RÉALITÉ DE LA NATION

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GEORGES COGNIOT

RÉALITÉ DE LA NATION L'ATTRAPE-NIGAUD DU COSMOPOLITISME

1950 ÉDITIONS SOCIALES 64, boul. Auguste-Blanqui

PARIS-XIIIe

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Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays.

Copyright 1950, by Éditions Sociales, Paris.

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CHAPITRE PREMIER

LE PROBLÈME NATIONAL

DEUX CONCEPTIONS OPPOSÉES DU RÔLE DE LA NATION.

Le 1 novembre 1949, les agences de presse ont transmis, de New-York, le télégramme sui- vant :

L'accent mis par M. Hoffman sur les possibilités qui s'offriraient à un marché européen unique, une fois les obstacles nationaux artificiels suppri- més, a trouvé un écho vigoureux chez les banquiers de premier plan.

C'est devant la troisième réunion plénière du Conseil de l'organisation européenne de coopéra- tion économique (O. E. C. E.) que l'administrateur du plan Marshall avait, le 31 octobre, exigé la réalisation de l'entité économique « européenne», la renonciation des États intéressés à leur souve- raineté nationale, au nom des sociétés monopo- listes américaines : nouvelle confirmation, en des termes parfaitement clairs, du fait que l'abolition des souverainetés nationales, le cosmopolitisme sont un objectif politique capital des «banquiers

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de premier plan», du capital financier et des gou- vernements impérialistes.

Au contraire, l'égalité des races et des nations, le respect de la souveraineté nationale comptent parmi les principes mêmes du socialisme. Ce sont, en particulier, des règles constantes de la politique intérieure et extérieure de l'État soviétique, qui a, dès les premiers jours de son existence, libéré les nationalités autrefois asservies par le tsarisme et renoncé aux accords inégaux conclus par la Russie tsariste avec la Perse, l'Afghanistan, la Turquie et la Chine.

Nombre de gens, dit Staline, ne croient pas qu'il peut y avoir des relations d'égalité des droits entre une grande et une petite nation. Mais, nous autres, hommes soviétiques, considérons que de telles relations peuvent et doivent être. Les hommes soviétiques considèrent que chaque nation, qu'elle soit grande ou petite, possède ses particularités qualitatives, son caractère spécifique... Ces parti- cularités sont l'apport que chaque nation fait au trésor commun de la culture mondiale et qui la complète, l'enrichit. Dans ce sens, toutes les nations — petites et grandes — se trouvent dans une situation identique, et chaque nation est l'égale de toute autre nation

Telles sont les paroles prononcées par Staline au dîner qui fut offert à Moscou, le 7 avril 1948, en l'honneur de la délégation du gouvernement finlan- dais. Elles sont conformes à la pratique constante du Parti communiste de l'U. R. S. S., aux gran- dioses résultats obtenus dans le domaine national par la Révolution d'Octobre, au programme

1. J. STALINE : Après la victoire. Pour une paix durable, p. 95, Éditions sociales, Paris, 1949.

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marxiste développé par Lénine et par Staline, à cette idée de l'internationalisme prolétarien sans laquelle nul ne peut se dire leur disciple et qui est à la base même du communisme scientifique.

On sait quelle importance a eue, pour la forma- tion de la théorie marxiste-léniniste de la nation, le travail classique de Staline sur Le Marxisme et la question nationale, publié au printemps de 1913. Ce travail a présenté véritablement la théorie et le programme des bolchéviks et de tout le mouve- ment ouvrier conscient en ce qui concerne la ques- tion nationale. De 1913 à nos jours, Staline n'a pas cessé de consacrer à la question nationale des recherches et des études caractérisées par la pro- fondeur de l'analyse, par la lutte passionnée contre toutes les formes du nationalisme et contre tous ses déguisements sous une phraséologie « socia- liste», par la reconnaissance scientifique du fait national et des mouvements nationaux, par la défense de l'internationalisme prolétarien à la fois contre le nationalisme bourgeois et contre le cosmopolitisme.

Depuis que le monde s'est divisé, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, en un camp impé- rialiste et un camp démocratique, Staline, Molotov, Vychinski et les autres représentants du gouver- nement soviétique combattent sans trêve ceux qui voudraient imposer leur volonté au reste de l'uni- vers sans tenir compte de l'indépendance et de la souveraineté des autres États. Ils défendent une politique extérieure qui fonde la collaboration entre États sur le respect réciproque des droits et des intérêts de tous les membres de la commu- nauté internationale. Ils luttent pour faire ad-

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mettre, comme principe essentiel, comme ossa- ture du droit international de l'avenir, le concept d'indépendance, de souveraineté et d'égalité des États. C'est sur l'initiative du gouvernement soviétique qu'on a inséré dans la Charte de l'O. N. U. un article spécial reliant la lutte pour une paix durable à la défense de l'indépendance nationale.

NATIONALISME BOURGEOIS ET INTERNATIONALISME PROLÉTARIEN.

Qu'est-ce que le nationalisme ? Le nationalisme est une idéologie et une poli-

tique que les classes exploiteuses cultivent en faveur de leurs intérêts cupides.

L'idéologie du nationalisme repose sur la défor- mation de l'histoire, sur la réduction arbitraire de toute l'histoire aux rapports nationaux et à l'hosti- lité entre nations. Elle repose aussi sur la falsifi- cation du concept même de nation : la nation est traitée comme une communauté « naturelle », comme le résultat de facteurs biologiques, ou encore comme le produit d'une « âme nationale» donnée de toute éternité. De là provient la thèse, — aussi absurde au regard de la science qu'inhu- , maine au point de vue moral — des nations élues, appelées à régner sur les nations inférieures.

La politique du nationalisme est une politique d'asservissement des nations l'une par l'autre, d'assujettissement des petites nations, d'exploi- tation et d'oppression des peuples coloniaux et semi-coloniaux. Le but de cette politique est de

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diviser les travailleurs, de les dresser les uns contre les autres, de détourner leur attention et leurs forces de la lutte pour la paix, la démocratie et le socialisme. Lénine disait :

Regardez les capitalistes... Les capitalistes de toutes les nations et de toutes les religions sont unis contre les ouvriers, mais ils s'efforcent de diviser les ouvriers et de les affaiblir par la haine nationale 1

Le marxisme, dès l'origine, a pris position de toute son énergie contre le nationalisme sous toutes, ses formes, pour le triomphe de l'internationalisme prolétarien, qui est l'arme des ouvriers et de tous les travailleurs dans leur combat pour la victoire décisive : le renversement de l'impérialisme, la conquête de la liberté des peuples et de l'indépen- dance nationale, la construction du socialisme et du communisme

Le marxisme s'est toujours présenté en adversaire absolu de toutes les formes d'oppression sociale et nationale, en ennemi tant du nationalisme que de la négation et de la démission nationales, en organisa- teur de l'union internationale de la classe ouvrière.

MARX ET ENGELS SUR LA QUESTION NATIONALE. Friedrich Engels parlait dès 1845 de

la fraternisation des nations, telle qu'elle s'accomplit maintenant partout, grâce au parti

1. V. I. LÉNINE : Œuvres complètes, t. XVI, p. 554, en russe (2e édition).

2. Cf. I. FRANTZEV : « Le nationalisme, arme de la réaction impérialiste », dans Le Bolchévik, n° 15, 15 août 1948, p. 45.

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extrême, le parti prolétarien, face au vieil égoïsme national originel et au cosmopolitisme hypocrite, à base d'égoïsme privé, du libre-échange.

Classe laborieuse et exploitée, le prolétariat d'un pays quelconque n'a pas d'intérêts opposés à ceux du prolétariat des autres pays ; comme dira Anatole France, «il regarde les peuples étrangers sans effroi ni haine Bien plus, étant tous inté- ressés à l'abolition de l'exploitation capitaliste, les prolétariats sont tous solidaires : d'où résultent l'internationalisme prolétarien et la lutte du pro- létariat contre l'exploitation et l'oppression d'une nation quelconque par d'autres. D'emblée, la bour- geoisie de tel ou tel pays considère au contraire les autres nations comme un objet d'exploitation, d'où le nationalisme; mais d'autres intérêts, par exemple le souci de maintenir et d'étendre l'exploitation capi- taliste, sont communs aux différentes bourgeoisies : telle est l'origine du cosmopolitisme.

Dans le Manifeste communiste, Marx et Engels eux-mêmes ont montré que seul le pouvoir du prolétariat fait disparaître le séparatisme national et l'animosité des peuples ; en renversant la dicta- ture de la bourgeoisie et en construisant la société sans classes, le prolétariat met fin à la domination des nations fortes sur les nations faibles et édifie une union fraternelle des nations. Marx et Engels écrivaient :

Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation.

Du jour où tombe l'antagonisme des classes, à 1. Vie de Jeanne d'Arc, Préface, 1908.

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l'intérieur de la nation, tombe également l'hos- tilité des nations entre elles

Dans le discours qu'il prononçait en novembre 1847 au meeting de commémoration de l'insurrec- tion polonaise de 1830, Marx formulait en ces termes le contraste entre le cosmopolitisme bour- geois et l'internationalisme prolétarien :

L'union et la fraternisation des nations est une phrase que tous les partis ont aujourd'hui à la bouche, notamment les libre-échangistes. Il existe sans doute un certain genre de fraternisation entre les classes bourgeoises de toutes les nations. C'est la fraternisation des oppresseurs contre les oppri- més, des exploiteurs contre les exploités. De même que la classe bourgeoise de tel ou tel pays est unie et fraternellement liée contre les prolétaires de ce pays malgré la concurrence et la lutte des membres de la bourgeoisie entre eux, de même les bourgeois de tous les pays sont liés fraternellement et unis contre les prolétaires de tous les pays, malgré leur bataille et concurrence mutuelle sur le marché mondial.

Pour que les peuples puissent réellement s'unir, il faut qu'ils aient un intérêt commun. Mais, pour que leur intérêt puisse être commun, il faut l'abo- lition des rapports de propriété actuels, puisque ce sont les rapports de propriété actuels qui déterminent l'exploitation mutuelle des peuples. L'abolition des rapports de propriété actuels n'intéresse que la classe laborieuse. Aussi bien en a-t-elle seule les moyens. La victoire du prolé- tariat sur la bourgeoisie est en même temps la victoire sur les conflits nationaux et industriels, qui dressent aujourd'hui les différents peuples en

1. Cité d'après la traduction FRÉVILLE. du Manifeste, « Les Briseurs de chaînes », p. 296-297, Éditions sociales, Paris, 1948.

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ennemis l'un contre l'autre. C'est pourquoi la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie est en même temps le signal de la libération de toutes les nations opprimées.

Marx et Engels ont accordé la plus vive atten- tion à l'étude de toutes les formes et de tous les états du mouvement national. Ces fondateurs du communisme scientifique ont soutenu tous les mouvements nationaux qui contribuaient au déve- loppement de la lutte de classe du prolétariat.

Marx a combattu les proudhoniens qui niaient la question nationale « au nom de la révolution sociale », ne voulaient plus d' « agglomérations im- menses » et traitaient l'unité de la Pologne (ou de l'Italie, de la Hongrie, de l'Irlande) d'« épreuve faite », de chose appartenant tout entière au passé 1 En partant des intérêts de la lutte prolé- tarienne, Marx a mis au premier plan ce célèbre principe de l'internationalisme et du socialisme : un peuple qui en opprime d'autres ne saurait être libre. En réponse à la thèse proudhonienne représentant la nation comme un concept périmé, Marx a montré, dans une lettre à Engels datée du 20 juin 1866, ce qui se cachait derrière cette négation des nations.

Dans ce texte, Marx rend compte de la séance tenue la veille par le Conseil de l'Internationale :

Les représentants (non ouvriers) de la Jeune France déclarèrent que toute nationalité et les nations elles-mêmes sont des préjugés surannés... Décomposer tout en petits groupes ou communes, qui forment à leur tour une association, mais pas

1. Cf. PROUDHON, Justice, Quatrième étude, Petit caté- chisme politique, V.

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d'État. Et cette individualisation de l'humanité ainsi que le mutualisme qui y correspond s'opére- ront de la façon que voici : l'histoire s'arrêtera dans tous les pays et le monde entier attendra que les Français soient mûrs pour faire une révolution sociale. Alors, ils feront les premiers l'expérience et le reste du monde, entraîné par la force de leur exemple, fera la même chose... Notre ami Lafargue, ... qui avait supprimé les nationalités..., semblait entendre par négation des nationalités leur absorp- tion par la nation modèle, la nation française

Dès 1847, Engels avait commenté en ces termes le discours prononcé par Louis Blanc au banquet de Dijon :

Un Français, dit M. Blanc, est nécessairement cosmopolite. Oui, dans un monde où ne régneraient que l'influence française, les mœurs, les us et cou- tumes, les idées et les conditions politiques fran- çaises ! Dans un monde où chaque nation aurait pris les qualités caractéristiques de la nationalité française! Mais, contre cela, les démocrates des autres nations sont justement obligés de protes- ter... Il ne leur suffit nullement que les Français leur donnent l'assurance qu'en qualité de Fran- çais ils sont déjà cosmopolites. Une telle assurance aboutit à exiger que tous les autres deviennent Français 2

Du côté allemand, Marx et Engels ont vivement critiqué les lassalliens, qui poussaient la sympathie

1. Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 75-76, édition Costes, Paris 1934. 2. Vingt ans plus tard, Louis Blanc demandera dans

Le Temps que, si la Prusse absorbe les petits États d'Allemagne, la France ait la rive gauche du Rhin. Et, tout en appelant les Berlinois à se soulever contre le gou- vernement prussien, Engels flétrira Louis Blanc du nom de « bon démocrate impérial » dans sa lettre à Marx du 1 mai 1866 (Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 54).

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pour le mouvement national jusqu'à la justifi- cation du nationalisme bourgeois. A juste titre, Marx a qualifié la tendance lassallienne de « socia- lisme monarcho-prussien ».

Marx et Engels ont livré une bataille résolue aux « socialistes vrais », qui considéraient les Allemands comme la nation élue.

Marx s'est servi de l'exemple de ces pseudo- socialistes pour montrer que nationalisme et cos- mopolitisme vont de pair :

...Nous avons vu quelle mentalité d'un nationa- lisme étroit est à la base du pseudo-universalisme et du pseudo-cosmopolitisme des Allemands... Si l'étroitesse nationale est toujours antipathique, elle devient répugnante notamment en Allemagne, puisque ici on l'oppose, avec l'illusion d'être au- dessus de la nationalité et de tous les intérêts réels, aux nationalités qui avouent franchement leur étroitesse nationale et le fait qu'elles se fondent sur des intérêts réels

De telles indications de Marx et d'Engels ont une valeur de principe. Elles suffisent à faire la preuve que le marxisme n'a rien de commun avec le cosmo- politisme ; elles démontrent, en deuxième lieu, que le cosmopolitisme et le nationalisme sont apparentés, que ce sont des phénomènes complémentaires.

Comme dit Lénine, la théorie de Marx est aussi éloignée de la mécon- naissance des mouvements nationaux que le ciel l'est de la terre... Une fois que sont apparus des mouvements nationaux de masse, les répudier, refuser de soutenir ce qu'ils ont de progressiste, c'est en fait céder aux préjugés nationalistes : c'est

1. « L'Idéologie allemande », dans K. MARX, Œuvres philosophiques, tome IX, p. 148-149, édit. Costes.

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reconnaître « sa » nation comme la « nation modèle »

Les idéologues de la révolution bourgeoise ont maintes fois promis de libérer l'humanité de l'oppression nationale. Mais leurs promesses sont restées sans suite. L'obstacle fut toujours le respect de la sacro-sainte propriété privée ! Et l'oppression nationale a subsisté, en entraînant non seulement l'asservissement politique et intellectuel, mais aussi le retard économique, puisque le but des classes exploiteuses est non pas le développement harmo- nieux des forces productives, mais l'extorsion du profit maximum, en recourant, s'il le faut, à une exploitation semi-féodale des peuples dépéndants et coloniaux. L'époque bourgeoise commence en France par des déclarations d'affranchissement en faveur des peuples coloniaux et se termine dans les horreurs sans nom de la guerre contre le Vietnam, de la persécution à Madagascar, du régime de terreur en Afrique. En 1791, on émancipe quelques dizaines de milliers d'esclaves. En 1950, on en tient des dizaines de millions sous le joug sanglant des trusts.

Au contraire, les victoires du marxisme depuis un siècle ont été autant de victoires pour l'idée de l'internationalisme prolétarien. Ce siècle a été caractérisé par le développement de la solidarité

1. V. I. LÉNINE: «Du droit des nations à disposer d'elles-mêmes », dans Œuvres choisies, t. I, p. 712-713. » éditions en langues étrangères (textes français), Moscou, 1946. — Lénine ajoute en note : « Comparez encore la lettre de Marx à Engels du 3 juin 1867 : C'est avec une véritable satisfaction que j'ai appris, par la correspondance parisienne du Times, les acclamations. polonophiles des Parisiens contre la Russie... M. Proudhon et sa petite clique de doctrinaires, ce n'est pas encore le peuple français. » (Voir Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 167.)

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et de la coopération internationales de la classe ouvrière des pays capitalistes, par son union avec les peuples opprimés des pays dépendants, par les progrès de la lutte contre l'impérialisme 1

LÉNINE ET STALINE CONTRE L'OPPORTUNISME DE LA DEUXIÈME INTERNATIONALE.

On sait qu'après la mort d'Engels a commencé pour le mouvement ouvrier une période de prépon- dérance de l'opportunisme. Les opportunistes de toute nuance se sont mis à attaquer l'esprit révo- lutionnaire du marxisme, à répandre l'idée de la collaboration des classes et de l'intégration paci- fique du capitalisme dans le socialisme. En même temps, ils propageaient les idées nationalistes, et une longue expérience a montré que la déviation nationaliste est liée à la négation de la mission de classe du prolétariat, que le nationalisme va toujours de pair avec l'opportunisme et la colla- boration de classe.

Le mérite historique de Lénine et de Staline a été de livrer bataille à l'opportunisme, de faire renaître les conceptions révolutionnaires de Marx et d'Engels et de les développer en fonction des temps nouveaux, l'époque de l'impérialisme et des révolutions socialistes. Ils ont du même coup affirmé la valeur et l'importance de l'internatio- nalisme prolétarien. Ils ont créé un système cohé- rent de politique scientifique qui s'applique aux mouvements nationaux et coloniaux en vue du

1. Cf. A. K. AZIZIANE : Sur l'ouvrage de Staline : « Le marxisme et la question nationale », p. 5-6, éditions de la Pravda, Moscou, 1949.

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renversement de l'impérialisme et de la victoire du socialisme.

Lénine a appelé la Russie tsariste « une prison pour les peuples ». Le tsarisme avait abaissé les régions excentriques de la Russie au rang de colo- nies, et il empêchait artificiellement le développe- ment économique et culturel de ces territoires. De plus, en vertu du principe « diviser pour régner », le tsarisme excitait les peuples les uns contre les autres; en infectant la conscience des masses des poisons du chauvinisme, il se croyait sûr de détourner les travailleurs de leurs intérêts de classe et de leur mission historique. La politique d'oppression des nationalités se combinait, comme toujours, avec leur division méthodique.

Dès 1894, dans son ouvrage Ce que sont les « Amis du peuple» et comment ils luttent contre les social- démocrates, Lénine, polémiquant avec Mikhaï- lovski, a montré qu'on ne peut s'opposer à l'animosité nationale qu'en unissant les efforts des travailleurs des différentes nationalités. Dans le journal Iskra, Lénine a combattu sans pitié tous ceux qui excitaient la haine nationale, justifié le mot d'ordre marxiste du droit des peuples à dis- poser d'eux-mêmes et prouvé que la réalisation de ce droit devait être associée à la mission de classe du prolétariat ; il défendait le principe de l'étroite union des travailleurs de toute nationalité dans la lutte contre les propriétaires fonciers et les capitalistes, en montrant comment cette lutte était freinée par les querelles entre nations.

C'est en Transcaucasie que se formèrent, sous la direction de Staline, les organisations les plus actives du Parti bolchévik. Ces organisations, qui

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rassemblaient dans une seule unité combattante les travailleurs de toute nationalité, ont servi de modèle à l'ensemble du Parti. Dans une lettre adressée par Lénine à Gorki en 1913, on peut lire :

Chez nous et au Caucase, les social-démocrates géorgiens, plus arméniens, plus tartares, plus russes, ont travaillé ensemble, dans une seule orga- nisation social-démocrate. Plus de dix ans. Ce n'est pas une phrase, mais la solution proléta- rienne de la question nationale. La seule solution.

En 1904, deux ans après le deuxième congrès du Parti, paraissait la brochure de Staline : Comment la social-démocratie comprend-elle la question natio- nale? Staline y critique le cloisonnement du prolé- tariat par nationalités et réclame pour ses organi- sations de classe une structure. internationale.

On ne peut lire sans émotion la proclamation rédigée par Staline en 1905 à l'occasion des que- relles suscitées, par la police tsariste de Bakou, entre Arméniens et Tartares. Cet appel, publié au nom du comité de Tiflis du Parti, dénonce les vrais responsables du sang versé. Il se termine par ces mots d'ordre :

Tendez-vous la main les uns aux autres et unissez-vous, serrez les rangs autour du prolé- tariat, véritable fossoyeur du gouvernement tsariste, qui est l'unique responsable des massacres de Bakou.

Que notre cri soit : A bas la brouille entre nations A bas le gouvernement tsariste Vive la fraternité des peuples

1. J. STALINE : Œuvres, t. I, p. 82-83, en russe.

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Cependant les contradictions impérialistes gran- dissaient à travers le monde. On assistait à l'aggra- vation de la lutte des impérialistes pour les débou- chés, pour les sources de matières premières, pour un nouveau partage du monde. Le militarisme devenait de plus en plus puissant ; la bourgeoisie consacrait de plus en plus d'énergie à la préparation politique et morale de la guerre, en se servant des opportunistes de la Deuxième Internationale pour corrompre le mouvement ouvrier par le poison du chauvinisme.

Bien symptomatique à cet égard fut le congrès de Stuttgart de la Deuxième Internationale, en 1907. On vit à ce congrès le socialiste hollandais Van Koll soutenir un projet de résolution qui justifiait l'oppression coloniale et qui reçut l'entier appui de la délégation de la social-démocratie allemande.

Van Koll réclamait, sans se gêner, « une poli- tique coloniale socialiste» et affirmait, en bon laquais des impérialistes, que tous les peuples devaient nécessairement traverser la phase du capitalisme. L'expérience des nationalités de l'Union soviétique, qui sont passées directement d'un régime féodal ou semi-patriarcal au socialisme, a donné depuis le meilleur démenti à cette thèse aussi intéressée qu'elle était ridicule par son fatalisme.

Van Koll fut appuyé tant par l'Anglais Mac Donald et le Français Rouanet que par l'Allemand Bernstein, et il eut la majorité à la commission. C'est grâce à la ferme opposition de la délégation russe, conduite par Lénine, que ce projet fut repoussé devant le congrès — toute la délégation

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