Neurophysiologie Clinique en Psychiatrie 2015

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Neurophysiologie clinique en psychiatriePratique diagnostique et thérapeutique

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Neurophysiologie clinique en psychiatriePratique diagnostique et thérapeutique

J. Vion-Dury

C. Balzani

J.-A. Micoulaud-Franchi

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V

Les auteurs

Balzani Céline, docteur en médecine, psychiatre, neurophysiologiste et médecin du sommeil, chef de clinique-assistante, service du professeur Naudin et Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neurophénoménologie (UNPN), pôle de psychia-trie universitaire, CHU Sainte-Marguerite.Brion Agnès, docteur en médecine, psychiatre, praticien ATT, service des pathologies du sommeil, hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, Paris.Cermolacce Michel, docteur en médecine, doc-teur ès sciences, psychiatre, praticien hospita-lier service du professeur Naudin et Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neuro-phénoménologie (UNPN), pôle de psychiatrie universitaire, CHU Sainte-Marguerite ; Labora-toire de Neurosciences Cognitives (LNC), UMR CNRS 7291, Marseille.Faugère Mélanie, doctorante, master de neu-rosciences intégratives et cognitives, attachée de recherche, service du professeur Lançon, pôle de psychiatrie universitaire.Micoulaud-Franchi Jean-Arthur, docteur en médecine, docteur ès sciences, psychiatre, neuro-physiologiste et médecin du sommeil, ancien chef de clinique-assistant, Unité de Neurophysiolo-gie, Psychophysiologie et Neurophénoménologie (UNPN), pôle de psychiatrie universitaire, CHU Sainte-Marguerite ; Laboratoire de Neurosciences Cognitives (LNC), UMR CNRS 7291, Marseille. Assistant hospitalo-universitaire, services d'explo-rations fonctionnelles du système nerveux, clinique du sommeil (professeur Philip), CHU de Bordeaux et Sanpsy, USR CNRS 3413, Université de Bordeaux.

Pallanca Olivier, docteur en médecine, psychiatre spécialiste du sommeil, neurophysiologiste, pra-ticien hospitalier en neurophysiologie clinique, hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, Paris.Quiles Clélia, docteur en médecine, docteur ès sciences cognitives, psychiatre, chef de clinique-assistant, pôle de psychiatrie adulte universitaire (professeur Verdoux), centre hospitalier Charles Perrens, Bordeaux et INSERM U657, pharmaco-épidémiologie et évaluation de l’impact des pro-duits de santé sur les populations, Université de Bordeaux.Richieri Raphaëlle, docteur en médecine, doc-teur ès sciences, psychiatre, praticien hospitalier, pôle universitaire de psychiatrie, responsable du  centre expert dépression résistante, respon-sable de l’unité ECT et RTMS, hôpital Sainte-Marguerite, Marseille.Steffen Marie-Laure, interne en psychiatrie, pôle de psychiatrie universitaire, CHU Sainte-Marguerite, doctorante, membre de l’Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neuro-phénoménologie (UNPN), pôle de psychiatrie universitaire, CHU Sainte-Marguerite, Marseille.Vion-Dury Jean, docteur en médecine, docteur ès sciences, habilité à diriger les recherches, maître de conférences, praticien hospitalier, CHU de Marseille, responsable de l'Unité de Neurophy-siologie, Psychophysiologie et Neurophénoméno-logie (UNPN), pôle de psychiatrie universitaire, hôpital Sainte-Marguerite, Marseille ; Laboratoire de Neurosciences Cognitives (LNC), UMR CNRS 7291, Marseille.

VII

Préface

La psychiatrie et l'électrophysiologie entretiennent depuis bien longtemps des relations feutrées et étroites. Après une relative distance, l'électrophysiologie retrouve actuellement au sein de l'art psychiatrique une place importante au travers des travaux actuels. Les auteurs de cet ouvrage nous permettent de mieux appréhender les aspects techniques actuels de cette discipline. Ils nous montrent aussi, avec beaucoup de perspicacité, la place retrouvée de l'électro-physiologie dans l'exploration des troubles psychiatriques, leur physiopatho-logie, leur clinique et leurs possibilités thérapeutiques. Cette belle synthèse aide à mieux cerner les enjeux présents et futurs autour des phénomènes élec-trophysiologiques, et à mieux saisir l'apport phénoménologique des troubles psychiques.Il faut savoir prendre le temps de lire et relire cet ouvrage, prendre le temps de traverser les diverses synthèses qui y sont proposées ; synthèses parfois com-plexes mais aussi accessibles pour les non initiés.Le temps de l'électrophysiologie traverse ainsi celui de la chose psychiatrique.

C. Lançon

IX

Avant-propos

Proposer aux cliniciens une compréhension pratique de la neurophysiologie en psychiatrie, tel est le propos de ce livre.Celui-ci est la continuation et le complément de notre Abrégé d'électroencé-phalographie1. Continuation parce qu'il développe la pratique d'examens neu-rophysiologiques plus particulièrement dans le domaine de la psychiatrie, alors que celle-ci n'y avait fait l'objet que d'un court paragraphe. Complément, parce qu'il décrit également une neurophysiologie thérapeutique, héritière notam-ment de l'histoire de l'électricité.En effet, la physiologie nerveuse, ou neurophysiologie, peut en quelque sorte être divisée en deux grandes sous-disciplines : – la neurophysiologie dite « sèche » des courants électriques, c'est à dire la physiologie des cellules excitables que constituent les neurones et les cellules gliales ; cette approche s'ouvre à la structure des différents réseaux ; – la neurophysiologie dite « humide » que constitue la neurochimie ; celle-ci se décline en neurochimie de la communication intercellulaire et en neuro-chimie des métabolismes au sens large. La première inclut l'étude des neuro-médiateurs, des récepteurs, des neurohormones et de la communication non spécifique par le biais de molécules libérées dans l'espace intercellulaire. La seconde étudie les métabolismes des différentes cellules, leur organisation génétique et protéique, et la perfusion cérébrale en lien avec la fourniture des substrats. Notons que l'une et l'autre peuvent partiellement se recouper, les métabolismes modifiant la fonction synaptique et inversement.Dans cet ouvrage, nous ne nous préoccuperons que de la première sous- discipline, celle qui concerne la production et la modulation de charges élec-triques dans le cerveau, et non des questions relatives aux anomalies des neu-romédiateurs et des traitements psychopharmacologiques en psychiatrie. Dans ce contexte, et chez l'homme, la seule approche est macroscopique, en général à partir du scalp, soit parce qu'on enregistre une résultante des courants élec-triques cérébraux instantanés, soit parce qu'on délivre à cet organe excitable qu'est le cerveau des champs électriques ou magnétiques aptes à soigner les troubles mentaux.C'est donc cette neurophysiologie à la fois diagnostique et thérapeutique, prati-quée chez le patient dans le cadre de la psychiatrie clinique et non expérimen-tale, que nous abordons dans cet ouvrage.Nous avons voulu le rendre le plus pratique possible, sans pour autant faire l'impasse sur des réflexions plus théoriques. Il nous semblait en effet que

1 Vion-Dury J, Blanquet F. Pratique de l'EEG. Paris : Masson ; 2008.

manquait dans le domaine de la psychiatrie, depuis l'ouvrage de Morault, Bourgeois et Paty2, un ouvrage de synthèse en langue française, plus spécifique de cette neurophysiologie, et qui rassemble à la fois les éléments bibliogra-phiques les plus récents dans les différents domaines et l'expérience clinique ou paraclinique de praticiens. Notre espoir est que le psychiatre en forma-tion ou aguerri puisse, sur la base de cet ouvrage, trouver les renseignements indispensables à l'initiation d'une pratique ou d'une utilisation d'une de ces méthodes neurophysiologiques dans son exercice quotidien de la psychiatrie.Cet ouvrage comprend quatre parties, chacune formée de trois chapitres : I. Rappels historiques, techniques et méthodologiquesII. Neurophysiologie diagnostiqueIII. Neurophysiologie thérapeutiqueIV. Épistémologie et phénoménologieNous nous expliquons plus loin sur l'importance que nous avons donnée à l'épistémologie et la phénoménologie, mais les pratiques fondées sur l'usage de l'électricité en psychiatrie soulèvent des questions éthiques et épistémolo-giques qu'il nous semble nécessaire d'aborder.Nous espérons ainsi faire découvrir au lecteur la très grande variété des approches neurophysiologiques chez l'homme et leur utilité dans l'exercice de la psychiatrie tout autant que l'initier à une discipline qui, bien souvent, semble abstraite et éloignée de la problématique des troubles mentaux.

X

Avant-propos

Jean Vion-DuryCéline Balzani

Jean-Arthur Micoulaud-Franchi

2 Morault P, Bourgeois M-L, Paty J. Électrophysiologie cérébrale en psychiatrie. Paris : Masson ; 1992.

XV

Abréviations

AAPB Association for Applied Psychophysiology and Biofeedback

AASM American Academy of Sleep MedicineASA American Society of AnaesthesiologistsASRS Adult ADHD Self-Report ScaleBCIA Biofeedback Certification International

AllianceBDI Beck Depression InventoryBFE Biofeedback Foundation of EuropeBSA Biofeedback Society of AmericaCAARS Conners’ Adult ADHD Rating ScaleCAD Convertisseur analogique digitalCAP Cyclic Alternating PatternsCNEP Crise non épileptique psychogèneCPFDL Cortex préfrontal dorsolatéralcTBS Continuous Theta Burst StimulationDC Direct CurrentDSM Diagnostic and Statistical Manual

of Mental DisordersECG ÉlectrocardiogrammeECT ÉlectroconvulsivothérapieEEG ÉlectroencéphalogrammeEME État de mal épileptiqueEMG ÉlectromyogrammeEOG Électro-oculogrammeERD Event-Related DesynchronizationERP Event-Related PotentialsERS Event-Related SynchronizationFFT Transformée de Fourier rapideFIC Facilitation intracorticaleHAMD Hamilton Depression rating scaleHPN HyperpnéeIAH Index d’apnées-hypopnéesICE Institute for Credentialing ExcellenceICSD International Classification of Sleep

DisordersIIC Inhibition intracorticaleIRSNa Inhibiteurs de la recapture de la

sérotonine et de la noradrénalineISI Intervalle inter-stimulusISNR International Society for Neurofeedback

and ResearchISRS Inhibiteurs de la recapture

de la sérotonineiTBS Intermittent Theta Burst StimulationITI InterTrial IntervalLART Left Anterior Right Temporal

LORETA Low Resolution TomographyLPC Late Positive ComponentMADRS Montgomery-Asberg Depression Rating

ScaleMHLS Multidimensional Health Locus

of Control ScaleMMN Mismatch NegativityMMS Mini Mental State ExaminationMPJ Syndrome des mouvements périodiques

des jambesNES Night Eating SyndromeNMDA Acide N-méthyl-D-aspartiqueNREM Non-Rapid Eye Movement sleepPE Potentiels évoquésPEA Potentiels évoqués auditifsPEC Potentiels évoqués cognitifsPEM Potentiels évoqués moteursPES Potentiels évoqués somesthésiquesPEV Potentiels évoqués visuelsPINV Post-Imperative Negative VariationsPIPV Post-Imperative Positive VariationsPLED Periodic Lateralized Epileptiform

DischargesPPSE Potentiel postsynaptique d’excitationPPSI Potentiel postsynaptique d’inhibitionPSG PolysomnographiePSS Perceived Stress ScalePV Polygraphie ventilatoireqEEG EEG quantifiéREM Rapid Eye MovementrTMS Repetitive Transcranial Magnetic

StimulationSABC Suppression de l’activité bioélectrique

corticaleSAOS Syndrome d’apnées/hypopnées

obstructives du sommeilSCP Slow Cortical PotentialSG Sensory GatingSIMI Syndrome d’impatiences des membres

inférieursSJSR Syndrome des jambes sans reposSLI Stimulation lumineuse intermittenteSLP Sommeil lent profondSMR Sensory Motor RhythmSMT Stimulation magnétique transcrânienneSMTr Stimulation magnétique transcrânienne

répétitive

SOA Stimulus Onset AsynchronySP Sommeil paradoxalSRED Sleep-Related Eating DisorderSRPS Syndrome de retard de phase

du sommeilSSMQ Squire Subjective Memory QuestionnaireSSNR Society for the Study of Neuronal

RegulationSSPI Salle de soins post-interventionnelsSSQ Social Support QuestionnaireSTAI State-Trait Anxiety InventoryTAL Temps au litTBS Theta Burst StimulationTCSP Trouble du comportement en sommeil

paradoxal

TDAH Trouble du Déficit de l'Attention avec Hyperactivité

THC Δ9-tétrahydrocannabinolTILE Test itératif de latence d’endormissementTME Test de maintien d’éveilTMS Transcranial Magnetic StimulationTPS Temps de période de sommeilTSA Troubles du spectre autistiqueTST Temps de sommeil totalVCN Variation contingente négativeVIGALL Vigilance Algorithm LeipzigWASO Wake time After Sleep OnsetWCC-R Ways of Coping Checklist-RevisedWFSBP World Federation of Societies

of Biological Psychiatry

Abréviations

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Les applications cliniques de l'électricité en psychia-trie ont débuté à la fin du xviiie siècle [1–5]. Contraire-ment à l'utilisation de certains poissons « électriques » depuis l'Antiquité (raie torpille de Méditerranée, anguille électrique d'Amérique du sud ou poisson moustache d'Afrique) qui auront un rôle majeur dans la naissance de la neurophysiologie [6], les appli-cations cliniques s'appuyaient désormais sur le déve-loppement technologique de machines permettant de produire, contrôler et mesurer l'électricité.

Le développement de cette branche de la méde-cine était donc fortement lié aux inventions et évolutions techniques de l'époque ; celles-ci ont d'ailleurs été développées par leurs inventeurs en premier lieu pour une utilisation médicale (dont psychiatrique) avant d'être transférées dans le champ de la science physique ou de l'industrie indépendamment de la médecine [7].

Électrophysiologistes et électrothérapeutes

Deux traditions ont marqué la culture des « méde-cins électriciens » français du xixe siècle [7] : • celle de lamédecine expérimentale deClaude

Bernard ; • etcelledelamédecinecliniquedeJean-Martin

Charcot.Elles furent illustrées par deux tableaux célèbres :

• La Leçon de Claude Bernard ; • Une leçon clinique à la Salpêtrière.

Dans le premier tableau, Claude Bernard (1813-1878) est entouré de ses collaborateurs dans son

laboratoire du Collège de France et va mesurer, avec une sonde électrique et un galvanomètre, la température d'un lapin vivant [7]. Il représente ce qui peut être appelé l'« École des électrophysiolo-gistes », centrée sur la mesure, la méthode expé-rimentale et la compréhension de la physiologie.Dans le second tableau, Jean-Martin Charcot

(1825–1893) est entouré de ses collègues neurolo-gues et psychiatres, et présente une jeune femme souffrant d'un probable trouble somatoforme à type de trouble de conversion avec crises non épileptiques. Mais un détail du tableau est par-ticulièrement intéressant pour notre propos : il s'agit d'un appareil électrique de stimulation qui se trouve au centre du tableau. Ce tableau illustre de ce fait ce qui peut être appelé l'« École des élec-trothérapeutes », centrée sur la stimulation, la méthode clinique et l'action thérapeutique.

Bien que les électrophysiologistes et les électro-thérapeutes utilisaient les mêmes machines et se confrontaient à un tissu biologique commun (les nerfs et les muscles), les médecins électrothéra-peutes revendiquaient la spécificité du patient por-teur d'une maladie et d'une histoire face aux élec-trophysiologistes qui auraient travaillé uniquement sur des éléments biologiques isolés sur une paillasse de laboratoire [7]. Pourtant, les techniques d'électro-thérapie ont longtemps manqué de preuves d'effi-cacité thérapeutique, que ce soit généralement pour les pathologies médicales ou plus spécifiquement pour les troubles mentaux [3]. Dès 1876, le rapport de la commission de l'Académie des Sciences sur l'électrothérapie signé par Edmond Becquerel (1820–1891) soulignait le manque de données quan-tifiées sur les effets médicaux de l'électricité et met-tait en avant le désaccord entre médecins. Le rapport concluait aussi sur la nécessité de développer des

Chapitre 1Histoire technologique de l'électricité en psychiatrieJ.-A. Micoulaud-Franchi1

1 Relecture:C.Balzani,C.Quiles,J.Vion-Dury.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

4

travaux en électrophysiologie, permettant de com-prendre les mécanismes cérébraux sous-jacents, afin que le véritable guide de l'électrothérapie soit l'électrophysiologie.

De même, en Allemagne, ce débat a donné lieu au « Frankfurt Council » de 1891 qui allait poser dix questions permettant de différencier l'élec-trothérapie du charlatanisme, et qui reste d'une actualité étonnante [3] (tableau 1.1). Les électrothé-rapeutes allemands ont donc également essayé de légitimer leurs pratiques thérapeutiques sur les bases scientifiques de l'électrophysiologie [7].

Mais en France, les électrothérapeutes sont restés avant tout des ingénieurs, des inventeurs et des physiciens avant d'être des neurophysio-logistes [7, 8]. Des revues spécialisées, des sociétés savantes, des traités ont été créés mais, de manière paradoxale, les travaux fondamentaux des neuro-physiologistes allemands ont été considérés par la communauté médicale comme plutôt « étranges,

lourds et indigestes », pouvant même nuire à l'utilisation thérapeutique de l'électricité et ne pouvant bénéficier au praticien [7]. La physique avait donc une place importante dans le milieu de l'électrothérapie française et c'est la création d'un enseignement de physique médicale, et non d'électrophysiologie, qui s'est surtout développé à partir des années 1870 dans les facultés de méde-cine. À partir de 1895–1896, avec le développe-ment de la radiologie à la suite de la découverte des rayons X par Wilhelm Röntgen (1845–1923), et dans un contexte de perte d'intérêt pour l'élec-trothérapie et du besoin en imagerie généré par la Première Guerre mondiale, au début du xxe siècle, la physique médicale aura été transformée progressivement en électroradiologie médicale [7].

Le manque d'ancrage neurophysiologique, associé d'une part au développement au xixe siècle de la chimie thérapeutique sur la base de la chimie telle qu'elle avait été initiée par Antoine Laurent de Lavoisier (1743–1794) et, d'autre part, au dévelop-pement de ce que Guillaume Duchenne de Bou-logne (1806–1875) appelait des « saltimbanques autorisés à électriser sur les places publiques » [7], entraîna progressivement un désintérêt des psy-chiatres pour les applications thérapeutiques de l'électricité au début du xxe siècle.

Contrairement à ce déclin, le développement de l'électrophysiologie pour l'étude du cerveau humain par le biais de l'électricité connut un grand essor et allait faire naître la neurophysiologie que l'on peut appeler « sèche » (en référence aux électrodes et aux courants électriques neuronaux), venant boulever-ser la compréhension du fonctionnement cérébral [9]. De son côté, le développement de la chimie permit à la fois le développement d'une neurophysiologie que l'on peut appeler « humide » (en référence aux méta-bolismes et à la neurochimie) et l'essor formidable de la psychopharmacologie moderne [10].

Deux légitimations des techniques électriques en psychiatrie

Une légitimation neurophysiologiqueÀ partir de la fin des années 1990, on observe un renouveau des applications cliniques de

Tableau 1.1. Les dix questions du « Frankfurt Council » de 1891.

1 Dans quelle mesure l'effet de l'électrothérapie est-il fondé sur la suggestion ? Y a-t-il des effets qui pourraient ne pas être produits par suggestion ?

2 L'électrothérapie peut-elle produire des effets biologiques sur les maladies du système nerveux central ?

3 Peut-elle produire des effets curatifs dans les maladies du système nerveux périphérique ?

4 Quel pourrait être l'avantage du courant d'induction, contrairement à d'autres types de courant ?

5 De quelle manière et dans quel but devront être appliqués les bains électriques ?

6 Comment expliquer l'effet du courant sur les tissus malades ?

7 Quelles sont les indications spécifiques du courant galvanique d'une part et du courant induit d'autre part ?

8 Existe-t-il une standardisation conseillée et bénéfique dans l'application du courant ?

9 Existe-t-il des résistances particulières pour certaines maladies ?

10 Dans quelle mesure la guérison des névroses fonctionnelles peut-elle être positivement affectée par électrothérapie, ou pas du tout ?

Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

5

l'électricité en psychiatrie [1]. L'électrothérapie est désormais désignée par l'expression « techniques non pharmacologiques de neuromodulation et de neurostimulation cérébrale » [11–18]. Ainsi, les gui-delines éditées en 2010 par la World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) concer-nant l'utilisation de ces techniques thérapeutiques indiquaient en préambule que « le rôle de plus en plus important des techniques de stimulation cérébrale pour la psychiatrie rivalisera possible-ment avec le rôle de la neuropsychopharmaco-logie » [19].

Dans ce contexte, une lettre du Pr Michael Trimble du 29 avril 2008 publiée sur le site du WFSBP s'intitule « Goodbye Drugs, Hello Sti-mulation » [20, 21]. Il y prédit le progrès rapide des stimulations cérébrales en psychiatrie et le fait que les connaissances sur l'électricité et l'activité des circuits neuronaux deviendront aussi essen-tielles que « celles sur la sérotonine et la dopamine aujourd'hui ». Il nous propose de nous projeter 50 ans dans le futur et « de se demander avec le recul du temps pourquoi nous avons continué de prescrire avec tant de prédilection des psycho-tropes avec autant d'effets secondaires et à de telles posologies que l'organisme entier en est saturé, lorsque sont apparues ces nouvelles options de neurostimulation ciblée » [20, 21]. On peut retrouver ici une certaine opposition persistante entre la neurophysiologie « sèche » et « humide » déjà pré-sentechezJacquesArsèned'Arsonval(1851–1940)qui postulait en 1884 que « la thérapeutique de l'avenir n'emploiera comme moyen curatif que les modifications physiques (chaleur, lumière, élec-tricité et autres agents encore inconnus) ; les dro-gues, c'est l'empoisonnement » [7].

En dehors de l'opposition avec la psychophar-macologie, le renouveau actuel des applications cliniques de l'électricité en psychiatrie est dépen-dant de deux différences essentielles avec l'élec-trothérapie des xviiie, xixe siècles et du début du xxe siècle : • d'unepart, ledéveloppementd'étudescontrô-

lées randomisées rigoureuses ; • et, d'autre part, des analyses électrophysiolo-

giques et neurophysiologiques des effets pro-duits, permettant de justifier et valider leurs utilisations.Ces exigences ont permis d'éviter de repro-

duire les erreurs du passé quant à l'utilisation non contrôlée de ces thérapeutiques, conduisant

à leur déclin au début du xxe siècle [7]. Bien qu'elle reste incomplète — et parfois problématique —, l'identification des patterns neurophysiologiques sous-tendant certains symptômes ou troubles psychiatriques, et la normalisation de ces patterns après un geste thérapeutique spécifique ont per-mis et permettront de développer de nouveaux traitements électriques ciblant spécifiquement des anomalies fonctionnelles de certains réseaux neuronaux [22–25]. Nous sommes donc passés de l'électrothérapie à ce que l'on pourrait appeler une « neurophysiologie (“sèche”) thérapeutique ».

Une légitimation technologiqueLa réalisation d'études contrôlées randomisées rigoureuses et d'études neurophysiologiques est essentielle à l'utilisation des techniques élec-triques en psychiatrie, d'autant qu'un aspect particulier des applications cliniques de l'élec-tricité y est l'utilisation de machines qui ont en elles-mêmes un fort pouvoir suggestif [3, 11, 26, 27]. L'histoire de l'électrothérapie est ainsi associée au baquet magnétique de Mesmer, aux attracteurs magnétiques de Perkins et à d'autres machines électriques « à guérir » [7]. Les applications cli-niques de l'électricité en psychiatrie souffrent ainsi d'avoir été et d'être encore bien souvent associées au charlatanisme.

Dans la droite ligne de l'histoire des électro-thérapeutes ingénieurs français, nous proposons que les applications cliniques de l'électricité en psychiatrie impliquent de la part du psychiatre un savoir technologique complémentaire au savoir neurophysiologique. En d'autres termes, il doit connaître sa machine ! Il doit savoir ce qui dis-tingue technologiquement le baquet de Mesmer d'autres techniques d'électrothérapie plus légi-times.

Il est intéressant de noter que d'Arsonval, alors externe en médecine venant d'arriver à Paris, assista à un cours de Claude Bernard sur la cha-leur animale au Collège de France (scène repré-sentée sur le tableau de Lhermitte). D'Arsonval ne s'y fit pas remarquer par son savoir neurophysio-logique mais par ses compétences techniques. En effet, au cours d'une des démonstrations le galva-nomètre ne fonctionna pas. D'Arsonval démonta et remonta correctement l'appareil ce qui permit à Claude Bernard de mener à bien l'expérience [8]. Il devint le référent pour l'exactitude de la mesure

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

6

dans le laboratoire de Claude Bernard et mit au point le galvanomètre à cadre mobile. D'Arsonval inventa ensuite un nombre impressionnant de machines, depuis son galvanomètre jusqu'à l'in-duction haute fréquence, prémisses de la stimu-lation magnétique transcrânienne, en passant par le téléphone, la lyophilisation, le frigorifique ou en participant à l'invention du sous-marin [8].

Une des barrières faisant en sorte que le méde-cin électricien ne franchisse pas les frontières de la science académique vers l'hypnotisme et le spi-ritisme, une des lignes de séparation entre méde-cins « instruits » et « charlatans » [7], reste donc la connaissance et la référence à la neurophysiologie mais également la capacité à manipuler et donc comprendre la machine électrique utilisée. La connaissance de l'histoire de l'évolution technolo-gique de ces instruments est à ce titre essentielle, comme nous allons le voir.

Évolution technologique des outils électriques en psychiatrie

Le développement de l'électricité en psychiatrie peut être décrit selon deux perspectives selon que l'on s'adresse à la stimulation cérébrale ou à l'enre-gistrement des activités électriques cérébrales [18].

Les outils de stimulationL'arrivée de la neurostimulation électrique pré-cède de près d'un siècle celle des techniques d'enregistrement. Elle est née de la découverte de l'électricité puis de l'induction électromagnétique [2, 20]. Le premier outil de stimulation électrique a été la bouteille de Leyde au xviiie siècle. Formée d'un récipient en verre rempli d'un liquide et d'une tige métallique baignant dans un bain d'électro-lytes, la bouteille de Leyde (premier condensateur électrique) permet de stocker la charge électrique produite par un générateur électrostatique [28, 29].Alessandro Volta (1745–1827) inventa, quelques

années plus tard, une bouteille de Leyde modifiée : la pile voltaïque, qui fournit des stimulations élec-triques continues, nommées « galvaniques » par Volta(enhommageàGalvani),moinsbrutalesetplusfaciles à obtenir que celles de la bouteille de Leyde.

Une évolution technique supplémentaire majeure permit le développement d'un nouveau

type de stimulations cérébrales. Michael Faraday (1791–1867) avait en effet découvert les principes de l'électromagnétisme et du courant induit par un champ magnétique alternatif, permettant le développement dans les années suivantes d'un type de neurostimulation, plus fonctionnelle et moins lésionnelle : l'inducteur faradique [30].

Dès leur invention, les outils de stimulation électrique (bouteilledeLeyde,pileVolta, induc-teur faradique) (figure 1.1) ont été utilisés par les médecins afin de tenter de guérir des maladies, notamment des troubles psychiatriques.

Les pionniers appliquaient la galvanisation (usage du courant continu). Le premier à avoir appliqué l'électricité en médecine était JohannGottlob Krüger (1715–1759) pour traiter des membres paralysés puisqu'il avait été montré que les décharges électriques provoquaient la contrac-tion des muscles [6].

Benjamin Franklin (1706–1790) développa en médecine de manière intense, empirique et rigoureuse le traitement par stimulation élec-trique [20, 28, 30, 31]. Il évalua l'efficacité de l'électri-cité sur les paralysies et conclut qu'elle n'était pas efficace sur les paralysies chroniques, notam-ment celles provoquées par un accident vascu-laire cérébral sévère [29, 31]. En revanche, en 1752, il traita avec succès une patiente (probablement la sœur d'un de ses étudiants) qui présentait un trouble de conversion à type de crises non épi-leptiques. La stimulation n'était pas appliquée sur la tête mais sur les parties des membres convulsants. Franklin n'expliqua pas pourquoi il eut l'idée de cette stimulation ni pourquoi cela avait fonctionné [29].C'estaucoursd'échangesavecJanIngenhousz

(1730–1799), un médecin allemand défenseur de la variolisation, que fut suggérée l'application de l'électricité dans la mélancolie. Cette idée ne sem-bla pas avoir été sous-tendue par une conception particulière des troubles mentaux, notamment par l'idée de provoquer une stimulation électrique « réveillant » les facultés intellectuelles endormies, mais plutôt par une succession d'accidents que les promoteurs de ces méthodes subirent eux-mêmes et à partir desquels ils établirent des comptes ren-dus détaillés [29]. Les accidents décrits par Franklin montrèrent que l'on pouvait survivre sans séquelle majeure à des décharges massives de grosses bou-teilles de Leyde à travers les mains ou la tête. Les accidents décrits par Ingenhousz montrèrent qu'il

Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

7

avait ressenti une amélioration de l'humeur après un réveil un peu confus [29]. En 1783, ils propo-sèrent que le choc électrique puisse être utilisé pour traiter les mélancolies [32].

Plusieurs pionniers allaient alors développer cette application thérapeutique [29] ancrée dans un contexte technologique organisé par le déve-loppement progressif d'outils électriques au xviiie siècle (figure  1.1) et par le développement de la neurophysiologie naissante : • ThomasGaleauxÉtats-Unis(vers1800);• JohnBirch(1745–1815)enAngleterre;• etGiovanniAldini(1762–1834)enEurope.

Giovanni Aldini (1762–1834) faisait des expé-riences en public sur des cadavres d'animaux ou de prisonniers tout juste décapités afin de démon-trer que l'électricité appliquée sur la tête pouvait entraîner des contractions de certains muscles. Il appela cette électricité « voltaïque » en hommage à Volta,mais il s'agitdumême typed'électricitéquel'électricité « galvanique » [33]. La plus célèbre de  ses expériences eut lieu le 17 janvier 1803 (décrite dans le journal The Times du 22 janvier) devant le Royal

College of Surgeons de Londres sur le corps du pri-sonnier George Foster [34]. Aldini était le neveu de Galvani, et ses expériences publiques ainsi que ses voyages et rencontres dans toute l'Europe pour diffu-ser les principes de l'électricité appliquée sur la tête et prôner l'intérêt de cette thérapeutique en psychiatrie, ancrèrent son nom dans l'histoire [34–36]. Il appliqua ainsi des courants électriques continus voltaïques sur de nombreux patients souffrant de mélancolies [28, 32,

34, 37]. En France, il rencontra notamment Philippe Pinel (1745–1826) et appliqua sa thérapeutique sur nombre de patients de l'hôpital de la Salpêtrière [34].

Le terme d'électrothérapie fut alors créé et de nombreux services spécialisés ouvrirent à Paris et en province ; les « machines électriques » ou « machines à guérir » se multiplièrent dans les hôpitaux. Le premier et le plus célèbre de ces ser-vices fut fondé en 1875 par Romain Vigouroux(1831–1895)etJean-MartinCharcot(1825–1893),à la Salpêtrière, où divers types de stimulations électriques, « galvanique » ou « faradique », furent appliquées aux patients présentant des troubles psychiatriques [7, 28, 38].

Figure 1.1. Évolution technologique des premiers outils d'électrostimulation. Source : 1re image ; Blondel, C., Wolff, B., 2006. L'énigme de la bouteille de Leyde. 2e image ; D.R. 3e image ; Balasse, A., 2011. Le Compendium. http://lecompendium.com.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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L'application psychiatrique moderne des courants alternatifs provient des principes de l'électromagnétisme initié par Faraday et ensuite théoriséparJamesClerkMaxwell(1831–1879) [20, 30]. Tout champ électrique oscillant est associé à un champ magnétique oscillant perpendiculaire et se déplaçant dans la même direction, et vice versa. Ce principe a permis le développement de la sti-mulation électrique transcrânienne magnétique-ment induite actuellement dénommée stimulation magnétique transcrânienne (TMS) [20, 30].

D'Arsonval s'intéressa également à l'applica-tion des hautes fréquences en électrothérapie et décrivit en 1896 la production de magnétos-phènes lorsque la tête d'un sujet était introduite dans une puissante bobine magnétique [8, 39]. Cette expérience fut reproduite par un certain nombre d'auteurs, mais étant donné la faible intensité et la fréquence peu élevée des stimulations, il est probable que les phosphènes fussent en réalité produits par la stimulation de la rétine, davantage que par celle du cortex occipital [20].

En 1959, l'équipe de Kolin publia les résultats d'une stimulation d'un muscle de grenouille par la variation d'un champ magnétique appliqué sur

le nerf, reprenant ainsi les expériences de Galvani mais sur la base de l'électromagnétisme [40].

En 1985, l'équipe de Anthony Barker de Shef-field obtint la contraction musculaire des mains par stimulation magnétique non douloureuse du cortex moteur d'un sujet. Ces expériences consti-tuèrent le point de départ de l'application en psy-chiatrie de la TMS répétée (rTMS).

La machine de TMS se perfectionna rapi-dement. Fonctionnant d'abord par de simples impulsions de stimulation, l'adjonction à la bobine de stimulation d'un système de refroidis-sement permit leur répétition à haute fréquence. Désormais, l'adjonction d'un système de position-nement de la bobine permet la neuronavigation et la localisation précise de la zone corticale où est délivrée l'impulsion de stimulation (figure  1.2) (cf. chapitre 8).

L'histoire décrite précédemment n'évoque volontairement pas l'électroconvulsivothérapie (ECT). En effet, bien qu'appliquant un courant électrique, Cerletti ne fait pas référence aux travaux sur l'application thérapeutique de l'électricité de Franklin, Aldini, Gall ou Birch [29]. Les ECT appa-raîtront en 1938 avec Ugo Cerletti (1877–1963) et

Figure 1.2. Évolution technologique des outils de stimulation électromagnétique. Source : 1re image ; Daudet, C., 2009. Historique de la technique. In: Brunelin, J., Galinowski, A., Januel, D. et Poulet, E. (éds.), Stimulation magnétique transcrânienne: principes et applications en psychiatrie. Solal, Marseille. Autres images ; D.R.

Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

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Lucio Bini (1908–1964) dans un contexte de déclin relatif des thérapeutiques électriques en psychia-trie [37, 41–43]. Cerletti est plutôt guidé par l'idée cli-nique que les crises épileptiques s'avéraient être un facteur protecteur pour les troubles psychia-triques, notamment la schizophrénie [29].

L'ECT est donc plutôt reliée à l'histoire pharma-cologique des drogues proconvulsogènes comme le camphre ou le metrazol. L'électricité apparaissait simplement comme un agent « quasi pharmacolo-gique » plus facile à manipuler et plus efficace pour induire des crises épileptiques que les drogues proconvulsogènes, mais pas comme un agent « par lui-même » thérapeutique [43]. Ainsi, l'ECT a une histoire ambiguë qui ne fait paradoxalement pas directement partie de l'histoire de l'électrothérapie en psychiatrie et qui pourrait expliquer une partie de l'incompréhension de cette technique dans la population générale contrairement à l'engouement et à l'attrait suscité par les travaux des pionniers de l'électrothérapie [44]. Les progrès en ECT ont cependant été permis par le perfectionnement de la machine électrique utilisée (figure 1.3), avec : • d'une part le contrôle optimal du courant de

stimulation ; • d'autre part l'adjonction d'un système d'enre-

gistrement électroencéphalographique à la machine de stimulation permettant le monito-

rage de l'activité EEG en temps réel juste après la stimulation (cf. chapitre 7).

Les outils d'enregistrementL'existence d'une activité électrique produite par les muscles et les nerfs a été postulée par Luigi Galvani (1737–1798) qui inventa le concept d'« élec-tricité animale » [45]. Il montra en effet que les muscles de grenouille se contractent quand ils sont mis en contact avec un arc de métal ou quand ils sont stimulés par une bouteille de Leyde [9]. Il concluait que l'arc de métal fermait le circuit et entraînait la contraction du muscle par la décharge de l'« élec-tricité animale » accumulée dans le muscle, comme elle peut l'être dans une bouteille de Leyde [28].Volta reprit les mêmes expériences que Gal-

vani et les appliqua chez des animaux autres que des grenouilles. Cependant Volta, contrairementà Galvani, ne croyait qu'en l'électricité d'origine métallique et non en l'existence de l'électricité ani-male.Voltavoyaitlemusclecommepassif,nepro-duisant pas par lui-même de l'électricité mais étant stimulé par l'électricité d'origine métallique [34].

La controverse fut intense entre Galvani et Volta,d'autantplusquelestechniquesdestimu-lation du xviiie siècle précédaient les techniques d'enregistrement du xixe siècle. L'interprétation

Figure 1.3. Évolution technologique des outils d'électroconvulsivothérapie (ECT). Source : 1re image ; Norman S. Endler, Convulsive Therapy 413:5-i tO, 1988. The Origins of Electroconvulsive Therapy ECT. Autres images ; D.R.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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de Galvani se révéla erronée. En effet, les deux branches de l'arc en métal utilisées pouvaient être constituées de métaux différents ce qui formait probablement une sorte de pile stimulatrice dans le milieu chargé en électrolytes que constitue la patte de grenouille [34]. Mais, malgré cette inter-prétation erronée, le concept d'électricité animale fut la base indispensable du développement des techniques d'enregistrement de cette activité élec-trique.

L'électrophysiologie est née au xixe siècle avec l'invention de nouveaux ampèremètres, les mil-liampèremètres, permettant des mesures précises et la comparaison fiable entre des expériences indépendantes [7].

Le premier ampèremètre ou galvanomètre (en référence à Galvani) fut inventé par Emil du Bois-Reymond (1818–1886). Il fut le premier à enregistrer un courant sur les muscles et les nerfs stimulés [9, 46, 47]. L'utilisation de ces milliampère-mètres pour enregistrer de manière externe des activités cérébrales par l'intermédiaire d'élec-trodes posées sur le scalp allait permettre la genèse de l'électroencéphalographie.

Richard Caton (1842–1926) fut le premier à enregistrer une activité électrique des hémis-phères chez le lapin et le singe. Il visualisa des variations de faible voltage entre deux électrodes, l'une placée sur le cortex et l'autre sur l'os, mais il n'existe pas de trace graphique des enregistre-ments [48].C'estVladimirPravdich-Neminsky(1879–1952)

qui publia une trace d'activité électrique et inventa le terme d'« electrocerebrogram » [47, 49].

Hans Berger (1873–1941), chef de service de psychiatrie à l'université de Iena en Allemagne, a été le premier à enregistrer une trace EEG chez l'homme. Quatorze rapports d'enregistrement ont été effectués à partir du premier tracé réa-lisé chez son fils Klaus en 1925 [50]. Hans Ber-ger a rejeté le terme d'« electrocerebrogram » de Pravdich- Neminsky, critiquant le mélange de racine grecque (electro et gram) et latine (cerebro) [47]. Il inventa donc le terme actuel d'« electroenke-phalogram » à partir de la racine grecque enke-phalon (littéralement : « ce qui est à l'intérieur de la tête »).

En 1934, Edgar Douglas Adrian (1889–1977) confirma l'existence du rythme alpha dans les régions occipitales et la réaction d'arrêt à l'ouver-ture des yeux [47, 51].

Le développement de l'EEG allait ensuite pas-ser par le perfectionnement des méthodes d'en-registrement, la miniaturisation des systèmes d'enregistrement, la digitalisation et le traitement numérique des données, et permettre d'asseoir l'électrophysiologie comme moyen d'exploration essentiel du fonctionnement cérébral (figure 1.4) (cf. chapitres 2, 3 et 4).

Machine électromagnétique technologique et non technologique en psychiatrie

La connaissance de l'histoire de l'évolution tech-nologique des machines électromagnétiques est essentielle pour comprendre leur fonctionnement et la légitimité de leurs utilisations en psychiatrie. Encore faut-il bien comprendre ce qui sous-tend et rend compréhensible cette évolution technolo-gique. Les phénomènes électriques et magnétiques ont émerveillé le public à la fin du xviiie siècle [2]. Parmi ces phénomènes, certaines conceptions développées autour du magnétisme sont inté-ressantes pour la renommée qu'elles ont reçue dans la population générale et par la critique du regard médical. C'est d'elles que nous partirons pour explorer ce qui différencie ces techniques magnétiques des techniques électromagnétiques actuelles, et donc ce qui peut légitimer techno-logiquement ces dernières comparativement aux premières.

Le baquet de Mesmer : une machine magnétique suggestive

Des succès thérapeutiques à l'invention du baquetFranz Anton Mesmer (1734–1815) a suivi des études demédecine et de théologie àVienne etétait décrit comme un homme charismatique [52]. Il considérait qu'un fluide invisible et subtil dif-fusait dans l'univers et permettait d'unifier et de connecter les choses. Sa conception n'était pas directement rattachée aux conceptions scienti-fiques du xviie siècle qui avaient vu se développer les notions de forces électriques, magnétiques et gravitaires. Pourtant, il pensait qu'un fluide simi-laire diffusait à travers les organismes et l'appela

Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

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« magnétisme animal ». Pour Mesmer, la maladie était alors conçue comme un obstacle à la libre circulation du fluide magnétique à travers les dif-férentes parties du corps et le traitement consis-tait à retrouver une circulation de ce fluide dans le corps [52]. Mesmer pensait qu'il était possible de manipuler le fluide magnétique dans l'organisme. Pour ce faire, plusieurs artifices étaient utilisés avec notamment les aimants ou, parfois, l'inges-tion de limaille de fer par le patient ou bien des perches ou baguettes en fer. Dans tous les cas, le thérapeute était amené à toucher le malade puisque la capacité du magnétiseur à manipuler le fluide magnétique contenu dans le corps du malade était considérée comme la base des gué-risons [53].ÀVienne,Mesmer fut amené à traiterMarie

Paradies, une pianiste souffrant d'un trouble de conversion avec cécité. Après le traitement, sa cécité disparut temporairement, mais la patiente développa ensuite des troubles de l'équilibre et perdit la possibilité de jouer du piano. Malheureu-sement pour Mesmer, la patiente était la filleule de l'impératrice austro-hongroise Maria Theresa, qui fut au courant des résultats relatifs du traite-

ment et du fait que sa filleule avait été séduite par Mesmer et était partie vivre avec lui [52].MesmerdutalorsquitterVienneets'installaà

Paris en 1778. La Société Royale de Médecine lui refusa la licence pour pratiquer la médecine, mais il se mit sous la responsabilité de Charles Deslon (1750–1786), docteur-régent (c'est-à-dire profes-seur) à la Faculté de Médecine de Paris et membre de la Société Royale de Médecine. Sa technique thérapeutique rencontra un très grand succès, dans un contexte où les traitements médicaux consistaient principalement en des purgations, des émétisants et des saignées qui étaient bien souvent plus nocifs que bénéfiques. Parmi ses sou-tiens Mesmer comptait le Marquis de Lafayette, Jean-PaulMaratetlaReineMarie-Antoinette[52]. Alexandre Dumas (1802–1870) décrira d'ailleurs longuement, dans le « Collier de la reine », les aventures de Mesmer.

Afin de répondre à l'affluence suscitée par le succès de sa méthode thérapeutique, Mesmer et son mentor Deslon développèrent des théra-peutiques de groupe. Ils utilisèrent un baquet en bois autour duquel les patients étaient reliés par des tiges de fer. Le baquet était censé être un

Figure 1.4. Évolution technologique des outils d'enregistrement électroencéphalographique (EEG). Source : 1re image ; Margaret Rowbottom, Charles Susskind, Electricity and Medicine: History of Their Interaction Hardcover,1984. Autres images : D.R.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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condenseur et un conducteur du magnétisme ani-mal. Le thérapeute circulait alors entre les parti-cipants et touchait avec une baguette en fer une partie de leur corps, particulièrement le bas de l'abdomen et les cuisses des femmes (la plupart des patients étaient des femmes) [52]. Fréquem-ment les séances étaient accompagnées d'attaques de panique, de larmes, de pertes de connaissance et surtout de convulsions [52, 53].

Du baquet à la commission FranklinLe succès du mesmérisme développa l'hostilité des médecins qui considéraient cette thérapeu-tique comme irrationnelle. En 1784, la vogue du mesmérismeétaittellequeLouisXVIétablitdeuxcommissions royales pour évaluer les effets du magnétisme animal [54]. La plus importante était la commission de la Faculté de Médecine et de l'Académie Royale des Sciences [55]. Celle-ci était constituée de nombreux médecins et scientifiques de l'époque et notamment de Benjamin Fran-klin et Antoine Laurent de Lavoisier (1743–1794). Franklin était le président de la commission ; il était un éminent promoteur des techniques d'élec-trothérapie. Il conduisit les expériences d'évalua-tion du magnétisme animal. Lavoisier était connu pour ses découvertes révolutionnaires concernant la chimie. Il représentait l'esprit de la méthode scientifique qui inspira cette commission, dont il a rédigé la version finale du rapport. On peut noter que Joseph-Ignace Guillotin (1738–1814),physicien et inventeur de la guillotine pour une mort « plus humaine », faisait également partie de la commission.

Bien que la commission ait été plutôt hostile à Mesmer, le rapport qui fut rendu est un docu-ment important dans le développement d'une médecine fondée sur une pensée rationnelle [52, 54, 55]. Ainsi, la méthode expérimentale de Lavoisier (quelques années avant Claude Bernard) per-mit de déterminer, dans la situation complexe que représentait l'étude du magnétisme ani-mal, les facteurs causaux possibles, en répétant des expériences dans des situations contrôlées et en faisant varier un seul facteur à la fois. La commission a donc commencé son enquête par une position de départ simple mais essentielle  : « Le magnétisme animal pourrait bien exister sans qu'il soit pour autant utilisable, mais il ne

peut être utilisé s'il n'existe pas [55]. » Pourtant le « subtil f luide » avait comme caractéristique de ne pas être mesurable. L'ingéniosité de la com-mission a donc été de tester les effets du supposé f luide plutôt que ses propriétés physiques. On retrouve là l'état d'esprit de Franklin qui cher-chait plus à savoir si quelque chose marchait plutôt que pourquoi il marchait [31]. Par ailleurs, la commission préféra tester les effets produits lors des séances, notamment les convulsions induites, plutôt que les effets thérapeutiques sur un processus pathologique. En effet, Franklin soulignait que les améliorations thérapeutiques pouvaient être liées à de multiples causes diffi-ciles à contrôler. Il indiqua notamment que l'ef-fet thérapeutique du mesmérisme pouvait être simplement dû au fait que les patients traités par Mesmer n'étaient pas correctement traités par la médecine traditionnelle, dont les potions et les saignées retardaient souvent le rétablissement naturel des malades [52].

Mesmer refusa de collaborer avec la com-mission et c'est donc Deslon qui participa aux expériences développées par Lavoisier. La com-mission commença par des observations et des expériences non contrôlées sur ses membres eux-mêmes et quelques sujets sains puis malades. Aucun effet ne fut ressenti par les membres de la commission et de très rares effets par les sujets sains ou malades. La commission aboutit cepen-dant à cette hypothèse : les crises convulsives induites par le mesmérisme chez les patients peuvent être liées soit au pouvoir de la suggestion psychologique, soit à l'action invisible d'un fluide magnétique.

Le « protocole expérimental » consista alors à réaliser un des premiers essais contrôlés de l'his-toire de la médecine. Deux conditions furent créées : • dans lapremière, lespatientsétaientsoumisà

l'effet de la suggestion sans être magnétisés ; • danslaseconde,lespatientsétaientmagnétisés

sans être soumis à la suggestion.Seule la première condition permettait d'obte-

nir des crises convulsives. La conclusion du rap-port est la suivante : « Les crises sont causées par la suggestion : il n'y a pas d'évidence pour un effet du fluide ; ainsi le magnétisme animal comme force physique doit être rejeté. La pratique du magnétisme est l'art d'augmenter l'imagination par degrés [55]. »

Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

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Du rapport de la commission au charlatanisme annoncéLe cas Mesmer est un exemple d'utilisation d'une thérapeutique fondée sur des principes que la science ne pouvait justifier. De manière intéres-sante, Mesmer avait été lui-même commissionné par l'Académie des Sciences de Munich pour éva-luer en 1775 les traitements pratiqués par un moine exorciste:JohannJosephGassner(1727–1779).Alorsque Gassner pensait qu'un certain nombre de mala-dies étaient dues au diable, qu'il s'agissait d'expulser par la prière, Mesmer, dans une position médicale matérialiste, mettait en avant la nécessité de ne pas rechercher de causes supranaturelles aux maladies [54]. Ainsi, bien que les médecins de l'époque aient accusé Mesmer de charlatanisme, il semble qu'il était plutôt un homme cultivé, en marge, promou-vant un certain type de rationalité [56]. Mais il était probablement emporté par son style flamboyant et ses approches thérapeutiques teintées d'érotisme. Mesmer aura permis cependant de mettre en avant le phénomène de suggestion, phénomène que Fran-klin lui-même reconnut comme potentiellement intéressant pour la médecine [31], sans pouvoir cepen-dant ni pour l'un ni pour l'autre avoir les outils psy-chologiques conceptuels pour le théoriser [52, 54, 57].

D'un point de vue politique, une note secrète rédigée par les commissaires pour le ministre mettait en avant le danger que constituait le mes-mérisme pour les mœurs et, au-delà, pour la sta-bilité de la société [58]. De fait, le mesmérisme avait enflammé l'imagination de certains radicaux, devenant un des symboles de la remise en cause de l'autorité dans un contexte prérévolutionnaire à travers les personnalités de Marat et Lafayette. La force magnétique, à la source de l'« Harmonie uni-verselle » prônée par Mesmer, s'incarnait dans le mouvement politique pour la liberté, l'égalité et la fraternité, notamment dans les loges maçonniques mesméristes [53, 54]. Ironiquement, dix ans après la tenue de la commission, Louis XVI et Lavoisierdevaient mourir décapités par l'instrument du bon docteur Guillotin [52]. L'accusateur public déclara que la République n'avait pas besoin de savants.

Le baquet de Mesmer : une machine non technologiqueAu-delà des questions sur la suggestion soulevées par Mesmer [54] et des limites du rapport de Fran-

klin pour y répondre [59, 60], il nous semble que la position de Mesmer est riche d'enseignements pour la neurophysiologie clinique appliquée à la psychiatrie d'un point de vue « technologique ».

Nous proposons donc de décentrer la critique du baquet de Mesmer du concept de « magné-tisme », vers l'objet « baquet » lui-même. Nous allons analyser le baquet suivant les perspectives offertes par Simondon et voir dans quelle mesure le baquet se distingue des machines électroma-gnétiques plus légitimes [61].

Les électrothérapeutes et les magnétiseurs accordaient en effet beaucoup d'attention à leurs équipements. Ainsi, le baquet était constitué d'une cuve en bois contenant des bouteilles rem-plies d'eau disposées en faisceaux sur un mélange de verre pilé et de limaille de fer, desquelles sor-taient des tiges métalliques. Si l'on se centre sur l'usage de cette machine, alors elles peuvent pré-senter une certaine parenté avec les machines électriques deGalvani ouVolta [62]. En effet, les deux types de machines sont censés permettre un transfert d'énergie (électrique ou magnétique) au patient. Mais si l'on s'intéresse à la structure et à la logique interne de ces deux types de machines, alors il pourrait apparaître des différences impor-tantes.

La logique d'un objet techniqueGilbert Simondon (1924–1989) est un philosophe atypique qui centra tout son travail sur l'objet technique en tant que tel. Il commence en souli-gnant que « nous n'avons pas jusqu'ici tenté d'ana-lyser l'objet technique autrement que par la voie indirecte de son rapport à l'homme qui le produit ou l'utilise, sans essayer de définir sa structure et son dynamisme interne » [61]. Il propose alors de dépasser « la métaphysique naturelle » qui consiste à considérer l'objet technique comme une entité artificielle au contour net et fabriqué par l'homme à des fins utilitaires.

Simondon nous propose une ontogenèse de l'ob-jet technique. En dépassant l'humain qui a produit l'objet et qui l'utilise, il propose d'analyser la relative autonomie de l'objet technique, autonomie qu'il dif-férencie de l'automatisme. Simondon considère en effet que les « définitions et classifications des objets techniques par l'usage ou les finalités sont four-voyantes : elles nous font passer à côté de la techni-cité des objets techniques et donc de leur dimension

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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culturelle » [63]. La « culture technique » est ce qu'il y a apparemment « de plus froid, de plus déshumanisé, de moins culturel, dans “l'intériorité dynamique” de l'objet technique, dans le schématisme concret, mais ouvert, de sa structure et de son fonctionne-ment » [64]. Et pourtant, c'est dans les schèmes opéra-toires, appelés aussi « archétypes technologiques », que l'on peut retrouver quelque chose de l'humain. Cette part d'humanité des objets techniques est ce que Simondon appelle le « pouvoir transductif » des objets techniques, qui consiste à faire communi-quer la réalité humaine et les processus naturels.

Simondon s'appuie sur l'encyclopédie de Dide-rot et d'Alembert du xviiie siècle en soulignant que le grand apport de ce recueil en matière de connaissance technologique réside dans le parti pris de montrer les objets techniques « en leur inti-mité à la fois structurale et fonctionnelle » avec des « planches analytiques de plus en plus détaillées [approfondissant] le secret des formes et des fonc-tions en allant au cœur même des machines et des montages » [61, 64].

Simondon prend l'exemple des planches illustrant le fonctionnement du moulin (figure 1.5). La première planche le représente en sa totalité, « reliant le ciel,

milieu de l'énergie, à la terre, milieu du travail et de la vie de l'homme ». Le moulin apparaît alors comme un centre, une voie de passage, un trait d'union entre les puissances de la nature et le domaine des activités humaines. La planche suivante approfondit le schème de technicité et montre tous les intermé-diaires, les axes, engrenages, arbres… assurant la transmission de l'énergie jusqu'à la meule. « Ce ne sont pas des accessoires qui se trouvent ici présen-tés, ni, à proprement parler, de simples détails, mais bien plutôt les maillons essentiels de cette chaîne entre le mouvement des vents et le travail par lequel l'homme obtient son pain […] Le moulin complet, concret, est une chaîne, et la technophanie est la pré-sentation plénière de tous les maillons de la chaîne. Une telle chaîne institue une communication et, par conséquent, une continuité et une unité de valeurs entre le milieu géographique et l'activité humaine de travail, d'invention, de consommation [61]. » « C'est le schème de concaténation qui organise le rapport entre le travail humain et les processus naturels, c'est-à-dire entre deux ordres de réalités initialement incommensurables [64]. »

L'invention technique consiste donc à créer un archétype ou schème technologique faisant lien

Figure 1.5. Schème technologique : exemple du moulin à vent. Figure modifiée d'après les concepts de Simondon à partir de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Source : Moulin à vent de Meudon. Extrait du volume 1 : Hydraulique. Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, troisième édition. Recueil de planches pour la nouvelle édition du dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers avec leur explication, 1779.

Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

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entre la réalité humaine et le monde naturel, et permettant de résoudre un problème concret d'agencement technique. De plus, l'invention per-met de créer un objet technique qui présente : • unperfectionnementouuneévolution,appelée

« concrétisation » par Simondon ;• etunerelationàd'autresobjetstechniquesfor-

mant un « réseau ».

Concrétisation

Un objet technique se définit en effet par « un type de cohérence qui vient des propriétés confé-rées aux composants en action par le fait que le problème est supposé résolu ; une réciprocité d'actions causales et d'échanges d'informations engagée ou dégagée (explicite) entre le tout et les parties en fonctionnement constitue l'objet tech-nique comme réalité possédant un mode d'exis-tence propre ; l'invention est l'aspect mental, psychologique de ce mode propre d'existence » [65]. Une invention s'inscrit donc dans un perfec-tionnement, une évolution concrète d'un arché-type technologique. Simondon utilise le concept de « concrétude ». « Concret, c'est concretum, c'est-à-dire quelque chose qui se tient et en quoi, organiquement, aucune des parties ne peut être complètement séparée des autres sans perdre son sens [66]. » « L'objet concret est celui en lequel il y a ce qu'on peut nommer une résonance interne ou réverbération interne, c'est-à-dire qui est fait de telle sorte que chaque partie tient compte de l'existence des autres, est modelée par elles, par le groupe qu'elles forment et, peut donc également jouer un rôle plurifonctionnel. Non seulement elle est informée par les autres pièces, mais encore elle joue un rôle pour elles, elle est en rapport avec elles [66]. »

Simondon distingue deux types de perfec-tionnement ou « concrétisation » : « Ceux qui modifient la répartition des fonctions aug-mentent de manière essentielle la synergie du fonctionnement, et ceux qui sans modifier cette répartition, diminuent les conséquences néfastes des antagonismes résiduels [65]. » Les seconds sont des perfectionnements continus mais mineurs tendant à supprimer les inconvé-nients d'une invention existante, alors que les premiers sont des perfectionnements disconti-nus et majeurs et sont véritablement des inven-tions faisant advenir une nouvelle « essence technique » [67]. Le passage de la bouteille de

LeydeàlapileVoltaestainsiuneinventiondansla mesure où elle modifie radicalement la répar-tition des fonctions du métal et des électrolytes dans le dispositif technique de génération élec-trique. L'invention de l'induction électroma-gnétique de Faraday fait disparaître le rôle des électrolytes au profit de l'aimant (cf. figure 1.1). L'évolutionde lapileVoltaoucellede l'induc-teur faradique sont ensuite des transformations mineures permettant de résoudre des anomalies de fonctionnement ou des accidents et de pro-poser une intégration de plus en plus optimale des composants permettant l'obtention des sti-mulations contrôlées actuelles.

Réseaux

Un objet technique se différencie également d'un simple outil « qui permet de prolonger et d'armer le corps pour accomplir un geste » [61] par les relations technologiques que les objets tech-niques entretiennent entre eux. Le fonctionne-ment d'un moulin à vent implique par exemple tout un ensemble technologique impliquant l'agriculture, le transport…, alors que le fait de casser simplement une graine avec une pierre reste relativement indépendant. La relation des archétypes technologiques crée ainsi une sorte de « réseau technologique », étendu, ramifié et organisé quasiment comme un « monde techno-logique » [67]. En effet : « Le terme général de réseau communément employé pour désigner les struc-tures d'interconnexion de l'énergie électrique, des téléphones, des voies ferrées, des routes, est [ainsi] beaucoup trop imprécis et ne rend pas compte de régimes particuliers de causalité et de conditionnement qui existent dans ces réseaux, et qui les rattachent fonctionnellement au monde humain et au monde naturel, comme une média-tion concrète entre ces deux mondes. (…) Il n'y aurait pas de réseau s'il n'y avait pas une certaine structure naturelle d'une part, un certain besoin humain d'autre part, ensuite l'invention d'une relation harmonieuse entre cette nature, et ce besoin humain. Le réseau, c'est la rencontre de la possibilité technique et de l'existence naturelle » [61].LabouteilledeLeyde,lapiledeVolta,l'induc-teur faradique appartiennent ainsi au monde technologique de l'électricité du xviiie siècle qui fait lien entre une force physique et le monde des hommes, comme le met en avant la célèbre expé-rience du cerf-volant de Franklin.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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La logique technique du baquet ? Les deux caractéristiques de concrétisation et d'appartenance à un réseau technique nous paraissent faire défaut dans l'invention de Mes-mer, contrairement aux machines électroma-gnétiques. Ainsi, en dehors de toutes critiques pouvant porter sur les preuves d'efficacité (et la nécessité d'essais thérapeutiques bien construits) ou les conceptions thérapeutiques (et la néces-sité de leurs justifications neurophysiologiques), l'utilisation du baquet par Mesmer permet de souligner une troisième caractéristique néces-saire à prendre en compte lors de l'utilisation d'une machine électromagnétique en psychiatrie. Il s'agit d'utiliser une machine qui ne soit pas ce qu'on pourrait appeler une « imposture technolo-gique ». L'exemple du baquet permet au psychiatre de comprendre les critères technologiques à ana-lyser et critiquer avant de décider d'utiliser une machine en psychiatrie.

Le problème de la concrétisation

Le baquet reste en effet stable, incapable de dys-fonctionnement ou d'accident technique, et ne peut être amélioré ; or : « Ce n'est que lorsque l'outil ou la machine sont défectueux ou viennent à manquer que m'apparaissent alors leur tech-nicité, leur réticularité (le fait qu'ils nécessitent d'autres objets et infrastructures techniques pour fonctionner) [63]. » La fonction de lien entre l'éner-gie magnétique et l'homme du baquet est totale, parfaite, et donc d'un autre point de vue (celui de l'objet technique de Simondon) inexistante. Cette absence de perfectionnement montre en fait que le baquet ne présente aucun archétype techno-logique censé résoudre un problème concret. La création du baquet n'est donc pas une invention mais la constitution imaginative d'un objet « abs-trait » qui ne se confronte en réalité pas aux forces de la nature.

En reprenant les idées de Simondon, le pro-blème n'est pas tant que Mesmer ait créé son baquet de manière imaginative, mais plutôt que cette création ait été « uniquement » imaginative. L'invention technique fait en effet appel à une part d'imagination puisque « les connaissances scien-tifiques qui servent de guide pour prévoir l'uni-versalité des actions mutuelles s'exerçant dans le système technique restent affectées d'une certaine imperfection ; elle ne permettent pas de prévoir

absolument tous les effets avec une rigoureuse pré-cision » ; « Il subsiste une certaine distance entre les systèmes d'intentions techniques correspon-dant à une finalité définie et le système scienti-fique de la connaissance des interactions causales qui réalisent cette fin (…). La distribution ultime des fonctions aux structures et le calcul exact des structures ne pourraient se faire que si la connais-sance scientifique de tous les phénomènes suscep-tibles d'exister dans l'objet technique était complé-ment acquise ; comme ce n'est pas le cas, il subsiste une certaine différence entre le schème technique de l'objet (comportant la représentation d'une finalité humaine) et le tableau scientifique des phénomènes dont il est le siège (ne comportant que des schèmes de causalité efficiente, mutuelle ou récurrente) [61]. » Pour devenir technique (et tech-niquement viable), l'objet matériel « abstrait » doit se « concrétiser » en un mode de fonctionnement cohérent, unifié et unitaire, à partir de ses propres lois et non plus simplement à partir des lois du modèle qui ont conduit à sa version idéalisée.

Mesmer idéalise et crée une machine mais ne fait pas ensuite d'effort d'invention créatif pour résoudre les problèmes entraînés par le fonctionne-ment concret de sa machine. Son unique acte d'in-vention serait le fait que sa machine tienne debout, puisque ce n'est qu'uniquement face à la force de la gravitation et à la manipulation des tiges métal-liques que le baquet doit résister. Ce qui manque ensuite à Mesmer, c'est donc la confrontation de son objet technique à la concrétude du fonctionnement de sa machine dans son environnement électro-magnétique. Mesmer a créé une machine qui n'est pas « concrète », en manquant presque totalement « d'inorganique organisé », elle reste « abstraite » [63].

Le problème des réseaux

Le baquet est indépendant des technologies élec-triques de l'époque. Il le serait également des tech-nologies actuelles. Le seul lien que le baquet crée se situe entre l'homme et l'Univers indépendamment des autres artifices techniques créant un monde et des réseaux technologiques permettant « la média-tion entre l'homme en société d'une part et la nature d'autre part » [66]. Le baquet est une média-tion isolée. Incapable de créer des liens techniques avec d'autres dispositifs, le baquet est une machine sans technique qui n'a de valeur que dans l'usage que Mesmer et Deslon veulent bien en faire.

Chapitre 1. Histoire technologique de l'électricité en psychiatrie

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Cet isolement technologique nous semble dis-tinguer radicalement le concept d'« électricité animale » inventé par Galvani du concept de « magnétisme animal » de Mesmer. Si le concept d'électricité animale provenait effectivement d'une interprétation erronée d'un outil (l'arc élec-trique de Galvani), cet outil restait attaché mal-gré tout à la bouteille de Leyde et à un ensemble technologique cohérent et évolutif formant pro-gressivement les outils de la neurophysiologie moderne. En revanche, le concept de magnétique animal provient également d'une interprétation erronée d'un outil (le baquet avec ses tiges métal-liques), mais cet outil est détaché de toute autre technologie et n'a de lien qu'avec les conceptions théoriques de Mesmer. Le concept de magnétisme animal, contrairement à celui de l'électricité ani-male, est donc totalement inopérant d'un point de vue technologique et finalement expérimental. Alors que le concept de Galvani, qui a donné lieu àunedisputeavecVolta,pouvaits'opérationnali-ser dans un dispositif expérimental différent de celui des arcs électriques, le concept de Mesmer, avec lequel Franklin était en désaccord, ne peut aucunement être justifié expérimentalement. L'isolement technologique du baquet explique l'incapacité du magnétisme animal à être évalué, mesuré, appréhendé dans un dispositif technique autre que le baquet.

Conclusion : vers une intégration de la technologie et de la neurophysiologie

L'histoire de l'électricité en médecine est marquée par des ingénieurs et des inventeurs [7, 8]. Nous avons donc voulu souligner la nécessité d'une com-préhension technologique historique lors de l'uti-lisation d'une machine électromagnétique en psy-chiatrie. Elle permet, dans la lignée des travaux de Simondon, d'envisager l'objet technique dans son ancrage dans la vie. Cet ancrage vivant consiste en quelque sorte à explorer la poursuite dans la technique du principe structurant de l'organisme défini par Georges Canguilhem (1904–1995) par le fait que « la totalité de l'organisme n'est pas équiva-lente à la somme des parties ». « Selon Simondon, qui se souvient ici de Canguilhem, la monstruo-

sité est le contraire de l'optimisation fonctionnelle. Il est intéressant de noter que, pour Simondon, il y a une tératologie qui s'applique aux objets et aux actes techniques [64]. » La nécessité de penser une optimisation fonctionnelle de l'évolution des machines électriques en psychiatrie sous l'angle tératologique peut être considérée comme un guide éthique de leur utilisation [68]. Cette éthique implique d'analyser la structure et le dynamisme interne des machines électromagnétiques avant d'analyser la voie indirecte de leurs utilisations. C'est d'ailleurs à partir de cette analyse technolo-gique qu'il peut être envisagé un retour original à la neurophysiologie afin de proposer une intégra-tion psychophysiologique optimale des techniques électriques en psychiatrie [2, 69].

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Bases neurophysiologiques de l'EEG

L'activité électrique cérébrale

Enregistrement d'une activité corticaleLes activités enregistrées avec des électrodes externes lors de la réalisation d'un électroencé-phalogramme (EEG) sont la somme d'un nombre considérable d'activités individuelles des neurones du cortex cérébral. Cependant, pour des raisons d'organisation des champs électriques, toutes les activités électriques cérébrales ne peuvent pas être enregistrées. En réalité, seule une propor-tion limitée de neurones du cortex, représentée par les neurones pyramidaux corticaux organi-sés en macrocolonnes perpendiculaires à la sur-face du crâne (par contraste avec les neurones des macrocolonnes des sillons corticaux), parti-cipe à la genèse du signal EEG. En effet, ces neu-rones possèdent des dendrites perpendiculaires à la surface du cortex. Le signal EEG provient des potentiels postsynaptiques d'excitation (PPSE) et d'inhibition (PPSI) qui arrivent sur ces dendrites. Ces PPSE et PPSI, d'une durée de l'ordre de 10 ms, correspondent à l'influx électrique en lien avec la libération des neurotransmetteurs dans la fente synaptique et induisent des variations de poten-tiel électrique dans l'espace extracellulaire. Étant donné que chaque neurone pyramidal du cortex possède sur ses dendrites environ 10 000 synapses, l'activité enregistrée de manière globale au niveau du scalp va donc correspondre à la sommation des activités synchrones liées aux courants extracellu-laires de nombreux neurones pyramidaux [1].

Rôle majeur des structures sous-corticalesThalamus

L'activité électrique corticale est fortement dépen-dante des afférences thalamocorticales, c'est- à-dire des informations provenant de la structure sous-corticale diencéphalique de substance grise qu'est le thalamus, jusqu'aux couches corticales.

Les afférences thalamocorticales spécifiques véhiculent les influx venant de la périphérie, notamment des organes sensoriels et moteurs. Les relais se font par des noyaux thalamiques dits spé-cifiques. Les arborescences axonales des neurones thalamiques spécifiques ne s'étendent que sur une petite partie des cortex primaires (par exemple, le cortex somesthésique). Ce mode de fonctionne-ment en « mode direct » du thalamus, relayant les informations venant du système nerveux périphé-rique jusqu'aux aires corticales, se retrouve prin-cipalement pendant la veille.

Un autre groupe de noyaux thalamiques, dits réticulaires, possède des neurones avec des pro-priétés oscillantes. Ils présentent une arborisation axonale diffuse, non spécifique, s'étendant jusqu'à plusieurs aires corticales. Les neurones des noyaux réticulaires du thalamus sont particulièrement impliqués dans la dynamique de régulation cor-ticale veille/sommeil, dans la genèse des fuseaux du sommeil et, à un moindre degré, dans celle du rythme alpha. Dans ce cas, le fonctionnement du thalamus n'est alors plus en mode direct mais en mode oscillant. Ce mode oscillant possède une fonction de porte (ouverte/fermée) quant aux influx périphériques entrant dans le cortex. C'est un mode de fonctionnement qu'on retrouve classi-quement dans le sommeil lent profond [1].

Chapitre 2De l'activité électrique corticale au tracé EEGC. Balzani, J. Vion-Dury1

1 Relecture : J.-A. Micoulaud-Franchi.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

22

Formation réticulaire du tronc cérébral

La régulation des deux modes, direct et oscillant, de l'activité thalamique est sous la dépendance de la formation réticulaire située dans le tronc céré-bral. C'est dans cette dernière que s'organise, en lien avec les noyaux supraoptiques de l'hypotha-lamus, la régulation globale des états de veille et de sommeil.

On notera enfin que certaines structures cérébrales, comme le striatum ou le cervelet, ne participent pas à la genèse du signal EEG et probablement pas à sa régulation.

Grands modes de régulation de l'activité cérébrale

Axe réticulo-thalamo-cortical et stades de vigilanceHistoriquement, l'individualisation des diffé-rents stades de sommeil et de vigilance par la technique de l'EEG a pu être réalisée dans les années 1930 [2]. Nous reprendrons plus loin, dans le chapitre consacré au sommeil (cf. cha-pitre 6), les différentes caractéristiques des stades de sommeil, mais il nous faut néanmoins présenter dès à présent certaines notions neu-rophysiologiques à propos des différents stades de vigilance.

L'éveil dépend du système réticulaire activateur et de ses projections thalamiques et corticales. L'éveil est caractérisé par une activation corti-cale, donnant lieu à une électrogenèse de faible amplitude et de fréquences rapides, et une activité motrice à la fois tonique et phasique. Les neu-rones responsables de l'induction et du maintien de l'éveil sont localisés dans la formation réticu-lée, l'hypothalamus postérieur, le télencéphale basal ainsi que plusieurs noyaux (locus coeruleus, noyaux du raphé, noyau tegmental latérodor-sal et pédunculopontin), ainsi que la substance noire et le tegmentum ventral [3]. Ils sécrètent des neuro transmetteurs, tels que l'acétylcholine et les monoamines que sont la dopamine, la séro-tonine, l'histamine, ou encore la noradrénaline. Les neurones thalamocorticaux ainsi activés pro-duisent du glutamate, neurotransmetteur exci-tateur le plus répandu dans le système nerveux central, qui active à son tour les neurones pyra-midaux corticaux. L'éveil cortical participe en

retour au maintien de l'activité tonique des neu-rones GABAergiques du thalamus réticulaire, qui inhibe son fonctionnement en mode oscillant. Les informations envoyées au cortex par le thalamus spécifique arrivent ainsi au cortex de manière non synchrone et sont à l'origine sur l'EEG d'un rythme rapide, dans la bande bêta. Cette augmen-tation générale de l'activité corticale produit ce qu'on dénomme une désynchronisation.

Lors de la veille calme, un système oscillant, d'origine principalement corticale visuelle, mais impliquant également le thalamus, en particulier le pulvinar et le thalamus réticulaire, s'active et on observe sur l'EEG un rythme alpha, à prédomi-nance occipitale.

Lors de l'endormissement, ce rythme alpha est peu à peu fragmenté et interrompu par un rythme plus lent, dans la bande thêta. Le sommeil est déclenché par l'arrêt de la sécrétion de substances maintenant l'éveil (acétylcholine et monoamines). Cet arrêt est dépendant de l'activité du noyau pré-optique ventrolatéral, notamment sous l'influence de l'adénosine accumulée pendant l'éveil. La dis-parition de l'effet cholinergique libère les neurones réticulaires thalamiques GABAergiques, géné-rateurs des fuseaux de sommeil, qui à leur tour inhibent les neurones relais thalamocorticaux. Le thalamus acquiert ainsi sa fonction « porte », et les oscillations neuronales thalamocorticales sont alors synchronisées et de basse fréquence [4], traduisant la déafférentation fonctionnelle pro-gressive du cortex, maximale dans le sommeil lent profond. En effet, un cortex qui ne reçoit plus d'influx en provenance du thalamus spécifique et des structures réticulaires montre une activité lente spontanée, de type delta. Cette situation correspond à une déafférentation, c'est-à-dire une déconnexion du cortex. Celle-ci peut être soit fonctionnelle et régulée par les structures sous-corticales décrites plus haut, comme c'est le cas dans le sommeil lent, soit pathologique, comme par exemple lors d'une atteinte de la formation réti-culaire activatrice, qui peut donner lieu à un coma.

Lors du sommeil paradoxal, le cortex sera à nouveau réafférenté sous l'effet d'une activation réticulaire, mais des processus inhibiteurs blo-queront toute activité motrice, à l'exception des mouvements oculaires (stade de sommeil dit REM pour Rapid Eye Movement), ainsi qu'une partie des activités conscientes en lien avec cette

Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

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activation corticale. Ce stade de sommeil, décou-vert dans les années 1950 [5], bien que présentant certains aspects similaires à la veille, dépend d'un fonctionnement neurophysiologique spécifique, en particulier via des neurones « SP-on » et « SP-off » (SP pour sommeil paradoxal) qui jouent un rôle clé dans son déclenchement et son arrêt [3].

Régulation verticale et régulation horizontalePlus schématiquement, on peut dire que l'activité électrique corticale est régulée de deux manières.

En premier lieu, il existe une régulation qu'on peut qualifier de « verticale », qui correspond à une régulation cortico-sous-corticale telle que nous venons de la présenter. Cette régulation tient donc en grande partie aux modulations des dyna-miques de vigilance, transmises au cortex via l'axe réticulo-thalamo-cortical (figure 2.1).

Mais si nous avons surtout présenté leur carac-tère ascendant, il faut noter que les régulations verticales peuvent se faire dans deux sens diffé-rents [6] : • soitdepuislesstructuressous-corticalesversles

structures corticales : il s'agit alors d'une modu-lation dite bottom-up (de bas en haut) ;

• soit depuis le cortex vers les structures sous-corticales : il s'agit alors d'une modulation dite top-down (de haut en bas).La régulation dite « horizontale », quant à elle,

se fait entre les différentes structures corticales

et réalise un modèle de connectivité corticale propre. Elle est généralement considérée comme le support neuronal des fonctions cognitives supérieures.

De cette manière, on peut grossièrement réduire les examens d'exploration de l'activité électrique cérébrale à ces deux grands types de régulation. Si l'EEG propose principalement une exploration qui correspond à la modulation verticale, ce qui est notablement le cas lors de l'exploration de la vigilance et du sommeil, les potentiels évoqués cognitifs proposent une exploration de l'acti-vité corticocorticale, qui pourrait correspondre à la mise en activité de blocs d'activité corticale, traduisant ainsi le partage d'une activité diffuse et organisée. Ceci sera détaillé dans le chapitre consacré aux potentiels évoqués (cf. chapitre 5).

Technique de l'EEG : l'enregistrement de vecteurs électriques

Principe technique à la base de l'électroencéphalographie

Rappel historiqueNous avons décrit dans le chapitre 1 l'histoire de l'électricité en médecine. C'est en 1924, à Iéna, que Hans Berger put recueillir avec un galvanomètre à

Cortex

Structuressous-corticales

Modulation horizontale

uni - ou bidirectionnelle

Modulation verticale

bidirectionnelle

Bas-hautHaut-bas

Figure 2.1. Modes principaux de régulation de l'activité cérébrale : modulation horizontale et modulation verticale.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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corde les activités électriques cérébrales humaines à partir d'électrodes placées sur le scalp ; c'est lui qui proposa d'utiliser le terme « électroencé-phalogramme » (EEG). On peut imaginer la diffi-culté, à l'époque, pour enregistrer des différences de potentiel de l'ordre de quelques dizaines de millio-nième de volt avec les piètres galvanomètres dispo-nibles et sans le moindre dispositif d'amplification [1].

En 1929, Berger publia la découverte de deux types d'activités électriques cérébrales quasi sinusoïdales, qu'il dénomma « rythme alpha » et « rythme bêta » [7]. La difficulté principale fut de s'assurer que les variations de potentiels ainsi obtenues constituaient réellement une activité bioélectrique d'origine corticale et non pas des artefacts provoqués par la pulsation des vais-seaux, la contraction des muscles, le mouvement des yeux ou encore le tremblement de la tête. L'im-portance de la découverte de Berger ne fut vrai-ment reconnue qu'en 1937, époque où il décrivit la réaction d'arrêt du rythme alpha qui a lieu quand le sujet est attentif. C'est la même année que fut réalisé l'enregistrement des premières crises d'épilepsie par Gibbs [8]. Cependant, la Seconde Guerre mondiale allait retarder l'éclosion de cette méthode d'exploration du cerveau humain ; ce n'est qu'à la fin de celle-ci que l'emploi de l'EEG comme méthode diagnostique se généralisera en neurologie. À la fin des années 1940, les pre-mières explorations invasives par électrodes pro-fondes furent réalisées. Les premières analyses de fréquences eurent lieu dans le contexte du déve-loppement des méthodes de traitement du signal. Les grands noms de cette période sont notam-ment Penfield, Jasper, Walker, Magoun, Moruzzi, puis, en France, Gastaut, Naquet, Roger. Moruzzi et Magoun, en réalisant des sections étagées du tronc cérébral, mirent en évidence le rôle fonda-mental de la substance réticulée activatrice ascen-dante dans la régulation de l'activité électrique cérébrale [9]. C'est ainsi qu'à partir des années 1950 put s'accroître la place de l'EEG, non seulement en recherche neurophysiologique mais également en pratique clinique en milieu hospitalier.

Activité spontanée et réponses provoquéesL'électroencéphalographie conventionnelle consiste donc en l'enregistrement de l'activité électrique cérébrale, au moyen d'électrodes adéquatement

placées sur le scalp du patient et reliées à une chaîne d'amplification. L'électroencéphalogramme (EEG) est donc constitué par ces oscillations électriques de forme plus ou moins sinusoïdale et survenant à des fréquences variables, globalement inférieures à 50 Hz, provenant des neurones corticaux que nous avons présentés.

Cette activité électrique cérébrale est, dans les conditions physiologiques, présente en perma-nence et de manière spontanée, indépendam-ment de toute stimulation sensorielle ou de toute activité mentale consciente. Mais des stimula-tions externes (stimulus environnementaux) ou internes (cognitives) peuvent avoir deux effets sur cette activité cérébrale spontanée : • soit elles génèrent des réponses spécifiques,

d'importance topographique et de décours tem-porel variables : il s'agit dans ce cas de potentiels évoqués (sous-entendu, évoqués par une stimu-lation ou une activation mentale) ;

• soit elles modifient l'état de fonctionnementdes réseaux neuronaux actifs : il s'agit alors de synchronisations ou désynchronisations liées à l'événement.Ainsi, alors que le rythme alpha de l'EEG, dont

l'amplitude est de l'ordre de 50 microvolts, est recueilli dans un état de veille calme quand des zones étendues du cerveau présentent une activité cohé-rente, l'enregistrement d'activités liées à un stimulus spécifique est réalisé à partir de petites populations de neurones présentant une activité étroitement synchronisée. Les différents types de variations de potentiels, lentes ou rapides, sont regroupés sous le nom de potentiels liés à l'événement (Event-Related Potentials, ERP) (cf. chapitres 3 et 5).

Les synchronisations et désynchronisations (ERS et ERD), quant à elles, sont liées à des événe-ments tels que l'ordre d'ouverture des yeux, l'appel du nom, l'acte moteur ou les stimulations noci-ceptives. Elles reflètent l'état d'activation du cor-tex et leur analyse, plutôt effectuée en recherche, conduit à une meilleure compréhension de l'orga-nisation rythmique des activités cérébrales.

Matériel nécessaire pour l'enregistrement d'un EEG

LocauxLa réalisation de l'EEG nécessite de préférence un local dédié, en l'occurrence une pièce calme,

Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

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à l'abri des nuisances sonores et à faible éclairage. Le patient est installé sur un fauteuil confortable, muni d'un dossier réglable et d'accoudoirs ajus-tables. Les conditions environnementales doivent être les plus propices possibles à la détente [10].

L'EEG est un examen de routine, non invasif, généralement bien toléré. Néanmoins, la proba-bilité de déclencher une crise épileptique, notam-ment lors des manœuvres d'activation, n'est pas nulle. Aussi la salle d'enregistrement doit-elle être pourvue du matériel de soins primaires néces-saire pour prendre en charge une crise épileptique si elle venait à survenir (canule de Guedel, O2, matériel pour injection, benzodiazépines injec-tables…).

La chaîne d'enregistrement, ou le chemin du signal électrique cérébral depuis la voûte crânienne jusqu'au tracé EEGL'appareillage EEG se compose actuellement d'une chaîne d'enregistrement du signal électrique céré-bral, transmis depuis le scalp du patient jusqu'à un ordinateur, permettant l'affichage du tracé en temps réel ainsi que son enregistrement [11].

Les électrodes et le système 10/20

Le signal électrique est recueilli au moyen d'élec-trodes disposées sur le scalp du patient. Ces élec-trodes peuvent être de plusieurs types.

Les électrodes tampons, les plus utilisées, sont constituées d'argent chloruré recouvert de tissu. Maintenues sur le crâne à l'aide d'un filet de caoutchouc, leur principal inconvénient reste la faiblesse de leur fixation.

Les électrodes cupules sont des petits disques concaves, en argent chloruré, classiquement col-lées sur le scalp à l'aide d'une pâte adhésive — anciennement à base de collodion, qui doit désor-mais être évité.

Les électrodes aiguilles, plus invasives, sont placées au niveau sous-cutané ; elles sont le plus souvent utilisées en réanimation.

De manière générale, les électrodes nécessitent un certain entretien ; elles doivent notamment être trempées dans une solution javellisée afin de maintenir leur chlorurisation.

Classiquement, les électrodes sont indépen-dantes les unes des autres et doivent être placées

une à une, ce qui justifie d'un temps de pose non négligeable ; mais il existe désormais dans le com-merce des bonnets incluant les électrodes déjà positionnées, à placer directement sur le crâne du patient ; ils ont cependant également leurs incon-vénients propres (tailles différentes, modalités d'entretien, etc.). Le contact entre l'électrode et la peau du patient est assuré par une pâte conduc-trice, comprenant généralement une solution saline, injectée via le centre de l'électrode à l'aide d'une seringue.

Il faut préalablement nettoyer soigneusement les emplacements de pose des électrodes, et ce quel qu'en soit le type, afin de les débarrasser de tout excès de sébum et de débris cellulaires qui majoreraient l'impédance. Enfin, les électrodes sont reliées chacune par un fil de connexion à une boîte têtière. Une fois que les électrodes sont posi-tionnées sur le crâne du sujet, il convient de véri-fier leur impédance (loi d'Ohm) et de la réduire au maximum afin qu'elle ne s'oppose pas au passage du signal sinusoïdal en provenance du cortex.

En EEG conventionnel, les électrodes sont classiquement disposées selon le système 10/20. Il existe différents montages, c'est-à-dire diffé-rentes dispositions des électrodes sur le scalp, qui vont conditionner le signal que l'on obtiendra (figure 2.2).

Le système 10/20 est un système de convention internationale, visant à la standardisation et à la reproductibilité de l'examen, utilisant vingt et une électrodes (dix-neuf électrodes actives, électrodes de terre et de référence) et permettant d'obtenir seize dérivations [12]. Dans le système 10/20, les électrodes positionnées du côté gauche du scalp sont représentées par un chiffre impair, et celles positionnées du côté droit sont représentées par un chiffre pair. Électrodes paires et impaires se font face de manière symétrique par rapport à la ligne médiane, où les électrodes sont dénommées par la lettre z. Les électrodes sont placées depuis le nasion, zone glabre entre les sourcils, jusqu'à l'inion, point proéminent de l'os occipital, en pas-sant par le vertex. D'avant en arrière, on retrouve les zones frontopolaires, frontales, centrales et temporales, pariétales puis occipitales, abrégées respectivement Fp, F, C, T, P, O. Une électrode de référence est placée sur chaque os mastoïde (A).

Une dérivation (ou voie, ou canal) est représen-tée par une paire d'électrodes, entre lesquelles est enregistrée une différence de potentiel générée

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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par l'activité simultanée des neurones de la zone corticale sous-jacente.

Les différents montages, en regroupant d'une certaine façon les dérivations, permettent d'avoir accès au maximum de signal. Les montages sont généralement bipolaires, c'est-à-dire qu'ils enre-gistrent une différence de potentiel relative, entre deux électrodes actives. Le montage référentiel, aussi appelé monopolaire, permet quant à lui d'obtenir la différence de potentiel entre une élec-trode active et une électrode de référence (dont le potentiel ne varie pas). Enfin, une électrode de terre, appliquée généralement sur le nasion, per-met de prévenir d'éventuels courants de fuite et donc de stabiliser le signal.

Sur le plan spatial, le montage antéropostérieur, ou longitudinal, explore les différences de poten-tiel d'avant en arrière, de chaque côté du crâne. Le montage transverse permet d'explorer les dif-férences de potentiel entre droite et gauche, et ce en progressant de l'avant vers l'arrière (figure 2.3).

Amplification

La chaîne d'enregistrement comprend ensuite un amplificateur, qui permet de diminuer de nom-breux artefacts et d'augmenter le signal de faible voltage issu des électrodes. L'amplification per-met en effet d'obtenir un gain important pour

des signaux électriques initialement faibles. Elle doit être adaptée à une fourchette de valeurs pré-sumées, en fonction du signal que l'on cherche à caractériser. L'amplification se fait au moyen d'amplificateurs différentiels, c'est-à-dire d'am-plificateurs dont la sortie est proportionnelle à la différence de potentiel présente entre les deux entrées. Ce type d'amplification différentielle implique également l'élimination de la tension commune dans les deux entrées, définissant le taux de réjection en mode commun.

Un autre paramètre primordial est la constante de temps. Celle-ci correspond au temps mis par le signal pour diminuer de 37 % par rapport à la déflexion d'un signal continu appliqué aux bornes d'entrée du stimulateur dans un circuit RC, qui est composé d'une résistance et d'un condensateur. La constante de temps, exprimée en secondes, est égale au produit des valeurs de la résistance (en mégaohms, MΩ) et de la capacité du condensa-teur (en microfarads, μF) du canal d'amplification d'EEG. Elle est également impliquée dans le fil-trage du signal.

Filtrage

Le filtrage permet d'éliminer des fréquences jugées non pertinentes, parasites, c'est-à-dire n'ap-partenant pas au signal qu'on cherche à étudier.

Figure 2.2. Positionnement des électrodes dans le système 10-20. Aperçu de la face gauche du cerveau avec les électrodes impaires.

Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

27

En diminuant le bruit de fond, il permet donc l'augmentation du rapport signal/bruit, comme le fait à sa manière l'amplification en augmentant le signal. Il existe deux types de filtres : • le filtre passe-haut, qui est l'équivalent de la

constante de temps, et qui laisse passer les hautes fréquences (et qui filtre donc les basses fréquences) ;

• etlefiltrepasse-basquilaissepasserlesbassesfréquences (et qui filtre donc les hautes fré-quences).L'intervalle de fréquences ainsi obtenu, entre

filtre passe-haut et filtre passe-bas, est dénommé bande passante (exprimée en hertz, Hz).

Les paramétrages de l'amplification et du fil-trage doivent être réalisés avec précaution : de mauvais réglages pourraient compromettre l'ac-cessibilité au signal recherché. De même, il est important de bien connaître les caractéristiques techniques des appareillages qu'on utilise. Ceci sera abordé plus précisément dans le chapitre 3.

Numérisation du signal

Historiquement, le signal était recueilli de manière analogique et mobilisait les plumes d'une table traçante, dont le papier se déroulait à une vitesse préalablement définie.

Actuellement, un convertisseur analogique digital (CAD), pouvant être contenu dans la boîte têtière, permet de numériser d'emblée le signal afin de permettre son affichage en temps réel sur l'écran d'ordinateur, mais aussi sa modification (application de filtres, changement des montages affichés), ainsi que son enregistrement et son

stockage sur disque dur. Le CAD permet donc de transformer un signal analogique, qui a une infi-nité de valeurs possibles, en une suite de nombres pris dans une collection limitée de valeurs pos-sibles (figure 2.4).

La numérisation d'un signal doit respecter le théorème de Nyquist-Shannon selon lequel la fré-quence d'échantillonnage d'un signal doit être au moins égale au double de la fréquence de ce signal. Pour l'EEG, la numérisation du signal demande une vitesse d'échantillonnage assez faible (128 à 256 Hz). Ainsi, si on veut numériser de l'EEG de routine, c'est-à-dire une bande passante allant de 0 à 50 Hz, la fréquence d'échantillonnage devra être au minimum de 100 Hz. Très souvent, la numérisation du signal s'effectue selon la tech-nique du multiplexage, correspondant à un entre-mêlement de signaux provenant simultanément des différentes voies d'acquisition. Ce procédé est permis du fait de la relative faiblesse de la fréquence d'échantillonnage nécessaire en EEG, au regard de la vitesse actuelle des horloges des ordinateurs. Le signal arrive ainsi sous une forme amplifiée et numérisée directement à l'ordinateur qui, par le biais d'une carte graphique, réalise la présentation des données. Le transfert boîte têtière- ordinateur se fait souvent par l'intermé-diaire d'une fibre optique, ce qui a pour intérêt de diminuer considérablement le bruit électronique et l'effet d'antenne des fils connectés [1].

Systèmes de stimulation

Le plus souvent, les systèmes d'enregistrement de l'EEG sont reliés à un ou des système(s) de

A B CFigure 2.3. Les principaux montages utilisés en EEG clinique chez l'adulte.A. Montage standard. B. Montage longitudinal. C. Montage transverse.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

28

stimulation, plus particulièrement quand il s'agit de l'enregistrement de potentiels évoqués (cf. cha-pitre 5).

Le plus simple des stimulateurs employés est la stimulation lumineuse intermittente (SLI) qui génère des éclairs dont la fréquence varie au fur

et à mesure de l'enregistrement (entre 1 et 60 Hz en général).

Le stimulateur peut être intégré dans l'appareil d'enregistrement, comme c'est le cas pour la SLI, ou constituer un module extérieur, comme c'est le cas pour les potentiels évoqués (cf. chapitre 5).

Figure 2.4. Principe de la numérisation, en partant du signal analogique (fond gris uni).DW, dwell time, ou temps d'échantillonnage ; TA, temps d'acquisition du signal.La matrice du signal numérisé donne l'intensité ou la tension de courant pour chaque point échantillonné (ici 64). Ce schéma vaut pour une seule voie d'enregistrement. Dans les appareils actuels, les signaux des différentes voies sont entrelacés par la méthode du multiplexage.

Chapitre 2. De l'activité électrique corticale au tracé EEG

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Dans tous les cas, l'élément essentiel est le sys-tème de synchronisation entre stimulus et acquisi-tion du signal. Par ce moyen, une information est émise par le module de stimulation, à la fois pour que le système d'acquisition se déclenche quand le stimulus apparaît et pour que le système de visua-lisation ou de calcul puisse disposer de cette infor-mation pour une analyse ultérieure : on aura ainsi les marqueurs de SLI ou des marqueurs différen-tiels de diverses tâches cognitives pour réaliser le rétromoyennage des potentiels évoqués complexes (cf. chapitre 4).

ConclusionNous avons vu dans ce chapitre la genèse du signal EEG, depuis les dendrites des neurones pyramidaux du cortex jusqu'à sa matérialisation à l'écran, sous forme d'un tracé désormais numérisé. Le chapitre suivant s'attardera sur les diverses modalités d'acqui-sition de ce signal, ainsi que sur les méthodes d'ana-lyse et d'interprétation, en se focalisant sur celles dont la pertinence est de mise en psychiatrie, qu'il s'agisse de la recherche ou de la pratique clinique.

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Dans le chapitre précédent, nous avons décrit la chaîne d'acquisition du signal EEG avec ses élec-trodes, ses amplificateurs et le convertisseur ana-logique digital.

Dans ce chapitre nous essaierons de répondre à la question : « Mais que peut-on faire de ce signal ? » Nous verrons donc les différentes moda-lités par lesquelles le signal EEG recueilli peut donner des informations à la fois différentes et complémentaires.

Dans un second temps, nous aborderons les dif-férentes manières d'analyser ce signal en fonction des procédures d'acquisition décrites.

À propos des modalités d'acquisition

On imagine mal, parce qu'ils sont désormais d'utilisation courante, l'impact des calculateurs et donc des systèmes électroniques de numéri-sation sur la manière de concevoir l'acquisition du signal EEG. Il en est de même pour l'amé-lioration des amplificateurs, notamment leur miniaturisation.

Les premiers enregistrements EEG nécessitaient des chaînes d'amplification à lampes, lourdes et encombrantes, en particulier si on voulait avoir au moins douze voies d'amplification. La rigidité des câblages entraînait un choix de montages prédéterminés sur lesquels il n'était pas possible d'intervenir après l'acquisition du tracé. La quan-tité de papier nécessaire encombrait de manière non négligeable les archives et rendait le transport des examens très limité, en raison du poids et des dimensions de ceux-ci. Quant aux tracés de som-meil, ils consommaient une quantité de papier encore plus impressionnante.

Par ailleurs, l'utilisation des plumes avec de l'encre, donnait aux signaux de grande amplitude la forme d'un arc de cercle, mais, en plus, le dis-positif de ces plumes frottant sur le papier confé-rait à l'ensemble une inertie qui se traduisait par un « émoussement » de la trace. On doit noter que l'expression grapho-élément, largement utilisée dans le langage de l'EEG, vient de cela : l'écriture par les plumes.

La numérisation (cf. chapitre 2) n'a pas seule-ment changé la manière de lire l'EEG courant. Même si, en raison de la qualité moyenne des cartes graphiques, les premiers systèmes numérisés éton-naient par le caractère « point à point » du tracé et par l'absence d'« émoussement » qui, parfois, faisait douter de la réalité de certains grapho-éléments, actuellement la qualité de la numérisation est, pour peu que les paramètres d'acquisition soient corrects, excellente. La possibilité de comparer à partir des données de base, les différents montages, d'amplifier à volonté ou de changer la constante de temps ou le filtrage sur la même fenêtre temporelle, qui peut également elle-même varier à volonté, constitue une révolution dans la manipulation des données électroencéphalographiques.

De même, si les potentiels évoqués par moyennage direct pouvaient être réalisés sur des oscilloscopes analogiques — comme d'ailleurs l'enregistrement des traces intra- ou extracellu-laires de l'activité des neurones ou des nerfs  —, seule la numérisation permet l'obtention de potentiels évoqués par rétromoyennage. Évidem-ment, tous les traitements ultérieurs du signal que nous verrons plus loin ont été permis par la numé-risation. Cette numérisation est également indis-pensable pour les différentes analyses de l'hypno-gramme et du vigigramme ou toutes les analyses informatisées du signal EEG.

Chapitre 3Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEGJ. Vion-Dury, C. Balzani, M. Cermolacce 1

1 Relecture : J.-A. Micoulaud-Franchi.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

32

Une autre conséquence de cette numérisation est que, par contraste avec les anciens appareil-lages pour lesquels une connaissance de la chaîne d'acquisition pouvait rester sommaire, les utilisa-teurs ont à acquérir à la fois la connaissance de l'appareillage lui-même (hardware) mais surtout celle des logiciels le faisant fonctionner, en parti-culier les différentes fonctions qui en permettent la versatilité. Trop de médecins ne s'intéressent pas à ces logiciels et utilisent les appareillages de manière limitée, ne faisant pas l'effort, à vrai dire significatif, de « rentrer dans la machine ». Nous ne pouvons qu'attirer l'attention du lecteur sur ce point, qui nous semble essentiel si on veut faire une neurophysiologie clinique de qualité.

Il faut enfin remarquer que la sémiologie de l'EEG a été construite sur les enregistrements papier, alors que rien ne nous dit qu'une modi-fication de la trace, en jouant facilement sur les paramètres de numérisation ou de présentation, ne pourrait pas constituer le support d'un com-plément sémiologique. Par exemple, on ne regarde jamais les courants à très basse fréquence (DC currents) obtenus en augmentant considérable-ment la constante de temps [1].

À propos de la quantification

Le signal de l'EEG de surface est un signal éminem-ment variable, formé d'une succession de configu-rations et de formes, qui impose tout d'abord une analyse visuelle, qui est d'ailleurs la base de l'inter-prétation clinique quotidienne (chapitre 12).

Cependant, d'une part cette analyse visuelle peut être très dépendante de celui qui inter-prète  — c'est une interprétation qu'il faut com-prendre au sens musical du terme — et, d'autre part, on peut vouloir sinon donner une objectivité à un tracé donné, du moins faire des études de groupes qui nécessitent des quantifications.

D'une manière générale, il faut bien com-prendre que la quantification est une réduction nécessaire. Ainsi, l'analyse d'une polysomno-graphie, qui inclut la quantification des différents stades de sommeil ainsi que leur organisation, ou bien l'analyse de la vigilance reviennent à extraire une information quantifiée de ces formes com-plexes qui se succèdent dans le temps et donc revient à les résumer pour les rendre accessibles rapidement à l'interprétation clinique. Il en est de même des analyses spectrales de l'EEG courant qui, d'une certaine manière, résument la structure

globale du tracé en une structure fréquentielle pensée comme représentative de l'électrogenèse.

Le problème de la quantification des potentiels évoqués cognitifs est légèrement différent, parce qu'un potentiel évoqué est lui-même un résumé d'une toute petite partie de l'activité cérébrale, dans des conditions données. Le signal est moins complexe et le plus souvent moins variable que celui de l'EEG continu de surface et il a la pro-priété d'être quantifié sur une base de temps très faible, d'au maximum 1 seconde. Dans ce cas, le problème de la quantification sera en lien avec l'élimination du « bruit » ou sa prise en compte dans le processus de quantification.

Il existe de plus en plus de programmes et de logiciels intégrés multivalents qui permettent toutes sortes de calculs et qui, le plus souvent, sont capables de faire cette quantification de manière automatique. Mais nous voulons attirer l'attention du lecteur sur deux points absolument essentiels.

Une quantification aveugle, sans visualisation de la trace initiale pouvant permettre l'élimination ou la prise en compte d'artefacts, est une faute qui met en cause la compétence de l'opérateur. Que l'on fasse de l'analyse spectrale, de la polysomno-graphie ou du moyennage de traces de potentiels évoqués, il faut toujours « sentir et voir » le signal avant toute application d'un programme de traite-ment. C'est en raison de cette absence de rigueur que la cartographie EEG a été en partie discré ditée dans l'interprétation courante, au début de son développement. Beaucoup croyaient qu'une jolie carte des fréquences les dispensait d'une analyse visuelle du tracé et se servaient d'une quantifica-tion à des fins essentiellement cosmétiques. Il en est de même pour les potentiels évoqués cognitifs (en particulier les composantes P50) pour lesquels certains opérateurs se contentent d'appuyer sur le bouton du programme, quitte à ce que le logiciel positionne automatiquement les marqueurs n'im-porte où entre deux bornes préalablement choi-sies. Le plus souvent d'ailleurs les logiciels ne sont pas en cause : ils font ce qu'ils doivent faire. Mais in fine, la décision de validation appartient à l'opé-rateur et celle-ci ne peut se faire qu'en retournant au signal même.

Trop souvent les personnes qui utilisent les logiciels de traitement n'ont strictement aucune idée non seulement de leur fonctionnement — on ne peut leur demander de connaître les algo-rithmes — mais surtout des choix techniques faits

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

33

par les concepteurs de logiciels : chaque logiciel fonctionne à partir de choix de calcul, de repré-sentation, de visualisation. Choisir un logiciel, c'est assumer ces choix pour son propre compte. Cette variété des choix, dans un contexte assez concurrentiel, impose une grande prudence. D'un logiciel à l'autre, les résultats de la même ana-lyse pourront être très différents. Comprendre le paramétrage des algorithmes et des processus d'analyse est indispensable. Les radiologues l'ont compris avec l'IRM, après s'être désintéressés, pendant quelques années, des bases physiques de génération du signal de RMN. Beaucoup ont fait le sacrifice d'une vraie formation (quelques jours avec les ingénieurs d'application des construc-teurs), même si celle-ci est très éloignée de leur intérêt initial. Le risque est grand, en raison de la moindre complexité de l'appareillage, que les neurophysiologistes fassent l'impasse sur ce type de formation concernant les bases mathématiques (par exemple, transformée de Fourier) et phy-siques (par exemple, qualité et types de filtres) du traitement du signal qui les intéresse.

Ainsi, la quantification en électrophysiologie est un problème délicat, nécessitant une grande attention et demandant beaucoup de temps, contrairement à ce que l'on pourrait penser.

Il faut aussi avoir à l'esprit que, alors qu'on peut analyser en routine clinique le tracé EEG de manière visuelle en moins de 5 minutes pour une acquisition qui en fait 25 (soit 20 % du temps d'ac-quisition), l'analyse quantifiée d'un examen EEG par une analyse spectrale peut prendre facilement 15 minutes, soit près de 60 % du temps d'acquisi-tion. La situation est encore pire avec les poten-tiels évoqués cognitifs dont le temps de traitement et d'interprétation peut facilement dépasser ou être le double du temps d'acquisition.

Plusieurs conséquences relèvent de ces points : • leplussouvent,dansl'EEGcourant,laquanti-

fication ne fait pas partie de la routine clinique car elle consomme beaucoup de temps médical ; c'est pour cela que l'analyse spectrale de l'EEG est le plus souvent réservée aux études scienti-fiques de groupes (en pharmacologie) ;

• l'utilisation de potentiels évoqués cognitifs enclinique est freinée par cette contrainte tempo-relle qui pèse sur ce type d'analyse.Nous verrons successivement les différentes

modalités d'acquisition et les différentes méthodes d'analyse du signal. Dans ce chapitre, nous porte-

rons une particulière attention aux potentiels évo-qués cognitifs, dont l'acquisition et le traitement ne sont que bien rarement détaillés.

Les différentes modalités d'acquisition et d'ana-lyse de ces divers signaux ont fait l'objet de gui-delines éditées par la Société internationale de neurophysiologie clinique [2]. Nous suggérons au lecteur de s'y reporter.

Différentes modalités d'acquisition du signal EEG

Enregistrement de l'EEG conventionnelHistoriquement, c'est la présentation d'une trace sur du papier défilant qui a permis de constituer le premier mode d'acquisition du signal EEG.

Compte tenu des limites du dispositif à lampes et à plumes que nous avons évoquées plus haut, les modalités d'acquisition de la trace EEG dans le contexte clinique standard ont été organisées de telle sorte qu'un maximum d'informations soient retirées d'un examen obtenu sur un système peu versatile.

Nous ne donnerons ici qu'un panorama assez général des procédures d'obtention et de la sémio-logie de l'EEG conventionnel. Pour plus de détails nous renvoyons à notre ouvrage précédent [3].

Conventions de polarité du signalNous avons vu que l'enregistrement de l'activité électrique cérébrale s'effectue très généralement de manière bipolaire. La différence de potentiel entre les deux électrodes entraîne la déviation du signal vers le bas ou le haut selon qu'elle est res-pectivement positive ou négative.

Mais, dans tous les cas, il reste très difficile de trouver des corrélations simples entre ce qui se passe au niveau des structures corticales (neu-rones, groupes de neurones) et la morphologie complexe de l'activité électrique cérébrale telle qu'elle est présentée à l'écran ou sur le papier.

Réalisation pratique de l'examenLa réalisation d'un tracé électroencéphalo-graphique, en routine clinique, comprend les étapes suivantes :

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

34

• préparation, positionnement et branchementdes électrodes, le patient étant assis ou allongé ;

• vérification des impédances et des paramètresd'amplification, c'est-à-dire de la chaîne d'enre-gistrement ;

• enregistrement dans les conditions de veillecalme, yeux fermés, avec des épisodes d'ouver-ture et de fermeture des yeux de 10 secondes, pour évaluer la réactivité ; cet enregistrement se fait selon différents montages ;

• épreuves d'activation : hyperpnée, SLI (stimu-lation lumineuse intermittente), voire autres manœuvres de type réflexe oculocardiaque ; l'hyperpnée peut être répétée une seconde fois après la SLI dans le cas de la recherche de pro-cessus paroxystiques ;

• fin d'enregistrement dans les conditions deveille calme ;

• démontagepuisnettoyagedesélectrodes.La durée de la préparation du patient est de l'ordre

de 15 minutes. L'enregistrement ne doit pas être, chez un patient coopérant, inférieur à 20 minutes.

Nous avons vu que l'amplification normale en EEG correspond à une échelle de 10 μV/mm. La constante de temps habituellement employée est de 0,3 s. Une page de tracé standard est présentée dans la figure 3.1.

La numérisation du signal EEG et le développe-ment de logiciels, le plus souvent conviviaux et de manipulation agréable, ont permis une évolution significative de l'analyse d'un tracé : la possibilité de faire varier tous les paramètres d'enregistrement (montages, amplification, constante de temps, base de temps) lors de la relecture permet, dans certains cas, d'être plus précis et plus fiable dans l'inter-prétation. De plus, un avantage considérable de la numérisation est la capacité d'archivage sur support numérique. L'utilisation d'ordinateurs portables et la miniaturisation des composants électroniques font que les appareillages sont de faibles dimensions et facilement transportables tout en conservant des performances maximales. Cette miniaturisation a également permis une augmentation considérable du nombre de canaux qui, de manière classique, est supérieur ou égal à trente-deux.

Figure 3.1. Technique de représentation d'un tracé EEG, avec les différents paramètres et notes au cours du tracé.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

35

Enregistrement des potentiels évoquésPrincipes générauxLes potentiels évoqués (PE) sont un enregistre-ment électroencéphalographique dans lequel on a rajouté des stimulus spécifiques afin d'étudier certaines fonctions cérébrales. En d'autres termes, le principe des PE peut être dans un premier temps résumé sous la forme : « EEG + stimulus externes ou internes » : • danslecasdesstimulusexternes,onétudiela

sensorimotricité ; • danslecasdesstimulusinternes(tâche,activité

mentale), on étudie des phénomènes cognitifs.À ces principes de base, il faut rajouter un autre

élément essentiel. En raison de la très faible ampli-tude de la réponse obtenue par la stimulation évoquée, il s'agit d'extraire la réponse spécifique (auditive, visuelle ou en relation avec un processus cognitif) de l'activité électrique globale du cerveau à laquelle se rajoute le bruit électromagnétique envi-

ronnant et de l'appareillage. En effet, à part les poten-tiels visuels obtenus à la SLI et parfois les potentiels cognitifs P300 ou la VCN, il est impossible de voir et d'analyser en clinique les potentiels évoqués sur l'EEG continu à la suite d'un seul stimulus.

La procédure permettant de réaliser cette extraction est la sommation (ou l'obtention de la moyenne, ce qui revient au même) des signaux obtenus après plusieurs stimulations consécu-tives. Cette opération est dénommée « moyen-nage ». Cette méthode générale de traitement du signal permet d'augmenter le rapport du signal au bruit à proportion de la racine carrée du nombre de signaux moyennés (figure 3.2).

Ainsi, les PE se conçoivent sous la forme : « EEG + stimulus externes ou internes + moyennage ».

Comme nous l'avons vu plus haut, les potentiels évoqués sont l'image de la diffusion « en nappe » de l'excitation corticale : • soit lors d'une stimulation sensorielle, auquel

cas la diffusion est restreinte à ce qu'on appelait anciennement les aires primaires et secondaires ;

Figure 3.2. Rapport signal sur bruit.Mise en évidence de la répétition du stimulus suivie du moyennage des traces obtenues dans l'augmentation du rapport signal/bruit. On notera la manière dont on mesure le bruit et le signal. Ce dernier commence à « mi-bruit ».

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

36

• soitlorsd'unetâchecognitive,auquelcasàlafoisla diffusion est large, prend un temps assez long et possède des caractéristiques topographiques spécifiques mises en évidence par la cartogra-phie de PE pour chaque tâche cognitive. Dans ce dernier cas, les aires associatives sont impli-quées dans un certain ordre et on peut mettre en évidence cette activation temporelle si on utilise toutes les électrodes de l'enregistrement d'EEG continu au lieu de quelques électrodes placées en regard du cortex ou d'autres struc-tures (moelle, tronc) spécifiques le plus souvent utilisées pour les potentiels évoqués sensoriels et moteurs.Il faut également remarquer que la méthode

de réalisation des PE cognitifs est complexe et de mise en œuvre difficile. Ceci explique qu'un très petit nombre de sites pratiquent en clinique ce type de neurophysiologie, en général bien déve-loppée dans les laboratoires de recherche en neu-rosciences cognitives. Les contraintes sont en effet multiples : procédures complexes, programmation nécessaire des stimulus, traitement des données long et minutieux nécessitant un investissement significatif dans les routines informatiques, inter-prétation délicate, niveau de preuve non encore évalué pour le diagnostic, etc. Seules des équipes entraînées et structurées peuvent tenter de mettre en place des PE cognitifs dans le domaine de la routine neurophysiologique en psychiatrie.

Dans ce chapitre, nous décrivons plus spécifi-quement les méthodes d'acquisition des PE cogni-tifs (PEC, ou ERP pour Event-Related Potentials) dans le domaine de la psychiatrie. Les PE senso-riels ou moteurs ne sont pas abordés. Le lecteur pourra se reporter aux références [3–5]. Nous ren-voyons également au très complet livre de réfé-rence de Niedermeyer [1].

Que moyenne-t-on ? Chez un sujet donné, un PE diagnostique est la moyenne de X traces. C'est un PE individuel. C'est le cas des PE visuels (PEV), auditifs (PEA), somes-thésiques (PES).

Dans les études de neurosciences cognitives, on moyenne les PE cognitifs de Y sujets. Le poten-tiel moyen obtenu (moyenne des Y sujets et des X traces) est dit « grand moyennage » (moyenne de moyennes). Ses avantages sont un bon rapport signal/bruit et des traitements statistiques aisés.

Son inconvénient est que les différences indivi-duelles sont gommées.

En psychiatrie, la très grande majorité des études actuelles utilisent les grands moyennages sur la base diagnostique du DSM-IV TR. Les résultats de ces études globales sont difficilement transposables à la clinique, en particulier pour un diagnostic individuel. À ce jour, une seule étude avec des enregistrements individuels est disponible[6] (voir chapitre 5).

Modalités techniquesLes conditions techniques de l'obtention de poten-tiels évoqués sont : • ladélivranced'unstimulusadéquat;• lasynchronisationentreunstimulusdonnéet

la fenêtre temporelle d'acquisition ou de visua-lisation ;

• lecalculdelamoyennedessignauxenregistrésconsécutivement.

Stimulus

Il est pratiquement impossible d'obtenir un poten-tiel évoqué cognitif simplement en pensant à quelque chose sans autre consigne. Le plus souvent, en raison notamment de la nécessité impérative de la synchronisation entre le stimulus et le déclen-chement de l'enregistrement, on délivre un ou des stimulus simples (son, lumière, etc.) et on demande au sujet de faire une tâche de type cognitif à pro-pos de ces stimulus. Par exemple, on lui demande de différencier deux sons ou bien d'appuyer sur un bouton quand un stimulus de tel type apparaît ou bien encore on lui délivre un mot ou une phrase dans laquelle il doit donner un avis matérialisé par un appui sur un ou plusieurs contrôleurs. La variété des tâches est évidemment très grande mais, d'une manière générale, il existe pour chaque type de processus cognitif interrogé, une famille de protocoles suffisamment large mais aussi validée. On voit ainsi que la tâche cognitive est analysée à partir d'un prisme que constituent les stimulus matériels, ce qui réduit évidemment la variété des processus cognitifs analysés. On est vraiment dans un travail de laboratoire qui simplifie dramati-quement les processus ayant lieu dans le cerveau et dans des conditions très peu écologiques, qui ne correspondent que bien peu à ce qui se passe dans la « vraie vie ». Mais cette remarque s'applique tout aussi bien aux tests neuropsychologiques.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

37

Bien souvent, on demande une réponse motrice au sujet par appui sur le bouton d'une manette. On obtient ainsi un temps de réponse — on appelle cela la partie comportementale de l'étude — pour chacune des réponses possibles (s'il en existe plu-sieurs). Ce temps de réponse est calculé par le programme : il correspond au délai entre la déli-vrance du stimulus et l'appui sur le bouton. Selon la tâche, le temps de réaction (ou TR) est similaire à la latence du potentiel si la tâche est relativement simple — c'est le cas de la P300 chez les sujets nor-maux — ou plus long si la tâche est complexe et nécessite une réflexion — par exemple : tâche de détection d'anomalies sémantiques ou présen-tation d'image(s) avec tâche d'analyse de celle(s)-ci.

La génération de stimulus pour les potentiels évoqués cognitifs requiert souvent des ordinateurs extérieurs au système d'enregistrement capables de générer les stimulus complexes (des images, des phrases préenregistrées…) qui sont présentés au sujet. Peu de systèmes sont formés d'un seul ordinateur, en raison notamment de la difficulté de la gestion de l'horloge interne des ordinateurs. Rares également sont les systèmes qui permettent à la fois l'enregistrement des PE et de l'EEG sur le même appareillage, pour des raisons de largeur de bande passante des amplificateurs qui ne sont pas les mêmes dans chaque modalité.

Synchronisation

La synchronisation requiert que le système d'enre-gistrement de l'EEG soit relié à un (des) système(s) de stimulation. Le plus simple des stimulateurs employés est le module de stimulation lumineuse intermittente (SLI) qui génère des éclairs. Sur le tracé EEG on peut visualiser, sur un canal spéci-fique, les marqueurs dont chacun correspond à un éclair. Le stimulateur peut être intégré dans l'ap-pareil d'enregistrement ou constituer un module extérieur activé par un programme interne à l'ap-pareillage.

Historiquement, les premiers potentiels évo-qués (et bien d'autres enregistrements de neuro-physiologie) l'ont été sur des oscilloscopes qui possédaient trois propriétés permettant ce type d'acquisition : • onpouvaitlesrelieràunboîtierdestimulation

externe ; • la trace obtenue sur l'écran cathodique com-

mençait au moment où un signal généré de

manière parallèle à la stimulation (visuelle, auditive, etc.) rentrait dans l'oscilloscope ;

• ilexistaitune fonctiondemoyennagecontinupermettant d'extraire le signal du bruit.Actuellement, le principe général est le même

pour les PEC, la synchronisation pouvant être interne entre des modules électroniques.

Moyennage direct

Le moyennage direct correspond à ce qu'on obte-nait en neurophysiologie avec les oscilloscopes. Un stimulus (auditif, visuel, somesthésique) déclenche l'enregistrement de la réponse évoquée, pendant une durée préalablement définie. Pen-dant le délai entre les stimulations (ITI, InterTrial Interval) ne se produit aucun enregistrement. La fenêtre temporelle d'enregistrement est variable avec le type de potentiel analysé : de 10 ms pour les potentiels auditifs du tronc cérébral et de l'ordre de 1 000 ms pour les PEC. Cette fenêtre temporelle correspond d'une certaine manière au temps d'ouverture du diaphragme d'un appareil photo (cf. figure 3.2). Le moyennage continu dans le système d'acquisition permet en temps réel de voir le signal émerger de l'activité de fond. À la fin de l'acquisition, le potentiel obtenu est enregistré. En dehors du filtrage, de la réalisation de la ligne de base et du positionnement des marqueurs, le signal obtenu ne pourra pas être modifié si, par exemple, en cours d'acquisition un artefact est apparu. C'est pourquoi il est conseillé de surveil-ler attentivement l'évolution du signal et, le cas échéant, de faire des sauvegardes intermédiaires de la trace en suspendant un court moment la stimulation. Le moyennage direct est en général utilisé pour les potentiels sensorimoteurs et pour certains potentiels perceptifs cognitifs (négativité de discordance, certains P300, variation contin-gente négative). Actuellement, le plus souvent en clinique, on utilise pour ce genre de moyen-nage trois ou quatre dérivations, correspondant à trois ou quatre positionnements d'électrodes (par exemple Cz-référence, Pz-référence, Fz-référence).

Moyennage rétrograde

Il est obtenu en réalisant l'enregistrement d'un EEG classique pendant lequel on délivre les stimu-lus, sans interrompre l'enregistrement entre deux stimulus. À chaque stimulus délivré est associé un marqueur, visualisé sur le tracé. À l'arrêt de

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

38

la stimulation et de l'enregistrement EEG, le sys-tème détecte de manière rétrospective tous les marqueurs et analyse la réponse évoquée dans une fenêtre temporelle définie autour des marqueurs. Le moyennage est réalisé ainsi de manière rétro-active et rétrograde (rétromoyennage) (figure 3.3). D'une part, cette technique permet lors de la visualisation essai par essai d'éliminer des arte-facts (mouvements oculaires, dérive de la ligne de base) et de ne conserver que les réponses de bonne qualité — à noter que l'élimination d'artefacts peut se faire de manière automatique, avec les pro-grammes spécifiques, mais rien ne vaut dans ce domaine un œil expert, qui prend le temps d'ana-lyser chacune des réponses. D'autre part, cette technique permet également de disposer facile-ment d'une cartographie puisqu'en général, on réalise l'enregistrement de ces réponses évoquées

sur toutes les dérivations de l'EEG du système 10/20 (figure 3.4).

Enfin, il est possible d'avoir un enregistre-ment EEG à but clinique puisque, le plus souvent, les  potentiels évoqués sont indétectables sans moyennage.

Rapport signal/bruit

Si ce rapport est dépendant en premier lieu du nombre d'essais moyennés, il dépend également lors de l'acquisition de la qualité de l'isolation électromagnétique de la pièce d'enregistrement et de la qualité de l'appareillage. Dans tous les cas, il est difficile et coûteux pour des services d'EEG — et ce contrairement à ce qui est la règle en IRM — de demander et d'obtenir l'installation d'une cage de Faraday qui réglerait ce problème du bruit électromagnétique de l'environnement.

Figure 3.3. Principe du rétromoyennage obtenu lors de stimulations répétées au cours d'un enregistrement d'EEG continu.Le rectangle correspond à la fenêtre d'obtention du PE autour du stimulus.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

39

Conditions pratiques d'enregistrementCela va sans dire, que, de manière bien plus mar-quée que les potentiels sensorimoteurs, les PEC sont extrêmement dépendants de l'état affectif et cognitif du patient. Dès lors, une particulière attention doit être portée à l'accueil et aux expli-cations fournies afin de minimiser l'anxiété du sujet. Plus encore, l'ambiance dans laquelle se déroule l'enregistrement doit être calme et dénuée de toute distraction. Nous conseillons de signa-ler sur la porte de la pièce d'enregistrement qu'un examen est en cours et qu'il ne faut pas y entrer. De même tout bavardage intempestif doit être évité pendant l'acquisition.

La majorité des études en psychiatrie utilisant les PEC sont des études de recherche clinique. En général, on a la configuration « un laboratoire, un PEC » chaque laboratoire se spécialisant dans un

type de PEC dont il devient expert. Les condi-tions cliniques d'utilisation des PEC comme une « neuro psychologie électrique » permettent d'éva-luer plusieurs marqueurs d'état du patient (cf. cha-pitre 5). Dès lors, si on ne veut pas être trop limité dans l'intérêt de cette méthode, il est impératif de pouvoir disposer d'un maximum de protocoles de PEC (P300 dans diverses conditions, P50, N400, VCN, MMN, etc.) de manière à établir soit un profil neurocognitif, soit étudier selon le cas une fonction particulière. En d'autres termes, réaliser des potentiels cognitifs en clinique demande une sorte de polyvalence dans ce domaine. En réalité, l'usage d'un seul potentiel dans un cadre diagnos-tique est très frustrant et amène à déconsidérer les PEC dans leur ensemble. Dans ce domaine comme dans d'autres, il ne peut y avoir d'amateurisme ou de réalisation des PEC sans programme de travail sérieux et pérenne.

Figure 3.4. Cartographie des PEC de type P300.A. Cartes de potentiels obtenues sur le scalp à partir du tracé enregistré sous chaque dérivation. La carte des potentiels évolue avec le temps : B. 50 ms après le stimulus. C. 100 ms après le stimulus. D. 240 ms après le stimulus, à la culmination de l'onde en Cz et Pz. Ces tracés sont obtenus en rétromoyennage.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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Enregistrement polysomnographiqueNous proposons au lecteur de se référer au chapitre 6.

Différentes modalités d'analyse du signal EEGLes possibilités d'analyse du signal EEG dispo-nibles actuellement sur le marché sont d'apparition relativement récente. Les possibilités de quantifica-tion du signal EEG n'ont été permises, nous l'avons vu, que grâce à l'apparition des calculateurs. Dans les années 1960-1975, les analyses de Fourier pou-vaient être réalisées dans certains laboratoires : c'est sur des calculateurs dont la taille était considérable au regard de nos ordinateurs portables actuels. L'apparition de la micro-informatique et sa généra-lisation dans les années 1980, comme d'ailleurs la mise en place de logiciels de plus en plus efficaces et conviviaux, ont permis le développement des diffé-rentes méthodes d'analyse du signal EEG : analyse spectrale, potentiels évoqués et hypnogrammes. Non seulement la micro-informatique permet de réaliser ces analyses, mais sa versatilité et la variété des logiciels actuellement disponibles permettent d'ouvrir de nouveaux champs de recherche.

Analyse visuelle de l'EEG, sémiologieLe premier mode d'analyse de l'EEG est histo-riquement le mode visuel. Des années 1940 aux années 1990, les appareillages étaient, dans les services de neurophysiologie clinique, essentiel-lement analogiques, et les analyses ne se faisaient dans la clinique courante que sur le mode visuel.

Dès lors toute la sémiologie est construite sur cette base. Cependant, cette sémiologie n'est pas remise en cause par les analyses automatiques informatisées, mais simplement complétée. Il eut été d'ailleurs très compliqué de la remettre en cause et probablement inutile pour la majorité des applications car, en réalité, la quantification n'apporte des éléments indispensables que dans des situations plutôt marginales au regard de la clinique quotidienne — si l'on excepte les tracés de sommeil.

Phénoménologie des activités physiologiques d'origine cérébrale enregistrables à partir du scalpUne fois le système d'enregistrement de l'EEG mis en place, apparaît à l'écran un signal complexe et variable duquel émerge un certain nombre de régularités en relation avec le comportement général du sujet. Si on enregistre cette activité cérébrale pendant plusieurs jours, on constate que l'on peut décrire deux sortes de régularités : • desrythmesditsdefondoudebase,caractéri-

sant l'état cérébral sur des périodes temporelles variables allant de quelques secondes à quelques minutes voire une heure ;

• une cyclicité approximativement circadienne(sur 24 heures) d'événements comportementaux et électriques qui ont été regroupés sous le nom générique d'états de vigilance (cf. chapitre 6).

Rythmes et activités de fond

L'activité de fond constitue l'activité EEG telle qu'elle peut être obtenue, spontanément, chez le sujet conscient, dans une situation d'éveil calme, sans mouvements volontaires. Si le sujet n'est pas conscient ou présente une confusion mentale, c'est l'activité qui est enregistrée dans ces condi-tions qui est dénommée activité de fond.

L'activité de fond se différencie d'une part de ses modifications brutales et transitoires et, d'autre part, des activités dites paroxystiques. C'est ainsi que dans l'interprétation on parlera d'une activité de fond entrecoupée de phénomènes de survenue brutale, transitoire, de nature paroxystique ou non. Dans de nombreux cas pathologiques, l'acti-vité de fond peut être en outre complexifiée ou modulée. Elle pourra comprendre, par exemple, plusieurs activités différentes (dans des propor-tions éventuellement variables avec le temps ou la topographie) ou encore des rythmes anormaux en référence au comportement du sujet.

L'analyse visuelle conduit à l'observation et à la classification de l'activité de fond sous la forme de rythmes (alpha, bêta, thêta, delta) normaux ou pathologiques (tableau 3.1).

Un rythme est défini par : • labandedefréquenceàlaquelleilappartient;• sarépartition;• samorphologieetsonamplitude;• saréactivité.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

41

En effet, les rythmes EEG doivent être compris dans le contexte de réseaux cérébraux intercon-nectés — ce qui suggère déjà la superposition complexe des activités de plusieurs réseaux en relation. Ces réseaux permettent la synchronisa-tion des activités des ensembles neuronaux.

La synchronisation des activités neuronales (à ne pas confondre avec la condition technique de synchronisation dans les potentiels évoqués) est la condition nécessaire à leur détection au niveau du scalp, c'est-à-dire dans des conditions d'atténua-tion considérable du signal par les tissus interpo-sés. Plus les neurones actifs simultanément sont nombreux, plus le signal recueilli sur l'électrode est ample et inversement. De ce fait, quand on parle d'activité synchronisée ou désynchronisée, cette synchronisation ou cette désynchronisation sont relatives, notamment à l'échelle de l'EEG de surface.

Chaque rythme ne peut être interprété que dans un contexte comportemental. L'EEG est fon-damentalement un examen électroclinique.

Activations et changement d'états

L'EEG clinique utilise différents moyens de tes-ter les réponses du cerveau ; ils conduisent à des changements d'états des systèmes oscillants : • l'évaluation de la réactivité de l'ensemble des

systèmes réticulo-thalamo-corticaux est réa-lisée par un moyen extrêmement simple : le blocage de l'alpha par l'ouverture des yeux (cf. figure 3.1) ou le blocage du rythme mu par le serrage des poings ;

• l'hyperpnée,parl'alcalose(hypocapnie)qu'elleinduit, entraîne d'une part une vasoconstric-tion ralentissant le tracé EEG (avec des activités thêta ou delta) et facilite ainsi dans les zones hypovascularisées ou pathologiques l'appari-tion d'activités lentes plus ou moins angulaires ;

• la SLI permet de déclencher des réponsesparoxystiques, mais peut provoquer chez les sujets sains un entraînement, variable, qui cor-respond à une activité rythmique évoquée à la fréquence du stimulus ou à un harmonique de celle-ci.

Qu'est-ce qu'un tracé EEG non anormal ? Avant d'affirmer une anomalie de l'électrogenèse, il convient d'éliminer les artefacts et les activités inhabituelles.

Artefacts

L'interprétation de l'EEG est rendue parfois très difficile par la présence d'artefacts dont cer-tains persistent malgré l'utilisation de différents filtres — qui, par ailleurs, modifient le tracé lui-même. Nous ne décrirons pas ici en détail les dif-férents artefacts, mais on doit être attentif à cette particularité de la méthode : il faut savoir que l'EEG est un examen d'interprétation délicate et, parfois, on ne peut aisément trancher entre arte-fact et grapho-élément pathologique.

Les artefacts musculaires, les grandes dévia-tions de la ligne de base dues aux mouvements des

Tableau 3.1. Les différents rythmes physiologiques de base en EEG.

Rythme Bande de fréquences Localisation Amplitude Corrélats comportementaux

Alpha 8–13 Hz

(8 = subalpha)

Amplitude maximale postérieure

Réactif à l'ouverture des yeux

25 à 75 mV

(autour de 50 mV)

Veille calme

Sommeil paradoxal

Bêta > 13 Hz (14–30 Hz) Antérieur et moyen < 20 mV Veille active

Sommeil paradoxal

Gamma > 30 Hz Antérieur et moyen < 20 mV Veille active

Sommeil paradoxal

Thêta 4–7 (7,5) Hz Centrotemporal 20 mV Veille

Sommeil paradoxal

Delta < 4 Hz (0,1 à 3,5) Diffus > 30 mV Sommeil lent

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

42

patients, les artefacts dus à la présence d'une fré-quence de 50 Hz (courant électrique alternatif d'ali-mentation ou « secteur ») sont d'élimination facile — souvent, il suffit de regarder l'ECG, qui est également contaminé par les variations artéfactuelles.

Plus difficiles à détecter sont certains artefacts de mouvements oculaires, particulièrement des petites saccades rapides, ou des battements d'artère (ici l'ECG est utile) ou bien des mâchonnements qui ressemblent à des ondes lentes angulaires rythmiques et sont susceptibles d'être pris pour des activités paroxystiques pathologiques. Il existe enfin des artefacts qui ressemblent beaucoup à des activités paroxystiques (pointes, pointes-ondes) et dont parfois la différence avec une vraie activité est ténue. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à chan-ger de montage sur la page où se trouve l'artefact. En général, si le grapho-élément n'est présent que sur un montage, c'est sans doute un artefact.

Grapho-éléments inhabituels non pathologiques [7]

On peut dire qu'il n'y pas d'EEG normal type. Il existe seulement des aspects normaux de l'EEG. Les rythmes physiologiques ne sont pas toujours présents dans les tracés et de grandes variations morphologiques peuvent être observées. Ces variations morphologiques des tracés constituent

les rythmes inhabituels mais non anormaux. Ceux-ci sont particulièrement fréquents dans l'EEG en psychiatrie.

Variations physiologiques de la vigilance

Les états de vigilance sont susceptibles de fluctuer pendant l'enregistrement du tracé. Cependant, ces fluctuations sont très informatives sur l'état physiologique du patient. Au cours de la veille calme, yeux fermés, l'activité alpha se fragmente, disparaît et se trouve remplacée par une activité thêta. Le patient somnole, il est en stade NREM1 de sommeil. Une stimulation externe fait réappa-raître immédiatement l'activité alpha et ceci est reproductible. Si l'on voit apparaître des complexes K ou des fuseaux de sommeil, le patient entre en stade NREM2 du sommeil. Ce n'est en aucun cas un ralentissement pathologique de l'électrogenèse.

Qu'est-ce qu'un EEG anormal ? Une fois les artefacts et les grapho-éléments inha-bituels, mais non anormaux, reconnus et à la condition de la réalisation d'un examen complet avec toutes les activations, on peut considérer que l'EEG pathologique est caractérisé par plusieurs phénomènes pouvant survenir en même temps pour un état de vigilance donné (tableau 3.2) :

Tableau 3.2. Correspondance entre le vocabulaire habituellement utilisé dans l'interprétation EEG et sa signification clinique.

Ce qui est écrit dans le compte rendu

Ce qu'il faut comprendre

Le tracé est caractérisé par :

Une activité de fond L'état basal du cerveau est analysé, spontanément, en absence de stimulation et en état de veille calme

De type alpha, bilatérale synchrone

Ceci sous-entend qu'elle est organisée, c'est-à-dire que le rythme alpha est postérieur, qu'il existe un rythme thêta centrotemporal et un rythme bêta antérieur

Ceci sous-entend que les oscillateurs thalamiques réticulaires fonctionnent normalement, de manière symétrique

Symétrique La symétrie en rythme et en amplitude est affirmée

Il n'y a donc pas de souffrance hémisphérique ni de dépression d'amplitude pouvant correspondre à une perte de neurones

Réagissant à l'ouverture des yeux (à l'appel du nom)

L'activité de base est bloquée à l'ouverture des yeux ce qui signifie que la réaction d'arrêt (d'origine réticulaire) fonctionne bien

Ceci suppose aussi que les voies thalamocorticales visuelles (auditives) sont perméables

La conscience est généralement conservée

Mal organisée La topographie des rythmes (item ci-dessus) est désorganisée : par exemple, activité alpha dans les régions antérieures

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

43

Remaniée Souvent (par exemple, chez des anciens épileptiques, chez des alcooliques…), le tracé comprend un rythme de fond objectivable et réactif mais il est surchargé d'activités mal organisées, rapides, parfois angulaires, parfois plus lentes

On dit que le tracé est « moche », l'électrogenèse mal organisée, sans pour autant trouver d'éléments pathologiques individualisables ou dont la récurrence souligne un dysfonctionnement organisé

Ne réagissant pas à l'ouverture des yeux

L'intégrité réticulaire, des voies thalamo-réticulo-corticales, ou la réactivité des neurones aux potentiels postsynaptiques excitateurs (PPSE) (barbituriques, anesthésiques) est sans doute altérée

La non-réactivité est un signe très important surtout dans les comas

Le tracé est microvolté et désynchronisé

Il s'agit d'activités rapides de faible amplitude ne permettant pas d'observer la présence ou l'absence de réactivité, sans fréquence prépondérante caractérisant un rythme EEG

Ces aspects sont retrouvés dans les surcharges en benzodiazépines, les patients très anxieux (l'HPN souvent organise le tracé) et les alcooliques chroniques (dans ce cas, l'HPN n'organise pas le tracé)

On observe la présence :

D'un rythme en arceaux Rythme physiologique

D'ondes lentes postérieures

Rythme physiologique

De rythmes rapides prédominant dans les régions antérieures

Il s'agit de rythmes probablement iatrogènes (benzodiazépines), différents de l'électromyogramme

De nombreux artefacts électromyographiques

Le tracé contient du signal électrique musculaire

Ce signal est parfois irréductible

L'interprétation du tracé en est souvent gênée et elle perd de sa fiabilité

Ce n'est pas forcément un tracé mal réalisé

D'électrodermogramme Ce sont des variations lentes du potentiel cortical généralement sinusoïdales, de périodes de plusieurs secondes et de grande amplitude

Généralement observées quand le sujet transpire

D'épisodes de somnolence Le rythme alpha se fragmente puis est remplacé par du thêta

Lors d'un bruit ou d'un appel, le rythme alpha réapparaît

Le patient somnole

En général, les fuseaux ne sont pas présents

De bouffées delta diffuses de quelques secondes

Le sujet s'endort mais présente les rythmes de type sommeil lent sans que les fuseaux aient été présents

Ceci traduit un trouble de la régulation de la vigilance

D'activités plus lentes de type thêta (de type delta) modulant l'activité de fond

On observe un ralentissement de l'activité de fond qui voit le remplacement du rythme alpha par des rythmes plus lents

Ceci traduit une souffrance cérébrale localisée ou non localisée, plus ou moins marquée

Diffusant (dans les régions antérieures, dans l'hémisphère controlatéral)

Ce ralentissement, par sa diffusion, signe sa gravité

Réactives à l'ouverture des yeux

Il s'agit d'ondes lentes fonctionnelles plutôt que lésionnelles

D'ondes lentes angulaires (ou prenant un caractère angulaire)

On observe un certain degré d'hyperexcitabilité neuronale, traduisant soit une instabilité membranaire par défaut de substrats (ischémie) soit un défaut d'inhibition

(Suite)

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

44

D'ondes lentes de morphologie triphasique

Ceci est plutôt en faveur d'un processus dysmétabolique (insuffisance hépatique ou rénale, intoxication au valproate)

De grapho-éléments paroxystiques à type de…

isolées, en bouffées

Il s'agit de la rupture brusque de l'état basal

C'est le grapho-élément du processus épileptogène, ce qui ne veut pas dire que c'est une maladie épileptique ni qu'il s'agit d'une crise

Ce grapho-élément témoigne de l'hypersynchronie neuronale sans préjuger du devenir épileptique

D'activités à caractère rythmique

Des grapho-éléments très angulaires surviennent à une fréquence régulière

Ceci suggère un certain degré d'organisation de la décharge et correspond à un processus paroxystique

D'une décharge de grapho-éléments paroxystiques

Le foyer décharge de manière importante

D'une activité paroxystique infraclinique

On ne voit pas de modifications cliniques « macroscopiques »

En fait, il s'agit d'une crise sans clonies, ou phase tonique, ou déviation du regard

Des signes d'altérations cognitives seraient détectés avec un examen clinique fin

D'une activité paroxystique se produisant de façon continue

C'est un état de mal, c'est-à-dire une décharge d'activités paroxystiques sans retour à l'état basal, pendant toute la durée de l'enregistrement

De grapho-éléments prenant caractère pseudo-rythmique

Ces éléments surviennent à une fréquence moins régulière traduisant un échappement à l'organisation de la rythmicité

De PLED, de bi-PLED (quand elles sont bilatérales), ou de grapho-éléments à caractère périodique

Il s'agit de décharges périodiques latéralisées ou généralisées signant la gravité de l'atteinte

De bouffées suppressives (avec de suppressions de x secondes)

Il s'agit d'une souffrance cérébrale majeure ou bien d'une lyse médicamenteuse

Dans ce dernier cas, la durée des suppressions permet d'ajuster les doses

Il existe des éléments lents angulaires plus ou moins diffus et asynchrones

Présence d'éléments lents angulaires plutôt en faveur d'un effet iatrogène des neuroleptiques

L'hyperpnée :

C'est une des deux épreuves d'activation (HPN)

Elle est sans effet Il n'existe pas de sensibilité particulière à l'HPN

C'est une réaction normale

Ceci sous-entend qu'elle est bien tolérée

Deux HPN ont été pratiquées

Généralement intéressant dans les suspicions d'épilepsie

Elle provoque un ralentissement significatif de l'électrogenèse

Il existe une sensibilité à cette épreuve

Cette sensibilité n'est pas péjorative en soi (notamment chez le sujet jeune : hypersynchronie physiologique)

On peut voir des ralentissements très importants sans contexte particulier

Cependant, l'arbre vasculaire est très contractile

On peut voir ces ralentissements chez les patients atteints d'insuffisance circulatoire cérébrale (dans ce cas, les ondes lentes prennent un caractère angulaire), de diabète, de désordres métaboliques (dans ces cas, l'aspect est plus monomorphe, arrondi) ou dans l'hypoglycémie (souvent fréquente en fin de matinée)

Tableau 3.2. Suite.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

45

• ladisparitiond'unrythmephysiologique;• lamodificationenfréquence(ralentissementou

accélération) des activités rythmiques de base ; • la modification ou l'asymétrie de l'intensité

des activités rythmiques (en absence d'artefact d'origine technique) ;

• la modification des caractéristiques topogra-phiques physiologiques des activités ryth-miques (désorganisation des activités) ;

• l'apparitiondenouveauxgrapho-élémentsnoncohérente avec le contexte comportemental ;

• lamodificationdelaréactivité,signantunealté-ration des systèmes assurant la régulation de la vigilance ;

• des réponses anormales ou excessives auxépreuves d'activation.Ainsi, une électrogenèse anormale peut être

désorganisée ; elle peut être non réactive ; elle peut être asymétrique ; elle peut être ralentie ; elle peut être déprimée ; elle peut enfin inclure des grapho-éléments paroxystiques. Ces différentes situations peuvent être observées de manière non exclusive et n'épuisent pas toutes les configura-tions (figure 3.5). Ceci constitue une sémiologie complexe, d'autant plus déroutante qu'on a l'ha-bitude d'interpréter des variations d'amplitude d'un signal plutôt que ses variations fréquen-tielles (temporelles).

Elle provoque l'apparition d'activités lentes angulaires (ou de pointes lentes)

Dans ce cas, une hyperexcitabilité cérébrale apparaît, pouvant expliquer un processus critique antérieur

Sans rétrocession après l'arrêt de l'épreuve

Les anomalies (ondes lentes plus ou moins angulaires) disparaissent normalement à l'arrêt de l'HPN

Dans le cas contraire, l'hyperexcitabilité cérébrale est franchement pathologique

La SLI :

Il s'agit de la seconde épreuve d'activation : cette activation a pour but de favoriser le déclenchement de grapho-éléments paroxystiques ; on rappelle que la fréquence lumineuse la plus favorable au déclenchement de paroxysmes est de 15-17 Hz

Elle est sans effet On n'en tire aucune conclusion

Elle provoque un entraînement bi-occipital

Des potentiels évoqués visuels de grande amplitude sont déclenchés par la stimulation lumineuse

Sous-entend par définition que cet entraînement est symétrique (et donc qu'il n'y a pas de cortex occipital lésé)

Prédominant pour les fréquences lentes

Parfois vu dans les terrains vasculaires ou certaines démences

Dans ce dernier cas, des potentiels évoqués visuels de très grande amplitude ou géants peuvent apparaître lors des éclairs isolés

Elle provoque un entraînement asymétrique

Dans ce cas, les réponses asymétriques témoignent d'une souffrance hémisphérique postérieure

On le voit surtout dans les AVC

Elle provoque une réponse oculo-clonique

C'est une contraction clonique des muscles de l'orbite d'origine mésencéphalique et qui témoigne plus d'une hyperexcitabilité périphérique (réflexe) que d'une susceptibilité aux convulsions

Elle provoque une réponse photo-paroxystique

Le but de la SLI est atteint

Il y a soit déclenchement d'une réponse paroxystique électroclinique qui cède spontanément à l'arrêt ou peu de temps après l'arrêt de la SLI, soit déclenchement d'une véritable crise épileptique qui dure après l'arrêt de la SLI

Il existe une activité subcritique

Ce terme n'est pas conventionnellement admis, mais il est opératoire

Ceci signifie qu'il existe une hyperexcitabilité cérébrale (pointes dégradées, PLED…) mais que cette activité paroxystique est trop peu organisée ou fréquente pour engager la mise en place d'un traitement antiépileptique

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

46

Quelques points supplémentaires doivent être signalés : • ilestutile,enanalysantl'électrogenèse,d'avoir

dans l'esprit le schéma anatomofonctionnel simplifié (cf. chapitre 2, figure 2.1) ;

• on comprend alors immédiatement l'impor-tance de l'évaluation de la réactivité, indépen-damment de la structure et la topographie des rythmes cérébraux ; la réactivité donne une idée de la fonctionnalité de l'axe réticulothalamique et des systèmes thalamocorticaux spécifiques ;

• c'estseulementledéroulementcompletdel'exa-men qui permet de conclure : par exemple, les épreuves d'activation comme l'hyperpnée ou la SLI peuvent permettre d'observer la réorgani-sation tardive d'une activité qui apparaissait au

départ complètement désorganisée (ou désyn-chronisée) comme c'est souvent le cas chez les personnes anxieuses.Le parenchyme cérébral est fragile. Sa réponse

à l'agression est polymorphe, souvent complexe et l'EEG traduit indirectement les conséquences neurochimiques et neurophysiologiques de cette agression sur le fonctionnement des neurones et des cellules gliales ou, plus exactement, sur l'har-monie fonctionnelle de ces innombrables couples neurono-gliaux qui constituent la base cellulaire des fonctions mentales les plus évoluées. Bien qu'imparfait et insuffisant, l'EEG permet d'éva-luer une souffrance cérébrale, par opposition à la description de la lésion (éventuellement sous-jacente) réalisée par l'imagerie.

NON RÉACTIVE

ACTIVITÉ ÉLECTRIQUE

RALENTIE+/– DÉSORGANISATION

q d

AVEC PROCESSUSPAROXYSTIQUES

Aggravés par HPNet SLI (++)

Aggravé par HPN etSLI

ORGANISÉE

RÉACTIVÉ

NON RALENTIE(rythme alpha)

DÉSYNCHRONISÉE(attention +++, stress)

DÉSORGANISÉEDÉPRIMÉE

(faible amplitude)

Diminution desneurones actifs

Synchronisationanormale de l’activité

neuronale, dé-afférentation corticale

« Hypersynchronie »pathologique

SOUFFRANCECÉRÉBRALE

ÉLECTROGENÉSEREMANIÉE :

Changement de l’organisationfonctionnelle : alcoolisme,

épilepsie ancienne,thérapeutique psychotrope

au long cours

DÉSORGANISÉE

SLIHPN

Figure 3.5. Base sémiologique de l'EEG. Principales classes de variations de l'activité électrique cérébrale.En italique, dans les cercles gris, activité normale.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

47

De nombreuses classifications d'ondes EEG ont été proposées, soulignant la complexité de sa sémiologie. Mais, en pratique, dans le contexte d'une introduction à l'EEG, on peut résumer la sémiologie de l'EEG selon deux grandes modes de catégorisation : • soitenfonctiondelastructureetdelatopologie

des rythmes normaux ou anormaux et de leur réactivité, les deux n'étant pas dissociables ;

• soit en utilisant les trois concepts centrauxd'ondes lentes (ralentissement de l'électro-genèse), de processus paroxystiques (plus ou moins massifs ou diffus) et de dépression (jusqu'au tracé plat), qui constituent en quelque sorte trois « bornes » de la sémiologie de l'EEG (figure 3.5).Pour plus de détails sémiologiques : voir [3].

Nous verrons qu'en réalité la sémiologie de l'EEG est toute en nuances et que l'EEG décrit le plus souvent plutôt l'« ambiance » neurophysiologique générale dans laquelle ces syndromes appa-raissent. Ceci peut se comprendre si l'on se réfère au caractère remarquablement distribué des acti-vités cérébrales. La souffrance cérébrale en EEG se caractérise de quatre grandes manières.

Ralentissement de l'électrogenèse

Le signe le plus fréquent de la souffrance cérébrale est le « ralentissement » (baisse de la fréquence majo-ritaire de l'activité de fond) de l'électrogenèse. On peut distinguer les ondes lentes pathologiques de la bande thêta et activités delta polymorphes et conti-nues. Elles surviennent en longs trains d'ondes, avec une fréquence prédominante. Elles peuvent être localisées, unilatérales ou généralisées. Les ondes lentes sont le plus souvent les témoins d'une souf-france cérébrale locale ou généralisée (figure 3.6).

Grapho-éléments paroxystiques épileptiques et périodiques

Un grapho-élément est dit paroxystique quand son début et sa fin sont brutaux (ce qui le dis-tingue de l'onde lente) et qu'il atteint très rapide-ment son maximum d'amplitude, se détachant très nettement de l'activité de fond (en pratique, quand son amplitude est le double au minimum de celle de l'activité de fond). On distingue les paroxysmes simples (pointes, ondes à front raide) et des paroxysmes complexes (pointes-ondes, polypointes, polypointes-ondes) (figure 3.7).

Figure 3.6. Ralentissement (ondes lentes delta) dans un gliome frontal droit.Les ondes lentes sont prédominantes à droite mais diffusent à gauche.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

48

Une activité (et non plus seulement le grapho- élément) est dite paroxystique quand elle est compo-sée d'ondes de début et de fin brutaux. Toute activité paroxystique n'est pas une activité épileptique. Mais une activité épileptique est une activité paroxystique.

Les activités paroxystiques se distinguent selon qu'elles surviennent au cours d'une crise ou en dehors d'une crise, bien que dans certains cas, la différence entre critique et intercritique puisse être discutée et n'est pas toujours aussi franche.

Une crise épileptique est une décharge plus ou moins longue de grapho-éléments paroxystiques avec une traduction clinique. La crise épileptique est donc électroclinique. En réalité, en pratique, on parle fréquemment et par abus de langage, de crises électriques quand on observe des décharges de grapho-éléments paroxystiques sur une cer-taine durée, sans traduction clinique franche, bien que souvent des troubles subtils de la conscience soient présents et mal évalués.

Quand les activités paroxystiques surviennent de manière critique, elles peuvent être la prolongation d'un état intercritique. Les activités critiques sont caractérisées par l'organisation rythmique des ano-malies paroxystiques élémentaires et d'ondes lentes. Outre les grapho-éléments paroxystiques, les modi-fications comportementales dues à la crise ajoutent des artefacts, notamment d'origine musculaire.

Une activité périodique est une activité EEG paroxystique pathologique se répétant de manière périodique pendant une longue durée et dont l'élément spécifique est stéréotypé. Ce qui carac-térise une activité périodique est : • lapériodedesurvenuedesélémentsspécifiques

(temps séparant ces deux éléments) ; • laduréedel'activitépériodiqueelle-même;• lamorphologiedel'événementspécifique.

Les activités pseudo-périodiques sont des acti-vités répétitives complexes moins stéréotypées et moins stables que les activités périodiques.

Le caractère rythmique des activités pério-diques contraste avec le caractère aléatoire de sur-venue des activités paroxystiques intercritiques.

Hyperexcitabilité cérébrale

Fréquemment dans un contexte clinique, on observe souvent des activités de type thêta, par-fois delta, angulaires, qui semblent traduire une forme de grapho-élément entre l'onde lente et la pointe dégradée. Différents auteurs parlent de sharp slow waves, qu'on peut traduire par « ondes lentes angulaires » (figure 3.8).

Le statut physiopathologique de ces ondes lentes angulaires n'est pas clair. Elles pourraient traduire la présence d'une hyperexcitabilité neuronale dont la définition scientifique n'est pas construite

Figure 3.7. Décharge épileptique de polypointes-ondes généralisées.Les polypointes-ondes sont amples, irrégulières. Les décharges de polypointes-ondes sont considérées comme plus graves que les décharges de pointes-ondes.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

49

mais qui correspond à une réalité clinique comme on peut le voir dans certaines céphalées, dans le contexte de terrain d'insuffisance vasculaire ou de processus iatrogènes (différents des rythmes rapides dus aux benzodiazépines). On les ren-contre en nombre plus marqué dans les processus neurodégénératifs.

Dans le contexte psychiatrique, ces activités lentes angulaires sont fréquemment rencon-trées dans les traitements par neuroleptiques et antipsychotiques, en particulier par clozapine (cf. chapitre 4). Dans ce cas, elles sont diffuses et présentent une structure particulière : elles sont asynchrones d'un hémisphère à l'autre et d'une dérivation à l'autre. Elles donnent l'impression d'un cortex « clignotant ».

Dépression de l'électrogenèse

La disparition des neurones ou le blocage de leur activité électrique conduit à une dépression de l'électrogenèse cérébrale. Pour autant, toute dimi-nution d'amplitude du tracé n'est pas synonyme de dépression de l'électrogenèse. Parmi les nombreuses causes d'erreur faisant prendre une diminution d'amplitude pour une dépression, on retrouve de mauvaises impédances ou un œdème sous-cutané. On ne pourra affirmer une dépression de l'électro-genèse que si la technique d'acquisition est parfaite.

Toute dépression de l'électrogenèse n'est pas pathologique : un certain nombre de sujets nor-maux (10 % environ) présentent des tracés de très

faible amplitude, très désynchronisés ; il en est de même des sujets avec un syndrome anxieux.

Des dépressions transitoires peuvent apparaître dans la suite immédiate des crises tonicocloniques.

Analyse visuelle et stadification de l'EEG : hypnogramme et vigigrammeDans le vigigramme et l'hypnogramme, on voit apparaître un premier type de quantification.

HypnogrammeCf. chapitre 6.

VigigrammeSur le plan comportemental, l'état de veille se caractérise par l'ouverture des yeux, la présence d'un tonus musculaire et, sur le plan électroencé-phalographique, par la présence de fréquences rapides (activités bêta).

Les caractéristiques cliniques et électroencé-phalographiques des variations de la vigilance, particulièrement lors de sa décroissance progres-sive jusqu'à l'endormissement, ont été décrites pour la première fois par Loomis [8, 9]. Il avait alors proposé de caractériser, après évaluation visuelle de l'EEG conventionnel, la décroissance des états de vigilance jusqu'au sommeil le plus profond. Celle-ci était classée selon cinq stades de A (éveil)

Figure 3.8. Ralentissement avec ondes lentes angulaires dans une démence à corps de Lewy.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

50

à E (sommeil profond), le stade C marquant le  véritable endormissement. À cette époque, le sommeil paradoxal, qui deviendra plus tard le sommeil REM, n'avait pas encore été identifié.

Ces données ont été réintroduites récemment pour développer un modèle de régulation de la vigilance applicable dans des conditions nor-males et pathologiques [10]. Si le sommeil et son homéostasie ont été largement étudiés, la régu-lation de la vigilance ainsi que la flexibilité de son adaptation aux besoins internes et environ-nementaux, beaucoup moins connue, est d'une importance tout aussi fondamentale. En effet, le niveau de vigilance du sujet doit être perpétuelle-ment adapté à la situation environnementale : ceci permet d'assurer un degré de vigilance élevé dans les situations de danger potentiel et une réduction du niveau de vigilance durant les temps de repos et de distraction. De plus, l'environnement créé de manière active par un sujet dépend également de sa régulation de la vigilance.

Le modèle EEG de régulation de la vigilance peut donc être vu comme une extension du modèle des stades de sommeil décrits par Rechtschaffen et Kales et repris par l'AASM (cf. chapitre 6), mais se focalisant sur la transition de la veille calme au début du sommeil, à travers les différentes phases de somnolence. Elle constitue en quelque sorte un reflet du processus d'endormissement.

Les stades décrits par Loomis, fondés sur les phénomènes EEG survenant yeux fermés, ont été repris dans les années 1960 pour développer un modèle d'EEG de vigilance [11], puis déterminés grâce à un algorithme calculé par ordinateur  [12]. Cet algorithme validé repose sur une transfor-mée de Fourier rapide sur la puissance des quatre bandes fréquentielles principales (alpha, bêta, thêta, delta) à partir de segments EEG conti-nus d'une durée de 2 secondes, issus de régions d'intérêt (localisation de sources corticales par LORETA, Low Resolution Tomography). Il s'agit de l'algorithme VIGALL (pour Vigilance Algorithm Leipzig). Ainsi, pendant la transition de la veille active au sommeil profond, le cerveau traverse différents états, reflétés par la composition spec-trale et la topographie de l'EEG, appelés stades de vigilance. Au niveau comportemental, ces stades correspondent à différents niveaux d'alerte. Plu-sieurs stades peuvent ainsi être séparés durant la transition d'une veille active à une veille calme, et

depuis la somnolence jusqu'au début du sommeil caractérisé : • l'alpha postérieur à prédominance occipitale

marque un stade de veille calme et correspond au stade A1 ;

• après plusieurs minutes de veille calme, onobserve une antériorisation croissante de la puissance de l'alpha. La fréquence de l'alpha montre une lente décroissance ; ceci correspond aux stades A2 et A3 ;

• durantladécroissancedelavigilance,lerythmealpha disparaît et la puissance bêta augmente progressivement. Ce pattern EEG correspond au stade B1. Il ressemble à un EEG durant une activité mentale intense avec yeux ouverts ;

• l'augmentation des activités thêta et delta estobservée parallèlement à l'accroissement du sentiment de somnolence et correspond aux stades B2 et B3 ; les stades B de vigilance sont les équivalents du stade NREM1 de sommeil ;

• la survenue de complexes K et de fuseaux desommeil marque le début du sommeil et cor-respond au stade C ; c'est donc l'équivalent du stade NREM2 de sommeil.Ces stades électroencéphalographiques sont

corrélés au fonctionnement du système végétatif, puisque la fréquence cardiaque moyenne dimi-nue significativement des stades A1 aux stades B2/3 [10]. Ceci met en avant l'implication des pro-cessus végétatifs de régulation homéostatique par les systèmes sympathique et parasympathique.

Ces stades de vigilance peuvent être mis en regard avec des expériences de la vie quotidienne. Ainsi, chez le sujet sain, après une journée fatigante, la régulation de la vigilance retrouvée à l'EEG va deve-nir instable et montrer davantage de bas niveaux de vigilance. Cette signature EEG est souvent associée à l'expérience de fatigue et de somnolence.

Cet algorithme a donc une applicabilité pra-tique. Il a par exemple servi à établir que, chez le sujet sain, un bas niveau de vigilance à l'EEG (stade B), impacte significativement le temps de réaction pendant une tâche cognitive classique [13]. Ceci semble expliquer les variabilités intra-indi-viduelles étonnantes qu'on peut trouver lors de la réalisation d'une telle tâche. S'il est reconnu qu'une altération même légère de la vigilance impacte les performances, l'algorithme VIGALL offre la possibilité de la prédire, grâce à des carac-téristiques EEG relativement aisées à obtenir.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

51

Cet algorithme VIGALL vient également com-pléter la classification consensuelle du sommeil. Il est possible d'établir une certaine corrélation entre les stades de vigilance VIGALL et les stades de sommeil selon Rechtschaffen et Kales et l'AASM : si le stade A recouvre les différentes formes d'éveil, le stade B correspond au stade NREM1, et le stade C au stade NREM2. Cependant, les stades de som-meil sont scorés à partir de l'analyse visuelle d'une époque EEG d'une durée de 30 secondes et le stade de chaque époque est déterminé par la fréquence qui y est la plus représentée. La discrétisation des données y est donc importante. Au contraire, l'al-gorithme VIGALL, par l'étude de très courts seg-ments EEG, est à même de fournir une résolution temporelle beaucoup plus élevée et donc de sou-ligner les variations rapides dans la dynamique même de l'activité cérébrale (figures 3.9 et 3.10).

Analyse des potentiels évoqués

Signal de potentiel évoquéLe signal de potentiel évoqué (PE) est assez dif-férent du signal de l'EEG courant. Comme en

général la fenêtre d'enregistrement et de présen-tation est au maximum de l'ordre de la seconde, il ne ressemble en rien au signal de l'EEG cou-rant, présenté en quelque 20 ou 30 secondes. Il s'agit d'une succession d'ondes plus ou moins sinusoïdales formées de composantes positives (orientées par convention vers le bas) ou néga-tives (orientées par convention vers le haut) et dont le maximum est à une latence déterminée à partir du stimulus.

On distingue par comparaison avec les poten-tiels évoqués sensorimoteurs les potentiels évo-qués perceptifs (environ de 80 à 150 ms) et les potentiels à proprement parler cognitifs. Le plus souvent en 1 seconde on met en évidence deux ou trois ondes négatives et positives, ce qui fait une fréquence de l'ordre de 0,3 Hz. Ceci a pour conséquence qu'on pourra garder la fréquence d'échantillonnage de l'EEG — contrairement aux potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral qui sont d'une fréquence de l'ordre de 10 000 Hz — ; d'autre part, il sera possible de filtrer des fré-quences supérieures à 20 Hz sans dommage pour le signal.

A1

A2

A3

B1

B2/3

F3

O1

F3

O1

F3

O1

F3

O1

F3

O1

F3

O1

Veille

Sommeil

EEG

Vig

ilanc

e

Stade EEGA

Stade EEGB

Stade EEGC

Rythme alphaPrédominance occipitale

Rythme alphaAntériorisation

Rythme alphaPrédominance antérieure

EEG désynchroniséFaible amplitude (rythme bêta)

Activités lentesThêta, delta

Complexes Ket/ou fuseaux du sommeil

Figure 3.9. Stades EEG de vigilance, selon l'algorithme VIGALL.(D'après Arns et al. In : Coben et Evans (éd.). Neuromodulation and neurofeedback : Techniques and applications. London : Elsevier ; 2011, p. 79–123.)

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

52

Analyse des PEC, principes généraux et difficultésComme dans le vigigramme et l'hypnogramme, une quantification est possible (et même néces-saire) dans l'analyse et l'interprétation des PE. Mais cette quantification se fait de manière très informée sur les distorsions et modifications que subit le signal de PEC d'un sujet à l'autre et même parfois chez un même sujet. Quelques principes généraux sont à connaître avant d'aborder le para-graphe consacré à la quantification.

Un potentiel évoqué est, par conséquence obli-gatoire de son mode d'acquisition, une moyenne de réponses déclenchées par un stimulus répété. Cette moyenne masque toutes les variations propres à la réponse cérébrale au stimulus lors de chaque essai. Il n'y a aucune raison en effet que cette réponse soit strictement la même pour chaque stimulus, puisque rien n'indique que celui-ci va être reçu par des réseaux de neurones dans un état constant. Ainsi, la règle « toutes choses égales par ailleurs » qu'on aurait envie d'appliquer lors de stimulations successives comme si le cerveau réagissait comme un auto-mate programmable, n'est qu'un leurre dans le cas des potentiels évoqués cognitifs. De plus, d'autres facteurs peuvent moduler l'activité neurale enre-gistrée lors de l'EEG, hors de toute considération d'ERP : les niveaux de vigilance et de motiva-tion mais aussi le rythme circadien ou encore le délai après le dernier repas et l'enregistrement EEG [3]. Ainsi, la latence d'un ERP peut être modi-fiée par moyennage des latences de chacun des

essais (figure  3.11A). D'autres effets de distor-sion peuvent être associés, notamment par l'in-fluence de l'environnement technique (effet jitter entraînant un décalage temporel par écrêtement des tracés, d'origine aléatoire ou systématique). Le rétromoyennage des ERP à latence tardive demeure particulièrement exposé à ce risque de distorsion.

Il en est de même avec la procédure de grand moyennage. La figure 3.11B illustre comment un grand moyennage, réalisé à partir d'ERP de par-ticipants d'un même groupe repose en réalité sur une grande variété de tracés peu homogènes. Ce manque d'homogénéité est d'autant plus mar-qué que l'ERP est tardif, et ce pour des raisons anatomiques, physiologiques ou cognitives [14]. Il en est de même de l'inf luence des traitements psychotropes ou ayant un effet sur le système nerveux.

Il existe un premier type de distorsion, résul-tant de l'amalgame entre le pic apparent d'un tracé ERP (waveform peak) et la composante ERP sous-jacente (latent ERP component) [15] (figure  3.12). Le pic apparent d'un tracé est représenté par des déflexions de voltage, mais un même pic apparent peut dépendre de plusieurs composantes sous-jacentes différentes. Il est très difficile de décrire directement ces composantes et les analyses sta-tistiques ne sont réalisées qu'à partir des seuls pics apparents. Le tracé obtenu (pic apparent) n'est qu'une construction indirecte et n'équivaut pas au déroulé temporel des processus cogni-tifs supposés (composantes latentes) : « Les pics et les composantes ne représentent pas la même chose. Il n'y a rien de spécial au pic maximal de

Figure 3.10. Regroupement des données issues de l'algorithme VIGALL permettant de réaliser des vigigrammes.

A1A2A3

B1B2/3A

A1A2A3

B1B2/3B

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

53

Figure 3.11. Difficultés d'interprétation des PEC : variation de la réponse cérébrale au stimulus.A. Variabilité en fréquence lors de l'enregistrement de plusieurs potentiels successifs (effet jitter). B. Variabilité intersujets lors de la procédure de grand moyennage.

Essai 1

A

Essai 3Essai 2

Potentiel moyen obtenu

Σ

GrandMoyennage

obtenu

P2 P2

HC5

HC6

HC7

HC8

HC9200

+5µV

–5µV400

B

600 800

Sujet 1

Sujet 2

Sujet 3

Sujet 4

Figure 3.12. Difficultés d'interprétation des PEC : PEC apparent.Le tracé A représente un tracé PEC obtenu lors d'un enregistrement PEC, mais ne permet pas la description directe et immédiate des composantes sous-jacentes qui le constituent (B ou C), entraînant théoriquement un même tracé apparent A. (D'après Luck, 2005.)

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

54

la déflexion électrique. [15] » Ce point est essentiel à comprendre si on ne veut pas faire une surinter-prétation des résultats. Cependant, les méthodes de localisation de sources permettent une explo-ration indirecte de ces composantes latentes. Mais ces méthodes imposent la réalisation d'un EEG à partir de nombreuses électrodes, peu compatible avec une pratique clinique.

De plus, trois types d'effets peuvent être théori-quement retrouvés lorsqu'un type de stimulus est répété autant de fois qui sont ainsi, comme on vient de le voir, susceptibles de modifier le tracé ERP : • uneffet d'apprentissage avec une amélioration

des performances au fur et à mesure que la tâche demandée se répète lors de l'enregistre-ment ;

• un effet d'atténuation correspondant à un processus actif des réseaux neuronaux en pré-sence d'un stimulus identique : le gating de la P50 et du complexe N1-P2 est typiquement un exemple, mais on retrouve également cet effet dans l'acquisition des P300 ;

• un effet de fatigue qui consiste en une dimi-nution des performances des sujets au fur et à mesure de l'évaluation.Un point crucial concerne les trois effets : on

ne peut écarter en toute rigueur l'hypothèse d'ef-fets différents selon les groupes de participants. On pourrait imaginer ainsi que pour une même épreuve, des participants contrôles bénéficient d'un effet d'apprentissage, alors que des participants patients présentent au contraire un effet de fatigue. Si l'acquisition des PEC en essai unique semble être une possibilité réglant ces trois difficultés, elle n'est que marginale et nécessite des moyens techniques de laboratoire et non de service clinique, en l'état actuel des moyens mis en œuvre. Afin de limiter ces effets, on peut limiter le nombre d'essais pris en compte lors du moyennage ou du rétromoyennage. Le nombre d'essais est alors déterminé avant dégra-dation visuelle des tracés ; mais, dans ce cas, on reste toujours un peu « juste » en rapport signal/bruit.

Une fois ces différentes limites connues et inté-grées dans la compréhension et l'interprétation des traces, et avant de positionner les marqueurs permettant la quantification, se pose le problème de la définition de ce qui est un signal pertinent ou significatif ou de ce qui ne l'est pas. Contrairement à ce qu'on pourrait penser à cause de la nécessité de quantifier les paramètres des PEC, leur inter-prétation nécessite une aussi grande attention à

la forme que l'EEG continu. Un PEC donné pos-sède une morphologie archétypale, classique qui est relativement souvent retrouvée. Cependant, pour les multiples raisons évoquées plus haut, auxquelles il faut rajouter les différences ana-tomo-fonctionnelles individuelles, de très nom-breux tracés constituent une variation plus ou moins éloignée de cette morphologie archétypale. Avant de placer les marqueurs, on doit d'abord se demander si l'examen est contributif (avec trop d'artefacts, rapport signal/bruit mauvais) puis si la trace reproduit (en gros) la forme archétypale avec les maximums attendus, dans des latences correctes. Si ce n'est pas le cas et si la morpho-logie du potentiel est une variation éloignée de cette morphologie archétypale (par exemple avec des pics bifides, ou avec des épaulements), le plus efficace est de « lisser » mentalement la trace pour faire ressortir cette morphologie arché-typale et placer les marqueurs sur les points significatifs ainsi extrapolés. C'est dire s'il faut une longue habitude des potentiels évoqués pour, dans les cas difficiles, être en mesure de trancher.

Dans le cas d'un usage diagnostique des PEC, il est absolument indispensable de disposer avant toute chose d'une population contrôle. Il ne faut pas utiliser les valeurs de la littérature, sinon à titre de comparaison, car les procédures d'acquisition et de traitement, les choix des diffé-rents algorithmes dépendent du constructeur de l'appareillage. Nous défendons la règle « un type d'appareillage, une population témoin, une même procédure de traitement ». Dans le cas d'études multicentriques, il faut s'assurer que les membres de l'étude ont les mêmes systèmes d'acquisition, les mêmes programmes et les mêmes procédures de stimulation et de traitement si on veut avoir la possibilité de comparer les résultats avec un mini-mum de rigueur.

Présentation des données et ligne de baseLa présentation des données (nombre de traces, amplitude des potentiels) reste une affaire d'habi-tude personnelle. Il est indifférent de présenter le potentiel avec une amplitude (dimension verti-cale) grande ou faible. Cela dépend de l'opérateur : si une faible amplitude tend à donner l'impression d'un lissage de la trace, avec moins de bruit, à

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

55

filtre identique, une plus grande amplitude met plus en évidence le bruit et les épaulements.

Les logiciels de traitement de potentiels évoqués permettent de disposer de marqueurs variables selon la dimension x ou y de la trace. On peut également faire des opérations de soustraction ou d'addition avec ces marqueurs. Il existe en général la possibilité de les définir pour chaque type d'analyse.

Un moment important dans l'analyse des PEC est la qualification de la ligne de base. Il s'agit de déterminer le zéro électrique à partir duquel on va mesurer le voltage positif ou négatif des diverses composantes. Les appareillages proposent en géné-ral cette fonction sous la forme d'une ligne horizon-tale sur laquelle on vient faire coïncider le tracé du potentiel. D'une manière générale, on positionne la ligne de base à mi-bruit, sauf si le tracé comprend une déviation de la ligne de base (figure  3.13A). Pour les ERP obtenus par rétromoyennage, la ligne de base est définie sur la fenêtre temporelle (en général 100 à 200 ms) qui précède le marqueur de stimulation (figure 3.13B). Seulement après défini-

tion de cette ligne de base, on peut commencer les autres phases du traitement.

Filtrage des traces ERPD'une manière générale deux principes pratiques sont suggérés : • l'acquisition ou la visualisation de la trace

moyennée des PEC se fait en l'absence de filtrage, afin de détecter quelle est la nature du bruit qui vient contaminer le signal (différencier de l'al-pha, des rythmes rapides, ou bien du 50 Hz) ;

• pour des séries de patients ou des comparai-sons entre un patient et des valeurs contrôles, il faut s'assurer que le filtrage est de la même valeur ; il faut donc, dans le cas d'une activité diagnostique, protocoliser le filtrage et choisir des filtres qui seront adaptés à tous les poten-tiels enregistrés.Un filtre passe-bas (qui limite la prise en compte

des hautes fréquences du signal) est nécessaire au « lissage » du tracé, améliore le rapport signal sur

Stimulus

A B

C

Frequent

Rare

Frequent # 1

Rare # 2

Ligne de base

Cz-A1A2(C2–1)

Stimulus

N100

N100 119.14m –8.84u–1.75u–12.1u

12.0u10.0u

–5.15u119.14m230.47m

226.56m308.59m371.09m

Cz-A1A2Cz-A1A2Cz-A1A2Cz-A1A2Cz-A1A2Cz-A1A2

N100N200

N200P3AP3B

N100

P3A P3B

N200

N200Cz-A1A2(C2–1)

F2-AF

Latence Aire sous courbe

Fenêtre de calcul de la ligne de base

Valeurs nulles du potentielValeurs nulles du potentiel

Amplitudes deculmination

Latences deculmination

Culmination

Stimulus

Figure 3.13. Ligne de base. Traitement et présentation d'un potentiel évoqué.A. Réalisation de la ligne de base sur un potentiel obtenu par moyennage direct. B. Réalisation de la ligne de base sur un potentiel obtenu par rétromoyennage. C. Marqueurs placés sur la culmination des potentiels, permettant de calculer la latence, l'intensité et l'aire du potentiel obtenu.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

56

bruit (en diminuant notamment l'influence du rythme alpha) et facilite la mesure des variables d'amplitude et de latence. Cette facilitation concerne tout autant les ERP obtenus pour un même participant (rétromoyennage) que les ERP obtenus pour un même groupe de participants (grand moyennage). Le filtre passe-bas doit être adapté à la fréquence que représente un potentiel. Un P300 dure 300 ms, sa fréquence est d'environ 3 Hz. Un filtre passe-bas à 20 Hz aura peu d'effet. En revanche, dans un potentiel évoqué auditif du tronc cérébral chaque potentiel apparaît toutes les millisecondes. Leur fréquence est donc de 10 000 Hz. Si l'on met un filtre passe-bas à 30 Hz, le potentiel aura disparu. Il en est de même pour le filtre passe-haut. Si les études neuroscientifiques en population contrôle utilisent un filtre passe-bas moins radical, la plupart des travaux réalisés auprès de patients utilisent pour les potentiels cognitifs un filtre passe-bas assez marqué allant de 8,5 Hz à 12 Hz. Cependant, un filtre passe-bas trop marqué peut entraîner une distorsion non négligeable des amplitudes et des latences des dif-férents potentiels (figure 3.14).

L'usage d'un filtre passe-haut permet à l'inverse de limiter l'influence des fréquences les plus basses du signal EEG. Ce type de filtre réduit les phénomènes de dérives lentes dues au matériel d'enregistrement et à l'environnement électromagnétique de la salle d'exploration. Il limite aussi l'influence des poten-tiels corticaux lents (SCP, Slow Cortical Potentials) qui pourraient impliquer une influence gliale. Un filtre passe-haut trop marqué modifie la morpho-logie générale du tracé ERP, notamment dans ses composantes les plus tardives. Si une telle modifica-tion n'a que très peu d'influence sur la latence d'un pic précoce, elle peut en revanche décaler la latence d'un pic tardif (comme les composantes N400 ou P600/LPC) de façon significative (figure 3.14).

Choix des variables d'analyse des potentiels évoquésLes variables analysées dans les ERP (que ce soient les négativités ou les positivités) les décrivent classiquement en termes d'aire, d'amplitude et de latence (figure  3.13C). Plusieurs approches méthodologiques permettent cette analyse.

Figure 3.14. Effet des différentes valeurs de filtres passe-bas (à gauche) et passe-haut (à droite) sur le signal d'un potentiel évoqué de type P300.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

57

Calcul de la latence

En clinique, la première variable mesurée est la latence du pic. La latence du potentiel est en fait la latence de culmination de l'onde positive ou néga-tive par rapport à la ligne de base. Cette variable est moins influencée par la ligne de base du signal EEG et par la méthode de mesure employée que l'aire et l'amplitude. Elle reste néanmoins sensible au filtre appliqué aux données brutes. De plus, il n'est pas rare que le potentiel présente deux culminations de même hauteur : le choix est alors d'en préférer une ou d'interpoler visuellement la position de culmination.

La latence d'une composante ERP est une don-née construite à partir des différentes étapes du moyennage des données (intra- et inter-sujets). Comme nous l'avons noté plus haut, la latence d'un tracé ERP apparent ne correspond pas néces-sairement à la latence des composantes sous-jacentes.

Calcul de l'amplitude

Une fois la ligne de base réalisée (et seulement après cela), il est possible à partir du zéro élec-trique de déterminer l'amplitude (en microvolts). Quand le sommet du potentiel est bien visible et unique, l'amplitude est facile à calculer. Quand il existe deux composantes ou alors une compo-sante et du bruit surajouté, il est le plus souvent préférable de prendre l'amplitude maximale. Mais c'est aussi dans ce cas une affaire d'interprétation. L'amplitude peut être calculée en fait soit par rap-port à la ligne de base, soit par comparaison avec un autre pic de référence (comme dans le cas du gating de la P50), en général de polarité inverse (figure 3.13C).

Calcul de l'aire

Un premier type d'approche consiste à calculer l'aire d'une composante, sur la base d'une fenêtre temporelle (par exemple, entre 200 et 300 ms pour la P300). Le choix de la fenêtre temporelle est éta-bli à partir de l'analyse préliminaire de courtes fenêtres temporelles (de 50 ou de 100 ms). Ce sont les aires de ces fenêtres temporelles de base (comme des bandes verticales découpant le signal) qui, dans des études de groupe, sont regroupées et fusionnées entre elles à chaque fois que les effets observés sont similaires (significatifs ou non significatifs). L'aire ainsi calculée est le paramètre

le plus représentatif de l'énergie électrique sous-jacente mise en jeu dans les neurones concernés et dans un temps donné après le stimulus. De plus, elle permet de réduire l'influence conjuguée de superpositions de composantes (par exemple, P300 puis N400), de distorsions de moyennage et d'optimiser le rapport « signal/bruit » [15]. Cette méthode d'analyse est assez lourde à mettre en œuvre, met moins l'accent sur l'étude de la latence et reste peu utilisée dès lors qu'on réalise les poten-tiels évoqués en routine diagnostique, comme c'est le cas avec les PE visuels, somesthésiques ou autres. Elle est plutôt réservée à des travaux neuro-scientifiques plus fondamentaux.

Une seconde approche, réalisant un compromis intéressant entre facilité d'analyse et validité de la mesure, consiste à prendre en compte l'aire d'une composante ERP sans réaliser d'analyse prélimi-naire (sans courtes fenêtres temporelles prélimi-naires). Le choix des bornes temporelles repose dans ce cas sur une simple inspection visuelle des tracés ou sur les données de la littérature. Dans ce cas, les éléments déterminants de la mesure sont la qualité de la ligne de base et la pertinence des points d'intersection du potentiel avec celle-ci. Il s'agit là de la classique « aire sous courbe » utilisée dans un très grand nombre de dosages biologiques. On peut moyenner ensuite ces aires sous courbe dans les études de groupe. Cette méthode permet de rendre compte de la variabilité individuelle du début et de la fin des potentiels évoqués sans avoir le caractère ad hoc des fenêtres temporelles choi-sies indépendamment de la morphologie indivi-duelle de chaque potentiel. Cette approche, très gestaltiste, n'est pas forcément moins rigoureuse. Moins objective, elle nous semble cependant plus exacte dans la mesure où c'est l'œil expert et non la machine qui borne les limites du potentiel.

Soulignons enfin l'importance des trois gui-delines récents sur l'exploration des ERP et de la N400 dans le champ de la psychiatrie, qui per-mettent ainsi d'esquisser une méthodologie plus homogène, plus fiable et reproductible [14, 16].

Analyse spectrale de l'EEGL'analyse spectrale (ou fréquentielle) de l'EEG (ou EEG quantifié : qEEG) est à la fois une méthode très intéressante de traitement du signal et un piège : intéressante parce qu'elle permet à la fois la quantification et, à partir de celle-ci, l'obtention

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

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de cartographies et de profils par exemple de vigilance ; un piège parce qu'on peut vouloir s'en servir partout en clinique et, donc, d'une certaine manière dépasser les quelques applications vérita-blement utiles.

La validité du qEEG dans le diagnostic et le pronostic des pathologies psychiatriques reste non démontrée [17], malgré le très grand nombre d'études conduites à ce jour, et même si d'aucuns gardent l'espoir d'une utilité diagnostique du qEEG. On a d'ailleurs du mal à saisir comment un ou deux rapports de rythmes (thêta/alpha, bêta/alpha) pourraient, compte tenu, d'une part de la versatilité de l'EEG dans le temps même de l'enregistrement et, d'autre part, de la variété des situations cliniques, être spécifiques voire même sensibles. À notre sens, l'analyse fréquentielle de l'EEG possède actuellement en clinique psychia-trique trois applications : • l'analysespectraledel'EEGaudébutduneuro-

feedback (cf. chapitre 9), afin de définir un profil personnalisé (taux d'alpha sur thêta, par exemple) pour adapter la meilleure méthode de neurofeedback ou pour suivre l'évolution du patient sous cette thérapeutique. Notons également qu'une grande partie des protocoles de neurofeedback reposent sur une analyse fréquentielle continue de l'EEG décrivant les rapports des différents rythmes EEG entre eux. Cet aspect de l'analyse fréquentielle de l'EEG ne concerne pas le diagnostic, mais la génération du stimulus cible que le patient doit modifier ou le suivi et l'adaptation thérapeutique du neuro-feedback (cf. chapitre 9) ;

• la stadification des états de vigilance décriteplus haut : cette application n'a pas reçu le déve-loppement clinique qu'elle devrait avoir, proba-blement en partie à cause du fait que l'on a trop l'habitude de dissocier l'EEG courant et l'EEG de sommeil et de les localiser dans des services différents ;

• lamiseenévidencedezonescérébralesatteintes,soit dans les traumatismes crâniens [18] soit dans les démences [19], en particulier pendant la SLI ; dans ce cas, il s'agit d'une aide assez marginale cependant.En revanche, en recherche, l'analyse spectrale

de l'EEG est très utile et d'utilisation courante, dans les études de groupes notamment. Signa-lons également un intérêt particulier en psycho-pharmacologie [20].

Le signal EEG : une fonction périodiqueD'une manière générale, le signal EEG peut être modélisé sous la forme d'une fonction périodique [3, 21] à partir de certaines assertions. En réalité, le signal EEG n'est pas vraiment périodique. Il obéit plutôt à des équations de type chaotique [22], c'est-à-dire relevant des mathématiques du chaos [23].

Cependant, les principales méthodes d'analyse de l'électroencéphalogramme se fondent sur trois hypothèses acceptables quant à ce signal et qui ne tiennent pas compte de la structure chaotique de ce signal. Il s'agit de : • soncaractèresinusoïdal;• soncaractèrestationnairependantletempsde

l'analyse ; • sa linéarité(c'est-à-diresadescriptionpossible

sous la forme d'équations différentielles).Il est donc nécessaire, pour aborder les princi-

pales méthodes de quantification du signal EEG, de posséder quelques notions de base sur les fonc-tions périodiques.

Les fonctions périodiques décrivent des oscilla-tions. Une oscillation est un mouvement de va-et-vient autour de sa position d'équilibre comme, par exemple, une vibration. Un mouvement vibratoire sans amortissement, un son continu par exemple, est décrit par son amplitude (élongation) et sa pul-sation (équation 1).

Les fonctions sinus et cosinus sont des fonctions périodiques. La présence d'un cosinus ou d'un sinus indique que la fonction sinusoïde est une fonction trigonométrique. Dès lors, elle peut se décrire sous la forme d'un vecteur tournant dans le cercle trigo-nométrique et dont les projections se font sur l'axe des x (cosinus) et des y (sinus) (figure 3.15). La fonc-tion périodique est la représentation dans le temps de la projection de ce vecteur sur l'axe des x ou l'axe des y. On notera que, quand le vecteur est confondu avec l'axe des x, son amplitude sur l'axe des y est nulle ; inversement, s'il est confondu avec l'axe des y, son amplitude sur l'axe des x est nulle. Il y a donc entre ce qui est observé sur chacun des deux axes un décalage : ce décalage est appelé déphasage (ou différence de phase, φ) et il est exprimé sous la forme d'un angle. Dans le cas particulier du dépha-sage entre sinus et cosinus, sa valeur est de 90°.

Quand on a deux fonctions sinusoïdes, obser-vées par exemple sur l'axe des x (cosinus), la seconde peut être décalée dans le temps par

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

59

rapport à la première (équation 2). La phase cor-respond à l'angle de décalage entre les deux, sur le cercle trigonométrique.

L'interférence de diverses fonctions sinusoï-dales constitue un interférogramme (figure 3.16).

Analyse de Fourier des fonctions périodiquesJoseph Fourier a démontré qu'une fonction pério-dique quelconque peut être considérée comme la somme d'une infinité de fonctions sinusoïdes. Si plu-sieurs oscillations se superposent, l'oscillation résul-tante est une addition des oscillations (figure 3.16).

La décomposition d'une série de fonctions périodiques en une somme d'une infinité de fonc-tions harmoniques constitue l'analyse de Fourier (ou analyse harmonique, ou transformée de Fou-rier). La décomposition de Fourier permet d'obte-nir un graphe donnant les valeurs des amplitudes en fonction des fréquences correspondantes (figure 3.16B). Ce graphe est appelé spectre.

L'analyse spectrale est donc l'analyse qui permet la décomposition d'une fonction périodique quel-conque en ses fonctions sinusoïdes constituantes ou la transformation d'un interférogramme en un spectre de fréquences.

La théorie de l'analyse d'un signal complexe, somme de sinusoïdes simples de fréquence et

Figure 3.15. Obtention des fonctions sinusoïdes sinus et cosinus à partir de la rotation d'un vecteur dans le cercle trigonométrique.Les fonctions sinus et cosinus correspondent à un déphasage de 90°, ou quadrature.

Équation 1Équation d'un mouvement vibratoire : à chaque instant la position X de l'objet en vibration est, en fonction du temps : • surl'axedescosinus,X = X0 · cos ωt• surl'axedessinus,X = X0 · sin ωt + φAvec : X, élongation ; X0, élongation maximale ; ω, pulsation ; t, temps ; φ, la phase (déphasage).Équation 2Équation du mouvement vibratoire d'un second objet en vibration identique mais présentant un retard à l'origine (déphasage) (cf. figure  3.2) de valeur φ est : • X = X0 · cos (ωt + φ), où φ est la phase de la sinusoïde.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

60

d'amplitude différentes et présentant un déphasage les unes par rapport aux autres, a donc été éta-blie par Joseph Fourier qui a décrit les équations qui permettent sa décomposition en fréquences simples. Cette décomposition est la transformée de Fourier. La transformée de Fourier fait passer de manière réversible du domaine des temps (dans lequel on dispose de l'amplitude du signal en fonc-tion du temps) à celui des fréquences (dans lequel l'amplitude du signal est donnée en fonction des fré-quences) (figure 3.16B). La transformée de Fourier rapide (FFT) est l'algorithme qui permet de réduire le temps de calcul de la transformée de Fourier.

Analyse des fréquences : analyse spectrale de l'EEG et cartographies EEGL'analyse par décomposition spectrale d'un tracé EEG (quelques dizaines de secondes) s'effectue par le calcul successif de spectres sur 2 à 5 secondes (les époques) puis par moyennage de ces spectres (figure  3.17). Il est préférable alors d'utiliser un montage référentiel avec une référence commune inactive et non un montage bipolaire. Le résultat est donné en puissance spectrale (pour chaque fréquence) en μV2/Hz.

Figure 3.16. Interférogramme et spectre.A. Interférogramme (interaction des fréquences) obtenu avec deux sons. B. Transformée de Fourier de deux fréquences sonores et de l'interférogramme. La transformée de Fourier fait passer d'un espace intensité/temps à un espace intensité/fréquences.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

61

Il existe deux manières de présenter l'EEG ainsi analysé par décomposition de Fourier : • soitparlaprésentationdesspectresdel'activité

présente sous chaque électrode (figure 3.18A) ; • soitparunecartographiedelapuissancespec-

trale pour une fréquence ou une bande de fré-quences données (alpha, delta…) sous chaque électrode (figure 3.18B).Si les deux modes de présentation sont liés, ils

ne signifient pas la même chose. Les cartogra-phies, comme nous l'avons mentionné dans l'in-troduction, ne peuvent être interprétées qu'après analyse de la carte des spectres, puisque c'est cette carte qui contient l'information fréquentielle et spectrale proprement dite.

De plus, seule l'analyse soigneuse des tracés les ayant générées permet d'éliminer des artefacts ou des erreurs qui n'apparaissent pas sur les cartogra-phies de puissance spectrale et qui peuvent conduire à des erreurs diagnostiques. On voit que l'analyse spectrale, désormais de réalisation facile grâce aux ordinateurs actuels, demande de nombreuses pré-cautions d'interprétation et ne peut que venir en complément d'une analyse visuelle du tracé source.

Si l'analyse spectrale de l'EEG constitue un puissant outil, en particulier en pharmacologie, elle ne peut cependant pas remplacer l'analyse visuelle, notam-ment parce qu'elle ne donne pas de vision dynamique de l'activité cérébrale, en raison de son hypothèse de stationnarité et des modalités de sa réalisation.

Époques(2 s sans artefact)

Neurofeedback

Carte des spectres

Carte des fréquences

Pic de la puissance spectrale (en V2)de l’alpha sous l’électrode

TRANSFORMÉE DE FOURIER

Σ

α

βθ

O2-AVG

δ

Figure 3.17. Analyse spectrale de l'EEG.À partir de l'EEG, sous chaque dérivation (ou sous chaque électrode par rapport à une référence), on définit des époques (des moments) de tracés sans artefact et on réalise la transformée de Fourier sur la somme de ces époques.

Partie I. Rappels historiques, techniques et méthodologiques

62

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Figure 3.18. Cartographie de l'EEG par analyse spectrale.A et B. Après analyse spectrale, on peut réaliser une carte des spectres sous chaque électrode (A) ou une carte de chaque bande de fréquences contenue dans le spectre (B). C. Analyse spectrale d'un EEG d'un patient avec dégénérescence corticobasale (unilatérale au début par définition). On voit à droite la présence des fréquences delta, absentes à droite. D. L'hyperpnée augmente la quantité d'activité delta dans la même zone.

Chapitre 3. Modalités d'acquisition et d'analyse du signal EEG

63

compulsive disorder and healthy controls. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 2008 ; 258 : 137–43.

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Si l'EEG conventionnel a été historiquement utilisé en psychiatrie au début de son développement (cf. chapitre 1), il a connu ces dernières décennies un certain désintérêt, attribuable en partie à l'appari-tion et au développement de techniques d'imagerie cérébrale anatomique et fonctionnelle génératrices de résultats visuellement séduisants. Aujourd'hui, le recours à l'EEG semble encore assez limité en pratique psychiatrique courante. Selon les études, seuls 3 à 25 % des patients admis en service psy-chiatrique en bénéficieraient [1], alors que l'usage d'examens d'imagerie cérébrale, notamment tomodensitométrie et imagerie par résonance magnétique, tend à se généraliser [2]. Pourtant, l'EEG garde de nombreux avantages dans l'éva-luation des patients souffrant de troubles psychia-triques et s'avère même être le seul examen para-clinique pertinent dans certaines situations.

Modalités de l'EEG en pratique clinique psychiatriqueL'EEG conventionnel, lorsqu'il est utilisé en psy-chiatrie, présente certaines spécificités et cer-taines contraintes propres, notamment du fait des thérapeutiques psychotropes qui y sont d'usage courant. Les conditions de sa réalisation et de son interprétation y comportent donc certaines particularités. Nous ne traiterons pas dans ce chapitre des apports et des spécificités de l'EEG quantifié en psychiatrie. Comme nous l'avons vu au chapitre 3, celui-ci est le plus souvent réservé aux études scientifiques, notamment aux études

pharmacologiques ; il n'est pas d'usage courant en pratique clinique quotidienne. Notre propos se limitera donc aux modalités et aux spécificités de l'EEG standard.

Spécificités de la réalisationNous avons vu précédemment le matériel néces-saire pour la réalisation d'un EEG, puis le dérou-lement de l'examen proprement dit (cf. chapitres 2 et 3).

La réalisation d'un EEG conventionnel ne diffère pas en milieu psychiatrique. Il peut y être effectué en ambulatoire. Néanmoins, il est important de tra-vailler avec un personnel formé, c'est-à-dire avec des techniciens familiers de patients souffrant de pathologies psychiatriques, afin de limiter au maxi-mum les artefacts que pourraient produire certains troubles du comportement, potentiellement pré-sents dans cette population de patients. Il est égale-ment primordial que les patients soient informés, de manière adaptée à leur niveau de compréhension, de l'indication et des modalités de réalisation de l'examen. L'instauration d'un climat de confiance et de réassurance permet ainsi de réaliser l'EEG dans les meilleures conditions, même chez les patients à la symptomatologie anxieuse prononcée. Il nous semble important d'insister, entre autres, sur son caractère non invasif et non douloureux. Dans ce cas, malgré l'apparence mystérieuse que peut revê-tir l'appareillage EEG, un examen bien conduit ne semble pas être pourvoyeur d'une aggravation de la symptomatologie psychiatrique, même si celle-ci est fortement délirante. De même, dans ces condi-tions, il n'existe que très peu de tracés trop artéfac-tés pour être rendus ininterprétables (moins de 2 % dans notre expérience).

Chapitre 4Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEGC. Balzani1

1 Relecture : J.-A. Micoulaud-Franchi, J. Vion-Dury.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

68

Spécificités de l'interprétationL'EEG est un examen électroclinique. Cela implique que la qualité de son interprétation est fortement dépendante des éléments cliniques dont dispose le neurophysiologiste. Il est donc primordial que le médecin psychiatre lui trans-mette tout un ensemble de données cliniques, au mieux sur un bon de prescription spécifique. Sur ce document doivent au minimum figurer les élé-ments les plus pertinents tels que : • l'identitédupatient;• lediagnosticpsychiatriqueétablioususpecté;• leniveaud'urgencedelademanded'EEG;• l'indicationexacte(bilaninitial,suivithérapeu-

tique, modification détaillée de la symptomato-logie clinique, etc.) ;

• l'exhaustivité des traitementsmédicamenteuxet non médicamenteux (électroconvulsivothé-rapie, TMS…) en cours, accompagnés de leurs posologies ainsi que de leurs modifications récentes, sans oublier les traitements injec-tables sous forme retard ;

• les antécédents neurologiques du patient,notamment les antécédents de traumatisme crânien et/ou d'épilepsie, ainsi que les résultats de l'examen clinique neurologique.Ci-joint figure un bon de demande d'examen

tel qu'il est utilisé en pratique quotidienne dans notre unité de neurophysiologie, et qui rassemble les éléments cliniques indispensables à une inter-prétation de qualité (figure 4.1).

Les particularités de l'EEG en psychiatrie, outre les spécificités inhérentes à sa réalisation telles que nous les avons citées, sont principalement représentées par le fait que les patients reçoivent le plus souvent des thérapeutiques psychotropes qui modifient parfois notablement l'électrogenèse. Nous détaillerons ces modifications un peu plus loin. Néanmoins, il faut dès à présent savoir que celles-ci sont rarement une entrave à l'interprétation de l'examen, et ne doivent, dans la plupart des cas, pas être modifiées en vue de sa réalisation. Au contraire, les modifications qu'elles induisent peuvent fournir au clinicien des informa-tions importantes. Comme nous le verrons plus loin, ces modifications ne doivent donc pas faire conclure à une mauvaise tolérance du traitement ni conduire systématiquement à son interruption.

Un tracé EEG normal est présenté à la figure 4.2, vis-à-vis duquel les autres tracés pourront être comparés.

Rentabilité de l'EEG en psychiatrieL'intérêt de la réalisation de l'EEG en psychiatrie reste encore, la plupart du temps, soumis à contro-verse. Cette dernière semble intrinsèquement liée à l'histoire de l'EEG, et ce depuis sa découverte par Hans Berger. Si l'enthousiasme initialement suscité par l'EEG, d'abord envisagé comme le reflet direct d'une activité psychophysiologique, s'est peu à peu estompé, il est ensuite apparu un certain scepticisme vis-à-vis de l'apport de cette méthode. Ce scepticisme semble émaner à la fois de psychiatres attachés à l'art de la clinique, et de neurophysiologistes doutant de la possibilité de relever des modifications bioélectriques céré-brales spécifiques chez des sujets souffrant de maladies « mentales » [3].

Pourtant, à l'heure actuelle, il convient de s'interroger concrètement sur la contribution de l'EEG dans la prise en charge d'un patient souf-frant de troubles psychiatriques. Cette question est d'autant plus d'actualité que les considérations médico-économiques prennent une importance de plus en plus marquée, et que l'EEG reste un examen peu onéreux (Code : AAQP007, prix de l'acte : 57,60 €), non invasif, non irradiant, enre-gistrable au lit du patient, et relativement simple et rapide à réaliser [4].

La question de la rentabilité de l'EEG dans le domaine de la psychiatrie gagnerait à être discu-tée à partir de données fiables et récentes, mais celles que l'on retrouve dans la littérature sont peu nombreuses et relativement anciennes [5]. Ainsi, alors que moins d'un quart des patients admis en service psychiatrique bénéficieraient d'un EEG, des anomalies seraient retrouvées dans 20 à 25 % des cas. Ces anomalies seraient le plus souvent iatrogènes et seuls 10 % des tracés pré-senteraient des anomalies non imputables aux psychotropes [1]. Si, pour certains auteurs, le résul-tat de l'EEG influencerait peu la prise en charge psychiatrique [6], d'autres avancent qu'un exa-men bien indiqué pourrait avoir une utilité dans l'orientation clinique dans plus de 90 % des cas, qu'il vienne conforter ou écarter une suspicion diagnostique [7].

Enfin, le résultat de l'EEG ne conduirait à une remise en question de l'hypothèse diagnostique psychiatrique que dans 1 à 2 % des cas [8], c'est-à-dire dans la même proportion que lors de la

Chapitre 4. Spécificités de l'E

EG

conventionnel en psychiatrie Psychopharm

acologie et EE

G

69

A B

Figure 4.1. Bon de demande d'examens tel que nous l'utilisons au sein de notre unité.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

70

réalisation systématique d'une imagerie cérébrale [9]. Il faut cependant noter que chacune de ces tech-niques (EEG et imagerie) peut mettre en évidence des anomalies que l'autre ne révélerait pas, et que, dans une démarche diagnostique de qualité, elles doivent être considérées comme complémentaires et non interchangeables.

Indications et résultats attendusL'EEG est particulièrement impliqué en pratique psychiatrique, puisqu'il peut y jouer un rôle de choix à la fois dans la conduite diagnostique et dans la surveillance thérapeutique [10]. Son inter-prétation sera toujours le résultat d'une confron-tation électroclinique, d'où l'importance qui doit être donnée à la concertation entre psychiatre cli-nicien et neurophysiologiste [1]. Avant de détailler les apports de l'EEG à chaque moment de la prise en charge du patient, qu'il s'agisse du diagnostic psychiatrique ou du suivi thérapeutique, il nous semble important d'évoquer deux tableaux neu-rologiques qui représentent des urgences médi-cales pouvant mettre en jeu le pronostic vital du patient : les états de mal non convulsivants et les encéphalopathies. Ces deux tableaux, dont seul l'EEG est à même d'établir le diagnostic posi-tif mais aussi différentiel, peuvent être présents en psychiatrie sous la forme de manifestations

cliniques diverses. Ils peuvent être retrouvés à tout moment de la prise en charge, représentant ainsi soit un diagnostic différentiel d'un trouble psychiatrique, soit une complication induite par les thérapeutiques psychotropes chez un patient souffrant de trouble psychiatrique caractérisé. Dans tous les cas, ils doivent être évoqués devant l'apparition d'un syndrome confusionnel.

Prérequis : deux grandes urgences neurophysiologiques rencontrées en psychiatrie

États de mal non convulsivantsUne attention toute particulière doit être por-tée à la suspicion d'un état de mal non convul-sivant, tant ce dernier peut représenter un piège diagnostique. Cliniquement, un état de mal non convulsivant peut se manifester par un syndrome confusionnel qui peut être isolé, mais également être associé à des fluctuations de la vigilance qui, si elles sont présentes, orientent plus facilement le diagnostic. Les signes confusionnels peuvent être de degrés divers, allant d'un simple ralentis-sement idéique à la stupeur catatonique, en pas-sant par une obnubilation modérée et fluctuante, pouvant ainsi générer une errance diagnostique de plusieurs jours.

Ce type d'état de mal peut survenir chez des patients épileptiques mais aussi de novo,

Figure 4.2. Tracé EEG sans anomalie pathologique.

Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

71

et ce d'autant plus que les sujets sont âgés et qu'il existe des facteurs toxiques ou métabo-liques. D'autre part, il existe des états de mal non convulsivants à la composante confu-sionnelle moins marquée qui, bien que rares, sont caractérisés par des symptômes variés (visuels, auditifs, végétatifs, psychiques, thy-miques…). Ils peuvent s'apparenter à un épi-sode psychiatrique, d'autant plus qu'ils ne sont pas forcément accompagnés de f luctuations de la vigilance. Les manifestations cliniques y sont fonction des réseaux neuronaux impli-qués, dont la souffrance peut être liée à une lésion focale. Dans tous les cas, la réalisation de l 'EEG est urgente et peut mettre en évi-dence différents patterns de décharges d'acti-vités paroxystiques, le plus souvent bilatérales et rythmiques (figure 4.3). Sur le plan des pat-terns EEG, ces états de mal non convulsivants peuvent correspondre à des états d'absence, plus ou moins typiques, ou à des états de mal partiels complexes, de topographie temporale ou extratemporale (le plus souvent frontale). Un test thérapeutique par injection de benzo-diazépines est dit positif s'il fait céder les ano-malies EEG et le syndrome confusionnel, mais il faut noter que cette réponse n'est pas systé-matique [11].

EncéphalopathiesComme les états de mal non convulsivants, les encéphalopathies sont de diagnostic électrocli-nique et peuvent se manifester cliniquement par un syndrome confusionnel plus ou moins marqué, plus ou moins associé à d'autres symptômes d'allure psychiatrique. Les encéphalopathies correspondent à la traduction d'une souffrance cérébrale globale, impliquant à la fois les réseaux neuronaux et le système glial. Leurs étiologies sont multiples : elles sont le plus souvent métaboliques, toxiques (y compris médicamenteuses), inflam-matoires ou infectieuses [12]. Dans ce dernier cas, on parle d'encéphalite ; outre une éventuelle ori-gine herpétique, il ne faudra pas sous-estimer la possibilité d'une encéphalite à anticorps anti-récepteur NMDA, dont le tableau clinique com-porte fréquemment des signes psychiatriques au premier plan [13]. Les encéphalopathies sont carac-térisées sur le plan EEG par un ralentissement du rythme de fond marqué, le plus souvent diffus et symétrique, potentiellement associé à des activités paroxystiques épileptiformes (figures 4.4 à 4.6). Le test thérapeutique aux benzodiazépines, qui n'a pas lieu d'être effectué, ne provoque aucune modi-fication du tracé ni de la symptomatologie. L'EEG réalisé en urgence aura une valeur diagnostique d'autant plus précieuse que ces anomalies pré-

Figure 4.3. État de mal non convulsivant.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

72

Figure 4.4. Tracé typique d'encéphalopathie hépatique après surdosage en valproate de sodium (Depakote®).On note la présence d'ondes lentes à caractère triphasique, diffuses, mais classiquement à prédominance antérieure. Ces activités lentes sont en général réactives à l'ouverture des yeux, ce qui indique leur caractère fonctionnel.

Figure 4.5. Tracé d'encéphalopathie au lithium.Apparition spontanée de bouffées d'activités paroxystiques.

Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

73

Figure 4.6. Tracé d'encéphalite herpétique.On remarque les activités paroxystiques périodiques dans les régions centrotemporales.

cèdent bien souvent celles de l'imagerie, traduc-trices de lésions structurelles, voire évoluent avec un temps d'avance sur la clinique, notamment dans le cadre des encéphalites [14].

Place de l'EEG dans le bilan diagnostique

Bilan psychiatrique initial : l'élimination de diagnostics différentielsL'EEG est indiqué dans le bilan initial de tout trouble psychiatrique, puisqu'il contribue, comme d'autres examens paracliniques, à éliminer un trouble organique qui pourrait être à l'origine des symptômes psychiatriques présentés par le patient.

De cette manière, l'EEG prend part à l'élimi-nation d'un diagnostic différentiel de pathologie organique au retentissement cérébral, au premier rang desquelles on retrouve de grands tableaux neurologiques comme les épilepsies, les encé-phalopathies, les troubles neurodégénératifs et les souffrances focales.

Épilepsies

En plus de l'état de mal non convulsivant que nous avons abordé précédemment, d'autres mani-

festations épileptiques peuvent représenter un diagnostic différentiel psychiatrique, bien qu'elles ne revêtent pas le même caractère d'urgence dia-gnostique ou thérapeutique.

La question du lien entre épilepsie et trouble psychiatrique interroge souvent le clinicien, qu'il s'agisse de l'apparition de symptômes psychia-triques chez des patients épileptiques ou de l'usage historique de la provocation de crises convulsives à visée thérapeutique, depuis le choc au cardiazol ou à l'insuline jusqu'à l'électroconvulsivothérapie [15].

Dans le cas de la maladie épileptique, divers symptômes d'allure psychiatrique peuvent être rencontrés à différents temps de l'évolution ; on parle ainsi de psychoses ictales, post-ictales et inter-ictales. D'après une méta-analyse récente, des épisodes psychotiques se produiraient chez 6 % des patients souffrant d'épilepsie [16]. La phy-siopathologie des psychoses inter-ictales et post-ictales reste mal connue. Une difficulté diagnostique supplémentaire réside dans le fait que l'EEG ne retrouve que rarement des activi-tés paroxystiques durant la phase délirante [17] (figure  4.7). Nous verrons plus loin les implica-tions de ce lien entre épilepsie et trouble psychia-trique lors de la prise en charge thérapeutique.

Par ailleurs, il faut citer une entité à part, repré-sentée par les crises non épileptiques psychogènes

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

74

(CNEP). Bien que leurs manifestations cliniques prennent l'apparence de véritables crises convul-sives, elles ne sont pas associées à des anomalies électroencéphalographiques. C'est la vidéo-EEG qui en permet le diagnostic lorsqu'elle retrouve des manifestations cliniques sans anomalies EEG associées. Il s'agit en réalité d'un trouble somato-forme, de type « trouble conversif avec crises épi-leptiques ou convulsions » [18], bien que l'absence de grapho-éléments paroxystiques rende cette dénomination inappropriée [10] (figure 4.8).

Encéphalopathies

Cf. supra.

Troubles démentiels

L'EEG peut fournir des arguments en faveur d'une maladie neurodégénérative et a donc toute sa place dans un bilan de trouble démentiel. Chez le sujet âgé, le diagnostic différentiel entre trouble psychia-trique, notamment dépressif, et trouble démentiel débutant est une question que se pose  fréquem-ment le clinicien. L'EEG est cependant la plupart du temps normal dans les phases précoces des démences neurodégénératives. Dans la maladie d'Alzheimer, il se détériore le plus souvent avec l'avancée de la maladie (figure 4.9). Il reste long-temps normal en cas de démence frontotemporale.

En cas de démence vasculaire, il peut retrouver des activités lentes, dans la bande thêta, dans les régions centropariétales (sylviennes), ainsi qu'une antériorisation de l'activité de fond alpha.

Dans tous les cas, en cas d'anomalies EEG chez un sujet âgé présentant un épisode psychiatrique, il conviendra de pratiquer une évaluation clinique et paraclinique fine (neuro-imagerie, neuro-psychologie) pour rechercher d'autres arguments en faveur d'un trouble neurodégénératif [10].

Souffrances focales lésionnellesDes souffrances focales d'origine lésionnelle peuvent être retrouvées à l'EEG, le plus souvent sous la forme d'un ralentissement focal, dans la bande thêta voire delta, plus ou moins accom-pagné d'activités paroxystiques. Leurs étiologies peuvent être diverses (processus expansif intra-crânien, accident vasculaire, traumatisme crâ-nien, etc.). La place de l'EEG pour leur diagnostic est discutable, car c'est le plus souvent l'imagerie cérébrale qui permet d'en faire le diagnostic.

Il faut cependant souligner la relative fré-quence des séquelles de traumatisme crânien, particulièrement sous la forme de syndrome post- commotionnel [19, 20]. Ce dernier peut succéder à un traumatisme crânien indépendamment de sa sévérité, après un intervalle libre, et se manifes-

Figure 4.7. Tracé d'une dépression atypique sans crises épileptiques avérées. Patient sans aucun traitement.L'hyperpnée déclenche l'apparition de pointes dans les régions postérieures droites.

Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

75

Figure 4.8. Tracé d'une crise non épileptique psychogène (CNEP).Il est à noter que, chez un même patient, on peut diagnostiquer de véritables crises épileptiques mais aussi des CNEP, ce qui était le cas de cette patiente.A. Tracé enregistré. B. Même segment dont l'amplitude a été divisée par 100.

ter par une anhédonie et des troubles cognitifs au premier plan, prenant une apparence de syn-drome dépressif. Dans ce cas, il existe fréquem-ment une résistance ou une mauvaise tolérance thérapeutique aux antidépresseurs. L'EEG peut montrer des signes en faveur de séquelles de trau-matisme crânien au niveau de la zone de choc ou de celle de contrecoup, et justifie la prescription

d'une imagerie par résonance magnétique avec séquences spécifiques (T2*) pour la recherche de dépôts d'hémosidérine. Des potentiels évoqués sensorimoteurs (visuels, somesthésiques, auditifs du tronc cérébral ou à latence moyenne) permet-tront également de documenter des anomalies fonctionnelles de la substance blanche, traduisant un dommage axonal diffus.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

76

Le diagnostic psychiatrique positif : EEG standard et recherche de phénotypesEn psychiatrie, la recherche de marqueurs phéno-typiques et de marqueurs endophénotypiques (marqueurs de maladie, de vulnérabilité, mais aussi d'état ou de trait), aux conclusions souvent décevantes, semble être une problématique tou-jours renouvelée. L'EEG standard puis les poten-tiels évoqués cognitifs ont pu y être confrontés (cf. chapitre 5).

En EEG, il existe des nombreuses activi-tés considérées comme inhabituelles mais non pathologiques. Elles sont décrites dans tous les ouvrages de neurophysiologie et représentent des pièges diagnostiques classiques [21, 22]. Il peut s'agir de rythmes inhabituels, comme le rythme mu, ou d'activités paroxystiques diverses, comme les petites pointes sporadiques (small sharp spikes) [23]. Ces activités inhabituelles sont d'autant plus rassurantes qu'elles sont réactives à l'ouver-ture des yeux, qu'elles ne sont pas renforcées par les manœuvres d'activation, qu'elles sont repro-ductibles, qu'elles sont favorisées par l'endor-missement et le sommeil, et qu'elles ne sont pas accompagnées de manifestations cliniques [10].

Dès le développement de l'EEG en psychiatrie, une place particulière a été donnée à ces anoma-lies, avec l'idée qu'elles pouvaient représenter des indices électrophysiologiques du trouble. Chez les

patients souffrant de maladies psychiatriques, les tracés inhabituels, atypiques, seraient en effet bien plus fréquents qu'en population générale [24]. Ces tracés, à l'apparence épileptiforme, ont été par le passé qualifiés de « dysrythmiques » [25], bien que l'usage de ce terme ne soit plus recommandé  [26]. Sur le plan nosographique, ces anomalies seraient davantage observées dans la schizophrénie que dans les troubles de l'humeur [27]. Elles seraient plus fréquentes dans les troubles schizoaffec-tifs, les troubles schizophréniformes ou les épi-sodes thymiques avec éléments délirants non congruents à l'humeur [28]. Certaines de ces ano-malies pourraient même indiquer une vulnérabi-lité familiale vis-à-vis du trouble bipolaire [29].

Cependant, les tentatives de corrélation de ces différentes anomalies avec un trouble psychia-trique donné restent globalement vaines. La plu-part des études à ce sujet sont anciennes, réalisées sur de petites populations, et manquent de sen-sibilité et de spécificité. Il n'est donc pas envisa-geable, à l'heure actuelle, d'en faire un argument pertinent dans la démarche de diagnostic posi-tif psychiatrique. Elles peuvent tout au plus être considérées comme un indice de vulnérabilité neurophysiologique [10].

Une autre approche, encore marginale, se développe actuellement. Elle est fondée sur le modèle de la régulation de la vigilance (cf. chapitre 3) et envisage la lecture de l 'EEG sous un angle dynamique [30]. Elle n'a pas pour

Figure 4.9. Tracé typique de trouble démentiel.

Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

77

vocation de fournir des éléments en faveur d'un diagnostic fondé sur la nosographie ; elle vise à établir des corrélations psycho-physiologiques entre les variations de dyna-miques cérébrales à l 'EEG et les manifesta-tions cognitives et comportementales liées au niveau de vigilance (telles que l 'attention, la concentration, le niveau d'alerte et la réac-tivité). Cette approche semble d'un intérêt particulier dans les troubles de l 'humeur et le trouble de déficit attentionnel avec hyperacti-vité (TDAH) [31]. Les manifestations cliniques de ces troubles seraient en réalité à envisager comme des mécanismes compensatoires de la dysrégulation de la vigilance. Ainsi, une dyna-mique EEG « rigide », traduisant une régu-lation hyperstable de la vigilance, générant une insomnie et une tendance à l 'éviction des stimulations, serait associée aux syndromes dépressifs [32]. Au contraire, une dynamique EEG « labile », traduisant une instabilité de la régulation de la vigilance, serait observée dans le syndrome maniaque et le TDAH, où elle serait liée à l 'instabilité psychomotrice et aux comportements hyperactifs. Cette méthode de lecture de l 'EEG pourrait donc fournir des marqueurs d'états neurophysiologiques. Bien qu'elle ne soit pas encore applicable en routine, elle pourrait représenter à l 'avenir une voie nouvelle dans l 'approche neurophysiologique des troubles psychiatriques.

Ainsi, à l'heure actuelle, l'EEG standard ne joue pas de rôle direct dans le diagnostic positif d'une maladie psychiatrique, mais il reste un examen incontournable dans la conduite du diagnostic psychiatrique, en contribuant à l'élimination de certains diagnostics différentiels, ce qui repré-sente un critère à part entière du trouble psychia-trique [18].

Bilan de suivi : recherche de complications ou de comorbiditésL'EEG représente également un examen à visée diagnostique lors du suivi d'un patient souffrant de troubles psychiatriques caractérisés [10].

En effet, il est à réaliser en urgence en cas d'ap-parition d'un tableau clinique aigu, tel que : • unsyndromeconfusionnel;• unepertedeconnaissance;

• unemodificationbrutaledel'étatdevigilance(stupeur, obnubilation).Il est à envisager à court terme lors d'une modi-

fication de la symptomatologie, qu'il s'agisse : • d'une modification atypique du tableau psy-

chiatrique ; • del'apparitiondesignesneurologiques;• delasurvenuedetroublescognitifs.

L'EEG permettra ainsi d'orienter soit vers une pathologie organique intercurrente, soit vers un effet iatrogène des thérapeutiques médicamen-teuses et non médicamenteuses (psychotropes, électroconvulsivothérapie…), comme nous allons le détailler au paragraphe suivant.

Place de l'EEG dans le suivi thérapeutiqueDe manière générale, la plupart des psychotropes modifient plus ou moins notablement l'électroge-nèse cérébrale. Il existe donc un intérêt particulier à disposer d'un tracé EEG de référence, effectué de manière préthérapeutique. En effet, lorsqu'il peut être réalisé chez un patient encore naïf de toute thérapeutique psychotrope, l'EEG de référence permettra d'interpréter une éventuelle modifi-cation du tracé suivant, qui serait imputable à l'impact des molécules administrées. Cependant, en pratique psychiatrique courante, ceci n'est que rarement réalisable, les patients étant le plus sou-vent déjà traités de manière médicamenteuse, ne serait-ce qu'à visée symptomatique, lorsque l'EEG est demandé. Néanmoins, la réalisation d'un EEG préthérapeutique est fortement conseillée avant toute introduction d'un traitement par lithium, par clozapine, par antidépresseur tricyclique ou encore par électroconvulsivothérapie [1].

Nous développerons ici deux grands types de modifications de l'électrogenèse cérébrale induites par les molécules psychotropes : d'une part les modulations de l'électrogenèse classique-ment décrites dans la littérature, qui n'ont pas de signification pathologique particulière, mais qui marquent en quelque sorte une imprégnation thérapeutique, et, d'autre part, les modifications franches de l'électrogenèse, au caractère suspect, faisant craindre un surdosage ou une mauvaise tolérance cérébrale de la molécule administrée. Afin de comprendre leur distinction, il faut se souvenir au préalable que l'EEG peut révéler des

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

78

activités dites inhabituelles et que ces dernières sont plus fréquentes dans la population souffrant de troubles psychiatriques. Si l'interprétation de l'EEG doit toujours se faire de manière électrocli-nique, c'est donc en grande partie pour juger de la signification pathologique de telle ou telle activité EEG d'apparence suspecte. Il en est de même dans le domaine de la psychopharmacologie.

Psychotropes et modulations classiques de l'EEGLors de la réalisation d'un EEG de suivi, il est pos-sible de rencontrer des modulations du tracé non accompagnées de signes cliniques, évoquant une iatrogénicité, qui ne doivent pas conduire à modi-fier le traitement, a fortiori si celui-ci est efficace. Chaque classe de psychotropes peut modifier à sa manière le tracé EEG. Nous n'évoquerons pas ici les tracés typiquement retrouvés en cas d'intoxi-cation médicamenteuse, mais des modifications de l'EEG qui peuvent avoir lieu sous doses usuelles et sans signes cliniques de surdosage.

Les benzodiazépines et leurs apparentés hyp-notiques (Z-drugs) induisent très fréquemment

des rythmes rapides, dans la bande bêta, pré-dominant dans les régions antérieures, et dont il semble exister un caractère dose-dépendant. Ces activités rapides, si elles sont importantes, peuvent diffuser à l'ensemble du scalp, voire par-fois aller jusqu'à masquer l'activité alpha posté-rieure [33] (figure 4.10). Il faut noter que ce type de tracé, alors dit « désynchronisé », peut également se retrouver en cas d'anxiété majeure.

Les antidépresseurs de la classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et inhibi-teurs de la recapture de la sérotonine et de la nora-drénaline (IRSNa) n'ont quasiment pas d'effet modulateur sur le tracé EEG à doses thérapeu-tiques. Les antidépresseurs tricycliques, notam-ment lorsqu'ils sont utilisés à fortes doses, peuvent occasionner une augmentation de l'amplitude de l'activité alpha ainsi que la survenue de quelques activités lentes, dans la bande thêta, voire quelques activités paroxystiques épileptiformes, comme des pointes plus ou moins typiques, plus ou moins diffuses [33].

Le lithium peut également induire un ralen-tissement modéré du rythme de fond, ainsi que la survenue de quelques activités paroxystiques

Figure 4.10. Effet des benzodiazépines.Il s'agit de rythmes rapides diffus, ne permettant pas toujours de mettre en évidence une réactivité à l'ouverture des yeux.

Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

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diffuses, isolées ou en bouffées [34]. Ces effets sont généralement considérés comme en lien avec un abaissement du seuil convulsivant.

Les anticonvulsivants non benzodiazépiniques uti-lisés en psychiatrie, tels que l'acide valproïque, modi-fient peu le tracé EEG en l'absence de surdosage.

Les neuroleptiques classiques et les antipsy-chotiques atypiques sont également connus pour abaisser le seuil convulsivant. Ils peuvent entraî-ner un ralentissement modéré du rythme de fond, ainsi que des activités lentes, dans la bande thêta voire delta, s'organisant parfois en bouffées, sou-vent diffuses. Ces activités lentes, au caractère volontiers angulaire, peuvent parfois prendre un aspect plus paroxystique, jusqu'à générer des grapho-éléments de type onde lente angulaire ou pointe lente, plus ou moins dégradés. Ces activités paroxystiques sont le plus souvent polymorphes, asynchrones, diffuses, n'émanent pas d'une zone cérébrale donnée, et peuvent s'organiser en bouf-fées pseudo-rythmiques. Elles peuvent survenir spontanément ou lors des manœuvres d'activa-tion. Elles peuvent en théorie être induites par toutes les molécules neuroleptiques et antipsy-chotiques, mais semblent être présentes en plus grande quantité lors d'un traitement par olanza-pine ou par clozapine [35] (figures 4.11 et 4.12).

Ces activités iatrogènes, en dehors des surdo-sages et des encéphalopathies induites, ont été envisagées comme des possibles causes ajoutées de l'effet de ces molécules, les pointes ou activi-tés lentes angulaires pouvant être considérées comme des « micro-électrochocs » continus [36].

Nous proposons une classification des effets iatrogènes des antipsychotiques sur l'électro-genèse (tableau  4.1). Cette classification prend en compte d'une part leur contexte de survenue (spontané ou induit par les manœuvres d'activa-tion) et, d'autre part, les deux grands types d'effet qu'on peut retrouver sur le tracé : le ralentissement du rythme de fond, qui peut être plus ou moins marqué, et la survenue d'activités paroxystiques. Cette classification, insérée dans la conclusion de l'interprétation du tracé, peut ainsi fournir au clinicien peu familier du vocabulaire neurophy-siologique un repère rapidement significatif en cours de suivi du traitement psychotrope chez un patient donné.

Psychotropes et modifications pathologiques de l'EEGLes modifications iatrogènes de l'EEG au caractère franchement pathologique sont représentées par les

Figure 4.11. Effets iatrogènes de la clozapine (Leponex®) à la posologie de 150 mg par jour.Ces activités iatrogènes consistent en des activités angulaires lentes, en bouffées, parfois des pointes lentes, dont la caractéristique est d'être de localisation variable et, surtout, contrairement aux pointes épileptiques, d'être asynchrones d'une dérivation à l'autre. Elles donnent l'impression d'un « cortex clignotant ». Pratiquement près de 50 % des patients sous clozapine présentent ce type de tracé.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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deux grands tableaux neurologiques présentés pré-cédemment : l'épilepsie et l'encéphalopathie [10]. En cas d'apparition d'un syndrome confusionnel chez un patient recevant des thérapeutiques psycho-tropes, a fortiori en cas de polymédication, l'EEG est le seul examen à même d'établir le diagnostic positif et différentiel entre une encéphalopathie et un état de mal non convulsant iatrogènes.

Cependant, en pratique courante, les théra-peutiques psychotropes peuvent occasionner l'apparition d'un tracé proche de celui d'une encéphalopathie, c'est-à-dire montrant un ralen-tissement net du rythme de fond, plus ou moins associé à des activités paroxystiques. Il faut noter qu'un ralentissement diffus et persistant de l'élec-trogenèse, généralement considéré comme un marqueur d'encéphalopathie, n'est pas spécifique et semble plus fréquemment rapporté chez les patients souffrant de troubles psychiatriques [37].

La conduite à tenir vis-à-vis de la poursuite du traitement dépendra principalement de la pré-sence de signes cliniques de mauvaise tolérance neurologique. Devant un tel tracé, la question à poser peut donc se formuler de la manière sui-vante : existe-t-il une corrélation ou une dissocia-tion électroclinique [10] ?

Figure 4.12. Effet iatrogène de l'aripiprazole (Abilify®) lors de la SLI.

Tableau 4.1. Gradation des effets iatrogènes des neuroleptiques et antipsychotiques sur l'électrogenèse.

Ralentissement de l'électrogenèse

Signes d'irritabilité neuronale

1 Absent (rythme alpha prédominant)

A Aucun

2 Rythme thêta prédominant

B Activités paroxystiques survenant uniquement pendant les manœuvres d'activation

3 Rythme thêta prédominant avec bouffées delta

C Activités paroxystiques spontanées

4 Rythme delta prédominant

D Décharges paroxystiques

Un EEG classé 1A n'est pas modifié par les thérapeutiques, tandis qu'un EEG de type 4 et/ou D doit faire rechercher cliniquement un tableau d'encéphalopathie ou d'état de mal non convulsivant. Les tableaux intermédiaires, avec des activités paroxystiques spontanées ou provoquées, sont retrouvés couramment en pratique quotidienne, sans qu'ils constituent des processus inquiétants.

Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

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En cas de corrélation électroclinique, c'est-à-dire quand il existe une altération de l'état clinique du patient — avec le plus souvent en premier lieu un syndrome confusionnel — et un tracé évocateur, il convient d'arrêter en urgence la thérapeutique en cours. Ces encéphalopa-thies sont dues le plus souvent au lithium ou au valproate de sodium (cf. figures 4.4 et 4.5), pour lesquelles elles peuvent survenir avec des taux plasmatiques situés dans la fourchette thérapeu-tique. L'encéphalopathie au lithium provoque un ralentissement du tracé le plus souvent diffus, surchargé d'activités paroxystiques, qui peuvent prendre un aspect pseudo-périodique ou pseudo-rythmique. L'encéphalopathie au valproate de sodium est en réalité une encéphalopathie hépa-tique, dans laquelle se retrouvent classiquement des ondes lentes triphasiques, appelées complexes de Bickford [38]. Il convient dans ce cas de com-pléter l'évaluation avec un dosage plasmatique de l'ammoniémie ; celle-ci peut cependant être dans les valeurs normales, suggérant que l'hyperam-moniémie n'est pas le seul facteur incriminé dans ce type d'encéphalopathie. L'encéphalopathie aux benzodiazépines est rare à doses thérapeutiques, surtout retrouvée en cas d'intoxication. L'EEG

peut retrouver un tracé suppressif, dit suppression- burst, alternant des périodes de tracé de très faible amplitude et des bouffées d'ondes thêta/delta par-fois mêlées à des ondes plus rapides [26].

Les encéphalopathies iatrogènes peuvent égale-ment être dues aux grandes autres classes de psy-chotropes comme les neuroleptiques et antipsy-chotiques (figure 4.13), les antidépresseurs (en cas de syndrome sérotoninergique), ainsi qu'à l'élec-troconvulsivothérapie (figure 4.14) (cf. chapitre 7). Dans tous les cas, l'arrêt de la molécule (ou de la thérapeutique) impliquée est urgent et une surveil-lance clinique rapprochée doit être mise en place. Des examens itératifs permettront de constater les effets de l'arrêt de la molécule incriminée, confirmant ainsi le diagnostic d'encéphalopathie d'origine iatrogène. Dans notre pratique courante, sur trois mille quatre cents EEG, nous avons ainsi diagnostiqué trente-huit encéphalopathies iatrogènes (soit 1,1 % des examens) et récusé cinquante-deux sus-picions d'encéphalopathies (soit 1,5 % des examens).

La conduite à tenir est moins consensuelle en cas de dissociation électroclinique, c'est-à-dire quand l'EEG montre un tracé semblable à ceux cités précédemment, mais que l'évaluation clinique ne retrouve aucun signe de mauvaise

Figure 4.13. Tracé d'encéphalopathie à la clozapine.Dans notre classification, cette encéphalopathie est gradée 4D. Notez la conservation de la réactivité à l'ouverture des yeux.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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tolérance. Dans ce cas, il ne nous semble donc pas possible d'utiliser le terme d'encéphalopathie, qui renvoie à un tableau clinique lié à une souffrance cérébrale [10]. Ces tracés EEG sont le plus souvent retrouvés lors de traitement par électroconvul-sivothérapie ou par neuroleptiques et antipsy-chotiques. D'une manière pouvant initialement sembler paradoxale, ce type de tracé peut non seulement être associé à une bonne tolérance cli-nique, mais également à une amélioration franche de la symptomatologie psychiatrique du patient. Cette amélioration clinique, associée à une appa-rente dégradation de l'électrogenèse, pourrait faire évoquer un « effet Landolt inversé ».

L'effet Landolt, ou phénomène de « normalisa-tion forcée », a en effet été décrit dans les années 1950, pour caractériser la survenue de troubles psychiatriques lors de la normalisation du tracé EEG chez des patients épileptiques connus [39] (cf. chapitre 10). Ce phénomène de normalisa-tion forcée de l'EEG, qui peut être observé sous traitement antiépileptique, génère une sorte de psychose post-ictale plus ou moins prolongée. La réapparition d'anomalies épileptiformes s'accom-pagne d'une résolution des symptômes psycho-tiques [40]. En psychiatrie, l'hypothèse d'« effet Landolt inversé », sorte de « dysrythmie forcée », pourrait fournir une piste pour comprendre la rémission des troubles lors de l'apparition d'ano-

malies épileptiformes induites par le traitement antipsychotique ou l'électroconvulsivothérapie. Cette hypothèse interroge sur la possibilité d'un phénomène de compensation ou de plasticité psy-chobiologique [10].

Cependant, en pratique, la situation n'est pas toujours aussi claire, et des anomalies EEG sévères doivent toujours faire réaliser un examen clinique rigoureux. En cas de doute sur des signes cliniques de mauvaise tolérance neurologique ou en cas d'absence d'efficacité, il faudra réévaluer la nécessité de la poursuite du traitement.

ConclusionMalgré le fait que le recours à l'EEG reste incons-tant en psychiatrie, nous avons pu voir à quel point il est à même d'apporter au clinicien des arguments neurophysiologiques forts pour amé-liorer la prise en charge des patients, tant sur un versant diagnostique que thérapeutique. Par conséquent, notre propos ne saurait que conseil-ler vivement une collaboration rapprochée entre psychiatres et neurophysiologistes, ainsi que le développement de compétences en neurophysio-logie appliquée à la psychiatrie chez les cliniciens, car l'EEG est d'un apport d'autant plus important qu'il est interprété par celui qui l'a prescrit.

Figure 4.14. Tracé d'encéphalopathie après électroconvulsivothérapie (ECT).État de mal aggravé par la SLI. On note la présence de pointes épileptiques très différentes dans leur morphologie des activités lentes angulaires des figures 4.11 et 4.12.

Chapitre 4. Spécificités de l'EEG conventionnel en psychiatrie Psychopharmacologie et EEG

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Dans une démarche électrophysiologique dérivée de l'électroencéphalographie, les potentiels évo-qués (PE) ont été initialement décrits en neuro-logie pour l'exploration fonctionnelle des voies motrices ou sensorielles ; on parle alors de PE exo-gènes. Mais le même terme de PE peut aussi dési-gner une approche fonctionnelle endogène, dédiée à l'exploration des processus cognitifs et à leurs possibles altérations. On parle alors de potentiels évoqués cognitifs ou endogènes (PEC) ou ERP (pour Event-Related Potentials) [1] ; ils peuvent être utilisés dans l'exploration des troubles psychia-triques majeurs [2].

En proposant aux participants de réaliser des épreuves cognitives sous enregistrement EEG, l'enregistrement des PEC implique deux para-digmes distincts : • leparadigmeélectrophysiologique;• leparadigmedelaneuropsychologiecognitive.

Nous renvoyons au chapitre 3 qui en détaille les principes généraux et les méthodes. Schématique-ment, la méthode des PEC repose sur l'enregistre-ment, à partir de la surface du crâne, de variations le plus souvent minimes de l'électrogenèse céré-brale. Mais pour acquérir un signal suffisamment ample et spécifique d'une activité cognitive, il faut distinguer ce signal à partir du reste de l'électro-genèse, largement plus diffuse et non spécifique de la fonction cognitive étudiée. La question de ce rapport « signal/bruit » implique d'extraire et d'am-plifier le signal spécifique. Les PEC proposent de moyenner numériquement les tracés EEG obtenus lors de tâches cognitives ou perceptives, standardi-sées et répétées. La base de ces moyennages repose

sur la prise en compte de marqueurs d'événements, c'est-à-dire la pose de signatures temporelles pré-cises lors de chaque stimulation, durant l'acquisi-tion d'un tracé EEG continu. Cette prise en compte intervient pour chaque électrode du montage EEG proposé, permettant ainsi la réalisation de carto-graphies. Bien que leur résolution spatiale reste limitée comparativement à la neuro-imagerie, les PEC permettent néanmoins d'obtenir des tracés caractéristiques, dans une résolution temporelle fine de l'ordre de la dizaine de millisecondes (ms).

Il est important de distinguer ici deux méthodes successives de sommation ou moyennage : • moyennage par sujet (moyenne de tous les tra-

cés EEG pour un même participant). Il peut être réalisé soit directement (moyennage direct, plus particulièrement utilisé pour les PE exo-gènes, sensoriels ou moteurs), soit à l'issue de l'enregistrement global. C'est cette dernière approche, dite de rétromoyennage, qui est préfé-rentiellement utilisée dans l'obtention de PEC ;

• grand moyennage (moyenne des PEC pour une population de participants, à partir des moyen-nages de chacun des sujets). C'est ce dernier niveau de moyennage qu'on retrouve décrit dans les études scientifiques sur les PEC.Ces tracés, par convention, sont décrits par :

• leurpolarité(Ppourpositivité,orientéeverslebas en général, ou N pour négativité, orientée vers le haut) ;

• leuramplitude;• leurlatence.

Ainsi, la composante N400 désigne par conven-tion une négativité culminant à une latence de 400 ms. On notera, avec cette désignation, qu'au-cune information ne prend en compte la durée des composantes décrites.

Chapitre 5Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriquesM. Cermolacce, M. Faugère, M.-L. Steffen1

1 Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi, J. Vion-Dury.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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La réalisation des PEC est d'usage relativement facile pour une équipe formée et expérimentée, et présente plusieurs avantages : examen acceptable et non invasif, peu coûteux, réalisable dans des conditions paracliniques simples [2–4].

Différents potentiels (ou composantes) peuvent être étudiés selon le type d'épreuve expérimentale utilisée (et donc selon le type de fonction cognitive impliquée). Les principales composantes explo-rées dans le domaine neuroscientifique, en par-ticulier dans l'étude des troubles psychiatriques, surviennent à des fenêtres temporelles distinctes. Plus une composante est tardive, plus elle engage des recrutements neuronaux diffus et plus son interprétation implique des processus intégratifs non spécifiques et complexes (figure 5.1).

Notons enfin que les stimulus employés dans les différentes études sur les PEC peuvent être présen-tés sous modalités auditive ou visuelle, mais aussi plus rarement de façon olfactive, tactile ou pro-prioceptive. On distingue ainsi plusieurs niveaux de description de processus cognitifs, correspon-dant à la fois à des composantes PEC caractéris-tiques et à des conditions expérimentales spéci-fiques.

Les processus dits pré-attentionnels renvoient à des mécanismes précoces, non attentifs ou non conscients. On peut schématiquement décrire deux situations électrophysiologiques : • lepremierparadigmeestleparadigmepercep-

tif de filtrage sensoriel (sensory gating), incluant les potentiels P50, N100 et P200 ; il repose sur la détection d'un son, sur son intégration dans des processus perceptifs et cognitifs de plus haut niveau, et sur les phénomènes d'habituation sensorielle (cf. infra, figure 5.2) ;

• unsecondparadigmepré-attentionnelconcernela détection non attentionnelle d'irrégularités perceptives, associées à la composante MMN (pour Mismatch Negativity ou négativité de dis-cordance) (cf. infra, figure 5.3).Les processus de mémoire et d'attention sur-

viennent de manière plus tardive. Ils sont clas-siquement étudiés au moyen d'une composante de grande amplitude : la composante P300, sur-venant après la N200, reflète l'allocation de res-sources attentionnelles lors de la mise à jour des informations pertinentes en mémoire de travail (cf. infra, figure 5.4).

Toujours à un niveau attentionnel, mais cette fois pour des situations linguistiques (accès au

sens, fonctions sémantiques), deux composantes ont pu être largement décrites : • lacomposanteN400, liéeà lapriseencompte

du contexte sémantique et aux processus d'ac-cès au sens (cf. infra, figure 5.5) ;

• lacomposanteP600(ouLPC,pourLate Positive Component), d'interprétation plus hétérogène (cf. infra, figure 5.5).Enfin, citons les situations d'éveil, d'antici-

pation et de préparation à l'action : la variation contingente négative (ou VCN) est une négativité de grande amplitude qui revêt une pertinence

Figure 5.1. Mise en évidence de la relation entre le nombre de neurones impliqués et la surface des potentiels évoqués obtenus, à partir de la séquence des événements survenant après un son simple.À noter qu'il convient de s'intéresser davantage aux aires qu'aux intensités, les aires donnant une idée plus juste de l'énergie électrique totale dépensée.Dans le tronc cérébral l'activation des petits noyaux auditifs génère un signal précoce (vers 7 ms) d'amplitude très réduite.Dans le cortex auditif (onde Pa, vers 32 ms), le signal est plus important, puis il croît avec l'onde P50.L'arrivée des influx dans les aires associatives, auditives ou non, génère des potentiels tardifs et de grande amplitude (N100, P200). À noter qu'en raison de conventions internationales, les ondes positives sont vers le bas — cependant, en France, pour les potentiels auditifs en contexte clinique, les ondes positives sont souvent orientées vers le haut.

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

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particulière pour les questions de préparation à l'action, de ralentissement ou d'impulsivité (cf. infra, figure 5.6).

Dans la suite de ce chapitre, nous détaillerons brièvement les caractéristiques de chacune de ces composantes, ainsi que leurs perturbations lors des troubles psychiatriques majeurs. Nous ver-rons qu'en psychiatrie, la plupart des travaux sur les PEC concernent la schizophrénie, mais des tra-vaux, moins nombreux, concernent aussi d'autres situations pathologiques : troubles dépressifs majeurs, troubles affectifs bipolaires, troubles de la personnalité, troubles addictifs ou encore mala-die d'Alzheimer [2, 4].

Enfin, en conclusion de ce chapitre, nous aborderons la question de la place actuelle des PEC dans l'exploration des patients souffrant de troubles psychiatriques majeurs, depuis la notion de marqueur stable (PEC comme endophéno-

types potentiels) jusqu'à une perspective plus dynamique de marqueur d'état, et qui pourrait s'intégrer dans une démarche de profil électro-physiologique composite.

Sensory gating : composante P50 et complexe N1/P2 dans les troubles psychiatriques

Présentation et interprétation fonctionnelle des phénomènes de sensory gatingLors de la perception puis de la répétition de sti-mulus élémentaires, plusieurs composantes PEC sont mises en jeu. Nous nous intéresserons ici à la

Figure 5.2. Potentiels évoqués auditifs obtenus en présence de deux sons séparés de 500 ms.Après le premier son, on remarque la composante P32 qui correspond à l'arrivée des influx dans les aires dites auditives primaires, puis une négativité (neg a), puis la composante P50, laquelle précède la composante N100 et la composante P200. À partir de la composante P50, les processus se déroulent dans les cortex associatifs. Lors de la présentation du deuxième son, on observe une modification physiologique de l'amplitude et de la morphologie des potentiels qui sont moins amples.Le calcul de l'atténuation physiologique (gating) se fait de manière assez simple en comparant l'amplitude (neg a – P50 a) à l'amplitude (neg b – P50 b).

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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modalité auditive qui reste de loin la plus étudiée, tant en population contrôle qu'auprès des patients souffrant de troubles psychiatriques. Cependant,

on retrouve les phénomènes décrits dans d'autres modalités sensorielles, notamment visuelles, mais aussi cénesthésiques.

Figure 5.3. Négativité de discordance (MMN) obtenue à partir d'un paradigme oddball.Sons rares (de 70 ms) présentés dans une série de sons fréquents (de 35 ms), de manière aléatoire et à proportion de 1/5 au maximum pour les sons rares. On demande au sujet de ne pas faire attention ou on lui donne un journal à lire ou un film à regarder. Il s'agit d'un potentiel obtenu dans des conditions pré-attentives.

Figure 5.4. Potentiel évoqué P300 obtenu à partir d'un paradigme oddball.Sons rares (de 2 000 Hz) présentés dans une série de sons fréquents (de 1 000 Hz), de manière aléatoire et à proportion de 1/5. Ici la consigne donnée au sujet est de détecter et de compter les sons déviants.

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

89

Correspondant à des processus neurobiolo-giques précoces (moins de 200 ms), ces manifes-tations électrophysiologiques sont dites pré-atten-tionnelles. Les phénomènes qui nous intéressent ici sont retrouvés lors d'épreuves perceptives caractéristiques, où la présentation de paires de clics audio permet d'évaluer le phénomène de filtrage sensoriel (SG, pour sensory gating). En schématisant, nous pouvons distinguer ici deux temps expérimentaux, avec la présentation de deux stimulus identiques et rapprochés, espacés de 500 ms (figure 5.2).

Un premier temps correspond à l'écoute d'un stimulus auditif simple (premier clic sonore) ; on observe alors sur le tracé EEG une succession de réponses évoquées, dites potentiels évoqués de latence moyenne. À un niveau électrophysiolo-gique, on distinguera ainsi successivement [5, 6] : • une première composante P30 (positivité à

environ 30 ms), témoignant de l'arrivée des influx sur le cortex auditif primaire ;

• la composante P50 (positivité à 50 ms), impli-quant les aires auditives primaires et secondaires2 ;

• le complexeN1/P2, qui associe la composanteN100 (négativité à environ 100 ms) et la com-posante P200 (positivité à environ 200 ms), qui intéressent les cortex associatifs auditifs et le cortex frontal.Lors de la répétition de ce stimulus élémentaire,

on observe chez les participants témoins une atté-nuation de la composante P50 et du complexe N1/P2. Ce processus physiologique d'atténuation (« fil-trage sensoriel » ou habituation) est lié aux phéno-mènes de « gating » sensoriel, ou suppression du trai-tement sensoriel automatique [7–9]. Ce phénomène est classiquement interprété comme témoignant de

Figure 5.5. N400 obtenue à partir d'un ensemble de 60 phrases dont le mot final est congruent par rapport au contexte et de 60 phrases dont le dernier mot est incongru dans le contexte.Le marqueur de rétromoyennage est placé au début de ce dernier mot. On obtient un tracé pour les phrases congruentes et un tracé pour les phrases incongrues. Chaque tracé contient une négativité vers 400 ms et une positivité vers 600 ms. La différence des deux traces conduit à l'effet N400, lequel exprime l'effet de l'incongruité sur les processus cognitifs.

2 La P50 peut être ainsi abordée de deux points de vue : comme PE cognitif particulièrement précoce, d'un point de vue cognitif, mais aussi comme PE exogène de latence tardive, d'un point de vue plus neurophy-siologique.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

90

la limitation des entrées sensorielles [10, 11]. Il peut aussi s'interpréter comme le moyen, pour le système nerveux central, de ne pas être submergé par les sti-mulations répétitives et non pertinentes de l'environ-nement, afin de privilégier la prise en compte des sti-mulations les plus saillantes.

La réponse neurophysiologique la plus étudiée est la composante P50 dont l'amplitude, considé-rée normale pour le premier stimulus (stimulus conditionnant, ou S1), est atténuée d'au moins 50 % pour le second (stimulus cible, ou S2). Les processus impliqués dans les mécanismes percep-tifs précoces, après reconnaissance de S2 comme étant identique et très rapproché de S1, permet-traient ainsi de sélectionner, traiter et stocker les informations pertinentes sans être envahi par les multiples influx sensoriels environnementaux [12].

Il est important de souligner l'impact du tabac comme potentiel facteur confondant, puisque le tabagisme chronique améliore la capacité de fil-trage de la composante P50 chez les sujets sains [13].

Une littérature de plus en plus importante concerne les deux composantes N100 et P200 qui succèdent à cette première composante P50. Une habituation de type sensory gating est aussi décrite pour les composantes N100 et P200, ainsi que pour l'amplitude mesurée entre les deux pics N1 et P2 (complexe N1/P2). La capacité de filtrage sensoriel du sujet s'évalue en calculant le rapport des amplitudes S2/S1 pour les amplitudes de la P50 et du complexe N1/P2. On considère un sen-sory gating normal pour un rapport S2/S1 infé-rieur ou égal à 0,50 [14], pour la composante P50 comme pour le complexe N1/P2.

Figure 5.6. Variation contingente négative (VCN).Le stimulus conditionnant comme le stimulus impératif peuvent être des stimulus variés (ici un son puis une lumière). La VCN comprend une phase précoce (VCNp) et une phase tardive (VCNt). La VCN peut être suivie d'une négativité post-impérative (PINV, en traits pleins) ou d'une positivité post-impérative (PIPV, en pointillé). Le temps de réaction est mesuré par appui sur un contrôleur à partir du stimulus impératif.

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

91

Sensory gating et troubles psychiatriquesUne vaste littérature rapporte une altération des phénomènes de sensory gating, principalement pour la composante P50 [14, 15]. Cette altération consiste en une diminution (voire une disparition) des phénomènes d'habituation : l'amplitude de la composante P50 pour S2 n'est pas réduite, comme si la perception de ce deuxième stimulus ne bénéfi-ciait pas d'un filtrage sensoriel. En effet, le rapport S2/S1 de la P50 est significativement supérieur (ou égal) à 0,5 chez les patients souffrant de schi-zophrénie [12]. La plupart des auteurs s'accordent pour interpréter cette altération du filtrage sen-soriel comme associée aux phénomènes d'enva-hissement sensoriel décrits chez ces patients [16]. Deux types d'altérations du sensory gating peuvent aboutir à un rapport S2/S1 anormalement haut : • soitpardiminutiond'amplitudelorsdel'écoute

du premier stimulus S1 (situation dite de gating in) ;

• soitparabsencedediminutiond'amplitudelorsde l'écoute du second stimulus S2 (situation dite de gating out).Ces deux altérations, non exclusives l'une de

l'autre, entraînent une perturbation des phéno-mènes d'habituation [17].

Les résultats des différentes études portant sur les liens entre composante P50 et symptomatolo-gie schizophrénique restent controversés, peinant à montrer des associations robustes [14, 18]. On sait par ailleurs que les patients souffrant de schizo-phrénie présentent un tabagisme plus impor-tant que la population générale. Comme chez les témoins, le tabac pourrait jouer chez ces patients un rôle facilitateur ou correcteur des phénomènes de sensory gating. Ce lien entre tabac et compo-sante P50 s'appuie de plus sur l'association retrou-vée entre sensory gating et génétique de certains récepteurs nicotiniques [10].

Enfin, concernant l'influence des traitements psychotropes, les antipsychotiques atypiques pourraient améliorer le rapport S2/S1 en compa-raison des neuroleptiques classiques et parmi eux, la clozapine pourrait même normaliser ce rapport [16, 19], même s'il convient de rester prudent quant à la portée fonctionnelle de ces résultats électrophy-siologiques [14].

L'intérêt de l'étude de la composante P50 dans la schizophrénie s'est développé avec l'idée qu'elle

pourrait constituer un marqueur trait de cette pathologie, devant le constat suivant [15, 20] : • l'altération de la composante P50 est présente

chez une très grande majorité de patients (cri-tère de sensibilité) ;

• cette altération se retrouvequelsque soient lestade de la pathologie et l'état clinique présenté (critère de stabilité) ;

• maisuneP50nonatténuéeestaussiconstatéechez des parents proches de patients souffrant de schizophrénie (critère d'héritabilité).De tels résultats pourraient faire du phénomène

de filtrage sensoriel observé dans la P50 un mar-queur endophénotypique possible pour la schi-zophrénie [14]. Cependant, et comme nous l'avons précédemment souligné, la question d'une spé-cificité schizophrénique reste problématique. En effet, des anomalies d'atténuation de la P50 sont présentes chez des patients souffrant de trouble affectif, y compris bipolaire [7, 21, 22], avec un carac-tère héritable puisque retrouvées chez des appa-rentés de premier degré [23].

Notons enfin que l'altération des phénomènes de sensory gating et d'habituation chez les patients souffrant de schizophrénie a aussi pu être décrite pour les composantes N1, P2 et pour le complexe N1/P2. Bien qu'ayant fait l'objet de moins d'études que pour la composante P50, cette littérature, plus récente, connaît actuellement un développement notable [24]. Comme pour la P50, l'altération du sen-sory gating pour la composante N100 est retrouvée chez des patients souffrant de schizophrénie, avec ou sans traitement antipsychotique [25].

Considérations méthodologiques et expérimentalesL'évaluation du filtrage sensoriel est classiquement réalisée au cours d'un protocole dit des « paires de clics auditifs ». Il consiste en la présentation de deux stimulus identiques et rapprochés (habituellement une paire de clics sonores identiques, très brefs), sans qu'aucune tâche attentionnelle ne soit deman-dée au sujet. Les paires de stimulus sont présentées à une fréquence continue pendant toute la passation du test, et comportent idéalement deux sessions de 80 à 100 essais. Elles doivent être espacées de plus de 8 secondes (temps nécessaire à la récupération de l'excitabilité corticale). La diminution d'ampli-tude des composantes PEC lors des phénomènes de sensory gating est maximale lorsque l'intervalle

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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inter-stimulus (ISI) est de 500 ms. Les composantes P50, N100 et P200 sont obtenues après moyennage des essais synchronisés après chaque clic de la paire de stimulus.

Notons que, d'après notre expérience, l'ampli-tude du complexe N1/P2 nous apparaît plus robuste et aisée à mesurer que celle de la com-posante P50, plus réduite et souvent moins bien différenciée [2].

Mismatch negativity (MMN) dans les troubles psychiatriques

Présentation et interprétation fonctionnelle de la MMNUne seconde réponse évoquée pré-attentionnelle, la négativité de discordance (Mismatch Negativity, MMN), survient dans les zones frontocentrales à la perception d'un stimulus différent de la trace mémorisée du stimulus précédent. Cette compo-sante est interprétée comme le reflet de processus automatiques permettant la distinction d'un sti-mulus nouveau (stimulus déviant) en comparai-son avec les traces mnésiques des stimulus précé-dents (stimulus standards) [26] (figure 5.3).

La MMN se retrouve y compris en dehors de toute participation attentionnelle des sujets, ce qui présente un intérêt particulier pour des situa-tions expérimentales difficiles, qu'elles soient physiologiques (enfants en bas âge) ou cliniques (coma, faible capacité attentionnelle chez certains patients avec des troubles neurologiques ou psy-chiatriques). Cette composante est typiquement décrite dans les aires frontotemporales. Elle est obtenue par la différence entre les courbes cor-respondant aux conditions d'écoute de sons stan-dards et déviants, avec une négativité culminant à une amplitude de 0,5-5 μV, à une latence comprise entre 100 et 250 ms. Elle peut donc théoriquement être influencée par l'enregistrement de compo-santes N100 plus précoces [27, 28].

Concrètement, les participants écoutent une série de stimulus réguliers, au milieu des-quels sont aléatoirement présentés des stimulus déviants. Ce non-appariement (mismatch) des stimulus déviants peut consister en un aspect isolé des caractéristiques des stimulus (hau-teur tonale, durée, intensité, localisation), voire

impliquer des stimulus de nature complètement différente des stimulus réguliers [4]. Ces stimulus réguliers doivent dans tous les cas représenter au minimum 80 % de l'ensemble des stimulus, pour que les stimulus déviants restent suffisamment peu fréquents et donc suffisamment saillants. L'intervalle entre deux stimulus doit être com-pris entre 500 ms et 1 s. Plus les différences entre sons standards et déviants sont marquées, plus la composante MMN apparaît précocement et plus son amplitude est importante. Pour s'assurer d'une participation attentionnelle minimale de la part des participants, il leur est classiquement demandé de porter leur attention sur un stimulus distracteur (condition passive de visionnage d'un film, par exemple).

MMN et troubles psychiatriquesUne diminution de la MMN a été retrouvée dans de nombreux troubles neurologiques et psychia-triques. Tout d'abord, une altération de la MMN en termes de réduction (voire d'absence) de son amplitude et de retard de sa latence est constatée chez les patients présentant des troubles graves de la vigilance. Dans les situations de coma, la pré-sence d'une MMN est associée à un pronostic évo-lutif plus favorable des patients [29]. La MMN est aussi retrouvée significativement perturbée chez les patients souffrant de maladie d'Alzheimer [4].

En psychiatrie, la plupart des travaux établissent la MMN comme marqueur robuste de schizo-phrénie. Les patients souffrant de schizophrénie présentent une amplitude réduite et une latence retardée de la MMN [30]. Concernant les stimulus déviants, la durée des sons permettrait d'obtenir une discrimination plus fine et plus stable entre patients et témoins que la hauteur tonale des sti-mulus [31]. La MMN a pu être considérée comme marqueur biologique potentiel de vulnérabilité schizophrénique [20]. Néanmoins, une spécificité limitée et une sensibilité inconstante tendent à relativiser cette hypothèse. Ainsi, dans une étude comparant patients souffrant de schizophrénie, de troubles bipolaires et participants témoins, Light et Braff n'ont retrouvé une perturbation de la MMN que chez les patients souffrant de schi-zophrénie après quelques années de maladie. En tout début de maladie ou avec un pronostic fonc-tionnel favorable, ces patients ne présenteraient ainsi pas d'altération franche de la MMN [32].

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

93

Considérations méthodologiques et expérimentalesLe protocole expérimental est proche de celui uti-lisé dans les épreuves de type « oddball » permet-tant d'obtenir une composante P300. Le partici-pant écoute une série continue de sons réguliers (par exemple, des bips dits « standard » de 1 000 Hz dont la durée est de 50 ms), parmi lesquels environ 20 % présentent une caractéristique différente (des bips dits « déviants », avec une hauteur modifiée à 2 000 Hz ou une durée de 100 ms). La consigne attentionnelle est ici la plus passive possible, à la différence des épreuves de type P300. Il convient d'enregistrer une session comprenant au moins 120 à 150 sons déviants, pour pouvoir soustraire cette condition à celle des sons réguliers. L'ISI (intervalle inter-stimulus) est habituellement fixé à 500-1 000 ms. La courbe de différence obtenue permet l'étude de la MMN [4] (figure 5.3).

Attention et mémoire : la composante P300 dans les troubles psychiatriques

Présentation et interprétation fonctionnelle de la composante P300Les processus attentionnels et mémoriels peuvent être analysés à partir d'un potentiel évoqué de grande amplitude : la composante P300. Elle consiste en une déflexion positive débutant entre 250 et 500 ms après présentation d'un stimu-lus cible, et dont l'amplitude maximale se situe approximativement vers 300 ms (figure 5.4).

Typiquement, la composante P300 apparaît lors de la présentation de stimulus cibles, irrégu-liers et peu fréquents, parmi d'autres stimulus, réguliers et « standards ». Ce paradigme appelé « oddball » peut classiquement se décliner en modalité auditive ou visuelle. Les participants ont pour consigne de porter attention aux stimu-lus cibles (par exemple, repérer des sons aigus) parmi d'autres sons, plus fréquents (des sons plus graves). Ils doivent compter mentalement le nombre de stimulus cibles ou presser manuelle-ment un bouton à chaque présentation [4].

La composante P300 est fonctionnellement interprétée comme survenant lors de la détection intentionnelle de stimulus saillants ou lors des phénomènes d'orientation attentionnelle. L'am-plitude de la composante P300 refléterait la prise en compte et l'actualisation du contexte face à la perception d'une nouveauté. En d'autres termes, elle interviendrait dans le maintien et la mise à jour d'informations pertinentes impliquant la mémoire de travail. La latence de la composante P300 a été décrite comme témoignant de la vitesse ou de l'efficacité de l'évaluation des stimulus, de leur classification et de l'allocation des ressources attentionnelles [33]. Nous reviendrons plus précisé-ment sur la notion de ralentissement psychomo-teur dans la suite de ce chapitre.

La P300 est précédée de composantes précoces, moins dépendantes de l'attention et plus sensibles aux modalités de présentation : la composante P1, parfois, et principalement les composantes N1 et N2. La composante N1 est aussi rencontrée dans les protocoles de sensory gating, dans des moda-lités différentes. La composante N2 est considé-rée comme le corrélat de la détection du stimulus déviant.

Plus précisément, deux sous-composantes dis-tinctes ont été décrites concernant la composante P300, la P3a et la P3b : • lasous-composanteP3aestobservéepourdes

processus attentionnels automatiques précoces, mis en jeu lors de réponses implicites orientées vers des stimulus nouveaux ou distracteurs (protocole oddball modifié, avec trois types de stimulus : cibles, standards et distracteurs) [34] ;

• lasous-composanteP3bserapprocheraitdelacomposante P300 classiquement décrite (pro-tocole oddball classique, sans distracteur) et témoignerait de la détection intentionnelle de stimulus saillants [35] ; d'ailleurs, lorsque les sous-composantes ne sont pas explicitement distinguées dans les études électrophysiolo-giques, le terme de P300 se réfère principale-ment à cette composante P3b.Se fondant sur des études avec électrodes pro-

fondes, des travaux d'imagerie fonctionnelle et de localisation de sources, trois types de générateurs corticaux potentiels ont pu être envisagés : fron-tal, temporal et à la jonction temporopariétale. Selon le modèle de Polich, la région frontale serait impliquée dans l'orientation et l'évaluation de sti-mulus irréguliers nouveaux (notamment avec la

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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sous-composante P3a), alors que les régions plus postérieures interviendraient dans le maintien d'informations saillantes en mémoire de travail (sous-composante P3b) [33].

Notons enfin qu'en population normale, on retrouve un effet de l'âge des participants plus marqué que pour d'autres PEC. Cet effet de l'âge implique une diminution de l'amplitude et une augmentation de la latence de la P300 [36].

Composante P300 et troubles psychiatriquesLa composante P300 est le potentiel cognitif le plus fréquemment exploré en électrophysiolo-gie chez des patients souffrant de troubles psy-chiatriques. Une littérature abondante concerne notamment le domaine de la schizophrénie. Cependant, la composante P300 peut être modi-fiée dans de très nombreuses autres pathologies neuropsychiatriques, impliquant une spécificité particulièrement limitée.

La plupart des travaux portant sur la P300 retrouvent pour des patients souffrant de schi-zophrénie une diminution de son amplitude et une augmentation de sa latence [37, 38]. Sur les liens entre diminution de l'amplitude et symptomato-logie schizophrénique, les résultats apparaissent hétérogènes, indiquant un lien possible avec une symptomatologie négative, des signes productifs ou de désorganisation. Le type de consigne (et donc le degré de participation attentionnelle) est l'un des facteurs cruciaux de variabilité chez des participants témoins ou malades [33, 38].

Une autre question controversée concerne la notion de stabilité des altérations de la P300 : elle associe très probablement un caractère de trait stable, présent dès le premier épisode de la mala-die, mais accentué comme marqueur d'état dans des phases d'aggravation [39].

Les perturbations de la P300 auprès des patients avec schizophrénie ont été initialement décrites en région médiale, centropariétale. Mais ces altéra-tions médiales présenteraient le désavantage d'être limitées en termes de spécificité, puisque présentes également dans d'autres troubles neuropsychia-triques. Ainsi, les perturbations latérales de la P300 pourraient être plus pertinentes, parce que plus spécifiques des troubles schizophréniques. Cette asymétrie (réduction de la P300 plus mar-quée à gauche) impliquerait notamment les zones

postérieures temporales [40], surtout pour une consigne de comptage, sans réponse motrice [41].

La question de l'influence de l'âge des patients est elle aussi problématique, avec une augmenta-tion de la latence chez les patients après 55 ans [42].

Plusieurs résultats plaident pour une absence de lien entre les altérations de l'onde P300 et les trai-tements médicamenteux. Cependant, l'absence d'approche systématisée et contrôlée des anti-psychotiques impose la prudence quant à l'inter-prétation de l'influence médicamenteuse sur la composante P300. La grande majorité de ces alté-rations concerne la sous-composante P3b, même si l'amplitude de la sous-composante P3a a aussi été retrouvée diminuée [43].

Enfin, une perturbation de la composante P300 a été constatée dans le champ plus large de la vul-nérabilité schizophrénique, auprès de populations à haut risque. Ce risque schizophrénique peut être de nature génétique (apparentés au premier degré), intermédiaire (troubles schizotypiques) ou clinique pur (symptômes prodromaux) (pour revue : [37]).

Mais les altérations de la composante P300 ne se limitent pas à la schizophrénie et peuvent être retrouvées dans de nombreux autres troubles neuropsychiatriques. Les états dépressifs peuvent entraîner une diminution de l'amplitude de la P300 [44]. Sa latence a pu être décrite comme pré-servée [45] ou, au contraire, associée à des états dépressifs particulièrement sévères ou mélan-coliques [46, 47]. Ainsi, les latences des deux sous-composantes P3a et P3b ont pu être considérées comme un reflet indirect du ralentissement psy-chomoteur, surtout si le temps de réponse motrice est supérieur à la latence de la P3a [48]. De plus, les troubles affectifs bipolaires peuvent entraîner une diminution de l'amplitude de la P300 [49], et ce dès le premier épisode maniaque [50]. Enfin, les patients souffrant de dépendance alcoolique pré-sentent eux aussi une réduction de l'amplitude de la P300, y compris dans les périodes d'absti-nence [46]. Un autre champ important de recherche concerne les perturbations de la P300 chez les patients souffrant de trouble démentiel, notam-ment de maladie d'Alzheimer [45].

Considérations méthodologiques et expérimentalesLa composante P300 est obtenue lors d'une épreuve de type « oddball », associant typiquement

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

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l'écoute de sons réguliers (bips sonores de 500 ou 1 000 Hz, durant 50–150 ms, environ 80 % des sti-mulus écoutés) et sons déviants (bips sonores plus aigus de 1 000 ou 2 000 Hz, de même durée, envi-ron 20 % des stimulus). Dans le but de favoriser le développement de la composante P3a et de la dis-tinguer de la P3b, un troisième type de stimulus distracteurs (de nature différente) a été proposé. Dans ce dernier cas, les stimulus déviants et dis-tracteurs représentent respectivement 15 % et 5 % des stimulus présentés. À la différence des proto-coles de MMN, il est demandé au participant de porter attention aux stimulus déviants, soit en les comptant mentalement soit en pressant un bou-ton réponse (permettant la prise en compte du temps de réaction, TR).

Linguistique : la composante N400 dans les troubles psychiatriques

Présentation et interprétation fonctionnelle de la composante N400En neurolinguistique, l'étude de la N400 s'est développée depuis le début des années 1980. Ini-tialement décrite par Kutas et Hillyard, la N400 est une négativité débutant chez les sujets témoins vers 200 ms, et dont l'amplitude est maximale vers 400 ms sur la région centropostérieure droite [51]. Cette négativité est suscitée par un mot cible lors de manipulations du contexte sémantique, que ce contexte soit un mot amorce (paires de mots), une phrase entière ou un corpus de quelques phrases.

La N400 est typiquement sensible aux varia-tions sémantiques, reflétant la difficulté d'inté-gration d'un mot dans le contexte qui le précède. L'amplitude de la N400 est donc plus grande lorsqu'un mot est incongru (figure 5.5), inattendu ou non adéquat dans le contexte. Concernant les études par paires de mots, l'amorçage sémantique fait référence aux mécanismes impliqués lorsque la présentation d'un premier mot (« fleur ») active les représentations des mots qui sont sémantique-ment reliés (« tulipe »). L'effet d'amorçage séman-tique décrit donc l'influence facilitatrice d'un premier stimulus (amorce) sur le traitement du suivant (cible). Cet effet a été étudié aux niveaux

comportemental (réduction du temps de réaction) et électrophysiologique : l'amplitude de la N400 est inversement proportionnelle au degré de rela-tion sémantique entre les deux mots. Lorsque le contexte sémantique consiste en des phrases com-plètes, la distribution spatiale, l'évolution tempo-relle et les modulations de la composante N400 sont proches de celles observées pour les paires de mots. Notons enfin que la composante N400 se développe de façon plus précoce en modalité auditive, notamment pour des phrases entières (langage « naturel » ou écologique).

Lorsqu'on parle de la N400 sans autre précision, on fait référence aux courbes brutes rencontrées lors de la présentation d'un mot cible congruent (composante de faible amplitude) ou incongru (de forte amplitude). Lorsqu'on parle d'effet N400, on fait alors référence à la courbe unique issue de la différence des deux courbes brutes (condition incongrue moins condition congruente). L'occur-rence d'une composante N400 n'est pas limitée aux situations d'incongruité ou de violation séman-tique. Un mot isolé suscite aussi une composante N400. Plusieurs facteurs modulent son ampli-tude : la N400 est plus négative pour un mot peu fréquent, peu typique d'une catégorie sémantique ou lors de sa première présentation. Les conditions expérimentales modulent aussi la composante N400. Ainsi, le type d'épreuve cognitive proposée et le degré d'implication des participants (atten-tion, motivation, réponse motrice) influencent son amplitude, typiquement plus grande pour les tâches les plus actives (prononciation, décision lexicale, catégorisation, jugement de plausibilité) comparées aux tâches plus passives (tâche distrac-tive, écoute passive, lecture silencieuse).

Schématiquement, deux situations peuvent être distinguées : • lorsdelaprésentationd'unepairedemots,un

délai court entre amorce et cible (ou SOA, Sti-mulus Onset Asynchrony) favoriserait l'impli-cation de mécanismes cognitifs automatiques et peu conscients ; ce premier niveau, tacite et précoce, engage une activation automatique du réseau sémantique ;

• àl'inverse,laprésentationd'unepairedemotsavec SOA long ou d'une phrase entière impli-querait des mécanismes plus contrôlés et inten-tionnels ; pour ce second niveau, plus tardif, deux approches ont été proposées : l'une est fon-dée sur la mise en jeu de processus intégratifs

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

96

(stratégie d'intégration séquentielle du sens de chaque mot) et l'autre sur des processus d'anti-cipation (génération d'attentes ou stratégie pré-dictive de candidats sémantiques) [51].Mais cette opposition reste très théorique, alors

qu'un modèle plus récent impliquerait tous les aspects linguistiques accessibles, aussi rapide-ment que possible, et quelle que soit leur nature : sémantique, syntaxique, phonologique ou prag-matique [52].

Plusieurs sources cérébrales seraient impli-quées dans la genèse de la composante N400. Une méta-analyse récente propose l'organisation fonc-tionnelle suivante : les représentations lexicales seraient stockées dans le gyrus temporal médian, le sillon temporal supérieur et le cortex temporal inférieur. Ont accès à ces représentations lexicales plusieurs autres régions du réseau sémantique [53] : • le cortex temporal antérieuret legyrusangu-

laire permettraient l'intégration d'informations récentes ;

• le gyrus frontal antéro-inférieur participeraitau rappel contrôlé ;

• legyrusfrontalpostéro-inférieurinterviendraitdans la sélection des représentations candidates potentielles.

Composante N400 et troubles psychiatriquesLa majorité des études sur la composante N400 dans les troubles psychiatriques concerne la schi-zophrénie. De très nombreux travaux retrouvent une altération du traitement sémantique dans la schizophrénie, avec notamment une diminu-tion de l'amplitude et/ou une augmentation de la latence de l'effet N400. Mais les résultats restent malgré tout hétérogènes : selon les auteurs, ces perturbations de l'effet N400 sont constatées chez les patients avec le plus d'hallucinations [54] ou, au contraire, chez les patients avec un syndrome de désorganisation le plus marqué [55–57].

De plus, les protocoles expérimentaux restent eux aussi très variés, puisqu'impliquant des sti-mulus d'amorçage sémantique (paires de mots) ou du matériel plus écologique (phrases entières), présentés en modalité auditive ou surtout visuelle, décrivant les courbes brutes ou la courbe de dif-férence (effet N400), à partir d'hypothèses activa-trices ou inhibitrices.

Il s'agit alors de se montrer particulièrement prudent si l'on veut proposer un modèle séman-tique et en interpréter les perturbations schizo-phréniques. De façon réductrice, et pour reprendre les deux niveaux de traitement sémantique phy-siologiquement décrits, on peut distinguer deux types de baisse d'amplitude de l'effet N400 [51, 58–60]. À un niveau automatique — lors d'un amorçage sémantique rapide, c'est-à-dire pour des paires de mots avec SOA court —, on retrouve une baisse de l'amplitude de la composante N400 pour des mots cibles incongrus, aboutissant à une baisse de la courbe de différence (baisse de l'effet N400). Ce résultat témoignerait d'une hyperactivation dif-fuse et aberrante des réseaux sémantiques. À un niveau plus contrôlé — lors de l'écoute de phrases entières ou lors d'un amorçage sémantique plus lent par paires de mots avec SOA long —, la baisse de l'effet N400 résulterait au contraire de l'aug-mentation de l'amplitude de la composante N400 pour des mots cibles congruents. Cette pertur-bation proviendrait plutôt d'un usage altéré du contexte sémantique [60].

À l'exception de la maladie d'Alzheimer pour laquelle une diminution et un retard de l'effet N400 sont aussi constatés, il existe très peu de travaux concernant les autres troubles psychia-triques. Les rares études qui ont exploré la com-posante N400 dans le trouble dépressif ou dysthy-mique concluent à une préservation de l'amplitude de l'effet N400 [61, 62]. Dans les troubles affectifs bipolaires (qui peuvent impliquer des troubles du cours de la pensée parfois proches de ceux ren-contrés dans la schizophrénie), les résultats sont plus contrastés et tout aussi peu nombreux. Lors d'un protocole d'amorçage sémantique — paires de mots visuellement présentés avec SOA court, à un niveau automatique —, on observe une dimi-nution de l'effet N400 chez des patients souffrant de troubles bipolaires en phase maniaque [63]. En revanche, pour un matériel linguistique plus éco-logique — phrases entières présentées en moda-lité auditive —, des patients symptomatique-ment équivalents présentent un effet N400 et des courbes brutes préservés [64]. Une spécificité et une sensibilité limitées empêchent ainsi de considérer la composante N400 comme un endophénotype schizophrénique robuste [20]. Notons enfin que les critères de stabilité temporelle de la composante N400 et de ses modulations restent particuliè-

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

97

rement peu connus, tant en population témoin [65] que lors des différentes étapes évolutives des troubles psychiatriques majeurs.

La composante P600/LPCLa composante P600 (ou LPC pour Late Posi-tive Component) reflète classiquement les pro-cessus de vérification linguistique, notamment d'ordre structural ou syntaxique. La LPC/P600est retrouvée plus tardivement, en utilisant les mêmes paradigmes linguistiques que la N400. En effet, lors de la présentation de phrases isolées ou faisant partie d'un discours, la composante N400 est typiquement suivie d'une positivité dont l'am-plitude se développe entre 450 et 900 ms. Elle est associée au traitement syntaxique des stimulus linguistiques : son amplitude est augmentée lors de violations syntaxiques [58].

Cependant, la spécificité syntaxique de la com-posante LPC/P600 fait l'objet de nombreusescontroverses [52, 61, 66] : certains auteurs considèrent qu'elle refléterait le traitement syntaxique indé-pendamment du traitement sémantique ; d'autres auteurs pensent que cette composante serait liée à l'intégration des traitements sémantique, syn-taxique et orthographique, à l'intégration d'infor-mations prosodiques et syntaxiques, à la mise à jour générale du contexte, ou à l'analyse attentive dusensglobaldelaphrase.LacomposanteP600est par ailleurs sensible aux variations séman-tiques et refléterait des mécanismes d'analyse et de vérification.

L'ensemble de ces processus de vérification/intégration dans une approche globale du maté-riel linguistique présenté est parfois présenté sous le terme de processus de wrap-up lorsque le stimulus cible complète une phrase en posi-tion terminale [52, 66]. La question de l'articulation entre N400 et LPC/P600 soulève également denombreux débats : « chevauchement » temporel et spatial de deux composantes indépendantes ou différentes phases des mêmes mécanismes inté-gratifs.

Dans les troubles psychiatriques, la composante P600 peut présenter une diminution de l'ampli-tudedel'effetP600et/ouunretarddesalatence,sans spécificité diagnostique puisque retrouvée dans la schizophrénie comme dans les troubles dépressifs ou bipolaires [51, 58, 61, 62, 64].

Considérations méthodologiques et expérimentalesLes protocoles neurolinguistiques explorant les composantesN400etP600reposentsurdesstimu-lus visuels (mots lus ou images) ou auditifs (langage parlé, naturel ou de synthèse). La courbe d'effet est obtenue après différence des courbes brutes enre-gistrées en conditions congruentes et incongrues. Les stimulus pris en compte sont principalement des mots cibles (lus ou écoutés), après présentation d'un stimulus amorce (amorçage sémantique par paires de mots ou paires image-mot) ou présenta-tion d'un début de phrase (phrase entière).

Le degré de participation attentionnelle peut être modulé par la consigne donnée au partici-pant (écoute passive, tâche de décision ou de juge-ment lexical, etc.).

Enfin, notons que lors des protocoles d'amor-çage sémantique par paires de stimulus, l'inter-valle entre l'amorce et la cible peut être : • decourtedurée(SOA<400–500ms)etprivilé-

gier des mécanismes d'activation sémantiques automatiques ;

• ouprolongé(SOA>400–500ms)etprivilégieralors des stratégies plus contrôlées, intégratives, prédictives ou inhibitrices.

Variation contingente négative (VCN) dans les troubles psychiatriques

Présentation et interprétation fonctionnelle de la VCNCette composante, initialement décrite par Wal-ter (1964), reflète les processus d'éveil, d'antici-pation et de préparation motrice [67]. Elle consiste en une déflexion négative de grande amplitude (15 à 20 μV) se développant après la survenue de deux stimulus, un avertisseur et un signal impé-ratif. Après ce deuxième signal, impératif, le par-ticipant doit répondre de façon motrice, le plus rapidement possible. La composante VCN est dite contingente parce que dépendante des para-mètres de stimulation.

Après le stimulus préparatoire, la VCN débute dans les zones frontocentrales entre 200 et 500 ms,

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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après un complexe N1/P2. Elle peut durer plusieurs dizaines de secondes et son amplitude peut atteindre 20 microvolts. Elle est constituée de trois compo-santes : • uneVCNprécoce;• uneVCNtardive;• etunpotentielpost-impératif.

La première, plus précoce et de distribution frontale, reflète une réaction d'orientation.

La seconde, plus tardive et centrale, témoigne de mécanismes de préparation motrice.

La courbe suivant cette deuxième composante présente chez les participants témoins un aspect de décroissance appelée voltage post-impératif classiquement positif (appelé PIPV).

Notons de plus que l'amplitude de la VCN est inversement proportionnelle au temps de réaction de la réponse motrice au stimulus impératif [48]. C'est un potentiel très lent de l'ordre de 1 seconde ou plus (soit de fréquence égale ou inférieure à 1 Hz), qui pourrait avoir comme tous les poten-tiels lents corticaux une origine en partie gliale.

VCN et troubles psychiatriquesL'exploration de la VCN auprès de patients souffrant de troubles psychiatriques remonte aumilieu des années 1960 et en fait le poten-tiel évoqué cognitif le plus anciennement étudié. Chez les patients souffrant de schizophrénie, on constate sur les électrodes centrales (Cz notam-ment) une diminution de l'amplitude de com-posante tardive de la VCN (inférieure à 10 μV), voire l'apparition d'un potentiel post-impératif négatif (ou PINV). Classiquement, la diminu-tion de l'amplitude de la VCN est interprétée comme ref létant la diminution des capacités d'apprentissage et d'association des événements. Chez les patients souffrant de schizophrénie, l'apparition d'une PINV reste péjorative, et est considérée comme pathologique si l'ampli-tude de la négativité est supérieure à 1,5 fois la VCN. Cette PINV est habituellement comprise comme une difficulté à construire des repré-sentations perceptives fiables et stables [68]. La figure 5.6 reprend un profil théorique de VCN, suivi d'un voltage post-impératif positif (PIPV, en pointillé) ou négatif (PINV, en plein). Dans la schizophrénie, la VCN est de faible amplitude, avec une PINV présente, mais un temps de réac-tion conservé [48]. Une PINV bien développée est

en faveur d'une bonne réponse au traitement. La PINV disparaît lors de la rémission. Une VCN de faible amplitude persistante est plutôt de mauvais pronostic.

La VCN peut être altérée chez d'autres patients (troubles dépressifs, troubles anxieux), avec l'hypo-thèse insuffisamment explorée d'un lien potentiel entre altération de la VCN et risque de passage à l'acte autoagressif [69]. De rares publications font état du caractère prédictif d'une VCN de très faible amplitude, voire indétectable, pour le risque suici-daire [46]. Celui-ci est élevé lorsque la VCN est indé-tectable. Ceci correspond à notre expérience cli-nique. Dans les troubles affectifs (trouble dépressif, trouble bipolaire), la VCN est de faible amplitude avec une PINV, mais le temps de réaction est aug-menté. Il existe une corrélation entre la faible ampli-tude de la VCN et la sévérité du trouble dépressif. La VCN se normalise avec l'amélioration de l'état clinique. Enfin, la VCN reste un potentiel éminem-ment variable de manière intra-individuelle, chez le sujet témoin [69] comme chez les patients souffrant de troubles psychiatriques [68].

Considérations méthodologiques et expérimentalesLa VCN est enregistrée lors d'un protocole de pré-paration motrice, au cours duquel les participants doivent réagir par une réponse motrice après la perception de deux stimulus successifs. Le pre-mier stimulus S1 (dit stimulus « avertisseur », parfois auditif, ou le plus souvent visuel) signale au participant la survenue d'un stimulus S2 (dit stimulus « impératif ») auquel il devra répondre en pressant un bouton réponse ; le participant éteint alors le premier stimulus S1.

Perspectives : endophénotypes psychiatriques ou profils électrophysiologiques dynamiques ?L'exploration des PEC dans les troubles psychia-triques majeurs s'est récemment développée dans l'espoir de proposer des endophénotypes, c'est-à-dire des marqueurs biologiques robustes, pré-coces, stables, héritables et spécifiques de tel ou tel

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

99

trouble psychiatrique. Cette perspective a notam-ment concerné les composantes P50, MMN, P300 ou N400 [14, 20, 21, 24]. La littérature montre malgré tout une hétérogénéité importante de résultats, qui pourrait s'expliquer par une grande variété de protocoles expérimentaux (stimulus, modali-tés d'enregistrement, consignes et participation attentionnelle des participants) et de populations cliniques (phase évolutive des troubles, évaluation de la symptomatologie, traitement reçu).

Mais au-delà de ces limites expérimentales et cliniques, trois autres types de limites doivent être considérés [37, 58] :• premièrement, la questionde la spécificité est

insuffisamment étudiée et, si les travaux sur la schizophrénie sont particulièrement nom-breux, le champ des troubles psychiatriques non schizophréniques (troubles de l'humeur, troubles anxieux, TOC, etc.) reste bien plus rarement exploré. Ce point découle en grande partie d'une surspécialisation des équipes de recherche (nous pourrions décrire schémati-quement cette situation par le problème du « un laboratoire, un PEC, une pathologie ») ;

• deuxièmement, ilconvientdeconsidérerpru-demment la sensibilité des altérations de ces PEC. Une différence statistiquement significa-tive entre deux populations ne permet pas tou-jours de retrouver cette altération parmi tous les participants du groupe clinique. Les travaux de recherche reposant sur le grand moyen-nage de participants témoins ou souffrant de troubles psychiatriques tendent probablement à atténuer la portée de cette limite. Mais le manque de transfert clinique individuel, en pratique courante, souligne, selon nous, cette problématique ;

• enfin,letroisièmepointconcerneladifférenceimportante qu'on peut retrouver entre profil temporel d'un trouble psychiatrique au long cours et évolution dynamique d'un enregistre-ment électrophysiologique. En d'autres termes, il reste difficile de décrire un marqueur PEC comme marqueur d'état ou trait stable alors que la stabilité temporelle propre à un PEC est encore très mal connue [65].L'aspect dynamique des composantes P50, P300

et N400 au cours du temps [70] va ainsi contre la notion de type marqueur stable, spécifique, d'une pathologie donnée. En revanche, si les PEC ne peuvent constituer des endophénotypes au sens

strict, plusieurs perspectives méritent d'être explorées à l'avenir : • tout d'abord, il est nécessaire d'explorer plus

en détail l'influence des différents traitements psychotropes (antipsychotiques, thymorégula-teurs, antidépresseurs, anxiolytiques, correc-teurs anticholinergiques) sur les résultats obte-nus par enregistrement électrophysiologique. La majorité des travaux actuels se limite ainsi à comparer antipsychotiques et neuroleptiques de première génération, voire à contrôler l'in-fluence des traitements par leur simple dose équivalente (par exemple, chlorpromazine pour les antipsychotiques) ;

• ensuite, on pourrait concevoir la combinai-son d'un score composite, issu de différentes variables PEC. Une analyse systématique, sans a priori, des différentes variables issues de dif-férents PEC auprès de différents groupes de patients, pourrait potentiellement permettre de dégager des scores ou variables intermédiaires, peut-être plus spécifiques de telle ou telle patho-logie [20, 21, 37] ;

• toujoursàpartirdedifférentesvariablesPEC,ilest primordial de considérer une approche élec-trophysiologique pour un participant unique, dans une perspective de transfert clinique. Plu-sieurs guidelines aident désormais à promou-voir une reproductibilité des protocoles [3, 4] et à permettre de systématiser des explorations PEC, y compris à un niveau individuel, avant grand moyennage. On pourrait ainsi s'inté-resser à une notion clinique donnée (ralentis-sement psychomoteur, troubles formels de la pensée, impulsivité, etc.) et en observer les dif-férents aspects électrophysiologiques au moyen de plusieurs PEC. Par exemple, le ralentisse-ment psychomoteur clinique, classiquement décrit comme un mécanisme unitaire, gagne-rait à être caractérisé de façon électrophysiolo-gique, à partir de variables telles que le temps de réaction obtenu lors d'épreuves de type P300, N400, VCN, et les latences de ces dif-férentes composantes. La compréhension des manifestations cliniques bénéficierait alors de l'apport des études avec PEC. Dans la pratique, on observe que ce ralentissement psychomo-teur est fondamentalement hétérogène, avec souvent des dissociations entre une latence d'un potentiel et la valeur du temps de réac-tion associé, ou bien la non-concordance entre

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

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plusieurs modifications du temps de réaction selon le type de PEC enregistré dans un exa-men comprenant plusieurs protocoles ;

• rechercherdes endophénotypes àpartird'uneou deux variables provenant d'un seul type de potentiel évoqué n'a peut-être pas grand sens. On pourrait proposer de réaliser non pas l'éva-luation d'une fonction cognitive spécifique, mais un examen qui soit en quelque sorte un profil neurocognitif, sur une base non plus de tests ou de questionnaires, mais sous la forme d'un ensemble d'acquisitions de PEC, permet-tant de définir un profil neurocognitif. C'est ainsi que nous proposons aux patients un examen de deux heures, très bien toléré, qui comprend après un EEG conventionnel les enregistrements des différents PEC présentés précédemment ; nous disposons ainsi d'une matrice de quelque cinquante paramètres, qui nous autorise non seulement à quantifier et

qualifier le ralentissement psychomoteur mais qui, en plus, nous permet de disposer d'un profil neurocognitif avec de très nombreuses variables (figure 5.7). Actuellement la pertinence de ces variables est à l'étude pour en réduire le nombre et pour définir soit des profils évolutifs, soit des profils plus caractéristiques, non pas tant des pathologies psychiatriques en elles-mêmes que des variantes de ces pathologies (comme le font les évaluations neuropsychologiques) ;

• enfin,pourenrevenirauxendophénotypes,lafaible spécificité des différents paramètres (le gating de la P50, par exemple) censés consti-tuer des endophénotypes d'une pathologie nous oblige à reconsidérer entièrement la pro-blématique des endophénotypes neurophysio-logiques. L'expérience quotidienne que nous avons des profils neurocognitifs obtenus par des examens intégrés de potentiels évoqués nous amène plutôt à penser que ceux-ci sont soit

Figure 5.7. Modèle de profil neurophysiologique fondé sur les PEC.Ce profil (d'autres sont possibles) est fondé sur des paramètres de potentiels auditifs à latence moyenne (+gating), de P300 et de N400.

Chapitre 5. Potentiels évoqués cognitifs et troubles psychiatriques

101

des marqueurs d'état (au même titre que l'EEG) soit des marqueurs de présentation neurocogni-tive d'une pathologie spécifiée (comme en neu-ropsychologie). D'une manière plus générale, la course éperdue à la recherche des endophéno-types pourrait relever d'une tentative de réduc-tion problématique de la pathologie mentale à quelques variables comme nous le détaillerons dans le chapitre 11.

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Les troubles du sommeil sont présents avec une particulière fréquence en psychiatrie. Différents types de troubles sont concernés, parfois de façon combinée : principalement l'insomnie, qui est retrouvée chez 30 à 60 % des patients souffrant de troubles psychiatriques. En regard, 40 % des sujets dont la plainte d'insomnie est au premier plan présentent un trouble psychiatrique asso-cié, essentiellement un trouble dépressif majeur et/ou des troubles anxieux, contre 16 % chez les dormeurs normaux. Dans les études longitudi-nales, l'insomnie est associée à une incidence du trouble dépressif majeur, des troubles anxieux et de l'abus de substances, avec une fréquence signi-ficativement élevée, faisant considérer ce trouble du sommeil comme un facteur de risque pour de nombreux troubles psychiatriques.

Bien qu'étant la plus fréquente, la plainte d'in-somnie n'est pas toujours au premier plan. La plainte d'hypersomnolence ou de somnolence diurne excessive est également fréquente en psy-chiatrie, indépendamment des effets sédatifs des traitements psychotropes. Elle concerne principa-lement des troubles de l'humeur, le trouble dépres-sif unipolaire ou les troubles bipolaires.

Cette relation étroite et bidirectionnelle entre les troubles du sommeil et les affections psy-chiatriques conduit à les regarder désormais non pas dans un lien de causalité où les troubles du sommeil seraient seulement la conséquence de la maladie psychiatrique, mais comme des entités comorbides, possédant des mécanismes neuro-biologiques communs. Le DSM-5 a modifié son chapitre sur les troubles du sommeil : le manuel

souligne l'importance de prendre en compte les troubles du sommeil de façon indépendante des autres troubles psychiatriques et se complète de plusieurs catégories diagnostiques de la classi-fication internationale des troubles du sommeil (ICSD) [1].

Aux altérations du sommeil liées à la physiopa-thologie de la maladie, s'ajoute, pour les patients, l'existence possible d'un trouble intrinsèque du sommeil, le plus fréquemment un trouble res-piratoire ou un trouble moteur lié au sommeil ; ces troubles dont la prévalence est élevée dans la population générale sont favorisés par les traite-ments psychotropes, surexposant ainsi la popula-tion souffrant de troubles psychiatriques.

La polysomnographie, qui explore la structure du sommeil et les grandes fonctions physiolo-giques pendant le sommeil, représente un accès privilégié à l'ensemble de ces processus [2]. Cepen-dant il s'agit d'un examen relativement lourd, parfois mal supporté en psychiatrie, en particu-lier chez les populations atteintes des troubles les plus sévères (troubles psychotiques sévères et cer-tains troubles du spectre autistique). Savoir bien évaluer la pertinence de cette prescription est fondamental. Cette évaluation va reposer sur un interrogatoire complété par un agenda de som-meil (figure 6.1) et éventuellement une actimétrie.

Ce chapitre présente les modalités de réa-lisation d'enregistrements du sommeil et la signification des paramètres mesurés. Il en expose les indications pour les pathologies du sommeil rencontrées en psychiatrie et présente comment les altérations du sommeil observées dans des troubles psychiatriques sont des indi-cateurs des mécanismes neurophysiologiques sous-jacents.

Chapitre 6Polysomnographie en psychiatrieA. Brion, O. Pallanca1

1 Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi, J. Vion-Dury.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

106

Techniques et protocoles d'enregistrement du sommeil

ActimétrieL'actimétrie mesure l'activité motrice et per-met d'apprécier l'alternance repos-activité. Le premier actimètre a été utilisé chez des patients souffrant de trouble bipolaire de type 1, en 1974, à Pittsburg [3]. L'enregistreur est contenu dans une petite montre portée au poignet (figure 6.2) et le capteur d'activité est une cellule piézoélectrique sensible à l'accélération du mouvement en bi- ou tridirectionnel ; les impulsions sont stockées et transmises à un logiciel d'analyse qui traduit les données en paramètres du sommeil (figure 6.3) : • latenced'endormissement;• duréedusommeil;• horairesdesévénements.

En fonction des appareillages, on peut enregis-trer en parallèle la lumière de l'environnement, la température interne ou des mouvements de jambes.

La montre est portée jour et nuit, pendant plu-sieurs jours ou semaines, en fonction des objectifs

de l'examen. La tenue simultanée d'un agenda de sommeil (figure  6.1) est recommandée, permet-tant de comparer les données subjectives concer-nant le sommeil aux données objectivées par l'actimètre.

Les résultats obtenus en actimétrie sont bien corrélés à ceux de la polysomnographie chez le sujet normal en bonne santé : les périodes de sommeil et d'éveil sont bien différenciées, même si la durée du sommeil est un peu surestimée en cas d'éveil très immobile [4]. Dans l'exploration des pathologies du sommeil, il existe davantage d'erreurs mais l'examen reste suffisamment fiable pour être recommandé dans l'étude des troubles du rythme veille-sommeil ou bien quand la pra-tique d'une polysomnographie n'est pas dispo-nible pour un diagnostic de syndrome d'apnées du sommeil, pour connaître la durée du sommeil

Figure 6.1. Exemple d'agenda du sommeil (correspondant à la même période que l'actigramme de la figure 6.3).

Figure 6.2. L'actimètre.

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

107

lors de la réalisation d'une polygraphie ventila-toire [1]. Dans les troubles du rythme veille-som-meil et dans l'insomnie, elle est utile pour l'éva-luation des thérapeutiques.

Au total, il s'agit d'un examen fiable, simple, non invasif et adapté à toutes les populations (enfants, personnes âgées, sujets agités).

Polysomnographie

Technique d'enregistrement du sommeilLes trois états de vigilance (veille, sommeil lent et sommeil paradoxal) sont identifiés par l'enre-gistrement simultané de trois paramètres, néces-saires et suffisants pour les caractériser [5] : • l'électroencéphalogramme(EEG);

• l'électromyogramme(EMG);• l'électro-oculogramme(EOG).

La polysomnographie permet, outre la connais-sance de ces paramètres du sommeil, l'enregistre-ment de plusieurs autres fonctions physiologiques permettant de déterminer la présence de troubles pendant le sommeil, en particulier sur la respi-ration, la saturation en oxygène, le rythme car-diaque, l'existence de mouvements des membres inférieurs. L'adjonction d'une caméra vidéo ou de tout autre capteur est possible en fonction des élé-ments recherchés. Un polysomnographe peut être fixe (au lit du sujet) ou portatif, permettant les enregistrements ambulatoires. La pose d'un poly-somnographe (figure  6.4) nécessite une bonne connaissance des enregistrements physiologiques pour avoir une qualité de signal exploitable.

Figure 6.3. Exemple d'actigramme, réalisé sur une période de 10 jours.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

108

Il est recommandé, pour la pose des capteurs EEG,d'utiliser aumoins troisdérivations (fron-tale, centrale et occipitale) selon le système inter-national 10–20 (figure  6.5, cf. aussi chapitre 2), auxquelles seront ajoutéesdeux voiesEOG (unepourchaqueglobeoculaire)etunevoieEMGauniveau du muscle mentonnier. En pratique, un technicien entraîné a besoin de 30 à 40 minutes pour la mise en place des différents capteurs, et réalise, à la fin de la pose, 5 minutes de calibrage et de tests des différents signaux de façon à éviter les artefacts.

Codage des états de vigilance et de sommeilL'analyse des tracés répond à des règles de codage visuel reconnues internationalement, éditées par le manuel de l'American Academy of Sleep Medicine (AASM) qui a été modifié récemment (2014) [6], reprenant celles dites de Rechtschaffen et Kales [7].

Le tableau  6.1 indique les principales caracté-ristiques de chaque état de vigilance. Une nuit est constituée de cycles comportant chacun du som-

meil lent et un épisode de sommeil paradoxal. Le sommeil lent profond est surtout présent dans les cycles de début de nuit, tandis que la quantité de sommeil paradoxal augmente pour chaque cycle au cours de la nuit. Il existe des normes qui per-mettent d'interpréter un résultat de polysomno-graphie et l'analyse doit prendre en compte les variations interindividuelles et l'évolution du sommeil avec l'âge.

Les conditions d'enregistrement en labora-toire et l'équipement encombrant nécessaire au recueil des données peuvent modifier la structure du sommeil. Cet effet, dit « effet première nuit », se manifeste par la diminution de la quantité de sommeil lent profond et un allongement du délai d'apparition du sommeil paradoxal ; il est inconstant et s'estompe si le sommeil est enre-gistré plusieurs nuits de suite. L'architecture du sommeil se représente en un diagramme appelé hypnogramme, qui reflète la présence des stades de sommeil et leur organisation temporelle tout au long de la nuit (figure 6.6).

Certains rythmes ou anomalies de la micros-tructure du sommeil se rencontrent de façon cou-rante et sont signalés dans le compte rendu d'exa-men. C'est le cas :

Figure 6.4. Un polysomnographe. Il s'agit ici de la version portable.

Figure 6.5. Un montage utilisé en EEG de sommeil : le montage utilise le système 10-20.

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

109

• desrythmesrapidesd'originemédicamenteusefréquemment rencontrés lors de l'usage de trai-tements psychotropes ;

• de l'«alpha-delta sleep » qui représente une sur-charge des ondes lentes delta du sommeil profond par du rythme alpha caractéristique de la veille ;

• ouencorelesCAP(Cyclic Alternating Patterns) qui correspondent à une activité EEG pério-dique, composante physiologique normale du

sommeil lent ; ils sont définis par des caracté-ristiques de fréquence et de durée des rythmes et sont de plusieurs sous-types (A1, A2, A3).Dans certaines pathologies, comme l'insomnie,

l'exposition ou la sensibilité au bruit, ou encore les phénomènes douloureux, leur proportion est le reflet d'une certaine instabilité ou d'une pertur-bation au sein de la microstructure du sommeil. Leur signification plus précise reste à l'étude.

Tableau 6.1. Description des stades de sommeil.

Stade Caractéristiques électrophysiologiques

Veille Active : rythmes bêta

Calme : rythme alpha postérieur

1A L'alpha diffuse dans les régions temporales et centrofrontales

1 = NREM1 Activité EEG qui se ralentit (fréquence mixte de 3 à 7 Hz)

Tonus musculaire plus faible par rapport à la veille

Mouvements oculaires lents

2 = NREM2 Activité EEG (fréquence mixte de 3 à 7 Hz)

Complexes K et fuseaux de sommeil (spindles)

Tonus musculaire toujours présent

Absence de mouvement oculaire

3 et 4 = NREM3

Activité EEG constituée d'une association de fréquences mixtes et d'ondes delta (20 à 50 % pour l'ancien stade 3 ; > 50 % pour l'ancien stade 4)

Diminution du tonus musculaire

Présence possible de fuseaux et de complexes K

Sommeil paradoxal (REM)

Activité de fond de fréquence mixte (de 3 à 7 Hz) associée à une activité rapide et parfois delta peu ample. Présence possible de rythme alpha

Phases de mouvements oculaires rapides (MOC)

Atonie musculaire

Figure 6.6. Un hypnogramme normal.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

110

Terminologie et normes d'un compte rendu de polysomnographieLes principaux termes utilisés dans le compte rendu d'un enregistrement du sommeil sont pré-

sentés dans le tableau  6.2. Ils permettent de se repérer dans la lecture d'un compte rendu stan-dard. Seuls les paramètres physiologiques nor-maux sont décrits ici ; les aspects pathologiques seront décrits dans la partie suivante.

Tableau 6.2. Les paramètres mesurés en polysomnographie et normes chez l'adulte.

Termes Définition Norme

Temps au lit (TAL) (en minutes)

Période passée dans le lit entre l'extinction des lumières pour dormir et le lever

Comprend de la veille et du sommeil

Pas de norme, à prendre en compte dans l'insomnie et chez les patients clinophiles

Latence d'endormissement (en minutes)

Délai d'apparition d'au moins trois époques de stade de sommeil NREM1 ou une seule époque de n'importe quel autre stade de sommeil après l'heure d'extinction des lumières

Reste dans la norme si inférieure ou égale à 30 minutes

Temps de période de sommeil (TPS) (en minutes)

Correspond à l'intervalle de temps entre l'endormissement et le réveil final

Pas de norme mais à comparer au temps total de sommeil pour avoir une estimation du temps d'éveil après le début du sommeil

Temps de sommeil total (TST) (en minutes)

Correspond à la durée cumulée du sommeil pendant le TPS

7 heures et demi en moyenne chez le sujet jeune en sachant qu'il existe des courts dormeurs (< 6 heures) et des longs dormeurs (> 9 heures)

Pas de norme absolue

La durée du sommeil diminue progressivement avec l'âge

Efficacité du sommeil (en %)

Correspond au rapport TST/TAL La norme est de 80–90 %

Latence d'apparition du sommeil paradoxal (en minutes)

Délai d'apparition de la première époque de sommeil paradoxal après l'endormissement

La norme est supérieure à 50 minutes

Pourcentage de veille sur le temps de période de sommeil

Pourcentage du temps passé éveillé pendant le temps de période de sommeil (TPS)

La norme chez l'adulte sain est inférieure à 10 %

Pourcentage du stade NREM1 sur le temps de période de sommeil

Pourcentage du temps passé en stade de sommeil NREM1 pendant le temps de période de sommeil (TPS)

La norme chez l'adulte sain est de 2 à 5 %

Pourcentage du stade NRM2 sur le temps de période de sommeil

Pourcentage du temps passé en Stade de sommeil NREM2 pendant le temps de période de sommeil (TPS)

La norme chez l'adulte sain est de 45 à 55 %

Pourcentage du stade NREM3 sur le temps de période de sommeil

Pourcentage du temps passé en stade de sommeil NREM3 pendant le temps de période de sommeil (TPS)

La norme chez l'adulte sain est de 15 à 25 %

En réalité, c'est le temps en valeur absolue qui importe ; donc le pourcentage doit être plus élevé chez le court dormeur

Pourcentage du stade de sommeil paradoxal (SP) sur le temps de période de sommeil

Pourcentage du temps passé en stade de sommeil paradoxal pendant le temps de période de sommeil (TPS)

La norme chez l'adulte sain est de 20 à 25 %

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

111

Protocoles d'enregistrementEn fonction des données recherchées, plusieurs protocoles d'enregistrement sont possibles. L'enregistrement peut s'effectuer durant une ou plusieurs nuits ; parfois de façon continue sur 24 heures, en particulier pour le diagnostic de l'hypersomnie idiopathique qui fait partie de la catégorie des hypersomnolences d'origine centrale [1], qui nécessite des durées prolongées d'examen. Pour certains diagnostics, une durée minimale d'enregistrement est requise : à titre d'exemple, pour la recherche de syndrome d'ap-nées du sommeil, il faut un minimum de 4 heures de tracé pour valider le résultat. L'évaluation de la vigilance en journée s'effectue selon des proto-coles précis et deux tests sont couramment pra-tiqués (tableau 6.3) : d'une part le test itératif de latence d'endormissement (TILE), qui mesure la propension à l'endormissement et objective la somnolence pathologique ; d'autre part le test de maintien d'éveil (TME), qui mesure la résistance à la pression de sommeil, surtout utilisé pour éva-luer l'efficacité d'un traitement et l'aptitude à la conduite automobile.

Troubles du sommeil diagnostiqués par polysomnographie

Troubles respiratoires du sommeil

DéfinitionsLe syndrome d'apnées/hypopnées obstructives du sommeil (SAOS) est le trouble respiratoiredu sommeil le plus fréquent, dont la prévalence estimée en population générale est de 2 à 4 %. Le SAOS consiste en des épisodes nocturnes répé-

tés d'arrêt (apnées) ou de réduction conséquente (hypopnées) de la respiration par obstruction des voies aériennes supérieures. Son diagnostic repose sur classiquement sur l'association de cri-tères cliniques et polygraphiques, bien qu'il puisse dans certains cas être effectué sur des critères polygraphiques seuls.

La prévalence de la dépression chez les sujets souffrant de SAOS est élevée (environ 20 %) etinversement ; de façon plus ciblée, les premières études chez des patients ayant un diagnostic de trouble bipolaire (type 1) avancent une prévalence deSAOSsituéeautourde40%.LeSAOSpeutêtreassocié à d'autres troubles du sommeil, notam-ment à des parasomnies (éveil confusionnel, troubles du comportement nocturne, somnam-bulisme ou terreurs nocturnes). Un des diagnos-ticsdifférentielsduSAOSàévoquerestl'attaquede panique, qui peut mimer le réveil brutal avec sensation d'étouffement.ÀcôtéduSAOS,d'autrestroublesrespiratoires

du sommeil, tels que le syndrome d'hypoventila-tion alvéolaire ou le syndrome d'apnées centrales, requièrent des enregistrements polygraphiques. DemécanismedifférentduSAOS, ils s'associentà des pathologies pneumologiques ou cardiaques.

En psychiatrie, il faut retenir que les apnées centrales peuvent relever d'une iatrogénie (opia-cés,méthadone).LeSAOSparailleursestaggravépar les benzodiazépines.

L'utilisation des antipsychotiques atypiques représente un facteur de risque supplémentaire deSAOSdanslapopulationsouffrantdetroublespsychiatriques du fait de la prise de poids poten-tiellement favorisée.

Comment dépister cliniquement le SAOS ?Les manifestations cliniques du SAOS sontdiurnes et nocturnes :

Temps d'éveil en TPS (en minutes)

Cela correspond à la durée cumulée des éveils entre l'endormissement et le réveil final ou éveil après début du sommeil (WASO en anglais)

La norme chez l'adulte sain moyen est de 20 à 45 minutes maximum

Index de micro-éveils (par heure)

Nombres d'éveils corticaux d'une durée comprise entre 3 et 15 secondes par heure de sommeil.

La norme chez l'adulte sain varie selon l'âge (10 par heure jusqu'à 30 ans, 15 par heure de 30 à 60 ans et 20 par heure après 60 ans)

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

112

(a) Plainte d'épisodes de sommeil non inten-tionnels durant la veille, une somnolence diurne excessive, un sommeil perçu comme non restau-rateur, de la fatigue ou une insomnie.(b) Le patient se réveille en pleine nuit avec le souffle coupé, suivi d'une reprise de la respiration bruyante ou très angoissée.(c) Le compagnon de lit témoigne de ronflements sonores et/ou d'interruptions de la respiration durant le sommeil du patient.(d) La plainte de somnolence diurne excessive peut être mise en évidence par des échelles auto-admi-nistrées qui évaluent la propension à s'endormir dans des situations de la vie courante. La plus uti-lisée est l'échelle de somnolence d'Epworth (score pathologique > 10) [8].

La polysomnographie est-elle indiquée ?Oui,lapolysomnographie(PSG)estl'examenderéférence pour le diagnostic mais la polygraphie ventilatoire (PV), examen simplifié, peut suffire en présence d'une forte présomption clinique.

L'enregistrement polysomnographique doit montrer l'existence d'au minimum 5 événements respiratoires par heure de sommeil, regroupés en « index d'apnées-hypopnées » (IAH). Il doit exister des efforts abdominaux et/ou thoraciques durant la majeure partie de l'événement respira-toire pour en définir le caractère obstructif. En cas d'absence de signes cliniques évocateurs de SAOS,l'enregistrementpolysomnographiquedoitretrouver au moins 15 événements respiratoires par heure de sommeil (IAH > 15) et des efforts respiratoires durant l'événement apnéique.

Enfonctiondel'IAH,leSAOSestréputéléger(5–15), modéré (15–30) ou sévère (> 30), ce qui détermine la conduite thérapeutique. En pratique, la prise en charge du traitement par l'assurance maladie est en partie conditionnée par cet index ; elle n'est jamais refusée pour un index supérieur à 30 apnées et/ou hypopnées par heure de sommeil.

Troubles moteurs liés au sommeil

DéfinitionsDeux syndromes moteurs d'origine neurologique sont liés au sommeil : le syndrome des jambes sans repos (SJSR) et le syndrome des mouvements périodiques des jambes (MPJ).

Syndrome des jambes sans repos

Le syndrome des jambes sans repos (SJSR), également dénommé syndrome d'impatiences des membres inférieurs (SIMI) ou syndrome de Willis-Ekböm, est un trouble sensitivomo-teur caractérisé par des sensations désagréables dans les membres inférieurs (plus rarement les membres supérieurs ou d'autres parties du corps), survenant au repos, typiquement en soirée et en début de nuit, et soulagés temporairement par la marche ou le mouvement. Il s'agit d'un trouble fréquent dont la prévalence en population géné-rale est estimée à 2,7 et 8,3 % en fonction de l'âge ; il tend à être plus fréquent avec l'avancée en âge et prédomine chez la femme.

Syndrome des mouvements périodiques des jambes

Les mouvements périodiques des jambes (ou des membres) durant le sommeil sont des mouve-

Tableau 6.3. Protocoles de TILE et de TME.

Tests de jour Protocole Exemples de valeurs observées

TILE Consigne donnée de se laisser aller dans le sommeil

4 ou 5 tests d'une durée de 20 minutes répartis sur la journée toutes les 2 heures

Calcul de la latence moyenne d'endormissement

< 8 minutes : somnolence diurne excessive : narcolepsie (seuil clinique retenu) ou privation de sommeil

11–12 minutes : somnolence diurne physiologique

15 minutes : hypervigilance ou pleine vigilance après récupération complète.

TME Consigne donnée de résister à l'endormissement

4 tests d'une durée de 40 minutes répartis sur la journée toutes les 2 heures

Calcul de la latence moyenne d'endormissement

Test parfaitement normal si pas d'endormissement

Une moyenne au-dessus de 34 minutes est considérée comme normale

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

113

ments touchant soit l'extrémité des membres infé-rieurs, soit plus amplement la jambe et parfois les membres supérieurs. Ils se manifestent en fonction de leur ampleur par une extension des orteils, une dorsiflexion des pieds, une flexion du genou et/ou de la hanche. Les mouvements peuvent perturber la continuité du sommeil, entraînant une insomnie et un retentissement sur le fonctionnement diurne.

Ces deux syndromes moteurs liés au sommeil sont fréquemment exacerbés de manière iatro-gène par les antidépresseurs et les antagonistes dopaminergiques.

Comment les dépister cliniquement ?Le diagnostic du SJSR est clinique et ne requiert pas d'examen complémentaire. On s'attachera àretrouver le caractère sensitif et le soulagement par la motricité, ainsi que les caractéristiques circadiennes du SJSR, qui survient typiquement en fin de journée et début de nuit et impacte le sommeil. Une recherche étiologique doit être conduite, car à côté de la forme idiopathique, il existe des formes symptomatiques (insuffisance rénale, hypothyroïdie, déficit en fer, iatrogénie) et des formes atypiques qu'il faut différencier de certaines neuropathies douloureuses ou d'une akathisie.

Dans deux tiers des cas, le SJSR est associé à des mouvements périodiques des jambes pendant le sommeil, laissant penser que la pathogénie des deux troubles est en partie commune.

La polysomnographie est-elle indiquée ?Non pour le SJSR dont le diagnostic est clinique. OuipourlesMPJdontlescritèresdiagnostiquessont polysomnographiques. Les mouvements sont enregistrés en polysomnographie grâce aux cap-teurs placés sur les muscles tibiaux antérieurs et répondent aux critères suivants [1] : • mouvementsd'uneduréede0,5à5secondes;• d'uneamplituded'aumoins25%decelleenre-

gistrée lors de la calibration du signal effectuée à la dorsiflexion du pied ;

• survenant par séquences d'au moins quatremouvements à la suite ;

• séparés par un intervalle compris entre 4 et90 secondes.

OnparledesyndromedeMPJquandlesmou-vements ainsi quantifiés ont un index égal ou supérieur à 15 par heure de sommeil chez l'adulte (5 chez l'enfant) et sont associés à une pertur-bation clinique du sommeil (insomnie) ou une plainte de fatigue en journée.

Hypersomnolences d'origine centrale

DéfinitionsLes hypersomnolences d'origine centrale cor-respondent à une altération de la vigilance en journée, entraînant une plainte de somnolence excessive et des épisodes de sommeil intempes-tifs. La plainte d'hypersomnolence peut représen-ter un symptôme ou l'expression d'une maladie. Les études épidémiologiques montrent des pré-valences en population générale très variées (4 à 20 % en Europe), rendant compte des difficultés à caractériser la plainte et ses différentes expres-sions (hypersomnie, hypersomnolence, som-nolence diurne excessive). Les causes en sont nombreuses et on peut les rassembler en trois sous-groupes correspondant à des démarches dia-gnostiques différentes : • les hypersomnolences induites, telles que le

syndrome d'insuffisance de sommeil, induit par une mauvaise hygiène de sommeil, et les hypersomnies dues à la consommation de subs-tances (y compris médicamenteuses) ; l'anam-nèse et l'évaluation clinique en permettent le diagnostic ;

• les hypersomnolences dites «neurologiques»ou « organiques », qui comprennent les narco-lepsies de type 1 et de type 2, l'hypersomnie idiopathique, le syndrome de Kleine-Levin et certaines hypersomnies dues à un trouble médical neurologique (encéphalopathie méta-bolique, traumatisme crânien, AVC, tumeur cérébrale, encéphalite) ou à un trouble médi-cal général (inflammation systémique dans les maladies de système ou les processus tumo-raux, etc.) ; leur diagnostic est à la fois clinique et polysomnographique ;

• les hypersomnies dues à un trouble psychia-trique : dans ce cas, la plainte d'hypersomno-lence peut représenter la plainte principale du sujet, notamment en dehors des épisodes aigus de la maladie. Son association aux troubles de

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

114

l'humeur est fréquente et la relation entre cette plainte et les symptômes dépressifs est complexe et vraisemblablement bidirectionnelle. Enfin, il n'est pas rare de voir des hypersomnies d'ori-gine conversive avec des pseudo-cataplexies.

Comment les dépister cliniquement ?La plainte d'hypersomnolence se documente en premier lieu par l'interrogatoire et l'anamnèse, complétés par un agenda de sommeil et une actimé-trie. L'ensemble de ces éléments oriente sur l'origine du trouble et la pratique d'une polysomnographie, non systématique, dépend du contexte clinique.

Les diagnostics de narcolepsie, d'hypersomnie idiopathique et d'hypersomnolences récurrentes sont à la fois cliniques et polysomnographiques. Certains signes sont caractéristiques et vont guider le diagnostic que la polysomnographie confirmera.

Les critères cliniques de la narcolepsie com-prennent une hypersomnolence en journée, avec des accès de sommeil irrésistibles, rafraîchissants, associés à des cataplexies, pathognomoniques de la maladie, qui sont des brusques relâchements musculaires plus ou moins étendus, d'une durée de quelques secondes à quelques minutes, déclen-chés par les émotions et se produisant en pleine conscience. Plus accessoirement, il peut exister des paralysies du sommeil et des hallucinations hypnagogiques (existant de façon sporadique en population générale) ; ces dernières sont parfois extrêmement effrayantes et perturbantes, ris-quant de leur faire attribuer à tort une origine psychiatrique.

L'hypersomnie idiopathique est évoquée devant une durée de sommeil de nuit excessive-ment longue, avec des siestes en journée incon-tournables mais non restauratrices ; le réveil est habituellement difficile, comme entravé par une inertie, pouvant être vécu comme une « ivresse de sommeil » durant laquelle des activités automa-tiques sont possibles. Quand le temps de sommeil n'est pas particulièrement long, la plainte porte sur des endormissements intempestifs en jour-née et la perception d'une vigilance jamais satis-faisante. Le trouble doit être installé depuis plus de trois mois, de façon isolée et sans cause pré-cise retrouvée. Il s'agit d'une maladie rare, dont la prise en charge relève de centres de référence.

Les hypersomnolences récurrentes relèvent également d'une prise en charge par des centres spécialisés. Dans le syndrome de Kleine-Levin, les épisodes d'hypersomnolence sont associés à des troubles comportementaux et cognitifs, réalisant un syndrome neuropsychiatrique parfois difficile à différencier d'épisodes psychotiques.

Enfin, les hypersomnolences d'origine psychia-trique peuvent poser des problèmes de diagnostic différentiel avec l'hypersomnie idiopathique.

La polysomnographie est-elle indiquée ?Dans la narcolepsie avec cataplexie, le diagnostic se fait avant tout sur les données cliniques. Les examens complémentaires sont nécessaires en absence de cataplexie et dans les formes atypiques, car ils mettent en évidence des patterns spéci-fiques : la polysomnographie retrouve un endor-missement nocturne en sommeil paradoxal ; les TILE retrouvent une latence d'endormissement moyenne basse, avec des endormissements en sommeil paradoxal. En pratique, la polysomno-graphie est désormais recommandée dans tous les cas, pour réunir au mieux les arguments diagnos-tiques d'une maladie qui impacte de façon notable la qualité de vie et qui va engager le patient dans un traitement psychostimulant au long cours.

Dans l'hypersomnie idiopathique, une poly-somnographie est nécessaire pour mettre en évidence les critères objectifs de la maladie. Un enregistrement de durée longue (48 heures) com-portant des TILE est recommandé. L'examen retrouve soit un temps total de sommeil très allongé, avec des longues durées de sommeil noc-turnes (plus de 10 heures) et des siestes diurnes, soit un temps de sommeil nocturne normal asso-cié à un raccourcissement de la latence d'endor-missement moyenne au TILE (≤ 8 minutes) en journée.

ParasomniesLes parasomnies sont des phénomènes com-portementaux ou psychiques indésirables qui surviennent au cours du sommeil. Certaines sur-viennent exclusivement en sommeil lent, d'autres en sommeil paradoxal ; d'autres enfin ne sont pas spécifiques d'un stade de sommeil donné.

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

115

Parasomnies en sommeil lentDéfinitions

Les plus fréquentes surviennent en sommeil lent profond. Le sujet présente à la fois un aspect éveillé, en particulier sur le plan comportemen-tal (ouverture des yeux, phénomènes moteurs), et endormisurleplandel'EEGetdelaconscienceréflexive. Ce sont donc des états intermédiaires qui procèdent vraisemblablement d'une certaine instabilité des systèmes exécutifs du sommeil et des circuits de l'éveil dans des moments de pas-sage d'un état à l'autre.

L'éveil confusionnel, le somnambulisme et la terreur nocturne sont des parasomnies du som-meil lent profond fréquemment associées entre elles. Leur survenue dans l'enfance, si elle est occasionnelle, est considérée comme paraphysio-logique et le trouble tend à disparaître à l'adoles-cence. Le facteur familial est prédominant. Chez l'adulte, elles touchent plutôt l'adulte jeune et leur prévalence est estimée entre 1,9 et 3,2 % de la population générale. La prise d'alcool, le manque de sommeil, le stress, un changement de lieu de coucher peuvent favoriser les épisodes, les rendre plusgravesouplusgênants.Onneretrouvepasdefaçon significative l'existence d'une psychopatho-logie comme facteur associé du trouble, en com-paraison aux sujets indemnes de somnambulisme ou de terreurs nocturnes. Certains médicaments semblent favoriser les épisodes de somnambu-lisme (antipsychotiques atypiques, hypnotiques de demi-vie courte). Certains troubles du som-meil qui provoquent des éveils fréquents au cours de la nuit (comme les apnées du sommeil ou les mouvements périodiques nocturnes) favorisent également la survenue d'épisodes chez les sujets prédisposés.

Comment les dépister cliniquement ?

C'est généralement dans le premier tiers de la nuit (prédominance du sommeil lent profond) que les épisodes de somnambulisme et de terreur noc-turne ont lieu.

Le somnambulisme se manifeste par les clas-siques déambulations, mais aussi par quantités d'autres comportements ou activités motrices survenant pendant le sommeil lent profond ou en émergeant de ce stade de sommeil. Le dormeur peut être calme, simplement se redresser dans son lit, regarder autour de lui, voire se lever ; il peut

également lui arriver de parler. Il peut mener des activités complexes, comme l'utilisation d'objets, l'ouverture de fenêtres ou de portes ; dans ce cas, il peut exister une mise en danger et un risque de blessures. Le dormeur ne garde généralement peu ou pas de souvenir de l'épisode ou de rêve associé.

La terreur nocturne comporte un réveil brusque, avec hurlement, associé aux manifes-tations comportementales et végétatives d'une peur intense. Il existe des signes d'activation sympathique importante (tachycardie, sueurs, mydriase, bouffées de chaleur…). Souvent, le sujet se redresse et s'assoit sur le lit. Il ne répond pas aux stimulations externes et apparaît confus et déso-rienté si on tente de le réveiller. Certains souvenirs de fragments brefs de rêves, ou d'images simples mais effrayantes peuvent être rapportés (person-nages menaçants, sables mouvants, feu, enfer-mement, etc.). Chez certains sujets, il existe une association de terreur nocturne et de somnambu-lisme : ils peuvent se blesser en tentant de s'enfuir du lit, heurtant les meubles et brisant les fenêtres.

La polysomnographie est-elle indiquée ?

Non, car le diagnostic est clinique. Elle est recom-mandée si on soupçonne l'existence d'un autre trouble du sommeil responsable d'une fragmenta-tiondusommeil,telqu'unSAOSoudesMPJ.Ellel'est également dans des cas cliniquement moins typiques, dans le but d'un diagnostic différentiel avec une épilepsie nocturne ou avec une autre parasomnie. Dans le somnambulisme et les ter-reurs nocturnes, la polysomnographie met en évi-dence des éveils brutaux en sommeil lent profond, généralement pendant le premier tiers du sommeil (les deux premiers cycles). Cependant, la structure du sommeil et son organisation temporelle ne pré-sentent pas d'anomalies. Il peut exister au moment des accès de somnambulisme des ondes lentes par-ticulièrement amples et synchrones. L'enregistre-ment vidéo associé à la polysomnographie permet une observation directe des épisodes.

Parasomnies en sommeil paradoxalDéfinitions

Les parasomnies du sommeil paradoxal com-prennent les cauchemars, la paralysie du sommeil et le trouble du comportement en sommeil para-doxal (TCSP). La fréquence des cauchemars est

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

116

connue (5 % de la population française) ; dans sa forme commune, elle ne nécessite pas d'explora-tion particulière.

La paralysie du sommeil correspond à l'intru-sion ou la persistance de l'atonie musculaire du sommeil paradoxal lors d'une transition veille-sommeil ou inversement. C'est un symptôme de la narcolepsie mais la paralysie du sommeil peut survenir isolément et ne nécessite alors pas d'ex-ploration particulière.

Le TCSP correspond à l'extériorisation de rêves, souvent violents, pendant le sommeil paradoxal. Son diagnostic se fait en vidéo-polysomnogra-phie, indiquée à partir des données cliniques. Ce trouble touche des adultes d'âge moyen ou âgés. Il est soit idiopathique soit associé à une maladie neurologique : narcolepsie, synucléopathie (mala-die de Parkinson, démence à corps de Lewy). Le TCSP peut précéder de plusieurs années la survenue d'une maladie neurodégénérative. Sa fréquence n'est pas précisément connue, évaluée actuellement à 0,5 % de la population. La prise d'antidépresseurs peut révéler cette parasomnie.

Comment les dépister cliniquement ?

L'entourage du patient fait état de comportements agités pendant le sommeil, plutôt en deuxième partie de nuit, avec des cris, des comportements d'altercations, des gestes de bagarres, pouvant occa-sionner des blessures pour le sujet ou son entourage. Il peut y avoir des chutes, mais pas de sorties de lit ni de déambulations comme dans le somnambulisme. Quand il existe des souvenirs de rêves, ces derniers ont un contenu congruent aux comportements.

La polysomnographie est-elle indispensable ?

Oui, lescritèresdiagnostiquesduTCSPincluentla réalisation d'un enregistrement du sommeil. Celui-ci retrouve l'absence d'atonie musculaire durant le sommeil paradoxal — plus de 37 % du sommeil paradoxal sans atonie sur le muscle men-tonnier ou une augmentation nette de l'activité phasique du muscle mentonnier. La vidéo-poly-somnographie permet une observation directe de comportements moteurs durant le sommeil para-doxal. L'enregistrement élimine d'une part une comitialité grâce à l'absence d'activité paroxys-tique à l'EEG pendant le sommeil paradoxal et,d'autre part, montre l'absence d'une autre para-somnie ou d'un trouble moteur du sommeil.

Trouble alimentaire lié au sommeilDéfinitions

La plupart des autres parasomnies se diagnos-tiquent cliniquement et la pratique d'une poly-somnographie n'est pas indiquée sauf si un autre trouble du sommeil comorbide est suspecté (trouble respiratoire ou trouble moteur du som-meil). C'est le cas du trouble alimentaire lié au sommeil (SRED, Sleep-Related Eating Disorder), pour lequel une association avec des troubles res-piratoires du sommeil ou avec des mouvements périodiques des jambes a été retrouvée.

Comment le dépister cliniquement ?

Ce sont des épisodes récurrents de prises invo-lontaires d'aliments ou de boissons pendant la période de sommeil, survenant typiquement à l'occasion de réveils intra-sommeil. Il existe sou-vent une amnésie des épisodes ou un souvenir partiel. Les aliments hypercaloriques sont privi-légiés pendant les épisodes et les sujets peuvent parfois cuisiner ou consommer des associations d'aliments inhabituelles ou bizarres, des produits impropres à la consommation voire toxiques. Une anorexie matinale est souvent présente ainsi qu'une distension abdominale au réveil ; le trouble peut être provoqué par des médicaments psycho-tropes (benzodiazépines, « Z-drugs » et antipsy-chotiques atypiques). Il n'existe pas de stratégies de contrôle du poids, ni de comportement com-pensateur inapproprié, ni de conduites purga-tives, mais des tentatives pour limiter la fréquence ou l'importance des épisodes, et ce d'autant que la perte de conscience partielle pendant l'épisode peut engendrer des blessures ou avoir des consé-quences néfastes sur la santé.OndistingueleSREDdusyndromealimentaire

nocturne (NES, Night Eating Syndrome) où la prise d'aliments commence avant l'endormissement et survient pendant la nuit en pleine conscience, sou-vent associé à une insomnie. Il existe des recou-vrements entre ces troubles, par ailleurs distincts des troubles des conduites alimentaires diurnes.

La polysomnographie est-elle indiquée ?

Non, d'autant que les contours du SRED restent flous et ses critères diagnostiques controversés. Les études polysomnographiques sont peu nom-breuses et montrent que les épisodes peuvent

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

117

apparaître à n'importe quel moment du cycle de sommeil et souvent plusieurs fois par nuit. Il peut y avoir les mêmes aspects que dans le somnambu-lisme, avec des éveils brutaux en sommeil lent. La réalisation d'une polysomnographie doit cepen-dant avoir lieu en cas de signe d'appel d'un trouble respiratoire ou moteur du sommeil associé.

Troubles du rythme circadien

DéfinitionsLes troubles du rythme circadien du sommeil cor-respondent à un découplage entre l'alternance veille/sommeil et les horaires conventionnels jour/nuit. Plusieurs facteurs peuvent être impliqués, qu'ils soient endogènes, au niveau de l'horloge biologique ou de ses liens avec les synchroniseurs externes, ou comportementaux, dus aux horaires décalés de l'ac-tivité professionnelle ou aux voyages transméridiens.

Les troubles du rythme circadien du sommeil peuvent être primaires. C'est le cas du syndrome de retard de phase du sommeil (endormissement retardé/réveil tardif) et de l'avance de phase (endormissement avancé/réveil précoce) qui sont génétiquement déterminés. Des rythmes de libre cours, appelés aussi hypernycthéméraux, avec une période supérieure à 24 heures, se rencontrent chez des sujets dont la périodicité endogène est particulièrement longue et difficile à synchroni-ser sur 24 heures, ou chez les sujets non-voyants, dont la synchronisation par la lumière fait défaut.

Le syndrome de retard de phase du sommeil (SRPS) est particulièrement fréquent en psychia-trie. Il est à l'origine de problèmes majeurs, tant sociaux que professionnels : 7 à 10 % des plaintes d'insomnie correspondent en fait à un syndrome de retard de phase. Le trouble est particulière-ment fréquent chez l'adolescent et l'adulte jeune (7 à 16 % de cette population) et souvent associé à des pathologies psychiatriques, principalement des troubles de la personnalité (personnalité bor-derline, évitante et schizoïde notamment) et des symptômes dépressifs comme la dysthymie.

Comment les dépister cliniquement ?Le diagnostic est clinique et s'appuie sur l'agenda de sommeil, complété éventuellement d'une acti-métrie, réalisés durant une période minimale de sept jours. Dans le SRPS, il apparaît un déphasage

stable avec un horaire régulier de la période habi-tuelle de sommeil. Les horaires de coucher et de lever sont décalés significativement par rapport à des horaires conventionnels et ont des réper-cussions sur la vie sociale. L'endormissement est difficile, mais une fois le sommeil enclenché, il se déroule normalement. Secondairement, le trouble peut conditionner des insomnies, en raison des tentatives d'endormissement infructueuses aux heures conventionnelles ; les sujets peuvent être conduits à utiliser de l'alcool, des substances toxiques ou des médicaments pour accélérer l'en-dormissement et/ou stimuler le réveil le matin.

La polysomnographie est-elle indiquée ?Non, la polysomnographie n'est pas indiquée pour le diagnostic des troubles du rythme circadiens du sommeil. Elle peut cependant être réalisée lorsque la clinique, l'agenda du sommeil et l'actimétrie ne permettent pas d'établir le diagnostic.

Cas de l'insomnie

DéfinitionL'insomnie est le trouble du sommeil le plus fré-quent [9], touchant près de 20 % de la population générale. Sa définition inclut des critères nocturnes de mauvais sommeil et des difficultés diurnes en relation avec les problèmes nocturnes. L'insom-nie peut être aiguë, de courte durée ; mais elle est le plus souvent chronique (au-delà d'un mois). De nombreuses pathologies sont associées à une plainte d'insomnie : troubles respiratoires du som-meil (5 à 9 % des plaintes d'insomnie), syndrome d'impatience des membres inférieurs et mou-vements périodiques des jambes (15 % des cas), maladie organique ou neurologique (4 à 11 %), pro-blèmes environnementaux et mauvaise hygiène de sommeil (10 %), usage de substances psychoactives (3 à 7 % des cas). Parmi les insomnies chroniques, celles qui sont associées à des troubles psychia-triques sont particulièrement fréquentes [9–11] : la plainte concerne 30 à 60 % des sujets souffrant de troubles psychiatriques et jusqu'à 80 % de ceux qui souffrent de trouble dépressif.

Le diagnostic s'appuie sur l'interrogatoire et l'enquête anamnestique, complétés par un agenda de sommeil et éventuellement une actimétrie quand des données objectives sont nécessaires.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

118

Comment la dépister cliniquement ?Le diagnostic s'effectue sur les critères propo-sés par les classifications qui incluent ce trouble (DSM-5 ou ICSD-III). Ces deux classifications ont adopté une terminologie commune, à savoir le « trouble insomniaque » (pour insomnia disorder) qui recouvre désormais les insomnies auparavant dites primaires ou secondaires.

La classification internationale des troubles du sommeil dans sa troisième édition définit l'in-somnie selon les critères suivants [1] : • A. Le patient rapporte un ou plusieurs des

symptômes suivants : difficultés à initier le sommeil, difficultés à maintenir le sommeil, réveil précoce, résistance à se mettre au lit à une heure appropriée aux besoins ; pour les enfants, ce sera une difficulté à se coucher sans l'inter-vention des parents.

• B.Onobserveaumoinsundecesdysfonction-nements diurnes en relation avec les difficultés de sommeil : – fatigue ou malaise ; – troubles de l'attention, de la concentration ou

de la mémoire ; – dysfonctionnement social, professionnel ou

diminution des performances scolaires ; – irritabilité ou perturbations de l'humeur ; – somnolence diurne ; – problèmes comportementaux : hyperactivité,

impulsivité, agressivité ; – perte d'énergie, de motivation ou d'initia-

tives ; – augmentation des erreurs ou des accidents au

travail ou en voiture ; – inquiétudes ou préoccupations à propos du

sommeil.• C. Ces difficultés apparaissent en dépit de condi-

tions adéquates et opportunes pour le sommeil.• D. Les troubles apparaissent au moins trois fois

par semaine.• E. Les troubles sont présents depuis au moins

trois mois.

La polysomnographie est-elle indiquée ?La polysomnographie n'est pas indiquée à titre systématique dans la recherche étiologique d'une insomnie aiguë ou chronique. Elle peut cepen-

dant être indiquée dans certains cas d'insomnie chronique : • si l'insomnie est particulièrement sévère avec

un retentissement diurne important ; • encasd'échecthérapeutique;• lorsque l'insomnie pourrait être associée àd'autres troubles du sommeil (SAOS, mouve-ments périodiques des membres…).

Apports de la polysomnographie en psychiatrieLa polysomnographie met en évidence des alté-rations de la structure du sommeil associées à certains syndromes cliniques. Nous avons choisi de ne décrire que les troubles pour lesquels il existe le plus d'études significatives portant sur les altérations polysomnographiques du som-meil. À ce titre, les troubles de l'humeur sont les plus étudiés et plusieurs patterns y sont décrits. Aucune des anomalies touchant un des para-mètres du sommeil n'est pathognomonique d'un trouble ou d'une maladie, mais elles représentent un apport significatif pour la compréhension des mécanismes neurophysiologiques sous-jacents. Concernant les troubles anxieux, seul le trouble panique nocturne est décrit, car il pose le pro-blème d'un possible diagnostic différentiel avec un autre trouble du sommeil. Les autres patholo-gies psychiatriques ayant donné lieu à des études polysomnographiques ne permettent pas de déga-ger des résultats concordants à ce jour et donc ne seront pas traitées dans ce chapitre, hormis ceux concernant la schizophrénie.

Altérations du sommeil liées aux troubles psychiatriques

Troubles de l'humeur (tableau 6.4)Trouble dépressif majeurAspects cliniques

La plainte d'insomnie est habituellement sévère, associant des difficultés d'initiation, de maintien du sommeil et typiquement un réveil matinal pré-coce. Le sommeil est perçu comme non récupéra-teur et le réveil matinal est associé à une profonde altération de l'humeur et une anxiété majeure.

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

119

À côté de la plainte d'insomnie, 20 % des patients souffrant de dépression rapportent des niveaux élevés de sommeil excessif ou de somnolence diurne, ainsi que des problèmes liés à la synchro-nisation circadienne du sommeil, tels qu'un SRPS. La persistance des troubles du sommeil après la rémission clinique d'un syndrome dépressif est un facteur prédictif d'une évolution plus sévère et d'une plus forte récurrence des épisodes.

Aspects polysomnographiques

La polysomnographie montre des altérations de la structure du sommeil. Ces altérations touchent trois paramètres (les chiffres entre parenthèses renvoient à la figure 6.7) : • le sommeil paradoxal (SP) : raccourcissement

de la latence d'apparition du premier épisode de SP (1) ; prédominance du SP en début de nuit (les premiers épisodes étant prolongés) (2) ; aug-mentation de la densité de mouvements ocu-laires rapides [12] ;

• lesommeillentprofond(SLP):diminutionduSLP (3) ;

• la continuité du sommeil : allongement de lalatence d'endormissement ; fragmentation avec des éveils en cours de nuit ; réveil matinal pré-coce (4).Ces altérations de structure ne sont pas

constantes et aucun de ces paramètres du som-meil [13, 14] n'est à lui seul suffisant pour caracté-riser un état dépressif. En revanche, leur analyse combinée devient plus spécifique, permettant de différencier : • les paramètres état-dépendant, présents pen-

dant l'épisode dépressif, qui sont évolutifs et se normalisent lors de la rémission : il s'agit du trouble de la continuité du sommeil, de la den-sité de mouvements oculaires rapides du SP, de la diminution de l'activité delta globale ;

• les paramètres trait-dépendants, marqueurs d'une vulnérabilité même en l'absence d'épi-sode dépressif caractérisé et pouvant se retrou-ver chez des apparentés au premier degré de sujets malades : il s'agit du raccourcissement de la latence du SP et de la moindre quantité des ondes delta dans les fréquences les plus lentes.

Tableau 6.4. Caractéristiques polysomnographiques des troubles de l'humeur, des troubles anxieux et de la schizophrénie.

Temps total de sommeil

Latence d'endormissement

Sommeil lent profond (%)

Latence du SP SP (%)

Troubles de l'humeur ↓ ↑ ↓ ↓ ↑

Troubles anxieux ↓ ↑ ↔ ↔ ↔

Schizophrénie ↓ ↑ ↓ ↓ ↔

↓, diminution ; ↑ augmentation ↔ ; pas de changement.Données : Benca RM, Obermeyer WH, Thisted RA, Gillin JC. Arch Gen Psychiatr 1992 ; 49 : 1-68.

Figure 6.7. Hypnogramme d'un patient souffrant de trouble dépressif.On observe : 1. Latence raccourcie du sommeil paradoxal (< 50 minutes). 2. Premier épisode de sommeil paradoxal anormalement long. 3. Diminution du sommeil lent profond en début de nuit. 4. Réveil matinal précoce.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

120

Quand ces anomalies de structure sont retrou-vées dans d'autres pathologies psychiatriques, ce qui est le cas dans les troubles obsessionnels com-pulsifs et l'état de stress post-traumatique, leur rattachement à une comorbidité dépressive est probable.

Chacun des systèmes engagés dans la promo-tion et le contrôle de la veille et du sommeil peut être impliqué dans ces processus ; les hypothèses physiopathologiques font état d'une contribution combinée des mécanismes neurobiologiques de l'éveil et promoteurs du sommeil ainsi que des régulations homéostatique et circadienne du sommeil.

Relations entre la structure du sommeil et l'action des traitements antidépresseurs : l'action suppressive du sommeil paradoxal par la grande majorité des médicaments antidépresseurs a pu faire évoquer un rôle important de cet effet dans le traitement de la dépression (théorie de Vogel, 1975). En réalité, la suppression du sommeil para-doxal semble liée à une voie commune associant l'augmentation de l'activité noradrénergique et sérotoninergique et la diminution de l'activité cholinergique, par laquelle la normalisation du sommeil reflète l'amélioration des symptômes dépressifs.

Trouble bipolaireAspects cliniques

Dans le syndrome maniaque, la réduction du besoin de sommeil, parfois plusieurs nuits de suite en début d'épisode, fait partie du tableau cli-nique.Onapuobserverque ladiminutiond'aumoins trois heures de la durée de sommeil suggé-rait l'imminence d'un épisode.

Aspects polysomnographiques

Les études en polysomnographie sont peu nom-breuses, l'expression clinique du syndrome maniaque rendant difficile les explorations du sommeil en laboratoire. Ces études retrouvent un sommeil réduit dans 69 à 99 % des cas, ainsi que des altérations du sommeil paradoxal, dont la latence est raccourcie et la densité en mouvements oculaires rapides augmentée, de façon semblable à la dépression unipolaire.

Dans la dépression bipolaire, la plainte d'hyper-somnolence est fréquente (23 à 78 % en fonction des études) [15]. Dans les états mixtes, le sommeil

est cliniquement réduit mais il n'existe pas d'étude de la structure du sommeil.

À ce jour, ce sont surtout des études par actimé-trie et agenda du sommeil qui sont réalisées, du fait de leur simplicité technique chez cette popu-lation de patients.

La polysomnographie est-elle indiquée dans les troubles de l'humeur ?

La mise en évidence des altérations de la structure du sommeil n'est pas à ce jour un outil diagnos-tique de la dépression. Chez un sujet souffrant de trouble dépressif, sa réalisation a pour objectif : • soit le diagnostic d'un trouble intrinsèque du

sommeil en cas de signes cliniques en faveur d'un trouble respiratoire ou d'un trouble moteur du sommeil ;

• soitl'établissementd'undiagnosticdifférentielavec une hypersomnolence d'origine neurolo-gique : hypersomnie idiopathique ou narco-lepsie.Cependant, des études pharmacologiques com-

mencent à utiliser les critères polysomnogra-phiques comme critères d'efficacité de certains traitements psychotropes.

Trouble paniqueAspects cliniques

Le trouble panique nocturne est fréquent, puisque 50 % des sujets souffrant de trouble panique l'ex-périmentent au moins une fois, et 33 % de manière récurrente. Ces épisodes se manifestent par un réveil brusque, habituellement accompagné de symptômes neurovégétatifs tels que le souffle coupé, une impression d'étouffement, des palpita-tions, qui caractérisent également les attaques de panique durant la veille. La charge anxieuse rend le ré-endormissement difficile et peut provoquer une insomnie de milieu de nuit.

Aspects polysomnographiques

Les attaques de panique nocturnes apparaissent durant le sommeil lent lors de la transition entre le stade NREM2 et le stade NREM3, donc lors de l'approfondissement du sommeil [16]. Ils n'appa-raissent pas en lien avec le sommeil paradoxal, ni avec une activité onirique particulière. Leur déclenchement a été relié à une sensibilité accrue à l'augmentation des niveaux de dioxyde de car-bone dans le sang, à une respiration irrégulière

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

121

pendant le sommeil lent profond et à des anoma-lies de l'activité autonomique. La polysomnogra-phie retrouve les éléments des plaintes subjectives éventuellement présentes, comme les difficultés d'endormissement et de maintien du sommeil. La privation de sommeil qu'elles entraînent a tendance à aggraver les symptômes anxieux. Les paralysies du sommeil — phénomènes dus à un réveil en sommeil paradoxal comportant un réveil cortical et la persistance de l'atonie musculaire — n'ont pas une prévalence plus élevée qu'en popu-lation générale, mais certains patients éprouvent à cette occasion une sensation d'anxiété intense pouvant provoquer le trouble. Le trouble panique et le trouble dépressif sont souvent co-morbides ; le processus dépressif est alors partiellement res-ponsable des troubles de sommeil [17, 18].

La polysomnographie est-elle indiquée ?

Le trouble panique nocturne ne nécessite pas en lui-même la pratique d'une polysomnographie, sauf si son expression et le contexte clinique font discuter un diagnostic différentiel avec un trouble respiratoiredusommeil(SAOS).

Troubles du comportement alimentaireDes modifications du sommeil sont associées aux troubles du comportement alimentaire (TCA) [19], en particulier à l'anorexie mentale, et leur valeur évolutive au regard du trouble est connue des clini-ciens. Par ailleurs, des troubles du comportement alimentaire peuvent exister pendant la période de sommeil (cf. supra) sans association systématique à un TCA de type anorexie ou boulimie.

Anorexie mentale

L'anorexie mentale, outre les symptômes princi-paux comprenant une anorexie suivie d'un amai-grissement, s'associe également à des troubles du sommeil. Cliniquement, ces troubles se caracté-risent le plus souvent par une fragmentation du sommeil et une insomnie de milieu et fin de nuit et/ou d'endormissement. Le trouble n'est pas lié directement à l'humeur ou au type d'anorexie mentale (restrictive pure ou avec vomissement/prise de purgatifs) mais semble plutôt relié à la sévérité de la dénutrition ; la reprise de poids s'ac-compagne d'une augmentation du temps de som-meil. Les études polysomnographiques sont peu

nombreuses et objectivent des résultats contra-dictoires. Une augmentation des éveils intra-som-meil et de la durée totale de la veille intra-som-meil, ainsi qu'une moindre efficacité du sommeil sont les paramètres les plus fréquents. En étude quantifiée, une diminution du sommeil à ondes lentes a été objectivée de façon inconstante, mon-trant une répartition inhabituelle du sommeil lent profond chez les sujets souffrant d'anorexie par rapport aux sujets sains, avec une concentration des ondes lentes lors du premier cycle de sommeil suivie d'une décroissance très importante dès le deuxième cycle [20]. Le sommeil paradoxal, quant à lui, n'est pas significativement différent de celui des sujets contrôles, ni en quantité, ni en organi-sation temporelle.

Boulimie

La qualité du sommeil peut être perturbée et l'ali-mentation nocturne est fréquente. La moitié des patients mentionnent des épisodes d'hyperpha-gie dans la soirée ou une ingestion de nourriture pendant la nuit ; ces comportements alimentaires parfois suivis de vomissements ont pour effet de retarder le coucher et ont tendance à installer un retard de phase du sommeil. Les études en polysomnographie sont peu nombreuses, mais l'architecture du sommeil des sujets souffrant de boulimie ne présente pas d'anomalie majeure. Des différences portant sur la densité en mouvements oculaires rapides pendant le sommeil paradoxal sont retrouvées de façon inconstante. Cette dif-férence pourrait être expliquée par la présence d'une symptomatologie dépressive comorbide [21].

SchizophrénieAspects cliniques (tableau 6.4)

Les patients souffrant de schizophrénie souffrent de dyssomnies importantes en période d'exacer-bation symptomatique, où l'altération du som-meil a souvent valeur prodromique, annonçant la rechute. L'insomnie est sévère, parfois totale, et un trouble du rythme veille-sommeil peut se développer, sous la forme d'un retard de phase du sommeil allant jusqu'à une inversion du rythme nycthéméral. La présence de cauchemars intenses est courante. En période de stabilité clinique sous traitement médicamenteux, une perturbation du sommeil reste fréquente, avec une insomnie de maintien et une mauvaise qualité de sommeil.

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

122

Une large gamme d'autres troubles est consti-tuée par le retentissement sur le sommeil d'une hygiène de vie insuffisante, de l'abus d'alcool et de substances toxiques.

Les médicaments antipsychotiques ont éga-lement des effets sur le sommeil par plusieurs mécanismes : • soit directement, en altérant la qualité ou la

continuité du sommeil ; • soiteninduisantdestroublesmoteursdusom-

meil à type de syndrome d'impatiences ou de mouvements périodiques nocturnes ;

• soitindirectement,pardesprisesdepoidsquifavorisent les troubles respiratoires du sommeil.

Aspects polysomnographiques

Beaucoup d'anomalies polysomnographiques ont été identifiées, mais aucune n'est spécifique de la schizophrénie et elles sont habituellement congruentes aux plaintes subjectives : les anoma-lies de durée et de maintien du sommeil sont les plus habituelles ; de façon moins constante, la dis-tribution du sommeil paradoxal et un déficit en sommeil à ondes lentes ont pu être observés.

Anomalies de durée et de continuité du sommeil

L'anomalie la plus souvent retrouvée en polysom-nographie est l'allongement de la latence d'endor-missement, avec une difficulté à atteindre un état stable du sommeil. Le nombre et la durée des éveils sont augmentés, ce qui entraîne une faible efficacité du sommeil. Plusieurs études chez des patients traités par antipsychotiques montrent un certain degré d'insomnie résiduelle, qui peut être liée à la maladie mais également à un effet des psy-chotropes sur le sommeil.

Anomalies du sommeil paradoxal

Comparativement aux sujets contrôles, les études chez les patients souffrant de schizophrénie ne montrent pas de différences de quantité de som-meil paradoxal ou de densité des mouvements oculaires rapides. En revanche, la latence d'appa-rition du sommeil paradoxal est significativement raccourcie dans près de la moitié des études. Dans les études ne retrouvant aucune différence, il est en réalité observé une distribution bimodale des valeurs de latence de sommeil paradoxal au sein de cette population, suggérant l'existence de sous-groupes de patients. Aucune anomalie du

sommeil paradoxal n'est associée aux productions hallucinatoires ; celles-ci ne sont pas des phéno-mènes de sommeil dissocié entre la veille et le sommeil paradoxal, comme cela est le cas dans la narcolepsie.

Anomalies du sommeil lent profond

Un déficit en sommeil lent profond est observé de façon inconstante. Le processus homéostatique, qui veut que l'activité en ondes lentes soit propor-tionnelle à la dette de sommeil, semble être pré-sent mais de façon affaiblie [22, 23].

Certains paramètres du sommeil sont corré-lés à des variables cliniques. Les anomalies du sommeil et les symptômes de la schizophrénie ont pu être mis en relation sur un nombre encore restreint d'études ; elles sont du plus grand inté-rêt pour notre compréhension des mécanismes neurobiologiques de cette maladie. La sévérité des symptômes, la présence de symptômes positifs ou négatifs, le pronostic clinique et les anomalies neurocognitives sont en effet corrélés aux anoma-lies de structure du sommeil [24].

La polysomnographie est-elle indiquée ?

Il n'y a pas d'indication de principe pour la réalisa-tion d'une polysomnographie en cas de diagnostic de schizophrénie, mais il faudra y penser devant un trouble persistant du sommeil indépendant du processus morbide.

Influence des composés psychoactifs sur le sommeil

Effets des psychotropes sur la structure du sommeilLes principales classes thérapeutiques, avec quelques exemples significatifs, sont présentées ci-après, sans souci d'exhaustivité [25].

Effets des benzodiazépines et apparentés

Cf. tableau 6.5.Les benzodiazépines et apparentés améliorent

la continuité du sommeil en augmentant le nombre de fuseaux de sommeil, ce qui explique l'augmentation du stade NREM2 de sommeil. Il existe un fort effet rebond de l'insomnie à l'arrêt de ces molécules, qui doit être pris en compte lors de leur prescription.

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

123

Effets des antidépresseurs

Cf. tableau 6.6.

Effets des neuroleptiques

Cf. tableau 6.7 [26].

Effets des thymorégulateurs

Cf. tableau 6.8.

Psychotropes augmentant le risque de troubles respiratoires pendant le sommeilDe nombreux psychotropes peuvent favoriser le SAOS(tableau 6.9).

Concernant les substances opiacées, il existe peu d'étudesàproposduSAOS,maisilestavéréque

Tableau 6.5. Effet des benzodiazépines et apparentés sur le sommeil.

Molécules Latence d'endormissement Continuité du sommeil % N3 % N2 % SP

BZD ↓ Améliorée ↓ ↑ ↓

Z-Drugs ↓ Améliorée ↔ ↑ Égal

Tableau 6.6. Effets des antidépresseurs sur le sommeil.

Molécules Latence d'endormissement

Continuité du sommeil

% N3 % SP

Amitryptiline ↓ ↑ ↓ ↓

Mirtazapine ↓ ↑ ↑ ↔

Paroxétine  ? ↓ ↑ ↓

Fluoxétine ↑ ↓ ↓ ↓

Citalopram ↔ ↔ ↔ ↓

Sertraline ↑ ↓ ↔ ↓

Venlafaxine ↑ ↔ ↔ ↓ ++

Tableau 6.7. Effets des neuroleptiques sur le sommeil.

Molécules Latence d'endormissement

Continuité du sommeil

% N3 % SP

Olanzapine ↓ ↑ ↔ ↔

Rispéridone ↔ ↑ ↓ ↓

Halopéridol ↓ ↑ ↓ ↔

Tableau 6.8. Effets des thymorégulateurs sur le sommeil.

Molécules Latence d'endormissement

Continuité du sommeil

% N3 % SP

Carbamazépine ↓  ? ↑ ↓

Acide valproïque ↓ ↑ ↔ ↔

Gabapentine ↔ ↑ ↑ ↑

Lamotrigine ↔ ↔ ↓ ↔

Lithium ↔ ↑ ↔ ↔

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

124

les consommateurs chroniques peuvent avoir des apnées centrales durant le sommeil [27]. La métha-done est la substance la plus incriminée, bien que ce phénomène ait également été observé chez des patients prenant de la morphine ou de l'hydro-codone. Les anomalies respiratoires associées aux opiacés sont donc en premier lieu les apnées centrales du sommeil, c'est-à-dire un arrêt de la commande ventilatoire centrale. Cependant, on retrouve également des hypoventilations d'ori-gine obstructive et des respirations périodiques. Ce trouble peut être observé en général après au moins deux mois de consommation d'opiacés. Une hypothèse physiopathologique peut être avancée, celle de l'action des opiacés sur les récepteurs mu localisés sur la partie ventrale du bulbe rachidien régulant la réponse ventilatoire à l'hypercapnie.

Psychotropes favorisant le risque de troubles moteurs liés au sommeilLa plupart des antidépresseurs et certains anti-psychotiques ont été identifiés comme pouvant déclencher ou aggraver un SJSR ou des mouve-ments périodiques du sommeil [28, 29]. Les princi-pales molécules sont listées dans le tableau 6.10.

Il existe également des situations à risque favori-sant l'apparition de ce trouble comme le sevrage en opiacés, en benzodiazépines ou en antiépileptiques.

Influence des substances toxiques sur le sommeil

CannabisLe cannabis a un effet subjectif sur le sommeil de type facilitateur : la latence d'endormisse-ment est raccourcie, le sommeil est perçu comme

réparateur et sa continuité améliorée. Au réveil, il existe une sensation de somnolence. La poly-somnographie met en évidence des effets du Δ9-tétrahydrocannabinol (THC) sur la structure du sommeil, principalement au niveau du som-meil lent profond et du sommeil paradoxal. La quantité de sommeil lent profond est augmentée et on observe une diminution des mouvements oculaires du sommeil paradoxal. Ces effets s'ac-centuent avec l'augmentation des doses, de façon dose-dépendante, et une diminution du sommeil paradoxal est ensuite notée. Lors de l'usage chro-nique, une tolérance s'installe, tendant à atténuer ces effets. Chez le sujet souffrant d'insomnie et habituellement non consommateur, la polysom-nographie objective l'effet du THC, qui diminue la latence d'endormissement et améliore la conti-nuité du sommeil en première partie de nuit de façon dose-dépendante ; en revanche, sur la deu-xième partie de nuit, la continuité du sommeil a tendance à se détériorer [30, 31].

Les effets du THC sur le sommeil semblent diffé-rents, selon que celui-ci est pris de façon isolée ou associée au cannabidiol, et en fonction des doses. Des doses faibles de THC isolé (15 mg) induisent une diminution du sommeil paradoxal et une augmentation du sommeil lent profond, avec un retour aux valeurs de base au bout d'une semaine.

Tableau 6.9. Psychotropes ayant un effet sur le SAOS.

Substances Mécanismes supposés

Benzodiazépines Action myorelaxante sur les muscles dilatateurs du pharynx, favorisant le collapsus des voies aériennes supérieures (ronflements, apnées obstructives), et augmentation du stade NREM2 favorisant les événements obstructifs

Neuroleptiques

Thymorégulateurs

Certains antidépresseurs

Action métabolique favorisant la prise de poids, à l'origine d'un rétrécissement des voies aériennes supérieures par infiltration graisseuse, favorisant le collapsus pharyngé (ronflements, apnées obstructives)

Alcool Action myorelaxante sur les muscles des voies aériennes supérieures, favorisant le collapsus pharyngé (ronflements, apnées obstructives), et augmentation de la résistance inspiratoire

Tabagisme + nicotine Facteur favorisant le ronflement, les apnées obstructives du sommeil et l'hypoxie nocturne

Tableau 6.10. Psychotropes aggravant le SJSR ou les mouvements périodiques du sommeil.

Antidépresseurs Venlafaxine, fluoxétine, escitalopram, tétracycliques, miansérine, mirtazapine

Antipsychotiques Quétiapine, olanzapine

Thymorégulateur Lithium

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

125

L'association de 15 mg de THC à 15 mg de canna-bidiol diminue l'index d'efficacité du sommeil, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal de manière importante ; on ne note pas d'effets signi-ficatifs sur la latence d'endormissement. Des doses plus importantes (50 à 210 mg de THC) chez des sujets naïfs ou des consommateurs chroniques ont le même effet suppresseur sur le sommeil para-doxal mais n'entraînent pas d'augmentation du sommeil lent profond.

Après une brève période de consommation continue de cannabis, le sevrage provoque une augmentation de la latence d'endormissement et un fractionnement du sommeil ; le sommeil à ondes lentes diminue, tandis qu'il existe un rebond du sommeil paradoxal dont la quantité augmente.

MorphiniquesCf. tableau 6.11 [32].

AlcoolChez un sujet non dépendant, l'alcool a le plus souvent un effet transitoire sédatif, plus par-ticulièrement chez les sujets anxieux ou qui éprouvent des difficultés à trouver le sommeil ; pour certains sujets, il peut être légèrement stimulant. La polysomnographie montre une diminution de la latence d'endormissement, une

augmentation du sommeil lent profond et une diminution du sommeil paradoxal. Ces effets pourraient faire considérer l'alcool comme un hypnotique ; néanmoins, quand la consomma-tion atteint quatre ou cinq verres d'alcool avant le coucher, un syndrome de sevrage au milieu de la nuit produit des effets délétères, avec un sommeil léger et discontinu, une augmentation du sommeil paradoxal et la présence de cau-chemars, pouvant s'associer à une activation du système nerveux sympathique incluant une tachycardie et des sueurs nocturnes [33].

Chez un patient souffrant de dépendance alcoo-lique, les troubles du sommeil sont très fréquents, bien qu'estimés encore de manière imprécise (environ 50 % des sujets). Il peut s'agir d'insom-nie, d'hypersomnie, de trouble du rythme circa-dien et de parasomnies. Au fur et à mesure que la dépendance à l'alcool se développe, les patients rapportent souvent des difficultés à dormir, même sans consommer d'alcool. Des mesures objectives confirment cette plainte en faisant apparaître une augmentation de la latence d'endormissement, une faible efficacité du sommeil, une diminution du temps total de sommeil, une diminution du sommeil lent profond et du sommeil paradoxal. Le rythme circadien de la veille et du sommeil peut être perturbé et devenir polyphasique, alternant des courtes périodes de sommeil après l'ingestion d'alcool suivies de courtes périodes de veille [34].

Tableau 6.11. Effet des morphiniques sur le sommeil.

Morphine Héroïne

Effet d'une prise aiguë sur le sommeil

↑ Latence d'endormissement ↑ Latence d'endormissement

↓ SLP et déplacement vers la fin de nuit

↓ SLP

↑ Épisodes d'éveil et somnolence pendant les premières nuits

↑ Épisodes d'éveil et somnolence pendant les premières nuits (dose-dépendant)

↓ SP et des MOR ↓ SP avec effet rebond les deux nuits suivantes

↑ Cyclicité des épisodes de SP

↑ Bouffées d'ondes delta

↓ TTS ↓ TTS

↑ Activité musculaire ↑ Activité musculaire

Effet d'une prise chronique sur le sommeil

Tolérance partielle, mêmes effets atténués

Les bouffées d'ondes delta persistent (caractéristique du sommeil sous morphiniques)

Effet du sevrage sur le sommeil

↑↑ Rebond de SP pendant quelques semaines

↑ Veille intrasommeil (pic à 3 jours)

Partie II. Neurophysiologie diagnostique

126

Les principales caractéristiques du sommeil un mois après le sevrage et trois mois après sont résu-mées dans le tableau 6.12.

NicotineLa nicotine possède un effet éveillant et diminue le sommeil. Cet effet est lié à sa fixation sur des récepteurs cérébraux nicotiniques à acétylcho-line impliqués dans les processus d'éveil, et à une action inhibitrice sur les systèmes facilitateurs du sommeil. Les études polysomnographiques portant sur les effets de la nicotine sur le som-meil des fumeurs font apparaître, par rapport aux non-fumeurs, une augmentation de la latence d'endormissement et une altération de la conti-nuité du sommeil avec une augmentation des éveils nocturnes. Des réveils nocturnes liés à un besoin impérieux de fumer sont observés dans le tabagisme sévère, induits par la diminution de la nicotinémie pendant le sommeil : ce syndrome de « perturbation du sommeil nocturne lié au besoin de nicotine » (nocturnal sleep disturbing nicotine craving) a une prévalence d'environ 20 % [35].

ConclusionL'exploration du sommeil revêt un intérêt tout particulier en psychiatrie. À l'échelle d'un trouble psychiatrique ou d'une maladie, elle apporte des données physiopathologiques fondamentales pour leur compréhension ; à l'échelle de l'individu, le sommeil représente un véritable baromètre d'un état pathologique et de son évolution. En  fonc-

tion  des troubles, les altérations du  sommeil sont un indicateur de vulnérabilité, ou encore ont une valeur prédictive de risque accru de récidive, comme cela a été montré pour le trouble dépressif. Par ailleurs, le traitement du trouble du sommeil indépendamment de l'affection psychiatrique associée peut avoir des effets thérapeutiques sur le processus morbide.

Dans d'autres domaines, nous disposons de données encore éparses, comme c'est le cas pour la maladie schizophrénique, reflétant à la fois la diversité des troubles et celle des mécanismes physiopathologiques sous-jacents. Les modifi-cations neurobiologiques associées aux patho-logies psychiatriques vont également s'exprimer à travers des altérations de la structure du som-meil que la polysomnographie pourra mettre en évidence. Suivant les pathologies, la réalisation de la polysomnographie est un outil utile à la fois au diagnostic, à la compréhension physiopatholo-gique du trouble, à la prédiction de la réponse au traitement ou du risque de rechute.

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Tableau 6.12. Principales caractéristiques du sommeil, à un et trois mois après le sevrage en alcool.

Au bout d'un mois d'abstinence Après trois mois d'abstinence

Latence d'endormissement ↑ ↑

Temps de sommeil total ↓ Normale

Fragmentation ↑ ↑

Pourcentage de stade 2 ↓ ↓

Pourcentage de sommeil lent profond ↓ ↓

Pourcentage de sommeil paradoxal Parfois ↑ Normale

Latence du sommeil paradoxal ↓ Normale

Densité des mouvements oculaires ↑ ↓

Chapitre 6. Polysomnographie en psychiatrie

127

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Bases neurophysiologiques

Induction répétée d'une crise épileptique contrôlée et de bonne qualitéL'électroconvulsivothérapie (ECT) est une tech-nique d'électrostimulation thérapeutique qui consiste à induire de manière répétée, chez un patient souffrant d'un trouble psychiatrique, des crises épileptiques contrôlées et de bonne qualité (figure 7.1), à raison d'une par séance, afin d'obtenir pendant la cure des modifications neurophysiolo-giques permettant une réduction de la sévérité des symptômes et signes psychiatriques dans l'objectif d'une rémission clinique. L'ECT peut être utilisée ensuite pour le maintien de cette rémission.

La pratique de l'ECT nécessite une surveillance électroencéphalographique (EEG) de la crise épi-leptique induite [1–4]. Le psychiatre doit donc être capable d'enregistrer, lire et interpréter l'EEG réalisé au cours d'une séance d'ECT [5]. Bien que la pratique de l'ECT nécessite des compétences complémentaires, une connaissance minimale de la neurophysiologie clinique est indispensable. Cette connaissance guidera de manière essentielle la conduite de la séance et de la cure d'ECT. Plu-sieurs éléments sont à connaître pour interpréter un EEG pendant une séance d'ECT.

La lecture de l'EEG doit reconnaître les artefacts biologiques et techniques

Les artefacts sur l'EEG sont des activités électriques d'origine physiologique (corporelle) ou technique (non corporelle), ne provenant pas du cerveau et venant se surajouter à la trace EEG d'origine céré-brale (cf. chapitre 3). L'attention portée à la clinique et la connaissance des formes particulières des artefacts sur la trace EEG permet de les différencier de l'acti-

vité neurophysiologique cérébrale. Savoir les repérer est essentiel pour interpréter sans erreur un EEG au cours d'une séance ECT (en particulier la fin de la crise) mais permet également de suivre l'évolution électroclinique de la crise.

Les artefacts les plus courants sont : • lesartefactsmusculaires(figure 7.2A) ; • lesartefactsd'électrodes(figure 7.3B) ; • lesartefactsdemouvements(figure 7.4) ; • lesartefactsd'électrocardiogramme(figure 7.4B).

Les artefacts musculaires proviennent des acti-vités électromyographiques (EMG) qui sont d'une amplitude plus importante (quelques millivolts) par rapport à l'activité électroencéphalogra-phique (quelques microvolts). Ils apparaissent sous la forme d'activités rapides de plus de 30 Hz et donnent l'impression d'un tracé noir et hérissé de pointes (figure 7.2A).

Les artefacts de mouvements sont associés à des déflexions lentes de grande amplitude tendant à dépasser les capacités du système d'impression EEG (figure 7.4B). Ils s'observent surtout lors de la manipulation de la tête du patient (figure 7.4B), lors de la ventilation au masque (figure 7.4B) ou lors de la reprise de respiration spontanée par le patient (figure 7.4A).

Les artefacts d'électrodes, en cas de mauvaise adhérence, provoquent une trace EEG ample et fluctuante similaire aux artefacts de manipula-tion de la tête du patient (figure 7.4B). En cas de déconnexion d'électrodes, on observe une dispa-rition du tracé EEG (figure 7.3B).

Les artefacts d'ECG sont des complexes QRS rythmiques classiques qui se surajoutent au tracé EEG (figure 7.4B).

Ces artefacts peuvent à tort être interprétés comme des activités paroxystiques épileptiformes et donc comme la poursuite de la crise épileptique. Mais l'artefact d'électrodes est généralement asy-métrique et l'artefact d'ECG provoque des activi-tés paroxystiques de période plus longue que celle des activités rythmiques épileptiques.

Chapitre 7ÉlectroconvulsivothérapieC. Quiles, J.-A. Micoulaud-Franchi1

1 Relecture : C. Balzani, J. Vion-Dury.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

134

La lecture de l'EEG doit identifier les phases de déroulement de la crise épileptique

Une crise épileptique se traduit en général par des modifications caractéristiques de l'EEG appelées activités critiques. Les activités critiques princi-pales sont des activités paroxystiques épileptiques. Il faut noter que le terme électrophysiologique « paroxysme » ne sous-entend pas automatique-ment « épileptique ». Un paroxysme EEG est en effet un grapho-élément transitoire de début et de fin brutaux, se détachant très nettement de l'activité de fond et atteignant rapidement son maximum d'amplitude. Parmi ces paroxysmes, certains sont de nature épileptique, mais d'autres peuvent être artéfactuels ou signes d'un processus pathologique non épileptique comme les encé-phalopathies ou les encéphalites (cf. chapitre 3).

Les paroxysmes épileptiques typiques obtenus lors d'une crise épileptique déclenchée par la sti-mulation ECT sont ; • lespolypointes;• lespointesetpolypointes-ondes;• lesondeslentesangulaires.

Toutes ces activités peuvent prendre une orga-nisation rythmique, c'est-à-dire se répéter dans le temps avec un intervalle de temps court.

À côté de ces activités paroxystiques, une crise épileptique induite par ECT peut se traduire par la présence d'une modification en fréquence du rythme EEG de fond (cf. chapitre 3). Ainsi, une activité EEG rapide de faible amplitude, donnant l'impression d'un aplatissement du tracé, ou de moyenne amplitude donnant l'impression de pointes toniques (avec une rythmicité très rapide), peut être retrouvée au début de la crise.

La description des activités EEG critiques observées au cours du temps permet de définir des phases ictales après la stimulation par ECT [6] (cf. figure  7.1). Ces phases sont typiques mais peuvent ne pas être systématiquement toutes pré-sentes. Leur absence n'est pas pour autant inévita-blement un facteur de mauvais pronostic. L'EEG d'une crise induite par ECT présente certaines spécificités par rapport à l'EEG d'une crise géné-ralisée tonicoclonique spontanée. Ces spécificités sont une phase tonique plus courte et une phase de suppression post-ictale.

Figure 7.1. Tracé EEG d'une crise adéquate et optimale, peu artéfacté.La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.Amplification : 20 μV/mm et vitesse de déroulement : 2,5 cm/s.Ce tracé EEG est caractéristique d'une crise adéquate (durée de plus de 20 secondes et de moins de 3 minutes) et d'une crise optimale (activités paroxystiques de grande amplitude, très rythmiques, généralisées et synchrones sur les deux hémisphères, s'arrêtant rapidement, avec suppression complète de toute activité EEG en phase post-ictal immédiat). On retrouve sur ce tracé les phases ictales typiques d'une crise épileptique déclenchée par une stimulation ECT.

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

135

Figure 7.2. Tracés EEG de crises adéquates, « quasi » optimales, peu artéfactés.La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.(20 μV/mm et 2,5 cm/s).Ces tracés EEG ne présentent pas tous les critères de la crise optimale. Il existe des activités paroxystiques de grande amplitude, très rythmiques, généralisées et synchrones sur les deux hémisphères ; cependant, l'arrêt de la crise est progressif et la suppression de toutes les activités EEG en phase post-ictale est incomplète.A. Tracé EEG caractérisé par une phase de terminaison longue avec espacement très progressif des activités paroxystiques épileptiformes. Il existe des artefacts d'activités musculaires qui surchargent la première partie du tracé. La fin de ces artefacts correspond à la fin de la crise clinique (flèche noire) et au début de la longue phase de terminaison électrique.B. Tracé EEG caractérisé par la persistance d'une activité EEG post-ictale. Du fait de la disparition de la rythmicité de l'activité EEG, la fin de la crise avait été déterminée entre 48 et 49 secondes. Cependant, à la réévaluation du tracé, la fin de la crise reste incertaine. Devant la persistance d'une activité EEG assez ample en phase post-ictale immédiate et donc une fin de crise peu nette, il aurait été préférable, suivant le principe « when in doubt, play it out », de continuer l'enregistrement du tracé pendant quelques secondes pour s'assurer de la non-reprise d'une activité rythmique critique évidente.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

136

Figure 7.3. Tracés EEG de crises adéquates et non optimales, artéfactés.La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.(20 μV/mm et 2,5 cm/s).A. Ce tracé EEG est caractéristique d'une crise adéquate (durée de plus de 20 secondes) mais non optimale puisque la phase clonique est peu marquée (activités paroxystiques de faible amplitude, polymorphes, peu rythmiques, généralisées mais peu synchrones sur les deux hémisphères), qu'elle s'arrête de manière très progressive et qu'il existe une persistance d'activité EEG en phase post-ictale immédiate. La distinction entre la phase clonique, la phase de terminaison et la phase post-ictale reste incertaine.B. Ce tracé EEG (très artéfacté) est caractéristique d'une crise non optimale. L'asynchronie des activités paroxystiques épileptiformes entre les deux hémisphères est marquée. Il existe des artefacts d'activités musculaires nombreux sur la première partie du tracé du bas et des artefacts de mouvement sur les deux traces. La fin du tracé est coupée prématurément du fait d'un artefact de déconnexion d'électrode. Les signes cliniques de reprise de mouvements volontaires et de mouvements respiratoires ont permis de confirmer la fin de la crise d'un point de vue clinique.

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

137

Figure 7.4. Tracés EEG de crises non adéquates (ou avortées), sans phases cloniques, artéfactés.La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche.(20 μV/mm et 2,5 cm/s).A. Deux tracés EEG de crise avortée caractérisés par une accélération du rythme EEG avec un aspect de très petites pointes toniques de faible amplitude. L'association d'artefacts d'activités musculaires est probable. Sur le premier tracé, les artefacts de mouvement à partir de 18 secondes sont liés à la reprise d'une respiration spontanée par le patient.B. Tracé EEG de crise avortée caractérisé par des activités paroxystiques toniques de type pointes sur 7 secondes environ. Il existe des artefacts liés à la manipulation de la tête du patient au début de la trace du haut, puis des artefacts ECG sur le tracé de bas. La fin de la crise est peu nette entre 12 et 16 secondes, mais il existe une disparition des activités paroxystiques épileptiformes entre 16 et 19 secondes, puis des activités réapparaissent qui ne correspondent pas à une reprise de la crise épileptique mais à des artefacts liés à la réalisation d'une ventilation au masque chez le patient.

La phase pré-ictale est la phase initiale, de très courte durée, rarement enregistrée, caractérisée par une activité EEG très rapide et de faible ampli-tude donnant l'impression d'un aplatissement du tracé. Cette phase reflète la désynchronisation induite par la stimulation électrique [6].

Puis apparaît la phase épileptique recrutante, ou de synchronisation, de courte durée (quelques secondes) caractérisée par une activité EEG rapide, tonique, aux alentours de 20 Hz, ressem-blant à de petites pointes rapides d'amplitude croissante. Il lui succède la phase tonique, d'une dizaine de secondes, caractérisée par des activi-

tés paroxystiques rapides de type pointes et poly-pointes.

Ces activités paroxystiques s'entrecoupent ensuite d'ondes lentes angulaires, irrégulières, correspondant à la transition entre la phase tonique et le début de la phase clonique de la crise épileptique. Ces phases peuvent être masquées par des artefacts musculaires continus en cas de faible curarisation. La phase clonique est ensuite caractérisée par des activités paroxystiques de type polypointes-ondes puis ondes lentes angu-laires rythmiques, régulières, de grande ampli-tude, stéréotypées (de morphologie identique),

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

138

synchrones entre les deux hémisphères, associées, suivant le niveau de curarisation, à des mouve-ments cloniques convulsifs et à des artefacts mus-culaires plus ou moins discontinus. La fréquence de ces activités rythmiques diminue (de 5 Hz à 1 Hz environ) au cours de cette phase, qui est la plus longue. En cas de stimulation ECT unilaté-rale, une généralisation aux deux hémisphères doit normalement être observée sur l'EEG, l'hé-misphère non stimulé pouvant cependant être en retard sur l'hémisphère stimulé.

Enfin, la phase de terminaison de la crise est une phase de transition entre la phase clonique et la fin de la crise, caractérisée par des ondes lentes dont l'amplitude, la rythmicité et la régularité diminuent jusqu'à l'arrêt de la crise.

La phase post-critique immédiate est alors caractérisée par un aplatissement important du tracé, dénommé phase de suppression post-ictale. Cette phase dure quelques secondes avant le retour d'une activité EEG post-ictale ralentie.

Les artefacts musculaires coïncident avec les activités motrices cliniques de la crise épileptique et peuvent être présents sur le tracé EEG mal-gré la curarisation. On peut noter des activités musculaires continues lors de la phase tonique et plus ou moins discontinues lors de la phase clonique (cf. figures  7.2A et 7.3B). Il est parfois difficile, au début de la crise, de distinguer une activité tonique d'origine cérébrale d'une activité artéfactuelle d'origine musculaire. Les activités musculaires disparaissent lors de la phase de ter-minaison. Il est important de noter que la dispari-tion de toute activité motrice se fait donc avant la disparition de la crise enregistrée sur le tracé EEG (de 5 à 10 secondes environ) [7] (cf. figure 7.2A).

Il est parfois difficile d'observer des activités paroxystiques typiques et de grande amplitude au cours d'une crise épileptique induite par ECT. La modification du tracé pré-ictal par l'effet des anesthésiques ou des séances d'ECT précédentes ne favorise pas non plus le repérage de ces activi-tés paroxystiques. En effet, le tracé réalisé avant la séance d'ECT peut présenter un ralentissement du rythme de fond, des activités EEG amples plus ou moins angulaires et des bouffées d'acti-vités paroxystiques épileptiformes, qu'il ne faut pas interpréter comme des activités paroxystiques critiques puisque ne s'associant pas à des signes cliniques de crise. Dans ce contexte de modifica-

tions préalables des traces EEG pré-ictales, deux types de pattern EEG sans phases cloniques sont à connaître pour pouvoir identifier une crise épi-leptique induite par ECT [8] : • lepremierpattern, rare et difficile à repérer, est

l'adjonction de petites pointes sur les activités lentes du tracé pré-ictal ;

• le second pattern est celui plus typique d'une crise tonique : il implique une modification de la fréquence dominante avec une accéléra-tion du rythme de fond et l'adjonction plus ou moins marquée d'activités de plus ou moins grande amplitude prenant parfois l'allure de pointes rapides toniques, se ralentissant ensuite pour retrouver la forme du tracé initial (cf. figure 7.4).

L'interprétation de l'EEG doit qualifier la crise épileptique induite par ECT

Une crise épileptique déclenchée par une stimu-lation ECT est adéquate si sa durée est supérieure à 20 secondes mais inférieure à 3 minutes (cf. figures  7.1 à 7.3). En cas de crise de durée infé-rieure à 15 secondes, il s'agit d'une crise avortée (cf. figure 7.4) [3, 4, 9].

Trois critères EEG pronostiques ont été identi-fiés et permettent de définir une crise épileptique optimale [10–13]. Il s'agit de critères portant sur l'ar-chitecture de la crise épileptique à l'EEG : • le premier critère est l'indice de suppression

post-ictale (ou index de suppression de l'acti-vité biocorticale, SABC) qui correspond à une évaluation du degré de fin nette de la crise avec suppression complète de l'activité EEG en phase post-critique [10], soit de manière visuelle [11] soit de manière quantitative [12, 14] : plus l'indice de suppression est élevé, meilleure est la réponse thérapeutique à la cure ECT [10] ;

• le second est l'amplitude maximale de l'EEGdurant la crise (en millivolts) [10] : plus cette amplitude est grande, meilleure est la réponse thérapeutique [11, 14] ;

• enfin, le troisième est un indice de cohérenceinterhémisphérique, permettant par EEG quantitatif d'obtenir une mesure du degré de synchronie des activités paroxystiques cri-tiques entre les deux hémisphères [14] : sa valeur pronostique a été moins étudiée que les deux indices précédents [14] ; mais, en cas de stimu-lation unilatérale, il faut s'assurer que la crise

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

139

épileptique a été généralisée, c'est-à-dire impli-quant les deux hémisphères.Ces indices peuvent être utilisés cliniquement

de deux manières [10, 15] : • lapremièreestvisuellepuisqu'ilsindiquenten

définitive qu'une crise épileptique optimale pré-sente à l'EEG des activités paroxystiques rapi-dement de grande amplitude, morphologique-ment bien formées, rythmiques, généralisées et synchrones sur les deux hémisphères, s'arrêtant brutalement en fin de crise, avec suppression complète de toute activité EEG en phase post-ictale immédiate [6, 7] (cf. figure 7.1) ;

• la seconde manière est quantitative puisque les appareillages d'ECT (MECTA spECTrum® et Somatics Thymatron®) offrent la possibi-lité d'obtenir certains de ces indices ou des indices s'en rapprochant [15]. Cependant la vali-dité prospective de l'utilisation des algorithmes quantitatifs développés par ces sociétés reste à confirmer [15].

L'interprétation de l'EEG doit déterminer la fin de la crise

Déterminer la fin de la crise est l'étape impor-tante de la surveillance EEG de la crise épileptique puisqu'elle permet d'évaluer la durée de celle-ci, paramètre essentiel mais non suffisant pour la conduite de séances d'ECT de qualité. Mais repé-rer la fin de la crise n'est pas aisé puisque : • lesactivitésparoxystiquesépileptiquespeuvent

diminuer tellement progressivement qu'il peut être difficile d'en déterminer nettement la fin (cf. figure 7.2A) ;

• ilpeutpersisteruneactivitéEEGnoncritiqueassez lente et ample du fait d'une suppression post-ictale incomplète (cf. figures 7.2B et 7.3A) ;

• lafindecrisepeutêtreartéfactée(cf.figures 7.3 et 7.4B).Des critères cliniques et EEG précis sont donc

à prendre en compte afin de déterminer avec rigueur la fin de la crise [8] : • auniveauclinique,silepatientinitiedesmou-

vements volontaires ou des efforts de respi-ration, alors il faut considérer qu'il s'agit d'un indice pour affirmer que la crise est terminée (cf. figure 7.3B) ;

• auniveauEEG,ilestconseillédecontinuersys-tématiquement l'enregistrement 10 secondes après la fin présumée de la crise sur le tracé.

En effet, des reprises de crise épileptique ont été décrites jusqu'à 5 secondes après la fin de la crise précédente et les activités paroxystiques peuvent donc réapparaître en cas de non- terminaison claire de celle-ci [8]. D'une manière générale, il est donc conseillé au moindre doute de continuer l'enregistrement EEG, selon la formule : « When in doubt, play it out » [8] (cf. figure  7.2B). Enfin, il est conseillé de relire la trace EEG en sens inverse, depuis la fin de la trace en remontant, pour confirmer la fin de la crise déterminée à la lecture en descendant. Obtenir une trace EEG de la phase pré-ictale peut aider à interpréter la trace EEG ictale et post-ictale immédiate en cas de crise difficile à reconnaître.

L'interprétation de l'EEG reste électroclinique

Une crise épileptique est avant tout une crise clinique, c'est-à-dire une manifestation clinique paroxystique, témoin d'une décharge anormale, excessive et hypersynchrone d'une population plus ou moins étendue de neurones du cortex cérébral et se traduisant par des modifications caractéristiques de l'EEG (activités critiques). Cette définition classique de la crise épileptique est à confronter au contexte particulier de l'ECT et de l'encadrement anesthésique, la manifesta-tion clinique ne pouvant être composée de symp-tômes ressentis par le malade, puisque celui-ci est inconscient du fait de l'anesthésie et que les signes cliniques, repérés par le médecin et reconnus comme pouvant être de nature épileptique — en particulier les signes moteurs comme les mouve-ments convulsifs au cours des crises d'épilepsie généralisées — sont limités par la curarisation. L'ECT réalise en quelque sorte une situation de « dissociation électroclinique iatrogène ».

Malgré ces contraintes anesthésiques, il est important de garder à l'esprit que la crise épi-leptique reste une manifestation clinique et que l'EEG ne doit pas dispenser le psychiatre prati-quant l'ECT de rechercher des signes cliniques concomitants de la crise. Une augmentation de la pression artérielle, une pilo-érection, ainsi qu'une activité critique motrice doivent être recherchées pour compléter la surveillance EEG. Concer-nant l'activité motrice, il n'est pas rare, malgré la curarisation, qu'une activité convulsive fine des

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

140

extrémités soit observée. Elle est généralement de durée plus courte que la crise épileptique enregis-trée à l'EEG. Bien que le suivi électroclinique soit essentiel, la surveillance de la crise sur les seules activités musculaires (artefacts EMG et technique du brassard, cf. infra) risquerait, pour cette rai-son, de sous-estimer la durée réelle de la crise. En revanche, la contraction faciale initiale pendant la stimulation ECT est déclenchée par la stimulation électrique des muscles de la tête — en particulier les muscles masséters entraînant un trismus néces-sitant des gouttières dentaires de protection — et ne doit pas être confondue avec des activités motrices d'origine épileptique.

Marqueurs neurophysiologiques d'effet de la cure ECTLes effets neurophysiologiques de la cure ECT sont multiples, depuis des effets biochimiques jusqu'à des effets neuroplastiques [4]. La compré-hension des mécanismes d'action de la cure ECT reste incomplète, bien que l'efficacité et la bonne tolérance en soient désormais établies.

Du point de vue de la neurophysiologie cli-nique, l'EEG conventionnel est modifié entre les séances d'ECT (ou tracé inter-ictal).

Il existe en effet un ralentissement du rythme de fond dans la bande thêta voire delta, associé à des activités paroxystiques plus lentes, amples, diffuses, à prédominance bifrontale, parfois pré-dominant du côté stimulé en cas de stimulation unilatérale, plus ou moins angulaires, plus ou moins rythmiques, le plus souvent intermittentes et prenant parfois l'aspect de bouffées d'activités paroxystiques épileptiformes [6] (figure 7.5).

Ces anomalies sont fonction du nombre de séances d'ECT et sont plus importantes avec la stimulation bilatérale qu'unilatérale. Bien que ces anomalies EEG ressemblent parfois à celles retrouvées dans certaines encéphalopathies, elles sont, en l'absence d'anomalies cliniques asso-ciées, à tolérer et pourraient être associées à une meilleure réponse thérapeutique, en particulier lorsque leurs localisations prédominantes sont frontales et préfrontales [6, 16, 17].

De fait, le terme d'« anomalies EEG » pour décrire les tracés pourrait ne pas être adapté dans le contexte des ECT [17]. Ces « modifications EEG » rappellent les descriptions de Landolt qui, en 1953,

décrivait le phénomène de normalisation forcée aussi appelé « effet Landolt » chez les patients souf-frant d'épilepsie [18] (cf. chapitres 4 et 10). L'effet est caractérisé par le fait que lors de l'apparition de symptômes psychotiques, l'EEG des patients épileptiques tend à se normaliser ou se normalise complètement [19]. Les modifications EEG induites par la cure ECT apparaîtraient alors comme la base d'un effet Landolt inversé [20]. La modifica-tion du tracé EEG pourrait alors constituer soit la conséquence neurophysiologique (effet secon-daire) du traitement par ECT, soit la participation neurophysiologique à l'amélioration clinique (effet de compensation). Cependant, bien que les méca-nismes de l'effet Landolt (inversé ou non) soient encore très peu connus (cf. chapitre 10), ils per-mettent de formuler des hypothèses de recherche intéressantes pour mieux comprendre les méca-nismes d'action de la cure ECT sur les troubles psychiatriques. L'ECT peut être considérée comme une porte d'entrée collaborative à ne pas sous- estimer entre psychiatre et neurophysiologiste [21].

MatérielLe psychiatre pratiquant l'ECT doit bien connaître le matériel électrophysiologique qu'il utilise (cf. chapitre 1). L'utilisation des appareillages ECT nécessite un contrôle régulier par le service bio-médical de l'hôpital afin d'assurer la sécurité d'utilisation.

Un appareillage ECT a deux objectifs : • stimuler électriquement le cerveaudupatient,

de manière contrôlée et inoffensive ; • enregistrerl'activitéélectriqueducerveaupen-

dant la séance d'ECT.Les premiers appareillages ECT avec maté-

riel d'enregistrement EEG apparaissent dans les années 1970 [22]. Les deux principaux types d'ap-pareillages actuels de stimulation ECT (MECTA spECTrum®2 et Somatics Thymatron®3) sont équi-pés d'un système d'enregistrement EEG à deux canaux sous la forme d'une trace papier dérou-lante (papier thermique) (figure 7.6). L'enregistre-ment EEG est déclenché automatiquement dès la fin de la stimulation électrique.

2 http://www.mectacorp.com/products.html3 http://www.thymatron.com/main_catalog.asp

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

141

Le matériel ECT Somatics Thymatron® per-met également en option de surveiller l'EEG sous la forme d'un signal sonore, devant être utilisé en supplément et non en remplacement de l'analyse visuelle de la trace EEG pendant la séance d'ECT. L'enregistrement sur quatre canaux EEG et l'enregis-

trement numérique digitalisé sont des options pos-sibles sur les deux types d'appareillages. Ces options permettent d'obtenir des critères EEG quantitatifs pronostiques potentiellement utiles pour guider la stratégie thérapeutique par ECT mais aussi de mener des recherches de neurophysiologie clinique.

Figure 7.5. Tracés EEG 21 électrodes (montage longitudinal) avant et entre les séances d'ECT.(10 μV/mm et 1,5 cm/s).A. Tracé EEG de base. Avant le début des séances ECT, l'EEG est sans anomalie pathologique avec une activité de fond caractérisée par un rythme alpha, postérieur, symétrique, bilatéral, synchrone, bien réactif à l'ouverture des yeux. Les manœuvres d'activation (hyperpnée, HP, et stimulations lumineuses intermittentes, SLI) étaient sans effet pathologique.B. Tracé EEG intercritique. Après quatre séances d'ECT, l'EEG est modifié. Il existe un ralentissement du rythme de fond dans la bande subalpha-thêta, restant réactif à l'ouverture des yeux. Sur ce rythme de fond ralenti se surajoutent des activités paroxystiques de type ondes lentes angulaires, généralisées, à prédominance frontale, prenant parfois un aspect de bouffées rythmiques de quelques secondes. En l'absence de signes cliniques de syndrome confusionnel ou de crises indésirables, ce tracé ne doit pas conduire à l'arrêt des séances d'ECT.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

142

Système de stimulationIl existe deux positionnements possibles des élec-trodes de stimulation (figure 7.7) [7] : • lapremièremodalitédeplacementestbilatéraleou

bi-fronto-temporale : les électrodes sont placées des deux côtés de la tête, avec leur point central approxi-mativement à 2,5 cm au-dessus du milieu d'une ligne tracée entre le tragus et le canthus externe ;

• la seconde modalité de stimulation est uni-latérale droite, ou LART (pour Left Anterior Right Temporal), l'électrode droite étant placée en même position qu'en stimulation bilatérale, alors que l'électrode gauche est placée à l'inter-section des milieux des lignes allant du tragus gauche au tragus droit et de l'inion au nasion.L'ECT délivre au travers des électrodes de sti-

mulation (et du gel conducteur placé entre les électrodes et le scalp) un courant bref pulsé avec ondes carrées. Les courants alternatifs sinusoï-daux ont été abandonnés car ils nécessitaient une intensité plus importante pour induire une crise épileptique et provoquaient pour cette raison plus d'effets secondaires cognitifs. La charge électrique est mesurée en millicoulomb (mC). Elle est délivrée par l'appareillage ECT au travers des électrodes de stimulation. Notons que la charge électrique est la quantité d'élec-tricité et non la quantité d'énergie délivrée par l'appareil.

La quantité d'énergie délivrée s'exprime en joules (J) et dépend de la résistance en ohms (Ω) des tis-sus traversés. Plus la résistance est grande, plus la quantité d'énergie délivrée à charge électrique égale est grande. En pratique clinique, c'est la charge élec-

Gouttière dentairede protection

Électrodes de stimulationet pâte conductrice

Électrode de terre

Écran de réglagesdes paramètres de stimulationet d’enregistrement EEG

Électrodes d’enregistrementvoie gauche et voie droite

Papier d’enregistrement EEG

Figure 7.6. Matériel de stimulation ECT avec système d'enregistrement EEG intégré.

Figure 7.7. Placement des électrodes de stimulation unilatérale (une électrode positionnée entre le canthus externe et le tragus du côté de l'hémisphère droit et l'autre électrode sur le vertex) ou bilatérale (électrodes positionnées entre le canthus externe et le tragus de chaque côté du crâne).

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

143

trique qui est utilisée pour la conduite des ECT parce qu'indépendante de la résistance. Des « niveaux » de charge électrique sont préenregistrés et l'appareil-lage détermine automatiquement les paramètres en fonction de la charge en millicoulomb souhai-tée. Au moment de la stimulation, l'appareillage calcule également automatiquement l'impédance, n'autorisant à délivrer le courant que si celle-ci est suffisamment basse pour permettre à ce dernier de diffuser. Elle adapte également la charge électrique à administrer en fonction de l'impédance mesurée. Les paramètres de stimulation sont alors inscrits en début et en fin de la trace EEG (avec la quantité d'énergie en Joules).

Plusieurs paramètres peuvent être réglés sur les appareillages afin d'obtenir la charge électrique souhaitée : • laduréedupulse ; • lafréquencedespulses ; • laduréedelastimulation;• l'intensité.

La durée du pulse peut être brève (0,5 à 1 s) ou ultrabrève (0,3 ms). Plus la durée du pulse est brève, plus la crise est déclenchée facilement. Cependant, pour obtenir une charge suffisante, il faudrait alors augmenter les autres para-mètres. Une stimulation bilatérale avec des pulses ultrabrefs n'est pas plus efficace qu'une stimula-tion unilatérale [23]. Le traitement utilisant le posi-tionnement bilatéral perd donc sa supériorité en termes d'efficacité si on utilise un courant avec des pulses ultrabrefs. La stimulation ultrabrève n'est donc utilisée qu'en association avec un place-ment unilatéral des électrodes.

La fréquence des pulses peut varier de 10 à 120 Hz. Le terme de « basse fréquence » est uti-lisé pour des fréquences inférieures à 70 Hz. Au delà, la stimulation est dite à « haute fréquence ». L'induction d'une crise serait plus facile à plus basse fréquence ; la période réfractaire serait plus longue à haute fréquence.

Enfin, la durée de la stimulation peut varier de 0,5 à 8 s. Une stimulation de longue durée serait supérieure en termes de déclenchement de la crise et d'efficacité.

Système d'enregistrement électriqueEn ECT, le but du placement des électrodes est d'enregistrer l'EEG produit par chacun des hémisphères afin de s'assurer de la généralisa-

tion de la crise aux deux hémisphères. La paire d'électrodes d'une dérivation EEG doit donc être placée du même côté. Il en résulte qu'il n'existe pas d'électrode de référence commune et que l'électrode de référence est différente pour chaque dérivation EEG droite et gauche. L'électrode 1 exploratoire (ou active) est placée en position frontopolaire à l'emplacement équi-valent de Fp1 et Fp2 suivant le système interna-tional 10/20. L'emplacement classiquement uti-lisé en pratique clinique ECT est environ 1 cm au-dessus du sourcil sur une ligne verticale pas-sant par la pupille. Cet emplacement ne corres-pond pas exactement au système 10/20, mais cela a peu d'importance au regard de la nécessité d'une symétrie de placement des électrodes frontales [2]. L'électrode 2 de référence (ou passive) est placée au niveau de la mastoïde homolatérale (derrière l'oreille sur la peau glabre), équivalent aux empla-cements Tp9 et Tp10 suivant le système 10/20 (figure 7.8).

Le choix de ces emplacements est lié au fait : • quel'amplitudedesactivitéscritiquesEEGest

souvent la plus ample sur les dérivations fron-tales ;

• que la mastoïde est une région relativementinactive électrophysiologiquement et que la probabilité de recueillir la même activité EEG qu'en situation frontale est donc faible, ce qui en fait une bonne référence par rapport à l'élec-trode frontale active ;

• que les emplacements frontal et mastoïdiensont glabres, ce qui permet d'avoir un contact de qualité entre l'électrode et le scalp.Le collage des électrodes nécessite cependant,

comme pour un EEG classique, de nettoyer la peau par un solvant légèrement abrasif, afin d'éli-miner les excès de sébum ou de débris cellulaires [2]. Les électrodes d'enregistrement utilisées sont généralement des électrodes jetables autoadhé-sives contenant déjà une pâte conductrice ; les électrodes d'électrocardiogramme peuvent égale-ment être utilisées.

Salle de stimulationLe décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des établissements de santé en ce qui concerne la pratique de l'anesthésie définit les conditions de réalisation d'une anesthésie au cours d'un traite-

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

144

ment par l'ECT. Une instruction du 16 août 1996 précise ces modalités.

Le traitement par ECT se réalise en trois temps. L'unité ECT idéale devrait être construite selon ces trois temps (figure 7.9), à savoir : • unesalledepréparationdanslaquellelepatientest

installé, perfusé, et dans laquelle les vérifications et le recueil d'informations peuvent être réalisés ;

• une salle de stimulation où le patient devraitpouvoir ensuite être transféré tout en restant danssonlit,oùl'anesthésieetlesoinECTsontréalisés ;

• unesalledesoinspost-interventionnels(SSPI)oùlepatientest transférétoutenrestantdansson lit, et dans laquelle il restera surveillé pen-dant une heure.

Électrode de terre

Électrodesfrontales

Électrodesmastoïdiennes

Montage EEGhémisphère gauche

FP1 FP1

TP9

FP2

Figure 7.8. Placement des électrodes d'enregistrement EEG des hémisphères droit et gauche.

Lit 1

Lit 2

Lit 3

Lit 4

Lit 5

3- SSPI

2- Salle de soin 1- Salle de préparationau soin

Scope Scope

MachineECT

Matérielanesthé-

sique

Vestiaire

EntréeHall

d’accueil

Salle attente

Figure 7.9. Plan conseillé d'une unité de soin ECT.

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

145

Les locaux doivent être équipés conformément aux exigences des actes d'anesthésie et de réa-nimation. Le fonctionnement fait intervenir un personnel soignant formé à l'ECT et implique la collaboration du psychiatre, qui sera le médecin administrateur et responsable de la stimulation ECT, d'un anesthésiste (parfois associé à un infir-mier anesthésiste) et d'infirmiers de l'unité ECT qui participent à l'installation du patient.

Déroulement d'une cure d'ECTLa raison de la surveillance EEG est essentielle et double.

Premièrement, l'EEG est la méthode la plus efficace pour détecter une crise épileptique pro-longée et ainsi permettre de minimiser les effets secondaires cérébraux des séances ECT. En effet, une crise épileptique prolongée augmente à court terme le risque d'état de mal épileptique (EME) post-ECT, complication rare mais grave d'une séance, et à moyen terme augmente le risque de mauvaise tolérance cognitive de la cure ECT sans en augmenter l'efficacité clinique [1].

Deuxièmement, elle est une méthode complé-mentaire à la surveillance clinique, pour permettre de confirmer la présence d'une crise épileptique adé-quate voire optimale et d'adapter les modalités de la stimulation électrique afin de maximiser l'efficacité de la cure ECT [7].

La surveillance EEG est donc un élément cen-tral dans le raisonnement clinique permettant une pratique rigoureuse et efficace des séances ECT. Nous allons présenter la trame de la démarche cli-nique de la réalisation d'une séance ECT entou-rant le raisonnement neurophysiologique. Pour une description plus détaillée nous renvoyons aux deux ouvrages de référence en langue française [3, 4], aux recommandations HAS [24] et aux ouvrages de référence en langue anglaise [1, 2, 25, 26].

Examen clinique et paraclinique pré-ECTAvant de débuter un traitement par ECT, il est nécessaire de procéder à une évaluation préthérapeutique spécifique. Aucun examen complémentaire n'est obligatoire. Les examens complémentaires nécessaires sont uniquement

ceux permettant de réaliser l'évaluation pré-ECT, c'est-à-dire permettant : • dedéterminerl'indication;• d'évaluerlerisque;• derecueillirl'aviséclairédupatient;• et de prendre la décision finale de traitement

par ECT.

Déterminer l'indicationUn examen clinique psychiatrique assuré par le psychiatre effectuant le traitement par ECT per-met : • d'une part, d'évaluer la symptomatologie, le

diagnostic et les possibilités d'efficacité du traite ment par ECT ;

• d'autrepart,dedéterminer ledegréd'urgencedu traitement en fonction de la gravité du trouble psychiatrique présenté par le patient (existe-t-il un risque vital à court terme, un risque suicidaire important ? ).À cette occasion, des échelles d'évaluation par hété-

roquestionnaire ou autoquestionnaire peuvent être utilisées pour évaluer la sévérité des symptômes. Elles permettront par la suite de surveiller l'efficacité de la cure ECT. Les hétéroquestionnaires conseillés concer-nant les épisodes dépressifs majeurs sont : l'échelle de dépression de Hamilton (Hamilton Depression rating scale, HAMD), constituée de dix-sept items, ou l'échelle de dépression de Montgomery et Ast-ber (Montgomery-Asberg Depression Rating Scale, MADRS), constituée de dix items (cf. Annexe 1). L'au-toquestionnaire conseillé est l'inventaire de  dépres-sion de Beck (Beck Depression Inventory, BDI), consti-tué de treize items.

Les indications recommandées d'une cure ECT sont [27] : • A. Épisode dépressif majeur, entrant dans le

cadre d'un trouble uni- ou bipolaire : – en cas de risque suicidaire majeur ; – en cas de caractéristiques psychotiques ou

mélancoliques associées ; – en cas de pharmacorésistance ; – en cas de choix du patient.

• B. Épisode maniaque : – en cas de risque vital ou d'épuisement psy-

chique ; – en cas de pharmacorésistance ; – en cas de choix du patient.

• C. Symptômes positifs dans la schizophrénie, d'autant plus qu'il existe des symptômes thy-

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

146

miques associés, des symptômes catatoniques associés, un antécédent de réponse positive à une cure ECT. L'ECT dans la schizophrénie n'est cependant pas recommandé en première inten-tion, et intervient en cas de résistance médica-menteuse ou d'intolérance à la clozapine.

• D. En cas de troubles neuropsychiatriques : – maladie de Parkinson : l'ECT améliore les

fonctions motrices, indépendamment de l'amélioration thymique ; cette efficacité est constatée sur la rigidité et l'akinésie, elle est plus inconstante sur les tremblements ;

– autres troubles du mouvement ; – troubles moteurs dans les syndromes

extrapyramidaux iatrogènes ; – dyskinésies tardives (l'efficacité reste cepen-

dant discutée selon les auteurs) ; – le syndrome malin des neuroleptiques ; – les troubles affectifs ou psychotiques secon-

daires à une affection organique ; – le syndrome confusionnel toxique ou méta-

bolique.Les autres indications doivent être discutées au

cas par cas et soigneusement justifiées.Les troubles de la personnalité et les déficiences

mentales ne sont pas des indications mais ne doivent pas non plus écarter a priori l'ECT.

Une cure ECT peut être proposée en première intention, prioritairement : • en cas de nécessité d'un traitement rapide et

efficace ; • encasderisqueimportantliéàl'utilisationdes

autres thérapeutiques disponibles ; • encasd'antécédentsdemauvaiseréponseaux

psychotropes et/ou de bonne réponse à un traite ment par ECT.Une cure ECT peut être proposée en deuxième

intention : • encasd'inefficacitédutraitementpharmacolo-

gique utilisé en première intention ; • en cas d'effets secondaires importants liés au

traitement pharmacologique ; • encasd'aggravationcliniqueaucoursdutraite-

ment pharmacologique.

Évaluer le risqueRisques liés à l'ECT (charge électrique et modalités d'application)

Il n'existe qu'une seule contre-indication absolue à un traitement par ECT : l'hypertension intra-

crânienne. En effet, la crise convulsive entraîne une augmentation de la pression intracrânienne faisant alors risquer dans ce cas un engagement cérébral.

Toutes les autres situations peuvent être dis-cutées et conduire à une évaluation du rapport bénéfice/risque, et éventuellement une adaptation des traitements et techniques anesthésiques en fonction des pathologies présentées par le patient. Certaines situations prêtent ainsi à discussion, telles que : • l'existence d'une lésion cérébrale expansive

sans hypertension intracrânienne, un épisode hémorragique cérébral relativement récent, la présence d'un anévrysme ou de malformations vasculaires à risque hémorragique ;

• unantécédentd'infarctusdumyocarde relati-vement récent ou une pathologie emboligène ;

• unantécédentdedécollementdelarétine;• l'existenced'unphéochromocytome;• laprisedecertainstraitements,telsquelesanti-

coagulants.

Risques liés à l'anesthésie

La consultation pré-anesthésie doit avoir lieu au moins 48 heures avant la première séance ECT, sauf urgence vitale qu'il sera alors nécessaire de documenter. Elle recherche les antécédents d'al-lergie aux curares. Elle permet d'évaluer le risque anesthésique en fonction de l'état somatique du patient. Elle détermine le stade de la classifica-tion de l'American Society of Anaesthesiologists (ASA Physical Status Classification System) [28] (tableau 7.1).

Aucun examen complémentaire n'est obliga-toire. L'HAS recommande cependant l'ECG  [24].

Tableau 7.1. ASA Physical Status Classification System.

1 Patient normal

2 Patient avec anomalie systémique modérée

3 Patient avec anomalie systémique sévère

4 Patient avec anomalie systémique sévère représentant une menace vitale constante

5 Patient moribond dont la survie est improbable sans intervention

6 Patient déclaré en état de mort cérébrale dont on prélève les organes pour greffe

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

147

De manière systématique sont tout de même généralement réalisés : • numération-formulesanguine;• ionogrammesanguin;• uréeetcréatininémie;• radiographiepulmonaire;• ECG;• EEG;• tomodensitométriecérébrale.

L'examen clinique va guider la réalisation d'autres examens complémentaires ou consulta-tions spécialisées (cardiologique, notamment) en cas de pathologie associée. La question posée au spécialiste sera alors de savoir si la pathologie est stable.

Recueillir l'accord du patientAu cours de la consultation pré-ECT, il est néces-saire : • d'informer le patient demanière claire, com-

plète et adaptée sur les indications, contre- indications, effets secondaires, déroulement du soin d'une part (cf. Annexe 2) ;

• etderecueillirsonconsentementd'autrepart,ce consentement doit être consigné sur un document écrit (cf. Annexe 3) ; le patient doit donner son accord écrit et signé pour l'anesthé-sie et pour le traitement par ECT.Il apparaît essentiel de prendre le temps néces-

saire pour informer le patient, justifier l'effet thérapeutique et, éventuellement, s'appuyer sur l'entourage pour aider la prise de décision [24]. Le consentement n'est jamais définitif et pourra être régulièrement réévalué.

Prendre une décision finaleLa décision finale doit être argumentée et consi-gnée dans le dossier médical du patient. Elle doit être conforme aux recommandations avec une évaluation stricte du rapport bénéfice/risque. Cette décision est susceptible de changer au cours du temps, notamment d'évoluer avec l'état cli-nique du patient.

Déroulement d'une séance d'ECT

Avant la séanceLa séance d'ECT est source d'anxiété importante dans les heures voire la journée précédant le soin

et conduit parfois au refus du traitement. Il est impératif de la prendre en charge, au besoin par un traitement pharmacologique, comme l'hy-droxyzine ou encore un neuroleptique sédatif comme la cyamémazine. Les benzodiazépines ayant une activité anticonvulsivante doivent être évitées. En cas de forte anxiété provoquée par l'in-duction anesthésique, il est possible de modifier l'hypnotique en privilégiant le propofol.

Préparation du patientÀ son arrivée au sein de l'unité ECT, le patient peut s'installer dans la salle d'attente. Il est ensuite invité à se rendre dans le vestiaire afin de dépo-ser ses effets personnels, puis à se rendre aux toilettes afin de vider sa vessie — le relâchement des sphincters consécutif à la crise convulsive généralisée peut entraîner une perte d'urine. Le patient est ensuite installé en salle de préparation (figure 7.9).

L'infirmier présent vérifie que : • le patient est bien à jeun (depuis 6 heures

pour les aliments solides et 3 heures pour les liquides), l'anesthésie et la crise convulsive entraînant une perte de conscience étant sus-ceptible de provoquer des régurgitations avec un risque d'inhalation ;

• lesdentiersetprothèsessontretirés(eneffet,letrismus provoqué lors de la phase tonique de la crise pourrait favoriser une morsure de langue, voire un risque de décollement, d'inhalation, et gênerait une éventuelle intubation d'urgence).Enfin, une voie veineuse périphérique est posée.

Elle permettra ensuite d'administrer les produits anesthésiants.

En salle de stimulationLe patient est à ce moment-là transféré en salle de stimulation (figure 7.9). Les paramètres vitaux sont alors contrôlés de manière continue à l'aide d'un monitoring (tension artérielle, fréquence car-diaque, et saturation en oxygène).

Placement des électrodes d'enregistrement EEG et vérification de la qualité de l'enregistrement EEG

Les électrodes d'enregistrement doivent être placées comme décrit dans la figure 7.8. Le signal EEG est un signal électrophysiologique de faible amplitude (quelques microvolts), largement parasité par du

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

148

bruit électrique d'origine corporelle ou extracorpo-relle (en rapport avec l'environnement immédiat). Pour limiter les artefacts pendant la stimulation et la crise épileptique induite, il est conseillé d'inspec-ter le tracé EEG sur l'écran de l'appareillage ECT après avoir placé les électrodes d'enregistrement EEG et corriger dans la mesure du possible tous les artefacts préalables à la stimulation.

Il est ensuite conseillé d'adapter le gain d'am-plification pour obtenir un signal EEG lisible. Le gain est le rapport du voltage du signal de sortie de l'amplificateur sur le voltage du signal d'entrée d'un canal EEG. Le gain peut être ajusté sur tous les appareillages ECT. Si le gain est trop faible, la trace EEG sera difficilement lisible car d'ampli-tude trop faible et la crise risquerait de passer inaperçue. Si le gain est trop fort, l'amplitude de l'EEG dépassera la capacité du système d'impres-sion sur le papier ou l'écran et la trace EEG sera « coupée » — pour un exemple, cf. figure  7.4B, tracéduhaut,où,dufaitdesartefactsdemouve-ment, l'amplitude du signal dépasse les capacités de système d'impression sur papier. La sensibilité est généralement établie à 20 μV/mm, soit moins ample que la sensibilité habituelle des EEG clas-siques (vingt et une électrodes) de 10 μV/mm. Les filtres « passe-haut » (permettant d'éliminer les fréquences basses) et les filtres « passe-bas » (permettant d'éliminer les fréquences hautes) (cf. chapitre 3) ne sont généralement pas modi-fiables dans les versions classiques des appareil-lages ECT. La vitesse de déroulement du papier est généralement de 2,5 cm/s, soit un peu plus rapide que la vitesse de déroulement habituelle des EEG classiques de 1,5 cm/s.

Il faut noter que l'interprétation de l'EEG fait intervenir des processus cognitifs de reconnais-sance de forme et que changer les paramètres de traitement de signal peut modifier la capacité d'interpréter rapidement la trace EEG. Il s'agit donc de garder les mêmes paramètres au cours des séances d'ECT pour un patient donné et si possible entre tous les patients.

L'anesthésie

Il est alors possible de procéder à l'anesthésie. L'anesthésie générale consiste en une perte de conscience d'une durée de 5 à 10 minutes. La courte durée de cette anesthésie impose aux molé-cules utilisées plusieurs conditions : les molécules doivent agir immédiatement après l'injection,

doivent être métabolisées rapidement et interférer le moins possible avec le seuil épileptogène.

L'hypnotique

Deux molécules répondant aux critères demandés sont disponibles en France.

La molécule le plus couramment utilisée est l'étomidate, qui possède l'avantage de ne pas modifier le seuil épileptogène et d'être métaboli-sée en quelques minutes. Il faut également noter que l'étomidate peut provoquer des clonies des extrémités (à ne pas confondre avec celle de la crise convulsive).

L'autre molécule est le propofol, qui présente de bonnes qualités à l'endormissement et au réveil, mais qui a l'inconvénient d'augmenter le seuil épileptogène et de diminuer la durée de la crise. Il est donc plutôt utilisé en deuxième intention.

Le curare

Le curare est une molécule dont l'action bloque la jonction neuromusculaire. L'objectif de son utili-sation lors de la séance ECT est d'éviter les lésions liées aux contractions musculaires violentes pro-voquées par la crise convulsive. Son action doit être complète, rapide et de durée courte. En effet, le patient n'est pas intubé ; une ventilation arti-ficielle au masque sera donc nécessaire pendant toute la durée d'action du curare.

Afin de savoir si la curarisation est effi-cace d'une part, et si l'on obtient bien une crise convulsive généralisée d'autre part, il est possible d'utiliser la technique dite « du brassard ». Cette technique facilite l'observation des mouvements convulsifs en empêchant le curare d'atteindre l'extrémité d'un membre supérieur. Elle consiste à gonfler un brassard de prise de pression arté-rielle, à une pression supérieure à la pression artérielle systolique, avant l'injection du curare. Le produit ne diffusera pas en aval du brassard. L'avant-bras ne sera donc pas curarisé, et il sera possible d'observer les mouvements tonicoclo-niques après passage du courant électrique. Il est conseillé en cas de stimulation par ECT unilaté-rale de placer le brassard sur le membre homola-téral (du même côté que la stimulation), afin de surveiller la généralisation de la crise épileptique sur l'hémisphère controlatéral par la présence des mouvements convulsifs du même côté que la sti-mulation [3].

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

149

Le curare satisfaisant les critères d'utilisation au cours d'une séance ECT est la succinylcholine ; il s'agit d'un ammonium quaternaire parfois res-ponsable d'une réaction anaphylactique qui, au cas où elle surviendrait, imposerait la mise enœuvre immédiate de mesures de réanimation et la réalisation à distance d'un bilan allergologique. La succinylcholine est le seul curare d'action courte. Une réaction anaphylactique contre- indiquant la succinylcholine empêche donc la poursuite du soin par ECT.

Autres molécules utilisées

La séance d'ECT se déroule en trois temps : • le premier temps correspond au passage du

courant électrique, entraînant une stimulation vagale responsable d'une bradycardie sinusale et d'une hypotension artérielle ;

• dans un deuxième temps survient la criseconvulsive généralisée, avec une activation du système sympathique contrebalançant l'activa-tion vagale ; surviennent alors une tachycardie, une hypertension artérielle, une augmentation du flux sanguin cérébral et de la perméabilité cérébrovasculaire ;

• dans un troisième temps apparaît une confu-sion post-critique.En cas de crise subconvulsive, proche du

seuil épileptogène, la stimulation vagale ini-tiale peut être prolongée par manque de contre- balancement sympathique, voire entraîner une asystolie. Cet effet peut être prévenu par l'admi-nistration préalable d'une ampoule d'atropine qui s'avère particulièrement efficace lors des séances de titration.

Choix de la quantité d'électricité délivrée lors de la première séance

L'objectif essentiel vise à maximiser l'efficacité du traitement, tout en minimisant les effets secon-daires. La constatation d'une crise convulsive généralisée est nécessaire mais insuffisante pour obtenir un effet thérapeutique. En revanche, l'absence de crise épileptique prédit de façon certaine l'absence d'efficacité. Pour observer une efficacité thérapeutique, la crise épileptique doit être adéquate voire optimale. Une fois ce type de crise obtenue, il n'est pas nécessaire d'augmenter davantage la charge électrique de stimulation déli-vrée. En effet, si une crise de plus de 20 secondes est nécessaire [7], la prolongation de la crise n'est pas

ensuite corrélée positivement à l'amélioration cli-nique [10]. L'augmentation de la charge électrique n'intervient alors pas dans l'efficacité, mais sera responsable de l'apparition d'effets secondaires. En effet, les effets secondaires sont d'autant plus importants que la charge électrique délivrée est élevée.

Plusieurs paramètres interviennent dans la détermination de la quantité d'électricité délivrée, à savoir : • le seuil épileptogène (déterminé par une

méthode de titration ou une méthode dite « âge/dose ») ;

• leplacementdesélectrodesdestimulation.

Caractéristiques du seuil épileptogène

Il existe une quantité minimale d'électricité à délivrer pour obtenir une crise convulsive géné-ralisée, qui est propre à chaque individu. Il s'agit du seuil épileptogène. Ce seuil possède plusieurs caractéristiques : • ilaugmenteavecl'âgedessujets;• ilestplusbaschezlesfemmes;• ilaugmenteaucoursdesséancesd'ECT.

Des stimulations répétées en dessous du seuil entraînent en revanche un abaissement du seuil et ont donc un effet proépileptique. Les crises convulsives généralisées sont paradoxalement de plus courte durée lorsque l'on s'éloigne du seuil (stimulation à charge élevée) et plus longue lorsqu'on est proche du seuil.

Les notions de dose absolue et dose relative méritent également d'être soulignées. En effet, ce ne serait pas tant une quantité d'électricité élevée en valeur absolue qui serait responsable de l'efficacité et des effets secondaires cognitifs, mais plutôt la différence entre la quantité d'élec-tricité nécessaire au déclenchement d'une crise et la quantité d'électricité délivrée, ou dose rela-tive. Plus la différence est importante, c'est-à-dire plus on stimule à une charge élevée par rapport au seuil, plus le traitement est efficace mais plus il engendre d'effets secondaires. Il est donc impéra-tif de déterminer le seuil épileptogène au cours de la première séance d'ECT dite séance de titration.

Déroulement d'une séance de titration

La première séance de la cure d'ECT permet la détermination du seuil épileptogène, par la méthode de titration. La préparation du patient est identique à celle des autres séances. Une première

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

150

stimulation est délivrée à la charge minimale proposée par l'appareillage de stimulation. Les manifestations cliniques et électroencéphalogra-phiques d'une crise épileptique adéquate sont recherchées. En l'absence de signes 30 secondes après la stimulation, la décision de réaliser une deuxième stimulation à une charge plus élevée (niveau supérieur proposé par l'appareillage) est prise. Celle-ci est réalisée 20 secondes plus tard. Le même schéma est reproduit et, en l'absence de crise après la deuxième stimulation, une troi-sième stimulation est réalisée. La courte durée de l'anesthésie permet de réaliser trois essais au cours d'une séance. En cas d'échec aux trois sti-mulations, la poursuite de la titration a lieu lors de la séance suivante (figure 7.10 et tableau 7.2).

Méthode âge/dose

Une autre méthode, désormais moins courante, peut être utilisée pour déterminer la quantité d'électricité à délivrer : la méthode âge/dose. Il existe des abaques proposant des charges à déli-vrer tenant compte des seuils épileptogènes théo-riques selon l'âge et le sexe (tableau 7.3).

Ces tables peuvent être utilisées pour choisir la charge à délivrer lorsqu'on ne souhaite pas réa-liser de titration. Il s'agit d'une méthode moins complexe, plus rapide, mais moins précise et ne permettant pas la même maîtrise des effets secon-daires.

Choix du placement des électrodes de stimulation

Il n'existe pas de recommandations concernant le choix du placement des électrodes, qui dépend de l'objectif : être le plus efficace rapidement ou être efficace avec le moins d'effets secondaires possibles ? En effet, la présence d'une réponse thé-rapeutique à une cure ECT est variable selon le placement des électrodes de stimulation, à durée et quantité d'électricité délivrée identiques [29].

Les deux positionnements possibles des élec-trodes de stimulation (bilatérale et unilatérale) induisent des crises épileptiques de durées compa-rables, mais présentent des différences en termes de réponse thérapeutique et d'effets secondaires.

Avec le placement bilatéral, lorsque le seuil épi-leptogène a été recherché, il est conseillé de sti-

Figure 7.10. Exemples de tracés EEG (20 μV/mm et 2,5 cm/s) obtenus lors d'une première séance ECT de titration afin de déterminer la charge électrique de stimulation ECT.La trace EEG débute juste après la fin de la stimulation ECT. La fin de la crise est indiquée par la flèche. Le tracé EEG obtenu à la troisième stimulation est celui d'une crise non adéquate. Cependant, la charge électrique de la stimulation ECT sera réalisée à la séance suivante à 2,5 fois le seuil épileptogène et les crises obtenues seront adéquates et optimales.

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

151

Tableau 7.3. Exemple de table âge/dose pour comprendre le principe de la détermination de la charge électrique à délivrer en fonction de l'âge.

Âge Fréquence de stimulation

Durée de la stimulation Charge électrique (mC)

5 30 0,47 25,2

10 30 0,93 50,4

15 340 1,4 75,6

20 30 1,87 100,8

25 30 2,33 126

30 50 1,68 151,2

35 50 1,96 176,4

40 50 2,24 201,6

45 50 2,52 226,8

50 50 2,8 252

55 70 2,2 277,2

60 70 2,4 302,4

65 70 2,6 327,6

70 70 2,8 352,8

75 70 3 378

80 70 3,2 403,2

85 70 3,4 428,4

90 70 3,6 453,6

95 70 3,8 478,8

100 70 4 504

Tableau 7.2. Exemple de table avec des pulses brefs sur MECTA spECTrum® pour comprendre le principe de la titration et l'augmentation par palier des charges électriques délivrées.

Durée du pulse

Fréquence de stimulation

Durée de la stimulation

Intensité Charge électrique (mC)

Quantité d'énergie (pour une résistance de 300 Ω)

1 1 40 0,5 0,8 32 7,6

2 1 40 0,75 0,8 48 11,5

3 1 40 1,25 0,8 80 19,2

4 1 40 2 0,8 128 30,7

5 1 60 2 0,8 192 46

6 1 60 3 0,8 288 69,1

7 1 90 3 0,8 432 103

8 1,8 90 2,5 0,8 648 155

9 1,8 90 3,5 0,8 907,2 248

10 2 90 4 0,8 1 152 275

Il existe différents types de tables de titration qui peuvent dépendre du type de machine (MECTA spECTrum® et Somatics Thymatron®) et du type de pulse (ultra-bref ou bref), mais le principe reste le même.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

152

muler à une charge équivalente à 2,5 fois le seuil épileptogène.

Avec le placement unilatéral droit, il est conseillé de stimuler à une charge équivalente à 6 fois le seuil épileptogène.

Le choix du positionnement des électrodes tient compte des données suivantes : • une cure d'ECT par stimulation bilatérale est

plus efficace qu'un traitement par stimulation unilatérale ;

• le placement unilatéral provoque moins d'ef-fets secondaires mnésiques, que ce soit à court terme (dans les jours ou semaines qui suivent) ou à long terme (mois qui suivent) ;

• une cure d'ECT par stimulation bilatérale àforte charge permet d'obtenir une réponse cli-nique plus rapide ;

• que ce soit par stimulation uni- ou bilatérale,moins de séances sont nécessaires pour obtenir une efficacité lorsqu'on stimule à forte charge.

Choix de la quantité d'électricité délivrée lors des séances suivantes

Au cours des séances, il existe une augmentation progressive du seuil épileptogène. En l'absence de crise adéquate, il est conseillé d'attendre 20 à 40 secondes pour prendre en compte la possibilité d'une crise retardée, puis de stimuler à une charge supérieure. En cas de crise de durée inférieure à 15 secondes, dite crise avortée (cf. figure  7.4), il est conseillé d'attendre 60 à 90 secondes pour prendre en compte la phase réfractaire post-ictale puis de restimuler à une charge supérieure [2].

Si les charges de stimulation sont déjà impor-tantes, il conviendra, après la séance, de recher-cher un facteur favorisant d'une crise avortée. En dehors des cas de charges électriques très importantes pouvant entraîner paradoxalement une réduction de la durée de la crise [10], ce sont les traitements pharmacologiques augmentant le seuil épileptogène qui en sont les principaux fac-teurs favorisants [7].

Chez les patients souffrant d'épilepsie, les crises avortées sont rares [30] mais peuvent nécessiter une réduction de dose des antiépileptiques ou un changement thérapeutique qui devra être discuté avec un épileptologue [31]. Il faut noter que ces adaptations n'aggravent que rarement l'épilep-sie puisque la diminution du seuil épileptogène consécutif à la diminution du traitement antié-

pileptique est limitée par l'augmentation du seuil épileptogène par les séances d'ECT [30].

Chez les patients ne souffrant pas d'épilepsie, l'utilisation des benzodiazépines à visée anxioly-tique et des antiépileptiques à visée thymorégula-trice sera à reconsidérer. Il faut noter que la lamo-trigine ne modifierait pas le seuil épileptogène des crises épileptiques induites par la séance ECT [32].

Le type d'agent anesthésique utilisé doit égale-ment être considéré. L'étomidate permettrait d'obtenir des crises de plus longue durée que le propofol [33, 34]. En cas de crise avortée sous propo-fol, il est donc conseillé d'en diminuer la posologie et si nécessaire de le remplacer par l'étomidate [7, 9], voire par la kétamine [35] à la séance suivante. L'hy-perventilation sous oxygène 100 %, juste avant la séance d'ECT après la phase d'induction anes-thésique, peut également permettre d'allonger la durée d'une crise avortée.

En cas de crise de durée supérieure à 3 minutes, dite crise prolongée, il est impératif d'arrêter celle-ci pharmacologiquement afin de prévenir une évolution vers un état de mal épileptique [2, 7]. Il conviendra, après la séance, de rechercher un facteur favorisant induisant une baisse du seuil épilepto-gène et d'abaisser la charge à la séance suivante. Des modifications hydroélectrolytiques dans le contexte des épisodes dépressifs majeurs sévères avec déshy-dratation et dénutrition et l'arrêt récent de traite-ments pharmacologiques (benzodiazépines et antié-pileptiques) ou associés (clozapine et lithium) sont à rechercher en priorité. Les crises prolongées étant plus fréquentes chez les sujets jeunes, il faudra être plus vigilant lors des séances de titration et lors des modifications pharmacologiques concomitantes.

Nombre de séances par semaine et durée de la cure

Il est recommandé de réaliser deux séances d'ECT par semaine, à au moins 48 heures d'intervalle. La réalisation de trois séances par semaine n'a pas montré une efficacité ou une rapidité d'action supérieure. Le nombre de séances nécessaire pour obtenir une rémission est variable selon les sujets, d'un minimum de 8 séances à un maximum de 20 séances. Au-delà de 20 séances à charge maxi-male, le traitement par ECT est généralement considéré comme inefficace.

Des évaluations cliniques régulières systéma-tiques permettent de réajuster la stratégie en cas

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

153

d'absence d'efficacité. Les échelles d'évaluation par hétéroquestionnaire ou autoquestionnaire peuvent être utilisées pour évaluer la sévérité des symp-tômes à 4–7 séances, puis à 11–14, puis à 18–20 séances. Une réponse clinique doit apparaître entre la 5e et la 7e séance. En l'absence totale de réponse à 5–7 séances, il faut revoir la stratégie. En l'absence de réponse suffisante à 11–14 séances et si les crises présentent une durée courte (15 et 20 secondes) ou s'il s'agit de crise adéquate en l'absence de critère de crise optimale visuelle, il est conseillé également de réadapter les paramètres de stimulation à la séance suivante, soit en augmentant la charge de stimula-tion, soit en utilisant une stimulation bilatérale si la stimulation préalable était unilatérale [7, 10]. En effet, tous ces indices EEG sont augmentés en cas de stimulation bilatérale et en cas de charge de stimulation élevée [6, 10], ce qui permet d'envisager une efficacité supérieure. La surveillance attentive des effets secondaires, à ne pas confondre avec des symptômes ou signes dépressifs, sera alors de mise.

Chaque séance doit donner lieu à un compte renduoùsontprécisés:• l'ensemble des conditions de réalisation de la

stimulation (charge électrique, placement des électrodes, produits anesthésiques, prémédica-tion) ;

• leseffetscliniquesobservés:– avant la stimulation : anxiété ou réticence vis-

à-vis de la séance ECT ; – pendant la stimulation : signes cliniques a

minima de crise épileptique généralisée toni-coclonique, signes de tolérance physique ;

– après la stimulation : nausées, vomissement, céphalées, syndrome confusionnel, agitation ;

• leseffetsneurophysiologiquesobservés(typedecrise à l'EEG) ;

• lesimplicationspotentiellespourlaséancesui-vante (adaptation des conditions de réalisation de la stimulation).Par ailleurs, la trace EEG visuelle (papier ou

numérique) enregistrée pendant chaque séance devra être conservée dans le dossier médical.

En salle de réveilLe patient reste sous surveillance de l'anesthé-siste jusqu'à reprise d'une respiration autonome et du réflexe pharyngé, en s'assurant de la stabilité des paramètres vitaux et de l'absence de trouble

du rythme cardiaque. Il peut alors être transféré en salle de réveil (ou salle de soins post-interven-tionnels,SSPI)oùilserasurveilléparl'infirmieranesthésiste sous la responsabilité de l'anesthé-siste. Sont recueillies toutes les 15 minutes par l'infirmier présent en SSPI et consignées sur une fiche appartenant au dossier ECT, les données sui-vantes : • pressionartérielle;• fréquencecardiaque;• saturationenoxygène;• fréquencerespiratoire;• étatdeconscience(réponseauxordressimples

et orientation temporo-spatiale) ; • nausées,vomissement,céphalées.

Le patient restera une heure en SSPI. La reprise d'une alimentation liquide ou solide n'est possible qu'au moins deux heures après la fin de la séance.

En cas de séance ECT réalisée en soins externes, avant la sortie du patient, il faudra s'assurer : • de l'absence d'événement indésirable survenu

en salle de repos ; • del'absencedesyndromeconfusionnel;• quelepatientneconduisepasdevéhiculepour

rentrer chez lui ; • quelepatientsorteaccompagné;• que le patient ait été informé qu'il doit éviter

d'être seul à son domicile dans les 24 heures suivant le soin.

Surveillance après ECTÀ court terme : place de l'EEG conventionnel ?

À court terme peuvent survenir dans les minutes et heures suivant le traitement par ECT des symp-tômes et signes cliniques indésirables fréquents et peu inquiétants. Ainsi, des difficultés atten-tionnelles et mnésiques transitoires, spontané-ment réversibles, peuvent perdurer au maximum 48 heures après le soin.

Une sensation de faiblesse musculaire, de som-nolence et d'anorexie est également possible dans les heures suivant le soin.

Les céphalées apparaissent dans environ 40 % des cas. Un traitement par paracétamol, voire molécules de la famille des triptans est envisa-geable. La récurrence des céphalées peut amener à prescrire systématiquement une prémédication par paracétamol avant chaque séance d'ECT.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

154

Des nausées peuvent également survenir, pos-siblement traitées par ondansétron en intravei-neuse.

Certains patients rapportent des douleurs mus-culaires, pouvant être la conséquence d'une cura-risation insuffisante, et conduisant à de possibles modifications posologiques de l'anesthésie. Il faut cependant souligner que le curare lui-même peut être à l'origine de douleurs musculaires. Les symptômes douloureux peuvent être évalués par des échelles visuelles analogiques (EVA).

Des symptômes et signes cliniques indési-rables plus rares et potentiellement plus graves ne doivent pas être sous-estimés. Il s'agit en par-ticulier du syndrome confusionnel. En effet, si la confusion post-critique fait partie de la sympto-matologie classique d'une crise épileptique induite par ECT, celle-ci ne doit pas durer. La persistance ou la réapparition d'un syndrome confusionnel dans les heures ou les jours suivant la séance doit conduire à la réalisation rapide d'un EEG qui, confronté à l'évaluation clinique post-ECT, per-mettra de diagnostiquer : • unecriseépileptiqueindésirable;• unétatdemalépileptique(EME)nonconvulsi-

vant (cf. chapitre 4) ; • uneencéphalopathieinduiteparECT.

L'EEG réalisé est un EEG conventionnel effec-tué dans un service de neurophysiologie clinique connaissant bien la pratique des ECT et collabo-rant fréquemment avec l'équipe de psychiatrie (cf. chapitre 3).

Une nouvelle crise épileptique survenant après l'arrêt de la crise épileptique induite par ECT (donc entre deux séances d'ECT) est appelée crise indésirable [36]. L'EME est une forme grave de crise épileptique indésirable. Un EME peut également être la conséquence d'une crise prolongée qui ne cède pas au traitement pharmacologique initial. L'EME nécessite une prise en charge en urgence en milieu spécialisé [37]. Il est important de diffé-rencier les crises indésirables des crises prolongées. La difficulté pour identifier la fin de la crise sur l'EEG peut rendre cette distinction difficile mais elle permet d'insister sur la nécessité absolue de s'assurer de manière électroclinique de la fin de la crise après une séance d'ECT.

Les crises indésirables sont des phénomènes rares. Entre 1946 et 1995, seulement vingt-sept cas de crises épileptiques indésirables ont été

rapportés dans la littérature et leur incidence est estimée à environ 0,95 % [36]. Les facteurs favori-sants retrouvés sont des antécédents de patho-logies neurologiques (épilepsie et maladie de Parkinson), le maintien des traitements phar-macologiques abaissant le seuil épileptogène (neuroleptiques, antidépresseurs ou lithium), l'arrêt ou la diminution des traitements augmen-tant le seuil épileptogène (benzodiazépines), les premières séances d'ECT et les antécédents de crises prolongées. La présence d'anomalies sur l'EEG réalisé avant le début des séances ECT et les paramètres de stimulation et d'anesthésie ne seraient pas des facteurs favorisants [36]. La pour-suite des séances d'ECT dans les jours qui suivent une crise indésirable est possible après réévalua-tion du rapport bénéfice/risque. Cette évaluation nécessite de confronter l'état clinique psychia-trique du patient, les alternatives thérapeutiques pharmacologiques à disposition en gardant à l'esprit qu'elles pourraient réduire fortement le seuil épileptogène (comme les antidépresseurs tricycliques) et le fait qu'en l'absence de traitement antiépileptique prophylactique, le risque de réci-dive de crise épileptique indésirable à la reprise des séances d'ECT est élevé (60 %). L'arrêt des facteurs favorisants pharmacologiques et la mise en place d'un traitement anti épileptique sont donc conseil-lés avant de reprendre les séances d'ECT. Il est également nécessaire de réaliser un bilan neurolo-gique, comme devant toute première crise épilep-tique, sans l'attribuer trop rapidement à une cause iatrogène post-ECT, afin de diagnostiquer une épilepsie idiopathique ou symptomatique qui se serait révélée par une crise indésirable, qui devrait alors être considérée avec toute la rigueur d'une première crise spontanée [31], mais qui ne serait pas en soi une contre-indication à la reprise de l'ECT [30]. Il faut également garder à l'esprit que la possibilité de crises indésirables non épileptiques psychogènes est possible au décours des séances d'ECT [31].

En l'absence de signes électrocliniques en faveur d'une crise épileptique indésirable et en l'absence d'EME électroencéphalographique, les anomalies EEG intercritiques seront à analy-ser d'un point de vue électroclinique afin de les évaluer à leur juste valeur et éviter un arrêt trop hâtif ou une poursuite abusive des séances d'ECT. Ainsi, en cas d'association avec des signes de mau-

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

155

vaise tolérance cognitive aux ECT, le diagnostic d'encéphalopathie induite par ECT est possible et une adaptation des paramètres de stimulation est envisageable en diminuant la charge ou en passant d'une stimulation bilatérale à unilatérale, voire en proposant un arrêt de la thérapeutique si cela est insuffisant. Il faut souligner que c'est la clinique qui doit avant tout guider la conduite thérapeu-tique psychiatrique dans ces circonstances de mauvaise tolérance cognitive à la cure ECT. L'EEG seul, même en cas de ralentissement important, n'est pas une contre-indication à l'ECT. Le pro-blème se pose en cas d'anomalies paroxystiques épileptiformes nombreuses sans crise clinique enregistrée pendant l'EEG et sans argument cli-nique à la surveillance post-ECT pour une crise épileptique indésirable. En effet, dans ce cas, la présence de crises épileptiques indésirables clini-quement non repérées est possible [36] et l'indica-tion d'un traitement antiépileptique paraît envi-sageable dans le cadre d'une gestion du risque de crise après réévaluation du contexte clinique, avec recherche de signes subtils de crises épileptiques et des facteurs de risque de crises indésirables.

À long terme : place du bilan neuropsychologique ?

Les données de la littérature permettent de conclure que les seules altérations cognitives « objectives » (c'est-à-dire évaluées à l'aide de tests neuropsychologiques) persistantes à long terme après une cure d'ECT sont des altérations mné-siques rétrogrades autobiographiques. Les per-formances mnésiques antérogrades apparaissent perturbées à court terme, mais ne le sont plus après plusieurs mois. Par ailleurs, les plaintes mnésiques (ou altérations cognitives « subjec-tives ») ne concordent pas systématiquement avec les altérations mnésiques objectives et diffèrent selon les outils de mesure utilisés [38].

Si un bilan neuropsychologique systématique ne semble pas indiqué, un suivi minimal des répercussions cognitives de la cure d'ECT est à réaliser en utilisant : • leMini Mental State Examination (MMS) ; • une quantification subjective par le patient des

effets sur sa mémoire allant de « très dégradée », « un peu dégradée », « inchangée », à « améliorée ».Un autoquestionnaire, le Squire Subjective

Memory Questionnaire (SSMQ) a été développé

pour mesurer spécifiquement les effets mnésiques ressentis par les patients bénéficiant d'une cure d'ECT [39]. Nous en proposons une version tra-duite en Annexe 4.

Après traitement de l'épisodeDeux modalités de réalisation d'un traitement par ECT peuvent être décrites : • dans le cadre d'une «cure» ayant pour objec-

tif la résolution d'un épisode aigu, dépressif, maniaque ou psychotique ;

• danslebutd'unepréventiondesrechutes.Un traitement curatif par ECT nécessite la réa-

lisation de 8 à 20 séances. Au-delà de 20 séances sans amélioration clinique, le traitement par ECT est considéré comme inefficace.

Le traitement de prévention des rechutes est indispensable au décours d'une cure d'ECT. Il n'existe cependant actuellement pas de recom-mandations sur la poursuite de la prise en charge à la suite d'une cure d'ECT.

Un relais médicamenteux est habituellement envisagé, sa mise en place débutant avant la fin de la cure d'ECT.

Certains patients présentent des troubles phar-macorésistants ou bien rechutent régulièrement à la suite d'une cure d'ECT. Dans ces situations, un traitement par ECT dit d'entretien pourra être envisagé. Un traitement d'entretien fait suite à la cure d'ECT. Lorsque la décision est prise de pour-suivre le traitement en entretien, un espacement progressif des séances est réalisé, l'objectif étant de trouver l'espacement maximal permettant la stabilité clinique. Il n'existe pas de recommanda-tions sur le déroulement de l'espacement. Clas-siquement, les séances sont réalisées toutes les semaines pendant 1  mois, toutes les 2  semaines pendant 1  mois, toutes les 3  semaines pendant 3 mois, toutes les 4 semaines pendant 3 mois, puis toutes les 5  semaines, 6  semaines, 7  semaines et 8 semaines tous les 6 mois. Lors d'un traitement d'entretien, la consultation préanesthésique est généralement répétée tous les 6 mois.

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Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

158

Annexe 1Échelle MADRS (Montgomery and Asberg Depression Rating Scale)

1. Tristesse apparenteCorrespond au découragement, à la dépression et au désespoir (plus qu'un simple cafard passager) reflétés par la parole, la mimique et la posture. Coter selon la profondeur et l'incapacité à se dérider.0 Pas de tristesse.2 Semble découragé mais peut se dérider sans diffi-culté.4 Paraît triste et malheureux la plupart du temps.6 Semble malheureux tout le temps. Extrêmement découragé.

2. Tristesse expriméeCorrespond à l'expression d'une humeur dépressive, que celle-ci soit apparente ou non. Inclut le cafard, le découragement ou le sentiment de détresse sans espoir. Coter selon l'intensité, la durée et le degré auquel l'hu-meur est dite être influencée par les événements.0 Tristesse occasionnelle en rapport avec les circons-tances.2 Triste ou cafardeux, mais se déride sans difficulté.4 Sentiment envahissant de tristesse ou de dépression.6 Tristesse, désespoir ou découragement permanents ou sans fluctuation.

3. Tension intérieureCorrespond aux sentiments de malaise mal défini, d'irritabilité, d'agitation intérieure, de tension ner-veuse allant jusqu'à la panique, l'effroi ou l'angoisse. Coter selon l'intensité, la fréquence, la durée, le degré de réassurance nécessaire.0 Calme. Tension intérieure seulement passagère.2 Sentiments occasionnels d'irritabilité et de malaise mal défini.4 Sentiments continuels de tension intérieure ou panique intermittente que le malade ne peut maîtriser qu'avec difficulté.6 Effroi ou angoisse sans relâche. Panique envahis-sante.

4. Réduction du sommeilCorrespond à une réduction de la durée ou de la pro-fondeur du sommeil par comparaison avec le sommeil du patient lorsqu'il n'est pas malade.0 Dort comme d'habitude.2 Légère difficulté à s'endormir ou sommeil légère-ment réduit. Léger ou agité.4 Sommeil réduit ou interrompu au moins deux heures.6 Moins de deux ou trois heures de sommeil.

5. Réduction de l'appétitCorrespond au sentiment d'une perte de l'appétit com-paré à l'appétit habituel. Coter l'absence de désir de nourriture ou le besoin de se forcer pour manger.0 Appétit normal ou augmenté.2 Appétit légèrement réduit.4 Pas d'appétit. Nourriture sans goût.6 Ne mange que si on le persuade.

6. Difficultés de concentrationCorrespond aux difficultés à rassembler ses pensées allant jusqu'à l'incapacité à se concentrer. Coter l'inten-sité, la fréquence et le degré d'incapacité.0 Pas de difficulté de concentration.2 Difficultés occasionnelles à rassembler ses pensées.4 Difficultés à se concentrer et à maintenir son atten-tion, ce qui réduit la capacité à lire ou à soutenir une conversation.6 Incapacité de lire ou de converser sans grande diffi-culté.

7. LassitudeCorrespond à une difficulté à se mettre en train ou une lenteur à commencer et à accomplir les activités quo-tidiennes.0 Guère de difficultés à se mettre en route ; pas de len-teur.2 Difficultés à commencer des activités.4 Difficultés à commencer des activités routinières qui sont poursuivies avec effort.6 Grande lassitude. Incapable de faire quoi que ce soit sans aide.

8. Incapacité à ressentirCorrespond à l'expérience subjective d'une réduction d'intérêt pour le monde environnant ou les activités qui donnent normalement du plaisir. La capacité à réa-gir avec une émotion appropriée aux circonstances ou aux gens est réduite.0 Intérêt normal pour le monde environnant et pour les gens.2 Capacité réduite à prendre plaisir à ses intérêts habi-tuels.4 Perte d'intérêt pour le monde environnant. Perte de sentiment pour les amis et les connaissances.6 Sentiment d'être paralysé émotionnellement, inca-pacité à ressentir de la colère, du chagrin ou du plaisir, et impossibilité complète ou même douloureuse de res-sentir quelque chose pour les proches, parents et amis.

Annexes

159

9. Pensées pessimistesCorrespond aux idées de culpabilité, d'infériorité, d'auto-accusation, de péché ou de ruine.0 Pas de pensées pessimistes.2 Idées intermittentes d'échec, d'auto-accusation et d'autodépréciation.4 Auto-accusations persistantes ou idées de culpabi-lité ou péché précises, mais encore rationnelles. Pessi-misme croissant à propos du futur.6 Idées délirantes de ruine, de remords ou péché inex-piable. Auto-accusations absurdes et inébranlables.

10. Idées de suicideCorrespond au sentiment que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, qu'une mort naturelle serait la bienvenue,

idées de suicide et préparatifs au suicide. Les tentatives de suicide ne doivent pas, en elles-mêmes, influencer la cotation.0 Jouit de la vie ou la prend comme elle vient.2 Fatigué de la vie, idées de suicide seulement passagères.4 Il vaudrait mieux être mort. Les idées de suicide sont courantes et le suicide est considéré comme une solu-tion possible, mais sans projet ou intention précis.6 Projets explicites de suicide si l'occasion se présente. Préparatifs de suicide.

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

160

Annexe 2Exemple de document d'information pour les patients bénéficiant d'ECTLe traitement par ECT, ou ÉlectroConvulsivoThérapie, parfois aussi appelé sismothérapie ou autrefois électro-choc, est un traitement utilisant un courant électrique de très faible intensité agissant au niveau du cerveau pour le traitement des épisodes dépressifs, maniaques, ou bien lors d'hallucinations ou idées délirantes résis-tantes au traitement pharmacologique dans la schizo-phrénie. Il peut être proposé en première intention, ou après échec d'autres traitements, de manière ponc-tuelle pour le traitement d'un épisode aigu, ou de façon répétée et espacée pour prévenir la rechute. Des études scientifiques ont montré qu'une amélioration rapide et importante des symptômes pouvait être obtenue grâce à ce traitement. Plusieurs séances doivent être réalisées (à raison de deux par semaines), le nombre total de séances étant adapté à chaque cas particulier.Une consultation avec l'anesthésiste et le psychiatre de l'unité ECT, ainsi qu'un bilan préalable sont pratiqués, afin de confirmer l'indication, d'adapter le traitement

à chaque cas particulier et d'évaluer le risque anesthé-sique.Il faut connaître les inconvénients et risques liés à ce traitement, à savoir : – chez certains patients, des troubles de la mémoire peuvent survenir. Les troubles de la mémoire à court terme disparaissent après quelques jours ou semaines, parfois quelques mois. Il peut persister des difficultés à se remémorer la période des deux mois entourant le traitement par ECT ; – les risques de toute anesthésie générale peuvent être rencontrés ; – les risques encourus restent exceptionnels.L'acte thérapeutique est pratiqué dans une salle réser-vée à cet effet, par des médecins et des infirmiers du service, après que le patient a été préalablement endormi ; une surveillance stricte est ensuite poursui-vie dans la salle, jusqu'au réveil du patient.

161

Annexe 3Exemple de document de consentement aux ECTJe, soussigné(e) ......................................... certifie accep-ter de me soumettre au traitement par ECT proposé par le Docteur............................J'ai pris connaissance des modalités selon lesquelles le traitement se déroulera ainsi que les bénéfices atten-dus mais aussi les risques et les effets indésirables associés. Le choix de ce traitement a été exposé par le Docteur......................... et j'ai pu lui poser toutes les questions qui me préoccupent (notamment les avan-tages et les inconvénients d'autres traitements pos-sibles, comme les médicaments, les risques si on ne pratiquait pas l'électroconvulsivothérapie). J'ai reçu toutes les réponses aux questions que j'ai pu poser et je sais que je suis libre d'accepter ou de refuser ce trai-

tement. Je pourrai demander à tout moment au Doc-teur.............................. toute information complémen-taire que je jugerais utile.Il faut savoir que ce consentement peut, à tout moment, être retiré. En cas de retrait ou de refus, on pratiquera un autre traitement en choisissant la meilleure alterna-tive possible, sans préjudice pour ma santé.

Fait à : ..........................Le : ................................

Signature du médecin Signature du patient précédée de la mention

« lu et approuvé ».

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

162

Annexe 4Questionnaire des plaintes cognitives subjectives, Squire Subjective Memory QuestionnairePar rapport à avant, j'ai commencé à me sentir mal et je suis allé(e) à l'hôpital…

Items Pire que jamais

Commeavant

Mieux que jamais

1 Ma capacité à chercher dans mon esprit et à me rappeler des noms de personnes ou de souvenirs que je connais est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

2 Je pense que mes proches et connaissances jugent actuel-lement que ma mémoire est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

3 Ma capacité à se souvenir des choses même en essayant vraiment est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

4 Ma capacité à retenir en mémoire des choses que j'ai apprises est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

5 Si on me demandait, dans un mois, de me souvenir de ce questionnaire que je suis en train de remplir, ma capacité à me le remémorer serait…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

6 Ma tendance à avoir un souvenir passé «sur le bout de la langue», sans complète-ment m'en souvenir, est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

7 Ma capacité à me rappeler de ce qui s'est passé il y a longtemps est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

163

Items Pire que jamais

Commeavant

Mieux que jamais

8 Ma capacité à me rappeler des noms et des visages des gens que je rencontre est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

9 Ma capacité à me souvenir de ce que je faisais après avoir perdu le fil de mes pensées pendant quelque instant est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

10 Ma capacité à me souvenir des choses qui se sont passées il y a plus d'un an est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

11 Ma capacité en ce moment à me rappeler de ce que je lis et de ce que je regarde à la télévision est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

12 Ma capacité à me rappeler de ce qui s'est passé pendant mon enfance est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

13 Ma capacité à savoir que les choses auxquelles je fais attention vont rester dans ma mémoire est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

14 Ma capacité à donner un sens à ce que les gens m'expliquent est

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

15 Ma capacité à retrouver en mémoire et à me rappeler ce qui s'est passé il y a quelques minutes est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

Chapitre 7. Électroconvulsivothérapie

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

164

Items Pire que jamais

Commeavant

Mieux que jamais

16 Ma capacité à prêter attention à ce qui se passe autour de moi est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

17 Ma vigilance globale aux choses qui sur-viennent autour de moi est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

18 Ma capacité à suivre ce que les gens disent est…

–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

165

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Bases neurophysiologiques

PrincipeLa stimulation magnétique transcrânienne (SMT) est une technique de neurostimulation et neuro-modulation non invasive fondée sur le principe de l'électromagnétisme [1]. Un courant électrique circulant dans une bobine produit un champ magnétique [2] ; celui-ci traverse la boîte crânienne sans perte d'énergie et génère une dépolarisation neuronale au contact d'un conducteur tel que le tissu cérébral. Un train de stimuli de SMT appli-qué à la même intensité sur une zone cérébrale à une fréquence donnée — allant de 1 stimulus par seconde (1 Hz) jusqu'à 50, voire plus — est appelé stimulation magnétique transcrânienne répéti-tive (SMTr).

La SMT : un outil d'exploration fonctionnelleLa SMT est un outil permettant d'étudier l'activité de différents circuits neuronaux intracorticaux. L'excitabilité corticale correspond à la production d'une activité neuronale par le cortex suite à son exposition à une stimulation par SMT. Elle résulte de l'action de circuits neuronaux inhibiteurs ou excitateurs, et varie sous l'influence de diffé-rents facteurs, en particulier pharmacologiques, hormonaux, de différentes pathologies (trouble dépressif majeur, schizophrénie…) ou du niveau d'activité cérébrale [3–6].

La majorité des études sur les effets de la SMT a été obtenue par stimulation du cortex moteur [6, 7]. Un stimulus supraliminaire délivré au niveau de l'aire motrice primaire se traduit par une réponse motrice enregistrée sous forme de potentiel évo-qué moteur (PEM), dont l'amplitude dépend du nombre de motoneurones activés. En fonction de l'orientation de la bobine et du type de champ magnétique, la SMT active de manière indirecte les neurones pyramidaux par l'intermédiaire de la stimulation trans-synaptique des interneu-rones corticaux. La SMT utilise notamment deux techniques d'évaluation de l'excitabilité corticale : SMT à choc unique et à double choc. Plusieurs indices permettent d'évaluer celle-ci ; parmi eux, la recherche du seuil moteur s'avère indispensable avant tout traitement par SMTr.

La SMTr : un outil thérapeutique non invasif de modulation de l'activité cérébraleLes mécanismes d'action de la SMTr sont peu connus. Parallèlement à ses effets immédiats, la SMTr serait à même de moduler l'excitabilité corticale, ceci per-durant après la stimulation par des phénomènes de potentialisation à long terme et de dépression de la transmission synaptique au sein des réseaux corticaux [8]. Cet effet peut aller de l'inhibition à la facilitation selon les paramètres de stimulation uti-lisés. Il a ainsi été montré que des fréquences éle-vées (5 à 20 Hz) ont un effet facilitateur sur l'activité corticale, alors que des basses fréquences (≤ 1  Hz) ont pour effet de diminuer l'excitabilité corticale [8]. Une étude récente pratiquée chez des sujets sains a montré que l'effet de la SMTr appliquée à différentes

Chapitre 8Stimulation magnétique transcrânienne répétéeR. Richieri1

1 Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi, J. Vion-Dury.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

166

fréquences au niveau du cortex préfrontal dorsolaté-ral (CPFDL) gauche est maximal sous la bobine de stimulation mais également à distance, notamment au niveau des régions homologues controlatérales [9]. Néanmoins, si le paradigme « basses fréquences à effets inhibiteurs/hautes fréquences à effets excita-teurs » concerne le cortex moteur primaire et semble communément admis chez les sujets sains, et bien qu'il guide empiriquement la plupart des protocoles classiques de SMTr en thérapeutique, cette dichoto-mie n'est pas forcément aussi marquée en situation pathologique et selon la zone stimulée [9, 10]. Utilisée en thérapeutique, l'intérêt de la SMTr réside princi-palement sur ses effets rémanents (post-effet), obser-vés bien au-delà de la durée de la stimulation. Cet effet rémanent augmente avec le nombre de stimu-lations délivrées et peut durer plusieurs dizaines de minutes [11, 12].

Bonnes pratiquesL'utilisation de la SMTr a été approuvée par la Food and Drug Administration aux États-Unis en 2008 et a fait l'objet de recommandations internationales et

françaises de bonne pratique concernant ses règles de sécurité et ses indications thérapeutiques [4, 13]. La SMTr doit se trouver dans un centre pourvu ou à proximité d'un dispositif d'urgence en cas de surve-nue d'une crise épileptique (chariot d'urgence, per-sonnel formé à la réanimation cardiopulmonaire). La SMTr peut être pratiquée par un personnel préa-lablement formé sous la supervision d'un psychiatre ayant acquis une expérience dans cette technique et capable d'intervenir en situation d'urgence.

Matériel

Matériel de stimulationLes stimulateurs magnétiques comportent trois éléments de base : une unité centrale, une bobine de stimulation et un chariot (figure 8.1).

Unité centrale

L'équipement de SMT comprend des capaciteurs générant un courant alternatif à très haute intensité (5 000 A) et un système de décharge extrêmement rapide (5 MW en 100 μs). Un stimulateur magné-tique permet ainsi d'induire un champ magnétique intense comparable à celui d'une IRM (2,5 T).

Figure 8.1. Équipement nécessaire à la pratique de la SMTr : un stimulateur, un chariot et une bobine ici équipée d'un bras articulé.

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

167

Les principaux fournisseurs de ce type d'équipe-ment dédié pour la SMT sont : Nexstim Ltd (Finlande), Medtronic Inc. (États-Unis), Neuronetics Inc. (États-Unis) et The Magstim Company Ltd (Royaume-Uni).

En SMTr, les stimulateurs génèrent un champ biphasique, tandis que la SMT utilise le plus souvent des stimulations monophasiques. Ce dernier type de champ, plus puissant, est plus efficace pour modifier l'excitabilité corticale mais plus propice à échauffer le matériel. Les stimulateurs de SMTr sont actuel-lement capables de produire des fréquences allant jusqu'à 100 Hz, soit 100 stimulations par seconde.

Les stimulateurs sont également équipés d'une interface utilisateur qui permet de sélectionner les différents paramètres de stimulation et de visua-liser différentes fonctions de l'appareil comme la température de la bobine, le PEM, le déroulement du traitement…

Bobine

La bobine (coil) de stimulation magnétique est formée d'une boucle de fils de cuivre contenue dans un boîtier ; elle est posée sur le scalp en regard de la zone à stimuler. L'intensité du champ magnétique dépend de l'intensité du courant appliqué (exprimé en pourcentage de la puissance maximale du stimulateur), de la taille et de forme de la sonde, et enfin du nombre de tours du bobi-nage. Le champ magnétique diminue rapidement quand on s'éloigne de la bobine ; ainsi la SMT n'a aucune action au-delà de 3 cm de profondeur.

Les bobines utilisées en exploration fonction-nelle sont de forme circulaire et ont un large champ d'action (figure 8.2).

La bobine double dite en figure de « 8 » ou en forme de papillon, utilisée majoritairement en

Distance

par rapport

au centre

en mm

–10–10

–5

5

10

0

–5

0

5

10

Intensité duchamp

magnétique

Figure 8.2. Bobine circulaire munie d'un bouton de déclenchement d'impulsions uniques et profil du champ magnétique induit à la surface de la bobine.D'après Handbook of transcranial magnetic stimulation. Pascual-Leone et al. (ed.). London : Edward Arnold ; 2002.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

168

SMTr, est constituée de deux petites bobines situées dans le même plan. Il en résulte une som-mation des deux champs magnétiques à leur croi-sement, permettant une stimulation plus focale sur une surface corticale d'environ 3 cm2 (figure 8.3).

De nouveaux types de bobine à plus forte péné-trance (H-coil) ont récemment été développés permettant d'atteindre des structures cérébrales plus profondes (6 à 8 cm sous le scalp).

Un système de refroidissement de la bobine, hydraulique ou par ventilation, est indispensable

afin de limiter l'échauffement de celle-ci (et sa désactivation) lors de son utilisation en SMTr. Enfin, il est fortement conseillé de maintenir la bobine en place à l'aide d'un bras articulé ou d'un bras robotisé durant la séance (cf. figure 8.1).

Matériel d'enregistrement électriqueIl est recommandé d'équiper le stimulateur d'un moniteur de potentiels évoqués moteurs (PEM)

Distan

ce pa

r rap

port

au ce

ntre e

n mm

–10–10

–5

5

10

0

–5

0

5

10

Intensité duchamp

magnétique

Figure 8.3. Bobine en forme de « 8 » et profil du champ magnétique focal maximal induit à la surface de la bobine.D'après Handbook of transcranial magnetic stimulation. Pascual-Leone et al. (ed.). London : Edward Arnold ; 2002.

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

169

couplé à l'électromyogramme. L'enregistrement EMG des PEM est le moyen le plus précis pour déterminer le seuil moteur. Pour ce faire, des élec-trodes de surface seront positionnées au niveau du muscle cible, généralement le court abducteur du pouce (figure 8.4).

Matériel de neuronavigationUn système de neuronavigation est parfois utilisé. Il permet au médecin de définir avant une séance

la zone cible sur le cerveau puis au cours du trai-tement de repositionner correctement la bobine. Son principe repose sur le repérage des coordon-nées d'une zone cible anatomique ou fonction-nelle dans les trois dimensions de l'espace dans un référentiel donné à la fois sur l'imagerie cérébrale du patient et sur le patient lui-même. Cette tech-nique tenant compte de la variabilité anatomique interindividuelle, sa reproductibilité et son effica-cité thérapeutique s'en trouvent ainsi améliorées. Plusieurs fournisseurs disposent de ce type de sys-tème, parmi eux : SyneikaOne (Syneika, France), TMSNavigator (Localite, Allemagne), eXimia NBS system (Nexstim Ltd, Finlande), BrainSight 2 (Rogue Research Inc., Canada) (figure 8.5).

Conduite pratique

Examen clinique et paracliniqueIndications

La SMTr constitue un traitement prometteur pour de nombreux troubles neuropsychiatriques. L'utilité thérapeutique de la SMTr a ainsi été rap-portée dans la schizophrénie, le trouble panique, le trouble obsessionnel compulsif (TOC) et l'état de stress post-traumatique, les patholo-

Figure 8.4. Positionnement des électrodes de surface pour la détermination du SMR du court abducteur du pouce.

Figure 8.5. SMTr équipée d'un système de neuronavigation (BrainSight 2, Rogue Research Inc., Canada).

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

170

gies addictives (craving), mais avant tout dans les épisodes dépressifs majeurs où l'on dispose déjà d'un nombre important de travaux depuis la première étude menée par Höflich [14,  15]. On retrouve également des indications pour des maladies neurologiques telles que la maladie de Parkinson, la dystonie, les tics, le bégaiement, les acouphènes, la spasticité, l'épilepsie, la rééduca-tion de l'aphasie ou des fonctions motrices post-accident vasculaire cérébral, mais également les syndromes douloureux chroniques comme la douleur neuropathique ou la migraine et, enfin, les troubles somatoformes comme le trouble douloureux chronique (en particulier la fibro-myalgie) ou le trouble de conversion avec déficit moteur [13].

À l'heure actuelle, le niveau de preuve le plus élevé de la SMTr en psychiatrie concerne le trai-tement des épisodes dépressifs majeurs et des hal-lucinations auditives dans la schizophrénie et, à un degré moindre, le traitement des symptômes négatifs de la schizophrénie.

Bilan pré-SMTr

La seule contre-indication absolue de la SMTr est la présence de matériel ferromagnétique ou de dispositifs implantés de neurostimulation à proximité de la bobine (moins de 2 cm), en raison du risque de déplacement ou de dysfonctionne-ment.

Les femmes enceintes, les enfants et les patients souffrant de troubles auditifs représentent des situations spécifiques pour lesquelles l'indication de SMTr sera particulièrement à argumenter. Certaines conditions liées au patient et suscep-tibles d'induire une crise d'épilepsie sont à consi-dérer mais ne représentent pas en soi une contre-indication — antécédent personnel d'épilepsie, lésion cérébrale focale quelle qu'en soit l'origine, antécédent de traumatisme crânien avec perte de connaissance, administration de substances abaissant le seuil épileptogène [13]. La passation d'un autoquestionnaire reprenant les informa-tions de base nécessaires à la sélection d'un candi-dat à la SMTr est conseillée (cf. Annexe 1).

La réalisation d'un examen d'imagerie céré-brale préalablement à la SMTr semble intéressante afin d'éliminer un certain nombre de contre- indications, de mesurer la distance bobine- cortex et ainsi apprécier le degré d'atrophie corticale

pouvant limiter l'efficacité de la SMTr [16], ou par-fois d'utiliser un guidage par neuronavigation. En revanche, un EEG pré-SMT est inutile, cet examen n'étant ni sensible ni spécifique pour pré-dire le risque de déclenchement d'une crise par la SMTr [16].

Préparation du patientInformation

Une consultation médicale est nécessaire avant tout traitement par SMTr afin de : • validersonindication;• éliminersescontre-indications;• vérifier le traitement médicamenteux conco-

mitant pouvant abaisser le seuil épileptogène et augmenter le risque de survenue d'une crise épileptique ou, au contraire, augmenter ce seuil et diminuer l'efficacité de la SMTr (benzodiazé-pines, antiépileptiques) ;

• expliquer aupatient le déroulementdu traite-ment, les résultats attendus et les effets secon-daires avant de recueillir la signature d'un formulaire de consentement et d'information (cf. Annexes 2 et 3).

En salle de stimulation

Contrairement à l'ECT (cf. chapitre 7), la SMTr ne nécessite pas d'anesthésie générale. La SMTr peut se pratiquer en ambulatoire. Le patient sera confortablement installé dans un fauteuil avec appui latéral et repose-tête. Il doit rester immobile et éveillé durant la séance, certains travaux ayant montré une diminution de l'excitabilité corticale et par conséquent de l'efficacité des stimulations, chez les sujets en état de sommeil [17]. Un coussin à vide est fortement recommandé afin d'immobili-ser le plus possible la tête et de limiter le déplace-ment de la bobine de sa cible.

Une salle équipée d'un système de climatisation est nécessaire, le système de refroidissement de la bobine étant à température ambiante.

Le repérage de la cible de stimulation et du seuil moteur sera fait par le psychiatre ; par la suite, les séances quotidiennes de SMTr seront réalisées par un personnel formé à la technique. Lors de la première séance, un bonnet de bain en élasthanne sur lequel seront marqués certains repères anato-miques (vertex/nasion/inion/tragus) sera attribué au patient (figure 8.6).

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

171

La stimulationMéthode neurophysiologique d'évaluation de l'excitabilité corticale et intracorticale

Afin de repérer la représentation corticomotrice du pouce au niveau du cortex (« mapping »), la bobine doit être positionnée de façon tangentielle sur le scalp du sujet et orientée à 45° par rap-port au plan sagittal en regard du cortex moteur controlatéral au muscle cible.

Le psychiatre enverra une impulsion unique à renouveler toutes les 5 à 10 secondes, jusqu'à l'ob-tention d'une contraction du court abducteur du pouce induisant un PEM (cf. figure 8.4). Le point de stimulation optimal appelé « hot spot » se situe dans une zone controlatérale au pouce, reliant vertex/nasion/tragus. Une fois la position déter-minée, il est nécessaire de marquer le point de stimulation sur le bonnet de bain et de stabiliser la position de la tête afin d'obtenir un niveau de reproductibilité satisfaisant.

Plusieurs indices évaluant l'excitabilité corticale peuvent être mesurés par SMT simple choc [18] : • leseuil moteur est défini comme la plus faible

intensité de stimulation (définie en pourcen-

tage de la capacité maximale du stimulateur) permettant d'obtenir un PEM d'amplitude supérieure à 50 μV ;

• le seuil moteur au repos (SMR) est l'intensité nécessaire pour déclencher, lors d'une série de 10 à 20 stimulations du cortex moteur, 50 % de PEM d'amplitude supérieure à 50 μV, en état de relaxation musculaire. L'intensité de la stimu-lation utilisée en SMTr est calculée en fonction du SMR (pourcentage du SMR). La méthode la plus simple consiste à obtenir un PEM par une stimulation supraliminaire (qui déclenche une réponse motrice) puis diminuer progressivement l'intensité des stimulations par paliers de 2 à 5 % jusqu'à obtenir 50 % de réponse (figure 8.7). Une seconde méthode moins précise dite « visuelle », ne faisant pas appel au monitorage électromyogra-phique (EMG), consiste à obtenir 50 % de réponses motrices (jugées sur le mouvement du pouce dans ce cas), mais elle reste cependant à éviter car elle surestime le seuil moteur, ce qui pourrait augmen-ter le risque de survenue d'une crise épileptique.D'autres paramètres peuvent être évalués, bien

que ceci ne soit pas systématique en pratique cou-rante, mais restent intéressants pour évaluer plus finement l'excitabilité corticale et intracorticale : • leseuil moteur en activité est l'intensité néces-

saire pour déclencher, lors d'une série de 10 à 20 stimulations du cortex moteur, 50 % de PEM d'amplitude supérieure à 200 μV, en état de contraction volontaire ;

• lapériode de silence cortical est une interrup-tion du signal EMG d'un muscle préalablement en contraction volontaire. Cette période de silence est consécutive à une stimulation corti-cale motrice et fait suite au PEM. Il existe deux façons de la mesurer : soit en mesurant le temps écoulé entre la fin du PEM et le retour à un EMG de base, soit en mesurant le temps écoulé entre l'artefact de stimulation et le retour à un EMG de base. Sa durée normale est comprise entre 50 et 200 ms, cette durée est indépen-dante de la force de contraction mais augmente avec l'intensité de la stimulation. Une période raccourcie équivaut à une augmentation de l'excitabilité corticale et inversement. Ce para-mètre reflète le niveau d'inhibition corticale de la zone du cortex moteur recrutée par la SMT, via l'activation d'interneurones inhibiteurs GABAergiques.

Figure 8.6. Un bonnet en élasthanne comprenant les lignes intertragus et la ligne interhémisphérique, le vertex se situe à leur intersection, le hot spot (point noir) ; en avant sur le plan sagittal, le point de stimulation par SMTr (point noir cerclé).

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

172

La mesure des phénomènes d'inhibition et de facilitation intracorticales peut également être évaluée par SMT à double choc c'est-à-dire avec des paires de stimulus séparées par un intervalle variable [7] (figure 8.8) : • inhibition intracorticale (IIC) : le premier choc

est conditionnant, de basse intensité, et ne déclenche pas de réaction motrice, il est donc infraliminaire. Il est délivré 1 à 20 ms avant le second choc qui, lui, sera supraliminaire. Si l'intervalle entre les deux chocs est inférieur à 5  ms, l'amplitude de la réponse obtenue sera inférieure à celle d'une stimulation test seule ;

• facilitation intracorticale (FIC) : si l'intervalle entre les deux chocs se situe entre 7 et 15 ms, l'amplitude de la réponse conditionnée sera supé-rieure à celle de la réponse non conditionnée.Ces phénomènes de facilitation ou d'inhibition

dépendent du recrutement de circuits interneuro-naux corticaux, excitateurs ou inhibiteurs selon le délai de la stimulation test. Ces mesures d'am-plitude explorent l'excitabilité globale de la voie corticospinale. L'IIC est liée principalement à la mise en jeu de circuits inhibiteurs intracorticaux

GABAergiques A. La FIC est liée à la mise en jeu de circuits inhibiteurs intracorticaux glutamater-giques (récepteurs NMDA).

Enfin, la connectivité interhémisphérique par voie trans-calleuse peut être étudiée à l'aide de la SMT : • la période de silence interhémisphérique par

SMT en choc unique du cortex moteur homo-latéral : la période de silence cortical ipsilatérale est mesurée à l'aide d'une intensité de stimula-tion élevée (souvent 100 % de la capacité du sti-mulateur) ;

• l'inhibition interhémisphérique par SMT double choc : la stimulation conditionnante ipsilatérale par rapport au muscle enregistré est déclenchée quelques millisecondes avant la stimulation test déclenchée au niveau du cortex moteur contro-latéral correspondant au même muscle ; cette mesure nous renseigne sur les capacités d'inhi-bition d'un hémisphère sur l'autre.

Localisation du site de stimulation

Nous aborderons les méthodes de repérage des deux principaux sites de stimulation utilisés en psychiatrie :

Figure 8.7. Potentiel évoqué moteur (PEM) après stimulation magnétique transcrânienne.

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

173

• lecortexpréfrontaldorsolatéral(CPFDL)ciblédans le traitement des épisodes dépressifs majeurs et des symptômes négatifs de la schizo-phrénie ;

• le cortex temporopariétalgaucheciblédans letraitement des hallucinations auditives dans la schizophrénie.Plusieurs méthodes permettent de localiser le

CPFDL.La méthode standard encore appelée des

« 5  cm » propose de partir de la localisation du seuil moteur : la zone à traiter se situe 5 cm en avant dans un plan parasagittal, parallèlement à la ligne interhémisphérique. Cette méthode, pra-tique et facile, est la plus régulièrement utilisée dans les études et a largement montré son effi-cacité. Néanmoins, plusieurs auteurs ont montré qu'elle situait la cible davantage en regard de la région prémotrice [19, 20]. Certains auteurs ont donc proposé de localiser le site de stimulation plus en avant, à 6–7 cm du hotspot [21]. Le système inter-

national 10–20 utilisé en EEG tenant compte de la variabilité anatomique interindividuelle per-met de repérer le CPFDL à l'aide des points F3 (gauche) et F4 (droit). Le CPFDL se situerait 1 cm antérolatéralement à F3 et F4.

Durant la séance, la bobine sera posée de façon tangentielle sur le scalp, orientée postéro- antérieurement, avec un angle latéromédial d'en-viron 45°.

Plusieurs auteurs ont souligné le manque de reproductibilité de la procédure de placement de la sonde de stimulation selon ces méthodes, et il paraît indispensable d'utiliser des outils de neuronavigation pour résoudre ces différentes sources d'imprécision [22] (cf. figure 8.5). Utilisés en neurochirurgie depuis la fin des années 1980, ils permettent aujourd'hui de réaliser un traite-ment guidé par l'image en temps réel. Leur prin-cipe repose sur le repérage des coordonnées d'une zone cible dans les trois dimensions de l'espace dans un référentiel donné, à la fois sur l'imagerie

Figure 8.8. Phénomènes d'inhibition et de facilitation intracorticales après SMT conditionnante.Le premier choc est conditionnant, de basse intensité, et ne déclenche pas de réaction motrice. Lorsque l'intervalle interstimulus (ISI) est inférieur à 5 ms, l'amplitude de la réponse obtenue sera inférieure à celle d'une stimulation test seule (inhibition intracorticale) ; si l'ISI est de 25 ms, l'amplitude de la réponse conditionnée sera supérieure à celle de la réponse non conditionnée (facilitation intracorticale). (D'après Nakamura et al. J Physiol 1997 ; 498 : 817–23.)

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

174

cérébrale du patient et sur le patient lui-même. Cette technique s'avère stable et reproductible.

Le repérage du cortex temporopariétal utilise le plus souvent le système international 10–20, le site de stimulation se situant à mi-distance entre les repères T3 et P3 du scalp [23] (figure 8.9).

Ici encore, il faut s'interroger sur les variations anatomiques interindividuelles et sur la dimen-sion fonctionnelle des anomalies présentes chez le sujet halluciné, imposant ainsi une neuronavi-gation guidée selon une imagerie fonctionnelle [24]. Comme pour la détermination du seuil moteur, la bobine sera posée de façon tangentielle sur le scalp.

Au cours d'un traitement par SMTr avec neu-ronavigation, différentes étapes sont nécessaires : • calibration : avant lapremière séance et après

acquisition des images IRM anatomique ou IRM fonctionnelle, une reconstruction tridi-mensionnelle du cerveau et de la tête du patient est réalisée par le système ;

• planification:lepsychiatredéterminelarégioncorticale cible sur la reconstruction tridimen-sionnelle du cerveau (figure 8.10) ;

• navigation : lorsdes séancesquotidiennes,unrecalage initial de la tête du patient par rap-port à la reconstruction tridimensionnelle et un recalage de la sonde seront effectués (cf. figure 8.5).

Paramètres de stimulation

Plusieurs paramètres de stimulation doivent être considérés pour un traitement efficace et bien toléré : la fréquence de stimulation, l'intensité de

Fp1 Fp2

F4

F8

F3F7

A1A2

T3 T4

T0T5

P3 P4

P32P31Nasion

Inion

International 10–20System

O1 O2

Fz

Cz

Pz

C3 C4

Figure 8.9. Système international EEG 10-20 et cible temporopariétale de la SMTr.

Figure 8.10. Détermination de la cible de stimulation à l'aide d'un système de neuronavigation.

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

175

stimulation, la durée d'un train de stimulation, l'intervalle inter-trains, le nombre de trains et le nombre de stimulations par séances, le nombre total de séances et le nombre total de stimulations en fin de traitement. La plupart des protocoles thérapeutiques consistent en une série de séances quotidiennes (20 à 40 au total), chaque séance durant entre 10 et 20 minutes.

Fréquence de stimulation

Plusieurs protocoles ont montré leur intérêt dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs : • SMTràhautefréquenceappliquéeauniveaudu

CPFDL gauche, la plus fréquemment retrouvée dans les études ;

• SMTr à basse fréquence au niveau duCPFDLdroit ;

• SMTrbilatéraleutilisantcesdeuxprotocolesdefaçon séquentielle lors de la même session.

Les protocoles de stimulation à haute fré-quence au niveau du CPFDL gauche ont été le plus largement étudiés dans les épisodes dépres-sifs majeurs avec plusieurs méta-analyses ayant montré leur efficacité [25–29]. La stimulation à basse fréquence semble mieux tolérée et présente un risque épileptogène plus faible que la SMTr à haute fréquence [13]. Aucune différence signifi-cative avec les protocoles à haute fréquence n'a été mise en évidence concernant son efficacité antidépressive [30, 31]. La stimulation bilatérale ne semble pas avoir d'efficacité antidépressive supérieure aux autres protocoles de stimula-tion [21, 32]. Dans la schizophrénie, le traitement des symptômes négatifs fait appel à des proto-coles similaires à ceux utilisés dans les épisodes dépressifs majeurs, tandis que des fréquences inhibitrices sont utilisées dans le traitement des hallucinations auditives [13].

Figure 8.11. Différents patterns de SMTr.À gauche, de haut en bas : un train de 10 s de SMTr à 1 Hz et à 5 Hz (soit 50 stimuli) et en bas, un protocole standard : deux trains de 2 s de SMTr à 20 Hz (40 stimuli) séparés d'un intervalle intertrains de 28 s. À droite, de haut en bas, stimulation de type thêta burst : continue, intermittente. (D'après Rossi et al. Clin Neurophysiol 2009 ; 120 : 2008-39.)

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

176

De nouveaux protocoles de stimulation autres que les protocoles de SMTr standard ont vu le jour et modifieraient de façon plus rapide et prolongée l'excitabilité corticale [33]. Ils consistent à appliquer à un seuil infraliminaire (80 % du seuil moteur) en regard du cortex, pour une durée n'excédant pas 2 minutes, des salves (bursts) de stimulations à très haute fréquence (50 Hz), incorporées à un rythme de fréquence moindre. Le schéma le plus utilisé est de type thêta burst (TBS) : des triplets de stimulations délivrées à 50 Hz se succèdent à un rythme thêta (5 Hz) (figure 8.11) ; l'intervalle de temps entre les trains définit différents modes de stimulation : lorsque la stimulation est conti-nue (cTBS), l'amplitude du PEM après la stimula-tion est diminuée par rapport au niveau basal et associée à une augmentation de l'inhibition intra-corticale ; lorsque la stimulation est intermittente (iTBS), l'amplitude du PEM après la stimulation est augmentée et associée à une diminution de l'inhibition intracorticale.

Intensité de stimulation

Ce paramètre est exprimé en pourcentage du seuil moteur au repos. La plupart des études utilisent

des intensités de stimulation entre 80 % et 130 % du SMR ; les intensités sont d'autant plus faibles que la fréquence est élevée. Plusieurs auteurs ont montré que des intensités supérieures à 100  % tendent à améliorer l'efficacité de la SMTr [34,  35]. Chez les sujets âgés, Nahas et  al. ont suggéré d'augmenter l'intensité de stimulation (jusqu'à 140 % du SMR), proportionnellement au degré d'atrophie corticale. L'intensité de la stimulation de type thêta burst se situe généralement à 80 % du SMR.

Durée des trains et des intervalles inter-trains

Des paramètres de sécurité tenant compte de l'intensité et de la fréquence de stimulation ont fixé les limites de la durée des trains et de l'inter-valle inter-trains (tableaux 8.1 à 8.3). La sécurité signifie l'absence de propagation de l'excitation, l'absence de post-décharge sur l'activité EEG ou de déclenchement de crise épileptique. Ces para-mètres issus d'études menées sur le cortex moteur sont néanmoins généralisables à l'ensemble du cortex, puisque le seuil d'induction post-décharge est le plus bas au niveau du cortex moteur.

Tableau 8.1. Durée maximale de sécurité (en secondes) des trains uniques de SMTr.

Fréquence Intensité de stimulation (% du SMR)

90 % 100 % 110 % 120 % 130 %

1 > 1 800 > 1 800 > 1 800 > 360 > 50

5 > 10 > 10 > 10 > 10 > 10

10 > 5 > 5 > 5 4,2 2,9

20 2,05 2,05 1,6 1,0 0,55

25 1,28 1,28 0,84 0,4 0,24

(D'après Rossi et al., 2009 ; Lefaucheur et al., 2011.)

Tableau 8.2. Recommandations de sécurité concernant les intervalles inter-trains pour dix trains délivrés à une fréquence inférieure à 20 Hz.

Intervalle inter-trains (ms)

Intensité de stimulation (% du SMR)

100 % 105 % 110 % 120 %

5 000 Sûr Sûr Sûr Données insuffisantes

1 000 Dangereux Dangereux Dangereux Dangereux

250 Dangereux Dangereux Dangereux Dangereux

(D'après Chen et al., 1997 ; Lefaucheur et al., 2011 ; Rossi et al., 2009.)

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

177

Nombre de séances

Dans le cadre d'un épisode dépressif majeur, les premiers essais consistaient en une dizaine de séances ; à l'heure actuelle, la plupart des pro-tocoles comprennent entre 20 et 30 séances de SMTr, la plupart à un rythme quotidien. Certains auteurs ont proposé plusieurs séances par jour en respectant les règles de sécurité [13].

Effets indésirablesLa SMTr est généralement très bien tolérée. Les effets indésirables observés au cours des traite-ments par SMTr sont rares et sans gravité. Ils se limitent à une tension musculaire transitoire légèrement et spontanément réversible résultant de la contraction des muscles faciaux et du scalp (chez 5 à 20 % des patients selon les études), une douleur au point d'impact et à des céphalées de tension sensibles aux antalgiques mineurs. Les effets auditifs (modification de brève durée du seuil d'acuité auditive) peuvent être limités par le port de bouchons auriculaires lors des séances. Le risque de crises convulsives géné-ralisées est extrêmement faible, ce d'autant que l'on respecte les contre-indications et les règles de sécurité [13].

Bien que rares, des cas d'épisodes maniaques et d'épisodes mixtes induits par la SMTr ont été décrits, particulièrement chez des sujets souffrant de troubles bipolaires en phase dépressive, mais aussi chez des patients atteints de trouble dépres-sif majeur [36, 37].

Enfin, sur un plan pratique, la SMTr est dépour-vue de certains des inconvénients de l'ECT (cf. chapitre 7) car elle ne nécessite ni anesthésie géné-rale ni induction de crise épileptique, et n'aurait

pas d'effet délétère sur les fonctions cognitives. Néanmoins, elle reste un traitement lourd pour le patient (allers-retours quotidiens sur l'unité de réalisation de la SMTr) et coûteux en termes de ressources médicales et paramédicales.

La répétition des séances de SMTr permet d'ob-tenir un effet rémanent mais limité durant plu-sieurs jours à plusieurs semaines au maximum, amenant certaines équipes à mettre en place des protocoles de consolidation afin de mainte-nir l'effet obtenu en fin de cure et de prévenir la rechute [38, 39].

SMTr au long coursDans le cadre du traitement des épisodes dépres-sifs majeurs, la quasi-totalité des essais étudie les effets de la SMTr à court terme après 2 à 4 semaines de traitement. Une étude ouverte a évalué sur 4 ans la durée de la réponse survenue chez seize sujets souffrant de dépressions résistantes (50 % d'amélioration du score initial de dépression aux échelles Hamilton Rating Scale for Depression et Beck Depression Inventory) ayant bénéficié d'une cure de SMTr en monothérapie (CPFDL gauche, 10 Hz, 1 600 stimuli par jour, dix jours, 90 % du seuil moteur). En moyenne, les patients ont rechuté au bout de 5 mois. Cohen et al. ont dernièrement étudié la durée du maintien de la réponse chez deux cent quatre patients souffrant d'un épisode dépressif majeur en rémission symptomatique après un traitement add-on par SMTr (1 Hz pour le CPFDL droit et 20 Hz pour le CPFDL gauche, 10 à 30 séances, intensité variable) : 3 mois après l'arrêt, 60 % des patients sont encore en rémission, 22,6 % à 6 mois ; la durée moyenne de rémission est de 119,3 ± 4,9 jours. Une analyse multivariée

Tableau 8.3. Durée maximale des trains de SMTr à chaque intensité de stimulation.

Fréquence (Hz) Intensité de stimulation (% du SMR)

100 % 110 % 120 % 130 %

Durée du train (sec) / Nombre de stimulations

1 > 270 / > 270 >270 / > 270 > 180 / > 180 50 / 50

5 10 / 50 10 / 50 10 / 50 10 / 50

10 5 / 50 5 / 50 3,2 / 32 2,2 / 22

20 1,5 / 30 1,2 / 24 0,8 / 16 0,4 / 8

25 1,0 / 25 0,7 / 17 0,3 / 7 0,2 / 5

(D'après Chen et al., 1997 ; Lefaucheur et al., 2011 ; Rossi et al., 2009.)

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

178

établit que l'âge et le nombre de séances sont les seules variables prédictives de l'évolution clinique [40].

La question de poursuivre la cure de SMTr par un protocole de consolidation voire des séances de maintien est ainsi posée mais très peu de travaux existent à ce sujet, et il s'agit pour la majorité d'entre eux d'essais ouverts. Plusieurs modalités existent : • pratiqueràunefréquencedégressivelesséances

de SMTr sur plusieurs mois [39] ; • regrouperplusieursséancessur2 jourstousles

mois [41] ; • ouproposerdescuresintermittentesencasde

rechute.O'Reardon et al. ont testé l'efficacité d'un proto-

cole d'entretien (1 à 2 séances hebdomadaire(s), au niveau du CPFDL gauche, 10 Hz, 100 % du seuil moteur) sur une période allant de 6 mois à 6 ans : sept patients sur dix présentaient une améliora-tion légère à modérée ; à noter l'absence de trai-tement médicamenteux associé chez trois d'entre eux [42]. Aucun virage de l'humeur ne s'est produit lors de ces études. L'obtention d'une rémission symptomatique et la poursuite par un protocole SMTr de consolidation semblent être les meilleurs prédicteurs d'une réponse durable [39].

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Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

179

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Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

180

Annexe 1Autoquestionnaire de sélection des candidats à la SMTr2

1. Avez-vous déjà reçu des stimulations magnétiques dans le passé ? Si oui, avez-vous eu des effets secon-daires ou des complications ?

2. Avez-vous déjà subi une IRM dans le passé ? Si oui, pouvez-vous donner la date du dernier examen.

3. Avez-vous des particules métalliques (éclats, clips, etc.) dans le cerveau ou le cuir chevelu ? Si oui, pouvez-vous indiquer de quel métal il s'agit.

4. Avez-vous des problèmes d'audition ou de siffle-ment dans les oreilles (acouphènes) ?

5. Avez-vous un implant cochléaire ? 6. Avez-vous un stimulateur cardiaque (pacemaker) ? 7. Avez-vous déjà eu une intervention chirurgicale

au cerveau ou à la moelle épinière ? Si oui, pouvez-vous indiquer la nature de cette intervention.

8. Avez-vous un neurostimulateur (cortical, cérébral profond, du nerf vague, médullaire, etc.) implanté dans votre corps ? Si oui, pouvez-vous indiquer de quel type de stimulateur il s'agit.

9. Avez-vous un dispositif implanté de diffusion de médicaments (pompe) ? Si oui, pouvez-vous indi-quer de quel type de pompe il s'agit.

10. Avez-vous une valve de dérivation du liquide céphalorachidien pour traiter une hydrocéphalie ?

11. Avez-vous déjà eu des convulsions ou une crise d'épilepsie ?

12. Avez-vous déjà eu une perte de connaissance ou une syncope ? Si oui, pouvez-vous décrire dans quelle occasion.

13. Avez-vous déjà eu un traumatisme crânien sévère (c'est-à-dire suivi par une perte de connaissance) ?

14. Avez-vous une maladie neurologique ou psychia-trique ? Si oui, pouvez-vous indiquer la nature de cette maladie.

15. Avez-vous une maladie grave, notamment car-diaque ou respiratoire ? Si oui, pouvez-vous indi-quer la nature de cette maladie.

16. Êtes-vous enceinte ou est-il possible que vous le soyez ?

17. Êtes-vous en privation de sommeil ou en décalage horaire ?

18. Avez-vous une consommation excessive de café, d'alcool, ou de médicament ? Si oui, pouvez-vous indiquer la nature de la (ou les) substance(s) consommées.

19. Prenez-vous des médicaments ? Si oui, pouvez-vous en indiquer la liste complète.

20. Avez-vous récemment (moins d'un mois) arrêté de consommer un médicament ? Si oui, pouvez-vous indiquer lequel (lesquels).

Seule une réponse affirmative à la question 5 consti-tue une contre-indication absolue à la SMT. En cas de réponse affirmative aux questions 3, 4, 6 à 20, le rapport bénéfice/risque devra être soigneusement évalué par l'investigateur du projet de recherche et/ou par le méde-cin responsable.

2 Lefaucheur J-P, André-Obadia N, Poulet E, et  al. Recommandations françaises sur l'utilisation de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) : règles de sécurité et indications thérapeu-tiques. Neurophysiol Clin 2011 ; 41 : 221-95.

Annexes

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

181

Annexe 2Formulaire d'information délivré dans le cadre du traitement de la dépression par SMTrLa stimulation magnétique transcrânienne répétitive (en anglais repetitive Transcranial Magnetic Stimula-tion, ou rTMS) est utilisée depuis 1985 dans le domaine

effets thérapeutiques chez les patients déprimés ou pré-sentant d'autres troubles psychiatriques. Dans certains pays, cet outil thérapeutique est reconnu comme trai-tement de la dépression. Des études scientifiques sont en cours en France et au travers du monde pour valider l'efficacité thérapeutique de la rTMS dans la dépression notamment.Le principe de cette nouvelle technique thérapeutique est d'appliquer un champ magnétique spécifique sur certains neurones cérébraux afin de modifier leur métabolisme qui est perturbé dans les troubles que vous présentez.Ce traitement vous est proposé par votre médecin parce que les différents traitements que vous avez essayés n'ont pas montré d'efficacité satisfaisante pour améliorer vos troubles. Il permettra peut-être d'amélio-rer votre état de santé.La rTMS étant en cours de validation en France, nous devons recueillir votre consentement écrit pour que vous puissiez en bénéficier.À tout moment, vous pourrez retirer votre consente-ment et interrompre le traitement.

Déroulement du traitement par rTMS

La stimulation magnétique répétée est une technique indolore qui peut être proposée lors d'une hospitalisa-tion ou comme traitement ambulatoire selon l'intensité des troubles que vous présentez. Les séances sont réali-sées dans le service du Docteur ………………… Il n'est pas nécessaire d'être à jeun lors des séances. Ce traite-ment se déroule sans anesthésie ni autre médicament.La durée des séances sera d'environ 45 minutes pour la première puis 10 à 30 minutes pour les séances sui-vantes selon le protocole de stimulation qui vous est proposé. Pendant la séance, vous serez confortable-ment assis(e) dans un fauteuil.Ce traitement nécessite d'abord l'évaluation de l'acti-vité des régions motrices de votre cerveau au moyen d'un stimulateur magnétique. Cette activité devra être réévaluée au cours de la cure. C'est une procédure bien connue et largement utilisée en neurologie. Celle-ci consiste à appliquer au niveau du crâne un champ magnétique localisé entraînant la stimulation de cer-

taines régions de votre cerveau. Cette procédure a pour objectif de localiser le site de stimulation optimal ainsi que la quantité d'énergie adaptée pour chaque patient. Certains médicaments peuvent modifier l'excitabilité des neurones et c'est pourquoi des changements dans votre traitement ont pu être effectués par votre méde-cin au cours des derniers jours. Cette stimulation se fait au moyen d'une sonde en forme de huit qui est main-tenue sur la tête par un pied articulé en présence d'un médecin formé à la technique. Vous entendrez seule-ment un clic à chaque stimulation et vous sentirez votre pouce se contracter doucement.Le traitement proprement dit commencera ensuite. Il aura lieu en général tous les jours pendant 2 à 6 semaines à l'exclusion du samedi et du dimanche. La procédure de délivrance des stimulations pour le trai-tement est la même que celle décrite ci-dessus hormis que les stimulations ne sont pas uniques mais délivrées par séries.Aucun effet indésirable n'a été signalé à distance des séances de stimulation. Dans tous les cas, vous pouvez contacter à tout moment le médecin qui vous suit habi-tuellement pour obtenir des informations complémen-taires si vous le désirez.

Effets indésirables

Peu d'effets indésirables ont été décrits, dépendant pour la plupart du type de stimulation magnétique utilisé.Une somnolence passagère peut être parfois observée après les séances. Une douleur au point d'impact peut également être ressentie. Certains patients (20 %) rap-portent des maux de tête après la séance. L'utilisation de paracétamol ou d'Aspirine® peut être proposée sur ces douleurs peu sévères et transitoires.La stimulation magnétique peut parfois induire des crises convulsives même en l'absence de facteurs de risque. Mais cette complication est rarissime puisqu'il n'a été rapporté que 7 cas sur plusieurs milliers de sujets ayant eu des stimulations magnétiques. Le risque a été évalué à un cas sur 1000, et les paramètres de stimu-lation utilisés sont définis afin de contrôler au mieux ce risque.Des rares cas de virage de l'humeur ont été décrits dans la littérature scientifique avec cette technique. Il est à noter que ce type de réaction est observé avec tous les traitements antidépresseurs commercialisés et ne semble pas plus fréquent avec la rTMS. La survenue

de la recherche clinique en neurosciences. Des résul-tats d'études scientifiques ont montré que la rTMS a des

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

182

d'un tel phénomène conduirait l'équipe médicale à interrompre transitoirement ou définitivement votre traitement par rTMS.Le médecin qui a posé l'indication de rTMS a pris toutes les précautions actuellement recommandées ayant fait l'objet d'un consensus international (para-mètres de stimulation, réalisation éventuelle d'un EEG

avant le traitement, recherche de contre-indication relative en cas d'antécédent personnel et/ou familiaux de convulsion, recherche d'autres contre-indications : chirurgie cérébrale récente, implant métallique intra-cérébral, cochléaire ou ophtalmologique ; infarctus du myocarde récent, accident vasculaire récent, grossesse en cours).

Chapitre 8. Stimulation magnétique transcrânienne répétée

183

Annexe 3Formulaire de consentement au traitement par SMTrJe soussigné(e) ……………………….. autorise l'équipe médicale du Docteur ………………. à utiliser la stimulation magnétique transcrânienne répétée pour mon traitement.J'ai reçu et compris les informations rassemblées dans le document d'information au patient qui m'a été remis et expliqué. J'ai été informé(e) des modalités du traitement ainsi que des bénéfices espérés et des risques encourus par l'utilisation de cette technique. J'ai reçu et compris toutes les réponses aux questions que j'ai pu poser. Je m'engage à respecter les recommandations de sécurité dont on m'a informé(e).Je sais que je suis libre d'accepter ou de refuser le traitement ainsi que de l'interrompre si je le décide.

Fait à : ..........................Le : ................................

Signature du médecin Signature du patient

185

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Bases neurophysiologiques

Régulation psychophysiologique d'une activité neurocognitiveLe neurofeedback est une technique d'apprentis-sage neurocognitif facilité par la mise à disposi-tion en temps réel, pour le sujet, d'une information neurophysiologique provenant du cerveau du sujet lui-même, représentée sous la forme de signaux sonores ou visuels, mesurée et traitée par l'intermédiaire d'instruments de mesure électro-physiologique [1].

Le neurofeedback fait partie des techniques de biofeedback, parfois appelé rétrocontrôle ou rétroaction biologique, termes cependant moins communément utilisés [2]. Selon Rémond, le biofeedback est : « un groupe de procédés théra-peutiques qui utilise une instrumentation électro-nique ou électromécanique. Cette dernière permet de mesurer avec précision, traiter et représenter, sous forme analogique ou numérique, une infor-mation aux propriétés renforcées, sur l'activité neuromusculaire ou l'activité autonome (normale ou anormale) des individus au moyen de signaux sonores ou optiques. Ses objectifs — d'autant mieux atteints qu'ils sont effectués sous l'égide d'un professionnel compétent dans le domaine du bio-feedback — sont d'aider les individus à développer une meilleure conscience et un contrôle volontaire plus intense de leurs processus physiologiques, processus pratiquement inconscients (c'est-à-dire peu indépendants a priori ou indépendants d'un contrôle volontaire), ceci en contrôlant d'abord le signal externe, puis finalement en utilisant des moyens psychophysiologiques internes » [2].

Appliqué en thérapeutique, le neurofeedback est une thérapeutique proche des techniques de

remédiation cognitive, qui consiste à corriger certains symptômes ou signes cliniques mais en modulant certaines caractéristiques neurophy-siologiques [1, 3]. Le neurofeedback a cependant été également utilisé chez les sujets sains afin d'augmenter leurs performances cognitives et affectives [4], leur créativité et leurs performances artistiques, sportives ou professionnelles [5].

Parmi les techniques de remédiation cognitive, le neurofeedback présente la particularité de créer une boucle psychophysiologique rétroactive favo-risant [6] : • laprisedeconsciencedemodificationspsycho-

physiologiques ; • l'apprentissage, par la possibilité d'un renfor-

cement positif objectif en temps réel, de carac-téristiques neurophysiologiques corrélées à cet apprentissage ;

• le sentiment d'efficacité personnelle, par lapossibilité donnée au patient d'objectiver ses propres performances par l'évolution du para-mètre neurophysiologique au cours des séances successives.Le patient apprend idéalement à développer

des stratégies neurocognitives et psychophysio-logiques en séance avec le thérapeute en contrôlant le signal sonore ou visuel fourni par le dispositif, pour ensuite être à même de les réaliser en l'absence de neurofeedback [2].

Le thérapeute utilisant le neurofeedback doit présenter deux compétences essentielles : • connaître les bases de l'électrophysiologie (cf.

chapitre 2 et 3), afin de pouvoir mesurer, traiter et représenter d'une manière optimale et rigou-reuse le paramètre neurophysiologique d'intérêt ;

• connaître les principes de la remédiationcognitive et de l'apprentissage, afin de favori-ser et renforcer les stratégies développées par le patient, et de permettre un transfert des compétences acquises pendant les séances de neurofeedback dans la vie quotidienne.

Chapitre 9NeurofeedbackJ.-A. Micoulaud-Franchi, O. Pallanca1

1 Relecture : C. Balzani, C. Quiles, J. Vion-Dury.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

186

Le neurofeedback est une thérapeutique pou-vant s'intégrer dans une prise en charge globale du patient souffrant de troubles neuropsychia-triques, à la croisée de la neurophysiologie cli-nique et de la remédiation cognitive, pouvant répondre aux représentations et attentes du patient concernant son trouble. Il peut s'associer à la psychopharmacologie, l'électrothérapie (cf. chapitre 7 et 8), la psychoéducation et les thérapies cognitivo- comportementales.

Une prise en charge thérapeutique par le neuro-feedback nécessite en général 25 à 50 séances, de 45 à 60 minutes chacune, 1 à 3 fois par semaine. Elle implique une motivation du patient comme du thérapeute. Le nombre élevé de séances per-met l'apprentissage de stratégies neurocognitives efficaces, le transfert de ces stratégies dans la vie quotidienne et l'obtention d'un effet sur la neuro-plasticité cérébrale permettant le maintien de l'efficacité dans le temps [7].

La place du thérapeute dans les techniques de neurofeedback est essentielle. D'une manière didactique, on peut identifier deux types de neurofeedback [2] (figure 9.1) :

• leneurofeedbackdepremiertypeimpliqueuni-quement le patient dans le dispositif de biofeed-back ; celui-ci doit essayer différentes stratégies neurocognitives par « essais et erreurs » succes-sifs afin d'obtenir l'effet psychophysiologique désiré et une amélioration progressive neuro-physiologique et clinique ;

• le neurofeedback de deuxième type impliquele patient dans le dispositif mais également le thérapeute ; ce dernier l'aide dans son appren-tissage (en repérant ses difficultés et en gui-dant ses stratégies neurocognitives), renforce sa motivation et lui permet de suivre son évolution au cours de la séance et au cours des séances successives. Le thérapeute peut être amené à ajuster les réglages de l'appareil de neurofeed-back et à choisir les programmes pour adapter au mieux le retour de l'information au patient.La place du neurofeedback dans le champ thé-

rapeutique actuel reste pour le moment encore incertaine. Le neurofeedback n'appartient en propre à aucune discipline, bien que son déve-loppement soit organisé en société savante. Ainsi, des sociétés savantes se sont développées dans

Figure 9.1. Représentation schématique des deux types de neurofeedback.(D'après Rémond A, Rémond A. Biofeedback : principes et applications. Paris : Masson ; 1997.)

Chapitre 9. Neurofeedback

187

les années 1970, permettant la promotion de la recherche, la diffusion et la formation aux appli-cations thérapeutiques du neurofeedback. La BSA (Biofeedback Society of America) est la première organisation à but non lucratif, créée en 1969, afin de développer les techniques de biofeedback au sens large. Elle sera renommée en 1977 l'AAPB (Association for Applied Psychophysiology and Biofeedback). Au sein de l'AAPB, le biofeedback concernant les activités cérébrales (neurofeed-back) a pris une telle importance dans le début des années 1990 que la SSNR (Society for the Study of Neuronal Regulation) s'est détachée de l'AAPB. La SSNR est depuis les années 2000 l'ISNR (Inter-national Society for Neurofeedback and Research). En Europe, la BFE (Biofeedback Foundation of Europe) a été créée en 1997. Ces sociétés savantes organisent au sein de l'ICE (Institute for Creden-tialing Excellence) des formations appelées BCIA (Biofeedback Certification International Alliance, anciennement Institute of America) reconnues par la Mayo Clinic et un certain nombre d'États amé-ricains. La certification BCIA associe des heures de cours (sur la neurophysiologie fondamentale et clinique, le neurofeedback et la conduite d'une thérapeutique), à un contrôle des pratiques — avec nécessité de faire la preuve du suivi d'un cer-tain nombre de patients et présentation de cas cli-niques. Cette certification est indispensable afin d'obtenir les compétences psychothérapeutiques nécessaires pour accompagner un sujet au cours d'une thérapie utilisant le neurofeedback. Une fois le BCIA obtenu, une formation continue tous les 4 ans est obligatoire.

Une des raisons de la place incertaine du neuro-feedback dans le champ thérapeutique actuel est qu'il se situe à l'interface de plusieurs disciplines : • l'ingénieriebiomédicale;• laneurophysiologieetlapsychophysiologie;• les sciences de l'apprentissage (et les thérapies

cognitivo-comportementales) ; • lapsychologiedelasanté.

Nous reviendrons sur les trois premières disci-plines dans la suite de ce chapitre. Les concepts de la psychologie de la santé nous semblent adaptés pour intégrer de manière cohérente le neurofeed-back dans le champ thérapeutique de la médecine. C'est ce que Rémond soulignait déjà en indiquant que « le développement d'un champ d'études psy-chosociales destiné à promouvoir une meilleure

autogestion des comportements de santé ou de maladie » a été curieusement permis par « l'émer-gence de la rétroaction biologique (…) en donnant un modèle expérimental au contrôle volontaire des phénomènes physiologiques » [2, 8].

En effet, le modèle intégratif de la maladie issu des concepts de la psychologie de la santé sou-ligne l'importance de l'interaction (ou processus de transaction) entre l'individu et son environ-nement sur l'évolution d'une maladie chronique. Le sujet ne subit en effet pas passivement une situation de maladie mais adopte, pour faire face à celle-ci, diverses stratégies neurocognitives qui peuvent améliorer le pronostic d'une maladie  [9]. Parmi ces processus de transaction [9], quatre variables importantes sont à prendre en compte : • lestressperçu;• lecontrôleperçu;• lesoutiensocialperçu;• lesstratégiesd'ajustement.Lestressperçucorrespondàl'évaluationparle

patient de la situation comme excédant ses res-sources et pouvant menacer son bien-être.Lecontrôleperçucorrespondàl'évaluationpar

le patient de ses ressources personnelles et de sa capacité à contrôler la situation à laquelle il est confronté.Le soutien socialperçu correspondà l'évalua-

tion par le patient de ses ressources sociales, c'est-à-dire de l'aide d'autrui qu'il pourrait recevoir pour contrôler la situation. Un contrôle perçuetunsoutiensocialperçudebonnequalitésontgénéralement protecteurs pour la santé.

En fonction de l'évaluation des ressources per-sonnelles et sociales lui permettant de faire face à la situation, le patient peut élaborer un ensemble de stratégies d'ajustement, ou de « coping », qui sont des stratégies que la personne interpose entre elle et l'événement afin demaîtriser, réduire outolérer l'impact de celui-ci sur son bien-être phy-sique et psychologique.

Dans la lignée de ces concepts [10], le neurofeed-back peut être analysé comme un dispositif d'ap-prentissage psychophysiologique permettant de modifier idéalement non pas seulement une acti-vité neurocognitive donnée, mais l'ensemble des schèmes cognitifs que le patient a pu développer concernant ses attentes d'efficacité personnelle à propos de son problème de santé (et également celles de son entourage, notamment lorsqu'il est

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

188

indiqué chez l'enfant). L'originalité de ces tech-niques est de constituer des thérapies d'ordre psy-chophysiologique en plus d'être d'ordre psycholo-gique et/ou psychosocial [3]. Elles nous semblent donc pouvoir s'intégrer dans le développement de la prescription de thérapeutiques non médica-menteuses validées dans le contexte des maladies chroniques  [11] et dans le modèle intégratif de la santé et de la maladie [12] (figure 9.2).

Principales cibles neurophysiologiques du neurofeedbackLe principe général du neurofeedback est de renvoyer au sujet une information sur sa propre activité cérébrale enregistrée à l'aide d'électrodes placées sur le scalp selon le système 10–20. Les contraintes de la pratique clinique courante imposent l'utilisation d'un faible nombre d'élec-trodes d'enregistrement électrophysiologique de l'activité cérébrale. Les cibles du neurofeedback

restent donc, dans ces conditions, assez grossières. En dehors de protocoles de recherche [6, 13], on peut considérer que le neurofeedback utilisé en cli-nique va cibler principalement l'axe de régulation de la vigilance [14]. La vigilance est en effet reliée à certains états cérébraux globaux facilement éva-lués par des mesures électrophysiologiques à la surface du crâne par les activités spontanées de l'EEG (cf. chapitre 3).

Un protocole de neurofeedback est défini par : • la (ou les)bande(s) fréquentielle(s)ciblée(s)de

l'EEG ou par un potentiel EEG lent ; • parlalocalisationdel'électrodeEEGactive.D'unemanièregénérale,unprotocoled'entraî-

nement par neurofeedback est d'autant plus effi-cace que le paramètre qu'on désire contrôler est observé en continu, avec une sensibilité suffisante et présenté de manière quasi immédiate — corres-pondant au délai de traitement de l'information électrophysiologique — pour que les changements intervenant d'instant en instant soient repérés par le patient.

Figure 9.2. Proposition d'un modèle intégratif du neurofeedback.(D'après Gauchet et al. Psychologie française 2012 ; 57 : 131–42.)

Chapitre 9. Neurofeedback

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Bandes fréquentiellesLe signal recueilli par l'enregistrement EEG contient un mélange de fréquences d'amplitudes variées (cf. chapitre 3). De manière simplifiée, cer-taines de ces fréquences ont pu être associées à des expériences subjectives spécifiques ; ainsi [2] : • lesactivitésEEGabondantesdanslabandebêta

ont pu être associées à des états de vigilance de type alerte et à une attention focalisée ;

• des activités abondantes dans la bande alphaà des états de veille calme et à une attention diffuse ;

• desactivitésabondantesdanslabandethêtaàdes états de somnolence ou méditatifs.De manière didactique, il est possible de consi-

dérer que les différents protocoles de neurofeed-back applicables en pratique courante permettent d'augmenter ou de diminuer la vigilance [15]. On parle ainsi de protocole d'activation et de proto-cole de relaxation (figure 9.3) : • lesprotocolesd'activationconsistentprincipa-

lement à apprendre au patient à augmenter la puissance spectrale de l'EEG dans la bande bêta (supérieure à 12 Hz) ;

• les protocoles de relaxation consistent princi-palement à augmenter la puissance spectrale de l'EEG dans la bande alpha (de 8 à 12 Hz).D'une manière simplifiée, les protocoles d'ac-

tivation tendent à augmenter le métabolisme cérébral et les protocoles de relaxation à le dimi-nuer  [15]. Il faut souligner que ce que le patient ressent et qu'il est susceptible de contrôler, ne sont pas directement les puissances spectrales de l'EEG elles-mêmes, mais les modifications subtiles de l'état de conscience et de vigilance en relation avec les fluctuations des puissances spectrales que le dispositif de neurofeedback lui donne à observer.

Protocoles d'activation

Les protocoles d'activation principaux (parfois nommés non-alpha) sont de deux types : • leprotocolebêta/thêtaconsisteàapprendreau

sujet à augmenter la puissance spectrale dans la bande bêta et la diminuer dans la bande thêta (4–8 Hz). L'électrode active est placée sur le ver-tex, en Cz ;

• leprotocoleSMR(pourSensory Motor Rhythm) consiste à apprendre au sujet à renforcer la puissance spectrale dans la bande bêta, le plus

souvent dans la bande fréquentielle 12–15 Hz, au niveau des régions motrices (ou centrales). Elleconsisted'unecertainefaçonàaugmenterle rythme mu (rythme EEG dans la bande bêta basse situé dans les régions motrices et dispa-raissant à la fermeture du poing). L'électrode active est placée en C3 (plus rarement en C4). Le côté gauche est favorisé du fait de l'associa-tion supposée d'une humeur positive lors de l'augmentation du métabolisme cérébral de ce côté [15]. Ce fait, bien que débattu, constitue éga-lement une justification pour l'utilisation de la rTMS haute fréquence du côté gauche dans les épisodes dépressifs majeurs (cf. chapitre 8).Ces protocoles permettent de renforcer les stra-

tégies neurocognitives de modulation de l'éveil et d'attention des patients tout en maintenant un tonus musculaire faible (en particulier pour le protocole SMR). Il est demandé au patient de garder les yeux ouverts. Le signal de renforcement positif peut donc être visuel, sonore ou, le plus souvent, un combiné des deux.

L'objectif au cours des séances est d'obtenir ce que les Anglo-Saxons appellent le « Aha moment », c'est-à-dire le moment phénoménologique où le patient prend conscience d'une activité mentale particulière et qu'il vit en propre : « Ah ha ! Ça y est, je comprends maintenant ce que cela veut dire que d'être attentif et détendu ! ».

Ces protocoles demandent une certaine éner-gie au patient, qui doit maintenir un niveau

Figure 9.3. Courbe puissance/bande spectrale et place de l'activation et relaxation de manière simplifiée.(D'après Kropotov J. Quantitative EEG, event-related potentials and neurotherapy. Oxford : Elsevier ; 2009.)

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

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attentionnel et de détente, et nécessitent des séances séquencées, interrompues par de courtes phases de repos.

Protocoles de relaxation

Le protocole de relaxation classique utilise des électrodes positionnées dans des régions plus pos-térieures, pariétales ou occipitales. Le signal de renforcement est le plus souvent sonore, continu, avec des modulations, car un signal visuel tendrait davantage à désynchroniser l'EEG et à faire dimi-nuer la puissance spectrale dans la bande alpha — c'est la réactivité du rythme de fond décrite dans un EEG classique —, ce qui serait contraire à l'effet escompté [16]. La séance est donc généralement réa-lisée les yeux fermés, et non séquencée, contraire-ment aux protocoles précédents [2, 16]. Le protocole de relaxation permet de renforcer des stratégies neurocognitives en lien avec un état décontracté et moins vigile. Il peut conduire à l'endormisse-ment du patient. Si l'endormissement n'est pas désiré, le protocole peut être complété d'un signal d'éveil léger en cas d'apparition d'activité EEG dans la bande thêta d'une amplitude que le théra-peute considérera comme trop importante.

Potentiel EEG lentUn protocole de neurofeedback particulier plus récent et plus complexe à mettre en œuvre existe. Il permet de cibler soit l'activation soit la relaxa-tion cérébrale, mais toujours dans un état cérébral vigile [17].

Il consiste à enregistrer en Cz un potentiel EEG lent appelé Slow Cortical Potential (SCP), obtenu lorsqu'on utilise des filtres passe-haut très bas (en général filtre passe-haut à 0,01 Hz, voire parfois en Direct Current) permettant d'obser-ver les fréquences traditionnellement éliminées par les filtres passe-haut classiques. Les SCP sont des activités lentes, qui durent de plusieurs cen-taines de millisecondes à plusieurs secondes et sont corrélées au niveau d'excitabilité générale d'une région corticale. Il est demandé au sujet, par l'intermédiaire du « feedback » généralement visuel, d'obtenir des SCP soit positives soit néga-tives [18]. La séance est constituée d'un nombre de séquences courtes où un feedback de l'amplitude négative ou positive de la SCP est rendu par l'in-terface pendant quelques secondes. Ce retour est répété environ 50 à 100 fois dans une séance [17].

Ces SCP utilisées en thérapeutique par neu-rofeedback sont proches de la variation contin-gente négative (VCN), potentiel évoqué mesuré en neurophysiologique clinique diagnostique (cf.  chapitre 5). Une onde SCP négative refléte-rait la dépolarisation des dendrites apicales d'un large ensemble de neurones pyramidaux, et donc une  excitation corticale [19]. Au contraire, une onde SCP positive refléterait une diminution de cette activité, et donc une inhibition corticale.

Un modèle psychophysiologique simplifié per-met cependant de situer de manière cohérente les différents protocoles de neurofeedback en regard de la compréhension neurophysiologique de l'EEG (cf. chapitre 2). En tant que modèle, il nécessitera des recherches supplémentaires pour le confirmer et le compléter [7, 13]. Ainsi, les protocoles de neu-rofeedback centrés sur les puissances spectrales agiraient en faisant intervenir des régulations des voies réticulo-thalamo-corticales jouant une place centrale dans la régulation de la vigilance (cf. chapitre 2). Les protocoles d'activation per-mettraient d'augmenter les ressources attention-nelles du sujet en modifiant l'éveil. Les protocoles de relaxation permettraient de diminuer l'éveil.

Les protocoles avec SCP peuvent être activateurs ou inhibiteurs mais ont généralement lieu dans un contexte d'éveil : le feedback est visuel et il est demandé au sujet de rester éveillé. Ces protocoles agiraient en faisant intervenir des régulations des réseaux frontostriataux intervenant dans la modu-lation des possibilités d'allocation de ressources attentionnelles durant une tâche demandant un effort cognitif. Plus les SCP sont négatifs et donc activateurs, plus le patient présente une mobili-sation de ses capacités d'allocation de ressources attentionnelles associées à un état de préparation cognitive et/ou comportementale. À l'inverse, plus les SCP sont positifs et donc inhibiteurs, plus le patient est engagé dans une tâche cognitive et/ou comportementale spécifique avec une attention focalisée, inhibant la mobilisation de ressources attentionnelles que pourraient nécessiter d'autres tâches cognitives et/ou comportementales [3, 17].

Indications principales du neurofeedbackLe neurofeedback consiste à modifier des carac-téristiques neurophysiologiques reliées à certains

Chapitre 9. Neurofeedback

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symptômes ou signes cliniques présents dans des troubles psychiatriques ou neurologiques. Les cibles du neurofeedback présentées précédemment permettent de comprendre les troubles neuropsy-chiatriques pour lesquels le neurofeedback s'avère le plus efficace. Nous proposons une liste de troubles pour lesquels la littérature scientifique actuelle nous semble suffisante pour pouvoir y indiquer le neurofeedback comme thérapeutique de recours non pharmacologique. Cette liste pourra évoluer en fonction des données futures de la littérature.

Trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivitéLa cible du neurofeedback étant principale-ment, du moins en condition clinique classique, la régulation de la vigilance et de l'attention, il n'est pas étonnant que l'indication principale du neurofeedback soit le trouble du déficit de l'at-tention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez l'enfant [14]. Il s'agit du trouble psychiatrique pour lequel l'indication du neurofeedback présente le niveau de preuve d'efficacité le plus élevé [20].

Une première méta-analyse publiée en 2009 a retrouvé une taille d'effet importante, de 1,02 (0,84–1,21) et 0,94 (0,76–1,12) respectivement pour les composantes d'inattention et d'impulsi-vité, et une taille d'effet modérée de 0,71 (0,54–0,87) sur la composante d'hyperactivité [21]. Cette méta-analyse incluait quinze études avec un total de 1 194 patients : six études sur les quinze étaient randomisées, trois comparaient le neurofeedback au traitement par méthylphénidate et trois le comparaient à une autre stratégie attentionnelle (par exemple, un exercice d'entraînement atten-tionnel) ou à une liste d'attente.

Une seconde méta-analyse publiée en 2013 retrouvait une taille d'effet plus modeste de 0,59 (0,31–0,87) [22]. Cette méta-analyse incluait huit études, dont trois non encore publiées et donc non incluses dans la méta-analyse précédente. Le nombre total de patients était de 273 ; toutes étaient randomisées avec un groupe contrôle auquelétaitproposésoitunentraînementcogni-tif, soit un biofeedback placebo (dont le retour n'est pas relié à l'activité neurophysiologique du patient), soit en liste d'attente. Les études utili-sant le méthylphénidate comme contrôle étaient exclues. Seules quatre études réalisaient des éva-luations d'efficacité « en aveugle » par rapport au

groupe de prise en charge. L'efficacité du neuro-feedback n'était pas confirmée pour ces quatre études (179 patients) avec une taille d'effet de 0,29 (– 0,02–0,61), tendant cependant à une différence (p = 0,07). Il faut noter que la même méthodologie appliquée aux autres prises en charge non phar-macologiques proposées dans le TDAH (théra-pie cognitivo-comportementale ou remédiation cognitive) faisait disparaître complètement lataille d'effet de ces thérapies [22].

L'auteur de la première méta-analyse a souligné que, si les critères méthodologiques concernant le design des études avaient été effectivement bien sélectionnés par cette seconde méta-analyse, sou-lignant l'amélioration du groupe contrôle dans les études récentes, les critères de bonne conduite clinique et thérapeutique des séances de neu-rofeedback posaient problème et soulignaient une détérioration paradoxale de la qualité de la conduite des séances dans le groupe neurofeed-back [23]. Par exemple, une des études n'utilisait pas un protocole de neurofeedback activateur classique [24]. En retirant cette étude portant uniquement sur douze patients, la taille d'effet de la méta-analyse (chez 167 patients) redevenait significative  : 0,58 (0,12–0,94) [23].

Chez l'enfant, le deuxième trouble à avoir béné-ficié d'étude d'efficacité du neurofeedback est le trouble du spectre autistique (TSA) [25]. Cepen-dant, une revue systématique récente souligne l'absence d'efficacité des protocoles de neuro-feedback d'activation spécifiquement sur les symptômes et signes cliniques du TSA, mais une efficacité probable sur les symptômes et signes de TDAH présent en comorbidité chez environ 40 à 50 % des patients [25].

Épilepsies pharmacorésistantesLa deuxième indication principale du neuro-feedback est un trouble neurologique qui altère la conscience et dont la baisse de vigilance favo-rise généralement la survenue des crises : l'épi-lepsie [26].

L'hypothèse neurophysiologique simplifiée de son efficacité est que l'augmentation de l'éveil et de l'attention focalisée lors de l'apparition de symptômes ou de signes prodromiques de crise pourrait permettre d'augmenter le seuil épi-leptogène et réduire la propagation de la crise épileptique.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

192

Deux méta-analyses ont été réalisées [27, 28]. Sterman a conduit une méta-analyse sur vingt-quatre études, publiées entre 1972 et 1996, incluant au total 243 patients, souffrant pour la plupart d'épilepsie pharmacorésistante et sui-vant un protocole de neurofeedback activateur par SMR. Il concluait que 82 % des patients présentaient une réduction de plus de 50 % du nombre de crises épileptiques après biofeedback [27]. Aucune taille d'effet n'a cependant été cal-culée. Tan et  al. ont conduit une méta-analyse plus aboutie incluant 87 patients souffrant d'épi-lepsie pharmacorésistante sur dix études qu'ils ont jugées bien contrôlées. Les études devaient respecter certains critères : être prospectives, décrire les populations incluses (c'est-à-dire pré-ciser le type d'épilepsie pharmacorésistante), fournir les données sur la fréquence des crises de manière individuelle et non sur des groupes, avant et après intervention et, enfin, avoir été publiées dans une revue avec comité de lec-ture [28]. Neuf études impliquaient un protocole de neurofeedback sur SMR (avec des tailles d'échantillon variant entre trois et huit sujets) et un protocole sur SCP (avec une taille d'échantil-lon de trente-quatre sujets) [18] : 74 % des patients présentaient une réduction du nombre de crises d'épilepsie après la fin du protocole. Du fait de la faible taille des échantillons, la taille d'effet a été calculée par le g de Hedge. La taille d'effet était statistiquement significative avec une valeur du g de – 0,199, ce qui est une taille d'effet faible.

Troubles anxieux et insomnieConcernant les protocoles de neurofeedback de type relaxation, leur place dans la prise en charge des troubles anxieux reste problématique, en rai-son d'une efficacité par ailleurs bien établie des thérapies cognitivo-comportementales associées aux techniques de relaxation [29] ; parmi celles-ci la technique de biofeedback appelée cohérence car-diaque y trouve une place d'intérêt [30].

Cependant, il faut souligner que la relaxation obtenue par neurofeedback est probablement dif-férente de la relaxation obtenue par les techniques de biofeedback, puisque le rythme cardiaque, la conductance cutanée ou la tension musculaire ne sont pas forcément modifiés de manière concomi-tante à l'augmentation de la puissance spectrale dans la bande alpha [2].

Les protocoles de neurofeedback de type relaxation pourraient donc être proposés comme alternative aux patients n'arrivant pas à se relaxer grâce aux autres techniques. De plus, la relaxa-tion obtenue par neurofeedback ferait intervenir des régulations de la vigilance de l'axe réticulo- thalamo-cortical plutôt que des régulations du fonctionnement viscéral sympathique et para-sympathique [2]. Ce type de relaxation pourrait donc être d'un intérêt non négligeable pour la prise en charge de troubles faisant intervenir plus spécifiquement un éveil cortical excessif, comme c'est le cas dans l'insomnie.

Cependant, le protocole de neurofeedback présentant le meilleur niveau de preuve pour la prise en charge de l'insomnie est paradoxalement un protocole d'activation sur SMR. Le protocole sur SMR favorise un état de maintien attention-nel associé à une détente musculaire et, contrai-rement au protocole sur la bande bêta, permet une augmentation de la densité des fuseaux de sommeil et une réduction des mouvements pha-siques pendant le sommeil. Trois études bien conduites viennent confirmer l'intérêt de ce type de protocole de neurofeedback dans l'insomnie primaire sans comorbidités psychiatriques [31, 33]. Le nombre d'études est pour le moment réduit et aucune méta-analyse concernant l'indication du neurofeedback dans l'insomnie primaire n'a été réalisée. La place de protocoles de neurofeedback de type relaxation, comparativement au proto-cole sur SMR, en cas de comorbidité psychia-trique de type trouble anxieux reste également à explorer. Il semble cependant possible de conseil-ler le neurofeedback dans l'insomnie primaire en cas d'échec des stratégies cognitivo-compor-tementales indiquées en première intention. Par ailleurs, il est intéressant de noter que la présence des fuseaux de sommeil serait liée aux capacités d'apprentissage et de mémorisation, reflétant les possibilités de plasticité synaptique [34]. Le pro-tocole de neuro feedback sur SMR pourrait donc avoir un effet complémentaire bénéfique sur la mémorisation [35].

PerspectivesLes études récentes sur l'efficacité du neurofeed-back présentent une qualité méthodologique qui tend à s'améliorer en cherchant à regrouper les critères à la fois de la recherche biomédicale

Chapitre 9. Neurofeedback

193

contemporaine et de l'Evidence-Based Medicine (populations de taille adéquate, randomisation en double aveugle, groupe contrôle apparié, étude du maintien de l'efficacité dans le temps) [3, 36]. Il s'agit d'une évolution salutaire pour la crédibi-lité du neurofeedback en neuropsychiatrie [37]. En effet, l'utilisation d'une machine électrique sou-lève des questions particulières concernant l'effet placebo [38, 39] (cf. chapitre 1). D'autres études sont donc nécessaires pour affirmer définitivement l'efficacité du neurofeedback, en particulier pour l'insomnie. Des études d'évaluation du maintien d'efficacité dans le temps et d'amélioration du fonctionnement et de la qualité de vie sont néces-saires [3, 20, 36]. Cependant, le niveau de preuve semble suffisant pour pouvoir indiquer le neu-rofeedback, dans le cadre d'une prise en charge globale chez les patients souffrant de TDAH (en particulier les enfants et adolescents), d'épilep-sie pharmacorésistante et d'insomnie primaire ne répondant pas à la prise en charge cognitivo- comportementale classique.

Les études à venir viendront très probablement confirmer l'efficacité de cette thérapeutique dans ces troubles et ouvriront peut-être des indica-tions dans d'autres troubles neurologiques et psychiatriques (schizophrénie, trouble de l'hu-meur, trouble anxieux, migraine, etc.) [7, 13, 40]. Il est cependant important que la qualité métho-dologique de ces futures études ne se fasse pas au détriment de la qualité de la conduite des séances de neurofeedback elles-mêmes. Il est intéressant de noter que, si les premières études sur le neuro-feedback dans le TDAH contrôlaient la qualité de l'apprentissage au cours de la séance et au cours de lacure,cecritèren'apparaîtplusdans lesétudesrécentes présentant des groupes contrôles cepen-dant de meilleure qualité. Par ailleurs, la pos-sibilité du transfert des compétences dans la vie quotidienne n'est généralement pas contrôlée [3, 36]. Ces conditions de bonne pratique du neurofeed-back lui-même sont le pendant indispensable aux études de preuve d'efficacité bien construites.

MatérielLe neurofeedback constitue un domaine intéres-sant de la remédiation cognitive en médecine, mais il n'existerait pas sans une instrumenta-

tion de haute qualité pour mesurer avec préci-sion et fiabilité l'activité neurophysiologique. La miniaturisation du matériel de neurophysiologie participe probablement au renouveau actuel du neurofeedback, en rendant accessible dans n'im-porte quelle salle de consultation une instrumen-tation de qualité.

Il est essentiel cependant que le praticien utili-sant le neurofeedback connaisse bien son matériel d'électrophysiologie et les bases d'ingénierie bio-médicale sous-tendant sa pratique (cf. chapitres 1 et 3). Comme le soulignait Rémond : « On ne saurait trop conseiller aux nouveaux venus à la pratique du biofeedback et désireux d'utiliser des signaux EEG d'aller visiter à plusieurs reprises un laboratoire d'EEG dans un hôpital proche [2]. »

Les instruments développés sont constitués d'un matériel de capture du signal électrophysio-logique provenant du cerveau et d'un logiciel de traitement et de production de signaux de feed-back auditifs ou visuels compréhensibles pour le patient (figures 9.4 et 9.5).

L'objectif est triple : • surveillerdemanièrecontinueun signal élec-

trophysiologique (pour le thérapeute) ; • mesurerobjectivementunparamètreissudece

signal (pour le thérapeute) ; • présentercessignauxsousformed'information

compréhensible pour permettre à celui qui les a produits de les observer afin de les modifier (pour le patient).

Capture du signal neurophysiologiqueLa capture du signal électrophysiologique céré-bral nécessite des électrodes d'EEG permettant de saisir à la surface du scalp l'activité électro-physiologique d'origine corticale. Ces électrodes sont branchées sur un boîtier d'enregistrementconstitué d'amplificateurs différentiels (permet-tant d'augmenter l'amplitude de l'activité élec-trophysiologique mesurée) et d'un convertisseur analogique digital (permettant de numériser le signal) (cf. chapitre 2). Ce boîtier sera connectépar USB ou par réseau sans fil à l'ordinateur. Le matériel varie en fonction du nombre de voies EEG enregistrables. L'enregistrement de l'activité EEG n'est pas spécifique d'une électrode don-née, mais seulement de la différence de potentiel

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

194

Figure 9.4. Schéma du matériel nécessaire au neurofeedback.(D'après Rémond A, Rémond A. Biofeedback : principes et applications. Paris : Masson ; 1997.)

Figure 9.5. Illustration du matériel nécessaire au neurofeedback.

Chapitre 9. Neurofeedback

195

entre deux électrodes : l'une est dite active et l'autre de référence, l'activité EEG étant pour ainsi dire soustraite l'une de l'autre. Une électrode de terre commune est nécessaire afin d'assurer une amplification différentielle permettant une réjec-tion en mode commun de certains artefacts. Une voie nécessite donc au minimum trois électrodes (figure 9.6).

La plupart des matériels disponibles en clinique possèdent une ou deux voies. Les matériels dis-ponibles en recherche peuvent disposer de davan-tage de voies mais leur utilité n'est pas démontrée actuellement en pratique clinique courante.

Une bonne qualité des amplificateurs est néces-saire afin d'amplifier sans distorsion le signal d'intérêt pour le neurofeedback. La fréquence d'échantillonnage pour le neurofeedback doit être plus élevée que pour les enregistrements de signaux non électroencéphalographiques, comme la conductance cutanée ou la fréquence respiratoire, utilisés dans d'autres techniques de biofeedback. Elle est généralement similaire à la fréquence d'échantillonnage en EEG clas-sique. Ces paramètres sont des caractéristiques importantes à prendre en compte avant l'achat de matériel de neurofeedback. L'aide d'un ingénieur biomédical dans le choix du matériel peut donc s'avérer très utile.

Des électrodes spécifiques, moins sujettes au potentiel d'électrode, et une voie EEG avec une amplification et une bande passante spécifiques sont nécessaires pour réaliser des séances de neuro feedback avec SCP. Une voie pour la mesure de la fréquence respiratoire et une voie pour les artefacts de mouvements oculaires sont générale-ment nécessaires dans ces conditions.

Enfin, il faut noter que les données EEG obte-nues prennent une place non négligeable sur le disque dur (d'une centaine de Mo par séance) et nécessitent que celui-ci soit d'une capacité impor-tante (> 128 Go).

Logiciel de traitement du signalLe signal numérisé est transmis à l'ordinateur puis traité afin d'en extraire le paramètre d'intérêt, en particulier la puissance spectrale dans une bande fréquentielle donnée. Le paramètre d'intérêt doit être restitué d'une manière pertinente afin de réduire le plus efficacement possible l'écart entre l'information neurophysiologique fournie au sujet et l'activité neurocognitive que celui-ci essaiera de mettre en place en regard [2] (cf. figure 9.4). L'ob-jectif est de créer une boucle psychophysiologique que le patient comprenne et arrive à contrôler (et à s'approprier) aisément [6]. Le traitement du signal doit permettre au dispositif d'être vécu par le patient comme une extension, c'est-à-dire comme une sorte de matérialisation de la boucle sensorimotrice naturelle impliquée dans les com-portements. L'information neurophysiologique fournie de manière continue en temps réel permet à l'individu d'avoir accès à une nouvelle boucle dont il n'a habituellement pas conscience : son activité cérébrale psychophysiologique et ses sub-tiles fluctuations de la vigilance.

Pour ce faire, il est nécessaire d'appliquer des filtres et de décomposer le signal EEG par trans-formée de Fourier afin d'évaluer son amplitude dans la bande fréquentielle choisie. La valeur de la puissance spectrale est ensuite mise en forme pour obtenir le signal visuel ou auditif transmis au sujet. Un moyennage glissant peut être réalisé entre les époques sur lesquelles l'analyse spectrale est réalisée. Il permet un rendu plus fluide des fluctuations d'amplitude. Un système de comp-tage de points est nécessaire afin d'indiquer au sujet au cours de la séance le nombre de retours positifs obtenus.

Le retour du signal transmis au sujet peut être plus ou moins simple. Une tendance des nou-veaux logiciels est d'intégrer le signal dans une interface ludique, ressemblant à des jeux vidéo. Si ces interfaces peuvent permettre de renforcer la motivation des patients, il a été souligné qu'elles risquent [1, 3, 16] :

Figure 9.6. Montage minimal pour enregistrer un signal EEG.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

196

• de fournir au patient une somme d'informa-tions trop importante et donc de réduire l'effet du neurofeedback en diluant l'information d'intérêt de la boucle psychophysiologique ;

• de conduire à une association non pas psy-chophysiologique entre le retour positif et l'activité neurocognitive réalisée, mais entre le retour positif et l'animation ludique ren-due par l'interface, ce qui peut être considéré comme un frein à la création de la boucle psy-chophysiologique discutée précédemment et au transfert de compétence dans la vie quoti-dienne.Il est donc conseillé de fournir au patient un

retour du signal de neurofeedback simple plutôt que complexe, la motivation étant principale-ment renforcée par le thérapeute plutôt que par le caractère ludique de l'interface.

Le logiciel doit également permettre de séquen-cer les séances afin de pouvoir faire succéder les périodes d'entraînement aux périodes de repos.Cette fonctionnalité, permettant la structuration de la séance, est particulièrement importante pour les protocoles d'activation.

Enfin, le logiciel doit permettre de stocker les enregistrements et gérer la base de données créée au cours d'une séance. À partir des données enre-gistrées au cours d'une séance, le logiciel doit per-mettre d'extraire l'information à la fin de celle-ci. Ceci permet d'établir un rapport de séance, qu'il est essentiel de fournir au patient, et qui com-prend le paramètre représentant sa performance d'entraînementaucoursdelaséance.Lesystèmede gestion de base de données doit également per-mettre d'inscrire le résultat de la séance dans la succession des séances précédentes, afin de four-nir au patient une visualisation de son évolution et identifier ainsi une courbe d'apprentissage. De la même manière, il sera essentiel de remettre au patient un rapport de fin de cure par neurofeed-back.

L'ensemble de ces paramètres constitue un cahier des charges minimum qui doit être rempli avant l'achat du logiciel de neurofeedback. Aucun logiciel ne présente des qualités optimales dans tous les domaines. Il est essentiel que le théra-peute désireux de pratiquer le neurofeedback uti-lise un logiciel avec lequel il se sente à l'aise afin d'assurer un accompagnement optimal et f luide au patient.

Conduite pratique d'une cure par neurofeedbackLa pratique du neurofeedback nécessite une for-mation clinique et thérapeutique préalable indis-pensable. Elle implique de suivre une procédure de mise en œuvre préalablement établie par le thérapeute. Elle requiert une salle dédiée, cli-matisée, permettant le déroulement des séances dans des conditions optimales. La proximité d'un point d'eau est essentielle pour assurer l'entre-tien et l'utilisation correcte des électrodes d'EEG (figure 9.7).

Examen pré-neurofeedback

Clinique : sévérité des symptômes et des signes cliniquesLe neurofeedback peut actuellement être proposé dans les indications suivantes : TDAH et épilep-sie pharmacorésistante. Il peut être envisagé dans l'insomnie primaire en cas d'échec d'une théra-pie cognitivo-comportementale proposée en pre-mière intention. L'indication ne peut se confirmer qu'après évaluation rigoureuse : du sous-type de trouble, de la sévérité des symptômes et signes cli-niques, des comorbidités psychiatriques et médi-cales, de la présence d'un retard mental associé, et après anamnèse rigoureuse de l'histoire de la prise en charge [3].

Les outils d'évaluation par autoquestionnaire ou par agenda de la sévérité des symptômes qui peuvent être utilisés sont les suivants : • pour le TDAH chez l'adulte : la CAARS

(Conners' Adult ADHD Rating Scale), consti-tuée de vingt-six items, ou l'ASRS (Adult ADHD Self-Report Scale), constituée de dix-neuf items (cf. Annexe 1). Chez l'enfant, l'évaluation passe par celle des parents et des enseignants, en uti-lisant traditionnellement l'échelle de Conners CPRS (pour les parents) et CTRS (pour les enseignants) (cf. Annexes 2 et 3) ;

• pourl'épilepsie:unagendadecrise;• pourl'insomnieprimaire:l'indexdesévéritéde

l'insomnie (ISI), un agenda du sommeil, voire une actimétrie ;

• une évaluation systématique de la symptoma-tologie dépressive (par exemple par la Beck

Chapitre 9. Neurofeedback

197

Depression Inventory, BDI, constitué de treize items) et anxieuse (par exemple par la State-Trait Anxiety Inventory, STAI, formée d'une échelle d'anxiété état et d'une échelle d'anxiété trait, chacune constituée de vingt items), peut être proposée également, quelle que soit la pathologie ciblée par le neurofeedback.Ces évaluations permettront de suivre l'évolu-

tion et l'amélioration des symptômes au cours des séances et après le traitement par neurofeedback.

Une prise en charge par neurofeedback ne doit pas contre-indiquer d'autres thérapeutiques intercurrentes, en particulier le méthylphéni-date dans le TDAH, les antiépileptiques et une possible indication chirurgicale dans l'épilepsie pharmacorésistante et la thérapie cognitivo-comportementale dans l'insomnie primaire. Le neurofeedback ne peut être indiqué que dans le cadre d'une prise en charge coordonnée et non exclusive.

Le neurofeedback suppose une participation active du patient qui doit donc connaître etcomprendre son trouble. L'évaluation quanti-fiée des symptômes doit être l'occasion égale-ment d'évaluer avec le patient (et la famille pour les enfants) la compréhension et la conscience de son trouble et ses attentes par rapport aux symptômes, signes et répercussions fonction-nelles de celui-ci.

Neurophysiologique : EEG quantifié et potentiels évoqués cognitifsDifférents auteurs ont proposé d'adapter les bandes fréquentielles ciblées dans les protocoles de neuro-feedback suite à un bilan neurophysiologique par EEG quantifié [15, 41]. Il s'agit alors de protocoles de neurofeedback plus personnalisés, adaptés aux bandes fréquentielles dans lesquelles les anomalies d'amplitudes sont les plus déviantes par rapport à une population témoin [41]. Cependant la perti-nence diagnostique de l'EEG quantifié pour les troubles psychiatriques reste discutée [42], de même que la fiabilité de la méthode [43] (cf. chapitre 3). Par ailleurs, il existe peu d'études permettant d'affir-mer que les protocoles de neurofeedback ciblant des bandes fréquentielles personnalisées seraient plus efficaces que des protocoles classiques. En l'état actuel, il semble donc plus précautionneux d'utiliser les protocoles de neurofeedback clas-siques, qui présentent un niveau de preuve suffi-sant [23]. Des protocoles personnalisés sont en cours d'évaluation en recherche clinique [41].

L'EEG quantifié et les potentiels évoqués cogni-tifs pourraient être cependant utilisés pour [20, 44] : • prédirelaréponseauneurofeedback;• suivrel'efficacitéduneurofeedbacksurdescri-

tères neurophysiologiques.

Figure 9.7. Illustration d'une salle dédiée au neurofeedback.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

198

En effet, il a été montré dans le TDAH que ces paramètres neurophysiologiques pouvaient pré-dire la réponse et étaient modifiés au cours des séances de neurofeedback [20]. Suivre les modifica-tions neurophysiologiques obtenues au cours des séances de neurofeedback est en effet un critère important en faveur d'une spécificité d'action du neurofeedback [20]. Cependant ces techniques nécessitent une méthodologie spécifique et doivent, à notre avis, être pour l'instant limitées aux services de neurophysiologie dans le cadre de protocoles de recherche clinique (cf. chapitre 5).

PsychologiqueIl n'existe pas de contre-indication médicale au neurofeedback. Cependant, il est indispensable de tenir compte des représentations du patient concernant son trouble afin de proposer cette thérapeutique, qui demande une motivation importante, à un patient adhérant au principe du neurofeedback.

La mesure par autoquestionnaire du stress perçu,ducontrôleperçu,dusoutiensocialperçuet des stratégies d'ajustement peut être l'occasion d'évaluer avec le patient les stratégies comporte-mentales et cognitives mises en place par rapport à sa maladie, et identifier avec lui comment le neurofeedback pourra l'aider à percevoir et à amé-liorer ses stratégies au cours de la séance et dans la vie quotidienne.Lestressperçupeuts'évaluerparlaPSS14(Per-

ceived Stress Scale). Il s'agit d'un autoquestion-naire à quatorze items.Le contrôleperçupeut s'évaluerpar laMHLS

(Multidimensional Health Locus of Control Scale). Il s'agit d'un questionnaire à dix-huit items qui ne mesure pas directement le contrôle perçu dansune situation donnée mais le lieu de contrôle, c'est-à-dire la disposition du patient à envisager un contrôle interne ou externe de sa santé. Un lieu de contrôle interne indique une disposition à attribuer à soi-même la possibilité de contrôler sa santé. Un lieu de contrôle externe indique une disposition à attribuer à des éléments extérieurs la possibilité de contrôler sa santé : soit à des per-sonnages tout-puissants, soit à la chance. Le type de lieu de contrôle pourrait influencer la perfor-mance au cours de séances de neurofeedback [45].

Le soutien social peut s'évaluer par la SSQ 6 (Social Support Questionnaire). Il s'agit d'un ques-

tionnaire à six items permettant de recueillir des informations sur les personnes sur lesquelles le patient compte pour l'aider dans six situations.

Enfin, les stratégies d'ajustement peuvent s'éva-luer par la WCC-R (Ways of Coping Checklist-Revised). Il s'agit d'un questionnaire à vingt-sept items permettant d'évaluer si les stratégies sont plutôt centrées sur le problème (stratégie cogni-tive), sur l'émotion ou sur le soutien social.

Un patient présentant un lieu de contrôle interneavecunsoutiensocialperçudebonnequa-lité (avec un entourage qui adhérera également au principe du neurofeedback) et avec des stratégies d'ajustement cognitives sera plus à même de par-ticiper activement aux séances de neurofeedback centrées sur l'axe de la vigilance (cf. figure  9.2). Les patients présentant des représentations de santé moins adaptées au principe du neurofeed-back devront être informés de manière attentive sur les attentes de la technique, notamment sur le renforcement du sentiment de contrôlabilité que pourraient lui fournir les séances sur son trouble. Cela s'avère particulièrement intéressant dans le TDAH et l'épilepsie pharmacorésistante, où le neurofeedback peut permettre de développer des stratégies d'ajustement réduisant ainsi l'impact du trouble sur le bien-être physique et psychologique.

Préparation du patientLa préparation du patient est double, « psycho-logique » par des instructions fournies claires et complètes, et « physiologique » par la mise en place des outils nécessaires à la capture du signal neurophysiologique.

Préparation psychologiqueTout d'abord, il faut informer le patient sur l'inno-cuité de la procédure et souligner que contraire-ment aux autres techniques neurophysiologiques thérapeutiques présentées dans cet ouvrage (cf. chapitres 7 et 8), le neurofeedback ne fait qu'enre-gistrer l'activité cérébrale et ne stimule pas électri-quement le cerveau. Il doit être expliqué au patient que les capteurs externes utilisés permettent d'ap-porter une information sur l'état actuel d'un pro-cessus neurocognitif.

Le patient doit ensuite comprendre le principe du biofeedback auquel le neurofeedback appar-tient. Le principe peut être illustré, comme le

Chapitre 9. Neurofeedback

199

propose Rémond, en faisant appel à l'image du bateau que son navigateur oriente vers un cap bien défini  [2]. Du fait d'événements divers, le bateau dévie continuellement de son cap. Le navigateur estime l'importance de la déviation et applique au gouvernail une correction pour que le bateau retrouve son cap initial [2]. Le biofeed-back, plus particulièrement le neurofeedback, est une méthode qui permet au patient de prendre conscience de certaines activités neurocognitives (et de leurs déviations), de les identifier avec l'in-tention de les modifier (les corriger), au travers d'une série d'essais successifs, afin d'obtenir un effet désiré (un cap défini au préalable) [2].

Le patient doit donc comprendre que le bio-feedback est un apprentissage qui nécessite de sa part une activité et une motivation, d'autant que les effets ne sont pas forcément rapides ni faciles à mettre en place. Il lui est signifié que le thérapeute pourra le guider pour l'aider à trou-ver plus facilement les tactiques les plus efficaces dans un protocole de neurofeedback donné. Ces tactiques ne seront cependant pas complètement imposées de l'extérieur et seront testées par le sujet lui-même, afin qu'il puisse observer les effets obtenus et les optimiser à sa propre psy-chophysiologie. L'efficacité de ces techniques lui sera indiquée au cours de la séance et au cours des séances successives.

Le patient doit être informé des bénéfices attendus sur son trouble en fonction des données actuelles de la science mais également des limita-tions du neurofeedback. Les limitations sont : • le nombre de séances nécessaires (entre 20 et

40) pour obtenir un effet ; • lanécessitéd'uneffortpendantlesséances;• un maintien de la motivation pendant les

séances ; • le collaged'électrodes avecpâte conductrice à

chaque séance ; • lapoursuitedesautresthérapeutiquesinitiées.

L'apprentissage par neurofeedback nécessite une participation active du patient : il doit parfai-tement comprendre le principe psychophysiolo-gique de la technique, rester disponible, et exercer sa persévérance pour apprendre et perfectionner de nouvelles activités neurocognitives pouvant avoir un effet clinique transférable dans la vie quotidienne et durable dans le temps [2]. La qualité des effets du neurofeedback est largement dépen-dante de ces paramètres psychologiques. Le neu-

rofeedback n'agit donc pas seul et l'apprentissage qu'il permet ne se réalise que si les instructions et l'accompagnement fournis sont adaptés.

Une plaquette d'information peut être four-nie au patient. Il s'agit également de prévenir le patient de la qualité parfois décevante de certains sites Internet sur le neurofeedback en France. Le patient pourra être orienté sur le site biofeedback.fr qui est une plateforme d'information complète et rigoureuse sur le neurofeedback.

Préparation physiologiqueElle consiste essentiellement au positionnement des électrodes chez un patient rassuré et en posi-tion confortable. Il a pu être proposé d'adapter le positionnement des électrodes suite à un bilan neurophysiologique en EEG quantifié. Il s'agit alors d'un protocole de neurofeedback personna-lisé aux anomalies identifiées par qEEG. Dans ce cas, l'objectif est de positionner l'électrode sur la région présentant les déviations les plus impor-tantes par rapport à une population standard. Cependant, il existe peu d'études permettant d'affirmer que les protocoles de neurofeedback personnalisés seraient plus efficaces que des pro-tocoles classiques. En l'état actuel, il semble donc plus précautionneux d'utiliser les protocoles de neurofeedback classiques, avec un positionne-ment d'électrode qui présente un niveau de preuve suffisant.

Le positionnement classique des électrodes se fait suivant le placement international 10/20 de la manière suivante : • l'électrodeactiveestenCzpourlesprotocoles

d'activation ou pour les protocoles utilisant les SCP, en Pz ou Oz pour les protocoles de relaxa-tion ;

• l'électrodedeterreestsurlamastoïdeoulelobede l'oreille ;

• l'électrodederéférenceestsurlamastoïdeoulelobe de l'oreille controlatérale (figure 9.6).Les protocoles avec SCP nécessitent de placer

l'électrode quelques minutes avant le début de la séance afin de stabiliser le potentiel d'électrode (et de contrôler ainsi la dérive).

Le positionnement des électrodes, comme pour l'EEG conventionnel, nécessite : • lenettoyageetdécapageducuirchevelu;• lepositionnementde l'électrodeavecunepâte

conductrice de qualité.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

200

Une fois les électrodes positionnées, le contrôle des impédances est indispensable. L'impédance doit être inférieure à 5 kΩ. En cas d'impédance supérieure, la procédure de positionnement des électrodes doit être reprise.

La préparation physiologique du patient néces-site une minutie importante, la qualité du signal EEG enregistré déterminant la qualité de la séance. Cette préparation prend du temps et il faut garder à l'esprit l'état mental du patient pendant cette préparation. Un état d'anxiété anticipatoire ou, au contraire, un état de somnolence peuvent en effet représenter une limitation à la validité de la séance, car l'efficacité d'apprentissage en dépend [2]. Avant de débuter la séance, il faut expliquer au patient la nécessité de rester dans une position confortable, plutôt immobile pour éviter les artefacts, avec une attention portée aux stimulus attendus et à la capacité à écarter ceux qui ne sont pas pertinents. L'objectif est de placer le patient dans une situation d'attente calme et de préparation à l'effort qui lui sera demandé pendant la séance.

La séance

Rejet des artefacts : analyse visuelle du tracé EEGLa pratique du neurofeedback nécessite avant tout de savoir lire un EEG (cf. chapitre 3). La première phase, avant de débuter la séance proprement dite, consiste donc à observer visuellement et directe-ment l'activité spontanée de l'EEG afin de repérer la présence d'artefacts techniques ou physiolo-giques (figure  9.4). Toute anomalie doit impéra-tivement être corrigée afin que l'enregistrement du signal EEG soit impeccable avant de débuter des mesures quantifiées objectives et de fournir au patient une information d'intérêt dans le cadre d'un protocole de neurofeedback déterminé.

Concernant les SCP, il faut évaluer la présence d'une dérive lente spontanée. Après stabilisation de cette dérive lente, une réinitialisation de la ligne de base au niveau du convertisseur analogique digital peut être nécessaire avant de débuter la séance.

Seuil de renforcement : analyse quantifiée du tracé EEGAprès l'analyse visuelle vient la phase de l'analyse quantifiée. Il s'agit en particulier de l'analyse spec-

trale (cf. chapitre 3). Une valeur de puissance au cours du temps est attribuée à chaque bande spec-trale d'intérêt (thêta : 3,5–7 Hz, alpha : 8–13 Hz, bêta : > 14 Hz). La puissance correspond au carré du voltage moyen pendant une durée donnée. Le patient va être amené, par le protocole de neuro-feedback, à modifier la valeur de cette puissance spectrale. Deux paramètres sont à fixer : • premièrementun seuil, c'est-à-direunevaleur

en puissance au-dessus (ou au-dessous) de laquelle le patient obtiendra une information différente. Il peut par exemple s'agir d'une barre indiquant la valeur de la puissance spectrale qui deviendra verte au-dessus du seuil et rouge en dessousduseuil,oud'unsonquiapparaîtraau-dessus du seuil, etc. ;

• deuxièmement un temps d'occupation, c'est- à-dire une durée pendant laquelle la puissance a été au-dessus (ou au-dessous) du seuil et à par-tir de laquelle le thérapeute a fixé qu'un retour positif (ou renforcement) est fourni au patient. Il peut s'agir par exemple de points gagnés ou de l'avancement d'une barre de progression [2].L'ajustement d'un seuil et d'un temps d'occu-

pation donnés permet de déterminer le nombre de retours positifs, afin de renforcer le patient dans un type d'activité neurocognitive efficace au cours de la séance et en fonction de l'objectif défini. C'est donc l'adaptation de ces deux para-mètres qui permet d'optimiser la stratégie d'ap-prentissage et la motivation du patient au cours desséances.Elleimpliquedeconnaîtrelenombreoptimal de renforcements positifs au cours d'une séance. L'objectif est en effet de fournir ni trop peu de retours positifs, ce qui pourrait décourager le patient, ni trop de retours positifs, ce qui pour-rait limiter son développement et sa recherche de nouvelles stratégies performantes [17]. L'ajustement de ces paramètres pose cependant le problème de leurs déterminations. Ce point reste d'ailleurs problématique dans la littérature sur le neuro-feedback [17, 23]. Si les protocoles de neurofeedback concernant le positionnement des électrodes et la bande fréquentielle font relativement consensus, ce n'est pas le cas pour le seuil et le temps d'occu-pation. Il est cependant accepté, d'une part, qu'un score quantitatif de réussite doit être fourni au patient et, d'autre part, qu'un nombre de retours positifs d'environ 600 à 800 par séance est à rechercher pour les protocoles d'activation [16].

Chapitre 9. Neurofeedback

201

Le seuil de récompense peut être fixé automati-quement ou manuellement : • lorsqu'un seuil est fixé automatiquement, le

thérapeute détermine le pourcentage de temps d'occupation au-dessus du seuil. Ce pourcen-tage est souvent retrouvé autour de 60–80 %. Le seuil en puissance spectrale évolue quant à lui continuellement et automatiquement au cours de la séance afin d'assurer un temps d'occu-pation constant. À partir d'une durée conti-nue d'occupation au-dessus du seuil d'environ 0,5  seconde  [1], un retour positif (ou renforce-ment) sera fourni au sujet. Le seuil automatique présente l'avantage de fixer un temps d'occupa-tion (et un taux de retour positif) globalement similaire quel que soit le patient. Il a donc été utilisé dans des protocoles contrôlés randomi-sés contre placebo, afin de rendre le groupe avec feedback réel et feedback placebo similaires. L'ajustement automatique du seuil implique cependant un retour positif quel que soit l'effort que le sujet pourrait réaliser et fait courir le risque de ne pas favoriser de manière optimale la recherche de stratégies neurocognitives par le sujet [1] ;

• lorsqu'unseuilestfixémanuellement,lethéra-peute le détermine avant chaque séance en fonc-tion de l'enregistrement d'une ligne de base et du calcul des puissances spectrales moyennes dans les bandes fréquentielles d'intérêt au cours de cet enregistrement. Cette valeur servira de réfé-rence aux mesures qui seront ensuite recueillies au cours de la séance. L'obtention de cette ligne de base nécessite une phase de stabilisation et de retour au calme d'une durée suffisante après la phase de préparation psychologique et phy-siologique du patient. Elle doit cependant être répétée avant chaque séance du fait des chan-gements qui peuvent intervenir d'une séance à l'autre. Le thérapeute pourra être amené à la modifier manuellement au cours de la séance si le temps d'occupation s'avère trop faible (proto-cole trop difficile) ou trop élevé (protocole trop facile). Des changements de la ligne de base peuventeneffetapparaîtrependant la séance,en relation avec les stimulus du protocole et les conditions expérimentales variées.Il faut noter une subtilité importante concer-

nant l'ajustement des seuils, en particulier pour les protocoles d'activation. L'objectif de ces protocoles

est d'apprendre au sujet à augmenter la puissance spectrale dans la bande bêta. Cependant, ils y asso-cient souvent l'apprentissage d'une diminution des puissances spectrales dans la bande thêta et dans une bande haute fréquence qui correspond en fait aux activités musculaires liées au mouvement. En effet, en cas de mouvement ou d'artefact d'un autre type créé par le patient, la puissance spectrale peut être augmentée dans toutes les bandes spectrales. En l'absence de l'adjonction de ces deux autres bandes (thêta et haute fréquence), dites « de garde », le patient pourrait être à même de faire augmenter la puissance spectrale dans la bande bêta par des stratégies non liées à son activité d'origine céré-brale, par exemple en bougeant. L'adjonction de ces deux autres bandes permet donc d'éviter ce biais et de rendre plus spécifique la boucle psychophysio-logique mise en place [1]. Une autre stratégie serait de tenir compte des puissances spectrales relatives, mais ce type de protocole est moins utilisé  [16]. La tâche demandée au patient est d'être éveillé, atten-tif mais détendu. Un seuil est donc fixé pour la bande bêta (au-dessus duquel un retour positif peut être obtenu si la durée minimale de temps d'occu-pation est atteinte), mais également pour la bande thêta et la bande haute fréquence (au-dessus duquel le retour positif possiblement obtenu dans la bande bêta sera inhibé). Il est cependant nécessaire de connaître laformulepermettantdedéterminerlepourcentage de temps d'occupation en fonction de ces trois seuils.

Si on appelle T le pourcentage de temps d'occu-pation au-dessus d'un certain seuil pour la bande thêta (pourcentage d'inhibition), B le pourcentage de temps d'occupation au-dessus d'un certain seuil pour la bande bêta (pourcentage de renfor-cement), et M le pourcentage de temps d'occupa-tion au-dessus d'un certain seuil pour les hautes fréquences (pourcentage d'inhibition), alors le pourcentage de temps d'occupation pendant la séance S sera [16] :

S = (1 – T) × B × (1 – M)Un même pourcentage de temps d'occupation

peut donc être obtenu avec des seuils différents dans les trois bandes spectrales, protocole qui, à l'extrême, pourrait n'être qu'un protocole de ren-forcement dans la bande bêta ou qu'un protocole d'inhibition dans la bande thêta ou dans l'activité musculaire [16].

Les exemples suivants peuvent être donnés.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

202

Les différentes méthodes d'adaptation du seuil n'ont pas été comparées dans la littéra-ture  [1]. Cependant, c'est l'adaptation manuelle des seuils qui est conseillée : elle nécessite toute l'expérience du thérapeute de neurofeedback pour adapter ces seuils en fonction des stratégies que le patient essaie au cours de la séance [16].

Pour les protocoles de neurofeedback avec SCP, la séance est séquencée en phases de 10 secondes séparées de courtes pauses. Chaque phase de 10 secondes contient généralement une durée de

1 à 4 secondes de ligne de base, puis une phase d'essai de 6 à 8 secondes où le patient est conduit às'entraîneràproduireunpotentiel lentpositifou négatif par rapport à la moyenne de la ligne de base précédant les stimulus [17]. Un stimulus sonore ou visuel lui indique, avant chaque essai et juste après la ligne de base, s'il doit produire un potentiel dans le sens négatif ou positif. Lorsque le potentiel est produit dans le sens désiré, le renforcement est fourni à la fois par un retour visuel ou sonore continu (par exemple un bateau qui avance ou recule suivant que le potentiel est produit dans la bonne direction ou pas) et par la quantification d'un nombre de points dépendant du temps d'occupation du signal produit dans le sens désiré (figure 9.8 et cf. figure 9.4).Lepatientestd'abordentraînéàproduireun

nombre similaire d'essais dans le sens positif et négatif. Après quelques séances, le patient arrive généralement à trouver des stratégies neuro-cognitives efficaces et les séances suivantes contiennent un nombre d'essais supérieur pour produire soit des SCP positifs s'il s'agit d'un pro-tocole dans le cadre de la prise en charge d'une épilepsie pharmacorésistante, soit des SCP néga-tives s'il s'agit d'un protocole dans le cadre de la prise en charge d'un TDAH [17].

Les protocoles de neurofeedback par SCP sont plus difficiles à mettre en œuvre que les proto-coles de neurofeedback utilisant les puissances spectrales. Ils sont particulièrement sujets aux artefacts, la respiration et les mouvements ocu-laires produisant en effet des dérives lentes de potentiel qu'il faut contrôler. Ces protocoles nécessitent donc généralement un retour tenant compte de la respiration et des mouvements oculaires, afin d'inhiber le retour continu et la quantification du nombre de points en cas de production artéfactuelle [17]. Le patient doit éga-lement être informé de cette limitation.

DuréeLa durée de la séance de neurofeedback est d'en-viron une heure. La préparation psychologique et physiologique dure environ un quart d'heure etl'entraînementeffectifde30à45minutes.Lesprotocoles d'activation sont généralement séquen-cés avec des périodes actives (d'environ 5 minutes) et des périodes de repos (d'environ 1 à 2 minutes).

Protocole d'activation 1• Pourcentage de temps d'occupation pour labande thêta : T = 20 %.• Pourcentage de temps d'occupation pour labande bêta : B = 80 %.• Pourcentage de temps d'occupation pour leshautes fréquences : M = 10 %.Le pourcentage de temps d'occupation de la séance est : S = (1 – 0,2) × 0,8 × (1 – 0,1) = 0,57 = 57 %.Ce protocole renforce surtout la bande bêta.Protocole d'activation 2• Pourcentage de temps d'occupation pour labande thêta : T = 30 %.• Pourcentage de temps d'occupation pour labande bêta : B = 90 %.• Pourcentage de temps d'occupation pour leshautes fréquences : M = 10 %.Le pourcentage de temps d'occupation de la séance est : S = (1 – 0,3) × 0,9 × (1 – 0,1) = 0,57 = 57 %.Ce protocole renforce la bande bêta mais tient compte plus fortement que le protocole 1 de la bande thêta, et ce pour un pourcentage de temps d'occupation de la séance identique.Protocole d'activation 3• Pourcentage de temps d'occupation pour labande thêta : T = 40 %.• Pourcentage de temps d'occupation pour labande bêta : B = 100 %.• Pourcentage de temps d'occupation pour leshautes fréquences : M = 5 %.Le pourcentage de temps d'occupation de la séance est : S = (1 – 0,4) × 1 × (1 – 0,05) = 0,57 = 57 %.Ce protocole ne renforce plus du tout la bande bêta et consiste surtout à inhiber l'activité dans la bande thêta : on parle de « thêta squash » [16].

Chapitre 9. Neurofeedback

203

Il est important qu'à chaque séance soit consa-cré un temps suffisant pour la compréhension de la technique et des retours positifs fournis, l'état des tactiques neurocognitives mise en œuvre par le patient et leurs relations avec la réponse neuro-physiologique, la motivation et le sentiment d'effi-cacité personnelle développé, et la possibilité de transférer les stratégies apprises dans la vie quoti-dienne. On ne saura trop répéter que le thérapeute joue donc un rôle central dans le déroulement d'une séance de neurofeedback, mais également dans la continuité de l'apprentissage au cours des séances successives. La technicité biomédicale indispensable à la bonne pratique du neurofeed-back ne doit donc pas se faire au détriment de l'ac-compagnement à l'apprentissage ; en particulier, une économie de temps ne peut être recherchée lorsqu'on débute des séances de neurofeedback sous prétexte qu'une partie de l'apprentissage est permise par une machine électrophysiologique [2].

Courbe d'entraînement et d'apprentissageUne question centrale au cours d'une séance et des séances successives de neurofeedback [2, 46] est : « Le patient apprend-il quelque chose ? »

En l'absence de paramètres objectifs, il peut être difficile pour le patient comme pour le théra-peute de répondre à cette question. L'obtention de

courbesd'entraînementetdecourbesd'apprentis-sage est donc nécessaire [15].Àlafindechaqueséanceunecourbed'entraîne-

ment peut être visualisée et discutée avec le patient. La courbe d'entraînement permet d'évaluer laperformance du sujet et sa capacité à contrôler le paramètre d'intérêt au cours de la séance. Le principe est de comparer la valeur moyenne du paramètre d'intérêt pendant la période de repos à lavaleurmoyennependantlapérioded'entraîne-ment [15]. Une valeur objective de la performance globale au cours de la séance peut être calculée. La courbed'entraînementpeut être complétéed'unrenforcement dit « secondaire » [1], particulière-ment pour les enfants, en fin de séance, par une récompense en fonction de la performance glo-bale au cours de la séance (figure 9.9).L'absenced'effetd'entraînementestpossible.Il

doit être réévalué toutes les cinq à sept séances. Une courbe d'apprentissage permet d'objectiver la succession de la valeur de la performance glo-bale pour une séance au cours des séances succes-sives (figure  9.10). Une progression de la valeur de la performance globale doit être observée au fur et à mesure des séances. En l'absence d'effet d'entraînementaprèscinqàseptséanceset/ouenl'absence d'effet d'apprentissage suffisant, il fau-dra en identifier les raisons et adapter le protocole pour les résoudre. Les raisons peuvent être liées au patient ou au thérapeute.

Figure 9.8. Principe d'un protocole de neurofeedback par SCP.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

204

L'absence d'effet peut être liée à la difficulté pour le patient d'associer le changement du para-mètre d'intérêt, tel qu'il lui est signalé, avec son vécu subjectif. Le vécu de la boucle psychophysio-logique, d'un point de vue neurophénoménolo-gique, peut alors être favorisé par des techniques d'entretien (comme les entretiens d'explicitation) qui permettront au patient de mieux identifier les stratégies cognitives qui fonctionnent par rapport aux stratégies qui ne fonctionnent pas [47].

L'absence d'effet peut être liée au thérapeute qui n'a pas su adapter les paramètres du protocole de

neurofeedback de manière optimale. Peuvent être notamment envisagés : un changement de proto-cole, par exemple en passant d'un protocole thêta/bêta à un protocole SMR, un changement des seuils et de pourcentages de temps d'occupation, un changement du temps minimal pour qu'un retour positif apparaisse, un changement du type de signal de récompense (signal visuel ou auditif ou combiné).

Il est également possible que le patient n'ait pas l'impression de faire de progrès alors que le paramètre neurophysiologique d'intérêt évolue. Il s'agit alors de signaler au patient ce progrès et de l'encourager à continuer. Cela souligne toute l'im-portanceduthérapeuteetdescourbesd'entraîne-ment et d'apprentissage dans les retours positifs que permettent les séances de neurofeedback. La réalisation de ces courbes d'entraînement etd'apprentissage permet de réduire le nombre de patients susceptibles d'abandonner en cours de séances de neurofeedback, qui peuvent parfois apparaîtrecommerépétitivesetpeumotivantes.On peut donc regretter qu'il s'agisse d'un para-mètre rarement bien contrôlé dans les études ran-domisées contre placebo [1, 3].

Il faut noter que le temps nécessaire à l'appren-tissage par le neurofeedback varie d'un patient à

Figure 9.9. Courbe d'entraînement permettant d'évaluer la performance du sujet et sa capacité à contrôler le paramètre d'intérêt au cours de la séance.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Numéro de séance

Val

eur

d’en

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ent p

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chaq

ue s

éanc

e

111213141516171819200

Figure 9.10. Courbe d'apprentissage.

Chapitre 9. Neurofeedback

205

l'autre. Le nombre de séances nécessaires pour obtenir des changements psychophysiologiques est généralement supérieur chez les patients par rapport aux sujets sains, et est d'autant plus impor-tant que les symptômes initiaux étaient sévères. Le trouble en lui-même augmente donc le temps d'apprentissage. Par ailleurs, contrairement à l'ap-prentissage classique qui interviendrait de manière plutôt continue et progressive, l'apprentissage guidé par neurofeedback interviendrait de manière saltatoire et par étapes [2]. Le patient apprendrait par une succession de « Aha moments ». Il découvrirait par moments une stratégie neurocognitive par-ticulièrement efficace pour moduler son activité EEG, puis reviendrait à une phase laborieuse avant qu'une nouvelle stratégie venant améliorer la stra-tégie précédente soit découverte et vienne se sura-jouter. Il est ainsi fréquent de retrouver des courbes d'apprentissage en « marches d'escalier ». L'appren-tissage par neurofeedback peut donc contenir des phases laborieuses qui engagent alors le patient comme le thérapeute dans ce que Rémond appe-lait un « vouloir, certes mais sans crispation, avec détente, détachement et détermination ». Le neuro-feedback apporte alors à la fois les encouragements nécessaires par les retours positifs, mais également les « provocations stimulantes produites par les constats des échecs » qui, accompagnées par le thé-rapeute, aboutiront à un apprentissage efficace [2].

Enfin, le bénéfice de l'apprentissage se pro-longerait « à bas bruit » pendant la période qui suit la cure par neurofeedback [2], ce qui pourrait s'expliquer à la fois par un effet à long terme sur la neuroplasticité et par un effet plus global du neuro feedback sur le sentiment d'efficacité per-sonnelle, qui pourrait diffuser sur d'autres straté-gies que celles apprises pendant les séances.

Transfert des apprentissages dans la vie quotidienneLes stratégies neurocognitives apprises pendant les séances de neurofeedback peuvent être pra-tiquées même quand le dispositif n'est pas bran-ché. Le thérapeute doit encourager le patient à cet entraînement en dehors des séances, qui favori-sera l'efficacité de la prise en charge, la généralisa-tion des stratégies cognitives apprises pendant les séances de neurofeedback et le maintien de l'effi-cacité dans le temps [1].

Il existe une variabilité des méthodes pro-posées dans la littérature sans qu'une pratique puisse être favorisée par rapport à une autre [3, 17]. Cependant, le principe général est de conduire le patient à mettre en place au domicile les stratégies neurocognitives acquises pendant les séances. Des moments dédiés au domicile peuvent être convenus avec le patient puis discutés en début de chaque de séance de neurofeedback. Du maté-rield'entraînementpeutêtre fourni, commedescartes d'exercices, une copie d'écran de neuro-feedback que le patient observe pendant la séance permettant de favoriser la remise en place de ces stratégies en dehors du dispositif psychophysio-logique de neurofeedback branché, ou encore du matériel sonore ou vidéo [17].

ConclusionLe neurofeedback pourrait, comme le soulignait Rémond, permettre aux électroencéphalogra-phistes et aux spécialistes de neurophysiologie cli-nique, d'élargir leur domaine diagnostique en ajou-tant une application thérapeutique à leur pratique [2, 48]. Ils sont en effet mieux équipés et plus expé-rimentés dans le domaine de l'électrophysiologie que la plupart des psychiatres. Cette ouverture thé-rapeutique nécessite cependant des collaborations étroites avec le champ de la remédiation cognitive qui a une place essentielle dans les prises en charge neuropsychiatriques actuelles, et qui gagne inévi-tablement à être couplée à des mesures d'indices neurophysiologiques de la cognition, que ce soit comme marqueur d'efficacité, de pronostic ou de guide pendant la remédiation elle-même [7, 13]. Les concepts de la psychologie de la santé pourraient également permettre d'envisager d'une manière nouvelle la problématique de l'effet placebo dans les protocoles de neurofeedback en permettant de définir et d'évaluer des variables psycholo-giques médiatrices de l'effet psychophysiologique du neurofeedback [3]. Le neurofeedback nécessite enfin des formations adaptées, inspirées des for-mations américaines, que les laboratoires spécia-lisés en neurophysiologie et psychophysiologie dans le domaine neuropsychiatrique pourraient coordonner.

Nous avons voulu réaliser dans ce chapitre une première étape vers cette formation adaptée

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

206

en langue française. Le panorama proposépeut s'avérer parfois succinct. Seules les indica-tions présentant le plus fort niveau de preuve et seules les étapes principales de la mise en place des séances ont été décrites. Le lecteur désireux d'approfondir cette application thérapeutique ori-ginale de la neurophysiologie pourra cependant se référer aux ouvrages de référence en langue anglaise [15, 16, 49–51], sans oublier la nécessité d'une pratique régulière du neurofeedback qui, pour le thérapeute attentif au déroulement des séances, permettra des retours riches d'enseignement psychophysiologique.

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Chapitre 9. Neurofeedback

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Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

208

Annexes

Annexe 1Questionnaire ASRS (Adult ADHD Self-Report Scale)Répondez aux questions suivantes en vous auto-éva-luant sur chacun des critères à l'aide de l'échelle à droite de la page. Pour répondre à la question, cochez la case

qui décrit le mieux vos sentiments ou vos comporte-ments au cours des six derniers mois.

Jamais Rarement Parfois Souvent Très souvent

1. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à finaliser les derniers détails d'un projet une fois que le plus intéressant a été fait ?

2. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à mettre les choses en ordre lorsque vous devez faire un travail qui demande une certaine organisation ?

3. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés pour vous souvenir de vos rendez-vous ou de vos engagements ?

4. Avec quelle fréquence avez-vous tendance à éviter ou à remettre à plus tard un travail qui vous demande beaucoup de réflexion ?

5. Avec quelle fréquence avez-vous la bougeotte ou agitez-vous vos mains ou vos pieds lorsque vous devez rester assis pendant un long moment ?

6. Avec quelle fréquence vous sentez-vous trop actif ou obligé de faire des choses comme si vous étiez activé par un moteur ?

7. Avec quelle fréquence faites vous des erreurs d'étourderie lorsque vous travaillez sur un projet ennuyeux et difficile ?

8. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à rester attentif lorsque vous faites un travail ennuyeux et difficile ?

9. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à vous concentrer sur ce que les gens vous disent, même lorsqu'ils vous parlent directement ?

10. Avec quelle fréquence avez-vous tendance à égarer ou du mal à retrouver des choses à la maison ou au travail ?

11. Avec quelle fréquence êtes-vous distrait par de l'activité ou du bruit autour de vous ?

12. Avec quelle fréquence vous levez-vous pendant des réunions ou d'autres situations où vous êtes sensé rester assis ?

13. Avec quelle fréquence avez-vous la bougeotte ou vous sentez vous agité ?

14. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à vous détendre et à vous relaxer pendant votre temps libre ?

Chapitre 9. Neurofeedback

209

15. Avec quelle fréquence avez-vous remarqué que vous étiez trop bavard lorsque vous êtes en compagnie d'autres personnes ?

16. Avec quelle fréquence vous surprenez-vous en terminant les phrases des autres dans une discussion avant qu'ils aient pu le faire eux-mêmes ?

17. Avec quelle fréquence avez-vous des difficultés à attendre votre tour dans une file d'attente ?

18. Avec quelle fréquence interrompez-vous les autres lorsqu'ils sont occupés ?

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

210

Annexe 2Échelle de Conners pour les parentsVous trouverez ci-dessous des indications décrivant des comportements d'enfants ou de problèmes qu'ils ont parfois. Mettre une croix dans la case qui correspond aux problèmes et à la densité de la souffrance de votre

enfant, en précisant à quelle période de son âge. Ces informations serviront à vous, ainsi qu'aux personnes qui ont à s'occuper de votre enfant.

Pas du tout Un petit peu Beaucoup Énormément

1. Tripote ou ronge certaines choses (ongles, cheveux, vêtements)

2. Insolent avec les grandes personnes

3. A du mal à se faire des amis et à les garder

4. Très irritable, impulsif

5. Veut tout commander

6. Suce ou mâchonne (pouce, vêtements couverture)

7. Pleure facilement ou souvent

8. Se sent attaqué et toujours sur la défensive

9. Rêvasse

10. A des difficultés pour l'apprentissage de la lecture, du calcul, possède une écriture illisible

11. Se « tortille » ne tient pas en place

12. A peur de nouvelles situations, d'endroits, de personnes, lieux, d'aller à l'école

13. Agité, a toujours besoin de faire quelque chose

14. Destructeur

15. Ment ou raconte des histoires qui ne sont pas vraies

16. Timide

17. S'attire plus d'ennuis (se fait plus attraper que les autres enfants de son âge)

18. Souffre de troubles d'élocution (bégaye, retard du langage ou parle bébé)

19. Nie ses erreurs et accuse toujours les autres

20. Querelleur

21. Fait la moue et boude

22. Prend les choses qui ne lui appartiennent pas

23. Est désobéissant ou obéit à contrecœur

24. S'inquiète plus que les autres de la maladie, mort, solitude

25. Ne termine pas ce qu'il a commencé

26. Se sent facilement froissé

27. Brutalise, agresse ou intimide ses camarades

28. Ne peut pas s'arrêter lors d'une activité répétitive

Chapitre 9. Neurofeedback

211

29. Cruel

30. Comportement « bébé » immature collant puéril, constant besoin d'être rassuré

31. Problème d'attention, fixation, concentration ou distractibilité

32. Maux de tête

33. Changement d'humeur rapide irascible

34. N'aime pas obéir aux règles ou interdits

35. Se bagarre constamment

36. Ne s'entend pas avec ses frères et/ou sœurs

37. Se décourage facilement devant l'effort

38. Dérange les autres enfants et les adultes

39. Enfant foncièrement malheureux

40. Problème d'alimentation sans appétit se lève après chaque bouchée

41. Maux d'estomac

42. Sommeil perturbé (difficulté à s'endormir et lève tôt) se réveille pendant la nuit

43. Autres plaintes physique et douleurs

44. Vomissements, nausées

45. Se sent lésé à la maison et à l'école

46. Se vante et fanfaronne

47. Se laisse écraser, manipuler

48. Problème d'évacuation intestinale irrégulier, selles molles, constipation, etc.

Partie III. Neurophysiologie thérapeutique

212

Annexe 3

Échelle de Conners pour l'enseignantVous trouverez ci-dessous une liste décrivant des comportements. Placez une croix dans la colonne

qui décrit le mieux cet enfant. Répondez à toutes les questions.

Pas du tout Un petit peu Beaucoup Énormément

1. Agité, se tortille sur sa chaise.

2. Fait des bruits incongrus quant il ne faut pas.

3. On doit répondre immédiatement à sa demande.

4. Fait le malin.

5. Crises de colère et conduites imprévisibles.

6. Trop sensible à la critique.

7. Distrait ou attention fluctuante.

8. Perturbe les autres enfants.

9. Rêveur.

10. Fait la moue et boude.

11. Humeur changeante rapidement et de façon marquée.

12. Bagarreur.

13. Attitude soumise face à l'autorité.

14. Agité, toujours entrain d'aller à droite et à gauche.

15. S'excite facilement, impulsif.

16. Demande une attention excessive de l'enseignant.

17. Semble mal accepté par le groupe.

18. Se laisse mener par les autres enfants.

19. Est mauvais joueur.

20. Semble manquer de capacités à entraîner ou mener les autres.

21. Difficulté à terminer ce qu'il commence.

22. Immature.

23. Nie ses erreurs ou accuse les autres.

24. A des difficultés à s'entendre avec les autres enfants.

25. Peu coopérant avec ses camarades de classe.

26. S'énerve facilement quand il doit faire un effort.

27. Peu coopérant avec l'enseignant.

28. Difficultés d'apprentissage.

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L'EEG appliqué à la psychiatrie possède un cer-tain nombre de spécificités et de particularités qui soulèvent des questions épistémologiques assez conséquentes, le plus souvent peu envisagées au nom de la pragmatique clinique.

Dans ce chapitre, à la suite de diverses réflexions sur l'IRM et l'EEG [1, 2], nous voudrions détailler ces problèmes épistémologiques, évoqués dans la littérature EEG de manière régulière mais clair-semée, notamment par des neurophysiologistes comme Lairy [3] et Timsit-Berthier [4]. Ces pro-blèmes ressurgissent dès lors que l'on veut présen-ter les applications de l'EEG en psychiatrie.

Avant toute chose, il nous faut préciser la notion de paradigme telle qu'elle a été proposée par Kuhn [5] et dont nous ferons largement usage ici : un paradigme de la science à une époque donnée est un modèle de travail scientifique réel — avec des lois, des théories, des applications et des disposi-tifs expérimentaux — qui donne naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche scientifique. Kuhn propose que la première accep-tion de ce terme soit remplacée par la notion de matrice disciplinaire : il s'agit de « l'ensemble des croyances, des valeurs reconnues et des techniques qui sont communes aux membres d'une commu-nauté scientifique donnée ». Il préfère réserver pour le mot paradigme un élément isolé de cet ensemble, soit les solutions concrètes d'énigmes,

qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent remplacer les règles explicites en tant que bases de solution pour les énigmes subsistant dans la « science normale » [6] (p. 463). « Un paradigme au sens strict représente ainsi l'ensemble des exemples ou solutions d'énigmes auxquelles se réfèrent les membres d'une même discipline en période de science normale et que l'on retrouve systématique-ment dans les manuels de science. » (p. 464).

Nous nous proposons dans ce chapitre de trai-ter les problèmes épistémologiques posés par l'EEG en psychiatrie, en particulier dans le cadre de la psychiatrie biologique, et par comparaison à l'usage de l'EEG en neurologie.

Pour ce faire, nous prendrons comme point de départ les pratiques diagnostiques neurologique et psychiatrique, puis nous généraliserons la problé-matique épistémologique posée par cet examen.

L'EEG en neurologieLa neurologie est fondée sur un paradigme qui, depuis Broca, cherche à définir les corrélations anatomocliniques des pathologies du système ner-veux. Dans ce paradigme, on retrouve entre autres la neuropsychologie, qui corrèle une lésion locali-sée dans le cerveau à la perte d'une fonction pré-cise, mais également l'étude de pathologies liées à une altération ou la dégénérescence d'un système cellulaire (comme dans la maladie de Parkinson)

Chapitre 10Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatriePositionnement paradigmatique d'un examen paracliniqueJ. Vion-Dury1

1 Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi.

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

216

ou à une anomalie innée ou acquise du métabo-lisme des cellules cérébrales (comme dans l'adré-noleucodystrophie ou la maladie de Wilson).

Le paradigme standard des neurosciences cli-niques est d'abord fondé sur l'affirmation que les fonctions supérieures, telles que la cognition, les fonctions sociales, et même la conscience, sont générées par l'organe-cerveau : les états mentaux2 sont ainsi pensés [7, 8] : • soit comme équivalents aux états cérébraux,

dans une approche assez réductionniste ; • soit comme émergeant des états cérébraux,

dans le cadre plus actuel du paradigme du connexionnisme émergent (voir chapitre 11).Les anomalies cliniques observées sont expli-

quées par des agressions diverses du parenchyme cérébral, parfois en partie sous-tendues par une vulnérabilité génétique, par exemple au niveau nucléaire ou mitochondrial. Ces agressions altèrent les processus neurobiologiques normaux comprenant des phénomènes d'ordre électrique (potentiels d'actions, PPSE, PPSI) et neurochi-miques (transmetteurs, métabolisme cérébral global ou local).

Concernant l'EEG, les formes et les variations du tracé normal sont plus ou moins précisé-ment expliquées par des processus neuronaux ou gliaux. Dès lors, les variations du tracé reconnues comme anormales sont plus ou moins corrélées aux modifications neurophysiologiques et neu-rochimiques pathologiques sous-jacentes. Malgré ces imprécisions, l'EEG sert d'appui à la décision diagnostique à partir de la modification de ses formes ou de l'apparition d'événements élec-triques s'avérant corrélés à des pathologies neuro-logiques (par exemple, la présence de pointes et l'épilepsie). C'est la régularité de ces corrélations électrocliniques qui autorise la proposition d'un diagnostic, en général probabiliste. Les relations

entre fonctionnement cérébral et clinique d'une part, et entre fonctionnement cérébral et EEG d'autre part, ne sont pas isomorphes.

Ce qu'offrent l'EEG et sa dynamique dans les pathologies neurologiques, c'est une perspective particulière sur la souffrance cérébrale, donnant des indications utiles sur l'origine et l'évolution de la sémiologie rencontrée [9] (p. 88–126). La notion de souffrance cérébrale, focale ou diffuse, culmine avec la notion d'encéphalopathie.

On notera aussi que, dans le contexte neuro-logique, l'EEG décrit des corrélats de processus pathologiques mais fait peu de cas des effets des thérapeutiques, si ce n'est pour évaluer leur effi-cacité sur le processus pathologique (par exemple, diminution des pointes dans l'épilepsie). La ques-tion de la tolérance, notamment des effets iatro-gènes, n'est pas une indication première de l'EEG en neurologie.

Enfin, l'interprétation de l'EEG suivant cette perspective ne se fait que du point de vue d'un observateur externe, c'est-à-dire par un intervenant médical. Dans ce point de vue dit « en troisième personne », la subjectivité du patient n'est prise en compte que lorsqu'elle vient confirmer un proces-sus pathologique à identifier, comme dans l'explo-ration de certaines crises épileptiques partielles.

L'EEG en psychiatrie : version standardL'EEG en psychiatrie est le plus souvent considéré essentiellement d'un point de vue neurologique comme : • participantàl'éliminationd'unprocessusorga-

nique pouvant expliquer les troubles psychia-triques présentés par le patient (cadre du dia-gnostic différentiel) ;

• oupermettantlarecherchedemarqueursspéci-fiques d'une pathologie psychiatrique dans une optique catégorielle.

Le modèle de la psychiatrie biologiqueLa conception majoritaire des applications de l'EEG en psychiatrie, qui s'intègre dans le modèle général de la psychiatrie biologique, est une

2 Les états mentaux sont « les phénomènes subjectifs tels que les croyances, les sensations, les émotions, les sen-timents, etc. issus au moins en partie de certains actes mentaux et expérimentés par la conscience » [6] (p. 224). Les actes mentaux quant à eux sont « des mouvements de la conscience ou issus au moins en partie de cer-tains états mentaux. Lorsqu'ils sont volontaires et qu'ils impliquent des phénomènes subjectifs comme l'imagination et la volonté, ils peuvent conduire à la réalisation de certaines actions ou de certains com-portements de la part de l'organisme » [6] (p. 5).

Chapitre 10. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

217

conception directement dérivée de la neurologie. La logique interne de la biologie psychiatrique est très proche de la logique neurologique, mais elle recherche, plutôt que des structures, des réseaux ou des faisceaux impliqués dans les pathologies mentales. On trouvera dans la revue de Kan-del  [10] les caractéristiques de la psychiatrie bio-logique et de ses fondements philosophiques, qui la conduisent à cette « tentation vers le neurolo-gisme ». La recherche d'endophénotypes (ou de traits de pathologie familiaux) suit ainsi le déve-loppement de la pensée catégorielle en psychiatrie, symbolisée par le DSM dans ses multiples évolu-tions. Que ce soit par le biais de la génétique ou par celui d'autres variables périphériques (comme les taux sanguins de précurseurs de monoamines) ou neurophysiologiques, la psychiatrie biologique est à la recherche de marqueurs les plus spécifiques possible pour le diagnostic des maladies mentales et la prédiction de la réponse thérapeutique.

Du point de vue de la psychiatrie biologique, les maladies mentales sont donc des pathologies céré-brales, éventuellement neurodéveloppementales, présentant une détermination génétique modu-lée par l'environnement au sens le plus large  : endocrinien et métabolique, pharmacologique, toxique, mais aussi familial, social, etc. Comme le modèle neurologique, le modèle de la psychiatrie biologique pose comme fondement que les états mentaux sont équivalents ou émergent des états cérébraux, et que la pathologie psychiatrique est une anomalie complexe de ces processus céré-braux, anomalie dont l'origine est à rechercher dans la mise en place et l'évolution des réseaux neuronaux sous le double effet de la génétique et de l'environnement. C'est dire si, dans le domaine de la psychiatrie biologique, le concept d'épige-nèse présente une grande importance.

L'EEG de la psychiatrie biologiqueQuelle est la place de l'EEG dans tout cela ? Du point de vue du diagnostic, il faut bien recon-naître qu'elle est assez pauvre (cf. chapitre 4). Il est extrêmement difficile d'associer à une pathologie, telle qu'elle est proposée dans le DSM, une confi-guration EEG particulière. En outre, la prescrip-tion de traitements psychotropes constitue le plus souvent un facteur majeur de confusion dans la

détermination de phénotypes EEG. Se pose donc ici le problème de la sensibilité et de la spécificité de ces phénotypes EEG pour l'établissement d'un diagnostic psychiatrique [11, 12]. Or ce qui devient prépondérant, dans la lecture de l'EEG en psy-chiatrie, c'est la modification considérable des tracés par les diverses thérapeutiques pharmaco-logiques, en particulier par les antipsychotiques de nouvelle génération.

Dès lors, le statut épistémique de l'EEG en psychiatrie biologique, s'il repose sur la logique neurologique, subit quelques inflexions. En psy-chiatrie biologique, on postule que des facteurs génétiques et environnementaux modifient les réseaux et les processus neurobiologiques (et donc les états mentaux) qui deviennent pathologiques (c'est-à-dire des troubles mentaux), même si les modalités de cette modification sont inconnues. Ces troubles mentaux génèrent la clinique psy-chiatrique. Si nous gardons le « squelette » du rai-sonnement sur l'EEG en neurologie, on observe que si le lien entre fonctionnement cérébral et tableau clinique peut être argumenté, en revanche le lien entre clinique psychiatrique et modifica-tion de la présentation de l'EEG est très ténu.

Par ailleurs, il est reconnu que les psychotropes et l'électroconvulsivothérapie, par leurs effets électriques et/ou neurochimiques via la dopa-mine, la sérotonine, le GABA ou d'autres neu-romédiateurs, d'une part soignent les troubles mentaux comme conséquences d'états cérébraux défectueux et de ce fait améliorent la symptoma-tologie psychiatrique, et d'autre part, modifient l'EEG par leurs effets neurono-gliaux de manière en apparence indépendante de l'amélioration cli-nique. Le paradoxe est que ces traitements modi-fient l'EEG de manière souvent plus marquée que ne le fait la pathologie psychiatrique. Pour cette dernière raison, en psychiatrie biologique, l'EEG va constituer un système d'alerte d'une modification pharmacologique excessive des états neurono-gliaux, c'est-à-dire va orienter vers une encéphalopathie iatrogène à participation paroxystique ou non.

Les deux limites majeures de la psychiatrie biologiqueÀ ce stade et avant de réfléchir à un autre modèle possible de l'EEG en psychiatrie, il convient de

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

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noter deux limites majeures de cette conception biologique de la psychiatrie.

La psychiatrie biologique, trop de spéculations ? Une première critique provient d'un observateur de la psychiatrie biologique, F. Gonon [13]. Son propos est en résumé le suivant : des sommes faramineuses ont été dépensées en génétique, neurosciences, neurochimie et neuropharma-cologie comme en psychologie cognitive depuis des décennies ; or, dit-il, « les chercheurs en neuro sciences n'ont abouti ni à la mise au point d'indicateurs biologiques pour le diagnostic des maladies psychiatriques ni à de nouvelles classes de médicaments psychotropes ». Ceci est cruelle-ment vrai pour les indicateurs biologiques pro-venant de l'EEG ainsi que des potentiels évoqués cognitifs en psychiatrie.

Pour Gonon, le modèle neurochimique/pharmacologique est indigent. Il constitue une simplification outrancière et problématique du fonctionnement cérébral, qui conduit certes à des résultats pratiques en termes d'amélioration de la symptomatologie des patients, mais qui amène à un verrouillage de la pensée et à l'assè-chement des idées nouvelles. Gonon n'hésite pas à qualifier la psychiatrie biologique de « bulle spéculative ». C'est ainsi que l'on peut d'une certaine manière considérer l'hypothèse dopa-minergique de la schizophrénie [14]. Cette hypo-thèse dopaminergique, qui a mobilisé des mil-liers de chercheurs et conduit à la publication d'une littérature considérable (5 880 articles, de 1963 à 2008) s'avère malgré tout très faible et de démonstration largement indirecte. Il est stupé-fiant de constater que la psychiatrie biologique raisonne majoritairement, pour construire ses hypothèses physiopathologiques, et ce depuis les années 1970, à partir des neurones monoa-minergiques (noradrénaline, dopamine, séro-tonine), c'est-à-dire à partir d'environ 5 % des neurones du cerveau, sans tenir compte ni du GABA, ni du glutamate, ni de la notion de couple neurono-glial, ni de la colibération des neurotransmetteurs, notamment peptidiques. Selon Kendler et Schaffner, une tendance — au moins initiale — de la psychiatrie biologique est d'avoir tenté de postuler qu'à un neuromé-

diateur correspondrait une maladie, comme en neurologie dans la maladie de Parkinson. Si nous n'en sommes plus là, la complexité neuro-chimique cérébrale reste insuffisamment prise en compte dans les hypothèses physiopatholo-giques des troubles mentaux. Sans doute l'in-dustrie pharmaceutique, omniprésente dans le domaine, a-t-elle facilité cette approche réduc-tionniste ; mais, au fond, l'amélioration clinique réelle obtenue par les médicaments proposés n'encourage pas à élaborer des hypothèses plus complexes, finalement peu utiles dans la pra-tique médicale courante.

L'instabilité nosographique et les limites du DSMUn autre point pose problème. Il s'agit de la varia-bilité de la nosographie psychiatrique exempli-fiée par les aventures du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Depuis les années 1950, les définitions et les critères du diagnostic en psychiatrie ont considérable-ment évolué. Si le DSM-I présente une classi-fication inspirée de la psychanalyse, incluant psychoses et névroses, l'esprit du DSM a changé à partir du DSM-III (1987). Le DSM-IV-TR, remplacé récemment par le DSM-5, constitue une approche catégorielle et critériologique des pathologies psychiatriques, qui a pour but de définir des prototypes de pathologies et de faci-liter les études statistiques multicentriques et internationales. Le DSM-IV-TR, en catégorisant et regroupant les patients dans des ensembles pro-totypiques, gomme des différences individuelles, souvent considérables, que l'EEG comme la clinique retrouvent dans leur exercice quotidien. Cette instabilité nosologique fait que les études menées dans les années 1950–1970 en EEG sur la dépression et la schizophrénie ne regroupent pas le même type de patients que celles qui ont été conduites à partir des années 1990.

Au total, d'une part les bases neurobiologiques des pathologies psychiatriques sont insuffisantes pour permettre de comprendre la survenue de ces modifications ténues et non spécifiques de l'EEG. D'autre part, l'approche critériologique du DSM et l'instabilité nosologique de son évolu-tion rendent toute méta-analyse en EEG difficile à conduire sur une longue période. La « discré-

Chapitre 10. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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tisation » des pathologies imposée par le DSM s'oppose à l'approche « continuiste » de la sémio-logie EEG ainsi qu'à la sensibilité de celui-ci aux variations neurophysiologiques individuelles. Si on ajoute à cela le développement des molécules psychotropes et la quasi-disparition des patients naïfs de tout traitement, on comprend à quel point l'interprétation des études en électroencé-phalographie en psychiatrie s'avère complexe et à quel point la littérature peut être source de confusion.

Les « paradoxes paradigmatiques » de l'EEG en psychiatrie biologiqueKuhn propose [5] que, lorsque la complexité des problèmes croît plus vite que l'exactitude des solutions, et que des anomalies observées dans une science normale se font de plus en plus nom-breuses, une révolution scientifique se prépare. Sans aller jusque-là pour l'EEG en psychiatrie, il semble cependant que quelques « anomalies » — pour être plus clairs nous parlerons de paradoxes paradigmatiques — apparaissent, et qui, même si on pouvait de toutes forces les faire rentrer dans le réductionnisme de la psychiatrie biologique, incitent à penser autrement la problématique du lien entre neurophysiologie et psychiatrie. Ces paradoxes sont au nombre de deux : • lestracésparadoxauxincluantlestracéshyper-

normaux et les tracés anormalement perturbés ; • l'effetLandoltdirectetinversé.

Certains de ces paradoxes paradigmatiques ont été observés sur un nombre limité de cas, mais leur présence en tant qu'exception impose une réflexion critique car ils relèvent de la puissance épistémique du cas singulier en psychiatrie.

Les tracés paradoxauxDans un article de 1961, Igert et Lary [15] reprirent, sur soixante et un patients, d'une part l'étude de Verdeaux et al. (1957) montrant que les tracés des patients souffrant de schizophrénie étaient dans 40 % des cas strictement normaux, et, d'autre part, celle de Kammerer et  al. (1955) montrant

que les tracés dysrythmiques3 avec des décharges paroxystiques constituaient un facteur pronos-tique favorable du trouble schizophrénique. Selon eux, 95 % des patients avec EEG normal et stable dans le temps (tracés hypernormaux) ont connu un pronostic défavorable, alors que 64 % des patients avec EEG dysrythmique ont présenté des rémissions et une évolution clinique inter-mittente. Ces résultats, interprétés par les auteurs comme un indice de plasticité psychobiologique ont été confirmés par les études de Small et  al. (1964) et repris par Palem dans son manuel d'EEG en psychiatrie [16].

Inversement, il nous est arrivé à plusieurs reprises d'observer chez des patients souffrant de schizophrénie des tracés très « inquiétants », qui donnaient à penser qu'une encéphalopathie méta-bolique ou médicamenteuse survenait. Pourtant, ces patients recevaient un traitement neurolep-tique bien toléré par ailleurs, et la vérification clinique soigneuse confirmait leur rémission. De cette constatation récurrente s'est dégagée l'hypo-thèse que l'anomalie massive et inexpliquée du tracé pourrait parfois être le signe d'une excel-lente compensation de la maladie schizophré-nique (figure 10.1).

L'effet Landolt direct et inverséEn 1958, Landolt décrivit le phénomène de nor-malisation forcée : chez un patient épileptique présentant des symptômes cliniques typiques et un EEG perturbé, la mise en place d'un traite-ment antiépileptique provoqua la normalisation du tracé EEG mais s'accompagna de l'apparition d'un état psychotique [17]. Cette normalisation for-cée de l'EEG fut appelée psychose alternative ou épilepsie transformée [18].

Mais l'antagonisme entre psychose schizo-phrénique et épilepsie était déjà connu. C'est

3 Les recommandations internationales préconisent de ne pas utiliser le terme dysrythmique, employé cepen-dant dans ces articles. On peut utiliser à la place le terme asynchrone. Cependant, le terme dysrythmique nous semble mieux convenir dans ce contexte, en rai-son du caractère particulier des grapho-éléments induits par les neuroleptiques, en particulier l'impres-sion qu'ils donnent non pas tant d'une rupture de syn-chronie, mais d'un trouble du rythme cortical.

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

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sur celui-ci que von Meduna proposa dans les années 1930 la convulsivothérapie par choc au cardiazol, et que Cerletti et Bini dévelop-pèrent par la suite l'électroconvulsivothérapie [19] (p. 411–413). Il est à noter que l'insulinothéra-pie, ou cure de Sakel, bien qu'antérieure et ne reposant pas sur la même base théorique, était probablement pourvoyeuse du même type d'effet neurophysiologique.

Toujours est-il que la crise épileptique ainsi déclenchée apparaît comme un effet Landolt inversé. Il s'agit de créer un épisode paroxys-tique à visée thérapeutique du trouble psy-chotique. Il convient aussi de noter que l'EEG post- sismothérapie est souvent altéré, parfois plusieurs semaines, et peut montrer de nombreux éléments paroxystiques alors que l'état clinique du patient est notablement amélioré (cf. chapitre 7).

De nos jours, il est constaté que les neurolep-tiques et antipsychotiques génèrent des grapho-éléments pseudo-paroxystiques asynchrones, en bouffées mal organisées et sans régularité topo-graphique ou sous la forme de d'activités lentes angulaires [20]. Loin d'apparaître comme des processus paroxystiques classiques synchronisés par les relations thalamocorticales ou cortico-corticales, ils donnent l'impression d'un cortex « clignotant » ou qui serait le siège d'un processus de type fibrillation (cf. chapitre 4). Ces anomalies dysrythmiques pourraient soit constituer un effet secondaire neurophysiologique de cette classe de médicaments, soit être en relation directe avec une partie de leur effet thérapeutique, se rapprochant ainsi de l'effet intercritique de la convulsivothérapie mentionnée plus haut [21]. Dans ce cas, ils correspondraient également à

Figure 10.1. Effet Landolt, effet Landolt inversé et les hypothèses thérapeutiques concernant l'effet des thérapeutiques, et les anomalies EEG inhabituelles. Se dégage la notion de plasticité psychobiologique.

Chapitre 10. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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un effet Landolt inversé (figure 10.1). Le fait que les antipsychotiques considérés comme les plus efficaces (clozapine) [22] soient ceux qui génèrent le plus grand nombre de ces grapho-éléments est par ailleurs un argument en faveur de la seconde hypothèse.

La notion de compensation cérébralePuisque des tracés normaux peuvent être asso-ciés à un pronostic défavorable et des anomalies du tracé EEG à une meilleure réponse thérapeu-tique, les paradoxes paradigmatiques que nous venons de décrire nous amènent à poser la ques-tion du normal et du pathologique dans l'EEG en psychiatrie et à revisiter plus largement la question du lien entre neurophysiologie et psy-chiatrie.

Tout se passe comme si l'altération apparente de l'électrogenèse cérébrale, sans qu'on puisse com-prendre son mécanisme, pouvait être compensa-toire du trouble psychiatrique.

Ce phénomène de plasticité pensé ici comme compensation, permettant à l'organisme d'éviter une situation de catastrophe (ici le trouble men-tal en phase aiguë et floride), a été développé et analysé très en détail par Goldstein [23]. Lors d'une lésion ou d'une maladie, les réactions de catastrophe (réponses incorrectes, désordonnées, inconstantes) sont évitées par des réajustements. Ceux-ci privilégient les fonctions essentielles et génèrent d'autres troubles plus tolérables, suivant le principe que l'organisme sera moins lésé par ces troubles qu'il ne le serait par l'altération fonction-nelle dans le domaine en question : « Si des opéra-tions perdues redeviennent possibles, ce sera ou bien par restitution de ce que la lésion a lésé, ou bien par restitution de fonctions analogues. Mais dans tous ces cas toujours d'autres opérations sont perdues ou bien c'est le milieu qui subit un rétré-cissement. » (p. 348).

La figure 10.1 synthétise l'ensemble de ces para-doxes paradigmatiques de l'EEG en psychiatrie. Il n'est pas anodin que la notion de compensation soit au centre du schéma car elle souligne l'inté-gration du cerveau dans l'organisme global, ce que nous détaillerons au chapitre suivant.

ConclusionSans doute l'EEG est-il nettement moins efficace au diagnostic en psychiatrie qu'en neurologie. En psychiatrie, il trouve sa place dans le suivi des effets des psychotropes, comme nous l'avons vu au chapitre 4, tout en restant centré, comme en neurologie, sur les deux grandes entités cliniques qui le concernent : les processus paroxystiques et épileptiques, et les encéphalopathies.

L'EEG en psychiatrie présente une particularité spécifique. Parce qu'il subit des variations assez ténues dans les troubles mentaux, parce qu'il met en évidence des effets paradoxaux (effet Landolt), il oblige à penser l'électrogenèse cérébrale d'une autre manière. Il invite se poser des questions épistémologiques majeures qui sont au cœur des neurosciences et de la psychiatrie.

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Dans la conclusion du chapitre 10, nous signa-lions que, outre les problèmes épistémologiques eux-mêmes dus à la différence entre l'EEG en psychiatrie et en neurologie, se posaient d'autres questions épistémologiques majeures au cœur de la psychiatrie, des neurosciences et de la philoso-phie.

Remarquons tout d'abord que, d'une manière générale, dans l'activité clinique ou neuros-cientifique, les fondements des théories ou des interprétations sont rarement questionnés. Non seulement ces fondements sont en général peu interrogés quant à la validité de leur construction, mais encore, cette absence de questionnement peut avoir pour conséquence de limiter les pos-sibilités explicatives par un blocage de l'imagina-tion scientifique [1]. Par exemple, quand on parle d'information en neurosciences, comprend-on celle-ci comme : • cellequiestdonnéedansuneapprochecyber-

nétique (codage informatique par une suite de 0 et de 1) ?

• celle qui est donnée dans une approche de lacomplexité comme une entropie négative (créa-tion d'ordre) ?

• ou comme celle qui est donnée dans uneapproche gestaltiste (comme forme qui se crée) issue du sens scolastique ?

Cette interrogation devrait faire partie d'une ana-lyse épistémologique des méthodes des neurosciences et de la manière dont elles s'intègrent au modèle scien-tifique standard. Or ce qu'on appelle l'épistémologie normative ne questionne en général pas les fonde-ments des modèles scientifiques, pas plus que leur validité. Cette épistémologie « construit et magnifie l'image d'une science pure, c'est-à-dire objectivement neutre, désintéressée, et qui porte en elle les valeurs incontestables, en particulier le respect de la vérité, le culte de la lucidité, le souci de la transparence, la géné-rosité du partage du savoir… » [2] (p. 45). Cependant la vie quotidienne dans les laboratoires de recherche montre à l'évidence que cet idéal de la science pure est bien souvent mis à mal, au moins sur deux points : la neutralité objective et l'indépendance de la science face à l'évolutivité et aux variations historiques de la vie en société.

Ainsi, seule nous semble de mise une épistémo-logie critique qui intègre à la fois : • l'historicitédansl'évolutiondesthéoriesscien-

tifiques, et, de ce fait, une réflexion poppérienne sur la falsifiabilité des énoncés scientifiques [3] ;

• etl'impactdelasubjectivitédanslaconduitedel'activité scientifique.Il s'agit là d'une réflexion épistémologique qui

ne peut qu'avoir des conséquences éthiques : en médecine notamment, le rapport que l'on a au savoir détermine l'utilisation de celui-ci dans la pratique selon les modes de la certitude, du doute ou de l'hésitation [4].

Chapitre 11Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrieAspects philosophiques des neurosciences cliniquesJ. Vion-Dury1

1 Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi.

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

224

C'est pourquoi la réflexion épistémologique que nous proposons dans ce chapitre s'appuie, pour aborder respectivement ces deux problèmes, d'une part sur une épistémologie constructi-viste  [5] et, d'autre part, sur une épistémologie de la complexité [6], en particulier sur une épistémo-logie quantique telle qu'elle a été pensée par von Foerster [7] (cf. chapitre 12). Nous analyserons ainsi les différentes difficultés posées par les neu-rosciences cliniques en général et par l'EEG en psychiatrie en particulier.

L'argument développé dans ce chapitre sera celui-ci : • lapsychiatries'intéresseàdesmaladiesauxfon-

dements mal connus que de multiples modèles tentent d'expliquer ;

• ces modèles, notamment neuroscientifiques,reposent sur un cerveau idéalisé pour lequel les niveaux de complexité sont mal pris en compte ;

• ces modèles impliquent, plus que dans touteautre discipline médicale, l'expérience vécue et la conscience en propre du sujet, soulevant ainsi la difficile question du dualisme corps-esprit.

Les différents modèles explicatifs – Maladies et psychiatrie – L'EEG et le modèle médicalPour rendre compte de la première proposition, nous aborderons successivement la variété des modèles explicatifs en biologie, puis le problème du modèle médical en psychiatrie, enfin ses conséquences sur l'EEG et son utilisation dans cette discipline.

Évolution et variété des modèles explicatifs en psychiatrieAlors que, dans la médecine organiciste, l'avance-ment des connaissances permet de converger sur un accord quant à la physiopathologie et le trai-tement des maladies, en psychiatrie, l'évolution des concepts au cours du temps ne permet pas aussi simplement cette convergence et cet accord. Il existe ainsi, en psychiatrie, ce qu'on pourrait appeler une certaine variété épistémique, plu-

sieurs paradigmes [8] se faisant concurrence. Nous rappellerons rapidement ci-dessous l'évolution de ces différentes propositions explicatives de la maladie mentale.

C'est en 1808 qu'en Allemagne, Johan Christian Reil inventa le terme « psychiatrie » et considéra cette discipline comme une spécialité médicale à part entière. Mais dès cette époque, il y eut une sorte d'ambiguïté entre ce qu'était la neurologie et ce qu'était la psychiatrie. Charcot, mais aussi Bayle, Jackson, Sherrington et tant d'autres constituent des exemples de cette quasi-indifférenciation ini-tiale entre la neurologie (et à l'époque la physio-logie nerveuse) et la psychiatrie, à la recherche de l'origine des maladies mentales et des troubles du comportement. Jackson et Sherrington avaient cependant bien perçu que les pathologies men-tales relevaient des structures hiérarchiquement les plus sophistiquées du cerveau (pour revue : [9]).

Alors que les moyens thérapeutiques étaient pour le moins limités, une autre approche, dérivée à la fin du xixe siècle des théories de Charcot sur l'hystérie et d'une conception thermodynamique et énergétique de l'organisme, allait donner dans le début du siècle un courant fondamental dans l'histoire de la pensée humaine et de la philoso-phie, plus sans doute que dans la médecine psy-chiatrique elle-même : il s'agit de la psychanalyse, dont les concepts ont été jusqu'à imprégner le dis-cours quotidien de la rue et à infléchir, au moins en Occident, le mode de pensée et les références communes. Ceci ne peut être négligé.

La physiologie nerveuse sous-jacente au para-digme des troubles mentaux qui intéressaient, jusqu'en 1950, les neuropsychiatres — car au début du xxe siècle les deux disciplines n'étaient finalement pas séparées, malgré la position de Reil et d'autres — était une « neurophysiologie sèche » : celle des électrodes et des courants, favo-rable souvent à une approche localisationniste et phrénologiste des fonctions nerveuses et de leurs altérations.

Cependant, depuis 1914, date à laquelle on mon-tra que l'acétylcholine possédait le même effet que la stimulation du nerf vague, le paradigme de la « neurophysiologie humide », ou neurochimie, était entré en gestation. Dès les années 1930, les substances sympathicomimétiques étaient décou-vertes et  allaient recevoir, notamment pour la noradrénaline, le statut de neurotransmetteur [10]

Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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(p. 194–274). La chaîne métabolique des monoa-mines allait ensuite être décrite dans les années 1966–1967 par Axelrod et Iversen.

Entre-temps, dans les années 1950 étaient apparus les neuroleptiques (1953) et les antidé-presseurs (1957). Mais ce n'est que lorsqu'on eut compris l'organisation intracérébrale des grands systèmes monoaminergiques qu'on put ainsi concevoir le mode d'action de ces substances [11], notamment sur les systèmes monoaminergiques diffus d'origine réticulaire. C'est sur cette base neurochimique que la psychiatrie biologique a trouvé son plein essor à partir des années 1980, en rapport avec le développement de la psycho-pharmacologie, c'est-à-dire de la neurochimie synaptique. Notons qu'existe une autre neurochi-mie, non synaptique, mais plutôt métabolique, qui a été complètement ignorée jusqu'à ces années récentes, mais retrouve une actualité par le biais de l'IRM fonctionnelle et de la spectroscopie IRM localisée du proton, désormais utilisées dans l'ex-ploration des pathologies psychiatriques. Cette neurochimie concerne le fonctionnement de la « machinerie » cellulaire : membranes, protéines et petites molécules de l'espace intra- et extra-cellulaire etc., mais également toutes les relations complexes neurono-gliales.

Par la recherche des fondements neurobiolo-giques des actions des psychotropes et le dévelop-pement de la conception neuropsychologique, la psychiatrie biologique a continué d'adhérer à la position neurologique de la possibilité de dysfonc-tions cérébrales comme substratum des troubles psychiatriques, dans la lignée de Charcot, Bayle, Jackson et Sherrington. Ces découvertes neuro-pharmacologiques et neurochimiques ont rendu plus aiguë, à la fin du xxe siècle, ce que d'aucuns nomment une « neurologisation » de la psychia-trie [12, 13].

Après la séparation en 1968 de la neurologie et de la psychiatrie, et le développement considérable des neurosciences cellulaires et cognitives, la psy-chiatrie contemporaine a connu un foisonnement de modèles se voulant tout à la fois explicatifs et thérapeutiques. Plusieurs approches sont ainsi en concurrence et génèrent autant d'Écoles et, par-tant, de discussions. En voici quelques-unes, non exhaustives : • l'approche neurobiologique, appuyée notam-

ment sur la neuropsychologie et la génétique.

En l'état, le problème de cette approche est celui que nous soulevions dans le chapitre 10 à pro-pos de la psychiatrie biologique et dont nous avons brossé rapidement ci-dessus les moments historiques. Du point de vue pragmatique, le développement pharmacologique des neuro-leptiques et antidépresseurs, et les méthodes de stimulation (ECT et TMS) se sont avérés consi-dérablement efficaces, bien qu'apportant bien peu d'explications quant aux désordres sous-jacents sur lesquels ils agissent. Cette approche neurobiologique oscille entre une position localiste (neuropsychologique) et une position holiste (plus neurochimique) [14] ;

• l'organodynamismedeEy:dansuneapprochetrès globaliste, elle clarifie la position respective de la neurologie et de la psychiatrie. La psy-chiatrie intéresse les dissolutions globales de la conscience dans les psychoses aiguës et de la personnalité dans les névroses, c'est-à-dire « les régressions les plus supérieures et totales de la vie de relation ». La neurologie intéresse, elle, des dissolutions partielles et la désintégra-tion des fonctions neuropsychiques de base [9, 15] (p.  74–76). La proposition de Ey est à la fois très proche de la position phénoménologique (cf. chapitre 12) tout autant que de la propo-sition d'une structure intégrée et intégrative de l'organisme telle que la propose Goldstein (cf.  chapitre 10). Par ailleurs, Ey souligne l'im-portance de la construction dynamique de la personne, son historicité et le caractère intégré des processus neurophysiologiques dans cette construction, par le biais de la conscience [16] ;

• l'approche psychanalytique, qui dans sa des-cription de l'économie de la constitution du psychisme, par les notions de sexualité infan-tile, de fixation et de régression, de refoule-ment et de forclusion, d'inconscient, de conflit, éclaire et parfois permet de traiter certaines pathologies. La psychanalyse permet au malade de donner du sens à sa maladie et, qui plus est, un sens biographique qui lui est propre et même intime [17]. De plus, elle met l'accent sur la com-plexité du rapport entre le médecin et le patient avec notamment les notions de transfert et de contre-transfert [9] ;

• lesapprochesdérivéesde lapsychologieexpé-rimentale : l'approche comportementaliste et l'approche cognitiviste. Cette dernière, dérivée

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

226

des découvertes de la psychologie cognitive (mais aussi de ses avancées de la neuropsycho-logie) a trouvé, dans les trois générations des différentes thérapies cognitivo-comportemen-tales (TCC), une efficacité incontestable dans nombre de troubles notamment phobiques ou anxieux. Plus récemment, les TCC de troisième génération (dont la mindfulness-based cognitive therapy) apportent une dimension différente, quasi phénoménologique, à cette approche comportementale et cognitiviste.Ainsi, le questionnement sur les maladies men-

tales a conduit à les interpréter selon plusieurs modèles ou paradigmes. Or ces paradigmes explicatifs sont, on le voit, à la fois tous partiels et méritent tous d'être pris en compte. En effet, ils ne valent pas comme vérité mais comme perspective, et, au fond, ce qui importe, c'est l'attention donnée au malade et la tentative de le soigner au mieux. Dans la pratique quotidienne, une certaine indé-pendance par rapport aux modèles explicatifs relève d'une position éthique.

La notion de maladie et la psychiatrieNous avons vu qu'en psychiatrie se pose le pro-blème d'une certaine incertitude et d'une variété épistémique qui lui sont propres. Alors que l'évo-lution de la médecine en général a permis peu ou prou un resserrement des tendances autour d'un modèle médical consensuellement accepté, les choses sont plus floues pour la psychiatrie.

D'une manière générale, en médecine, la diffé-renciation normal/pathologique est un problème délicat car on ne peut déterminer de manière simple une norme supra-individuelle. Ce n'est pas le cas pour un être singulier, puisque comme le dit Goldstein « tel individu peut se trouver à la hauteur des devoirs qui résultent du milieu qui lui est propre » [18] (p. 342 et suivantes), et qu'il pos-sède en fait sa propre norme. La maladie apparaît quand l'organisation harmonieuse du sujet dans un milieu donné ne se fait plus et que se produit une réaction catastrophique, qui l'amène à rétré-cir son milieu pour y survivre. Ainsi, dans la lignée de la pensée de Goldstein, « la maladie n'est pas une variation sur la dimension de la santé, elle est une nouvelle dimension de la vie » [19] (p. 122). Cette conception contraste, comme le remarque Canguilhem, avec celle de Claude Bernard qui est

plutôt celle d'une altération de la mécanique phy-siologique et de l'homéostasie.

Enfin, une autre difficulté émerge, indépen-damment du caractère individuel et contextuel de l'apparition d'une réaction de catastrophe : c'est qu'une même « maladie » n'est pas forcé-ment considérée comme telle dans des pays non occidentaux. Ainsi, par exemple, la démence d'Alzheimer n'est pas en Chine traditionnelle une maladie au sens où nous l'entendons : « La désar-ticulation du discours et des gestes, l'incohérence des images sont analysées comme autant de "savoirs" échappant aux "non-vieux" ; l'oubli est considéré comme une ascèse fonctionnelle (zhi, sagesse).  [20] » On pourrait trouver de multiples autres exemples.

Le problème de la maladie en psychiatrie est que l'organicité de celle-ci ne peut être démontrée ou bien n'est pas seule en cause, le milieu consti-tuant probablement, plus que dans de nombreuses pathologies non psychiatriques, un déterminant fondamental de l'approche clinique.

Devant ces difficultés de définition de la mala-die en psychiatrie, deux réponses s'opposent, constituant les deux pôles entre lesquels diffé-rentes nuances peuvent trouver leur place.

La première correspond au modèle médical, qui conceptualise la pathologie en termes de para-mètres somatiques, la maladie étant définie en termes de déviations de variables mesurables [21]. Dans la médecine occidentale actuelle, c'est à par-tir d'un seuil, fixé en général de manière statis-tique à partir des moyennes et des Z-scores, qu'on définit une maladie (par exemple, l'hypertension artérielle). Les processus complexes à l'origine de cette pathologie sont réduits à une ou quelques causes, en accord avec une vision réductionniste : ainsi se conçoivent la fracture osseuse et son traitement ou l'œdème aigu du poumon. Dans cette perspective, en psychiatrie, la schizophré-nie est liée principalement à une dysrégulation du système dopaminergique. C'est ainsi que la psy-chiatrie biologique relève de ce type de modèle médical. Cette conception, si elle est pragmati-quement efficace, est insuffisante.

L'autre approche, dite biopsychosociale, intègre dans la pathologie psychiatrique l'en-semble des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux constituant ainsi une approche sys-témique, sur la base de modèles de la com-plexité  [21]. C'est une approche, développée par

Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

227

Engel dans les années 1970, qui peut être quali-fiée de « lutte pour l'éclectisme » [22], soulignant la prise en compte des trois aspects de la maladie, mais avec le risque du choix de la détermination prépondérante, s'il en existe une. C'est dans ce type de conception que la notion de vulnérabi-lité prend tout son sens. Notons que l'approche biopsychosociale relève à la fois de la conception phénoménologique de Goldstein insistant sur l'inscription de l'organisme en relation dans son milieu et de l'approche psychanalytique et psy-chopathologique.

Cependant, la définition de la maladie est également un problème social, en lien avec le coût de la santé. Au-delà d'un certain seuil bio-logique ou fonctionnel fixé dans la communauté (par exemple, par des conférences de consen-sus), le pronostic de l'état du patient est consi-déré mauvais et les changements qui sont dus à cet état ne sont pas acceptables sur un plan socio-économique : sur un plan social, parce que le sujet voit ses capacités fonctionnelles amputées ou altérées (comme par exemple dans les troubles affectifs bipolaires) ; sur un plan économique, parce que la morbi-mortalité est d'un coût beaucoup plus élevé (en arrêts mala-dies et en conséquences directes ou indirectes) que les soins prodigués.

EEG et modèle médical en psychiatrieAprès la guerre, outre l'encéphalographie gazeuse fractionnée, la neurophysiologie offrait, par l'EEG, l'un des premiers examens paracliniques cérébraux efficaces venant au secours du diagnos-tic des désordres mentaux, d'origine neurologique ou non.

Mais alors qu'en neurologie, les explorations paracliniques ont une place bien précise en lien avec ce que l'on connaît de la physiopathologie, en psychiatrie, nous l'avons vu, force est de recon-naître que non seulement la physiopathologie est mal connue mais, en outre, la dimension histo-rique, sociale, environnementale vient de manière considérable moduler une biologie encore mal décrite.

La place trop souvent marginale de l'EEG en psychiatrie n'est pas due seulement au fait que les marqueurs EEG des pathologies mentales soient peu nombreux ou ténus (cf. chapitres 4 et 10),

parce que l'EEG refléterait finalement les fonc-tions psychiques de base de la neurologie selon la dichotomie de Ey et non les fonctions supérieures du cerveau. En réalité, en psychiatrie, la prescrip-tion de l'EEG va dépendre considérablement du modèle de pensée du psychiatre. Un psychana-lyste ou un spécialiste de TCC (qui sont souvent des psychologues) ne voient aucune raison dans leur cadre interprétatif des pathologies d'inclure l'EEG comme examen paraclinique systématique. Seuls les psychiatres adhérant au modèle de la psychiatrie biologique au sens le plus large inclu-ront spontanément la possibilité d'une explora-tion cérébrale.

L'EEG « colle » ainsi au modèle médical de la psychiatrie. C'est sans doute pour cette raison que la logique du développement de l'EEG en psychiatrie suivit celle du développement de cette méthode en neurologie. Ceci a eu pour première conséquence de limiter cet examen au diagnos-tic différentiel d'une pathologie neurologique. La seconde conséquence en est que des manières d'analyser l'EEG plus spécifiques à la psychiatrie (cf. chapitre 3) n'ont pas reçu le développement qu'elles auraient peut-être mérité.

Enfin, l'approche neurophysiologique peut intéresser les modèles cognitifs (ou cognitivo- comportementaux) de la pathologie psychia-trique, par le biais des potentiels évoqués cognitifs (cf. chapitre 5) qui constituent une évaluation élec-trique de certaines fonctions cognitives (« neuro-psychologie électrique »). Malheureusement, le faible nombre de centres les utilisant de manière clinique ne permet pas encore d'en faire l'évalua-tion extensive.

La psychiatrie, les neurosciences et la complexitéBien que la psychiatrie biologique ne résume pas ce qu'est la psychiatrie, notamment si on se réfère au modèle biopsychosocial, les neurosciences sont actuellement de plus en plus souvent convoquées pour tenter d'expliquer les pathologies psychia-triques selon le modèle de la neurologie. Cette tendance vaut aussi pour l'éthique (neuroéthique) ou l'économie (neuroéconomie). Il faut prendre la mesure de ce choix et plus précisément ce qui le fonde.

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

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Les limites de modèles quantifiés en neurosciencesDans la conception moderne de la science, c'est-à-dire galiléenne, le monde est écrit en langue mathématique. Cette révolution conceptuelle majeure allait permettre aux sciences, en Occi-dent, un développement considérable, au prix d'une idéalisation (ou d'une réduction) des phé-nomènes observés à des équations ou des modèles mathématiques [23, 24].

Les mathématiques rencontrent dans leur construction une vérité qui semble peu contes-table et indépendante des communautés qui les pratiquent. De même, en physique classique, la mathématisation (la mesure) permet de réaliser des exploits techniques étonnants et d'intégrer dans les nouveaux paradigmes les paradigmes les plus anciens [8] en en restreignant la validité [25] (p. 12 et 62).

Les choses sont moins simples dès lors qu'on aborde la biologie et plus particulièrement le fonc-tionnement du cerveau, pour lequel les modèles même très évolués, comme ceux du chaos, restent très en deçà de nos possibilités de compréhension de cet organe. Ceci n'empêche pas tout un courant de pensée de réduire les processus biologiques, notamment neurobiologiques, à des processus physico-chimiques : c'est le physicalisme [26]. C'est en grande partie la position de Changeux [27].

Mais on peut cependant se demander s'il est licite que la neurophysiologie fondamentale, la psychiatrie, la neurologie et les neurosciences cliniques dans leur ensemble puissent être à la recherche d'une vérité similaire à la vérité mathématique ou physique. Poussées tant par le pragmatisme du soin tout autant que par la variété clinique, ces disciplines construisent des modèles beaucoup plus transitoires (falsifiables dirait Popper [3]) qu'en physique et moins aptes à faire expliquer les processus pathologiques et leurs compensations. Il suffit de retracer l'his-toire des conceptions du cerveau en Occident depuis la Grèce antique pour se rendre compte de l'impact des constructions sociales dans leur évolution, tout autant d'ailleurs que de la réma-nence des très anciennes idées dans les nouvelles conceptions [1]. La variété épistémique de la psy-chiatre abordée plus haut, comme l'évolution du DSM, illustre le caractère contextuel des modèles proposés.

Le cerveau, une image comme une autre ?Une autre manière de souligner le construc-tivisme de notre savoir neuroscientifique est de nous rendre compte à quel point il repose sur une série d'images ou de représentations que nous nous faisons du cerveau. En d'autres termes, comme le disait Bergson, notre cerveau « est une image comme les autres, enveloppée dans la masse des autres images », celles de notre corps  [28] (p. 39). Les images (représentations) que nous avons du cerveau proviennent le plus souvent des schémas des livres ou des cours de neurosciences, de quelques films à propos d'interventions neurochirurgicales et, dans le meilleur des cas, d'une expérience réelle et personnelle en neurophysiologie expérimen-tale sur l'animal ou en neurochirurgie. Toutes ces images présentent un caractère contex-tuel, ne serait-ce qu'en relation avec les moyens techniques de leur obtention. Ainsi, ce que connaissent les neuroscientifiques à propos du cerveau n'est donc qu'un condensé d'images et de modèles entre autres mathématiques.

Nous oublions trop souvent que le cerveau sur lequel nous discourons en neurosciences s'avère principalement une abstraction et non une réa-lité. Plus exactement, notre discours porte sur un consensus d'images idéalisées, à partir des-quelles on fait l'inférence qu'il s'agit de la réa-lité de l'organe même, dont nous n'avons jamais, par ailleurs, l'expérience directe en première personne. C'est en synthétisant cette somme d'images communes et en jouant sur elles par des méthodes d'imagerie cérébrale contem-poraines — qui portent alors si bien ce nom, en quelque sorte au premier degré — que l'on cherche à comprendre comment fonctionne le cerveau, qui n'est, pour cette raison, que le plus souvent virtuel puisque reconstruit par ordina-teur.

L'EEG comme construit social d'une communauté particulièreDans cette même ligne et selon cette épistémo-logie, notre savoir en neurophysiologie clinique apparaît aussi comme un construit social sur la base des modèles construits par les neuros-ciences. Ce savoir s'est constitué d'une part à

Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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partir de l'expérience clinique considérable des premiers neurophysiologistes et de leurs élèves2 et, d'autre part, à partir de résultats empiriques obtenus le plus souvent dans des expérimen-tations sur l'animal. Celles-ci sont parcellaires et leur transposition à l'homme reste toujours problématique. Pour cette dernière raison, dans le lacis des résultats expérimentaux se trouve un nombre élevé d'incertitudes ou d'ignorances quant aux modalités précises de l'électrogenèse humaine normale ou pathologique [29].

La particularité de cet ensemble de savoirs est d'une part d'être à propos de configurations (de formes) caractérisant les traces que produit l'électrogenèse cérébrale sur du papier ou un écran (cf. chapitre 12) et, d'autre part, de n'être qu'un ensemble de corrélats possibles (mais pas constamment certains) d'événements neurobio-logiques et cliniques sous-jacents. C'est dire ici le caractère artisanal — au sens le plus positif du terme — de l'activité d'interprétation de l'EEG.

Ces réflexions d'ailleurs n'invalident en aucun cas le caractère correct des relations observées et des raisonnements réalisés à partir des résultats empiriques, par la méthode scientifique, induc-tive. Cette position invalide simplement l'idée que nous connaissons quelque chose de réel, en soi, qui s'appellerait le cerveau et sur lequel on pourrait construire scientifiquement l'ontologie d'un objet radicalement séparé du sujet qui l'observe [30].

D'autre part, en soi, l'EEG (comme l'IRM, les potentiels évoqués etc.) est un artefact, c'est-à-dire quelque chose d'artificiel (fabriqué par l'homme) à partir d'ampèremètres intégrés avec des cap-teurs plus ou moins spécialisés comme c'est le cas de la majorité des mesures scientifiques en biologie. La relative efficacité de ces artefacts ne doit pas nous faire perdre de vue qu'ils ne nous proposent qu'une vue globale, déformée, réduite et quasi figée de cet organe. Ces mêmes arte-facts ont paradoxalement généré la construction de modèles mettant en exergue la complexité, la plasticité et la mobilité aux échelles infra-anato-miques de cet organe.

La conséquence de la prise de conscience du caractère non plus absolu et véridique de notre savoir neurobiologique, mais de son caractère construit et largement contextuel3, pourrait être celle-ci : « Nous pouvons incontestablement nous réjouir de ces avancées. Mais qu'avons-nous man-qué, entraînés dans le courant majoritaire des modèles admis et ayant adhéré à une doxa insuf-fisamment questionnée ? »

La complexité dans les sciencesEn 1948, Weaver [31], dans un article qui fit sensa-tion, décrivit trois étapes dans la progression des paradigmes scientifiques (dans le cas particulier de la science physique) vers la complexité. La pre-mière étape est ce qu'il appelle le paradigme de la simplicité allant de 1600 à 1800. La physique gali-léo-newtonienne fait partie de ce paradigme : le savoir y est objectif, quantitatif, certain, organisé en « chaînes de raisons » [32]. Le second moment est celui de la complexité désorganisée, qui culmine autour de 1850 par les découvertes de Maxwell et Boltzmann : il s'agit de la thermodynamique sta-tistique s'appliquant aux collections de particules de gaz et au problème de l'entropie. Nous savons que cette physique statistique conduira non seule-ment à penser l'indétermination des vitesses et de la position des particules, mais aussi qu'elle per-mettra la naissance de la physique quantique, une des révolutions conceptuelles les plus impression-nantes du xxe siècle débutant.

Vers 1940 et juste après la guerre apparaît le troisième paradigme : celui de la complexité orga-nisée. Comme l'indique Le Moigne [7], cette phy-sique doit appréhender de nouveaux problèmes trop compliqués pour être appréhendables par les modèles de la mécanique rationnelle et pas assez désordonnés pour être compris par les modèles de la mécanique statistique. Dans cette évolution :

2 Ceci explique la notion d'interprétation en EEG et la manière dont on apprend comment interpréter, plus dans le compagnonnage quotidien que dans les livres qui ne font que confirmer et clarifier ce savoir trans-mis. Ceci souligne le caractère social de la transmis-sion de ce savoir sur les formes.

3 Par exemple, le paradigme informationnel dans les neurosciences n'a pu se développer qu'à partir de la naissance des calculateurs et de la théorie mathéma-tique de l'information. Voir ou considérer le cerveau comme un ordinateur, outre qu'il s'agisse d'un rever-sement problématique de la méthode qui prend la métaphore pour objet d'étude, nécessite un consensus social dans les neurosciences et s'avère donc un construit social accepté, et malheureusement peu discuté.

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

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• la complexité désorganisée se verra «ordon-née » plutôt que complexifiée par les théories du chaos déterministe et de la dynamique des systèmes non linéaires ;

• leparadigmeréductionnistedelasimplicitéseverra « compliqué » plutôt que complexifié par les théories de la complexité computationnelle et des réseaux d'automates programmables ;

• etl'apparitionduparadigmesystémique(et/ouinteractionniste) (1970) entraînera la rupture de la clôture réductionniste.

Quels niveaux de complexité en neurosciences et pour l'EEG ?Quand nous observons attentivement nos rai-sonnements sur le fonctionnement cérébral, nous constatons que selon le moment, selon le contexte, nous utilisons les différents paradigmes de Weaver. Nous nous inscrivons dans le para-digme de simplicité quand nous décrivons un réflexe, quand nous posons que tel signe clinique neurologique s'explique causalement par la rup-ture d'un faisceau ou la destruction d'une aire, ou que la dopamine compense la mort des neurones dopaminergiques dans la maladie de Parkinson. Nous nous inscrivons dans le paradigme de la complexité désorganisée, non pour la physiolo-gie « macroscopique » (électrodes), mais dès qu'on envisage les mouvements moléculaires de l'eau dans les fibres nerveuses (substratum de l'image-rie de diffusion) ou le comportement des récep-teurs mobiles sur une membrane fluide et glis-sante. Nous nous inscrivons dans le paradigme de la complexité organisée quand nous utilisons les modèles non linéaires du fonctionnement des réseaux neuronaux, que nous utilisons le modèle connexionniste-émergent, quand nous modéli-sons les signaux enregistrés sur cent électrodes par des attracteurs chaotiques ou non, ou quand nous envisageons les processus autopoïétiques [33] ou auto-organisés [34].

Si on envisage le statut de l'EEG dans ces divers paradigmes, il semble qu'il puisse s'inscrire à la fois dans le paradigme de simplicité (quand on associe une décharge de pointes à un processus épileptique), dans le paradigme de la complexité désorganisée dès lors que l'on note un caractère fortement aléatoire quant à la forme même du signal pour lequel il semble parfois difficile de

trouver des déterminations, et dans le paradigme de la complexité organisée dès lors que, malgré cette indétermination et malgré l'aspect aléatoire, se dégage l'idée sous-jacente d'une régulation et de processus émergents, dans un modèle de cor-tex hautement connecté à lui-même, sujet aux effets chaotiques mais sous la dépendance des systèmes réticulothalamiques [35] (p. 145).

La conscience, l'expérience et la subjectivité : plasticité, organisme, monisme, dualisme

L'écueil de la subjectivité : le hard problemIl est certain d'une chose, c'est que nous ne pou-vons penser en même temps, au moment où nous pensons, à tout ce qui se passe dans notre cer-veau au moment même où nous le pensons. Là se trouve sans doute la limite cognitive de notre cer-veau de chasseurs-cueilleurs et de toutes les neu-rosciences en général. L'autre limite qui semble difficile à dépasser est celle de l'expérience sub-jective consciente et de son explication par les neurosciences. Les neurosciences ne sont pas en état — mais le seront-elles un jour ? — de combler ce « fossé explicatif » entre l'explanans (neurobio-logique) et l'explanandum (la conscience phéno-ménale) [36] (p. 145). C'est ce que l'on considère comme le hard problem en philosophie de l'esprit. Et la psychiatrie en général et la psychiatrie bio-logique en particulier se heurtent à ce difficile problème.

Il est tentant et habituel de réduire la science, comme recherche de savoir, à la seule méthode expérimentale, hypothético-déductive et au syl-logisme généralisé à la base des concaténations causales. Deux approches radicalement diffé-rentes constituent en fait les pôles de l'épanouis-sement du savoir scientifique. L'une, analytique, et hypothético-déductive fait que l'on peut par la réduction méthodologique proposée par Des-cartes dans le discours de la méthode — « Divi-ser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait. » — démon-ter les mécanismes d'un processus physique ou biologique et chercher des causes à la survenue

Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

231

d'événements : cette approche se veut explica-tive. L'autre approche, holiste, ne cherche pas à expliquer des phénomènes séparés ou plus ou moins réunis, mais à comprendre le proces-sus global dans une vue synthétique. La vision holiste ne refuse pas une approche analytique mais elle la dépasse, l'intègre et l'utilise en vue d'une meilleure saisie globale. Les sciences de la complexité tentent de pousser vers une approche plus globale, notamment en intégrant le sujet dans l'expérimentation (épistémologie quan-tique) mais restent toujours quoi qu'on en dise, accrochées aux modèles mathématiques, même complexes.

Or si l'on veut aborder avec quelque sérieux la question du hard problem en philosophie de l'es-prit, une ouverture méthodologique et épistémo-logique est requise. Il est probable que ce n'est pas avec nos méthodes classiques de la science carté-sienne que nous pouvons espérer résoudre un jour le très difficile problème de la conscience.

Plasticité psychobiologique : le problème de l'organismeNous avons vu dans le paragraphe « Les tracés paradoxaux » du chapitre 10 que certains auteurs interprétaient les EEG dysrythmiques chez les patients souffrant de schizophrénie comme un indice de plasticité psychobiologique. La notion d'organicité, si importante pour le diagnostic dif-férentiel en psychiatrie, fait référence à un organe et non à l'organisme. Tout au plus pourrait-on alors parler de « plasticité psychocérébrale » ou, à la rigueur, de « plasticité psycho-organique » — organique faisant référence à l'organe-cerveau et non à l'organisme —, si tant est que nous voulions adhérer à une position dualiste implicite dans cette expression.

Or l'organisme n'est pas la simple addition des organes réunis ni même de leurs fonctionnements mais, comme le signalait déjà Kant, l'organisme est irréductible à une quelconque machine car [37] (p. 104 et seq) : • dans un corps organisé, les parties existent

pour et par les autres, contrairement à une machine où les parties existent pour et non par les autres ;

• danslamachine,lacauseproductricedespar-ties et de leurs formes n'est pas contenue dans

la machine même mais en dehors d'elle, chez un être qui l'a construite, alors que l'organisme est fondamentalement auto-organisé et la cause productrice est interne ;

• dansunemachine,lespartiescommeletoutnepeuvent ni se produire ni se reproduire, alors que le corps vivant est à la fois cause et effet de lui-même, à la fois en tant qu'espèce et en tant qu'individu.Dès lors, c'est bien une oscillation entre une

position analytique et une position holiste qu'il convient de tenir.

Nous pensons que par le terme de « psychiatrie biologique », c'est le terme « biologique » lui-même qui a été fourvoyé, ramené à une définition maté-rialiste restrictive du fonctionnement de l'organe cerveau. En revanche si l'on suit la proposition de Kant sur l'organisme, qui sera reprise par Golds-tein [18] à propos de la pathologie4, c'est-à-dire si l'on considère dans une vision holiste l'organisme plu-tôt que l'organe, la psychiatrie (ou toute autre dis-cipline médicale) n'est ni biologique ni psychique, elle est une discipline qui s'intéresse à certaines anomalies particulières dans le tout de l'évolution d'un organisme complet qui pense. Il est incontes-table que c'est la pédagogie médicale qui dans nos domaines nous conduit à séparer ainsi les choses. Que ce soit en anatomie, en physiologie, tout est pensé en tant que grands systèmes, mais jamais comme un organisme aux régulations multiples trans-systémiques. D'ailleurs, des publications très récentes illustrent cette proposition en sou-lignant l'interaction du cerveau avec le système immunitaire et le système microbien intestinal [38], ou bien encore les processus inflammatoires [39] dans les pathologies psychiatriques, et nous n'en sommes qu'au début de l'inventaire. Il manque dans la formation médicale la plus essentielle des disciplines : la physiologie générale des régula-tions de l'organisme.

4 « En face d'une excitation donnée, non seulement la réaction peut varier, mais encore (…) le processus ne s'épuise pas en une réaction isolée ; bien plus, d'autres parties de l'organisme et même l'organisme entier, parti-cipent de différentes façons à cette réaction. En premier lieu nous pouvons établir que pour toute manifestation concernant un endroit déterminé de l'organisme, de semblables modifications surviennent simultanément à d'autres endroits de l'organisme [18]. » (p. 173).

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

232

Or, si une position dualiste doit être tenue, il nous semble que la frontière n'est pas entre le psy-chique et l'organique mais entre l'organisme tel qu'il vient d'être défini et la conscience.

L'ingérable question du monisme et du dualismeNous avons vu que ce qui semble se dégager, à la fois de l'effet Landolt direct et inversé et des tracés hypernormaux, c'est que les processus mentaux seraient à même de modifier l'électrogenèse. La question fondamentale qui se pose alors est celle de l'égalité ou non des états mentaux avec les états cérébraux, la réponse apportée modifiant signifi-cativement la tentative d'explication de ces phé-nomènes.

Les neurosciences se fondent majoritairement sur un monisme matérialiste (et en pratique phy-sicaliste) qui admet que tout état mental est réduc-tible à des états physicochimiques, et qu'il n'y a pas d'un côté la pensée et de l'autre la matière, mais que seule la matière produit la pensée. Nous avons en partie discuté ce point dans [26], mais le problème rencontré par le monisme matérialiste ou physicaliste (et donc les neurosciences) est qu'il est totalement incapable d'expliquer comment des états matériels cérébraux peuvent engendrer des pensées immatérielles, et réciproquement.

Face à ce fossé explicatif, ou bien, avant de le poser en ces termes, face à la problématique somme toute de psychologie populaire de la dissociation du corps et de l'esprit, deux grandes tendances explicatives, fortement antagonistes se sont développées depuis plusieurs siècles.

DualismesLa première position, la plus communément admise, même implicitement dans la vie quoti-dienne, est le dualisme. Celui-ci postule qu'il y a un corps et un esprit qui anime ce corps et qui est distinct du corps. Pour reprendre Descartes, la res extensa (matière) et la res cogitans (pensée) sont ontologiquement différentes : c'est le dualisme des substances.

Le dualisme connaît plusieurs variations.La première est le dualisme des propriétés de

Spinoza : la matière et l'esprit sont les deux faces différentes d'un même phénomène. La seconde est l'épiphénoménisme de Kim, dans lequel la

conscience est un épiphénomène sans impact sur la matière ; il s'agit là d'un dualisme tendant plutôt vers le monisme (voir [38] pour toutes ces formes du dualisme). La troisième est le dualisme bergsonien différenciant la matière et la mémoire, et affir-mant de manière très nette que la mémoire (l'état psychologique) déborde de manière considérable la matière cérébrale [28] (p. 6 et 8). Dans ce sens, il peut affirmer : « Qu'il y ait solidarité entre l'état de conscience et le cerveau, c'est incontestable. Mais il y a aussi solidarité entre le vêtement et le clou auquel il est accroché, car si l'on arrache le clou, le vêtement tombe. Dira-t-on pour cela que la forme du clou dessine la forme du vêtement ou nous per-mette en aucune façon de le pressentir ? [28] » (p. 4).

D'autres traditions que la tradition judéo- chrétienne européenne ou d'autres faits difficiles à expliquer actuellement, en particulier les expé-riences de mort imminente (NDE, Near Death Experiences), ajoutent aussi de l'eau au moulin du dualisme. D'autres enfin proposent que la conscience est diffuse et hors du cerveau, lequel ne serait pour elle qu'un récepteur [40].

Mais indépendamment des choix ou doctrines philosophiques, nous aurions tort de négliger le poids culturel de ce dualisme puisque, quand les sciences cognitives monistes (cf. infra) parlent d'incarnation (ou d'embodiement), elles sont implicitement dualistes puisque quelque chose entre (in-) dans de la chair (carnation).

MonismesLes propositions monistes sont, quant à elles, assez radicales, puisqu'elles postulent que res extensa (matière) et res cogitans (pensée) ont le même sta-tut ontologique. La position la plus sévère est la position éliminativiste (Chuchland, Changeux) [36] qui postule que les états mentaux sont équiva-lents aux états cérébraux, lesquels ne sont rien de plus que des configurations physico-chimiques. C'est d'ailleurs la position de très nombreux neu-roscientifiques pour qui toute forme de dualisme est impensable.

Une forme de monisme évolué, qui tente d'évi-ter le réductionnisme fort de la position éliminati-viste en tentant d'intégrer la complexité cérébrale, en particulier le problème de la conscience, est le paradigme émergentiste. La thèse de l'émer-gence soutient « que les propriétés d'un ensemble ne peuvent en général être prédites à partir d'une

Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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information concernant ses parties… » [41] (p. 181). L'idée centrale de l'émergentisme en neuros-ciences est que puisse émerger d'une société de neurones des comportements plus complexes, initialement non prévus et non prédictibles par la somme des comportements unitaires des neu-rones eux-mêmes. Cette théorie intégrée dans celle des sociétés d'agents a été appliquée par les neurosciences cognitives dans leur version connexionniste et constitue une avancée signifi-cative des modèles cognitivistes. La modélisation de l'émergence — qui est équivalente dans les sciences cognitives à l'autopoïèse de la biologie générale — a été construite à partir de l'informa-tique, dans le cadre général du paradigme infor-mationnel [26, 33] (p. 131–152). Mais rien n'empêche de penser que d'une énorme masse de cellules nerveuses, matérielles, puissent émerger non plus seulement des comportements complexes, mais une conscience (un psychisme) dont la nature pourrait être complètement différente de la nature matérielle des cellules cérébrales, comme l'est d'ailleurs un comportement. Nous retrouverions là une pensée très proche de celle de Spinoza, d'un dualisme des propriétés.

Une autre approche plus raffinée de monisme émergentiste consiste à joindre à l'autopoïèse la codépendance. C'est ce qu'a fait Varela [33]. La notion de codépendance (ou avènement codé-pendant) est une notion issue de la philosophie extrême-orientale : il s'agit de « dépendance à l'égard de conditions possédant diverses ori-gines » [41] (p. 160). Notons qu'il ne s'agit pas pour nous, contrairement au texte de Varela, de calquer une quelconque spiritualité sur la neurobiologie, mais simplement d'utiliser un concept à haute densité référentielle et qui nous semble convenir pour décrire ces processus interactifs générali-sés à nombre de variables infini. Mais alors que le connexionnisme émergent reste attaché à la notion de représentation mentale, l'énaction de Varela s'attache à décrire la codépendance des états mentaux et du monde dans une interaction sans cesse remodelée. Cette notion d'énaction est d'ailleurs le « recyclage » cognitiviste de propo-sitions bien antérieures que l'on retrouvera chez Bergson [28] ou dans l'École gestaltiste des années trente du vingtième siècle [42] (cf. chapitre 12).

Dans ces approches monistes évoluées, nous sommes donc amenés à penser une approche plus

holiste qu'analytique de ces phénomènes, tous en interaction. C'est en quelque sorte ce que pro-posait Edelman en parlant de « bootstrapping » (autoconsistance), concept développé en physique quantique et à l'origine de la théorie des cordes [43]. Le bootstrap en physique des particules s'énonce comme suit : « Chaque particule nucléaire a trois rôles différents : • «unrôledeconstituantdesensemblescompo-

sés ; • «un rôledemédiateurde la force responsable

de la cohésion de l'ensemble composé ; • «etun rôlede systèmecomposé.» (Chew, cité

par Nicolescu [43] p. 94).Le bootstrap postule qu'il n'y a pas une parti-

cule plus fondamentale que les autres, mais que toutes les particules devaient être également fon-damentales et que chaque particule est ce qu'elle est parce que toutes les autres particules existent à la fois. Donc c'est l'interaction qui crée réellement l'identité d'une particule et qui fait qu'il y a « indi-vidualité » de cette particule.

Synthèse sur la problématique corps-esprit et la psychiatrieOù en sommes-nous finalement ? • Nousvoyonsquelaproblématiquecorps-esprit

pourrait être remplacée avantageusement par une vision plus intégrative de type organisme-conscience. Cela ne règle en aucune manière le problème du fossé dans l'explication mais a l'avantage d'intégrer la psychiatrie ni dans la biologie, ni dans la psychologie, mais dans l'organisme dont un organe lésé, dans ses rela-tions de codépendance et d'intégration altère le bon fonctionnement et l'adaptabilité de tout cet organisme.

• Noussommesobligésdeconstaterquelesdeuxgrandes théories, moniste comme dualiste, dans leurs diverses versions même les plus raffinées, n'ont aucune preuve de ce qu'elles avancent sur la conscience. On ne fera que dif-ficilement admettre à un neurochimiste ou un cognitiviste que la conscience est autre chose qu'un état cérébral particulier spécifique de l'évolution humaine et que la conscience peut exister sans le cerveau. On ne fera pas plus admettre à une personne ayant vécu une expé-rience de mort imminente que sa conscience ne

Partie IV. Épistémologie et phénoménologie

234

s'est pas détachée de son corps pour y rentrer à nouveau.

• Aufond,onvoitbienque lescroyancesscien-tifiques sur lesquelles sont basées les théories, dans le domaine particulier de ce qui relève des sciences du cerveau et de l'esprit, sont de l'ordre des choix idéologiques ou spirituels. Plus encore, ils sont en prise directe avec des expériences de vie (expérimentations, forma-tion et rencontres, expériences mystiques ou esthétiques) vécues par ceux qui défendent ces théories.

• Nous sommes piégés par les mots, en parti-culiers les couples d'opposés. Si ceux-ci sont utiles pour différencier deux états comme la veille et le sommeil profond, ils semblent induire plus de difficultés que de permettre de résoudre les problèmes dans le cadre de cette thématique.Dès lors peut-être faut-il avoir :

• soit la position la plus humble qui consiste àdire que le problème nous dépasse infiniment et nous dépassera probablement définitive-ment, et que ce n'est pas si grave, adoptant ainsi la position du sage chinois si bien décrite par M. Bitbol [30] (p. 260) ;

• soit proposer une épistémologie desmultiplespossibles, acceptant le dualisme comme le monisme et toutes les propositions intermé-diaires et sachant que, comme le vecteur d'état de la mécanique quantique avant la réduction nécessaire à la mesure, toutes les possibilités sont en fait incluses en même temps et que seul un point de vue donné en privilégie une. C'est ainsi que H. Atmanspacher [44] a pu proposer le concept de compatibilité entre différents modèles en même temps valides5. Cette épisté-mologie a été détaillée dans [45].Ce ne sont pas évidemment des positions à

la mode, ni majoritaires, mais elles ont la vertu d'apaiser d'une manière ou d'une autre le débat aussi passionné qu'infructueux que se livrent depuis des siècles les philosophes et scienti-fiques.

ConclusionNous voyons à quel point, dès lors qu'on s'arrête quelques instants pour tenter de réfléchir à la fon-dation des concepts qui sont les nôtres et même des disciplines dans lesquelles nous travaillons, tout est friable, fragile, mal fondé. Le paradoxe est que, comme le dit Bergson [28], l'homme étant fait pour l'action, c'est le pragmatisme qui prime face à la contemplation philosophique qui ne peut que rester que minoritaire, tant la vie est action. De cette incroyable capacité à l'action, notre Homo, finalement plus faber que sapiens, invente des outils de plus en plus compliqués et performants qui facilitent son action et par voie de consé-quence la réflexion pour qu'en retour l'action se développe et se complexifie. C'est là l'histoire des liens entre sciences et technique dans les-quels nous sommes enfermés et en même temps par lesquels nous sommes libérés. Cependant, les modèles nécessaires à la mise en place de ce pragmatisme, incomplets mais efficaces, laissent un reste, souvent considérable, d'inexpliqué et d'incompris. Le travail de l'épistémologie est de le dévoiler, celui de la philosophie de tenter de le comprendre.

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Chapitre 11. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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Dans le chapitre 10, nous avons insisté sur les différences entre EEG en neurologie et EEG en psychiatrie biologique, mais surtout sur les consé-quences de certaines « anomalies » paradigma-tiques rencontrées en neurophysiologie chez les patients atteints de maladies psychiatriques. L'ef-fet Landolt (direct et inversé) et les tracés hyper-normaux posent la question d'une part d'une plasticité psychobiologique, mais plus encore de l'équivalence entre états cérébraux et états men-taux, comme nous l'avons analysé dans le chapitre 11. Cette équivalence, non démontrée, mais pos-tulée de manière générale dans les neurosciences, relève d'une épistémologie cartésienne, analy-tique, mécaniste, à la recherche de concaténations causales comme la physique classique dont elle procède.

Cependant, une autre révolution épistémo-logique devait dans les années 1970 voir le jour, caractérisée par le renversement de l'attitude scientifique qui consiste à intégrer les processus subjectifs au sein même de l'objectivation scienti-fique. Cette révolution est appelée seconde cyber-nétique ou épistémologie quantique.

Quand la subjectivité s'inviteL'épistémologie quantique postule (et comprend) qu'on ne peut séparer le phénomène modélisé du système modélisateur. En d'autres termes, une des questions centrales est celle-ci : « Com-ment l'observateur influe-t-il sur l'observation ? » C'est la question, encore incomplètement réglée, de la mesure en mécanique quantique. Si une conscience ou une subjectivité sont absolument déterminantes dans l'observation scientifique en général, ceci vaut évidemment pour la neurophy-siologie en général et l'EEG en particulier.

La question est alors de savoir comment s'invite la subjectivité et ce qu'elle fait dans la lecture de l'EEG.

Cette épistémologie quantique se développe dans les années 1970 sur la base de la prise en compte de la complexité. C'est ainsi que la réflexion sur la complexité a amené de nombreux chercheurs, parmi lesquels von Foester [1], Morin [2] et d'autres, à concevoir cette nouvelle révolution épistémolo-gique majeure mais encore largement ignorée des neurosciences : la seconde cybernétique (ou cyber-nétique du second ordre) laquelle relève du para-digme de la complexité organisante dans lequel : • lephénomènemodélisénepeutplusêtreséparé

du système modélisateur (d'où l'appellation d'épistémologie quantique, la leçon de la méca-nique quantique ayant été enfin prise en compte) ;

Chapitre 12Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrieL'ouverture phénoménologiqueJ. Vion-Dury1

1 Relecture : C. Balzani, J.-A. Micoulaud-Franchi.

Partie I. Épistémologie et phénoménologie

238

• larécursivitéestcentrale;• etonpeutparlerd'observaction2.

Or, au moment où naissait la mécanique quan-tique, dans le début du xxe siècle, d'une part Poin-caré conceptualisait la physique de l'imprédicti-bilité3 au sujet du problème des trois corps [3] et, d'autre part, Husserl ouvrait le grand chantier de phénoménologie transcendantale [4] en reprenant la tradition cartésienne des Méditations Métaphy-siques. En effet, c'est en 1913 que Husserl publie les Idées directrices pour une phénoménologie, l'année même où Niels Bohr propose son modèle d'atome formé de niveaux d'énergie caractérisés par des probabilités de présence [3].

En outre, Husserl publiait en 1936 la Crise des sciences Européennes et la phénoménologie transcen-dantale qui allait servir, de même que les écrits de Weber, de Dilthey et bien d'autres, de support philo-sophique aux nombreuses critiques du positivisme et du réductionnisme scientifique [5]. Il allait ainsi ouvrir la voie à l'épistémologie non cartésienne en fait assez mal nommée. En effet Descartes a produit un double héritage : celui du Discours sur la méthode, repris par tous les scientifiques comme la méthode scientifique par excellence, et celui des Méditations Métaphysiques qui postule que tout part du cogito (y compris les acti-vités scientifiques), c'est-à-dire que la subjectivité est à l'origine de toute démarche scientifique ou autre.

Cet oubli du sujet [6] allait être reconsidéré à la lumière de la mécanique quantique dont un des enjeux épistémologiques est que la séparation sujet/objet, nette dans la mécanique classique, ne l'est plus dans la mécanique quantique4. Bohr par-tage ainsi avec Kant le renoncement de la connais-sance de « la chose en soi » 5 [8, 9], que reprendra Husserl ultérieurement. En fait, l'interprétation de Bohr de la mécanique quantique possède de profondes similitudes avec la conception husser-lienne de phénomène.

C'est ainsi qu'intégrer la subjectivité dans le processus de compréhension de la neurophysio-logie et en particulier de l'EEG nécessite de pré-senter au préalable la phénoménologie.

Qu'est que la phénoménologie ?Il convient tout d'abord de lever une ambiguïté. Il existe deux sens au mot phénoménologie. Le pre-mier, le sens étroit, est simplement la description des phénomènes survenant dans une expérimen-tation de type empirique. C'est la description de ce qui se présente comme données observables. Le second, plus large, est celui d'un courant philoso-phique majeur né au début du xxe siècle : il s'agit de la phénoménologie transcendantale. C'est ce dont nous parlons ici.

La phénoménologie comme courant philosophiqueC'est donc dans cette ambiance, dans laquelle se pose, dans les sciences les plus modernes de l'époque, la question de l'emmêlement de l'ob-

2 À l'épistémologie cartésienne caractérisée par le dua-lisme sujet-objet, l'objectivisme, le réductionnisme, le causalisme efficient et linéaire, le déductivisme et la complétude, succède ainsi une épistémologie non car-tésienne caractérisée par la dynamique des systèmes non linéaires, la recherche non pas d'explications « mais de représentations sur lesquelles on peut opé-rer », par le passage de l'objectif d'explication par des causes à celui d'intelligibilité ou de compréhension, par la recherche de comportements sinon prévisibles, du moins probables, par la fin de la confusion entre imprévisible et inintelligible et, enfin, par la réinté-gration de la téléologie (du « parce que » au « afin de »), c'est-à-dire de la cause finale d'Aristote (voir l'article "Complexité" de J.L. Le Moigne dans le Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences, PUF, 2006).

3 Poincaré montre qu'on ne peut prédire à long terme la position de trois corps dans l'espace. Il s'agit là de l'introduction de l'imprédictibilité dans les systèmes physiques, imprédictibilité qui avait d'ailleurs été pressentie vers 1850–1860 par Maxwell, l'inventeur de l'électromagnétisme. La mécanique quantique, elle, y introduit l'indétermination (exemplifiée par les iné-galités d'Heisenberg, notamment).

4 C'est pour cette raison notamment que l'épistémo-logie de la complexité est appelée également épisté-mologie quantique.

5 Pour Kant, il n'y a « pas de connaissance au sens méta-physiquement radical de dévoilement de la chose en soi ; pas davantage d'autoconnaissance au sens d'auto-dévoilement ultime du sujet en soi. Seulement un jeu de miroirs mutuel, en devenir et sans commencement assignable, où la forme de la faculté de connaître est originairement acquise dans l'acte de saisie des objets, et où les objets sont réciproquement constitués par la forme de la faculté de connaitre sous la seule contrainte d'aboutir à un ordre intersubjectivement valide » (p. 227) [7].

Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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jet d'étude, du dispositif expérimental et de la conscience de l'expérimentateur, que naît la phé-noménologie [8].

La phénoménologie n'a pas été initiée par Hus-serl de novo. On peut en faire remonter les pré-misses à saint Augustin et Descartes. C'est saint Augustin qui, le premier, dans le De Trinitate (X, § 14-16), a posé la question du doute radical et a fourni à Descartes, comme le signale Pascal, les bases de l'argument du cogito. Mais c'est Descartes qui a développé la problématique du cogito. Après une attitude de doute généralisé, Descartes fonde toute connaissance sur le seul et indubitable fait que l'on pense (d'où le cogito ergo sum)6. Comme le dit Husserl, Descartes est le « fondateur origi-nel aussi bien de l'idée moderne du rationalisme objectiviste que du motif transcendantal qui le fait éclater » [13] (p. 85). Husserl reconnaît égale-ment que la philosophie de Kant (idéalisme trans-cendantal7) était en chemin vers un idéal tel que le philosophe ait une « claire compréhension de lui-même en tant que subjectivité dont le fonctionne-ment sert de source ultime » [13] (p. 114).

Husserl va généraliser et radicaliser l'approche cartésienne dans le but d'établir « la fondation la plus profonde de toutes les sciences objectives dans l'universalité de la conscience connaissante » [14]

(p. 26). Il s'agit de créer une science transcendan-tale dirigée vers « les profondeurs cachées de la vie gnosique effectuante » [14] (p. 27). Pour Husserl, la phénoménologie est une science véritable8 confé-rant à l'ego (le sujet) transcendantal le statut absolu d'unique fondement de la scientificité, faisant ainsi en sorte que la connaissance de l'objet passe d'abord par la connaissance de soi [15] (p. 2), au rebours de toute philosophie empiriste dont procède l'approche scientifique en biologie. Le « motif transcendantal » (présent chez Descartes comme chez Kant), « c'est celui de la question-en-retour sur l'ultime source de toutes les formations de connaissance, c'est l'auto-méditation du sujet connaissant sur soi-même et sur sa vie de connaissance… » [13] (p. 113).

La démarche phénoménologique procède alors par trois réductions9. La première réduction, ou réduction phénoménologique, est la toute pre-mière étape qui, en mettant entre parenthèses toutes les théories pré-données, ouvre l'accès aux choses elles-mêmes, telles qu'elles sont saisies dans l'immédiateté de l'intuition. Elle dévoile la conscience comme intentionnalité : c'est-à-dire le fait d'« être toujours à propos de ». La seconde réduction ou « réduction eidétique », en mettant hors-jeu le jugement de réalité (l'idée qu'on croit que cette chose est réellement là, ainsi) que l'on porte sur la chose, permet d'en faire varier ima-ginairement les traits et de découvrir ainsi ceux qui, ne pouvant varier, en constituent l'essence ou eidos. Cette méthode est dite aussi des « variations imaginaires ». La « réduction transcendantale »,

6 Descartes dans le Discours de la méthode (1637) [10] reconnaît (chapitre 2) qu'aucune connaissance n'est certaine puis énonce les quatre préceptes de sa méthode. C'est dans la quatrième partie qu'il proposera le fameux cogito (« Je pense donc je suis ») comme la seule chose « si ferme et si assurée ». Malheureusement, on aura tendance à ne retenir que le troisième précepte « de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre » (ce qui fondera l'ato-misme-associationnisme des neurosciences et de la biologie en général), tout en oubliant que, pour Descartes, l'ensemble de la connaissance est fondée sur la seule certitude que l'on pense. Descartes développera plus tard, dans les deux premières Méditations Métaphysiques (1641) [11], le problème du doute généra-lisé et des conséquences du cogito.

7 Chez Kant, transcendantal « concerne tout ce qui conditionne les conditions a priori de l'expérience, ainsi que les connaissances qui prétendument en découlent » (p. 593) [12]. « Est transcendant ce qui est au delà de l'expérience, et transcendantal ce qui est en deçà et qui la permet. » « Transcendantal s'oppose à empirique mais de l'intérieur ; transcendant s'oppose à immanent mais de l'extérieur. »

8 Rappelons que Husserl était initialement mathémati-cien et logicien. De ce fait, il n'a cessé d'insister sur le caractère rigoureux de la construction de la phéno-ménologie. Ses écrits sont impressionnants de rigueur conceptuelle et logique. En même temps il a refusé ce qu'il appelle la falsification psychologisante du pur ego, qu'effectue selon lui Descartes [13] (p. 91) en met-tant hors circuit le corps (dualisme). L'ego n'est pas un residuum du monde, mais la position absolument apodictique, qui n'est rendue possible que par l'épo-chè, et la mise entre parenthèses de l'ensemble de la validité du monde [13] (p. 92). De plus, en voulant fon-der une science logique des essences, il élimine la pos-sibilité du solipsisme généralisé.

9 La réduction en phénoménologie n'a rien à voir avec le réductionnisme du physicalisme : c'est un geste ou une opération, une prise de conscience du sujet qui modifie sa relation au monde et aux objets, une redirection.

Partie I. Épistémologie et phénoménologie

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l'étape la plus radicale, tente de mettre hors jeu tout jugement d'existence sur le monde (c'est celle du doute radical généralisé). Cette étape dénom-mée « épochè » dévoile le monde en tant que son sens est produit (on dira ici « constitué ») par le sujet. Le sujet à la fois produit le sens du monde (sujet dit « constituant ») et est produit par lui (sujet dit « constitué ») au même titre que tout ce qui est dans le monde (en termes philosophiques : un étant). Ainsi, le mot « transcendantal » peut être aussi considéré comme synonyme de « consti-tuant » [14, 16].

Si la conscience propre du sujet (l'ego trans-cendantal) est au centre de la pensée phénomé-nologique, l'épochè phénoménologique invite à considérer l'apparaître des choses. Les questions toujours posées, une fois cette position « naïve » adoptée sont celles-ci : « Comment m'appa-raissent les choses ? » « Quel effet cela me fait-il de … ? », etc. Point d'irrationalité dans la phéno-ménologie. La phénoménologie est une attitude rigoureuse à l'extrême qui impose à l'ego trans-cendantal de ne plus considérer les interpréta-tions standards ni les différentes théories comme des évidences « naturelles », comme allant de soi, mais de poser en permanence la question de la validité de nos interprétations collectives du monde et des choses10.

Comme nous l'avons signalé, la phénoméno-logie husserlienne a porté son attention sur la conscience, non pas comme une fonction repré-sentationnelle, épiphénoménale, secondaire à l'intentionnalité telle que la pense la philosophie cognitive, mais comme le centre même de notre vie mentale [17]. Penser la conscience, sa structure, ses contenus, du point de vue husserlien, c'est la penser comme corrélation avec le monde environ-nant non pas comme donné une fois pour toutes (pré-donné), mais comme toujours en train de se donner pour nous, là, maintenant. La structure intentionnelle de la conscience (le fait qu'elle soit tournée vers quelque chose) a pour synonyme la notion technique de « corrélation noético-noéma-tique, qui renvoie au rapport essentiel (eidétique [relatif à l'essence]) en phénoménologie et non pas

factuel (empirique), entre le vécu de conscience et l'objet visé » [18] (p. 72). Dans ce passage, il faut comprendre que la conscience dispose d'un statut particulier du fait même de sa constitution duale : « Elle est constituée par quelque chose qu'elle n'est pas, mais qu'elle vise à connaître et dont elle en est partie prenante. » Il faut alors distinguer ce qui est présent dans la conscience (vécus intention-nels) et ce qui est présent pour la conscience (cor-rélats intentionnels). Pour le phénoménologue, le monde est pour nous, il n'existe pas en dehors de chacun de nous. La conscience est comme une torche qui illumine, dans la grotte obscure de notre existence, la stalactite qui est devant nous. Mais nous comprenons bien que la grosse pierre qui est à nos pieds, non éclairée, n'existe pas pour nous jusqu'au moment où elle nous fera trébucher. Cette torche, c'est ce que Merleau-Ponty appelle le « rayon de monde ».

Dès lors la phénoménologie est une épistémo-logie radicale qui fait « droit aux choses mêmes pour l'opposer à toutes les constructions échafau-dées dans le vide, à toutes les trouvailles dues au hasard, à la prise de concepts qui n'ont de bien-fondé que l'apparence, aux questions fallacieuses qui vont souvent se propageant d'une génération à l'autre » [19] (p. 54).

Le renversement phénoménologique et les neurosciencesOn pourrait penser que la phénoménologie n'a pas grand-chose à voir avec les neurosciences et qu'en définitive elle se pose à côté de celles-ci comme une entité spéculative autonome sans intérêt. En fait, il n'en est rien. Les neurosciences, qui veulent tenter d'expliquer la conscience, rencontrent à un moment donné la phénoménologie (science de la conscience pure fondant les sciences), soit comme vis-à-vis, soit comme adversaire (c'est le cas de la philosophie cognitive qui dérive de la philosophie analytique et du positivisme logique), soit comme approfondissement (approche en pre-mière et deux ième personne dans les expériences empiriques), soit comme fondation (c'est-à-dire comme épistémologie radicale).

Tout d'abord, il convient de ne pas confondre la phénoménologie et son insistance pour prendre

10 En définitive, la phénoménologie, non seulement est une épistémologie, mais c'est aussi une éthique et un art de vivre.

Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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en compte les vécus conscients dans la construc-tion du savoir objectif et le fait qu'en neuros-ciences on procède de plus en plus à la mise en regard des résultats expérimentaux (en troisième personne) avec le vécu des sujets pendant l'expé-rience (en première ou seconde personne). Cette procédure, nécessaire, procède indirectement de la phénoménologie mais ne la résume pas.

Le premier intérêt de la phénoménologie en neurosciences est la possibilité de réaliser l'épo-chè, la suspension du jugement et la mise entre parenthèses de tout résultat, de tout modèle explicatif, de tout savoir scientifique en se posant la question : comment cette connaissance est-elle née, quelle validité a-t-elle, et existe-t-elle ? Comment savons-nous qu'il existe un potentiel d'action ? Comment ce résultat m'est-il donné ? En ce sens, pratiquer la phénoménologie c'est à la fois « “voir” l'expérience et “interroger” les préjugés » [15] (p. 4). Dans ces termes, la pratique phénomé-nologique est une épistémologie incarnée et qui se fait en continu et conduit à une croissance de la rigueur scientifique.

Un second point de réflexion est en lien avec le projet de Husserl de penser la phénoméno logie comme la science de la fondation de toutes les autres sciences lesquelles deviennent des régions de connaissance secondaires (par opposition à originaires). Cette affirmation que la conscience est première et fondatrice peut amener le retour-nement suivant, en apparence paradoxal ou inat-tendu : « Ce ne sont pas les neurones qui créent la conscience, mais la conscience qui crée les neu-rones. » Ceci veut dire que sans conscience réflé-chissante (qui semble être le propre de l'homme), le concept de neurone n'existe pas. Ceci ne veut pas dire que les neurones n'existent pas. Mais ils n'existent que pour nous, armés d'une conscience réfléchissante ; nous en avons conçu le concept, l'avons appliqué ou transposé à tout ce qui res-semble à un cerveau, par exemple chez le rat. Mais on doit bien reconnaître que le rat ne peut avoir de concept de neurone, même s'il a par ail-leurs une conscience non réfléchissante diffuse (awareness).

Ainsi, avant tout concept de neurones, avant toute neurophysiologie, il existe une conscience transcendantale, qui se donne comme cogito, dès lors que, par l'épochè, on a mis entre parenthèses le monde et la réalité ou mis hors circuit l'attitude

naturelle, c'est-à-dire ce qui semble aller de soi, tous les jours pour nous (incluant, par exemple, les schémas de neurones).

Si les neurosciences sont, du point de vue du phénoménologue, secondes par rapport à la conscience, elles ne peuvent l'expliquer. Et c'est probablement pour cette raison que se pose le pro-blème du fossé explicatif de la conscience par les neurosciences. La conscience ne peut principielle-ment pas être comprise par les neuro sciences, car c'est elle qui les fait naître, comme elle fait naître le savoir musical, la poésie et l'ensemble de tous les savoirs. Le problème du fossé explicatif ne semble exister que parce que c'est un problème mal posé, dans lequel on a inversé l'explanans et l'explanandum11.

Notons qu'il s'agit là du problème de la fon-dation des neurosciences et que le neurophysio-logiste, devant un tracé de coma dépassé, ne peut tenir ce raisonnement, car il a affaire à un cas particulier qui n'est pas d'ordre phi-losophique et qui s'intègre dans la démarche clinique corrélant l'EEG et la clinique et dans le  modèle des neurosciences actuelles (même discutable), indépendamment de la question de leur fondation.

Psychiatre biologique et psychiatrie phénoménologiqueCe qui est sous-jacent à cette démarche plus compréhensive qu'analytique, plus expérientielle que critériologique, c'est en fait la nécessité et la difficulté à penser avec la complexité. Non que la neurologie soit une science simple, mais elle peut plus facilement être réductrice, proposer des cadres nosologiques bien constitués et uti-lisables de manière non équivoque en pratique clinique (cf. chapitre 11). De même, l'ambition de la psychiatrie biologique est de penser que les pathologies psychiatriques peuvent subir le même processus de réduction que les patho-logies neurologiques et rentrer dans des critères

11 C'est aussi pour cette raison que le projet de Varéla d'une neurophénoménologie mettant au même niveau neurosciences et phénoménologie est une aporie du point de vue phénoménologique et se réduit en fait à la mise en regard des descriptions phénoménologiques (littéraires ou d'expérience) avec les neurosciences.

Partie I. Épistémologie et phénoménologie

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(DSM) ; c'est sans doute pour cela qu'elle risque d'échouer dans la compréhension de ces patho-logies.

Paradoxalement d'ailleurs, les modèles pro-posés sont pragmatiquement assez efficaces. On observe alors que, comme dans de nombreuses sciences, le critère d'efficacité n'est pas l'équiva-lent du critère de connaissance : on a soigné des fractures bien avant de comprendre la présence d'ostéoblastes.

Cependant, une partie de la psychiatrie s'ins-pire de la phénoménologie : il s'agit de la psychia-trie phénoménologique [16, 20]. En effet, pour une partie des psychiatres, la logique et le cadre théo-rique de la psychiatrie biologique ne conviennent pas. Pour eux, plutôt que de décomposer le com-plexe en choses simples comme dans la démarche scientifique cartésienne classique12, il est peut-être plus pertinent de comprendre ce qu'il en est de l'expérience complexe de la clinique et de ses conséquences possibles.

C'est pour ces raisons que s'est développé tout un courant de la psychiatrie (incluant Binswanger, Minkowski, Tatossian, Maldiney, Kimura, Azorin, Naudin et tant d'autres) qui a construit, à partir des œuvres des grands phéno-ménologues (Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty notamment), une approche phénoménologique élaborée et étendue de la psychiatrie. La phéno-ménologie, sans constituer une approche à but thérapeutique comme la psychanalyse, a renou-velé la conception des pathologies sur la base d'une perspective centrée sur les contenus et pro-cessus de conscience (Husserl) ou bien l'être-au-monde des patients et la temporalité (Heidegger) [20]. Ce que propose la phénoménologie est en fait, par exemple, une « définition de la démence en compréhension plutôt qu'en extension, une défi-nition qui donne l'essentiel ou même l'essence de la façon de vivre, du style global de vécu et de comportement des déments » [22] et non plus une description des fonctions manquantes ou résiduelles.

La lecture phénoménologique de l'EEG

La lecture de l'EEG : un processus largement subjectifLa lecture de l'EEG fait typiquement partie des processus experts. Très tôt, les électroencé-phalographistes ont souligné à quel point l'EEG devait être interprété selon des critères subjec-tifs [23]. C'est dans les systèmes complexes que les processus subjectifs sont le plus pertinents pour autant que la familiarisation avec les structures complexes et leurs variations puissent se faire. La détection de formes ou d'anomalies dans un tracé relève d'une forme de mémoire particulière.

C'est ainsi qu'on a pu montrer que la mémoire d'experts (les joueurs d'échecs, par exemple) ne fonctionnait pas selon les théories classiques de la mémoire, mais qu'il fallait ajouter à ces modèles classiques, inadaptés, une mémoire de travail à long terme, utilisant des « structures de récupération » de configurations percep-tives (chunks, petites unités de connaissances) englobés dans des schémas (templates, unités de connaissances plus larges) très rapidement encodés (ce qui suppose aussi une perception experte) ; ainsi : « Les traits principaux de l'ex-pertise cognitive, telle qu'une meilleure mémo-risation du matériel significatif dans le domaine de l'expertise, l'importance de la reconnaissance de patterns, la mise en œuvre de processus per-ceptifs de nature différente et l'aspect sélectif de la recherche, paraissent en effet généralisables à de très nombreux domaines de connaissance. [24] » Il existe ainsi une organisation particulière cérébrale pour la réalisation des tâches pour les-quels chacun de nous est expert, en particulier dans le domaine scientifique [25].

C'est ainsi que la lecture de l'EEG nécessite des « jugements fondés sur la familiarité et l'expé-rience », par contraste avec l'objectivité méca-nique [26]. D'ailleurs se trouve ici la problématique de la balance entre l'exactitude et l'objectivité, c'est-à-dire le problème des modèles et du résidu évoqué au chapitre 11. L'objectivité mécanique a trouvé son application en EEG avec l'analyse spectrale qui, un temps utilisée en routine, ne sert pas le plus souvent dans l'analyse quotidienne des tracés. En effet, le calcul même des spectres de

12 Bergson dira que c'est une tâche impossible dans laquelle on se perd et on dénature l'objet même de l'analyse sans pouvoir reconstruire les liens de codé-pendance entre les entités ainsi séparées [21].

Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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fréquence rend mal compte de certains artefacts ou variations que l'œil détecte. Quant aux carto-graphies, pour séduisantes qu'elles soient parce que colorées, elles nécessitent des interpolations du signal entre les électrodes qui, en soi, peuvent être génératrices d'artefacts ou de confusion. C'est d'ailleurs probablement un problème général des cartographies issues des analyses spectrales  : en imagerie par spectroscopie in vivo par résonance magnétique, il reste nécessaire de regarder la carte des spectres plutôt que celles, lissées, des différentes résonances [27].

Sans doute existe-t-il des programmes de lectures d'EEG de sommeil ou de pointes épilep-tiques mais, en dernier ressort, face à des ambi-guïtés, c'est l'œil expert qui doit trancher.

Formes et patternsSi devant notre écran d'EEG nous pratiquons l'épochè phénoménologique et, de ce fait, suspen-dons tout a priori sur le tracé et tout notre savoir de neurophysiologiste et que nous nous posons la question « Comment le tracé m'apparaît-il, qu'est ce qu'il me fait ? », alors nous sortons de l'inter-prétation habituelle, critériologique, pour passer à une saisie dans une visée globale, gestaltiste et lar-gement intuitive de la forme générale de l'activité cérébrale qui nous est présentée [28]. Plus générale-ment, ce type de lecture du tracé donne à voir des formes, des configurations et des modifications dynamiques de ces configurations, mais sans pré-juger de leur corrélation clinique, plutôt comme une ambiance.

Comme le suggère Ulrich [28], la lecture de l'EEG est une discipline morphologique et s'intègre par ce biais dans la théorie gestaltiste. La théorie gestaltiste (von Ehrenfels, Wertheimer, Köhler, Koffkab, von Wiezsäcker) est une théorie psy-chophysiologique née au début de xxe siècle et qui considère que la perception s'effectue selon des patterns (ou configurations) cohérents et signifi-catifs qui, sur le plan de la vision, sont des séries de points ou de lignes [29] (p. 285). Le passage d'une forme (configuration) à une autre forme est appelé « Gestalt-switch ». C'est ce qui se passe lors du pas-sage d'un rythme alpha à une activité bêta lors de l'ouverture des yeux. Par ailleurs le gestaltisme place la perception au centre de la cognition [30] (p. 309). En réalité, la vision gestaltiste permet de définir également des configurations de l'action

en lien avec les configurations de la perception et une dynamique propre, englobant mécanisme et finalité [30] (p. 754). La théorie gestaltiste, qui a trouvé chez Sherrington un de ses théoriciens remarquables, est en fait la théorie « mère » du paradigme énactif [30] (p. 1523). Notons enfin que cette approche gestaltiste a été l'objet de très nom-breuses discussions entre les psychophysiologistes (Stumpf et Wundt) et Husserl [31], ce qui montre la proximité de la phénoménologie philosophique avec ceux qui, à l'époque, s'occupaient des proces-sus perceptifs.

La morphogenèse structurale de Thom [32] a décrit le formalisme mathématique associé à une théorie de la forme. Ceci est d'importance en rai-son de la critique possible de subjectivisme qu'on pourrait opposer à la conception gestaltiste. Par ailleurs, cette approche explicite en fait la cause formelle aristotélicienne : la forme n'est plus un attribut, c'est une des causes possible de l'effet.

Ce sont donc des formes que notre œil apprend et pour lequel il devient un expert. Dès lors, la lecture de l'EEG s'apparente à la connaissance du joueur d'échecs qui a mémorisé des chunks et des templates correspondant aux positions et aux évolutions des pièces sur l'échiquier. Soulignons le caractère dynamique du repérage et de la recon-naissance de ces formes, que ce soit aux échecs ou en EEG. Dynamique à la fois dans les processus d'apprentissage et de familiarisation et dans la lecture même de l'évolution instantanée du tracé. En d'autres termes, la Gestalt n'est ni rigide ni pré-formée : elle est mouvante et plastique.

Cette lecture formelle de l'EEG, c'est ce que font naturellement probablement tous les neuro-physiologistes dans leur for intérieur, mais qu'ils laissent de côté pour trouver pragmatiquement les critères fondant leur interprétation.

Que dégage un tableau non figuratif rempli de formes différentes ? Que dégage un brouhaha constitué de sons différents, harmonieux ou non, cohérents ou non ? L'emmêlement des formes sonores ou visuelles, plus ou moins structuré, génère une ambiance.

Phénoménologie de la lecture de l'EEG : l'« ambiance cérébrale »Une description typiquement phénoménologique concerne l'expérience de ce que c'est que lire un tracé. Il suffit — mais c'est plus simple à dire qu'à

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faire — de laisser venir à soi « la chose même », en l'occurrence le tracé, là, présent « en chair et en os »13 et, en quelque sorte, se laisser impressionner par lui, comme quelque chose de radicalement nouveau. C'est cela une épochè phénoméno-logique. Tout jugement est suspendu, la thèse de l'existence du monde est provisoirement invali-dée et l'on se laisse pénétrer par ce qui arrive, en l'occurrence le tracé.

Dans cette perspective, l'EEG se donne comme une atmosphère globale, symphonique. De même que l'on entend dans une symphonie la superpo-sition des timbres et des notes des divers instru-ments, superposition qui donne cette ambiance évolutive sonore qui constitue l'expérience musi-cale, de même, en EEG, si l'on n'entend (malheu-reusement) plus le bruit des plumes sur le papier, la superposition des dérivations, ressemblant aux lignes d'une partition, rend une « atmosphère » globale caractérisant l'électrogenèse. On entend l'EEG, à la fois parce qu'on le comprend (au sens de saisie globale) plus qu'on ne l'analyse et parce que, pour les plus musiciens des neurophysiologistes, on pourrait dire que la lecture se fait de manière multimodale et par conséquent aussi auditive.

Point de recherche de critères, mais une appréhension globale, accompagné de senti-ments subtils, comme dans une aventure dans laquelle la lecture de chaque page du tracé est un moment présent [33]. Il y a ainsi des tracés qui vous dérangent, qui vous piquent ; certains vous font mal ; d'autres vous communiquent leur harmonie, vous rassurent et vous font du bien (un bel alpha, bien fusiforme et réactif, par exemple). On pour-rait penser là qu'il s'agit d'émotions surajoutées inutiles à la description du tracé. Il n'en est rien. Les fameux chunks ou templates peuvent ne pas se limiter à des compositions de formes mais s'asso-cier avec des réactions végétatives, épidermiques, somesthésiques qui en font littéralement partie.

Et d'ailleurs, très souvent la seule première page suffit presque à saisir ce que sera tout le tracé. Les critères de présence ou d'absence de pointes par exemple, viendront en second lieu, et seront pon-dérés par l'ambiance du tracé.

C'est ainsi qu'on réalise une lecture incarnée de l'EEG, dans lequel les vécus de la conscience non réflexive (Husserl) et ceux de la conscience

réflexive sont simultanément pris en compte dans un mode très voisin de l'auto-explicitation des contenus de conscience et du discours en mode explicitant [34].

En pratiquant cette forme de lecture phénomé-nologique de l'EEG, on a l'impression de rentrer dans un aspect du mode d'être du cerveau d'un patient. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes que, par le truchement de cet artefact (qui retrouve ici le sens premier de chose artificielle) assez gros-sier qu'est le tracé EEG, on puisse sentir quelque chose de la manière dont se tiendrait cet être-là du malade, ce Dasein tel que le définit Heidegger14. Ainsi, le tracé EEG devient, en quelque sorte, une modalité spécifique de la présence (qui est aussi une traduction du mot Dasein) du patient. En ce sens, on retrouverait ainsi dans ce type de lecture quelque chose du projet de Berger : que l'EEG nous informe sur la pensée (au sens très large) de l'autre.

Approche dimensionnelle versus catégorielleLes notions développées ci-dessus, à propos de l'ambiance cérébrale, rejoignent une probléma-tique classique en psychiatrie qui est la balance entre une approche dimensionnelle et une approche catégorielle. L'approche catégorielle, fondée sur des symptômes, est analytique et de type inférentiel, à la recherche de critères discri-minants, de stéréotypes et de catégories où placer l'individu étudié. C'est typiquement l'approche du DSM, permettant avec une certaine clarté de rassembler des patients ou des symptômes par trop différents pour permettre l'établissement de populations statistiques les plus homogènes pos-sibles. C'est une démarche qu'on pourrait qualifier de « groupale ». Inversement, l'approche dimen-sionnelle porte davantage d'intérêt à la forme et à la structure, aux formes variantes, incomplètes, atypiques et, d'une certaine manière, est plus attentive à l'individu qu'au groupe.

Le problème du diagnostic dimensionnel est très proche de celui du diagnostic très rapide intuitif des premières minutes. On peut parler

13 Selon la terminologie de Husserl.

14 Heidegger fut l'élève de Husserl et a fondé une approche différente de la phénoménologie centrée non plus sur le sujet et sa conscience transcendantale, mais sur l'être-là (Dasein), l'être dans le monde.

Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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dans un diagnostic atmosphérique (dimension-nel) de « qualité schizophrénique », de « forme schizophrénique » dans une conception très intuitive du diagnostic psychiatrique correspon-dant à la notion de typification. Cette typifica-tion décrite par Husserl est une intuition, c'est-à-dire une « perception interprétative immédiate, non conceptualisée, sans conscience claire des détails de cette reconnaissance » [35]. Si, en psy-chiatrie, rien n'empêche de valider rétrospec-tivement de manière plus critériologique cette première intuition diagnostique, en EEG nous pourrions décrire le même phénomène de saisie d'une ambiance sur la première page, puis d'une confirmation ou infirmation de l'ambiance dans la durée de la lecture et enfin, avant l'interpré-tation, de cette bascule critériologique du type « Est-ce une pointe ? ».

Ulrich et l'utilisation de la formeUlrich [28] (p. 36), à partir des conceptions théo-riques de Lairy et Dell et d'une réf lexion phé-noménologique quant à la forme générale de l'EEG et son évolution dans le temps lors d'un même tracé, propose que l'EEG puisse être pensé comme l'expression d'un état fonction-nel global prenant à un moment donné une certaine forme et, dans cette approche, appa-raît comme un indicateur de la vigilance. Cette position conduit à ce qu'il appelle une « dénoso-logisation », c'est-à-dire à la décision de ne plus prendre en compte une quelconque approche endophénotypique susceptible de permettre un diagnostic de nature du trouble psychiatrique, mais de plutôt voir comment dans telle patho-logie se désorganisent ou se modulent, selon le cas, les états de vigilance.

La vigilance peut être définie comme un ensemble de configurations neurophysiologiques fonctionnelles globales et dynamiques [36] (p. 36, p. 64) caractérisant le niveau d'activation du cerveau [36] (p. 1196). Nous avons vu dans le chapitre 3 la problématique de l'EEG et des états de vigilance. Ce que développe Ulrich, c'est l'idée de fonction globale de l'EEG, appartenant ainsi à la classe des processus coopératifs synergiques, auto-organi-sants, régis par des lois non linéaires, voire chao-tiques, c'est-à-dire intégrant notamment des pro-cessus cycliques.

C'est ainsi que la conception gestaltiste et phé-noménologique de l'analyse de l'EEG amène une nouvelle manière, plus physiologique, de décrire non plus tant des anomalies que des dysré-gulations, en particulier celles de la vigilance (figure 12.1).

Les formes manquées de l'électrogenèse

L'expérience limite : explicitation phénoménologiqueSi l'EEG est une sorte d'image de la présence du patient au sens du Dasein, alors il existe une forme limite de la lecture de l'EEG, une forme qui pro-fondément nous met indirectement mais violem-ment en contact avec l'être-le-plus-propre, c'est dire l'être-pour-la-mort [2] qu'est le patient, dans l'actualisation de celle-ci. En d'autres termes, lire un tracé de mort encéphalique (en particulier chez l'enfant), voir cette absence de vie, espérer la présence d'un tout petit signal qui, venant du plus profond du cerveau, nous indiquerait que l'irrémédiable n'est pas encore arrivé, est une expérience douloureuse par la tension de l'attente qu'elle contient et la violence de la déception. Dans le tracé de mort encéphalique, nous savons que l'Être (le Dasein) a disparu. Mais plus encore, nous voyons en général la mort de l'autre sans savoir qui il est, sans que sa personne ne nous soit connue, sans qu'on puisse mettre un visage sur ce tracé, c'est-à-dire que nous sommes face à un succédané de cadavre sans visage, et donc sans possibilité de répondre et par ce fait sans possi-bilité d'être responsable de quoi que ce soit, au sens éthique de Levinas [37]. Plus encore, il nous faut faire un deuil partiel à propos d'une personne imaginée, mais dont nous avons, comme seuls indices, un nom et des lignes plates sur un écran. Lire un EEG de mort cérébrale, c'est faire une recherche désespérée d'un indice de l'Être et d'un infime atome de Présence.

Les formes manquées de l'électrogenèse en psychiatrieIl est intéressant de signaler à quel point Ulrich, par sa lecture globale et phénoménologique de l'EEG compris comme forme, converge avec l'approche phénoménologique développée sur

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le plan de la clinique par les psychiatres, en particulier Binswanger, Minkowski, Tatossian et plus généralement appelée Daseinanalyse ou analyse existentielle (cf. supra), ou analyse de la présence.

Dès lors, selon cette approche, de la même manière que Binswanger évoque des formes man-quées de la présence à propos de la schizophrénie [38], on pourrait parler des formes manquées de l'électrogenèse cérébrale.

Les formes manquées de l'électrogenèse en psy-chiatrie se présenteraient alors sous deux aspects : d'une part la présence de grapho-éléments inhabi-tuels nombreux (non pathologiques, mais encore physiologiques ?) (cf. chapitre 4) et d'autre part des anomalies de la régulation de la vigilance passant par des dynamiques trop rigides ou trop labiles (cf. le vigigramme dans le chapitre 3 et la figure 12.1 de ce chapitre). Prises isolément, elles ne caractérisent aucune pathologie, pas plus que le

Figure 12.1. Variations de la vigilance.A. Régulation rigide. B. Régulation labile.La régulation rigide conduit à un tracé monomorphe dans lequel le rythme alpha n'est pas interrompu ou modulé par d'autres rythmes témoignant des variations de la vigilance, ce qui est en revanche observé dans le tracé labile.

Chapitre 12. Questions épistémologiques soulevées par l'EEG en psychiatrie

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maniérisme, forme manquée de la présence dans la schizophrénie, n'est suffisant pour évoquer à lui seul le diagnostic. C'est en ce sens qu'il nous semble possible de parler de formes manquées de l'électrogenèse, celle-ci n'étant plus tout à fait nor-male, mais pas vraiment anormale.

C'est ainsi que l'EEG de la psychiatrie se dis-tingue également de celui de la neurologie. Face aux activités lentes d'un gliome ou aux pointes d'un accident vasculaire cérébral, ce n'est pas de formes manquées qu'il s'agit, mais de formes alté-rées voire détruites de l'électrogenèse. Ce qu'ap-porte la psychiatrie à l'EEG, c'est cette nuance dans laquelle les signes EEG sont comme des signes légers15 des altérations des fonctions supérieures, par comparaison aux désordres massifs des fonc-tions neuropsychiques de base (selon les concep-tions d'Ey, cf. chapitre 11). Alors que les formes altérées ou détruites de l'électrogenèse soulignent l'importance de l'intégrité commune des fonc-tions réticulo-thalamo-corticales, les formes manquées de l'électrogenèse soulignent la préé-minence du cortex et de ses énormes connexions corticocorticales, quitte à ce que des anomalies à ce niveau trouvent comme effet secondaire des anomalies de la régulation de la vigilance.

ConclusionL'approche phénoménologique de l'EEG en psychia-trie penche vers les conceptions dimensionnelles du diagnostic en psychiatrie et conduit à une typifi-cation des tracés. L'absence de physiopathologie claire pousse le lecteur attentif de l'EEG vers une approche de la forme, gestaltiste, plutôt que vers une approche critériologique, peu tenable devant la variabilité et l'inconstance des altérations. De plus, cette approche gestaltiste provient d'une tradition psychophysiologique rigoureuse et argumentée, et se trouve renforcée par les travaux neuroscienti-fiques récents mais également par une mathémati-sation rigoureuse de l'émergence des formes.

Dès lors, cette vision gestaltiste, globale, non analytique, nous porte à définir la notion d'am-

biance du tracé et en définitive à nous faire poser la question : « Que me fait donc ce tracé ? »

L'EEG en psychiatrie ouvre aussi un nouveau type de neurophénoménologie, qui associe à la démarche empirique, neurophysiologique, une approche phénoménologique qui relève des états de conscience, de leur contenu, de leur moda-lité, que ce soit chez le neurophysiologiste qui l'interprète ou chez le patient qui présente tel ou tel type de modification de l'électrogenèse.

Autrement dit, la position phénoménologique n'est pas un luxe inutile de quelques médecins peu rigoureux. C'est une approche qui déploie une autre épistémologie, sans doute plus apte à saisir des nuances subtiles que la position stricte-ment analytique. En d'autres termes, elle est plus proche de la vie et peut avoir un impact fort sur l'éthique pragmatique.

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Paris : Le Cercle Herméneutique ; 2002. [21] Bergson H. Matière et mémoire : Essai sur la relation

du corps à l'esprit. Paris : Presses Universitaires de France ; 2008.

[22] Tatossian A. Phénoménologie des états démentiels. Psychologie médicale 1987 ; 19 : 1205–7.

[23] Gibbs FA, Gibbs EL. Atlas of electroencephalo-graphy. Cambridge : Addison-Wesley Press ; 1945.

[24] Didierjean A, Ferrari V, Marmèche E. La stratégie du joueur d'échecs. Cerveau & Psycho 2003 ; 1.

[25] Masson S. Étude des mécanismes cérébraux liés à l'expertise scientifique en électricité à l'aide de l'ima-gerie par résonance magnétique fonctionnelle. Montréal : Université du Québec ; 2012.

[26] Daston L, Galison P. Objectivité. Paris : les Presses du réel ; 2012.

[27] Vion-Dury J. Cours de résonance magnétique : spec-troscopie et imagerie : de la structure magnétique de la matière à la physiologie. Paris : Ellipses ; 2002.

[28] Ulrich G. The theoretical interpretation of elec-troencephalography (EEG) : The important role of spontaneous resting EEG and vigilance. Corpus Christi : Bmed Press LLC ; 2013.

[29] Nadeau R. Vocabulaire technique et analytique de l'épistémologie. Paris : Presses Universitaires de France ; 1999.

[30] Dictionnaire de la philosophie. Encyclopaedia Universalis ; 2006.

[31] Ierna C. Husserl et Stumpf sur la Gestalt et la fusion. Philosophiques 2009 ; 36 : 489–510.

[32] Thom R. Stabilité structurale et morphogénèse. Paris : InterÉditions ; 1977.

[33] Stern DN. Le moment présent en psychothérapie : Un monde dans un grain de sable. Paris : Odile Jacob ; 2003.

[34] Balzani C, Micoulaud-Franchi J-A, Yunez N, et  al. L'accès aux vécus pré-réflexifs. Quelles perspectives pour la médecine en générale et la psychiatrie en par-ticulier ? Annales Médico-Psychologiques 2013 ; 171 : 118–27.

[35] Bourgeois M, Rechoullet D. Les premières minutes, premier contact et rapidité diagnostique en psychia-trie. In : Pichot P, Rein W, editors. L'approche cli-nique en psychiatrie. Le Plessis Robinson : Institut Synthélabo ; 1999. p. 377–94.

[36] Kayser C. Physiologie. Système Nerveux – Muscles, Tome 2. Paris : Lavoisier ; 1976.

[37] Lévinas E, Nemo P. Éthique et infini : dialogues avec Philippe Nemo. Paris : Fayard ; 1984.

[38] Binswanger L. Trois formes manquées de la présence humaine la présomption, la distorsion, le manié-risme. Puteaux : Le Cercle herméneutique ; 2002.

Ce travail regroupe ce qui est épars au sein d'un même attracteur : la neurophysiologie et plus précisément la neurophysiologie des courants électriques.

Nous avons, dans ce livre, proposé une démarche dans une triple dimension.

La première dimension est la dimension instrumen-tale. Nous avons voulu permettre au médecin intéressé par une quelconque modalité de la neurophysiologie diagnostique ou thérapeutique un parcours technique lui donnant les bases essentielles des appareillages et de leur utilisation.

La deuxième dimension est une dimension clinique, pragmatique, soulignant de la manière la plus abor-dable possible les indications et les résultats attendus des méthodes décrites. Car l'enjeu est ici clair : démon-trer qu'il existe une neurophysiologie bien spécifique à la psychiatrie et dont l'utilité est incontestable, même si sa diffusion est par trop restreinte.

La troisième dimension est une dimension plus épis-témologique et phénoménologique qui se situe dans la droite ligne de notre projet d'unité hospitalière1 au sein d'un CHU : ne jamais appliquer une technique sans se demander quels en sont les fondements théoriques, comment notre subjectivité est impliquée dans son utilisation, et quelles conséquences éthiques ces fon-dements théoriques ou cette présence de la subjectivité ont-ils.

Ces trois dimensions ne sont pas successives, comme pourrait le laisser penser le plan, par essence didac-tique, mais entremêlées dans la réalité quotidienne de notre pratique, comme une polyphonie. Aucune n'est véritablement privilégiée, aucune ne décrit isolément notre approche pédagogique, clinique et de recherche dans ce domaine de l'électrophysiologie qui est le nôtre.

Ce livre est également une sorte de synthèse de mul-tiples publications que nous avons faites par ailleurs dans le désir de partager notre passion pour une certaine pratique médicale, assez peu répandue en fait, mais qui nous semble devoir être développée à terme de manière plus marquée.

Puisque la phénoménologie amène toujours à faire un pas de côté, le lecteur aura compris qu'elle inspire notre démarche y compris dans la simple présentation des méthodes et des applications. En réalité, la suspen-sion du jugement (l'épochè phénoménologique) qui remet en cause l'évidence naturelle et nous fait nous questionner sur la validité et la pertinence de différents concepts ou théories, cette épochè, qui nous montre en outre le caractère contextuel et transitoire des théories du moment, a un corrélat incontournable : l'humilité.

Nous espérons que, au-delà de la rigueur scientifique et médicale que nous avons tenté de mettre dans cet ouvrage, son pouvoir de conviction tiendra aussi dans ce mélange d'enthousiasme et d'humilité que nous vou-lons promouvoir.

Conclusion générale

1 Unité de neurophysiologie, psychophysiologie et neurophénoménologie du pôle de psychiatrie uni-versitaire du CHU de Marseille.

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Que vient faire la subjectivité dans la pratique de la neurophysiologie ? Explicitement posée dans le treizième et dernier chapitre de ce manuel, cette question l'aura travaillé dès ses premières lignes. On aura vu au tout début de l'ouvrage comment le recours à un dispositif technique, baquet, EEG ou neurofeedback, peut venir éclairer d'un jour nou-veau la pratique psychiatrique, non parce qu'elle lui apporte une réponse technique décisive, ce dont après tout on peut douter, mais parce qu'elle laisse ouvertes et renouvelle des questions essen-tielles comme la nécessité de recourir à des objets techniques spécifiques pour fonder une discipline professionnelle mais aussi la façon dont sens, subjectivité et technique doivent être reliés pour que cette discipline ait elle-même un sens : nous pensons ici à cette manière si troublante qu'ont les objets techniques d'exister par eux-mêmes. Que vient faire l'objet technique dans la pratique psy-chiatrique si ce n'est en troubler la tranquillité ? Existant par lui-même, pouvant être vu comme indépendamment de celui qui le manipule ou qui lui donne un sens, le dispositif s'interpose entre l'homme et la nature pour suspendre l'espace d'un instant ce que l'homme pense être lui-même en dedans et faire voir du même coup ce qu'il est sans doute plus profondément : un rapport, un rapport entre soi et soi, entre soi et le monde, entre ce qu'il est au dedans et ce qu'il perçoit au dehors, entre ce qui se donne à lui et ce qu'il (com)prend. La pra-tique du biofeedback ou des Potentiels Evoqués en sont deux illustrations mais il faut la comprendre phénoménologiquement comme révélatrice de cet écart infime qui toujours déjà sépare la conscience réflexive des synthèses passives qui fondent à la fois son sol et son horizon, son en-deçà et son au-delà. Il y a tout à la fois une immédiation et une distance qui nous sépare, moi et moi, moi et monde, moi et l'autre, moi et la chose, l'autre et moi-même et ce double aspect nous joue, quand nous cherchons à le réduire, continûment des tours. Cette capacité qu'a l'homme de se saisir lui-même du dedans et du dehors à la fois, tou-

jours dans un écart infime, capacité que le monde moderne a appelé conscience, le dispositif neuro-physiologique ne cesse de l'interroger en la rédui-sant à un rapport entre un objet technique et un objet scientifique, entre lesquels se tient – ou plu-tôt duquel s'échappe - la subjectivité. Il n'est pas même jusqu'à la TMS qui une fois rapportée à l'imagerie fonctionnelle ne pose cette question : non pas où mais comment se produit l'expérience subjective et comment cette dernière peut influer en retour sur ce qu'en l'observant elle définit comme un objet.

Certains parmi les scientifiques auront pensé sans doute que les auteurs de ce manuel adoptent une approche purement constructiviste : l'observa-teur participe à la construction de ce qu'il observe, nous rappelle-t-on dans sa quatrième partie. Mais ce serait faire fi de ce qui provient là de la matière elle-même - de la hylé aurait dit sans doute Hus-serl - et qui, loin d'être dénié, doit être pensé - nous dit Jean Vion-Dury - dans la perspective de la mécanique quantique : l'observateur, l'homme peut-on dire, est lui-même construit sur le modèle de ce qu'il observe. Ce problème central, qui n'est pas sans rappeler le hard problem de la dualité du corps et de l'esprit, doit être pris en considération dès le début d'une recherche expérimentale. Il n'y a pas pour les auteurs de cet ouvrage un objet et un sujet, un corps et une âme, un cerveau et un esprit qui s'opposent dans un dualisme forcené, ni un tout qui toujours-déjà les unirait a priori dans un monisme dogmatique et quasi-religieux, mais un objet, un sujet et quelque chose entre qui bat et souffle entre eux et en dedans sans quoi isolément ils n'ont plus aucun sens. Ce quelque chose entre, Husserl l'a nommé intentionnalité, et cela définit la conscience (« toute conscience est conscience de quelque chose »). Il nous a appris une méthode pour mieux l'étudier en suspendant tout préjugé théorique : l'époché. En appliquant cette méthode de façon radicale, non sans un effort considérable car les préjugés ne cessent de surgir entre moi et la chose, nous découvrons que moi et le monde

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sommes dans un rapport constant d'appropria-tion et de co-construction. Husserl appelle trans-cendantale cette phase de l'époché. Mais on peut comme d'autres à sa suite (Fink, Schutz, Merleau-Ponty) ne pas croire à la possibilité de sa réalisa-tion complète. L'important est qu'elle nous fasse, dans un mouvement inverse de celui qui nous attache au monde de la vie quotidienne, redécou-vrir comment nous participons tous activement et passivement à sa constitution en le reprenant cha-cun, parcelle par parcelle, à notre propre compte. Jean Vion-Dury nous apprend à pratiquer cette méthode en neurophysiologie :

« Avant tout concept de neurones, avant toute neurophysiologie, il existe une conscience transcen-dantale, qui se donne comme cogito, dès lors que par l'épochè, on a mis entre parenthèses le monde et la réalité, ou mis hors circuit l'attitude naturelle, c'est-à-dire ce qui semble aller de soi, tous les jours pour nous (incluant par exemple les schémas de neurones). Si les neurosciences sont, du point de vue du phénoménologue, secondes par rapport à la conscience, elles ne peuvent l'expliquer. »

Cette méthode, qui fait de toute activité nais-sante à la fois une activité empirique et une acti-vité transcendantale, oblige à penser autrement qu'en se référant aux principes positivistes qui enferment la plupart des dispositifs expérimen-taux en usage dans les sciences normales dans un déterminisme linéaire et pensé ad hoc en vue d'une explication causale. Jean Vion-Dury et ses élèves font le choix de ne pas réduire en premier lieu le monde à la causalité pour mieux se saisir de ses modes d'apparaître dans toute leur com-plexité. Aussi trouvent-ils - dans la perspective d'applications pratiques - de nombreux points communs aux théories de Bohr, de Von Forster ou de Thom et à la phénoménologie husserlienne.

Comme l'avait bien compris Goldstein, le cer-veau ne doit pas être réduit de prime abord par la physiologie à l'organe mais à l'organisme et à la vie. La question de la continuité entre le normal et le pathologique doit être sans cesse retravaillée en tenant compte du tracé comme d'une forme de vie préclinique, ce dont témoigne dans ce manuel l'étude de l'effet Landolt inversé. Face à une « ano-malie massive et inexpliquée du tracé » chez des personnes souffrant de schizophrénie parfaite-ment rétablies sous antipsychotique, l'hypothèse peut être faite d'un « mécanisme compensatoire permettant à l'organisme d'éviter une situation

de catastrophe ». La compréhension de tels méca-nismes ne peut se satisfaire des catégories préexis-tantes et constitue un argument de plus en faveur de l'inconsistance des classifications psychia-triques actuelles. Une fois suspendues nos caté-gories cliniques, on peut observer des effets dont on aurait, face à un comportement clinique nor-malisé, renié la signification possible en les tenant pour des artefacts. En choisissant de confronter l'approche phénoménologique en psychiatrie à la lecture morphologique, quasi-musicale, que Jean Vion-Dury propose du tracé EEG, psychiatres et neurophysiologistes cherchent à suspendre toute critériologie, toute nosographie, pour ne plus voir que les formes et la typologie.

On ne peut qu'être étonné, une fois la lecture de ce manuel terminée, des sauts épistémologiques auxquels il nous entraîne. Parmi ces sauts épis-témologiques, je suis particulièrement sensible à celui-ci : dans quelle mesure les mouvements du tracé électroencéphalographique, lorsque lus comme une partition musicale, hors de toute perspective diagnostique, sont-ils – comme la musique - le reflet des mouvements de l'âme ? Dans quelle mesure ce reflet supposé peut-il non seulement avoir un usage mais aussi questionner nos usages ? La fonction d'une postface n'est pas de récapituler ce qui a déjà été pour plus de clarté et selon un rituel propre aux ouvrages collectifs découpé en chapitres, encore moins d'en faire une synthèse, mais plutôt de chercher où se situent à la fois l'unité et la ligne de rupture, cette ligne mystérieuse qui fait d'un manuel comme celui-ci autre chose qu'un mode d'emploi en plusieurs lan-gues : une totalité évoluant pour elle-même dans nos têtes, émancipée de sa fonction didactique première. La ligne de rupture est ici d'avoir situé l'épistémologie et la philosophie en son cœur, au tout début de la pratique, et de remettre ainsi en question l'avancement de cette science normale qu'est aujourd'hui la neurophysiologie tout en la pratiquant de façon quotidienne, avec des objec-tifs cliniques et expérimentaux. Les divers auteurs de ce texte, leurs contributions, le style de leurs activités de recherche, nous donnent l'occasion de filer la métaphore du bootstrapping : il n'y en a pas un parmi eux plus important que les autres, tous sont importants, chacun est ce qu'il est parce que tous les autres, qu'ils se rapprochent ou s'éloignent, existent à la fois. L'électrophysio-logie est comme la psychiatrie une thématique

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transdisciplinaire par essence. Les dispositifs expérimentés par les auteurs font appel à des disciplines et des compétences aussi variées que la philosophie, la linguistique, l'acousmatique, la musique, la neurologie ou la radiologie. Ces dis-ciplines, intégrées à la neurophysiologie dans une visée globalisante, ne sont jamais abordées sans avoir questionné ou repoussé leurs frontières : celles de la compréhension psychologique et de la critériologie pour la psychiatrie clinique, celles de l'éducation pour la psychologie cognitive, celles du parallélisme anatomoclinique pour la neu-rologie, celles de l'interprétation et du moyen-nage pour l'électroencéphalographie, celles de la sémantique pour la neurolinguistique. Dominent au fond ici les notions de style et de forme, de présence et de moment présent chères à la phé-noménologie psychiatrique, travaillée comme on le sait depuis Binswanger par les notions de temporalité et de transcendance. Les plus existen-

tialistes des phénoménologues et les analystes du Dasein y verront peut-être, comme ils l'ont déjà vu dans la neurophénoménologie et les travaux de Varela, une volonté abusive de naturalisation. Mais la lecture musicale et présencielle de la par-tition électroencéphalographique et la pratique de l'explicitation qui l'accompagne parfois dans une perspective de recherche ne me semblent pas relever d'un contresens philosophique, ni d'un supplément d'âme, mais plutôt d'une forme de foi dans la présence et son sens à venir, foi impliquée dans la pratique des sciences naturelles comme dans celle des sciences humaines. Se rejoignent là dans une même prise de conscience la foi dans la science et la foi dans le monde. Au fond, nous l'aurons compris, grâce à Jean et ses élèves, les questions de la subjectivité, de la présence et du sens même de la vie sont au cœur de la neurophy-siologie.

Jean Naudin