QUESTIONS DE LOGIQUE - Thomas Aquin · 2003-01-18 · Dans les trois notes de logique que nous...

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E_STUDIUM THOMAS D’AQUIN

GILLES PLANTE

QUESTIONS DE LOGIQUE

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NOTE DE LOGIQUE

LA LOGIQUE COMME ART LIBÉRAL

LE JUGEMENT I

© Gilles PlanteBeauport, 14 janvier 2003

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Un retour sur le parcours accompli

Dès le début de ce Précis, nous avons prévenu le lecteur que nous nous proposions une appropriation de l’analutikê epistêmê. Dans cet esprit, nous avons franchi une première étape dans l’acquisition d’un art libéral, celle de la simple appréhension, et ce, en trois pas :

1. Dans La simple appréhension I, notre premier pas, nous avons fait la connaissance du professeur Jo Godefroid, qui se pose en apologiste du Nouvel Organon écrit par le baron Francis Bacon. L’énoncé de sa thèse se concentre dans le «document 2.4», intitulé «Les quatre étapes de la méthode scientifique». Au lieu d’en entreprendre une réfutation directe, nous l’avons plutôt comparée à l’enseignement d’un autre professeur, Michel Bossé, qui se préoccupe d’une «formation fondamentale» que chaque «étudiant qui s’inscrit à l’université dans l’une ou l’autre discipline des Sciences humaines» doit acquérir. En procédant à l’étude de cette «formation fondamentale», nous avons vu que Michel Bossé, dans les «aspects structuraux de la signification», distingue «deux types de rapports», auxquels il adjoint un «troisième type» : 1) une «structure de représentation» ; 2) un «rapport de désignation» ; 3) un «rapport vérité-fausseté».

2. Dans La simple appréhension II, nous avons approfondi l’enseignement de Michel Bossé en mettant l’accent sur la compréhension d’un compris, et ce, «dans l’une ou l’autre discipline», sans restriction aux seuls «sciences humaines». Lors de ce second pas, nous nous sommes familiarisé avec l’acte de concevoir, la comparatio, et avec son fruit, le conceptus : nous avons alors distingué la compréhension d’un concept, son extension, son statut de signifié par rapport au terme qui le signifie, ses divisions.

3. Dans La simple appréhension III, notre troisième pas, nous avons, parmi les «aspects structuraux de la signification», fait ressortir l’importante question de la suppléance que met en jeu la signification du verbe et sa consignification. Nous sommes ainsi parvenu à une complète élucidation de la première opération de l’esprit, celle qui achève l’analutikê epistêmê par la définition et la division.

Dans La logique comme art libéral, nous avions mentionné que Thomas d’Aquin, dès le début de son commentaire des Seconds analytiques, présente le labeur logique aux débutants, comme suit :

Il faut diviser la logique en suivant la diversité des actes rationnels. Or il y en a trois, dont deux l'identifient à l'intelligence. L'un d'eux est la compréhension des concepts indivisibles (ou «incomplexes»), par lesquels elle saisit l'être des choses. A cette opération de la raison, Aristote destine la théorie de son livre sur les «Catégories». La seconde opération de l'intelligence compose et divise les concepts pour y trouver le vrai et le faux, et Aristote nous livre dans son traité de «l’Interprétation» l’apport théorique nécessaire. Le troisième acte regarde ce qui est propre à la raison : passer d'un point à un autre, afin de découvrir ce que l'on ignore en s'appuyant sur ce que l'on sait déjà, à l'aide des autres livres de la logique.

Au sujet des «autres livres de la logique», Thomas d’Aquin poursuit son exposé en ces termes :

Le chapitre de la logique traitant du premier processus est dit «outil de jugement», car le jugement a la sûreté de la science. Or un jugement ne peut être certain qu'en résolvant un fait dans ses premiers principes, aussi nomme-t-on cette partie de la logique :«analytique»,

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c'est à dire résolutoire. La résolution dans un jugement certain s'obtient par la seule forme du syllogisme, sujet des «Premiers Analytiques» ou par la matière dont sont tirées des propositions nécessaires, et dont traitent les «Seconds Analytiques» à propos de la démonstration.

Le second processus rationnel utilise cette partie de la logique dénommée «outil de recherche», car l'investigation n'est pas toujours certaine, et ce que l'on découvre a besoin d'un jugement lui conférant quelque sûreté. La régularité des événements naturels est sujette à gradation : plus la force naturelle est puissante, moins ses effets risquent d'être aberrants, et de même, un raisonnement discutable approche plus ou moins de la certitude. A défaut de scientificité, ce processus donne une idée ou une opinion, car devant une alternative, la probabilité des arguments de base obtient l'assentiment de la raison pour l'une des deux éventualités, malgré une hésitation pour l'autre. C'est ce dont traitent les «Topiques» ou «Dialectique», car le syllogisme dialectique abordé dans ces Topiques procède d'hypothèses probables.

Nous avions aussi dit que «diviser la logique en suivant la diversité des actes rationnels» est un enseignement repris dans tous les manuels d’initiation à la logique aristotélicienne, dont celui de Jacques Maritain,1 qui l’expose sous la forme d’un tableau que nous avons reproduit en l’adaptant à notre propos (Tableau II). Mais nous avions fait remarquer qu’Aristote, lorsqu’il s’exprime au sujet de «cette partie (...) par laquelle l’âme connaît et pense», ne mentionne pas le raisonnement «qui est propre à la raison», comme le dit Thomas d’Aquin, puisqu’il écrit :

L’énonciation applique donc un attribut à un sujet, comme l’affirmation, et est nécessairement vraie ou fausse ; pour l’intellect il n’en va pas toujours de même : c’est lorsqu’il saisit l’être de la chose comme essence formelle qu’il est vrai, et non pas lorsqu’il applique un attribut à un sujet.2

En exposant la simple appréhension, nous avons fait l’exploration de «l’intellect (...) lorsqu’il saisit l’être de la chose comme essence formelle», alors «qu’il est vrai». Comme Aristote le précise, il l’est «non pas lorsqu’il applique un attribut à un sujet», dans une «énonciation [qui, elle,] est nécessairement vraie ou fausse». Le passage de l’alternative «vrai ou faux», dans l’énonciation au «vrai» de l’intellect qui «saisit l’être de la chose comme essence formelle» demande une résolution de l’alternative, ce qui s’accomplit dans la comparatio. Or cet acte de résolution, en grec, se dit : analuein. L’étude de cette résolution, Aristote l’accomplit dans ses Analytiques, là où il livre sa découverte : l’analutikê epistêmê, qui parfait l’enseignement de Socrate et de Platon. Pour que ce passage s’accomplisse, encore faut-il qu’il puisse s’accomplir, sans quoi il est impossible de l’accomplir. C’est pourquoi, l’étude des «aspects structuraux de la signification» doit, et c’est indispensable, saisir la problématique de la suppléance, et sa solution.

Dans les trois notes de logique que nous avons consacré à la simple appréhension, nous avons pris soin de ce faire, non sans une insistance sur le caractère premier de cet acte de l’esprit qui, dans la connaissance culminant avec la formation du concept réflexe, est dernier selon la durée dans la «marche de la prédication vers le haut». Car, avant de conquérir le sommet de la montagne, qui est premier dans l’achèvement de l’ascension, une remontée du versant, qui est seconde, s’impose.

Nous abordons maintenant la problématique que Michel Bossé appelle le «rapport vérité-1 Jacques Maritain, Éléments de philosophie II, L’ordre des concepts, 1, Petite logique (Logique formelle), Librairie P. Téqui, Paris, 1966, 20 ième édition, p. 72 Aristote, De l’âme, 429a 10 et 430b 27-29

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fausseté sur lequel il est statué au niveau de la vérification», et ce, selon celle de «[l’]énonciation [qui] applique (...) un attribut à un sujet, (...), et [qui] est nécessairement vraie ou fausse», comme le dit Aristote. C’est le problème du jugement.

Le jugement et l’énonciation

Du mot «jugement», Le Petit Robert dit qu’il signifie : l’action de juger. Et il poursuit en donnant trois exemples : Le jugement d’un procès. Le jugement d’un accusé. Poursuivre quelqu’un en jugement. Et il enchaîne avec le «résultat de cette action : [la] décision de justice émanant d’un tribunal». Cet emploi judiciaire du mot ne nous apprend pas ce qu’est le jugement. Mais le Petit Robert n’en reste pas là, puisqu’il expose ainsi une autre acception de ce mot : «opinion favorable ou défavorable qu’on porte, qu’on exprime sur quelqu’un ou quelque chose».

Le jugement prononcé au terme d’un procès exprime, sans doute, une opinion favorable à quelqu’un et défavorable à quelqu’autre. Par exemple, l’erreur judiciaire qui acquitte faussement un coupable en le déclarant non coupable est favorable à ce dernier, alors qu’il est défavorable à l’accusation ; et le jugement qui condamne faussement un non coupable en le déclarant coupable est défavorable à ce dernier, alors qu’il est favorable à l’accusation, ce qui n’est pas moins une erreur judiciaire. Cette seconde acception du mots’étend aussi à tout le domaine de la fabrique. Le jugement qu’un pont qui tient est construit selon les règles de l’art donne lieu à une opinion favorable sur quelque chose, le pont, et sur quelqu’un, le bâtisseur. Le domaine de la fabrique couvre aussi les beaux-arts, où l’opinion favorable ou défavorable peut aussi porter sur les règles.

En chacun des cas qui relèvent du jugement ainsi entendu, comme opinion favorable ou pas, la question se pose à propos de deux objets : le fondement vrai ou faux de l’opinion, et la faveur ou la défaveur. Aussi, le Petit Robert va-t-il plus loin en faisant valoir que «jugement» sert aussi pour nommer la «faculté de l’esprit permettant de bien juger de choses qui ne font pas l’objet d’une connaissance immédiate certaine, ni d’une démonstration rigoureuse». Et il ajoute que le mot évoque alors le «bon sens» ou le «sens commun», ce qui concerne le domaine de la pratique. Dans ces deux dernières expressions, le mot «sens» traduit le latin «sensus», lui-même rendant le grec «sunesis» ; c’est la vertu du bon jugement, et non le sens entendu comme Pierre Fontanier le prend, ce dont nous avons parlé à l’occasion de notre exposé sur la suppléance. «Ce qu’on appelle enfin jugement, écrit Aristote, qualité d’après laquelle nous disons des gens qu’ils ont un bon jugement ou qu’ils ont du jugement, est la correcte discrimination de ce qui est équitable».3 Associée au jugement, pris en cette acception, se trouve «l’intelligence [qui] ne consiste ni à posséder la prudence, ni à l’acquérir, poursuit Aristote. Mais de même que apprendre s’appelle comprendre quand on exerce la faculté de connaître scientifiquement, ainsi comprendre s’applique à l’exercice de la faculté d’opinion, quand il s’agit de porter un jugement sur ce qu’une autre personne énonce dans des matières relevant de la prudence, et par jugement j’entends un jugement fondé, car bien est la même chose que fondé. Et l’emploi du terme intelligence pour désigner la qualité des gens perspicaces est venu de l’intelligence au sens d’apprendre, car nous prenons souvent apprendre au sens de comprendre».4

3 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1143a 19-204 Aristote, op. cit., 1143a 11-18

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Nous approchons de l’acception du mot «jugement» qui nous intéresse, celle où «comprendre [intervient] quand on exerce la faculté de connaître scientifiquement». À cet égard, le Petit Robert fournit deux autres acceptions du mot «jugement», selon lesquelles le fondement vrai ou faux de l’opinion est dissocié de la faveur ou la défaveur : «décision mentale par laquelle le contenu d’une assertion est posé à titre de vérité», ou «cette assertion elle-même». Et il précise que, en logique, le mot «jugement» s’entend du «fait de poser l’existence d’une relation déterminée entre des termes». Dans le domaine de «[l’]opinion favorable ou défavorable qu’on porte, qu’on exprime sur quelqu’un ou quelque chose», le jugement ajoute, au «fait de poser l’existence d’une relation déterminée entre des termes», la faveur ou la défaveur. «Connaître scientifiquement» s’y limite, et ces limites sont précisément celles d’où émerge une définition du jugement à portée théorétique, celui qui retient ici notre attention.

À proprement parler, lorsqu’on «exerce la faculté de connaître scientifiquement», la «relation déterminée entre des termes» est médiate si la connaissance fait intervenir un moyen terme dans des prémisses, moyen terme à découvrir au cours de la «marche de la prédication vers le haut». Cependant, lorsque cette marche en arrive au «moment où il [faut] s’arrêter», la «relation déterminée entre des termes», un sujet et un prédicat, fait «l’objet d’une connaissance immédiate», immédiate en ce qu’aucun moyen terme intrinsèque n’intervient. Elle ne peut qu’être «certaine», et nous tenons alors le principe «d’une démonstration rigoureuse». La certitude résulte d’une résolution accomplie de l’alternative «vrai ou faux». Bien sûr, si la résolution ne peut pas être accomplie, nous demeurons avec l’alternative «vrai ou faux», sans qu’on puisse trancher, et nous ne pouvons pas être certain que «le contenu d’une assertion est posé avec vérité».

Comment connaissons-nous que la résolution de l’alternative est accomplie, de telle sorte que l’intellect «saisit l’être de la chose comme essence formelle [,] qu’il est vrai» et certain de l’être ? Qu’est-ce que «comprendre quand on exerce la faculté de connaître scientifiquement» ? C’est la question que Michel Bossé pose dans l’exemple où il expose son expérience de découverte à propos de l’effet Coriolis (La simple appréhension I). La recherche d’une réponse approfondie à ces questions sera entreprise lorsque nous serons rendu à l’étude de la logique comme science, avions-nous dit. Pour le moment, contentons-nous de dire qu’une «décision mentale par laquelle le contenu d’une assertion est posé à titre de vérité» ne peut être prise que si «le contenu d’une assertion» est formulable selon l’alternative «vraie ou fausse», et ce, selon «l’existence d’une relation déterminée entre [deux] termes», un sujet et un prédicat qu’on trouve dans une énonciation ; l’énonciation est une espèce de la consideratio, celle qui considère «l’existence d’une relation déterminée entre [deux] termes» selon l’alternative «vraie ou fausse».

Une telle «relation déterminée entre [ces deux] termes» se présente de deux manières : soit que, dans une affirmation, le prédicat est composé avec le sujet, soit que, dans une négation, le prédicat est séparé du sujet. La composition du sujet et du prédicat signifie que ce qui est signifié par le sujet et ce qui est signifié par le prédicat, étant retenu que la signification du prédicat détermine la valeur de suppléance du sujet, sont composés dans l’existence. La séparation du sujet et du prédicat signifie que ce qui est signifié par le sujet et ce qui est signifié par le prédicat, étant retenu que la signification du prédicat détermine la valeur de suppléance du sujet, sont séparés dans l’existence. L’expression «dans l’existence» soulève des questions de logique dont nous allons faire l’examen.

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Une «décision mentale» demande une prise de position en acte exercé, ce qu’on fait en exerçant l’acte judicatif d’affirmer ou de nier. Le jugement ainsi entendu est une opération psychique, un acte vital de l’esprit ; c’est cet acte vital qui est proprement le siège du vrai ou du faux. À cet égard, le Petit Robert s’exprime bien lorsqu’il écrit que c’est la «décision mentale» qui «[pose] à titre de vérité» le «contenu d’une assertion» ; cette «décision mentale» est un «jugement» alors entendu comme le «fait de poser l’existence d’une relation déterminée entre des termes». En logique, on n’étudie pas le jugement ainsi entendu, «car il intéresse une discipline différente».5 On étudie le «contenu d’une assertion» qui exprime ce qu’on prend pour position, d’où le nom «pro-position», dérivé du latin «propositio». Lorsqu’un juge prononce publiquement un jugement par lequel il déclare un accusé coupable, il proclame une position. Avant cette proclamation, le juge a pris une «décision mentale». Pour ce faire, ce juge a dû former, dans son esprit, le «contenu d’une assertion», qui est l’énonciation affirmative : «L’accusé est coupable».

Lors de la «décision mentale», en prenant comme position d’affirmer l’énonciation : «L’accusé est coupable» — affirmation qui est un acte judicatif, mais énonciation qui est «[l’]assertion elle-même» exprimant une consideratio — le juge laisse de côté l’énonciation négative : «L’accusé n’est pas coupable». «Cette assertion elle-même» qu’est : «L’accusé est coupable» est «vraie ou fausse», selon l’alternative. Si l’assertion : «L’accusé est coupable» est vraie, l’assertion : «L’accusé n’est pas coupable» est fausse ; si l’assertion : «L’accusé est coupable» est fausse, l’assertion : «L’accusé n’est pas coupable» est vraie. La résolution de l’alternative «vraie ou fausse» commence avec l’acte judicatif, qui affirme ou qui nie ; dans notre exemple, il affirme. Et cette résolution s’achève lorsque l’intellect du juge «saisit l’être de la chose comme essence formelle [et] qu’il est vrai», sans quoi elle est vaine.

Lorsque le problème de l’alternative «vrai ou faux» posée dans notre exemple est étudié par le logicien, ce dernier ne se rend pas jusqu’à l’acte judicatif du juge. Il s’arrête à la consideratio que, selon l’énonciation affirmative, la composition du sujet «l’accusé» et du prédicat «est coupable», car le verbe fait partie du prédicat, signifie que ce qui est signifié par le sujet «l’accusé» et ce qui est signifié par le prédicat «est coupable» sont composés dans l’existence, étant retenu que la signification du prédicat «est coupable» détermine la valeur de suppléance du sujet ; dans cet exemple, la sorte d’existence est indiquée par l’indicatif présent du verbe «est». Par contre, selon l’énonciation négative : «L’accusé n’est pas coupable», la séparation du sujet «l’accusé» et du prédicat «n’est pas coupable», car le verbe fait partie du prédicat, signifie que ce qui est signifié par le sujet «l’accusé» et ce qui est signifié par le prédicat «n’est pas coupable» sont séparés ou ne sont pas composés dans l’existence, étant retenu que la signification du prédicat «n’est pas coupable» détermine la valeur de suppléance du sujet ; dans cet exemple, la sorte de non existence est indiquée par l’indicatif présent du verbe «n’est pas». Cependant, l’indicatif présent dans «est» ou «n’est pas» concerne un crime qui a été ou n’a pas été commis (passé composé).

Selon la valeur de suppléance que détermine la signification du prédicat dans une énonciation, le sujet «[tient] dans le discours la place d’une chose pour laquelle cette substitution est légitime eu égard à la copule»6 qu’est le verbe «être», verbe faisant partie du prédicat. «Quand on dit que la suppositio est la propriété qu’un terme possède de tenir

5 Aristote, De l’interprétation, 16a 96 Jacques Maritain, L’ordre des concepts, p. 76

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dans le discours la place d’une chose pour laquelle cette substitution est légitime eu égard à la copule, on ne veut pas dire : pour laquelle cette substitution est vraie dans la nature des choses, mais seulement : pour laquelle la sorte d’existence (...) signifiée par la copule admet cette substitution. (...) Avant donc de vérifier si le prédicat convient bien au sujet [de l’énonciation, ce qui s’accomplit dans l’acte judicatif], il faut vérifier si le sujet lui-même est bien posé dans l’existence de la manière que la copule le demande».7

Remarquons la double occurrence du mot «vérifier» : «Avant donc de vérifier si le prédicat convient bien au sujet, il faut vérifier si le sujet lui-même est bien posé dans l’existence de la manière que la copule le demande». En toute énonciation, le prédicat contient un verbe : «le verbe est ce qui ajoute à sa propre signification [comme nom] celle du temps», par consignification. Selon cette conjugaison, le verbe signifie une existence qu’il consignifie d’une manière temporelle. La suppléance est le signe formel de cette existence. En tant que signe, la suppléance, qui renvoie à une existence signifiée et consignifiée, la supplée dans l’énonciation. Si la valeur de suppléance substituée à l’existence signifiée et consignifiée en tient bien lieu dans l’énonciation, «le sujet (...) est bien posé dans l’existence [suppléée par la valeur de suppléance] de la manière que la copule le demande» dans l’énonciation, et la résolution est à accomplir dans «l’existence [suppléée par la valeur de suppléance] de la manière que la copule le demande». Lorsque le jugement va «vérifier si le prédicat convient bien au sujet», cette vérification porte sur l’existence signifiée et consignifiée telle que la supplée la valeur de suppléance substituée selon la signification et la consignification. Si cette suppléance supplée une composition, le jugement est vrai s’il affirme ; si la suppléance supplée une séparation, le jugement est vrai s’il nie. Dans les deux cas, l’intellect qui juge ni n’affirme ni ne nie sans recourir à la comparatio, là où s’accomplit la résolution de la suppléance en l’existence signifiée et consignifiée.

Dans une énonciation, la suppléance du nom-sujet vient de l’esse signifié par le prédicat qu’il reçoit et de l'espèce d’esse signifié par le prédicat qu’il reçoit (Voir Tableau V, Annexe I, La simple appréhension III). C’est pourquoi la consideratio pertinente à l’énonciation qui accompagne tout acte judicatif en dépend. Imaginons qu’un automobiliste circule sur une route par une nuit très noire, à la vitesse maximale permise de 90 km/h. Il voit le panneau de signalisation ci-contre, illuminé par les phares du véhicule. Selon le ministère du Transport, cette «flèche directionnelle indique un

virage serré», ici à droite. Dans le texte d’accompagnement, le ministère écrit : «Placée dans un virage, elle avertit l’automobiliste que la courbe est serrée ou qu'elle comporte un point dangereux. Elle est utilisée lorsque la différence entre la vitesse permise sur la route et la vitesse recommandée dans le virage atteint 15 km/h. Les courbes plus prononcées sont signalées soit par des délinéateurs soit par un chevron d'alignement». Le panneau est un signe instrumental, et conventionnel, qui signale un virage dangereux, mais sa signification provient du texte, qui est un signe formel, et naturel.

Dans ce texte, le problème du vrai considéré logiquement, pour que la résolution requise permette à l’intellect de «[saisir] l’essence formelle [et d’être] vrai», implique une valeur de suppléance commune, indéterminée, distribuée et complète. Pourtant, une élucidation

7 Jacques Maritain, op. cit, p. 77

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complète du problème concernant le vrai, dans cet exemple, demande une explication supplémentaire qui vise l’énonciation : 90 - 15 = 75. L’expression numérique de ce calcul se transpose en une énonciation où la valeur de suppléance est propre, formelle et simple : «La différence entre 90 et 15 est égale à 75». Avons-nous épuisé la problématique du vrai ? Nous n’avons encore rien dit de la résolution requise, qui s’accomplit ici dans la sorte d’existence pertinente à un mobile soumis à la force centrifuge.

Alors, comment se fait-il que des automobilistes tout à fait ignorants de ces questions parviennent à franchir une telle courbe sans péril, bien que sans gloire théorétique ? En se conformant au mode d’emploi technique. Peut-être que même le rédacteur de ce mode d’emploi en ignorait la problématique logique, ce qui devient plus inquiétant. Quoi qu’il en soit, des logiciens l’ont auparavant élucidée ; ils ont ainsi rendu le corps de connaissances pertinentes à ce morceau d’analutikê epistêmê disponible pour l’art libéral que nous sommes à exposer.

Comme notre propos est de nous approprier l’analutikê epistêmê, poursuivons cet entretien avec quelques variations sur le thème de la suppléance.

Variations sur la suppléance

Pour bien comprendre la position exprimée par l’auteur d’un texte, il importe de bien reconnaître la suppléance des termes qu’il emploie dans ses énonciations. Il n’est pas moins important, pour l’auteur d’un texte, de bien formuler ses énonciations. Qu’on soit un auteur ou pas, celui qui se donne pour tâche de bien comprendre le réel se doit de maîtriser les règles de suppléance selon lesquels l’intellect considère l’existence.

Rappelons-nous qu’on «appelle à proprement parler être de raison ces notions que la raison découvre (adinvenit) dans les choses en tant qu’elles sont considérées par elle : ainsi les notions de genre, d’espèce etc., qui ne se trouvent pas (non inveniuntur) dans la nature des “res”, mais résultent (consequuntur) de la considération de la raison, et c’est cet être de raison qui est proprement le sujet de la logique».8

Six règles gouvernent la suppléance d’un terme9 :

1. Tout terme commun immédiatement affecté par un signe universel affirmatif ou négatif a une suppléance indéterminée distribuée : par exemple, dans «Tout homme est un animal.», «homme» est pris chacun à chacun ou distributivement ; dans «Aucun homme n’est une pierre.», tant «homme» que «pierre» sont pris distributivement.

2. Tout terme commun qui suit médiatement un signe universel affirmatif, ou dont la résolution dépend d’une telle universalité antérieure, soit formellement ou soit virtuellement en vertu du contexte, a une suppléance indéterminée non distribuée. Dans «Tout homme est un animal», le terme commun «animal» suit médiatement un signe affirmatif affectant immédiatement «homme» ; il a une suppléance indéterminée non distribuée dont la résolution se fait selon une dépendance formelle du terme «tout

8 H.D. Gardeil, Initiation à la philosophie de S. Thomas d’Aquin, Tome I, Introduction, Logique, Éditions du Cerf, Paris, 1956 ,p. 231-2329 Jean Poinsot dit de Saint-Thomas, Outlines of Formal Logic, translated from latin by Francis C. Wade, Wisconsin, 1955, Marquette University Press, pp. 68-70, et 131-132, passim

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homme». Dans «Seul l’homme est rationnel.», la suppléance de «rationnel» est encore indéterminée non distribuée, et la résolution du terme se fait selon une dépendance virtuelle en vertu du contexte «seul l’homme».

3. Tout terme commun qui n’est affecté d’aucun signe a une valeur de suppléance déterminée. Dans «L’homme argumente.» ou «Un homme argumente.», deux énonciations dites «indéfinies», la suppléance est déterminée parce que la résolution requiert de découvrir un homme déterminé qui argumente, et il faut qu’il s’en trouve au moins un. Même si «indéfini» est employé pour qualifier l’énonciation, la suppléance n’est pas pour autant indéfinie, mais déterminée. Le mot «indéfini» qualifie l’énonciation en ce que cette dernière requiert une résolution en un (1) homme ou plusieurs, c’est-à-dire au moins un (1), et en ce que cet individu ou ces individus sont à découvrir déterminément pour que la résolution s’accomplisse.

4. Un terme commun affecté immédiatement d’un signe collectif a une suppléance indéterminée, non distribuée, collective. Par exemple : Les députés de l’Assemblée nationale sont [collectivement] 200 [et non un à un]. Aristide est un député élu à l’Assemblée nationale, ce qui ne fait pas de lui un «200», mais un des 200.

5. Si deux signes universels affectent simultanément un même terme, il faut examiner l’énonciation après la suppression de la première négation ou du premier signe universel. Par exemple : dans «Pas un homme n’est pas un animal.», si on supprime «pas», on reste avec : «Un homme n’est pas un animal.» La suppléance est alors déterminée tant pour «homme» que pour «animal». Donc, avant la suppression, «animal» a une valeur de suppléance indéterminée. Par contre, dans «Non chaque homme est un animal.» (ce n’est pas tout homme qui est un animal), si on supprime «non», la valeur de suppléance de «homme» est indéterminée et distribuée, alors que celle de «animal» est indéterminée et non distribué ; donc, avant la suppression, «homme» a une valeur de suppléance déterminée.

6. Dans un terme complexe, où une partie est le déterminant d’une autre, qui est déterminable, — par exemple : dans «Aucun cheval d’un homme n’est sauvage.», où «homme» est un déterminant pour «cheval» — la partie déterminante «homme» ne peut pas être résolue avant que la partie déterminable ne le soit : dans un descensus, on ne peut pas dire «Aucun cheval d’un homme n’est sauvage, donc le cheval de Pierre n’est pas sauvage, le cheval de Jacques n’est pas sauvage, ...», car le cheval de Pierre, laboureur, peut bien ne pas être sauvage, alors que celui de Jacques, dresseur de chevaux, peut l’être. Bref, la résolution du déterminable doit être faite avant celle du déterminant, en distinguant les valeurs de suppléance de chaque partie. Par contre, dans «Tout cheval d’un homme est une bête.», il n’est en plus de même. Tant en latin qu’en anglais, on distingue le génitif antérieur et le génitif postérieur : ainsi «hominis equus» ou «the man’s horse» se résolvent comme «Aucun cheval d’un homme n’est pas sauvage.», alors que «equus hominis» ou «the horse of a man» se résolvent comme «Tout cheval d’un homme est une bête». En français, cette distinction n’est pas signalée par une telle différence langagière ; elle n’en est pas moins moins importante, parce que le terme complexe «tout cheval d’un homme» dans «Aucun cheval d’un homme n’est sauvage.» implique une double valeur de suppléance, une pour chaque partie, alors que la valeur de suppléance du même terme complexe n’est pas double

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dans «Tout cheval d’un homme est une bête». Ainsi, dans un descensus, on peut dire «Tout cheval d’un homme est une bête, donc le cheval de Pierre est est une bête, le cheval de Jacques est une bête, ... ».

Comme une résolution intervient en chaque syllogisme démonstratif, ainsi qu’en chaque raisonnement inductif par ascensus ou descensus, la suppléance intervient dans la qualité de toute conséquence. Nous aurons à y revenir plus amplement lorsque nous étudierons la problématique de la conséquence valide. Toutefois, nous pouvons immédiatement énoncer trois règles :

1. Dans une conséquence, jamais le genre de suppléance ne peut varier, mais l’espèce le peut. Par exemple : «Homme» est un nom à deux syllabes (suppléance propre matérielle de «homme»). Pierre est un homme (suppléance propre formelle de «homme»). Donc Pierre est un nom à deux syllabes (conséquence invalide). Le débat sur la féminisation des noms, en français, s’appuie sur un tel paralogisme : «Sentinelle» (en tant que nom) est féminin. Aucun homme (quant à son sexe) n’est féminin. Donc aucun homme n’est une sentinelle (conséquence invalide). Autre exemple de conséquence invalide : d’une suppléance simple à une suppléance personnelle, d’une accidentelle à une naturelle, d’une impropre à une propre. On précise bien que c’est le genre de suppléance qui ne peut pas varier, car l’espèce le peut : Tout homme est mortel (homme est à suppléance indéterminée distribuée). Tout Inuit est un homme (homme est à suppléance indéterminée non distribuée). Donc tout Inuit est mortel (conséquence valide).

2. D’une suppléance indéterminée non distribuée à une suppléance indéterminée distribuée, la conséquence n’est pas valide. Par exemple : Quelque instrument (suppléance non distribuée) est nécessaire pour jouer de la musique. Donc tout instrument (suppléance distribuée) est nécessaire pour jouer de la musique. Mais la conséquence est valide d’une suppléance indéterminée distribuée à une suppléance indéterminée non distribuée : voir l’exemple au paragraphe précédent, in fine.

3. D’une suppléance indéterminée à une suppléance déterminée, la conséquence n’est pas valide. Par exemple : Tout homme est animal (animal est à suppléance indéterminée). Donc tout homme est [cet] animal (animal est à suppléance déterminée). Par contre, la conséquence est valide d’une suppléance déterminée à une suppléance indéterminée : Tout homme est un singe nu. Donc, tout homme est un animal.

L’ampliation ou la restriction d’une suppléance

Les acceptions que le Petit Robert donne du mot «ampliation» omet celle qui nous intéresse en logique. L’ampliation (en latin : ampliatio), comme propriété logique d’un terme, s’entend de l’expansion de sa suppléance, qui passe d’une plus petite à une plus grande. Le contraire de l’ampliation, c’est la restriction (en latin : restrictio) d’une plus grande à une plus petite suppléance d’un terme.10

L’ampliation d’un terme peut survenir de deux manières : selon l’étendue des parties subjectives auquel le terme est imposé ou selon le temps consignifié par le verbe.

10 Jean Poinsot, op. cit., pp. 72-75, passim

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L’ampliation selon l’étendue des parties subjectives auxquelles le terme est imposé ne peut jamais intervenir pour un terme à suppléance simple, mais seulement pour un terme commun à suppléance personnelle, et ce, à l’exclusion du terme commun à suppléance naturelle : il ne reste donc que le terme commun à suppléance personnelle accidentelle. Ainsi le terme à suppléance simple «deux», le nombre entier 2, ne peut être le sujet d’une ampliation. Par contre, dans «Tout homme est sage.», la suppléance du terme «homme», déterminée par l’accident «est un sage», est plus grande que dans «Tout homme qui est juste est sage», là où elle est plus petite parce que restreinte par l’accident «qui est juste».

L’ampliation selon le temps consignifié par le verbe peut intervenir pour un terme commun à suppléance personnelle accidentelle, ainsi que pour un terme singulier, puisque la valeur de suppléance d’un terme commun ou d’un terme singulier peut être vérifiée à différents temps. L’ampliation logique selon le temps consignifié par le verbe se divise en temps passé, présent, futur, possible, ou imaginable. Par exemple, dans «Tout homme au corps intégral est bipède.», la suppléance signifiée par «est bipède» vaut pour l’homme considéré selon le temps possible. Autre exemple : dans «Tout homme au corps sans dimension est invisible.», la suppléance de «homme» vaut pour l’homme considéré selon le temps imaginable.

À cet égard, nous avions écrit, dans La simple appréhension III, que, parce qu’il «ajoute à sa signification celle du temps», on dit du verbe qu’il signifie avec une référence au temps, contrairement au nom, au point que Thomas d’Aquin insiste : «C’est le propre du verbe que de signifier l’action et la passion».11 Nous avions alors souligné qu’il en est de l’action et de la passion comme du temps ; on peut les considérer de diverses manières. Tant l’action que la passion sont des res, proprement signifiées par un nom : par exemple, «marche», «marcher», «course», «courir». Mais autre est le mode d’agir (agere) ou le mode de subir (pati) ; c’est selon ce mode que le verbe signifie proprement per modum actionis vel passionis, en étant conjugué à la voix active ou à la voix passive. Par exemple, dans : «Tout chanteur chante.», le verbe-prédicat signifie le mode d’agir propre à un chanteur ; dans «Une chanson est chantée.», le verbe-copule et l’attribut signifient le mode de subir propre à une chanson. Et nous avions attiré l’attention sur les notions d’agir propre (actio propria) et de subir propre (passio propria), ou per modum actionis propriæ et per modum passionis propriæ, dont nous avions dit qu’elles prendraient une grande importance dans la logique considéré comme science. Ce que nous sommes à étudier va le faire ressortir.

Quatre règles déterminent comment un terme est soumis à l’ampliation :

1. Dans une énonciation où le verbe est au passé — par exemple, Pierre était bipède. — le terme antécédent au verbe a une ampliation valant pour le passé et le présent, ou pour le passé seulement (si Pierre est mort), alors que le terme qui suit le verbe a une ampliation pour le passé. Dans une énonciation où le verbe est au futur — par exemple, Pierre sera bachelier. — le terme précédent le verbe à une ampliation valant pour le présent et le futur, ou le futur seulement (si Pierre n’est pas né), alors que le terme qui suit le verbe en a une pour le futur. Pour le terme antécédent qui est sujet à ampliation, il est requis qu’il ait été si le verbe est au passé, ou qu’il sera si le verbe est au futur ; s’il en était autrement, les extrêmes de l’énonciation ne seraient pas joints. Par ailleurs, si l’ampliation concerne le passé et le futur d’un même sujet, la suppléance peut

11 Thomas d’Aquin, In libros Peri Hermeneias expositio, L. I, 1, V, 5

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demander à être vérifiable pour le présent intermédiaire selon la même copule : Pierre était et sera bipède, s’il l’est présentement, puisque qu’un pied manquant ne repousse pas. Par contre, Pierre votait à droite et votera à gauche, ce qui n’exige pas la vérification que, présentement, il vote au centre.

2. Un terme qui signifie un commencement amplifie tous les termes avant et après lui à ce qu’il est et ce qu’il sera. Un terme qui signifie une cessation amplifie tous les termes avant et après lui à ce qu’il est et ce qu’il était. Par exemple : La marée commence à monter. La marée cesse de monter. De même en est-il pour un terme qui signifie un commencement et une destruction : Le cosmos commence avec le Big Bang. Le cosmos se détruit avec le Big Crunch. La règle vaut pour tout terme signifiant une antériorité ou une postériorité de temps, et même une simultanéité de temps, puisqu’elle signifie «ni antérieur ni postérieur selon le temps».

3. Le verbe signifie avec une référence au temps, mais le temps consignifié peut être celui d’une existence possible, plutôt que celui d’une existence actuellement exercée :

3.1. «Peut être» et «possible», dans une énonciation, donne lieu à l’ampliation de tous les termes selon le temps possible. Par exemple, dans «L’homme peut être gris.», la suppléance possible consignifiée par «peut être gris» vaut pour l’homme possible et pour le gris possible ; le gris est possible pour l’homme aux cheveux qui ne sont pas gris, et même pour l’homme aux cheveux gris puisque, s’ils sont gris, c’est qu’ils peuvent l’être. Un terme signifiant une aptitude concerne le possible : L’homme est éducable. L’ampliation selon le temps possible concerne le verbe qui signifie per modum actionis vel passionis, comme nous l’avons exposé dans La simple appréhension III : par exemple, L’homme est mobile (selon le mode de l’action possible de marcher). L’homme est mobilisable (selon le mode de la passion possible d’une poussée). Au delà de ces deux modes, la suppléance par ampliation selon le temps possible peut aussi signifier l’aptitude à exister ou à ne pas exister : par exemple, Toute pâquerette naît d’une graine germinative. Toute pâquerette est corruptible. Lorsque la suppléance selon le temps possible concerne l’aptitude à exister, on parle alors d’une existence possible, capable d’un commencement possible ou d’une cessation possible. L’ampliation selon le temps possible demande, dans une énonciation affirmative, que le sujet existe d’une existence possible : par exemple, seule une pâquerette vivante, d’une existence possible, peut mourir d’une mort possible. Par contre, dans une énonciation négative, il n’est pas requis que le sujet existe : Aucun poisson ne peut respirer à plein poumons (puisqu’aucun poisson à poumons n’existe; seul existe le poisson à branchies).

3.2. Considérons maintenant l’exemple suivant : «L’homme est capable (de l’action) de rire». L’ampliation selon le temps possible, qui est signifiée par «est capable (de l’action) de rire», concerne une action propre. Un exemple impliquant une passion propre pourrait être : «L’homme, à titre d’animal à poumons, est asphyxiable (capable de la passion d’être asphyxié) par le gaz carbonique». Considérons le premier exemple. L’action de rire est signifiée par un terme à suppléance accidentelle (l’accident prédicable) : aucun homme ne passe son temps à rire puisque, parfois, il n’entend pas rire. Le temps qui passe est celui

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que signifie le passé, le présent et le futur dans l’exercice d’une existence actuelle. Cependant, la capacité de l’action consistant à rire, en tant que capacité, est certes un accident (l’accident prédicamental de qualité), mais un accident signifié selon un temps possible ; la suppléance vaut pour l’homme d’existence possible, et ce, même si aucun homme n’exerçait une existence actuelle. Comme l’ampliation s’applique à l’aptitude d’exister, la capacité de rire signifiée selon un temps possible est prédiquée d’un sujet apte à exister : un homme d’existence possible ; cette suppléance est personnelle naturelle, et non accidentelle (l’accident prédicable). Un temps intemporel est évidemment impossible. L’homme d’existence possible n’existe ni au temps présent, ni au temps passé, ni au temps futur d’une existence actuellement exercée. Il se situe dans la permanence de la puissance à être, selon un temps possible où le temps de la première et celui de la seconde règle peuvent intervenir avec l’ampliation requise par la troisième règle. Or c’est précisément dans cette existence possible que l’epistêmê analutikê résout ses énonciations lorsqu’elle étudie des faits accomplis par des causes. Par exemple, l’aptitude à être asphyxiable concerne l’homme d’existence possible. «L’énonciation est vraie en théorie.», lira-t-on parfois dans un texte de vulgarisation. L’expérimentation fait appel à une résolution dans l’existence actuellement exercée. Dans l’énonciation : «L’homme, à titre d’animal à poumons, est asphyxiable par le gaz carbonique.», la valeur de suppléance substituée tient bien lieu du «sujet (...) [qui] est bien posé dans l’existence [possible] de la manière que la copule le demande». Peut-elle conduire le jugement à «vérifier [que] le prédicat convient bien au sujet» selon l’existence actuellement exercée dans l’expérimentation ? La réponse est laissée en exercice.

3.3. La notion d’existence possible sert pour diviser l’objet mathématique de l’objet d’une philosophie de la nature, dont Aristote dit qu’il relève de la matière sensible et qu’il est mobile. — Souvenons-nous que le mot «matière», qui nous vient du latin «materia», où «mater» (mère) est reconnaissable, signifie : mère du multiple. — L’objet mathématique, dont Aristote dit qu’il relève de la matière intelligible et qu’il est immobile, n’appartient pas à l’existence possible, qui requiert un temps possible. L’immobile ne peut pas exister selon le temps possible, alors qu’un non mobile est un mobile à l’arrêt en raison d’un obstacle. C’est aussi cette notion d’existence possible qui sert pour établir la différence entre une philosophie de la nature et une métaphysique dont l’objet est au delà (en grec : meta) du temps possible : la métaphysique étudie l’existence tout court, l’esse ut esse, l’être en tant qu’être.

4. Le verbe consignifiant le temps imaginable, notamment le verbe «imaginer», emporte ampliation de tous les termes de l’énonciation, tant antérieurs que postérieur. Par exemple : «Toute licorne est un équidé à corne unique au front» ; le terme signifiant selon le temps imaginable est «est un équidé à corne». L’imaginable dont nous parlons ici ne s’entend pas de l’imagination que des écrivains ou autres artistes emploient dans le domaine de la fabrique, non plus que de celle qui fait imaginer des menaces ou anticiper des événements heureux dans le domaine de la pratique. «L’imagination est cette [faculté cognitive] dont on dit qu’elle produit en nous l’image, tout usage

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métaphorique du mot étant exclu»,12 souligne Aristote. Ainsi, les Éléments d’Euclide emploie la suppléance selon l’imaginable : «Construisons une triangle rectangle et descendons une droite qui, partant du sommet de l’angle rectangle, est perpendiculaire à l’hypoténuse». L’existence imaginable ou l’existence selon le temps imaginable est le lieu de résolution de la matière intelligible, dont les mathématiques font leur pain. Par exemple : «Si un corps se déplace à une une vitesse d’un mètre par seconde, quelle distance parcourt-il en 10 secondes ?» Reprenons l’exemple à comprendre que nous propose Michel Bossé (La simple appréhension I) : l’effet Coriolis. La formule mathématique de l’effet Coriolis se résout dans l’existence imaginable ; par contre, «L’eau tournoie en s’évacuant dans le drain.» est une énonciation qui se résout dans l’existence possible. Un temps inimaginable est évidemment impossible ; c’est pourquoi l’éternité, qui est le contraire du temps, est inimaginable, ainsi que tous les objets proprement métaphysiques, d’où le recours indispensable à l’analogie propre. Les énonciations de la logique, qui concernent un discours intérieur, sont résolues dans l’inimaginable en partant du discours en imagination ; par contre, la logistique résout les siennes dans l’existence imaginable.

Considérons l’énonciation suivante : «Tout automobiliste, averti par la flèche directionnelle placée dans ce virage que la courbe est serrée et que la différence entre la vitesse de 90 km/h permise sur la route et la vitesse recommandée dans le virage atteint 15 km/h, peut décélérer à temps jusqu’à 75 km/h avant de virer». Quelles sont les ampliations qu’on y trouve ? La réponse est laissée en exercice.

La restriction est le contraire de l’ampliation. La restriction d’un terme peut survenir selon le temps passé, présent ou futur : Pierre, né le 2 juillet 1903, est mort le 13 janvier 1984. Paul, qui est en ville, ne sera pas au dîner. Un terme d’ampliation selon le temps possible ou imaginable est restreint par une suppléance introduisant un temps exprimable selon le passé, le présent et le futur, une antériorité ou une postériorité de temps, un commencement ou une cessation, dans une existence actuellement exercée: Tout homme est capable de rire (temps possible) des blagues sortant de la bouche de Fernandel (temps passé, d’un passé révolu, puisque Fernandel est mort, d’où la restriction). Les côtés du rectangle (existence imaginable) ont été mesurés par l’arpenteur du cadastre (temps présent et passé signifié par le passé composé). Une autre source de restriction vient du masculin, pris comme propre du mâle, et du féminin, pris comme propre de la femelle, lorsque le genre grammatical du terme n’est pas le décalque du sexe. Par exemple : La souris est un petit mammifère rongeur qui met bas plusieurs fois l’an. Comme petit mammifère rongeur, le nom féminin «souris» a une suppléance qui couvre le mâle et la femelle, mais elle est restreinte à la seule femelle par «qui met bas». Selon l’étendue des parties subjectives auquel le terme est imposé, la suppléance est encore restreinte par l’adjonction d’un adjectif ou d’un génitif de possession : Un homme connu pris la parole. Le chien de Paul souffre d’une engelure. La restriction s’introduit encore par une copule ou un adjectif d’implication : Pierre qui roule n’amasse pas mousse. L’homme franc parle librement.

Considérons l’énonciation suivante : «Tout automobiliste, averti par la flèche directionnelle placée dans ce virage que la courbe est serrée et que la différence entre la vitesse de 90 km/h permise sur la route et la vitesse recommandée dans le virage atteint 15 km/h, peut

12 Aristote, De l’âme, 428a 1

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décélérer à temps jusqu’à 75 km/h avant de virer». Quelles sont les restrictions qu’on y trouve ? La réponse est laissée en exercice.

Les deux règles qui gouvernent l’emploi de l’ampliation ou de la restriction dans une conséquence sont les mêmes :

A) D’un terme plus ample à un terme moins ample, ou d’un terme moins restreint à un terme plus restreint,

1. la conséquence est valide :

1.1. dans une énonciation affirmative, si on procède de l’universalité du plus ample ou moins restreint et que la coexistence du terme moins ample ou plus restreint est donnée dans l’énonciation (par coexistence, on entend l’affirmation de l’existence d’un sujet) : par exemple, n’est pas valide la conséquence suivante : «Tout homme est mortel. Donc Pierre est mortel» ; pour qu’elle le devienne, il faut introduire la coexistence de Pierre dans la conséquence : «Tout homme est mortel. Pierre est. Donc Pierre est mortel». Petite variante où la conséquence est valide : «Tout homme mort était mortel. Pierre était. Donc Pierre était mortel.» ; dans le temps possible, est valide une conséquence telle que : «Tout vivant se nourrit. Tout homme est un vivant (sans quoi il n’est pas un homme, mais un cadavre). Donc l’homme se nourrit.», là où la coexistence possible est donnée ; dans un temps imaginable, la coexistence se donne selon le temps imaginable ;

1.2. dans une énonciation négative, si on procède de l’universalité du plus ample ou moins restreint, et ce, même si la co-existence du terme moins ample ou plus restreint n’est pas donnée, parce que l’existence des extrêmes n’est pas requise : «Aucun homme n’est en granit. Paul n’est pas en granit.» ;

2. La conséquence n’est pas valide, tant dans une énonciation affirmative que négative, si on procède sans l’universalité du plus ample ou moins restreint : par exemple, «Pierre est un homme. Donc Pierre est mortel.» «Paul n’est pas de marbre. Donc Paul n’est pas une statue».

B) D’un terme moins ample à un terme plus ample, ou d’un terme plus restreint à un terme moins restreint :

1. la conséquence est valide :

1.1. dans une énonciation affirmative, si on procède au plus ample (au moins restreint) sans l’universalité du plus ample (du moins restreint) et sans la coexistence du moins ample (du plus restreint), comme dans : «Pierre argumente. Donc quelque homme argumente.» ;

1.2. dans une énonciation négative, si on procède au plus ample (au moins restreint) sans l’universalité du plus ample (du moins restreint), mais avec la coexistence du moins ample (du plus restreint), comme dans : «Pierre n’argumente pas, et il est. Donc quelque homme n’argumente pas.» ; cependant, sans la coexistence,

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il peut arriver que le conséquent soit faux dans le cas où seul Paul, un homme différent de Pierre, est dans le monde et argumente ; alors, dans ce monde à un seul homme, Paul, où tout homme argumente, l’antécédent que Pierre, n’étant pas dans ce monde, n’argumente pas est vrai, et le conséquent est faux ;

2. la conséquence n’est pas valide, tant dans une énonciation affirmative que négative, si on procède avec l’universalité du terme plus ample ou moins restreint : Quelque homme argumente, donc tout homme argumente. Quelque homme n’argumente pas, donc aucun homme n’argumente.

Le transfert d’une suppléance

Le transfert (en latin : alienatio) consiste à prendre la valeur de suppléance propre d’un nom et à l’étendre improprement ou métaphoriquement à ce qui relève proprement d’un autre terme. On peut ainsi transférer la valeur de suppléance propre du sujet à un prédicat, ou la valeur de suppléance propre du prédicat à un sujet : Le rat est un des éléments de l’Opéra (Balzac). Le castor est un ingénieur. Autre exemple de transfert du prédicat au sujet : L’homme est peint (sur une toile). Par contre, dans «L’homme peint est ressemblant.», le terme «peint» n’opère pas un transfert. La métaphore donne lieu à une analogie dite impropre. Dans l’analogie propre, c’est la valeur de suppléance propre d’un terme qui donne lieu à une ampliation. Par exemple, dans «L’éternité est un (temps) présent sans passé ni futur», le prédicat est un analogon où le terme «temps» est amplifié jusqu’au point où les restrictions «passé» et «futur» disparaissent, ce qui est inimaginable. On dit alors que la résolution requise s’accomplit dans le seul discours intérieur de l’intellect qui considère.

La réimposition d’une suppléance

Il nous reste une dernière propriété logique du terme à étudier, celle dont le nom latin est : appellatio. Une traduction française avec «appellation» serait insuffisante. Jacques Maritain a proposé «réimposition». Dans sa traduction des Premiers analytiques, Jean Tricot emploie le mot «réduplication».13 La consultation du Petit Robert convainc que ces traductions, qui ne sont pas sans mérite, peuvent induire en erreur. Or le problème de logique ici abordé est de la plus haute importance pour l’epistêmê analutikê. Pour le poser, un retour en arrière sur la suppléance est requis.

Dans La simple appréhension III, nous avons exposé que, dans la prédication, «le verbe est toujours le signe de ce qu’on dit d’une autre chose», ce qui concerne plus proprement ce que le verbe «ajoute à sa propre signification». «Santé est un nom», écrit Aristote ; il le demeure dans le prédicat de tertio adjacente «est en bonne santé». Mais, en tenant compte de ce que le verbe ajoute à sa propre signification, «”est en bonne santé” est un verbe, car il ajoute à sa propre signification l’existence actuelle de cet état». Et c’est cette «existence actuelle», ici restreinte au présent, que le verbe, pris lui-même, compose avec le sujet dans «Pierre est en bonne santé» dans une énonciation affirmative ; il sépare ou divise dans l’énonciation négative «Pierre n’est pas en bonne santé». Le verbe être dans «est en bonne santé», lorsqu’ainsi conjugué à l’indicatif présent, ajoute à sa propre signification comme nom, soit «être en bonne santé» avec le verbe à l’infinitif, une autre

13 Aristote, Premiers analytiques, I, 38

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signification, celle d’un esse conjugué au temps présent ; dans l’énonciation négative, il ajoute celle d’un esse conjugué au temps présent qu’il sépare du sujet. Le commentaire que nous avions fait est ici réécrit en tenant compte de ce que nous venons de dire à propos de l’ampliation et de la restriction selon le temps.

Toute prédication passe par un verbe en raison de la conjugaison qui le concerne plus proprement comme verbe, à savoir la prédication d’un esse, et la suppléance concerne cet esse prédiqué. Comme nous l’avions noté, le logicien apprend du grammairien que le verbe se conjugue, en insistant sur «conjuguer», qui signifie joindre ensemble. Qu’il s’agisse d’un verbe-prédicat ou d’un verbe-copule, le verbe, pris lui-même, joint au sujet ce qu’il lui appartient en propre : l’esse. Et si le verbe est une copule, il joint certes au sujet l’attribut qui est un nom, mais d’abord l’esse qui passe par lui : en un mot, il joint une valeur de suppléance. Ainsi, dans l’énonciation «Un chat est un chat.», le verbe «est un chat» signifie que ce qui est signifié par le nom-sujet «chat» existe, d’une existence possible signifiée par le verbe «est», qui est une valeur de suppléance.

Ainsi, avions-nous dit, «être ou ne pas être» soulève une question dont Hamlet n’a rien dit : «En eux-mêmes et par eux-mêmes ce qu’on appelle les verbes sont donc en réalité des noms , et ils possèdent une signification déterminée (...), mais ils ne signifient pas encore qu’une chose est ou n’est pas (si est vel non est, nondum significat). Car être ou ne pas être ne présente pas une signification se rapportant à l’objet (neque enim signum est rei esse vel non esse), et pas davantage le terme étant (nec si hoc ipsum “est” purum dixeris), lorsqu’on se contente de les employer seuls. En elles-mêmes, en effet, ces expressions ne sont rien, mais elles ajoutent à leur propre sens une certaine composition qu’il est impossible de concevoir indépendamment des choses composées (consignificat autem quædam compositionem)», précise Aristote. Et Thomas d’Aquin ajoute, à cet égard, que : «Ce verbe est, qui signifie esse, peut être vu comme signifiant une composition, dans laquelle le vrai ou le faux serait». Bien sûr, la «composition» dont ils parlent intervient dans une énonciation affirmative, alors que, dans une négative, il s’agit d’une séparation ou division.

C’est ainsi que, en toute énonciation, on trouve une conjugaison logique, pourrait-on dire : «conjuguer» signifie ici joindre ensemble la signification du nom-sujet avec la signification et la consignification du verbe formant le prédicat qui détermine une valeur de suppléance composée ou séparée dans l’énonciation. L’appellatio affecte cette conjugaison en y joignant une autre. C’est cette jonction supplémentaire qu’on nomme par le mot «appellatio». C’est encore cette jonction supplémentaire que Jacques Maritain nomme «réimposition», et Tricot, «réduplication». Chez les auteurs de langue anglaise, «appellation» est aussi employé.

Quoi qu’il en soit du mot utilisé, c’est la définition qui importe. Jacques Maritain, qui suit Jean Poinsot, donne la définition suivante : «L’appellatio (réimposition) revêt le sujet désigné par un terme d’une détermination autre que celle que ce terme lui-même signifie ; autrement dit elle impose à ce terme la formalité signifiée par un autre, et elle l’amène ainsi à suppléer pour une chose prise à un certain titre déterminé qu’il ne signifie pas par lui-même».14 Par exemple : Napoléon Bonaparte était un grand stratège militaire. La réduplication concerne ici le terme «grand». Il est connu que Bonaparte était de petite 14 Jacques Maritain, L’ordre des concepts, pp. 91-93 ; Jean Poinsot, Outlines of Formal Logic, pp. 76-79 ; passim

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taille. La conséquence suivante est valide, comme nous venons de le voir lors de notre exposé sur l’ampliation et la restriction : Napoléon Bonaparte était de petite taille, donc quelque homme était de petite taille. Alors posons l’énonciation affirmative suivante : Quelque petit homme était un grand stratège militaire. Comment un petit homme pouvait-il être grand ? Par appellatio. En cette telle énonciation affirmative, le terme-sujet supplée, selon le temps passé. Le terme «grand» fait partie du prédicat, qui signifie un esse, une existence supplémentaire jointe au sujet qui supplée déjà. Exister comme un grand stratège militaire sied à un général, même s’il est de petite taille ; c’est en tant que stratège militaire qu’un général est grand, et Napoléon Bonaparte était grand à cet égard. Nous ne prétendons apprendre à notre lecteur l’interprétation de «grand» dans : Quelque petit homme était un grand stratège militaire. Ce qu’il peut toutefois apprendre, s’il ne le sait pas déjà, c’est que cette considération est une appellatio. Et l’apprendre ne lui est pas inutile s’il s’intéresse à l’analutikê epistêmê. Car toute démonstration repose sur une appellatio :

Tout nombre divisible par deux sans reste est pair.Quatre est un nombre divisible par deux sans reste.Quatre est pair.

L’appellatio intervient dans la conclusion, mais elle est préparée dans la majeure, où intervient une quasi appellatio.15 Dans la mineure, la signification du verbe «est un nombre divisible par deux sans reste» ajoute la consignification d’un temps imaginable — nous sommes en mathématiques — et, ensuite, intervient la conjugaison logique de cette signification et consignification avec le sujet «quatre». C’est pourquoi, dans la conclusion, le terme «quatre» est revêtu de cette conjugaison, revêtu d’un vêtement qu’il ne porte pas en vertu de sa seule signification, et ce, par appellatio : c’est à titre de nombre divisible par deux que, dans la conclusion, quatre est pair. Par ailleurs, dans une autre mineure : «Quatre est le quotient de la division de huit par deux sans reste.», la signification propre du terme «quatre» est la même que dans la mineure du syllogisme précédent, mais sa valeur de suppléance n’est plus la même ; l’appellatio apportée dans la conclusion «Quatre est pair.» par «est le quotient de la division de huit par deux sans reste» diffère de celle qu’on lit dans le syllogisme précédent. — La recherche de la majeure est laissée en exercice — Il va de soi que, dans une conséquence, l’appellatio ne doit pas varier, sans quoi on commet un paralogisme. Certaines conséquences proposées comme valides cachent parfois une variation de réimposition ; cette variation peut être profondément dissimulée, si profondément qu’elle a pu échapper à celui qui est l’auteur de la conséquence. Car la logique, comme art libéral, n’est pas l’enfance de l’art.

Comme l’appellatio affecte les valeurs de suppléance, elle se divise selon les valeurs de suppléance. Mais une division commode la partage en réimposition de raison et en réimposition réelle. Par exemple : L’homme est une espèce faite du genre animal et de la différence spécifique raisonnable (réimposition de raison) Pierre est un grand logicien (réimposition réelle).

Quatre règles pour l’appellatio ainsi divisée sont à retenir, deux pour la réimposition réelle et deux pour la réimposition de raison, auxquelles s’ajoute une règle de conséquence gouvernant tant la réimposition réelle que la réimposition de raison :

15 Jean Poinsot, The Material Logic of John of Saint Thomas, translated by Yves R. Simon, John J. Glanville and G. Donald Hollenhorst, Illinois, 1955, University of Chicago Press, p. 467 ; nous employons l’expression latine.

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1. pour la réimposition réelle :

1.1. Lorsqu’un adjectif est posé comme prédicat, et un substantif, comme sujet, avec le verbe-copule «est» entre les deux, aucune réimposition n’intervient. Par exemple : Le chien est affectueux. Dans un tel cas, on dit que le sujet est pris matériellement, et le prédicat, formellement. La matière revêt alors la forme, qui lui fournit sa valeur de suppléance ; cette suppléance vaut pour les parties subjectives dérivant de la signification du terme-sujet, prises matériellement. — La matière est la mère du multiple des parties. — Dans un tel cas, la forme signifiée par le prédicat ne modifie pas une forme signifiée par le sujet puisque le sujet est considéré comme une matière : bref, il n’y a pas d’appellatio. Cependant, si le sujet a une valeur de suppléance simple, il est coupé de toute partie subjective ; il signifie une forme. Par exemple, dans «Deux est un nombre entier.», le sujet ne supplée pas plusieurs paires puisqu’il en est précisément séparé ; «deux» est la forme de toute paire. Malgré cette simplicité de la suppléance, on persiste à prendre le sujet matériellement, et le prédicat, formellement, en ne considérant pas que la forme signifiée par le prédicat modifie la forme signifiée par le sujet : bref, il n’y a pas d’appellatio. Parfois, ce qui est suppléé par un terme est réellement un, mais il est présenté sous deux formalités dans une énonciation. Par exemple : La couleur blanche est une similitude. Le terme «similitude», dans le prédicat, est ainsi définie par le Petit Robert : «relation unissant deux choses exactement semblables». La couleur blanche n’est pas «deux choses», mais une chose. La prédication de «est une similitude» du sujet «la couleur blanche» implique ici de changer la forme de ce qui est un en la forme de ce qui est deux. N’est-ce pas là le propre de l’appellatio ? Nous ne sommes pas en présence d’une appellatio, mais d’un paralogisme de l’accident commis par le Petit Robert. Enfin, il arrive que l’expression «en tant que» soit accolée au terme-sujet dans une énonciation : par exemple, Tout homme, en tant que bipède, peut chausser une paire de souliers. Évidemment, nous aurions pu écrire : Tout homme bipède peut chausser une paire de souliers. Ce qu’on veut dire dans cette énonciation, c’est qu’un homme qui a deux pieds est en mesure de chausser les deux souliers de la paire ; car, ce n’est pas en tant qu’homme, mais en tant que bipède, qu’il le peut, ce qui donne lieu à une réimposition. Or, Aristote, écrit : «Le terme qui est redoublé dans les prémisses doit être ajouté au grand extrême, et non au moyen terme».16 Nous avons déjà rencontré ce problème dans : Tout nombre divisible par deux sans reste est pair. Il est manifeste que nous pouvons réécrire les énonciations comme suit : Tout homme peut chausser une paire de souliers en tant que bipède. Tout nombre est pair en tant que divisible par deux sans reste. Or, compte tenu des définitions de la suppléance et de la réimposition, c’est la seconde formulation qui est canonique : la première est une quasi appellatio.

1.2. Dans la formulation canonique d’une réimposition, l’adjectif et le substantif (ou ce qui en tient lieu) qui sont dans le prédicat, pour que la réimposition s’applique, doivent être des termes pertinentes, au sens où nous l’avons défini dans La simple appréhension III ; ils ne doivent pas être impertinentes. Par exemple, dans «Pierre est un grand logicien.», les termes sont pertinentes. Par contre,

16 Aristote, Premiers analytiques, 1, 38, 49a 10-11

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dans «Pierre est un logicien beur.», les termes sont impertinentes, et aucune réimposition n’a lieu ; c’est un amalgame, dira-t-on parfois. Un terme complexe où une partie est un déterminant d’une autre, qui est déterminable, peut poser des problèmes. Une réimposition intervient dans : Aucun cheval domestique n’est sauvage. Aucun cheval n’est sauvage en tant que domestique. Qu’en est-il de : Quelque cheval d’un laboureur est une bonne bête. ? Et de : Le cheval du Roi se distingua lors du grandiose tournoi de Tours. ? Le Président qui nous reçut était déjà diminué par la maladie. ? Les réponses sont laissées en exercice. Songeons, toutefois, que l’adjectif (ou ce qui en tient lieu) placé dans le prédicat opère la réimposition par le truchement du substantif (ou de ce qui en tient lieu) qui l’y accompagne s’il s’ajuste au suppléé de ce substantif, et ce, sous l’aspect formel requis. Par exemple, de Pierre, qui a trois enfants, on dit : Pierre est un bon père. Le nom «père», selon le Petit Robert, offre les deux acceptions suivantes : a) homme qui a engendré un ou plusieurs enfants ; b) homme qui a un ou plusieurs enfants qu’il élève. Selon le premier aspect formel, la réimposition concerne un géniteur. Selon le second, un éducateur. Ce dernier peut élever des enfants adoptés, qu’il n’a pas engendrés.

2. pour la réimposition de raison :

2.1. Un prédicat de seconde intention applicable au signifié d’un nom de première intention opère une réimposition sur le signifié de première intention en modifiant la suppléance de première intention en une suppléance simple. Le prédicat ne s’ajuste pas au signifié de première intention, mais au signifié abstraitement conçu comme séparé de ses parties subjectives. Par exemple, dans : «L’animal est un genre logique.», le nom «animal» ne supplée pas Milou, le beagle. Cependant, le prédicat de seconde intention qui s’ajuste au nom n’opère pas une réimposition. Par exemple : «Animal» est un nom masculin. «L’homme est un animal» est une énonciation affirmative.

2.2. Un terme qui signifie une opération de l’esprit, tels connaître, abstraire et son contraire, vouloir, etc. opère une réimposition en ce que ce sur quoi elle porte revêt «la détermination précise ou la “formalité” propre supposée par l’acte en question. C’est au titre précis sous lequel ils sont atteints par cet acte que les objets sont dits être connus, aimés, etc. (...) C’est en usant fallacieusement de l’appellatio que les sophistes avaient fabriqué le sophisme du voilé».17 Ainsi, connaître l’homme selon le concept d’homme, c’est le saisir en tant que connu, dans une réimposition intentionnelle, au sens que la phénoménologie allemande a prise de Franz Brentano qui, lui, l’a reprise des philosophes médiévaux qui ont reçu l’aristotélisme, dont Thomas d’Aquin.

2.2.1. Dans : «Je connais l’homme.», «homme» supplée selon la réimposition «en tant que connu». Dans : «Je désire plaire.», «plaire» supplée selon la réimposition de la formalité propre du désir de plaisir, et non celle de l’aversion du déplaisir. Un terme qui signifie une opération de l’esprit réimpose la formalité propre qui le constitue comme acte au terme qui signifie l’objet vers lequel son intention le dirige. «C’est spécialement le

17 Jacques Maritain, L’ordre des concepts, p. 92

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cas lorsque le terme signifiant l’objet est placé après le terme signifiant l’acte [de l’esprit], et non avant lui, note Jean Poinsot. Car, si vous dites : «Celui que je connais s’en vient.», le terme «connais» ne réimpose pas sa formalité à «celui» ; pour mieux dire, Je connais amplifie [et non «réimpose»] son objet selon que «celui» est connu seulement comme s’en venant ou aussi connu en lui-même. Alors la conséquence suivante n’est pas valide : Je connais celui qui approche. Celui qui approche est Pierre. Donc je connais Pierre. Car je peux le connaître sous le concept «celui qui approche» sans le connaître comme «Pierre».

2.2.2. C’est sur cette «règle que se fondent les précisions [concernant la suppléance simple d’un concept abstrait, coupé d’un concept concret], les priorités [d’antécédent à conséquent], et les divers signes de l’intellect [qui considère], où une [inférence] de l’un à l’autre n’est pas valide, dit jean Poinsot.

3. une règle de conséquence :

3.1. Toutes les règles gouvernant la conséquence des réimpositions se réduise à une : lorsque la réimposition est changée, la conséquence n’est pas valide. Cette règle gouverne tout autant la réimposition de raison que la réimposition réelle.

Considérons l’énonciation suivante : «Tout automobiliste, averti par la flèche directionnelle placée dans ce virage que la courbe est serrée et que la différence entre la vitesse de 90 km/h permise sur la route et la vitesse recommandée dans le virage atteint 15 km/h, peut décélérer à temps jusqu’à 75 km/h avant de virer». Quelles sont les réimpositions qu’on y trouve ? La réponse est laissée en exercice.

Conclusion

Nous venons d’amorcer l’étude de la problématique que Michel Bossé évoque avec son expression «rapport vérité-fausseté sur lequel il est statué au niveau de la vérification».

Pour poser adéquatement le problème du jugement, nous avons commencé par «[l’]énonciation [qui] applique (...) un attribut à un sujet, (...), et [qui] est nécessairement vraie ou fausse», comme le dit Aristote. «Avant de nous prononcer affirmativement [ou négativement], en engageant dans notre énonciation la vérité même de notre esprit, il faut d’abord que nous ayons fait œuvre de découverte ou d’invention : et c’est en ayant devant les yeux une [énonciation] déjà construite, mais comme à juger, (...) que nous pouvons dans un raisonnement (...) en comparer le S[ujet] et le Pr[édicat] par rapport à ce qui est et juger qu’elle est vraie»18 ou fausse.

Remarquons l’expression «pouvons dans un raisonnement (...) juger», que Jacques Maritain emploie ; c’est selon «la marche de la prédication vers le haut» que l’analutikê epistêmê s’accomplit dans un acte de comparatio où la question de l’existence posée selon la suppléance est résolue.

18 Jacques Maritain, op. cit., p.111

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Œuvre de découverte ! Découverte de quoi ? Selon le Petit Robert, c’est le «fait de poser l’existence d’une relation déterminée entre des termes» qui constitue le jugement. Mais, avant de se commettre dans ce fait de poser, «l’existence d’une relation déterminée entre des termes» qui est à poser doit être signifiée et consignifiée dans l’énonciation.

Dans cet entretien, nous avons exploré cette «existence d’une relation déterminée entre [deux] termes». L’expression implique, dès le départ, une réimposition de raison (selon 2.2), comme nous venons tout juste de le voir, puisque connaître selon la comparatio demande la réimposition d’une existence intentionnelle.

Une fois franchi le seuil de cette réimposition, s’ouvre devant nous l’univers de la suppléance où interviennent les réimpositions réelles ou de raison (selon 2.1), l’ampliation, la restriction, et les transferts. Comme nous possédons maintenant une topographie des écueils répartis dans cet univers, nous pouvons entretenir l’espérance que la navigation que nous y entreprenons ne se terminera pas par un naufrage.

Par exemple, dans : «L’homme qui approche, qui achète Le canard enchaîné, qui fume des Gauloises, dont la conjointe travaille au bistro d’en face, est connu des téléspectateurs.», on trouve un amas de déterminations à mettre en ordre en employant les ressources que la logique met à notre disposition à titre d’art libéral. Cet emploi est laissé en exercice.

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