ANALYSE DE L’IMPACT DES DÉTERMINANTS DE DÉGRADATION...

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© (EDUCI) 2019 Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°1, 2019 75 RÉSUME La présente étude analyse les déterminants et leurs impacts sur les écosystèmes de forêt et de savane de la réserve de chasse de la Léfini. Un échantillon représentatif de 323 ménages a été soumis à une enquête dans 10 villages. La technique de traitement a impliqué la réduction des informations sous une forme permettant la compilation et le traitement statistique. Une typologie des indicateurs de perturbation des formations végétales sur base de la littérature, suivie par un inventaire de ces signes de perturbation dans des places aux a été élaborée. Le traitement et l’analyse des données montrent que que les populations locales consentissent majoritairement à l’arrivée des migrants (46%) et la croissance démographique (28%) constituent les déterminants indirects les plus importants de la dégradation de la végétale. Alors que la pratique des feux (45%) et l’agriculture sur brûlis (21%) en sont les principaux déterminants directs. Malheureusement, en l’absence des activités alternatives, la dépendance par rapport à la production agricole reste très dominante et accroît l’impact négatif sur la biodiversité. En outre, cette agriculture est liée significativement à bien d’autres déterminants de perturbation (les feux et la coupe des arbres). L’impact lié à l’action combinée des feux et des coupes d’arbre sur la topographie est très perceptible au niveau des pentes. En effet, les conséquences sont multiples et marquées par la disparition des espèces fauniques, la stérilisation des sols par appauvrissement de la couche arable, l’exposition des sols face au ruissellement des eaux. Mots-clés: Couvert végétal, Réserve, Léfini, République du Congo. ABSTRACT This study analyzes the determinants and their impacts on the forest and savanna ecosystems of the Léfini Game Reserve. A representative sample of 323 households was surveyed in 10 villages. The processing technique involved the reduction of information in a form allowing compilation and statistical processing. A typology of vegetation disturbance indicators, followed by an inventory of disturbance signs in plots, was developed. Data processing and analysis show that the majority of local populations consent to the arrival of migrants (46%) and population growth (28%) are the most important indirect determinants of plant degradation. While burning (45%) and slash-and-burn agriculture (21%) are the main direct determinants. Unfortunately, in the absence of alternative activities, dependence on agricultural production remains very dominant and increases the negative impact on biodiversity. In addition, this agriculture is significantly related to many other disturbance determinants (fire and tree cutting). The impact of the combined action of fires and tree cuts on the topography is very noticeable at the slopes. Indeed, the consequences are manifold and marked by the disappearance of wildlife species, soil sterilization by impoverishment of the topsoil, exposure of the soil to water runoff. Keywords: Vegetated cover, Reserve, Léfini, Republic of Congo. ANALYSE DE L’IMPACT DES DÉTERMINANTS DE DÉGRADATION DU COUVERT VÉGÉTAL SUR LES COMPOSANTES ENVIRONNEMENTALES DE LA RÉSERVE DE CHASSE DE LA LEFINI (CONGO) Hugues Bruno GOMA BOUMBA 1 , Marie Joseph SAMBA-KIMBATA 2 1.2. Centre de Recherche sur les Tropiques Humides, Département de géographie, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (FLSH), Université Marien NGOUABI, Brazzaville, République du Congo. BP : 3069 Brazzaville Congo ; [email protected] 2. Département de géographie, Faculté des Lettres et des Sciences Humides, Université Marien NGOUABI, Brazzaville, République du Congo. BP. 3069 Brazzaville Congo ; [email protected].

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RÉSUMELa présente étude analyse les déterminants et leurs impacts sur les écosystèmes de forêt et de savane de la réserve de chasse

de la Léfini. Un échantillon représentatif de 323 ménages a été soumis à une enquête dans 10 villages. La technique de traitement a impliqué la réduction des informations sous une forme permettant la compilation et le traitement statistique. Une typologie des indicateurs de perturbation des formations végétales sur base de la littérature, suivie par un inventaire de ces signes de perturbation dans des places aux a été élaborée. Le traitement et l’analyse des données montrent que que les populations locales consentissent majoritairement à l’arrivée des migrants (46%) et la croissance démographique (28%) constituent les déterminants indirects les plus importants de la dégradation de la végétale. Alors que la pratique des feux (45%) et l’agriculture sur brûlis (21%) en sont les principaux déterminants directs. Malheureusement, en l’absence des activités alternatives, la dépendance par rapport à la production agricole reste très dominante et accroît l’impact négatif sur la biodiversité. En outre, cette agriculture est liée significativement à bien d’autres déterminants de perturbation (les feux et la coupe des arbres). L’impact lié à l’action combinée des feux et des coupes d’arbre sur la topographie est très perceptible au niveau des pentes. En effet, les conséquences sont multiples et marquées par la disparition des espèces fauniques, la stérilisation des sols par appauvrissement de la couche arable, l’exposition des sols face au ruissellement des eaux.

Mots-clés: Couvert végétal, Réserve, Léfini, République du Congo.

ABSTRACTThis study analyzes the determinants and their impacts on the forest and savanna ecosystems of the Léfini Game Reserve. A

representative sample of 323 households was surveyed in 10 villages. The processing technique involved the reduction of information in a form allowing compilation and statistical processing. A typology of vegetation disturbance indicators, followed by an inventory of disturbance signs in plots, was developed. Data processing and analysis show that the majority of local populations consent to the arrival of migrants (46%) and population growth (28%) are the most important indirect determinants of plant degradation. While burning (45%) and slash-and-burn agriculture (21%) are the main direct determinants. Unfortunately, in the absence of alternative activities, dependence on agricultural production remains very dominant and increases the negative impact on biodiversity. In addition, this agriculture is significantly related to many other disturbance determinants (fire and tree cutting). The impact of the combined action of fires and tree cuts on the topography is very noticeable at the slopes. Indeed, the consequences are manifold and marked by the disappearance of wildlife species, soil sterilization by impoverishment of the topsoil, exposure of the soil to water runoff.

Keywords: Vegetated cover, Reserve, Léfini, Republic of Congo.

ANALYSE DE L’IMPACT DES DÉTERMINANTS DE DÉGRADATION DU COUVERT VÉGÉTAL SUR LES COMPOSANTES ENVIRONNEMENTALES

DE LA RÉSERVE DE CHASSE DE LA LEFINI (CONGO)

Hugues Bruno GOMA BOUMBA1, Marie Joseph SAMBA-KIMBATA2

1.2. Centre de Recherche sur les Tropiques Humides, Département de géographie, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (FLSH), Université Marien NGOUABI, Brazzaville, République du Congo. BP : 3069 Brazzaville Congo ; [email protected]

2. Département de géographie, Faculté des Lettres et des Sciences Humides, Université Marien NGOUABI, Brazzaville, République du Congo. BP. 3069 Brazzaville Congo ; [email protected].

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76 HB GOMA BOUMBA & MJ SAMBA-KIMBATA : Analyse de l’impact des déterminants de dégradation...

INTRODUCTION

Les pays tropicaux sont confrontés depuis trois décennies aux problèmes de la déforestation et/ou de la dégradation croissantes des formations végétales. La forêt tropicale est soumise à une forte action destruc-trice à des fins agricoles (élevage et agriculture), des bois d’œuvre ou bois de chauffe. Dans ses travaux, O. Arouna (2012, p. 72) constate que les forêts denses sèches, dans la Commune de Djidja au Benin, ont été complètement converties en d’autres unités d’occupation du sol. Les formations végétales comme les forêts galeries, les forêts claires et les savanes arborées sont devenues des formations végétales rares et s’observent le plus souvent au niveau des terres marginales inaptes à l’agriculture.

En république du Congo, les changements de conversion forestière ont été également constatés à l’échelle nationale où les pertes de surfaces forestières sont estimées à une moyenne annuelle de 0,062% entre 2000 et 2012 (CNIIAF, 2015, p.15). C. Ernest et al (2012, pp.23-41) affirment que la déforestation et la dégradation sont les deux conversions les plus remarquables que subissent les forêts. Selon eux le taux de déforestation nette est respectivement passé de 0,03% pour la période de 1990 à 2000 à 0,07% pour la période de 2000 à 2005. Pendant ces deux périodes, le taux de dégradation nette est resté constant à environ 0,03%. Les taux de pertes des formations ligneuses pendant les mêmes périodes sont respectivement de 0,09% et 0,17% pour la déforestation nette, 0,05% et 0.09% pour la dégradation nette. Par ailleurs, le taux national de perte des forêts est estimé à une moyenne annuelle de 0.075% entre 2000 et 2010 Ces statistiques attestent une dynamique complexe de changement et de conversion des paysages forestiers à différentes échelles.

A l’échelle locale, cette tendance générale à l’évolution régressive des formations végétales naturelles est également constatée dans le sud du pays (J.M. Moutsamboté 1985, p.127). F.G. Kimbatsa (2016, p. 223) met en évidence la régression de la forêt dense au profit des formations anthropiques dans le Mayombe, avec un taux de régression de 1,65. Dans leurs travaux, L. Bouetou-Kadilamio et al, (2017, pp. 333-334) ont également remarqué un changement régressif de la couverture forestière dans le Nord-Ouest du Congo.

La régression des forêts touche aussi bien les zones de production du bois que de conservation. En effet, les aires protégées furent initialement créées pendant la colonisation, dans un contexte marqué par l’intérêt pour la chasse de grands mammifères, principalement dans les zones de savanes et, en réaction des impacts de cette chasse tels qu’ils étaient perçus à l’époque. Ces aires protégées jouent un rôle important en termes de services écologiques. Les forêts offrent au niveau local des services écosystémiques essentiels et des moyens de sub-sistance aux communautés locales. De ce fait, le nombre d’aires protégées en création est en augmentation. Le Congo compte au total 17 aires. La zone affectée à la conservation représente 15% de la superficie du pays. Le taux de dégradation de ces aires protégées progresse à un rythme alarmant. Un nombre important des sites protégés sont en voie de disparition et d’extinction de leurs ressources naturelles (U.I.C.N. / P.A.C.O., 2012, p.22).

L’étude menée par H.B. Goma Boumba et al (2018, p.27-28) sur La dynamique de l’occupation du sol dans la réserve de la Léfini a montré que la formation végétale ligneuse, par opposition à la formation végétale non ligneuse, régresse de façon importante. Le taux annuel de régression constaté au niveau de la forêt ombrophile à tendance mésophile est le plus élevé (1,18%). La diminution de cette strate a laissé place à la forêt secondaire dont le taux annuel a connu une très faible augmentation évaluée à 0.03%. Malgré son statut d’aire protégée, cette réserve perd également sa biodiversité. La pression induite par les activités humaines sur ce milieu a pour corollaire la modification de l’occupation du sol. H.B. Goma Boumba et al (2018, p.16) ont constaté que les formations végétales sont soumises à des multiples formes de dégradation dues essentiellement à l’action anthropique croissante.

Les mécanismes pour la protection de la réserve de la Léfini n’ont pas permis d’empêcher la dégradation de la biodiversité. Plusieurs déterminants sont responsables de cette situation. Au regard de ces constats, la présente étude a pour objectif d’analyser les déterminants responsables du changement d’échelle de l’aire protégée et de diagnostiquer l’impact anthropique sur l’évolution environnementale actuelle.

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1. LOCALISATION ET CADRE GENERAL DE LA DE LA ZONE D’ÉTUDE

Créée depuis le 26 novembre 1951, la réserve de faune de la Léfini est située au Sud-est du Congo à 140 km au nord de Brazzaville. Elle est à cheval sur les départements des Plateaux et du Pool (figure 1). S’étalant sur environ 350 000 ha, elle est implantée sur le complexe des plateaux Téké, au Nord-ouest et au Sud-est respectivement dans les plateaux de Nsah-Ngo et de Mbé (H.B. Goma Boumba et al 2018, p.16).

. Figure 1 : Localisation de la zone d’étude

La réserve appartient à un climat de type subéquatorial caractérisé par des précipitations allant de 1600 à 2100 mm par an, une température de 25°C, une amplitude thermique annuelle de 1,5°C et une saison sèche dont la durée est comprise entre 1 et 3 mois du nord au sud (L. Mathot, 2006 pp. 24-25). Les plateaux batéké en général et la réserve de la Léfini en particulier connaissent une forte variabilité des précipitations annuelles et mensuelles et les saisons sont relativement instables. Ce fait pluviométrique est parfaitement en phase avec l’ensemble du Congo (M-J. Samba-Kimbata, 2002 p. 83) et l’Afrique équatoriale atlantique (G. Ibiassi Mahoungou, 2003, p 68). La forêt et la savane sont les deux types de végétation qui se développent sur un sol majoritairement sableux (L. Makany, 1976 pp. 5-10).

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2. DONNÉES ET MÉTHODES

2.1. DONNEES UTILISEES

Les données démographiques ont été utilisées. Elles sont issues des estimations de la population de 2017 effectuées dans la sous préfecture de Ngo par l’administration locale. Par contre, pour le village d’Inoni Plateau, localité de la sous-préfecture de Ngabé, nous avons pu disposer des estimations de la population en 2015. Les données d’enquêtes socio-économiques issues des enquêtes ont permis d’avoir des informations permettant de comprendre les relations entre les hommes et le milieu naturel. Sur le terrain, les informations recherchées ont porté sur : la perception des riverains sur la réserve de chasse de la Léfini, les activités anthropiques dans la réserve, les politiques liées à la conservation des écosystèmes forestiers. Ces données sont issues des enquêtes auprès des populations riveraines. Le guide d’entretien mis en place pour les besoins d’acquisition des informations était l’unique support de base pour le déroulement des entretiens avec les gestionnaires et agents de la réserve.

2.2. METHODES

2.2.1. Echantillonnage et réalisation des enquêtes

L’enquête de terrain s’est déroulée dans dix villages de la réserve de la Léfini. Le nombre de ménage en 2017 est estimé à 2518 (estimation de la population réalisée par l’administration de Ngo). La taille de l’échantillon (n) pour l’étude a été déterminée à partir de la formule de Dagnelie (1998, p.422) et reprise par plusieurs auteurs comme C. J. S. D. Gbemavo et al (2014, p. 71).

n = (t)2 p (1 – p) / d2

t étant le niveau de confiance selon la loi normale centrée réduite (pour un niveau de confiance de 95%, t= 1.96). L’utilisation d’un taux d’échantillonnage t tel que 5% ≤ t ≤ 20% est recommandée (P. Dagnelie, 1998, p.422), les erreurs d’incertitude sont minimisées. Dans la présente étude, nous avons retenu un taux d’échantillonnage t = 5%. P (30%) a été déduite des estimations des nombres de ménage dans des locali-tés situées dans et autour de la réserve, la marge d’erreur d prévue pour tout paramètre à estimer à partir de l’enquête est de 5%. La taille n de l’échantillon est ainsi égale à 323 ménages. Le nombre de ménages interrogés par village a été déterminé par proportionnalité (tableau 1).Tableau I : Nombre des Ménages enquêtés par village

Village Pourcentage de ménages Nombre des ménages enquêtésInoni Plateau 18 58Etsouali 5 17Essoua 4 14Ngo 2 4 13Impan 3 10Ngo 56 180Mpoh 1 3Nsah 5 16Ontchouo 1 4Impé 3 9 Total 100 323

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Les localités enquêtées ont été sélectionnées en fonction de deux critères. Le premier est relatif à la taille de la population. En effet, pour des besoins de représentativités, les localités ayant des effectifs des ménages les plus élevés ont été retenues pour former l’échantillon. Nous avons interrogé le plus grand nombre de personnes dans ces localités. C’est le cas de Ngo, Inoni Plateau, Etsouali, Essoua ou Nsah. Le second critère est le besoin des populations en produits de la forêt et de la savane. Ce critère découle du premier. Car plus la population est nombreuse, plus les besoins alimentaires sont multiples et élevés.

Deux sorties de terrain pour les enquêtes auprès des ménages ont été menées dans les 10 villages. La première s’est déroulée en novembre 2017 et a duré deux semaines. Pendant cette période les contacts ont été pris à Ngo (chef lieu de district) avec les gestionnaires de la réserve. Les échanges ont également eu lieu autour de notre guide d’entretien prévu pour le cas échéant. Un écogarde été mis à notre disposition pour effectuer les descentes dans les villages. Les enquêtes ont commencé dans les localités situées sur l’axe Ngo- Nsah pour se terminer sur l’axe Ngo-Inoni Plateau. La seconde sortie de terrain a été effectuée en février 2018. Les enquêtes ont été menées sur l’axe Ngo2-Impé pendant une semaine.

L’interview par enquête notamment le face-à-face était privilégié. Ce mode d’interview a permis d’atteindre le plus fort taux de réponses au plus grand nombre de questions. Les centres d’intérêt de ces différents question-naires sont la perception des activités qui dégradent la végétation et les facteurs qui les gouvernent (Arouna, 2012, p.48). En dernier ressort, sur le terrain, il nous revenait d’apprécier l’état physique de cet environnement.

2.2.2. Traitement des données issues d’enquête

La démarche poursuivie s’adapte facilement aux exigences de notre recherche. Elle se fait en deux étapes : le dépouillement et la manipulation informatisée des données collectées sur le terrain. La première étape, portée sur le dépouillement des données quantitatives et qualitatives, a consisté en la vérification du remplis-sage des questionnaires ainsi que la correspondance dans les réponses données par les enquêtés. D’une manière générale, il s’est agit d’examiner attentivement des fiches de résultats pour extraire l’information.

La seconde étape est marquée par la manipulation des données réalisées en deux phases. La première a concerné le traitement des fiches par codification caractérisée par la conversion des données issues des enquêtes par questionnaire via un schéma de classification. Le traitement de ces données a impliqué la réduction des informations sous une forme permettant la compilation et le traitement statistique. La seconde phase a nécessité le recours à l’outil informatique. Le logiciel Sphinx a été choisi pour la souplesse dans son fonctionnement et aussi en raison de sa disponibilité. Il a facilité le traitement numérique de données issues de nos enquêtes sur la perception des populations locales et des gestionnaires forestiers face à la dégradation du couvert végétal. L’analyse des résultats est donc privilégiée. Le traitement analytique est le point le plus fondamental. Il est la combinaison de l’arithmétique et de la logique. C’est un traitement qui prend en compte des données qualitatives et les données quantitatives.

2.2.3. Critères qualitatifs et quantitatifs de rupture d’équilibre du couvert végétal

La quantification des impacts est établie sur la base des observations relevées dans 100 placeaux à strates différentes (formation végétale et formation non forestière. Chaque placette couvre 0,5 ha (figure 2) au sein de laquelle les déterminants de dégradation du couvert végétal ont été identifiés. Il s’agit de : feux de brousse et de savane, l’agriculture, l’extraction du bois, le prélèvement des PFNL, des empreintes des activités cynégétiques (chasse) et de pèche.

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Figure 2 : Dispositif des placeaux d’observation des déterminants

Suivant les différentes strates d’occupation du sol, nous nous sommes appuyés sur l’occupation du sol de 2018 (H.B. Goma Boumba et al 2018, p.24) pour géolocaliser des placeaux sur le terrain. Chaque point géoréferencé est accompagné des observations avec une description des occupations environnantes prises le long d’un layon sur chaque type d’occupation du sol traversé.

Les estimations de la gravité de ces déterminants sur la réserve de la faune de la Léfini sont données par quatre paramètres qui ont permis une appréciation quantitative et qualitative de ces déterminants. Il s’agit de l’intensité, l’étendue, la fréquence et la durée (Y.C.H. Hountondji 2008, p.56 ; F.Koubouana, 2010, p.11).

L’intensité (I) de l’impact (degré de perturbation du milieu) : elle mesure l’intensité avec laquelle l’impact se produit et est fonction du degré de sensibilité ou de vulnérabilité de la composante.

L’étendue(E) de l’impact (longueur, superficie) : elle donne une idée de la portée spatiale (couverture géographique) de l’impact.

La fréquence (F) de réalisation de l’impact (intermittent ou continu) : elle indique la périodicité avec laquelle l’impact est susceptible de se réaliser et est proche de la probabilité de réalisation.

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La durée (D) de l’impact (dimension temporelle) : elle indique la manifestation de l’impact dans le temps.

Pour les trois premiers paramètres, nous distinguons trois niveaux de sensibilité : faible (< 25%); moyen (entre 25 et 50%) et fort (> 50%). Par contre, la durée de l’impact indique la période à laquelle les détermi-nants de dégradations de la végétation ont eu lieu.

La première étape a consisté à construire une typologie des indicateurs de perturbation des formations végétales. Par la suite, les différents types de perturbation ont été caractérisés à partir des indicateurs. La seconde étape a consisté en un inventaire des différents types des déterminants de dégradation ou perturba-tion du couvert végétal. Etant donné la configuration de différents types de végétation (forêt et savane), nous avons combiné les méthodes d’échantillonnage. Par conséquent, la bonne alternative est une combinaison des approches aléatoires et systématiques aboutissant à un plan d’échantillonnage systématique aléatoire non aligné. Cette stratégie probabiliste combine les caractéristiques et les avantages d’un échantillonnage aléatoire simple et un échantillonnage systématique. Le choix du positionnement de ces placeaux vise une implantation du dispositif d’observation plus ou moins rationnelle de l’ensemble de la superficie de la réserve. Les observations des déterminants de régression de la végétation ont été ainsi faite le long des layons de 250 m, dans une placette de 0.5 ha (250m de longueur et 20 m de largeur).

3. RÉSULTATS

3.1. DETERMINANTS DE LA DEGRADATION DU COUVERT VEGETAL

L’analyse porte sur les déterminants indirects et directs de la dégradation du couvert végétal. Les populations locales estiment que l’arrivée des migrants et la croissance démographique (figure 3) constituent les causes indirectes les plus importances de la dégradation végétale. Ils accroissent les besoins en terres agricoles, en produits forestiers non ligneux (PFNL), en viande de chasse, en produits halieutiques, en bois de chauffe, en bois d’œuvre et de service. La localité de Ngo est confrontée à une densification démographique qui se traduit jour après jour à une extension spatiale. La végétation périphérique de Ngo incluse dans la réserve est détruite systématiquement pour être remplacée par d’autres usages, généralement l’habitat et les champs. L’augmentation croissante des besoins alimentaires et énergétiques des populations exige de plus en plus des surfaces à déboiser.

Figure 3: Importance des déterminants indirects de la dégradation végétale

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De même, la croissance démographique nécessite des étendues déboisées. Certes que dans la zone d’étude la population a connu une augmentation mais la présence des migrants a encore spolié davantage la biodiversité végétale et animale de la réserve de la Léfini. Les migrants à Ngo ont même acquis, par le truchement des pseudos propriétaires terriens des terres dans la réserve de la Léfini. Ces acquéreurs préconisent affecter les terres à des activités agricoles. Les gestionnaires de la réserve avaient saisi les autorités politico-administratives de la localité pour débouter ces nouveaux acquéreurs, mais la confusion demeure encore jusqu’à ce jour. La biodiversité animale paye également les frais suite aux intrusions avé-rées des braconniers. En effet, de plus en plus décriés, les migrants s’adonnent à des parties de chasse de grande envergure dans la réserve. Ils s’adonnent aussi à la pêche sans toujours pouvoir être inquiétés. La méconnaissance des textes et politiques forestières conduit les populations à mener les activités illégales dans la réserve, près de 16% des enquêtés l’on notifié, contre 10,7% pour le régime foncier (figure 2).

Par ailleurs, les différents déterminants directs (figure 4) n’ont pas les mêmes poids sur le couvert végé-tal. Les feux constituent selon le résultat des enquêtes (environ 47%) le déterminant le plus important de dégradation de ce couvert. Les périodes les plus favorables pour la pratique des feux sont la saison sèche (juin à août, parfois septembre) et la saison de fléchissement intrapluvial (janvier et février).

Figure 4: Importance des déterminants directs de la dégradation végétale

Il n’en demeure pas moins que quelques tentatives soient faites pendant les mois considérés comme pluvieux mais marqués par des séquences de jours sans pluie. La pratique des feux de végétation devient de plus en plus inquiétante pour les gestionnaires de la réserve qui affirment que ces feux brûlant tout sur leur passage, s’étalent sur de longues distances (une dizaine de kilomètre parfois). L’absence des pluies et l’ensoleillement favorisent l’assèchement rapide des feuilles mortes qui recouvrent les sols des forêts mésophiles et des savanes. La très faible porosité ne permet pas à ces sols sableux de garder pendant longtemps l’humidité. Dans ces conditions, les feux brûlent avec une forte intensité. Par conséquent, la pré-sence de la mince couche de litière forestière que nous avons observée après le passage répété des feux au niveau des placeaux résultent de cette pratique. Les forêts sont localisées à des dizaines de kilomètres des villages. Ainsi, les traces de feux sont plus importantes dans les savanes et les forêts à la périphérie de la réserve. Il en est de même pour la coupe des arbres. Le taux des traces de feu est à la hausse par

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comparaison à celui des coupes des arbres dans les placeaux situées dans les zones de forêts relativement intactes. Il est respectivement de 7% contre seulement 1%. Bon nombre de ces zones de forêt présentent les caractéristiques de ne pas avoir été endommagé par le feu depuis plusieurs années, car aucun tronc récemment carbonisé n’a été inventorié. Le passage des feux date de longtemps au point où les arbres brulés ont repris normalement leur cycle de développement.

L’agriculture est désignée comme le second déterminant de dégradation de la végétation (avec un taux d’environ 21% d’opinion). La technique dite « sur brûlis », préférentiellement utilisée par les populations, est fortement à l’origine de la conversion des formations végétales en espaces agricoles. De ombreuses populations ont aujourd’hui opté pour une agriculture mécanisée. Les effets conjugués de l’agriculture et des coupes des arbres et arbustes deviennent de plus en plus dévastateurs sur la végétation naturelle de la réserve. Or, l’évolution démographique dans les villages comme Nko, Nsah, Etsouali, et Inoni Falaise impacte les périodes de jachère ne sont plus assez longues pour permettre une reconstitution adéquate de la fertilité du sol et la restauration de la productivité de la terre. La pression de ces populations devient peu à peu un facteur crucial de déboisement et de dégradation des terres.

En l’absence des activités alternatives, la dépendance par rapport à la production agricole reste très dominante et accroît l’impact négatif sur la biodiversité. En outre, cette agriculture est liée significativement à bien d’autres déterminants de perturbation (les feux et la coupe des arbres). Nos observations de terrain concordent avec les déclarations faites par les populations enquêtées que les activités agricoles sont faites pour la plupart des cas dans les zones de savane. C’est une pratique qui rime bien avec les us et coutumes des peuples Tékés des plateaux, le constat est le même à Nsah, Mpoh, Ngo, Etsouali (plateau de Nsah-Ngo) et à Inoni Falaise, Inoni Plateau (plateau de Mbé). Intervenant sur les zones d’activités agricoles, les gestionnaires de la réserve ont affirmé que les zones de forêt, même celles situées hors de la réserve, sont très peu cultivées ou mises en valeur. Les plantations sont situées dans la zone périphérique des habita-tions correspondant aux limites les plus proches de la réserve par rapport aux villages. Les cultures sont rencontrées à une distance inférieure à 5 km des villages. Les principaux produits agricoles cultivés sont le manioc, la banane, le maïs, l’ananas et le piment.

Les coupes systématiques des arbres et d’arbustes transforment, en un rythme lent, les formations végétales moins denses (forêt mésophile) en formations végétales très clairsemées (savane arbustive). Ils provoquent également la rupture d’équilibre du peuplement forestier, ce qui modifie significativement l’ambiance forestière et les habitats. Ces dégâts sont d’ordre géomorphologique (intensification des proces-sus érosifs) et biologique (variation de densité). La présence de quelques souches d’arbres retrouvées à certains endroits témoigne effectivement la perte du couvert végétal. Environ 98% des ménages enquêtés collectent eux-mêmes le bois de chauffe pour leur propre usage.

Le ravitaillement en PFNL (ramassage et cueillette) est essentiellement axé sur la cueillette des cham-pignons, des feuilles de marantacée et comestibles (comme le Gnutum africanum) ou au ramassage des fruits, des chenilles et du bois mort et au prélèvement des lianes destinées à la fabrication des meubles et corbeilles une pratique responsable du déséquilibre de l’habitat. En effet, les plantes héliophiles parasi-taires sont parmi les végétaux détruits. Le taux de dégradation de la forêt par ce déterminant est estimé à environ 8%.

La chasse est également considérée comme un déterminant direct de la dégradation du couvert végétal. Si pour les précédents déterminants les avis des acteurs de terrain (les gestionnaires de la réserve et les populations riveraines) sont globalement restés convergents, ici leurs points de vue sur la chasse divergent. Les populations enquêtées ont déclaré le taux de destruction à 30%. Pour elles, c’est la chasse de sub-sistance qui est pratiquée à l’aide des techniques rudimentaires. Les dégâts se limitent à l’ouverture des pistes dans les zones de forêts pour le passage des chasseurs et quelques coupes d’arbres pour le feu.

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Par contre, les gestionnaires de la réserve considèrent que la chasse est aussi responsable de la dégradation de la végétation. La forme la plus dévastatrice est la chasse communautaire « Mvura » qui consiste à utiliser le feu comme arme. En effet, en saison sèche une touffe de savane (biotope) dans laquelle sont réfugiés les animaux, préférentiellement les rongeurs (rats, aulacodes, céphalophes, athérure) est mise à feu. Cette tech-nique détruit la biodiversité animale et végétale. Les agents forestiers ont affirmé que certes le gibier chassé est destiné à l’autoconsommation mais une partie est aussi destinée à la commercialisation. L’activité devenant lucrative, il y a donc manifestement la recherche du profit par les populations. Dans de telles circonstances, les populations s’exposent à des sanctions prévues par la loi sur la faune et les aires protégées. Malgré ces sanctions la chasse est toujours pratiquée, Enfin, les populations enquêtées et les agents forestiers ont affirmé que la pêche est le premier déterminant qui cause moins de dégâts sur le couvert végétal.

La coupe du bois est motivée par des besoins de service tels que les perches pour la construction des hangars et des greniers. Les espèces les plus utilisées sont Macaranga, Naniofiton, ocarakaba. Le recours au bois d’œuvre permet aux populations de satisfaire leurs besoins en lits, bancs ou tabourets. Les popula-tions se livrent aussi au prélèvement des écorces d’arbres de nombreuses espèces comestibles à des fins médicinales. Les écorces ou racines des espèces à haut pouvoir calorifique comme d’Amisophilia senega-lensis, Afromamene et bien d’autres afrodisiaques sont également prélevées. D’autres plantes telles que colocarum (malombo), grevia coriacea (Ntsui-téké) sont particulièrement recherchées pour leurs fleurs ou leurs fruits comestibles. Suivant leurs us et coutumes les populations autochtones des plateaux téké font de plus en plus recours à la pharmacopée. Dans cette aire protégée, plusieurs espèces rencontrées ont des vertus thérapeutiques et les plus recherchées sont: wengué, gambeya, garcinia kola, Mubala.

3.2. IMPACT SUR LES COMPOSANTES ENVIRONNEMENTALES

3.2.1. Interaction entre déterminants et composantes environnementales

L’analyse interactive combinant les déterminants de dégradation du couvert végétal et les composantes environnementales a été entreprise. L’impact lié à l’action combinée des feux et des coupes d’arbre sur le sol et le relief est très visible au niveau des pentes.

Photo 1 : Feu de brousse dans la réserve de chasse de la Léfini

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En effet, les étendues importantes de végétations détruites (photo 1) chaque année provoquent des dommages comme la disparition des espèces fauniques, la stérilisation des sols par appauvrissement de la couche arable, l’exposition des sols face au ruissellement des eaux (photo 2). Le terrain accidenté brûlé est enclin à réduire la fertilité des sols et la capacité de rétention d’eau. Les incendies répétés entraînent, en amont, souvent l’érosion des sols ce qui affaibli la rétention d’eau et accélère leur chute en aval.

Photo 2: Erosion des sols le long de la rive gauche de la rivière Léfini

Cliché : Bertin Ngandzion, ancien Conservateur

L’action des feux sur la végétation certes provoque la désorganisation et la disparition de la diversité fau-nique mais les dégâts sont différemment présentés selon les trois types des feux que nous avons observés dans la zone d’étude. Il s’agit des feux de surface, des feux de cime et des feux de sol.

Comme l’indique cette photo 1, ici les feux de surface brûlent les broussailles et la litière des forêts. La conséquence est la conversion du couvert végétal en sol dénudé. Ces feux sont maîtrisés en dégageant la zone environnante de la végétation basse et de la litière, ou en creusant des sillons pour délimiter la zone. Par ailleurs, le paysage présent sur la photo 2 indique le passage après les feux de cime. Ces feux se sont propagés au sommet des arbres ou des buissons. Les agents forestiers luttent contre ces feux en créant des zones de contre-feu localisées à envions 500 mètres autour du gite de Mpoh pour épargner celui-ci des éventuels incendies. La conséquence est la perte par combustion des branches, des fruits et des feuilles. Les quelques troncs d’arbres brûlés partiellement, restent encore débout. Les opérations de prospection botaniques ont permis de répertorier 291.

Enfin, les feux au sol détruisent la litière du sol, la couche superficielle d’humus en forêt mais pas la végé-tation haute. Ces feux sont fréquents dans la savane et dans les forêts secondaires proches des villages. La conséquence est que les feux arrêtent la décomposition de la matière organique qui affecte directement la dynamique des écosystèmes forestiers comme source ou puits de carbone, par la libération du CO2. Une fois localisés, les feux de sol sont difficiles à éteindre à moins que la couche d’humus ne soit pas très profonde.

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3.2.2. Evaluation et quantification des impacts

L’évaluation et la quantification d’impact environnemental s’est fait à partir des critères d’appréciation indiqués dans le tableau ci-dessous.Tableau 2 : Appréciation d’impact de chaque déterminant

DéterminantParamètres d’appréciation d’impact

Intensité Etendue Fréquence DuréeFeux Forte Forte Forte AnnuelleAgriculture Moyenne Faible Moyenne Saisonnière, annuelleCoupe d’arbre Faible Faible Faible AnnuellePrélèvement

des PFNLFaible Moyenne Moyenne Annuelle

Chasse Moyenne Faible Forte AnnuellePêche Faible Faible Moyenne Annuelle

L’action des feux sur le couvert végétal est perceptible à partir de l’intensité, l’étendue et la fréquence qui sont fortes avec des taux est > 50%. La proportion de la superficie impactée est très considérable dans l’espace et dans le temps. Les dégâts dus à cette action du feu peuvent être observés toute l’année même pendant la saison des pluies en cas d’épisodes secs de quelques jours. L’intensité et la fréquence de l’agri-culture varient entre 25 et 50%. Suivant l’échelle d’appréciation d’impact, son action peut être considérée moyenne alors qu’il est faible (< 25%) pour son étendue (la taille ou superficie de chaque champ dépasse très rarement 1ha). L’impact sur la végétation issu de la coupe d’arbres et d’arbustes est très limité. L’intensité, l’étendue et la fréquence sont particulièrement faibles. Bien que cet impact soit limité, nous observons tout de même la perte de la végétation et de la couche d’humus. Ce déterminant de dégradation se répète néanmoins tout le long de l’année. Les empruntes anciennes et franches laissées par les coups de machette restent toujours visibles sur les arbres. De même, l’intensité de la dégradation due à la pratique de chasse doit être considérée comme moyenne alors que son étendue et sa fréquence sont faibles. L’impact de la pêche est très négligeable sur la végétation.

4. DISCUSSION DES RÉSULTATS

Les principaux déterminants de dégradation de la végétation sont majoritairement d’origine anthropique, notamment les feux de brousse et de savane, l’agriculture, le prélèvement des produits forestiers non ligneux, l’extraction du bois (coupe d’arbres et d’arbustes) et la chasse. Les feux sont de très loin le premier déter-minant. Certes les feux détruisent les milieux forestiers, mais de nombreux scientifiques admettent qu’ils ne détruisent pas les savanes, mais ils sont au contraire le principal facteur de leur maintien. La suppression totale des feux ou la pratique des feux précoces ferait ainsi évoluer les savanes vers des milieux plus fermés et modifierait la physionomie et la composition de la végétation ainsi que l’équilibre de l’écosystème dans son ensemble (Y.C.H. Hountoundji, 2008, p. 92). L’évolution progressive des strates de savanes herbeuse et arbustive (environ 319 ha/an) illustre parfaitement cette affirmation.

D’une manière générale, ces activités touchent la structure et la composition floristique des végétaux. Elles sont impulsées par la croissance démographique, l’arrivée des migrants, l’inefficacité des textes et politiques forestiers, le régime foncier. La nature et l’ampleur des effets anthropiques induisent une hétérogé-néité floristique dans les îlots forestiers. Le feu de brousse affecte toutes les composantes de la biodiversité (les diversités alpha (α), bêta (β) et gamma (γ)), parfois de manière irréversible (Kimpouni et al 2014, p.15).

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En effet, pendant la période où la saison sèche est très prononcée, le feu a un caractère violent sur la flore suite à la calcination de la biomasse aérienne et de la litière. Les incendies presque annuels peuvent induire des changements floristiques par l’apparition d’une flore pyrophytique adaptée aux nouvelles conditions écologiques de l’habitat (Kimpouni et al 2014, p.15).

Les feux de brousse constituent un élément clé de la dynamique des paysages de savane des régions soudaniennes (Y.C.H. Hountoundji, 2008, p. 89) et sont considérés selon les zones écologiques concernées, soit comme un fléau contre lequel il convient de lutter, soit comme un véritable outil de gestion, dont l’utilisa-tion raisonnée permet de maintenir ou d’entretenir certains types de paysages et par conséquent certaines populations qui leur sont inféodées. Des entretiens avec les agents forestiers et les populations ont permis de constater que la réserve de la Léfini est en fait gérée par les feux précoces depuis au moins une cinquantaine d’années. A ces feux précoces s’ajoutent, chaque année, des feux tardifs «accidentels », si bien que certains endroits subissent des feux violents. Mais les avis des populations sont divergents sur les effets des feux. Certains répondent que depuis les années 2000 la végétation devient de plus en plus clairsemée, d’autres estiment que l’évolution de la végétation est normale car la densification des herbacés la justifie.

Les feux ont endommagé un grand nombre d’arbres voués à une destruction progressive. Les arbres brûlés représentent près de 48% de l’ensemble des arbres morts inventoriés pendant notre prospection botanique. Ils sont les plus touchés au processus de pourrissement et ensuite à l’attaque de peste végétale et de maladies. Le brûlage des forêts signifie, évidemment, la perte de ressources naturelles. Il réduit la densité des formations végétales. En plus, l’incendie de forêt détruit, aussi, les sols par la disparition de l’humus et des matières orga-niques ainsi que par l’exposition de ces sols au soleil, au vent, et à la pluie. Les sols brûlés sont plus érosifs et plus vulnérables au lessivage et au dessèchement, comme le témoigne la photo 1, précédemment citée.

En agriculture le feu représente un outil de défrichement qui assez souvent n’est pas toujours bien contrôlé, et bien souvent pour un petit champ défriché ce sont des dizaines d’hectares qui partent en fumée. Ces feux répétés épuisent les couches arables des sols essentiels à leur fertilité. Cette situation contraint les populations à rallonger la durée de jachères à 3 voire 4 ans. Mais avec l’augmentation de la population installée dans la zone, les défrichements deviennent importants, et la durée de la jachère se réduit. Cette situation limite le potentiel de régénération de la végétation protectrice du sol.

Les coupes d’arbres isolés représentent environ 4% de l’effectif total des bois morts. Il ne s’agit pas des arbres coupés pendant le défrichement mais ceux abattus de façon isolés, les souches sont toujours visibles comme en témoigne la faible ampleur de ce déterminant surtout dans les zones de plantation et les forêts secondaires.

Le prélèvement des PFNL estimés 30% est relativement important et confirme le recours remarquable des populations riveraines à la cueillette et au ramassage. Les populations devenant de plus en plus nombreuses se ruent d’avantage sur ces produits avec pour corollaire l’accélération de la disparition progressive et la raréfaction de nombreux PFNL. L’étendue et la fréquence du prélèvement des produits sont moyennement importantes. Le prélèvement est saisonnier, il dépend de la phase de croissance et de maturité des produits (asperge, cola) de leur apparition (champignon, chenille) mais aussi annuel (maranthacée, afromomum, Gnetum africanum, liane, raphia et rotin). Comme l’évolution de la population, sa situation géographique est un obstacle à la sécurisation de cette biodiversité végétale et animale. En effet, les routes d’accès autour et dans cette réserve sont multiples et facilitent la pénétration et la circulation des populations. Cette dyna-mique régressive couplée à la rareté et la disparition évidente des PFNL est également constaté par F.G. Kimbatsa (2015, p.57). Il évoque une surexploitation des PFNL dans la réserve de la biosphère de Dimonika qui présente de nombreuses répercussions écologiques, parmi lesquelles la réduction de 30% des plantes, la diminution de 30% des espèces animales et la disparition de 15% des végétaux comestibles.

Ces résultats corroborent ceux présentés par U.I.C.N. / P.A.C.O. (2012, p.22). En ce sens que les activités de commercialisation du bois et des PFNL tels que les champignons, plantes médicinales, n’ont pas la

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même intensité et sont plus importantes dans et en périphérie des aires protégées situées à proximité des grandes agglomérations. Il s’agit par exemple des aires protégées comme Léfini, Lésio-Louna, Dimonika, Tchimpounga et Conkouati-Douli.

CONCLUSION

Les méthodes de traitement des données et d’évaluation d’impact environnemental ont révélé que la croissance démographique et l’arrivée des migrants sont de très loin responsables de la dégradation de la végétation. Les activités illégales menées par les populations riveraines sont du fait de la méconnaissance des textes et politiques forestières d’une part, et le régime foncier d’autre part. Par ailleurs, le plus important déterminant direct amenuisant le couvert végétal est constitué par les feux de brousse et de savane dont la pratique devient de plus en plus inquiétante. Ces feux brûlant avec intensité peuvent s’étaler sur une dizaine de kilomètres. Par la technique de « sur brûlis » l’agriculture est responsable de la conversion des terres. Les effets conjugués de l’agriculture, des coupes des arbres et arbustes et la chasse sont de plus en plus dévastateurs de la végétation. Finalement, la perte du couvert végétal a eu malheureusement des effets négatifs sur le sol et la topographie. Elle a provoqué la stérilisation des sols par appauvrissement de la couche arable et l’exposition des sols face au ruissellement des eaux. L’exploitation artisanale incontrôlée de la réserve de chasse de la Léfini affecte l’environnement local et le mode de vie des populations. La répercus-sion des effets est très perceptible sur la biodiversité animale et végétale avec pour corollaire la raréfaction de nombreuses espèces. Cette étude peut d’être poursuivie par la mise en place d’une méthode avérée de détection des feux de brousse et de savane considérés comme le principal déterminant de dégradation.

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