LA PROTECTION JURIDIQUE DU PATRIMOINE...

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Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2012 © (EDUCI), 2012 51 LA PROTECTION JURIDIQUE DU PATRIMOINE FORESTIER EN COTE D’IVOIRE ZETA KAHANTAYÉ AUDE 1 et KRAGBE AZOWA GILLES 2 1- Doctorante, Université d’Abobo Adjamé, Côte d’Ivoire ; E-mail: audzet@yahoo.fr 2- Université d’Abobo Adjamé, Côte d’Ivoire ; E-mail: [email protected] RESUME La maîtrise des ressources forestières constitue un enjeu de développement dans la vie de toute nation. C’est pour ce fait que la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une législation forestière dans l’optique de la conservation de la diversité biologique. Cependant, au regard des multiples problèmes environnementaux en Côte d’Ivoire, cette législation a démontré des défaillances en la matière si bien que le patrimoine forestier est aujourd’hui en péril. L’on se souvient à titre d’exemple des questions récurrentes sur la déforestation et le braconnage qui ne sont pas en- core prêtes d’être épuisées. A cet effet, la politique forestière ivoirienne doit s’accompagner de mesures de gestion intégrée en vue de la promotion du déve- loppement durable en Côte d’Ivoire. Mots clés : Forêt, Législation forestière, Dévelop- pement durable, Déforestation, Braconnage. ABSTRACT The control of forest resources is a major develop- ment in the life of any nation. It is for this reason that Côte d’Ivoire has forestry legislation with a view to conservation of biological diversity. However, given the many environmental problems in Côte d’Ivoire, which have shown shortcomings in this area so that the forest is now in jeopardy. It will be remembered as an example of the recurring questions on de- forestation and poaching that are not yet ready to be exhausted. To this end, the Ivorian forest policy must be accompanied by integrated management for the promotion of sustainable development in Côte d’Ivoire. Key words: Forest, Forest law, Sustainable de- velopment, Deforestation, Poaching.

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LA PROTECTION JURIDIQUE DU PATRIMOINE FORESTIEREN COTE D’IVOIRE

ZETA KAhANTAyé AUDE1 et KRAGBE AZOwA GILLES2

1- Doctorante, Université d’Abobo Adjamé, Côte d’Ivoire ; E-mail: [email protected] Université d’Abobo Adjamé, Côte d’Ivoire ; E-mail: [email protected]

RESUME

La maîtrise des ressources forestières constitue un enjeu de développement dans la vie de toute nation. C’est pour ce fait que la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une législation forestière dans l’optique de la conservation de la diversité biologique. Cependant, au regard des multiples problèmes environnementaux en Côte d’Ivoire, cette législation a démontré des défaillances en la matière si bien que le patrimoine forestier est aujourd’hui en péril. L’on se souvient à titre d’exemple des questions récurrentes sur la déforestation et le braconnage qui ne sont pas en-core prêtes d’être épuisées. A cet effet, la politique forestière ivoirienne doit s’accompagner de mesures de gestion intégrée en vue de la promotion du déve-loppement durable en Côte d’Ivoire.

Mots clés : Forêt, Législation forestière, Dévelop-pement durable, Déforestation, Braconnage.

ABSTRACT

The control of forest resources is a major develop-ment in the life of any nation. It is for this reason that Côte d’Ivoire has forestry legislation with a view to conservation of biological diversity. However, given the many environmental problems in Côte d’Ivoire, which have shown shortcomings in this area so that the forest is now in jeopardy. It will be remembered as an example of the recurring questions on de-forestation and poaching that are not yet ready to be exhausted. To this end, the Ivorian forest policy must be accompanied by integrated management for the promotion of sustainable development in Côte d’Ivoire.

Key words: Forest, Forest law, Sustainable de-velopment, Deforestation, Poaching.

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52 ZETA KAhAnTAyé A. et KRAGBE AZowA G. : La protection juridique du patrimoine forestier en Côte d’Ivoire

INTRODUCTION

La gestion de du patrimoine forestier constitue aujourd’hui un défis majeur politiques de dévelop-pement en Côte d’Ivoire. En vue de préserver son patrimoine forestier des graves périls qui le mena-cent, elle s’est dotée d’une législation matérialisée par le code forestier de 1965 et du code de l’envi-ronnement de 1996 .Cependant, avec les activités de développement et leurs impacts sur la nature, les problèmes forestiers sont devenus multiples. Ces problèmes sont liés au fait que la Côte d’Ivoire a fondé son développement sur une politique éco-nomique à croissance forte, essentiellement basée sur l’agriculture et l’exploitation forestière.

Cette exploitation des ressources naturelles a sérieusement entamé la conservation de la diversité biologique forestière1 (Convention sur la Diversité Biologique ,1998). La forêt ivoirienne qui couvrait 12 millions d’hectares en 1956 et 09 millions d’hectares en 1965, ne représente plus que 2,7 millions d’hec-tares depuis 19912 (PNAE, 1996-2010). L’évolution des superficies cultivées, traduit bien l’accroissement de la pression foncière : 6% du territoire national en 1965, 11% en 1975, 23% en 1989, soit au total 7.500.000 d’ha dont 3.400.000 d’ha consacrés aux cultures d’exportation3 (ENVIRONNEMENT de Côte d’Ivoire, 2002). A la base de cette dynamique, se situe une croissance démographique forte qui constitue un facteur prépondérant dans la logique du défrichement des espaces forestiers.

Cette situation confronte la législation forestière à des difficultés diverses qui la rendent inefficace et sub-séquemment, conduisent les forêts ivoiriennes vers une certaine disparition. Ce constat nous amène à formuler l’hypothèse que l’érosion irrésistible des ressources naturelles s’explique en partie par les limites du droit forestier dans la protection de la nature. L’objectif de ce travail est d’étudier les politiques forestières au regard de la législation ivoirienne en vue de la gestion durable du patrimoine forestier en Côte d’Ivoire.

Dans la méthodologie de l’étude nous avons eu recours à la recherche documentaire,(ouvrages et

1- Convention sur la diversité biologue, article 8j et 10j2- PNAE : Plan National d’Action pour l’Environnement 1996-2010,

documentation ivoirienne, Abidjan, ministère de l’environnement, 1998

3- ENVIRONNEMENT de Côte d’Ivoire, 2002 : études et documents, Documentation Ivoirienne, Abidjan, 255 pages

articles scientifiques, textes de lois, …) et aux tech-niques d’enquêtes auprès des structures impliquées dans la gestion des ressources forestières ( OIPR4, SODEFOR5, ANDE6).

Ainsi, est-il important de situer la portée et les limites de cette législation en vue de suggérer des recommandations dans le sens d’une gestion dura-ble du patrimoine forestier ivoirien. A cet effet, nous avons scindé notre sujet en trois parties. La première partie sera consacrée à la portée de la législation forestière dans la protection du patrimoine forestier ivoirien. Dans la deuxième partie, nous analyserons les limites de ladite législation et enfin dans la troisiè-me partie, nous proposerons nos recommandations en vue d’une gestion durable du patrimoine forestier en cote d’ivoire.

I . LA PORTEE DE LA LEGISLATION FORESTIERE DANS LA PROTECTION DU PATRIMOINE FORESTIER IVOIRIEN

La portée de la législation nous permet d’être si-tué sur le cadre juridique et le cadre institutionnel de protection du patrimoine forestier en Côte d’Ivoire.

A. LE CADRE jURIDIqUE DE LA PROTECTION DU PATRIMOINE FOREsTIER IVOIRIEN

La protection de la forêt se démontrera à travers la composition et l’exploitation du domaine forestier et la lutte contre les feux de brousse.

1. Composition du domaine forestier

La loi du 20 décembre 1965 portant code fores-tier définit le domaine forestier de l’Etat, le domaine forestier des particuliers et celui des collectivités. Le domaine forestier de l’Etat comprend les forêts classées, les forêts protégées, les périmètres de protection et enfin les périmètres de reboisement. Le classement d’une forêt consiste en un règlement dans un périmètre déterminé que l’on désire conser-ver à l’état boisé en l’affranchissant de l’exercice de certains droits d’usage7 (GAGO Chelome Nio ,2001). Les forêts protégées sont des forêts dont l’exploita-tion bien que permise est réglementée afin d’éviter

4- OIPR : Office Ivoirien des Parcs et Réserves.5- SODEFOR :Société de Développement des Forêts.6- ANDE :Agence Nationale de l’Environnement.7- GAGO Chelome Nio : droit rural en Côte d’Ivoire, Université

d’Abidjan Cocody, 2001 .

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leur dégradation. quant aux périmètres de protec-tion, ils concourent à la conservation des sols et des sites les plus sensibles à la lutte contre les causes de dégradation de la nature qu’elles soient ou non d’origine anthropique. Les périmètres de reboisement enfin sont des espaces de reconstitution du couvert végétal créés par l’homme à des fins écologiques ou économiques.

La subdivision réalisée par le code forestier a été complétée et précisée par le décret n°78-231 du 15 mars 1978. Ce décret distingue le domaine forestier permanent de l’Etat du domaine forestier rural. Le domaine forestier permanent de l’Etat est composé des forêts classées, des périmètres de reboise-ment et de certains massifs forestiers. Le domaine forestier permanent a pour fonction de produire du bois et de garantir l’équilibre écologique du pays8 (KABLAN.N.A,1989).

Quant au domaine forestier rural, il correspond essen-tiellement aux forêts dites protégées et aujourd’hui réservé aux activités socio-économiques des populations riveraines. Enfin, le domaine forestier des particuliers et des collecti-vités est composé des terres ou forêts immatriculées en leur nom. Eu égard à l’inefficacité de la procédure d’immatriculation ce domaine ne représente qu’un très faible pourcentage du domaine forestier.

2. L’exploitation du domaine forestier

En l’espèce, il est à faire la différence entre l’exploitation du domaine forestier de l’Etat et l’ex-ploitation du domaine forestier des particuliers. Les règles de gestion des forêts de l’Etat varient selon les catégories de rattachement des forêts concernées. Par conséquent, l’exercice des droits d’usage qu’il soit à caractère commercial ou non, doit imposer le régime plus ou moins restrictif de chaque type de fo-rêt9 (BUTTOUD.G,1998) . Par rapport aux droits d’usage à caractère non commercial, une distinction est à faire ici entre les droits qui portent sur le sol forestier et les droits relatifs aux fruits et produits naturels. Les droits d’usage sur les sols forestiers demeurent strictement interdits dans les forêts classées, les périmètres de protection ou de reboisement. Les défrichements y sont formellement prohibés conformément à l’article 8 du code forestier. En

8- KABLAN N’guessan Alfred (1989) : Commentaire du code forestier ivoirien, page 333 pages.

9- BUTTOUD Gérard, (1998) : les politiques forestières, Editions Que sais-je PUF, Paris, 125 pages .

revanche, les droits d’usage sur les sols forestiers peuvent être exercés dans les forêts protégées dans les conditions prévues par les plans d’aménagement et la réglementation foncière en vigueur. Les droits d’usage sur les fruits et produits forestiers ne peuvent pas s’exercer dans les pé-rimètres de protection ou de reboisement. Par contre, ils s’exercent librement dans le domaine protégé.

Dans les forêts classées, ces droits sont exclusi-vement réservés aux populations riveraines (fruits et produits), mais se limitent notamment au ramassage du bois mort, à la cueillette des fruits, des plantes alimentaires et médicales. Par rapport aux droits d’usage à caractère commercial, si les périmètres de protection ou de reboisement sont affranchis de tout droit d’usage en raison même de leur vocation, il en va autrement pour les forêts classées protégées. Celles-ci peuvent en effet être exploitées suivant les modalités définies par le code forestier10 (Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales,1992). En ce qui concerne les arbres, l’Etat prend soin pé-riodiquement de déterminer les essences forestières dites protégées. Dans les forêts protégées, l’exploi-tation commerciale des produits tels que le Karité, le palmier à huile, le rotin…peut se faire librement par les usagers à condition de ne pas détruire les végé-taux producteurs. En fait, dans les forêts classées, l’exercice des droits d’usage à caractère commercial est subordonné à la délivrance d’un permis spécial indiquant les lieux et les modalités de la cueillette. L’exploitation peut être faite sous diverses formes, par exemple en régie, la vente des coupes, le permis des coupes.

Le domaine forestier des particuliers et des col-lectivités a fait l’objet dans le code forestier de dispo-sitions qui ne sont pas toujours en harmonie avec le droit commun de la propriété et les droits coutumiers des communautés locales. Ainsi, aux termes de l’article 26 de ce code, « les particuliers ou les col-lectivités ne peuvent pratiquer le défrichement dans leur domaine sans l’autorisation de l’administration forestière. Même quand ils sont propriétaires au sens juridique du terme, cette autorisation peut leur être refusée si le défrichement est à même de compro-mettre l’équilibre écologique de la zone concernée »11

10- MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DES RESSOURCES ANIMALES 1992 : charte entre l’administration et les populations rurales pour la gestion des forêts classées ivoiriennes. Commission Paysans-Forêt, Abidjan, 48 pages + annexes .

11- KABLAN N’guessan Alfred, op. cit.

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(KABLAN N.A,1989). En dehors des défrichements dangereux pour l’équilibre écologique et en l’absence de dispositions contraires, les particuliers et les col-lectivités ont la possibilité de couper le bois de leur domaine pour un usage commercial ou non. Dans ce cas, le droit de coupe est subordonné à l’obtention d’un permis de coupe délivré gratuitement. Enfin, les boisements réalisés dans le domaine foncier coutumier par les collectivités avec l’appui de l’Etat ne peuvent être exploités qu’en conformité avec les règlements établis par l’administration forestière.

Pour avoir une maîtrise des ressources forestiè-res, l’Etat ivoirien s’est doté d’une d’un cadre insti-tutionnel de gestion des forêts locales.

B. Le cadre institutionnel de protection du patrimoine forestier en Côte d’Ivoire

Le cadre institutionnel de la gestion des forêts ivoiriennes est piloté en première ligne par le mi-nistère de l’environnement auquel des attributions importantes sont reconnues. Le Ministère de l’En-vironnement, des Eaux et Forêts assure la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière de protection de la nature et de préservation du cadre de vie par le décret n°2007-568 du 10 août 2007 portant organisation du Ministère. Ces at-tributions dans le domaine de la protection de la nature concernent en premier lieu la planification et le contrôle des politiques de l’environnement sans oublier la mise en place d’un système d’information environnementale. A cet effet, il a été chargé de la publication d’un état de l’environnement et de la mise en œuvre du code de l’environnement et de la législation sur la protection de la nature ainsi que du code de l’eau. Il en est de même de l’information, de l’éducation et de la sensibilisation dans le domaine de l’environnement, de la protection, de la gestion et de la mise en œuvre du réseau des parcs nationaux et des réserves naturelles 12(PNAE 1996-2010) . L’or-ganisation d’une concertation nationale entre toutes les parties prenantes pour parvenir à la propreté et un cadre de vie meilleur dans les villes et villages participe aussi de ses attributions. Cette attribution est accompagnée de la mise en œuvre des politiques d’assainissement et de drainage, de l’aménagement

12- PNAE : Plan National d’Action pour l’Environnement 1996-2010, documentation ivoirienne, Abidjan, ministère de l’environnement, 1998 .

des milieux aquatiques. Enfin, ce ministère assure la coordination de la lutte contre les pollutions de l’air, de l’eau et du sol13( ENVIRONNEMENT de Côte d’Ivoire, 2002.).

Au ministère de l’environnement, a été joint une institution sous tutelle qui est une structure technique spécialisée dans la gestion des forêts pour rendre plus efficace l’action du gouvernement dans la ges-tion de l’environnement. Il s’agit de la Société de développement des Forêts (SODEFOR) qui est un établissement public créé par le décret n°66-422 du 15 septembre 1966. C’est une structure qui est sous tutelle du Ministère des Eaux et forêts. Créée en vue de concilier les exigences de la gestion privée et les privilèges de la puissance publique, la sODEFOR est une structure dont la mission consiste à assurer, conformément au Plan Directeur Forestier, la ges-tion rationnelle du patrimoine forestier ivoirien. Avec la sODEFOR, la conservation des forêts classées ne se limite plus aux activités de surveillance et de répression14 (FAO/Banque mondiale, 1988). Elle intègre des actions d’aménagement, de délimitation et de reforestation visant à réhabiliter les forêts classées. Pour réaliser avec efficacité la mission qui lui a été confiée, la SODEFOR a opté pour une stratégie multiforme reposant sur: la création en forêts classées de séries agricoles, la réinstallation des paysans infiltrés dans les forêts classées dans le domaine rural, la pratique de l’agroforesterie et la participation des populations à la gestion des forêts classées à travers les Commissions Paysans-Forêts. quelles sont les limites constatées au niveau de la législation forestière au regard des problèmes envi-ronnementaux de la Côte d’Ivoire ?

II. LES LIMITES DE LA LEGISLATION FORESTIERE IVOIRENNE

Vu ce constat de dégradation de la nature, deux facteurs ont démontré les limites de la législation forestière. Il s’agit d’une part, de l’exploitation irra-tionnelle des ressources forestières et d’autre part, l’absence de la participation des communautés locales.

13- ENVIRONNEMENT de Côte d’Ivoire : études et documents, Documentation Ivoirienne, Abidjan 2002, 255 pages.

14- FAO/Banque mondiale, (1988). Programme Sectoriel Forestier. Rapport de preparation vol. 1, Rome/ 59 pages+annexes.

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A. ExPLOITATION IRRATIONNELLE DEs REssOURCEs FOREsTIèREs

Cette exploitation irrationnelle est liée principa-lement au phénomène de la déforestation et à celui du braconnage.

1. La déforestation

La déforestation se définit comme la destruction de la forêt. Dans les régions tropicales, la défores-tation peut avoir lieu par ébranchage, abattage et incendies des forêts. Nous identifierons d’abord les causes de la déforestation avant d’en déduire les conséquences.

1.1- Les causes de la déforestation

La déforestation est liée principalement à deux facteurs qui sont le profit économique et la pression démographique dans les régions forestières du pays. L’un des faits marquant de l’histoire récente du peu-plement de la Côte d’Ivoire est celui des migrations agricoles.

La pression démographique s’explique par le fait que les populations immigrées sous la houlette de l’Etat, se sont installées en masse en zones fores-tières depuis les indépendances. Ils créèrent dans les communautés rurales des campements et des villages puis diverses activités agricoles15 (DIATTA .A, juin 1977). Aujourd’hui encore, la Côte d’Ivoire reste le principal pays d’immigration de la CEDEAO : la pro-portion d’étrangers qui y résident était estimée à 22,6% en 1975 et à 28,1% en 1988. Le recensement de 1998 a permis de dénombrer 15.366.672 habitants dont 4.000.047 étran-gers soit 26% de la population actuelle16(Recensement General de la Population et de l’Habitat,1998).

A cet effet, la Côte d’Ivoire a subi en 20 ans la déforestation la plus rapide du monde. L’agriculture arbustive dite culture de rente (café et cacao) a fait rétrécir la forêt ivoirienne en un temps record, la faisant passer de douze millions d’hectares en 1960 à moins de trois millions d’hectares en 2001. C’est surtout vers les espaces forestiers du sud, considérés comme des terres à hauts rendements agricoles,

15- DIATTA (A), le législateur sur la main d’œuvre indigène en Côte d’Ivoire, 1925-1940, memoire de maîtrise, Département d’Histoire, Université Nationale de Côte d’Ivoire, juin 1977. 232 pages

16- Recensement General de la Population et de l’Habitat, Institut National de la Statistique (INS), 1998.

que les migrants se dirigent en priorité. Les régions forestières les plus exposées aux défrichements sont ceux du sud-est et de l’ouest à cause de l’exis-tence d’importants fronts pionniers aux limites des massifs forestiers. Le mouvement des populations en direction des zones forestières été favorisé par plusieurs causes dont le potentiel offert par le milieu d’accueil et la saturation des terres dans les régions d’origine.

Les stratégies foncières des paysans ont eu pour résultat, l’extension des plantations, dont la dispari-tion vertigineuse de la forêt. En outre, les grumes à savoir les bois tropicaux ont été et continus d’être l’objet d’un commerce florissant de la part des ex-ploitants forestiers. Ces industriels du bois exploitent le bois sur la base des contrats passés avec les populations autochtones17 (ANOMA G. et AKE ASSI, 1989). L’absence ou l’insuffisance de contrôle des exploi-tations des produits ligneux constitue un facteur aggravant qu’entraîne la surexploitation de bois et précipite la dis-parition du milieu forestier 18(KONE.T , milieu forestier, l’exploitation a lieu le plus souvent de façon frauduleuse avec la complicité 1994) de certaines personnes qui sont sans droit de propriété sur les essences exploitées. Pire encore, certains exploitants travaillent sans permis d’exploitation, et en plus, pénètrent frauduleusement dans certains périmètres forestiers pour y couper le bois.

L’Etat lui-même a une grande part de responsabi-lité face à l’exploitation incontrôlée de la forêt ivoirien-ne car il ne se montre pas rigoureux dans le contrôle des activités des exploitants 19(BUTTOUD.G,1998).En outre, le faible niveau des taxes forestières et redevances d’exploitation a également constitué un facteur déterminant dans l’accélération du proces-sus de déforestation. Le taux très bas des taxes forestières a amené le gouvernement à accorder plusieurs contrats forestiers pour obtenir un re-venu élevé20. La conséquence fut l’épuisement rapide de nos ressources forestières ces derrières années. Ces contrats sont en général conclus moyennant redevance pour une période d’un

17- ANOMA G. et Aké ASSI, (1989) : flore de la Côte d’Ivoire : disparition de nombreuses espèces due à la destruction inconsiderée de l’espace naturelle. Bull. soc. Bot. Fr. 136 Act. Bot. (314), pp. 27-31.

18- KONE.T : politique des prix et déforestation en Côte d’Ivoire : une analyse quantitative, Abidjan, juillet 1994.

19- BUTTOUD .G,1998: les politiques forestières, Editions Que sais-je PUF, Paris, 125 pages .

20- KABLAN N.A, 1989 op. cit.

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an en général donnent droit à l’exploitation des produits forestiers21. Après l’identification des causes de la déforestation, quelles en sont ses conséquences ?

1.2. Conséquences de la déforestation dans sur le patrimoine forestier ivoirien

Les conséquences sociales de la déforestation sont nombreuses, et leurs répercussions à long terme sont souvent dévastatrices aux plans biologiques et économiques.

● Au plan biologique, la déforestation entraîne l’appauvrissement des massifs forestiers en bois d’œuvre de valeur et produit des effets négatifs sur les ressources naturelles en général. Ainsi, nous assistons au recul de l’habitat essentiel pour certains éléments de la flore et de la faune22 (AUBREVILLE .A.1949).

Chaque année, la destruction de millions d’hecta-res de forêts tropicales entraîne la disparition de mil-liers d’espèces et de variétés végétales et animales, dont beaucoup n’ont jamais été répertoriées scien-tifiquement23 (BANqUE MONDIALE. – FALLOUx.F, MUDENDI.A.). La déforestation conduit également au changement climatique en rendant le climat plus chaud et plus sec. En outre, par suite de la raréfaction de la forêt primaire, les terres sont remises presque constamment en culture par les masses paysannes, ce qui réduit la durée des jachères pratiquées et accélèrent la dégradation du sol 24(AUBREVILLE.A. op. cit.) .

● Au plan économique, la destruction des forêts tropicales représente une perte annuelle du capital forestier se chiffrant en millions de dol-lars Us. Lorsqu’on détruit les forêts, on fait dispa-raître toutes les recettes futures et les possibilités d’emploi qu’aurait pu produire leur gestion durable axée sur les produits ligneux et non ligneux. La

21- KONE.T,: instruments économiques pour la protection de l’environnement : l’exemple des écotaxes appliquées à l’agriculture, l’exploitation forestière et l’industrie en Côte d’Ivoire, Abidjan, juillet 1994.

22- AUBREVILLE A. 1949: Climats, forêts et désertification de l’Afrique tropicale - Paris, 1949.

23- BANQUE MONDIALE. - FALLOUX (F.), MUDENDI (A.). - Lutte contre la désertification et gestion des ressources renouvelables dans les zones sahélienne et soudanienne de l’Afrique de l’Ouest - Rapport technique n° 70. - Washington,

24- AUBREVILLE (A.) : op. cit. - AUBREVILLE (A.) : op. cit.

déforestation a un impact significatif sur l’économie ivoirienne25(AMLUNG T., DIEHL.M).Ce sont au total, 1.962.549 de mètre cube, soit un poids de 1.525.594 tonnes de bois en grumes exportés de 1888 à 199226 (MINIsTERE DE L’AGRICULTURE ET DEs EAUx ET FORETs ,1900-1983) Ce qui constitue une véri-table menace sur la biodiversité.

Le braconnage constitue également un problème environnemental majeur au même titre que la défo-restation.

2. Les problèmes liés au braconnage

Le braconnage se définit comme l’exploitation illégale et intensive dans une portion de forêt, des animaux sauvages avec des armes à feu, des lances, des pièges, des filets ou des chiens de chasse. Le braconnage est pratiqué par les popu-lations riveraines dans lequel le gibier est destiné à la consommation familiale et à la vente locale. Le braconnage commercial constitue de nos jours, celui le plus pratiqué par des professionnels qui viennent des pays frontaliers et des grandes agglomérations ivoiriennes, notamment Abidjan. Ces chasseurs s’installent parfois pendant plusieurs mois dans les forêts avec des armes sophistiquées et des moyens de déplacement. C’est une activité de toutes les classes dans laquelle les femmes sont utilisées dans le conditionnement et la commercialisation et les enfants dans le transport du gibier. Ce braconnage compromet la viabilité des écosystèmes forestiers et révolte parfois les populations riveraines. Ce type de braconnage est lié aux besoins et appétits pour le gibier, car la faune sauvage convoitée représente 70 à 90 % des ressources en protéines des populations rurales27 (CAsPARY H. U. 1999).

Il est également motivé par la recherche de sous-produits de chasse (les reptiles pour leur peau, la viande des animaux et des oiseaux pour leur expor-tation). Les principaux bénéficiaires du braconnage

25- AMLUNG (T.), DIEHL (M.): Deforestation of tropical rain - AMLUNG (T.), DIEHL (M.): Deforestation of tropical rain forests. Economic causes and impact on development - Kieler Studieninstitut für Weltwirtschaft an der Universität Kiel. - Ed. J.C.B Mohr. - Tübingen, 1992

26- MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DES EAUX ET FORETS : annuaire retrospectif de statistiques agricoles et forestières 1900-1983 ; tome 1-3 .

27- CASPARY H. U. 1999 : La chasse et la filière viande de brousse dans l’espace Taï, Côte d’Ivoire. Tropenbos-Côte d’Ivoire, serie 2 Abidjan Côte d’Ivoire 2001.

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sont les trafiquants internationaux et les divers inter-médiaires locaux. selon les statistiques des services des Eaux et Forêts, 25% des délinquants ont été appréhendés de 1996 à 2005. Outre les individus, les saisies comprennent les animaux abattus (les agoutis, les hérissons les gazelles et les singes etc.) et le matériel de chasse.

Même les aires protégées ne sont pas épargnées par le braconnage en milieu forestier ivoirien. C’est le cas du parc national de Taï dans le département de Guiglo qui souffre du phénomène de braconnage eu égard au nombre de saisies opérées (11% des saisies). Dans la forêt de Taï, 77% des délinquants ont été appréhendés de 1996 à 2005. Les consé-quences écologiques du braconnage sont très signifi-catives. Nous pouvons citer la rupture des équilibres naturels, et la disparition de certains herbivores. La rareté de la faune amoindrit l’attrait touristique et par conséquent une perte de devises et de la nécessité de reconstitution de l’environnement impliquant des investissements très onéreux et aléatoires de la part de l’Etat, notamment la réintroduction d’espèces dis-parues 28(KIssI. D, sEKA. G. 2002). qu’en est-il de l’absence de participation des communautés locales dans la gestion forestière ?

B. L’ABsENCE DE LA PARTICIPATION DEs COMMUNAUTés LOCALEs DANs LA GEsTION FOREsTIèRE

La conservation des forêts est souvent mise en cause lorsque les populations locales qui vivent dans l’espace forestier ont le sentiment qu’elles ne bénéficient pas de l’assistance de l’administration et veulent exploiter les ressources naturelles plutôt que de les conserver de façon durable29 (UNEsCO/MAB/-UNEP/GEF 2001-2002). Les communautés locales ne sont pas suffisamment impliquées dans la prise de décisions de gestion des forêts par rapport aux actions entreprises par les agents des Eaux et Forêts et de la sODEFOR. Les études réalisées évoquent la domination comme rapport existant

28- KISSI. D, SEKA. G. 2002. Contribution à la surveillance des parcs nationaux et réserves : cas du Parc National de Taï. Mémoire de fin de cycle d’ingénieur des techniques agricoles. ESA, INPFHB.

29- UNESCO/MAB/-UNEP/GEF : projet régional sur le renforcement des capacités scientifiques et techniques pour une gestion effective et une utilisation durable de la diversité biologique dans les réserves de biosphère des zones arides d’Afrique de l’Ouest ; (Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal), document de projet (PHASE PDF-B) 2001-2002 ; 32 pages.

entre eux et l’administration forestière30 (GUEYE, B. 1999). Des Commissions Paysan-Forêt (CPF) ont été prévues par le ministère de l’agriculture dans les localités rurales, mais elles ne fonctionnement pas correctement.

La participation et la sensibilisation des populations posent donc de sérieux problèmes environnementaux dans les régions forestières de la Côte d’Ivoire où pour l’utilisation des ressources, elles sont souvent contraintes à compromettre la durabilité à long terme pour satisfaire des besoins immédiats. A cet effet, vu les mesures répressives récurrentes des services forestiers, ces populations pour se venger des actions unilatérales profitent de leurs absences dans les forêts pour y mener des activités de braconnage incontrôlées. L’expérience tirée de nos enquêtes sur le terrain montre que les populations restent encore méfiantes à toute approche qui leur permettrait de participer de manière statutaire à la mise en œuvre des politiques forestières de l’Etat. Cette absence des politiques participatives souligne un dysfonctionnement des structures de l’Etat en matière de gestion forestière31(ROOs, G. 1996). Les limites de la politique forestière nous ont conduit à des recommandations en vue d’une gestion durable du patrimoine forestier en cote d’ivoire.

III. RECOMMANDATIONS EN VUE D’UNE GESTION DURABLE DU PATRIMOINE FORESTIER EN COTE D’IVOIRE

La gestion durable du patrimoine forestier fait ap-pel à la mise en œuvre de deux paramètres. Le pre-mier se rapporte à l’application des textes juridiques et le deuxième à l’adoption de mesures sociologiques de la part des pouvoirs publics ivoiriens.

A. APPLICATION DEs TExTEs jURIDIqUEs CONTRE LA DéGRADATION DU PATRIMOINE FOREsTIER

L’application des textes juridiques concerne l’application des textes sur les Etudes d’Impact Environnemental et la répression des infractions forestières.

30- GUEYE, B. 1999: Où va la participation? Expériences de l’Afrique de l’Ouest francophone. IIED, London.

31- ROOS, G. 1996. L’élaboration des fondements d’une stratégie de promotion de la gestion participative des ressources naturelles dans la périphérie du Parc National de Taï, République de Côte d’Ivoire. GTZ, Launsbach.

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1. Application des textes sur les Etudes d’Impact Environnemental

La loi n°96-766 du 03 octobre 1996 portant code de l’environnement précité fixe dans son article 39 un grand principe du droit de l’environnement. L’obligation de réaliser une Etude d’impact environ-nementale (EIE) à l’occasion de toutes les opérations ou activités publiques ou privées risquent d’avoir des impacts sur l’environnement. Il en est de même des programmes, plans et politiques pouvant affecter l’environnement32 (Communication de M. Guey Gil-bert 10,11 juin), notamment l’exploitation forestière. L’EIE n’est rien d’autre que la mise en œuvre d’un vieux principe : « mieux vaut prévenir que guérir ». Le ministère de l’Environnement veille à la protection de l’environnement en mettant à la disposition des acteurs concernés, un service dénommé « Bureau d’étude d’impact environnemental » (BIE) chargé de la mise en application de la procédure d’études d’impact environnemental.

L’EIE est soumis à des projets ayant des im-pacts sur les forêts. Il s’agit notamment des projets agricoles telles que le remembrement rural, le défrichement et projets d’affectation de terres incul-tes ou semi-naturelles .Nous pouvons également citer les opérations de reboisement d’une superficie supérieure à 999 hectares et celles relatives à l’ex-ploitation des ressources minérales et de carrières

2. Répression des infractions forestières

La répression des infractions forestières exige à la fois leur incrimination et leur poursuite devant le juge.

2.1. Incrimination des infractions forestières

Les délits forestiers que nous analyserons parti-culièrement sont prévus aux articles 50 à 53 du code forestier. Ce sont notamment:

● les défrichements non autorisés : Ce sont les défrichements portant sur une partie du domaine forestier classé, des périmètres de protection et des reboisements. Le juge se montre extrêmement sévère sur ce point33 (K.ABLAN A. N, 1989). Le code

32- Communication de M. Guey Gilbert, chef du bureau d’étude d’impact environnemental, ministère de l’Environnement ; Séminaire sur l’environnement, Abidjan, les 10 et 11 juin 2003 .

33- Jugement (inédit) N°576 du 14 Octobre 1977 Tribunal de première

forestier prévoit à cet effet une peine d’emprisonnement de deux mois à deux ans34 et une peine d’amende de 10 000 à 1.000.000 de francs ou l’une de ces deux peines seulement35.

● atteinte au zonage du domaine forestier : Il s’agit de tout acte de destruction, de déplacement, de disparition des bornes ou marques servant à limiter le domaine forestier. Cette infraction est fondée sur le fait que les actes énumérés sont faits dans un but de fraude ou dans le but de réduire le domaine afin de se livrer soit à l’exploitation de l’espace libéré, soit à la destruction des arbres ou des plantes36.

● abattage d’arbres et d’animaux dans les forêts classées, les aires protégées et les parcs nationaux : Cette incrimination réprime tout abat-tage d’arbres dans les zones protégées37. Il faut faire une distinction entre la restitution en nature des produits (bois coupés ou enlevés)

Les poursuites et actions sont exercées par l’autorité administrative. quant à la recherche des preuves et la constatation des infractions, elles sont effectuées par les agents assermen-tés habilités par l’administration. Concrètement le prévenu invoque son droit de propriété par exemple sur une forêt, lorsqu’il est actionné pour défrichement dans une forêt classée. si le juge statue, le tribunal correctionnel devant qui l’action a été soulevée statue maintenant sur le fond de l’affaire. Mais le tribunal ne peut accorder l’exception que si le droit que le prévenu invoque est susceptible d’enlever tout caractère délictueux au fait qui est l’objet de la poursuite.

instance d’Abidjan. Publié par K.ABLAN A. N, –In commentaire du code forestier et de la législation forestière de Côte d’Ivoire. L.G.D.J. paris 1989 page 323 et 324

34- Arrêt (inédit) N°11 du 27/04/79 cour suprême, chambre judiciaire, nature du délit : Défrichement en forêt classée

35- Arrêt (inédit) N°110 du 16/01/90 cour d’appel d’Abidjan, nature du délit : Défrichement clandestin en forêt classée

36- ALFRED KABLAN N’GUESSAN : Commentaire du code forestier et de la législation forestière de la côte d’Ivoire L.G.F.D.J Paris 1989.

37- Jugement (inédit) N° 6848 du 06/10/97 Tribunal de première instance d’Abidjan. Nature du délit: abattage illicite de bois de chauffe dans le parc national du banco

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Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2012

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B. ADOPTION DE MEsUREs sOCIOLOGIqUEs DE LA PART DEs POUVOIRs PUBLICs IVOIRIENs

Les mesures sociologiques que les pouvoirs publics doivent adopter concernent l’application des politiques participatives à l’actif des communautés locales, la gestion communautaire des ressources fo-restières par celles-ci et la promotion de l’Education Environnementale dans les régions forestières.

1. Application des politiques participatives à l’actif des communautés locales

Le concept de participation est présent dans tous les discours politiques et se justifie par un idéal démocratique des politiques publiques. L’idéal dé-mocratique est envisagé comme un renforcement du rôle des acteurs locaux dans la vie économique, politique et sociale locale. L’acteur, engagé dans une dynamique de responsabilisation, de participation et d’initiative voit son rôle citoyen renforcé.

Le postulat de base ici est qu’une plus grande implication des populations à la définition des poli-tiques forestières. C’est le cas par exemple lorsque les autorités associent les populations riveraines aux procédures de classement et de déclassement des forêts. Ainsi, la loi du Congo-Brazzaville prescrit une enquête auprès des représentants des populations locales préalablement au classement des forêts. A l’issue de cette consultation, les populations sont informées du projet de classement et les personnes qui revendiquent des droits sur les terres à classer les font valoir38. Une commission de classement, com-prenant des représentants des villages intéressés, des administrations et des ONG locales concernées, examine les réclamations présentées par les populations et tente un règlement à l’amiable. En cas d’échec, le différend est porté devant le tribunal compétent. Lorsqu’il s’agit d’un déclassement, les personnes intéressées sont également invitées à faire connaître à la commission de déclassement leurs objections ou suggestions39(Adouki D.E. 1996 ).

38- FAO. 2000 : République démocratique du Congo. Cadre juridique de gestion de l’environnement. Projets de lois relatifs à l’environnement, aux forêts, à l’eau et à la pêche. Rome. DRC/99/010.

39- Adouki D.E. 1996 : «Rapport national du Congo». Dans: M. Prieur et S. Doumbé-Billé (sous la direction de). Droit, forêts et développement durable. Bruxelles. Bruylant, pp. 139-158.

Il convient cependant de souligner qu’en Côte d’Ivoire et même dans les pays de l’Afrique occiden-tale l’approche participative est tout à fait nouvelle, comparée aux pays du sahel où la participation date des années 70. Pour cette raison l’état de Côte d’Ivoire dans le cadre du montage des projets en zones forestières, doit se doter du concours des experts en la matière et former également les popu-lations rurales à cette technique de gestion des forêts ivoiriennes. Outre la participation des communautés locales, la gestion communautaire des ressources forestières par ces derniers est aussi importante pour la conservation durable des forêts ivoiriennes.

2. Gestion communautaire des ressources forestières par les communautés locales

Conscients de la nécessité de mettre un terme au monopole de l’Etat sur les forêts dans l’intérêt de la protection de l’environnement, les législateurs africains tendent de plus en plus à promouvoir des formes de gestion forestière locale et privée. Il s’agit concrètement de transférer une partie des attributs de l’Etat aux les populations, en reconnaissant leur droit de gérer de façon autonome une portion du domaine forestier non permanent, dorénavant consacré sous le terme de forêt communautaire 40(Christian A. Mi-lol ,1999). Les forêts communautaires sont donc des forêts du domaine forestier non permanent, faisant l’objet d’une convention de gestion entre une commu-nauté villageoise et l’administration chargée des fo-rêts. La gestion de ces forêts relève des communautés villageoises concernées avec l’assistance technique de l’administration41(DjEUMO A., 2001 ). La gestion communautaire se traduit par la reconnaissance du droit d’usufruit sur une partie des terres occupées tra-ditionnellement, à condition que les coutumes locales de conservation soient respectées.

La gestion communautaire permet de concilier les intérêts de tous les usagers de la forêt, en tenant compte des spécificités ethniques et lignagères, qui se déroulent sur un seul espace naturel qui est la forêt. Sur le terrain,

40- Christian A. Milol : Gestion des forêts communautaires au Cameroun : enjeux, stratégies de mise en place, conflits. Etude de cas ; in Revue l’homme et la forêt tropicale, Paris, 1999 page 487.

41- DJEUMO A., 2001 : Développement des forêts communautaires au Cameroun: genèse, situation actuelle et contraintes, Réseau de Foresterie pour le Développement Rural, 25b, DFID, FRR, ODI, Londres, UK, 1-17.

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60 ZETA KAhAnTAyé A. et KRAGBE AZowA G. : La protection juridique du patrimoine forestier en Côte d’Ivoire

les populations développent des modes d’association qui permettent à plusieurs communautés de mettre en commun leurs espaces forestiers en vue de leur gestion collective et durable. La promotion de la foresterie privée permet d’obtenir, grâce à la responsabilisation des populations, de meilleurs résultats en matière de production ligneuse et de conservation des forêts; et une reconnaissance plus explicite de droits sur les forêts au profit des communautés locales. Les exemples de gestion communautaire tant en Afrique que dans les autres continents devrait inspirer la politique ivoirienne de gestion des forêts en phase avec les pratiques coutumières locales.

3 . P r o m o t i o n d e l ’ E d u c a t i o n Environnementale dans les régions forestières

Avec l’exploitation anarchique des forêts, les vertus de conservation de l’environnement en milieu forestier tendent à disparaître. De ce constat, une Education Environnementale (EE) s’impose dans les rurales pour leur redonner leurs savoirs écologiques en voie de disparition. L’éducation environnementale est une éducation civique, un processus d’apprentis-sage par l’action visant à améliorer l’attitude de tous les membres d’une société à leur insuffler le désir de participer activement, à la protection, à l’amélioration et à la sauvegarde de leur environnement42. Sa fina-lité est de faire des individus qui contribuent activement à l’assainissement de notre cadre de vie et de former un éco-citoyen responsable respectueux de la chose environ-nementale.43 Cette stratégie implique un minimum de formation écologique qui doit pouvoir s’adresser aux communautés forestières. Les relais de ces formations peuvent être les foyers ruraux tels que les villages, les campements, les chefs lieux de canton.

sa mise en œuvre passe donc par la création des centres permanents de formation en environnement qui seront implantés en zone rurale et crées à l’ini-tiative des collectivités locales. Ces centres seront à la fois un outil d’animation autour d’un espace rural donné et un instrument de sensibilisation à l’envi-ronnement naturel et humain de l’espace forestier. Les échanges entre jeunes citadins et jeunes ruraux devraient de ce fait être multipliés et les actions

42- NOT (Jean), écologue consultant : Séminaire sur l’environnement les 10 et 11 juin 2003 au Conseil Economique et Social ; Thème : L’éducation relative à l’environnement.

43- « L’éducation relative à l’environnement », communication de M. Jean Not, écologue – consultant .

concrètes et collectives de protection du milieu en-couragées. Il convient dans ce cadre d’encourager le tourisme vert dans les zones rurales qui constitue l’occasion d’une éducation relative à l’environnement. Cette politique d’éducation doit être relancée de manière périodique de manière à pouvoir disposer permanemment les consciences à la conservation de l’environnement.

CONCLUSION

Il ressort de cette étude que la Côte d’Ivoire a prévu des lois spécifiques en matière des politiques forestières accompagnées d’un cadre institutionnel. L’existence du code forestier de 1965 et du code de l’environnement de 1996, permet de le confirmer. Cette législation régule la mise en œuvre de la politi-que du gouvernement dans la conservation des forêts ivoiriennes. Cependant, le développement socio-économique remarquable qu’a connu la Côte d’Ivoire depuis les années 1960 s’est effectué au prix d’une énorme pression sur le patrimoine forestier national, à l’origine de divers problèmes écologiques, dévoilant ainsi les insuffisances du droit forestier. Les limites des textes sont liées entre autres à la déforestation, le braconnage et l’absence de politiques participatives à l’endroit des communautés locales. A cet effet, la finalité des politiques publiques en matière d’environ-nement doit tendre vers un développement durable qui apparaît comme une stratégie visant à concilier les contraintes écologiques et socio-économiques.

BIBLIOGRAPhIE

1- OUVRAGEs ET ARTICLEs sCIENTIFIqUEs

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62 ZETA KAhAnTAyé A. et KRAGBE AZowA G. : La protection juridique du patrimoine forestier en Côte d’Ivoire

II. TExTEs jURIDIqUEs

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