Tous les chemins mènent à Compostelle · 38 territoires Tous les chemins mènent à Compostelle...

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38 territoires Tous les chemins mènent à Compostelle Marcher, c’est exister. Exister, c’est apprendre à se connaître. Se connaître, c’est vivre pleinement. Jean Geiler de Kaysersberg Campus Stellae, le champ d’étoiles. On a longtemps cru que cette belle étymologie était à l’origine de Com- postelle. Les recherches les plus ré- centes pencheraient davantage pour une autre explication, tout aussi poé- tique il est vrai. Compositum tellus, littéralement « la terre bien disposée ». Une forte radioactivité terrestre et un champ magnétique particulièrement intense, toutes particularités qui se retrouvent très curieusement égale- ment sur les sites des cathédrales de Chartres, de Salzbourg et de plusieurs églises romanes françaises, ont été mesurés sur le site de St-Jacques. Voilà pour quelques certitudes, car tout le reste est beaucoup plus incertain. Les témoignages sont maigres et il est difficile d’y distinguer ce qui relève du mythe ou de la réalité. De l’Apôtre Jacques, on sait qu’il fût un familier de Jésus et qu’il mourut décapité sur ordre d’Herode Agrippa. Aucune information ne nous est parvenue par contre sur son activité après la crucifixion. Ce n’est qu’au VII e siècle, soit plus d’un demi millénaire après la mort de l’Apôtre que l’on trouve la première mention d’une activité de Jacques comme prédicateur en Espagne. Et plus tard se répandra la tradition selon laquelle les disciples de Jacques auraient transporté le corps dans le nord ouest de l’Espagne pour lui donner une sépulture. C’est un ber- ger, d’autres versions affirment qu’il était ermite, qui découvre le tombeau autour de l’an 800. Peu à peu le culte de St-Jacques se répand et le pèlerinage de Compostelle devient l’un des piliers de la culture chrétienne européenne. Plusieurs itinéraires d’acheminement vers les voies historiques de Compostelle passent par l’Alsace. En avant, routes ! Pascal Herrscher Saint-Jacques, église Sainte-Croix de Kaysersberg Photo : Jean-Paul Ehrismann

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Tous les chemins mènent à

Compostelle“Marcher, c’est exister. Exister, c’est apprendre

à se connaître.Se connaître, c’est

vivre pleinement.“Jean Geiler de Kaysersberg

Campus Stellae, le champ d’étoiles. On a longtemps cru que cette belle étymologie était à l’origine de Com-postelle. Les recherches les plus ré-centes pencheraient davantage pour une autre explication, tout aussi poé-tique il est vrai. Compositum tellus, littéralement « la terre bien disposée ». Une forte radioactivité terrestre et un champ magnétique particulièrement intense, toutes particularités qui se retrouvent très curieusement égale-ment sur les sites des cathédrales de Chartres, de Salzbourg et de plusieurs églises romanes françaises, ont été mesurés sur le site de St-Jacques. Voilà pour quelques certitudes, car tout le reste est beaucoup plus incertain. Les témoignages sont maigres et il est difficile d’y distinguer ce qui relève du mythe ou de la réalité. De l’Apôtre Jacques, on sait qu’il fût un familier de

Jésus et qu’il mourut décapité sur ordre d’Herode Agrippa. Aucune information ne nous est parvenue par contre sur son activité après la crucifixion. Ce n’est qu’au VIIe siècle, soit plus d’un demi millénaire après la mort de l’Apôtre que l’on trouve la première mention d’une activité de Jacques comme prédicateur en Espagne. Et plus tard se répandra la tradition selon laquelle les disciples de Jacques auraient transporté le corps dans le nord ouest de l’Espagne pour lui donner une sépulture. C’est un ber-ger, d’autres versions affirment qu’il était ermite, qui découvre le tombeau autour de l’an 800. Peu à peu le culte de St-Jacques se répand et le pèlerinage de Compostelle devient l’un des piliers de la culture chrétienne européenne.

Plusieurs itinéraires d’acheminement vers

les voies historiques de Compostelle passent

par l’Alsace. En avant, routes !

Pascal Herrscher

Saint-Jacques, église Sainte-Croix

de Kaysersberg

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Haut-Rhin magazine N°34 - Février 2011 39

Les hauts et les bas d’un cheminC’est une histoire pleine d’aléas et de rebondissements que celle du pèleri-nage de Compostelle. D’ailleurs sa signi-fication même n’a pas cessé d’évoluer au cours des siècles. A sa naissance au début du IXe siècle, sa réputation ne dépassait pas le cadre du petit royaume des Asturies. Moins de 2 siècles et demi plus tard, Compostelle rivalise avec Rome et Jérusalem, en témoignent les nombreuses églises romanes érigées en France et en Espagne et qui commémo-rent le passage des pèlerins.

Multiples sont les motifs qui poussent les pèlerins de toute condition à se rendre sur le tombeau de St-Jacques. La première, incontestablement, est la « soif de Dieu » qui pour l’historien Georges Duby caractérise le XIIe siècle. Mais très vite, la formidable notoriété de ce pèlerinage en fera un endroit à la mode que toute personne qui avait un rang et un nom se devait de fréquenter. D’autres pèlerins par contre s’y rendent moins volontiers de leur propre gré. Car le Moyen Age ne connaît pas les peines de prison et nombre de juges ont recours à l’obligation de pèlerinage

comme sentence. Et c’est ainsi que « les chemins de St-Jacques qui avaient d’abord été menacés par les attaques de brigands, se remplissent peu à peu de criminels eux-mêmes en pèlerinage».A l’issue de la guerre de 100 ans dont les conséquences éco-nomiques, sociales et culturelles furent dé-sastreuses, Compos-telle connaît un nouvel essor. Mais la nature du pèlerinage progres-sivement se modifie, participant dorénavant bien davantage à l’éducation de la noblesse, qu’à sa quête spirituelle.Réformes, divisions de l’Eglise, mais aussi foisonnement de pèlerinages locaux vont progressivement vider les chemins au long cours, et vers le milieu du XIXe siècle, le pèlerinage à St-Jacques à pratiquement disparu.La redécouverte des reliques en 1879 va favoriser son renouveau mais il sera de courte durée. Que Franco fasse de St-Jacques le patron de l’Espagne terni-ra pour plusieurs décennies l’image du pèlerinage à l’étranger et ce n’est qu’à la mort du Caudillo que Compostelle renaîtra.De nombreuses sources nous permet-tent d’affirmer qu’il existait dès l’An Mil, quatre voies principales qui che-minaient à travers ce qui n’était alors pas encore la France, vers St-Jacques de Compostelle. Ces 4 voies avaient comme point de départ Paris, Vézelay,

« Le Moyen Age a inventé deux formes de mouvements collectifs : la croisade et le pèlerinage. La croisade était la réponse aux besoins d’action de la chevalerie. Le pèlerinage, au contraire, était une manière pacifique de canaliser le besoin de mobi-lité… Le pèlerinage de St-Jacques était un facteur de stabilité sociale. »Thorsten Droste

Saint-Hippolyte, début de la partie haut-rhinoise du chemin

Le Puy

Vézelay

Limoges

Tours

Bordeaux

Toulouse

Oloron

Ostabat

Jaca

Barcelone

Narbonne

Madrid

Séville

Lisbonne

Porto

Plymouth

Londres

Nantes

Amiens

Bruxelles

Reims

Toul Strasbourg

Bâle

Berne

GenèveLyon

Milan

Rome

Vienne

Prague

Nuremberg

FrancfortLuxembourg

Cologne

Roncevaux

Paris

Arles

Saint Jacquesde Compostelle

Itinéraireshistoriques

L'Europe de Compostelle

Ribeauvillé

Saint-Hippolyte

Rodern

HunawihrRiquewihr

TurckheimNiedermorschwihr Katzenthal

Hattstatt

Herrlisheim

Gueberschwihr

Soultzmatt

Husseren-les-Châteaux

Ammerschwihr

Kaysersberg

JungholtzN.D. de Thierenbach

Notre-Dame de SchauenbergNotre-Dame du Hubel

Le Val Du Pâtre

Couvent Saint Marc

Abbaye de Marbach

Itinéraires deliaison venantd’Allemagne etdes pays de l’Est

Parcours principal

Thann

LeimbachRoderen

Guewenheim

Bretten

Bellemagny

CernayVieux-Thann

Guebwiller

Wattwiller

UffholtzSteinbach Staffelfelden

RN83

A35

A35

A36

Pulversheim

EnsisheimMunchhouse

Roggenhouse

Fessenheim

WolfgantzenSundhoffen

Neuf-Brisach Volgelsheim

Mulhouse

Colmar

Belfort

Strasbourg

Breisach

Oberrimsingen

Eglise fortifiée Saint-Jacquesde Hunawihr

Les cheminshaut-rhinois

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le Puy et Arles et se réunissaient -et s’y réunissent toujours d’ailleurs- à Puente-la-Reina, pour emprunter ensuite la voie unique et historique, le Camino Francès, le « Chemin des Français ». Une appellation flatteuse mais un peu restrictive car ce pèlerinage, loin s’en faut, n’était pas uniquement fréquen-té par des Français. Nombre de pèlerins venaient de bien plus loin, d’Angleterre, d’Italie, d’Allemagne, d’Europe du Nord et d’Europe Centrale. Et une multitude de chemins et d’itinéraires d’approche convergeaient à travers toute l’Europe vers les 4 voies principales. L’un de ces itinéraires passe par l’Alsace et permet de rejoindre les voies de Vézelay et du Puy en Velay.

Le chaînon manquantC’est le 25 juillet 2003, jour de la St-Jacques, qu’a été solennellement inauguré le chemin alsacien qui désor-mais assure la continuité entre l’Europe du Nord et de l’Est et la Porte de Bour-gogne qui permet de rejoindre les voies du Puy et du Vezelay.L’Alsace est parcourue depuis des siècles par des pèlerins en route pour le tombeau de l’Apôtre. Deux itiné-raires principaux s’offraient à eux : l’un suivait le cours du Rhin, l’autre empruntait l’ancienne voie romaine du Piémont des Vosges. Plutôt que de chercher à retrouver un cheminement

historique dont la vérité aurait été discutable et contestable -les voies Jac-quaires d’hier étant souvent devenues des axes de communication à fort tra-fic- le choix de l’association des « Amis de St-Jacques en Alsace » s’est porté sur un itinéraire empruntant des sentiers

longeant les collines sous-vosgiennes et reliant des lieux chargés d’histoire jacquaire. L’Association a fait baliser l’itinéraire reliant Wissembourg à Belfort, ainsi que les itinéraires d’ache-minement en provenance d’Allemagne, par la Fédération du Club Vosgien avec le soutien financier de la Région Alsace. Le chemin est balisé par une coquille stylisée de couleur jaune sur fond bleu.

Une symbolique fécondeComment le coquillage est-il devenu l’emblème de St-Jacques ? Une légende raconte qu’à l’endroit même en Ga-lice où accosta le navire transportant les restes de l’Apôtre, un chevalier

« Le Chemin de Compostelle est religieux au plein sens du terme. Parce qu’il restitue

l’homme dans ses racines de nomade. Parce qu’il relie l’homme à la nature. Parce qu’il est

chemin de solidarité et de fraternité. »Gilbert

Le St-Jacques de l’église de Roggenhouse.

Kaysersberg. L'église Sainte-Croix et le château

Gérard Noehringer, sauveteur du St-Jacques de l’église de Roggenhouse et artisan du

balisage de l’itinéraire Fessenheim-Thann

Leimbach. Ruines de l'église Saint-Blaise

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s’était noyé. On le cru mort mais il re-parut. Après son long séjour sous les eaux il était tout couvert de coquilles St-Jacques.Aux coquillages a par ailleurs très long-temps été rattachée l’idée de pureté. Leur biologie était mal connue et on pensait qu’ils se reproduisaient spon-tanément, de manière non sexuée, ce qui les rattachaient directement à la Vierge Marie. Parmi les multiples autres représentations et récits, une autre image fit de la St-Jacques le sym-bole des pèlerins de Compostelle. Les nombreuses stries sur la coquille ne faisaient-ils pas immanquablement penser aux multiples chemins qui, à travers toute l’Europe, convergeaient vers un point unique, le tombeau de St-Jacques ?

De Westhalten à Santiago, avec Noé, mon âne

Voilà longtemps que le désir de s’en-gager sur le chemin de St-Jacques, « la seule aventure plus que millénaire que peut encore vivre l’homme du XXIe siècle » cheminait dans l’esprit de Gilbert Buecher. En cette année jacquaire qu’est 2004, où les pèlerins risquent d’être très nombreux et les possibilités d’hébergement extrê-

mement hasardeuses, il opte pour le camping et l’autonomie. « Mais ce luxe a une conséquence : le poids du ma-tériel. Il faut donc trouver un porteur. C’est ainsi que je me suis orienté vers la solution d’un âne, animal rustique, éco-nomique et surtout sympathique. Je commence par suivre un stage d’ânier

dans le Lot puis fait l’acquisition d’un âne chez un éleveur spécialisé. Il est né l’année des N et s’appellera donc Noé. Selon l’étymologie hébraïque, Noé signifie « la paix » ou « il consolera ». Son nom lui sera peut-être plus lourd à porter que les bagages qu’il aura sur le dos, mais il s’en acquittera à mer-veille… Ce 21 mars pour le départ, plus d’une soixantaine d’amis et membres de la famille sont venus se joindre à ma compagne, à Westhalten, pour participer à cette cérémonie où, selon la tradition le curé du village procède à la bénédiction du bourdon et du sac. Ca y est, le chemin peut commencer, environ 2 300 kilomètres !

L’Association « les Amis de St-Jacques en Alsace » fondée en 1998 renseigne chaque année quelques 200 candidats au pèlerinage de Compostelle. Elle dispose d’un site (www.saint-jacques-alsace.org) très riche en informations pratiques (itinéraire détaillé, étape après étape, du parcours alsacien entre autres), témoignages de pèlerins…

Un guide indispensable pour effectuer dans les meilleures conditions la partie alsacienne du che-min. "Le chemin de Saint-Jacques: Alsace-Franche Comté-Bourgogne" de

Ursula et Heribert KOPP. En vente sur le site de l'Association des Amis.

Deux livresLes ouvrages consacrés à Compostelle sont innombrables. Nous n’en retiendrons que deux :« En Avant, route ! » d’Alix de St-André chez Gallimard. Un livre plein d’humour, même s’il ne passe pas par l’Alsace, sur « ces marcheurs de tous pays et de toutes convictions, réunis moins par la foi que par les ampoules aux pieds. »« Mon coeur est une étoile » de Gilbert Mosser (actuel Président de l’associa-tion des Amis de St-Jacques en Alsace) et Albert Strickler

Jean-Pierre Pflaum et son carnet du pèlerin. Ce document, véritable « passeport » est connu sous le terme de Crédenciale, francisation de l’appellation espagnole Credencial. Il permet non seulement au porteur de justifier de sa qualité de pèlerin et ainsi de pouvoir accéder à certains gîtes, mais aussi de récolter à chaque étape un tampon justifiant de l’iti-néraire parcouru et ainsi d’obtenir la Compostela en fin de pèlerinage.

Notre-Dame de Thierenbach

Saint-Jacques. Chapelle du Val du Pâtre