Jean Francois Regnard Le Joeur

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LE JOUEUR de Jean-François Regnard PERSONNAGES : GÉRONTE, père de Valère. VALÈRE, amant d'Angélique. ANGÉLIQUE, amante de Valère. LA COMTESSE, sœur d'Angélique. DORANTE, oncle de Valère et amant d'Angélique. LE MARQUIS. NÉRINE, suivante d'Angélique. M me LA RESSOURCE, revendeuse à la toilette. HECTOR, valet de Valère. M. TOUTABAS, maître de trictrac. M. GALONIER, tailleur. M me ADAM, sellière. UN LAQUAIS d'Angélique. TROIS LAQUAIS du Marquis. La scène est à Paris, dans un hôtel garni. ACTE PREMIER SCENE PREMIERE. HECTOR, dans un fauteuil, près d'une toilette. Il est, parbleu, grand jour. Déjà, de leur ramage Les coqs ont éveillé tout notre voisinage. Que servir un joueur est un maudit métier! Ne serai-je jamais laquais d'un sous-fermier? Je ronflerais mon soûl la grasse matinée, Et je m'enivrerais le long de la journée. Je ferais mon chemin; j'aurais un bon emploi; Je serais dans la suite un conseiller du roi, Rat-de-cave ou commis; et que sait-on ? peut-être Je deviendrais un jour aussi gras que mon maître. J'aurais un bon carrosse à ressorts bien liants; De ma rotondité j'emplirais le dedans; II n'est que ce métier pour brusquer la fortune; Et tel change de meuble et d'habit chaque lune, Qui, Jasmin autrefois, d'un drap du Sceau couvert, Bornait sa garde-robe à son justaucorps vert... Quelqu'un vient. SCENE II. — NÉRINE, HECTOR. HECTOR.

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  • LE JOUEURdeJean-Franois RegnardPERSONNAGES :GRONTE, pre de Valre.VALRE, amant d'Anglique.ANGLIQUE, amante de Valre.LA COMTESSE, sur d'Anglique.DORANTE, oncle de Valre et amant d'Anglique.LE MARQUIS.NRINE, suivante d'Anglique.Mme LA RESSOURCE, revendeuse la toilette.HECTOR, valet de Valre.M. TOUTABAS, matre de trictrac.M. GALONIER, tailleur.Mme ADAM, sellire.UN LAQUAIS d'Anglique.TROIS LAQUAIS du Marquis.

    La scne est Paris, dans un htel garni.

    ACTE PREMIERSCENE PREMIERE.HECTOR, dans un fauteuil, prs d'une toilette.Il est, parbleu, grand jour. Dj, de leur ramageLes coqs ont veill tout notre voisinage.Que servir un joueur est un maudit mtier!Ne serai-je jamais laquais d'un sous-fermier? Je ronflerais mon sol la grasse matine,Et je m'enivrerais le long de la journe.Je ferais mon chemin; j'aurais un bon emploi;Je serais dans la suite un conseiller du roi,Rat-de-cave ou commis; et que sait-on ? peut-tre Je deviendrais un jour aussi gras que mon matre.J'aurais un bon carrosse ressorts bien liants;De ma rotondit j'emplirais le dedans;II n'est que ce mtier pour brusquer la fortune;Et tel change de meuble et d'habit chaque lune, Qui, Jasmin autrefois, d'un drap du Sceau couvert,Bornait sa garde-robe son justaucorps vert...Quelqu'un vient.SCENE II. NRINE, HECTOR.HECTOR.

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  • Si matin, Nrine, qui t'envoie?NRINEQue fait Valre?HECTOR.Il dort.NRINE.Il faut que je le voie.HECTOR.Va, mon matre ne voit personne quand il dort.NRINEJe veux lui parler.HECTOR.Paix! ne parle pas si fort.NRINEOh! j'entrerai, te dis-je.HECTOR.Ici je suis de garde; Et je ne puis t'ouvrir que la porte btarde.NRINETes sots raisonnements sont pour moi superflus.HECTOR.Voudrais-tu voir mon matre in naturalibus ?NRINEQuand se lvera-t-il ?HECTOR.Mais, avant qu'il se lve, II faudra qu'il se couche; et, franchement...NRINEAchve.HECTOR.Je ne dis mot.NRINE.Oh ! parle, ou de force ou de gr.HECTOR.Mon matre, en ce moment, n'est pas encor rentr.NRINEIl n'est pas rentr ?HECTOR.Non. Il ne tardera gure :Nous n'ouvrons pas matin. Il a plus d'une affaire, Ce garon-l.NRINEJ'entends. Autour d'un tapis vert, Dans un maudit brelan, ton matre joue et perd, Ou bien, rduit sec, d'une me familire, Peut-tre il parle au ciel d'une trange manire. Par ordre trs exprs d'Anglique, aujourd'hui

  • Je viens pour rompre ici tout commerce avec lui. Des serments les plus forts appuyant sa tendresse, Tu sais qu'il a cent fois promis ma matresse De ne toucher jamais cornet, carte, ni d, Par quelque espoir de gain dont son cur ft guid; Cependant...HECTOR.Je vois bien qu'un rival domestique Consigne entre tes mains pour avoir Anglique.NRINEEt quand cela serait, n'aurais-je pas raison ? Mon cur ne peut souffrir de lche trahison. Anglique, entre nous, serait extravagante De rejeter l'amour qu'a pour elle Dorante; Lui, c'est un homme d'ordre, et qui vit congrment.HECTOR.L'amour se plat un peu dans le drglement.NRINE Un amant fait et mr...HECTOR.Les filles, d'ordinaire, Aiment mieux le fruit vert.NRINE...d'un fort bon caractre, Qui ne sut de ses jours ce que c'est que le jeu.HECTOR.Mais mon matre est aim.NRINEDont j'enrage, morbleu! Ne verrai-je jamais les femmes dtrompes De ces colifichets, de ces fades poupes,Qui n'ont, pour imposer, qu'un grand air dbraill, Un nez de tous cts de tabac barbouill, Une lvre qu'on mord pour rendre plus vermeille, Un chapeau chiffonn qui tombe sur l'oreille, Une longue steinkerque replis tortueux,Un haut-de-chausse bas, prt tomber sous eux; Qui, faisant le gros dos, la main dans la ceinture, Viennent, pour tout mrite, taler leur figure ?HECTOR.C'est le got d' prsent; tes cris sont superflus, Mon enfant.NRINEJe veux, moi, rformer cet abus.Je ne souffrirai pas qu'on trompe ma matresse, Et qu'on profite ainsi d'une tendre faiblesse; Qu'elle pouse un joueur, un petit brelandier,

  • Un franc dissipateur, et dont tout le mtier Est d'aller de cent lieux faire la dcouverteO de jeux et d'amour on tient boutique ouverte, Et qui le conduiront tout droit l'hpital.HECTOR.Ton sermon me parat un tant soit peu brutal; Mais, tant que tu voudras, parle, prche, tempte, Ta matresse est coiffe.NRINE.Et crois-tu, dans ta tte,Que l'amour sur son cur ait un si grand pouvoir ? Elle est fille d'esprit; peut-tre ds ce soir Dorante, par mes soins, l'pousera.HECTOR.Tarare ! Elle est dans mes filets.NRINE.Et moi je te dclare Que je l'en tirerai ds aujourd'hui.HECTOR.Bon! bon!NRINE.Que Dorante a pour lui Nrine et la raison.HECTOR.Et nous avons l'amour. Tu sais que d'ordinaire, Quand l'amour veut parler, la raison doit se taire; Dans les femmes s'entend.NRINE.Tu verras que chez nous, Quand la raison agit, l'amour a le dessous. Ton matre est un amant d'une espce plaisante! Son amour peut passer pour fivre intermittente; Son feu pour Anglique est un flux et reflux.HECTOR.Elle est, aprs le jeu, ce qu'il aime le plus.NRINE.Oui, c'est la passion qui seule le dvore; Ds qu'il a de l'argent son amour s'vapore.HECTOR.Mais en revanche aussi, quand il n'a pas un sou. Tu m'avoras qu'il est amoureux comme un fou.NRINE.Oh! j'empcherai bien...HECTOR.Nous ne te craignons gure : Et ta matresse, encor hier, promit Valre De lui donner dans peu, pour prix de son amour, Son portrait enrichi de brillants tout autour. Nous l'attendons, ma chre, avec impatience :

  • Nous aimons les bijoux avec concupiscence.NRINE.Ce portrait est tout prt, mais ce n'est pas pour lui, Et Dorante en sera possesseur aujourd'hui.HECTOR.A d'autres !NRINE.N'est-ce pas une honte Valre, tant fils de famille, ayant encor son pre, Qu'il vive comme il fait, et que, comme un banni, Depuis un an il loge en cet htel garni ?HECTOR.Eh! vous y logez bien, et vous et votre clique !NRINE.Est-ce de mme, dis ? Ma matresse Anglique,Et la veuve sa sur ne sont dans ce paysQue pour un temps, et n'ont point de pre Paris.HECTOR.Valre a dsert la maison paternelle, Mais ce n'est point lui qu'il faut faire querelle. Et si monsieur son pre avait voulu sortir, Nous y serions encore, ne t'en point mentir. Ces pres, bien souvent, sont obstins en diable.NRINE.Il a tort, en effet, d'tre si peu traitable. Quoi qu'il en soit, enfin, je ne t'abuse pas,Je fais la guerre ouverte; et je vais, de ce pas,Dire ce que je vois, avertir ma matresseQue Valre toujours est faux dans sa promesse;Qu'il ne sera jamais digne de ses amours; Qu'il a jou, qu'il joue, et qu'il jouera toujours.Adieu.HECTOR.Bonjour.SCENE III. HECTOR. seul.Autant que je m'y peux connatre, Cette Nrine-ci n'est pas trop pour mon matre. A-t-elle grand tort ? Non. C'est un panier perc, Qui...SCENE IV. VALRE, HECTOR. (Valre parat en dsordre, comme un homme qui a jou toute la nuit.}HECTOR.Mais je l'aperois. Qu'il a l'air harass! On souponne aisment, sa triste figure,Qu'il cherche en vain quelqu'un qui prte triple usure.VALRE.Quelle heure est-il?

  • HECTOR.Il est... Je ne m'en souviens pas.VALRE.Tu ne t'en souviens pas ?HECTOR.Non, monsieur.VALRE.Je suis las De tes mauvais discours; et tes impertinences...HECTOR, part. Ma foi, la vrit rpond aux apparences1.VALRE.Ma robe de chambre. Euh!HECTOR, part.Il jure entre ses dents. VALRE.Eh bien! me faudra-t-il attendre encor longtemps?HECTOR.Eh! la voil, monsieur.VALRE. se promne, et HECTOR le suit tenant sa robe de chambre toute dploye.Une cole mauditeMe cote, en un moment, douze trous tout de suite. Que je suis un grand chien ! Parbleu, je te saurai, Maudit jeu de trictrac, ou bien je ne pourrai. Tu peux me faire perdre, fortune ennemie ! Mais me faire payer, parbleu, je t'en dfie; Car je n'ai pas un sou.HECTOR, tenant toujours la robe.Vous plairait-il, monsieur...VALRE.Je me ris de tes coups, j'incague ta fureur.HECTOR.Votre robe de chambre est, monsieur, toute prte.VALRE.Va te coucher, maraud; ne me romps point la tte.Va-t'en.HECTOR.Tant mieux.SCENE V. VALRE, se mettant dans le fauteuil.Je veux dormir dans ce fauteuil. Que je suis malheureux! Je ne puis fermer l'il. Je dois de tous cts, sans espoir, sans ressource, Et n'ai pas, grce au ciel, un cu dans ma bourse. Hector... Que ce coquin est heureux de dormir! Hector!HECTOR, derrire le thtre. Monsieur ?VALRE.

  • Eh bien! bourreau, veux-tu venir? N'es-tu pas las encor de dormir, misrable ?SCENE VI. VALRE, HECTOR.HECTOR, moiti dshabill.Las de dormir, monsieur? H! je me donne au diable, Je n'ai pas eu le temps d'ter mon justaucorps.VALRE.Tu dormiras demain.HECTOR, part.Il a le diable au corps.VALRE.Est-il venu quelqu'un ?HECTOR.Il est, selon l'usage,Venu maint crancier; de plus, un gros visage, Un matre de trictrac qui ne m'est pas connu. Le matre de musique est encore venu. Ils reviendront bientt.VALRE.Bon. Pour cette autre affaire, M'as-tu dterr...HECTOR.Qui ? Cette honnte usurire Qui nous prte, par heure, vingt sous par cu?VALRE.Justement, elle-mme.HECTOR.Oui, monsieur, j'ai tout vu Qu'on vend cher maintenant l'argent la jeunesse! Mais enfin, j'ai tant fait, avec un peu d'adresse, Qu'elle m'a reconduit d'un air fort obligeant; Et vous aurez, je crois, au plus tt votre argent.VALRE.J'aurais les mille cus! O ciel! quel coup de grce! Hector, mon cher Hector, viens a que je t'embrasse.HECTOR.Comme l'argent rend tendre ! VALRE.Et tu crois qu'en effet Je n'ai, pour en avoir, qu' donner mon billet ?HECTOR.Qui le refuserait serait bien difficile : Vous tes aussi bon que banquier de la ville. Pour la rduire au point o vous la souhaitez, II a fallu lever bien des difficults : Elle est d'accord de tout, du temps, des arrrages; II ne faut maintenant que lui donner des gages.

  • VALRE. Des gages?HECTOR.Oui, monsieur.VALRE.Mais y penses-tu bien? O les prendrai-je, dis ?HECTOR.Ma foi, je n'en sais rien.Pour nippes nous n'avons qu'un grand fonds d'esprance,Sur les produits trompeurs d'une rjouissance; Et dans ce sicle-ci, messieurs les usuriers Sur de pareils effets prtent peu volontiers.VALRE.Mais quel gage, dis-moi, veux-tu que je lui donne ?HECTOR.Elle viendra tantt elle-mme en personne : Vous vous ajusterez ensemble en quatre mots. Mais, monsieur, s'il vous plat, pour changer de propos, Aimeriez-vous toujours la charmante Anglique?VALRE.Si je l'aime? Ah! ce doute et m'outrage et me pique. Je l'adore.HECTOR.Tant pis : c'est un signe fcheux. Quand vous tes sans fonds, vous tes amoureux; Et quand l'argent renat, votre tendresse expire. Votre bourse est, monsieur, puisqu'il faut vous le dire, Un thermomtre sr, tantt bas, tantt haut, Marquant de votre cur ou le froid ou le chaud.VALRE.Ne crois pas que le jeu, quelque sort qu'il me donne, Me fasse abandonner cette aimable personne.HECTOR.Oui, mais j'ai bien peur, moi, qu'on ne vous plante l.VALRE.Et sur quel fondement peux-tu juger cela ?HECTOR.Nrine sort d'ici, qui m'a dit qu'AngliquePour Dorante, votre oncle, en ce moment s'explique,Que vous jouez toujours malgr tous vos serments, Et qu'elle abjure enfin ses tendres sentiments.VALRE.Dieux ! que me dis-tu l ?HECTOR.Ce que je viens d'entendre. VALRE.Bon! cela ne se peut; on t'a voulu surprendre1.

  • HECTOR.Vous tes assez riche en bonne opinion, A ce qu'il me parat.VALRE.Point. Sans prsomption, On sait ce que l'on vaut.HECTOR.Mais si, sans vouloir rire, Tout allait comme j'ai l'honneur de vous le dire, Et qu'Anglique enfin pt changer...VALRE.En ce cas, Je prends le parti... Mais cela ne se peut pas.HECTOR.Si cela se pouvait, qu'une passion neuve...VALRE.En ce cas, je pourrais rabattre sur la veuve, La comtesse sa sur.HECTOR.Ce dessein me plat fort; J'aime un amour fond sur un bon coffre-fort; Si vous vouliez un peu vous aider avec elle, Cette veuve, je crois, ne serait point cruelle; Ce serait une ponge presser au besoin.VALRE.Cette ponge, entre nous, ne vaudrait pas ce soin.HECTOR.C'est, dans son caractre, une espce parfaite, Un ambigu nouveau de prude et de coquette, Qui croit mettre les curs contribution, Et qui veut pouser : c'est l sa passion.VALRE.pouser ?HECTOR.Un marquis de mme caractre, Grand pouseur aussi, la galope et la flaire.VALRE.Et quel est ce marquis ?HECTOR.C'est, vous parler net, Un marquis de hasard fait par le lansquenet; Fort brave, ce qu'il dit, intrigant, plein d'affaires, Qui croit de ses appas les femmes tributaires; Qui gagne au jeu beaucoup et qui, dit-on, jadis Etait valet de chambre avant d'tre marquis. Mais sauvons-nous, monsieur, j'aperois votre pre.SCENE VII. GRONTE, VALRE, HECTOR.

  • GRONTE.Doucement; j'ai deux mots vous dire, Valre.(A Hector.} Pour toi, j'ai quelques coups de canne te prter.HECTOR.Excusez-moi, monsieur, je ne puis m'arrter.GRONTEDemeure l, maraudHECTOR, part.Il n'est pas temps de rire.GRONTE.Pour la dernire fois, mon fils, je viens vous dire Que votre train de vie est si fort scandaleux,Que vous m'obligerez quelque clat fcheux;Je ne puis retenir ma bile davantage,Et ne saurais souffrir votre libertinage.Vous tes pilier-n de tous les lansquenets, Qui sont, pour la jeunesse, autant de trbuchets;Un bois plein de voleurs est un plus sr passage;Dans ces lieux, jour et nuit, ce n'est que brigandage.Il faut opter des deux : tre dupe ou fripon.HECTOR.Tous ces jeux de hasard n'attirent rien de bon. J'aime les jeux galants o l'esprit se dploie.(A Grante.) C'est, monsieur, par exemple, un joli jeu que l'oie.GERONTE, Hector. Tais-toi.(A Valre.)Non, prsent le jeu n'est que fureur : On joue argent, bijoux, maisons, contrats, honneur; Et c'est ce qu'une femme, en cette humeur craindre, Risque plus volontiers, et perd plus sans se plaindre.HECTOR.Oh! nous ne risquons pas, monsieur, de tels bijoux.GRONTE.Votre conduite enfin m'enflamme de courroux; Je ne puis vous souffrir vivre de cette sorte.Vous m'avez oblig de vous fermer ma porte; J'tais las, attendant chez moi votre retour, Qu'on ft du jour la nuit, et de la nuit le jour.HECTOR.C'est bien fait. Ces joueurs qui courent la fortune Dans leurs drglements ressemblent la lune, Se couchant le matin et se levant le soir.GRONTE.Vous me poussez bout; mais je vous ferai voir Que, si vous ne changez de vie et de manire, Je saurai me servir de mon pouvoir de pre,

  • Et que de mon courroux vous sentirez l'effet.HECTOR, Valre. Votre pre a raison.GRONTE.Comme le voil fait!Dbraill, mal peign, l'il hagard! A sa mine, On croirait qu'il viendrait dans la fort voisine, De faire un mauvais coup.HECTOR, part.On croirait vrai de lui : II a fait trente fois coupe-gorge aujourd'hui.GRONTE.Serez-vous bientt las d'une telle conduite ? Parlez, que dois-je enfin esprer dans la suite?VALRE.Je reviens aujourd'hui de mon garement, Et ne veux plus jouer, mon pre, absolument.HECTOR, part. Voil du fruit nouveau dont son fils le rgale.GRONTE.Quand Us n'ont pas un sou, voil de leur morale.VALRE.J'ai de l'argent encore; et, pour vous contenter, De mes dettes je veux aujourd'hui m'acquitter.GRONTE.S'il est ainsi, vraiment, j'en ai bien de la joie.HECTOR, bas Valre. Vous acquitter, monsieur, avec quelle monnoie ?VALRE, bas Hector. Te tairas-tu?(Haut son pre.} Mon oncle aspire dans ce jour A m'ter d'Anglique et la main et l'amour; Vous savez que pour elle il a l'me blesse, Et qu'il veut m'enlever...GRONTE.Oui, je sais sa pense, Et je serai ravi de le voir confondu.HECTOR, Grante. Vous n'avez qu' parler, c'est un homme tondu.GRONTE.Je voudrais bien dj que l'affaire ft faite.Anglique est fort riche, et point du tout coquette, Matresse de son choix. Avec ce bon dessein, Va te mettre en tat de mriter sa main, Payer tes cranciers...VALRE.J'y vais, j'y cours... (// va pour sortir, parle bas Hector, et revient.)

  • Mon pre... GERONTE.H! plat-il?VALRE.Pour sortir entirement d'affaire,II me manque environ quatre ou cinq mille francs. Si vous vouliez, monsieur...GRONTE.Ah! ah! je vous entends, Vous m'avez mille fois berc de ces sornettes. Non; comme vous pourrez, allez payer vos dettes.VALRE.Mais, mon pre, croyez...GRONTE.A d'autres, s'il vous plat.VALRE.Prtez-moi mille cus.HECTOR, Gronte.Nous parons l'intrt Au denier un.VALRE.Monsieur...GRONTE.Je ne puis vous entendre.VALRE.Je ne veux point, mon pre, aujourd'hui vous surprendre ; Et, pour vous faire voir quels sont mes bons desseins, Retenez cet argent, et payez par vos mains.HECTOR.Ah ! parbleu, pour le coup, c'est tre raisonnable.GRONTE.Et de combien encore tes-vous redevable ?VALRE.La somme n'y fait rien.GRONTE.La somme n'y fait rien? HECTOR.Non. Quand vous le verrez vivre en homme de bien,Vous ne regretterez nullement la dpense ;Et nous ferons, monsieur, la chose en conscience.GRONTE.coutez; je veux bien faire un dernier effort; Mais, aprs cela, si...VALRE.Modrez ce transport;Que sur mes sentiments votre me se repose. Je vais voir Anglique; et mon cur se proposeD'arrter son courroux, dj prs d'clater.

  • SCENE VIII. GRONTE, HECTOR.HECTOR.Je m'en vais travailler, moi, pour vous contenter, A vous faire, en raisons claires et positives, Le mmoire succinct de nos dettes passives, Et que j'aurai l'honneur de vous montrer dans peu.SCENE IX. GRONTE, seul.GRONTEMon frre en son amour n'aura pas trop beau jeu. Non, quand ce ne serait que pour le contredire, Je veux rompre l'hymen o son amour aspire; Et j'aurai deux plaisirs la fois, si je puis, De chagriner mon frre et marier mon fils.SCENE X. M. TOUTABAS, GRONTE.TOUTABAS.Avec tous les respects d'un cur vraiment sincre, Je viens pour vous offrir mon petit ministre. Je suis, pour vous servir, gentilhomme auvergnac. Docteur dans tous les jeux, et matre de trictrac :Mon nom est Toutabas, vicomte de la Case, Et votre serviteur, pour terminer ma phrase.GRONTE, part. Un matre de trictrac! Il me prend pour mon fils.(Haut.)Quoi! vous montrez, monsieur, un tel art dans Paris! Et l'on ne vous a pas fait prsent, en galre, D'un brevet d'espalier ?TOUTABAS, part.A quel homme ai-je affaire ? (Haut.)Comment! je vous soutiens que dans tous les tats On ne peut de mon art assez faire de cas ; Qu'un enfant de famille, et qu'on veut bien instruire, Devrait savoir jouer avant que savoir lire.GRONTE.Monsieur le professeur, avecque vos raisons, II faudrait vous loger aux Petites-Maisons.TOUTABAS.De quoi sert, je vous prie, une foule inutileDe chanteurs, de danseurs, qui montrent par la ville?Un jeune homme en est-il plus riche, quand il sait Chanter r, mi, fa, sol, ou danser un menuet ?Para-t-on des marchands la cohorte pressanteAvec un vaudeville ou bien une courante ?Ne vaut-il pas bien mieux qu'un jeune cavalierDans mon art au plus tt se fasse initier ? Qu'il sache, quand il perd, d'une me non commune,A force de savoir, rappeler la fortune ?

  • Qu'il apprenne un mtier qui, par de srs secrets, En le divertissant, l'enrichisse jamais ?GRONTE.Vous tes riche, voir ?TOUTABAS.Le jeu fait vivre l'aiseNombre d'honntes gens, fiacres, porteurs de chaise; Mille usuriers fournis de ces obscurs brillantsQui vont de doigts en doigts tous les jours circulants; Des Gascons souper dans les brelans fidles; Des chevaliers sans ordre ; et tant de demoisellesQui, sans le lansquenet et son produit cach, De leur faible vertu feraient fort bon march, Et dont tous les hivers la cuisine se fonde Sur l'impt tabli d'une infaillible ronde.GERONTE.S'il est quelque joueur qui vive de son gain,On en voit tous les jours mille mourir de faim, Qui, forcs garder une longue abstinence, Pleurent d'avoir trop mis la rjouissance.TOUTABASEt c'est de l que vient la beaut de mon art; En suivant mes leons, on court peu ce hasard.Je sais, quand il le faut, par un peu d'artifice, D'un sort injurieux corriger la malice; Je sais, dans un trictrac, quand il faut un sonnez, Glisser des ds heureux, ou chargs, ou pips ;Et quand mon plein est fait, gardant mes avantages, J'en substitue aussi d'autres prudents et sages,Qui, n'offrant mon gr que des as tous coups, Me font en un instant enfiler douze trous.GRONTE.Et, monsieur Toutabas, vous avez l'insolence De venir dans ces lieux montrer votre science ?TOUTABAS. Oui, monsieur, s'il vous plat.GRONTE.Et vous ne craignez pas Que j'arme contre vous quatre paires de bras, Qui le long de vos reins...TOUTABAS.Monsieur, point de colre : Je ne suis point ici venu pour vous dplaireGERONTE, le pousse. Matre jur filou, sortez de la maison.TOUTABAS.Non, je n'en sors qu'aprs vous avoir fait leon.

  • GRONTE.A moi, leon ?TOUTABAS.Je yeux, par mon savoir extrme, Que vous escamotiez un d comme moi-mme.GRONTE.Je ne sais qui me tient, tant je suis anim, Que quelques bons soufflets donns poings ferms... Va-t'en!(// le prend par les paules.}TOUTABAS.Puisque aujourd'hui votre humeur ptulante Vous rend l'me aux leons un peu rcalcitrante, Je reviendrai demain pour la seconde fois.GERONTE.Reviens !TOUTABAS.Vous plairait-il de m'avancer le mois ? GRONTE, le poussant tout fait dehors. Sortiras-tu d'ici, vrai gibier de potence ?SCENE XI. GRONTE, seul.Je ne puis respirer, et j'en mourrai, je pense. Heureusement mon fils n'a point vu ce fripon : II me prenait pour lui dans cette occasion. Sachons ce qu'il a fait; et, sans plus de mystre, Concluons son hymen, et finissons l'affaire.

    ACTE IISCENE PREMIERE. ANGLIQUE, NRINE.ANGLIQUE.Mon cur serait bien lche, aprs tant de serments,D'avoir encor pour lui de tendres mouvements.Nrine, c'en est fait, pour jamais je l'oublie;Je ne veux ni l'aimer, ni le voir de ma vie;Je sens la libert de retour dans mon cur. Ne me viens pas, au moins, parler en sa faveur.NERINE.Moi, parler pour Valre! Il faudrait tre folle. Que plutt jamais je perde la parole!ANGLIQUE.Ne viens point dsormais, pour calmer mon dpit, Rappeler mes sens son air et son esprit; Car tu sais qu'il en a.NERINE.

    De l'esprit ! lui, madame !Il est plus journalier mille fois qu'une femme :II rve tout moment; et sa vivacitDpend presque toujours d'une carte ou d'un d.

  • ANGLIQUE Mon cur est maintenant certain de sa victoire.NRINE.Madame, croyez-moi, je connais le grimoire. Souvent tous ces dpits sont des hoquets d'amour.ANGLIQUE.Non, l'amour de mon cur est banni sans retour.NRINE.Cet hte dans un cur a bientt fait son gte; Mais il se garde bien d'en dloger si vite.ANGLIQUE.Ne crains rien de mon cur.NRINE.

    S'il venait l'instant,Avec cet air flatteur, soumis, insinuant,Que vous lui connaissez; que, d'un ton pathtique,(Elle se met ses pieds.)Il vous dt, vos pieds : Non, charmante Anglique, Je ne veux opposer tout votre courroux Qu'un seul mot : Je vous aime, et je n'aime que vous. Votre me en ma faveur n'est-elle point mue ? Vous ne me dites rien! vous dtournez la vue!(Elle se relve.) Vous voulez donc ma mort ? Il faut vous contenter. Peut-tre en ce moment, pour vous pouvanter,II se soufflettera d'une main mutine, Se donnera du front contre une chemine, S'arrachera, de rage, un toupet de cheveux Qui ne sont pas lui. Mais de ces airs fougueux Ne vous tonnez pas; comptez qu'en sa colreII ne se fera pas grand mal.ANGLIQUE.Laisse-moi faireNRINEVous voil, grce au ciel, bien instruite sur tout; Ne vous dmentez point, tenez bon jusqu'au bout.SCENE IL LA COMTESSE, ANGLIQUE, NRINE.LA COMTESSE.On dit partout, ma sur, qu'un peu moins prvenue, Vous pousez Dorante?ANGLIQUE.Oui, j'y suis rsolue.LA COMTESSE.Mon cur en est ravi. Valre est un vrai fou Qui jouerait votre bien jusques au dernier sou.ANGLIQUE.D'accord.

  • LA COMTESSE.J'aime vous voir vaincre votre tendresse. Cet amour, entre nous, tait une faiblesse. Il faut se dgager de ces attachements Que la raison condamne et qui flattent nos sens.ANGLIQUE.Il est vrai.LA COMTESSE.Rien n'est plus craindre dans la vie, Qu'un poux qui du jeu ressent la tyrannie. J'aimerais mieux qu'il ft gueux, avaricieux, Coquet, fcheux, mal fait, brutal, capricieux, Ivrogne, sans esprit, dbauch, sot, colre,Que d'tre un emport joueur comme est Valre.ANGELIQUE.Je sais que ce dfaut est le plus grand de tous.LA COMTESSE.Vous ne voulez donc plus en faire votre poux ?ANGLIQUE.Moi ? non; dans ce dessein nos humeurs sont conformes.NRINE.II a, ma foi, reu son cong dans les formes.LA COMTESSE.C'est bien fait. Puisque enfin vous renoncez lui, Je vais l'pouser, moi.ANGLIQUE.L'pouser ?LA COMTESSE.Aujourd'hui.ANGLIQUE.Ce joueur qu' l'instant...LA COMTESSE.Je saurai le rduire. On sait sur les maris ce que l'on a d'empire.ANGLIQUE.Quoi, vous voulez, ma sur, avec cet air si doux, Ce maintien rserv, prendre un nouvel poux ?LA COMTESSE.Et pourquoi non, ma sur ? Fais-je donc un grand crime De rallumer les feux d'un amour lgitime? J'avais fait vu de fuir tout autre engagement. Pour garder du dfunt le souvenir charmant, Je portais son portrait; et cette vive image Me soulageait un peu des chagrins du veuvage : Mais qu'est-ce qu'un portrait, quand on aime bien fort ? C'est un poux vivant qui console d'un mort.NRINE.

  • Madame n'aime pas les maris en peinture.LA COMTESSE.Cela racquitte-t-il d'une perte aussi dure ?NRINE. C'est irriter le mal, au lieu de l'adoucir.ANGLIQUE.Connaisseuse en maris, vous deviez mieux choisir. Vous unir Valre!LA COMTESSE.Oui, ma sur, lui-mme.ANGLIQUE.Mais vous n'y pensez pas. Croyez-vous qu'il vous aime?LA COMTESSE.S'il m'aime, lui! s'il m'aime! Ah! quel aveuglement ! On a certains attraits, un certain enjoment, Que personne ne peut me disputer, je pense.ANGLIQUE.Aprs un si long temps de pleine jouissance, Vos attraits sont vous sans contestation.LA COMTESSE.Et je puis en user ma discrtion.ANGLIQUE.Sans doute. Et je vois bien qu'il n'est pas impossible Que Valre pour vous ait eu le cur sensible. L'or est d'un grand secours pour acheter un cur : Ce mtal, en amour, est un grand sducteur.LA COMTESSE.En vain vous m'insultez avec un tel langage : La modration fut toujours mon partage : Mais ce n'est point par l'or que brillent mes attraits; Et jamais, en aimant, je ne fis de faux frais.Mes sentiments, ma sur, sont diffrents des vtres;Si je connais l'amour, ce n'est que dans les autres. J'ai beau m'armer de fier, je vois de toutes parts Mille curs amoureux suivre mes tendards; Un conseiller de robe, un seigneur de finance,Dorante, le marquis, briguent mon alliance;Mais si d'un nouveau nud je veux bien me lier, Je prtends Valre offrir un cur entier. Je fais profession d'une vertu svre.ANGLIQUE.Qui peut vous assurer de l'amour de Valre ?LA COMTESSE.Qui peut m'en assurer ? mon mrite, je crois.ANGLIQUE.D'autres sur lui, ma sur, auraient les mmes droits.LA COMTESSE.

  • Il n'eut jamais pour vous qu'une estime strile, Un petit feu lger, vagabond, volatile. Quand on veut inspirer une solide amour, II faut avoir vcu, ma sur, bien plus d'un jour, Avoir un certain poids, une beaut forme Par l'usage du monde, et des ans confirme. Vous n'en tes pas l.ANGLIQUE.J'attendrai bien du temps.NRINE.Madame est prvoyante, elle a pris les devants. Mais on vient.SCENE III. LA COMTESSE, ANGLIQUE,NRINE, UN LAQUAIS.LE LAQUAIS, la comtesse. Le marquis, madame, est l qui monte.LA COMTESSE.Le marquis ? H ! non, non ; il n'est pas sur mon compte.SCENE IV. LE MARQUIS, LA COMTESSE, ANGLIQUE, NRINE.LE MARQUIS, se rajustant, la comtesse. Je suis tout en dsordre; un maudit embarrasM'a fait quitter ma chaise deux ou trois cents pas; Et j'y serais encor dans des peines mortelles, Si l'Amour, pour vous voir, ne m'et prt des ailes.LA COMTESSE.Que monsieur le marquis est galant sans fadeur!LE MARQUIS.Oh! point du tout, je suis votre humble serviteur; Mais, vous parler net, sans que l'esprit fatigue, Prs du sexe, je sais me dmler d'intrigue.(Apercevant Anglique.') Ah! juste ciel! quel est cet admirable objet5?LA COMTESSE.C'est ma sur.LE MARQUIS.Votre sur! vraiment, c'est fort bien faitJe vous sais gr d'avoir une sur aussi belle; On la prendrait, parbleu, pour votre sur jumelle.LA COMTESSE.Qu'il est sincre ! On voit qu'il est homme de cour.LE MARQUIS.Homme de cour, moi! non. Ma foi, la cour m'ennuie; L'esprit de ce pays n'est qu'en superficie; Sitt que vous voulez un peu l'approfondir, Vous rencontrez le tuf. J'y pourrais m'agrandir; J'ai de l'esprit, du cur, plus que seigneur de France : Je joue, et j'y ferais fort bonne contenance;

  • Mais je n'y vais jamais que par ncessit, Et pour y rendre au roi quelque civilit.NRINE.Il vous est oblig, monsieur, de tant de peine.LE MARQUIS.Je n'y suis pas plus tt, soudain je perds haleine. Ces fades compliments sur de grands mots monts, Ces protestations, qui sont futilits, Ces serrements de main dont on vous estropie, Ces grands embrassements dont un flatteur vous lie,M'tent tout moment la respiration : On ne s'y dit bonjour que par convulsion.ANGELIQUE, au marquis. Les dames de la cour sont bien mieux votre affaire.LE MARQUIS,Point. Il faut tre au moins gros fermier pour leur plaire : Leur sotte vanit croit ne pouvoir trop hautA des faveurs de cour mettre un injuste taux. Moi, j'aime pourchasser des beauts mitoyennes. L'hiver, dans un fauteuil, avec des citoyennes, Les pieds sur les chenets tendus sans faons, Je pousse la fleurette, et conte mes raisons.L, toute la maison s'offre me faire fte;Valets, fille de chambre, enfants, tout est honnte; L'poux mme, discret, quand il entend minuit, Me laisse avec madame, et va coucher sans bruit. Voil comme je vis, quand parfois dans la villeJe veux bien droger...NRINE.La manire est facile, Et ce commerce-l me parat assez doux.LE MARQUIS, la comtesse. C'est ainsi que je veux en user avec vous. Je suis tout naturel, et j'aime la franchise : Ma bouche ne dit rien que mon cur n'autorise ;Et quand de mon amour je vous fais un aveu, Madame, il est trop vrai que je suis tout en feu.LE COMTESSE.Fi donc, petit badin, un peu de retenue ! Vous me parlez, marquis, une langue inconnue : Le mot d'amour me blesse, et me fait trouver mal.LE MARQUIS.L'effet n'en serait pas peut-tre si fatal.NRINE.Elle veut qu'en dtours la chose s'enveloppe; Et ce mot, dit cru, lui cause une syncope.ANGLIQUE.

  • Dans la bouche d'un autre il deviendrait plus doux.LA COMTESSE.Comment? Qu'est-ce? Plat-il? Parlez; expliquez-vous. Parlez donc, parlez donc. Apprenez, je vous prie, Que mortel, tel qu'il soit, ne me dit de ma vie Un mot douteux qui puisse effleurer mon honneur.LE MARQUIS.Croirait-on qu'une veuve aurait tant de pudeur ?ANGLIQUE.Mais Valre vous aime, et souvent... LE MARQUIS.Qu'est-ce dire,Valre ? Un autre ici conjointement soupire ! Ah! si je le savais, je lui ferais, morbleu... O loge-t-il?NRINE.Ici.LE MARQUIS.// fait semblant de s'en aller, et revient. Nous nous verrons dans peu.LA COMTESSE.Mais quel droit avez-vous sur moi ?LE MARQUIS.Quel droit, ma reine ?Le droit de biensance avec celui d'aubaine. Vous me convenez fort, et je vous conviens mieux. Sur vous l'on sait assez que je jette les yeux.LA COMTESSE.Vous tes fou, marquis, de parler de la sorte.LE MARQUIS.Je sais ce que je dis, ou le diable m'emporte.LA COMTESSE.Sommes-nous donc lis par quelque engagement?LE MARQUIS.Non pas autrement... mais...LA COMTESSE.

    Qu'est-ce dire? comment?Parlez.LE MARQUIS.

    Je ne sais point prendre en main des trompettes Pour publier partout les faveurs qu'on m'a faites.ANGLIQUE.Ah! ma sur!NRINE.Des faveurs !LE MARQUIS.Suffit, je suis discret

  • Et sais, quand il le faut, oublier un secret.LA COMTESSE.On ne connat que trop ma retenue austre. Il veut rire.LE MARQUIS.Ah! parbleu, je saurai de ValreQuel est, en vous aimant, le but de ses dsirs, Et de quel droit il vient chasser sur mes plaisirs.SCENE V. ANGLIQUE, LA COMTESSE, LE MARQUIS, NRINE, UN LAQUAIS.LE LAQUAIS, tendant un billet au marquis. Monsieur, c'est de la part de la grosse comtesse.LE MARQUIS, le mettant dans sa poche. Je le lirai tantt.(Le laquais sort.)SCENE VI. ANGLIQUE, LA COMTESSE, LE MARQUIS, NRINE, UN SECOND LAQUAIS.LE SECOND LAQUAIS.Cette jeune duchesse Vous attend vingt pas pour vous mener au jeu.LE MARQUIS.Qu'elle attende.(Le second laquais sort)SCENE VII. ANGLIQUE, LA COMTESSE, LE MARQUIS, NRINE, UN TROISIEME LAQUAIS.LE TROISIME LAQUAIS.Monsieur...LE MARQUIS.Encore ! Oh ! palsambleu !Il faut que de la ville enfin je me drobe!LE TROISIME LAQUAIS.Je viens de voir, Monsieur, cette femme de robe, Qui dit que, cette nuit, son mari couche aux champs, Et que, ce soir, sans bruit...LE MARQUIS.Il suffit, je t'entends.Tu prendras ce manteau, fait pour bonne fortune, De couleur de muraille; et tantt, sur la brune, Va m'attendre en secret o tu fus avant-hier. L...LE TROISIME LAQUAIS.Je sais.(// sort.)SCENE VIII. LES MMES, SAUF LE LAQUAIS.LE MARQUIS.Il faudrait avoir un corps de fer Pour rsister tout! J'ai de l'ouvrage faire, Comme vous le voyez; mais je m'en veux distraire.(A la comtesse)

  • Vous ferez dsormais tous mes soins les plus doux.LA COMTESSE.Si mon cur tait libre, il pourrait tre vous.LE MARQUIS.Adieu, charmant objet; regret, je vous quitte. C'est un pesant fardeau d'avoir un gros mrite !SCENE IX. LA COMTESSE, ANGLIQUE, NRINE.NERINE, la comtesse. Cet homme-l vous aime pouvantablement.ANGLIQUE, la comtesse. Je ne vous croyais pas un tel engagement.LA COMTESSE.Il est vif.ANGLIQUE.Il vous aime; et son ardeur est belle.LA COMTESSE.L'amour qu'il a pour moi lui tourne la cervelle : II ne m'a pourtant vue encore que deux fois.NRINE.Il en a donc bien fait la premire...SCENE X. VALRE, LA COMTESSE, ANGLIQUE, NRINE.NRINE.Je crois Voir Valre.LA COMTESSE.L'amour auprs de moi le guide.NRINE.Il tremble en approchant.LA COMTESSE.J'aime un amant timide. Cela marque un bon fond.(A Valre.}Approchez, approchez; Ouvrez de votre cur les sentiments cachs.(A Anglique.} Vous allez voir, ma sur.VALRE, la comtesse.Ah! quel bonheur, madame, Que vous me permettiez d'ouvrir toute mon me;(A Anglique.)Et quel plaisir de dire, en des transports si doux, Que mon cur vous adore, et n'adore que vous !LA COMTESSEL'amour le trouble. Eh quoi! que faites-vous, Valre?VALERE.Ce que vous-mme ici m'avez permis de faire.NERINE, part. Voici du quiproquo.

  • VALRE, Anglique.Que je serais heureux, S'il vous plaisait encor de recevoir mes vux.LA COMTESSE, Valre. Vous vous mprenez.VALRE.Non. Enfin, belle Anglique, Entre mon oncle et moi que votre cur s'explique ; Le mien est tout vous, et jamais dans un cur...LA COMTESSE. Anglique!VALRE....On ne vit une plus noble ardeur.LA COMTESSE.Ce n'est donc pas pour moi que votre cur soupire ?VALRE.Madame, en ce moment, je n'ai rien vous dire. Regardez votre sur; et jugez si ses yeux Ont laiss dans mon cur de place d'autres feux.LA COMTESSE.Quoi! d'aucun feu pour moi votre me n'est prise?VALRE.Quelques civilits que l'usage autorise...LA COMTESSE. Comment?ANGLIQUE.Il ne faut pas avec svrit Exiger des amants trop de sincrit. Ma sur, tout doucement avalez la pilule.LA COMTESSE.Taisez-vous, s'il vous plat, petite ridicule.VALRE, la comtesse. Vous avez cent vertus, de l'esprit, de l'clat; Vous tes belle, riche, et...LA COMTESSE.Vous tes un fat.ANGLIQUE.La modration, qui fut votre partage,Vous ne la mettez pas, ma sur, trop en usage.LA COMTESSE.Monsieur vaut-il le soin qu'on se mette en courroux? C'est un extravagant; il est tout fait pour vous.(Elle sort.}SCENE XI. VALRE, ANGLIQUE, NRINE.NERINE, part. Elle connat ses gens.VALRE.

  • Oui, pour vous je soupire, Et je voudrais avoir cent bouches pour le dire.NERINE, bas Anglique. Allons, madame, allons, ferme; voici le choc : Point de faiblesse, au moins ! ayez un cur de roc.ANGELIQUE, bas Nrine. Ne m'abandonne point.NERINE, bas Anglique.Non, non; laissez-moi faire.VALERE.Mais que me sert, hlas ! que mon cur vous prfre ?Que sert mon amour un si sincre aveu ?Vous ne m'coutez point, vous ddaignez mon feu.De vos beaux yeux pourtant, cruelle, il est l'ouvrage,Je sais qu' vos beauts c'est faire un dur outrage De nourrir dans mon cur des dsirs partags,Que la fureur du jeu se mle o vous rgnez;Mais...ANGLIQUE.Cette passion est trop forte en votre me Pour croire que l'amour d'aucun feu vous enflamme. Suivez, suivez l'ardeur de vos emportements; Mon cur n'en aura point de jaloux sentiments.NERINE, bas Anglique. Optime.VALRE.Dsormais, plein de votre tendresse, Nulle autre passion n'a rien qui m'intresse; Tout ce qui n'est point vous me parat odieux.ANGELIQUE, d'un ton plus tendre. Non, ne vous prsentez jamais devant mes yeux.NERINE, bas Anglique. Vous mollissez.VALRE.Jamais ! quelle rigueur extrme ! Jamais! Ah! que ce mot est cruel quand on aime! H quoi ! rien ne pourra flchir votre courroux ? Vous voulez donc me voir mourir vos genoux ?ANGLIQUE. Je prends peu d'intrt, monsieur, votre vie.NERINE, bas Anglique. Nous allons bientt voir jouer la comdie.VALRE.Ma mort sera l'effet de mon cruel dpit !NERINE, bas Anglique. Qu'un amant mort pour nous nous mettrait en crdit !VALERE.

  • Vous le voulez? Eh bien! il faut vous satisfaire, Cruelle, il faut mourir.(// veut tirer son pe.}ANGLIQUE, l'arrtant.Que faites-vous, Valre ? NRINE, bas Anglique. Eh bien! ne voil pas votre tendre maudit Qui vous prend la gorge! Euh!ANGELIQUE, bas Nrine.Tu ne m'as pas dit,Nrine, qu'il viendrait se percer ma vue; Et je tremble de peur quand une pe est nue.NERINE, part. Que les amants sont sots !VALERE.Puisqu'un soin gnreuxVous intresse encore aux j ours d'un malheureux, Non, ce n'est point assez de me rendre la vie; II faut que, par l'amour dsarme, attendrie, Vous me rendiez encor ce cur si prcieux, Ce cur sans qui le jour me devient odieux.ANGELIQUE, bas Nrine. Nrine, qu'en dis-tu ?NRINE, bas Anglique.Je dis qu'en la mle Vous avez moins de cur qu'une poule mouille.VALRE.Madame, au nom des dieux, au nom de vos attraits...ANGLIQUE. Si vous me promettiez...VALRE.Oui, je vous le promets, Que la fureur du jeu sortira de mon me, Et que j'aurai pour vous la plus ardente flamme...NERINE, part. Pour faire des serments il est toujours tout prt.ANGLIQUE.Il faut encore, ingrat, vouloir ce qu'il vous plat. Oui, je vous rends mon cur.VALERE, lui baisant la main.Ah! quelle joie extrme!ANGLIQUE.Et, pour vous faire voir quel point je vous aime, Je joins ce prsent celui de mon portrait.(Elle lui donne son portrait enrichi de diamants.)NERINE, part. Hlas! de mes sermons voil quel est l'effet!

  • VALRE.Quel excs de faveurs !ANGLIQUE.Gardez-le, je vous prie. VALERE, le baisant.Que je le garde, ciel! Le reste de ma vie... Que dis-je ? je prtends que ce portrait si beau Soit mis avecque moi dans le mme tombeau, Et que mme la mort jamais ne nous spare.NERINE, part. Que l'esprit d'une fille est changeant et bizarre !ANGLIQUE.Ne me trompez donc plus, Valre; et que mon cur Ne se repente point de sa facile ardeur.VALRE.Fiez-vous aux serments de mon me amoureuse.NERINE, part. Ah! que voil pour l'oncle une poque fcheuse!SCENE XII. VALRE, seul. Est-il dans l'univers de mortel plus heureux? Elle me rend son cur; elle comble mes vux, M'accable de faveurs...SCENE XIII. VALRE, HECTOR.HECTOR.Monsieur, je viens vous dire...VALRE.Je suis tout transport. Vois, considre, admire : Anglique m'a fait ce gnreux prsent.HECTOR.Que les brillants sont gros ! Pour tre plus content, Je vous amne encore un lnitif de bourse, Une usurire.VALRE.Et qui?HECTOR.Madame La Ressource.SCENE XIV. MADAME LA RESSOURCE, VALRE, HECTOR.VALRE, embrassant madame La Ressource. H! bonjour, mon enfant : tu ne peux concevoir Jusqu'o va dans mon cur le plaisir de te voir.MADAME LA RESSOURCE.Je vous suis oblige on ne peut davantage.HECTOR.Elle est jolie encor. Mais quel sombre quipage! Vous voil, sans mentir, aussi noire qu'un four.VALRE.Ne vois-tu pas, Hector, que c'est un deuil de cour?

  • MADAME LA RESSOURCE.Oh! monsieur, point du tout; je suis une bourgeoise Qui sais me mesurer justement ma toise. J'en connais bien pourtant qui ne me valent pas,Qui se font teindre en noir du haut jusques en bas; Mais, pour moi, je n'ai point cette sotte manie ; Et si mon pauvre poux tait encore en vie...(Elle pleure.}VALRE.Quoi, monsieur La Ressource est mort ?MADAME LA RESSOURCE.Subitement. HECTOR, pleurant. Subitement ? Hlas ! j'en suis fch vraiment.(Bas Valre.) Au fait,VALERE.

    J'aurais besoin, madame La Ressource, De mille cus.MADAME LA RESSOURCE.

    Monsieur, disposez de ma bourse.VALRE.Je fais, bien entendu, mon billet au porteur.HECTOR.Et je veux l'endosser.MADAME LA RESSOURCE.

    Avec les gens d'honneur On ne perd jamais rien.VALERE.Je veux que tu le prennes. Nous faisons ici-bas des routes incertaines; Je pourrais bien mourir. Ce maraud m'avait dit Que sur des gages srs tu prtais crdit.MADAME LA RESSOURCE.Sur des gages, monsieur? c'est une mdisance; Je sais que ce serait blesser ma conscience. Pour des nantissements qui valent bien leur prix, De la vieille vaisselle au poinon de Paris,Des diamants uss, et qu'on ne saurait vendre,Sans risquer mon honneur, je crois que j'en puis prendre.VAL RE.Je n'ai, pour te donner, vaisselle ni bijoux.HECTOR.Oh! parbleu, nous marchons sans crainte des filous.MADAME LA RESSOURCE.Eh bien ! nous attendrons, monsieur, qu'il vous en vienne. VALERE.Compte, ma pauvre enfant, que ma mort est certaine

  • Si je n'ai dans ce jour mille cus.MADAME LA RESSOURCE.

    Ah ! monsieur. Je voudrais les avoir; ce serait de grand cur.VALRE.Ma charmante, mon cur, ma reine, mon aimable, Ma belle, ma mignonne, et ma toute adorable.HECTOR, genoux Par piti!MADAME LA RESSOURCE.Je ne puis.HECTOR.Ah! que nous sommes fous!Tous ces gens-l, monsieur, ont des curs de cailloux; Sans des nantissements il ne faut rien prtendre.VALRE.Dis-moi donc, si tu veux, o je les pourrai prendre.HECTOR.Attendez... Mais comment avec un cur d'airain, Refuser un billet endoss de ma main ?VALRE.Mais vois donc.HECTOR.Laissez-moi; je cherche en ma boutique.VALERE, bas Hector. coute... Nous avons le portrait d'Anglique; Dans le temps difficile il faut un peu s'aider.HECTOR, bas Valre. Ah! que dites-vous l? Vous devez le garder.VALERE, bas Hector. D'accord : honntement je ne puis m'en dfaire.MADAME LA RESSOURCE.Adieu. Quelque autre fois nous finirons l'affaire.VALRE, madame La Ressource. Attendez donc.(Bas Hector.)

    Tu sais jusqu'o vont mes besoins. N'ayant pas son portrait, l'en aimerai-je moins ?HECTOR, bas Valre. Fort bien. Mais voulez-vous que cette perfidie...VALERE, bas Hector. Il est vrai. J'ai tantt cette grosse partie De ces joueurs en fonds qui doivent s'assembler.MADAME LA RESSOURCE.Adieu.VALERE, madame La Ressource. Demeurez donc; o voulez-vous aller?

  • (Bas Hector.)Je ferai de l'argent; ou celui de mon pre, Quoi qu'il puisse arriver, nous tirera d'affaire.HECTOR, bas Valre.Que peut dire Anglique alors qu'elle apprendra Que de son cher portrait...VALRE, bas Hector.Et qui le lui dira ? Dans une heure au plus tard nous irons le reprendre.HECTOR, bas Valre. Dans une heure ?VALERE, bas Hector.Oui, vraiment. HECTOR, bas Valre.Je commence me rendre. VALRE, bas HectorJe me mettrais en gage en mon besoin urgent.HECTOR, bas Valre, le considrant. Sur cette nippe-l vous auriez peu d'argent.VALRE, bas Hector. On ne perd pas toujours : je gagnerai sans doute.HECTOR, bas Valre. Votre raisonnement met le mien en droute. Je sais que ce micmac ne vaut rien dans le fond.VALRE, bas Hector. Je m'en tirerai bien, Hector, je t'en rpond.(A madame La Ressource, montrant le portrait d'Anglique.) Peut-on, sur ce bijou, sans trop de complaisance...MADAME LA RESSOURCE.Oui, je puis, maintenant, prter en conscience; Je vois des diamants qui rpondent du prt, Et qui peuvent porter un modeste intrt. Voil les mille cus compts dans cette bourse.VALERE.Je vous suis oblig, madame La Ressource. Au moins, ne manquez pas de revenir tantt. Je prtends retirer mon portrait au plus tt.MADAME LA RESSOURCE.Volontiers. Nous aimons changer de la sorte. Plus notre argent fatigue, et plus il nous rapporte. Adieu, messieurs. Je suis tout vous ce prix.(Elle sort.)HECTOR, madame La Ressource. Adieu, juif, le plus juif qui soit dans tout Paris.SCENE XV. VALRE, HECTOR.HECTOR.Vous faites l, monsieur, une action inique.

  • VALRE.Aux maux dsesprs il faut de l'mtique : Et cet argent, offert par les mains de l'amour, Me dit que la Fortune est pour moi dans ce jour.

    ACTE IIISCENE PREMIERE. DORANTE, NRINE.DORANTE.Quel est donc le sujet pour quoi ton cur soupire7 ?NRINE.Nous n'avons pas, monsieur, tous deux, sujet de rire.DORANTE.Dis-moi donc, si tu veux, le sujet de tes pleurs.NRINE.II faut aller, monsieur, chercher fortune ailleurs.DORANTE.Chercher fortune ailleurs ! As-tu fait quelque piceQui t'aurait fait sitt chasser de ta matresse ?NRINE, pleurant plus fort. Non : c'est de votre sort dont j'ai compassion; Et c'est vous d'aller chercher condition.DORANTE.Que dis-tu?NRINE.Qu'Anglique est une me lgre Et s'est mieux que jamais rengage Valre.DORANTE.Quoique pour mon amour ce coup soit assommant,Je ne suis point surpris dun pareil changement.Je sais que cet amant tout entire l'occupe;De ses ardeurs pour moi je ne suis point la dupe; Et lorsque de ses feux je sens quelque retour Je dois tout au dpit et rien son amour. Je ne veux point, Nrine, clater en injures, Ni rappeler ici ses serments, ses parjures;Ainsi que mon amour, je calme mon courroux.NRINE.Si vous saviez, monsieur, ce que j'ai fait pour vous!DORANTE.Tiens, reois cette bague, et dis ta matresse Que malgr ses ddains, elle aura ma tendresse, Et que la voir heureuse est mon plus grand bonheur.NERINE, prenant la bague en pleurant. Ah! ah! je n'en puis plus; vous me fendez le cur.SCENE II. GRONTE, HECTOR, DORANTE, NRINE.HECTOR, Gronte.Oui, monsieur, Anglique pousera Valre,

  • Ils ont sign la paix.GERONTE, Hector. Tant mieux.

    (A Dorante.) Bonjour, mon frre...Qu'est-ce ? Eh bien ! qu'avez-vous ? Vous tes tout chang ! Allons, gai ! Vous a-t-on donn votre cong?DORANTE.Vous tes bien instruit des chagrins qu'on me donne !On ne me verra point violenter personne;Et quand je perds un cur qui cherche s'loigner,Mon frre, je prtends moins perdre que gagner. GERONTEVoil les sentiments d'un hros de Cassandre. Entre nous, vous aviez fort grand tort de prtendreQue sur votre neveu vous pussiez l'emporter.DORANTE.Non; je ne sus jamais jusque-l me flatter. La jeunesse toujours eut des droits sur les belles; L'Amour est un enfant qui badine avec elles ; Et quand, certain ge, on veut se faire aimer, C'est un soin indiscret qu'on devrait rprimer.GRONTE.Je suis, en vrit, ravi de vous entendre,Et vous prenez la chose ainsi qu'il la faut prendre.NERINESi l'on m'en avait cru, tout n'en irait que mieux.DORANTE.Ma prsence est assez inutile en ces lieux. Je vais de mon amour tcher de me dfaire.(// sort.)GRONTE.Allez, consolez-vous : c'est fort bien fait, mon frre. Adieu.SCENE III. GRONTE, NRINE, HECTOR.GRONTE.Le pauvre enfant ! Son sort me fait piti.NERINE, s'en allant. J'en ai le cur saisi.HECTOR

    Moi, j'en pleure moiti. Le pauvre homme !SCENE IV. GRONTE, HECTOR.HECTOR, tirant un papier roul avec plusieurs autres papiers.

    Voil, monsieur, un petit rleDes dettes de mon matre. Il vous tient sa parole, Comme vous le voyez, et croit qu'en tout ceci Vous voudrez bien, monsieur, tenir la vtre aussi.

  • GRONTE. a, voyons, expdie au plus tt ton affaire.HECTORJ'aurai fait en deux mots. L'honnte homme de pre! Ah! qu' notre secours propos vous venez! Encore un jour plus tard, nous tions ruins.GRONTE.Je le crois.HECTOR.

    N'allez pas sur les points vous dbattre : Foi d'honnte garon, je n'en puis rien rabattre; Les choses sont, monsieur, tout au plus juste prix; De plus, je vous promets que je n'ai rien omis.GRONTE.Finis donc.HECTOR.

    Il faut bien se mettre sur ses gardes. Mmoire juste et bref de nos dettes criardes, Que Mathurin Gronte aurait tantt promis Et promet maintenant de payer pour son fils. GRONTE.Que je les paye ou non, ce n'est pas ton affaire. Lis toujours.HECTOR.

    C'est, monsieur, ce que je m'en vais faire. Item, doit Richard cinq cents livres dix sous, Pour gages de cinq ans, frais, mises, loyaux cots. GRONTE. Quel est ce Richard ?HECTOR.

    Moi, fort votre service. Ce nom n'tant point fait du tout la propiceD'un valet de joueur, mon matre de nouveauM'a mis celui d'Hector, du valet de carreau.GRONTE.Le beau nom ! Il devait appeler Anglique Pallas, du nom connu de la dame de pique!HECTOR Secondement, il doit Jrmie Aaron, Usurier de mtier, Juif de religion... GERONTETout beau! n'embrouillons point, s'il vous plat, les affaires; Je ne veux point payer les dettes usuraires.HECTOR.Eh bien! soit. Plus, il doit maints particuliers, Ou quidams, dont les noms, qualits et mtiers Sont dduits plus au long avecque les parties,

  • Es assignations dont je tiens les copies, Dont tous lesdits quidams, ou du moins peu s'en faut, Ont obtenu dj sentence par dfaut, La somme de dix mille une livre, une obole, Pour l'avoir, sans relche, un an, sur sa parole, Habill, voiture, coiff, chauss, gant, Aliment, ras, dsaltr, port. GERONTE, faisant sauter les papiers que tient Hector. Dsaltr, port! Que le diable t'emporte, Et ton maudit mmoire crit de telle sorte !HECTOR, aprs avoir ramass les papiers. Si vous ne m'en croyez, demain, pour vous trouver, J'enverrai les quidams tous votre lever.GRONTE.La belle cour !HECTOR.

    De plus, madame une telle, Pour certaine maison que nous occupons d'elle, Sise vers le rempart, deux cent cinquante cus, Pour parfait payement de cinq quartiers chus. GERONTEQuelle est cette maison ?HECTOR

    Monsieur, c'est un asile O nous nous retirons du fracas de la ville; O mon matre, la nuit, pour noyer son chagrin, Fait entrer sans payer quelques quartauts de vin.GERONTEEt tu prtends, bourreau...HECTOR, tournant le rle.

    Monsieur, point d'invectives. Voici le contenu de nos dettes actives;Et vous allez bien voir que le compte suivant, Pay fidlement, se monte presque autant.GRONTE.Voyons.HECTOR.

    Premirement, Isaac de La Serre... II est connu de vous.GRONTE.

    Et de toute la terre : C'est ce ngociant, ce banquier si fameux.HECTORNous ne vous donnons pas de ces effets vreux ! Cela sent comme baume. Or donc, ce de La Serre, Si bien connu de vous et de toute la terre, Ne nous doit rien.

  • GERONTEComment !

    HECTOR.Mais un de ses parents,

    Mort aux champs de Fleuras, nous doit dix mille francs.GRONTE.Voil certainement un effet fort bizarre!HECTOR.Oh! s'il n'tait pas mort, c'tait de l'or en barre. Plus, mon matre est d, du chevalier Fijac, Les droits hypothqus sur un tour de trictrac. GRONTE.Que dis-tu ?HECTOR.

    La partie est de deux cents pistoles; C'est une dupe : il fait en un tour vingt coles; II ne faut plus qu'un coup.GRONTE, lui donnant un soufflet.

    Tiens, maraud, le voil,Pour m'offrir un mmoire gal celui-l. Va porter cet argent celui qui t'envoie.HECTOR. Il ne voudra jamais prendre cette monnoie.GRONTE.Impertinent maraud ! va, je t'apprendrai bien, Avecque ton trictrac...HECTOR.

    Il a dix trous rien.SCENE V. HECTOR, seul.Sa main est frapper, non donner, lgre; Et mon matre a bien fait de faire ailleurs affaire.SCENE VI. VALRE, HECTOR.(Valre entre en comptant beaucoup d'argent dans son chapeau.}HECTOR, part.Mais le voici qui vient pouss d'un heureux vent : II a les yeux sereins et l'accueil avenant. (Haut.)Par votre ordre, monsieur, j'ai vu monsieur Grante, Qui de notre mmoire a fait fort peu de compte : Sa monnoie est frappe avec un vilain coin, Et de pareil argent nous n'avons pas besoin. J'ai vu, chemin faisant, aussi monsieur Dorante;Morbleu ! qu'il est fch !VALERE, comptant toujours.

    Mille deux cent cinquante.HECTOR, part.La flotte est arrive avec les galions; Cela va diablement hausser nos actions.

  • (Haut.)J'ai vu pareillement, par votre ordre, Anglique; Elle m'a dit...VALERE, frappant du pied.

    Morbleu! ce dernier coup me pique; Sans les cruels revers de deux coups inous, J'aurais encor gagn plus de deux cents louis.HECTORCette fille, monsieur, de votre amour est folle.VALERE, part. Damon m'en doit encor deux cents sur sa parole.HECTOR, le tirant par la manche. Monsieur, coutez-moi; calmez un peu vos sens; Je parle d'Anglique, et depuis fort longtemps.VALERE, avec distraction. Ah! d'Anglique? Eh bien! comment suis-je avec elle?HECTOR.On n'y peut tre mieux. Ah! monsieur, qu'elle est belle! Et que j'ai de plaisir vous voir raccroch !VALRE, avec distraction. A te dire le vrai, je n'en suis pas fch.HECTORComment! quelle froideur s'empare de votre me! Quelle glace ! Tantt vous tiez tout de flamme. Ai-je tort quand je dis que l'argent de retour Vous fait faire toujours banqueroute l'amour ? Vous vous sentez en fonds, ergo plus de matresse.VALRE.Ah! juge mieux, Hector, de l'amour qui me presse. J'aime autant que jamais ; mais sur ma passion J'ai fait, en te quittant, quelque rflexion. Je ne suis point du tout n pour le mariage : Des parents, des enfants, une femme, un mnage,Tout cela me fait peur; j'aime la libert.HECTOR.Et le libertinage.VALERE

    Hector, en vrit,II n'est point dans le monde un tat plus aimable Que celui d'un joueur : sa vie est agrable; Ses jours sont enchans par des plaisirs nouveaux; Comdie, opra, bonne chre, cadeaux;II trane en tous les lieux la joie et l'abondance : On voit rgner sur lui l'air de magnificence; Tabatires, bijoux : sa poche est un trsor. Sous ses heureuses mains le cuivre devient or.HECTOR.

  • Et l'or devient rien.VALRE.

    Chaque jour mille bellesLui font la cour par lettre, et l'invitent chez elles; La porte, son aspect, s'ouvre deux grands battants; L, vous trouvez toujours des gens divertissants; Des femmes qui jamais n'ont pu fermer la bouche, Et qui sur le prochain vous tirent cartouche ; Des oisifs de mtier, et qui toujours sur eux Portent de tout Paris le lardon scandaleux; Des Lucrces du temps, l, de ces filles veuves,Qui veulent imposer et se donner pour neuves ; De vieux seigneurs toujours prts vous cajoler; Des plaisants qui font rire avant que de parler. Plus agrablement peut-on passer la vie ?HECTORD'accord. Mais quand on perd, tout cela vous ennuie. VALERELe jeu rassemble tout : il unit la fois Le turbulent marquis, le paisible bourgeois.La femme du banquier, dore et triomphante,Coupe orgueilleusement la duchesse indigente.L, sans distinction, on voit aller de pairLe laquais d'un commis avec un duc et pair;Et quoi qu'un sort jaloux nous ait fait d'injustices, De sa naissance ainsi l'on venge les caprices. HECTORA ce qu'on peut juger de ce discours charmant,Vous voil donc en grce avec l'argent comptant.Tant mieux. Pour se conduire en bonne politique, II faudrait retirer le portrait d'Anglique.VALERENous verrons.HECTOR.

    Vous savez...VALRE.

    Je dois jouer tantt.HECTOR.Tirez-en mille cus.VALRE.

    Oh! non, c'est un dpt...HECTOR.Pour mettre quelque chose l'abri des orages, S'il vous plaisait du moins de me payer mes gages.VALEREQuoi! je te dois?HECTOR.

  • Depuis que je suis avec vous, Je n'ai pas, en cinq ans, encor reu cinq sous.VALEREMon pre te para; l'article est au mmoire.HECTORVotre pre ? Ah, monsieur, c'est une mer boire. Son argent n'a point cours, quoiqu'il soit bien de poidsVALEREVa, j'examinerai ton compte une autre fois. J'entends venir quelqu'un.HECTOR

    Je vois votre sellire. Elle a flair l'argent.VALRE, mettant promptement son argent dans sa poche.

    Il faut nous en dfaire.HECTOREt monsieur Galonier, votre honnte tailleur.VALRE.Quel contretemps !SCENE VII. MADAME ADAM, MONSIEUR GALONIER, VALRE, HECTOR.VALRE.

    Je suis votre humble serviteur.Bonjour, madame Adam. Quelle joie est la mienne! Vous voir ! c'est du plus loin, parbleu, qu'il me souvienne.MADAME ADAM.Je viens pourtant ici souvent faire ma cour; Mais vous jouez la nuit, et vous dormez le jour.VALRE.C'est pour cette calche velours ramage ?MADAME ADAM.Oui, s'il vous plat.VALRE.

    Je suis fort content de l'ouvrage; II faut vous la payer...(Bas Hector.} Songe par quel moyen Tu pourras me tirer de ce triste entretien.(Haut.) Vous, monsieur Galonier, quel sujet vous amne ?MONSIEUR GALONIER.Je viens vous demander...HECTOR, Monsieur Galonier.

    Vous prenez trop de peine.MONSIEUR GALONIER, Valre. Vous...HECTOR, Monsieur Galonier.

    Vous faites toujours mes habits trop troits.MONSIEUR GALONIER, Valre.Si...

  • HECTOR, Monsieur Galonier. Ma culotte s'use en deux ou trois endroits.MONSIEUR GALONIER, Valre. Je...HECTOR, Monsieur Galonier. Vous cousez si mal...MADAME ADAM.Nous marions ma fille.VALRE.Quoi! vous la mariez? Elle est vive et gentille; Et son poux futur doit en tre content.MADAME ADAM.Nous aurions grand besoin d'un peu d'argent comptant.VALRE.Je veux, madame Adam, mourir votre vue, Si j'ai...MADAME ADAM.Depuis longtemps cette somme m'est due.VALRE.Que je sois en maraud dshonor cent fois, Si l'on m'a vu toucher un sou depuis six mois!HECTOR.Oui, nous avons tous deux, par pit profonde, Fait vu de pauvret; nous renonons au monde.MONSIEUR GALONIER.Que votre cur pour moi se laisse un peu toucher! Notre femme est, monsieur, sur le point d'accoucher, Donnez-moi cent cus sur et tant moins des dettes.HECTOR, Monsieur Galonier.Et de quoi diable aussi, du mtier dont vous tes, Vous avisez-vous l de faire des enfants ? Faites-moi des habits.MONSIEUR GALONIER.

    Seulement deux cents francs.VALRE.Eh mais... si j'en avais...! Comptez que dans la vie Personne de payer n'eut jamais tant d'envie. Demandez...HECTOR.

    S'il avait quelques deniers comptants. Ne me parait-il pas mes gages de cinq ans ? Votre dette n'est pas meilleure que la mienne.MADAME ADAM.Mais quand faudra-t-il donc, monsieur, que je revienne ?VALRE.Mais... quand il vous plaira... Ds demain; que sait-on?HECTOR

  • Je vous avertirai quand il y fera bon.MONS'EUR GALONIER.Pour moi, je ne sors point d'ici qu'on' ne m'en chasse.HECTOR, part. Non, je ne vis jamais d'animal si tenace.VALEREcoutez, je vous dis un secret qui, je croi, Vous plaira dans la suite autant et plus qu' moi : Je vais me marier tout fait; et mon pre Avec mes cranciers doit me tirer d'affaire.HECTORPour le coup...MADAME ADAM.

    Il me faut de l'argent, cependant.HECTOR.Cette raison vaut mieux que de l'argent comptant. Montrez-nous les talons.MONSIEUR GALONIER.

    Monsieur, ce mariage Se fera-t-il bientt ?VALERE.

    Tout au plus tt. J'enrage.MADAME ADAM.Sera-ce dans ce jour?HECTOR.

    Nous l'esprons. Adieu. Sortez. Nous attendons la future en ce lieu : Si l'on vous trouve ici, vous gterez l'affaire.MADAME ADAM.Vous me promettez donc...HECTOR

    Allez, laissez-moi faire.MADAME ADAM ET MONSIEUR GALONIER, ensemble.Mais monsieur...HECTOR, les mettant dehors.

    Que de bruit! Oh! parbleu, dtalez.SCENE VIII. VALRE, HECTOR.HECTOR, riant.Voil des cranciers assez bien rgals. Vous devriez pourtant, en fonds comme vous l'tes...VALERE.Rien ne porte malheur comme payer ses dettes.HECTORAh! je ne dois donc plus m'tonner dsormais Si tant d'honntes gens ne les payent jamais.SCENE IX. LE MARQUIS, VALRE, HECTOR. TROIS LAQUAIS. HECTOR.

  • Mais voici le marquis, ce hros de tendresse. VALRE.C'est l le soupirant?HECTOR.

    Oui, de notre comtesse. LE MARQUIS, vers la coulisse. Que ma chaise se tienne deux cents pas d'ici. Et vous, mes trois laquais, loignez-vous aussi.Je suis incognito.(Les laquais sortent.')SCENE X. LE MARQUIS, VALRE, HECTOR.HECTOR, Valre.

    Que prtend-il donc faire ? LE MARQUIS, Valre. N'est-ce pas vous, monsieur, qui vous nommez Valre ?VALERE.Oui, monsieur; c'est ainsi qu'on m'a toujours nomm.LE MARQUIS.Jusques au fond du cur j'en suis, parbleu, charm. Faites que ce valet l'cart se retire.VALERE, Hector. Va-t'en.HECTOR.

    Monsieur...VALRE.

    Va-t'en : faut-il te le redire?SCENE XI. LE MARQUIS, VALRE.LE MARQUIS.Savez-vous qui je suis ?VALRE.

    Je n'ai pas cet honneur. LE MARQUIS, part.Courage : allons, marquis, montre de la vigueur : II craint.(Haut.}

    Je suis pourtant fort connu dans la ville; Et si vous l'ignorez, sachez que je faufileAvec ducs, archiducs, princes, seigneurs, marquis, Et tout ce que la cour offre de plus exquis, Petits-matres de robe courte et longue queue. J'vente les beauts et leur plais d'une lieue. Je m'rige aux repas en matre architriclin; Je suis chansonnier et l'me du festin.Je suis parfait en tout. Ma valeur est connue; Je ne me bats jamais qu'aussitt je ne tue; De cent jolis combats je me suis dml; J'ai la botte trompeuse et le jeu trs brouill;

  • Mes aeux sont connus; ma race est ancienne;Mon trisaeul tait vice-bailli du Maine. J'ai le vol du chapon : ainsi, ds le berceau, Vous voyez que je suis gentilhomme manceau.VALEREOn le voit votre air.LE MARQUIS.

    J'ai sur certaine femme Jet, sans y songer, quelque amoureuse flamme.J'ai trouv la matire assez sche de soi;Mais la belle est tombe amoureuse de moi.Vous le croyez sans peine; on est fait d'un modleA prtendre hypothque fort bon droit sur elle; Et vouloir faire obstacle de telles amours,C'est prtendre arrter un torrent dans son cours.VALEREJe ne crois pas, monsieur, qu'on ft si tmraire.LE MARQUIS.On m'assure pourtant que vous le voulez faire.VALRE.Moi?LE MARQUIS.

    Que, sans respecter ni rang, ni qualit, Vous nourrissez dans l'me une vellitDe me barrer son cur.VALRE.

    C'est pure mdisance; Je sais ce qu'entre nous le sort mit de distance.LE MARQUIS, bas.Il tremble.(Haut.)

    Savez-vous, monsieur du lansquenet, Que j'ai de quoi rabattre ici votre caquet ?VALEREJe le sais.LE MARQUIS.Vous croyez, en votre humeur caustique, En agir avec moi comme avec l'as de pique.VALRE.Moi, monsieur?LE MARQUIS, bas.

    Il me craint.(Haut.)

    Vous faites le plongeon, Petit noble nasarde, ent sur sauvageon. (Valre enfonce son chapeau.) (Bas) Je crois qu'il a du cur.

  • (Haut.)Je retiens ma colre !

    Mais...VALERE, mettant la main sur son pe.

    Vous le voulez donc ? Il faut vous satisfaire.LE MARQUIS.Bon! bon! je ris.VALRE.

    Vos ris ne sont point de mon got, Et vos airs insolents ne plaisent point du tout. Vous tes un faquin.LE MARQUIS.Cela vous plat dire.VALRE.

    Un fat, un malheureux.LE MARQUIS.Monsieur, vous voulez rire. VALRE, mettant l'pe la main. II faut voir sur-le-champ si les vice-baillisSont si francs du collier que vous l'avez promis.LE MARQUIS.Mais faut-il nous brouiller pour un sot point de gloire ?VALRE.Oh! le vin est tir, monsieur, il faut le boire.LE MARQUIS, criant. Ah! ah! je suis bless.SCENE XII. LE MARQUIS, VALRE, HECTOR.HECTOR, accourant.

    Quels desseins emports... LE MARQUIS, mettant l'pe la main. Ah! c'est trop endurer.HECTOR, au marquis.

    Ah! monsieur, arrtez.LE MARQUIS, Hector.Laissez-moi donc.HECTOR, au marquis.

    Tout beau! VALERE, Hector.

    Cesse de le contraindre : Va, c'est un malheureux qui n'est pas bien craindre.HECTOR, au marquis. Quel sujet... ?LE MARQUIS, firement Hector.Votre matre a certains petits airs... (Valre s'approche du marquis.}(Le marquis, effray, dit doucement :) Et prend mal propos les choses de travers. On vient civilement pour s'claircir d'un doute,

  • Et monsieur prend la chvre; il met tout en droute, Fait le petit mutin. Oh! cela n'est pas bien !HECTOR, au marquis. Mais encor quel sujet?...LE MARQUIS, Hector.

    Quel sujet ? Moins que rien ! L'amour de la comtesse auprs de lui m'appelle...HECTOR, au marquis. Ah! diable, c'est avoir une vieille querelle.Quoi! vous osez, monsieur, d'un cur ambitieux, Sur notre patrimoine ainsi jeter les yeux, Attaquer la comtesse, et nous le dire encore !LE MARQUIS, Hector. Bon! je ne l'aime pas; c'est elle qui m'adore.VALERE, au marquis.Oh! vous pouvez l'aimer autant qu'il vous plaira; C'est un bien que jamais on ne vous envra : Vous tes en effet un amant digne d'elle. Je vous cde les droits que j'ai sur cette belle.HECTOR.Oui, les droits sur le cur, mais sur la bourse, non. LE MARQUIS, part., mettant son pe dans le fourreau. Je le savais bien, moi, que j'en aurais raison; Et voil comme il faut se tirer d'une affaire!HECTOR, au marquis. N'auriez-vous point besoin d'un peu d'eau vulnraire ?LE MARQUIS, Valre.Je suis ravi de voir que vous ayez du cur, Et que le tout se soit pass dans la douceur.Serviteur. Vous et moi, nous en valons deux autres. Je suis de vos amis.VALRE.

    Je ne suis pas des vtres. SCENE XIII. VALRE, HECTOR.VALRE.Voil donc ce marquis, cet homme dangereux?HECTOR.Oui, monsieur, le voil.VALRE.

    C'est un grand malheureux. Je crains que mes joueurs ne soient sortis du gte; J'ai dans le cur, Hector, un bon pressentiment; Et je dois aujourd'hui gagner, assurment.HECTOR.Votre cur est, monsieur, toujours insatiable. Ces inspirations viennent souvent du diable. Je vous en avertis, c'est un fut matois.

  • VALEREElles m'ont russi dj plus d'une fois.HECTOR.Tant va la cruche l'eau...VALRE.

    Paix ! Tu veux contredire; A mon ge, crois-tu m'apprendre me conduire ?HECTOR.Vous ne me parlez point, monsieur, de votre amour.VALERE Non.SCENE XIV.HECTOR, Seul.

    Il m'en parlera peut-tre son retour.

    ACTE IVSCENE PREMIERE. ANGLIQUE, NRINE.NRINE.En vain vous m'opposez une indigne tendresse, Je n'ai vu de mes jours avoir tant de mollesse. Je ne puis sur ce point m'accorder avec vous : Valre n'est point fait pour tre votre poux : II ressent pour le jeu des fureurs non pareilles, Et cet homme perdra quelque jour ses oreilles.ANGLIQUE.Le temps le gurira de cet aveuglement.NRINE.Le temps augmente encore un tel attachement.ANGLIQUE.Ne combats plus, Nrine, une ardeur qui m'enchante : Tu prendrais pour l'teindre une peine impuissante. Il est des nuds forms sous des astres malins, Qu'on chrit malgr soi. Je cde mes destins. La raison, les conseils ne peuvent m'en distraire : Je vois le bon parti, mais je prends le contraire.NRINE.Eh bien! madame, soit; contentez votre ardeur. J'y consens. Acceptez pour poux un joueur, Qui, pour porter au jeu son tribut volontaire, Vous laissera manquer mme du ncessaire, Toujours triste ou fougueux, pestant contre le jeu,Ou d'avoir perdu trop, ou bien gagn trop peu. Quel charme qu'un poux qui, flattant sa manie, Fait vingt mauvais marchs, tous les jours de sa vie, Prend pour argent comptant, d'un usurier fripon, Des singes, des pavs, un chantier, du charbon,Qu'on voit chaque instant prt faire querelle

  • Aux bijoux de sa femme, ou bien sa vaisselle, Qui va, revient, retourne, et s'use voyager Chez l'usurier, bien plus qu' donner manger; Quand, aprs quelque temps, d'intrts surcharge,II la laisse o d'abord elle fut engage,Et prend, pour remplacer ses meubles carts, Des diamants du Temple et des plats argents; Tant que, dans sa fureur n'ayant plus rien vendre, Empruntant tous les jours, et ne pouvant plus rendre,Sa femme signe enfin, et voit, en moins d'un an, Ses terres en dcret, et son lit l'encan !ANGLIQUE.Je ne veux point ici m'affliger par avance; L'vnement souvent confond la prvoyance. Il quittera le jeu.NRINE.

    Quiconque aime, aimera;Et quiconque a jou, toujours joue, et jouera. Quelque docteur l'a dit, ce n'est point menterie, Et, si vous le voulez, contre vous je parie Tout ce que je possde, et mes gages d'un an, Qu' l'heure que je parle il est dans un brelan.Nous le saurons d'Hector qu'ici je vois paratre.SCENE II. ANGLIQUE, NRINE, HECTOR.ANGLIQUE, Hector.Te voil bien soufflant. En quels lieux est ton matre?HECTOR, embarrass.En quelque lieu qu'il soit, je rponds de son cur; II sent toujours pour vous la plus sincre ardeur.NRINE.Ce n'est point l, maraud, ce que l'on te demande.HECTOR, voulant s'chapper. Maraud! Je vois qu'ici je suis de contrebande.NRINE.Non, demeure un moment.HECTOR.

    Le temps me presse. Adieu.NRINE.Tout doux ! N'est-il pas vrai qu'il est en quelque lieu O, courant le hasard...HECTOR

    Parlez mieux, je vous prie, Mon matre n'a hant de tels lieux de sa vie.ANGLIQUE, Hector.Tiens, voil dix louis. Ne me mens pas; dis-moi S'il n'est pas vrai qu'il joue prsent.HECTOR

  • Oh! ma foi,II est bien revenu de cette folle rage, Et n'aura pas de got pour le jeu davantage.ANGLIQUE.Avec tes faux soupons, Nrine, eh bien! tu vois.HECTOR.II s'en donne aujourd'hui pour la dernire fois.ANGLIQUE.Il jouerait donc?HECTOR.

    Il joue, dire vrai, madame; Mais ce n'est proprement que par noblesse d'me. On voit qu'il se dfait de son argent exprs, Pour n'tre plus touch que de vos seuls attraits.NRINE., Anglique. Eh bien! ai-je raison?HECTOR.

    Son mauvais sort, vous dis-je, Mieux que tous vos discours aujourd'hui le corrige.ANGLIQUE.Quoi!...HECTOR.

    N'admirez-vous pas cette fidlit ? Perdre exprs son argent pour n'tre plus tent ! Il sait que l'homme est faible, il se met en dfense. Pour moi, je suis charm de ce trait de prudence.ANGLIQUE.Quoi! ton matre jouerait, au mpris d'un serment? HECTORC'est la dernire fois, madame, absolument.On peut le voir encor sur le champ de bataille;II frappe droite, gauche, et d'estoc et de taille; II se dfend, madame, encor comme un lion.Je l'ai vu, dans l'effort de la convulsion.Maudissant les hasards d'un combat trop funeste,De sa bourse expirante il ramassait le reste;Et, paraissant encor plus grand dans son malheur, II vendrait cher son sang et sa vie au vainqueur.NRINE.Pourquoi l'as-tu quitt dans cette dcadence ?HECTORComme un aide de camp, je viens en diligenceAppeler du secours : il faut faire approcher Notre corps de rserve, et je m'en vais chercher Deux cents louis qu'il a laisss dans sa cassette.NRINE.Eh bien ! madame, eh bien ! tes-vous satisfaite ?

  • HECTORLes partis sont aux mains; deux pas on se bat. Et les moments sont chers en ce jour de combat. Nous allons nous servir de nos armes dernires, Et des troupes qu'au jeu l'on nomme auxiliaires.SCENE III. ANGLIQUE, NRINE.NRINE.Vous l'entendez, madame! Aprs cette action, Pour Valre armez-vous de belle passion; Cdez votre toile ; pousez-le. J'enrage Lorsque j'entends tenir ce discours votre ge. Mais Dorante qui vient...ANGLIQUE.

    Ah ! sortons de ces lieux. Je ne puis me rsoudre paratre ses yeux.SCENE IV. DORANTE, ANGLIQUE, NRINE.DORANTE, Anglique qui sort. H quoi ! vous me fuyez ? Daignez au moins m'apprendre...SCENE V. DORANTE, NRINE.DORANTE.Et toi, Nrine, aussi tu ne veux pas m'entendre ? Veux-tu de ta matresse imiter la rigueur ?NRINE.Non, monsieur, je vous sers toujours avec vigueur. Laissez-moi faire.SCENE VI. DORANTE, seul.

    O ciel, ce trait me dsespre. Je veux approfondir un si cruel mystre.(// va pour sortir.)SCENE VII. LA COMTESSE, DORANTE.LA COMTESSE.O courez-vous, Dorante ?DORANTE, part.

    O contretemps fcheux! Cherchons l'viter.LA COMTESSE.

    Demeurez en ces lieux.J'ai deux mots vous dire, et votre me contente... Mais non, retirez-vous; un homme m'pouvante. L'ombre d'un tte--tte, et dedans et dehors, Me fait, mme en t, frissonner tout le corps.DORANTE, allant pour sortir. J'obis.LA COMTESSE.

    Revenez. Quelque espoir qui vous guide, Le respect l'amour saura servir de bride, N'est-il pas vrai ?

  • DORANTE.Madame...

    LA COMTESSEEn ce temps, les amants

    Prs du sexe d'abord sont si gesticulants... Quoiqu'on soit vertueuse, il faut telle paratre; Et cela quelquefois cote bien plus qu' l'tre.DORANTE.Madame...LA COMTESSE.

    En vrit, j'ai le cur douloureux Qu'Anglique si mal reconnaisse vos feux; Et si je n'avais pas une vertu svre, Qui me fait renfermer dans un veuvage austre, Je pourrais bien... Mais non, je ne puis vous our; Si vous continuez, je vais m'vanouir.DORANTE.Madame...LA COMTESSE.

    Vos discours, votre air soumis et tendre, Ne feront que m'aigrir, au lieu de me surprendre. Bannissons la tendresse ; il faut la supprimer. Je ne puis, en un mot, me rsoudre d'8aimer.DORANTE.Madame, en vrit, je n'en ai nulle envie, Et veux bien avec vous n'en parler de ma vie.LA COMTESSE.Voil, je vous l'avoue, un fort sot compliment. Me trouvez-vous, monsieur, femme manquer d'amant? J'ai mille adorateurs qui briguent ma conqute; Et leur encens trop fort me fait mal la tte. Ah! vous le prenez l sur un fort joli ton, En vrit !DORANTE.Madame...LA COMTESSE.

    Et je vous trouve bon !DORANTE.Le respect...LA COMTESSE.

    Le respect est l mal en sa place; Et l'on ne me dit point pareille chose en face. Si tous mes soupirants pouvaient me ngliger, Je ne vous prendrais pas pour m'en ddommager. Du respect! du respect! Ah! le plaisant visage!DORANTE.J'ai cru que vous pouviez l'inspirer votre ge; Mais monsieur le marquis, qui parat en ces lieux,

  • Ne sera pas peut-tre aussi respectueux.SCENE VIII. LA COMTESSE, seule. Je suis au dsespoir; je n'ai vu de ma vie Tant de relchement dans la galanterie. Le marquis vient : il faut m'assurer un parti; Et je n'en prtends pas avoir le dmenti.SCENE IX. LE MARQUIS, LA COMTESSE.LE MARQUIS.A mon bonheur enfin, madame, tout conspire; Vous tes tout moi.LA COMTESSE.

    Que voulez-vous donc dire,Marquis ?LE MARQUIS.

    Que mon amour n'a plus de concurrent; Que je suis et serai votre seul conqurant; Que si vous ne battez au plus tt la chamade, II faudra vous rsoudre souffrir l'escalade.LA COMTESSE.Moi! que l'on m'escalade?LE MARQUIS.

    Entre nous, sans faon, A Valre de prs j'ai serr le bouton : II m'a cd les droits qu'il avait sur votre me.LA COMTESSE.H! le petit poltron!LE MARQUIS.

    Oh! palsambleu, madame, II serait un Achille, un Pompe, un Csar, Je vous le conduirais poings lis mon char. Il ne faut point avoir de mollesse en sa vie. Je suis vert.LA COMTESSE.

    Dans le fond, j'en ai l'me ravie. Vous ne connaissez pas, marquis, tout votre mal; Vous avez combattre encore plus d'un rival.LE MARQUIS.Le don de votre cur couvre un peu trop de gloire, Pour n'tre que le prix d'une seule victoire. Vous n'avez qu' nommer...LA COMTESSE.

    Non, non, je ne veux pas Vous exposer sans cesse de nouveaux combats.LE MARQUIS.Est-ce ce financier de noblesse mineure,Qui s'est fait depuis peu gentilhomme en une heure; Qui btit un palais sur lequel on a mis,

  • Dans un grand marbre noir, en or, l'htel Damis; Lui qui voyait jadis imprim sur sa porte :Bureau du pied-fourch, chair sale, et chair morte ; Qui dans mille portraits expose ses aeux, Son pre, son grand-pre, et les place en tous lieux, En sa maison de ville, en celle de campagne, Les fait venir tout droit des comtes de Champagne,Et de ceux de Poitou, d'autant que, pour certains, L'un s'appelait Champagne et l'autre Poitevin ?LA COMTESSE.A vos transports jaloux un autre se drobe.LE MARQUIS.C'est donc ce snateur, cet Adonis de robe, Ce docteur en soupers, qui se tait au Palais, Et sait sur des ragots prononcer des arrts ; Qui juge sans appel, sur un vin de Champagne, S'il est de Reims, du Clos, ou bien de la Montagne; Qui, de livres de droit toujours dbarrass, Porte cuisine en poche, et poivre concass ?LA COMTESSE.Non, marquis, c'est Dorante; et j'ai su m'en dfaire.LE MARQUIS.Quoi! Dorante! cet homme maintien dbonnaire, Ce croquant qu' l'instant je viens de voir sortir?LA COMTESSE.C'est lui-mme.LE MARQUIS.

    Eh! parbleu, vous deviez m'avertir; Nous nous serions parl sans sortir de la salle. Je ne suis pas mchant; mais, sans bruit, sans scandale, Sans lui donner le temps seulement de crier, Pour lui votre fentre et servi d'escalier.LA COMTESSE.Vous tes turbulent. Si vous tiez plus sage, On pourrait...LE MARQUIS.

    La sagesse est tout mon apanage.LA COMTESSE.Quoiqu'un engagement m'ait toujours fait horreur, On aurait avec vous quelque affaire de cur.LE MARQUIS.Ah! parbleu, volontiers. Vous me chatouillez l'me. Par affaire de cur qu'entendez-vous, madame ?LA COMTESSE.Ce que vous entendez vous-mme assurment.LE MARQUIS.Est-ce pour mariage, ou bien pour autrement?

  • LA COMTESSE.Quoi! vous prtendriez, si j'avais la faiblesse...LE MARQUIS.Ah! ma foi! l'on n'a plus tant de dlicatesse;On s'aime pour s'aimer tout autant que l'on peut :Le mariage suit, et vient aprs, s'il veut.LA COMTESSE.Je prtends que l'hymen soit le but de l'affaire, Et ne donne mon cur que par-devant notaire. Je veux un bon contrat sur du bon parchemin, Et non pas un hymen qu'on rompt le lendemain.LE MARQUIS.Vous aimez chastement; je vous en flicite, Et je me donne vous avec tout mon mrite,Quoique cent fois le jour on me mette la mainDes partis fixer un empereur romain.LA COMTESSE.Je crois que nos deux curs seront toujours fidles.LE MARQUIS.Oh! parbleu, nous vivrons comme deux tourterelles. Pour vous porter, madame, un cur tout dgag, Je vais dans ce moment signifier cong A des beauts sans nombre qui mon cur renonce; Et vous aurez dans peu ma dernire rponse.LA COMTESSE.Adieu. Fasse le ciel, marquis, que dans ce jour Un hymen soit le sceau d'un si parfait amour!SCENE X. LE MARQUIS, seul.Eh bien! marquis, tu vois, tout rit ton mrite; Le rang, le cur, le bien, tout pour toi sollicite; Tu dois tre content de toi par tout pays : On le serait moins. Allons, saute, marquis.Quel bonheur est le tien ! Le ciel ta naissance Rpandit sur tes jours sa plus douce influence. Tu fus, je crois, ptri par les mains de l'Amour. N'es-tu pas fait peindre ? Est-il homme la cour Qui de la tte aux pieds porte meilleure mine,Une jambe mieux faite, une taille plus fine ? Et pour l'esprit, parbleu, tu l'as des plus exquis : Que te manque-t-il donc ? Allons, saute, marquis. La nature, le ciel, l'amour et la fortune De tes prosprits font leur cause commune;Tu soutiens ta valeur avec mille hauts faits; Tu chantes, danses, ris, mieux qu'on ne fit jamais, Les yeux fleur de tte, et les dents assez belles.Jamais en ton chemin trouvas-tu de cruelles ? Prs du sexe tu vins, tu vis, et tu vainquis;

  • Que ton sort est heureux ! Allons, saute, marquis !SCENE XL LE MARQUIS, HECTOR.HECTOR.Attendez un moment. Quelle ardeur vous transporte ? H quoi! monsieur, tout seul vous sautez de la sorte?LE MARQUIS.C'est un pas de ballet que je veux repasser.HECTOR.Mon matre, qui me suit, vous le fera danser, Monsieur, si vous voulez.LE MARQUIS.

    Que dis-tu l ? ton matre ?HECTOR.Oui, monsieur, l'instant vous l'allez voir paratre.LE MARQUIS.En ces lieux je ne puis plus longtemps m'arrter; Pour cause, nous devons tous deux nous viter. Quand ma verve me prend, je ne suis plus traitable ; II est brutal, je suis emport comme un diable; II manque de respect pour les vice-baillis, Et nous aurions du bruit. Allons, saute, marquis.SCENE XII. HECTOR, seul.Allons, saute, marquis. Un tour de cette sorte Est vol d'un Gascon, ou le diable m'emporte : II vient de la Garonne. Oh! parbleu, dans ce temps Je n'aurais jamais cru les marquis si prudents. Je ris; et cependant mon matre l'agonie Cde en un lansquenet son mauvais gnie.SCENE XIII. VALRE, HECTOR.HECTOR.Le voici. Ses malheurs sur son front sont crits : II a tout le visage et l'air d'un premier pris.VALRE.Non, l'enfer en courroux et toutes ses furies N'ont jamais exerc de telles barbaries. Je te loue, destin, de tes coups redoubls! Je n'ai plus rien perdre, et tes vux sont combls. Pour assouvir encor la fureur qui t'anime,Tu ne peux rien sur moi : cherche une autre victime.HECTOR, part. Il est sec.VALRE.

    De serpents mon cur est dvor; Tout semble en un moment contre moi conjur.(// prend Hector la cravate?) Parle. As-tu jamais vu le sort et son caprice Accabler un mortel avec plus d'injustice,

  • Le mieux assassiner ? Perdre tous les partis, Vingt fois le coupe-gorge, et toujours premier pris ! Rponds-moi donc, bourreau.HECTOR.

    Mais ce n'est pas ma faute.VALRE.As-tu vu de tes jours trahison aussi haute ? Sort cruel, ta malice a bien su triompher,Et tu ne me nattais que pour mieux m'touffer. Dans l'tat o je suis, je puis tout entreprendre; Confus, dsespr, je suis prt me pendre.HECTOR.Heureusement pour vous, vous n'avez pas un souDont vous puissiez, monsieur, acheter un licou. Voudriez-vous souper ?VALRE.

    Que la foudre t'crase!Ah ! charmante Anglique, en l'ardeur qui m'embrase, A vos seules bonts, je veux avoir recours ! Je n'aimerai que vous ; m'aimeriez-vous toujours ? Mon cur, dans les transports de sa fureur extrme, N'est point si malheureux, puisqu'enfin il vous aime.HECTOR, part.Notre bourse est fond; et, par un sort nouveau, Notre amour recommence revenir sur l'eau.VALRE.Calmons le dsespoir o la fureur me livre. Approche ce fauteuil.(Hector approche un fauteuil.) VALERE, assis.

    Va me chercher un livre. HECTORQuel livre voulez-vous lire en votre chagrin ?VALRE.Celui qui te viendra le premier sous la main; II m'importe peu; prends dans ma bibliothque.HECTOR sort, et rentre tenant un livre. Voil Snque.VALRE.

    Lis.HECTOR.

    Que je lise Snque ?VALRE.Oui. Ne sais-tu pas lire ?HECTOR.

    Eh! vous n'y pensez pas! Je n'ai lu de mes jours que dans des almanachs.

  • VALRE.Ouvre, et lis au hasard.HECTOR

    Je vais le mettre en pices.VALRE.Lis donc.HECTOR, lit. Chapitre six. Du mpris des richesses. La fortune offre aux yeux des brillants mensongers; Tous les biens d'ici-bas sont faux et passagers; Leur possession trouble, et leur perte est lgre; Le sage gagne assez quand il peut s'en dfaire. Lorsque Snque fit ce chapitre loquent, II avait comme vous perdu tout son argent.VALRE, se levant.Vingt fois le premier pris! Dans mon cur il s'lve Des mouvements de rage.(// s'assied.)

    Allons, poursuis, achve. HECTOR L'or est comme une femme; on n'y saurait toucher, Que le cur, par amour, ne s'y laisse attacher. L'un et l'autre en ce temps, sitt qu'on les manie, Sont deux grands rmoras pour la philosophie. N'ayant plus de matresse et n'ayant pas un sou, Nous philosopherons maintenant tout le sol.VALRE.De mon sort dsormais vous serez seule arbitre,Adorable Anglique... Achve ton chapitre.HECTOR. Que faut-il... VALRE.

    Je bnis le sort et ses revers, Puisqu'un heureux malheur me rengage en vos fers. Finis donc.HECTOR.

    Que faut-il la nature humaine? Moins on a de richesse, et moins on a de peine. C'est possder les biens que savoir s'en passer. Que ce mot est bien dit! et que c'est bien penser! Ce Snque, monsieur, est un excellent homme. tait-il de Paris ?VALRE.

    Non, il tait de Rome. Dix fois carte triple tre pris le premier!HECTORAh ! monsieur, nous mourrons un jour sur un fumier.

  • VALRE.II faut que de mes maux enfin je me dlivre;J'ai cent moyens tout prts pour m'empcher de vivre :La rivire, le feu, le poison et le fer. HECTORSi vous vouliez, monsieur, chanter un petit air ?Votre matre chanter est ici : la musique Peut-tre calmerait cette humeur frntique.VALRE.Que je chante!HECTOR.

    Monsieur...VALERE

    Que je chante, bourreau! Je veux me poignarder; la vie est un fardeau Qui pour moi dsormais devient insupportable.HECTORVous la trouviez pourtant tantt bien agrable. Qu'un joueur est heureux! sa poche est un trsor; Sous ses heureuses mains le cuivre devient or , Disiez-vous.VALRE.

    Ah! je sens redoubler ma colre.HECTORMonsieur, contraignez-vous, j'aperois votre pre.SCENE XIV. GRONTE, VALRE, HECTOR.GRONTE.Pour quel sujet, mon fils, criez-vous donc si fort ?(A Hector.) Est-ce toi, malheureux, qui causes ce transport3?VALERENon pas, monsieur.HECTOR, Gronte.

    Ce sont des vapeurs de morale Qui nous vont la tte, et que Snque exhale.GRONTE.Qu'est-ce dire, Snque ?HECTOR.

    Oui, monsieur; maintenant Que nous ne jouons plus, notre unique ascendantC'est la philosophie, et voil notre livre : C'est Snque.GRONTE.

    Tant mieux : il apprend bien vivre. Son livre est admirable et plein d'instructions, Et rend l'homme brutal matre des passions.HECTORAh! si vous aviez lu son trait des richesses,

  • Et le mpris qu'on doit faire de ses matresses; Comme la femme ici n'est qu'un vrai rmora. Et que lorsqu'on y touche... on en demeure l... Qu'on gagne quand on perd... que l'amour dans nos mes... Ah! que ce livre-l connaissait bien les femmes!GERONTEHector en peu de temps est devenu docteur.HECTOR.Oui, monsieur, je saurai tout Snque par cur.GRONTE, Valre.Je vous cherche en ces lieux avec impatience, Pour vous dire, mon fils, que votre hymen s'avance. Je quitte le notaire, et j'ai vu les parents, Qui, d'une et d'autre part, me paraissent contents. Vous avez vu, je crois, Anglique ? Et j'espre Que son consentement...VALERE

    Non, pas encor, mon pre, Certaine affaire m'a...GERONTE

    Vraiment pour un amant,Vous faites voir, mon fils, bien peu d'empressement. Courez-y; dites-lui que ma joie est extrme;Que, charm de ce nud, dans peu j'irai moi-mme Lui faire compliment et l'embrasser...HECTOR, Gronte.Tout doux! Monsieur fera cela tout aussi bien que vous.VALERE, Gronte.Pntr des bonts de celui qui m'envoie, Je vais de cet emploi m'acquitter avec joie.SCENE XV. GRONTE, HECTOR.HECTOR.Il vous plaira toujours d'tre mmoratifD'un papier que tantt, d'un air rbarbatif, Et mme avec scandale...GERONTE

    Oui-d! laisse-moi faire. Le mariage fait, nous verrons cette affaire.HECTORJ'irai donc, sur ce pied, vous visiter demain.SCENE XVI. GRONTE, seul.Grces au ciel, mon fils est dans le bon chemin; Par mes soins paternels il surmonte la penteO l'entranait du jeu la passion ardente. Ah! qu'un pre est heureux, qui voit en un moment Un cher fils revenir de son garement!

  • ACTE VSCENE PREMIERE. DORANTE, ANGLIQUE, NRINE.DORANTE.H! madame, cessez d'viter ma prsence.Je ne viens point, arm contre votre inconstance,Faire clater ici mes sentiments jaloux,Ni par des mots piquants exhaler mon courroux.Plus que vous ne pensez, mon cur vous justifie. Votre lgret veut que je vous oublie; Mais, loin de condamner votre cur inconstant, Je suis assez veng si j'en puis faire autant.ANGLIQUE.Que votre emportement en reproches clate : Je mrite les noms de volage, d'ingrate; Mais enfin de l'amour l'imprieuse loi A l'hymen que je crains m'entrane malgr moi. J'en prvois les dangers, mais un sort tyrannique...DORANTE.Votre cur est hardi, gnreux, hroque :Vous voyez devant vous un abme s'ouvrir,Et vous ne laissez pas, madame, d'y courir.NRINE.Quand j'en devrais mourir, je ne puis plus me taire. Je vous empcherai de terminer l'affaire; Ou si dans cet amour votre cur engag Persiste en ses desseins, donnez-moi mon cong. Je suis fille d'honneur; je ne veux point qu'on dise Que vous ayez sous moi fait pareille sottise. Valre est un indigne; et, malgr son serment, Vous voyez tous les jours qu'il joue impunment.ANGLIQUE.En faveur de mon faible il faut lui faire grce. De la fureur du jeu veux-tu qu'il se dfasse, Hlas ! quand je ne puis me dfaire aujourd'hui Du lche attachement que mon cur a pour lui?DORANTE.Ces feux sont trop charmants pour vouloir les teindre. Je ne suis point, madame, ici pour vous contraindre. Mon neveu vous pouse; et je viens seulement Donner votre hymen un plein consentement.SCENE II. MADAME LA RESSOURCE, ANGLIQUE, DORANTE, NRINE.NRINE.Madame La Ressource ici ! Qu'y viens-tu faire ?MADAME LA RESSOURCE.Je cherche un cavalier pour finir une affaire... On tche, autant qu'on peut, dans son petit trafic, A gagner ses dpens en servant le public.ANGLIQUE.

  • Cette Nrine-l connat toute la France.NRINE.Pour vivre il faut avoir plus d'une connaissance. C'est une illustre au moins, et qui sait en secret Couler adroitement un amoureux poulet; Habile en tous mtiers, intrigante parfaite; Qui prte, vend, revend, brocante, troque, achte, Met perfection un hymen bauch, Vend son argent bien cher, marie bon march.MADAME LA RESSOURCE.Votre bont pour moi toujours se renouvelle : Vous avez si bon cur...NRINE.

    Il fait bon avec elle, Je vous en avertis. En bijoux et brillants, En poche elle a toujours plus de vingt mille francs.DORANTE, madame La Ressource. Mais ne craignez-vous point qu'un soir, dans le silence?..NRINE.Bon, bon! tous les filous sont de sa connaissance.MADAME LA RESSOURCE.Nrine rit toujours.NRINE, madame La Ressource.

    Montrez-nous votre crin.MADAME LA RESSOURCE.Volontiers. J'ai toujours quelques bijoux en main. Regardez ce rubis ; je vais en faire affaireAvec et par-devant un conseiller-notaire. Pour certaine chanteuse on dit qu'il en tient l.NERINELe drle veut passer quelque acte l'Opra.SCENE III. LA COMTESSE, ANGLIQUE, DORANTE, NRINE, MADAME LA RESSOURCE.NRINE.Mais voici la comtesse.MADAME LA RESSOURCE.

    On m'attend : je vous quitte.NRINE.Non, non; sur vos bijoux j'ai des droits de visite.LA COMTESSE, Anglique. Votre choix est-il fait ? Peut-on enfin savoir A qui vous prtendez vous marier ce soir?ANGLIQUE.Oui, ma sur, il est fait; et ce choix doit vous plaire, Puisque avant moi pour vous vous avez su le faire.LA COMTESSE.Apparemment, monsieur est ce mortel heureux,

  • Ce fidle aspirant dont vous comblez les vux?DORANTE.A ce bonheur charmant je n'ose pas prtendre. Si madame et gard son cur pour le plus tendre, Plus que tout autre amant j'aurais pu l'esprer.SCENE IV. LE MARQUIS, LA COMTESSE, ANGLIQUE, DORANTE, MADAME LA RESSOURCE, NRINE.LE MARQUIS, la comtesse. Charm de vos beauts, je viens enfin, madame, Ici mettre vos pieds et mon corps et mon me. Vous serez, par ma foi, marquise cette fois ; Et j'ai sur vous enfin laiss tomber mon choix.MADAME LA RESSOURCE, part.Cet homme m'est connu.LA COMTESSE.

    Monsieur, je suis ravie. De m'unir avec vous le reste de ma vie; Vous tes gentilhomme, et cela me suffit.LE MARQUIS.Je le suis du dluge.MADAME LA RESSOURCE, part.

    Oui, c'est lui qui le dit.LE MARQUIS.En faisant avec moi cette heureuse alliance, Vous pourrez vous vanter que gentilhomme en France Ne tirera de vous, si vous me l'ordonnez, Des enfants de tout point mieux conditionns. Vous verrez si je mens.(Apercevant madame La Ressource.)

    Ah ! vous voil, madame ? (A la comtesse.) Et que faites-vous donc ici de cette femme ?NRINE, au marquis. Vous la connaissez ?LE MARQUIS.

    Moi ? je ne sais ce que c'est. MADAME LA RESSOURCE, au marquis. Ah! je vous connais trop, moi, pour mon intrt.Quand vous rsoudrez-vous, monsieur le gentilhomme Fait du temps du dluge, me payer ma somme, Mes quatre cents cus prts depuis cinq ans ?LE MARQUIS.Pour me les demander, vous prenez bien le temps.MADAME LA RESSOURCE.