Petite Somme Theologique de Saint Thomas d Aquin

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PETITE SOMME THÉOLOGIQUE DE SAINT THOMAS D'AQUIN A L'USAGE DES ECCLÉSIASTIQUES ET DES GENS D U MONDE CONTENANT TOUTE L A DOCTRINE de la Somme théologiquc de saint Thomas d'Aquin, article par article sant excep tion, de manière à renf ermer tout ce qu'il y a d'important dans cet immense ouvrage: DES TABLEAUX SYNOPTIQUES, Ton voit, d'un coup d'œil, l'enchaînement synthétique des matières de chaque traité et des traites entre eux; DE S NOTES théologiques, philosophiques et scientifiques, qui mettent l'ouvrage en rapport avec rense igneme nt actuel et en T ei n t une IhcolojïtQ très-complète ; h n DES TABLES analytiques et alphabétiques li-ès-riétailleeâ, aveu un LEXIQUE des mots scolaatiques, P A R L'ABBÉ FRÉDÉRIC LEBRETHON EURE U'AIHAN , DIOCÈSK D E BAYEUX  fndocti discant) et ament meminisse periti. TOME TROISIÈME PARIS

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    PETITE

    SOMME THOLOGIQUEDESAINT THOMAS D'AQUIN

    A L'USAGE

    DES ECCLSIASTIQUES ET DES GENS DU MONDEC O N T E N A N T

    1 TOUTE L A D O C T R I N E de la Somme thologiquc de saint Thomas d'Aquin, article par article santexception, de manire renfermer tout ce qu'il y a d'important dans cet immense ouvrage:

    2 DES T A B L E A U X S Y N O P T I Q U E S , O Ton voit, d'un coup d'il, l'enchanement

    synthtique des matires de chaque trait et des traites entre eux;3 DES N O T E S thologiques, philosophiques et scientifiques, qui mettent l'ouvrage en

    rapport avec renseignement actuel et en Teint une IhcolojtQ trs-complte ;h

    n DES T A B L E S analytiques et alphabtiques li-s-ritaillee,aveu un L E X I Q U E des mots scolaatiques,

    P A R

    L'ABB FRDRIC LEBRETHONE U R E U ' A I H A N , D I O C S K D E B A Y E U X

    fndocti discant) et ament meminisse periti.

    TOME TROISIME

    PARISG A U M E F R R E S E T J . D U P R E Y , E D I T E U R S

    R U E C A S S E T T E , 4

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    DE

    SAINT THOMAS B'AQUIN.

    T O M E I I I

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    P R O P R I T .

    Typographie de Domin.Caen (Calvados).

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    DEUXIME PARTIE.

    D U M O U V E M E N T

    DE LA

    CRATURE RAISONNABLE VERS DIEU.

    DEUXIME SECTION.

    DES ACTES HUMAINS EN PARTICULIER.

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    I S M TABLEAU SYNOPTIQUE.

    DEUXIME P A R T I E .

    R U M O U V E M E N T D E L A C R A T U R E R A I S O N N A B L E

    V E R S D B E U .

    DEUXIME SECTION.

    DES ACTES HUMAINS E N PARTICULIER.

    Division gnrale.

    uns

    ACTES

    HUMAINS

    EN PAR- {

    TICULIER.

    (V. tab. 10.)

    I Cequi rr garde

    tousles homnus.

    Vt'ftlMthologales.

    Ce

    La foi (Tab. 10.)

    * L'esprance (Tab 20.)La charit (Tab. 2t.)

    ' Prudence...., (Tab. 27.)

    Vertus ) J u s t i c P (Tab. 23, H , 35.)

    cardinales. 1 Force (Tab, 20.)

    [Temprance (Tab. 2*3, 28.)

    Grces gratuitement donnes

    qui regirde (Des divers genres de vie. }lTab. 29.)

    certains laujD c s - M B e , d e f i f o n c t i o n s

    L'hrsie ne rsulte pas d'une fausse opinion sur deschoses qui ne sont pas de foi, sur des propositions go

    mtriques, par exemple, ou sur des matires trangres la religion; elle ne saurait tre attribue qu' celui quiprofesse une opinion fausse sur les vrits mmes de lafoi. Mais comme une vrit peut appartenir la foi dedeux faons: directement et fondamentalement, comme les

    articles mmes du symbole ; indirectement et secondairement, comme les choses dont la ngation entranerait celle de quelque article de foi, l'hrsie peut avoirpour objet les vrits fondamentales de la foi ou les vritssecondaires.

    On peut tomber dans l'hrsie par la fausse interprtation des Ecritureset par des discours contre les vrits qui appartiennent la foi. Toutefois,

    on ne doit pas compter parmi les hrtiques l'homme qurdfend sans obs

    tination une opinion fausse et mme dangereuse, si de bonne foi il cher

    che la vrit, tant d'ailleurs dispos l'embrasser du moment qu'il l'aura

    trouve. Cet homme ne prtend pas contredire la doctrine de l'glise.

    C'est de cette manire qu'il peut y avoir dissentiment entre les Docteurs

    jusqu' ce que l'glise ait parl. Mais, une fois que l'glise universelle s'est

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    prononce, on doit tenir pour hrtique celui qui refuse obstinment de

    se soumettre son autorit. Cette autorit de l'glise rside principale

    ment dans le Souverain-Pontife. Je pense, crivait Innocent I e r-, que,

    quand une question de foi est agite, tous nos frres et tous nos col- lgues dans l'piscopat ne doivent s'en rapporter qu' Pierre, c'est--

    dire celui qui a succd son nom et sa dignit. Ni saint Augustin,

    ni aucun docteur catholique, n'ont dfendu leur sentiment contre une telle

    autorit. Saint Jrme crivait au pape Damase : Tel est, trs-saint

    Pre, ce que nous avons appris de l'glise catholique. Si, dans mon

    exposition, ii se trouvait quelque chose d'inexact ou de peu sr, je vous

    prie de le corriger, vous qui avez hrit de la foi et du sige de Pierre.

    Si ma confession reoit l'approbation de votre jugement apostolique,

    vquicouque voudra m'accuser prouvera qu'il est ignorant ou malveillant ;

    mais il ne prouvera pas que je suis hrtique (1).

    (1 ) On a pu se convaincre par ce qui prcde que la Somme de saintThomas, pour n'avoir pas un trait, ex professa, de l'glise, en embrassecependant toutes les matires, et rsout sommairement toutes les difficultsqui se rattachent la rgle de la foi, mconnue parles Protestants.

    En effet, nous avons vu que ce n'est pas assez que les vrits rvlessoient dans la sainte criture ; elles doivent tre rdiges par articles dans

    des symboles, que l'glise, et particulirement le Souverain-Pontife, chef detoute l'glise, ont seuls le droit de publier. (Quest. i.)

    Les hrtiques qui errent sur un article de foi prtendraient vainementavoir la foi sur les autres articles; ils n'adhrent pas la rgle infailliblede la foi, qui n'est autre que l'enseignement de l'glise. (Quest. 5.)

    L'infidlit des hrtiques et des apostats est la plus coupable de toutes ;car ils rsistent la vrit divine manifeste dans la doctrine de l'glise.

    (Quest. 10.)Que l'on ajoute la lecture attentive et mdite de l'article prsent et des

    questions que nous venons de rappeler toute la partie des sacrements, etnotamment l'explication du sacrement de l'Ordre, on aura un trait del'glise trs-complet. L'infaillibilit de l'glise et l'autorit du Souverain-Ponttfe y sont dmontres. Mais il importe de ne pas oublier que le caractre de la Somme est purement thologique. Saint Thomas y parle pour les

    fidles, qui ont la foi ; il ne s'adresse point aux incrdules. Nous avons faitremarquer, ds le dbut, que la Somme contre les Gentils a d prcder laSomme thologique, comme une introduction prcde la matire principale.

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    3. Doit-on tolrer les hrtiques?Qu'on se souvienne d'abord de ces paroles de l'Aptre :

    Fuyez l'hrtique aprs l'avoir repris une fois ou deux ;

    celui qui en est l est perverti. (Tit. m, 10.)Corrompre la foi des fidles, la vie de leur me, est

    un crime plus grand que d'altrer l'argent qui sert auxbesoins de la vie corporelle. Ce principe admis, il estvident que si les princes de la terre peuvent, sans blesser

    la justice, mettre mort ceux qui falsifient la monnaie,l'glise peut aussi, non-seulement retrancher de son seinpar l'excommunication, mais livrer aux juges sculiers leshrtiques obstins qu'elle a repris une premire et uneseconde fois avec la modration recommande par l'Aptre, et dont elle n'a pas lieu d'esprer la conversion. Il faut, dit saint Jrme, retrancher les chairs gangrenes et chasser loin du bercail la brebis galeuse, dans la crainte que tout le troupeau, envahi par la contagion, ne meure. Arius ne fut qu'une tincelle dans Alexandrie ; mais cette tincelle ravagea l'univers entier.

    4. L'glise doit-elle recevoir les hrtiques qui reviennent la foi ?

    L'glise tend sa charit ses amis et ses ennemis ;elle fait du bien tous, mme ses perscuteurs. Mais il

    y a deux sortes de bien : le bien spirituel et le bien temporel. La charit ne nous oblige vouloir quelqu'unce dernier que relativement son salut et celui de nosfrres. Or, si l'glise rintgrait toujours dans leurs avantages temporels les hrtiques qui reviennent la foi, ilpourrait en rsulter un prjudice pour les autres, qu'unetelle impunit encouragerait se laisser facilement aller l'hrsie. C'est pourquoi, la premire fois qu'ils recon-

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    QUESTION 12.

    D E L A P O S T A S I E .

    Q u e l ' ap os ta si e est c o m p r i s e s o u s l ' inf idlit . ttoil-on

    l 'ol ii ssaaicc a u x pr in ce s ap os ta ts ?

    1. L'apostasie est-elle une espce de l'infidlit?Par ces paroles : Beaucoup de disciples s'loignrent

    du Sauveur ;> (Jean, vi, 67), c'est--dire apostasirent,on peut voir que l'apostasie revient l'infidlit ; car leSauveur avait dit d'eux : II y en a parmi vous qui ne croient pas.

    naissent leur erreur, elle les reoit la pnitence, enleur ouvrant les voies du salut, et leur rend quelquefois lesdignits ecclsiastiques qu'ils possdaient : l'histoire nous

    en fournit des exemples. Mais si, aprs avoir t reusune premire fois, ils retombent de nouveau, montrantainsi leur inconstance dans la foi, l'glise, quoiqu'elleles admette encore la pnitence, ne les soustrait point la justice humaine.

    L'glise prfre de beaucoup la conversion d'un infidle embrassant la

    foi chrtienne qu'il n'avait jamais reue, la pnitence des hrtiques

    relaps; celui-l du moins n'a encore donn aucune preuve de versatilit.

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    72 P E T I T E S O M M E . P A R T. u.

    Apostasier, c'est rompre avec Dieu, et celte rupture seproduit suivant les diverses manires dont nous lui sommesunis. L'homme est uni Dieu par la foi, par la soumis

    sion ses commandements, et par certains engagementsspciaux, tels que le vu de religion ou les ordres sacrs :de l diffrentes sortes d'apostasie. On apostasie en quittant un ordre religieux dans lequel on a fait profession,ou en renonant un ordre sacr qu'on a reu; c'est ce

    qu'on appelle Yapostasie d'ordre ou de religion. On apostasie par la rvolte de l'esprit contre les prceptes divins.Mais, aprs ces diverses apostasies, l'homme peut encoretre uni Dieu par la foi. La rupture complte ne s'tablitque par l'abandon de la foi elle-mme, et c'est l ce quel'on appelle proprement Yapostasie. Celle-ci consiste renoncer la foi. Voil en quel sens l'apostasie est uneespce de l'infidlit.

    Comme la foi est le premier fondement des choses que nous devons esp

    rer, et que, sans elle, il est impossible de plaire Dieu, l'apostat, du mo

    ment qu'il la perd, n'a plus rien qui puisse le rattacher au salut ternel.

    Son me, prive de la vie de la foi, prouve un dsastre qui se fait sentir

    dans toutes les parties de lui-mme. Son corps, sa bouche, ses yeux, ses

    pieds, tout, chez lui, tend au mal. U sme partout la discorde et cherche

    loigner les autres de la foi, qu'il a lui-mme abandonne. L'apostat,

    nous dit l'Esprit-Saint, est un homme inutile ; ses paroles sout pleines

    de perversit ; il fait des signes avec ses yeux, frappe du pied, parle avec ses doigtSj mdite le mal dans la corruption de son our, et sme

    partout des querelles. (Prov- vi, 12.)

    2. L'apostasie d'un souverain peut-elle autoriser sessujets lui refuser l'obissance?

    L'infidlit, avons-nous dit, n'est pas incompatible parelle-mme avec la puissance tablie par le droit des na-

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    tions, qui est un droit humain; car le droit divin, sur lequel repose la distinction des fidles et des infidles, nedtruit pas le droit humain. Mais nous avons ajout que

    quelqu'un qui tombe dans l'infidlit peut tre soumis un jugement qui le dpouille du droit d'exercer sa puissance, comme cela peut arriver aussi pour des fautesd'une autre espce. Il n'appartient pas l'glise de punirl'infidlit dans ceux qui n'ont jamais reu la foi. L'Ap

    tre a dit : Pourquoi entreprendrai-je de juger ceux qui sont en dehors de l'glise? (1 Cor. v, 12.) Mais quandun prince, qui a d'abord profess la foi, devient cet apostatdont nous parlions plus haut, mditant le mal dans ladpravation de son cur, semant des querelles et cherchant loigner les autres de la religion, l'glise peut lepunir juridiquement de son infidlit, en lui tant lemoyen de pervertir les enfants de la foi ; et, du momentqu'il est dclar, par une sentence juridique, excommunipour apostasie, ses sujets sont dlis du serment de fidlit (1).

    (1) Cas excessivement rare, o l'Eglise se sent force de s'opposer, dans

    l'intrt des fidles, la perversit d'un prince qui, non content de son

    apostasie personnelle, cherche entraner ses sujets dans sa criminelle er

    reur.

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    74 P E T I T E S O M M E PART. II

    QUESTION 13.

    D U B L A S P H M E , P C H OPPOS A L A CONFESSION D E L A F O I .

    N o t i o n de c e p ch ; s a gr a vi t . l i est le p c h d es

    d mon s *

    1. Le blasphme est-il oppos la confession de la

    foi?Le blasphme est un pch oppos la confession de

    la foi, et, par ce ct, il rentre dans l'infidlit. Pourcomprendre cela, il faut considrer que le mot blasphmeimplique une atteinte porte une bont excellente, et sp

    cialement la bont divine, qui est la bont par essence.Refuser Dieu ce qui lui convient ou lui attribuer ce quine lui convient pas, qu'est-ce autre chose qu'attaquer labont de sa nature? Or ce pch peut se produire dedeux manires : par la seule pense de l'esprit et* par laparole unie la pense. Reste-t-il cach dans l'me, il

    est un blasphme du cur; se produit-il l'extrieur parla parole, c'est le blasphme de bouche oppos la confession de la foi.

    Blesser la bont divine en parlant contre elle avec l'intention d'outrager

    Dieu, voil le blasphme complet, qui atteste en mme temps la perversit

    de l'intelligence et de la volont.Observons que le blasphme contre les

    saints ne laisse pas que de retomber sur Dieu, auteur de leur saintet.

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    Attribuer aux cratures ce qui n'appartient qu' Dieu est encore une pa

    role de blasphme, qui semble marquer que Dieu est la mme chose que

    la crature.

    2. Le blasphme est-il toujours un pch mortel?Le blasphme est, clans son genre, un pch mortel.

    Il est ais de le prouver, d'abord, par l'ancienne loi, o iltait dit : Celui qui blasphme le nom du Seigneur

    sera puni de mort. (Lv. xxiv, 16.) La peine de mortn'est inflige que pour un pch mortel. La mmevrit se dmontre par celte autre raison, que tout actequi rpugne la charit est un pch mortel. Le blasphme tend dtruire la bont divine, objet de la charit: donc il rpugne la charit; donc il est, de sa na

    ture, un pch mortel (1).

    Le blasphme est dfendu, comme l'infidlit, par ces paroles du pre

    mier commandement: Je suis le Seigneur votre Dieu, etc.; et par ces au

    tres du second : Vous ne prendrez point le nom de votre Dieu en vain.

    Blasphmer dans un emportement, sans dlibration, par des paroles

    la signification desquelles on ne songe point, est un pch vniel. Cet

    acte ne constitue pas prcisment le pch de blasphme.

    3. Le blasphme est-il le plus grand des pchs?Comme contraire la confession de la foi, le blasphme

    a par lui-mme la gravit de l'infidlit. Il y en ajouteune autre, s'il est accompagn de haine dans la volont;une autre encore, s'il se produit extrieurement par la

    (1) Par ces expressions: pch mortel dans son genre, pch mortel de sa

    nature, les Thologiens entendent que ce pch, lorsqu'il runit tous lescaractres propres sa nature, est mortel ; il ne s'ensuit pas qu'il le soit

    toujours. Certaines circonstances qui font dfaut le rendent souvent vniel.

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    parole. L'infidlit tant le plus grand des pchs dansson genre, il en partage l'normit; et, ce qui est plus,il l'augmente.

    4. Les damns blasphment-ils?Il est crit : Les hommes, dvors par une chaleur

    excessive, blasphmeront le nom du Seigneur. (Apoc.xvi, 9.) Les damns ne cessent point d'aimer les p

    chs pour lesquels ils sont punis. Ils voudraient les commettre encore s'ils le pouvaient, quoiqu'ils abhorrent leschtiments que ces pchs ont attirs sur eux. S'ils vont

    jusqu' les dplorer, ce n'est pas qu'ils les dtestentcomme pchs; c'est cause des peines endures. Laperversit de leur volont dteste intrieurement la justicede Dieu par le blasphme du cur. Aprs la rsurrection, ils blasphmeront vraisemblablement en paroles pendant que les saints chanteront les louanges de Dieu.

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    QUESTION 14.

    D U B L A S P n M E C O N T R E L ' E S P R I T - S A I N T .

    C e qu'est ce pch*Six e s p c e s de pchs contre l e Sa int -

    E s p r i t . L e b l as ph m e co ntr e l e S a i n t - E s p r i t est- i l irr

    miss ib le ? Peut -on le commettre tout d 'abord ?

    1.Le pch contre le Saint-Esprit est-il le mmeque le pch de malice ?

    Pour saint Athanase, saint Hilaire, saint Ambroise etautres anciens Pres de l'glise, le pch contre l'Esprit-Saint consiste prononcer des paroles blasphmatoirescontre l'Esprit-Sainl. Les Juifs, qui avaient d'abord blas

    phm contre le Fils de l'Homme, en disant qu'il tait unhomme de bonne chre, aimant boire, ami des publicainset des pcheurs, blasphmrent ensuite contre l'Esprit-Saint, en attribuant au prince des dmons les uvres quele Christ oprait par la vertu de sa divinit et par l'opration

    du Saint-Esprit. Pour saint Augustin, le blasphme oupch contre l'Esprit-Saint n'est autre que l'impnitencefinale, par laquelle un homme persvre jusqu' la mortdans le pch mortel. Le Seigneur ne dit pas aux Juifsqu'ils avaient pch contre le Saint-Esprit, parce qu'en effetils n'taient pas encore finalement impnitents ; mais illes avertit de prendre garde qu'en parlant -comme ils faisaient, ils n'en vinssent pcher contre le Saint-Esprit.

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    Pour d'autres enfin, et pour nous en particulier, lepch contre le Saint-Esprit est le mme que le pchqu'on commet par une malice affecte, en choisissant le

    mal, non par faiblesse, non par ignorance, mais avec malignit. Ainsi pche tout homme qui repousse avec mprisles choses qui l'empcheraient de choisir le pch. Celui,par exemple, qui substitue avec calcul le dsespoir l'esprance, la prsomption la crainte de Dieu, tombe dans

    cette faute: car tous les moyens que nous avons de nepas choisir le mal sont des effets du Saint-Esprit, qui agiten nous; et, par consquent, pcher ainsi par malice rflchie, c'est offenser l'Esprit-Saint.

    2. Doit-on distinguer six pchs contre l'Esprit-Saint ?

    En prenant le pch contre le Saint-Esprit dans le senscle la troisime opinion, qui le fait consister dans le mpris de ce qui empche de choisir le mal, on en dislingueavec raison six espces. Car trois choses principales nous

    empchent de donner la prfrence au pch sur lesactes de vertu : les jugements de Dieu, ses dons, et laturpitude du pch.

    En effet la pense des jugements de Dieu, o la misricorde s'unit la justice, nous fournit deux secours :

    l'esprance et la crainte, qui sont dtruites par le dsespoir et par la prsomption. Les dons de Dieu, qui sontla connaissance de la vrit et la grce intrieure, sontpour nous de nouveaux secours, qu'anantissent Yattaquede la vrit connue et l'envie que l'on porte ses frrestouchant les grces dont ils profitent. La considrationde la turpitude du pch est un autre secours d'o natle repentir. Ce secours est annul par la rsolution de

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    ne pas se repentir et par raffermissement clans cette rsolution, c'est--dire par Yimpnitence et par Yobstination.On voit par ces aperus qu'il y a six pchs contre le

    Saint-Esprit : le dsespoir et la prsomption, l'attaque dela vrit connue et l'envie au sujet du progrs des autresdans le bien, l'esprit d'impnitence et l'obstination.

    3. Le pch contre l'Esprit-Saint est-il irrmissible?

    Il est crit : Si quelqu'un parle contre l'Esprit-Saint, son pch ne lui sera pardonn, ni en ce sicle, ni dans le sicle futur. (Matth.xii, 32.)

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    racle, les maladies spirituelles : il ne faut dsesprer dusalut de personne en cette vie.

    4. Peut-on pcher par un premier acte contre leSaint-Esprit ?

    Le fait est possible. Car si, comme nous l'avons dit,celui-l pche contre le Saint-Esprit qui repousse avec mpris les secours que Dieu nous a donns pour nous loi

    gner du mal, il peut se faire que quelqu'un pche contrele Saint-Esprit par un premier acte, soit parce qu'il a lelibre arbitre; soit raison de plusieurs dispositions antrieures, soit par suite d'un violent penchant au mal et d'unfaible attrait pour le bien. Quoi qu'il en soit, il arrivebien rarement que les justes tombent tout d'abord dansle pch contre le Saint-Esprit. Le plus souvent, pour nepas dire toujours, ce pch en suppose d'autres.

    Si, d'aprs le sentiment de saint Augustin, on entend par le pch contre

    le Saint-Esprit l'impnitence finale, la question est rsolue d'avance, puis

    que cette impnitence implique par elle-mme la persvrance dans le mal

    jusqu'au dernier soupir.

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    SECT. H.QUEST. 15. D E L A F O I 81

    QUESTION 15.

    DES VICES OPPOSS A U X DONS D E SCIENCE ET D I N T E L -

    L I G E N C E .

    D e l ' av e ug le me nt d e l'e spr it , et d e l'hlit atlon. - C e s

    v ices prov ien nent de l a l u xu r e e t de l a g ou rm an di se .

    1. L'aveuglement de l'esprit est-il un pch?Il y a en nous un triple principe de lumire intellec

    tuelle.Nous avons, en premier lieu, la lumire de laraison naturelle qui appartient essentiellement notre meraisonnable. Nous n'en sommes jamais privs radicale

    ment, quoique le dsordre de nos puissances infrieures,ncessaires pour comprendre, empoche quelquefois notreesprit d'entrer en exercice, comme il arrive dans les insenss, dans les fous et dans ceux qui dorment. Un telaveuglement, quand il est le rsultat d'une cause naturelle,

    est toujours excus de pch. Nous avons une autrelumire habituelle surajoute la raison, celle de la grce.Notre esprit en est quelquefois priv par punition, seloncette parole du Sage : Leur malice a t cause de leur aveuglement. (Sag. H, 21.) II y a l un chtiment. Nous avons enfin, pour troisime principe de lumireintellectuelle, les vrits par lesquelles Dieu nous claire etauxquelles notre esprit est libre de s'appliquer ou de ne

    in. 6

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    pas s'appliquer. Or il arrive de deux manires qu'il nes'y applique pas, ou parce qu'il veut s'en dtourner avecintention, comme l'indique le Psalmiste dans le passage

    suivant : Il n'a pas voulu comprendre, de peur de bien agir (Ps. xxxv,4) ; ou parce qu'il s'occupe d'autresobjets qu'il aime davantage et qui, le captivant, le dtournent de la vrit, suivant ces autres paroles : Le feu de la concupiscence est tomb sur eux; ils n'ont

    pas vu le soleil. (Ps. L X V I I , 9 . ) Dans ces deux cas,l'aveuglement de l'esprit est un pch.

    2. L'hbtation du sens est-elle un autre pch quel'aveuglement de l'esprit ?

    L'hbtation, que saint Grgoire attribue la gourmandise, consiste dans une certaine faiblesse d'esprit touchantla contemplation des biens spirituels; au lieu que l'aveuglement de l'esprit, effet propre de la luxure, impliquela privation totale de leur connaissance. Elle est un pch,au mme titre que l'aveuglement de l'esprit, en tant qu'elle

    est volontaire. Ces deux vices sont opposs au don d'intelligence.

    3. L'hbtation du sens et l'aveuglement de l'espritsont-ils l'effet des pchs charnels ?

    L'aveuglement de l'esprit et l'hbtation du sens proviennent de la luxure et de la gourmandise, vices charnels qui, absorbant l'intelligence dans les choses matrielles, la rendent peu dispose s'occuper du mondeintelligible. Les plaisirs impurs agissant encore plus violemment sur l'me que ceux de la bonne chre, l'aveuglement, qui te entirement la connaissance des biensspirituels, est leur effet propre; tandis que l'hbtation du

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    SECT. ILQUEST. Ifi. D E L A F O L 83

    sens, par laquelle un homme devient moins apte lesconnatre; a pour cause la gourmandise. Par une raisoncontraire, l'abstinence et la chastet sont trs-favorables

    aux oprations intellectuelles. Dieu donne ses enfants, nous dit l'Esprit-Saint, la science de tous les livres et de toute la sagesse. (Dan. i, 17.)

    Les hommes esclaves des vices charnels s'lvent parfois des consid

    rations subtiles sur les choses intellectuelles, raison des dispositions na

    turelles de leur esprit ou d'une habitude acquise; il est impossible nanmoins que les plaisirs de la chair n'loignent pas trs-souvent leur esprit

    des hautes rgions de la pense.

    QUESTION 16.

    DES P R E C E P T E S DE LA F O I , DE LA SCIENCE E T DE L IN

    T E L L I G E N C E .

    O n m o n tr e po ur qu o i l ' a nc i e nn e Soi ne r e n fe r m e pa s de pr*

    cepte pos i t i f sur l a fo i eH e- m ni c . O n fa i t res so rt ir l a

    c o n v e n a n c e des prce ptes q u i co nc er ne nt Sa sc i e nc e e tl ' in te l l igence .

    1. Devait-il y avoir, dans la loi ancienne, des prceptes concernant la foi ?

    Les prceptes d'une loi prsupposent que le sujet auquelils sont donns est soumis au souverain qui les impose.Or la premire sujtion de l'homme l'gard de Dieu s'ta-

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    84 P E T I T E S O M M E . PART . I I .

    blit par la foi ; car, comme le dit saint Paul : Il faut que celui qui s'approche de Dieu croie d'abord que Dieu existe. (Hb. xi, 6.) Par consquent, dans les prceptes

    de la loi ancienne, la foi a d tre suppose. Nous enavons la preuve dans l'Exode mme, o l'objet de la foiprcde les commandements. N'est-ce pas aprs ces paroles : Je suis le Seigneur votre Dieu, qui vous ai tirs de la terre d'Egypte ; et aprs ces autres encore :

    coule, Isral, le Seigneur ton Dieu est un, queviennent les prceptes de la loi? En outre, sous l'AncienTestament, les mystres de la foi ne devaient pas tre expliqus au peuple. Voil pourquoi, la foi en un seul Dieutant suppose, il n'y avait pas lieu promulguer d'autresprceptes touchant la vertu de la foi elle-mme.

    L'ancienne loi avaii des prceptes relatifs l'infidlit, de peur que la

    foi en l'unit de Dieu ne ft altre par les vices; elle en avait pareille

    ment sur la confession et sur l'enseignement de la foi. Elle en avait aussi

    l'gard des biens que Dieu promet ceux qui l'aiment ; mais, pour ce

    qui concerne la foi elle-mme, elle n'en avait point. On nous dira que

    la foi est ncessaire. Sans doute ; mais l'acceptation de la loi la sup

    posait.On dira encore qu'il y a dans le Nouveau Testament des prceptes

    sur la foi ; par exemple celui-ci : Vous qui croyez en Dieu, croyez aussi

    en moi. Dans ce passage mme, le Sauveur suppose une vrit de foi;

    savoir : la croyance en Dieu. Le prcepte qu'il donne ensuite de la foi au

    mystre de l'Incarnation, par lequel une mme personne est Dieu et homme,appartient la foi du Nouveau Testament ; aussi ajoute-t-il : Croyez en

    moi.

    2. La loi ancienne tait-elle dfectueuse dans lesprceptes qui regardent les dons de science et d'intelli

    gence ?A l'gard de ces dons, il faut considrer l'acquisition,

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    SECT. H.OUEST. 16. D E L A F O I . 85

    l'usage et la conservation.Leur acquisition s'opre en enseignant et en coutant. La loi prescrivait ces deux points.On y lit : Les commandements que je vous donne seront

    gravs dans votre cur. (Deut. vi, 6. ) Voil pour ledisciple qui apprend en coutant; il doit s'attacher decur ce qu'il entend. Il est dit, en second lieu : Vousce en instruirez vos enfants. Voil la fonction du matre. On fait usage de la science et de l'intelligence en mdi

    tant coque Ton sait et ce que l'on peroit; de l ces paroles : Assis dans votre maison, vous mditerez ces pr-ce ceples. La conservation de ces dons est le fruit de lammoire ; et de l cette autre recommandation : Vous lierez ces prceptes comme un signe dans votre main ; vous les aurez comme un tableau devant vos yeux; vous

    les crirez sur le seuil et sur l'entre de votre maison : recommandation qui marquait le souvenir continuel quel'on doit garder des commandements de Dieu, et que Tonretrouve dans le Nouveau Testament, tant dans les vangiles que dans la doctrine des Aptres, avec des dve

    loppements plus nombreux.On voit par cet expos que les prceptes de l'ancienne

    loi, touchant la science et l'intelligence, taient ce qu'ilsdevaient tre. Ils justifient ces paroles : Tous ceux qui les entendront diront : Voil un peuple sage et intelli-

    gent. (Deut. iv, 6.)

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    DE L'ESPRANCE.

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    S TABLEAU SYNOPTIQUE.

    D E L ' E S P R A N C E .

    Quest.L'esprance Kalure 17

    18

    Ict eUe-mfimc. (Sujet

    19Don de crainte. (Dsespoir 2 0

    Vices opposs. ( p r s o m p l i o B 2122

    Prceptes

    EXPLICATION.

    L'esprance doit tre envisage en elle-mme, ce qui donne lieu deux

    questions: sa nature4 7;son sujet 1 8.

    Vient ensuite le don de crainte qui lui correspond 1 0.

    Les vices opposs l'esprance sont: le dsespoir 20; la prsomption21 .

    Nous tudierons, en dernier lieu, les prceptes qui concernent cettevertu 2 3.

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    QUESTION 17.

    D L A NATURE D E L ' E S P R A N C E .

    Df in i t ion de l 'esprance ; son objet. * C o m m e n t o n p e u tesprer ponr un antre , e t s i on peut esprer dans l 'homme* Q u e l ' e s pra nce e s t u n e ve r t u tho loga le . S es r a p

    ports avec la foi et avec la charit*

    1. L'esprance est-elle une vertu ?La vertu tant ce qui donne la bont un homme et

    ses actions, tous les actes humains correspondent une

    vertu, du moment qu'ils sont bons ; et ils le sont par laconformit la mesure qui leur est propre, soit la raison, leur rgle trs-prochaine ; soit Dieu, leur rgle suprme. Telle est l'esprance dont on va parler. L'hommequi espre atteint Dieu mme, sur le secours duquel il

    compte pour obtenir un bien qu'il ne saurait acqurir parses propres forces. Celte lvation vers Dieu et cette conformit la rgle principale de nos actes produisent unacte bon; et, ds-lors, l'esprance est une vertu.

    2. La batitude est-elle l'objet propre de l'esprance ? Nous avons, a dit saint Paul, une esprance qui p-

    ntre jusqu'au dedans du voile (Hb. vi, 19), c'est-

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    90 P E T I T E S O M M E . PART. II .

    -dire qui nous lve la batitude ternelle. Si l'esprance s'lve Dieu et s'appuie sur sa grce pour obtenirle bien que l'on espre, il faut, les effets devant tre

    proportionns leur cause, que le bien propre et principal que l'on espre de Dieu soit le bien infini, quiseul est en proportion avec la grce divine ; car lepropre d'une puissance infinie est de conduire unbien infini. La batitude ternelle, la possession mme

    de Dieu ; voil donc l'objet propre de l'esprance. Lesautres biens spirituels ou temporels qui s'y rapportent,et que nous pouvons demander dans nos prires, n'ensont que l'objet secondaire.

    3. L'esprance peut-elle avoir pour objet la batituded'un autre ?

    L'esprance se rapporte directement aux biens propres celui qui les esprej et non aux biens d'un autre. Toutefois, si l'on prsuppose l'union que la charit tablitentre deux personnes, l'une d'elles, pouvant alors esprer

    quelque chose pour l'autre comme pour elle-mme, peutaussi esprer pour cette autre la batitude ternelle.

    4. Nous est-il permis d'esprer dans l'homme?De mme qu'il n'est pas permis d'esprer, comme fin

    principale et dernire, un autre bien que la batitude, etqu'on ne peut esprer les biens secondaires que par rapport elle; de mme aussi il n'est pas permis d'esprerdans l'homme ou dans quelqu'autre crature, comme dansla cause principale qui lve la batitude. C'est dans cesens que parlait Jrmie, quand il disait : Maudit soit l'homme qui met sa confiance dans son semblable. (Jr. xvii, 5.) Mais il est permis d'esprer dans l'homme

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    SECT. i l .QUEST. 17. DE L ' E S P R A N C E . 91

    ou dans une autre crature, comme dans un agent secondaire et instrumental qui peut aider obtenir les biensque Ton rapporte la batitude. a Les prires des saints,

    dit saint Grgoire, aident la prdestination. Nousdemandons tous les jours certains secours aux hommes.Jrmie lui-mme blmait ceux dont on ne peut attendreaucun appui. (Jr. ix, 4.)

    5. L'esprance est-elle une vertu thologale ?L'esprance est une vertu thologale, puisque saint Paulla range entre la foi et la charit. Pourvoir qu'elle doittre classe parmi ces verLus, il suffit cle considrer qu'elles'appuie sur le secours de Dieu pour arriver la batitude, et que son objet principal est consquemmenfc Dieului-mme.

    6. L'esprance se distingue-t-elle des autres vertusthologales ?

    On dit qu'une vertu est thologale par l mme que

    Dieu est l'objet auquel elle s'attache. Mais on peut s'attacher quelqu'un, ou pour lui-mme, ou pour arriver parlui h une autre fin. Par la charit, nous nous attachons Dieu pour lui-mme, nous unissant lui d'un amour affectueux; tandis que, par la foi et par l'esprance, nous

    nous y attachons comme un principe d'o nous viennentcertains biens. Par la foi, nous nous attachons lui commeau principe qui nous fait connatre la vrit, croyant fermement tout ce qu'il nous rvle. Par l'esprance, nousnous y attachons comme au principe qui met les hommesen possession d'une boni parfaite, nous appuyant sur lagrce divine pour obtenir la batitude. On voit par l quel'esprance se distingue des deux autres vertus thologales.

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    92 P E T I T E S O M M E . PART. II

    L'esprance nous fait tendre vers Dieu comme vers un bien final h ac

    qurir et vers un auxiliaire qui prte un secours efficace.

    7. L'esprance prcdc-t-elle la foi?Un homme ne saurait esprer, si l'objet de son esp

    rance ne lui est propos comme possible. Or c'est la foiqui nous apprend que nous pouvons parvenir la vieternelle l'aide d'un secours divin prpar cet effet.On connat cette parole de l'Aptre : Celui qui s'ap-

    proche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il rcom- pense ceux qui le cherchent. (Ilb. xi, 6.) 11 est vident par l que la foi prcde l'esprance.

    8. La charit est-elle antrieure l'esprance?Il y a deux ordres : celui de la gnration, o l'im

    parfait prcde le parfait; et celui de la perfection, o leparfait est naturellement avant l'imparfait.Dans l'ordrede la gnration, l'esprance prcde la charit. Elle drive,il est vrai, d'un certain amour, comme on l'a vu dans leTrait des passions; mais il y a un amour parfait et un

    amour imparfait. L'amour que suppose l'esprance est l'amour imparfait, puisque l'homme qui espre a le dsird'obtenir quelque chose pour soi, et que l'amour parfait,qui n'est autre que la charit, s'attache Dieu pour lui-mme. C'est pourquoi l'esprance, dans l'ordre de la g

    nration , est antrieure la charit ; elle en est le commencement, en tant que l'espoir d'tre rcompens deDieu nous excite l'aimer et h observer sa loi. Dansl'ordre de la perfection, la charit est naturellement antrieure l'esprance. Aussi, du moment qu'elle survient,l'esprance s'accrot. On espre surtout de ses amis. En cesens, saint Ambroise a pu dire que l'esprance vient de lacharit.

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    SECT. H.QUEST. 18. DE L ' E S P R A N C E . 93

    QUESTION 18.

    DU SUJET DE L ' E S P R A N C E .

    |ue le suj et de l' es p ra nc e est l a vo lo nt . C e t t e v e r t u

    n'existe n i d a n s les sai nt s , n i d a n s les r pr ou v s . C o m

    me nt l ' e spr ance es t ce r t a i ne en no us .

    1. L'esprance existe-t-elle dans notre volont commedans son sujet?

    L'esprance est un mouvement appttif. Or il y a dansl'homme deux sortes d'apptit: l'apptit scnsitif, qui sedivise en irascible et en concupiscible ; puis l'apptit in-

    tellectif, que l'on appelle volont. (Part, i, q. 82, a. 5.)L'esprance n'appartient pas l'apptit sensitif, puisqu'ellea pour objet principal le bien divin, et non le bien sensible : elle existe donc dans l'apptit suprieur, qu'on appelle la volont.

    2. L'esprance est-elle dans les bienheureux? Ce que l'on voit, dit saint Paul, comment pourrait-

    on l'esprer? (Rom. vm, 24.) Les bienheureux jouissent de la vision de Dieu ; il n'y a plus lieu pour eux del'esprer: on n'espre un bien qu'autant qu'il est venir.L'esprance, comme la foi, sera dtruite dans la patriecleste.

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    94 P E T I T E S O M M E . P A R T . H .

    Les saints qui participent 'ternit divine ont la possession absolue de

    la batitude: il n'est pas d'avenir pour eux; ils sont au dessus du temps.

    S'ils esprent la batitude pour les autres hommes, c'est moins par la vertu

    d'esprance que par l'amour que produit en eux la charit.Quant lagloire du corps, elle n'est plus une chose difficile a obtenir pour celui qui

    a dj la gloire de l'me ; elle est peu de chose, si on la compare celle-

    l, et elle existe d'avance dans le bienheureux par sa cause mme.

    3. L'esprance est-elle dans les damns ?L'esprance n'existe que dans les hommes qui voyagent :elle produit la joie, et il n'y a pas de joie pour les rprouvs. La perptuit tant attache leur peine, c'est unencessit ressortant de leur malheur mme qu'ils sachentl'impossibilit o ils sont de parvenir la batitude. De

    l cette parole de Job : Ils ne croient pas pouvoir re- tourner des tnbres la lumire. (Job,xv, 22.)

    4. L'esprance de l'homme voyageur ici-bas est-ellecertaine ?

    Notre esprance est certaine, comme le marquent cesparoles de saint Paul : ce Je sais qui je me suis confi, et je suis assur qu'il est assez puissant pour conserve ver mon dpt. (11 Tim. i, 12.) De mme que la natureopre avec certitude, mue par l'intelligence divine, car

    chaque tre tend infailliblement vers la fin qui lui estpropre; de mme aussi l'esprance tend avec certitudevers sa fin, appuye sur la foi.

    On dira peut-tre que nous ne pouvons pas tre assurs d'avoir la grce.

    Nous rpondrons que l'esprance repose tellement sur la toute-puis

    sance de Dieu et sur sa misricorde, que celui qui n'a pas la grce peut

    l'obtenir et parvenir au ciel. Or, avec la foi, on est assur de la toute-

    puissance de Dieu et de la misricorde divine. On nous dira encore que

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    S E C T . i l . Q U & S T . 19. DE L ' E S P R A N C E . 95

    QUESTION 19.

    DU DON DE C R A I N T E .

    N o t io n de l a cra in te de B i e n . Di vi s i on de l a cr ai nt e en

    q u a t r e e s p c e s s cra in t e mon d a in e % crainte servi le $

    c r a i n t e in it ia le , et c r a i n t e filiale.Si l a c r a i n t e est u n

    don du S a i n t - E s p r i t . S e s ra pp or ts av ec l a ch ar it .

    Q u e l l e est l a ba t i tud e q u i co rr es po nd ce d on .

    4. Peut-on craindre Dieu?

    Qui ne vous craindra, Roi des nations? s'criaitJrmie.(x, 7.)Malachie (1, 6), parlant au nom de Dieu,disait aussi : Si je suis le Seigneur, o est la crainte que vous me devez? L a crainte peut avoir un double objet : le mal, que les hommes fuient; et ce qui peuttre la cause d'un mal. Dieu, qui est la bont mme, nesaurait tre l'objet de la crainte, dans le premier sens.Il peut l'tre dans le second, parce qu'il est des maux

    nul ne saurait tre certain qu'il n pchera pas. Ceci n'infirme en rien la

    certitude de l'esprance ; car si ceux qui ont l'esprance n'arrivent pas tous

    la batitude, c'est la faute du libre arbitre qui y met obstacle par le

    pch : ce n'est nullement celle de la puissance ou de la misricorde divine, appui principal de la vertu d'esprance.

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    96 P E T I T E S O M M E . PART. n.

    qui viennent directement de lui, et d'autres que nouspouvons prouver son occasion. Les maux dont il peuttre la cause directe, ce sont les chtiments que sa jus

    tice nous inflige ; ceux que nous pouvons prouver sonoccasion, ce sont les pchs qui nous sparent de lui.Sous ces deux derniers rapports, on peut et on doit craindreDieu.

    2. La crainte se divise-t-elle en crainte filiale, initiale, servile et mondaine ?Le Matre dos sentences tablit celte division ; il est fa

    cile de la justifier. L'homme s'loigne-t-il de Dieu parla crainte de certains maux? C'est la crainte mondaine. Se tourne-t-il vers Dieu, parce qu'il craint la peine? C'estla crainte servile. S'y tourne-t-il, parce qu'il craint lepch? C'est la crainte filiale: le propre des enfants est decraindre d'offenser leur pre. Craint-il tout la fois etle mal de la peine et le mal du pch? C'est alors la crainteinitiale, qui tient le milieu entre les deux prcdentes.

    3. La crainte mondaine est-elle toujours mauvaise?La crainte mondaine ou humaine est dfendue par ces

    paroles : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps. (Matth. x.) Dieu la dfendrait-il, si elle n'tait pas mau

    vaise? La crainte mondaine ou humaine tant celle quiprocde de l'amour par lequel on s'attache au mondecomme une fin dernire est toujours mauvaise, raisonde l'amour mme dont elle procde.

    On peut rvrer et- craindre les hommes de deux manires : premire

    ment, cause de ce qu'il y a en eux de divin, comme les grces, les ver

    tus, ou du moins l'image de Dieu; et, dans ce sens, celui qui ne respecte

    pas ses semblables est rprhensible. Secondement, on peut rvrer et

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    S E C T . H . * Q U E S T . 19. DE L ' E S P R A N C E . 97

    craindre les hommes, selon qu'ils sont les ennemis de Dieu ; ce point de

    vue, on est louable de ne pas les craindre. L'Ecriture loue Elie et Elise

    de n'avoir pas redout le prince pendant leur vie. (Eccl. L V I H , 13.) Il y a,

    dit le Philosophe, des actions auxquelles l'homme ne doit consentir par

    aucune crainte, parce que c'est un plus grand mal de les commettre que

    de souffrir une peine quelconque.

    4 La crainte servile est-elle bonne ?

    La crainte servile, si on la bornait la servilit, seraitmauvaise, comme oppose la cliariL, cause de l'idemme d'esclavage qu'elle renferme : il est essentiellementcontraire la servitude ou servilit que l'amour de Dieusoit le principe des actes qu'elle produit. Mais, comme laservilit n'est pas essentielle la crainte servile, et quecelle-ci consiste seulement redouter une peine, soitque Ton aime comme sa fin dernire le bien auquel cettepeine est oppose, soit que Ton rapporte ce bien Dieului-mme, dont on lait safin,de telle sorte que l'on ne craintpas la peine comme le mal principal, la crainte servile est

    bonne dans sa substance.

    5. La crainte servile est-elle, en substance, la mmeque la crainte filiale ?

    La crainte servile, si bonne qu'elle soit, n'est cepen

    dant pas substantiellement la mme que la crainte filiale;ces deux craintes diffrent d'espce par leur objet. L'uneredoute le chtiment, l'autre le pch, deux maux biendiffrents.

    6. La crainte servile demeure-t-elle avec la charit?La crainte servile vient du Saint-Esprit, dont les bienfaits ne sont pas dtruits par la prsence de la charit.

    m. 7

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    98 P E T I T E S O M M E . PART. II

    La crainte de la peine peut exister avec la charit aumme titre que l'amour de soi, puisque c'est en vertudu mme principe que nous dsirons notre propre bien

    et que nous craignons de le perdre. Par consquent, elleest renfei-me dans la charit, quand nous redoutons lasparation de Dieu comme le plus grand des maux, ce quiest le propre de la crainte filiale. Elle existe encore avecla charit, lorsque, craignant le chtiment, non parce

    qu'il nous spare de Dieu, mais parce qu'il nuit notrebien propre, nous n'tablissons pas nanmoins notre findans ce bien propre et nous ne redoutons pas le chtiment comme le plus grand des maux. Ce qui est incompatible avec la charit, c'est la crainte de servilit qui redoute comme un mal souverain la privation d'un bien

    particulier que l'on aime comme sa fin dernire.

    7, La crainte est-elle le commencement de la sagesse ?

    Le Saint-Esprit lui-mme a dit : La crainte est le

    commencement de la sagesse. (Ps. ex, 10.)La sagesse, envisage dans son essence, a pour com

    mencement les premiers principes de la foi ; mais, pourles premires oprations par lesquelles elle se rvle ennous, elle commence par la crainte, soit servile, soit ini

    tiale. La crainte servile, toutefois, n'en est pas le commencement, de la mme faon que la crainte filiale. Elle estune sorte de principe extrinsque qui nous loigne dupch et nous rend par l mme propres l'amour de lasagesse, selon cette parole de l'Ecclsiastique (i, 27) : La crainte du Seigneur chasse le pch, au lieu que lacrainte filiale est le commencement rel et effectif de lasagesse elle-mme. En effet, si la sagesse doit rgler la

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    S E C T . iT.QUES T . 19. DE L ' E S P R A N C E . 99

    vie humaine d'aprs les lois divines, elle doit commenceren nous par un sentiment de respect et de soumission l'gard de Dieu.

    Ce qu'est la racine par rapport l'arbre, la crainte de Dieu l'est par

    .rapport a la sagesse. Gomme l'arbre est virtuellement dans sa racine; ainsi

    la sagesse est dans la crainte de Dieu. De l cette parole: La crainte du

    Seigneur est la racine de la sagesse. (Eccl.i, 25.) Etccltc autre encore:

    La crainte de Dieu est la sagesse mme. (Job, xxvni, 28.)

    8. La crainte initiale diffrc-t-elle en substance dela crainte filiale ?

    Qui dit crainte initiale, dit une crainte qui commence.Par l'emploi de celte expression, on ne veut pas distin

    guer la crainte initiale de la crainte servile ni de la craintefiliale, qui peuvent tre, chacune leur manire, le commencement de la sagesse; on dsigne seulement l'tat descommenants chez lesquels une crainte quelconque se manifeste par un commencement de charit, mais en qui lacrainte filiale n'est pas parfaite, leur charit ne l'tant pas

    elle-mme. La crainte initiale est la crainte filiale cequ'est la charit imparfaite la charit parfaite. La charit parfaite et la charit imparfaite, quoique diffrentesquant l'tat, ne diffrent pas quant l'essence. Lacrainte initiale, telle que nous l'entendons, ne diffre pas

    non plus substantiellement de la crainte filiale.Elles ne diffrent qu' raison de l'imperfection et de la perfection de la

    charit. La crainte que l'Ecriture nous marque comme le commencement

    de l'amour est la crainte servile qui introduit la charit, comme l'aiguille

    introduit le fil.

    9. La crainte est-elle un don de l'Esprit-Saint?L'criture numre la crainte parmi les sept dons de

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    100 P E T I T E S O M M E PART. II.

    l'Esprit-Saint. (Isae, xi.) Cette crainte n'est pas lacrainte humaine, qui porta saint Pierre renier le Christ.Elle n'est pas non plus la crainte servile, qui, pour venir

    du Saint-Esprit, n'exclut pas nanmoins la volont de pcher; car les dons de l'Esprit-Saint ne sauraient existerqu'avec la grce sanctifiante. Consquemment, la craintede Dieu, numre parmi les sept dons, est la craintefiliale ou chaste. Les dons produisent en nous une grande

    docilit par rapport aux mouvements de l'Esprit divin, ettel est l'effet de la crainte filiale qui nous fait rvrerDieu et craindre de nous en sparer. Aussi cette craintelient, parmi les sept dons du Saint-Esprit, le premier rangdans l'ordre ascendant, et le dernier dans l'ordre oppos.

    La crainte filiale n'est pas oppose la vertu de l'esprance. Elle ne

    nous porte pas dsesprer de la grce de Dieu ; elle nous fait craindre

    seulement de nous soustraire nous-mmes par le pch au secours divin.

    La crainte filiale cl l'esprance marchent ensemble et se perfectionnent

    mutuellement.

    10. La crainte diminue-t-clle mesure que la charit augmente ?

    U y a deux sortes de crainte : la crainte filiale, par laquelle le fils a peur d'offenser son pre ou d'en tre spar ;et la crainte servile, qui redoute le chtiment. La

    crainte filiale augmente avec la charit : plus on aimequelqu'un, plus on craint de l'offenser et de s'en sparer. La crainte servile est, quant la servilit, totalementdtruite, lorsque la charit arrive; mais la crainte de lapeine reste en substance, comme il a t dit plus haut. Lacrainte de la peine elle-mme diminue avec l'augmentation de la charit, notamment par rapport son acte.Plus on aime Dieu, moins on craint ses chtiments; et

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    S E C T . n . - Q U E S T , 19. D E L ' E S P R A N C E . 101

    cela, pour deux raisons : on songe moins son bien propreauquel la peine est contraire, et on espre davantage quel'on sera rcompens de Dieu mme.

    11. La crainte subsiste-t-elle dans le ciel? La crainte du Seigneur est sainte, dit le Psalmiste ;

    elle subsiste dans tous les sicles. (Ps. xvin, 10.)La crainte servile ou crainte du chtiment, incompa

    tible avec la scurit de la batitude ternelle, n'existeen aucune faon dans la patrie cleste. Mais la craintefiliale, qui augmente avec la charit, sera parfaite quandla charit le sera elle-mme. Par une consquence ncessaire, son acte ne sera pas entirement le mme qu'ici-bas, o, vu l'instabilit de notre libre arbitre-, il est tou

    jours possible que nous renoncions la soumission Dieu.Au ciel, la crainte de ce mal n'existe pas. Si les Espritsclestes tremblent la vue de la majest incomprhensiblede Dieu, ce n'est pas d'une crainte pnible, mais d'admiration. Saint Augustin, ne voulant pas se prononcer sur

    l'existence de la crainte dans le ciel, a dit : Si la crainte chaste, qui, selon l'Ecriture, subsiste dans tous les sicles, doit exister au cleste sjour, elle sera celle qui affermit dans le bien qu'on ne peut perdre, et non la crainte qui recloute le mal. Ou bien, s'il ne peut absolument exis-

    ter aucune espce de crainte dans le ciel, celle qui, selon l'criture, subsiste dans les sicles des sicles, exprime peut-tre l'ternelle rcompense o la crainte chaste nous conduit (1).

    (1) L'existence de la crainLc dans le ciel n'est pas un dogme de foi.

    Comme on le voit, saint Thomas reconnat, avec saint Augustin, que l'onpeut soutenir qu'il n'y a dans le ciel aucune espce de crainte, bien qu'il

    ne partage pas ce sentiment.

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    102 P E T I T E S O M M E . PART. II

    12. La pauvret d'esprit correspond-elle au don decrainte ?

    La crainte du Seigneur, remarque saint Augustin,

    convient aux hommes humbles, dont il est dit : Bien- heureux les pauvres d'esprit.

    Puisque la crainte filiale tmoigne . Dieu le respect etla soumission, tout ce qui est la consquence d'une tellesoumission se rapporte au don de crainte. Or un homme

    qui se soumet Dieu cesse de chercher sa gloire en lui-mme ou en toute autre chose qu'en Dieu. L'entire soumission que nous supposons l'y force. Ceux-ci se con- fient dans leurs chars, disait le Psalmiste, ceux-l dans leurs chevaux; mais nous, nous invoquons le nom du Seigneur. (Ps. xix, 8.) Par consquent, quiconquecraint Dieu parfaitement ne met sa gloire, ni en lui-mmepar l'orgueil, ni dans les biens extrieurs; deux dispositions qui appartiennent la pauvret d'esprit, que l'onpeut entendre, avec saint Augustin, de l'absence de l'orgueil, ou, avec saint Ambroise, du mpris des biens tem

    porels.

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    SECT. U.QOEST. 20. DE L ' E S P R A N C E . 103

    QUESTION 20.

    DU DSESPOIR.

    L e dsespo ir es t u n p c h , qu i n e su pp os e p a s to uj ou rs

    l ' inf idl i t. S a gr av it . ~ Se s c au se s .

    1. Le dsespoir est-il un pch?Ce qui porte les hommes divers pchs est non-seule

    ment un pch, mais un principe de pch. Tel est le dsespoir, dont saint Paul, parlant de certains hommes, adit: Le dsespoir les a livrs l'impudicit, l'avarice et toutes sortes de corruption. (Eph. iv, 19.)

    Si tout mouvement de l'me conforme une ide vraieest bon en lui-mme, tout mouvement conforme uneide fausse est mauvais en soi et constitue un pch. Ornotre esprit est dans le vrai quand il pense que Dieu,auteur du salut des hommes, accorde le pardon aux p

    cheurs repentants, selon cette parole : Je ne veux pas la mort du pcheur, mais je veux qu'il se convertisse et qu'il vivo. (Ezch. x v m , 23.) Notre esprit est, aucontraire, dans le faux, quand il juge que Dieu refuse lepardon au pcheur pnitent ou qu'il n'attire pas les pcheurs par la grce justifiante. De mmo que l'acte del'esprance, conforme un jugement vrai, est louable etvertueux; ainsi l'acte du dsespoir, conforme une ide

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    104 P E T I T E S O M M E PART. IT.

    fausse, est vicieux et coupable. Le dsespoir est donc unpch.

    2. Le dsespoir peut-il exister sans l'infidlit?Le dsespoir n'est pas toujours accompagn de l'infi

    dlit. L'esprance est postrieure la foi; la foi peut survivre sa destruction. En tant ce qui suit, on n'te pasce qui prcde. Sans doute celui-l serait infidle qui

    croirait que la misricorde de Dieu n'est pas infinie. Maisun homme, en conservant sur la misricorde divine et surla rmission des pchs une croyance conforme la foi,peut s'imaginer que, dans l'tat o il est, il ne doit pasesprer en Dieu. Comme cette erreur particulire ne dtruit pas absolument la foi, le dsespoir peut exister sansl'infidlit.

    3. Le dsespoir est-il le plus grand des pchs?Les pchs opposs aux vertus thologales sont en eux-

    mmes plus graves que les autres, parce qu'ils impliquent

    directement l'loignement de Dieu. L'infidlit, le dsespoir et la haine de Dieu, qui sont des pchs opposs auxvertus thologales, sont en consquence plus graves queles autres pchs mortels. Toutefois, la haine de Dieu etl'infidlit sont en soi plus graves que le dsespoir; car

    l'infidlit ne croit pas la vrit divine, et la haine deDieu met la volont de l'homme en opposition avec la souveraine bont; au lieu que le dsespoir consiste seulement ne plus attendre la participation cette divine bont.Ne pas croire Dieu ou le har est assurment un plusgrand pch que de ne pas esprer obtenir de lui la batitude. A un autre point de vue, si l'on compare le dsespoir ces deux pchs par rapport nous, il nous est

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    S E C T . i l . Q U E S T . 20. DE L ' E S P R A N C E . 105

    plus funeste. L'esprance nous retire du mal et nous anime la poursuite du bien : on voit ceux qui l'ont perdue s'abandonner bientt tous les vices et s'loigner de toutes

    les bonnes uvres. Faire un crime, nous dit saint Isidore, c'est la mort de l'me; dsesprer, c'est descendre en

    a enfer.

    . Le dsespoir vient-il de la paresse?

    Le dsespoir provient de deux causes : de la luxure etde la paresse. Lorsque quelqu'un ne gote pas les biensspirituels comme des biens rels ou qu'il ne les estime pasd'un grand prix, d'o croyez-vous que provient en luicelte disposition? Elle est le rsultat des jouissances corporelles, et notamment de la volupt. Du moment oul'homme s'attache aux plaisirs impurs, il prend dgotles biens spirituels. La paresse, de son ct, le conduit ne pas croire qu'il lui soit possible d'obtenir les biensspirituels, ni par lui-mme, ni par autrui; elle produit unexcs de dcouragement, qui, s'emparant de sa volont,

    lui persuade qu'il est dsormais incapable de s'lever aucun bien tant soit peu difficile pratiquer ou obtenir.

    L'homme heureux sent grandir son esprance. Celui qui vit dans la tris

    tesse tombe facilement dans le dsespoir, selon cette parole de l'Aptre :

    De peur qu'il ne soit accabl par une tristesse excessive. (2 Cor. n, 7.)

    Tant qu'il ne sort pas de son lal par un violent effort, il ne peut s'lever

    h des choses grandes et agrables. Abm dans sa douleur, il ne pense pas

    mme aux bienfaits de Dieu. De l une grande tristesse qui dprime l'me.

    Le dgot vient la suite.

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    QUESTION 21.

    DE L A P R S O M P T I O N .

    N o t i o n de l a pr somp t io n* On m o n t r e qu'e l l e e s t u n pch*

    S o n o ppo s i t i o n sp c i a l e l ' e s p r a nc e ,S a c a us e .

    1. La prsomption se confie-t-elle en Dieu ou en lavertu propre de l'homme ?

    L'esprance excessive que l'on a, soit en sa propre vertu,soit en la vertu de Dieu, est de la prsomption. L'esprance en notre propre vertu est cle la prsomption, lorsque nous croyons pouvoir acqurir par nous-mmes unbien qui dpasse nos facults. De l cette parole de Ju

    dith (vi, 15): Vous humiliez ceux qui prsument d'eux- mmes. L'esprance en la puissance de Dieu devient de la prsomption, ds que l'on attend un bien qui,quoique possible en soi obtenir avec le secours de lapuissance et de la misricorde divine, ne l'est cependant

    pas dans les conditions et les bornes que l'on met sonesprance; c'est le cas d'un pcheur qui espre obtenirle pardon sans repentir ou la gloire sans mrites.

    2. La prsomption est-elle un pch ?Il est faux que Dieu pardonne ceux qui persvrent

    dans le pch ou qu'il glorifie ceux qui ne font pas debonnes uvres, comme le voudraient croire les prsomp-

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    SECT. i l . Q U E S T . 21. DE L ' E S P R A N C E . 107

    tueux. La prsomption, qui rsulte de cette ide errone,est un pch, bien qu'elle soit un moindre pch que ledsespoir; car il convient mieux Dieu de faire misricorde

    et de pardonner que de punir. Il est dans sa nature d'userde clmence : le chtiment ne lui appartient qu' raisonde nos pchs.

    Pcher avec l'esprance d'obtenir un jour le pardon de sa faute, moyen

    nant le repentir et le ferme propos, n'est pas de la prsomption. Au

    contraire, celte disposition diminue le pch, en ce qu'elle suppose une volont moins attache au mal.

    3. La prsomption est-elle plus oppose la craintequ' l'esprance ?

    La prsomption, sans doute, est oppose la crainte,et surtout la crainte servile, qui a pour objet les chtiments divins, dont le prsomptueux espre la remise;mais la fausse ressemblance qu'elle a avec l'esprancemontre qu'elle est plus directement oppose cette dernire vertu, dont elle implique le drglement l'gard

    de Dieu.

    4. La prsomption vient-elle de la vaine gloire?Il y a deux sortes de prsomptueux : les uns, pleins

    de confiance en leur propre vertu, entreprennent comme

    possible ce qui la dpasse ; leur prsomption provient dela vaine gloire. Ils recherchent surtout ce qui excite l'admiration par la nouveaut, La prsomption des nouveau- ts, dit saint Grgoire, est fille de la vaine gloire. Les autres, s'appuyant d'une manire drgle sur la puissance ou sur la misricorde de Dieu, esprent la gloiresans mrites et le pardon sans repentir. Cette confianceprsomptueuse parat provenir directement de l'orgueil.

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    108 P E T I T E S O M M E PAIIT. II.

    Les hommes de cette espce ont une ide si avantageused'eux-mmes qu'ils se persuadent que Dieu ne les punirapas ou ne les exclura pas du ciel pouf leurs pchs.

    QUESTION 22.

    DES PRCEPTES DE L ' E S P R A N C E ET DE LA C R A I N T E .

    C o n v e n a n c e des prceptes touchant l ' e sprance e t la cra inte .

    i. Devait-il y avoir, dans la loi ancienne, quelque

    prcepte concernant l'esprance?Il convenait que des prceptes fussent tablis l'gard

    de l'esprance. La preuve en est que l'criture sainte encontient un grand nombre. Combien, disait saint ugus- tin, n'avons-nous pas de prceptes sur la foi! combien

    sur l'esprance ! Parmi les prceptes contenus clansl'criture sainte, les uns appartiennent la substancemme de la loi, les autres en sont les fondements; et, aunombre de ces derniers, il faut compter ceux qui regardent la foi et l'esprance; car, par la foi, l'homme reconnat l'auteur de la loi pour son matre, et, par l'esprance, il est excit observer ce que la loi prescrit. Queles prceptes qui appartiennent la substance mme de

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    S E C T . n . Q U E S T . 22. DE L ' E S P R A N C E . 109

    la loi et qui ont pour but la bonne direction de la viesoient exprims dans le Dcalogue sous forme de commandement, cela se conoit ; ils sont adresss des hommes

    dj soumis et disposs obir. Il n'en devait pas tre demme de ceux de l'esprance et de la foi. Si ces deuxvertus n'existaient pas dans le cur d'un homme, en vainon lui donnerait une loi. Cela tant, comme le prceptede la foi ne dut tre exprime dans le Dcalogue que par

    forme de dclaration ou de mmorial, celui de l'esprancen'y dut figurer aussi que par manire de promesse. LeDcalogue une fois promulgu, il appartenait aux hommesremplis de l'esprit de Dieu de porter leurs frres, non-seulement en accomplir les prceptes, mais surtout

    r

    en garder les bases : aussi trouve-t-on dans l'Ecrituresainte, aprs la promulgation de la loi, une multitude depassages qui excitent les hommes la vertu de l'esprance,non plus seulement par forme de promesse, comme clans lepremier et le quatrime prcepte du Dcalogue, mais parforme d'admonition et de commandement, ce que l'onvoit par ce texte et par beaucoup d'autres : Esprez au Seigneur, vous tous qui composez l'assemble de son peuple. (Ps. L X I , 9.)

    La nature nous excite suffisamment esprer le bien qui nous est pro

    portionn, mais non pas le bien surnaturel. L'autorit de Dieu seul pouvait

    nous porter, par promesses, par avertissements ou par prceptes, l'esp

    rance des biens surnaturels.

    2. Etait-il ncessaire d'tablir quelque prcepte touchant la crainte ?

    Il est crit : Maintenant, Isral, qu'est-ce que le Sei- gneur demande de vous, sinon que vous craigniez le

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    Seigneur votre Dieu. (Deut. x, 12.) Donc la crainte deDieu est l'objet d'un prcepte.

    Le Dcalogue ne devait pas renfermer de prcepte for

    mel sur la crainte servile ; c'tait par des menaces qu'ilfallait inspirer ce sentiment salutaire. Mais, plus tard, lessages et les prophtes ont fait l'gard de la crainte servile ce qu'ils avaient fait pour l'esprance; ils ont promulgu des prceptes formels. Quant la crainte filiale,

    elle est ordonne dans la loi ancienne, comme la charit elle-mme, l'une et l'autre conduisant aux actes extrieurs prescrits par le Dcalogue. Elle forme en quelquesorte la conclusion du Dcalogue lui-mme dans les paroles du Dcutronome que nous venons de citer, et dansle reste du mme chapitre o il est ordonn l'hommede craindre Dieu, de marcher dans ses voies en l'honorant, et de s'attacher lui* par l'amour.

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    DE LA CHARIT.

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    TABLEAU SYNOPTIQUE.

    BE LA. CBBAIRBT.

    / Essence.QllCSt.(Nature 23

    (Sujet 24

    Objet.

    La charit"

    elle-mme.

    Actesou effets. Autres

    aclcsou effets.

    A la joie,

    DE LA

    CHARIT. {

    (V.tab.18.)

    tres qu'on doit aimer 25

    Onlre rte 1*amour 20

    'Acte principal, l'amour 27

    Joie 28

    i Intrieurs. {Paix 29I

    Misricorde 30

    ( Bienfaisance 31Aiw...i.. Aumne 32

    [Correction fraternelle 33/A l'amour, la haine. 34

    le dgot 35

    l'en\ie 36

    Par pense, la discorde 37

    Par parole, la contention 38

    le schisme 30

    la guerre 40

    les querelles 41

    la sdition 42

    A la bienfaisance, le scandale 43

    Prceptes 44Don de sagesse corres- ( L a sagesse en elle-mme.., 45pondant la charit. \ \M folio, qui lui est oppose 40

    EXPLICATION.

    Vices

    C0Htraircs\ A l a l ) a i x '

    Par action,'

    Nous envisageons d'obnrd la charit dans son essrnco M , 2 4 .ensuite dans sonobjet*3,20 . Passant de l ses actes ou euntg, nous parlons de son acte principal, qui est l'amour37,et dos actes plus particulinrs, tant intrieurs: la joi*-B la paix 2 0 la misricorde,50qu'extrieurs: la l.icnfaisancc5'l'aumne52cl la correction fraternelle35.

    Les vices contraires a la charit sont : la haine5*,le dgot35, l'cnvio50,la discorde57,la contention

    9

    *!le schisme5 0

    , la guerre40

    , les querelles41

    ,la sdition42

    , ellescandale iS.

    Nous montrons la convenance du douMo prcepte de la charit4*,et nous terminons parl'explication du don de sagesse qui correspond cotte vertu4 0 , 4 0 .

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    QUESTION 23.

    DE f /E SSE NCE DE LA C H A R I T .

    L a char it eut u n e am i t i cr e d a n s no ir e A m e ; e l l e est

    une ve rt u sp cia le , l a p lu s exc el l ent e de to ut es , sa ns

    laquel le i l ne peut y avoir aucune vertu vraie .

    1. La charit est-elle une amiti?Le Christ, s'adressant ses Aptres, disait : Je ne

    vous appellerai plus mes serviteurs, je vous appellerai mes amis. (Jean, xv, 15.) Il parlait ainsi en vertu dela charit. Donc la charit est une amiti.

    L'amiti suppose la bienveillance, la rciprocit d'affection, et une communication quelconque. Aimons-nous unepersonne, nous voulons la rciprocit d'amiti, et notrebienveillance mutuelle a pour base un bien communiqu.Or Dieu nous fait participer sa batitude; et, sur cettecommunication, dont parle l'Aptre, quand il dit: Dieu, qui vous a appels la socit de Jsus-Christ, son Fils, est fidle (1 Cor. i, 9), se fonde un certain amour d'a-

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    1 H P E T I T E S O M M E . P A R T . T.

    miti, qui prend le nom de charit. La charit, ainsi comprise, est une amiti spciale de l'homme avec Dieu.

    Mais, dira quelqu'un , la charit a pour objet nos ennemis eux-mmes,

    d'aprs cette parole : a Aimez vos ennemis. O est alors la rciprocit

    d'affection sans laquelle l'amiti n'existe pas. On aime quelqu'un de

    deux manires : d'abord cause de lui-mme, et, dans ce sens, nous n'ai

    mons que nos amis; ensuite, cause d'une autre personne. Or l'amiti

    que nous portons un ami peut tre si grande qu' cause de lui nous

    aimions ceux qui lui sont unis par quelque lien: ses enfants, ses serviteurs, etc., alors mme qu'ils nous offensent ou qu'ils nous hassent.

    Voil comment l'amiti de la charit s'tend nos ennemis. Nous les aimons

    cause de Dieu, objet principal de la charit.

    2. La charit est-elle quelque chose de cr dans

    l'me ?Saint Augustin disait : J'appelle charit le mouvement

    de l'me qui veut jouir de Dieu cause de Dieu mme. Le mouvement de l'me est cr. La charit est donc quelque chose de cr dans l'me.

    Le Matre des sentences, qui s'est longuement tendusur celte question, pensait que la charit tait l'Esprit-Saint lui-mme habitant dans nos mes. Il n'entendait pasque le mouvement d'amour par lequel nous aimons Dieuft l'Esprit-Saint; il voulait dire que ce mouvement pro

    vient de l'Esprit-Saint sans l'intermdiaire d'aucune habitude. Son but tait de rehausser l'excellence de la charit; mais sa doctrine, au contraire, tournerait au dtriment de celte vertu, puisqu'il faudrait admettre que l'mehumaine, dans l'acte de la charit que l'Esprit-Saint luiimprime, est mue la faon d'un corps sous l'actiond'un moteur externe, sans tre elle-mme d'aucune manire le principe de son mouvement: ce qui serait nier le

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    SECT . i l .QUEST. 23. D E L A C H A R I T . 115

    volontaire, dont la cause doit rsider dans l'agent mme;nier l'amour lui-mme, dont l'acte procde essentiellement de la volont; nier enfin le mrite, dont l'amour

    de charit est le fondement. Lorsque notre volont estporte par l'Esprit-Saint un acte d'amour, il est ncessaire que l'impulsion soit donne de telle manireque la volont elle-mme, libre d'agir ou de ne pas agir,soit le principe efficace de cet acte. De plus, aucune

    de nos facults ne produisant parfaitement les actes quine lui sont pas rendus comme naturels par une habitude quelconque ; l'acte de la charit, en particulier,surpassant manifestement nos puissances naturelles, qu'arriverait-il si une qualit habituelle quelconque n'tait passurajoute notre volont pour la porter aimer? Sonacte, moins parfait que les actes naturels, ne serait nifacile, ni agrable. Il est loin pourtant d'en tre ainsi. Aucune vertu n'a autant d'inclination son acte que lacharit, et aucune n'opre avec autant de plaisir. Il suitde l que la charit veut, comme condition essentielle,

    qu'une qualit habituelle, cre dans notre me et surajoute notre puissance naturelle, nous porte produire ses actes.

    La charit est unie l'me, comme l'me au corps ; elle est la vie de

    l'me, comme rame est la vie du corps. Mais elle est en nous une habi

    tude cre, habitude qui est une participation de la divine charit.

    3. La charit est-elle une vertu? La charit, dit saint Augustin, est une vertu qui

    nous unit Dieu. Il y a, on l'a vu, deux rgles pourles actes humains : la raison humaine et Dieu. De mmeque la conformit avec la droite raison constitue la vertumorale; de mme la conformit avec Dieu constitue aussi

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    116 P E T I T E S O M M E . PART. .

    des vertus d'un autre ordre, comme nous l'avons dit ausujet de la foi et de l'esprance. La charit est une vertu,puisque, suivant l'expression de saint Augustin, elle nous

    unit Dieu mme.

    4. La charit est-elle une vertu spciale?On peut se convaincre par ces paroles de saint Paul :

    Maintenant ces trois vertus, la foi, l'esprance et la

    ce charit, subsistent s> (i Cor. xm, 43), que la charit,cnumre avec la foi et l'esprance, est une vertu spciale.Une raison qui prouve que la charit est une vertu

    particulire, c'est que l'objet propre de l'amour est lebien, et que l o il y a un bien d'une nature particulire,il y a aussi un amour spcial. Le bien divin, objet de la

    batitude, a une nature particulire. L'amour de la charit, qui a ce bien pour objet, est consquemmenl unamour spcial, et, par suite, la charit est aussi unevertu spciale.

    5. La vertu de charit est-elle une?La charit est une, cause de l'unit de la bont divine;

    comme la foi est une, cause de l'unit de la vrit divine. Elle est une dans sa fin, qui est la bont de Dieu ;une dans la communication de la batitude, sur laquelle

    repose l'amiti qui sert sa dfinition; bref, elle est unedans son espce.

    On dira peut-tre qu'elle a pour objet Dieu et le prochain. Cela est

    vrai; mais Dieu est toujours son principal objet, le prochain n'tant aim

    qu' cause de Dieu.

    6. La charit est-elle la plus grande des vertus?L'Aptre, parlant des trois vertus thologales, ajoute :

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    S E C T . H . Q U E S T . 23. D E L A C H A U I T . 117

    La plus grande de ces vertus est la charit. (4 Cor. xm,43.) Dieu tant la premire rgle laquelle la raisonhumaine doit se conformer, les vertus thologales sont

    suprieures aux vertus morales ou intellectuelles, qui consistent seulement se conformer 4a raison humaine.Or, parmi les vertus thologales, celle qui atteint Dieu deplus prs doit, pour le mme motif, l'emporter sur lesautres. Au lieu que la foi et l'esprance s'approchent de

    Dieu pour en retirer la connaissance de la vrit ou la.possession d'un bien, la charit nous y unit absolument,pour que nous nous reposions en lui, et non pour quenous en recevions quelque chose. La charit, on le voit,est plus excellente que la foi, que l'esprance et que toutesles autres vertus.

    7. "Y a-t-il quelque vraie vertu sans la charit?coutons l'Aptre : Quand j'aurai distribu tout mon

    bien pour nourrir les pauvres et que j'aurai livr mon corps pour tre brl, tout cela ne me sert de rien si

    je n'ai pas la charit. (4 Cor. xm, 3.) Comme lebien principal de l'homme est dans la possession de Dieu,scion cette parole : Mon bien est d'tre uni Dieu, toute vertu vritable doit tendre vers la fin dernire. Leschoses ainsi comprises, il n'y a pas de vraie vertu sans la

    charit qui nous met en rapport avec Dieu. Si l'on entend par vertu une qualit habituelle qui se rapporte une fin secondaire, on peut admettre qu'il y a plusieursvertus en dehors de la charit ; avec cette restriction,toutefois, que l'on ne donnera pas ce nom aux habitudesqui, n'embrassant qu'un bien apparent, ne sont que lessimulacres de la vertu. Car, comme le dit saint Augustin : Il n'y a point de vertu dans la prudence de l'avare,

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    118 P E T I T E S O M M E PART. II

    qui lui fait dcouvrir divers moyens de s'enrichir; dans sa justice, qui ne craint pas de blesser les droits d'au- trui pour viter une perte; dans sa temprance, qui ne

    met un frein aux dsirs de la luxure que par crainte de la dpense; ni mme dans sa force, qui fuit la pauvret, selon l'expression du pote latin, travers les mers, les rochers et les flammes. Mais quand le bien particulier que l'on veut est un bien rel ; par exemple, le

    salut d'un Etat ou tout autre semblable, il y a alors unevertu vraie, laquelle n'est parfaite, toutefois, que quandon la rapporte au bien final et parfait, la batitude.Par consquent, il n'y a pas de vertu absolument vraiesans la charit.

    Un homme qui n'a pas la charit peut agir en vertu de quelque don

    de Dieu : de la foi, de l'esprance, ou d'une qualit naturelle. En ce sens-

    l, il y a des actes bons sans la charit; mais ces actes ne sont pas parfai

    tement bons, parce qu'ils ne se rapportent pas comme il conviendrait la

    fin dernire, quelle que soit, d'ailleurs, la droiture de celui qui les fait. 11 en

    est de mme des vertus de justice et de chastet ; elles ne sont de vraies

    vertus que par la chant qui les rapporte leur fin lgitime.

    8. La charit est-elle la forme des vertus?Ce qui donne un acte la fin qui lui convient lui don

    nant par l mme sa forme, saint Ambroise a eu raisond'appeler la charit la forme des vertus. C'est elle, en

    effet, qui confre la forme aux actes de toutes les autresvertus en les rapportant la fin dernire. Elle est cons-quemment la forme des vertus elles-mmes ; car les vertus ne sont telles qu' cause de leurs actes forms.

    La charit est la forme des vertus comme cause efficace, en leur impo

    sant leur fin. Elle en est le fondement et la racine, en les soutenantet en les nourrissant. Elle en est la mre, en enfantant leurs actes pour

    la lin dernire.

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    SECT . i f . Q U E S T . 24. D E LA C H A R I T . H 9

    QUESTION 24.DU SUJET DE LA C H A R I T .

    Quelle fac u l t ser t d e suje t l a ch ar i t . Pr od uc t i on de

    cet te ver tu en no us . -S on ac cr o i s s em en t . S a perf ec t io n .

    Ses tro i s degrs . E l l e n e d i m i n u e pa s . O n l a per d

    par le pch morte l*

    \ . La volont est-elle le sujet de la charit?La charit, dont l'objet est le bien intelligible et divin

    que notre esprit seul peut percevoir, a pour sige ennous l'apptit intellectif, qu'on appelle la volont, et non

    pas l'apptit sensilif, qui se rapporte au bien peru parles sens.

    La facult concupiscible, laquelle fait partie de l'apptit sensilif, ne s'

    tend pas au del des biens sensibles. L'apptit intellectif seul peut attein

    dre le bien divin, qui est un bien intelligible. La charit rside aussi

    dans la raison, cause de l'affinit de la volont avec l'intelligence; maisla raison n'en est pas la rgle premire. La charit de Jsus-Chrisl, di-

    sait l'Aptre, surpasse toute science. (Eph. m, 19.)

    2. La charit est-elle produite en nous par infusion? La charit de Dieu a t rpandue dans nos curs

    par l'Esprit-Saint, qui nous a t donn. (Rom. v, 5.)La communication de la batitude, sur laquelle est fon-

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    -1-20 P E T I T E S O M M E . P K T . I I .

    de l'amiti de la charit, est dans l'ordre des dons surnaturels, comme on le voit par ce mot de l'Aptre : La vie ternelle est une grce de Dieu. (Rom. vi, 23.) Il

    s'ensuit que la charit, dpassant toute puissance naturelle, ne peut tre en nous, ni comme produit de la nature, ni comme acquisition de nos facults naturelles.Elle nous est infuse par l'Esprit-Saint, qui est l'amourdu Pre et du Fils, amour dont la participation est pour

    nous la charit cre elle-mme.Quoique l'amour de Dieu fond sur la communication des biens naturels

    existe naturellement chez tous les hommes, il n'en est pas de mme de la

    charit fonde sur la communication de la batitude. On a dit que, Dieu

    tant souverainement aimable, tant en lui-mme que comme objet de la

    batitude, nous n'avons pas besoin d'une habitude infuse pour l'aimer.

    Mais Dieu peut tre souverainement aimaiffle en lui-mme sans tre tel

    pour nous, raison de notre penchant aimer les biens sensibles. Pour

    l'aimer par dessus toutes choses comme objet de notre batitude, il est

    ncessaire que la charit nous soit infuse surnaturellement. La puret du

    cur, la droiture de la conscience, la sincrit de la foi, lui servent de pr

    liminaires ; mais elles ne la produisent pas.

    3. La charit nous est-elle infuse en proportion de lacapacit de nos facults naturelles ?

    Non ; l'Esprit souffle o il veut. (Jean, ni, 8.)

    Un seul et mme esprit opre toutes ces choses ; ildistribue ses dons comme il lui plat. (1 Cor. xn,1l . )Puisque la charit dpasse les forces de la nature et.

    que la grce de l'Esprit-Saint peut seule la produire ennous, sa quantit ne dpend ni de nos capacits, ni mmede nos vertus naturelles ; elle dpend uniquement del'Esprit-Saint. La grce, a dit saint Paul, est donne selon la mesur ds dons du Christ.

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    SECT. H.QUEST. 24. D E L A C H A R I T . 121

    Dans cctlc parole : Le matre donna chacun selon sa propre vertu

    (Matin, xxv, 15), il faut entendre que Dieu rpand.ses dons sur chacun des

    hommes en proportion de leurs dispositions, c'est--dire de leurs efforts

    pour s'en rendre dignes; car tel est le sens du mot vertu. Mais ces dispositions, ces efforts proviennent toujours d'une impulsion du Saint-Esprit, qui,

    selon sa volont, agit plus ou moins sur notre esprit. Aussi l'Aptre di

    sait-il : Dieu uous a rendus dignes, en nous clairant, de participer

    l'hritage des saints. (Colos. i, 12.)

    4. La charit peut-elle s'accrotre ?Nous sommes appels voyageurs, parce que nous ten

    dons vers Dieu, dernier terme de notre batitude. Plusnous nous en approchons, plus nous avanons. Or, comme,selon l'expression de saint Augustin, on s'approche deDieu par les affections du cur et non par les mouvementsdu corps, la charit, qui unit les mes Dieu, doit oprerce rapprochement. Par consquent, il est dans son essencede pouvoir augmenter, tant que nous sommes sur la terre.Du moment o elle ne le pourrait plus, notre voyage se

    rait son terme.

    5. La charit s'accrot-elle par addition?La charit s'accrot en devenant plus intense dans un

    homme qui, par une plus grande participation avec elle,

    est plus dispos en produire les actes. C'est ce qu'ilfaut entendre quand on dit qu'elle s'accrot dans son essence. Son accroissement ne provient nullement d'uneaddition de charit une autre charit ; la plus faibleembrasse autant d'objets que la plus grande.

    0. La charit s'acca^ot-elle par chacun de ses actes?L'accroissement de la charit ressemble, sus plus d'un

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    rapport, l'accroissement du corps. Notre corps ne crotpas par un mouvement continu, de telle sorte, par exemple, que, s'il a pris tel dveloppement dans un temps

    donn, il a ncessairement grandi proportionnellementpendant toute la dure de ce temps. La nature prparela croissance sans la raliser; elle produit ensuite l'effetqu'elle avait prpar, en donnant l'accroissement rel.La charit, de mme, n'est pas immdiatement augmente

    par chacun de ses actes, quoique chaque acte prpareson accroissement, en ce sens qu'il nous rend plus disposs en produire d'autres semblables. Cette dispositionaugmentant, nous produisons des actes plus fervents, etc'est alors que notre charit est rellement augmente.

    Tout acte de charit mrite un accroissement de la grce sanctifiante ;mais Faccroissement rel n'en est pas un effet immdiat. IL ne se ralise que

    quand un homme s'efforce d'agrandir la charit en lui-inme. La rptition

    des actes peut se comparer une multitude de gouttes d'eau qui finissent

    par creuser une pierre. Chacun d'eux concourt, comme disposition, l'aug

    mentation de la grce, et le dernier, qui est le plus pariait, agissant en

    vertu de tous les autres, la rduit en acte. Toutefois, remarquons-le, on

    progresse dans les voies de Dieu, non-seulement quand la charit s'accrot

    actuellement, mais aussi pendant qu'elle prpare son accroissement.

    7. La charit s'accroit-elle indfiniment?

    Ce n'est pas, dit l'Aptre, que j'aie reu tous les dons de Dieu, ou que je sois parfait; mais je poursuis ma

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    mme. La cause qui la produit est d'une vertu infinie ;cette cause est Dieu mme. Du cte de son sujet, elle n'apas de limites ; mesure qu'elle grandit, l'me humaine

    reoit une plus grande capacit pour aimer. Ds-lors onne peut, dans cette vie, assigner aucun terme son accroissement.

    L'accroissement de la charit se rapporte la vie ternelle, et non la

    vie prsente. La capacit de la crature raisonnable devient plus grande

    mesure que la charit augmente, comme le marque cette parole : Mon cur s'est dilat. (2 Cor. vi, 11.)Ne comparons point la chant du ciel,

    qui n'augmente point, la charit d'ici-bas ; celle-ci rsulte de la connais

    sance de la foi, tandis que celle du ciel est en rapport avec la vision manifeste.

    8.La charit peut-elle tre parfaite ici-bas ? La charit, qui se fortifie, dit saint Augustin, se per-

    fectionne ; et, quand elle est parfaite, elle s'crie : Je

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    12 i P E T I T E S O M M E . I A K .

    aimant, quand un homme se dvoue tout entier Dieuet se consacre aux choses divines, ngligeant tout le reste,autant que le permet la vie prsente ; celte perfection est

    possible en ce monde, quoiqu'elle ne soit pas dans tousceux qui ont la charit. En troisime lieu, la charit estparfaite chez celui dont le cur est habituellement attach Dieu, de telle sorte qu'il ne pense ni ne veut aucunechose contraire l'amour divin ; c'est la perfection com

    mune tous ceux qui ont la charit.Les pchs vniels sont contraires aux actes, mais non l'habitude

    mme de la charit, lis rpugnent la perfection du ciel, et non celle

    d'ici-bas; car, comme l'enseigne saint Jean : Si nous disons que nous

    n'avons point de pch, nous nous abusons. (1 Jean, i, 8.) La perfection

    de la charit dans ce monde n'est pas une perfection absolue, et, pourcela mme, elle est toujours susceptible d'accroissement (1).

    9.Doit-on distinguer trois degrs dans la charit : iocommencement, le progrs et la perfection ?

    Quand la charit est ne, dit saint Augustin, on

    l'alimente ; quand elle est alimente, on la fortifie ; quand elle est fortifie, on la perfectionne. L'hommedoit commencer par s'occuper de fuir le pch et de rsister aux attraits de la concupiscence ; voil pour lescommenants. Vient ensuite le travail qui consiste s'ap

    pliquer d'une manire spciale aux progrs dans le bien ;

    (1) II est remarquable que saint Thomas n'envisage pas la charit par

    faite au point de vue des thologiens modernes, qui ont tant de peine a d

    finir ce qui la distingue de la charit imparfaite. Nous ne serions pas surpris

    que toutes les subtilits dont celte question est hrisse, notre poque,

    soient prvenues du jansnisme, qui a dfigur les enseignements lesplus lmentaires. Il es! temps d'en revenir aux simples notions exposes

    dans cet article.

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    S E C T . il.QCT:ST. 24. D E L C H A R I T . 125

    c'est le soin de ceux qui progressent. Enfin l'hommeaspire l'union avec Dieu, dont il veut jouir ; ceci est l'uvre des parfa