38 REAug 1992 nr. 1-2
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Revue des tudes Augustiniennes 38 (1992), 3-5
Dom Pierre-Patrick Verbraken, OSB
(1926-1992)
La mort subite du Pre Verbraken en a surpris plus d'un, non seulement ses
confrres au milieu desquels il s'effondra au soir du 22 fvrier dernier,
terrass par une crise cardiaque, mais aussi tous ses nombreux amis, avec
lesquels il tait en relation, et qui apprirent la nouvelle dans les jours suivants.
Depuis quelque temps, le Pre Patrick avouait prouver une certaine fatigue,
mais il continu ait nanmoins assurer sa fonction de directeur de la
Revue
Bndictine et poursuivre ses propres travaux. Il est mort la tche.
Il tait n Anvers le 26 fvrier 1926. Entr l'Abbaye de Maredsous en
juillet 1944, il y fit ses tudes de philosophie (1945-1947) aprs sa profession
religieuse, puis passa deux annes (1947-1949) l'Universit de Louvain pour
des tudes de philologie germanique. Revenu Maredsous pour ses tudes
thologiques, il y est ordonn prtre le 20 juillet 1952. Il retourna nouveau
Louvain pour la prparation de son doctorat en thologie (1952-1956) et de sa
thse sur "Le commentaire de saint Grgoire au Premier Livre des Rois"
(1957), laquelle parut peu d'annes aprs, en 1963, dans le Corpus
Christianorum
t. 144.
Appartenant une abbaye o s'taient illustrs des Bndictins de renom,
comme Ursmer Berlire, Raymond Thibaut, Donatien De Bruyne, Germain
Morin, Bernard Capelle, et d'autres, le Pre Verbraken se trouvait au
lendemain de ses tudes en un milieu idal, conforme ses gots et ses talents
d'historien et de patrologue. Une orientation plus particulire se dessina bien
vite, orientation qui allait faire de lui l'un des grands spcialistes de
l'homlitique augustinienne. Dom Germain Morin (1861-1946), qui s'tait
consacr , ds 1887, l'dition des Sermons de saint Cs aire, et s'tait illustr
en 1930 avec l'dition du texte critique de quelques cent-vingt "Sermones post
maurinos reperti", avait pass le flambeau Dom Cyrille Lambot (1900-
1968).
Celui-ci, son tour, allait enrichir la collection des Sermons d'Augustin
de nouveaux textes et se faire une renomme inconteste en la matire. C'est
dans la ligne de ces rudits que Dom Verbraken va prendre rang.
Bnficiant non seulement de l'exemple et de la mthode de ses devanciers
mais aussi de toute la documentation qu'ils avaient eu soin de rassembler, Dom
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PIERRE-PATRICK VERBRAKEN
Verbraken inaugure ds 1958 ses ditions critiques des sermons augustiniens
avec la publication dans laRevue b ndictinedes nouveaux textes des Sermons
56 et 215. Suivront, deux ou trois ans d'intervalle, les ditions de onze autres
sermons et de douze fragments de sermons. Cette frquentation constante de
l'uvre de saint Augustin, partir des manuscrits, l'amnera publier en 1976
dans la collection "Instrumenta patristica", un livre fournissant pas moins de
544 notices sur chacun des sermons, anciens et nouveaux, attribus Augustin,
avec prcision du sujet, de la date, du lieu de prdication, de l'tat du texte, et
de son authenticit ; ce livre intitul :Etudes critiques sur les Sermons de saint
Augustin
est devenu le manuel indispensable pour quiconque aborde l'tude
d'un sermon d'Augustin, et il perptuera pendant longtemps la mmoire du
Pre Verbraken.
Il fut adjoint vers 1959 Dom Cyrille Lambot qui, atteint par une grave
affection des yeux, ne pouvait que trs difficilement assurer, en plus de ses
travaux rudits, la direction de la
Revue bndictine
qu'il assumait depuis
1957. Dix annes durant ce fut un travail de collaboration troite entre le
matre et le disciple, temps de "formation de la relve", comme l'a crit Dom
Verbraken dans la notice biographique qu'il a consacre avec beaucoup de
pit et de ferveur Dom Cyrille, dcd le 29 aot 1968 en la fte de saint
Augustin (cf.
Revue bndictine
t.79, 1969, p.1-22).
Trs pris, depuis lors, par la direction de cette Revue le Pre Patrick
continua nammoins fournir de prcieuses contributions en divers
priodiques, ou l'occasion de Colloques et Congrs (une centaine d'articles et
notices au total, dont la liste complte sera donne dans la flev.
bn.
n 3-4 de
1992). On y voit une confirmation de sa parfaite connaissance du dossier
augustinien, et de sa matrise dans l'tude des textes. Pour clbrer le
"Troisim e centena ire de l'dition ma uriste de saint Au gustin" , l'Ins titut
d'tudes Augustiniennes, install sur les lieux mmes o cette Editio maior fut
ralise, avait tenu inviter le Pre Verbraken, comme l'un des meilleurs
reprsentan ts de la tradition des Mauristes. Il avait, cette occasion, retrac
en une douzaine de pages l'histoire des "ditions successives des 'Sermons' de
saint Augustin", de l'dition princeps d'Amerbach (1494-1495), celle du
Corpus Christianorum
pour les cinquante premiers sermons. Et il concluait :
"Lors du beau congrs tenu Rome en septembre 1986..., j'ai expos ce que,
mes yeux, doivent tre les jalons pour une dition critique des sermons sur le
Nouveau Testament. En particulier, j'y ai prcis la valeur de la collection De
verbis Dom ini et Apostoli et j'y ai justifi le choix des sermons-tests dj
publis en priorit." Ces lignes sont un peu son testament. Le grand souhait du
Pre Verbraken tait d'diter dans les prochaines annes, la suite de Dom
Lambot, les Sermons 51 147, puis 148 183, dont il avait donn plusieurs
chantillons.
A l'occasion du centenaire de la
Revue bndictine
au titre de directeur, il
organisa, le 25 mai 1984, un trs belle journe dont il est rendu compte dans le
tome 184, de la mme anne. Dans ce fascicule commmoratif, intitul "Cent
annes d'rudition ecclsiastique : La 'Revue bndictine' 1884-1984", le Pre
Patrick rendait un juste hommage tous ses devanciers la direction de la
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PIERRE-PATRICK VERBRAKEN
5
Revue, et tous ses confrres anciens et nouveaux de l'Abbaye de Maredsous
pour leur apport scientifique, un sicle durant, au service de l'glise.
Je ne veux pas terminer cette brve notice sans voquer les relations suivieset amicales que j'ai entretenues avec le Pre Patrick durant prs de 40 ans ; que
d'avis et de conseils il m 'a fraternellement prodigus pour un mm e idal Je
suis certain que beaucoup lui rendront le mme hommage.
org sFOLLIET
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Revue des tudes Augustiniennes,
38 (1992), 6-18
Tertullien, Decorona, I :
Carthage ou Lmbese ?*
Le trait de Tertullien
Sur la couronne
dbute par une anecdote qui
concerne la vie quotidienne, lesrealia du monde romain au dbut du IIle sicle
de notre re : lors d'une distribution d'argent, un soldat renonce sa couronne
et annonce qu'il est chrtien. Il est ensuite jug, condamn, sans doute excut,
devenant ainsi un martyr. Les lments concrets qui nous sont prsents cette
occasion confrent ce passage beaucoup d'intrt pour l'historien, et lui
donnent une grande importancei. Pourtant, le De
corona
est rest allusif sur
deux points, la date laquelle
s'est
droul cet vnement, et surtout le lieu
2
.
D'o des dbats entre spcialistes, les uns penchant pour Carthage, les autres
pour Lmbese.
L'auteur, Tertullien, est assez connu, et il a donn matire une
bibliographie abondante
3
. Une tentative a t faite il y a relativement peu de
* Les abrviatons des titres de revues ont t empruntes
V nne
Philologique.
1.Le contenu du prsent article a dj t brivement voqu : N.
DUVA L,
S .
LANCEL
et Y.
LE BOH EC,
B.C.T.H., 1984, p. 50;Y .
LE B OHE C,La
Troisime
Lgion
Auguste,1989, Paris,
p. 571-572. Il a t galement prsent sous forme de confrences, l'Universit III de
Grenoble, l'invitation de M. S.LANCEL,et devant la Commission de l'A frique du Nord du
Comit des Travaux H istoriques, l'invitation de M. L. GALAND. Je remercie M. J.-C.
FREDOUILLE,Professeur la Sorbonne, qui a bien voulu relire ce manuscrit.
2.Pour le texte :
Tertullien, D e
corona,par J.FONTAINE, 1966, Paris, 185 p.;
La corona,
par P. A.
GRAMAGLIA,
Rome, 1980, 241 p.
(non uid).
Commentaires : P.
FRANCHI
DE '
CAVALIERI,N ote agiografiche, 8, XI, Sopra alcuni testi del De corona di Tertulliano,Studi
e
Testi,
LXV, 1935, p. 357-386 ; G.
DE PLINVAL,
Tertullien et le scandale de la couronne,
Mi.
J.DE
GHE LLINCK, I, 1951,p. 183-188. V oir aussi, bien entendu, les notes suivantes.
3.Nous ne signalerons ici que quelques titres parmi les plus importants (les plus rcents
donneront des rfrences sur des points prcis de l'uvre de Tertullien ; cette fin, on
consultera galement la chronique annuelle de la
R Aug.,
due R .
BRAUN,
S.
DELA NI,
F .
DOLBEAU,
J.-C.
FREDOUILLE
et P.
PETTTMENGIN):
P .
MONCEAUX,Histoire littrairede
l'Afrique
chrtienne, I, Paris, 1900, p. 177-461 ; Ch.
GU IGNEBERT,
Tertullien.tude sursessentiments
l'gard de l'Empire et de la socit civile, Paris, 1901, XXIV-615 p. ; M.
SPANNEUT,
Tertullienet lespremiers moralistes africains,Paris, 1969, 220 p.;C.
R AMBAUX,
Tertullien
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TERTULLIEN, DE CORONA, I
temps pour bouleverser ce que l'on savait de sa vie
4
, mais cette entreprise n'a
pas sduit la critique
5
. Les comm entateurs ont estim avec beaucoup de sagesse
qu'on ne devait pas modifier les textes pour leur faire dire ce qu'ils ne disent
pas,
et que, de plus, on peut faire confiance s. Jrme qu i a probablem ent
utilis une autre source que Tertullien lui-mme. Il n'entre pas dans notre
propos, surtout dans le cadre d'une tude aussi limite et prcise, de retracer
toute la biographie du Pre africain. Toutefois, quatre points doivent tre
rappels, parce qu'ils permettront de mieux comprendre le passage que nous
souhaitons soumettre un nouvel examen.
E n prem ier lieu, Tertullien est un A fricain, et il est n Cartha ge ; s.
Jrme en fait un citoyen
prouinciae Africae, ciuitatis carthaginiensis
6
,
ce que
confirme O ptat
7
. En second lieu, il est n dans un milieu militaire, centurionis
procon sular s filius, ou encore paire centurione proconsulari, toujours selon s.
Jrme
8
, et lui-mme le confirme puisqu'il parle de la
militia patris nostri
9
,
ce
que l'on avait voulu transformer contre les rgles en
m ilitia p atriae nos trae.
Son pre tait donc un grad qui avait exerc un commandement dans la
garnison qui tait subordonne au proconsul de la province d'A frique
10
Troisimement, c'est sous le rgne conjoint de Septime Svre et de Caracalla
qu'il a le plus produit, donc entre 198 et 211 : sub Seuero principe et
Antonino Caracalla maxime floruit
11
. C'est toujours s. Jrme qui nous le dit,
confirm sur ce point par plusieurs mentions qui se trouvent dans diffrents
passages de l'uvre mme de Tertullien. Le dernier point qui retiendra notre
attention, c'est que ce personnage s'est, petit petit, laiss sduire par une
hrsie. Ce grand chrtien a beaucoup rflchi, beaucoup tudi et beaucoup
crit, ce qui a fait de lui un Pre de l' glise et lui a donn une place de choix
dans la
Patrolog ie latine.
Mais, sur le tard, il est devenu montaniste,
ad
Montani dogma delapsus
12
,
ce qui explique qu'il n'y ait jam ais eu de "s .
faceauxmoralesde strois premierssicles,Paris, 1979, 520
p. ;
J.-C.
FREDOUILLE,
Tertullien
etla
conversion
d e la
cultureantique,Pa ris, 1972, 548 p. V oir aussi notes suiv.
4.
T .D .
BARNES , Tertullian. A
historical
and literaryStudy,
O xford, 1971, XI-320 p., et
rimpr., 1985, Xl-339 p. ; voir note suiv.
5. R . BRAUN, Un nouveau Tertullien ; problmes de biographie et de chronologie,
R.E.L.,L, 1972, p. 67-84 (fondamental) ; C.MORESCHINI,A. e R.,XV III, 1973, p.
219-221.
6. S. Jrme,
D e
uiris
illustrious,
LU I.
7.
O
ptt, I, 9
:...a
Tertulliano
carthaginiensi.
8. S. Jrme, pass, cit, et
C hron. ad
a.
2224
; R .
BRAUN,
art.
cit,
p. 73.
9. Tertullien,
Apol,
IX, 2.
10.
Sur cette garnison : N. Du
VA L,
S.
LANCEL
et
Y. LE BOHEC,
tudes sur la garnison de
Carthage,B.C.T.H., N.S., XV -XVI B , 1984, p. 33-89 ; Y.
LE BO HEC, US units
auxiliaires
del armeromaineenAfrique ProconsulaireetNum idie,Paris-Marseille, 1989, p. 21-25.
11.
S. Jrme, pass. cit.
12. Ibidem.
Voir Tertullien,
D e
corona,IV . P.
MONCEAUX,H istoire littraire,
I,
1901,
p.
205-206 (semi-montanisme partir de 207, conversion acheve dans le
De corona);
P .
DE
LABRIOLLE,La crisem ontaniste,
Paris, 1913,
-6 9 p. ; J .-P .W ALTZ I NG Pour
l'tude de
Tertullien,M B., XXV, 1921, p. 27 ; T. D.BA RNES,T ertullian,1971, p. 45-47 ; R .BRAUN,
R.E.L., L, 1972, p. 75, et Tertullien et le montanisme. glise institutionnelle et glise
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8
rAAA
LE BOHEC
Tertullien", alors qu'il y a eu un s. Cyprien et un s. Augustin. Le rappel de ces
quelques gnralits permettra d'aborder dans de meilleures conditions
l'examen du document sur lequel nous avons attir l'attention, et pour lequel
nous proposons une traduction aprs en avoir rappel le texte latin.
Tertullien, De
corona,
I, 1-2
1.
Proxime factum
est.
Liber alitas
1.L'vnement vientde seproduire.
praestantissimorum imperatorum expun-
Dans le camp, on versait le montant d'un don
gebatur in cas tris, milites laureatiadibant.destrs minents empereurs. Couronnsde
Adhibetur quidam illic magis
Dei
miles,
laurier, les soldats se prsentaient. L-dessus,
ceterisconstantior fratribusqui
se
duobusund entre euxs avance il est pluttun
dominis seruire possepraesumpserant.Solus soldat de Dieu, plus solide que tous ses frres
libero capite,
coronamento in
manu otioso,
qui avaient eu la prsomption de croire qu'ils
uulgato
iam et
ista disciplina christiano,
pourraient servir deux matres.
Lui
seul,
la
relucebat.
tte libre,
le
couronnement inutile
la
main,
manifestait dsormaisparcette attitudeson
christianisme avec clat.
2.
Denique
singuli designare
et
ludere 2.Etles soldats,un un, se mettent
eminus, infrendere comminus. Continuo
lemontrer du doigt,ricaner quandilssont
murmur ; tribuno deferturetpersona iam ex loin,s emporter quandils sont prs.Le
ordine decess erat. Statimtribunus
:
Cur,murmure persiste. L homme estdfrau
inquit, tam diuersus habitus ? N egauit
Ule tribun ; dj
il
avait quitt son rang. A ussitt
sibi cum ceteris
licere. Causas expostulatus,
le
tribun :
"Que
signifie, dit-il,
une
attitude
Christianus
sum"
respondit.
O
militem
aussi originale ?" L'autre dit qu'i l ne lui tait
gloriosum
in
De o
Suffragia exinde,
et
res
plus permis
de
partager
la
compagnie de
ses
ampliata et reus
adpraefectos.
collgues. S'entendant exiger
des
expli
cations,
"Je
suis chrtien", rpondit-il.
O
Soldat glorieux
en
Dieu
De l, des
clameurs. Le dossier est transmis
et
l'accus
transfr aux prfets.
Le soldat chrtien est ensuite condamn et, au moment o Tertullien crit, il
attend le martyre en prison :
donatiuum Christi in carcere expectat
(I, 3).
Ce court texte prsente quelques caractristiques qui mritent d'tre
releves. Et tout d'abord l'auteur nous rapporte une anecdote sans nous dire o
se sont drouls les vnements qu'il dcrit. Il ne donne d'indications que sur
la chronologie, et encore ne le fait-il que de manire vague (I, 1) :
proxime
factum est.
On peut expliquer cette imprcision de deux manires. Soit il ne
s'intressait pas ces dtails ;c'est ce qu'ont pens tous les commentateurs,
plus ou moins explicitement d'ailleurs : crivant un trait de thologie,
Tertullien nes'estpas abaiss noncer de vulgaires ralits, sans intrt pour
sa dmonstration. Soit le texte comportait suffisamment d'lments pour que
les contemporains aient eu tout de suite et de manire vidente la rponse aux
spirituelle,
R.S.L.R.,
XXI, 1985, p. 245-257
;
V .
GRO SSI,
A proposito della conversione
di
Tertulliano al montaismo,A ugustinianum,XXVII, 1987,
p.
57-70.
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TERTULLIE N , DE C ORONA, I 9
deux questions, "o ?" et "quand ?". Nous verrons que c'est cette deuxime
hypothse qu'il convient de privilgier.
R emarquo ns ensuite qu'il indique en effet que le pouvo ir politiqueappartient des empereurs, l'gard desquels il manifeste d'ailleurs quelque
ironie
(praestanissim i impera tore
s). Ce pluriel fournit deux limites
chronologiques. En effet c'est en mai 198 que Septime Svre associa la
pourpre son fils C aracalla ; en A frique, l'enthousias me populaire qualifia
parfois G ta d'A uguste ds la mme anne ; ailleurs, il dut normalem ent
attendre sa premire puissance tribun icienne , en 20913. H las, nous ne savons
pas si lespraestanissimi imper atores sont deux ou trois. En revanche, nous
savons que Septime Svre mourut en fvrier 211, que Gta fut assassin en
fvrier 212 (ou fin 211)
14
et qu' partir de ce moment-l le pouvoir s'exera
au singulier.
En outre, cette affaire concerne des soldats. Ils sont rassembls et couronns
pour recevoir une somme d'argent. Cette gnrosit est appele
liber alitas
en I,
1 ; mais en I, 3, Tertullien oppose de manire implicite le
donatiuum Christi
la gnrosit des empereurs. Nous avons propos ailleurs un tableau o sont
numres en ordre chronologique les rfrences ces distributions aux
soldats
1
5
.
Il y apparat que le mot
liber alitas
est employ de man ire trs
gnrale, trs frquente, en particulier quand ils'agit la fois de la plbe et de
l'arme. La langue officielle faisait un usage plus restreint du mot donatiuum,
qui n'intressait gure que les militaires.
A u milieu de cette unit se trouvait un chrtien. Il enlve sa couronne et
dcide de ne pas participer davantage la crmonie en raison de sa foil
6
.
e
qu'il refuse, du plus profond de lui-mme, c'est de pratiquer un rite paen :
christianus sum
(I, 2). Il n'accepte pas non plus de servir deux matres,
l'empereur et le Christ. Les commentateurs ont tous admis qu'on clbrait le
culte imprial, et que la distribution avait pour but de marquer un
anniversaire. Au fond, ce que le soldat rejette, et avec lui Tertullien, c'est
l 'ensemble de la vie militaire, car elle est entache tout moment de
paganisme
17
. Et la couronne n'est qu'un lment de cet ensemble
18
, en quelque
13. R . CAGNAT, C ours d'pigraphie latine, Paris, 1914, 4
e
dit., p.
206-211,
et en
particulier p. 211, n. 4 ; sur les titulatures et la chronologie de Caracalla :A . MASTINO, Le
titolature di Caracalla e Geta attraverso le iscrizioni,Studi
di
Storia
Antica,
V , B ologne, 1981,
207 p.
14.
H .
H ALFMANN,
Chiron,
X II, 1982, p. 217 et suiv.
15. Y. LE BOH EC,
L'arme romaine sous le H aut-E mpire,
Paris, 1990, 2
e
dit., p. 229-
232 ; vo ir aussi Tertullien,
De
corona,I, 3, et XII, 3.
16.
J.-C.
FREDOUILLE,
A rgumentation et rhtorique dans le De corona de T ertullien,
M.//., XLI, 1984, p. 96-116.
17.
P.
FRA NCHI DE ' CAVA LIERI,
Note agiografiche, 8, XI, Sopra alcuni testi del De corona
di Tertulliano,Studi e Testi, LXV , 1935, p. 365 et suiv. ; J.HELGELAND,R.J.DALYet J.P.
B U R N S ,
Christians
and theMilitary, The early Experience,
Philadelphie, 1985, IX-101 p.,
notamment p. 21-30, reprise de l'tude publie dansA.N.R.W.,II, 23, 1, 1979, p. 735-744
(position complexe : ces aut. remarquent que Tertullien manifeste sa loyaut l'E mp ire dans
VApologeticum,
en 197, mais qu'il condamne l'obligation faite au soldat de tuer) ; E .
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10
Y A N N L E B O H E C
sorte la goutte d'eau qui fait dborder le vase. O r l' tat romain et son arme
n'taient pas "laques" au sens o nous entendons ce terme, c'est--dire
indpendants de tout clerg, de toute foi. O n ne pouvait ni servir l' tat ni
servir dans l'arme si on voulait s'abstenir de ce genre de participation.
Refuser n'importe laquelle des religions officielles, plus forte raison celle de
l'empereur, c'tait refuser le service militaire. En raison des obligations qu'il
implique, le mtier de soldat se rvle donc incompatible avec la foi
chrtienne, du moins pour le Tertullien du
De corona
: on ne peut pas servir
deux matres, le Christ et l' tat, personnifi par l'emp ereu r. M ais d'autres
chrtiens se trouvent dans la mme unit ; ils gardent le silence ; ils pratiquent
les rites paens. Seul notre anonyme se signale. Il n'attend pas une hypothtique
enqute ; il va au devant du martyre. C'est ce que prouve un membre de
phrase dans lequel Tertullien fait l'loge de ce personnage, ceteris constantior
fratribus qui se duobus dom inis seruire posse praesumpserant (I, 1). Comme
l'a bien montr J.-C. Fredouillei
9
, ce genre d'attitude, ces provocations,
risquent d'entraner des perscutions, ce qui explique l'attitude prudente du
clerg traditionnel.
Du terrain religieux, on passe ensuite au domaine juridique. L'affaire se
droule en deux temps. C'est d'abord un tribun qui instruit le dossier. Il essaie
peut-tre de raisonner son subordonn ; devant l'obstination de ce dernier, il
mne une enqute et rassemble par crit des informations. Ce sont ensuite des
prfets qui, au vu de ces pices, jugent l'accus et le condamnent. Il convient
maintenant d'attirer l 'attention sur deux expressions dont l ' importance a
chapp aux commentateurs, et en particulier sur l'emploi du singulier dans un
cas,
du pluriel dans l'autre : tribuno defertur ... ;reus adpraefectos.
Le soldat chrtien attend la mort, le martyre ; c'est du moins ainsi que nous
interprtons le donatiuum C hristi (I, 3). Le reste du trait relve de la
thologie. On y trouve un parallle entre la couronne du soldat et celle du
martyr, la supriorit de la seconde sur la premire ne faisant aucun doute
pour Tertullien. Il n'entre pas dans notre propos d'aborder ici ces questions,
sauf sur un point. Ce texte s'inspire assurment du mot clbre de l'auteur
africain : "C'est une semence que le sang des chrtiens
20
". Mais il va plus
loin ; il nous propose comme un modle un personnage qui va au devant de la
mort, qui la recherche alors que les autorits ne lui demandent rien. C'est l
prcisment, avec la continence, une des caractristiques du montanisme . A
tout le moins, ce chrtien est un rigoriste. De plus, tout le texte de ce trait va
dans le mme sens : il loue la qute du ma rtyre. A ssurment, il s'insre dans
une volution, et se place la fin de la priode de production de Tertullien qui,
dans ses prem ires u vres, acceptait le service militaire, l' tat rom ain et les
PUCCIARELU,
I cristiani e il servizio m ilitare. Testimonianza dei primi tre secoli,Bibl.Patrist.,
IX, F lorence, 1987, 352 p.{non uidi).
18. G.DE PLINVAL,Tertullien et le scandale de la couronne,Mi. J.DEGHE LLINCK, I =
Museum Lessianum,
XIII,
1951,
p. 183-188.
19. J.-C.FREDOUILLE,Leschrtiensau xlions/ ,B.A.G .B., XLV I, 4, 1987, p. 329-349.
20.
Tertullien,
ApoL,
L, 13.
-
7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2
9/474
TERTULLIEN, DE CORONA, I
11
compromiss ions ncessa i r e s avec le p a g a n i s m e
2 1
.Ici, il va p lus lo in que les
aut res penseurs chr t iens "or thodoxes" . Lesp lus svres d 'ent r e eux p laa ient
leurs cri t iques
sur un
autre terrain.
Ils
es t imaient incompat ib les
le
se rmen t
du
soldat ,
sacramentum,
et le
bap tm e , ga l emen t
sacramentum
22
.
B i en en t endu ,
c ' e s tpar un regre t table abus de l angage , qui cons t i tue un a n a c h r o n i s m e ,que
l ' on
a pu
dfinir certains chrt iens
de
l 'A n t i q u it c o m m e
des "non
v i o l e n t s
2 3
"
oudes"objec teurs deconsc i ence
2 4
" .
Cet te prsenta t ion du texte permet d 'aborder dans deme i l leures condi t ions
les deux diff icults auxquelles
se
sont heurts
les
h is tor iens a c tue ls ,
savoi r
la
dateet le lieu.
Nous avons d j dit que l ' v n e m e n t s'est nces sa i r emen t p l ac en t r emai
198
et la fin de
fvrier
212 (ou la fin de
l ' a n n e
211). Il
pa ra t imprud en t
d 'u t i l i ser , pour prc iser davantage ,
le
fait
que le
De
corona
ait t
cri t dans
une p r iode exempte de persc ut ions d i r iges cont re les chr t iens . Cer ta ins
savants l 'ont fa i t
2 5
. Mais
la
not ion
de
"paix
de
l ' g l i s e" do i t t r e ma n ie avec
prcau t ion : on sa i t maintenant que l ' app l i ca t ion des dc i s ions impr i a l e s a
beaucoup va r i su ivan t les p r o v i n c e s , en fonct ion du t e m p r a m e n t et des
conv ic t ions
des
gouve rneur s .
Un
autre cri tre diff ici le
m a n i e r
es t
ce lu i
du
m o n t a n i s m e de Ter tu l l ien
2 6
. Onsai tque ce dernier n' a adhr cet te doctr ine
q u e sur le t a rd . M a i s il faut se m f i e r du ce rc l e v i c i eux et du faux
r a i s o n n e m e n t qui cons i s t e r a i t da t e r le De corona par r f r ence cet te
volut ion, et l ' volut ion
p
a
r
rfrence au De corona. On admet t ra toutefois ,
part ir de ce t te donne , qu ' i l faut repousser lada tederdact ion du trai t versla
finde lapr iode con s idre , sans p lusdeprc is ions .
21.
J.FONTAINE,Les chrtienset leservice militaire dans l'A ntiquit,
Concilium,
VII,
1965,
p. 95-105;J.-C. FREDOUILLE, Tertullienetl'E mpire,
Rec Aug.,
XIX, 1984, p. 111-
131. J.H ELGELAND,
R.J.
DALY
et
J.P. BURNS,Christians and theMilitary, 1985, p. 21
et suiv.,
admettent sans l'admettre cette volution (voir plus loin).
22.
P.
FR ANCHI DE CAVALIERI,Studi e Testi,
LXV,
1935,
p. 367 et suiv.
;
E.
DEBA CK ER ,
Sacramentum.Le mot
et
l'idereprsentepar lui dans lesuvres
de
Tertullien, Louvain,
1911, XX-392 p.;Ch.
PIETRI,
Le serment du soldat chrtien,
M.E.F.R. ,
LXXIV,2, 1962,
p. 649-664
;
S
TO NDO ,IL
sacramentummilitiae,Stud, et Docum.Historiae
et
Iuris, XXIX,
1963, VII-131p., et
Sul
sacramentum militiae, ibidem,
XXXIV, 1968,p.376-396;D.
MICHAELIDES,
Sacramentum
chez Tertullien,
Paris, 1970, 388 p.
;
C.
MOHRMANN,
Q uelques
observations
sur
sacramentum chez T ertullien,
M l. J .H .
WASZINK,
1973,
p.
233-242
; D.
GASPAR,
Quelques remarques concernant
le mot
sacramentum
et le
serment militaire,
A.Arch.Hung.,
XXV III, 1976,
p.
197-203.
23 M. SPANNEUT,La nonviolence chezles Pres africains avant Constantin,
Fest.
J.
QUASTEN,I,1970, p. 36-39 ; voir A .J.VISSER, Christianus sum,nonpossum militare[en
nerl.],Nederl.
Archief
voorKerkgeschd.,X LV III, 1967-1968, p. 5-19.
24.
G CRESCENTI,O biettoridicoscienzaem artiri militari nei primicinque secoli del
cristianesimo,
Coll
di
Saggi
eMonogr.,XVIII, 1966, 310 p.
25.
Voir
J.
FONTAINE,dans
Tertullien, De
corona,Paris, 1966, p.4.
26.V oir plus haut.
-
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10/474
12 YANNLEBOH E C
La mention d'une liber alitas, en I, 1, a t, tort, bien nglige
27
. Pour
l'poque concerne, nous savons que Septime Svre
a
octroy dix pices
d'or,
ou aurei, chaque prtorien en 203, pour le dixime anniversaire de son
arrive
au
pouvoir
28
.
Il a
ensuite fait frapper,
en 205 et
208,
des
monnaies
portant
le mot
LIB ER A LITA S
;
pour
ces
deux annes-l, nous ignorons
si des
militairesontfait partiedunombre des bnficiaires,ce qui estloin d'tresr,
la liber alitas allant en principe surtout la plbe de R om e
29
. En211 , une
nouvelle mission portant
le
mme
mot a
probablement m arqu l'inauguration
du double rgnedeCaracallaetde Gta, aprslamort de Septime S vre
30
.Le
contexte politique,savoirlancessit pour les deux empereursde s'attacher
sinon toute l'arme
du
moins
les
prtoriens, laisse supposer qu'une partie
au
moinsde ceslargesseslui a td istribue.On serappelle le dernier conseil
donn par Septime Svre mourant sesfils
31
:"E nrichissez les soldats,et
moquez-vous
du
reste".
Le mot
parat trop beau pour tre vrai
; il
correspond
toutefois fort bien
ce qu'a t la
pratique
de
cette dynastie,
une
authentique
monarchie militaire. Enfin, lemeurtre deGta,un anaprs le dcs de son
pre, valut chaque prtorien unegratification de 2500 drachmes
32
; mais
cette gnrosit
de
212
ne
doit pas tre prise
en
compte
: il n'y
avait plus alors
qu'un seulImperator.
En conclusion, le De corona a certainement t crit vers la fin de la
priode 198-212, peut-treen 208, plus probablement en211. V oil pourla
date.Et
m aintenant,
le
lieu.
Commenons par retracer l'historiographie du problme. Les commen
tateurs peuvent tre classs
en
trois coles
...
plus
une
Les
un s
33
ont
crit
en
effet
que
l 'anecdote
qui
ouvre
le De
corona
n'a pu
avoir pour cadre
que
Lambse, parce que c'tait l qu'tait situ le quartier gnral de l 'arme
d'A frique, etdoncque l'onpouvait ytrouveruntribunet des prfets, titres
mentionns dans
le
trai t. D'autres
3 4
ont
prfr placer l 'vnement
27.
E .DE RUGGIERO,Dizionarioep igrafico,IV , 1962, p. 858-860 (rfrence fausse pour la
liberalitasde 202, dont l'existence reste prouver, et galement pour celle de 203
:
voir note
suiv.) ; Y.LEBOH EC,L'armeromaine,1990, 2
e
dit., p. 229-232.
28.Dion Cassius, LXXV I,1,1.
29.E .DE RUGGIERO ,
art.
cit,p.837-838.
30. E.
DE
RUGGIERO,art.
cit,
p.
860.
31 .Sur cette volution, voirJ.
GAG,Les classes sociales dans l'empire romain,
Paris,
1971, 2
e
dit., p. 251-255.
32. Hrodien, IV,4, 7, et5,1.
33.P.
MONCEAUX,
Histoirelittraire,I,1901,p. 269, n. 2 (intressante analyse, qui montre
cependant que l'aut. se soucie peu de la hirarchie militaire) ; G. E
PLINVAL,
Tertullienet le
scandale delacouronne,
Ml. J.DE
GHE LLINCK,I
-M useum Lessianum,
XIII, 1951,p. 183-
188; E. A.
R YAN,T heol.Stud.,
XIII, 1952, p. 18.
34.
P.
FRANCHI DE' CAVALIERI ,
Studi e Testi,LXV, 1935, p. 359-361 ; J. STGER,Das
Leben
im
rmischen Afrika
im
Spiegel
der
Schriften Tertullians, Zurich, 1973,p 79
(implicitement ?).
-
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11/474
TERTULLIEN, DE CORONA, I 13
Carthage, parce que Tertullien tait n dans cette cit et y avait vcu. D'autres
enfin
3 5
, sensibles aux arguments des premiers et ceux des seconds, ont
prfr ne pas tranche r : l'affaire intresse l'A frique , soit Lm bese, soit
Carthage. C'est cette troisime cole qu'ont fini par se ranger deux
chercheurs qui ont travaill en apparence indpendamment l'un de l'autre, d'un
ct P. Franchi de' Cavalieri, qu'a cit J. Fontaine
36
, et de l'autre M. Durry
37
.
Ils ont remarqu que la mention de prfets, au pluriel, ne pouvait dsigner que
le camp des prtoriens R ome. M ais M . Durry ajoute immdiatement, et sans
autres arguments, qu'une telle ide devait tre rejete, qu'il fallait en rester
la thse de l'A frique, et ne pas trancher entre Carthage et Lm bese, alors que
P. Franchi de' Cavalieri dcompose le rcit (l'acte d'insubordination a eu lieu
Carthage, le jugem ent est prononc R ome).
Pourtant, un examen attentif du passage en question permet de rsoudre le
mystre. La clef se trouve bien dans les deux expressions releves plus haut, et
dans l'issue au moins trs probable de l'anecdote :
tribuno defertur ... reus ad
praefectos ; on n'oubliera pas non plus que le soldat attend sans aucun doute la
mort, le martyre :
donatiuum Christi in carcere expectat.
Et, pour rpondre
deux objections pralables et possibles, nous poserons en principe qu'il faut
respecter le texte. D'une part, l'erreur de copiste est peu probable : les
manuscrits sont unanimes
38
. D'autre part, il ne peut pas y avoir d'erreur de
Tertullien, et cela pour plusieurs raisons. D'abord, les structures de l'arme
romaine taient simples et connues de tout le monde ; de nos jours encore,
n'importe qui, mme un anti-militariste convaincu, sait qu'un amiral sert dans
la marine, et qu'un gnral est plus grad qu'un lieutenant. De plus, comme
nous l'avons dj dit, Tertullien est fils de centurion. Enfin, ce texte montre
qu'il connat mme trs bien le vocabulaire militaire technique. Quelquesexemples le montreront. Pour dire que le soldat quitte son poste, il emploie
l 'expression ex ordine ; or, ordo signifie "ra ng" dans la langue com mu ne,
"centurie" dans l 'arme
3 9
; il y a l une sorte de jeu de mots. De mme,
disciplina,
employ ici de manire trs gnra le, dsignait aussi le mtier
militaire conu comme une science, laquelle on consacrait des autels dans les
camps (arae Disciplinae)
40
. De mm e encore, le terme de suffragia : il
exprime ici un accord unanime et facile des militaires contre l'un d'entre eux,
coupable de christianisme ; ce terme justement tait aussi employ dans un cas
bien prcis mais peu connu. Quand des soldats avaient beaucoup d'estime pour
l'un d'entre eux, pour son autorit, ses comptences, ils pouvaient attirer
35.
W.H.C.
FREND,
J.Th.S.,
XXI, 1970, p. 93; R.
FREUDENBERGER,
H istoria,
XIX,
1970, p. 580 ; P. KERESZTES,
AJ.Ph.,
XCI, 1970, p. 454-455.
36. P.FRA NCHI DE' CAV ALIERI,Note agiografiche, 8, XI, Sopra alcuni testi del De corona
di Tertulliano,
Studi e
Testi,LXV , 1935, p. 361 ; J.FONTAINE,dans
Tertullien, De corona,
Paris, 1966, p. 42 et 45.
37. M. DURRY,
Les cohortes prtoriennes,
1939, rimpr. Paris, 1968, p. 348-349 (voir
aussi p. 110, et n. 7, 234 , et n. 1).
38.
CorpusCh ristianorum,serieslatina,Teriullianus, Opera,II, Turnholt, 1954,
p.
1039.
39.
Tacite,
H .,
Ill, 49, 3-4.
40.
Y.
LE BOH EC,L'arme
romaine,1990, 2
e
dit., p. 122-124 et
261.
-
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14 YA NN LE BO H E C
l'attention desofficiers surlui enl'acclam ant l'occasion d'une parade,d'un
rassemblement.
Si ses
suprieurs acceptaient cette proposition,
il
tait prom u,
et nous possdons plusieurs inscriptionsquim entionnentcetypedepromotion
avec,
par
exemple,
la
formule
centuno factus
ex
suffragio legionis
41
.
L.
Stager
a
d'ailleurs montr, pour l 'ensemble
de son
uvre,
que
Tertullien
possdait bienlevocabulaire techniquedel 'arm e
42
.Etdonc quandilnousdit
que l'accus estdfr untribun puis jug par desprfets, nou s devonslui
faire confiance
: il
n'crit pas n'importe quoi.
Si donc
on
adopte
le
parti
de
respecter
le
texte,
il
s'ensuit que l'anecdote
en
questionnepeut concernerni lagarnisondeCarthagenicelledeLambseni
aucun autre camp africain. Deux sries d'arguments
s'y
opposent
: les uns
relvent du droit romain, trangement ngligpar lescom mentateurs de ce
passage; les autres tiennent l'organisation de l 'arme, sahirarchie, ce
que
l'on
appelle souvent de nos jours d'un mot allemand,
la
"R angordnung
43
".
L'affaire
ne
peut
pas
s'tre
droule
Carthage. Certes,
on y
trouve
un
tribun, qui commande la I
re
Cohorte Urbaine
44
, peut-tre un autre tribun,
pourlacohorte dtachede laIIIe Lgion A uguste (maisiln'es t pas sr quela
lgion
de
Lambse
ait
encore envoy
des
renforts auprs
du
gouverneur
de la
Proconsulaire sous Septime Svre
45
).Enrevanche, pointdeprfets.S'il y en
aun, ce qui estpossible, il commande une unit auxiliaire, la I
re
Cohorte
Flavienne d'Afri ; il est tout seulporter cetitre
46
,et deplusil setrouve
subordonn
au
tribun qui
n'a
qu'un suprieur,
le
proconsul d'A frique. C 'est
en
outrecedernierqui possde seulledroitdecondamnermortunsoldat
47
.Il
faut, cepropos, rappeler quelegouverneurdeprovince exerceles fonctions
de juge suprme dans
le
territoire
qui lui est
confi. Toutefois, tous
les
fonctionnaires
de ce
rang
ne
possdent
pas le
ius
gladii,
le
droit
de
faire
4L
CLL.,
II, 2079, V III, 217=11301 (=1.L.Tun., 332),XII,2230 ;
A.E.,
1976,540;
G.-Ch.PICARD,
Dimm idi,
Paris, 1947, 30, 10 ; Tacite,
H .,
III, 49,4
;
A .VON DOMASZEWSKI,
N eue
HeidelbergerJahrb.,IX, 1899,
p.
161 (papyrus).
42. L .
STGER,
DasLebenimrmischenAfrika, 1973, p. 76-80.
43. O uvrage fondamental mais ancien
: A.VON DOMASZEWSKI, Die Rangordnung
des
rmischen
H eeres,
1908, avec addit. deB .
DOBSON,
C ologne, 1967, LXII-375
p.
44. H .
FRE S,
Die cohortes urbanae,
E pigr.
Stud.,II, B onn, 1967, p. 31-36
et
86-89,
et
R.E.,Suppl., X, 1965, col. 1125-1140
;
D U V A L S LANCEL et
Y.
LE BOHEC tudes sur
la garnison
de
Carthage,
B.C.T.H.,
N.S., XV -XV I B , 1984, p. 48-49 ; F .
BRARD,
Le rle
militaire des cohortes urbaines,
M .E.FR.,
C,
1,
1988, p. 159-182.
45. N
DUVAL et
alii,art. cit,p. 48-51; Y L E
BOH EC,
L aTroisime Lgion Auguste,
1989, p. 359, 362, 405 et 485.
46. Y.
LE BOHEC,
Lesunits auxiliairesenAfrique Proconsulaire
etNum idie,
1989,p.22-
23.
47.
Dig., I,
XV I,
2,
Sutone,
Galba,VII et
IX, A pule,
Apologie, I, 5, et II,
1
(
titre
d'exemples ) ; J.
GAUDEMET,
La juridiction provinciale d'apr s la correspondance entre Pline
et Trajan,
R.I.D.A.,
XI,1964,p.335-353,etI nstitutions
de
l'Antiquit, Paris, 1982,2
e
dit., p. 509-510.Sur le proconsulat d'A frique : B.E.THO MASSON,
Die
Statthalter
der
rmischen
Provinzen
Norafrikas
vo n
Augustus
bisD iocletianus,
I,Acta
Inst. Rom . regni
Sueciat,
IX ,
1,
Lund, 1960, p. 10-81 (examine galement les lgats du proconsul).
-
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TERTULLIEN, DE CORONA, I
15
mettre mort des citoyens romains
48
. Ces derniers, au cas o une telle
sentence serait prononce, peuvent faire appel Csar, mais leur demande
n'est pas obligatoirement satisfaite. Tout cela, Tertullien ne pouvait pas
l'ignorer. Si le soldat chrtien avait appartenu la garnison de Carthage, il
aurait crit "et reus ad proconsulem .
L'affaire ne peut pas non pluss'tredroule Lmbese. L, on ne manque
certes pas de tribuns
49
: le deuxime officier de la lgion est appel "tribun
laticlave", du nom de la large bande de pourpre qui orne son vtement et qui
indique qu'il est issu de l'ordre snatorial. Il a pour subordonn immdiat le
prfet du camp, un chevalier, et, en dessous encore, cinq autres chevaliers
galement dsigns comme tribuns, mais "angusticlaves", en raison de la bande
de pourpre troite qui les distingue, ainsi peut-tre que le tribun sexmenstris,
dont on a crit qu'il commande la cavalerie lgionnaire. Sous Septime Svre,
un autre prfet se trouvait Lmbese, la tte d'u ne unit auxiliaire, la V le
Cohorte de Commagniens
50
; mais, de ce fait, il tait plac un rang
infrieur n'importe lequel des tribuns. Donc la hirarchie comprend, du bas
vers le haut, un prfet (de cohorte), cinq tribuns (angusticlaves), un autre
prfet (du camp) et un autre tribun (laticlave), avec tout en haut le lgat. Cette
organisation ne correspond pas du tout au De corona.De plus, le juge suprme
dans ce district gographique est le commandant de la lgion, gouverneur de
fait puis de droit de la Numidie, une province cre sous Septime Svre, une
date inconnue avec certitude, mais sans doute dans les dbuts du rgne
5
. A
supposer qu'il ait t empch, il tait remplac par le procurateur qui
administrait les biens impriaux de Numidie : le cas
s'est
produit, plus
tardivement dans le IIle sicle il est vrai
52
. Donc, sauf appel, qui se faisait
auprs des prfets du prtoire, ce qui n'est manifestement pas le cas ici, le juge
suprme portait le titre de "lgat imprial proprteur". Et cela non plus,
Tertullien ne pouvait pas l'ignorer. Si le soldat chrtien avait appartenu la
garnison de Lmbese, il aurait crit "et reus ad legatum .
Quant la thorie de P. Franchi de' Cavalieri, elle ne rsiste pas l'examen
pour deux raisons. D'abord le texte ne dit rien de tel. Bien au contraire, la
rapidit du rcit incite penser l'unit de lieu pour la rbellion et pour la
punition ; c'est du moins ainsi que l'ont compris tous les commentateurs.
Ensuite, et la vie de s. Paul est assez connue pour qu'il soit inutile de proposer
une trop longue dmonstration, les autorits de Rome ne peuvent juger les
provinciaux qu 'en appel : les accuss doivent d'abord passer devant le
gouverneur, qui n'est pas oblig d'accepter l'appe l Csar
53
.
Alors , o ?
48 . Dion Cassius, LUI, 13.
49. Y. L E B O H E C ,
La Troisime Lgion Auguste,
1989, p. 119 et suiv.
50.
D u m me,
Les units auxiliaires en Afrique Proconsulaire et Num idie,
1989, p. 74.
51 .
D u m me ,
La Troisime Lgion Auguste,
1989, p. 119 et suiv., et 395-3 96.
52.
Il
s'agit
de L. Tit inius Clodianus : B .E.
THOMASSON, Statthalter,
II , 1960, p. 233-23 5,
et
R.E. ,
Suppl. , XIII , 1973, col . 322.
53 .
V oir l 'exem ple trs clairant propos par Sutone,
Galba,
IX.
-
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16
r A A A L E B O H E C
Il faut carter A lexandrie. O n y trouve certes deux prfets la tte de l'tat
major, le prfet de lgion et le prfet d 'E gypte ; mais il ne sont pas gaux
entre eux, et seul le deuxime exerce les fonctions de juge suprme dans cette
province.
E n fait, il n'exis te qu 'un endroit qui puisse convenir : c'est R om e. O n peut
prciser davantage : le rassemblement
s'est
tenu dans la grande cour des
principia du camp qui tait situ l'est ducampus ou terrain de manuvres,
au-del de
Y agger,
au nord-est de la
porta Viminalis.
En effet, d'une part, la
hirarchie convient : la garnison de Rome est encadre par des tribuns qui ont
pour suprieurs directs les prfets (du prtoire). Nous connaissons les deux
paires de personnages qui ont occup ces fonctions pour l'poque qui nous
intresse ; il s'agit de Laetus et Papinien, Q. M aecius Laetus et A emilius
Papinianus, pour 205-211, de Laetus et peut-tre de V alerius Patruinus pou r
211-212
54
. On pense donc d'abord aux prtoriens
55
, mais d'autres corps de la
garnison de Rome taient sous les ordres de ces prfets et sous leur juridiction,
comme lesurbaniciani
56
et lesquits singulares Augusti
51
, qui auraient donc
pu faire l'affaire la rigueur. D'autre part, les prfets du prtoire ont le droit
de condamner mort n'importe quel citoyen, et surtout un militaire si ce
dernier est sous leurs ordres directs
58
. Ces deux sries d'arguments, qui se
fondent sur la hirarchie militaire et le droit romain, devraient convaincre la
critique. D'autres lments vont dans le mme sens. Les distributions d'argent
n'allaient en rgle normale que vers la plbe de Rome et les prtoriens
59
. Mais
comme ces derniers sont souvent dsigns, dans les textes littraires, par le mot
de
milites,
certains commentaires htifs ont pu faire croire des distributions
gnrales
60
. A joutons enfin que le mo ntanisme
61
est bien attest R ome, o
d'ailleurs Tertullien avait fait un voyage
62
, alors qu'il n'est connu en A frique
que par ce seul crivain. En consquence, si Tertullien ne dit pas o les
vnements se sont passs, c'est parce que c'tait inutile ; tout le monde
devinait, comprenait.
54.
A .
PASSERINI,Le
coortipretorie,R ome, 1939, p. 318-319, et W .
ENSSLIN,R.E.,
XXII,
2, 1954, col. 2424.
55.
M.
DURR Y,Les
cohortesprtoriennes,1939 et 1968, 454 p. ; A .
PASSERINI,Le coorti
pretorie, R ome, 1939, 362 p. ; W. ENSSLIN, S.U. Praefectus praetorio, R.E. , XXII, 2,
1954, col. 2391-2502 (pour le H aut-E mpire, partir de la col. 2426). L'emploi derufatus (I,
3) a galement incit M.DURRY,ouvr.
cit,
p . 234, envisager l'appartenance de ce martyr au
prtoire
;
mais comm e il le reconnat lui-mm e, ce mot ne suffit pas prouver ces liens.
56. H .FRE S,Die cohortes urbanae,
Epigr.Stud.,
II, B onn, 1967, 166 p.
57. M. SPEIDEL, Die quits singulares A ugusti, Antiquitas,R. 1,Abhandl.
. alten
Geschichte XI B onn 1965 110 p.
58 M.DURR Y ouvr
cit,
p . 171-174.
59. E .DE RUGGIERO,Dizionario
epigrafico,
IV ,1962, p. 837-838.
60. Y.LE BOH EC,
L'arme
romaine,1990, 2
e
edit., p. 229-232 .
61. J.DANIELOUet H .-I.MARROU,Nouvelle Histoire
de l'glise,
I, Paris, 1963, p. 133.
62. Tertullien,
De
cultufeminarum, I, 7.
-
7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2
15/474
TE R TU LLIE N ,
DE
C O R ON A ,
I
17
Les consquences de cette localisation, triples et importantes, dpassent
largementlecadredel'anecdote.
C'est d'abord l'histoire
de
l'arme romaine
qui
sort enrichie
de
l 'examen
de
ce texte. Tertullien exagrait incontestablement quand il affirmait que ses
coreligionnaires remplissaient lescamps
63
.Cesderniers, bienaucontraire,ont
toujours servi de bastion la tradition, au paganisme, et les militaires se
rangeaient plus volontiers ductdesperscuteursque des perscuts. Sans
doute les chrtiens taient-ils plus nombreux dans lesgarnisons de l 'O rient.
Mais les prtoriens n'en ont sans doute pas compts beaucoup dans leurs
rangs
64
,
et des recherches effectues rcemmentsur lesunitsdeB retagne
65
et
d'A frique-Numidie
66
n 'ontpaspermisnonplusd'enretrouverun bien grand
nombre.Deplus,si cesoldatabien servi danslecorps auquel nou s pensons,il
s'ensuit qu'ilestplusqueprobablement originairedesprovinces danubiennes.
En effet, auxl
r
etIle sicles ,lesprtoriens taient recrutsR om eet enItalie.
Mais,
en
193,
ils
commirent
la
faute
de
vendre l 'E mpire
aux
enchres,
ce qui
profita Didius Julianus. Septime Svre, quandil se fut install R o me,les
chassa tous de l 'arme et mit leur place ses propres lgionnaires
67
: ce
faisant, ilpunissait lespremiersetrcompensait les seconds.AudbutduIIle
sicle,
on
comptait dans leurs rangs
une
majorit d 'hom m es originaires
de
Thrace (174),de Pannonie (169)et deMsie (98)
68
.Ce que l'onaimerait bien
savoir, c'est o lemilitaire du De corona a rencontr le christianisme, sans
doute souslaformedumontanisme. Une hypothse peut tre propose. D ansle
cas o sa conversion aurait eu lieu dans les provinces danubiennes, nous
retrouverions un chanon manquant entre la Phrygie et Rome, pour la
diffusion decette hrsiequin'aurait atteint Carthage qu 'ensuite.
En second lieu, c'est bien entendu
le
christianisme
en
gnral
et le
montan i sme
6 9
enparticulier quiprofitent de cette analyse. Ce mouvement
eschatologique,quiprnelacontinenceetpousseaumartyre,est n enPhrygie
en 156; il
s'est
diffus enA sie ,o il aatteintsonapogeen172, puisR ome
oil a tcondamnpar lepape Eleuthre (174-189).Letextedu De corona,
I, 1-2, constitue unepice ajouter au dossier : lem ontanisme a galement
atteint le camp des prtoriens puis Carthage. Mais ici les silences sont
significatifs : cemartyr militairen'a pas tsuivipar sescollgues chrtiens,
alors qu'ily enavait sescts d'aprs le texte. Tertullien galement semble
avoir t bien seul danssaprovince,etpersonnene l'a imit danslesgarnisons
de Carthageou deLmbese.
C'est,
en
troisime lieu, toute l'uvre
de
Tertullien
et
peut-tre,
par
del,
cellesdesautres Presde l'glise africains, commes.Cyprienet s.A ugustin,
63.Tertullien,
Apol.,
XXXV II,
4, et
XLII,
3
(voir I,
7).
64.
M.DURR Y,ouvr.
cit,
p. 348-357,etM l. J.BIDEZ ,1956, p. 85-90.
65.
G.R .WATSON,dansChristianity inBritain,1968, p. 51-54.
66.
Y.
LE
BOH EC,
La
Troisime LgionAuguste, 1989, p. 571-572.
67.
M.DURRY,ouvr.cit,p. 381-383.
68. M.
DURRY,
ouvr.
cit,
p. 247-249
;
A .
PASSERINI,
ouvr.
cit,
p. 171-180.
69.
J.
DANIELOU
et
H .-I.
MARROU,
pass.
cit.
-
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18
r A A A L E B O H E C
qu'il faut aborder avec un ilneuf. En effet, on ne pourra plus admettre sans
autre forme de procs que tout ce qui intresse la vie quotidienne dans leurs
crits concerne ncessairement l 'A frique
70
. Ils taient informs de ce qui se
passait hors des limites de leurs provinces, et pouvaient utiliser ces
renseignements pour illustrer leurs propos. A ussi, quand ce m me Tertullien,
dans ce mme De corona,nous parle du voile des femmes juives (IV, 2), rien
ne prouve qu'il pense des Juives de Carthage ou d'A frique.
A insi, le dbut du De
corona
de Tertullien intresse l'interprtation des
uvres des Pres africains, l'histoire du christianisme et de l'arme. Mais il est
temps d'en terminer avec cette anecdote : ni Carthage ni Lmbese, mais
Rome ; probablement le prtoire en 211.
Yann
LE
BOHEC
Universit Jean Moulin-Lyon III
RSUM : Le trait de TertullienDe coronas'ouvre sur une anecdote qui intresse l'histoire
de l'arme romaine lors d'une distribution d'argent, unsoldat jetteau sol sa couronne et refuse
de servir davantage parce q u'il est chrtien. Tertullien ne dit pas os'estdroul cet vnement
qu'il faut dater peut-tre de 208,plutt de211.Sur le lieu, les commentateurs se sont partags,
les uns optant pour C arthage, les autres pour Lm bese, d'autre s enfin hsitant entre ces deux
sites. Si on tient compte des pratiques judiciaires romaines et de la hirarchie militaire
mentionne par le texte, un seul endroit convient : le camp des prtoriens de Rome. Cette
localisation n'est pas sans consquences sur l'interprtation de l'uvre de Tertullien que l'on
doit dornavant proposer.
70.Pour la mthode, voir C.
AZIZA,
Tertullien et lejudasme,Pubi. Fac.L.S.H. Nice,
XV I, 1977, p. 10-45, et Quelques aspects de la communaut juive de Carthage au Ile sicle
d'aprs Tertullien,R.E.J., CXXXV II, 1978, p. 491-494.
-
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17/474
Revue
des
tudes Augustiniennes
38
(19 92 ) ,
1
9-28
Sur quelques dfinitions
de
chez Jean Chrysostome
Le Thesaurus Linguae Graecae offre plu sdemi l le sep t cents occurrencesde
l 'ad jec tif -et de l 'adve rbe co r r e spondan t
t rave r s l ' uv re
de
Jean
C h r y s o s t o m e .
I
l n ' e s t v i d e m m e n t pas q u e s t i o n d ' e n v i s a g e r une t u d e de
l ' ensemble
de ces
occur rences , d ' au t an t
que
nom bre d 'ent re e l les rep rsentent
des emplois quas i sys tmat iques
de cet
adject if pou r qual i f ie r l ' ense igne m ent
(
)
,
les discours
(
ou
)
2
,
ou des t e r m e s m t a p h o r i q u e s
ds ignan t le discours pas tora l , comme le fes t in ( -)
3
, la n o u r r i t u r e
( ou )
4
la t ab l e ( )
5
,
o
u la s e m e n c e ( :)
6
. Cet te
1. Voirpar ex.
Cat.bapt.
V, 12,
SC
50bis,p. 206 ; VI, 2, p. 216 ; VI, 14,p. 222 ;
In
Kalendas 3,PG48, 957
;
In S.Romanum
I,
3,PG50, 610
;
De
mutatione nominum I
V
,
1,
G
51, 146
;
I
V
, 6, 154
;
De
gloria
intribulationibus
1, G
51, 156
;In illud
:
Propter
fornicationes
... 1,
PG
51 , 208;
In
Genesim hom.XI, 4,
PG
53,95 ;XIII,1,1 05; XIV, 1,
1 11 ; XV, 1, 118 ;XV III,5, 154 ;XXIV,1,206-207 ;XXV III,1, 252 ;XXX II,1, 293 ;
XLI, 1, 374 ;
serm.
VI, 1,
PG
54, 605 ; VII, 5, 616 ;
In Ps. XLIV
1,
PG
55, 183 ;
De
prophetiarum obscuritate
II, 1,PG56, 176;In
Joannem
III, 1,PG59, 38
;
XLIII,
2,
248.
Je
remercie vivement Anne-Marie MALINGREY,qui
m'aaide dans
la
prparation
de la
premire
version de cette tude, prsente Oxford dans le cadre de la X I
o
Confrence Internationale des
tudes Patristiques (19-24 aot 1991). Je remercie galement Monique ALEXANDREetA lainL E
BOULLUECpour leurs conseilsetleur constante bienveillance, ainsi que Marie-PierreNOEL,qui
m 'a grandement facilit l'utilisation du Thesaurus LinguaeG raecae.
2 .
Voir par ex. pour :
In
principium ctorumIV, 3,
PG
51 , 100;
Demut.
nom. I, 1,
PG 51, 114
;
In
dictum Pauli
:
Nolovo signorare
1,
PG51, 242
;
In Gen.
hom.
X,
8,PG
53,
90 ;
In Acta
postolorumLV,3,
PG
60, 384 ; pour :
De
mut. nom. I,2,
PG
51 , 116;
In
Gen. hom. XIV, 1,
PG
53, 112;XXIV, 1,206.
3.
Voir par ex.Deproditione JudaeII, 1,PG49, 381
;
In illud:Diligentibus Deum
... 1,
PG
51 ,166 ;In
Gen. hom.
II,1,PG53,26 ; VII, 3, 64 ; X, 1,81; XII, 1, 98 ;XXXI,1,
283
;
XLI,
1, 374 ;
XLVI, 1,PG54, 422
;
LXI, 1, 525 ;De proph. obs.
I,
1,PG56, 165
; la
mme appellation peut dsigner l'eucharistie, festin
et
bonne chre spirituelle (
) :
In Mattheum
XXV, 3,
PG
57, 331.
4.
Voir
par
ex. pour :DeS.Droside 1,PG50, 683;Inillud :Habentes eumdem
spiritumI,1,PG51 , 273
;
In Gen. hom. X,7,PG 53 ,90
;
Inillud :N etimueritis... I,3,P G
56,
165 ; pour :
Cat. bapt.
IV, 27,
SC
50bis,p. 196 ; IV, 29, p. 197 ;
In illud:
-
7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2
18/474
2
LAURENCE BROTTIER
frquence n'en est pas moins l'indice d'un mot important, par ailleurs inconnu
de l'A ncien Testament, ainsi que desEvangiles et desActes. Si l'on excepte un
emploi de l 'adjectif par Pierre
7
et un de l 'adverbe par l 'auteur de
Y Apocalypse*,
le terme est paulinien, avec vingt occurrences de
l adjectif
9
et
une de l'adverbei : tant donn la prdilection de Jean pour l'aptre, cette
adoption du mot n'a rien qui tonne. N ous nous demanderons d'ailleurs , au
terme de cette enqute, dans quelle mesure les connotations pauliniennes du
terme ont influ sur Jean.
Philippe de R ancillac, dans son livreL glise, manifestation de l Esprit chez
S. Jean Chrysostome
11
,
a consacr une analyse de vocabulaire -,
appuye surtout sur les Catchses baptismales et dont le but est de montrer
que le mot grec dit en fait beaucoup p lus que notre mot franais.
en effet est prendre le plus souvent dans un sens fort : il ne s'oppose pas
seulement 'matriel' ou 'charnel', mais il signifie ce qui appartient la
sphre d'influence du S. E sprit, ce qui est porteur du S. E spriti
2
.
N ous suivons totalement cette an aly se^ , et nous nous interrogerons, partir
de quelques dfinitions chrysostomiennes, sur l'image que Jean nous donne de
ce domaine spirituel. Nous nous demanderons en particulier quels rapports il
entretient avec le monde ordinaire d'ici-bas, en montrant la double
prsentation de ces rapports.
Habentes eumdem ...
II, 1,
P G
1, 281 ;
In Gen.
horn. IV, 6,
PG
53, 45 ; VIII, 1, 70 ; X, 2,
83 ; X, 3, 84 ; XXIX, 2, 262 ; In Ps. CXLVII 4,PG 55, 484 ; In Jo. XVIII, 4, PG 59, 119 ;
XLV, 1, 252 ; XLVI, 1, 257 ; XLVI, 2, 259 ;In Act. . VII, 2,P G 60, 65 ; XL, 3, 286.
5. Voir par ex.
Cat. bapt.
VIII, 1,
SC
50bis, p. 248 ;
In Gen. horn.
, 4,
PG
53, 31 ; XIX,
6, 165 ; XXII, 1, 185 ; XXXV II, 1, 342 ; XLI, 2, 377 ;
serm.
VI, 2,
G
54, 607 ;
In Matth.
XIX, 9,
PG
57, 286 ; LXX XIX, 4, 788 ;
In. Ep. ad Hebraeos
XVII, 4,
P G
63, 132.
6. Voir par ex.
Non esse desperandu m
1,
G
51, 365 ;
In Gen. horn.
IV, 1,
P G
53, 40 ;
IX, 1, 76 ; XX IV, 1, 207 ; XXX I, 1, 283 ; XLI, 1, 375.
7. 1
Pierre
2, 14.
8. Apoc. 11 ,8 .
9.Rm. 1, 11; 7, 14;15, 27 ; Co. 2, 13 et 15;3 , 1; 9, 11; 10, 3-4 ;12 , ; 14, et 37 ;
15 ,44-46
\Gal.
6, 1 ;
Eph.
1, 3 ; 5, 19 ; 6, 12 ;
C ol
1, 9 ; 3, 16.
10. 1C o. 2, 14.
11.
Beyrouth, 1970, p. 94-108.
12 .Ibid. p. 94.
13.E lle pourraittre toffe, notamment par les commentaires que Jean fait
d
e l'opposition
paulinienne entre - et - (1
Co.
2, 14)
:In Jo.
XXIV, 2 ,
PG
59, 146
; In Ep.
I ad Corinthios VII, 5,P G 61, 61 ; et une formule chrysostomiennersume cette conviction :
"Celui qui est n de l 'Espri t est sp ir i tuel" ( - - -
) :
In Jo.
XXVI, 1,
PG
59, 154 ; cette formule reprend en la modifiant la parole du Christ
Jn
3 , 6 ) : - .
-
7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2
19/474
CHEZ JEAN CHRYSOSTOME
21
I. -L
'
ANTITHSE ABSOLUE
ENTRE
L
'
UNIVERS ORDINAIRE
ET
L
'
UNI
V
ERS
SPIRITUEL
A premire lec ture , on est surtout frapp par les v igoureuses ant i thses que
Jean t race ent re le monde spi r i tue l e t le monde d ' ic i -bas , qu ' i l qual i f ie de
c h a r n e l ( / / )
i4
, d ' h u m a i n ( - /
/
)
5
, d
e
"co
r
po
re l
" ( -
)
6
,
d e s e n s i b l e
( )
7
, de "liaux ncess its de la vie"( -)
8
, ou plus rarement de
t e r r e s t r e
( -
)
9
,
de na tu re l
( -
)
20
,
d e m o n d a i n
( -
)
2
,
14.
V
oir par ex.Cat. bapt.
V
III, 23 ,SC50bis, p. 259
;Pangyriquesd eS.Paul
III, 7,
SC
300, p. 174
; In
Gen.horn. I, 4,
PG
53, 25-26
;
, 5, 37
;
I
V
, 2, 40-41
;InPs.
XLIII 2,
PG
55, 170
;InJ o.
XLIV, 1,
PG
59, 248
;
XL
V
II, 2-3, 265-266
;
XL
V
III, 3, 273 ; LIU, 1, 292 ;
In Ep. adRomanos
XIII, 1,
PG
60, 50 7 ; XIII, 4, 513 ; XIII, 6, 516
;
XIII, 7, 518 ; XIV, 7,
533
;
XXX, 1, 662
;
InEp .I a d
Cor.
VIII, 1, PG 61 , 67-68
;
XXI, 4, 174
;
XXIX, 5, 246
;
In
Ep.
adEphesios
I,
1,PG
62, 11
;In
Ep.
adHebr.
XIII, 2,
PG
63, 104
;
XIV, 2, 111
;
XX, 4,
148.
15.Voir par ex.Decruceetlatrone , 1,PG49, 407;InGen.horn. I, 4,P G53, 25-26 ;
XXXI, 1, 283 ; LXVI, 3,PG54, 570;InPs.XLIV 1,PG55, 183;InJo.I, 2,PG59, 26 ;
XLVn, 3, 266;InAct.Ap.I, 3,PG60, 18;LIII, 4, 372;InEp. ad Rom.I, 4,PG60, 400 ;
InEp. I adCor.VII, 3,P G61, 58
;
VII, 5, 61
;
InEp. adColossensesII,1,PG62 , 309.
16.Voir par ex. Cat.bapt.I, 16,S C50bis, p. 116 ; IV, 4, p. 184 ; VIII, 20, p. 258 ;
Pangyriques de S. PaulIII, 9,S C 300, p. 178
;
In S.Eustathium2,PG 50, 601
;
In illud :
Utinam sustineretis
... 1,PG 51 , 301
;In
S.
Pascha
4,PG 52, 770
;In
Gen.horn. IV, 6,PG
53,45 ; X, 4, 86
;
X, 7, 89
;
XXXII, 1, 293 ;serm.VI, 2,PG 54, 607
;
DeAnnaIV, 2,PG
54,
661
;
In
Jo .
XLVI, 2,
PG
59, 259
;
In
Act.
Ap.
XII, 4,
PG
60, 132
;
XIX, 1, 151
;
LV, 3,384
;In
Ep. ad Rom.
XIV, 2,
PG
60, 526
;In
Ep. ad Hebr.
VIII, 1,
PG
63, 67
;
XVI, 2, 125.
17. Voir
par
ex.
De
Ss.
Martyribus
2,
PG
50, 649
;In illud Si esurient...
2, PG 51, 175 ;
In illud :Habentes eumdem spiritum
I, 1, PG 51, 273
;
I, 9, 279 ; III, 1, 291
; In
Gen. horn.
II,4,
P G
53, 31
;
III, 5, 37
;
IV, 2, 40-41
;
X, 7, 89
;
XIV, 1, 112
;
XV, 1, 118 ; XVI, 1,
125-126
;
XXII, 1, 185 ; XXXIII, 1, 306
;
XLI, 2, 377 ; XLV, 1,
PG
54, 414
;
LX, 4, 524 ;
In Ps. V
1,
PG
55, 61
;In Ps.
CXXVII 4, 370
; In Ps.
CXL 4, 432
; In
Matth.XV, 4,
PG
57, 228
;In Jo .
XXXII, 2,
P G
59, 184-185 ; XXXIV, 1, 193 ; XXXIV, 2, 195 ; XLIII, 2,
247-248
;
XLV, 1, 252
;In
Ep.
ad Rom.
XIV, 2,
PG
60, 526
;In
Ep.
I a dCor.
IV, 6,
PG
61,
38;XXIII, 2,PG 61, 190-191.
18.Voir par ex.
Commentaire sur Isaie
Vili, 2,SC304, p. 346
;
Cat.bapt. VIII, 16,SC
50bis, p. 256 ; VIII, 19, p. 257 ; Pangyriques de S. PaulVII, 2, p. 296 ;Ad populum
Antiochenum
III, 3,
G49, 51 ;In S.Barlaam 1, G50, 675
;
De
mut.
nom.I, 1, PG 51,
113 ; II, 3, 128 ; IV, 1, 145 ; IV, 4, 151
;
In illud : Si esurierit ...3 ,PG51, 176 ;In Gen.
hom. VIII, 6, G53, 75 ; XXIX, 2, 262 ; LXIII, 5,PG54, 546
;
serm.VI, 1,PG 54, 605 ;
In Ps./V, 3,PG55, 44
;In
Ps.
IX
6, 129-130
;
In Matth.II, 5,PG57, 29 ; V, 1, 55 ; XIV,
3,
221 ; XXII, 4, 305 ; XXXII, 7, 385 ; XL, 4, 443 ; LV, 6,
PG
58, 548 ; LX, 3, 588 ;
LXVIII, 5, 648 ; LXXXIX, 3, 785
;InJo.
, 5,
PG
59, 36 ; XXII, 3, 138 ; XXX, 3, 174-
175
;
XXXI, 3, 179
;
XXXIV, 1, 193
;
XLV, 1, 251
;
XLVI, 4, 261 ; LXXXVIII, 3, 481
;In
Act. .
XLV, 4,
PG
60, 319
;In
Ep.
ad
Rom.XXVI, 4,
P G
60, 642
;In
Ep .
adHebr.
II, 4,
PG
63 , 25 ; VIII, 1, 67
;
VIII, 4, 75-76
;
XX, 4, 148.
19.Voir
par
ex .Demut. nom.IV, 1, PG 51, 145.
20. Voir par ex.
In
Ps.XLIX 9,PG55, 254
;In
Ep. ad Rom.XII, 6,PG60, 502.
-
7/24/2019 38 REAug 1992 nr. 1-2
20/474
22
LAURENCE BROTTIER
de "dp rav " ( -)
22
, de sa t an iq ue ( )
2 3
, d e d i a b o l i q u e
( -
)
24
,
ou
m m e d e " ju i f (
)
,
dans la mesure
o les deux
enfants de Juda e t de Thamar reprsentent l 'un l 'gl i se , l ' au t re la Synagogue,
cons t i tuant le type des deux peuples e t anno nant le genre de v ie ju i f
( -
- -
) et le genre de vie
sp
i
ri
tuel
" ( -
)
25
.
Jean ins is te volont iers sur l ' an t inomie absolue ent re ces deux sphres par des
fo rmules comme -
26
,
2 7
, ou
2 8
. est vrai
que cette htrognit avait dj t souligne par Paul qui aff irmait dans la
Eptre aux Corinthiens que l 'o n confirme les ch
os
e
s
spir i tuel les par les ch
o s
e
s
Spiri tuel les ( -)
29
.
L a sphre spi r i tue l le es t absolument dgage des cont ra in tes qui psent sur
l 'univers ordinai re .
C est
en ce la sur tout que les deux mondes s 'opposent . Tout
d 'abord , le monde spi r i tue l es t sous t ra i t l ' ac t ion du temps (
) : a i ns i, l es re st es d u r e pa s s pi ri tu e l p e u v e n t t r e consomms
21 .V oir par ex.
In Matth.
XXIII, 4,
PG
57, 313 ;
In Jo.
LU I, 1,
PG
59, 292 ; L XXV, 5,
409.
22.Voir par ex.
In Ps.
XLU 1-2,
PG
55, 157.
23.Voir par ex.In Matth.XX XII, 8,PG 57, 388;In E p. ad Eph.XIX, 2,PG 62, 129;In
Ep.
ad Col.
IX, 2,
G
62, 362 ; en particulier , la lourdeur satanique ( - )
s'oppose la pense lgre ( ) lie la grce spirituelle ( -
) In Matth. , 5,PG57, 30.
24.Voir par ex.In Matth.VII, 6,PG57, 80.
25 .
In Gen. hom.
LXII, 1,
PG
54, 533-535 ; le commentaire de
Eptre aux Ephsiens
montre que ce genre deviejuif ' se caractrise par un attachement aux choses de la terre. Jean
oppose en effet la bndiction spirituelle ( voque par Paul(Eph.1, 3),
qui ne concerne pas la vie terrestre ( | yfj) et lesbndictions telles que les Juifs les
concevaient, consistant en un pays o coulent le lait et le miel (cf.
Ex.
33, 3;Deut 15,4;
Is.
1, 19 ;
Ps.
85 (84), 13)
(In Ep. ad Eph.
I, 1,
PG
62, 11). Et s ils ne conoivent rien de
spirituel,
c est
qu' ils bent devant les objets de leur gloutonnerie
(apb
)
In Jo.
XLV, 1,
PG
59, 251). Ces jugements souvent trs pjoratifs sur les Juifs
sont frquents chez Jean ; pour une tude approfondie des relations entre le prdicateur et les
Juifs, voir : R.L.
WILKEN,John
Chrysostom
and the Jews,
Berkeley-Los Angeles-Londres,
1983.On trouve dans le commentaire de
Rom.
7, 14, une exgse plus surprenante et un peu
mystrieuse:Jean interprte la loi spirituelle comme la loi mosaque, considrant la loi nouvelle
apporte par le Christ comme une loi qui n'est plus seulement spirituelle, mais qui est E sprit In
Ep. ad Rom.
XIII, 4,
PG
60, 513).
26.Voir par ex.
De Cruce et
latroneII, 1,
PG
49, 407 ;
De Ss. Mart.
2,
PG
50, 649;
In
Gen. hom.VIII, 1,PG 53, 70 ; , 1 , 306 ; XL, 1 -2, 377 ; XLV, 1,PG54, 414.
27.Voir par ex.Pangyriques
d e S. Paul
VII, 2,
SC
300, p. 296;
In
Matth.L V, 6,
PG
58,
548.
28.
Voir
par
ex.
InS.Barlaam
1,
P G
50, 675
;In illud :Utinam sustineretis .. .
1,
P G
51,
302; In Gen.hom. XL V, 1,PG 54, 414 ;serm.VII,
1,
P G 54, 605. E n particulier, rien n'est
plus impropre saisir les ralits spirituelles que les raisonnem ents ( ) humains, terme
le plus souvent
pjoratif chez Jean:
In
Jo. XXIV,
3,PG
59,146;XX V, 1, 149.
29.
Co.
2,
13,
comment
In Ep. I ad
Cor VII, 4,
PG
61,59 ; cf.
infra
p. 26.
-
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CHEZ JEAN CHRYSOSTOME
3
aprs n'importe quel laps de temps
30
, la semence spirituelle donne un pi
aussitt ( ), san s avoir besoin de maturation
3
1
; contrairement au feu
d'aujourd'hui qui demain sera cendre, les ralits spirituelles dem euren t sans
cesse resplendissantes
( ),
e t
mm e, leur clat augmente de
jo ur enjour" (xcci
)
32
.
Cette
sphre se trouve
l'abri des alas de la vie humaine et charnelle ol'on ne trouve rien de sr ,
rien de stable, rien de fixe
( ,
,
)
:
elle offre des biens "srs,immuables, qui n'admettent pasde changement et se
prolongent la mesure de l 'ternit ( )
33
.
L'homme spirituel, percevant le prolongement ternel de toute chose, a donc
des ractions totalement paradoxales, inverses par rapport aux ractions
courantes :par exemple, quand il voit une croix, l'homme ordinaire prend le
deuil ; l'homme spirituel au contraire, cause de cette vision largie qui
englobe la rsurrection, se rjouit en vo yant la mme croix. Jean gnralise
cette constatation
:
Telles
so
nt absolument toutes les ralits spirituelles
(
)
,
en
oppos
iti
o
n avec les habitudes
humaines
( - TTJ
)
34
.
S
i la sphre spirituelle n'est plus soumise au temps, elle est galement
libre de la tutelle des lois, qu'elles soient naturelles ou introduites par le
pch. U ne maternit miraculeuse
35
reoit la mme explication que laprsence
vivifiante d'un martyr, pourtant loign dans l'espace comme dans le temps :
-
36
. D e mme, l 'homme spiri tuel est
inaccessible la maladie comme la pauvret ; le pasteur en prend pour
exemple Paul dans les temps anciens et les solitaires actuellement
37
. C'est le
pch qui a, selon Jean, introduit une autre loi, celle de la domination de
30 . In Gen. horn. XL, 1,PG 53 , 368-3 69 ; cf. XX II, 1,P G 53, 185.
31. Non esse desperandum 1,P G 51, 365 : - -:
, , , - -, -
. J ean oppose de mme la longue gestation
du foetus au renouvellementimmdiat opr lorsdu baptme: In Jo. XXVI, 1,PG 5 9 ,1 5 3 .
32 .In Jo. XLIV, 2,P G 59, 250.
33 . In Gen. horn.I, 4, PG 53, 25-26 ; cf. In Gen. horn. , 4 , PG 53 , 85-86 : pour celui
qui a
reu le regard
d
e l'Esprit, le temps appara
t
d
ans sa totalit : le futur est peru comme
d
u
prsent, voire comme du pass ( ) et T o n discerne l'in visib le (
) .
34 .
De Cruce et latrone
II, 1,
PG
49 , 407.
35 . De Anna
III, 2,
P G
54, 656.
36 In S.Eustathium 2 ,PG 50 , 601 :
' ' ,
- , -.
37 .In Hebr. XXXIV, 3 ,PG 63, 236 ; cf. In Matth. XL, 4,P G 57, 443 : l'homm e spirituel
n 'est pas atteint par la .
-
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24
LAURENCE BROTTIER
l'homme sur la femme, dsormais infrieure
38
. Or, dans le domaine spirituel,
l'galit est rtablie l'intrieur du couple
39
.
Jean aime aussi opposer les efforts normes ncessaires dans le domaine
matriel, par exemple ceux des chercheurs d'or, pour un profit minime, et les
efforts lgers demands dans l'univers spirituel pour une abondance qualifie
d'indicible
( ). Cette assert ion, ici encore, est
gnralise :
40
.
Si les efforts sont moindres dans le monde spirituel, les risques y sont
inexistants, puisque ce domaine est l'abri des alas humains : L e trsor
spirituel ne peut tre diminu ni par l'attaque des voleurs, ni par la perversit
des serviteurs, ni par tel ou tel autre facteur
41
. On ne peut connatre non plus
de perte subite, du fait d'un retournement de fortune
42
, car ces biens se
maintiennent constamm ent au niveau le plus haut
43
. Mieux encore, le partage
qui diminue pour chacun les fortunes matrielles augmente les gains
spirituels
44
.
.- L'UN IVER S SPIR ITUEL,M TAM ORPHOSE D E L 'UN IV E R S O RDINA IRE
U ne lecture plus attentive rvle une prsentation plus subtile des rapports
entre les deux univers : l'antithse est dpasse, car l'action de l'E sprit investit
les objets et les valeurs de l'univers ordinaire et les mtamorphose en un
univers spirituel, vritable monde renvers. L 'ide de mtam orphose se
dgage nettement de la double affirmation de Jean dans son commentaire de
38.Voir par ex.In Gen. horn.XVII, 8,PG 53, 144-145 ;serm.IV, 1,PG 54, 594-595 ;
In
Ep.
I ad
Timotheum
DC,
1, PG 62, 543-544.
39Commentaire
sur haie
VIII, 2, trad. A .
LIEFOOGHE,SC
304, p. 346 : Il n'en va pas
comme dans l'ordre matriel ( - ) :l, les sexes sont spars, autres
sont les occupations des hommes, autres celles des femmes, sans qu'il soit possible aux uns et
aux autres de les changer ; quand il
s agit
de l'ordre spirituel ( ), les
combats sontgaux et les couronnes semblables . D e mme, l'esclave est notre gal en dignit
( ) dans le domaine des biens
suprieurs et spirituels
( -
-)
In Jo.
XXVI, 3,
PG
59, 157.
40.In G en. horn.
Vili, 1,
PG
53 , 70 ; cf.
supra,
n. 34.
41 .Ibid.
horn.
LXVI, 3,
PG
54, 570.
42.
Ibid.
horn.X I, 2,P G 53, 93.
43.In
Ss.
Juventinum etMaximinwn 1,P G
50, 571-572.
44.Voir par ex.In G en. horn. XLV,
1,
PG54, 414 : Les biens spirituels se comportent
l inverse
de s
biens sensibles * -
-
).
Dans
ce
dernier cas, l'abondance de la tableentrane une dpense et diminue la fortune de l'hte;dans le
premier cas, c'est tout le contraire:plus nombreux sont les participants, plus augmentera pour
nous l'abondance"
;
cf.D e Ss.Mart.2, G50, 649
;In illud Habentes eumdem spiritum
I, 1,
PG
51 , 273 ;
In Gen. horn.
Ill, 1,
PG
53, 32 ; Vili, 1, 70 ; XV, 1, 118 ; XLIV, 1,
PG
54,
406;
In Ps.XUII 2, PG
55, 1 69-170.
-
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C HEZ JEA N C HRY SO ST OM E
25
Yptre aux Romains :" De m m e que ceux qui reoiven t les a i les de l 'E spr i t
r enden t mme l eu r co rps spi r i tue l (
)
,
de
mme ceux qu i se sauvent lo in de l 'Espr i t p our tre esclaves du ventre et du
pla is i r font mme de leur me de la chai r
( ) .
C'est le Christ qui rend la chair
p
lu
s lgre et plu s spir i tuel le (
)
,
non qu ' i l change
s
a na tu re , ma i s plutt parce qu ' i l lu i
donne des a i l e s
4 5
." D ' a i l l eu r s l e Chr i s t l u i -mm e , en ense ignan t l e "N otre
P re" a n o n c une demande sens ib l e ( ) , ce l le du pa in quot id ien ,
devenue sp i r i t ue l l e pa r l a m an i re don t e l l e e s t fo rmu le
(
), tant donn la modra t ion de la demande d 'une par t
et le retour rapide des requtes d 'ordre spi r i tue l d 'aut re par t
4 6
.
L ' a jou t de l ' ad j ec t i f
-
une no t ion couran te en t r ans fo rme
rad ica l emen t l e sen s , no u s le v o y on s d ' a p r s l e s e x e m p l e s s u i v a n t s . Le
vocabulaire du culte est con serv, mais i l s agit d 'u n cul te sp i r i tue l (
)
, s
an
s
rien de visible et
s
an
s
p
r
tre
4 7
. E
n part iculier , la notion de
sacrif ice, si impor tante dans l ' anc ienne a l l iance , es t maintenue , mais dans le
sacrif ice spir i tuel ( )
48
on n ' e x i g e plus de v ic t ime vivante ,
ma i s des membres mor t s au
p ch . Jean l ie l ' ad jec t i f deux
aut res qual i f ica t i fs , no uve au
( -
) e t pa rado xa l
( -
)
,
adjectifs
typ iques de la nouvelle al l iance et du monde de l 'E sp r i t
4 9
. O n voit ga l emen t
s ' ag rand i r ou s ' inverser le p ouvo i r d 'obje ts de la v ie courante . Ain s i , le miroir
spi r i tue l
(
)
,
const i tu par le souveni r des hommes de
bien , par la lec ture de l'E cr i ture , par les lo is divines , ne se con ten t e pas de
rf lchi r une image : il a le p ouv o i r de l ' embe l l i r
5 0
. O u encore , l o r squ 'on
e n t e n d
p
a
r
le
r
d ' a r m e s ,
o
n imag ine qu ' e l l e s v i sen t
l ' a n a n t i s s e m e n t d ' u n
ennemi . Or les armes spi r i tue l les
(
)
,
s igne de cr
o
i
x
5
o
u
paroles d 'ac t ion de g rce s
5 2
, sont lances "n o n p our abat t re mais pour relever
ceux qui
so
nt
t e r r e
5 3
.
L
e
s
termes ds ignant des ra l i ts mpr isables s ' i l en
es t , les ralits commerc i a l e s , sont trs souven t u t i l i s s pdagog iquemen t pa r
J e a n . Ce vocabula i re de la f inance , access ib le to u s , est t ranspos dans un
45 .
In Ep. ad Rom.
XIII, 7,
PG
60 ,517-5
1
8 ; cette mtaphore
d
e l'allgement s'oppose
celle
d
e l'alour
d
issement satanique, cf.
supra
n. 23.
46.In Jo.
XLIII, 2,
PG
59, 247-248.
47. In Ep. ad Hebr. XIX, 1,P G 63, 139.
48.
In Gen. horn.LX, 4,PG 54, 524 ; cf. In Ep. ad Rom. II, 2,PG 60, 403 :"Ce n'est pas
avec
d
es brebis,
d
es veaux,
d
e la fume et
d
e la graisse o
d
orante que se ralise le genre
d
e
sacrifice que nous pratiquons, mais avec une me spirituelle"(i|/^ -) ;
In Ps.
CXL
y
4 , PG 55, 432 ; In Matth. XL VII, 3, PG 58, 485 ;In Ep. ad H ebr. XIII, 3, PG 63,
106; XIV, 2, 111.
49.
Voir par ex.
In Matth.
XV, 4 ,
P G
57, 228 ; XXXII, 4, 381.
50. In M atth. IV, 8,PG 57, 49.
5
1
. In Ep. I ad Cor.XII, 7, PG 61, 106.
52. In Matth. II, 4,PG 57, 29 ; cf. In Jo. XXX, 3 ,P G 59 , 174 : les paroles de l'criture
sont des "armes spirituelles".
53. In illud : Filius ex se nihil facit
1,
PG
56, 248.
-
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26
LAURENCE BROTTIER
autre ordre de ralits l'aide de l'adjectif - . A in si, Jean p arlera
volontiers d ' a ffa ire ( )
54
et de co ntrats ( )
55
spirituels,
d ' argent ( )
56
et
d' or
( )
57
spiri tuels , de det te ( )
58
,
d' intrts
( - )
59
, de c om merce ( )
6 0
spirituels. Plus qu'une
simple mise au niveau des auditeurs, il y a l, de la part du prdicateur, un
dsir d'intgrer leur univers tout entier dans une nouvelle construction
spirituelle : ils reconnaissent leur systme de valeurs et leur vocabulaire pour
en apprendre un sens nouveau et une dimension inattendue.
Au terme de cette enqute, une question se pose : qu'a fait Jean de ce mot
d'origine paulinienne ? Comm e l'aptre, il emploie spirituel au sens fort,
pour dsigner ce qui relve de l 'E sprit
61
. A l'instar de l'ap tre, il affirme
volontiers l'antithse entre deux ordres de ralits et de perspectives
62
. Mais,
s'il a beaucoup repris l'opposition entre - et -
63
, l'antithse
- / -,
trs importante chez Paul, n'est pas trs familire
Jean. Tout au moins dans les termes
64
; car l ' ide paulinienn e d'un e
htrognit radicale entre le point de vue du spirituel et celui du non
spirituel, - qui fait dire l'aptre : L'homme psychique n'accepte pas ce qui
vient de l'esprit de