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UNIVERSITE PARIS EST CRETEIL FACULTE DE MEDECINE DE CRETEIL ANNEE 2016 N° 2016UPEC1034 THESE POUR LE DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE Discipline: Médecine Générale ------------ Présentée et soutenue publiquement le : 30 juin 2016 à CRETEIL (PARIS EST CRETEIL) ------------ Par Mlle Viridiana PETITJEAN Née le 7 Août 1985 à Besançon (Doubs) ------------ Histoire comparée de la consultation médicale, contribution à l’étude des démarches cliniques du XVI ème au XXI ème siècle DIRECTEURS DE LA THESE : LE CONSERVATEUR DE Dr Roberto POMA (philosophie) LA BIBLIOTHEQUE Dr Jacques CITTEE (médecine) UNIVERSITAIRE

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UNIVERSITE PARIS EST CRETEIL

FACULTE DE MEDECINE DE CRETEIL

ANNEE 2016 N° 2016UPEC1034

THESE

POUR LE DIPLOME D’ETAT

DE

DOCTEUR EN MEDECINE

Discipline: Médecine Générale

------------

Présentée et soutenue publiquement le : 30 juin 2016

à CRETEIL (PARIS EST CRETEIL)

------------

Par Mlle Viridiana PETITJEAN

Née le 7 Août 1985 à Besançon (Doubs)

------------

Histoire comparée de la consultation médicale,

contribution à l’étude des démarches cliniques du XVIème

au XXIème

siècle

DIRECTEURS DE LA THESE : LE CONSERVATEUR DE

Dr Roberto POMA (philosophie) LA BIBLIOTHEQUE

Dr Jacques CITTEE (médecine) UNIVERSITAIRE

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REMERCIEMENTS

Le moment des remerciements est difficile, bien qu’ils se trouvent au début ils marquent la fin de ce

travail de thèse ; et c’est donc tout naturellement qu’ils seront emprunts de culture latine dans laquelle j’ai

baigné lors de leur rédaction. Ce moment redouté l’est surtout parce qu’il marque la fin d’une ère : la fin de ma

vie de thésarde et de mes études de médecine. Mais c’est aussi l’opportunité, nunc aut numquam, de rendre

hommage à toutes les personnes qui ont ponctué mon parcours aussi bien personnel que professionnel.

Tout d’abord je tiens à remercier mes deux directeurs de thèse : Dr Roberto Poma (philosophie) pour sa

grande érudition, pour m’avoir initiée à la philosophie et surtout pour ses remarques assaisonnées à la sauce

bénédictine; Dr Jacques Cittée (médecine) pour le crédit qu’il a accordé à mon travail, son soutien et sa

disponibilité. Merci de m’avoir accompagnée dans ce travail, dirigée et conseillée pendant le long moment que

m’a pris la réalisation de cette thèse.

Je veux aussi remercier le président ainsi que les membres du jury de thèse, qui sont les témoins de mon

parcours et de l’aboutissement de mes études.

Je tiens également à rendre hommage aux médecins qui m’ont formée et qui ont marqué mon internat et

plus particulièrement au Dr Tardieu, auprès duquel j’ai retrouvé les raisons profondes qui m’avaient fait choisir

cette voie.

Ab origine fidelis, je veux dire merci tout particulièrement à mes parents pour m’avoir soutenue, et

encouragée tout au long de mon parcours : Papa et Maman, ce travail vous est dédié. A ma petite sœur Aurélie,

pour ses remarques caustiques et sans concession mais non moins toujours vraies et pertinentes (merci pour le

rappel sur l’emploi des virgules) et à Loïc qui la rend heureuse. Et comme aliquis non debet esse judex in propria causa,

merci à Sophie, pour sa relecture précieuse et son regard perspicace d’ancienne thésarde, merci de m’avoir

montrée la voie. A Léane et Victorien, en espérant à mon tour vous servir de modèle et vous donner envie de

réaliser plus tard le même travail.

Merci aux amis, toujours prêts à me soutenir et à m’encourager pour la thèse en particulier et dans la

vie en générale: Cécile, Véronique, Sigrid, la TP Family (Julie, Edouard, Camille, Pierre et Guillaume), Yifei et

Julie, Yohan, Christelle et Fred, Charlotte.

Et enfin, amor patitur moras et omnia vincit, je veux te remercier Anthony, pour avoir parcouru avec moi le

long chemin des études, pour m’avoir épaulée, supportée, aidée pendant toutes ses années semées d’embuches,

pour avoir compris les moments d’angoisse que sont la P1, l’internat et la thèse et pour être un pro dans les

domaines qui me font défaut.

Acta fabula est…

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ........................................................................................... 1

I – OBJECTIF ET METHODE ......................................................................... 7

1/ La consultation médicale : le cœur de la pratique du médecin généraliste ........................ 7

a – Un métier exigeant ........................................................................................................ 7

b - La consultation médicale ............................................................................................. 10

2/ L’histoire comparée ou comment construire des comparables ........................................ 14

a – La naissance de l’histoire comparée ........................................................................... 14

b -Le comparatisme de Marcel Détienne .......................................................................... 15

3/ Un matériel historique riche ............................................................................................. 18

a - L’apparition de l’exemplum ......................................................................................... 18

b - Les consilia médicaux. ................................................................................................ 20

II – UNE HISTOIRE DE CONSULTATIONS : DEMARCHES

CLINIQUES DU XVIEME

AU XXIEME

SIECLE ............................................. 23

1/ Prendre en charge une fièvre : deux époques, deux méthodes ......................................... 23

a – La prise en charge d’une fièvre au XXIème

siècle ....................................................... 23

b - Une consultation de fièvre au XVIème

siècle ............................................................... 26

2/ La rencontre avec le patient .............................................................................................. 28

a – Son environnement...................................................................................................... 28

b - L’interrogatoire du malade .......................................................................................... 31

3/ Vers l’élaboration du diagnostic ....................................................................................... 34

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a – L’examen clinique ....................................................................................................... 34

b – La réflexion diagnostique ........................................................................................... 38

III – ANALYSE DES DEMARCHES CLINIQUES DU XVIEME

AU XXIEME

SIECLE .............................................................................................................. 41

1/ L’émergence de la médecine moderne ............................................................................. 41

a – La réinterprétation du rôle du médecin ....................................................................... 41

b – L’évolution du concept de maladie ............................................................................. 46

2/ L’élaboration du diagnostic et la Naissance de la Clinique ............................................. 52

a – La Crise des Fièvres .................................................................................................... 52

b – La clinique : transmettre et instruire ........................................................................... 56

3/ La médecine aujourd’hui : La Mort de la clinique ? ........................................................ 59

a – La médecine technique ................................................................................................ 59

b – La Mort de la Clinique ? ............................................................................................. 62

CONCLUSION .................................................................................................. 65

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................ 67

ANNEXE ............................................................................................................ 70

ABSTRACT ....................................................................................................... 72

RESUME ............................................................................................................ 73

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INTRODUCTION

A l’heure du débat sur la revalorisation du tarif de la consultation en médecine générale, sa

définition pourrait sembler admise. Pourtant, selon Joël Coste, « peut-être parce qu’elle

constitue un acte trop commun de la médecine pratique, la consultation n’a jamais fait l’objet

de théorisation approfondie1 ». L’absence d’étude concernant le déroulement de la

consultation s’avère paradoxale alors que l’ère des certifications en santé bat son plein et

impose des règles standardisées de bonne pratique. Ces schémas de fonctionnement,

mesurables et reproductibles, semblent cependant peu compatibles avec la réalité de la vie en

cabinet médical. Ainsi, pour le Dr Norbert Bensaïd, depuis l’entrée du patient dans le bureau

du médecin jusqu’à sa sortie de la pièce, tout semble automatique dans le déroulement des

actions, comme orchestré. Il évoque une « cérémonie rituelle de la consultation2 » et ajoute

que la majeure partie de ce qui appartient à ce rituel échappe au médecin comme au patient.

Les deux protagonistes y sont soumis l’un et l’autre, préparés même, mais n’en connaissent

pas la signification profonde3. Or le médecin est un scientifique, exerçant dans le cadre des

données acquises de la science, mais comment pourrait-il le faire s’il ne comprend pas les

prérequis au déroulement de sa propre consultation ? Bensaïd n’y répond pas mais ajoute que

« la médecine officielle pose ses questions en fonction des réponses dont elle dispose, qu’elle

refuse l’ignorance et l’impuissance et qu’il lui faut répondre, ou alors accepter de ne pas

répondre, aux questions qui lui sont posées 4 ».

Puisque la consultation est un rituel, elle s’inscrit dans la tradition dont la réponse pourrait se

trouver dans l’Histoire. Nous ferons donc nôtre l’affirmation du Dr Bensaïd en nous efforçant

tout au long de ce travail de comprendre, à l’aune du comparatisme historique, comment se

déroule une consultation médicale. Bien que l’apprentissage des langues anciennes tombe en

désuétude dans l’enseignement secondaire, ce travail sera un parti pris d’utiliser des textes en

latin, avec un travail de traduction associé, et en grec ancien, vecteurs des connaissances

scientifiques depuis l’Antiquité jusqu’à la fin de la Renaissance. Ces écrits, issus pour la

plupart de corpus de consilia, nous ont été transmis car ils étaient à la base de l’enseignement

1 COSTE J., Les écrits de la souffrance, la consultation médicale en France (1550-1825), Champ Vallon, Ceyzérieu 2014, p.

24. 2 BENSAID N., La consultation le dialogue médecin/malade, Denoël/ Gonthier, Paris, 1974, p. 12.

3 Ibid. p. 11.

4 Loc. Cit. p. 14.

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médical. Les parcourir est un cheminement vers une redécouverte de la réalité de la science au

moment de leur publication. Comme ce travail se veut une mise en parallèle entre, d’une part,

une démarche médicale actuelle, et d’autre part, des démarches passées, certains textes de

référence plus contemporains seront en français et en anglais. Cette dernière langue étant

désormais le nouveau vecteur de transmission du savoir à l’échelle non plus européenne,

comme l’étaient le latin et le grec, mais à l’échelle mondiale. De plus, le choix d’utiliser des

textes anciens s’inscrit dans une démarche de mise en exergue des pratiques professionnelles

actuelles en étudiant celles de nos prédécesseurs à travers des sources primaires. Dans cette

optique, la voie comparatiste est apparue la plus adaptée à notre travail même si la principale

opposition à cette méthode vient de son caractère constructiviste. Mais cela est finalement le

propre de chaque démarche qualitative dont la fonction initiale est de comprendre plus que de

décrire et de mesurer. Comprendre c’est rendre intelligible des idées tout en mettant en

lumière la complexité des actions des soignants qui nous ont précédés.

La problématique sera déclinée en trois axes de recherches principaux. Tout d’abord nous

devrons comprendre comment le métier de médecin évolue dans un cadre officiel, basé sur un

référentiel de métier, garantissant un standard de la pratique médicale. Il nous faudra aussi

mettre en évidence les différentes étapes clés d’une consultation médicale du XXIe siècle ainsi

que les moyens dont nous disposons pour en interpréter le déroulement en utilisant la

technique d’histoire comparée, elle-même basée sur l’existence d’un matériel historique riche

(I). Ensuite, ayant posé nos prérequis nous pourrons procéder à un examen étape par étape de

la consultation en intégrant faits anciens et modernes pour mieux en comprendre le sens (II).

Enfin nous nous attacherons à commenter les évènements passés et actuels pour établir leur

influence dans la redéfinition du rôle de médecin et du concept de maladie. Pourrons-nous

alors conclure à la mort de la médecine clinique (III) ?

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I – OBJECTIF ET METHODE

1/ La consultation médicale : le cœur de la pratique du

médecin généraliste

a – Un métier exigeant

Qu’est-ce qu’être médecin généraliste ? Si tout le monde s’accorde à dire que le médecin

généraliste exerce son art sur un domaine très vaste, il n’est pas aisé d’en donner un cadre

précis. Une définition a été donnée par le groupe Leeuwenhorst en 1974 :

Le médecin généraliste est un diplômé en médecine qui fournit des soins primaires,

personnalisés et continus, aux personnes, aux familles et à la population,

indépendamment de l’âge, du sexe et de la maladie. C’est la synthèse de ces

fonctions qui est unique. Il prend en charge ses patients au sein de son cabinet

médical, à domicile, ou parfois même en clinique ou à l’hôpital. Il tente d’établir un

diagnostic précoce. Il inclut et intègre des facteurs physiques, psychologiques et

sociaux dans la gestion de la santé et des maladies. Cela se ressentira dans les

soins fournis aux patients. Il prendra une décision initiale pour chaque problème

qui se présentera à lui en tant que médecin. Il assurera la continuité des soins pour

ses patients atteints d’affections chroniques, récurrentes ou terminales. Des

contacts prolongés lui permettent de rassembler l’information selon un rythme

adapté au patient, et de construire une relation basée sur la confiance, qui peut être

utilisée à des fins professionnelles. Il pratiquera la médecine en collaboration avec

d’autres collègues médicaux et non-médicaux. Il saura quand et comment intervenir

pour traiter, prévenir, éduquer, et promouvoir la santé de ses patients et de leurs

familles. Il reconnaitra sa responsabilité professionnelle envers la communauté5.

Tout d’abord, le médecin généraliste doit être diplômé dans cette spécialité ; ce qui sous-

entend avoir suivi un cursus spécifique et approuvé par une autorité compétente. Ensuite il

représente les soins primaires, c’est-à-dire qu’il est le premier recours du patient qui souhaite

être pris en charge par le système de soins. Quels sont ses patients habituels ? : l’ensemble de

la population, sans distinction d’âge, de sexe, d’origine. Où prend-il en charge ses patients ? :

au cabinet médical, au domicile du patient ou encore à l’hôpital. Cette première partie de la

définition donne un cadre rigide à la pratique médicale. Elle évoque la formation, la place du

généraliste dans le système de soins, la population qu’il doit prendre en charge et le lieu de

5 LEEUWENHORST (groupe de travail), The General Practitioner in Europe, 1974.

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cette prise en charge. Cette rigidité donne un cadre légal à la profession, un droit d’exister au

sein du système de soins.

La deuxième partie évoque le rôle du généraliste. Il effectue un diagnostic précoce, en

intégrant les dimensions physiques, psychologiques ou encore sociales du patient dans sa

prise en charge. Là encore le médecin est pris en étau au sein des institutions sociétales. Il doit

de plus « assurer des soins continus » pour pouvoir établir une « relation de confiance ». Il

ressort une notion de stabilité, il doit être présent de façon continue dans la vie de ses patients

et ce, sur le long terme. Cela implique l’installation à un endroit géographique donné pour un

long laps de temps. De plus, il doit savoir communiquer avec ses patients mais aussi avec ses

confrères et les autres personnes amenées à intervenir auprès de ses patients, avec

l’établissement d’un réseau de soins. Là encore le généraliste est renvoyé à une notion de

stabilité car comment établir un réseau de correspondants sûrs si on change fréquemment de

lieu d’exercice ? Enfin, le diagnostic de la maladie n’est pas son seul rôle, il doit aussi

pouvoir la prévenir, éduquer ses patients à leur santé et à la prise en charge de leurs

pathologies chroniques.

Cette définition trace une structure, qui peut apparaître rigide et stricte, dans laquelle le

médecin généraliste évolue au sein de la société dans laquelle il exerce. Mais la définition de

la médecine générale est difficile, en effet, comment en quelques phrases et en mots bien

choisis pourrait-on en résumer la complexité ? Depuis les années 70, d’autres tentatives pour

définir ce métier ont vu le jour aussi bien au niveau national (Ordre des médecins),

qu’international (WONCA Europe6) ou encore mondial (Organisation Mondiale de la Santé).

Lorsque le groupe Leeuwenhorst a publié sa déclaration en 1974 la médecine générale était en

plein renouveau, aussi bien sur le plan de l’enseignement que de la recherche. Après plus de

40 ans, sa place dans le système de soin s’est affirmée, et de nouvelles définitions sont

apparues, témoins de l’intérêt étatique pour la discipline. En effet, les systèmes de soins basés

sur les soins primaires, avec des médecins ayant reçu un niveau de formation élevé,

fournissent des soins plus rentables et plus efficaces au niveau clinique que les autres

systèmes de santé7. Parmi ces définitions, on retiendra celle du référentiel WONCA Europe

parue en 2002 :

Les médecins généralistes – médecins de famille sont des médecins spécialistes

6 WONCA Europe est un acronyme pour World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations

of General Practitioners/Family Physicians. 7 STARFILED B., Primary Care: balancing health needs, services and technology, Oxford University Press, Oxford, 1998.

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formés aux principes de cette discipline. Ils sont le médecin traitant de chaque

patient, chargés de dispenser des soins globaux et continus à tous ceux qui le

souhaitent indépendamment de leur âge, de leur sexe et de leur maladie. Ils

soignent les personnes dans leur contexte familial, communautaire, culturel et

toujours dans le respect de leur autonomie. Ils acceptent d’avoir également une

responsabilité professionnelle de santé publique envers la communauté. Dans la

négociation des modalités de prise en charge avec leurs patients, ils intègrent les

dimensions physique, psychologique, sociale, culturelle et existentielle, mettant à

profit la connaissance et la confiance engendrées par des contacts répétés. Leur

activité professionnelle comprend la promotion de la santé, la prévention des

maladies et la prestation de soins à visée curative et palliative. Ils agissent

personnellement ou font appel à d’autres professionnels selon les besoins et les

ressources disponibles dans la communauté, en facilitant si nécessaire l’accès des

patients à ces services. Ils ont la responsabilité d’assurer le développement et le

maintien de leurs compétences professionnelles, de leur équilibre personnel et de

leurs valeurs pour garantir l’efficacité et la sécurité des soins aux patients8.

Le généraliste doit, selon la WONCA, avoir six compétences fondamentales qui sont la gestion

des soins de santé primaires, les soins centrés sur la personne, l’aptitude spécifique à la

résolution de problèmes, l’approche globale, l’orientation communautaire, et l’adoption d’un

modèle holistique. De plus ces compétences doivent s’appliquer dans trois champs

d’activités : démarche clinique, communication avec les patients et gestion de cabinet

médical. Et de même, la médecine générale étant considérée comme une discipline

scientifique centrée sur la personne, trois dimensions spécifiques dans cette approche doivent

également être prises en compte qu’elle soit contextuelle, comportementale ou encore

scientifique9. Ces notions plus contemporaines soulignent les interrelations entre les

compétences, les champs d’action et les dimensions spécifiques de l’exercice du généraliste.

Le généraliste est toujours ici le premier maillon de la chaîne de soins, il prend en charge

l’ensemble de la population sans distinction. Il doit pratiquer une « démarche clinique » qui

est la base de son rôle de médecin. Il semble ici que le lieu de consultation ne soit pas

clairement défini mais le référentiel insiste sur la gestion du cabinet médical, ce qui renvoie le

médecin à une implantation de ville, au sein même de la communauté qu’il traite.

Ce besoin de définir, de donner un cadre à la profession témoigne de l’émergence progressive

d’une identité propre de la médecine générale. Si donner un cadre rigide et structurant à ce

métier est si difficile c’est que le médecin généraliste est dans l’expérience vécue ; une

expérience qui n’est ni totalement claire ni totalement floue, basée sur une analyse

8 WONCA Europe, Société Européenne de la médecine générale – médecine de famille, La définition de la médecine

générale – médecine de famille, 2002. 9 Ibid. p. 9.

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10

scientifique mais aussi émotionnelle, cognitive et affective. C’est pour tout cela que le métier

de médecin généraliste est « incommunicable10 ». Cependant ces définitions ne mentionnent

pas le moment indispensable de la prise en charge du patient par son médecin : la consultation

médicale. Cet oubli semble volontaire, on parle ainsi de « démarche clinique » pour la

WONCA. L’étape de la consultation semble tellement évidente qu’elle n’est pas évoquée

directement. Pourtant la démarche clinique lors de cette consultation apparaît comme

indispensable, comme la pierre angulaire du travail du généraliste. Mais tout d’abord, qu’est-

ce qu’une consultation en soins primaires ?

b - La consultation médicale

En 2014, le Docteur Joël Coste, rhumatologue et épidémiologiste à Paris Descartes, définit la

consultation comme « une rencontre entre un patient et un médecin dans un cabinet ou un

lieu dédié à cette activité, à l’issue de laquelle le médecin retranscrit de manière rapide et

concise ses prescriptions sur une ou plusieurs ordonnances11 ». Elle est donc tout d’abord une

rencontre entre deux individus caractérisés par un savoir et une attente, se retrouvant dans un

lieu défini à l’avance et dont l’aboutissement est la résolution d’un problème. Les

dictionnaires médicaux du XXIe siècle en donnent cette définition:

1° Examen d’un patient ambulatoire au cabinet médical. – 2° Délibération entre

plusieurs médecins au sujet d’un cas difficile. – 3° Local ou service hospitalier

destiné à recevoir les patients venant de l’extérieur12

.

La consultation médicale est donc triple, elle est un examen, une délibération et un lieu. Dans

un premier temps il s’agit d’examiner un patient ambulatoire, donc non hospitalisé, qui a

recours au système de soins. Cet examen se fait dans un cabinet médical, donc chez un

médecin exerçant hors de l’hôpital. Cette notion de patient venant de l’extérieur est encore

renforcée par la troisième partie de la définition qui évoque un service hospitalier cette fois-ci

mais destiné à recevoir des patients venus de l’extérieur. La consultation dans la définition

actuelle marque le point d’entrée dans le système de soins, aussi bien dans la médecine de

ville que dans la médecine hospitalière. Enfin, le terme de consultation peut être utilisé pour

10

BENSAID N., La consultation le dialogue médecin/malade, Denoël/Gonthier, Paris, 1974, p. 11. 11

COSTE J., Les écrits de la souffrance, la consultation médicale en France (1550-1825), Champ Vallon, Ceyzérieu, 2014,

p. 7. 12

Dictionnaire des termes de médecine, GARNIER M., DELAMARE V., Maloine, 23e édition, Paris, 2003.

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11

parler de la réunion de plusieurs confrères pour discuter du cas d’un malade et obtenir un avis

collégial. C’est dans cet aspect que le mot retrouve son étymologie première de consulere qui

signifie délibérer ensemble en latin.

Au XIXe siècle, un grand éditeur français, Charles Louis Fleury Panckoucke (1788-1844)

entreprend la publication d’une Encyclopédie Méthodique dont la série médecine s’étend de

1787 à 1830 et qui compte 13 volumes. L’intérêt pratique de cet ouvrage est qu’il représente

une énorme entreprise intellectuelle de collecte du savoir de l’époque13. On y trouve

également une définition de la consultation et on en reconnait déjà un aspect tripartite :

On appelle la consultation : 1° l’avis que des médecins donnent aux malades

indigens, 2° la réunion de deux ou plusieurs médecins au lit du même malade et 3°

le mémoire délibéré par des médecins sur l’exposé de la maladie, tracé par le

médecin ordinaire.

La consultation est ici surtout un avis, elle ne relève pas nécessairement de l’examen du

patient. On retrouve donc dans ces deux définitions le couple médecin - malade mais alors

que le patient est ambulatoire au XXIe siècle, il est « indigens » au XIX

e. A cette époque le

savoir médical était principalement l’apanage des hôpitaux dont l’accès était payant ; la

plupart des centres hospitaliers avaient coutume de faire une ou plusieurs fois dans la semaine

des consultations ouvertes à tous où les malades ne pouvant pas se payer les soins étaient

examinés gratuitement.

La première partie de chaque définition montre l’évolution du système de soins français qui,

au XIXe siècle, est payant et peu accessible, basé sur l’hôpital, alors qu’il se veut accessible à

tous au XXIe siècle et non basé sur la prise en charge hospitalière. La deuxième partie est

assez similaire, on parle de délibération ou de réunion de plusieurs médecins au lit d’un

malade ou concernant le cas d’un malade. Si dans le dictionnaire de Panckoucke il est précisé

en troisième partie, que la consultation peut également être un écrit retraçant l’expérience

qu’un médecin a eu d’un malade, notion qui nous le verrons trouve son origine dans la

Renaissance Italienne, la définition moderne quant à elle ne reprend pas du tout cette notion

d’écrit littéraire. Dans sa troisième partie, le dictionnaire Garnier-Delamare évoque le lieu où

se passe la consultation, à savoir un service hospitalier dédié pour des patients extérieurs.

Ainsi si la définition de la consultation est avant tout tournée vers le médecin au XIXe siècle,

celui qui donne un avis, délibère et retranscrit son expérience, la consultation du XXIe siècle

13

Une société de médecins et de chirurgiens – Dictionnaire des sciences médicales, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke,

Paris, 1812, vol.6, p. 33.

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12

est plutôt marquée par son encadrement spatial strict, au cabinet médical ou à l’hôpital. La

médecine du XIXe se présente alors comme une affaire de médecins, à l’aube des politiques

de santé publiques et celle du XXIe siècle comme la pratique de médecins au sein d’une

politique de santé bien définie. Mais si ces deux articles mettent en évidence l’évolution du

système de soins en France entre XIXe et XXI

e siècle, il semble exister ici un aspect

immuable de la consultation médicale. Elle est présente à chaque étape de la prise en charge et

est marquée par le rencontre d’un malade avec un médecin.

Dans les années 70, le Docteur Norbert Bensaïd, psychanalyste et médecin généraliste

français, a publié un livre intitulé « La Consultation, le dialogue médecin/malade14 » où il

évoque le caractère pérenne de la consultation, en allant même jusqu’à parler de rituel :

Je veux donner à voir, je veux éclairer ce qui se passe réellement dans la cérémonie

rituelle de la consultation. Le malade attend, entre dans le cabinet, il expose ses

plaintes. Le médecin l’écoute, l’examine, fait un diagnostic et prescrit un traitement

ou des examens. On n’échappe pas à ce schéma, mais tout ce qui se passe à

l’intérieur de ce schéma lui échappe et le dépasse dans tous les cas15

.

Les étapes se succèdent et s’enchaînent dans un ordre sans cesse répété. Attendre – Exposer

ses plaintes – Etre examiné – Connaître son diagnostic ou faire des examens complémentaires

– Recevoir un traitement. Le patient sait à quoi s’attendre, il entre dans un monde connu, dans

un rituel déjà appréhendé donc moins stressant. Le rituel est le même du côté du médecin :

Faire entrer le patient dans le cabinet – Ecouter ses plaintes – Examiner le patient – Evoquer

un diagnostic – Prescrire des examens complémentaires et/ou un traitement. La consultation

est elle aussi orchestrée du côté du médecin. Mais là où le patient reçoit quelque chose, un

diagnostic ou un examen à réaliser, le médecin donne quelque chose, une expertise, un constat

basé sur l’intégration de toutes les données issues de sa démarche clinique.

Il faut maintenant se demander alors ce qu’est un rituel. D’après le dictionnaire Larousse16 un

rituel est « la mise en œuvre des rites et l’ensemble des comportements codifiés, règles fixées

par la tradition ». Procéder à un rituel signifie donc son appartenance à un groupe social. La

réalisation d’un rituel scinde des groupes distincts dans une société jusqu’alors homogène et

permet à des individus de s’associer entres eux, de se reconnaitre. Selon Nicole Sindzingre,

14

BENSAID N., La consultation le dialogue médecin/malade, Denoël/Gonthier, Paris, 1974, p. 12. 15

Ibid. p. 13. 16

Petit Larousse en couleurs, LUCAS G. et al., Librairies Larousse, Paris, 1980, p. 808.

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13

anthropologue sociale française, chercheuse au CNRS17, il existe deux façons de concevoir un

rituel18. Une première approche, symboliste, qui consiste à penser que le rituel « dit quelque

chose », ainsi ce dernier a une fonction de communication qui est essentiellement expressive

et symbolique. Le rituel communique alors de l’information qui peut être comprise par autrui,

par exemple porter une blouse blanche pour un médecin. Il existe un aspect technique,

esthétique et communicatif dans un rituel. Comprendre sa signification revient à comprendre

celle des « règles grammaticales d’un langage inconnu ». Le rituel devient alors un code de

communication partagé entre les protagonistes impliquant une même connaissance et une

acceptation partagées des règles de ce code.

Les rituels sont des énoncés symboliques sur l’ordre social, sur les valeurs

fondamentales d’une société, des énoncés non analysables en termes rationnels, car

ils se mesurent d’après d’autres standards et appartiennent à des registres cognitifs

différents.

La deuxième approche consiste quant à elle à penser que le rituel « fait quelque chose ». Il

subit les contraintes à la fois d’un système de signes et d’un système d’échanges. Le

courant intellectualiste traite l’action rituelle de façon littérale, comme une tentative

rationnelle pour expliquer, prédire et contrôler le monde, sur un mode qui n’est alors pas si

éloigné de la pensée scientifique. Ce qui devient explicite ici c’est que le rituel est envisagé

comme une séquence d’actions standardisées et prescrites, c’est le « comment faire ».

Dans de nombreuses sociétés, les acteurs savent comment effectuer correctement un

rituel, mais ils fournissent rarement des explications sur ce qu’ils expriment et

symbolisent ainsi, et l’on ne saurait imputer cela à un simple oubli. Le fait que les

significations soient implicites ou paraissent passibles d’oubli montre combien le

rituel diffère de la communication verbale, et comment il se rapproche de l’art.19

Le déroulement normalisé du rituel le rend appréhendable même si sa signification peut rester

cachée. Pratiquer un rituel ne signifie pourtant pas que la personne sache ce qu’il symbolise

ou exprime, pourtant un médecin est un professionnel de rationalité scientifique, il ne peut pas

se permettre de jouer le jeu de la « cérémonie rituelle » sans en comprendre le sens. On peut

alors se demander pourquoi la consultation médicale en soins primaires est un rituel et pour

tenter d’y répondre, c’est vers l’histoire comparée qu’il faut se tourner.

17

CNRS est un acronyme pour Centre National de la Recherche Scientifique. 18

SINDZINGRE N., « Le Rituel », dans Encyclopedia Universalis [en ligne], s.d., s.l. 19

Ibid.

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14

2/ L’histoire comparée ou comment construire des

comparables

a – La naissance de l’histoire comparée

Il n’y a rien que l’esprit humain ne fasse si facilement que des comparaisons.

Discerner n’est-ce pas immédiatement établir des analogies, entrevoir des raisons,

ébaucher des raisonnements ? 20

Le comparatisme se retrouve tout au long de l’histoire. Ainsi les récits historiques d’Hécatée

de Milet et d’Hérodote vers 500 avant Jésus Christ regorgent-ils de comparaisons entre les

Grecs et les peuples barbares. Denys d’Halicarnasse, rhéteur et historien grec vivant sous

l’empereur Auguste, au premier siècle avant J.C., a écrit une histoire du monde romain en le

comparant au monde grec. Plutarque de son côté, au premier siècle après J.C., soutient que

face à chaque grand personnage romain un Grec tout aussi illustre peut lui être comparé21.

L’époque est à la comparaison entre les deux cultures dominantes. La comparaison sur des

thèmes variés tels que la religion, la politique, l’organisation sociale permet de mettre en

évidence la supériorité d’un peuple sur l’autre. Que l’on soit Grec ou Romain l’important est

d’être le meilleur, la comparaison avec l’autre ne servant alors qu’à montrer sa supériorité.

Le Moyen Age est également tourné vers l’histoire des grands personnages antiques auxquels

les auteurs font de nombreuses références comme autant d’autorités prouvant la validité du

discours que l’on veut faire passer. L’activité comparatiste est pourtant peu développée à cette

époque. Le XVIe siècle marque, quant à lui, un renouveau allant de pair avec les grands

explorateurs, c’est le siècle des découvertes. Les découvreurs ne regardent plus en arrière

mais dans le présent, vers ce qu’ils ont sous les yeux. La comparaison entre la culture des

colons et celle des colonisés vise surtout à montrer la supériorité des premiers sur les seconds

mais elle permet aussi d’aiguiser la curiosité, de faire des observations sur des faits nouveaux

et de se questionner sur des faits sociaux. Ainsi au XVIIe siècle, l’éducation des jeunes nobles

passait par les voyages pour se forger un jugement sur les mœurs à l’étranger et comparer les

coutumes entre elles22.

20

DETIENNE M., Comparer l’incomparable, Seuil, Paris, 2000, p. 9. 21

HANNICK J.M., Simples réflexions sur l’histoire comparée, éd. Chr. Vielle, Bruxelles, 2000. 22

DETIENNE M., Comparer l’incomparable, Seuil, Paris, 2000, p. 19.

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15

Mais c’est au XIXe siècle que le comparatisme commence à produire des résultats significatifs

en particulier chez des auteurs comme Fustel de Coulanges, dans sa « Cité Antique », où il

étudie ensemble les cultes, le droit et les institutions de la Grèce et de Rome. Pour cet auteur

la comparaison ne peut se faire que si chacun des deux partis a été étudié de façon la plus

poussée possible pour en extraire toutes les informations disponibles23. Seul ce type d’étude

permet selon lui de revenir aux sources les plus pures et de mettre en évidence l’existence ou

l’absence de lien de jonction entre deux faits constatés chez deux peuples différents.

La fin du XIXe siècle sonne le glas de l’histoire ouverte aux autres cultures et tournée vers le

comparatisme. En effet, l’histoire à cette époque est d’abord et surtout nationale24. La

politique étatique est de renforcer le sentiment d’appartenance au groupe et de glorieux passé

commun. Un changement profond se fera avec l’arrivée de Marc Bloch qui a ouvert la voie

vers la réconciliation de l’histoire avec l’anthropologie pour aboutir à une véritable méthode

d’histoire comparée25. Historien français mort fusillé en 1944, il était professeur d’histoire à

l’Ecole Normale Supérieure à Paris. Il s’est en particulier intéressé à l’histoire des populations

rurales, prônant le comparatisme en histoire pour favoriser la pluridisciplinarité et le travail

collectif entre scientifiques. Ses théories sur l’utilité de l’histoire comparée ont fait de lui une

« figure de novateur dans les eaux tièdes de ces anthropologies pour historiens indifférents à

tout comparatisme heuristique26 ». Le défenseur actuel de la méthode comparatiste dans

l’histoire est Marcel Détienne, comparatiste et helléniste, il a été directeur d’études à l’Ecole

Pratique des Hautes Etudes en Sciences religieuses à Paris et enseigne maintenant à

l’Université Johns-Hopkins de Baltimore aux Etats-Unis.

b -Le comparatisme de Marcel Détienne

L’activité comparatiste est fondamentalement attachée au savoir anthropologique27. L’histoire

se tournant vers le comment des choses et l’anthropologie vers le pourquoi, elles semblent de

prime abord inconciliables mais se rapprochent au milieu du XIXe siècle. Les chercheurs se

tournent vers l’étude du coté archaïque de la société en recherchant le fondement et le mode

23

HANNICK J.M., Simples réflexions sur l’histoire comparée, éd. Chr. Vielle, Bruxelles, 2000. 24

DETIENNE M., Comparer l’incomparable, Seuil, Paris, 2000, p. 26. 25

Ibid. p. 30-31. 26

Loc. Cit. p. 13. 27

Op. Cit. p. 10.

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16

de création d’un fait social28. Au XXe siècle pour Marc Bloch, les terrains d’application de la

méthode comparatiste ne manquent pas. Le premier exemple qu’en donne Détienne concerne

la notion de lieu et de territoire. En fonction de la société dans laquelle cette question est

examinée, la réponse est différente permettant de mettre en perspectives de nouvelles

notions29. Mais pour comparer il faut créer des comparables, entrevoir des phénomènes ayant

une part d’analogie30 :

A chaque fois, le domaine du comparatisme qui se donne la liberté de construire

s’ouvre aux cultures et aux sociétés les plus intéressantes à mettre en jeu, chacune

d’elles proposant une expérience déjà faite et un certain nombre de variables dont

il est facile de réduire le nombre ou de prélever celles qui semblent de la même

espèce31

.

L’homme est le point de départ de l’activité comparatiste. Il a peuplé l’ensemble de la planète,

créé des rites, des religions, des mœurs qui chacun peuvent être comparés entre eux sans

barrière d’espace ou de temps car tous sont issus du même dénominateur commun :

Le comparatisme constructif dont j’entends défendre le projet et les procédures doit

d’abord se donner comme champ d’exercice et d’expérimentation l’ensemble des

représentations culturelles entre les sociétés du passé, les plus distantes comme les

plus proches, et les groupes humains vivants observés sur la planète, hier ou

aujourd’hui32

.

Le comparatisme permet l’utilisation d’un mécanisme de pensée nouveau qui en allant

toujours plus avant dans la recherche d’éléments singuliers permet un démontage logique du

fait étudié en un ensemble de mécanismes au fonctionnement simple articulés entre eux33.

Comparer permet de revenir aux axes fondamentaux qui ont été les principes mêmes d’un

phénomène. Mettre en rapport les mœurs de peuples séparés de plusieurs milliers de

kilomètres et même de plusieurs siècles permet de se détacher des effets parasites produit par

une étude trop uni centrique. Etablir des comparaisons, c’est faire taire les sons parasites dans

le processus étudié et en dégager l’axe fondamental34. La méthode comparative a d’abord une

fonction heuristique en permettant de découvrir des phénomènes qui n’auraient pas été

aperçus à un endroit donné si des réalités similaires, plus visibles dans d’autres milieux,

n’avaient pas été mises en évidence. Une perspective comparatiste a comme effet de

28

Id. p. 40-1. 29

DETIENNE M., Comparer l’incomparable, Seuil, Paris, 2000, p. 14. 30

Ibid. p. 9. 31

Loc. Cit. p. 15. 32

Op. Cit. p. 44. 33

Id. p. 52. 34

DETIENNE M., Comparer l’incomparable, Seuil, Paris, 2000, p. 24.

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17

détourner l’historien des fausses explications, en évitant de justifier des phénomènes généraux

par des causes purement locales. Elle met à l’abri des fausses analogies car si la comparaison

doit noter les ressemblances, elle doit aussi et surtout relever les différences35.

Détienne est le défenseur d’une histoire comparée ouverte à l’ensemble des sociétés humaines

dans le temps et l’espace. La comparaison permet de construire des comparables et d’analyser

des microsystèmes de pensée. Il existe une valeur éthique à l’activité comparatiste qui…

… invite à mettre en perspective les valeurs et les choix de la société à laquelle on

appartient, que l’on y soit né par la grâce d’un dieu, qu’on l’ait choisie pour son

histoire idiosyncrasique, ou qu’on ait été conduit à y vivre jusqu’à en devenir le

résident plus ou moins assimilé, accepté ou acculturé. Il ne semble pas trop

présomptueux de dire qu’en construisant des comparables, plus ou moins bons, à

plusieurs, entre historiens et anthropologues, l’on apprend à se mettre à distance de

son soi le plus animal, à porter un regard critique sur sa propre tradition, à voir, ou

à entrevoir, que c’est, vraisemblablement, un choix parmi d’autres36

.

L’histoire de l’homme ne reste plus locale mais elle devient universelle. Ainsi la méthode

d’histoire comparée permet-elle d’aider à l’interprétation de faits historiques. Le

comparatisme nous fait comprendre comment et pourquoi ancien et nouveau se combinent

pour aboutir à un savoir partagé moderne :

Commencer, inaugurer, entamer, instituer : comment chaque culture pense-t-elle

ensemble, séparément ou en configurations inédites, faire, produire, créer,

procréer, inventer ? Comment l’origine se dit-elle en regard du devenir et du

commencement?37

C’est pour expliquer pourquoi la démarche clinique est un rituel que nous avons choisi

d’utiliser cette méthode qui mieux qu’une autre permettra de s’intéresser à des personnages de

différentes époques et de différents courant de pensée ayant pu contribuer à façonner la

médecine d’aujourd’hui. Il nous faut maintenant du matériel historique et c’est vers les écrits

de la Renaissance que nous devons maintenant nous tourner pour commencer.

35

HANNICK J.M., Simples réflexions sur l’histoire comparée, éd. Chr. Vielle, Bruxelles, 2000. 36

DETIENNE M., Comparer l’incomparable, Seuil, Paris, 2000, p. 62. 37

Ibid. p. 50.

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18

3/ Un matériel historique riche

a - L’apparition de l’exemplum

Le début du XIIIe siècle est une époque charnière dans l’évolution de la profession médicale.

Les compétences requises pour se présenter comme médecin aux yeux de la population sont

désormais validées par des autorités universitaires. Cette validation pose les bases d’une

autorité nouvelle et donne un nouveau prestige au métier de médecin38. Seules les personnes

ayant suivies un enseignement théorique validé et ayant des connaissances définies pourront

maintenant prétendre à ce titre. Il existe à partir de cette époque un clivage entre deux types

de pratique : une pratique culturelle ancienne faisant appel aux guérisseurs qui prodiguent des

soins basées sur l’utilisation des plantes, prières et croyances spécifiques et une pratique qui

se veut scientifique, basée sur l’expérimentation et la preuve, et qui donnera naissance à la

médecine moderne. L’époque voit l’apparition d’une véritable profession médicale, il se créé

une cohésion morale autour du métier de médecin39.

Cette période est marquée par un intense échange de savoir et d’idées. Le savoir n’est plus

seulement accessible aux religieux et conservé jalousement dans les abbayes mais il se veut

plus universel même s’il ne touche qu’une élite. La diffusion des idées se fait de façon

nouvelle, il faut intéresser, toucher son lecteur. Ainsi voit-on apparaitre pour la première fois

le terme d’exemplum qui correspond à l’illustration faite, souvent récréative, d’un propos,

d’un discours, d’une démarche intellectuelle abstraite. Elle consiste à y insérer un exemple

concret facilement mémorisable40. L’exemplum est apparu tout d’abord comme une forme de

vulgarisation de la morale chrétienne. Il permet de mettre en parallèle des dogmes, parfois

difficilement compréhensibles par la population, avec leurs expériences vécues de tous les

jours et leur permet de mémoriser de façon plus triviale des préceptes parfois obscurs.

L’exemplum religieux est une expérience vécue en rapport avec une théorie rationnelle ou un

argument d’autorité41.

Montrer par l’exemple va plus loin que la simple illustration de faits dogmatiques ou de

préceptes religieux. En effet, l’exemplum va avoir plusieurs champs d’action, le premier étant

38

AGRIMI J., CRISCIANI Ch., Les Consilia Médicaux, Brépols, Turnhout – Belgique, 1994, p. 2. 39

Ibid. p. 97. 40

POMA R., « Formes de l’exemplarité dans le médecine des XVIe et XVIIe siècles », dans Exempla Medicorum, Del

Galluzzo, Florence, 2008, p. 173. 41

Ibid. p. 187.

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19

sur la sphère du savoir scientifique en illustrant une théorie par exemple. Son deuxième

champ d’action va pouvoir être éthique et politique, il consiste à faire l’éloge d’un personnage

illustre qui a rendu fière et célèbre sa ville ou son école. Le troisième champ d’action est celui

du psychologique, montrer l’exemple c’est inciter les gens à en faire autant, mais c’est aussi

mettre en évidence un passé commun. Ce procédé rhétorique intervient sur trois composantes

psychologiques : conviction, admiration et imitation42. Petit à petit ce nouveau procédé

d’écriture est emprunté par toutes les sphères de la connaissance comme outil de

communication. Dans le discours médical, l’exemplum se présente sous forme d’un texte

court pouvant être employé avec trois objectifs : corroborer une théorie, faire l’éloge d’un

médecin célèbre ou contribuer à la formation d’un jugement43. La médecine se veut alors

empirique, basée sur l’expérience. Les médecins défenseurs de l’expérience comme base du

savoir utilisent alors l’exemplum pour illustrer leurs théories nouvelles dans un effort de

rationalisation d’une démarche qui se veut scientifique. Ainsi la démarche étant scientifique et

basée sur l’observation, les théories n’en obtiennent que plus de poids et de crédibilité aux

yeux des lecteurs44.

Cependant dès son apparition, l’exemplum religieux va s’opposer à l’exemplum médical, non

tant dans sa forme, dans sa façon d’être écrit et présenté, que dans son fond. Concernant le

fond, le lecteur retrouve toujours dans l’exemplum cette écriture tripartite en auctoritas

(autorité faisant référence), ratio (explication fondée sur théorie rationnelle) et exemplum

(illustration de la vie réelle). En ce qui concerne le fond, si l’exemplum religieux sert à

illustrer le dogme en place, il n’existe pas de contestation possible. Il est de plus destiné à la

pratique des sermons pour une communauté ayant besoin de rappels à l’ordre facilement

compréhensibles. L’exemplum médical est quant à lui destiné à un public plus cultivé, il

permet de délimiter la base empirique d’une théorie et de lui accorder une dignité scientifique.

Dans l’exemplum médical c’est parce que cet exemple, ou cas, existe que la théorie doit être

juste alors que dans le domaine religieux c’est le dogme qui donne son existence à l’exemple,

au fait observé45. Les médecins de l’époque vont se servir de ce vecteur d’idées et d’échange

en créant un genre littéraire nouveau au service de leurs idées : les consilia.

42

Loc. Cit. p. 172. 43

Op. Cit. p. 171. 44

Id. p. 184. 45

POMA R., « Formes de l’exemplarité dans le médecine des XVIe et XVIIe siècles », dans Exempla Medicorum, Del

Galluzzo, Florence, 2008, p. 174.

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20

b - Les consilia médicaux

Le terme de consilium désigne un genre littéraire apparu à Bologne au XIVe siècle. Comme

nous l’apprennent J. Agrimi et Ch. Crisciani dans « Les Consilia Médicaux46 », il consiste

pour le médecin, appelé à traiter un malade, à relater par écrit sa prise en charge avec des

détails pris sur le vif. Il décrit les signes et symptômes du malade ainsi que son examen et sa

prescription thérapeutique. Il s’agit du journal de bord de sa pratique quotidienne. La

naissance des consilia est le fruit d’une nécessité, en effet à la fin du XIVe les universités

italiennes marquent une scission entre la chaire de médecine théorique et la chaire de

médecine pratique47. Les praticiens en devenir recherchent des outils leur permettant de faire

le lien entre la théorie médicale qu’ils ont appris sur les bancs de l’université et leur pratique

médicale quotidienne. A l’époque il existait déjà des tabula ou tractatus, qui étaient des

résumés théoriques et qui avaient l’avantage de pouvoir se transporter facilement en étant des

vademecum d’ouvrages théoriques plus volumineux. Mais ces tabula ne contenaient aucun

exemple concret, car n’étant pas basés sur une pratique au chevet du malade48. Les consilia,

quant à eux, servent d’illustration à une théorie, ils la rendent facilement mémorisable car

replacée dans un contexte réel. A cette époque, les connaissances médicales, issues des grands

maîtres de l’Antiquité et du monde arabe, sont parfois difficilement transposables dans une

réalité plus pragmatique. En effet, à un certain moment de l’élaboration de l’épistémologie

médicale et du développement de la profession se ressent le besoin et même l’exigence du

compte rendu, d’un écrit qui recueille les données d’un patient particulier, la description de sa

maladie et de son évolution49.

Le mot consilium en lui-même a deux sens; il peut décrire la délibération approfondie sur un

cas représenté par un patient malade mais aussi la réunion d’experts concernant ce cas et

ayant pour but d’établir une recommandation dans sa prise en charge50. Le consilium est le

reflet d’une volonté de mettre en relation le cas particulier de la pratique quotidienne avec le

domaine doctrinal. Il peut être défini comme un résumé microcosmique des différents niveaux

épistémologiques de la médecine de son époque. Ainsi donne-t-il la vision exacte de ce

46

AGRIMI J., CRISCIANI Ch., Les Consilia Médicaux, Brépols, Turnhout – Belgique, 1994. 47

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, p. 205. 48

AGRIMI J., CRISCIANI Ch., Les Consilia Médicaux, Brépols, Turnhout – Belgique, 1994, p. 44. 49

Ibid. p. 74. 50

Loc. Cit. p. 81.

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21

qu’était la médecine au moment de sa rédaction. Il permet de comprendre les grandes théories

de l’époque, de voir les prémices des suivantes.

On retrouve un lien de filiation entre consilia et consultation définie par Panckoucke au XIXe

siècle, puisqu’il peut tout aussi bien s’agir de l’avis d’un médecin ou encore de la réunion de

plusieurs médecins ou bien du mémoire qu’un médecin peut faire de sa pratique ordinaire51.

Ce genre littéraire nouveau marque donc un tournant dans le monde médical. En effet se

permettre de donner des conseils, de consigner par écrit sa pratique et de la diffuser permet au

médecin de se poser en expert de son art mais aussi d’affirmer son appartenance à une

communauté. Le milieu médical est né, avec son identité propre et son éthique. De plus le

genre des consilia a perduré à travers les âges et représente donc un matériel historique de

premier ordre puisque stable et étant le reflet d’un mode de pensée novateur. Les consilia vont

se poser en support de la pratique des grands maîtres de la médecine de l’époque qui vont en

profiter pour transmettre leurs idées. Certains consilia vont même être le support de querelles

entre différentes écoles de médecine52.

La démarche de la rédaction d’un consilium se fait en deux temps. Premièrement le médecin

voit son malade, tente de récupérer par son interrogatoire, observation et examen clinique un

maximum d’informations qu’il va dans un deuxième temps, de retour dans son cabinet

médical, retranscrire par écrit et soumettre à une analyse plus poussée qu’il ne l’aurait fait par

manque de temps ou circonstances défavorables au lit du malade. Cette réflexion réalisée a

posteriori permet de passer le cas du patient au filtre de ses connaissances. Le médecin est

alors un homme de terrain, pragmatique, il a un métier manuel puisqu’il touche le patient

mais il est aussi un homme de connaissances qu’il est capable par la réflexion d’intégrer dans

sa prise en charge diagnostique et thérapeutique53. Il ne prend plus ses décisions, sauf urgence,

dans l’immédiat, il préfère poser le problème et le résoudre. Il l’écrit, ce qui est nouveau, et en

dégage des grands axes de prise en charge. C’est ce procédé qui est révolutionnaire car il

reformate complètement la vision du savoir médical qui n’est plus seulement la transposition

à un malade de notions théoriques aseptisées mais l’adaptation de ses connaissances à une

situation particulière. En écrivant, le praticien structure sa démarche, il la rend logique,

interprétable pour un observateur extérieur et c’est cette caractéristique des consilia qui va

leur permettre d’être publiables.

51

Une société de médecins et de chirurgiens – Dictionnaire des sciences médicales, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke,

Paris, 1812, p. 33. 52

AGRIMI J., CRISCIANI Ch., Les Consilia Médicaux, Brépols, Turnhout – Belgique, 1994, p. 87. 53

Ibid. p. 69.

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22

L’apparition de recueils de consilia va donner une nouvelle base structurelle à leur mise en

forme pour que le genre devienne plus standardisé. Cette normalisation va permettre leur

meilleure diffusion et leur utilisation sera ainsi quotidienne dans la pratique médicale. Ils vont

permettre de transmettre les idées des maîtres qui les rédigent tout en intégrant la pratique

quotidienne vécue et le dogme en place. Par la suite, les recueils de consilia vont à la

demande des éditeurs s’enrichirent d’une table des matières les rendant beaucoup plus

accessibles et rapprochant soudain ces recueils de nos actuels livres de cas cliniques car les

étudiants en médecines ont toujours été, pour Joël Coste :

[…] particulièrement avides de modèles et de « recettes » pour guider leur

pratique future, […] particulièrement convaincus de l’importance de cette

maîtrise puisqu’ils recopiaient des cahiers entiers de consultations écrites

pour des maladies et des problèmes de santé divers, ou acquéraient les

collections des maîtres que les librairies imprimèrent pour eux jusque dans

les premières décennies du XIXe siècle

54.

Avec l’aide de ce matériel historique et à l’aune de l’histoire comparée, nous allons

maintenant pouvoir nous demander comment s’est façonnée la démarche clinique médicale

actuelle pour aboutir au « rituel de la consultation » mentionné par Bensaïd.

54

COSTE J., Les écrits de la souffrance, la consultation médicale en France (1550-1825), Champ Vallon, Ceyzérieu, 2014.

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23

II – UNE HISTOIRE DE CONSULTATIONS:

DEMARCHES CLINIQUES DU XVIème

AU XXIème

SIECLE

1/ Prendre en charge une fièvre : deux époques, deux

méthodes

a – La prise en charge d’une fièvre au XXIème

siècle

Nous prendrons comme thème tout au long de ce travail le cas d’un patient consultant son

médecin pour une sensation fébrile. Il s’agit d’un motif très fréquent de consultation en

médecine générale55 correspondant à la prise en charge d’une maladie à un stade indifférencié

dans un contexte de recours spontané aux soins primaires56. Le patient ici n’a pas de

caractéristique fixe, comme chaque patient rencontré en ville, seule sa demande reste

identique. De même ce travail n’a pas pour objet de donner une définition précise de la fièvre,

qui nous le verrons plus tard, est encore sujet à évolution et controverse. Ainsi un patient

parle-t-il de fièvre lorsqu’il ressent des frissons, une sensation de chaleur, des sueurs et/ou une

asthénie associés ou non à une symptomatologie spécifique infectieuse. Le médecin quant à

lui définit la fièvre comme une élévation de la température corporelle au repos au-delà de

37,5°C le matin et de 37,8°C le soir57.

Mais comment est prise en charge une fièvre au XXIe siècle ? Selon le livre « Diagnostic et

Thérapeutique » sous la direction du Dr Berrebi publié en 200958, pour prendre en charge une

fièvre, il convient de commencer par reconnaître chez le patient les situations d’urgence.

L’urgence vitale ensuite écartée, l’auteur propose de rechercher un diagnostic étiologique par

un interrogatoire exhaustif. L’étape suivante consiste à réaliser un examen clinique complet,

appareil par appareil puis à pratiquer des examens complémentaires orientés par les

55

DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques), « Les consultations et visites des

médecins généralistes – un essai typologique », dans Etudes et Résultats, n°315, Juin 2004. 56

WONCA Europe, Société Européenne de la médecine générale – médecine de famille, La définition de la médecine

générale – médecine de famille, 2002. 57

Dictionnaire des termes de médecine, GARNIER M., DELAMARE V., Maloine, 23e édition, Paris, 2003,

p. 307. 58

BERREBI W. Diagnostics et thérapeutique – Guide pratique du symptôme à la prescription, Estem, 5e éd., Paris, 2009, p.

806.

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informations précédemment obtenues en l’absence de cause évidente de fièvre. La dernière

étape consiste enfin à proposer un traitement adaptée au patient59.

Selon l’ouvrage de médecine interne « Harrison60 », « c’est dans le diagnostic d’une maladie

fébrile que se conjuguent le mieux la science et l’art de la médecine61 ». En plus du Berrebi, le

Harrison étend la recherche étiologique à toutes les causes systémiques non infectieuses de

fièvre et insiste sur l’origine géographique et ethnique du patient pour évoquer des maladies

spécifiques. La suite de la démarche diagnostique reste la même ensuite avec la réalisation

d’un examen clinique le plus exhaustif possible puis la réalisation d’examens

complémentaires orientés par la clinique et enfin une prise en charge thérapeutique spécifique.

En ce qui concerne le « Pilly62 », ouvrage sur les maladies infectieuses, la prise en charge

commence comme pour Berrebi par la recherche de signes de gravité. Puis, lorsque le

pronostic vital n’est pas ou plus engagé, à mettre en évidence deux entités de fièvre : la fièvre

aigue (moins de 5 jours) et la fièvre chronique (plus de 3 semaines). La démarche

diagnostique est ensuite globalement la même : recueil d’informations par interrogatoire et

examen physique du patient. La réalisation d’examens complémentaires sera basée sur le type

de fièvre (aiguë ou prolongée) en prenant en compte les données précédemment obtenues.

Voici donc comment au XXIe siècle un médecin va établir sa démarche clinique pour prendre

en charge un patient consultant pour fièvre. Cependant ces trois démarches, issues d’ouvrages

de référence pour la pratique médicale, divergent sur certains points.

Tout d’abord, la définition de la fièvre du Pilly est différente de celle de Berrebi et du

Harrison. Berrebi reprend la même définition de la fièvre que le dictionnaire médical Garnier

Delamare ; alors que le Pilly, quant à lui, parle de fièvre lorsque la température centrale est

supérieure à 38°C la matin et 38,3°C le soir63. De même ce dernier associe fièvre et

hyperthermie comme des synonymes alors que le Harrison en donne deux définitions

différentes :

La fièvre est une augmentation de la température corporelle dépassant la

variation thermique quotidienne normale (37,2°C le matin et 37,7°C l’après-

midi), et qui survient en conjonction avec une élévation du point d’équilibre

59

Ibid. p. 807. 60

BRAUNWALD E. et al., Harrison – Principes de médecine interne, Flammarion, 15e éd., Paris, 2002, p. 91. 61

Ibid. p. 93. 62

PILLY E. et al., Maladies infectieuses et tropicales, Vivactis Plus, Paris, 2010, p. 108. 63

Ibid.p.108.

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hypothalamique. L’hyperthermie est caractérisée par un point d’équilibre du

centre thermorégulateur inchangé (normothermique) en conjonction avec une

élévation non contrôlée de la température corporelle64

.

Mais alors que Berrebi, Harrison et Pilly ne parviennent pas se mettre d’accord sur la

définition exacte de la fièvre, les trois démarches cliniques qu’ils proposent sont globalement

les mêmes. Elles adhèrent toutes à cet enchaînement global dans la prise en charge du patient :

recherche d’une urgence, examen clinique, examens complémentaires, traitement. Ce

déroulement « standard » de la consultation a été étudié par le Dr Périat, médecin généraliste

suisse65, qui le résume ainsi :

Le Médecin de premier recours doit reconnaître et évaluer l’importance des

problèmes de santé de ses patients. […]Le patient présente son motif de

consultation, le médecin prend l’anamnèse, examine le patient, effectue selon les

cas des examens complémentaires, pose un diagnostic et prend congé du patient

(avec un traitement ambulatoire, un rendez-vous chez un spécialiste ou une

hospitalisation).

Cet enchaînement est schématisé comme l’interaction entre trois entités distinctes : la reason

of encounter ou motif de consultation du patient, ici la fièvre ou sensation fébrile ; le

diagnosis ou démarche diagnostique pouvant elle-même se décomposée en une suite de

recherches d’informations par l’interrogatoire, l’examen physique puis la réalisation

d’examens complémentaires le tout ponctué d’étapes clés de prise de décision orientant la

prise en charge ; et enfin l’intervention ou prise en charge thérapeutique adaptée (examens

autres, avis spécialisé, traitement spécifique, hospitalisation, surveillance)66.

C’est dans la consultation d’une maladie au stade indifférencié que le travail du médecin se

rapproche le plus d’un art car il doit non seulement répondre aux attentes du patient (être

soulagé de sa fièvre) tout en éliminant une urgence (notion de red flags67) dans le temps limité

d’une consultation. Périat dit d’ailleurs qu’une des facultés la plus importante du médecin

généraliste est l’art de savoir flairer et trier les situations où il doit pousser les investigations.

Mais comment a-t-on aboutit à cette démarche, qui semble a priori efficace, dans la prise en

charge d’un patient consultant son médecin généraliste à un stade de maladie indifférenciée ?

64

BRAUNWALD E. et al., Harrison – Principes de médecine interne, Flammarion, 15e éd., Paris, 2002, p. 91. 65

PERIAT P., « Déroulement d’une consultation en cabinet », dans Forum Médical Suisse, n°4, 24 janvier 2001. 66

Ibid. 67

Loc. Cit.

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b - Une consultation de fièvre au XVIème

siècle

Le consilium présenté ici, texte original accompagné d’une proposition de traduction, a été

rédigé au XVIe siècle par Pierre Van Forest, médecin hollandais né en 1521 à Alkmaar et

mort en 1597, il fut le médecin du Prince Guillaume d’Orange dit le Taciturne68

.

L’importance historique des écrits de Van Forest est sans conteste, il est l’auteur qui fixe le

genre littéraire des consilia dans sa forme la plus aboutie. C’est un auteur connu et reconnu de

son vivant, il propose une analyse fine associée à un bon compromis entre la pratique

courante et l’érudition.

OBSERVATION N°23 D’UNE FIEVRE PUTRIDE MAIS AUSSI

ININTERROMPUE AVEC DIVERS INCIDENTS69

En 1545, le gendre du maître de Romainville, un soldat robuste, avait été frappé,

lors de la chaleur étouffante de la Canicule de la fin du mois de juillet, par une

fièvre putride continue dite aussi en grec synochon putride. Ce dernier manda un

chirurgien qui pratiqua avec succès une saignée sans qu'un médecin ne soit présent.

Le malade ressentait de très fortes douleurs à la tête et des courbatures diffuses

dans tout le corps. Comme il était constipé, des matrones [mulierculae] présentes

sur les lieux lui donnèrent à boire un bouillon dans lequel elles mélangèrent de

l'huile de ricin provoquant des vomissements alimentaires [morbus crudus]. La

fièvre s'intensifia alors, ensuite apparurent des vomissements abondants associés à

de nombreuses douleurs et à une anxiété généralisée, qu'il endura pendant deux

jours sans interruption, à tel point qu'il présenta aussi de fortes douleurs de

l'œsophage. Finalement la cause semblant quasiment perdue, ils me firent appeler.

J'exerçais à ce moment-là en France, dans la ville de Pithiviers non loin d'Etampes.

Lorsque je rencontrai cet homme noble dans sa villa de campagne, il était alité. Dès

mon arrivée je lui trouvai le pouls rapide et filant d'un homme affaibli auquel on

faisait encore boire de l'huile de ricin, dans le but de le purger. Parfois au début de

ce type de fièvre il apparaît un flux de ventre qui, s'il est abondant, fait disparaître

les forces à tel point que par la suite elles sont incapables de cuire le bol

alimentaire [morbus]. Relativement à quoi, si le flux de ventre est provoqué par

l'abondance de la matière ingérée et s'il ne perdure pas longtemps, la maladie est

plus courte. En vérité ce flux de ventre n'est pas arrivé spontanément mais est

arrivé violemment et contre la nature même du corps suite aux effets d'un

médicament nocif et fortement émétisant. En effet ce dernier avait les mêmes

propriétés que l'euphorbe, qui se distingue par sa capacité à faire vomir, si je me

réfère au livre 4 chapitre 161 du livre de Dioscoride et en particulier aux antidotes

des médicaments toxiques. Ce poison se fixe aux villosités de l'estomac et de

l'intestin, d'où il amplifie la douleur prenant l'apparence d'une colique. Pour faire

68

Dictionnaire des sciences médicales – Biographie médicale, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke, Paris, 1820 -5, vol.4, p.

190. 69

VAN FOREST P., Observationum et curationum medicinalium de febribus ephemeris et continuis libri duo, C. Plantin,

Antverp, 1584, p. 117-21.

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disparaître ces drogues j'ai prescrit […] Sa nourriture était composée de lait

animal. Pendant ce temps j'avais rétabli les forces du gaulois et mélangé les

ingrédients issus de son propre jardin. Jusqu'ici j'avais fait disparaître les

céphalées en utilisant un médicament à base d'huile de rose et de vinaigre.

Immédiatement après je fis des fumigations à partir de ces mêmes dragées. Après

cela nous enduisîmes son estomac et ses flancs d'huile à base de myrte et d'extraits

de grande consoude. Contre tout espoir, le flux de ventre commença à diminuer et

le degré de la fièvre baissa, ainsi se trouva-t-il libéré de tous les signes associés à

cette dernière. Si bien que la douleur de l'estomac et la colique cessèrent, alors

qu'ils étaient les symptômes les plus invalidants; car non seulement la fièvre mais

plutôt l'administration d'un médicament toxique provoquaient des douleurs

thoraciques avec des quintes de toux qui tourmentait l'homme. Pour ces symptômes

mes prescriptions furent […] une petite quantité de cire, fait d'un liniment très mou

pour enduire la poitrine et à partir de ses traitements la petite toux commença à

s'estomper, si bien qu'au septième jour de cette fièvre compliquée il en fut

totalement libéré et rendu calmement à la raison. Après cela j'avais ordonné qu'il

soit gardé en convalescence dans sa chambre et je fus raccompagné à Pithiviers à

cheval par un serviteur. Trois jours ayant passé, il avait repris une mauvaise

hygiène de vie, dont les militaires ont l'habitude, et de nouveau il eut de la fièvre,

associée cette fois-ci à une constipation. Cette récidive fut provoquée par une

matrone dont j'ignorais la présence sur les lieux et qui prépara un mélange de

racine de bette, d'huile de ricin et de sel qu'elle appliqua sur l'anus du malade, non

sans une grande peine. Et alors, une masse douloureuse de la taille d'un gland lui

apparut dans l'anus et elle ne put être retirée puisqu'elle était enfoncée très

fortement à l'intérieur. Dans ces conditions de douleurs puis d'insomnie fébrile, mes

compétences furent reconnues à leur juste valeur, et enfin ne sachant plus quoi faire

ils me firent rappeler. Mais grâce à un lavement à base d'une préparation foncée

que des pétales de violettes et de la mauve associées à des prunes avaient teint,

ajoutée à deux jaunes d'œufs et une once de cannelle, très peu de sel et de l'huile de

violette, non seulement il alla à la selle mais y fit divers excréments bilieux. On

ajouta également par mégarde une racine de bette faisant ainsi cesser la douleur et

diminuer la fièvre. Ensuite il commença à aller bien de nouveau quoiqu'une petite

toux persistait jusqu'à présent, pour laquelle j'amollis […] ce qui fut suivi par le

retour à la santé [ …].

ENSEIGNEMENT

Il est très important de savoir quelles sont les personnes et les serviteurs présents

auprès des malades et si leur présence est appropriée auprès de nous, comme il est

expliqué dans le livre « De Decenti Ornatu » (Du Décorum) par le divin

Hippocrate, car cela permet d'agir de façon convenable avec nos patients. Mais

souvent c'est le contraire qui arrive de sorte que cette affaire soit la conséquence de

la bêtise des matrones qui ne la font pas progresser, lesquelles ont été appelées par

le médecin lui-même. Mais tout autant par les remèdes inutiles de ce dernier, dont

ces drogues imposées de force au malheureux malade dans la mesure où il en existe

d’autres que nous enseignons et ce contrairement aux Empiriques de notre temps.

Mais non seulement dans la fièvre continue, et cela est encore vrai dans d'autres

phénomènes continus, les symptômes les plus graves, qui ont l'habitude

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d’accompagner cette dernière surviennent dans tous les cas. Ceux-ci sont aussi bien

la céphalée, la soif intense, le délire ou dans notre cas l'état comateux, le

relâchement intestinal ou encore la constipation. Tous ces symptômes terrassent

surtout les forces du malade ou sont nuisibles à une majeure partie de celles-ci. La

céphalée peut être calmée par un mélange d'huile de rose […] et de lait de femme

frais adouci avec du miel puis réfrigéré, qui soulagent également l'insomnie […].

Pour la soif certaines potions sont plus puissantes ainsi que les souffles d'air froid

[...]. En cas de délire, reprenez le traitement précédent dans les formes de fièvre qui

seront appelées fièvres phrénétiques, mais pour toutes les autres fièvres le livre 7

nous renseigne suffisamment comme nous l’avons déjà rappelé. Et quoique les

opiacés constringents soient utiles dans les diarrhées profuses, les forces n’en sont

pas totalement renversées, et d’autres fois bien qu’une petite quantité d’opiacés

constringents ou encore astringents soient utilisée, ils arrêtent la diarrhée, qui dans

ce type de fièvre, comme nous l’avons donné en exemple, se rencontre fréquemment.

Nous avons rédigé ces cas sous forme de journal, dont la durée ne dépasse pas un

jour, bien que plusieurs jours d’évolution y soient consignés, ensuite nous

continuerons sur les phénomènes fébriles continus, mais ici nous terminons déjà le

premier volume. Au sujet des fièvres continues, qui requièrent un livre entier, nous

les décriront dans le volume suivant annexe

.

Ce cas clinique est une véritable histoire, c’est ce qui est remarquable pour l’époque, on est

dans la pratique au lit du malade, dans la description faite sur le vif et dans l’analyse de

données. On observe également la formation des hypothèses, la prise de décision immédiate

au contact du patient puis plus tardive avec une analyse des pratiques dans la Scholia. Comme

le précise Joël Costes, « il apparaît avant tout que la consultation médicale était un recours

en cas d’échec de la prise en charge du médecin […] ordinaire70

». Van Forest y fait lui-

même référence dans son récit en critiquant le travail réalisé avant son arrivée et lorsqu’il

revient auprès du malade, après son absence. Ce consilium est une fenêtre ouverte vers le

passé de la pratique médicale.

2/ La rencontre avec le patient

a – Son environnement

Dès le début du consilium on apprend que l’action se déroule en 1545 et que l’époque exacte

se situe à la fin de juillet. Van Forest renforce même ses informations en évoquant l’époque

de la canicule. Le patient habite à Romainville, bourg de l’actuelle Seine Saint Denis, à la

70

COSTE J., Les écrits de la souffrance, la consultation médicale en France (1550-1825), Champ Vallon, Ceyzérieu, 2014,

p. 39.

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campagne donc pour l’époque ; ce qui est rappelé par le lieu même de la rencontre entre le

praticien et le malade, dans une villa hors de la ville, qui sont dans la tradition romaine de

vastes domaines agricoles. Ainsi en peu de mots Van Forest plante-t-il le décor. Par cette

description, on reconnaît l’influence directe d’Hippocrate et son ouvrage « De Aere, Aquis et

Locis », qui insiste sur l’importance de l’observation de l’environnement immédiat du

malade71. Van Forest parle aussi des personnes entourant le malade :

Il est très important de savoir qu'elles sont les personnes et les serviteurs présents

auprès des malades et si leur présence est appropriée auprès de nous, comme il est

expliqué dans le livre « De Decenti Ornatu » (Du Décorum) par le divin

Hippocrate, car cela permet d'agir de façon convenable avec nos patients72

.

L’auteur reste très attaché à la tradition hippocratique et se demande s’il est licite de laisser

certaines personnes accéder au malade. C’est une réflexion qui a laissé sa trace sur la

médecine moderne, ainsi par là-même Van Forest ne met-il pas en garde contre les faux

médecins ? Il refuse l’intervention dans la prise en charge du malade de personnes dont la

légitimité scientifique n’a pas été établie. On observe ici un clivage entre d’un côté les

médecins officiels qui ont reçus un enseignement validé par les grandes universités garant des

connaissances de leur époque et d’un autre coté les guérisseurs traditionnels dont le savoir,

basé en grande partie sur les plantes et les superstitions, ne peut plus trouver sa place dans une

médecine en évolution.

Un médecin français de la même époque que Van Forest, Jean Fernel, parle quant à lui,

concernant un « patient adolescent73 » d’un environnement immédiat qui est « humide » et

que, lors de leur rencontre, « la lune était en phase croissante74 ». On ressent une double

influence, celle des écrits hippocratiques d’une part et celle de la formation initiale de ce

praticien qui avait étudié l’astronomie. L’enseignement médical venait en effet à l’époque se

surajouter au bagage universitaire déjà acquis qui pouvait être très varié. Ce médecin français

né à la fin du XVe siècle, fut le médecin officiel d’Henri II de Navarre, ainsi que de Diane de

Poitiers ou encore Catherine de Médicis. Il était très célèbre à son époque et son ouvrage,

71

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, p. 32. 72

VAN FOREST P., Observationum et curationum medicinalium de febribus ephemeris et continuis libri duo, C. Plantin,

Antverp, 1584, p. 117-21. « Plurimum refert quales astantes et ministri apud aegrotos fint, si enim tales apud nos essent

quales ab Hippocrate divinissimo in libro de decenti ornatu describuntur, recte admodum cum nostris aegrotis ageretur. » 73

FERNEL J., Consiliorum Medicinalium Liber, Taurini, 4e éd., Paris, 1589, p. 75-7. « Pueritia ». 74

Ibid. « quod humidiore caelo et quoties nova Luna illucescit ».

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« Universa Medicina », qui a été publié dix-sept fois jusqu’à la fin du XVIIe siècle, a servi de

support à la formation de générations de médecins75.

Un troisième médecin, Rodrigo Da Fonseca, médecin portugais du XVIe siècle, décrit quant à

lui l’environnement de son patient en même temps que ce dernier, ils sont liés l’un à l’autre. Il

parle d’un « militaire qui parfois reste plusieurs mois dans un camp fortifié76 ». Il ne

développe pas plus cette notion car les personnes de l’époque y sont accoutumées, elles

comprennent ce que le fait d’être militaire implique. Ainsi lorsque Da Fonseca écrit que « la

nourriture était de mauvaise qualité, le ciel impitoyable et on observait des nombreux

comportements malsains comme ils s’en rencontrent souvent à la guerre77 », le tableau est

dressé. On se retrouve directement au cœur d’une population de soldats qui subissent la

nourriture de mauvaise qualité, le mauvais temps et les blessures imposées par la guerre. Dans

la façon de décrire un environnement comme émanant du patient même Da Fonseca est

moderne, il recoupe les descriptions faites de nos jours. En effet, au XXIe siècle,

l’environnement est décrit avec le patient, il ne lui est pas dissocié. Le patient n’est plus pris

dans un environnement mais c’est le patient par son existence même qui créé l’environnement

dans lequel il évolue.

A la Renaissance, l’environnement du patient est une des clés de compréhension de la

pathologie de ce dernier. Issue de la tradition hippocratique, l’étude du lieu de vie permet de

déterminer quelles forces (eau, air) ont pu modifier l’équilibre du corps. La médecine du XXIe

siècle ne parle plus de forces mais reconnaît l’influence des facteurs environnementaux sur le

déclenchement et l’aggravation de certaines pathologies. Mais alors que la dimension

environnementale s’intéressait à l’intérêt particulier d’un malade autrefois elle fait maintenant

partie d’une considération plus globale avec les politiques de santé publique. En effet, le

médecin de la Renaissance prend en charge un seul et unique patient à la fois alors que le

médecin du XXIe siècle en considérant l’environnement décide de prendre en charge un

ensemble de patients, en établissant des groupes à risque pour une pathologie donnée.

75 COSTE J., Les écrits de la souffrance, la consultation médicale en France (1550-1825), Champ Vallon, Ceyzérieu, 2014,

p. 136. 76 DA FONSECA R., Consultationes medicae singulari eus remediis refertae, Typis Wechelianis, 1625, p. 314-21.

« miles, qui in castris per aliquot menses permansit ».

77 Ibid. « guerrepravum victum, caeli inclementiam, aliosque errores, qui in bello comittuntur ».

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Au XVIIIe, on retrouve cette influence car dans sa description de la fièvre épidémique ayant

touchée deux vallées des Alpes, le Dr Villar, chirurgien et botaniste à Grenoble, attache une

grande importance à la description du lieu dans lequel se déroulent ses observations78 :

Le Valgaudemar est une vallée très étroite, située dans l’enceinte des grandes

montagnes du Dauphiné. Sa latitude est de 44d.46m., et sa longitude d’environ

23d.44m. Le baromètre marque 24p8L dans son élévation moyenne….

Il y a un souci du détail, une volonté de ne rien oublier qui puisse aider au diagnostic ou à la

prise en charge de la maladie. Plus qu’un mémoire de consultation, ces descriptions sont aussi

un moyen de donner un maximum d’informations aux confrères qui liront le cas et qui

pourront à leur tour émettre des hypothèses et peut-être proposer une prise en charge

différente. Les consilia sont des vecteurs d’échange.

Au XVIe et XVII

e siècle le déplacement est plutôt l’apanage du médecin, qui va de villes en

villes dispenser son art. En arrivant dans un lieu inconnu, le médecin ambulant est alors plus à

même d’étudier son nouvel environnement pour en déduire les maladies les plus probables

qu’il risque de rencontrer. Les praticiens resteront très influencés par le « De Aere, Aquis et

Locis » d’Hippocrate, qui sera même cité en référence jusqu’au XVIIIe siècle. A partir de la

fin du XVIIe siècle et pendant le XVIII

e, apparaissent les échanges épistolaires entre un

malade ou sa famille et un médecin illustre de son époque lui demandant conseil. Le praticien

ne se trouve pas auprès de la personne qu’il doit traiter, il donne son avis basé sur les

informations que la lettre lui apporte. Ce style littéraire met en évidence la modification

progressive de la perception du médecin par la société, si le médecin est itinérant au XVIe

siècle, il possède sa propre consultation au XIXe siècle et se sont alors les patients qui se

déplacent pour lui demander conseil, sa fonction est soudain plus prestigieuse. Le fait d’être

installé dans un lieu fixe donne aussi une impression de stabilité, une certaine autorité qui

permet d’avoir pignon sur rue et donc d’asseoir sa notoriété.

b - L’interrogatoire du malade

L’étape de l’interrogatoire ne ressort pas en elle-même directement des consilia, alors que

l’on trouve des descriptions de l’environnement du patient poussées jusque dans les moindres

détails. L’interrogatoire apparaît de façon indirecte dans la description des symptômes de la

78

VILLAR M.D. Observations de médecins sur une fièvre épidémique qui a régné dans le Champsaur et le Valgaudemar en

Dauphiné pendant les années 1779 et 1780, Imprimerie Royale, Grenoble, 1781.

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maladie ou dans la chronologie de leur évolution. Ainsi Van Forest va-t-il expliquer que « le

malade ressentait de très fortes douleurs à la tête et des courbatures diffuses dans tout le

corps. […] que la fièvre s'intensifia alors, et qu’ensuite apparurent des vomissements

abondants associés à de nombreuses douleurs et à une anxiété généralisée79… ».

On retrouve le même type de formulation chez Auguste Thoner, médecin allemand du XVIIe

siècle, doyen du collège d’Ulm80, qui dans son « Observatio XXXV » évoque « un honnête

citoyen d’Ulm, âgé de 60 ans qui se plaint d’une douleur singulière, occupant son flanc

droit81 ». L’interrogatoire apparaît encore moins chez Hermann Boerhaave dans son ouvrage

épistolaire « Consultationes medicae, sive sylloge epistolarum, cum responsis Hermanni

Boerhaave82 » paru en 1750 et dans lequel des anonymes ou des médecins évoquent des cas à

l’auteur qui leur donne ensuite son avis. Mais alors même que l’interrogatoire sous cette

forme est absent de ces récits, par difficulté d’écriture littéraire ou besoin de concision,

Boerhaave fait lui-même remarquer que « j’ai considéré ta maladie jusqu’ici grâce à une

observation judicieuse, une description exacte, et une manière prudente de procéder83 ».

On pourrait penser à travers ses quelques exemples que l’étape de l’interrogatoire du patient

n’était pas pratiquée par les médecins de la Renaissance or il n’en est rien. En effet, bien que

l’étape en elle-même ne soit pas individualisée dans les consilia, on observe cependant le

recueil des informations nécessaires au jugement clinique. Ces praticiens y étaient cependant

sensibilisés grâce aux écrits de Rufus d’Ephèse, médecin grec du Ier

siècle après J.C. Il fut le

médecin de Cléopâtre et écrivit de très nombreux traités et en particulier un texte détaillé sur

l’interrogatoire du patient qui représente le texte antique le plus long jamais préservé84. La

traduction en a été faite par Charles Daremberg, médecin français du XIXe siècle, et historien

de la médecine85. Rufus d’Ephèse précise qu’« il faut faire des questions aux malades car on

connaîtra plus précisément ce qui concerne la maladie et on le traitera mieux86 ».

79 VAN FOREST P., Observationum et curationum medicinalium de febribus ephemeris et continuis libri duo, C. Plantin,

Antverp, 1584, p. 117-21. « vehementissime capite dolebat et toto corpore gravabatur, […] unde febris aucta, deinde fluxu

enormi oborto cum multis torminibus et anxietate… ». 80 Dictionnaire des sciences médicales – Biographie médicale, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke, Paris, 1820-5, p. 327. 81 THONER A., Observationum medicinalium haud trivialium libri quatuor, Johann Gerlin, Ulm, 1649, p. 53-4. « civis

honestus Ulmensis 60 annorum puis primo conquestus insigni dolore, dextram abdominis regionem occupante». 82 BOERHAAVE H., Consultationes medicae epistolarum cum responsis, G. Cavelerer, Paris, 1750. 83 Ibid. p. 4. « sapienter observatum, descriptum exacte, et prudenter tractatum hactenus a te morbum consideravi ». 84 Ibid. tome 7, p. 71. 85 DAREMBERG Ch., Œuvres de Rufus d’Ephèse, publié par C. Ruelle, Imprimerie Nationale, Paris, 1879. « Eρωτηματα

χρη τον νοσουντα ερωταν. εξ ων αν και διαγνωσθειη τι των ωερι την ακριβεστερον, και Θεραπευθειη καλλιον ». 86 Ibid. « Eρωτηματα χρη τον νοσουντα ερωταν. εξ ων αν και διαγνωσθειη τι των ωερι την ακριβεστερον, και Θεραπευθειη

καλλιον ».

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En premier lieu, il faut interroger le malade, pour connaître son degré de conscience. Cette

notion est déjà moderne, elle sera reprise dans la gestion de la fièvre du XXIe siècle où on va

s’attacher à coter le score de Glasgow du patient (de 3 à 15). Au premier siècle après J.C.

Rufus d’Ephèse en avait déjà notion, il insiste en disant que l’interrogatoire est en lui-même

informatif de deux façons : dans sa forme il nous apprend si le patient est cohérent, s’il est en

pleine possession de ses moyens sur le plan cognitif et sur le fond il nous renseigne sur

l’histoire de la maladie, les symptômes et le ressenti du malade. Le fait de poser des questions

au malade n’est pas anodin, cela permet de savoir, si le patient est conscient et cohérent, à qui

on a affaire. S’agit-il d’une personne cultivée, riche ou pauvre, est-il timide ou extraverti ?

Après seulement, si le malade n’est pas en mesure de répondre, se tournera-t-on vers

l’entourage pour avoir de plus amples précisions : « donc le médecin, comme il a été dit,

interrogera d’abord le malade sur certaines choses nécessaires à savoir ; ensuite il

questionnera les assistants, s’il ne peut pas apprendre ces choses du malade lui-même87 ».

Le déroulé de l’anamnèse est déjà parfaitement défini chez Rufus d’Ephèse, il faut avant tout

commencer par le commencement c’est-à-dire évaluer l’état de conscience puis rechercher

des signes de gravité comme des saignements abondants ou une fièvre importante et enfin

faire une observation générale du patient. A la fin du traité, Rufus D’Ephèse conclut en disant

que « maintenant donc, selon moi, l’idée est claire pour quiconque veut apprendre ce dont il

s’agit ; mais ni un gros livre ni le temps ne suffiraient à enseigner et à enregistrer tous les cas

qui peuvent se présenter ; le principe de la connaissance trouvé et soumis au médecin

renferme ce qu’il faut88 ».

Il encourage les praticiens à apprendre certes dans les livres mais surtout à vivre l’expérience

médicale auprès des malades car selon lui on ne peut pas théoriser tous les cas existants dans

la pratique. En cela ses idées font écho à celles de la Renaissance et à cette volonté de

pratiquer une médecine ancrée sur des bases théoriques mais adaptable au contact du malade.

Un autre texte de référence, d’Hippocrate cette fois-ci, a laissé sa trace sur la médecine de la

Renaissance. Il s’agit du « De Dieta » (Les Régimes). En effet, les médecins, et en particulier

Van Forest dans son consilia, vont insister pour connaître le mode de vie du malade et surtout

son mode alimentaire. Savoir que le patient est militaire, par exemple, permet de comprendre

87

Loc. Cit. « Πρωτον μεν δη, ως ειρηται, αυτον τινα χρη τον νοσουντα ερωταν ωερι ων χρη ειδεναι, επειτα δε και τους

ωαροντας, ει κωλυματα ειη ωαρα του νοσουντος μανθανειν ». 88

Op. Cit. « Ηδη ουν μοι σαφης-η γνωμη εσζιν. ωτω αν εφικεοσθαι βουληται. τα μεντοι συμπαντα, ουτε λογος αυταρκης,

ουτε χρονος ικανος σημηναι τε και εξευρειν. το δε κεφαλαιον της γνωμης ευρεθεν και υποβληθεν τω ιατρω εχοι αν ωαμπαν

το δεον»

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quelle est son alimentation. De savoir s’il est riche ou pauvre permet de connaître les aliments

auxquels il a accès. Cette influence hippocratique se retrouve en effet dans plus de 80% des

consultations écrites à la Renaissance où on observe la prescription d’au moins une mesure

diététique. Elles concernent principalement l’alimentation et la boisson, mais également

l’exercice et le repos, les passions de l’âme, l’environnement du patient, le sommeil et même

la sexualité89.

3/ Vers l’élaboration du diagnostic

a – L’examen clinique

L’étape de l’examen clinique tient une place prépondérante dans les consilia du XVIe au

XVIIe siècle, en effet l’observation du malade ainsi que l’examen clinique représente entre un

à deux tiers de l’ensemble du document. Il existe manifestement une volonté de rassembler un

maximum d’informations concernant le patient et sa maladie. Cette volonté est d’autant plus

compréhensible lorsque l’on se rappelle que les consilia étaient écrit à froid c’est-à-dire après

le retour du praticien à son domicile, où il pouvait se poser calmement et réfléchir au cas qu’il

venait de rencontrer90. Il ne faut donc rien oublier dans le recueil de l’information physique

issue du patient. Chez Van Forest l’examen physique se mêle à l’observation du malade :

« Lorsque je rencontrai cet homme noble dans sa villa de campagne, il était alité. Dès mon

arrivée je lui trouvai le pouls rapide et filant d'un homme affaibli auquel on faisait encore

boire de l'huile de ricin, dans le but de le purger91 ». Les termes sont concis, chacun à un sens

clair. On est immédiatement transporté dans la chambre du malade et dans les circonstances

dans lesquelles Van Forest le rencontre et l’examine.

Jérôme Mercuriale, célèbre médecin italien du XVIe siècle qui devint successivement le

médecin officiel du Pape Pie IV, du Cardinal Farnèse puis de l’Empereur Maximilien II, écrit

qu’« aucune autre tumeur palpable ne se trouvait dans la région de l’hypochondre, que le

89

COSTE J., Les écrits de la souffrance, la consultation médicale en France (1550-1825), Champ Vallon, Ceyzérieu, 2014,

p. 147. 90

AGRIMI J., CRISCIANI Ch., Les Consilia Médicaux, Brépols, Turnhout – Belgique, 1994, p. 37. 91

VAN FOREST P., Observationum et curationum medicinalium de febribus ephemeris et continuis libri duo, C. Plantin,

Antverp, 1584, p. 117-21. « Vir autem hic nobilis in villa extra urbem decumbebat, ad quem ingressus, pulsum quidem

celerem sed etiam debilem repperi, fractis viribus, ex fluxu alui, quae vi cataputiae iam biduum ferebatur. »

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contact joint de l’estomac, du foie et de la rate lui-même aurait pu intercepter facilement92 ».

Les principaux organes sont différenciés, l’auteur tente de rattacher chaque symptôme à l’un

d’eux pour essayer d’en expliquer la cause. Jean Fernel évoque quant à lui que :

C’est à l’âge tendre, et particulièrement dans les années d’enfance que survient

l’asthme… Il saisit vivement au niveau des flancs en serrant très fort. Lorsque c’est

le cas, l’esprit et tous les sens disparaissent et il se crée une grande suffocation au

niveau de la gorge, alors que les veinules des yeux et du visage éclatent93

.

Il décrit ici très clairement les signes retrouvés chez une personne asthmatique. On est devant

une description clinique de la maladie comme on peut la trouver dans les ouvrages de

référence mais ce qui la rend encore plus intéressante et donc susceptible d’éveiller l’attention

et de stimuler la mémoire c’est que cette description est attachée à un cas réel et vécu.

Les médecins observent les signes du corps dont font partie les excrétas comme les urines, et

les selles, ils prennent le pouls, écoutent la voix et la toux du patient comme on le retrouve

chez Christophe Guarinone. Ce médecin italien de la fin du XVIe siècle était attaché au Duc

D’Urbino puis à l’empereur Rodolphe II à Prague94, il dit ici que « les urines étaient

troubles95 ». On recherche par l’observation les signes du corps malade comme son pouls et

on étudie aussi ses excrétas, révélateurs de signes cachés inaccessibles à l’examen direct. Le

médecin de la Renaissance fait la part des choses entre les phénomènes qui lui apparaissent, à

l’extérieur du corps, et ce qui se passe à l’intérieur du corps. Cela est parfaitement souligné

par ce passage de Johannes Baptista Montanus lorsqu’il dit que « tout d’abord, les signes ne

sont que les manifestations apparentes, ainsi donc la connaissance de la maladie n’est que

subjective96 ». Ce médecin exerça à Vérone au XVIe siècle où il se consacra à la redécouverte

des textes grecs originels de médecine ainsi qu’aux versions en langue arabe. Il fut l’un des

proches de Vésale97.

92

MERCURIAL H., Responsorum et consultationum medicinalium tomus alter, Michale Columbo, Venise, 1580, p. 121.

«… mineram putredinis nullam aliam esse quam hypocondriorum regionem, quae ventriculum, iecur, et lienem continet

contactu ipso deprehendi facile potest ». 93

FERNEL J., Consiliorum Medicinalium Liber, 4e éd., Taurini, Paris, 1589. « Ab annis teneris, et a prima utque pueritia

deprehansa est obnoxia asthmati… Magno et periculoso uteri strangulatu saepe correpta est. In quo et mens et sensus omnes

pereunt, et suffocationis vehementia ceruicis, oculorum, et faciei venulae dehiscunt ». 94

Dictionnaire des sciences médicales – Biographie médicale, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke, Paris, 1820-5, tome 4, p.

533. 95

GUARINONE C., Consilia medicinalia in quibus universa praxis medica exacte pertractatur, Thomam Baglionum,

Venise, 1610, p. 172-3. « urina perturbata esset ». 96

MONTANO G., De febribus consilia omnia, Ulrici Neuberi, Nuremberg, 1559. « Primo qua manifeste apparent signa, ab

eo colligite, ex quibus postea cognito morbo subiecto ». 97

Dictionnaire des sciences médicales – Biographie médicale, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke, Paris, 1820-5, tome 6, p.

291.

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Le praticien essaie de rattacher les signes aux différents organes, dont l’anatomie est connue

grâce à Galien d’une part mais surtout grâce à la version plus détaillée et plus complète de

Vésale dans son « De Humani Corporis Fabrica » paru en 1543. Pour cela le médecin

recueille le maximum d’informations au travers de l’observation, et de l’examen physique du

patient, passant par l’auscultation, la palpation et la percussion. L’auscultation n’est pas

encore médiée par le stéthoscope qui ne sera inventé qu’au XIXe siècle par le Docteur René

Laennec. A la Renaissance, l’auscultation est immédiate, c’est-à-dire que la tête du praticien

est collée au patient dont il essaie de percevoir les bruits du corps. Laennec, en introduisant un

appareil d’auscultation, créa l’auscultation médiate. Le médecin s’éloigne ainsi du patient,

amorce d’un processus qui, nous le verrons, influencera la médecine contemporaine.

Ce type d’examen clinique : observation, auscultation, palpation, percussion est toujours

d’actualité au XXIe siècle, en effet on retrouve ces notions lorsque l’on parle « d’examen

réalisé appareil par appareil98 ». Ce qui marque au XXIe siècle c’est l’examen

compartimenté, justement appareil par appareil. Le corps humain n’est pas perçu dans sa

dimension anatomique comme cela est le cas au cours de la Renaissance, comme une somme

d’organes, mais plutôt comme une somme de fonctions. Lorsqu’on examine un patient au

XXIe siècle, on examine la fonction cardiovasculaire, la fonction respiratoire ou encore la

fonction digestive. Ces différents appareils ne reposent plus sur un organe mais sur un

ensemble d’organes liés entre eux par leur fonction au sein du corps malade. Le corps au

XXIe siècle n’est plus vu comme un ensemble d’éléments architecturaux comme il l’est au

XVIe siècle mais comme un processus vivant et adaptatif, dont les appareils fonctionnels

représentent le premier niveau de son interprétation.

Cette évolution fut progressive, en rapport avec les découvertes scientifique et de l’évolution

des modes de pensées. Ainsi va-t-on retrouver au XVIIIe siècle chez le Dr Barthez99, une étape

transitionnelle entre la description d’organe et la notion de fonction :

Le malade que nous fait l’honneur de nous consulter, commença d’être attaqué au

mois de novembre dernier, d’une maladie de poitrine, qui subsiste encore. Il sentit

dés-lors un point douloureux au côté gauche ; point qui est toujours resté fixe

jusqu’à ce jour, et auquel il s’est joint, en divers temps, des douleurs vagues en

d’autres endroits de la poitrine. Ce point douloureux était d’abord accompagné

d’une légère difficulté à respirer, et d’un grouillement dans la poitrine. Il fut suivi

98

BERREBI W., Diagnostics et thérapeutique – Guide pratique du symptôme à la prescription, Estem, 5e éd., Paris, 2009, p.

808. 99

Dictionnaire des sciences médicales – Biographie médicale, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke, Paris, 1820-5, tome 1, p.

573.

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au bout de cinq ou six jours, d’une fièvre assez vive, et d’une expectoration

abondante de crachats visqueux et jaunâtres, qui produisit un soulagement

sensible100

.

Barthez parle déjà de douleur au côté gauche puis précise qu’il s’agit de la poitrine, qui est

perçue comme une zone bien définie, avec des limites anatomiques connues et fixes car il

parle ensuite d’autres douleurs à d’autres endroits de la poitrine. Il y a ici une notion

d’anatomie, une délimitation des espaces du corps, cela permet de placer les phénomènes,

comme les douleurs, dans un espace connu. Par extension, cet espace fixe permet de limiter la

réflexion du praticien, d’émettre des hypothèses plus précises, d’évoquer des pathologies dont

le siège ne peut être que la poitrine. Ce qui est remarquable c’est qu’ensuite il associe la

poitrine à la fonction respiratoire, les organes ne sont plus seulement des notions

anatomiques, ils ont une fonction propre, dans le cas de la poitrine, qui contient les poumons,

il s’agit d’assurer la respiration On retrouve la description des excrétas ici ce sont les

expectorations. Il y a aussi une fonction sous-entendue des poumons, qui expirent et donc

recrachent vers l’extérieur des substances dont l’analyse peut être utile au praticien. Il apparaît

dans cet extrait une évolution de la perception du corps, qui n’est plus que perçu que dans sa

dimension anatomique, comme une succession d’organes, mais dans un début de dimension

fonctionnelle.

Les informations recueillies, à travers l’interrogatoire puis l’observation et l’examen clinique,

de par leur volume, nécessite un support écrit dont Joël Coste précise que « la pratique de la

consultation exigeait non seulement des médecins un travail de rédaction mais aussi

d’archivage des décisions prises et des prescriptions faites pour permettre le suivi de celles-

ci101 ». Ainsi, cette dernière tâche s’apparente clairement à la tenue d’un dossier médical,

constitué de l’ensemble des informations dont le praticien dispose sur son patient ajoutées à

ses prescriptions.

100

BARTHEZ P.J., Consultations de médecine, Giguet et Michaud, Paris, 1810, tome 1, p. 32. 101

COSTE J., Les écrits de la souffrance, la consultation médicale en France (1550-1825), Champ Vallon, Ceyzérieu, 2014,

p. 58.

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b – La réflexion diagnostique

A travers leur structure, les consilia du XVIe ou XVII

e siècle présentent un chemin

diagnostique102. Ils sont découpés de façon logique en parties qui s’articulent les unes aux

autres pour arriver à une véritable démarche clinique. On observe de très nombreuses

conjonctions (nam, etiam, et, deinde, autem, ergo, igitur…), articulant entres elles chaque

partie, les rendant plus actives car en interaction. Ainsi chez Van Forest, on n’observe pas

moins de 12 de ces dernières dans le premier tiers du consilium. La découpe des consilia est

plus ou moins poussée selon les auteurs, et en particulier chez Van Forest, on va retrouver de

façon distincte les deux grandes parties qui sont le consilium en lui-même puis la scholia alors

que Fernel par exemple fait apparaître deux parties distinctes dans son consilium103: l’historia

et le progressus morbi ou évolution. Le fait de poser ses observations, puis les traitements que

l’on a entrepris par écrit permet de faire apparaître une logique dans la prise en charge

médicale. Les consilia tracent l’ébauche d’un raisonnement diagnostique. Ces cas cliniques

sont les prémices d’une démarche diagnostique à la croisée des textes de référence théorique

et de la médecine de terrain au lit du malade. Les praticiens sont dans l’action, en se détachant

du carcan théorique faisant autorité en se rendant auprès du patient, ils parviennent à intégrer

théorie et pratique pour créer une nouvelle démarche diagnostique. Non seulement le point de

départ n’est plus le texte médical théorique, souvent ancien, mais le patient lui-même dont la

pathologie est vue à travers le prisme des connaissances du praticien certes mais en intégrant

ses réflexions personnelles et ses observations. Les connaissances théoriques ne sont alors

plus des connaissances figées et immuables mais des notions évolutives et adaptables. C’est

cette ouverture d’esprit et cette libération de la pensée médicale qui va permettre d’avancer

dans la connaissance scientifique.

Au XVIIIe siècle, cette réflexion se poursuit, en effet, on lit dans la préface du livre de

Barthez que lorsqu’il est question de l’utilité des ouvrages de cas médicaux discutés et

commentés par un auteur de référence :

Celui qui aura exercé la médecine ne doutera pas de cette utilité, quel qu’il soit, il

aura senti plus d’une fois l’insuffisance des études générales, pour le diriger dans

ces cas particuliers où l’esprit a tant de peine à faire l’application des principes104.

102

AGRIMI J., CRISCIANI Ch., Les Consilia Médicaux, Brépols, Turnhout – Belgique, 1994, p. 89. 103

FERNEL J., Consiliorum Medicinalium Liber, Taurini, 4e éd., Paris, 1589. 104

BARTHEZ J.P., Consultations de médecine, Giguet et Michaud, Paris, 1810, tome 1, p. 6.

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On voit une nouvelle fois apparaître cette opposition entre théorie et pratique mais alors que

l’on aurait pu penser que cette réflexion sur les fondements même de l’enseignement médical,

enseignement théorique issu des textes antiques versus enseignement au lit du malade, aurait

abouti à l’émergence d’une médecine empirique, fondée sur l’exemple, il n’en est rien. En

effet, même si la théorie n’est au XVIIIe siècle plus le point de départ de la réflexion lors de la

démarche diagnostique, elle reste de socle des connaissances médicales validées pour

l’époque. Ceci est encore mis en évidence chez Barthez :

L’étude des consultations a deux objets :le premier, c’est de nous apprendre quelle

a été la façon de penser d’un médecin distingué, sur un cas difficile qui peut se

présenter à nouveau, ou qui a beaucoup d’analogie avec tel autre pour lequel on

réclame nos soins ;le second, qui intéresse particulièrement les commerçants, est le

même à peu près que celui des exercices clinique ; c’est d’apprendre à reconnaître,

au milieu des symptômes accidentels, et malgré toutes les complications, les

maladies dont on a lu l’histoire ; à se conduire dans les recherches qui doivent

précéder le choix des moyens thérapeutiques, et à régler l’administration de ces

moyens d’après les circonstances particulières qui modifient les préceptes

généraux105.

Ce mode de pensée est moderne, le médecin du XVIIIe siècle est tourné vers le cas particulier

du malade qu’il doit traiter, dont l’observation et l’examen clinique va permettre d’émettre

des hypothèses diagnostiques en essayant de se rattacher aux connaissances théoriques

validées de l’époque. On part du cas particulier pour aller vers la généralité. L’auteur évoque

ensuite les « recherches » à effectuer pour mettre en place une stratégie thérapeutique. Il parle

probablement de recherche aussi bien de signes cliniques, visibles ou bien déduits, que

d’examens complémentaires, on voit donc apparaître la démarche clinique utilisée

aujourd’hui. Les grandes lignes sont déjà tracées : on recueille l’information, en interrogeant,

en observant et examinant le malade, puis on rattache le cas à une entité connue, appréhendée

lors des études médicales et enfin on recherche des arguments confirmant l’hypothèse de

départ pour mettre en place une stratégie thérapeutique.

Et qu’en est-il au XXIe siècle ? Si le praticien a appris à rechercher rapidement les signes

d’urgence, nécessitant une prise en charge immédiate et souvent technique avec l’intervention

de la réanimation et des drogues associées, il n’en fait pas moins une démarche diagnostique

structurée106 où les grands axes de la consultation se retrouvent toujours. On retrouve le

processus initié au XVIe siècle : rencontre avec le patient, recueil de l’information, indirecte

105

Ibid. p. 7. 106

PERIAT P., « Déroulement d’une consultation en cabinet », dans Forum Médical Suisse, n°4, 24 janvier 2001.

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par l’interrogatoire puis directe par l’examen clinique, émission des hypothèses, étape de test

de ces hypothèses, par recherche de signes cliniques ou par examens complémentaires,

analyse des données obtenues avec les connaissances actuelles de la science et élaboration

d’une prise en charge thérapeutique.

Finalement tout commence et a toujours commencé par la rencontre du médecin avec son

patient. Après la rencontre avec le malade, arrive le moment du recueil d’informations, issues

directement du malade d’une part et s’il ne peut pas fournir les informations requises, de la

part de son entourage immédiat. L’étape de l’examen clinique se profile déjà au XVIe siècle

où le médecin prend connaissance des signes visibles, issus du corps comme la couleur des

téguments, l’aspect extérieur de la personne malade, mais prend aussi connaissance des signes

invisibles. Ces signes sont à récupérer directement par le praticien, cela sous-tend une

démarche active, une volonté de recherche. Enfin avec les nouvelles découvertes anatomiques

de Vésale, le praticien n’est plus seulement limité aux signes qu’il voit et qu’il récupère par

l’examen, il peut soudain les interpréter. Le médecin peut rattacher, en fonction des

connaissances de l’époque, un phénomène observé chez le malade à un organe précis. Il prend

conscience que le corps humain ne se limite pas seulement à ce qu’il en voit. L’information

de départ, rendue plus complexe par l’interprétation qu’en fait le praticien, va ensuite servir à

émettre une ou des hypothèses diagnostiques, en accord avec les connaissances de l’époque,

permettant ainsi de planifier une prise en charge thérapeutique adaptée. Ce processus

complexe est le résultat d’une évolution progressive des connaissances scientifiques mais

aussi des modes de pensée dont chaque époque de l’Histoire a laissé sa trace.

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41

III – ANALYSE DES DEMARCHES CLINIQUES DU

XVIème

AU XXIème

SIECLE

1/ L’émergence de la médecine moderne

a – La réinterprétation du rôle du médecin

La médecine hippocratique marque la naissance de la discipline médicale en tant qu’art. Elle

insiste sur le fait que l’évolution de l’humanité se trouve liée à la vision réaliste de ses

faiblesses associée au pouvoir de sa raison. Hippocrate dans « De Prisca Medicina »

considère que c’est grâce à la raison, et non à la chance, que l’homme sort de son état

d’ignorance et fait des découvertes. Le Ve siècle avant J.C. voit le passage de l’état barbare à

celui de civilisation à travers la naissance des arts. L’antithèse entre la notion d’art et de

chance est transposée sur celle de science et de fortune. La médecine se range au rang d’art

dont Hippocrate dit : « Si un art de la médecine n’existe pas du tout…le traitement du malade

serait le fait du hasard ». Il insiste en évoquant les découvertes médicales de son temps qui

ont été faites par « le travail, pas la chance, mais issues d’une démarche correcte et bien

conduite107 ». Le praticien, garant de l’art qu’est alors devenue la médecine doit se montrer

précis et procéder avec raison pour le rétablissement de son malade. Deux modes de pensée

vont alors s’affronter, avec d’un côté les partisans d’une médecine liée à la philosophie dont

elle emprunte les méthodes d’analyse :

Selon les partisans de la médecine philosophique, il n’est pas possible de

comprendre la médecine sans avoir une compréhension préalable de la nature

humaine et des différents éléments dont un homme est composé. Dans ce contexte,

les éléments constituant de l’homme sons dépendant des éléments même qui font

l’univers. L’art médical est alors basé sur des principes extérieurs à l’art lui-même,

dérivant de la cosmologie108

.

De l’autre côté, se trouvent les médecins qui rejettent cette relation étroite entre médecine et

philosophie et qui prônent que :

107

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, tome 1, p. 48. 108

Ibid. tome 1, p. 51. « According to the partisans of philosophical medicine, it is not possible to understand medicine

without having a prior understanding of human nature and the various elements of which man is composed. In this context,

the constituent elements of man are dependent on the elements that make up the universe. The art of medicine is based,

therefore, on principles extraneous to the art itself, deriving from cosmology ».

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42

Tandis que les médecins qui supportaient la médecine philosophique croyaient que,

pour pratiquer correctement la médecine, il était nécessaire de commencer par

comprendre la nature humaine, l’auteur de De Prisca Medica déclarait qu’il

existait une connaissance de la médecine, proprement définie, qui servait au mieux

comme source de la compréhension de la nature humaine. A travers une simple

inversion de termes, l’auteur amorça une véritable révolution. Les médecins

n’étaient plus obliger d’essayer de recréer l’homme, en commençant par quelques

éléments simples, à la façon dont un peintre dessinerait un homme en commençant

par utiliser les couleurs primaires. La mission des médecins, était d’observer les

différentes réactions du corps humain à travers les différentes actions d’un régime

(nourriture, boisson, exercice)109

.

Au fil des débats qui se tiendront tout au long du Ve siècle les partisans de la dissociation

entre médecine et philosophie s’imposeront définitivement. A partir de ce moment, la

médecine ne sera plus uniquement une branche de l’anthropologie philosophique mais

deviendra véritablement une science de l’homme110.

Avec Galien, au Ier

siècle après J.C., le rôle du médecin devient celui d’un polymathe

accompli dont les connaissances sont non seulement basées sur une maitrise de tous les

domaines étudiés par l’homme mais encore sur ses propres expériences pour confirmer ou

infirmer ses propres théories. Les siècles suivants seront surtout marqués par une absence de

créativité et la compilation des traités scientifiques et des savoirs populaires111. L’évolution de

la médecine antique se fera dans le monde arabe entre le VIe et le XI

e siècle. Un public

composé d’élites éduquées, au nombre bien plus important que celui de l’antiquité, va porter

son intérêt sur le savoir médical. Les textes grecs et latins sont traduits pour et par cette élite

qui va les réinterpréter en fonction des impératifs locaux de croyances et de religion. Le

médecin du monde arabe base ses actions et son savoir sur « l’observation fortuite de

propriétés médicales spécifiques, les essais expérimentaux et l’erreur, les rêves prémonitoires

et l’imitation du comportement animal112 ». La pratique médicale est alors très influencée par

les tendances magiques et empiriques. Un aspect du rôle du médecin émerge cependant à cette

date, il s’agit de celui de sa probité. Les auteurs arabes vont compiler les vies et les faits des

109

Loc. Cit. tome 1, p. 52. « Whereas the physicians who supported philosophical medicine believed that, to practice

medicine properly, it was necessary to begin with prior understanding of human nature, the author of De Prisca Medicina

declared that il was a knowledge of medicine, as properly define, that best serve of the source of understanding of human

nature. Through a simple reversal of terms, the author brought about a full-fledged revolution. Physicians were no longer

obliged to attempt to recreate man, beginning from a few first elements, the way a painter would depicts man begins with a

few primary colors. The physicians’ task, then, was to observe the various reactions of the human body to the differents

actions of a regimen (food, drink, exercise) ». 110

Op. Cit. tome 1, p. 53. 111

Id. tome 1, p. 136. 112

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, tome 1, p. 155. « fortuitous observation of specific medical properties, experimental trials and error,

premonitory dreams and imitation of animal behavior ».

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grands médecins antiques et contemporains en portant un grand intérêt sur leurs personnalités

et leur intégrité morale. Ces deux caractéristiques du médecin et non plus seulement ses

connaissances et ses réalisations seront la garantie de sa valeur en tant que praticien.

Averroès, au XIIe siècle, sort du lot. Ce juge, médecin et philosophe avait pour projet « de

donner accès à la plus haute forme du savoir, le savoir démonstratif, par distinction d’avec

les autres formes incertaines du savoir que véhiculent la dialectique et le rhétorique113 ». Il

apparaît en cela novateur, symbole de la lutte contre l’obscurantisme, en particulier religieux,

propre à son époque. Pour ce médecin, nous précise Ali Benmakhlouf, membre du CNE114 :

La médecine n’apparaît en effet pas seulement comme une pratique, mais elle

fournit aussi un modèle d’explication […], c’est-à-dire un ensemble de

croyances, de valeurs et de techniques communes aux membres d’un groupe

donné. Bien plus que la philosophie, c’est le droit d’une part, pour ce qui est des

sciences sacrées, et la médecine de l’autre, pour ce qui est des sciences

profanes, qui constituent les paradigmes dominants dans lesquels se coule la

pratique philosophique d’Averroès.

Le Moyen-Age européen, à travers la redécouverte des textes antiques grâce aux grands

traducteurs, s’inscrit dans le prolongement de la médecine arabe avec des médecins très

fortement influencés par la religion. La maladie étant considérée comme une punition divine,

la médecine ne peut en délivrer le malade que grâce à dieu. La charité est alors considérée

comme la clé de voûte de la pratique religieuse étendue à la vie quotidienne :

La charité est unanimement considérée comme la reine des vertus. En particulier,

elle commande les vertus théologiques (foi et espoir sont les autres). La charité est

la fondation unificatrice, le toit et le lien de ces vertus. Qui plus est la charité leur

donne vie et les dirige vers leur but véritable. La charité représente le droit chemin

vers la perfection pour tous Chrétiens115

.

La santé est perçue à travers le prisme de la religion. Si une personne ne peut être guérie que

par son obéissance aux règles de dieu, pourquoi alors avoir recours à un médecin si le remède

le plus efficace contre une maladie est la prière ? Le questionnement de ces dispositions sera

l’apanage de quelques moines au cours du XIIe siècle qui affirmeront que bien que la

nourriture et certains remèdes à base de plantes n’ont aucun effet sur la santé de l’âme, ils

113

BENMAKLOUF A., Averroès, Perrin, Paris, 2009, p. 20. 114

CCNE est un acronyme pour Comité Consultatif National d’Ethique 115

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, tome 1, p. 171. « Charity is unanimously considered to be the queen of virtues. In particular, it rules

the theological virtues (faith and hope are the others). Charity is the unifying foundation, roof, and bond of those virtues.

Above all charity gives them life and directs them toward their true purpose… Charity is represents the proper path toward

perfection for all Christians ».

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n’en ont pas moins sur celle du corps116. La création des premiers hospices aura pour effet de

donner au rôle du médecin une dimension plus complexe et plus large. En effet, les hospices

sont perçus comme des lieux où la charité chrétienne s’applique sur les plus nécessiteux et en

particulier les malades et les infirmes, mais la maladie vue comme l’œuvre de dieu est

considérée dans l’ensemble plus vaste des phénomènes naturels qu’il a créé. Le médecin tout

en étant soumis au principe religieux peut alors se tourner vers l’étude et la prise en charge de

ses maladies, non plus considérées comme punition mais comme expression de la volonté

divine à travers les lois naturelles de la nature qu’il a façonné. Etre médecin c’est donc croire

en dieu et se rapprocher de lui à travers l’étude de la maladie117.

La création des grandes universités européennes, comme celles de Salerne, Tolède,

Montpellier ou encore Padoue et Paris, modifie encore un peu la définition du rôle de

médecin. Il acquière désormais ses connaissances grâce à des programmes d’enseignement

propres à chaque université et dont il est le garant dans sa pratique. Son aura et sa valeur sont

dépendants de sa formation initiale. Peu à peu va se créer un clivage entre les pratiques

médicales traditionnelles populaires et les pratiques validées par l’autorité en place. La

médecine populaire se détache du corps médical officiel qui s’assoit alors en tant que corps

professionnel distinct. Van Forest d’ailleurs s’opposera toujours farouchement à ce type de

médecine populaire et luttera avec acharnement contre les médecines parallèles. Les

universités auront un apport déterminant sur la création d’une entité médicale européenne. En

effet, elles permettront de baliser les formations, de leur donner un cadre officiel et approuvé.

Les praticiens ne seront plus tributaires de formations initiales pour le moins disparates et

inégales, dont l’influence pourrait se faire sentir sur la pratique, mais auront un fond de

connaissances communes.

La Renaissance a vu apparaître un courant humaniste qui a marqué toutes les disciplines

scientifiques et plus particulièrement la médecine. Les grands médecins de l’époque, de Van

Forest à Thoner en passant par Fernel ou encore Mercuriale, vont être influencés par des

théories nouvelles. Celle d’Oswald Croll ou Crollius tout d’abord, dont le livre Basilica

Chymica permettra d’entrevoir des similitudes entre la médecine chimique et l’univers perçu à

la fois comme microcosme et macrocosme118. Francis Bacon avancera quant à lui l’idée que

l’intelligence humaine doit s’approprier des outils efficaces pour dominer la nature. Ces outils

116

Ibid. p. 176. 117

Loc. Cit. p.179. 118

GRMEK M.D. et al., Histoire de la pensée médicale en occident – De la Renaissance aux Lumières, Seuil, Avril 1997,

tome 2, p. 46.

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sont selon lui expérimentaux, ils permettent d’interpréter et de donner forme aux données de

l’expérience sensible. Bacon posera les bases de la méthodologie scientifique au XVIe siècle

avec l’apparition de notions comme l’observatio, l’experientia et l’experimentum qui seront le

reflet de cette époque et auront une grande influence sur la pratique du médecin :

L’empirisme et le rationalisme déterminent le parcours des sciences naturelles. Il

s’agit donc d’une part de la méthode inductive qui, partant de l’observation et de

l’expérience, parvient à connaître et à démontrer les lois de la nature (Francis

Bacon) et, d’autre part, de la méthode déductive, fondée sur les conclusions

logiques, caractéristiques de la pensée mathématique (Descartes)119

.

Les XVIIIe et XIX

e siècles verront l’avènement de la philosophie d’Emmanuel Kant pour qui

l’appréciation des sciences et de la médecine, en tant que telle, réside dans l’expérience en

tant que source de la connaissance. L’expérience n’est plus pour lui seulement le fruit de

données immédiates mais devient le fruit d’une synthèse des données acquises associées à la

pensée. La philosophie kantienne va faire évoluer le concept de science en modifiant le critère

de fiabilité de la connaissance en introduisant la notion de causalité. La causalité est prise

comme critère de scientificité, une science est alors une discipline qui remplit le critère de

l’explication causale120. Les sciences sont alors celles du domaine physique et non plus

métaphysique. Avec la philosophie positive d’Auguste Comte de nouvelles notions

apparaissent :

Nous ne connaissons rien que des phénomènes ; et la connaissance que nous avons

des phénomènes est relative, et non pas absolue. Nous ne connaissons ni l'essence,

ni le mode réel de production, d'aucun fait : nous ne connaissons que les rapports

de succession ou de similitude des faits les uns avec les autres. Ces rapports sont

constants, c'est-à-dire toujours les mêmes dans les mêmes circonstances. Les

ressemblances constantes qui lient les phénomènes entre eux, et les successions

constantes qui les unissent ensemble à titre d’antécédents et de conséquents, sont ce

qu'on appelle leurs lois. Les lois des phénomènes sont tout ce que nous savons

d'eux. Leur nature essentielle et leurs causes ultimes, soit efficientes, soit finales,

nous sont inconnues et restent, pour nous, impénétrables121

.

Dans sa pratique, le médecin se détache de sa gangue de conceptions métaphysiques qui

cherchent à rattacher les phénomènes observés à un substrat suprasensible ou âme générale du

monde.

119

Ibi. P. 76. 120

GRMEK M.D. et al., Histoire de la pensée médicale en occident – Du romantisme à la science moderne, Seuil, Paris,

1999, tome 3, p. 10. 121

STUART MILL J., Auguste Comte et le positivisme, traduit de l’anglais par le Dr G. Clémenceau, Germer Baillière, Paris,

1868, p. 6.

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Le rôle du médecin contemporain est une synthèse de toute cette évolution aussi bien des

concepts médicaux que philosophiques. Tout d’abord le médecin est un professionnel formé

par des autorités compétentes et dont les connaissances sont validées par la communauté

scientifique de son époque. Il est en charge non seulement de la santé individuelle mais aussi

collective de la population dont il a la charge. Il n’intervient plus seulement à un stade de

maladie déclarée mais a un rôle de prévention dans l’apparition des maladies et dans

l’accompagnement des patients à la gestion de leur maladie. Avec les avancées scientifiques

de la fin du XXe et du début du XXI

e siècle, le médecin est aussi amené à prendre en charge

des patients qui ne sont pas malades dans la définition classique du terme mais qui souhaite

que la science leur apporte la réparation de ce que la nature leur refuse. C’est le cas en

particulier de la Procréation Médicalement Assistée ou PMA. Les patients ne sont pas

considérés comme malades mais déficients dans une capacité intrinsèque du corps humain

dont ils demandent réparation à la médecine.

b – L’évolution du concept de maladie

De tout temps, les maladies sont venues influencées le cours de la vie des hommes. Le

concept de maladie regroupe un ensemble d’idées et de représentations attachées à une culture

spécifique et développées au cours de l’histoire. La maladie peut se définir par un critère

objectif comme l’incapacité à réaliser un acte habituel mais aussi par un critère subjectif

comme la douleur ou encore le mal-être. Le concept de maladie n’est pas socialement neutre,

il sous-entend un jugement moral et esthétique. Une personne est donc malade quand elle ne

peut pas accomplir sa tâche habituelle de façon convenable parce qu’elle souffre, qu’elle

présente ou non des changements physiques visibles. La tentative de définition de la maladie

semble a priori simple mais en fait le concept se trouve à la croisée de visions totalement

différentes. Doit-on définir la maladie à partir du vécu du patient, des connaissances du

médecin, des conséquences sur la société, des lésions anatomo-physiologiques ? Ce qui pose

la question de savoir si la maladie est une entité ou un processus. Selon la conceptualisation

ontologique, on pourrait distinguer deux phases : la première correspond à l’existence de la

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maladie, entité concrète, la deuxième serait représentée par l’état de maladie, c’est-à-dire une

idée122.

Dans la conceptualisation ontologique primitive, la maladie est vue comme un objet matériel

inanimé (théorie corpusculaire) qui rentre dans le corps ou comme un objet matériel animé

(théorie parasitique) ou encore comme un être immatériel (théorie du démon). La pensée

primitive ne fait pas la distinction entre la cause du phénomène et le phénomène lui-même. Il

y a une tendance à la personnalisation de la maladie vue comme un esprit malveillant

provoquant l’état pathologique. La maladie devient une entité ajoutée à un corps

primitivement en bonne santé. La médecine archaïque est également très influencée par la

morale, il convient donc non pas de trouver comment la personne est tombée malade mais

pourquoi elle est malade. La maladie a alors un rôle de test, test de force physique, test de

caractère, ou encore est une punition pour des actes passés123.

Dans la Grèce antique, du temps de Périclès, deux modes de penser s’affrontent ; l’un, marqué

par Thucydide, qui refuse d’expliquer les phénomènes par l’intervention de déités toutes

puissantes et l’autre, représenté par Hérodote, qui rattache dans l’histoire chaque évènement à

une intervention divine. Il existe dans le vocabulaire employé dans le corpus hippocratique un

héritage certain de la notion de forces divines omnipotentes mais dans l’absolu Hippocrate

ignore ou rejette toute intervention due à une entité supérieure dans la survenue ou la

disparition d’une maladie. L’auteur clame l’existence de causes naturelles responsables de

modifications dans l’équilibre du corps provoquant la maladie. La théorie des quatre humeurs

est née. Les causes de maladie étant naturelles, il faut donc rechercher des moyens naturels de

les modifier et non pas sacrifier à une déité offensée124. Le Ve siècle avant J.C. peut être vu

comme le siècle du rationalisme et de la naissance de l’humanisme considéré comme la prise

de conscience de l’homme de sa place dans l’univers. L’ouvrage d’Hippocrate intitulé « De

Aere, Aquis, Locis » le montre : santé et maladie ne sont plus seulement le produit de la façon

dont vivent les hommes mais aussi le résultat d’une série de phénomènes naturels. Le

praticien met en évidence que la santé est meilleure lorsque le corps est soumis à un

environnement calme et modéré. L’idée générale de modération, traditionnellement appliquée

chez les Grecs au comportement humain est alors reprise par les médecins et attribuée à

l’environnement de l’homme. Cette transposition de terme entraîne une modification de

122

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, tome 1, p. 241. 123

Ibid. p. 243. 124

Loc. cit. p. 39.

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signification, alors que dans le champ de la morale le contraire de modération est excès, dans

celui de la médecine il devient changement125. Pour les médecins hippocratiques, la maladie

devient l’expression d’un désordre dans les humeurs composant le corps humain ; il n’y a

alors pas de réelle différence entre l’état de santé et l’état de maladie mais une continuité

d’états intermédiaires aboutissant l’un à l’autre. Cette notion est influencée par la philosophie

aristotélicienne qui dit que la maladie, indépendamment de l’organe qu’elle touche et de la

forme qu’elle prend, est quelque chose qui a sa propre destinée, son développement et sa fin.

La maladie n’est plus une entité ou un état mais un processus, elle prend alors une dimension

temporelle126.

Cependant le concept hippocratique de maladie manque d’une dimension anatomique qui sera

recherchée par les médecins des générations suivantes et dont Galien est la tête de file. Ses

travaux, associant observations et dissections, principalement sur des animaux, permettent

d’intégrer les résultats anatomophysiologiques des médecins de l’école d’Alexandrie à la

théorie des humeurs d’Hippocrate127. Galien soutient que la maladie peut être aussi bien un

déséquilibre des humeurs du corps qu’une atteinte spécifique d’un de ses organes. Dans la

médecine galénique la maladie est une dysfonction qui fait partie de la nature car elle est

provoquée par des causes naturelles mais s’oppose au développement normal du corps. Avec

la reconnaissance d’une entité maladie, il devient important de les classer entre elles pour

pouvoir les comparer et les étudier plus précisément. Mais avant d’entreprendre cette

nosographie, il faut observer pour mettre en évidence les signes exprimés et le signes cachés

qui sont caractéristiques de ces maladies. Les médecins hippocratiques ont été les premiers à

décrire avec le plus de détails possibles les signes des maladies, ils ont été suivis dans cette

démarche par des médecins comme Rufus d’Ephèse ou encore Galien128.

Au VIe siècle après J.C., un médecin chrétien, Serge de Reshaina, élève de l’école de

médecine d’Alexandrie traduisit les textes de Galien en syriaque et ce sont ces textes,

emprunts de médecine galénique, philosophie aristotélicienne et astrologie, qui vont exercer

une profonde influence sur la médecine arabe. Ces mêmes textes finirent par être traduits en

arabe par Hunayn ibn Ishaq au VIIIe siècle, « indice d’une volonté politique de donner à la

125

Op. Cit. p. 43. 126

Id. p. 251. 127

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, tome 1, p. 252. 128

Ibid. p. 125.

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49

philosophie grecque une véritable place dans la culture arabo-musulmane129 ». Le monde

arabe est alors à son apogée, l’étendue de son territoire est immense permettant une grande

diffusion du savoir médical issu de l’antiquité130. La conception de la maladie n’évoluera que

peu durant cette période qui voit l’émergence d’une médecine empirique empreinte de magie

et de superstitions131. Cependant un médecin, considéré comme le penseur le plus influent de

son époque va laisser une profonde influence que la médecine occidentale, il s’agit de

Muhammad ibn Zakariya’ al-Razi plus connu sous le nom de Rhazès. Il refusera toute sa vie

de se tourner vers les pratiques magiques pour soigner ses patients et restera attaché au

concept hippocratique de maladie et aux humeurs. Il est rejoint en cela par les médecins

marquants de l’époque comme Avicenne ou encore Averroès.

La redécouverte des textes médicaux antiques au travers de ces grands auteurs se fait à partir

du XIe siècle en Europe grâce à des traducteurs comme Constantin l’Africain et à la création

des grandes universités. Le concept de maladie est alors très influencé par les croyances

magiques et les possessions démoniaques. Malgré la critique des lettrés de l’époque, la

maladie est perçue comme le résultat de vices moraux ou de conduites pécheresses. Les pères

de l’Eglise catholique renforcent cette idée en remplaçant la notion de honte dans la maladie

par la notion de péché. Ainsi les malades sont blâmés pour leur état et la confession fait partie

intégrante de leur guérison associée à des rites de purification et des exorcismes. La maladie

au Moyen-Age est avant tout une maladie de l’âme et non plus une atteinte somatique comme

elle était considérée dans l’Antiquité132.

La médecine du XVe et XVI

e siècles est enseignée au sein des grandes universités sur la base

des ouvrages d’Hippocrate, Galien, Oribase et des auteurs arabes, ajouté aux commentateurs

du Moyen-Age tardif133. Cet enchevêtrement de connaissances souvent contradictoires

favorise des interprétations divergentes et polémiques. Les médecins de l’époque comme Jean

Fernel vont chercher à renouveler leur art en se tournant vers l’anatomie et la clinique. Fernel

sera ainsi le premier à distinguer les signes et les symptômes des maladies, qui seraient

l’expression de signes cachés propres à un état pathologique spécifique. Il divise ces dernières

en deux groupes, les maladies touchant le corps en entier ou un organe précis et celles,

comme les fièvres, qui n’ont pas de siège fixe. Selon lui les maladies généralisées ne seraient 129

BENMAKLOUF A., Averroès, Perrin, Paris, 2009, p. 16. 130

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, tome 1, p. 145. 131

Ibid. p. 148. 132

Loc. cit. T1 p257 133

Op. cit. T2 p157

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pas le fruit d’un déséquilibre humoral mais seraient possiblement dues à la matière même du

corps ou de l’organe considéré et d’autres encore seraient dues à une perversion de la forme

qui affecterait alors la substance totale de l’organisme134. La liste des entités nosologiques

s’allonge considérablement à cette époque avec des médecins comme Van Forest, Vettori ou

encore Da Fonseca.

La chute du système galénique s’achève à la fin du XVIIe siècle avec les progrès de

l’anatomie pathologique et la création d’un nouveau schéma fonctionnel du corps associé aux

découvertes des structures microscopiques. La maladie est vue comme un état anormal des

fibres qui composent le corps. Les concepts iatrochimiques, issus des écrits de Paracelse, et

iatrophysiques d’explication de la maladie s’affrontent. Si ces deux visions paraissent en

opposition, elles ont en commun la conceptualisation dynamique de la maladie et le désir

d’expliquer la pathologie par les lois naturelles, physiques ou chimiques135. Certains

praticiens, devant des systèmes médicaux pouvant sembler contradictoires, décident alors de

revenir aux sources ; non pas celles de l’Antiquité mais aux sources mêmes de la relation

médecin-malade, à l’observation et à l’examen clinique. Le meilleur exemple en est

Boerhaave qui propose à Leyde un enseignement au lit du malade. Ce retour à l’observation

directe et au contact avec le malade a d’ailleurs inspiré Rembrandt dans son tableau intitulé

« La leçon d’anatomie du Dr Tulp » en 1632. De même, Sydenham, conscient que la nature

de la maladie ne peut être déduite uniquement en considérant un principe physique, chimique

ou encore spiritualiste décide de retourner lui aussi vers le malade. Il part d’un constat simple

c’est que les maladies se présentent sous forme de symptômes groupés136. En notant

rigoureusement ce qu’il voit des maladies, il va isoler et établir des entités cliniques

nouvelles. Les maladies sont alors perçues comme des entités naturelles constantes, distinctes

les unes des autres.

La conceptualisation de la maladie au XVIIIe puis au XIX

e siècle se fera à travers le filtre de

la révolution anatomo-pathologique grâce à des scientifiques comme Morgagni qui, tout en

reprenant le concept de Sydenham, ajoutera que la maladie trouve sa cause dans les organes et

dans leur disposition vicieuse. Idée qui sera renforcée par les découvertes de Bichat qui

repousse encore l’échelle des modifications pathologiques au niveau tissulaire. Le but du

diagnostic médical n’est alors plus de mettre en évidence un ensemble de symptômes et de les

134

GRMEK M.D.et al., Histoire de la pensée médicale en occident – De la Renaissance aux Lumières, Seuil, Avril 1997,

tome 2, p.159. 135

Ibid. p. 167. 136

Loc. Cit. p. 167.

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nommer mais d’y reconnaître des lésions corporelles internes. On passe de la botanique des

symptômes à la grammaire des signes137. Le XIXe siècle est marqué par le Romantisme, en

Allemagne tout d’abord puis en Italie, en France et en Angleterre ensuite. L’une de ses

caractéristiques principales est d’avoir établi un lien entre vie et environnement138 ainsi Brown

énonça-t-il que la vie n’existait que comme réponse à l’environnement. La vie n’est alors plus

un état originel, ordinaire et naturel mais le résultat de forces en application. Brown venait

d’inventer le principe vital repris par Broussais dans sa théorie de l’excitation introduisant

ainsi la médecine physiologique139. La fin du XIXe est marquée par les recherches non plus au

niveau organique ou tissulaire mais plutôt au niveau cellulaire. Le concept de maladie est

alors à la croisée de couples antinomiques tout/partie, solide/fluide, processus/état,

structure/fonction. Virchow, médecin pathologiste allemand, se tourne alors vers l’état

cellulaire et fonde la pathologie expérimentale. La pathologie n’est plus seulement définie à

travers un système de filtres anatomiques fixes mais est considérée d’un point de vue

dynamique. C’est la pathologie moderne, il existe maintenant une distinction entre la cause

externe de la maladie et l’essence de la maladie au niveau cellulaire140.

A l’époque contemporaine, « le concept de maladie ne se borne plus à décrire et à expliquer,

mais recommande une action141 ». La pathologie est considérée comme un état indésirable, au

vécu négatif qu’il convient de combattre. Les définitions de maladie et de santé en occident ne

peuvent être qu’imprécises car elles sont associées à des représentations culturelles,

religieuses et ethniques différentes. La maladie est perçue comme un état de dysfonction

corporelle avec ou sans base organique entraînant une inadéquation sociale142. Ainsi la

maladie ne peut pas à elle seule expliquer la notion de santé comme donnée par l’OMS : « La

santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement

en une absence de maladie ou d'infirmité143 ».

Le concept de maladie ne se réduit pas à son niveau nosologique mais à l’ensemble de ses

conséquences sur le corps humain au niveau anatomique, psychique et encore social. De nos

jours, la définition de la maladie ne pose pas seulement le problème d’en découvrir les causes

137

FOUCAULT M., Naissance de la clinique, PUF, 8e éd., 2é tirage, Paris, 2012. 138

GRMEK M.D. et al., Histoire de la pensée médicale en occident – Du romantisme à la science moderne, Seuil, Paris,

1999, tome 3, p. 18. 139

Ibid. p. 21. 140

Loc. Cit. p. 155. 141

FANTINI B. et al., Histoire de la pensée médicale contemporaine, Seuil, Paris, Janvier 2014, tome 4, p. 12. 142

Ibid. p. 13. 143

Organisation Mondiale de la Santé, La définition de la santé par l’OMS, Conférence internationale de la santé, New York,

juin 1946.

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52

mais implique « une série de jugements de valeur normatifs144 ». Cette conception implique

des jugements concernant ce que nous valorisons et ce que l’on veut être capable de faire pour

remplir notre rôle social. Les concepts de maladie et de santé s’entrecroisent dans leurs

possibles définitions et santé n’est plus synonyme de normalité selon Georges Canguilhem.

Le chalenge moderne est alors plutôt de définir le normal et le pathologique. Selon

Canguilhem le terme normal s’associe à deux représentations : l’une qui représente ce qui est

habituel ou socialement admis et l’autre qui représente ce qui devrait être. L’auteur définit la

santé comme « pouvoir tomber malade et s’en relever145 ». La maladie est alors réduite à un

niveau de tolérance aux forces extérieures environnementales car « ni le vivant ni le milieu ne

peuvent être dits normaux si on les considère séparément, mais seulement dans leur

relation146 ». La maladie n’est plus seulement la modification quantitative de l’état normal

mais la perception de la modification qualitative de l’état normal par le patient lui-même,

confirmée par l’observation du médecin.

2/ L’élaboration du diagnostic et la Naissance de la

Clinique

a – La Crise des Fièvres

La fièvre ou l’état fébrile, qui est le fil d’Ariane de cette réflexion, correspond à des notions

différentes en fonctions des époques dans lesquelles elle est considérée. La fièvre a toujours

été un phénomène difficile à appréhender. Les définitions sont diverses ainsi chez Castelli,

dictionnaire publié en 1700, il est dit de la fièvre qu’ « elle est commune unanimement à tous

les hommes dont la chaleur dépasse le seuil naturel, sans minimum, pouvant toucher

l’ensemble ou des parties du corps147 ». Un siècle plus tard, dans un autre dictionnaire, le

Panckoucke, on trouve cette autre définition:

Ce mot fièvre, pris, dans un sens vulgaire, pour une simple accélération du pouls et

un sentiment varié de chaleur, devient d’une étendue illimitée, et on cesse de

s’entendre si on ne l’applique exclusivement à une classe de maladies variées entre

144

FANTINI B. et al., Histoire de la pensée médicale contemporaine, Seuil, Paris, Janvier 2014, tome 4, p. 17. 145

CANGUILHEM G., Le normal et le pathologique, PUF, 12e éd., Paris, avril 2013. 146

Ibid. 147

Lexicon medicum, CASTELLI A., Jacobi de Cadorinis, Padoue, 1700, p. 395. « Secundum communem omnium hominum

consensum est caliditas praeter naturam, […], sin minus, at omnino vel plurimis partibus » .

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elles et distinguées par des caractères fondamentaux de tout autre maladie

interne148

.

Le concept a évolué mais la définition reste vague. Il semble que la fièvre ne puisse, dans ses

deux articles, se définir que par ce qu’elle fait plutôt que par ce qu’elle est. Et comme nous

l’avons vu plus précédemment, les médecins du XXIe siècle, que ce soit Pilly, Berrebi ou

encore Harrison, ne s’accordent pas non plus sur ce qu’est la fièvre. Il s’agit donc d’une

notion encore en évolution, aussi bien sur le plan nosologique, que dans sa fonction

physiologique.

Historiquement, le mot de fièvre vient du latin fervere qui veut dire être échauffé. On trouve

également une autre racine étymologique évoquée par Stahl pour lequel le mot fièvre

viendrait du mot latin februare qui veut dire chasser rituellement d’une maison les ombres des

défunts149. Les différents observateurs s’accordent sur la notion de chaleur exagérée qui est

observée chez le malade en état fébrile. Galien distingue quant à lui le mouvement fébrile

rattaché à une maladie, dont il est l’un des nombreux symptômes, de l’état fébrile propre aux

fièvres dites essentielles. Le corpus hippocratique offre une description précise des

symptômes accompagnant la fièvre et permet la mise en évidence de signes de gravité. La

doctrine hippocratique étant humorale, la fièvre dépend donc surtout d’un déséquilibre de ces

dernières induisant un échauffement excessif de l’organisme. Les observations des diverses

formes de fièvre permettront d’en établir une classification, on parlera alors de fièvre quarte,

tierce ou bien putride. Cependant Galien puis Avicenne s’opposeront à cette définition trop

stricte à leur goût car selon eux la chaleur provoquée par la colère ou la fatigue, responsables

du déséquilibre des humeurs, ne peut pas être la même que celle observée dans l’état fébrile.

De plus pour ces deux praticiens, la fièvre ne correspond pas seulement à une élévation

anormale de la température du corps mais est encore associée à une modification des

fonctions corporelles. Pour Avicenne et les médecins arabes, la fièvre trouve son origine dans

le cœur et se répand avec le sang dans l’ensemble de l’organisme. Le Moyen-Age ne

développera pas de nouvelles théories sur la fièvre et il faudra attendre le XVIIIe siècle pour

que la notion évolue. Des médecins comme Boerhaave considèrent que la fièvre n’est pas liée

à la putridité du sang, théorie alors admise, mais à sa plus grande viscosité. Cette théorie est

reprise plus tard pour dire que la fièvre est provoquée par l’accélération du sang dans les

vaisseaux. Boerhaave précise même que la fièvre est caractérisée par la rapidité du courant

148

Une société de médecins et de chirurgiens – Dictionnaire des sciences médicales, PANCKOUCKE C.L., Panckoucke,

Paris, 1812, tome 15, p. 217. 149

FOUCAULT M., Naissance de la clinique, PUF, 8e éd., 2é tirage, Paris, 2012, p. 247.

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circulatoire qui dépend de l’excitation du cœur cherchant à surmonter les obstacles qu’il

rencontre. Cause et conséquence sont ici confondues. Stahl quant à lui considère, dans la

droite lignée de Sydenham que la fièvre est une opération de la nature cherchant à séparer

dans le sang les parties pures et impures qui seront rejetées par la sudation excessive et les

excréments du corps150. Ainsi à la fin du XVIIIe siècle, la fièvre est considérée comme la

réaction finalisée de l’organisme qui se défend contre une attaque extérieure ; elle n’est alors

plus une maladie ni même un symptôme mais « un signe non de la maladie, mais de la

résistance à la maladie151 ».

Selon Foucault, l’étude des fièvres permet d’étudier le processus même par lequel « la

perception anatomoclinique trouve la forme de son équilibre152 ». Pour lui le conflit généré à

travers l’histoire sur la définition de la fièvre exprime deux formes incompatibles

d’expérience médicale. Tout d’abord en se référant aux théories de Bichat, la fièvre est-elle

l’expression d’un phénomène lésionnel localisé ? Ou ne fait-elle partie que de l’ensemble des

symptômes accompagnant la maladie, manifestation visible d’un processus caché ? Il semble

que plus l’anatomie se précise au niveau de l’infiniment petit, plus la maladie se retire

profondément dans l’intimité inaccessible du corps. La pathologie est alors vue par Bichat

comme la capacité de donner un siège aux maladies au sein du corps, il n’évoque pas la

possibilité de maladies sans siège lésionnel défini. L’anatomopathologie exerce une volonté

nosologique sur les fièvres. Elle est une forme d’analyse classificatrice, ainsi l’espèce de la

fièvre déterminerait la nature de la maladie et le fait même d’avoir ou non une source

physique serait prescrit par les sources préalables de cette localisation. Il n’existerait alors pas

de pathologie sans localisation précise au sein de la géographie corporelle. Bichat compris

cependant l’incompatibilité fondamentale entre sa méthode et celle des nosographes, ainsi

disait-il qu’ « il découvrait comme il le pouvait les procédés de la nature » et qu’il était

important de ne pas attacher une trop grande importance à telle ou telle classification car

« jamais aucune ne donnerait un tableau précis de la marche naturelle ». Laennec quant à lui

englobait les concepts anatomocliniques et nosographiques, car il pensait que l’étude

anatomique venait au secours de la nosographie en précisant la classification des maladies.

Mais la fièvre est-elle essentielle ou organique ? Si elle est organique, où se trouve le siège

lésionnel ? Et si elle est essentielle, est-elle vraiment une maladie à part entière ou plutôt l’un

150

Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, DECHAMBRE M.A. et al., Masson, série 4 tome 2, 1885, s.l., p.

626-7. 151

FOUCAULT M., Naissance de la clinique, PUF, 8e éd., 2é tirage, Paris, 2012, p. 247. 152

Ibid. p. 241.

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des symptômes d’une maladie ? Le médecin qui mettra un terme définitif à ce questionnement

est Broussais.

Il va au cours de ses travaux rattacher la fièvre à un mécanisme de réaction tissulaire local

qu’il appelle irritation, revenant ainsi de fait à une théorie plus ancienne, celle de Brown, qui

va ensuite générer des phénomènes d’abord locaux pouvant aboutir à des lésions tissulaires

objectivables puis des symptômes plus généraux comme l’accélération du flux sanguin et des

battements du cœur ou encore la sudation majorée… Ainsi Broussais synthèse-t-il les

concepts anatomopathologiques de Bichat, puisqu’il montre que dans la fièvre il existe des

lésions anatomiques objectivables mais que ses lésions ne sont pas le point de départ de la

maladie mais bien sa conséquence :

Là réside la grande conversion conceptuelle que la méthode de Bichat avait

autorisée mais pas encore mise au clair : c’est la maladie locale qui en se

généralisant donne les symptômes particuliers de chaque espèce ; mais prise en sa

forme géographique première, la fièvre n’est rien d’autre qu’un phénomène

localement individualisé à structure pathologique générale153

.

A travers cette conception, Broussais intègre la pathologie dans un mécanisme dynamique, la

fièvre est perçue dans une dimension physiologique. Alors que l’anatomopathologie ne

proposait que la vision de la maladie à travers des structures tissulaires extraites du vivant et

donc mortes, Broussais réintègre la pathologie dans une dynamique vitale corporelle.

De nos jours, on retrouve une volonté classificatrice précédemment décrite par Foucault

lorsqu’il évoquait la médecine du XVIIIe siècle154. Ainsi le Docteur Piette, en 2009, dans son

article concernant les fièvres prolongées propose de pratiquer une démarche diagnostique de

catégorisation des patients :

La multiplicité des causes possibles de fièvre prolongée peut a priori rebuter, mais

en fait la démarche diagnostique peut assez facilement être schématisée, permettant

de classer les patients en quatre grands groupes étiologiques : les causes

infectieuses, tumorales, inflammatoires et diverses.

La fièvre au XXIe siècle pose encore la question de son essence. Si dans les trois premières

catégories décrites par Piette155, elle est la conséquence d’un processus pathologique sous-

jacent, qu’il soit infectieux, tumoral ou inflammatoire ; la dernière catégorie est floue. Cette

dernière classe est même évoquée comme un groupe fourre-tout par l’auteur, le terme évolue

153

FOUCAULT M., Naissance de la clinique, PUF, 8e éd., 2é tirage, Paris, 2012, p. 258. 154

Ibid. p. 243. 155

PIETTE A.M., Fièvre prolongée, EMC, Traité de médecine, Akos, 1-0590, 2009.

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en fin d’article pour prendre celui de « fièvres durablement inexpliquées ». L’auteur explique

que cette entité représente tout de même 25% des fièvres prolongées et que leur cause

demeure mystérieuse malgré une démarche diagnostique bien conduite. La médecine

contemporaine semble être peu encline à se questionner sur ce qu’elle ne peut appréhender,

elle laisse passer les cas qu’elle ne peut pas expliquer tout en évoquant la démarche

diagnostique de référence réalisée. On est dans l’obligation de moyens mais pas de résultats.

Ainsi le médecin du XXIe siècle ne cherche-t-il pas à proposer une nouvelle interprétation du

concept de fièvre mais préfère laisser le temps lui apporter les réponses qui lui manquent

encore.

b – La clinique : transmettre et instruire

Pour pouvoir être enseignée à grande échelle, la médecine devait avant tout être considérée

comme une science. En effet, lors de la période du haut Moyen-Age, le savoir médical se

trouve encore à la croisée de nombreuses sciences, ainsi Isidore de Séville au VIe siècle dit-il

que la connaissance médicale ne peut être acquise qu’à travers l’étude de la littérature, de la

grammaire, de la rhétorique, de la dialectique, de l’arithmétique, de la géométrie, de la

musique, de l’astronomie et de la philosophie156. Les premières tentatives d’enseignement de

la médecine se faisaient donc en association avec ces autres sciences comme ce fut le cas par

exemple à l’école d’Alexandrie où Galien étudia. L’université qui contribua le plus à faire

entrer la médecine au sein de l’enseignement scholastique en tant que science est celle de

Salerne. Les maîtres de cette université avaient depuis le Xe siècle accumulé de très nombreux

manuscrits originaux ou traductions des maîtres de l’époque antique et de la médecine arabe.

Ils purent ainsi, grâce à la somme de toutes ces connaissances, établir sur des bases solides

leur propre doctrine médicale qu’ils propagèrent entre le XIe et le XII

e siècle. Ce fondement

même érigea définitivement la médecine en tant que science à part entière157.

En plus d’avoir assis le prestige de la médecine scientifique, les maîtres de l’école de Salerne

développèrent de nouvelles méthodes d’enseignement. D’un côté, reprenant les méthodes

d’enseignement antiques, ils utilisaient comme outil de travail les textes anciens des médecins

reconnus que les élèves se devaient de connaître parfaitement mais ce qui est innovant c’est

156

GRMEK M.D. et al., Western Medical Thought from Antiquity to the Middle Ages, Harvard University Press, Cambridge

Massachusetts, 1998, tome1, p. 199. 157

Ibid. p. 206.

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qu’ils ont introduit dans leur enseignement la notion de quaestio. En fait l’élève, une fois les

textes de base appris, devait être capable de présenter des arguments et des contre-arguments

aux problèmes qu’on lui soumettait. On voit ici apparaître la notion d’interprétation des textes

de référence. Ces méthodes d’enseignement seront reprises dans les autres grandes universités

européennes comme Montpellier, Bologne et encore Paris158.

Ces trois universités garderont le monopôle de l’enseignement médical jusqu’au milieu du

XIVe siècle. A l’époque, pour pouvoir bénéficier du savoir médical, il fallait avoir déjà

effectué un cursus artium c’est-à-dire avoir acquis de solides bases de connaissances dans les

différents domaines cités précédemment par Isidore de Séville159. Mais à partir du XIIIe siècle

ce type d’enseignement basé sur l’apprentissage par cœur des textes de références est remis en

question par un polymathe de l’époque Roger Bacon. Ce dernier prônait que l’expérience

devait être l’aboutissement de l’enseignement. Il voyait l’apprentissage dans les universités

comme une voie vers la connaissance au travers de l’autorité, c’est-à-dire les textes de

références, du raisonnement, c’est-à-dire le développement des idées à partir de ces textes

pour leur meilleure compréhension, et enfin l’expérience, ou la mise en application des

connaissances dans le domaine concret.

Cette distinction, entre la théorie et pratique, se fit de plus en plus criante au XIIIe siècle avec,

comme nous l’avons vu précédemment, l’apparition de l’exemplum et de l’enseignement par

l’exemple. L’aboutissement en sera la création des consilia dont on retrouve la trace depuis le

XIVe siècle et dont le style sera perfectionné au cours des trois siècles suivants. Cette volonté

manifeste de faire sortir le savoir des universités pour le confronter au monde du dehors est

illustré par la publication que font certains auteurs comme Giovanni Argenterio, médecin à

l’Université de Pise au XVIIe siècle, de vademecum médicaux. Ce dernier a publié en 1551,

un petit volume intitulé « De Consultationibus Medicis » où il résumait l’essentiel de son

ouvrage de référence « Opera varia de re medica » paru l’année précédente. Argenterio, en

phase avec son époque, souhaitait que la théorie médicale se porte au lit du malade et qu’elle

éclaire la pratique. Il fut en cela dans la droite lignée d’un autre médecin célèbre de l’époque

précédemment cité Johannes Baptista Montanus. De par ses connaissances et ses publications,

Argenterio était un professeur et un auteur renommé mais controversé. Il souhaitait remodelé

l’enseignement de la médecine au sein des grandes universités et modifier la sémiotique

médicale ancienne. Il fit en cela écho aux idées d’un autre médecin de l’Université de Paris,

158

Loc. Cit. p. 209. 159

Op. Cit. p. 212.

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Jacques Dubois ou Sylvius. Argenterio va tenter d’imposer la sémiotique médicale en tant que

spécialité disciplinaire qui « réunit l’ensemble des connaissances préliminaires nécessaires

pour que la chasse aux causes cachées puisse aboutir160 ». L’enseignement continua encore

de se faire avec un clivage franc entre médecine théorique et pratique au sein des grandes

universités.

Cependant la transmission du savoir va connaître un tournant décisif au XVIIIe siècle avec

Tissot, médecin de l’Université de Paris. Le siècle des Lumières connu de nombreux

bouleversements dans les conceptions médicales mais aussi dans l’ordre social dont su

s’inspirer ce médecin. Tissot marqua le début de la médecine moderne en enseignant au sein

de l’hôpital dont la fonction avait évolué après la révolution française d’un lieu

d’enfermement pour indésirables à un lieu de soins. La notion « d’apprendre à consulter » est

évoquée pour la première fois en 1707 par le décret de Marly promulgué par le roi Louis XIV

qui décide de fonder une chaire de médecine pratique à Montpellier pour « apprendre aux

élèves à pratiquer et à consulter ». Vers 1715, Boerhaave, suivant cette même logique, décide

de créer un enseignement clinique pratique reposant sur une visite médicale professorale

réalisée auprès de douze patients types, hommes et femmes, désignés par le terme de

« clinique homme » et « clinique femme ». L’enseignement médical au chevet du malade a

pour but de sanctionner les connaissances des élèves et de les familiariser à leur futur métier

sous l’égide d’un professeur référent. Pour ces élèves les symptômes observés se transforment

en une maladie apprise dans sa théorie permettant alors de proposer une prise en charge

thérapeutique.

Ce qui est différent et novateur chez Tissot, c’est qu’en reprenant les principes

d’enseignement de Boerhaave, il va passer d’un discours latin à un discours en langage

vulgaire. On passe du latin, comme langue de référence scientifique, au français. En effet,

accompagnant ses élèves dans les salles hospitalières, il va leur demander d’interroger les

malades, or ses derniers ne parlent pour la plupart pas latin. Tissot va ensuite les diriger vers

l’établissement du diagnostic en orientant l’interrogatoire puis l’examen clinique. Ainsi :

D’une médecine de symptômes qui nomme et qui dans l’acte de nommer reconnaît

et traite, a évolué une médecine qui questionne et qui, par le chassé-croisé des

questions, cherche la cause et le moyen de remédier au désordre. D’une médecine

160

POMA R., Giovanni Argenterio et la constitution de la sémiotique comme spécialité médicale, (sous presse), s.l., s.d.

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59

du discours est née une médecine du dialogue161

.

Tissot a laissé de nombreuses notes manuscrites sur lesquelles il était question de

l’organisation de l’enseignement clinique au sein des hôpitaux. Il proposait un cursus de deux

ans au contact des malades avec un système de hiérarchie entre les étudiants passant du stade

novice à celui d’avancé puis assistant et enfin titulaire, ce qui n’est pas sans rappeler le

système en cours au XXIe siècle dans les études médicales. Tissot fut le premier à poser les

bases de l’enseignement clinique tel que nous le connaissons actuellement en le basant sur la

synthèse des connaissances théoriques, en l’enseignant au lit du malade, dans un langage

adapté, créant ainsi une communication médecin-malade, et enfin en s’interrogeant sur la

façon de dispenser au mieux ce savoir en balisant le cursus des futurs praticiens.

De nos jours, le cursus universitaire pour les futurs médecins suit les percepts de Tissot. Les

études commencent par l’acquisition des bases théoriques indispensables reflets des

connaissances de l’époque, puis se poursuivent par l’application de la théorie au lit du malade

au cours de l’externat puis de l’internat où l’étudiant, considéré comme plus avancé, est

progressivement autonomisé dans la prise en charge de malade.

3/ La médecine aujourd’hui : La Mort de la clinique ?

a – La médecine technique

Les avancées techniques du XXe et XXI

e siècles offrent des perspectives nouvelles dans le

domaine médical. Les progrès comme par exemple ceux de l’imagerie, de la biologie ou

encore de la thérapeutique ont modifié la façon de concevoir la maladie et ont déplacé les

frontières qui délimitaient le normal et le pathologique162. Dans la droite lignée des

découvertes de l’anatomopathologie, les chercheurs contemporains se sont tournés vers les

structures tissulaires de plus en plus petites jusqu’à finalement déplacer la pathologie non plus

au niveau organique ou tissulaire mais plus précisément au niveau moléculaire. Ainsi le terme

de « maladie moléculaire » sera utilisé pour la première fois en 1949163. L’étude de

l’infiniment petit, grâce au développement des techniques optiques et informatiques, a permis

161

EMCH-DERIATZ A., « L’enseignement clinique du XVIIIe siècle : l’exemple de Tissot », dans CBMH/BCHM, Vol. 4,

1987, p. 145-64. 162

CANGUILHEM G., Le normal et le pathologique, PUF, 12e éd., Paris, avril 2013. 163

GRMEK M.D. et al., Histoire de la pensée médicale en occident – Du romantisme à la science moderne, Seuil, Paris,

1999, tome 3, p. 321.

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l’émergence de sciences telles que la virologie, l’immunologie, la génétique ; repoussant

toujours plus loin la recherche des causes et des effets de la maladie.

La médecine contemporaine a accepté le challenge de traiter les patients qui se présentaient à

un stade précoce de maladie voire à un stade où la maladie n’est pas encore déclarée,

modifiant de façon durable le rapport à la mort et à la maladie dans la population qu’elle

prend en charge. Désormais un patient peut bénéficier de traitement préventif, aussi bien dans

le domaine infectieux que dans le domaine de la cancérologie (recherche de prédisposition)

mais ces traitements ont parfois des effets délétères pour le corps (ablation chirurgicale par

exemple). Le patient non malade, se retrouve alors à subir des modifications dans son corps

non plus à cause de la maladie mais à cause du traitement qui lui est proposé. L’état de

normalité concernant la santé n’est plus seulement défini par le fait à un instant T de ne pas

présenter de processus pathologique évolutif, aussi bien physique que psychologique, mais

bien de ne pas être en sursis par rapport à l’apparition d’une maladie possiblement létale.

Les avancées en matière de diagnostic au XXe siècle ont été spectaculaires avec l’apparition

de l’imagerie comme examen complémentaire. Le médecin, ne se contentant plus de son seul

jugement clinique, a recours pour poser un diagnostic une série d’examens permettant de

visualiser les lésions du corps malade. Les corps ne sont plus ouverts depuis l’extérieur mais

leur secrets n’en sont pas moins découverts. Avec l’utilisation des techniques d’imagerie, de

plus en plus fines et précises, se pose la question de la découverte fortuite. Si un patient

consulte pour une grippe, qu’il bénéficie d’une radiographie pulmonaire retrouvant une

anomalie sur une côte, faut-il explorer cette anomalie alors qu’elle ne provoque aucun

symptôme chez ce patient ? La grippe sera bien sûre prise en charge, après tout c’est ce que

veut le patient, ce pourquoi il consulte, mais va-t-on pousser la prise en charge jusqu’à ce

problème de côte ? Ce serait alors prendre en charge une image du patient et non le patient

lui-même ; et c’est ce que la médecine contemporaine fait, elle a une obligation de moyens.

Cette obligation, inscrite dans la loi (article 1137 du Code Civil), pousse la médecine

technicisée à la certitude diagnostique. La médecine de nos jours cherche à éliminer les

incertitudes parasitant le recueil de l’information issue du patient et de son examen et souhaite

que la formulation des hypothèses diagnostiques ne soit plus soumise aux aléas du vivant164.

Les découvertes les plus récentes au niveau biomédical permettent une main mise sur

l’origine, le déterminisme génétique, la naissance et la mort qui semble dépasser, et de loin,

164

COUTURIER D. et al., La Mort de la Clinique ?, PUF, Paris, novembre 2009, p. 10.

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61

les ambitions des médecins de la Renaissance. Ces découvertes, aussi exaltantes soient-elles,

posent cependant des questions d’ordre pratique et technique qui sortent du cadre médical

traditionnel. Avec les progrès techniques, qui ont fait s’effacer de nombreuses barrières dans

la compréhension des phénomènes, est apparue une science médicale à la recherche de la

performance, non plus tournée vers le patient mais vers la découverte à tout prix165. Cette

maîtrise de la vie depuis son début jusqu’à son dernier souffle soulève des questionnements

en matière d’éthique et impose la mise en place d’une réflexion concertée comme c’est le cas

au sein du Comité Consultatif National d’Ethique.

Avec les progrès techniques, le médecin est responsable de sa science, il doit asseoir son art

sur des bases solides, des preuves scientifiques ; c’est que l’on appelle l’Evidence Based

Medicine ou la médecine fondée sur les preuves. La science médicale ne peut plus se

permettre de proposer un traitement ou une prise en charge diagnostique sans s’interroger sur

son bien-fondé et sur son niveau de preuve. Ces notions sont apparues avec les premiers

grands scandales sanitaires comme la prise de thalidomide par des femmes enceintes avec les

conséquences que l’on sait sur leur fœtus166. Cette nouvelle forme de médecine, basée sur les

faits, a certes permis de nombreux progrès sanitaires et de protection de la population mais

oppose un carcan rigide aux innovations en matières pharmaceutiques avec la nécessité pour

pouvoir être approuvée de subir une évaluation longue, coûteuse et rébarbative.

Ce qui frappe comme conséquence la plus flagrante de l’apparition des nouvelles technologies

au service de la médecine, c’est la disparition progressive de la parole. On sait en effet que le

temps moyen dont le patient dispose en consultation pour parler de son ou ses problèmes est

de deux minutes avant que le médecin ne lui coupe la parole. Devant ce temps si restreint le

patient ne parvient souvent pas à expliquer ce pourquoi il est là et se retrouve souvent à

paraphraser le médecin qui se trouve en face de lui en espérant lui faire comprendre son

malaise. L’évitement de la parole dans la relation entraîne un évitement du corps lors de

l’examen, où le patient n’ayant pas pu s’exprimer correctement n’établit pas de lien de

confiance avec son praticien, ne lui délivrant ainsi pas toutes les informations qui auraient été

nécessaires à sa prise en charge167.

165

FANTINI et al., Histoire de la pensée médicale contemporaine, Seuil, Paris, janvier 2014, tome 4, p. 144. 166

Ibid. p. 245. 167

COUTURIER D. et al., La Mort de la Clinique ?, PUF, Paris, novembre 2009, p. 17.

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62

b – La Mort de la Clinique ?

La pratique médicale traditionnelle semble, depuis le XXe siècle, s’être peu à peu éloigner du

patient malade dont elle fait pourtant son objet d’étude. Avec la technicité toujours croissante,

le corps humain est désormais considéré sous deux aspects différents, celui d’un phénomène

donné dans la mesure où il est déterminé par son patrimoine génétique sur lequel il n’a pas

d’influence et celui d’un phénomène produit car il est acteur de son environnement et de son

mode de vie qui, tout comme ses prédispositions génétiques, ont une incidence sur son état de

santé168.

Dans ce monde d’images et de résultats chiffrés, le malade semble « avoir perdu confiance

dans ses propres mots169 ». La médicalisation progressive de sa vie sociale et personnelle l’a

vidé du sens de sa plainte. Le malade se définit alors par les examens qu’il présente au

praticien en consultation, il devient ses propres examens, qui ne le représentent plus mais sont

son image, déformée par le filtre de la technique. L’expertise médicale repose sur l’analyse

des examens vécus comme étant le patient lui-même alors qu’ils ne sont finalement que son

reflet. La parole et l’expression verbale sont devenues secondaires. La preuve en est la

présence de l’ordinateur, constante quasi permanente au sein des salles de consultation

modernes, vers lequel médecin et malade convergent dans l’élaboration d’un dossier

informatisé dont les termes même de rédaction sont soumis à des entrées préétablies.

Pourtant, selon Canguilhem, « la relation thérapeutique ne peut se réduire à une relation

instrumentale170 ». Le corps ne se réduisant pas à une machine en état de marche ou d’arrêt, la

science de la santé est avant tout une science de l’homme et de l’individu, s’opposant en cela

à la philosophie aristotélicienne pour qui une science de l’individuel est impossible.

L’individu en tant que personne vient chercher auprès du médecin, personne humaine, des

réponses à ses interrogations et une solution à ses problèmes mais ne le trouvant pas toujours,

sera tenté de se tourner vers le flot d’informations issues de sources profanes et diffusées à

large échelle sur internet. La patient, lisant ces données, sans le filtre des connaissances

médicales aura tendance à ne retenir que ce qui pourrait impacter le plus sa santé, à savoir un

diagnostic grave, et lors de la consultation suivante, rempli de peur, insister auprès de son

médecin pour obtenir encore et toujours plus d’examens complémentaires. La boucle est

168

Ibid. p. 16. 169

Loc. Cit. p. 20. 170

Op. Cit. p. 15.

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bouclée, sans parole ni écoute pas de communication, sans communication pas de résolution

de problèmes et alors la peur s’instaure d’abord chez le patient mais aussi chez le médecin qui

doute soudain d’avoir fait tout ce qui est nécessaire. Et pourtant le temps de parole, moment

clé de l’échange, n’est pas côté par le T2A171 ce qui laisse imaginer la considération avec

laquelle on le tient dans les politiques de santé172.

Mais malgré cela, peut-on dire que la clinique est morte ? N’est-elle plus du tout pratiquée de

nos jours ? La réponse n’est pas, comme pour tout ce qui touche les sciences de l’homme,

univoque. Il convient tout d’abord de rappeler que la clinique s’est toujours trouvée au point

de convergence de notions parfois disparates et divergentes. Ainsi :

La polysémie du terme est telle qu’il est sans doute plus aisé d’en saisir les

problématiques qui en font aussi la fécondité. A ce titre la clinique est d’abord un

lieu de tensions qu’on n’en finit pas de dénombrer entre un art comme techné et

une revendication de scientificité, entre un corpus de connaissances universelles

et une approche du singulier, entre le soin et l’expérimentation individuelle ou

collective, entre deux conceptions de la maladie, l’une ontologique, l’autre

physiologique et enfin entre le malade et le médecin173

.

Le mot clinique reprend le terme de « lit » en grec (κλινη), la relation commence donc bien au

lit même du malade, dans son intimité, chez lui ou à l’hôpital par la « rencontre de deux

présences174 ». De plus, elle ne saurait se résumer à l’examen clinique, elle est aussi et surtout

raisonnement et interprétation tendant vers le but du rétablissement du malade. Avec la

création des outils d’examen, comme le stéthoscope ou la radiologie, le médecin moderne n’a

eu de cesse de s’écarter de son malade et la relation qui était de prime abord médiée par la

main est passée à une relation de la vue. Cette affirmation est vérifiée par une étude publiée

en 1975175 qui a montré que chez le médecin expérimenté le diagnostic est posé avec quasi-

certitude dès l’interrogatoire de son patient. Ce qui pourrait laisser penser que ce praticien soit

tenté de passer directement de l’interrogatoire à la prescription thérapeutique, or il n’en est

rien car si l’expérience permet de faire des diagnostics plus fiables plus rapidement elle

permet aussi, et surtout, de se rendre compte à quel point l’étape de l’examen physique du

patient est importante. Elle permet de rentrer dans son intimité et par la parole et les gestes

d’accéder au langage de son corps. Si cette étape peut parfois sembler superflue à la médecine

171

T2A est l’acronyme de Tarification à l’Activité. Il s’agit du mode de financement des établissements de santé français issu

de la réforme hospitalière annoncée dans le plan Hôpital de 2007. 172

Id. p. 23. 173

COUTURIER D. et al., La Mort de la Clinique ?, PUF, Paris, novembre 2009, p. 29. 174

Ibid. p. 30. 175

Loc. Cit. p. 37.

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technique elle est au contraire la base de la médecine de ville qui voit en elle l’établissement

durable d’une relation d’échange et de confiance.

Comme nous l’avons vu précédemment, la mise en application d’une démarche clinique n’a

pas de conséquence que sur l’instant où elle se produit, elle en a aussi sur le futur à travers la

transmission aux futures générations de praticiens. En France, les études médicales sont

découpées en cycles au cours desquels savoirs théoriques et pratiques sont dispensés aussi

bien en amphithéâtre, loin du patient, qu’à son chevet au sein de l’hôpital ou en médecine de

ville en cabinet. Ainsi l’étudiant en médecine passera entre sa deuxième et troisième année

près de 400 heures en stage clinique, entre sa quatrième et sa sixième année plus de 47 heures

par semaines. Ces stages se prolongent aussi après le concours de l’internat ou ENC (Examen

National Classant) sur une durée de trois ans pour le futur médecin généraliste avec un

contact direct lors des stages, dont l’environnement varie, avec le patient pour développer ses

compétences dans la prise charge bio psycho sociale. La diversité des terrains de stage est

même fixée par décret176 et impose au jeune médecin de passer par un Centre Hospitalier

Universitaire, la pédiatrie ou la gynécologie, un service de médecine adulte, un service

d’urgences et surtout auprès d’un praticien installé en médecine générale de ville.

Au vu de toutes ses données, il semble difficile de parler de mort de la clinique. Cette

dernière, considérée comme la rencontre entre un patient et son médecin, évolue au fil du

temps et des évolutions successives aussi bien conceptuelles que techniques sans s’amenuiser

mais en intégrant ce qui lui est utile. La démarche clinique du XVIe siècle avait un sens au

XVIe siècle parce que déjà elle prenait en compte les données utiles de la science de son

époque et s’attachait à les appliquer à la prise en charge du malade. La démarche clinique du

XXIe siècle reste finalement la même, non pas dans sa forme, mais dans cette même volonté

de guérir sans nuire et ce toujours dans la limite des données acquises de la science.

176

Op. Cit. p. 127.

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65

CONCLUSION

Aujourd’hui, le médecin généraliste, en prenant en compte les conceptions bio psycho

sociales dans son jugement clinique, est le garant du savoir médical de son époque. L’ars

medica s’est trouvé influencé par la redéfinition progressive du concept de maladie et du rôle

de médecin à travers une société hyper technicisée. Le praticien dispose désormais de

nombreux outils pour l’aider dans sa démarche clinique et sa prise de décision qui ne

sauraient cependant remplacer son expérience clinique. Cette dernière est acquise lors de la

consultation, premier contact entre un médecin et son patient. Les demandes des patients

d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui et les lieux de consultation ont changé. Le patient ne

veut plus seulement être débarrassé des symptômes les plus invalidants de sa pathologie, il

attend aussi et surtout une reconnaissance individuelle de son état de malade au sein du

système médical mais également dans sa propre sphère privée et sociétale.

Malgré les siècles qui séparent Hippocrate de Galien, Rufus d’Ephèse de Van Forest ou

encore Jean Fernel du médecin généraliste d’aujourd’hui, le déroulement de la consultation

reste sensiblement le même. Les concepts évoluent, les représentations changent, les moyens

aussi, grâce aux grandes révolutions scientifiques et techniques. Malgré cela la consultation

médicale se montre stable dans le temps : peut-être parce que ce pourquoi elle existe est une

constante dans l’histoire de l’Humanité. Il s’agit de venir en aide à une personne souffrante.

Les définitions de maladie, santé, état normal ou pathologique ont évolué, profondément

ancrés dans la réalité sociale de l’époque considérée, mais la volonté manifeste de prendre en

charge la souffrance, quelle qu’elle soit, a toujours été et est encore au XXIe siècle le socle de

la démarche clinique.

Le métier de médecin est passé au cours de l’histoire d’une pratique au lit du malade à une

rencontre dans un lieu dédié. L’approche du médecin s’en est alors trouvée influencée avec un

examen d’abord centré sur l’environnement puis sur le patient au XVIe siècle alors qu’il est

directement centré-patient au XXIe. Cette évolution peut trouver son origine dans l’apparition

des politiques de santé publique au XIXe siècle. Alors que le médecin de la Renaissance doit

tenir compte d’un environnement direct parfois peu favorable à la santé, le médecin moderne

se trouve quant à lui libéré de cette obligation par des mesures étatiques assurant la salubrité

des lieux de vie. De nos jours, le praticien doit disposer d’un plateau technique et d’un réseau

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de correspondants médicaux, paramédicaux et sociaux en lien avec les exigences modernes. Il

a une obligation de moyens. Tout doit être mis en œuvre pour guérir la maladie qui n’est plus

un phénomène naturel inhérent au cours des choses mais un accident du parcours de vie. Cette

représentation est en parti expliquée par la naissance d’un corporatisme médical défini par un

mode d’enseignement commun. Ce dernier a créé un clivage franc et définitif avec la

médecine populaire, reléguée au rang de charlatanisme. Le malade s’adressant désormais à un

professionnel reconnu, attend de lui qu’il fasse ce pourquoi il a été formé. L’inéluctabilité de

la maladie, comme phénomène lié à l’évolution du vivant, n’entre plus en ligne de compte.

Alors qu’au XVIe siècle il s’agissait de prendre en charge une personne qui exprimait une

maladie, désormais c’est une maladie qui s’exprime à travers un corps malade. Influençant

jusqu’à la réalisation de l’examen physique du patient passant ainsi d’un recueil

d’informations immédiat dans l’intimité du corps nu à un examen médiat par le stéthoscope

ou l’imagerie. Mais alors que tout laisserait à penser que la clinique vit ses derniers instants,

dans un monde de données chiffrées et d’écrans interposés, l’enseignement actuel de la

médecine démontre le contraire. Manifestement, les études médicales en France restent

imprégnées de clinique et de démarche raisonnée dont l’application se fait dès le début du

cursus, aussi bien à l’hôpital qu’en ville, lors des stages pratiques jalonnant externat puis

internat.

La consultation, base de cette recherche, est devenue à l’aune de l’histoire plus qu’un rituel,

elle est l’essence même du travail du médecin sans laquelle aucun point de départ dans la

relation qui lie le patient à son médecin n’existerait. Le Dr Bensaïd avait donc raison lorsqu’il

parlait de « cérémonie rituelle incommunicable ». Elle l’est en effet mais pas dans le sens

profane où le rituel serait un acte d’ignorance sensé conjurer quelque sort, plutôt dans le

concept que son déroulement global n’est pas appréhendable de prime abord car il est sous-

tendu par près de 2000 ans d’évolution culturelle, sociale et scientifique. Malgré les aléas de

l’histoire humaine, la démarche clinique avec sa volonté rationnelle basée sur un

raisonnement scientifique validé a toujours été transmise aux nouvelles générations de

praticiens avec la charge à eux de la faire évoluer et surtout de la transmettre. C’est pourquoi

l’enseignement médical, dont ce travail est le témoignage, est toujours basé sur

l’enseignement clinique.

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ANNEXE

OBSERVATIO XXIII DE SYNOCHO PUTRI SEV CONTINENTE CUM VARIIS

ACCIDENTIBUS177

Gener Domini de Romamnilla anno 1545. Sub finem Iulii canicula aestuante in putridam febrem

continentem seu synochon putrem lapsus est, vir robustus ac miles. Hic ad se vocavit vulnerarium

medicum, qui illi venam internam pertundit, sanguinamque. detrahit non praesente medico, quamvis

bona fortuna id faciebat. vehementissime capite dolebat et toto corpore gravabatur, et cum ventrem

non bene deponeret, tandem mulierculae quaedam astantes iusculum quoddam, in quo succum

cataputiae miscuerant, propinarunt, morbo crudo existente: unde febris aucta, deinde fluxu enormi

oborto cum multis torminibus et anxietate, qui continuo duravit per duos dies , ita ut ingentem

stomachi quoque dolorem inciderit: tandem re quasi deplorata me ad aegrum vocarunt. Eo tempore

autem in Gallia praxim exercebam in urbe Pithueriensi non procul ab Etampis. Vir autem hic nobilis in

villa extra urbem decumbebat, ad quem ingressus, pulsum quidem celerem sed etiam debilem repperi,

fractis viribus, ex fluxu alvi, quae vi cataputiae jam biduum ferebatur. Nonnunquam huis febris initio

ventris fluor oboritur, qui si magnus est et copiosius, vires ita dissolvit ut postea coquendo morbo fint

impares. Quod si alvi fluor fiat a multitudine materiae, nec diutius perseverarit, morbum facit

breviorem. Verum hic fluxus non ultro obortus, sed violenter et praeter rationem inductus,

medicamento venenoso et fortiter attrahente. Cum aedem potentia qua tithymalus emicat insignita sit

ut refert Dioscorides lib. 4. cap.161. ideoque ad absterfionem medicamenti venenosi (cuis venenum

villis stomachi ac intestinoru inhaerebat, unde auget dolorem ventriculi ac intestinorum praebet

tormina) abluens hoc medicametum praescripsi [decorr. hordei communis iij. fy. Ex insuf. rof. j. mif.]

Cibus erat lac amigdalatum. Vires autem resocillare cogebar galli contuso exigua agresta admixta.

Capiti autem adhuc dolenti oxirhodinum admovi. Praeterea ex hac tragea subinde fumebat [quae habet

speciem Diatragac. frig. Diamarag. frig. species Diarrhod. abb. ana ij. coralli rub. pul. j. species pul.

confect. cord. zach. Manus Christi cum mergaritis j. b. mis] Stomachum tum ventrem inunximus oleo

rof. Ompharino myrtheo et ex cotoneis et coepit fluxus cessare et calor febrilis diminutus est, ut

praeter omnium spem etiam a febre fuerit liberatus. Quamvis autem dolor stomachi tum cordis

angustia ceffallent, quae symptomata aucta erant, non ob febrem, sed potius ob medicamentum

violentum assumptum, pectoris dolore cum tuffi hominem torquebat pro quo symptomate mitigando

etiam haec praescripta sunt [specier. Diatrag. frig. j. b. dissolutis in aqua ungulae cabalinae adiecta

zach. albiss. q. f. fiat confectio in tabulis. ol. viol. amigd. dul. ana. b. pingued. gallinae, butyri recentis

ac loci cum aqua viol. pingued. anferis ana ij.] cerae exiguum, fiat linimentum molle pro pectore,

quibus deinde tussicula cessare coepit, ut intra septimu diem tam a febre quam ab aliis omnibus

177

VAN FOREST P., Observationum et curationum medicinalium de febribus ephemeris et continuis libri duo, C. Plantin,

Antverp, 1584, p. 117-21.

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accidentibus utcunque liberatus mediocriter sanitati restitutus fuerit. Interim mandavi ut dieta

convalescentum uteretur, ac equum ascendens una cum famulo Pithuerim reversus sum. Verum tribus

postea elapsis diebus, malo utebatur regimine vivendi (ut milites solent) ac denuo in febrem incidit una

cum ventris constipatione. Hic rusus muliercula astans nescio quae glandem ex radice betae succo

cataputia ac sale confricatam ano non sine magna molestiae imposuit. Ac a glande sudita dolor ingens

in ano obortus est, neque extrahi potuit cum ad interiora fortiter demisisset. Ita ut ex dolore tum

vigiliis accendentibus, virtus magis prostrata fuit, et tandem consilii inopes me revocarunt. Sed

enemate injecto ex iure pulli cui malva et violae folia incocta erant ac pruna, uncia una cassia adiecta,

tum duobus ovi vitellis, sale admodum exiguo, et oleo violaceo, non tantum aluum deposuit et varia

excrementa tam biliosa deiecit, sed una etiam radicem betae, quae perperam imposita erat et dolore

sedato, ac febre deinde diminuta rursus bene habere coepit, quamvis aderat adhuc tussis exigua, pro

qua mitiganda hoc elgmate utens, tandem sanitatem consecutus est [fy.viol.j.b.fy. capill. ven. j. zach.

viol.b. zach. penid. vj. fy. intubae b. nucleorum pinearum recentium ac amigd. dul. depilat. prius

macerataru in aqua ungulae caballinae etcommistis in ana numero vij. probe comixis fiat elegma.

fumebat lambendo ut arteriaca solent.]

SCHOLIA

Plurimum refert quales astantes et ministri apud aegrotos fint, si enim tales apud nos essent quales ab

Hippocrate divinissimo in libro de decenti ornatu describuntur, recte admodum cum nostris aegrotis

ageretur. Nunc saepe contrarium evenit ut mulierculis ineptia id negotium committatur, quae neque ea

agunt, quae medicus mandat, sed sua remedia quamvis inepta, imo potius venena miseris agrotis

obtrudunt ut alias Latius docuimus contra nostri temporis Empiricos. At non solum in febre continente,

verum etiam in quavis alia continua, symptomata graviora, quae obvenire solent quaeque, febrem

sequuntur, ut plerumque in febribus continentibus, haec sunt, ut dolor capitis, sitis vehemens, delirium

vigiliae et in quibusdam somnus profundus, alvus citatior vel plane astricta, quae omnia, maxime si

vires prosternunt, aut plurimum obsint, horum quoque ratione aliquid faciendum. Dolor capitis

mitigatur oxirhodino oleo viol.nemphar. lacte muliebri recenter mulso et aliis refrigerantibus, quibus et

superflua vigilia tollitur […]. Ad sitim valent potiones, inspirationesque aeris frigidi,

[syr.viol.confer.eiusdem, iuleb.viol.ex viol.aqua. Si fluxus, valet conserva rof. Si astrica, violacea, pro

lingua scabra muccago coloneorum cum aqua rof.vel viol.extracta adiecto Zach.ad formam lincti]. Si

deliria, recurre ad ea quae de phrenitide dicentur. Sed cum de his omnibus lib.7 dicturi sumus satis est

haec nunc admonuisse et licet in magnis alui fluoribus, utiles sint opiate constringentes, ne vires

omnino labefactentur, alias non licet uti multum constringentibus aut astringentibus, cum haec ipsa

criticas excretiores impediant, quae in his febribus, ut nunc exemplis ostendimus, frequenter

contingunt. Egimus igitur de diariis, qua unum diem non excedunt, deinde de iis quae plurium dierum

dicuntur, postremo de synochis et continentibus dictis, quibus hunc primum librum finiemus. De aliis

continuis, quae integrum librum requirunt, libro sequenti dicturi sumus.

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72

ABSTRACT

Year 2016

Author : PETITJEAN Viridiana

Thesis supervisors : POMA Roberto, PhD and CITTEE Jacques, MD

Comparative history of the medical consultation, contribution to the study of the

clinical approach from the XVIth

to XXIst

century

INTRODUCTION - The clinical process applied during medical consultation in family

medicine is the cornerstone of nowadays therapeutic care. However it has however never

been theorized and is nevertheless representative of the western medicine history from the

XVIth

century to our days.

METHOD - Being a family physician is complex, as confirmed by the definitions established

by the main professional guidelines. At the crossroads of numerous representations, its role is

anchored in a primary care process based on medical consultation. The study of the evolution

of this clinical process through the consilia shows a pathway highlighted by comparative

history.

RESULTS - The clinical approach from the XVIth

to the XXIst century consist of successive

key steps. The gathering of information, by questioning and observation, guide the

practitioner through his clinical examination towards an adjusted medical management. This

logical pathway, based on the knowledge from each period, was taught to the successive

generations of students, finally resulting into the current clinical process.

DISCUSSION - Modern medicine is the expression of the clinical process’evolution, which

has influenced both the definition of the physician’s role and the concept of disease. As these

ideas keep evolving, illustrated by the problematic definition of fever, it is necessary to teach

them to the future generations which will be responsible for addressing the issue of the

elderly. In the era of technics, the clinic approach appears more than ever as the foundation

of the physician’s job, adaptive to nowadays world and based on the contributions from the

past.

Key words :

- Office visits

- History of medicine

- Case management

- Clinical medicine

- Education

Index key words:

- Consilia

U.F.R. UPEC, faculté de médecine, 8 rue du Général SARRAIL 94010 CRETEIL CEDEX

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73

RESUME

Année 2016

Auteur : PETITJEAN Viridiana

Directeurs de thèse : Dr Roberto POMA et Dr Jacques CITTEE

Histoire comparée de la consultation médicale, contribution à l’étude des démarches

cliniques du XVIème

ou XXIème

siècle

INTRODUCTION - La démarche clinique pendant la consultation médicale en médecine

générale est l’étape clé de la prise en charge thérapeutique mais elle n’a cependant jamais été

théorisée. Pourtant elle est représentative de l’histoire de la médecine en occident du XVIe

siècle à nos jours.

MATERIEL ET METHODE - Etre médecin généraliste est complexe, comme le montrent

les définitions données par les référentiels métiers. Au carrefour de nombreuses

représentations, son rôle est dans une démarche de soin primaire basée sur la consultation

médicale. L’examen de l’évolution de cette démarche clinique grâce aux consilia, permet de

montrer un cheminement interprété grâce à l’histoire comparée.

RESULTATS - Les démarches cliniques du XVIe

au XXIe siècle se réduisent en étapes clés

successives. Le recueil d’informations, par interrogatoire et observation, permet ainsi

l’orientation du praticien dans son examen clinique pour aboutir à une prise en charge

adaptée. Cette progression logique, basée sur le socle des connaissances de l’époque, s’est

transmis aux générations successives d’étudiants pour aboutir à la démarche actuelle.

DISCUSSION - La médecine moderne est le fruit de l’affirmation de la démarche clinique

qui aura influencé la réinterprétation de rôle de médecin et du concept de maladie. Ces

notions restant en perpétuelle évolution, d’où la problématique de définition de la fièvre, il

est nécessaire de les transmettre aux générations futures garantes de la résolution des

questions des aînés. A l’ère de la technique, la clinique apparaît plus que jamais comme le

socle du métier de médecin, adaptative au monde actuel et tributaire des anciens ayant

contribués à son façonnement.

Mots clés :

- Consultation médicale

- Histoire de la médecine

- Prise en charge personnalisée du patient

- Médecine clinique

- Enseignement médical

Mots clés index :

- Consilia

U.F.R. UPEC, faculté de médecine, 8 rue du Général SARRAIL 94010 CRETEIL CEDEX