LES CONSIGNES DE VOTE ET LES COMPORTEMENTS...

© (EDUCI) 2019 Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°1, 2019 141

RÉSUMECet article fait l’analyse du comportement des électeurs de Nioro du Sahel à partir d’une approche sociogéographique. Ainsi, est

questionné in fine le fait qu’un chef religieux musulman de renom de ladite localité ait délivré des consignes de vote en faveur d’un candidat sur les 24 en lice, lors de l’élection présidentielle de 2018.

Si l’explicitation de la consigne de vote est une nouveauté au Mali, il n’en demeure pas moins que la pratique a cours il y a plus d’une décennie avec des hommes politiques qui vont à la recherche de l’électorat des notabilités religieuses.

Mots-clés : Mali, consigne, vote, religieux, Nioro du Sahel.

ABSTRACT The present paper analyzes the behavior of electors of Nioro du Sahel, from a socio-geographic perspective. The main question,

in fine, is the following: why has a renowned Muslim religious leader of this town given his followers voting instructions? In fact, he explicitly recommended to-vote in favor of one of the 24 candidates running for the 2018 presidential election. Though making voting instructions explicit is a new thing in Mali, the practice has nonetheless existed more than a decade ago, with political leaders who go research for the religious notabilities.

Keywords : Mali, Instructions, Voting, Religious, Nioro du Sahel

INTRODUCTION

Cette nouvelle ingénierie est scrutée en rapport à l’intrusion des religieux musulmans dans le débat public malien. Les pouvoirs publics se voient ainsi contestés dans leur légitimité et légalité à mettre en phase les législations nationales avec les engagements internationaux souscrits, dont entre autres : la peine de mort, le code de la famille en sus de la légalisation du mariage religieux musulman et de certaines fêtes musul-manes. L’application de la Charia dans certaines régions du pays pendant l’occupation consécutive à la crise multidimensionnelle qui affecte le Mali depuis 2012. En l’absence d’une politique publique nationale des cultes et de religion, l’observation du comportement des électeurs à travers le prisme des consignes de vote s’avère un élément original de compréhension de la situation sociopolitique actuelle.

LES CONSIGNES DE VOTE ET LES COMPORTEMENTS ÉLECTORAUX AU MALI : À L’AUNE DES RÉSULTATS DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE

2018 À NIORO DU SAHEL.

Fatoumata COULIBALY

Maître-assistante Université des Sciences Sociales et de Gestion de Bamako (USSGB).

[email protected]

Naffet KEITA

Maître de conférences Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB).

[email protected]

142 Naffet KEITA & al. : Les consignes de vote et les comportements électoraux au Mali ...

Dans la mémoire collective, si l’historiographie locale a ramené certains religieux à des bâtisseurs d’empires, des résistants à l’ordre colonial, des opposants à l’ordre dirigiste à l’indépendance, par contre, d’autres sont perçus tout simplement comme des entrepreneurs « ordinaires », des vendeurs d’illusions et même des faiseurs de « Président » à l’époque moderne (Keïta, 2011).

L’objet n’est pas de traiter de ces figures, ou leur présence dans le champ socio-politique du fait de leur très forte imbrication dans la sphère publique et politique, mais, il s’agit à partir d’une carte d’analyser et d’interpréter les résultats de l’élection présidentielle de 2018 à Nioro du Sahel.

Le choix de ce cercle devenu, aujourd’hui, région1, une collectivité territoriale du Mali et de la région de Kayes - s’explique par le fait qu’un leader religieux, Mohamed ould Bouillé Haidara, ait de l’influence dans ce cercle et a donné des consignes de vote pour un candidat autre que le président sortant dont il avait été un soutien de taille lors des élections précédentes de 2002, 2007 et 2013.

Le terme « consigne de vote » désigne une recommandation faite par des hommes politiques et émanant des leaders religieux depuis une dizaine d’années pour soutenir un candidat qui semble être selon eux le meilleur choix. Dans ce genre de configuration, les consignes de vote peuvent donner lieu à d’intenses négociations entre les candidats déchus et ceux qui restent en course, et surtout s’il s’agit d’un système de liste à la repré-sentation proportionnelle. Elle permet que chaque parti politique soit représenté avec un nombre de sièges.

L’objectif principal de cette étude est de cartographier et d’analyser les résultats de l’élection présiden-tielle de 2018, afin de montrer l’influence d’un leader religieux, du nom de Mohamed Ould Bouillé Haidara surnommé le Cherif de Nioro dans la campagne électorale.

Il s’agit plus spécifiquement :

- de cartographier les résultats de la présidentielle de 2018 dans le cercle de Nioro du Sahel ;

- de cartographier la participation du premier et second tour du scrutin présidentiel de 2018 ;

- d’analyser cartographiquement le score des deux candidats en tête de cette élection ;

2. MÉTHODOLOGIE

Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes conformés à l’existant à savoir le cadre territorial du cercle qui compte 16 communes : Baniéré Koré, Diabigué, Diarra, Diaye Coura, Gavinané, Gogui, Kadiaba Kadiel, Koréra Koré, Nioro du Sahel, Guetema, Nioro Tougoumé Rangabé, Sandaré, Simbi, Troungoumbé, Yéréré et Youri. Les données brutes (statistiques) ont été recueillies auprès des organes de gestion des élections au Mali, des partis politiques, des natifs du cercle résident à Bamako et des entretiens téléphoniques ont été réalisés auprès des habitants. Aussi, avons-nous profité de notre connaissance du milieu - pour y avoir séjourné pendant des années pour trianguler les données empiriques à celles des résultats électoraux. A partir de ces données, des cartes ont été réalisées pour permettre la lecture des résultats électoraux. La spatialisation des suffrages est l’occasion de mettre en évidence différentes approches en occurrence, sociogéographique pour affiner l’analyse du comportement électoral des habitants du cercle de Nioro du Sahel. Le traitement à l’échelle de la commune nous offre des superficies homogènes et hétérogènes, ce qui est essentiel pour la qualité et la pertinence de la représentation cartographique. Du point de vue local,

1 Lors du Conseil des Ministres du vendredi 20 juillet 2018, le Gouverneur de la région de Nioro du Sahel a été nommé, en la personne de M. Alhamdou AG ILYENE, (ancien Ambassadeur du Mali au Niger et ancien Gouverneur de Kidal), à quelques jours seulement de la tenue du scrutin présidentiel. A rappeler que le cercle a été érigé en région à partir de la Loi n°017-2012 du 02 mars 2012 portant création des 19 régions plus le district de Bamako. En effet, dans cette loi, il est spécifié en son article 4 que le délai de mise en place de ces nouvelles régions est de cinq (5) ans, selon un programme bien planifié. Déjà à la faveur de la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, les régions de Ménaka et de Taoudeni ont été opérationnalisées dans le cadre de la mise en œuvre dudit Accord.


les données traitées ici, représentent des spécificités en termes de vote. Si les consignes de vote étaient légion dans le jeu multi partisan entre les acteurs politiques, comment comprendre qu’une autorité religieuse s’y embraye, ne se pose-t-il pas là, la question de la laïcité au Mali? Est-ce une nouveauté au Mali ?2 Que valent aujourd’hui la consigne de vote d’un leader religieux ? Y a-t-il un lien entre la religion et le vote ?

3. RÉSULTATS ET DISCUSSION

3.1. L’ANALYSE CARTOGRAPHIQUE DES RESULTATS DES DEUX TOURS DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE DE 2018

Pour mieux apprécier et analyser les résultats publiés par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) pour l’élection présidentielle de 2018, un regard rétrospectif doit être fait sur les élections locales de 2016, où près de 223 conseillers communaux ont été élus et qui se répartissaient dans des communes et entre les partis suivants : le parti Union pour la République et la Démocratie (URD) du candidat Soumaïla Cissé a obtenu le plus grand nombre de mairies (Guetema, Diarra, Nioro, Tougoumé Rangabé et Youri) avec l’Alliance pour la Démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ) (Kadiaba Kadiel, Korera Koré, Trougoumbé et Yéréré) ; le Rassemblement pour le Mali (RPM) tient les mairies de Sandaré, de Simbi et de Diabigué ; Alliance Démocratique pour la Paix (ADP Maliba) a eu la mainmise sur deux mairies d’importance sym-bolique dans le cercle (la commune urbaine de la même ville et Gavinané) ; le Parti pour la renaissance nationale (Parena) a eu des mairies à Diaye Coura et à Gogui et le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) de diriger Baniéré Koré. Nous précisons ici que les résultats de ce travail concernent uniquement le cercle de Nioro.

Figure n°1 : Carte électorale de 2018 : Élections présidentielles dans le cercle de Nioro du Sahel

2 Le Républicain, « Cherif Ousmane Madani Haidara, président du Groupement des Leaders Spirituels du Mali « Nous allons donner une consigne de vote à la prochaine présidentielle»», le 9 mai 2013, sous : http://www.malijet.com/a_la_une_du_mali/71287cherif_ousmane_madani_haidara. html (consulté le 11/5/2013).


De ces résultats, nous voyons clairement que les élections locales n’ont pas les mêmes enjeux que celles nationales ; elles obéissent à des logiques de proximité, de filiation, de territorialisation et identitaire. Une telle configuration postulait la toute-puissance de l’Adéma PASJ et de l’URD dans le cercle. Qu’en est-il de la présidentielle dans la même localité ?

De l’analyse des résultats des premiers et second tours de l’élection présidentielle à Nioro du Sahel, il ressort les éléments suivants : sur les 16 communes que compte le cercle, la participation a été moindre. Ainsi, il est relevé que seules dans trois (3) communes3, la moitié des électeurs ont pu être mobilisés, 10 communes ont mobilisé près d’un tiers de l’électorat4 et dans une commune5, c’est le un quart de l’électorat qui a pu être mobilisé. Les résultats du premier tour (figure ci-après) ont montré des tendances qui confirment l’effectivité de la consigne de vote donnée par le Chérif dans l’ensemble du cercle, où son candidat a gagné dans presque toutes les communes. Toutefois, il y a lieu de noter des bastions de résistance à l’appel du religieux. Cela a été expressif dans les communes de Youri, de Simbi et de Troungoumbé, bien qu’à Sandaré et à Gogui, les tendances soient mitigées. De tous les candidats, Cheick Modibo Diarra est le seul à être né dans la ville de Nioro du Sahel et Alou Diallo, natif de Kayes ville serait un adepte du Chérif (hamalliste). Avant même l’organisation de l’élection présidentielle, le Chérif de Nioro avait manifesté publiquement son désamour à l’endroit du président sortant candidat à sa réélection. Quant au candidat Soumaila Cissé, son parti se rappelle encore de l’invalidation de sa liste de députation en 2007 du fait de l’incorporation du député défunt, Cheikna Hamallah Bathily, sur la liste du regroupement avec l’Adema PASJ et le Parena6, familièrement appelé « Aliment bétail », un transfuge de l’UDD, natif de Kadiaba Kadiel7. Aussi, le Maire de Youri, étant un élu de l’URD, a largement mobilisé pour que Soumaïla Cissé ait eu à gagner dans sa commune au premier tour, malgré les dissensions familiales entretenues par les migrants.

En sus de ces dissensions communautaires, n’oublions pas les rancœurs contenues dans l’imposition par la direction de l’ADP Maliba, d’un coopté (de Gavinané) par-dessus la tête de la sous-section du parti résidant à Nioro ville aux législatives de 2013 avec les faveurs du Chérif, dans l’alliance RPM-MPR, au dépend de la liste propre du parti8 et rejetée par la Cour Constitutionnelle9. Cet épisode a laissé des traces dont les conséquences sont visibles à travers les deux tours de l’élection présidentielle.

3 Il s’agit des communes de Gavinané, Youri et Simbi.4 Il s’agit des communes des autres communes à l’exception de Korera Koré.5 Il s’agit de Korera Koré.6 A noter que Tiébilé Dramé, directeur de campagne de Soumaïla Cissé pour la présidentielle de 2018, était également inscrite sur ladite liste à la députation.7 La liste du regroupement Adema PASJ-URD-Parena, à la députation, avait été attaquée par le groupement de partis MPR - CNID - UDD qui

reproche au candidat URD une moralité douteuse dans la mesure où il possède plusieurs actes de naissance et plusieurs casiers judiciaires.8 Suivant les personnalités interrogées et approchées originaires du cercle, le Chérif, lui-même, aurait conseillé et suggéré aux candidats de se

retirer. Alors que comprendre de l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle, évoqué plus haut, qui a rejeté ladite liste ?9 A relever que le premier responsable de la sous-section du parti ADP et candidat à l’élection législative avait introduit une requête auprès de

la Cour constitutionnelle (Requête enregistrée au Greffe le 22 octobre 2013 sous le N°298) en vue de la récusation de la liste du regroupement RPM-MPR-ADP : « au motif que le candidat de ce groupement, Mamadou Alpha DIALLO, n’est pas reconnu par la sous-section comme militant et n’a pas reçu l’aval de ladite sous-section ; qu’une telle situation étant préjudiciable à la liste ADP-MALIBA ».

Que dit la Cour ? : « Considérant que Monsieur Moussa TRAORE, qui n’est ni responsable de parti politique, ni candidat sur aucune liste, n’a pas qualité pour saisir la Cour Constitutionnelle dans le cadre du contentieux des candidatures ; qu’il échet de déclarer sa requête irrecevable pour défaut de qualité ;

Considérant que la liste des candidatures de la circonscription électorale de Nioro fait ressortir que les partis politiques RPM – MPR – ADP-MALIBA, ont constitué un groupement pour présenter les candidats suivants :

Ousmane BATHILY, Cheick Tahara NIMAGA et Mamadou Alpha DIALLO ;Considérant que la liste ADP-MALIBA a présenté en revanche comme candidats : Idrissa COULIBALY, Cheick Sidi Tahara DIALLO et Aliou N’DIAYE ;Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 68 de la loi électorale, plusieurs listes de candidature ne peuvent avoir dans la même

circonscription électorale ni le même titre, ni se réclamer du même parti ;Considérant que l’ADP-MALIBA est mal fondé à présenter au nom du parti ADP-MALIBA des candidats alors que la direction du même parti en

avait déjà présenté ;Considérant qu’il échet d’invalider la liste ADP-MALIBA de la circonscription électorale de Nioro du Sahel, scrutin législatif du 24 novembre 2013 ».


Toutefois, il y a lieu de relever que le député ADP est issu d’une famille cantonale et dont le père est le président actif de l’association Tabital Pulaku (Abdoul Aziz Diallo); également, il est coordinateur d’une ONG10 qui a fait de nombreuses réalisations socio-éducatives et sanitaires dans le cercle. C’est fort de cet acquis que la ville de Nioro du Sahel a abrité la première conférence nationale du parti ADP-Maliba, tenue les 10 et 11 mars 2018, au cours de laquelle, Monsieur Alou Boubacar DIALLO a été officiellement investi candidat du parti pour l’élection présidentielle avec encore le soutien sans équivoque du Cherif.

De son côté, le président s’est rapproché de la famille Tall, des Peuls tous comme Alou Diallo. La campagne présidentielle s’est faite entre les deux familles, Tall et Haïdara. Elle s’est transformée en jeux d’influence acharnée par procuration en faveur de leurs candidats opposés.

Par contre au second tour (figure n°3 et 4), il apparaît clairement sur la carte que le candidat Soumaïla Cissé ait eu à faire un faible score dans le Kingui et une forte participation dans la commune centrale et à Gavinané. Tout comme le Président sortant a enregistré ses meilleurs scores dans la commune centrale, à Sandaré et à Simbi, et a enregistré de faibles scores dans le « triangle peul » (Gavinané, Kadiaba Kadiel et Guetema), qui a été le bastion du député ADP Maliba11. C’est dire que les configurations locales en termes d’emprise partisane dans les mairies ont volé à l’éclat lors de l’élection présidentielle.

Pour rappel, le choix de l’électorat à Sandaré, Simbi et Troungoumbé serait davantage expliqué comme des votes sanctions consécutives aux résultats des dernières législatives (2013) dans le cercle et le chan-gement survenu à la tête de la mairie de Sandaré - un notable estimé -, le Parena perdit le poste au profit du RPM. La longévité du maire sortant de Sandaré au poste et le slogan de renouvellement du personnel politique en seraient-ils la conséquence ?

En outre, nombre de hauts cadres de l’État12 et de grands entrepreneurs nationaux natifs du cercle13, qui s’impliquent dans la redynamisation de l’histoire locale et dans les mouvements associatifs de ressor-tissants ou de descendants du Kingui ont activement fait pencher l’électorat du côté du Président sortant, au deuxième tour, en particulier par l’entremise d’un de ses directeurs de campagne, Mahamadou Diawara dit « Djoukori Hamet », qui avait en charge le Kingui.

10 Appui au Développement Global (ADG).11 A noter que pendant une dizaine de jours, l’ensemble du cercle a été parcouru par le député Diallo en guise de remerciement. Les populations ont

apprécié le geste et ont montré leur soutien au candidat qu’elles trouvent d’ailleurs être un « parent » : « Nous faisons tout pour nos dirigeants mais une fois leurs objectifs atteints, on nous oublie. Donc nous sommes très contents de cette visite et surtout, s’il s’agit d’un des nôtres », soutient A.D. dans la commune rurale de Sandaré. Toutes les notabilités rencontrées ont été gratifiées, de même que les leaders religieux et coutumiers ainsi que les jeunes et les femmes qui ont reçu soit une plateforme multi fonctionnelle, soit du matériel de jardinage et d’assainissement et des nattes de prière.La morgue de la commune centrale a été dotée d’un climatiseur et le deuxième grand prix de course de chevaux a été parrainé à Youri.

12 Une explication du retour au gouvernement de Sambou Wagué, originaire de la zone, est toute trouvée au-delà de ses compétences intrinsèques. Comme lui, nombre d’autres anciens ministres et cadres ont battu campagne pour la reconduction du Président sortant.

13 Djimè et Birama Diawara, promoteurs d’usine d’engrais « Faranoko » et assez actifs dans l’opération « pluies provoquées ».


Figure n°2 : Présidentielles 2018 : Premier tour - La participation dans le cercle de Nioro du Sahel des quatre (4) pre-miers candidats (en nombre de suffrages exprimés)

Cependant, il y a lieu de relever l’animation d’un meeting à Nioro du Sahel par le Khalife Amadou Tall en présence de tous les maires du Kingui et du ministre Abderrhamane Sylla, qui avait en charge les Maliens de l’extérieur, en faveur du Président Ibrahim Boubacar Keita dit IBK. Une telle implication, entre les deux tours, a certainement mitigé le vote communautaire Peul.

Figure n°3 : Présidentielles 2018 : deuxième tour - Le score de Soumaila Cissé dans le cercle de Nioro du sahel (en pourcentages des suffrages exprimés)


Figure n°4 : Présidentielles 2018 : deuxième tour - Le score d’Ibrahim Boubacar Keita le cercle de Nioro du sahel (en pourcentages des suffrages exprimés)

La cartographie des résultats montre également, qu’au-delà de la consigne de vote du Chérif, d’autres dynamiques locales sont en œuvre et qui méritent d’être analysées pour expliquer les résultats sortis des urnes. Il s’agit entre autres : l’influence des liens de sang (communautarisme), le poids de la famille, la mobilité des hauts cadres à l’endroit de leurs lieux d’origine ; l’influence des migrants sur le local ; la donne ethnique subjuguée au détour de ce qui a cours dans les régions dites du centre du pays ramené au conflit Peul/Donzos14/Dogons15 ; les clivages entre les deux (2) grandes confréries religieuses dans le cercle (Tijâniyya et Hamallisme) sur fond de poussée wahhabites (Yéréré et Youri); le jeu de pouvoir en contre sens entre les fils même du Chérif à l’endroit de la classe politique et enfin l’effet d’annonce de la « régionalisation ».

3.1.1. Vote religieux ou celui ethnique

L’ethnicité est une des catégories d’analyse du social à laquelle font référence les sciences sociales et humaines pour tenter de mieux comprendre les dynamiques politiques, sociales et culturelles à l’œuvre dans la production des clivages et des différenciations qualifiés d’«ethniques». Ces processus différentiels ré-organisent les rapports sociaux sur un schéma d’opposition entre « nous » et « eux », une différence culturelle (Gallais, 1962, p.106-129).

Au-delà d’une approche critique des conceptions essentialiste et culturaliste de l’ethnicité qui tend à fixer les individus au sein de catégories réifiées et contribuent à l’enfermement dans des identités souvent stig-matisées (Mbokolo et Amselle, 1985, p. 227), nous pensons qu’elle peut être une ressource de mobilisation, de transformation et de changement pour les populations et mêmes pour les pays.

14 A noter que les faîtières de cette confrérie ont fait des adresses publiques pour décliner toute implication et participation dans ce conflit communautaire.

15 L’association Tabital Pulaku s’est prononcée en maintes occasions et a soutenu que c’est le gouvernement qui armerait les milices donzos contre la communauté Peul dans la région de Mopti.


Dans cette mouvance, une grande majorité de l’opinion malienne est d’accord, également, que la loi fondamentale du pays ne saurait autoriser un parti religieux. Ce d’autant plus que la plupart des partis ont en leur sein toutes les sensibilités religieuses et ethniques du pays.

A l’observation dans la durée du processus démocratique au Mali, les consignes de vote, même celles données par des partis pour soutenir d’autres partis ou candidats n’ont prospéré qu’à un très faible pour-centage. Qu’en sera-t-il pour une religion ou un leader religieux ? Pour le cas des musulmans du Mali, les consignes de vote ne permettront pas de changer substantiellement le cours d’une élection.

En effet, voter un candidat, signifie de lui accorder la confiance. Ce devoir de citoyen implique une très grande responsabilité tant au plan politique, social que religieux. L’électeur se sent moralement responsable des actes que pose le candidat ainsi choisi.

Suivant une certaine interprétation « rigoriste » de la religion, le choix du candidat fait du « croyant » un complice des pêchés et crimes commis par l’élu. N’est-ce pas la raison pour laquelle certaines personnes, à cause de leur attachement aux valeurs religieuses, s’abstiennent de toute relation avec les affaires poli-tiques, notamment lorsqu’il s’agit d’élection ? En tout cas, ceux qui comptent parmi les plus avertis de la vie politique éprouvent très peu de crainte face à des consignes de vote. Les probabilités de suivi de telles consignes par les fidèles musulmans seraient maigres, étant donné que la majorité des maliens de tout bord religieux qu’il soit, met la stabilité du pays dans ses premières préoccupations.

Si la religion peut être une source d’attitudes antidémocratiques, elle peut aussi contribuer aux normes démocratiques. Dans une étude menée en 2018 intitulée, « la religion et la démocratie sont-elles incompa-tibles »16, il est soutenu que différentes dimensions de la religiosité génèrent des effets contrastés sur les attitudes démocratiques à travers différents mécanismes. L’aspect privé de la croyance religieuse est, non seulement, associé aux valeurs traditionnelles et aux valeurs de survie, qui à leur tour diminuent à la fois le soutien manifeste et intrinsèque à la démocratie.

Dans des situations de crise, il est soutenu que l’aspect commun du comportement social religieux accroît l’intérêt politique et la confiance dans les institutions, ce qui entraîne généralement un plus grand soutien à la démocratie. Les résultats d’analyses des données du World Values Survey (WVS)17 suggèrent une certaine régularité dans les mécanismes responsables de l’effet de la religiosité sur le soutien démocratique au-delà des confessions religieuses.

S’il est perçu que « la religion n’était ni foncièrement pro-démocratique ni foncièrement antidémocratique », c’est parce que ce sont les hommes politiques qui sollicitent l’appui d’un ou des groupes religieux au détriment d’un autre, ou que des autorités religieuses disent parler au nom de l’ensemble de la population. Dans ces cas, il est légitime de se demander si le maintien effectif d’une démocratie ne nécessite pas de bannir totalement la religion de la sphère publique. Cependant, même de l’analyse des rapports entre religion et démocratie dans certains pays où le laïcisme est prépondérant, un examen approfondi du rôle de la religion dans la vie publique met en évidence des facteurs antidémocratiques potentiels mais aussi des forces pro-démocratiques.

Dans les contextes où le vivre ensemble concilie la liberté et la responsabilité, il y a lieu d’observer avec attention le fonctionnement des religions et des sociétés en question. Plus important encore, il faut s’inté-resser à l’action religieuse et aux organisations sur le terrain, et pas seulement aux questions théologiques et aux autorités religieuses.

16 http://theconversation.com/la-religion-et-la-democratie-sont-elles-incompatibles-9910717 World Values Survey (WVS) est un projet international d’enquêtes sur l’évolution des valeurs et des croyances autour du Monde. Il est porté

par un réseau international de chercheurs en sciences sociales et politiques. http://www.worldvaluessurvey.org/wvs.jsp


Les manifestations antidémocratiques dans de nombreuses traditions religieuses peuvent être relevées à souhait. En plus des régimes autoritaires soutenus par des religions monothéistes dans le monde entier, les manifestations nationalitaires peuvent ne pas tolérées les minorités ; le cas des Rohingyas en Birmanie en constitue un exemple édifiant.

Il est vrai, certes, que les liens entre religions et régimes antidémocratiques ont conduit certains penseurs à considérer que toutes les religions prônent l’intolérance envers ceux qui défendent une autre vision du monde, et inculquent à leurs adeptes des préceptes d’obéissance et de respect de l’autorité incompatibles avec la démocratie et les libertés individuelles.

Séparer rigoureusement toute forme de religion de la vie publique a semblé être la meilleure solution. C’est le concordat de 1905 qui a instauré le principe de laïcité, et a beaucoup influencé nombre de consti-tutions en Afrique francophone.

CONCLUSION

La reconfiguration politique de 2018 montre clairement le basculement de cette population en faveur du candidat du Chérif.

Si l’analyse des comportements électoraux dans ces différents territoires d’élection montre une forme d’appartenance et de trajectoire sociale, elle admet aussi une dimension spatiale. C’est par rapport à ce principe que nous avons construit et analysé les outils qui composent le support empirique sur lequel repose ce travail.

Les religieux depuis plus d’une dizaine d’années se rapproprient l’espace public pour incarner les valeurs sociales de respect, de justice et de fourniture de services sociaux de base à l’opposé des cadres partisans qui jouissent des deniers publics. Du fait, d’une forte imprégnation de la société malienne dans l’islam, outre son caractère spirituel, devient culturellement et socialement important. Face à cette complexité, d’une part, un État laïque remis en cause par son incapacité à assurer une certaine justice sociale, et la reprise en main de cette société par les acteurs religieux, d’autre part, n’annonce t-il pas un État islamique après le temps d’islamisation visible et ostentatoire du corps social et des sociétés qui le composent ?

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