La Quinzaine littéraire

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La Quinzaine littéraire n°5

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Page 1: La Quinzaine littéraire

littéraire 1 m' 1966llm' 0 52

RODl& de oger kor, arcel Brion, Ed ........d

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Page 2: La Quinzaine littéraire

SOIiMAIB.

3 LE LIVREDE LA QUINZAINE

4 ROMANS FRANÇAIS

"1 CRITIQUE

8 ROMANS~TRANGERS

8 RISTOIRBLITT*RAIRE

10 LETTRBDE BRUXELLES

12 BSSAIS

1.3 ~RUDITION

14 SCIENCESRUMAINES

18 ARTS

1"1

18 PHI.LOSOPHIE

LINGUISTIQUE

18

10

11 PSYCHOLOGIE

Il HISTOIRE

13

24 QUESTIONSACTUELLES

2& LIVRES POLITIQUES

MUSIQUE

Il PAalS

10 TOUS LES LlvaES

La QuinzainelltUzoalre

1

Edmund \V ilson

Jean Léonard

Roger lkor

Georges Darien

Marcel Brion

Michel Leiris

Tibor Déry

Stanislaus JoyceJames Joyce

Umberto Eco

François Eygun

André Regnier

Henri Lefebvre

Jacques Ellul

Emile Benveniste

Henri Guillemin

Diderot

Zoé Oldenbourg

Elizabeth Noelle

Georges Suffert

Francis Newton

Jean Genet

François Erval, Maurice Nadeau

Conseiller, Joseph BreitbachDirecteur artistique Pierre BernardAdministrateur, Jacques Lory

Rédaction, administration:

13 rue de Nesle, Paris 6.Téléphone 033.51.97.

Imprimerie :

Coty. S.A.n rue Ferdinand·GambonParis·20".

Publicité :

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Mémoires du Comté d'fIécate

La Gaufre

Les poulains

Biribi

De l'autre côté de la forêt

Brisées

La phrase inachevée

Gardien de ".on frère

Essais critiques

L'œuvre ouverte

Apollinaire et le bon ton

Entretien avec Michel Foucault

Arts des pays d'ouest

Catalogue des travaux

de Dubuffet

Les infortunes de la raison

Langage et Société

Exégèse des nouveaux

lieux communs

Problèmes de linguistique

générale

Un colloque, avec Carl Rogers

L'arrière.pensée de Jaurès

Mémoires pour Catherine 11

Catherine de Russie

Les sondages d'opinion

De Defferre à Mitterrand

Une sociologie du Jazz

Les Paravents

Publicité générale : au journal.

Abonnements :

Un an : 42 F, vingt-trois numéros.Six mois: 24 F, douze numéros.Etudiants: six mois 20 F.Etranger:Un an: 50 F. Six mois 30 F.Tarif postal pour envoipar avion, au journal.

Règlement par mandat,chèque bancaire, chèque postal.C.C.P. Paris 15.551.53.

Directeur·de la publicatio~ :François Emanuel.

Copyright La Quinzaine littéraireParia, 1966.

par Maurice Nadeau

par Olivier de Magny

par Georges Piroué

par J ean·Louis Bory

par Claude Pennec

par François Wahl

par Maurice Chavardès

par Robert André

par Michel Géoris

par Bernard Pingaud

par Pascal Pia

par Madeleine Chapsal

par Jean Selz

par J ean·Louis Ferrier

par Jean·T. Desanti

par André Akoun

par Bernard Cazes

par Roland Barthes

par Simone Charlier

par Colette Audry

par Edith Thomas

par Jacques Ozouf

par Pierre Avril

par Michel·Claude Jalard

par Maurice Saillet

Crédits photographiques :

p. 3. Henri Cartier·Bressonmagnum

p. 5. Ed. Jérôme Martineaup. 6. Ed. Jérôme Martineaup. 7. Ed. Mercure de France

Doc. Lettres Nouvellesp. 9. Doc. La Hune

Photo Nelly Joycep. 13. Roger Violletp. 16. François Eygun

Bernard Birabenp. 17. Galerie Jeanne Bucherp. 22. Roger Violletp. 23. Roger Violletp. 24. Cornell Capa, magnump. 26. Denis Stock, magnump. 28. Photos Picp. 29. Photos Pic

Page 3: La Quinzaine littéraire

LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Tragique àl'aDléricaine

Edmund WilsonMémoires du comté d'Hécatetraduit par Bruno VercierJulliard, éd. 384 p.

Mémoires du comté d'Hécatee8t fort connu aux Etat8-Uni8,grâce à la cen8ure qui avait trou­vé à redire à certaine8 de8crip­tion8. Il y a fait une nouvellecarrière ce8 dernière8 année8 dan88a version non expurgée. On l'ytrouve aujourd'hui en livre de po­che.

Ce 8uccè8 a d'autre8 rai80n8 :l'excellence de l'ouvrage, forméde 8ix nouvelle8, conte8 ou récits,d'importance et de longueur iné­gale8, qui concourent à donnerune image peu flattée de certain8milieux américain8 de8 année8trente, la personnalité de l'auteur,critique le plu8 écouté de8 Etats­Uni8 et qui a en outre écrit 8urles Iroquoi8, 8ur Sade, 8ur la fa­çon de se dérober aux impôt8, etcette Gare de Finlande récem­ment traduite en françai81 quicon8titue une vue cavalière perti­nente 8ur l'évolution de8 théorie8sociali8te8 jU8qu'à Lénine et Trot­8ky.

Edmund Wil80n e8t un libéral.Avec beaucoup d'autre8 intellec­tuel8 américain8 il a été attiré parle marxi8me au moment de lagrande cri8e de 1930, avant dedevenir trotskY8ant. Il lui en e8tre8té un goût pour le 80cial et lapolitique qui a con8tammentnourri 8a critique, un parfumd'anti-conformi8me qui lui a sou­vent donné maille à partir avecle8 lecteur8 du « New Yorker ~

où il officiait en titre. E8prit li­bre, d'un tour plu8 européenqu'américain, prompt à dénoncerle8 forme8 d'une sotti8e propre àson paY8, 80n autorité vient del'amp-leur de 8e8 connai88ance8 ende nombreux domaine8, de la pé­-nétration et de la 8ubtilité de 8e8analyse8 qui procèdent moin8 de_conception8 toute8 faites qued'une attention 80utenue aux ma­nière8 particulière8 qu'a la litté­rature de 8'in8érer dan8 la vie, dela féconder et de l'exprimer.Pour le8 étudiant8 de Berkeley,le8 beatnik8 et ceux que le8 turi­féraire8 de John80n appellent élé­gamment le8 vietnik8, ile8t au­jourd'hui un peu vieux jeu. 118lui doivent polirtant beaucoup et,8an8 lui, il8 ne 8eraient probable­ment pa8 ce qu'il8 80nt.

Le Comté d'Hécate, c'e8t le nomque l'auteur a donné à une ré­gion proche de New York et oùcertain8 membre8 de la moyenneari8tocratie financière ou intellec­tuelle venaient, du - moin8 dan8le8 année8 trente, pa88er l'été. Acôté de8 autochtone8, éleveur8 oufermier8, on y rencontre de8 ar­ti8te8, de8 agent8 de publicité, de8éditeurs, de8 diplomate8 au rep08,qui habitent de belle8 demeure8-d'un 8tyle vieillot, colonial ou1900. La - vie y 8erait 8imple etnaturelle, 8i elle n'était animée

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

par le8 relation8 de bon voi8inage,le8 nombreuse8 « 80irée8 ~ qu'on8e donne mutuellement, le8 con­nai88ances plu8 intime8 qui setran8forment parfoi8 en intrigue8d'amitié ou d'amour, pour8uivie8à New York. Si le8 gen8 réuni8à Hécate et plu8 ou moin8 oi8if8forment un milieu a88ez homo­gène, le groupe 80cial qu'il8 cons­tituent e8t provisoire et en perpé­tuel changement 8elon le8 année8.Ce qui permet au narrateur,critique d'art et ob8ervateur de8mœur8, de faire une belle moi88ond'échantillon8 humain8 et de nOU8raconter, à prop08 d'eux, un cer­tain nombre d'hi8toire8 : piquan­te8, cau8tique8, étrange8, cynique8ou touchante8. Il e8t lui-même en­gagé dan8 plu8ieur8 d'entre elle8,ce qui ajoute grandement à l'inté­rêt du récit.

La plu8 longue de ce8 hi8toire8- elle occupe la moitié du volu­me - e8t en fait un roman quieût pu paraître à part. Elle e8tcon8truite 8ur un 8chéma a88ez8imple : un homme, le narrateur,pri8 entre deux femme8 qui incar­nent deux milieux 80ciaux, deuxgenre8 de vie, et comme deux hu­manité8 differente8. L'une, « laprince88e aux cheveux d'or » pa­raît 80rtir tout droit d'une enlu­Jninure du Moyen Age : d'unebeauté angélique, hiératique -dan88e8 attitude8 et 8e8 atours quoique8emhlant à peine pe8er 8ur laterre, elle e8t la « dame intoucha­ble ». Il rencontre l'autre, Anna,dan8 un dancing new yorkai8 oùelle e8t. « taxi-girl ». Elle devien­dra en8uite 8erveU8e de re8tau­rant. Toute8 deux mariée8 - la« princes8e » à un agent de publi­cité qui gagne beaucoup d'argent,Anna à un mauvai8 garçon, Polo­nais comme elle - elle8 aimentleur mari ou, du moin8, n'envi8a­gent pa8 de le tromper 8an8 re­mord8 ni problème8.

Ce8 problème8 n'approchent pa8toutefois, en -complexité, ceux quia88iègent le narrateur. Célibataireléger et cynique, il paraît d'abord8e contenter de vouloir coucheravec l'une ou l'autre, 8an8 êtreobligé de choi8ir. Il comble avecla première une a8piration roman­tique exacerbée par 8e8 goûts d'e8­thète. La 8econde lui découvreune réalité pitoyable qui n'e8t pa88an8 remuer en lui l'intellectuelde gauche. Il n'e8t pourtant pa8facile -de quitter l'une, qui serefuse longtemp8 et apparemment8an8 rai80n sérieuse, pour l'autre,qui en 8e donnant, lui dérobe l'e8­8entiel. Peut-être incapable d'ai­mer, il voudrait 8'attacher le8cœur8, régner 8ur de8 vie8 dont ile8t naturellement exclu. Comment8e tran8porter d'un univer8 àl'autre et concilier tant de con­tradiction8 ?

L'auteur raffine 8ur ce8 donnéesjusqu'à en faire un problème demathématique amoureU8e où troi8exi8tence8 - et par voï'e de con­8équence, quelque8 autre8 - setrouvent sérieusement engagées.

Ce n'est rien de dire qu'il le traiteavec une 8ubtilité admirable. Il ymet bien davantage : une con­nai8sance de8 rapports humain8,une science intime de la vie jus­que dan8 8e8 recoin8 le8 moin8avouable8, une franchi8e, quitrangre88ent le 8chéma initial etfont accéder la fiction au rang dece8 œuvre8 qu'on dit grandes ence que, 8ur le8 réalité8 de l'êtreet sa vie 80uterrai~e, elle8 lèventun coin du voile. Lai880n8 au lec­teur le 80in de découvrir pourquelle8 rai80n8 la belle Imogen e8t« intouchable ~ - elle8 80nt for­te8 et inattendue8 -, pour quelle8rai80n8 la douce Anna ne peutfranchir autrement qu'à la déro-

bée les limite8 de 80n mondebrutal et rabougri. Il e8t un do­maine où- le8 être8, 8imple8 oucomplexe!!, et 8i différent8 qu'ilssoient, gagnent la même dignité :dan8 l'humiliation et la souffran­ce. 118 refu8ent en même temp8 lapitié et, pour avoir lai88é transpa­raître la 8ienne, le narrateur perdImogen et Anna.

Cette tragédie où 8'affrontenttroi8 solitude8 n'a rien d'une hi8­toire typiquement américaine,8auf par le8 lieux et le8 circon8­tance8. En revanche, un récit com­me «le8 Milholand et leur âmedamnée» nous plonge dan8 le8cercle8 de l'édition et de la lit­térature, du journali8me et de8affaire8 «à l'américaine ». On yvoit comment le8 homme8 secorrompent, 8'avili8sent, 8e ven­dent au plu8 offrant. Tableau 8i­ni8tre que la verve 8atirique del'auteur ne parvient pa8 à égayer.Edmund Wilson parle de ce qu'ilconnaît bien et il a tout l'aird'a8souvir une vengeance. Le8pire8 ne 80nt pa8 le8 cynique8,qui pen8ent 8eulement au profit,mai8 le8 audacieux à tempéra­ment, le8 non-conformi8te8 aprè8réflexion, le8 courageux 8an8 ri8­que. Comment tran8former unerevue en bulletin de publicité,comment fabriquer un be8t-8elleret comment le lancer 8ur le mar­ché, comment façonner et condi­tionner le public, tOU8 ces 8ecret8du commerce nous 80nt révélé8.Secret8 de polichinelle : le8 affai-

ri8te8 ici ou là, parviennent. à ga­gner a88ez d'audience pour ne pa88e donner la peine de le8 cacher.Le lecteur 8e récriera. E8t-il 8ûr,même en n08 doux paY8, de ne pa8figurer leur victime ravie et con­8entante ?

Le8 autre8 nouvelle8 80nt éga­lement à lire, que le 8ujet en soitplu8 particulier, ou que l'auteurait voulu illu8trer un genre, lefanta8tique, où il ne 8emble pa8tellement à l'aise. L'éleveur de ca­nard8 dont le8 sujet8 80nt dévoré8par le8 « tortue8 8erpentine8 ~ etqui, changeant son fU8il d'épaule,8e met à exploiter le8 proliféran­te8 tortue8 pour en faire de8 con­8erve8, e8t un de ce8 originaux

bien avi8é8 dont l'Amérique e8t8an8 doute prodigue, mai8 quinOU8 paraît 8urtOUt tri8tementamU8ant. Il en va de même pourle 8alonnard d'extrême-gauche qui8'a8treint à faire le pre8tidigita­teur dan8 le8 boîte8 de nuit. Ail­leur8, dan8 une voie empruntéeparfoi8 par Henry Jame8, l'auteurparvient difficilement à nOU8 fairecroire à la réversibilité du temp8,tandi8 qu'ailleur8 encore il neréu88it pa8 à nOU8 rendre pré8entle Diable, incarné dan8 un diplo­mate. Bien filée8 et dotée8 detOU8 le8 caractère8 extérieur8 dugenre, on voit trop que ce8 nou­velle8 8ervent de prétexte8 au .nar­rateur pour exprimer le8 vue8 del'auteur 8ur le Bien et le Mal, lapolitique ou la phil080phie, 8an8pédanti8me, d'ailleur8. Il a demeilleur8 moyen8 pour convaincreet toucher : 80n talent d'analY8te,d'ob8ervateur 8ans œillère8, d'écri­vain pour qui la vie 80ciale nerecèle pa8 moin8 de fanta8tiqueque la plu8 étrange de8 fable8.

A certains, Edmund Wilson pa­raîtra trop intelligent pour unconteur, et ils le féliciteront de8'en être tenu 8urtOUt à la criti­que. J'en connai8 d'autre8 qui 8eplai8ent fort en 8a compagnie etqui donneraient quelque8 ouvra­ge8 fameux de 8e8 contemporain8immédiat8 pour ces faux Mémoi­re8. Maurice Nadeau

1. Traduit par Georgette Camille, StQck,éd. 1965.

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Page 4: La Quinzaine littéraire

RO·MANS FRANÇAIS

Jean LéonardLa -Gaufreépopée funambulesqueJulliard éd.

Ceux qui ont essayé quelquefoisd'imaginer ce que peuvent être leregard et la vision d'une moucheou _d'une aheille, avec .leurs yeuxà facettes, s'emerveilleront sansdoute -d.'éprouver à la lecture deLa Gaufre que ce récit de JeanLéonard -exige d'eux et que sonécriture éveille tout- miturellementen eUx -un· entendement' prismati­que; c'est-à-dire la- compréhen­sion plurielle et simultanée de cepetit phénomène vital : la cons­cience- d'un enfant de cinq ans àla fois vécue de l'intérieur, mon·trée à travers sa tl'agi-comédieconcrète et· commentée dans le -vaet vient de son mouvement pe'r­péthêl.

On peut se réjouir, en passant,qu'un roman évidemment nourride réflexion et de recherches' for­melles, mais non point emprisonnéen elles, comme les barons françaisde- la bataille de Crécy dans leursarmures, accepte enfin de se me­surer à un sujet. De ce corps àcorps avec son sujet, Jean Léo·nard sort victorieux. La Gaufre,c'est vraiment l'eQfance redécou·verte : la conti~uelle et mutuelleCréation d'un petit fauve par la

. jungle et de la jungle par ce petitfauve se tl'ouve ici captée par les­millions de mailles-minutes d'unprodigieux filet romanesque.

André, dit la Gaufre, secondfils d'un valet Ile ferme lorrain,cesse à cinq ans de n'étre qu'unecellule fondue au corps de la fa-

mille. Il commence à jouir de sonautonomie animale d'où peu àpeu procède l'existence person­nelle. Mais de cette autonomiela jouissance à chaque instant luidécouvre aussi les périls et lesmystères. De sorte que la Gaufre,comme son Saint patron André.est un écartelé ; il vit sa dérisoirecrucifixion enfantine, le tiraille­ment entre son proche, tiède etlarvaire passé de bébé, refuge verslequel parfois il régresse, et sondésir d'être un grand, commeRené le frère aîné, et les copainsbagarreurs de « la prairie 7>, ceparadis mythique et ce terrain desexploits du jeudi. Il vit le tiraille­ment entre les molles valeursfemelles, l'emmaillotement dansla tendresse goulue, plaintive,convulsive de la mère, et les sti­muhmtes brutalités, l'héroïsmehargneux du clan mâle. La Gau­fre le tiraillé trottine à travers' lecosmos du bourg minuscule, maistoujours ligoté à sa petite croixd'enfance : précisément le dramed'être l)etit, qui consiste à n'avoirprise hi sur les choses, ni sur lesbêtes, ni sur les gens,_ à être ren­voyé par les uns à son enfantilla­ge, houspillé par les autres àcause de sa faiblesse, malaxé, ba­ratté, el' à n'avoir pas prise nonp~us sur le « guêpier des mots ).,ni accès -à lit communication, àn'être -pas écouté, sauf pal' moqu~­rie, à moins qu'on ne veuilleencore tirer à la Gaufre les versdu nez et lui arracher quelqu'unde ces chers secrets qu'il ne seformule à lui·même que dans lefredonnement magique des paro­les inventées.

Cependant, être l'enfant la Gau­fre, c'est aussi posséder la liberté

d'une totale adhérence à l'instant,chaque instant dilaté aux dimen­sions d'un rêve éveillé et vécu ;c'est ne cesser de se retrouver en­glouti dans la seconde suivante etla suivante encore, le feu de laforge, et la jument Rosalie, et lechariot et la cabane et le sifflet etla tache de soleil sur le mur ; carle monde, point figé ni en formes,ni en significations, est une légen.de fluide et bouleversante qui necesse et de se raconter et de sechanger en sa propre surabondan­ce et qu'on écoute tout en se laracontant à soi-même, le héros. Etle langage nous appartient qua~d

même car le langage aussi est unjeu, les mots des jouets qu'onmanipule entre les lèvres et qu'ontriture entre ses dents et que l'oncasse pour les refabriquer afind'accomplir avec eux « ses mira.cles bossus », de conjurer ses ter­reurs, d'assouvir ses envies, d'exer­cer ses vengeances et de posséderles plus beaux trésors : ceux quine hrillent que dans la nuit ivrede vos désirs.

Epopée funambulesque, JeanLéonard a bien qualifié sa rudeentreprise : son héros le sieur laGaufre avance, tout exubérance etfragilité, sur le fil d'une cons·cience enfantine tendue entre une

. fabuleuse signification du mondeet sa féroce insignifiance. Et le

- romancier de La Gaufre s'est créépour ce voyage aux commence~

ments de l'être une écriture auxvibrations précises ct richissimesdont le gongorisme méthodique,succulent, nous crible de plaisir etnous revigore lorsque, parfois,nous nous fatiguons à le suivredans son épuisante découverte.

Olivier de Magny

Roger IkorLes Poulair:tSAlbin Michel éd.

Surpeuplée, la petite ville deMontchagny fabrique des blou­sons noirs qui, un jour, sur laterrasse du Mail, cassent la gueulede Ludovic Fenns, architecte re­traité, que la cinquantaine aalourdi. Cctte raclée lui est béné·fique. Le voici tout ragaillardi.C'est-à-dire membre fondateurd'une Maison des Jeunes patron­née par les syndicats. L'affaire vason train jusqu'au moment où leshlousons noirs, ainsi qu'il fallaits'y attendre, mettent les locaux àsac. Ce qui donne l'occasion àFenns de partager la couche d'unegrande femme blonde de quaranteans. On file le fougueux amoùr.Une nouvelle Maison, mais cettefois de la Culture, -se profile àl'horizon; ainsi qu'un toit fami­lial, puisqu'un enfant annonce savenue. Oui vraiment cette racléeavait réveillé pour de bon notrequinquagénaire ramolli.

Beau sujet pour un Simenonqui s'o<'cuperait de choses sérieu­ses. De loin en loin le roman àthèse pointe le bout de l'oreille.Mais dès que les choses sont tropsimples, lkor sait touiller sonfrichti pour qu'elles le paraissentbeaucoup moins - et c'est là unehonnêteté qui mérite d'être rele­vée, procurant à l'œuvre sa valeurdocumentaire et morale.

D'intention comme de forme(<< Un peu de mort lui avait pous­sé à l'âme » Ou bien : « ...ungrand rire d'amour au cœur ») ceroman doit beaucoup à Zola.

Georges Piroué

••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

.Religieuse. LilleBeatniks. Vin mortMr Mollet. La Peste

•. , :vénement

. • E. d'Astier"ar 4.pagea,.complitt .on hniuiondt T.V. (La ReligitlUe. _u, Beatnilu, etc.) • La

vit édiliante de M. Molltt, par Vian"on Ponté.• Gro­m,ko chtz Smnt Pierre, par Maurice Schumann. Monsalaire pour an cheval, par Maurice Canet,. etc..., etc...

L'événement .lI.; 1966

lAf~",......nC_ylr. dan~ "th~

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'-,.....~~I911S 1_1.j, '.HA~"" ~ t'_~ ('.5.

Page 5: La Quinzaine littéraire

désigne les sections de discipline.cantonnées en Afrique du Nord.Les Bat' d'Af. chantés par Bruandavec une verve hargneuse

Depuis que j'suis dansc'te putain d'Afrique

A faire le Jacquesavec un sac, su'rdos

Mon vieux frangin, j'suissec ~omme un coup d'trique

J'ai bientôt pu qued'la peau su'les os.

•••••••••••Comme toujours, le Crapouillot: •

. d •nous renseIgne avec autant e:.précision que d'abondance. Je me •suis reporté à son numéro spécial .•de mai 1939. En argot, « Biribi ».•

•••••••••••••••••C'est le Maréchal Bugeaud qui, •

dès 1831 (on n'a pas perdu de •temps), fonda, à côté de la Lé- •gion Etrangère et des bataillons •d'Afrique proprement dits,' ces •compagnies disciplinaires, avec :toute mie gamme de tortures ap- •propriées aux fortes têtes de l'épo- •que, mauvais sujets assez difficiles •à tenir lorsqu'on ne leur livrait •pas de 'l'autochtone à piller, à •massacrer, à violer. En 1845, la ••presse parisienne mit le nez dans •les compagnies du père Bugeaud. •Le scandale fut tel que les ci· •toyens du roi Louis.Philippe ob· •tinrent la démission et le rappel •en France du maréchal. C'est dire. ••Mais on ne changea rien au règle- •ment des compagnies - puisqu'on •les retrouve, un demi·siècle plus •tard, dans le livre de Darien, pero •pétuées avec ce respect des tradi. •tions si vif chez les militaires et ••même perfectionnées. Il fallut •attendre 1929, et le livre vengeur •d'Albert Londres, Dante n'avait •rien vu, pour que la République •commençât d'envisager des réfor· •mes. Lentes et bien timides, si ••l'on en croit l'admirable récit •autobiographique de Julien Blanc, •Joyeux fais ton fourbi, deuxième •volume de Seule la vie, œuvre qui •me paraît très injustement ou· •hliée. ••Pourquoi ce nom de « Biribi », •qui fleure si bon la chanson bien •de chez nous, Toto Carabi cam· •père Guilleri? Cela vient-il du ­nom d'un jeu de bonneteurs, es- ­pèce de loterie miniature et mal·honnête, les cailloux cassés à lon­gueur de temps par les discipli.naires (malchanceux) étant com­parés aux coquilles du jeu de ha·sard? Ou n'est-ce pas plutôt parsuite d'une confusion, entraînéepar l'habitude de faire rimer ces

,mots entre eux, de Birihi avecBarharie, Barharie dans son ac­ceptation géographique désignantl'Afrique du Nord? Avis aux ••fouineurs de l'étymologie... •

Biribi relève donc du roman •de mœurs, héritier de la « phy- •siologie » romantique et de l'étu· •de de milieu, d'inspiration natu- •raliste. Tableau de mœurs mili- •taires, plus exactement discipli. :naires - avec, en supplément, un •

•~.

Georges DarienBiribiJérôme Martineau éd.

Un tord-boyaux«infâDle »

Il1u~lralions de Bernard Naudinpour Biribi, parues en 1905dans l'Assiette au beurre.

Je crois me rappeler que Biribic'est le nom que donna à unagneau la Comtesse de Ségur dansl'un de ses romans. En toute in­conscience, cela va sans dire - le

gage, alors que Leiris le livre avecce qu'il faut exprimer de lui·mê·me, Darien le poursuit avec cequ'il faut exprimer du monde.C'est la Société Taureau et tousses romans seront corridas.

On connaissait certains com­bats : Le Voleur, Bas les cœurs,La .Belle France, - et pour mapart j'accorde au matador Darienles deux oreilles. Mais on ignoraitBiribi que Jérôme Martineauvient d'avoir la judicieuse idée derepublier.

rapport entre cet agneau et ce quedécrit Georges Darien étant nul.Si animal il devait y avoir, jepencherais plutôt pour le taureau.Comme Michel Leiris, GeorgesDarien voit dans la littérature unetauromachie - une entreprisedangereus'e : on n'écrit pas sansrisque ni péril. Mais le corps àcorps ,dans lequel l'écrivain s'en·

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966 5

Page 6: La Quinzaine littéraire

Claude p~nnec

L'Allemagne romantique, pa·tiemment reconstruite par MarcelBrion, e.st douce, malgré les ora·ges qui, d'ailleurs, rapprochent lesamants. Loin des Carpathes ducomte Dracula vues par Murnau,on reste en bonne compagnie, au·cune menace ne plane, cet universest transparent, les forces du ,malne pourraient s'y loger. De l'autrecôté de la Forêt est un roman fan·tastique en dentelle festonnée,avec des mondanités charmantes,des nacres, des perles, des agatesMer de la Sérénité, des abîmesinsondables, des marteaux de té·nèbres, nostalgique comme cespianos d'une autre époque légère.ment désaccordés.

En 1865, un écrivain de cinoquante ans, Adalbert von A,fuyant Berlin et la femme qu'ilaime, une comtesse, arrive àBaden·Baden pour terminer unroman.

La grande maison blanche quedes amis ont mise à sa dispositionavant de disparaître mystérieuse·ment est entourée d'un parc quijouxte une forêt. Adalbert von As'y aVénture et ne tarde pas às'apercevoir que son roman n'estqu'un prétexte. Il ne le terminerasans doute jamais. Ce qu'il cher·che, c'est une certaine tranquillité,.la solitude pour la solitude. Prèsd'un lac où il s'attarde, tout à lajoie de se dissoudre dans les élé·ments, une « sensation d'insigni.fiance » l'envahit. Les soucis ini·médiats s'estompent. L'expériencedu vide ne vous tient pas quitte siaisément. Les sortilèges des paysa·ges 'romantiques, compte tenu del'isolement dans lequel Adalbertse confine, provoquent le dégelde sa mémoir~. Des fantômes qu'ilcroyait enfouis à jamais se réveil.lent. Il se souvient de Steffi, lapetite fille au manteau blanc, lejour de son départ en calèche aumilieu des sapins. Sa solitude serévèle peuplée d'étranges musi·ques.

Marcel BrionDe l'autre côté de la ForêtAlbin Michel éd.

Le rêvant et le reve n'en fai.saient qu'un, et au lieu de se sen·tir anxieux ,ravoir été transportéà son inifu dans un monde aussiétrange, cette identité lui procu·rait un indicible bonheur, compa·rable à celui qu'il avait connu,naguère, au bord de ce lac demontagne où il avait souhaité pas·ser toute sa vie.

Arbres, glaces, tentures, tapisse.ries, écrans brodés, se tendeptd'une manière féérique vers lenarrateur. Pour Adalbert von ~,

en quête de l'absolu, la tentationes~ grande d'échapper à son enve·loppe charnelle. D'autant que lebonheur, il le sait, se trouve del'autre côté ,de la forêt, et qu'iffait si bon rêver.

vient s'ajouter aux Pauvert et auxLosfeld. Il faut acheter leurs li·vres. Il faut les lire - comme onprend un fortifiant. Ce n'est pasencore une question de vie oude mort. Mais c'est déjà unequestion de santé.

Jean.Louis Bory

blique sociale. L'écrivain Dariense range aux côtés des opprimésqui doivent faire éclater la trom­pette aux oreilles de la société ­vieille gueuse imbécile, qui creuse

elle·même, avec des bonimentsmacabres, la fosse dans laquelleeUe tombera...

Biribi a disparu des dictionnai·res d'argot d'aujourd'hui. Le Pe­tit Simonin Illustré, s'il parle des« joyeuses », se lait sur les« Joyeux ». Je ne suis guère aucourant, l'armée a dû remplacerBiribi par autre chose... n'empê.che, que de sa corrida, c'est Da·rien la victime. Il a peut·êtrecontribué à la mort du taureau·« Biribi », qu'estoqua Albert Lon·dres. Mais le Taureau « Sociétébourgeoise » l'a encorné à mort.Cherchez le nom de Darien (Geor.ges) dans quelque littérature quece soit, dans un dictionnaire desauteurs. Quel silence ! Raison deplus pour aider des éditeurscomme Jérôme Martineau, qui

Un tord-boyaux: '« infâme»

10. Bernd MŒLLER,ViDes d'Empire et Réformation.Traduction de l'allemand parA. Chenou, 1966, 116p. F.26.60

8. J.CL. SISMONDI,Recherches sur les constitutionsdes peuples libres. Texte inédit etintroduction par Marco Minerbi,1965, 384p. F. 50.-

6. Jacob BURCKHARDT,Fragments historiques. Traduitsde l'allemand par Maurice - .Chevallier. Un volume in - 8,1965, xxiv - 244p.,. broché. F. 22.-

•••••••••••• tableau de' la colonisation fran-• çaise en Tunisie dans les dernières•• années du XIX" siècle. Tableaux• sans complaisance, on s'en doute.• Darien aurait pu mettre une sour.• dine aux cris rageurs de, ses pero• sonnages, délayer leur fiel dans• ,de l'eau sucrée, matelasset lés: murs du cachot où ils écorchent• leurs poings crispés, idylliser leùrs

18.- • fureurs bestiales. Mais à ce mêlé.• cassis très bourgeois - avec beau.• coup de êassis -il, a préféré• servir uI! « tord.boyaux infâme ~.: Et c'est parce qu'il est indigne• que ce reportage dépasse les li.• mitee du roman de mœurs. Plus• que l'anecdote sombrement pitto.• resque ou le folklore atroce, ce• qui intéresse Darien c'est le sort

l'alle- : de l'homme enfermé dans cet• univers qui est déjà un univers'

F. 15.- • concentrationnaiie. 'Bien sûr nous• avons connu beaucoup mieux de.

et • puis, et l'indignation de Darien• . f' d• rIsque par OlS e provoquer un• sourire d'une' affreuse mélancolie.

40.- • Biribi, à côté d'Auschwitz... Mais• précisément: les nazis n'ont rien• inventé ; les nazis ont apporté au• perfectionnement de la chose un: génie de l'organisation, de la dis.

F.33,60 • cipline, de l'ordre, et un esprit de• système, auprès desquels la pa.• gaille, l'imp-,;:ovisanon dans le sup-• plice dont 'téwoigne Biribi sont• positivement 'navrantes. A cela'• près, Biribi c'est déjà Auschwitz.: 'Il y a, entre Biribi et Auschwiti,• une différence de degré, non de• nature. Peurs, lâchetés, humilia.• tions, sadisme, tous les rouages de• l'oppression dè l'homme par: l'homme - et qui formeront les• lois 'de ce que nous appellerons• plus tard l'univers concentration;• naire - Darien les décrit en trem·

F. 24.- • blant de haine.

• Une haine assez lucide pour ne: haïr dans Biribi qu'un aspect• particulier d'une oppression plus• générale. Darien traite.t·il les gé-• néraux de la belle manière ? mul.• tiplie.t.il sur l'armée les bonnes• vérités bien saignantes? il sait

9 Benedetto CROCE : qu'au delà des individus c'est au.. • . ' . .• système qu'il faut s'attaquer.,G~eas Ca~cclolo,ma~qUlsde VICO•• L'armée est détestabie parce que"Preface ..d O. Rever~m, • c'est la pierre angulaire de l'édifi."1965, Xli - 11Op., 10 Ill. F. 23.- • ce social actuel - qui est bour•.

• geois; c'est la force sanctionnant: les conquêtes de la force;' c'est la• barrière élevée bien moins cônt~e r

• les tentatives ,r i n vas ion ' de• l'étranger que. contre les revendi·• cations des nationaux, les soldats'• ce sont des gendarmes déguisés.

Il. Alain Dufour, : C'est pour sauvegarder ses intérêtsHistoire politique et psychologie • que la société bourgeoise fait d'unhistorique, suivi de deux essais sur • citoyen un soldat - et fait d'unHumanisme et Réformation et le • soldat un forçat le jour où éelui.Mythe de Genève au temps de • ci essaie de secouer le joug. VoilàCalvj.n, 1966, 132p., 2 ill. F. 25.- • pourquoi J3iribi.

, : Pareil roman,' d'une écriture qui• frappe par sa vigueur et son• modernisme (rien des préciosités• symbolistes de la littérature des

LIBRAIRIE DROZ S.A. • années 80) participe d'une ba·• taille plus large, et que Darien• entend mener de livre en livre.: Bataille conu:e la' Républiqp.e• hourg~oise au nou} de la Répu.

1. Carlo ANTONI, L'historisme.Traduit de l'italien parA. Dufour, 1963, 132p.F.

3. Han~o HELBLING,Histoire suisse. Traduit demand par A.. Hurst,1964, 112p." 16 ill.

pour les historiens et tous ceux

qui aiment réfléchir à propos

de l'histoire

7. Jacob BURCKHARDT,Considérations sur l'Histoireuniverselle. Version français parSven Stelling - Michaud.Un volume in - 8,1965, 212p., broché.

5. Ahmed ZOUAOUI,Socialisme et Internationalisme:Constantin Pecqueur,1964,264p.

1211 GENÈVE 3A Paris: 73. rue dU.CanliDai-Lemoine (5)

4. Echanges entre la Polognela Suisse du XIV au XIXs.Choses - Hommes, - Idées,1964, 248p. F.

2. Raoul DEDEREN,Un réformateur catholique auXIX siècle: Eugène Michaud.Vieux-catbolicisme­Oecuménisme, 1963, XIV-340 p.

F. 45.-

«'l'RAVAUX D'IDSTOIRE

ÉTHICO - POLITIQUE»

Une nouvelle collection:

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Page 7: La Quinzaine littéraire

CRITIQUE

Une traversée du teDlpS

Michel LeirisB,iséesMercure de France, éd., 304 p.

Michel Leiris vient de publiersimultanément un recueil de sesarticles, ~otices, préfaces - tex­tes brefs, et le plus souvent d'oc­casion - au long de quaranteannées (c'est/le volume Brisées,au Mercure)" et une ample par­tie du tome 3 de La Règle dujeu, en revue (c'est Etre un poète,dans' les «Temps modernes»d'avril) : le rapprochement seranécessaire pour éclairer un cer­tain malaise, une certaine per­plexité qu'on éprouve à la lecturedu recueil.

Brisées, ce sont selon Littrébranches rompues par la bête oupar le veneur qui veut repérerson passage: traces donc d'unparcours. Il est curieux que,citant Littré en exergue, Leirisait omis celui des sens qui sem­blait le mieux s'appliquer à .sonlivre: reprendre ses brisées:revenir à un sujet d'abord aban­donné; chez un auteur donttoute: l'œuvre est guidée par lastratégie d'une psychanalyse, unauteur aux aguets, prêt à tousles détours pour ne pas décollerde «l'authentique », pàreilleomission ne peut être insigni­fiante. Est-ce à dire que Leirisrefuse l'idée d'rin retour?

A première vue, pourtant,c'est à une traversée du tempsque Brisées nous convie, et c'estcomme un document - avec toutl'intérêt qui s'attache au genre~ que beaucoup le liront: on ytrouve salués, dans le tempsmême de leur naissance, le ciné­ma parlant et Fred Astaire,Comment j'ai écrit certains demes livres, Les Mouches, Tristestropiques et La Modification (unparcours déjà qui parle), on yvoit reconnus dès les années 25Schoenberg, Miro, Arp. L'histo­rien de la culture y trouveralargement son compte.

Mais Leiris ambitionne uneautre lecture, qui fasse moinsréférence au cours des ans qu'àla permanence de lui-inême, quisuive moins une voie qu'elle nebalise un terrain. Tableau assezcomplet de ce qui m'a préoccupé,écrit-il, et il omet systématique­ment de donner dans le corps dulivre aucun repère pour ses tex­tes, cependant rangés, la postfaceen fait foi, dans l'exact ordrechronologique1•

Reste à savoir si l'ambition estbien inspirée et si du projet per­mânent de Leiris, ces morceauxbrefs ne rêvèlent pas, précisé­ment, ce qu'il peut avoir de plusfragile.

Dans la courbe que les essaistracent, on peut en gros distin­guer trois périodes, proches la

La Quinzaine littéraire, 16 moi 1966

premlere et la trOJSleme, la se·conde opérant comme un détour.

1. En 1925 et pendant lesannée,s qui suivent, jusqu'à laguerre, se situant aux margesentrecr6isées du surréalisme, del'analyse, et bientôt de l'ethnolo­gie, Leiris est attentif et aux faitsde langage et à cette part plussauvage de l'homme que la vieeuropéenne tend à refouler..,Attention doublé déjà contenuedans le fameux Glossaire : j'yserre mes gloses de 1925 : Unemonstrueuse r aberration faitcroire aux hommes que le lan­gage est né pour faciliter ~eursrelations mutuelles... Le sensvéritable d'un mot, c'est-à-dire lasignification particulière, person­nelle, que chacun se doit de lui

Michel Leiris par Picasso...

assigner, selon le bon plaisir deson esprit.

Ce qui nous intéresse surtoutaujourd'hui, ce par quoi ces pre­miers textes de Leiris sont pournqus les plus proches, c'est qu'ilsassignent à un jeu de transla­tions à l'intérieur du langage ledéchiffrement de son sens« vrai» : En disséquant les motsque nous aimons... nous décou­vrons... les ramifications secrètesqui se propagent à travers toutle langage, canalisées par lesassociations de sons, de formes etd'idées. On lira dans le mêmeesprit une page sur la métaphore(Non seulement le langage, maistoute la vie intellectuelle reposesur un jeu de transpositions, desymboles... Il n'est pas possiblede déterminer, pour deux objets .connus quekonques, lequel estdésigné par le nom qui lui estpropre et n'est pas la métaphorede rautre, et vice versa), l'arti­cle sur Roussel (bien sûr) , etceci, sur Marcel Duchamp : L'onpeut se demander si, dans nosfaçons modernes... le plaisir esthé­tique ne tiendrait pas à un jeude substitutions.

Quant au thème de reffrayantesauvagerie qui se révèle dans lesfissures de notre civilisation ­laquelle n'est à son tour quemince couChe verdâtre, magma

vivant et détritus variés -, s'ils'énonce d'abord à propos dujazz et des chanteurs noirs, iltrouve ses expressions les plusfortes dans deux méditations surnotre corps lorsque nous cessonsd.'çn avoir l'image accoutumée:c:~!lt le crachat (<< L'eau à la bou­che») qui unit son ignoble aunoble du langage, et ce sont cesplanches (non dénuées de beauténi' de qualité érotique) où desécorchés nous font voir tant dc,":écanismes secrets - à la foisfiisèinants et redoutables : part denous qu'il nous faut connaître etoser désirer pour être plushnmains.

2. Les écrits de Leiris pendantet après la guerre sont, au regardde pages comme celles-là, passa­Illement acadéD;liques, entachésd'un certain conformisme huma­niste (la rhétorique de l'époque) ,et d'une sorte de neutralité mé­thodologique. Aussi sommes-nousdéçus du peu que nous appren­ri~nt l'hommage à Max Jacob oula préface du Baudelaire deSartrè, d'une part, une noté surlès images du vaudou, d'autrepart. On sent Leiris obsédé parles thèmes du salut collectif, dulieu social de la révolution: cequi nous vaut la belle auto-cri­tique sur l'ethnographe à l'inté­rieur du colonialisme, mais aussiun fâcheux article (récent) surCésaire où la poésie se trouvecomme '« réduite », et cetteétrange déclaration à proposd'Eluard - étrange pour qui sesouvient de 1925 -: Moyen decommunication, la parole a pourfonction première de dire et decommuniquer...

3. Au cours des dernièresannées, si Leiris nous semble serapprocher de son point dedépart (et s'approcher de noms),c'est un peu parce qu'il estamené par le cours même dutemps à rendre hommage à desamis anciens disparus lesessais sur Bataille, sur Métraux,sont' parmi les plus attachantsdu recueil -; mais c'est sur­tout qu'on sent revenir pluslibrement les deux thèmes de lalittérature - ou de l'explora­tion des formes - et de la révé­lati~n du caché. J~ n'~n prendraipour exemple que le texte surl'Opéra qui ferme Brisées, et quifait subtilement écho aux pagesqui fermaient Fourbis: Leiris,à partir du Miserere du Trou­vère, montre comment l'opérainstitue une distribution maté­rielle des sons dans un espacedont la scène est runique parcellevisible mais enveloppée d'unerégion plus vaste où diversement,selon les moments, peut se mani­fester la vie sonore: il ajoutemême que la musique creuse etsculpte respace théâtral à la ma­nière dont ragencement intérieurd'un édifice baroque en anime lag~ométrie et y ouvre des perspec­tives; mais' c'est' pour remarquer

qu'ainsi, le spectacle peut êtreporté au degré de tension le plusextrême et, d'un trait, jaillit lelyrisme. Alors le langage' se trans­.forme en oracle, concluait leGlossaire de 1925; dans l'opéra,lit-on aujourd'hui, fexpansionlyrique... s'unit à une rigueur demouvement d'horlogerie.

C'est ici que, pour bien com­prendre Brisées, il faut se repor­ter au texte des Temps Moder­nes.

Leiris y distingue deux partsen lui, l'une ratiocinante, scien­tifique, censurante, attachée auxdevoirs de l'engagement (c'est cequ'il appelle drôlement le côtéde chez Mao-Tse-ToulJ,g) , l'autre(qu'il appelle, en souvenir de

..el Alberto Giacometti

Pâques africaines: le côté deKumasi) ouverte au mystère, àla révélation, au poème. Etd'ajouter aussitôt que la secondeest la vraie, qui s'est plus oumoins laissée contraindre par lapremière. Nous voici déjà éclai­rés sur la déception que nouscausait la période centrale deBrisées: Kumasi y était étouf­fé par Mao-Tse-Toung.

Mais il faut aller plus loin,interroger Kumasi même, et sedemander ce que veut dire cetteétrange expression: «être unpoète ». Pour Leiris enfant, il leraconte, il s'agissait de détenirun pouvoir de mYEltère. ChezLeiris écrivain, une conceptiondéjà formaliste du poème n'ajamais pu venir à bout de cetteconception réaliste du poète. Delà qu'à travers tous les textes deBrisées, à· côté d'une subtile lec­ture des mots et des images denotre temps, se conserve la repré­sentation naïve d'un réservoiren nous de forces brutes anté-,rieqres à toute organisation, etsingulièrement à celle du langage.De là le repli constant de la nou­veauté du jeu mené au fil. dessymboles, sur une banalité psy­chologique paradoxalement cen­sée la déborder et la fonder. De

~

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Page 8: La Quinzaine littéraire

ROMANS

• Une traverséedu temps

Une fresque de laHongrie d'avant-guerre

là aussi, sans doute, ce déroutantcompte rendu de Tristes Tropi.ques qui dégage avec une excep·tionnelle profondeur les implica­tions d'un jeu formel mené deproche en proche, mais qui, jus.qu'au sein de cette analyse, necesse de se référer au réalismequ'elle conteste. Parce qu'ilssont de critique ou de commen­taire, les textes de Brisées lais­sent paraître en clair cettecontradiction jamais. dépasséepar Leiris: définir le poèmecomme convention du jeu, fonc­tionnement souple des motsqu'on laisse s'animer, se dénuder(<< Glossaire », 1939), et mainte­nir l'idée que les mots sont vraisdans la mesure où ils exprimentune réalité à nous, substantielle,apparemment préstructurale, in·structurée.

En quel sens, au demeurant,Leiris a-t-il fait œuvre de poète ?

Sur ce point encore, la com'paraison des deux publicationsde ce mois est révélatrice. Cen'est pas le plus souvent par lanouveauté illuminante de lavision - Brisées comporte ungrand nombre de ce qu'il fautbien appeler des lieux communs,qui rendent la lecture fasti·dieuse -, ni (malgré quelqueséclairs admirables : laisser lesmots... nous montrer par chance,le temps d'un éclair osseux dedés, quelques-unes de nos raisonsde vivre et de mourir) par leçhoc des mots - Leiris lui-mêmeexplique bien comment il s'estimposé la neutralité -, qu'onaccède au poème; mais c'est parl'organisation, le déplacement etle retour des thèmes, les emboî­tements de la construction. Onpourrait dire que Leiris a. jouéde la logique propre d'uneséance d'analyse pour en tirer,autant (ou plus) qu'un 'savoir,l'élaboration d'un chant.

De là sans doute, l'hésitationque je notais en commençant, àdonner à Brisées' sa couleur his·torique ; Leiris, une fois de plus,aura voulu qu'en se combinant,les thèmes se répondent, Sfl

réorganisent et se mettent enfinà «sonner », par delà la lignetrop pauvre de la chronologie.L'espoir, pour une fois, a été déçu,et. sans doute parce que chacundes essais était trop court pourque pùisse s'y exercer cette lente,quasi additive, élaboration quipeu à peu fait lever L'Age·d'homme ou La Règle du jeu.Etre un poète, en revanche, estd'une ampleur superbe. Noutl y

:reconnaissons cette mélodie dethèmes qui fait de Leiris le poète·d'une autobiographie où, quoi.'qu'il en ait cru, l'homme est tout.entier étendu dans son chant.

François Wahl

n. N.D.L.R.: TI nous parait utile deIPréciser que cette c postface» s'appelle!!en réalité « Notes bibliographiques », les·!;quelle, situent tout à fait c historique·rment» les textes de Brisées.

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Tibor DéryLa phrase inachevéetraduit du hongroisAlbin Michel éd., 704 p.

Publié seulement en 1946 ­mais écrit de 1934 à 1938 - ceroman est le premier de TihorDéry. Ses 700 pages révélèrent aupublic hongrois un romancier sen·sible, minutieux, au souffle large,familiarisé avec l'histoire du mou·vement ouvrier et capable de fairepasser celle·ci dans la conscience.Aux premières pages de ce livre,l'industriel Karoly Parcen.Nagyse suicide. Son frère, le banquierJeno, disparaît après une faillitefrauduleuse. Essoufflement de laclasse des chefs de trust ? Ou sim·plement « accident » propre à unefa!fiille de la grande bourgeoisiedépourvue de scrupules? Ni l'unni l'autre, ou les deux à la fois.

Dans les années 32 à 36, Buda­pest connaît une crise économiquesemblable à celle qui sévit enFrance et dans la plupart des paysd'Europe. Gr è v e s, sabotages,émeutes se succèdent. Tous bruta·lement réprimés par un pouvoir àla solde des trusts. De la misèredes travailleurs, Tibor Dérv brosseplusieurs tableaux presqu~ insou·tenables, où la faim, les taudis etla prostitution atteignent un ni·veau d'horreur qu'on dirait sur·réaliste. Il montre une classe ou:vrière hongroise si pauvre qu'ellene pouvait se payer le luxe d'ununiforme ou d'un insigne, mêmele plus simple. A une époque oùles communistes français portaientdes casquettes à visière et les ou­vriers berlinois des imperméablesnoirs en caoutchouc, les ouvriersde Budapest, pour signe distinctif,avaient en commun la saleté, latuberculose et un vocabulaire spé­cial, pas très riche, touchant sur­tout leurs rapports avec la policeet la justice criminelle.

Pour la classe dirigeante, pas deproblème. Elle ne veut connaîtreque le communisme, une hydredont il faut couper toutes les têtes.A quoi bon chercher plus loin ?L'argent est fait pour les richesqui, seuls, ont l'art de le dépenser.Devant un obstacle - économi·que, social ou politique - ou bienon passe outre, ou bien on sauvece qui peut l'être - et on se laveles mains. Suicide, banqueroute,fuite à l'étranger ont ceci de com­mun qu'ils permettent de tirerl'épingle du jeu, avec un égoïsmefamilial qui ne choque personne,pas même les victimes. On verraainsi l'épouse et la fille de KarolyParcen-Nagy survivre au disparusans remords ni rancune. L'une ason vieil amant; l'autre aura sesmaris successifs - et toutes lesdeux assez d'argent pour ignorerle besoin...

Ce n'est pas le cas du fils deKaroly, Lorinc, qui ne se sent pasà sa place dans cet univertl dégra.

dant. Pour en sortir, il fréquenteles salles des cafés populaires, tra·vaille en usine, offre de l'argentà un garçon pauvre dont le pèreet la mère ont été arrêtés pouractivités subversives. Veuf d'unejeune femme qu'il aimait, Lorincadopte Peter, par qui un certainnombre de militants traqués se·ront intI:oduits dans l'apparte­ment. Parmi eux, une danseusecommuniste, Evi, une de ces fem­mes qui ne séparent pas la libertépolitique et celle de l'amour.

LOrinc en arrive assez vite àne plus savoir trop où il va. Iln'est pas accepté par les prolé.taires ; il est utilisé. Même aprèsson arrestation et son élargisse­ment, on le considère comme unétranger. N'est-il pas le fils d~

Parcen.Nagy? Rien ne peut fairequ'il n'ait du sang d'exploiteurdans les veines. Ses accès de géné­rosité même sont suspects. Et ilne saura jamais si le sacrifice desa vie qu'a fait Peter en détour·nant sur lui un coup de couteauqui lui était destiné est un réflexede chien fidèle ou la preuve d'uneintégration.

Il n'est pas jusqu'à sa liaisonavec l'ardente Evi qui ne comportequelque ambiguïté. Ne s'aiment·ils pas en marge de leur situationsociale, au détriment peut-êtred'une activité politique qui n'arerivera jamais à un véritable syn·chronisme? Leur accord charnelsera d'ailleurs sans lendemain. Lafamille de Lorinc le presse, l'enve­loppe, l'envahit, bien qu'il ait de­puis longtemps coupé les ponts...L'histoire de la mère, de la sœur,des tantes, des cousins, des beaux.frères semble grignoter sa proprehistoire. Un bon quart du romanleur est consacré, en contrepointà la fresque de la classe oppriméedans laque])e il apparaît commeun personnage sans poids, auxcontours indécis.

Ce que lui reproche Wavra,l'amant de sa mère, politicientrouble et habile, constitue unassez juste portrait moral dujeune homme. Il vous manque ­dit·il - de ne pas avoir comprisque fhomme doit utiliser son capi­tal moral avec parcimonie et intel­ligence, qu'il doit être tantôt bon,tantôt méchant, tantôt honnête,tantôt filou, car c'est la seule fa.çon de nuire le moins possible àsoi et à autrui. Quelle erreur quede vouloir juger tous les casd'après un même schéma, et decroire qu'on peut, durant touteune vie, être exclusivement nobleou exclusivement abject! On nepeut pas non plus se retirer entiè·

.rement, ainsi que vous voudriezle faire - poursuit Wavra - carVOlts vous rapetissez à tel point

. que vous devriez passer deux loispar la 'même porte pour être aper­çu, comme disent les Chinois.

L'effacement de Lorinc, cepen·dant, ne prive son personnage ni

de profondeur ni d'authenticité.On a l'impression, au contraire,qu'il est la figure centrale de l'ou·vrage, que l'ouvrage tout entierconverge vers sa difficulté d'êtreet que son destin - commencerune phrase qui jamais ne seraachevée... - a un caractère exem­plaire. C'est en lui, en tous cas,que l'auteur semble avoir mis sescomplaisances. Il a par moments- notamment dans le journaldont on nous donne quelques ex·.traits - des reflets autobiogra.phiques : membre du parti com'muniste hongrois depuis sa fon·dation, exilé durant neuf ans(entre 1919 et 1928), opposantintellectuel au régime de Rakosi,emprisonné en 1957, Tibor Déryn'a cessé, comme LOrinc Parcen·Nagy, de vouloir exprimer unevérité encore plus difficile à faireentendre qu'à cerner. Si rien d'hu­main n'est étranger à l'homme deculture, ne risque-t.il pas de tenirpour équivalents les sentiments dubourgeois et ceux du prolétaire ?Où est, dans ce cas, l'affrontement,le choix du combattant ?

La vie contemplative à laquelleje suis astreint me pèse - avoueLorinc - sans parler de son ab·surdité au milieu d'un monde fré.missant d'inquiétude qui s'estdébarrassé du manteau de la sta­bilité. L'inconfort de l'intellectuelprend, dans la Phrase inachevée,une évidence qui contenait engerme toute l'aventure politiquede Tibor Déry. Si lui·même enignorait alors tous les développe.ments, ne semble-t-il pas que cevolumineux récit, si daté fût.il,était tourné vers l'avenir? C'estpeut-être ce qui fait à nos yeuxsa grandeur. Non que sur le;plande l'expression littéraire, et mêmede la technique, il ne fasse éga.lement le poids. On ne prétendracertes pas que, sur les 450.000 motsqu'il comporte, il n'yen a aucund'inutile, ni que le grand nombrede métaphores et leur caractèreinsolite ne sentent un peu le IlYS'

tème.

Mais qu'il s'agisse de la fresquede la société bourgeoise à Buda·pest dans les années 30, ou de lapeinture des combats désespérésdu prolétariat, qu'il s'agisse del'évocation d'un amour boulever·sant de gratuité (Tibor Déry, ence domaine, s'est surpassé dansMonsieur G.A. à X.) ou des ta·bleaux criants de vérité commecelui de l'homme qui mange(p. 251) et de la jeune fille aumiroir (p. 357), la puissance ro·manesque ne se discute pas. Atravers l'épaisseur et le faux dé·sordre qui rappellent Dostoïevsky,la Phrase inachevée (pour la tra·duction de laquelle il n'a pas fallumoins de cinq spécialistes) déve·loppe originalement des thèmesauxquels l'homme d'aujourd'huine peut être insensible.

Maurice Chavardès

Page 9: La Quinzaine littéraire

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Joyce vu parson frère

Stanislaus JoyceGardien de mon frèretraduit par Anne Grievepréface de T.S. Eliotintroductionde Richard EllmannGallimard, éd., 272 p.

James' JoyceEuais critiquestraduit par Elil!abeth JanvierGallimard, éd., 340 p.

Le hasard de la nai88ance joueà certains de vilains tourt< : friored'un écrÏ\'ain génial ! La l'ituatione&t inconfortable, à moins de separtager le cadeau des dieux,('-amme le firent, en parts inégales,il est vrai, Thomas et HeinrichMann. Stanislaus Joyce, lui, par­tagea seulement l'exil et dut ilecontenter de rester (lans l'ombrede l'auteur d'Ulysse. Le manuscritqui vient d'être publié et dontle titre est significatif révèle qu'ilne joua pas sans dignité un rôleingrat.

Gardien de son frère, tel est, eneffet, le destin que Stanislausrevendique dans cette tentatived'autobiographie, qui reste d'ail­leurs inachevée. Elle présente undouble intérêt: révélatrice de lapsychologie du compagnon àl'égard du «monstre », elle formeaussi un miroir des conditionsfamiliales difficiles dans lesquellesJames vécut longtemps et quiéclairent en partie les sources dcson œuvre.

Stanislaus le souligne avec unemodestie remarquable. Dès l'en­fance, il s'incline devant la supé­riorité de James, en tout domaineplus doué : Comme le talent et lapersonnalité ne s'acquièrent pasen f espace d'une nuit, il me fautmontrer la souche d'où jaillit lafleur bizarre, mais vivace, qui faitf objet de cette étude. Donc, ilentreprend de raconter leur en­fance, mais détourne aussitôt leprojecteur de sa propre personne.Or, on s'aperçoit vite que «cetteHeur bizarre » il ne peut guère lacomprendre et parce qu'en appa­rence, il serait le mieux placé poury réussir.

Dans cette famille nombreuse,mais où bien des enfants meurent,victimes souvent de la né~ligence

d'un père ivrogne, Stanislaus estle confident de James. Ensemble,ils font leurs premières tentativeslittéraires et partagent nombred'expériences. On sait que, long.temps fidèle, Stanislaus ira àTrieste, y sera aussi professeur,soutiendra moralement James,l'empêchant avec fermeté de céderà l'ivrognerie pour laquelle ilavait un fort penchant. Toutefois,à chacune des anecdotes, des inci­dents qui se retrouveront dansDedalus, dans Ulysse. le «gar­dien» ne sait guère que rectifierde!l erreurs, rétablir la réalité,san~ pouvoir dissimuler t.oujoursune pointe d'amertume étonnée.C'est que lui aussi a vécu l'évé-

La Quinzaine littéraire, 1(; mai 1966

nement, c'est que parfois l'idéepremière vient de lui. N'était-ceque cela? Voici ce qu'il en afait!

Il ne se montre jamais capahle,il ne le peut pas, de saisir latransmutation imaginative quel'écrivain fait subir au réel etq'ui est la clef même de son talent.Ainsi Stanislaus lui fournit sansce8lle des thèmes, en particulierpour les nouvelles de Gens deDublin. Ainsi Stanislaus tient unjournal. James le lit sam lui endemander la permission, !l'emparesans vergogne de ce qui l'inté­resse. Plus tard James, avec lafranchise ironique qui le caract~­

rise, en fera la remarque : N'avez­vous jamais remarqué, lorsqu'ilvous vient une idée, ce que, moi,je peux en faire?, aptitude dontStani!llaus ne cesse d'être victime,mais, disons-le à sa louange, enfaisant le plus souvent contremauvaise fortune bon cœur. Lapointe d'amertume est rare. Sil'intelligence de l'homme apparaîtde niveau modeste, ses qualitésmorales sont de premier ordre:Je m'accorde la satisfaction per­sonnelle de noter que j'étais alorsle premier et peut-être le seul àcomprendre que fimpitoyablesincérité, plus que la délicatesse,serait la note dominante de f œu­vre de mon frère. Délicatesse ! Ilen manque singulièrement, sem­ble-t-il, celui-là qui possédait legénie ! On remarquera en passantce trait. L'enfance de Jovce estmarquée par l'insécurité. i.e pèrene vaut rien. Il manque, un soirqu'il a bu plus que de coutume,d'étrangler sa femme malade. Lascène se gravera dans l'esprit deStanislaus pour donner la haine.James reste, en apparence, insen­Rible et l'on sait que l'œuvre en­tière se placera sous le signe dupère. De même, après la mort deleur mère, J alOes découvre unpaquet de lettres, écrites parl'époux avant le mariage. TI leslit sans la moindre hésitation:Lorsqu'il eut fini, je finterrogeai :

- Alors?- Rien, répondit-il sèchement

avec un certain mépris... «Je lesai hrûlées sans les lire », ajoutele pieux Stanislaus.

C'est par toute une suite derécits de ce genre que vaut lelivre, en somme miroir assez fidèledes sources d'Ulysse et de la per­sonnalité de l'artiste, enfant etadolescent. Accordons pour excuseà la relative incompréhension deStanislaus, la nature si particulièredu génie de son frère. Pour nepoint s'étonner, il aurait fallu queStanislaus adoptât une démarcheinverse, qu'il partît de l'œuvrepour en réparer les éléments his­toriques. D'un certain point devue, on peut en effet tenir Ulyssepour une épopée de l'insi~i­

fiance : les démarches, les penséesde Bloom ne présentent pas enelles-mêmes le moindre intérêt, sion les considère hors du contexte.La grandeur de Joyce est d'avoirdémontré, ·avec une ampleur rare-

ment égalée, le pouvoir de trans­mutation de l'écriture sur la réa­lité la plus « prosaïque ». Dénouezles anneaux du style, pour repren­dre l'expression de Proust, l'écla­tement restitue la banalité ternequi fut le point de départ et danslaquelle on ne retrouve rien del'opération qui a eu lieu dans lachambre noire de l'imagination.

James Joyce à 22 ans

C'est cette force démoniaque exer­cée à partir d'éléments neutresque Stanislaus est incapable deconcevoir. Henry James dit quel­que part que le romancier estquelqu'un pour qui rien n'est ja­mais perdu. Jamais remarque nes'appliquerait avec plus de jus­tesse. Sous l'angle de la biogra­phie, le génie de Joyce apparaît,que l'on me pardonne l'expression,comme un génie de chiffonnier,

. Stanislaus Joyce à 21 ans

mais j'ajouterai aussitôt: qui, tell'alchimiste, fabrique de l'or avecle plomb qu'il récupère...

Opération qui explique aussil'impression plutôt décevante lais­sée par le recu,eil d'Essais Criti­ques joint au livre de Stanislauset dont la plupart coïncident parla date avec cette période de for-

mation, au terme de laquelle lemanuscrit s'arrête. L'écrivain estparfois un critique pénétrant. Bienplacé pour connaître les sourcesde l'acte créateur, il s'entend àen démêler les ressorts chez au­trui. Encore faut-il que les exi­gences de son œuvre ne lui inter­disent pas cet effort de sympathieà l'égard d'un univers étrangersans laquelle la critique est impos­sible.

De cette sympathie, Joyce seraà tout jamais dépourvu. Son re­gard n'est qu'un appareil enregis­treur de ce qui est susceptibled'alimenter le creuset. En outre,dans la perspective même de cettealchimie opérée à partir du métalvil, aussi longtemps que la struc­ture qui provoquera la fusionn'est pas trouvée, le temps de ges­tation ne peut être qu'un tempsd'attente où rien ne permet deprévoir l'épanouissement futur.Pour un Joyce, ce que l'on appelledes promesses ne peut guère exis­ter. Ainsi s'explique la remarqua­ble banalité de ses premiers écrits.

La petite narration scolaire quiouvre le livre est un exempleamusant de la rhétorique creuseque peut dispenser à ses élèvesuu hon collège de Jésuites. Il enrestera une facilité qui serviraJovce dans cette série d'articles,notes et notules alimentaires, qu'ilécrira à Paris et dans les premierstemps de son séjour à Trieste. Cesarticles, dont les thèmes sont dis­parates, allant de l'interview d'DOcoureur antomobile an compterendu d'un roman de Marcelle Ti­nayre! se lisent sans ennui. ra­chetés souvent par une ironiepropre à Joyce. Il faut attendreles derniers articles, ceux de lapériode créatrice, quand il va ces­ser de faire de la critique, pourdistinguer ici et là, par éclairs, legrand écrivain. Or sa griffe sepose précisément sur les morts.,sur ceux qui, par certains côtés,lui ressemblent: DOe belle odefunéraire à Oscar Wilde, un hom­mage à William Blake qui loipermet, inaugurant une critiqU(~

propre au romancier, Ile recoll­naître chez l'autre le passage parun drame vécu, de comprendrepar expérience rétrospective lesmoments décisüs, en l'occurrencela source même, qui l'étonne, deson propre génie.

Parlant des extases de Blake, ilremarque : N'est-il pas ,urprenantque ces êtres symboliques, Lo,et Urizen, Vala, que les ombresde Milton et d'Homère, aientdaigné descendre de leur ciel damune misérable chambre de Lon­dres, accueillis non point parmides fumées d'encens, malS dp~ re­lents de thé et d'œufs frits damla graisse?, relents des rognonsapprêtés par Bloom dans les llOm·bres demeures de Dublin t"t llontles fumées commencent aIor~ :imonter au ciel de l'odysséed'Ulysse...

Robert André

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Lettre de Bruxelles

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Vient de parattre

NICOLAS ARJAK(Youli Daniel)

ICI MOSCOULe texte qui nous fait lemieux comprendre l'étatd'esprit des Soviétiquesau début de la déstalinisa­tion ...

MAURICE NADEAULa Quinzaine Littéraire

Une merveille qui hono­rera toutes les antholo­gies, tous les manuelsscolaires de l'Union Sovié­tique lorsque ce doulou­reux pays aura enfin obte­nu de sol les libertésIndispensables...

ETIEMBLELe Nouvel Observateur

Il ne s'agit pas d'un bonlivre, mais d'un' grand li­vre, d'un admirable recueilde nouvelles très précisé­ment révoltées, donc révo­lutionnaires. Je ne vousdemande pas de me croire.Je vous demande seule­ment 'de ne pas croire' àpriori les autres, ceux quidiront le contraire, et sur­tout ceux qui vous chucho­teront benoltement que lescandale fait le succès dece livre. C'est simple :lisez le vous-mêmes, lisezle tout de suite...

MORVAN LEBESQUELe Canard Enchaîné

Quatre nouvelles cela suf­fit pour révéler un talent...Dans ces nouvelles ou ledélire est la transpositionde la réalité, Daniel forcechacun de ses lecteurs às'examiner afin qu'il n'yait plus de nouveau unepériode de culte de la per­sonnalité dans un payssocialiste...

BERNARD FERONLe Monde

Un volume de 280 pages,suivi du « Dossier duProcès de Moscou • : 15 F.

Sociétédes Editions Modemes

SEDIMO

18, rue Marbeuf, Parls-8·C.C.P. Paris 7211 70Diffusion: Dlff.-Edlt.

Il existe en Belgique une litté·rature d'expression française etune littérature d'expression néer­landaise. La littérature belgen'existe pas. On peut, tout auplus, constater l'existence d'uncertain régionalisme, surtout ChêZ

les écrivains flamands de languefrançaise. Mais ce régionalismen'est ni plus ni moins françaisque le régionalisme provençal oubreton.

C'est là une constatation de bonsens. Mais il est des moments OVle bon sens lui-même paraît sédi·tieux. Par exemple aux yeux desquelques dizaines d'auteurs belgesqui prétendent représenter lalittérature belge comme si, enBelgique, comme en provincefrançaise, tous les amants de lalittérature - écrivains ou lec­teurs - n'avaient pas les yeuxtournés vers Paris! Tôt ou tard,un écrivain français de Belgiquese fait éditer à Paris, cherche àconquérir les faveurs de la criti­que parisienne, le public français.Il arrive toutefois qu'en dépit deleurs efforts, certains auteursbelges ne parviennent pas à sefaire éditer à· Paris. Leur dépitse transforme vite' en hargne.Quand leurs manuscrits insipidesleur reviennent refusés, ils réus­sissent à se faire éditer en Belgi­que, de préférence par un éditeurayant petites ou grandes entréesdans les cénacles officiels: aca­démie, ministère de l'éducation

. nationale, de la culture, directiondes bibliothèques publiques, etc.L'un de ces organismes achètecent exemplaires du livre, unautre, cent autres. Finalement,l'éditeur rentre dans ses frais etl'auteur est satisfait.

Le public lui, boude ce genred'ouvrages. Il fait confiance auxgrands' éditeurs parisiens ou auxquelques éditeurs belges d'enver·gure: Editions Univet:sitaires,Marabout, Casterman, Desclée deBrouwer. " '",

Les écrivains belges de qualité.romanciers comme Franz Hellens,Georges Simenon, Françoise Mal­let.Joris, Maud Frère, CharlesBertin, J .-J. Linze, critiquescomme Daniel Gillès, HubertJuin, Pol Vandromme, sont édité~

à Paris.Il est pourtant quelques édi·

teurs belges qui acceptent dejouer un rôle aussi noble et cou­rageux qu'ingrat: celui de «dé­couvreurs » de jeunes talents,trop timides pour risquer uneentrée «parisienne ». Ces éditeurssavent que seuls les plus médio­cres de leurs auteurs leur reste­ront fidèles, que les autres s'eniront un jour à Paris, mais ilsaiment assez la littérature pourse contenter d'un strapontin dansl'édition.

Il était une fois, à Verviers(petite ville voisine de Liège) unimprimeur prospère: agendas,almanachs, journaux locaux, cir-

culaires commerciales et publici­taires lui assuraient une honnêteaisance, et même un peu plus. Cetimprimeur, M. Gérard, avait unfils: André.

Après de bonnes études, AndréGérard décida de se lancer dansl'édition. Il se mit à étudier lesystème' d'édition et de diffusiondes «pocketbooks» anglais etaméricains. Très vite, il décidade lancer une collection de livresde poche en français. C'était en1949. M. Gérard père haussa lesépaules mais mit à la dispositionde son fils un petit capital Il

fallait un nom à cette collection.Se souvenant de son passé deboy-scout, André Gérard la bap.tisà de son ancien totem: Mara­bout.

Un grand oiseau noir; un livresous le bras... pardon sous l'aile,fut dessiné... il convenait à mer­veille. Les premiers livres furentimprimés sur du mauvais papierjournal. Les couvertures, «plas.tifiées» étaient violemment colo­riées, un rien vulgaires. Le succèsfut rapide, tant en France qu'enBelgique. Actuellement Maraboutédite 200 nouveaux titres par an,compte neuf collections, et publieaussi bien Ponson du Terrail quedes documents sur la sexualité.Chaque livre connaît un premiertirage de 25 000 . à 75 000 exem­plaires. Depuis quelques années,Marabout s'est dégagée de l'opti.que «confessionnelle» qui futsienne au début.

Le dernier né des «Maraboutuniversité» est Sagesse de laChine de H. van Praag. Traduitdu néerlandais, cet ouvrage

expose la synthèse des huit grandsprincipes philosophiques et mo­raux qui dominent la pensée chi­noise depuis Lao-Tseu et Confu­cius: être en soi, polarité, per­tinence, piété filiale, rites, huma­nité, art de vivre, non-agir. L'au­teur les envisage à la fois surles plans de l'histoire, de l'art etde la littérature, des idées. Il endégage quelques grandes constan­tes qui forment, d'après lui, lesvaleurs éternelles de la civilisa­tion chinoise. H. van Praag ter­mine par un plaidoyer en faveurde la mutuelle compréhension de

l'Occident et de l'Orient. Alor~

seulement, conclut·il, on pourraparler d'une ère nouvelle. .

Dans sa collection «Portraits»(monographies d'écrivains .belges)l'éditeur Pierre De Méyère (l'undes rares éditeurs «littéraires»belges) publie un Pierre Nothombde Frédéric Kiesel (lequel estaussi poète et collabore de ma­nière épisodique aux «Cahiersdes Saisons.).

De Pierre Nothomb, les lecteursfrançais connaissent surtout unroman Morménil (Plon 1964) etquelques.uns se rappellent deuxautres romans : La Rédemptionde mars (Plon 1923) et Fauque.bois (Plon 1918). Ces quelquestitres ne forment pourtant qu'uneinfime partie de l'œuvre abon­dante du fluvial Pierre Nothomb.Agé aujourd'hui de soixante·dix­neuf ans, châtelain ardennais, aca­démicien, ancien sénateur, PierreNothomb est surtout un «person­nage» que son biographe situe«entre Bible et romantisme ».

Nostalgique de Charlemagne, ila nourri de ses mythes personnels

Page 11: La Quinzaine littéraire

D15 F.

"M. Curtis affirme sa maîtrise en nous rendant sensible.avec la plus grande simplicité, à l'écoulement du temps".Jacques Brenner(Aux Ecoutes)

"Jamais le talent de Jean-Louis Curtis n'a été aussidépouillé. aussi précis, aussi incisif"Jacqueline Barde(Le Dépositaire de France)

"L'œuvre de Jean-Louis Curtis, sans perdre sa .qualitéde roman - il est passé maître en la matièredès ses premiers livres - prend un caractère de mémoirespour servir à la connaissance de notre temps".Anne Villelaur(Le Figaro Littéraire)

"La plus perspicace et la plus juste chroniquede la sensibilité contemporaine".Robert Kanters(Le Figaro Littéraire)

"Le mouvement du récit, la justesse des personnageset des dialogues, l'émotion des vies perdues et qui déclinent,la manière cruelle dont l'homme de quarante ansse voit exclu des fêtes de la jeunesse,tout enfin de ce que dit Jean-Louis Curtis éveille la rêverieet retient l'attention".Kléber Haedens(Paris-Presse)

"Certains romanciers se dérobent devant l'obstacle,'d'autres marchent au canon. Jean-Louis Curtisest,de ces derniers. On se réjouit qu'une fois de plussa' bravoure soit récompensée".Maurice Nadeau(La Quinzaine Littéraire)

jean.louiscurtis

la t ·quaran aine

•••'.••••••

NOUVELLES DE

L'ÉTRANGER

Vienne 1934, la nouvellepièce de Tibor Déry, sera jouéevers la fin du mois de mai auThéâtre National de Budapest.

Toujours à Vienne : EliasCanetti, dont on vient de publieren France « Masse et Puissance »,vient d'obtenir le Grand Prix deLittérature.

Manès Sperber, romancier etessayiste bien connu, vient d'êtrenommé professeur honoraire del'Université de Vienne.

L'assassinat du Président Ken- :nedy continue à préoccuper l'opi- •nion publique aux Etats-Unis. Le.Rapport de la Commission Warren, •publié en France par Robert·Laffont, n'a pas dissipé tous les :doutes. Viking Press à New York.annonce la publication d'une thèse •de doctorat par Edward Jay Epstein.qui examine toutes les contradic- •tions et toutes les insuffisances du •Rapport Warren et insiste sur·. " . .certalns aspects restes mysteneux •de ce drame. •

••••••••••••••••••••••••Charlot ecnvain ne connaît.

décidément pas le même succès.que Charlot cinéaste. Le premier.tirage, fort important bien entendu, •de l'édition américaine n'a été:vendu qu'à moitié. •

••Les Mémoires de Harold Mac· •mUlan seront publiés en automne •à Londres aux Ed. MacmUlan, la •propre maison d'édition de l'ancien •Premier Ministre du Royaume:Uni. Le premier volume commence.avec la fin du règne de la reine •Victoria et se termine en 1939. •

••

Il y a 2.500 ans, en 534 av. •J.-C., que selon la tradition, la:première pièce de théâtre a été.jouée à Athènes. Pour fêter cet.anniversaire, un Festival aura lieu.à Delphes qui commencera le 29 •mai. Parmi les troupes étrangères, •on annonce la présence du Théâtre :de France (l.-L. Barrault), du.Théâtre de Moscou et du Burgthea- •ter de Vienne. •

••Les Prix Pulitzer 1966 ont·

été décernés en littérature à:Katherine Anne Porter pour ses.nouvelles et à Arthur Schlesinger •pour son récit « Les 1.000 jours de .'Kennedy » dans la section histoire. .''.•••••••••••.'• L----------:"_----:-:~-_r_'=,...,.."-,...,.,..~".,...,----:""":""'"':"":"''''''7',...,.,:;"",,'.',.....-....

A Brno (Tchécoslovaquie) s'estréuni le Congrès des spécialistesde l'Antiquité gréco-romaine; Vingtnations de l'Est et de l'Ouestétaient présentes. Les représentantsde la Roumanie et de l'AllemagneOrientale ont annoncé que dansl'avenir le programme scolaire, deleurs pays prévoit un renforcementdes études classiques. '

Ces nouvelles qui vont au-delàde la littérature, par cette sorte demystique de la mort qui les pos­sède, constituent une intéressanteentrée dans la carrière.

Michel Géorn

son œuvre où ils se trouvent ma­gnifiés. D'une grande fécondité,il descend, par les femmes, deLamartine et passa, peu après lapremière guerre mondiale, pourle d'Annunzio belge - il a écritdes milliers de pages, récits, nou­velles, romans, poèmes, d'une va·leur inégale mais d'une verve em­portée et soutenue. Frédéric Kie­sel fait la part des pages rapideset des pages élaborées. On l'admired'avoir pu, avec autant d'aisanceapparente, tracer un chemin dansla sauvage et exubérante forêt dece survivant en notre siècle de lagrandeur lotharingienne. PierreNothomb avait déjà son tombeauet sa statue (à Arlon) et voici salégende fidèlement rapportée etson œuvre subtilement et com­plaisamment évoquée. Que peut-ildemander de plus?

Au déhut de cette année, lemême De Meyère a lancé unecollection de romans et de nou­velles sous le titre «Collectiondes 200» {allusion aux «deuxeents familles» qui font, en Belgi­que, la loi littéraire).

Après Les Jeux tristes, unroman féminin assez quelconquede Sidonie Basil, il y publie unedizaine de nouvelles d'OmerMarchal dont ce sont les premierstextes. Marchal n'a pas trenteans, il est reporter au grand heh­domadaire «Spécial» et fut, de1959 à 1961, agent territorial auRwanda-Burundi, alors sous pro­tectorat belge.

Il y administrait une région enpleine brousse et il fut étroite­ment associé à la révolte des pay­8ans bahutu, contre les seigneursféodaux batutsi. La plupart' desnouvelles de son recueil lui ontété inspirées par cette expérience'africaine. La mort est au centrede ces nouvelles, elle rôde, sour­noise ou insolente, marque le8destins, inexorablement. Dans unclimat de violences et de passion,rendu plus lourd encore par lamoiteur coloniale, les dramess'enchaînent, tout naturellement,comme s'ils étaient écrits depuistoujours. Familiers de la mort,qu'ils ne recherchent pas maisdans l'intimité de laquelle ilsVivent, les héros de Marchal, noirsoU blancs, semblent sortir de l'uni­vers d'Hemingway à qui' Marchaldoit d'ailleurs beaucoup. Débutpourtant original et prometteur :Marcha~ a quelque chose à direet il le dit bien. Enfin, consta­'tation réjouissante: une de sesnouvelles, «France », prouve queson inspiration n'est pas prison­nière de la brousse. Ici, l'aventureafricaine n'intervient qu'au secondplan, le thème éternel de l'amourimpossible est réécrit avecbonheur.

La Quinzaine Iittéraile, 16 mai 1966 .11

Page 12: La Quinzaine littéraire

ESSAIS

L'art et ,la différence

Umberto EcoL'œuvre ouvertetraduit de l'italienLe Seuil, éd., 318 p. ,

Qu'est-ce qu'une œuvre d'art?Question' piège, à laquelle il n'estpas facile de répondre. Si je dis

-que l'œuvre est une forme dontla contemplation provoque en moiun plaisir particulier, on me ré­pondra qu'un simple caillou, unesimple tache sur un mur peuventme donner le même plaisir. Pour­tant, ce ne sont pas des œuvres.L'idée d'œuvre implique que ceplaisir ne soit pas fortuit. L'œuvrea été fabriquée dans l'intention dem'émouvoir. Mais que signifiecette «intention»? Car unechaise aussi est fahriquée, et nem'émeut pas comme le tahleau quila représente. D'autre part, si lafabrication est essentielle à l'œu­vre d'art, comment expliquer quel'art moderne fasse une place deplus en plus grande au hasard ?Enfin, si l'œuvre est une forme,que dire de l'art « informel »?

Ce sont ces difficultés qu'Um­berto Eco essaie de résoudre enintroduisant dans la définition del'œuvre l'idée nouvelle d' « ouver­ture »: Une forme est esthétique­ment valable dans la mesure oùelle peut être envisagée et com­prise selon des perspectives mul­tiples, 'où elle manifeste unegrande variété d'aspects et de ré­sonances, sans jamais cesser d'êtreelle-même. A la fois une et mul­tiple, diverse mais constante,l'œuvre ne s'épuise pas dans unpremier usage, et c'est ce qui ladistingue de l'objet, toujours dé­passé par sa fonction. On n'ajamais fini de lire un livre, deregarder un tableau, d'écouterune symphonie. Chaque « consom­mation» complète et enrichit laprécédente, découvre au consom­mateur des possibilités qu'iln'avait pas ençore aperçues. En cesens, toute œuvre est nécessaire­ment ouverte. Mais tandis que lesœuvres anciennes l'étaient, enquelque sorte, sans le savoir, l'art

contemporain fait de l'ouverturel'objet même de sa réflexion etde sa pratique. Il y a là plus qu'unsimple changement d'accent: unvéritable renversement. Le pro­blème de l'artiste ancien était demultiplier, de diversifier uneœuvre dotée d'un sens apparem­ment univoque et qui répondaità des critères de fahrication pré­cis : règles des genres en littéra­ture, figuration perspectivè enpeinture, tonalité en musique. Leproblème de l'artiste moderne estd'éviter ,que la diversité, la mufti­plicité qu'il vise au départ nesombrent dans l'incohérence. Sil'histoire de l'art, comme J'affir­mait Wolfflin, oscille entre unpôle « classique » et un pôle « ba­roque », on' pourrait exprimer lamême idée autrement en disantque l'art classique se dirige à tâ­tons vers le baroque, alors quel'art moderne, baroque par voca­tion, est à la recherche de sonpropre classicisme : il lui fauttrouver de nouvelles règles pouréviter la dispersion fatale qui lemenace.

Ce schéma, que je simplifie àl'extrême, paraît à première vuetrès séduisant. Il permet de com­prendre pourquoi, dans les expé­riences contemporaines, le hasardfait échec à la volonté, l'indéter­mination à la contrainte. Mais ilmanque aussi les limites de l'ou­verture : la soumission du créa­teur aux caprices de la contin­gence, son dédain des formes nepeuvent aller jusqu'au renonce­ment à sa propre maîtrise. Bienau contraire, puisque l'œuvre doit« rester elle-même », ils supposentune articulation plus rigoureuseencore; - d'antant plus rigou­reuse qu'elle sera cachée1•

Observons pourtant que, dansles chapitres théoriques de son li­vre, Eco emprunte tous ses exem­ples aux beaux-arts et à la poésie.Le seul prosateur qu'il étudieensuite est Joyce, dont l'évolution(comme celle de Mali armééchouant à bâtir le fameux Livre)conduit à se demander si l'idéemême d'un livre « ouvert » n'est

pas une contradiction dans lestermes. Comme beaucoup de théo­riciens actuels, attachés à la sacro­sainte notion de la forme, Ecosemble tenir pour nulle et nonavenue la distinction que Sartreétablissait autrefois entre les arts,qui ont affaire au sens (obscur,indicible, inséparable de la formedans laquelle il apparaît) et laprose, qui a affaire aux signifi­cations (transparentes, liées auxchoses qu'elles désignent nommé­ment et s'effaçant devant elles).On peut faire hien des réservessur cette distinction. Il n'en restepas moins abusif - Eco le recon·naît d'ailleurs au passage - deparler de la « signification» d'unecouleur ou d'un son, comme onparle de la signification d~un mot.C'est l'autonomie .radicale du ta­bleau ou de la sonate qui leur-.permet, parce qu'ils ne signifientrien à proprement parler, de mul­tiplier les suggestions. Une œuvrelittéraire, si riche de sens soit-elle,n'est jamais totaiement autonome.Elle nous renvoie, de gré ou deforce, à l'expérience vécue. Ellene peut donc pas être « ouverte »de la mêmè- façon. L'ouvertureconsiste plutôt pour elle à neu­traliser les significations, soit enles faisant se contredire mutuelle­ment (comme chez Robbe-Grillet),soit eit proposant au lecteur di­vers modes de lecture (commechez Butor).

Mais il y a plus grave. L'ana­lyse d'Eco, si ingénieuse soit-elle,se tient toujours au niveau desprocédés. 'Cela le condamne,comme tous les formalistes, à tour­ner en rond. Il nous dit, par exem­ple, que le signe esthétique ­mot, son, couleur - apparaitcomme « lié » à tous les autressignes de l'œuvre et « recevantdes autres sa physionomie corn·pIète ». Mais quand il veut expli­quer cette liaison, il invoque des« habitudes enracinées chez lerécepteur » : la rime, le mètre,les proportions conventionnelles,les ,habitudes esthétiques. Autantdire qu~ nous reconnaissons l'œu­vre d'art aux caractères que nous

sommes accoutumés à considérercomme esthétiques. De même,dans un autre chapitre, Eco re­court à la théorie de l'informationpour opposer le « message » cou­rant, clair et banal, au messageartistique, obscur mais riche en« information », c'est-à·dire mar­qué d'un haut coefficient d'impro­babilité. Mais un message peutêtre très surprenant sans' avoirpour autant une valeur esthétique.Sinon « Am stram gram » ~er.ait

le chef-d'œuvre de la poésie. Cequi donne' sa valeur esthétiqueau message, c'est l' « intérêt ~ par­ticulier que lui attache le 'récep­teur. Et comment définir l'intérêtsans le qualifier lui-même d'esthé­tique?

Peut·être est-il impossible /l'évi-'ter cette tautologie. Mais! c'est'd'elle, alors, qu'il faudrait partir,en songeant, par exemple, auxready-made. Lorsque l'artiste mo-

'derne décide d'exposer un objetquelconque, de préférence le pluscommun, son geste signifj~ davân­tage qu'une simple provocatiqn. Ilmontre que l'œuvre d'art est to~­

jours « tautologique ». Je, ~euxdire que l'objet ainsi présenté,tout en restant le même, derientautre. L'œuvre est d'abord cétautre que l'écrivain nous donneà ,lire, le peintre à voir, le musi­cien à entendre, et qui ne diffèrepas du même par des qualités par­ticulières, mais parce que nous lelisons, le regardons, l'écoutonsautrement. Les procédés intervien­nent ensuite, quand l'œuvre estdéjà là: leur fonction est derépéter, en le ,figurant, le gesteinitial de l'artiste'. Ils sont le signetangible d~une différence qui lesprécède. Mais l'art, au fond, n'ena cure. C'est bien pourquoi il peutêtre « brut », « informel », ou« atonal ». L'art n'a pas besoinde se distinguer pour s'imposer :il est la différence même.

Bernard Pingaud'

1. Un bon exemple de ce double mou·vement est la partition de ".()Ueck,tout entière bâtie sur des formes musi·cales types, sans que l'auditeur, ditWebern, ait jamais à 's'eu préoccuper•

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120- mille l'

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de confronter votre point de vue personnel sur les grandsproblèmes de notre temps avec celui de l'auteur, et dedécouvrir alors une attitude de penser et de vivre ra­tionnelle en cette époque de désarroLPrincipaux sujets abordés: Les croyances • L'intel­lectualité • La psychologie générale • Les conceptspérimés • La sociabilité • Le bonheur • Le déter­minisme et le libre arbitre • L'humour • L'im­portance du rire • Les vertus sociales •L'information .; La faillite des clercs • Legaspillage • L'extravagance littéraire etartistique • Les facteurs de stimulation •

La saveur de vivre, etc...par R. CHAMPFLEURY

aux Vous avez déjà lu du même auteur-+'NOUVELLES EDITIONS DEBRESSE

l A...

Page 13: La Quinzaine littéraire

ÉRUDITION

Apollinaire et le bon ton

Au cours de l'année 1900, Guil­laume Apollinaire, qui allait avoirvingt ans, liait connaissance avecun jeune homme de son âge,Ferdinand Molina da Silva, dansla famille duquel il devait êtrebientôt accueilli. Les MoliQa habi­taient rue Demours.· C'étaient desjuifs originaires de Bordeaux,

Chirico: Apollinaire, 1914.

appartenant à cette sorte d'israé­lites longtemps appelés marranesou juifs portugais, quoique la plu­part d'entre eux eussent pour an­cêtres des juifs chassés d'Espagnepar l'Inquisition vers la fin duxve· siècle, et· venus alors s'établiren Guyenne. Montaigne comptaitde ces juifs-là dans· son ascen­dance. Plus près de nous, CatulleMendès et le premier éditeur d'Isi­dore Ducasse: Evariste Carrance,étaient, eux aussi, des juifs borde­lais.

Ferdinand Molina, l'ami d'Apo­linaire, avait deux sœurs et unfrère, tous plus jeunes que lui.Leur père dirigeait un cours dedanse près des Champs-Elysées,et comme il enseignait égalementles belles manières, peut-êtreavait-il su faire de l'aînée de sesfilles une demoiselle particulière­ment séduisante. Reçu rue De­mours, Apollinaire ne tarda pasà s'enticher de cette Linda, quin'avait encore que seize ·ans, etcomposa alors pour elle plusieurspoèmes, recueillis beaucoup plustard dans Il y a.

Linda fut sans doute quelquepeu flattée d'inspirer un poète.

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

Cependant, il ne semble pasqu'Apollinaire ait eu personnel­lement le don de l'émouvoir.Dans sa biographie du «Malaimé », M. .Marcel Adéma citeune lettre de 1901 où Lindaconfesse à un tiers son ennuid'être l'objet d'une affectionqu'elle se sent incapable de payer

de retour. Mais si l'empressementqu'on lui montrait importunaitLinda, M. Molina père n'éprou­vait pour sa part aucune contra­riété à voir Apollinaire fréquen­ter son salon. Ce n'était pas qu'ilméditât d'avoir pour gendre cejeune apatride sans foyer, sansfortune, sans diplômes et sansprofession régulière. Seulement,Apollinaire s'intéressait à la lit­térature, et M. Molina avaitbesoin d'un assistant pour larédaction d'un petit manuel debienséance qu'il se proposaitd'éditer lui-même et de faireacheter à ses élèves: Apollinaireallait être pour lui le collabora­teur rêvé. Non seulement, le poètene devait pas lui marchander sonconcours, mais à s'en rapporteraux confidences qu'Apollinairefit alors par lettre à un de sescamarades de collège, c'est lniqui aurait entièrement écritl'ouvrage publié ensuite sous laseule signature de M. Molina.

La lettre où Apollinaire disaitcela ayant été reproduite en 1951dans un article de Mme Onimus­Blumenkranz, le second fils duprofesseur de danse, M. Al~ert

Molina, tint à rectifier ce quin'aurait été, selon lui, qu'unepetite vantardise. Dans le numérode septembre 1952 de la revueLa Table Ronde, tout en recon"naissant que son père avait eurecours aux services d'Apollinaire

.pour la mise au point d'un ouvragesur la danse auquel il travaillaitdepuis plusieurs années, M. AlbertMolina affirmait qu'aucune pagede cet ouvrage n'étaitd'Apolli­naire, lequel, ajoutait-il, s'estcontenté de préfacer le livre etd'en corriger les épreuves. Jerri'en souviens très bien, ayanttenu lesdites épreuves entre mesmains, disait encore M. Molina,qui, en 1901, n'avait pourtant quetreize ans., On ne saurait trop se méfierdes souvenirs, et de l'assurancequ'en tirent volontiers ceux quiles évoquent. L'ouvrage de M.Molina père est des plus rares, ­il ne se trouve ni à la Biblio­thèque Nationale, ni à la Biblio­thèque Doucet, ni, semble-t-il,chez le fils de l'auteur, - maisenfin il n'a pas complètementdisparu, puisque nous avons eula chance d'en découvrir unexemplaire, il y a trois ans, dansune bouquinerie, ce qui nouspermet de rectifier à notre tourle démenti trop catégoriqueinfligé à Guillaume Apollinaire.

La Grâce et le Maintien fran­çais se présente comme un in-16de 130 pages. J. Molina da Silva,v a fait suivre son nom de saqualité de «'professeur de danseet de maintien. à l'Ecole spécialemilitaire de Saint-Cyr ». L'ou­vrage porte la date de 1901 et,comme indication de provenance:J. Da Silva, éditeur, 26, rueDemours. Il est probable que sonimpression, faite à Dives-sur­Mer, eut lieu durant l'été 1901,alors que la famille Molina pas­sait ses vacances à. Cabourg,c'est-à-dire assez près de Dives_

Contrairement à ce qu'a pré­tendu M. Albert Molina, LaGrâce et le Maintien français necomporte pas de préface d'Apol­linaire, et il est douteux que celui­ci ait eu à corriger les épreuvesdu livre, car, si distrait qu'il aitpu être, il eût au moins rétablil'orthographe de son nom dans,l'avant-propos où J. Molina daSilva a écrit :

Je dois quelques remerciementsà r érudition obligeante de monami Guillaume Appollinaire (sic)dont les notes et la riche collec­tion d'anecdotes sur le sujet quinous occupe m'a (sic) été d'un

. réel secours. Nous croyons avoirréus.•i à faire un travail d'ensem­ble, s'harmonisant dans une unitéparfaite.

M. Molina da Silva n'avait dela perfection qu'un sens très rela­tif. L'harmonie n'est pas ce quicaractérise les dix-huit chapitresde son petit traité du bon ton,plus ou moins revus et assaisonnésd'anecdotes et de citations parson assistant. L'intervention de cedernier est facile à repérer dans

certaines pages. S'il n'y a paslieu de contester à M. Molina daSilva la paternité des recomman­dations formulées çà et là dansson livre, - ne pas sc ronger lesongles, ne pas mettre le doigtdans son nez, - nous ne pensonspas le frustrer en attribuant àApollinaire des paragraphes telsque celui où il est dit :

Tout le monde comprend qu'ilest dégoûtant de toucher lamain à des gens dont les· doigtsviennent d'être chargés de quel­que chose de plus sale que cequi recouvre la coque du Bateauivre d'Arthur Rimbaud, coque

Qui porte, confitureexquise aux bons poètes,

Des lichens de soleilet des morves d'azur.

Des références à Faret, l'amide Saint-Amant, à Félix Arvers,à Paul Margueritte et aux mé­moires du bandit corse JérômeMonti proviennent vraisembla­blement d'Apollinaire, de mêmeque l'allusion à la mauvaise etinjuste opinion qu'avait de ladanse saint Jérôme, lequel, pour­tant, «s'y connaissait» et «pla­çait presque à la ceinture la forcede l'ange déchu ». On peut mêmese demander s'il ne conviendraitpas de rapporter à Apollinaireune citation du Bourgeois gen­tilhomme. Bien sûr, rien n'inter­dit de supposer que M. Molinada Silva avait dû lire Molière,mais eût-il allégué les proposque Molière prête à un maître àdanser: Il n'y a rien qui soit sinécessaire aux hommes que ladanse... Sans la danse, un hommene saurait rien faire, s'il eût eudu Bourgeois gentilhomme uneexacte intelligence? Il se pour­rait bien que Molière n'eût étéintroduit dans l'ouvrage de M.'Molina que de façon un peu sour­noise par un Apollinaire facé­tieux.

La malice d'Apollinaire n'au­rait-elle pas également joué dansle chapitre où il est dit que leshommes politiques et même leschefs d'Etat, quand ils sontd'humble nl\Îssance, estimentsouvent nécessaire de prendre surle 'tard les leçons de maintienqu'ils n'avaient pas reçues avantde débuter? Que M. Molina aittenu à mettre en valeur l'impor­tance sociale des bonnes maniè­res, cela va de soi, mais lors­qu'on lit dans son livre que lesleàders de la Troisième Répu­blique comprirent que pour dis­cuter les intérêts de la France,il fallait qu'au point de vue mon­dain, ils ne se montrassent pointinférieurs vis-à-vis des représen­tants des puissances étrangères,comment ne pas soupçonnerSOU8 cette emphase un pince­sans-rire qui ne devait pas appar­tenir au personnel complémen­taire recruté par le directeur deSaint-Cyr?

Pascal Pia

13

Page 14: La Quinzaine littéraire

Michel Foucault

.7

Qu'entendez-vous par système ?

Quand avez-vous cessé de croireau «sens»?

comme absurde, Sartre a voulumontrer qu'au contraire il yavait partout du sens. Mais cetteexpression, chez lui, était trèsambiguë : dire «il y a du sens ~,

c'était à la fois une constatation,et un ordre, une prescription... Ily a du sens, c'est-à-dire il fautque nous donnions du sens à tout.Sens qui était lui-même trèsambigu: il était le résultat d'undéchiffrement, d'une lecture, etpuis il était aussi la trame obs­cure qui passait malgré nous dansnos actes. Pour Sartre on était àla fois lecteur et mécanographedu sens : on découvrait le «sens»et on était agi par lui...

M. F. Le point de ruptures'est situé le jour où Lévi-Strausspour les sociétés et Lacan pourl'inconscient nous ont montréque le «sens» n'était probahle­ment qu'une sorte d'effet desurface, un miroitement, uneécume, et que ce qui nous tra­versait profondément, ce quiétait ayant nous, ce qui noussoutenait dans le temps et l'espace,c'était le système.

M. F. Par système, il fautentendre un ensemble de rela~

tions qui se maintiennent, setransforment, indépendammentdes choses qu'elles relient. On apu montrer, par exemple, que lesmythes romains, scandinaves, cel­tiques, faisaient apparaître desdieux et des héros fort différentsles uns des autres, mais quel'organisation qui les lie (ooscultures s'ignorant l'une l'autre)leurs hiérarchies, leurs rivalités,leurs trahisons, leurs contrats,leurs aventures, obéissaient à unsystème unique... De récentesdécouvertes dans le domaine dela préhistoire permettent égale­ment d'entrevoir qu'une organi­sation systématique préside à ladisposition des figures dessinéessur les murs des cavernes... Enbiologie, vous savez que le rubanchromosique porte en code, enmessage chiffré, toutes les indi­cations génétiques qui permet­tront à l'être futur de se dévelop­per... L'importance de Lacanvient de ce qu'il a montré com·ment, à travers le discours dumalade et les symptômes de sanévrose, ce sont les structures, lesystème même du langage - etnan pas le sujet - qui parlent...Avant toute existence humaine,toute pensée humaine, il y auraitdéjà un savoir, un système, quenous redécouvrons...

3

J

Nous avons publié dans la Quin­zaine Littéraire (nO 2, r avril)une étude de Fra~ois Châteletsur fouvrage de Michel Fou­cault : Les mots et les choses.Ouvrage difficile, certes, maisdont François Châtelet a montréfimportance. Madeleine Chap­sai a demandé à Michel Fou­cault de préciser pour nos lec­teurs les directions essentiellesde la pensée philosQphique quis'exprime dans Les mots et leschoses.

M. F. ]!;n gros, confronté à unmonde historique que la traditionhourgeoise, qui ne s'y reconnais­sait plus, voulait considérer

En tant que philosophe, à quois'intéressait Sartre?

Quand vous dites «on s'estaperçu », «on », c'est qui?

M. F. D'une façon très sou­daine, et sans qu'il y ait appa­remment de raIson, on s'estaperçu, il y a environ quinze ans,qu'on était très très loin de lagénération prééédente, de lagénération de Sartre, de Merleau­Ponty - génération des TempsModernes qui avait été notre loipour penser et notre mod~le pourexister...

• ENTRETIEN•••••••••••

M. F. La génération des geDi!qui n'avaient pas vingt ans pen­dant la guerre. Nous avons éprou­vé la génération de Sartre commeune génération certes coura­geuse et généreuse, qui avait lapassion de la vie, de la politique,de l'existence... Mais nous, nousnous sommes découvert autrechose, une autre passion : la pas­sion du concept et de ce que je• nommerai le «système »...

~@A9

•••••••••• Vous avez 38 ans. VGUS êtes• fun des plus jeunes philosophes.• de cette génération. Votre der-• nier livre, Les mots et les -choses,• tente f examen de ce qui a tota-• lement changé, depuis vingt ans,

dans le domaine de la pensée.L'existentialisme et la pensée deSartre, par exemple, sont, d'aprèsvous, en train de devenir desobjets de musée. Vous vivez, ­et nous vivons sans encore nousen apercevoir - dans un espaceintellectuel totalement renouvelé.Les mots et les choses, qui dévoileen partie cette nouveauté, est unlivre dil/icile. Pouvez-vous un

• peu plus simplement (même si•• cela ne doit plus être aussi jus-• tement) répondre à cette ques-• tion: où en êtes-vous? Où en• sommes-nous?•••••••••••••••••••

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de la réforme

une révolutiontechniqueau service

del'enseignement

Page 15: La Quinzaine littéraire

Les figures reproduitessur ces deux pages sont empruntéesà la Pl&ilo8oplaie boIMique deLinné. Elles représentent le systèmegéométrique auquel ohéit la dispositiondes feuilles dans les hourgeons.En voici la tahle donnée par Littré.

Fo'i.'iora d•• l.uiU•• <_pH. "..•.,.,-za..,.,)1 : convolutées. 2 : involutées~ 3: révolutées.4: condupliquées. 5: embriquées. 6: chevauchantes.7 : ohvolutées. 8: pliées. 9: convolutées.10: involutées opposées. 11 : involutées altemes.12: révolutées opposées. 13: chevauchantes à double sens.14: chevauchantes triquètres.

Propos recueillüpar Madeleine Chapsal

M. F. Abstraite? Je répondrlÛceci: c'est l'humanisme qui estahstrait! Tous ces cris du cœur,toutes ces revendications de lapersonne humaine, de l'existence,sont ahstraites: c'est-à-dire cou­pées du monde scientifique ettechnique qui, lui, est notre mon­de réel. Ce qui me fâche contrel'humanisme c'est qu'il est dé­sormais ce paravent derrièrelequel se réfugie la pensée la plusréactionnaire, où se forment desalliances monstrueuses et impen­sables : on veut allier Sartre etTeilhard par exemple... Au nomde quoi? de l'homme! Quioserait dire du mal de l'homme !Or, l'effort qui est fait actuelle­ment par les gens de notre. géné­ration, ça n'est pas de revendi­quer l'homme contre le savoir etcontre la technique, mais c'est·précisément de montrer que notre·pensée, notre vie, notre manièred'être, jusqu'à notre manièred'être la plus quotidienne, fontpartie de la même organisationsystématique et donc relèvent desmêmes catégories que le mondescientifique et technique. C'est le« cœur humain» qui est abstrait,et c'est notre recherche, qui veutlier l'llomme à sa science, à sesdécouvertes, à son monde, qui estconcrète.

Je crois que oui...

Ntempêche que cette nouveUeforme de pensée, chiffres ou pas,apparaît comme froide et bienabstraite...

M. F. Je vous répondrai qu'ilne faut pas confondre la tiédeurmolle des compromis et la froi­deur qui appartient aux vraiespassions. Les écrivains qui nousplaisent le plus, à nous «froids»systématiciens, se sont Sade etNietzsche, qui, en effet, disaient« du mal de l'homme ». N'étaient­ils pas, aussi, les écrivains les pluspassionnés ?

ment pas les disciplines fondamen­tales qui nous permettraient decomprendre ce qui se passe cheznous - et surtout ce qui se passeailleurs... Si l'honnête homme,aujourd'hui, a l'impression d'uneculture barbare, hérissée de chif­fres et de sigles, cette impressionn'est due qu'à un seul fait:notre système d'éducation datedu· XIX' siècle et on y voit régnerencore la psychologie la pluafade, l'hqmanisme le plus désuet,les catégories du goût, du cœurhumain..; Ce n'est ni la faute dece qui se passe, ni ]a faute del'honnête homme, s'il a le senti­ment de ne plus rien y compren-

.dre, c'est la faute de l'organisa­tion de l'enseignement.

Ce qu'il y a c'est que l'honnêtehomme se sent dépassé... Est-cela f.ondamnation de la bonneculture générale, n'y aura-t-ilplus que des spécialistes?

Où ce mouvement a-t-il, prisnaissance?

Jusqu'où a déjà pénétré cettepensée?

M. F; Ce qui est condamnéça n'est pas l'honnête homme,c'est notre enseignement secon­daire (commandé par l'humanis­me). Nous n'apprenons absolu-

frappé de stérilité depuis desannées tout le travail intellec­tue!...). Notre tâche est de nOU8affranchir définitivement de l'hu­manisme et c'est en ce sens quenotre travail est un travail poli­tique, dans la mesure où tous lesrégimes de l'Est ou de l'Ouestfont passer leur mauvaise mar­chandise . SOUIr le pavillon del'humanisme... Nous devons dé­noncer toutes ces mystifications,comme actuellement, à l'intérieurdu P.C., Althusser et ses compa­gnons courageux luttent contre le« chardino-marxisme »....

M. F. Ces découvertes ont unepénétration très forte dans cegroupe mal définissable desintellectuels français qui com­prend la masse des étudiants. etles professeurs les moins vieux. Ilest très évident qu'il y a dans cedomaine des résistances, surtoutdu côté des sciences humaines.La démonstration qu'on ne sortjamais du savoir, jamais du théo­rique, est plus difficile à meneren sciences humaines (en littéra·ture en particulier) que lors­qu'il s'agit de lo/!ique et de ma­thématiques.

M. F. Il faut tout le narcIssIs­me monoglotte des Français pours'imaginer comme ils lefont - que ce sont eux quiviennent de découvrir tout cechamp de problèmes. Ce mouve­ment s'est développé en Améri­que, en Angleterre, en France, àpartir de travaux qui avaient été,faits aussitôt après la premièreguerre mondiale dans les pays delangues slaves et allemandes.Mais alors que le «new criti­cism» existe aux U.S.A. depuisune bonne quarantaine d'années,que tous les grands travaux delogique ont été faits là-bas et enGrande-Bretagne, il y a encorequelques années on comptait surles doigts les linguistes français...Nous avons une conscience hexa­gonale de la culture qui fait queparadoxalement de Gaulle peutpasser pour un intellectuel...11J

Où est la politique là-dedans?

Dans tout cela, que devientl'homme. Est-ce une nouvellephilosophie de l'homme qui esten train de se construire? Toutesvos recherches ne relèvent-ellespas des sciences humaines?

L'humanisme?

M. F. Eh bien, les problèmesdes rapports de l'homme et dumonde, le problème de la réalité,le problème de la création artis­tique, du bonheur, et toutes lesobsessions qui ne méritent ahso­lument pas. d'être des problèmesthéoriques... Notre système nes'en occupe absolument pas.Notre tâche actuellement est denous affranchir définitivement del'humanisme et en ce sens notretravail est un travail politique.

Mais quels problèmes?

M. F. En apparence, oui, lesdécouvertes de Lévi-Strauss, deLacan, de Dumézil, appartien­nent à ce qu'il est convenu d'ap­peler les sciences humaines;mais ce qu'il y a de caractéris­tique, c'est que toutes ces recher­ches non seulement effacentl'image traditionnelle qu'on s'étaitfaite de l'homme, mais à monavis elles tendent toutes à rendreinutile, dans la recherche et dansla pensée, l'idée même del'homme. L'héritage le plus pesantqui nous vient du XIX· siècle ­et dont il est grand temps denous débarrasser - c'est l'huma·nisme...

ne connais pas, et qui reculera àmesure que je le découvrirai,qu'il se découvrira...

M. F. L'humanisme a été unemaDlere de résoudre dans destermes de morale, de valeurs, deréconciliation, des problèmes quel'on ne pouvait pas résoudre dutout. Vous connaissez le mot deMarx? L'humanité ne se poseque des problèmes qu'elle peutrésoudre. Je crois qu'on peutdire : l'humanisme feint derésoudre des problèmes qu'il nepeut pas se poser!

M. F. Sauver l'homme, redé­couvrir l'homme en l'homme, etc.c'est la fin de toutes ces entre­prises bavardes, à la fois théori­ques et pratiques, pour réconci­lier, par exemple, Marx etTeilhard de Cllardin (entreprisesnoyées d'humanisme qui ont

9

Nous qui ne sommes pas phi­losophes, en quoi tout cela nousconcerne-t-U ?

Sartre nous avait appris laliberté, vous nous apprenez qu'iln'y a pas de liberté réelle depenser?

Mais alors, qui sécrète cesystème?

M. F. A toutes les époques, lafaçon dont les gens réfléchissent,écrivent, jugent, parlent (jusquedans la rue les conversations etles écrits les plus quotidiens) etmême la façon dont les genséprouvent les choses, dont leursensibilité réagit, toute leurconduite est commandée par unestructure théorique, un système~

qui change avec les âges et lessociétés - mais qui est présentà tous les âges et dans toutes lessociétés.

Quel serait le système d'aujour­d'hui?

Mo F. Qu'est-ce que c'est quece systeme anonyme sans sujet,qu'est-ce qui pense? Le «je ~

a explosé (voyez la littératuremoderne) - c'est la découvertedu «il y a ». Il y a un on. D'unecertaine façon on en revient aupoint de vue du xVI~ siècle, aveccette différence : non pas mettrel'homme à la place de Dieu, maisune pensée anonyme, du savoirsans sujet, du théorique sansidentité...

En ce faisant, étiez-vous alorsau-delà du système ?

M. F. Pour penser le système,j'étais déjà contraint par un sys­tème derrière le système, que je

M. F. On pense à l'intérieurd~une pensée anonyme et contrai­gnante qui est celle d'une époqueet d'un langage. Cette pensée etce langage ont leurs lois detransformation. La tâche de laphilosophie actuelle et de toutesces disciplines théoriques que jevous ai nommées c'est de remet­tre au jour cette pensée d'avantla pensée, ce système d'avanttout système... Il est le fond @ourlequel notre pensée « libre»émerge et scintille pendant uninstant...

M. F. J'ai tenté de le mettre àjour - partiellement - dans Lesmots et les choses.

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966 15

Page 16: La Quinzaine littéraire

-ARTS

Arts des pays d'ouest

François EygunArts des [Jays d'ouest292 photos, 4 hors-textesColl. Art et PaysagesArthaud éd.

Ces «pays d'ouest» qui fontrohjet du bel ouvrage de Fran­çoi-s Eygun, sont ceux de l'ouestde la France: Poitou, Angou­Illois, Aunis et Saintonge, c'est­li-dire Charente et Charente­Maritime, Vendée, Deux·Sèvreset Vienne. L'exploration archéo­logique de ces provinces prendtrès vite il nos yeux un caractèreattachant par le fait que ce livren'est l'as né entre les murs d'unehihliothèque, qu'il est le fruitd'tme expérience personnelle etnon d'une érudition de lcctures.L'auteur, conservateur des Anti­ltuité!" historiques de la régionPoitou·Charente, vit dans cespays qu'il a parcourus jusquedans leurs recoins les plus igno­rés, y intenogeant chaque monu­ment, chaque vestige et, pourainsi dire, chaque pierre, entre­prenant lui-même des fouilles etregardant toute chose avec laprudence d'un savant et l'émo­tion d'un artiste. C'est ce quilui a permis, à l'exemple deVayson de Pradenne dénonçantles impostures du pharmacienMeillet qui grava des caractèressanscrits sur des ossementspréhistoriques pour étayer sesthèses, de faire justice de cel"tains maniaques de la falsifica·tion, tel l'archéologue BenjaminFilIon dont les assertions men­songères ont «empoisonné lessources de l'histoire bas-poite­vine ».

L'Art des pays d'ouest com­mence avec un bois de renne ornéde deux cervidés, découvert dansune /!rotte de la Charente, etqu'on tient pour la plus ancienneimal-(e !tl'avée par la main del'homme quaternaire. L'omhrequi s'étend sm' ces temps de lapréhistoire, à peine moins épaissepour la pt:riode gallo-romaine,s'éclaircit un peu plus avec cha­que découverte, l'histoire d'unmonument, d'nne é1-(1ise primi­th-e, d'une ville ou d'une villa,sUl'/!issant des profondeurs de latCITe d'oiJ sont mis au jour, anhasard des fonilles, des pans dl"nmr, des marbres sculptéll, desobjets de bronze. Ici, c'est la trèsbelle Minerve du Musée 0 de Poi-

o tie,'s, tronvée en 1902, enfouiedanll les jardins de l'ancien hôtel(lc Lusi/!nan, là c'est une lIépul­tnrc du ml' siècle contenant lesrestes (l'une jeune artiste ense­velie avec ses boîtes de couleurset sa palette en basalte, auteursupposé des décors d'une villaromaine voisine, à Saint·Médard­des-Prés.

Dans ces régions si fortementimprégnées (le la conquête deCésar et oiJ le christianisme cOln­men<;a de se répandre à partirdu III' siècle, il n'est pas surpre­nant que des souvenirs romains,

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eux-mêmes marqués d'influencesbyzantine et orientale, se trou­vent mêlés à la fondation deséglises mérovingiennes et carolin­giennes. Ces églises constituent lepremier chaînon d'une continuitéarchitecturale qui traversera lespériodes préromane et roman..ejusqu'au gothique longtempsattardé en terre poitevine. Bienque les monuments préromans(Saint-Hilai,'e et le baptistèreSaint-Jean, à Poitiers, les églisesde Civaux, de Saint-Martin deLigugé, de Saintes, entre autrcs 1forment le plus importantensemble consel'vé en France decette époque, les découvertessont loin d'être terminées. Enhien des endroits, des fouillessérieuses n'ont été entreprisesque depuis peu d'années. Enrevanche, combien de destruc·tions malheureuses sont à déplo.rel', et l'époque n'est pas si loin­taine où les paysans s'emparaientdes sarcophages mérovingiens

-pour en faire des auges pour leurbétail. D'autre part, les ruineslaissées par les invasions norman·des et arabes, notamment enSaintonge, ont à jamais engloutiquelques-uns des hauts lieux dumonachisme: cinq monastèresseulement restaient dehout audébut du IX" siècle.

Il est très intéressant de SUIvreFranc;.ois Eygun dans son étudedes interpénétrations de stylesqui nous trouhlent tant lorsquenous visitons une église où nous

J>ése&.mère, XV' siècle.

ne pouvons pas toujours discer·ner le carolingien du roman, auxconfins imprécis. A l'intérieurmême de l'époque romane, l'au­teur établit deux périodes dis­tinctes, la première recouvrantle XII' siècle et le dépassant jus­que vers 1130, la seconde allantjusqu'à la fin du XII'- siècle. Les(leux périodes ont laissé de nom­breux édifices dont les plusimposants et les plus connus sont,pour la première, Saint-Savin·SUI-Gartempe, et, pour la seconde,

la cathédrale d'Angoulême. Maisque de chefs·d'œuvre de pierrenous sont offerts par de pluspetites et moins célèbres églises:Echillais, Avy-en-Pons, Corme­Ecluse, Talmont·en-Gironde, dansla Charente-Maritime, Civray,dans la Vienne, Plassac, en Cha­rente, Saint-Jouin-de-Marnes, dansles Deux.Sèvres, et les magnifi­ques abbayes de la Tenaille etde Maillezais. Du XIe au XIIe siè­cle, on ne peut observer de réellediscontinuité dans les construc­tions, mais la décoration sculptéese développe et s'affine sousl'influence des artistes de l'An­goumois et de ceux de la Sain­tonge qui pousseront très loinl'exubérance des ornements alorsque l'art poitevin reste sobredans le réalisme des scènes figu­ratives, dépourvues d'élémentsinutiles. La cathédrale Saint­Pierre d'Angoulême, construiteau premier tiers du XII" siècle,marque l'apparition de ce foison­nement ornemental qui faisaitsurgir personnages sacrés etmonstres fabuleux d'une junl!lede rinceaux et de lianes.

A propos de l'intérêt qu'onprenait alors à cette zoologie fan·tastique répandue sur les murs etles chapiteaux, l'auteur cite unpassage du cartulaire de l'abbayeNotre·Dame de Saintes autorisant,en termes peu courtois, les reli­gieuses à capturer chaque annéequelques bêtes sauvap;es adrecreandam femineam imbecilli­tatem...

Parmi les plus curieusesconstructions étudiée3 par Fran­çois Eygun, signalons l'églisemonolithe d'Aubeterre, au sudde la Charente, taillée à même leroc avec ses hauts piliers réservésdans la masse et son cimetière,également creusé dans la paroirocheuse, récemment découvert,rempli de sarcophages.

Les nouvelles formes architec­turales que le gothique poitevinapporta d'abord à l'achèvementd'églises commencées à l'époqueromane, naquirent en Anjou autemps d'Aliénor d'Aquitaine etde Henri II d'Angleterre. C'estpourquoi ce nouveau style futappelé «gothique angevin» ou« gothique Plantagenet ». Sonpremier essai au Poitou fut lacathédrale Saint-Pierre, à Poi·tiers, qui a conservé de cetteépoque une partie de ses admi·l'ables vitraux. Mais cette provinceétait si bien pourvue en solidesédifices romans que le gothiquene s'y imposa pas d'une façontrès étendue. Les nouvelles solu·tions qu'il apportait au problèmeùe la voûte intéressaient pour­tant les bâtisseurs et ceux qui enadoptèrent les principes lesconservèrent longtemps, résistantainsi am, modes importées d'Italiesous la Renaissance. Même aprèsles destructions des guerres dereligion et les mutilations duesaux Huguenots, plusieurs églisesrénovées au XVIIe siècle le furentselon les normes de la construc·

Donjon de Bois-Gounnond.

tion gothique. Seule la décora­tion s'inspirait du goût nouveauet c'est alors qu'apparurent cesretahles monumentaux et baro­ques où s'exhibait l'opulence dela Contre-Réforme.

C'est donc surtout dans l'archi­tecture civile que la Renaissancetrouva lc mieux à s'épanouir. Ilfallut le retour à la sécJlrité pourque grands et petits seigneurs,abandonnant leurs donjons etleurs châteaux-forts, se fissentconstruire d'élégantes demeuresoù l'on accédait par d'accueillantsjardins. Le château de Bonnivet,dans la Vienne, en fut le plusprestigieux exemple avec celuide Roche·Courbon, en Saintonge.D'autres, plus modestes, cachentdans la campagne la pureté deleurs lignes gracieuses ou austè·l'es: la Roche·du-Maine et Chi·tré, dans la Vienne, La Rochc­foucauld et Breuil, en Charente,et, dans la Vienne encore, Scorbé·Clairvaux dont le charme mélan·colique semblait faire présagerses ruines et qui vient d'êtreacheté en vue de sa restauration.Car l'abandon guette aujourd'huibeaucoup de ces belles et tropvastes demeures, et l'auteurconstate avec dépit que rEtatn'ose plus classer ce qu'il ne peutplus entretenir.

Ce trop bref aperçu sur lecontenu d'un livre riche en docu­mentation et abondamment illus·tré de photographies excellentes,ne peut donner qu'une faible idéede toutes les investigations aux­quelles l'auteur s'est livré. L'ou­vrage se termine par des chapi­tres sur les fresques, les vitraux,les manuscrits enluminés, lessceaux et les artisanats de cescontrées qui ne sont pas les plusparcourues de France. Précieuxguide, qui sera pour beaucoupune révélation, et dont on nesaurait plus désormais se passerpour explorer à travers le tempset sur leurs chemins d'aujour­d'hui ces pays de l'ouest où lespierres échafaudées et sculptéesconservent dans leur beauté etdans leurs blessures la trace degrandes passions humaines etinhumaines.

Jean Selz

Page 17: La Quinzaine littéraire

Dubuffet à Londres

Catalogues des travauxde Jean DubuffetFascicules parus:1. 5, 6, 15, 16, 19Jean-Jacques Pauvert, éd.

Au moment où la parution despremiers fascicules de son cata­logue commence à donner unevision d'ensemble des travaux deJean Dubuffet, trois expositionsviennent de s'ouvrir à Londres,consacrées à celui que les jour­naux de la capitale britanniquen'hésitent pas à qualifier de plusgrand peintre français vivant.La première, organisée par laTate Gallery, groupe cent vingt­neuf tableaux couvrant les diffé­rentes époques de l'œuvre. Lesdeux autres - à l'Institute ofContemporary Art et à la galerieFraser - présentent des dessin8appartenant à l'artiste ainsi quesa série récente dite des Usten­siles utopiques.

Elles permettent de vérifierl'importance d'un art qu'on atrop souvent applaudi ou refusépour l'avoir cru voué aux hasardsde l'anti-peinture alors que soneffort dominant consistait, aucontraire, à recréer la peintureafin d'élargir les conquêtes etannexions de fhomme sur lesmondes qui étaient ou lui sem·blaient hostiles, ainsi que Dubuf­fet a pu l'écrire.

Sortir l'art de sesohambrages

Le terme d'art brut, en effet,qu'il a employé pour justifier satentative ne marque qu'impar­faitement le sens de l'œuvre dupeintre. Ses échecs répétés qui, àdeux reprises, l'amenèrent àrenoncer à peindre avant de par­venir· à ses réussites de la matu­rité sont révélateurs .le l'étenduedes contradictions qu'il lui a fallusurmonter. Lorsque, dans unep,remière période, il s'ill8pire dela peinture des foires qu'il croitplus vraie parce que plus naïve,il rencontre l'écueil d'une tradi·tion larvée qui dispose son écranentre la 'conscience et l'universréel; elle exprime moins cequ'elle voit qu'elle ne traduit cequ'elle sait; elle impose saconception normative et, neserait la maladresse du métier,.tend vers un imaginaire descrip­tif en tous points semblable àcelui de la peinture du passé.

Lorsque, plus tard, il prospec­tera les régions conjointes de lapeinture enfantine et-de l'art desfous, il pensera à tort atteindreles profondeurs. L'enfant, ou lefou, ne se possède tout à fait~ l'unest artiste pour ainsi dire par mi­racles réitérés tandis qu'il s'enfa~~t de beaucoup que l'expressionde l'autre, confrontée à son trou-ble, incarne la liberté. .

La création artistique repré­sente un domaine ouvert à tout

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

le monde. Tout le monde estpeintre; peindre, c'est commeparler ou marcher. Sous peine dese heurter à une impasse, ilconvient de sortir l'art de seschambrages, écrit-il encore. Du­buffet poursuit d'abord unerecherche passionnée des com­mencements mais c'est, aussi, enmontant à la pointe de l'art mo­derne qu'il parviendra à inventerun système de signes pourvu del'efficacité nécessaire pour creverle décor classique et mettre à nul'univers dans lequel nous vivons.

L'individu en oompletveston

Les portraits qu'if exécute deses amis écrivains où poètes:Henri Michaux, Antonin Artaud,Joë Bousquet, Jean Paulhan,durant les années 1945 à 1950,puis la suite imposante des Corpsde dames constituent le niveauzéro à partir duquel s'effectue sadouble progression vers la pein­ture et vers la réalité. Emprun­tant l'écriture grêle des graffiti,ils montrent l'intellectuel auteint terreux, aux cheveux rares,aux dents jaunies et cariées, ainsique la concierge et la caissièredans la cinquantaine, installéesdans l'affaissement de leur chair.Grâce à leurs textures épaisses,toutefois, à leurs circuits, à leursmiroitements, à quoi se ramènentles tableaux, ils deviennent beaux.Il n'y a pas jusqu'aux moindresrides, au plissement des tissus,aux hématomes, qui n'accèdent àl'évidence picturale.

La ressemblance n'est rien enart. Si le Doryphore possède unetête sphérique, ce n'est pas parceque celle du modèle dont s'inspiraPolyclète était ronde, mais pourla simple raison que, dans laGrèce antique, la géométrie ex­prime la perfection. Seule comptela vrnie-semblance pour reprendreune expression de Robert Lapou­jade, qui raccorde la figure hu­maine à son temps. Dans lespremières toiles où il parvient àune forme créatrice, c'est l'imagegréco-romaine de l'éphèbe muscléque casse Dubuffet et qu'il rem·place par celle de l'individucontemporain privé de ciel intel·ligihle, de l'individu déjeté, - encomplet veston.

Un peintrematériologue

Les Sols et terrains, d'autrepart, instaurent une dialectiqueserrée du matériau et de la main,une pratique active de l'acciden­tel, une non-forme qui prend ets'informe peu à peu. Paysagesmentau.'t ou lieux momentanés,ils expriment le délaissement etl'absurdité de la conscience, évo­quent les génocides, les charniers,.célèbrent un évolutionnismevisionnaire et pessimiste, à. lafinalité biaise, surgissant du fond

des âges. Le peintre ne se contentepas d'y dévoiler le réel, mais ille découvre théâtre grotesqueaussi bien que soupe continueuniverselle à intense saveur devie, le transmue, le perce à jour.

Après la transition des Ta­qleaux d'assemblages composésde morceaux de toile préalable­ment recouverts de· macu1ationset de taches, découpés, puis oolléssur l'écran plastique, ils aboutis­sent aux T exturologies et auxSubstances d'astres qui, de chaquepeinture, font une gigantesquerêverie de la matière, au sensprimordial où l'entend laréflexion bachelardienne. Unevision du monde, une éthique,une métaphysique qui préten­daient, au départ, exclure tout

Dubuffet: Li' Har, 1965.

problème de style sont commeabsorbés - et confirmés - parl'art.

Les deux dernières séries del'artiste, L'Hourloupe et lesUstensiles utopiques, viennent leconfirmer. Les? toiles de la pre­mière série constituent des sortesde réseaux extensibles à l'infinidrainant dans leurs mailles unefoule entière d'oisifs qui para­dent, de filles, de souteneurs, devoleurs à la tire qui ne pensentqu'à se moquer ou à. vous jouerun mauvais tour. Leurs visagesmalins, leurs corps déformés parles bousculades, l'espace des trot­toirs qu'ils remplissent jusqu'aubord sont autant d'aplats peintsau vinyl de couleur vive cernéede noir qui s'imbriquent les unsdans les autres selon une stricteéconomie.

Les Ustensiles utopiques, enfin,appliquent un schéma analogueaux objets d'usage courant aper­çus le plus souvent en gros plan.Dubuffet ici rejoint Léger.Comme lui, il envisage tout cequi ne possède en soi, selon lesnormes fondées sur le bon goût,aucune valeur artistique: lesbrouettes, les chaises, les ciseaux,les réchauds à gaz, les machines

à écrire, les cafetières, les robi­nets, les lavahos. Comme lui, ilen fait des œuvres fortes, auxcontours décidés, d'une grandepuissance monumentale. Il enarrive à forcer l'accès des objetsmassifs de la civilisation techni­cienne, à en cerner les mécanismescompliqués. Il introduit le regardau centre de l'univers de la fabri­cation à la chaîne et de l'usinage.

Durant la deuxième guerremondiale, Dubuffet a exécuté unpetit nombre de toiles très pro­ches de la manière des peintresqui allaient se grouper sous ladénomination de Nouvelle Ecolede Paris. Dans celles-ci, telles queMétro ou la Grande traite soli·taire, on rencontre le même souci

que chez Estève ou chez Pignonde remplacer l'espace euclidientridimensionnel par une spatia­lité plus dynamique, la mêmeutilisation des. couleurs vibrantes.Si Dubuffet s'est éloigné ensuitede cette manière qu'il jugeaittrop savante, il en donne aujour­d'hui, au terme d'un long détour,une des formulations les mieuxabouties.

Le peintre a toujours déclaréne vouloir tenir aucun comptedes préoccupations d'ordre esthé­tique. L'art des musées lui sem­ble un terrible fiasco ; les musées·sont des temples, remarque-toi!,où l'on va comme au cimetière,le dimanche après-midi enfamille, sur la pointe des pieds,en parlant à voix basse. Lapeinture moderne vit dans un airraréfié qui l'essoufle et la rendanémique, en même temps qu'elleprocède tout par secrets et all,t­sions dont il faut avoir le& clés.

Le moindre paradoxe del'œuvre de Dubuffet, lorsqu'on laconsidère dans son ensemble,n'est sans doute pas de rejoindrel'art moderne sans pour autant serenier et d'occuper désormais saplace culturelle au musée !

Jean-Louis Ferrier

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Page 18: La Quinzaine littéraire

PHILOSOPHIE LINGUISTIQUE

En finir avec« l'asinité»

elles-mêmes codi­une vérité qu'elle

André RegnierLes infortunes de la raisonLe Seuil. éd.

Les hommes ont appris à aimerles vérités bien rondes. Que letissu de leur parole soit inachevé,ils le savent; mais peu leur im­port~. Quelque part, au delà del'exprimé, vit, ils le croient, lemonde rassurant de l'exprimable.Sages. et apprivoisées, les chosesJes attendent: un chat sera tou­jours un chat.

Jadis Gn appela «asinité ~ cetteadhérence animale au contenud'une. vérité toute laite. C'étaitaux temps, aujourd'hui nomméshéroïques, où naissait la sciencemoderne.

Un bon remède contre r « alli­nité ~ de notre temps: le livred'André Regnier: Les infortunesde la raUon.

André Regnier est un mathé-. maticien, un fabricant de théo­rèmes, et on lui en doit quelques­uns. Mais, en homme d'humour,il sait prendre ses distances. Ré·sultat? La mathématique, tou­jours sévère, devient personnagede comédie. Convoquant surscène les bonnes figures de laraison (la Causalité, la Logique),elle les force à s'expliquer et, ­quelle honte! - à avouer leurâge: elles ne sont plus tout àlait d'aujourd'hui. Elles, quiétaient venues gonflées de vérité,égales à l'inépuisable nature, lesvoici maintenant contraintes às'effacer, réduites à leùr justemaigreur, pour qu'enfin soitnourrie une raison plus jeune.

Le livre de Regnier est court,mais si riche et si précis que toutrésumé serait trahison. Le lecteury.apprendra ce qu'est un «mo­dèle» et la distinction, classiquedepuis Duhem, entre «modèlesnominaux» et «modèles réels ».Dans' les premiers, on construit,à partir des phénomènes, unereprésentation compatible' avecfiées, de l'expérience. Leur vtlrtuprincipale est leur cohérence,

obtenue à force d'hypothèsesrestrIctIves et souvent draco­niennes. Quant au réel, on ledéclare non concerné, évanoui enfumées algébriques. Dans lesseconds, on prend au sérieux lepoids des choses : on propose,des mêmes phénomènes, unereprésentation qui traduise lastructure cachée des êtres, sup­posés réels, qui les manifestent.Réalisme ou nominalisme? Onne peut trancher d'un mot.L'existence et le succès relatifde chaque espèce de modèle,témoignent des insuffisances del'autre. La physique n'offre pasde critère ultime, ni logique, nid'expérience, qui nous permetted'écarter à jamais l'un· au profitde l'autre: première infortuned'une raillon vieillissante et qui.,pour sun'ivre, ne peut renoncerà la cohérence de ses codes. nià la richesse de ses objets.

Et si cette apparente vieillessen'était que la fin d'une longueenfance? Cette conclusion estsuggérée par Regnier dans l'excel­lente analyse qu'il donne duconcept de causalité classique. Ilest toujours possible, sous cer­taines hypothèses, de construireun modèle causal rigoureux(Cf. le système théorique nommé«mécanique rationnelle») .L'usage d'un tel modèle peutpermettre de coordonner desensembles de phénomènes et deles dominer pratiquement (Cf.les applications de la mécanique).Mais il serait aventureux ctnaïf de tirer de ces succès par­tiels l'idée qu'existe une néces­sité naturelle - un règne absoludes lois - dont la mécaniquedonnerait l'ultime mesure. Brel,de s'imaginer que la nature nepeut offrir qu'une seule espècede connexions: celles que lastructure et l'usage de nos mo­dèles imposent aux phénomènesdont elle est le siège. Comme sielle-même avait déjà dit et expli­cité ce que nous découvronsd'elle. Comme si elle venait ànotre rencontre avec un visagecomplice, pour lious chuchoter'

les données,sur elle-mêmesaurait déjà.

Faut-il désespérer? Renoncerà l'entreprise de la connais­sance? Déclarer la raison dépas­e.ée et chercher refuge dans qUel­tIue au-delà? Nullement. L'ana­lyse des phénomènes que nousobservons .dans la nature nousmontre qu'elle possède un clan­gage~, si on appelle c langage »un système de signaux coor­donnés. Ce langage comportepeut-être une infinité ouverte dec sous-Iangages ~ et renvoie parconséquent à une infinité decodes. Mais cela ne signifie pas(lue la nature ait connaissancede ces c langages» et de leursconnexions. Nous seuls, lei!hommes, pouvons parvenir àcette connaissance. Nous «déco­dons» Ja nature. Et dans ce tra­vail nous sommes encore desapprentis.

Nominalisme ou réalisme?Regnier conclut en optimiste auréalisme: un réalisme ouvertdans lequel jamais on ne substi­tue au réel le modèle toujourspartiel et figé qui nous permetde déchiffrer ces signaux.

Cette brève histoire des infor­tunes récentes de la Raison estun bilan de la science d'hier.Après avoir lu Regnier, on resteun peu sur sa faim. On voudrait"avoir avec plus de précision cequ'il appelle «le langage de lanature»: cette langue que lanature parle et dont elle ne saitrien. Mais le bénéfice est déjàgrand d'être débarrassé de quel­ques faux problèmes, nés dufétichisme qui a projeté dans lanature une forme aujourd'huiexténuée de la rationalité. S'entenir à cette forme, la prendrepour la seule mesure des choses,remâcher à l'infini avec amer­tume le constat de ces insuffi­sances, et pour finir accueillirl'insolite comme le salut, en <'-claconsisterait «l'asinité» de notretemps. De ~cela, le livre de Re­gnier contribue à nous délivrer.

lean-Toussaint Desanti

Henri LefebvreLe langage et la sociétéCollection IdéesGallimard éd.

Quand noUS allons à la fon­taine, quand nous traversonsla forêt, nous traversons tou­jours déjà le nom fontaine, lenom forêt, même si nousn'éno~ons pas ces mots, mêmesi nous ne pensons pas à lalangue. Heidegger

Le langage est à l'ordre de lapensée. En ce sens le livre impor­tant de Henri Lefebvre a le méritede l'actualité et si le lecteur n'estpas toujours convaincu par sesanalyses, il reste qu'il est confron­té à des problèmes sérieux. Dépa8~sant une lecture myope de l'ou­vrage, réfléchissons donc pournotre compte sur les questionssoulevées, quitte à conclure d'unefaçon parfois différente de cellede notre auteur.

Le langage se donne à nousdam deux dimensions contradic­toires et qui ne semblent pasdevoir se prêter à une douce syn­thèse. Dans l'expérience quoti­dienne, il est vécu comme l'outild'une pensée cachée, voire, pare.fois, comme le mur derrièrelequel cette pensée frappe sescoups sans toujours se faireentendre. Mais, d'autre part, ilcst ce par quoi naissent sujethumain et monde d'objets. C'esten entrant dans l'ordre du signi.fiant, en soumettant son Désir àla grande règle d'alliance etd'échange et en le faisant passerdans les défilés de la Demandeque l'homme se constitue commetel face à un monde, lui-mêmerésultat du rangement des im­pressions sensibles dans les caté­gories du sens. Nous n'avons pasd'un côté l'être pensant, del'autre, les choses organisées et,entr~ eux, les mots, moyens,dociles ou non, d'énoncer.

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Maurice Blondel

Tome IICARNETS INTIMES

27 F + t.1.400 pagea

''Ces notes brûlantes nous livrent au jour le jour lesecret de ce qu'il y a de plu~ rare et de plus beau en cemonde: l'intelligence illuminée par la grâce."

F. MAURIAC. Le Figaro Littéraire

les éditions du cerf':!?!'

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Un très grandouvrage ...Irremplaçablepour quiconqueveut comprendrenon seulementKennedy, malsle fonctionnementdes Institutionsaméricaines.

S. HoffmannLE MONDE

.ARTHUR M. SCHLESINGER' Jr.

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Page 19: La Quinzaine littéraire

Langage et société Encore des lieuxCOID.ID.uns

Cette fonction en quelque sortetranscendantale du langage sem·ble contestée par Henri Lefebvrequi nous parle d'un niveau sub·linguistique : douleur, besoin,plaisir, désir, vieillissement, mort,espace et temIJs:.. et d'un niveausupra-linguistique: les concepts,les universaux, les sens. (p. 317).

La situation se complique dufait qu'à l'intérieur du langage seconstituent d'autres ordres signi.fiants ou symboliques. Quelsque soient cependant les champssémantiques envisagés, on nepeut les détacher totalement dulangage. L'artiste qui organisedes· sons, des couleurs ou desforu,ies, le prêtre qui dit fairesigne vers l'au-delà de touteparole aussi bien que l'ingénieurdes Ponts - et . Chaussées quiconstruit un code de signalisa.tion routière sont des êtres quiparlent. Leur sol, leur réalité estl'espace découpé parle systèmedes mots. Toutes les œuvres dela culture, d'une façon ou d'uneautre, renvoient au langage parce

. qu'il n'y a aucun signifié qui luisoit extérieur. Comme l'écritMichel Foucault dans Les Motset. les Choses: Nous sommes,avant lit. moindre de nos paroles,déjà dominés et transis. par lelangage..

Henri Lefebvre n'admet pasque définir le langage commelieu de notre installation, c'estruiner toute philosophie du Sujet(celle·là même que Marx rejetait,comme le met si bien en reliefAlthusser), car une telle philoso.phie - que le Sujet soit l'Homme,Dieu, ou tout autre - nécessitedeux choses désormais exclues :un remembrement des discourspartiels et la possibilité d'uneconscience de soi du sujet en quiles discours trouvent leur unité.Le décentrement du Sujet qu'im.pose la prise au sérieux des tra·vaux de Freud - dans l'éclairagecp.1'en donne Lacan - rend illu·soires les lénifiantes perspectivesde « l'homme total ~, récupérantla totalité de ses œuvres, au delàde sa longue aliénation historique.

De quel promontoire, de quelsurplomb pourrions.nous dominerles diverses régions? Quel œilpourrait voir et se voir? Quipourrait dire et en même tempsn'être pas pris dans les rets mê­mes de ce grâce à quoi il dit?Exilés de la moiteur maternelledu Discours absolu qui répondaità toutes les questions, incapablesde nous satisfaire de cette mys-

. tique de la pauvreté que nousprésentent les philosophies del'ineffable, nous devons renoncerau désir fou de possession de soi.

Il nous reste à prendre acte dela multiplicité hétérogène des lan·gues. Des îlots privilégiés sontdéterminés .par le savoir antht:o­pologique. Il y a des sciences quiintègrent sans fin les donnéesd'un objet qu'elles construisentpar abstraction, découpage, bali­sage. Que toutes ces sciences pro­fitent des acquis de la linguistique

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

pour la double raison qu'il estfructueux de transposer un modèled'une sphère scientifique à uneautre, .et que, d'autre part - nousl'avons vu - toutes les régionsde la culture soient en quelquesorte des replis du langage lui­même, des métaphores, des redon­dances, qui s'en étonnerait? Ence domaine aussi la disparité del'ouvrage est grande. La sourcedu malentendu réside dans le faitqu'Henri Lefebvre ne distinguepas toujours les divergences entrehommes de· science et les oppo­sitions idéologiques. Au reste, ilsemble que la culture soit pour luiun champ clos où doit être menéle bon combat. Sous nos yeux seconstruit peu à peu un systèmed'oppositions et d'alliances qui,compte tenu du nombre d'auteursinvoqués, retenus ou révoqués,prend vite la dimension d'uneapocalypse. Le grand « ennemi :t,cependant, c'est Lévi-StraU88. Lescritiques dans le corps de l'ou­vrage ne suffisant pas, une foulede notes sont ajoutées, aussi pé­remptoires qu'allusives.

Très significatif, en tous cas,est le fait que ces critiques sontadressées au structuralisme et ja­mais aux recherches ethnologiquesconcrètes qu'une telle étiquetterecouvre. Or c'est d'abord à ceniveau que doit être démontrél'arbitraire de la méthode.

Les sciences humaines, pour malles nommer, sont de l'ordre de larecherche positive. Elles sont àévaluer en référence aux critèreset projets de la science. On nepeut ni leur demander ni leurreprocher d'être des conceptionsdu monde. C'est pourquoi on nesaurait confondre la linguistiqueet les domaines qui, peut-être unjour, lui appartiendront sous laforme d'une séméiologie générale,avec une réflexion sur l'être dulangage. On ne peut attendre dustructuralisme qu'il s'égare défi­nitivement dans les chemins d'uneméta.langue, s'érigeant en nou·veau Panglossisme, Lévi-Straussremplaçant Leibniz.

Quant à la pensée, elle se voitdans l'obligation de renoncer àtout savoir, à toute prospectivequi ne seraient pas scientifiques.L'être obscur du langage désarmeune pensée inquiète de lumièretotale. La tentation est toujoursgrande de réduire ce bloc compactau rang de «fonction relation­nelle:t, de dissoudre son opacitéen instrumentalité.

Mais peut-être nous est-il aucontraire donné de penser quel'homme n'existe pas et que laquestion : ça parle, mais quiparle? n'est que clôture narcis­sique. La pensée qui va jusqu'aubout du constat de notre finitudedécouvre un Jeu que personne nejoue.

Le temps est un enfant qui joueen dép~ant des pions; la royautéd'un enfant... disait Héraclite.

" André Akoun

Jacques EllulExégèse des nouveauxlieux communsCollection Liberté de l'EspritCalmann-Lévy éd.

Pour bien connaître une épo­que, les auteurs mineurs sontquelquefois aussi utiles que lesgrands noms. Flaubert et, aprèslui, Léon Bloy, nous ont· montréle profit que l'on pouvait tirer endescendant encore plus bas, jus­qu'à cette menue monnaie du lan­gage social que constituent leslieux communs : leur analyse

Jacques Ellul

constitue un moyen sûr de con·naître en profondeur une société,ses croyances, et ses incohérences.Jacques Ellul, qui est à la foisprofesseur à la Faculté de Droitd~ Bordeaux et membre du Con­seil national de l'Eglise réformée,s'est lancé à son tour dans l'exégèsede nos idées reçues, et il y ilapporté une véhémence, une ab­sence de ménagementé assez raresde nos jours. Tout y passe: le sensinéluctable de l'histoire, le carac­tère neutre de la technique, ladépendance du spirituel il l'égarddu progrès matériel, les mainssales de l'homme d'action (à monavis le meilleur chapitre du livre),la maturité du corps électoral, laliberté-par-le.travail. Les abus delangage, les impostures innocentesou rouées, les snobismes sont im­pitoyablement mis à nus - aurisque de froisser' bien des suscep­tiblités idéologiques.

On pourrait tenter de synthéti­ser le point de vue du Pr Ellulpar deux formules : tout se vaut,tout se tient. Tout se vaut : quevous soyez démocrate.libéral, mar·xiste, technocrate, vous êtes égale.ment dans l'erreur, car vouscroyez savoir ce que vous faites,alors que vous êtes tous lancésdans une course effrénée qui ne

débouche que sur le non-sens etle totalitarisme. Quelle que soitla voie choisie, elle aboutit fatale·ment à la mise en cage de l'indi­vidu expédié collectivement dansun Dachau, un sovkhose, un grou­pe dynamique, une escadrille deparas, un groupe professionnel(p. 114). On le voit, l'auteur' s'in­téresse peu aux nuances, ce qui leconduit à d'assez curieux amalga.mes.

Tout se tient: selon le Pr ElIuI,il y a une logique implacable qui.mène des choses les plus anodinesou les plus défendables en appa­rence aux conclusions les plussinistres. Vovez Voltaire : lors­qu'il glorifie -le travail, il annoncesans s'en rendre compte les campsde concentration - puisque lesnazis avaient inscrit « le travailrend libre ~ à la porte de cescamps. Ne soyons pas surpris decette façon de raisonner : un au­tre protestant, Karl Barth, n'a-t-ilpas déjà affirmé que la philoso­phie des 'Lumières était responsa­ble du nazisme? Et puis il' fautbien faire payer à Voltaire sonrefus d'admettre que l'infirmitéhumaine prouve la vérité du chris·tianisme. Mais puisqu'il s'agitd'apQlogie du travail, j'aurais ai­mé que l'auteur nous explique ­comme l'a fait Herbert Lüthydans Le Passé présent - le rôlequ'a pu jouer en ce domaine unecertaine éthique protestante...

Cependant il est sans douteassez vain de chicaner sur desdétails quand c'est toute l'histoirehumaine qui ést jugée et condam­née. A quoi bon relever l'erreurcommise sur Lacq (p. 125) : lefait que l'avenir du gisement soitassuré pour trente ans, ou que lesoufre obtenu comme sous-produits'exporte bien importe peu ­simple ralentissement dans unechute (ou plutôt une Chute) querien ne saurait arrêter.

On s'interrogera sur le bien­fondé d'une exégèse aussi destruc­trice. Le « souci d'une rigueurmorale, d'une cohérence intellec­tuelle, d'une continuité de vie ~

(p. 28) est trop rare et trop pré­cieux pour que l'on ne leur rendepas ici hommage. Mais la lecturede ce livre terminée, on constatequ'il n'y a aucune issue, que tout

.effort est vain ou nocif. D'où latentation de ne pas écouter cenihiliste qui ne propose aucunesolution constructive. Ce seraitdommage, car on a toujours be­soin d'un prophète qui rappellequelques vérités essentielles et nesoit pas simplement un idéologuecamouflé. Mais le livre n'est peut­être pas le meilleur support pource genre de propos : il me sembleque le talent du Pr Ellul seraitmieux utilisé si on lui confiait àla radio une chronique quotidien­ne du genre « la minute du mau­vais sens » ou « en direct contrevous ». La lucidité sélective de cetanarchiste puritain y serait bienutile.

BernGl'd Cazes

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Situation du linguiste

E. BenvenisteProblèmes de LinguistiquegénéraleGallimard éd., 360 p.

La preemmence actuellc desproblèmes du langage agacc cer­tains, qui y voient une modeexcessive. Il faudra pourtantqu'ils en prennent leur parti:nous ne faisons probablementque commencer à parler dulangage: accompagnée des scien­ces qui tendent aujourd'hui à s'yrattacher, la linguistique entredans l'aurore de son histoire:nous avons à découvrir le langa­ge, comme nous sommes en trainde découvrir l'espace: notre siè­cle sera peut-être marqué de cesdeux explorations.

Tout livre de linguistiquegénérale répond donc aujour­d'hui à un besoin impérieux dela culture, à une exigence desavoir formulée par toutes les6ciences dont l'objet est, de prèsou de loin, mêlé de langage. Orla linguistique est difficile àexposer, partagée entre une spé­cialisation nécessaire et un projetanthropologique qui est en traind'éclater au grand jour. Aussi leslivres de linguistique généralesont-ils peu nombreux, du moinsen français; il Y a les Elémentsde Martinet et les Essais deJakobson ; il V aura bientôt tra­duits, les Prolégomènes deHjelmslev. Il y a aujourd'huil'ouvrage de Benveniste.

C'est un recueil d'articles(unités normales de la recherchelinguistique), dont certains sontdéjà célèbres (sur l'arbitraire dusigne, sur la fonction du langagedans la découverte freudienne,

sur les niveaux de l'analyse lin­guistique). Les premiers textesportent sur une description de lalinguistique actuelle: il fautrecommander ici le très belarticle que Benveniste consacreil Saussure, qui, en fait, n'a rienécrit à la suite de son mémoiresur les voyelles indo-européennes,faute de pouvoir, pensait-il,accomplir d'un seul coup cettesubversion totale de la linguisti­que passée dont il avait he~oin

pour édifier sa propre linguisti­que, et dont le «silence» a ~a

grandeur et la portée d'un silenced'écrivain. Les articles qui sui­vent occupent les points cardi­naux de l'espace linguistique: lacommunication, ou encore: lesigne articulé, situé par rapportà la pensée, au langage animal ètau langage onirique: la struc­ture (j'ai évoqué le texte capitalsur les niveaux de l'analyse lin­guistique: il faut toignaler deplus le texte, fascinant de clarté,où Benveniste établit le systèmesublogique des prépositions enlatin: que ne nous a·t-on expli­qué cela quand nous faisions desversions latines: tout s'éclairepar la structur.e) ; la significa­tion (car c'est toujours du pointde vue du sens que Benvenisteinterroge le langage) ; la person­ne, partie, à mon sens, décisivede l'ouvrage, où Benveniste ana­lyse essentiellement l'organisationdes pronoms et des temps.L'ouvrage se termine sur quelquesétudes de lexique.

Tout cela forme le bilan d'unsavoir impeccable, répond avecclarté .et force aux questions defait que tous ceux qui ont quel­que intérêt pour le langage peu­vent se poser. Mais ce n'est pastouL Ce livre ne satisfait pas

seulement une demande actuellede la culture: il la devance, illa forme, la dirige. Bref, ce n'estpas seulement un livre indispen­sable; c'est aussi un livre impor­tant, inespéré : c'est un très beaulivre.

Lorsque la science dont on estspécialiste se trouve débordée parla curiosité d'amateurs de toutessortes, il est très tentant d'endéfendre jalousement la spécia­lité. Tout au contraire, Benve­niste a le courage de placer déli­bérément la linguistique audépart d'un mouvement trèsvaste et d'y deviner déjà le déve·loppement futur d'une véritablescience de la culture, dans lamesure où la culture est essen­tiellement langage; il n'hésitepatl à noter la nais!lance d'unenouvelle objectivité, imposée ausavant par la nature symboliquedes phénomènes culturels; loind'abandonner la langue au seuilde la société, comme si elle n'enétait qu'un outil, il affirme avecespoir que «c'est la société quicommence à se reconnaîtrecomme langue ». Or il est capitalpour tout un ensemble de recher­ches et de révolutions qu'un lin­guiste aussi rigoureux que Ben­veniste soit lui-même conscientdes pouvoirs de sa discipline, etque, refusant de s'en constituer lepropriétaire, il reconnaisse enelle le germe d'une nouvelleconfiguration des sciences humai­nes.

Ce courage se double d'une vueprofonde. Benveniste - c'est làsa réussite - saisit toujours lelangage à ce niveau très décisifoù, sans cesser d'être pleinemeutdu langage, il recueille tout ceque nous étions habitués à consi­dérer comme extérieur ou anté­rieur à lui. Prenez trois contri·

butious, des plus importanm:l'une sur la voix moyenne dcsverbes indo-européens, la secondesur la structure des pronomspersonnels, la troisième sur lesystème des temps en français;toutes trois traitent diversementd'une notion capitale en psycho­logie: celle de personne. OrBenveniste parvient magistrale.ment à enraciner cette notiondans une description purementlinguistique. D'une manière géné­rale, en plaçant le sujet (au sensphilosophique du terme) au cen~

tre des grandes catégories dulangage, en montrant, à l'occa­sion de faits très divers, que cesujet ne peut jamais se distin·guer d'une «instance du dis­cours~, différente de l'instancede la réalité, Benveniste fondelinguistiquement, c'est - à - direscientifiquement, l'identité dusujet et du langage, position quiest au cœur de bien des recher­ches actuelles et qui intéresseaussi bien la philosophie que lalittérature; de telles analysesdésignent peut-être l'issue d'unevieille antinomie, mal liquidée,celle du subjectif et de l'objectif,de l'individu et de la société, dela science et du discours.

Les livres de savoir, de recher­che, ont aussi leur « style ».Celui-ci est d'une très grandeclasse. Il y a une beauté, uneexpérience de l'intellect quidonne à l'œuvre de certainssavants cette sorte de clarté iné·puisable, dont sont aussi faitesles grandes œuvres littéraires.Tout est clair dans le livre deBenveniste, tout peut y êtrereconnu immédiatement pourvrai ; et cependant aussi, tout enlui ne fait que commencer.

Roland Barthes

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PSYCHOLOGIE

Un <curieUX> An1éricain à Paris

Un colloque à Parisavec l'Américain Carl Rogers :Réflexions pratiqueset théoriques dans les domainesdu conseil, de la pédagogieet de la thérapie

Organisé les 28, 29 et 30 avril,ce Colloque a été une sorte d'évé­nement. Il s'est déroulé dans unesalle de l'hôtel des IngénieursAr-ts ,et Métiers, 9, avenue d'Iéna.Quatre cent d 0 uze personneeavaient été réunies : cent-quaran­te psychologues, quatre-vingtsmembres de l'administration et del'industrie, quarante - cinq étu­diants, quelques religieux, ungrand nombre de médecins enmajorité psychanalystes, des pro­fess~urs de l'enseignement supé­rieur, secondaire et primaire, pu­blic et privé, des éducateurs,conseillers ou assistants, et quinzejournalistes. L'ensemble compre·nait 10 % d'étrangers, des provin·ciaux et des l'aJ"isiens.

Le groupe mena trois « jour.nées », épuisantes et fécondes, detreize, douze et dix heures de tra·vail plein ; chacune comprit unecommunication de Carl Rogcrs,suivie d'un débat par questions

'écrites et orales, déclenchant gé·néralement une réponse; chacunecomprit également un «dialogue»,avec un ou des représentants despraticiens touchés par les diversaspects de la doctrine et de l'actionde Rogers.

L'A.R.I.P.t, association invitan·te, s'est constituée en 1959. Sesmembres « joignent à une forma­tion universitaire de base, unepratique de la vie des entrepriseset administrations. En dévelop­pant des activités propres dansl'Université et divers organismes,ils se sont proposés de promouvoirensemble, au sein de l'A.R.I.P.,des activités de recherche et d'al"plication. Ils poursuivent quatreobjectifs, solidaircs, mais soigneu­sement distingués : Information,Perfectionnement iutcr·entrepri.

, se, Intervcntion dans les organisa­tions, Rcchcrchcs, l'uhlieations ».

Ce que proposc Carl Rogers ­et cela le liait par ccl'tains côtéset l'opposait par d'autres, auxmembres présents de l'A.R.I.P. -,c'est de rechercher pour l'homme,,comme pour les sciences physi­ques, les « formules simples» qui,toujours provisoirement, rendentcompte des aspects du réel. Ilpropose, au départ de cette re­cherche, une attitude qu'il s'estefforcé, non de définir, - onverra pourquoi - mais de fairecon~evoir. Il pense que cette atti·tude permettrait de construireune science de l'homme, suscepti.ble de conserver l'homme, paropposition aux sciences de l'hom­me susceptibles de le détruire.

Carl Rogers est né en 1902 dansle Visconsin. Ses titres, activités et« honneurs » tiennent deux pages.Il est professeur (de psychologiedans l'enseignement supérieur

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

américain), pratIcIen (psychothé­rapeute, maître d'une école etresponsable des élèves-praticiensqui adhèrent à sa doctrine), con­seiller (auprès de divers organis­mes américains qui se trouvent àla pointe des recherches et réali­sations scientifiques) . Hommedont l'expérience et la réflexionparaissent considérables, mais quirefuse de s'exprimer dans les ter­mes traditionnels et abstraits desdiverses cultures spécialisées, por­teurs pour lui des scléroses, inter­prètes infidèles du réel dont ilsprétendent rendre c~mpte, obs­tacles à la communication et àl'usage de la pensée fluide, ­bref, un des rares « signes» qu'ilrécuse.

L' « attitude Rogers » est uneattitude « d'aide ». Il la nommeainsi, dans deux livres : Le déve­loppement de la personne, Dunod1966, Psychothérapie et relationshumaines (vol. II : La pratique),Beatrice·Nauwelaerts, 1965.

Il la tire de son être engagédans son métier, autrement dit deson expérience, au sens individuelet plein. Il· pense que, - adaptéedans chaque cas, mais fondamen­tale - elle est le centre même detoute formation et pratique, pourtous ceux qui ont charge d'êtres,d'abord : médecins, éducateurs,parents, magistrats, administra­teurs, cadres, assistants et conseil­lers. Il pense aussi qu'elle doitêtre acquise comme «. style devie », l'arec qu'elle rend possiblela communication, d'individus àindividus, dc groupes à groupes,et d'individus à groupes (par-delàles barrières de caractères, natu­res, professions, nations, situationset antres structures), et parce quecette communication nous est spé­cifiquement nécessaire.

Nous avons en effet besoin d'af­firmation autant' que d'échangect chacun des deux nécessite l'au­trc. L'être se déséquilibre lorsqu'ilrcsscnt, à tort ou à raison, l'exis·tcnce ct l'appréciation d'autruieommc une menace, une condam.nation ou un rejet. Les conflits ettensions lqui se traduisent pardes signes divers angoisses,agressivités, renoncements, et vontde la nuance aux formes patholo­giques) résultent de la force op­primante des « modèles » ; toutgroupe humain en sécrète detoutes sortes et de tous niveaux ;tout individu en intériorise auhasard de sa culture et de sonmilieu; a i n sise stéréotypentélans, idées et méthodes; projetéssur les choses, les êtres et la vie,ces « modèles » immobilisent lesformes en devenir de la personne.

Sa thérapie est dite « centréesur le client» (et l'expression peutprendre une extension qui va jus­qu'au symbole); elle est diteaussi « non-directive », et il estabsolument nécessaire de compen­ser l'un, des termes par,l'autre.

Lorsqu'il est appelé à répondreà l'appel d'un être en état dedéséquilibre, Rogers s'efforce de

percevoir cet Autre, par une« compréhension empathique »,c'est-à·dire qui ressent avec pénéetration et de manière totale. Il« se borne » à exprimer cettecompréhension ; c'est la réponse­reflet, dans laquelle l'autre s'aper­çoit, et qui est aussi perçue com­me une acceptation incondition·nelle réconfortante. Pou r uninstant, l'influence, l'emprise, lacristallisation des modèles et réfé­rences habituelles à l'un et àr~utre, se desserre. Il se déclenchechez le consultant un processusde développement, jalonné parune suite de changements, « con­trôlables le plus scientifiquementpossible » (et dans ce domaine,nous avons déjà quelques moyensque nous devons sans cesse enri­chir) ; le patient va se mettre àchercher lui·même les formesneuves d'équilibre personnel. Lethérapeute a libéré « les forcesde croissance ». Les exemplesrapportés dans ses livres, uneséance filmée et son comporte­ment au colloque, prouvent queRogers excelle dans l'attitudeainsi analysée.

C'est quand on a bien « enten­du » cette communication, qu'onpeut apprécier la formule qu'iloffre à la méditation des éduca­teurs : « enseigner ne permet pasd'apprendre », autrement dit, nepermet pas à l'élève de se décou­vrir lui-même dans l'acte essentield'apprentissage, ne permet pas aumaître d'accéder à la co'nnaissan­ce de l'élève et de cet acte.

Le colloque ne put que faireapercevoir l'idée que ce schémad'action non-directive, peut sepratiquer d'individu à groupe;(."Ctte nouvelle « relation », modi­fiante, produit, suivant des li!!nesque la psychologie sociale (etl'A.R.I.P.2), essaient de préciseren ce moment même, des « l'hé­pomènes de groupes » qui sontpleins de signification.

Il était amusant de voir que lesparticipants du colloque, au mo­ment où ils découvraient ces posi­tions, sollicitaient avec insistanceun enseignement plus complet;amusant de les voir, à tour derôle, s'irriter contre « l'attitude»de Rogers, qui, pratiquant sur-le­champ la technique pour laquelleon l'avait fait venir, semblait laredécouvrir, en faire part en uneexpérience supplémentaire, etprouver le mouvement en mar­chant.

La nouveauté de la situationprovoquait une grêle de questionscritiques. Ainsi se précisaient lesthèmes actuels du changement,de la relation et de la communi·cation. Ainsi ces mêmes thèmess'expérimentaient, de façon inéga­le, pleine d'à.coups, d'erreurs, bi­furcations, égarements, recul et in­tuitions.

La pensée de Rogers, - qu'onsemble s'efforcer de rattacher àd'autres, dans le passé et ailleurs,comme si l'essentiel était d'enmesure,r l'originalité au lieu de

coinmencer à la mettre en prati­que - est bien « actuelle ». Ilest, d'unc part, un homme descience, s'efforçant d'apercevoir etde maîtriser les voies les plusneuves de l'investigation scientifi­que. En même temps, il aperçoitaussi, par une évidence intuitive,d'un ordre à la fois expérimentalet subjectif, donc scientifique,l'existence essentielle de la per­sonne humaine, qui ressent etchange, spécifiquement. Il refuseun ordre technologique où l'hom­me devient « un facteur calcula­ble » et dénonce la recherche decet ordre comme le danger denotre temps. Il se présente com­me l'adversaire de Skinner, lemaître américain du conditionne­ment ; mais il recherche la conver­gence avec ce savant entre autres,pour la constitution d'une sciencehumaine.

Il cherche donc seulement àfaire apercevoir un état d'urgencepour notre temps, dont la recon­naissance engagerait groupes etindividus, à leur place et pourleur compte, voie de réflexion etd'action qu'un très authentiquedialogue avec Paul Ricœur fitpressentir comme une nébuleuseen formation. C'est nouveau « mo­dèle », mais modèle dynamique,et d'aujourd'hui : l'extension dumonde et de nos pouvoirs, ouvreles perspectives de fonctions mul­tiples où pourraient se réaliser,individuellement et en coopéra·tion, toutes les personnalités ; ellevalorise la variation, la lihertéd'organisation et de direction; lemonde aurait donc intérêt à sepenser, en l'état actuel des choses,comme une immense démocratie,en constant processus de dévelop­pement, où chaque personne dansle groupe et chaque groupe dansun groupe plus large, - respon­sable, libre et unique - anime­rait l'évolution.

Est-ce là le merveilleux miraged'une humanité à ses derniers ins­tants, qui aura du moins aperçuavant de mourir ou de régresser,les formes multiples et comblan­tes de « la vie pleine » qui sur­gissait à son horizon ? Il sembledépendre d'un très complexe actede volonté et de conscience, ja­mais rehonçant, que se conquièrela survie de l'humanité. Tout fait,toute pensée, peut être défini pardeux aspects antithétiques. Beau­coup plus sûrement et plus viteque nous, la machine va jusqu'aubout de toutes les comhinaisonspossibles et produit des « résul­tats », que nous devons maintenirà leur place d'instruments. L'hom­me peut seul « choisir » d'appli­quer constamment la combinaisonde résultats qu'il apprendrait àreconnaître comme ceux de sasauvegarde et de son progrès.

Simone Charlier1. Association pour la Recherche et l'In­tervention Psycho-Sociologique, 33, av~nue Pierre 1er de Serbie.2. L'orientation non directive en psycho­thérapie et en psychologie sociale, parPagès, Dunod, éd.

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HISTOIRE

La foi de Jaurès

Jean Jaurès en J885, alors député dl!. Tarn.

Henri GuilleminL'arrière.pensée de JaurèsGallimard, éd., 240 p.

Je sais ce que vous allez dire,annonce Guillemin dan s sonPost.scriptum : Notre homme s'estinstitué convertisseur de cadavres.A. coups de citations tronquées etde textes triturés, vous voyez sor·tir de fofficine, chaque fois, letype même du chrétien qui s'igno.re. Tous catholiques de gauche.C'est sa manie, son tic. Et, parlantde Jaurès et de Zola, il poursuit :La foi de ces incroyants, pour re·prendre un terme de FrancisJeanson, elle est la même, aufond, que celle que lai dans lecœur. De cela, Guillemin est seuljuge. Il nous revient à nous detenter d'esquisser ce que fut, aujuste, cette foi de Jaurès.

Ce n'est pas une tâche facile carsi, d'une part, Jaurès n'a jamaisfait mystère de l'importance qu'ilattachait au problème religieux :le plus grand problème de notretemps et, de tous les temps... Jene conçois pas une société sansune religion, riest·à-dire sans descroyances communes qui relienttoutes les âmes en les rattachantà finfini ~où elles procèdent etoù elles vont!, si la foi de Jaurèsétait ressentie par lui dans uneunité qui est celle même de sapersonne, de son action et de savie, il n'en reste pas moins, d'au­

.tre part, que le courant a dessources diverses et que Jaurès n'ajamais. dit son dernier mot là­dessus.

Que cett~ foi soit nourrie dessouvenirs d'une enfance rurale etcatholique, cela ne fait pas dedoute, mais le premier exposé quenous ayons de la religion de Jau­rès est philosophique et n'ajamais été renié par lui: il s'agitde sa thèse de doctorat. Jaurès,nourri de philosophie allemandeet 'qui connaît Hegel, à une épo­que où on ne le lisait guère enFrance, y développe un systèmemoniste et réaliste (en oppositionavec l'idéalisme du moment) oùDieu est présenté à la fois commetranscendant et immanent, à lafois en acte et en puissance. Cen'est pas un dieu en devenir,mais un dieu qui s'est livré à sacréation pour échapper au destin,pour entrer dans la contradictionet la lutte, pour se mériter lui·mê­me2. Il a donc accepté la disper­sion et le conflit afin que l'unitéet la perfection soient à réaliser.Or, nulle part ce dieu n'·apparaîtc 1air e m e il t comme un dieupersonnel. Jaurès affirme bienque la conscience absolue est laréalité par excellence, puisqu'au­cune conscience particulière nepeut dire moi sans référence àune conscience absolue2 mais rien,semble-t-il·ne permet de concluresur la nature de cette conscience :s'agit-il d'une hyperconscience ou'd'une addition de toutes les:consciences? Enjalran confirme

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que Jaurès croyait en Dieu sansqu'il soit facile de déterminer sic'était en un Dieu personnel. Guil­lemin qui se défend d'être philo­sophe, ne soulève pas la question.Reste qu'il devient difficile d'ap­peler chrétien un croyant 'dont ledieu ne serait pas assurément lindieu personnel. Le fait que ledieu de Teilhard de Chardin(dont Guillemin ci~e des phrasesqui répondent à celles de Jaurès)était doué aU88i d'immanenceprouve tout au plus que Teilhardsentait peut-êtr., bien le fagot, nonpas que Jaurès était chrétien.

Sur le christianisme lui-même,Jaurès s'est exprimé maintes foisau cours de sa vie. Il refuse l'in­carnation : Le monde est, en unsens, le Christ éternel et universel.Dieu n'est pas plus dans le Christque dans tous les autres hommes.C'est l'humanité qui est porteuse.d'infini. J'ose même dire quef humanité comprendra et aimera~auta,nt plus le Christ qu'ellepourrait à la rigueur se passerde lui. Quant à la chute, Guille­min remarque que Jaurès repous­se fidée ~une chute originellesous f aspect puéril que lui donnela légende, mais que demeure-t-ilde l'idée du péché originel et dela corruption de la nature humai­ne chez un penseur qui écrit .: Lachute n'est pas un événement par­ticulier de f histoire humaine oude,fhistoire universelle. L'universtout entier est une chute, en cesens que funité de Dieu y est dis­persée en des centres' innombra­bles de force et de conscience qui

se combattent et s'excluent?Pour employer un mot dont onn'a que trop abusé, le christia­nisme se ramène donc e88entielle­ment à un c: message ~ d'amour etde vérité., étant entendu (le dis­cours de 1910 en fait foi) qued'autres religions ont aussi leurmessage à délivrer.

La survie de l'âme, enfin, offreun caractère très hypothétique :Il n'est pas interdit à la cons­cience humaine ~espérer qu'ellene périt 'pas tout entière définiti­vement.

De telle sorte que ce qui appa·rente Jaurès, pour finir, aux chré·tiens de gauche modernes, c'est,en vérité, sa lutte contre l'Eglisecatholique, dans la mesure où illui reproche non seulement de sefaire le plus obstiné soutien despossédants, mais de détourner deDieu, ce faisant, le regard des op·primés et de les amener à mau­dire la religion. Mais, tandis quel'atteinte ainsi portée par l'Egliseà la religion doit être, pour unchrétien, le mal premier, pourJaurès, c'est d'abord l'oppressioncapitaliste, dont l'Eglise se faitcomplice. Et, s'il regrette quel'anticléricalisme rétrécisse l'hori­zon de beaucoup de soci~listes,

s'il désapprouve le couplet impiede c: la Carmagnole », il ne s'in­quiète· pas profondément de cequ'il adviendra du Christianisme.Tantôt il prévoit que l'Eglise sau·ra se transformer,' tantôt il estinieque le changement exigé devraêtre tel qu'il équivaudra à unedestruction suivie d'un renouvel-

lement, tantôt même il envisagequ'elle disparaîtra tout à fait; cequi compte, c'est la relève socia­liste.

Car la dispersion, la rupture, leconflit auxquels Dieu s'est livrésont liés, sur le plan humain, àl'appropriation privée, à l'aliéna­tion du prolétariat telles que lesdécrit Marx, et il n'est pas deretour possible à l'unité sans lamédiation du prolétariat et la réa­lisation du socialisme. Le socia­lisme sera donc une véritable « té­volution religieuse )), au sensétymologique du mot : religieux,car il établira le lien entre leshommes et la possibilité de leurlien à tous avec le cosmos. Il reste

'le seul moyen de « sauver l'espritde vie qui était dans le christia­nisme ». Ainsi, ce qui demeureprimordial, c'est le combat socia­liste. Sur ce point, Jaurès, défen­seur de Dreyfus et chef du Blocdes Gauches, ne varia jamais.

Son sens et son souci du reli­gieux lui valurent souvent l'in­compréhension des siens, d'injus­tes accusations de la part de sesadversaires de tendance et nom.bre de calomnies de la part d'hom­mes comme Péguy et Sorel. Et,pour finir, c'est lui que la Droitefit assassiner, ce n'est pas Guesde.Guillemin, qui écrit chacun de sesesssais comme on livre une ba­taille, excelle à peindre la luttede ce taureau « franc ~ dans sa(relative) solitude. C'est pourquoi,bien plus qu'une véritable étudede la religion de Jaurès, ce qu'ilnous restitue, c'est (sous une di­mension épique) l'homme Jaurèsdont, il un demi-siècle de dis­tance, il fait encore retentir l'ap­pel.

Il reste aux révolutionnaires àse demander (et c'est une questionbeaucoup plus importante que desavoir si Jaurès sort de la plumede Guillemin catholique de gau­che ou non) quels peuvent ·êtreaujour~hui les rapports du socia­lisme et de l'esprit religieux. Cesrapports, Goldmann en a tracéles linéaments dans -leur généralitéavec une grande justesse (numéro1 du bulletin de la Société d'étu­des jaurésiennes). Mais il s'agitde les définir à notre époque. Carl'élan, de caractère religieux, qui,du temps de Jaurès, animait, àleur insu ou non, les socialistescroyants ou incroyants, pouvaitaisément s'investir tout entierdans la préparation et l'attente del'événement absolu que serait larévolution. Du fait que l'événe­ment est survenu en octobre 17 etque la société, à laquelle il adonné lieu ne peut plus fairefonction d'au-delà, du fait quec'est une société terrestre avec sestares et ses difficultés terrestres,cet élan est aujourd'hui en partiedésinvesti.

Colette Audry, h La 'question religiewe et le $OCialiame.

Ed. ·de Minuit, p. 314, 1 bu p. 311. ,2. And~ Robinet : ]aurù, Seghers éd..Philosop~s de tous les temps, '] bi-p.46. '

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Diderot chezCatherine

DiderotMémoires pour Catherine IlClassiques Garnier, 330 p.

Zoé OldenhourgCatherine de RussieGallimard éd.

C'est la première fois que nouspouvons lire en entier - avecquel plaisir! les Mémoires deDiderot pour Catherine II. Cediahle d'homme est là, tout vivant,avec sa lucidité, sa santé, sonenthousiasme, son « humanité »(mot ridicule et passé de modedont je prie les lecteurs de m'ex- .cuser). Comme nous aurions he­soin; aujourd'hui, d'un Diderot!

Diderot était arrivé à Saint-Pé­tershourg, en octohre 1773, mala­de plus mort que vif, après unvoyage épuisant. Le 15 octobre, il~tait présenté à sa « grande hien­faitrice ». Et pendant cinq mois,il va s'entretenir plusieurs foispar semaine avec Catherine II.Catherine n'a pas d'amant à cetteépoque et s'ennuie. L'intelligence,la verve de Diderot vont l'amuserun peu. Et qui sait ?, lui appren­dre quelque chose. C'est du moinsce qu'espère Diderot : être utileà sa Majesté.

Diderot rédige ses entretiens.On les discute. Il les corrige, puisles rend à Catherine qui les garda

. soigneusement. Cependant le ma­nuscrit a suhi hien des vicissitu­des. Volé à la mort de l'Impéra-

Catherine de Russie

trice, il passa, on ne sait comment,aux mains d'un collectionneurAhraham Sergueievitch Norovqui, à sa mort, le rendit à Alexan­dre II. En 1881, une copie à demiclandestine en fut faite par lehihliothécaire du Tsar AlexandreGrimm et Maurice Tourneux. Ceflernier la puhlie en Rattie en1889 dans une version tres fautive.

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

En 1917, le manuscrit disparaît.On le retrouve, en 1952, aux Ar­chives Centrales d'actes anciensà Moscou puis aux Archives his­toriques centrales d'Etat, oùKou'imine signale son existence.C'est d'après un microfilm etla collation sur l'original queM. Paul Vernière vient d'en éta·blir soigneusement le texte.

De quoi le philosophe et lasouveraine s'entretiennent-ils ain­si plusieurs fois par semaine, à lagrande surprise de la cour et del'amhassadeur de France? (quiessaie d'ailleurs d'utiliser Diderotcomme intermédiaire). Eh hien,de tout ! on peut faire confiancepour cela à l'Encyclopédiste. En­core qu"il sache qu'on ne peutguère comparer l'état de la Fran­ce (qu'il déplore) à celui de laRussie (qu'il ignore). Il essaiehien d'apprendre le russe, mais iln'est en relations directes qu'avecla minorité qui parle français.Cependant Diderot cherche à s'in­former pour pouvoir renseignerl'Impératrice : Je ne suis queforgane passif de la raison.

Un jour, on parle de morale, unautre de politique et, au hasard deces impromptus, on retrouve tousles thèmes chers à Diderot, etqui font de lui, en Frimce,' un-homme de sac et de corde et l'ex­posent encore, deux siècles plustard, à la vindicte des higots.

Il n'y a qu'une seule vertu,. lajustice, un seul devoir, se rendreheureux, un seul corollaire, mé-

Denis Diderot

priser quelquefois la vie. Par« justice », Diderot entend tout cequ'on doit à soi-même et aux au­tres, à sa patrie, à sa ville, à safamille, à ses parents, à sa maî­tresse, à ses amis et peut·être àf animal. Le rôle du philosophe,c'est de dégager les lois de laraison, de combattre le frénétisme,d'exalter la liherre. Il dit aux peu-

ples qu'ils sont les plus forts etque, s'ils vont à la boucherie,c'est qu'ils s'y laissent mener. Ilprépare aux révolutions qui sur·viennent toujours à fextrémité dumalheur, des suites qui compen­sent le sang répandu. Socraterefuse de s'incliner devant uneloi qu'il juge mauvaise. Aristipperépond que si le sage foule auxpieds une loi mauvaise, il autorisepar son exemple les fous à dé­sohéir aux honnes lois: L'un par·lait en souverain, f autre en ci­toyen. De toute façon, il n'y a pasde lois éternelles et il convient deles examiner et de les modifier,quand elles ne correspondent plusau temps. C'est au gouvernementd'étahlir les conditions du hon­heur des hommes : la liherté, lasûreté des propriétés, la naturedes impôts. Si lui, Diderot, lephilosophe, était couronné roipar les mains de sa Majesté, ilsupprimerait le luxe qui corrompttout, limiterait les dépenses de lacouronne, vendrait les hiens del'Eglise, supprimerait les exemp­tions d'impôts des nohles et desmilitaires, développerait l'aisancede tous les citoyens et leur donne­rait pour charmer leurs loisirs desphilosophes, des peintres, des'statuaires, des magots de la Chi­ne. Il leur prônerait en outretous ces vices charmants qui fontle bonheur de rhomme dans cemonde et sa damnation éternelledans f autre. Ici Diderot ouvre laporte aux socialistes dits « utopis-

tes » du XIx<' _siècle, Saint~Simonet -les Saint-Simoniens, Fourier,etc. que les hommes soient tousbien gais, bien joyeux, bien liber·tins. Une telle morale ne pouvaitpersonnellement déplaire à Ca·therine.

Màis Denis n'est pas roi. Reve­nons aux choses sérieuses. Toutgouvernement arbitraire est mau-

vais, dit Diderot à cette autocrate.Le meilleur des despotes commetun « forfait ». car il ramène leshommes « au rang d'animaux enleur faisant perdre le sens de laliherté ». Le droit d'opposition estinaliénahle et la démocratie' supé­rieure à toute autre sorte de gou­vernement. Diderot engllge Cathe­rine à s'appuyer sur cette « Com­mission », formée de représen­tants de la nation, qu'elle avaitconvoquée : Les empires malheu­reux ne sont pas ceux où f auto­rité populaire va en croissant,mais au contraire ceux où fau­torité souveraine devient illimitée.Cette commission devrait statuersur sa succession et la continua­tion de son œuvre et sur l'établis­sement de lois égales pour tous lessujets. L'égalité légale est si natu­relle, si humaine que seules lesbêtes féroces pourraient s'y refu­ser. Mais Diderot sait hien quela Russie est divisée en nobles eten serfs, avec, au milieu, une pe­tite classe de marchands. S'il n'at­taque pas de front le servage, ilconseille à l'Impératrice de créerune classe de petits propriétairesterriens, car il faudra bien unjour que vous en ayez et de for­mer _un Tiers Etat. Les hassesconditions de la société sont lapépinière des mœurs, des collJuJû­sances, des talents. Toutes lescharges de l'Etat devraient êtremises en concours. Pour décelerces capacités, il faudrait établirdans chaque grande ville desécoles où tous les enfants auraientaccès. Les plus doués y recevraientune honne instruction scientifiqueet morale. Les autres seraient di­ri~és vers l'apprentissage des.-mé­tiers. C'est là, en germe, l'idée del'instruction 0 h 1 i g a toi r e, del'orientation professionnelle.

Catherine avait fondé un cou­vent de demoiselles (SmolnyiMouastier) que Diderot admire:Si cet établissement dure, les fem­mes donnent partout la loi auxhommes, il faut qu'avant vingtans, la face de f Empire chan8e.Il est heaucoup plus critique àl'égard de l'école des Cadets etde la fondation des Enfants trou­vés, que l'on jette avec un rouhlesur le pavé. Il vaudrait heaucoupmieux leur apprendre des métiersutiles dont la Russie a si grandhesoin, comme la serrurerie, etles affranchir.

Il prône la tolérance et attaquel'Eglise. Combien de grands es­prits, comme Pascal ou Nicole,ont perdu leur temps et arrêté lessciences en se consacrant à desquestions ahsurdes : le péché ori­ginel, la grâce efficace, l'enfer, lediahIe, toute cette science des chi­mères, qu'est la théologie. Je nedirai rien de Dieu, par respectpour votre Majesté, ajoute-t-il.Mais il admire Epicure de relé­guer les Dieux da~ les intersticesdes mondes et. les endormir làdans une profonde nonchalance.Il va plus loin encore -: Ce n'est

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Page 24: La Quinzaine littéraire

~ Diderot chezCatherine

QUESTIONSACTUELLES

La psychanalysed'une vexation

pas Dieu qui li fait les hommes àson image, ce sont les hommesqui, tous les jours, font Dieu à laleur. Mais si la religion est néfasteet dangereuse (un entretien portesur le moyen de tirer p'arti de lareligion et de la rendre bonne àquelque chose), Diderot devineque l'athéisme peut présenter lesmêmes dangers : Le fanatisme etlintolérance ne sont pas mêmeincompatibles avec lathéisme. Lacroya~ce ou l'incroyance en Dieudoivent être bannies du « code »et n~ pas relever des ldis.

Et- quoi encore? Les institu­tions de la France, qU'il ne fautcertes pas imiter., l'éducation (ilfaut apprendre ,)'anatomie auxjeunes filles) , l'urbanisation deSaint-Pétersbourg (il faut lier leshommes entre eux), la littérature,les beaux-arts, le divorce, l'indus­trie, la culture du colza et dutabac, etc. Il faut lire toutes cespages amusantes, profondes, en­diablées, parsemées de réflexionsqui vont loin. Comme Mme deStaël, comme Custine, un siècleplus tard, Diderot fliit cette re­marque sur les Russes: Il y a dansles esprits une nuance de terreurpanique. C'est apparemment ref­fet d'une longue suite de révolu­tions et d'un long despotisme. Ilssemblent toujours à la veille ouau lendemain d'un tremblementde terre et ils ont rair de cherchers'il est bien vrai que la terre sesoit raffermie sous leurs pieds.

On trouve encore, pour la con­naissance de Diderot lui-même,des notes sur sa méthode de tra­vail et sur l'Encyclopédie

Bien sûr, dans ces entretiens, ila peur parfois d'être allé troploin ef s'en excuse avec des flatte­ries monumentales. Catherine al'âme d'une Romaine, la force avecla douceur, la bonté, etc. Elle 8etait: du mpins on ne l'entend pas.Elle 8e m~~e un peu de tout ce« caquet pplitique» et juge dure­ment le p~ilosophe : En certainspoints, il d cent ans et en d'autres,il n'en a pas dix.

Nous retrouvons Catherine IIdans le portrait qu'en trace ZoéOldenbourg. Il s'agit d'une étudepsychologique plus qu'historique.Si l'on suit Catherine pas à pasjusqu'à l'arrivée au pouvoir, ZoéOldenbourg laisse presque entiè­rement de côté le rôle politiquede l'Impératrice. A cause de cela,le livre, bien qu'il soit assezcopieux, nous laisse un peu· surnotre faim.' Et l'on se prend àregretter le temps où Zoé Olden­bourg écrivait des romans histo­riques, recréait des époques loin­taines avec un talent incontestabled'évocation. On se disait que celadevait se passer ainsi et on n'allait.pas bouder son plaisir pour quel­ques vétilles. Mais le métier d'his­torien ne s'improvise pas. Il a desrègles sévères, qui n'ont d'ailleursrien d'ésotérique, et que l'on peutapprendre, si on en a le goût et sil'on veut fah:e de l'histoire.

Edith Thomas

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Elizabeth NoelleLes sondages d'opinionEd. de Minuit

C'est un. livre qui vient à pointen France: dans la nuit ·du 5 dé­cembre dernier, en effet, lesfameuses «fourchettes» de l'I.F.O.P. ont, au. moins autant que lehallottage, constitué un trauma~tisme national. Du plus fruste desFrançais aux ob8ervateurs politi­ques - qui, le 4 décembre encore,manipulaient avec circonspectionles sondages publiés par la preS8e- et même aux commentateursd'Europe nO 1 - dont les précau­tions verbales pour pré8enter les.fourchéttes n'ont que péniblementcédé à l'évidence -, tous ontbrusquement découvert l'existencede réalités pourtant vénérables :c'est en 1938 qu'est né l'I.F.O.P.et il y a vingt ans déjà que sessondages, plus perspicaces que leshommes politiques, ont établi lapréférence de l'électorat français- y compris à gauche - pourl'élection du Président de la Répu­blique au suffrage universel. Mais,désormais, c'est chose faite : oncroit en France aux sondagesd'opinion, on s'apprête à leur de­mander main-forte et l'U.N.R.souhaite s'armer de leurs leçonspour donner l'assaut aux circons­criptions électorales réputées co­riaces.

Cet engouement ne va pas sansmalentendus : hier ignorés, oubien encore objet de moqueriesrebattues de la part de ceux quivoient dans tout dénombrementun viol de l'humeur individuelleet un déni de liberté, les sondagesalimentent aujourd'hui des senti­ments mêlés, où l'admiration seteinte de malaise, comme si quel­que sorcellerie habitait leurs pré­visions. Et, d'autre part, le brus­que crédit qu'on leur fait s'étend àtoutes sortes d'enquêtes qui n'ensont pas dignes. Voici baptisés« sondages », bien abusivement,

le hit-parade, le box-office, lesquestionnaires « psychologiques »des journaux... Le principal mé­rite du livre d'Elizabeth Noelleest de dissiper ces malentendus,de rappeler ce qu'est un sondagescientifique, de dire que, dans lessciences sociales comme dans lessciences'« exactes », on doit comp­ter pour prouver, qu'on le peut,et comment il faut faire. L'auteurdirige l'Institut de démoscopied'Allensbach, fondé en Allemagnefédérale en 1947 ; elle a rassembléce qui a surtout fait, depuis quel­ques années, l'objet d'articles derevues très spécialisées; clle faitle point des connaissances, ditclairement comment on hâtit lequestionnaire, comment on rendl'échantillon repré8entatif del' « univers» interrogé, commentenfin on peut - ou ne peut pas ­exploiter les résultats. Ces ren8ei­gnements sont classiques ; ils peu­vent pourtant caU8er quelque sur­prise au lecteur non initié, quiapprendra qu'au prix de certainesprécautions, il suffit d'interroger1.000 à 2.000 personnes pours'informer des opinions et des dé­sirs de plusieurs dizaines de mil­lions d'hommes; que, contraire­ment à toute attente, la validitédes résultats obtenus ne tient pasau pourcentage des personnes in­terrogées, mais à leur nombreabsolu; et qu'en conséquence, sion souhaite être instruit de l'opi­nion belge ou suis8e, plutôt quede l'opinion américaine, il ne fautpas s'attendre à devoir interroger ..moins de personnes, mais toutautant.

Ce livre, pourtant, risque dedécevoir à la fois le grand puhlicet les spécialistes. Ceux-ci parcequ'il s'agit d'un manuel, commeil en existe déjà plusieurs auxEtats-Unis, en France aussi, sou­vent meilleurs ; plus complets entout cas que celui-ci, qui est sur­tout .consacré aux travaux alle­mands et anglo-américains. et sin­guli~rement insoucieux de la pro-

duction françai8e, c 0 m m e entémoigne la bibliographie, qui necite ni les Manuels des Enquêteurspar Sondage de l'I.N.S.E.E., nil'ouvrage d'Ho Dautriat sur lequestionnaire, ni les livres deJ. Stoetzel, ni, dans la liste despériodiques, Sondages, la revue del'I.F.O.P. Et il décevra aussi legrand public pour sa manièreterne et laborieuse, son mépris detoute synthè8e, et un papillote­ment d'exemples qui découragel'attention.

Sur un point toutefois, le livreest aS8eZ neuf. Elizabeth Noelletente un inventaire des raisonsavouées ou inavouées de la' longuerésistance aux sondages: fait alle­mand aussi bien que français. Lemeilleur du livre est dans 'cetteintroduction qui montre comment,contre l'amhition de mesurer l'opi­nion, 8e liguent tous les discou­reurs du secret des con'lciences,les tenants de la singularité indi­Yiduelle, les philosophes de l'irra­tionnel. Ligue sans principes,ignorante de la portée réelle dessondages, leur adressant des de­mandes exorbitantes pour mieuxles convaincre de frivolité, ettransposant constamment les don­nées statistiques en langage indi­viduel, mais tenace, et dont lesvigoureux préjugés 8e li8ent en­core dans notre malaise; on songeà la déception de l'auditeur ins­tallé au soir du second tour àl'écoute d'Europe nO 1, quand,dès 20 heures, on put annoncerle résultat définitif. Certes, il 8esentait frustré du délicieux sus­pense des vieilles soirées d'écouteélectorale, mais aussi humilié :tant de votes - dont le sien peut­être - enfouis au fond des urneset non encore dépouillés, ne chan­geraient donc rien au résultat an­noncé? C'est, même si elle n'estqu'esquissée par Elizabeth Noelle,la psychanalyse de cette vexationqui fait le prix de l'ouvrage.

Jacques Ozouf

Page 25: La Quinzaine littéraire

LIVRES POLITIQUES

Pourquoi Defferre a échoué

MUSIQUE

Jazz

Georges SuffertDe Defferre à MitterrandLe Seuil éd.

Le livre de Georges Suffertporte en sous·titre : La campagneprésidentielle, mais il s'arrête cnréalité au momcnt oil !l'OlllTCcelle-ci car, pour l'autcur, ICll

jeux étaient déjà faitll. Lai,;santaux amateurs d'anccdotes la c1lro­nique de la campagne propre­ment dite, et aux politologuesl'analyse des résultats, Suffert avoulu raconter et. justifier unetentative: celle de Gaston Def­ferre. Il était bien placé pourcela; chef du service politique del'hebdomadaire L'Express (quijoua, comme on le sait, un cer­tain rôle dans cette affaire), ilfut aussi pendant longtemps lesecrétaire général du club J ean­Moulin (qui passe pour avoirexercé quelque influence sur lecandidat socialiste): c'est direqu'il nous livre un exposé auto­risé, quoique sans révélation iné­dite, des conditions dans lesquel­les fut conçue l'idée d.'unecandidature de gauche à l'Elysée,de l'appel à Gaston Defferre, dela stratégie de sa campagne, deBeS difficultés et de ses chances.Douze des dix-huit chapitres sontd'ailleurs consacrés à cette aven­ture, après quoi, semble-t·il, l'es­sentiel est dit, et on se hâte versle dénouement.

L'entreprise était au départ.un simple schéma abstrait (l'opé­ration de c Monsieur X », quila lança dans l'opinion, illustrecette vérité au-delà de ses aspectssuperficiels), fondé sur les ana­lyses présidentialistes; l'idée devérifier expérimentalement celles­ci ne s'est incarnée dans un can­didat que relativement tard etsans que s.a personnalité fûtdéterminante (cf. p. 24-25) , sibien que les sympathies de Geor­ges Suffert se manifestent d'abordpar référence à une démarcheobjective et comme conséquenced'une conviction partagée. L'au­teur échappe ainsi au piège desjustifications et des plaidoyers,puisque les individus qui ontparticipé à la tentative de Def­ferre (et le premier rôle lui­même) ne sont que les person­nages d'un s c é n a rio dontrargument importe principale­ment : avant de juger leur talentou leur sincérité, on leur demandede respecter le texte.

L'ont-ils effectivement respecté?Telle est la question centrale, carDefferre n'est pas allé jusqu'aubout de son rôle et il a quitté lascène à la fin du mois de juin1965. Suffert y répond en mettanten cause deux acteurs qui ont faitfaux bond: les syndicats et lesc forces vives » d'abord, dont latimidité a quelque peu perturbéle déroulement des opérations encontraignant le régisseur à solli­citer plus qu'il n'aurait souhaité

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

les appareils politiques (voir leschapitres IV,. '« les syndicats de­vant le plongeon », et V, « l'effortdes clubs») . Cette premièredéconvenue, qui résulte d'unesurévaluation des capacités politi­ques des groupes en question, aconduit à faire appel plus direc­tcmcnt aux dirigeants du M.R.P.,ct là : deuxièmc forfait. Dès lors,il nc rcstait plus qu'à baisser lerideau. Mais, ajoute Suffert, cetéchec n'emporte pas condamna­tion de l'idée, qui devra êtrereprise.

A ce point de l'exposé on tou­che le vrai proLlème. Car, enfin,François Mitterrand a fait ladémonstration des vertus de l'élec­tion présidentielle, mais enl'appuyant sur un argur,nent quin'était pas celui de Defferre:l'union de toute la gauche,communistes compris. On pour­rait certes considérer que la ra­pide percée du député de la Niè­vre a bénéficié des tâtonnementsde son prédécesseur et que satâche a été facilitée dans lamesure où ce dernier avait essuyéles plâtres... Toutefois, ce pointde vue ne paraît pas être celui

.de l'auteur qui estime que l'ou­verture centriste du maire deMarseille aurait assuré la victoire(p. 10), au lieu que l'union dela gauche écartait fatalement lemillion et demi d'électeurs modé·rés nécessaires pour gagner!. End'autres termes, Suffert penseaujourd'hui encore que la récu­pération du M.R.P. par la gauche,que tenta Defferre et à laquelleil ne parvint pas, demeure lacondition du succès et que l'échecde juin dernier n'est qu'un acci­dent réparable. Mais n'était-cequ'un accident? Sur ce point, lelivre n'apporte pas de réponseévidente. On a beaucoup repro­ché aux dirigeants M.R.P. d'avoirété plus préoccupés par les posi­tions électorales de leur partique sensibles au grand desseinque leur proposait le maire deMarseille, sans remarquer queles sollicitations dont ils étaientl'objet ne se justifiaient que dansla mesure où leur clientèle sui­vait, sinon tout s'effondrait.

Mais il y a plus. Defferre visaitla réintégration à terme de l'élec­torat communiste (interview auMonde du 13 avril 1965), et l'in­tégration immédiate de l'électoratcatholique (p. 95). Les deux opé­rations étaient-elles conciliables?On peut en douter, d'autant quela laïcité, si elle ne passionneplus, tant qu'on n'en parle pas,réveille des antagonismes tenacesquand on l'évoque: Suffert notelui-même l'unanimité des assisesdes clubs de Vichy (dont les Jaco­bins avaient pourtant été écartés)sur tous les rapports, sauf celuiconcerna.nt un règlement possibledu problème de l'école libre (p.54). Il faut alors choisir. Ou bienl'on poursuit l'objectif de l'unionde la gauche, en sachant que le

« bloc électoral du M.R.P. » y res­tera étranger, même si l'on en gri­gnote les franges; ou bien l'onrecherche une majorité c entre legaullisme et le communisme »,comme le déclara Gaston Defferreaprès son élection à Marseille enmars 1965, mais alors on écartepar hypothèse les masses commu­nistes. A hésiter entre les deuxdirections, on perd sur l'~ etl'autre tableau. Ce qui paraîtbien s'être produit.

A vrai dire, le problème nepeut être posé en termes stati·ques, et c'est la dernière questionque suggère la démarche de Gas­ton Defferre telle qu'elle est rap­portée dans ce livre. Etait-ellecohérente avec la logique del'élection présidentielle? Celle-cirepose en effet sur la constatationbanale selon laquelle il n'existepas de majorité homogène en·France (même aujourd'hui: voirles initiatives de M. Giscard d'Es­taing), et que dès lors la désigna­tion directe du chef de l'Etat parle suffrage universel est le seulmoyen pratique de faire arbitrerpar les électeurs eux-mêmes entreleurs préférences, en les contrai­gnant à un choix national. Leressort de ce système, c'est ladétermination directe par le paysd'une majorité potentielle, enl'absence de majorité parlemen­tairement définie; à l'inverse,(;aston Defferre a tenté de prédé­terminer les contours de la majo­rité parlementaire qu'il souhaitaitet d'en déduire, par anticipation,sa propre majorité présidentielle.Ce faisànt, il supposait possiblede vaincre la difficulté qui avaitprécisément conduit les présiden­tialistes .à juger impraticable enFrance le régime parlementaire,ce qui était surprenant, mais sur·tout il cumulait les contraintesdes deux systèmes et, entraînépar la priorité qu'il accordait auxstructures politiques sur la procé­dure présidentielle, il renforçaitl'importance des futures électionslégislatives au détriment du scru­\in de décembre qui n'apparais­sait plus que comme un « galopd'essai» de celles-ci. Enfin, il s'en­lisait dans des négociations avecles états-majors politiques avantd'avoir reçu le mandat du suf·frage universel qui lui eût donnél'autorité nécessaire pour affron­ter cette épreuve.

Ces questions de cohérencen'apparaissent qu'à la réflexioncar le ton chaleureux du livre,la vivacité du récit, le pitto­resque narquois de certains por­traits emportent l'adhésion dulecteur. Il est difficile de résisterau charme de Suffert dont la can­deur ne va pas, toutefois, saneune certaine rouerie.

Pierre Avril

1. L'absence de toute analyse du scrutinest ici gênante·, d'autant qu'il y a un au·tre problème : celui des éledeurs degauche qui ont voté pour le général deGaulle, trois millions, dit-on._

Francis NewtonUne sociologie du jazzFlammarion, éd., 302 p.

Le jazz, écrit Francis Newton,est maintenant un sujet sur lequelune personne cultivée doit en sa­voir assez long pour être au moinscapable de cacher son ignorance.Ainsi se justifie l'apparition deson livre dans la sévère NouvelleBibliothèque Scientifique, auxcôtés des Dernières Pensées,d'Henri Poincaré, de fExpérienceMétaphysique de Jean Wahl et dece Comment je vois le monde oùEinstein met à livrer sa penséebeaucoup moins de coquetterieque M. Newton. C'est que nous en­trons, avec le jazz, dans un domai­ne particulièrement initiatique etque, contrairement à ce que l'onpourrait croire d'une forme d'ex­pression dont l'engagement histo­rique est si évident, l'approchesociologique y est peu fréquente.

La littérature, assez abondante,qui a trait au jazz s'est jusqu'iciessentiellement consacrée à sonhistoire, une histoire un peu par­ticulière qui apparaît commel'envers chronologique et mythi­que d'un ensemble de choix esthé­tiques (jazzmen importants, arti­culation des styles). C'est direqu'elle est, en dépit des apparen­ces, surtout d'ordre musicologi­que, ce qui peut nous valoir desétudes pénétrantes aU88i bien quede singuliers catéchismes. M. New­ton, et tel est son premier mérite,renverse le rapport. C'est aucœur de toutes ses dimensions his­toriques qu'il ~a chercher la mu­sique négro-américaine, à sav:oir.:l'évolution de la société noire auxU.S.A. ----: de la fin de l'esclavageà son urbanisation partielle et auxclivages qui en' découlent - lemonde du spectacle et l'indus­trie du disque par quoi le jazz estconditionné, l'univers de la mu­sique populaire commerciale avecqui il entretient d'incessantséchanges, les musiciens qui le pro­duisent, le public qui le consom­me.

Ce faisant, l'auteur amasse unematière riche et neuve. On nepeut guère, ici, la résumer. Maisil faut bien dire que l'on a rare­ment mieux traité le· phénomène,si mystérieux à maints égards, del'apparition progressive du jazz,né de l'adultération des souvenirsmusicaux africains par la musiquedes blancs, ce jazz qui, au toutdébut du siècle, surgit, avec plusou moins de force, à travers desmanifestations aussi diverses quele spiritual religieux, le blues destroubadours campagnards et leschants de travail, les fanfares desdéfilés dans le Sud, la musique dedanse reprise des créoles, le rag­time pianistique, et qui finit pars'affirmer comme l'art populairedes faubourgs noirs des grandesvilles, par en occuper les bars f't

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Page 26: La Quinzaine littéraire

L'ŒUVRE DE

une collection en 20 volumes

dignes de rentrer dans une cer­taine catégorie consacrée supé­rieure, mais de prendre à jouerde la musique un plaisir qu'ilpuisse communiquer aux autres etaussi : le jazz... est une musiquequi exprime directement les émo­tions. Par là, en deça de ses ava·tars, le jazz se ramènerait à unétat de sensibilité, actif mais sta·

gnant, que sa sociologie pourraittotalement restituer (alors que lapeinture, par exemple, est seule·ment située par la sociologie).Même le swing, ce bonheur ryth.mique propre au jazz et que lescritiques les plus passéistes re·connaissent comme son critère ar·tistique absolu, semble récusé parM. Newton qui le considère com·me une « sophistication du ryth.me ».

Une telle prise de position,l'histoire esthétique du jazz ladément tout entière : le relevé desimprovisations les plus accompliesde L. Armstrong, C. Hawkins, L.Young, Ch. Parker, M. Davis, etc.atteste l'existence, chez tous,d'une pensée de la phrase impro.visée ainsi que, de l'un à l'autre,d'un renouvellement progressifdes moyens, et c'est parce qu'ilsignorent cet ordre spécifique decréation que les chapitres musi·cologiques du livre ·de F. Newtonse révèlent à .ce point médiocres.Si ce qui a trait au blues folklo·rique y est, en effet, bien venu,

Dans cette perspective, le jazzapparaît, en effet, exclusivementcomme une musique populaire'non pas faite pour le peuple, maisfaite par lui avec ce dont il peutdisposer, et plutôt qu'un créateurindividuel, le jazzman est le por·te.parole de tous. La plus granderéussite musicale du jazz, « peut.être la seule valable ~, écrit F.Newton, c'est d'exister, c' estd'avoir sauvé les qualités de lamusique folklorique dan s unmonde voué à leur extermination.C'est ainsi privilégier par une dé·cision personnelle le climat etl'expressivité au détriment del'art : le but du joueur de jazzn'est pas de produire des œuvres

arts : la musique populaire com·mercialisée ou la grande musiqueésotérique ». Autant dire qu'ici,le sociologue, chez F. Newton,cèdc le pas à un amateur quelquepeu sectaire, soucieux d'utiliserson travail pour donner un statutà l'idée qu'il se fait du jazz àtravers sa façon de l'aimer.

pour l'auteur, le jazz ne peuts'exercer qu'à travers des formeset selon des conditions qui, d'unecertaine manière, le dégradent. Il

. doit donc, avant tout, dans cesinévitables alliages, ne pas se lais·ser réduire et, conclut l'auteur,éviter « de se perdre dans l'uneou l'autre de ces impasses quiempoisonnent notre monde des

~ Jazz

les dancings, en nourrir les spec·tacles. Très remarquable, notam·ment, nous paraît l'étude qu'es.quisse F. Newton de la manièredont le jazz essaime en fonctionde l'activité professionnelle desNoirs et de leur dispersion.

C'est avec beaucoup de péné.tration, également, que F. New·ton étudie l'inévitable métamor·phose de la musique négro.améri.caine. Distançant ses origines dansle temps qu'il se répand, devenuun « art populaire urbain. »,c'est·à·dire s'intégrant au mondedu spectacle et de la danse queprolonge le commerce du disque,le jazz, qui est antérieur à l'in·dustrie moderne et dont la pulsa.tion vivante, note très judicieuse.ment l'auteur, ne saurait être miseen rapport avec l'ère des machi·nes comme le croyaient certainsesthètes des années vingt, va vivreen symbiose avec la musiquecommerciale populaire. Celle·ci letransformera et lui fournira unrépertoire; dans le même mo·ment, elle sera renouvelée parlui au point que, bien souvent, lalimite qui sépare l'un de l'autresera presque indistincte.

Les méthodes de cette industriequ'est la musique populaire, lerôle prépondérant du disque dansle jazz - il est le seul mode deconservation des œuvres mais,aussi, il en délimite la durée eten infléchit souvent le caractè.re -, le monde particulier dumusicien, d'abord héros populairepuis artiste professionnel et, denos jours, souvent intellectuelmarginal, sa manière et sesmoyens de vivre (ce n'est pas unevie difficile pour un bon musi·cien connu dans son milieu. etsuffisamment raisonnable profes.sionnellement, c'est·à·dire ni tropivrogne, ni trop adonné aux stu·péfiants, ni trop déséquilibré, nitrop peu sérieux pour que ron nepuisse compter sur lui - autantdire que c'est un métier ingrat),les publics enfin, de l'amateur dedanse au « pur », et les classessociales que le jazz concerne élec·tivement (milieux universitairesaux U.S.A., petite bourgeoisie enquête d'une culture propre en An.gleterre), tout cela, qui était in·suffisamment connu, est examinéavec beaucoup de soin et, parfois,d'humour. Tout au plus aurait-onsouhaité, de temps en temps, unedocumentation plus précise et, ence qui concerne le jazz européen,un horizon moins limité à laGrande.Bretagne (peu de choses,ainsi, sur la Scandinavie, lieu éludu. jazz cependant).

Eloigné de ses bases folklori·ques, se réalisant dans l'univers dudivertissement qui le contraint às'incorporer certains caractères dela musique commerciale, riend'étonnant à ce que le jazz appa·raisse à F. Newton comme un artpar définition impur, c'est·à·direqui évolue dans un milieu musi·cal exposé à une contaminationpermanente. Entendons ici que,

vous les enverra, francopour toute commande deplus de 30 F accompagnéede son montant (chèque,chèque postal ou mandat).Pour les commandes demoins de 30 F., ajoutezau prix des livres 2 F pourfrais d:envoi.

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MADELEINE UZERAY:Préface de MARCEL AYMt •

"Voilà un portrait de JOUVET : :le plus vrai, le plus pathétique, le •plus instinctivement tendre et in- •volontairement cruel; et voici,.ressuscité par celle qui l'a si •intensément vécu et qui a contri- •bué à le faire, un moment éblouis- :sant du théâtre de ce temps... •tout est d'une vérité si nue que d'au- •cun la trouveront inconvenante".•

Yves Florenne (LE MONDE) •

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Page 27: La Quinzaine littéraire

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FlammarionJulliardSeuilFayardGallimardGrasset

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CRITIQUE

VENTE,

CollinesL'arbre à lettres

Pedro MartinezPersonne ne répondLa flaque du mendiant

L'Oiseau barioléLa QuarantaineCritique et VéritéTreblinketLa mort d'Artemio CruzLes orguesde Saint SauveurLe chemin des caracolesDe r autre côtéde la forêtVa jouer avec cettepoussièreUne saison dans la vied'Emmanuel

Simone de BeauvoirVoltairePiranèse et lesromantiques françaisLes événements dePalermeLe F.B.I. inconnuLe partage desbénéficesLes origines dela démocratietotalitaire

DE

DE

Asturias

Marie-Claire Blais

Henry de Montherlant

Daniel BoulangerMarcel Brion

J erzy KosinskiJean-Louis CurtisRoland BarthesJean-François SteinerCarlos FuentesJean Mist1er

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE

VOUS RECOMMANDE

Cette liste est établie, selon un mode de calcul complexequi en garantit robjectivité - d'après les articlespubliés dans cinq quotidiens, huit hebdomadaires...et un bi-mensuel parisiens.

parmi les ouvrages qui viennent de paraître :

Poésie

Romans

Oscar LewisLéonie BruelMiguel Angel

SUCCÈS

Dominique Fernandez

J. L. Talmon

Francis JeansonJean OrieuxLuzius Keller

Iossip BrodskiOlivier Larronde

F. J. CookDarras

Essais

SUCCÈS

78

123456

9

10

1 J.F. Steiner Treblinka 22 Pierre Daninos Le 36" dessous 23 Henri Troyat La faim des lionceaux 34 Graham Greene Les comédiens 35 Han Suyin L'arbre blessé 16 Accoce et Quet La guerre a été 1

gagnée en Suisse7 Robert Escarpit Lettre ouverte à Dieu 18 Jacques Perry Vie d'un païen 19 Uderzo et Goscinny Le combat des chefs 1

10 Jacques Perry La beauté à genoux 1

••••••••••••••••••••••••••••••'.••••----------------------------_.••••••••••••••••••••

Laffont •Albin Michel •

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••

l'auteur en revanche demeure ex·trêmement incompréhensif àl'égard de tout jazz qui témoignede quelque élaboration formelleet où il pressent, non sans naïveté,une perversion d'intellectuel. Ain­si en vient·il à préférer BessieSmith à Duke Ellington et àlouer Charlie Parker, dont il neconteste pas la grandeur, d'avoir,surtout, su rejoindre « le hluesde toujours ». Déjà partiel en cequi concerne le jazz des années30" F. Newton est, tout naturelle·ment, beaucoup plus sommaireencore en ce qui concerne celuiqui s'est développé à partir de1945 : n'est·il pas le fait d'artistesqui se sont, d'eux-mêmes, mis enmarge et ,se sont réclamés d'uneconcèption plus orgueilleuse etplus individuelle de leur art? Ildemeure surprenant, malgré tout,pour une étude qui prétend aucon!!tat, que ne soient même pascités les noms de Clifford Brown,John' Coltrane ou Elvin Jone!!.Quant à la période contemporai­ne, elle est délibérément ignorée,puisque l'auteur a revu, semble-t­il, son livre pour l'édition fran­çaise. Il est aberrant, pourtant,qu'ait été écartée toute la musi·que qui gravite autour du « freejazz » d'Ornette Coleman, musi­

,que dont certains aspects en ap­Ptlllent, fait assez neuf, à l'agressi.vité politique et sont liés à lavolonté ségrégationniste d'unepartie de la jeunesse noire.

En dépit de sa richesse, le livrede M. Newton, ainsi, ne doit pasêtre manipulé sans méfiance.Toutes les étrangetés qu'on yrencontre ne sauraient, cependant,être mises à son compte. Commeil en va pour la plupart des livrestraitant du jazz, celui·ci a été tra­duit par quelqu'un, resté curieu­sement anonyme, qui a découvertla musique au cours de son tra·vail. On parle ainsi d'harmonieschromatiques à deux tons et d'ex·IJlosion vibrato à l'unisson. MilesDavis joue du cor anglais (qui estune variété de hautbois) au lieude bugle, les « blue notes » (ap­pelées ici note blues) sont « ef·facées » au lieu d'être infléchies,« horn », qui renvoie aux instru­ments à vent, est traduit tantôtpar cor, tantôt par trompe. Dansson ignorance de l'univers dujazz, le traducteur pèche souventpar excès: Billie Holiday, connuepar tous les amateurs sous lepseudonyme de « Lady Day», estappelée « Dame lumière » etGershwin est crédité d'une Rhap­sodie en bleu. Il est vrai queBach se voit attribuer une Messeen ré! On sera surpris enfinqu'un ouvrage, publié dans unesérie scientifique, se présente sansaucun index. Et on se dit quece n'aurait pas été un grand effortque de donner les références fran­çaises'ou américaines d'origine duchoix de disques ici présenté sousmarque anglaise, et de ce fait par­faitement inutilisable...

Michel-Claude Jalard

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966 27

Page 28: La Quinzaine littéraire

I.NFORMATI·ONS PARIS

on le devine, ne dépend pas pluadu suffrage universel que du suf­frage restreint (et plutôt choisi)du public du Théâtre de France,je m'arrêterai un instant sur lesdeux articles paratonnerresScandale et provocation par Jean­Louis Barrault et Brèves notespréliminaires pour une métaphy­sique du scandale par Maurice deGandillac - qui ouvrent le 54e

cahier de la compagnie Renaud­Barrault, vendu avec le program·me des Paravents.

Vous en êtes encore là !s'écriait Antonin Artaud quand,vers la fin de sa vie, le plus bril­lant et «arrivé» de ses discipleslui offrait les moyens d'une miseen scène à scandale. Le fait estque Barrault en est encore làà la revue la plus scandaleuse dumonde, aux dociles injures degroupe et aux chahuts stéréotypésdes réunions électorales - lors­qu'il croit devoir glorifier, augrand dam du fond humain quien est l'inséparable contexte, lamoindre vertu des Paravents.

Outre que la provocation sub·ventionnée a bonne mine, et quecela lui va bien de faire le jeunetsur (révérence parler) le dos de'Genêt, il serait temps que le doyende notre théâtre d'avant.garde sa­che enfin que scandalisateur etscandalisé, ou provocateur et pro­voqué, sont de la même paroisse.Or le génie que manifestent le.'iParavents n'est d'aucune parois8e,et c'est inutilement le compromet­tre - et tendre des verges pout sefaire battre - que d'exalter lescandale à son propos.

Au vrai, les tenants et aboutis­sants du scandale forment, dansnotre paroisse des bonnes.lettres,deux; patronages rivaux mais soli­daires au point d'être interchan·geables, car il n'y a pas de diffé·rence essentielle entre littératuresde provocation et d'édification.Pour s'en convaincre - et puis­qu'il cite avec révérence cettebruyante calembredaine du Traité

.du Style d'Aragon Faire enfrançais signifie chier -, Barraultne serait pas mal avisé de prêterl'oreille à cette réflexion modeste,mais chargée de sens, que Lar·baud formulait en marge, pl."éci.sément, du Traité du Style...Tout ce fracas équivaut exacte­ment pour moi, qui n'ai jamaisgoûté dans les livres que fhumain,à des éloges outrés de gens con·nus, à de niais panégyriques d'ins.titutions sociales et de corps cons­titués, le tout se terminant par descouplets patriotiques.

Quant à Maurice de Gandillacet à ses vues fort instructives surla métaphysique du scandale, jeles abandonne à cette gentille pe­tite mite de la critique théâtrale,qui promet de s'en occuper dèsson retour du Japon (au prin.temps, comme on sait, les mitessont très volages) où elle répa.ndà cette heure les bienfaits de l'exis­tentialisme chrétien. Quelle quesoit l'issue de cette querelle d'or­fèvres, il est douteux qu'elle 8erve

Jean GenetLes ParaventsL'Arbalète, Marc Barbezat éd.mise à la scène de l'OdéonThéâtre de Francepar Roger Blin

S'il n'est ordureou boue dont la sciencene sache tirer profit,Je pense qu'il n'est pointd'être si vil et si infimeQui ne soit nécessaireà notre unanimité.Paul Claudel, La ville, Acte III.

Lorsque Maria Casarès, voilàquelque dix ans, proférait cesparoles sur la scène du T.N.P.,nous ne nous doutions certes pasqu'elle incarnerait aujourd'hui,avec vaillance et alacrité, cet êtrevil et infime entre tous qu'est laMère des Paravents - ni que JeanGenet, poète de l'exception s'il enfût, composerait cette admirablefresque qui, mieux qu'un chef·d'œuvre dramatique (en matièrede «nouveau théâtre», nous nesommes plus à un chef·d'œuvreprès... ), est tiJ;le œuvre profondé.ment et absolument «nécessaireà notre unanimité ».

Avant de rendre hommage ill'artisan de cette unanimité qui,

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~out spécialement aux dil/érents müieuxintellectuels qui, de par leurs fonctionsou formation, sont concernés par le Livre:professeurs, instituteurs, étudiants, direc·teurs de bibliothèques, responsables demouvements de jeunesse et de cerclesculturels, journalistes, etc... et naturelle­ment tous les libraires.

Elle doit également toucher un v~public, sans distinction de culture, et toutparticu;lièreme.nt celui que les promoteursde cet el/ort désirent amener à la lecture.Dans ce but, un super car·podium a étééquipé e;' Bibliothèque-Exposition. CettePromotion Itinérante sera l'occasiond'ol/rir au public, sur le plan local, lapossibilité de connaître les principauxcentres d'intérêts que les livres peuventlui apporter dans' tous les domaines.

A l'I:.N.8.

V ne centaine de chercheurs, parmilesquels des médecins, des ethnolosues,des professeurs, des architectes, desétudiants, des sociologues, viennent depublier le premier numéro d'une revueau contenu et au style fort attGchants.« Il est vrai Il, déclarent-üs dans .l'édito­rial de Recherches (Vüla des Ternes, 7,avenue de Verzy, Paris, 17") « qu'audépart nos recherches pourront semblèrassez disparates, restant très marquéespar leurs orisines disciplinaires dil/éren.tes. Nous préférons présenter des étudesspécialisées en dépit du risque de resterpartiellement obscurs plutôt que de faireœuvre de vulsarisation ll.

Intense activité théorique à l'Ecolenormale supéneure. Les chercheurs grou­pés autour de Louis Althusser et dont laplupart appartiennent à l'V.E.C. ontpublié au cours .de ces derniers mois deuxrevues ronéosraphiées (éditées' par laSociété d'Etudes et de Recherches, 27,rue du Faubours Montmartre, 9") : LesCahiers marxistes·léninistes (à signalerdans le n° II une brève, mais très impor­tante étude de L. Althusser : «Matéria­lisme historique et matérialisme dialecti­que Il) et les fascicules de l'Ecole pari­sienne de' Formation théorique (fichessur le Capital ei sur la Critique du pro­gramme de Gotha). Emanant égalementde la rue d'Ulm les Cahiers pour l'Analyseoù figurent, entre autres, des textes deJ. Lacan, de S. Leclaire, de G. Can­guilhem, de J.A. Miller.

... remarquable synthèse, dégageant les liens qui dans l'art égyp­tien, unissent les réalisations extérieures aux réalités spirituelles.

RENÉ HUYGHEde l'Académie francaise

DESCLÉE DE BROUWER

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LEGPHIRD HGIUCONgU TEETIENNE oRloToN DE IIIRTPIERRE DU BOURGUET L L- --...J

Promotion itinérantedu livre

Vne opération de Promotion itiné­rante du Livre, orsanisée par la SociétéCoty, à la demande d'un certain nombred'Editeurs, se déroulera dans 40 'Villesde la Région Ouest de la France du16 mai au 30 juin prochain.

Cette opération a d'abord une missiond'information générale portant sur lesdivers aspects du Livre. Elle s'adresse

58%

58 % des Français, plus d'un Fran­çais sur deux, ne lisent jamais de livres.Telle est la conclusion à laquelle aboutitune enquête de sondase effectuée en1960.

. Les 42 % de Français qui lisent,suivant des prop~rtions variables, appar­tiennent aux professions libérales, auxcadres supérieurs et moyens. «Leursrangs ne comportent que quelques indus­triels, de rares commerçants, presque pasd'ouvriers, et, pour ainsi 4ire, aucunagriculteur. II

Il cxiste en France 500 bibliothèquespubliques, contre 4.253 en Suède(7.500.000 habitants), 946 dans la seulerésion de Westphalie, Colosne y compris(14 millions d'habitants).

Dans les établisseme~ts scolaires fran.çais, « Ü n'existe que pratiquement fortpeu de bibliothèques centrales Il. «Dansles établissements nouvellement construits,le local destiné à la bibliothèque a étérarement prévu. II

L'ensemble ne pèse pas lourd auresard de pays comme l'Ansleterre,l'Allemagne, les pays scandinaves. LaFrance, sous le rapport de la lecture,vient en queue du peloton, juste avantcertains pays de la Méditerranée orientalequi ont une population 8 à 10 foismoindre.

Afin d'attirer l'attention de noscompatriotes sur un fléau national autre·ment plus catastrophique, à lonsueéchéance, que tous les fléaux naturels,l'Association Française pour le Dévelo~

pement de la Lecture vient d'orsaniserune Semaine de la Lecture qui prendfin aujourd'hui, 15 mai. Elle a été inau­gurée par une conférence de presse deM. André Chamson et marquée pardiverses manifestations, dans les journaux,à la radio et à la télévision. Espéronsqu'elle va marquer le début d'un change­ment dont nous serons heureux, ici,d'enregistrer les étapes.

28

Page 29: La Quinzaine littéraire

Genet, l'ortie

ou desserve une œuvre qui se suf·fit si amplement à elle·mêmequ'elle peut s'offrir le luxe d'êtrele Pré·aux·Clercs des professeursde philosophie.

J~ refw,e donc, pour ma part,de considércr les Paravents sousl'angle mort du scandale et de laprovocation. Je pense, au con·traire, que. c'est pour mettre unterme au scandale que cette piècefut écrite en 1960, c'est·à·dire. àl'époque où, tel un raz·de·maréeà son plus haut période, il mena·çait de tout engloutir. Car s'il fautque le scandale arrive - et il vasans dire que l'interminahle etm~.ltiple scandale que fut laguerre d'Algérie arriva et perdurasans que Genet y soit pour rien -,il faut surtout qu'il cesse. Et pourque se résorbe cette formidablevague de fond, il ne s'agit pas dese laiss~r porter par son écume ­ce que firent la plupart des gens,sensibilisés à l'un ou l'autre as­pects du scandale - mais il s'agitd'aller au fond du scandale, et detraiter par le fond les forces mys­térieuses et souvent monstrueusesqui l'animent. Or les Paraventsatteignent· ce fond, et prouventpar là même qu'il n'est pas, au­jourd'hui, de dramaturge morale·ment plus qualifié (comme parlela mite rencontrée plus haut) pourexorciser les fantômes du dramefrflDco-algérien.

Car le monde moral de JeanGenet est aussi solidement fondéet structuré que celui de Josephde Maistre, et pareillement irré­versible et providentiel (Pour qui

La Quinzaine littéraire, 16 mai 1966

a lu Pompes funèbres et l'Eclair­cissement sur les sacrifices, la~onsanguinité de ces deux génies

.saute aux yeux.) Une seule diffé­rence, mais de taille : l'un de·mande aux puissances du mal ceque l'autre confie aux puissancesdu bien, à savoir le salut.

Mal, merveilleux mal, toi quinous restes quand tout a foutu lecamp, mal miraculeux tu vas nousaider. Je t'en prie, ·et je t'en priedebout, mal, viens féconder monpeuple, et qu'il ne chôme pas !

Cette invocation de Kadidja,pleureuse de son état (et pleureusedu premier mort de la rebellion),éclate comme un tonnerre au dou­zième tableau des Paravents etdonne le signal de l'atroce guerrelibératrice. Mais elle est préparéede longue main par cette trinitémisérable et patibulaire - laMère, son fils Saïd et sa bruLéïla - qui a été mise au ban deson peuple parce qu'elle constitueune famille à part, celle de l'or·tie, au nom de laquelle, orgueil­leusement et comme joyeusement,elle assume toute la hideur, lavolerie et la traîtrise qui sont aumonde, et que réprouvent, sansexception, toutes les morales dumonde.

On ne s'étonne point que l'ortiegrièche des ruines et des terrainsvagues soit chère au cœur deGenet. A toutes les orangeraies etroseraies de l'Algérie « heureuse >",

il préfère le carré d'orties qui estle seul patrimoine de la mère etde la femme de Saïd. De mêmeque c'est là qu'elles se retrempent

La mère et la femme de Saïd

pour blesser le monde, c'est dansla nuit pleine d'orties que naît etprospère la Révolution - qui estl'œuvre, en vérité, de cette ortiequ'elle méprise et renie au grandjour, et sacrifie en fin de comptepour que chantent la parade glo­rieuse et r ordre nouveau.

D'où le destin, ignominieuxmais resplendissant à la manièred\m soleil noir, de Saïd, fils etépoux de l'ortie, qui répond pointpar point à cette sommation deLéïla : Je veux [... ] que tu cessesde regarder en arrière. Je veuxque tu me conduises sans broncherau pays de r ombre et du monstre.Je veux que tu t'enfonces dans lechagrin sans retour. Je veux [... ]que tu sois sans espoir. Je veuxque tu acceptes toutes les humilia·tions. Je veux que tu choisisses lemal et toujours le mal. Je veuxque tu ne connaisses que la haineet jamais ramour.

Et pendant que Saïd et safamille s'enfoncent dans l'abjec­tion défilent les paravents ­c'est-à-dire, en somme, les décorsque plantent et brossent elles­mêmes, pour se justifier à leurspropres yeux, les diverses per­sonnes du drame. Parfaitementlibéral - car il laisse à chacunel'illusion de sa vérité -, Genetnous arrête devant chaque para­vent avec une préférence mar­lf9ée pour ceux qui revêtent uncaractère liturgique, et une ten­dresse .visible pour ces grandsartistes, Warka la putain et lelieutenant de la légion, quidemeurent fidèles à leur «style ~

jusqu'à ce que mort s'ensuive.De toute évidence, Genet

épouse l'éthique de Warka, lareine des averses aux jupons d'orlestés de plomb qui proclame aubout de vingt-quatre ans debordel: à qui offrir notre vie etnos progrès dans notre art, à quisinon à Dieu? Comme les flics,en somme. On se perfectionnepour Dieu... Il partage de mêmele souci esthétique du lieutenantqui veille à ce que chaquehomme pour n'importe quelautre soit un miroir; que lamultiplication des miroirs hu­màins produise ce narcissismegénéralisé à quoi rien ne résiste(bf3auté, beauté, ciment desarmées' et dont la récompense

est, indifféremment, la gloire oula mort. Aussi l'agonie dulieutenant nous vaut-elle lafameuse oblation des pets, quioccupe déjà une place éminenteparmi les plus beaux chants demort du répertoire national. ­Promotion due, on le sait, auxémotifs et aux naïfs qui ont crubien faire en venant conspueren foule cette originale cérémo­nie où le chevaleresque et letroufionesque, le patriotique etle folklorique, le grandiose et ledérisoire trouvent si merveilleu­sement et équitablement leurcompt~.

Enorme et délicat Genet! SesParavents fourmillent d'inven­tions profondes et singulières,d'un lyrisme enragé ou d'unedrôlerie très bon enfant. Toute­fois, dans ce qu'on peut nommerles cas de force majeure - lors­que l'ingéniosité ne suffit pas etappelle le génie à la rescousse -,Genet se tient et nous tient surla corde la plus raide, où lesublime balance l'abject et prendinsensiblement et comme inéluc­tablement le pas sur lui. A cetégard, rien n'égale la scène,digne de Melville, où la vieillearabe, mère des orties, étrangledoucement, longuement, tendre­ment - comme elle berceraitson enfant pour qu'il s'endorme- le jeune soldat français.

Dans les ultimes tableaux dela pièce, les morts des deuxcamps crèvent les paravents et,toute haine cessante, se réconci·lient (Et on fait tant d'histoi­res!) sans même avoir besoin des'expliquer. C'est le degré atteint,dans Shakespeare, quand au soird'une bataille on voit la paix surla terr:e comme au ciel. Mais pre­nons-y garde: deux terriblesmorts, Saïd et Léïla, manquentà l'appel. Il est inutile de lesattendre car; ainsi que s'expri­mait Claudel à propos de Gide,le mal ne compose pas, et lagraine d'ortie ne saurait se com­mettre avec le ciel.

Voilà pourquoi tout homme debien doit gratitude et respect àJean Genet, gardien de ce quine compose pas et poète de cetteortie qui, plus que nos bons apô­tres et leur humanisme mité, estnécessaire à notre unanimité.

Maurice Saillet

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Page 30: La Quinzaine littéraire

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Roger Caillois1malU, imaIU...José Corti, 9 F.

LINGUI8TIQUB

Geneviève Galame-GriauleEthnoloJÎe et lan,GJe:la parole cher. le& DOI0ntGallimard, 39 F.

Jean FollainPetit llouainde l'fII'lot ecclUilutiqueJOIn·Jacques Pauvert,7;05 F.

Louis HjelmslevLe lan,a,eTraduit du dlDoispu M. 01lenEd. de Minuit, 20,50 F.

Ernest RogivueLe musée cle& laUicismaGeorg édit., diffusionBuchet.Chastel, 17,70 F.

PBIL080PBIB80CIOLOGIBBTBNOLOGIB

Henri ArvonBakounineSeghers, 7,10 F.

'Bourdieu et DarbelL'amour de l'artLe. muséu et leur publicEd. de Minuit, 18,50 F.

Bernard GinistyConversion spirituelleet enlalement prospectifEssai pour une lecturede Gaston BerlerEd. Ouvrières, 11,40 F.

JOI" LacroixL'échecP.U.F.,5 F.

Pierre MesnardDucartesSeghers, 7,10 F.

Israël ScheIDerAnatomie de lo scienceTraduit de l'anglaisEd. du Seuil, 18 F.

BBLIGION8

V. CongarLe Concile au jour le jourEd. du Cerf, 13,80 F.

Gaston FessardLa dialectiqUe cle&uercicu spirituel.de Saint lpace de LoyoltJt. II: Fondement, pécMorthodo%ieAubier.Montaipe, 27 F.

A. des GeorgesLa réincarnation da âmaselon let traditiontorientGla et occideratalaAlbin Michel, 18,50 F.

Edgar HaulotteSymbolique du vêlementselon lo BibleAubier-Montaipe, 27 F.

Gersham F. ScholmnLa kabbale et ..tymboliqueTraduit de l'.Demendpar J. BcJe.ePayot, 18 F.

JOIn.Jœeph SurinCorrupondancePréface de Julien GreenDesclée de Brouwer, 60 F.

8CIBNCB8

Dr Karl AbrahamŒuvres complètes, t. II(1913.25) :Développement de lolibido, formation ducaractère, étudel cliniq_Payot, 30 F.

J80n DelormeLa mer et l'upaceHachette, 12 F.

Georges de MorsierEuai sur lo lenèIede lo civilisationscientifique actuelleGeorg éd., diffusionBuchet·ChUtel, 24,75 F.

BI8TOIBB

DictiomJGire bio,raphiquedu Canada, t. 1:de l'an 1000 là 1700Armand Colin, 90 F.

Jeanne BourinTrès laIe HéloïseHachette, 12,50 F.

Anne-Marie CombaluzinJ'ai vu mourir Ph. Pét4inPréface de J. 180rniFlammarion, 9,75 F.

Robert CornevinHistoire de l'Afrique, 11L'Afrique précolonialePayot, 50 F.Du tournant du XVI' GU

tournant du XX' liècle

Drioton et du BourguetLe. Phoraom là loconquête de l'artDesclée de Brouwer, 75 F.

Alein DecauxDossiers secretsde l'hUtoirePerrin, 20 F.

René FloriotDeu% femmu enCour d'assisuHachette, 10 F.

Fran90Ue MayeurL'Aube, étude

',d'ùn journal d'opinionde 1932 là 1940Amiand Colin, 26 F.

Paul RœschThespis et loconfédération béotienneEd. de Boccard, 50 F.

Tréheux et BrixheEtudes, d'arcMoloJÎeclGssique, t. IIIEd. de Boccard, 40 F.

Bernard VoyenneLa pre&Se dGns loSociété fr~Armend Colin,CoDection U, 19,50 F

POLITIQUBQUB8TION8ACTUBLLB8

Le. Résolutiont adopléapar lo 1re conférence desolidarité da peuple.d'Afrique, d'Alie etd'Amérique lGtineEd. Le Communiste, 3 F.

SamU AminL'Economie du MGJhrebI. La colonisation et lodécolonisatiors, 22,50 F.2. Le. per.pectivud'avenir, 15 F.Ed. de Minuit.

JOIn.Noël AquistapaceDictionnaire de lapolitiqueSeghers, 14 F.

DarrasLe portale cle& bénéficuE%pomiom et iné,oZitélen France (1945.65)Ed. de Minuit, 27,75 F.

Anicet KaschamuraDe Lumumba alU colonelsBuchet.Chastel, 16,50 F.

Elizabeth NœDeLe. sonda,U d'opinionEd. de Minuit, 24,30 F.

David PotterLe. fils de l'abondanceou les AméricainsSeghers, 3,70 F.

Hélène ToumaireLivre jaune du Viet-namPerrin, 20 F.

ACTUALITa8

Pierre DemondionLa'promotion socialeBerger.Levrault, 24 F.

Jean.Marie GerbaultLe, drOIUf!& du bonheurHachette, 3,80 F.

Anita PereirePour elletHachette, 16 F.

Pierrette SartinLe surmenaleprofe&sionnelHachette, 12 F.

Dr XJournal d'un médeCUlTraduit de l'américainpar M. A. RevelletStock, 15 F.

:l:CONOMIBPOLITIQUB

Jacques LavrillèreL'industrie des banquiersEd. du Seuil, 4,50 F.

J.•L. TalmonLe. oriJinet de lodémocratie totcllît4iTeCalmann.Lévy, 25,20 F.La duolité du coraœptdémocratique

Jean ValeunA quoi sert lo Bourse?Ed. du Seuil, 4,50 F.

ABT

François ChamouxL'art VICLa bibliothèque dei Arta57 F.

Frank et HirmerLa mollll4Îe Jr8CqueFlammarion, 145 F.

René NelliLe musée du cœ1uJrisrraePrivat, 28 F.

Henri PerruehotLa vie de Se"",,Hachette, 14 F.

Dudley PopeLe._làfeuLa bibliothèque dei Arta,99 F.

Léa ven PuyveldeGoyaModem, 39,50 F.

Richard H. RushLa, peinture, valeur deplacementEd. du Tambourinaùe,65 F.

Jacques SalomonE. VuillardLa bibliothèque des Arta,3,60 F.

Mélan,u 1Publiés par le Casade VelesquezEd. de Boccard, 3 F.

TBaATBB

Arthur AdamovThéâtre IIIPaolo Paoli, lo politiquecle& rute&, SGinte-EuropeGallimard, 15 F.

TristID BernardThéœre choisi l ,Calmann.Lévy, 16 F.

ComtIDtin StIDislevskyLa conltTuction dupersonnGlePréface de Bernard DortPerrin, 21 F.

CINaliA

M. Bessy et J.·L. ChardansHistoire ducinéma, II (D.G)J.•Jacques Pauvert, 96 F.

POLICIBB8

Samuel FullerShock CorridorGallimard, Série Noire,3 F.

Donald HamiltonMatt Helm décontractéGallimard, Série Noire,3 F.

DIVBR8

Jacques AugendreHistoires de ...cyclismeavec la collaborationde R. ChapattePréface de Louis BobetCalmann.Lévy, 9,60 F.

Page 31: La Quinzaine littéraire

Ouvrages publiés enV8 le 15 avril et le 1er mai

LETTRBS A

«LA QUINZAINE»

R.·H. MonceauxLes c1ulmpi,nonssauVIIlesStock, 19,50 F.

JacqlQls PerretL'Ife de FranceSJn, 29,40 F.

Pierre SebilleauLa SicileArthaud, 42 F.

Philippe StreetSurvivant& de ÙJpréhistoireTraduit de l'anglaiapar J. HarrisonStock, 17,50 F.

H. de Toulouse-Lautrecet JoyantL'art de ÙJ cuùineLa bibliothèque des Arts51 F.

LIVBB8DB POeBB

Histoire

Georges LefrancJuin 1936Archives, Julliard

Easais

Auguste ComteCatéchisme poAtivisteG. F.

Helmut SchelskySociologie de ÙJ 8e%1UIliIéGellimard, Idées

Jean FourastiÀlIdées MajeuraGonthier

Geneviève SerreauLe tMâlre contemporainGallimard, Idées

T. V. Ueù.üllLa médecine

. paychosollUltiqueGallimard, Idées

Léon Thoorens. Panorama des littéramnu

Marabout-Université

R. Jeanne et FordHistoire illuatrée ducinémaMarabout-Université

PhiUJsophie

L. RougierHistoire d'une faillitephiUJsophique :ÙJ ScholaltiqueJ.-J. Pauvert, Libertés

Art

Jean LaudeLes am de l'Afrique NoireIllustré, Série Art .

De l'art clauique àl'art modernePayot, Histoire de l'art

Politique

Paul GuichonnetMwsolini et le ftUcismeQue sais-je ? P.U.F.

François LuchaineL'aide auz payssous-développésQue sais-je? P.U.F.

Economique politique

Fernand BouquerelLes études de marchéQue sais-je ? P.U.F.

Jacques LavrillèreL'induatrie des banquier.Le Seuil.

RééditionsLittérature

OvideLes MétamorphosesG. F.

BalzacLe contrat de maria,eG. F.

EuripideThéâtretome 3. G. F.

Alberto MoraviaLa CiociaraJ'ai lu

Théodor PlieverMoscouJ'ai lu, Cl Aventures •

Graham GreeneUn América~ bientranquilleJ'ai lu

Louis AragonLe paysan de ParisLivre de Poche

Jacques ChardonneCÙJireLivre de Poche.

John GalsworthyEpisodes et dernier.épisodes des ForsyteLivre de Poche

Charles MorganPortrait dans un miroirLivre de Poche

Albert CamusL'exil et le royaumeLivre de Poche

Tchékov1vanov et autres piècesLivre de PocheCl classiques •

Villiers de l'Iale-AdamContes cruelsPoche-Club

BoileauL'art poétiqueU.G.E. 10/18

Essais

Paul EluardLes frères voyantsGonthier

La MettrieL'Homme-machineJ .-J. Pauvert « Libertés •

RivarolDe l'universalité de ÙJÙJngue françaisePoche-Club

Poésie

ValéryPoésiesGallimard, Poésie dePoche

LIVBB8 DB eLUB

Club des Lïbrail'ude France

Paul GalJlUÎDNoa Noa1re édition du texteauthentique de GalJlUÎDétabli sur le manuscritinitial retrouvé, 43 F

Amis du livre prosressiste

André WurmserLa comédie inhumaineRéédition, 64 F.

Club de ÙJ femme

Maurice GoudeketPrès de ColettePrécédé d'uneinterview de l'auteur14,95 F.

La Guilde

Günter GrassLe c1ult et ÙJ souris10 F.

StendhalDe l'amourEdité par V. dei Litto7,80 F.

Vladimir NabokovLalitaLa Guilde, 10 F.

Livre-club du Libraire

GoyaLes déStUtres deÙJ luerrePrésentation d'Elie Faure54 F.

MallarméPoésiesIllustrées par Matisse59 F.

Club du livre Policier

Charles ExbrayatDors tranquille, CatherineQuel lâchis, impecteur30 F.

Rencontre

Le XV11" siècle, 1Présentation de J.-F. Revel12" volume del'Histoire Générale deÙJ Peinture

Agrippa d'AubignéLes TragiquesPrésentationd'A. M. Schmidt

Alphonse DaudetLe NababEdition deJean.Louis Curtis

Romain GoldronNaissance et aposéedu clalsicisme7' volume de l'Histoireillustrée de ÙJ muaique

Sanche de GrammontLes Etats·Unisde 10,20 F à 15,60 F.

Tchou

Guides noirs :Guide de ÙJ Bretapemystérieuse39,50 F.

Les liaisons dangereuses:Les amours du chevalierde Faublal/.-B. Louvet de CouvrayPréface de Paul MorandNotice de Denis Roche,49 F.

Le livre de chevet:Victor Hugo. Poèmes,19 F.

Lamartine. Poèmes, 19 F.Tréao1'll de lamédecine traditionnelleHiatoire, doctrine et .pratique de l'acupuncture39 F.

Cette rubrique est réservée aux lecteursde Cl ÙJ Quinzaine littéraire ». Elle peromet à ceux qui ·'e désirent de faire con­naître à l'ensemble de ÙJ rédaction, commeà l'ensemble de nos lecteurs, des opinionset des avis sur notre journal, sur lesarticles qui y sont publiés, sur ce quenous devrions faire ou ne plU faire. Ellepourrait devenir par là·même un lienvivant, une forme de colÙJboration, entreceux qui font le journal et ceux qui lelisent. Il nous semble que tous auraientà y gagner.

Bien entendu, il nous est impossible depublier toutes les lettres que nous recevonset de les publier intégralement. Nouasommes amenés à faire un choix et àextraire des lettres reçues ce qui nouaparaît intéressant pour toua. Noua prionsnos correspondants de noua indiquer .'ilsacceptent de voir publier leur nom ous'ils préfèrent conserver l'anonymat. Enattendant nous nous bornerons à signerleurs lettres de l'initiale de leur nomet du lieu d'envoi.

Pélioltatloll.

Laissez-moi voua dire que j'ai trouvévotre revue excellente; mieux, nécessaire.

Robert G.Académie royale de langue et de lit­

térature françaises, Bruxelles.Bien que rayé du monde en ma loin­

taine montope où je vis depuis 1920,je tiens à voua apporter mon fort inef·ficace mais très chaleureux « bravo •et mes vœux les plua cordiaux.

Rimé E., Marrakech.J'ai lu toua les numéros de ÙJ Quinzaine

et je suis enthouaitUte. Mon mari aW8Ï.Noua voua félicitons de l'intérêt, de ÙJ

recherche, et de l'intelligence qui jaillis­sent de toutes les pales. En ce qui meconcerne, j'ai enfin trouvé un journallittéraire frarn;ais me dannant une trèsgrande satisfaction personnelle et profes­sionnelle.

B.G., Paris.[Mme RG., Américaine, représente à

Paris une grande maison d'édition deson pays.]

L'opinioll d'1Ul m6deoin

Cette Quinzaine littéraire c'est, pourl'homme surmené mais qui n'a plU

renoncé à sa curiosité ÙJ baguette dusourcier, l'instrument du choix. Attentiveà tout ce qui paraît; faisant sa place GlU

meilleurs écrits des sciences humaines,politiques, sociales et biololiques. Or, cesmatières sont au moins aussi importantesque ÙJ littérature pour l'homme d'aujour.d'hui. J'admire que ÙJ plupart des articlesde « ÙJ Quinzaine littéraire » constituèntdéjà un dacument valable en soi.

Dr Michel L., Paris.

Plua pl

Votre journal est intéressant, mais bienaustère. Ne pourriez·voua « l'ésayer • unpeu par des articles qui ftUSent moimcompte rendua, sans tomber pour autantdans ÙJ facilité et ÙJ chronique «pari­sienne» ?

sn., Paris.

Batlafaotioll et ..poir

Lecture faite des trois premiers numé­ros de «ÙJ Q.L.. et avant d'ac1uJNTdemain le 4', permettes-moi de venir flOU

exprimer ma vande satisfaction pourvotre journal.

/e ne crois plU du tout qu'il ait besoind'être amélioré comme VOUI sembla lepenser. Il atteint d'emblée ÙJ réUNile...AW8Ï votre entreprise comble-t-elle unvide immense, et étranle, pour un PfIY'réputé lettré. l'espère donc que voua flOU

en tiendrez à l'esprit (et méme à ÙJ lettre)de ces troia preJAÜll'l nwairoI et qu'on

ne verra plU ce solide périodique bifur.quer comme tant d'autres sur les voiesde ÙJ facilité dans l'espoir falltJcieuz de·'racoler quelques lecteurs supplémentaires.

M. G., Saint·Nazaire.

Mom. béai...ur

Voua avez un louable souci d'objectivité,et je vous en félicite. J'aimerais pourtant,parfois, des prises de position plua vi,OU­reuses, un ton moins bénisseur. Toua leslivres dont vous parlez ont leur intérêt,j'en suis persuadée, mais j'attends qu'onme détourne de ceuz que je vois vanterailleurs pour des raisons que je ne com­prends plU et qui ne tiennent pas à leurvaleur, j'en ai fait l'expérience.

Renée C., Clermont, Oise.

Illquiétude

Je voua prie de biéia vo~ troUtltll'ci·joint le montant d'un abonnement. /eme permets seulement de voua indiquer queje suis un peu inquiet de certains tUpect&de votre publication. En. face d'articlesclairs et informatifs, je vois apparaîtrede ces compte rendua dit Cl brillant& • quisont seulement snobs et inutiles. Il .'apde rendre compte sereinement et c1aire­ment des ouvrages, non plU de raconterdes paradoxes plua ou moins éculés.

Jean M., Montpellier.

Pl•• oomplet et plu. aueoind

J'aimerais que vous soyez plua completet plua succinct dans les commentaires,que pour les auteurs du poilé 1I0~ nousdanniez des biographies et .urtout desbibliographies avec indication de ÙJ meil­leure édition (complète, critique, ete. ).A côté du «livre de ÙJ quinzaine lt,

j'aimerais trouver de temps en temps ledossier du mois, de l'année.

Marc B., Saint-Junien.

Lea c la8trumelltllpour oomprelldre lt

[A propos des articles de Jean-FrançoisRevel et de Lucette FintU .ur Bartheset ÙJ Cl nouvelle critique », noua avionspublié (nO 4, 1"' mai) une lettre de M.Demmy, Paris, noua demandant .'ilétait «indifférent que les groupes tech·niciens, si prompts à s'instituer n08guides-ânes soient tous rémunérés parl'Etat ». M. S.B., de Paris, revient .urcette question.]

Ce bon Dezamy manque sans doute des« .instrument& pour ~ faire cQmprendT8 ••Il ne .s'agit plU de « vouloir» une « indé­pendance» quelc0ntue du critique vis-à­vis de l'Etat, mais de constater sa déPf1l'"dance. En soi d'ailleurs l'indépendancesur ce plan ne chanse rien à l'affaire :avant l'arrivée au pouvoir des nationaux­socialistes, les critiques - littéraires ouautres - nazis étaient sam attachesétatiques, souvent faméliques; ils n'expri.­maient pas pour autant une pensée« libre ». Un penseur rémunéré parl'Etat; feu Georges Bataille par exem­ple, peut faire œuvre ori,ïnale et libre(autre chose est de le .uivre) cela,en partie du moim, parce qu'il n'estplU payé pour penser ce qu'il écrit,mais pour tout autre c1aoae. Tel n'estplua en. lénéral le CtU des critiquesactuels, dans toua les domaines d'ailleurs.

Si Demmy .'était exprimé correctement,il aurait dit : « D'abord, psychanalyser lepsychanalyste », d'abord examiner ICI

situation pratique dans le monde pourcomprendre ses « instruments •• Et pointn'est besoin pour en traiter, de poser leproblème d'une transformation sociale àvenir, il suffit d'étudier celle qui se dé·roule soua nos yeuz.

SB., Paris.

La Quinuine littéraire, 16 _ 1966 SI

Page 32: La Quinzaine littéraire

.SIMONE DE BEAUVOIRou l'entreprise de ri,wre, suiwi dedeux entretiens awee S.de Beauwoirpar Francis JeansonAprès avoir interrogé l'œuvre de Simone de Beauvoir, trouvé des éclai­rages nouveaux sur l'une des pensées les plus vivaces d'aujourd'hui,Francis Jeanson a voulu connaitre les réactions de l'auteur face auxQuestions Qu'il pose au fil de son étude et aux réponses Qu'il a crupouvoir leur donner. Ainsi, la seconde partie de son livre, appelée àfaire date, est-elle constituée par deux passionnantes conversationsentre Simone de Beauvoir et luI. -

rOifftans, théâtre

Francis JeadsonSimoné de Beauvoirou l'entreprise de vivre

1 vol. avec 15 photos en hors-texte. 304 p., 18 f. SEUIL

Ce livre, loin d'être seulement une mise au point dans une qilerelle déjàpérimée, veut éclairer le changement profond de notre culture parrapport à la Question centrale de l'Interprétation, et Introduire à cettenouvelle histoire. qui touche au passé comme à l'avenir : la science dela littérature, sa critique et sa lecture devenant ainsi trois aspects complé­mentaires d'un même acte de vérité.

HEINRICH BbLL Loin de la troupe 12 f(nouvelles)Un humour qui, à travers l'observation psycho­logique, sociale, politique, ne cesse pas des'affirmer.

ITALO CALVINOLa Journ" d'un scrutateur 8,50 fUn Intellectuel communiste surveille les opéra­tions de vote dans un hospice religieux.

CARLO CASSOLA Le ch....ur 12 fPar l'auteur de "La Ragazza ",

PETER WEISS L'Instruction 18 f (théatrelLa transcription lItanlque et scrupuleuse deprocès-verbaux du tribunal de Francfort devantlequel comparurent, 20 ans après, des respon­sables du camp d'extermination d'Auschwitz.

Critiqueet

Vérité

:~

(jRITIqUEpar Roland Barthes

ET VÉRITÉ

poésieIOSSIP BRODSKICollines et .utres poèm.s 7,50 fPoèmes réunis et traduits à l'Insu d'un jeunepoète russe, condamné pour "parasitismesocial" à 5 àns de séjour dans un camp detravail, et récemment libéré.

c.lllcli.n "TIl Q-cl"AUX SDJTJO~S DU S1i.U1L

Collection "Tel quer, 1 vol. 80 p., 4,50 f. SEUIL

SEUILEdition établie et présentée par Paul de Man. Traductions de M. Betz,L. Desportes, B. Grasset, J. Legrand et H. Zylberberg.

1 vol. relié pleine toile verte, 704 p., 29 f.

La majeure partie des textes réunis dans ce premier volume des Œuvresde Rainer Maria Rilke avaient déjà été traduits en français, grâcesurtout à la ferveur et au dévouement Que Maurice Betz avait mis auservice de Rilke en France. Ces traductions dispersées en divers volumeset plaquettes se trouvent Ici réunies pour la première fois. Nous y avonsajouté plusieurs textes encore Inédits en France.

œUVRES DE R.M. RILKETOlDe t : prose

collection reliée

CLUB JEAN MOULINPour une polltlqu. 6trengère d. l'Europe 6 fcollection "Jean Moulin"Le rOle de l'Europe dans la détente et lesconditions d'une Europe européenne, partenaireégale des Etats-Unis.

essais

GERARD GENETIE Figures 18 fDix-huit études et notes critiques à traversdes sujets aussi divers que Proust et Robbe­Grillet, Borges et l'Astrée, Flaubert et Valéry, lestructuralisme moderne et la poétique baroque

Œuvres de R. M. RILKE Tom. l, Pros.relié pleine toile verte 29 fVoici réunies pour la premlére fols des traduc­tions dispersées en divers volumes et plaquettes,et plusieurs textes encore Inédits en France.Edition établie et présentée par Paul de Man.

FRANCIS JEANSONSlmon.d. Beeuvolr ou l'entreprl..devivre,suivi de deux entretiens avec Simone deBeauvoir. Avec 15 photos en hors·texte 18 f

ISRAEL SCHEFFLERAn.tomle de 1. Science 18 fEtudes philosophiques de l'explication et de laconfirmation. collection" SCience ouverte".

soclété12 - A QUOI SERT LA BOURSE? 4,50 fper Jeen V.leure,Le tiercé du riche - Les marchands d'épargne...faverisent-lis l'Investissement? - Faut-II fermerla Bourse?

13 - L'INDUSTRIE DES BANQUIERSpar Jacqu.. Lavrlllèr.. 4,50 fOù déposez-vous votre argent? - Les banquesproduisent de la monnaie - Les banquiersentre eux - Que faire des banques?

É(jRIRENouvelle collection de pochedirigée par Jean Cayrol.. Ecrire" donne la parole à des écrivains débutants Qui ont en eux unevision personnelle de ce Qu'Ils vivent Quotidiennement, font de chacunde leurs livres un·apprentlssage.C'est à vous, public, lecteur fidèle, en lisant ces auteurs, d'essayer desavoir ce Que peut être l'avenir de notre langage même dans uneInexpérience." J. C.3 volumes parus. Chaque volume 3 f .­

L'AMAZONE, par Michel Braudeau.LES GRANDES MALINES, par Alain Garric. S~UILLES CHAMBRES, par Bruno M.suret. .n

microcostneOUVERTURE POUR UNE DISCOTHÈQUEper Roland de Cendj 9,50 fUne histoire de la Musique par le disque(nouvelle édition)

religionŒuvres com piètes de SAINT LOUIS-MARIEGRIGNION DE MONTFORTsur papier bible 45 f, relié plein chagrin 60 f

re'VuesSOCIOLOGIE DU TRAVAIL nO 2/66 7,50 fLa sociologie du travail au Japon.

TEL QUEL nO 25 7,50 fFrancis Ponge, Philippe Sollers, Nannl Balestrlnl,Denis Holller, Jean.Louls Baudry, Pierre Rotten­berg, Jean-Joseph Goux, Marcelin Pleynet,Jean PIerre Faye, severo Sarduy.

André Régnier •Les infortunes

de la raison

0llIc0. _

Aux Éditions du Seuil, Paris

LES INFORTUNESDE LA RAISONpar André RegnierSI l'on examine de près le travan scientifique, non selon l'optique duphilosophe, mais du point de vue pratique de l'homme de science, ons'aperçoit Que la nature n'a pas de lois, que l'expérience ne prouve rienet Que le raisonnement finit toujours par nous fourvoyer. 144 p., 9,50 f.

Nouvelle collection "Science ouverte" dirigée par Max de Ceccaty.Dans la même collection :LES N~ROSES EXP~RIMENTALES, d. le psychologie animale' le pathologiehumaine, par Jacques Cosnier, 1 vol. 176 p., 12 f.ANATOMIE DE LA SCIENCE, 'tud.. phlloeophlqueade l'explication et de la confirmation, S·~UILpar Israel Scheffler. 1 vol. 272 p., 18 f. .n