Une Progression dans la stratégie pédagogique pour...

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UNESCO Secteur de l’Éducation Monographie No 16 / 2001 Une progression dans la stratégie pédagogique pour assurer la construction du langage oral à l’école maternelle Organisation Mondiale pour l’Éducation Préscolaire (OMEP) - France

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UNESCO Secteur de l’Éducation Monographie No 16 / 2001

Une progression dans la stratégie pédagogique pour assurer la construction

du langage oral à l’école maternelle

Organisation Mondiale pour l’Éducation Préscolaire (OMEP) - France

Une progression dans la stratégie pédagogique

pour assurer la construction du langage oral à l’école maternelle

Organisation Mondiale pour l’Éducation Préscolaire (OMEP) - France

UNESCO

Recherche-action sur la Famille et la Petite Enfance

juillet 2001

Ce document cherche à apporter une rèponse à la question suivante : “Si les enfants

apprennent à lire d’autant mieux qu’ils parlent bien, que fait l’école maternelle pour

assurer une progression dans l’acquisition et le maniement du langage oral ?”

L¶OMEP-France, le Comité français de l’Organisation Mondiale pour l’Éducation Préscolaire, remercie vivement pour leur contribution :

Monique Frapat

Marie-Thérèse Gauthier

Michelle Goubault

Brigitte Jaffre

Muriel Martin

Georges Redde

Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits contenus dans

cette publication ainsi que des opinions exprimées, qui ne sont pas nécessairement

celles de 1 ‘UNESCO et n ‘engagent nullement 1 ‘Organisation.

Des exem 1’UNESC 8

laires supplémentaires de cette publication peuvent être obtenus auprès de à l’adresse suivante.

Unité « Petite Enfance et Education Familiale » ED/BAS/ECF, UNESCO 7 Place de Fontenoy 75352 Paris 07 SP, FRANCE

Imprimé dans les Ateliers de I’UNESCO.

(ED-2001/WS/lS)

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Préface

Actions en faveur de la Petite enfance

L’apprentissage commence dès la naissance. Tous les enfants naissent avec la capacité d’apprendre, base la plus solide sur laquelle toute société s’édiJie. Des plus de 800 millions d’enfants de 0 à 6 ans dans le monde, moins d’un tiers bénéficie de programmes d’éducation préscolaire.

La tâche est énorme en raison des pressions démographiques et de la pauvreté accrue subies par la plupart des pays. Cependant, des options efficaces et peu coûteuses pour la petite enfance existent, et sont adaptées aux besoins des enfants, aux conditions de vie des familles, à la culture et aux ressources des pays. Leur application dépend plus de la création d’une volonté politique et sociale adéquate que de tout autre facteur.

L’OMEP - France

L’Organisation Mondiale pour l’Éducation Préscolaire (OMEP), est la seule Organisation Non Gouvernementale reconnue par 1’ONU pour les jeunes enfants, et jouit d’un statut consultatif auprès de KJNESCO, de 1’UNICEF et du Conseil de l’Europe. Fondée en 1948 au bénéfice des jeunes enfants de 0 à 8 ans à travers le monde, elle existe dans soixante-huit pays. L’OMEP-France est la branche française de 1’OMEP.

L’OMEP n’est ni caritative ni humanitaire, mais essentiellement une instance de réflexion sur les meilleures conditions de développement et d’éducation du jeune enfant dans les familles, dans les institutions et dans la société en général. Les membres fondateurs, ayant survécu à la Seconde Guerre mondiale, et convaincus de la priorité à apporter à ce qui s’édifie dès le prime enfance, ont assigné à 1’OMEP la tâche de faire connaître les besoins des jeunes enfants. Ceux-ci ont immédiatement été identifiés comme source de droits. Les actions de I’OMEP relèvent toutes des Droits de l’Enfant et en particulier du droit à la meilleure éducation possible. Les actions de formation à la demande, les rencontres, les échanges, les publications s’effectuent toujours dans la même perspective : faire bénéficier aux jeunes enfants des progrès de la connaissance, mieux les éduquer pour les rendre meilleurs et pour qu’à leur tour, ils fondent un monde meilleur.

L’école maternelle, l’école des petits n’est pas une institution faite pour apprendre à lire, écrire et compter. Progressivement, ces activités seront abordées, mais elles ne constituent pas l’objectif majeur. Le tout petit a d’abord besoin de soins ; l’hygiène est une nécessité aussi vitale que la nourriture, qui doit être la mieux équilibrée possible, ainsi que le repos, qui doit être assuré dans le calme. L’accueil mérite qu’on lui fasse une mention toute particulière : c’est lui qui va déterminer l’intérêt du tout petit pour une structure différente de la famille, mais complémentaire où il pourra rencontrer des camarades de son âge, plus jeunes et plus âgés, avec qui il tissera des relations qui l’aideront à se construire et se développer, et surtout une maîtresse, le plus souvent une enseignante formée, patiente et dévouée qui le guidera dans ses découvertes, ses jeux et ses apprentissages.

L’OMEP-France conduit une action majeure au Vietnam, et a des actions plus ponctuelles en Algérie, en Afrique et en Roumanie. Sur son site Internet (http:/www.omep-france.laligue.org), l’OMEP-France lance une auto-formation centrée sur la maîtrise du langage mais également sur d’autres sujets, à la demande. De plus, elle vise un rapprochement avec les parents.

L’Unité Petite Enfance et Education Familiale de I’UNESCO

Assurer et encourager l’épanouissement de l’enfant à un âge crucial pour son développement physique, mental et émotionnel, pour ses capacités d’apprentissage et son intégration au système social et éducatif - tel est le but des actions de WNESCO en faveur de la petite enfance et de l’éducation familiale.

Adopté par la Conférence générale de l’UNESCO en 1989 pour contribuer à améliorer le potentiel et le bien-être des jeunes enfants et des familles de par le monde, l’Unité Petite Enfance et Education Familiale de l’UNESCO coordonne les études, les activités et les initiatives entreprises par l’UNESCO dans le domaine de la petite enfance et de l’éducation familiale. L’UNESCO oriente son plaidoyer et cible ses efforts sur l’accueil et l’éducation du jeune enfant, sur l’éducation des parents et la formation du personnel de la petite enfance, sur la mobilisation des ressources tant modernes que traditionnelles, sur la réflexion, l’échange d’informations et le partenariat.

Les actions de l’UNESC0 en faveur de la petite enfance cherchent à :

améliorer l’accès aux programmes de soins et d’éducation de la petite enfance en les rendant beaucoup plus disponibles et accessibles, et en améliorant la préparation à l’école;

soutenir l’éducation familiale et la formulation de politiques en matière de famille en encourageant la participation et en promouvant le rôle des familles et des communautés dans les programmes d’éducation de base;

soutenir l’action des professionnels qui se préoccupent du sort des jeunes enfants (de la naissance à 8 ans);

améliorer le contenu des programmes pour la petite enfance, notamment leur conception et leur qualité;

redéfinir et renforcer les programmes de formation pour la petite enfance;

inciter la recherche de solutions innovatrices bien adaptées aux besoins des enfants et aux conditions de vie des familles;

renforcer la base d’information sur la petite enfance en améliorant la disponibilité et la qualité de l’information, de la recherche et des données sur les jeunes enfants;

encourager la réflexion et l’échange d’information sur les jeunes enfants et les familles, par le biais d’enquêtes sur la situation de la petite enfance et d’inventaires nationaux de ressources pour la petite enfance;

promouvoir la législation en faveur des enfants et des familles, notamment la Convention sur les Droits de 1 ‘Enfant, par la sensibilisation et le plaidoyer; collaborer à des manifestations artistiques, favorisent la réflexion sur l’enfance et la famille.

intellectuelles et culturelles qui

Renseignements complémentaires

Organisation Mondiale pour l’Éducation Unité Petite Enfance et Education Familiale Préscolaire (OMEP) - France ED/BAS/ECF, UNESCO 9 rue Sainte-Félicité, 75015 Paris, France 7 Place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France tel: (33-l) 45 32 49 12 tel: (33-l) 45 68 08 12 fax: (33-l) 45 32 49 12 fax: (33-l) 45 68 56 27 / 28

http://www.omep-france.laligue.org http://www.education.unesco.org/educprog/ec£/index.htm

Table des matières

Préface

Définition du langage oral

Avant l’entrée à l’école maternelle

Une grande hétérogénéité à l’école maternelle

Articulation du’ langage avec le développement de l’enfant

Analyse du langage oral

+ Langage oral, langage écrit

+ Les deux volets du langage

Pédagogie du langage à l’école maternelle

+ Les circonstances langagières

+ Les modes d’activités

+ Le contenu

Le langage outil des motivations, des mobiles des supports le conte

vers le langage objet la poésie

Le langage objet le phonème et ses prémisses le vocabulaire la syntaxe

Progression du langage oral 14

+ liée à la durée 14

+ liée au pouvoir cognitif et à l’affectivité 14

+ dans le récit 15

+ liée au vocabulaire 16

4 liée à la syntaxe 16

+ liée à la phonétique 17

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Rôle et attitude de la maîtresse ou du maître

En guise de conclusion

Annexes : suggestions pour des pratiques pédagogiques

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Une progression dans la stratégie pédagogique

pour assurer la construction du langage oral à l’école maternelle

Le langage n’étant pas une discipline, son enseignement proprement dit est difficilement envisageable. En revanche, l’enfant construit son langage et le maître a le devoir de l’aider dans cette tâche difficile à tout moment, en toutes circonstances dans les différentes sections de l’école maternelle de 2 à 6 ans.

Définition du langage oral Selon qu’on se rétêre au dictionnaire de psychologie ou de linguistique, le langage est une fonction ou la capacité spécifique à l’espèce humaine de s’exprimer et de communiquer ,au moyen d’un système de signes vocaux mettant en jeu une technique corporelle complexe et supposant l’existence d’une fonction symbolique et de centres nerveux génétiquement spécialisés. Ces signes ont une valeur identique pour tous les individus d’une même communauté et dans les limites d’une aire déterminée.

Le langage préexiste à l’enfant qui devra l’apprendre. Cette acquisition est conditionnée par la maturation du système nerveux et l’intégration de l’individu dans un groupe humain. Sans l’une ou l’autre de ces conditions, l’apprentissage de la parole est impossible. Le bébé ne parle pas avant un an et une atteinte profonde des centres nerveux peut l’empêcher d’accéder au langage. Un enfant laissé à l’abandon ne parlera pas; il lui manque le modèle auditif qu’il pourrait reproduire. En effet, chez l’être humain, l’imitation joue un rôle capital dans l’acquisition individuelle du langage comme dans celle d’autres compétences.

Avant l’entrée à l’école maternelle Primitivement, le nourisson ne dispose que de la mimique, des attitudes, des sons et des cris pour exprimer la douleur, la faim, puis il commence à gazouilller et trouvera du plaisir dans ses vocalisations; il répète indéfiniment ses propres sons avant de reproduire ceux des membres de son entourage. Il comprendra certaines expressions orales, prononcera ses premiers mots autour de un an. Les mots ont la valeur de phrases : “ateau” peut signifier ‘je veux un gâteau” ou ‘j’ai mangé un gâteau”; c’est l’intonation, le contexte qui donneront au message sa signification. Le tout petit répète des mots, des bribes de phrases alors qu’il ignore tout de la syntaxe. Vers dix-huit mois, il fera des pseudo-phrases en juxtaposant deux mots : “pati papa” pour “papa est parti”. Il introduira des verbes à l’infinitif : “Mamie dormir”.

Une grande hétérogénéité à l’école maternelle Entre deux et trois ans, certains enfants s’expriment clairement dans un parlé fluide, utilisant des termes exacts et précis alors que d’autres ont recours au non-verbal, aux gestes, aux mimiques disposant de quelques mots qu’ils répètent avec vigueur utilisant la réduplication pour donner plus de poids à leur expression. D’autres encore qui parlent un peu, aux dires de leurs parents, se ferment complètement à l’entrée à l’école maternelle, effrayés par le groupe, intimidés, comme conscients de leur difficulté à se lancer dans une prise de parole. D’autres enfin parlant chez eux une langue étrangère ne comprennent pas grand chose à ce qui se dit et réalisent rapidement qu’ils ne sont pas compris.

L’enseignant et l’institution tout entière doivent résoudre ce problème courant qui se pose partout à toutes les rentrées scolaires.

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MONOGRAPHIES FAMILLE & PETITE ENFANCE

Articulation du langage avec le développement de l’enfant De 2 à 6 ans, le développement de l’enfant s’inscrit dans le passage progressif de la dépendance vers l’autonomie par la relation maître-enfant, enfant-enfant, et la relation de soi à soi. Cette progression a des dimensions sensori-motrices, affective-sociales et perceptive cognitives.

Les relations de l’enfant au monde passent d’abord par le rapport qu’il entretient avec les personnes et s’accomplissent au cours de l’action pour satisfaire des besoins et des désirs : l’enfant va “de l’acte à la pensée” (Wallon) au sein de situations dont il se détachera progressivement, en se les représentant mentalement en dehors de leur contexte. Cette opération, sera favorisée par le langage qu’elle contribuera par ailleurs à développer.

Dans ce cheminement, l’activité langagière va relayer l’activité sensori-motrice à mesure que l’enfant creuse la distance à l’adulte ; l’acte de langage assure les conditions d’une efficacité plus large et, en même temps, plus précise. Le langage va constituer le moyen d’une action au sein d’un groupe social au cours des interactions et il se précise à partir de l’émancipation des codes gestuels et iconiques. Du point de vue social, l’acquisition du langage représente le travail d’expressoin et de communication corrélatif à une forte motivation d’ordre émotionnel et affectif. Cette acquisition traduit la réussite d’une recherche d’outils langagiers performants de décodage, de transmission et de partage d’intentions ; elleprocure un plaisir à jouer sur des signes et à mettre en correspondance signifiants et signifiés (la relation n’est pas toujours bi-univoque; assez tôt, le petit réalise qu’il peut y avoir plusieurs signifiants pour un signifié, un canard, l’image d’un canard et le mot “canard”).

Le code iconique ou imagé correspond à la représentation du rêve, de la pensée inconsciente, de la pensée par images ; il est relatif aux capacités projectives ; il trouve son expression agie dans le dessin. Le mode d’apprentissage du langage est spécifiquement humain. Alors que l’adaptation et l’apprentissage s’accomplissent par assimilation chez les végétaux, par conditionnement chez les animaux, l’apprentissage s’effectue par l’appropriation qui est un phénomène spécifiquement culturel c’est-à-dire interhumain.

Analyse du langage oral

Langage oral, langage écrit

Si le qualificatif “oral” s’oppose à celui d”‘écrit”, la distinction entre langage oral et langage écrit implique-t-elle une opposition. 3 Dans l’acte de communication, l’un comme l’autre supposent un émetteur et un récepteur mais dans un cas le message utilisera le canal vocal sonore et sera fait d’une succession de paroles, dans l’autre il sera fait de signes graphiques conventionnels, en français, des signes alphabétiques reliés en mots, en phrases, en énoncés. Dans les deux cas, le message est destiné à être reçu, compris par le destinataire qui va en reconstruire le sens. Tous deux mettent en jeu les fonctions perceptives (auditive et visuelle), discriminatoires et référentielles. Mais parler est le fait de dire quelque chose à quelqu’un dans une situation donnée : la présence simultanée des interlocuteurs, le renforcement par l’intonation, le geste (il semble que les centres nerveux du langage et de la gesticulation soient les mêmes) peuvent orienter la signification du message oral. L’écrit met le message à distance et lui confêre une fixité plus ou moins durable. L’oral, à défaut d’un enregistrement, disparaît matériellement; il n’est conservé que partiellement et approximativement dans les mémoires. L’écrit reste.

Les deux volets du langage

Le langage est à la fois acte et instrument d’expression et de communication de la pensée. Pour les besoins de l’analyse et pour fonder une action pédagogique, il est nécessaire de distinguer l’acte du moyen utilisé, en quelque sorte le sens et les sons, le

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LE LANGAGE ORAL A L’ECOLE MATERNELLE

fond et la forme. Mais les choses ne sont pas aussi simples et les intrications entre les deux parties ne manqueront pas d’apparaître.

L’expression langagière peut être celle du soliloque du jeune enfant qui dit tout haut ce qui lui vient à l’esprit ou ce que son jeu lui inspire, sans doute parce qu’il ne peut pas l’inhiber. Il arrive aussi que des adultes parlent seuls à haute voix sous l’effet d’une émotion ou pour masquer leur solitude. Mais habituellement on s’exprime face à une personne ou à un groupe pour l’informer, lui donner un point de vue, faire un commentaire, apporter un jugement, poser un problème, provoquer une réaction qui ne manquera pas de se produire : c’est ce qu’on appelle la communication.

Cette pensée qu’on exprime ou qu’on communique est véhiculée par des sons, suites de phonèmes, des mots, des énoncés qui seront d’autant plus audibles et compréhensibles qu’ils seront bien articulés. Mis à part les onomatopées, les mots sont chargés de sens et un langage riche comporte un vocabulaire important et diversifié. L’adjonction d’adjectifs, d’adverbes donnera une coloration aux noms et aux verbes ; celle de mots de liaison (prépositions, conjonctions...), de mots grammaticaux (comme les marques de la négation) contêreront la précision à l’énoncé. Le développement affective-cognitif rendra la pensée plus vigoureuse tandis que l’entraînement à une bonne élocution, les jeux de paroles, les comptines, les formulettes parlées et chantées ne pourront qu’améliorer l’outil langagier.

Pédagogie du langage à l’école maternelle

Les circonstances langagières

Le langage est accroché à toutes les activités, pratiquement à tous les moments de la vie du jeune écolier. Dès l’accueil du matin les conversations vont commencer et se poursuivront pendant le déshabillage, les rituels, les jeux. Consignes, commentaires, incitations de la part du maître, précèderont, accompagneront les divers exercices de toute nature, perceptifs, moteurs, ceux qui relèvent de la logique, de l’imaginaire, de la structuration de l’espace et du temps, des activités plastiques, graphiques . . . De leur côté, les enfants posent des questions, font aussi des commentaires, cherchent une approbation. Il va de soi que le langage du maître, modèle permanent, doit être d’une correction parfaite, très bien articulé, varié dans son expressivité. L’enfant sera inlassablement aidé dans sa construction du langage mais avec le doigté nécessaire pour éviter tout blocage. Si toutes les activités impliquent l’intervention de la langue orale, certaines seront l’objet d’une attention toute particulière parce qu’elles reposent sur la langue elle-même. Elles donnent à la classe sa vie propre, sa dynamique, constituent en quelque sorte son patrimoine forcément unique et différent chaque année malgré quelques similitudes dans le matériel et les supports.

Les modes d’activités Différents modes sont utilisés : individuel, à deux, par petits groupes, collectif.

. Il arrive souvent, en section de petits, que l’enfant parle en jouant tout seul ; il exprime à mi-voix ce qu’il fait ; le langage accompagne son action.

. A deux, un dialogue peut s’instaurer à moins qu’il ne dégénère en dispute, généralement à cause d’un objet utilisé par l’un et convoité par l’autre. Avec des plus grands, le dialogue se prolongera davantage, spontanément autour d’une tâche à accomplir ou d’une façon plus dirigée : jeux de devinette, dialogue entre deux marionnettes, amorce de jeu dramatique entre deux personnages. Un enfant peut aussi parler à une marotte ou une marionnette en présence de spectateurs attentifs ; il fait alors les questions et les réponses en modifiant quelque peu sa voix (timbre, hauteur, intensité) et son intonation.

. Le petit groupe de cinq à sept personnes est la structure la plus favorable pour les échanges, l’écoute attentive et la prise réelle de parole. On peut attendre son tour sans trop d’impatience. Ecouter ce n’est pas se taire en guettant le silence pour

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MONOGRAPHIES FAMILLE & PETITE ENFANCE

intervenir. Ecouter, c’est saisir le discours de l’autre en se forgeant une représentation mentale la plus conforme à ce discours pour proposer une réponse adaptée : approbation, commentaire, discussion argumentée chez les grands.

. Le mode collectif qui concerne la classe tout entière favorisera le récit, la présentation d’un poème ou d’une chanson, l’exercice poétique, la récitation, le chant, l’explication d’un jeu mais aussi le lancement d’une réflexion avec ou sans support, d’un débat et de toutes sortes d’activités. Il est propice à l’élaboration d’un projet, au rappel de souvenirs vécus en commun, à la formulation d’un bilan, point de départ de nouveaux projets, à l’énonciation de recommandations, de conseils, de consignes.

La gestion de cette formation obéit à des règles : une installation convenable comportant des bancs et des chaises (la position au sol sur le tapis incite au balancement), un décor sobre pour éviter la déconcentration, un tableau bien nettoyé, l’enseignant assis à la hauteur des enfants, visible par tous et pouvant voir tout son monde. Rapidement et bien installés, les enfants sont prêts à recevoir ce que l’enseignant a préparé soigneusement à leur intention. L’attention manifestée le sera en fonction de l’intérêt présenté, de l’émotion qu’on sait faire naître, de l’élément de nouveauté qui pique la curiosité, du déjà vu ou entendu qui rassure et du temps consacré à la séquence : trop court, il est inefficace et engendre l’excitation de la déception ajoutée à celle des déplacements inutiles ; trop long, il entraîne lassitude, opposition et mauvaise tenue.

La pratique de l’alternance dans le mode et le type d’activités reste un sage principe.

Le contenu Le langage outil

Des motivations, des mobiles

“Faites-les vivre ils parleront”, disait Pauline Kergomard”. Un pédagogue peut garder cette sentence en mémoire plutôt que de dire à ses jeunes élèves, comme on l’entend parfois: on va “faire du langage”. “Faire de la pâte à modeler” ou “faire de la peinture” étaient d’ailleurs tout aussi condamnables.

Dans toutes les sections de l’école maternelle, on a abusé, pour tenter de faire parler des enfants regroupés, des questions à la cantonade : “de quoi voulez-vous qu’on parle?“, “qui a quelque chose à raconter?“, pendant les vacances?“.

“qu’avez-vous fait pendant le week-end ou Malgré la précipitation des plus vifs, de ceux qui cherchent à se

faire valoir et de ceux qui manient la langue avec assez d’aisance, les réponses tournent court ; seule une expérience personnelle rare peut être partagée et on intéresse difficilement un auditoire à un fait de la vie quotidienne.

La mise en place d’un référent commun est indispensable pour servir de déclencheur à de multiples destinations du langage, un questionnement, une réflexion, parfois à une action. Cette action, si elle est commentée (appel à l’esprit critique, à l’appréciation, au jugement), remémorée (appel à la mémoire et renforcement du lexique et de structures verbales), constitue, par le récit ou l’ébauche de récit qu’elle fait naître, un nouveau moment de langage qui, à son tour, peut donner lieu à un projet original à condition qu’on fasse appel à l’imagination, à l’invention. C’est ainsi qu’une simple visite à la laverie du quartier a donné lieu, en section de grands, à un jeu dramatique avec mise en scène et orchestre sur le thème “La nuit, les vêtements s’ennuient dans la laverie”. L’élaboration de ce jeu a duré plusieurs semaines. C’est l’intérêt du contenu et la force d’implication dans un projet qui en détermine la durée. Ce référent commun accrochera d’autant plus qu’il sera proche des préoccupations de chacun : les plus jeunes sont particulièrement attirés par ce qui se mange, par ce qui bouge, par ce qui leur ressemble. La maison, la maman, le bébé, humain ou animal, sont des sujets très porteurs. La découverte, la surprise les stimulent autant que les plus âgés par la rupture de la monotonie qu’elles provoquent et aussi peut-être par le sentiment d’un don reçu.

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LE LANGAGE ORAL A L’ECOLE MATERNELLE

Plus l’enfant avance en âge, plus il se posera de questions sur ce qui dépasse son environnement immédiat. Il interroge sur ce qui existe ailleurs, ce qui s’est passé avant lui comme sur les ultra-choses, pour reprendre l’expression d’Henri Wallon, l’air, l’eau, la terre, le feu. Une documentation nourrie et de qualité apportera quelques réponses au moment opportun.

Des supports

Pour les plus jeunes, les supports seront d’abord les objets eux-mêmes, objets qui vont enrichir les coins de jeux tout au long de l’année, le matériel et les matériaux au fur et à mesure de leur introduction dans la classe, de leur rencontre et de leur utilisation dans toutes sortes de situations, de même que le matériel servant à l’éducation motrice. La désignation s’effectue avec le nom approprié qu’on répètera jusqu’à ce qu’il soit acquis. L’acquisition du langage se fera d’abord en situation. L,es petits sont cependant ouverts à l’image bien avant l’entrée à l’école maternelle mais, quand ils sont réunis, il convient de leur présenter un format assez grand visible par tous. Des images séquentielles constituant une histoire sont susceptibles de les intéresser à condition qu’elles soient de bonne qualité et que, après une nécessaire vision silencieuse de l’ensemble ordonné, on prenne le temps de les interpréter une à une avant de dégager l’histoire qu’elles illustrent. Pas plus de trois images au début, chez les petits, davantage par la suite.

Affiches, photographies, images d’art, sculptures, vidéo, tout peut servir à un moment d’observation et de réflexion. Partant du réel et à condition de poser des questions ouvertes, il est aisé de faire des incursions dans l’imaginaire, de reprendre appui sur le réel, d’enrichir au passage les connaissances jusqu’à élaborer avec les plus grands de véritables romans à moins de déboucher sur un jeu dramatique qu’on pourra encore transformer en récit. C’est ainsi qu’une reproduction (un tableau de F.Diaz), présentant un petit garçon observant gravement un violoniste, conduit, par un jeu de questions suivies d’hypothèses, à un voyage dans la lune et un combat de brigands en apesanteur.

Les supports ne sont parfois que des mots, mais des mots lourds de sens qui font appel à des sentiments ou à une expérience limitée qui semble l’apanage des grandes personnes. Ainsi la naissance, l’amour, la mort, la fête, la déception provoquent des discussions authentiques, pleines d’intérêt. Le fait d’en parler à plusieurs permet d’être témoins d’autres représentations. L’émergence de concepts abstraits s’en trouve facilitée. Un témoignage émouvant mérite d’être rapporté : “le bonheur, c’est quand ma maman met sa belle robe, ses bijoux et qu’elle danse”. Les supports peuvent être des symboles et des signes culturels et pluriculturels, actuels ou anciens, ou. encore inventés

,par les élèves eux-mêmes donnant de bonne heure du sens à la communication graphique. Un jeu pour l’esprit, sérieux et accrocheur.

Choisis avec discernement de façon à offrir un large éventail d’intérêts à un âge donné, les supports très variés répondront à une double préoccupation du maître pour sa classe : favoriser l’expression de soi tout en intéressant l’autre et prendre conscience du monde pour mieux le connaître dans un langage chaque jour plus précis, mieux construit, mieux maîtrisé.

Le conte

Les longues histoires nées de l’imaginaire collectif, alternent, dès la section de moyens, avec les contes, ces récits littéraires, merveilleux qui retiennent l’attention comme par magie. Tous les enfants perçoivent ensemble la parole de l’adulte, parole recherchée, travaillée, judicieusement théâtralisée, ne faisant aucune concession au laisser-aller, offrant toutes les richesses de la langue, introduisant, grâce aux ressources de la voix humaine, des personnages multiples, des actions, des sites à imaginer. L’écoute attentive n’appelle pas une exploitation immédiate sur le plan du langage ni même dans un autre registre. Il serait dommage de rompre le charme et une période de mûrissement peut être profitable. Par contre, quelques heures plus tard ou le lendemain et les jours suivants, un jeu de questions auxquelles on a réfléchi permettra d’évoquer les situations

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MONOGRAPHIES FAMILLE & PETITE ENFANCE

ou les moments les plus impressionnants ou les plus émouvants, de rappeler les personnages, de les comparer, d’essayer de formuler les sentiments qu’ils inspirent, de retracer certaines scènes et retrouver progressivement la chronologie de l’ensemble.

Le conte soumis d’abord à la tradition orale a été écrit. Dit ou lu, il demande engagement et concentration puisqu’il est destiné à procurer une émotion. La différence sur le plan linguistique est que le texte lu a été écrit par un autre qui prête sa voix à l’enseignant narrateur. Avec des enfants de moins de cinq ans regroupés, le livre ne doit pas, matériellement, faire écran ; à défaut d’un regard constant du maître, sa volonté de communication doit être ressentie.

Vers le langage objet

La poésie

La poésie est un autre genre littéraire. Les mots fascinent par leurs sonorités et donnent aux choses une lumière peu ordinaire. Ils vagabondent et leurs agencements échappent aux usages courants. Comme pour le conte, la parole du maître, articulée, travaillée, sobrement dramatisée est source de plaisir partagé.

Avec la poésie, nous aborderons ce que nous avons appelé le deuxième volet du langage, l’articulation, l’intonation qui implique un travail de la voix. Le débit de la parole sera contrôlé. La mémoire de l’enfant, mémoire immédiate et mémoire à moyen terme ne demandent qu’à être entraînées pour se développer ; on peut, en section de moyens et de grands, apprendre facilement quatorze ou quinze poèmes dans l’année scolaire sans compter les chansons (à dire et à chanter) qui interviennent aussi dans l’articulation des mots et le contrôle du souffle.

Chez les petits, jeux de doigts, comptines et formulettes, courts poèmes, chansons brèves dits avec entrain par l’institutrice seront inlassablement répétés et retenus. Pour les tout petits, on se contentera au début de bribes, de fragments, ceux qui reviennent fréquemment, ou même seulement d’ un rythme marqué par un mouvement du corps. Le non-verbal avec le geste et la mimique viennent au secours du verbal.

Le langage objet

Le phonème et ses premisses

Sonorités phoniques et rythmiques donnent leur valeur au langage poétique d’où la nécessité de les reproduire avec fidélité. De même, un message transmis de bouche à oreille doit arriver intact afin de garder son sens.

Bien articuler, c’est être capable de prononcer distinctement tous les phonèmes de la langue, non pas séparément mais dans le flux de l’émission vocale.

Bien articuler pour éviter la confusion entre deux phonèmes voisins est nécessaire à la communication. Ainsi “pain”, “bain”, “main” ne different que par le premier phonème, consonne bilabiale sourde dans le premier mot, sonore dans le deuxième, nasale dans le troisième. Dans “cassé” et “caché”, le phonème du milieu, comme disent les enfants, est dans un cas une sifflante, dans l’autre une chuintante. En s’appuyant sur des dessins ou en utilisant le mime, on demande à l’enfant de prononcer les mots, proches par les sonorités mais très différents par le sens, en insistant sur les oppositions pertinentes. Q t ua re ans est l’âge des assonances : “je m’appelle Céline comme la farine” et “moi Julie comme le riz”. Entre cinq et six ans, il est opportun de favoriser la prise de conscience de la valeur du phonème par des jeux et des exercices. exemple à supprimer le premier phonème des mots :

Inviter par

dis oli”. “je dis bal, tu dis al, je dis joli tu

Il ne faut pas longtemps pour participer avec succès au point de demander à être meneur de jeu.

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LE LANGAGE ORAL A L’ECOLE MATERNELLE

A 1’ aide du phonème “magique”, on doit évoquer un animal ou un objet. “Je te donne un L tu fais un lion. Je te donne un S qu’en fais-tu?“. Attention, prononcer au besoin prolonger le phonème s , surtout ne pas dire “se”. Comme le 1 ne.peut pas être prolongé, maintenir le bout de la langue dernière les mcisives montrant ainsi ce qu’on appelle le point d’articulation.

Le vocabulaire

Le mot est le fondement du langage (y compris le mot-phrase des premières expériences enfantines) et l’école est le lieu privilégié où le vocabulaire va s’enrichir, se préciser. Au “je veux ça” du petit, on ne s’empresse pas de donner satisfaction en expliquant qu’on attend quelque chose de plus approprié. Les mots prononcés approximativement, même s’il sont parfaitement traduits par l’adulte, doivent être redonnés dans leur forme exacte. Leur acquisition sera parfois immédiate, parfois elle demandera du temps. Dans ce cas, s’armer de patience mais surtout répéter et faire répéter en aidant l’enfant dans son effort. L’introduction régulière de mots nouveaux est indispensable, ne pas se contenter du hasard ni de l’occasion mais faire apprendre des mots nouveaux en référence à des objets, des actions, des gestes, des représentations diverses, des images. Le maître se doit de favoriser l’utilisation des pronoms en particulier du “je” dans les dialogues ; ne pas laisser longtemps le petit parler de lui à la troisième personne.

Ces considérations concernent essentiellement la section de petits. Avec les moyens et plus encore avec les grands, le langage du maître sera celui d’une personne cultivée et réfléchie, consciente de la nécéssité d’étendre, avec les domaines de connaissance, le nombre, l’exactitude et la justesse des mots adaptés aux champs sémantiques à explorer. Ainsi “forêt” entraîne “arbre”, “terre”, “racines”, “branches”... “maquette du quartier”, “maison”, “école”, “rue”, “avenue”, “plus haut”, “plus loin”... Et les homophones rencontrés méritent qu’on s’y attarde. Faire réfléchir sur la langue elle-même (c’est sa fonction métalinguistique) est tout à fait possible dès l’école maternelle : le jeune enfant saisit bien la différence d’intention d’un énoncé qui commence par “Il était une fois...“, ou “comment s’appelle...?, ou encore “vas me chercher...“. Il importe d’emichir le vocabulaire en précisant les mots “histoire”, “question”, “ordre”.

La syntaxe

L’organisation des mots dans la phrase obéit à des règles auxquelles l’adulte doit se soumettre pour servir de modèle constant. Un parlé laconique et allusif, faute de temps, ou un parlé relâché parce qu’il demande moins d’effort n’offrent pas aux enfants les repères nécessaires pour construire son langage. Et cependant, avec les tout petits comme avec des enfants plus âgés qui seraient “primo-arrivants”, il est utile qu’il y ait quelques adaptations : faire des phrases courtes, éviter les coordinations complexes, répéter l’interrogation, si l’inversion du sujet ne semble pas comprise, sur le mode indicatif en ayant recours à l’intonation ( montée de la voix en fin d’émission ). “Mon frère, son vélo, son guidon, il est tout rouillé”. Placer le complément après le nom qu’il complète et réunir les deux termes, ici les trois, par la préposition “de” ou “du” n’a rien de naturel ; la construction devra être apprise et la généralisation se fera d’autant plus vite que des exemples analogues seront rencontrés. De même, seront assimilés progressivement l’utilisation des temps et des modes, les indicateurs grammaticaux temporels permettant d’ordonner des événements dans le temps, simultanéité (pendant que), antériorité (avant, avant que), postériorité, les rapports de causalité (parce que, donc)... Il ne s’agit aucunement de faire de la conjugaison ni de la grammaire formelle ou explicite mais veiller à ce que les situations d’échanges évoquées précédemment soient suffisamment riches pour qu’elles offrent aux enfants la possibilité de s’exprimer réellement et de formuler des énoncés plus élaborés que chez les petits. Chez les grands cependant, il est tout à fait possible de proposer des séquences courtes mais conduites sur un rythme intense, par exemple de courts énoncés tronqués auxquels il faut ajouter le mot de liaison en fonction du sens recherché.

En fin de section de moyens et en section de grands, l’utilisation de symboles, pour représenter une trentaine de mots inventés et mis au point par les enfants eux-

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mêmes, favorise à coup sûr la prise de conscience de l’importance de l’ordre des mots pour le sens de la phrase. Par exemple, d’une façon très ludique, la présentation de deux actions concomitantes, séparées par un blanc, introduit astucieusement la locution conjonctive “pendant que”. Ou encore, une relation de cause à effet : “il pleut, les escargots sortent de leur maison”. Comment peut-on dire autrement, en particulier en inversant, les propositions ? Des enfants utilisent indifféremment” pourquoi” et “parce que”; c’est le moment de rectifier.

Pour conclure, cette analyse de la pédagogie du langage, bien que très fragmentaire, donne des pistes à l’enseignant pour qu’il ne se contente plus d’un aimable “moment de langage” quotidien, plus ou moins improvisé. Le temps de la classe est trop court pour qu’on le perde, et trois ou quatre ans, au moment où les enfants sont en constante et rapide évolution, doivent introduire des contenus nourris et progressifs portant sur les différentes composantes du langage (lexicale, phonique, syntaxique). Les séquences comprendront une dominante tantôt en langage outil, tantôt une en langage objet avec les inévitables et nombreuses zones de recouvrement. On prévoira, par exemple, l’introduction de l’opposition entre une action qui se prolonge et un incident qui rompt le rythme . * “Le petit Chaperon rouge se promenait dans la forêt, il cueillait des fleurs et des noisettes... Soudain, un loup apparut”. “Soudain...“, avec la surprise que ce mot annonce, entraînera des quantités d’exemples à condition qu’on invite les enfants à en donner. L’entrée de plain-pied dans le fonctionnement de la langue est assurée.

Progression du langage oral Le contenu de la pédagogie du langage décrit dans les différents paragraphes fait apparaître une progression indispensable à travers les trois sections de l’école maternelle en relation avec le développement de l’enfant :

m petits, de 2 à 4 ans . moyens, de 4 à 5 ans n grands, de 5 à 6 ans.

Une progression liée à la durée consacrée aux séquences collectives.

Les petits peuvent rester regroupés de quinze minutes en début d’année à vingt deux ou vingt cinq minutes en fin d’année à condition qu’on s’efforce vraiment d’accrocher leur attention et qu’on alterne l’écoute, le spectacle (ou la sollicitation visuelle) ou les deux à la fois, la participation successive de quelques uns et la participation collective à des comptines et formulettes. Ils sont convenablement assis près de leur maîtresse pour se sentir plus concernés. Moyens et grands ont une capacité d’attention plus longue, peuvent rester à leur place de temps en temps et s’attarder davantage sur un domaine surtout s’il s’agit du “langage outil”. Une pensée ne se développe pas dans la précipitation. On doit pouvoir écouter l’intervention d’un camarade dans le calme. Les exercices et les jeux liés au “langage objet” seront conduits d’une façon plus vive et dans un temps plus court.

Une progression liée aux possibilités mentales, au pouvoir cognitif très dépendant de 1 affectivité et de 1 ‘état émotionnel.

Les petits vivent ici et maintenant. Avec eux, on partira de la connaissance sensible, la perception, l’observation de ce qui est situé dans l’environnement immédiat. Aider l’enfant à prendre conscience de lui-même et de lui par rapport à tout ce qui l’entoure, les autres, les choses, et de ses actions sur eux. L’intéresser également aux représentations d’abord de ce qu’il connaît. Ce qui est plus éloigné de lui le touchera dans la mesure où il pourra établir des rapprochements avec les éléments familiers. Partir de la connaissance sensible ne veut pas dire y rester : l’enseignant fera appel à la

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mémoire collective pour” mettre en mots” l’événement vécu la veille, l’apparition d’une marionnette et l’aventure qui lui est attachée. Cette évocation du souvenir servira de tremplin à l’introduction d’un fait nouveau se référant à l’expérience pour qu’il puisse être compris. Cette remarque concerne surtout les enfants les plus évolués, les écarts pouvant être considérables dans cette tranche d’âge.

Dès l’âge de quatre ans, les incursions dans un passé récent, dans des lieux plus éloignés sont tout à fait possibles : les images, les photographies favorisent les représentations, enrichissent les connaissances, activent la mémoire, nourrissent l’imagination. Les enfants sont non seulement capables de comprendre des récits, des histoires réelles ou imaginaires qui viennent d’ailleurs et de les restituer approximativement mais il peuvent également faire des projets.

Chez les grands, le langage sera mis au service d’une pensée sans limite de temps ni d’espace et contribuera à la canaliser, l’ordonner, la préciser.

La logique - Nous l’avons dit, les rapprochements de toutes sortes qu’on favorise en section de petits indiquent un progrès qui mérite d’être signalé ; ils constituent le fondement même de la logique.

Le “c’est comme...” est important et entraîne immédiatement le “ce n’est pas comme... “. “Pareil” , “pas pareil”. L’opposition est d’abord binaire : “c’est dur” ou “ce n’est pas dur”. Le contraire sera compris en tant que tel et formulé ultérieurement, “c’est dur”, “c’est mou”. Grâce au matériel mis à sa disposition et à des manipulations incessantes, le petit va rapprocher des éléments semblables et, à condition qu’on l’y invite, il essayera de mettre en évidence les différences et les ressemblances, les premières étant généralement plus spontanément exprimées que les secondes. Ce rapprochement peut se faire dans un but déterminé, comme par exemple faire coïncider le diamètre de jetons de grandeurs différentes avec les fentes d’une tirelire. Certains jeunes enfants se contentent de taper les jetons sur la boîte ou essaient plusieurs fois avant de trouver la solution, d’autres trouvent d’emblée le geste juste comme s’il l’avaient anticipé. Il reste un pas à franchir pour faire émerger la pensée déductive : le langage y contribuera en servant de catalyseur.

Chez les moyens et les grands, les relations de causalité, d’ordre, d’équivalence prendront toute leur signification et se renforceront à condition que l’enseignant crée des situations intéressantes, proches des préoccupations enfantines, posant de véritables problèmes aux solutions multiples ; des hypothèses seront émises, des arguments, des justifications pourront être données entraînant des discussions qu’il suffira de réguler, de vraies discussions avec écoute de l’autre et non des simulacres. Les expériences liées à la conservation des quantités, des capacités constituent une source intarissable de problèmes à résoudre et de réponses à formuler. Les progrès du langage vont être considérables avec l’utilisation des “pourquoi” qui réclament une vraie réponse (alors que ceux des plus jeunes, souvent formels, sont plutôt destinés à retenir l’attention de l’adulte), des “comment”, des “puisque”.

Une progression dans le récit

Le récit que l’enfant reçoit : en petite section, c’est une très courte histoire que l’enseignant raconte avec animation, gestes ou mime à l’appui, au besoin, pour se faire comprendre, pour toucher son auditoire. C’est presque un fait qui introduit un personnage, en fait intervenir un autre, et le dénouement intervient. Une représentation matérielle d’un élément du bref récit peut apparaître comme un témoignage, un écho vivace tout au long de l’année scolaire à condition de procéder à des rappels fréquents. Ces rappels seront bénéfiques pour l’appropriation du langage.

A 4 et 5 ans, les histoires, les contes, les récits d’origines variées vont s’intensifier, se complexitïer, feront intervenir plusieurs personnages vivant généralement des aventures qui tantôt les rapprocheront, tantôt les sépareront. Les caractères rencontrés seront suffisamment diversifiés, au cours de l’année, dans les multiples récits pour permettre toutes les identifications et donner naissance à des sentiments différenciés, des émotions qui pourront être exprimés. Les épisodes seront

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dégagés, et la progression, pas forcément linéaire, donnera peut-être lieu à des contestations dans la compréhension et la réorganisation des événements.

Le récit que l’enfant fait : avant quatre ans, peu d’enfants sont capables de créer un récit.

Chez les moyens et chez les grands, la création de récits prend très diversement son origine à partir d’un fait réel, d’un épisode d’une histoire comme, d’une émission de télévision, de l’imaginaire d’un enfant ou de l’imaginaire collectif. Les propositions sont recueillies, commentées, sélectionnées, organisées, directement verbalisées ou représentées par le dessin, à moins qu’inversement le point de départ soit un dessin à contenu narratif.

Dans ces activités autour du récit, les enfants apprennent à ordonner les actions dans le temps : simultanéité, antériorité, postériorité (il était une fois,avant, alors, après, depuis que, en même temps que, pendant que, alors que...).

Ils apprennent à utiliser les rapports de causalité (parce que, donc...).

Ils apprennent à sérier les différents lieux du récit. Leur faire dessiner les déplacements des protagonistes les aide à en organiser l’espace ; le commentaire des schémas permet l’emploi et l’appropriation de termes tels que : aller vers, revenir, partir de, s’arrêter à, devant, au loin, à l’intérieur de, au-delà de...).

Une progression liée au vocabulaire

Pour les petits, le mot est attaché à l’objet qu’il signifie au point d’être l’objet lui-même. Rien d’étonnant à ce que, après les premières interjections, ils prononcent d’abord les mots qui représentent leurs désirs, leurs besoins, les éléments de leur environnement. Ces mots peuvent être écorchés et sont généralerment privés de leur déterminant. C’est l’intervention constante de l’adulte, à la fois volontariste mais discrète en interaction avec l’expression de l’enfant qui fera réaliser le maximum de progrès en vocabulaire comme pour les autres composantes du langage.

Augmenter le vocabulaire en l’enrichissant, le précisant, éviter le psittacisme comme la répétition formelle de mots savants, affiner au contraire les prises de conscience en fonction du développement est de la responsabilité du maître en section de petits comme ailleurs. Il existe un décalage entre l’ensemble des mots produits, le “vocabulaire actif’, et l’ensemble des mots compris ou seulement rencontrés, le “vocabulaire passif’, le second étant plus abondant que le premier. La conception interne précède l’oralisation. Le progrès consistera à faire passer le plus d’éléments possibles de l’ensemble 2 à l’ensemble 1 (cf.la zone proximale du cerveau décrite par Vygotski). D’une façon très schématique qui mérite d’être nuancée, l’ordre habituel d’acquisition du vocabulaire de base avant quatre ans est : interjections, substantifs, verbes, pronoms termes de liaison. Ces éléments ne se présentent jamais comme un catalogue mais sont immédiatement intégrés au langage qui, rappelons-le encore, est un système fonctionnel.

Une progression liée à la syntaxe

En situation de dialogue, dès le début de la petite section, dans les questions comme dans les réponses, un essai d’articulation, d’organisation est introduit entre les mots en fonction du sens que le locuteur veut donner; par contre, face à une représentation, une image, même des images séquentielles, il lui arrivera de nommer, de désigner les éléments - un détail peut l’intéresser, il commencera par lui - comme s’il restait attaché aux mots qui fournissent une représentation concrète. L’enseignant devra orienter sa réflexion sur le sens de ce qu’il voit et non pas seulement sur ce qu’il voit pour l’inciter à enchaîner, articuler au lieu de juxtaposer les mots : cette mise en relation elle-même recourt à la syntaxe.

En amenant l’enfant à organiser son énoncé oral on contribue à structurer sa pensée.

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Tout au long de sa scolarité maternelle l’utilisation convenable des verbes lui fera réaliser des progrès considérables. La morphologie s’affinera par l’usage des temps et des modes ; les terminaisons en français sont sans doute plus difficiles à acquérir que dans d’autres langues puisqu’elles varient en fonction des personnes, du nombre, des temps mais par ailleurs leur pertinence fournit des repères commodes pour la compréhension du sens et l’étalement dans le temps (du passé composé au futur dans ses deux formes). Il n’est pas question d’enseigner la conjugaison à l’école maternelle ; c’est le modèle fourni par le maître, celui des histoires, des poèmes, des chansons sans négliger les reprises après les erreurs qui devront assurer des progrès constants.

Une progression liée à la phonétique

Le “parler bébé” du tout petit, une sorte de simplification phonétique, peut encore perdurer à l’entrée à l’école maternelle, répondant à une tentative de facilitation (cf. Neuro-psychiatrie infantile avec la collaboration de B.Golse éd. Masson) : groupes consonnantiques simplifiés par élision de la consonne la plus difficile, RAN au lieu de “grand” ; contamination d’un phonème par le phonème voisin, MEKRES pour “maîtresse”, le K étant plus proche du R que le T par son point d’articulation ; finale supprimée, BO pour “bol”, ou consonne en milieu de mot, AYON au lieu de “avion”, ou au contraire des phonèmes ajoutés, CASKROL pour “casserole”... Mais il est des enfants chez qui la simplification phonétique n’apparaît jamais ou passe inaperçue, soit qu’ils n’émettent un énoncé que lorsqu’ils sont capables de le faire sans erreur, soit qu’ils aient des facilités particulières à concevoir et réaliser correctement une suite de phonèmes. Le petit entend, reconnaît la bonne forme mais il est, parfois, incapable de la reproduire (non ! pas TAPO, TAPO rétorque un enfant de trois ans à son institutrice qui, lui montrant le dessin d’un chapeau, prononçait comme lui “tapeau”. Il ne faut pas insister sur ces maladresses passagères qui le plus souvent se résoudront d’elles-mêmes. Pour favoriser cependant l’évolution phonétique, le maître proposera, pendant de courtes séquences, des jeux impliquant d’abord la répétition de mots de deux syllabes faciles à prononcer, puis de celle de mots plus longs avec des groupes de deux consonnes telles que : bl, tm, Id... sachant que les occlusives (des sons qui “éclatent” disent les enfants) comme les bilabiales P, B, M sont acquises avant les constrictives, S, CH... Les groupes diconsonnantiques feront ensuite intervenir le R , comme dans sr, zr, et d’autres phonèmes qui semblent opposer quelques résistances.

Pour être à la fois plaisants et utiles, ces jeux seront variés, brefs mais fréquents car même à 5 ans et parfois à 6, des mots comme “kiosque”, “spectacle”, “psychologue” subissent encore des déformations. Avec les grands, toujours au cours d’exercices oraux à caractère ludique, il sera possible d’isoler, par l’analyse, quelques phonèmes et de les combiner par deux ou trois de différentes façons.

Ce travail, un peu contraignant pour l’enseignant comme pour les élèves, associé aux nombreuses interventions ponctuelles, devrait assurer une articulation claire, fluide de nature à faciliter l’expression et la communication.

Rôle et attitude de la maîtresse ou du maître La maîtresse est la référence permanente pour les enfants, dans quelque section où elle exerce: référence affective, référence linguistique, référence cognitive. Incitations souriantes, cohérence de ses attitudes, de ses réponses, encouragements à l’enfant, au groupe de ses très jeunes élèves, propositions constructives, validation du faire et du dire : elle accompagne chacun, les petits groupes, le groupe de la classe dans l’appropriation, la construction progressive d’une compétence à connaître, reconnaître, nommer, retenir, commenter, interpréter, s’exprimer, s’informer, informer les autres, comparer, relier des observations entre elles, les ordonner, d’une compétence à partager le discours de tel ou tel, adulte ou enfant, à échanger des points de vue, des pensées. C’est dans cet accompagnement constant, chaleureux avec simplicité et naturel, exigeant et patient qu’elle situe toute son écoute, toute son action. Sans jugement, sans classement ni pronostic, elle ne perd pas de vue qu’elle aide à l’émergence d’une

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construction, non linéaire, très différenciée selon les individus, d’autant plus différenciée que les enfants sont plus jeunes. II n’y a pas de “faute” à cet âge.

Elle sait que de la vie authentique qu’elle suscitera, durant les six heures scolarisées quotidiennes -six heures qui comptent dans la journée d’un enfant- dépend le succès de son action. Elle sait encore, partageant le regard de l’enfant sur le monde, s’émerveiller avec lui, encourager sa curiosité, s’enchanter avec lui des découvertes faites, parler avec lui sur ce monde ; redire, valider, reformuler son discours, le conforter, l’élargir, inciter le petit à dire encore. Elle sait distinguer ce qui relève des échanges - tellement précieux - de la vie courante de ce qui relève à proprement parler de son rôle de pédagogue. Elle sait, pour le dernier aspect de son travail, préparer ses séances et matériellement et du point de vue de la langue et de ses composantes.

Elle maîtrise une langue claire, simple sans être pauvre, de plus en plus élaborée, sans complication arbitraire, élégante pourquoi pas ? Lors de la préparation nécessaire (l’improvisation enferme dans ce qu’on sait déjà), elle élucide les explications possibles, même celles des mots ou des expressions “faciles”. Son travail se situe toujours dans une dynamique excluant artifice et formalisme. Echo d’une vie dense, organisée, dans un espace confiant, il se déroule dans une apparente spontanéité, l’évidence d’un intérêt partagé par tous, la fierté de l’effort déjà bien engagé qui conduit sur le chemin de la compréhension du monde.

En guise de conclusion S’il fallait conclure d’un mot ce développement sur la progression du langage enfantin du point de vue didactique, ce serait interactivité entre le maître et ses élèves, le maître étant celui qui mène le jeu, provoque et reçoit, écoute et relance la balle, un peu plus fort et un peu plus haut.

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Annexes

Suggestions pour des pratiques pédagogiques

A cette analyse didactique théorique, il nous parait utile d’ajouter des exemples volontairement variés empruntés à la pratique pédagogique.

En premier lieu, en annexe 1, trois exemples distincts, un pour chacune des trois sections : pour les Petits et les Moyens, la relation d’une séquence pédagogique en début d’année ; pour les Grands, nous avons choisi d’indiquer le déclencheur et de décrire à larges traits ce que nous avons appelé les circonstances langagières particulièrement porteuses s’agissant du mythe de la sorcière. Après une émotion qui laisse sans voix, une histoire se constitue, se nourrit, se vit et se parle au jour le jour faisant appel à l’imaginaire, aux affects et surtout aux représentations que chacun porte en lui.

Puis, en annexe 2, il s’agira d’un exemple de préparation de classe, graduée et différente pour les trois sections, une préparation écrite de séquences découlant d’une même situation. Selon la section ou l’aptitude des enfants concernés, on commencera et on s’arrêtera à une étape ou à une autre. Le projet proposé, ni exclusif ni exhaustif, est un guide à l’intervention, à l’orientation du travail de la maîtresse.

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Annexe 1

Section des Petits - Séance collective utilisant comme support une marionnette de petite taille évoluant sur une table.

Grisemine a mauvais caractère. Elle possède un panier dans lequel elle cache toujours un objet qui provoquera les échanges. Hier, elle y cachait une paire de ciseaux, aujourd’hui, elle y a ajouté des cartolines de couleur.

Les objectifs : susciter les réactions, provoquer l’utilisation d’un lexique connu, vérifier le degré de connaissance des couleurs, faire acquérir par imprégnation “Qu’est- ce que c’est ?“, améliorer la prononciation.

Les enfants sont rassembles sur les bancs du “coin regroupement”. Ils sont attentifs et suivent la maîtresse des yeux car les lumières s’éteignent. Voici que la petite lampe verte s’allume ; Grisemine arrive.

Elle remarque comme d’habitude avec mauvaise humeur qu’il y a trop d’enfants ici et qu’il y a toujours trop de bruit. Les petits yeux sy arrondissent et le silence s’intensifie. Elle dit ” bonjour’ et se fâche tant qu’on ne lui a pas bien répondu. Un enfant qui a peur lui tourne constamment le dos. Elle ouvre enfin ce que les enfants attendent : son panier.

“Qu’y a-t-il aujourd’hui dans mon panier ?”

“Ah mais qu’est-ce que c’est, mais qu’est-ce que c’est ?

Réaction immédiate des enfants

- des ciseaux, des ciseaux

- ça coupe

- c’est couteau

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- non, c’est des ciseaux -il faut pas couper la robe

-...(onomatopées, rires ou cris encore incompréhensibles pour la maitresse).

“Des ciseaux pour couper” conclut Grisemine, plongeant à nouveau dans son panier en grognant de plus belle, ce qui ramène l’attention des enfants.

“Oh, qu’est-ce que c’est ? (Elle sort une carte de couleur). “Mais qu’est-ce que c’est ?

- du papier

- c’est ça qu’on coupe

- mais moi, ma maman aussi elle coupe

- avec des ciseaux

Grisemine sort une autre cartoline : “ça aussi on coupe ? Ah mais ce n’est pas la même couleur’. “C’est de quelle couleur ?“, dit-elle en montrant la première carte.

- rouze.

“Rouge”, rectifie sans insister Grisemine en écho.

Un jeu de diction sera proposé ultérieurement.

“Je connais le rouge, c’est comme la jupe d’Anais” (tous les regards convergent vers la jupe d’Anais).

- Moi j’ai du rouge . . . Oui, non, on regarde ses vêtements, on s’égare un peu . . . On revient à Grisemine qui sort un à un les cartons de couleur. Les enfants disent les noms s’ils les connaissent. “Je ne retiendrai jamais tout ça” soupire Grisemine essayant de redire le nom des couleurs avec l’aide des enfants. “Il faudra m’aider demain. Au revoir, à demain”.

Plus tard, les enfants retrouveront les cartolines de couleur dans un atelier libre.

Section des Moyens - Parler, communiquer à partir d’une situation de classe

- La classe

Les activités de début d’année permettent non seulement d’observer ces nouveaux élèves mais aussi d’exprimer des “manques”, des besoins pour installer correctement les coins de jeux et les ateliers.

On peut associer les enfants à cette recherche. La classe est leur domaine et ils veulent y trouver le matériel dont ils ont besoin. Besoin, le mot est lâché ! C’est par ce besoin exprimé par les enfants au cours d’un regroupement qu’un projet peut démarrer. Le pédagogue sait aussi créer ce besoin chez ses élèves en leur proposant des situations riches de questionnement ou d’expression à résoudre.

- La situation de départ

Le coin modelage présenté avec de la pâte à modeler, de la pâte à sel, attire beaucoup d’enfants. Très vite, ils pétrissent, écrasent, roulent...

Bientôt, ils réclament des couteaux et d’autres ustensiles pour “jouer”. Petit à petit, au cours des séquences de découverte de ce matériau et des outils proposés, ils s’entraînent à des gestes de plus en plus précis. Les emporte-pièces les ravissent mais il faut étaler la pâte. Ils demandent un rouleau pour faire “comme maman”. Je n’en

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LE LANGAGE ORAL A L’ECOLE MATERNELLE

possède qu’un et tous veulent l’utiliser. Comment faire ? Le groupe classe se réunit et réfléchit.

- Propositions d’activités; commentaires pour exprimer et discuter les arguments ; initier au dialogue vrai. Les étapes

Différentes solutions sont proposées, étudiées puis rejetées en expliquant pourquoi. Parfois, ce sont eux qui refusent. L’idée de partager l’unique rouleau entre tous les enfants exigerait un temps d’attente trop long qu’ils ne veulent pas accepter.

Parfois, c’est moi qui repousse certaines propositions. Notamment celle d’acheter de nombreux rouleaux, voire même de l’exiger des parents. Je signale que les rouleaux àpâtisserie coûtent très cher.

Alors, il faut en fabriquer.

- Projet de fabrication ; inventaire des matériaux , comment procéder ?

Les enfants sont emballés. Nous cherchons comment nous allons procéder. Il faut du bois mais du “bois qui roule”. Justement j’ai dans mon placard ce qu’il faut. Un rondin de 2 mètres de longueur ! Ils essaient. Tout serait parfait si le rouleau n’était pas aussi long ! Comment faire ? Il faut le couper.

Au cours de ces premières séquences, les enfants ont beaucoup parlé entre eux. Très motivés, ils voulaient trouver une solution à leur problème. Hypothèses, propositions, discussions.. . A partir d’une situation concrète et faisant réellement partie du vécu de la classe, on peut inciter les enfants à communiquer leurs idées aux autres.

- Une séquence

A ce stade de la recherche, nous devons trouver le moyen de couper ce morceau de bois. Plusieurs objets coupent mais ils ne coupent pas tous les mêmes choses. De nombreux mots de vocabulaire seront ainsi acquis en particulier un grand nombre de verbes. Déchirer, couper, arracher, découper, scier tous ces mots désignent la même fonction car il s’agit bien de fractionner un ensemble en plusieurs morceaux. Comment fait-on pour couper quelque chose?

Les enfants font l’inventaire de leurs connaissances.

On peut mordre avec ses dents pour déchirer de la viande. Mais cela ne convient pas pour le bois. Les paires de ciseaux, les couteaux sont ensuite cités. lis les essaient sur le bois et constatent que c’est inefficace.

Les couteaux coupent le pain, les fruits. Tous ces objets sortent de mon panier et ils les découpent en tranches fines.

Le tissu, le carton, le papier peuvent être déchirés avec les mains mais aussi être découpés proprement avec une paire de ciseaux.

Je leur montre un dévidoir à scotch. Il savent me dire : “ça déchire le scotch parce que tu tires”.

Evidemment une belle scie sort de mon panier et nous nous appliquons à l’utiliser. Après tous ces efforts, nous obtenons enfin un prototype qui répond à nos attentes Les différents groupes expérimentent et fabriquent à leur tour quelques rouleaux qui seront utilisée par l’ensemble de la classe.

- Le mode de travail

Le mode de travail choisi est le petit groupe de six enfants. Ce travail en petit groupe leur permet de manipuler et d’expérimenter pendant tout le temps nécessaire. Ils peuvent ainsi réagir et poser toutes leurs questions. On peut mieux détecter les erreurs de langage, les défauts de prononciation (“coudeau” pour couteau, “tichu” pour tissu...)

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Le groupe classe réinvestit toutes ces acquisitions dans le but de préparer un panneau expliquant l’usage correct des choses.

Section des Grands - Un rendez-vous musical avec la radio

Le générique: “Ce jour là, Tintinnabule rêve d’une sorcière qui joue avec sa voix et exprime ainsi sa douleur, son plaisir ou sa colère”. Il s’agit en fait d’une vocaliste de renom qui profêrera pendant dix minutes, d’une voix forte une succession de sons étranges, rauques ou stridents, très diversement modulés. Les enfants sont comme statufiés, l’attention est intense. Aucune exploitation immédiate, comme par pudeur et par accord tacite. Mais voilà que l’après-midi un groupe d’enfants va trouver l’institutrice: ils avaient entendu des petits bruits dans son armoire! Effectivement elle aussi, en prêtant l’oreille, entend des petits bruits. .Il y a une sorcière dans l’armoire, sous-entendu, c’est bien à cela qu’on va jouer, c’est bien cette histoire là qu’ensemble on va inventer. Résultat, la maîtresse vivra pendant deux mois avec l’armoire fermée à clé. Et la sorcière, recherchée par le trou de la serrure, commet les méfaits que chacun se plaît à dénoncer et même à châtier. Mais à la longue, ce trou de serrure apparaît comme une menace, et germe de nouveau le projet de fabriquer un piège à sorcière. Un filet à provisions sera fixé. L’invitation à faire apparaître la sorcière est claire. En cachette, une tête en papier, un vilain nez crochu, quelques chiffons noirs et le tour est joué. Un matin, les enfants découvrent la sorcière dans le filet. L’excitation est à son comble et toute une agressivité explose. Alors la sorcière se met à pleurer et le ton change. On réfléchit : c’est triste d’être laid, mal habillé et méchant. Et voilà que cette sorcière, on se met à l’aimer. Bientôt un nouveau projet : si on la transformait en princesse ?

Et un jour, dans la boîte à princesse, nous trouverons la princesse Rose faite de rêves d’enfants

*** *** ***

Annexe 2

11 s’agit de suggestions ouvertes, selon le niveau des enfants, faites sur deux registres : la narration, l’invention.

1”’ exemple

Situation : 3 images représentant 1. une maman, son petit garçon, une enveloppe sur la table dans la maison 2. l’enfant, vêtu d’un mantea4cour-t dans la rue, l’enveloppe à la main 3. arrivé devant la boîte à lettres, dressé sur la pointe des pieds, l’enfant glisse

l’enveloppe dans la fente.

Cette situation a été délibérément choisie pour sa relation distante avec le quotidien. Le travail ne sera abordé que si la situation a été vécue auparavant. A partir de ces images, les enfants seront amenés à décrire et à exprimer les actions perçues de façon vivante et précise en utilisant avec opportunité :

- le vocabulaire: fils, garçonnet , poster, se dresser, se hausser, glisser ; une enveloppe cachetée, à grandes enjambées

dans, sur, près de ; déjà

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LE LANGAGE ORAL A L’ECOLE MATERNELLE

- en conjugaison : le présent (elle demande, il court . ..) ; le passé composé (elle a écrit, il a mis l’infinitif (pour souhaiter, pour atteindre, pour sortir . ..) ; le participe présent (en tenant )

- la syntaxe : phrases descriptives (la lettre est sur la table... le petit garçon a un manteau... voici la boite aux lettres . . . ) ; ‘phrases narratives (il marche vite... il glisse la lettre . . . ) ; style indirect (elle demande à son garçon s’il veut . . . ; enchaînements logiques, chronologiques (il doit se mettre... parce qu’il est trop petit maman vient d’écrire, elle demande.. .)

Exemple de déroulement d’une séquence

La maîtresse peut amener les enfants à s’exprimer diversement à partir de propositions ouvertes et modulables telles que -.

1. - Une maman un enfant une lettre

Je vois c’est dans une maison.

- Une maman et son petit garçon. La maman a écrit une lettre. La lettre est sur la table (de la cuisine, de la salle à manger . . . )

- Maman a écrit une lettre (à grand-mère, pour lui souhaiter une bonne fête...

. . . . . . . . . . . . . . vient d’écrire une lettre (à... pour...)

Elle demande à son petit garçon d’aller la mettre à la boîte aux lettres.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . son fils d’aller la poster - . . . s’il veut bien aller...

2. - Le petit garçon a un manteau - il tient la lettre dans sa main.

Le petit garçon s’est habillé pour sortir - il est dehors - il court...

L’enfant a mis (le garçonnet a pris) son manteau. Le voilà dehors il marche à grandes enjambées dans la rue en tenant la lettre dans sa main- (l’enveloppe fermée, cachetée)

Il tient

3. - Il est arrivé devant la boîte aux lettres. Il est trop petit pour atteindre la boite. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . près de . . . .

-Voici déjà la boite aux lettres.

- Le voilà devant...

- Il se met sur la pointe des pieds pour mettre la lettre dans la fente.

. . . . . . . . . dresse . . . . . . . . . . . . . . . pouvoir mettre... (glisser...)

hausse . . . atteindre.. .

(Il est obligé de se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre la boîte aux lettres parce qu’il est encore trop petit)

- ça y est. La lettre est postée . Maman sera contente.

9”’ exemple

Même support que pour le premier exemple (images 1,2,3)

1. - Voilà la lettre que maman a écrite à grand-mère.

Voici vient d’écrire

Maman l’invite à venir fêter son anniversaire avec . . . (nous, eux)

Elle invite grand-mère à la maison.

. . . . . . . . . ..*....... . ..) à venir à la maison : c’est bientôt son anniversaire.

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MONOGRAPHIES FAMILLE & PETITE ENFANCE

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . On fera une fëte.

l’anniversaire de grand-mère.

. . . . ils feront une fête.

“Veux-tu porter cette lettre à la boîte ” demande maman à son fils ?

“Veux-tu bien aller jusqu’à la boite aux lettres” . . . . petit garçon ?

“Peux-tu aller bien vite jusqu’à la boîte aux lettres

L’enfant est très content. 11 pense à grand-mère qu’il aime bien.

. . . . . . . . . . . . . . . . tout joyeux : il l’aime bien. . . . . . . . . . . ravi

Il voit son joli sourire, il l’entend lui raconter de si jolies histoires, lui chanter d’amusantes chansons. Elle l’écoute toujours, le console, l’amuse. Comme ils vont bavarder tous les deux !

Elle lui sourît toujours, lui raconte de belles histoires, lui chante des chansons. (Elle) l’écoute, (elle) le console. Ils s’amusent, (ils) iront se promener...

Peut-être iront-ils au manège et même voir Guignol, là-bas, dans le petit jardin, au coin de la rue, tout près de la maison ?

Ils iront peut-être...

Il lui demandera de l’emmener au manège Elle voudra bien, sans doute, l’emmener.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . aller avec lui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I?accompagner...

- Vite mon manteau , je vais poster la lettre pour grand-mère.

cours jusqu’à la boîte aux lettres,..

- ‘Fais bien attention pour traverser la rue -je te regarde par la fenêtre”.

“C’est promis, maman, je ferai attention”.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . je serai prudent.

2.- Tenant la lettre à la main, l’enfant court hors de la maison.

se précipite dehors.

Il est tout heureux. 11 a la tête en fête.

Mais, attention,il a promis à maman d’être prudent.

Il s’arrête sur le bord du trottoir : (il) regarde à gauche, puis à droite et encore àgauche.

Comme il a promis à maman d’être prudent, il s’arrête sur le bord

Il n’y a personne : il peut traverser.

La rue est vide . . . déserte . . . il peut traverser (maintenant)

- Dansant et sautillant, il arrive à la boîte. Comme il est fier !

devant

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LE LANGAGE ORAL A L’ECOLE MATERNELLE

Il a grandi. Il a tout juste besoin (maintenant) de se dresser un tout petit peu sur la pointe des pieds pour atteindre la fente

. . . . . . . . . . . . Il lui suffit hisser

3. - Hop, ça y est, la lettre est dans la boîte. Il peut retourner à la maison où maman l’attend.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . revenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . retrouver maman.

- De retour à la maison, il guettera la voiture jaune du facteur.

. . . . . . . . . . . . . . . . chez lui, il attendra

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . surveillera l’arrivée de

- Mais comment sa lettre arrivera-t-elle chez grand-mère ?

Il va se demander comment Il va le demander à papa tout à l’heure.

- L’enfant rêve à toutes les bonnes journées qui l’attendent avec grand-mère

. . . . . . . . . . . . . . pense... à tous les bons moments

. . . . . . . . . . . . . . imagine tous les amusements

- Auront-ils le temps d’aller sur le pont des Arts regarder passer les bateaux, le manège, Guignol ?

Est-ce qu’ils iront aussi sur le pont

Il aime beaucoup regarder les promeneurs dans les bateaux-mouches.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . voir

- Il demandera à grand-mère où vont les grandes péniches : il a vu des petits enfants jouer (qui jouaient) sur ces péniches, (il a vu) leur maman étendre (qui étendait) le linge sur le bateau : où vont-ils comme ça ? (ainsi, sur la Seine) ? Est-ce qu’ils ont une maison comme moi ? Où est-elle ? (où se trouve-t-elle ?)

- Et il y aura le cadeau pour grand-mère .- un gros gâteau (au chocolat) avec beaucoup (une multitude) de bougies et puis un paquet, un beau paquet avec un ruban - Je vais demander à maman ce qu’il y aura dans le paquet...

- Mais maintenant je vais préparer un beau dessin pour grand-mère.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . faire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . dessiner

Notons que cette prévision s’adresse à des enfants (fin de moyenne section, grande section) très entraînés et impose plusieurs séances de travail.

Alors que le lfl exe&mdle se voulait une description animée, un peu commentée des 3 images proposées, ce 2 exemple invite à l’invention, au projet. On peut donc, selon les circonstances, modifier le destinataire de la lettre ou telle ou telle hypothèse, développer davantage telle ou telle étape (activités à partager avec la grand-mère, choix du cadeau, le transit de la lettre, exploration des bateaux . . . . ). On peut donner un prénom à l’enfant.

Dans tous les cas la maîtresse doit bien posséder l’armature de sa préparation (vocabulaire, syntaxe, conjugaison) pour mieux être attentive au(x) cheminement(s) de ses petits élèves et aux digressions qui pourront être retenues ou exploitées ultérieurement.

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MONOGRAPHIES FAMILLE & PETITE ENFANCE

Vocabulaire utilisé

fils, poster, ravi, bavarder, consoler, prudent, vide, désert, dresser, hisser, suffire, interroger, bateau-mouche, péniche, se trouver, une multitude, il a la tête en fête à gauche . . . à droite, maintenant, toujours, près de, tout juste, par la fenêtre, où, puis encore, devant

Conjugaison

présent (action - habitude) (il s’arrête... elle l’écoute toujours) passé composé (il a promis . . . )

futur (ils vont bavarder... il guettera...

participe présent (tenant la lettre... sautillant) infinitif à venir fêter son anniversaire... il a promis d’être prudent... il peut revenir seul . . . )

Syntaxe

c’est... peut-être... comme... si...

dialogue :

style direct (mais comment sa lettre...)

style indirect (il se demande comment sa lettre...)

exclamation (c’est promis ! . . . hop

interrogation (veux-tu poster... ?)

les pronoms personnels (il, elle, eux, nous, on.... elle l’invite...

relations causales (il a promis à maman d’être prudent : il s’arrête)

pronom relatif ( . . leur maman qui étendait le linge, . . . les enfants qui jouaient).

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