Quinzaine littéraire 99 juillet 1970

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    99 :Entretienavec Elie Wiesel

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    SOMMAIRE

    Premier amourMercier et CamierLa vil le sur la merPense testamentaireUn sicl e dbordLes paroisses de Regalpp-trasuivi deMort de l'InquisiteurContes d'hiverLes bel les endormiesCinq ns modernesDes gens chicsuvres littraireset politiquesLa sal ive de Z'lphantLes di x JaponaisElie Wiesel, le tmoinUn lieu hantRome. la fin de fart antiqueLe SeulColonialisme et Le manifeste diffrentialistePrinc ipes de l 'e conomiepolit ique et de fimptL'tudiantL'image-action de la ou la politisation actuelleL'ecran de la mmoirePraxis du cinmaCinma Underground a Vcnisf'Le Borgne est ro iw

    pa r Anne Fabre-Luce

    pa r Cella Minartpa r Alain Clerval

    pa r Angelo Rinaldipa r Andr Baypar Claude Bonnefoypa r Marie-Claude de Brunhoffpa r Samuel S. de Sacypa r Jos PierrePropos recueillispa r Gilles Lapougepa r Marcel Billotpa r Marcel Marnatpar Pierre Pachetpa r Guy de Hosschrepa r Jean Duvignaudpa r Michel Lutfallapa r Claude Mettrapa r Victor Karadypa r Jacques-Pierre Amettepa r Ala in Cle rvalpa r Marie-France Bridelancepa r Simone Benmussapa r Georges Perec

    Crdits photographiques

    La Quinzainelittraire

    Franoi s Erval , Maurice Nadeau.Conseiller: Joseph Breitbach.Comit de rdaction :Georges Balandier, Bernard Cazes,Franois Chtelet,Franoise Choay,Dominique Fernandez,Marc Ferro, Gilles Lapouge,Gilbert Walusinski.Secrtariat de la rdaction :Anne Sarraute.Courrier littraire:Adelaide Blasquez.Maquette de couverture:Jacques Daniel.Rdaction, administration:43, rue du Temple, Paris (4").Tlphone: 8874858. ..

    Publicit littraire :22, ru e de Grenel le , Paris (7).Tlphone: 22294-03.Publicit gnrale: au journal.Prix du nO au Canada: 75 cents .

    en Belgique: 35 F.B.Abonnements:Un an : 58 F, vingt.trois numros.Six mois: 34 F, douze numros.Etudiants: rduction de 20 %.Etranger: Un an : 70 F.Six mois: 40 F.Pour tout changement d'adresse:envoyer 3 timbres 0,40 F.Rglement pa r mandat, chquebancaire, chque postal :C.C.P. Paris 15 551-53.Directeur de la publication :Franois Emanuel.Imprimerie: AbexpressImpression S.I.S.S.Print ed in France.

    p. 3p. 5p. 7p. 9p. 9p. 10p. 11p. 14p. 15p. 17p. 19p.20p.21p.22p.23p.24p.25p.26

    Le SeuilRoger ViolletDenolAlbin MichelGallimardStockRoger ViolletLosfeldSnarkGallimardTchouRoger Viol le tGallimardCalmann-LvyRoger ViolletRoger ViolletRiboud, MagnumGallimard

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    1.11 I.IVRII DII

    I.A QUINZAINIILes sentinelles du ,neant

    Bois de Gustave Dor pour "l'Enfer de Dante

    1amuel Becke ttPemier Amour (19451Minuit d., 56 p.1Mercier e t Camier l19461Minuit d., 212 p.De ces deux textes dc Becke tt ,

    l'un Premier A mour q ui est courte nouvelle, a t crit lamme anne qu e Watt (1945), etl'autre, Mercier et Camier, se si-tu e un a n a va nt Molloy (1947). Ilest galement important d 'a jouterqu e ces deux uvres furent com-poses pendant la priode oBecke tt cri va it Nouvelles ettextes pour rien (1946-1950), qu icontient un rcit capital : f Expul.3.

    Premier Amour, qu i racontel'histoire de l 'uni on du narrateuravec un e f emme , c st surtout lcrcit d'une t en ta ti ve d 'anc ragequ i choue devant l'impossibilitde con tac t partag ou durable en-tr e deux tres. La femme appa-l"at ic i comme la confi rmation del 'chec dans l'amour. Les rapportsde Watt avec la poissonnircMm' Gorman ta ie nt d j u ne s-rie de fiascos . A l a sduc ti onfminine, essentiellement castra-trice, la femme dvoreuse, lenarrateur de Premier A mour r-pond dj, non p lu s par l 'humourqu i es t un e distance prise pa r rap-port l'investissement affectif,mais pa r l'indiffrence, refusde con ta ct , ct enfin la fuite de-vant la procration, les enfantstant les scories de l'amour:l).Le refus de la femme se soldepar un e auto-expulsion qui corres-pond prcisment l 'expulsion del'enfant hors du corps de la mre.La femme disparat alors duchamp affectif, visuel, et intellec-tuel du narrateur cause de sonhorreur de la paternit: Je neme sentais pas bien ct crelle,sauf que je me sentais libre de"enser autre chose qu' elle, etc ' ta it dj norme, au x vieilleschoses prouves, fune aprs fau-tre, et ainsi, de proche en proche rien, comme par des march esdescendant vers une eau pro fon-de. (p. 39). E t e nc or e: L'es-sentiel tait que je commenais ne plus faimer.:!> (p. 45). Uneautre manire de r ef us er l 'amoure st d e c on si d re r la femme com-me un e prostitue, et de lu i don-ner c e r l e c omme le f ait l e nar-rateur pour Anne. Celle-ci devient

    donc doubl emen t immonde entant que corps qu i se donne demanire anonyme et aussi corpssusceptible de procre r d 'aut rescorps.Dans la suite de son uvre,Beckett restera remarquablementfidle cet te not io n de dr l ic -tion fondamentale dans l'amour,et qui fait de to ut r ap po rt unpourrissement invitable se rsol-Vant pa r la f ui te , o u l 'enlisementdans la solitude.Dans Mercier et Camier, les

    personnages sont dj des expul-ss. Leurs rapports se situentdans l'errance et l'attente !'ans butqu i seront ceux de Vladimir etd'Estragon dans Godot. La not io nde temporalit se fond d j dans une rverie tumultueuse et griseo pass ei avenir se confon(dent)crune faon peu agrable, et ole prsent tient le rle ingrat denoy ternel (pp. 48-49). Le sta-de de l'anc rage possible es t d-pass et remplac pa r des visi-tes:!> des auberges pourvues deservantes disponibles , ou d ansla maison d'Hlne qui est un eprostitue.L'alliance des deux personna-ges se fa it a u nom de l 'horreur

    de l'existence . Mercier et Ca-mier sont des tres sans ge, am-

    neslques pa r rapport leur pro-pr e h is to ir e (qu i es t la ngationd'une histoire) et dont le dialo-gue interminable s'articule djsu r la pr s enc e o u l'a bs en ce decertains objets comme le para-pluie, la bicyclette, l 'imperma-ble, le sac de vo ya ge >. Le bu tde l eu r e rr ance se rsume sou-vent la rcupration de ces ob-j e ts oub li s ou gars quelquepart .La cruaut gra tui te que l'on re-

    t rouvera dans Fin de Partie pa rexemple se prsente ici sous laforme du meurtre de depolice coups de bton.Mais si le c orp s des autres est

    devenu un objet hassable, celu ides personnages prend au contrai -re un e impor tance considrable.Le fonctionnement des o rg anes ,et les douleurs qu' il s provoquentsont l'objet de discours. Mercieret Carnier ne sont pas encore im- .mobiles c omme le seront Maloneou Hamm, mais ils por tent dj une attention maniaque et inqui-tante l eur propre physiologie.Le corp s d'autrui est ni te l

    point que Merc ie r et Carnier pr-frent dj le s jeux homosexuels l 'amour vnal d'Hlne. Ceg en re d e con ta ct qu i es t aussi unchec se retrouvera dans les rap-

    ports entre Pim et P em , B om etBam, Krim et K ram dans Com-ment c'est.La haine des enfan ts tcommcfuturs gniteurs.' s'exprime pa rl'attitude violente de Mercierrencontrant son fils et sa fillemarch an t s ur eux p ou r les chasser en grimaant. t Foutez-mole camp ! hurla Mercier , p. 48.1Au refus de reconnatre l'iden

    tit ou l'existence de la progniture , cor respond la perte de lanotion de l' id en ti t d 'a ut ru i e ngnral: Mercier et Camier, quis'accrochent l 'un l'autre commedeux noys la manire des per-sonnages de Godot , ne savent plusqu i ils sont : c Qui es-tu Carnier? >, demande Mercier . L 'apparition de Watt (qui ressemble Murphy1 apporte peut-tre larponse cette question: c I l esn , i l es t n de nous, di t Waltcelui qui n 'a yant r ie n, n e voudrar ien , s inon qu'on lu i laisse l e r ie nqu'il a> (p. 198). Mais ce t trec'est aussi celui qu i n'est rien etqu i veut qu'on lu i laisse le rienqu'il est.Ces deux livrcs sont impor tants

    parce qu'ils marquent une despremires tapes de ce qu'on pourra it appe le r l 'ent repr is e de r-duction >, de dpoui ll ement progressif qu e Becke tt con ti nu er ad 'op re r s ur son criture. Par lerefus de l 'ancrage et le processusde l'auto - expulsion, PremieAmour me t en vidence l'impossibil i t d'existence du couple entant qu e tel. Mercier et Camierinaugure un nouveau genre decouple, celui de deux hommes, quseront p lu s tard prsents dans le sromans et le thtre de l'auteurdeux tr es qu i se sont eux-mmeexpulss pour entreprendre un einterminable odysse aux portedu nant.Ce qui, ici, apparat encore

    comme 'l1n dialogue, se rduiraplus tard en une seule voix, lavoix prolifrante et litotique qudi t le Rien de l 'existence. Au-delde l 'h umou r noir d on t B ec ke tpare cette parodie d'aventure humaine, on pressent la disparitiondu suj et destin se dissoudre, el 'mergence d'un tre auquel ireste tout juste assez de vie poudemander, te l un souffle venu desprofondeurs: c Qui maintenant?Quand maintenant? O maintenant? :1>

    Anne Fabre-LucLa Q!!iozaine Littraire, du 16 au JI juillet 1970

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    ROMANS

    I lRANAISLe langage de la mer

    1uzanne Prou

    La ville sur la merCalmann-Lvy d., 232 p.

    De vieilles demoiselles , la viefeutre de p rovince, des languesqu i se dlient sous le sceau dusecret, des yeux immobil es der-rire les fentes des volets : le pe-tit monde de Suzanne Prou -celui, du moins , de ses trois pre-miers romans - se refermait su rle lecteur avec une simplicit ma-chiavlique, ne lui laissant mmepas le t emps d e prendre conscien-ce de la faon dont il avait ttransport d'un paisible salon par-fum au patchouli en plein curd'une ahurissante h is to ir e pol i.cire. Que s'tait-il pass? A peuprs rien; quelques divagationsde vieilles filles, un certain frmis-sement de l'air porteur de mes-sages mystri eux e t, s ur tout , l aprodigieuse imagination de Suzanne Prou qui, avec un humourfroid assez rare chez un crivainfranais, russissait chaque fois un tonnant pet it tour de force enrenvoyant dos dos, dans unemme interrogat ion admirat ive,lecteurs et personnages.

    Avec la Ville sur la mer, le registre a chang. Les grondementsdu monde on t eu raison des chu -chotements sous les bniers etau rcit intimiste - mais percu -tant - de jadis se substitue unehistoire plus ample, une sor te d econte philosophique mi-fable, mi-satire qui, p ar ce qu'ell e r en d lelecteur moins complice, ne con-va inc pa s autant qu e l es confi -

    dences prcdentes, dont l e cha r-me dsuet tait irrsistible.

    Cel a commence avec l'annoncede la mort d'un clbre hommepolitique, dan s cet te ville su r lamer o l'un de ses anciens cama-rades qu i l'avait perdu de vuedepuis un e vingtaine d'annes re-vient justement aprs une longueabsence. Pourquoi Gilles trouve-t-il le dcs d'Andr Lavenant sus-pect ? Parce que per sonne ne pa-r a t s r ie us emen t ds ir er per ce rle mystre qui l 'e nt ou re e t qu'enrapportant, sans d'autres commentaires, la fin du c he f d u Parti del'Ordre et de la Famille dans untablissement de bai ns mal fam,les journaux semblent l ai ss er l aporte ouverte toutes les suppo-sitions : suicide, crime crapuleux,vengeance politique.

    Gilles, pour sa part, se croitautoris, en sa qua li t d 'anc ienami, rendre une visite de cour-t oi sie la veuve : il m et ainsi ledoigt dans un engrenage qu i cons-t itue, prcisment, l'essentiel duroman. Le P.O.F ., en effet, n'en-tend pas laisser un i nt ru s menerune enq ute au gr de sa fantai-!;Oie; en pleine priode lectorale,et alors que l 'organisation rivaledu Parti des Armateurs lui causede nombreux soucis, l'appareil duP.O.F. cherche neutraliser Gil-les en le . dnonant comme "es-p ion. Le voici do nc de ve nu le gi-bier des polices parallles desdeux partis, chacune rivalisantd'ingniosit pour le prendre auxpiges dresss ici pa r un dmna-geur de p laqu es manchot et, l,pa r deux femmes qu i s'esprent

    fatales. C'est l e P .O.F . qui, finale-ment, l 'emporte: on arrte Gilleset , au terme d'un jugement Som-maire, on le condamne mort.A quelques jours des lections,la situation est compltement renverse pa r l'intervention d'unetroisime force, invisible mais me-naante, et qui cont ra in t les deuxPar ti s en prsence composer etpeut-tre mme s'aIlier. Saitonqui sont ces i nsurgs rfug isdans les grottes du bord de mer,et dont la rumeur assure que lenombre cro t rapidement? On ledevine, plutt: des tudiants etdes intellectuels auxquels com-mencent se joindre certains desouvriers des Armateurs. Devant lamonte de la menace, on a toutjuste le temps de proclamerl'union des anciens adversaires etde gracier Gilles pour lu i offrirde partager avec les leaders duParti des Armateurs et du P.O.F.l'honneur de former le premiertriumvirat de la ville. Aprs quoi,tout ir a trs vite; des lectionstriomphales, un je u difficile pourGilles qu i est contraint, pour gar-de r sa place, de devenir agentdouble, la press ion secr te , mai stenace, des insurgs. Enfin , aprsun e norme explosion qu i em-por te la ville, une belle apothoselibratrice avec l'irruption de lame r qu i balaie tous dtrituset permet l'arrive - on peut lesupposer - des exils des ::;rottes.Aussi arbitraire e t l im it at iveque soit pour un crivain la com-paraison constante avec son u-vre passe, fo rce e st de const at erque le talent de Suzanne Prou

    s'tait impos, jusqu'ici, dansl'vocation d'un monde repli sului-mme et surtout dans l 'exploration minutieusd'un quotidievolontairement banal, qu'envahissaient soudain l'insolite et l 'trange. Avec cette fresque "qui se voud ra it u ne satir e po litiq ue et sociale, ce ton au second degrn'agit plus et de l'imposant difice qu i nous es t propos, peinparvient-on distinguer le rez-dechausse. Pour des raisons difficilement dcelables - sinon, peuttre, le fait que le roman es t touentier r dig a u pass composce qui lui donne la fois unecertaine monotonie et un incontestable flou - on reste le plusouvent en dea du r c it e t, p artant, de sa leon. L'artifice ne rgnait-il pas enmatre sur la ville? Tout n'taitil pas travesti, frelat? , s'interroge Suzanne Prou, comme si eIJvoulait ainsi avertir son l ec teuque les vrais acteurs ne son t paces tres falots vis--vis desquelelle garde constamment ses distances, mais Kafka, mai 68, cert ai ns t ot al it ar ismes, l 'absurdi tSans doute. Mais ce n 'est pas parce qu'un lieu est dfini commimag in air e q u' il d oit ncessairement demeurer irrel, et d'autanmoins s'il s'agit d 'u n r oman quvoudrait proposer un e rflexiopolitique et se soucier, pa r consquent, de son efficacit. A moin- - et ce ne serait pas impossibl- que seul le langage de la mel;OOit, ici, dtenteur de la vr it.

    Cclia Minar

    INFORMATIONS

    Gide en BelgiqueDans le cadre du centenaire de lanaissance d'Andr Gide, la Biblioth-

    que Royale Albert 1"' de Bruxelles or-ganise une expos it ion consacre l'auteur de la Porte troite, avec leconcours de la Bibliothque littraireJacques Doucet, de la famil le de l 'cr i-vain et de nombreux collectionneurset bibliophiles.Sous le titre de Prsence d'An-dr Gide., l 'expos it ion groupe deslet tres changes par Gide avec plusde trente correspondants belges, desmanuscri ts , des di tions rares, a insique des por tr ai ts. Des tudes de cri-tique et des cri t iques de presse, pa-rues en Belgique sur l 'uvre de Gide.ds la publication des Cahiers d'An-dr Walter, en 1891, permettront de4

    suivre le destin de "uvre de " cri -vain chez nos voisins berges. En rai-son du caractre indit de maintsdocuments - qui fera l'objet d'un ca-talogue dtai ll - cet te manifestat ionne manquera pas de con trib uer auprogrs des tudes gid iennes et aurayonnement de Ta personnalit del'crivain.(Bibliothque Royale Albert 1"', Sal-Ie des Donations, Mont des Arts,Bruxelles. Du 4 juillet au 22 aot 1970,de 9 heures 17 heures. Entre libre.)

    PrixLe Prix Charles-Perrault, fond cetteanne et destin attirer l'attentiondu public sur un l iv re pour la jeunessepubli en France au cours de l 'anneprcdente et dont les quali ts I it t rai res aussi b ien que la prsentat iond'ensemble doivent favoriser la forma-tion du got et du dsir de l ir e des

    ieunes, a t"attribu l'ouvrage d'Itaio Calvino, paru au Seuil, sous le ti-tre du Baron perch, dans une tra-duction de J. Bertrand.Le Prix Nadal - l 'qu iva lent espa-gnol de notre Prix Goncourt - a tdcern Francisco Garcia Pavon pourson roman Hermanas coloradas (co l-lection Ancora y Delfin. des di-tions Destino, Barcelone).Ag de cinquante ans, FranciscoGarcia Pavon, aprs avoi r pub li unpremier roman intitul Cerca de Ovie-do, qui provoqua des controverses pas-sionnes, s'est consacr pendant longtemps la nouvelle et au conte, genreo i l exce lle. Revenu au roman, ils 'orienta vers le rcit de science-fic-tion et le roman polic ier, formes l i tt-raires fort peu cultives en Espagnede nos jours. Las Hermanas coloradasnous propose une analyse en profon-deur d'une socit rurale en volution,mais at tache encore aux vieux mythes, aux superst it ions e t aux prju-gs.

    Le 1er ao tparai t rale nO 100de la Q!!inzaine

    Il compor tera unbi lan de l 'annecoule et sera en ventetout l e moi s.40 p. 5 Il.

    Retenez . le chezvotre l ibraire

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    testamentaIre

    DOCUMENT

    RogerPense

    Martin du Gard Au moment o Roger Martin du Gard rdige la " Pense testa-mentaire .. que nous publions ci-dessous grce l'obligeance dePierre Herbart , i l est assailli de doutes quant la valeur de sonuvre et des Thibault en particulier. Prix Nobel en 1937, clbre(plus l'tranger qu'en France), ayant achev le cycle des Thibaultdont la publication s'est tendue sur vingt ans), il est vivementmu par l'tude que lui consacre Claude-Edmonde Magny dans sonHistoire du roman f ranais depuis 1918. Tout en lu i tressant descouronnes, pour sa probit, sa modestie, ses exigences d'crivain,

    not re regre tte consur ne lui reconnat pas les quai its fonda-mentales du romancier et, dans sa conclusion, se montre bien dureen le qualifiant de c< naturaliste attard dans l 'aprs-guerre, repr-

    sentatif de toute une gnration de romanciers mdiocres, que neviennent sauver ni ses dons ni son extrme honntet inte llec-tuelle ". Roger Martin du Gard est affect par ce jugement d'ailleurs contestable et amen faire ret our sur lu i-mme. D'o ledsir de marquer pour les critiques futures sa place dans l'volution du genre. D 'o cette" pense testamentaire .. (i l aura encore8ept ans vivre), empreinte une fois de plus de toute la probit etde toute la modestie dont il tait capable. Il est probable, d'ailleursque la pr face d'Albert Camus ses uvres compltes dans laPlade (en 1955) ai t mis quelque baume sur la plaie' que lui acaus une relative mconna issance des gnrat ions d 'aprsguerre.

    r"'- .A. '1 t .. :.

    Pense testamentaire (qui pourrait tre rendue publ ique (31 dcembre 51) lendemain de ma mort).On m'a fait une lgende de " modestie ", parce que je ne cherche pas fai re par ler de mo i, et ne cours pas aprs les loges. Sje suis modeste, c'est parce que j'ai une claire v is ion de ce queje vaux, de ce que vaut mon uv re ; e t parce que mon succs deromancier, manifestement disproportionn mes mrites rels, medonne mauvaise conscience, comme une usurpation ... Les louanges qui ont accueil l i les Thibault, la place et les compliments qu'onme fait enco re , me p longen t, ds que j' y pense, dans une dou loureuse mlancolie.Je sais ce dont j e par le . C'est tort qu'on me range trop souvent parmi les c< grands romanciers .. de ma gnra tio n. (Ou bienalors c'est que la gnration de romanciers laquelle j'appartiensaura t une priode c< creuse .. dans l'histoire l ittraire; ce qun'est pas impossible, d'ailleurs ... ).Je ne suis qu'un aboutissement. Je n'ai rien appo rt de neuf. Jen'ai r ien fait d'autre que de cultiver avec soin, avec got, avecprobit, des terres que les romanciers franais, russes et anglaisavaient dfriches au XIX sicle. Roger Martin du Gard

    La Q!!inzaine Lit traire . du 16 au 31 juillet 197()

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    I . ITT.RATURE

    . TRANG.RELa flure

    1ernard FrankUn sicle dbordGrasset d., 320 p.

    Ah ! ces jeunes gens qu i ont lebillement langoureux et nostal-gique, en rvant des chteaux desable! Leurs premiers chteauxen Espagne constru it s dans les al-les du parc Monceau, sous l'ila tt endr i de leur nourrice, et qu inoircissaient, faute de mieux , d etaches d'encre leur manuel de lit-trature ! Thibaudet, Lanson, Fa-guet et mme M. Petit de Jullevilleleur on t donn de la l it t raturefranaise l ' image d'un enchevtre-ment subti l et r igoureux de par-terres et de pices d'eau, et ils nesongent plus qu' remplir les mar-ges de leur cahier d'colier...Dans Gographie Universelle et

    la Panoplie littraire, aux t it re ssignificatifs, Bernard Frank faisait de son rve d'crire la ma-t i re mme de ces premiers livreso il se glissait frauduleusement,f r ileusement dans la biographieimaginaire et les morceaux choi-sis du grand crivain qu'il vou-lait devenir, ce point dupe deses affabulations mythomanesqu'il rinventait un Drieu la Ro-chelle sans ressemblance avec levrai modle, selon le tmoignaged'Aragon lui-mme. Il souhaitaitfigurer dans les avenues royalesdes encyclopdies futures. Mais lerve a fait long feu. Seule, la cenedr e des grasses matines a l ai sssa trace d'amertume dans la bOUeche de notre hussard.

    Il revendique, aujourd'hui,d 'avoir donn leurs lettres de no-blesse aux ainsiqu'on devai t ds igner la petitetroupe d'crivains dsinvoltes sur-gis, la suite de N im ie r, da ns lalittrature de s a nne s 50. Mais,dans ce dernier livre, BernardFrank rompt des lances, surtout,con tr e lui -mme. L'enfant gts'est, pendant dix ans, dtournde ce qu i faisait ses dlices au6

    temps de l'adolescence, et ils'amuse, de r et ou r, dmolir lejouet d'autrefois. Aussi bien, nese lasse-til pas d'ouvrir l'intrieurde ces dlicates horlogeries, lesuvres, sans percer l e s ec re t dumcanisme qu i les fait fonction-ner, et comme un enfant boudeur,les brise en morceaux. A forcede rver sa vie d'crivain au lieude la faire, insensiblement, Bernard Frank ne sait p lu s que nousparler des cou li ss es mondaines,de ce thtre du demimondebourdonnant de rumeurs etd 'chos , ce fond grinant et fivreux su r quoi - ironisait, fro-cement, Julien Gracq dans la Lit-trature l 'e stomac - se dta-chent, invitablement, Paris, lesuvres et les hommes.Quelle flure en a f ai t, moins

    le succs, le frre de Scott Fitz dont il a prfac autrefoisGatsby le Magnifique, dissipant sarveuse drlict ion entre l'alcool,les sauteries mondaines,. l'criture,dilapidant un cap it al d 'hommed 'espri t, obl ig, pour fa ire h on neur sa rputat ion, de faire assaut d 'pigrammes grinants operce le noir rictus du dsespoir?On es t partag entre l'agacement,l'ennui et la sympathie. l 'amusement, mais il faut bien l'avouer,c 'e st le plus souvent l'ennui qu il'emporte. Il n' a jamais su se gu-ri r de voir se bri se r l e cri st al deses illusions parce que, malgr sontalent paresseux et brillant, lesuccs n' a pas rpondu suffisam-ment son appel .Dans ses premiers l ivres, ce qu ien faisait le charme, Bernard

    Frank s'tait bti un royaume oil se blottissait avec dlectation. Ilse t ai ll ai t un pou rpoi nt cl at an tdans le drap de ses fantasmes.Maintenant, il a trop le sentimentd'tre talonn pa r le temps qu ipasse pour ne pas vou lo ir ruseravec celle qui toujours gagne, nepas souffri r que lu i chappe cettedimension lgendaire, comme l'att es te sa fascination pour Malraux,qu i hausse de son v iv an t l'cri-,'ain au-dessus de sa condition.Aussi bien, flnet-ilinlassable-ment, butinant de tout et der ien, dvidant des paroles manges pa r le silence o les motsdgonfls font un mince rideau defume devant l e v ide ouvert sousses pas.

    L o Bernard Frank cesse denous bercer de mots un p eu vides,o il met le doigt su r la blessurevive qui fait de ce t corc h ledouloureux bouffon de soimme,c'est lorsqu'il se me t parler dela quest ion juive. Ceux qu i on tchoisi de n'tre pas anti smitesvoudraient, te l Mauriac, qu e lesjuifs leur sachent gr de leur neu-tralit bienveillante, comme si lahaine, en devenant silencieuse,voula it fai re payer le p ri x d e sonmutisme. Frank a raison d'insister, il n'est p as de faon plusodieusement sournoise d't re anti smite qu e d'esprer des juifs dela gratitude env er s ceux qu i Berefusent tre des bourreaux. Depuis qu'Isral , face l'encerclement bel liqueux qui le menac e,a le malheur, pour survivre, derecourir aux moyens de la force,les no n juifs lu i reprochent de nepas cult iver une vertu qu'ils n'ontla navet d e r cl amer d 'au cunautre pays. Il rgl e son compt e,de mani re premptoi re , cettegauche bien pensante qui, nonsatisfaite d ' tre l ' te rnel le perodante r esponsab le de la vertigi.neuse promotion conservatrice dela France actuelle, voudrait en core, au nom d'on ne sait quelsuniversaux, non seulement obligerles juifs s'assimiler, mais encorequ'Isral renonce se dfendre.Bernard Frank a choisi dejouer qu i perd gagne. Par des

    pirouettes, qu'on peut appeler pudeur, il escamote sans ces se sonimpuissance ou sa fat igue devantla littrature. Mais, pour crireun livre comme ceux qu'il aime,Proust, Chateaubriand ou Diderotqu' il imi te par son improvisationbuissonnire, il es t ncessaired'ajouter foi ce qu'on crit. Lespages les plus belles, si, rtrospec-tivement, il est facile d'en releverles ficelles parce qu'elles sont inscrites de mani re indlb il e dansl'anthologie de notre mmoire etse sont incorpores notre sensibilit, notre got, n e sont pasissues d'une drisoire drision.Peut -t re, ce qui ren d ce l iv re

    mouvant est qu'il soit fait de ceschutes et de ces bauches qu i sontl'envers d'une uvre, son mouleen creux...

    Alain Clerval

    Leonardo SciasciaLes paroisses de Regalpetrasuivi deMort de rInquisiteurTrad. pa r Mario FuscoLes Lettres NouvellesDenol d. , 304 p.

    Le compte rendu des activitde sa classe, qu'il rdigeait lafin de l'anne l'intention de soninspecteur primaire, donna l 'ide Leonardo Sciascia, jeune instituteur d 'u ne t re nt ai ne d'annes,d'crire une chronique plus largedlivre de l 'opt imisme officielqui embrasserai t tous les aspectsde la vie de la bourgade o i lenseignait. C'tait en 1954, quandla dmocratiechrtienne rgnaitsans partage su r la pninsule, etqu e Pie XII voyait en De Gas-p er i u n moindr e mal.

    Dans l 'avant .p ropos dont i lcoiffe la r impr es si on d e son li -vre , chez Lat erza , en 1967, Sciascia p r vie nt q ue cett e r a li tdont il devait, pa r l a sui te , faireune uvre , n' a gure chang de-puis, et l'on a ici de bonne s r ai-sons de pense r que quelques an-nes de plus n 'ont pas suffi lamodifier et que, de retour dansson village, un immigrant n' a pa s cr ai nd re un p ro fo nd dpayse.ment.

    Les braccianti - les hom-mes qui n 'o nt pas leurs bras -continuent d 'y c rever de f aim, l esenfants se placent toujours enservice ds l'ge de dix ans, lessauniers l a r et ra it e che rchentau soleil un engourdissement deleurs membres tordus pa r les rhumatismes, qu i leur procure unavantgot de l 'apaisante mort . LaMaffia p re nd la vie de ses enne-mis, l 'a rgen t de ses protgs etun e Eglise qui 1' aggiorna-mento n' a pas encore enseignl ' lmentaire pudeur, des sous tout le mondePendant ce temps, au les messieurs , paves de la

    bourgeoisie terrienne, tapent lecarton, racontent leurs fantasmessexuels comme des aventures v-cues, se fon t u ne Apocalypse del'lection d'un conseiller municipa l communiste, et voquent avecnos ta lg ie l e t emps d e l'o rd re. I lsn'accorderont pas pour autantleur voix au Mouvement Social

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    Contre l'humiliation

    Leonardo Sasca

    ALFREDSAUVYlarvoltedes jeunesSUZANNEPROUlavillesur la mer

    un volume 15 Fdu mme auteur:LA DES JEUNES

    VICTORGARDONl'apocalypsecarlate

    .. Une chronique romanesque quis ' te nd sur trois gnrat ions ol 'auteur manie avec une grandematrise les techniques joyciennes."

    LA QUINZAINE LITTERAIRE

    Une fresque grandiose de l'Armniemartyre.

    ..... Ml ang e e ff ic ac e de c ru aut ,de fantaisie, d'rotisme et d'absur-dit.....LES NOUVELLES LITTERAIRES

    P.M.PASINETTIle pontdel'Accademia

    Angelo Rinaldi

    meut d a v an t age . Au reste,Sciascia va p lu s l oi n qu'un cons-tat. S'i l connat le 'mal, il connataussi le remde et il l 'indique sansj amais hausser le ton, ca r 'l'cri-vain dont le premier l ivre laissai tprvoir et l 'importance et la cou-leur de son uv re f ut ur e, n e c ro itpas que l 'humi li at ion de l 'hommepar l 'homme soit inluctable, nien Sicile n i aill eur s.

    Refus qui fu t aussi celui, audbut du XVII' sicle, d'un reli-gieux, Frre Diego, qui prit s urle bcher de l'Inquisition: Exami-nant les textes oubl is , fouillantle pa ss pour mieux comprendrele prsent de la Sicile, commedans le Conseil d'Egypte, Sciascia,de la masse des documents, dga-ge le visage d'un homme quin'avait pas abdiqu, et dont leport ra it complt e ce recueil dechroniques.

    Il es t di t d an s les Psaumes queles rebelles seuls habitent leslieux arides . Sciascia est deceux l, et il s era it te mp s q u'onl ui r econ n t, en F rance, l a p lacesingulire qu'il occupe dans leslettres italiennes.

    nousenfinciascia, cessant

    pittoresque. elle

    r a rie n de plus press que de glis-se r u n bu lle tin r ouge dan s l'iso-lo i r? Su r la place du village,chaque matin , les propritaires ai-ss choisissent les braccianti .Pour 'un peu, ils l eu rs ca rt e-raient les mchoires, comme fontles maquignons la foire, avecles chevaux.

    Avions-nous attendu Sciasciapour souponner que les Ngrescommencent Rome? Non, sansdoute, ca r nous avions l u S il on e.Vittorini et le Pirandello des nou-velles. Mais cau se d e leur bril-lant, ces crivains aboutissent aursultat inverse de celui qu'ilsescomptaient. Pa r exemple,. quandPirandel lo dcri t les salines, ilvoit briller les gemmes d'une ca-thdrale l o Sciascia , sans ly-risme, mon tr e u n bagne. Quand ils'apitoie devant le sort de Cece.mineur des soufr i re s qui , toutesa vie, travailla pendant la nuit,et la faveur d'une Il:rve, red-couvre la lune, c'est un chant la nature que l'on entend surtout .de sorte que la misre devientposie.Avec

    d'tre

    Italien, hritier spirituel du fas-cisme. La dmocratie-chrtienne,pai- les temps qu i courent, leursemhle mieux qualifie pour assu-re r une admini st ra ti on du paysqu i ne drange pas les possdantsdans leur digestion.

    Qu i douterait que la Di-Cisoit un excel lent syndic de failliten'aurait q u' l ir e dans ce livre lercit d'une campagne lectorale.De voix tranquille, grave,d ' h 0 m m e s r de son fait,qui n'a pas hesoin des higar.rures du phamphlet pour fain'accepter sa vrit parce quesa vrit es t irrfutahle, Sciasciaremarque: C e par ti venai t dela lutte contre le fascisme et n'eutpas le courage de se /Jasser desfascistes. Il s n'ont d on c pa s tortde le soutenir, ces bourgeo is quientendent encore l 'cho des vic-toires de la guerre d'Abyssinie,comme u ne o uv er tu re d e Lonca-vallo: vingt-cinq ans d'un parle-mentar isme dont , entre parenth-ses , les communistes ne furent pasles derniers respecter les rgles,on t laiss les choses en l'tat. Pourt rouver du travail sous Mussolini.il fa lla it tre ins crit a u Fascio ; prsent, ii es t ncessaire d 'en-tretenir d e b on s r ap po rt s avec Jecur qui, su r cette terre dj, ale pouvoir de vous faci li ter l 'en tre dans un monde meilleur;l 'Amrique, qui n 'accepte d 'immi-grants qu e s'ils sont m un is d 'u ncertificat de bonne conduite chr-tienne, viatique indispensable,note Sciascia, pour que quelqu'unIlUisse s 'e n al le r c oupe r du boisau Canada .

    Quand il regarde ses lves qui,titubant de fat igue , de faim. n'ontqu e l a force de chauffer les bancs,lnstituteur ne s au ra it l eu r sou-haiter nn sort meilleur: qu'ilsa ie nt la possibilit de partir, cesgosses pour lesquels la conditionouvri r e, mme en France. seraun paradis . I l les a ime b ien, l'ins't itu te ur . I l sait qu'il n'est paspay de retour et qu'il ne sau-rait e n tr e diff re mm ent. Auxyeux des gam ins, il se trouve del'autre ct de la barricade, l oJ'on e st as su r , qn'il vente ouqu'il neige, de r ec ev oi r u n traitement la fin d e chaqu e mois. Lefonctionnaire ne gal!;ne-t-il pasmille deux c en ts l iv re s pa r jonr.quanti un ouvrier agricole n'euobt ien t que c inq cents d'un patronqn i se demande tou jour s s'il n' apas oblig un ingrat, lequel n'au-La Lit traire , du 16 au 31 juillet 1970 7

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    Une trange dame

    1Karen BlixenContes d'hiverTrad. d e l 'a ng lai spa r Marthe MetzgerGallimard d., 320 p.Elle se nomme Karen vonBlixen, ou encor e I sa k Dinesen,quand elle n'crit pas un );Omanpolicier sous le nom de PierreAndrzel. Ell e v it mas qu e, d-guise au plu s pr ofo nd d'elle-mme e t dan s ses apparences, ellepourrai t por ter le nom de tousses personnages. E ll e e st Danoise,mais on ne sait trop o elle avcu; du f on d d e l'A fr iq ue, duKenya, elle a rv u ne Eur op ehistorique qui s ' tend de prf-rence de la Rvolution' franaisede 1789 celle de f v ri er 1848,et pourtant l'espace qu'elle occu-pe ou qu' el le fait occuper seshros n 'e st j amai s tout fait dece monde. Au temps vcu, elledonne une dimension palpable ,d'une densit exactement propor-t ionnel le aux besoins de son r-cit.En fait, tout es t vrai en elle.Je le sais, je l'ai rencontre, nousavons, il y a une dizaine d'an-nes, pass un aprs-midi ensem-ble ; elle ressemblai t une mo-mie, embaume, naturellementdessche, seuls des yeux de feubrlaient au-dessus de ses pom-mettes creuses, et sans lvres, elleparlait. Elle n'tait ni homme nifemme, les deux tout la fois,peu t. t re . E ll e aurait pu aussibien se casser net ou s'vaporersous mes yeux. Etait-elle ne,avait-elle, enfant, puis jeune fille,grandi la manire des humainsordinaires, ou tait-elle sortie unebelle nu it d'un sarcophage? Ladeuxime hypothse semblait laplus vraisemblable, non seule-ment cause de l 'enveloppe charnelle mais cause d'un esprit qu isavait tout et q ui ta it de tousles temps .Elle est morte en 1962, elletait ne en 1885. Elle appartientau domaine du fantastique natu-rel ; elle es t incontestablementun gnie. Si l'on veut comprendreson uvre, il n 'e st p as mauvais,il est mme ind ispensab le de con-natre un peu sa vie. Par exem-ple, le nom de Blixen e st c el uide son mari, un cousin de Sudequ'elle pouse en 1921 ; elle avai ta lo rs t rente- six ans , elle habitaitle Kenya o il ta i t p lan teu r et:grand chasseur. En 1925, ils di-

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    vorcrent et elle resta seule, ma-tresse fodale, hautaine et gn-reuse, lutter contre l'adversit,ce qu i a donn son b ea u liv reautobiographique, la Ferme afri-caine (1) , sign du nom de Blixen,Dans le mme temps, pourmieux rsister la solitude afri-caine, elle voquait un mondeimaginaire, un fabuleux refuge.Elle tait la fille d'un homme,Wilhelm Dinesen, qu i avait tun aventur ie r et un artiste, qu iavait vcu la Commune de PariBe t cr it ce sujet un bon livre..qu i ava it t c ha sseu r parmi leEIndiens d'Amrique et officieldans l'arme turque contre lesRusses. Il dcrivait la nature comme personne et a laiss la littrature danoise une sorte de classique, Lettres d'un chasseur. Onpeut donc comprendre qu' el le a itpubli son uvre fantastique,Sept Contes gothiques (2) sous lenom d 'I sak Dinesen, donnant auvisage de Kar en le masque d'unIsak.

    I l n'est pas indiffrent de savoirqu'elle a crit ses Contes d'hiver(3) recluse dans s on manoir desenvirons de Copenhague, pendantl 'occupation allemande. Son cursans ge se serre alors autour duvieux Danemark, son imaginationse fait moins exubrante; ellesa it comme toujours blouir, maisaussi mouvoir. La noble baronnen 'ignore pas la part du peupl e ;elle comprend les deux cts dela barricade, ce qu i spare et cequ i unit.Le premier de ses contes d'hive r es t l'histoire d'un petit mousse. Enfant, il prend su r lu i degrimper en haut de l a mture deson navire pour.dlivrer un fau-con emptr dans les cordages.Plus tard, dans un port , d 'un coupde couteau il tue un marin russequi, s'tant pris d'affection pourlui, l 'empchait - sans le sa-voir - d'aller retrouver la jeunefille qu i l 'attendait . Poursuivi parles camarades du marin, il es tsauv pa r une vieille Lapone -qu i n'est autre que le faucon qu'ila nagure dlivr.Rien n'est plus injuste, vraid ire, q ue d e rsumer un conte deKaren Blixen. D'abord, parce queces contes ne sont contes qu'au-tant que l'imaginaire y joue unrle. Ce sont de longues nouvelles,parfois de courts romans, qu i peromettent des dveloppements enventail su r plusieurs registres

    qui s'interpntrent pour devenirune sorte de fugue, de bouquetblouissant. Le rel et l'imaginai-re se chevauchent et s'entraidentIC I miraculeusement. Le gnied'Andersen n'est pas loin.Le Champ'de la douleur, autrecon te d 'h iv er , e st un chef-d'u-vre. La campagne danoise sert defond, avec un manoir o rsideun seigneur t er ri en qui rgne su rles paysans. Un de ses sujets, filsd'une veuve, es t accus d'avoirincendi une grange. A sa mrequ i venaille suppl ier , le se igneura p ropos c et trange march:Si en un jour, entre le leveret le coucher du soleil, tu 'es capa-ble de faucher seule ce champ,j 'abandonnerai la poursuite et tugarderas to n f il s. Le champ es tvaste, la mre accepte l'enjeuavec reconnaissance. Le jour dela moisson venu, t ous l es paysansse sont rassembls autour de cechamp fatidique et le seigneurluimme sera l , prsent au terrible match dont la significationprofonde ne cesse de s'amplifier,et de s'approfondir en un boule-versant suspense.Que lle que soit la varit desthmes, le charme de KarenBlixen ne cesse d'oprer, le phil.tr e es t efficace, analyser les ingr-dients qu i l e c omposen t seraitune longue affaire. Elle es t bienhritire des romantiques alle-mand s, elle reconnat avoir luHoffmann, mais aussi Edgar Poe,Shakespeare, Dante, les Tragiquesgrecs, les Mille et Une Nuits, Ra-cine... Elle prend son bien o ellel e t rouve, selon ses aff inits , eten filigrane, comme dans T.S.Eliot, apparat si on veut bien lachercher, une immense cul tu re .E ll e n 'e st pas moderne , mais clas-s ique , d e tous les temps, pour laforme. comme pour le fond.Elle es t romanesque, plus faci-lement c ruel le que tendre, maiscapable de faire vibre r le curautant que l'esprit. En commu-nion troite avec une naturequ'elle dc ri t a dm ir ab lement ,sensible au rel, e lle sait authen-tifier le merveilleux. Il semblequ'elle sache tout , qu 'e l le ai t tousles pouvoirs, comme l'une de seshrones, dans les Contes ques, nomme Nuit e t-Jour, e llees t du jour et de la nuit.

    Andr Bay(1) Gallimard diteur.(2) Stock di teur.(3) Gallimard diteur.

    1Yasunari KawabataLes Belles endormiestr ad. du japonaispa r Ren SieffertAlbin Michel d., 192 p.1Yukio MishimaCinq' ns modernestrad. du japonaisp.ar Georges BonmarchandGallimard d., 176 p.Comme la plupart des crivainsjaponais contemporains, Kawaba-ta et Mishima empruntent desmodles et des thmes la litt-rature europenne. Mais, et sansdoute estce ce qu i fait pour nousleur force e t l eu r tranget, il s necessent de ramnager ces mod-les, de gauchir ou de transformerces thmes pour les intgrer dansce systme de sigries agissantsu r nous par suggestion pure:tqui, se lon Focillon, est la caract-ristique de leur art.Le roman es t un genre typique-ment occidental. Kawabata enconnat les rgles. Il les respectedans les Belles endormies commeauparavant dans le trs beau

    Grondement de la montagne. Laforme, ici, n'a rien voir aveccelle de ces romans piques ettouffus, mlange de chanson degeste et de feuilleton populairequ'il lustraient Hokusa ou Outa-maro. Le rcit, avec son actionbien centre , t roue de re tours enarrire, largie pa r les jeux conju-gus de la sensation immdiateet du souvenir, s ' inscrit, semble-t-il, dans le courant de rechercheinaugure par Proust. Le vieilEguchi caresse un sein et se 8OU-vient de sa mre. Freud, dira-t.on,n'est pas loin. Mais peut.tre n'a-til j amai s t aussi loin. Ca r siKawabata nous. conduit pa r deschemins familiers, ceux-ci mnenten des l ieux radicalement t ran-ges et trangers. En n'importeque l point du parcours, il suffitde jeter u n il par-dessus la haie,de prter l 'ore il le aux murmuresdes vents, la respiration des per-sonnages, pour se sentir soudaindpays.L'criture, ici, es t comme affec-te d'un singulier Elle es t elle-mme et son fantme.Le romancier dc ri t avec prci-si on les objets, l es pays age s, l esgestes. Mais derrire la ralitqu'il nous p ropose , vidente etsimple, une aut re ne cesse de se

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    Le Japon et l'Occidentprofiler, hantes pa r les figurest roubles du dsir et de la m ort ,troubles d'tre places constam-ment aux frontires du sensibleet du spirituel, de ce monde et del'au-del.Aussi bien est-ce pour cela qucl e l iv re chappe toute vulgarit.Rien pourtant de plus scabreuxq ue son suj et . Les belles endor-mies , ce sont des jeunes filles,toutes vierges, plonges dans unsommeil artificiel, offertes pour lanuit des vieil lards dcrpits etimpuissants. Il ne se passe ja-mais rien , di t la tenancire, sor-te de sous-matresse dist ingue quioffre le th ses clients. Et levieil Eguchi lui-mme, qui, soixante-sept ans, n'a pas perdutoute virilit, qu i e st v en u l pa rcuriosit, pour comprendre aussiquels plaisi rs lu i resteront possi-bles dans quelques annes, re-nonce enfreindre les interditsno n formuls de la maison, mieux,y revient pour rver auprs decorps frais, innocents et singuli-rement prostitus.

    Au vrai, nu l tablissement nemri te mieux le nom de mai so nd'illusions. Ce qu i fascine Eguchi,j usque dans sa dernire et tragi-qu e visite, c'est de respirer le par-fum de la jeunesse, de retrouver travers ce parfum celui de sapropre jeunesse, ses lans et sesplaisirs d'autrefois. Auprs de cesfilles qui, endormies, silencieuses,ne sont peut -t re pas relles, qu isont peuttre des incarnations deBouddha, i l dcouvre ensemble ceque sont J'essence du dsir et lesommeil bienheureux de la mort.Bref, ce qui aurait d tre sadernire exprience rotique -exprience, prise tellc quelle,d'une grande pauvret - devienten fait une exprience mystique.Aussi b ien, d an s ce rcit sobre,rapide, d 'une indiscutable tensionpotique, Kawabata nous entranebien au- de l de ce qu'il sembledire.

    Avec ses ns , Mishima, dont lesq ua li t s d e romancier sont bienconnues, renoue avec l a t rad it ionthtrale japonaise. Rien d'ton-nant q uan d on sait l'in t rt queportent celle-ci les dramaturges de Brecht Genet.Mais, comme son an Kinoshi taJ ungi, Mishima cherche renou-vel er l e t h t re , c r er un th-tr e refltant la ral it japonaiseen l ia nt tradition nationale et ap-port europen.

    KawabataLe titre de s on l'ecueil est clai r.

    Il s 'agi t de cinq ns modernes .Mishima pratique l'gard du n une oprat ion analogue celle de Brecht dans so n Antigone,de Cocteau dans la Machine infer-nale l'gard de l a t ragdic ant ique . De mme que B rech t ou Cocoteau de Sophocle, il propose unelecture moderne, accorde nosproccupations, d'uvres clbresdu n , notamment de Ze amiqui en fu t l e g rand ma tr e.

    D'une certaine manire , Mishi-ma va plus loin. Il conserve bienla structu re et l'esthtique des ns primitifs, y compris l'in-dispensable part ie mime et dan-se - difficile imaginer lalecture - o culmine t ou te l'ac-tion. Il garde bien l 'essent ie l desthmes avec leurs arrires-planstranges et fantast iques o circu-lent l es f an tmes, o, le tempsacqu rant une singulire lasti-cit, cent nuits et cent ans se rsu-m en t en un mme moment. Mais ces structures et ces thmes,il fait subir de singulires distor-SIons.

    T an dis q ue le waki , l'acteursecondaire qui ta it comme le t m oi n o u le commentateur de l'action a disparu, histoires et person-nages sont mtamorphoss. Toutse droule de nos jours, dans unJapon marqu pa r l'influence oc-cidentale. Au dcor abstrait, aut emple, sont substitus des lieuxprcis, salon de haute couture,boutique d 'avocat, cl in ique, gare,rue aux enseignes multicolores.Les hros eux-mmes sont, en ap-

    Mishimaparence, intgrs cette SOCIete.Mme leur misre, leur inadapta.tion ou leur fol ie sont expl iquespa r des raisons sociales ou psycho-logiques. Un esthte cite unephrase en franais. Une infirmirese lanc e da ns un long discourssu r la psychanalyse et les obses-sions sexuelles. Bref, l a moderni tes t prsente partout.

    Bien vite, cependant, on s'aper-

    oit que Mishima a introduit danses textes des repres familiers eun e apparence de lo gique pourendre plus crdible e t p lus sensible le dpaysement qu'il noupr op ose. Mme le recours auxphrases banales, aux clichs et vrits toutes faites, recours quin'est pas sans rappeler certaineformes du thtre europen actuel, n'est l que pour masquer leglissement du rel vers l'insoliteL'auteur n e d on ne pas au nu ne a llu re p lus p ros aq ue , plura li st e. Au contraire. Il se serde s it ua ti ons ra li st es pour redcouvrir le caractre crmoniel duthtre. A travers u n jeu qu i ble emprunter des chos et desficel le s nos comdies, i l m in e laralit pour nous introduire danun monde o tout est possible, ol e f an tme d'un viei llard amoureux peut entraner une jeunef emme d an s la mort, o les charmes de la magie agissent jusquedans les cliniques les mieux quipes. Comme chez Kawabatac'est l e monde de l 'i llusion - oude ce que nous croyons, nous occiden taux , tr e l'illusoire - qudonne son sens au m on de rel.

    Claude Bonnefoy

    La Q.!!inzaine Littraire, du 16 au 31 juillet 1970

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    Un vide touffant

    1Joyce Carol OatesDes gens ehicsTrad. de l 'amrica inpa r Benot BraunStock d., 320 p.Aux Etats.Unis, tout le mondea lu ou b ien veu t lire Joyce CarolOates. Il es t rare d'ouvrir un jour-na l littraire sans tomber su r unarticle mentionnant s on nom, ca relle reoit constamment des prix(The Nat iona l Book Award) etdes rcompenses. Cette jeune femme de t rent e deux ans crit sansrelche: romans, nouvelles, po.mes, essais critiques, mme unepice de thtre; elle e st aus siprofesseur d 'anglais WindsorUniversity (Ontario). Frle, lavoix douce , elle a un long cougracile et de trop g rand s y euxnoirs. Elle aime rver pendantdes heures su r sa terrasse ou aubord de la rivire et laisser 8apense se concentrer dans un e sor-te d 'espace v ide rempli par sespersonnages. Et tout coup, l 'his-t oi re est l , t ou te pr te , et il n' ya plus qu' l'crire ...

    En 1965, nous avions pu c ro ir eq ue Joy ce C aro l Oates ta it u ne sudiste; son premier roman,With Shuddering FaU, avait unson nettement faulknrien. MaisJoyce Carol Oates est ne dansl'Etat de New York et chaquenouveau roman semble apporterune autre facette de sa personnalit.

    Pas de l ieu gographique pr cis pour des Gens Chics. Ce ro-man se passe dans l es r iches banlieues qu i entourent les grandesvilles amri ca in es . Des mai son sluxueuses poses a u m il ieu d e gazons bien entretenus, bords d'arbus te s d e valeur et de v ieux a r-bres. Un village o l'on trouvetoujours un e petite, mais si bienachalande, boutique des gourmets ; un e cole trs p ri v e e tsnob, en plus des tablissementshabituels. Les des sins du NewYorker nous on t hab it u s auxlieux de ce genre. De nombreuxromans amricains s'en sont mo-qus avec plus ou moins d'hu-mour, d e h ar gn e ou de tristesse,Mais avec des Gens Chies, un nouvel aspec t nous sau te a ux yeux.Sous la calme ordonnance et l'hy.pocrisie courtoise de bon ton deces banlieues climatises , ronronne un silence lourd de violence, de solitude dsespre, de vide10

    touf fant , comme l a respi ra tiond'une bte tapie .

    L'histoire nous es t raconte pa rRichard, un gros garon de dix-huit ans - pe u prs - extr-mement intelligent, et maladif. Ila besoin d'crire cette autobio-graphie pour s'en sortir e t p ou rse tuer ensui te (du moins, il leprtend). R ic ha rd n e mch e passes mots: J e fus un enfant as-sassin . Son pr e, E lwood Eve-rett, homme d'affaires brillant,sautant de haute situation en plushaute s ituation, fanfaron, pathti -que mais considr comme sdui-sant, les entrane sa sui te , d emaison luxueuse en maison plusluxueuse. Sa mre, Nat as hya Ro-manov (appele Nada pa r Richard), es t un personnage compliqu. Trs belle, fille d'migrsrusses, elle cri t des nouvelles qu isont souvent publies. Elle adoreet dteste tout la fois cette viede faubourgeois ie , ses bellesvoitures, ses dners mondains etses robes vu dans Vogue . Parmoments elle suffoque, parle avecun e grossire t de co rps de gar-de, et abandonne tout, mari, fils,maison, pour se perdre dan s NewYork et dans les bras d'un intel-lectuel quelconque.Richard est obsd, traumatis,dvor d'inquitude pour cettemre. Toute sa vie , ses tudes, sespenses lu i so nt ddies. Il l'observe et l'pie sans cesse . Lors-qu'elle s 'panouit dans un tourbil-lo n monda in et pseudo-intellec.tuel, la maison es t heureuse. Dt:sque l e baromtre descend, d'tranges voix appellent pa r tlphoneet le chteau de car tes commence s'branler.

    Richard, observateur n, nousdonne ainsi des portraits extra-ordinaires, il ne cache pas qu'ilcoute aux portes. Et chaque familier de la maison devient un ecaricature entourant l'im ag e d esa mre. Il dcrit aussi ses troubles personnels avec un e prcisionqu i enchanterait un psychiatre:gargarismes mentaux, boulimie,fivres, vomissements vritables,ractions, causes, tout es t tudiraisonnablement.

    Joyce Carol Oates a mmel'ide d 'insrer une nouvelle soidisant cri te pa r Nada: il s'agit.d 'une peti te fille au bord de l'eaucaresse par un homme noir trsgentil. L'histoire est raconte ent ro is tapes, comme si la petitefille, ou Nada elle-mme effrave,osait chaque fois mieux. Beaucoup de voiles sontainsi demi soulevs pour nousexpliquer les angoisses de Richard.

    Lorsqu' l'ge de douze ans,horrifi l 'i d e que sa mre lequi tt e une nouvelle fois, Richardrussit acheter un fusil et ter-roriser tous les alentours, le roman se contrac te a lors lui mmecomme un chat qu i va sau ter. Ilne s'agit pas de suspense, noussavons presque tout . Mais l a n ervosit chronique va pouvoir enfins'chapper comme la lave d'unvolcan. Le meurtre a lieu, certes.Mais nous avions mconnu mal gr tout la force no rme de l'hy-pocrisie de ces banlieues faubourgeoises : ni la police, ni lemdec in ne veu lent admet tr e queRichard es t un enfant assassin.Hallucinations, disentils...

    Etude psychologique, sociologi-que, sati re tour tour cruelle etromantique, ce livre est fascinant.Joyce Carol Oates ne s'est pascontente de faire jouer devantnous les arabesques tortueuses deEOn roman, chaque fois qu'unmorc ea u d e fi l de l 'h is to ire es tdroul, elle nous prend partie,d emanda nt n ot re at te ntio n p lu sprcisment : e t le fil s'enroulesubrepticement autour de nous.Peu peu nous n ous trou von sprisonniers de son rcit. Nousparticipons en suivant page pa rpage l'laboration du roman,l'analyse, la comprhension desper sonnages . Nous sommes prisdans le mme rythme. Encerclsdans le cauchemar. Le talent deJoyce Carol Oates es t redoutable.

    Marie-Claude de Brunhoff

    Hrault de Schellesuvres littraireset politiquesEdi tion tabl ie et prsentepa r Hubert JuinRencontre d., 336 p.

    Hrault de Schelles estau carrefour de deux univers:son nom et sa l igne le fontcaptif de l 'Ancien Rgime, cergne immobile; son appt itet sa convict ion le porten tdans le mouvement de la so-cit future, Il est distendujusqu' l'extrme.... HubertJuin dfinit ainsi trs bienl'quivoque du personnage et.en mme temps. ce qui donne l 'quivoque ellemme. unevaleur attachante.Un chefd'uvre certainement,

    deux sans doute. Et qui, aprsdeux sicles (ne chicanons pas su rles dcimales) demeurent tels.Sans rien devoir aux grces atten-drissantes et fanes qu e nous go-tons encore quelquefois, en nosmoments . de compa tis sance etd'abandon, dans Atala ou mme,pourquoi pas, dans la Chaumireindienne. Sans rien devoir nonplus aux charmants alibis d'unesophistication qu i pice l e p la is irqu'on prend feuilleter Voiture,Fontene ll e, PaulLoui s Courier .De vrais chefs-d'uvre. L'un tienten trente pages, l 'aut re en soixan-te ; l a d imensi on n 'y f ai t r ie n. Eton nous laissait oublier cela. Se-rions-nous trop riches ?

    Hrault de Schelles naquit la fin de 1759 ; so n p r e putatif(quem nuptiae demonstrant) , co-lonel, ta it mor t quelques moisauparavant, des suites d'une bles-sure de guerre. L'enfant fu t levpa r sa mre et sa grand-mre dansun chteau angevin. Ce milieu in-conditionnellement dvou en es-prit l'autel et au t rne appel ai tbien des revanches. On le desti-nait l'arme. I l prfra le droit ; dix-huit ans, le voil dj avo-cat du roi Paris ; il allait tenirtoujours un r an g f or t honorableparmi les gens de la loi. Avecun e cur io si t ouver te , qu' at tes.tent, pa r exemple, en 1783, aucours d'un voyage en Suisse, sesvis ites Lavater et Charles Bon-net, des ti ns (ne quittons pas lalittrature) f ai re une jolie car-rire dans les doctrines halzacien-nes, ou , deux ans plus tard, sa

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    Hrault de Schelles' ' ' ' ' ' ' '

    '_ !;r;;Y"tM /1,:;"" 1f,1,

    Son rle sous l aRvolutionSon rle sous la Rvolution de

    meure confus, malgr le s h ist oriens; lesquels l'ont observmais avec condescendance, vque , s 'i l a ctoy les grands des

    rechange, moi n s sotriqueThorie de lambition. Quelle lgret ! Comment se fier, en 178lorsque grossissaient dj les sgnes de l'orage, une ambit ioassez ingnue pour taler seatouts avant mme d 'engager lpartie? Quelqu'un, je le ' suppossans que s a f amil le y ft pourien, d ut lui conseil ler de ramasse r ses cartes en toute hte . N'esce pas un indice de son ambigutqu'un tel flottement entre deugots inconciliables, le got dl'action et le got d'une philoSQphie de l 'action?

    vais espri t. De fait, Huber t J ui ny souligne l'influence du curieuxAn to in e d e Lasalle en qu i l'oncroit deviner un prcurseur exal-t, s inon dl ir an t, de ces idolo-gues, matrialistes des ides, dontStendhal allait bientt nourrir lavorace jeunesse de sa pense ; pastellement loign, au fond, deCharles Bonnet ni de Lavater . Lesaphorismes dont es t fait le Codi-cille composent un pe ti t manue lhtrodoxe de cynisme appliqu,un pet it t ra it p ra ti que de phy.siologie morale o une certainemanire de connatre les hommesse prsente comme une mthodepour les manipuler. (Stendhal,qu i l'avait lu avec attention, en aretenu maints prceptes, pour lesappliquer, notamment , aux incer-titudes de sa politique amou-reuse.)

    Hrault de Schelles, d an s sonprambule, proposai t un titre de

    Pourquoi horrif ie? Nous d :gustons dans ces pages de l 'imper-tinence encore, du mordant aussi,un e agrable densi t , de la pn-tration ; mais rien de scandaleux.Sans doute et -on accept plus ai-sment un peu de libertinage, nonmoins banal alors qu e ce qu enous appel ons aujourd'hui ro-tisme: mais on flairait du mau-

    a ises. Avec un got particulierpour les petites filles; maiss'agit-il vraiment de gamines, ousimplement de ces bonnes fillesqu i ne font pas d'histoires? L'ro-tologie a besoin de lexicographes.

    La relation de Hrault de S-chelles est la fois reportage etinterview. Elle en a le caractred irec t, l e relief, la couleur, l 'ani-mation, l'efficacit. Buffon chezBuffon, vivant, existant, se pava -nant, se proposant l'admiration,s'admirant lui-mme, navementglorieux, glorieusement naf, etpompeux avec bonhomie. Je mesouviens d'un mot d'Alain: Lespectacle des Importants m'a tou-jours donn l'i de d e les criblerde f lches . Quand on a lu cespages, on ne peut plus se laisserprendre certain mlange habi-tuel de la vanit et de la dma-gogie (non, ne suivez pas la direc-tion de mon regard) . Rien n'estenlev Buffon, que ce qu i taittranger la vr it de Buffon. Lev is it eu r s ai t t r s bien reten ir saverve, et l 'empcher d'aller s'ga.re r dans les excs d'un pamphlet.De la mal ice, oui , et beaucoupd'irrvrence; mais une extrmel gr et de doigt, et assez definesse pour qu'on se demandepa r momen ts s 'i l se moque ous'il admire, si c'est car ica ture ousi c'est portrait. C'est tout ensem-ble . C 'est dgonfler l'Importancesans r du ire le sujet.

    V is an t p lu s loin, il donna en1788 un opuscule intitul Codi-cille politique et pratique d'unjeune habitant d'Epne. Titre bi zarre. Etait-ce dire adieu la fol-le vie d'Epne, annoncer un vi-rage ver s l es choses sr ieuses , et ,entre les deux, enregistrer le sou-venir des analyses graves quis'taient gaiement entrelaces lagalanterie? Quoi qu'il en soit, letirage fu t aussitt touff. Su r in-j onct ion, para t- il , de la famillehorrifie.Du mauvai s espr i t

    Jouer la contestationOn se pi quait d'y j ou er avecla contestation ; sans imaginer le

    moins du monde comment devai tfinir ce qui commenait pa r des i a imab le s chansons. Aux sou-pers on discutait, selon un tmoi-gnage, fai re dresser les cheveux sur la tte , et le chtelain,payant d'exemple, s e reposaitdes impits pa r des obscnits .I l faut dire que le tmo ignagedate de la Restauration: contem-porain et collgue de Hrault deSchelles, le prtendu tmoin,aprs s'tre distingu pa r la cons-tance de sa fidlit aux rgimessuccessifs, tait devenu farouche-men t b ie n pensant. Peut-tre cetopportuniste a-t-il noirci le por-trait ; ce serait dommage.Buffon, en 1785, avait soixante-dix-huit ans; malade, il allaitmourir trois ans plus tard. N Montbard, il y demeura it hab it ue ll ement. La petite cit, mi-chemin ent re Auxer re et Dijon,tait domine aut re fo is pa r unvieux ch teau des ducs de Bour-gogne; il en ava it r as la plusgrande partie, pour donner duchamp la passion maniaquequ'il ava it de bt ir e t de planter.En tendu en affaires, il y avaitinstall des forges (quatre centsouvriers, quatre cents tonnes defer pa r an) , devenues de nosj ou rs une ent re pr is e de quelqueimportance. Il sacrifiait volontiers Vnus, pourvu que Vnus n'empitt ni s ur son travail ni sur ses

    visite Buffon sant en son fiefbourguignon de Montbard.

    Rien de compass, cependant,chez ce jur is te , qui ent enda it n epas gcher sa jeunesse comme onlu i avait peut.tre gch son en . fance. La mode tant, jusquechez Thmis, la fronde et lalicence, il ne m anqu a pas de fou-le r aux pieds tous les principes,et de prfrence les plus sacrs.Il avait un ch teau Epne, en-tr e Mantes et Meulan, levcomme le nid des aigle s , ose-t-il crire: il faut c ro ir e que lesaigles de ce temps-l nichaientbas. Rgion t rs f rquente, l 'poque comme bientt sous l'Em-pire, par la bonne socit, qu ialors ressemblait fort la mau-vaise. Il y runissait des compa-gnies mles, o les amoureuxn'taient pas fervent s ni les sa-vants austres.

    La Q!!inzaine Littraire, du 16 au 31 juillet 1970 1

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    H r au lt d eS c h e l l e s En feuilletant ...tins, il n' y est pas en tr. On levitheaucoup l'tranger ou auxfrontires, dans des conditionsnigmatiques,pour ne pas diredouteuses. Mais si l'loignementdonne de la scuri t , le lieu del'amhition est toujours Paris.D'autant plus que la Rvolutiona grand hesoin de lgistes pourchafauder ses structures. Il prendl quelque importance;. on lecompte parmi les principaux au-teurs de la consti tut ion de 1793,dont suhsiste un texte originalcrit de sa main.Cependant cet cervel, qu i se

    prend. pour un manuvrier, vo-l et te d e p ar ti e n parti. Il se per-me t des mots piquants , des mysti-fications cuisantes pour l es v ic ti -mes; rgicide d'ailleurs, pa r cor-respondance. Il y a, entre laRvolution et lui, note HuhertJuin, un malentendu. En littra-ture, les petits jeux de la suhti-l it peuvent , l'aventure, payer;mais Paulhan n'avait pas en facede lu i un Rohespierre ni unSaint-Just. Bref, Hrault de S-chelles fu t de la mme charretteque Danton. C 'tait le 5 avril 1794.Il avait trente-quatre ans.Jusqu' p r sen t, o n n e pouvai tlire de lui, je crois, et encore sion avait la chance de rencontrerle livre en houquinerie, que sesuvres littraires, rimprimespa r les soins d'Emile Dard en1907. Huhert Juin y ajoute critspolitiques et cor re spondance ; i ly ajoute aussi tout ce qu'il fallait(sauf en matire de hihliogra-phie) pour que l'ensemhle setrouve mis en sa j ust e place, etclair d'une lumire jus te . Cen'est p as une simple rsurgence;c'est une rsurrection.Un ouvrage du mme Em ileDard, dat ga lement de 1907, acoll s ur H rau lt de Schellesl'tiquette d'picurien; dont ona pris l 'hahitude de se contenter.Huhert Juin a r ais on, d an s saprface ample, forte et nerveuse,de faire remarquer qu'elle es tloin de suffire. Cet homme deplaisir, mais solide su r le droit etcapahle d'une rflexion dpouillede pr jugs, ta it e n passe. peut-tre de devenir un homme d'Etatvr it ah le . La tte tranche par laguillotine tait une hon-ne tte - moins qu'elle n'etpris trop d e p la is ir s'couterparler. Mais quelle fut il it qued'piloguer su r ce qu'aura ient putre les choses qui n 'ont pas t.Samuel S. de Sacy12

    Pic a biaGerma ine Eve rl ing fu t long-

    temps u ne amie de Picahia . El lel 'ava it connu pendant la guerre,et ce fut, de part et d'autre leco up d e fo ud re. Mais Picahia vi-vait dj avec Gahriel le Buffe tqui, en apparence accepta Ger-maine comme elle en avait accep-t heaucoup d 'aut res avant elle.La vie ne fu t malgr tout pasfacile pour le s amants, et c'estune longue suite de malentendus,d e jo ies et de malheur s que d-crit Mme Everling. Cet te popesentimentale retient moins que leport ra it de Picahia, l 'un des fon-dateurs de Dada, et que l'his-t oi re mme de la naissance et despremiers pas scandaleux du Mou-vement. Les his toriens puiserontic i des renseignements la sour-ce. ( L 'Anne au de Saturne, Fayard,208 p.)

    H e n ry M i ll erGeorges Belmont s'est entrete-

    nu , la Tlvision, avec HenryMiller, lors du dernier passage decelui -c i Paris. Le texte d e cesEntretiens parat chez Stock . Ony dcouvre un Miller surprenant,moins intress quoi qu'on disepa r les choses du sexe que pa ru n a rt de vivre que , l e premier , ilpratique. L'un des derniers grandsvivants de ce t emps s 'exprimeavec un natur el e t un e franchisequ i font c ha ud a u cur. (Entre-tiens de Paris avec Georges Bel-mont, Stock, 126 p.)

    D u b u f f e tMax Loreau poursui t la puhli-

    ca tio n du Catalogue des travauxde Jean Dubuffet. Ce premierfascicule de C l hr at io n dusol (le 13" de la srie) es t sous-t i tr: lieux cursifs, texturolo-gies, topographies . Tous l es t ra -vaux de cette poque sont repro-duits, en noi r et couleur. Max Looreau marque leur importance dansl'volution du peintre. (Weber,d., 154 p., grand format.)

    G i s le F r eu n dQuarante ans de l 'h is to ire de la

    photographie. C'est ce qu'on trou-

    ve dans l'a uto bi og ra ph ie d e lagrande ph 0 t 0 g r a p he GisleFreund qu i s'est i nt r esse sur -tout, on le sait, aux grands cri-vains de notre temps, de Joyce Gide, Eliot, . Michaux. Toutentire sa vocation, GisleFreund sait nanmoins raconteravec aisance, vie et naturel. (LeMonde et ma camra, Denol-Gon-thier, 256 p., nombreuses photo-graphies.)

    B al z acChez Garnier v ient de paratreL'Anne balzacienne 1970. Ce vo-

    lum e est consacr au.'t influencestrangres suhies pa r Balzac et l'influence que l 'uv re de Bal za ceu t l'tranger. On y trouve ga-lement des tudes gnrales (la!lotion de comique, le jeu des ana-logies), des tudes part iculires(sur le Cur de Tours, le Mdecinde campagne, Sraphita, la Fillea ux y eu x d'or) et uneahondantedocumentat ion (biographique etbibliographique), (426 pages).

    J u l e s VallsDans la srie des uvres com-

    pltes de Jules Valls, publiesaux Edi teur s F ranai s Runissous la direction de Lucien Sche-ler, parat un e pice indite, encinq actes et onze tableaux: laCommune de Paris. Valls, exil,l'crivit Londres et ne parvintpas la fai re reprsenter . Il yme t en scne un ouvrier forgeron(le plus collectiviste de ses r-volutionnaires ) et un peupled'artisans. Il montr e l a con ti nu i-t rvolutionnaire qu i existe en-tr e 1848 et 1871. Les prfaciers(Marie-Claire Ban cqua rt e t Lu-c ien Scheler ) voi en t d an s cettepice l 'exemple russi d'un th-tre pou r l e peupl e. (378 p.)

    ArchitectesSeghers publie un prcieux ou-

    vrage : le Dictionnaire des archi-tectes de Bernard Oudin. Plus de800 noms y figurent, couvranttoute l 'h is to ire de l 'a rchi tecture,de l'antiquit aux plus rcentes

    tendances de l 'architec ture d'aujourd'hui. Des notices sont galement consacres aux princ ipaustyles et coles. Glossaire techniqu e et index gographique demil li er s d 'uvres cites. (Reli480 p., 110 illustrations.)

    S ami z datUn ouvrage qu i recoupe e

    complte Samizdat 1 (Ed. duSeuil) : la Presse c landestine enU.R.S.S., 1960-1970. Il s'ouvre sucette pigraphe (prophtique)d'Alexandre Herzen (1848) : L esocialisme se dveloppera dantoutes ses phases jusqu'aux consquences extrmes, jusqu' l'absurde. Alors s'chappera de lapoitrine titanique de la minoritrvolutionnaire un cri de dsespoi r e t nouveau reprendra unelutte sans merci, dans laquelle lesocialisme occupera la place duconservatisme actuel et sera vaincu pa r la rvolut ion inconnue venir... Ce sont les preuves decette lutte sans merci que noudonne Miche l Slavinsky, l'auteude ce recueil. On y retrouve lesnoms et les text es d es hros emartyrs qui pourrissent actuellement en U.R.S.S. dans les campou les hpitaux dit s psychiat riques. La documen ta ti on a tfournie pa r les organes d'migrGrani et Possev. L'accent est mismoins sur la lutte pol it ique quesu r le combat religieux, moral espirituel. (Nouvelles Edi tions Latines, 256 p.)

    L itt r a tur eLa bibliothque des conna is

    s an ce s e ss en tie lle s (Bor da s-Laffont) comprendra une His to ire dla littrature franaise en cinqvolumes, publis sous la direction de Henri Lematre. Le premier tome v ient de paratre : DuMoyen Ag e rAge baroque. Ies t d'auteurs bien connus des tudiants: Lagarde et Michardy on t collabor: Thrse Vande r Elst et Roger Pagosse. Plaisant feuilleter, en raison d'unemise en pages originale et desnombreuses illustrations, il constituera pour beaucoup un instrument de t rava il . (Rel i toi le, 640pages.)

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    tROTISME Les lphantssont contagIeux

    Mai-Juin In O

    Les LettresNouvelles

    pIe vocation d'un baiser su r labouche (pages 176 et 177) suffit crever le p la fond de not re blasement. La luxuriance verbale, qune se prive pourtant pas des explosions de la trivialit, atteinplus d'une fois son comblec'est aussi un ouvrage lyrique quela Sal ive de f Elphant.

    Contrastant avec cette superbearchitecture de t empl e h indoules Dix Japonais surprennenavant tout pa r leur manqued'apprt. Ce la se passe Marse ile , un cer ta in p ri nt emps , o lanarrat ri ce , une jeune fi ll e, connat quelques avent ur es ( doncelle qu i fournit son titre au rcit) et nous fait part en outredes circonstances assez lointainesde son dpucelage (vraisemblablement le pIns.bouleversant pisode

    Jobn Cage Kennetb Wbite-----Viviane Forrester Harry Matbews - - -Malcolm Lowry P.B. Biscaye ----Georges Kassa Serge Faucbereau-----Dominique Nom et Colette Godard - - - - - - - -Dserteurs et insoumis amricains

    Octavio PazLeonardo SciasciaJanine MatillonJean Ricardou

    de la salive de l'lphant , qu ies t tou t autan t une initiation mys-tiq ue d ans la tradition de l 'Inde .A la fin du livre, Rose, repentie,sera init ie son tour pa r Tchang.

    Que l'on ne se laisse pas abuserpar l a maigr eu r de l 'i nt ri gue(ni pa r la couverture du livre, in-t en ti onne ll emen t du style leplus p lat p ou r bib liothques degares): l'ouvrage se dveloppeavec une vir tuosi t stupf ianteselon une trajectoire de plus enplus tendue (bi en que rgulire-ment in te rrompue de p al ie rs oreprendre souffle) au fur et mesure que l'on s'avance. Bienque, contrairement toutes leslois du genre, le h ro s ne fassejamais l'amour avec plus d'unefemme la fois, on y parvient une intensit tel le que la sim-

    got, su r cette treinte amoureu-se et de tenter d' y lire sa proprevrit (ou, mieux encore, sa pro-pre image de l'amour) : qu i suis-je quand je fais l 'amour? C'est-dire: pourquoi estce que jefais. (ou qu e je ne fais pas)l 'amour?

    C'est l , je ne me le dissimulepas, un problme bourgeois et r-serv pa r consquent aux bour-geois. Les autres (ceux qu i n e sontpas bourgeois) s 'af fai rent prendre le pouvoir. Mais prenez donc,je vous en prie, faites comme chezvous et ne vous drangez paspour moi! Moi, qu i n'ai pas depouvoir (ni de t ra in ) prendre,persuad en outre de n'avoir pasplusieurs sicles devant moi pourdcouvrir le secret de la vraievie , j'avoue sans rougir cder la fascination dont j'ai parl plusvolontiers qu' n'importe quelleaut re . Surtout lorsque , de temps autre, un film ou un livre merappelle brutalement cette ra-litl. Douce-amre, si vous voyezce que je veux d ir e.

    Tout ce qui p r c de , cen'taient point des prolgom.nes, mais une indicat ion de l'tatmental ( je n 'o se dire: de la p en se) o je me suis trouv aprsla lecture successive, le mmejour, de deux livres su r l'amour,sans l'ombre d'un doute crits lepremier pa r un homme la Salivede f Elphant, le second pa r unefemme les Dix J a p 0 n ais . Sij'ajoute que je cro is avo ir cornpris qu e ce t homme e t cette fem-me qui ont crit ces deux livresne sont pas des inconnus l'unpour l'autre, on aura peut-treun e fai bl e i d e du trouble qu iest le mien en prsence de cesdeux rapports si dissemblables,tant par le ton et pa r l'allureque pa r le n ombr e de pages.

    Les deux ouv rage s son t cr its la premire personne. Le h rosde la Salive de f Elphant, Luci-fe r Hje, es t aussi l'auteur du Iivre et, nous laisse-til entendre,de plusieurs autres de la mmeveine. Il nous dcrit les tribulations de sa vie amoureuse qu 'i lpartage entre trois prostitues.Dans l'ordre ascendant, il y ftDurande, docile et un pe u niaise.Rose, capricieuse et porte su r lesngres, enfin l a g rande Tchang,un e Chinoise, sorte de Mre desPutains. Une fugue de Rose vaentraner le hro s accepter desubir une init iat ion rot ique, dite

    1one GuerreLes dix JaponaisEric Losfeld d., 132 p.1ucifer IIje

    La sal ive de f lphantEric Losfeld d., 315 p.

    Mais, lavais la conscience destemits diffrentes de fhommeet de la femme , crivait en 1908Guil laume Apollinaire dans untexte plus ieurs gards proph-tique, Onirocritique. Cette cons-cience , sans doute pouvonsnousy parvenir plus directement, pournotre part (je veux dire: nousqui ne somme s pas potes), sinous nous penchons au point d'in-t er sect ion de ces ternits dif-frentes: l'amour. L'amour h-t rosexuel s 'ent end, avec cettezone de lumi re , a ut ou r d e sonnoyau brlan t, l aque ll e peu peuse fait zone d'ombre ...

    En d'autres termes, quoi songent les femmes quand nous leurfaisons l 'amour? Pour ma p art,je crois que nous (je ve ux dire :etc.) ne le saurons jamais. Et leshommes, quand ils font l'amouravec les femmes, quoi pensentils donc ? Je ne suis pas certain,mais alors pas du tout, qu e nousle sachions (nous, etc., voi r p lu shaut) ! D'o, mon sens, la fas-cination qu'exercent sur la plu.part des gens les livres et lesfilms dont le thme principal es tl 'amour . S 'i l ta it vra iment prou-v, ainsi que l 'affi rment certainsesprits poss (sur quoi?) , qu ec'est t ou jour s l a mme chose ,o n compr end rait m al cette fas-cination et pourquoi les gens(dont pas m al font tout de mmel'amour de temps autre) seru en t p ou r voir deux personnesfaire l'amour sur un can (ouplutt, dans l'tat actuel de nosmurs, nous f ai re c ro ir e qu'ilsfont l'amour).

    Cette fille et ce garon, qui fontl'amour devant nous (ou fontsemblant), qu'prouvent.ils? Aquoi pensent .i ls ? La rponse cette question est, en principe :ils pensent qu'ils sont en t ra in de- faire l'amour. Rponse qu i ne r-sout rien. Car, fa ire l' amou r,qu'est.ce qu e a veut dire? Etchacun des spectateurs de se pen.cher, chacun avec des sentimentsparticuliers, -de la jalousie lahaine, de la complicit au d

    La Littraire, du 16 au JI juillet 1970 13

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    Jos Pierre

    du l iv re ). Tout ce la e st peinecri t, comme murmur au magn-tophone dans une sor te d ' ta t se-cond, dans le demi-sommeil, lesyeux clos. Et pou rt an t le moin-dr e dtail prend ici un e violencetonnante et dtonante, chaquegeste nous a tt ei nt de p le in fouet,nous laisse chancelants, dsem-pars. D'horreur ou de concu-piscence, on ne sait plus. Plutt,sans doute, d'prouver de si prsl es v er ti ge s c harnels que toutedistance s'efface.

    Ca r l me parat la grande dif-frence entre ces deux livresqu'unit cependant un mme bon-heur d'expression: qu e la Salivede rElphant nous transportedans les vertiges de l 'imaginat ionl o les Dix Japonais nous plon-14

    gent dans l es ver tige s du vcu.Et , en tant qu e lecteur (mascu-lin, je suppose), on se tire moinsbien, moins a ler te d e la lecturedu second qu e de ce lle du pre-mier. Peut-tre suis-je victimedes piges d'un ar t raffin? Maisje me persuade aisment que Lu-cifer Ilje n'est pas Lucifer Iljel o j'ai du ma l convenir queLone Guerre puisse n'tre pasL one G ue rre . Co mp re nn e q uivoudra! Et si c'tait la rponse ma question premire? A savoir que si les hommes rventqu'ils f on t l 'a mo ur a lo rs q u' il ssont en t r in de le faire, les fem-mes, elles, ne rvent pas; ellesfont l'amour. Mme quand ellesl'crivent. Jos Pierre

    ENTRET IEN

    Vingt-cinq annes, cela fait letemps d'une gnration et c'estde cette gnration qu'Elie Wie-sel entend dresser le bilan, dansson nouveau 1vre, Entre deuxsoleils. Cette priode de l 'hi s-toire, pour lui, a la forme d'unitinraire: au dpart, sa villenatale, S ighet , une de ces bour-gades juives comme elles exis-taient par centaines, entre leDnieper et les Carpathes - lemarch, l'cole, les bains ri-tue ls , les hommes en caftan eten chapeau noi r, le cimetire etcet te vie tradi tionnelle dont lesheures sont scandes par lalecture du Talmud, les silencesdu Shabbat, la psalmodie desprires, les ftes du Yom kip-pour ou du Tisha b'Av. Au ter-me provisoire du voyage, lachambre qu'El ie Wiesel occupe Manhattan, comme s'i l n 'avaitpu reconnat re l 'cho du silencedes Carpathes qu 'au cur de laplus formidable concentrationhumaine de ce temps.

    Amricain,il cr i t en franaisEntre ces deux tapes, le p-riple a t long, t ragique et d-sordonn. Dpor t ds l 'ge dedouze ans, le petit Elie Wieselchappe par miracle l'holo-causte. JI a quinze ans lorsqu'ilarrive Paris, en 1945. La Sor-bonne lui permet d'ajouter saculture biblique un savoir litt-raire et phi losophique. Il s 'ins-talle ensuite aux USA, commecorrespondant d'un journal isra-lien. Un accident de voiture l'im-mobilise pour un an. Le voicinaturalis amricain.Amricain, El ie Wiesel critses livres en franais. Et dsses premiers rc it s, l 'Aube, leJour, la Ville et la Chance, unevoix singulire tait salue,presque unique dans la littra-ture de ce temps. Aujourd'hui,ce n'est pas un rcit qu'il pro-pose, mais un l ivre clat, faitde bribes de contes, de descen-tes dans la mmoire, de r-f lexions sur l'histoire. Non queWiesel se tienne pour un hom-me politique, mais s'il prendparti passionnment en faveurd'Isr:al, dans les circonstancesactuelles. c'est un autre ni-veau que celui de l 'analyse pol i-t ique qu'i l s ' tabl i t.Ecrivain. Elie Wiesel l'a pro-

    bablement toujours t, mais lemot n'avait pas pour lu i le sensque nous lui assignons. JI sedfinit moins comme un crivain que comme un homme de"crit:

    E. W Isral est le peuple dul ivre, d it -i l , e t, pour moi, j'ai toujours crit, mais comprenezbien, dans mon vi llage, ce quej 'crivais n'avait rien voir avecle roman. A douze ans, j'avaisfait un commentaire de la Bibleet je l'ai retrouv vingt ans plustard, quand je suis retourn chezmoi ; je suis all dans la synagogue, il y avait des livres entasss, en dsordre, et, en fouillant, j'ai dcouvert ce texte, mapremire uvre. Inuti le de direqu'elle tait trs mauvaise.

    G. L. Depuis, vous tes devenu crivain. Pourtant, vousdites quelque part que vous considrez les romans comme purils ?E. W. Est-ce que j'cris desromans? Il s'agit de lgendesou de contes. La diffrenceavec le roman, c'est difficileDans ce livre, Entre deux soleils, il y a une phrase qui explique peut-t re mon ide: Certains vnements on t eu lieumais ne sont pas vrais. D'autrespar contre le sont mais n'onj ama is eu lieu.. . Eh bien! j 'avcu certains vnements et ceque je dcris, partir de l, cesont des vnements qui peuvent ou non avoir eu l ieu maiqui sont vrais. Or, je crois qu'iest trs important qu'i l y aitoujours et partout des tmoins.JI f audrai t i ci donner entendre cette voix, toujours unpeu blesse et pourtant calmequi semble se dtacher sur unfond de silence comme si ellen'associait les mots que poudsigner l'espace mme de cesilence. Dire aussi le visagejuif, fait de douleur et de sourire, vulnrable.E. W. Oui, il doit y avoir destmoins. Je viens de lire un livre sur la Russie des annestrente. La potesse Akhmatovaavait un fils de 17 ans en prisonet elle alla it lu i rendre visiteLe spectacle tait affl igeant de

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    Elie Wiesel, le tm.ointous ces gens qui rendaient vi-site aux prisonniers. Et un jour,devant la prison, une femme re-connat Akhmatova. Pensez-vous que vous pourrez racontercela ? Et comme Akhmatovalui rpond qu'elle le racontera,pour la premire fois un sou-ri re est apparu sur le visage dela femme. C'est cela que jeveux dire. Les hommes de magnrat ion, nous sommes tousdes survivants. I l nous fau t em-pcher que l 'holocauste ne s'ef-face de la mmoire du monde.G. L. Vous avez tmoignpar une dizaine de l ivres, dj?Maintenant...E. W. Oui, le livre qui parataujourd'hui clt une cer taineforme de tmoignage. Mainte-nant, aprs le temps d'une gn-ration, je m'lo igne du tmo ignage direct.G. L. Des romans encore?E. W. Je prpare un romanqui sera diffrent des aut res.Mais surtout, je vais faire pa-ratre deux livres sur la I it trature hassidique.Vous savez ce que c'est,n'est-ce pas? C'est un mouve-

    ment qui s'est form la fin duXVIIIe sicle, dans ma rgionjustement, et qui s'est rpandutrs rapidement dans toute l'Eu-rope centrale. C'tait la zone oles communauts juives taientsoumises aux pir es perscu-t ions. Et je .suis persuad quele hassidisme a permis lacommunaut juive de survivre. .I l s 'agissai t de retrouver, mal-gr l 'holocauste, la joie, la spon-tanit, l'intgrit. La phrasema tresse du hassidisme estcel le-c i: le chemin de Dieu tra-verse l'homme. Autrement di t,l'homme ne peu t approcherDieu si ce n'est par l 'homme.Alors, le hassidisme, s'iles t intimement religieux, parled'une rel igiosi t trs peu dog-matique et qui ouvre sur labeaut. Il a produ it , naturelle-ment, des philosophes, des pen-seurs, mais j'en retiens surtoutles chants et les contes qu'il acrs. Nous ne sommes plus duct de IYcrit, mais dans la tra-dition orale. Les Rabbis racon-taient des histoires, d'une ri-chesse souvent extraordinaire.

    C'est de ces Rabbis que je par-Ie, en en faisant des f igures aus-si v ivantes que possible. Parexemple, il y a une personnal ittonnante, celle du Rabbi Nahman de Bratzlav. Ses similitudesavec Kafka sont surprenantes. JIavait mme auprs de lu i unesor te de Max Brod qui a recueil-li ses histoires. Et ces histoires,ah ! je c ro is qu'elles dpassentparfois celles de Kafka, oui,vous trouvez chez Rabbi Nah-man de Bratzlav la Mtamor-phose, la Colonie pnitentiaire.Je ne veux pas dire que Kafkaa t influenc, mais la parentspirituelle et mme littrairees t vidente.

    G. L. Vous d ites dans vot rel ivre: Des milliers d'tres ontd mourir pour que je deviennecrivain et toi sculpteur. E. W. Comment dire plusprcisment? A New York, j'aiun ami qui est professeur deTalmud. C'est un ami d'enfance,du mme village que moi, et

    nous nous sommes retrouvspar hasard, en Amrique. Et par-fois, quand nOus nous rencon-trons, cette question flotte dansma tte, peut-t re dans la sien-ne. Aprs tout, s'il n'y avait paseu la guerre, je n'crirais pas, jeserais toujours Sighet. Cespenses-l sont assez terrifian-tes. D'une certaine manire, jecrois que nous sommes touscoupables, mme si la culpabi-lit du bourreau n'est pas celledu tmoin ou celle du survivant.Ne voyez pas l la moindrersignation au mal, la notionque le mal participerait d'unefaon mystrieuse, un vastedessein. Non, le mal est absurde comme l'holocauste de laguerre est absurde. Cet vne-ment, le plus grand de l'histoire,ma convict ion reste qu'il auraittrs bien pu ne pas tre...Et puis, El ie Wiesel va se tai-re. Ou peut-tre parlera-t-il d'au-tre chose. Il me dira pourquo i i lcrit en franais, et que cet tedcision, en 1945, tait un choix

    auquel il d e m e ure fidle(( Bien sr, je parle hbreu, equand j'cris, en hbreu, que jebois un verre de lait, j 'utilise lesmmes mots que les prophtesMais le franais est une languqui se prte au rcit, mieux qul 'hbreu qui est une langue ds ilence, une langue non rat ionnelle. ) Il d ira encore qu' il cro l 'inspi ration et qu'aucun savant l inguiste ne lui expliquerajamais pourquoi i l associe deumots dans un rc it , et i l parlerade Paris, de New York, de la vielittraire, i l plaisantera, il dirades drleries, mais peut-tre nepar la it -i l plus dj, comme s'iavait song, en dessous de saparole, cet vnement", leplus'grand de l 'histoire dont is'est jur d'tre le tmoin, comme les rabbis de Hongrie, auXVIII" sicle, utilisaient la joiele conte, les hants, pour portetmoignage sur la vie de leupeuple, dans l'holocauste.

    Propos recueillispar Gilles LapougeLa Q!!inzaine Littraire, du 16 au 31 juillet 1970 15

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    Un lieu hantARTS

    Il Y a peine dix aQs, l'abbayede Beaulieu, dans le Tarn-et-Garonne, tait envahie par lesronces. L'glise mergeait mi-hauteur du portail d 'une ganguede terre et de dtritus quis' taient amasss duran t dessicles d'abandon. Le reste desbtiments tait l 'avenant, lesviviers combls et au chant desmatines avait succd le meu-glement des vaches d'uneexploitat ion agricole. Beauleune dmentait cependant pas sonnom et lorsque chaque annePierre Brache et sa femme Ge-nevive Bonnefoi sjournaientdans la rgion, ils allaient l 'abbaye rver d'une improbablerestauration. Jusqu'au jour o,mise en vente, il s l'achetrentpour l 'arracher une mort cer-ta ine. Tout comme les moines,huit sicles auparavant, ils com-mencrent par df ri cher , mais--cette fois les bulldozers rem-p lacrent les serpes. Maons,charpentiers et aut res corps demt iers , tous de la rgion, s'at -telrent alors la tche meneavec l 'a ide des Monuments His-toriques. Neuf annes de tra-vaux dont on imagine qu'ils nefurent pas sans susciter parfoisautant de dcouragement -qued'enthousiasme, restituent au-Jourd'hUi Beaulieu ('architec-ture cistercienne.Coi ffe d'un bas clocher ornde rosaces, l'glise ferme lequadrilatre dessin par les b-timents conventuels et le lo-gis abbatial. Btie dans la se-conde moiti du XIW sicle, sanef, sans bas-cts, allie l'l-gance gothique l 'austrit cis-tercienne. Longue de cinquantemtres, cla ire par de hautesbaies troites, elle se terminepar un chevet arrondi perc desmmes hautes fentres auxquel-les les feuillages extrieursfont les plus beaux des vit raux.A ce l ieu habit, Pierre et Ge-nevive Brache se sont heureu-sement gard de donner unedestination et c 'est l 'ancien dor-toir des convers qui abr ite l'ex -position Un ar t subjectif ou laface cache du monde, pre-mire manifestation et fonde-ment de ce -Centre d'Artcontemporain qu'ils veulent im-planter en plein Rouergue. Carla restauration de Beaulieu n'estpas leu r premire aventure. Ily a plus de vingt ans, ils se je-

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    trent corps perdu dans lapeinture et le combat qu'ils menrent pour l 'abstraction lyriquene se traduisit pas seulementpar les vhmentes chroniquesde Genevive Bonnefoi par un rel soutien aux artistesqu'ils dfendaient. Ainsi d'achaten achat, une collection pritforme qu i, Beaulieu, sera d-sormais ouverte au public. Col-lect ion on ne peu t plus person-nelle de jeunes amat e u rspassionns qui se saignent auxquatre ve ines pour l 'achat d 'unPoliakof, d'un Vie ira da Silva,d'un Hartung, voire d'un Vasare-ly, mais qui trs vite prfrent cet chantillonnage, la dcou-ver te d'une uvre avec laquel-le ils se mettent vivre. Ainsise trouvent prsents commenulle part ailleurs les tempsforts de la peinture franaisedes annes 50, peinture qu'onaurait tendance oublier parcequ'loigne des recherches ac-tuelles et surtout garde- parles collectionneurs. Il suffitpourtant qu'une centaine de toi -les soient, comme ici runies,poUr s'apercevoir qu'el le tientadmirablement.Des v ingt-cinq peint res pr-sents, certains ont la par t bel-le et c'est justice. Michaux, enpremier, avec vingt-cinq uvresqui s'chelonnen t de 1944 maintenant: Fred Deux dont unevingtaine de dessins tmoignentde l 'uvre trop secrte, d'uneblouissante technique et d'uneexceptionnelle richesse thmati-que; cinq Dubuffet dont la su-perbe Barbe de dsintgrationdes injures.. Hantai est aussimagni fiquement prsent avecquatre grandes toi les, ainsi queDegottex, Claude Georges, Son-derborg et Viseux avec une im-por tante scu lp tu re mcaniqueinstalle en plein air et son Orchide pour la Rvolut ion en acie r qui t rne devant qua-tre fortes toiles du temps qu' iltait peintre. Il y a aussi Kar-skaya et Loubchansky et, repr-sents par une seule toile Ma-thieu , Mat ta , Manessier , Fau-trier, Bissire, etc.Que l 'on pardonne ce rapideinventaire, mais n'est-i l pas n-cessaire pour dtourner versBeaulieu la route de vos vacan-ces?

    Marcel Billot

    1Ranuccio Bianchi Bandinel liRome, la fin de l art antique425 ill.L'Univers- des Formes Gallimard d., 470 p.Il Y a un an , Bianchi Bandi-nel li nous ava it offer t avec Rome,le centre du pouvoir, une vued'ensemble magis trale de l 'art ro-main, se p rome tt an t d 'e n finiravec l 'art antique en un seul vo-lume traitant du moment oles provinces de l Empire vontdevenir des protagonistes de lHis-toire, de la cultlUre et de l Ar t

    Ce volume, le -voici : on imagi-ne , d 'emble, q ue son plan seramoins sinueux et savant que celuide l'ouvrage prcdent puisque,chacune de ces provinces s'indivi-dualisant de plus eJ;l plus, il fautbien, dsormais, en montre r l'vo-lution dernire sans chercher trop rattacher ces bourgeons au tronccommun. Il se trouve pa r ailleursque la priode de l 'art antique(1) couverte pa r ce volume (del 'assassinat de Commode en 192aprs J .C. la fin du r gn e d eThodose le G rand, en 395) es tl'une des plus ngliges de l'his-toire de l'art, mise part la re-naissance constantinienne . Lepropos de cet ouv rage e st doncnon seulement d'aller chercherles volutions terminales d'un ar t imprialiste dissmin auxconfins d'un empire trop vastemais encore de rtablir un e conti

    CollectionsChez Eric Losfeld, le Dsordre.

    Cette nouvelle collection, publiesous la responsabil it de JeanSchuster, se propose, pa r son con-t enu , sa prsentat ion et son prixconomique, de rendre accessi-bles au public le plus large, cer-tains text es d e rfrence aujour-d'hui introuvables et des indit s ,les uns comme les autres portantdfi,- en leur domaine, l'ordrepolicier, mondain, l i ttraire , ra-tionnel et moral qu i asservitl 'homme t ravers toutes les ins-titutions.

    Premiers titres annoncs :Les Mots font lamour, citationssurralistes recueill ies pa r An-

    nuit entre , disons, le sty le MarcAurle et les premires manifestations d'un art devenant la foieuropen et mdival.Ds le rgne de Sept ime SvreBandinelli voit apparatre, danla statuaire, diverses manifestations d' angoisse morale opposes aux figurations traditionnelles de la douleur physique (Laocoon). L'Empereur, autrefois -hroque, en vient f air e tr istfigure. Simultanment les -structures plastiques s'amollissent, lcohsion va dispara tre . Un beatexte de l'vque Cypr ien de Carthage rellte le sent iment de mutation ressenti pa r l 'poque. Lestructures conomiques sont ellesmmes mines: au III" sicle srpan dra une vritable faussmonnaie.La central isation de l 'Empirle mne ainsi s a per te , ft-ellretarde pa r le compromis qu'offrira la r econnais sance des communauts chrt iennes pa r Constantin. Dj prospres (du fait dce malaise gnralis), la coinmunaut chr ti enne devint en effel e meil le ur soutien du pouvoi(volution qu i allait devenir t raditionnelle) .

    L'irrationnel officialise (lechr t ie ns appar ai ss ai en t commles tenants d'un au-del omniprsent), c'tait faire tat, implicitement, d'un certain expressionnisme apparu dans l 'art et lpense (Plot in), l equel ava it con

    nie Le Brun.L'un dans l aut re, d'Andr Breton;Les Rouilles encages, une uvrlibre de Benjamin Pret, illustre pa r Yves Tanguy.

    Dveloppements sur l'infra-rali.sme de Matta, de Jean Schuster.

    Lexique succinct de rrotism(Breton, Mandiargues, Paz, etc.Lettres de guerre de Jacques Vach, prcdes de 4 essais d'Andr Breton.Plaisanteries, satire, ironie et senprofond, de Chr is ti an Diedr icGrahbe.Ftais cigare, d'Arthur Cravan.Le Tes tament d'Horus, de JosPierre.

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    La fin de l'art antique

    EHIIIIER

    Alexandrie. Statu