Suzanne Pairault Infirmière 20 Florence Et l'Infirmière Sans Passé 1982

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JEUNES FILLES EN BLANC * N 20FLORENCE ET LINFIRMIERE SANS PASSE

par Suzanne PAIRAULT

* Vite, dit Florence la nouvelle infirmire, nous avons besoin de ton sang pour sauver un malade. C'est urgent!- Je regrette, rpondit Laure, mais je ne donnerai pas mon sang. Florence est scandalise... Laure, de retour d'une mission sanitaire au Cambodge, peut-elle manquer ce point de courage?Que cache ce refus de l'infirmire au regard triste?...

Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. Salle des urgences 1976

13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

14. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

16. La promesse de Francine 1979 (Francine)

17. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)18. Florence fait un diagnostic1981 19. Florence et l'trange pidmie 198120. Florence et l'infirmire sans pass198221. Florence s'en va et revient198322. Florence et les frres ennemis 198423. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

13. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

15. La promesse de Francine 1979 (Francine)

16. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)

Srie Florence

1. Salle des urgences 1976

2. Florence fait un diagnostic1981 3. Florence et l'trange pidmie 19814. Florence et l'infirmire sans pass19825. Florence s'en va et revient19836. Florence et les frres ennemis 19847. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre alphabtiqueJeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. Dora garde un secret 1974 (Dora)

3. Florence et les frres ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'trange pidmie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmire sans pass1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient1983 (Florence)8. Infirmire bord 1970 (Juliette)

9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

11. La Grande preuve de Florence1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)

13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

14. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)15. Le lit no 13 1974 (Genevive)

16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

20. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

21. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

22. Salle des urgences 1976 (Florence)

23. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

SUZANNE PAIRAULT

FLORENCE ET LINFIRMIERE SANS PASSEILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

I A u petit hpital de Rouville, la journe de travail s'achevait enfin. Les traitements de l'tage taient termins, les mdicaments du soir distribus. La garde de nuit, Mme Lugrin, venait d'arriver et avait reu les consignes.Florence, la jeune infirmire du service, se laissa tomber sur une chaise du poste de garde. Elle avait travaill dur toute la journe, le moment du reposarrivait. Encore quelques mots dire Mme Lugrin, et elle pourrait descendre la cantine, puis retrouver son lit au quartier des infirmires, au dernier tage de l'hpital.En attendant, c'tait dj bon de pouvoir se dtendre quelques instants. Florence ferma les yeux ces yeux gris trs doux qui donnaient tant de charme sa physionomie. Elle ta sa coiffe, appuya sa tte au dossier de la chaise et poussa un grand soupir.Dormir... pensait-elle, dormir... Flo, tu viens? C'tait Clotilde, une de ses camarades, qui habitait l'hpital comme elle. J'arrive, dit Florence. Je ne sais pas ce qui a pu se passer; j'attendais une malade qui doit tre opre demain matin. Une intervention grave? Non, une appendicite rien du tout, d'aprs Robert. Eh bien, figure-toi qu'elle n'est pas venue. Tu l'as signal la surveillante? Naturellement. J'ai demand Mme Benot si elle avait reu un contrordre quelconque. Mais non, absolument rien. Elle m'a dit de ne pas attendre. Cette malade s'est sans doute mise en rapport avec le patron et aura oubli de nous prvenir. Cela m'tonne de la part de M. Martel, qui pense toujours tout , remarqua Clotilde.A ce moment, on entendit une voiture s'arrter devant l'hpital. Le poste de garde de l'tage donnant sur la cour arrire, on ne pouvait voir qui arrivait.

De toute faon, il ne s'agissait pas d'une ambulance, donc probablement pas d'une urgence. Qui donc peut venir cette heure-ci? murmura Florence.La rponse ne se fit pas attendre. L'ascenseur monta, il y eut des pas dans le corridor.Bientt les deux infirmires virent apparatre une jeune femme, lgamment vtue d'un tailleur fauve, appuye sur le bras d'un homme qui portait une casquette de chauffeur.Florence s'avana au-devant d'elle. La jeune femme tait jolie, mais son visage avait une expression de terreur qui la dfigurait.Elle s'adressa aussitt Florence. Enfin! fit-elle en s'efforant de sourire. Depuis l'entre de l'hpital je n'ai rencontr personne, j'avais peur qu'on ne m'ait oublie. Vous ne pouvez pas savoir... c'est affreux... Mais, madame, interrompit gentiment l'infirmire, dites-moi au moins qui vous tes. La jeune femme soupira. C'est vrai, excusez-moi, je ne sais plus ce que je fais, j'oublie tout. Je suis Mme Loiseau; je dois tre opre demain matin par M. Martel. Madame Loiseau! Mais je vous attendais beaucoup plus tt. N'tiez-vous pas convoque pour quatre heures? Si, c'est vrai. Mais le courage m'a manqu. Si vous saviez tout ce qui m'arrive... Rien de grave, j'espre? Jugez plutt. Mon mari est au Brsil pour ses affaires. M. Martel m'a conseill de me faire oprer

en son absence, pour tre prte partir en vacances avec lui son retour. Rien que cela est un peu traumatisant, n'est-ce pas? Cela prouve simplement que M. Martel n'a aucune 'inquitude votre sujet. Attendez, ce n'est pas tout. Ma mre est venue ce matin chercher les enfants, qu'elle doit garder; je me suis trouve seule, toute seule. A la maison, au moins, j'tais chez moi, dans ma chambre, je pouvais m'imaginer que cette opration n'tait qu'un cauchemar. J'ai prfr venir l'hpital le plus tard possible... Vous avez eu grand tort, madame. Heureusement que je suis encore dans le service, je vais m'occuper de vous, immdiatement. La jeune femme tremblait de la tte aux pieds. Son angoisse toucha Florence; elle la prit doucement par le bras et la dirigea vers la chambre qu'on lui destinait.C'tait une pice assez petite, mais gaie, les murs peints en ros, une lumire douce tombant du plafond. Je pense que monsieur peut se retirer, dit la jeune infirmire en se tournant vers le chauffeur. Bien sr, bien sr... Quand je vous dis que j'oublie tout! Allons, au revoir, mon pauvre Georges. Vous pourriez tlphoner demain matin pour savoir si tout s'est bien pass. Si... enfin, s'il m'tait arriv quelque chose, il faudrait avertir immdiatement ma mre et tlgraphier mon mari... Mais pourquoi avoir de pareilles ides, madame? s'cria Florence. L'opration que vous devez subir est une des plus bnignes qui soient. Une appendicite de rien du tout! Il y a des gens qui sont morts d'une appendicite, dclara gravement Mme Loiseau. J'ai toujours entendu dire qu'un de mes grands-oncles... Autrefois, quand il fallait oprer chaud, en pleine crise, il y avait quelquefois des accidents. Avec les antibiotiques, cela n'arrive plus. Vous en tes sre? Comme je vous le dis. Mme Loiseau regarda Florence avec plus d'attention. Vous avez l'air si gentille... Vous ne me dites pas tout a pour me rassurer? Je vous le dis parce que c'est la vrit. Allons,soyez raisonnable : dshabillez-vous et mettez-vous au lit, je vais chercher ce qu'il nous faut. La malade ouvrit des yeux pouvants. Ce qu'il nous faut...? Vous allez donc me faire quelque chose? Ecoutez-moi, madame, dit la jeune infirmire. Avant toute intervention sur l'abdomen, il faut que l'intestin soit compltement dgag. C'est ce que nous allons faire. Elle sortit de la chambre et se dirigea vers le poste de garde, o Clotilde l'attendait toujours. Descends dner, lui dit-elle, je te rejoindrai plus tard. Qu'est-ce qui se passe? demanda Clotilde. Cette femme qui vient d'arriver, c'est l'appendicite de demain matin. Il faut que je m'occupe d'elle. Je pense que tu exagres un peu. A cette heure-ci! Que lui est-il donc arriv? Elle a tellement peur de l'opration qu'elle ne pouvait se dcider sortir de chez elle. C'est encore une chance que je me sois un peu attarde dans le service. Florence, tu seras toujours la mme. La garde de nuit pouvait trs bien se charger de la prparer. Aprs tout, Mme Lugrin est infirmire comme toi et moi. Je sais. Mais elle est quelquefois un peu brusque. Et cette pauvre Mme Loiseau a tellement besoin d'tre rassure... Pour une petite appendicite! Elle est vraiment bien poltronne. A ta place, moi... Si tu l'avais vue, tu ferais comme moi, coupa Florence en souriant. Bien sr, cette jeune femme est un peu ridicule avec ses terreurs. Mais elle semble avoir confiance en moi, je peux donc lui tre utile. Va vite dner, je descendrai un peu plus tard. Clotilde haussa les paules et s'loigna. Florence prpara les objets ncessaires et retourna dans la chambre. La malade, vtue d'une charmante veste de soie ros, reposait sur ses oreillers.Trop gte, pensa la jeune infirmire. Il faudrait qu'elle reste un peu ici pour voir ce que c'est qu'une vraie souffrance... Je n'ai pas t trop longue? demanda-t-elle en souriant. Vous tes gentille , rpta Mme Loiseau. Tandis que Florence procdait la prparationintestinale, la malade dclara encore : Avec vous j'ai moins peur. Vous resterez prs de moi cette nuit, n'est-ce pas? Florence secoua la tte. Vous n'aurez pas besoin de moi. Vous allez dormir bien sagement, comme un bb. Dormir! Vous croyez que je pourrai? Moi je sais bien que non. Est-ce que je pourrai au moins vous appeler si quelque chose n'allait pas? Moi, non. La garde de nuit viendra si vous sonnez. Mais je suis sre que vous n'aurez pas besoin d'elle. Comment pouvez-vous le savoir? Je vais vous donner un comprim qui vous endormira en cinq minutes. Un comprim! On m'en a dj donn il y aquelque temps. Mais le docteur a dit que c'tait du poison; il n'a mme pas voulu qu'on laisse la bote prs de mon lit. Parce qu'il craignait que vous n'en preniez trop. Mais exceptionnellement, comme ce soir, cela ne vous fera pas de mal. Mme Loiseau soupira : Que voulez-vous, ce n'est pas ma faute. Je pense mon mari, mes pauvres enfants... Que deviendraient-ils s'il m'arrivait quelque chose? Ds que je suis seule, j'ai peur, j'ai si peur... Je vous promets que vous dormirez trs bien. Voyant l'tat nerveux de la malade, Florence augmenta lgrement la dose de somnifre qu'elle donnait toujours la veille d'une intervention chirurgicale. Puis, mue par le regard angoiss de la jeune femme, elle s'assit son chevet et lui prit doucement la main. Mme Loiseau lui serra les doigts de toutes ses forces.Un moment plus tard, l'treinte se desserra peu peu. Les yeux se fermrent, la bouche murmura : Vous tes l... Puis ce fut le silence : la malade tait endormie.Florence reposa doucement la main inerte sur le drap et sortit sur la pointe des pieds. Dans le couloir, elle croisa Mme Lugrin, la garde de nuit, qui faisait sa ronde. Rien de spcial, Flo? Rien d'important. Je voudrais seulement que vous surveilliez le 9. Elle doit tre opre demain matin et elle a peur. Une intervention grave? Une appendicite tout ce qu'il y a de plus banal. Je lui ai donn une dose et demie, je pense qu'elle ne bougera pas de la nuit. Mais si vous la voyez s'agiter, donnez-lui le second comprim que j'ai laiss sur la table. D'accord , dit la garde.Florence s'loigna. Dormir... dormir enfin! Elle n'aurait pas besoin de somnifre, elle! Serait-elle seulement capable de remonter de la cantine jusqu sa chambre?Comme elle arrivait au bout du couloir, une porte s'ouvrit brusquement; d'une petite pice mnage sous l'escalier surgit un trange personnage. C'tait un homme entre deux ges, le visage trs rouge surmont d'une tignasse hirsute. Il portait un des pyjamas rays que l'hpital prtait aux malades indigents.

Mais la veste tait boutonne de travers et le pantalon tombait en tire-bouchon sur ses mollets. Mademoiselle Flo... commena-t-il d'une voix geignarde.Elle se tourna vivement vers lui. Ah, non, pas vous, Camus! Je suis puise, je n'ai pas le temps de faire la conversation. Mais je suis malade, moi! Je ne vois pas pourquoi vous vous arrtez chez les autres, tandis que moi... Camus tait un clochard, bien connu de l'hpital o il revenait plusieurs fois dans l'anne faire soigner un ulcre gastrique d l'alcool et au tabac. Le rgime de Rouville le remettait assez vite d'aplomb, mais peine sorti il reprenait sa vie vagabonde, se nourrissant de restes rcolts a et l et fumant longueur de journe des mgots ramasss dans les caniveaux1.Il tait drle et le personnel de l'hpital s'amusait souvent de ses saillies. Mais ce soir, non, vraiment, Florence n'avait pas la force... Laissez-moi passer, voulez-vous? II tendait les bras en travers du corridor. Vous savez bien que j'ai mal l'estomac. Trs mal. Ici! expliqua-t-il en se frottant la poitrine. On vous donne ce qu'il faut pour cela. Allez vous recoucher, tout de suite. Si vous me donniez seulement un petit bout de cigarette une moiti un quart! Je suis sr que a m'aiderait m'endormir, dit-il encore en pleurnichant.1. Voit Salle des urgences dans la mme collection. Vous savez trs bien que cela vous est dfendu. Et j'ai besoin de dormir, moi aussi. Oh, je ne vous aurais pas rveille! Mais puisque vous tes l... Si vous n'allez pas vous coucher immdiatement, Camus, j'appelle l'infirmier. Camus avait une peur terrible de l'infirmier qui, chacun de ses retours l'hpital, le forait horreur! prendre une douche. Il recula de quelques pas; Florence en profita pour passer.En s'loignant, elle l'entendit grommeler : Vous me dcevez, mademoiselle Florence. Oui, vous me dcevez, vraiment! Vous tes infirmire, et vous n'avez pas piti d'un pauvre malade! Pas piti, elle? Ses camarades lui reprochaient parfois d'en avoir trop. Tu verras, a te passera! lui disaient les plus ges. On s'habitue tout, mme voir souffrir. a n'empche pas de bien faire son mtier... Peut-tre avaient-elles raison. Mais Florence n'en tait pas encore l, et elle doutait fort de jamais y parvenir.Pour Mme Loiseau, par exemple... Clotilde lui reprocherait certainement de s'tre attarde, malgr sa fatigue, auprs d'une personne qui ne le mritait pas... Mais la souffrance est-elle une question de mrite? Et peut-on refuser de tenir une main lorsqu'on sait que cela fait tant de bien?Elle se sentit trop lasse pour descendre la cantine. Elle avait dans sa chambre des biscuits et un pot de confiture; cela lui suffirait pour ce soir. Elle ne souhaitait plus qu'une chose : les chaussures tes, la fracheur du drap sur ses pieds nus.

II

LE lendemain matin, Florence s'veilla l'heure habituelle, avec l'impression de n'avoir pas assez dormi. Elle ne voulait pas se l'avouer, mais elle serait bien reste au lit une heure de plus. Et plusieurs de ses camarades taient dans le mme cas. Avec une infirmire supplmentaire l'quipe serait vraiment soulage. Mais jusqu'ici Mme Benot n'en avait pas trouv.Tout en prenant son petit djeuner la cantine, Florence passa en revue les tches qui l'attendaient. Pas de cas dramatiques, heureusement. Le 4, unouvrier tomb d'un chafaudage et porteur de plusieurs fractures, tait sur la bonne voie. Les quatre occupantes de la salle Par, victimes d'une intoxication collective, demandaient, elles, une surveillance constante. Florence sourit en pensant la malade du 6, une petite fille de cinq ans qui avait aval une livre de cerises avec les noyaux. Pour celle-l, on n'avait qu' attendre, en esprant que la nature ferait son uvre tout en se tenant prt intervenir en cas de besoin.Pour Camus, il s'agissait avant tout de lui faire suivre son rgime et de l'empcher d'aller rder du ct des cuisines dans l'espoir d'attraper quelque rogaton.Restait Mme Loiseau, l'appendicite. Pour celle-l, pas de souci : le patron l'oprerait sans doute ds son arrive. Florence jeta un coup d'il dans la chambre et constata que la malade dormait toujours. Parfait. Il n'y aurait qu' surveiller le rveil, qui pouvait tre agit chez cette grande nerveuse.Un peu plus tard, Mme Benot, la surveillante, passa au poste de garde. Vous avez une mine affreuse, ma pauvre Florence. Heureusement, j'ai une bonne nouvelle, j'espre que les choses vont s'arranger. Vous avez trouv quelqu'un, madame? demanda la jeune fille. Je commenais dsesprer, mais ce matin, de bonne heure, on m'a propos une infirmire qui serait libre immdiatement. Elle a vingt-huit ans, elle vient de rentrer du Cambodge, o elle faisait partie d'une quipe sanitaire. J'avoue que ce pass d'ambulancire

m'effraie un peu : le travail n'y est videmment pas le mme qu' Rouville. Mais nous n'avons pas l'embarras du choix, n'est-ce pas? Elle a fait ses tudes Paris? interrogea Florence. Non, Lyon o elle a travaill quelque temps avant de partir pour l'Asie. J'ai voulu avoir davantage de renseignements et je viens de tlphoner son ancienne directrice. Elle m'en a dit le plus grand bien; elle juge cette fille intelligente, capable, pleine de cur. Elle aurait mme voulu la reprendre, mais Laure Duvalier c'est son nom ne veut absolument pas retourner Lyon. Sans doute, aprs la vie trs dure qu'elle a connue comme quipire de mission, ne souhaite-t-elle pas se retrouver dans son ancien milieu. Je la comprends, murmura Florence. Il y a des moments o on prfre recommencer zro. Elle est venue directement Paris, poursuivit la surveillante. Et elle tait prte prendre le premier poste qui s'offrirait. Cela me gnait un peu d'engager une infirmire sans mme l'avoir vue. Mais j'avais trop peur qu'un autre hpital ne nous la prenne. Et ma foi, tant pis, j'ai dit oui. Vous ne trouvez pas que j'ai eu tort, ma petite Florence? Certainement pas, dit la jeune infirmire. J'avoue que cette proposition, tombant ainsi des nues, m'a paru providentielle. J'espre seulement que Mlle Duvalier n'a pas t trop branle par ses expriences guerrires. Il parat que la veille de son retour, alors qu'elle tait dj en route vers la France, elle a subi un bombardement particulirement violent...

Je vous la recommande, Florence, puisque c'est vous surtout qu'elle aura affaire, du moins au dbut. Soyez trs patiente avec elle, n'est-ce pas? Quand doit-elle arriver, madame? demanda la jeune fille. Le plus tt possible peut-tre aujourd'hui mme, au plus tard demain matin. Florence retourna vers ses malades. En passant, elle jeta un coup d'il la chambre 9. Mme Loiseau dormait toujours. Elle avait t opre, comme en tmoignait le flacon perfusion suspendu la tte de son lit. Son visage tait calme comme celui d'un enfant; on voyait maintenant combien elle tait jolie.C'est trange, se dit Florence. En gnral le patron n'opre pas aussi tt.Elle regrettait un peu de ne pas l'avoir assist pendant l'intervention comme de coutume. Mais l'opre se portait bien, c'tait l'essentiel.Un peu plus loin elle aperut Robert, l'interne du service, qui s'avanait vers elle. A plusieurs reprises elle avait eu maille partir avec lui. C'tait un excellent mdecin, sur lequel on pouvait compter. Mais ds qu'il n'tait plus au chevet d'un malade, il ne pouvait s'empcher de faire le pitre. Alors, lui dit-il, tu viens de voir notre oiseau? Il parat qu'hier soir elle t'a fait tout un cirque? Florence frona les sourcils. Qui t'a dit cela? demanda-t-elle. Clotilde, qui m'a assist pendant l'intervention. C'est donc toi qui l'as opre? Le jeune homme inclina la tte. a a l'air de te surprendre, dit-il. Le patron ne pouvait pas venir ce matin; il prfrait que l'intervention soit faite le plus tt possible, l'attente ne faisant qu'exasprer la malade. C'est que... Mme Loiseau comptait tre opre par M. Martel. Que diable! je suis capable d'enlever un appendice, tout de mme! Ce n'est pas la premire fois que a m'arrive; tu sais que le patron se drange rarement pour de petites interventions de ce genre. Je suis trs content de mon travail : dans deux mois l'opre n'aura plus de cicatrice... Je crois que je devrais me spcialiser dans la chirurgie esthtique; j'ai des dispositions, tu ne crois pas? Je me vois trs bien en train de faire un joli petit nez une star. Eh bien, il est encore temps de t'y dcider. Mais laisse-moi, j'ai faire. Attends un instant. Toi qui es toujours au courant de tout, tu dois savoir que nous allons avoir une nouvelle infirmire? Mme Benot vient de me le dire. Mais comment le savais-tu, toi? Elena faisait le mnage dans la salle d'attente ct du bureau. Alors, bien sr... Mais Elena ne comprend pas toujours trs bien le franais. Qu'est-ce qu'elle t'a dit exactement, notre digne surveillante? Rien que tu ne saches dj : depuis le temps qu'elle cherche une infirmire, on vient de lui en proposer une. C'est vrai qu'elle revient de la guerre?

C'est vrai. Elle faisait partie d'une mission sanitaire au Cambodge. Robert fit la grimace. A ce que je vois, ce ne sera pas encore une rigolote, celle-l! Je me demande ce que j'ai bien pu faire au bon Dieu pour mriter une quipe pareille! Toi qui penses toute la journe ton Gilles 1... Caroline qui ne rpond mme plus quand on a besoin de blaguer un peu... Tu sais bien que la pauvre Caroline a des problmes. Tous deux se mirent rire. Les problmes de Caroline, en effet, avaient un ct comique qui amusait tout l'hpital. La jeune fille tait fiance depuis peu Maximilien Abel, un garon sympathique, mais afflig d'une terreur panique des maladies. On prtendait mme que s'il pousait une infirmire, c'tait pour avoir des soins domicile vingt-quatre heures sur vingt-quatre2.Caroline affirmait ses camarades qu'elle arriverait peu peu le gurir de ses phobies. Mais en attendant il ne venait presque jamais la voir Rouville, de crainte d'une contagion possible. Et il lui demandait de quitter l'hpital au moins un mois avant leur mariage afin, disaient les mauvaises langues, qu'elle ne risque pas d'apporter des microbes chez lui. Caroline, qui trouvait cette exigence ridicule, y avait rsist jusqu'alors. A ton avis, Flo, comment cela finira-t-il? demanda l'interne. Par une rupture?1. Voir Salle des urgences dans la mme collection.2. Voir Florence fait un diagnostic dans la mme collection. Je ne crois pas : au fond ils tiennent beaucoup l'un l'autre. Je pense que Caroline finira par cder. Maximilien est plus entt qu'elle. Ils en taient l de leur conversation quand une porte s'ouvrit au fond du couloir; la tte hirsute de Camus apparut dans l'entrebillement.' L'occasion tait trop belle pour Robert de s'amusera un peu. Nous parlions justement de toi, dit-il au clochard. Nous, disions qu'il tait vraiment cruel de te priver compltement de cigarettes. Les yeux de Camus brillrent. Bien vrai? demanda-t-il. Tellement vrai que nous avons dcid, Mlle Florence et moi, de nous cotiser pour t'offrir une bote de cigarettes en chocolat! Le visage du clochard prit une expression dramatique. Toujours vous moquer de moi, docteur! Ce n'est pas bien, je vous assure que ce n'est pas bien. Ce qui n'est pas bien, intervint Florence, c'est de ne pas vous tre ras ce matin. Pas lav non plus, je suppose. Camus avait l'air d'un enfant surpris en faute. Faut vous dire, mademoiselle Florence... Je crois que je suis un peu enrhum... C'est bien simple, interrompit Robert. Ou tu fais ta toilette avant la visite, ou je te fais passer sous la douche par l'infirmier. La peur de l'infirmier dcida le clochard tourner les talons. Il rentra dans sa chambre et referma sa porte. II est plutt sympa, dit l'interne. S'il voulait, il pourrait travailler comme tout le monde. Seulement, voil, a le fatigue. Il aime mieux traner sous les ponts avec une bande de voyous. On lui a dj trouv du travail, mais il a toujours un bon prtexte pour ne pas le prendre. A la place du patron, je ne l'accepterais plus l'hpital. Que veux-tu? c'est tout de mme un malade. Il a un gros ulcre... Qu'il entretient de son mieux! Tu es toujours la mme, Flo : du moment que quelqu'un souffre, mme si c'est par sa propre faute, tu en as piti. C'est pour cela que je suis devenue infirmire , rpondit-elle en souriant.A la cantine, la conversation roula naturellement sur l nouvelle , qu'on attendait d'une heure l'autre. On se rjouissait la pense qu'on allait pouvoir organiser les services comme ils devaient l'tre et que les infirmires, moins surmenes, auraient plus de temps pour s'occuper individuellement des malades. Savez-vous quel service Mme Benot a l'intention de l'affecter? demanda une des jeunes filles. D'abord chez Flo, certainement : c'est l'tage le plus charg ces jours-ci. Plus tard, je ne sais pas surtout si Caroline nous quitte! rpondit Clotilde en lanant un coup d'il amus du ct de cette dernire.Caroline rougit et garda le silence. Pourvu qu'elle soit gentille! reprit Clotilde. Elle va habiter l-haut avec nous, je suppose? Sans doute, puisqu'elle vient de loin et ne connat probablement personne Rouville. Si c'est une pimbche, nous pourrons toujours la laisser de ct. Florence, elle, prouvait d'avance un sentiment affectueux envers cette fille qui sortait d'un enfer. Elle avait vu la tlvision des scnes de bombardements et des hpitaux de campagne au Cambodge. Laure Duvalier, elle, avait vcu tout cela. Il fallait tenter de le lui faire oublier, lui montrer qu'elle se trouvait parmi des amies.L'aprs-midi s'coula sans incident notable. Dans la chambre 9, l'opre reposait tranquillement, les yeux mi-clos. A la vue de la jeune infirmire, elle sourit. Alors, dit Florence, c'est fini, cette intervention? C'est vrai : j'avais bien tort d'avoir peur. Est-ce que M. Martel reviendra me voir avant la nuit? Le docteur Martel est dj parti; il ne sera Rouville que demain matin. La jeune femme commena s'agiter. Comment! il ne passera pas ce soir? Il se dsintresse donc de ses malades aussitt qu'ils sont oprs? Pas du tout, mais puisque vous allez bien, il n'a pas de raison de s'inquiter. Alors je ne verrai personne avant demain? Vous me verrez : cela ne vous suffit pas? Oh, j'ai confiance en vous! Mais tout de mme... Vous verrez l'interne la contre-visite. Heureusement c'tait le docteur Belloy, le secondinterne du service, qui devait faire la contre-visite ce soir-l. Florence se mfiait de Robert : il n'avait aucune patience avec les malades du genre de Mme Loiseau. S'il l'irritait, il faudrait de nouveau recourir aux tranquillisants. Et quand on peut les viter, c'est toujours prfrable.Florence bavarda un moment avec Mme Loiseau. Quand elle sortit de la chambre sur la pointe des pieds, la malade s'tait de nouveau assoupie.

III

le dner s'achevait la cantine quand Mme Benot, qui s'tait attarde dans son bureau, appela Florence par l'interphone. La nouvelle infirmire, Laure Duvalier, venait d'arriver.En face de la surveillante, Florence trouva une jeune fille de taille moyenne, dont on remarquait d'abord le teint hl et les cheveux roux. Ses traits, sans tre parfaitement rguliers, n'auraient pas manqu de charme, sans l'expression grave et triste rpandue sur tout le visage. Mlle Laure Duvalier, prsenta la surveillante. Jevous remercie, mademoiselle, d'tre venue aussi tt. On m'avait prvenue que c'tait urgent , rpondit la jeune fille.Sa voix tait basse, un peu assourdie, et donnait la mme impression de tristesse que la figure. Voici Mlle Florence, avec qui vous allez travailler, reprit la surveillante. Mais vous devez avoir faim. Pouvez-vous, Florence, accompagner Mlle Duvalier la Cantine? C'est inutile, madame, dit la nouvelle venue. J'ai dn la gare avant de quitter Paris. Je pensais qu'il faudrait peut-tre me mettre au travail tout de suite. Mme Benot approuva de la tte. v Vous avez besoin d'elle ce soir, Flo? Non, madame, tout est fini, Mme Lugrin est arrive. C'est demain, avec les deux arrivants, que la journe sera peut-tre dure. Florence a grand besoin d'aide, expliqua la surveillante. Vous travaillerez ensemble, du moins au dbut. Florence est notre plus jeune infirmire et une des meilleures, ajouta-t-elle avec un sourire. Je suis sre que vous vous entendrez trs bien toutes les deux. Laure Duvalier inclina la tte sans rpondre. Demain, dit Mme Benot, je vous prsenterai notre directeur, M. Martel. Vous avez sans doute dj entendu parler de lui : il est trs connu Paris. Je n'tais jamais venue Paris, madame , dit simplement Laure.Elle prit sa valise et suivit Florence l'tage des infirmires. Voici votre chambre, dit Florence; j'espre que vous vous y sentirez bien. Demain matin, en ouvrant les volets, vous verrez qu'elle a une trs jolie vue sur le parc. Ce sera parfait, merci.- Vous n'avez besoin de rien? Il ne faudrait pas hsiter me le dire. Merci , rpta Laure en bauchant un sourire. Mme son sourire semblait douloureux et forc.Le premier mouvement de Florence avait t de lui souhaiter bonne nuit en l'embrassant. Mais la froideur de la nouvelle arrta son lan. On aurait dit qu'elle avait hte d'tre seule.Le lendemain matin, Laure arriva une des premires la cantine. Elle tait vtue d'une blouse blanche impeccable, mais ne portait rien sur ses cheveux roux. M. Martel aime que ses infirmires portent une coiffe, lui dit Florence. Voulez-vous que je vous en prte une? Oui, si c'est la coutume, rpondit Laure. Vous tes trs gentille. J'en achterai une ds que je pourrai. Les autres infirmires essayrent de la mettre l'aise. Malgr tout, cette fille qui revenait de la guerre les intimidait un peu. Je suppose, dit Caroline, que l-bas vous ne portiez pas le mme uniforme que nous? Laure fit signe que non. Florence en voulut Caroline d'avoir mentionn ce l-bas terrible que Laure souhaitait sans doute oublier. Vous avez fait votre cole Lyon, je crois? interrogea-t-elle seule fin de dtourner la conversation.Nouveau signe de tte, affirmatif cette fois. II ne doit pas y avoir longtemps, poursuivit Caroline. Dix ans, rpondit Laure. Dix ans! Quel ge avez-vous donc? Vingt-huit ans. On ne vous les donnerait jamais. N'est-ce pas? demanda Caroline en s'adressant aux autres.Le compliment n'entrana aucune raction chez Laure. Elle y sembla indiffrente, comme tout le reste. Vous tes Lyonnaise? demanda une autre infirmire. Votre famille habite peut-tre Lyon? Je n'ai plus de famille , rpondit brivement Laure.Florence sentit son cur se serrer. Elle possdait tant de choses, elle, mme en dehors du mtier qu'elle aimait. Elle avait ses parents, sa sur, son frre. Elle avait Gilles-Gilles Martin, nagure interne Rouville, prparait maintenant le concours des hpitaux Paris. Tout le monde connaissait leurs sentiments. On ne parlait pas encore de mariage, mais plus tard, bientt, quand Gilles aurait fini ses examens...En se comparant Laure, Florence se trouvait presque trop gte. Elle aurait voulu pouvoir partager avec cette pauvre fille qui, elle, n'avait rien. Si Laure voulait devenir son amie... Ici, lui dit-elle, nous nous tutoyons toutes. Les internes aussi, ds que nous les connaissons un peu. Je n'ai plus de famille , rpondit brivement Laure. -

Seuls le patron et Mme Benot, la surveillante, ont droit un vous respectueux. Je ferai comme les autres , dit Laure.En remontant dans le service, Florence fit faire la nouvelle le tour des salles. En ce moment, dit-elle, nous avons deux malades qui demandent des soins intensifs : une hmiplgie et une artrite. Ils sont, bien entendu, dans des chambres individuelles. La plupart des autres sont deux. Ici, elles sont quatre; toutes vont dj mieux; regarde, elles se montrent des points de tricot! La seconde est une opre de l'estomac, c'est la seule des quatre qui nous donne encore un peu d'inquitude. Par ici, j'ai des garons : trois joyeux lurons qui ont eu un accident d voiture avec la voiture de papa, emprunte sans rien dire, comme tu penses! Deux d'entre eux ont des fractures, mais cela ne les empche pas de s'amuser : coute, on les entend rire! A voir la faon dont les malades accueillaient Florence, il tait facile de constater combien ils l'apprciaient et l'aimaient. Elle remarqua qu'en leur prsence Laure se dridait un peu : elle s'intressait aux traitements en cours, changeait quelques mots avec les alits. En passant devant la chambre de Mme Loiseau, Florence dit mi-voix : Celle-ci, ce n'est rien : une petite appendicite qui vient d'tre opre. Mais la jeune femme est une nerveuse : la veille de l'opration elle avait si peur qu'elle s'accrochait moi comme un noy une boue... J'ai essay de la calmer; on m'a mme reproch d'exagrer... Pourquoi? demanda Laure. Nous ne sommes pas l pour juger les malades, mais pour les empcher de souffrir.Florence lui jeta un regard de sympathie. Je vois que tu es comme moi, dit-elle : tu ne te contentes pas d'administrer des mdicaments et de faire des piqres. Tu aimes ton mtier, n'est-ce pas? Oh, oui! rpondit la jeune fille, avec pour la premire fois un lan.Nous pourrions nous comprendre... pensa Florence.Elle sourit : une ombre furtive passait au bout du couloir. Celui-ci, c'est Camus, un clochard qui revient priodiquement l'hpital faire soigner son ulcre. Il doit attendre avec impatience le moment de faire ta connaissance. Ma connaissance? moi? Certainement. Ici, Camus se sent chez lui, tout ce qui se passe le concerne. Une nouvelle infirmire! tu penses : quel vnement! Elles travaillrent ensemble toute la matine. Quand vint l'heure de la visite, tout le personnel de l'tage se runit au poste de garde. Mme Benot prsenta Laure M. Martel. Duvalier... dit celui-ci. Le nom me rappelle quelque chose... O travailliez-vous avant de partir pour l'Asie? A Lyon, monsieur, rpondit Laure d'une voix qu'on entendait peine. A Lyon... Ah, oui, je me rappelle, c'est bien cela. J'ai eu un jeune externe lyonnais qui s'appelait Duvalier,

comme vous. Ce n'est pas un de vos parents, par hasard? Laure fit signe que non. Elle avait rougi jusqu'aux oreilles. Allons, allons, je ne suis pas si intimidant! fit M. Martel en souriant. J'espre que vous aimerez notre Rouville comme nous tous, n'est-ce pas? ajouta-t-il en se tournant vers les autres.Robert s'tait gliss prs de son camarade Claude Belloy. Elle n'est pas mal, qu'en dis-tu? chuchota-t-il. Pas une beaut, peut-tre, mais plutt jolie, tu ne trouves pas? Chut! fit Belloy qui regardait, lui aussi, la nouvelle .Robert dit Florence qu'il venait de passer voir Mme Loiseau. Elle va aussi bien que possible, comme c'tait prvoir. Mais quel caractre, oh, l, l! Tu lui as dit que c'tait toi qui l'avais opre? Naturellement! J'esprais un peu qu'elle me remercierait. Elle me devait bien a, tout de mme! Je reconnais bien l ta modestie habituelle, plaisanta Florence. Et elle t'a rpondu comme tu le souhaitais? Robert se mit rire. a, c'est autre chose! Elle a pouss des cris ameuter tout l'hpital : Mais c'est affreux! j'aurais pu mourir! Tout comme si je lui avais appris que l'opration avait t faite par le charcutier du coin! C'est vexant, pas vrai? Malgr tout, Robert riait. Robert trouvait toujours moyen de rire.La visite se poursuivit. Devant un bless dont la jambe bande semblait un peu enfle, M. Martel dclara : Je voudrais bien voir ce qui se passe l-dedans. Voulez-vous me dfaire ce bandage, Florence? Vous ne prfrez pas qu'on l'emmne dans la salle de pansements? C'est inutile, je veux seulement donner un coup d'il. Florence commenait drouler la bande lorsque la porte s'ouvrit brusquement. Sandra, la jeune aide-soignante noire, fit irruption dans la pice. Florence... la dame du 9... elle fait une syncope! Une syncope? rpta Florence surprise.Ne pouvant lcher la jambe blesse qu'elle tenait deux mains, elle jeta un regard autour d'elle. Belloy se dirigeait vivement vers la porte. Mais, plus rapide que lui, Laure filait dj le long du couloir.Quand Florence, un moment plus tard, entra dans la chambre, Laure tendait au docteur Belloy une serviette mouille, avec laquelle il administra plusieurs gifles vigoureuses sur les joues de la malade. Au bout d'un instant, Mme Loiseau ouvrit les yeux. Tout va bien, dclara Belloy. Laissez-la tranquille maintenant. Ils allrent retrouver M. Martel qui poursuivait la visite avec le reste de l'quipe. Il se tourna vers Belloy. Ce n'tait pas une vraie syncope, dit celui-ci.

Raction hystrique? Exactement, monsieur. Florence nous avait prvenus que cette jeune femme tait une grande nerveuse. Elle avait une peur terrible de l'opration. Hier elle semblait calme; ce matin, je ne sais pour quelle raison, elle nous fait ce petit incident. Il suffit souvent de peu de chose, dit M. Martel, pour dclencher des ractions de ce genre. Florence jeta un regard vers Robert, qui semblait gn. Ils savaient bien, tous les deux, ce qui avait si fortement mu la malade. En apprenant qu'elle n'avait pas t opre par le patron, mais par l'interne, elle s'tait dit qu'elle venait d'chapper de peu la mort. Quoi qu'il en soit, dit Belloy, Mlle Laure a vutout de suite ce dont il s'agissait. Elle a fait exactement le geste qu'il fallait. Florence remarqua qu'il regardait la nouvelle avec sympathie. Mais Laure ne parut pas s'en apercevoir.Une fois la visite acheve, l'quipe de l'tage se retrouva au poste de garde. L Robert clata : C'est une folle, cette Loiseau! Tu n'avais pas besoin de lui dire que c'tait toi qui l'avais opre, dclara Florence. S'il faut tenir compte de tous leurs caprices! grogna l'interne. Je suis ici pour soigner des malades, pas pour bercer des enfants! Un malade est toujours un peu un enfant , rpliqua Florence.Laure garda le silence, mais Florence sentit qu'elle l'approuvait. Si nous pouvions devenir amies! pensa-t-elle de nouveau.A la fin de la journe, comme elle se trouvait au chevet de Mme Loiseau, celle-ci remarqua : Elle est gentille, cette infirmire qui vous a remplace l'aprs-midi. J'ai beau aller mieux, je me sens souvent un peu seule. Elle est venue me parler, j'ai eu l'impression que sa prsence me faisait du bien. Elle ne vous a pas paru triste? Triste, non. Il est vrai qu'elle ne parle pas beaucoup d'elle : il est normal, n'est-ce pas, qu'elle cherche oublier ses mauvais souvenirs. Mais elle m'a questionne sur mon mari, mes enfants... en somme, elle m'a remonte.Florence comprit qu'avec les malades Laure pouvait se montrer, sinon gaie, du moins plus communicative. Cela faisait partie de son mtier, et de ce ct on n'avait rien lui reprocher.

C'tait aussi une bonne camarade, toujours prte rendre service. Quelques jours aprs son arrive, en remontant aprs le dner, elle vit Florence s'installer devant sa table avec des livres et des dictionnaires. Je fais de l'anglais, expliqua celle-ci. Je n'ai pas le temps de prendre des leons, je me dbrouille comme je peux avec des livres. C'est ennuyeux pour l'accent, mais cela vaut mieux que rien, n'est-ce pas? Florence ne disait pas pourquoi elle tenait tant apprendre l'anglais. C'est que Gilles, lui, le parlait couramment et qu'ils avaient projet, pour les vacances, une quinzaine de repos sur la cte anglaise. Veux-tu que je t'aide? proposa Laure. Moi, je parle anglais depuis mon enfance. Ma mre tait Anglaise, ajouta-t-elle en rougissant, comme si cet aveu la gnait. Mais tu es ne Lyon, n'est-ce pas? Laure fit signe que oui. Florence aurait aim poserd'autres questions : o Laure avait-elle t leve? Y avait-il longtemps qu'elle avait perdu ses parents? Mais l'attitude de celle-ci arrtait les mots sur ses lvres. Je ne voudrais pas, dit-elle, que tu passes tes soires faire le professeur surtout avec une dbutante comme moi. Je t'en prie, je n'ai rien d'autre faire, cela me fera plaisir. Florence finit par accepter. Ce travail du soir en commun serait un moyen de la rapprocher de Laure.Sur ce point, elle se trompait. Laure se montrait bon professeur comme elle tait bonne infirmire, mais ses nouvelles fonctions ne la portaient pas l'intimit.Son comportement surprenait toute l'quipe. Un jour, au poste de garde, les deux internes en discutaient avec Florence. Elle a comme un ct enfantin, disait Belloy. D'ailleurs on ne lui donnerait pas son ge. Mais pourquoi reste-t-elle toujours silencieuse? Quand nous plaisantons entre nous, elle ne se mle jamais la conversation. J'ai l'impression qu'elle t'intresse, Claude, lana Robert. Elle m'intrigue, avoua Belloy. Pourquoi se tenir ainsi l'cart, quand nous lui tmoignons tous de la sympathie? Ce sont srement les souvenirs de la guerre qui lui reviennent l'esprit. Mais maintenant elle en est sortie, et dfinitivement, si j'ai bien compris. Ce serait le moment de recommencer vivre. Bah! assura Robert, nous finirons bien par la drider! Je me le demande , fit Florence songeuse.

IV

florence, qui venait d'arriver dans son service, faisait le tour de ses malades. Elle avait organis son emploi du temps avec Laure; celle-ci commenait un peu plus tard le matin et restait seule au milieu de l'aprs-midi; aux heures de pointe, elles se partageaient la besogne. Cet arrangement, approuv par la surveillante, donnait jusque-l toute satisfaction.Dans la chambre 9, Florence trouva Mme Loiseau bien veille et souriante. Elle semblait rconcilie l'ide de n'avoir pas t opre par le grand patron. Ce jeune interne, dit-elle Florence, est certainement un chirurgien mrite. Si M. Martel en avait jug autrement, rpondit la jeune fille, il ne vous aurait pas confie lui. Oui, bien sr, mais ce n'est pas tout. Il m'a promis que dans quelques semaines ma cicatrice ne se verrait plus du tout! Je pourrai porter un bikini l't prochain. Vous pensez si je suis heureuse! Vous voyez comme tout s'arrange , constata Florence.Dans la chambre voisine il y avait deux lits, mais un malade s'y trouvait seul. C'tait un homme entre deux ges, d'aspect dbonnaire. Florence lui demanda comment il se sentait. Le brave homme fit la grimace. La piqre d'hier tait un peu pnible, mais maintenant je ne sens plus rien. Florence s'tonna : La piqre? Mais le produit qu'on vous a inject ne doit pas tre douloureux. Ce n'est pas le produit, c'est l'aiguille. II souleva son drap et montra sa cuisse. Cet endroit-l, c'est sensible. La premire, on me l'a faite avant-hier dans la fesse, et je ne l'ai presque pas sentie. Florence rabattit le drap sans mot dire. Cette injection, c'tait Laure qui s'en tait charge. Laure si douce, si adroite... Pourquoi avait-elle piqu la cuisse, alors que c'tait plus douloureux? Ds que Laure arriva, elle lui posa la question. Tu as fait la piqre du numro 4 la cuisse. Avais-tu une raison pour cela? Laure se troubla. Non, aucune. Il faut te dire que l-bas... Alors je n'y ai plus pens. L-bas, vous piquiez la cuisse, comme les Anglais? Mais pourquoi? Etait-il plus facile, ainsi, d'viter l'infection? Oui, c'tait probablement cela. On ne me l'a jamais dit. Pourtant, l'Ecole, on t'avait appris faire autrement? A l'Ecole, oui, bien sr. J'avais seulement perdu l'habitude... Il faudra la retrouver, Laure. Ce pauvre 4 se plaint d'avoir souffert. Je suis dsole. Laure sortit du poste, une bote d'instruments la main. Quelques instants plus tard, Florence vit entrer le docteur Belloy.Florence aimait beaucoup Claude Belloy; elle prfrait son calme aux fantaisies de Robert. C'tait un grand garon blond et maigre, avec une moustache la gauloise se terminant en pointes effiles. Un garon tranquille, mais avec le sens de l'humour. Quelqu'un de bien, pensait-elle. Pas autant que Gilles, naturellement qui donc aurait pu se comparer Gilles? Mais quelqu'un de bien tout de mme. Tu as beaucoup de travail? demanda-t-il la jeune fille. Normalement. Depuis que j'ai Laure, ma tche est bien allge. Claude Belloy toussota. Elle est gentille, cette petite, n'est-ce pas? dit-il d'un air faussement dtach. Si on pouvait lui faire un peu oublier le Cambodge... Florence lui fit signe de se taire. On entendait dans le couloir un pas prcipit.Quelques instants plus tard, Laure entrait au poste de garde, le visage trs rouge. Son air fch contrastait avec sa tristesse habituelle. Qu'y a-t-il, Laure? demanda Florence. Oh, rien... C'est ce clochard... Il m'a dit... oh, je ne peux pas le souffrir! Elle aperut Belloy et se tut. Camus? fit Florence avec surprise. En fait, il nous amuse plutt. Quand tu le connatras mieux, tu verras que ce n'est pas un mchant homme. D'ailleurs, s'il a quelques amis clochards comme lui, il ne fraie pas avec les truands de la rgion. Tu veux dire ceux du Pont-Vieux? interrogea Belloy. Oui, ceux-l ne valent pas grand-chose. Il n'y en a peut-tre pas un qui n'ait jamais fait de prison. Ma foi, je vous avoue que je n'aimerais gure passer pied, seul, de nuit, sous ce pont o ils ont lu domicile. Florence se tourna vers Laure. La bande de Camus n'a rien voir avec celle-l, je t'assure. Elle se tient gnralement un peu plus loin, de l'autre ct du Pont-Vieux, au bord de l'ancien lavoir. Camus, lui, est inoffensif. D'ailleurs tu n'auras pas le supporter longtemps : il quitte l'hpital aprs-demain. Tant mieux! fit Laure entre ses dents.Elle sortit; Belloy se rapprocha de Florence. J'aimerais tout de mme bien savoir ce que Camus a pu lui dire, murmura-t-il. Tu ne pourrais pas l'envoyer chercher? L'aide-soignante, Sandra, passait justement dans le couloir. Florence lui demanda d'appeler le clochard, qui ne tarda pas accourir, l'air anxieux. Parat que vous me demandez, mademoiselle Florence? Si c'tait le Robert, j'me serais mfi. Mais puisqu'il est pas l aujourd'hui... C'est moi qui voulais te voir, Camus, dit Belloy. Qu'est-ce que tu as bien pu raconter cette pauvre Mlle Laure? Elle est arrive ici toute bouleverse. Camus posa la main sur son cur. Moi, docteur, vous pensez que je pourrais tre pas poli avec une dame! Vous me connaissez pas beaucoup, bien sr. Mais vous pouvez demander Mlle Florence : elle vous dira si je suis pas le parfait gentleman! Pas vrai, mademoiselle Flo? N'importe, je voudrais bien savoir ce que tu as dit Mlle Laure. Si vous croyez que je me rappelle tout ce que je dis! Vous, bien sr, c'est diffrent : vous tes docteur; si vous oubliiez quelque chose, a pourrait tre grave, pas vrai? Mais un pauvre type comme moi... Tche de te rappeler. Camus se gratta la tte. Voyons voir... On s'est rencontr devant la salle de pansements. Elle venait chercher quelque chose...

Et toi, tu furetais partout, comme toujours! Alors? Alors j'ai dit, bien gentiment : Tiens, une rouquine! a manquait notre collection. On avait dj une brune, une blonde, une Noire... C'est tout? J'ai essay d'tre galant. J'ai dit : J'aime bien les rouquines, moi. Si je vous avais connue plus tt, peut-tre que je serais pas rest garon... Florence et Claude Belloy se mirent rire. Ils comprenaient ce qui s'tait pass : Camus avait eu l'intention de faire un compliment la nouvelle infirmire; Laure, avec sa rserve habituelle, l'avait mal pris. Ce n'tait pas bien grave.Le clochard, enchant de l'effet qu'il produisait, continua : C'est vrai qu'elle est pas mal, la petite, hein? Un peu maigre pour mon got... mais on dit que c'est la mode. Qu'est-ce que vous en pensez, vous, docteur? Florence remarqua que Belloy paraissait gn. Ce fut elle qui rpondit : En tout cas, je vous demande, Camus, de garder pour vous vos apprciations sur Mlle Laure. Vous n'avez rien faire avec elle. Ne lui parlez plus jusqu votre dpart. Camus dressa l'oreille. Mon dpart? Vous ne voulez pas dire qu'on en parle dj? Vous nous quittez aprs-demain dix heures.M. Martel a prvenu Mme Benot que vous n'aviez plus besoin de soins mdicaux. Camus se prit la tte deux mains. Chaque fois qu'on lui annonait son prochain dpart de l'hpital, il jouait la mme comdie. On me renvoie... Une fois de plus on me met la porte! Depuis le temps qu'on me connat Rouville, on pourrait tout de mme me traiter en ami! Tu oublies, dit Belloy, qu'un hpital n'est pas fait pour recevoir ses amis, mais pour soigner des malades. Et alors, je suis pas malade, moi? Avec un ulcre tellement formidable que M. Martel montre mes radios tout le monde! II venait de se retirer quand Laure revint au poste de garde. Les infirmires changrent quelques mots, puis Belloy s'loigna son tour. Florence remarqua que Laure le suivait des yeux jusqu'au fond du couloir.Qui sait? pensa-t-elle. Peut-tre Laure, elle aussi...Mais quand la jeune fille se retourna vers Florence, celle-ci s'aperut qu'elle avait les yeux pleins de larmes. Qu'as-tu donc, Laure? Moi? rien du tout. Tu as de la peine et tu ne veux pas en parler. Puisque je te dis que je n'ai rien. II tait inutile d'insister. Peut-tre Belloy rappelait-il Laure quelqu'un qu'elle avait connu l-bas, au Cambodge.A la fin de l'aprs-midi, Laure devait refaire au n4 une injection intramusculaire. Florence hsita :allait-elle inventer un prtexte pour s'en charger elle-mme? Mais ce moment Robert la fit appeler dans une autre chambre.En revenant, elle ouvrit la porte du 4. Le malade tait assis, souriant. On vous a fait votre piqre? demanda-t-elle. Oui, mais celle-l, on me l'a faite o il fallait. Je ne l'ai mme pas sentie. Florence ne reparla pas Laure de cette piqre. Mais elle se demandait toujours pourquoi la jeune infirmire l'avait faite la cuisse. Une des premires choses qu'on apprenait l'Ecole tait de piquer en pleine chair, l'endroit le moins sensible du corps, donc la fesse. Au Cambodge, la crainte de l'infection pouvait-elle expliquer ce changement de mthode? Oui, c'tait probablement cela. Mais Florence n'en avait jamais entendu parler par aucune infirmire revenant des pays en voie de dveloppement. Il faudrait poser la question Gilles. Quoi qu'il arrive, c'tait toujours lui qu'elle en revenait.Tout le monde n'tait pas aussi heureux qu'elle. Ce soir-l, la cantine, Caroline avait sa figure des mauvais jours. C'est Max, expliqua-t-elle. Toujours la mme ide fixe : il veut que j'abandonne l'hpital plusieurs mois avant notre mariage. Je me demande si j'arriverai jamais le gurir de sa peur des microbes. Les autres essayaient de la rconforter. Maximilien tait un gentil garon; il avait t trop gt par sa sur, qui lui obissait comme un petit chien1. Mais maintenant la sur tait marie; avec un peu1. Voir Florence fait un diagnostic dans la mme collection.de patience Caroline ramnerait son futur mari la raison. De la patience, j'en ai! soupira la pauvre Caroline. Il vient de m'appeler, heureusement encore que les maladies ne s'attrapent pas par tlphone! Je lui ai rpondu un peu schement, j'ai peur qu'il ne soit fch... Tout s'arrangera, tu verras, dit Clotilde. Viens prendre un Coca chez moi, a te changera les ides. Vous venez, vous autres? Ma sur m'a envoy un superbe gteau breton. La petite bande des plus jeunes infirmires se rassembla dans la chambre de Clotilde. On invite Laure? demanda celle-ci. Bien sr, rpondit Florence. Alors va la chercher, Flo. La. jeune fille frappa la porte de Laure. Celle-ci tait en train de se prparer pour la nuit. Elle avait pos sur sa table de chevet une montre-bracelet en or qu'elle ne quittait que pour faire sa toilette. C'tait une grosse montre comme en portent souvent les infirmires, avec une aiguille secondes pour prendre le pouls des malades. La montre tait retourne; Florence remarqua que le botier portait, non pas les initiales de Laure, mais les lettrs I.C. entrelaces. Nous sommes toutes runies chez Clotilde, dit-elle. Tu viens, Laure? Un moment de dtente, cela fait du bien.Laure secoua la tte. Excuse-moi, Florence, mais je suis un peu lasse ce soir. Remercie Clotilde pour moi.

Florence n'insista pas. Mais elle tait due. En dehors du travail, Laure se refusait toute relation amicale. Elle prfrait tre seule. Pourquoi? Quelle attitude trange et inhabituelle!Deux jours plus tard on amena l'hpital un jeune homme, victime d'une chute lors d'une course de motos. Les radios rvlrent une fracture multiple, ncessitant, aprs rduction, l'emploi d'un appareil spcial. Comme on ne possdait pas cet appareil Rouville, on dcida de transporter le bless Clermont dans l'aprs-midi du lendemain.Ce patient-l ne ressemblait pas Mme Loiseau. A peine rveill de l'anesthsie, il demanda Florence s'il pourrait courir de nouveau. Elle rpondit queoui, le patron le lui avait dit : il suffirait d'avoir un peu de patience. Un large sourire claira le visage du jeune homme. Et ma famille, demanda-t-il, est-ce qu'on l'a prvenue? Le bureau a fait le ncessaire : vos papiers contenaient l'adresse de la personne prvenir en cas d'accident. On a tlphon cette adresse, Lyon; vous tes de Lyon, n'est-ce pas? J'espre qu'on ne les a pas trop inquits? Non, le patron vous avait dj vu; on a pu leur assurer que votre vie n'tait pas en danger. Votre pre nous a dit qu'il viendrait demain en voiture avec votre mre et vos surs. Mais comment me trouveront-ils, puisque je dois changer d'hpital? Vous resterez ici jusqu'en fin d'aprs-midi; l'ambulance de Clermont viendra vous prendre vers six heures. Parfait! dit le bless. Et merci! Je regretterai mon infirmire, vous savez. Demain vous en aurez une autre. Je suis sre que vous vous entendrez trs bien avec elle. D'aprs l'emploi du temps de la semaine, en effet, le lendemain tait le jour de repos de Florence.Le soir, celle-ci dit Laure : Tu trouveras demain un nouveau malade un bless, plutt. Pas pour longtemps, malheureusement, car il est trs gentil. C'est un Lyonnais : il s'est bless en faisant je ne sais quel rallye motocycliste. Sa famille viendra le voir demain en voiture. De Lyon? Oui, c'est l qu'ils habitent. C'est loin, mais avec l'autoroute on va vite. Laure se tut. Mais un moment plus tard elle vint frapper la porte de Florence. Nous ne faisons pas d'anglais, ce soir? Je finis l'exercice que tu m'as indiqu. Mais il y a un mot que je ne trouve pas dans le dictionnaire. Montre , dit Laure.Elle donna le renseignement cherch. Puis, au lieu de quitter la chambre, elle resta debout devant la porte. J'ai quelque chose te demander, Flo. Tu me diras si c'est possible; je veux dire : si a ne t'ennuie pas trop. De quoi s'agit-il? Eh bien, voil... Est-ce que demain tu pourrais permuter avec moi? Je veux dire : prendre le service ma place? Naturellement je te remplacerais aprs-demain. Tu as quelque chose faire demain? Non... je suis... pas trs bien... enfin, un peu fatigue. Tu veux bien? Naturellement. Puisque cela peut te rendre service. Repose-toi. Tu veux que je te passe le Weekly News? C'tait un hebdomadaire anglais auquel Laure avait conseill Florence de s'abonner. Non, merci. Oh, si, oui, aprs tout, si tu veux bien...Florence resta perplexe. Elle ne croyait pas cette fatigue dont Laure ne parlait pas un moment plustt. La vrit, c'tait que celle-ci ne voulait pas se trouver le lendemain dans le service.Pourquoi? Etait-ce cause du docteur Belloy, que dcidment elle semblait viter. Mais demain, justement, Belloy devait s'absenter. Non, l'interne n'tait pas en cause. Alors?Tout coup un dtail vint l'esprit de Florence. Le jeune motocycliste qu'on avait amen dans la soire tait Lyonnais; c'tait de Lyon que sa famille devait venir le voir. Laure craignait-elle de retrouver parmi ces visiteurs des visages connus? Elle ne parlait pas du Cambodge, mais elle ne parlait jamais de Lyon non plus. Tout ce qui se rapportait sa ville natale l'effrayait, c'tait vident.Le remplacement du lendemain se fit sans encombre. Laure passa la journe dans sa chambre. Florence trouva le jeune bless entour de tous les siens, une famille sympathique, avec qui elle eut plaisir s'entretenir un moment.Ni ce jour-l ni le lendemain, Laure ni Florence ne reparlrent du jeune homme. Mais dans l'esprit de Florence, un point d'interrogation se dessinait de plus en plus.

V

vers la fin de la semaine. Florence reut un coup de tlphone de Paris. Comme toujours, ds l'appel et en devinant l'origine, elle sentit son cur battre plus vite. All... Florence, c'est toi? Je voulais te prvenir qu'il y a quelque chose de chang. Gilles et elle devaient se voir le lundi suivant, jour de cong de Florence. Quelque chose de chang...? Le rendez-vous ne pouvait-il pas avoir lieu? Ecoute, Flo. Je ne suis pas libre lundi, j'ai une runion avec des professeurs. En revanche, je leserai mardi. Pourrai-je te voir quand mme, ne ft-ce qu'un moment dans la soire? Un moment, ce n'tait pas grand-chose... Malgr tout, c'tait mieux que rien. Puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement... commena Florence. Mais tout coup il lui vint une ide. Attends, Gilles, je pourrai peut-tre tout arranger. Rappelle-moi ce soir. Elle venait de penser Laure, qu'elle avait remplace le jour des visiteurs de Lyon. Celle-ci tait justement libre le mardi. Si elle n'avait rien de par-culier ce jour-l, elle ne refuserait pas de lui rendre le mme service. Laure, lui demanda-t-elle, que penses-tu faire mardi? Je sais que tu ne sors gure... Cette fois, c'est diffrent. Il faut que j'aille Clermont chez le coiffeur. Mme Benot m'a fait remarquer que mes cheveux taient beaucoup trop longs et que cela me donnait un aspect nglig. Tu sais combien M. Martel tient la tenue des infirmires. Florence hsita. Cette semaine-l, son jour de sortie tait le lundi o les salons de coiffure sont ferms. Et Mme Benot avait raison : les cheveux de Laure avaient grand besoin d'une coupe... Tu voulais me demander quelque chose? De te remplacer, peut-tre? reprit Laure. J'y avais pens, avoua Florence. Mais je vois que ce n'est pas possible. N'en parlons plus. Je t'en prie, Flo... C'est quelque chose d'important? D'important pour moi, oui. C'est Gilles Martin? Florence fit signe que oui. II devait venir lundi, mais il a une runion. Il me propose mardi la place. Laure eut son petit sourire triste. Je sais ce que Gilles reprsente pour toi, dit-elle. Je veux que vous soyez heureux, trs heureux. Cette fois encore, des larmes lui montrent aux yeux. Florence lui prit doucement la main. Tu as du chagrin, Laure, lui dit-elle. Je ne veux pas tre indiscrte, mais parfois une peine est moins dure quand on la partage. Dis-moi : aurais-tu perdu quelqu'un quelqu'un qui tu tenais comme je tiens Gilles? Laure secoua la tte. Non, oh, non, je t'assure. Je n'ai jamais tenu personne de cette faon-l. Cela viendra pour toi aussi, j'en suis sre. Tu verras comme tout change alors. Laure essaya de plaisanter. Mais je suis vieille! Tu oublies que j'ai dj vingt-huit ans. Tout le monde dit que tu ne les parais pas : c'est ce qui compte. Un arrivant mit fin la conversation. C'tait Camus, dont les bruyants adieux, comme toujours, ameutaient tout l'hpital. Pour tre guri, a, je suis pas guri, c'est certain. Mais quand on vous chasse avec un grand coup de pied, qu'est-ce qu'un pauvre type comme moi peut bien faire?

Au poste de garde, il serra vigoureusement la main de Florence. Il tait difficile de croire qu'il n'avait pas retrouv toutes ses forces. Adieu, mademoiselle Flo. Vous, vous avez toujours t gentille. Je suis sr que si a dpendait de vous, vous ne m'auriez pas renvoy. II poussa un grand soupir. Quand se reverra-t-on maintenant? peut-tre jamais... Adieu, mademoiselle Flo, adieu! Florence se mit rire. Ne dites pas adieu , Camus. Vous savez bien qu'avant six mois vous serez de retour parmi nous. En tout cas, je parie que vous ferez tout ce qu'il faut pour a! II soupira de nouveau et se tourna vers Laure. La rouquine pourrait tre gentille aussi, dclara-t-il. Si seulement elle n'avait pas toujours l'air de porter le diable en terre... Faut prendre la vie du bon ct, mon petit. Y a des bons moments aussi, vous savez! Quand le vieux Camus vous fait un compliment, a vous fche. Mais si, ma place, y avait eu un beau jeune gars, je suis bien sr que a ne vous aurait pas tant dplu... Voyant le visage de Laure se rembrunir, Florence s'empressa de brusquer les adieux. Toutes deux se mirent au travail et ne parlrent plus du clochard.Les jours suivants parurent interminables Florence. Enfin le mardi tant attendu arriva. Gilles dbarqua du train la fin de la matine. C'tait un grand garon brun; dans son visage hl surprenaient des yeux d'un bleu trs clair. Des yeux de myosotis, disait Florence. Mais Florence n'tait peut-tre pas un juge tout fait impartial.Les deux jeunes gens allrent djeuner, leur habitude, dans un petit restaurant voisin de l'hpital. Le patron, qui les connaissait bien, leur offrit un verre de banyuls. Tu as l'air fatigu, dit Florence Gilles. Tu ne travailles pas trop, au moins? Que veux-tu? On n'a rien sans peine. Toi aussi, ne t'es-tu pas un peu surmene dernirement? Tout va beaucoup mieux depuis que nous avons une nouvelle infirmire. Je t'ai dj parl d'elle au tlphone. Celle qui est toujours triste? Elle a sans doute de gros soucis. Toi aussi, quand j'ai fait ta connaissance, tu avais de gros soucis, Gilles 1. Mais ce n'tait pas la mme chose. Tu as lutt, tu t'en es tir. Grce toi, Florence. J'avoue que pour Laure, je ne comprends pas...Elle raconta au jeune mdecin que Laure lui avait demand de la remplacer, le jour o le jeune bless lyonnais attendait sa famille. Tu ne trouves pas trange, toi, qu'elle semble fuir tout ce qui a rapport Lyon? On dirait presque qu'elle a peur d'tre reconnue. Gilles rflchit. Tu sais ce que je pense? Elle a fait ses tudes Lyon, n'est-ce pas? Il a pu se passer l-bas un vnement lequel? Je n'en sais rien qui l'a forte-1. Voir: Salle des urgences dans la mme collection.ment traumatise. Tout ce qui le lui rappelle lui est forcment pnible. Tu as raison : il a d y avoir quelque chose. Qui sait? c'est peut-tre pour cela qu'elle a demand partir pouf le Cambodge. Peut-tre... L'ide de Gilles devait tre la bonne. Lyon voquait pour Laure de mauvais souvenirs. Elle disait tre sans famille, ne s'tre jamais attache personne... Alors? Une question de travail? En tout cas, dit Florence, je serais bien tonne qu'elle ait pu faire quelque chose de mal. J'ai confiance en elle, je deviendrais volontiers son amie.

Aprs le djeuner, les deux jeunes gens firent ensemble une longue promenade. Tous deux aimaient la campagne, les champs dserts, les prs o paissaient de paisibles vaches rousses. Tout y parlait de vie et de bonheur.Aprs le dpart de Gilles, Florence se rendit la cantine, o plusieurs infirmires se trouvaient dj. Elle s'tonna de ne pas y voir Laure. A cette heure-ci, la garde de nuit devait pourtant tre arrive. Se pouvait-il que, juste aujourd'hui o Laure remplaait sa camarade, il ft survenu quelque incident dans le service?Quand la jeune infirmire arriva enfin, la cantine tait dj presque vide. Laure semblait fatigue; Florence lui en fit gentiment le reproche : Tu as fait des heures supplmentaires, ce que je vois! C'est bien toi de dire a, Flo! remarqua Clotilde. En fait d'heures supplmentaires, je crois que tu t'y connais! Pas depuis que tu es l , rectifia Florence. Laure ne dit rien. Mais en remontant aprs ledner, elle confia Florence : J'ai quelque chose qui m'ennuie. Mme Benot m'a fait appeler. M. Martel attend demain un mdecin anglais qui doit visiter l'hpital. Il voudrait que je serve d'interprte. Mais, dit Florence, cela me semble tout naturel. Si j'tais ta place, cela me ferait plutt plaisir. Qui est ce mdecin? Il s'appelle Ives; il est chef de service au General Hpital de Londres. Il a entendu parler de la technique chirurgicale mise au point par M. Martel et il voudrait faire sa connaissance. J'en suis bien contente pour M. Martel. Mais pour toi aussi, Laure. Cela prouve qu'on a confiance en toi. Oui, oui, je sais. Mais Laure semblait vraiment bouleverse. Quand elles se furent retires dans leurs chambres, Florence l'entendit aller et venir nerveusement, s'asseoir, se relever, dplacer des meubles. Enfin elle perut comme le bruit d'une chute. Elle se leva et alla frapper chez sa camarade. Puis, n'obtenant pas de rponse, elle entra. Laure! Qu'as-tu?

La jeune fille tait assise sur son lit, les deux mains appliques sur son visage. Que t'est-il arriv? Tu es tombe? Tu t'agitais tellement; j'ai failli venir te dire de te coucher. Tu t'es fait trs mal? Oui, reconnut Laure, j'tais nerveuse. J'ai voulu prendre un livre sur mon tagre. Je ne sais pas comment j'ai fait mon compte, mais l'tagre s'est dcroche et elle est tombe sur moi. Laisse-moi regarder... Tu as une grosse bosse sur le front. Es-tu sre au moins que ton il n'a pas t touch? J'y vois normalement : c'est la premire chose dont je me suis assure, comme tu penses. Les paupires resteront gonfles pendant quelques jours, voil tout. Attends, dit Florence, je vais te mettre une compresse. Est-ce trs douloureux? Non... pas trop. Mais, Flo, il m'est impossible, dans cet tat, de servir d'interprte demain matin! Je prviendrai Mme Benot ds son arrive. Tu ne peux pas faire a, Laure. C'est un service qu'on te demande, tu n'as pas le droit de te drober. Evidemment, avec ton il au beurre noir, tu ne seras pas ton avantage; si tu avais l'intention de sduire ce mdecin, il vaut mieux attendre une autre occasion. Laure ne sourit pas de la plaisanterie. Elle laissa Florence lui tamponner le visage et fixer une compresse sur le gonflement qui s'accentuait peu peu. Tu crois que je pourrai? demanda-t-elle. Attends, dit Florence, je vais te mettre une compresse. -

J'en suis sre. S'il le faut... murmura Laure. Tu pourras peut-tre me faire un pansement, ce sera moins laid que cette figure gonfle. Ce sera trs bien, tu verras. En tout cas, va te recoucher, toi, Flo. Pardonne-moi de te donner tout ce mal. Je ne t'aurais pas appele, tu sais. Et tu aurais eu grand tort! riposta Florence. Elle alla se remettre au lit. Mais elle passa encoreun long moment guetter les bruits de la chambre voisine. Laure ne bougeait plus; enfin Florence comprit qu'elle dormait. Est-il possible, se demandait la jeune fille, que la seule perspective de servir d'interprte l'ait mise dans cet tat presque dmentiel? A sa place, j'aurais t fire... Il est vident qu'avec ce coup elle ne sera pas belle voir... Je lui ferai un gros pansement pour qu'elle ne soit pas compltement dfigure. En pensant la faon dont elle arrangerait ce pansement, Florence finit par s'endormir.

VI

LE lendemain matin, Laure se rendit dans son service comme d'habitude. Son pansement, pour plus de solidit, enveloppait toute sa tte, dissimulant ses beaux cheveux roux. C'est mieux ainsi, avait-elle dit Florence. Mme Benot ne s'apercevra pas qu'ils n'ont pas t coups. La premire personne que rencontra Laure fut. Robert. En apercevant le large bandeau qui barrait le visage de la jeune infirmire, l'interne s'exclama : Que t'est-il arriv, ma pauvre Laure? Un coupde poing sur l'il? Dis-nous la vrit : tu avais un peu trop bu? Florence, qui arrivait au mme instant, l'interrompit. Tu plaisantes, mais tu vois bien qu'elle s'est fait mal. Une tagre charge de livres lui est dgringole sur la tte. Aprs tout, c'est une faon comme une autre de se cultiver! railla Robert en s'loignant.Chez les malades, la tte bande de l'infirmire provoqua des manifestations de sympathie : Que s'est-il pass, mademoiselle Laure? Vous n'avez pas t attaque, j'espre? On voit tellement d'agressions, de nos jours! Mme Benot, qui la croisa dans le corridor, s'informa aussi de la cause de l'accident. Cette tagre tait srement mal fixe, dclara-t-elle. Je vous enverrai le menuisier ce soir. Pauvre Laure! et juste aujourd'hui o vous allez tre en vedette! Voulez-vous que je demande au docteur Belloy de vous examiner? C'est inutile, madame, Florence a fait le ncessaire. Ce ne sera rien, je vous assure. Si encore nous n'attendions pas cet Anglais! C'est vraiment contrariant, ma pauvre petite.Laure hasarda : II vaudrait peut-tre mieux que je ne me montre pas dans cet tat, madame. Le docteur Belloy parle anglais; il pourrait... Pas question, mon petit. Il ne le parle pas aussi bien que vous votre mre tait Anglaise, n'est-ce pas? Nous avons besoin d'une bonne interprte.Aprs tout ce mdecin ne vient pas ici pour vous regarder! Un moment plus tard, on vint chercher Laure de la part du docteur Martel. La jeune fille semblait mue, Florence essaya de l'encourager, mais Laure ne rpondit pas.La visite se prolongea longtemps. Florence, qui en l'absence de sa camarade devait assurer tout le service, n'eut gure le temps de penser elle. Le groupe des mdecins traversa l'tage, visita le poste de garde, la salle de pansements, plusieurs des chambres. Florence eut l'impression que son amie paraissait plus calme; elle semblait s'acquitter merveille de ses fonctions d'interprte. A plusieurs reprises, le mdecin anglais lui dit un mot qui la fit sourire.Elle est jolie quand elle sourit, pensa Florence. Quel dommage que cela ne lui arrive pas plus souvent!A la fin de la matine, Laure regagna le service. Elle semblait soulage d'un grand poids. Tout s'est bien pass? demanda Florence. Trs bien. Tu vois que tu avais tort de te tourmenter. J'tais sre que tu ferais a la perfection. Un peu plus tard, M. Martel, son tour, flicita Laure de la faon dont elle s'tait tire de l'preuve. C'tait d'autant plus difficile que le docteur Ives parlait trs vite. Belloy qui connat assez bien l'anglais, ce qu'on dit m'a avou que par moments il avait du mal le suivre. Tandis que vous... Ives, d'ailleurs, vous en a flicite, n'est-ce pas? Il vous a dit que, sans un lger accent quitransparat par-ci par-l, vous pourriez passer pour une Anglaise. Je vous remercie, monsieur, dit Laure. Maintenant, ajoute le docteur Martel, si nous nous occupions un peu de votre blessure. Vous ne voulez vraiment pas me la montrer? Oh, non, monsieur : je vous assure que ce n'est pas grave. En tout cas, dit le mdecin en riant, cela aura donn notre Florence l'occasion de faire un de ces magnifiques pansements dont elle a le secret! La journe finie, les deux jeunes filles se prparrent quitter le service. Tu dois avoir sommeil, Laure, aprs toutes ces motions! dit Florence. Viens dans la salle de pansements, j'aurai tout ce qu'il faut pour t'arranger un bandage qui te gnera moins pour dormir. Ce n'est pas la peine : je dormirai trs bien avec celui-ci. Je veux tout de mme voir comment tout se passe l-dessous. Laure dut cder. Florence ta la bande et les compresses. L'enflure avait compltement disparu; il ne restait qu'un bleu dj verdtre sur le front et le haut de la joue. C'est merveilleux! dclara Florence. Tu peux rester sans pansement; l'ecchymose disparatra d'elle-mme en quelques jours. J'aime mieux que tu me le remettes, dit Laure. Pourquoi? C'est inutile et gnant. Parce que si demain tout le monde me voit

avec un simple bleu, on pensera que j'ai fait beaucoup d'histoires pour rien. C'tait vraisemblable. Florence elle-mme se demanda si la veille au soir Laure avait souffert autant qu'elle le disait.Elle refit le pansement sans autre commentaire. Mais un peu plus tard, alors qu'elle venait de se mettre au lit, elle entendit dans la chambre de Laure comme un lger cri, puis des alles et venues anormales. J'espre qu'elle ne va pas recommencer! pensa-t-elle un peu agace.Elle entra chez sa camarade. La jeune fille tournait en rond, l'air gar,

semblant chercher quelque chose. Laure, qu'y a-t-il encore? demanda Florence. C'est ma montre, balbutia Laure. Ma montre-bracelet, que tu connais... Elle a disparu! Disparu! Ce n'est pas possible! Tu ne l'avais donc pas au poignet, comme toujours? Non; tu sais que ce matin je n'tais pas moi-mme. Ce coup sur la tte... la perspective de servir d'interprte. Je me suis aperue au bout d'un moment que j'avais oubli ma montre. Je ne m'en suis pas inquite outre mesure : j'tais si sre de la retrouver sur ma table en remontant. Et puis, tu vois... plus rien! Florence frona les sourcils. C'est extraordinaire, dit-elle. Tu tiens beaucoup cette montre, n'est-ce pas? Beaucoup. C'est la seule chose qui me reste du pass. C'est un cadeau qu'on t'avait fait? Laure balbutia: Oui... ma marraine... Je l'aimais tendrement; elle m'a donn cette montre pour mes douze ans une montre d'infirmire, parce que je lui avais confi mes projets d'avenir. C'tait la premire fois que Laure parlait de quelquun des siens. Elle n'avait plus ses parents peut-tre depuis longtemps; cette marraine avait sans doute tenu une grande place dans sa vie. Elle s'appelait comment, ta marraine? Laure hsita un instant, comme s'il lui en cotait de rvler ne ft-ce qu'un nom. Enfin elle rpondit : Elle s'appelait Isabelle Chapelain. I.C... les initiales que portait la montre. Mais pourquoi cette rticence en parler? Tu es sre, Laure, que cette montre ne se trouve pas dans ta chambre? Absolument sre, j'ai regard partout. Tu peux encore la retrouver. Quand l'as-tu vue pour la dernire fois? Ce matin : j'ai regard l'heure en m'veillant. Il faut faire une enqute; demain nous interrogerons les femmes de service. Elles te diront si la montre tait encore sur ta table quand elles sont venues faire le mnage. Pour le moment, couche-toi et dors. Mais Florence savait bien que Laure ne fermerait pas l'il de la nuit. Qu'aurait-elle prouv elle-mme si elle avait gar un objet auquel elle tenait beaucoup ce petit collier de corail, par exemple, que Gilles lui avait rapport d'Italie? Aurait-elle pu dormir avant d'avoir fait l'impossible pour le retrouver?L'interrogatoire des femmes de service semblait la premire mesure raisonnable prendre. Florence connaissait bien l'une d'elles, Elena, une jeune Portugaise en qui elle avait toute confiance. Ds demain matin il serait facile de lui parler.Demain matin... Mais si Elena pouvait fournir un renseignement valable, n'tait-il pas prfrable d'avoir ce renseignement le soir mme?Les femmes de service celles du moins qui n'taient pas maries avaient leurs chambres dans le btiment A, proche de celui o habitaient lesinfirmires. Au rez-de-chausse, un couloir reliait les btiments entre eux, de sorte qu'il tait possible de passer de l'un l'autre sans traverser la cour.Aller trouver Elena, la questionner sur-le-champ, c'tait donc le meilleur parti possible. Florence enfila rapidement sa blouse et descendit doucement pied pour viter le bruit de l'ascenseur.Au premier tage, cependant, elle aperut Mme Lugrin qui sortait de la chambre d'un malade. La garde s'tonna de voir la jeune infirmire circuler dans les services pareille heure. Florence! Qu'est-ce que vous faites ici? Vous revenez voir vos malades au milieu de la nuit? Non, je sais que mes malades n'ont pas besoin de moi quand vous vous occupez d'eux. C'est stupide de ma part : j'avais oubli de laisser un message une des femmes de service. C'est chez elles que je me rends. Ah, bon! Je m'inquitais... Florence poursuivit sa route, entra au btiment A et monta, toujours pied, les cinq tages qui conduisaient aux logements du personnel. On entendait, derrire une porte, une chanson la mode.Sur le palier, la jeune fille hsita un instant : quelle tait la chambre d'Elena? Elle n'avait jamais pens qu'elle pourrait avoir besoin de le savoir. Elle hsita, ne voulant pas alerter tout l'tage. Tout coup un souvenir lui revint l'esprit : Elena lui avait dit un jour que sa chambre donnait sur la grande grille. Etant donn la disposition des lieux, elle ne pouvait se trouver qu'au bout du couloir.La jeune infirmire frappa doucement et entra.Une lampe s'alluma aussitt; Elena apparut, assise dans son lit, l'air effray. Qu'est-ce que... Ah, c'est vous, mademoiselle Florence? Que se passe-t-il donc? Il faut que je vous parle, Elena, c'est trs important. Une montre-bracelet en or a disparu de la chambre de Mlle Laure. Etes-vous entre dans cette chambre ce matin et pouvez-vous me dire si vous avez vu cette montre? Je ne suis pas alle dans les chambres des infirmires aujourd'hui; je travaillais au second tage. Pouvez-vous me dire qui y est all? Attendez que je me rappelle... Fernande, je crois, et Lisa. Vous les connaissez toutes les deux? Vous avez confiance en elles? Elena dtourna la tte. Fernande, oui, je la connais bien : elle est du mme village que moi. Lisa, elle... Il vaut mieux que je vous le dise, mademoiselle Florence : elle a t renvoye cet aprs-midi. Renvoye! Pourquoi? "*" Elena baissa la voix. Parce qu'elle avait vol, avoua-t-elle. Elle avait pris une chemise de nuit qu'elle devait emporter au blanchissage. Cette fois, la surveillante s'en est aperue. Vous dites : Cette fois . Il y en a donc eu d'autres? Fernande et moi, on avait bien remarqu que Lisa n'tait pas honnte. On l'avait mme menacede la dnoncer la surveillante. Vous comprenez, mademoiselle Florence, nous ne voudrions pas qu'on puisse dire que les Portugaises... Aprs tout, n'est-ce pas, c'est l'honneur du pays qui est en jeu! Tout le monde dit qu'on peut avoir confiance en nous; nous ne voudrions pas qu'on change d'avis. Jusqu'ici elle n'avait pris que de petites choses sans importance, moi ou aux copines; c'est pour a qu'on n'avait rien dit. Mais la chemise... Ds qu'elle l'a su, Mme Benot a renvoy Lisa tout de suite. Alors elle n'est plus ici? La surveillante lui a permis de coucher l'hpital encore cette nuit, parce qu'elle ne savait pas o aller. Vous pensez que la montre, ce pourrait tre elle? a ne peut tre personne d'autre, en tout cas! rpondit firement Elena. Alors elle aurait pris cette montre en faisant le mnage ce matin? Elena secoua la tte. Non, parce qu'elle tait avec Fernande; vous savez qu'on "se met toujours deux. Mais ce n'est pas difficile de retourner dans les chambres : il n'y a jamais personne pendant la journe. Pour moi, c'est plus tard qu'elle a fait le coup, aprs qu'elle a t renvoye. Elle s'est dit : Je pars demain matin de bonne heure. On commencera chercher la montre, mais quand on pensera qu'elle a t vole, moi je serai loin! Je crois que vous avez raison, Elena. O loge-t-elle, cette Lisa? Je veux aller l'interroger. Oh, pas toute seule, mademoiselle Florence! Elle parle mal le franais; elle fera semblant de ne pas vous comprendre. Attendez, je viens avec vous. Florence la suivit. Devant une des portes du couloir, Elena chuchota : Vous l'entendez? Elle fait sa valise, bien sr, pour filer le plus tt possible! La jeune Portugaise poussa la porte sans frapper. Lisa tait tout habille, la valise ouverte au milieu de la chambre. Elena pronona quelques mots; l'autre rpondit par un torrent de paroles furieuses que Florence ne comprenait pas, mais dont le ton disait assez ce qu'elles signifiaient.A ce moment Florence se montra. Lisa recula de quelques pas; sa grimace de colre fit place une expression de terreur.

Florence dsigna la valise : Videz ceci, dit-elle, ou je fais appel la police. Au mot de police , la jeune fille blmit. C'tait un mot qu'elle comprenait, celui-l! Elle recula davantage. Dj Elena, agenouille devant la valise, en sortait peu peu le contenu. Regardez, mademoiselle Flo, ce chandail bleu, il est Fernande! Elle croyait l'avoir perdu dans le parc! Tout coup Elena plongea la main parmi les vtements et la releva, triomphante, brandissant le bracelet-montre de Laure. Je le savais bien, qu'il tait l! dclara-t-elle.Florence prit le bracelet et s'loigna. Mais pour les Portugaises l'affaire n'tait pas termine. Attires par le bruit, plusieurs d'entre elles sortaient de leurs chambres. Elles ne laisseraient pas la voleuse partir les mains pleines, songea la jeune infirmire.Elle-mme, pendant ce temps, courait vers l'tage o se trouvait Laure. Elle frappa doucement la porte de sa camarade. Entrez , dit une voix sourde.Florence entra, tenant la montre bras tendu. Laure ne s'tait pas couche; elle tait assise devant sa table, la tte entre ses mains. En apercevant la montre, elle poussa un cri. Flo! oh, Flo! Elle se jeta dans les bras de Florence. C'tait son premier geste d'amiti.

VII

Le lendemain, Laure portait sa montre au poignet, J-J comme de coutume. De temps en temps elle y jetait un coup d'il, comme pour s'assurer qu'elle tait toujours l. Pendant le djeuner, deux reprises elle regarda Florence en dsignant la montre, comme pour lui dire encore merci.Au dbut de l'aprs-midi, Florence tait seule au poste de garde, quand une haute silhouette se dessina dans l'embrasure de la porte. Elle reconnut Claude Belloy. Toi, Claude, cette heure-ci? fit-elle tonne. Je ne te savais pas de garde aujourd'hui. Je ne le suis pas. Mais je voudrais te dire un mot en particulier. Tu as une minute, Flo? Naturellement. Elle lui dsigna une chaise et il s'assit. Dcidment elle aimait bien le docteur Belloy : c'tait un camarade agrable, gnralement gai, sans aller jusqu'aux plaisanteries souvent dplaces de Robert.Aujourd'hui, cependant, il paraissait soucieux. Tu devines sans doute ce dont je veux te parler. Tu es trop fine pour ne pas t'tre aperue que... Que Laure Duvalier te plaisait, acheva-t-elle en souriant. C'est plus srieux que cela, Flo, dit Belloy gravement. Il est vrai qu'elle m'a plu ds le premier jour : j'tais pein de la voir aussi triste. Mais depuis lors mes sentiments n'ont cess de s'affirmer. Je voudrais la connatre davantage, savoir un peu ce qu'elle pense, qui elle est en ralit. Florence hocha la tte. Nous sommes tous au mme point, Claude, dclara-t-elle. Nous aimons tous Laure, mais aucun de nous ne la connat vraiment. Moi-mme, qui la vois continuellement, qui passe souvent mes soires avec elle tu sais qu'elle m'a gentiment offert de m'aider travailler mon anglais , je crois qu'elle a une certaine sympathie pour moi, et pourtant je ne pourrais pas dire que nous sommes amies. C'est la mme chose pour moi, Flo, dit Belloy. Il m'avait sembl au dbut que... enfin que je ne lui tais pas tout fait indiffrent non plus. Je crois que tu ne te trompais pas, dclara la jeune infirmire. J'ai eu plusieurs fois l'impression trs nette qu'elle s'intressait toi. Oh, elle ne m'a pas fait de confidences, mais entre filles il y a des choses qu'on sent mme sans les dire. Alors, Flo, je ne comprends pas. Dans le travail nous nous entendons parfaitement, mais ds que nous quittons la salle d'oprations ou le chevet d'un malade, j'ai l'impression qu'elle n'est plus la mme. On dirait presque qu'elle me dteste. Il y a quelques jours, un jeune opr venait de nous parler de la valle de Clairefontaine; Laure lui avait dit qu'elle aimerait beaucoup la connatre. En sortant de la chambre, je lui ai propos de l'emmener un soir Clairefontaine; nous pourrions mme dner l-bas au bord de l'eau. Elle m'a rpondu schement qu'elle ne sortait jamais le soir. Ce qui est vrai, ajouta Florence. D'ailleurs elle ne connat personne. J'ai insist gentiment; je lui ai propos de venir Clairefontaine avec moi un aprs-midi o elle serait libre. Elle m'a dit : Merci beaucoup, mais ce n'est pas possible et elle est partie; je pourrais presque dire qu'elle s'est enfuie. Belloy fit une pause, puis reprit: C'est ce sujet, Flo, que je voudrais te demander ton aide. Pourrais-tu lui parler de moi sans avoir l'air d'y attacher de l'importance, essayer au moins de savoir ce qu'elle pense de moi. Aprs tout, peut-tre n'est-elle pas libre. Je pense qu'elle l'est, dit Florence. Elle m'a dclar l'autre jour qu'elle n'aimait et n'avait jamaisaim personne de cette faon-l, a-t-elle ajout. Alors je ne comprends pas. La sympathie que je crois parfois sentir chez elle est-elle purement professionnelle? Si tu pouvais arriver le savoir... Je ferai ce que je pourrai, dit Florence. Mais je ne peux pas lui poser la question de but en blanc : il faut que j'attende une occasion favorable. Souvent, avec elle, j'ai l'impression de me trouver devant une porte ferme. Tu veux bien essayer tout de mme? D'autant plus volontiers, Claude, que j'aime Laure. Je pense que c'est une fille trs bien. Si nous ne sommes pas plus intimes, ce n'est pas ma faute, je t'assure. Un peu plus tard, Florence se trouvait dans le bureau de la surveillante qui voulait discuter avec elle de quelques dtails du service. Tout coup on frappa; avant mme que Mme Benot et le temps de dire Entrez , la porte s'ouvrit brusquement et M. Martel surgit dans la pice. Vous ne devineriez jamais ce que je viens d'apprendre! dit-il en se laissant tomber dans le fauteuil que lui tendait la surveillante. Nous avons une hrone Rouville! Une hrone? rpta Mme Benot surprise. Qui est-ce donc, et comment l'avez-vous dcouverte? Figurez-vous, dit le patron, que ce matin de bonne heure j'ai eu la visite de M. Groult.- Notre dput? Lui-mme. Et il n'est pas venu me voir! dit la surveillante un peu vexe. J'avais diffrentes questions

lui poser. Mais sans doute s'intresse-t-il moins Rouville qu'autrefois, soupira-t-elle. Vous souvenez-vous du moment o son fils a t soign chez nous1? Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Groult venait me rendre visite pour une raison prcise. Il a appris que notre Laure Duvalier a eu au Cambodge une conduite admirable. Un jour, sous un bombardement, elle a dirig seule le sauvetage de son hpital. Il parat qu'elle n'avait peur de rien, qu'on la trouvait toujours l o il y avait le plus de danger. Dans les bombardements qui ont suivi son dpart, personne n'a plus pens elle. Mais Groult a dcid de1. Voit Salle des urgences dans la mme collection.rparer cet oubli. Il va lui faire obtenir une dcoration.Mme Benot soupira : Cela lui fera srement plaisir, la pauvre enfant. Puisqu'elle n'a plus de famille, nous clbrerons cette dcoration ici, entre nous, n'est-ce pas, monsieur? Groult voudra certainement la lui remettre lui-mme. Mais bien sr tout le personnel de l'hpital sera invit. a n'arrive pas tous les jours Rouville, un vnement de ce genre!__Vous ne lui en avez pas encore parl, monsieur? demanda Florence. Non, je pense qu'il y faut un peu de solennit. Pouvez-vous la faire appeler, madame? Florence fit un geste pour se retirer. Mais M. Martel la retint. Restez, restez, Flo. Vous tes, je crois, la meilleure amie de Laure Duvalier... Si on peut dire qu'elle en ait une , murmura la jeune infirmire.Un moment plus tard, Laure, appele par interphone, entrait dans le bureau. A la vue du patron, elle eut un mouvement d'effroi. Venez, Laure, lui dit gentiment M. Martel. Nous avons une nouvelle vous apprendre une nouvelle qui nous a surpris nous-mmes. Nous savions que vous tiez une trs bonne infirmire, mais nous ignorions que vous aviez t une hrone. Comme la jeune fille ne disait rien, il ajouta : Vous tes trop modeste pour en avoir parl. Mais les belles actions, comme les mauvaises,finissent toujours par sortir au jour. M. Groult, notre dput, nous a appris aujourd'hui ce qu'a t votre conduite au Cambodge. Cette fois Laure plit et s'appuya des deux mains la table pour ne pas tomber. II a dcid de vous dcerner l'honneur qui vous est d, continua M. Martel. Il va vous faire obtenir une dcoration pour votre dvouement et votre courage. Inutile de vous dire, n'est-ce pas, combien nous en sommes tous heureux. Laure ne disait toujours rien. Florence remarqua qu'elle avalait sa salive avec difficult, tant sa gorge tait sche. Enfin elle se redressa et dclara d'une voix mal affermie : Je ne veux pas de dcoration, monsieur. Quelle qu'elle soit, je ne l'accepte pas. Le patron haussa les sourcils. Pourquoi cela, Laure? D'aprs ce que m'a dit M. Groult, vous l'avez bien mrite! Remerciez M. Groult de ma part et dites-lui que je n'en veux pas. Mme Benot voulut intervenir : Mais pourquoi, mon enfant, pourquoi? Nous voyons aujourd'hui, hlas! assez de crimes et de laideurs dans le monde. Il faut bien qu'on parle aussi de ce qu'il y a de beau.Laure continuait secouer la tte. M. Martel semblait mcontent. On ne vous dcorera pas contre votre gr, Laure. Mais j'avoue que je ne comprends pas. Est-ce que je peux me retirer, monsieur? Elle sortit. Les autres changrent un long regard. Je ne comprends pas, rpta M. Martel. Elle doit avoir une raison que nous ne connaissons pas. Elle est peut-tre simplement trop modeste, dit Mme Benot. Elle juge que ce qu'elle a fait ne mrite pas de rcompense. Ou bien elle a quelque chose se reprocher et elle ne se juge pas digne de l'honneur qu'on veut lui faire. Quelque chose se reprocher? Oh, non! ce n'est pas possible! protesta Florence. On ne peut jamais savoir, rpliqua M. M