OBERT PHÈLE président de l’AMF La réglementation,

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Cryptomonnaies, un futur incertain [DOSSIER] ECONOMIE Pages 5-17 Les smart betas : une révolution ? GESTION D’ACTIFS Pages 18-21 La réglementation, une question d’équilibre Octobre - Novembre - Décembre 2018 - 20 Cession d’entreprise, une véritable aventure Maximiser la valeur de son cabinet CAS PRATIQUE Pages 32-34 STRATEGIE Pages 58-61 A l’heure où la principale place financière s’apprête à quitter l’Europe, il est indispensable de construire une alternative attractive et cohérente à l’intérieur de l’Union. ROBERT OPHÈLE, président de l’AMF

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Cryptomonnaies,un futur incertain

[DOSSIER]ECONOMIE Pages 5-17

Les smart betas :une révolution ?

GESTION D’ACTIFS Pages 18-21

La réglementation, une question d’équilibre

Octobre - Novembre - Décembre 2018 - 20€

Cession d’entreprise,une véritableaventure

Maximiser la valeurde son cabinet

CAS PRATIQUE Pages 32-34

STRATEGIE Pages 58-61

A l’heure où la principaleplace financière s’apprête

à quitter l’Europe, il estindispensable de construireune alternative attractiveet cohérente à l’intérieur

de l’Union.

ROBERT OPHÈLE, président de l’AMF

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EconomieEtudes

5 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Dossier coordonné par Guillaume Lucchini, dirigeant et fondateur de Scala Patrimoine

DOSSIER

Sommaire :Bitcoin et autres cryptomonnaies, la gestion de patrimoine à l’heure de la Blockchain.......................................................page 6Par Guillaume Lucchini, dirigeant et fondateur de Scala Patrimoine

Quel avenir pour les cryptomonnaies ?...................................................................................................................................................................................................page 8Par Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes, cabinet Fabrice Heuvrard

Enjeux et difficultés comptables..................................................................................................................................................................................................................page 10Par Jeremy Lellouche, expert-comptable, commissaire aux comptes et associé-fondateur du cabinet Fox Audit

« Nos clients risquaient d’être soumis à un taux d’imposition d’environ 65 % dans le meilleur des cas »............page 15Interview de Maître Nicolas Canetti, avocat associé au sein du cabinet Bornhauser

Cryptomonnaie : attention aux arnaques ! ..........................................................................................................................................................................................page 17Par Hélène Feron-Poloni, avocate au Barreau de Paris

Cryptomonnaies,un futur encore incertain

Alors que le Bictoin & co ont quelque peu disparu des Unes des journaux,il n’en reste pas moins que l’investissement en cryptomonnaies reste un univers

d’investissement prisé par certains initiés. L’avenir de ce circuit financier alternatifreste prometteur, mais très incertain, alors qu’un cadre réglementaire va lui êtreoctroyé. De leur côté, les professionnels du conseil, du chiffre et du droit doivent

composer avec des règles inadaptées et un vide juridique criant.

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Depuis maintenant près de deux ans, lesUnes de presse s’accumulent sur le sujet.La raison en est simple, le cours du Bitcoin,première cryptomonnaie mondiale, s’estaffolé à la hausse en 2017, et plus particu-

lièrement en fin d’année. Depuis le début 2018, c’est toutl’effet contraire qui s’est produit. Le cours est passé d’unpic à 16 000 € à une cotation sous les 6 000 € aujourd’hui.

Le sujet des cryptomonnaiesdépasse donc aujourd’hui le cercletrès fermé des spécialistes de laBlockchain, il arrive aujourd’hui àla porte des particuliers qui yvoient, dans ce monde de taux bas,une opportunité de placement trèslucratif. Ce qui apparaît, pour cer-tains, comme la révolution dumoment est au contraire considérépour d’autres comme un actifpurement spéculatif qui pourraitêtre à l’origine de la plus grosseescroquerie du siècle.En France, si cet actif n’est pas assi-milé à une monnaie au sens strictdu terme, il n’en est pas moinsconsidéré, au regard de son rayon-nement sur la scène internatio-

nale, comme un actif patrimonial. La position de l’Etatfrançais a fortement évolué ces dernières années sur sonsujet, le projet de loi de finances pour 2019 jours devraitvenir confirmer son fléchissement.

Bitcoin et cryptomonnaies,un actif patrimonial hautementspéculatifDès 2014, le gouvernement s’est préoccupé de l’ampleurque prenaient ces actifs virtuels. Au mois de juin, ungroupe de travail piloté par Tracfin a remis au gouver-nement de l’époque un rapport intitulé « L’encadrementdes monnaies virtuelles ». Ce rapport prévoyait notam-ment de clarifier le régime fiscal de ces monnaies vir-tuelles. En effet, il était fait mention dans le rapport que« Si les volumes existants de monnaies virtuelles ne sontpas susceptibles de déstabiliser le système financier, cesmonnaies non officielles sont en développement et pré-sentent des risques d’utilisations illicites ou frauduleuses ».Le 11 juillet 2014, quelques jours après la remise de cerapport, l’administration fiscale venait préciser viala mise à jour de la base BOFiP-impôts la notion de« Bitcoin » et le régime fiscal qui lui est applicable : « LesBitcoins et autres monnaies virtuelles faisant partie dupatrimoine de leur propriétaire, ils devront être déclarésau titre de l’ISF ». S’il s’agit bien d’un actif patrimonial au sens de l’admi-nistration fiscale, il ne lui en retire pas moins son carac-tère hautement spéculatif. Le nombre de Bitcoin émissur le marché a été limité par son protocole à 21 mil-lions. Cette limite pourrait être atteinte vers les années2140, puisque le rythme de création des Bitcoins estrégulé, et fluctue pour tenir compte du nombre demineurs (personne participant au développement de latechnologie) et de l’évolution de la capacité de calculdes unités informatiques connectées.Il est donc possible de détenir des Bitcoins dans le cadred’une rémunération pour service rendu, mais égalementdans le cadre d’un achat opéré sur des plates-formesInternet spécialisées qui proposent sans garantie de prix

Le nombre deBitcoin émis sur le marché a étélimité par sonprotocole à21 millions. Cettelimite pourraitêtre atteinte versles années 2140…

6 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Bitcoin et autres cryptomonnaies,la gestion de patrimoineà l’heure de la Blockchain

Des plus anciens (le Bitcoin (1), l’Ether ou le Ripple) aux plus récents (le Crypto Rial iranien (2) ou le Petrovénézuélien (3)), les cryptomonnaies virtuelles oucrypto-actifs ont le vent en poupe. Reposant sur latechnologie de registre distribué (Distributed LedgerTechnology, DLT), plus communément appelé chaîne de blocks (Blockchains) (4), ces actifs numériquessont créés et échangés par les ordinateurs de leursutilisateurs, connectés en réseau, au moyen de calculsmathématiques codés par cryptographie.

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ni de liquidité, l’achat/vente de Bitcoins contre desdevises ayant cours légal. Les utilisateurs peuvent ainsiacquérir cette monnaie virtuelle sans avoir participé auprocessus de création.

Bitcoin et cryptomonnaies, son cadre juridique et fiscal, et les risques à connaître avant de se lancerAvant toute chose, il est nécessaire de comprendreque la valeur des Bitcoins résulte exclusivement de laconfrontation entre l’offre et la demande, comme toutesles autres cryptomonnaies. S’il est donc facile de rentrersur le marché, la question de la sortie mérite d’être posée,comme de sa réalité.Sur cette question, de nombreuses grandes banques onteu un avis très tranché dès 2017 sur le sujet. Pour JamieDimon de JP Morgan, « le Bitcoin est une fraude qui vaexploser en vol ». Cet avis était rejoint par Tidjane Thiam,directeur général de Credit suisse. Pour ce dernier, « laseule raison aujourd’hui pour acheter ou vendre du Bitcoinest de gagner de l’argent, ce qui est la définition même de laspéculation et la définition même d’une bulle ». La positionétait, elle, beaucoup plus nuancée pour Lloyd Blankfeinde Goldman Sachs. En effet, pour celui-ci, « les gens aussiétaient sceptiques quand la monnaie papier a remplacé l’or ».Si les opinions divergent sur cette révolution en marche,les autorités de régulations françaises et internationalesont, depuis quelques années déjà, alerté leurs utilisateurssur les risques inhérents à la détention d’un portefeuillede cryptomonnaies.Dès décembre 2013, l’Autorité bancaire européenne amis en garde le public sur les monnaies virtuelles. Cettealerte a été reprise en 2014 par l’AMF dans sa cartogra-phie des risques et des tendances sur les marchés finan-ciers et pour l’épargne. Aujourd’hui, les positions sontplus nuancées au regard du développement de la tech-nologie sous-jacente. L’objectif des autorités est cepen-dant double : continuer de lutter contre le blanchimentd’argent et le financement du terrorisme, au regard ducaractère totalement anonyme des transactions, et pro-téger l’épargnant en lui permettant de comprendre lesrisques inhérents à ce type de placement, en premier lieula liquidité. Si l’opportunité d’un tel placement peut sediscuter aujourd’hui au regard de la technologie sous-jacente qui devrait révolutionner dès demain leséchanges, il n’en reste pas moins un actif en dehors detoute réglementation, et dont le cours ne résulte que d’uneconfrontation entre acheteur et vendeur. La fiscalité fran-çaise sur les transactions particulièrement lourde étantun second frein à son développement.C’est dans ce contexte que Bruno Le Maire, actuel ministredes Finances, a annoncé que le prochain projet de loi definances devrait comporter « l’introduction d’un régimefiscal et comptable qui va être particulièrement favorable àla Blockchain et aux nouvelles technologies financières ».La France, particulièrement à la pointe dans l’écosystèmeBlockchain, bénéficierait ainsi d’un cadre novateur en lamatière. L’objectif du gouvernement est clair et assumé :

faire de la France le leader de la Blockchain en Europe. Si la volonté du gouvernement est bien de se tournerces prochaines années vers un assouplissement de lafiscalité des cryptomonnaies et envoyer ainsi un signalfort à la communauté des monnaies virtuelles, l’AMFvient de publier, quant à elle, sa liste noire des sitesnon autorisés à proposer aux particuliers d’investir dansdes crypto-actifs. ●

Guillaume Lucchini, dirigeant et fondateur de Scala Patrimoine

1. Créé en 2008 par Satoshi Nakamoto, le Bitcoin est l’un des plusanciens crypto-actifs, Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System,https://bitcoin.org/bitcoin.pdf.2. https://www.forbes.com/sites/yayafanusie/2018/08/15/blockchain-authoritarianism-the-regime-in-iran-goes-crypto/#4e99e3ad3dc6.3. https://www.forbes.com/sites/francescoppola/2018/01/08/venezuelas-cryptocurrency-isnt-really-a-cryptocurrency-at-all/#a5a8f456cbe3.4. Née courant 2008, la chaîne de blocs ou blockchain et unetechnologie servant à l’origine de support au Bitcoin. Par extensionle dispositif d’enregistrement électronique partagé (DLT) désigne(1) toute base de stockage et de transmission de donnéesinformatiques, (2) sécurisée, (3) partagée par ses différents utilisateurset (4) qui contient l’historique de tous les échanges effectués entreses utilisateurs depuis sa création. Le régime juridique des DLTtrouve sa source notamment dans les dispositions des articles L.211-3 et suivants du Code monétaire et financier.

Si l’opportunitéd’un tel placementpeut se discuteraujourd’hui auregard de latechnologie sous-jacente qui devraitrévolutionner dèsdemain leséchanges, il n’enreste pas moins un actif en dehorsde touteréglementation, et dont le cours nerésulte que d’uneconfrontationentre acheteur et vendeur.

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Guillaume Lucchini dirige Scala Patrimoine, un des rares cabinets de gestion de patri-moine 100 % indépendant au sens de la réglementation MIF2. Scala Patrimoine accom-pagne les familles, entrepreneurs et professions libérales, ainsi que les sportifs dehaut niveau dans la structuration et la gestion de leur patrimoine personnel et pro-fessionnel en France, comme à l’étranger.Son équipe experte et multidisciplinaire offre un accompagnement global et surmesure pour répondre à toutes les problématiques patrimoniales, financières et fis-cales auxquelles peuvent être confrontés au cours de leur vie et/ou de leur évolu-tion professionnelle les particuliers.

GUILLAUME LUCCHINI, dirigeant et fondateur de Scala Patrimoine.

DOSSIER

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Alors qu’elles ont fait la Unede tous les journaux il y a quelques

mois, en particulier le Bitcoin,les cryptomonnaies représentent

une alternative aux financementstraditionnels encore incertaine,

notamment en raison de l’absence de cadre réglementaire.

Avec une valorisation à plusieurs centaines demilliards de dollars, les cryptomonnaies ontréussi à se trouver une place, à tort ou à rai-son, dans le paysage médiatique. Cependant,il reste encore du chemin pour s’introduire

en profondeur dans le monde financier classique, hostilepar nature à toute innovation à même de la supplanter.

Les ICO, un potentiel de disruptiondu capital-venture De manière synthétique, les ICO disposent de la capacitéà remplacer les investisseurs en capital dans leur rôle d’ac-compagnateur de start-up dans la phase d’amorçage etde développement.Les ICO présentent deux avantages majeurs : - des montants significatifs, bien au-delà de la centainede milliers d’euros, obtenu par les systèmes de finance-ment classiques ;- une levée de fonds qui ne connaît pas de frontière. Dansle monde des crypto-actifs, la libre-circulation des capi-taux n’est pas qu’une simple théorie économique.Cependant, les ICO pâtissent de la jeunesse d’une régle-mentation (lenteur de la mise en place d’un KYC [Knowyour Costumer, la connaissance client, ndlr] digne de cenom), contrainte de réguler maladroitement ce phéno-mène pour protéger Madame Michu, qui ne dispose pasdes compétences pour étudier la viabilité d’un projet etêtre à l’abri d’escrocs.

Quel avenirpour les cryptomonnaies ?

8 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

De manièresynthétique, les ICOdisposent de lacapacité à remplacerles investisseurs encapital dans leur rôled’accompagnateurde start-up dansla phase d’amorçage et de développement.

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Les crypto-actifs à l’ombrede la technologie de blockchain Bien que la technologie de la Blockchain constitue unedes briques indispensables qui a contribué à développerles crypto-actifs, leurs détracteurs vantent régulièrementses avantages disruptifs dans la technologie de Block-chain au détriment de leur potentiel disruptif commemoyens de paiement/d’échange dans le cadre de tran-saction de pair à pair.Les acteurs du développement de l’Internet des objets(IoT), qui auront massivement recours à la technologiede la Blockchain, utiliseront probablement un crypto-actifpour comptabiliser les échanges entre utilisateurs(humains ou robots).Par conséquent, si les crypto-actifs ne s’émancipent pasde leur parent – la technologie de Blockchain – leur ave-nir n’est pas assuré à long terme.

La réglementation : une obligationpour un développement serein et pérenneLes crypto-actifs et la technologie de la Blockchain ontsu acquérir une notoriété significative dans un inter-valle de temps faible. Comme toute innovation majeureen son temps, il est nécessaire de la confronter à la régle-mentation locale en vigueur (par exemple, le dévelop-pement du transportautomobile à la fin duXIXe siècle, puis le déve-loppement du transportaérien à partir des annéestrente).Les crypto-actifs sont unphénomène planétaire. Ace titre, on note l’absencede réglementation supra-nationale, à l’instar dudroit maritime interna-tional. Dès lors, pour nousEuropéens, il convient de« descendre » au niveaudu droit communautaire.Or, à ce jour, on note l’ab-sence de réglementationuniforme et adaptée auniveau de l’Union. A cestade, nous devons nousréférer à notre réglementation nationalefrançaise. A ce dernier niveau, on notequelques timides initiatives (1) du législateurfrançais.Cette absence de cadre clair nuit profondément àl’écosystème dans son intégralité. D’un côté, les inves-tisseurs perçoivent les dangers d’investir en dehors d’uncadre réglementé. D’un autre côté, les bénéficiaires deces investissements (dans notre cas, les émetteursd’ICO) ont besoin de fonds significatifs pour mener àbien leurs projets et le cadre du financement « tradi-tionnel » n’est pas adapté.

La fiscalité et la comptabilité :avantages et inconvénients du système françaisLe développement des crypto-actifs et de leurs dérivés(ICO, ETF, etc.) sera étroitement lié à leur traitement fis-cal et comptable. Si les réglementations nationales ne s’ac-cordent pas, alors nous risquons de voir s’exacerber laconcurrence entre les différents pays pour attirer les émet-teurs d’ICO et surtout bénéficier des fonds qui auront préa-lablement fait l’objet d’une conversion en monnaie-fiat. Lacomptabilité et la fiscalité française sont étroitement liées,de l’une (la comptabilité – cf. page 10) va dépendre la basede l’autre (la base taxable – cf. page 15). Les règles comp-tables actuelles ne sont pas adaptées pour comptabilisercorrectement les opérations liées aux crypto-actifs et auxICO. En effet, elles conduisent à comptabiliser éventuel-lement un produit lors de l’émission de l’ICO, et à l’assu-jettir à la TVA (faute d’avoir une exonération ad hoc). Ensynthèse, l’avenir des crypto-actifs est pluriel, à l’image dunombre de crypto-actifs existants à ce jour. Entre régle-mentation et financement dynamique des innovationstechnologiques, les crypto-actifs doivent encore faire leurchemin et démontrer toute leur(s) capacité(s). ●

Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes

(1) www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036171908

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Les crypto-actifssont un phénomèneplanétaire. A cetitre, on notel’absence deréglementationsupranationale, à l’instar du droitmaritimeinternational.

Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes,inscrit à l’Ordre des experts-comptables de Paris-Ile de France.Après avoir passé deux ans dans un cabinet d’expertise tradi-tionnel et six ans dans un cabinet d’audit parisien (MontielLaborde), Fabrice Heuvrard a créé sa structure d’expertise-comp-table ex nihilo. Passionné par les nouvelles technologies, il s’estspécialisé ces dernières années sur les cryptomonnaies et accom-pagne de nombreux acteurs du secteur (particuliers comme pro-fessionnels). Il est membre du Cercle du Coin et de la ChainTech.

FABRICE HEUVRARD, expert-comptable et commissaire aux comptes.

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face crypto-financière, chiffre d’affaires/volume de busi-ness, résultat net/profitabilité. La différence est qu’ils ne mobilisent – proportionnellement – que peu ou pas deressources humaines et matérielles. Il existe au moins trois différents régimes fiscaux appli-cables aux produits sur cryptomonnaies.

❚ Les BIC (et micro-BIC), les BNC (et micro-BNC), les PVCBMLes obligations fiscales, administratives, comptablesdécoulent d’une analyse fine du profil et de l’activitédu trader et/ou mineur. On distinguera différents typesd’acteurs : les traders non habituels, les traders profes-sionnels, les mineurs. Il est à noter que le minage estpresque toujours couplé à du trading. Ce dernier étantessentiel pour la monétisation et l’optimisation des pro-duits du minage.L’identification de la catégorie à laquelle appartient letrader, par exemple, va dépendre du caractère habituelde son activité. C’est, pour l’essentiel, ce caractère habi-tuel qui fera de lui un professionnel. Outre l’importantcritère de la fréquence des trades, il faudra bien souvent

S’entourerd’experts estfondamental pourles mineurs et lestraders. Au regardde la technicité deleurs opérations,des volumes enjeu et desdifficultésd’application desrègles fiscales,ils ont besoindu concours deprofessionnelscomptables oujuridiques, aumoins autant que la plupart des chefsd’entreprises.

Monnaie virtuelle :enjeux et difficultés comptables

10 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Outre des règles fiscales etadministratives, la tenue d’une

comptabilité est primordiale pourles investisseurs en cryptomonnaies.

Or, les règles diffèrent en fonction de lanature de l’investisseur, des opérations

effectuées ou encore des opérationscomptables à traiter. Eclairage avec

Jeremy Lellouche, expert-comptable,commissaire aux comptes et associé-

fondateur du cabinet Fox Audit.

L’écosystème des cryptomonnaies est extrême-ment large. Les clients de notre cabinet sontdes traders de ces monnaies virtuelles, desmineurs [ces individus qui vérifient les tran-sactions et opérations effectuées par les utili-

sateurs sur le réseau, ndlr], des porteurs de projets Block-chain ou boutiques ICO. Ce sont aussi un certain nombred’entreprises plongées dans l’écosystème des cryptode-vises du fait de leurs placements en cryptomonnaies, leursouscription à des ICO ou encore leurs encaissementsacceptés en Bitcoins.Mais les besoins les plus courants restent ceux de per-sonnes physiques, traders ou mineurs de cryptomonnaies.Les activités de trading ou de minage sont parfois pour-suivies en parallèle d’un métier ou d’une activité princi-pale, par des « geeks », passionnés de Blockchain et trèsà l’aise avec l’informatique, voire la programmation. Cespersonnes constituent une communauté qui fréquenteles mêmes forums et trade sur les mêmes plates-formesd’échanges, depuis plusieurs années déjà.

Déterminer le régime fiscalS’entourer d’experts est fondamental pour les mineurs etles traders. Au regard de la technicité de leurs opérations,des volumes en jeu et des difficultés d’application desrègles fiscales, ils ont besoin du concours de profession-nels comptables ou juridiques, au moins autant que laplupart des chefs d’entreprises. Certains affichent parfoisdes metrics de grosses PME en termes de total bilan/sur-

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considérer la complexité des opérations, la variété descryptomonnaies échangées, le nombre de plates-formesde trading utilisées, ou encore le recours à des robots oualgorithmes de trading automatisé. Il convient de touteévidence de s’en remettre au jugement du professionnelpour analyser sa situation : un avocat fiscaliste et/ou unexpert-comptable au fait sur la réglementation relativeaux cryptomonnaies, et ayant une connaissance fine despratiques et des technologies sous-jacentes.Les mineurs et les traders de cryptomonnaies habituelsrelèvent respectivement des BNC et BIC. Ils doivent décla-rer leur activité professionnelle, s’immatriculer au RCSet se doter d’un numéro Siren. Il convient de préciser au CFE une date de début d’acti-vité et choisir ses options fiscales : BIC ou BNC, suivantun régime réel ou bien micro. Il y a une quasi-obligationd’adhérer à un OGA [organisme de gestion agréé, nldr] :l’adhésion doit s’effectuer au plus tard dans les cinq moissuivant la date de début d’activité, sous peine de majo-ration de 25 % de la base imposable. Les traders occa-sionnels ne sont, en principe, pas soumis à ces obligationsadministratives. Les obligations en matière de comptabilité découlentdirectement du régime fiscal dans lequel sont placés lestraders ou mineurs. Elles diffèrent d’un simple particu-lier souhaitant déclarer une plus-value de cession d’unbitcoin conservé pendant trois ans, puis revendu à un tra-der habituel tenu à une « vraie » comptabilité, dans le res-pect du plan comptable général. Nous avons résumé dansle tableau ci-contre les principales obligations comptableset fiscales applicables aux mineurs et traders en fonctionde leur catégorie.Le régime fiscal est rarement identifié ab initio. Etantdonné que le millefeuille fiscal ne s’est structuré qu’àcompter de 2014 et avec des évolutions jusqu’à 2018, letrader qui a débuté en 2011 ou 2012 ne pouvait avoirconscience au départ des obligations fiscales – et donccomptables – qui lui incomberaient rétroactivement. La base taxable va être différente selon les cas : il s’agitdu chiffre d’affaires pour le professionnel relevant desBIC ou BNC, mais optant pour l’application du régimemicro ; du bénéfice calculé « au réel » pour le profession-nel relevant des BIC ou BNC ; ou bien de la « plus-valuede cession » pour le particulier qui réalise desachats/reventes occasionnelles.

Une indispensable tenuedes comptesIl n’est pas toujours aisé de remonter dans le temps. Lesrelevés bancaires ne sont souvent plus à disposition (qua-rante-cinq jours pour certaines banques) et les comptespeuvent avoir été clôturés ; les portefeuilles sur les plates-formes d’échanges peuvent avoir été clôturés et les plates-formes peuvent avoir elles-mêmes fermé. Les éditions,exports ou captures d’écran ne sont parfois plus réali-sables. Heureusement, certains traders ont des connais-sances assez impressionnantes en termes de « forage » deBlockchain et peuvent malgré tout retrouver des tran-sactions très anciennes. Il est donc important de tenir unecomptabilité dès le départ.

Les obligations en matière decomptabilitédécoulentdirectement durégime fiscal danslequel sont placésles traders oumineurs. Ellesdiffèrent d’unsimple particuliersouhaitant déclarerune plus-value decession d’unbitcoin conservépendant trois ans,puis revendu à untrader habitueltenu à une« vraie »comptabilité, dansle respect du plancomptable général.

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Jeremy Lellouche est expert-comptable et commissaire auxcomptes. Il est l’associé-fondateur du cabinet Fox Audit,implanté à Paris et à Nantes. Il intervient sur des missionsd’audit légal, d’expertise-comptable et financière, et d’éva-luation d’entreprise. Il est sollicité par des fonds d’investis-sement, des cabinets d’avocats, des directions financières,ou encore des juridictions pour des missions de commissa-riat aux apports. Le pôle de compétences en matière deBlockchain et d’activités liées aux cryptomonnaies a permisau cabinet de développer des approches de valorisation deToken [selon la définition de Blocakchain France, actif numé-rique émis et échangeable sur une Blockchain, ndlr], demodélisation financière dans le cadre d’ICO ou encore d’au-dit de whitepaper.

JEREMY LELLOUCHE, expert-comptable, commissaire aux comptes et associé-fondateur du cabinet Fox Audit.

Pour le trader, notre méthodologie consiste à dresser unecartographie préalable : les différents volets de son acti-vité, les différents portefeuilles utilisés et les quantités decryptomonnaies correspondantes, ainsi que les plates-formes d’échange sur lesquelles il a opéré ses trades. Même lorsqu’une personne estime ou souhaite releverd’un régime en apparence plus simple d’un point de vuecomptable, notre travail doit être suffisamment global etévolutif pour permettre un changement de régime à l’oc-casion d’une modification ou précision réglementaire,d’un franchissement de plafond ou bien d’une activiténon habituelle devenant professionnelle. En matière de traitements comptables, notre cabinet s’estfait sa propre religion. En l’absence de doctrine ou normesspécifiques aux cryptomonnaies, nous avons appliqué lesprincipes comptables édictés par le plan comptable géné-ral et adopté un raisonnement par analogie. >>>

DOSSIER

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Activité Tradingoccasionnel Trading habituel Mining

Régimed’imposition PVBM

Micro BICsi CA < 170 000 €en N-1 ou N-2

BIC Réel simplifié BIC Réel normalMicro BNCsi CA < 70 000 € enN-1 ou N-2

BNC Déclarationcontrôlée

Déclarationsfiscales

Imprimé n° 2048 M1 formulaire parcession

Imprimé n° 2042CPRO

Liasse n°2031Imprimé n° 2042C PRO"

Liasse n°2031Imprimé n° 2042CPRO

Imprimé n° 2042CPRO

Liasse n°2035Imprimé n° 2042CPRO

Base detaxation

Plus-value brutesrelatives aux cessions> 5000 €Pas de déduction desmoins values ni des frais

Chiffre d’affaires(somme des prix decession)

Bénéfice (plus-value nettede frais, provisions,charges sociales, etc)

Bénéfice (plus-valuenette de frais,provisions, chargessociales, etc)

Chiffre d’affaires(somme desproduits du minage)

Bénéfice (plus-valuenette de frais,provisions, chargessociales, etc)

Tenue de lacomptabilité

Justification partous moyens de ladate et du prixd’acquisition

Non obligatoire

Comptabilitéd’engagement, optionpossible pour lacomptabilité de trésorerieen cours d’exercice

Comptabilitéd’engagement Non obligatoire Comptabilité

de trésorerie

Livrescomptablesobligatoires

Non obligatoireLivre-journal derecettesRegistre des achats

Livre-journalet grand-livre

Livre-journal et grand-livre

Livre-journal des recettes

Livre-journal desrecettes et desdépenses, registre des immobilisations et des amortissements

Inventaire Non obligatoire Non obligatoire

Au minimum une fois par période de 12 mois.Evaluation forfaitairepossible

Au minimum unefois par période de 12 mois

Non obligatoire Non obligatoire

Comptesannuels Non obligatoire Non obligatoire

Bilan, compte de résultatet annexe. Présentationsimplifiée des comptes,présentation abrégée del’annexe ou dispensed’annexe

Bilan, compte derésultat et annexe.Présentationsimplifiée possiblepour l’annexe souscondition de seuil

Non obligatoireUniquement uncompte de résultatfiscal

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La définition de la notion de cryptomonnaie que confirmeprogressivement l’administration fiscale est celle d’un bienmeuble. Les cryptomonnaies possédées ou échangées parle professionnel sont du stock (comptes de classe #3).Nous avons choisi de ne pas les comptabiliser en immo-bilisations financières (comptes de classe #2). Nous n’es-timons pas non plus qu’elles sont – comptablement – assi-milables à de la trésorerie ou des valeurs mobilières deplacement (comptes de classe #5). Les comptabilités sonttenues TTC, dans la mesure où les opérations de tradinget de minage sont exonérées de TVA. La comptabilisation des opérations en cryptomonnaies(trades ou bien transferts en monnaies non-fiat) est loind’être aisée, dans la mesure où les comptabilités fran-çaises sont tenues en euros. Il est obligatoire pour le cabi-net de penser et développer les schémas d’écritures comp-tables les plus adaptés aux opérations réalisées.Retracer comptablement l’exhaustivité des flux est com-plexe, car répondant à plusieurs impératifs : patrimonial

d’une part, pour refléter les soldes de cryptomonnaiespossédées à un instant T, et fiscal d’autre part, pour appré-hender de la façon la plus juste les plus ou moins-valuesgénérées. Il faut considérer et gérer un ensemble decontraintes propres à l’écosystème des cryptomonnaies : - une rétroactivité généralement importante à traiter parle professionnel comptable. En effet, le démarrage destravaux de compilation a souvent lieu plusieurs mois ouannées après la première opération du trader ou mineur,bien que de bonne foi ;- les traders disposent généralement de plusieurscomptes, dits Wallets, sur des plates-formes d’échanges.D’importants volumes d’opérations sont à appréhenderdans certains dossiers : au-delà du million de lignes Excelsur plusieurs années d’exports de trader dit haute fré-quence. L’expert-comptable doit disposer de compé-tences informatiques poussées, souvent aux frontièresde la programmation, pour exploiter de très lourdsfichiers ; >>>

12 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Synthèse des obligations comptables

DOSSIER

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- la diversité des sources d’informations transmises parle trader : exports des plates-formes d’échanges, capturesd’écran, carnets de notes, etc. Il est à déplorer une absencetotale d’uniformité des exports disponibles sur les diffé-rentes plates-formes. Il est difficile d’obtenir des docu-ments ou relevés présentant la même intégrité qu’un« relevé bancaire » ou un « compte rendu de gestion ».La variété et la technicité des opérations peuvent dérou-ter certains professionnels – chaque opération devant êtretranscrite en comptabilité. Il est possible de lister (sansêtre exhaustif) : - les dépôts, retraits et transferts : ils correspondent à l’en-voi d’une quantité de cryptomonnaie d’une adresse (i.e.d’un portefeuille) à une autre. Il existe des transfertscompte à compte si le trader effectue un transfert entredeux adresses lui appartenant ;- les trades : ils peuvent consister en un échange decryptomonnaie contre cryptomonnaie sur un marché(plate-forme d’échanges) ou bien de cryptomonnaiecontre monnaie-fiat. Certaines plates-formes d’échanges permettent d’effec-tuer des opérations de trading sur marge, ventes à décou-vert, prêts ou emprunts de court terme en cryptomon-naie, utilisation de leviers, etc.

Stocks et provisionsPlusieurs méthodes de valorisation des stocks existent.Elles sont utilisées depuis bien longtemps en comptabi-lité, en finance ou en contrôle de gestion pour détermi-ner le coût de revient d’un bien – ici une quantité d’unecertaine cryptomonnaie – stockée ou vendue.Le choix d’une méthode de calcul du coût de revient peutsensiblement impacter la détermination des plus-valuesréalisées ou latentes. Les deux méthodes les plus recom-mandées sont le CMP (coût moyen pondéré, applicable,selon nous, aux BNC et BIC) ou bien le FIFO (First In FirstOut, qui signifie « premier entré premier sorti », appli-

cable selon nous aux PVCBM). Une troisième méthodeexiste, celle du LIFO (Last In First Out, ou « dernier entrépremier sorti »), mais est déconseillée par de nombreuxprofessionnels. De nombreux retraitements sont à effectuer dans la plu-part des dossiers. Dans un souci de rigueur, certains trans-ferts entrants ou sortants, dont les contreparties ne sontpas identifiées, sont à investiguer. Le trader lui-mêmeest la meilleure source d’information, mais il convientd’obtenir des éléments justificatifs. Citons quelquesexemples : transfert sortant d’une quantité de crypto-monnaie pour souscrire à une ICO, transfert sortant cor-respondant à un hack subi ; transfert entrant correspon-dant à un airdrop dont le trader a bénéficié ; transfertsortant correspondant à une dépense réalisée directe-ment en cryptomonnaies. En matière de BIC, il peut être envisagé de comptabiliserdes provisions à la date de clôture comptable. La régle-mentation comptable et fiscale permet, notamment,de comptabiliser en charges sur l’année de référence,les charges sociales à payer, les provisions pour risques(tels que ceux liés aux plates-formes d’échanges ou à lacybersécurité) et enfin des provisions pour dépréciation(couvrant la probabilité de perte de valeur de certainescryptomonnaies). Un travail d’estimation précis et docu-menté est à déployer pour passer ce type de provisionssans accroître les risques fiscaux.

Une action préventiveLe travail comptable est toujours itératif pour tendre versune reconstitution fidèle, avec bien souvent une demandemulti-scenarii du fait du nombre important d’hypothèsesde travail. La fourniture des fichiers et des documents jus-tificatifs vient, quant à elle, en cascade, au rythme dedemandes complémentaires.Nous n’avons encore que très peu de recul sur des contri-buables vérifiés à l’occasion de contrôles fiscaux. Pourun BIC ou BNC (hors micro), les risques sont la remiseen cause du régime fiscal sélectionné ou des méthodesde valorisations retenues, de l’assiette de gains taxables,etc. Il conviendra avant tout de prévenir un « rejetde comptabilité », dont les conséquences sont des plusdommageables.La tenue d’une comptabilité est le préalable essentiel àla production des déclarations fiscales mais elle a biend’autres finalités. La comptabilité procure une garantiede cohérence et vraisemblance des informations finan-cières relatives au trader ou mineur : l’état de son patri-moine en cryptomonnaies comme en monnaies-fiat,ainsi que la synthèse de ses produits et charges sur unepériode donnée.Le corpus de documents de synthèse produits par l’ex-pert-comptable répond aux règles comptables et fiscalesfrançaises. La comptabilité sera alors diffusable ou exploi-table par un large panel d’acteurs : administration fis-cale, banques, avocats et conseils, notaires, assureurs,services de police, juridictions, etc. ●

Jeremy Lellouche, expert-comptable, commissaire aux compteset associé-fondateur du cabinet Fox Audit

14 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Retracercomptablementl’exhaustivité desflux est complexe,car répondant àplusieursimpératifs :patrimonial d’unepart, pour refléterles soldes decryptomonnaiespossédées à uninstant T, et fiscald’autre part, pourappréhender de lafaçon la plus justeles plus ou moins-values générées.

DOSSIER

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Entretien avec Maître NicolasCanetti, avocat associé au sein du

cabinet Bornhauser, qui a portédevant le Conseil d’Etat le recours de contribuables ayant donné lieu

à l’annulation de l’instructionadministrative qui prévoyait

la taxation systématique des gainsde cession de cryptomonnaiescomme des revenus d’activité.

Profession CGP: Quel estle profil des contribuablesqui étaient à l’origine de cerecours ?Nicolas Canetti : Il s’agitd’adeptes très précoces descryptomonnaies, qui en ontacheté dès les années 2012-2013 pour un prix extrême-ment faible. Ça n’était,d’ailleurs, pas spécialementdans une perspective spécu-lative, mais plus générale-ment parce que cette techno-logie attisait leur curiosité. Laflambée des cours intervenueen 2017 a fait le reste et les aplacés à la tête d’un « porte-feuille » ayant subitementpris une valeur astrono-mique. Ils ont alors découvert les joies de la fiscalité fran-çaise en réalisant que s’ils vendaient effectivement leursdevises pour encaisser ce gain, ils risquaient d’être sou-mis à un taux d’imposition d’environ 65 % dans lemeilleur des cas.

Pourquoi est-ce à vous qu’ils se sont adressés ?N. C. : Ça n’était, à vrai dire, pas évident, car ni moi nimes associés du cabinet Bornhauser n’avons jamais par-ticulièrement positionné notre offre d’assistance fiscalesur le secteur des nouvelles technologies. >>>

« Nos clients risquaient d’êtresoumis à un taux d’imposition

d’environ 65 % »

15 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Nicolas Canetti est associé du cabinet Bornhauser où il coa-nime le département contrôle et contentieux fiscal. Diplôméde l’université Paris I, il a prêté serment en tant qu’avocat en2009 et obtenu, par la suite, la mention de spécialiste endroit fiscal auprès du Conseil national des barreaux. Ilenseigne la fiscalité personnelle à l’université Paris 2, et inter-vient fréquemment en conseil et contentieux sur les pro-blématiques de plus-values.

NICOLAS CANETTI, avocat associé au sein du cabinet Bornhauser.

La flambée des coursintervenue en 2017a fait le reste et lesa placés à la tête d’un“portefeuille” ayantsubitement pris unevaleur astronomique.Ils ont alors découvertles joies de la fiscalitéfrançaise… 

DOSSIER

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Mais cela peut rendre plus délicat le positionnement des« traders » ayant multiplié les opérations d’achat, de venteet d’échange.

Il n’y a par contre plus aucune taxation en BNC ?N. C. : Si, mais seulement pour les gains issus du« minage », qui demande aujourd’hui des ressources infor-matiques et électriques qui ne sont de toute façon plusaccessibles aux particuliers. Cela peut toutefois encores’appliquer aux cryptomonnaies acquises de plus longuedate à une époque le minage était plus facile.

Le maintien de la taxation en BIC des gains habituelsvous parait-il justifié ?N. C. : Il n’est pas absurde que les gains des personnesqui déploient une véritable activité dans l’échange decryptomonnaies soient taxés comme tels.Mais le critère « d’habitude » n’est pas suffisamment res-trictif, et il est même discriminatoire. Les amateurs quiréalisent des opérations de Bourse en ligne sont taxablesselon le régime des plus-values privées et sont protégésd’une requalification en revenu d’activité à partir dumoment où ils n’opèrent pas dans des « conditions ana-logues » à un « professionnel ». Mais c’est uniquementparce qu’un texte de loi spécial leur octroie cette protec-tion. Il n’existe malheureusement pas encore de protec-tion équivalente pour les traders de cryptomonnaies, quideviennent taxables en revenu d’activité dès lors que leursopérations sont menées « à titre habituel », ce qui est beau-coup plus dangereux.

Concrètement, comment distinguer les gains « occasionnels » et les gains « habituels » ?N. C. : C’est bien tout le problème ! Si le législateur n’in-tervient pas, il y aura des contentieux et c’est la jurispru-dence qui clarifiera les lignes. Elle le fera sur la base decritères tenant au nombre de transactions, à leur fré-quence, au montant des sommes investies, etc. Les ven-deurs de cryptomonnaies qui ne sortent pas d’une situa-tion de détention purement passive doivent donc mesurerleur risque. En fonction des profils, certains contribuablesprendront le risque de déclarer leurs gains en plus-valuessur biens meubles, quitte à provisionner une somme cor-respondant au coût fiscal d’une éventuelle requalifica-tion en BIC et à se tenir prêt à se défendre au contentieux.Les profils plus prudentiels accepteront le principe d’unetaxation en BIC mais voudront aménager celle-ci aumieux pour limiter au maximum leur imposition.

Que peut-on attendre des prochaines lois de financessur la fiscalité des cryptomonnaies ?N. C. : Tout est encore à faire, mais le plus urgent seraitd’instituer un régime de sursis prévoyant explicitementque les échanges d’une cryptomonnaie à l’autre ne sontpas taxables. Ces opérations ne dégagent aucune liqui-dité pour le contribuable et matérialisent, au mieux, ungain d’échange qu’il serait absurde de taxer, alors qu’ilreste volatil tant qu’il n’est pas converti en monnaie fidu-ciaire classique. Il est, par ailleurs, très probable que denouvelles obligations déclaratives entrent en vigueur pourobliger les contribuables à déclarer annuellement leurdétention de cryptomonnaies. ●

16 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Nous avons toutefois une forte réputation dans le conten-tieux « préventif » consistant à faire invalider les règlesfiscales abusives. Par exemple, nous avions fait annulerl’année précédente les modalités de déduction des pertessur ventes de titres. Cette année, nous allons nous atta-quer à la hausse rétroactive de la CSG qui n’aurait pas dûs’appliquer aux revenus de l’année 2017.

Qu’avez-vous proposé à ces clients détenteurs de cryptomonnaies ?N. C. : De faire reconnaître l’illégalité, et donc d’obtenirl’annulation des commentaires officiels publiés en 2014par l’administration fiscale sur l’imposition des plus-valuessur cryptomonnaies. Ces commen-taires prévoyaient une taxation desgains « occasionnels » selon lerégime d’imposition dit des béné-fices non commerciaux (BNC) etune taxation des gains « habituels »selon le régime d’imposition dit desbénéfices industriels et commer-ciaux (BIC). Il y a quelques diffé-rences entre les deux catégories,mais le résultat est à peu près lemême : le gain est taxé comme unrevenu d’activité, et s’il est trèsélevé, il va être soumis au taux mar-ginal de l’impôt sur le revenu (45 %hors CSG).

En quoi ces commentaires étaient-ils illégaux ? N. C. : Le problème est que l’ins-truction administrative ne prévoyaitpas du tout que puisse s’appliquerun régime d’imposition spécifiqueprévu par la loi en matière de ces-sions de « biens meubles » par lesparticuliers. Ces plus-values, pourautant qu’elles ne constituent pasune activité à part entière, sont sou-mises à un taux d’imposition forfai-taire beaucoup plus avantageux(19 % hors CSG) que les revenusd’activité BNC/BIC. Or, même si cerégime est évidemment bien antérieur aux cryptomon-naies, dont on aurait été bien en peine de prédire l’exis-tence, celles-ci doivent bien être considérées comme des« biens meubles » au regard de la distinction fondamen-tale du Code civil qui prévoit qu’un bien est soit meuble,soit immeuble.

Avez-vous entièrement obtenu satisfaction auprèsdu Conseil d’Etat ?N. C. : Non pas entièrement. Les commentaires admi-nistratifs ont bien été annulés, mais seuls les gains « occa-sionnels » peuvent désormais bénéficier du régime desplus-values sur biens meubles. En revanche, le Conseild’Etat a validé la taxation en BIC des gains « habituels ».Cela convient parfaitement à mes clients qui sont desdétenteurs passifs et ne doutent donc pas de leur éligibi-lité au régime des plus-values privées.

En fonction des profils,certains contribuablesprendront le risque dedéclarer leurs gains enplus-values sur biensmeubles, quitte àprovisionner une sommecorrespondant au coûtfiscal d’une éventuellerequalification en BIC et à se tenir prêt à se défendreau contentieux. Les profilsplus prudentielsaccepteront le principed’une taxation en BICmais voudront aménagercelle-ci au mieux pourlimiter au maximum leur imposition.

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En effet, les banques sont soumisesà une obligation stricte de vigi-lance quant au fonctionnement descomptes qu’elles détiennent dansleurs livres, qu’elles soient teneurs

de comptes ouverts par des escrocs ou qu’elles soientteneurs de comptes de victimes de cette escroquerie.Les banques françaises sont en première ligne dans cecontentieux de l’escroquerie au bitcoin : la plupart dutemps elles auront laissé passer des ordres de virementfaits par leurs clients, alors que ceux-ci présentent tousles caractères d’une opération frauduleuse : le virementest fait au profit d’une banque située à l’étranger alors quela victime n’a aucune activité en dehors de la France,le virement est d’un montant bien plus élevé que lesdépenses habituellement réalisées depuis le compte ban-caire concerné, il contient un motif soit parfaitementclairement associable à la sphère « crypto » ou « bitcoin »,soit au contraire complètement opaque, le bénéficiairedu virement est totalement méconnu de la banque etdifficilement identifiable.Tous ces éléments doivent amener la banque de la victimeà bloquer le virement (ce qu’elle a légalement le droit etmême l’obligation de faire) car l’opération est totalementanormale au regard de la connaissance qu’elle a de sonclient et de l’activité habituelle de son compte bancaire.C’est pourquoi un comportement inerte de la banqueentraînant pour son client la perte de sommes importantesdans cette escroquerie au bitcoin engage sa responsabilitéet justifie qu’il lui soit demandé par la voie amiable, et àdéfaut d’accord, en justice, de procéder au remboursementdes sommes perdues. ●

Hélène Feron-Poloni, avocate au Barreau de Paris

Cryptomonnaie :attention aux arnaques !

17 - Octobre - Novembre - Décembre 2018 - Profession CGP

Hélène Feron-Poloni est avocate auBarreau de Paris depuis 1994. Cogé-rante associée du cabinet d’avocatsLecoq-Vallon & Feron-Poloni, ellese consacre depuis le début de sacarrière à la défense des épargnantset investisseurs à l’encontre des ins-titutions financières. Elle a remportédes combats judiciaires embléma-tiques de la protection des consom-mateurs face aux banques, compa-gnies d’assurance et sociétés degestion.

Internet est le haut lieu du commerce,mais également le creuset des arnaques en

tout genre. La finance n’y échappe pas.

Tous les arguments sont bons pour convaincreles épargnants internautes d’investir dans telou tel produit, les escrocs ayant, semble-t-il,trouvé le chiffre magique : 7 % de rentabilitéannoncée la plupart du temps, 8 % pour les

plus audacieux. Mais le record de baragouinage financierest atteint par les escrocs spécialisés dans l’investissementdans le bitcoin ou autre cryptomonnaie : la rentabilité estannoncée sans plafond, et il faut reconnaître que les per-formances délirantes du bitcoin – quand il est réel – faci-litent grandement la tâche des experts arnaqueurs. L’ar-naque au bitcoin succède ainsi sans aucune difficulté aufaux trading de devises (Forex) et au faux placement dansle diamant d’investissement ou autres pierres précieuses.La fraude est d’autant plus aisée que la cryptomonnaieétant virtuelle, la victime ne s’attend à rien recevoir dansun premier temps en contrepartie de son règlement d’unmontant souvent élevé.L’« investissement » aura été réalisé après que la victimeaura été mise en confiance par un entretien téléphoniqueavec un aimable conseiller qui lui aura tenu un discoursaussi technique que séduisant, mais toujours rassurant.Ce n’est que lorsque l’investisseur voudra toucher son capi-tal investi augmenté du rendement espéré que la fraudesera découverte par la victime, la plupart du temps parcequ’il lui devient totalement impossible d’entrer en contactavec le site « vendeur » de cryptomonnaie : absencemomentanée du conseiller habituel pour congé, pour acci-dent de la route, pour décès de sa mère… Impossibilité dedébloquer le dossier sans procéder au paiement d’une TVA(imaginaire bien sûr, mais qui donne l’occasion de sollici-ter de la part de la victime le virement d’un reliquat sup-plémentaire, qu’elle ne reverra jamais évidemment).

❚ Les banques françaisesen première ligneLes victimes ne sont pas des personnes naïves : ce sont lesescrocs qui sont d’excellents professionnels de la délin-quance financière et il s’avère qu’ils sont considérablementaidés dans leur activité illégale par le défaut de vigilancedes établissements bancaires.

HÉLÈNE FERON-POLONI, avocate au Barreau de Paris.

DOSSIER

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