit gravement Isabelle.

Un moment plus tard, reprenant le chemin par lequel la jeune fille était sortie, ils entraient ensemble dans la chambre de Mme Rivière.

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X VOYANT que sa tante allait mieux, Mme Caudry

recommença à tenter de la persuader qu'elle n'avait plus besoin d'infirmière. C'étaient toujours les mêmes arguments :

« A quoi te sert-elle? à te donner tes médicaments? Tu crois vraiment que je ne serais pas capable de le faire? Tu me prends pour une sotte, ma petite tante!

— Voyons, Solange. De toute façon, j'aurai besoin d'elle pour repartir; je ne peux pas faire seule ce grand voyage.

— Cela, nous avons le temps d'y penser : tu

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m'as promis de rester avec nous plusieurs mois. Je suis si heureuse de t'avoir près de moi! Songe qu'à part toi je n'ai plus de famille.

— Tu as Norbert; vous vous entendez bien, n'est-ce pas?

— Oui, oui, certainement. Mais un homme, ce n'est pas la même chose... Toi aussi, ma petite tante, tu n'as plus que moi... »

Mme Rivière ne pouvait pas la contredire. Jérôme lui avait recommandé de ne pas parler de lui. Cependant, elle se reprochait parfois d'agir ainsi en cachette de sa nièce. Solange était si bonne pour elle, si empressée... Recevoir le jeune médecin sans rien lui en dire, c'était mal...

« Préféreriez-vous retomber entre les mains du docteur Dull? lui demandait Isabelle.

— Mais on pourrait peut-être la convaincre. Si Jérôme lui parlait...

— Vous savez qu'elle est jalouse même des soins que je vous donne. Pensez-vous qu'elle accepterait l'intervention de votre neveu? »

A contrecœur, Mme Rivière continuait à se taire. Elle commençait, elle aussi, à envisager un départ dès que ses forces le lui permettraient. Elle avait hâte de commencer le nouveau traitement du professeur. Si celui-ci ne se trompait pas, si elle pouvait cesser d'être une infirme et reprendre sa vie d'autrefois... Jérôme lui affirmait que c'était possible.

Le lendemain du jour où Isabelle avait fait la connaissance du jeune médecin, Mme Caudry annonça à sa tante qu'on attendait à Kampala la visite d'un ministre européen.

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« Inutile de te dire, ajouta-t-elle, que c'est un événement pour toutes les ambassades. Le ministre aura plusieurs conférences avec les dirigeants du pays; un dîner officiel est prévu pour chaque jour de la semaine : chez les Français, les Anglais, les Allemands, les Américains...

— Je pense, dit Mme Rivière, que ton mari et toi, vous participerez à toutes les fêtes?

— Naturellement! Cela veut dire que je t'abandonnerai tous les soirs pendant une semaine entière, ou presque. Tu ne veux pas que je demande à une de mes amies de venir te tenir compagnie?

— C'est inutile, j'ai Isabelle. »Elle jeta un regard à l'infirmière, qui sourit. Toutes

deux avaient la même pensée : les maîtres de la maison étant absents, les visites de Jérôme deviendraient moins hasardeuses. Malgré la complicité d'Egid et les précautions d'Isabelle, le risque d'être surpris existait toujours. La visite du ministre les soulageait tous de cette inquiétude.

Le soir même, Mme Rivière et Isabelle annoncèrent la nouvelle au jeune médecin.

« Le destin semble nous favoriser, dit Jérôme. Mais il faut en profiter pour regarder un peu plus loin. A la fin de la semaine, j'aurai fini la série de piqûres; encore quelques jours, tante Irène, et tu seras parfaitement en état de prendre l'avion. Tu ferais peut-être bien de commencer à en parler à ta nièce.

— Enfin, Jérôme, Solange ne me laissera jamais partir!

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« Je me sens si tranquille, entre vous deux.

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— Tu peux insister : parle-lui du nouveau traitement que le professeur* Duteil veut entreprendre.

— Elle n'a pas confiance dans la médecine officielle. Elle demandera au docteur Dull si je peux partir; il répondra que non.

— Mais c'est à toi de décider, tante! Par moments, j'ai l'impression que tu as peur d'elle. »

Mme Rivière soupira :« On traite toujours les malades comme des enfants;

on s'attend à les voir obéir. Peut-être finissent-ils par en prendre l'habitude... Je ne peux mécontenter une personne qui se montre aussi bonne pour moi.

— Veux-tu que je demande au professeur Duteil de t'écrire à ce sujet?

— Oui... peut-être... Je ne sais que faire, Jérôme. »

Il l'embrassa gentiment.« En attendant, ne t'occupe que de te reposer. Nous

sommes sur la bonne voie; il suffit de patienter quelques jours. »

Ne redoutant plus d'être surpris, le jeune médecin s'attarda plus longuement dans la chambre de la malade; sa piqûre faite, il s'assit près du lit de Mme Rivière. Isabelle, par discrétion, fit mine de se retirer : elle pensait que la tante et le neveu devaient avoir beaucoup de choses à se dire. Mais Mme Rivière la retint.

« Restez, mon petit. Nous n'avons pas de secrets pour vous — n'est-ce pas, Jérôme?

— Bien sûr! affirma-t-il.— Je me sens si tranquille, entre vous deux...

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Vous pensez peut-être que j'ai manqué de confiance en vous, Isabelle, en ne vous disant pas immédiatement la vérité. Mais la situation était si étrange... je me demandais comment, en pareil cas, une infirmière devait agir.

— Ma conscience ne me reproche rien, dit la jeune fille. Le docteur Rivière non plus, je crois.

— Absolument rien, au contraire... Ah! si, pourtant, une seule chose! ajouta-t-il en souriant.

— Laquelle?— C'est de m'appeler « Docteur » — ce qui m'oblige

à vous appeler « mademoiselle ». Or, je vous l'avoue, depuis que j'ai retrouvé ma tante, je pense à vous comme à « Isabelle », tout simplement.

— Et quand nous parlons de toi, ajouta la malade avec malice, elle t'appelle toujours « Jérôme »! »

Ils rirent tous les trois. La conversation se poursuivit un moment encore. Jérôme rapporta des souvenirs d'hôpital; aux anecdotes comiques, la jeune infirmière rit de bon cœur.

« Je ne vous savais pas aussi gaie, Isabelle, remarqua Mme Rivière. Il est vrai qu'avec mes neveux Caudry vous n'avez guère l'occasion de rire, ma pauvre enfant! »

Enfin le jeune homme se leva.« Il faut malgré tout être prudent, déclara-t-il. Je

crois qu'il est l'heure pour les cambrioleurs de regagner leur repaire! »

Il sauta lestement par la fenêtre et disparut.Le lendemain, Mme Caudry raconta à sa tante le

dîner de l'ambassade. Elle décrivit les salons,

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les fleurs, les décorations des personnages officiels et les toilettes de leurs femmes.

« Je suis sûr, dit Mme Caudry, que tu devais être une des plus élégantes. Ta robe vert Nil te va à ravir. »

Mme Caudry fit. la moue.« Voilà déjà plusieurs fois que je la porte. Il va

falloir que je renouvelle ma garde-robe.— Mais il me semble que tes armoires sont pleines!— Oui, de robes que tout le monde connaît! Si tu

avais été avec nous hier soir, tante... L'ambassadrice d'Angleterre a de ces brillants! Moi, forcément, je sors toujours mes vieux bijoux... »

Elle était d'assez mauvaise humeur. Pendant le déjeuner on l'appela au téléphone; quand elle revint, son visage était plus maussade encore. M. Caudry lui demanda qui lui avait téléphoné.

« Personne, répondit-elle sèchement : c'était une erreur. »

M. Caudry partit pour l'ambassade; Mme Rivière alla faire sa sieste et Isabelle se retira dans sa chambre. Celle-ci était séparée du grand salon par un petit bureau qu'on ne fréquentait guère. Cependant, à travers la mince cloison, Isabelle entendit ouvrir la porte.

Elle commença à écrire à sa famille. Un moment plus tard, on sonna; Mme Caudry sortit vivement du salon et arrêta Egid qui allait ouvrir.

« Si c'est M. Arthur, dit-elle, faites-le entrer dans le bureau. »

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Isabelle entendit deux personnes pénétrer dans la petite pièce.

« Je vous attendais, monsieur Arthur », dit la voix perçante de Mme Caudry.

Une autre voix, moins distincte, mais avec un fort accent qu'Isabelle ne put identifier, répondit :

« Je vous ai avertie de ma visite, madame. J'aurais même dû venir plus tôt. La date est passée depuis deux jours.

— Monsieur Arthur! Ne me dites pas que vous allez vous montrer exigeant.

— Il ne s'agit pas d'exigence. Vous savez que je suis on ne peut plus raisonnable. Et j'ai là plusieurs papiers signés de vous...

— Je sais, je sais... Vous serez payé, je vous le promets. Mais il faut avoir la patience d'attendre.

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— J'ai déjà beaucoup attendu, madame. La dernière fois, au lieu de me payer, vous m'avez emprunté encore davantage.

— C'est que j'ai tant de charges! Avec la vie que nous sommes obligés de mener, le loyer énorme de la maison...

— M. Caudry a une belle situation. Comment font les autres?

— Les autres ont peut-être de la fortune; nous n'en avons pas.

— Ils sont peut-être surtout plus modestes dans leurs goûts. La maison que vous occupez est plus luxueuse que celle de l'ambassadeur lui-même. On parle de vos réceptions, de vos toilettes.

— Comprenez, monsieur Arthur, que pour l'avancement de mon mari...

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— Ecoutez, madame, dit la voix. Je ne tiens pas à ce que vous ayez des ennuis; ce n'est pas plus mon intérêt que le vôtre. Mais à partir de maintenant, j'arrête les frais: vous n'aurez plus un centime de moi. A pareille date, le mois prochain, j'exigerai le remboursement du premier billet. '

— Monsieur Arthur! Vous n'y pensez pas!— Au revoir, madame. »Des pas s'éloignèrent. Mme Caudry resta seule dans

le bureau. Isabelle l'entendit aller et venir, heurtant les meubles au passage.

« Cela ne peut pas durer! bougonna-t-elle. Cet imbécile de Dull serait-il... »

Elle sortit en claquant la porte. Isabelle stupéfaite crut d'abord avoir mal entendu.

« Cet imbécile de Dull! » Etait-ce bien Mme Caudry qui le traitait ainsi — elle qui ne jurait que par le médecin!

Et d'ailleurs, en quoi les difficultés financières de Mme Caudry concernaient-elles le docteur Dull?

Car Mme Caudry avait des ennuis d'argent; de cela Isabelle ne pouvait douter. Ce M. Arthur était un créancier : il lui avait avancé des fonds, à gros intérêt peut-être? Et maintenant elle ne pouvait pas payer...

Isabelle se demanda si M. Caudry était au courant de ces dettes. C'était sa femme qui réglait les dépenses, elle qui tenait aux réceptions, aux toilettes, aux bijoux. S'imaginait-il que l'argent qu'il lui donnait suffisait à payer leur train de vie? Il avait une telle confiance en elle

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que ce n-'était pas impossible • Mme Caudry avait-elle parlé de ses embarras

à sa tante? Avait-elle l'intention de le faire maintenant que son créancier devenait plus pressant? Mme Rivière était trop généreuse pour refuser de lui venir en aide. Mais elle avait elle-même des goûts très simples, malgré sa fortune, et blâmerait sans doute sa nièce d'être allée jusqu'à s'endetter par vanité.

La jeune fille ne parla pas de l'incident à la malade. Toute la journée, Mme Caudry se montra plus affectueuse encore envers Mme Rivière que de coutume. Pourtant Isabelle commençait à douter de sa sincérité. Mme Caudry savait que la fortune de sa tante devait aller au jeune Rivière. Mais ne cherchait-elle pas, par ses démonstrations de tendresse, à obtenir que sa tante s'attache à elle au point de déshériter Jérôme?

Le lendemain, vers la fin de l'après-midi, Isabelle remarqua que les fleurs qui ornaient la chambre de la malade commençaient à se faner. Habituellement, Mme Caudry les changeait elle-même. La jeune infirmière se demandait si elle devait s'en charger, quand Mme Caudry le lui demanda.

« Avec tout ce que j'ai à faire depuis l'arrivée du ministre, je n'ai pas eu le temps de m'occuper de ces fleurs. Soyez gentille, Isabelle, faites jeter celles-ci, et allez en chercher d'autres vous-même dans le parc.

— Mais naturellement, madame, répondit Isabelle, un peu surprise du ton moins rogue que de coutume.

— J'y enverrais bien Egid, ajouta Mme Caudry, mais il n'y connaît rien, il me rapporterait

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n'importe quoi. Vous, du moins, vous connaissez les goûts de ma tante. Mais attendez que le soleil soit couché; si on cueille les fleurs à la fraîcheur, elles se conservent beaucoup mieux. »

Ce soir-là, elle devait assister à un cocktail. Elle partit avec son mari vers sept heures; Isabelle, suivant le conseil que Mme Caudry lui avait donné, attendit que la nuit fût complètement tombée, prit un panier dans l'office et sortit de la maison. La soirée était délicieuse : un mélange de parfums variés montait des massifs. Se rappelant que Mme Rivière affectionnait particulièrement de grandes fleurs rouges qui poussaient contre un mur, en bordure de la route, elle se dirigea vers l'arbuste qui portait ces fleurs et se pencha pour en cueillir.

Tout à coup, il lui sembla que quelqu'un s'avançait derrière elle. Elle se redressa vivement, mais avant même qu'elle eût le temps de se retourner, des mains sèches la saisirent à la gorge, arrêtant le cri qu'elle poussait.

Elle se défendit de toutes ses forces, mais les mains ne desserraient pas leur étau. Elle pensa : « Les Irréductibles! » et sentit un froid de glace l'envahir. Aujourd'hui il ne s'agissait plus d'un avertissement : elle avait été prévenue, elle n'avait pas obéi. « La seconde fois, ils ne manquent pas leur victime », disait M. Caudry.

Isabelle commençait à suffoquer quand l'étreinte se relâcha brusquement; la jeune fille entendit un cri étouffé. Elle se retourna : un Noir, le bas du visage caché par un foulard bariolé, fuyait dans les ténèbres. Devant elle se tenait Jérôme Rivière, les poings encore fermés après

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le coup qu'il venait d'assener au malfaiteur.« Isabelle... vous n'avez pas de mal? »Elle frissonna.« Non, mais vous êtes arrivé à temps! Comment se

fait-il que vous soyez ici?— J'ai vu sortir la voiture des Caudry et pensé que je

pouvais venir plus tôt. Mais, venez, je veux m'assurer que vous n'avez rien.

— C'est fini, je vous assure. Grâce à vous, cela a été moins terrible que la première fois.

— Il y a donc eu une première fois? Qu'est-ce que ça signifie, Isabelle? »

En revenant vers la maison, elle lui raconta la première agression et ce que M. Caudry lui avait dit des Irréductibles.

« Ma tante est au courant? demanda Jérôme.— Les Caudry ont tenu à le lui dire. Mais ce soir, ne

lui en parlez pas, je vous en prie. Elle n'a eu que trop d'émotions depuis quelque temps. »

Le jeune médecin n'insista pas. Mais lorsqu'il repartit, un peu plus tard, il fit signe à Isabelle de le suivre.

« J'ai réfléchi, lui dit-il après s'être assuré que Mme Rivière ne pouvait plus l'entendre. Vous êtes réellement en danger; il faut repartir le plus tôt possible.

— Et Mme Rivière?— Je m'occuperai d'elle.— Vous avez encore cinq piqûres à lui faire; d'ici là

les Caudry peuvent vous découvrir; en

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ce cas elle n'aura plus que moi pour veiller sur elle. Tant que je serai là, le docteur Dull ne la prendra pas en main.

— Je ne peux pas permettre...— N'insistez pas, dit-elle d'une voix ferme. J'ai

décidé de rester, et je resterai. »Il lui tendit la main; elle y posa la sienne, qu'il serra.« Vous êtes une fille bien, Isabelle. »Rien que par ce mot-là, elle avait déjà sa

récompense.

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XI

ENCORE quatre jours, pensait Isabelle, et la série de piqûres sera terminée... A ce moment-là, le professeur Duteil aura reçu la lettre de Jérôme; il écrira lui-même à Mme Rivière pour hâter son retour.

Etait-ce la perspective de quitter bientôt l'Ouganda? elle jouissait au maximum de ce qui l'entourait : le ciel magnifique, les arbres, les fleurs. Elle se remémorait tout ce qu'elle avait vu au début de ce safari qui avait failli se terminer tragiquement; elle revoyait les animaux sauvages, les lacs avec leur multitude d'oiseaux.

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Elle avait hâte de rentrer, à cause de sa malade, mais elle savait qu'elle n'oublierait jamais ce pays merveilleux.

Jérôme partageait son enthousiasme. Son ami, le docteur Dima, était chargé de l'inspection sanitaire de plusieurs villages et l'emmenait dans ses tournées. Jérôme était enchanté, non seulement par la beauté des paysages, mais par le caractère aimable et pacifique des indigènes. Autour de Dima évoluait tout un groupe de jeunes Noirs cultivés, dont la plupart avaient fait leurs études en Europe, et qui s'intéressaient à tous les problèmes de l'univers.

M. et Mme Caudry sortaient tous les soirs, mais, dans la journée, Mme Caudry tenait souvent compagnie à sa tante. Isabelle savait qu'elle continuait à insister pour que Mme Rivière la renvoyât. Elle ignorait que la jeune fille avait été attaquée une seconde fois — et dans son parc même! — mais elle mettait toujours en avant la menace des Irréductibles.

« Je ne te comprends pas, tante. Je vois que tu as de l'amitié pour ton infirmière. Et tu n'hésites pas à lui faire courir ce terrible danger! »

Mme Rivière répétait sa première objection : elle aurait besoin d'Isabelle pour repartir. Au mot de départ, Mme Caudry jetait les hauts cris.

« A ce moment-là, Norbert ou moi, nous pourrons te ramener en France. Mais ce n'est pas pour demain, Dieu merci! »

La malade ne répondait pas. Elle attendait la lettre du professeur Duteil : forte de son autorité, elle se sentirait plus libre d'agir à sa guise.

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Un soir, avant de quitter la maison, Mme Caudry lui dit tout à coup :

« J'ai demandé à Norbert de téléphoner au docteur Dull; je pense qu'il viendra te voir demain. »

Mme Rivière se mit à rire.« Mais je n'ai pas besoin de voir le médecin; je me

porte à merveille.— Tu vas mieux, c'est vrai : son traitement te

réussit. Mais c'est la moindre des choses que de le laisser s'en rendre compte par lui-même. »

Mme Rivière ne pouvait pas s'y opposer. Elle attachait d'ailleurs peu d'importance à cette visite. A sa grande surprise, Isabelle semblait soucieuse. Le soir, quand elle en parla à Jérôme, celui-ci parut aussi s'en inquiéter.

« J'espérais qu'il ne viendrait pas avant quelques jours au moins, murmura-t-il. Pourvu maintenant que...

— Mais qu'avez-vous donc tous deux? demanda la malade. C'est la visite de Dull qui vous tracasse. Il me trouvera mieux et l'attribuera à son traitement, voilà tout.»

Le médecin et l'infirmière échangèrent un regard significatif.

« II vaut mieux que je t'explique, tante, dit Jérôme. Les injections que je te fais contiennent un produit qui dilate légèrement les pupilles. M. et Mme Caudry ne l'ont pas remarqué, mais Dull, lui, s'en apercevra. »

Mme Rivière haussa les épaules.« Le crois-tu? Il n'y regardera pas de si près!— Je voudrais en être sûr, dit Jérôme. Si nous

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avions le temps, je t'aurais apporté un collyre qui a le même effet; tu aurais pu dire que tu l'utilisais pour tes yeux. Mais si Dull vient demain matin, je ne pourrai pas me le procurer d'ici là. »

Le lendemain matin, Isabelle se souvint que depuis quelques jours, occupée surtout par les piqûres que faisait Jérôme, elle avait négligé de vider les gouttes de digitaline dans le lavabo. Elle se préparait à réparer cette omission quand on sonna; c'était le médecin. Mme Caudry se précipita à sa rencontre.

« Votre malade semble mieux, docteur. Mais naturellement, vous seul pouvez en être juge... »

Elle entra avec lui dans la chambre. Isabelle avait fait asseoir Mme Rivière à contre-jour, dans l'espoir que Dull ne remarquerait pas ses pupilles.

Le petit homme s'avança. Il semblait avoir encore engraissé; on se demandait comment ses jambes grêles pouvaient supporter le poids de son ventre. Comme toujours, il sentait l'alcool. Il salua Mme Rivière et adressa à Isabelle un sourire condescendant.

« Vous avez toujours votre infirmière, remarqua-t-il.— Comme vous voyez, docteur. Je n'ai pas

l'intention de me séparer d'elle. »Mme Caudry écarta la jeune fille et s'approcha de la

malade.« Tourne-toi un peu, tante, dit-elle, pour que le

docteur te voie en pleine lumière.— Mais le jour me fait mal aux yeux! protesta

Mme Rivière, d'une voix qui tremblait un peu.— Il n'y a pas de soleil, et ce n'est que pour une

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minute. Vous allez l'ausculter, docteur?— Naturellement, naturellement... »Tandis qu'il se penchait, Isabelle se souvint que,

quelques jours plus tôt, Mme Caudry, se croyant seule, l'avait traité d'imbécile. Mais maintenant elle le flattait, prenait des mains d'Isabelle la serviette d'auscultation pour la lui passer elle-même, guettait son visage comme celui d'un augure. Quand il se releva, elle demanda avec déférence :

« Vous ne voyez rien d'anormal, docteur?— Le cœur est un peu rapide, déclara-t-il.— Ah! mon Dieu! Ce mieux ne serait donc

qu'apparent?— Je vous assure que je me sens très bien! affirma

Mme Rivière.— On ne peut juger soi-même de son état!

déclara le médecin avec autorité. Pourquoi clignez-vous ainsi des yeux, madame?

— Je vous l'ai dit, balbutia Mme Rivière, la lumière... »

Isabelle avait compris : la malade voulait éviter que Dull ne remarquât ses yeux. Mais elle avait exagéré les précautions; le médecin, soupçonneux, la regarda de plus près. Tout à coup, il poussa une exclamation :

« Qu'est-ce que cela signifie? Vos pupilles sont dilatées comme si... Qu'est-ce qui a pu provoquer cela?

— Je... je ne comprends pas, balbutia Mme Rivière.— Moi non plus, mais je voudrais comprendre.— Vous ne lui avez rien prescrit qui puisse

expliquer ce phénomène? demanda Mme Caudry.

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— Absolument rien!— Peut-être alors, dans le traitement du professeur

Duteil, qu'elle continue à suivre, comme vous savez...— C'est cela, certainement! s'empressa de dire Mme

Rivière. Je me souviens qu'il m'avait avertie...— Cependant, la première fois que je vous ai

examinée, vos pupilles étaient absolument normales. Voulez-vous me montrer les ordonnances du professeur Duteil, madame?

— Je... crois qu'elles sont dans la salle de bain. Il faudrait demander à Isabelle. »

Sans l'écouter, Mme Caudry se dirigea elle-même vers la salle de bain. Les ordonnances se

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trouvaient dans l'armoire à pharmacie. Elle les saisit et les tendit au docteur Dull.

« II n'y a rien là qui explique cette dilatation anormale! déclara-t-il. On a donné à cette malade quelque chose que ni M. Duteil ni moi n'avions prescrit! »

Mme Caudry se tourna vers Isabelle.« Pouvez-vous me dire, mademoiselle, ce que vous

avez donné à ma tante?— Je n'ai fait qu'exécuter les prescriptions

médicales, madame.— Hum! » fit Mme Caudry.Elle examina de plus près le contenu de l'armoire.

Isabelle songea avec terreur au flacon de digitaline. Un instant plus tard, le docteur Dull, qui s'était approché, saisissait ce flacon.

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« J'ai renouvelé cette ordonnance depuis plus d'une semaine, déclara-t-il. Et le flacon est encore presque plein! »

De nouveau, Mme Caudry regarda Isabelle. Elle pouvait à peine cacher la joie mauvaise qui éclatait dans ses yeux.

« Quelle explication avez-vous à nous donner, mademoiselle? »

II était inutile de ruser; mieux valait faire face.« Aucune, madame. Comme je vous le disais, j'ai

suivi à la lettre les prescriptions du professeur Duteil. »A ce moment, Dull se dressa sur ses petites jambes;

rouge de fureur, le visage congestionné, il ressemblait à un coq en colère. Mais Isabelle était trop angoissée pour le remarquer.

« Et mon traitement à moi, cria-t-il, qu'en avez-vous fait? A ce que je vois, il vous faut des professeurs, des membres de l'Académie de médecine! Les autres ne sont pas dignes de vous, probablement? »

Isabelle ne répondit pas; elle comprenait qu'elle n'avait aucun moyen de se défendre.

« Qu'avez-vous donné à Mme Rivière? poursuivit le petit homme hors de lui. Regardez ses yeux; vous savez aussi bien que moi ce que cela signifie! Ni M. Duteil ni moi, nous n'en sommes responsables. Vous aurez imaginé un traitement à vous; vous aurez cru qu'une infirmière était capable de faire œuvre de médecin! C'est incroyable!»

II se tourna vers Mme Caudry.« Si vous désirez que je continue à m'occuper

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de votre tante, madame, j'exige — vous m'entendez, j'exige — le renvoi immédiat de cette jeune personne. Elle a commis une faute impardonnable pour une infirmière : elle a soigné une malade à sa façon, sans tenir compte des ordres du médecin!

— Je vous en prie, docteur, murmura Mme Rivière. Je vais vous expliquer... »

Isabelle eut peur que la malade, pour la défendre, ne révélât la vérité. Elle passa derrière les deux autres et posa un doigt sur ses lèvres. L'important, maintenant, c'était que Jérôme restât en dehors de l'affaire. De cette façon, tout n'était peut-être pas perdu.

La malade comprit et se tut. Mais elle porta la main à sa poitrine : l'émotion avait été trop forte, elle se sentait défaillir. Isabelle, redoutant une syncope, voulut s'élancer, mais Mme Caudry la tira brutalement en arrière.

« Ah! non! jeta-t-elle, ne pensez pas que je vous laisserai approcher d'elle désormais! Sortez d'ici, mademoiselle; le docteur est là pour intervenir s'il en est besoin. »

Elle poussa Isabelle dans sa chambre; la clef tourna dans la serrure. La jeune infirmière, tremblante, se laissa tomber sur son lit. Qu'allait-il se passer, mon Dieu? S'il s'agissait d'une syncope, que ferait Dull? Les ampoules prescrites par Duteil en pareil cas se trouvaient dans l'armoire à pharmacie, mais aurait-il seulement l'idée d'y recourir?

Pendant un moment, elle eut l'impression que son propre cœur s'arrêtait de battre. Puis, à son

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grand soulagement, elle entendit la voix de Mme Rivière :

« Non, ce ne sera rien... Mais je me sens si lasse... je voudrais qu'on m'aide à me coucher. »

II y eut des ailées et venues. Puis Mme Caudry et le docteur Dull passèrent dans le vestibule, où ils s'entretinrent à voix basse. Un moment plus tard, Mme Caudry entrait dans la chambre de la jeune fille.

« Vous pouvez faire vos bagages, mademoiselle, lui dit-elle. Je vais téléphoner à mon mari; il a votre passeport, il pourra obtenir immédiatement votre visa. Il y a un avion demain pour Le Caire; de là vous regagnerez Paris sans difficulté.

— Mais, madame... commença Isabelle.— Quoi? vous avez quelque chose à dire? Il me

semble que, après ce que vous venez de faire, vous devriez déjà vous féliciter que nous n'allions pas plus loin. Votre renvoi est une mesure de clémence; mon mari pourrait vous faire jeter en prison, s'il le voulait.

— Parce que je n'ai pas appliqué le traitement du docteur Dull?

— Parfaitement. Il est grave, pour une infirmière, de désobéir sciemment au médecin.

— J'ai été engagée par le professeur Duteil; Mme Rivière est sa malade; je ne suis responsable que vis-à-vis de lui.

— Est-ce lui qui vous a prescrit de donner à la malade cette drogue mystérieuse? Ses ordonnances ne le mentionnent pas. »

La jeune infirmière se tut. Mme Caudry triomphait

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sur toute la ligne. Ce qui venait de se passer lui donnait la meilleure des raisons pour renvoyer son ennemie. Isabelle n'avait qu'à se résigner. Mais Mme Rivière? que deviendrait Mme Rivière?

« Je ne peux pas abandonner ainsi une malade qui m'a été confiée.

— Il est vraiment temps de vous inquiéter de votre malade! Le docteur Dull ne la trouve pas bien ce soir.

— La scène dont elle a été témoin n'y est sans doute pas étrangère!

— Cette scène, qui en est responsable? D'ailleurs nous venons de prendre une décision : pendant quelque temps au moins, ma tante sera transportée dans une clinique.

— Une clinique! Elle ne voudra jamais...— La décision appartient au médecin et non au

malade.— Je voudrais au moins lui demander...— Vous ne lui demanderez rien, et pour la

meilleure des raisons : vous ne la reverrez pas. »Isabelle sursauta.« Comment! vous voudriez...— Je veux mettre ma tante à l'abri de vos initiatives

fantaisistes. Je m'occuperai d'elle moi-même : Dès ce soir elle sera installée dans la chambre voisine de la mienne, au premier étage.

— Vous savez bien que les escaliers la fatiguent!— Peu importe, puisqu'elle ne sortira qu'au

moment de partir pour la clinique.

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— Je ne veux pas partir sans l'avoir revue! dit Isabelle avec désespoir.

— Vous lui direz au revoir demain, en ma présence. Jusque-là, je vous prierai de rester dans votre chambre; on vous y servira vos repas. »

Isabelle réfléchissait. Le plus urgent était de prévenir Jérôme. Quand il viendrait, le soir, elle ne pourrait pas lui parler, puisqu'elle serait sans doute enfermée à clef. Si encore c'était Egid qui lui apportait ses repas... Mais Egid, ce jour-là, était allé voir sa famille et ne rentrerait que dans la soirée.

La matinée s'acheva sans qu'elle eût trouvé une solution au problème. Elle entendit M. Caudry arriver, puis repartir; un peu plus tard l'aide de cuisine vint la servir dans sa chambre.

Tout à coup, elle eut une idée. Quand le jeune

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Noir vint rechercher son plateau, elle le pria de dire à Mme Caudry qu'elle avait besoin de lui parler d'urgence. Celle-ci la fit attendre assez longtemps, puis entra, l'air glacial.

« Vous avez décidé de me renvoyer, madame, je n'y peux rien, dit la jeune fille. Mais il faut au moins que je télégraphie à Paris pour annoncer mon arrivée.

— Vous auriez pu le dire avant que mon mari reparte; il l'aurait fait faire par l'ambassade. Vous ne pouvez pas envoyer ce télégramme d'ici : il faut aller à la poste. Le chauffeur est en ville et ne peut pas vous y conduire.

— Je peux y aller à pied », déclara Isabelle. Mme Caudry hésita un instant. Isabelle en ville la gênait moins qu'Isabelle dans la maison.

« Eh bien, allez-y! dit-elle. Mais je veux que vous soyez de retour avant que je sorte. Mieux encore; quand vous aurez fini, vous irez trouver mon mari à l'ambassade et vous remonterez avec lui.

— Très bien, madame. »Une fois dehors, Isabelle pensa aux Irréductibles : si

on l'attaquait maintenant, qui s'en soucierait? Mais elle eut de la chance : un automobiliste qui passait, la voyant courir sur la route, s'arrêta et lui proposa de la conduire jusqu'à la ville. Une fois là, elle découvrit facilement la grande poste. Jérôme lui avait laissé le numéro de téléphone du docteur Dima; elle l'appela aussitôt.

« Le docteur Dima n'est pas chez lui; vous pouvez l'appeler à l'hôpital », dit une voix.

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La voix de Jérôme! Le sort, décidément, travaillait pour elle. En quelques mots, elle rapporta au jeune médecin ce qui s'était passé le matin.

« Dites-moi, Jérôme : que dois-je faire? Je ne peux pas rester malgré eux! »

La voix du jeune homme se fit grave.« Vous devez partir, Isabelle. Rentrez en France et

racontez tout à M. Duteil. Il pourra écrire au directeur de la clinique et nous aidera à en faire sortir ma tante, même si elle n'ose pas affronter directement les Caudry.

— Mais elle ne va pas bien, Jérôme! Les événements de ce matin l'ont bouleversée; elle a failli avoir une syncope. Et vous ne pourrez pas lui faire ses dernières piqûres!

— Je sais : c'est bien ce qui m'inquiète. Pourvu que son cœur résiste à toutes ces émotions!

— Oh! Jérôme, vous ne pensez pas...— Je ne pense rien : la situation est grave, il faudra

agir pour le mieux. Tout ce que je vous demande, Isabelle, c'est de rester très calme et d'avoir confiance en moi. Mais j'ai de la peine de vous voir partir. Ensemble, nous faisions du bon travail... »

Elle étouffa un sanglot. A ce moment, il y eut du brouillage sur la ligne; elle n'entendit plus rien. Elle attendit quelques instants, puis raccrocha et prit le chemin de l'ambassade où elle devait retrouver M. Caudry.

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XII

ISABELLE ne put fermer l'œil de la nuit. N'entendant plus Mme Rivière dans la chambre voisine, elle avait déjà l'impression de l'avoir abandonnée. Comment se trouverait la malade dans une clinique? Un établissement recommandé par le docteur Dull pouvait-il être un hôpital sérieux? Tout valait mieux, certes, que de rester à la villa, soignée par des ignorants comme Dull et Mme Caudry... Le professeur Duteil pourrait intervenir... Mais combien de temps faudrait-il pour ramener Mme Rivière saine et sauve à Paris? A six heures du matin, la jeune fille entendit

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du bruit dans la salle à manger. Habituellement les Caudry n'étaient pas aussi matinaux : c'était sans doute son départ qui motivait ce lever anormal. Elle fit sa toilette, s'habilla et boucla sa valise. Un moment plus tard, la clef tourna dans la serrure; Mme Caudry parut sur le seuil. « Vous êtes éveillée, Isabelle?

— Je suis prête, madame.— Ma tante insiste pour vous voir. Il paraît qu'elle

vous doit encore de l'argent. Après ce que vous avez fait, elle est bien bonne de vous payer!

— De toute façon, madame, je ne serais pas partie sans lui dire au revoir. »

Mme Caudry haussa les épaules et précéda la jeune fille dans l'escalier, puis lui ouvrit la porte de la chambre.

A la vue de la malade, Isabelle frémit. Le visage de Mme Rivière, sur la blancheur de l'oreiller, paraissait d'une pâleur jaunâtre; les yeux grands ouverts avaient une fixité inaccoutumée.

« Comment vous sentez-vous? demanda la jeune infirmière. Avez-vous bien dormi?

— Pas très bien. J'étais un peu nerveuse... Mon neveu et ma nièce pensent à m'envoyer quelque temps dans une clinique... Ce serait peut-être préférable, en effet, puisque, de toute façon, je dois vous perdre... »

Isabelle espérait pouvoir lui dire qu'elle avait communiqué avec Jérôme, et qu'il s'occuperait d'elle. Mais Mme Caudry, plantée sur le seuil, les observait d'un œil malveillant. Impossible de par1er sans qu'elle l'entende. Il fallait employer la ruse.

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« J'ai pensé, expliqua Isabelle, que je devais prévenir de mon arrivée à Paris. Hier après-midi, je suis descendue expédier un télégramme. »

Mme Rivière comprit; son visage s'anima.« Vous avez pu faire ce qu'il fallait? interrogea-t-elle.— Oui, ne vous inquiétez pas, tout ira bien. » La

malade poussa un soupir de soulagement.Hélas, ces émotions semblaient l'avoir épuisée. Elle

se souleva avec peine sur son oreiller.« Voici ce que je vous dois, ma petite fille, dit-elle.

J'ai arrondi la somme; vous vous achèterez quelque chose en souvenir de moi. »

Isabelle allait protester, quand elle s'aperçut qu'au milieu du paquet de billets il y avait une enveloppe pliée en deux. Elle mit le tout dans son sac et se pencha pour embrasser Mme Rivière.

« Au revoir, ma petite Isabelle, et bonne chance!— A bientôt — à Paris! » lui glissa la jeune fille à

l'oreille.Mais elle était inquiète : en touchant la malade, elle

avait trouvé sa peau sèche et brûlante.M. Caudry attendait l'infirmière dans le vestibule.

Elle se raidit jusqu'au moment où elle se trouva seule avec lui dans la voiture; quand ils s'éloignèrent, elle ne put retenir ses larmes.

M. Caudry lui tapota amicalement le genou.« Allons, allons, dit-il, ne vous désolez pas ainsi. Ma

tante ne vous est rien, après tout! Vous trouverez facilement une autre place. »

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Elle le regarda, les yeux humides. Parlait-il sérieusement? Ne comprenait-il pas qu'une infirmière peut s'attacher à ses malades?

La route de l'aéroport était une allée verdoyante, bordée de massifs d'un rouge éclatant. Mais Isabelle n'avait même pas le courage d'admirer une dernière fois ce qu'elle avait trouvé si beau. Elle ne pouvait se répéter qu'une chose : « Je l'abandonne! » Même la pensée de Jérôme ne la tranquillisait pas : comment parviendrait-il à communiquer avec la malade? à intervenir si elle allait plus mal?

L'aéroport était situé au bord du lac. On apercevait au loin des voiles blanches, joyeuses sous le gai soleil du matin. La voiture s'arrêta; M. Caudry mit pied à terre et fit descendre la jeune fille. Puis il s'occupa des formalités et la conduisit jusqu'à la salle d'attente.

« Votre avion est annoncé pour 9 heures, dit-il à Isabelle. Asseyez-vous et attendez tranquillement. C'est le vol n° 316; on viendra vous prévenir quand il sera temps de vous embarquer.

— Très bien, monsieur, dit Isabelle.— Je ne reste pas avec vous; je pense que vous êtes

capable de vous débrouiller?— Parfaitement, ne craignez rien. »Elle avait hâte de ne plus le voir, d'oublier qu'il

existait des gens comme les Caudry. Lui n'était peut-être pas mauvais au fond, mais il était lâche, égoïste, incapable de générosité. Quant à elle... A son souvenir, Isabelle grimaça de dégoût. Solange Caudry n'avait au monde qu'un bon sentiment : c'était son affection pour sa tante...

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Quand M. Caudry s'éloigna, elle poussa- un soupir de soulagement. La voiture disparut; la jeune infirmière s'assit dans un des fauteuils de la salle d'attente et commença à ranger ses papiers dans son sac. Tout à coup, elle aperçut la lettre que Mme Rivière lui avait remise. L'enveloppe était cachetée. Isabelle regarda la suscription:

A ouvrir immédiatementsi je viens à disparaître

Aucun nom, aucune indication que ces quelques mots. Pour avoir écrit cela, Mme Rivière s'était-elle sentie plus malade? Et pourquoi lui avait-elle remis ce papier, au lieu de le confier, comme il eût été normal, à sa nièce?

Tout à coup, la jeune fille éprouva une impression singulière. Elle sentait qu'il y avait là quelque chose d'anormal, d'inquiétant. Le message ne lui était pas destiné personnellement — en fait, il n'était destiné à personne. Pourtant elle ne pouvait pas regagner la France avant de connaître son contenu.

Elle se décida brusquement : il lui semblait que ce n'était pas elle qui agissait, mais qu'une main inconnue guidait la sienne. Presque sans hésiter, elle ouvrit la lettre.

L'enveloppe contenait une feuille de papier couverte de caractères qui semblaient avoir été griffonnés par un enfant, les uns énormes, les autres plus petits, par endroits se chevauchant les uns les autres. C'était l'écriture de Mme Rivière, mais une écriture confuse, déformée,

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parfois même presque illisible.Isabelle déploya la feuille sur ses genoux et déchiffra

avec difficulté :

J'aurais dû parler plus tôt à Isabelle ou à Jérôme. J'attendais toujours; on n'a pas le droit d'accuser sans preuves. Mais Isabelle part; je ne sais si je reverrai Jérôme. Je me sens très mal et n'en ai peut-être plus pour longtemps. Alors j'écris cette nuit, sans allumer, dans le noir, pour que personne ne s'en doute.

Quand on ouvrira cette lettre, je ne serai plus. Mais je ne veux pas mourir avec la pensée que, moi disparue, on peut agir contre ma volonté la plus chère.

Un jour, on m'a fait signer un papier, que je n'ai pas lu. On m'a dit qu'il s'agissait d'une autorisation de séjour. Isabelle était absente; moi je me sentais somnolente et comme droguée.

Sur le moment, je n'y ai pas attaché d'importance, mais depuis j'ai eu certains doutes. Je crains que ma nièce et son mari, sachant que je voulais laisser à Jérôme la fortune qui vient de sa famille, n'aient profité de l'état où je me trouvais pour me faire signer un testament en leur faveur.

Dieu me pardonne si je les soupçonne à tort! Mais de toute façon, je tiens à déclarer que ce testament, s'il existe... »

Ici, les lignes s'embrouillaient à tel point que la lecture devenait presque impossible. Isabelle

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distingua avec peine les mots : « nul et non avenu »... Jérôme... M. Duteil...

Quand elle remit le papier dans son sac, ses mains tremblaient si fort qu'elle eut du mal à boucler la fermeture. Il lui semblait qu'une situation jusque-là confuse s'éclairait soudain d'une lumière crue, comme une chambre quand on tire un rideau.

Comment n'avait-elle pas compris plus tôt? Les Caudry vivaient luxueusement, au-dessus de leurs moyens; ils avaient des dettes. Isabelle n'avait-elle pas entendu un créancier venant réclamer ses intérêts et Mme Caudry, elle si fière, s'humilier jusqu'à lui demander un nouveau délai? Que son mari fût ou non au courant de ces emprunts, elle-même se trouvait dans une impasse.

Solange Caudry savait que sa tante avait l'intention

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de faire de Jérôme son héritier. Mais Mme Rivière était brouillée avec son neveu — savait-elle même ce qu'il était devenu? En attirant la riche veuve, en la choyant, on pourrait peut-être la faire changer d'avis...

Mme Caudry avait dû comprendre assez vite que les dispositions de sa tante étaient bien arrêtées. N'obtenant rien par la persuasion, elle avait décidé d'agir par la ruse. Elle avait profité d'une absence d'Isabelle — la seule! — pour donner un hypnotique à sa tante et lui faire signer ce papier. La jeune infirmière se rappelait combien, ce soir-là, Mme Rivière lui avait paru étrange. Elle l'avait entendue balbutier : « Je ne veux pas... »

Mme Rivière s'était méfiée. Mais elle n'avait rien voulu dire — et maintenant elle avait peur.

Isabelle se redressa d'un coup. Car, à présent qu'elle comprenait, elle craignait, elle aussi, ce qui pouvait se produire. Détenteurs d'un testament en leur faveur, les Caudry devaient souhaiter entrer en possession de leur héritage le plus tôt possible. Commettre froidement un crime, simuler un accident, ils n'iraient peut-être pas jusque-là. Mais Mme Rivière était une grande malade, toujours à la merci d'une crise fatale. Soignée par le docteur Dull — un imbécile, disait Mme. Caudry elle-même! — elle pouvait flancher d'un moment à l'autre, sans que personne s'en étonnât.

C'était donc pour cela, et non par affection pour sa tante, que Mme Caudry tenait tant à se débarrasser d'Isabelle. L'infirmière était un

Elle avait profité d'une absence d'Isabelle pour donner un hypnotique à sa tante.

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témoin : elle pouvait observer, deviner, accuser peut-être...

La jeune fille sursauta : la porte de la salle d'attente, celle qui donnait sur le terrain d'envol, venait de s'ouvrir. Un employé annonça, d'abord dans une langue inconnue, puis en anglais :

« Vol 316... Destination : Le Caire... Vos cartes d'embarquement à la main, s'il vous plaît. »

Elle n'hésita qu'un instant. Maintenant qu'elle connaissait la vérité, elle ne pouvait pas partir, pas en tout cas sans avoir prévenu Jérôme.

Les autres voyageurs se dirigeaient vers la porte. L'employé appela de nouveau :

« Vol 316... Le Caire... »Voyant que la jeune fille ne bougeait pas, il s'adressa

directement à elle. Elle comprit qu'il lui disait de se dépêcher.

« Je ne pars pas », lui dit-elle.Il la regarda d'un air surpris, puis haussa les épaules

et referma la porte.Elle sortit à l'opposé, dans le grand hall de l'aéroport,

et chercha des yeux la cabine téléphonique. Comme elle n'arrivait pas à obtenir le numéro du docteur Dima, un jeune Noir qui attendait derrière elle lui proposa de l'aider. Il lui expliqua qu'elle s'y prenait mal : il fallait presser ce bouton-ci, d'abord, puis celui-là.

« Merci beaucoup », dit-elle.Mais il avait du temps à perdre et voulait profiter de

l'occasion pour bavarder :« Vous êtes Française? De quelle ville?

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— De Paris, répondit-elle, espérant qu'il s'en tiendrait là.

— Je connais Paris, moi! déclara-t-il avec fierté. La tour Eiffel, le Trocadéro, Notre-Dame... Et notre pays, ça vous plaît?

— Beaucoup. Mais pardonnez-moi, je suis très pressée... »

II s'éloigna, un peu vexé; elle refit aussitôt son numéro et entendit la sonnerie. Dima n'était jamais chez lui le matin : il avait sa consultation à l'hôpital, mais elle espérait que Jérôme y serait encore.

Elle reconnut avec bonheur la voix familière.« Jérôme! c'est vous?— Isabelle! vous n'êtes donc pas partie?— Je ne peux pas... Si vous saviez ce que je viens

d'apprendre! Il faut que je vous parle immédiatement, Jérôme.

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— C'est grave?— Très grave.— Pour vous?— Pour votre tante. Venez vite, Jérôme, jevous attends. »Une demi-heure s'écoula, interminable. Enfin la

voiture grise du docteur Dima, conduite par Jérôme, s'arrêta devant l'aérogare. Isabelle courut vers le jeune homme et lui montra la lettre qu'elle

avait ouverte.« Je sais, Jérôme, que je n'aurais peut-être pas dû...

Mais je me suis méfiée, et vous voyez que j'avais raison. Auriez-vous jamais pu croire une chose pareille? »

II sourit un peu tristement.« Je n'ai jamais eu beaucoup d'estime pour les

Caudry; ce que j'ai appris d'eux depuis mon arrivée à Kampala ne m'a pas fait changer d'idée.

— Et cette signature arrachée à une malade presque inconsciente... Et Mme Caudry lui faisant tant d'amitiés! Jérôme, si vous l'aviez vue! Et pendant ce temps, elle souhaitait sa mort pour s'emparer de sa fortune...

— Ne pensez plus à tout cela, Isabelle. Il faut parer au plus pressé. Vous avez eu raison de ne pas partir : il fallait que je sois prévenu. Cependant vous ne devez pas rester à Kampala. Il y a un avion pour Nairobi cet après-midi à cinq heures.

— Nairobi, au Kenya?— Oui, c'est très près; il suffit d'avoir un visa. Mais,

j'y pense, en avez-vous un?— Mme Rivière avait pris ce visa; elle pensait

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que nous pourrions peut-être faire une excursion jusqu'à Nairobi.

— Alors c'est parfait. Aurez-vous la patience de m'attendre ici jusqu'à cinq heures?

— Vous reviendrez pour m'embarquer?— Je reviendrai pour partir avec vous. »

Isabelle s'inquiéta :« Mais... votre tante! Vous ne pensez pas à

l'abandonner! »Jérôme sourit.« M'en croyez-vous capable? Non, j'ai un plan; mais

ne me questionnez pas, je vous en prie : je préfère ne rien dire avant d'être sûr que tout sera prêt. J'ai plusieurs heures devant moi, heureusement. Ayez confiance en moi, Isabelle.

— J'ai confiance! déclara-t-elle de tout cœur.— Alors, pour le moment, ne bougez pas d'ici. Vous

pouvez déjeuner au restaurant de l'aéroport. Avez-vous de l'argent ougandais?

— Non, mais Mme Rivière m'a donné des billets français; je peux sûrement les changer ici même.

— Sans difficulté. Achetez des revues, faites des mots croisés, tout ce que vous pourrez pour ne pas réfléchir. A tout à l'heure! »

II s'éloigna. Isabelle se rendit au bureau de change, puis au restaurant, où elle se força à avaler un yaourt et à boire une tasse de café. Elle se perdait en conjectures sur ce plan dont parlait Jérôme. Pensait-il emmener sa tante en avion jusqu'à Nairobi? Mais comment ferait-il pour déjouer la surveillance de ceux qu'Isabelle regardait comme des geôliers?

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Des avions se posaient, d'autres prenaient leur vol. Isabelle s'était assise dans un coin de la salle d'attente, à l'abri d'une grande pancarte qui formait une sorte de renfoncement. On la croyait partie, mais elle ne voulait pas prendre de risques.

A cinq heures moins le quart, Jérôme descendit d'un taxi devant l'aérogare. Il souriait.

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XIII

MME CAUDRY avait demandé à son mari de ' ' lui téléphoner aussitôt qu'il aurait embarqué Isabelle. Dès qu'elle entendit sa voix, elle interrogea :

« Elle est partie?- Elle l'est certainement à l'heure qu'il est, répondit-

il. L'avion a dû décoller à neuf heures.— Tu ne l'as pas attendu?— J'ai laissé la petite dans la salle d'attente. Elle ne

va tout de même pas essayer de revenir!— Non, non, certainement. Ah! je suis contente de

la savoir loin, cette fille!— Elle n'était pas bien gênante, hasarda M.

Caudry.

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— Tu trouves! ricana sa femme.— Et tu crois que si... enfin, si ça allait plus mal —

on ne pourrait pas nous reprocher d'avoir renvoyé l'infirmière?

— C'est pour cela que je mets tante Irène en clinique. Si un malheur arrive, il vaut mieux que ce ne soit pas chez nous. On verra que nous avons fait tout le nécessaire. Le docteur Dull s'en occupe; il passera dans la matinée. »

Le docteur Dull, lui, était plutôt satisfait de se débarrasser de la malade. Il n'était pas sûr qu'elle serait mieux en clinique; en fait, celle-ci, dirigée par un de ses amis, laissait beaucoup à désirer. Mais il avait hâte de se délivrer d'une responsabilité qui commençait à lui peser. Il était bien décidé, si les choses tournaient mal, à tout mettre sur le dos de l'infirmière.

Et malheureusement il avait l'impression que la situation empirait. Mme Rivière était fiévreuse; après le départ d'Isabelle elle avait pleuré; depuis, elle ne prononçait pas une parole.

« Vous avez pu avoir une chambre? s'informa Mme Caudry.

— Une très belle, au premier étage.— C'est parfait. Vous avez bien dit à votre ami,

docteur, que nous tenions à installer ma tante dans les meilleures conditions possibles. Nous ne regarderons pas aux frais.

— Mais... c'est elle qui paie, je suppose? » dit naïvement le petit homme.

Mme Caudry eut un geste d'agacement.

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« Elle insistera sûrement pour le faire, mais nous préférerions... De toute façon, la question n'est pas là. On pourra la transporter bientôt?

— Aujourd'hui même, si vous le désirez.— Je crois que cela vaudra mieux. Je vais prévenir

mon mari pour qu'il s'occupe de l'ambulance. »Quand M. Caudry revint déjeuner, il annonça que

c'était chose faite : l'ambulance viendrait vers quatre heures, avec un médecin et un appareil de réanimation pour intervenir en cas de besoin.

« Le secrétaire, qui m'écoutait, m'a demandé si tant de précautions étaient bien nécessaires. J'ai répondu que nous voulions faire plus que le nécessaire pour la sécurité de notre tante.

— Tu as très bien fait, approuva Mme Caudry. De cette façon, quoi qu'il arrive, tout le monde saura que nous avons fait l'impossible pour la sauver. »

L'après-midi, Mme Rivière conserva son mutisme. Mme Caudry allait et venait dans la chambre, préparant la valise qui devait accompagner la malade à la clinique.

« Je mets seulement l'indispensable : tes affaires de toilette, deux pyjamas, ton peignoir... Tu ne resteras pas longtemps là-bas, j'espère : dès que tu te sentiras mieux, tu reviendras ici, ma petite tante. Tu verras comme je te soignerai bien! je te promets que tu ne regretteras pas ton Isabelle... »

Enfin on entendit la sirène de l'ambulance. Mme Rivière eut un mouvement d'effroi : jusqu'au dernier instant, elle avait espéré qu'on ne l'emmènerait pas, que Jérôme aurait une idée... « Ne t'inquiète pas, dit Mme

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Caudry, le trajet n'est pas long : vingt minutes à peine.

— Où est-elle, au fait, cette clinique? interrogea Mme Rivière. Je ne me rappelle pas l'avoir vue.

— Tu te souviens de l'hôtel où nous allions prendre le thé?

— Parfaitement.— Eh bien, on passe devant cet hôtel, et

presque aussitôt on tourne à gauche. On suit la grande allée — tu sais, celle où il y a des magnolias — pendant un kilomètre environ. C'est là que se trouve la clinique.

— Alors elle est hors de la ville? » interrogea la malade.

Elle ne pensait qu'à une chose : une fois là-bas, Jérôme pourrait-il parvenir jusqu'à elle?

Un moment plus tard, le chauffeur de l'ambulance, portant un brancard, entrait dans sa chambre. Il était suivi d'un jeune médecin noir.

« Elle est prête, docteur, dit Mme Caudry. Elle a le cœur un peu gros de s'en aller, ma pauvre tante... Mais, comme je le lui dis, ce n'est pas pour longtemps. Et j'irai la voir tous les jours.

— Je vais lui faire une piqûre sédative, dit le médecin, pour que le trajet soit plus facile.

— Est-ce bien nécessaire, si nous ne devons pas aller loin?

— Ce sera mieux; laissez-vous faire. »Elle leva les yeux vers lui; il avait un si bon sourire

qu'elle se rasséréna.

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« Très bien, docteur », dit-elle en soulevant son drap.

La piqûre faite, le médecin et le chauffeur placèrent la malade sur le .brancard, dont ils soulevèrent chacun une extrémité.

« Je vous accompagne jusqu'à la clinique, dit Mme Caudry. Je veux voir comment ma tante est installée.

— Impossible, madame, répondit le jeune médecin. L'ambulance est réservée aux seuls malades.

— Mais je veux absolument l'accompagner! Et c'est mon mari qui a la voiture.

— Je regrette beaucoup. De toute façon, ce soir, il vaut mieux que la malade se repose.

— Alors, je ne te verrai pas avant demain, ma petite tante! c'est affreux! »

Elle les suivit en s'essuyant les yeux jusqu'à l'ambulance. Une fois Mme Rivière installée, elle y monta pour l'embrasser.

« Dès demain matin je viendrai te voir, promit-elle. Je t'apporterai de belles fleurs. Et des livres pour que tu ne t'ennuies pas.

— Vous voyez, madame, dit le chauffeur, vous serez bien gâtée! »

Le médecin prit place à côté de Mme Rivière. L'ambulance démarra aussitôt.

« Vous sentez-vous plus calme, madame? demanda le jeune homme. L'injection doit commencer à faire son effet.

— Je me sens très bien », répondit-elle.

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Ils entrèrent dans la ville; Mme Rivière reconnaissait les bâtiments devant lesquels ils passaient : les ministères, l'ambassade. Ils atteignirent l'hôtel où elle avait plusieurs fois pris une tasse de thé avec sa nièce; c'était là, avait dit Mme Caudry, qu'on devait tourner à gauche pour prendre le chemin de la clinique. A la grande surprise de la malade, le chauffeur tourna juste à l'opposé.

« Mais... nous allons à droite! dit-elle. Je croyais que la clinique se trouvait de l'autre côté. »

Le jeune médecin posa doucement la main sur la sienne.

« Ne vous inquiétez pas, madame, dans un moment je vous expliquerai tout. »

Il semblait si paisible, si assuré, qu'elle sourit et ferma les yeux. Ils sortirent de la ville et prirent une route qui longeait le lac. Quand ils

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eurent fait quelques kilomètres, le médecin lui reprit la main.

« Vous allez bien? Vous vous sentez tranquille? Alors je vais vous parler... Vous m'avez déjà vu, mais vous n'étiez alors guère en état de m'observer assez pour me reconnaître. Je suis le docteur Dima, ami de votre neveu. »

** *

« Vous comprenez tout, maintenant, dit Jérôme à Isabelle. J'ai craint, dans cette clinique, de ne pouvoir arriver jusqu'à ma tante; le directeur est au mieux avec Dull : si je m'étais montré, Solange Caudry aurait aussitôt été mise au courant. Mon expulsion du pays n'aurait sans doute pas tardé. Alors j'ai eu cette idée : Dima prenant la place du médecin qui devait accompagner l'ambulance; celle-ci ne se dirigeant pas vers la clinique, mais vers Nairobi...

— C'est merveilleux! Vous ne craignez pas qu'on les arrête à la frontière?

— J'espère qu'ils l'atteindront avant qu'on n'ait le temps de prévenir la police frontalière. La clinique alertera les Caudry; ceux-ci ne penseront pas immédiatement que l'ambulance a pu quitter le pays. Dima a un cousin policier qui, s'il le faut, fera traîner les choses en longueur... Ma tante, m'avez-vous dit, a un visa; Dima, lui, se rend fréquemment au Kenya et possède un laissez-passer permanent. Si le passage du chauffeur présentait une difficulté, Dima prendrait le volant lui-même...

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— Vous avez pensé à tout, je le vois », murmura Isabelle.

Jérôme se rembrunit.« La seule chose qui m'inquiète, avoua-t-il, c'est l'état

de ma tante. Par la route, le voyage est long; comment son cœur le supportera-t-il? Je me rends compte que j'ai pris un risque en décidant de la faire conduire à Nairobi...

— Mais là-bas le risque était pire! » dit la jeune infirmière.

Leur avion arrivait à Nairobi. Jérôme se rendit aussitôt à l'hôpital, dont Dima lui avait indiqué la situation; il pria Isabelle d'aller retenir des chambres dans un hôtel voisin et de l'y attendre. Puis il demanda à parler au médecin chef.

Celui-ci connaissait bien Dima; d'autre part il avait, lui aussi, travaillé à Paris et admirait beaucoup le professeur Duteil, dont le nom facilita les choses. Ne voulant pas faire allusion aux Caudry, Jérôme dit simplement au docteur Aval que sa tante était tombée malade en Ouganda et qu'ayant entendu parler en France de l'hôpital de Nairobi, il avait décidé de l'y conduire.

L'explication pouvait paraître peu vraisemblable, étant donné le risque du transport, mais un compliment adroit ne nuit jamais, et le docteur Avral, flatté qu'on eût parlé de son hôpital jusqu'en France, ne posa pas de questions.

« Je vais lui faire donner une de nos meilleures chambres, promit-il, et je m'occuperai d'elle dès son arrivée. Vous êtes sans doute au courant de son état, nous pourrons la soigner ensemble. »

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Ils parlèrent un moment de la malade, puis Jérôme alla retrouver Isabelle à l'hôtel, où ils dînèrent. Ils étaient tous deux trop angoissés pour pouvoir bavarder amicalement, mais chacun se sentait réconforté par la présence de l'autre.

« Ma tante sera heureuse de vous trouver ici, dit Jérôme. J'ai dit à Dima de la prévenir que nous l'ai fendions tous les deux.

— A quelle heure peuvent-ils arriver? interrogea la jeune infirmière.

— Je ne sais pas; cela dépend de trop de choses : de l'état de la route, du temps qu'ils devront attendre à la frontière. J'espère que pour une ambulance on écourtera les formalités.

— Pourvu que le voyage ne soit pas trop dur! soupira Isabelle.

— C'est ce que je ne cesse de me répéter. Par moments, je me demande si j'ai eu raison de le tenter. Mais là-bas... Si Solange Caudry est pressée par ses créanciers, je la crois capable de tout, Isabelle.

— D'autant plus que, si un malheur était arrivé, personne ne pouvait l'en rendre responsable. Elle soignait sa tante avec tant de dévouement! cela se savait dans toute la ville... »

Le dîner achevé, ils retournèrent devant l'hôpital et s'assirent sur un banc dans le jardin public. Ils ne savaient combien d'heures il leur faudrait attendre, mais ils étaient bien résolus à ne pas s'éloigner avant l'arrivée de l'ambulance.

Ils restèrent un long moment sans parler. Puis tout à coup Jérôme commença :

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« Il faut que je vous dise aussi, Isabelle. Ces Irréductibles qui vous ont attaquée...

— Eh bien? interrogea-t-elle.— La secte n'existe plus depuis dix ans. Elle a été

complètement démantelée.— Alors, ces agressions n'étaient que des simulacres

imaginés par les Caudry pour me faire peur et m'obliger à partir?

— Ils avaient compté sans votre courage », dit Jérôme.

Les deux jeunes gens se turent de nouveau. Un peu après minuit, un agent de police, qui était déjà passé plusieurs fois devant eux, s'approcha de leur banc.

« Ce n'est pas l'heure de prendre l'air, dit-il d'un ton rogue. Il faut aller vous coucher. »

II avait parlé anglais. Mais Jérôme comprenait parfaitement cette langue.

« Je suis médecin, expliqua-t-il, et mademoiselle est infirmière. Nous attendons un malade qu'on doit amener en ambulance.

— Ah, très bien, très bien! » fit l'agent en touchant sa casquette.

L'attente reprit; la fraîcheur de la nuit s'accentuait; une brise légère agitait le haut des arbres.

« Ils n'arrivent pas... murmura Isabelle, le cœur serré.— Prenez patience; ils vont venir! »Enfin un bruit de moteur se fit entendre; dans la

demi-obscurité ils virent se dessiner la masse blanche de l'ambulance. Elle s'arrêta devant l'hôpital; un veilleur s'avança, aussitôt rejoint par Jérôme et Isabelle. Dima, qui conduisait.

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sauta à terre et ouvrit la porte arrière. Dès que le réverbère de l'entrée éclaira son visage, les deux autres virent qu'il était soucieux.

« Ils n'ont pas voulu laisser passer le chauffeur, dit-il. En route, je suis descendu plusieurs fois pour la voir; j'ai refait une injection comme tu me l'avais dit, Rivière. Mais il me semble que le cœur faiblit.

— Mon Dieu! » murmura Isabelle.On descendit la malade sur un brancard. Dima devait

repartir aussitôt avec l'ambulance; Jérôme et Isabelle accompagnèrent Mme Rivière jusque dans sa chambre. Une jeune infirmière noire accourut. Jérôme lui fit signe de décrocher le tube à oxygène qui se trouvait à côté du lit.

« Elle... elle faiblit? » demanda très bas Isabelle.Jérôme fit signe que oui. Sur les oreillers, le visage

de Mme Rivière était d'une pâleur de cire.« Tout ce que je pourrais faire ne suffira pas...

murmura le jeune homme. Pouvez-vous rester avec elle un moment et lui donner de l'oxygène? Mademoiselle est infirmière, expliqua-t-il à l'autre jeune fille.

— Qu'allez-vous faire? interrogea Isabelle.— Je vais essayer de téléphoner au patron. » Les

deux infirmières se penchèrent sur la malade. A l'expression de sa collègue, Isabelle devina qu'elle avait peu d'espoir. Un long moment s'écoula, puis Jérôme reparut.

« J'ai pu l'avoir! annonça-t-il. J'avais déjà essayé de lui téléphoner avant de quitter Kampala; n'ayant pu obtenir la communication à

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temps, je lui avais envoyé un télégramme pour lui annoncer notre départ. Il s'est rendu compte immédiatement que le transport en ambulance représentait un risque; il redoutait ce qui arrive... A son avis, la seule chose à tenter serait le BZ-45...

— Mais nous n'en avons pas! dit la jeune fille.— Au reçu de mon télégramme, Duteil nous en a

expédié à Nairobi par avion; le paquet devrait arriver à dix heures. En allant le chercher à l'aéroport, nous pourrons l'avoir un peu plus tôt.

— A dix heures! répéta Isabelle. Mais est-ce que...»

Elle jeta à la malade un coup d'œil angoissé.« II faut tenir jusque-là! répéta Jérôme avec force.

Nous resterons auprès d'elle, vous et moi; nous la soutiendrons par tous les moyens. Il faut y arriver... Dites-moi que nous y arriverons, Isabelle.

— Nous y arriverons, Jérôme! » dit la jeune infirmière en parvenant à sourire.

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XIV

ASSISE auprès de sa malade, dans la petite chambre de l'hôpital de Nairobi, Isabelle attendait le retour de Jérôme. L'avion de Paris était annoncé pour dix heures. Pourvu qu'il n'eût pas de retard... pourvu surtout qu'il apportât le précieux paquet...

Mme Rivière était entre la vie et la mort. De temps en temps, Jérôme et Isabelle, qui ne l'avaient pas quittée, avaient eu l'impression que son souffle s'arrêtait — puis, faiblement, très faiblement, la poitrine recommençait à se soulever. Combien de temps pouvait durer cette lutte

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terrible? Mais tant que la vie était là, on conservait un brin d'espoir.

M. Avral, le médecin chef de l'hôpital, était arrivé à huit heures. Jérôme l'ayant mis au courant de la situation, il avait proposé au jeune homme de l'accompagner à l'aéroport. Il était bien connu de tout le personnel et pouvait obtenir qu'on lui livrât le paquet sans formalités. On gagnerait ainsi une heure, peut-être davantage.

Isabelle, épuisée de fatigue et d'angoisse, revivait les événements des derniers jours. Plus elle y pensait, plus elle se disait que Jérôme avait bien agi. Enlever la malade était peut-être une folie, mais si on l'avait laissée à Kampala, elle était perdue.

La jeune infirmière noire qui avait accueilli les arrivants avait fini sa garde et était allée se coucher; une autre, plus âgée, était entrée sur la pointe des pieds et avait demandé à Isabelle si elle avait besoin de quelque chose.

« Non, avait répondu la jeune fille, merci beaucoup.— Mais vous n'avez pas déjeuné. Descendez à la

cantine; je garderai votre malade en votre absence. »Isabelle avait refusé. Elle ne pouvait pas quitter Mme

Rivière. Cette infirmière était sans doute aussi capable qu'elle; vu son âge, elle avait probablement plus d'expérience. Mais il semblait à Isabelle que sa présence maintenait la malade en vie. Peut-être, quand on aime beaucoup quelqu’un... Et elle aimait Mme Rivière — plus encore depuis qu'elle luttait ainsi pour la sauver.

Vers midi, elle eut un moment d'épouvanté. Le cœur,

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cette fois, paraissait s'arrêter pour de bon. Elle pressa la sonnette; l'infirmière apparut.

« Pouvez-vous appeler l'interne? Ça ne va pas... »Un jeune homme en blouse blanche accourut. Il se

pencha sur la malade, l'ausculta, hocha la tête. Isabelle se sentait défaillir.

Brusquement, le jeune homme rabattit les draps et écarta la chemise de la malade. Isabelle comprit qu'il allait tenter un massage du cœur.

Les deux infirmières, immobiles, le regardaient.« Si je ne réussis pas, dit l'interne, il faudra tenter un

massage direct. Voulez-vous prévenir le chirurgien, madame Olivia? »

L'infirmière sortit. Isabelle sentait un étau se resserrer autour de sa poitrine. Mme Rivière résisterait-elle à cette tentative désespérée? D'autres hommes en blouse entrèrent; on poussait un chariot chargé d'instruments. Un mouvement presque imperceptible agita les lèvres de la malade.

« Elle vit! » pensa la jeune fille.A ce moment, la porte s'ouvrit de nouveau; le

docteur Avral, suivi de Jérôme, entra en courant. Jérôme tenait à la main un paquet ouvert qui contenait une boîte d'ampoules.

« Une aiguille à intraveineuse, immédiatement », ordonna le médecin chef.

L'aiguille s'enfonça dans la saignée. La malade réagit très légèrement, mais elle réagit.

« Vous pensez que le produit peut avoir un effet immédiat? interrogea le docteur Avral.

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— C'est un des cas pour lesquels on l'emploie », répondit Jérôme.

Tout en poussant le piston dans la seringue, il ne quittait pas des yeux le visage de Mme Rivière. Elle poussa un faible gémissement; Isabelle, qui tenait son pouls, murmura :

« Il repart... »Une infirmière doit rester impassible en toute

circonstance. Mais la jeune fille eut besoin de toutes ses forces pour retenir des larmes de joie.

** *

Trois jours plus tard, une grande voiture noire, portant un numéro de l'Ouganda, s'arrêtait devant l'hôpital de Nairobi. Un monsieur et une dame mirent pied à terre et se dirigèrent vers le bureau.

« Nous voudrions voir une malade du nom de Mme Rivière », dit la dame avec hauteur.

L'employé consulta son registre.« Les visites ne sont pas autorisées, madame.— Mais nous sommes de la famille; cette

malade est ma tante, vous ne pouvez pas vous opposer...— C'est le règlement, madame. Ce sont les

médecins qui décident.— Eh bien, dit-elle sans hésiter, conduisez-

nous chez le médecin-chef. »Le docteur Avral reçut M. et Mme Caudry assez

froidement.« Je suis désolé, mais cette malade ne doit avoir

aucune émotion; je ne peux pas vous autoriser à entrer.

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— Voyons, docteur, insista Mme Caudry; soyez raisonnable. Je suis l'unique parente de Mme Rivière; elle est seule ici, loin de chez elle...

— Excusez-moi, madame : elle a auprès d'elle un de ses neveux.

— Un neveu! s'exclama la visiteuse. Qu'est-ce que cela signifie? Quel neveu?

— Le docteur Jérôme Rivière, qui la soigne sous la direction du professeur Duteil.

— Jérôme..., murmura Mme Caudry d'une voix presque indistincte. Jérôme Rivière... médecin!

— Et elle ne nous en avait rien dit! s'exclama son mari. Quelle cachottière!

— Je crois, dit le médecin-chef en souriant, que Mme Rivière ne le sait pas elle-même depuis longtemps... »

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Mme Caudry s'était ressaisie. « De toute façon, docteur, il n'est que le neveu de

son mari; moi je suis sa véritable nièce, la fille de sa propre sœur! Elle vient de passer plusieurs semaines chez moi, à Kampala. D'ailleurs, nous avons des papiers qui font foi de mes rapports avec elle. Montre ce document, Norbert. »

M. Caudry tira de sa poche un feuillet épais. Le docteur Avral y jeta les yeux; c'était un testament en bonne et due forme, signé de la main de Mme Rivière. Mme Caudry y était désignée comme « ma nièce, mon unique parente ».

Il rendit le papier sans mot dire. Jérôme lui avait confié ses soupçons. Maintenant il avait une preuve.

« Ce genre de document ne signifie rien pour moi, madame, déclara-t-il. Je suis médecin et je vous parle en médecin. Les visites sont interdites.

— Très bien, déclara Mme Caudry, nous nous passerons de votre autorisation. Mon mari est en excellents ternies avec notre ambassade au Kenya. Nous verrons qui l'emportera : d'un représentant de la France ou d'un petit médecin! »

Comme ils s'éloignaient, ils aperçurent une infirmière au fond du couloir. Ils la remarquèrent parce qu'elle était blanche, alors que la plupart des autres étaient noires.

« Norbert! fit Mme Caudry. Tu as vu?— On dirait Isabelle..., murmura-t-il.— C'est elle, j'en suis sûre! Tu m'affirmais

qu'elle avait pris l'avion!— Je l'ai cru... je ne pouvais pas savoir...

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— Une sottise de plus! Tu ne seras jamais qu'un pauvre idiot, Norbert. Si je n'étais pas là...

— C'est pourtant grâce à moi, protesta-t-il, que nous allons avoir l'appui de l'ambassade!

— Grâce à ton titre, peut-être. Mais grâce à mon cerveau, certainement! » lui jeta-t-elle avec mépris.

Aussitôt après leur départ, le docteur Avral fit appeler Jérôme et lui fit part de leur visite.

« Je préférerais, ajouta-t-il, éviter cette rencontre à Mme Rivière. Mais je crains que les services de l'ambassade ne nie forcent la main. En ce cas, il vaut mieux que votre tante soit avertie. »

Ils remontèrent dans la chambre, où Mme Rivière, qui se sentait beaucoup mieux, les accueillit d'un grand sourire. Le BZ-45 avait réalisé un miracle; Jérôme poursuivait maintenant un traitement régulier de ce produit, ne doutant pas, d'après les premiers résultats, de pouvoir guérir complètement sa tante.

En apprenant l'arrivée des Caudry, Mme Rivière soupira :

« Je ne sais comment les recevoir... Je les ai peut-être soupçonnés à tort...

— Vous ne vous trompiez pas, madame, dit le médecin chef. Ils viennent de m'exhiber un testament en leur faveur, tout récent, signé de vous.

— Un testament! s'exclama la malade. Jérôme, tout ce qui me vient de ton oncle doit t'appartenir à toi! Tu m'as prouvé, ajouta-t-elle en souriant, que tu n'étais pas pressé d'entrer en possession de ton héritage... Mais je tiens à ce que

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mes affaires soient en ordre. Le griffonnage que j'ai remis à Isabelle ne doit pas être suffisant. Je voudrais appeler un notaire.

— Tu as bien le temps, tante Irène, tu régulariseras tout cela à Paris.

— Si tu ne m'obéis pas, Jérôme, attention! Je vais faire de la température! »

II fallut céder. Au moment où le notaire sortait de la chambre de la malade, il se heurta à M. et Mme Caudry, qui venaient d'obtenir, malgré le docteur Avral, l'autorisation de rendre visite à Mme Rivière.

« Ma petite tante! s'écria Mme Caudry en se précipitant vers le lit. Quelle angoisse tu nous as causée! Enfin te voici! Mais... mais tu sembles beaucoup mieux!» ajouta-t-elle sans pouvoir dissimuler sa surprise.

La malade la repoussa du geste.« Je vais très bien, Solange — assez bien pour tout

comprendre, hélas! C'est pourquoi je tiens à t'avertir immédiatement : ce monsieur qui sort d'ici est un notaire; tu peux déchirer le testament que tu m'as fait signer malgré moi, car il n'a plus aucune valeur. Pour le reste, estime-toi heureuse que je ne prévienne pas la police! »

Mme Caudry s'arrêta au milieu de la chambre.« Mais, tante... balbutia-t-elle.— Il vaut mieux que vous partiez, dit Mme Rivière

d'une voix ferme. Les émotions pénibles me sont interdites par le médecin. Et tu dois comprendre que votre visite en est une. »

Mme Caudry reculait sans mot dire. On l'entendit, dans le vestibule, jeter à son mari :

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« Imbécile! »Quand le docteur Avral monta voir la malade, celle-

ci profita de sa présence pour conseiller à Jérôme et à Isabelle d'aller faire un tour en ville.

« Vous avez bien besoin, tous les deux, de vous détendre un peu », leur dit-elle.

En les regardant s'éloigner, le docteur Avral hocha la tête.

« Ils font un beau couple, déclara-t-il.— Je l'ai remarqué avant vous, docteur, dit Mme

Rivière. Je pense qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Je me demande s'ils l'ont déjà compris.

— Si vous voulez mon avis, je crois que oui! » dit le docteur Avral en souriant.

IMPRIME EN FRANCE PAR BRODARD ET TAUPIN

7, bd Romain-Rolland - Montrouge.Usine de La Flèche, le 26-03-1979.

1533-5 - Dépôt légal n° 8191, 1OT trimestre 1979.20 - 01 - 4448 - 04 ISBN : 2 - 01 - 002882 - 1

Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publicationsdestinées à la jeunesse. Dépôt : novembre 1973.

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Biographie

Née en 1897 à Paris, Suzanne Pairault est la fille du peintre Jean Rémond (mort en 1913). Elle obtient une licence de Lettres à la Sorbonne et part étudier la sociologie en Angleterre pendant deux ans. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert un temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais. Elle effectue de nombreux voyages à l’étranger (Amérique du Sud, Proche-Orient). Mariée en 1929, elle devient veuve en 1934. Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle entre dans la résistance et obtient la Croix de guerre 1939-1945.

Elle publie d’abord des livres pour adultes et traduit des œuvres anglaises en français. À partir de 1950, elle publie des romans pour la jeunesse tout en continuant son travail de traducteur.

Elle est surtout connue pour avoir écrit les séries Jeunes Filles en blanc, des histoires d'infirmières destinées aux adolescentes, et Domino, qui raconte les aventures d'un garçon de douze ans. Les deux séries ont paru aux éditions Hachette respectivement dans la collection Bibliothèque verte et Bibliothèque rose. « Près de deux millions d’exemplaires de la série Jeunes filles en blanc ont été vendus à ce jour dans le monde. »

Elle reçoit le Prix de la Joie en 1958 pour Le Rallye de Véronique. Beaucoup de ses œuvres ont été régulièrement rééditées et ont été traduites à l’étranger. Suzanne Pairault décède en juillet 1985.

Bibliographie Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Romans 1931 : La Traversée du boulevard (sous le nom de Suzanne Rémond). Éd. Plon.1947 : Le Sang de bou-okba - Éd. Les deux sirènes.1951 : Le Livre du zoo - Éd. de Varenne. Réédition en 1951 (Larousse).1954 : Mon ami Rocco - Illustrations de Pierre Leroy. Collection Bibliothèque rose illustrée.1960 : Vellana, Jeune Gauloise - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 196.1963 : Un ami imprévu - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 255.

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1964 : Liselotte et le secret de l'armoire - Illustrations de Jacques Poirier. Collection Idéal-Bibliothèque.1965 : La Course au brigand - Illustrations de Bernard Ducourant. Éd. Hachette, Collection Nouvelle Bibliothèque rose no 195.1965 : Arthur et l'enchanteur Merlin - Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque no 278. Illustrations de J.-P. Ariel.1972 : Les Deux Ennemis - Éd. OCDL. Couverture de Jean-Jacques Vayssières.Série Jeunes Filles en blanc Article détaillé : Jeunes Filles en blanc.Cette série de vingt-trois romans est parue en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. L'illustrateur en titre est Philippe Daure.1968 : Catherine infirmière (no 367)1969 : La Revanche de Marianne (réédition en 1978 et 1983)1970 : Infirmière à bord (réédition en 1982, 1987)1971 : Mission vers l´inconnu (réédition en 1984)1973 : L'Inconnu du Caire1973 : Le Secret de l'ambulance (réédition en 1983, 1990)1973 : Sylvie et l'homme de l'ombre1974 : Le lit n°131974 : Dora garde un secret (réédition en 1983 et 1986)1975 : Le Malade autoritaire (réédition en 1984)1976 : Le Poids d'un secret (réédition en 1984)1976 : Salle des urgences (réédition en 1984)1977 : La Fille d'un grand patron (réédition en 1983, 1988)1978 : L'Infirmière mène l’enquête (réédition en 1984)1979 : Intrigues dans la brousse (réédition en 1986)1979 : La Promesse de Francine (réédition en 1983)1980 : Le Fantôme de Ligeac (réédition en 1988)1981 : Florence fait un diagnostic (réédition en 1993)1981 : Florence et l'étrange épidémie1982 : Florence et l'infirmière sans passé (réédition en 1988, 1990)1983 : Florence s'en va et revient (réédition en 1983, 1989, 1992)1984 : Florence et les frères ennemis1985 : La Grande Épreuve de Florence (réédition en 1992)

Série DominoCette série a été éditée (et rééditée) en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose puis Bibliothèque rose.1968 : Domino et les quatre éléphants - (no 273). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino et le grand signal - (no 275). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino marque un but - (no 282). Illustrations de Jacques Poirier.1970 : Domino journaliste - (no 360). Illustrations de Jacques Pecnard.1971 : La Double Enquête de Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1972 : Domino au bal des voleurs - Illustrations de Jacques Pecnard.1974 : Un mustang pour Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1973 : Domino photographe - Illustrations de Jacques Pecnard.1975 : Domino sur la piste - Illustrations de François Batet.1976 : Domino, l’Étoile et les Rubis - Illustrations de François Batet.1977 : Domino fait coup double - Illustrations de François Batet.

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1977 : La Grande Croisière de Domino - Illustrations de François Batet.1978 : Domino et le Japonais - Illustrations de François Batet.1979 : Domino dans le souterrain - Illustrations de François Batet.1980 : Domino et son double - Illustrations de Agnès Molnar.

Série Lassie 1956 : Lassie et Joe - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque n°101.1958 : Lassie et Priscilla - no 160. Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1978 (Bibliothèque rose).1958 : Lassie dans la vallée perdue - Adapté du roman de Doris Schroeder. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1974 (Idéal-Bibliothèque).1967 : Lassie donne l’alarme - Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Collection . Idéal-Bibliothèque . Réédition en 1979 (Idéal-Bibliothèque).1971 : Lassie dans la tourmente - Adapté du roman de I. G. Edmonds. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1972 : Lassie et les lingots d'or - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1976 : La Récompense de Lassie - Adapté du roman de Dorothea J. Snow. Illustrations d'Annie Beynel - Éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose.1977 : Lassie dans le désert. Illustrations d'Annie Beynel. Éditions Hachette, Coll. Bibliothèque rose.1978 : Lassie chez les bêtes sauvages - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Véronique 1954 : La Fortune de Véronique - Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque  1955 : Véronique en famille - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  1957 : Le Rallye de Véronique - Illustrations d’Albert Chazelle - Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  no 128.1961 : Véronique à Paris - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 205.1967 : Véronique à la barre - Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 377.

Série Robin des Bois ]1953 : Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 43. Réédition en 1957 (coll. Idéal-Bibliothèque).1958 : La Revanche de Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 154. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).1962 : Robin des Bois et la Flèche verte - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 234. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

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Série Sissi 1962 : Sissi et le fugitif - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 226. Réédition en 1983, illustrations de Paul Durand.1965 : Sissi petite reine - no 284. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. Réédition en 1976 et 1980 (Idéal-Bibliothèque, illustrations de Jacques Fromont (1980)).

En tant que traducteur Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Série Docteur Dolittle 1967 : L’Extravagant Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1968 : Les Voyages du Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 339.1968 : Le Docteur Dolittle chez les Peaux-rouges, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Ji, Ja, Jo Série sur le monde équestre écrite par Pat Smythe et parue en France aux Éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte.1966 : Ji, Ja, Jo et leurs chevaux - Illustrations de François Batet.1967 : Le Rallye des trois amis - Illustrations de François Batet.1968 : La Grande randonnée - no 356 - Illustrations de François Batet.1969 : Le Grand Prix du Poney Club - Illustrations de François Batet.1970 : À cheval sur la frontière - Illustrations de François Batet.1970 : Rendez-vous aux jeux olympiques - Illustrations de François Batet.

Série Les Joyeux Jolivet Série écrite par Jerry West et parue en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose.1966 : Les Jolivet à la grande hutte - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 218.1966 : Les Jolivet font du cinéma - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose no 226 (réédition en 1976, coll. Bibliothèque rose).1966 : Les Jolivet au fil de l'eau - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 220.1967 : Les Jolivet font du camping - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 242.1967 : Le Trésor des pirates - no 259 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : L’Énigme de la petite sirène - no 284 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : Alerte au Cap Canaveral - no 272 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Les Jolivet au cirque - no 320 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Le Secret de l'île Capitola - no 304 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet et l'or des pionniers - no 340 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet montent à cheval - no 347 - Illustrations de Maurice Paulin.

Série Une enquête des sœurs Parker

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Série écrite par l'Américaine Caroline Quine, éditée en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. Rééditions jusqu'en 1987.1966 : Le Gros Lot.1966 : Les Sœurs Parker trouvent une piste.1967 : L'Orchidée noire.1968 : La Villa du sommeil.1969 : Les Disparus de Fort-Cherokee.1969 : L'Inconnu du carrefour.1969 : Un portrait dans le sable.1969 : Le Secret de la chambre close.1970 : Le Dauphin d'argent.1971 : La Sorcière du lac perdu.1972 : L'Affaire du pavillon bleu,1972 : Les Patineurs de la nuit.

Série Un cochon d'Inde 1965 : Un cochon d'Inde nommé Jean-Jacques, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose).1966 : Qui a volé mon cochon d'Inde ?, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque Rose (Mini rose) no 219.1968 : Le Tour du monde d'un cochon d'Inde, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose) no 268.

Série Une toute petite fille ]1955 : L'Histoire d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Simone Baudoin. Réédition en 1959 (Nouvelle Bibliothèque Rose no 29) et 1975 (Bibliothèque Rose, illustré par Pierre Dessons).1964 : Les Bonnes idées d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Éd. Hachette, Bibliothèque rose no 166. Réédition en 1979 (Bibliothèque rose, Illustré par Jacques Fromont) et 1989 (Bibliothèque rose, Illustré par Pierre Dessons).1968 : Les Découvertes d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Nouvelle Bibliothèque Rose (mini rose) no 298. Réédition en 1975 et 1989 (Bibliothèque Rose, Illustré par Pierre Dessons).

Romans hors séries 1949 : Dragonwyck d’Anya Seton. Éd. Hachette, Coll. Toison d'or. Réédition en 1980 (Éd. Jean-Goujon).1951 : La Hutte de saule, de Pamela Frankau. Éd. Hachette.1953 : Le Voyageur matinal, de James Hilton. Éd. Hachette, Coll. Grands Romans Étrangers.1949 : Le Miracle de la 34e rue, de Valentine Davies. Éd. Hachette - Réédition en 1953 (ed. Hachette, coll. Idéal-Bibliothèque, ill. par Albert Chazelle).1964 : Anne et le bonheur, de L. M. Montgomery. Illustrations de Jacques Fromont. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque verte.1967 : Cendrillon, de Walt Disney, d'après le conte de Charles Perrault. Éd. Hachette, collection Bibliothèque rose. Réédition en 1978 (ed. Hachette, Coll. Vermeille).1970 : Les Aventures de Peter Pan, de James Matthew Barrie. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose. Réédition en 1977 (Hachette, Coll. Vermeille).1973 : Blanche-Neige et les Sept Nains, de Walt Disney, d’après Grimm. Éd. Hachette, Coll. Vermeille.

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1967 : La Fiancée de la forêt, de Robert Nathan - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette.1965 : Le Chien du shérif, de Zachary Ball - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque n°283.1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains - Robert Graves, Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard, D.L.).

Prix et Distinctions Croix de guerre 1939-1945.Prix de la Joie en 1958 décerné par l'Allemagne pour Le Rallye de Véronique.

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