La revue du projet n°29

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N°29 SEPT 2013 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF P. 6 LE DOSSIER P. 4 POÉSIES OLIVIER BARBARANT Par Nicolas Dutent P. 44 PRODUCTION DE TERRITOIRES FIGURES FÉMININES DE LA MIGRATION EN EUROPE DU SUD Par Camille Schmoll P. 34 LE GRAND ENTRETIEN LA CONNAISSANCE N'EST PAS UN OBJET CONSOMMABLE Par Anne Mesliand COMMUN (ISM) E ET MUNICIPALES

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La revue du projet n°29

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N°29SEPT2013REVUE

POLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

P.6 LE DOSSIER

P.4 POÉSIES

OLIVIER BARBARANT Par Nicolas Dutent

P.44 PRODUCTION DE TERRITOIRES

FIGURES FÉMININES DE LA MIGRATION ENEUROPE DU SUD Par Camille Schmoll

P.34 LE GRAND ENTRETIEN

LA CONNAISSANCEN'EST PAS UN OBJETCONSOMMABLEPar Anne Mesliand

COMMUN(ISM)EET MUNICIPALES

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3 ÉDITOPierre Laurent L’effet papillon

4 POÉSIESNicolas Dutent Olivier Barbarant

5 REGARDAurélie Jacquet Quel travail ?! Manières de faire,manières de voir

6 u32 LE DOSSIERCOMMUN(ism)E ET MUNICIPALESÉdito : Caroline Bardot et Guillaume Quashie-Vauclin Poursuivre la ligne rouge de Marsillargues Pascal Savoldelli Un projet municipal audacieuxYann Le Pollotec Quelle géographie de l’implan-tation locale des élus communistes ?Catherine Peyge Les communes : le sel de ladémocratieMichel Vaxès Le communisme municipal ?Bernard Genin La solidarité internationale, unevaleur fondamentaleDominique Adenot Prendre le pouvoir sur lafinance commence par la communeSamir Hadj Belgacem Les transformations socio-logiques des élus municipaux communistes dela banlieue parisienneMarie-France Beaufils Le logement pour résisterà la criseMaurice Ouzoulias Le logement autrementMarie-Hélène Amiable Le sport dans l’actionmunicipaleHervé Bramy et Arnaud Lozzi Pour une réappro-priation sociale de l'eauJean-Marc Lespade L’eau, un bien communKarina Kellner Des politiques tarifaires au ser-vice de l’intérêt généralCorinne Cadays-Delhome Le droit aux vacancespour tous et toutes !

Patrice Leclerc Ralentir pour accélérer la révolu-tionAlain Bocquet De la défense de l'emploi au soutien à l'innovationClaudine Cordillot L’emploi : un enjeu centralpour nos villesBaptiste Talbot L’emploi public territorial aucœur de la bataille pour le service publicHéloïse Nez et Julien Talpin Des formes nouvellesde démocratieMichel Limousin Le centre de santé, réponse à ladésertification médicaleRené Balme Co-construire la ville au travers d'unbudget participatif Paul Boulland Le PCF et la question municipale :élus du Parti vs « parti d’élus »Pierre Mouraret Une ville progressiste sur laCôte Fleurie !Emmanuel Bellanger et Julian Mischi Retour surle  « communisme municipal »Florian Salazar-Martin Enjeux citoyens des poli-tiques culturelles de la commune jusqu’à l'ÉtatDaniel Fontaine Transports en commun : Liberté,égalité, gratuitéJean-Paul Pla La monnaie locale, levier de trans-formation sociale

33 FORUM DES LECTEURS34 u37 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENAnne Mesliand La connaissance n'est pas unobjet consommable, en la partageant on lamultiplie BRÊVES DE SECTEURLaurence Cohen L’oppression de classe estsexuée Jean-François Téaldi Se mobiliser pour obtenirdes changementsSylvie Mayer Une initiative à l'automne

38 COMBAT D’ IDÉESGérard Streiff La France réac

40 MOUVEMENT RÉELClaude Morilhat L’idéologie, un concept fonda-mental de la pensée marxiste

42 HISTOIRELuca di Mauro L’échec d’une révolution exclusi-vement politique : Naples en 1799

44 PRODUCTION DE TERRITOIRESCamille Schmoll Figures féminines de la migra-tion en Europe du Sud

46 SCIENCESJean-Noël Aqua Auto-organisation : la sciencedu local au global

48 SONDAGESNina Léger L'austérité ne fait plus recette

49 STATISTIQUESMichaël Orand La fracture numérique se réduitmais reste importante

50 REVUE DES MÉDIACamille Ascari Après le meurtre de ClémentMéric, une « prise de conscience » médiatiquede courte durée ?

52 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• LIRE : Igor Martinache, Le local du Parti • Annie Lacroix-Riz, L’histoire contemporainetoujours sous influence• Stéphane Haber, Penser le néocapitalisme,Vie, aliénation, capital• Sébastien Chauvin et Arnaud Lerch,Sociologie de l'homosexualité• Jérôme Skalski, La révolution des casseroles• Juan José Sebreli, L'oubli de la raison

LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2013

SOMMAIRE

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.Parce que prendre conscience d'un problème, c’est déjà un premier pas vers sarésolution, nous publions, chaque mois, un diagramme indiquant le pourcentaged'hommes et de femmes s’exprimant dans la revue.

HommesFemmes

TROIS ANS ET DE PLUS EN PLUS DE DENTS !Le mois prochain, La Revue du projet, née de la volonté du 35e

congrès du PCF, aura trois ans. Et comme l’appétit vient en crois-sant, ce sera l’occasion de lancer une toute nouvelle formule dela revue. Ce sera aussi l’occasion de fêter ça, et comment mieuxle fêter qu’en partageant un beau moment de réflexion ?La Revue du projet vous donne rendez-vous LE VENDREDI 4 OCTOBREplace du Colonel-Fabien pour une SOIRÉE EXCEPTIONNELLE DE RENCON-TRES ET DE DÉBATS EN PRÉSENCE DE PIERRE LAURENT, secrétaire nationaldu PCF. Espace Oscar-Niemeyer 2 place du Colonel-Fabien Paris 19e.

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SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET

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PIERRE LAURENT, SECRÉTAIRE NATIONAL DU PCF, RESPONSABLE NATIONAL DU PROJET

ÉDITO

L’EFFET PAPILLONÉvoquant sa venue à la fête de

l’Humanité 2013, le chanteurFéfé (que je conseille au passage

à toutes les oreilles avides d’unsavant mélange des rythmes) lui arendu hommage en déclarant qu’elle« illustre superbement un engage-ment politique et social s’opérant enosmose avec la culture, l’ouvertureà l’autre, la joie d’être ensemble ». Etil ajoutait, la Fête de l’Humanité« invalide le slogan “Tous pourris”,que brandissent des forces démago-giques pour s’accaparer le pouvoir ».Voilà pointé l’essentiel : l’engage-ment politique, social et culturel,qu’il nous revient de faire vivre tou-jours plus fort si nous voulonsqu’émerge de la crise le meilleur etnon les monstres qu’elle recèle aussi.Oui, l’engagement, comme cheminde l’émancipation.

L’historien américain ImmanuelWallerstein s’entretenant, dans uneHumanitéde l’été, de possibles scé-narios post-capitalistes, et estimantà 50-50 les chances du pire commedu meilleur, citait parmi les impon-dérables susceptibles de bousculertout processus de bifurcation « l’ac-tion de chacun qui peut, comme uneffet papillon, changer l’ensembledu processus. »

Je crois pour ma part qu’il nousrevient de considérer cet « effetpapillon » de l’action humainecomme bien plus qu’un impondé-rable, mais comme la clé de toutetransformation sociale. Les tenantsdu système capitaliste dominantl’ont compris depuis longtemps.C’est pourquoi la capacité à chan-ger l’ordre du monde est sans cessedéniée à l’immense majorité desdominés. Elle l’est en jouant surdeux tableaux.

D’une part, la confiscation et la miseà l’écart des lieux de pouvoir. Cela

peut être caricatural comme dansles grandes entreprises où les créa-teurs de richesses que sont les sala-riés sont dépossédés de tout pou-voir de décision, mais aussi plussophistiqué comme dans les élec-tions où la présidentialisation de toutle débat politique ainsi que desmodes de scrutin sur mesure mar-ginalisent le pluralisme réel de lasociété.

D’autre part, un colossal effort idéo-logique d’adhésion à leurs« remèdes » capitalistes. Soit enexpliquant que tout ira mieuxdemain si on les écoute (« la repriseest là », dixit François Hollande), soiten affirmant que tout bouleverse-ment fondamental reste inaccessi-ble ou pire nous plongerait dans l’in-connu et le danger. Ainsi, alors quela crise du système délégitime l’or-dre capitaliste et ouvre la possibilitéde changements importants, la divi-sion, le sentiment d’impuissance, lapeur du changement restent lesatouts maîtres de ceux qui veulentque rien ne change.

Plus que jamais en temps de crise,les progrès de l’émancipationhumaine passent donc par la réap-propriation populaire et la démo-cratisation de l’espace politique. « LeFront national prospère dans ledésert des idées politiques », rappe-lait récemment le philosopheBernard Stiegler. Rien n’est plusimportant, dans cette situation oùle gouvernement PS-EELV renvoiel’image de l’impossibilité du chan-gement, que de construire en toutesoccasions des espaces de politiquequi permettent la confrontation libreet instruite de solutions nouvelles,l’expérimentation et la coopérationde toutes les actions humaines alter-natives. Là où l’action gouvernemen-tale désarme les citoyens en prônantle ralliement aux thèses patronales,

à nous de remettre en mouvementle rassemblement des forces socialesdu changement. Toutes les bataillescompteront, singulièrement celledes élections municipales surlaquelle se penche à sa manière cenuméro.

La commune est un terrain d’appro-priations et d’expérimentations poli-tiques majeures pour le mouvementouvrier et progressiste français.Beaucoup de conquêtes politiquesy ont été inventées et construites,notamment en matière de servicespublics, d’égalité des droits, d’inno-vations urbaines, de culture, dedémocratie et de participation popu-laire. Les communes françaisesconstituent un réseau de proximitépolitique unique, un puissant réseaude résistances et de constructionsnouvelles face aux logiques libérales.Les élus communistes jouent par-tout où ils sont présents un rôleessentiel sans lequel la physionomiedes rapports de forces actuels etpotentiels serait bouleversée. Voilàpourquoi la commune est dans lecollimateur et la marginalisation denos élus un objectif poursuivi là plusque partout ailleurs. En défendantet en cherchant à développer encoretoutes ces positions, nous ne défen-dons pas une boutique, nous cher-chons à protéger et à rendre plussolide encore un des points d’appui,un des leviers indispensables à laconstruction d’un engagementpopulaire durable et solide pour lesfuturs rapports de forces. n

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POÉSIESOlivier Barbarant

Olivier Barbarant est un poète français né en 1966. Il a vécu sonenfance et son adolescence dans l’Aube puisen région parisienne. Ancien de l’ENS deSaint-Cloud, il devient agrégé de LettresModernes puis docteur ès lettres à l'universitéParis-Diderot en présentant une thèseconsacrée à Louis Aragon. Il dirigea en outre lapublication de l’œuvre poétique d’Aragon dansla collection de La Pléiade.

Il enseigne le français, la littérature et laculture générale au lycée puis il devientprofesseur de chaire supérieure au lycéeLakanal de Sceaux.

En février 2012, il est nommé inspecteurgénéral de l’éducation nationale dans legroupe "Lettres".

Olivier Barbarant a publié plusieurs ouvrages,notamment de poésie, dont un a reçu le prixTristan-Tzara, un autre le prix Mallarmé.

L’élégie est un poème dont la forme libre et lyri-que trouve sa source dans le deuil. À travers sesvers étranglés, Olivier Barbarant donne �à ceprocédé littéraire une actualité éclatante. C’estdans l’humeur contrariée d’un café aixois que lepoète confine ses premières impressions. À tra-vers une vingtaine de poèmes, OlivierBarbarant se met à table avec des morts dont ilscande pudiquement l’absence. Il assemble dessituations et des pensées qui dévoilent unchamp de ruines. La disparition d’être aimésinonde le présent d’un goût de cendres. Seschants de la douleur s’entrechoquent mais évi-tent soigneusement les détours plaintifs.Barbarant trouve en effet le ton et les motsjustes pour manifester l’angoisse dont on peutêtre saisi face à l’effectivité de la mort. Qu’ils’agisse du trépas de ses parents, d’un compa-gnon emporté par le sida ou de son blâme pré-coce. « Je fus à vingt ans condamné à mort »confie-t-il dans l’Annonciation. De la porteSaint-Martin au cinéma le Champollion, Parisest un théâtre d’ombres où viennent se logerses souvenirs. Un frère non désiré, le spectaclede la maladie… Un nuancier de sentiments luipermet d’exprimer subtilement cette part detragique contenue dans le réel. Le huis closfamilial est aussi une scène politique où il faitbon s’aventurer. Si chacun brigue sa vérité, lesarguments s’y aiguisent. En dictant à sa nostal-gie une couleur et un phrasé, le poète en dévoi-le les figures et la mobilité.

NICOLAS DUTENT

Tous ces murs faits pour le soleil tachés de pluie se font sinistres

Ce pays d’ocre et de cyprès ne supporte guère l’hiver

Je suis assis Aux Deux Garçons comme il y a quinze ans peut-être

Avait surgi au petit matin une fanfare de fifres

C’était alors le jour des Rameaux et maintenant c’est à Noël

Le cours Mirabeau sous l’averse est peuplé d’étranges chalets

Et du décor d’étoiles bleues en toute ville interchangeable

N’étaient les accents des parlers et la peau marbrée des platanes

Je pourrais me croire chez moi tant les nuits froides sont pareilles

En train d’attendre mes enfants descendant d’un même manège

Un crépuscule criblé d’or cogne aux vitres de la terrasse

À la table exacte où jadis nous dînions après les spectacles

Voilà c’est à n’y pas croire plus d’un quart de siècle déjà

Mon père alors avait à peu près l’âge que j’ai désormais

À cette époque mes seize ans servaient de mascotte à la troupe

Qui parlait très tard des chanteuses et des beautés de l’Opéra

On traversait sans y penser les clairs juillets de l’existence

À quoi bon d’ailleurs revenir à de telles banalités

Tout été se prend pour l’Eden et la jeunesse pour la vie

Peut-être faut-il s’en réjouir et laisser aller l’inconscience

On reconnaît la transparence à ce qu’elle fut inaperçue

Par les ruelles des vieux quartiers passaient des corps miraculeux

Dans des lacis de pierre et d’ombre il fallait les suivre de près

Jusqu’à leur porte et puis compter le temps d’arrêt

Pour que la face retournée se fende en deux sur un sourire

L’éclair déjà porteur des promesses d’après

À ma table des Deux Garçons ne s’attablent que des regrets

J’ai vu ce jour mon père ou tout du moins ce qu’il en reste

J’ai pour tout vis-à-vis le spectacle de sa détresse

Je suis assis dans mon passé chaque flaque m’est un reflet

Et le propre de la mémoire est qu’à chaque pas l’on s’y blesse

Olivier Barbarant, Elégies étranglées, Champ Vallon

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Cette exposition collective présentée au Centrephotographique d’Île-de-France  propose sur diffé-rents supports une très riche vision de la place del’homme à l’heure actuelle, portant un constat surl’ère industrielle du siècle dernier.

Ainsi, sont visibles des œuvres d’artistes de natio-nalités diverses, tels que Allan Sekula, photographeaméricain, travaillant sur le fameux adage du pré-cédent président de la République française « tra-vailler plus pour gagner plus », ou encore comme leFrançais, Antoine Nessi qui met en valeur la qualitéplastique d’objets faisant référence à la productionindustrielle dans le seul but d’être associés à unemachine pour la rendre plus performante.

D’un autre côté, le travail de l’artiste LaëtitiaBadaut Hassmann se présente en partie sous formed'une vidéo de 5,35 minutes pour laquelle elle ademandé au danseur et chorégraphe Noé Soulier

de répéter de façon consécutive, et ce durant plu-sieurs heures, une pirouette, afin de la rendre laplus parfaite possible. Ce geste, l’un des rudimentsde la danse, devient alors au fil des minutes etgrâce à la rotation constante de la caméra autourde l’artiste, ainsi qu'aux bruits d’essoufflements etde glissements dus à la transpiration au contact dusol, un mouvement décomposé, retravaillé, sortantle corps de sa capacité de répétition, de sa créationde mouvements reproductibles, justement. De lamême façon que l’artiste Gary Hill va questionner lelangage ou que le comédien Charlie Chaplin vadémontrer l’aliénation de l’homme face à lamachine, Olivia Gay questionne la place du mediumdans l’art et place l’homme comme étranger à sapropre création, à la mécanisation de son corps endehors de toute temporalité fixe.

AURÉLIE JACQUET

SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET

REGARD

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Quel travail ? ! Manières de faire, manières de voir

Laëtitia Badaut Haussmann, And again and again and again, 2012 - Vidéo HD, 5 min 35 s

Production Dirty Business of Dreams, Soutien à la création de la Mairie de Paris,StudioLab Ménagerie de Verre, et Pavillon Neuflize OBC

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PAR CAROLINE BARDOT ET GUILLAUMEQUASHIE-VAUCLIN*

M arsillargues, 13 juin 1937, électioncomplémentaire : la liste commu-niste menée par Fernand

Brémond arrive en tête et la petite citéviticole devient la première municipa-lité communiste de l’Hérault. Aussitôt,le paysage change : le profil des élusd’abord, les courtiers cèdent la place auxouvriers agricoles (dont le maire), vigne-rons et autres cantonniers. Les employéscommunaux sont augmentés de 15% eton paie au tarif syndical – chose uniquedans le département – les chômeursemployés sur les chantiers communaux.Sur le front de l’enfance, la petite muni-cipalité décide l’octroi d’un tablier neufpour tous les enfants scolarisés et envoiesoixante écoliers en colonies. Pendantles vendanges, la cantine scolaire tourneà plein pour tous les enfants de vendan-geurs, quels que soient leur village derésidence ou leur nationalité. Autre nou-veauté budgétaire : subventions muni-cipales aux syndicats ouvriers et auComité d’aide à l’Espagne républicaine.Sur le plan démocratique, l’ambition estfixée : ne laisser « aucune occasion pourmaintenir le contact avec le peuple quiles a élus » et, à cette fin, mettre en placetoutes les structures nécessaires à l’in-vestissement démocratique. C’est un parfum de tout cela qui montelorsque résonne l’expression souvent uti-lisée de « communisme municipal »…Et pourtant, sans parler du côté sépia,quelque chose sonne faux dans cesquelques mots : quelque chose commeun sentiment de toute-puissance, decontrôle absolu des communistes surcertains territoires dénommés « bas-tions » ou « ceinture rouge », quelque

chose comme du « crétinisme munici-pal » (selon la douce terminologie dutemps), un air de fantasme de « socia-lisme dans une seule commune »… Oril est probable que le « communismemunicipal » ainsi entendu n’a jamaisexisté, même si la bourgeoisie en eutlongtemps la gorge serrée d’effroi. Décidément non, cette expression ne faitsens ni pour hier ni pour aujourd’hui.Reste tout de même, et ce n’est pas peu,une puissante singularité communiste,d’hier à aujourd’hui. Une singularité assu-mée et revendiquée. Une singularité del’action communiste qui nous pousse àtoujours faire vivre et se développer nosidées et notre manière de faire de la poli-tique autrement. De l’attention cardinaleà offrir effectivement le meilleur à touteset tous, à la priorité accordée à la mobi-lisation citoyenne et démocratique, enpassant par la mise en responsabilité deprofils sociaux variés, comprenant ceux,si massivement majoritaires dans lapopulation, destinés par la classe domi-nante aux tâches subalternes.Une ligne rouge en quelque sorte qu’onpourrait peut-être résumer en reprenantles termes jadis employés par PaulThibaud dans la revue Esprit : la singu-larité communiste à l’échelle municipalecomme un indissociable « mélange deréalisations et de revendications ». À ce stade, lecteur, tu bougonnes sansdoute : « point à la ligne et fin de l’his-toire ? Le projet municipal communistedu XXIe siècle comme duplication remâ-chée de celui des années 1930 ? »Notre tâche est tout autre en effet et l’his-toire ne nous offre d’autres choix que d’in-nover encore et toujours, immergés dansune société en mouvement. Notre apportrévolutionnaire ne saurait se cantonner àla gestion de patrimoine acquis sous peinede se nier et de se vider de sa substance !

Nous visons une gestion résolument poli-tique, de combat, pour faire de l’humaind’abord une réalité dans nos villes et vil-lages. Des élus de terrain et de combatseront plus que jamais nécessaires àl’heure où les marges de manœuvre bud-gétaires municipales sont chaque jourplus faibles : taxe professionnelle déman-telée, dotations de l’État gelées (4,5 mil-liards sur 2014 et 2015) ; à l’heure où lepouvoir des communes est toujours plusamenuisé et où les citoyens sont toujoursplus éloignés des centres de décision. Cesmesures « austéritaires » sont un vérita-ble coup de massue de l’État contre lescollectivités et un très mauvais signaldonné aux territoires et à leurs popula-tions.Innover encore et toujours, car combiende conquêtes pionnières d’hier ontdepuis été (presque) généralisées –notamment du fait de luttes auxquellesnous avons pris une grande part ? Au-delà des conquêtes à défendre, nousavons de vieux terrains à labourer detoute nouvelle façon et même des ter-rains neufs immenses à défricher et àconquérir.Le contexte est hostile mais le dossiermontre des communistes à pied d’œu-vre, déployant toute leur énergie et touteleur imagination – en lien étroit avec lapopulation – pour penser et mettre enœuvre une action municipale forte et ori-ginale au plein service des habitants, his-sant la commune tout à la fois au rangde rempart et de point d’appui. Des com-munistes déterminés partout à êtreutiles. C’est aussi cela poursuivre la lignerouge de Marsillargues …n

*Caroline Bardot est membre du comité exé-cutif national du PCF, rédactrice en chefadjointe de La Revue du projet, elle a assuré lacoordination de ce dossier avec GuillaumeQuashie-Vauclin, rédacteur en chef.

LE DOSSIER

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LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2013

Les élections municipales seront le premier retour aux urnes depuis l’arrivée aupouvoir du PS. Ce dossier s’inscrit dans une série de numéros consacrés à ceséchéances : projet pour nos communes et leurs habitants, démocratie, décen-tralisation et enfin habiter la ville. Nous n’avons pas cherché à être exhaustifs ouà présenter un programme clé en main, mais nous espérons offrir des pistes deréflexion à tous les communistes qui s’engageront dans ces batailles.

POURSUIVRE LA LIGNE ROUGE DE MARSILLARGUES ÉDITO

COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

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SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET

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PAR PASCAL SAVOLDELLI*

La conception du rassemblement queles communistes viennent de défi-nir lors du 36e congrès trouve dans

la préparation des élections municipalesde mars 2014 un champ d’applicationparticulièrement riche d’engagementdémocratique et de perspectives contrel’austérité et pour le mieux vivre ensem-ble. L’enjeu est d’élire des majorités clai-rement à gauche dans un maximum decommunes. Représentant le cadre ter-ritorial le plus proche de la vie des gens,les villes et les villages sont en effetpotentiellement des espaces politiquesd’expression, de construction citoyennedéterminants pour nourrir et donner del’élan aux idées de progrès et à l’alter-native politique que nous portons avecnos partenaires du Front de gauche. Ce premier scrutin sur l’ensemble duterritoire national depuis l’élection deFrançois Hollande et les législatives quiont suivi, revêt une importance particu-lière. Mais la singularité de ce scrutintient aussi au fait qu’il va se déroulerdans un contexte dégradé par l’austé-rité et la crise, par une crise de l’alter-native aux politiques libérales, renfor-cée par un scepticisme croissant enversle politique dans un climat propice àtous les démagogues (c'est la « démo-cratie de défiance »). Il va également êtrele premier d’une série de six autresjusqu’en 2017 : municipales, euro-péennes, sénatoriales, régionales, dépar-tementales, présidentielle et législatives.Les municipales vont mobiliser toutesles forces politiques au plan local maisaussi par leur dimension nationale surfond de campagne pour les électionseuropéennes, deux mois après seule-ment.

RASSEMBLERL’engagement des communistes dansles mobilisations que nous voulons réa-liser doit empêcher la droite et sonextrême de « droitiser » le mécontente-ment croissant contre la politique gou-vernementale en privant ainsi l’électo-rat de chercher d’autres issues ou en lepoussant vers l’abstention. D’une manière générale, les Français

sont attachés à leur commune, quifaçonne le quotidien depuis laRévolution française et ils demeurentmajoritairement satisfaits (85%) d’yvivre. Ils y voient un échelon précieuxde la démocratie, au travers duquel lemaire résiste mieux à la crise de légiti-mité des pouvoirs. À cet échelon aussi, il nous faut répon-dre à un besoin de solidarité, de convi-vialité, de proximité, de présence dansles luttes pour les retraites, l’emploi,l’école, la santé, le logement, l’aidesociale… Les bilans montrent clairementque les maires communistes sont desrassembleurs de toute la population pardes pratiques démocratiques souventtrès innovantes dans l’implication descitoyens dans la gestion des affaires dela cité. Pour le bien commun, ils rassem-blent bien au-delà du périmètre de lagauche. Notre démarche est ainsi celledu large rassemblement à gauche pourconstruire des majorités municipalesutiles au progrès social et au mieux vivredes populations. Ce n’est en rien uneremise en cause de notre engagementdans le Front de gauche, bien aucontraire.

ÊTRE À L’ÉCOUTE DES POPULATIONSRien ne peut justifier que les popula-tions vivent plus mal ! Rencontrer leursbesoins et les politiser est facteur de ras-semblement. Notre combat politique atout à gagner à être en phase avec toutce qui vit, se pense, se révolte, lutte et sedéveloppe dans la société civile etcitoyenne. Défendre la commune endanger et la promouvoir, c’est prendreparti clairement pour le service public,la démocratie locale et donc pour l’amé-lioration des conditions de vie de touteset tous. Mettre en débat notre opposi-tion au projet de réforme territoriale dugouvernement est donc un impératif debon sens ; l’accepter, ce serait tournerle dos à l’attente de plus de proximité etdonc à la construction de projets poli-tiques locaux. Nous ambitionnons desprojets portés par des élus proches, pardes femmes et des hommes qui soientle reflet des diversités de notre société,des communes, des jeunes, des citoyensissus d’immigrations récentes et

anciennes, des acteurs et actrices de lavie syndicale et associative. Nous sou-haitons bien sûr que le mouvementsocial et les luttes s’invitent dans lechamp politique des élections munici-pales.

UN CALENDRIER D’INITIATIVES Pour faire place au peuple, place aucitoyen, ces municipales sont d’abordl’occasion d’encourager la tenue d’as-semblées citoyennes sur les thèmes lesplus proches des préoccupations deshabitants. Des assemblées citoyennesqui peuvent déboucher sur des coopé-ratives citoyennes et des comités locauxd’initiatives, et même aller jusqu’à l’or-ganisation d’assises locales. Des collec-tifs électoraux seront mis en place. Cetemps de campagne estival sera suivi enoctobre-novembre et début décembrede la construction du projet local et dela composition de la liste avec les autresforces de gauche donnant lieu à desassises, des ateliers, des états généraux. Nous souhaitons que notre offre poli-tique débouche, le moment venu, surun maximum d’accords locaux pour laconstitution des listes. Ce temps poli-tique sera d’autant plus favorable à nosambitions qu’il aura été nourri par lerassemblement citoyen et politique àgauche dans des débats et par des pro-positions que nous voulons les plusdenses et les plus riches possibles. C’estla nature et la qualité des rassemble-ments qui détermineront, au cas par cas,les conditions des accords et l’union.Les perspectives de progrès que nousambitionnons au plan local ne sont pasdéconnectées de problématiques natio-nales et européennes. C’est pourquoinous pourrions envisager de prendredes initiatives nationales, régionales,départementales en lien avec les enjeuxlocaux sur des questions plus spécifiquesà ces différents échelons. n

*Pascal Savoldelli est responsable du sec-teur Élections du Conseil national du PCF.

UN PROJET MUNICIPAL AUDACIEUXTravailler à ce que le vote rassemble et formalise l’intervention populaire contre l’austérité et pour unevie meilleure en sortant de la crise par une alternative à gauche.

Réagissez à ce dossiercontactez-nous !

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LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2013

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LE DOSSIERQUELLE GÉOGRAPHIE DE L’IMPLANTATIONLOCALE DES ÉLUS COMMUNISTES ?Le PCF avec un réseau de 759 maires communistes et apparentés,235 conseillers généraux, 2 397 maires adjoints, 6 596 conseillersmunicipaux, est en ce qui concerne les élus de proximité la troisièmeforce politique de France.

PAR YANN LE POLLOTEC*

L e PCF a un véritable maillage d’éluslocaux, qu’ils soient ruraux ouurbains, en responsabilité vis-à-vis

de la population dans 94 des 96 dépar-tements métropolitains et dans 21 des22 régions de notre pays. Plus de3 300 000 citoyens vivent dans une com-mune gérée par un ou une maire com-muniste ou apparenté ce qui impliquede la part de nos élus et de notre Parti unrapport fort au réel et à ses contradic-tions. Ces élus, qu’ils soient conseillersmunicipaux, communautaires, adjoints,maires apportent un démultiplicateurde résonance des propositions politiqueset des valeurs des communistes auprèsdes populations. Ces élus enrichissentaussi fortement la réflexion concrète duPCF sur des questions centrales pour nosconcitoyens comme l’eau, le logement,les transports, l’énergie, la santé, la petiteenfance, l’urbanisme… Ils sont de toutesles luttes et solidarités sociales, socié-tales et internationalistes, qu'il s'agissedes expulsions, des coupures de gaz etd’électricité, de l’aide aux sans papiers,de la défense de l’emploi et des servicespublics, du développement industriel,de la protection de l’environnement, del’accès à la culture pour tous……

DES PRATIQUES DÉMOCRATIQUESINNOVANTESLes maires communistes sont aussi desrassembleurs de toute la population, pardes pratiques démocratiques innovantesd’implication des citoyens dans la ges-tion des affaires de la cité. Entièrementdévoués à leur mandat et à l’intérêt géné-ral, malgré toutes les difficultés finan-cières des communes, malgré lesattaques contre la démocratie commu-nale, ils sont les bâtisseurs de l’urbanitéet de la ruralité de demain. Pour le biencommun, ils rassemblent bien au-delàdu périmètre de la gauche politique.

Sur les 404 communes de France métro-politaine de plus de 20 000 habitants, 37

de ces communes ont un ou une mairecommuniste ou apparenté. 67 % de cescommunes sont en Île-de-France, lesautres se répartissent entre les départe-ments des Bouches-du-Rhône (4), del’Isère (3), de la Seine-Maritime (2), duRhône (2) et du Cher (1). Ces 37 com-munes totalisent 1 595 151 habitants.73 % d’entre elles sont gérées dans lecadre de majorités rassemblant les com-munistes, les verts et les socialistes ainsique des citoyens issus de la société civile. Sur 541 maires adjoints dans les villes deplus de 20 000 habitants, 258 exercentleur mandat dans des communes ayantun maire membre du Parti socialiste ouétant divers gauche.

Parmi les communes de 10 000 à 20 000habitants, 41 ont un ou une maire com-muniste ou apparenté. Ces communesse distribuent dans 23 départements et13 régions avec une prédominance duNord-Pas de Calais (32 %) et de l’Île-de-France (22 %).

Dans la tranche des communes allant de5 000 à 10 000 habitants, on trouve 75municipalités dont le maire est commu-niste ou apparenté. Ces communes seconcentrent dans 33 départements avecune forte représentation du Nord-Pas-de-Calais avec 28 % de ces villes, la régionPACA avec 12 %, la Lorraine avec 11 %,Rhône-Alpes avec 9 %, et enfin la grandecouronne de l’Île de France avec 8 %.

Les villes de 3 500 à 5 000 habitantscomptent 36 communes avec un ou unemaire communiste ou apparenté disper-sées entre 19 départements. Le Nord-Pas-de-Calais à lui tout seul, représente22 % de ces municipalités.

Sur les communes ayant entre 1 000 et3 500 habitants, on recense 208 mairescommunistes et apparentés répartisentre 63 départements. Le Languedoc-Roussillon regroupe 12 % de ces com-munes, le Nord-Pas-de-Calais 11 %, laPicardie 9 %, la Lorraine 8 %, Midi-Pyrénées 7 %. Ces communes situéesdans la tranche démographique des1 000 à 3 500 habitants vont connaîtreen 2014 un changement de mode descrutin. Elles vont passer d’un scrutinmajoritaire avec panachage à un scrutinde liste paritaire à la proportionnelle àla plus forte moyenne avec prime de 50% des sièges à la liste arrivée en tête. Cebouleversement électoral devrait per-mettre au PCF et au Front de gauche deconquérir de nouvelles positions élec-tives dans cette catégorie de communes.

Dans les communes de moins de 1 000habitants on dénombre 364 maires com-munistes et apparentés situé dans les 67départements les plus ruraux de France.

Les départements zones de forces entermes de densité de d’implantationmunicipale du PCF sont : l’Aisne, l’Allier,les Bouches-du-Rhône, le Cher, laCorrèze, les Côtes-d’Armor, la Dordogne,le Gard, l’Isère, la Meurthe-et-Moselle,le Nord, l’Oise, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme, la Seine-Maritime, la Somme,la Haute-Vienne, les Hauts-de-Seine, laSeine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.

Il est difficile et réducteur de faire un por-trait-robot d’une « municipalité commu-niste » : Blanc-Mesnil ne ressemble pasà Arles, Martigues n’est pas Dieppe, etLa-Grand-Combe est fort différente dePloufragan. Chaque municipalité a sonhistoire politique, sociale et migratoiresingulière. Elles se sont souventconstruites autour de luttes sociales etpolitiques, nationales, locales et inter-nationales dont témoignent les noms derue ou de bâtiments publics. Il y a lesvilles cheminotes : Saint-Pierre-des-Corps, Migennes, Mitry-Mory… Il y a lesvilles qui ont été liées à une histoireindustrielle particulière commeVénissieux, La Courneuve, Saint-Denis,d’autres sont issues d’anciens bassinsminiers ou sidérurgiques. Elles sont aussile produit des différentes vagues d’im-migration : Bretons, Savoyards,

Plus de 3 300 000 citoyens vivent dans une commune

gérée par un ou une mairecommuniste ou apparenté “ ”

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Auvergnats, Polonais, Italiens, Espagnols,Maghrébins, Africains, Chinois…

Cependant, toutes les « municipalitéscommunistes » restent marquées par untrès fort ancrage à gauche, mais aussi enzone urbaine dense par une abstentionet une non inscription électorale plusfortes que la moyenne départementaleet nationale. Dans toutes ces communes,la gauche a été largement majoritaire au2e tour de la présidentielle, dans une partimportante d’entre elles la droite poli-tique hors Front national obtient desrésultats électoraux faibles.

Dans les communes de plus de 5 000habitants, sociologiquement, la compo-sante « ouvrier et employé » continue de

dominer, les familles mono-parentalesconnaissent une grosse croissance, toutcela dans le cadre d’une forte présencedu logement social et d’une importantedensité de services publics municipauxde proximité dans tous les domaines dela vie : santé, petite enfance, culture,sport...

Dans les années 1980-2000, ces villes ontété soumises à des mutations profondesde leur territoire, liées à une désindus-trialisation brutale et violente. Les acti-vités traditionnelles et la sociabilitéqu’elles avaient induites ont souvent dis-paru au profit soit de friches industrielleset d’un chômage et d’une précarité demasse en particulier chez les jeunes, soitd’un tissu de PME-PMI orientées vers les

services ou des activités liées à la révo-lution numérique.Certes les « municipalités communistes »sont souvent et logiquement implantéessur les territoires où la crise frappe le plusdurement et où les populations les plusvulnérables sont concentrées. Mais c’estaussi de ces territoires et de ces popula-tions, de par leurs luttes, leurs solidari-tés, leurs créativités, leurs espoirs et leursrêves que naîtra le monde de demain surles ruines de l’ancienne société. Ce n’estpeut-être pas un hasard si c’est sur le ter-ritoire de municipalités communistesque se multiplient les créations de Fablabet d’hackerspace. n

*Yann Le Pollotec est responsable adjoint dusecteur Élections du Conseil national du PCF.

PAR CATHERINE PEYGE*

Avant mes années d’expériencescomme élue, l’expression « commu-nisme municipal » me déplaisait.

Le communisme, un idéal, encore nullepart ailleurs atteint, pouvait-il être accoléau mot municipal ? Les villes, les villages,les communes sont le sel de la démocra-tie dans ce pays aux 36 000 communes,ce qui fait bondir tous les centralisateursde France et d’ailleurs.

UN COMMUNISME COMMUNALUn communisme communal, oui, se réfé-rant à la commune, un mot rempli à lafois de révolution, et de la plus grandeproximité fraternelle, est l’expression quime convient. Le mot municipal, quant àlui fait appel à l’exécutif d’un conseil etse connote de sens administratif ren-voyant les citoyens au statut d’adminis-trés. Cette mise au point, réalisée, un peutrop vite, le langage courant a consacrécette formule même chez les commu-nistes. Donc admettons… Le commu-nisme municipal, puisqu’il s’agit de ce quise passe dans une commune, grande oupetite, a sans doute mangé son « painblanc ». Les communautés d’aggloméra-tion, de toutes sortes et de toutes tailles,

les métropolisations, toutes ces structuresconjuguent, la plupart du temps, diversesapproches politiques, issues des villes quise sont regroupées un jour, par amour oupar raison. Voire même par obligation.Le communisme municipal, aux ori-gines, tentait de faire vivre avec enthou-siasme, générosité, et même quelquesmaladresses que « rien n’est trop beaupour la classe ouvrière ». Cette déclara-tion d’intention ouvrait avec une ample

extension l’idée de classe ouvrière : descantines, des théâtres aux centres desanté, à la recherche d’implantation desite de production, le communismemunicipal a rendu des merveilleux ser-vices à des générations de personnes,qui à 70 ans, organisent aujourd’hui desvoyages pour aller revoir le lieu, où,jeunes colons, ils ont découvert la mer,ou la montagne.

L’ÉLU DE TOUTES ET DE TOUS Nous vivons une autre époque avec latoile de fond frémissante de nostalgie del’avant : l’avant la crise ? l’avant l’Europe ?l’avant la décentralisation ? l’avant lesdroites ?

Depuis quelques mandats, le commu-nisme municipal s’estompe en tant quemécanique pensée pour le bien despopulations, parfois un peu sans elles.Certains disaient même à l’époque « nospopulations ». La plus grande richessede l’héritage du communisme munici-pal, c’est le respect des personnes quiparticipent au collectif de la ville.L’application de chaque élu communisteà être l’élu de toutes et de tous est forte,constituant de fait une ligne politique.Ce refus du clientélisme va à contre-cou-rant des pratiques mises en œuvre plusou moins clandestinement par les mairesdits « médiatiques ». L’engagement dansla vie collective des habitantes ou habi-tants, votants ou non, est recherché demanière officielle par tous les élus, aveccréation de comités, de groupes, deconcertation. Ces mesures sont mêmeconsignées dans les lois, comme cellesur la démocratie de proximité. Mais il ya là encore plusieurs manières de pro-céder : par un processus démocratiqueancré dans la durabilité, ou par des pra-tiques opportunistes, vécues comme tropmanipulatrices pour être honnêtes.

FAIRE CONFIANCE À L’INTELLIGENCE DESPERSONNESLe communisme communal a de trèsbeaux jours devant lui, s’il devient l’ou-til de transmission de paroles, de trans-missions de savoirs, de transmissions depouvoirs, permettant aux habitantes ethabitants de décider de leur avenir. Les

L’application de chaque élu communiste

à être l’élu de toutes et de tous estforte, constituant de fait une ligne politique.

“ ”

LES COMMUNES : LE SEL DE LA DÉMOCRATIEÀ l'expression « communismemunicipal » je préfére l'expres-sion « communisme communal ».

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LE DOSSIER

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SUITE DE LAPAGE 9 > élus changent, les problèmes de fond

subsistent. L’élaboration des solutionscollectives est la seule valable pour assu-rer une continuité des services publicsquels que soient les aléas des échéancesélectorales.

La question de l’environnement, de lamanière dont sont traités les déchets,leurs lieux de traitement, les méthodesemployées, l’élan citoyen à déclencheret à amplifier est un peu dans ces années,un aspect de la cristallisation du deve-

nir du communisme communal : faireconfiance à l’intelligence des personnes,à leur capacité de se saisir de probléma-tiques complexes si le temps nécessaireleur est donné ainsi que les éléments deréflexion complets constituent la base,l’originalité du communisme municipalsi l’on conserve ce label… Comprendreles nouvelles donnes du monde réel, avecdes efforts à produire certes, mais avectoute l’ouverture dans l’appropriationcitoyenne qui en découle : de l’usine detraitement des déchets, au développe-

ment des AMAP, une chaîne de respon-sabilités partagées se construit.

Le partage démocratique durable est lasignature du communisme communal.C’est aussi, un signe perceptible par tousde la nécessaire humilité d’une personnepolitique : un maire passe, une usine detraitement des ordures ménagères malpensée reste. n

*Catherine Peyge est maire (PCF) deBobigny (Seine-saint-Denis).

PAR MICHEL VAXÈS*

Vouloir qualifier le communisme ter-ritorialement est de mon point devue un non-sens. Le figer dans un

espace serait le réduire à un état. Or pourmoi le communisme est simultanémentle mouvement de transformation de l’or-dre existant et le sens de cette transfor-mation, l’horizon vers lequel cette évo-lution doit nous conduire : uneconception des rapports humains débar-rassée de la domination des uns par lesautres, des unes par les uns, l’horizond’une société dans lequel ces rapportssont de mieux en mieux marqués par lepartage, la réduction des inégalités, lasolidarité, le respect mutuel, la transpa-rence, la fraternité. Le combat pourgagner les consciences à ces valeurs etfaire en sorte qu’elles inspirent chacunde nos actes, chacun de nos projets, doits’exprimer sur tous les terrains et en touttemps. Celui de la commune en est unparmi bien d’autres, l’entreprise, les lieuxde formation, de santé, de culture, lafamille… le sont tout autant.

FAIRE PARTAGER DES VALEURSAjoutons que le combat pour faire par-tager ces valeurs ne saurait s’alimenterà la source exclusive de l’action politiqueinstitutionnelle, (même si « la politique »bien comprise – administration de lacité – est la plus englobante) ce combatdoit se décliner aussi dans le mouvementassociatif, syndical, familial, culturel, ycompris cultuel pour celles et ceux qui

se réclament d’une foi religieuse. Aucunde ces domaines n’échappe à l’analyseet aux choix politiques. Lorsqu’on ambi-tionne d’être l’une de ces voix, si petitesoit-elle, dans le chant général qui portel’objectif de la transformation du mondevers plus d’humanité, il faut la faireentendre partout à l’endroit où l’on setrouve. La commune est l’un de ces lieux.Pour un communiste, accepter d’assu-mer une responsabilité citoyenne dansquelque domaine que ce soit c’est s’en-gager à faire vivre dans ses actes, dans lesprojets qu’il soutient, les décisions qu’ilprend, les valeurs auxquelles il a choiside se référer. Ainsi celles et ceux qui par-tagent ces valeurs pourront débattre réflé-chir ensemble et décider ensemble deleur traduction concrète dans l’aména-gement de la ville et l’organisation de lavie dans la ville. Nourris d'une expériencede 42 ans de mandat municipal dont troismandats de maire entre 1989 et 2005 etde trois mandats de député et d'une pra-tique d'échanges hebdomadaires avec lesecrétaire de la section du PCF de la ville,j’ai vu se multiplier les exemples d’éla-boration commune des politiquespubliques municipales.

CONFRONTATION DES POINTS DE VUE DESHABITANTS Les communistes élus ou militants del'organisation ne vont pas aux débatssans réflexion préalable et sans projet,ils y vont avec des propositions mais ilsveillent toujours à organiser sur toutesles thématiques la confrontation des

points de vue des habitants jusqu'àl'émergence de projets partagés par unemajorité. La souveraineté populaire estseule garante de la cohésion sociale, dela force des mobilisations nécessaires àl'obtention des moyens nécessaires à laconcrétisation de leurs projets à la véri-fication en continu de l'adéquation dece qui est décidé avec ce qui est attendu,de sa conformité aux exigences du vivreensemble et aux valeurs qu'ils portentau bénéfice de la collectivité tout entière.Le vivre ensemble exige le partage en

conscience de la conviction communede ce qui est le mieux pour tous et nonl'alignement partisan voire caporaliséd'une foule de supporters d'abord sou-cieux de faire gagner leur camp. Le seulcamp qui vaille ne peut pas être un camppartisan, il est bien plus fondamentale-ment le camp très concret des projets,du contenu d'une politique d'aménage-ment et de requalification de l'espaceurbain, de développement des solidari-tés entre tous.De ce débat surgiront des contradictionsmais c'est précisément dans ces contra-dictions que grandissent les conscienceset que peuvent triompher les réponsesles plus généreuses, les plus humainesles seules porteuses d'avenir pour lacommunauté communale et au-delàpour l'humanité tout entière.Ce dialogue ne saurait consister à recher-

LE COMMUNISME MUNICIPAL ?Les consciences grandissent dans le débat contradictoire, sourcede réponses humaines et porteuses d'avenir pour la communautécommunale.

Ce dialogue ne saurait consister à rechercher un consensusmou fait d'opportunisme et dedémagogie débouchant sur un

catalogue de promesses préparantun rendez-vous électoral.

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cher un consensus mou fait d'opportu-nisme et de démagogie débouchant surun catalogue de promesses préparant unrendez-vous électoral.Si l'essentiel, nos valeurs d'humanité, nesont pas le ferment des projets élaborésen commun nous ne pourrons pas exer-cer sans nous renier les responsabilitéspour lesquelles il nous a été demandé de

nous engager. C'est évidemment le ver-dict des urnes qui en décidera mais nousne pouvons pas être de ceux qui, pro-mettent pour être promus et qui une foispromus, oublient leurs promesses. Nousne promettons rien sauf de ne ménageraucun effort pour faire aboutir ce qu'en-semble nous aurons convenu.Cela implique que nous allions à la ren-

contre de tous les citoyens sans préju-gés en étant du mieux que nous le pou-vons nous-mêmes c’est-à-dire pétris etporteurs des valeurs qui ont conduit ànotre engagement de communistes. n

*Michel Vaxès est maire honoraire (PCF) dePort-de-Bouc et député honoraire desBouches-du-Rhône.

Si du discours de Jean Jaurès dans l’Armée Nouvelle de novem-bre 1910, la postérité a surtout retenu que « … beaucoup d’in-ternationalisme ramène à la patrie », le paragraphe précé-dent, rappelant l’impérieuse nécessité « d’arracher les patriesaux castes de militarisme et aux bandes de la finance par ledéveloppement indéfini de la démocratie et de la paix », illus-tre remarquablement qu'à Vaulx-en-Velin, la solidarité inter-nationale est l’un des engagements les plus forts pour « récon-cilier les peuples par l’universelle justice sociale ».

Vaulx-en-Velin, c’est toute l’histoire du monde recueillie dansune petite ville. Et si notre commune assume avec tant deconviction sa politique sur les solidarités, elle le doit principa-lement à ses habitants venus d’ici et de là-bas, transportantavec eux d’autres regards, d’autres paroles, d’autres pensées.Vaulx-en-Velin a pleine conscience que son propre sort est liéà celui de l’humanité et que l’on ne peut construire son bon-heur sur la souffrance de l’humanité. Ainsi, notre équipe muni-cipale a une responsabilité majeure : transmettre cette his-toire née avec le « Bloc ouvrier et paysan » en 1929 – qui ad'ailleurs ajouté au triptyque républicain la valeur de « solida-rité » sur le fronton de l’Hôtel de ville – puis poursuivie, parexemple, avec les grandes grèves ouvrières de 1935 ou les acti-vités de résistance des FTP MOI.

Je tenais à rappeler ces faits car le logiciel néolibéral qu’onnous impose depuis 40 ans pousse de plus en plus de gens àtourner le dos à l’intérêt commun. Et face à ce violent systèmequi désagrège le vivre-ensemble, il est de notre devoir, à nous,élus vaudais, de transmettre cet héritage et de nous rappeler,à chaque décision politique que nous prenons, qu’une sociétéhumaine ne peut exister sans solidarité entre ses membres.La solidarité internationale contribue à nous ouvrir à l’altéritéet à fuir cette « culture de l’égoïsme », car il est impossible dedévelopper les solidarités ici sans les développer là-bas.

Pavoiser le fronton de l’Hôtel de ville avec le drapeau de laPalestine, malgré l’interdiction du préfet, participer à la valo-risation des cultures indigènes au Nicaragua ou renforcer notrereconnaissance du génocide arménien, sont des élémentsmajeurs de notre politique municipale qui portent et trans-mettent, humblement, les valeurs de l’internationalisme et deceux qui s’élevèrent contre la barbarie. En effet, lorsque noustraversons, avec les travailleurs palestiniens, le Mur de la honte

à Bethléem qui emprisonne et humilie des centaines de mil-liers d’innocents, comment ne pas être fiers d'assumer notrefiliation avec Rosa Luxemburg ? C'est elle qui, le 4 août 1914,s'insurgeant contre les « fauteurs de guerre et les appétitsimpérialistes du profit », alertait déjà chacun d’entre nous :« Je crois qu’il est impossible de se taire devant ça ».

Ne pas se taire devant les injustices, en témoignant des crimesde ce monde, et développer des actions, entre « citoyens dece monde », voilà sans aucun doute la façon la plus concisepour illustrer notre engagement international. Certaines col-lectivités locales voient le monde comme un immense terrainde jeu pour assouvir des désirs d'exotisme, voire, pire, de néo-colonialisme ; d'autres n’y voient que compétitivité et compé-tition dans l'unique but d'être plus fortes que les voisines. Cesdeux visions sont les deux faces d'une même idéologie quenous devons combattre en tentant de répondre concrètementà l'appel de Jaurès : « La transformation fondamentale qu’ils’agit de réaliser, la Révolution qu’il faut accomplir, c’est queles hommes passent de l’état de concurrence brutale et deconflit à l’état de coopération ».

Permettre à des élèves de notre lycée des métiers de se for-mer – au Nicaragua avec la communauté indienne – en réha-bilitant un musée d'art précolombien renforce leurs compé-tences mais aussi leur prise de conscience d’être des citoyenscritiques de notre humanité. Participer à la construction d’unparc de loisirs sur une terre palestinienne confisquée par l’oc-cupant israélien et voir les familles, malgré les menaces descolons et des militaires israéliens, profiter de cet espace deconvivialité nous démontrent ce que peut être la force d’unelutte pour la liberté. Cette fraternité, née d’envies communes,a renforcé, en nous tous, le sentiment d’appartenir à la mêmecommunauté de destin et notre volonté de nous mobiliser col-lectivement, voire politiquement, pour défendre ce que nouspensons être juste.

Je laisserai alors le dernier mot à Rosa Luxemburg, à l'aubede la Grande Guerre et de la négation absolue de toute huma-nité : « Tâche donc de demeurer un être humain, c’est vrai-ment là l’essentiel ». n

Bernard Genin est maire (PCF) de Vaulx-en-Velin (Rhône), conseil-ler communautaire du Grand Lyon.

LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE, UNE VALEUR FONDAMENTALE« Liberté, égalité, fraternité… solidarité » :

les quatre valeurs républicaines de Vaulx-en-Velin

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LE DOSSIE]L

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PAR DOMINIQUE ADENOT*

Quelle que soit l’orientation desconseils municipaux et des maires,la commune reste, malgré toutes les

restrictions, un espace où les citoyens sereconnaissent, où ils peuvent s’appro-prier des projets, où ils peuvent – ou doi-vent pouvoir – s’exprimer et contrôler lamise en œuvre des décisions prises. Cetteconstante se confirme, que l’on soit dansles grandes agglomérations, le secteurpériurbain ou le milieu rural. Ce poten-tiel citoyen d’énergie et de créativité, estgarant de projets communs répondantaux besoins humains et écologiques, desolutions d’intérêt général, de richesseproductive et de coopération.

LA COMMUNE, UN LEVIER ANTI-CRISEDans les projets publics décidés au seindes collectivités territoriales (20 % del’activité économique du pays), les com-munes et les intercommunalités consti-tuées représentent une part substantielle,et cette activité échappe souvent danssa mise en œuvre à la sphère financière,aux exigences féroces de rentabilité àl’origine de la crise aiguë du système.C’est pourquoi cet atout est si utileaujourd’hui aux dynamiques d’émanci-pation : on ne peut ignorer ce potentieldémocratique et humain, la force qu’ilcontient de justice sociale, de réponseaux besoins, d’activité économiqueréelle. C’est un formidable levier anti-crise, anti-austérité. Prendre le pouvoirsur la finance commence par la com-mune. Cela passe par un combatacharné, dans l’opposition et dans lesmajorités, pour faire émerger à cetteéchelle de nouveaux droits citoyens d’in-tervention et de décision sur les affairespubliques, qu’elles soient locales ounationales.

METTRE EN ÉCHEC L’ACTE III DE LADÉCENTRALISATIONUn bras de fer est engagé. Car « en face »,la décision a été prise de passer à lavitesse supérieure dans le sens opposé,

avec une réforme institutionnelle d’unegrande importance et dont la ciblenuméro un est précisément la commune,dans le but de la vider de ses capacitésd’initiative et d’action, d’en faire un« sous-arrondissement » d’échelonssupérieurs. Cette réforme vise à organi-ser la compétitivité sur le territoire etporte en elle une austérité renforcée àtous les niveaux institutionnels. Pourcela, il est prévu de créer et de mettre aucœur de la République des vastes enti-tés – grandes intercommunalités impo-sées et métropoles – aux pouvoirs stra-tégiques importants, retirés auxcommunes notamment (comme l’habi-tat, la maîtrise des sols…), dessaisissantles citoyens, réduisant encore davantagela souveraineté populaire. En perspec-tive, une centralisation, un autoritarismerenforcé, l’injustice sociale et territoriale. Pour sortir victorieux de ce bras de fer, ilest plus que jamais nécessaire de porterhaut et fort avec les populations le débatet l’action sur leurs besoins réels, lesréponses et les moyens à apporter. Celasuppose une bataille pour que soient

reconnus par la République les moyensfinanciers nécessaires, les recettespérennes indispensables pour les com-munes, leur autonomie financière garan-tie par l’État et l’activité économique.Les dotations de l’État doivent ainsi ces-ser d’être la variable d’ajustement del’austérité dans le droit fil de la stratégiede Lisbonne. Le gel, puis la réductionimportante annoncée pour les troisannées à venir contredisent l’efficacitésociale de l’intervention publique localeau service des citoyens et ne font qu’en-foncer un peu plus le pays dans la crise.

Les communes font pleinement partiede la République qui est décentralisée.Et elles ne sont nullement responsablesdu creusement du déficit. Les dotationsde l’État doivent être à la hauteur de l’im-pulsion nécessaire pour les villes et les

villages, favoriser leur vitalité, leur coor-dination et leur coopération, refuser ladésertification et garantir partout l’éga-lité d’accès aux droits. Exiger ce rôle del’État est un combat à mener absolumentaujourd’hui, à l’heure d’une réforme ter-ritoriale qui le conteste de front en ins-tituant comme locomotive du dévelop-pement la compétitivité entre lesterritoires. Il est indispensable à ce pro-pos de dénoncer la tendance à faire dela péréquation horizontale la norme(autrement dit les collectivités payentpour d’autres collectivités) et d’exigerune véritable péréquation nationale,seule garante de l’égalité entre les com-munes. La taxation des actifs financiersest plus que jamais d’actualité pour ali-menter cette péréquation.

RÉFORMER LA FISCALITÉ LOCALEUne réforme ambitieuse de la fiscalitétant locale que nationale est donc indis-pensable pour davantage de justice etd’efficacité. L’impôt sur le revenu, quellequ’en soit l’origine, doit en être le cœuravec une réelle progressivité. Nous pro-posons dans ce sens de modifier l’impo-sition locale sur les ménages qui est mar-quée du sceau de l’injustice puisque lestaxes locales prennent très insuffisam-ment en compte leurs revenus. Nous pro-posons un remaniement vers plus deprogressivité, de justice et d’efficacité, etl’utilisation réelle des habitations.Il faut également rétablir un impôt éco-nomique dynamique en rompant avecune politique qui déresponsabilise lesentreprises, les exonère de leur contribu-tion au développement de la commune(dont elles bénéficient) et qui a conduità un desserrement, voire une dislocationdu lien de l’économie réelle avec sonimplantation sur le territoire. La suppres-sion de la taxe professionnelle n’a été com-

Exiger une véritablepéréquation nationale, seulegarante de l’égalité entre les

communes. La taxation des actifsfinanciers est plus que jamaisd’actualité pour alimenter cette

péréquation.

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PRENDRE LE POUVOIR SUR LA FINANCECOMMENCE PAR LA COMMUNELes 36 000 communes – originalité française – sont un atout consi-dérable pour notre pays. Enjeu premier pour l’intervention démocra-tique et la citoyenneté et, indissociablement, formidable levier socialet économique…

La suppression de la taxe professionnelle n’a été

compensée que partiellement pourles communes et a conduit à unesituation où le pouvoir des taux del’impôt des ménages est passé de 50 % à 73 %, celui des entreprises

reculant d’autant.

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pensée que partiellement pour les com-munes et a conduit à une situation où lepouvoir des taux de l’impôt des ménagesest passé de 50 % à 73 %, celui des entre-prises reculant d’autant. En rompant aveccette politique, il ne s’agit pas seulementd’augmenter les moyens financiers descommunes, il s’agit aussi et surtout deredonner toute sa place à la maîtrisesociale de l’activité économique à l’échellede la commune et de la coopération inter-communale. Nous proposons dans cesens d’élargir l’assiette d’imposition decet impôt économique avec une taxe auxtaux modulables, en fonction de l’emploiet du développement solidaire et écolo-gique du territoire communal et inter-communal.

UN PÔLE FINANCIER PUBLICEnfin, ne lâchons rien sur une mesure

urgente et décisive, la création d’un pôlefinancier public, doté d’une réelle capa-cité d’investissement, dégagé des critèresde rentabilité immédiate avec des prêtsà taux faibles et de longue durée pour lescommunes. Il s'agit de mettre en réseaudes établissements financiers publics etsemi-publics dans lesquels l'État inter-vient, afin d'atteindre une complémen-tarité de leurs rôles qui soit efficace, cohé-rente, dans l'intérêt général et sous uncontrôle démocratique et citoyen. Cepôle fonctionnerait de manière décen-tralisée. Son pilotage se ferait sur le plannational comme dans chaque région,avec une représentativité large desacteurs sociaux, économiques, politiqueset associatifs qui définiraient les orien-tations nationales et les axes d'interven-tion locaux. Le pôle financier jouerait unrôle moteur pour attirer d'autres finan-

cements de la part des banques coopé-ratives, mutualistes comme des banquesprivées. Ce serait un effet de levier indispensa-ble devant être conforté par une loi ban-caire confiant une mission d'intérêtgénéral aux banques en contrepartie deleur pouvoir de création monétaire, etles incitant à accompagner les finance-ments du pôle public.La bataille pour les moyens financiers àla disposition des communes est avanttoutes choses une question de démocra-tie : il s’agit de permettre à l’interventioncitoyenne de répondre à l’intérêt général,aux besoins humains et écologiques… n

*Dominique Adenot est maire (PCF) deChampigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Il estprésident de l’Association nationale des éluscommunistes et républicains (ANECR).

PAR SAMIR HADJ BELGACEM*

La sociologie des élus municipaux n’aque rarement fait l’objet d’enquêtesnationales. Ce sont le plus souvent

des études réalisées à l’échelle d’une villeou d’un département qui s’avèrent êtreles principales sources pour recompo-ser une image des propriétés sociales etdes situations socioprofessionnelles desélus municipaux. Je tenterais donc dedégager quelques tendances sur les basesde données parcellaires et localisées,concernant les municipalités commu-nistes de la proche banlieue parisienne.

DE LA PROMOTION DES OUVRIERSQUALIFIÉS…L’entre-deux-guerres est le moment oùles premiers élus communistes font leurentrée dans les exécutifs municipaux.Entre 1919 et 1940, les élus communistesreprésentent 21 % des personnes ayantexercé un mandat municipal. Parmi lesconseillers municipaux communistes,

plus de 60 % sont des migrants en pro-venance des régions françaises, près de25 % sont nés à Paris et seulement 3,3 %sont des natifs de leur commune. Lesélections de 1935 vont marquer un tour-nant en amenant à la tête de plusieursmunicipalités des maires communistes(26 pour la Seine-banlieue et 29 en Seine-et-Oise). Les élus communistes de cettepériode sont principalement des ouvriersqualifiés, se recrutant dans les grandssecteurs industriels des bassins d’em-ploi de la région parisienne (la métallur-gie, l’automobile, la sidérurgie, les socié-tés de chemins de fer, d’électricité et degaz). L’artisanat, le commerce fournis-sent également quelques élus dans cespremiers moments du communismemunicipal « où le conseil municipalvibrait au même rythme que les entre-prises de la ville ». Des femmes sont éga-lement candidates et élues durant cettepériode alors qu’elles ne deviendront éli-gibles qu’à partir de 1944. Cette volontédu PCF de promouvoir le vote et la repré-

sentation des femmes souvent coutu-rières ou ménagères constitue un faitnotable. Les syndicalistes et organisa-tions de masse alimentent aussi les listeset les conseils municipaux à l’image desclubs sportifs municipaux, des mouve-ments en direction de l’enfance (Vaillantset Vaillantes), des femmes (Comité mon-dial des femmes contre la guerre et le fas-cisme ou l’Union des jeunes filles deFrance).

…AUX EMPLOYÉS ET CADRES DUSECTEUR PUBLICAu sortir de la seconde guerre mondiale,le PCF va connaître un succès militantsans précédent, auréolé par son rôledans la Résistance. Les maires commu-nistes vont être placés à la tête de 50municipalités de la Seine-banlieue, surles 80, aux élections provisoires de 1945.Parmi les conseillers municipaux de1945 à 1965, une part belle est faite auxanciens résistants et combattants, pri-sonniers à côté des élus d’avant-guerrequi sont reconduits. Leurs caractéris-tiques sociales et biographiques fontque les postes d’élus municipaux vontà des « militants maintenus à l’écart deslogiques de promotion de l’appareil ».Ces derniers toujours majoritairementouvriers appartiennent souvent auxréseaux associatifs (harmonie munici-pale, clubs de sports, amicale, etc.) qui

LES TRANSFORMATIONS SOCIOLOGIQUES DES ÉLUS MUNICIPAUXCOMMUNISTES DE LA BANLIEUE PARISIENNELes évolutions de la composition sociale des édiles municipaux com-munistes témoignent de plusieurs ruptures liées aux transformationssociologiques et aux orientations stratégiques du Parti, mais aussiaux évolutions démographiques des communes, aux rapports deforces partisans et aux évolutions du mode de scrutin.

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composent le milieu partisan local. Lecumul des mandats tend à se générali-ser au cours de la période. Un premierrenouvellement sociologique des exé-cutifs municipaux s’opère dès 1965 etva s’accentuer au cours des décenniessuivantes. Il est marqué par le recul pro-gressif des ouvriers qualifiés au profitdes employés, des professions intermé-diaires (de la santé) et intellectuelles(enseignants) mais aussi de l’encadre-ment ouvrier (maîtrise, technicien,ingénieur) et cadres administratifs dupublic. La désindustrialisation a affectél’emploi ouvrier traditionnel mais éga-lement le réseau syndical. À la fin desannées 1980, « la principale compo-sante de l’union locale CGT n’est plusle syndicat de la métallurgie mais celuides employés communaux ».

DES TRANSFORMATIONS SOCIOLOGIQUESLes années 1980 mettent à jour un reculélectoral important sur le plan natio-nal. L’Union de la gauche, qui avait per-mis au PCF de compter jusqu’à 52maires en banlieue parisienne en 1977,commence à jouer au profit de l’alliésocialiste. Par ailleurs, l’introduction,en 1983, d’une dose de proportionnelleau scrutin majoritaire de liste permetde faire exister une opposition, qui avaiteu jusque-là peu voix au chapitre. Lamodification des équilibres partisans

se confirme avec la montée de l’abs-tention chez les classes populaires, età droite, la percée du Front National.Cette perte de la « centralité ouvrière »au profit des classes moyennes peut secomprendre par les réorientations stra-tégiques du Parti en lien avec ses trans-formations sociologiques depuis la findes années 1960 mais aussi par larecomposition des classes populairesà l’échelle locale.

La population des municipalités com-munistes s’est modifiée à partir de lafin des années 1970 avec l’arrivée defamilles étrangères et françaises pluspauvres, logées dans les grands ensem-bles et le départ des franges de popu-lations les mieux établies. Le PCF s’estprogressivement coupé du bas de lahiérarchie ouvrière composée par lestravailleurs immigrés et leurs famillesqu’il n’a pas su considérer comme unepossible base électorale. Alors qu’il avaitréussi, pendant l’entre-deux-guerres,à s’appuyer sur les migrants en prove-nance des régions françaises et des payseuropéens (Espagne, Italie, Pologne), ilsemble avoir échoué avec les ouvriersémigrés des anciennes colonies afri-caines. Les nouvelles catégories popu-laires, aux conditions de vie dégradées,subissant plus fortement le chômageet les discriminations ne sont que mar-

ginalement représentées par le PCF,d’autant qu’elles sont faiblement mobi-lisées sur le plan électoral.Les nouvelles générations de militantsqui accèdent aux responsabilités muni-cipales n’appartiennent plus aux classespopulaires mais aux couches moyennessalariées. L’expérience ouvrière et syn-dicale n’est plus l’apanage des nouveauxélus et cadres locaux qui s’engagent plusprécocement dans des carrières de per-manents et tendent à constituer une« génération ouvriériste » sans avoir été« ouvriers ». Les élus municipaux com-munistes vieillissent avec un âge moyenqui s’élève et l’apparition plus fréquentede « retraités ». La durée des mandatss’est allongée également. Les maires etles adjoints enchaînent souvent plusieursmandats alors que la rotation est plusforte pour les seuls conseillers munici-paux. Au cours des années 1990-2000,les listes dirigées par le PCF ne passentplus directement au premier tour et desvilles emblématiques sont perdues. Leslogiques partisanes qui président à lasélection du personnel municipal ren-dent les critères de représentation socialeplus délicats à respecter. La promotionde militants de milieux populaires appa-raît s’être durablement grippée. n

*Samir Hadj Belgacem est sociologue. Il estattaché d’enseignement et de recherche àl’École normale supérieure.

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PAR MARIE-FRANCE BEAUFILS*

En 1920, Robespierre Hénault, lemaire avec ses 22 conseillers, décidede suivre la majorité du congrès de

Tours créant le Parti communiste fran-çais. Il décide de présenter deux femmes,élues aux municipales de 1925, électionannulée par le préfet. En 1941, il est arrêtépar la police de Vichy avec des Tsiganeset d'autres communistes et fut enferméau camp de la Morellerie en Indre-et-Loire. Jean Bonnin, élu en 1947, œuvrapour que les habitants soient relogés enurgence, après le bombardement desdeux tiers de la ville, élabora le premierplan d'urbanisme et créa le centremédico-social Pierre-Rouquès. JacquesVigier, militant pour la paix fit plusieursmois de prison pour avoir organisé lalutte contre la guerre d'Algérie. Élu maireen 1971, il continua l'action pour le loge-ment social avec la construction du quar-tier de La Rabaterie et développa encoreplus les zones d'activités économiques.Les orientations de ces maires commu-nistes ont toujours porté cette mêmeempreinte. Celle de protéger les popu-lations des politiques successives derégression sociale menées par les diffé-rents gouvernements.

Depuis 1983, en tant que maire de cetteville, avec les élus de la majorité degauche, nous avons été tenus de répon-dre à une situation qui, après les annéessoixante-dix, s'est dégradée socialementde façon importante. Nous avons misésur le développement économique quipeut s'appuyer sur des infrastructuresindustrielles et commerciales impor-tantes : maintenance et fabrication dematériel ferroviaire, gare TGV, sites pétro-liers et gaziers, grandes surfaces et mul-tiples PME. La moitié de la superficie dela ville est consacrée à l'activité écono-mique et offre plus de 11 000 emplois.De nouvelles entreprises ont été crééesautour de l'activité ferroviaire. Desgrandes sociétés de services, d'assu-rances, d'informatique y ont installé leuractivité. Le logement reste une préoc-cupation majeure, pour permettre auxsalariés de vivre à proximité de leurslieux de travail.

UNE ACTION EXEMPLAIRE SUR LE LOGEMENTNous avons œuvré pour que Val-de-Loirehabitat lance un grand chantier de réno-vation de 14 M€ sur cinq tours et 433appartements du quartier de l’Aubrière,pour atteindre le label bâtiment basseconsommation (BBC) et optimiser l'at-trait de ces logements. Les travaux com-menceront en octobre 2013. La divisionpar trois des charges de chauffage com-pensera la légère augmentation du loyer.Pour cela nous avons aidé à l'obtentiondes subventions de l'Agence nationalepour le renouvellement urbain (ANRU),du Fonds européens de développementrégionale (FEDER), de l'agglomérationTour(s)plus, du conseil régional Centre,de la Caisse des dépôts et consignationsce qui laissera un solde pour l'organismeHLM de 1 127 000 euros sur un coût totalde 14 millions.

Ce projet a obtenu le premier prix natio-nal d'EDF dans le cadre du concoursd'architecture « Bas Carbone » en 2010.Les tours qui datent des années soixante-dix, époque où les questions d'écono-mie d'énergie n'étaient pas à l'ordre dujour, seront isolées thermiquement parl'extérieur, avec de nouvelles menuise-ries au vitrage adapté et une ventilationmécanique moderne. Des extensionsextérieures sont également prévues pardes loggias d'une douzaine de mètrescarrés aux baies vitrées coulissantes quiapporteront un confort supplémentaire,et offriront ainsi un véritable jardin d'hi-ver. L'action portera également sur l'en-vironnement proche. À la place desvastes parcs de stationnement qui serontlégèrement déplacés, mais maintenusen nombre, des espaces de circulationpour les piétons et une aire de jeux pourles enfants seront aménagés. Au lieu derepousser les populations les plusmodestes à 30 ou 40 kilomètres de l'ag-

glomération, nous avons opté pourqu'elles puissent vivre au cœur de la villeavec l'ensemble des services publicsaccessibles. C'est une façon de réduireaussi le coût des déplacements pour tousles membres de la famille.

LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : UNE RÉALITÉ Avec la majorité municipale nous avonspréféré la mise en œuvre concrète de latransition énergétique plutôt que degrands discours ou de grandes opéra-tions médiatiques qui la plupart dutemps sont inefficaces. C'est ainsi quenous avons équipé une école maternelled'une chaudière biomasse, que nousavons utilisé la géothermie pour le chauf-fage et la réfrigération de salles de réu-nion (La Médaille), que nous utilisonsles « eaux grises » à Pôle Emploi, que nousinstallons un puits canadien à la halte-garderie et que notre chaufferie centralefonctionne avec la cogénération pour lechauffage des grands ensembles.Cette volonté municipale se heurte biensouvent aux freins financiers. La réduc-tion des moyens aux collectivités locales,4,5 milliards à l'horizon 2015, ne peutqu'entamer les projets d'investissementdes communes. La baisse de la dépensepublique ne peut que ralentir cettenécessaire transition énergétique.L'énergie ne peut être une marchandisecomme les autres et doit être à 100 %publique. L'intérêt général doit conduirenos politiques et le droit à l'énergie doitêtre exclu de toutes ces logiques finan-cières non remises en causeaujourd'hui. n

*Marie-France Beaufils est sénatrice-maire(PCF) de Saint Pierre-des-Corps (Indre-et-Loir).

LE LOGEMENT POUR RÉSISTER À LA CRISESaint-Pierre-des-Corps, ville cheminote de 15 000 habitants, située dans la banlieue de Tours, en Indre-et-Loire, dans son combat pour une vie plus digne a misé en particulier sur une politique de logement,maintenant les populations en centre ville et mettant en œuvre la transition énergétique.

La baisse de la dépensepublique ne peut que ralentir cette nécessaire transition

énergétique.“ ”

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Depuis 1990, la ville de Vénissieux prend chaque année des arrê-tés interdisant sur sa commune les expulsions locatives, les cou-pures d’eau et d’énergie et les saisies mobilières. Devant le tri-bunal administratif, la maire assure elle-même une partie de ladéfense en développant des axes différents chaque année enfonction de l’actualité et de la situation des habitants. Cet acten’a rien d’une formalité : c’est un acte de résistance, une bataillepour la dignité humaine. Aujourd’hui, 8,6 millions de personnesvivent au-dessous du seuil de pauvreté et, parmi eux, 50 % dis-posent de moins de 780 euros par mois. De plus en plus de per-sonnes sont privées des droits les plus fondamentaux et vitaux :se loger, se nourrir, se chauffer et se soigner. Alors que la Francetraverse une crise du logement qui touche un Français sur six,on continue d’expulser des familles en grande précarité.

Vénissieux, ville populaire qui compte plus de 50 % de loge-ments sociaux, est particulièrement touchée. Selon une étudede 2012, 32 % de la population vivait en 2009, au-dessous duseuil de pauvreté. L’an dernier, 12 000 personnes ont sollicitéles services sociaux de la ville, toutes demandes confondues,soit 20 % de plus par rapport à l’année précédente. Noussommes, comme de nombreuses villes, confrontés à la pau-périsation de la société. Nous côtoyons au quotidien la détressehumaine, celle qui conduit des Vénissians dans un véritablecercle vicieux de la précarité, un désespoir qui peut mener àl’irréparable. Le 25 avril 2013, alors que le tribunal venait decasser ses arrêtés, une Vénissiane septuagénaire, lors de son

expulsion s’est pendue dans son appartement. Une situationinsupportable qui ne cesse d’interpeller les pouvoirs publics,de dénoncer des pratiques indignes et inhumaines qui nerèglent rien, et qui ne font que rajouter de la misère à la misère.

Prendre des arrêtés contre les expulsions locatives, c’est doncun acte responsable des maires qui n’acceptent pas que leursadministrés, sous pression, puissent mettre leur vie ou cellede leurs voisins en danger. La pauvreté, l’exclusion ne sont pasune fatalité. L’État doit répondre à l’urgence sociale. Il doitassurer toutes ses missions régaliennes, la sûreté de l’emploi,du logement, l’accès aux soins, et à l’éducation ; des droits ins-crits dans notre Constitution. Alors que nous traversons unegrave crise du logement, l’État ne cesse de se désengager dulogement social : baisse de l’aide à la pierre et des APL, racketsur le 1 % logement réduit aujourd’hui à 0,45 %. La loi SRUmodifiée a fait passer l’obligation de construction de loge-ments sociaux de 20 à 25 %, sans toutefois prévoir de sanc-tions pour le tiers des maires qui ne respectent pas leurs obli-gations. Aujourd’hui, la loi de Droit au logement opposable(DALO) n’est toujours pas appliquée : 20 000 ménages recon-nus prioritaires n’ont toujours pas reçu de propositions delogement. Pire, certains ont mêmes été expulsés !

Seule la création d’un véritable pôle public du logement per-mettra de répondre à cet enjeu de société, de garantir à cha-cun le droit à un toit. n

LE COMBAT CONTRE LES EXPULSIONS LOCATIVES,UN EXEMPLE À VENISSIEUX

PAR MAURICE OUZOULIAS*

La crise du logement que nous vivonsdepuis plusieurs années malgré lesdifférents gouvernements qui se sont

succédé doit nous interpeller sur le rôledes communistes et ce que nous pou-vons proposer d’innovant dans ledomaine du logement et en particulierdu logement social ou plutôt public. Lelogement ne peut être une marchandisesoumise aux règles de la concurrencedite libre et non faussée dont on mesureles conséquences désastreuses enEurope. Aux États-Unis par exemple, c’estl’application de ce principe au secteurdu logement qui, avec la crise des sub-primes, a mis 6 millions de gens sur le

pavé. La réponse à des besoins humainset universels comme le logement, lasanté, l’éducation passe obligatoirementpar l’intervention de l’État qui doit êtrele garant de la solidarité nationale.Chacun peut comprendre, à moins d’êtresourd et aveugle aux besoins humains etau développement harmonieux d’unesociété moderne et solidaire, que se logerest le point de départ dans une vie, del’épanouissement des êtres humains.Quand il existe, dans un pays dit riche etmoderne, 3,6 millions de personnes quine sont pas ou très mal logés, plus de 5millions en situation de fragilité à courtou moyen terme dans leur logement, 1,2million de ménages en attente d’un loge-ment social, 3,8 millions de ménages en

LE LOGEMENT AUTREMENT60 ans de persévérance et d’acharnement dans la gestion d’unesociété HLM ont permis que les valeurs de justice, de solidarité nerestent pas lettre morte et que l’État joue son rôle de garant de lasolidarité nationale.

situation de précarité énergétique, nousne pouvons que lancer un cri d’alarme,de colère, de révolte face aux inégalitésqui s’accroissent d’année en année.

GESTION DU QUOTIDIEN ET ACTION POURLE CHANGEMENTSur le court terme, que ce soit commecitoyen ou acteur/décideur, notammentau sein des conseils d’administrationd’organismes HLM, les élus commu-nistes sont les seuls à lier gestion du quo-tidien et action pour le changement. Enmobilisant les demandeurs de loge-ments, les mal logés, les sans droits, tousceux qui peinent à boucler leur fin demois, pour vivre dignement, nous contri-buons à faire évoluer les consciences, àréfléchir sur la société que nous voulons,à prendre en main son destin. En accom-pagnant les organisations de locataires,les associations de défense des consom-mateurs, en les faisant participer à tousles niveaux de décisions, en prenant encompte leurs revendications, les éluscommunistes jouent pleinement leurrôle, ce qui est loin d’être le cas des autres

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formations politiques. En étant à l’écoutedes locataires dans les quartiers popu-laires, en accompagnant les familles endifficulté, en privilégiant le dialogue pourmaintenir les familles dans leur loge-ment, nous préférons les solutionshumaines au diktat de l’argent roi. Enagissant sur le local et le national par despropositions de loi de nos parlementairespour un véritable service public du loge-ment, nous démontrons notre cohérencesans démagogie et sans crainte de bous-culer les idées reçues.

Dans la gestion des organismes HLMnous pouvons apparaître parfois encontradiction avec nos idéaux, notam-ment lorsqu’il s’agit d’augmenter lesloyers qui sont déjà trop élevés.Comme dans les collectivités locales,nous gérons notamment du patrimoinelocatif social dans un cadre législatif etréglementaire que nous combattons etc’est bien ce qui fait toute la différence.Mais en agissant parallèlement pourobtenir des aides de l’État, de meilleuresconditions d’emprunts, une plus grandesolvabilisation des aides personnelles aulogement, nous faisons la démonstra-tion qu’une autre voie est possible à

condition de prendre l’argent là où il est,et particulièrement en inversant les prio-rités à savoir que le logement public soitplus aidé que le logement privé, que l’onmette fin aux aides aux investisseurs pri-vés. Dans la société d’HLM dont j’assurela présidence et qui gère 9 400 logementsen région parisienne et dont nous fêtonscette année les 60 années d’existencenous sommes fiers de nos réalisations,des choix politiques que nous avons tou-jours défendus. Pendant 60 ans, nousavons été au service du logement socialde qualité et abordable. 60 ans de luttepour que le droit au logement soit res-pecté. 60 ans de persévérance, je diraismême d’acharnement pour que lesvaleurs de justice, de solidarité ne res-tent pas lettre morte et que l’État joueson rôle de garant de la solidarité natio-nale. Ce qui n’est malheureusement pasle cas pour d’autres organismes qui sesont couchés devant la loi du marché enmettant en avant la rentabilité financièreau détriment du bien social.

En 1977, nous avons manifesté contre laréforme de M. Barre dont l’objectif étaitde supprimer progressivement l’aide àla pierre au profit de l’aide à la personnepour favoriser l’augmentation des loyers.Plus près de nous, en 2003, nous avonsexprimé notre désaccord sur la réformede M. Borloo qui modifiait le gouverne-

ment des sociétés HLM pour donner lapossibilité au 1 % logement dirigé par leMEDEF, de prendre le pouvoir au seindes SAHLM. Enfin, très récemment, en2009, nous avons manifesté contre la loiBoutin qui avait comme objectif de fairedu logement social uniquement le loge-ment des plus pauvres, en chassant lesfamilles qui contribuaient à l’équilibresocial des quartiers HLM, mettant ainsien cause la mixité dans le parc HLM avectoutes les dérives que cela peut entraî-ner. Aujourd’hui, la lutte n’est pas termi-née. Les aides au logement restent insuf-fisantes. Les demandeurs de logementsocial n’ont jamais été aussi nombreux.La crise du logement nécessite desmesures à la hauteur des enjeux. Si nousnous félicitons d’avoir obtenu pour 2014,la TVA à 5 %, nous regrettons la poursuitedes aides au logement spéculatif commele « DUFLOT » qui va coûter plus d’1,5milliard à l’État sans véritable contrepar-tie sociale. Dans la continuité de notreengagement pour l’humain d’abord,nous avons défini dans notre projet d’en-treprise 2013-2018, quatre axes straté-giques fondés sur la défense du logementsocial, la production d’un habitat de qua-lité et diversifié, le développement de laqualité du service rendu aux habitats, lavalorisation des ressources humaines.Nous avons la conviction que les orga-nismes HLM peuvent, quel que soit leurstatut, public ou privé, contribuer à lamission sociale que les pouvoirs publicspeuvent et doivent leur confier à condi-tion que ces missions soient définiesdans l’intérêt des familles, de la Nation.n

*Maurice Ouzoulias est conseiller général(PCF) du Val de Marne et président de lasociété HLM IDF Habitat.

Une autre voie est possible à condition de prendre

l’argent là où il est, etparticulièrement en inversant

les priorités à savoir que le logement public soit plus aidéque le logement privé, que l’on

mette fin aux aides auxinvestisseurs privés.

“” Quand il existe, dans

un pays dit riche et moderne, 3,6millions de personnes qui ne sontpas ou très mal logés nous nepouvons que lancer un cri

d’alarme.

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Concrètement, cela passe à la fois par le soutien aux associa-tions sportives et à leurs nombreuses sections – plus d’un habi-tant sur dix est licencié d’un club – qui permettent au plusgrand nombre de découvrir et pratiquer une véritable diver-sité de disciplines, des plus traditionnelles aux plus innovantes,comme par exemple celles liées aux arts du cirque.

Dans cette démarche d’approche pluridisciplinaire, les habi-tants et leurs associations peuvent compter sur la qualité deséquipements mis à leur disposition par la ville. Cette annéeencore, une toute nouvelle halle multi-sports a été inauguréeen mars et la piscine est en cours de rénovation-extension.Dans une ville de moins de 40 000 habitants, ces deux équi-pements complètent une offre déjà riche de six gymnases,cinq stades, une plaine des jeux, un dojo, un complexe tennis-tique, un parc pour rollers sans oublier plusieurs parcs de loi-sirs et terrains de pétanque implantés au cœur des quartiers.

Pour chacun de ces équipements, une réflexion a été menéeen lien avec les pratiquants… et leurs pratiques ! Certainshoraires ont ainsi été étirés – plus tôt le matin, plus tard lesoir – pour permettre à tous de profiter des espaces disponi-bles : actifs, scolaires, enfants des centres de loisirs, retraités,personnes handicapées… À chacun sa vie et sa pratique !

Cette volonté de mixité sociale et générationnelle croise uneautre réflexion sur la mixité d’usages. La nouvelle piscine quiouvrira ses portes à l’automne illustrera de belle manière cettenouvelle logique sportive en proposant non plus un simplearrangement de lignes d’eau, mais différents espaces de vieet de pratique : wifi, point de rencontre, zumba, aquagym, etc.

Plus largement, l’ensemble de la commune est considéré commeun laboratoire où toutes les expérimentations sont permiseset où l’on est invité à innover. Les encadrants sont même offi-ciellement invités à « prendre des risques », mesurés, bien sûr.Et l’école municipale des sports leur propose aussi bien desinitiations aux sports traditionnels qu’aux nouvelles disciplines.

Cette politique volontaire d’ouverture au plus grand nombrede pratiques et de pratiquants a aussi permis de repérer etd’accompagner plusieurs jeunes sportifs balnéolais vers unhaut niveau de compétition. Sans en citer une ou un seul nomi-nativement, le constat s’impose par exemple dans les domainesdu rugby, du football ou de la boxe mais aussi dans ceux durugby à sept ou du futsal. n

Marie-Hélène Amiable est maire (PCF) de Bagneux (Hauts-de-Seine).

LE SPORT DANS L’ACTION MUNICIPALE« Promouvoir le sport pour tous et accompagner chacun vers le haut niveau »,

telle est l’action de la ville de Bagneux dans le domaine sportif.

PAR HERVÉ BRAMY ET ARNAUD LOZZI*

L e terme de nombreuses délégationsde service public (DSP) dans ledomaine de l’eau pour les toutes pro-

chaines années, place l’enjeu de sa ges-tion publique et citoyenne parmi lesthèmes en débat pour l’élaboration desprogrammes municipaux. L'eau est uneressource vitale. Sans eau pas de vie ! Or,l’eau douce est une rareté sur notre pla-nète. Elle ne représente que 3 % desréserves d’eau mondiales. Un dixième estaccessible à l’humanité pour satisfaire sesbesoins hydriques : domestique, agricoleet productif. Il convient donc de préser-

ver sa potabilité et son accessibilité enquantité, à un prix accessible, pour touset partout. Rendre effectif le droit à l’eau,reconnu en 2010, par l’assemblée géné-rale de l’ONU est un combat des commu-nistes.

FAIRE VIVRE LE DROIT À L’EAULe droit à l’eau se heurte à des difficultésréelles d’application à travers le monde.Les conflits régionaux autour de l’appro-priation de l’eau en Asie et au Moyen-Orient, les problèmes d’accès à une eaupotable de qualité et l’absence de sys-tèmes d’assainissement dans les pays endéveloppement provoquent de gravesmaladies et des millions de morts chaqueannée. Toutefois, le poids grandissant desactions de coopération de services publicspermises par la loi Oudin (loi du 9 février2005, relative à la coopération internatio-nale des collectivités territoriales et desagences de l'eau dans les domaines del'alimentation en eau et de l'assainisse-ment), permettant aux communes deconsacrer 1 % de leur budget eau à la coo-

pération décentralisée, peut contribuer àbousculer progressivement l’ordre deschoses. En Europe, il nous reste à faire ins-crire durablement ce droit dans la légis-lation de l’Union européenne.

CHANGER LE SYSTÈME DE FINANCEMENTSi la quasi-intégralité des foyers dansnotre pays a accès à l’eau du robinet, lapréservation de sa qualité face aux pol-lutions agricoles, industrielles et urbainesnécessite des investissements et desmoyens techniques importants. Ils repré-sentent un coût élevé de traitement, queseul le consommateur supporte, en vertudu principe actuel selon lequel l’eau payel’eau. Ainsi, un constat s’impose : le prixde l’eau varie du simple au triple selonles territoires. La facture de l’eau peutpeser lourdement sur le budget d’unefamille modeste ; or elle ne devrait pasdépasser 3 %, selon les recommanda-tions de l’OCDE. Nous devons donc agirpar exemple pour que la solidarité natio-nale prenne en charge les coûts engen-drés par les enjeux environnementaux.

POUR UNE RÉAPPROPRIATION SOCIALE DE L'EAULe mouvement d’une remunicipa-lisation de la gestion de l’eau,sous forme de régie, de syndicatde production ou de sociétépublique locale pourra-t-il s’ac-centuer ?

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Depuis la Révolution, l’eau est une com-pétence communale et elle doit le res-ter.Toutefois, les communes ont, dans leurimmense majorité, délégué la réalisationde ce service public à trois grandsgroupes : Véolia, GDF-Suez, la SAUR(Société d’aménagement urbain et rural).Ces derniers maîtrisent les savoirs et lestechniques de l’eau, et gèrent l’accès àl’eau de 71 % des usagers. Cette positiondominatrice leur permet d’imposer destarifs élevés, qui sont à la source des pro-fits qu’ils ont engrangés. La multiplica-tion des normes environnementales euro-péennes a certes pour but de reconquérirla qualité écologique du milieu mais elleest aussi le fruit des pressions des indus-

triels de l’eau leur permettant la conquêtede nouveaux marchés, de débouchés pourla recherche privée, ainsi que la maîtrisede technologies complexes. Enfin les poli-tiques d’austérité freinent l’investisse-ment des collectivités.

L’EAU EST UN BIEN COMMUN DEL’HUMANITÉMalgré ces freins, il est possible deretourner en gestion publique à condi-tion de préparer bien en amont ce pro-cessus. La connaissance du service, lecontrôle du délégataire, le dialoguesocial avec les salariés concernés, laparticipation des usagers sont les clésd’un retour en gestion publiqueréussi. Aujourd’hui, trois outils sontà la disposition des collectivités ter-ritoriales : la régie, le syndicat de pro-duction et/ou de distribution, lasociété publique locale (SPL). Ces troisformes de retour en gestion publiqueont des avantages et inconvénientsqui doivent être regardés en fonc-tion de chaque situation locale.Nous soutenons le retour aupublic de l’eau dès lors queles conditions humaines,financières et techniquessont réunies afin de per-mettre un service de qua-lité à un coût réduit parrapport à la délégation deservice public. Afin de se pré-

munir d’une nouvelle forme de dépen-dance vis-à-vis des grands groupes pourles opérations d’entretien des réseauxou des équipements qui resteront néces-saires, la création d’une filière de forma-tion aux métiers de l’eau en servicepublic est déterminante.

UN SERVICE PUBLIC NATIONAL« DÉCENTRALISÉ » DE L’EAULe parti communiste milite pour un ser-vice public national « décentralisé » per-mettant de maintenir, à l’échelle locale,la compétence eau. Il aurait en charge : 1. de sortir de la marchandisation de l’eaupar une implication financière de l’Étatet des grands groupes à l’échelle du pays.Cette solidarité financière permettraitd’examiner la question légitime du finan-cement des premiers m3 gratuits. La miseen œuvre, par une péréquation d’un tarifunique « modulé » de l’eau sur tout leterritoire national.

2. Une démocratisation des débats sur lagestion de l’eau qui associeraient, élus,citoyens et consommateurs sur tout le pro-cessus, du prélèvement au rejet dans lanature. La lutte contre les gâchis de l’eau. 3. La constitution d’une filière de forma-tion initiale et professionnelle en secteurpublic sur l’eau pour créer un corps de fonc-tionnaires pour l’État et les collectivités. 4. Un développement de la recherchepublique sur l’eau, qui permettrait de s’as-surer de la maîtrise publique des brevets. 5. La mise en œuvre effective du droit àl’eau pour tous.Dans ce contexte l’appropriation socialedes grands groupes de l’eau sera posée.n

*Hervé Bramy est responsable du secteurÉcologie du Conseil national du PCF.Arnaud Lozzi est membre de la commissionÉcologie du PCF. La facture de l’eau peut

peser lourdement sur le budgetd’une famille modeste ; or elle nedevrait pas dépasser 3 %, selon

les recommandationsde l’OCDE

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LE DOSSIER

Tarnos, cinquième ville des Landes avec 12 000 habitants estanimée par un maire communiste depuis 1920. La municipa-lité tente, selon la belle formule de Jacques Derrida, d'être àla fois « fidèle » et « infidèle » à ce lourd héritage du commu-nisme municipal. Le défi consiste bien à démontrer, au quoti-dien, la singularité et l’effet de l'action des élus communistes.Cela se traduit par une certaine « fidélité » à l'esprit du passéet une « infidélité » par l'exploration de nouvelles voies (par-ticipation des habitants-usagers, développement de l'écono-mie sociale et solidaire…). Le sujet de l'eau a révélé parfois,chez les élus communistes eux-mêmes, quelques « distor-sions » entre le discours théorique et la pratique.Puisqu'il m'est suggéré de témoigner, au regard de mon expé-rience, je ne peux échapper à l'énonciation de quelques grandsprincipes. Oui, l'eau est un bien commun de l'humanité, qui nedoit pas être considérée comme une « marchandise ». Oui,tout être humain doit y avoir accès, en quantité et en qualitésuffisante, sur l'ensemble de la planète. Oui, l'argent générépar l'eau doit rester à l'eau. Oui, j'ai la conviction que la ges-tion publique est le mode le plus performant et le plus appro-prié, qui doit aussi associer les usagers.Siégeant au sein de trois syndicats intercommunaux dont cha-cun traite d'une des étapes du cycle de l'eau, et dont le statutde chacun diffère, voilà les enseignements que je retire.

LA PRODUCTION D’EAU POTABLEPour la production d'eau potable (Syndicat mixte de l'usine dela Nive Bayonne-Anglet-Biarritz), c'est un contrat de déléga-tion de service public auprès de la Lyonnaise des Eaux, qui pré-vaut. Lors de la reconduction de ce contrat, j'ai souvent été leseul élu à défendre le passage en régie. De nombreux prétextesm'ont été opposés : le délégataire bénéficie d'une grande exper-tise ; passer en gestion directe conduit à assumer de lourdesresponsabilités ; on peut exercer sur le délégataire un contrôleefficace… La bataille doit continuer car souvenons-nous quequelques centimes au mètre cube sont de profit très large quandon multiplie par le nombre d’usagers.

LA DISTRIBUTIONPour la distribution, je suis président d'un syndicat intercom-munal d’adduction, qui alimente plus de 13 500 abonnés surquatre communes. Ce syndicat s'occupe du réseau de canali-sations enterré et de réservoirs, pratiquement jusqu'au robi-net. À quelques années de la fin du contrat de délégation passéauprès de la Lyonnaise des Eaux, j'ai proposé de « profession-naliser » ce syndicat, en procédant au recrutement d'une ingé-nieure territoriale afin d'avoir une expertise technique et finan-cière. Après une étude comparative sur les différents modesde gestion, nous avons décidé le passage en régie. Alors quele délégataire nous a imposé des négociations, notammentpour le rachat de tous les compteurs individuels, un compro-mis a pu être trouvé, et c'est ainsi que le 1er janvier 2011, le syn-dicat a géré directement ses affaires. Pour cela, il s’est dotéde nouveaux moyens humains et matériels, et a décidé immé-diatement une baisse de 17 % du prix au mètre cube.

C'était un beau défi,qui est en passe d'êtrecouronné de succèspuisque les élus syn-dicaux ont décidé en2013 d'une nouvellebaisse de prix de 6 %,et la mise en placed'un tarif social pourles usagers bénéfi-ciant de la CMU com-plémentaire.Cette baisse globaledu prix ne peut êtredissociée de la qualitédu service car il fautmaintenir des margespour investir dans lerenouvellement desréseaux.Parmi les actions initiées par ce syndicat, il faut égalementsignaler la volonté d'associer les associations d’usagers auxdécisions et à l’organisation de manifestations régulières visantà sensibiliser les usagers aux problématiques de l'eau, et notam-ment les enfants et leurs enseignants qui sont toujours dispo-nibles pour ces opérations.

L’ASSAINISSEMENTPour l'assainissement, la ville de Tarnos a été l'une des pre-mières des Landes à transférer cette compétence auprès duSyndicat des communes des Landes (SYDEC) en 2000. Uneétude a été initiée par le conseil général vers 1995 mettant enévidence un prix plus élevé pour les usagers d'une délégation.C'est pourquoi le département a pris la décision, soutenue parles conseillers généraux communistes, de doter le syndicatd'électrification de la compétence « Eau et Assainissement ».Les grands « fermiers » du privé ne sont pas restés inactifspuisqu'ils ont intenté de nombreuses procédures contentieuses.Le choix de Tarnos a été décisif car il a permis au SYDEC d'élar-gir, au fur et à mesure des années, son audience, au point dedevenir l'outil public de gestion publique à l'échelle départe-mentale.Toutes les dimensions de l'eau, technique, économique, humainesont passionnantes. Du local au global, les élus communistesdoivent intervenir en faveur de la création d'un grand servicepublic national. Cela passera sans doute par des étapes inter-médiaires mais il s'agit d'un combat essentiel contre la logiquedu profit des grands groupes privés.Des coopérations internationales sont également indispensa-bles pour élargir l'accès de l'eau dans le monde. Un enjeu tou-jours majeur : « C'est en se jetant dans la mer que le fleuveest fidèle à la source ». (Jean Jaurès) n

Jean-Marc Lespade est maire (PCF) de Tarnos (Landes).

L’EAU, UN BIEN COMMUN

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Face à la montée de la précarité, à l’aggravation des inéga-lités, les enjeux sociaux seront sans nul doute au cœur despréoccupations des citoyens en mars 2014. Ce sont les poli-tiques sociales qui sont de plus en plus interrogées. La com-mune devient souvent le dernier rempart face à la défail-lance de la solidarité nationale, au sentiment d’abandon despolitiques publiques et des institutions (CAF, CPAM, caissede retraites, pôle emploi...). L’exigence de réponses publiques,de services publics, d’accès aux droits, d’équité, d’égalité estde plus en plus criante quand les conditions de vie se dégra-dent à ce point. La commune devient alors ce lieu d’attentesmais aussi d’inventions et d’innovations qui donne sens auxpolitiques de solidarité. C’est au contenu et à ce sens, queles élus communistes et républicains de Stains se sont atta-qués dans cette ville populaire, riche de la diversité de sapopulation mais aussi marquée par une aggravation trèsnette des inégalités. Ces derniers mois ont été l’occasion delancer un nouveau chantier et de revisiter entièrement lapolitique tarifaire conduite en direction des familles. Deuxobjectifs nous ont guidés : celui de mieux garantir l’équitéd’accès et de supprimer les effets de seuils des politiquesconduites par tranches de revenus qui pénalisent au boutdu compte nombre de familles, celui de baisser très sensi-blement le coût de la prestation payé par tous les usagers.Le deuxième en donnant de la cohérence et de la lisibilité àl’ensemble de la politique de prestations municipales pourtous les services de la ville, en mettant l’usager au cœur duservice public et en simplifiant les modalités administratives.L’objectif était aussi d’affirmer l’ambition d’une politiquesociale et de tarification comme garante de l’égalité au ser-vice de l’intérêt général et de la défense de droits et de l’épa-nouissement des enfants, des familles, des jeunes.Plusieurs mois de réflexion et de choix politiques ont permisde mettre en place un nouveau système de tarification indi-viduel fondé sur la prise en compte de la situation de res-

sources de chaque famille de Stains, du taux d’effort qu’ilconsent pour chaque prestation.

Ainsi 66 % des familles ont vu leur tarif de restauration sco-laire réduire dès le 1er septembre dernier et la mise en placede forfait introduisant une gratuité pour un certain nombrede repas et de journées de centre de loisirs. Un accord avecla CAF est intervenu permettant également de récupérer àterme les bons CAF non utilisés par les familles précaires dimi-nuant ainsi la facture des centres de loisirs pour ces familles.Un nouveau système de calcul simplifié permet aussi à 8 800familles allocataires de la CAF sur la ville de voir leursdémarches allégées pour toutes les prestations. L’ensemblede ce dispositif refondé totalement s’étendra dès le 1er janvier2014 à toutes les prestations municipales permettant ainsiune cohérence et une lisibilité réelle à la fois de ce qui relèvede l’usager dans une clarté des tarifs, et de la mise en valeurdes choix et des orientations municipales en matière de poli-tique sociale. Ce chantier s’est aussi construit avec les famillespuisqu’il a fait l’objet d’une enquête qualitative, de rencon-tres, d’ateliers pour valider les choix nécessaires et pour cor-respondre aux attentes de la population. Nous avons ainsirenforcé la participation de la ville à l’accès au service publicpour tous les habitants, gage d’égalité et de justice socialeface aux inégalités. C’est avant tout un choix politique qui, s’ila nécessité évidemment un effort financier en 2012, a per-mis de réinterroger nos politiques, nos pratiques, nos choixen matière de quotient familial. Mais n’est-ce pas ce qui estrendu nécessaire pour prendre en compte les évolutionssociales et sociétales de nos territoires et faire des communes,ces lieux de résistance, d’innovation, et d’égalité, de dignité,et de promotion du service public territorial ? n

Karina Kellner est adjointe (PCF) au maire, chargée de la solidaritéet de l’accès aux droits, à Stains (Seine-Saint-Denis).

DES POLITIQUES TARIFAIRES AU SERVICE DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL

À La Courneuve, tout le monde ne part pas en vacances, loins’en faut. Plus d’un tiers des Français ne prendront pas devacances cet été. Salariés, chômeurs, retraités, tous disent que« partir en vacances est devenu un luxe ». La question du pou-voir d’achat est la question n° 1 à La Courneuve, puisque lerevenu fiscal moyen par habitant, est de 14 069 euros, le plusbas d’Île-de-France. Plus de 70 ans après le Front populaire, lesvacances ne sont toujours pas une réalité. Pourtant, plus queles congés payés, les vacances devraient être un droit ! Alors,la municipalité multiplie les initiatives pour faire vivre le droitaux vacances et aux loisirs. C’est la raison d’être du « Dimancheà la campagne » que nous organisons tous les ans. Canoë-kayak,accro-branche, théâtre, musique et bien d’autres activités dedétente. 4 000 Courneuviens participent à cette initiative. Lesfamilles se précipitent vers les bus de la municipalité qui lesconduisent à la campagne et beaucoup nous disent qu’ils n’au-ront pas d’autres occasions de l’été de s’éloigner du quotidien.C’est aussi pour cela que nous organisons « La Courneuveplage » cinq semaines en été : préparez la crème solaire, les

maillots de bain et rendez-vous en plein centre-ville ! En bas dechez soi, dépaysement, détente, rencontres, solidarité, finale-ment c’est ça aussi les vacances. La très forte affluence n’estjamais démentie. Depuis des années, les services municipaux,petite enfance, enfance, jeunesse, sport, éducation mais aussiseniors, et tout ce qui relève des politiques publiques de soli-darité participent aussi à la mise en place de séjours dépay-sants. Des « colos » qui apprennent la vie en commun, maisaussi des séjours famille en partenariat avec des associations.Pour ainsi dire, tout jeune Courneuvien aura connu un momentde vacances dans sa jeunesse. Une généralisation telle quebeaucoup oublient qu’en d’autres endroits, en d’autres lieux,ce n’est pas forcément le cas. Et d’ailleurs, malgré la réductionforte des moyens aux collectivités par l’État, à La Courneuve,nous avons décidé de maintenir nos efforts pour que les enfantspuissent profiter pleinement du droit aux vacances pour tous,mais jusqu’à quand ? n

Corinne Cadays-Delhome est adjointe (PCF) au maire de LaCourneuve (Seine-Saint-Denis) en charge des droits de l’enfant.

LE DROIT AUX VACANCES POUR TOUS ET TOUTES !

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LE DOSSIER

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PAR PATRICE LECLERC*

Il ne s’agit pas d’une idée « naturelle-ment » communiste, mais d’une idéeà regarder de près tant elle peut nous

interpeller sur nos pratiques politiquesen direction des milieux populaires, enplus de la question de la qualité de la vie.Il existe un réseau international des villesdu bien vivre réunissant des communesde plusieurs pays à partir d’un mouve-ment venu d’Italie. Cette attitude prochedes mouvements de la décroissance éco-nomique n’est pas forcément ralliée pardes villes progressistes. La ville de Grigny,animée par René Balme, maire Front degauche côtoie la ville de Segonzac, pre-mière commune à avoir adhéré à lacharte citaslow dirigée par une maireUDI.

LA CHARTE CITASLOWLa liste des engagements de la charte peutlaisser facilement penser qu’il s’agit là plusd’affichage politique, de communicationque d’une réelle transformation de la vie :multiplication des zones piétonnières,mise en valeur du patrimoine urbain his-torique en évitant la construction de nou-veaux bâtiments, création de placespubliques où l’on peut s’asseoir et conver-ser paisiblement, développement du sensde l’hospitalité chez les commerçants,règlements visant à limiter le bruit, déve-loppement de la solidarité intergénéra-tionnelle, développement des produc-tions locales, domestiques, artisanales etdes basses technologies, préservation etdéveloppement des coutumes locales etproduits régionaux, développement descommerces de proximité, systèmesd’échanges locaux, priorité aux transportsen commun et autres transports non pol-luants. À la lecture de cette liste de nom-breuses équipes municipales pourraientcomme Monsieur Jourdain « faire de laville lente sans le savoir ».Ceci dit, chaque point comporte en lui-même des possibilités de résistancesconcrètes et locales au stress, aux pres-sions sur les êtres humains causées parune augmentation de la productivitéécrasant l’humain et les rapports. Fouserait celui ou celle qui dédaigneraitces espaces d’action, de réinvention

d’une certaine qualité de la vie plaçantl’humain au centre de toutes les préoc-cupations. Ce qui m’intéresse danscette slow attitude, c’est la méthodequ’elle permet pour (re-)tisser des liensavec les couches populaires, travaillerla politisation de masse. Certes, il y a lecontenu. Le « certes » est de trop carcompose l’essentiel, mais là n’est pasl’objet de l’article. J’en resterai au com-ment.

ENVOYER DES SIGNES RELATIONNELS Nous voulons faire avec les gens, nousavons appris que la démocratie est autantun moyen qu’une fin et nous sommessouvent déçus du peu de répondant à« nos efforts » pour associer les gens. Biendes facteurs agissent pour expliquer la« non participation » malgré nos bonnesintentions. Peut-être faut-il aussi réflé-chir à nos rythmes, à la vitesse de nos rap-ports avec les gens, à la qualité de nos rela-tions. Peut-être que la rapidité del’actualité, ce tourbillon journalier d’in-

formations et de nouvelles, la quantité deréunions ou actions que nous voulonsengager dans un minimum de temps pour« être à la hauteur des attaques », répon-dre aux besoins, favoriser l’interventioncitoyenne, peut-être que la course devitesse dans laquelle nous nous enga-geons en compétiteurs dé sa vantagés parl’idéologie dominante crée de la distanceavec les gens. N’avons-nous pas remar-qué combien la stratégie de NicolasSarkozy de création d’un événement parjour, brouillait tout, empêchait la mobi-lisation et développait un sentiment d’im-puissance ? Notre formation politique,notre courant de pensée communiste,s’est construit et développé dans unepériode (fin XIXe et XXe siècle) où l’idéeétait largement partagée que nous avan-

cions vers la sécurité, « le progrès ». Lemonde progressait. Cette perception d’unavenir radieux aidait à la mobilisation surdes possibles perçus comme… possibles.Elle favorisait l’appel à l’innovation, à laprise de risque individuelle et collective,à l’investissement sur un projet commundu mieux vivre ensemble. Le développe-ment de la précarité, d’une insécuritésociale, d’une peur de l’avenir engage lescitoyens sur des logiques conservatoires,de protection (d’où le retour à la famille,à l’identité personnelle…). C’est quandon se sent en sécurité que l’on apprécied’être confronté à des choix, que l’on sesent capable de contrôler les incertitudeset donc en capacité d’initiative. En situa-tion d’insécurité on ne veut prendreaucun risque. Les couches populaires neveulent donc pas prendre de risque,même si c’est elles qui ont le moins à per-dre. Le relationnel personnel devientimportant, parfois plus important que « lecontenu », « le projet », non personnali-sable. Il faut donc envoyer des signes rela-tionnels avec nos interlocuteurs, prendrele temps de la connaissance, de la recon-naissance mutuelle pour permettre letemps de la dignité retrouvée par la recon-naissance des personnes, de l’investisse-ment dans l’appropriation des enjeux.

Nos enfants sont déjà en train dedécoupler le plus et le mieux, dans leurrapport au travail, leur vie familiale,leur rapport au monde et de façonencore insuffisante dans leur rapport àla consommation. Il faut savoir, enrévolutionnaire, « écouter l’herbe quipousse » (Karl Marx). n

*Patrice Leclerc est conseiller général (PCF)et conseiller municipal de Gennevilliers(Hauts-de-Seine).

Ce qui m’intéresse danscette slow attitude, c’est la méthode

qu’elle permet pour (re-)tisser des liens avec les couchespopulaires, travailler lapolitisation de masse.

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RALENTIR POUR ACCÉLÉRER LA RÉVOLUTIONLa slow attitude (mouvement lent) n’est pas un mouvement nouveau. Il se développe depuis la fin desannées quatre-vingt sur plusieurs thématiques villes lentes, slow food, avec un point commun à chaquefois la recherche d’une meilleure qualité de vie.

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En situant l'emploi, l'insertion des jeunes et la lutte contre lechômage aux premiers rangs des préoccupations municipales,l'enquête réalisée auprès des maires de 164 villes de plus de30 000 habitants et très récemment rendue publique parl'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS),confirme le poids de la crise sur le quotidien des collectivitésterritoriales et de leurs habitants. La récession qu'installentles politiques d'austérité, européenne et nationale, avec les-quelles il faut rompre, nourrit la hausse du chômage, les fail-lites d'entreprises, le creusement des inégalités entre les ter-ritoires et entre nos concitoyens, fragilise le service public etles collectivités, pèse intolérablement sur leurs moyens d'ac-tion. La suppression de la taxe professionnelle imposée parla droite en 2010 et maintenue depuis, les ponctions opéréessur les dotations de l'État aux communes (4,5 milliards d'eu-ros jusqu'en 2015), par l'actuel gouvernement, pour m'en tenirà ces seules mesures, additionnent leurs effets.

Au total et partout sur le terrain, les chiffres sont constam-ment accablants. Ainsi, le taux de chômage de la région Nord-Pas-de-Calais est passé en un an de 12,8 % à 14 % ; celui del'arrondissement valenciennois où dominent les activités deproduction industrielle automobile et ferroviaire, a bondi à16,8 %. On recense dans le Nord-Pas-de-Calais plus de 75 000jeunes demandeurs d'emploi de moins de 25 ans !

Situer les réalités, c'est situer les enjeux. Le premier étantde refuser la prétendue « fatalité » d’orientations dictéespour l’essentiel, par le MEDEF et les marchés. À l'échelle dela communauté d'agglomération de La Porte du Hainaut (39communes et 150 000 habitants) que je préside, nous avonsmené en 2011 et 2012 la bataille de Sevelnord (2 400 sala-riés), filiale de PSA productrice de véhicules utilitaires, untemps menacée de disparition. Avec les salariés et leurs syn-dicats, avec les élus du bassin valenciennois dans leur diver-sité et avec la population, nous avons été à l’initiative pourconstruire autour d'un comité de vigilance et d'action, unrassemblement porteur d'une double exigence : maintien dusite et des emplois. Aujourd'hui, PSA investit sur place enfaveur de la production de son futur nouvel utilitaire. Nousrestons très attentifs à l'aboutissement de ce dossier.

Les stratégies d’entreprises ne peuvent être l’exclusivité deleurs actionnaires et dirigeants. Nous savons d’expérienceavec la sidérurgie que, quand celles-ci sont erronées, ellesinfluencent lourdement salariés, populations et territoires.Nous ne pouvons accepter, nous les élus, d’être relégués aurang de financeurs des conséquences de la casse, Samu socialou environnemental. Il est temps qu’élus locaux et représen-tants des salariés aient voix au chapitre dans la construc-tion des projets économiques.

Nous soutenons sans réserve la tradition industrielle de notrebassin que contribuerait à favoriser, c’est important de lesouligner, la réalisation du canal Seine-Nord pour lequel sontattendus les financements décisifs de l’État et de l’Europe.

L'industrie, c'est la vie. Produire, innover, développer et trans-férer la recherche, associer les moyens du secteur public àl'initiative privée… Nous sommes en permanence dans ceschoix quand nous créons des hôtels d’entreprises comme àEscaudain et Denain ou un premier village régional d’arti-sans à Saint-Amand-les-Eaux ; de même quand nous accom-pagnons l'implantation à Saint-Amand du leader pharma-ceutique mondial GSK, pour un investissement de 600 millionsd'euros et la création de plus de 600 emplois ; ou lorsquenous instaurons une aide financière à l'installation de trèspetites entreprises (TPE) : 140 dossiers réalisés et 420 emploisen quatre ans ; ou le soutien de l'innovation, au travers duprojet de déconstruction ferroviaire porté par un groupe-ment d'entreprises, Nord Ferro, au nombre desquelles Alstomet Hiolle Industries. Mais l’État a une responsabilité à pren-dre d’urgence auprès de la SNCF qui organise la délocalisa-tion de cette activité en Europe de l’Est alors que nous dis-posons ici, des hommes et des technologies indispensables.

La région Nord-Pas-de-Calais affiche l'ambition de figurerdans les cinq ans, dans les dix régions d'Europe où se déve-loppent l'industrie de l'image et la création numérique. Noussommes partie prenante de cet objectif en portant, avecl'université de Valenciennes à notre côté, le projet de recon-version du site minier d'Arenberg, classé UNESCO depuis2012, en lieu de recherche et de formation à l'image, tout enélargissant l'activité de tournage cinématographique péren-nisée sur place depuis bientôt 20 ans, et en veillant à la valo-risation touristique de ce patrimoine minier d’exception.

Au sein de l'Agence de développement économique, struc-ture de mise en réseau des entreprises que nous avons crééeavec une centaine d'entre elles, est née l'idée d'organiser unSalon professionnel des savoir-faire affirmant le Made inHainaut. La première édition vient de se tenir, rassemblanten deux jours, les 30 et 31 mai, 120 exposants essentielle-ment industriels, et plus de 2 000 visiteurs, cadres et chefsd’entreprise. Face à la conjoncture difficile, c'était une façond’élargir notre champ d’action en dépassant des formes pluscourantes de soutien institutionnel à l'économie auxquellesnous consacrons 12 millions d'euros par an. C’était aussi lemoyen de rompre avec les tendances au repli sur soi qu'ali-mente la crise du système. Les valeurs qui nous mobilisentcomme élus de terrain sont connues. L'expérience montreque loin de faire obstacle à la convergence des énergies etdes compétences, elles permettent au contraire cette addi-tion de moyens humains et financiers indispensables au déve-loppement du territoire et au bien-être de ses habitants. n

Alain Bocquet est député du Nord et président (PCF) de la com-

munauté d'agglomération de La Porte du Hainaut.

DE LA DÉFENSE DE L'EMPLOI AU SOUTIEN À L'INNOVATION

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LE DOSSIER

Parce qu’il constitue un des éléments indispensables au bon fonction-nement du service public, la CGT Services publics continue de faire del’emploi public un de ses principaux axes de réflexion et d’intervention.

PAR BAPTISTE TALBOT*

Trop nombreux, donc trop coûteux etpar conséquent responsables pourpartie du creusement de la dette

publique… Voici résumée en quelquesmots la vision des agents territoriaux queportait le pouvoir sarkozyste. Dans sonentreprise de déconstruction de l’actionpublique, la précédente majorité avait eneffet fait de l’emploi public territorial unde ses chevaux de bataille idéologique.Si le gouvernement actuel n’aborde pascette question en des termes aussi fron-

taux, sa politique en matière d’organi-sation et de financement des collectivi-tés locales continue de placer l’emploipublic territorial parmi les principauxenjeux de la période en matière d’actionpublique.

POURQUOI UN EMPLOI PUBLICTERRITORIAL À STATUT ?Le Conseil d’État a rappelé en 2003 lesfinalités de la construction statutaire :« l’essentiel correspond à ce pourquoiun statut de la Fonction publique a étévoulu et construit au fil du temps, c’est-

à-dire les principes fondamentaux défi-nis dans les lois statutaires, sur lesquelsil ne peut être question de revenir, des-tinés à assurer l’égal accès aux emploispublics, à garantir les fonctionnairescontre l’arbitraire et le favoritisme et àdonner à la puissance publique lesmoyens d’assurer ses missions sur toutle territoire dans le respect des règlesd’impartialité et de continuité ».Marquée par les lois Defferre de décen-tralisation et Le Pors relatives au statutde la Fonction publique, la période 1982-1984 a vu s’opérer un double mouvementde réorganisation de l’interventionpublique et de renforcement des garan-ties statutaires des agents.Avec, certes, des imperfections non négli-geables, cette politique a globalement

L’EMPLOI PUBLIC TERRITORIAL AU CŒUR DE LA BATAILLE POUR LE SERVICE PUBLIC

Lors d’une rencontre avec les chômeurs de ma ville que j’or-ganise chaque année, un jeune urbaniste m’interpelle :« Madame le maire, je vois de très nombreux chantiers, desconstructions de logement dans tous les quartiers, l’arrivéedu tramway et des futurs métros du Grand Paris… et je suisenragé de ne pouvoir mettre mes compétences au service dema ville. Que pouvez-vous faire ? » Cette interpellation m’ad’autant plus marquée que nous étions en train d’élaborer,avec d’autres villes du territoire et l’État, un contrat de déve-loppement territorial (CDT) où la dimension emploi-formationétait à peine effleurée. Avec d’autres collègues élues – noussommes quatre femmes maires communistes concernées ! –nous nous sommes particulièrement mobilisées pour que cetenjeu soit autrement pris en compte. Avec une idée simple :les formidables projets scientifiques, économiques que nousportons sur notre territoire, l’arrivée des gares du Grand ParisExpress(GPE) — trois à Villejuif —, doivent être bénéfiques pournos populations, notamment pour faire reculer les inégalitéssociales et le chômage. Nous nous sommes engagés pour unplan d’action avec des moyens d’ingénierie pour élaborer uneCharte emploi qui va comprendre des objectifs chiffrés et au-delà travailler la carte des formations initiales comme profes-sionnelles pour anticiper la formation aux métiers indispen-sables à la réalisation de ces grands chantiers. Prenons l’exempledes futurs métros du GPE, on estime que le seul secteur destravaux publics représente 10 000 emplois, 6 000 pour lafilière ferroviaire (matériels roulants – équipements de voies)et au total, ce vaste chantier offre l’occasion de créer 20 000emplois chaque année. Au-delà des outils existants qu’il convientde mobiliser : clauses d’insertion pour les marchés publics,charte emploi avec les entreprises, initiatives multiples pourmettre en relation les différents partenaires, en particulier lasociété du Grand Paris, les forums pour l’emploi… la bataille

d’un maire pour l’emploi est avant tout une bataille politiqueau sens où nous devons aider à faire grandir cette exigencedans la population et contribuer à rassembler largement autourd’objectifs communs. Nous ne sommes pas un « pôle emploibis ». Nous jouons un rôle facilitateur, de mise en réseau, qu’ilne faut pas négliger.Une bataille politique aussi car les choix d’aménagement etde développement urbain ne sont jamais neutres. Ils peuventou non contribuer à favoriser l’activité économique, l’installa-tion d’entreprises et donc l’emploi. Par exemple, nous portons,avec d’autres acteurs, un projet scientifique et médical d’en-vergure internationale dans la lutte contre le cancer. Ce pro-jet a notamment permis la réalisation d’une pépinière quiaccueille des entreprises spécialisées dans les biotechnolo-gies et le chantier de cette pépinière a lui-même généré lacréation d’une dizaine d’emplois. Nous aidons à la mise ensynergie de tous les acteurs scientifiques, hospitaliers, derecherche, qui constituent les atouts de notre ville. Le faitd’être porteur de projets permet également d’attirer des entre-prises, voire de modifier leur stratégie. Par exemple, avec leprojet Cancer Campus et la victoire sur le réseau du GrandParis, un grand groupe pharmaceutique qui envisageait departir du territoire, a finalement décidé de rester et d’investir.Cette bataille pour l’emploi est inséparable de la formation despopulations notamment des jeunes et nous travaillons dansle CDT à l’élaboration d’un schéma des services publics et desformations comprenant les filières à développer. Ainsi parexemple, nous accueillerons au sein du projet Cancer Campus,un centre universitaire aux métiers de la santé. n

Claudine Cordillot est maire (PCF) de Villejuif (Val-de-Marne),vice-présidente de la communauté d'agglomération du Val-de-Bièvre en charge du contrat de développement territorial (CDT).

L’EMPLOI : UN ENJEU CENTRAL POUR NOS VILLES

COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

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respecté l’équilibre indispensable entregaranties nationales et exercice des mis-sions dans la proximité : création du sta-tut de la Fonction publique territoriale(FPT) ; transfert des compétences et desressources vers des exécutifs locaux élusau suffrage universel ; mécanismes depéréquation financière en faveur des ter-ritoires en difficulté.C’est parce qu’elle a été conçue et miseen œuvre dans ce cadre que la premièrephase de la décentralisation a été uneavancée en matière de service public etde démocratie. Elle a démontré la perti-nence d’une organisation de l’interven-tion publique s’appuyant sur une com-plémentarité État/collectivités. Elle s’estcaractérisée par le développement dupérimètre d’action et de la qualité du ser-vice public, et la croissance de l’emploipublic, appréciés positivement par lapopulation. Réalisant plus de 70 % del’investissement public, les collectivités,leurs services et leurs agents se sont affir-més comme des acteurs déterminantsdu développement économique.Le caractère public et statutaire de l’em-ploi territorial constitue bien un puis-sant vecteur de contrôle démocratique,tant en matière de maîtrise publique desmissions que de conditions d’exercicede ces dernières au bénéfice descitoyens-usagers. A contrario, les expé-riences de libéralisation, par exempledans le domaine des télécommunica-tions, ont vu s’opérer un triple mouve-

ment de recul de l’égalité de traitement,de perte de la maîtrise publique des mis-sions et de disparition programmée desgaranties statutaires et du caractèrepublic de l’emploi.

UNE CROISSANCE DÉMESURÉE DEL’EMPLOI PUBLIC TERRITORIAL ?La précédente majorité avait fait de lacroissance de l’emploi territorial, pré-sentée comme démesurée, un de sesprincipaux angles d’attaque. Obnubiléepar son objectif de réduction desdépenses publiques, la nouvelle majo-rité s’inscrit, elle aussi, dans uneapproche comptable de l’emploi public.Quelques chiffres sont donc bienvenuspour remettre les pendules à l’heure.Si l’on considère la période 1985-2011,on s’aperçoit que la croissance globaledes effectifs des trois versants de laFonction publique (+8 %) est inférieureà celles de la population (+15 %) et de lapopulation active (+13 %). Certes, sur lamême période, le pourcentage d’aug-mentation du nombre d’agents territo-riaux (+50 %) est important et est d’ail-leurs abondamment utilisé par lesdétracteurs de la FPT.Il doit être largement relativisé. Il s’ex-plique en effet pour une part importantepar des transferts de missions et d’agentsde l’État ainsi que par des créations depostes consécutives au désengagementde l’État dans le cadre de la révision géné-rale des politiques publiques (RGPP).

Loin de constituer une aberration, lacroissance des effectifs territoriaux s’ins-crit en réalité dans une reconfigurationde l’action publique marquée par le reculde l’État et un fort développement desbesoins de service public lié à la crois-sance démographique.

QUELLES PERSPECTIVES ?La politique et les projets du gouverne-ment relatifs aux collectivités locales seplacent dans la continuité des réformesde Sarkozy : baisse des dotations ; com-pétitivité considérée comme la finalitéprioritaire de l’action publique territo-riale (avec notamment la métropolisa-tion) ; affaiblissement de la démocratielocale et du service public de proximité ;emploi public corseté…Sur ces questions comme sur tant d’au-tres, seule la rupture avec la logique mor-tifère de l’austérité et de la compétitivitépermettra de retrouver la voie du pro-grès social. Cela nécessite en particulierune réforme fiscale fondée sur une nou-velle répartition des richesses et qui per-mette d’assurer un financement pérenneet solidaire des collectivités locales et deleurs services publics. Les forces parta-geant cette approche doivent continuerd’œuvrer à faire grandir les mobilisationsconvergentes indispensables pour impo-ser le changement. n

*Baptiste Talbot est secrétaire général de lafédération CGT des Services publics.

PAR HÉLOÏSE NEZ ET JULIEN TALPIN*

La démocratie participative s’est géné-ralisée à tous les échelons territoriauxdepuis une dizaine d’années en France.

Les collectivités communistes ont étéparmi les premières à emboîter le pas etont mis en œuvre certaines des expériencesles plus originales, permettant une rela-tive redistribution du pouvoir. Rapidement,cependant, elles sont rentrées dans le rang,s’alignant sur des pratiques de légitima-tion des élus locaux par la participation.Nous analysons les origines de ce désen-

gagement, avant de proposer quelquespistes d’un possible renouveau.

LES EXPÉRIENCES DE BUDGETPARTICIPATIFSi le développement de la participationdes habitants date des années 1970, untournant s’opère à la fin des années 1990avec la popularisation de l’expérience dubudget participatif (BP) de Porto Alegreau Brésil. Le BP, qui repose sur la mise endiscussion avec la population de la partieinvestissement du budget, incarne unedes expériences participatives qui va leplus loin en matière de codécision. Relayéspar le mouvement altermondialiste, lesBP apparaissent dans l’hexagone à la findes années 1990, d’abord dans plusieursvilles communistes de la banlieue pari-sienne (Saint-Denis, Bobigny, LaCourneuve, Morsang-sur-Orge, Limeil-

Brevannes) et en province (Aubagne, Pont-de-Claix, Vif). La démocratie participativesemble ainsi s’inscrire dans différentestentatives de rénovation du projet com-muniste, notamment dans les communespopulaires de l’ancienne « banlieuerouge ». Cet investissement importantapparaît à la fois comme la réponse à undéclin électoral patent, un moyen derenouer avec les catégories populaires etle fruit d’initiatives d’élus locaux relative-ment jeunes, réformateurs et insérés dansdes réseaux proches de l’altermondia-lisme. Le discours est bien souvent radi-cal, les élus défendant une volonté de «partager le pouvoir » et de « démocratiserla démocratie ». Pourtant, les pratiquess’avèrent souvent décevantes. À quelquesexceptions près, dans des petites villescomme Grigny en Rhône-Alpes ouMorsang-sur-Orge en Essonne, où des

DES FORMES NOUVELLES DE DÉMOCRATIECertaines difficultés rencontréesdans la mise en œuvre de ladémocratie participative appel-lent de nouvelles innovations.

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LE DOSSIERSUITE DE

LA PAGE 25 > formes de codécision sont mises en place,les pratiques participatives communistesne se distinguent pas de celles mises enœuvre par des collectivités d’autres cou-leurs politiques. C’est la consultation quirègne, la participation ayant principale-ment pour objet de rapprocher les élus dela population. Les principales décisionsdans ces collectivités demeurent de l’au-torité des seuls élus. Des mots aux pra-tiques, il semble donc exister un monde.La majorité des villes pionnières ont d’ail-leurs abandonné l’expérience du budgetparticipatif ou l’ont laissée en déshérence.Ce désinvestissement des élus commu-nistes peut s’expliquer par les retombéesélectorales limitées offertes par la démo-cratie participative. Peu visible, souventdécevante pour des participants quiattendaient un réel pouvoir de décision,il est rare que la participation se traduisepar une inversion du déclin électoral.

Alors que les communistes cherchaientà renouer avec les classes populaires, cesont surtout des classes moyennes, déjàengagées par ailleurs dans le milieu asso-ciatif, qui s’investissent. Il faut néan-moins noter que les élus communistes,à l’image des membres d’autres partispolitiques, font preuve d’une réelle fri-losité à cet égard. S’il est difficile de par-tager son pouvoir quand on voit sesmarges de manœuvre se réduire (par lacréation d’institutions intercommunalesou un équilibre budgétaire difficile àtrouver), les communistes doivent sedemander si des pratiques du pouvoirlocal parfois autoritaires et clientélistessont en accord avec leur projet d’éman-cipation des classes populaires.

DES EXPÉRIENCES DE DÉMOCRATIEDIRECTE ?Il nous semble à l’inverse qu’un investis-

sement sincère dans une conception plusradicale de la démocratie participative,loin de saper les bases de plus en plus fra-giles des quelques bastions qui tiennentencore, permettrait peut-être de sauverce qui peut encore l’être, voire de recons-truire une forme plus ambitieuse de com-munisme municipal. Concrètement,quelle forme cela peut-il prendre ? Alorsque figurait dans le programme du Frontde gauche la généralisation des budgetsparticipatifs, les élus communistes aupouvoir pourraient de nouveau s’inves-tir dans l’expérience, en permettantqu’une part significative du budget de leurcollectivité soit décidée collectivementavec la population au terme d’une séried’assemblées publiques. Au-delà du bud-get, des décisions importantes et struc-turantes de la municipalité (projets ANRU,grands équipements, etc.) pourraient fairel’objet à la fois d’assemblées citoyennes

Les questions de santé refont surface. Durant la seconde moi-tié du XXe siècle elles se posaient avec moins d’acuité qu’au-jourd’hui parce qu’un système de protection sociale solideavait été mis en place à la Libération. Ce système a été vic-time de coups de boutoir réguliers et aujourd’hui l’accès auxsoins est remis en cause. Ainsi 50 % des dépenses ambula-toires restent à la charge des familles. La crise économique,la baisse du pouvoir d’achat, le chômage et les réductions demoyens de l’Assurance maladie ont créé des inégalités socialeset territoriales de santé criantes.

LA SANTÉ, UNE QUESTION ÉMERGENTELa santé est devenue selon des sondages récents la secondepréoccupation des Français derrière le chômage et devant lelogement. On peut dire que la santé est à nouveau une ques-tion émergente et elle fera irruption dans la campagne desmunicipales sans aucun doute. D’ailleurs, lors d’un stage des-tiné aux élus locaux et aux candidats aux municipales, intitulé« Comment conduire une politique territoriale de santé ? »que nous avons organisé en avril, 90 % des stagiaires ont indi-qué que leur principale motivation pour venir à ce stage étaitla question de la désertification médicale.En effet à la crise sociale d’accès aux soins (honoraires libresde plus en plus importants, secteur privé à l’hôpital public,déremboursement des médicaments, mutuelles de plus en pluschères et restrictives, fermetures incessantes de services hos-pitaliers etc.) s’ajoute une crise démographique. Après de longuesannées de réduction du nombre de médecins en formation parun numerus clausus malthusien nous sommes arrivés au momentque nous avions annoncé : le nombre de médecins chute defaçon catastrophique et la pénurie est là. Mme Touraine dit : « Ilva falloir comprendre qu’il n’y aura plus de médecins danschaque commune ». Or la première chose que font les citoyensen cas de difficultés, c’est de s’adresser à leurs élus locaux. Lemaire hérite ainsi d’un problème nouveau et explosif.

PROMOTION DE LA SANTÉ PUBLIQUEOn pourrait aborder la politique de santé locale autrement : àsavoir en organisant la promotion de la santé publique. En étu-diant les besoins des habitants, en demandant des enquêtes,en recensant les problèmes sanitaires qui pourraient être régléspar des mesures de prévention, des mesures environnemen-tales, en réduisant les facteurs de risque. Prévention, promo-tion de la santé publique, éducation thérapeutique, dépistagesont les maîtres-mots de cette politique. On sait bien que lesdéterminants de la santé sont globaux et loin d’être l’apanagedu système de soins.

Mais la question revient par la porte traditionnelle de l’accèsaux soins. La lutte pour le maintien des hôpitaux publics, descentres de Sécurité sociale, de PMI ou de médecine scolaireet la médecine du travail. Et aussi attirer des médecins et d’au-tres professionnels de santé sur la commune. Les centres desanté répondent à cette attente. Ils permettent de faire venirdes professionnels dans un cadre salarié, travaillant en équipe,avec des tarifs complètement remboursés ; la dispense de fraisest assurée par le tiers payant. Le modèle des « maisons desanté » proposé par les pouvoirs publics n’offre pas ces garan-ties et finalement se contente de donner de l’argent public àdes structures privées gérées selon les intérêts des proprié-taires. Les citoyens n’ont alors aucun droit de regard.

Au total, deux pistes s’ouvrent aux élus locaux : celle d’unepolitique de promotion de la santé et celle de l’accès aux soinspar le développement de centres de santé. Ces deux démarchescomplémentaires s’imposeront dans les mois qui viennent. Ilserait bon de s’y préparer. n

Michel Limousin est médecin au centre de santé de Malakoff. Il estmembre de la commission Protection sociale du Conseil nationaldu PCF.

LE CENTRE DE SANTÉ, RÉPONSE À LA DÉSERTIFICATION MÉDICALE

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et de délibérations larges incluant le plusd’avis possible, processus qui gagnerait àêtre conclu par un référendum local. Unedes pistes pour redynamiser la démocra-tie participative est en effet de la coupleravec des expériences de démocratiedirecte pour s’assurer que les discussionssoient suivies d’effet. Au-delà de la parti-cipation, il faut créer les conditions poli-tiques d’une réelle démocratisation dupouvoir local. À cet égard, et alors qu’his-

toriquement le PCF a permis l’entrée enpolitique de la classe ouvrière et continueen partie d’assurer la présence d’élus d’ori-gine populaire à tous les échelons terri-toriaux, une plus grande rotation des élites(élues ou au sein du Parti) pourrait aussiassurer une telle démocratisation sociale,en empêchant notamment le cumul desmandats dans le temps (pas plus de deuxmandats consécutifs). Pour que la rota-tion permette une démocratisation, il

convient cependant que le Parti lui-mêmesoit en mesure de renouer avec les caté-gories populaires, que les militants ensoient issus. Une démocratie participa-tive radicale, en lien avec les associationset collectifs locaux, peut y contribuer. n

*Héloïse Nez est sociologue. Elle est maîtrede conférences à l’université de Tours.Julien Talpin est politiste. Il est chargé derecherche au CNRS.

La ville de Grigny s'est investie dans sa démarche de démo-cratie participative à la fin des années 1990 en faisant de ladémocratie participative sans le savoir : mise en place deconseils de quartier ; participation des habitants aux grandsprojets de ville ; co-élaboration de projets urbains, etc. Jusqu’àce que, en partenariat avec les habitants, il soit décidé dejeter les bases d'un budget participatif.Grigny, sans fausse modestie, peut se targuer d'être pion-nière, en France, si ce n’est en Europe en matière de démo-cratie participative. Forte d'une expérience de neuf annéesde budget participatif, elle compte plus de 1 000 personnesinvesties dans cette démarche. En 2008, dès le début dumandat, la démarche participative a été placée au cœur dufonctionnement municipal de telle sorte que l'ensemble dufonctionnement des services a été repensé et remodelé pourfaire de la démocratie participative la porte d'entrée du fonc-tionnement municipal. Aujourd'hui, ce sont les habitants quivotent le budget participatif co-élaboré par les Grignerots,chiffré par les services en partenariat avec le groupe de tra-vail du budget participatif dont les membres sont les rap-

porteurs des propositions lors de la soirée de mise aux voix.Les élus ne prennent pas part au vote et le budget ainsi votépar les habitants – qui représente 60 % du budget d'inves-tissement de la ville en 2013 – est intégré dans le budgetgénéral de la ville. Après le vote du budget municipal, unesoirée d'analyse critique de l'expérience de l'année écouléeest organisée dans le but d'améliorer sans cesse le proces-sus. La ville de Grigny a été à l'origine, avec le concours duCIDEFE, de la création du Réseau national de la démocratieparticipative. La première initiative prise par ce réseau, lorsde l'assemblée générale d'Allonnes (Sarthe), fut de se don-ner les moyens de procéder à la rédaction, de manière par-ticipative à l'échelle du réseau, d'une proposition de loi, por-tant sur les moyens à mettre en œuvre pour promouvoir etgénéraliser la pratique de la démocratie participative enFrance. Elle sera soumise à tous les groupes parlementaireset ceux qui auront décidé de soutenir l'initiative la dépose-ront sur le bureau de l'Assemblée nationale n

René Balme est maire (Front de gauche) de Grigny (Rhône).

CO-CONSTRUIRE LA VILLE AU TRAVERS D'UN BUDGET PARTICIPATIF

PAR PAUL BOULLAND*

«Communisme municipal »,« banlieue rouge » ces expres-sions, mobilisées en sens oppo-

sés par le Parti communiste lui-même etpar ses adversaires, se sont imposéescomme une évidence pour caractériserl’ancrage et l’action du communisme enFrance. De manière générale, l’action desélus put se développer sans subir uncontrôle politique ou idéologique étroitdu parti. Dès l’entre-deux-guerres, lesnombreuses réalisations (logementssociaux, colonies de vacances, équipe-ments scolaires et sportifs, etc.) s’ap-

puient autant sur la politique volonta-riste des élus communistes que sur leuradaptation aux contraintes gestionnaireset aux nécessaires relations avec des par-tenaires pourtant dénoncés commeadversaires (préfet, ministères, etc.). Demême, les maires communistes prirentplace dans les syndicats intercommu-naux ou les associations d’élus et parti-cipèrent pleinement à la modernisationet à la professionnalisation de l’adminis-tration locale. Georges Marrane maired’Ivry de 1925 à 1965, en constitue lemeilleur exemple.La relation du PCF à ses édiles fut surtouttravaillée par l’enjeu complexe de leur

Tout au long de l’histoire du PCF, l’investissement municipal a étél’enjeu de tensions.

LE PCF ET LA QUESTION MUNICIPALE :ÉLUS DU PARTI VS « PARTI D’ÉLUS »

place dans le parti. Dès 1920, lors ducongrès de Tours, nombre de socialistesélus en 1919 participèrent à la majoritéen faveur de l’adhésion à la IIIe

Internationale. La Section française del'Internationale communiste (SFIC)gagnait ainsi ses premières municipali-tés, comme Waziers (Nord) ou Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) tou-jours communistes en 2013, ainsi que laplupart des mairies socialistes de la régionparisienne. Mais, après la PremièreGuerre mondiale, le rejet des anciennesélites de la SFIO constituait l’une desmatrices essentielles du premier com-munisme et le modèle bolchevique cris-tallisait ce sentiment en accordant le pri-mat aux ouvriers face aux intellectuelsou aux autres catégories sociales, et envalorisant l’appareil et ses cadres face auxélus. En banlieue, nombre des premiersmaires communistes furent rapidementexclus ou quittèrent le Parti au cours desannées 1920, à l’image d’Henri Sellier,maire de Suresnes, ou d’Émile Cordon,

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LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALESSUITE DE

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À Dives-sur-mer, petite ville de 6 000 habitants, sur la CôteFleurie, dans le Calvados, l'identité communiste de la ville s'estforgée au fil du temps. Cette Cité millénaire, liée à l'histoire  deGuillaume le   Conquérant   a connu depuis 1953 trois mairescommunistes : André Lenormand, Francis Giffard et moi-même,élu  en 2008. L'identité communiste de la ville s'est forgée aufil du temps, en même temps que s'est implantée en 1889 etque s’est développée une usine spécialisée dans le traitementdu cuivre. Cette entreprise qui a compté jusqu'à 2000 sala-riés a scellé le destin de Dives. 

Plusieurs dates ont marqué profondément la conscience divaise.1936 : c'est de Dives qu’est parti le mouvement de grève, fai-sant dire à un historien local que « les moutons de la cam-pagne se sont transformés en lions des conquêtes sociales. »1939-1945 : Dives a été un des bastions de la résistance com-muniste sous l'occupation. Elle en a payé le prix fort en arres-tations, déportations, exécutions. 1968 : l'usine de Dives estlongtemps occupée, les salariés voient bon nombre de leursrevendications aboutir. Mais la date fondatrice de cette his-toire, c'est 1953, date à laquelle André Lenormand, résistant,déporté, seul député communiste que la Basse Normandie aitjamais connu, emporte les élections municipales à la tête d'uneéquipe d'ouvriers de l'usine, et bat l'ancienne équipe majori-tairement composée de cadres de l'usine et de notables. Larupture est nette. Après les privations de la guerre, les condi-tions de vie et de travail très difficiles, l'équipe municipale van'avoir pour seul objectif que de répondre du mieux possibleaux besoins essentiels de la population (solidarité, école, santé,culture...). Au fil du temps, s'est développé une véritable osmoseentre l'usine, son mouvement ouvrier très puissant et la ville.On passe petit à petit du paternalisme patronal à la « maisondu peuple ». Dans les années 1970-1980, a contrario des villesbalnéaires voisines (Cabourg, Houlgate, Deauville), Divesconstruit du logement social (plus de 40% aujourd'hui) et nebrade pas son foncier aux Ribourel, Mamet et autres promo-teurs immobiliers.

1986 : la fermeture de l'entreprise provoque un terrible trau-matisme. Cependant, la formidable lutte menée par les sala-riés et la ville de Dives contre la fermeture a permis que legouvernement de gauche de l'époque accorde les moyensd'une réelle reconversion. Une importante zone industrielle

est implantée au sud de la ville. Un port de plaisance est creusélà où se trouvait l'usine de cuivre. La ville a continué d'être,pour beaucoup de Divais, le recours. Elle porte toujours lesvaleurs de solidarité, de justice. La proximité des élus avec lapopulation ouvrière reste forte. L'action pour le logementsocial, l'école, la santé, la maîtrise du foncier, la jeunesse, laculture, perdure. La ville a construit une médiathèque, un cen-tre municipal de soins, des équipements sportifs... Mais dansle même temps, tout change. La population change. La villese tourne davantage vers le tourisme. L'évolution de la poli-tique nationale vis-à-vis des collectivités et de l'intercommu-nalité menace les capacités financières et l'autonomie de lacommune.

Pour nous, cet avenir passe par une lutte résolue contre ledépart des jeunes et pour cela, il nous faut maintenir et déve-lopper l'emploi et la vocation industrielle de la ville. Poursuivreune politique volontariste de logement social, de mixité et deréserves foncières pour favoriser l'accession des jeunes cou-ples salariés, la prise en charge des loisirs et des vacances desjeunes par notre service jeunesse, la promotion du tourismesocial. Défendre bec et ongle les services publics… et poursui-vre une action résolue au service de l'école publique, de la jeu-nesse, de la santé, de la solidarité.Mais au delà de ces actions indispensables pour résister etéviter de transformer la ville en lieu de résidences secondaires,la commune peut devenir un formidable atelier d'une nouvellecitoyenneté active. Notre volonté de garder une proximitéforte avec la population ouvrière, l'action originale que nousmenons pour la création artistique, la vie culturelle et asso-ciative en direction des enfants, des familles, la dynamique desoutien, d’attention, de valorisation des initiatives locales, l'at-tention que nous portons à la mixité sociale, au bien vivreensemble, et surtout à faire vivre la démocratie dans la citéest ce qui fait, dans le contexte local, notre identité et notremarque de fabrique. Faire œuvre d'éducation populaire, c'estdans ce sens que l'on peut, modestement, dans une petite villecôtière de Basse-Normandie, contribuer à la construction d'unenouvelle société en rupture avec le modèle libéral.

Pierre Mouraret est maire (PCF) de Dives-sur-mer (Calvados), vice-président du conseil régional de Basse-Normandie.

UNE VILLE PROGRESSISTE SUR LA CÔTE FLEURIE !

maire de Saint-Ouen, et André Morizet,maire de Boulogne-Billancourt, qui tousdeux refusèrent l’interdiction d’apparte-nance à la franc-maçonnerie imposéepar le Komintern.

L’ENJEU COMPLEXE DE LA PLACE DESÉLUS DANS LE PARTIDans le modèle partisan communiste, lestatut d’élu comportait en effet uneambivalence problématique. Il mettaiten tension la légitimité accordée par leParti et celle conférée par l’élection ouacquise dans l’action municipale. L’idéaldu « maire-militant » s’efforçait de lut-

ter contre l’émergence de notables dotésd’un capital politique personnel et auto-nome, fondé sur la popularité ou sur lessociabilités concurrentes qu’offraient lesactivités protocolaires et administrativeshors du parti. Le contexte de l’entre-deux-guerres, marqué par les revire-ments et le sectarisme de la ligne du PCFet de l’Internationale, exacerbait cetteméfiance et favorisait en retour l’auto-nomisation et le départ de certains élus.En 1934, la rupture de Jacques Doriot,entraînant dans son sillage le conseilmunicipal de Saint-Denis et d’autres éluscomme Albert Richard, maire de

Pierrefitte, fut l’un des points culminantsde ce processus, dans la mesure où il tou-chait un dirigeant de premier plan. Unedernière « crise municipale » majeureaffecta le Parti lors de la signature dupacte germano-soviétique auquel s’op-posèrent ouvertement certains maires,à l’image de Jean-Marie Clamamus(Bobigny), Fernand Dusserre (Orly),Marcel Capron (Alfortville), LéonPiginnier (Malakoff ), Albert Vassart(Maisons-Alfort), etc. Si le statut d’élu nepeut expliquer à lui seul ces processusde rupture, il joua indéniablement unrôle dans le détachement et la prise de

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distance. Alors que près de la moitié desmaires communistes de la Seine (12 sur27) rompirent publiquement avec le Partià l’automne 1939, l’écrasante majoritédes conseillers municipaux n’exprimè-rent aucun désaccord – ce qui ne pré-sume pas de leur position personnelle –et nombre d’entre eux poursuivirent leuraction durant la guerre.

LES ÉVOLUTIONS DE LA LIBÉRATION ÀAUJOURD’HUIAprès la Libération, les tensions n’appa-raissent plus aussi ouvertement mais laméfiance restait de mise. En effet, nom-bre d’élus bénéficièrent alors d’une trèsforte reconnaissance pour leur actionrésistante. Le Parti communiste s’étaitfortement appuyé sur leur aura lors desélections, mais la légitimité résistantes’écartait, elle aussi, des critères tradi-tionnels du parti, plus encore après l’en-trée en Guerre froide et le retour à uneligne « ouvriériste ». Ainsi, les évictionsde Charles Tillon à Aubervilliers ou deRobert Deloche à Joinville-le-Pont,étaient au moins partiellement liées àleur statut d’élu dans la mesure où celui-

ci valorisait leur rôle dans la Résistanceet offrait un support à leur autonomie.De 1920 à la fin des années 1970, lavolonté de relativiser la place des éluslocaux au sein de l’appareil fut l’une desconstantes de la structuration internedu PCF. Dans les années 1950 et 1960, lecontre-modèle d’un parti dirigé par lesélus était encore largement dénoncé, enparticulier pour critiquer la SFIO. Au seindes directions nationales ou fédéralesdu parti, les titulaires de mandats locauxétaient relativement peu nombreux etn’occupaient pas les positions les pluséminentes. Ainsi, rares sont les dirigeantsqui accédèrent au Comité central aprèsavoir occupé des fonctions de maire. Àl’échelle des parcours individuels, l’in-vestissement municipal constituait plusvolontiers une seconde étape de la car-rière militante. En banlieue parisienne,la nouvelle génération de maires quis’imposa à partir de 1965 était ainsi for-mée d’anciens cadres fédéraux ou natio-naux (Dominique Frelaut à Colombes,Parfait Jans à Levallois, Jacques Laloë àIvry, Marcel Rosette à Vitry, Gaston Viensà Orly, etc.).

Au cours des années 1980 et 1990, alorsque l’influence électorale et les effectifsdu Parti communiste s’érodent, l’implan-tation municipale résiste relativementbien. Associé aux transformationssociales qui avaient affecté le corps mili-tant et l’encadrement du Parti depuis lesannées 1970, ce contexte conduisit à unrecentrage des directions fédérales etcentrales sur les élus locaux (maire etadjoints, conseillers généraux et régio-naux). En ce sens, l’élection de RobertHue au poste de secrétaire national en1994 traduit une rupture significative quiporta à la tête du Parti un élu local, mairede Montigny-lès-Cormeilles durant dixans avant son entrée au Comité central,conseiller général et régional. Comme lenote Julian Mischi, les processus à l’œu-vre au cours des trois dernières décen-nies ont contribué de fait à bouleverserle modèle partisan communiste, faisantévoluer le PCF « vers un parti d’élus ». n

*Paul Boulland est historien. Il est co-direc-teur du Maitron, dictionnaire biographiquedu mouvement ouvrier français (1944-1968),CNRS.

PAR EMMANUEL BELLANGERET JULIAN MISCHI*

Deux mots sont associés courammentà l’expérience sociale et politiquedes territoires rouges : le « commu-

nisme municipal ». Ce communismemunicipal a assuré au Parti communisteau cours du XXe siècle une représenta-tion parlementaire et un espace de socia-lisation, de légitimation et de ressource-ment. Il relève d’une conceptionexogène, élaborée hors de l’institutionpolitique, et s’inscrit dans la filiation dusocialisme et du réformisme municipalque les dirigeants du PCF ont toujoursrejetée, du moins officiellement.

DES CONTRADICTIONSDès les années 1920, la question muni-cipale interpelle la direction du PCF qui

perçoit les contradictions formelles entrele discours subversif qu’elle veut incar-ner et la gestion municipale dans un« État bourgeois » qu’elle souhaitedétruire. Le principe du contrôle poli-tique du travail municipal est d’autantplus revendiqué par l’appareil politiquequ’il a été contesté dès les années 1920par une dizaine de maires communistesde la banlieue parisienne qui ont préféréou ont été contraints de quitter ce parti.Cette défiance originelle ne s’estompepas dans les décennies suivantes. Jusquedans les années 1970, pèse sur les éluslocaux du PCF, qui sont de plus en plusnombreux, le soupçon du « crétinismemunicipal » dénoncé en 1945 par ÉtienneFajon, alors membre du bureau politique.Cette expression s’inscrit en oppositionavec les règles de bonne conduite atten-dues d’un élu local : « le soutien des luttes

ouvrières », le maintien de « la liaisonpermanente des élus communistes avecles masses », « la lutte contre le pouvoirde tutelle du gouvernement et de ses pré-fets », le rejet des « vieilles théories réfor-mistes » et la « juste application de lapolitique du Parti ».

UN COMPROMIS UTILEL’implication du personnel politiquecommuniste dans les assemblées déli-bératives locales (municipalités, conseilsgénéraux et régionaux, communautésurbaines, communautés d’aggloméra-tion, etc.), les groupements d’élus et lesassociations affiliées au PCF (ancienscombattants, mouvements de jeunesse,locataires, parents d’élèves, etc.) dévoiledes militants qui, pour réaliser leur pro-gramme politique et faire face à l’inten-sification de la compétition électorale,ont pris place dans le système de déci-sion politico-administratif local français.Souvent en porte-à-faux, avec les posi-tions défendues par leur parti, ces admi-nistrateurs locaux sont aux prises avecdes contraintes de tutelle et de gestionavec lesquelles ils doivent composer.Ainsi, des années 1920 à nos jours, les

RETOUR SUR LE « COMMUNISME MUNICIPAL »Le Parti communiste s’est longtemps distingué par son ancrage muni-cipal qui lui a procuré une légitimité sur la scène politique et unrayonnement auprès des populations et tout particulièrement desclasses populaires. Mais cette participation des élus communistes aujeu institutionnel a aussi suscité de la défiance et des dissidences.

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LE DOSSIERSUITE DE

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Depuis plus de cinquante ans, notre pays raconte fièrementsa belle aventure culturelle, ces multiples histoires qui fontvivre l’exception culturelle au quotidien. Il y a dans ces expé-riences une richesse inouïe. La nation est faite ce cette sève,notre peuple cultive un souci de culture et d'arts. L'inventivitédes artistes dans tous les domaines, dont le régime d’assu-rance chômage garantit des droits sociaux bien légitimes pour-tant remis en cause régulièrement est le terreau de cette vita-lité… et ces centaines de milliers de professionnels qui agissenten continu, au plus près des citoyens pour que les arts et laculture irriguent les territoires. La décentralisation a favo-risé la construction d’un outil culturel dense, diversifié, réel-lement efficace, avec un apport associatif déterminant. Pourautant sommes-nous au firmament de l'avènement des poli-tiques publiques des arts et de la culture ? La crise frappe etle constat est terrible partout, tant du côté des populations etdes artistes que des structures, le manque est grand… et lesenjeux d'hier semblent bien petits au regard de tous ceux quiagitent notre monde contemporain. Quels chemins, quelles pistes emprunter ? Plutôt que la dérivelibérale sans lendemain, nous appelons à une vraie révolutionde la pensée pour faire de la culture le moteur d’un nouveauprojet politique. « L’archipel sensible » sorti cet été pendantle festival d’Avignon propose de nous interroger sur le champsouvent rétréci de ce qu’est la culture. Les tenants d’une visionlibérale de la société, eux, sont à pied d’œuvre, leurs réponsesconjuguent toujours culture, arts et produits financiers, maisle pire n’est pas encore à l’œuvre, en tout cas en ce qui concerneles collectivités et l’État : la puissance publique ferait de la cul-

ture non pas un moteur d’humanité mais un vecteur écono-mique, un marché de biens et de produits. La frénésie de laconcurrence entre capitale européenne et la compétitivitéérigée en dogme asséchera tous les financements ! Que fairealors devant une si sinistre prophétie ? Résister, inventer, res-ponsabiliser, anticiper comme le suggère Mireille Delmas-Marty.Car au nom de quoi faudrait-il abandonner nos antiennesémancipatrices !Appelons du nouveau dans nos politiques publiques, sortonsdes schémas anciens et mettons en démocratie ! Donnons dusouffle, interrogeons la politique, débattons des enjeux ! Nevoyons plus les populations comme des cohortes à éduquerou des consommateurs potentiels, favorisons une vision pro-gressiste qui reconnaisse les droits culturels pour chaquecitoyen. Les politiques passées les ont chiffrés, catégorisés,soumis aux critères de la démocratisation culturelle, faisonsensemble des politiques avec les gens. Un pari démocratiqueenthousiasmant qui modifie le centre de gravité des politiquespubliques. Soyons conquérants pour tous, la culture est unbien commun qu’il nous faut partager dans une vision trans-versale et non pas comme un élément additionnel de l’actionpublique… saisissons nous des questions ensemble et réacti-vons notre espace public en donnant du sens à notre action !un enjeu qui doit nous mobiliser partout et singulièrement ausein de nos communes, espace culturel symbolique et phy-sique de construction de notre projet politique. n

Florian Salazar-Martin est adjoint (PCF) au maire de Martigues(Bouches-du-Rhône), chargé de la culture.

ENJEUX CITOYENS DES POLITIQUES CULTURELLESDE LA COMMUNE JUSQU’À L'ÉTAT

mandataires du Parti communiste ontassuré l’exercice du pouvoir local et laprise en charge des besoins de leursadministrés au prix de compromis qui,en retour, ont donné une assise et unevitrine à l’engagement communiste dontles dirigeants du PCF ne pouvaient sepasser, surtout lorsque leur base mili-tante s’est effritée avant de se décompo-ser à partir des années 1980-1990.Du côté de l’État, dans des périodes decrispations sociales (la résorption deslotissements défectueux de l’entre-deux-guerres, la Reconstruction, la suppres-sion des bidonvilles dans les années1960-1970, la « crise » du logement et desbanlieues tout au long du XXe siècle oula montée de la précarité dans les années1930 et les années 1980), les pouvoirspublics ont fini, eux aussi, par s’accom-moder de cette représentation munici-pale communiste, qui assurait un rôlede régulation en s’efforçant de contenirle désordre social de ces territoires popu-laires. Les élus communistes ont ainsiparticipé, de l’entre-deux-guerres auxannées 2000, aux dispositifs de résorp-

tion de l’habitat insalubre et de rénova-tion urbaine, de diffusion de l’hygiènesociale et de la santé publique, deconstructions de logements sociaux etde mise en place des dispositifs étatiquesd’aides aux quartiers dits sensibles.

LA SINGULARITÉ DE LA GESTIONCOMMUNISTELes mairies communistes ont assumédes politiques qui ont profondémentrestructuré la morphologie de leur cité.L’ampleur des dépenses sociales a sin-gularisé la gestion de ces villes populairesaux prises avec le chômage des années1930 et la désindustrialisation amorcéedès les années 1960. D’autres spécifici-tés sont à souligner : le modèle social dela colonie de vacances et des structuresd’encadrement de la jeunesse et d’édu-cation populaire, la politique de santéarticulée autour de ses dispensaires, lapolitique foncière qui tend à municipa-liser une part considérable du territoirecommunal et la construction de loge-ments sociaux, réalisés par des officespublics ou des sociétés d’économie mixte

en nombre bien supérieur à ceux descommunes à l’entre-soi bourgeois.Les mairies communistes se rangentaussi parmi les plus grands employeurslocaux en raison de leurs services publicsplus étendus mais aussi de l’intégrationdes militants. Si les passerelles entre par-tis politiques et services municipaux neconstituent en aucun cas l’apanage desvilles rouges, leurs services techniques(atelier et garage) ont été sans contestele foyer d’un activisme politique.Autre spécificité importante à mention-ner : les mairies communistes ont été lelieu d’une promotion d’élus issus desclasses populaires. Alors même que lefonctionnement de la vie politique tendà exclure les ouvriers de la gestion desaffaires publiques, les communistes ontencouragé et valorisé l’établissement de« municipalités ouvrières » au nom de lalutte contre l’exploitation capitaliste quise joue aussi sur le terrain communal. n

*Emmanuel Bellanger est historien. Il estchargé de recherche au CNRS. Julian Mischi est sociologue. Il est chargé derecherche à l’INRA.

COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

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PAR DANIEL FONTAINE*

Le pays d'Aubagne et de l'Étoile, c'est105 000 habitants, 12 communes àproximité de Marseille, une ville cen-

tre : Aubagne, 45 000 habitants. La gra-tuité des transports a été mise en placele 15 mai 2009, à l'échelle du territoirede l'agglomération. Ce choix a été effec-tué, d'abord parce qu'il constitue unsigne fort en matière de politique dedéplacement. Nous avons mis en placeun réseau performant qui porte aussi surles modes doux, le prêt de vélos gratuitsur le territoire, le projet de deux réseauxde transport en site propre pour les pro-chaines années, dont le tramwayd'Aubagne qui sera gratuit.

LE FINANCEMENTIl s'agit d'une gratuité totale pour les uti-lisateurs du réseau, elle n'est pas réser-vée aux habitants du territoire. Donc iln'y a pas de carte, ni pour les jeunes, nipour les anciens, ni pour les pauvres. Lagratuité est financée intégralement parle versement transport des entreprises,sans aucune augmentation des impôtslocaux. Dans les territoires de plus de10 000 habitants, les collectivités perçoi-vent une contribution des entreprises deplus de 9 salariés, celle-ci est assise surun pourcentage de la masse salariale :0,6 % pour les collectivités de moins de100 000 habitants, 1,05 % jusqu'à400 000, 1,8 % au-delà. Et quand le réseaucompte des transports en site propre,comme le tramway ou le métro, le tauxde 1,8% s'applique, quel que soit leniveau de population. Ce qui est le caspour notre agglomération. Soit pour l'ag-glomération du pays d'Aubagne : 8,6 mil-lions d'euros. Notons que des salariésbien transportés, qui arrivent à l'heure,des zones d'activité bien desservies avecmoins de véhicules, c'est bénéfique pourtout le monde.

LA VALEUR D'USAGE SE SUBSTITUE À LAVALEUR MARCHANDEEnfin, il y a un bénéfice très concret dontl'évaluation monétaire de l'environne-ment naturel et social. Moins de trajetsen voiture, c'est une usure moins rapidedes chaussées, moins de places de sta-tionnement à construire, moins de CO2expulsé dans l'atmosphère. Plus de

déplacements, c'est davantage de gensqui vont au cinéma, dans les commerces.Avec la gratuité, il n'y a pas de centre-ville réservé à quelques-uns, il n'y a pasde communes inaccessibles, on désen-clave les cités populaires, chacun va oùil veut, il est libre. C'est la valeur d'usagequi se substitue à la valeur marchande.

Nous partons du principe suivant : lesrues sont d'accès gratuit, l'école l'estaussi, nous trouvons cela normal et béné-fique. Pourquoi pas les transports ? Nousnous situons dans une démarche denovation du service public, nous nesommes pas en régie, nous avons undélégataire, « Transdev », multinationalenée de la fusion avec Veolia, et nousl'obligeons à faire de la gratuité. Nousintroduisons de la maîtrise publiquedans une délégation de service public.C'est une rupture avec les politiquesd'inspiration libérale qui font de la mar-chandisation un horizon indépassable.

DES RÉSULTATS TRÈS POSITIFSEn un an seulement, on atteint les 100 %de progression de fréquentation, et celle-ci n'a cessé de se poursuivre, 174 % devoyageurs supplémentaires aujourd'hui.Avec l'augmentation de la fréquentation,le coût de l'investissement public abaissé ; hier, un déplacement coûtait3,93 € ; aujourd'hui, avec la hausse defréquentation, le déplacement revient à2,04 €. Avec le même investissement, ontransporte deux fois plus de passagers.C'est ce que nous appelons de nouveauxcritères de gestion de l'argent public. Uneétude permet d'adosser et de visualiserstatistiquement les modifications que lagratuité a introduites dans la vie quoti-dienne, il serait trop long de le commen-ter ici. Je ne citerai qu'un chiffre ; l'en-quête démontre un report modal de35 %, soit chaque jour plus de 5 000voyages en voiture ou moto évités.Contrairement aux idées reçues, la gra-

tuité ne génère pas des dégradations : àAubagne le matériel est respecté et ajou-tons que davantage de monde dans lesbus, c'est aussi plus de sécurité. La gra-tuité des transports, c'est aussi une redis-tribution du pouvoir d'achat pour lesfamilles, soit près de 600 à 700 euros paran pour une famille de 4 personnes quiprennent deux fois par jour les transports(sur la base des tarifs aubagnais avant lagratuité). C'est également l'économie dela deuxième voiture pour de nombreuxfoyers, soit 5 200 euros d'économie. Lagratuité abolit la loi du marché, elle per-met de ne plus faire la distinction entreles riches et les pauvres en attribuant lemême avantage ; la gratuité évite decontrôler et de mettre en évidence la hié-rarchie des positions sociales. En cela,elle n'est pas une gratuité d'accompa-gnement pour les plus pauvres, elle estla gratuité de l'émancipation. En France, il y a une vingtaine de terri-toires qui ont adopté la gratuité des trans-ports, d'autres s'interrogent. La capitalede l'Estonie est en gratuité des transportsdepuis le début de l'année. Nous parti-cipons pour l'agglomération à des réu-nions qui regroupent des villes euro-péennes qui s'inscrivent ou quirefléchissent à s'inscrire dans cettedémarche.

Nous ne disons pas que l'expérienceaubagnaise est applicable dans lesmêmes conditions partout, c'est uneavancée locale sur un champ limité, onpeut néanmoins la lire comme un petitpas dans le mouvement que nous appe-lons « émancipation ». n

*Daniel Fontaine est maire (PCF) d'Aubagne,vice-président du conseil général desBouches-du-Rhône.

TRANSPORTS EN COMMUN : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, GRATUITÉL’expérience sociale de transport gratuit à Aubagne, une expérience positive à plus d’un titre.

La gratuité est financéeintégralement par le versement

transport des entreprises, sans aucune augmentation

des impôts locaux.“

Réagissez à ce dossiercontactez-nous !

[email protected]

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LE DOSSIER

ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL PLA*

Revue du Projet : Qu'est-ce que le Sol-Violetteet comment est-il né ?Jean-Paul Pla : Le Sol-Violette est unemonnaie complémentaire et citoyenne,l'un des dispositifs de l'économie socialeet solidaire. L'objectif est de permettreà ses utilisateurs de se réapproprier leséchanges économiques en remettant lamonnaie à sa place : celle d'un moyen etnon d'une fin. L'idée a germé versnovembre 2009 lorsque nous avons orga-nisé à Toulouse un débat sur la possibi-lité de créer une telle monnaie. Près de120 personnes ont alors pris part à celui-ci, signifiant un fort intérêt pour une ini-tiative de ce type. Des collèges decitoyens ont alors été mis en place pourréfléchir à sa mise en œuvre concrète,auxquels ont pris part plus de 150 per-sonnes. Le Sol-Violette a ainsi été lancéle 6 novembre 2011 et a été, depuis, pro-gressivement élargi à un nombre de ter-ritoires et de participants croissant. Ceux-ci peuvent être des citoyens, les« solistes », ou des organisations, les« acteurs sol », et de toutes les couchessociales : cela va des associations de chô-meurs aux entreprises. Récemment, unlycée est ainsi entré dans le réseau et tousles échanges internes s'y règlent désor-mais en Sol-Violette. Aujourd'hui, 1 300personnes et 140 entreprises utilisent leSol-Violette.

R.D.P. : La finalité d'un tel réseau est-elled'abord pédagogique ou en attendez-vous destransformations plus profondes ?J.-P.P. : L'expérience a une portée péda-gogique mais ne se réduit pas à cela : elleporte une véritable remise en cause dufonctionnement de la monnaie tradi-tionnelle. Il s'agit d'une monnaie fon-dante, c'est-à-dire qu'elle perd sa valeurau bout de trois mois. Elle n'est donc pascapitalisable, ce qui rend toute spécula-tion caduque. Les premiers bilans ontmontré qu'elle circulait à un rythme plusde deux fois supérieur à l'euro, ce quifavorise les échanges et les liens entreses utilisateurs, promouvant de ce faitune autre conception de la richesse, pluséthique que celle portée par les mon-naies classiques.

R.D.P. : Pourquoi avez-vous retenu dans votrecommunication l'appellation de monnaieéthique ?J.-P.P. :Ethique parce que notre monnaiesymbolise un choix, celui de fonction-

ner dans des lieux qui respectent les per-sonnes, l'environnement, les salariés,etc. On a fait une charte, qui n'est pasune charte fermée, en vingt-et-un pointspour les entreprises, qui peuvent ainsiavoir un label provisoire. Elle s'inscritainsi dans une démarche visant à pro-gresser vers un plus grand respect dessalariés et de l’environnement social etnaturel. Il ne s'agit donc pas d'unedémarche fermée telle qu'une labellisa-tion a posteriori. Pour nous, le change-ment de société doit se réaliser aussi dansla proximité et l'accompagnement desstructures qui veulent se transformer.Cette monnaie est aussi citoyenne parcequ'elle est gérée dès l'origine par unecommission de pilotage où l'on retrou-vait une majorité de citoyens, mais aussides entreprises, deux banques qui tra-vaillent avec nous et la ville qui n'estqu'une voix parmi d'autres. Et, depuis ledébut 2013, elle est encore pluscitoyenne, car nous avons mis en placedes comités de pilotage par quartier, oùce sont les citoyens qui décident concrè-tement comment la monnaie circule.

R.D.P. : Et de ce fait, vous constatez des diffé-rences de fonctionnement selon les quartiers ?J.-P.P. : Oui, par exemple, dans le quar-tier du Mirail, le comité a tenu une réu-nion avec les associations locales qui adébouché sur l'organisation d'un villagesolidaire permettant de faire découvrirle fonctionnement à l'ensemble de lapopulation. Ce sont eux qui décident etprennent les initiatives. Ils sont aussi entrain de voir si le Sol-Violette peut pas-ser un autre cap et dépasser la simplefonction de consommation pour pro-mouvoir plus activement des activitésutiles collectivement : des actionscitoyennes dont les instigateurs n'ontrien demandé à personne mais qui aug-mentent le bien-être sur le territoire. Parexemple, certains habitants ont décidéde faire un jardin au pied des immeu-bles en le finançant de leur poche. Lesfleurs qu'ils ont plantées améliorent lequotidien de tous et ce comité de pilo-tage a décidé de leur attribuer cent sols,pour acheter des graines ou autre, mêmes'ils n'ont rien demandé, reconnaissantainsi la valeur sociale de leur activité.

R.D.P. : Avez-vous rencontré des difficultés oudes oppositions dans la mise en place de ceréseau, et si oui de quelle nature ?J.-P.P. : Il y a eu au départ de nombreux

sceptiques, notamment parce que l'onapprend encore trop souvent à l'écolequ'il est pratiquement impossible d'agirautrement. Beaucoup ont souri, pensantque le projet n'aboutirait pas. Nousn'avons pas eu la majorité lorsque nousavons soumis le projet pour la premièrefois au conseil municipal, maisaujourd'hui on a prouvé que le projetétait largement viable. Après, d'autresconsidéraient que ce type d'initiativeposait problème dans le cadre de l'euro,mais nous sommes dans un cadre légal :la loi permet que les citoyens qui s'orga-nisent puissent faire circuler une mon-naie alternative comme celle-là.

R.D.P. : En quoi une telle expérience peut-elles'inscrire finalement dans un projet commu-niste renouvelé ?J.-P.P. : L'avant-dernier congrès de notreparti avait affirmé qu'il était importantde remettre la main sur l'économie et lamonnaie et d’en être les acteurs, plutôtque de laisser quelques institutionscomme la Banque centrale ou le FMIdécider de l'organisation de la produc-tion et des échanges. Aujourd'hui, le SolViolette participe de cette réappropria-tion et provoque des débats autour deces thématiques fondamentales. Par ail-leurs, plus de 30 territoires, et non desmoindres, comme le Pays Basque, Niort,le conseil général d'Ille-et-Villaine, ontdéveloppé leur propre monnaie et s'ins-crivent dans cette démarche de réappro-priation de l'organisation locale. Noussommes dans un projet profondémentpolitique puisqu'il permet aux habitantsd'un territoire d'avoir la vision de sondéveloppement et met à leur dispositionun outil qui permet de ne pas voir uni-quement la monnaie comme un instru-ment d'enrichissement pour quelques-uns, mais comme un outil dedéveloppement. Je crois que je suis dansmon rôle, en tant qu’élu communiste,lorsque je porte ce projet, qui a permisla création de 140 entreprises de l'éco-nomie sociale et solidaire, notammentdes coopératives dont les salariés sontaussi des acteurs. C'est un projet globalde changement de société où l'humaina sa place et participe à ce change-ment. n

*Jean-Paul Pla est conseiller municipal (PCF)de Toulouse (Haute-Garonne), initiateur duSol-Violette.

LA MONNAIE LOCALE, LEVIER DE TRANSFORMATION SOCIALE

COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

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SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET

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Le dossier sur les retraites apporte desrepères d'analyse très pertinent. Il montreque les enjeux fondamentaux sont d'une partla lutte pour accroître la part des richessescréées revenant à ceux qui les créent et d'au-tre part la place de l'emploi dans l'intégra-tion sociale et dans l'acquisition des droits.Sur ces deux aspects, je pense que le dos-sier sous estime certaines réalités.Concernant la richesse créée, le dossier nes'intéresse qu'à la valeur ajoutée (PIB). Surcette notion, on sait aujourd'hui que la crois-sance de PIB n'est pas la garantie du déve-loppement social. Ensuite la productivité ajuste été évoquée par Lucien Sève. Dans les dernières décennies nous avonsassisté à un accroissement de la producti-vité. Cette productivité relève de deux dimen-sions. La première, la productivité directe,c'est à dire le temps socialement nécessaireà la fabrication d'un objet ou à la réalisationd'un service. Cet accroissement de produc-tivité a été largement accaparé par les capi-talistes. La deuxième, la productivité concernel'accroissement de la valeur d'usage desobjets et services. Cette deuxième produc-

tivité les capitalistes cherchent générale-ment à la détruire afin de pousser à laconsommation. Nous pouvons exiger que letemps de travail contraint diminue du fait del'accroissement de ces deux productivitéspar la réduction du temps de travail et par lemaintien de la retraite à 60 ans.Aujourd'hui l'emploi est la principale voiepour acquérir les droits à la retraite voir à lasanté. Cela donne l'illusion que les actifs tra-vaillent pour les non-actifs et permet au patro-nat d'opposer les actifs aux retraités, lesgens en bonne santé aux malades.Nous devons dépasser cette question par lamise en place d'autres processus d'acquisi-tion des droits. Sinon la proposition des réfor-mistes de mettre en place une retraite uni-quement par points risque de paraître lasolution la plus juste socialement. En effetcette proposition affirme que les droits décou-lent uniquement du travail contraint. Lesautres formes de travail (bénévolats, activi-tés citoyennes..) ne donnant lieu à aucuneforme de reconnaissance sociale.

GRÉGOIRE MUNCK

Retraites et accroissement de la productivité

FORUM DES LECTEURS

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - Secrétariat derédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Caroline Bardot, Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, Amar Bellal, MarineRoussillon, Côme Simien, Renaud Boissac, Étienne Chosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, Michaël Orand, Pierre Crépel,Florian Gulli, Franck Delorieux, Francis Combes - Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère - Mise en page : Sébastien Thomassey - Édité parl’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) - Imprimerie Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637Vénissieux Cedex) - Dépôt légal : septembre 2013 - N°29 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

Ce qui détermine le « jugement » des citoyens est incontestablement le fait que letrou financier doit être comblé. Nous n'avons pas d'autre choix que de combattresur ce terrain. Les grandes idées ne semblent pas trop porteuses ni même crédibles.Le poids de la crise est l'alibi du « moment ». On ne peut faire l'impasse sur le démon-tage de cet argutie. Les luttes ont besoin de résultats positifs et si l'on veut changerla réalité il faut d'abord la connaître ... Peut on financer ou pas la retraite à taux pleinà 60 ans ? La réponse est oui mais non pour le Capital. La lutte des classes n'a jamaiscessé mais ce sont les patrons qui la pratiquent de manière intensive. Le combatidéologique est essentiel.

LAURENT MICHEL

Le financement de la retraite : un combat idéologique essentiel

Pourquoi l’agricultureest-elle un enjeu de

civilisation ? Xavier Compain et Éric Coquard*

Un texte juste et complet qui meréconcilierait presque avec le PCF.C'est en tout cas le texte le plus per-tinent que j'aie pu lire. Même bref,il fait un tour complet de la question.Le PCF devrait davantage le popula-riser.Il pourrait aller plus loin et explorerles pistes entre vie paysanne, pro-duction à échelle humaine et pro-tection de la nature (eaux et forêts).

R. S. SUR MEDIAPART

Les Rencontres nationales de l’ANECR qui auront lieu à Gennevilliers, les18, 19 et 20 octobre prochains. Elles seront un moment importantd’échanges en préparation directe des échéances de 2014, municipaleset européennes, et se veulent utiles à l’approfondissement des contenuset à l’engagement de nos candidats.Le secteur Communication en lien avec le secteur Élections prépare desfiches pratiques pour tous les militants et candidats afin de les aider àmener la bataille des municipales.

AU CŒUR DES ENJEUX DES MUNICIPALES

À quelques mois des électionsmunicipales, le n°2 deProgressistes, la nouvelle revuedu PCF, vous proposera undossier sur l’environnementautour des questions dutransport, de l’énergie, dutraitement des déchets, del’eau… Chercheurs, élus,professionnels, militants,syndicalistes nous livreront leursexpériences et leurs propositionsd’avenir... À ne pas manquer.

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LA REVUE DU PROJET - SEPTEMBRE 2013

LE GRAND ENTRETIEN

TRAVAIL DE SECTEURS

La loi Fioraso a été adoptée en dépit du votecontre des parlementaires communistes et duFront de gauche. En quoi la jugez-vous insatis-faisante ?Une loi était attendue par la commu-nauté scientifique et universitaire aprèsdix ans de politiques libérales qui l'ontplongée dans des difficultés très impor-tantes et pas seulement sur le planfinancier. Mais la loi présentée par legouvernement socialiste ne répond niaux urgences budgétaires des universi-tés, notamment celles placées soustutelle des recteurs, ni aux attentesdémocratiques du monde scientifique etuniversitaire en matière de collégialité,d'espace d'indépendance…La loi défendue par Geneviève Fiorason'est pas en rupture avec les textes anté-rieurs. À certains égards, elle les pour-suit. Les parlementaires communistesau Sénat comme à l'Assemblée natio-nale se sont engagés dans le débat légis-latif avec la volonté de faire entendre lavoix des universitaires, des chercheurs,des syndicats du secteur, avec des amen-dements précis. Au bout du processus,aucune inflexion n'a été consentiecomme l'a déploré Marie-George Buffet.Je dirais même que des amendementsd'autres groupes – acceptés quant àeux – sont venus aggraver le texte.Les missions de l'université sont de plusen plus soumises au principe de compé-titivité et la production de connaissance

contrainte par les exigences du capita-lisme financier. Cette loi ne le remet pasen cause. Elle ne contient pas non plusd'efforts suffisants pour la démocratisa-tion de l'enseignement supérieur dansune perspective de lutte contre la repro-duction des inégalités sociales.Quant à la démocratie au sein de l'uni-versité, après la loi LRU qui avait ététrès critiquée notamment sur ce point,la loi Fioraso revient sur le mode descrutin pour l'élection des conseils sanspour autant rétablir la proportionnelleintégrale. Elle instaure la parité ce qui,en soi, est une bonne chose à conditionde prendre en compte la question lesinégalités professionnelles pour larésoudre. Selon les disciplines, lesfemmes ne représentent qu’entre 15 et20 % des professeurs d’université. Àpeine autant que dans l'armée !

La possibilité d'enseigner dans une langueétrangère – dans les faits en anglais – conte-nue dans la loi a fait couler beaucoup d'encre.Quelle est votre position sur le sujet ?Si certains ont focalisé le débat surcette question dans le but d'en faire unécran de fumée, je dois dire que la levéede boucliers est tout à fait fondée. Sousprétexte « d'attractivité » internatio-nale, la loi autorise les cours en languesétrangères par des enseignants qui nesont pas des professeurs invités locu-teurs de ces langues mais des ensei-

gnants français. Quelle que soit lanécessité de coopération internationale,il faut absolument permettre à toutesles langues de penser la science, deposer des cadres conceptuels, de pro-duire des savoirs en leur sein. Unelangue qui ne se confronterait plus à lascience s'appauvrirait considérable-ment.Cette disposition de la loi encourage lamainmise déjà existante de l'anglais surles publications scientifiques. Elle pour-rait aussi devenir un cheval de Troie desorganismes de formation privés nord-américains qui, à l'heure de l'ouverturedes négociations sur le marché transat-lantique, regardent avec gourmandisece qu'ils considèrent comme le « mar-ché » de la formation.

Et les étudiants dans tout ça ? La ministre del'Enseignement supérieur et de la rechercheannonce que sa loi comporte des dispositionsde nature à améliorer leur réussite. Qu'endites-vous ?Les étudiants sont dans une situationtrès tendue. L'UEC a déjà indiqué cequ'on pouvait craindre pour cette ren-trée – dans un contexte d'approfondisse-ment de la crise – en termes d'appauvris-sement, de difficultés d'accès aux soinsmais aussi à la vie culturelle pour les étu-diants condamnés à trouver un emploialimentaire. De ce point de vue, rien nevient en matière de moyens pour per-

Conseillère régionale en PACA, enseignante à Aix-en-Provence, Anne Mesliand esten charge de l'enseignement supérieur et de la recherche au PCF après avoir étéune dirigeante syndicale nationale dans ce secteur. Elle réagit à l'actualité dumonde universitaire et scientifique et expose la place que les communistes don-nent à la connaissance dans leur projet de transformation de la société.

La connaissance n'est pasun objet consommable

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

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Le PCF et l'UEC travaillent ensemble surles questions étudiantes dans le respectde l'indépendance de nos organisationset avec le souci de remplir chacun nosmissions particulières. C'est dans cetesprit qu'avec Hugo Pompougnac,secrétaire national de l'UEC, nous avonsco-animé un atelier à l'université d'étédes Karrellis.

Résorber l'échec à l'université peut-il se résu-mer à une question de moyens ?D'abord, au-delà des lieux communs surl'échec à l'université, il faut rappelerqu'il en sort des personnes de grandtalent, des docteurs, des chercheurs,des médecins… Ensuite, l'échec existe, ilest toujours trop important, on ne sau-rait le nier. Sans doute faut-il réfléchir àla question de la qualification dans laformation générale. Les savoirs fonda-

mentaux et technologiques sont beau-coup trop disjoints. Il faut permettre auxétudiants lorsqu'ils s'engagent dans unefilière, d'avoir une vision claire de là oùelle va les mener en termes de métier.Je ne parle pas de professionnalisationtant ce terme a été dévoyé par les libé-raux. Il faut précisément des diplômesnationaux qualifiants face à l'offensivedu Medef à l'extérieur, mais aussi à l’in-térieur de l'université, qui tente detransformer la notion de qualificationen notion de compétence. Cela conduità une fragmentation des formations, àleur dévalorisation et donc à une déqua-lification des travailleurs. Il faut aucontraire sécuriser les parcours avec unbagage initial garanti en matière desavoirs et de capacités à évoluer dansles savoirs et la connaissance. C'est unrôle essentiel pour l'université.

mettre à tous d'être pleinement étu-diants. La perpétuation des injustices,l'échec à cause de la galère sont inac-ceptables. L'insuffisance des moyens desuniversités elles-mêmes porte une partde responsabilité dans l'échec des étu-

diants qui pâtissent de cours aux effec-tifs surchargés. Le SNESUP chiffre à plusde 5 000 le nombre de postes man-quants, c'est dire le chemin à parcourir.

Les missions de l'université sont de plusen plus soumises au principe

de compétitivité et la production de connaissance contrainte

par les exigences du capitalismefinancier.

“”

ÉTUDIANTS INSCRITS DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN 2010-2011

Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

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défis de notre temps. Un défi pourrépondre aux questions qui se posent àl'humanité aux plans environnemental,énergétique, sanitaire, alimentaire,

démographique… Mais aussi un défidémocratique pour ouvrir une voie versla démocratie réelle. Celle-ci impliqueque les citoyens aient accès à l'ensem-ble des moyens culturels et intellectuelspour délibérer et évaluer la portéed'une décision. Nous voulons rompreavec la logique actuelle qui est celle des« experts ». Non pas qu'il n'y ait pas

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TRAVAIL DE SECTEURS

Quel est votre état d'esprit à l'approche de larentrée universitaire après l'adoption de cetteloi ?Les problèmes budgétaires quoi qu'endise la ministre sont largement devantnous. Les questions d'emploi vont deve-nir absolument incontournables. Dansles organismes de recherches publics,plus d'un tiers des effectifs est précaire.La loi va donner lieu à toute une sériede décrets et il y aura des batailles àmener. Les communistes sont prêts àles mener à travers leur engagementsyndical et en tant que tels.À l'université comme ailleurs, il nousfaut démontrer ce qui fait obstacle àune véritable politique de gauche et dechangement. Il nous faut révéler lesliens entre les traités européens et lespolitiques d'austérité à l'œuvre. Il nousfaut dénoncer la recherche effrénée duprofit qui soumet la science et conduit àtourner le dos à la recherche fondamen-tale dont on sait qu'elle est désintéres-

sée. Il nous faut faire le lien entre la dés-industrialisation du pays et les difficul-tés de la recherche, publique et privée. Ilnous faut initier des convergences enmontrant par exemple la logique quiunit la volonté de fusion autoritaire desuniversités dans de grands ensembleset celle de mettre en concurrence lesterritoires. Les batailles de résistancesont importantes et les communistes yprennent toute leur place mais nousavons la responsabilité, par ce travailpolitique, idéologique, d'ouvrir des pers-pectives de changement et deconquête.

L'accélération des avancées scientifiques etleurs implications dans la vie quotidienneposent avec de plus en plus de force la ques-tion des rapports entre science et société.Quelle est votre approche ?Le développement des connaissances etsurtout leur appropriation collective estincontestablement un des plus grands

BRÈVES DE SECTEUR

L’OPPRESSION DE CLASSE EST SEXUÉE Un vent nouveau souffle sur le secteur « Droits des femmeset Féminisme » depuis le 36e congrès.

Notre contribution « Le féminisme ne tue pas » en amont dela rédaction de la motion finale a permis de redonner du sensà notre engagement féministe et communiste.

Partager que le féminisme conjugué à la lutte des classes estun combat universel qui ouvrira ou pas une transformationradicale de la société, suivant la force que nous saurons luidonner, est un enjeu majeur !

Il n’est pas inutile de souligner, une nouvelle fois, que la ques-tion n’est pas de stigmatiser les hommes, de les désignercomme les oppresseurs, les bourreaux, mais de dénoncer unsystème qui asservit chacune et chacun.

Les hommes sont eux-mêmes des victimes avec une assigna-tion à des rôles et une place dans la société. Ils sont enfer-més dans des stéréotypes de réussite sociale et familiale. Toutécart à cette norme est de fait très mal vécu.

Pour les féministes que nous sommes, il ne s’agit pas de rem-placer un système de domination par un autre, ni de pren-dre le pouvoir mais de le partager dans le respect et la dignitéde chacune et de chacun.

Nous devons donc, Hommes ET Femmes, nous mobiliser,ensemble, pour changer de regard, pour ne plus reproduireune socialisation différenciée qui cloisonne dès le plus jeuneâge, qui enferme nos identités. Communistes, nous devonsfaire éclater ces cadres pour le mieux vivre ensemble.

Lutter pour une société d’émancipation humaine, c’est reje-

ter toute domination, c’est refuser toute soumission, c’estabolir toute exploitation. C’est ce chemin-là qu’il nous fautprendre ensemble pour faire grandir notre rassemblement,pour faire du Front de gauche un véritable « Front populaire ».

C’est ce que nous avons porté avec notre Marche des femmescontre l’austérité et c’est ce que nous allons poursuivre etamplifier à la Fête de l’Humanité.

LAURENCE COHENDROITS DES FEMMES ET FÉMINISME

SE MOBILISER POUR OBTENIR DESCHANGEMENTS Beaucoup d’activités du Front de gauche média depuis ledébut de l’année, du point de vue législatif, prises de posi-tions, assemblées citoyennes.

Après le dépôt par les députés Front de gauche de la propo-sition de loi « visant au redressement de la presse et de sa dis-tribution au service du pluralisme », trois assemblées pourla populariser, Marseille, Paris au Monde, Vénissieux, à chaquefois plus d’une centaine de personnes, travailleurs du Livreet citoyens. Il s’agit maintenant, avec les syndicats et le réseaucourriel des « Amis du Front de gauche média », d’obtenirson inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Autre combat, avec les parlementaires Front de gauche, laréforme du CSA, un des engagements d’Hollande. Cetteréforme ne répond pas aux exigences, car si l’on peut se réjouirde la fin de nomination des PDG de l’audiovisuel public par

l’insuffisance des moyens des universités porte une part deresponsabilité dans l’échec desétudiants qui pâtissent de cours

aux effectifs surchargés“ ”

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le Président de la République, syndicats et téléspectateursen sont absents et le CSA ne devrait pas faire mieux respec-ter le pluralisme qu’il ne l’a fait. Nous espérons une loi d’en-semble sur l’audiovisuel en 2014, ce qui nous permettrait dedéfendre nos propositions de Conseil supérieur des média,d’élection des PDG de l’audiovisuel public par les conseilsd’administration, de création du Pôle public audiovisuel.

Un engagement de Hollande est en passe d’être tenu, l’amé-lioration de la loi protégeant les sources des journalistes. Onpeut s’en féliciter, mais celle-ci laisse encore la possibilité deperquisition à un juge s’il y a « prévention d’un délit consti-tuant une atteinte grave à la personne », formulation troplarge à notre sens.

Le Front de gauche média a apporté son soutien à Acrimedet à Médiapart ; Bercy a refusé à l’Association la défiscalisa-tion des dons au prétexte qu’elle « ne contribue pas à la pro-duction et à la diffusion d’œuvres de l’esprit » (!), quant àMédiapart la Cour d’appel de Versailles a ordonné de sup-primer de son site toute citation des enregistrements concer-nant l’affaire Bettencourt, un véritable acte de censure met-tant en danger la pérennité de ce média.

Soutien également à la lutte des salariés de l’ERT (la télévi-sion grecque) et aux dirigeants du SNJ et du SNJ-CGT (quiavaient regretté les conditions de divulgation du « mur descons ») dont le site euro-reconquista avait diffusé les nomset téléphones entraînant sur le net de véritables appels aumeurtre !

Comme aux Estivales du Front de gauche, le front théma-tique Média anime des débats à la Fête de L’Humanité.

JEAN-FRANÇOIS TÉALDIMÉDIA

UNE INITIATIVE À L'AUTOMNE Le secteur multiplie les initiatives. Tour d'horizon des ren-dez-vous passés et à venir :

Université d’été : atelier sur le thème « Quelles actions pourl’économie sociale et solidaire dans les territoires » avec lesdirigeants de l’association Max Havelaar France.

Front de gauche Économie sociale et solidaire (ESS) : unebrochure a été rendue publique lors des estivales qui ontaccueilli un atelier sur la vie associative.

Préparation d'une initiative pour l’automne 2013 « rencon-tre du PCF avec les acteurs de l’économie sociale et soli-daire » Elle se tiendra un samedi, sous forme d’une matinéed’ateliers et d’un après-midi de restitution – débat en plé-nière. Quatre ateliers thématiques : l’économie sociale et letravail, la santé, la finance, l’agriculture et l’agroalimentaire.Chacun de ces ateliers a fait l’objet de travaux préparatoiresde co-construction avec des acteurs importants de l’ESS,mutualistes, coopérateurs, salariés de banques coopératives,syndicalistes… et les responsables des secteurs travail, santé,agriculture et économie du Conseil national.

Participation à la réunion d’Ap2E sur la proposition de loi« droit de préemption des salariés en cas de cession de leurentreprise ».

Rencontres avec les dirigeants de Max Havelaar, Artisansdu monde, Rencontres sociales et les dirigeants des Centresd’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural.

SYLVIE MAYERÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

d'experts mais parce que la logiquedominante repose sur la dénégation descapacités de comprendre des citoyens,là où au contraire, il faut une appropria-tion collective, une mise en commun.Les scientifiques revendiquent à justetitre l'indépendance de la recherche etpour le PCF garantir l’indépendanceintellectuelle des travailleurs scienti-fiques est un principe fondamental.Dans le même temps les citoyens doi-vent pouvoir se prononcer sur le déve-loppement de la recherche, c'est pour-quoi nous proposons de créer desforums citoyens de la science, de latechnologie et de la culture. Dotés depouvoir d’enquête, indépendants detout pouvoir politique ou pression éco-nomique, ils débattraient publiquementet rapporteraient tous les ans devantl’Assemblée nationale. Bien sûr celasuppose de donner aux chercheurs dutemps et des moyens pour la diffusionde leurs résultats auprès du public et

aussi de transformer quelque peu notresystème médiatique !

Les tenants du capitalisme mondialisé ont unprojet qui incorpore l'enseignement supérieuret la recherche : ils lui ont donné le nom« d'économie de la connaissance ». Quelleplace les communistes leur donnent-ils dansleur projet de transformation de la société ?La stratégie de Lisbonne vise à instru-mentaliser la production de savoirs pourmaximiser les profits – de plus en plusdéconnectés de l'économie réelle. Cetobjectif est, bien entendu, à l'opposé denotre conception du développement dessavoirs, scientifiques mais aussi artis-tiques, sensibles. La recherche est pro-fondément humaine. Elle repose surcette pulsion de connaissance de l'hu-manité qui n'est jamais satisfaite de cequ'elle sait. Nous l'affirmons : à l'opposédes logiques de marchandisation, laconnaissance n'est pas un objetconsommable. C'est le contraire : en la

partageant on la multiplie. Elle est fon-cièrement émancipatrice car en per-mettant de comprendre le monde, ellepermet de le transformer, d'en inventerun nouveau. Elle participe donc du mou-vement de transformation socialeauquel nous fixons une visée révolution-naire de dépassement du capitalisme.Marx considérait que la société commu-niste est celle où l'on pourra travaillerquatre heures par jour et choisir d'allerpêcher le matin et de faire de la philoso-phie le soir. Pour les communistes, laconnaissance, sa production, son appro-priation ont leur place au cœur de la viesociale mais aussi individuelle dans cequ'elle peut avoir de plus intime, aumême titre que les autres plaisirs etoccupations de l'existence. n

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D’ IDÉESCOMBAT

«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réa

Par GÉRARD STREIFF

caractéristiques proches mais relative-ment autonomes les unes des autres.Il y a là la France des beaux quartiers,celles des familles cossues et nombreuses(le réac, quand il manifeste, le fait volon-tiers avec ses enfants) ; ce genre fut untemps assez bien incarné par Philippede Villiers. Cette France, on la situe géo-graphiquement : elle vient d'Auteuil –Neuilly – Passy, de Versailles et des envi-rons. Ce sont très souvent des héritiers,héritiers d'un patrimoine, ou/et d'uneculture, ou/et de mémoires. Les socio-logues Pinçon-Charlot ont bien décritcet univers. Oui mais tous les manifes-tants ne viennent pas de l'Ouest pari-sien, tous ne sont pas des possédants,loin s'en faut. Et tous les cossus n'étaientpas dans la rue.Il y a là la France de tradition catholique,au sens propre, la tradition et le catho-licisme liés, celle qui dépasse assez lar-gement les seuls intégristes, tout un pande la société éduqué dans le respect derituels précis et mobilisé de temps à autre(voir les JMJ, ou lors de la venue du pape).L'Église catholique et ses clercs, ses pres-bytères, ses paroisses et ses conseils defabrique ont beaucoup donné ces der-niers mois dans cette bataille. Questiond'intime conviction, peut-être, d'inté-rêts aussi. La famille, le mariage sont lesfonds de commerce d'une institution enperte de vitesse. Ancienne puissancedominante et assoupie, cette Église quise découvre « minoritaire » et s'inquiète,retrouve les vertus de la mobilisation, dela réunion, de la communication, des

défilés, d'un certain militantisme. L'idéeavancée ici ou là qu'elle pourrait, aprèstout, se recycler dans le mariage catho-lique pour tous lui est, pour l'heure,insupportable. Oui mais tous les catho-liques ne sont pas dans ces manifesta-tions.Il y a là la France de droite, classique,umpiste ou centriste, celle des inévita-bles notables.Dans la bataille contre le mariage pourtous, elle soutient, elle sent la bonne opé-ration de déstabilisation de l'adversaire.Oui, mais toute la droite ne s'identifiepas totalement au mouvement et mêmeles chefs se gardent une marge demanœuvre, préservent l'avenir.Il y a là la France d'extrême droite, celledes fanatiques de Civitas, des jeunes gensagenouillés sur le pavé, bras en croix, desgros bras du GUD, des aventuriers iden-titaires, des fanas du « Printemps fran-çais ». Ils peuvent encadrer, animer, pro-voquer, ils ne constituent pas le gros destroupes. Et puis, même Marine Le Pen,un temps, s'est contorsionnée pour direqu'elle était pour tout en n'étant pas tota-lement pour ni contre d'ailleurs, etc.Bref, il y a là des cossus et des traditio-nalistes, des umpistes et des FN, des fri-qués et des fauchés, des « radicaux » etdes placides. Qu'est ce qui les fédère ?Autrement dit, qu'est ce qui caractérisele réac ?

LA PEUR DU MOUVEMENTEt comment eux se définissent ? IvanRioufol qui est en quelque sorte leur

On l'aura vue défiler ces derniers mois pour « sauver » l'ordre familial cetteFrance réac qui, d'ordinaire, se montre peu. D'où vient-elle ? Qui la com-pose ? Que pense-t-elle ?

e réac, on sait que ça existe,c'est un genre installé dans le panorama,un personnage récurrent du théâtre poli-tique, un incontournable de la viepublique. Quelle famille ne possède pasle sien ? Dans chaque quartier, village,lieu de travail, il y a le réacde service. Quin'est pas seulement un droitier ou quiest, dirons-nous, un droitier plus : plusde rigidité, plus d'intolérance, plus depasséisme. Bref, un réac, c'est assezbanal. Mais quand les réacs sortent enmeute, quand ils descendent à plusieurscentaines de milliers d'exemplaires pourarpenter les avenues de Paris comme ilsl'ont fait lors des diverses manifestationscontre le mariage pour tous, là, le spec-tacle étonne toujours un peu. On se dit :mais qui sont tous ces gens ? Cette Franceréac, d'où sort elle ? Où se cachait-elle ?Et que cherche-t-elle ?Car le réac processionne rarement. Larue, la déambulation collective, cela nefigure pas trop dans ses gènes. On les avus en nombre en 1984, pour la défensede leur école privée, mais cela remonteà trente ans ; or les revoici pour la sau-vegarde de la famille, en tout cas pourl'image qu'ils s'en font.Leur front, un temps, a pu sembler uni,coordonné et pourtant ces rassemble-ments fédèrent plusieurs tribus, aux

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La France réac

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et réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

porte-parole dans sa chronique hebdo-madaire du Figaro, parle (29/3) d'une« une France silencieuse, décidée àaffronter l'idéologie relativiste du poli-tiquement correct », de gens « qui sontvenus de toutes les provinces ne deman-dant que le respect de leur civilisation,de leur culture, de leur histoire, de leurstraditions, bref de leur mémoire, motdétesté par les valets d'un mondialismetotalitaire où tout deviendrait indifféren-cié, interchangeable » ou encore d'un« peuple éduqué et respectueux de sonpassé ». Au-delà d'un ton polémique etd'un discours un peu convenu, il y a làquelques éléments d'identification. Lerespect du passé est un leitmotiv. Il nes'agit pas ici d'un simple goût pour lesavoir historique, d'une attention légi-time pour des expériences collectivesfortes mais d'une sorte de culte pour latradition, pour une façon d'être cadréeune fois pour toutes, un mode de vieappelé à se répéter à l'identique, uneimagerie héroïque, fantasme d'une « civi-lisation » avec ses gloires, ses crises, ses(belles) guerres, une culture codée, unacadémisme structurel (par principe, leréac déteste l'art contemporain).Le réac est de droite, foncièrement, c’est-à-dire qu'il partage toutes les valeurs decette famille, ordre, hiérarchie, autorité,anti-égalité (voir l'encadré ci-contre)mais dans cette droite, il a sa singularité.Le réac a peur du mouvement, du chan-gement, du nouveau. Sa peur est quasiexistentielle. Il est fondamentalementanti-révolutionnaire au sens où la révo-

lution comme dit le Larousse est un« changement important dans l'ordred'une société ». Tout ici le révulse, rienne lui va dans un tel projet. L'immobilité,la reproduction à l'identique au contrairele tranquillisent ; cela est synonyme pourlui de calme, de repos, d'impassibilité,d'éternité sans doute. Le réac n'est pasdu tout dans la démarche du prince deLampedusa qui, dans Le Guépard, faitdire à son personnage Tancredi, qu'il« faut que tout change pour que rien nechange ». Horreur ! Le réac, tout aucontraire, est dans une sorte de fixation :

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il faut que rien ne change pour que rienne change !Comme si l'ordre des choses était donnéune fois pour toutes.Riche ou pauvre, il est pareillement atta-ché à l'existant, à l'état du monde dontl'ordre (le désordre ?) le réconforte, unmécanisme que le philosopheEmmanuel Terray a fort bien décrit dansson essai Penser à droite aux éditionsGalilée. n

« Je suis d'une famille de droite clas-sique républicaine. Au fur et à mesureque les années ont passé, il m'a sem-blé qu'il fallait prendre la mesure dufait que la moitié du monde ne pensepas comme moi ; et qu'on ne pouvaitpas réduire ce fait à la simple défensed'intérêts matériels. D'autant que danscette moitié, beaucoup de gens ont peud'intérêts à défendre. Je voulais com-prendre ce qui les amenait à défendreun ordre établi qui les traite relative-ment mal. Ce livre (Penser à droite) estle fruit d'un effort déployé pour com-prendre la tribu de la droite. [...] Lesvaleurs de la droite classique et cellesdes tenants du libéralisme économique

s'opposent presque terme à terme : lastabilité, l'enracinement, la sécurité etle consensus d'un côté ; la mobilité, lenomadisme, le goût du risque et la com-pétition de l'autre. [...] Ceci dit, cettedistinction n'efface pas les fondamen-taux : l'ordre, la hiérarchie, l'autorité,la priorité donnée au plus proche surle lointain, restent constantes. L'idéed'égalité est rejetée par toutes les frac-tions de la droite – l'inégalité est mêmeconsidérée comme un bienfait, unmoteur de la compétition, donc de lacroissance, de l'innovation. »

Entretien avec Mathieu Deslandes deRue89, mars 2012.

EMMANUEL TERRAY :« LES FONDAMENTAUX DE DROITE »

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MOUVEMENT RÉEL

PAR CLAUDE MORILHAT*

« Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelonscommunisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellementexistantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

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u milieu du XVIe siècle l’amide Montaigne, Étienne de La Boétie, dansun bref essai le Discours de la servitudevolontaire, cherche à éclairer le cœur mêmede la réalité politique. À partir de la notionapparemment contradictoire de servitudevolontaire, La Boétie s’efforce de compren-dre une réalité énigmatique : la domina-tion, dans toutes les sociétés inégalitaires,du grand nombre par une petite minorité,voire par un seul. Étant donné l’énormeécart numérique entre ceux qui exercentle pouvoir et ceux qui lui sont soumis, laseule invocation du recours à la force s’avèrebien insuffisante. D’après le Discours il n’estpas même nécessaire de combattre le tyran,« il n’est pas besoin de le défaire […] il nefaut pas lui ôter rien, mais ne lui donnerrien ». Il suffirait à ses victimes de ne pasle servir, de ne pas lui prêter leurs forces,en leur absence il n’est rien, de même quele feu s’éteint faute de bois « sans qu’on ymette de l’eau ». Le constat s’impose : lepouvoir ne possède d’autres forces que cellede ses sujets. Pour expliquer le consente-ment à la servitude le Discours nous pro-pose trois grandes raisons : l’habitude, l’ac-ceptation de l’existant ; la corruption desmœurs par le pouvoir (les jeux du cirquedans l’Antiquité par ex.) ; le rôle de la reli-gion et d’autres croyances. Mais plus fon-

damentalement, La Boétie met en questionl’idée simpliste d’un pouvoir isolé face aupeuple. Loin de lui être extérieur, le pouvoirtraverse la société, ainsi voit-on nombredes sujets « sous le grand tyran, tyranneauxeux-mêmes ». Étant donné la structure pyra-midale du pouvoir, une part importante dela population trouve à satisfaire son ambi-tion ou son avarice dans sa complaisanceà l’égard de celui-là.

LA NOTION D’IDÉOLOGIE DÉVELOPPÉE PAR MARX Presque cinq siècles après, nos sociétéssont bien différentes de celle où vivait LaBoétie, par ailleurs nous bénéficions dessavoirs développés depuis lors par lessciences sociales, pourtant la question del’assujettissement, du consentement de lamajorité du peuple à sa domination par uneétroite minorité demeure toujours difficileà concevoir. Si dans toutes les sociétés declasses, le rôle de la répression ne sauraitêtre ignoré, dans nos démocraties libéralesc’est l’acceptation par de très larges frac-tions des classes populaires de la domina-tion d’une oligarchie (associant politiqueset hommes d’affaires) qui apparaît commeune dimension politique cruciale.Au premier abord, la notion d’idéologiedéveloppée par Marx semble offrir l’instru-ment conceptuel majeur susceptible d’éclai-rer l’acceptation de la domination socialeet politique. Mais le concept, chez Marxmême, n’est pas dépourvu d’incertitudes,en raison de sa complexité il a donné lieuselon les auteurs à des développementsunilatéraux souvent fortement divergents.Par ailleurs, avec le passage du mot dansla langue courante, son usage polémique

au cours des joutes politiques, la portée etla nécessité théorique du concept se sontfortement obscurcies. Enfin, certains héri-tiers de Marx ont proposé des élaborationsneuves (Gramsci, Althusser), des dévelop-pements théoriques importants ont eu lieuen ce qui concerne la compréhension de laréalité sociale (Bourdieu). C’est donc unconcept enrichi et rectifié qu’il convient demettre en œuvre pour faire face aux exi-gences politiques et théoriques présentes.C’est dans L’idéologie allemande que Marxet Engels élaborent le concept. L’on y trouvequelques-unes des thèses les plus célèbresdu matérialisme historique : « La produc-tion des idées, des représentations et de laconscience est d’abord directement et inti-mement mêlée à l’activité et au commercematériel des hommes, elle est le langagede la vie réelle […] La conscience ne peutjamais être autre chose que l’Être conscientet l’Être des hommes est leur processus devie réelle » ; « Les pensées de la classe domi-nante sont aussi à toutes les époques, lespensées dominantes, autrement dit la classequi est la puissance matérielle dominantede la société est aussi la puissance domi-nante spirituelle » ; « à partir du momentoù s’opère une division du travail matérielet intellectuel […] la conscience peut vrai-ment s’imaginer qu’elle est autre chose quela conscience de la pratique existante »…Pour le dire fort schématiquement, Marxet Engels voient alors dans l’idéologie unensemble de représentations trompeusesqui reflètent la base économico-sociale dela société. Leurs réflexions appellent aumoins deux remarques : en insistant unila-téralement, de façon polémique, sur le carac-tère illusoire des idéologies et leur incon-

*CLAUDE MORILHAT est docteur enphilosophie.

L’idéologie, un concept fondamentalde la pensée marxiste

A

Dans nos démocraties libérales l’acceptation par de très larges fractions desclasses populaires de la domination d’une oligarchie (associant politiques ethommes d’affaires) apparaît comme une dimension politique cruciale.

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sistance ils rendent difficilement compré-hensible leur efficace sociale ; à cette époqueils estiment à partir d’une vision irréalisteque « pour la masse des hommes, c’est-à-dire pour le prolétariat, ces représentationsthéoriques n’existent pas, donc pour cettemasse elles n’ont pas non plus besoin d’êtresupprimées et, si celle-ci a jamais euquelques représentations théoriques tellesque la religion, il y a longtemps déjà qu’ellessont détruites par les circonstances ».L’idéologie dominante ne concernerait doncque la bourgeoisie et la petite bourgeoisie,laissant les masses ouvrières miraculeuse-ment indemnes, celles-ci ayant d’embléeen raison de leurs luttes une compréhen-sion immédiate de la réalité du capitalisme,une saisie adéquate du mouvement histo-rique.Mais comme le souligne Isabelle Garo, à lasuite des événements de 1848, Marx« renonce à la conviction que le prolétariatest révolutionnaire par définition et clair-voyant par essence ». Dans ses œuvres ulté-rieures, il ne cessera de corriger le schéma-tisme de ses écrits de jeunesse, de rectifier,d’approfondir sa saisie de la place et du rôledes représentations au sein du tout social,mais le terme idéologie tend à disparaîtredans ses derniers textes. Se pose alors laquestion des rapports entre le conceptd’idéologie et la théorie du fétichisme miseen œuvre dans le Capital. Loin de toute sai-sie de l’idéologie comme simple reflet dela réalité, la théorie du fétichisme de la mar-chandise et plus largement du capital,esquisse une analyse du procès d’engen-drement des représentations idéologiquesà partir du mouvement même des rapportsmarchands généralisés, des rapports deproduction capitalistes.

LES APPORTS NOVATEURS DE GRAMSCI ET ALTHUSSERDans le sillage de Marx, Gramsci et Althussersont les deux penseurs les plus novateurss’agissant de l’idéologie.Le premier distingue (nous schématisons),d’une part la domination et d’autre partl’hégémonie exercées par la classe domi-nante sur les classes dominées. La première,mise en œuvre dans le cadre de l’État, s’ap-puie sur la coercition quand la seconde sedéploie au sein de la société civile pour obte-nir l’adhésion de l’ensemble de la sociétéau pouvoir établi, l’une repose sur la forceet peut requérir l’exercice de la violenceouverte, l’autre se fonde sur le consente-

ment, la participation à des valeurs, à descroyances communes. À l’encontre de l’éco-nomisme qui affectait alors une large partdes analyses marxistes, Gramsci accordeainsi une importance nouvelle à l’idéologie,plus largement à la culture, dans la totalitésociale, tant en ce qui concerne la conquêtedu pouvoir par une classe et ses alliés qu’en-suite dans l’imposition de celui-là à l’ensem-ble de la société. Cette même inventivitépolitico-théorique de Gramsci le conduit àla prise en compte de la fonction socialedes intellectuels en insistant sur leur inté-gration aux différentes couches sociales,de leur participation au maintien de l’hé-gémonie de la bourgeoisie ou à l’inverse,pour d’autres, de leur contribution au ren-versement de cette hégémonie au profitdes classes populaires. Plus, il souligne ladimension matérielle de l’instance idéolo-gique, ainsi dans les Cahiers de prison, ilparle de « l’appareil d’hégémonie politiqueet culturelle des classes dominantes » ; évo-quant « cette structure matérielle de l’idéo-logie », il énumère rapidement certains deses composants : maisons d’édition, jour-naux politiques, bulletins paroissiaux, biblio-thèques, écoles, clubs de tous genres, nomsdes rues. Contrairement à une conceptionrudimentaire qui tend à ne voir dans l’idéo-logie, dans l’univers symbolique, qu’unchamp inconsistant de représentations, decroyances illusoires, la réduisant à une sortede reflet, de voile qui masque la seule réa-lité véritable, l’économie, les réflexions desCahiers conduisent à la reconnaissance del’efficace propre des superstructures et del’idéologie quant à la reproduction des for-mations économiques et sociales.Soulignant l’apport de Gramsci, Althussers’est efforcé d’aller plus loin dans l’appré-hension de l’idéologie, d’en éclairer les res-sorts. Il propose de compléter la théoriemarxiste de l’État en distinguant au sein del’appareil d’État, d’une part les institutionsqui constituent l’appareil répressif d’État etd’autre part celles qui représentent les appa-reils idéologiques d’État (AIE). À l’unicitédu premier s’oppose la pluralité des seconds(AIE, scolaire, familial, religieux, politique,syndical, de l’information, culturel). Partant,Althusser peut écrire : « L’idéologie n’existepas dans le monde des idées” conçu commemonde spirituel”. L’idéologie existe dansdes institutions et dans les pratiques quisont les leurs ». Donc dans les pratiquesmêmes de leurs agents et des individus aux-quels s’adressent ces institutions. De plus,

le concept d’AIE vient mettre en cause uneconception schématique des rapports entrebase économique et superstructure. Maisla matérialité de l’idéologie ne se réalisepas seulement à travers des institutions.Pour chacun, elle s’incarne (au sens pre-mier du terme) dans les comportements,les gestes quotidiens associés à sescroyances, à son appréhension de la réa-lité. Althusser prend l’exemple de la religion(l’individu « va à l’église pour assister à lamesse, s’agenouille, prie, se confesse, faitpénitence… »), il est assez facile de mettreau jour cette inscription corporelle de l’idéo-logie en d’autres secteurs (pensons parexemple, à l’appareil médiatique et aux ritesplus ou moins individualisés qui règlent lalecture d’un journal ou la vision de la télé,au déroulement des manifestations spor-tives ou culturelles…). Situées plus large-ment dans un appareil idéologique, ces pra-tiques réglées par des rituels codifiéssocialement ou partiellement liés à la per-sonnalité de chacun donnent corps à nosidées, à nos croyances. Faute de place, nousne ferons qu’évoquer la thèse cardinaled’Althusser quant au mécanisme idéolo-gique : « Toute idéologie interpelle les indi-vidus concrets en sujets concrets », elle les« constitue », les « transforme » en sujets(libres, moraux, responsables) dans le mou-vement même où elle les assujettit. À cha-cun l’idéologie assigne une place au seindes rapports sociaux, lui enjoint tel ou telcomportement.

L’assujettissement idéologique s’impose àtravers l’ensemble de la réalité sociale, maisil trouve un ressort particulièrement puis-sant dans les milieux de travail. L’organisation traditionnelle reposait essen-tiellement sur l’obéissance passive auxordres de la hiérarchie, elle tend aujourd’huià laisser place à la mobilisation des res-sources humaines qui veut une adhésion,une fidélité, un engagement spontané vis-à-vis des valeurs et des objectifs de l’entre-prise. L’invocation de la crise économique,la lourde menace du chômage favorisentune moindre résistance aux injonctions dumanagement, encouragent les comporte-ments individualistes. L’adhésion des classesdominées à l’ordre capitaliste néolibéral,l’hégémonie de ce dernier, se fondent ainsi,conformément au jugement de Gramsci,sur la combinaison du consentement et dela coercition au sein des rapports sociauxde production. n

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L’échec d’une révolution exclusivem L’histoire de ces événements de Naples en 1799, bien qu’a priori mineure dansle panorama de l’Europe bouleversée par la Révolution française, a pourtantlaissé des traces durables dans la mémoire historique et politique… et pas seu-lement en Italie. Surtout, elle nous invite à identifier ce qui conduit une part dupeuple à se retourner contre le processus révolutionnaire.

n 1799 l’armée française enva-hit le Royaume de Naples en chassant ladynastie des Bourbons, dont les membresse réfugient en Sicile. Une République estinstaurée en janvier. L’élite intellectuellede l’Italie méridionale forme le gouverne-ment de ce nouvel État, tiraillé entre desrapports difficiles avec les « libérateurs »et la menace que fait peser sur son ave-nir les forces de la réaction. Une arméepaysanne, guidée par le charismatiquecardinal Ruffo, reconquiert le royaume enquelques mois. La monarchie restauréese livre à une répression sanglante quianéantit le front républicain.L’une des «  Républiques sœurs  », néeavec l’avancée des troupes révolution-naires françaises, n’est pas renverséepar la contre-attaque des monarchiescoalisées contre les idées nouvelles maispar son propre peuple, soulevé au nomde la religion, et capable d’effacer l’Étatcréé par une élite intellectuelle et répu-blicaine à l’aide des baïonnettes fran-çaises.Ce soulèvement populaire contre laRévolution, uni au sort tragique de lamajorité de ceux qui avaient créé laRépublique, victimes après le retour deFerdinand IV de Bourbon de l’une desrépressions les plus dures de l’histoirede Naples, donne à cette histoire un senspluriel, qu’il est possible d’approcher

«  révolution passive  », idée indiquantl’extranéité de la grande majorité dupeuple du Royaume de Naples à la révo-lution et, par conséquent, l’isolementnon seulement politique mais aussi cul-turelle de la minorité d’intellectuels pro-tagonistes des conjurations de la der-nière décennie du XVIIIe siècle puis dugouvernement de la République. L’actionpolitique de ce groupe, mise à partquelque tentative généreuse commecelle d’Eleonora de Fonseca Pimentel àtravers les pages du MonitoreNapolitano, n’arrive jamais à toucher lavie des masses urbaines dans la capitaleet agricoles dans les provinces  faisantpar conséquent de ces dernières uneformidable force de frappe pour la réac-tion.Cela a alimenté, pendant tout le XIXe siè-cle et une bonne partie du XXe, uneimage toujours répétée, presque defaçon acritique, concernant les «  jaco-bins  » napolitains  : ils n’auraient consti-tué qu’un groupe d’utopistes généreux,pleins de bonnes intentions et de philo-sophies mais incapables de lire pragma-tiquement la réalité sur laquelle ilsessaient d’agir. Une «  aristocratie réelle,de l’intelligence, de l’esprit  », pour utili-ser les mots de l’historien libéralBenedetto Croce, destinée à expier surl’échafaud son excès d’abstraction et,surtout, sa prétention d’importer uneRévolution «  étrangère  » dans unenation napolitaine, par essence contraireà toute forme de progrès et violemmentattachée à ses superstitions passéistes.C’est seulement dans la dernière décen-nie du XXe siècle, à partir des étudesd’Antonino De Francesco, qu’une nou-velle interprétation de la pensée de

PAR LUCA DI MAURO*

HISTOIRE

Egrâce à un «  chroniqueur d’exception  »,Vincenzo Cuoco, républicain exilé, quiécrit, dans les années qui suivent immé-diatement la catastrophe, le Saggio sto-rico sulla Rivoluzione di Napoli, soit unehistoire de la brève République napoli-taine, appelé à devenir un classique de lalittérature politique pour les deux sièclesà venir.

LE CONCEPT DE « RÉVOLUTION PASSIVE »DE VINCENZO CUOCOLa large diffusion de l’œuvre de l’exilé,les modifications introduites par l’auteurentre la première édition de 1801 et celle,bien plus répandue, de 1806, et surtoutles différentes lectures que l’on a donnéde son récit au fil des XIXe et XXe siècles,ont rendu de plus en plus difficile ladémarche d’identification des intentionsoriginelles de Vincenzo Cuoco, et beau-coup d’interprétations de l’œuvre n’ontpas tenu suffisamment compte de lasituation dans laquelle le livre est né.C’est ainsi que le Saggio storico a étéconsidéré, notamment pendant le XXe

siècle, comme le manifeste d’un nationa-lisme rétrograde et traditionaliste, apriori contraire à une Révolution quientend dépasser les coutumes tradition-nelles des Italiens. Si la majorité descommentateurs l’a vu comme unmodéré, critique envers une Révolutionsans bases et étrangère à la majorité dela population, d’autres l’ont considérétout court comme un réactionnaire, hos-tile envers tout progressisme et surtoutenvers la France au nom de la traditionet de la religiosité du peuple, en somme,un de Maistre du Mezzogiorno.Le noyau conceptuel de la lecture queCuoco donne des faits de Naples est la

*LUCA DI MAURO est historien. Il estdoctorant à l’Institut d’histoire de laRévolution française (Paris I).

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Cuoco (et, presque automatiquement, dela lecture de l’histoire de la Républiquenapolitaine) voit le jour. À travers ungrand effort de contextualisation histo-rique et une reconstruction minutieusede la biographie du personnage, onobtient un tableau complètement renou-velé de la situation. Tout d’abord, cesrecherches ont permis de mettre enlumière la participation de Cuoco à l’ad-ministration de la République  : cet enga-gement personnel dans la Révolution,auparavant méconnu ou largementsous-évalué, efface l’image du modéréqui observe de l’extérieur et encore pluscelle du réactionnaire qui hait lesFrançais. La polémique contre la GrandeNation doit donc être lue à la lumière desévénements de Naples et de Milan (siègede son exil) entre  1799 et  1801 et liée auxcomportements contingents des repré-sentants de Paris dans la péninsule, plu-tôt que d’être interprétée comme uneaversion de principe à l’expansion de laRévolution. Loin d’être une défense de latradition, donc, son analyse de la fortunede la Santa Fede (l’armée paysanne pro-tagoniste de la reconquête à la monar-chie du royaume) est faite du point devue de ceux qui n’avaient pas su préveniret endiguer le phénomène.Si cela est vrai, l’idée de plèbes naturel-lement conservatrices et qui se lèventuniquement pour la défense du trône etde l’autel mérite d’être nuancée (commel’avait d’ailleurs fait la critique marxistetout au long du XXe siècle), à la lumièredes conditions sociales et du système deproduction auxquels les structures poli-tiques examinées se rattachent.

DE LA « RÉVOLUTION PASSIVE » À LA« RÉVOLUTION MANQUÉE » (A. GRAMSCI)A la fin du XVIIIe siècle, le Royaume deNaples est économiquement et sociale-ment l’un des pays les plus en retard dela scène européenne, avec un degré dedéveloppement plus proche de celui dela Pologne que de celui de la France oudes États du Nord de l’Italie. Une capitalehypertrophiée qui attire une énormepartie de la richesse mais produit très

peu en échange, siège unique depresque tous les tribunaux et, naturelle-ment, de la cour, constitue la destinationfinale de tous les produits et de tous lestalents du royaume, étant donné que lesmeilleurs éléments de la maigre bour-geoisie des autres régions s’y dirigent encherchant fortune dans l’université oudans le barreau.Dépourvue d’un véritable appareil indus-triel, la ville de Naples ne produit que desbiens de luxe (donc destinés à resterdans la ville ou à partir directement àl’étranger) et des services. Par consé-quent, les masses rurales qui essaimentdans la capitale à partir de campagnestoujours plus pauvres, ne forment pas leprolétariat de la manufacture, maisagrandissent la lazzaria, un sous-prolé-tariat guenilleux et immense, parfoisprotagoniste d’émeutes sanglantesmais, en général, superstitieux et fidèle àla monarchie.Dans les provinces du royaume, lapériode qui va de  1765 à  1785 voit degrands domaines fonciers passer desmains d’une féodalité paresseuse, ges-tionnaire de ces latifundia depuis dessiècles, à celle d’une bourgeoisie de vil-lage naissante. Si cela constitue en géné-ral un signe de modernisation des cam-pagnes, il en va tout autrement pour lespaysans. Pour eux, en effet, le passageau nouveau modèle de gestion de laterre, avec des rythmes de travail supé-rieurs et l’abolition des terres communesdes villages, signifie un durcissementabsolu des conditions de vie. Dans cesconditions, un mécontentement paysanse répand largement.La révolution arrive justement au milieude ce processus et les différents acteurssociaux prennent place dans le nouveaupanorama politique  : c’est la bourgeoisieprovinciale, à travers ses jeunes généra-tions parties étudier à Naples, qui s’unità des secteurs de la noblesse pour for-mer le front républicain. De plus, malgrél’instauration de la République, la loid’abolition de la féodalité n’est promul-guée que très tardivement et ceux qui,dans les campagnes, avaient salué l’évé-

nement comme le début de la redistribu-tion des terres de ceux qui les possèdentà ceux qui les travaillent quotidienne-ment, sont amèrement déçus. En outre,quand la loi est introduite (seulementaprès le départ des troupes françaises,quand l’insurrection populaire est à soncomble), elle favorise justement le «  coqde village  », que le paysan perçoitcomme son exploiteur le plus direct.Si à Naples la confrontation entre révo-lutionnaires et partisans de l’ancienrégime suit une ligne de fracture définie,il en va autrement dans les campagnes.Là, les nouveaux propriétaires, bien plusrapaces que les précédents, justifientleurs agissements en brandissant lesidées des «  intellectuels novateurs  »,parfois malgré ces derniers. Il est facilede comprendre, donc, pourquoi lesplèbes rurales (bien plus que la lazzariade la capitale) constituent le nerf decette Vendée méridionale et deviennentle symbole même de la réaction obscu-rantiste.Le modèle qui permet probablement lemieux de décrire cette situation est celuiqu’Antonio Gramsci propose, dans sesCarnets de prison, pour l’interprétationde tout le processus d’unification natio-nale (le Risorgimento) dans les régionsmarginales, spécifiquement celles duSud du Pays. Ce processus a été celuid’une «  révolution manquée  » à causedu refus (ou de l’incapacité) de compren-dre des élites politiques méridionalesqu’une révolution radicale et authenti-quement populaire était possible à laseule condition de la subordonner à uneréforme agraire capable d’ébranlerconcrètement les latifundia en distri-buant les terres aux paysans.La prétention de commencer la révolu-tion par l’élément purement politique ennégligeant (même, mais non seulement,à cause de la classe de provenance desrévolutionnaires) la question sociale dela propriété de la terre a causé une frac-ture irréductible entre élite urbaine etmasses rurales, en livrant ces derniersau discours réactionnaire venant de lachaire des prédicateurs. n

ement politique : Naples en 1799

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PRODUCTION DE TERRITOIRES

Par CAMILLE SCHMOLL*

n observe dans de nombreuxpays européens, une féminisation desflux migratoires. Dans le cas des paysd’Europe du Sud, ce n’est pas tant l’im-portance du ratio de femmes, que lesmodalités de leur migration, ainsi queleur rôle dans la société et les marchésdu travail, qui frappent. Les migrantes nesont guère des suivantes, mais bien despionnières, qui émigrent souvent de façonautonome par rapport aux hommes.Certaines d’entre elles sont rejointes parenfants et maris ; d’autres laissent leursenfants aux bons soins de leurs parentsrestés au pays, entretenant ainsi de puis-santes chaînes de solidarité transnatio-nale.

DIVISION MONDIALE ET SEXUÉE DUMARCHÉ DU TRAVAILEn Espagne et en Italie, en Grèce, auPortugal ou encore à Chypre, la main-d’œuvre étrangère féminine constitueune ressource cruciale pour le fonction-

Figures fémininesde la migrationen Europe du Sud

*CAMILLE SCHMOLL est géographe, elle estmaître de conférences à l’université Paris-Diderot.

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

nement social et économique du pays.L’importance de l’emploi informel consti-tue bien souvent un facteur de vulnéra-bilisation et de discrimination pour cesmigrantes sur le marché du travail, mêmes’il génère parfois des occasions. Chaînoncentral d’un marché du travail mondialsegmenté selon le sexe et l’appartenanceethnique, la migration féminine occupeen particulier les secteurs du tourismeet de l’agriculture, des métiers du sexeet du commerce informel. C’est toutefoisles secteurs du soin et du travail domes-tique qui représentent la première sourced’emploi des migrantes en Europe du Sud.Ces secteurs se rattachent en Europe duSud aux modèles de protection socialedits « familialistes », fondés sur la fai-blesse de l’État et le rôle central des soli-darités familiales. De plus en plus defamilles font appel à une main-d’œuvreétrangère pour trouver une solution àleurs besoins de travail reproductif. Ces« collaborateurs familiaux » se chargentde l’entretien de l’espace domestique, dusoin aux personnes âgées, mais aussi auxplus jeunes et aux malades. À Chypre parexemple on compte environ 40 000 tra-vailleuses domestiques étrangères, prin-cipalement philippines, vietnamiennes etsri-lankaises, pour une population de 800000 habitants. En Italie, les collabora-teurs domestiques sont officiellement aunombre de 750 000 aujourd’hui.

DES POLITIQUES MIGRATOIRES SEXUÉESLes pays d’Europe du Sud constituent unobservatoire efficace de politiques demigrations choisies selon le sexe, quivisent à établir une régulation plus oumoins affichée de la main-d’œuvre fémi-nine sur le marché du travail, cela par-fois aux dépens des travailleurs migrantsmasculins, moins désirables dans le cadred’une économie de services valorisantles stéréotypes féminins attachés au tra-vail reproductif. En Italie, les dernièresopérations de régularisation ont privilé-gié explicitement les travailleurs domes-tiques, favorisant de facto la régularisa-tion des femmes.Par ailleurs, la politique migratoire sexuéemenée en Europe du Sud assume de plusen plus l’image d’une politique tempo-raire, où les droits du migrant sont condi-tionnés à l’obtention d’un permis de tra-vail, parfois difficilement renouvelable.Ainsi, il existe à Chypre une politiquemigratoire extrêmement restrictive repo-sant sur des contrats temporaires de tra-vail domestique très proche de celle dusystème migratoire moyen-oriental. Dansle sud de l’Espagne, le recrutement demigrantes saisonnières circulaires quitravaillent à la cueillette des fraises sefait auprès de femmes, mères de jeunesenfants, directement « à la source », c’est-à-dire dans les villages marocains. Lestravaux sur ce système ont mis en évi-

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On peut aujourd’hui considérer l’Europe du Sud comme l’avant-poste de poli-tiques migratoires sexuées qui ne disent pas leur nom.

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dence la vulnérabilité de ces femmes,dont la situation dépend totalement dubon vouloir de leurs employeurs, et dontla présence est conditionnée par la durée(et le respect) du contrat, ce qui consti-tue un remarquable outil pour discipli-ner la main-d’œuvre.

FAIBLESSE DES MESURES D’INTÉGRATIONLes femmes constituent donc un pointfocal de la politique d’immigration choi-sie ou sélective de l’Union européenne :vues comme de bonnes travailleuses, auplus près des besoins de la société d’ac-cueil, elles sont souvent privilégiées dansles politiques de migration temporaire etde régularisation. À leur vulnérabilitééconomique correspond une vulnérabi-lité sociale. Le Sud de l’Europe se com-pose de pays qui, de pays de départ, sontdevenus récemment des lieux d’accueil,ce qui permet en partie de comprendrele manque de préparation total de cesÉtats face aux nouveaux flux migratoires.Mais cela ne suffit pas à expliquer l’ab-sence de mesures d’intégration pour lesétrangers, car celle-ci persiste mêmeaprès plusieurs décennies d’immigration.

Dans certains cas, la situation juridiquedes étrangers empire sous certainsaspects : en Italie et en Grèce par exem-ple, de nombreuses mesures juridiquesdiscriminatoires et xénophobes ont étévotées récemment.Un autre exemple tout à fait intéressantde cette faiblesse des mesures d’intégra-tion est le cas du logement. Les possibi-lités d’aide à l’accès au logement pourles étrangers (primes, logement social,facilités dans l’accès à l’emprunt…) sontextrêmement limitées. Cela a pour effetparadoxal que les cas de ségrégation spa-tiale sont limités, dans la mesure où leseffets de ségrégation liés au logementsocial n’existent pas. Les migrants, eneffet, et en particulier les femmes, cher-chent des logements un peu partout oùils sont disponibles, dans ce que DinaVaiou nomme les « interstices de la ville ».Une autre situation fréquente est le loge-ment chez les employeurs. À Naples, parexemple, les femmes migrantes sont nom-breuses dans les quartiers bourgeois del’ouest de la ville, où elles élisent domi-cile chez les familles aisées.Ce type de situation contribue à renfor-

cer l’invisibilité sociale et spatiale desfemmes. Ceci dit, elles émergent de plusen plus dans l’espace public et se réap-proprient les centres-villes, en des siteset moments spécifiques : marchés heb-domadaires, réunions religieuses, appro-priation des parcs le week-end.

L’EFFET DE LA CRISE ?Une question importante, qui fait crain-dre une détérioration de la situation desmigrantes et migrants, reste en suspensaujourd’hui. On peut imaginer aisémentque, du fait de la crise économique et del’augmentation du chômage, de nom-breux migrants perdent leurs débouchéssur le marché du travail, ce qui contri-buera à vulnérabiliser leur situation éco-nomique et dans de nombreux cas, légalepuisqu’on l’a vu, la possibilité d’obtenirun permis de séjour est de plus en plusconditionnée par la possession d’uncontrat de travail. De fait, certains de cespays sud-européens comme l’Espagnevoient chuter leur présence étrangèrerésidente, et la reprise de l’émigrationdes nationaux. n

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*JEAN-NOËL AQUA est physicien. Il estmaître de conférences à l’université Paris VI.

maginons que nous disposions un grandnombre de boussoles sur une table, suffi-samment éloignées entre elles et de toutmétal. Le lecteur ne sera pas surpris deles voir s'aligner dans la même direction,celle du pôle Nord. Les physiciens ont misen évidence un alignement presque aussiparfait des aimantations atomiques dansun aimant. Similaires en apparence, cesdeux ordres sont pourtant bien différents.Les boussoles pointent inlassablementvers le Nord tandis que l'aimantation del'aimant tourne avec celui-ci. Les bous-soles suivent simplement l'ordre venu« d'en haut » par le champ magnétiqueterrestre, qui leur est extérieur. Les aiman-tations atomiques génèrent [elles] l'ordreauquel elles obéissent, qui leur est pro-pre : on dit qu'elles s'auto-organisent, leurordre se construit par « le bas ».

UN CONCEPT GÉNÉRAL EN PHYSIQUE... Cet exemple d'auto-organisation est lareformulation de notions de thermody-

namique où un ordre peut apparaître àbasse température lorsque l'on attendsuffisamment, à l'équilibre. Ainsi, au-des-sous de 0°C, l'eau pure gèle en glacequand les molécules d'eau interagissentet s'ordonnent d'elles-mêmes de façonrégulière, formant un cristal. Mais leconcept d'auto-organisation concerneaussi les systèmes qui ne sont pas à l'équi-libre. Les flocons de neige que l'on peutobserver transitoirement au-dessous de0°C, ou les petits îlots aux formes frac-tales faits de quelques centaines d'atomesdéposés sur une surface, ne sont pas àl'équilibre mais s'organisent en formesgéométriques, certes uniques, mais résul-tats d'interactions entre atomes. Plusloin de l'équilibre, l'auto-organisationconcerne aussi les systèmes en perpé-tuel changement. L'exemple historiqueconcerne les cellules de Bénard que l'onpeut observer dans sa casserole danscertaines conditions. Quand on chauffeun liquide par au-dessous, sa tempéra-ture augmente à sa base et du fluide froidet dense se retrouve au-dessus d'unecouche chaude et légère, situation insta-ble mécaniquement. Au-delà d'une cer-taine différence de température, des rou-leaux apparaissent permettant lacirculation du fluide, le dense en hautplongeant, se réchauffant au fond puis

remontant, etc. Ces rouleaux s'organi-sent comme dans un cristal mais horséquilibre, de structure hexagonale vu d'enhaut. C'est ce que l'on observe sur lachaussée des géants en Irlande où desrouleaux de lave se sont figés en refroi-dissant. Notons aussi que le champmagnétique terrestre lui-même estaujourd'hui compris comme résultant detels mouvements auto-organisés defluides chargés dans le manteau terres-tre, selon l'effet dynamo bien connu descyclistes.

… ET AU-DELÀ On définit ainsi l'auto-organisation commela création spontanée d'un ordre globalà partir d'interactions locales, sans agentextérieur ou plan prédéfini. On est alorsfrappé par la généralité du concept. Onle retrouve en chimie avec l'apparitiond'ondes spirales ou zébrées dans desréactions impliquant la diffusion des molé-cules (modèle de Turing pour la morpho-genèse du vivant) ou dans des réactionschimiques oscillantes. En cybernétiqueet dans les réseaux de neurones. Dans lafabrication de nanomatériaux pour l'élec-tronique ou des applications biologiques.Dans l'analyse du trafic routier. Dans lesmouvements de nuées d'oiseaux ou bancsde poissons sans oiseau ou poisson pilote.

Auto-organisation :la science du local au globalLe concept d'auto-organisation développé dans la deuxième moitié duXXe siècle en physique et cybernétique est présent dans de nombreuxdomaines. Interpellant les origines d'un état ordonné, il débouche surle concept d'émergence où le tout est plus que la somme de ses par-ties. Appliqué naïvement en économie, il justifierait le laisser-faire.

Par JEAN-NOËL AQUA*

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Dans l'analyse des populations des villes.Les exemples prolifèrent.

QUAND L'AUTO-ORGANISATION ÉMERGE L'auto-organisation implique une part dehasard associée à de la complexité, l'ap-parition d'un ordre à partir de bruit. Lescellules de Bénard tournent dans un sensou dans l'autre, l'aimantation de l'aimantpointe dans une direction ou son oppo-sée. Pour le comprendre, on fait appel àdes systèmes dits non-linéaires où laréponse à une cause n'est pas proportion-nelle à celle-ci : des petites causes peu-vent avoir de grands effets, et inverse-ment. C'est le cas notamment de systèmesen rétro-action avec une causalité circu-laire (A implique B qui implique A…). Ainsi,dans certaines conditions, une toute petitefluctuation peut être suffisante pour fairepasser d'un état désordonné à un étatordonné. Les éléments en interaction don-nent alors un tout, individuel et cohérent,qui ne se résume pas à la somme de sesparties. On parle d'émergence, émergenced'un global à partir d'un local, non imposépar une force extérieure ou un programmepré-écrit. L'auto-organisation apparaît ainsicontradictoire avec une description méca-niste et linéaire de la nature.

VIVANT ET NON-VIVANT, MÊME COMBAT Les organismes vivants sont des figuresprivilégiées d'auto-organisation. La visionmécaniste et réductionniste de la géné-tique, encore très présente, tente d'expli-quer le vivant à partir d'un code génétiquedéterminant précisément nos physiolo-gies ou comportements. Le séquençagedu génome humain étant achevé, nouspourrions ainsi lire à livre ouvert nosfutures maladies ou prédispositions.Affectionnée par les approches essentia-listes de l'homme, cette vision se heurtepourtant à la réalité scientifique. Lesrecherches sur l'épigénétique ont montréque l'expression du génome dépend ausside l'environnement et de l'histoire de l'or-ganisme. On se retrouve en fait confron-tés à une auto-organisation où de faiblesmodifications de l'environnement d'un sys-tème complexe peuvent faire basculer sonétat ou fonctionnement. Cette compré-hension permet de dépasser le dilemmeentre l'inné et l'acquis. Entre le gène et

son environnement, il y a l'organisme quicontrôle au moins autant l'activité desgènes que ceux-ci contrôlent l'organisme.Elle permet aussi de dépasser une contra-diction apparente entre le non-vivant, oùrégnerait un mécanisme déterministe,« industriel », et le vivant évolutif, grâceà une description en termes d'automatescapables d'évolution.

ESPRIT ES-TU LÀ ? L'auto-organisation vient contredire unecroyance consciente ou non sur l'origined'un état ordonné, l'associant à une cen-tralisation avec un chef ou un plan initial.Nous avons du mal à imaginer un ordrespontané, préférant le voir comme résul-tant d'un acte intentionnel venu d'un cen-tre de décision et suivi par une chaînelinéaire : un chef, un président, dicte lapolitique ou la stratégie, le cerveau com-mande l'organisme, les chromosomescontrôlent la cellule… Les systèmes auto-organisés montrent au contraire qu'unordre est possible dans la nature en dehorsde toute intervention planificatricehumaine, surnaturelle ou autre. Le fonc-tionnement du cerveau lui-même peut êtrevu comme résultant de l'auto-organisa-tion des neurones sans référence à un planinné ou esprit dans l'esprit (les connexionsentre les milliards de neurones ne pou-vant d'ailleurs pas être codées dans lematériel génétique). L'ordre qui en découle,avec un contrôle distribué sur le systèmeentier, s'avère souvent robuste et capabled'adaptation.

LA MAIN INVISIBLE DÉVOILÉE L'auto-organisation est aussi invoquée parles économistes pour expliquer le conceptde main invisible attribué à Adam Smith.Francis Heylighen écrit : « Bien que le mar-ché soit un système hautement chaotiqueet non-linéaire, il atteint habituellementun état approximativement d'équilibredans lequel les demandes fluctuantes etconflictuelles des consommateurs sonttoutes satisfaites. L'échec du communismemontre que le marché est plus efficacepour organiser une économie qu'un sys-tème contrôlé et centralisé. C'est commesi une force assurait que les biens sontproduits en bonne quantité et distribuésaux bons endroits. Ce qu'Adam Smith, le

père de l'économie, appelle la main invi-sible peut aujourd'hui simplement s'appe-ler auto-organisation. » On pourrait objec-ter que les marchés sont de fait contrôléspar les capitalistes : par l'immense gâchisde la publicité visant à orienter nos choix,par leurs groupes de pression, média ouréseaux visant à imposer les choix « libé-raux » et empêcher par exemple l'exis-tence de services publics ou de règles limi-tant la concurrence et la guerreéconomique… Même quand elles émer-gent des revendications populaires. Maismême en l'oubliant, quel sens donner àun marché auto-organisé ? L'auto-orga-nisation déboucherait sur un état opti-mal ? Un modèle d'auto-organisation avecdes cases mobiles blanches et noires évo-lue spontanément vers un état ordonnéoù les blanches sont séparées des noires ;si on l'applique à des populations humaines,cet état auto-organisé là n'est certaine-ment pas souhaitable. Sans se poser laquestion de la pertinence des modèleséconomiques et de leur capacité prédic-tive, le point central reste l'utilisation quel'on fait de la science.

ET MARX S'AUTO-ORGANISA Pour conclure, revenons sur le commu-nisme. On pourrait remarquer qu'il n'ex-clut pas par principe le marché. Mais plusgénéralement, si des expériences serevendiquant du communisme ontconstruit des systèmes centralisés entre-tenant la domination de classe, un retourà Marx peut aider à réfléchir. « La cen-tralisation nationale des moyens de pro-duction deviendra la base naturelle d'unesociété formée par des associations deproducteurs libres et égaux qui agironten connaissance de cause selon un plancommun et rationnel ». L'interaction deproducteurs décidant en commun du planqu'ils vont suivre… n'est-ce pas précisé-ment de l'auto-organisation ? Mais à ladifférence de la « main invisible », cetteauto-organisation là n'est pas laissée auhasard… Et en fin de compte aux puis-sants et à leurs calculs égoïstes. En étantrationalisée, cette auto-organisation-làpermet la conscience des enjeux et parlà même, l'exercice de la critique et l'ac-tion. La main invisible ou la main ration-nelle, il faut choisir. n

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SONDAGES

L'austérité ne fait plus recetteL'austérité est-elle la solution ? Les Français sont de plus enplus nombreux à se poser la question. Comparons deux son-dages de l'institut CSA. L'un date de février, l'autre d'avril. Onobserve que la réduction des déficits budgétaires en diminuantles dépenses publiques fait de moins en moins recette : en deuxmois, on passe de 63 à 46 % de Français qui considèrent quecette solution serait la plus efficace… Une majorité pense-t-elledonc que l'austérité n'est pas la solution ? N'allons pas si vite.Si, effectivement, la relance de la croissance par de nouvellesdépenses publiques semble la meilleure protection contre la

crise pour 21 % des Français (16 % en février), nombreux sontceux qui prônent une stabilisation des dépenses.Mais l'idée d'une politique de relance fait son chemin. Notonsque cette évolution dépasse les clivages politiques. En effet,on note une progression du soutien à des politiques de relancechez les sympathisants de toutes les formations politiques àl'exception des sympathisants… socialistes ! Ils sont les seulsà être au contraire de moins en moins nombreux à soutenirles politiques de relance et sont aussi les plus nombreux à plé-bisciter une stabilisation des dépenses publiques. n

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Par NINA LÉGER

D'après deux sondagesde l’Institut CSA :

Les Français et les déficitspublics pour Atlantico,

février 2013 et Les Français, le chômage, les

déficits publics et la compétitivitééconomique, pour BFM Business,

avril 2013.

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STATISTIQUES

La fracture numérique seréduit mais reste importanteL’usage d’Internet par les Français est aujourd’hui massif :lorsqu’on les interroge sur leurs usages, les trois quarts d’en-tre eux déclarent avoir utilisé Internet durant les trois moisprécédant l’enquête, et 60 % d’entre eux déclarent l’avoirutilisé tous les jours ou presque. Ce taux d’utilisation placeles Français parmi les plus gros utilisateurs européens. Parailleurs, cet usage est actuellement dans une phase de déve-loppement rapide : entre 2007, où le taux d’utilisation étaitde 56 %, et 2012 ce sont en effet 20 % de Français en plusqui utilisent Internet régulièrement.

Alors que leur place médiatique est très importante, lesréseaux sociaux restent un usage relativement minoritaired’Internet, puisque seuls 30 % des internautes déclarentavoir utilisé Internet pour s’y connecter (graphique 1). Lecourriel reste l’usage principal du réseau, avec deux tiers desinternautes concernés, suivi de la consultation des comptesbancaires, qui concerne la moitié des internautes.

Entre 2007 et 2012, la hiérarchie des usages d’Internet resterelativement la même, mais on constate tout de même quecertaines activités prennent une place de plus en plus impor-tante. C’est en particulier le cas des ventes aux enchères,dont l’usage a plus que triplé en cinq ans, passant de 6 % à25 % des internautes.

Cependant, à l’heure où les usages d’Internet se multiplient,et où la tendance est plutôt à le rendre indispensable, ce sontévidemment aux 25 % de Français n’y accédant pas avecrégularité qu’il convient de s’intéresser. Depuis 2007, la frac-ture numérique s’est sensiblement réduite, puisqu’on estpassé de 44 % à 25 % seulement de non-utilisateurs régu-liers d’Internet, mais cela ne doit pas nous rassurer pour

autant : moins les non-utilisateurs d’Internet seront nom-breux, plus ils seront de fait exclus.

Ces non-utilisateurs, justement, qui sont-ils ? Comme onpeut l’imaginer aisément, la fracture numérique est avanttout générationnelle : alors que plus de 90 % des Françaisnés après 1970 sont des utilisateurs réguliers d’Internet,c’est le cas de moins d’un tiers des Français nés entre 1930et 1949, et de moins de 10 % des Français nés avant 1930 !Plus rassurant, alors que la fracture numérique, en 2007,était aussi socialement marquée, les écarts liés à la catégo-rie socioprofessionnelle se réduisent très sensiblement en2012 (graphique 2). Les cadres et professions libérales res-tent ceux parmi lesquels les internautes réguliers sont lesplus fréquents, et les ouvriers ceux parmi lesquels ils sont lemoins fréquents. Mais l’écart entre ces deux catégories quiétait de près de 45 % en 2007 (97 % pour les cadres contre53 % pour les ouvriers) s’est réduit à 15 % en 2012 (99 %pour les cadres contre 84 % pour les ouvriers).

Enfin, en guise de conclusion, il convient de relativiserencore une fois l’importance d’Internet dans la vie quoti-dienne des Français, dont le reflet médiatique est parfoistrompeur. En matière de temps passé devant l’écran, l’ordi-nateur reste en effet loin derrière la télévision : alors qu’ilspassent environ trois heures en moyenne par jour devantcette dernière, les Français ne passent que trois quartsd’heure par jour devant leur ordinateur, tablette ou smart-phone. D’ailleurs, il semble que du point de vue du tempspassé, l’influence de la catégorie sociale sur les usages restetrès importante : c’est en effet chez les ouvriers qu’on conti-nue à regarder le plus la télévision et à utiliser le moins unordinateur.

Par MICHAËL ORAND

GRAPHIQUE 1 - LES UTILISATIONS D’INTERNET EN 2012 ET 2007 (EN %)

Source : INSEE, enquête TIC 2012-2007Lecture : en 2012, 66,6 % des internautes déclarent avoir utilisé Internet pour

envoyer et recevoir des e-mails, contre 45,2 % en 2007.

GRAPHIQUE 2 - TAUX D’INTERNAUTES SELON LA CATÉGORIESOCIOPROFESSIONNELLE EN 2007 ET 2012 (EN %)

Source : INSEE, enquête TIC 2012-2007Lecture : en 2012, 99,1 % des cadres et professions libérales étaient utilisateurs

réguliers d’internet contre 96,9 % en 2007

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Par CAMILLE ASCARI

REVUE DES MÉDIA

Le 7 juin 2013, alors que la France pleure le jeune Clément Méric,militant antifasciste de 18 ans assassiné deux jours plus tôt, lapresse condamne cet acte de barbarie perpétré par l’extrême-droite.

lle semble se réveiller aprèsun long déni de la banalisation desidées d’extrême-droite que diffusentsans complexe la droite et les média.Le Monde titre ce jour-là « Un jeunefrappé à mort à Paris : la marque del’extrême-droite ». Le même quotidienconstate chez les hommes politiquesla « multiplication des appels à dis-soudre les groupes ultras ». Pourtant,l’heure n’est pas à une analyse de lasituation ayant permis un tel acte, maisbien, pour certains analystes, au dénipur et simple du contexte politiqueactuel. On lit sur Le Figaro.fr sous laplume de Jean-Yves Camus, spécia-liste de l’extrême-droite qu’ « il y atoujours eu des violences entre lesgroupes extrémistes » et que desaffrontements entre militants d’ex-trême-gauche ont lieu régulièrement ».Le même jour, sur NouvelObs.com,l’analyste remarque « prudemment »que « les faits sont trop graves pourtirer des conclusions dès ce matin. Des

Après le meurtre de Clément Méric,une « prise de conscience »médiatique de courte durée ?

bagarres, il y en a souvent. Le 1er maidernier encore. ». Pour Les Échos, cequi pose problème aujourd'hui, « c'estplus l'exacerbation des tensions dansun climat de crise économique etsociale aiguë ou la brutale radicalisa-tion de certains mouvements contes-tataires ».

POURSUITE DE LA MISE DOS À DOS DESEXTRÊMES Ce que Jean-Yves Camus semble nepas prendre en compte, c’est la mul-tiplication d’agressions de rue enversnon seulement des militants d’ex-trême-gauche, mais aussi contre desmilitants de gauche, des progressistes,des communistes, des homosexuels,de la part des militants de ces grou-puscules qui sévissent partout enFrance, et en particulier à Lyon.Pourtant, la mise dos à dos desextrêmes se poursuit, d'abord avec laremarque de Jean-François Coppé quiréclame « la dissolution des groupus-cules d'extrême-droite comme d'ex-trême-gauche », mais aussi par cer-tains média qui, à leur tour,s'interrogent à ce sujet : Jean-YvesCamus, toujours à propos du 1er mai,ose la comparaison entre le défilé des

syndicats et celui du FN : « Tous lesans, lors du défilé du 1er mai par exem-ple, les militants des deux partiesjouent une partie de cache-cache ».Si bien que l'amalgame principaldénoncé et relayé par les média n'estpas tant celui, pourtant récurrent, desmilitants antifascistes et de l'extrême-droite, mais bien celui des groupus-cules d'extrême-droite et des partici-pants à la « manif pour tous ». C'estle sens du titre « Les politiques contrel'amalgame » de Libération, le 7 juin,article qui recense les dénonciationsoutragées d'hommes politiques dedroite et de membres du Printempsfrançais, celui-là même qui reçoit lesoutien inconditionnel du GUD ou desIdentitaires, de l'amalgame (...) igno-ble avec la Manif pour tous.

L'ÉVIDENCE PREMIÈRE DE LADISSOLUTION DES GROUPUSCULESD'EXTRÊME-DROITEPar ailleurs, après l'évidence premièrede la dissolution des groupusculesd'extrême-droite, un second tempssemble dévolu, dans les semaines quisuivent la mort de Clément Méric, auretour de la dédiabolisation de cesgroupes, avec l'idée que la dissolution

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ne résoudrait rien. Et c'est l'éternelretour au statu quo, au scepticisme,et à la stagnation quant à ces ques-tions. Nombreux sont les journalistes,et mêmes sociologues et « analystes »de l'extrême-droite, qui s'interrogentsur le bien-fondé des procédurescontradictoires de dissolution des grou-puscules d'extrême-droite lancées parle gouvernement dès le 11 juin. DansLe Monde, ce jour-là, on peut lire que« la dissolution de ces groupes d'ex-trême droite doit répondre à des cri-tères parfois difficiles à définir et neconstitue pas une solution à long terme[...] Autre écueil : la création d'un nou-veau groupe ». D'autres encorearguent du fait que la dissolution n'em-pêchera pas la poursuite de la violencede la part des individus ayant appar-tenu à ces groupes : « la dissolutionne change pas les idées et les enga-gements de ces membres », lit-on dansL'Express, qui titre le 7 juin « Mort deClément : dissoudre les groupusculesd'extrême droite, fausse bonne idée ? »et cite le sociologue Sylvain Crépon àce propos : « ces groupuscules réémer-gent toujours sous une nouvelleforme ». Si Erwan Lecoeur la consi-dère comme « un outillage politiqueet juridique important », lui mêmepense « qu'interdire ces groupes nechange pas fondamentalement leschoses ». Le politologue Jean-YvesCamus lui est tout bonnement caté-gorique : « Quant à savoir si les inter-dictions résoudraient le problème,non ». Le journaliste de l'Expressrésume bien l'état d'esprit dans lequellui-même est impliqué : « Pour l'heure,Matignon préfère prendre son tempset laisser l'émotion retomber ». « Lasimple dissolution ne peut suffire àrégler le problème » a déclaré sur I-Télé Najat Vallaud-Belkacem. Peut-oncependant se dispenser de la dissolu-tion au point de la nommer « faussebonne idée »? Rien n'est moins sûr.Ce qui semble certain, c'est, en toutcas, le retour de la banalisation et ledéni de l'urgence d'une telle mesure. En effet, certains média, ne se sontpas privés de pousser le vice jusqu'à

médiatique du meurtre, à savoir :- le brusque mais éphémère réveil desmédia sur cette affaire en particulier,lorsqu’une force politique comme leParti communiste français ne cessedepuis longtemps de mettre en gardecontre la multiplication des agressionsde la part des groupuscules d'extrêmedroite fondées sur des critères d'ap-partenance politique et racial ;- la comparaison douteuse de groupesd'extrême droite dont les pratiques etles discours sont fondamentalementdifférents de ceux de militants pro-gressistes et antifascistes ;- le recul que constitue le doute quantà la dissolution des groupuscules d'ex-trême droite ; - la transformation de Clément Méricen agresseur, ce qui n'est pas sans lienavec le véritable amalgame pointé plushaut. Tous ces aspects montrent l'ab-sence d'une analyse de fond illustréepar un détachement du politique dela politique. De sorte que rares sontles analyses qui mettent en cause lapolitique menée qui rend possible unterreau favorable à ce genre de tra-gédie. La banalisation des propos duFN se perpétue, Marine Le Pen étantplacée sur le même plan que les autrespoliticiens. Le Monde du 7 juin 2013,au milieu du recensement des réac-tions choquées d'hommes politiquesde droite comme de gauche, cite sespropos à ce sujet : « s'il est démontréque ces groupements donnent des ins-tructions de violence à leurs membres,alors la mesure peut être envisagée ».Mais un mois après la mort de ClémentMéric, les idées d’extrême droite ontplus que jamais besoin d’être combat-tues, afin qu’elles n’aient pas encoreà démontrer qu’elles sont capables detuer. n

Erratum : La précédente rubrique Revuedes média « Le combat contre lemariage pour tous, porte d’entrée du“Printemps français“ » était de CarolineHaine et non d’ Anthony Maranghi commenous l’avions indiqué.

transformer Clément Méric en coupa-ble. Sans compter les occurrencesnombreuses d'une supposée provo-cation de Clément Méric, RTL trans-forme l'auteur du meurtre en victime.Sur les images de la caméra de la RATPprétendument analysées comme tellespar la police « on voit notamment, pen-dant une bagarre générale, le jeunemilitant d'extrême gauche se précipi-ter dans le dos d'Esteban Morillo [...]pour lui assener un coup [...]. Cesimages montrent un Clément Méricprovocateur et confortent la thèse dujuge sur une mort accidentelle à lasuite de coups donnés ». Le mêmejour, Le Point titre que « Clément Méricvoulait vraiment en découdre » etrécolte des témoignages concernantla « haine » de Clément Méric contrela personne d'Esteban Morillo : « lesvraies raisons de la bagarre qui aabouti, jeudi 6 juin au soir, à la mortde Clément Méric sont en train des'éclaircir ». De la même façon, le 7juin, Serge Ayoub, leader desJeunesses nationalistes révolution-naires, était invité sur I-télé pour qua-lifier Clément Méric d'agresseur etl'acte des auteurs de l'agression de« légitime défense ». Dans la mêmeveine s’inscrivent les réactions à l’ar-restation et la condamnation à deuxmois de prison ferme d’un militantanti-mariage homosexuel à la suite dela manifestation du 16 juin. En effet,le 27 juin, Valeurs Actuelles reprendles expressions des défenseurs de« Nicolas, prisonnier politique » etparle de « répression » en notant que« la disproportion frappe, notammentavec les Femen ou les militants d’ex-trême gauche, souvent authentique-ment violents ceux-ci », tandis que LeFigaro magazine raconte de manièrelarmoyante « la vie en prison deNicolas, l’anti-mariage gay ».

UN DÉTACHEMENT DU POLITIQUE DE LAPOLITIQUEEn bref, tout le monde s'accorde à direque l'assassinat est politique. Toutefois,les quelques aspects que nous avonscru pouvoir dégager du traitement

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CRITIQUES

LIREÀ propos de :Les territoires du communisme. Éluslocaux, politiques publiques etsociabilités militantes,Armand Colin, 2013

EMMANUEL BELLANGER, JULIAN MISCHI (DIR.), PAR IGOR MARTINACHE

Les responsables du Parti communiste français (PCF) n’ontjamais réellement fait leur l’expression de « communismemunicipal », tant par souci de promouvoir une approchepolitique globale privilégiant l’échelon national, sinon inter-national, que par celui d’éviter la constitution de « fiefs per-sonnels » que résume la dénonciation du « crétinisme muni-cipal » par Étienne Fajon dès 1945. Et pourtant, force est deconstater que jusqu’à présent, c’est sans doute à cette échelleque se fait le plus sentir l’empreinte communiste sur lasociété française. Ou plutôt les empreintes, car les expé-riences sont très diverses d’une municipalité à l’autre. Lecontexte socio-économique comme les évolutions de laconfiguration et des sociabilités militantes locales influent,en effet, grandement sur la place et l’action des commu-nistes d’un territoire donné. L’étiquette de « banlieue rouge »tend à dissimuler cette diversité, en même temps que l’im-plantation forte du parti dans certaines zones rurales, ainsique l’avait déjà bien montré le sociologue Julian Mischi encomparant l’implantation communiste dans le bassinindustriel de Saint-Nazaire, dans la région grenobloise etdans le bocage bourbonnais (Servir la classe ouvrière, Pressesuniversitaires de Rennes, 2009). C’est justement JulianMischi qui coordonne avec l’historien Emmanuel Bellangercet ouvrage collectif, lui-même tiré d’un colloque organiséen décembre 2009. L’ouvrage entend s’inscrire dans un tri-ple renouvellement de la recherche : le dépassement toutd’abord des frontières disciplinaires académiques consti-tuées, en faisant dialoguer politistes, historiens et socio-logues, la promotion d’une approche localisée du politique,attentive donc aux formes de sociabilité et de politisationles plus fines, à rebours d’une « vision surplombante ouabstraite », et enfin le renouvellement des études consa-crées au PCF, formation partisane qui a sans doute fait cou-ler le plus d’encre dans l’hexagone, afin notamment de sai-sir quelques éléments de son « déclin », que d’aucuns – dontles animateurs du Projet et de cette revue évidemment ! –ne veulent pas considérer comme inéluctable. Les ana-lyses développées peuvent à bien des endroits apparaître

sévères vis-à-vis du PCF. C’est le cas dans la contributionde Nicolas Bué et Fabien Desage qui montrent comment,après s’être vigoureusement opposés au développementde l’échelon intercommunal, en pointant non sans jus-tesse ses potentialités dépolitisantes, les élus et respon-sables communistes s’y sont finalement ralliés après avoirperçu, sans mauvais jeu de mot, le parti qu’ils pouvaienten tirer. L’article conclusif de Julian Mischi est lui aussi cri-tique. Il met en évidence la réorganisation du PCF autourde l’échelon local au cours des décennies 1980 et 1990 etla rupture notamment avec le primat des cellules d’entre-prise. L’organisation de l’appareil partisan est alors cal-quée sur le maillage administratif officiel que le PCF avaitpourtant longtemps sciemment ignoré au profit delogiques sociales et militantes. Si l’on suit l’auteur, cetteréorganisation fait du PCF un parti d’élus, à l’instar del’UMP ou du Parti Socialiste, à propos duquel RémiLefebvre et Frédéric Sawicki avaient déjà mis en évidencele lien entre d’une part le glissement idéologique des der-nières décennies et d’autre part la rétractation de l’appa-reil partisan et en particulier l’éviction des militants popu-laires. S’il est bien évidemment permis, et même nécessaire,de mettre en débat les interprétations proposées ici, c’estaussi à une (auto-)critique constructive qu’elles invitent.Mais plus largement encore, elles montrent bien com-ment les transformations du PCF ne tiennent pas seule-ment à des facteurs endogènes : elles relèvent aussi decelles qui traversent l’action publique et le rapport descitoyens à la politique et au militantisme au sens large.Les contradictions qui les traversent n’épargnent pas lePCF. Celui-ci s’assimile en effet moins que jamais à l’imagede contre-société que certains lui ont attachée, en raisonde ses multiples organisations « satellites » encadrant lar-gement la vie quotidienne de ses adhérents. C’est à l’unede ces organisations, la trop méconnue Confédérationnationale des locataires créée en 1916, que s’intéresseSébastien Jolis, qui en retrace les oscillations en matièred’autonomie vis-à-vis du PCF. Une autonomisation long-temps sous un contrôle étroit de l’appareil partisan, aumoins jusqu’aux années 1970, à l’instar de celle des élusmunicipaux qu’analyse pour sa part Paul Boulland pourles deux décennies suivant la Libération à travers le casde la banlieue parisienne. Emmanuel Bellanger montrequant à lui comment, du fait de la rétivité originelle del’appareil à l’égard du pouvoir municipal, les élus de lapetite couronne entourant la capitale y ont déployé unréformisme « officieux » mais néanmoins d’une longévitésouvent remarquable. Pris dans une tension entre uneradicalité subversive affichée et une pratique cédant aux

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des livres, des revues...

Le local du Parti

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compromis et à une certaine normalisation dans lesmanières d’administrer, les communistes agissent aussiparfois comme aiguillons lorsqu’ils ne dirigent pas direc-tement l’exécutif. C’est le cas à Roubaix, bastion du socia-lisme municipal analysé par Rémi Lefèbvre. Cette contra-diction entre vélléités d’administrer autrement etbanalisation traverse également la gestion de l’emploimunicipal, comme le suggère Emilie Biland à travers l’étudedu cas d’une commune bretonne de 15 000 habitantsdepuis les années 1970. Elle met en évidence le passaged’un encadrement personnalisé et protecteur des agentsmunicipaux vers une gestion de leur recrutement et del’encadrement qui traverse l’ensemble de la fonctionpublique, notamment territoriale. Parmi les autres contra-dictions analysées par les contributeurs, on peut égale-ment évoquer, en matière de « peuplement », c’est-à-direde politiques visant à maîtriser la composition sociale despopulations occupant différentes parties de la ville, ledilemme entre la promotion de l’habitat ouvrier et la reva-lorisation du territoire urbain passant par l’attraction decatégories mieux dotées. C’est ce qu’illustre Violaine Girardà travers le cas de la municipalité de Pierre-Bénite dans levoisinage immédiat de Lyon. A contrario, le peuplementpeut aussi influer fortement sur les politiques et prises deposition de la section et des élus locaux, comme le mon-tre de son côté Françoise de Barros en comparant lesmanières très contrastées dont les communistes ont traitéla guerre d’Algérie à Roubaix, Nanterre et Champigny aumoment de cette dernière, selon qu’ils étaient ou non inclusdans la majorité municipale, mais aussi suivant la pré-sence plus ou moins grande de migrants algériens parmileurs habitants. Autre rapport complexe à l’indépendance,celui du Parti communiste calédonien dont le rôle moteurdans la remise en cause des rapports coloniaux est ana-lysé par Benoît Trépied durant les décennies 1920, 1930 et1940. David Gouard analyse pour sa part les transforma-tions du sens de l’affiliation communiste pour les habi-

tants d’Ivry-sur-Seine, emblème s’il en est de la banlieuerouge et dirigée sans discontinuer – exception faite évi-demment de la Seconde Guerre mondiale – par le PCFdepuis 1925, tandis que Jean-Luc Deshayes montre les dif-ficultés rencontrées par les communistes de Longwy, villesymbolique, elle, du bassin sidérurgique lorrain, face à ladésindustrialisation de la région, oscillant notamment entreactions « offensives » et « défensives » à côté des acteursassociatifs locaux. Rédigé par des chercheurs, cet ouvragen’est cependant pas réservé à ces derniers. Ses auteurs évi-tent le jargon de leurs disciplines respectives et pointentsuffisamment d’enjeux qui concernent le PCF tout en endépassant son seul cas, pour encourager son appropria-tion par les militants et les publics intéressés. Ils n’échap-pent cependant pas à la contradiction qu’ils pointent entrel’échelon local et le discours général : il leur est difficile derendre compte de dynamiques globales tout en restantattentif à la diversité des contextes locaux. Cela rend leursanalyses et les généralisations qu’ils en tirent sujettes à dis-cussion. Espérons donc que cet ouvrage alimentera lesdébats au sein des cellules et des sections. Autrement dit,au niveau...local ! n

Pour aller plus loin…• Frédéric Sawicki, Les réseaux du Parti Socialiste,Paris, Belin, 1997 • Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, La société dessocialistes, édition du Croquant, 2006• Julian Mischi, Servir la classe ouvrière, PressesUniversitaires de Rennes, 2009• Bernard Pudal, Un monde défait, éditions duCroquant, 2009• Benoît Trépied, Une mairie dans la France coloniale.Koné, Nouvelle-Calédonie, Paris, Karthala, 2010

L’histoire contemporaine toujourssous influence

Delga-Le Temps des Cerises,2012

ANNIE LACROIX-RIZ

PAR SÉVERINE CHARRET

Réédition refondée et enrichie de l’es-sai paru en 2004, cet ouvrage d’AnnieLacroix-Riz dénonce les difficultésauxquelles est confrontée l’histoirecontemporaine : tendance croissante

aux financements extérieurs au détriment de l’indépendancedes historiens, accès restreint et inégal aux archives (publiquesou privées), mutation idéologique et liquidation de la réfé-rence au marxisme. Autant de points qui sont ensuite déve-loppés et illustrés par des exemples principalement pris dans

la période des années trente et de l’Occupation et qui sontassortis de 332 notes.Dans le 1er chapitre, Annie Lacroix-Riz met en évidence laconversion des intellectuels à l’antisoviétisme dans le sillaged’auteurs comme François Furet ou Stéphane Courtois. Lavulgate pointant les « excès » de la Révolution française, éta-blissant une filiation entre Terreur révolutionnaire et bolche-visme, assimilant nazisme et stalinisme autour du conceptde totalitarisme s’est ainsi peu à peu imposée. Les tenantsde ces thèses, qui s’inscrivent dans une offensive idéologiquede défense du capitalisme et du projet européen, sont sou-tenus par les institutions officielles (ainsi François Furet, chefde file des cérémonies du bicentenaire de la Révolution fran-çaise), les média, le monde de l’édition (avec les difficultésd’auteurs comme Eric Hobsbawm pour être traduits). Leursouvrages sont aussi abondamment relayés dans l’enseigne-ment via les bibliographies des concours ou les programmesdu secondaire. Depuis les années 1980, l’histoire économiqueet sociale, celle des rapports sociaux, de la lutte des classes

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CRITIQUESa progressivement disparu au profit d’une histoire des repré-sentations.Le 2e chapitre montre la promiscuité croissante entre his-toire et grandes entreprises et en décrit les formes : finance-ment d’ouvrages par des sociétés privées, accès (contrôlé)aux archives d’entreprises, commandes de travaux sur l’his-toire d’entreprises, remise de prix par des jurys rassemblanthistoriens et patrons… Annie Lacroix-Riz pointe alors lesdérives de cette « Business Story». Elle souligne avant tout lesdangers d’une histoire « aux ordres des bailleurs de fonds »qui exercent des pressions pour que les ouvrages soientconformes à leurs vœux, en passant notamment sous silencela collaboration économique. Pendant ce temps les rares his-toriens critiques sont de plus en plus isolés, censurés, dis-crédités sans qu’il leur soit possible de répliquer.Le 3e chapitre étudie l’influence des institutions sur l’histoire.Annie Lacroix-Riz y montre que les commissions, financéespar l’État ou l’Union européenne, véhiculent une vision favo-rable à la construction européenne, qu’elles ont aussidédouané l’Église de sa compromission avec les criminelsde guerre nazis (affaire Touvier) ou atténué la responsabilitéde Vichy dans la persécution des juifs. Sous couvert d’his-toire, ces commissions répondent en fait à des impératifspolitiques. Dans l’épilogue, Annie Lacroix-Riz revient sur latentative de réhabilitation de Louis Renault menée par seshéritiers avec la complicité d’historiens. Cet essai a le grand mérite de montrer l’offensive du patro-nat sur l’histoire et la pression (notamment financière) qu’ilexerce sur les historiens, en lien avec la précarisation de larecherche, et d’en dénoncer les conséquences : l’effacementde l’histoire du mouvement ouvrier et d’une histoire pro-gressiste. À cela, Annie Lacroix-Riz oppose une méthode : lerecours aux archives dont l’accès doit être garanti à tous leshistoriens.

Penser lenéocapitalisme, Vie, aliénation, capitalLes prairies ordinaires, 2013.

STÉPHANE HABER

PAR FLORIAN GULLI

L’ouvrage tente d'identifier lesconcepts fondamentaux les plus pertinents pour compren-dre le capitalisme contemporain. Pour Stéphane Haber, c'estla catégorie d'« aliénation objective » qui semble la plus inté-ressante. L'aliénation objective désigne le fait que certainesforces sociales, certaines institutions, l'argent et la techniquenotamment, se détachent franchement du monde social, etse mettent à fonctionner de façon autonome en endomma-geant très souvent (mais pas toujours) le monde de la vie. Cefonctionnement spécifique est un impératif d'expansion,livrant ces « objectivités détachées » à un accroissement sansfin s'opérant bien souvent au détriment de la vie sociale.Cette perspective n'est pas exclusive. Il n'est pas question derenoncer par exemple aux catégories d'exploitation et de

domination. Seulement, il faudrait désormais leur reconnaî-tre un rôle subordonné et réserver une priorité méthodolo-gique à l'idée d' « aliénation objective ».Allons directement aux implications stratégiques de ce chan-gement de perspective. Si le capitalisme n'est pas en premierlieu exploitation, mais tendance à l'expansion au détrimentde la vie sociale, alors les perspectives politiques se renou-vellent. La question de la propriété et de la gestion des moyensde production n'est plus l'alpha et l'oméga du programmepost-capitaliste. Stéphane Haber envisage trois grands typesde transformations à mener de front pour dépasser l'aliéna-tion objective. Des transformations sociales-démocrates, auniveau macroscopique, de régulation et de redistributionassurés par des États. Des transformations socialistes, auniveau microéconomique, conduisant « à la mise en placede modes alternatifs de production, de répartition et deconsommation ». Enfin, des transformations communistesvisant l'arrêt de la course au profit et à la productivité en amé-nageant des espaces soustraits à l'auto-reproduction élargiedu capital (par exemple des espaces de gratuité).Là encore, l'idée communiste fait retour ; mais sans emphaseet concrètement.

Sociologie del'homosexualitéLa Découverte, 2013

SÉBASTIEN CHAUVIN ETARNAUD LERCH

PAR IGOR MARTINACHE

Devant la cascade de stupiditéscrasses proférées par les adversaires

du mariage pour tous – mais aussi par certains de ses parti-sans –, à l'égard de ceux qui dérogent à la norme hétéro-sexuelle dominante, voici un petit ouvrage qui tombe à pic.Sociologues, ses deux auteurs proposent une synthèse desdifférentes recherches en sciences sociales consacrées auxpersonnes et pratiques étiquetées comme homosexuelles.« Étiquetées », puisque cette catégorie n'a de sens que dansles interactions impliquant l'ensemble de la population etparce qu'elle recouvre des réalités très diverses et évolutivesdans le temps et l'espace, de même d'ailleurs que celle d'« homophobes » comme le font remarquer fort à propos lesauteurs. Ces travaux permettent ainsi de dissiper bon nom-bre d'idées reçues courant sur le compte des gays et les-biennes, comme celle, chère aux spécialistes du marketing,qui voudrait que ces derniers présentent un pouvoir d'achatsupérieur aux hétérosexuels. Plus profondément, ils mon-trent aussi comment les « homosexuels » viennent, à l'instard'autres populations considérées comme déviantes, inter-roger l'évidence des modes de vie et des relations affectivesdominantes et ce faisant agissent comme un révélateur denos sociétés et de leurs transformations. Car s'il est une choseque semblent avoir compris les manifestants anti-mariagepour tous, c’est que loin de se cantonner à une affaire pri-vée, la sexualité représente bien une question éminemmentculturelle, au croisement des rapports de genre, de classe et

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« ethniques », et ainsi profondément politique. Une partiede l'ouvrage est d'ailleurs consacrée aux mouvements poli-tiques et associatifs qui ont lutté pour défendre les droits deshomosexuels : un combat loin d'être terminé, en Francecomme ailleurs.

La révolution des casserolesChronique d’une nouvelleconstitution pour l’IslandeLa Contre Allée, 2012

JÉRÔME SKALSKI

PAR PATRICK COULON

L’auteur, journaliste, reporter àl’Humanité rend compte de la« Révolution des casseroles » enIslande. Suite au déclenchement de la

crise financière internationale à l'automne 2008, l'Islande achoisi de tourner le dos à la « doctrine d’austérité » qui formeactuellement le lieu commun dominant des politiques degestion de l'après crise. Passée du statut de laboratoire de lafinance triomphante (on parla du Tigre nordique !) à celuidu symbole de sa déroute, l'île fut tout d'abord l'objet d’unmouvement de protestations aux conséquences inatten-dues. La presse internationale s'enflamma. On parla bien-tôt d'une « Révolution des casseroles » pour décrire les évé-nements qui s’y déroulèrent et qui aboutirent, en quelquessemaines, à la démission de son gouvernement et à l'antici-pation d'élections législatives qui virent arriver au pouvoirune gauche, armée d'ambitions réformatrices radicales sousla pression de la société civile islandaise. Le cœur de cettechronique, de cette enquête journalistique est un aperçusynoptique du processus d’élaboration collectif de laProposition pour une nouvelle constitution pour la Républiqued’Islande. Certes l’obstruction politique des partis de l’oli-garchie islandaise a repoussé sa ratification par un référen-dum. Mais comme le fait malicieusement remarquer l’au-teur : « Le peuple islandais est féru du jeu d’échec. Les grandesparties durent longtemps. » Produite par la société civile islan-daise, la proposition de nouvelle constitution s’affirme dansson mode d’élaboration, sa forme et son contenu commeune constitution d’un genre inédit. Le lecteur pourra suivrepas à pas le jaillissement de l’idée à partir de la bien nom-mée Fourmilière (groupe d’organisations issues de la sociétécivile) les premiers travaux, la reprise de l’idée par le gouver-nement s’associant à la démarche. Une loi est votée, elle défi-nit les conditions et les modalités d’élection d’une assem-blée de 25 à 31 membres issus de la société civile qui doit seréunir dans le but de réviser la constitution de la République.On y verra aussi, à travers la description du processus, labataille acharnée de l’oligarchie pour mettre en échec cettemobilisation. L’enjeu est décisif surtout quand on voit lesconclusions, les sujétions surgissant de ce bouillonnementparticipatif et citoyen : l’affirmation de la propriété collectivedes ressources naturelles de la nation, l’introduction de l’ini-tiative populaire dans l’élaboration de ses lois ainsi que la

constitutionnalisation de droits politiques, sociaux et envi-ronnementaux étendus. L’oligarchie a, pour l’instant, réussià mettre en échec l’adoption de cette constitution. Il n’enreste pas moins qu’elle éclaire la capacité citoyenne à inter-venir dans la gestion des affaires de la cité.

L’oubli de la raisonDelga, 2013

JUAN JOSÉ SEBRELI

PAR ELIAS DUPARC

Quel est ce mystérieux fil rouge entreSchopenhauer, Dostoïevski,Nietzsche, Heidegger, Freud, Lévi-Strauss, et jusqu’à Lacan, Barthes,

Deleuze, Foucault, Althusser, Derrida ? L’oubli de la raison.C’est le titre du livre remarquable de Juan José Sebreli, phi-losophe proche du marxisme et cofondateur du Front delibération homosexuel argentin. Pour lui, la volte-face obs-curantiste trouve son origine dans le premier mouvementde contestation de l’idéal des Lumières : le romantisme alle-mand. Là où les philosophes vantaient le progrès par la rai-son, les romantiques ont en effet préféré s’envoler dans lesbrumes de la sentimentalité. Pour eux, le moteur des socié-tés n’est pas la science ni la démocratie, mais l’art commerepli individualiste et l’âme comme destin mélancolique.Dès lors, il ne s’agit guère de promouvoir ce qui unit leshommes, l’universalité, mais au contraire tout ce qui lessépare : « la nationalité, l’ethnie, la race, la religion, le folklore,les arts populaires, les coutumes, le singulier intransmissi-ble de chaque communauté ». Et ce projet sera inlassable-ment approfondi par toute une brochette de penseurs, avecla complicité active des bourgeoisies, trop heureuses que desartistes et des philosophes travaillent à la mise en sommeilde l’aspiration des peuples à l’égalité. Le texte de Sebreli estun génial « jeu de massacre », d’autant plus salutaire qu’ilssont nombreux ceux qui, tout en se prétendant révolution-naires, ont repris le flambeau irrationaliste ! L’abordage de lagauche par les nietzschéens et leurs épigones individualisteset libéraux n’est-elle pas l’une des causes de la situation poli-tique présente ? Voilà pourquoi, malgré quelques coquilles,la lecture de L’oubli de la raison est jubilatoire : en ce quel’essai dynamite (pour de vrai, cette fois-ci) l’interminablecortège de ces idoles, à commencer par celle qui revendiquala première, faussement, pareille subversion : Nietzche. Lesadorateurs de l’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra ne seremettront que difficilement de la lecture de Sebreli, surtoutceux qui voudraient concilier cette affiliation avec un enga-gement progressiste. Quant à Heidegger, matrice d’une grandepartie de la gauche philosophique du XXe siècle, le voilà dévoilécomme nazi fanatique et comme sordide « lieutenant dunéant ». Inutile d’aborder ici les réserves que chacun pourraformuler à l’encontre de tel ou tel passage : pour les précieuxéclaircissements qu’il apporte, le livre de Sebreli, d’une lim-pidité prodigieuse (ce qui, philosophiquement, a du sens),doit être mis entre toutes les mains.

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L’ÉQUIPE DE LA REVUE

Marc Brynhole, Olivier Dartigolles, Jean-Luc Gibelin, Isabelle Lorand, Alain Obadia, Véronique Sandoval.

Pierre LaurentResponsable

national du projet

AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

Pierre LaurentSecrétaire national du PCF Responsable national du projet

Xavier Compain [email protected]

CULTUREAlain Hayot [email protected]

Jean-François Tealdi Média et [email protected]

DROITS ET LIBERTÉSFabienne Haloui Droits des personnes et libertés -Migrants - Racisme et [email protected]

Ian Brossat [email protected]

DROITS DES FEMMES ET FÉMINISMELaurence Cohen [email protected]

ÉCOLOGIEHervé Bramy [email protected]

Pierre [email protected]

ÉCONOMIE ET FINANCES

Valérie GoncalvesÉ[email protected]

Yves Dimicoli [email protected]

Catherine MillsÉconomie et [email protected]

ÉDUCATIONMarine [email protected]

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - RECHERCHEAnne [email protected]

JEUNESSE

Isabelle De Almeida [email protected]

MOUVEMENT DU MONDEJacques Fath [email protected]

PRODUCTION, INDUSTRIE ET SERVICESAlain ObadiaIndustrie - Services [email protected]

Yann Le Pollotec Révolution numé[email protected]

TRAVAIL, EMPLOIVéronique Sandoval Travail - Droit du travail - Chômage, Emploi - Formation, insertion - Pauvreté[email protected]

Pierre DharevilleRéformes institutionnelles - Collectivité[email protected]

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Annie MazetLaïcité et [email protected]

Fabien Guillaud BatailleSécurité, [email protected]

Nicole Borvo Cohen-Seat Institutions, [email protected]

Patrick Le [email protected]

PROJET EUROPÉEN

Isabelle Lorand [email protected]

VILLE, RURALITÉ, AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Stéphane [email protected]

Pascal BagnarolRuralité[email protected]

Sylvie Mayer Économie sociale et [email protected]

Hélène BidardRédactrice en chef

adjointe

Davy CastelRédacteur en chef

adjoint

Guillaume Quashie-VauclinRédacteur en chef

Igor MartinacheRédacteur en chef

adjoint

Frédo CoyèreMise en page/graphisme

Caroline BardotRédactrice en chef

adjointe

Noëlle MansouxSecrétaire de rédaction

Isabelle De Almeida Responsable nationale adjointe du projet

COMITÉ DE PILOTAGE DU PROJET

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

&

Renaud BoissacPresse

Côme SimienHistoire

Alain VermeerschRevue desmédia

NicolasDutent

Mouvementréel/Regard

Gérard StreiffCombat d’idées

Nina LégerSondages

Corinne LuxembourgProduction de territoires

Florian GulliMouvement

réel

Marine RoussillonCritiques

Amar BellalSciences

Michaël Orand

Statistiques

Étienne ChossonRegard

Francis CombesPoésies

Franck DelorieuxPoésies

Pierre CrépelSciences

LéoPurguetteTravail de secteurs

SPORTNicolas Bonnet [email protected]

SANTÉ, PROTECTION SOCIALEJean-Luc Gibelin Protection sociale - Retraites et retraitésAutonomie, handicap - Petite enfance,[email protected]

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