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1 Bienne – 23 mars 2017 Les dialogues de conseil en life design : une forme renouvelée de l’accompagnement à l’orientation Jean Guichard [email protected]

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Bienne – 23 mars 2017

Les dialogues de conseil en life design :

une forme renouvelée de l’accompagnement à l’orientation

Jean Guichard

[email protected]

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Les dialogues de conseil en life design : une forme renouvelée de l’accompagnement à l’orientation

[email protected]

Objectif :

- Présenter les interventions de conseil en life design et, plus particulièrement, une intervention de ce type : les dialogues de conseil en life design.

Trois parties :

- Différence entre les interventions de conseil en life design et d’autres interventions d’accompagnement à l’orientation.

- Présentation des dialogues de conseil en life design: o concepts sur lesquels ils se fondent o exemples de mises en œuvre

- Méthodologie : Comment conduire de tels dialogues ? Conclusion :

- Les interventions de conseil en life design sont-elles suffisantes pour préparer les personnes à faire face aux crises (démographiques, écologiques, sociales, du travail) du monde contemporain ?

1. Les interventions de conseil en life design ont pour objectif d’aider chaque personne à trouver sa réponse à la question : « Par quelle vie active donner sens et perspective à mon existence ? »

Objectif : Indiquer la spécificité des interventions de conseil en life design par rapport à d’autres interventions d’accompagnement à l’orientation. Point de départ de l’argumentation :

Les questions d’orientation de leur vie auxquelles les individus ou les collectifs doivent faire face dans une société sont des produits dérivés du mode d’organisation de cette société.

Exemple : dans des sociétés « traditionnelles » où le poids des communautés

d’appartenance est grand, ce sont ces communautés qui définissent ce que chacun doit faire pour contribuer au bien commun du collectif. Ainsi : la famille peut choisir le futur conjoint d’un jeune.

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Trois caractéristiques des sociétés occidentales contemporaines jouent un rôle essentiel dans la définition propre à ces sociétés de la question fondamentale de l’orientation de la vie des personnes.

- Des sociétés d’individus (Norbert Elias) : des sociétés où chaque individu est considéré comme un sujet autonome responsable de ce qu’il fait de sa vie.

- Des sociétés liquides (Zygmunt Bauman) : des sociétés où les transformations sont si rapides que les institutions et représentations n’ont plus le temps de se solidifier. Conséquence : les individus ne peuvent plus se fonder sur des institutions, des organisations et des systèmes croyances leur fournissant des repères stables et indiscutables pour s’orienter dans la vie. Ils vivent dans un monde incertain.

- Des sociétés modernes (Hanna Arendt) : des sociétés où l’on considère que la vie active (par opposition à la vie contemplative) joue un rôle fondamental dans la construction du monde et des subjectivités individuelles. Conséquence : l’impératif donné à l’individu des sociétés liquides est d’orienter sa vie active. 4

Conséquence : La question d’orientation fondamentale ou générique à laquelle les individus des sociétés modernes liquides doivent trouver leur réponse est la suivante : Par quelle vie active donner sens et perspective à mon existence ? Les interventions de conseil en life design visent à aider chacun à trouver sa réponse à cette question. Un point important : Contrairement à ce qui nous vient spontanément à l’esprit, « vie active » ou « travail » ne sont pas synonymes de « vie – ou de carrière - professionnelles ».

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Spontanément, nous avons tendance à assimiler « vie active » à « vie professionnelle ». Cette assimilation erronée repose sur une confusion cognitive entre travail et travail rémunéré, comme l’ont montré les travaux de Paola Salamaso et Luisa Pombeni in Willem Doise & Augusto Palmonari (1986). Le travail peut être défini comme une activité que chaque être humain doit accomplir en vue de produire quelque chose (biens, services, etc.) qui (1) est nécessaire pour satisfaire immédiatement ou médiatement certains besoins ou désirs humains (ce qui inclut le désir de se réaliser par sa vie active) et qui (2) a la capacité d’être échangé avec d’autres « produits » de même nature élaborés dans des conditions analogues Dans le travail, la production et l’échange sont intrinsèquement liés. Or, le système monétaire d’échange du travail contre de l'argent – et de l'argent contre des produits du travail – prévaut depuis des siècles. Pour cette raison, l'attribut « produit un revenu monétaire » joue un rôle majeur dans notre représentation cognitive du concept « travail ». Par conséquent, « le travail rémunéré » est, à nos yeux, le prototype cognitif (Rosch, 1978) du concept de travail.

Ce fonctionnement cognitif ne signifie pas que tout échange de travail se fait nécessairement sur une base monétaire.

L’échange peut être informel (exemple : dans un couple, une personne peut s'occuper primordialement de l'éducation des enfants et des tâches ménagères sans être officiellement « payée » pour le faire). Le travail peut également être échangé contre de la reconnaissance (exemple : certains créateurs d'œuvres d'art sont reconnus comme artistes dans leurs communautés, bien que ne trouvant pas d’acheteurs de leurs créations).

Le travail peut aussi s’échanger dans les systèmes de dons contre-dons des sociétés traditionnelles ou dans des systèmes d’échanges locaux tels qu’ils se développent dans certains collectifs des sociétés contemporaines.

Bien d’autres formes d’échanges du travail pourraient être évoquées… « Travail » se réfère à l'emploi, à l'artisanat, à l'auto-entrepreneuriat, aux systèmes locaux de commerce, aux activités domestiques, etc.

En vue de prendre en compte cette variété des formes de l’activité de travail David Blustein a proposé de remplacer (dans notre domaine) la traditionnelle « Psychology of work and organizations » par une « Psychology of working » : une psychologie de l’action de travailler correspondant mieux aux enjeux de l’accompagnement à l’orientation.

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L’ensemble de ces caractéristiques définissant l’activité de travail a pour conséquence

que la question d’orientation fondamentale de l’individu des sociétés modernes – par quelle vie active donner sens et perspective à mon existence ? – est plus générale qu’une simple interrogation sur les métiers, les emplois, les fonctions ou les parcours professionnels dans lesquels il pourrait s’engager.

Cette question est non seulement relative à la nature des diverses activités par

lesquelles cet individu pourrait s’accomplir, mais elle porte aussi sur les modalités concrètes d’effectuation de ces diverses activités (dans quelle forme d’organisation du travail chacune de ces activités peut être effectuée ?), ainsi que sur les systèmes de commerce dans lesquels ces diverses activités et leurs produits peuvent s’échanger.

L’objectif des interventions de conseil en life design est d’aider les personnes à répondre à cette question plus générale – plus fondamentale – que celle relative à l’orientation de la vie professionnelle sur laquelle se centrent les interventions d’accompagnement à l’orientation les plus courantes. Ces dernières visent essentiellement à aider les personnes à prendre des décisions relatives à leur carrière professionnelle (et accessoirement, relative à leur formation).

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En résumé : La différence fondamentale entre les interventions de conseil en life design et les interventions courantes d’accompagnement à l’orientation est que les premières visent à soutenir la réflexion des personnes relative à la vie active qui donne sens à leur existence, alors que les secondes visent à les aider essentiellement dans leurs prises de décision de carrière professionnelle. Une seconde différence entre les interventions de conseil en life design et les interventions les plus courantes en orientation est que les premières ont été conçues en se référant explicitement aux travaux contemporains en sciences humaines et sociales. Cette référence explicite à de tels savoirs a de nombreux avantages. Elle permet :

- de concevoir des interventions se centrant sur des phénomènes, des processus, des développements, etc., qui ont été décrits avec rigueur.

- d’analyser les processus jouant un rôle dans les changements au cours de l’intervention.

Au cours de ces dernières décennies, les sciences humaines et sociales ont profondément renouvelé les connaissances relatives au sujet humain, à sa construction, à ses représentations et à ses conduites. On peut parler d’un nouveau regard scientifique sur le sujet humain.

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Quatre aspects de ce nouveau regard scientifique sur le sujet humain ont joué un rôle essentiel dans la conception des interventions de conseil en life design :

(1) les sujets humains sont maintenant vus comme moins unifiés et homogènes qu’ils ne l’étaient précédemment. Ils sont décrits comme « pluriels » (Lahire, 1998; Rowan & Cooper, eds., 1999), comme parlant avec des voix différentes (Gergen, 2011), comme combinant différentes positions « je » (Hermans, et Kempen, 1993), comme composés d’un ensemble de « sentiments d’efficacité personnelle » (Bandura, 1986), comme formant un système dynamique de « formes identitaires subjectives » (Guichard, 2001; Guichard, 2004; Guichard, 2008), etc.

Un nouveau regard scientifique sur le sujet humain : - (2) ces approches du sujet humain « pluriel » le décrivent

comme cherchant à donner unité, cohérence et sens, à sa vie.

Ces sujets y parviennent, notamment, par l’élaboration de certains thèmes de la vie (Csikszentmihalyi, et Beattie, 1979; Savickas, 2005, 2011) et par la construction de récits de vie (Ricoeur, 1985, 1990; Delory-Momberger, 2009) autour de certaines intrigues donnant un sens à leur vie passée et présente du point de vue de certaines perspectives d'avenir.

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Un nouveau regard scientifique sur le sujet humain : - (3) les conduites sont moins vues qu’antérieurement comme étant

immédiatement déterminées par les expériences précoces ou passées des individus.

Différemment, ces nouvelles vues sur les sujets humains insistent sur l'importance des processus de construction de sens (Malrieu, 2003), de (ré)-interprétation et de symbolisation (Wiley, 1994), des dialogues (Jacques, 1982) et des divers modes de rapports à soi et à ses expériences (Foucault, 2008), etc., dans la détermination de conceptions de soi et des conduites individuelles.

Dans les neurosciences, on parle de plasticité cérébrale : notre cerveau remodèle ses connexions en fonction de facteurs environnementaux et contextuels, afin de remettre le passé au goût du jour.

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Un nouveau regard scientifique sur le sujet humain :

- (4) La conséquence des trois précédents changements est que les acteurs humains sont désormais conçus comme dotés d'un plus grand pouvoir d’agir (agency) (au moins potentiel) qu'auparavant (Bandura, 2006).

Toutes les interventions de conseil en life design se réfèrent à ce nouveau regard scientifique sur le sujet humain. C’est le cas, notamment, de l'entretien de construction de carrière de Mark Savickas (2005, 2011) et des dialogues de conseil en life design (ou dialogues d’accompagnement à la construction de soi) de Jean Guichard (2008). Ces dialogues sont des processus de délibération au cours desquels le bénéficiaire tient conseil (Lhotellier, 2001) avec lui-même – par la médiation d’un dialogue avec un conseiller – à propos de la manière dont il peut concevoir sa vie et s’orienter dans l’existence.

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2. Les dialogues de conseil en life design

Les dialogues de conseil en life design sont des exemples d'interventions d’accompagnement à l’orientation visant à aider les personnes à concevoir et construire leur vie active.

Ces dialogues ont pour objectif d'aider les bénéficiaires à construire des perspectives d'avenir qui donnent aujourd’hui un sens à leur vie. Deux sous-parties:

- Définition des trois concepts majeurs sur lesquels ces dialogues se fondent.

- Exemples - provenant de dialogues réels - montrant les processus qui permirent à un bénéficiaire de définir des perspectives d'avenir significatives pour lui et de transformer son identité subjective.

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2.1 Les fondements conceptuels des dialogues de conseil en life design

Les dialogues de conseil en life design se fondent sur une synthèse de

travaux récents relatifs à la construction de soi : le modèle « Se faire soi »

(Guichard, 2004, 2005).

Pour articuler des apports provenant de différentes disciplines

(psychologie, sociologie, théorie sociale, sémiotique, philosophie et

psychanalyse), des « concepts médiateurs » (« go-between concepts ») ont été

construits.

Trois de ces concepts sont fondamentaux pour décrire les processus de

changements induits par ces dialogues : forme identitaire subjective, réflexivité

duelle et réflexivité trine.

2.1.1 Forme identitaire subjective (FIS) Cette approche de la construction de soi décrit ce que l’on appelle

habituellement l’identité subjective comme un « système dynamique de formes identitaires subjectives ». Autrement dit, l’identité subjective est vue à la fois comme plurielle (faite de formes identitaires subjectives), unifiée (un système) et en évolution (dynamique). Une forme identitaire subjective (FIS) est définie comme étant à la fois:

- Un ensemble de manières d'être, d'agir, d'interagir et de dialoguer dans un certain contexte,

- Un ensemble de perceptions et conceptions (liées à ce contexte) de soi, des autres et d’objets significatifs,

- Et un ensemble d’affects, de sensations, de sentiments, d’émotions, etc., éprouvés « ainsi » dans ce contexte.

Exemple: quand une jeune fille dit, ”moi, au lycée, ce qui m’intéresse, c’est de tchater avec me copines”, elle commence à décrire sa FIS « moi-lycéenne ».

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Une FIS (parfois deux) a/ont généralement plus d’importance que les autres dans le système des FIS d’une personne à un moment donné de sa vie. Une FIS est centrale dans le système des FIS d’une personne, quand :

- D’autres FIS de son système de FIS trouvent (au moins partiellement) leur sens par rapport à elle. Exemple : « je fais de la natation (FIS périphérique de nageur) pour être en forme pour réussir mes examens (FIS centrale d’étudiant) ».

- Quand la personne espère réaliser quelque chose d’éminemment significatif pour elle « en tant que telle » : quand cette FIS correspond à un domaine de la vie où la personne veut atteindre un certain état d’excellence donnant sens à sa vie.

- Fréquemment : quand cette FIS correspond au projet d’atteindre un objectif futur qui importe pour la personne. Cet objectif correspond à une FIS anticipée que cette personne espère construire.

Par exemple :

Quatre jeunes sportifs de haut niveau s'entraînant

intensément pour devenir des champions dans leurs

disciplines ont été interviewés (Szejnok, 2012).

Pour chacun d’eux, la figure du champion olympique

était un constituant majeur d'une FIS anticipée qui

donnait cohérence et sens à leur actuelle vie ascétique.

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Autre exemple: Piriou & Gadéa (1999) ont

montré que les étudiants français en

sociologie qui réussissaient dans leurs études

(= obtenaient leur Master) se définissaient

généralement, quand ils n’étaient encore

qu’étudiants, comme « sociologues » (et pas

comme « étudiants » ou « étudiants en

sociologie »). Ils décrivaient ce sociologue

en référence aux traits caractéristiques que

les média donnaient du « grand sociologue »

Pierre Bourdieu.

Les FIS, qui comprennent de telles attentes de réalisation de soi, tiennent

une place centrale dans l’organisation du système dynamique des formes

identitaires subjectives d’une personne à un moment donné.

Ce système est alors organisé en fonction de cette perspective de réalisation

de soi qui donne sens à sa vie à ce moment-là.

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Dans de nombreux cas, cette FIS centrale est reliée à une FIS passée qui

joua un rôle important dans la vie de la personne ou qui correspond à des

attentes majeures, relatives à l’individu concerné, de la part de personnes qui

comptent pour cet individu. Par exemple :

La plupart des sportifs de haut niveau ont découvert leur sport (et la

compétition) par l’entremise d’un membre de leur famille (père, mère,

oncle, etc.) constituant une figure à laquelle ils s'identifiaient quand ils

étaient enfants.

McColgan. Mère & fille.

Course à pied.

Prost. Père et fils.

Coureurs automobiles.

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La diapositive suivante présente une image idéale-typique de la vue que pourrait avoir un jeune homme de son système de Formes Identaires Subjectives à l’issue d’une série de dialogues d’accompagnement à l’orientation. C’est un exemple fictif construit à partir de différents cas décrits par des chercheurs en sciences humaines. Notamment : Jellab, A. (2001). Scolarité et rapport aux savoirs en lycée professionnel.

Paris : PUF. Zéroulou, Z. (1988). La réussite scolaire des enfants d’immigrés. L’apport

d’une approche en termes de mobilisation. Revue Française de Sociologie, 29, 447-470.

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Le Système des Formes Identitaires

Subjectives de Hasni (un exemple fictif

fondé sur des cas réels)

Hasni, 17 ans, né en France, de parents

originaires du Maroc, est élève en Bac

Professionnel électrotechnique.

Chaque sphère représente une FIS

Les 5 sphères formant un X au niveau intermédiaire

figurent des FIS correspondant à des activités

actuelles de Hasni

• Sphère centrale: FIS “moi, lycéen de Bac Pro

électrotechnique s’anticipant comme futur étudiant”

• Sphère droite: FIS “moi, employé les week-ends dans

une PME d’assistance informatique à domicile”

• Sphère gauche: FIS “moi, aimant Nathalie”

• Etc.

L’axe central représente le passé (bas), le présent

(centre) et le futur (sommet)

• Sphère inférieure: FIS “moi, fils d’immigrés du

Maroc, attendant de la réussite à l’école de leurs

enfants intégration et ascension sociales”

• Sphère supérieure centrale: FIS anticipée “moi,

étudiant en BTS informatique”

• Sphère supérieure arrière droite: FIS anticipée “moi,

technicien en informatique”

• Sphère supérieure arrière gauche: FIS anticipée “moi,

en couple avec des enfants”

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Contrairement à ce que l’image précédente pourrait laisser croire, le système des FIS d’une personne n’est pas une structure immuable. Il se transforme en fonction (1) de tous les changements et expériences qui marquent le cours de sa vie et (2) de la manière dont cette personne ressent et interprète ces changements et expériences.

Le cours d’une vie est en effet marqué par toute une série de changements et d’expériences (maturations, réussites, échecs, accidents, rencontres, vieillissement, etc.).

Ces changements et expériences jouent un rôle fondamental dans les transformations du système des FIS d’une personne à la fois :

- Directement (par exemple : à cause d’un accident une personne ne peut plus exercer son métier).

- Par la manière dont la personne se rapporte à ces changements (les ressent et les interprète), en relation avec la forme de réflexivité qu’elle privilégie à ce moment de sa vie.

Deux formes de réflexivité peuvent être distinguées: duelle et trine

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2.1.2 Deux formes de réflexivité : (1) la réflexivité duelle

Une illustration du processus de réflexivité duelle a été donnée à l’occasion des

exemples des sportifs et des étudiants en sociologie.

Il s’agit d’un mode de rapport de soi (comme

sujet) à soi (comme objet pour soi) DU POINT DE

VUE D’UN CERTAIN ÉTAT DE PERFECTION OU D’UN

CERTAIN IDÉAL QUE LA PERSONNE VEUT ATTEINDRE (Cf. Lacan, 1949; Erikson, 1959; Foucault, 1982a,

1982b, 1983).

Cette forme de réflexivité a pour conséquence que la personne définit et

met en œuvre certaines activités ou conduites en vue d’atteindre cet état de

perfection.

Par exemple, Piriou & Gadea (1999) ont montré que les étudiants français

en sociologie qui se définissaient comme des « sortes de Pierre Bourdieu »

réussissaient mieux dans leurs études que les autres, ces derniers tendant à les

abandonner leurs études.

Cette réflexivité duelle est un facteur de stabilisation du système de FIS

d’un individu qui, lorsqu’il la privilégie, oriente sa vie du point de vue de cet

objectif futur.

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2.1.3 Deux formes de réflexivité : (2) La réflexivité trine

La seconde forme de réflexivité a été nommée ”trine” (Peirce. Cf. Colapietro, 1989

et Jacques, 1982) car la réflexion y prend la forme d’un dialogue continué entre

trois positions au cours duquel « je » dit à « tu » et « tu » répond à « je », ou bien

« je » et « tu » se réfèrent à « il / elle ». Ce dialogue peut être intra-individuel (la

personne qui réfléchit à une question entre en dialogue avec elle-même) et/ou

interindividuel. Dans les deux cas, ce dialogue est organisé de cette façon :

- « Je » dit à « tu » (« quelque chose ») (tu = un autre ou moi-même),

- « Tu » comprend « quelque chose » à propos du « quelque chose » que

« je » a énoncé.

- Ce que « tu » comprend du « quelque chose » que « je » a énoncé a été

nommé par Peirce son « interprétant ».

- En s'appuyant sur cet interprétant, « tu » répond « quelque chose » à « je »,

- « Je » produit alors un nouvel interprétant : ce que « je » comprend à

propos du « quelque chose » que « tu » répondit.

- Et ainsi de suite…

Autrement dit :

A chaque tour de parole (intra-individuel ou interindividuel), il se produit un

décalage entre ce que « je » dit et ce que « tu » entend à propos de ce dire et répond

en conséquence : un décalage entre ce que « je » dit et ce que, DANS LE MÊME

TEMPS, « je » s’entend dire du point de vue du « tu ». Ce qui je dit est entendu par

je du point de vue de l’autre et s’ouvre, de ce fait, à un éventail d’interprétations

potentielles.

Cette forme de réflexivité est particulièrement mobilisée lorsque les personnes

s’interrogent sur les perspectives futures qui pourraient donner sens à leur vie. Elles

s’engagent alors dans des dialogues avec elles-mêmes, avec des proches ou avec un

conseiller. Ces dialogues les conduisent à repérer dans leur vie (passée, présente ou

même possible dans le futur) des expériences, des évènements, des pensées, etc., et,

en les disant et se les disant, À LES CONSIDÉRER DE POINTS DE VUE « EXTERNES »

RÉELS OU POTENTIELS ET, AINSI, À LES RAPPROCHER. Ces expériences, évènements,

pensées, etc. acquièrent ainsi un sens qu’ils n’avaient pas avant d’être dits dans de

tels dialogues.

La personne construit de cette manière certaines perspectives d’avenir

potentielles susceptibles de donner sens à sa vie. 26

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L’exemple des dialogues de conseil en life design ayant eu lieu avec un

jeune homme, nommé Hamza (Gautier, 2012) permet de décrire ce

processus de réflexivité trine en action.

Ces dialogues montrent comment les deux formes de réflexivité se

sont combinées pour conduire Hamza à s’imaginer dans la FIS future

espérée de « médecin ».

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2.2 « Primum relationis » : la dynamique des dialogues de conseil en life design

Rappel : les dialogues de conseil en life design ont pour objectifs majeurs d’aider le bénéficiaire à :

- Prendre conscience ou préciser des attentes, anticipations ou espérances majeures qui donnent aujourd’hui sens à sa vie,

- Déterminer des conduites susceptibles d’accroître ses chances de voir ces anticipations se réaliser.

La manière dont s’organisent ces dialogues dépend des problèmes construits lors de l’alliance de travail et de la manière dont le bénéficiaire et le conseiller ont convenu de les traiter.

L’une des manières de procéder consiste à demander au bénéficiaire d’identifier les domaines d’activités qui tiennent une place importante dans sa vie d’aujourd’hui (importante parce que ce qui s’y passe l’intéresse, parce que ça lui prend beaucoup de temps, parce qu’il souhaiterait exceller dans ce domaine, etc.).

Remarque : En fonction de ce qui s’est dit lors de la construction de l’alliance de travail, le bénéficiaire peut souhaiter commencer par évoquer un ou des domaines de vie ou expériences passés ou bien d’autres dont il rêve qu’ils tiennent une place important dans sa vie future. Il s’agit de dialogues : le conseiller doit se conformer à la logique des associations du bénéficiaire.

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En qui le concerne, Hamza (Gautier, 2012) expliqua que sa vie actuelle

comprenait quatre principales sphères d’activités : lycéen de terminale

scientifique, entraîneur de jeunes footballeurs, soutien scolaire pour des

élèves en difficulté et se préparant au brevet de sauvetage en mer.

Les principaux domaines de vie (expériences significatives, etc.) ayant été identifiés, le bénéficiaire est ensuite invité à choisir l’un de ceux qui importe particulièrement pour lui et à « parler de lui en tant que tel » : c’est-à-dire à narrer au conseiller la manière dont il agit, interagit, perçoit, ressent, se rapporte à lui-même et aux autres, ses attentes, etc., dans ce domaine. Cette narration constitue une description (qui produit une prise de conscience) de la FIS correspondant à ce domaine de vie. Le travail se poursuit par une narration semblable relativement à un autre domaine de vie choisi par le bénéficiaire. Ces narrations le conduisent à faire des rapprochements, des comparaisons, des distinctions, etc. entre certains points de ses descriptions : des rapprochements, comparaisons, distinctions, etc., qui forment le soubassement de perspectives d’avenir qui s’esquissent ainsi.

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Par exemple, au début de tels dialogues, Hamza déclara que ce qui donnait sens

à sa vie au lycée, c’étaient les camarades auprès desquels il était très populaire,

que les cours l’ennuyaient beaucoup, qu’il voyait peu d’intérêt dans la plupart

des disciplines scolaires, qu’il ne travaillait pas de manière efficace et que,

dans cette situation, il pouvait tout au plus espérer poursuivre des études

supérieures courtes dans un domaine appliqué (IUT), sans bien voir lequel, et

sans être attiré particulièrement par de telles études. Il précisa que cette attitude

était l’objet de conflits avec ses parents. En résumé, au début des dialogues, la

FIS « lycéen » de Hamza correspondait à des attentes très limitées relatives à

son avenir.

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La situation était différente dans les trois

autres domaines de vie qu’Hamza avait

identifiés comme importants dans sa vie

actuelle (entraîneur de jeunes footballeurs,

soutien scolaire pour des élèves en difficulté

et se préparant au brevet de sauvetage en

mer).

En analysant chacun d’eux en vue de

prendre conscience de la FIS qui y

correspondait, Hamza rapprocha les

différentes activités dans lesquelles il

s’investissait et produisit un concept

interprétatif les englobant : un interprétant

correspondant à une perspective d’avenir

ayant un sens pour lui.

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L’examen du processus dialogique qui permit à Hamza

d’arriver à une telle conclusion, montre :

- (1) qu’il produisit alors ce qui pourrait être

appelé différents « je de récit » :

Je fais du soutien scolaire,

J’entraîne des jeunes footballeurs,

Je prépare le brevet de sauvetage en mer.

- (2) qu’il entendit ces différents « je de récit » du

point de vue d’un ensemble de « tu » :

« tu » : moi-même m’entendant dire cela ;

« tu » : ce que j’imagine que le conseiller

entend et peut avoir compris ;

« tu » : d’autres personnes de mon

entourage qui pourraient m’entendre dire

cela (et pourrait commenter « ainsi » ce

que j’ai dit ou qui, de fait, l’ont déjà

commenté « ainsi » dans le passé).

Etc.

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Cette polyphonie des résonnances des « tu » faisant écho à ces différents

« je de récit » - qui caractérise la réflexivité trine - permet au bénéficiaire

de les rapprocher et de les comparer synchroniquement (actuellement, je

fais ceci et je fais cela) et diachroniquement (actuellement, je fais ceci et

précédemment, je faisait cela) et, ainsi, de produire un interprétant

(provisoirement) final relatif à ce que ces « je » de récit ont en commun :

c’est-à-dire une certaine interprétation attribuant un sens commun à ces

différents « je » de récit.

Ce « je » interprétant (provisoirement) final est un « je » plus

englobant.

Ainsi, Hamza dit quelque chose comme : ce « je » qui

fait ceci et ce « je » qui fait cela et encore ce « je » qui, etc.

montrent que « JE » désire être utile aux autres.

Ce je plus englobant est aussi un « je » plus assuré de

soi : Pas de doute, « c’est bien ce « JE » que je suis ».

Ce phénomène se produit de manière spécifique dans les dialogues de conseil en

life design, compte tenu d’une de leurs caractéristiques fondamentales que la

thèse du Primum Relationis de Francis Jacques permet de souligner (Jacques,

1982). Cette thèse pose que la relation est première.

Cela signifie que c’est LA RELATION DIALOGIQUE QUI INSTITUE LES

POSITIONS « JE », « TU » ET, CORRELATIVEMENT, « IL-ELLE ». Concrètement,

c’est cette relation dialogique-ci qui institue, qui crée ces « je-ci » et ces « tu-ci »

et ces « il/elle-ci ».

Autrement dit, dans chacune de nos relations dialogiques de

la vie quotidienne, nous dialoguons toujours d’une manière

relativement déterminée.

Par exemple, ces dialogues sont ceux de ces deux époux,

ou de cet étudiant et de son professeur. Et les « je », les « tu »

et les « il/elle » produits lors de ces dialogues portent la

marque de cette détermination première : ce sont des « je-tu-

il/elle » de dialogues « routiniers » entre ces époux-ci, ou

entre…, etc.

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Dans les dialogues de conseil, l’alliance de travail PRODUIT des « je », « tu »,

« il/elle » qui sont en quelque sorte libres des prédéterminations renvoyant à

l’histoire des relations des individus en présence.

Cette alliance INSTITUE un bénéficiaire s’adressant à un conseiller n’ayant

d’autre détermination que d’être là pour l’aider à y voir plus clair dans ses

attentes relatives à sa vie.

Une telle relation de dialogue de conseil institue la possibilité de créer des

nouvelles relations « je – tu » dans l’esprit du bénéficiaire: ce qui lui offre la

possibilité de sortir des sentiers battus des dialogues de sa vie de tous les jours en produisant de nouveaux « je », qui sont d’abord des « je » à l’essai.

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Néanmoins, pour que ce « je englobant et plus assuré » devienne un « je sujet

d’action » (pour que le narrateur devienne un acteur, pour qu’il donne lieu à un

engagement de la personne en vue de faire advenir ce « je » ou d’exceller en tant

que tel), il faut encore que ce « je » soit investi affectivement. Ce « je » doit être

l’objet d’une identification. Il faut que la personne rêve de devenir ce « je »,

qu’elle s’imagine, désire, être ce « Je ».

C’est précisément là qu’interviennent les processus de réflexivité duelle. Comme

on l’a vu, au cours de ces processus de réflexivité duelle, les personnes se

constituent comme des objets pour elles-mêmes, du point de vue de certains

idéaux qu'elles veulent atteindre.

Chez les adolescents et les adultes émergents (mais pas seulement chez eux),

cet idéal correspond généralement à une certaine FIS anticipée liée à l'image

d'un personnage auquel ils s'identifient. Cette FIS anticipée et désirée joue alors

un rôle décisif dans l'organisation de leur système de formes identitaires

subjectives.

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Ce passage de la réflexivité trine à la réflexivité duelle est explicite dans les dialogues d’Hamza.

Il passe en effet immédiatement de « être utile envers les autres » (un interprétant qu'il a construit à partir des connexions qu’il fit entre ses trois domaines de vie les plus importants) à : « Je me vois médecin ».

Un passage immédiat qu’il décrit explicitement au tour de parole 184 : « Quand on parle d'aider les autres, médecin ça…, ça vient ! Soigner les gens, c’est la première idée qu'on se fait…. Je pense ? ».

Une déclaration qu’il commente, suite aux demandes d’explications de la

conseillère : 188. « [Dans] tous les "travails" je pense qu'on est utile. Mais… Après… C’est personnel : dans certains travails on a l'impression d'être plus utile que dans d'autres ». 189 (Conseillère) : « Hum… ». 190 (Hamza) : « Moi, médecin, JE SAIS que c'est mon sentiment ».

Si Hamza est ainsi passé sans transition de « être utile envers les autres » à « Je

me vois médecin », c'est probablement parce que, comme il l'avait dit plus tôt, son père lui avait répété à diverses reprises : « Je te verrais bien médecin ». En d'autres termes, l’analyse par Hamza de ses domaines de vie importants l’a conduit à produire un interprétant correspondant à une FIS anticipée concordant avec les attentes de son père.

Hamza en conclut que la seule manière de parvenir à atteindre cet objectif était de transformer sa manière d’être lycéen (sa FIS « lycéen ») et, par ricochet, les autres FIS (notamment de sportif) qui l’empêchaient d’obtenir les résultats scolaires requis pour réussir des études supérieures de médecine.

Il précisa tous les changements qu’il devait faire sur un schéma (diapositive suivante. Et, de fait, il transforma considérablement sa FIS lycéen. Il fit des fiches résumant et structurant les cours, il se rendit chaque samedi matin à la bibliothèque pour y travailler sans téléphone cellulaire, etc. Il supprima provisoirement ses autres activités.

A la fin de l’année scolaire, il obtint une mention à son baccalauréat et entra en faculté de médecine la rentrée suivante.

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Schéma de Hamza. « Ma vie passée » (en haut), « comme elle doit être maintenant » (au milieu) et « le futur que j’imagine pour moi » (en bas). Trois diagrammes de son système de FIS : le premier tel qu’il était au début des dialogues de conseil en life design et les deux autres à la fin de cette série.

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Ces deux réflexivités ne se combinent pas nécessairement d’une manière aussi harmonieuse lors de dialogues de conseil en life design.

Dans certains cas, les processus de réflexivité duelle jouent un rôle si important dans l'organisation du système des FIS d'un individu qu'il ne lui est pas facile d'abandonner une perspective d'avenir ainsi cristallisée, une perspective qui a donné sens à sa vie pendant une période aussi longue.

Dans d’autres cas, les perspectives d’avenir esquissées par la réflexivité trine ne sont pas légitimées par des proches qui comptent pour la personne (Par exemple, si une mère dit à son fils : « Non ! Vraiment, je ne te vois pas faire cela dans l’avenir »). Cependant, les expérimentations de ces dialogues de conseil en life design montrent qu’ils stimulent toujours des processus réflexifs générant de telles anticipations à propos de soi. Cf. Journal of Vocational Behavior, Décembre 2016.

3. Méthodologie des dialogues de conseil en life design (DCLD)

Objectifs (rappel) :

Les dialogues de conseil en life design (DCLD) visent à aider les personnes à définir des perspectives d’avenir – pas nécessairement d’ordre professionnel – donnant sens à leur vie et à s’engager dans la voie de leur réalisation. Méthode :

DCLD sont des entretiens de conseil en orientation entre un bénéficiaire et un conseiller qui se rencontrent trois ou quatre fois au cours d’une période allant de deux à six semaines. Ces dialogues s’organisent autour de trois grandes questions adressées au bénéficiaire.

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Trois grandes questions sont adressées au bénéficiaire :

1. A quelles questions souhaitez-vous apporter des réponses ? A quels problèmes souhaitez-vous trouver des solutions ? Comment allons-nous procéder pour y apporter des réponses ?

2. Quelles attentes majeures relatives à votre avenir révèlent vos analyses de vos expériences de vie significatives ?

2.1 Quels domaines de vie et expériences (actuelles, passées et espérées ou redoutés dans le futur) tiennent (ont tenu ou pourraient tenir) une place importante dans votre vie ? 2.2 Quelles attentes relatives à votre avenir, vos analyses de ces différents domaines de vie et expériences-rendent-elles manifestes ?

3. Qu’allez-vous faire maintenant en vue de vous engager dans la réalisation de ces attentes ?

Remarque :

Il s’agit de dialogues. La présentation sui suit en décrit la logique sous-jacente que le conseiller doit avoir à l’esprit. La forme effective des dialogues peut être différente : elle doit suivre les associations faites par le bénéficiaire.

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3.1 Premier dialogue Questions :

A quelles questions souhaitez-vous apporter des réponses ? A quels problèmes souhaitez-vous trouver des solutions ? Comment allons-nous procéder pour trouver des réponses ?

Objectifs : Construire une alliance de travail

C’est-à-dire :

- Permettre au bénéficiaire de formuler les questions fondamentales auxquelles il aimerait réfléchir.

- Si le bénéficiaire indique qu’il s’interroge sur les perspectives qui donnent sens à sa vie, le conseiller lui propose les DCLD et lui en explique la méthodologie en soulignant que cela implique un travail de réflexion de sa part.

- Se mettre d’accord pour s’engager soit dans de ces dialogues, soit dans une autre méthodologie de counseling (par exemple : porte-folio de compétences ou guidance fondée sur des tests, etc.).

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Méthode :

- Le dialogue s’engage par une question du conseiller : o « En quoi puis-je vous être utile ? » (Savickas)

- Puis, le conseiller dialogue avec le bénéficiaire en vue de l’aider à formuler les questions qui importent le plus pour lui. Les premières questions formulées sont rarement celles qui importent le plus pour le bénéficiaire. Le conseiller met en œuvre toutes les techniques d’entretiens non-directifs ou semi-directifs pour l’aider à formuler sa demande : relances, échos, reflets, demandes d’éclaircissement, reformulations, synthèses, questions précises, etc.

- Si l’attente majeure du bénéficiaire est de prendre conscience ou de préciser des attentes, des anticipations ou des espérances majeures qui pourraient donner aujourd’hui un sens à sa vie, alors le conseiller lui propose de s’engager dans les dialogues de conseil en life design.

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- Le conseiller présente la méthode au bénéficiaire : o Il s’agit de dialogues au cours desquels le bénéficiaire réfléchit sur sa

situation présente dans ses différents aspects (le travail, la famille, les relations qui comptent, les loisirs, etc.), sur certaines expériences ou évènements passés qui ont compté pour lui et sur certaines de ses anticipations relatives à son avenir.

o Cette réflexion est le travail du bénéficiaire: le rôle du conseiller n’est que de l’aider à formuler ses questions et à trouver ses propres réponses.

o Cette réflexion prend du temps : trois ou quatre rencontres étalées sur une période d’environ un mois sont souhaitables.

- Si le bénéficiaire et le conseiller s’accordent pour choisir cette méthode (qui peut être adaptée aux demandes du bénéficiaire), les dialogues s’organisent ensuite en fonction de : o ce qui a été dit lors de cette construction de l’alliance de travail o et de ce qu’il apparaît pertinent d’analyser, compte tenu des dires du

bénéficiaire.

- Dans tous les autres cas, le conseiller propose au bénéficiaire de s’engager dans une autre méthode en vue de l’aider à trouver des réponses aux questions qu’il a formulées.

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3.2 Deuxième dialogue Question :

Quelles attentes majeures relatives à votre avenir révèle votre analyse de vos expériences de vie significatives ? Objectifs :

- Aider le bénéficiaire à formuler les attentes majeures qui donnent aujourd’hui sens à sa vie en se fondant sur ses analyses des différents domaines et expériences de vie important pour lui et sur les rapprochements qu’il effectue entre eux.

Remarque :

Ce dialogue commence généralement lors de la première rencontre entre le conseiller et le bénéficiaire et se poursuit lors d’une ou deux rencontres ultérieures.

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3.2.1 Deuxième dialogue. Méthode de la première interrogation

- Le conseiller engage généralement le dialogue par une question : o « Afin de vous permettre d’y voir plus clair dans vos attentes majeures relatives

à votre vie, je vous propose de commencer par réfléchir aux domaines de vie, aux sphères d’activités, aux rôles, aux expériences, aux événements, etc., qui comptent dans votre vie d’aujourd’hui, ou bien qui ont compté pour vous, ou bien encore dont vous aimeriez (ou redoutiez) qu’ils comptent dans votre futur : Quels domaines de vie, sphère d’activités, rôles, expériences, évènements – passés, présents ou futurs – vous viennent à l’esprit ? »

- Le conseiller donne les explications nécessaires à la compréhension de la question. Il met en œuvre toutes les techniques d’entretiens non-directifs ou semi-directifs (relances, échos, reflets, demandes d’éclaircissement, reformulations, questions précises, etc.) en vue de permettre au bénéficiaire d’énoncer les domaines, sphères, rôles, expériences, évènements, etc., qu’il juge important.

- Au terme de cette première analyse, le conseiller propose au bénéficiaire un

inventaire des domaines, sphères, rôles, expériences, évènements, etc. qu’il considère importants. Le conseiller discute de cette synthèse avec le bénéficiaire et la rectifie en fonction de ses remarques. Ils définissent ensemble ceux de ces domaines, sphères, rôles, expériences, évènements, etc., que le bénéficiaire analysera ensuite.

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3.2.2 Deuxième dialogue. Méthode de la seconde interrogation (trois

temps)

Temps 1

- Le conseiller introduit généralement ce dialogue (qui constitue le cœur de la méthode) par une question :

- o « Maintenant, notre objectif est de rendre explicite les principales

attentes que révèle votre analyse des domaines, sphères, rôles, expériences, évènements, etc., que vous avez jugés importants dans votre vie. Lequel d’entre eux, souhaitez-vous analyser en premier ? »

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- Le conseiller guide ensuite l’analyse, par le bénéficiaire, de ce domaine, sphère, rôle, expérience, évènement, etc., en lui posant des questions telles que : o Que pouvez-vous dire au sujet de ce domaine, sphère, rôle, expériences,

évènement, etc., en relation avec vous-même ? o Que vous apporte-t-il ? (a-t-il apporté ? Aimeriez/redoutiez qu’il vous

apporte ?) ? o Quels intérêts ? o Quels rejets ? o Quelles attentes ? o Quels savoirs, savoir-faire ou habiletés ? o Quelles relations ? o Quelles ressources ? Quels personnages vous a-t-il permis d’admirer ou de

rejeter ? Pourquoi ?

- Le conseiller utilise aussi toutes les techniques des entretiens non-directifs ou semi-directifs : relances, reflets, échos, reformulation, demandes d’explicitations, etc.

- Au terme de cette première analyse, le conseiller peut en proposer une synthèse au bénéficiaire en soulignant les assertions qui lui ont semblé saillantes. Le bénéficiaire et le conseiller discutent cette synthèse jusqu’à ce qu’ils s’accordent sur tous ses points essentiels. 50

Temps 2

- Cette discussion précède l’engagement du bénéficiaire dans l’analyse d’un deuxième domaine, sphère, rôle, expérience, évènement, etc.

- Le conseiller guide le bénéficiaire dans cette deuxième analyse de la même manière que pour la précédente. Mais, DE PLUS, il stimule sa production d’associations (cognitives et émotives) et de mises en relations entre ses dires au cours de cette analyse et ceux lors de la précédente : quels en sont les points communs ? Quelles émotions communes évoquent-ils ? Quelles sont leurs différences ? Que ressort-il de ces mises en relation (par exemple : un thème commun ou des attentes similaires) ?

- Le dialogue se poursuit par l’analyse d’autres domaines, sphères, rôles, expériences, évènements, etc., jugés importants par le bénéficiaire, en suivant les associations faites entre elles par ce dernier, jusqu’au moment où ses mises en relations de ses diverses déclarations (comparaisons, distinctions, assimilations, évocations d’émotions similaires, etc.), le conduise soit à repérer des anticipations, aspirations, ou attentes majeures communes qu’elles révèlent, soit à mettre en évidence un (parfois deux) domaine de vie, sphère d’activités, rôle, expérience de vie, etc. qui sont, pour lui, objet d’attentes fondamentales de réalisation de soi.

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Temps 1 & 2. Remarques

- Parmi ces associations et mises en relations, celles que le bénéficiaire fait ente des expériences passées et des expériences présentes (ou moins éloignées dans le temps) apparaissent jouer un rôle majeur dans la production de perspectives d’avenir par lesquelles ce dernier donne sens à sa vie. Par conséquent, les interventions du conseiller dans le dialogue doivent viser à stimuler l’expression de telles associations – puis leur analyse – par le bénéficiaire.

- Durant ces processus, le rôle du conseiller varie en fonction des bénéficiaires: certains d'entre eux font par eux-mêmes les liens entre leurs déclarations, liens qui révèlent leurs attentes ou besoins de réalisation de soi ; d'autres ont besoin d'un soutien du conseiller, qui, dans ce cas, doit régulièrement formuler et rappeler les associations qui peuvent être faites entre ce que disent les bénéficiaires à différents stades de leurs analyses.

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Temps 3

- Le conseiller esquisse une synthèse soulignant – de manière hypothétique – les attentes majeures du bénéficiaire relatives à son avenir (et/ou les domaines, sphères, rôles, expériences, etc., qui sont l’objet de telles attentes de sa part).

- Cette synthèse est discutée avec le bénéficiaire. Le conseiller lui propose d’y réfléchir avant leur prochaine rencontre (qui ne peut avoir lieu, au plus tôt, que quelques jours plus tard).

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3.3 Troisième dialogue Question :

Qu’allez-vous faire maintenant en vue de vous engager dans la réalisation de ces attentes ? Objectifs :

- Faire le point avec le bénéficiaire sur ses attentes majeures actuelles relatives à sa vie.

- Aider le bénéficiaire à préciser ce qu’il doit faire en vue de maximiser les chances de voir ses souhaits se réaliser.

- S’interroger sur les dialogues qui viennent d’avoir lieu : répondent-ils bien aux demandes essentielles du bénéficiaire ? Si ce n’est pas le cas : quelle autre démarche entreprendre ?

- Mettre un terme aux dialogues.

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Méthode (3 temps). Temps 1

- Le conseiller peut poser une question ouverte ou utiliser une procédure plus fermée : o Question ouverte :

« Avez-vous réfléchi à ce que nous nous sommes dits à la fin de notre dernière rencontre ? Avez-vous réfléchi aux attentes et aux domaines de votre vie qui apparaissent être les plus importants pour vous ? Comment résumeriez-vous les choses aujourd’hui ? » o Procédure plus fermée :

Les conseiller dit au bénéficiaire : « A la fin de notre dernière rencontre, nous avions commencé à faire le point sur les attentes majeures qui ressortaient de vos analyses des domaines de vie, sphères d’activités, rôles, expériences, évènements, etc., que vous avez jugés importants pour vous. Lors de ce dialogue, nous avons noté que les attentes suivantes ressortaient : (le conseiller rappelle les points essentiels de la synthèse finale de la dernière rencontre et de la discussion qui suivit) … Etes-vous d’accord avec cela ? Aujourd’hui, comment voyez-vous les choses ? »

- Dans les deux cas, le dialogue qui s’instaure alors vise à s’assurer que le bénéficiaire

formule bien des souhaits qui sont fondamentaux pour lui (=qui donnent sens à sa vie actuelle) : se voit-il en imagination en train d’effectuer ces activités dans le futur ? Dans ce rôle ? Réalisant ce rêve ? Ces souhaits sont-ils renforcés par des personnes qui comptent pour lui? Dans le cas contraire, le bénéficiaire a-t-il entrepris de les convaincre du bien-fondé de ses attentes ?

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Temps 2 & 3

- Le conseiller propose au bénéficiaire d’examiner sa vie actuelle du point de vue de la réalisation de ses souhaits fondamentaux : que doit-il faire pour accroître leurs chances de devenir réalité ? Quelles actions entreprendre ? Quelles démarches faire ? Quels changements doit-il apporter à sa vie actuelle ? Et plus particulièrement : dans quel domaine de vie ou sphères d’activité ? Etc. Ce dialogue se poursuit jusqu’au moment où certaines pistes d’actions sont précisées par le bénéficiaire, des pistes dans lesquelles il apparaît prêt à s’engager.

- Le dernier temps de ce dialogue o Commence par un retour sur la démarche qui se termine : répond-t-elle bien

aux questions que se posait le bénéficiaire ? Si certaines questions restent en suspens : que faire maintenant ? Comment tenter de les résoudre ? Une intervention mieux adaptée devrait-elle être entreprise ?

o Se termine par une conversation visant à mettre un terme à cette relation dialogique. Le conseiller indique au bénéficiaire que la réflexion qu’il vient d’effectuer l’a conduit à la présente conclusion. Cette conclusion est importante pour lui aujourd’hui. Mais elle sera probablement remise en perspective plus tard dans son existence. Le bénéficiaire devra alors effectuer des réflexions analogues, à l’occasion de dialogues intérieurs, ou avec des personnes significatives de son entourage, ou à nouveau, avec un conseiller.

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4. Conclusion En résumé

- Les dialogues de conseil en life design sont des exemples d'interventions d’accompagnement en orientation visant à aider les personnes à concevoir et construire leur vie.

- Ces dialogues se réfèrent explicitement à une synthèse de savoirs en sciences humaines et sociales relatifs aux processus et facteurs de la construction de soi. Cette synthèse considère l’identité subjective comme un système dynamique de formes identitaires subjectives. Elle considère, de plus, que la personne peut jouer un rôle dans cette dynamique par la médiation de deux formes de réflexivité : duelle et trine. Cette dernière forme est particulièrement mobilisée dans les dialogues de conseil en life design.

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- Les dialogues « idéaux-typiques » de conseil en life design comprennent trois moments : o Construction de l’alliance de travail, o Inventaire par le bénéficiaire des domaines d’activités, expériences, rôles, sphères de

vie passées, présentes ou espérées qui importent pour lui, suivi d’une « analyse et réflexion sur lui-même » dans ces différents domaines, en vue de repérer des liens entre eux significatifs à ses yeux, lui permettant d’esquisser des perspectives d’avenir donnant aujourd’hui sens à son existence,

o Définition d’actions à entreprendre, de conduites à développer et conclusion des dialogues.

- Ces interventions d’accompagnement à l’orientation sont bien adaptées, pour répondre aux problèmes d’orientation de leur vie active qu’expriment les individus des sociétés moderne liquides (Cf. Journal of Vocational Behavior, Vol. 97, Déc. 2016).

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Mais ces interventions sont-elles suffisantes dans le contexte mondial actuel ? Les diverses formes économiquement dominantes, depuis plus de 150 ans, de l’organisation du travail et de ses échanges ont eu un impact énorme sur le monde dans lequel nous vivons. En moins de deux siècles, avec le développement des sociétés industrielles et post-industrielles, le monde a subi des transformations d’une ampleur bien supérieure à celles qu’il avait connues au cours des deux millénaires antérieurs. Or, ces transformations ont résulté, au cours de ces dernières décennies, en un ensemble de crises majeures, non indépendantes les unes des autres, des crises qui vont s’amplifiant. Trois de ces crises peuvent être évoquées.

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Une crise démographique et de la justice sociale En 1850, il y avait 1 milliard d’êtres humains. Vers 2050, il devrait y en avoir 10 milliards. Actuellement, la moitié de l’humanité a moins de 30 ans. Ces chiffres se conjuguent à des inégalités de richesse considérables entre les nantis et les démunis (par exemple : la moitié des Africains n’ont pas l’électricité, la FAO indique qu’un enfant meurt de faim tous les 6 secondes dans le monde, …). Cette inégalité de répartition des biens s’accroît d’année en année (Piketty, 2013), à un tel rythme que l’on observe aujourd’hui un accaparement extrême des richesses par un très petit nombre de possédants.

Ainsi le rapport OXFAM 2017 note (p.9) : « Depuis 2015, plus de la moitié de la richesse mondiale est détenue par les 1% les plus riches. Les données de cette année révèlent que les huit personnes tout au sommet possèdent collectivement une richesse nette de 426 milliards de dollars, ce qui équivaut à la richesse nette de la moitié inférieure de l'humanité ».

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Une crise écologique mondiale C’est une conséquence de la crise précédente. Ce poids

démographique, ces inégalités extrêmes et la surconsommation des riches ont pour résultat que l’espèce humaine consomme chaque année beaucoup plus de ressources naturelles et produit plus de déchets que le globe ne peut en régénérer en une année. Nous détruisons ainsi à un rythme soutenu ce qui nous permet d’exister en tant qu'espèce humaine (Voir : Global footprint network. http://www.footprintnetwork.org/).

Cette crise se manifeste notamment par un réchauffement climatique, différentes

pollutions planétaires et diverses catastrophes naturelles. Chaque année, les COP (Conference of the Parties), organisées depuis 1995 par l’ONU traitent de cette crise.

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Une crise mondiale de l’emploi (ayant deux aspects) D’une part, la mondialisation économique a notamment consisté en une délocalisation

de nombreux emplois vers des pays à faibles coûts de main-d’œuvre : des pays où le droit du travail est embryonnaire ou inexistant.

Par ailleurs, le développement de l’internet a permis le développement dans les pays riches de conditions de travail échappant aux protections sociales (par exemple : les conducteurs de voitures UBER), des conditions participant à la constitution d’un nouveau groupe social que Guy Standing (2011) a nommé « le Précariat ».

Cela s’est traduit par ce que l’Organisation International du Travail nomme un déficit d’emplois décents dans le monde.

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Une crise mondiale de l’emploi : second aspect

C’est le corrélat de la robotisation. Les robots sont de plus en plus à même d’effectuer

intégralement des tâches complexes. Deux chercheurs d’Oxford – Carl Frey et Michael Osborne – ont, par exemple, calculé en 2013

que 47 % des emplois américains présentaient un fort risque d’automatisation au cours des deux prochaines décennies. Or, peu de personnes sont requises pour développer les logiciels et créer les robots qui remplacent une main-d’œuvre beaucoup plus importante(*).

Les développements technologiques actuels semblent donc entraîner une

diminution du besoin de main-d’œuvre, alors que près de 4 milliards d’êtres humains ont actuellement moins de trente ans…

(*) « Les cols blancs sont autant menacés par les progrès de la technologie que les

caissières de supermarchés. Deux économistes de l’université de Chicago Loukas Karabarbounis et Brent Neiman ont d’ailleurs montré qu’aux Etats-Unis, le taux de chômage des salariés qualifiés avait doublé entre 2000 et 2012 » (Marine Miller : Les robots ébranlent le monde des avocats, Le Monde Economie et Entreprise, 30 novembre 2016, p.7).

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Lors de son assemblée générale du 25 septembre 2015, l’ONU a adopté à l’unanimité un plan d’action visant à résoudre la plupart des crises évoquées ci-dessus. Il est intitulé : « Transformer notre monde. Le programme de développement durable à l’horizon 2030 »

Ce plan détaillé souligne l’impérieuse nécessité de placer le souci d’autrui, de la justice sociale,

du travail décent et de la pérennité du monde au cœur de la réflexion et de l'action de toutes sortes d'acteurs majeurs et de décideurs (notamment politiques et économiques), mais aussi de chaque citoyen dans le monde.

Les interventions d’accompagnement à l’orientation devraient contribuer à la réalisation de ce programme. Elles le pourraient en favorisant le développement de telles préoccupations dans les réflexions de ceux qui s’interrogent sur leur avenir. Mais cela implique que ces interventions soient transformées. Ce qui présuppose de revoir la question d’orientation fondamentale à laquelle elles se proposent aujourd’hui d’aider les personnes à répondre : Par quelle vie active donner sens et perspective à mon existence ?

Cette question devrait être complétée par des considérations sur le développement durable, la justice sociale et le travail décent. Elle pourrait devenir la suivante : Comment orienter ma (ou notre) vie active de manière telle qu’en 2050, une population d’environ 10 milliards d’êtres humains puisse vivre une vie véritablement humaine dans un monde dont les ressources sont limitées ? 64

En se fondant sur cette nouvelle question d’orientation fondamentale, des

interventions d’accompagnement en orientation (notamment des dialogues renouvelés de conseil en life design) pourraient être conçues en vue de contribuer à la « Transformation de notre monde » qu’appelle l’ONU.

C’est au développement de telles interventions que travaille la Chaire Unesco « orientation et conseil tout au long de la vie » de l’Université de Wroclaw (Pologne) avec le réseau mondial UNITWIN de 17 universités (notamment Lausanne) qu’elle a établi dans le cadre de l’UNESCO.

http://www.unesco.uni.wroc.pl/en/

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Bienne – 23 mars 2017

Les dialogues de conseil en life design:

une forme renouvelée de l’accompagnement en orientation

MERCI DE VOTRE ATTENTION

Jean Guichard

[email protected]