LNR8 Francois Graner - l'attentat du 6 avril 1994

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65 20 aNS ça Suffit - fraNçoiS graNer - L' atteNtat du 6 avriL 1994 Numéro 8 • La Nuit rwaNdaiSe FRANÇOIS GRANER L’attentat du 6 avril 1994 : l’hypothèse de tireurs et/ou décideurs français vue à travers les textes des officiers français Précisions : Je désigne par “officiers” les officiers supérieurs, c’est-à-dire par ordre croissant : capitaine, commandant, lieutenant-colonel, colonel ; ainsi que les généraux (ou amiraux). Les grades indiqués sont ceux qu’ils avaient à l’époque. Les sources citées sont essentiellement celles qui émanent des officiers français ou de leurs proches, et sont actuellement publiques. Les notes de bas de page sont présentées de façon compacte, par exemple auteur/année/média, et renvoient à la bibliographie située à la fin. Les numéros de page du rapport de la Mission d’Information Parlementaire de 1998 renvoient au fichier pdf et non à la version papier. Je situe les citations dans leur contexte aussi exactement que possible. Les citations en italique sont verbatim ; mes ajouts sont entre crochets, et mes coupes sont indiquées par des points de suspension entre crochets. Je fais des corrections mineures pour homogénéiser l’orthographe. Comme plusieurs officiers, et selon l’usage courant en français (contraire à l’usage des spécialistes), je traite “Hutu” et “Tutsi” comme des mots variables.

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L’attentat du 6 avril 1994 : l’hypothèse de tireurs et/ou décideurs français vue à travers les textes des officiers français

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FrançoiS Graner

L’attentat du 6 avril 1994 : l’hypothèse de tireurs et/ou

décideurs français vue à travers les textes des officiers français

Précisions : Je désigne par “officiers” les officiers supérieurs, c’est-à-dire par ordre

croissant  : capitaine, commandant, lieutenant-colonel, colonel  ; ainsi que les généraux (ou amiraux). Les grades indiqués sont ceux qu’ils avaient à l’époque.

Les sources citées sont essentiellement celles qui émanent des officiers français ou de leurs proches, et sont actuellement publiques. Les notes de bas de page sont présentées de façon compacte, par exemple auteur/année/média, et renvoient à la bibliographie située à la fin. Les numéros de page du rapport de la Mission d’Information Parlementaire de 1998 renvoient au fichier pdf et non à la version papier.

Je situe les citations dans leur contexte aussi exactement que possible. Les citations en italique sont verbatim ; mes ajouts sont entre crochets, et mes coupes sont indiquées par des points de suspension entre crochets. Je fais des corrections mineures pour homogénéiser l’orthographe. Comme plusieurs officiers, et selon l’usage courant en français (contraire à l’usage des spécialistes), je traite “Hutu” et “Tutsi” comme des mots variables.

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Cet article reprend, en le développant, le chapitre correspondant de mon livre (« Le sabre et la machette : officiers français et génocide tutsi », éditions Tribord, mars 2014). Il s’appuie largement sur de nombreuses analyses antérieures, en particulier sur le travail de référence de Jacques Morel (« La France au cœur du génocide des Tutsi  », éditions Izuba - L’esprit frappeur, 2010, disponible en pdf sur internet) et sur le site http://www.francerwandagenocide.org/documents/.

J’accueille volontiers les témoignages, commentaires, et rectifications d’erreurs matérielles.

1 - introduction

l’attentat et leS hypothèSeS Les accords de paix d’Arusha, signés en août 1993 entre différentes

parties rwandaises, prévoient pour le Rwanda un gouvernement d’unité nationale, ainsi que la fusion de l’armée gouvernementale, les Forces Armées Rwandaises (FAR), avec l’armée du Front Patriotique Rwandais (FPR). En avril 1994, ces accords ne sont toujours pas appliqués. Un des points de blocage est la question de savoir si les institutions de transition doivent ou non inclure les extrémistes hutus (auxquels sont liés certains membres de l’Etat-Major des FAR). Le mercredi 6 avril 1994, le président rwandais Habyarimana et son homologue burundais participent à une réunion internationale sur l’application de ces accords. Le soir, l’avion qui ramène ces deux présidents est abattu en vol peu avant son arrivée à Kigali.

De nombreuses hypothèses ont été émises concernant l’identité des tireurs et des commanditaires de cet attentat. En voici une liste, non exhaustive :

- Tireurs et commanditaires appartenant au FPR ;

- Militaires belges tirant sur demande de dirigeants du FPR ;

- Militaires des FAR tirant sur ordre d’extrémistes hutus ;

- Mercenaires européens tirant sur demande d’extrémistes hutus ;

- Militaires français réguliers tirant sur demande des éléments extrémistes hutus ;

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- Mercenaires européens tirant sur demande de responsables français ;

- Militaires français réguliers tirant sur ordre de responsables français ;

- La « troisième voie » : des Hutus du gouvernement de transition qui peine à se mettre en place, cherchant à consolider leur pouvoir face aux extrémistes hutus ;

- Opposants burundais.

Ces hypothèses ne s’excluent pas mutuellement, car il serait possible d’imaginer que des militaires belges et du FPR fassent équipe ensemble  ; ou que des extrémistes hutus et des responsables français décident ensemble ; ou que des mercenaires comme l’ex-capitaine français Barril puissent agir en liaison avec l’armée régulière française, ou avec les FAR.

Actuellement, quelqu’un qui s’intéresse à ces hypothèses est confronté à une abondante littérature qui examine, pour chacune d’elles, les points qui les rendent ou non vraisemblables. Ces points incluent entre autres  : les motifs et les intérêts des éventuels commanditaires  ; leur capacité à disposer des renseignements nécessaires et à dissimuler leur méfait ; la rapidité de leurs réactions après l’attentat, ce qui pourrait révéler qu’ils ne sont pas pris au dépourvu, voire même l’existence de signes avant-coureurs, ce qui démontrerait qu’ils en étaient informés à l’avance  ; la présence sur place des éventuels tireurs  ; leur capacité à disposer de missiles sur place ; leur compétence pour se servir des missiles. Le seul point de convergence chez la majorité des commentateurs de tous bords est que les commanditaires de l’attentat étaient vraisemblablement opposés aux accords de paix d’Arusha.

L’hypothèse de tireurs français L’hypothèse que les tireurs auraient pu être des militaires membres

ou ex-membres de l’armée régulière française (en abrégé : “hypothèse de tireurs français”) a été suggérée, voire soutenue, par des journalistes et enquêteurs depuis 1994. Les sources qu’ils citent sont essentiellement belges  : elles proviennent entre autres de Colette Braeckman, Filip Reyntjens, Guy Artiges, Guy Theunis. Ces derniers eux-mêmes ne fournissent que peu de détails sur l’identité de leurs sources, qui peuvent

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être par exemple des témoins rwandais, des policiers belges ou des membres des services secrets belges.

Cette hypothèse a plusieurs variantes. L’une d’elles peut se résumer comme suit. L’avion aurait été abattu par deux militaires français. Ceux-ci feraient partie du détachement d’assistance militaire et d’instruction au Rwanda. Ils seraient membres du Premier Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine (1er RPIMa), qui est une des forces spéciales françaises. A ce titre, ils opéreraient avec un pseudonyme, en l’occurrence un prénom dont l’initiale est en général celle du nom de famille réel. Ainsi, le colonel Tauzin, qui dirige le 1er RPIMa à l’époque, a comme pseudonyme “Thibaut”.

Le premier de ces tireurs serait le sergent-chef Pascal Estevada (qu’on trouve parfois incorrectement orthographié “Estrevada”, “Estavada” ou “Estevan”), alias “Etienne”. Celui-ci arrive à Kigali pour quatre mois le 24 novembre 1993, à une époque où les troupes françaises préparent leur départ du Rwanda. Estevada aurait dit au juge français Bruguière, qui enquêtait sur l’attentat, qu’après quelques jours, le 4 décembre 1993, il serait reparti du Rwanda pour la France, puis pour le Burundi où il aurait été du 16 mars au 17 juillet 1994. Il aurait été vu au Rwanda en mars-avril 1994.

Le second de ces tireurs serait l’adjudant Claude Ray, alias “Régis”. Il arrive à Kigali le 7 décembre 1993, une semaine avant que les troupes françaises ne partent du Rwanda. Lui aussi a une mission prévue pour durer quatre mois, c’est-à-dire en principe jusqu’au 7 avril 1994. Il serait basé à l’Etat-Major des Forces Armées Rwandaises. Il aurait été présent à Kigali le 6 avril 1994.

L’hypothèse de décideurs français L’hypothèse que la décision ait été prise par de hauts responsables

civils et/ou militaires français (en abrégé  : “hypothèse de décideurs français”) a été soulevée entre autres de façon spéculative, par la coïncidence de dates avec un évènement survenu presque au même moment à l’Elysée.

Le 7 avril 1994 au soir, François de Grossouvre est retrouvé mort par balle (officiellement, c’est un suicide) dans son bureau proche de celui du président Mitterrand. Grossouvre a été un intime de Mitterrand, tour à tour son financeur occulte, son confident et le protecteur de ses amours. Grossouvre a fait l’intermédiaire entre Mitterrand et divers

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milieux : par exemple avec les milieux d’affaires et industriels ; avec les services secrets ; et avec des responsables étrangers, en particulier dans plusieurs pays africains dont le Rwanda.

Le lien entre Grossouvre et le régime rwandais passait entre autres par le capitaine Barril. Cet ex-militaire français s’est fortement impliqué dans le dossier rwandais avant et pendant le génocide des Tutsis. Il est actuellement lui-même visé par une plainte pour complicité de génocide.

Selon Colette Braeckman, en apprenant l’attentat Grossouvre se serait exclamé : « Les cons, ils n’auraient tout de même pas fait ça  ». Cette phrase est ouverte à de multiples interprétations.

pourquoi cet article ? Il ne s’agit pas ici de prouver une hypothèse en excluant les autres.

La question posée est précise : l’hypothèse de tireurs et/ou de décideurs français est-elle cohérente, et donc mérite-t-elle d’être examinée au même titre que les autres  ? La méthode proposée ci-dessous pour y répondre consiste à recouper des textes émanant d’officiers français et des documents militaires françaises publics.

2 - la poSSibilité matérielle

Missions, compétences et équipement Qu’est-ce que les forces spéciales, et quel est leur rôle ? Elles réalisent

tout type d’opération que ne réalisent pas les armées conventionnelles. Selon le commandant de Saint-Quentin, les forces spéciales ont une action indirecte, destinée à user l’adversaire et à lui interdire de concentrer ses efforts sur l’action principale1. Elles ont des modes d’action inhabituels [pour atteindre] des objectifs stratégiques très sensibles2. Munies de moyens de transmission très perfectionnés et d’un armement léger, elles accomplissent des missions derrière la ligne de front : destruction d’installation, sabotage, secours ou libération3.

1 Saint-Quentin/ 1999/ Défense Nationale p. 61.2 Lafourcade/ 2010/ livre p. 68.3 Lanxade/ 2001/ livre p. 333.

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Qui sont les membres des forces spéciales  ? Pour le général Lafourcade, c’est l’élite de l’armée française4. Deux officiers qui les ont dirigées soulignent la qualité exceptionnelle du personnel des unités, fruit d’une sélection et d’un entraînement très rigoureux5 en expliquant : Ce sont des gens qui ont un ego surdimensionné  ! [Ils] sont un peu “addicts” à la prise de risque6.

Officiellement, les opérations des forces spéciales dans une totale discrétion7 sont distinctes des opérations “clandestines” (faites en civil sous une fausse identité) des services secrets8. En réalité les forces spéciales ont des pseudonymes, elles peuvent aussi agir en civil9 et clandestinement10.

Alors, quelle est leur différence avec les services secrets ? C’est surtout qu’elles opèrent au profit d’un chef militaire11 plutôt que du gouvernement. Comme l’explique le colonel Poncet, elles sont placées directement à la botte12 du chef d’Etat-Major des armées, sans intermédiaire.

Le commandant Hagrouri insiste sur cette prééminence donnée au militaire sur le civil : les forces spécials sont peu préoccupées du respect des Droits de l’Homme et de l’autorité civile et ont une idéologie sceptique envers toute autorité autre que militaire13. Elles sont issues des troupes coloniales qui avaient activement participé au putsch d’Algérie en 1961, ce qui leur avait valu une disgrâce de trente ans ; avec la chute du mur de Berlin, les forces spéciales reviennent à la mode14. L’amiral Lanxade, fort du soutien du président Mitterrand, est l’artisan de la création du Commandement des Opérations Spéciales, qui regroupe différentes forces spéciales.

4 Lafourcade/2010/livre p. 68.5 Saleun dans Micheletti/1999/livre, préface.6 Poncet dans Merchet/2010/livre p. 177.7 Lafourcade/2010/livre p. 68.8 Merchet/2010/livre p. 17.9 Poncet dans Merchet/2010/livre p. 180.10 Tauzin/2011/livre p. 50.11 Saint-Quentin/1999/Défense Nationale p. 62.12 Poncet dans Merchet/2010/livre p.  179. Voir aussi Saint-Quentin/1999/Défense

Nationale pp. 62, 66 ; Merchet/2010/livre pp. 12, 178, 179, 215 ; Tauzin/2011/livre pp. 64-66.

13 Hagrouri/2007/mémoire p. 44.14 Merchet/2010/livre pp. 11-12, 135-136, 232 ; Saint-Quentin/1999/Défense Nationale

pp. 64, 71.

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Le 1er RPIMa en fait partie. Tauzin explique qu’il a activement contribué à en faire un régiment de ”forces spéciales” attaché au SDECE, l’ancêtre de la DGSE, et que ses opérations sont en général clandestines [et] le plus souvent en Afrique15. En effet, le 1er RPIMa intervient dans des situations particulières hors de portée des forces conventionnelles16, selon son site officiel. Ses compétences incluent les opérations psychologiques, les actions en arrière des lignes ennemies, le sabotage17. Il a des tireurs d’élite spécialisés et il possède des lance-missiles anti-aériens18.

Cette dernière compétence est spécifique. L’un des types de missiles qui ont été évoqués à propos de l’attentat est le missile Mistral. L’amiral François Jourdier explique : Le Mistral est une arme de professionnel, il nécessite une formation qui se fait surtout sur simulateur étant donné le coût de la munition. En France la formation est dispensée au 54ème RA à Hyères. Les tireurs sont formés et entraînés sur simulateur et n’effectuent un tir réel qu’une fois par an sur cible télécommandée à partir de l’Ile du Levant ou du centre d’essais de Biscarosse. C’est une affaire de spécialiste et on ne peut envisager de former des tireurs sur le tas19.

* * *

En résumé, les forces spéciales donnent la prééminence au militaire sur le civil  ; elles sont sous contrôle direct de l’amiral Lanxade, chef d’Etat-Major des armées, plutôt que du gouvernement. Le 1er RPIMa, qui en fait partie, a des missions, des compétences hautement spécialisées, et des équipements, qui sont compatibles avec la réalisation de l’attentat contre l’avion.

15 Tauzin/2011/livre p. 50.16 1er RPIMa/site.17 COS/site.18 Micheletti/1999/livre p. 49.19 Jourdier dans Afrique réelle/2012 p. 16.

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La présence sur place Selon le colonel Tauzin, le 1er RPIMa est l’acteur militaire français

principal de cette guerre du Rwanda20. Quatre des officiers qui l’auront dirigé (Huchon 1984-1986, Rosier 1990-1992, Tauzin 1992-1994, Saint-Quentin 2004-2006) sont très fortement impliqués au Rwanda. Tauzin dit qu’il a eu à traiter de la guerre du Rwanda de manière quotidienne21. La majorité des instructeurs français sont du 1er RPIMa, et ce sont eux qui ont fait grossir l’armée rwandaise22.

Le 1er RPIMa est présent au Rwanda sans interruption de 1990 à 1994. En effet, les coopérants restés au Rwanda après le départ du gros des troupes françaises, fin 1993, sont encore présents au moment de l’attentat du 6 avril 1994. Ils sont sous la responsabilité du lieutenant-colonel Maurin, qui est un ancien du 1er  RPIMa23. Par ailleurs, un sous-officier du 1er  RPIMa est officiellement présent à Kigali à la même époque  : le major Pineau24, secrétaire de l’attaché de défense25 à l’ambassade de France.

* * *

Le 1er RPIMa a maintenu une présence à Kigali au moment de l’attentat.

Le lieu de départ des missiles D’après la DGSE, citée par le journaliste Philippe Brewaeys, le lieu

de départ des missiles qui ont abattu l’avion présidentiel était en bordure du camp militaire de Kanombe26. Le commandant de Saint-Quentin et des sous-officiers logeaient dans ce camp de l’armée rwandaise.

Entendu lors de l’instruction des juges français, à propos des détonations, Saint-Quentin indique  : Je me réfère à mon “catalogue”, dans la mesure où j’ai entendu pas mal de départs de coups dans ma vie. Je dirais entre 500 et 1000 mètres. C’était suffisamment proche

20 Tauzin/2011/MFL, 3ème minute.21 Tauzin/2011/LePoint.fr.22 Tauzin/2013/UNC.23 Tauzin/2011/livre p. 73.24 Cussac et Maurin/19 avril 1994, dans MIP/1998/annexe 8.2.25 Tauzin/2011/livre p. 90.26 DGSE, fiche n°18502/N du 11 avril 1994, citée dans Brewaeys/2013/livre p. 157.

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pour que je croie qu’on attaquait le camp. Brewaeys, qui rapporte cette information, explique avoir visité la maison de Saint-Quentin, située à l’intérieur du camp militaire de Kanombe. Il a mesuré avec une chaîne d’arpenteur la distance entre cette maison et la clôture du camp : elle est de 540 mètres environ27. Ce témoignage auditif de Saint-Quentin confirme donc l’information donnée par la DGSE.

Quel que soit le lieu de départ des missiles, les Français y ont accès. En effet, ils circulent librement sans encombre. Selon le ministère de la Défense français, les militaires français, dont le commandant de Saint-Quentin, peuvent se rendre auprès de la carcasse de l’avion dans le quart d’heure qui suit28. D’après la revue de l’armée de terre, même après le 6 avril, les soldats rwandais et les milices accueillent cordialement les Français29. L’amiral Lanxade explique que les militaires français ont été autorisés par les FAR à se poser dans la nuit du 8 au 9 avril à l’aéroport, qui passe aussitôt sous contrôle français30. Le médecin capitaine Milleliri raconte  : les milices tiennent les barrages, mais elles nous laissent facilement les franchir, relevant avant notre arrivée les troncs qui obstruent la chaussée tandis qu’un militaire rwandais nous fait un grand bonjour agrémenté d’un sourire de circonstance31.

* * *

L’armée française a la possibilité matérielle d’être présente à l’endroit d’où les missiles sont tirés.

L’expérience antérieure Le 1er  RPIMa a participé au renversement de Bokassa32 en

Centrafrique en 1979. Le colonel Rosier y a joué un rôle majeur33. Le colonel Tauzin y a aussi participé34.

27 Saint-Quentin 2011, dans Brewaeys/2013/livre p. 114.28 Ministère de la Défense, 7 juillet 1998, dans MIP/1998/annexe 6.D.10.29 Terre magazine/1994 p. 11.30 Lanxade/2001/livre p. 172.31 Milleliri/1997/livre p. 71.32 COS/site.33 Lafourcade/2010/livre p. 69.34 Tauzin/2011/livre p. 51.

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La France démet brutalement Bokassa, qui lui est fidèle, dès lors qu’il cesse d’être agréé. La France n’est pas appelée par des forces politiques locales ; elle peine à trouver un candidat présentable et motivé à mettre à sa place.

Ce coup d’Etat est réalisé en deux phases. Bokassa est d’abord renversé par un commando de spécialistes, qui sont discrètement évacués. Puis la seconde phase, disposant de moyens plus étoffés, a pour but de parachever la mise en place du nouveau président [...], réduire les résistances éventuelles et maintenir l’ordre35.

* * *

Le 1er RPIMa, les colonels Rosier et Tauzin ont l’expérience d’un coup d’Etat de la France contre un dictateur qu’elle a cessé d’agréer.

3 - leS informationS

Le renseignement En 1992-1993, selon le général qui les dirige, les services de

renseignement français [...] étaient parmi les mieux, voire les mieux informés de la situation au Rwanda36. Évoquant la période qui sépare le départ des troupes françaises, fin 1993, et le moment de l’attentat, en avril 1994, l’amiral Lanxade indique : En maintenant un détachement de coopérants militaires, nous disposons d’une capacité de renseignements qui se révélera extrêmement utile lorsque les événements se précipiteront à nouveau37.

Parmi ces militaires présents au moment de l’attentat, on trouve le lieutenant-colonel Maurin, destinataire à la fois des écoutes françaises et rwandaises38. Maurin se dit capable de trier l’intoxication et le reste39. Si l’on en croit ce que le colonel Bagosora explique au juge Bruguière, Maurin pouvait entrer quand il voulait où il voulait, y compris à l’État-

35 Troupes de marine/site.36 Heinrich, cité dans MIP/1998/rapport p. 159. Voir aussi Schmitt dans MIP/ 1998/

auditions.37 Lanxade/2001/livre p. 171.38 Péan/2005/livre p. 198. Voir aussi Lanxade/2001/livre p. 332.39 Maurin dans MIP/1998/auditions.

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Major rwandais, pour s’informer. Selon le général Quesnot, les Français interceptent les communications du FPR40.

Le sous-officier du 1er RPIMa présent à Kigali est chargé d’informer l’Elysée et l’Etat-Major français (donc le général Quesnot et l’amiral Lanxade). Au moment de l’attentat, il les prévient immédiatement. Sans en avoir le droit, il tient aussi informé immédiatement son chef, le colonel Tauzin41. Ce dernier se targue de connaître parfaitement la situation au Rwanda depuis le début42.

* * *

L’armée française est bien renseignée. Quel que soit l’auteur de l’attentat, il est vraisemblable que l’armée française en connaît l’identité, et a eu connaissance de ses préparatifs.

Les premières investigations Selon le ministère de la Défense français, les militaires français,

dont le commandant de Saint-Quentin, ont été les premiers à réagir à la chute du Falcon présidentiel à proximité du camp vers 20 h 30 ; l’officier et deux sous-officiers étaient sur les lieux à 20 h 4543. Les autres militaires étrangers n’ont pas été autorisés par les Rwandais à se rendre sur les lieux. Dès 21 h  30, Saint-Quentin fait un compte-rendu au lieutenant-colonel Maurin, qui le transmet au Centre opérationnel inter-armées à Paris44. Ce rapport essentiel n’a pas été publié45.

Saint-Quentin a probablement pu ramasser des pièces essentielles pour l’enquête, y compris des débris permettant de réaliser une enquête balistique sur les missiles, ou bien les «  boîtes noires  ». En effet, un document fourni par le ministère de la Défense à la Mission Parlementaire suggère que le type des missiles a été identifié d’après les débris de missiles retrouvés sur les lieux de l’attentat46. Par ailleurs, si l’on en croit le député Lefort, vice-président de la Mission Parlementaire, le

40 Quesnot dans CERI/1997/colloque p. 290.41 Tauzin/2013/UNC  ; Tauzin/2013/Méridien zéro  ; Tauzin/2013/Ircom, 34ème

minute ; Tauzin/2013, Aristote/22ème minute.. Voir aussi Tauzin/2011/livre p. 90.42 Tauzin/2013/Méridien zéro/23ème minute. Voir aussi Tauzin/2013/Ircom, 41ème minute.43 Ministère de la Défense, 7 juillet 1998, dans MIP/1998/annexe 6.D.10.44 Cussac et Maurin/19 avril 1994, dans MIP/1998/annexe 8.2.45 Reyntjens cité par MIP/1998/rapport p. 247.46 Fiche anonyme fournie par le ministère de la Défense, publiée dans MIP/1998/annexe 6.E.2.

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général Rannou aurait confirmé par écrit à la Mission la présence à bord du Falcon 50 des deux « boîtes noires » habituelles qui enregistrent, l’une les conversations de l’équipage, l’autre les paramètres de bord47.

Pourtant, l’armée française n’a produit aucun de ces objets. A la question de savoir si Saint-Quentin a trouvé des pièces intéressantes, le général Quesnot reste vague : Honnêtement je ne m’en souviens pas, je ne sais pas. Je sais qu’il y a des gens qui se sont rendus sur le terrain, mais je ne sais pas ce qu’ils ont trouvé. Honnêtement48.

* * *

L’armée française connaît les résultats des premières investigations et ne les publie pas. S’il existe des preuves matérielles qui incriminent l’auteur de l’attentat, quel qu’il soit, il est vraisemblable que ce soit l’armée française qui les aie en sa possession.

4 - deS motifS

Un motif Comme mentionné ci-dessus, le seul point sur lequel converge la

majorité des commentateurs de tous bords, c’est que les commanditaires de l’attentat étaient vraisemblablement opposés aux accords de paix d’Arusha.

Or plusieurs officiers français, qui ne veulent pas que l’armée française quitte le Rwanda, sont opposés à ces accords de paix. Le général Quesnot estime qu’ils sont trop déséquilibrés et qu’ils donnent un avantage exorbitant au FPR49. Même après le génocide des Tutsis, le colonel Rosier critique encore ce marché de dupes50. Interrogé à la radio en 2013, le colonel Tauzin confirme cette expression :

« - Des accords sont signés à Arusha, en Tanzanie, entre les deux factions, une sorte de paix armée à laquelle vous n’avez pas l’air de beaucoup croire, d’ailleurs ?

- Oh non !47 Rannou/15 juin 1998, citée par Lefort/2008/LNR, note 19.48 Quesnot 2012 dans Lorsignol/2013/film/18ème minute.49 Quesnot/29 avril et 2 mai 1994, dans Carle/archives. Voir aussi Quesnot dans

MIP/1998/auditions.50 Rosier dans Lugan/2005/livre p. 178.

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- Vous sentez que c’est un piège ? Un marché de dupes ?

- C’est complètement un marché de dupes ! C’est complètement un marché de dupes !51 »

Pour Tauzin, cet accord “de paix” (entre guillemets)52 est non seulement totalement irréaliste53 mais surtout scandaleux et ignoble54, voire un lâchage, une trahison55 qui a légitimé l’intrusion des milices FPR dans le pays56. En effet, dans le cadre des accords, le FPR stationne quelques centaines d’hommes à Kigali.

Il est à noter qu’officiellement, la France soutient les négociations de paix d’Arusha et les accords qui en sont issus. Cependant, ces négociations se déroulent en partie en langue rwandaise, et la France n’y envoie pas de diplomate de haut rang. Des officiers français y sont présents par moments, en particulier le colonel Delort57 et le lieutenant-colonel Robardey58, qui font partie des officiers fortement opposés au FPR. Après l’attentat, la France entérine la formation d’un gouvernement extrémiste hutu qui exclut le FPR, en violation des acords d’Arusha.

* * *

L’opposition de certains officiers aux accords d’Arusha les place parmi les personnes qui ont un motif de réaliser l’attentat.

51 Tauzin/2013/Méridien zéro, 32ème minute.52 Tauzin/2013/livre p. 73.53 Tauzin/2013/livre p. 61.54 Tauzin/2013/UNC, questions après la conférence.55 Tauzin/2013/livre p. 111.56 Tauzin/2011/Chemin de Mémoire.57 Sablière, 3 septembre 1992, dans MIP/1998/annexe 5.5.58 Robardey dans Afrique réelle/2012 p. 17.

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Un deuxième motif Le commandant Hagrouri, auteur d’un mémoire comparant les

forces spéciales françaises et américaines, explique que l’idéologie des forces spéciales méprise toute forme de faiblesse59. Justement, selon l’amiral Lanxade, le président Habyarimana donne l’impression d’une grande timidité60. Plus précisément, un an avant l’attentat, le ministre de la Défense français, Pierre Joxe, juge Habyarimana par son incapacité à mobiliser son armée, largement responsable du fiasco actuel61; le ministre de la Coopération estime que le Président Habyarimana est désorienté et à bout de souffle62, et ne semble plus à même de contrôler les extrémistes63 hutus ; selon le général Quesnot, la coalition qui soutenait le président Habyarimana est disloquée64.

Jean-Christophe Belliard, observateur pour la France aux négociations de paix, a indiqué à la Mission Parlementaire que la France souhaitait intégrer la CDR, c’est-à-dire les extrémistes hutus, dans le jeu politique, ce qui supposait qu’elle ait des responsabilités dans le gouvernement issu des accords ou, à défaut, au moins des députés à l’Assemblée nationale65. Durant le mois de mars 1994, Jean-Bernard Mérimée, ambassadeur de France à l’ONU, préside le Conseil de sécurité, qui travaille sur cette question. Mérimée y soutient la demande que le parti extrémiste hutu CDR soit intégré dans les institutions de transition. Quand il cède la présidence du Conseil de sécurité, le 5 avril 1994, Mérimée conclut en réaffirmant son soutien au CDR : La seule difficulté qui subsiste est la participation du CDR à l’Assemblée nationale transitoire. Nous nous sommes associés à l’appel [...] pour que cette formation politique participe au processus de réconciliation nationale66. Or selon Belliard, le 6 avril 1994, en Tanzanie, le Président Habyarimana ayant accepté que la CDR ne soit pas intégrée dans les institutions politiques nouvelles, il n’y avait donc plus d’obstacle à la mise en œuvre des accords67.

59 Hagrouri/2007/mémoire p. 44.60 Lanxade/2001/livre p. 162. 61 Joxe/26 février 1993, dans Carle/archives.62 Debarge, 3 mars 1993, dans Carle/archives.63 Debarge, 27 février 1993, cité dans MIP/1998/ auditions.64 Quesnot/1er avril 1993, dans Carle/archives.65 Belliard dans MIP/1998/auditions.66 Mérimée, 5 avril 1994, PV du Conseil de sécurité, p. 6.67 Belliard dans MIP/1998/auditions.

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L’État français et ses officiers ont un deuxième motif d’écarter le président rwandais, qui donne des signes de faiblesse. Il est prêt à partager le pouvoir avec le Front Patriotique Rwandais, qui veut le départ des militaires français  ; il accepte d’éloigner du pouvoir les extrémistes hutus, que la France soutient.

Un troisième motif Fin février-début mars 1993, seule l’intervention militaire française

empêche le FPR d’atteindre Kigali. La France souhaite que tous les Hutus du Nord et du Sud, de différents partis, s’unissent dans les combats et les négociations face au FPR. Le ministre français de la Coopération Marcel Debarge vient à Kigali et y appelle les Hutus à établir un “front uni”68. Le général Quesnot recommande au président Mitterrand de poursuivre ces pressions sur les autorités rwandaises pour qu’elles présentent un front unique69.

Le colonel Cussac estime difficile d’obtenir que le peuple rwandais et ses dirigeants opposent un front uni à l’envahisseur et se montre adepte de la stratégie du choc  : Seules les exactions de plus en plus nombreuses et de plus en plus odieuses commises par le FPR lors de son avance peuvent susciter le sursaut nécessaire70. Or, en avril 1994, le fait d’attribuer au FPR l’attentat contre l’avion crée le sursaut requis. Le gouvernement qui s’installe ensuite associe des Hutus de différentes régions en excluant le FPR : il viole ainsi les accords d’Arusha, ce qui n’empêche pas l’ambassadeur français de le déclarer recevable. En juin 1994, le colonel Rosier relève l’existence du front uni : La souffrance et les craintes suscitées par les succès militaires du FPR ont paradoxalement estompé les clivages politiques. [...] Si la situation militaire est grave la cohésion politique est une réalité71.

* * *

La France et ses officiers ont un troisième motif : celui de susciter un sursaut pour créer un front uni des Hutus, des différentes régions et de différents partis, contre le Front Patriotique Rwandais.

68 Pin, 3 mars 1993, dans Carle/archives.69 Quesnot, 3 mars 1993, dans Carle/archives.70 Cussac/1993/rapport p. 2.71 Rosier/1994/lettre.

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5 - l’état de préparation

Juste avant l’attentat L’amiral Lanxade devient chef d’État-Major des armées en 1991.

Evoquant sa nomination, il écrit : Désormais les opérations au Rwanda s’effectuent directement sous mon autorité72. Cependant l’attaché de défense au Rwanda est sous les ordres à la fois des ministères français de la Défense et de la Coopération : cette situation n’était pas sans poser des difficultés aux officiers titulaires de ce poste73, selon le général Varret. Comme l’explique Lanxade en 1998 à la Mission Parlementaire et en 2001 dans son livre, dès que se manifeste une tension susceptible de conduire au déclenchement d’opérations militaires74, il remplace temporairement l’attaché de défense, le colonel Cussac, par un officier (issu des troupes de marine) qu’il contrôle directement75. Cela permet à Lanxade de garder la main sur les opérations, sans dépendre du gouvernement. Comme il le précise, c’est arrivé deux fois pendant l’opération Noroît et une troisième fois lors de l’opération Amaryllis76. Examinons ces trois occasions.

Le premier remplacement de Cussac est cohérent avec les explications de Lanxade. L’opération Noroît est officiellement assez statique et loin des combats. Comme l’explique Lanxade  : Le 6 juin 1992, le FPR entreprend une large offensive77. Elle menace de mettre en déroute les FAR. Les forces spéciales du colonel Rosier, sous l’autorité de Lanxade, viennent au front tenir les FAR à bout de bras, officiellement sans participer aux combats. En pratique, leur aide est précise et se révèle militairement efficace.

En 1993, le second remplacement de Cussac est à nouveau conforme à ce que Lanxade explique. Suite à des massacres de Tutsis, le 8 février, le FPR lance une grande offensive. Il faut de nouveau renforcer Noroît et le faire basculer sous commandement direct de Lanxade78. Lanxade

72 Lanxade/2001/livre p. 166.73 Varret dans MIP/1998/auditions.74 Lanxade dans MIP/1998/auditions.75 Lanxade/2001/livre pp. 167-168.76 Lanxade dans MIP/1998/auditions.77 Lanxade/2001/livre p. 167.78 Lanxade/2001/livre p. 167.

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remplace Cussac par son envoyé particulier79 le colonel Delort, et explique que la liaison directe [avec] le colonel Delort et le rassemblement de tous les moyens sous une autorité unique ont été des facteurs essentiels de succès80. Au sein de l’opération Noroît (1990-1993), du 22 au 28 février 199381, une opération militaire a lieu au nord de Kigali. A l’époque elle est secrète, mais une fois retraité son chef, le colonel Tauzin, la raconte82. L’objectif est de sauver Kigali, arrêter le FPR83. Avec soixante-neuf hommes des forces spéciales84, Tauzin établit une hiérarchie parallèle à la hiérarchie rwandaise85, reprend en main l’armée rwandaise en déroute86 et rétablit la situation qui était totalement désespérée87.

Au contraire, le troisième remplacement de Cussac soulève des questions, si on le confronte aux explications données a posteriori par Lanxade. Quand Lanxade explique que le remplacement de Cussac s’est effectué à l’occasion de l’opération Amaryllis88, alors que se manifeste une tension susceptible de conduire au déclenchement d’opérations militaires89, il serait naturel d’en déduire que ce remplacement est postérieur à l’attentat, par exemple le 7 ou le 8 avril. Or le 6 avril 1994 au soir, lorsqu’a lieu l’attentat, Cussac est à Paris. Plus précisément, le 23 mars 1994, d’une phrase lapidaire qui n’indique pas de raison, Cussac annonce son rappel au ministre de la Défense rwandais  : Monsieur le Ministre, J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que je serai à Paris, rappelé par ordre par la Mission Militaire de Coopération, du 29 mars au 10 avril 1994. Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de ma respectueuse considération90. Par ailleurs, l’ambassade de France demande au ministère des Affaires Etrangères rwandais de

79 Tauzin/2011/livre p. 68.80 Lanxade/2001/livre p. 169. Voir aussi p. 170.81 MIP/1998/rapport pp. 111 et 164 ; Tauzin/ 2011/ livre pp. 62, 67-77 et 79.82 Tauzin/2011/livre pp. 61-88.83 Tauzin/2011/livre p. 64.84 Tauzin/2011, LePoint.fr. 85 Tauzin/2011/livre pp. 70, 71 ; Tauzin/2013/Méridien zéro/25ème min ; Tauzin/ 2013,

Ircom, 30ème minute.86 Tauzin/2011/livre p. 64.87 Tauzin/2011, LePoint.fr. 88 Lanxade dans MIP/1998/ auditions.89 Lanxade/2001/livre pp. 167-168.90 Cussac/23 mars 1994, dans France 3/1994.

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pouvoir le remplacer par le lieutenant-colonel Macé, du 1er RPIMa  : L’ambassade de France [...] a l’honneur de solliciter l’accréditation des autorités rwandaises pour le Lieutenant-Colonel Yves MACE en qualité d’Attaché de Défense près l’Ambassade de France à Kigali en remplacement du Colonel Bernard CUSSAC91. Cussac revient à Kigali le 9 avril, quand commence l’opération Amaryllis92. C’est donc le retour de Cussac à son poste, et non son remplacement, qui s’effectue à l’occasion de l’opération Amaryllis.

Par ailleurs, le 29 mars 1994, le général Quesnot écrit  : J’ai reçu le général Huchon à son retour du Burundi où il était en mission pour évaluer notre dispositif de coopération militaire93. Ainsi, dix jours avant l’attentat, Huchon a rencontré des coopérants militaires français, parmi lesquels pouvait se trouver Pascal Estevada.

* * *

Pourquoi et comment, le 23 mars, soit deux semaines avant l’attentat, l’amiral Lanxade prévoyait-il un regain de tension et la possibilité d’une opération militaire française ? Le général Huchon a-t-il rencontré Pascal Estevada dix jours avant l’attentat ?

Juste après l’attentat Le colonel Tauzin affirme que le gros des troupes du FPR, stationnées

dans le Nord du Rwanda, se seraient mises en route vers Kigali moins d’une demi-heure après l’attentat94. Selon lui, un tel mouvement de plus de dix mille hommes, qui demande une préparation longue95, serait une preuve que le FPR aurait été informé d’avance. Tauzin est contredit par le colonel Cussac, attaché de défense, qui annonce dans son rapport du 10 avril que c’est ce jour-là que le FPR se met en route96.

L’argument de Tauzin pourrait en partie être retourné contre lui. En effet, Tauzin et le général Quesnot se disent capables en moins de 24

91 Ambassade de France/23 février 1994, dans France 3/1994.92 MIP/1998/rapport p. 270.93 Quesnot/29 mars 1994, dans Carle/archives. 94 Tauzin/2013/Méridien zéro, 33è minute  ; Tauzin/2013/ livre p.  69  ; Tauzin/2013,

UNC ; Tauzin/2013, Ircom, 34ème minute.95 Tauzin/2013, Ircom, 34ème minute.96 Cussac/10 avril 1994, dans MIP/1998/rapport p.  271  ; ordre de conduite n°2

d’Amaryllis/10 avril 1994, dans MIP/1998/rapport p. 267.

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heures97 d’envoyer de France des forces spéciales. Tauzin affirme que, juste après l’attentat, il décide spontanément de mettre son régiment en alerte, absolument persuadé que nous allions partir dans la nuit, au plus tard le lendemain matin98. Il estime qu’il aurait pu arriver à Kigali dès le 7 avril au matin99.

Certes, la rapidité de réaction des forces spéciales est normale  : intervenir par avion en peu de temps et à grande distance fait partie de leurs spécialités. Ce qui est notable, c’est que Tauzin ne paraît pas pris au dépourvu. Il explique dans son livre que, dès le soir de l’attentat : Presque instinctivement se déroulent dans mon esprit les composantes de l’opération que je suis persuadé d’avoir à commander dans moins de 24 heures100. Il a à l’esprit tous les détails de cette opération, comme on le verra ci-dessous.

* * *

Tauzin et Quesnot ne sont pas pris au dépourvu par l’attentat. Les forces spéciales sont immédiatement en alerte et prêtes à intervenir dans les heures qui viennent, suivant un scénario qui est immédiatement précisé.

5 - leS optionS militaireS aprèS l’attentat

Comme on le verra ci-dessous, il est utile, pour éclairer l’étude de l’hypothèse de tireurs et décideurs français, d’analyser les détails de l’opération envisagée par le colonel Tauzin le 6 avril au soir :

Nous préparons donc le maximum d’hommes (ce qui, pour le 1er RPIMa, ne fait jamais de gros effectifs en comparaison de ce que d’autres unités, comme le 8e RPIMa, peuvent mettre sur pied) pour une opération très dure avec probable parachutage sur Kigali, en compagnie, nous le pensons sérieusement, d’au moins un autre régiment parachutiste car il y a des unités FPR dans Kigali même...

Selon nous, cet autre régiment recevra la mission de protéger les ressortissants étrangers au Rwanda, éventuellement de les évacuer, de

97 Tauzin/2011/livre p. 91 ; Quesnot, 7 avril 1994, dans Carle/archives. 98 Tauzin/2013, Ircom, 35ème minute  ; Tauzin/2013, UNC  ; Tauzin/2013/Méridien

zéro ; Tauzin/2013, Aristote/23ème minute. Voir aussi Tauzin/2011, LePoint.fr et Tauzin/2011/livre p. 90.

99 Tauzin/2011/livre p. 106. 100 Tauzin/2011/livre p. 91.

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tenir l’aéroport, sécuriser Kigali. Il devra aussi préparer l’arrivée des effectifs français nécessaires pour faire cesser le plus vite possible les massacres qui ne manqueront pas de se propager très rapidement, et pour empêcher les unités FPR de Kigali de réagir.

Quant à nous, une fois de plus mais dans des conditions nettement plus difficiles que l’année précédente, nous devrons reprendre le contrôle de la situation. Presque instinctivement se déroulent dans mon esprit les composantes de l’opération que je suis persuadé d’avoir à commander dans moins de 24 heures : prendre le contrôle de l’état-major des FAR à Kigali et celui des unités rwandaises, en commençant par celles qui, au nord de la capitale, vont recevoir le choc du FPR ; faire une “tournée des popotes” pour regonfler le moral des FAR qui doivent être totalement désemparées ; constituer très rapidement une réserve stratégique pour déclencher au plus tôt une contre-offensive visant au moins à arrêter le FPR, etc...

Mais sans doute cette fois-ci devrai-je, non pas accoler une hiérarchie française parallèle à celle des FAR, mais prendre directement le contrôle de cette armée !101

L’état d’esprit du colonel Tauzin est analysé ci-dessous, et confronté à d’autres sources militaires. Cette parenthèse un peu longue permettra ensuite de tenter d’éclairer les motivations des différentes options débattues par les autorités françaises juste après l’attentat.

Est-il prioritaire d’évacuer les ressortissants ? Le colonel Tauzin rapporte ce qu’il avait en tête en ce mercredi 6

avril 1994 : Selon nous, cet autre régiment recevra la mission de protéger les ressortissants étrangers au Rwanda, éventuellement de les évacuer, de tenir l’aéroport, sécuriser Kigali102. Autrement dit, l’évacuation des ressortissants n’est encore qu’une éventualité : leur protection est déjà envisagée, mais c’est une opération secondaire, la principale étant celle que Tauzin prévoit de diriger pour stopper le FPR.

Le jeudi 7 avril 1994, le général Quesnot précise au président Mitterrand  : Les ressortissants français (450 à Kigali) ne semblent pas menacés dans l’immédiat103. Ce même jour, lors de la première réunion de

101 Tauzin/2011/livre pp. 91-92.102 Tauzin/2011/livre p. 91.103 Quesnot, 7 avril 1994, dans Carle/archives.

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crise, il est indiqué : Les ressortissants français ne sont pas menacés et aucune évacuation n’est envisagée. François Mitterrand donne des instructions pour que l’ambassade de France accueille madame Habyarimana et sa famille si elle le souhaite104. La possibilité d’une évacuation des Français est ainsi mentionnée pour préciser qu’elle est inutile.

En ce même 8 avril, Quesnot écrit à Mitterrand, à propos de l’opération Amaryllis qui va commencer le samedi 9 avril au matin  : Il s’agit d’une phase technique visant à contrôler la plate-forme aéroportuaire. A ce stade, il n’est pas question d’évacuation générale de la communauté française105.

Le chercheur Olivier Lanotte a réalisé à ce sujet des entretiens avec Quesnot et d’autres responsables français. Selon le résumé qu’en fait Lanotte, il en ressort qu’encore le 8 avril au soir, lors d’un conseil restreint du gouvernement, Quesnot aurait préconisé « une intervention plus ambitieuse de l’armée française afin de protéger ou évacuer la communauté étrangère, de stabiliser les FAR de l’intérieur, de rétablir l’ordre à Kigali, et de s’interposer entre les belligérants de manière à stopper l’offensive du Front Patriotique106  ». De même que Tauzin107, Quesnot anticipe l’offensive du FPR qui ne commence que deux jours plus tard108. L’évacuation est encore mentionnée comme une simple possibilité, en même temps que d’autres objectifs.

Ce n’est que le samedi 9 avril que les autorités françaises recommandent fermement [à leurs] ressortissants de quitter le pays et commencent à les évacuer dans l’après-midi, avec des membres de la famille du président Habyarimana109.

* * *

Le 6, le 7, et encore le 8 avril, l’évacuation des ressortissants français n’est pas l’objectif principal de l’armée française. En préparant Amaryllis, elle a donc d’autres objectifs.

104 Péan/2005/livre p. 289.105 Quesnot, 8 avril 1994, dans Carle/archives.106 Lanotte/2006/livre p. 346.107 Tauzin/2011/livre p. 91.108 Cussac/10 avril 1994, dans MIP/1998/rapport p. 271  ; ordre de conduite n°2

d’Amaryllis/ 10 avril 1994, dans MIP/1998/ rapport p. 267.109 Quesnot, 9 avril 1994, dans Carle/archives.

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Que signifie « reprendre le contrôle de la situation » à Kigali ? Dans son livre, le colonel Tauzin explique que, le 6 avril au soir,

à Bayonne, il envisage un parachutage sur Kigali pour reprendre le contrôle de la situation110. Il attend alors en vain un ordre de partir au Rwanda.

Peu après, le 7 avril vers 16 heures, à Kigali, le lieutenant-colonel Maurin et l’ambassadeur Marlaud vont rencontrer le colonel Bagosora. Ce colonel rwandais est souvent présenté comme l’homme fort des extrémistes hutus. Maurin et Marlaud, selon ce qu’explique ce dernier à la Mission Parlementaire, demandent à Bagosora de reprendre le contrôle de la situation111. Que cette expression soit utilisée a posteriori à la fois par à Kigali et à Bayonne, distants de 6 000 km, suggère qu’elle a pu correspondre à l’époque à un objectif important aux yeux des autorités françaises. Qu’est-ce que ces termes reflètent, dans l’esprit de Tauzin ?

Si l’on en croit le texte ci-dessus, Tauzin envisage pour son régiment, petit mais très investi au Rwanda, une opération très dure : un parachutage sur Kigali. Selon lui, cette opération est explicitement dirigée contre le FPR, puisqu’il justifie la nécessité d’un deuxième régiment parachutiste par la présence d’unités FPR dans Kigali même. L’autre régiment devra empêcher les unités FPR de Kigali de réagir. Tauzin et son régiment, lui, devront prendre le contrôle de l’état-major des FAR à Kigali et celui des unités rwandaises, en commençant par celles qui, au nord de la capitale, vont recevoir le choc du FPR ; faire une “tournée des popotes” pour regonfler le moral des FAR qui doivent être totalement désemparées ; constituer très rapidement une réserve stratégique pour déclencher au plus tôt une contre-offensive visant au moins à arrêter le FPR, etc...112

Le 7 avril, le général Quesnot expose au président Mitterrand son analyse de la situation : Si l’attentat était d’origine FPR, il pourrait s’agir des prémisses d’une action de plus grande ampleur en vue de la prise de pouvoir à Kigali.

Dans cette hypothèse, les forces armées rwandaises seraient en mesure de contrôler la ville en contenant le bataillon FPR et les éléments infiltrés mais seraient incapables de tenir le nord du pays d’où pourrait

110 Tauzin/2011/livre p. 91. 111 Marlaud dans MIP/1998/auditions. 112 Tauzin/2011/livre pp. 91-92.

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repartir une nouvelle offensive FPR avec un fort soutien logistique ougandais113.

Cela explique pourquoi le 8 avril au soir, si l’on en croit Lanotte, Quesnot aurait proposé à nouveau « de stabiliser les FAR de l’intérieur, de rétablir l’ordre à Kigali, et de s’interposer entre les belligérants de manière à stopper l’offensive du Front Patriotique114 ».

* * *

Après l’attentat, le général Quesnot et le colonel Tauzin soulignent l’importance de reprendre le contrôle de la situation à Kigali. En pratique, selon Tauzin, cela consiste en un parachutage sur Kigali, une opération très dure pour soutenir les Forces Armées Rwandaises contre le Front Patriotique Rwandais.

Le parallèle avec les opérations antérieures Les explications fournies par le colonel Tauzin établissent un

parallèle clair avec l’opération qu’il a déjà conduite en 1993 pour repousser le FPR. La démarche est exactement la même, à commencer par la « tournée des popotes » pour remonter le moral des FAR115. La notion de « réserve stratégique » faisait référence en 1993 à une force d’environ 3 000 hommes116.

La « contre-offensive visant au moins à arrêter le FPR » fait écho au coup d’arrêt donné par Tauzin au FPR en 1993, et à la contre-offensive dont Tauzin rêvait pour faire complètement partir le FPR du Rwanda117. La seule différence selon lui est qu’en 1994, il devra aller plus loin qu’en 1993 : Sans doute cette fois-ci devrai-je, non pas accoler une hiérarchie française parallèle à celle des FAR, mais prendre directement le contrôle de cette armée !118

Le colonel Jean Balch a participé à l’opération Amaryllis, et il

113 Quesnot, 7 avril 1994, dans Carle/archives.114 Lanotte/2006/livre p. 346.115 Tauzin/2013/Méridien zéro/25ème minute. Voir aussi Tauzin/2013, Ircom, 32ème

minute.116 Tauzin/2011/livre p. 78. 117 Tauzin/2011/livre pp.  78-79  ; Tauzin/2013/Méridien zéro, 31ème minute  ;

Tauzin/2013, Ircom, 32ème minute.118 Tauzin/2011/livre pp. 91-92.

88 La Nuit rwaNdaiSe • Numéro 8 • 20 aNS ça Suffit - fraNçoiS graNer - L'atteNtat du 6 avriL 1994

regrette que l’ambassade de France ait été fermée si vite. Il explique à la Mission Parlementaire: Il aurait suffi de très peu de choses (quelques conseillers militaires français) pour que l’on assiste à un renversement de la situation. Juin 1992 et février 1993 auraient parfaitement pu être “rejoués” en avril 1994119.

* * *

Les colonels Tauzin et Balch établissent explicitement le parallèle entre le soutien déjà apporté par la France aux Forces Armées Rwandaises dans les années antérieures, et le soutien qu’ils souhaitent que l’armée française fournisse à nouveau aux FAR après l’attentat du 6 avril 1994.

6 - leS choix politiqueS Afin d’éclairer les motivations des options débattues par les

autorités françaises juste après l’attentat, il est utile d’analyser le paragraphe suivant, extrait du livre de l’amiral Lanxade, chef d’Etat-Major des armées. Lanxade y justifie que l’opération Amaryllis, du 9 au 14 avril 1994, n’ait été qu’une opération d’évacuation :

Plus tard, on reprochera à notre pays de ne pas avoir mis à profit l’opération Amaryllis pour s’interposer dans le génocide rwandais. Trois éléments permettent de répondre à cette critique. Le tout premier est que nous n’avions pas, alors, d’informations sur un début des massacres. Au moment où nos troupes intervenaient, les combats entre les deux factions étaient violents et avaient, certes, des conséquences sur les populations civiles mais la perception d’un génocide ne s’est faite que quelques jours plus tard. Ensuite, les moyens déployés avaient été exactement dimensionnés pour l’opération d’évacuation. L’exécution d’une mission d’interposition ou de contrôle du territoire rwandais encore sous la dépendance des FAR aurait demandé un engagement d’effectifs beaucoup plus lourds - comme l’opération Turquoise le montrera. Enfin, s’il avait pu être imaginé, le maintien sur place de nos unités aurait été compris, par ceux qui se sont opposés à notre politique dans ce pays, comme une intervention en faveur du camp hutu. [...] Il est tout à fait clair avec le recul que nous ne disposions ni des informations ni des moyens pour suggérer une autre politique aux responsables français120.

119 Balch cité dans MIP/1998/rapport p. 277.120 Lanxade/2001/livre p. 174.

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Les étapes du raisonnement de l’amiral Lanxade sont analysées ci-dessous, et confrontées à d’autres sources militaires.

Nous n’avions pas, alors, d’informations sur un début des massacres. Le vendredi 8 avril 1994, l’ordre d’opération d’Amaryllis, non

publié à l’époque, mentionne des actions que les membres de la Garde Présidentielle mènent à partir du 7 avril au matin :

- attaque du bataillon FPR,

- arrestation et élimination des opposants et des Tutsis,

- encerclement des emprises de la Minuar et limitation de ses déplacements121.

Cela montre que l’armée française est informée de ce que les militaires rwandais attaquent directement les bases des accords de paix. En effet, ces actions visent : le Front Patriotique ; les Casques bleus de la Minuar (dont dix soldats belges sont assassinés) ; ainsi que les Hutus opposés aux massacres ou favorables aux accords (plusieurs ministres dont la Première Ministre sont assassinés).

Par ailleurs, bien que le terme de génocide ne soit pas employé explicitement, l’« élimination » des Tutsis montre que l’armée française est informée des actions génocidaires des FAR. Cela contredit Lanxade, qui affirme que « nous n’avions pas, alors, d’informations sur un début des massacres » et que « la perception d’un génocide ne s’est faite que quelques jours plus tard ». Selon le journaliste Philippe Brewaeys, les services secrets militaires français (DGSE) confirmeront d’ailleurs trois jours plus tard que : Ces liquidations n’épargnent ni les femmes ni les enfants122.

L’armée française identifie précisément dès le 8 avril qui sont les tueurs : les extrémistes hutus, les FAR ; et qui sont les victimes : les Tutsis visés en tant que tel, et les Hutus opposés aux massacres. Elle présente séparément les attaques de la Garde Présidentielle menées contre le FPR, contre les opposants et contre les Tutsis: elle est donc en mesure de distinguer la guerre, le coup d’Etat et le génocide. Ultérieurement, le capitaine Thierry Jouan, du service “Action” de la DGSE, confirme

121 Ordre d’opération d’Amaryllis, 8 avril 1994, dans MIP/1998/annexe 8.1.122 DGSE, fiche n°18502/N du 11 avril 1994, dans Brewaeys/2013/livre p. 157.

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dans son livre (en utilisant des pseudonymes transparents, remis ici en clair) ces précisions sur les auteurs et victimes du génocide des Tutsis, en soulignant qu’il a été planifié :

L’attentat sert de prétexte au déclenchement des tueries et d’une extermination qui, dès le lendemain, éclatent simultanément dans la capitale Kigali, dans le Sud, l’Est et le Nord du pays. Elles sont conduites par des extrémistes hutus, des miliciens Interahamwe de l’ex-parti unique du président et des soldats des Forces Armées Rwandaises (FAR). Ils ont pour mission d’éliminer méthodiquement les “inkotanyi-inyenzi”, les Tutsis “cafards” (sobriquet infamant donné aux Tutsis depuis une trentaine d’années) et l’opposition hutue modérée, avec des listes de noms à l’appui, constituées grâce aux cartes d’identité instaurées à l’époque coloniale mentionnant l’appartenance ethnique des communautés. La simultanéité, la violence et l’ampleur des massacres attestent de leur planification de longue date123.

La quasi-totalité des Français, qui n’a pas accès aux informations internes de l’armée, perçoit à l’époque la situation comme confuse. Lanxade joue sur cette confusion, et contribue à masquer le génocide des Tutsis, lorsqu’il écrit en 2001 que « les combats entre les deux factions étaient violents et avaient, certes, des conséquences sur les populations civiles ».

* * *

Quand l’opération Amaryllis est déclenchée, l’armée française est déjà informée des massacres à caractère génocidaire visant les Tutsis.

[Il aurait fallu] des effectifs beaucoup plus lourds. Plusieurs officiers contredisent l’affirmation de l’amiral Lanxade

au sujet des effectifs nécessaires. Le général Lafourcade explique  : la situation m’aurait sans doute poussé à me battre, même avec très peu d’hommes [...] Il fallait agir dès le lendemain de l’attentat, essayer alors de neutraliser les miliciens et les génocidaires124. Le général Quesnot125 et

123 Jouan/2012/livre pp. 186-187.124 Lafourcade/2010/livre pp.  126-127. Voir aussi Lafourcade/2009, TV5 monde  ;

Tauzin/2011/livre p. 106.125 Quesnot/29 avril 1994, dans Carle/archives.

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le colonel Tauzin126 confirment que l’effectif requis aurait été raisonnable : Avec 1  500 hommes, nous pouvions tout arrêter127. Lafourcade révise cette estimation encore plus à la baisse : un officier français responsable de 250 personnels de l’ONU n’aurait pas laissé se dérouler des massacres sous ses yeux à partir du moment où il avait des hommes armés avec lui128. Or l’opération Amaryllis dispose de cet effectif, puisqu’elle envoie 464 hommes, essentiellement des troupes d’élite129.

Tauzin affirme que si le 1er RPIMa avait sauté sur Kigali le 7 avril 1994, il aurait empêché les massacres : [Amaryllis] a été pour évacuer les ressortissants, pas pour éviter le bain de sang. [Nous] on aurait arrêté le bain de sang, au prix de 5 000 morts130.

Dans son livre, il précise son point de vue : Il est totalement certain que, si des soldats français étaient restés au Rwanda, ce génocide n’aurait pas eu lieu. Bien sûr, des massacres se seraient déroulés, sans cependant prendre cette ampleur désastreuse, mais les soldats français n’auraient même pas attendu les ordres pour s’interposer, mettre les massacreurs hors d’état de nuire et protéger tous ceux qui étaient menacés131.

Ailleurs dans le même livre, il développe la même idée, en terminant avec une précision supplémentaire  : Il était militairement et politiquement évident que notre intervention immédiate était absolument nécessaire, si nous voulions faire cesser les massacres avant qu’ils ne prennent une dimension apocalyptique, et pour faire cesser les combats, qui ne pouvaient qu’attiser les massacres132.

* * *

Si l’on en croit des officiers français, il semble qu’il était techniquement possible de protéger les civils.

126 Tauzin/2013, UNC, questions après la conférence.127 Quesnot dans Le Point/1998.128 Lafourcade dans Radio-Courtoisie/2006/26ème minute. Voir aussi Lafourcade/2009,

TV5 monde.129 MIP/1998/rapport p. 270.130 Tauzin/2013, UNC, questions après la conférence. Voir aussi Tauzin/2011,

Libération.fr ; Tauzin/2013, Aristote/23ème minute.131 Tauzin/2011/livre p. 106.132 Tauzin/2011/livre p. 92.

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Le maintien sur place de nos unités aurait été compris [...] comme une intervention en faveur du camp hutu.

La convention contre le génocide impose à chacun d’intervenir, contre les extrémistes hutus qui commettent le génocide des Tutsis, et en faveur des civils Tutsis menacés. Comme l’explique le général Germanos, le FPR reprend les hostilités [...] en invoquant la défense des populations tutsies massacrées133. Pourquoi alors l’amiral Lanxade estime-t-il qu’une mission française d’interposition aurait pu être interprétée comme une aide au « camp hutu » ?

Il n’y a apparemment aucune indication de ce que des officiers français aient souhaité se joindre aux Casques bleus pour arrêter les massacres de Tutsis. Au contraire, l’opération Amaryllis est déclenchée sans prévenir le secrétaire général de l’ONU, qui ne sera informé de l’opération qu’au moment de son exécution134. Elle ne se joint pas non plus aux Belges et Italiens qui évacuent leurs ressortissants : il n’a pas été possible de monter une opération commune, l’explication invoquée par Lanxade étant que les processus de décision sont différents dans chaque pays135.

Quand Lanxade indique que le but d’Amaryllis aurait pu être le « contrôle du territoire rwandais encore sous la dépendance des FAR », cette phrase ambiguë ne précise pas si c’est pour empêcher les FAR de commettre, dans la zone sous leur contrôle, le génocide des Tutsis.

Cette ambiguité est clairement levée par d’autres officiers expliquant comment ils envisagent de faire cesser les massacres. Comme on l’a vu, les colonels Tauzin et Balch établissent explicitement le parallèle entre le soutien déjà apporté par la France aux FAR dans les années antérieures, et le soutien qu’ils souhaitent que l’armée française fournisse à nouveau aux FAR après l’attentat du 6 avril 1994.

Tauzin écrit  : La France a manqué ce 7 avril 1994 la deuxième occasion qui s’est offerte à elle d’empêcher le génocide136. Quelle était cette première occasion à laquelle il fait allusion ? Encore une fois, Tauzin établit le parallèle entre ce qu’il voudrait réaliser en 1994, et ce qu’il a effectivement vécu en février 1993. Il affirme qu’il aurait dû prendre

133 Germanos/22 juin 1994, dans MIP/1998/annexe 9.C.1.134 Quesnot, 8 avril 1994, dans Carle/archives.135 Lanxade/2001/livre pp. 173-174.136 Tauzin/2011/livre p. 92 ; Tauzin/2013, Aristote.

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l’initiative de chasser le FPR du Rwanda, voire même d’éliminer son chef Kagamé, quand il le pouvait, en février 1993. Tauzin explicite ce lien : Il y a une relation de cause à effet que je crois, peut-être pas directe, mais très forte, entre cette attitude française en février-mars 1993, et le génocide. Parce que si on m’avait laissé ramener Kagamé de l’autre côté, d’ailleurs peut-être même qu’on l’aurait tué, ça n’aurait pas été une perte pour le monde, et puis ensuite il aurait été tellement dévalorisé, que pour repartir à la conquête du Rwanda, il aurait pu s’accrocher137.

Puisqu’en 1993, il n’a pas chassé et mis hors de combat le FPR et Kagamé, Tauzin annonce : le chef d’Etat-Major des FAR, tué dans l’avion présidentiel le 6 avril 1994, me devait un peu sa mort prématurée138. Il complète  : A partir de l’été 94, après Turquoise, je dirais que j’en ai cauchemardé pendant des années, parce que je me suis senti quelque part responsable de ce génocide139.

Ces phrases, qui sont analysées plus en détail ci-dessous, illustrent l’importance extrême que Tauzin accorde à l’intervention française en soutien à l’armée rwandaise, tant pour maintenir la présence française au Rwanda, que pour empêcher les massacres. Ce point de vue apparaît dans de nombreuses déclarations d’officiers selon qui les massacres seraient dûs au FPR, donc chasser militairement le FPR ferait cesser les massacres : selon ces officiers, le désengagement de la France en 1993 avait ouvert la voie de la victoire militaire au FPR et laissé s’établir les conditions favorables au génocide140.

* * *

Selon certains officiers français, pour faire cesser les massacres, il faudrait combattre le Front Patriotique Rwandais et non les extrémistes hutus. Il existe une continuité entre l’intervention militaire française pendant la guerre civile, en particulier en février 1993, et l’opération que ces officiers souhaitent mener en avril 1994.

137 Tauzin/2013, Ircom, 51ème minute.138 Tauzin/2011/livre p. 82.139 Tauzin/2013/Méridien zéro, 32ème minute.140 Tauzin/2011/livre p.  184. Voir aussi Tauzin/2011, LePoint.fr  ; Tauzin/2011/

livre p.  179  ; Lanxade dans MIP/1998/auditions  ; Robardey dans France-Rwanda/2007, colloque p.  13 et au cours des débats p.  32  ; Hogard dans Radio Courtoisie/2006/ 20ème minute. Voir aussi Lanxade/2001/livre p.  170, Huchon dans Adelman&Suhrke/2000/livre.

94 La Nuit rwaNdaiSe • Numéro 8 • 20 aNS ça Suffit - fraNçoiS graNer - L'atteNtat du 6 avriL 1994

[Nous ne pouvions pas] suggérer une autre politique aux responsables français

Les extrémistes hutus et les FAR, aidés de miliciens, violent les accords de paix et déclenchent le génocide des Tutsis. On pourrait imaginer que les débats entre les responsables français auraient pu porter sur trois options :

- Protéger les civils tutsis victimes des massacres ;

- Evacuer les ressortissants français en restant neutres ;

- Soutenir les extrémistes hutus.

La décision qui est prise en pratique est la deuxième option. L’ordre de mission de l’opération Amaryllis, le 8 avril 1994, spécifie : Le détachement français adoptera une attitude discrète et un comportement neutre vis-à-vis des différentes factions rwandaises141. Cette neutralité a souvent été reprochée à Amaryllis par les défenseurs de la première ou de la troisième option.

Qui a pris cette décision ? En avril 1994, il y a cohabitation entre le président Mitterrand, du parti socialiste, et le Premier ministre Balladur, du parti gaulliste, qui dispose d’une majorité écrasante de députés. Le conseil des ministres peut être précédé par un comité restreint, à Matignon, et suivi d’un conseil restreint, à l’Elysée. Du 7 au 10 avril 1994, le Premier ministre est en voyage en Chine, accompagné de plusieurs ministres. Si l’on en croit Lanotte, la troisième option, l’intervention ambitieuse proposée par le général Quesnot pour stopper l’offensive du Front patriotique, a été écartée le 8 avril lors d’un conseil restreint du gouvernement142.

Le colonel Tauzin suggère une interprétation  : Y aurait-il eu désaccord entre le président Mitterrand, favorable à l’intervention, et Edouard Balladur, qui, depuis qu’il était Premier ministre, avait montré à plusieurs reprises sa volonté de désengager l’armée française du Rwanda ? Je ne sais pas143. Tauzin indique qu’il passe à l’Etat-Major présidentiel, à Paris (dont le responsable est le général Quesnot), et qu’il

141 Ordre d’opération d’Amaryllis, 8 avril 1994, dans MIP/1998/annexe 8.1. Voir aussi Poncet dans Terre magazine/1994 p. 10.

142 Lanotte/2006/livre p. 346.143 Tauzin/2011/livre p. 92 ; Tauzin/2013, UNC, questions après la conférence.

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rencontre le général Huchon144 : est-ce de là qu’il tient ses sources ?

Balladur a été auditionné par la Mission Parlementaire de 1998. Selon la transcription de son audition, il se présente comme favorable à la deuxième option. La France décida de rapatrier d’urgence ses ressortissants et se retrouva seule, face à un choix s’exprimant dans les termes suivants :

- une intervention sous forme d’interposition  ; cette solution, présentée par ceux qui en étaient les tenants, comme une manière de stopper l’avance des troupes du FPR, aurait impliqué une action de guerre menée par des troupes françaises sur un sol étranger. M. Edouard Balladur a précisé qu’il s’y était opposé, considérant que la France ne devait pas s’immiscer dans ce qui apparaîtrait rapidement comme une opération de type colonial ;

-  une intervention strictement humanitaire et exclusivement destinée à sauver des vies humaines, quelle que soit l’origine ethnique des personnes menacées, solution qu’il avait lui-même proposée145.

Ces phrases ne précisent pas clairement si Edouard Balladur fait référence à l’opération Amaryllis (ce que suggère le rapatriement des ressortissants), à l’opération Turquoise (ce que suggère l’intervention destinée à sauver des vies humaines), ou aux deux à la fois. Cette ambiguïté, qu’elle provienne de Balladur ou de la transcription, pourrait renvoyer à une continuité essentielle entre Amaryllis et Turquoise. Dans ces deux opérations, l’armée française a proposé aux responsables français d’intervenir en faveur des extrémistes hutus et des FAR. L’idée initiale de Turquoise est de débarquer à l’aéroport de Kigali (comme au moment d’Amarylllis)  : elle est écartée à cause de l’opposition du FPR et du chef des Casques bleus146. L’objectif devient alors d’aller sur Kigali147 par la voie terrestre à partir des pays voisins ; c’est le Zaïre qui est finalement retenu.

144 Tauzin/2013, Ircom, 34ème minute.145 Balladur dans MIP/1998/auditions.146 Lanxade/2001/livre p. 175 ; Lafourcade/2010, LeParisien.fr.147 Rosier 2006, dans Périès & Servenay/2007/livre p. 319 ; Germanos/22 juin 1994,

dans MIP/1998/annexe 9.C.1  ; Conseil restreint du 15 juin 1994, dans Carle/archives ; Quesnot/18 juin et 27 juin 1994, dans Carle/archives ; Micheletti/1999/ livre p. 18 ; Tauzin/ 2011/livre pp. 136-137.

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Aucune de ces sources ne mentionne de suggestion de réaliser la première option, celle de la protection des civils tutsis, victimes de massacres perpétrés par les extrémistes hutus et les FAR.

Si l’on poussait plus loin l’interprétation suggérée par Tauzin, on pourrait imaginer une explication à certaines indications qu’il fournit. Tauzin explique que, dès le soir de l’attentat : Presque instinctivement se déroulent dans mon esprit les composantes de l’opération que je suis persuadé d’avoir à commander dans moins de 24 heures148. Le terme «  presque  » laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations. Serait-ce qu’il a instinctivement inventé ce scénario sur-le-champ  ? Ou encore qu’il a reçu un ordre explicite du président Mitterrand via l’amiral Lanxade ?

Une autre phrase de Tauzin, également ambiguë, serait compatible avec cette dernière éventualité : J’ai été informé presque en même temps que Mitterrand. Connaissant un peu ce que pensait Mitterrand, je mets le régiment en alerte, absolument persuadé que nous allions partir dans la nuit, au plus tard le lendemain matin, avec un autre régiment para149. L’ambiguïté est comparable quand Tauzin écrit  : Nous estimons que le président Mitterrand ne peut pas accepter [que Kagamé prenne le pouvoir]150.

Si cette interprétation était correcte, on pourrait imaginer que l’ordre donné à Tauzin par Mitterrand et Lanxade le 6 avril aurait été de se tenir prêt à sauter sur Kigali pour « reprendre le contrôle de la situation  ». Tauzin n’étant finalement pas parti, le 7 avril Lanxade aurait alors pu ordonner au lieutenant-colonel Maurin, à Kigali, d’aller demander au colonel Bagosora de « reprendre le contrôle de la situation ». La coïncidence des expressions employées deviendrait alors naturelle.

* * *

L’option « soutien aux Tutsis victimes du génocide », bien qu’elle soit imposée par la convention internationale contre le génocide, ne semble pas avoir été évoquée. Le débat a eu lieu entre l’option «  neutralité  », qui a finalement été retenue, et l’option «  soutien aux Hutus », proposée par certains officiers. L’interprétation que propose le colonel Tauzin, jointe aux autres éléments disponibles, pourrait suggérer

148 Tauzin/2011/livre p. 91. 149 Tauzin 2013, Ircom, 35ème minute.150 Tauzin/2011/livre p. 91 ; Tauzin/2013, Aristote/23ème minute.

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que le président Mitterrand aurait souhaité que l’armée française, et en particulier le 1er RPIMa, saute sur Kigali pour : y « reprendre le contrôle de la situation » ; combattre avec les FAR contre le FPR ; et soutenir la formation d’un gouvernement par les extrémistes hutus.

7 - leS argumentS oppoSéS à l’hypothèSe de tireurS et/ou décideurS françaiS

Démentis Le 17 juin 1994, le journal belge “Le Soir” publie un article de

Colette Braeckman intitulé «  L’avion Rwandais Abattu Par Deux Francais?  », qui présente l’hypothèse des tireurs français en se basant sur des témoignages. Cet article se termine en mentionnant la réaction des autorités françaises  : « La France a immédiatement réagi. Le Quai d’Orsay a estimé que l’allégation du “Soir” est absurde, ajoutant que d’autres rumeurs impliquant d’autres pays ont déjà circulé sans plus de fondements. Il est inadmissible que l’on mette en cause la France dans cet attentat, a pour sa part déclaré le ministre français de la Coopération, Michel Roussin. »

Ce démenti ne fournit aucun argument ; il souligne simplement que d’autres hypothèses qui ont été émises sont mal argumentées. Le colonel Tauzin procède de la même manière, dans une émission de radio : Depuis 94, mon intime conviction est : c’est Kagamé. Bien sûr, officiellement on ne le sait toujours pas. Et on a émis toutes sortes d’hypothèses, y compris des gens du 1er RPIMa, d’ailleurs, à Bayonne, oui oui oui, il a même été dit que c’était, pas moi, bien sûr, mais un de mes subordonnés qui avait descendu... OK, bien. Je maintiens : c’est Kagamé151.

Tauzin développe cette présentation dans son livre :

Depuis le 7 avril 1994, il a été officiellement impossible de dire qui est le vrai responsable de cet attentat. Toutes les thèses ont été avancées, même les plus farfelues. J’ai même lu - une seule fois il est vrai - que ce coup avait été fait par le 1er RPIMa !

Il a aussi été dit que Barril était responsable de cet attentat. Je n’en crois rien car Barril était alors, selon mes informations, employé par le président Habyarimanana qui lui aurait demandé de fournir des

151 Tauzin/2013/Méridien zéro, 36ème minute.

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armes malgré l’embargo international qui pesait alors sur le Rwanda. Après l’attentat, Barril aurait aussi été chargé par la veuve du président d’enquêter sur les responsables du dit attentat.

Quant à moi, je n’ai bien sûr pas toutes les informations nécessaires pour dégager cette responsabilité avec certitude. [...] Je veux simplement dire ici mon intime conviction de la responsabilité directe du FPR. Cette conviction est fondée sur le scénario des évènements qui conduiront à la victoire finale du FPR152.

Ce texte de Tauzin peut être commenté :

- Ce n’est pas un démenti au sens strict. Si on le lit avec précision, ce texte constate que parmi les hypothèses avancées, il y a celle que les tireurs appartiendraient au 1er  RPIMa. D’autre part, il constate également que certaines d’entre elles sont farfelues. En revanche, il ne commente pas spécifiquement l’hypothèse du 1er RPIMa  : il ne la dément pas, et il n’affirme pas explicitement qu’elle serait farfelue. Cela contraste avec la mise en cause de Barril  : Tauzin la dément, en fournissant des arguments.

- Tauzin, comme de nombreux officiers français, accuse le FPR, en reconnaissant ne pas avoir de preuve153. C’est difficile à concilier avec le fait que l’armée française est probablement la mieux renseignée sur l’attentat. D’ailleurs, selon le journaliste Philippe Brewaeys, la DGSE contredit cette version dès le 11 avril 1994 en écrivant, dans une fiche non publique à l’époque  : Le Falcon a été touché par deux roquettes (l’hypothèse, non vérifiée, d’un ou plusieurs missiles sol-air est également avancée) tirées d’une distance d’environ 300 m et provenant de la bordure du camp militaire de Kanombe [...] L’hypothèse selon laquelle ces roquettes pourraient avoir été tirées par des éléments armés du Front Patriotique rwandais n’est pas satisfaisante. Pour pouvoir approcher de l’aéroport, il est nécessaire de franchir plusieurs barrages militaires et la zone est strictement interdite aux civils. Par ailleurs, des patrouilles de gendarmes et de soldats de la MINUAR quadrillent le terrain154.

152 Tauzin/ 2011/ livre p. 93.153 Quesnot/2 mai 1994, dans Carle/ archives ; Tauzin/2011/ livre p. 93 ; Tauzin/2013/

livre p. 67 ; Tauzin/2013, UNC ; Tauzin/2013/Méridien zéro ; Hogard/2005/livre pp. 21, 22, 55, 4ème de couverture ; Hogard/2008, CRT ; Hogard/2009, Diplomatie p. 51 ; Robardey dans France-Rwanda/2007, colloque p. 13 ; Lafourcade/2006, Le Monde.

154 DGSE, fiche n°18502/N du 11 avril 1994, citée dans Brewaeys/2013/livre p. 157.

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- Tauzin mentionne explicitement le 1er  RPIMa. Or le nom du sergent-chef Pascal Estevada a apparemment circulé sans indication publique de son régiment d’appartenance. Sans nommer cet homme, Tauzin précise de lui-même l’information sur le régiment.

Indépendamment, l’hypothèse de tireurs français a été l’objet d’un démenti devant la Mission d’Information Parlementaire de 1998, resté confidentiel à l’époque. Le vice-président de la Mission, le député Lefort, le publie en 2008 dans la revue “La Nuit Rwandaise”. Lefort écrit que, en 1998, le lieutenant-colonel Maurin nous a indiqué qu’il avait été convoqué en octobre 1994 par le ministre de la coopération de l’époque, M. Michel Roussin, et qu’il avait dû lui assurer, “les yeux dans les yeux” : “Non, je ne suis pour rien, ni moi, ni mes hommes, dans l’attentat contre l’avion”. Cet entretien, m’a-t-il dit était motivé par la parution, deux mois plus tôt, d’un livre de la journaliste belge, Mme Braeckman (pages 62 et 65 du PV)155.

Lefort commente alors : « Il paraît difficilement imaginable que M. Roussin, qui est lui-même ancien officier et ancien chef de cabinet du directeur du SDECE, comme il le souligna lors de son audition, ait pu convoquer l’un de ses pairs pour exiger de lui ce type d’assurances en se fondant uniquement sur les affirmations d’une journaliste.  » Si l’on suivait Lefort, cela suggèrerait que l’armée française disposerait d’autres informations pertinentes sur l’hypothèse de tireurs français. Ce Michel Roussin est le responsable français qui en juin 1994, quatre mois avant d’interroger Maurin, avait qualifié d’inadmissible l’hypothèse énoncée dans l’article de Colette Braeckman.

On peut également relever que le démenti du lieutenant-colonel Maurin porte uniquement sur ses subordonnés. A priori, il s’agirait de la vingtaine de coopérants militaires dont la présence à Kigali est officielle. Or les deux militaires français dont les noms ont été mentionnés font partie du 1er RPIMa. Ce sont des membres des forces spéciales, susceptibles d’être en mission discrète, subordonnés de Tauzin. Comment savoir si, dans l’esprit de Maurin, il les englobe dans son démenti ? Et comment savoir si Roussin a perçu cette possible distinction ?

* * *

Les autorités civiles et militaires françaises n’ont apparemment publié aucun démenti précis à l’hypothèse de tireurs ou de décideurs français.

155 Maurin, 3 juin 1998, cité par Lefort/2008, LNR, note 13.

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Contre-arguments Le commandant de Saint-Quentin, premier présent sur les lieux où

s’est écrasé l’avion présidentiel, a fait un rapport le soir même, qui est transmis à Paris, comme l’attestent le colonel Cussac et le lieutenant-colonel Maurin le 19 avril 1994156. L’armée française en dispose, mais son contenu n’a pas été publié157. Saint-Quentin aurait pu transmettre aussi les débris de missiles retrouvés sur les lieux de l’attentat158 mentionnés dans un document fourni par le ministère de la Défense à la Mission Parlementaire. Ce rapport, et ces pièces qu’aurait pu éventuellement obtenir Saint-Quentin, ont-ils été versés au dossier de l’enquête sur l’attentat ? Ils auraient peut-être pu servir à disculper l’armée française, ou à étayer ses accusations contre le FPR. A l’inverse, que des informations et des pièces à conviction soient ainsi dissimulées par l’armée française, renforce les soupçons contre elle ou contre ses alliés.

En l’absence de ces éléments d’enquête et d’objets matériels, le débat public sur l’identité des tireurs qui ont abattu l’avion se caractérise par une floraison d’arguments et contre-arguments. Chaque tenant d’une hypothèse consacre une énergie importante à prouver que d’autres hypothèses ne tiennent pas la route. On trouve dans la littérature d’abondantes comparaisons des thèses FAR et FPR  : pour ces deux hypothèses, les moindres détails disponibles ont été scrutés, les moindres incohérences soulignées.

Dans tout ces échanges d’arguments factuels, on n’en trouve apparemment pas qui contredirait l’hypothèse de tireurs ou de décideurs français. Aucune enquête approfondie n’a été rendue publique sur les agendas des deux militaires dont les noms ont circulé. Les commentateurs constatent certes que plusieurs éléments mentionnés en 1994 sur l’hypothèse de tireurs français (présentés ci-dessus dans l’Introduction) sont ténus, mais aucune incohérence ne semble y avoir été relevée. Même la Mission d’Information Parlementaire de 1998, qui semble détenir des informations non publiées (ne serait-ce que parce qu’elle orthographie correctement Estevada, contrairement aux sources qu’elle cite), ne fournit aucun contre-argument.

156 Cussac et Maurin/19 avril 1994, dans MIP/1998/annexe 8.2.157 Reyntjens cité par MIP/1998/rapport p. 247.158 Fiche anonyme fournie par le ministère de la Défense, publiée dans MIP/1998/

annexe 6.E.2.

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On peut certes soulever des objections quant à la cohérence de ce qui précède. Par exemple, qu’est-ce qui aurait poussé le commandant de Saint-Quentin, si discret sur les résultats de son enquête sur l’attentat, à confirmer que les missiles ont effectivement dû partir de la zone du camp de Kanombé ? François Mitterrand et les officiers français qui l’entourent auraient-ils pu passer à l’acte sans avoir le minimum de garanties que les parachutistes pourraient effectivement sauter sur Kigali dans la foulée ? Ces remarques, certes judicieuses, peuvent s’expliquer si les acteurs ne sont pas toujours entièrement rationnels. Elles ne paraissent pas suffisantes pour écarter définitivement l’hypothèse de tireurs et/ou de décideurs français.

Autre objection, d’ordre plus moral que factuel. Le président Mitterrand et l’armée française ont soutenu Habyarimana pendant des années. Politiquement, comme on l’a vu, des responsables français ont pu avoir des motifs de l’éliminer. Mais moralement, est-ce concevable ? Quand ils se placent sur le plan de la morale, plusieurs officiers français revendiquent leurs valeurs religieuses, sans mentionner d’incompatibilité avec leur activité guerrière. En particulier, Tauzin explique  : je suis indissolublement chrétien, français, soldat159  ; il magnifie la guerre productrice de vie160. Un animateur de Radio Mille Collines, Kantano Habimana, glorifie le 13 juin 1994 la mort de Habyarimana, « militant suprême, comme Dieu a donné en offrande son fils Jésus qui est mort sur la croix pour le salut de tous les pécheurs, de tous les hommes. Le général-major est mort le 6 avril à 20 h 30 du soir, et son sang a sauvé tous les Rwandais ». Les valeurs chrétiennes pourraient s’avérer compatibles avec le sacrifice du président.

« La guerre moderne » est le livre de référence publié en 1961 par le colonel Trinquier, passé par les forces spéciales de l’époque (les paras coloniaux, qui deviendront les RPIMa)161. Son chapitre IV s’intitule « Le terrorisme, arme capitale de la guerre moderne ». Trinquier y souligne le rôle du terrorisme pour manipuler la population [ ; c’est] une arme de guerre qu’il n’est plus possible d’ignorer ou de minimiser. [...] Et ceci est un fait nouveau qu’il est de la plus haute importance de signaler162. Trinquier explique ensuite comment intégrer le terroriste à la doctrine militaire classique  : Le terroriste ne doit donc plus être considéré 159 Tauzin/2013/Méridien zéro, 88ème minute.160 Tauzin/2011/livre p. 193.161 Merchet/2010/livre p. 134.162 Trinquier/1961/livre pp. 31, 32, 36.

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isolément comme un criminel ordinaire. Il se bat, en effet, dans le cadre de son organisation, sans intérêt personnel, pour une cause qu’il estime noble, et un idéal respectable, comme tous les soldats des armées qui s’affrontent. Il tue sans haine, sur l’ordre de ses chefs, des individus qui lui sont inconnus avec la même sérénité que le soldat sur le champ de bataille. [...] Le terroriste est en fait devenu un soldat, comme l’aviateur, le fantassin ou l’artilleur. [...] Il serait aussi vain et aussi injuste de lui reprocher les attentats qu’il a pu commettre que de rendre responsable le fantassin ou l’aviateur des morts causés par les armes qu’ils ont utilisés163. Citant Clausewitz, Trinquier conclut que dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, les erreurs dues à la bonté d’âme sont la pire des choses. [...] Celui qui ne recule devant aucune effusion de sang prendra l’avantage sur son adversaire si celui-ci n’agit pas de même164.

* * *

L’hypothèse de tireurs et de décideurs français ne semble pas présenter d’incohérence ni d’erreur flagrante (contrairement à certaines autres hypothèses). Les officiers et militaires des forces spéciales peuvent, sans état d’âme, réaliser un attentat.

Phrases à double sens Revenons sur les phrases du colonel Tauzin mentionnées ci-

dessus, sur ses cauchemars, et sur la mort prématurée du chef d’Etat-Major rwandais, le colonel Nsabimana. Il est important de les situer dans leur contexte. En février 1993, Tauzin arrête une offensive du FPR qui menace Kigali. Il prépare ensuite une contre-offensive pour chasser le FPR du Rwanda. Au moment de la déclencher, il reçoit de Paris l’ordre, au moins implicite, d’annuler cette contre-offensive. Il l’annonce à Nsabimana. Tauzin décrit la scène :

Je n’oublierai jamais son désespoir... Comme moi, infiniment mieux que moi, il sait intimement que la guerre est perdue, ce n’est plus qu’une question de temps désormais. Infiniment mieux que moi aussi, il sait quelles seront les conséquences finales de la défaite des Hutus face aux Tutsis... Il sait aussi, me dit-il, que je voulais cette contre-offensive, mais que je ne suis que soldat et que je dois me conformer à ce que veut mon gouvernement... À la sortie de son bureau, seul dans la nuit qui tombe, je pleure de rage contre “Paris” !

163 Trinquier/1961/livre pp. 37, 38, 40.164 Trinquier/1961/livre p. 40.

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Un peu plus d’un an plus tard, lorsque Nsabimana trouvera la mort avec le président Habyarimana dans l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion qui les ramenait de Nairobi [sic], j’ai revu cette scène en détail et n’ai pu m’empêcher de penser qu’il me devait un peu sa mort prématurée. Mais surtout, lorsque ce qu’il est convenu d’appeler “le génocide des Tutsis” a commencé, j’ai profondément regretté d’avoir été aussi discipliné ! Et c’est le seul regret que j’ai quant à mes décisions et actions lors de ce conflit, mais il est de taille et m’a provoqué des cauchemars pendant des années. [...] Il m’est encore très dur de penser que j’aurais pu, en prenant l’autre décision, éviter la suite que l’on connaît...165

Lors d’une émission de radio, dans le même contexte, Tauzin revient sur ses cauchemars : In fine, j’annule l’opération. [...] C’est terrible. J’en ai, si vous voulez... A partir de l’été 94, après Turquoise, je dirais que j’en ai cauchemardé pendant des années. Parce que... [Rire] je me suis senti quelque part... responsable de ce génocide. Et si j’avais dit “merde” à Paris ? Si j’avais déclenché l’opération ? Peut-être que... On ne réécrit pas l’Histoire, et d’une. Deuxièmement, je ne savais pas lire dans la boule de cristal. Troisièmement, j’ai agi en officier, j’ai obéi parce que je ne savais pas où j’allais. Mais j’ai vraiment compris mes anciens d’Algérie. Ceux qui ont fait le putsch. J’ai vraiment compris à ce moment-là166.

En s’attribuant la responsabilité de la mort prématurée de Nsabimana, Tauzin s’avoue implicitement responsable de l’attentat du 6 avril. Tauzin expose également sa responsabilité dans le génocide des Tutsis, et les cauchemars que cela lui a occasionné pendant des années. Dans le contexte où Tauzin présente ces phrases, il exprime ainsi qu’il culpabilise de n’avoir pas chassé le FPR, qui serait le seul vrai responsable direct de l’attentat et du génocide. Cependant, ces phrases de Tauzin sont à double sens. Si elles étaient prises au pied de la lettre, elles prendraient un sens particulier : celui d’un aveu complet de culpabilité. Qu’est-ce qui pousse Tauzin à écrire et répéter des phrases aussi marquantes et ambiguës à la fois ?

* * *

Si elles étaient prises hors contexte, les déclarations du colonel Tauzin indiqueraient qu’il aurait une responsabilité dans l’attentat et dans le génocide des Tutsis.

165 Tauzin/2011/livre pp. 81-82.166 Tauzin/2013/Méridien zéro, 32ème minute.

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8 - concluSion

Résumé

Vingt ans après l’attentat, face à chaque hypothèse, on peut passer en revue tous les critères qui permettent de savoir s’il faut la retenir ou l’écarter d’un revers de main. Or, en se basant sur les déclarations d’officiers français, et sur les sources militaires françaises publiquement disponibles en 2014, on constate que l’hypothèse de tireurs et décideurs français remplit les critères qu’on attend d’une hypothèse :

- Au moment de l’attentat, le 1er RPIMa possède les informations, les missions, les compétences et l’armement adaptés à l’exécution de l’attentat. Depuis quatre ans, ce régiment est présent en continu au Rwanda, dont il soutient l’armée. Il y circule librement et peut accéder au lieu d’où ont été tirés les missiles. Le 1er RPIMa, ainsi que Rosier et Tauzin, ont déjà participé à un coup d’Etat contre un dictateur qui a cessé d’être agréé par la France : le renversement de Bokassa.

- L’armée française est la mieux placée pour connaître les auteurs de l’attentat. Elle dispose de services de renseignements militaires qui se disent performants. C’est elle qui réalise immédiatement l’enquête sur la carcasse de l’avion abattu. Elle y prélève des pièces matérielles. Elle ne publie pas son enquête.

- La France, et en particulier son armée, ont trois motifs possibles de réaliser l’attentat. Ces trois motifs sont mutuellement compatibles, et sont partagés par les extrémistes hutus. Tout d’abord, le général Quesnot, les colonels Rosier et Tauzin font partie des opposants aux accords de paix. Ensuite, des responsables civils ou militaires français peuvent souhaiter éliminer un président faible qui aurait accepté de lâcher les extrémistes hutus soutenus par la France. Enfin, l’attentat peut permettre de créer le sursaut que certains responsables français souhaitent pour unifier les Hutus de toutes régions contre le FPR et les Tutsis.

- L’armée française ne semble pas prise au dépourvu. Deux semaines avant l’attentat, l’amiral Lanxade procède au remplacement de l’attaché de défense, anticipant un regain de tension pouvant mener à des opérations militaires. De plus, après l’attentat, Quesnot et Tauzin sont prêts à intervenir en quelques heures.

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- Juste après l’attentat, des officiers français envisagent une opération très dure pour reprendre le contrôle de Kigali, au profit des FAR, et contre le FPR. Selon ces officiers, pour prévenir les massacres, il faudrait combattre le Front Patriotique Rwandais et non les extrémistes hutus. Cette intervention se situerait dans la continuité du soutien apporté aux FAR depuis 1990. Selon eux, l’évacuation des ressortissants français n’est qu’un objectif secondaire.

- Quand l’opération Amaryllis est déclenchée, l’armée française est déjà informée des massacres à caractère génocidaire visant les Tutsis. Si l’on en croit des officiers français, il semble qu’il était techniquement possible de protéger ces civils. Cette option de « soutien aux Tutsis », bien qu’elle soit imposée par la convention internationale contre le génocide, ne semble pas avoir été évoquée. Le débat a eu lieu entre l’option « évacuation des ressortissants », qui a finalement été retenue, et l’option « soutien aux Hutus », proposée par certains officiers.

- Face à l’hypothèse qui les met en cause dans l’attentat, les autorités civiles et militaires françaises ne publient pas les résultats de l’enquête réalisée le 6 avril 1994 par l’armée française. Elles ne fournissent pas de démenti précis, ne pointent pas d’incohérence, ne fournissent pas de contre-argument. Elles n’ont pas de tabou moral qui s’opposerait à une telle action. En revanche, Tauzin effectue des déclarations à double sens qui, si elles étaient sorties de leur contexte, indiqueraient qu’il aurait une responsabilité dans l’attentat et dans le génocide des Tutsis.

* * *

Les éléments fournis par les officiers français ouvrent de nombreuses pistes. Ils montrent que l’hypothèse de militaires français agissant sur ordre de leur hiérarchie doit être considérée au même titre que les autres.

Analyse : Un tableau cohérent Les éléments ci-dessus, de source militaire française, forment un

faisceau convergent. Joints à l’interprétation du colonel Tauzin, ils pourraient conduire par exemple au tableau suivant, spéculatif mais cohérent.

Quelques responsables français, entre autres le président Mitterrand, son conseiller le général Quesnot, et l’amiral Lanxade qui est chef d’Etat-Major des armées, auraient souhaité préserver le pouvoir des extrémistes hutus qui leur étaient fidèles, face au Front Patriotique Rwandais. Ces responsables français auraient mis en œuvre les moyens

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dont ils disposaient, peut-être en accord avec les extrémistes hutus, voire même à leur demande, ou au moins en les informant. Pour cela, comme leurs prédécesseurs l’avaient fait pour le renversement de Bokassa, ils auraient conçu une action en deux phases successives étroitement liées.

La première phase, réalisée par un tout petit groupe discret, aurait eu pour but d’éliminer Habyarimana, qui perdait pied, cédait au Front Patriotique Rwandais et acceptait de lâcher les extrémistes hutus. L’attentat contre l’avion, qui aurait été réalisé par des tireurs membres (ou ex-membres) du 1er  RPIMa sous les ordres du colonel Tauzin, aurait alors constitué un mode d’élimination doté d’avantages multiples : accuser le Front Patriotique Rwandais ; créer le sursaut requis pour que les Hutus acceptent de s’unir ; faire capoter les accords de paix d’Arusha qui avaient abouti à faire partir du Rwanda les troupes françaises.

La deuxième phase aurait consisté à envoyer, dans la foulée, le colonel Tauzin et des parachutistes du 1er  RPIMa sauter sur Kigali, avec le soutien d’un autre régiment. La protection des ressortissants français, voire leur évacuation, aurait pu servir de prétexte usuel à cette intervention, étoffée et visible, des militaires français. La mission réelle aurait été une opération dure dans le but de : reprendre le contrôle de la situation à Kigali  ; installer au pouvoir les extrémistes hutus, ou au moins les y aider ; soutenir militairement les Forces Armées Rwandaises, voire les prendre complètement en main ; s’opposer au Front Patriotique Rwandais, et le chasser du Rwanda.

Mitterrand et Lanxade, auxquels se joint Quesnot à partir de sa nomination en 1991 comme conseiller de Mitterrand, avaient déjà décidé quasiment seuls d’interventions militaires françaises au Rwanda de 1990 à 1993. Si l’on en croit Tauzin, ils avaient décidé seuls et secrètement de l’opération contre le Front Patriotique Rwandais en février 1993. Même en période de cohabitation, il est envisageable qu’ils aient pu d’eux-mêmes faire ponctuellement réaliser aux forces spéciales une action discrète. Il est imaginable qu’ils auraient pu décider seuls de l’attentat, et le faire réaliser clandestinement par Tauzin et ses subordonnés. Ils auraient également pu planifier en détail la deuxième phase  ; mais au moins pour sa partie visible et officielle d’évacuation des ressortissants, il leur aurait été nécessaire d’impliquer le gouvernement dans la décision.

Ces responsables français auraient été informés des projets génocidaires des extrémistes hutus, et auraient été conscients de ce que l’attentat pourrait servir de signal pour déclencher les massacres. Selon eux, les massacres de Tutsis étaient des conséquences de tentatives

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du Front Patriotique Rwandais de prendre le pouvoir  ; l’intervention française aux côtés des Forces Armées Rwandaises aurait pu éloigner du Rwanda les troupes du Front Patriotique Rwandais, et la menace d’un génocide des Tutsis.

* * *

Recouper les déclarations d’officiers français, et les sources militaires françaises publiquement disponibles en 2014, ouvre différentes pistes. Les éléments qui en émergent sont compatibles avec un tableau spéculatif mais cohérent, selon lequel l’attentat aurait été décidé à l’Elysée, et exécuté par des tireurs membres (ou ex-membres) du 1er RPIMa, pour soutenir les extrémistes hutus, dans le but de maintenir à tout prix le Rwanda dans la zone d’influence française.

9 - référenceS — 1er RPIMa/site

Site officiel du Premier Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine : www.rpima1.terre.defense.gouv.fr/coeur_regiment/missions/emploi/index.html

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L’Afrique réelle, n°31, juillet 2012, dossier « Controverse : Rwanda », pp. 14-21. Contient un encadré de l’amiral François Jourdier, « Le missile Mistral », p. 16, et un article du lieutenant-colonel Michel Robardey, «  Un document faussement attribué à l’ONU », pp. 17-18.

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Extrait du sous-fonds « Rwanda » des archives présidentielles de la période 1982-1995 sélectionnées par Françoise Carle/ archives Nationales, AG/5(4)/FC/100 Dossiers 1&2. Publiées dans « Rwanda, Les archives secrètes de Mitterrand (1982-1995) », éd. par Bruno Boudiguet, Aviso/2012.

— CERI/1997/colloque

Colloque organisé par le CERI (Centre d’études et de recherches internationales), Institut d’Etudes Politiques de Paris/ 1997. Actes publiés dans «  Mitterrand et

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la sortie de la guerre froide », Samy Cohen, Presses universitaires de France/1998. Contient une intervention du général Christian Quesnot.

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— Cussac/1993/rapport

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— France-Rwanda/2007/colloque

Colloque « La France et le drame rwandais : politique, acteurs et enjeux (1990-1994) », organisé par le club « Démocraties » présidé par le général Henri Paris/ 20 octobre 2007, Palais du Luxembourg, Paris. Contient les interventions du lieutenant-colonel Michel Robardey « Rwanda 1990-1994. La stratégie du désastre.  », pp. 8-14 ; du général Jean-Claude Lafourcade «  L’opération Turquoise, attendus, déroulement, bilan, analyse politique et stratégique  », pp.  15-19 ; du lieutenant-colonel Jacques Hogard « Témoignage sur l’opération Turquoise », pp. 20-24.

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Commandant Rachid Hagrouri, « Les politiques de sécurité et les mécanismes de gestion des crises en Afrique », mémoire de géopolitique de l’Afrique sous la direction de Bernard Lugan, Collège interarmées de défense et Université Panthéon Assas - Paris II, mars 2007. Cite Mark Malan, « Secret that makes Foreign Policy », The Washington Post, 31 janvier 2000.

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Lieutenant-colonel Jacques Hogard, «  Les larmes de l’honneur : 60 jours dans la tourmente du Rwanda », Hugo doc/ 2005.

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Lieutenant-colonel Jacques Hogard, « Que justice soit faite ! Le chef des armées a-t-il trahi des officiers supérieurs français ? », entretien avec Alain Chevalérias, décembre 2008/ site du «  Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001 ».

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Lieutenant-colonel Jacques Hogard, « À propos du Rwanda, des Grands Lacs et de la politique française en Afrique », dans le dossier « Que reste-t-il de la Françafrique ? » Diplomatie – Affaires stratégiques et relations internationales, n°37, mars-avril 2009, pp. 46-52.

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— Jouan/2012/livre

Capitaine Thierry Jouan, « Une vie dans l’ombre », Editions du Rocher/2012-2013.

— Lafourcade/2006/Le Monde

Général Jean-Claude Lafourcade, « L’honneur des soldats de l’opération « Turquoise » », Le Monde, 5 janvier 2006.

— Lafourcade/2009/TV5 monde

Général Jean-Claude Lafourcade, entretien avec Christelle Magnout/ 24 juin 2009, « Général Lafourcade : Je sais que nous avons fait du bien au Rwanda », TV5 Monde.

— Lafourcade/2010/livre

Général Jean-Claude Lafourcade, «  Opération Turquoise : Rwanda 1994  », Librairie Académique Perrin/ 2010. Livre co-écrit avec Guillaume Riffaud.

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Général Jean-Claude Lafourcade, propos recueillis par Nicolas Jacquard, LeParisien.fr, 9 mai 2010.

— Lanotte/2006/livre

Olivier Lanotte, « La France au Rwanda (1990-1994) : entre abstention impossible et engagement ambivalent », Peter Lang/ 2007. Contient des entretiens avec l’amiral Jacques Lanxade en décembre 2005, le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin en janvier 2006 (par téléphone) et le général Christian Quesnot en janvier 2006.

— Lanxade /2001/livre

Amiral Jacques Lanxade, « Quand le monde a basculé », Nil/2001.

— Lefort/2008/LNR

Jean-Claude Lefort, La Nuit Rwandaise n°2, avril 2008. Cite une lettre du général Jean Rannou/15 juin 1998, et l’audition du lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin, 3 juin 1998.

— Lorsignol/2013/film

« Rwanda. Une intoxication française », enquête de Catherine et Philippe Lorsignol sur l’attentat du 6 avril 1994, durée 58 minutes. Film d’enquête diffusé sur Canal Plus dans l’émission « Spécial Investigation  », 8 avril 2013/ 22h45 ; et sur RTBF dans l’émission « Devoir d’Enquête »/ 10 avril 2013. Contient un entretien avec le général Christian Quesnot/13 septembre 2012.

— Lugan/2005/livre

Bernard Lugan, « François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda », Editions du Rocher/2005. Contient des entretiens avec l’amiral Jacques Lanxade, le colonel Jacques Rosier, le lieutenant-colonel Jacques Hogard et le général Jean-Claude Lafourcade. Lugan est proche des cercles militaires : conférencier à l’IHEDN (Institut des hautes études de la Défense Nationale), au CID (Collège interarmées de défense, ex-Ecole de guerre), au CHEM (Centre des hautes études militaires). Son livre est recommandé par des officiers.

110 La Nuit rwaNdaiSe • Numéro 8 • 20 aNS ça Suffit - fraNçoiS graNer - L'atteNtat du 6 avriL 1994

— Merchet/2010/livre

Jean-Dominique Merchet, « Une histoire des forces spéciales  », Jacob-Duvernet/2010. Contient un entretien avec le colonel Henri Poncet, alors chef du COS. L’auteur est proche des milieux militaires français, en particulier des forces spéciales, et a préfacé le livre du colonel Tauzin.

— Micheleti/1999/livre

Eric Micheletti, «  COS : le commandement des opérations spéciales  », Histoire et collections, Paris/1999. L’auteur, ancien parachutiste, est rédacteur en chef de « Raids ». Son livre est écrit avec autorisation officielle. La préface est du général Jacques Saleun, alors chef du COS.

— Milleliri/1997/livre

Médecin capitaine Jean-Marie Milleliri, « Un souvenir du Rwanda », L’Harmattan/1997.

— MIP/1998/annexe

Annexes de MIP/1998/rapport, correspondant au tome III de « Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 ». Les nombres et lettres indiqués ici sont les cotes de chaque annexe.

— MIP/1998/auditions

Compte-rendu de la partie publique des auditions de MIP/1998/rapport, correspondant au tome II de « Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 ».

— MIP/1998/rapport

Mission d’Information Parlementaire, « Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 » (en abrégé, MIP ou ETR)/ 15 décembre 1998, tome I. Rapport d’information sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994. Les numéros de page cités ici font référence au fichier pdf.

— Péan/2005/livre

Pierre Péan, « Noires fureurs, blancs menteurs : Rwanda/1990-1994 », Mille et une nuits (Arthème Fayard)/ 2005. Contient des entretiens avec le lieutenant-colonel Michel Robardey et le colonel Jacques Rosier. Ce livre a pour but déclaré de prendre la défense des officiers. Des officiers s’appuient régulièrement sur lui. Son contenu est confirmé par l’Association France-Turquoise.

— Le Point/1998

Mireille Duteille et Antoine Glaser, « Comment la France s’est mise dans le piège », Le Point/14 février 1998. Contient des déclarations du général Christian Quesnot et du général Michel Rigot.

— Radio Courtoisie/2006

«  Libre Journal  », émission de Roger Saboureau, Radio Courtoisie/20 février 2006. Invités : le général Jean-Claude Lafourcade et le lieutenant-colonel Jacques Hogard.

— Rosier/1994/lettre

Colonel Jacques Rosier, lettre au général Le Page/ 25 juin 1994, 7h45. Citée dans « Les bonnes affaires du capitaine Barril au temps du génocide », Sylvie Coma, Charlie

11120 aNS ça Suffit - fraNçoiS graNer - L'atteNtat du 6 avriL 1994 • Numéro 8 • La Nuit rwaNdaiSe

Hebdo, 9 septembre 2009, et dans le « Dossier Barril », Benoît Collombat, France Inter/ 16 septembre 2009.

— Saint-Quentin/1999/Défense Nationale

Commandant Grégoire de Saint-Quentin, « Pourquoi les forces spéciales ?  », Défense Nationale, juillet 1999, pp. 60-71.

— Tauzin/2011/Chemin de Mémoire

Colonel Didier Tauzin, « Sur l’action de la France au Rwanda », entretien avec Muriel Gremillet, 6 juin 2011, sur le site «  Chemin de Mémoire Parachutistes  ». www.chemin-de-memoire-parachutistes.org

— Tauzin/2011/LePoint.fr

Colonel Didier Tauzin, « Il faut établir la vérité sur le Rwanda. Nous sommes traités comme des Waffen SS ! », entretien avec Jean Guisnel, Le Point.fr/ 18 avril 2011.

— Tauzin/2011/Libération.fr

Colonel Didier Tauzin, «  Sa bataille de Kigali  », portrait par Thomas Hoffnung, Libération, 31 mai 2011.

— Tauzin/2011/MFL

Colonel Didier Tauzin, conférence filmée par Pierre Yves, Médias France Libre, durée 9’46, «  Le général Didier Tauzin sur l’action de la France au Rwanda  », vidéo disponible sur Dailymotion, mai 2011.

— Tauzin/2011/livre

Colonel Didier Tauzin, « Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats - Le chef de l’opération Chimère témoigne », Jacob-Duvernet/ 2011.

— Tauzin/2013/Aristote

Colonel Didier Tauzin, conférence sur le Rwanda, organisée par le Cercle Aristote, au François Coppée, Paris/ 29 avril 2013.

— Tauzin/2013/Ircom

Colonel Didier Tauzin, « Rwanda et responsabilités françaises », conférence publique de présentation de ses livres, organisée par l’Ircom, Les Ponts-de-Cé (Angers)/ 27 novembre 2013.

— Tauzin/2013/livre

Colonel Didier Tauzin, « La haine à nos trousses - De Kigali à Paris », Les Editions Persée/ 2013. L’auteur indique qu’il rassemble dans ce livre des faits réels provenant de témoins rwandais laissés anonymes pour protéger leur sécurité. L’avant-propos des pp. 9-11 et les annexes des pp. 205-231 expriment directement le point de vue de l’auteur.

— Tauzin/2013/Méridien Zéro

Colonel Didier Tauzin, « L’affaire du Rwanda, mensonges et trahisons », radio Méridien Zéro, vendredi 19 avril 2013/ 21h-23h, entretien avec Wilsdorf, Gérard Vaudan et Eugène Krampon.

— Tauzin/2013/UNC

112 La Nuit rwaNdaiSe • Numéro 8 • 20 aNS ça Suffit - fraNçoiS graNer - L'atteNtat du 6 avriL 1994

Colonel Didier Tauzin, « Rwanda : je demande justice pour la France et pour ses soldats », conférence publique de présentation de son livre, à Bry sur Marne, organisée par l’Union Nationale des Combattants, 59ème section Le Perreux - Bry sur Marne/ 19 janvier 2013.

— Terre magazine/1994

« Les raisons du succès - L’opération Amaryllis au Rwanda  », par Romain Lefebvre, photos ECPA, Terre magazine n°55, juin 1994, pp.  10-11. Cite le colonel Henri Poncet.

— Trinquier/1961/livre

Colonel Roger Trinquier, « La guerre moderne », Editions de la Table Ronde/1961.

— Troupes de marine/site

Site sur les troupes de marine : www.troupesdemarine.org/actuel/operations/centrafrique.htm