P L A I S I R

D U B É A R N

LOUIS BARTHOU, EMMANUEL BERL, HENRY BORDEAUX, CHAHLES DE BORDEU, CHAMPETIER DE RIBES, TRISTAN

DERÈME, FRANÇOIS DUHOURCAU, FRANCIS JAMMES, PIERRE LASSERRE, MAURICE MARTIN DU GARD, MICHELLE ET PAUL

BLÉRY, BERNARD NABONNE, F. RIBADEAU DUMAS, P.-J. TOULET, FRANZ TOUSSAINT.

P L A I S I R

D U B É A R N

L A N O U V E L L E S O C I É T É D ' É D I T I O N - 2 8 1 , R u e S a i n t - H o n o r é , P a r i s -

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE :

VINGT EXEMPLAIRES SUR PUR CHIFFON

VERGÉ DE RIVES, HORS COMMERCE, NUMÉROTÉS DE I A XX.

Copyright by LA NOUVELLE SOCIÉTE D'ÉDITION (1931) Droits de t raduct ion et de reproduction réservés pour tous pays.

AVANT-PROPOS

Désireux de louer dignement l'un des plus beaux pays de France, nous avons demandé à quelques Béarnais et amis du Béarn d'expri- mer leurs sentiments sur la terre du Bon Roy Henry.

Nous remercions ici tous ceux qui ont bien voulu s'associer à ce dessein et répondre à l'appel que leur a adressé en notre nom M. François Ribadeau Dumas, chargé d'établir ce recueil.

Peu de temps avant de mourir, M. Pierre Lasserre nous remit les pages qu'on lira plus loin, consacrées à la mémoire de son éminent compatriote, le chimiste Charles Moureu, pro- fesseur au Collège de France. Que ce livre soit dédié à leur souvenir.

Nous en avons placé les chapitres sans aucun souci de vaine préséance, sans autre souci que d'ordonner les idées et d'en faciliter l'intelli-

gence. Si nous avons mis en tête les beaux poèmes de Francis Jammes, ce n'est que pour disposer heureusement le lecteur et recon- naître à la poésie son privilège.

M. Louis Barthou a bien voulu écrire spécia- lement pour nous un premier chapitre de ses « Souvenirs » dont la publication sera, quelque jour, un événement littéraire. Nous avons eu la bonne fortune d'obtenir des écrits posthumes de Charles de Bordeu et de P. J. Toulet. Les sujétions de la vie politique ont empêché M. Léon Bérard d'achever les pages qu'il nous avait promises, et M. l'abbé Henri Bremond, que notre projet avait vivement intéressé, nous a priés d'attendre la publication des derniers tomes de son « Histoire du Sentiment Reli- gieux ». Mais M. Henry Bordeaux, en revanche, délaissant pour quelques heures la Savoie, a honoré ce livre d'un beau chapitre sur Henri IV à Pau.

Nous offrons ces pages à tous ceux qui aiment le Béarn pour ses vertus à la fois ro- bustes et apaisantes et qui, en ayant goûté la mélancolie ou le « plaisir », s'intéressent à son avenir et à sa prospérité.

LES EDITEURS,

PANNEAUX POUR UN PARAVENT

DE LENDRESSE

Poèmes par FRANCIS JAMMES.

I

LA CHASSE AVEC BORDEU

Le parfum des maïs, dans l'août stupéfié, Nous entoure, et celui des menthes dans la paille Où nos chiens, affairés par quelque lourde caille, Rampent et, tout à coup, semblent pétrifiés.

C'est l'arrêt. L'oiseau part. Mais il ne peut se fier A son vol, car Bordeu vise avec sa ferraille : Un fusil à piston qui ne dit rien qui vaille, Mais dont il tire mieux que ne sait Jupiter.

Les coteaux sont émus, la plaine si tranquille, Le gave tiède autour du sable de ses îles, Le clocher et le puits, la grange et la maison,

Lorsque, l'aile pointue ayant cessé de battre, On entend revenir du bout de l'horizon Le bruit du coup de feu qui fait le diable à quatre.

II

LA PÊCHE A LENDRESSE

Dans la transparence de l'eau Les poissons font dodo.

Le pêcheur les voit, de la rive, Et, prudemment, arrive.

A sa ligne pend une frêle Et pauvre sauterelle.

Avant qu'elle ait mordu, la truite Est prise. Tout de suite.

Et, sur la grève aride, cuit, Cuit, cuit, cuit, cuit midi.

I I I

SUR LE TOMBEAU DE WILLIAM OETTINGER

QUI A SOIGNÉ MARIE JAMMES

O c â p r i e r s , P r i e z !

IV

LE REPROCHE DU VIEUX CLOCHER, MON AMI, A LA FONTAINE DE MARBRE DE LA SALLE A MANGER

D'ABOS

Les tranches de melon, ces lunes potagères, Dans l'ombre de midi que les volets mi-clos Ménagent aux chasseurs confusément éclairent Les cristaux qu'a remplis la vendange d'Abos.

Sur les dalles, le nez rejoignant son derrière, Un chien dort, secoué d'un singulier sanglot. Rêve-t-il aux perdrix qu'il n'a, dans la fougère, Pu faire se lever, courantes comme l'eau?

Mais les convives, tels qu'en l'an 1830, Gentilshommes ruraux, petits bourgeois à rentes, Peu soucieux d'un gibier qui se montra roué,

etirent du lard roux et des feuilles de vigne, es cailles, en disant : Des dieux elles sont dignes! » tandis que le clocher, vieux voisin, tousse, enroué.

V

EPITAPHE D'AUTOMNE

O m o n colchique Mélancolique, Nous te foulons

Quand la bécasse D'octobre passe Dans ce vallon.

Les jeunes filles Fon t un bouquet Dans le bosquet. O les gentilles!

Mais malgré tout, Tous ces atouts :

Leurs yeux qui br i l lent Sous la mantil le, Leurs saines dents Aux fruits mordant ,

Et cette joue Que l'Amour troue, Il leur suffit, Quand vient la nuit, D'un feu de pâtre, Pour que leur cœur Pris de frayeur Cesse de battre.

O cher Printemps! J'ai soixante ans. J'aime la brume, Ce feu qui fume Et l'âcre odeur Des feuilles mortes Que le soir porte Au promeneur, Et l'infortune De la lune.

S'il est trop tard Pour le pique-nique, Que le colchique, O mon Béarn ! Devienne rose Où je repose, Moi, le vieillard!

VI

DANS LES COMBLES

Le jeune homme moderne Essaye en son grenier Qu'éclaire une lanterne L'habit d'un chevalier.

Je ne sais s'il nous berne, Mais son aspect altier Semble bien le lier Au temps de la poterne.

Cependant, il est chic. Dans l'œil, un léger tic Semble dire à sa femme,

Folle de lui d'ailleurs : Que pensez-vous, Madame, De mon ancien tailleur?

VII

L'ESCAPADE DURANT LE BAL

Dans la nuit et par la neige, Ce soir, puissé-je, D'un pied ouaté, Se dit Adèle,

Le rejoindre en a parte Sous la tonnelle.

VIII

LE DEUIL DU CONSEILLER MUNICIPAL

Cher Monsieur Van den Pott, fils du pays flamand, Qui vîntes en Béarn, la boîte à botanique Passée au dos, vernie, et d'un vert si charmant Qu'on eût dit d'un géant insecte carabique.

Descendu pour huit jours, pour huit jours seulement — Car la discrétion est aristocratique — Vous restâtes trente ans dans ce Lendresse unique, Un peu moins que n'eût fait la Belle au bois dormant

Mais vous sûtes si bien visiter les bergères, Qui se plaignaient à vous de vapeurs passagères, Et mêler votre flore à leurs bouillons pointus,

Que le maître actuel de ces grâces rustiques Regrette la formule et les hautes vertus Qui de vous eussent fait son agent politique.

IX

L'ENTRÉE

On a chassé La canicule. Il fait glacé Au vestibule.

X

SALON

Un liseron bleu s'enlace, Coupe avide de rosée, Aux simples roses rosées Que répercute la glace De Venise, biseautée. Et la lèvre d'une tasse Verte qu'un liséré dore Où le café fume encore, Attend la lèvre de Laure.

SOUVENIRS DE LA RUE SABLIERE,

p a r L o u i s B A R T H O U ,

de l'Académie Française.

C'est ainsi qu'elle s'appelait en 1862, dans la ville d'Oloron, la rue, longue, étroite et droite, où je naquis. Riveraine du gave, elle devait son nom aux sables du torrent toujours ra- pide et souvent emporté qui désagrégeait les roches et déposait leurs menus graviers à la droite et à la gauche de son cours. Que de fois j'y suis descendu! Il n'y a pas dans cette rue une maison que je ne connaisse et dont les escaliers qui vont à la rivière ne me soient familiers.

Aujourd'hui, c'est la rue Chanzy. Le nom d'un des généraux qui, en 1870, sauvèrent l'honneur, a remplacé l'épithète géologique à laquelle m'avait habitué mon enfance. Mais l'aspect général n'a pas beaucoup changé. Du pont de Sainte-Marie au pont d'Oloron, les maisons ont conservé leur physionomie, qui n'a rien de pittoresque. Sans être neuves, elles sont modernes. Il faut aller ailleurs, dans la rue Saint-Grat, au Carrerot ou au Marcadet, pour trouver les vieilles façades, évocatrices

du passé. Celles-ci parlent à mon imagination : l'ancienne rue Sablière parle à mon cœur. J'y ai passé toute ma prime jeunesse. A l'évoquer, les souvenirs affluent et se pressent. Il y a soixante ans!

Mais on dit que la mémoire des vieillards leur rapporte avec une sorte de fraîcheur avi- vée les impressions et les gestes de leur en- fance. J'en fais, en ce moment, l'expérience. Il m'a suffi de remonter dans le passé pour que je l'aie, tout de suite, retrouvé, vivant et pré- sent, avec ses vraies couleurs, que le temps n'a pas fanées. La vie nous entraîne dans un courant si rapide qu'elle nous laisse rarement le loisir d'évoquer les années défuntes. Il y faut une occasion et un acte de volonté. Mais pourtant « l'écrin du souvenir est notre seule richesse ». Anatole France l'a dit avec un charme infini où, cette fois, l'ironie cède la place à une sorte de mélancolie résignée qui s'exprime avec les nuances les plus délicates. « Ce qui n'est plus! Mais est-il autre chose au monde? Ce qui n'est plus, n'est-ce pas le seul bien que nous puissions avoir? Tout nous fuit, tout nous meurt. Le présent est passé avant que nous le concevions. Emportés nous-mêmes dans la fuite universelle des choses, nous croyons trouver un refuge dans l'avenir. Mais l'avenir, c'est ce qui ne sera plus, c'est le passé que nous projetons devant nous... »

Comment choisir dans « mon écrin » ? Le flot du passé m'envahit et il m'oppresse. Pour- quoi ai-je ouvert l'écluse, que j'avais jusqu'ici obstinément fermée?

Une sollicitation inflexible, que je n'ai pas réussi à lasser, m'a demandé de parler du Béarn. C'est un grand sujet, où mon cœur m'a porté, tout de suite, vers ma petite ville. D'au- tres peut-être évoqueront l'histoire générale, qui est belle et glorieuse, et sans laquelle la France ne serait pas ce qu'elle est. Plus hum- blement, je suis revenu à Oioron, et comme « nous ne nous souvenons que de nous- mêmes », — ainsi que l'a dit, je crois, Royer- Collard, — je me suis revu dans la rue Sa- blière. Qu'il faisait bon y vivre! Mais connaît- on jamais son bonheur? A présent, oui, quand il est si loin, et que l'imagination seule m'en restitue l'image et l'éphémère jouissance. Mais, il y a soixante ans! je ne savais pas. Autour de la maison paternelle, où mes chers parents faisaient des sacrifices pour m'élever avec un courage confiant au-dessus de leur position, les voisins étaient des amis. Chacun me choyait. Le père Vivent me disait, pour des raisons que j'ai oubliées, du mal du Conseil municipal, mais, pharmacien généreux, il me donnait, dans des cornets de papier blanc, des bonbons dont il disait un bien qu'ils méri- taient. C'était un bourru bienfaisant. De l'autre

côté de la rue, le père Touan, drapier acha- landé et bonapartiste endurci, discutait avec mon père, qui n'avait pas été un des oui du plébiscite. Mais le 5 septembre, quand ils apprirent la défaite de Sedan, ils pleurèrent ensemble, étant l'un et l'autre de bons Fran- çais que le malheur de la patrie rapprochait et unissait.

Père Touan et père Vivent, et vous, Papa, auquel je dois ce que je suis devenu, parce que votre ferme affection me guida toujours dans les voies sûres, me pardonnez-vous d'évo- quer ici, si près de vous, Rosine et Léoncie? Nous jouions à des jeux ardents et chastes. Ah! les jolies amies qu'elles étaient! Rosine, dont le père était Espagnol, avait un éclat magnifique, une ardeur passionnée, une vo- lonté impérieuse, des sautes d'humeur, des coups de tête. Léoncie, de race purement béar- naise, me plaisait par sa grâce enjouée, par sa finesse, par sa constance. Tous les trois, nous descendions au gave par ce long escalier de la maison de Rosine qui avait les détours d'un labyrinthe. On se jetait de l'eau à la figure, on se battait et, baisers innocents! on s'embrassait. Quand les sons aigus du che- vrier, qui vendait pour un sou ou deux un bol de lait chaud, arrivaient de la rue, nous nous bousculions dans les étages pour arriver à temps et, d'une maison à l'autre, nous conti-

nuions nos jeux. Rosine, plus tard, bien plus tard ! eut des aventures, qui s'achevèrent dans un mariage bourgeois. Léoncie contracta bourgeoisement une union qu'aucune aven- ture n'avait précédée. Elle était pondérée, sage et raisonnable. J'étais son confident : je ne me souviens pas qu'elle m'ait jamais fait un aveu de quelque importance. Mais voici que, brusquement, un mot et une attitude se fixent devant moi : j'entends Rosine, je vois Rosine, et je suis sûr, tout à fait sûr, qu'elle n'avait pas attendu quinze ans pour être amoureuse. Si jeunesse savait! Rosine commençait à apprendre...

J'étais le lecteur de mes amies. Mais un jour, « nous ne lûmes pas plus avant ». Oh! pas comme Francesca et Paolo, s'il est permis de citer, à propos des jeux puérils de la rue Sablière, l'immortel épisode de la Divine Co- médie.Ce fut la peur qui interrompit la lecture. Un journal publiait en feuilleton La Morte Vivante. Nous suivions avec une curiosité qui n'était pas de notre âge les péripéties de ce roman macabre. Il vint un terrible chapitre : nous ne pûmes pas aller jusqu'au bout. Je dois peut-être à cette frayeur de ne pas aimer beaucoup les romans-feuilletons. Mais, nommé député, je reçus la visite imprévue de Rosine. Elle me fit un aveu... plusieurs même, dont le moindre me confessait qu'elle s'était procuré

le journal, en cachette; pour elle seule, et que La Morte Vivante avait par ses horreurs trou- blé plus d'une de ses nuits!

Je faisais d'autres lectures. Assis sur un tabouret, dans la rue Sablière, devant la quin- caillerie de mon père, je me crevais les yeux sur des livres dont le choix, ou plutôt le ha- sard, n'était pas toujours également heureux. Connaissez-vous Les Incas? Non... Et bien, moi, oui. Je les ai lus à douze ans. La con- quête du Pérou par les Espagnols me passion- nait. Si j'avais eu l'âme d'un explorateur, ce livre aurait déterminé ma vocation. Est-ce un chef-d'œuvre? Je ne saurais vous le dire, ne l'ayant pas relu depuis, mais j'en doute fort. Il y a du bon Marmontel : ce sont ses Mémoi- res. Dans la rue Sablière, à douze ans, ils ne m'auraient pas intéressé comme les Incas. Mais depuis j'en ai goûté l'originalité et la saveur, l'esprit et l'exactitude.

Déjà presque, à cet âge, je lisais du Victor Hugo. Ce fut au lycée de Pau qu'Hernani m'en donna le goût, auquel je suis resté fidèle. Quel dommage que le grand poète n'ait pas vu Oloron! J'imagine que cette ville si pitto- resque lui aurait inspiré de très beaux vers. Mais, après tout, est-ce bien sûr? Son ami, Alfred de Vigny — qui était son ami à cette époque — n'en a tiré aucun sujet, quoiqu'il eût, pendant des années, foulé la rue Sablière

de son talon aristocratique. Ayant si souvent parcouru Sainte-Croix, Sainte-Marie et le Mar- cadet, il a chanté les Pyrénées en prose et en vers, mais il ne nomme Oloron que dans ses lettres. Victor Hugo, qui passa par Pau et par Orthez, a imaginé Oloron sans avoir vu la ville. Mieux eût valu une visite, qui aurait accordé la splendeur des vers avec la réalité des lieux. Mais soyons fiers d'avoir notre place, même si elle n'est qu'approximative, dans La Légende des Siècles. Car nous y sommes.

Prenez Le Jour des Rois, où

L'aube sur les grands monts se lève frémis- [sante,

Le six janvier de l'an du Christ huit cent [soixante.

Au septentrion, une flamme révèle un incen- die. Vich brûle. Don Pancho s'est rué sur elle. Qui, ce don Pancho?

Pancho, roi d'Oloron, commande au carrefour Des trois pertuis profonds qui vont d'Espagne

[en France.

Ne soyons pas trop fiers. Si don Pancho a existé, préférons-lui, quoique Oloronais, et sinon Palois, du moins Béarnais, la gloire de Henri IV. Comment aimerions-nous ce roi d'Oloron?