La revue du projet n°7

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Parti communiste français P. 20 NOTES MONDE ARABE : BOULEVERSEMENTS D’AUJOURD’HUI, QUESTIONS POUR DEMAIN Par JACQUES FATH u P. 6 LE DOSSIER EUTHANASIE : A-T-ON LE DROIT DE MOURIR ? P. 30 HISTOIRE LIBERTÉ-ÉGALITÉ - LAÏCITÉ Par JEAN-PAUL SCOT P. 32 SCIENCES FUKUSHIMA ! QUEL AVENIR ÉNERGÉTIQUE POUR LE MONDE ? Par CLAUDE AUFORT N°7 AVRIL 2011 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF

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La revue du projet n°7

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P a r t i c o m m u n i s t e f r a n ç a i s

P.20 NOTES

MONDE ARABE :BOULEVERSEMENTSD’AUJOURD’HUI, QUESTIONS POUR DEMAINPar JACQUES FATH

u P.6 LE DOSSIER

EUTHANASIE :A-T-ON LE DROIT DE MOURIR ?

P.30 HISTOIRE

LIBERTÉ-ÉGALITÉ -LAÏCITÉPar JEAN-PAUL SCOT

P.32 SCIENCES

FUKUSHIMA ! QUELAVENIR ÉNERGÉTIQUEPOUR LE MONDE ?Par CLAUDE AUFORT

N°7AVRIL2011

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2011

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SOMMAIRE

FORUM DES LECTEURS

4 FORUM DES LECTEURS/LECTRICES

6 u15 LE DOSSIER

EUTHANASIE : A-T-ON LE DROIT DE MOURIR ?Isabelle Lorand Un débat démocratique indispensable

Axel Khan L’euthanasie, un droit  ? une liberté  ?

Jean Salem La possibilité du suicide, ingrédient du bonheur humain

Bernard Devalois Pourquoi créer un droit à choisir sa mort  ?

Jean-Luc Romero Mourir dans sa dignité

Philippe Naszályi Mourir dans la digniténécessite-t-il l’euthanasie  ?

Guy Fisher Assistance médicalisée à mourir,proposition de loi

Jean-Luc Gibelin Un débat ouvert, respect et dignité  !

Jeannie Barbier et Marlène Chevalier Pour une euthanasie très encadrée

16 COMBAT D’ IDÉESGérard Sreiff : Culture pour chacun, culture pour tous

SONDAGES : Dépendance, l’aide

de l’Etat plébiscitée

19 u 23 NOTES DE SECTEURSLAÏCITÉ Pierre Dharréville et Annie Mazet Faire vivre la laïcité aujourd’hui

INTERNATIONAL Jacques Fath Monde arabe  :Bouleversements d’aujourd’hui, questionspour demain

EUROPE Yves Dimicoli L’Europe donnée enpâture aux marchés financiers

SANTÉ Isabelle Lorand Bien manger. C’est TOUT !

24 REVUE DES MÉDIASAlain Vermeersch Le débat sur la laïcité et l’Islam

26 CRITIQUESCoordonnées par Marine RoussillonCatherine Henri, Libres coursAmartya Sen, L’idée de justicePascal Ory, Du fascismeNoam Chomsky, Réflexions sur l’universitéLectures incandescentes, La ville brûle

28 COMMUNISME EN QUESTIONMichela Marzano Abus de confiance

30 HISTOIREJean-Paul Scot Liberté-Egalité-Laïcité

32 SCIENCESClaude Aufort Fukushima  ! quel avenir énergétique pour le monde  ?

34 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

C’est intéressant, c'est unique, ça peut-... devenirindispensable. Propositions : l'audition de commu-nistes comme Pierre Bruno (sur la place de la

transcendance par exemple !), Marie-Jean Sauret et/oud'autres psychanalystes qui ont apporté une contribu-tion majeure, communistes ou non, serait inspirée... Du fait de son expérience, de son talent, je suggère aussiJ-J Kupiec (voir son livre L'Origine des individus) qui pour-rait parler du matérialisme, à travers son cas (celui dematérialisme) en biologie (en regard de l'utilisation prolixepar certains des concepts d'auto-organisation, de réseauxtrès à la mode en biologie, et appliqués au champ social),du progrès des sciences et de celui de la recherche, etcomment là aussi il y a à (re)gagner de la liberté d'action,de mouvement, de création. Il faudrait AUSSI donner laparole à des gens qui ne l'ont pas d'habitude, en les aidants'il le faut. Combien réalisent que beaucoup de gens d"enbas", rêvent aujourd'hui "d'Amérique" et des USA enparticulier. Ce pays semble faire rêver bien plus les Afri-cains et pas mal de Français, avec ou sans papiers, quenotre beau pays ou l'Europe en général. Sur la Chine, toutaussi bien sur ce que veut dire civilisation aujourd'hui :Jean-François Billeter est-il contournable ? Avec un extrait

de Le maître a de plus en plus le sens de l'humour de MoYan et une interview d'un dissident chinois progressiste,ou d'un syndicaliste souterrain ! Dans un tout autre registre : Il y a aussi cette écono-miste uruguayenne travaillant pour l'église catho-lique ! Elena Lisada (cf. RFI de jeudi 17 mars). Si si... fautvoir. Enfin...

• Analyser quelques résultats électoraux récents... fairequelques rappels de faits clés sur l'Histoire, plus exacte-ment sur les faits, dires, actes du PCF et de ses respon-sables. Il ne s'agit pas de se psychanalyser (encoreque... :) mais de les placer en écho avec la façon dont seposait ou se pose la question de l'émancipationhumaine, et ce  qui doit en être gardé ou critiqué.

• il doit bien se passer quelque chose en Russie, desdignes descendants de Vassili Grossman qui ontquelque chose de salutaire à nous dire sur l'histoire del'URSS, de la Russie d'hier et d'aujourd'hui... Plus que jamais, notre sort n'est-il pas lié à celui dureste du monde, non ? J'en demande trop sans doute. Que vous souhaitersinon du courage ET de l'écoute ? n

JEAN MARC L.

L'équipe de la Revue du Projet a le plaisir de vous annoncer que nous dis-posons désormais d'une Edition La Revue du Projet publiée et recom-mandée par la rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à

cette collaboration en réagissant, en commentant et en diffusant largement les contribu-tions que nous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projetNote : Pour tout commentaire concernant cette Edition, vous pouvez nous contacter àl'adresse suivante : [email protected]

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AVRIL 2011- LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

GOUVERNER SANS LE PEUPLEL es bavardages n’y pour-

ront rien. A la fin, il nereste que les faits et les

paroles verbales ne comptentpour rien.

Les faits sont simples. Lemodèle social sur lequel nossociétés ont bâti un largeconsensus social et politiqueest en voie de disparition. Lapeur du lendemain a envahide larges couches. La rupturede l’égalité de chaque citoyendevant des droits essentielsest consommée.

Le système est devenuinstable. Pas du point de vueéconomique car l’instabilitéest son essence. Mais du pointde vue social et politique.Dans le cadre des paramètreséconomiques actuels, cetteinstabilité devient ingérable.

L’offensive idéologique etélectorale du Front nationaln’est qu’un signe parmi d’au-tres. Marine Le Pen est unprécipité de cette peur socialequi envahit tout et qui appellela protection.

Et il n’y a aucune raison pourque cette réalité qui aprovoqué des alliances droite-droite extrême en Europe nefinisse pas par avoir raison descomposantes les plus répu-blicaines de la droite fran-

çaise. Ce n’est plus qu’unequestion de temps. La droiten’aura bientôt plus d’autresoptions.

Le problème n’est donc pas leFront national en lui-mêmemais la contamination idéo-logique, le basculement dansl’acception d’une gestionpopuliste et autoritaire descrises.

Remarquons un autre fait. Lesreprésentants de l’Establish-ment avec qui j’ai eu l’occa-sion de débattre sont enréalité devenus schizo-phrènes. La plupart ont unevision claire des difficultésimmenses que notre pays etnotre monde auront àaffronter. Les plus lucides, ilssont nombreux, ont identifiéla faillite du système, orga-nisée par le capital financier.Et cette lucidité, cetteconscience que nous sommesau bord de l’abîme provoqueinvariablement la même réac-tion : impossible de changerquoi que ce soit, les paramè-tres sont trop nombreux,essayons de gagner la compé-tition pour la survie.

Le sujet suivant est à mes yeuxle seul qui vaille. Voulons-nousgouverner avec le peuple ousans le peuple ? Voulons-nouslimiter notre propos à l’élabo-

ration d’un programmegouvernemental conçu pourréunir une majorité électoraleou voulons-nous engager lechantier de notre génération,c’est-à-dire sortir le siècle del’autoritarisme des marchésfinanciers ?

Toute la critique du projetsocialiste est là. Le détail estsouvent sympathique maisl’essentiel est absent. Et l’es-sentiel, c’est l’union euro-péenne, c’est le systèmefinancier, c’est le commerceet la production mondiale.

À ce propos rapide, je recevraisans nul doute mille critiquessur ce que j’ai oublié. Criseécologique, énergétique,anthropologique, éducative.C’est vrai. Et pris isolément larésolution de chacune de cescrises se heurtent frontale-ment à l’esprit des loisactuelles que je viens dedécrire.

Alors, après tout cela, aprèset avant 2012, nous bavarde-rons encore beaucoup. Leproblème restera dans sanudité : gouverner avec ousans le peuple ? n

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2011

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FORUM DES LECTEURS

J’ai lu la revue n°5 et la première question qui m'est venue était, maisque peu bien apporter quelqu'un comme Julliard dans le débat ? Qu'ilpense que le politique ne peut plus rien et qu'il allimente un fata-

lisme propice à la limitation du champ politique entre la vraie droite et lafausse gauche, on le savait et c'est ce qui nous est rabaché chaque jourdans les médias. Au-delà de cet aspect des choses, je pense qu'il manquedans les autres propositions l'émergence d'une visée. Qu'est ce qu'on veut,dans quelle société voulons nous vivre maintenant et laisser à ceux quisuivent ? Devrait on passer d'une société de consommation à une sociétéde satisfaction des besoins, d'une société où l'homme est perçu au traversde la production (comme un maillon) à une autre où il est perçu en tantqu'individu, d'une société où le travail permet de gagner sa vie ou n'estplus qu'un investissement social, d'une société où la culture agit commeun carcan qui détermine l'avenir ou dans une société plus proche de lapensée des lumières où la différence est ce qui rend jolie la ressemblance,dans une société où l'homme se définit par rapport à un idéal, à un groupe(bling bling, écolo, bobo, religieux…) médiatique ou par rapport à ce qu'ilressent, veut vivre… Bref c'est ce questionnement initial qui me semblemanquer alors que ces énoncés stratégiques sont plus proches d'une adap-tation du système que de son dépassement.

De fait, dans le n°6, le faux débat sur la décroisssance contre la croissancerelève la même limite et repose plus me semble-t-il sur des aspects morauxet la frustration (interdit de, le pollueur payeur, du consommer bien) etdonc sur l'adapation du système que sur une nouvelle éthique sociale oùl'ambition serait mise sur l'usage plus que sur la possession des choses.L'économie même équitable ne fait pas l'égalité et les choix de vie des unsne doivent pas être déterminés par la bonne volonté des autres, la solida-rité n'est pas la charité… L'économisme, même vert, produira une néga-tion de l'humain au profit d'une vision stéréotypée, rentable, efficace, fonc-tionnelle, écolo mais très éloignée des aspects de liberté et d'égalité quenous devrions mettre en avant. n PHILIPPE M.

« Quand donc allons nous avoir un "parler" simple et cohérentpour la classe ouvrière et les employés ? Nos intelloscommencent à me "gonfler" sérieusement avec leurvocabulaire, veulent -ils nous épater ? On est pas au parti desbobos !!! Que veut dire, que signifie, qu'est-ce que... lePARADIGME de la Croissance ? Par quel mot simple ? Audibleet surtout... intelligent aurait-on pu le remplacer ? » n GUY

Comme vous nous y conviez aimablement je me permets de vous soumettre mon avis

sur la Revue du Projet dont j'ai parcouru quelques numéros.

Ce que j'ai aimé :• un contenu original• une rigueur scientifique • une bonne qualité de rédaction• des sujets intéressants• pas trop d'article -programme poli-tique-, heureusement car c'est ennuyeux

Ce que je souhaiterais voir d'avantage :• des articles scientifiques alliés auxsciences humaines• élaborer des problématiques dansune optique d'ouverture vers unealternative communiste, point de vue très éclairant aussi bien dansles sciences humaines que dans lessciences fondamentales.• plus d'articles concernant la santé (le domaine dans lequel je travaille).

En gros, j'ai trouvé en germe danscette revue la possibilité de lire des analyses scientifiques qui sontreliées aux enjeux de la société actuelleavec la vision positive du commu-nisme. Je souhaiterais que cette revuesoit un outil pour les camaradescommunistes, pour qu’ils puissent senourrir des dernières avancées de lapensée humaine rendues accessiblespour comprendre le monde qui nousentoure. n

MANUEL R.

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AVRIL 2011- LA REVUE DU PROJET

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Écrivez-nous à : [email protected] réalisées par CÉCILE JACQUET.

Au moment oùbeaucoup decitoyens, se sentant

manipulés enpermanence, sedétournent du débat

politique,c’est unegageured’éditer une Revuedu Projetqui se veutporteuse

de débats de fond sur tout ce qui touche à lasociété. Face autintamarre sans contenuset à la politiquespectacle, il est bien dudevoir des progressistes,et parmi eux descommunistes, deproposer des alternativesà la société libérale,même si les échosimmédiats peuvent êtrefaibles. Il me revient uneappréciation de StéphaneHessel, dans sonautobiographie, quant àl’utilisation d’un énièmerapport sur les droitshumains, le contenu dece rapport pourrait êtrepertinent le jour oùl’opportunité politique seprésentera. Demain, ouaprès demain !La crise qui creuse lesinégalités déboucheraforcément sur de vivestensions sociales. Il estnécessaire d’être prêts àoffrir des avancées plutôtque de meneruniquement des combatsde défense. n

ROBERT F.

Camarade un mot riche d’espoir…

Beaucoup de facteurs suscitent la peur, le mal-être, la violence, lerepli sur soi, la peur de l’avenir... Les pertes de repères dans la viefamiliale, dans l’appartenance à un lieu ou un groupe social…  ; les

pressions, les conditions de travail n’aident pas à dépasser la préoccu-pation de ce que demain sera fait et de quel projet nous souhaitons.Autant de souffrance humaine où le profit effréné déséquilibre nos vies.

Les dernières élections cantonales ont pointées de la défiance à l’égard de la vie politiqueavec une véritable colère citoyenne à l’égard du gouvernement et de la droite.L’exaspération en particulier des familles, des jeunes est considérable. Pourtant donner un sens à sa vie, créer la dynamique collective, découvrir les enjeux com-muns, construire un choix de société, nous sommes nombreux à le vouloir, à l’envisager.La confrontation des idées, les heures vécues ensemble à partager nos luttes et nosespoirs ne sont jamais perdues et donne la possibilité de continuer à se battre ensemblepour répondre aux défis de notre société. À travers chaque engagement dans un collec-tif (association, syndicat, parti politique ….), nous découvrons «  des possibles  », une viedémocratique et citoyenne à vivre ensemble. La complémentarité des potentialités dechacun, chacune construit de la richesse et fait grandir des exigences légitimes. Oui, le col-lectif se construit avec des femmes et des hommes qui ont la liberté de penser, d’analyseret de choisir. Notre destin personnel et collectif nous appartient plus que jamais pour que chaquefemme, chaque homme puisse vivre pleinement une vie qui transforme notre société. Jecrois qu’avec le PCF, nous avons la capacité de favoriser le rassemblement sur des valeursde justice sociale, de solidarité, de démocratie, de paix…. Oui le mot camarade, au PCF, estun mot riche de sens pour porter l’espoir d’une transformation où les femmes et leshommes seront au cœur d’une alternative politique. Merci à l’équipe de la Revue du Projetde poursuivre ce travail de contributions qui aide à nourrir nos débats et réflexions  ; avecde nombreux camarades et toutes celles, tous ceux qui le souhaitent continuons d’élabo-rer ensemble le projet pour l’avenir. n

ANNIE MAZET, SECRÉTAIRE DÉPARTEMENTALE

Ce mois-ci, je suis allée à la rencontre de responsables et militant-e-s communistes de la Drôme pour

connaître leur point vue... Je les remercie infiniment et j'appelle d'autres fédérations à faire de même.

CÉCILE JACQUET POUR LA REVUE DU PROJET

La Revue du projet donne, ou redonne, l’envie et le goût de la politique. Dela politique vertueuse. L’alternance d’articles de fonds, d’experts, avec des

expressions citoyennes, toutes pertinentes, et complétées de propositions oude pistes de réflexions, constitue une authentique Agora populaire et démo-cratique. Le changement de société, le dépassement du capitalisme, ne se

feront pas d’eux même. Comme maintes fois l’histoire l’a démontré, il ne suffit pas de touteffacer pour écrire une page neuve. Il est nécessaire de connaître les mécanismes, lesforces qui résistent aux changements, aux progrès. Cet approfondissement de l’analyse dela société actuelle n’aura d’intérêt que s’il s’accompagne d’une recherche de solutions etinvite à la réflexion pour imaginer d’autres politiques. Cet exercice intellectuel, la Revue duProjet le fait très bien. Même si les thèmes sont abordés en profondeur, ils ne sont pas clos.Pour faire vivre dans la durée la démarche initiée par la revue, il sera peut être nécessairede reprendre la discussion à partir d’une synthèse des premiers débats. n

JEAN LUC FARGIER, SECRÉTAIRE DE SECTION DE VALENCE

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LE DOSSIER Euthanasie : a-t-on le droit de mourir ?

Le débat parlementaire a-t-il été créateur d’un débatnational autour d’unequestion qui demeure tabouou encore peu discutée ?Nous ne le pensons pasc’est pourquoi nousproposons ce dossier.

La Revue du Projet asollicité très largement etexpose aujourd’hui diverspoints de vue qui tousapportent une interrogationtoujours actuelle sur lamort, la vie et le bonheur...

Le débat continue...

UN DÉBAT DÉMOCRATIQUE INDISPENSABLESi le débat sur l’euthanasie mobilise nos concitoyens, force est deconstater qu’il transcende les habituels clivages partisans. Commentalors envisager un positionnement pour le parti communiste ?

Par ISABELLE LORAND*

Cherchons d’emblée ce qui faitconsensus entre nous : développe-ment des soins palliatifs dans toutes

leurs formes, permettre à la loi Léonettide prendre toute sa mesure, combattrele recul de la prise en charge solidaire dela maladie et du grand âge, lutter contrela désocialisation de la mort, introduiredes grains de sable dans la logique utili-tariste et aseptisée de la société dominéepar le libéralisme... Autant de préalablesforts à un débat sur l’extension de la loiLéonetti.Reste que la réponse à ce débat faitdissensus entre nous, comme elle faitdissensus au sein de toutes les formationspolitiques. On est alors en droit de sedemander, s’il ne serait pas pertinentqu’un enjeu transcendant les différences

sur lesquelles les élus sont mandatés, fassel’objet d’un choix par démocratie directe :tirage au sort, référendum...Un tel enjeu suppose sérénité et rationa-lité. Autant dire, que le temps – au moinsplusieurs mois voire années - en est unecondition essentielle. Les modalitésdevraient permettre de multiplier les lieuxd’information et de confrontation : écoles,entreprises, quartiers, municipalités... Lesmédias devraient avoir un rôle majeurpour aider à instruire ce débat public.Evidemment, les partis politiques quidevraient être des outils de démocratiede proximité y ont un rôle primordial.C’est en tout cas, cette démarche qui aprésidé à l’ouverture de ce débat dans laRevue du Projet. n

*Isabelle Lorand est responsable au comitéexécutif du PCF des libertés et des droits dela personne

PAR AXEL KAHN*

I l semble que le terme d’euthanasieait été créé par le philosophe FrancisBacon au début du 17e siècle. Son

sens étymologique est « bien mourir ».Le débat sur les conditions danslesquelles la loi devrait déterminer lesrègles à appliquer pour bien mourir estdéjà très ancien et rebondit régulière-ment. La Hollande et la Belgique auto-risent les médecins à pratiquer desgestes dont le but est d’interrompre lavie. En Suisse, la promotion pour lesuicide assisté et son organisation sontpresque libres.Pour sérier le problème, il convient depréciser exactement ce dont on parle.L’interruption d’une réanimation qui aperdu son objectif, celui de rétablir unepossibilité de vie relationnelle, est unrefus d’acharnement thérapeutique etnon pas un geste d’euthanasie. L’ac-

compagnement d’une personne en finde vie et la mise en œuvre de tous lestraitements nécessaires à éviter lesdouleurs, physiques ou psychiques, estun acte médical classique : lorsqu’il nepeut plus guérir, le médecin garde ledevoir de soulager, et cette obligationl’emporte sans conteste sur celle deprolonger la vie.

LA LOILa Loi Leonetti de 2005 a élargi le conceptde refus de l’acharnement thérapeu-tique : chez un malade dont la respira-tion et les battements cardiaques sontautonomes mais chez lequel tout espoirde rétablissement d’un niveau deconscience permettant un échange avecautrui a disparu, la simple poursuite dela nutrition et de l’hydratation peut êtreassimilée à un acharnement thérapeu-tique. À la demande de la famille et aprèssaisine d’un comité ad hoc, ces mesures

L’EUTHANASIE : UN DROIT ? UNE LIBERTÉ ?La société n’a pas à autoriser l’homicide par la loi mais il convientqu’elle sache se montrer indulgente.

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PAR JEAN SALEM*

Le bonheur, par conséquent, n’étantpas de vivre, mais de bien vivre, lesage, écrivait fermement Sénèque,

vit autant qu’il le doit, et non pas autantqu’il le peut. « Quand on a le choix entreune mort accompagnée de tortures etune mort simple, commode, pourquoine pas s’adjuger cette dernière ? »1. Ontrouve même des « professeurs desagesse », qui dénient qu’on ait le droitd’attenter à sa propre vie, qui tiennentpour une impiété de se faire le meurtrierde soi-même et veulent qu’on attendepour sortir de la vie l’ouverture fixée parla nature. Mais « parler ainsi, c’est ne pascomprendre que l’on ferme la route dela liberté », libertatis via2 ! Certes, parfoisle sage, lors même que sa mort estdécidée, ne voudra pas prêter son brasà l’exécution : c’est le parti que pritSocrate, qui eût pu se laisser mourir defaim, plutôt que de demeurer duranttrente jours dans sa prison avant d’ab-sorber le poison. Mais il peut aussi bienconsidérer, quand il prévoit que, trois ouquatre jours après, son ennemi aura lepouvoir de le faire mourir, qu’en ne sedonnant pas la mort il travaille vérita-blement pour un autre3. C’est donc,encore une fois, à la fin de sa propre vie(et nullement à l’au-delà) que Lucilius,le correspondant – probablement fictif –des Lettres rédigées par Sénèque, estinvité à se préparer : « comment la penséede finir viendra-t-elle à ceux dont les

convoitises ont un objet illimité et pointde fin ? Voilà l’exercice (le latin dit : medi-tatio) indispensable entre tous »4 ; c’està cela enfin, et à rien autre chose, queparaît servir la longa meditatio dont ilest une nouvelle fois fait état à la fin decette même Lettre 705.

LA CLEF DES CHAMPSCertains oiseaux, remarquait Épictète,autre philosophe stoïcien, se laissentmourir de faim plutôt que de supporterla vie dans une cage : « ainsi, déclarait-il, appellerons-nous libres les êtres quine supportent pas d’être capturés et qui,dès qu’ils sont captifs, s’évadent par lamort »6. Aussi, lorsqu’à la fin du Pierre etJean de Maupassant, Pierre Roland, quia embarqué en tant que médecin sur unpaquebot transatlantique, descend dansl’entrepont et aperçoit « un grand trou-peau d’émigrants » fait de centainesd’hommes, de femmes et d’enfantsétendus sur des planches superposéesou « grouillant par tas sur le sol », il aenvie, en songeant « au travail passé, autravail perdu, aux efforts stériles, à la lutteacharnée, reprise chaque jour en vain,à l’énergie dépensée par ces gueux, quiallaient recommencer encore, sans savoiroù, cette existence d’abominable misère,[...] de leur crier : “Mais foutez-vous doncà l’eau avec vos femelles et vos petits” ! »7.Car on comprend malaisément quel’animal humain paraisse pouvoir toutendurer sans se révolter ni quitter lascène.

LA POSSIBILITÉ DU SUICIDE, INGRÉDIENTDU BONHEUR HUMAINNul ne choisit de naître ; mais nul ne vit sans le vouloir.

de survie peuvent être interrompues, lasédation augmentée, le malade s’étei-gnant en quelques jours.Ce qui est vraiment en cause dans lesdiscussions sur l’euthanasie, c’est l’in-troduction dans la loi d’une clause auto-risant le médecin, voire une tiercepersonne, à en faire mourir une autre àsa demande. Il peut s’agir par exempledes personnes qui craignent ladéchéance et qui demandent à « mourirdans la dignité » pour reprendre le titrede l’association éponyme. Le désir individuel de vouloir mourir,que ce soit en se suicidant, en requérantune aide au suicide ou en sollicitant unacte d’euthanasie n’appelle de la part dela société laïque aucune réprobationmorale. Il ne s’ensuit pas, bien sûr, qu’ilrevienne à la société « d’offrir ce service »à qui le demande.

UNE AUTHENTIQUE LIBERTÉPour résoudre ces situations toujourstragiques, il convient de se rappeler quela signification d’une demande à mourirest avant tout celle d’un appel à l’aidelorsque la vie devient insupportable. Biensûr, désirer mourir lorsque l’on ne peutpréférer continuer à vivre, n’est pas uneliberté mais le résultat d’une violentecontrainte, celle que fait peser le déses-poir, la dépression, le sentimentd’abandon, la douleur... Dès lors, chacunreconnaîtra qu’une réponse humanisteà cet appel au secours commence pars’efforcer de rétablir les conditions d’uneauthentique liberté : bien sûr soulagercelui qui souffre, apporter de la présenceet de l’affection à qui se sent abandonné,tenter de démontrer au déprimé ou audésespéré que demain peut lui faire vivredes joies….C’est la raison pour laquelle on ne peut,en toute éventualité, accepter que laréponse première à des telles demandessoit l’organisation du suicide assisté ouun acte d’euthanasie direct.Concernant ce second type de réponse,il faut remarquer qu’il est loin d’êtreanodin puisqu’il revient à introduire dansnotre loi des exceptions à l’interdictionde tuer, la seule qui figure aujourd’huiétant celle de la guerre. Je me résoudrais à une loi d’euthanasiesi c’était là le seul moyen de calmer lessouffrances car la société se doit en effetde protéger ses citoyens contre les agres-sions intolérables et la douleur peut êtrel’une d’entre elles. Nous l’avons vu, ilexiste aujourd’hui des moyens thérapeu-tiques et un dispositif législatif permet-tant de soulager sans avoir pour cela à

promulguer une loi d’euthanasie.Cela dit, il existe sans conteste des actesd’euthanasie qui manifestent une vraiesolidarité. Depuis cinquante ans, lesauteurs de tels délits n’ont jamais étécondamnés mais l’acquittement n’estsurvenu, souvent, qu’au terme d’unprocès d’assises. Peut-être y-a-t-il làacharnement procédural et convien-drait-il que la société manifeste plussimplement son indulgence. Je serais dece fait favorable à ce que l’on étudie desdispositifs qui permettraient d’inter-rompre une procédure judiciaire lorsquele caractère généreux de l’acte d’eutha-

nasie a été reconnu, sans aller pour celaobligatoirement jusqu’au procès. Lemodèle d’un tel système est celui desnon-lieux prononcés apparaît de façonpatente avoir été commis en état de légi-time défense. En bref, selon moi la société n’a pas àautoriser l’homicide par la loi mais ilconvient qu’elle sache se montrer indul-gente. Par ailleurs, la souffrance doitêtre soulagée même lorsque ce soula-gement risque d’abréger les jours dumalade. n

*Axel Kahn, président de l’université ParisDescartes

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LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2011

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LE DOSSIER Euthanasie : a-t-on le droit de mourir ?

Se “foutre à l’eau” serait assurément legeste du désespoir, mais d’un désespoirfoncièrement... libérateur ! Il y a aumoins une porte à cette vie, que nouspouvons toujours ouvrir, pour passerde l’autre côté. L’être humain estcapable d’un « acte qui met un terme àtous les autres » ; qui, ainsi que le ditCléopâtre (la Cléopâtre de Shakespeare),avant de se donner la mort, « garotte lesaccidents, muselle les vicissitudes »,which shackles accidents, and bolts upchange, et « délivre enfin le sommeil »8.Cette tranquille affirmation d’un droitau suicide, nous la retrouvons – sans lapassion ni le désespoir – dans la tradi-tion libertine, au XVIIe siècle (je penseà ce traité anonyme, intitulé Theo-phrastus redivivus : dans le cinquièmetraité de ce volumineux ouvrage, l’au-teur déclare que si besoin était il seraittout prêt à partir, paratus exire sum, etque c’est là justement la raison pourlaquelle il sait profiter de cette vie9). Et

nous retrouvons cette même affirma-tion, déjà, chez Montaigne, lequel cite,comme de juste, Épicure : « S’il estmauvais de vivre en nécessité, au moinsde vivre en nécessité il n’est aucunenécessité. Nul n’est mal longtemps qu’àsa faute... »10. Nul ne choisit de naître ;mais nul ne vit sans le vouloir. C’est« qu’au pis aller, la mort peut mettre finquand il nous plaira, et couper broche àtous les autres inconvénients »11. Ouencore, dans un autre de ses Essais : « Leprésent que nature nous ait fait le plusfavorable, et qui nous ôte tout moyen denous plaindre de notre condition, c’estde nous avoir laissé la clef deschamps »12. n

Ce texte est un extrait de Le bonheur oul’art d’être heureux par gros temps, quivient d’être réédité chez Flammarion,Collection Champs Essais, et que nousreproduisons avec l’autorisation de JeanSalem.

*Jean Salem est professeur de philosophie à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne

1) Sénèque, Lettres à Lucilius, LXX, 11 (éd.F. Préchac et trad. H. Noblot) ; Paris, Les BellesLettres, rééd. 1985-1999, t. III, p. 11.

2) Ibid., LXX, 14 ; loc. cit., t. III, p. 12.

3) Ibid., LXX, 8-10 ; loc. cit., t. III, p. 10-11.

4) Ibid., LXX, 17-18 ; loc. cit., t. III, p. 13.

5) Ibid., LXX, 27 ; loc. cit., t. III, p. 16.

6) Épictète, Entretiens, IV, I, 29 ; dans : Les Stoï-ciens, op. cit., p. 1042.

7) G. de Maupassant, Pierre et Jean ; dans :Romans, Gallimard (« Bibliothèque de laPléiade »), 1987, p. 828.

8) W. Shakespeare, Antoine et Cléopâtre, acteV, scène 2.

9) Theophrastus redivivus, Cinquième traité,chap. IV ; éd. G. Canziani et G. Paganini, Florence,La Nuova Italia, 1982, vol. II, p. 779-780.

10) Cf. M. de Montaigne, Essais, I, XIV (loc. cit.,t. I, p. 67) ; ainsi qu’Épicure, Sentence Vati-cane 9.

11) M. de Montaigne, Essais, I, XX ; loc. cit.,t. I, p. 83.

12) Ibid., II, III (cf. ci-dessus, notre p. 81).

PAR BERNARD DEVALOIS*

Dans le premier cas il existe unevolonté d'un individu de mettre finà sa vie et de recourir pour ce faire

à une aide extérieure. Dans le second,ce sont les proches, qui, éprouvés parl'agonie d'un être cher, hors d'état decommuniquer et donc d'exprimer savolonté, sollicitent qu'il soit mis fin à sesjours « pour abréger ses souffrances « (etles leurs !). Cette demande et ce désirsont certes respectables et font partie del'orage émotionnel qui survient en cettepériode troublée qu'est l'approche de lamort. Ils doivent faire l'objet d'une priseen charge adaptée. Mais c’est de la volonté de traduirecette demande (ou ce désir) en termede « droit à » que naissent les actuellespolémiques. Une certaine formed’idéologie libertarienne prône uneprééminence absolue de la liberté indi-viduelle. La société ne pourrait aucu-nement y faire entrave et devrait lesmettre en œuvre sans les discuter.Malgré les amalgames savammentdistillés, la légalisation de ces pratiques

n'a rien à voir ni avec des valeursprogressistes, ni avec le juste combatpour l'IVG. Bien au contraire c'est cetteidéologie libertarienne qui justifie parexemple le droit à l'autodéfense et ledroit au port (voire à l'usage!) d'unearme pour se protéger soi-même, sansfaire confiance à l'État. Derrière la revendication d'un « droit àchoisir sa mort », il existe des problé-matiques particulièrement complexes.Précisons bien qu’il ne s’agit pas ici dedisserter sur la valeur morale de « l’eu-thanasie » mais bien de se cantonner àla question politique de la mise enœuvre éventuelle de dispositifs légali-sant ces pratiques. Il convient de laisserde coté les convictions métaphysiqueset religieuses considérées à juste titredans notre État laïque, comme appar-tenant strictement aux convictions indi-viduelles de chacun. La reconnaissancepolitique d’un droit à choisir sa mortrecouvre en fait au moins trois champspossibles, et souvent confondus : le droitde ne pas subir de l’acharnement théra-peutique, le droit de raccourcir la phaseagonique et le droit à un suicide assisté.

Le droit à ne pas subir d’obstinationdéraisonnable (c'est à dire de l'achar-nement thérapeutique) en est le volet leplus simple à aborder. La loi de juin 1999a affirmé le droit à mourir soulagé etaccompagné. La loi d’avril 2005 (dite loiLeonetti) a interdit l'acharnement théra-peutique. C’est bien le malade lui-mêmequi a le dernier mot sur le caractère dérai-sonnable ou non des soins qui lui sontprodigués. Il peut imposer à son médecinde les arrêter. S’il n’est plus en capacitéde décider lui-même, différentes procé-dures permettent d’approcher au plusprès ce qu’aurait été sa volonté (personnede confiance, directives anticipées,concertation des membres de l’équipesoignante, procédure collégiale…). LaFrance est ainsi le pays qui s’est doté dudispositif législatif le plus avancé aumonde dans la reconnaissance de cedroit. Il reste maintenant à en assurer laréalisation pratique et quotidienne pourchaque citoyen. Dans ce domaine denombreux progrès restent à faire. C'estsur ce point que des positions politiquesfortes sont nécessaires, afin d'obtenir lesmoyens de faire appliquer la loi.

POURQUOI CRÉER UN DROIT À CHOISIR SA MORT ?La demande d’assistance pour provoquer sa propre mort (assistance au suicide) ou le désir d’abrégerl'agonie d'un mourant (euthanasie stricto sensu) ne sont pas des problèmes identiques, bien qu'ils soientle plus souvent confondus sous le vocable discutable de « mourir dans la dignité ».

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Le droit de raccourcir la phase agoniquepose par contre de véritables problèmes.Il est aujourd’hui possible de soulagerles mourants, y compris, dans certainscas exceptionnels, par le recours à destraitements à visée sédative. Peut-onaccepter que, sous le prétexte quecertains médecins ne respectant pas (parignorance coupable) le droit des maladesà être soulagés, il faille donner le droit àces mêmes médecins fautifs, desupprimer leurs patients mourants ? Deplus, et par définition, ces patientsmourants, ne sont plus en capacité d'ex-primer leur volonté de manière éclairée.Il faudrait donc confier à d'autres(proches, médecins) la responsabilité demettre en œuvre une décision qu'ilsauraient exprimées avant de se retrouverdans cette phase agonique.

Le droit à l'assistance au suicideconstitue la demande essentielle de ceuxqui réclament « le droit à mourir dans ladignité». Le suicide est une liberté indi-viduelle que chacun peut choisird’exercer qui n'est pas contesté dans nossociétés modernes. Mais, certains mili-tent pour que cette liberté devienne undroit à l'assistance au suicide. Ils esti-ment que la société doit mettre en œuvrela décision de mourir de tous ceux quien font la demande. Ils laissent entendreque cette mort choisie serait la seule mortdigne. Pour eux, la première étape decette reconnaissance est qu’un tel droitsoit d'abord accordé aux patients enphase terminale. Une fois cette étapefranchie, il ne resterait plus qu’à l’élargirpetit à petit à tous ceux qui en feraientla demande. C'est par exemple le cas auxPays Bas, où les partisans de ce courantde pensée réclament maintenant que ledroit à l'injection létale (déjà accordéaux malades en phase terminale) soitouvert à toute personne de plus de 70ans, même indemne de toute pathologiemais simplement lassée de la vie.

A L’ÉTRANGERLes rares dispositifs législatifs mis enplace à l'Étranger devraient pourtantinciter à la plus grande prudence. EnSuisse (dépénalisation de l'aide désin-téressée au suicide), les pratiquesdéviantes de l’association Dignitas ontfait l’objet de nombreux scandales. Legouvernement fédéral helvétique estd’ailleurs en train de travailler à uneréforme législative sur l’assistance ausuicide. Aux Pays-Bas (droit à une assis-tance médicale au suicide pour desmalades en phase terminale) de plus

en plus de questions se posent sur lamise en œuvre des dispositifs légaux.Une polémique vient d'opposer lesautorités et les commissions régionalesde contrôle en raison de divergencesd’appréciation sur les poursuites àengager en cas de non-respect de la loi.Els Borst, Ministre de la Santé qui a misen place le dispositif néerlandais, vientde reconnaître, dans un livre récent, quecette loi était malvenue et avait sousestimé l'importance à donner aux soinspalliatifs. En Belgique (dispositif simi-laire aux Pays Bas) des études scienti-fiques récentes montrent l'administra-tion illégale de produits destinés àprovoquer la mort, sans que celaréponde à une demande explicite dupatient, représente un nombre de décèséquivalent à celui lié à des euthanasieslégales. D’autres publications scienti-fiques ont également révélé la pratiqueillégale d’euthanasies de nouveau-nés

ou d'enfants et même l’organisation deprélèvements d’organes sur des patientsayant subi une euthanasie. On peut sans doute juger d'une sociétéà la façon dont elle accompagne lesmourants. En France, des progrèscertains ont été accomplis, mais denombreux autres restent à faire. Maisc’est probablement une chimère que decroire qu’une légalisation des pratiquesvisant à raccourcir la phase agonique oul’instauration d’un droit à l’assistanceau suicide permettraient d’empêcherque la mort ne reste une épreuve terrible.Non la mort n’est jamais douce, mêmequant elle est provoquée par une injec-tion légale. Mais nous pouvons la rendremoins cruelle par un accompagnementde qualité, ce qui sous-entend desmoyens humains suffisants. n

*Bernard Devalois, médecin, ancien prési-dent de la société française d’accompagne-ment et de soins palliatifs- SFAP - (2005-2007).

PAR JEAN-LUC ROMERO*

La mort, avec la sexualité, est l’un desgrands sujets tabou de la société fran-çaise. Dans ces deux matières, pour-

tant au cœur même du parcours dechaque être humain, la France accuse unretard presque liberticide. Des forcesrétrogrades – notamment ceux que j’aiappelés les voleurs de liberté, titre de mondernier livre – largement minoritaires sil’on s’en réfère aux nombreux sondagesqui fleurissent régulièrement, bloquenttoute évolution de la législation au nomd’une certaine morale. Et notre paysaccuse un retard par rapport à ses voisinseuropéens.Cachée, rejetée, la mort fait peur et la faci-lité, ou la lâcheté, fait que nous accor-dons aux médecins, sur notre propre vie,le droit fantastique de décider de ce quiest bon pour nous. L’image du sachantreste ancrée dans notre inconscient etnous nous soumettons.C’est ainsi qu’après l’acharnement théra-peutique, heureusement condamné parla loi du 22 avril 2005, succède l’acharne-

ment palliatif. Les pouvoirs publics fontdu suivi palliatif en fin de vie la seule possi-bilité à offrir aux citoyens de notre pays.L’ADMD milite pour le choix de sonpropre parcours de fin de vie : accèsuniversel aux soins palliatifs et aide activeà mourir.Si les sympathisants de l’ADMD, si ses48 000 adhérents actifs, si les responsa-bles de l’association reconnaissent laqualité du travail conduit par les soignantspalliatifs, ce traitement de la question dela fin de vie ne peut pourtant être qu’unepossibilité parmi d’autres, offerte à celleset ceux qui, même s’ils sont en fin de vieet que la mort se profile au bout duchemin, restent des citoyens à part entière,avec la capacité de choisir ce qui est bienpour eux-mêmes, en accord avec leurconscience et, pourquoi pas, en harmonieavec ceux qu’ils aiment.L’ADMD milite pour un accès universelaux soins palliatifs, comme il existe pournos voisins néerlandais, belges et luxem-bourgeois.Toutefois, faire des soins palliatifs laréponse à toutes les questions de fin de

MOURIR DANS SA DIGNITÉMourir dans la dignité n’est pas une faveur que nous demandons.C’est un droit nouveau à conquérir qui fera de nous des citoyens dudébut à la fin de notre vie.

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LE DOSSIER

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Euthanasie : a-t-on le droit de mourir ?

vie pose de véritables problèmes, tantpratiques que philosophiques. Selon unrapport de l’Inspection générale desaffaires sociales (Igas), seuls 20% des Fran-çais qui en ont besoin accèdent effecti-vement à un lit dans une unité de soinspalliatifs. Les autres n’ont pas d’autre solu-tion que de mourir dans des servicesinadaptés à la prise en charge de la fin devie, au milieu de malades qui, eux, vontguérir. Plus encore, 45% des départementsfrançais ne disposent pas d’unité de soinspalliatifs. Que faire alors ? De plus,comment imaginer qu’un pays, la France,qui, aujourd’hui, coupe les crédits à lasanté, crée une médecine à deux vitesses,privatise certains soins puisse offrir àtoutes celles et à tous ceux qui en ontbesoin une place en unité de soins pallia-tifs lorsque le besoin s’en fera sentir ? Ilfaut impérativement donner aux soinspalliatifs l’importance qu’ils méritent dansla gestion de la fin de vie. Mais en faire undroit et non une obligation.

L’ADMD MILITE POUR UNE LÉGALISATION DEL’EUTHANASIE, POUR LA « BONNE MORT »Des voies alternatives aux soins palliatifsdoivent être envisagées, à l’exemple denos voisins du Benelux ; en effet, certainsde nos concitoyens ne veulent pas risquerd’être infantilisés ni drogués dans lesderniers instants de leur vie, ceux préci-sément qui réclament le plus de luciditépour dire au-revoir à leurs amours et àleurs amis. Car en effet, les soins pallia-tifs, c’est parfois un retour vers l’enfance :on nous caresse, on nous raconte deshistoires. Parfois, même, un clown vient

dans notre chambre ! Aimables amuse-ments, mais la dignité de l’adulte est-elletoujours alors préservée ? Par ailleurs, desantalgiques pour atténuer la douleur –elle ne disparaît jamais complètement –sont administrés à des doses si fortes quenous sommes plongés dans un étatsecond ; ce qu’il faut pour nous droguer,mais pas suffisamment pour nous fairemourir, malheureusement, si tel est notresouhait.Car même si un accès universel aux soinspalliatifs devait être garanti aux Françaiseset aux Français, une voie alternative, suivieà la demande du patient et du patientseulement soit que sa volonté estexprimée directement, soit qu’elle l’estpar l’intermédiaire de ses directives anti-cipées ou de ses personnes de confiance,doit être l’aide active à mourir (si le patientn’a pas la capacité d’accomplir un gestecomme avaler une potion létale ou ouvrirle robinet d’une perfusion, le tout sousun contrôle responsable) ou le suicideassisté (si le patient a encore la capacitéd’accomplir un tel geste). Cela existe dansles pays du Benelux. C’est un droit, et non,évidemment, une obligation. Ce droit estencadré et peut donner lieu à la sanctionde l’accompagnateur s’il a été accomplien dehors de la loi. C’est ainsi qu’en 2009,aux Pays-Bas, 2 636 personnes ont béné-ficié d’une euthanasie ; 822 en Belgique.Nous sommes loin d’une hécatombe.Alors quoi. Pourquoi nous priver d’uneliberté qui permettrait à ceux qui sontvolontaires, de quitter les leurs à leurrythme, bien éveillés, souvent dans undécor qu’ils ont choisi eux-mêmes, après

avoir dit les mots de l’apaisement, lesmots de l’amour ?Que l’on ne nous objecte pas que la sociéténe peut pas s’autoriser à « donner la mort »,selon les termes de nos détracteurs,souvent excessifs. La loi du 22 avril 2005,grâce à la sédation profonde et au doubleeffet des antalgiques, s’autorise déjà ledroit de hâter la mort lorsque celle-ci estproche. Mais c’est le corps médical quidécide, parfois après avoir reçu l’avis dela personne de confiance et lu les direc-tives anticipées, mais pas nécessairement.Et que l’on ne nous objecte pas que lademande d’euthanasie n’existe pluslorsque les soins palliatifs sont bien menés.Elle existe toujours aux Pays-Bas, enBelgique et, depuis peu, au Luxembourg.Et les accompagnateurs en soins pallia-tifs, dans ces pays, reconnaissent que cettepratique est complémentaire du parcourspalliatif. Avec la possibilité d’accomplirun geste d’amour si telle est la volonté dupatient. Un geste de confiance.La dignité, celle pour laquelle l’ADMDmilite depuis 1980, c’est celle de celui qui,pour lui-même et pour lui seul, décide deson propre parcours de fin de vie. Parceque le moment est venu et qu’il reste uncitoyen capable de réflexion et de déci-sion. Jusqu’au bout.Mourir dans la dignité n’est pas une faveurque nous demandons. C’est un droitnouveau à conquérir qui fera de nous descitoyens du début à la fin de notre vie. n

*Jean-Luc Romero est Président de l’ADMD(Association pour le Droit de mourir dans laDignité). Il est l’auteur des Voleurs de Liberté,Florent Massot

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PAR PHILIPPE NASZÁLYI*

É liminons tout de suite l’argumentde modernité ou de sens inéluctablede l’histoire qui voudrait qu’on soit

toujours obligé de copier tel ou telvoisin…A ce compte-là, il n’y auraitjamais eu de Révolution française et l’onsupprimerait tous les droits sociauxpuisque nombre de voisins n’en ont pas.Qui donc réclame ce droit ? Pour lemoment ce sont plutôt des personnesplutôt en bonne santé qui se projettent« en fin de vie ». La « fin de vie ». Qui peutsavoir « le jour et l’heure » ? L’expressionn’a en fait, aucun sens réel. Cela ne veutpas dire que ce temps n’advient pas, maiscela veut dire qu’il n’est pas défini.Comment alors légiférer sur ce qui n’estpas défini sinon à confier à des tiers lesoin de le repérer à votre place. De fait,ce droit personnel et revendiqué commetel, droit à mourir, paradoxalement, seraexercé par un tiers sûr et pour soi.Curieuse conception de la responsabi-lité personnelle sinon de l’amour.

LA DIGNITÉDeuxième grand vide de définition : ladignité ? Qu’est-ce que la dignité ? On lapense, on la ressent, on la voit, peut-être,on en parle sûrement, mais on ne ladéfinit jamais. Dans la langue classique,le mot dignité désigne un titre, une fonc-tion à laquelle est attaché un honneur.La dignité est une apparence sociale qu’ilfaut soutenir. Or la mort est devenue l’in-verse de cette projection sociale. On nemeurt plus guère en public à l’instar deLouis XIV ou des gens simples de la fable :« Un riche laboureur, sentant sa mortprochaine, Fit venir ses enfants, leurparla sans témoins »La mort n’est plus publique, on meurtplutôt en catimini et dans la plupart dutemps dans la solitude. On « épargne »ces derniers instants souvent auxproches. L’évolution sémantique qui sefait sous l’influence des mentalités et desconceptions des droits de l’homme etde la laïcisation des pratiques en Occi-dent, ont rapproché ces deux termes : ladignité s’est étendue et l’intimité s’estréduite. La dignité n’est plus attachée àun titre ; elle est devenue ce qui mérite

le respect des autres. Derrière ces deuxnotions de l’intimité et de la dignité, sepose donc la question du respect. Mais qu’est-ce que le respect ?Aujourd’hui, tout le monde revendiquele respect. Pour Kant, le respect est lesentiment pour la loi morale. La dignitéest donc absolue et contingente à l’hu-manité. C’est pourquoi le respect ne peuts’adresser qu’à des personnes et non àdes animaux ou à des choses. Quelle quesoit sa dégradation physique ou morale,tout homme est digne, du fait même qu’ilest homme1.La dignité, c’est le maintien de l’huma-nité en soi y compris dans l’abjection dela mort atroce des camps d’extermina-tion. La victime même réduite ne peutse voir enlever sa dignité quelle qu’ac-tion immonde que le bourreau tente,parce qu’elle reste humaine. La dignitéest « quelque chose qui est du à l’êtrehumain du seul fait qu’il est humain2»comme la définit Paul Ricœur. C’est lerappel de la culture face à l’animalité,l’affirmation de l’humanité face à labarbarie. Pourquoi se poser alors le problème etjustifier d’une loi qui faciliterait le droitde mourir ? Qu’on ne nous dise pas quec’est pour combattre la douleur oul’acharnement thérapeutique. La loiKouchner de 2002 a autorisé l’adminis-tration de produits antidouleur et la loiLéonetti de 20053, qui fait suite à l’affaireHumbert4, instaure une définition trèsclaire du traitement de la fin de vie :« sile médecin constate qu’il ne peutsoulager la souffrance d’une personne,en phase avancée ou terminale d’uneaffection grave et incurable, qu’elle qu’ensoit la cause, qu’en lui appliquant untraitement qui peut avoir pour effetsecondaire d’abréger sa vie , il doit eninformer le malade … , la personne deconfiance …, la famille ou à défaut undes proches.»

QUE DEMANDENT LES PARTISANS DE L’EUTHANASIE ? Nous entendons tous, ces phrases queparfois nous avons aussi prononcées etqui se résument au fond à deux : « vivreuniquement grâce à une machine, c’est« végéter », ou « regardez ce qu’il (elle)

est devenu(e), ce n’est que l’ombre delui-même » « Il vaudrait mieux être mort»,est la conclusion de celui qui, générale-ment bien portant, projette ses proprespeurs dans l’autre et l’image qu’il se faitde lui-même. « Car c’est moins la mortd’un autre que nous ressentons lors d’undeuil, que la disparition de lambeaux denous-mêmes…5» comme le dit si juste-ment Claude Levi-Strauss. Il n’appar-tient à quiconque de décider pour monalter ego, «mon semblable, mon frère »,mais dont l’altérité est irréductible à moi.L’autre n’est pas moi ! Le respect requiertdonc une exigence avec soi-même pourdépasser ses penchants spontanés,immédiats6.Sans référence à une croyance religieuse,extérieure ou transcendante, il peutparaître très risqué de justifier un « droità mourir dans la dignité ». Décider dela mort d’un autre, car il s’agit bien decela, ne nous le cachons pas derrière lesmots, est bien un acte qui ne peut sefonder sur de bons sentiments ou desopinions qui, pour intéressantes qu’ellessoient, ne peuvent qu’être arbitraires etbien souvent fluctuantes avec le temps. Revenons donc à quelques références etprenons comme fondement la Déclara-tion universelle de 1948. Elle nous ditclairement que : "Tout individu a droità la vie, (art.3), que « Nul ne sera soumisà la torture, ni à des peines ou traite-ments cruels, inhumains ou dégra-dants."(art.5) et qu’«Aucune dispositionde la présente Déclaration ne peut êtreinterprétée comme impliquant pour unEtat, un groupement ou un individu undroit quelconque de se livrer à une acti-vité ou d'accomplir un acte visant à ladestruction des droits … qui y sonténoncés."(art.30) On ne peut être plusexplicite. Il ne nous appartient donc pas,Etat ou individu de mettre un terme àla vie. Tout le reste est le sentiment quenous nous sentons supérieurs à la loimorale comme Kant le disait, que nouscroyons pouvoir nous exonérer d'elle,que nous voulons définir la vie et la mort.C’est ce que depuis les Grecs, on appelle« ubris » ou démesure, ou folie, ouorgueil… Dans notre Europe, bien imparfaite sansdoute, mais qui a voulu instaurer un

MOURIR DANS LA DIGNITÉ NÉCESSITE-T-IL L’EUTHANASIE ?Depuis un moment, sous la pression des modes de pensée, mais aussi de l’évolution de la médecine, sedéveloppe, à l’instar de quelques pays voisins, non pas vraiment une réflexion, mais plutôt une revendi-cation qui se dit « moderne » sur un droit nouveau qui s’intitulerait « mourir dans la dignité ».

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LE DOSSIERSUITE DE

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Euthanasie : a-t-on le droit de mourir ?

monde diamétralement opposé aunazisme, la Cour européenne des Droitsde l’Homme, dans l’arrêt du 29 avril 2002,affirme qu’«il n’existe pas de droit fonda-mental à la mort » qui serait le pendantde celui bien réel et proclamé lui, « dedroit à la vie ».Et Robert Badinter de rappeler avecsagesse à ce sujet qu’« Il est dangereuxde légiférer à partir d’un cas particulierpour un cas particulier. La loi est norma-tive et universelle, elle dit la règle et s’ap-plique à tous ».« L'homme est le seul animal qui allumele feu et enterre ses morts7», le seul àpratiquer ce qu’on appelait au Moyen-âge, l’« ars moriendi », l’art du bienmourir qui, s’il a perdu souvent soncaractère religieux, reste bien une ques-tion centrale.

« Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée,

Sous le faix du fagot aussi bien que des ans

Gémissant et courbé marchait à pas pesants,

Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.

Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,

Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?

En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?

Point de pain quelquefois, et jamais de repos.

Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,

Le créancier, et la corvée

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.

Il appelle la mort, elle vient sans tarder,

Lui demande ce qu'il faut faire

C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir ;

Mais ne bougeons d'où nous sommes.

Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes. »

Nous sommes donc toujours devant cechoix que notre société ne peut s’exo-nérer de considérer : Ou bien la vie estpar nature sacrée comme le reconnais-sent les droits de l'homme. Elle ne l'estpas un peu, au gré du vent, des époqueset de nos ressentis personnels si loua-bles soient-ils ! Elle l’est.Ou bien alors l’individu ou un groupe atous les droits y compris de s’affranchirdu domaine de la vie. Quelle peut êtrealors la limite ? N’oublions pas que l’euthanasie (la« bonne mort » ou « mort heureuse »),pourra alors, s’étendre au gré des lois etdes modes. Des motifs humanistes onpasse vite à la satisfaction d’intérêtséconomiques. Qui, si la vie n’est passacrée, peut garantir que les abus nel’emporteront pas ? L’Histoire est là pour

nous rappeler à la modestie. Qu’on leveuille ou non qui pourra dire ensuiteque l'euthanasie (et oui, le même mot.)des "anormaux" par les nazis, à partir de1934 ou la mort programmée des vieil-lards inutiles même au son d’« au Matin» du Peer Gynt de Grieg comme dans lefilm « Soleil vert » (Soylent Green) sontautre chose que le pouvoir exorbitantd’un homme quelconque sur la vie d’unautre ? Depuis l’Orestie, nous savons quela Civilisation le refuse et que la sociéténe peut se l’arroger…Et si nous revenions, pour conclure, à lafable, plus légère, mais tout autantsymbolique. Ces quelques vers de LaFontaine illustrent, s’il en était besoinencore, qu’une chose est de vouloir« mourir dans la dignité », lorsque l’onn’est pas confronté à l’heure ultime, etle vouloir vraiment, en ce moment précis.Il y a quelques jours, le député PatrickRoy, qui se bat contre la maladie et lamort provoquait une « standing ovation »en s’adressant à ses pairs ainsi « Face àla mort redoutée, il y a la vie espérée. Cesouffle, vous me l'avez tous donné.Jamais je ne l'oublierai...ce souffle, il fautaussi le donner aux millions de victimesqui, comme moi, luttent pour la vie. Lavie est tellement belle. Ces victimes,aimons-les, entourons-les. Le cœuraccomplit des miracles», Alors décider de la vie d’un autre au nomde l’euthanasie. Qui en est digne ? n

1) Kant a ainsi revendiqué sans ambiguïté laliberté humaine et, respectant la dignitéhumaine, renvoyé l'aperception de cetteliberté au domaine de la subjectivité, dont ilest principalement traité dans la Critique dela raison pratique (1788).

2) Paul Ricœur, in J.-F. de Raymond, LesEnjeux des droits de l’homme, Paris,Larousse, 1988, p.236-237

3) Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relativeaux droits des malades et à la fin de vie.

4) L’affaire Vincent Humbert, tétraplégique,aveugle et muet suite à un accident avaitdemandé à mourir : « Je vous réclame le droitde mourir » écrivait-il au Président de laRépublique, Jacques Chirac. Sa mère, MarieHumbert et le médecin, Frédéric Chaussoy,l’ont aidé à mourir (24 septembre 2003), misen examen, il y a finalement un non-lieu enfévrier 2006.L’affaire Vincent Humbert avaitmis en avant le manque légal par rapport àcette question de société

5) « Hommage à Alfred Métraux », prononcépar C. Lévi-Strauss, le 17 juin 1963.

6) J-M Nicolle, Dignité, intimité ; contribu-tion à une journée d'étude sur les droits despatients, à l'hôpital psychiatrique deSotteville-Lès-Rouen, 27 novembre 2003)

7) Rémy Chauvin

*Philippe Naszàlyi, Universitaire, Directeurde presse

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PAR GUY FISHER*

Le 25 janvier dernier, le sénat aexaminé en séance publique un texteissu de la commission des affaires

sociales émanant de trois propositionsde loi, dont la mienne, toutes relatives àl’euthanasie. Dix-huit des vingt-quatremembres du groupe CRC-SPG ont signécette proposition de loi et je respecteceux qui n’ont pas voulu le faire.

UNE QUESTION ÉTHIQUECe débat sur une question éthiquecomplexe, alors que la société évolue enpermanence, était nécessaire. C’est ceque la commission des affaires socialesa permis et je regrette sincèrement quece texte n’ait pas été adopté.Pour ma part, mes convictions person-nelles m’ont amené à réfléchir sur la ques-tion de la fin de vie et de ce point de vue-là, je suis en parfait accord avecl’association pour le droit à mourir dansla dignité. Nous avons tous en tête les casdouloureux de Vincent HUMBERT etChantal SEBIRE largement médiatisésqui ne doivent pas nous faire oublier les1500 à 1800 autres euthanasies pratiquéesdans la clandestinité. Nous sommesconfrontés à un vide juridique face à detelles situations. Si l’adoption de la loi du4 mars 2002, relative aux droits dumalade, puis celle du 22 avril 2005 rela-tive aux droits des patients en fin de viea considérablement fait évoluer leursdroits, elles ne reconnaissent pas celui àl’euthanasie. La loi Léonetti permet aupatient conscient d’exprimer sa volontéde ne pas recevoir les soins indispensa-bles à sa survie. C’est une avancée.

LE CONTENU DE LA PROPOSITIONLa proposition de loi qui a été discutéeen janvier dernier traduisait la reconnais-sance des droits de la personne malade :• Droit au refus de tout traitement • Droitau soulagement de la douleur • Droit aurespect des directives anticipées • Droitde se faire représenter par une personnede confiance • Droit à l’information etd’accès au dossier médical.Le dispositif contenu dans ce texte estextrêmement encadré : le patient doit clai-rement faire connaître sa volonté de béné-ficier d’une euthanasie soit par lui-mêmes’il en est capable, soit avec des directivesanticipées récentes et précises, c’est-à-direnon générales et portant sur la maladiedont il est atteint. Dans tous les cas, lademande du patient entraîne l’examen dela situation médicale par deux médecinsqui doivent également le rencontrerpersonnellement afin de vérifier le carac-tère libre, éclairé et réfléchi de cettedemande. Nous proposons qu’à cette occa-sion les professionnels informent le patientde la possibilité qui lui est faite de bénéfi-cier de soins palliatifs. A l’issue d’unepériode de huit jours, les deux médecinsremettent au patient et à sa personne deconfiance un rapport dans lequel ils expo-sent leurs conclusions. Si celles-ci consta-tent qu’en l’état des données acquises dela science le patient est incurable et quecelui-ci confirme lors de la remise de sesconclusions qu’il souhaite toujours béné-ficier d’un acte d’euthanasie, alors lemédecin saisi de cette demande satisfaità la demande répétée du patient dans undélai qui ne peut pas être supérieur à 15jours. Le patient pouvant naturellement àtout moment renoncer à la procédure

entamée. Considérant que cet acte pour-rait contrevenir à la conscience d’un certainnombre de médecins, nous prévoyons lapossibilité pour ces derniers de refuser dele pratiquer mais associons à ce droit derefus, une obligation : celle d’orienter lepatient vers un professionnel capable desatisfaire –si les conditions sont requises–à la demande du patient.

PARTIR DIGNEMENTAu fond, si j’ai déposé cette proposition deloi, c’est parce que je suis profondémentconvaincu que la question du choix àmettre en oeuvre, librement consenti, desconditions de sa propre fin de vie lorsquela maladie, incurable, invalidante, ou bienl'accident de la vie, nous confine dans l'in-capacité à vivre une vie normale et ou, porteatteinte à notre dignité, est quasi impos-sible aujourd’hui. L’ultime liberté c’est dedécider du moment de sa mort, du seuilde souffrance que l’on peut supporter, c’estaussi porter soi-même un jugement sur ceque signifie la dignité. Le respect de la libertéindividuelle doit nous conduire à accepterque des patients décident de bénéficierd’une aide active à mourir. Qu’également,des femmes et des hommes aient uneconscience exacerbée des souffrances qu’ilspourraient endurer au point de ne pasvouloir continuer à vivre dans de tellesconditions et souhaitent ainsi rédiger deleur vivant des « directives anticipées ».Pour avoir reçu de nombreux témoignagesde familles qui, toutes, ont souffert de voirpartir un parent dans des conditions terri-bles, sans pouvoir agir, devenant specta-teurs de sa fin de vie, la question de la finde vie dans de telles conditions m’inter-pelle. Le terme « euthanasie » signifie« bonne mort » en grec : il traduit le sensque j’ai voulu donner tout au long desdébats à cette proposition de loi. Elle netend pas à faire de l’assistance médicaliséela seule mort possible, ni à la généraliserou à l’imposer à toutes et à tous. Elle n’apour objectif que de permettre à celles etceux qui le souhaitent de partir dignement,avant que la souffrance physique oupsychique ne soit trop forte, avant que lamaladie et les dégradations qui l’accom-pagnent l’emportent sur l’humanité. n

*Guy Fisher est sénateur

ASSISTANCE MÉDICALISÉE À MOURIR, PROPOSITION DE LOI Un débat nécessaire sur une question éthique complexe dans une société qui évolue.

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LE DOSSIER Euthanasie : a-t-on le droit de mourir ?

PAR JEAN-LUC GIBELIN*

Nous sommes très attentifs à ce quis’écrit et s’échange sur cette problé-matique. Il n’est pas possible de

répondre simplement ou trop succincte-ment sur ce sujet. C’est une affaire deconscience personnelle et sur cette ques-tion, plus que sur tout autre, des points derepères sont à identifier mais la questionreste ouverte. La problématique doitchaque fois être étudiée au cas par cas. Sansdoute est-il pertinent de la travailler dupoint de vue du patient, des patients. A cetitre, le sentiment de perdre sa dignité quidépend de chaque individu est particuliè-rement important. Cela est directement enlien avec l’image renvoyée par le regard desautres, par la place dans la société, par laqualité perçue de l’accompagnement. Ledébat existe dans notre commission, il vase poursuivre ; il n’y a pas de réponse défi-nitive ni de terme à ce débat, il est défini-tivement ouvert et équilibré.

LES POINTS DE VUEUne tentative de synthèse des points devue différents donne les élémentssuivants : La propension du gouverne-ment actuel à légiférer sur les questionstouchant aux choix individuels de vie età l'intime est suspecte pour nous ! D’au-tant que la dimension « moralisatrice »du pouvoir et le poids idéologique du« politiquement correct » sont particu-lièrement présents dans les actes gouver-nementaux. La pertinence d’unenouvelle loi sur cette question est posée.L’arsenal juridique existant est-il totale-ment utilisé et n'est-il pas réellementsuffisant ? Autant est-il évident que la question sepose de permettre à la personne dechoisir de mettre fin à ses jours dans ladignité, lorsqu'elle le désire, autant il estinadmissible de condamner pénalementune personne qui aurait assisté unepersonne dans cette décision pourabréger ses souffrances, autant il neparait pas acceptable de dépénaliserglobalement l'euthanasie. Ceci ouvriraitla porte à toutes les dérives eugénistesaux relents dramatiques. Il y a besoind'une réflexion autour des garanties àobtenir pour respecter les choix des indi-

vidus et l'accompagnement des profes-sionnels... sans aucune sanction... Cedomaine est largement ouvert. Il toucheaussi à la notion d’euthanasie réclamée,de suicide assisté. Les pratiques d'hu-manité existent dans de nombreux lieuxde soins même si elles sont particuliè-rement « perso dépendante » ! Ellesdoivent être encouragées et renforcées. Le pire serait de définir des critères " ditsobjectifs" à partir desquels l'euthanasieserait légale ! Notamment puisque celapermettrait alors de « systématiser » l'eu-thanasie à ces types de populations. Ceserait la généralisation et la légalisationde pratiques comme celles qui considè-rent qu'à partir d'un certain âge on neva plus "investir" dans des soins coûteux(greffes,..).Des arguments pour en rester à la situa-tion législative et règlementaire actuellese trouvent dans la conclusion du livred'A. Kahn "L'ultime liberté", page 133.Il est un des défenseurs de la loi Léonetti :"...l'actuelle législation française m'ap-paraît équilibrée et juste, de nature àpermettre de faire face aux douleurs etdétresses physiques et psychiquesrebelles dans une grande variété de situa-tions. Les textes pour y parvenir neremettent pas en cause la dignité despersonnes quel que soit leur état et n'éta-blissent pas de nouvelles exceptions -après la guerre- à l'interdiction dedonner la mort à autrui. Je m'en félicite.Il existe sans doute des circonstancesparticulières, exceptionnelles, poussanten conscience quelqu'un, médecin ouproche, à transgresser cette dernièrerègle. Il importe aussi d'instruire leurscas avec humanité selon le principed'une société sachant à la fois s'accordersur des principes et pardonner qui entransgresse la lettre plus que l'esprit".A l’inverse, la perspective d’unenouvelle règlementation n'apparaît pasen opposition avec les soins palliatifs,sauf que les soins palliatifs n'ont pasles moyens humains et matériels defonctionner et les places identifiéessont en nombre insuffisant et surtoutpas valorisées à la hauteur des besoins.La question des unités de soins pallia-tifs est un début de réponse, mais ellen'est pas unique en soi !

PROJET DE LOI DU13 OCTOBRE 2010 Le groupe des sénateurs communistes,républicains, citoyen et du parti degauche a déposé un projet de loi le 13octobre 2010 sur « la liberté pour lespersonnes atteintes d’une maladie incu-rable de recourir à une euthanasie volon-taire reste à conquérir ». Le préambuledu projet de loi pose une définition del’euthanasie volontaire, acte médicalvisant à accélérer la mort d’un maladequi en fait la demande dans le butd’abréger ses souffrances. Il acte ensuiteque la loi du 4 mars 2002 a marqué unepremière étape mais qu’elle ne règle pastoutes les situations. La « sédation termi-nale » ne parait pas satisfaisante auxauteurs du projet de loi pour la demandelégitime d’une fin de vie calme, rapideet digne. Les auteurs démontrent quedans les pays s’étant dotés d’une légis-lation autorisant l’euthanasie volontaire,sa mise en œuvre a favorisé le dévelop-pement des centres de soins palliatifsplutôt que de s’y opposer. Le préambuledu projet de Ioi se termine avec la propo-sition à l’instar de ce qui existe enBelgique et aux Pays-Bas d’un droit àl’euthanasie volontaire. Le projet de loilaisse, bien sûr, le volontariat ouvertpour le personnel médical et nonmédical d’apporter leur concours à lamise en œuvre d’une assistance médi-calisée pour mourir. Ce rapide éventail des positions actuellesmontre l’ouverture et l’étendue de laproblématique. Les raccourcis ne sontpas de mise en la matière. Au contraire,le débat doit être largement ouvert, lesarguments doivent pouvoir s’échangersur le fond. Pour ma part, je suis pour un positionne-ment équilibré, laissant ouvertes les solu-tions et refusant les anathèmes quiferment le débat. La dimension humaineest à privilégier en veillant aux conditionsde sa mise en œuvre concrète. La dignitédes usagers comme des professionnels,est indispensable. Elle doit être reconquiseet passe par une logique qui réponde auxbesoins humains plutôt qu’à la logiquefinancière. n

*Jean-Luc Gibelin, responsable du secteurSanté, Protection sociale

UN DÉBAT OUVERT, RESPECT ET DIGNITÉ !Le Pcf est intéressé par cette problématique complexe parce qu’éminemment humaine et travaille cesujet tant au niveau de la réflexion interne de la commission santé protection sociale que du travail desparlementaires.

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POUR UNE EUTHANASIE TRÈS ENCADRÉE« Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse, quim’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouillede mes forces et physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie, nebrise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi-même et auxautres. »Ces derniers mots de Paul Lafargue – accompagnés de l’acte annoncé  – furent objet depolémique en leur temps (1911) dans la « bonne société » française. Mais au sein du mou-vement socialiste, ce suicide serein face au refus de la sénescence fut accueilli avecémotion et respect. Les progressistes ont de longue date lutté pour le droit au suicide– conquis seulement dans l’élan de la Révolution française. Les hommes et les femmessont libres de leur vie  : c’est un acquis considérable.La question de l’euthanasie ne nous pose donc pas de problème moral ou métaphysiquetouchant au droit de refuser de vivre une vie dont on ne veut plus. Pour autant, une extension libérale et sans contrôle de ce droit de mourir ne sauraitrecueillir nos suffrages.Considérant l’état réel de notre société contemporaine – mais fait-on des lois pour dessociétés imaginaires  ? –, on est en droit de penser que le pire en la matière pourraitadvenir  : sous couvert d’euthanasie, le meurtre de personnes ne désirant pas mourir. Lamarchandisation à marche forcée de l’hôpital et de tout notre système de soins donne-rait à ce nouveau droit un visage assurément terrifiant. À l’heure où la rentabilité est lemaître-mot hospitalier, on ne devine que trop le sort réservé à ces patients sans le soudont l’état de santé est gravement détérioré. Aux riches l’acharnement thérapeutique  ;aux pauvres une mort vite emballée pour libérer les lits et faire entrer les devises. Cenoir horizon n’est pas évanescent phantasme. Il a ses cyniques zélateurs à l’image deJacques Attali qui explique calmement et doctement que « dès qu’il dépasse 60/65 ans,l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société ; il est bienpréférable que la machine humaine s’arrête brutalement, plutôt qu’elle ne se détérioreprogressivement.  » (L’Homme nomade). Qui peut soutenir que, loi Bachelot aidant,aucune personne bénéficiant actuellement de coûteux soins palliatifs ne serait pousséevers une euthanasie non voulue si une simple légalisation survenait  ?Surgissent alors communément deux garde-fous  : la parole et l’écrit du patient lui-même. Ils nous semblent tous deux de bien frêles barrières. Que penser d’une lettre écrite par une personne en bonne santé disant en ce temps Tson désir de mourir si, à l’avenir (temps T+x), elle était atteinte de telle ou telle infirmitéjugée trop dégradante  ? Confrontée réellement (et non plus lointainement et abstraite-ment) à ladite infirmité, est-il si sûr que la personne demeure d’une volontéinchangée de mort ? Qui peut assurer que le goût de la vie, contrairement aux attentesde la personne elle-même, ne l’emporte pas finalement face à la concrétude d’une situa-tion qui touche aux limites de notre imagination  ? La Fontaine le montrait déjà dans«  La mort et le malheureux  ».Plus profondément, quiconque s’intéresse au suicide sait bien que le dit et le voulu sontdes réalités potentiellement distinctes. Dire qu’on veut mourir est souvent un appel dedétresse qui s’assortit bien davantage à une soif aiguë de vie meilleure qu’à une authen-tique volonté de quitter la scène. La réponse adéquate n’est alors pas l’euthanasie maisbien plutôt la lutte contre la douleur et les peines morales, c’est-à-dire le renforcementdes soins palliatifs et l’amélioration de l’encadrement des patients – hautement néces-saires en tout état de cause.Il nous semble donc que l’euthanasie ne saurait être envisagée, dans notre sociétéactuelle, que dans le cas d’un patient impotent (mais conscient) dont la volonté réso-lue de mourir aura été attestée par une structure médicale détachée de tout impéra-tif budgétaire.

JEANNIE BARBIER, MARLÈNE CHEVALLIERGROUPE SANTÉ DU CONSEIL NATIONAL DU M.J.C.F.

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D’ IDÉES

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COM

BAT

«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

de scènes nationales, de festivals, decompagnies, etc... Avec le soutien de l'Etatmais aussi des villes, des départements,des régions, cette vitalité culturelle s'estprogressivement installée un peu partoutsur le territoire, s'invitant même parfoisdans les quartiers, les prisons, les hôpi-taux, permettant une assez large fréquen-tation des théâtres, du spectacle vivant,des musées. Certes, cela ne fut pas unconte de fées, les insuffisances de cettepolitique ont toujours été notoires maisle projet qu'Antoine Vitez appelait« élitaire pour tous » a longtemps repré-senté un objectif largement partagé, eten tout cas une référence.De tout cela, la droite apparemment neveut plus. Elle n'en veut plus pour desraisons de tiroir-caisse, d'austérité budgé-taire, de RGPP et autres restrictions. Ellen'en veut plus par conservatisme : ladémocratie culturelle n'est pas sa tassede thé. Le bourgeois à l'Opéra et le populoà Disneyland, bref chacun à sa place !Elle n'en veut plus non plus par doctrine :le libéral n'aime pas l'art. Dans son dernieropus6, Annie Le Brun montre biencomment fonctionne «  le système decrétinisation dans lequel l'époque puisesa force consensuelle  », comment toutest fait pour « gagner du terrain sur notreespace imaginaire ».

Pour atteindre son objectif, le pouvoiragite donc le nouveau slogan de « culturepour chacun  ». En jouant «  le peuple  »contre « l'élite ». En fait, il part de contra-dictions réelles : la culture à la françaisea produit d'un côté « des professionnelsde la création artistique  » (Noiriel) debon niveau mais pas toujours très atten-tifs aux « finalités civiques » de leur enga-

gement. D'un autre côté existe uneculture publique, un art « socioculturel »,via notamment le milieu associatif, actifmais dévalorisé, délégitimé, assimilé àune culture uniformisée, collectiviste,«  communiste » en somme !

LE PEUPLE ET L'ÉLITELes contradictions entre ces deux niveauxexistent mais le pouvoir entend les utiliser,les exacerber, mobiliser les uns contreles autres. L'élite (culturelle) est montréedu doigt car elle aurait creusé les inéga-lités, imposé ses normes, intimidé lepeuple, l'éloignant de la culture. «  L'arta un effet d'intimidation sociale » prétendla note du ministère qui affirme aussitôtque «  la démocratisation culturelle aéchoué ». D'où le lapin sorti du chapeau :la culture pour chacun, qui a officielle-ment pour but de « réhabiliter les culturespopulaires méprisées par les élites »(Noiriel toujours). Mais ce slogan résonnecomme une sorte d'invitation à l'enfer-mement, au repli sur son groupe, sacommunauté, sur son identité. Chacunchez soi ! C'est en fait maintenir les plusdémunis dans leur carcan, les empêchantde s'échapper, les figeant, leur interdi-sant d'aller voir ailleurs. C'est le contrairedu désir de mobilité sociale que cher-chait à susciter « la culture pour tous ». Apparemment houspillée, l'élite de soncôté ne devrait pas trop souffrir de cetteorientation ; seuls ceux qui œuvrent audécloisonnement sont vraiment visés parle ministre de la Culture et son appareilde la rue de Valois.« Nous refusons cette bouillasse pseudo-libératoire qui n'apportera rien àpersonne  » écrit Jean-Pierre Vincentdans sa tribune, laquelle a suscité sur le

Par GÉRARD STREIFF

Culture pour chacun, La culture a longtemps été une priorité de la gauche. Voir 1936 ou le pro-gramme du CNR ou 1981. Cet enjeu peine aujourd'hui à s'imposer dansl'espace public. La droite en profite pour opérer un tournant, jouant « lepeuple » contre « l'élite », avec son mot d'ordre « culture pour chacun ».Un débat d'idées s'amorce, timidement. Repères.

éfense de l'art pourtous »1, « Défendons autrement la culturepour tous ! Cessons de dévaloriser l'artsocioculturel »2, « La culture pour chacunou le populisme au service du marché »3,ces titres de récents articles semblentindiquer qu'un débat pourrait s'amorcerautour de l'enjeu de culture4. Le premiertexte est un point de vue du metteur enscène de théâtre Jean-Pierre Vincent ;le second est une contribution de l’his-torien Gérard Noiriel ; le dernier est unetribune du responsable communiste AlainHayot5.

On ne refera pas ici l'histoire de la poli-tique culturelle en France ; rappelonssimplement qu'au cours de la secondemoitié du siècle dernier, un projet dedémocratisation culturelle et artistiquea bel et bien existé dans ce pays. Il adonné des résultats spectaculaires. D'uncôté la puissance publique a offert devrais moyens aux créateurs, pour leurpermettre de travailler « librement », lesrendre autonomes face au pouvoir etface au marché. D'autre part, une vraiemission de service public a été menéepour combattre les inégalités culturelles.Dans la foulée d'André Malraux et de sonministère de la culture, dont les orienta-tions prolongeaient nombre de recom-mandations du programme de la Résis-tance, du CNR, on a assisté, par exemple,à l'éclosion de théâtres nationaux, decentres dramatiques et chorégraphiques,

«D

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réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

culture pour toussite du journal nombre de commentaires.Par exemple : «   Ce monde que nous fabri-quent les bureaucrates et les gens d'ar-gent est triste et sans avenir. L'humainne pourra pas y vivre car il n'est pas faitpour cela. Un jour ou l'autre, il retrou-vera des valeurs qui font que la vie vautla peine d'être vécue. »  Ou M.E. : «  JeanPierre Vincent a raison de rappeler quela décentralisation culturelle a bien eulieu. Ces efforts n'ont pas été vains et labelle notion de "élitaire pour tous" adonné quelques beaux résultats. Mais ony a renoncé comme si c'était un échecet par obsession de rentabilité, commedu reste à l'éducation pour tous, à lasanté pour tous. » Ou H5 : « Apprêtons-nous à devenir acteurs mineurs -deslucioles... »  Ou encore A.R : «   Ce projetest en marche : je rappelle que 50% desarts plastiques et de l'éducation musi-cale au collège (pourtant une heure parsemaine, c'était déjà pas beaucoup) ontété sacrifié(s) à l'autel d'une histoire desarts, pâle resucée des "visual studies"américaines.  »«  Si l'on ne veut pas laisser la droiteoccuper le terrain de la démocratisationde la culture, conclut Noiriel, il est urgentd'impulser une réflexion collective main-tenant à distance les intérêts corpora-tistes mais s'appuyant sur les expériencesdéveloppées par celles et ceux qui n'ontpas renoncé à faire vivre l'idéal d'uneculture pour tous, tout en l'adaptant auxréalités de notre temps ». n

1) Jean-Pierre Vincent, Le Monde, 19/12/2010

2) Gérard Noiriel, Le Monde, 6 janvier 2011

3)Alain Hayot, L'Humanité, 3 décembre2010

4) Espaces-Marx et le PCF ont organisé début mars un débat sur « La culture comme enjeu poli-tique »

5) Ajoutons que les syndicats du spectacle vivant, le 4 février dernier, organisaient un rassem-blement contre la nouvelle orientation du ministère

6) Annie Le Brun, Du trop de réalité, Stock

A LIRE : DU TROP DE RÉALITÉ D’ANNIE LE BRUNSTOCK. (EXTRAITS)

« Avec le naturel des saisons qui reviennent, chaque matin des enfants se glissententre leurs rêves. La réalité qui les attend, ils savent encore la replier comme unmouchoir. Rien ne leur est moins lointain que le ciel dans les flaques d’eau. Alors,pourquoi n’y aurait-il plus d’adolescents assez sauvages pour refuser d’instinct lesinistre avenir qu’on leur prépare ? Pourquoi n’y aurait-il plus assez de jeunes gensassez passionnés pour déserter les perspectives balisées qu’on veut leur faireprendre pour la vie ? Pourquoi n’y aurait-il plus d’êtres assez déterminés pour s’op-poser par tous les moyens au système de crétinisation dans lequel l’époque puisesa force consensuelle  ?  »«  Systématiquement arrachés à la nuit de leur cohérence profonde, il n’est plus designes qui ne finissent par dériver loin du sens. Et catastrophe pour catastrophe, onest en droit de se demander si la prolifération de l’insignifiance qui en résulte n’estpas plus inquiétante que la disparition de la couche d’ozone. L’aurions-nous oublié,les objets imaginaires sont aussi nécessaires à notre survie. »« Le succès planétaire de Disneyland montre que le coup de force est en train deréussir. Car ce ne sont plus seulement nos rapports à l’espace et au temps qui ysont manipulés. C’est notre pouvoir ancestral de nier l’un et l’autre au nom dumerveilleux qui s’y trouve littéralement pétrifié. Aussi, le seul fait que le monde descontes de fées y soit réduit à la plus grossière réalité tridimensionnelle constitueune catastrophe comparable à la dévastation des grands ensembles forestiers. »

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Trois Français sur quatre en appellent à l’Etat sur le dossier de la dépendance.

Un sondage TNS-Sofres pour La Tribune et laBanque Postale (février 2011) montre que

72% des Français revendiquent l'interventionde l'Etat sur le dossier de la dépendance. Concer-nant la prise en charge, 45% estiment qu'elledoit être assumée par le gouvernement « pourles plus démunis », 27% pensent qu'elle devraitrevenir « à tous » et 26% observent que « chacundoit se préparer au risque de dépendance ».Autre question : pour financer cette dépendance,59% pensent qu'il faut laisser chacun libre (+ 8%en trois ans) et 36% seraient d'accord pour uneaugmentation des impôts (-8%). Il faut dire quele choix que leur laisse cette dernière questionest plutôt limité...

Dépendance : l’aide de l’Etat plébiscitéePAR GÉRARD STREIFF

PRISE EN CHARGE DE LA DÉPENDANCE

Pages réalisées par GÉRARD STREIFF

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :ù

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Ce mois-ci, nous avonsdemandé à quatre secteursde réagir à une actualitébrûlante :

La faim dans le monde -Isabelle Lorand pointe lesenjeux de cette dimensiontout en proposant despolitiques innovantes.

Pierre Dharréville et AnnieMazet reviennent sur cettevaleur qu’est la laïcité etdénoncent le débat initiépar la droite.

Jacques Fath décrypte les révolutions arabes.

Sur le pacte de stabilité en Europe, Yves Dimicolidonne des éléments pourmieux en comprendrel’enjeu politique et ainsiagir.

LAÏCITÉ

Faire vivre la laïcitéaujourd’huiLa laïcité n’est pas porteuse d’inter-dits, mais d’abord de droits.

Jusqu’à la Révolution, la France étaitrégie par une monarchie de droitdivin. La Constitution de 1791 établit

qu’il n’est plus de Roi de France par lagrâce de Dieu, mais un « Roi des fran-çais ». Ainsi pourrait-on faire commencerla longue marche de la laïcité dans notrepays, qui connaîtra une étape majeureen 1905 avec la loi de séparation desEglises et de l’Etat. Elle s’est toujoursaccompagnée de débats passionnés dansnotre histoire contemporaine.

HISTOIRE DE LA LAÏCITÉLaïcité vient du mot laïc dont le premiersens est de désigner quelqu’un « qui nefait pas partie d’un clergé ». Laïc a donnéle mot laïque : « qui est indépendant detoute confession religieuse ». Si l’onremonte à l’étymologie, laicus en latin,désigne ce qui est commun, ordinaire, etcomme le grec « laikos » signifie : « dupeuple ». Et plus exactement du grec«laos», qui signifie peuple par oppositionaux chefs, ce qui nous renvoie à lapremière définition du mot «laïc». Enremontant ainsi à la racine des choses,peut-être arrive-t-on à approcher de prèsl’essence de la chose. Car il s’agit effecti-vement d’établir l’indépendance dupouvoir politique à l’égard du pouvoirreligieux et de permettre l’exercice de cepouvoir par le peuple pour le peuple dansson entier. On pourrait revenir ici sur lesgrands événements qui ont marqué l’his-toire de la laïcité en France, depuis le cultede l’Etre suprême qui se veut une religionlaïque, en passant par le Concordat signépar Napoléon qui fait du catholicisme «lareligion de la majorité des Français» (tiensdonc...) ou encore les délibérations de laCommune de Paris qui établissent déjàla séparation de l’Eglise catholique et del’Etat. Ces événements sont très éclairantspour comprendre les sens multiples dontle mot a pu se charger au cours de l’his-toire, même s’il n’apparaît réellement qu’àla chute du Second Empire.

LOI DE 1905Mais la loi de 1905 demeure le momentcrucial qui fait référence. La loi vient sanc-tionner d’abord un long cheminement liéà la volonté de se défaire de la tutelle de

l’Eglise Catholique, et ensuite un long débatqui naît quasiment en même temps quela Troisième République. En 1905, noussommes donc à un moment où la Répu-blique est fragile et où le combat des répu-blicains apparaît encore comme incertainface aux monarchistes. Les forces de laconservation essayent de s’unir pourreprendre la main et l’Eglise voit d’unmauvais œil les choses lui échapper ànouveau. D’un autre côté, la conviction,issue du mouvement socialiste, que lesreligions sont l’un des instruments d’alié-nation dont se servent les forces capita-listes grandit, en même temps que l’in-dustrialisation brise les cadres duchristianisme rural. Pour Marx, les reli-gions sont la conséquence de l’exploita-tion et non la cause, comme l’exprime l’ex-pression «opium du peuple». La montéeen puissance du mouvement pour la laïcitéest fortement marqué par les réformesfondant l’école de la République, pourlesquelles on a retenu le nom de Jules Ferry.La loi de 1905 est courte. C’est une loid’apaisement qui vient clore un affron-tement dur. Nous vivons encore sous lerégime de cette loi. Notons que l’affirma-tion de la laïcité a poussé l’Eglise à deprofondes remises en cause pour passerd’une religion d’Etat à une «Eglise debaptisés». Elle a favorisé l’émergence demouvements nouveaux débouchant surle Concile de Vatican II. Peut-on pourautant considérer qu’il n’existe aucunenostalgie de ce temps passé et aucuneremise en cause au sein de l’Eglise de lalaïcité telle qu’elle s’exerce dans notrepays ? Une enquête fouillée datant de 2009indique que 2/3 des français se recon-naissent catholiques (contre 3/4 vingt ansauparavant). Ils sont beaucoup moinsnombreux à se dire pratiquants (4,5 %disent fréquenter une église chaquedimanche, 15 % y allant régulièrement).Cet attachement est défini par les obser-vateurs comme étant à dominante «patri-moniale». On comprend donc pourquoiau regard des proportions et de la naturedu lien à la religion des catholiques,certains s’acharnent à parler d’héritagechrétien, ce qui devrait d’ailleurs faireréfléchir l’Eglise...

L’ISLAM EN FRANCEOn dit souvent que la loi de 1905 a été écriteavant l’irruption de l’Islam en France. Etl’on mord souvent le trait en disant qu’iln’y avait qu’une seule religion, la religioncatholique. Le protestantisme a beaucoupfait depuis l’Edit de Nantes pour en finiravec la religion d’Etat. Rappelons égale-ment que les premiers musulmans arri-

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

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vent en France par l’Espagne au début duVIIIe siècle. De 719 à 759, Narbonne et laSeptimanie sont sous administrationommeyade. Contrairement à ce que veutla mythologie nationale, la victoire deCharles Martel en 732 contre Abd-el-Rahmane ne met pas fin à la présencemusulmane sur le territoire hexagonal. Aplusieurs reprises des vagues de migra-tions, parfois liées à des formes d’escla-vage, arrivent dans le Royaume de France.Les contacts s’établissent également àtravers les échanges commerciaux maisaussi les croisades. L’influence de la cultureet de la religion musulmanes ne remontedonc pas aux vagues migratoires de l’après-guerre. Sans parler de la colonisation quine devrait pas permettre de dire que laRépublique ne connaissait pas l’Islam en1905. Au moins comme une «religion d’in-digènes»... Mais il est vrai que la place del’islam aujourd’hui est très différente.

L’ISLAM, DEUXIÈME RELIGION DE FRANCEUne étude datant de 2009 évalue à 3,8millions le nombre de personnes deculture musulmane. La pratique religieuseest fondée sur les cinq piliers que sont laprière quotidienne, la charité, le Ramadanet le pèlerinage de La Mecque, le tout repo-sant sur la foi en un Dieu unique ayantMahomet pour prophète. Effectivementpeu présente dans le débat de 1905, elleest devenue pour beaucoup une façon dese faire reconnaître et respecter. Une façonaussi de vivre une foi exigeante, porteused’intégrité personnelle et de fraternité.Mais des recommandations autres queles cinq piliers ont peu à peu gagné enimportance dans la pratique religieuse,devenant des éléments culturels identi-fiants : ne pas consommer d’alcool, ne pasmanger de viande d’animaux carnivoresou omnivores et n’ayant pas été tués dansle respect de règles rituelles, pour certainsporter le voile...Des mouvances fonda-mentalistes ont cherché à infiltrer lescommunautés et à imposer des concep-tions et des pratiques radicales, allant cher-cher les lectures les plus littérales du Coran,ce qui a pour effet de nous ramener aumoment de son écriture en balayant lesapports successifs des penseurs et théo-logiens musulmans. Des forces malinten-tionnées ont voulu amalgamer l’ensembledes musulmans au fondamentalisme. Est-une raison pour que l’Etat prétende orga-niser un Islam de France ?Nous sommes aujourd’hui à nouveau faceaux enjeux de la laïcité. Les différentes loismotivées par des manœuvres politi-ciennes qui se sont empilées ces dernièresannées n’ont pas aidé à clarifier le sens de

la laïcité et à produire la laïcité vivante etapaisée dont nous avons besoin, dont laRépublique a besoin. La loi de 1905 nelivre pas explicitement de définition de lalaïcité - mot qu’elle n’emploie pas -, pasplus que la Constitution de 1946, qui dansson article Premier indique quand mêmela France est une République «laïque»,suite à un amendement du députécommuniste Etienne Fajon.Cela n’entache pas la portée qui doit êtrela sienne, mais on ne peut pas dire que lalaïcité soit réellement dans les faits un prin-cipe universel, au sens où elle demeureétrangère à de nombreux pays du mondetelle que nous l’entendons, et bien souventnon-conceptualisée. Nous considéronspour notre part que c’est une vertu fonda-mentale pour une démocratie véritable.Elle a donc une vocation universelle.« Démocratie et laïcité sont deux termesidentiques », affirmait Jean Jaurès en 1904.Et de poser la question, comme pour savoirce qu’est la laïcité : «qu’est-ce que la démo-cratie ? » Il en reprend cette définition, qu’iljuge décisive : « La démocratie n’est autrechose que l’égalité des droits. » Dans le texte « la laïcité au cœur des enjeuxsociaux et sociétaux », le PCF affirme que« si la laïcité est consubstantielle de laRépublique, sa mise en œuvre pleine etentière, au sens où elle place avant toutl'égalité des droits entre les citoyens, etdonc se trouve au cœur des enjeuxsociaux, résulte de choix politiques. »Plutôt que d’en faire une quatrième valeurde la devise nationale, ne peut-on pasplutôt considérer qu’elle est le liant quipermet de faire vivre les valeurs de liberté,d’égalité et de fraternité ?

MENER LE DÉBAT À GAUCHEIl nous faut en tout cas refuser son instru-mentalisation dans le débat public. Il nousfaut également mener le débat à gauchecar le mot est devenu un drapeau auxcontours un peu incertains dont on s’em-pare parfois à tort et travers. Nous nesommes pas des défenseurs de la laïcitépar conviction athée. Nous le sommes pourdéfendre le droit à l’émancipation dechacune et de chacun quelles que soientses convictions religieuses ou philoso-phiques. Parce que nous pensons que lesêtres humains «naissent et demeurentlibres et égaux en droits». Nous voulonsconstruire le changement avec le plusgrand nombre. Nous ne demandons àpersonne de se dépouiller de ce qu’il estpour entrer en République, nous deman-dons d’en respecter les valeurs, d’y apporterson humanité, et de ne pas vouloir lasoumettre à autre chose qu’à la souverai-

neté du peuple. La laïcité n’est pas porteused’interdits, mais d’abord de droits.Nous avons conscience ici de ne pasrépondre aux questions pratiques quipeuvent se poser et mériteraient d’autresdéveloppements. Mais la laïcité est unprincipe politique vivant. En nous mettantau clair sur ce que nous-mêmes enten-dons par laïcité, cela devient plus faciled’amorcer des réponses. Et de poserensemble chaque jour les cadres du vivreensemble. n

PIERRE DHARRÉVILLE ET ANNIE MAZETresponsables nationaux en charge de la

laïcité et des relations avec les croyants

INTERNATIONAL

MONDE ARABE : BOULEVERSEMENTS D’AUJOURD’HUI, QUESTIONS POUR DEMAINCe monde arabe en révolutioncontribue à modifier les rapports deforce sur le plan international.

L orsque le mouvement populairecommença à Sidi Bouzid pourmobiliser ensuite l'ensemble du

peuple tunisien, tout le monde fut surprismalgré l'avertissement des luttesouvrières de 2008 dans le bassin minierde Gafsa. L'élargissement des mouve-ments à l'Egypte et à l'ensemble dumonde arabe donna quelques toutespremières clés d'explications. Dans unegrande diversité de configurations poli-tiques et sociales nationales - le mondearabe est à la fois un et multiple - desaspirations communes ont permis ledéveloppement de dynamiques irrépres-sibles. L'exigence de dignité et de libertés,l'exaspération devant les injustices, lesinégalités et la corruption... tout ce quirendait de plus en plus insupportabledes régimes sclérosés, incapables deprendre en charge les mutations sociales,faisait subitement reculer la peur enpoussant à des formes d'action collec-tive et d'unité populaire contre lesrégimes en place. Les contradictionsaccumulées étaient arrivées à un tel pointque le statu quo n'était plus possible etdes limites étaient ainsi atteintes.Bien sûr, l'examen sérieux des causesayant produit, en ce début du XXIe siècle,un monde arabe en révolution est du plusgrand intérêt politique et historique. Ilfaudra attacher un prix particulier à

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comprendre la complexité des circons-tances nationales dans lesquelles se sontmêlés rassemblements populaires etrecherche d'unité, divisions politiques,contradictions sociales, intérêts de classe...

LA FORCE D'UN PEUPLE EN MOUVEMENTUn des grands enseignements restera,au-delà des causes, la force d'un peuplequi se met en mouvement. En Tunisie eten Egypte, la dynamique sociale (nourriede luttes importantes parmi les travail-leurs) a produit de véritables révolutionsdémocratiques. On observe aussi quedans chaque pays, en fonction desrapports de force et des craintes durégime, des réformes, des changementsd'ampleur variable -souvent prudem-ment préventifs- sont à mettre au créditde l'action populaire.Au moment où ces lignes sont écrites, lesforces d'une coalition essentiellementoccidentale commencent à bombarderles positions de Kadhafi en Libye. Il y aune «exception libyenne» qu'il faudraexpliciter en fonction de l'histoire et d'uncontexte politique et social particulier quia permis à celui qui se fait appeler «leGuide de la révolution libyenne» de trans-former une crise politique et sociale, dansun pays compliqué et divisé, en conflitarmé interne et international. Il était natu-rellement nécessaire et légitime que lePCF condamne l'entrée dans uneconfrontation militaire, une guerre à l'ira-kienne... tout en affirmant sa solidaritéavec le peuple de Libye et l'ensemble desforces agissant dans ce pays pour la démo-cratie et la fin du régime de Kadhafi.

DES CONSÉQUENCES ENCORE INCONNUESUn monde arabe en révolution, cepen-dant, ne change pas que des configura-tions nationales. C'est un basculement del'histoire pour l'ensemble de cette région.C'est l'ensemble des relations internatio-nales qui est en jeu. Il est encore bien troptôt pour dire ce que seront les consé-quences des bouleversements en cours.Des gouvernements plus représentatifs deleur opinion publique et plus conscientsde l'exigence de dignité et de souveraineténationale seront-ils moins complaisantsvis-à-vis d'Israël ? Moins dépendants desEtats-Unis ? Est-ce possible ? Ces paysseront-ils plus attentifs à la question de laPalestine et plus solidaires d'une causepalestinienne qui est aussi une cause del'histoire du monde arabe ?On pourrait dire, qu'en la matière, il seraita priori facile de faire mieux qu'HosniMoubarak... Celui-ci n'a-t-il pas contribuéconcrètement au blocus de Gaza tout en

faisant vivre la consternante fiction d'unprocessus de paix ? Alors que cette ques-tion majeure d'un règlement de paix etd'un Etat palestinien est dans une impassetragique depuis des années avec la pour-suite accélérée et brutale d'une politiquede guerre, d'occupation et de colonisa-tion mise en œuvre par un pouvoir israé-lien dirigé de fait par une extrême droitedominante, dangereuse tant pour lesvaleurs qu'elle défend que par l'insécu-rité internationale qu'elle provoque.S'il est vraiment difficile de savoir de quoil'avenir sera fait, on peut observer cepen-dant que ce monde arabe en révolutioncontribue à modifier les rapports de forcesur le plan international en confirmantla relativisation de la puissance des Etats-Unis et de la domination de la «famille»occidentale dans le monde, malgré lemessage qu'elles veulent faire passer dansla guerre de Libye.

ACCÉLÉRATION DE L’HISTOIREAprès les changements progressistes enAmérique latine, qui se sont constituéseux aussi sur des exigences de démo-cratie, de justice, de souveraineté... lesbouleversements du monde arabe chan-gent la donne. Washington s'est affaibliedans ce qui n'est plus son «arrière cour»latino-américaine. Les Etats-Unis crai-gnent aujourd'hui de trop perdre danscette zone d'influence hyper-stratégiquequ'est le monde arabe, pour des raisonsqui tiennent en particulier à de vastesintérêts politiques et pétroliers.Le monde arabe en révolution est une accé-lération de l'histoire, une accélération dumouvement d'un monde en transforma-tion permanente, marqué par des montéesde résistance et de luttes, par des transfor-mations politiques majeures dans lesquellesnous avons notre propre rôle à jouer afin,nous aussi, de peser dans le sens de chan-gements véritables, afin d'ouvrir les pers-pectives en France et en Europe, en donnantles contenus susceptibles de favoriser l'unitépopulaire la plus large et les convergencesinternationales les plus fortes. La nécessitéd'une refondation de la coopération avecle monde arabe et en particulier des accordsd'association de l'Union européenne avecchaque pays arabe s'imposera avec forcedans le débat politique.Ce que nous disent les peuples du mondearabe, après ceux d'Amérique latine, c'estque le changement est (toujours)possible. La leçon vient du Sud. Et celle-ci est positive. n

JACQUES FATHresponsable des relations internationales

EUROPE

L’Europe donnée en pâtureaux marchés financiersPour une tout autre utilisation del’euro, PCF et PGE proposent un Fondssocial de développement européen

L es dirigeants européens ont peur. Lesdispositions adoptées en mai dernieraprès l'effondrement grec n'arrivent

pas à faire retrouver « la confiance desmarchés ». Pire, elles enveniment les diffi-cultés, les politiques d'austérité brisantles ressorts de la croissance, banques etBCE gardant le même cap fondamental.Le spectre d'une contagion à l'Espagnehante car les masses à financer sont d'unetout autre ampleur que pour la Grèce oule Portugal. Un risque de défaut d'un telcalibre pourrait faire sauter tout le systèmeactuel de l'euro devenu si nécessaire à unedomination mondialisée des capitaux alle-mands et, accessoirement, français.Fin mars dernier, les vingt-sept ont décidéd'accélérer la fuite en avant en renforçant« la discipline budgétaire » avec des sanc-tions financières. Certes, elles ne serontpas automatiques, mais la menace seraeffective avec le « semestre européen »qui oblige chaque gouvernement asoumettre son budget dés le mois d'avrilà ses pairs et à la Commission, en vue de« recommandations », avant le vote parson parlement national à l'automne.

UN GRAVE DANGER POUR LES PEUPLESAutre disposition, le pacte de compétiti-vité re-baptisé « pacte pour l'euro plus ».Le choix est fait d'une « coordinationrenforcée pour la compétitivité et laconvergence » aux normes allemandes età la schlague, pour faire baisser les « coûtssalariaux ». Les salaires devront « évolueren accord avec la productivité » du travail,contre tout nouveau partage de la valeurajoutée. Leurs mécanismes d'indexationseront « réexaminés ». Dans le secteurpublic, les accords devront « soutenir lesefforts de compétitivité consentis dans lesecteur privé ». Au nom de l'emploi, ilfaudra « favoriser la flexisécurité »défendue par S. Royal en 2007 et promuedepuis par Sarkozy. Il faudra accentuer« la réduction des charges fiscales pesantsur le travail », en fait sur le capital et lesprofits ! Au nom de la « viabilité desretraites », il faudra relever l'âge de départen fonction de l'espérance de vie, commele veut, en France, la droite et s'y est résolule PS. Enfin, chaque État membre devra

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

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NOTESintroduire dans sa loi fondamentale un“frein à l'endettement”. Dés 2012, cesréformes devront entraîner des change-ments législatifs dans chaque pays, « surune base volontaire »...C'est dire l'enjeu,à l'approche de l'élection présidentielleen France, d'une rupture du consensussur le traité de Lisbonne entre la droite etle PS, avec des propositions alternativesradicales et réalistes, au lieu de rabâcherqu'il faut « sortir du Traité ».

UN DISPOSITIF MEURTRIERTroisième dispositif, le mécanisme euro-péen de stabilité (MES). Il est censé péren-niser, au-delà de 2013, le Fonds européende stabilité financière (FESF) lancé en2010. Il sera doté d'un capital de départde 700 milliards d'euros apporté par lesÉtats, lesquels, sans doute, se procure-ront l'argent nécessaire par emprunt surles marchés financiers surtout, leur fisca-lité reculant au nom de la compétitivité.Le MES pourra prêter jusqu'à 500milliards d'euros qu'il empruntera aussisur les marchés avec une note « AAA »exigeant fortes rentabilité et solvabilité.Aussi re-prêtera-t-il cet argent au taux dumarché moyen augmenté de 2% pour lesprêts inférieurs à 3 ans et de 3% au-delà...de quoi assommer les États concernés.Exceptionnellement, le MES pourraacheter de la dette publique directementauprès des États, sur les marchésprimaires. Cela mettra un terme à unprocessus qui, depuis la crise grecque,tend à mettre au défi la BCE de créer dela monnaie pour racheter de la dettepublique, contre ses dogmes fondateurs,alors qu'aux États-Unis, la FED fait, elle,marcher à fond la « planche à billets »pour soutenir la politique économique.

UNE AGGRAVATION DE LA CRISEL'aide du MES sera activée par les minis-tres de la zone euro, après évaluation dela Commission, avec la BCE et le FMI, encontrepartie d'un « plan d'ajustementmacro-économique » drastique, étroite-ment surveillé. C'est là une folle fuite enavant fédéraliste, avec le pari d'un super-endettement public européen prétendantrivaliser avec les États-Unis dans l'attrac-tion des placements, chinois notamment.Cela marche de pair avec une restructu-ration de l'Europe, au sud notamment,après l'est, avec privatisations massiveset surenchères à la baisse des « couts sala-riaux ». Cette volonté frénétique de fairepayer aux peuples la rapacité des marchésfinanciers, alimentée elle-même par desÉtats qui cherchent à remplacer le soutiendes endettements privés à l'accumulation

capitaliste, explosé en 2008, par le soutiendes endettements publics, prépare denouveaux épisodes beaucoup plus aigüesde crise en Europe et dans le monde avecl'effondrement à venir du dollar. Cettegravité exceptionnelle de la situation estcachée, alors que montent les luttes contrel'austérité et le désaveu des partis poli-tiques pro-Lisbonne, en même temps queles récupérations populistes de la souf-france sociale.C'est dire le besoin de débat démocra-tique et de luttes avec des propositionsalternatives pour une tout autre utilisa-tion de l'euro, au lieu de « la sortie » illu-soire et dangereuse. Le PCF, repris par lePGE, propose un Fonds social de déve-loppement européen. Il mobilisera, sousle contrôle des élus, la création monétairede la BCE pour financer un très grandessor concerté des services publics, tandisque le crédit bancaire servira à sécuriserl'emploi, la formation et les salaires. n

YVES DIMICOLI

SANTÉ

Bien manger. C’est TOUTEn France et partout dans le monde,le prix des denrées alimentaires depremière nécessité est marqué parune hausse historique. Tous les mar-queurs sont au rouge pour 2011.

En février dernier, 100 000 personnesmanifestaient à New Delhi contre lahausse des prix des aliments. En 2008,

les émeutes de la faim secouaient lemonde. La vie chère est au cœur desmouvements d’émancipation qui traver-sent le monde arabe. Dans les pays déve-loppés, le productivisme agricole empoi-sonne nos assiettes et nos plages alorsque le délire sécuritaire aseptise la restau-ration collective ; l’obésité est marqueurde pauvreté, alors que les canons de lamode poussent les ados à l’anorexie ; lescommerces de centre ville crèvent, lecommerce informel est pourchassé alorsque les « brigands » de la grande distri-bution colonisent les zones périurbaines.Ce monde est fou. Il est plus qu’urgentque les peuples remettent la planète àl’endroit.

2011 : VERS LA FAMINE MONDIALISÉE ?Louis Michel, commissaire européen auDéveloppement, met en garde contre lerisque d’ « un vrai tsunami économiqueet humanitaire en Afrique ». Jusqu’à

présent les famines étaient dues à unediminution des stocks et des récoltes. LeXXIe siècle invente les famines de laspéculation. Les progrès de la produc-tion alimentaire au cours de la secondepartie du XXe siècle permettent de nourrir12 milliards d’habitants. La quantité estplus que suffisante. Pourtant, 1 milliardde personnes crèvent de faim, un enfantde moins de 5 ans en meurt toutes lescinq secondes. La répartition est profon-dément inégalitaire. Mais surtout, lesaliments de base pourrissent dans dessilos pour exaucer le désir mortifère desspéculateurs (80% des échanges alimen-taires relèvent de la spéculation). Pouvoird’achat en berne et hausse spéculativedes produits de première nécessité : lepanier des familles pauvres est réduit ànéant. Après avoir miné les culturesvivrières, appauvri les fleuves et les mers,asséché les sols... le capitalisme finan-cier franchit une nouvelle étape. SelonLiv Thomson, un américain qui suit lesfamines en Afrique depuis 25 ans « Jamaison avait atteint des seuils pareils (...) cequi se passe aujourd'hui, c’est autrechose, c’est nouveau, ça fait peur (...) Cen’est pas seulement un problème dû àdes sécheresses conjoncturelles et àquelques magouilles des régimescorrompus. Tout va dans le sens de l’as-phyxie des populations par la faim : lemarché mondial et ses spéculateurs, laterre et le climat qui n’en peuvent plus,sans oublier le rythme démographiquequi reste incontrôlable dans beaucoupde pays pauvres ».En France, l’alimentation occupe 22%du budget des familles vivant avec unrevenu inférieur au seuil de pauvreté,24% pour les familles dont le niveaud’étude est inférieur au certificat d’étude,et pourrait atteindre 50% dans lesfamilles en grande précarité, contre 18%en moyenne nationale. C’est dire, qu’uneaugmentation du beurre, des œufs, dupain... peut faire passer de la malnutri-tion à la faim.

LA GRANDE DISTRIBUTION : LES SANS-PITIÉS90% du marché de l’alimentation sontdétenus par les 5 principaux groupes dela grande distribution. Les grandesfortunes françaises sont là. Environ 2/3des Français y achètent leurs produitsalimentaires. La prolifération des hyper-marchés n'a pas "cassé les prix", enrevanche, la grande distribution ne cessede détruire des emplois; elle défigurenotre environnement et les périphéries

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urbaines, vide les centres-villes, déna-ture le tissu social, détourne les lois àson profit. Depuis quelques années, lagrande distribution franchit une nouvelleétape : le développement du hard-discount permet de recycler les produitsen fin de course et l’intégration desprocessus de production (charcuterie,pêche, biscuiteries, plats cuisinés…) ausein de leurs propres filiales en faisantdes bénéfices à toutes les étapes.

MOURIR DE MANGERDans les pays riches, cinq des sept prin-cipaux facteurs de risque de mort préma-turée sont liés à l’alimentation. Unealimentation saine est une voie essen-tielle de la prévention de maladiescomme le diabète, le cancer, les mala-dies cardio-vasculaire, et peut-être mêmela maladie d’Alzheimer. L’obésitéconcerne environ 12 millions depersonnes. Sa fréquence a augmenté de50% chez les enfants en 10 ans. On estimequ’elle pourrait concerner environ 20%de la population en 2020. Les coûtsdirects ou indirects des maladies liéesau surpoids ont été évalués entre 2 et 7% des budgets nationaux de santépublique. Maladie de la pauvreté, l’obé-sité touche en premier lieu les femmesdes catégories sociales les plus modestes: risque multiplié par 4 chez les ouvrièrespar rapport aux cadres.

UNE AGRICULTURE RAISONNABLEProduire en quantité suffisante : ni troppour certaines denrées, ni trop peu pourd’autres. Et produire sans polluer et sansobérer l’avenir. L’agriculture et la pêcherespectueuses des animaux et de l’envi-ronnement se développent. Elles restenttoutefois l’apanage des pays riches.

Actuellement 80 à 90 % des alimentsconsommés en France ont subi unepréparation industrielle.Il faut favoriser l’agriculture paysanneet la polyactivité, le développement descircuits courts, la transformation et lavente directe des productions… Lesalternatives aux pesticides (vapeur,insectes...). Les productions hors saisonsont coûteuses, blindés d’engrais et depesticides, et nécessitent souvent destransports aériens « ultrapolluants ».Pour prendre son plein essor, l’agricul-ture paysanne a besoin de circuits dedistribution de masse alternatifs à lagrande distribution, et par conséquentde politique publiques incitatives : uneautre idée de la PAC...

LE DÉLIRE SÉCURITAIRE FRAPPE NOS ASSIETTESAu cours de son histoire, l’Homme a étéconfronté à un dilemme : « je doismanger pour vivre, mais ce que je mangepeut me tuer ». Les progrès de l’hygiènealimentaire ont fait reculer les maladiesinfectieuses comme la typhoïde ou lecholéra dans les pays riches. Mais, la crisede la vache folle nous a rappelés à l’ordre.En transformant des herbivores en carni-vores, la folie productiviste a créé denouvelles maladies et généré une crisede confiance dans les institutions. Dansce contexte, la pente dominante face àla peur est le repli et la demande sécu-ritaire. Finis les gâteaux faits avec lamaîtresse pour l’anniversaire, terminésles œufs frais dans la restauration collec-tive… respect de la chaîne du froid. Surce terrain aussi, il faut engager laconfrontation idéologique : face au déliresécuritaire réinventer les bases du vivreensemble.

LA BONNEBOUFFE : UN IDENTIFIANT DU COMMUNISME TERRITORIAL.Face à la force de frappe de la grandedistribution, le commerce de proximitéest en difficulté. Il faut le favoriser : aidepublique pour le maintien et la rénova-tion des marchés, développement destructures peu onéreuses type « hallesalimentaires» ou commerces ambu-lants... Les cantines doivent plus encorechoisir les circuits courts et l’agriculturerespectueuse. La gratuité de l’écoledevrait garantir un repas quotidien pourtous.

FESTOYER POUR VIVRE ENSEMBLEOn dénombre dans les grandes culturesculinaires que sont la Chine et le Vietnamenviron 1700 plats. La cuisine françaisedu XIXe siècle en dénombrait 7000. Lacuisine provençale compte 200 herbesdifférentes. C’est dire l’importance del’art culinaire dans notre pays. Dans lemonde entier, pas une fête, pas un événe-ment majeur de la vie, sans un repas. Lieude convivialité, d’échange, de travail, dedébat… le repas représente une dimen-sion essentielle dans la construction desrapports humains. Il doit retrouver toutecette place dans la vie scolaire et autravail. La mondialisation version Mc Doc’est l’uniformisation, l’appauvrissementdes goûts, mais la mondialisation c’estaussi la rencontre et la démultiplicationdes richesses. Comme pour la flore et lafaune, le combat pour la diversité desgoûts et des produits d’une dimensionanthropologique.

ACTE ESSENTIEL À LA VIE, MANGER EST UN DROIT FONDAMENTAL DE L’HOMME Dire cela, suppose d’exclure les denréesalimentaires de premières nécessité desrègles du marché. Il ne suffit pas deproposer comme certains un Fonds céréa-lier pour les pauvres, il faut interdire laspéculation et la concurrence. Il faut favo-riser les cultures vivrières et les polyacti-vités, il faut cesser de massacrer les fondsmarins... Face à la jungle des traders, unFront mondial doit imposer une autrelogique, d’autres règles, un autre avenir.Nous assistons déjà aux prémices de ceFront mondial : partout la lutte contre lavie chère est un facteur déclenchant. Maisaujourd’hui il manque une prise deconscience par les peuples de cette cohé-rence mondiale. Pourquoi, ne pas engagerune campagne contre la vie chère enFrance ? n

ISABELLE LORANDmembre du CEN du PCF

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REVUE DES MÉDIASPar ALAIN VERMEERSCH

Nicolas Sarkozy et l'UMP ont décidé d'ouvrir un débat sur la laïcité et l'islam. Le chef de l'Etat dans son discours du Puy-en-Velay, l'UMP en organisant une convention le 5 avril prochain.Mais tout n'est pas si simple.

régions.. Laïcité, immigration, islam,pauvreté : on laisse les mots s'em-mêler. La parole se débride... Il esttemps qu'avec la même liberté le Prési-dent donne un coup d'arrêt à cesdérives. » Françoise Fressoz dans LeMonde (05/03) remarque « C'était à l'évi-dence le but du déplacement de M.Sarkozy, jeudi 3 mars, où un vibranthommage fut rendu «  au magnifiquehéritage de civilisation » laissé par lachrétienté. Mais en écoutant lediscours, on avait du mal à relier l'odeà la restauration de l'héritage et l'af-firmation du principe de laïcité, si bienque revenait l'impression que, dans latête du président, prévalait d'abord leréflexe du candidat : la France est ungâteau électoral qui se découpe entranches et s'appréhende comme tel. »

LA CONVENTION DE L'UMP SUR ISLAM ET LAÏCITÉ«  Débat sur l'islam ou débat sur lalaïcité ? Pour François Fillon, c'estsurtout «  le mot débat qui agace  »relève Le Figaro (02/03). «  Le chef de l'Etat est revenu sur trois sujetsqu'il juge cruciaux : «  pas de prièresdans la rue, la mixité à la piscine et pas de repas halal dans les cantines scolaires ». De son côté, le 1er

ministre a « renouvelé ses consignesde prudence pour la convention quidoit se tenir sur ce thème... : «  Nosconcitoyens veulent des décisions, despropositions concrètes  » Il a estimé« nécessaire de réévaluer le principede laïcité et son application, pour tenircompte des évolutions de la société ».«  Il faut tenir compte de l'augmenta-tion du nombre de nos concitoyens deconfession musulmane. » Pour Jean-François Copé «  Nos électeurs nousdemandent ce débat. L'enjeu, c'est la

laïcité, et il faut parler aussi de l'islamparce que c'est la seule des grandesreligions qui n'est pas organisée  » Pour Libération (03/03) «  A l'occasion de la convention, le patron de l'UMPa promis « des propositions trèsconcrètes  » sur «  la formation desimams », les lieux de cultes, « la viandehalal  » et les «  comportements dansles hôpitaux  ». Mais pas question de«  toucher à la loi de 1905 » Dans uneinterview au Figaro (04/03), Jean-Fran-çois Copé précisait «  la loi de 1905consacrait la séparation des Egliseset de l'Etat. Ce principe est fondateuret ne doit en aucun cas être remis encause. La laïcité en 2011, ce n'est pasla négociation des religions. C'est laliberté pour ceux qui le souhaitentd'exercer leur culte dans le respect decelui des autres et dans le respect deslois de la République. C'est de celaaussi dont nous parlerons à l'occasionde cette convention.  »

DES VOIX DISCORDANTESDu côté de la majorité, cette conven-tion divise. Alain Juppé, Gérard Larcher,Patrick Devedjian, nombreux sont ceuxqui s'inquiètent du déroulement et desconséquences de ce débat. Mais c'estla position de Christian Vanneste,prenant position contre le débat surl'islam, qui étonne. Le député avait prisla tête, cet été, d'un collectif de la Droitepopulaire. « C'est un sujet intéressantsur le plan philosophique », déclare-t-il à Marianne 2 (10/03), «  mais ce n'estpas un débat prioritaire politiquement.C'est un travail qui doit se faire à trèslong terme et loin des échéances élec-torales... Nous risquons de finir parparaître anti-musulmans... Trois sujetsinquiètent les Français : le chômage,la montée de la violence et l'immigra-

LE DISCOURS DE NICOLAS SARKOZY DUPUY-EN-VELAYAvec son discours prononcé le 3 mars,au Puy-en-Velay sur l'héritage catho-lique de la France, Nicolas Sarkozy alancé le débat sur la place de l'islamen France. L'éditorial du Monde (05/03)

souligne « Il a appelé à « assumer sanscomplexe  » notre «  héritage  » chré-tien ; la protection de ce patrimoinerelève du « devoir politique ». Le choixdu chef de l'Etat de relancer ce débatde façon spectaculaire est pour lemoins gênant... Ces déclarations insis-tantes s'inscrivent dans un contextetout sauf anodin... Nicolas Sarkozyrevient à la charge en relançant la ques-tion religieuse. Ou, plus exactement,la question de l'islam en France..  »L'UMP a « décidé d'organiser un granddébat, le 5 avril, sur «  La laïcité et laplace de l'Islam en France... Il s'agit plusque jamais, de faire pièce au FN enreprenant sa thématique et ses argu-ments : exploiter la peur de l'Autre,dénoncer les dangers d'une «  islami-sation  » supposée de la France etenrôler désormais la laïcité républi-caine dans ce combat. » Le journalindique «  Mais poser le problème defaçon aussi régressive – en occultantles racines sociales, urbaines et écono-miques de l'échec de l'intégration –menace de stigmatiser l'ensemble dela communauté musulmane. » OlivierJay, dans le Journal du Dimanche (06/03)

se demande « Pourquoi, diable arpenterla magnifique cathédrale du Puy-en-Velay en plein milieu de semaine ? Célé-brer sans objet les racines chrétiennesde la France, c'est agiter la muleta à laface des autres familles de pensée.Dans sa tentative de reconquête del'opinion française, Nicolas Sarkozysegmente les publics, les thèmes et les

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Le débat sur la laïcité et l’Islam

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naître un «  islam de France.  » Mais ilprécise « Cela dit, il est vrai que dansl'islam, le rapport entre le religieux etle social ou le politique est différentdu nôtre. C'est une question de fondque se posent les musulmans enFrance, et nous pouvons en parler aveceux.  » (Le Monde 05/03)

UNE RIPOSTE QUI S'ORGANISEReligieux, simples croyants, agnos-tiques ou athées se mobilisent au nomde leur citoyenneté pour dénoncer ledébat sur l'islam voulu par l'UMP, qu'ilsconsidèrent comme une instrumen-talisation de la laïcité. Ils ont lancé unappel (Nouvel Obs.com 23/03). Celui-ci dénonce «  l'instrumentalisationgrossière du principe de laïcité  » etcraint que «  dans un climat de fortepoussée du FN », ce débat « mette enpéril une cohésion nationale déjà large-ment mise à mal par la politiqueactuelle. » De son côté, le Conseil fran-çais du culte musulman a exprimé l'in-quiétude et l'exaspération de musul-mans qui se sentent « traités commeles boucs émissaires » des problèmesde la société française. Une tribuneintitulé «  Le débat de trop  » a étépubliée par Le Monde et signée pardes personnalités du culte musulman.Le recteur de la Mosquée de paris,Dalil Boubakeur, proche du pouvoir, acondamné cette campagne islamo-phobe. À suivre... n

Ressources : le-discours-de-nicolas-sarkozy-au-puy-en-velay : www.elysee.fr

La lepénisation des esprits. Eléments pourune grille d'analyse. Pierre Tavinian, SylvieTissot. www.alterinfo.net

tion  ».  » Stéphane Rozès dans LeMonde (04/03) relève que cette ques-tion « s'inscrit dans la logique du débatsur l'identité nationale  ». Il pointe le risque pour Nicolas Sarkozy d'« instaurer une rupture pours'adresser directement au peuplecontre les élites, la « bien-pensance »et la gauche. Cette stratégie vise àreconfigurer le débat idéologique etpolitique en regardant à la droite dela droite... En distinguant le bon etmauvais Français, qu'il faudrait traiterdifféremment en matière de délinquanceselon son origine, en distinguant le bonet le mauvais musulman, en établissantun lien entre immigration et insécuritéou en parlant de « communauté » rom...« Pour Nicolas Sarkozy, pointer l'autre,l'étranger, l'immigré, le mauvaismusulman ou la mauvaise pratique dela religion, désigner le futur immigrantvenant de Tunisie, d'Egypte, de Libye,est perçu comme un renoncement à laquestion essentielle : quelle est ma placeau sein de la nation ? Si on a un projetcommun pour la nation et qu'on le meten place, alors on résorbe l'espace duFN.  » Sylvain Crépon, sociologue, deson côté remarque (20Minutes 03/03)«  Avec Marine Le Pen, la lepénisationdes esprits va vraiment commencer...Ce qui est drôle, c'est qu'à droite de ladroite, même à l'UMP, ceux qui brandis-sent la défense de la laïcité contre l'islamne sont pas les plus laïcs. Et ce sont lesmêmes qui mettent en avant les racineschrétiennes de la France. Aucun histo-rien ne pourrait le contester. Mais mobi-liser ce discours dans le débat publicdans le contexte que l'on sait, ça prendune connotation plus politique. C'estpour endiguer le FN. »

LA POSITION DE L'EGLISE CATHOLIQUELe cardinal Philippe Barbarin, engagédans le dialogue avec les juifs et lesmusulmans, s'interroge sur la méthodedu chef de l'Etat pour engager le débat. Puisqu'il « estime que c'est unproblème de société, je ne crois pasque ce débat doive être engagé parlui ou, à sa demande, par un parti poli-tique. Il vaudrait mieux qu'il soit menédirectement dans la société civile, et,si le cadre de la loi ne suffit plus àrégler les problèmes actuels, c'est ànous, les citoyens, de nous tournervers ceux qui gouvernent. » Il souligne« Dans les milieux catholiques, commeailleurs, monte une crainte voire unrejet de l'islam. Aujourd'hui cohabi-tent trois positions. Certains rappel-lent que nous sommes tous des frèreset savent montrer de beaux exemplesde cette fraternité, mais font silencesur les problèmes. Les secondspensent que c'est une grande naïvetéque de laisser l'islam prendre sa placedans notre société ; pour eux, noussommes clairement en danger. Enfin,d'autres refusent l'opposition violentecomme la candeur, et savent vivre unchemin de respect, voire d'amitié. C'estl'exemple laissé par les moines de Tibé-hirine. » Il poursuit « Côté catholique,il est vrai que beaucoup sont rongéspar la peur. C'est peut-être le discourslénifiant tenu durant des années, quientraîne, par retour de balancier, cerejet, cette peur d'être converti deforce, de cette peur d'une invasion,de l'instauration d'une loi islamiqueen France.  » Confiant, il croit l'islam« compatible avec les lois de la Répu-blique, à condition que les musulmansle veuillent. Beaucoup s'inscrivent danscette ligne de loyauté et veulent voir

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Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

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CRITIQUES

Libres coursP.O.L éditeur, 2010.

DE CATHERINE HENRI

Par CHLOÉ BARBIER

Une première raison de lire ce livre :le plaisir ! Catherine Henri nous ytransmet son amour de la lecture, desmots, de la langue par une écriture

très belle. La forme choisie, à mi-chemin entre l’essai etla nouvelle, la brièveté des textes rassemblés dans l’ou-vrage, le rendent en outre facile d’accès.L’auteure témoigne, dans sa description subtile de sonmétier d’enseignante, d’une considération pour ses élèvesqui fait regretter de ne pas avoir été l’un d’entre eux. Elleanalyse la situation des lycées considérés comme étantde « seconde zone » , pour ne pas dire de relégation, àcause des sections professionnelles qu’ils accueillent aucôté de sections générales ou technologiques, ainsi quede la « muticulturalité » des élèves. Ses expériencesdémontrent dans un même temps les souffrances quela société actuelle impose à la jeunesse et les perspec-tives d’une société transformée qui se dégagent à traversla transmission des savoirs.Ce livre nous invite à une réflexion sur le malaise né dela perte de sens, de la désespérance dans laquelle estplongée une grande partie des élèves soumis à deslogiques de concurrence, à une orientation imposée, àl’exil et aux difficultés sociales, mais aussi sur l’impor-tance des savoirs « qui ne servent à rien » selon l’idéo-logie dominante mais qui permettent à chacun de penserses relations aux autres, de penser globalement la société,de se construire et de s’épanouir en agissant collective-ment sur cette dernière. n

L’idée de justiceFlammarion, 2010, 558 p.

DE AMARTYA SEN

Par PIERRE LAROCHE

A. Sen ne propose pas un monde entiè-rement juste, mais relève des injusticesmanifestement réparables, pour définirjustice et injustice l’une par rapport à

l’autre. C’est le cœur de sa théorie de la justice qui passepar le raisonnement et le débat public.A. Sen tient pour « inapproprié de concentrer l’essentielde son attention sur les institutions et non sur la vie queles gens peuvent mener » : les institutions ont un rôledans la quête de la justice, mais il faut prendre en compteles « capabilités », la liberté réelle des individus pourutiliser leurs capacités et biens. La « théorie du choixsocial » se concentre sur les décisions à prendre, sansspéculer sur une société parfaitement juste. A. Sen distingue deux types d’impartialité : fermée, elle

ne concerne que les membres d’une société donnée (parexemple, un Etat souverain) ; ouverte, elle peut ou mêmeelle doit, recourir à des jugements externes. Une théoriede la justice qui fonctionnerait au cœur de limites géogra-phiques étroites aurait une importance juridique certaine,mais une portée politique et morale moins évidente. Lesobligations relationnelles doivent être intégrées à la philo-sophie morale et politique, à la théorie de la justice, àl’importance des vies humaines. Certaines qualités de la société conditionnent la justice.Pour ce qui est de l’égalité, après avoir posé la question :« égalité de quoi ? », A. Sen conclut sur son scepticismedevant une « vision monofocale » : on ne peut la définird’un point de vue unique. Pour la liberté, il accorde lapréférence à la liberté personnelle : « la justice […] exigede porter une attention particulière aux libertés que touspeuvent partager ». La démocratie, participation populaire au raisonnementpublic et gouvernement par la discussion, se heurte main-tenant à une conception qui la perçoit exclusivement entermes de scrutins et d’élections. Or, ces pratiques dépen-dent de la liberté d’expression - y compris celle des mino-rités -, de l’accès à l’information, de la liberté d’opposition,du développement économique et culturel. Elle dépen-dent également des luttes des peuples pour la défense desdroits humains, y compris droits économiques et sociaux,à la subsistance, aux soins médicaux…, qui doivent êtreinstitutionnalisés. A. Sen conclut sur l’idée initiale de sonlivre : « Les éléments coïncidents des raisonnements impar-tiaux qui ont survécu à l’examen critique forment la based’un ordre partiel et c’est sur lui qu’on se fonde pour affirmerque telle option est une amélioration manifeste de la justice.La base de l’ordre partiel destiné aux comparaisons dejustice […] n’est pas l’accord parfait des préférences person-nelles des individus ». n

Du fascismePerrin, 2011.

DE PASCAL ORY

Par IVAN LAVALLÉE

Voici un ouvrage dont la rééditiontombe à pic. L'actualité sondagièrefrançaise nous le rappelle : « Leventre est encore fécond d'où estsortie la bête immonde » (B. Brecht).

Le fascisme a existé sous différentes formes, mais avec unmême fond : c'est ce qu'étudie ce livre qui en cerne contourset définition sans rien occulter des questions qui se posent,y compris iconoclastes. Même si l'auteur écrit que le fascismeest mort, au sens où il a existé au XXe siècle, il considèretoutefois qu'il est renaissant sous d'autres noms. Sur son positionnement politique : « Le fascisme positivela notion de révolution et assimile son combat à celui dupeuple contre les Etablis. (...) Le fascisme tire sa source,c'est-à-dire son énergie propre d'un rejet des deux systèmes

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antagoniques que sont le libéralisme et le bolchevisme dansleur version 1920 ». Le dynamisme du fascisme et sa forcene viennent pas de son programme qui est souvent inco-hérent « mais de deux formules : nationalisme et totalita-risme ». L'auteur nous rappelle fort à propos que les fascistesn'ont pas pris le pouvoir mais qu'on le leur a offert. P. Ory répond à la question : Le fascisme est-il donc l'enfantprodigue du bolchévisme ? « Aucunement ; non plus queson frère ennemi ; tout au plus son ennemi obsédé. » Parcontre P. Ory n'hésite pas à montrer la filiation existant entrecertain discours écolo-naturiste de retour à la Nature etl'idéologie fasciste. Le fascisme a fait couler moins d'encre que de sang, maisle présent ouvrage n'a pas besoin de plus d'encre qu'il ena utilisé. En douze chapitres, ou plutôt leçons, il est clair,synthétique, accessible, nécessaire à tout honnête homme(ou femme). Il est indispensable à tout combattant de lacause de la libération humaine, scientifiquement bien fondé,sur une lecture critique d'une bibliographie abondante. Ons'étonnera toutefois que ne figure dans cette bibliographieni Clara Zetkin (discours à l'assemblée nationale 1932), niGeorges Dimitrov (discours au 7è congrès de l'internatio-nale communiste, 2 août1935) ni Antonio Gramsci (La criseitalienne, 1924). n

Réflexions sur l’universitésuivies d’un entretien inédit.Textes réunis et présentés parNormand Baillargeon.Raisons d’agir, 2010.

DE NOAM CHOMSKY

Par DINA BACALEXI

Voilà un humaniste combatif dans lalignée de Humboldt (1767-1835) et deBertrand Russell. Un humaniste pourqui l’asservissement de l’université au

capitalisme la dénature et la détruit.Cinq textes (1969-1999) et un entretien de 2010 abordentle travail (pas seulement) intellectuel, les mouvements

universitaires de ces décennies cruciales pour les USA(transformations politiques, sociales, guerre du Vietnam),les changements pour mettre fin à la marchandisation dusavoir, la mission assignée à l’université par les dominants.Les projets à court terme qui assèchent la créativité et éloi-gnent l’université de son rôle émancipateur sont vivementcritiqués, ainsi que le financement par des entreprises oupar des dons exempts d’impôts. Curieusement, le Penta-gone a accordé généreusement ses fonds à la recherchefondamentale, malgré l’incertitude du résultat et les annéesqu’il faut pour l’obtenir. La privatisation de la connaissanceest arrivée avec les applications réussies. L’université doitrester indépendante, tout en « dépendant » des fonds publicsqui induisent un « soutien à la structure de pouvoir et aucadre idéologique qui lui est associé ». Sans pouvoircontrôler tous les usages des connaissances produites, lesscientifiques ne peuvent rester neutres ou se voiler la face :ils portent une grande responsabilité. Si la question se poseavec acuité dans le domaine militaire ou les sciencessociales, elle est valable partout : la connaissance est àpartager, à faire croître, à poursuivre tout au long de la vie.La science doit « répondre aux demandes et aux besoinsde la société » non à ceux des grands groupes ou des élites.« La libre circulation des idées, de l’analyse critique, de l’ex-périmentation » est la mission de l’université. Se soumettreà une autre finalité (comme la « compétitivité ») c’est latrahir. Cela n’a rien à voir avec l’« excellence » : deux univer-sités publiques mexicaines maintiennent des exigencesélevées en même temps que leur mission de service public,tandis que des riches universités américaines font croireque la privatisation élèvera leur niveau.La seule réforme universitaire susceptible de réussir doit être« envisagée du point de vue de sa contribution au change-ment social ». L’issue de nos mobilisations dans le mondescientifique dépend donc de leur enracinement dans le mouve-ment populaire. Instrument de perpétuation de l’ordre domi-nant, l’université est en même temps un puissant levier detransformation sociale. Pour cela, il faut la gratter et la réécriretel un palimpseste : résister à la résignation, au « réalisme »,à la corporatisation. Il faut, selon le poète grec Odysséas Elytis,beaucoup de travail pour que le soleil tourne. n

Lectures incandescentes !La ville brûleCette jeune maison d’édition fraîche-ment implantée à Montreuil mériteà la fois notre attention et notresoutien. Avec l’objectif revendiqué,justifié, « d’expliquer simplement deschoses complexes », ses collec-tions - engagé-e-s, Marx XXI - fontappel à l’intelligence critique de cher-cheurs ou enseignants confirméscomme Roger Martelli, EmmanuelBarot, Jean-Numa Ducange, NicolasBéniès ou encore Mohamed Fayçal

Touati. Philosophes, économistes ethistoriens se relayent pour décons-truire, arguments et développementsà l'appui, tout ce que la pensée domi-nante a tenté d'ériger comme véritésabsolues. Autant d'idées fausses dontl'analyse se charge de lever le voileaveuglant. Un anti-dogmatismeassocié à des plumes rigoureuses nemanqueront pas de satisfaire la curio-sité et l’envie de celles et ceux quicontinuent de vouloir s’interroger etde s'offrir les outils pour comprendrele Monde. A ce titre les lectures de

Marx, l’histoire et les révolutions, Marxau pays des soviets, Marx, le capita-lisme et les crises et la parutionprochaine de la traduction attenduede Pour lire le Capital (A Companionto Marx's Capital, appel à souscrip-tion en ligne) de David Harvey sonttoutes conseillées. Si la ville brûle,c’est pour entretenir le feu de lapensée et faire qu’il soit bien vivant.Avec ces ennemis des lieux communset de la résignation ordinaire, cetespoir se fait jour. http://www.lavil-lebrule.com/

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COMMUNISME EN QUESTION

Par MICHELA MARZANO*

LE MYTHE DE LA « SOCIÉTÉ DE CONFIANCE »Voilà quinze ans, dans un livre consa-cré à la «  société de confiance  », AlainPeyrefitte, nous vantait les mérites desmodèles anglo-saxons, affirmantnotamment qu’ils permettaient à cha-cun de se dépasser constamment dansdes «  entreprises risquées mais ration-nelles ». Ces dernières années, lesélites françaises ont cherché sansrelâche à promouvoir ce modèle idéalde «  confiance compétitive  ». Il fallait« être performant », «  tout contrôler »,«  ne jamais se soucier des autres  ».L’une des raisons du succès de NicolasSarkozy, en 2007, a été justement sacapacité à mobiliser les électeursautour de l’idée de réussite person-nelle. Le fameux «  travailler plus pourgagner plus  ». Pour quel résultat  ? Notre société est aujourd’hui paralyséepar une peur obsédante de tout ce qui échappe ou semble échapper aucontrôle. Catastrophes, étrangers,changements climatiques, etc., on en atellement peur qu’on envisage toutesorte de comportement compulsif pourneutraliser ce qu’on ne parvient pas à «  maîtriser ». Sans comprendre quel’angoisse, tel un cercle vicieux, est unmécanisme qui ne cesse de s’autoali-menter. C’est pourquoi la crise écono-mique qui s’est déclenchée en 2008n’est que la pierre de touche descontradictions de notre société. Elle apointé les limites d’un volontarisme àoutrance, en montrant qu’il ne suffisaitpas de «  vouloir pour pouvoir  » et que,sans coopération et solidarité, «  notremonde peut être un enfer  », comme ledisait déjà Hannah Arendt. Tous les jours, dans les entreprises, ilssont des milliers à le vivre dans leurchair. Pas besoin d’aller chercher desexemples dramatiques chez FranceTélécom ou Renault. Prenons ce salariéqui, à l’approche de la cinquantaine, etaprès s’être voué à son travail en

essayant d’être toujours «  flexible  », sevoit remercié car «  trop coûteux  ». Ouces seniors qui connaissent un vérita-ble parcours du combattant, se traînantd’entretien en entretien, à la recherched’un nouvel emploi. Qui dit que cesFrançais ne veulent pas travailler  ? Quicroit qu’ils dénigrent le travail  ? Les manifestations de cet automnecontre la réforme des retraites ne sontpas, on le sait, une simple protestationcontre un allongement de quelquesannées de cotisation mais aussi lesymptôme d’une grande déception etd’un grand désarroi. Peut-on se limiterà croire, comme un Claude Bébéar, queles citoyens ne seraient descendus enmasse dans la rue que parce qu’ils« dénigrent le travail, se disent fatiguéset aspirent aux congés et à la retraite »(Le Monde du 30 octobre)  ? Une chose est sûre. La fatigue françaiseest bien réelle. Mais elle n’est pas unepropriété intrinsèque du Français-pares-seux-par-nature. Elle est le résultat d’unelongue suite de contes de fée et de men-songes auxquels les citoyens avaient finipar adhérer et dont ils découvrentdepuis peu l’inanité. C’est le résultat d’unvéritable abus de leur confiance… Cepeuple qui, depuis 1789 et 1848, n’avaitcessé d’opposer aux puissants du mondele rire moqueur de Gavroche, s’était pro-gressivement laissé convaincre par lessirènes de l’idéologie néolibérale. Il avaitaccepté l’idée qu’il suffisait de croire « ensoi-même  » et de ne jamais compter surles autres pour réussir sa vie. La sociétése partageait entre les « winners » et les«  loosers  », entre ceux qui croyaientn’avoir besoin de rien, ni de personne, etceux qui avaient la faiblesse de croire auxautres… Résultat  : aujourd’hui nous nousméfions tous les uns des autres. Et nousn’avons plus confiance en l’avenir… Selonune enquête récemment réalisée parl’institut de sondage BVA Opinion en col-laboration avec le réseau GallupInternational Association, les Français

arce que je le vaux bien  !  », nous ditune fameuse publicité. C’est le crid’une époque. Depuis une trentained’années, combien d’experts et de«  gourous  » en tout genre, nous assè-nent leur vérité  : la confiance en soi estla force vive des «  sociétés en muta-tion  ». Je dois apprendre à «  n’avoirbesoin de rien ni de personne  », depouvoir avant tout compter sur moi,sur ma «  self-estime  », pour attirer lerespect des autres. Et, voilà, le tour estjoué. J’ai bientôt acquis une telle idéede Moi que les autres finissent par dis-paraître de mon monde. N’est-ce pasd’ailleurs, au fond, ce que je cherche  ?Ne plus dépendre d’un Autre qui, luiaussi, pense être le seul à «  valoirquelque chose  »… Dommage que ces slogans aient oubliéun petit détail. Comment faisons-nousdésormais, grâce à ces beaux pré-ceptes, pour parvenir à vivre et à tra-vailler ensemble  ? Sans un minimumde confiance, le monde social s’effriteet devient invivable. Mieux… Sansconfiance, c’est la survie même de l’in-dividu qui est en danger. Commentaccepterais-je ne serait-ce que de menourrir sans confiance dans le fait quela nourriture que j’achète et que jemange n’est pas toxique  ? Commentpourrais-je sortir de chez moi le matinsi je n’étais pas sûr de pouvoir y retour-ner le soir  ?

Abus de confiance* Michela Marzano est philosophe,Professeur des Universités, UniversitéParis Descartes. Dernier ouvrage paru, Le contrat de défiance, Grasset, 2010

Aucune société ne survit sans un minimum de confiance mutuelle.

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«  courageux  » lorsqu’il taille dans seseffectifs, tandis qu’il négocie âprement,et parfois en douce, ses stocks optionset sa retraite chapeau…Or la confiance que nous pouvons avoirdans les autres dépend toujours des«  preuves  » qu’ils sont en mesure denous offrir de leur bonne foi. C’estlorsqu’un manager fait preuve derigueur et d’efficacité, mais arrive aussià reconnaître devant ses salariés qu’iln’a pas réponse à tout, qu’on peut pro-gressivement compter sur lui et lui faireconfiance. C’est lorsqu’un homme poli-tique tient ses promesses et qu’il setient à son programme qu’on peutcontinuer à croire en son discours… La confiance consiste tout d’abord àaccepter de s’abandonner à la bienveil-lance d’autrui. Ce qui rend toujours pos-sible le risque d’être trahi. Rien de sur-prenant puisque, comme le dit la philo-sophe Annette Baier, la confiancecontient en elle-même le germe de latrahison. Ainsi Rousseau excluait lapossibilité de rapports humains fondéssur la confiance car il n’existerait pas,selon l’auteur de l’Emile, «  de cœursconstants  ». Mais l’auteur des Rêveriesdu Promeneur solitaire oublie unevérité sociale  : personne n’est suffisam-ment puissant pour se passer d’autrui.On peut le rêver, comme Jean-Jacquesaux Charmettes, mais c’est un songestérile. La confiance nous oblige à un«  saut dans l’inconnu  », ce que notresociété déteste au plus haut point. Faireconfiance, c’est parier. Mais ce pari,paradoxalement, n’est pas de l’ordre duquitte ou double. Il y a quelque chosequi relève du «  reste  ». En effet, nevaut-il pas mieux risquer d’être trahi en

pariant sur les autres, plutôt que des’enfermer dans une solitude stérile,tout en se répétant devant le miroir  :«  comme je le vaux bien  »  ? Aucune société ne survit sans un mini-mum de confiance mutuelle. Laconfiance en soi ne suffit pas. C’est latriste leçon des crises financières,générées en 1929 comme en 2008 parl’égoïsme cupide et aveugle. Franklin D.Roosevelt avait bien compris que cediscours sur la confiance mutuelle n’estpas seulement moral, comme le préten-dent les esprits cyniques et à courtevue. Il est aussi nécessaire sur le plandes affaires. «  Nous avons toujours suque l’égoïsme insensible était morale-ment mauvais ; nous savons mainte-nant qu’il est économiquement mau-vais  », dira le Président des Etats-Unislors de son second discours d’inaugura-tion (1937), faisant le bilan de la soi-disant société de confiance des annéesfolles précédant la crise de 1929. Ellen’était que le prélude de la société desannées 1990-2000. D’où la nécessité,aujourd’hui, d’apprendre de nouveau àcoopérer avec autrui, en lui faisantconfiance et en prenant un risque quidépasse largement la simple questionde la poursuite de mon propre intérêt.Ce n’est qu’à partir du moment où jedécide de ne pas suivre mon intérêt leplus immédiat et que je décide de coo-pérer, en effet, que le résultat du choixsera réellement avantageux pour lasociété tout entière. n

Alain Peyrefitte, La Société de confiance(1995), Paris, Odile Jacob, 2005.Annette Baier, « Trust and Anti-Trust », Ethics, 96, 2, 1986, p. 231-260.

remportent même la palme des plus pes-simistes au monde. Ils ne croient plus enleur système scolaire. Ils se méfient descomptes publics. Ils n’ont pas confianceen leur système des retraites, etc.

LE GOÛT DE LA CONFIANCE MUTUELLEComment alors briser ce cercle vicieuxet retrouver le goût du « vivre et travail-ler ensemble » ? Il faut peut-être retrou-ver le véritable sens de la confiance.N’en doutons pas, la chose n’est pas siaisée. Car la confiance naît lentement. Etelle ne se développe que lorsqu’on a lapossibilité de se rendre compte que lesautres ne nous mentent pas systémati-quement et qu’ils tiennent leur parole,au moins certaines fois. Globalisation et mutation technolo-gique poussent certes au changement.Mais elles ne poussent pas nécessaire-ment aux dérives oligarchiques et aucynisme triomphant. Une société plusjuste est toujours possible. Elle estmême la condition du retour de laconfiance en l’avenir. Mais cetteconfiance-là ne se décrète pas. Pourqu’elle puisse surgir à nouveau dans cepays et se développer, elle doit pouvoirs’appuyer sur des preuves tangibles.Pas de confiance sans fiabilité. Or, c’estlà que le bât blesse. Tout ce qui manqueà nos élites, aujourd’hui, c’est d’êtrefiable. On dira que ce propos est«  populiste  ». L’accusation est com-mode. Jugeons sur actes. Les chefsd’entreprise, les politiques, les médiasparlent d’exemplarité. Mais ce sont tou-jours, comme par hasard, les autres quidoivent être exemplaires. Pas ceux quidemandent des efforts. Pis. En France,un grand manager est désigné comme

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HISTOIRE Une nouvelle rubrique qui répond à la demande des lecteurs

Par JEAN-PAUL SCOT

la « saine et légitime laïcité » et de la« laïcité positive » qui récusent toute«  séparation ». L’autonomie des pou-voirs n’est pas la laïcité.La France fut encore le premier État àreconnaître la tolérance religieuse.Pour mettre fin aux guerres de religionprovoquées par la Réforme protes-tante, l’Empire germanique adopte en1554 le principe tel prince, telle reli-gion  : les sujets des princes n’ont que laliberté d’émigrer. Mais, par l’Édit deNantes accordé en 1598 par Henri IV àses sujets protestants, l’État reconnaitla coexistence légale de sujets deconfessions différentes. Louis XIVannulera d’ailleurs ce privilège en 1685.La tolérance n’est qu’une faveur duprince à certains de ses sujets, uneconcession de l’État à des communau-tés minoritaires, ce n’est pas un droitégal accordé à tous. Dans son Essai surla tolérance, publié en 1667, le philo-sophe anglais Locke n’en fait bénéficierni les catholiques inféodés au pape, niles athées ne redoutant pas les feux del’enfer ; il admet la pluralité des reli-gions mais pas l’égalité des droits.Comme trop d’hommes politiques, ycompris de gauche, Nicolas Sarkozyconfond la tolérance et la laïcité qu’ilréduit à l’« égal respect de toutes lesreligions », méprisant les agnostiqueset les athées. La tolérance n’est encorepas la laïcité. C’est la Révolution française quireprésente l’étape capitale dans lelong processus historique de laïcisa-tion de l’État et de sécularisation dela société avec la déclaration univer-selle des droits de l’homme et ducitoyen du 26 août 1789. La proclama-tion de la liberté de conscience et del’égalité des droits de tous les êtreshumains indépendamment de leursconditions, de leurs positions et de

leurs croyances, « même religieuses  »,est l’acte fondateur des principes delaïcité. La souveraineté et la loin’émane plus de Dieu mais de lanation  ; les «  droits de l’homme  » sesubstituent aux « devoirs envers Dieu »pour fonder les lois humaines. Le 21février 1795, une première séparationde l’Église et de l’État est instituée « aunom des droits de l’homme ». Pourtant,certains disent que les États-Unisd’Amérique ont eux aussi élevé un« mur de séparation » entre l’État et lesreligions : le premier amendementconstitutionnel de 1791 ne déclare-t-ilpas que «  le Congrès ne fera aucune loiqui touche l’établissement ou interdisele libre exercice d’une religion  ». Maiss’il y a séparation entre l’État fédéral etles multiples confessions, il n’y a pas deséparation de la politique et de la reli-gion aux États-Unis car la liberté dereligion est affirmée comme la pre-mière des libertés. La tolérance univer-selle n’est pas encore la laïcité.La laïcité ne concerne d’ailleurs pasles seuls rapports de l’État et des reli-gions. Pour rétablir la paix intérieure,Napoléon Bonaparte imposa en 1802 lerégime des « cultes reconnus  » faisantdes cultes catholique et protestants,puis israélites, des institutionspubliques financées et salariées parl’État qui leur abandonne l’enseigne-ment primaire. Mais le conflit récurrententre l’Église romaine soutenant lesmonarchistes et l’ordre moral et lesrépublicains, anticléricaux parcequ’hostiles à l’immixtion du clergé dansles affaires publiques, aboutit aux loislaïques de la Troisième République  :gratuité de l’enseignement primaire(1881), obligatoire pour les filles et lesgarçons (1882), laïque (1883) et réser-vant les fonds publics à l’enseignementpublic (1886). La laïcité ne se limite pas

Liberté-Égalité-Laïcité

*JEAN-PAUL SCOT, historien

La laïcité est le fruit d’une longue bataille pour la liberté et l’égalité, indis-sociable de celle pour la démocratie politique et sociale.

Savez-vous que, si la France estdepuis 1946 une « République indivisi-ble, laïque, démocratique et sociale »,l’épithète « laïque » a été ajoutée dansl’article premier de la Constitutiongrâce à l’adoption d’un amendementcommuniste ? Savez-vous que le pre-mier projet de constitution, rejeté parles gaullistes et la droite cléricale, défi-nissait très clairement la laïcité : « Laliberté de conscience et de cultes estgarantie par la neutralité de l’État àl’égard de toutes les croyances […]notamment par la séparation desÉglises et de l’État, ainsi que par la laï-cité des pouvoirs et de l’enseignementpublic  ». La laïcité n’est pas une excep-tion française même s’il y eut une voiefrançaise à la laïcité.La France fut le premier État à mettreen échec la théocratie pontificale,cette prétendue souveraineté despapes sur les rois, quand Philippe le Belfit proclamer par ses légistes en 1303l’autonomie du pouvoir politique face àl’autorité temporelle de la papauté.Louis XIV lui-même confirmera en 1682les «  libertés gallicanes  » en affirmantque «  les rois et les princes ne sontsoumis dans les choses temporelles àaucune puissance ecclésiastique  ».Mais la distinction entre deux pouvoirs,l’un temporel, l’autre spirituel, distinctset autonomes, mais non séparés, main-tient l’éminente suprématie de l’auto-rité religieuse sur le pouvoir politique,comme l’ont réaffirmé les papes Pie XIIet Jean-Paul II dans leurs définitions de

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à l’école  : les libertés publiques et ledroit civil seront garantis (1881), ledivorce rétabli, l’adultère dépénalisé,les administrations, l’armée, la justice,les hôpitaux, les enterrements laïcisés.Eugène Littré définissait avec raison lalaïcité comme «  la conception politiqueet sociale impliquant la séparation de lareligion et de la société civile et del’État.  »La loi du 9 décembre 1905 relative à« la séparation des Églises et del’État » parachève cette conquête de lalaïcité. Ses « Principes  » sont à rappe-ler à tous ceux qui voudraient réviser laloi pour la dénaturer. Article 1er : « LaRépublique assure la liberté deconscience. Elle garantit le libre exer-cice des cultes sous les seules restric-tions … de l’ordre public. » La liberté deconscience est la première des libertés,un droit naturel reconnu et non octroyépar l’État, la liberté de croire ou de nepas croire. D’elle découle la «  liberté decultes », l’expression collective etpublique de la liberté de religion quirelève, elle, du choix totalement libredes personnes, mais les manifestationsde la liberté de culte sont soumises aurespect de l’ordre public. Art. 2  : «  LaRépublique ne reconnait, ne salarie nine subventionne aucun culte  ». La

France met fin au régime des «  cultesreconnus  » et privilégiés, les Églises nesont plus des institutions de droitpublic, les religions relèvent du droitprivé, individuel et collectif. L’Étatn’ignore pas la réalité sociale du faitreligieux, mais n’a pas à mettre lesmoyens de la collectivité nationale à ladisposition des seuls croyants. Lesverbes «  assurer  » et «  garantir  » n’ontjamais voulu dire « assumer » ou«  financer  ». A la différence de la plu-part des autres États européens, qui ensont restés au stade des «  Églises éta-blies » ou des « Églises historiques », laRépublique française ne connait quedes citoyens, pas des croyants ou desincroyants.La loi de 1905 a subi de nombreuxcontournements, maintien du concor-dat napoléonien en Alsace-Moselle en1919 et 1944, financement public desétablissements privés sous contratdepuis la loi Debré de 1959, facilités fis-cales accordées aux cultes, multipliéesdepuis 2002. Mais, elle est capableencore d’apporter des réponses auxquestions posées par la constructiondes lieux des cultes et l’activisme desintégristes religieux. Encore faudrait-ilvouloir appliquer cette loi d’apaisement. La laïcité repose sur l’articulation des

principes de liberté de conscience,d’égalité des droits et de neutralité del’État à l’égard de toutes les convic-tions. Jaurès affirmait le 2 août 1904dans L’Humanité « Démocratie et laï-cité sont identiques [car] la démocratien’est autre chose que l’égalité desdroits. La démocratie fonde en dehorsde tout système religieux toutes sesinstitutions, tout son droit politique etsocial. » Il proposait d’ailleurs que lasuppression du budget des cultes serveà alimenter le premier fonds desretraites ouvrières. En 1912, il conclut« Laïcité et progrès social sont deuxformules indivisibles. Nous lutteronspour les deux.  » La laïcité n’est pas uneidéologie antireligieuse, ni une doctrinephilosophique, encore moins une idéo-logie d’État. Elle est à la fois un idéald’émancipation de tous les êtreshumains, un principe d’organisationpolitique et social du « vivre ensem-ble  » et la garantie du droit de chacunà affirmer ses différences dans le res-pect mutuel de tous. n

« L’État chez lui, l’Église chez elle ».Comprendre la loi de 1905, Le Seuil, coll.« Points », 2005. Voir aussi Henri Peña-Ruiz, Jean-Paul Scot,Un poète en politique. Les combats de VictorHugo, Flammarion, 2002.

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Par CLAUDE AUFORT*

LE MONDE VA AVOIR BESOIN DE BEAUCOUP D'ÉNERGIE D’ici trois ou quatre décennies, la popu-lation va croître de 3 milliards d’indivi-dus qui naîtront principalement dansles pays en voie de développement. Larésorption des inégalités énergétiques(un facteur 13 entre l'Américain etl'Africain moyen) ou des problèmescomme l’accès à l’eau potable vontconsidérablement accroître les besoinsen énergie. La fin du pétrole et du gazbon marché, le réchauffement clima-tique (catastrophe majeure à terme)nous obligent à une transition énergé-tique sans précédent. Dans ces conditions, pour faire face auxbesoins, la consommation mondialed'énergie primaire dans quelquesdécennies dépassera sûrement les 20milliards de tep par an soit plus du dou-ble de celle de 2000. Pour répondre àces besoins gigantesques, le mondedevra utiliser toutes les sources d'éner-gie que l'humanité saura maîtriser. Lerisque le plus important n'est pasnucléaire. C'est le risque de pénuried'énergie qui débouche le plus souventsur la guerre.Face à ces contraintes inédites, larecherche d'une politique énergétiquecrédible est vitale. Elle doit prendre encompte la nécessaire solidarité interna-tionale (par exemple réserver le pétrolele moins cher possible aux pays les pluspauvres) et les spécificités de notre payspour qu'il puisse préserver et développerson potentiel industriel. Pour que notre pays divise par 4 ses émis-sions de CO2 dans l'atmosphère dans lafoulée des recommandations des clima-tologues du GIEC, nous devons prendreen compte de manière substantielle deséconomies d'énergies, une augmenta-

tion de l'efficacité énergétique, une partimportante d'énergies renouvelablesadaptées aux conditions spécifiques denotre pays (son réseau électrique) et lapoursuite des constructions d'unitésnucléaires. Une forte pénétration du

Fukushima ! Quel avenir énergétique pour le monde ?

*CLAUDE AUFORT, chercheur,ancien administrateur du CEA.

UELS DÉBATS APRÈS FUKUSHIMA ?

Un séisme d’une intensité rarementatteinte dans l’histoire de l’humanité, untsunami d’une ampleur colossale et main-tenant la perspective d’un accidentnucléaire majeur ; telle est la situationdouloureuse que traverse le Japon. Il estimpossible aujourd'hui de prévoircomment finira cette dramatique situa-tion. Cette terrible épreuve appelle à laretenue dans les commentaires et à lasolidarité avec le peuple japonais. Nous devrons dans un proche avenir tirertoutes les leçons de cette catastrophe.Les enjeux sont considérables et méri-tent une analyse sérieuse des risques,techniques, sociaux et politiques deschoix énergétiques de la France. Prenonsle temps de la réflexion, ne nous laissonspas entraîner vers des décisions préci-pitées. Elles engageront toute la commu-nauté internationale. Les grands défis du XXIe siècle sont iden-tifiés. L'énergie et le développementéconomique y cohabitent avec l'explo-sion démographique, la pauvreté, la dété-rioration de l'environnement, l'agricul-ture et l'industrialisation. Pour que cesdéfis débouchent sur un progrès universeldans un monde solidaire, le dépassementdu capitalisme est à l'ordre du jour. Parailleurs, nous ne prendrions pas la mesuredes enjeux mondiaux que nous devonsaffronter si nos débats s'enfermaientdans un égocentrisme national inadapté.

Nous devrons tirer toutes les conséquences de cette catastrophe.

Q

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vecteur électricité semble inéluctabledans la perspective notamment du véhi-cule électrique. Il faut viser à réduire lestonnes d’équivalent pétrole (tep) consom-mées, intégrant ainsi le souci de dégagerprogressivement notre économie dupétrole (plus généralement des combus-tibles fossiles). Celui-ci va devenir de plusen plus cher du fait des compétitions dumarché mondial et des difficultés crois-santes rencontrées lors de son extrac-tion. Cette transition énergétique sansprécédent, a besoin pour être crédible,de l'indispensable compétence et de lacréativité des techniciens de l'énergie(ingénieurs et chercheurs).

FUKUSHIMA ! …. LE NUCLÉAIRE EST-IL MAÎTRISABLE ?L'énergie issue du noyau atomique esttrès concentrée. Elle est environ unmillion de fois plus grande que l'éner-gie mise en jeu dans la combustion desénergies fossiles. La fission d'ungramme d'uranium produit plus d'éner-

gie que la combustion d'une tonne depétrole sans émission des gaz à effetde serre. C'est un avantage considéra-ble qui permet un coût de productionde l'électricité très inférieur à celui desautres formes d'énergie, un stockagede plusieurs années de production quinous met à l’abri des aléas du marchéet une certaine indépendance énergé-tique malgré nos très faibles res-sources énergétiques. Mais cette éner-gie nucléaire entraîne des risquesaccrus d'accidents graves. L'analyse del'accident de Fukushima nous dira lesresponsabilités respectives du groupeprivé japonais TEPCO, de l'Autorité desûreté de ce pays et de son gouverne-ment, dans ce qui apparaît êtreaujourd'hui une sous-estimation durisque de tsunami au Japon. Par ailleurs, le nucléaire comportant unpotentiel de risque très supérieur àcelui d'autres activités, les entreprisesde ce domaine doivent accorder la prio-rité absolue à la sûreté avant la renta-

bilité financière. Il n'est pas possibled'envisager sérieusement le dévelop-pement de l'énergie nucléaire avec unelogique de rentabilité maximale accom-pagnée d'une dégradation program-mée du sens du travail. La privatisationdes profits accompagnée d'une sociali-sation des charges (donc des coûts desaccidents), n'est pas acceptable.Cela doit nous interroger sur lamanière dont cette technologie et cetteindustrie sont gérées. Les compé-tences individuelles et collectives, l'or-ganisation des collectifs de travail, leurvalorisation, la culture de sûreté et lesens des responsabilités de tous lessalariés sont les conditions essentiellesd'exploitation des industries à risques.Nous avons besoin d’un nouveau typed’entreprise qui permette, sur toutesles questions, notamment la sûreté,d’accroître le pouvoir des salariés etceux des citoyens. Nous devons opérerun rééquilibrage entre les pouvoirs ducapital, ceux du travail et l'intérêt col-lectif national. Nous avons aussi besoin d’entreprisesqui augmentent considérablementleurs efforts en direction de larecherche pour arriver à une meilleuremaîtrise de la gestion de la Terre.

APPROPRIATION SOCIALE DU DÉVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUEL'énergie est devenue maintenant l'af-faire de la société tout entière. Noussommes face à un changement de civi-lisation qui implique un changementqualitatif dans la gestion des hommes,des connaissances et des technologies.Nous devons imposer, un véritablecontrôle démocratique des industries,notamment à risque, et une co-construction de l'univers techniquedans lesquels nous évoluerons pourparvenir à une appropriation sociale dudéveloppement technologique. C'est avec les services publics de l'énergieque nous pourrons ainsi montrer quedéveloppement social et développementtechnologique ne s'opposent pas maisse complètent pour sauver la planète etrépondre aux besoins énergétiques deshabitants de la Terre. C'est à cette condi-tion que les sociétés n'auront plus peurdu progrès. n

De ce point de vue, les travaux effectués parles adhérents de l'association "Sauvons leclimat" (www.sauvonsleclimat.org) méri-tent de notre part une attention particu-lière, notamment en ce qui concerne lescénario "Négatep" qu'ils proposent pourla France.

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Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy [email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Economie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebhurer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

Valérie [email protected]

Jean-Louis Le Moing [email protected]

Danièle Lebail Services Publics et solidarités [email protected]

Isabelle Lorand Libertés et droits de la [email protected]

Sylvie Mayer Economie sociale et solidaire [email protected]

Catherine Peyge Droit à la ville, [email protected]

Gérard Mazet [email protected]

Eliane Assassi Quartiers populaires et liberté[email protected]

Richard Sanchez [email protected]

Véronique Sandoval [email protected]

Jean-François Téaldi Droit à l’information [email protected]

Nicole Borvo Institutions, démocratie, [email protected]

Jean-Marc Coppola Réforme des collectivités [email protected]

Jérôme Relinger Révolution numérique et société de la [email protected]

Jean-Marie DoussinCollaborateur

Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

Gérard StreiffCombat d’idées

Nicolas Dutent Communisme en question

Partice BessacResponsable de la Revue

Cécile Jacquet Secrétaire générale

COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

GuillaumeQuashie-Vauclin

Histoire

Marine RoussillonPages critiques

Alain VermeerschRevue des médias

Frédo CoyèreMaquette etgraphisme