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Revue des Études Augustiniennes 38 (1992), 3-5 Dom Pierre-Patrick Verbraken, OSB (1926-1992) La mort subite du Père Verbraken en a surpris plus d'un, non seulement ses confrères au milieu desquels il s'effondra au soir du 22 février dernier, terrassé par une crise cardiaque, mais aussi tous ses nombreux amis, avec lesquels il était en relation, et qui apprirent la nouvelle dans les jours suivants. Depuis quelque temps, le Père Patrick avouait éprouver une certaine fatigue, mais il continuait néanmoins à assurer sa fonction de directeur de la  Revue Bénédictine  et à poursuivre ses propres travaux. Il est mort à la tâche. Il était né à Anvers le 26 février 1926. Entré à l'Abbaye de Maredsous en juillet 1944, il y fit ses études de philosophie (1945-1947) après sa profession religieuse, puis passa deux années (1947-1949) à l'Université de Louvain pour des études de philologie germanique. Revenu à Maredsous pour ses études théologiques, il y est ordonné prêtre le 20 juillet 1952. Il retourna à nouveau à Louvain pour la préparation de son doctorat en théologie (1952-1956) et de sa thèse sur "Le commentaire de saint Grégoire au Premier Livre des Rois" (1957),  laquelle parut peu d'années après, en 1963, dans le  Corpus Christianorum t. 144. Appartenant à une abbaye où s'étaient illustrés des Bénédictins de renom, comme Ursmer Berlière, Raymond Thibaut, Donatien De Bruyne, Germain Morin, Bernard Capelle, et d'autres, le Père Verbraken se trouvait au lendemain de ses études en un milieu idéal, conforme à ses goûts et à ses talents d'historien et de patrologue. Une orientation plus particulière se dessina bien vite,  orientation qui allait faire de lui l'un des grands spécialistes de l'homélitique augustinienne. Dom Germain Morin (1861-1946), qui s'était consacré, dès 1887, à l'édition des Sermons de saint Césaire, et s'était illustré en 1930 avec l'édition du texte critique de quelques cent-vingt "Sermones post maurinos reperti", avait passé le flambeau à Dom Cyrille Lambot (1900- 1968).  Celui-ci, à son tour, allait enrichir la collection des Sermons d'Augustin de nouveaux textes et se faire une renommée incontestée en la matière. C'est dans la lignée de ces érudits que Dom Verbraken va prendre rang. Bénéficiant non seulement de l'exemple et de la méthode de ses devanciers mais aussi de toute la documentation qu'ils avaient eu soin de rassembler, Dom

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    Revue des tudes Augustiniennes 38 (1992), 3-5

    Dom Pierre-Patrick Verbraken, OSB

    (1926-1992)

    La mort subite du Pre Verbraken en a surpris plus d'un, non seulement ses

    confrres au milieu desquels il s'effondra au soir du 22 fvrier dernier,

    terrass par une crise cardiaque, mais aussi tous ses nombreux amis, avec

    lesquels il tait en relation, et qui apprirent la nouvelle dans les jours suivants.

    Depuis quelque temps, le Pre Patrick avouait prouver une certaine fatigue,

    mais il continu ait nanmoins assurer sa fonction de directeur de la

    Revue

    Bndictine et poursuivre ses propres travaux. Il est mort la tche.

    Il tait n Anvers le 26 fvrier 1926. Entr l'Abbaye de Maredsous en

    juillet 1944, il y fit ses tudes de philosophie (1945-1947) aprs sa profession

    religieuse, puis passa deux annes (1947-1949) l'Universit de Louvain pour

    des tudes de philologie germanique. Revenu Maredsous pour ses tudes

    thologiques, il y est ordonn prtre le 20 juillet 1952. Il retourna nouveau

    Louvain pour la prparation de son doctorat en thologie (1952-1956) et de sa

    thse sur "Le commentaire de saint Grgoire au Premier Livre des Rois"

    (1957), laquelle parut peu d'annes aprs, en 1963, dans le Corpus

    Christianorum

    t. 144.

    Appartenant une abbaye o s'taient illustrs des Bndictins de renom,

    comme Ursmer Berlire, Raymond Thibaut, Donatien De Bruyne, Germain

    Morin, Bernard Capelle, et d'autres, le Pre Verbraken se trouvait au

    lendemain de ses tudes en un milieu idal, conforme ses gots et ses talents

    d'historien et de patrologue. Une orientation plus particulire se dessina bien

    vite, orientation qui allait faire de lui l'un des grands spcialistes de

    l'homlitique augustinienne. Dom Germain Morin (1861-1946), qui s'tait

    consacr , ds 1887, l'dition des Sermons de saint Cs aire, et s'tait illustr

    en 1930 avec l'dition du texte critique de quelques cent-vingt "Sermones post

    maurinos reperti", avait pass le flambeau Dom Cyrille Lambot (1900-

    1968).

    Celui-ci, son tour, allait enrichir la collection des Sermons d'Augustin

    de nouveaux textes et se faire une renomme inconteste en la matire. C'est

    dans la ligne de ces rudits que Dom Verbraken va prendre rang.

    Bnficiant non seulement de l'exemple et de la mthode de ses devanciers

    mais aussi de toute la documentation qu'ils avaient eu soin de rassembler, Dom

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    PIERRE-PATRICK VERBRAKEN

    Verbraken inaugure ds 1958 ses ditions critiques des sermons augustiniens

    avec la publication dans laRevue b ndictinedes nouveaux textes des Sermons

    56 et 215. Suivront, deux ou trois ans d'intervalle, les ditions de onze autres

    sermons et de douze fragments de sermons. Cette frquentation constante de

    l'uvre de saint Augustin, partir des manuscrits, l'amnera publier en 1976

    dans la collection "Instrumenta patristica", un livre fournissant pas moins de

    544 notices sur chacun des sermons, anciens et nouveaux, attribus Augustin,

    avec prcision du sujet, de la date, du lieu de prdication, de l'tat du texte, et

    de son authenticit ; ce livre intitul :Etudes critiques sur les Sermons de saint

    Augustin

    est devenu le manuel indispensable pour quiconque aborde l'tude

    d'un sermon d'Augustin, et il perptuera pendant longtemps la mmoire du

    Pre Verbraken.

    Il fut adjoint vers 1959 Dom Cyrille Lambot qui, atteint par une grave

    affection des yeux, ne pouvait que trs difficilement assurer, en plus de ses

    travaux rudits, la direction de la

    Revue bndictine

    qu'il assumait depuis

    1957. Dix annes durant ce fut un travail de collaboration troite entre le

    matre et le disciple, temps de "formation de la relve", comme l'a crit Dom

    Verbraken dans la notice biographique qu'il a consacre avec beaucoup de

    pit et de ferveur Dom Cyrille, dcd le 29 aot 1968 en la fte de saint

    Augustin (cf.

    Revue bndictine

    t.79, 1969, p.1-22).

    Trs pris, depuis lors, par la direction de cette Revue le Pre Patrick

    continua nammoins fournir de prcieuses contributions en divers

    priodiques, ou l'occasion de Colloques et Congrs (une centaine d'articles et

    notices au total, dont la liste complte sera donne dans la flev.

    bn.

    n 3-4 de

    1992). On y voit une confirmation de sa parfaite connaissance du dossier

    augustinien, et de sa matrise dans l'tude des textes. Pour clbrer le

    "Troisim e centena ire de l'dition ma uriste de saint Au gustin" , l'Ins titut

    d'tudes Augustiniennes, install sur les lieux mmes o cette Editio maior fut

    ralise, avait tenu inviter le Pre Verbraken, comme l'un des meilleurs

    reprsentan ts de la tradition des Mauristes. Il avait, cette occasion, retrac

    en une douzaine de pages l'histoire des "ditions successives des 'Sermons' de

    saint Augustin", de l'dition princeps d'Amerbach (1494-1495), celle du

    Corpus Christianorum

    pour les cinquante premiers sermons. Et il concluait :

    "Lors du beau congrs tenu Rome en septembre 1986..., j'ai expos ce que,

    mes yeux, doivent tre les jalons pour une dition critique des sermons sur le

    Nouveau Testament. En particulier, j'y ai prcis la valeur de la collection De

    verbis Dom ini et Apostoli et j'y ai justifi le choix des sermons-tests dj

    publis en priorit." Ces lignes sont un peu son testament. Le grand souhait du

    Pre Verbraken tait d'diter dans les prochaines annes, la suite de Dom

    Lambot, les Sermons 51 147, puis 148 183, dont il avait donn plusieurs

    chantillons.

    A l'occasion du centenaire de la

    Revue bndictine

    au titre de directeur, il

    organisa, le 25 mai 1984, un trs belle journe dont il est rendu compte dans le

    tome 184, de la mme anne. Dans ce fascicule commmoratif, intitul "Cent

    annes d'rudition ecclsiastique : La 'Revue bndictine' 1884-1984", le Pre

    Patrick rendait un juste hommage tous ses devanciers la direction de la

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    PIERRE-PATRICK VERBRAKEN

    5

    Revue, et tous ses confrres anciens et nouveaux de l'Abbaye de Maredsous

    pour leur apport scientifique, un sicle durant, au service de l'glise.

    Je ne veux pas terminer cette brve notice sans voquer les relations suivieset amicales que j'ai entretenues avec le Pre Patrick durant prs de 40 ans ; que

    d'avis et de conseils il m 'a fraternellement prodigus pour un mm e idal Je

    suis certain que beaucoup lui rendront le mme hommage.

    org sFOLLIET

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    Revue des tudes Augustiniennes,

    38 (1992), 6-18

    Tertullien, Decorona, I :

    Carthage ou Lmbese ?*

    Le trait de Tertullien

    Sur la couronne

    dbute par une anecdote qui

    concerne la vie quotidienne, lesrealia du monde romain au dbut du IIle sicle

    de notre re : lors d'une distribution d'argent, un soldat renonce sa couronne

    et annonce qu'il est chrtien. Il est ensuite jug, condamn, sans doute excut,

    devenant ainsi un martyr. Les lments concrets qui nous sont prsents cette

    occasion confrent ce passage beaucoup d'intrt pour l'historien, et lui

    donnent une grande importancei. Pourtant, le De

    corona

    est rest allusif sur

    deux points, la date laquelle

    s'est

    droul cet vnement, et surtout le lieu

    2

    .

    D'o des dbats entre spcialistes, les uns penchant pour Carthage, les autres

    pour Lmbese.

    L'auteur, Tertullien, est assez connu, et il a donn matire une

    bibliographie abondante

    3

    . Une tentative a t faite il y a relativement peu de

    * Les abrviatons des titres de revues ont t empruntes

    V nne

    Philologique.

    1.Le contenu du prsent article a dj t brivement voqu : N.

    DUVA L,

    S .

    LANCEL

    et Y.

    LE BOH EC,

    B.C.T.H., 1984, p. 50;Y .

    LE B OHE C,La

    Troisime

    Lgion

    Auguste,1989, Paris,

    p. 571-572. Il a t galement prsent sous forme de confrences, l'Universit III de

    Grenoble, l'invitation de M. S.LANCEL,et devant la Commission de l'A frique du Nord du

    Comit des Travaux H istoriques, l'invitation de M. L. GALAND. Je remercie M. J.-C.

    FREDOUILLE,Professeur la Sorbonne, qui a bien voulu relire ce manuscrit.

    2.Pour le texte :

    Tertullien, D e

    corona,par J.FONTAINE, 1966, Paris, 185 p.;

    La corona,

    par P. A.

    GRAMAGLIA,

    Rome, 1980, 241 p.

    (non uid).

    Commentaires : P.

    FRANCHI

    DE '

    CAVALIERI,N ote agiografiche, 8, XI, Sopra alcuni testi del De corona di Tertulliano,Studi

    e

    Testi,

    LXV, 1935, p. 357-386 ; G.

    DE PLINVAL,

    Tertullien et le scandale de la couronne,

    Mi.

    J.DE

    GHE LLINCK, I, 1951,p. 183-188. V oir aussi, bien entendu, les notes suivantes.

    3.Nous ne signalerons ici que quelques titres parmi les plus importants (les plus rcents

    donneront des rfrences sur des points prcis de l'uvre de Tertullien ; cette fin, on

    consultera galement la chronique annuelle de la

    R Aug.,

    due R .

    BRAUN,

    S.

    DELA NI,

    F .

    DOLBEAU,

    J.-C.

    FREDOUILLE

    et P.

    PETTTMENGIN):

    P .

    MONCEAUX,Histoire littrairede

    l'Afrique

    chrtienne, I, Paris, 1900, p. 177-461 ; Ch.

    GU IGNEBERT,

    Tertullien.tude sursessentiments

    l'gard de l'Empire et de la socit civile, Paris, 1901, XXIV-615 p. ; M.

    SPANNEUT,

    Tertullienet lespremiers moralistes africains,Paris, 1969, 220 p.;C.

    R AMBAUX,

    Tertullien

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    TERTULLIEN, DE CORONA, I

    temps pour bouleverser ce que l'on savait de sa vie

    4

    , mais cette entreprise n'a

    pas sduit la critique

    5

    . Les comm entateurs ont estim avec beaucoup de sagesse

    qu'on ne devait pas modifier les textes pour leur faire dire ce qu'ils ne disent

    pas,

    et que, de plus, on peut faire confiance s. Jrme qu i a probablem ent

    utilis une autre source que Tertullien lui-mme. Il n'entre pas dans notre

    propos, surtout dans le cadre d'une tude aussi limite et prcise, de retracer

    toute la biographie du Pre africain. Toutefois, quatre points doivent tre

    rappels, parce qu'ils permettront de mieux comprendre le passage que nous

    souhaitons soumettre un nouvel examen.

    E n prem ier lieu, Tertullien est un A fricain, et il est n Cartha ge ; s.

    Jrme en fait un citoyen

    prouinciae Africae, ciuitatis carthaginiensis

    6

    ,

    ce que

    confirme O ptat

    7

    . En second lieu, il est n dans un milieu militaire, centurionis

    procon sular s filius, ou encore paire centurione proconsulari, toujours selon s.

    Jrme

    8

    , et lui-mme le confirme puisqu'il parle de la

    militia patris nostri

    9

    ,

    ce

    que l'on avait voulu transformer contre les rgles en

    m ilitia p atriae nos trae.

    Son pre tait donc un grad qui avait exerc un commandement dans la

    garnison qui tait subordonne au proconsul de la province d'A frique

    10

    Troisimement, c'est sous le rgne conjoint de Septime Svre et de Caracalla

    qu'il a le plus produit, donc entre 198 et 211 : sub Seuero principe et

    Antonino Caracalla maxime floruit

    11

    . C'est toujours s. Jrme qui nous le dit,

    confirm sur ce point par plusieurs mentions qui se trouvent dans diffrents

    passages de l'uvre mme de Tertullien. Le dernier point qui retiendra notre

    attention, c'est que ce personnage s'est, petit petit, laiss sduire par une

    hrsie. Ce grand chrtien a beaucoup rflchi, beaucoup tudi et beaucoup

    crit, ce qui a fait de lui un Pre de l' glise et lui a donn une place de choix

    dans la

    Patrolog ie latine.

    Mais, sur le tard, il est devenu montaniste,

    ad

    Montani dogma delapsus

    12

    ,

    ce qui explique qu'il n'y ait jam ais eu de "s .

    faceauxmoralesde strois premierssicles,Paris, 1979, 520

    p. ;

    J.-C.

    FREDOUILLE,

    Tertullien

    etla

    conversion

    d e la

    cultureantique,Pa ris, 1972, 548 p. V oir aussi notes suiv.

    4.

    T .D .

    BARNES , Tertullian. A

    historical

    and literaryStudy,

    O xford, 1971, XI-320 p., et

    rimpr., 1985, Xl-339 p. ; voir note suiv.

    5. R . BRAUN, Un nouveau Tertullien ; problmes de biographie et de chronologie,

    R.E.L.,L, 1972, p. 67-84 (fondamental) ; C.MORESCHINI,A. e R.,XV III, 1973, p.

    219-221.

    6. S. Jrme,

    D e

    uiris

    illustrious,

    LU I.

    7.

    O

    ptt, I, 9

    :...a

    Tertulliano

    carthaginiensi.

    8. S. Jrme, pass, cit, et

    C hron. ad

    a.

    2224

    ; R .

    BRAUN,

    art.

    cit,

    p. 73.

    9. Tertullien,

    Apol,

    IX, 2.

    10.

    Sur cette garnison : N. Du

    VA L,

    S.

    LANCEL

    et

    Y. LE BOHEC,

    tudes sur la garnison de

    Carthage,B.C.T.H., N.S., XV -XVI B , 1984, p. 33-89 ; Y.

    LE BO HEC, US units

    auxiliaires

    del armeromaineenAfrique ProconsulaireetNum idie,Paris-Marseille, 1989, p. 21-25.

    11.

    S. Jrme, pass. cit.

    12. Ibidem.

    Voir Tertullien,

    D e

    corona,IV . P.

    MONCEAUX,H istoire littraire,

    I,

    1901,

    p.

    205-206 (semi-montanisme partir de 207, conversion acheve dans le

    De corona);

    P .

    DE

    LABRIOLLE,La crisem ontaniste,

    Paris, 1913,

    -6 9 p. ; J .-P .W ALTZ I NG Pour

    l'tude de

    Tertullien,M B., XXV, 1921, p. 27 ; T. D.BA RNES,T ertullian,1971, p. 45-47 ; R .BRAUN,

    R.E.L., L, 1972, p. 75, et Tertullien et le montanisme. glise institutionnelle et glise

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    8

    rAAA

    LE BOHEC

    Tertullien", alors qu'il y a eu un s. Cyprien et un s. Augustin. Le rappel de ces

    quelques gnralits permettra d'aborder dans de meilleures conditions

    l'examen du document sur lequel nous avons attir l'attention, et pour lequel

    nous proposons une traduction aprs en avoir rappel le texte latin.

    Tertullien, De

    corona,

    I, 1-2

    1.

    Proxime factum

    est.

    Liber alitas

    1.L'vnement vientde seproduire.

    praestantissimorum imperatorum expun-

    Dans le camp, on versait le montant d'un don

    gebatur in cas tris, milites laureatiadibant.destrs minents empereurs. Couronnsde

    Adhibetur quidam illic magis

    Dei

    miles,

    laurier, les soldats se prsentaient. L-dessus,

    ceterisconstantior fratribusqui

    se

    duobusund entre euxs avance il est pluttun

    dominis seruire possepraesumpserant.Solus soldat de Dieu, plus solide que tous ses frres

    libero capite,

    coronamento in

    manu otioso,

    qui avaient eu la prsomption de croire qu'ils

    uulgato

    iam et

    ista disciplina christiano,

    pourraient servir deux matres.

    Lui

    seul,

    la

    relucebat.

    tte libre,

    le

    couronnement inutile

    la

    main,

    manifestait dsormaisparcette attitudeson

    christianisme avec clat.

    2.

    Denique

    singuli designare

    et

    ludere 2.Etles soldats,un un, se mettent

    eminus, infrendere comminus. Continuo

    lemontrer du doigt,ricaner quandilssont

    murmur ; tribuno deferturetpersona iam ex loin,s emporter quandils sont prs.Le

    ordine decess erat. Statimtribunus

    :

    Cur,murmure persiste. L homme estdfrau

    inquit, tam diuersus habitus ? N egauit

    Ule tribun ; dj

    il

    avait quitt son rang. A ussitt

    sibi cum ceteris

    licere. Causas expostulatus,

    le

    tribun :

    "Que

    signifie, dit-il,

    une

    attitude

    Christianus

    sum"

    respondit.

    O

    militem

    aussi originale ?" L'autre dit qu'i l ne lui tait

    gloriosum

    in

    De o

    Suffragia exinde,

    et

    res

    plus permis

    de

    partager

    la

    compagnie de

    ses

    ampliata et reus

    adpraefectos.

    collgues. S'entendant exiger

    des

    expli

    cations,

    "Je

    suis chrtien", rpondit-il.

    O

    Soldat glorieux

    en

    Dieu

    De l, des

    clameurs. Le dossier est transmis

    et

    l'accus

    transfr aux prfets.

    Le soldat chrtien est ensuite condamn et, au moment o Tertullien crit, il

    attend le martyre en prison :

    donatiuum Christi in carcere expectat

    (I, 3).

    Ce court texte prsente quelques caractristiques qui mritent d'tre

    releves. Et tout d'abord l'auteur nous rapporte une anecdote sans nous dire o

    se sont drouls les vnements qu'il dcrit. Il ne donne d'indications que sur

    la chronologie, et encore ne le fait-il que de manire vague (I, 1) :

    proxime

    factum est.

    On peut expliquer cette imprcision de deux manires. Soit il ne

    s'intressait pas ces dtails ;c'est ce qu'ont pens tous les commentateurs,

    plus ou moins explicitement d'ailleurs : crivant un trait de thologie,

    Tertullien nes'estpas abaiss noncer de vulgaires ralits, sans intrt pour

    sa dmonstration. Soit le texte comportait suffisamment d'lments pour que

    les contemporains aient eu tout de suite et de manire vidente la rponse aux

    spirituelle,

    R.S.L.R.,

    XXI, 1985, p. 245-257

    ;

    V .

    GRO SSI,

    A proposito della conversione

    di

    Tertulliano al montaismo,A ugustinianum,XXVII, 1987,

    p.

    57-70.

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    TERTULLIE N , DE C ORONA, I 9

    deux questions, "o ?" et "quand ?". Nous verrons que c'est cette deuxime

    hypothse qu'il convient de privilgier.

    R emarquo ns ensuite qu'il indique en effet que le pouvo ir politiqueappartient des empereurs, l'gard desquels il manifeste d'ailleurs quelque

    ironie

    (praestanissim i impera tore

    s). Ce pluriel fournit deux limites

    chronologiques. En effet c'est en mai 198 que Septime Svre associa la

    pourpre son fils C aracalla ; en A frique, l'enthousias me populaire qualifia

    parfois G ta d'A uguste ds la mme anne ; ailleurs, il dut normalem ent

    attendre sa premire puissance tribun icienne , en 20913. H las, nous ne savons

    pas si lespraestanissimi imper atores sont deux ou trois. En revanche, nous

    savons que Septime Svre mourut en fvrier 211, que Gta fut assassin en

    fvrier 212 (ou fin 211)

    14

    et qu' partir de ce moment-l le pouvoir s'exera

    au singulier.

    En outre, cette affaire concerne des soldats. Ils sont rassembls et couronns

    pour recevoir une somme d'argent. Cette gnrosit est appele

    liber alitas

    en I,

    1 ; mais en I, 3, Tertullien oppose de manire implicite le

    donatiuum Christi

    la gnrosit des empereurs. Nous avons propos ailleurs un tableau o sont

    numres en ordre chronologique les rfrences ces distributions aux

    soldats

    1

    5

    .

    Il y apparat que le mot

    liber alitas

    est employ de man ire trs

    gnrale, trs frquente, en particulier quand ils'agit la fois de la plbe et de

    l'arme. La langue officielle faisait un usage plus restreint du mot donatiuum,

    qui n'intressait gure que les militaires.

    A u milieu de cette unit se trouvait un chrtien. Il enlve sa couronne et

    dcide de ne pas participer davantage la crmonie en raison de sa foil

    6

    .

    e

    qu'il refuse, du plus profond de lui-mme, c'est de pratiquer un rite paen :

    christianus sum

    (I, 2). Il n'accepte pas non plus de servir deux matres,

    l'empereur et le Christ. Les commentateurs ont tous admis qu'on clbrait le

    culte imprial, et que la distribution avait pour but de marquer un

    anniversaire. Au fond, ce que le soldat rejette, et avec lui Tertullien, c'est

    l 'ensemble de la vie militaire, car elle est entache tout moment de

    paganisme

    17

    . Et la couronne n'est qu'un lment de cet ensemble

    18

    , en quelque

    13. R . CAGNAT, C ours d'pigraphie latine, Paris, 1914, 4

    e

    dit., p.

    206-211,

    et en

    particulier p. 211, n. 4 ; sur les titulatures et la chronologie de Caracalla :A . MASTINO, Le

    titolature di Caracalla e Geta attraverso le iscrizioni,Studi

    di

    Storia

    Antica,

    V , B ologne, 1981,

    207 p.

    14.

    H .

    H ALFMANN,

    Chiron,

    X II, 1982, p. 217 et suiv.

    15. Y. LE BOH EC,

    L'arme romaine sous le H aut-E mpire,

    Paris, 1990, 2

    e

    dit., p. 229-

    232 ; vo ir aussi Tertullien,

    De

    corona,I, 3, et XII, 3.

    16.

    J.-C.

    FREDOUILLE,

    A rgumentation et rhtorique dans le De corona de T ertullien,

    M.//., XLI, 1984, p. 96-116.

    17.

    P.

    FRA NCHI DE ' CAVA LIERI,

    Note agiografiche, 8, XI, Sopra alcuni testi del De corona

    di Tertulliano,Studi e Testi, LXV , 1935, p. 365 et suiv. ; J.HELGELAND,R.J.DALYet J.P.

    B U R N S ,

    Christians

    and theMilitary, The early Experience,

    Philadelphie, 1985, IX-101 p.,

    notamment p. 21-30, reprise de l'tude publie dansA.N.R.W.,II, 23, 1, 1979, p. 735-744

    (position complexe : ces aut. remarquent que Tertullien manifeste sa loyaut l'E mp ire dans

    VApologeticum,

    en 197, mais qu'il condamne l'obligation faite au soldat de tuer) ; E .

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    8/474

    10

    Y A N N L E B O H E C

    sorte la goutte d'eau qui fait dborder le vase. O r l' tat romain et son arme

    n'taient pas "laques" au sens o nous entendons ce terme, c'est--dire

    indpendants de tout clerg, de toute foi. O n ne pouvait ni servir l' tat ni

    servir dans l'arme si on voulait s'abstenir de ce genre de participation.

    Refuser n'importe laquelle des religions officielles, plus forte raison celle de

    l'empereur, c'tait refuser le service militaire. En raison des obligations qu'il

    implique, le mtier de soldat se rvle donc incompatible avec la foi

    chrtienne, du moins pour le Tertullien du

    De corona

    : on ne peut pas servir

    deux matres, le Christ et l' tat, personnifi par l'emp ereu r. M ais d'autres

    chrtiens se trouvent dans la mme unit ; ils gardent le silence ; ils pratiquent

    les rites paens. Seul notre anonyme se signale. Il n'attend pas une hypothtique

    enqute ; il va au devant du martyre. C'est ce que prouve un membre de

    phrase dans lequel Tertullien fait l'loge de ce personnage, ceteris constantior

    fratribus qui se duobus dom inis seruire posse praesumpserant (I, 1). Comme

    l'a bien montr J.-C. Fredouillei

    9

    , ce genre d'attitude, ces provocations,

    risquent d'entraner des perscutions, ce qui explique l'attitude prudente du

    clerg traditionnel.

    Du terrain religieux, on passe ensuite au domaine juridique. L'affaire se

    droule en deux temps. C'est d'abord un tribun qui instruit le dossier. Il essaie

    peut-tre de raisonner son subordonn ; devant l'obstination de ce dernier, il

    mne une enqute et rassemble par crit des informations. Ce sont ensuite des

    prfets qui, au vu de ces pices, jugent l'accus et le condamnent. Il convient

    maintenant d'attirer l 'attention sur deux expressions dont l ' importance a

    chapp aux commentateurs, et en particulier sur l'emploi du singulier dans un

    cas,

    du pluriel dans l'autre : tribuno defertur ... ;reus adpraefectos.

    Le soldat chrtien attend la mort, le martyre ; c'est du moins ainsi que nous

    interprtons le donatiuum C hristi (I, 3). Le reste du trait relve de la

    thologie. On y trouve un parallle entre la couronne du soldat et celle du

    martyr, la supriorit de la seconde sur la premire ne faisant aucun doute

    pour Tertullien. Il n'entre pas dans notre propos d'aborder ici ces questions,

    sauf sur un point. Ce texte s'inspire assurment du mot clbre de l'auteur

    africain : "C'est une semence que le sang des chrtiens

    20

    ". Mais il va plus

    loin ; il nous propose comme un modle un personnage qui va au devant de la

    mort, qui la recherche alors que les autorits ne lui demandent rien. C'est l

    prcisment, avec la continence, une des caractristiques du montanisme . A

    tout le moins, ce chrtien est un rigoriste. De plus, tout le texte de ce trait va

    dans le mme sens : il loue la qute du ma rtyre. A ssurment, il s'insre dans

    une volution, et se place la fin de la priode de production de Tertullien qui,

    dans ses prem ires u vres, acceptait le service militaire, l' tat rom ain et les

    PUCCIARELU,

    I cristiani e il servizio m ilitare. Testimonianza dei primi tre secoli,Bibl.Patrist.,

    IX, F lorence, 1987, 352 p.{non uidi).

    18. G.DE PLINVAL,Tertullien et le scandale de la couronne,Mi. J.DEGHE LLINCK, I =

    Museum Lessianum,

    XIII,

    1951,

    p. 183-188.

    19. J.-C.FREDOUILLE,Leschrtiensau xlions/ ,B.A.G .B., XLV I, 4, 1987, p. 329-349.

    20.

    Tertullien,

    ApoL,

    L, 13.

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    9/474

    TERTULLIEN, DE CORONA, I

    11

    compromiss ions ncessa i r e s avec le p a g a n i s m e

    2 1

    .Ici, il va p lus lo in que les

    aut res penseurs chr t iens "or thodoxes" . Lesp lus svres d 'ent r e eux p laa ient

    leurs cri t iques

    sur un

    autre terrain.

    Ils

    es t imaient incompat ib les

    le

    se rmen t

    du

    soldat ,

    sacramentum,

    et le

    bap tm e , ga l emen t

    sacramentum

    22

    .

    B i en en t endu ,

    c ' e s tpar un regre t table abus de l angage , qui cons t i tue un a n a c h r o n i s m e ,que

    l ' on

    a pu

    dfinir certains chrt iens

    de

    l 'A n t i q u it c o m m e

    des "non

    v i o l e n t s

    2 3

    "

    oudes"objec teurs deconsc i ence

    2 4

    " .

    Cet te prsenta t ion du texte permet d 'aborder dans deme i l leures condi t ions

    les deux diff icults auxquelles

    se

    sont heurts

    les

    h is tor iens a c tue ls ,

    savoi r

    la

    dateet le lieu.

    Nous avons d j dit que l ' v n e m e n t s'est nces sa i r emen t p l ac en t r emai

    198

    et la fin de

    fvrier

    212 (ou la fin de

    l ' a n n e

    211). Il

    pa ra t imprud en t

    d 'u t i l i ser , pour prc iser davantage ,

    le

    fait

    que le

    De

    corona

    ait t

    cri t dans

    une p r iode exempte de persc ut ions d i r iges cont re les chr t iens . Cer ta ins

    savants l 'ont fa i t

    2 5

    . Mais

    la

    not ion

    de

    "paix

    de

    l ' g l i s e" do i t t r e ma n ie avec

    prcau t ion : on sa i t maintenant que l ' app l i ca t ion des dc i s ions impr i a l e s a

    beaucoup va r i su ivan t les p r o v i n c e s , en fonct ion du t e m p r a m e n t et des

    conv ic t ions

    des

    gouve rneur s .

    Un

    autre cri tre diff ici le

    m a n i e r

    es t

    ce lu i

    du

    m o n t a n i s m e de Ter tu l l ien

    2 6

    . Onsai tque ce dernier n' a adhr cet te doctr ine

    q u e sur le t a rd . M a i s il faut se m f i e r du ce rc l e v i c i eux et du faux

    r a i s o n n e m e n t qui cons i s t e r a i t da t e r le De corona par r f r ence cet te

    volut ion, et l ' volut ion

    p

    a

    r

    rfrence au De corona. On admet t ra toutefois ,

    part ir de ce t te donne , qu ' i l faut repousser lada tederdact ion du trai t versla

    finde lapr iode con s idre , sans p lusdeprc is ions .

    21.

    J.FONTAINE,Les chrtienset leservice militaire dans l'A ntiquit,

    Concilium,

    VII,

    1965,

    p. 95-105;J.-C. FREDOUILLE, Tertullienetl'E mpire,

    Rec Aug.,

    XIX, 1984, p. 111-

    131. J.H ELGELAND,

    R.J.

    DALY

    et

    J.P. BURNS,Christians and theMilitary, 1985, p. 21

    et suiv.,

    admettent sans l'admettre cette volution (voir plus loin).

    22.

    P.

    FR ANCHI DE CAVALIERI,Studi e Testi,

    LXV,

    1935,

    p. 367 et suiv.

    ;

    E.

    DEBA CK ER ,

    Sacramentum.Le mot

    et

    l'idereprsentepar lui dans lesuvres

    de

    Tertullien, Louvain,

    1911, XX-392 p.;Ch.

    PIETRI,

    Le serment du soldat chrtien,

    M.E.F.R. ,

    LXXIV,2, 1962,

    p. 649-664

    ;

    S

    TO NDO ,IL

    sacramentummilitiae,Stud, et Docum.Historiae

    et

    Iuris, XXIX,

    1963, VII-131p., et

    Sul

    sacramentum militiae, ibidem,

    XXXIV, 1968,p.376-396;D.

    MICHAELIDES,

    Sacramentum

    chez Tertullien,

    Paris, 1970, 388 p.

    ;

    C.

    MOHRMANN,

    Q uelques

    observations

    sur

    sacramentum chez T ertullien,

    M l. J .H .

    WASZINK,

    1973,

    p.

    233-242

    ; D.

    GASPAR,

    Quelques remarques concernant

    le mot

    sacramentum

    et le

    serment militaire,

    A.Arch.Hung.,

    XXV III, 1976,

    p.

    197-203.

    23 M. SPANNEUT,La nonviolence chezles Pres africains avant Constantin,

    Fest.

    J.

    QUASTEN,I,1970, p. 36-39 ; voir A .J.VISSER, Christianus sum,nonpossum militare[en

    nerl.],Nederl.

    Archief

    voorKerkgeschd.,X LV III, 1967-1968, p. 5-19.

    24.

    G CRESCENTI,O biettoridicoscienzaem artiri militari nei primicinque secoli del

    cristianesimo,

    Coll

    di

    Saggi

    eMonogr.,XVIII, 1966, 310 p.

    25.

    Voir

    J.

    FONTAINE,dans

    Tertullien, De

    corona,Paris, 1966, p.4.

    26.V oir plus haut.

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    10/474

    12 YANNLEBOH E C

    La mention d'une liber alitas, en I, 1, a t, tort, bien nglige

    27

    . Pour

    l'poque concerne, nous savons que Septime Svre

    a

    octroy dix pices

    d'or,

    ou aurei, chaque prtorien en 203, pour le dixime anniversaire de son

    arrive

    au

    pouvoir

    28

    .

    Il a

    ensuite fait frapper,

    en 205 et

    208,

    des

    monnaies

    portant

    le mot

    LIB ER A LITA S

    ;

    pour

    ces

    deux annes-l, nous ignorons

    si des

    militairesontfait partiedunombre des bnficiaires,ce qui estloin d'tresr,

    la liber alitas allant en principe surtout la plbe de R om e

    29

    . En211 , une

    nouvelle mission portant

    le

    mme

    mot a

    probablement m arqu l'inauguration

    du double rgnedeCaracallaetde Gta, aprslamort de Septime S vre

    30

    .Le

    contexte politique,savoirlancessit pour les deux empereursde s'attacher

    sinon toute l'arme

    du

    moins

    les

    prtoriens, laisse supposer qu'une partie

    au

    moinsde ceslargesseslui a td istribue.On serappelle le dernier conseil

    donn par Septime Svre mourant sesfils

    31

    :"E nrichissez les soldats,et

    moquez-vous

    du

    reste".

    Le mot

    parat trop beau pour tre vrai

    ; il

    correspond

    toutefois fort bien

    ce qu'a t la

    pratique

    de

    cette dynastie,

    une

    authentique

    monarchie militaire. Enfin, lemeurtre deGta,un anaprs le dcs de son

    pre, valut chaque prtorien unegratification de 2500 drachmes

    32

    ; mais

    cette gnrosit

    de

    212

    ne

    doit pas tre prise

    en

    compte

    : il n'y

    avait plus alors

    qu'un seulImperator.

    En conclusion, le De corona a certainement t crit vers la fin de la

    priode 198-212, peut-treen 208, plus probablement en211. V oil pourla

    date.Et

    m aintenant,

    le

    lieu.

    Commenons par retracer l'historiographie du problme. Les commen

    tateurs peuvent tre classs

    en

    trois coles

    ...

    plus

    une

    Les

    un s

    33

    ont

    crit

    en

    effet

    que

    l 'anecdote

    qui

    ouvre

    le De

    corona

    n'a pu

    avoir pour cadre

    que

    Lambse, parce que c'tait l qu'tait situ le quartier gnral de l 'arme

    d'A frique, etdoncque l'onpouvait ytrouveruntribunet des prfets, titres

    mentionns dans

    le

    trai t. D'autres

    3 4

    ont

    prfr placer l 'vnement

    27.

    E .DE RUGGIERO,Dizionarioep igrafico,IV , 1962, p. 858-860 (rfrence fausse pour la

    liberalitasde 202, dont l'existence reste prouver, et galement pour celle de 203

    :

    voir note

    suiv.) ; Y.LEBOH EC,L'armeromaine,1990, 2

    e

    dit., p. 229-232.

    28.Dion Cassius, LXXV I,1,1.

    29.E .DE RUGGIERO ,

    art.

    cit,p.837-838.

    30. E.

    DE

    RUGGIERO,art.

    cit,

    p.

    860.

    31 .Sur cette volution, voirJ.

    GAG,Les classes sociales dans l'empire romain,

    Paris,

    1971, 2

    e

    dit., p. 251-255.

    32. Hrodien, IV,4, 7, et5,1.

    33.P.

    MONCEAUX,

    Histoirelittraire,I,1901,p. 269, n. 2 (intressante analyse, qui montre

    cependant que l'aut. se soucie peu de la hirarchie militaire) ; G. E

    PLINVAL,

    Tertullienet le

    scandale delacouronne,

    Ml. J.DE

    GHE LLINCK,I

    -M useum Lessianum,

    XIII, 1951,p. 183-

    188; E. A.

    R YAN,T heol.Stud.,

    XIII, 1952, p. 18.

    34.

    P.

    FRANCHI DE' CAVALIERI ,

    Studi e Testi,LXV, 1935, p. 359-361 ; J. STGER,Das

    Leben

    im

    rmischen Afrika

    im

    Spiegel

    der

    Schriften Tertullians, Zurich, 1973,p 79

    (implicitement ?).

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    11/474

    TERTULLIEN, DE CORONA, I 13

    Carthage, parce que Tertullien tait n dans cette cit et y avait vcu. D'autres

    enfin

    3 5

    , sensibles aux arguments des premiers et ceux des seconds, ont

    prfr ne pas tranche r : l'affaire intresse l'A frique , soit Lm bese, soit

    Carthage. C'est cette troisime cole qu'ont fini par se ranger deux

    chercheurs qui ont travaill en apparence indpendamment l'un de l'autre, d'un

    ct P. Franchi de' Cavalieri, qu'a cit J. Fontaine

    36

    , et de l'autre M. Durry

    37

    .

    Ils ont remarqu que la mention de prfets, au pluriel, ne pouvait dsigner que

    le camp des prtoriens R ome. M ais M . Durry ajoute immdiatement, et sans

    autres arguments, qu'une telle ide devait tre rejete, qu'il fallait en rester

    la thse de l'A frique, et ne pas trancher entre Carthage et Lm bese, alors que

    P. Franchi de' Cavalieri dcompose le rcit (l'acte d'insubordination a eu lieu

    Carthage, le jugem ent est prononc R ome).

    Pourtant, un examen attentif du passage en question permet de rsoudre le

    mystre. La clef se trouve bien dans les deux expressions releves plus haut, et

    dans l'issue au moins trs probable de l'anecdote :

    tribuno defertur ... reus ad

    praefectos ; on n'oubliera pas non plus que le soldat attend sans aucun doute la

    mort, le martyre :

    donatiuum Christi in carcere expectat.

    Et, pour rpondre

    deux objections pralables et possibles, nous poserons en principe qu'il faut

    respecter le texte. D'une part, l'erreur de copiste est peu probable : les

    manuscrits sont unanimes

    38

    . D'autre part, il ne peut pas y avoir d'erreur de

    Tertullien, et cela pour plusieurs raisons. D'abord, les structures de l'arme

    romaine taient simples et connues de tout le monde ; de nos jours encore,

    n'importe qui, mme un anti-militariste convaincu, sait qu'un amiral sert dans

    la marine, et qu'un gnral est plus grad qu'un lieutenant. De plus, comme

    nous l'avons dj dit, Tertullien est fils de centurion. Enfin, ce texte montre

    qu'il connat mme trs bien le vocabulaire militaire technique. Quelquesexemples le montreront. Pour dire que le soldat quitte son poste, il emploie

    l 'expression ex ordine ; or, ordo signifie "ra ng" dans la langue com mu ne,

    "centurie" dans l 'arme

    3 9

    ; il y a l une sorte de jeu de mots. De mme,

    disciplina,

    employ ici de manire trs gnra le, dsignait aussi le mtier

    militaire conu comme une science, laquelle on consacrait des autels dans les

    camps (arae Disciplinae)

    40

    . De mm e encore, le terme de suffragia : il

    exprime ici un accord unanime et facile des militaires contre l'un d'entre eux,

    coupable de christianisme ; ce terme justement tait aussi employ dans un cas

    bien prcis mais peu connu. Quand des soldats avaient beaucoup d'estime pour

    l'un d'entre eux, pour son autorit, ses comptences, ils pouvaient attirer

    35.

    W.H.C.

    FREND,

    J.Th.S.,

    XXI, 1970, p. 93; R.

    FREUDENBERGER,

    H istoria,

    XIX,

    1970, p. 580 ; P. KERESZTES,

    AJ.Ph.,

    XCI, 1970, p. 454-455.

    36. P.FRA NCHI DE' CAV ALIERI,Note agiografiche, 8, XI, Sopra alcuni testi del De corona

    di Tertulliano,

    Studi e

    Testi,LXV , 1935, p. 361 ; J.FONTAINE,dans

    Tertullien, De corona,

    Paris, 1966, p. 42 et 45.

    37. M. DURRY,

    Les cohortes prtoriennes,

    1939, rimpr. Paris, 1968, p. 348-349 (voir

    aussi p. 110, et n. 7, 234 , et n. 1).

    38.

    CorpusCh ristianorum,serieslatina,Teriullianus, Opera,II, Turnholt, 1954,

    p.

    1039.

    39.

    Tacite,

    H .,

    Ill, 49, 3-4.

    40.

    Y.

    LE BOH EC,L'arme

    romaine,1990, 2

    e

    dit., p. 122-124 et

    261.

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    12/474

    14 YA NN LE BO H E C

    l'attention desofficiers surlui enl'acclam ant l'occasion d'une parade,d'un

    rassemblement.

    Si ses

    suprieurs acceptaient cette proposition,

    il

    tait prom u,

    et nous possdons plusieurs inscriptionsquim entionnentcetypedepromotion

    avec,

    par

    exemple,

    la

    formule

    centuno factus

    ex

    suffragio legionis

    41

    .

    L.

    Stager

    a

    d'ailleurs montr, pour l 'ensemble

    de son

    uvre,

    que

    Tertullien

    possdait bienlevocabulaire techniquedel 'arm e

    42

    .Etdonc quandilnousdit

    que l'accus estdfr untribun puis jug par desprfets, nou s devonslui

    faire confiance

    : il

    n'crit pas n'importe quoi.

    Si donc

    on

    adopte

    le

    parti

    de

    respecter

    le

    texte,

    il

    s'ensuit que l'anecdote

    en

    questionnepeut concernerni lagarnisondeCarthagenicelledeLambseni

    aucun autre camp africain. Deux sries d'arguments

    s'y

    opposent

    : les uns

    relvent du droit romain, trangement ngligpar lescom mentateurs de ce

    passage; les autres tiennent l'organisation de l 'arme, sahirarchie, ce

    que

    l'on

    appelle souvent de nos jours d'un mot allemand,

    la

    "R angordnung

    43

    ".

    L'affaire

    ne

    peut

    pas

    s'tre

    droule

    Carthage. Certes,

    on y

    trouve

    un

    tribun, qui commande la I

    re

    Cohorte Urbaine

    44

    , peut-tre un autre tribun,

    pourlacohorte dtachede laIIIe Lgion A uguste (maisiln'es t pas sr quela

    lgion

    de

    Lambse

    ait

    encore envoy

    des

    renforts auprs

    du

    gouverneur

    de la

    Proconsulaire sous Septime Svre

    45

    ).Enrevanche, pointdeprfets.S'il y en

    aun, ce qui estpossible, il commande une unit auxiliaire, la I

    re

    Cohorte

    Flavienne d'Afri ; il est tout seulporter cetitre

    46

    ,et deplusil setrouve

    subordonn

    au

    tribun qui

    n'a

    qu'un suprieur,

    le

    proconsul d'A frique. C 'est

    en

    outrecedernierqui possde seulledroitdecondamnermortunsoldat

    47

    .Il

    faut, cepropos, rappeler quelegouverneurdeprovince exerceles fonctions

    de juge suprme dans

    le

    territoire

    qui lui est

    confi. Toutefois, tous

    les

    fonctionnaires

    de ce

    rang

    ne

    possdent

    pas le

    ius

    gladii,

    le

    droit

    de

    faire

    4L

    CLL.,

    II, 2079, V III, 217=11301 (=1.L.Tun., 332),XII,2230 ;

    A.E.,

    1976,540;

    G.-Ch.PICARD,

    Dimm idi,

    Paris, 1947, 30, 10 ; Tacite,

    H .,

    III, 49,4

    ;

    A .VON DOMASZEWSKI,

    N eue

    HeidelbergerJahrb.,IX, 1899,

    p.

    161 (papyrus).

    42. L .

    STGER,

    DasLebenimrmischenAfrika, 1973, p. 76-80.

    43. O uvrage fondamental mais ancien

    : A.VON DOMASZEWSKI, Die Rangordnung

    des

    rmischen

    H eeres,

    1908, avec addit. deB .

    DOBSON,

    C ologne, 1967, LXII-375

    p.

    44. H .

    FRE S,

    Die cohortes urbanae,

    E pigr.

    Stud.,II, B onn, 1967, p. 31-36

    et

    86-89,

    et

    R.E.,Suppl., X, 1965, col. 1125-1140

    ;

    D U V A L S LANCEL et

    Y.

    LE BOHEC tudes sur

    la garnison

    de

    Carthage,

    B.C.T.H.,

    N.S., XV -XV I B , 1984, p. 48-49 ; F .

    BRARD,

    Le rle

    militaire des cohortes urbaines,

    M .E.FR.,

    C,

    1,

    1988, p. 159-182.

    45. N

    DUVAL et

    alii,art. cit,p. 48-51; Y L E

    BOH EC,

    L aTroisime Lgion Auguste,

    1989, p. 359, 362, 405 et 485.

    46. Y.

    LE BOHEC,

    Lesunits auxiliairesenAfrique Proconsulaire

    etNum idie,

    1989,p.22-

    23.

    47.

    Dig., I,

    XV I,

    2,

    Sutone,

    Galba,VII et

    IX, A pule,

    Apologie, I, 5, et II,

    1

    (

    titre

    d'exemples ) ; J.

    GAUDEMET,

    La juridiction provinciale d'apr s la correspondance entre Pline

    et Trajan,

    R.I.D.A.,

    XI,1964,p.335-353,etI nstitutions

    de

    l'Antiquit, Paris, 1982,2

    e

    dit., p. 509-510.Sur le proconsulat d'A frique : B.E.THO MASSON,

    Die

    Statthalter

    der

    rmischen

    Provinzen

    Norafrikas

    vo n

    Augustus

    bisD iocletianus,

    I,Acta

    Inst. Rom . regni

    Sueciat,

    IX ,

    1,

    Lund, 1960, p. 10-81 (examine galement les lgats du proconsul).

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    13/474

    TERTULLIEN, DE CORONA, I

    15

    mettre mort des citoyens romains

    48

    . Ces derniers, au cas o une telle

    sentence serait prononce, peuvent faire appel Csar, mais leur demande

    n'est pas obligatoirement satisfaite. Tout cela, Tertullien ne pouvait pas

    l'ignorer. Si le soldat chrtien avait appartenu la garnison de Carthage, il

    aurait crit "et reus ad proconsulem .

    L'affaire ne peut pas non pluss'tredroule Lmbese. L, on ne manque

    certes pas de tribuns

    49

    : le deuxime officier de la lgion est appel "tribun

    laticlave", du nom de la large bande de pourpre qui orne son vtement et qui

    indique qu'il est issu de l'ordre snatorial. Il a pour subordonn immdiat le

    prfet du camp, un chevalier, et, en dessous encore, cinq autres chevaliers

    galement dsigns comme tribuns, mais "angusticlaves", en raison de la bande

    de pourpre troite qui les distingue, ainsi peut-tre que le tribun sexmenstris,

    dont on a crit qu'il commande la cavalerie lgionnaire. Sous Septime Svre,

    un autre prfet se trouvait Lmbese, la tte d'u ne unit auxiliaire, la V le

    Cohorte de Commagniens

    50

    ; mais, de ce fait, il tait plac un rang

    infrieur n'importe lequel des tribuns. Donc la hirarchie comprend, du bas

    vers le haut, un prfet (de cohorte), cinq tribuns (angusticlaves), un autre

    prfet (du camp) et un autre tribun (laticlave), avec tout en haut le lgat. Cette

    organisation ne correspond pas du tout au De corona.De plus, le juge suprme

    dans ce district gographique est le commandant de la lgion, gouverneur de

    fait puis de droit de la Numidie, une province cre sous Septime Svre, une

    date inconnue avec certitude, mais sans doute dans les dbuts du rgne

    5

    . A

    supposer qu'il ait t empch, il tait remplac par le procurateur qui

    administrait les biens impriaux de Numidie : le cas

    s'est

    produit, plus

    tardivement dans le IIle sicle il est vrai

    52

    . Donc, sauf appel, qui se faisait

    auprs des prfets du prtoire, ce qui n'est manifestement pas le cas ici, le juge

    suprme portait le titre de "lgat imprial proprteur". Et cela non plus,

    Tertullien ne pouvait pas l'ignorer. Si le soldat chrtien avait appartenu la

    garnison de Lmbese, il aurait crit "et reus ad legatum .

    Quant la thorie de P. Franchi de' Cavalieri, elle ne rsiste pas l'examen

    pour deux raisons. D'abord le texte ne dit rien de tel. Bien au contraire, la

    rapidit du rcit incite penser l'unit de lieu pour la rbellion et pour la

    punition ; c'est du moins ainsi que l'ont compris tous les commentateurs.

    Ensuite, et la vie de s. Paul est assez connue pour qu'il soit inutile de proposer

    une trop longue dmonstration, les autorits de Rome ne peuvent juger les

    provinciaux qu 'en appel : les accuss doivent d'abord passer devant le

    gouverneur, qui n'est pas oblig d'accepter l'appe l Csar

    53

    .

    Alors , o ?

    48 . Dion Cassius, LUI, 13.

    49. Y. L E B O H E C ,

    La Troisime Lgion Auguste,

    1989, p. 119 et suiv.

    50.

    D u m me,

    Les units auxiliaires en Afrique Proconsulaire et Num idie,

    1989, p. 74.

    51 .

    D u m me ,

    La Troisime Lgion Auguste,

    1989, p. 119 et suiv., et 395-3 96.

    52.

    Il

    s'agit

    de L. Tit inius Clodianus : B .E.

    THOMASSON, Statthalter,

    II , 1960, p. 233-23 5,

    et

    R.E. ,

    Suppl. , XIII , 1973, col . 322.

    53 .

    V oir l 'exem ple trs clairant propos par Sutone,

    Galba,

    IX.

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    14/474

    16

    r A A A L E B O H E C

    Il faut carter A lexandrie. O n y trouve certes deux prfets la tte de l'tat

    major, le prfet de lgion et le prfet d 'E gypte ; mais il ne sont pas gaux

    entre eux, et seul le deuxime exerce les fonctions de juge suprme dans cette

    province.

    E n fait, il n'exis te qu 'un endroit qui puisse convenir : c'est R om e. O n peut

    prciser davantage : le rassemblement

    s'est

    tenu dans la grande cour des

    principia du camp qui tait situ l'est ducampus ou terrain de manuvres,

    au-del de

    Y agger,

    au nord-est de la

    porta Viminalis.

    En effet, d'une part, la

    hirarchie convient : la garnison de Rome est encadre par des tribuns qui ont

    pour suprieurs directs les prfets (du prtoire). Nous connaissons les deux

    paires de personnages qui ont occup ces fonctions pour l'poque qui nous

    intresse ; il s'agit de Laetus et Papinien, Q. M aecius Laetus et A emilius

    Papinianus, pour 205-211, de Laetus et peut-tre de V alerius Patruinus pou r

    211-212

    54

    . On pense donc d'abord aux prtoriens

    55

    , mais d'autres corps de la

    garnison de Rome taient sous les ordres de ces prfets et sous leur juridiction,

    comme lesurbaniciani

    56

    et lesquits singulares Augusti

    51

    , qui auraient donc

    pu faire l'affaire la rigueur. D'autre part, les prfets du prtoire ont le droit

    de condamner mort n'importe quel citoyen, et surtout un militaire si ce

    dernier est sous leurs ordres directs

    58

    . Ces deux sries d'arguments, qui se

    fondent sur la hirarchie militaire et le droit romain, devraient convaincre la

    critique. D'autres lments vont dans le mme sens. Les distributions d'argent

    n'allaient en rgle normale que vers la plbe de Rome et les prtoriens

    59

    . Mais

    comme ces derniers sont souvent dsigns, dans les textes littraires, par le mot

    de

    milites,

    certains commentaires htifs ont pu faire croire des distributions

    gnrales

    60

    . A joutons enfin que le mo ntanisme

    61

    est bien attest R ome, o

    d'ailleurs Tertullien avait fait un voyage

    62

    , alors qu'il n'est connu en A frique

    que par ce seul crivain. En consquence, si Tertullien ne dit pas o les

    vnements se sont passs, c'est parce que c'tait inutile ; tout le monde

    devinait, comprenait.

    54.

    A .

    PASSERINI,Le

    coortipretorie,R ome, 1939, p. 318-319, et W .

    ENSSLIN,R.E.,

    XXII,

    2, 1954, col. 2424.

    55.

    M.

    DURR Y,Les

    cohortesprtoriennes,1939 et 1968, 454 p. ; A .

    PASSERINI,Le coorti

    pretorie, R ome, 1939, 362 p. ; W. ENSSLIN, S.U. Praefectus praetorio, R.E. , XXII, 2,

    1954, col. 2391-2502 (pour le H aut-E mpire, partir de la col. 2426). L'emploi derufatus (I,

    3) a galement incit M.DURRY,ouvr.

    cit,

    p . 234, envisager l'appartenance de ce martyr au

    prtoire

    ;

    mais comm e il le reconnat lui-mm e, ce mot ne suffit pas prouver ces liens.

    56. H .FRE S,Die cohortes urbanae,

    Epigr.Stud.,

    II, B onn, 1967, 166 p.

    57. M. SPEIDEL, Die quits singulares A ugusti, Antiquitas,R. 1,Abhandl.

    . alten

    Geschichte XI B onn 1965 110 p.

    58 M.DURR Y ouvr

    cit,

    p . 171-174.

    59. E .DE RUGGIERO,Dizionario

    epigrafico,

    IV ,1962, p. 837-838.

    60. Y.LE BOH EC,

    L'arme

    romaine,1990, 2

    e

    edit., p. 229-232 .

    61. J.DANIELOUet H .-I.MARROU,Nouvelle Histoire

    de l'glise,

    I, Paris, 1963, p. 133.

    62. Tertullien,

    De

    cultufeminarum, I, 7.

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    15/474

    TE R TU LLIE N ,

    DE

    C O R ON A ,

    I

    17

    Les consquences de cette localisation, triples et importantes, dpassent

    largementlecadredel'anecdote.

    C'est d'abord l'histoire

    de

    l'arme romaine

    qui

    sort enrichie

    de

    l 'examen

    de

    ce texte. Tertullien exagrait incontestablement quand il affirmait que ses

    coreligionnaires remplissaient lescamps

    63

    .Cesderniers, bienaucontraire,ont

    toujours servi de bastion la tradition, au paganisme, et les militaires se

    rangeaient plus volontiers ductdesperscuteursque des perscuts. Sans

    doute les chrtiens taient-ils plus nombreux dans lesgarnisons de l 'O rient.

    Mais les prtoriens n'en ont sans doute pas compts beaucoup dans leurs

    rangs

    64

    ,

    et des recherches effectues rcemmentsur lesunitsdeB retagne

    65

    et

    d'A frique-Numidie

    66

    n 'ontpaspermisnonplusd'enretrouverun bien grand

    nombre.Deplus,si cesoldatabien servi danslecorps auquel nou s pensons,il

    s'ensuit qu'ilestplusqueprobablement originairedesprovinces danubiennes.

    En effet, auxl

    r

    etIle sicles ,lesprtoriens taient recrutsR om eet enItalie.

    Mais,

    en

    193,

    ils

    commirent

    la

    faute

    de

    vendre l 'E mpire

    aux

    enchres,

    ce qui

    profita Didius Julianus. Septime Svre, quandil se fut install R o me,les

    chassa tous de l 'arme et mit leur place ses propres lgionnaires

    67

    : ce

    faisant, ilpunissait lespremiersetrcompensait les seconds.AudbutduIIle

    sicle,

    on

    comptait dans leurs rangs

    une

    majorit d 'hom m es originaires

    de

    Thrace (174),de Pannonie (169)et deMsie (98)

    68

    .Ce que l'onaimerait bien

    savoir, c'est o lemilitaire du De corona a rencontr le christianisme, sans

    doute souslaformedumontanisme. Une hypothse peut tre propose. D ansle

    cas o sa conversion aurait eu lieu dans les provinces danubiennes, nous

    retrouverions un chanon manquant entre la Phrygie et Rome, pour la

    diffusion decette hrsiequin'aurait atteint Carthage qu 'ensuite.

    En second lieu, c'est bien entendu

    le

    christianisme

    en

    gnral

    et le

    montan i sme

    6 9

    enparticulier quiprofitent de cette analyse. Ce mouvement

    eschatologique,quiprnelacontinenceetpousseaumartyre,est n enPhrygie

    en 156; il

    s'est

    diffus enA sie ,o il aatteintsonapogeen172, puisR ome

    oil a tcondamnpar lepape Eleuthre (174-189).Letextedu De corona,

    I, 1-2, constitue unepice ajouter au dossier : lem ontanisme a galement

    atteint le camp des prtoriens puis Carthage. Mais ici les silences sont

    significatifs : cemartyr militairen'a pas tsuivipar sescollgues chrtiens,

    alors qu'ily enavait sescts d'aprs le texte. Tertullien galement semble

    avoir t bien seul danssaprovince,etpersonnene l'a imit danslesgarnisons

    de Carthageou deLmbese.

    C'est,

    en

    troisime lieu, toute l'uvre

    de

    Tertullien

    et

    peut-tre,

    par

    del,

    cellesdesautres Presde l'glise africains, commes.Cyprienet s.A ugustin,

    63.Tertullien,

    Apol.,

    XXXV II,

    4, et

    XLII,

    3

    (voir I,

    7).

    64.

    M.DURR Y,ouvr.

    cit,

    p. 348-357,etM l. J.BIDEZ ,1956, p. 85-90.

    65.

    G.R .WATSON,dansChristianity inBritain,1968, p. 51-54.

    66.

    Y.

    LE

    BOH EC,

    La

    Troisime LgionAuguste, 1989, p. 571-572.

    67.

    M.DURRY,ouvr.cit,p. 381-383.

    68. M.

    DURRY,

    ouvr.

    cit,

    p. 247-249

    ;

    A .

    PASSERINI,

    ouvr.

    cit,

    p. 171-180.

    69.

    J.

    DANIELOU

    et

    H .-I.

    MARROU,

    pass.

    cit.

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    16/474

    18

    r A A A L E B O H E C

    qu'il faut aborder avec un ilneuf. En effet, on ne pourra plus admettre sans

    autre forme de procs que tout ce qui intresse la vie quotidienne dans leurs

    crits concerne ncessairement l 'A frique

    70

    . Ils taient informs de ce qui se

    passait hors des limites de leurs provinces, et pouvaient utiliser ces

    renseignements pour illustrer leurs propos. A ussi, quand ce m me Tertullien,

    dans ce mme De corona,nous parle du voile des femmes juives (IV, 2), rien

    ne prouve qu'il pense des Juives de Carthage ou d'A frique.

    A insi, le dbut du De

    corona

    de Tertullien intresse l'interprtation des

    uvres des Pres africains, l'histoire du christianisme et de l'arme. Mais il est

    temps d'en terminer avec cette anecdote : ni Carthage ni Lmbese, mais

    Rome ; probablement le prtoire en 211.

    Yann

    LE

    BOHEC

    Universit Jean Moulin-Lyon III

    RSUM : Le trait de TertullienDe coronas'ouvre sur une anecdote qui intresse l'histoire

    de l'arme romaine lors d'une distribution d'argent, unsoldat jetteau sol sa couronne et refuse

    de servir davantage parce q u'il est chrtien. Tertullien ne dit pas os'estdroul cet vnement

    qu'il faut dater peut-tre de 208,plutt de211.Sur le lieu, les commentateurs se sont partags,

    les uns optant pour C arthage, les autres pour Lm bese, d'autre s enfin hsitant entre ces deux

    sites. Si on tient compte des pratiques judiciaires romaines et de la hirarchie militaire

    mentionne par le texte, un seul endroit convient : le camp des prtoriens de Rome. Cette

    localisation n'est pas sans consquences sur l'interprtation de l'uvre de Tertullien que l'on

    doit dornavant proposer.

    70.Pour la mthode, voir C.

    AZIZA,

    Tertullien et lejudasme,Pubi. Fac.L.S.H. Nice,

    XV I, 1977, p. 10-45, et Quelques aspects de la communaut juive de Carthage au Ile sicle

    d'aprs Tertullien,R.E.J., CXXXV II, 1978, p. 491-494.

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    17/474

    Revue

    des

    tudes Augustiniennes

    38

    (19 92 ) ,

    1

    9-28

    Sur quelques dfinitions

    de

    chez Jean Chrysostome

    Le Thesaurus Linguae Graecae offre plu sdemi l le sep t cents occurrencesde

    l 'ad jec tif -et de l 'adve rbe co r r e spondan t

    t rave r s l ' uv re

    de

    Jean

    C h r y s o s t o m e .

    I

    l n ' e s t v i d e m m e n t pas q u e s t i o n d ' e n v i s a g e r une t u d e de

    l ' ensemble

    de ces

    occur rences , d ' au t an t

    que

    nom bre d 'ent re e l les rep rsentent

    des emplois quas i sys tmat iques

    de cet

    adject if pou r qual i f ie r l ' ense igne m ent

    (

    )

    ,

    les discours

    (

    ou

    )

    2

    ,

    ou des t e r m e s m t a p h o r i q u e s

    ds ignan t le discours pas tora l , comme le fes t in ( -)

    3

    , la n o u r r i t u r e

    ( ou )

    4

    la t ab l e ( )

    5

    ,

    o

    u la s e m e n c e ( :)

    6

    . Cet te

    1. Voirpar ex.

    Cat.bapt.

    V, 12,

    SC

    50bis,p. 206 ; VI, 2, p. 216 ; VI, 14,p. 222 ;

    In

    Kalendas 3,PG48, 957

    ;

    In S.Romanum

    I,

    3,PG50, 610

    ;

    De

    mutatione nominum I

    V

    ,

    1,

    G

    51, 146

    ;

    I

    V

    , 6, 154

    ;

    De

    gloria

    intribulationibus

    1, G

    51, 156

    ;In illud

    :

    Propter

    fornicationes

    ... 1,

    PG

    51 , 208;

    In

    Genesim hom.XI, 4,

    PG

    53,95 ;XIII,1,1 05; XIV, 1,

    1 11 ; XV, 1, 118 ;XV III,5, 154 ;XXIV,1,206-207 ;XXV III,1, 252 ;XXX II,1, 293 ;

    XLI, 1, 374 ;

    serm.

    VI, 1,

    PG

    54, 605 ; VII, 5, 616 ;

    In Ps. XLIV

    1,

    PG

    55, 183 ;

    De

    prophetiarum obscuritate

    II, 1,PG56, 176;In

    Joannem

    III, 1,PG59, 38

    ;

    XLIII,

    2,

    248.

    Je

    remercie vivement Anne-Marie MALINGREY,qui

    m'aaide dans

    la

    prparation

    de la

    premire

    version de cette tude, prsente Oxford dans le cadre de la X I

    o

    Confrence Internationale des

    tudes Patristiques (19-24 aot 1991). Je remercie galement Monique ALEXANDREetA lainL E

    BOULLUECpour leurs conseilsetleur constante bienveillance, ainsi que Marie-PierreNOEL,qui

    m 'a grandement facilit l'utilisation du Thesaurus LinguaeG raecae.

    2 .

    Voir par ex. pour :

    In

    principium ctorumIV, 3,

    PG

    51 , 100;

    Demut.

    nom. I, 1,

    PG 51, 114

    ;

    In

    dictum Pauli

    :

    Nolovo signorare

    1,

    PG51, 242

    ;

    In Gen.

    hom.

    X,

    8,PG

    53,

    90 ;

    In Acta

    postolorumLV,3,

    PG

    60, 384 ; pour :

    De

    mut. nom. I,2,

    PG

    51 , 116;

    In

    Gen. hom. XIV, 1,

    PG

    53, 112;XXIV, 1,206.

    3.

    Voir par ex.Deproditione JudaeII, 1,PG49, 381

    ;

    In illud:Diligentibus Deum

    ... 1,

    PG

    51 ,166 ;In

    Gen. hom.

    II,1,PG53,26 ; VII, 3, 64 ; X, 1,81; XII, 1, 98 ;XXXI,1,

    283

    ;

    XLI,

    1, 374 ;

    XLVI, 1,PG54, 422

    ;

    LXI, 1, 525 ;De proph. obs.

    I,

    1,PG56, 165

    ; la

    mme appellation peut dsigner l'eucharistie, festin

    et

    bonne chre spirituelle (

    ) :

    In Mattheum

    XXV, 3,

    PG

    57, 331.

    4.

    Voir

    par

    ex. pour :DeS.Droside 1,PG50, 683;Inillud :Habentes eumdem

    spiritumI,1,PG51 , 273

    ;

    In Gen. hom. X,7,PG 53 ,90

    ;

    Inillud :N etimueritis... I,3,P G

    56,

    165 ; pour :

    Cat. bapt.

    IV, 27,

    SC

    50bis,p. 196 ; IV, 29, p. 197 ;

    In illud:

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    18/474

    2

    LAURENCE BROTTIER

    frquence n'en est pas moins l'indice d'un mot important, par ailleurs inconnu

    de l'A ncien Testament, ainsi que desEvangiles et desActes. Si l'on excepte un

    emploi de l 'adjectif par Pierre

    7

    et un de l 'adverbe par l 'auteur de

    Y Apocalypse*,

    le terme est paulinien, avec vingt occurrences de

    l adjectif

    9

    et

    une de l'adverbei : tant donn la prdilection de Jean pour l'aptre, cette

    adoption du mot n'a rien qui tonne. N ous nous demanderons d'ailleurs , au

    terme de cette enqute, dans quelle mesure les connotations pauliniennes du

    terme ont influ sur Jean.

    Philippe de R ancillac, dans son livreL glise, manifestation de l Esprit chez

    S. Jean Chrysostome

    11

    ,

    a consacr une analyse de vocabulaire -,

    appuye surtout sur les Catchses baptismales et dont le but est de montrer

    que le mot grec dit en fait beaucoup p lus que notre mot franais.

    en effet est prendre le plus souvent dans un sens fort : il ne s'oppose pas

    seulement 'matriel' ou 'charnel', mais il signifie ce qui appartient la

    sphre d'influence du S. E sprit, ce qui est porteur du S. E spriti

    2

    .

    N ous suivons totalement cette an aly se^ , et nous nous interrogerons, partir

    de quelques dfinitions chrysostomiennes, sur l'image que Jean nous donne de

    ce domaine spirituel. Nous nous demanderons en particulier quels rapports il

    entretient avec le monde ordinaire d'ici-bas, en montrant la double

    prsentation de ces rapports.

    Habentes eumdem ...

    II, 1,

    P G

    1, 281 ;

    In Gen.

    horn. IV, 6,

    PG

    53, 45 ; VIII, 1, 70 ; X, 2,

    83 ; X, 3, 84 ; XXIX, 2, 262 ; In Ps. CXLVII 4,PG 55, 484 ; In Jo. XVIII, 4, PG 59, 119 ;

    XLV, 1, 252 ; XLVI, 1, 257 ; XLVI, 2, 259 ;In Act. . VII, 2,P G 60, 65 ; XL, 3, 286.

    5. Voir par ex.

    Cat. bapt.

    VIII, 1,

    SC

    50bis, p. 248 ;

    In Gen. horn.

    , 4,

    PG

    53, 31 ; XIX,

    6, 165 ; XXII, 1, 185 ; XXXV II, 1, 342 ; XLI, 2, 377 ;

    serm.

    VI, 2,

    G

    54, 607 ;

    In Matth.

    XIX, 9,

    PG

    57, 286 ; LXX XIX, 4, 788 ;

    In. Ep. ad Hebraeos

    XVII, 4,

    P G

    63, 132.

    6. Voir par ex.

    Non esse desperandu m

    1,

    G

    51, 365 ;

    In Gen. horn.

    IV, 1,

    P G

    53, 40 ;

    IX, 1, 76 ; XX IV, 1, 207 ; XXX I, 1, 283 ; XLI, 1, 375.

    7. 1

    Pierre

    2, 14.

    8. Apoc. 11 ,8 .

    9.Rm. 1, 11; 7, 14;15, 27 ; Co. 2, 13 et 15;3 , 1; 9, 11; 10, 3-4 ;12 , ; 14, et 37 ;

    15 ,44-46

    \Gal.

    6, 1 ;

    Eph.

    1, 3 ; 5, 19 ; 6, 12 ;

    C ol

    1, 9 ; 3, 16.

    10. 1C o. 2, 14.

    11.

    Beyrouth, 1970, p. 94-108.

    12 .Ibid. p. 94.

    13.E lle pourraittre toffe, notamment par les commentaires que Jean fait

    d

    e l'opposition

    paulinienne entre - et - (1

    Co.

    2, 14)

    :In Jo.

    XXIV, 2 ,

    PG

    59, 146

    ; In Ep.

    I ad Corinthios VII, 5,P G 61, 61 ; et une formule chrysostomiennersume cette conviction :

    "Celui qui est n de l 'Espri t est sp ir i tuel" ( - - -

    ) :

    In Jo.

    XXVI, 1,

    PG

    59, 154 ; cette formule reprend en la modifiant la parole du Christ

    Jn

    3 , 6 ) : - .

  • 7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2

    19/474

    CHEZ JEAN CHRYSOSTOME

    21

    I. -L

    '

    ANTITHSE ABSOLUE

    ENTRE

    L

    '

    UNIVERS ORDINAIRE

    ET

    L

    '

    UNI

    V

    ERS

    SPIRITUEL

    A premire lec ture , on est surtout frapp par les v igoureuses ant i thses que

    Jean t race ent re le monde spi r i tue l e t le monde d ' ic i -bas , qu ' i l qual i f ie de

    c h a r n e l ( / / )

    i4

    , d ' h u m a i n ( - /

    /

    )

    5

    , d

    e

    "co

    r

    po

    re l

    " ( -

    )

    6

    ,

    d e s e n s i b l e

    ( )

    7

    , de "liaux ncess its de la vie"( -)

    8

    , ou plus rarement de

    t e r r e s t r e

    ( -

    )

    9

    ,

    de na tu re l

    ( -

    )

    20

    ,

    d e m o n d a i n

    ( -

    )

    2

    ,

    14.

    V

    oir par ex.Cat. bapt.

    V

    III, 23 ,SC50bis, p. 259

    ;Pangyriquesd eS.Paul

    III, 7,

    SC

    300, p. 174

    ; In

    Gen.horn. I, 4,

    PG

    53, 25-26

    ;

    , 5, 37

    ;

    I

    V

    , 2, 40-41

    ;InPs.

    XLIII 2,

    PG

    55, 170

    ;InJ o.

    XLIV, 1,

    PG

    59, 248

    ;

    XL

    V

    II, 2-3, 265-266

    ;

    XL

    V

    III, 3, 273 ; LIU, 1, 292 ;

    In Ep. adRomanos

    XIII, 1,

    PG

    60, 50 7 ; XIII, 4, 513 ; XIII, 6, 516

    ;

    XIII, 7, 518 ; XIV, 7,

    533

    ;

    XXX, 1, 662

    ;

    InEp .I a d

    Cor.

    VIII, 1, PG 61 , 67-68

    ;

    XXI, 4, 174

    ;

    XXIX, 5, 246

    ;

    In

    Ep.

    adEphesios

    I,

    1,PG

    62, 11

    ;In

    Ep.

    adHebr.

    XIII, 2,

    PG

    63, 104

    ;

    XIV, 2, 111

    ;

    XX, 4,

    148.

    15.Voir par ex.Decruceetlatrone , 1,PG49, 407;InGen.horn. I, 4,P G53, 25-26 ;

    XXXI, 1, 283 ; LXVI, 3,PG54, 570;InPs.XLIV 1,PG55, 183;InJo.I, 2,PG59, 26 ;

    XLVn, 3, 266;InAct.Ap.I, 3,PG60, 18;LIII, 4, 372;InEp. ad Rom.I, 4,PG60, 400 ;

    InEp. I adCor.VII, 3,P G61, 58

    ;

    VII, 5, 61

    ;

    InEp. adColossensesII,1,PG62 , 309.

    16.Voir par ex. Cat.bapt.I, 16,S C50bis, p. 116 ; IV, 4, p. 184 ; VIII, 20, p. 258 ;

    Pangyriques de S. PaulIII, 9,S C 300, p. 178

    ;

    In S.Eustathium2,PG 50, 601

    ;

    In illud :

    Utinam sustineretis

    ... 1,PG 51 , 301

    ;In

    S.

    Pascha

    4,PG 52, 770

    ;In

    Gen.horn. IV, 6,PG

    53,45 ; X, 4, 86

    ;

    X, 7, 89

    ;

    XXXII, 1, 293 ;serm.VI, 2,PG 54, 607

    ;

    DeAnnaIV, 2,PG

    54,

    661

    ;

    In

    Jo .

    XLVI, 2,

    PG

    59, 259

    ;

    In

    Act.

    Ap.

    XII, 4,

    PG

    60, 132

    ;

    XIX, 1, 151

    ;

    LV, 3,384

    ;In

    Ep. ad Rom.

    XIV, 2,

    PG

    60, 526

    ;In

    Ep. ad Hebr.

    VIII, 1,

    PG

    63, 67

    ;

    XVI, 2, 125.

    17. Voir

    par

    ex.

    De

    Ss.

    Martyribus

    2,

    PG

    50, 649

    ;In illud Si esurient...

    2, PG 51, 175 ;

    In illud :Habentes eumdem spiritum

    I, 1, PG 51, 273

    ;

    I, 9, 279 ; III, 1, 291

    ; In

    Gen. horn.

    II,4,

    P G

    53, 31

    ;

    III, 5, 37

    ;

    IV, 2, 40-41

    ;

    X, 7, 89

    ;

    XIV, 1, 112

    ;

    XV, 1, 118 ; XVI, 1,

    125-126

    ;

    XXII, 1, 185 ; XXXIII, 1, 306

    ;

    XLI, 2, 377 ; XLV, 1,

    PG

    54, 414

    ;

    LX, 4, 524 ;

    In Ps. V

    1,

    PG

    55, 61

    ;In Ps.

    CXXVII 4, 370

    ; In Ps.

    CXL 4, 432

    ; In

    Matth.XV, 4,

    PG

    57, 228

    ;In Jo .

    XXXII, 2,

    P G

    59, 184-185 ; XXXIV, 1, 193 ; XXXIV, 2, 195 ; XLIII, 2,

    247-248

    ;

    XLV, 1, 252

    ;In

    Ep.

    ad Rom.

    XIV, 2,

    PG

    60, 526

    ;In

    Ep.

    I a dCor.

    IV, 6,

    PG

    61,

    38;XXIII, 2,PG 61, 190-191.

    18.Voir par ex.

    Commentaire sur Isaie

    Vili, 2,SC304, p. 346

    ;

    Cat.bapt. VIII, 16,SC

    50bis, p. 256 ; VIII, 19, p. 257 ; Pangyriques de S. PaulVII, 2, p. 296 ;Ad populum

    Antiochenum

    III, 3,

    G49, 51 ;In S.Barlaam 1, G50, 675

    ;

    De

    mut.

    nom.I, 1, PG 51,

    113 ; II, 3, 128 ; IV, 1, 145 ; IV, 4, 151

    ;

    In illud : Si esurierit ...3 ,PG51, 176 ;In Gen.

    hom. VIII, 6, G53, 75 ; XXIX, 2, 262 ; LXIII, 5,PG54, 546

    ;

    serm.VI, 1,PG 54, 605 ;

    In Ps./V, 3,PG55, 44

    ;In

    Ps.

    IX

    6, 129-130

    ;

    In Matth.II, 5,PG57, 29 ; V, 1, 55 ; XIV,

    3,

    221 ; XXII, 4, 305 ; XXXII, 7, 385 ; XL, 4, 443 ; LV, 6,

    PG

    58, 548 ; LX, 3, 588 ;

    LXVIII, 5, 648 ; LXXXIX, 3, 785

    ;InJo.

    , 5,

    PG

    59, 36 ; XXII, 3, 138 ; XXX, 3, 174-

    175

    ;

    XXXI, 3, 179

    ;

    XXXIV, 1, 193

    ;

    XLV, 1, 251

    ;

    XLVI, 4, 261 ; LXXXVIII, 3, 481

    ;In

    Act. .

    XLV, 4,

    PG

    60, 319

    ;In

    Ep.

    ad

    Rom.XXVI, 4,

    P G

    60, 642

    ;In

    Ep .

    adHebr.

    II, 4,

    PG

    63 , 25 ; VIII, 1, 67

    ;

    VIII, 4, 75-76

    ;

    XX, 4, 148.

    19.Voir

    par

    ex .Demut. nom.IV, 1, PG 51, 145.

    20. Voir par ex.

    In

    Ps.XLIX 9,PG55, 254

    ;In

    Ep. ad Rom.XII, 6,PG60, 502.

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    22

    LAURENCE BROTTIER

    de "dp rav " ( -)

    22

    , de sa t an iq ue ( )

    2 3

    , d e d i a b o l i q u e

    ( -

    )

    24

    ,

    ou

    m m e d e " ju i f (

    )

    ,

    dans la mesure

    o les deux

    enfants de Juda e t de Thamar reprsentent l 'un l 'gl i se , l ' au t re la Synagogue,

    cons t i tuant le type des deux peuples e t anno nant le genre de v ie ju i f

    ( -

    - -

    ) et le genre de vie

    sp

    i

    ri

    tuel

    " ( -

    )

    25

    .

    Jean ins is te volont iers sur l ' an t inomie absolue ent re ces deux sphres par des

    fo rmules comme -

    26

    ,

    2 7

    , ou

    2 8

    . est vrai

    que cette htrognit avait dj t souligne par Paul qui aff irmait dans la

    Eptre aux Corinthiens que l 'o n confirme les ch

    os

    e

    s

    spir i tuel les par les ch

    o s

    e

    s

    Spiri tuel les ( -)

    29

    .

    L a sphre spi r i tue l le es t absolument dgage des cont ra in tes qui psent sur

    l 'univers ordinai re .

    C est

    en ce la sur tout que les deux mondes s 'opposent . Tout

    d 'abord , le monde spi r i tue l es t sous t ra i t l ' ac t ion du temps (

    ) : a i ns i, l es re st es d u r e pa s s pi ri tu e l p e u v e n t t r e consomms

    21 .V oir par ex.

    In Matth.

    XXIII, 4,

    PG

    57, 313 ;

    In Jo.

    LU I, 1,

    PG

    59, 292 ; L XXV, 5,

    409.

    22.Voir par ex.

    In Ps.

    XLU 1-2,

    PG

    55, 157.

    23.Voir par ex.In Matth.XX XII, 8,PG 57, 388;In E p. ad Eph.XIX, 2,PG 62, 129;In

    Ep.

    ad Col.

    IX, 2,

    G

    62, 362 ; en particulier , la lourdeur satanique ( - )

    s'oppose la pense lgre ( ) lie la grce spirituelle ( -

    ) In Matth. , 5,PG57, 30.

    24.Voir par ex.In Matth.VII, 6,PG57, 80.

    25 .

    In Gen. hom.

    LXII, 1,

    PG

    54, 533-535 ; le commentaire de

    Eptre aux Ephsiens

    montre que ce genre deviejuif ' se caractrise par un attachement aux choses de la terre. Jean

    oppose en effet la bndiction spirituelle ( voque par Paul(Eph.1, 3),

    qui ne concerne pas la vie terrestre ( | yfj) et lesbndictions telles que les Juifs les

    concevaient, consistant en un pays o coulent le lait et le miel (cf.

    Ex.

    33, 3;Deut 15,4;

    Is.

    1, 19 ;

    Ps.

    85 (84), 13)

    (In Ep. ad Eph.

    I, 1,

    PG

    62, 11). Et s ils ne conoivent rien de

    spirituel,

    c est

    qu' ils bent devant les objets de leur gloutonnerie

    (apb

    )

    In Jo.

    XLV, 1,

    PG

    59, 251). Ces jugements souvent trs pjoratifs sur les Juifs

    sont frquents chez Jean ; pour une tude approfondie des relations entre le prdicateur et les

    Juifs, voir : R.L.

    WILKEN,John

    Chrysostom

    and the Jews,

    Berkeley-Los Angeles-Londres,

    1983.On trouve dans le commentaire de

    Rom.

    7, 14, une exgse plus surprenante et un peu

    mystrieuse:Jean interprte la loi spirituelle comme la loi mosaque, considrant la loi nouvelle

    apporte par le Christ comme une loi qui n'est plus seulement spirituelle, mais qui est E sprit In

    Ep. ad Rom.

    XIII, 4,

    PG

    60, 513).

    26.Voir par ex.

    De Cruce et

    latroneII, 1,

    PG

    49, 407 ;

    De Ss. Mart.

    2,

    PG

    50, 649;

    In

    Gen. hom.VIII, 1,PG 53, 70 ; , 1 , 306 ; XL, 1 -2, 377 ; XLV, 1,PG54, 414.

    27.Voir par ex.Pangyriques

    d e S. Paul

    VII, 2,

    SC

    300, p. 296;

    In

    Matth.L V, 6,

    PG

    58,

    548.

    28.

    Voir

    par

    ex.

    InS.Barlaam

    1,

    P G

    50, 675

    ;In illud :Utinam sustineretis .. .

    1,

    P G

    51,

    302; In Gen.hom. XL V, 1,PG 54, 414 ;serm.VII,

    1,

    P G 54, 605. E n particulier, rien n'est

    plus impropre saisir les ralits spirituelles que les raisonnem ents ( ) humains, terme

    le plus souvent

    pjoratif chez Jean:

    In

    Jo. XXIV,

    3,PG

    59,146;XX V, 1, 149.

    29.

    Co.

    2,

    13,

    comment

    In Ep. I ad

    Cor VII, 4,

    PG

    61,59 ; cf.

    infra

    p. 26.

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    CHEZ JEAN CHRYSOSTOME

    3

    aprs n'importe quel laps de temps

    30

    , la semence spirituelle donne un pi

    aussitt ( ), san s avoir besoin de maturation

    3

    1

    ; contrairement au feu

    d'aujourd'hui qui demain sera cendre, les ralits spirituelles dem euren t sans

    cesse resplendissantes

    ( ),

    e t

    mm e, leur clat augmente de

    jo ur enjour" (xcci

    )

    32

    .

    Cette

    sphre se trouve

    l'abri des alas de la vie humaine et charnelle ol'on ne trouve rien de sr ,

    rien de stable, rien de fixe

    ( ,

    ,

    )

    :

    elle offre des biens "srs,immuables, qui n'admettent pasde changement et se

    prolongent la mesure de l 'ternit ( )

    33

    .

    L'homme spirituel, percevant le prolongement ternel de toute chose, a donc

    des ractions totalement paradoxales, inverses par rapport aux ractions

    courantes :par exemple, quand il voit une croix, l'homme ordinaire prend le

    deuil ; l'homme spirituel au contraire, cause de cette vision largie qui

    englobe la rsurrection, se rjouit en vo yant la mme croix. Jean gnralise

    cette constatation

    :

    Telles

    so

    nt absolument toutes les ralits spirituelles

    (

    )

    ,

    en

    oppos

    iti

    o

    n avec les habitudes

    humaines

    ( - TTJ

    )

    34

    .

    S

    i la sphre spirituelle n'est plus soumise au temps, elle est galement

    libre de la tutelle des lois, qu'elles soient naturelles ou introduites par le

    pch. U ne maternit miraculeuse

    35

    reoit la mme explication que laprsence

    vivifiante d'un martyr, pourtant loign dans l'espace comme dans le temps :

    -

    36

    . D e mme, l 'homme spiri tuel est

    inaccessible la maladie comme la pauvret ; le pasteur en prend pour

    exemple Paul dans les temps anciens et les solitaires actuellement

    37

    . C'est le

    pch qui a, selon Jean, introduit une autre loi, celle de la domination de

    30 . In Gen. horn. XL, 1,PG 53 , 368-3 69 ; cf. XX II, 1,P G 53, 185.

    31. Non esse desperandum 1,P G 51, 365 : - -:

    , , , - -, -

    . J ean oppose de mme la longue gestation

    du foetus au renouvellementimmdiat opr lorsdu baptme: In Jo. XXVI, 1,PG 5 9 ,1 5 3 .

    32 .In Jo. XLIV, 2,P G 59, 250.

    33 . In Gen. horn.I, 4, PG 53, 25-26 ; cf. In Gen. horn. , 4 , PG 53 , 85-86 : pour celui

    qui a

    reu le regard

    d

    e l'Esprit, le temps appara

    t

    d

    ans sa totalit : le futur est peru comme

    d

    u

    prsent, voire comme du pass ( ) et T o n discerne l'in visib le (

    ) .

    34 .

    De Cruce et latrone

    II, 1,

    PG

    49 , 407.

    35 . De Anna

    III, 2,

    P G

    54, 656.

    36 In S.Eustathium 2 ,PG 50 , 601 :

    ' ' ,

    - , -.

    37 .In Hebr. XXXIV, 3 ,PG 63, 236 ; cf. In Matth. XL, 4,P G 57, 443 : l'homm e spirituel

    n 'est pas atteint par la .

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    LAURENCE BROTTIER

    l'homme sur la femme, dsormais infrieure

    38

    . Or, dans le domaine spirituel,

    l'galit est rtablie l'intrieur du couple

    39

    .

    Jean aime aussi opposer les efforts normes ncessaires dans le domaine

    matriel, par exemple ceux des chercheurs d'or, pour un profit minime, et les

    efforts lgers demands dans l'univers spirituel pour une abondance qualifie

    d'indicible

    ( ). Cette assert ion, ici encore, est

    gnralise :

    40

    .

    Si les efforts sont moindres dans le monde spirituel, les risques y sont

    inexistants, puisque ce domaine est l'abri des alas humains : L e trsor

    spirituel ne peut tre diminu ni par l'attaque des voleurs, ni par la perversit

    des serviteurs, ni par tel ou tel autre facteur

    41

    . On ne peut connatre non plus

    de perte subite, du fait d'un retournement de fortune

    42

    , car ces biens se

    maintiennent constamm ent au niveau le plus haut

    43

    . Mieux encore, le partage

    qui diminue pour chacun les fortunes matrielles augmente les gains

    spirituels

    44

    .

    .- L'UN IVER S SPIR ITUEL,M TAM ORPHOSE D E L 'UN IV E R S O RDINA IRE

    U ne lecture plus attentive rvle une prsentation plus subtile des rapports

    entre les deux univers : l'antithse est dpasse, car l'action de l'E sprit investit

    les objets et les valeurs de l'univers ordinaire et les mtamorphose en un

    univers spirituel, vritable monde renvers. L 'ide de mtam orphose se

    dgage nettement de la double affirmation de Jean dans son commentaire de

    38.Voir par ex.In Gen. horn.XVII, 8,PG 53, 144-145 ;serm.IV, 1,PG 54, 594-595 ;

    In

    Ep.

    I ad

    Timotheum

    DC,

    1, PG 62, 543-544.

    39Commentaire

    sur haie

    VIII, 2, trad. A .

    LIEFOOGHE,SC

    304, p. 346 : Il n'en va pas

    comme dans l'ordre matriel ( - ) :l, les sexes sont spars, autres

    sont les occupations des hommes, autres celles des femmes, sans qu'il soit possible aux uns et

    aux autres de les changer ; quand il

    s agit

    de l'ordre spirituel ( ), les

    combats sontgaux et les couronnes semblables . D e mme, l'esclave est notre gal en dignit

    ( ) dans le domaine des biens

    suprieurs et spirituels

    ( -

    -)

    In Jo.

    XXVI, 3,

    PG

    59, 157.

    40.In G en. horn.

    Vili, 1,

    PG

    53 , 70 ; cf.

    supra,

    n. 34.

    41 .Ibid.

    horn.

    LXVI, 3,

    PG

    54, 570.

    42.

    Ibid.

    horn.X I, 2,P G 53, 93.

    43.In

    Ss.

    Juventinum etMaximinwn 1,P G

    50, 571-572.

    44.Voir par ex.In G en. horn. XLV,

    1,

    PG54, 414 : Les biens spirituels se comportent

    l inverse

    de s

    biens sensibles * -

    -

    ).

    Dans

    ce

    dernier cas, l'abondance de la tableentrane une dpense et diminue la fortune de l'hte;dans le

    premier cas, c'est tout le contraire:plus nombreux sont les participants, plus augmentera pour

    nous l'abondance"

    ;

    cf.D e Ss.Mart.2, G50, 649

    ;In illud Habentes eumdem spiritum

    I, 1,

    PG

    51 , 273 ;

    In Gen. horn.

    Ill, 1,

    PG

    53, 32 ; Vili, 1, 70 ; XV, 1, 118 ; XLIV, 1,

    PG

    54,

    406;

    In Ps.XUII 2, PG

    55, 1 69-170.

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    C HEZ JEA N C HRY SO ST OM E

    25

    Yptre aux Romains :" De m m e que ceux qui reoiven t les a i les de l 'E spr i t

    r enden t mme l eu r co rps spi r i tue l (

    )

    ,

    de

    mme ceux qu i se sauvent lo in de l 'Espr i t p our tre esclaves du ventre et du

    pla is i r font mme de leur me de la chai r

    ( ) .

    C'est le Christ qui rend la chair

    p

    lu

    s lgre et plu s spir i tuel le (

    )

    ,

    non qu ' i l change

    s

    a na tu re , ma i s plutt parce qu ' i l lu i

    donne des a i l e s

    4 5

    ." D ' a i l l eu r s l e Chr i s t l u i -mm e , en ense ignan t l e "N otre

    P re" a n o n c une demande sens ib l e ( ) , ce l le du pa in quot id ien ,

    devenue sp i r i t ue l l e pa r l a m an i re don t e l l e e s t fo rmu le

    (

    ), tant donn la modra t ion de la demande d 'une par t

    et le retour rapide des requtes d 'ordre spi r i tue l d 'aut re par t

    4 6

    .

    L ' a jou t de l ' ad j ec t i f

    -

    une no t ion couran te en t r ans fo rme

    rad ica l emen t l e sen s , no u s le v o y on s d ' a p r s l e s e x e m p l e s s u i v a n t s . Le

    vocabulaire du culte est con serv, mais i l s agit d 'u n cul te sp i r i tue l (

    )

    , s

    an

    s

    rien de visible et

    s

    an

    s

    p

    r

    tre

    4 7

    . E

    n part iculier , la notion de

    sacrif ice, si impor tante dans l ' anc ienne a l l iance , es t maintenue , mais dans le

    sacrif ice spir i tuel ( )

    48

    on n ' e x i g e plus de v ic t ime vivante ,

    ma i s des membres mor t s au

    p ch . Jean l ie l ' ad jec t i f deux

    aut res qual i f ica t i fs , no uve au

    ( -

    ) e t pa rado xa l

    ( -

    )

    ,

    adjectifs

    typ iques de la nouvelle al l iance et du monde de l 'E sp r i t

    4 9

    . O n voit ga l emen t

    s ' ag rand i r ou s ' inverser le p ouvo i r d 'obje ts de la v ie courante . Ain s i , le miroir

    spi r i tue l

    (

    )

    ,

    const i tu par le souveni r des hommes de

    bien , par la lec ture de l'E cr i ture , par les lo is divines , ne se con ten t e pas de

    rf lchi r une image : il a le p ouv o i r de l ' embe l l i r

    5 0

    . O u encore , l o r squ 'on

    e n t e n d

    p

    a

    r

    le

    r

    d ' a r m e s ,

    o

    n imag ine qu ' e l l e s v i sen t

    l ' a n a n t i s s e m e n t d ' u n

    ennemi . Or les armes spi r i tue l les

    (

    )

    ,

    s igne de cr

    o

    i

    x

    5

    o

    u

    paroles d 'ac t ion de g rce s

    5 2

    , sont lances "n o n p our abat t re mais pour relever

    ceux qui

    so

    nt

    t e r r e

    5 3

    .

    L

    e

    s

    termes ds ignant des ra l i ts mpr isables s ' i l en

    es t , les ralits commerc i a l e s , sont trs souven t u t i l i s s pdagog iquemen t pa r

    J e a n . Ce vocabula i re de la f inance , access ib le to u s , est t ranspos dans un

    45 .

    In Ep. ad Rom.

    XIII, 7,

    PG

    60 ,517-5

    1

    8 ; cette mtaphore

    d

    e l'allgement s'oppose

    celle

    d

    e l'alour

    d

    issement satanique, cf.

    supra

    n. 23.

    46.In Jo.

    XLIII, 2,

    PG

    59, 247-248.

    47. In Ep. ad Hebr. XIX, 1,P G 63, 139.

    48.

    In Gen. horn.LX, 4,PG 54, 524 ; cf. In Ep. ad Rom. II, 2,PG 60, 403 :"Ce n'est pas

    avec

    d

    es brebis,

    d

    es veaux,

    d

    e la fume et

    d

    e la graisse o

    d

    orante que se ralise le genre

    d

    e

    sacrifice que nous pratiquons, mais avec une me spirituelle"(i|/^ -) ;

    In Ps.

    CXL

    y

    4 , PG 55, 432 ; In Matth. XL VII, 3, PG 58, 485 ;In Ep. ad H ebr. XIII, 3, PG 63,

    106; XIV, 2, 111.

    49.

    Voir par ex.

    In Matth.

    XV, 4 ,

    P G

    57, 228 ; XXXII, 4, 381.

    50. In M atth. IV, 8,PG 57, 49.

    5

    1

    . In Ep. I ad Cor.XII, 7, PG 61, 106.

    52. In Matth. II, 4,PG 57, 29 ; cf. In Jo. XXX, 3 ,P G 59 , 174 : les paroles de l'criture

    sont des "armes spirituelles".

    53. In illud : Filius ex se nihil facit

    1,

    PG

    56, 248.

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    26

    LAURENCE BROTTIER

    autre ordre de ralits l'aide de l'adjectif - . A in si, Jean p arlera

    volontiers d ' a ffa ire ( )

    54

    et de co ntrats ( )

    55

    spirituels,

    d ' argent ( )

    56

    et

    d' or

    ( )

    57

    spiri tuels , de det te ( )

    58

    ,

    d' intrts

    ( - )

    59

    , de c om merce ( )

    6 0

    spirituels. Plus qu'une

    simple mise au niveau des auditeurs, il y a l, de la part du prdicateur, un

    dsir d'intgrer leur univers tout entier dans une nouvelle construction

    spirituelle : ils reconnaissent leur systme de valeurs et leur vocabulaire pour

    en apprendre un sens nouveau et une dimension inattendue.

    Au terme de cette enqute, une question se pose : qu'a fait Jean de ce mot

    d'origine paulinienne ? Comm e l'aptre, il emploie spirituel au sens fort,

    pour dsigner ce qui relve de l 'E sprit

    61

    . A l'instar de l'ap tre, il affirme

    volontiers l'antithse entre deux ordres de ralits et de perspectives

    62

    . Mais,

    s'il a beaucoup repris l'opposition entre - et -

    63

    , l'antithse

    - / -,

    trs importante chez Paul, n'est pas trs familire

    Jean. Tout au moins dans les termes

    64

    ; car l ' ide paulinienn e d'un e

    htrognit radicale entre le point de vue du spirituel et celui du non

    spirituel, - qui fait dire l'aptre : L'homme psychique n'accepte pas ce qui

    vient de l'esprit de