Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine...

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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relations entre Etat et appareil de production dans une économie en développement CHIGNIER Antoine Séminaire Économie nationale du Monde Arabe Sous la direction de Lahouari ADDI Mémoire soutenu le 7 septembre 2009 Devant un jury composé de : Lahouari ADDI et Filali Osman

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UNIVERSITÉ LYON 2Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Les politiques industrielles de l’Algériecontemporaine, le développement enfaillite des relations entre Etat et appareilde production dans une économie endéveloppement

CHIGNIER AntoineSéminaire Économie nationale du Monde Arabe

Sous la direction de Lahouari ADDIMémoire soutenu le 7 septembre 2009

Devant un jury composé de : Lahouari ADDI et Filali Osman

Table des matièresRemerciements . . 5Introduction Générale . . 6

1. Délimitation du sujet . . 62. Délimitation du terrain . . 7

Pourquoi l’Algérie ? . . 7Pourquoi l’industrie ? . . 8

3. Problématique . . 94. Plan . . 9

Partie I : Approche historique des politiques industrielles algériennes . . 11I. Le quasi-monopole du secteur public 1962-1985 . . 12

1. La constitution d’une économie nationale 1962-1966 . . 122. L’investissement massif dans les industries « industrialisantes », apogée del’économie dirigée 1967-1979 . . 153. L’effort de restructuration 1980-1985 . . 24

II. Sortir de l’économie dirigée : restructurations, privatisations et hésitations 1986 - 2006. . 28

1. Les tentatives de transition vers l’autonomie des entreprises publiques 1986-1993 . . 282. Les réformes sous la pression du FMI 1994-1997 . . 343. Entre privatisation et regain du contrôle étatique 1998-2006 . . 40

Partie II : La Nouvelle Stratégie Industrielle, un échec prévisible . . 50I. L’élaboration de la nouvelle stratégie industrielle : . . 50

2006 : la stratégie industrielle revient dans le débat . . 512007 : La tenue des Assises Nationale de l’Industrie (ANI) et les premières critiques. . 532008 : La NSI disparaît des priorités gouvernementales sur fond de crise financièreinternationale et de réforme constitutionnelle. . . 572009 : La NSI revient dans le débat, pour disparaître définitivement ? . . 58

II. Exposé critique de la NSI au regard de l’histoire économique algérienne . . 601. Le déploiement de l’industrie . . 602. La mise à niveau des entreprises . . 623. La recherche d’investissements . . 64

III. Une économie rentière aux fondements politiques . . 671. Théorie de la rente et opposition à l’économie productive . . 672. La rente domine l’économie algérienne . . 703. La forme néo-patrimoniale de l’État repose sur la rente pétrolière . . 74

Conclusion générale . . 79Bibliographie . . 81

Ouvrages . . 81Articles de presses, de revue et contributions . . 82Littérature Grise : travaux universitaires et publications officielles . . 84Sites Internet et ressources en ligne . . 84

Liste des sigles utilisés . . 85Résumé . . 87Mots clés . . 87Abstract . . 87Keywords . . 87

Remerciements

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RemerciementsJe tiens tout particulièrement à remercier M. Lahouari Addi, mon professeur dans le cadre duséminaire « Économie nationale du Monde Arabe » dont les conseils m’ont permis de cernercertaines problématiques de l’économie algérienne.

Je remercie également Alain, Dominique et Thomas dont les relectures et les commentairesont été précieux. J’ai une pensée particulière pour Audrey, Brigitte et Maurice qui m’ont hébergéet soutenu pendant la réalisation de ce travail.

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Introduction Générale

1. Délimitation du sujetLa définition du développement économique et social est problématique. On peut leconsidérer comme l’ensemble des mutations positives dans une zone géographiquedonnée. La croissance économique n’est pas synonyme de développement, ce dernierpassant par une modification des structures sociales aboutissant à l’amélioration desconditions de vie de la plus grande partie de la population. C’est pourquoi le PNUD évaluel’Indice de Développement Humain en prenant en compte la santé, l’espérance de vie,l’alphabétisation en plus du PIB par habitant. On peut redéfinir le développement commele processus permettant la création, l’accumulation et la répartition de richesses dans unespace géographique donné. La création de richesses requiert un surproduit, c’est à direque le produit ait une valeur supérieure à la reconduction du travail et du capital engagédans la production. Il s’agit donc de s’interroger sur la structure du surproduit et sur sarépartition. L’économie classique décompose le surproduit en travail, profit et rente. SelonRicardo, la rente ne correspond pas à une création de valeur puisque seul le travail estcréateur de valeur. Les revenus de la rente devraient donc être exclus de la production devaleurs réelles, ce qu’un indicateur aussi classique que le PIB ne permet pas. Afin d’étudierle développement économique d’un pays, il convient d’étudier la structure de la productionet de la répartition des richesses dans l’espace considéré visant au développement, ce quel’on appellera modèle de développement.

Dans son ouvrage Planification et croissance accélérée, Charles Bettelheim critique lathéorie des étapes du développement économique de Rostow en considérant que : « L’idéeque les pays “sous-développés” se trouveraient à un stade de l’évolution économiquequi serait en retard par rapport à celui des pays développés […] est fausse car ils sontdans une situation radicalement différente de celle que ceux-ci pouvaient connaître ily a cinquante, cent, deux cents ou trois cents ans.1 » Il n’y a donc pas de recettemiracle du développement, celui-ci dépendant des spécificités de chaque pays que celles-ci soient politiques, économiques ou sociales. D’autre part, l’auteur insiste sur le faitque le contexte international modifie considérablement la donne, la préexistence de paysindustrialisés pesant sur le développement des pays sous-développés. Le développementprend donc nécessairement une forme différente dans les pays « sous-développés » que

celle qui a prévalue à partir du XIXème siècle en Europe. Ce développement différentrésulte d’organisations sociale, politique et économique différentes, ces trois aspectsétant articulés. Il importe d’étudier ce que M. Weber appelle le groupement régulateurdes relations économiques2. Si le groupement régulateur des économies modernes estla concurrence par le biais d’un marché autorégulateur, ce marché est perçu dans ungrand nombre d’anciennes colonies comme l’instrument de domination impérialiste ayantconduit à l’exploitation de leur population. D’autre part, ces pays ne disposent pas d’uneépargne privée suffisante pour permettre l’investissement en capital nécessaire à la

1 BETTELHEIM C., Planification et croissance accélérée, Paris, Maspero, 19672 WEBER M., Economie et Société, Paris, Plon, 1971, p 118

Introduction Générale

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croissance économique selon le modèle de Harrod-Domar3. Cet ensemble de facteurstechniques et idéologiques fait que l’État est amené à jouer un rôle central dans ledéveloppement économique des pays sous-développés. Ce qui explique, pour reprendrele vocable de Pierre Bourdieu, que le champ économique ne soit pas autonome dupolitique. Le groupement régulateur a une rationalité politique. Dans la compréhension dudéveloppement ou du non-développement des pays sous-développés, l’étude des relationsentre État et appareil de production est donc centrale. On s’attachera à étudier les politiquesmises en place par l’État afin d’encadrer, voir d’établir l’appareil de production, de gérer lesrichesses produites et de les répartir ainsi que les justifications et les objectifs attribués àces processus.

Notre travail s’organisera donc autour des deux problèmes suivants :Comment peut-on expliquer la permanence de la domination du champ politique sur le

champ économique et quelles en sont les conséquences ?Comment les politiques mises en place par l’État influent-elles sur la création,

l’accumulation et la répartition de richesses ?

2. Délimitation du terrain

Pourquoi l’Algérie ?L’étude de l’Algérie nous semble particulièrement intéressante pour répondre aux deuxquestions évoquées précédemment pour les raisons suivantes :

En premier lieu, l’Algérie est un État très jeune, son indépendance remontant à juillet1962, c’est à dire il y a moins de 50 ans, au terme d’une lutte pour l’émancipationparticulièrement meurtrière. Cette courte histoire donne une certaine unité au régime, lepersonnel politique étant encore aujourd’hui en partie constitué d’anciens combattants de laguerre de libération. D’autre part la fondation de l’État s’accompagne d’une légitimation qui,dans le cas algérien, repose sur la nécessité d’une rupture forte avec la période coloniale. Lafonction de l’État est initialement définie comme d’assurer la cohésion nationale et de mettreen place le développement économique du pays afin d’apporter la prospérité à la population.L’État algérien est donc fortement marqué par son acte de naissance qui lui confère uneforme néo-patrimoniale4 et populiste. En Algérie, c’est donc l’État qui s’est désigné commeartisan du développement, ce qui est un élément déterminant dans nos thématiques.

En second lieu, l’État algérien a très tôt dans son histoire mis en place une économieadministrée aboutissant au quasi monopole du secteur public, à la fixation des prix et à lagestion de la production par l’administration centrale. L’État-entrepreneur devient par le biaisde la planification l’unique promoteur du développement. Cette économie dite « socialiste »a été fortement critiquée par un grand nombre d’économistes contemporains. Ce modèlequi traduit une très forte domination du politique sur l’économique semble pouvoir enrichirnotre réflexion.

3 « Harrod Domar Growth Model » in Brian Snowdon and Howard R. Vane (dir.), An Encyclopedia of Macroeconomics,Cheltenham, E. Elgar, cop. 2002

4 Sur le concept de neo-patrimonialisme, voir Eisenstadt S, Tradizional Patrimonialism and Modern New-Patrimonialism, 1973et MEDARD J, « La spécificité des pouvoirs africains », Pouvoirs (25) 1983

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Troisièmement, l’Algérie a connu dans les années 90 une période de troublesparticulièrement intense que l’on a nommé « la décennie noire » et qui combine guerrecivile, crise de la dette, pénuries et fin du monopole public sous la pression du FMI. Lorsde cette crise, un certain nombre des fondamentaux de la gestion politique de l’économiesont remis en question et le concept de libre-marché fait irruption dans le débat. C’est decette période que date le début d’une dialectique entre l’État et un marché autorégulateuren Algérie. La question est de savoir si cette « décennie noire » marque une rupture totaledans l’organisation économique algérienne qui doit donc se traduire en terme de structuresociale et politique, ou si elle ne constitue qu’une période de turbulence temporaire, lesstructures anciennes se rétablissant peu à peu.

Quatrièmement, l’Algérie est un pays qui dispose d’une rente naturelle sous formed’hydrocarbures. Le poids écrasant des hydrocarbures dans l’économie algérienne est unconstat trivial, on rappellera que le secteur représente encore 45% du PIB en 20065etqu’il constitue 97,58% des exportations en 2008 soit plus de 76 milliards de dollars6. Leshydrocarbures ont représenté la principale source de capitaux au cours de toute l’histoirede l’Algérie indépendante. On s’interrogera sur l’interaction entre cette rente pétrolière etl’économie de production à travers une réflexion approfondie sur la nature rentière del’économie algérienne.

En dernier lieu, un nouveau projet de politique industrielle a vu le jour en 2006qui constitue le premier projet de ce type en Algérie depuis près de 20 ans. Ceprojet de Nouvelle Stratégie Industrielle (NSI) a subi des critiques violentes provenantd'économistes, d’entrepreneurs et même du Premier Ministre lors de la campagne desélections présidentielles de 2009. L’étude de ce cas devrait permettre de faire un bilanà chaud des relations entre le champ politique et le champ économique dans l’Algériecontemporaine.

Pourquoi l’industrie ?L’industrie hors hydrocarbures nous semble le secteur le plus intéressant à étudier pourrépondre à nos thématiques pour les raisons suivantes :

Tout d’abord, en procédant par élimination, parce que le secteur des hydrocarburesétant fondé sur la rente, il ne semble pas que nous puissions le compter parmi lessecteurs dont l’évolution traduit un développement. Les hydrocarbures ont bien unefonction dans le processus de développement qui est de dégager les capitaux nécessairesaux investissements, mais ils ne sont pas intrinsèquement porteurs de développementéconomique. Par ailleurs, l’objectif fixé au secteur agricole à l’indépendance fut d’assurerl’autosuffisance alimentaire du pays et non de permettre le développement économique dupays au sens d’une métamorphose de la structure de production.

D’autre part, nous formulerons l’hypothèse que l’industrie hors hydrocarbures est lesecteur par excellence où se manifeste l’interventionnisme de l’État car c’est celui-ci qui estle plus capitalistique et qui est susceptible de connaître une forte croissance des capacitésde production et de la productivité. C’est également le secteur qui permet la mutation d’unesociété agraire vers une société industrielle que l’on considère comme moderne si l’on seréfère à l’histoire européenne, la mutation du mode de production entrainant des mutationssociales et politiques qui s’intègrent à la problématique du développement.

5 Ministère des affaires étrangères, 20076 Hocine L. « Des recettes de moins de 2 milliards de dollars en 2008 », El Watan, 26 janvier 2009

Introduction Générale

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Enfin, les doctrines algériennes du développement font de l’industrie le secteur quidoit conduire au développement. L’État fait le choix de la promotion des industries« industrialisantes » fondé sur les théories du développement de Perroux et de De Bernisqui se traduit par un investissement massif de l’État dans le secteur industriel. Au coursde la décennie 1970, l’Algérie investit près de la moitié de son PIB dans l’industrie, cequi correspond à l’un des plus fort taux d’investissement au monde à l’époque. Plus tard,l’Algérie investit plusieurs milliers de milliards de dinars dans les restructurations et lesplans d’assainissement qui se succèdent à partir des années 1980. Ce capital injecté dansl’industrie est financé par la rente pétrolière et par l’endettement extérieur, si bien quel’industrie est fortement liée à la crise de la dette de 1994.

En dernier lieu, l’industrie hors hydrocarbures algérienne n’a globalement jamaisbeaucoup exporté, elle n’a pas répondu à la demande intérieure et elle n’a jamais étérentable, ne dégageant pratiquement pas de profits, ce qui a conduit à une forte dépendancedu secteur à l’État qui a persisté après l’abolition du monopole public. Il s’agit donc derépondre à cette énigme : pourquoi le secteur industriel algérien n’est-il pas parvenu às’autonomiser et à participer à la création de richesses, ce qui a considérablement freinéle développement algérien ?

3. ProblématiqueLes principales thématiques abordées peuvent être synthétisées dans la problématiquesuivante :

Comment expliquer la faiblesse du secteur industriel dans le processus de créationet d’accumulation des richesses sachant que l’État a été le principal artisan del’industrialisation en Algérie ?

On peut décomposer cette problématique en deux questions qui constitueront les deuxparties de notre travail :

Quelles ont été les politiques industrielles menées en Algérie et sont-elles responsablesde la faiblesse du secteur industriel ?

Le secteur industriel peut-il s’autonomiser de l’État et devenir un secteur productif, ya-t-il réellement eu une mutation des relations entre le politique et l’économique au coursde la décennie 1990 ?

A travers notre réflexion sur l’industrie, nous tenterons d’aborder la place de l’économieproductive en Algérie, d’identifier la rationalité du groupement régulateur et d’étudier lesinteractions entre structure économique, structure politique et structure sociale.

4. PlanNotre travail se compose de deux parties, la première constituant une approche historiquedes politiques industrielles en Algérie, et la seconde sur les capacités de mutation del’industrie algérienne s’intégrant dans une économie productive à travers l’étude de cas dela NSI.

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Dans la première partie nous étudierons les relations très denses qui se sont établiesentre le secteur industriel et l’État depuis l’indépendance de l’Algérie à travers leurmanifestation la plus évidente que constituent les politiques industrielles. Nous nousintéresserons donc au régime juridique en vigueur, au mode de gestion de la productionet à leur application concrète, ainsi qu’aux résultats quantifiables de ces politiques. Cesquestions nous pousseront à nous intéresser à d’autres secteurs que l’industrie horshydrocarbures et aux politiques macro-économiques qui influencent et explicitent lespolitiques industrielles. Nous diviserons l’histoire de la politique industrielle algérienneen deux périodes. La première période s’étend de 1962 au choc pétrolier de 1986 etconstitue une phase d’industrialisation intensive sous le contrôle direct de l’administrationcentrale. La seconde période couvre 1986 à nos jours et se caractérise par un phénomènede désindustrialisation rampante, l’État semblant se dessaisir en partie de la questionindustrielle. Nous conclurons que la faiblesse des résultats de l’industrie algérienne est uneconstante, que ce soit durant la période d’économie administrée ou durant des périodesoù elle était plus autonome, et que l’absence de développement découle de causes plusprofondes que le choix des industries « industrialisantes » ou de l’économie administrée.

Dans la seconde partie, nous étudierons les causes de l’échec du projet de NSI etle caractère révélateur de cet échec quant à la permanence d’une relation de dominationdu politique sur l’économique. Nous verrons tout d’abord le processus d’élaboration duprojet afin de déterminer si celle-ci constitue une rupture dans la mise en place despolitiques publiques. Nous nous pencherons ensuite sur le contenu du projet lui-mêmepour le comparer avec les politiques industrielles mises en place auparavant, et afin dele repositionner dans la dialectique entre État et marché. Nous conclurons enfin que lapersistance du caractère rentier de l’économie algérienne fondée sur la nature du régimeexplique l’impossibilité de l’émergence d’une économie productive en Algérie.

Partie I : Approche historique des politiques industrielles algériennes

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Partie I : Approche historique despolitiques industrielles algériennes

L’objectif de cette partie est de comprendre ce qu’est l’industrie en Algérie et quelle est saplace dans l’économie nationale. L’analyse des politiques industrielles ne vise pas tant àen estimer la pertinence que de révéler la place centrale que l’industrie a occupée dansl’économie et dans l’idéologie politique algérienne. Cette analyse nous semble déterminantepour comprendre la situation actuelle du secteur industriel et les projets le concernant.

En Europe, la première révolution industrielle a enclenché à la fin du XVIIIème siècleune transition d’une société agraire vers une société industrielle. Cette transformationéconomique s’est accompagnée de transformations sociales et politiques si bien que larévolution constitue une rupture avec le passé, l’État surmontant les blocages des sociétéstraditionnelles. Karl Polanyi insiste sur l’importance des modifications sociales plutôt que surles innovations techniques comme facteur de la révolution industrielle. L’un de ces élémentsmajeurs est selon lui l’acceptation de l’économie de marché qui fait de la nature, du travailet de la monnaie, des marchandises7. La rupture avec la société féodale traditionnelle a étépossible par la constitution d’une bourgeoisie capitaliste qui a pu s’opposer à la caste dela noblesse féodale. Le processus de concentration du capital permet la mise en place destructures de production en série, regroupant un grand nombre de travailleurs et qui utilisentdes techniques permettant une forte productivité : l’industrie.

Alors que le processus d’industrialisation suit son cours depuis plus de 150 ansen Europe, l’Algérie possède encore tous les attributs d’une société agraire lors deson indépendance, les colonisateurs n’ayant pas développé une économie industrielleimportante. D’autre part, l’Algérie ne dispose pas d’une bourgeoisie capitaliste pouvantconduire la mutation vers une société industrielle. Enfin, l’économie de marché capitalisteest perçue comme le joug qui a été imposé par le colonisateur et se trouve doncfortement délégitimée. Les fondamentaux sont très différents de ceux de la révolutionindustrielle européenne et comme dans de nombreux pays du Tiers-Monde, la tâchedu développement économique est confiée à l’État. Les thèses développementalistes del’époque insistent sur la nécessité de l’industrialisation comme vecteur du développement.L’industrialisation est perçue comme un élément central du développement justement parceque l’Histoire a montré que c’est le processus qui a permis le développement des grandespuissances européennes. Cependant les bases sociales, économiques et politiques del’industrialisation en Algérie sont très éloignées de celles qui prévalaient en Europe au début

du XIXème siècle. Il n’y a pas de dialectique entre l’État et le libre marché dans la répartitionoptimale des ressources puisque le libre marché est tout simplement nié dans un premiertemps.

On distinguera deux périodes dans l’histoire de l’industrie algérienne. La premièrepériode étudiée, peut être caractérisée comme le processus d’industrialisation dans uneéconomie administrée. Le contre-choc pétrolier de 1986 constitue un pivot puisqu’il va

7 Polanyi, Karl, La grande Transformation aux origines politiques et économiques de notre temps , Trad. C. Malamoud et M. Angeno,Paris, Gallimard, 1983

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amener la fin du monopole industriel public. La seconde période 1986-2006 est donccaractérisée par la dialectique naissante entre État et marché qui suscite bien deshésitations quant au rôle de l’État et se traduit par la désindustrialisation et l’immobilismepolitique.

I. Le quasi-monopole du secteur public 1962-1985C’est au cours de la période allant de 1962 à 1985 que l’Algérie connaît un importantphénomène d’industrialisation qui se met en place sous le contrôle de l’État. Le monopoleindustriel du secteur public s’explique en grande partie par les idéologies véhiculéespar le mouvement anticolonial qui aboutit à une économie administrée, perçue commele seul mode d’organisation permettant de mettre fin à l’exploitation qui caractérisait lapériode coloniale. Ce modèle que l’on peut appeler économie socialiste, économie dirigéeou économie administrée fait de l’État le promoteur et le gestionnaire du processusd’industrialisation. De 1962 à 1985 on peut pratiquement considérer que le secteur industrielest englobé dans le secteur public, le secteur privé relevant d’avantage de l’artisanat. Lesecteur industriel s’est donc construit au cours de cette période alors qu’il était placé au cœurdu projet de développement algérien et sa structure a peu évolué depuis, contrairementà son statut. L’objet de cette partie n’est donc pas seulement d’étudier la naissancede l’industrie mais également ce qui semble avoir été sa phase de maturité en termesd’investissement et de volume d’emploi et de production. Beaucoup de caractéristiques dusecteur industriel nées alors, demeurent aujourd’hui et il convient de les comprendre afin desaisir les problématiques actuelles de l’industrie algérienne. On peut distinguer trois phasesdans le processus d’industrialisation. La première phase est caractérisée par la constitutiond’une économie nationale, ce qui peut sembler une étape préliminaire à l’industrialisation enelle-même mais qui permet de mieux cerner la place dévolue à l’industrie. De plus, c’est aucours de cette période que se fait le choix du modèle de développement. Nous délimitonscette première phase de 1962, l’année de l’Indépendance à 1966 qui est la dernièreannée avant la mise en place d’une économie planifiée. Le début de la planification noussemble en effet être l’instant pivot qui fait entrer l’économie algérienne dans une secondephase d’industrialisation tous azimuts, sous l’impulsion de l’État. Cette seconde phase oùl’industrialisation ne connaît aucune remise en question et qui peut être considérée comme

l’apogée de l’industrie publique continue jusqu’en 1979. Le IVème Congrès du FLN marqueen effet une rupture conduisant à une troisième phase qui est celle de la restructuration.L’objectif n’est plus simplement l’investissement, mais l’organisation du secteur industriel,sans que le modèle global soit toutefois questionné. Cette phase se termine avec le contre-choc pétrolier de 1986 qui ébranle l’ensemble du modèle économique algérien. D’autreslimites auraient pu être retenues pour la fin de cette seconde phase, telles que l’autonomiedes entreprises publiques en 1988 ou le coup d’État de 1992, mais nous considérons queces évènements découlent du contre-choc pétrolier.

1. La constitution d’une économie nationale 1962-1966Au lendemain de l’Indépendance, l’économie algérienne est encore largement tournée versla France. Le secteur industriel algérien, issu de la période coloniale, était considéré commeun secteur d’appoint à la production française et le taux de croissance économique nationale

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de 1930-1950 stagne à 0,5 bien en deçà du taux de croissance démographique qui s’élèveà 1,8. Le secteur agricole ne parvient plus à absorber la masse des travailleurs et le secteurindustriel qui ne représente que 14% du PIB en 1959 apparaît comme largement sous-développé. Le Groupe d’études des relations financières entre la métropole et l’Algérieestime dans un rapport de juin 1955, qu’étant donné la faiblesse des investissements« si l’État n’investit pas lui-même ou ne participe pas au financement des investissementsprivés, vraisemblablement plus largement que ces dernières années, un processus derégression risque de s’amorcer »8. L’économie coloniale algérienne est donc tributairedes investissements de l’État français et ne dispose que d’un faible capital privé. Lapériode est caractérisée par la réappropriation de la richesse nationale et la recherched’un modèle de développement indépendant émancipant l’Algérie de la tutelle économiquefrançaise. Ce développement passe par une importante industrialisation, la valeur ajoutéedu secteur passant de 18,13% à 25,67% du PIB de 1963 à 1966. L’augmentation de44% de la production d’hydrocarbures qui sont prédominants dans la production puisqu’ilsreprésentent 60% de la VA industrielle contre 25,1% pour les industries manufacturièresexplique largement cette croissance9. Un débat passionné s’engage sur le mode dedéveloppement, opposant libéraux et socialistes.

Le choix du modèle de développementLes idées originelles sur le choix du modèle de développement sont évoquées dès 1956dans le premier numéro d’El Moudjahid édité par le FLN qui affiche son soutien à lanationalisation du Canal de Suez. Le programme de Tripoli de 1962 donne un doubleobjectif économique à l’Algérie indépendante : d’une part, une réforme agraire authentiquepermettant d’augmenter le pouvoir d’achat des algériens et de préparer une industrialisationnon tournée vers l’exportation et d’autre part, le développement des industries de basequi fournissent l’assise au développement à long terme. Le programme de Tripoli estimeégalement que « l’expérience des autres pays sous-développés montre que l’intervention del’État est indispensable s’il veut réaliser ses objectifs et orienter la croissance dans l’intérêtde la Nation.»

La loi régissant l’investissement privé du 26 juillet 1963 vise à remédier au climatd’instabilité en freinant la fuite des capitaux. Cette loi confère des avantages et des garantiesaux investisseurs étrangers, qui sont protégés contre les nationalisations jusqu’à ce que lemontant des bénéfices nets dépasse le montant du capital exporté investi. Cette loi traduitla volonté de continuer à travailler en lien avec les investisseurs français en leur octroyantun régime préférentiel dont ne disposent pas les investisseurs nationaux.

La Charte d’Alger de 1964 marque une rupture en entérinant une orientation socialisteet en rejetant la voie du développement capitaliste au motif que celle-ci fait des salariésde simples marchandises, entraîne des crises et engendre l’impérialisme. La solutioninvoquée est la voie socialiste du développement qui passe par la nationalisation et surtoutl’autogestion qui abolit la séparation maitrise-exécution. Dans le secteur industriel, lapréparation de l’autogestion passe par la nationalisation du secteur privé. L’industrialisationde l’Algérie doit permettre le relèvement du niveau de vie et le bannissement du chômage10.Pour cela le développement industriel doit être planifié par l’État. L’industrialisationalgérienne doit donc être largement introvertie en s’appuyant sur les ressources existant

8 Cité dans BENHOURIA T., L’économie de l’Algérie, François Maspéro, Textes à l'appui, 19809 BRAHIMI A., Stratégies de développement pour l’Algérie, Paris, Economica, 1992, p 73-74

10 Boumédiène, Discours, Alger, 4septembre 1965

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dans le pays. De plus l’expérience du secteur minier démontre que les entreprisesétrangères ont peu investi, n’ont pas formé de main d’œuvre et n’ont pas renouvelé leséquipements à partir de 1960. L’investissement étranger n’est donc pas considéré commeavantageux contrairement à ce que prétend la théorie du développement.

Le Code de l’investissement privé de 1966 reconnaît l’importance d’un secteur privénational mais soumet tout investissement privé à un agrément de l’État et se réserve ledroit de racheter les parts ou actions de toute entreprise privée. Il peut, de plus, refuserl’agrément pour tous les domaines jugés stratégiques qui justifient un monopole d’État.Si des efforts sont réalisés pour encourager l’investissement privé et particulièrement lesinvestisseurs étrangers, ces mesures entrent en contradiction avec le discours dominantrelayé par la Charte d’Alger et les discours du Président Boumediene qui imposent unmodèle d’économie planifiée où le secteur public prédomine et où la gestion est planifiéepar un centre de décision national. Le modèle de développement de 1962 à 1966 admetdonc trois types de secteurs dans l’Industrie : le secteur autogéré, le secteur privé et lesecteur public.

Le secteur industriel autogéréLe départ des propriétaires et des cadres européens entraîne la mise en place del’autogestion en mars 1963 dans 500 entreprises du secteur industriel qui emploient 15000ouvriers. Ces entreprises sont pour la plupart de petite taille puisque 36% des entreprisesemploient de 4 à 10 ouvriers et 49% entre 11 et 50 ouvriers. Leurs activités sont peudiversifiées, principalement le BTP à 31%, l’alimentation à 26%, le bois à 17% et lamétallurgie à 14%. Le secteur industriel autogéré est soumis à la tutelle bureaucratiqueconcernant les questions de financement, de commercialisation et d’approvisionnement.Les entreprises industrielles autogérées sont peu à peu absorbées par les sociétésnationales du secteur public.

Le secteur publicLa constitution de sociétés nationales vise à contrôler les secteurs clef de l’industrie.La société nationale est décrite par la Charte d’Alger comme « la forme ultime de lapropriété sociale ». Ces sociétés nationales sont soit créées ex-nihilo, soit le résultat de lanationalisation ou du rachat d’actifs étrangers avec changement de dénomination sociale,soit la reconduction pure et simple d’entreprises existantes. Parmi les entreprises créées àl’époque on peut citer la SONATRACH en 1963 dans le domaine des hydrocarbures dont lapart dans la production pétrolière atteint 11,5% en 1966, la SNS en 1964 pour la sidérurgie,la SNTA en 1963 pour le tabac et les allumettes et la SOMEA pour la construction mécaniqueet aéronautique. Ces sociétés sont créées par décret ou par ordonnance (après le 19 juin1965) et disposent d’un siège social à Alger, d’un objet social et d’un capital. Chaque sociéténationale dispose du monopole dans sa branche de production.

Les sociétés nationales disposent de l’autonomie formelle, le directeur général, nommépar décret, ayant tout pouvoir pour atteindre son objet social. Cette autonomie est cependanttempérée par le contrôle du ministère de tutelle et du ministère des Finances sur les comptesprévisionnels et le bilan de fin d’année. De plus tous les investissements sont conditionnésaux décisions appropriées du gouvernement central.

Le secteur privé

Partie I : Approche historique des politiques industrielles algériennes

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Le secteur privé est largement attentiste de 1962 à 1966 ce qui peut s’expliquer par lafaiblesse du capital privé national et le manque de confiance des investisseurs étrangers.Le code des investissements de 1963 ne provoque pas un engouement massif puisque lacommission d’investissement n’agrée que 76 dossiers de 1963 à 1966 représentants 3075emplois. Les investissements étrangers se concentrent dans le domaine des hydrocarburesoù les sociétés étrangères sont encore majoritaires. Les bénéfices ne sont pas réinvestisdans l’économie algérienne à l’exception de trois sociétés d’économie mixte où le capitalétranger est majoritaire : Sadab-Berliet, Caral-Renault et l’Union Industrielle Africaine.

Le second code d’investissement de 1966 entraîne une soixantaine de demandesd’agrément au cours du dernier trimestre 1966, ce qui témoigne d’une certaine motivation,principalement au sein du secteur privé national. Cependant le secteur industriel nationalprivé reste relativement négligeable, ne concernant que des activités artisanales en avaldes activités proprement industrielles, à l’exception de quelques entreprises comme celle deTamzali ou Bentchicou qui sont rapidement nationalisées. Pour conclure, le secteur privé nes’intègre pas dans le processus de production où il aurait pu jouer un rôle complémentaire ausecteur public qui ne pouvait pas dans tous les cas assurer toutes les gammes de productionindustrielle.

2. L’investissement massif dans les industries « industrialisantes »,apogée de l’économie dirigée 1967-1979

Le développement industriel algérien de 1967 à 1969 est rythmé par les plans quimettent en place une importante base industrielle. Le plan triennal 1967-1969 et lesdeux plans quadriennaux 1970-1973 et 1974-1977 vont concentrer 300 milliards de dinarsd’investissements dans les industries, traduisant en actes la volonté de la Charte d’Alger defaire de l’industrialisation « en profondeur » le moteur de la croissance et du développementalgérien. Ces investissements qui approchent annuellement 45% du PIB vont être renduspossibles par la nationalisation du secteur des hydrocarbures qui permettra de dégager unimportant capital public. Ce mouvement de nationalisation s’étend à la plupart des branchesd’activité, aboutissant à la formation d’un secteur public quasi omniprésent dont la gestioncentralisée fait de l’État le principal entrepreneur algérien qui concentre la « maîtrise » de laproduction et du capital. L’État fait le choix des industries « industrialisantes » qui privilégieles industries lourdes fortement capitalistiques et la planification. La mise en place de cemodèle entraîne rapidement une forte dépendance extérieure sans parvenir à s’intégrerdans l’économie nationale ce qui se traduit par des importations considérables. Si bienqu’après trois plans, le bilan en termes de productivité et de rentabilité du capital investiest très inférieur aux attentes. Ce bilan peut s’expliquer par le rôle important que la rentepétrolière et l’endettement jouent dans ce modèle.

La rente pétrolière nationalisée, moteur du modèle de développementalgérienLa Charte d’Alger de 1964 indique que « la nationalisation des richesses minérales eténergétiques est un but à long terme». Dés 1968, l’État confie le monopole de la distributiondes hydrocarbures à la Sonatrach. En 1971, il met en place la nationalisation des intérêtsétrangers dans les hydrocarbures obtenant ainsi le contrôle de 51% des intérêts étrangers

Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relationsentre Etat et appareil de production dans une économie en développement

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dans la production pétrolière, de 100% des réserves gazières et du réseau de transport deshydrocarbures. Le régime des concessions est aboli le 12 avril 197111.

L’objectif de l’État est l’appropriation de la rente maximale afin de l’investir dansl’industrialisation et le développement de la rente elle-même. La production de pétroleaugmente ainsi de 50% entre 1967 et 1979. En parallèle, l’Algérie milite pour la maîtrisedes prix pétroliers par les pays producteurs, notamment lors d’un discours du PrésidentBoumediene aux Nations Unis le 10 avril 1974. L’action au sein de l’OPEP permetde multiplier par 3 les prix du pétrole en 1974. Cette double augmentation de laproduction et des prix des hydrocarbures permet la multiplication par 12 des recettesd’exploitations entre 1973 et 1979, celles-ci atteignent alors 36 milliards de dinars.Cependant les recettes d’exploitations cumulées sur la période sont largement inférieuresaux dépenses de fonctionnement et aux investissements réalisés dans le secteur industrielhors hydrocarbures. La rente pétrolière n’est donc pas suffisante pour financer le modèle dedéveloppement algérien. Les ressources dégagées par les exportations ne financent que25% des investissements industriels hors hydrocarbures, les 75% restant étant financéespar la mobilisation de crédits extérieurs.

Le monopole de l’État-entrepreneurLe processus de nationalisation se poursuit jusqu’au milieu des années 70 tandis quel’investissement est planifié. A la fin des années 70 on dénombre 1165 unités dans le secteurpublic industriel12. Les sociétés nationales ainsi constituées sont organisées par branchesd’activités industrielles, pour prendre en charge la réalisation des investissements et lafonction de production. Les sociétés nationales sont organisées en grandes structures trèsconcentrées qui sont placées en situation de monopole dans leur branche sur le marchéintérieur et travaillent donc dans des conditions de non-concurrence.

La stratégie de développement socialiste fondée sur le dirigisme étatique passe parune allocation centralisée des ressources faisant de l’État l’organisation économique etsociale quasi-exclusive du pays. Le plan est déterminé par le Conseil de la Révolution oule Conseil des ministres. Les ministres fonctionnels ont ensuite la charge de faire exécuterces décisions, l’entreprise publique n’ayant qu’une fonction exécutoire. L’administration duPlan a finalement peu de pouvoir, les coûts et les délais de réalisation fixés n’étant dansles faits pratiquement jamais respectés. Ce sont les ministères fonctionnels de tutelle, desFinances et du Commerce qui contrôlent réellement l’investissement, le financement, lesimportations et la distribution. Les industries publiques doivent donc obtenir les autorisationsdes administrations centrales pour leur gestion mais également de l’administration duPlan pour tout projet de développement qui s’inscrit dans le Plan et de la BanqueAlgérienne de Développement pour le montage financier de développement. Un processusde « marchandage » se met alors en place entre les administrations sectorielles quicherchent à obtenir le maximum de ressources et les administrations fonctionnelles quicherchent à conserver l’équilibre budgétaire. Cette gestion très centralisée induit desretards, des surcoûts et la mise en place dans les entreprises publiques d’une importantebureaucratie, le personnel non-productif atteignant 52% des effectifs en 197813. L’entreprise

11 GOUMEZIANE Smaïl, Le pouvoir des rentiers : essai sur l'histoire de la rente et des rentiers des origines à nosjours, Paris, Paris-Méditerranée, 2003, p.3512 SADI Nacer-Eddine, La privatisation des entreprises publiques en Algérie : : objectifs, modalités et enjeux, Paris, l’Harmattan,2005, p 28

13 BRAHIMI A., Stratégies de développement pour l’Algérie, Paris, Economica, 1992, p 158

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publique n’est donc comme l’écrit A. Bouzidi qu’ « un simple sujet juridique dont la capacitéde faire ou ne pas faire est encore étroitement limitée par les autres administrations de l’Étatchargé de l’encadrer.14 » La tutelle des ministères concerne également la nomination detous les cadres de l’entreprise publique, du directeur général aux cadres employés à despostes jugés sensibles, en passant par le comité d’orientation et de contrôle. Les contrôlesadministratifs et les injonctions des ministères de tutelle déresponsabilisent les entreprisespubliques puisque celles-ci ne disposent que d’un pouvoir économique limité. Dépossédéespar l’administration centrale des attributs permettant de mettre en place une stratégied’entreprise cohérente, elles ne peuvent être tenues responsables de leurs résultats.

La fonction première de toute entreprise, publique ou non, qui est de dégager unsurplus économique pour alimenter la croissance et contribuer à l’accroissement du revenunational se confond dans le cas des sociétés nationales avec des objectifs sociaux etpolitiques. La promulgation en 1971 de la Charte sur la Gestion Socialiste des Entreprisespubliques (GSE) entérine la prédominance de ces deux derniers objectifs sur le premieren cherchant à éliminer tout rapport de force entre les travailleurs et leur employeur enfaisant de l’entreprise socialiste le lieu où « [la] direction ne représente pas le patronatexploiteur mais l’État populaire, garant des intérêts de l’ensemble des masses laborieuses.[…] Il ne saurait ainsi surgir de conflits fondamentaux entre elle et le collectif des travailleurs,dès lors qu’ils œuvrent ensemble vers le même objectif.»15 La relation entre travailleurset direction au sein de l’entreprise publique est donc perçue comme la transposition desrapports entre « les masses laborieuses » et l’État. En conséquence, le rapport de force nes’établit plus sur la négociation d’une force de travail contre un salaire mais sur l’adhésiondes travailleurs au projet de l’État en échange d’un salaire politique totalement déconnectéde la production effective. La GSE a pour vocation principale d’éviter le conflit capital-travail en délaissant les aspects économiques, ce qui « cache mal le trait distinctif de laconception néo-patrimoniale de l’économie, qui conduit à absorber le pouvoir économiquelocal. »16 La GSE qui met en place une Assemblée des Travailleurs de 7 à 35 membresélus pour 3 ans par tous les travailleurs, ne pacifie pourtant pas les relations sociales àl’intérieur de l’entreprise. L’objectif de « développer partout le contrôle populaire afin que lesmasses prennent directement en main la protection du patrimoine de l’État »17est largementillusoire puisque cette assemblée a comme seul interlocuteur, une direction dépossédéede tout pouvoir de décision. La gestion centralisée des entreprises publiques aboutit àla suppression de tout pouvoir économique local tandis que la GSE en fait une propriétécollective. Ainsi les résultats des entreprises publiques sont censés être de la responsabilitéde tous - et donc de personne - sans qu’ils influent sur les salaires ou la condition de quique ce soit.

Le choix des industries « industrialisantes »L’État central disposant des ressources financières de la rente pétrolière et du contrôlede l’industrie nationale, c’est à lui que revient de définir le modèle d’industrialisation danslequel il investit son capital. S’inscrivant dans les thèses développementalistes de FrançoisPerroux et de Gérard Destanne de Bernis, il fait le choix des industries « industrialisantes »,

14 BOUZIDI A, « L’entreprise publique et l’État en Algérie », Revue du CNEAP, 198515 Charte et Ordonnance portant sur la Gestion Socialiste des Entreprises. Ministère de l’Information, Alger, 197216 ADDI L, « Formes néo-patrimoniale de l’État et secteur publique en Algérie », In H. El Maki et JC Santucci, État et

développement dans le monde arabe, éd. CNRS, 199017 Charte et Ordonnance portant sur la Gestion Socialiste des Entreprises. Ministère de l’Information, Alger, 1972

Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relationsentre Etat et appareil de production dans une économie en développement

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c’est à dire des industries lourdes produisant des produits de bases « stratégiques »tel l’acier et les engrais devant provoquer des effets d’entraînement important. Selon Fr.Perroux « La croissance n'apparaît pas partout à la fois; elle se manifeste en des pointsou pôles de croissance avec des intensités variables; elle se répand par divers canaux etavec des effets terminaux variables pour l'ensemble des économies. » L’objectif est doncde déterminer les « industries clefs » motrices qui permettent des effets de polarisationafin de les concentrer en pôle de croissance bénéficiant du monopole d’État. Cette théoriese rapproche de celle des effets d’entraînement d’A. Hirschman fondée sur l’existence deliaisons entre les branches industrielles : des liaisons en amont où la mise en place d'uneindustrie va créer une demande pour des intrants et des liaisons en aval où le produit d'uneindustrie peut devenir le facteur de production d'une autre industrie.

L’Industrie doit être le catalyseur d’un développement qui assure la modernisation dusecteur agricole, la prospérité du commerce tout en assurant l’indépendance économique àlong terme. L’industrialisation doit donc s’établir sur la base des atouts que sont l’abondancedes matières premières et les infrastructures sidérurgiques et pétrolières18. Le choix desindustries lourdes est également motivé par les coûts élevés en énergie qui les caractérisentet qui est moindre pour un pays producteur d’hydrocarbures.

Pour ce faire, l’Algérie doit, selon De Bernis, mettre en place une structure industrielle« cohérente et introvertie ». Selon lui, la mise en place des industries de biensd’équipements et de biens d’équipements intermédiaires ne peut découler que d’industries« industrialisantes », c’est à dire celles « dont la fonction économique est d’entraîner unnoircissement systématique de la matrice interindustrielle et des fonctions de production,grâce à la mise à la disposition de l’entière économie d’ensemble de machines quiaccroissent la productivité du travail. 19 » De Bernis ajoute que « Bien entendu, unetelle politique n’a de chance de réussir que dans la mesure où l’État prend en chargedes investissements industriels dans le cadre d’un secteur public.20 » Il s’agit donc decibler les pôles industriels capables d’avoir des effets intégrateurs maximum. Ceux-ci sontidentifiés par l’auteur comme étant les moteurs et turbines, les machines-outils, l’outillageet l’équipement industriel, les engrais azotés et les industries grandes consommatricesd’énergie. La dynamique majeure doit se mettre en place entre l’industrie et l’agriculture,la modernisation de cette dernière devant procéder de et non précéder la première.L’augmentation de la productivité agricole doit elle-même permettre des capacités demobilisation financière pouvant être réinvesties dans l’industrie des biens de consommation.La capacité d’autofinancement hors hydrocarbures étant faible, c’est le secteur deshydrocarbures qui doit financer les investissements dans l’industrie lourde permettant ainside transformer la rente en capital. La stratégie d’investissement doit ainsi être double, d’unepart un financement externalisé visant à maximaliser la rente et de l’autre, un financementinternalisé pour maximaliser l’industrialisation tournée vers le territoire national. La difficultéde l’exercice relève donc de l’allocation des financements.

On voit que le choix des « industries industrialisantes » peut sembler cohérent avec leprojet de la Charte d’Alger fondé sur l’agriculture et l’industrie, cette dernière devant êtremotrice. Aujourd’hui certains responsables politiques nient que l’Algérie n'ait jamais adopté

18 VIRATELLE Gérard, L’Algérie algérienne, Paris : Éd. Économie et humanisme : les Éd. ouvrières, 1970, p 3319 DE BERNIS G., « Les industries industrialisantes et les options algériennes », Tiers-Monde, n°47, 1971, p 54720 ibid.

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la stratégie de De Bernis.21 On peut cependant citer l’article commun publié par Sid-AhmedGhozali, président-directeur général de Sonatrach, et De Bernis dans El Moudjahid du 4avril 1968 intitulé « Les hydrocarbures et l’industrialisation de l’Algérie » et bien plus encorele ciblage des investissements de l’État qui témoignent de l’influence de la théorie desindustries « industrialisantes » en Algérie.

Les investissements massifs ne se traduisent pas dans la productionLe développement industriel est caractérisé durant cette période par un investissementmassif dans l’industrie lourde située en amont du processus industriel. Le tauxd’investissement sur la période oscille entre 45 et 50% du PIB soit 1260 $ par habitanten 1980 ce qui en fait l’un des plus élevé du monde22. Les hydrocarbures reçoivent 50%des investissements industriels soit 25 à 30% des investissements totaux afin d’assurerl’augmentation de la production et la prospection. Les prévisions d’investissementsindustriels hors hydrocarbures cumulés du plan triennal et des deux plans quadriennauxs’élèvent à 39,4 milliards de dinars. Les investissements réalisés approchent les 70 milliardsde dinars. On observe donc d’une part que les investissements sont très importantsmais également qu’ils ont largement dépassé les prévisions des plans (soit 175% desinvestissements prévus). Si l’on exclut les hydrocarbures, la répartition des investissementsdans les industries est donnée par le tableau suivant (en millions de DA) :

Tableau 1:répartition de l’investissement industriel 1967-78 23

1967-69 1970-73 1974-78 Prévus Réalisés Prévus Réalisés Prévus Réalisés

1967-78Réalisésen %

Industries de base 2200 1580 5200 7520 21900 40250 71,15Industrie de transformation 500 370 1200 1320 4000 9030 15,45Mines et énergie électr. 400 440 1400 2180 2600 6670 13,40Total 3100 2390 7800 11020 28500 55950 100

L’industrie de base a été fortement privilégiée avec plus de 70% des investissementsindustriels hors hydrocarbures sur la période 1967-78, ce qui marque la priorité accordée àl’industrie lourde. L’industrie lourde est particulièrement intensive en capital ce qui se traduitpar un coût des investissements par emploi de plus de 300 000 DA par emploi créé, soitprès de 5 fois les normes internationales admises dans le secteur industriel. Par ailleursla concentration de capital dans l’industrie lourde se fait nécessairement au détriment desbranches industrielles dont la production est destinée au marché final.

En termes de production, les résultats sont inférieurs aux prévisions des plans. A titred’exemple, les industries sidérurgique, métallurgique, mécanique et électrique (ISSME) ontréalisé un taux de croissance annuel moyen de 11,9 % au lieu des 25,5% prévus dans leplan 1970-73. Il en va de même pour toute la production industrielle. Au final, la productionindustrielle hors hydrocarbures qui représentait 11% du PIB ne dépasse pas 14% du PIBen 1978 alors qu’elle a reçu des investissements conséquents. La production industrielle

21 BELAID Abdesselam, « la politique de développement appliquée par l’Algérie au lendemain de son indépendance »,blog personnel, http://www.belaidabdesselam.com/?page_id=81 , consulté le 14 juin 200922 SADI Nacer-Eddine, op. cit., p 27

23 cité in BRAHIMI A., Stratégies de développement pour l’Algérie, Paris, Economica, 1992, p 127

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globale hors hydrocarbures s’est accrue de 7,8 milliards de DA en prix constants pour unvolume d’investissements de 88 milliards de DA, d’où un coefficient marginal du capitaltrès élevé de 11,2. Si cette situation pouvait sembler normale dans les premières annéesd’industrialisation lourde, elle devient intenable après 12 ans de mise en œuvre et traduitcertains dysfonctionnements concernant l’efficacité du capital investi et les résultats deproduction.

Un premier constat est que la productivité a diminué de 1967 à 1978, passant de36752 DA à 31025 DA. Cette diminution de la productivité peut s’expliquer par la forteaugmentation de la part du personnel non-productif et par la déconnection de la relationproduction-salaire. D’autre part une étude de l’IREP montre la nature et les causes desgaspillages et surcoûts24. Ces surcoûts sont dus pour partie aux retards d’investissementliés aux lourdeurs administratives. A titre d’exemple, J.C. Hazera fait le calcul qu’un retardde 12 mois pour un investissement annuel de 4 milliards de dinars provoque un surcoûtde 1,5 milliards de DA25. Or S. Goumeziane indique que la moyenne des retards est de 3ans26. Mais les surcoûts proviennent également de la surfacturation du Génie civil pour lesbâtiments et des firmes étrangères pour l’assistance technique. Au bout du compte « si l’onestime ce surcoût à […] 55%, [les] sommes détournées […] au détriment de la collectiviténationale [ont été] pour la période 1967-78 de l’ordre de 72,6 milliards de dinars […] pourl’ensemble des investissements.27 » Ce qui signifie que 25% des investissements totaux sesont évaporés soit un montant supérieur aux investissements totaux dans l’industrie horshydrocarbures.

D’autre part, une fois les investissements effectués, il apparaît que leur allocation asouvent été peu efficace. Ainsi les taux d’utilisation des capacités de production oscillententre 60 et 70% pour les unités de production en activité depuis plus de 5 ans ce quis’explique par la déresponsabilisation des gestionnaires locaux, l’absence de relations entresalaire et production et la faible intégration nationale des industries hors hydrocarbures. S.Thierry note que si les industries avaient été utilisées à plein régime, l’indice de productivitéaurait augmenté de 40% passant de 0,84 à 1,3628. Le rapport Produit industriel sur stockde capital fixe a pour sa part été divisé par deux entre 1966 et 1977 passant de 0,416 à0,21029. Dans ces conditions, auxquelles s’ajoute la faiblesse des prix de vente fixés parl’administration, il est bien évident que l’activité des industries est largement déficitaire etqu’elles doivent recourir aux découverts bancaires qui viennent ajouter de nouveaux fraisfinanciers. Le bilan catastrophique dressé par S. Goumeziane est le suivant : les stocksdépassent souvent 50% du chiffre d’affaire, les créances 200% et les dettes 600%30.

Au regard de ces chiffres, on peut noter l’échec de la planification au sens oùles investissements ont été largement supérieurs aux prévisions et que les résultats entermes de croissance annuelle ont été très inférieurs aux objectifs fixés. Ces dérives

24 IREP, Coûts et surcoûts de l’industrialisation, étude pour le compte du ministère de l’Industrie et de l’Energie.25 HAZERA J.C., « Algérie, l’industrialisation accélérée », Jeune Afrique, décembre 197526 GOUMEZIANE Smaïl, op. cit., p 7227 BRAHIMI Abdelhamid, op. cit. , p 15428 THIERRY S., La crise du système productif algérien, Grenoble, Irep, 1983, p 22129 HAMEL B., Système productif algérien et indépendance nationale, Alger, Office des Publications universitaires l’Algérie,

1983, p 16930 GOUMEZIANE Smaïl, op. cit., p 77

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traduisent la concentration des pouvoirs d’allocation et de décision aux mains des différentesadministrations sectorielles qui dépossèdent progressivement l’administration du plan et lesgestionnaires locaux. Ce transfert de pouvoir altère la possibilité d’une organisation globalede l’économie car si l’allocation des ressources est concentrée au sein de l’administrationcentrale, elle est également fragmentée entre les différents ministères sectoriels. Au final,les « industrialistes » se sont principalement souciés de capter et d’injecter le maximum decapital sans mettre en place un contrôle fondé sur l’efficacité du capital investi. On peut yvoir une tentative « d’acheter le développement » en recourant massivement à l’expertiseétrangère sans chercher à élaborer un système de croissance endogène fondé sur lesspécificités de l’économie algérienne.

L’intégration au marché mondiale prime sur l’intégration au marché nationalAlors que l’un des objectifs des industries « industrialisantes » est d’aboutir à uneéconomie introvertie et donc fortement intégrée nationalement, les industries algériennesse caractérisent par une forte dépendance à l’égard du marché extérieur tout en nesatisfaisant pas la demande intérieure en bien de consommation. Les résultats positifsde l’investissement sont l’augmentation de l’offre d’emploi avec la création de 1 400 000postes (hors emplois agricoles, principalement dans l’industrie) et l’augmentation du pouvoird’achat et de la consommation des ménages qui est multipliée par cinq. Cependant cettehausse de la demande ne peut être satisfaite par la production nationale et entraîne lerecours à l’importation. Le taux de couverture de la demande nationale par la productionindustrielle est divisé par deux en dix ans passant de 48% en 1967 à 24% en 1977.Cet effondrement de l’autosuffisance algérienne s’explique par la consommation desménages mais également par la demande liée au processus d’industrialisation lui-même.L’investissement dans la fabrication des biens d’équipement et des moyens de productionn’a représenté que 5% de l’investissement global31 et n’a pas permis de satisfaire lademande interne. Ainsi par le biais d’une erreur de ciblage des investissements, les effetsd’entraînement en aval se sont transformés en demande d’importations pervertissant lemodèle des industries « industrialisantes ».

La concentration industrielle n’a pas pris la voie progressive de l’intégration micro-économique verticale ou horizontale suivant le schéma suivi par les économies capitalistesà partir du XIX° siècle mais la constitution de complexes industriels surdimensionnés etpeu cohérents. Chacun de ces complexes réputés intégrés au niveau microéconomiquedevant produire les pièces et les éléments destinés à la fabrication des produits finis, ilcomprend des ateliers destinés à cette production qui ne sont pas utilisés en permanence.Chaque complexe étant indépendant il n’y a pas de phénomène de sous-traitance entre lesdifférents pôles industriels ce qui entraîne des surcoûts et des gaspillages importants dusà la sous-exploitation des structures productives. L’atomisation des différents complexesempêche ainsi la mise en place d’une intégration entre les différentes branches industriellesà l’échelle nationale. Chaque unité de production est en revanche ouverte sur l’étrangerpour l’importation.

La dépendance à l’étranger est multiforme selon A. Brahimi32. Les investissementsmassifs permettent en effet de recourir à l’assistance technique étrangère et à l’importationde technologies. En voulant se mettre au niveau du marché mondial, les industriesalgériennes ont privilégié des contrats « clé en main » signés avec des firmes étrangères

31 ILMANE M.C., « Biens d’équipements et industrialisation en Algérie », CREA, p14232 BRAHIMI Abdelhamid, op. cit., p 138

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qui relèvent plus du commerce que du transfert de technologie. N’ayant pas investidans la production endogène de ses technologies, l’Algérie s’inscrit durablement dansla dépendance technologique à l’égard des firmes étrangères. D’autre part, en ayantmassivement recours aux sociétés d’engineering étrangères, les entreprises algériennesperdent la maîtrise de leur développement industriel. Cette dépendance technologiqueet technique se double inévitablement d’une dépendance commerciale, les équipementsnécessaires au modèle de production développés par les sociétés étrangères n’étant pasproduits en Algérie. Ainsi les importations de matières premières et demi-produits et debien d’équipements représentent 64,33% du volume des importations nationales. Le résultatde ces dépendances est un déficit cumulé de la balance commerciale de 53 milliards deDA sur la période 1967-7833. De par ces dépendances, l’industrie algérienne est bien plusfortement liée au marché mondial qui lui fournit ses inputs qu’au marché national dontelle ne parvient pas à satisfaire la demande. Les recettes générées par l’exportation deshydrocarbures étant insuffisantes pour compenser de tels déséquilibres, l’Algérie a recoursà un endettement extérieur massif qui ajoute une dépendance financière aux précédentes.

Un modèle qui repose sur la rente et l’endettement plutôt que sur laproduction de richesses.Le bilan de ces 10 années d’industrialisation hors hydrocarbures en Algérie fait apparaîtreque le secteur industriel mis en place n’est pas viable en tant qu’entité économiqueautonome dans le sens où celui-ci n’est pas capable de se maintenir sur la base de larichesse qu’il produit. En effet, le déficit d’exploitation du secteur industriel atteint 1,88milliards de DA en 1978, celui-ci ne dégage donc pas de profit. Cependant, les industriesemploient des salariés et leurs distribuent des salaires. Les industries ont donc une fonctionde répartition de la richesse. Ces salaires ne sont pas conditionnés par la productivité dutravail puisqu’ils sont fixés par l’État sans tenir compte des résultats des entreprises. Lessalaires n’ont pas non plus de contrepartie directe en termes de consommation puisquel’accès au marché administré dépend plus de la détention d’un titre que d’un salaire. Lessalaires ne traduisent donc pas un pouvoir d’achat, ce qui semble finalement cohérent avecle fait qu’ils ne soient pas liés à une production. Toutefois si l’industrie ne dégage pas deprofit et ne distribue que marginalement des salaires réels, on peut considérer que le rôle quilui est dévolue n’est pas de produire des richesses si ce n’est par la génération de rentes.

Or, si les industries ne produisent pas de richesses, elles en ont consommé beaucoupau cours des dix dernières années, par le biais des investissements qu’elles ont reçuset des emprunts qu’elles ont contractés. N’ayant pas de capacité d’autofinancement, cesrichesses ne peuvent provenir que d’une autre entité ayant des moyens de financement,en l’occurrence l’État et des agents étrangers. Le plan d’investissement de l’État ayant étéfinancé à 25% par la rente pétrolière et à 75% par l’emprunt extérieur, on peut donc dire queles richesses dont disposent les entreprises algériennes sont issues de la rente naturelledes hydrocarbures et des productions étrangères. Dans tout ce processus, la productionnationale est inexistante. La fonction de l’industrie est donc uniquement de distribuer la rentepétrolière sous forme de « salaires politiques ». On parle ici de salaires politiques parce queceux-ci ne correspondent pas à la notion économique classique de salaire et qu’ils ont pourobjectif d’assurer la loyauté des salariés envers le système politique en place.

Le caractère socialiste de l’industrie n’est qu’un masque idéologique puisque celle-ci n’est pas productiviste. Si l’objectif n’est pas la production de richesse, quel est-il ?

33 MPAT, Synthèse du Bilan cité in BRAHIMI Abdelhamid, op. cit., p148

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La nationalisation de l’économie algérienne aboutit à la confusion entre public et privé.Tout secteur produisant des richesses est amené à tomber dans les mailles du secteurpublic. La richesse pouvant toujours être nationalisée, celle-ci doit être dissimulée34. Iln’est donc pas étonnant que l’industrie produise peu de richesses puisque toute richesseserait retirée à l’agent qui la produit au bénéfice de l’État. Or les richesses « au lieu d’êtreaccumulées et mises en valeur par son propriétaire [l’État], ne font que transiter par lui.Avant même d’être estampillées, enregistrées, validées, elles sont redistribuées selon desprocédures multiples et opaques et deviennent invisibles 35». Et c’est ce qui caractérisel’État néo-patrimonial : « les rapports publics deviennent personnalisés, particularistes plutôtqu’universalistes […] les affaires publiques étant gérées en fonction d’une finalité privée,la politique et l’administration deviennent sources d’avantages économiques.36 » Dés lorsil est évident que l’État n’est pas le garant du bien collectif mais l’outil d’une élite politique.Afin de maximiser son profit chaque agent doit se consacrer à la captation discrète derentes, puisque l’activité productive est accaparée par l’État. Le résultat est un système demarché parallèle résultant d’une économie de pénurie entretenue où les richesses captéeséchappent au contrôle de l’État. Tout le modèle économique algérien est donc tourné versla transformation de la rente naturelle des hydrocarbures en rentes spéculatives découlantde l’économie de pénurie et la captation clandestine de ces dernières. Ce modèle nonseulement n’encourage pas la production industrielle mais exige que celle-ci reste faible afinde maintenir l’économie de pénurie37. C’est en comprenant le développement des rentesau sein d’un État néo-patrimonial que l’on peut redonner une cohérence au phénomèned’industrialisation en Algérie : non pas en tant que processus d’accumulation de richessemais de répartition et de génération de rentes.

En une décennie, les investissements et les nationalisations ont permis de mettre enplace un important secteur industriel public disposant d’équipements et de technologiesmodernes. Si l’accroissement des actifs industriels est massif, les résultats en termesde production ne sont pas jugés satisfaisants, d’autant plus que des dettes écrasantesont été contractées. Ainsi les industries publiques sont devenues une charge financièrepour l’État. D’autre part, les industries « industrialisantes » n’ont pas provoqué d’effetsd’entraînement marquants, substituant le marché extérieur au marché national. Prenantacte du coût du développement, le quatrième congrès du FLN décide en 1979 de procéderà une évaluation économique et sociale de la période d’industrialisation en la considérantcomme « une exigence dictée par l’étape historique ». Aux yeux du congrès, l’endettementtout comme la faiblesse de la production semble résulter de dysfonctionnements liés à lagestion et au management des industries du secteur public, il s’agit de savoir comment« digérer » les investissements effectués38. Ces dysfonctionnements découleraient dumanque d’adaptation des gros complexes industriels aux objectifs planifiés, leurs missionsétant trop nombreuses et floues. Ainsi pour le congrès ce n’est pas le processusd’industrialisation que l’on doit remettre en cause mais la structure organique des industriesqui en sont issues.

34 TALAHITE Fatiha, « Economie administrée, corruption et engrenage de la violence en Algérie », Revue Tiers-Monde n°161,Paris, 2000 p 49-74

35 Ibid.36 MEDARD JE, « La spécificité des pouvoirs africains », Pouvoirs n°25, 1985, p5-2337 GOUMEZIANE Smaïl, Le pouvoir des rentiers : essai sur l'histoire de la rente et des rentiers des origines

à nos jours, Paris, Paris-Méditerranée, 2003, p 10738 BRAHIMI Abdelhamid, op. cit., p 166

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3. L’effort de restructuration 1980-1985

Les conclusions du IVème congrès du FLN qui mettent l’accent sur les aspectsorganisationnels sont reprises dans le plan quinquennal 1980-84. Le choc pétrolierconsécutif à la révolution iranienne de 1979 assure des recettes suffisantes pour gérerla dette, ce qui donne une certaine marge de manœuvre pour restructurer l’industriealgérienne sans remettre en question l’organisation générale de l’économie algérienne. Lesorientations du plan quinquennal déterminent que la restructuration des entreprises « a pourfinalité la satisfaction grandissante des besoins de l’économie et des citoyens par :

-- l’amélioration des conditions de fonctionnement-- une plus grande maîtrise de l’appareil de production-l’obligation de résultats des activités des entreprises au regard des objectifs assignés

par la planification nationale »Les aspects principaux de cette réforme organisationnelle sont la décentralisation

partielle de la prise de décision, la restructuration organisationnelle des entreprisesnationales en petites unités et la restructuration financière visant à assainir leurs bilans àpartir de 1982.

Vers une planification décentraliséeLe plan quinquennal 1980-84 est caractérisé par l’association de nouveaux acteurs dans saphase d’élaboration. Des séminaires nationaux réunissant des cadres du Parti, de l’État etde toutes les organisations de masses sont organisés afin de déterminer les objectifs et lesmoyens nécessaires au nouveau plan. Ces séminaires s’accompagnent d’ateliers sectorielspermettant des discussions approfondies au niveau administratif et technique. En parallèle,des séminaires régionaux se tiennent au niveau des wilayat associant des représentantslocaux des wilayat, des communes et des organisations de masses au niveau local. Leur butest de hiérarchiser les objectifs et de les harmoniser avec les grands axes d’aménagementdu territoire pour réduire les déséquilibres régionaux. L’élaboration concertée du plan sedouble de la décentralisation de certaines prises de décision. Les procédures d’inscriptionet de financement des programmes d’investissement se font désormais au niveau dela wilaya et les procédures de contrôle des dépenses d’équipement sont allégées. Desdirections de la planification sont créées au niveau de la wilaya permettant la coordinationdes différents opérateurs. D’autre part les plans de production sont désormais élaborésau sein même de l’entreprise et des unités de production, ces plans de production restantbien évidemment soumis au contrôle de l’administration de tutelle. Les restructurations desentreprises découlent des travaux de ces séminaires dans la lignée du congrès de 1979.

La restructuration organique des entreprises publiquesL’objectif est de transformer les complexes fortement intégrés mis en place dans lesannées 1970 en entreprises performantes en mesure de s’autofinancer et de participerà l’accumulation de richesses nationales. Il s’agit donc de transformer une charge pourl’État en un avantage. Le constat est fait que la taille importante des complexes industrielsentraîne peu d’économie d’échelle et des coûts liés à la macrocéphalie d’une bureaucratieinterne qui ne participe pas directement au processus de production. En conséquence, lechoix d’une atomisation des grands complexes en entreprises moyennes dont les missionssont plus précises est adopté. Cette restructuration organique nécessite des mesures

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d’accompagnement concernant le transfert de patrimoine, la création de nouveaux siègessociaux, l’affectation de personnel à l’échelle nationale, la réaffectation des fonctions decoordination et le financement de l’exploitation des nouvelles entreprises. Ces questionssont étudiées au niveau du Comité National de Restructuration des Entreprises. Etant donnéla lourdeur des transformations entraînées par la restructuration, celle-ci se met en placeprogressivement de 1981 à 1984. Cette première étape transforme fondamentalement lesecteur public Le nombre d’entreprises publiques passe de 150 environ en 1980 à 480 àla fin de l’année 198239. Les deux secteurs qui donnent naissance au plus grand nombred’entreprises nouvelles sont ceux de la construction et de l’industrie, ce dernier comptantà lui seul 126 entreprises en mai 198340. Le second volet est la restructuration financièredevant permettre l’assainissement du bilan des entreprises publiques, leur permettant deprendre un nouveau départ.

La restructuration financière des entreprises publiquesLa restructuration financière vise à assurer l’autofinancement des entreprises publiques,elle ne doit donc pas se contenter de combler les déficits antérieurs mais amener unesérie de transformations permettant aux entreprises de dégager des profits afin de neplus avoir à recourir régulièrement à l’aide de l’État. Elle se décompose donc en un voletinterne à l’entreprise en vue de réaliser des gains de productivité et en un volet externede réaménagement des instruments d’encadrement de l’économie. Chaque entreprisepublique doit mettre en place son plan de restructuration financière et le soumettre augouvernement. Une fois validé, celui-ci débouche sur une convention de restructurationcontenant les obligations de l’entreprise (restructuration interne) et de l’État (restructurationexterne).

La déstructuration financière au plan interne de l’entreprise avait pour causesles surcoûts d’investissement qui ont principalement déjà été réalisés et les surcoûtsd’exploitation qui demeurent et doivent donc être éliminés en priorité. Ces surcoûtsd’exploitation sont dus à la faible productivité du travail et du capital et au coût élevé desconsommations intermédiaires importées. Le volet interne de la restructuration passe doncpar une augmentation de la production via l’amélioration de la productivité notamment parune meilleure gestion des stocks, des créances et des dettes. Les productivités du travail etdu capital étant très faibles, une meilleure gestion doit permettre des gains considérables.

La déstructuration au plan externe avait pour causes le poids du contrôle administratif,des prix de ventes fixés administrativement souvent inférieurs au coût de production quin’étaient pas compensés par des subventions et l’absence de fonds propres faisant que lefinancement des investissements était intégralement assuré par le crédit. Le volet externede la restructuration consiste donc en la réévaluation progressive des prix de vente parl’intermédiaire d’une chambre de compensation, la dotation d’un fond social pour lesentreprises publiques et d’un fond de roulement le cas échéant.

La somme de 60,5 milliards de DA est mobilisée au titre de la restructurationfinancière entre 1983 et 1987 dont 34,2 milliards de DA en concours définitif. Il fautcependant remarquer que l’État ne participe qu’à concurrence de 7,7 milliards de DA parde nouveaux apports budgétaires visant à doter les entreprises d’un fond social. Le restedu plan de restructuration financière est apporté par le Trésor et la Banque Algérienne de

39 BRAHIMI, Abdelhamid, op. cit., p 28640 SADI Nacer-Eddine, op. cit, p 33

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Développement via la consolidation de la dette à long terme. Les moyens financiers injectésrestent donc relativement faibles.

Le bilan de la restructurationLe bilan général semble plutôt positif si l’on considère certains agrégats macro-économiques. Alors que le PIB hors hydrocarbures avait progressé de 79,7 milliards deDA à 122,8 milliards de DA soit une progression de 44,1% entre 1979 et 1982, il passede 142 milliards de DA à 220,3 milliards de DA soit une progression de 78,3% entre 1983et 1987. Ces résultats positifs semblent provenir de la restructuration interne puisque lestaux d’utilisation de la capacité de production atteignent une moyenne nationale de 70% en1984 contre 40-50% avant 1980. Enfin, le taux de croissance de la productivité du travail estsupérieur à 6% en 1984 et en 1985 alors qu’elle ne dépassait pas 2% sur la période 1967-78.

Cependant, il faut noter que l’augmentation de la production hors hydrocarburesa été tirée par un volume d’investissements qui reste très important, soit plus de 300milliards de DA entre 1982 et 1986. D’autre part, si l’on étudie dans le détail les bilanscomptables du secteur industriel, il apparaît que celui-ci n’est pas encore stabilisé. Eneffet, si la restructuration financière a eu globalement un effet positif sur le secteur public,les entreprises du secteur industriel public enregistrent des résultats mitigés. A. Brahimia effectué une étude sur un échantillon de 172 entreprises publiques portant sur leurschiffres d’affaires, résultats nets et soldes de trésorerie de 1982 à 1986 qui peut se révélerinstructif pour appréhender la situation du secteur industriel. Nous reproduisons ici le tableausynthétique qu’il en tire41 :

Tableau 2: Evolution des résultats des entreprises restructurées (1982-86)

Si l’on considère les secteurs de l’industrie lourde et de l’industrie légère qui sontreprésentées par 66 entreprises dans l’échantillon, on constate que la situation du secteurn’est pas stabilisée. Le chiffre d’affaire de l’industrie lourde ne progresse pratiquement pas

41 BRAHIMI, Abdelhamid, op. cit, p 291

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sur la période et il régresse même de près de 30% entre 1984 et 1986. Cependant, le secteurarrive à redresser son déficit d’exploitation en concluant la période par des résultats netspositifs de près de 400 millions de DA en 1986 ce qui lui permet d’améliorer le solde desa trésorerie. La restructuration de l’industrie lourde s’est donc traduit par la stagnation dela production. Si l’on considère le secteur des industries légères, on constate que le chiffred’affaire a presque doublé en 4 ans, mais que le déficit d’exploitation reste supérieur à 2milliards de DA. La trésorerie enregistre un déficit de plus de 5,5 milliards de DA en 1986. Ondoit cependant tempérer ce résultat par le fait que ce déficit était de près de 15 milliards en1984. Ceci s’explique par le fait que l’industrie légère a connu une phase d’investissementmassif en 1982 qui lui a permis de doubler son chiffre d’affaire entre 1982 et 1984 et que cesinvestissements ont créé quelques turbulences sur la gestion micro-économique du secteur.Si le secteur industriel n’est pas autonome en 1985 on peut cependant dire que sa situationcomptable s’est améliorée et que l’industrie légère a connu un essor remarquable. Brahimifait d’ailleurs remarquer que la plupart des objectifs du plan 1980-84 ont été respectés, queceux-ci soient qualitatifs ou quantitatifs42.

Au cours des 25 premières années qui suivent son indépendance, l’Algérie a mis enplace un important secteur industriel public qui pèse d’avantage par ses actifs que parson apport à la production nationale. La constitution de ce secteur a commencé avecla réappropriation des industries datant de l’époque coloniale de 1962 à 1966. Elle s’estpoursuivie par l’incorporation de ces industries dans le secteur public et l’investissementdans les industries lourdes censé permettre des effets d’entraînement selon la théoriedes industries « industrialisantes », le secteur agricole ayant pour fonction d’assurerl’indépendance alimentaire. Les investissements dans l’industrie ont été bien plus signifiantspar leur quantité brute que par la qualité de leur allocation et ont abouti à l’endettementde l’État et des entreprises du secteur industriel sans permettre les effets d’entraînementespérés. Cette déception s’explique d’une part par le recours massif au marché extérieur àtravers l’importation de biens d’équipement et des matières premières qui ont court-circuitéles effets en amont et d’autre part par les lourdeurs d’une gestion administrative centraliséequi a inhibé la productivité du capital et du travail, entraînant une production largementinférieure aux prévisions des plans quinquennaux. La phase de restructuration de 1980-84vise à mettre en marche l’appareil de production industriel construit dans les années 1970,de façon à ce que celui-ci concoure à l’accumulation de richesse et cesse d’être une chargepour l’État. Cependant, l’investissement dans l’industrie légère de production de biensd’équipement et de consommation est trop tardif pour que celle-ci satisfasse la demandeintérieure ce qui rend nécessaire le recours à l’importation. Outre l’importation officielleinsuffisante, financée par l’endettement de l’État et la rente pétrolière, se développe unimportant phénomène d’importations frauduleuses qui dépassent largement les 50% dutotal officiel43. Le marché administré ne suffisant plus à satisfaire la demande intérieure,l’économie algérienne entre en pénurie. En plus du constat d’échec flagrant que cettedépendance inflige aux partisans d’une économie introvertie et autosuffisante, la pénuriea pour effet de décupler les rentes spéculatives et la corruption. Si le bilan comptabledu secteur public industriel semble en nette amélioration au milieu des années 1980, iln’en demeure pas moins que celui-ci a failli à toutes ses missions : il n’a pas été lemoteur de la croissance algérienne, il n’a pas eu d’effet d’entraînement sur l’agriculturepermettant l’indépendance alimentaire et il n’a pas satisfait la demande intérieure en biende consommation. On peut ajouter que le redressement du secteur industriel au cours

42 Ibid., p 30043 MAHIOU A. et HENRY JR, Où va l’Algérie ?, Paris, Karthala-IREMAM, 2001, p. 133

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des années 1980 est largement artificiel puisque les productivités du travail et du capitaldemeurent largement inférieures aux standards internationaux et que leurs fonds sociauxémanent des Banques publiques et du Trésor largement endettés et dont la solvabiliténe repose que sur la production d’hydrocarbures et le faible coût du crédit international.Autant dire que le secteur public de l’industrie est au sommet d’un château de cartes quine manquera pas de s’écrouler dès que les fondations du crédit extérieur et de la rente deshydrocarbures commenceront à trembler.

II. Sortir de l’économie dirigée : restructurations,privatisations et hésitations 1986 - 2006

La seconde période de notre étude historique porte sur la période de désindustrialisation.L’économie algérienne en crise, grevée par la dette, minée par les pénuries menace lastabilité politique du régime. L’industrie publique se révèle un poids pour l’État qui n’a plusles moyens de subventionner un secteur qui n’est toujours pas parvenu à dégager descapacités d’autofinancement. La crise impose des réformes qui mettent fin au monopoleindustriel public et à la place centrale de l’industrie dans le développement algérien. Ledéveloppement n’est d’ailleurs plus à l’ordre du jour. Dans un premier temps, une politiquede privatisation formelle est mise en place, dans la continuité des restructurations du débutdes années 80. Cette première phase démontre que le manque de résultat de l’entreprisepublique est avant tout considéré comme un problème de gestion et de management. Laseconde phase commence en 1994 lorsque l’Algérie tombe en cessation de payement.Des politiques de privatisations sont alors imposées par le FMI. La caractéristique duplan d’ajustement structurel est qu’il est largement exogène, il impose donc une ruptureavec toutes les politiques menées jusqu’alors. La troisième phase commence avec lafin de la conditionnalité du FMI en 1998 et l’élection du Président Bouteflika. Cettepériode de stabilisation dénote les hésitations concernant la place du secteur industrielet l’organisation de l’économie en général. Les politiques mises en place peuvent mêmeparaître contradictoires, mêlant plan de privatisation et regain du contrôle de l’État surle secteur public. Nous arrêterons cette phase, et notre étude historique de l’industriealgérienne, en 2006, année au cours de laquelle les prémices d’un nouveau projet industrielcommencent à naître.

1. Les tentatives de transition vers l’autonomie des entreprisespubliques 1986- 1993

La chute du prix des hydrocarbures de 30$ à 10$ le baril suite au contre-choc pétrolierde 1986 et la crise de l’endettement qui provoque la fermeture progressive des marchésfinanciers internationaux à l’Algérie au cours de la décennie présente, vont révéler lesfaiblesses structurelles de l’économie algérienne. Le triple déséquilibre du Trésor, desentreprises publiques et de la balance des payements provoque une crise qui va se traduirepar la compression des importations qui chutent de 17% entre 1986 et 1989 par rapport àla période 1982-1985, la réduction des exportations de 32% dans la même période et le

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ralentissement de l’investissement44. La baisse des réserves de devises est tout d’abord undanger pour les rentes spéculatives qui dépendent principalement du marché administré etdes licences d’importation donc du volume commercial. D’autre part, le seuil des besoinsincompressibles étant rapidement atteint, la pénurie qui découle de cette crise se traduitrapidement par des troubles sociaux qui vont culminer au cours des évènements d’octobre1988, qui font 400 victimes civiles lors d’affrontement entre l’armée et des manifestantssoutenus par une grève des travailleurs. Il devient évident que le système n’est plus viableet que des réformes sont nécessaires. La complexité des enjeux en présence se traduitpar de nombreuses hésitations quant aux réformes à mener, l’objectif semblant être deconserver la paix sociale sans bouleverser complètement l’organisation du pouvoir. Cesvolontés contradictoires apparaissent particulièrement dans le domaine institutionnel avecd’une part la réforme constitutionnelle de 1989 mise en œuvre par le Président ChadliBendjedid qui met fin au Parti unique et supprime la référence au socialisme et d’autrepart le coup d’État de l’Armée après les résultats des élections parlementaires de 1991qui voient le Front Islamique du Salut plébiscité. Il en découle la « décennie noire » deguerre civile. Sur le plan économique, la réforme passe par la mise en place du régimed’autonomie du secteur public qui s’apparente à un désengagement apparent de l’État àtravers un changement statutaire des entreprises publiques, la libéralisation des prix et lareconnaissance de la propriété privée. Ces modifications profondes vont bien évidemmenttoucher le secteur de l’industrie.

La diminution des recettes extérieures impose des mesures d’austéritéPour comprendre l’impact du contre-choc pétrolier de 1986, il convient de rappeler le poidsdes hydrocarbures dans l’économie algérienne. En 1984, ces derniers représentent 43,4%des recettes budgétaires et 97,7% des ressources d’exportation. La dette extérieure pèsealors déjà 17,5 milliards de dollars45. Avec la chute du cours du pétrole, le stock de ladette extérieure augmente de 41% entre 1985 et 1987, le service de la dette absorbealors 78% des recettes d’exportation46 tandis que la dépendance alimentaire du pays auximportations s’aggrave. L’économie algérienne fonctionne depuis l’indépendance grâce auxrevenus de la rente pétrolière et de l’endettement extérieur lui-même favorisé par le gageque représente cette rente. Il en résulte un niveau d’endettement sans rapport avec lescapacités réelles de remboursement du pays.

Les industries « industrialisantes » ayant échoué à mettre en place un secteur horshydrocarbures autonome, la rente-dette demeure la principale source de financement del’économie algérienne. Malgré les restructurations du début des années 1980, l’industriealgérienne n’est pas prête à endurer la concurrence internationale et ne peut donc occuperune place importante dans les exportations. Comme le remarque A. Bouyacoub : « latransformation de l’entreprise importatrice en un agent capable d’exporter nécessite unredéploiement industriel important et donc des investissements importants.47 » Or l’État n’aplus les moyens de réaliser ces investissements et n’a visiblement pas atteint cet objectifalors qu’il en avait les moyens. Ne pouvant désormais plus financer les investissementsmassifs qui avaient maintenu l’industrie au cours des années précédentes, l’État doit trouverun autre moteur capable de rééquilibrer les indicateurs macro-économiques. Selon Y.

44 GOUMEZIANE Smaïl, Le Mal Algérien, op. cit., p 11745 BLIN Louis, L’Algérie du Sahara au Sahel, Paris, l’Harmattan, 1990, p 27346 SADI Nacer-Eddine, op. cit., p 41

47 Cité in ibid., p 44

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Benabdallah, « la crise de 1986 peut s’interpréter comme le début d’une phase dépressivedu cycle de la rente durant laquelle il est devenu de plus en plus difficile de faire faceau problème du transfert tout en continuant à assurer le financement nécessaire à laconstitution d’un système productif48 ». Le service de la dette et les importations noncompressibles absorbant l’essentiel des recettes d’exportation, l’Algérie met en place uncertain nombre de mesures d’austérité de son propre chef afin d’éviter une situation oùl’ajustement structurel serait imposé par les institutions internationales. Le rééquilibrage descomptes du Trésor se traduit par la réduction puis la suppression des prêts d’investissementqui représentaient encore 25 milliards de DA en 1985. La diminution des investissementsqui ne représentent plus que 15% du PIB en 1990 a un effet négatif sur la production, le PIBest en récession de 2,2% en 1993. Les salaires sont bloqués et le nombre d’embauchesdiminue dans le secteur public ce qui fait bondir le taux de chômage de 8 points pouratteindre 24,4% de la population active en 1993. L’industrie publique n’a plus vocation à êtrele moteur de la croissance algérienne. La faillite de la gestion socialiste des entreprises estconsommée et se traduit par la « privatisation formelle » des entreprises publiques et desmesures permettant la mise en place d’un secteur productif privé.

L’ « autonomie » du secteur publiqueLa privatisation formelle des entreprises publiques est instituée par la loi de 1988dite d’orientation sur l’Entreprise Publique Economique (EPE). Il s’agit en réalité de laprivatisation des formes de gestion puisque l’État reste propriétaire des EPE par le biaisde fonds de participation. Il s’agit de distinguer les propriétés commerciales de l’État etleur gestion. Pour ce faire, les entreprises publiques deviennent des sociétés par action,soumises au régime de commercialité, dont le capital social est détenu à 100% par l’Étatet huit fonds de participations spécialisés créés pour gérer chaque branche d’activité. Lesentreprises les plus déstructurées sont exclues en attendant un assainissement financier.

Tableau 3: Répartition des EPE entre les huit fonds de participation49

48 BENABDALLAH Y., économie rentière et surendettement. spécificités de l'algerian disease, sous la dir. de René Sandretto,th. doct. : gestion : lyon 2 : 1999, par. 572

49 Source : SADI Nacer-Eddine, op. cit., p 52

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Cette réforme change le statut juridique de l’entreprise publique en lui donnantune personnalité morale distincte de l’État. Les EPE disposent égalementde l’autonomiefinancière. L’État est propriétaire du capital des EPE mais transfert son droit de propriétéaux fonds de participation. Les EPE sont complètements responsables de leurs activités,le contrôle de celles-ci relevant du conseil d’administration pour la gestion à moyen termeet de la direction générale pour le contrôle opérationnel. Les EPE sont donc déliées dela tutelle de l’État. Elles restent cependant soumises au contrôle partiel des Fonds departicipation. Le conseil d’administration qui se compose de 9 à 12 membres est en effet enpartie composé de représentants du Fond de participation et des entreprises actionnaires auprorata de leurs participations financières, les autres membres représentants les travailleurset les administrateurs statutaires. Le conseil d’administration a pour fonction de nommerle directeur général et d’adopter le plan d’entreprise trimestriel qui définit les orientationsgénérales de la politique industrielle.

Il convient donc d’étudier la relation qui lie les Fonds de participation à l’État. Ils sontcréés par décret, sur décision du Conseil des Ministres et sur proposition du Conseil Nationalde la Planification et du Ministère des Finances. Chaque Fond de participation est dotéd’un conseil d’administration dont les membres sont nommés par le gouvernement. Leconseil d’administration élit un Président Directeur Général qui est confirmé par décret. Atravers les nominations, le gouvernement conserve donc une influence notable sur les EPEvia les Fonds de participation. Le fond social des Fonds de participation est inaliénablepuisque détenu en totalité par l’État. Ce qui peut être problématique comme le relève A.Brahimi puisque les EPE sous régime de commercialité courent le risque de liquidation encas de faillite50. Il en résulte que l’État doit intervenir pour compenser les déficits, soit pardes subventions, soit par la création d’un fond de garantie, soit par un plan national derestructuration aboutissant à la dissolution de l’EPE. D’autre part, les Fonds de participationne peuvent céder ou acquérir de capital qu’à d’autres Fonds de participation ou à des EPE.On peut donc conclure avec A. Brahimi que « ce qui semble avoir changé c’est seulementla forme d’intervention de l’État à travers les sociétés financières-écran que sont les fondsde participation ainsi que les fonds de garanties alimentés par les fonds, donc par l’État.51 »A partir du moment où l’État demeure une garantie financière, même de dernier ressort,l’autonomie financière des EPE n’est que formelle et leur gestion en tient évidemmentcompte. C’est pourquoi le processus d’autonomie de gestion conserve un aspect inachevé.

Les contre-performances enregistrés par le EPE de 1988 à 1993 en termes d’utilisationdes capacités de production qui restent inférieure à 50% en moyenne et de participationaux exportations qui dépendent encore à plus de 96% des hydrocarbures sont cependantégalement liées à un certain nombre de facteurs exogènes à la nouvelle gestion du secteurpublic, tel l’instabilité politique, les pertes de changes liées à la dévaluation, le manque deressources financières et un droit économique encore rigide52.

La libéralisation des prixLa loi de libéralisation des prix de juillet 1989 a deux objectifs principaux : d’une part affaiblirle marché parallèle, d’autre part permettre aux EPE de s’autofinancer afin de réduire lapénurie par une hausse de la production. Le système de compensation des prix fixésinférieurs aux coûts de production mis en place au début des années 1980 s’est révélé

50 BRAHIMI Abdelhamid, op. cit., p 30451 Ibid., p 30552 BOUZIDY A. in SADI Nacer-Eddine, op. cit., p 54

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insuffisant et il faut donc que les EPE puissent s’assurer elles-mêmes un profit. La loi de1989 institue un système de prix évolutifs s’articulant entre prix garantis (prix minimumprotégeant les agriculteurs), prix plafonnés (fixés par l’administration et donnant accèsà des compensations en cas de nécessité), prix à marge plafonnée (liberté du coût deproduction mais marges de production et de commercialisation fixées par l’administration)et prix déclarés (soumis au dépôt d’une fiche informative). Dans le domaine de l’industrie,l’objectif est de passer progressivement des prix plafonnés aux prix à marges plafonnées etenfin aux prix déclarés. En 1992, seul quatre produits sont encore soutenus par l’État : le lait,la farine, la semoule et le pain53. La libéralisation des prix implique un fort risque inflationnisteen l’absence de concurrence alors que les entreprises publiques sortent de 20 ans demonopole de branche et que le commerce extérieur a connu une organisation tout aussimonopolistique. Ces monopoles ont permis aux acteurs qui en ont bénéficié de développerun certain savoir-faire, des moyens matériels et une visibilité qui les maintient en situationde monopole même si celui-ci n’a plus d’origine juridique. Le contrôle de l’inflation qui passede 6% en 1988 à 32% en 1992 a un coût pour l’économie nationale : la compressionde la masse monétaire en circulation via la raréfaction du crédit, le relèvement des tauxd’intérêt, la dépréciation du dinar et la fin des prêts d’investissement du Trésor. Si cesmesures se traduisent par une diminution des financements exogènes pour les entreprises,la rémunération des marges et des coûts de production permet cependant de capter prèsde 20 milliards de DA en 1991 qui s’évanouissaient auparavant sous forme de rentesspéculatives54. La libéralisation des prix implique que le soutien des plus bas revenus doitdevenir un soutien direct aux catégories sociales défavorisées et non plus un soutien parles prix. Cette transition est une opération complexe et l’augmentation des dépenses dufond de soutien de 58 milliards de DA en 1992 en l’absence de dispositif fiscal appropriéexplique en partie le retour du déficit budgétaire en 1992 et 1993.

La mise en valeur de l’investissement privéLa Constitution de février 1989 apporte les premières garanties pour le capital privé. L’article49 stipule en effet que « La propriété privée est garantie, le droit d’héritage est garanti. »et l’article 20 que « l’expropriation ne peut intervenir que dans le cadre de la loi. Elledonne lieu à une indemnité juste et équitable. » La Constitution établie également dans sesarticles 17 et 18 la différence entre la propriété publique qui est un bien de la collectiviténationale tel le sous-sol, les eaux et les forêts, et le domaine privé de l’État. L’économiecesse donc d’être privatisée par l’État dans son intégralité. La Constitution est complétéepar la loi de 1991 sur l’unicité du registre de commerce qui accorde un statut équivalentaux entreprises commerciales de l’État et aux entreprises commerciales privées, le registrede commerce étant établi par la justice et non par l’administration. La loi sur la monnaie etle crédit établit la libre circulation des dividendes, capitaux, revenus, intérêts et rentes dessociétés qui investissent en Algérie vers l’étranger. Enfin les banques d’État transforméesen sociétés par actions ont désormais la liberté d’agir envers toute clientèle que celle-ci soitdes particuliers, des entreprises publiques ou des entreprises privées. Ce décloisonnementdes activités se double de la mise en concurrence du secteur bancaire avec l’autorisationde la création de banques privées, y compris des filiales de banques internationales.L’objectif de ces réformes est principalement d’attirer les capitaux étrangers sous formed’investissements directs productifs afin de sortir de la situation d’importateur-emprunteur

53 GOUMEZIANE Smaïl, Le Mal Algérien, op. cit.54 Ibid.

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qui caractérise l’Algérie. Cependant l’instabilité du climat social et politique décourage laplupart des investisseurs à partir de 1991.

Cette reconnaissance du capital privé se double d’un vaste transfert du patrimoineimmobilier et foncier de l’État. En premier lieu, il s’agit de la vente du parc immobilier auxlocataires. Ce patrimoine est alors très dégradé, les faibles charges locatives ne permettantpas aux régies d’État de l’entretenir. Le bas prix de cession du patrimoine, sans communemesure avec le prix de l’immobilier sur le marché libre, va permettre la mise en place derentes spéculatives qui vont gangréner durablement le marché de l’immobilier. En secondlieu, l’État privatise les terres agricoles à partir de 1987 en réattribuant les terres issues desfermes d’États, ce qui prend un certain temps et permet toutes les dérives clientélistes ausein du processus d’attribution.

La politique d’importation anti-pénurie aggrave les déséquilibresAlors que les recettes d’exportation se réduisent, les volumes d’importation augmententconsidérablement à partir de 1987 comme on peut le constater dans le graphique suivant :

Figure 1: Importation par type de produit 55

On constate que les importations alimentaires dépassent pour la première fois lesimportations de biens d’équipement sur la période. Ceci traduit d’une part la diminution dela part d’investissements dans le secteur industriel et d’autre part l’effort important consenti

55 Source : GOUMEZIANE Smaïl, Le Mal Algérien, op. cit., p 119

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pour lutter contre la pénurie alimentaire. Les importations courantes sont financées par lerecours au crédit à court terme, ce qui réduit l’échéance de la dette et explique que leservice de la dette double entre 1986 et 1989. Alors que le pays semble s’acheminer versle rééchelonnement de sa dette en recourant aux tranches non conditionnées d’un prêt duFMI, la facture des importations devient de plus en plus insoutenable et les ventes anticipéesde pétrole se multiplient atteignant 500 millions de dollars en 1993 et réduisant d’autantles recettes futures. Au cœur de la crise, la rente pétrolière semble être la seule forcestabilisatrice envisagée, quitte à en perdre une partie en vendant 25% d’Hassi Messaoudcomme le prévoit le gouvernement Ghozoli56.

Or l’argent du pétrole a pour fonction de calmer le front social et de maintenir lesréseaux spéculatifs dépendants du volume commercial. S. Goumeziane estime ainsi queles revenus parallèles dépassent les 110 milliards de DA en 1988. La spéculation s’aggraveconsidérablement avec l’autorisation en 1986 des importations dites « sans payement »,c’est à dire payées avec des devises acquises « hors Banque centrale ». Cette procéduredope les importations de 1 milliard de dollars directement issus du marché parallèle. Uncontrôle effectué à l’échelle d’une willaya en 1990 a ainsi permis d’identifier 30 « producteursde matériaux de construction » qui ne disposaient d’aucune structure de production et secontentaient donc de revendre sur le marché parallèle les marchandises importées sansla moindre transformation. En février 1991, le monopole du commerce extérieur est abolipar le gouvernement réformateur de Mouloud Hammrouche sauf en ce qui concerne les«produits stratégiques » dont la liste est élargie à partir de 1992.

En conclusion, la période 1986-1993 se caractérise par les antagonismes entre lespartisans de la réforme économique aboutissant à une économie de marché et ceux d’unenouvelle restructuration permettant de conserver les équilibres des pouvoirs préexistants.Si les fondamentaux de l’économie dirigée sont jetés à bas par un mouvement d’inflationlégislative, le modèle hérité demeure : développement des rentes spéculatives, recours àla rente pétrolière et à l’endettement pour le financement, irresponsabilité des entreprisespubliques qui ne peuvent pas faire faillite, contrôle de l’État par le biais des nominationsen cascades… Mais le système est entré dans une fuite en avant et ne parvient plus àassurer la cohésion sociale à travers la redistribution des richesses et la pénurie s’installedurablement. Si bien qu’en 1993, le pouvoir est placé entre les mains du Haut Comitéd’État, c’est à dire de l’armée qui perd la neutralité et le prestige qu’elle avait acquis depuisl’Indépendance. Avec l’assassinat du président Boudiaf, la crise politique devient totale etl’Algérie entre en guerre civile. C’est dans ce contexte que l’industrie est censée se réformeralors qu’elle demeure encore le « pré carré » économique de l’État et qu’elle doit faire faceà une situation totalement nouvelle de concurrence, de liberté de gestion et de maîtrisedu processus de production, autant que cela soit possible dans une telle situation. Alorsque le service de la dette atteint 93,4% des recettes d’exportation en 1994, l’Algérie tombebrutalement en état de cessation de payement et doit se soumettre aux conditionnalités duFMI. Les tentatives de réformes indépendantes n’ont pas réussi à s’affranchir des inertiesde l’économie nationale et la politique économique algérienne pour la première fois depuisl’Indépendance va être le fait de puissances extérieures.

2. Les réformes sous la pression du FMI 1994-1997Alors que le pouvoir est toujours entre les mains du HCE présidé à partir de 1994 parLiamine Zeroual, l’Algérie tombe en cessation de payement et doit négocier avec le FMI.

56 BRAHIMI A., op. cit., p 348

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Si des négociations secrètes avaient déjà été conduites en 1988, elles n’avaient pastotalement été respectées par l’État en ce qui concerne la libéralisation totale des prix etdu change. Le climat est donc tendu entre le Fond, qui ne fait pas totalement confianceau gouvernement algérien d’autant plus que l’instabilité politique fait régulièrement valserles équipes gouvernementales, et les dirigeants algériens qui voient d’un mauvais œill’ingérence étrangère que leur impose l’endettement. Le premier accord stand-by estcependant signé en mai 1994 et annonce la mise en place d’un Plan d’Ajustement Structurel(PAS) découlant de la conditionnalité du FMI et qui va marquer les réformes économiquesde 1994 à 1998. Le FMI requiert en effet que le pays soit géré en bonne orthodoxie tendance« consensus de Washington », ce qui signifie selon les lois du marché autorégulateur. Siles controverses entre « intifahistes57 » et « conservatistes » ne sont pas réglées, le Fondimpose son consensus pendant 4 ans et le rééchelonnement de la dette. Le PAS se fixecomme objectif de réduire la dette extérieure et les déséquilibres financiers intérieurs. Ence qui concerne les conséquences sur l’industrie, on peut noter une nouvelle réforme dustatut de l’entreprise publique, l’assainissement financier, les premières lois encadrant laprivatisation et la réduction de l’activité industrielle. Toutes ces réformes visent à compresserle secteur industriel public qui est perçu comme une charge.

Des signes positifs au plan macroéconomiqueDeux accords stand-by sont conclus entre 1994 et 1998. Le premier est conclu pour lapériode mai 1994-avril 1995, le second est un accord de crédit étalé sur 3 ans (22 mai1995-21 mai 1998). Le premier accord est soutenu par un prêt du FMI de 1,03 milliards dedollars et le second par un crédit de 1,8 milliards de dollars. Ces prêts s’accompagnent derééchelonnement de la dette auprès du Club de Paris en 1994 et 1995 pour 12 milliardsde dollars et auprès du Club de Londres en 1996 pour 3,23 milliards de dollars. Cesrééchelonnements de plus de la moitié de la dette extérieure permettent de faire passer ladurée de vie de la dette à 8 ans et de réduire le service de la dette à 47,1% des exportationsen 1994 au lieu de 93,4%.

La conditionnalité du Fond impose un certain nombre de mesures d’austérité budgétaireet monétaire visant à assainir les comptes publics et commerciaux. En 1994, le dinar perd70% de sa valeur par rapport au dollar suite aux dévaluations d’avril et de septembre,la parité passant de 24 à 41 DA pour un dollar, elle atteint 60,6 dinars en décembre199858, l’objectif étant de mettre en place la libre convertibilité du dinar en 1995. La rigueurbudgétaire et le resserrement de la distribution du crédit permettent de réduire le ratio deliquidité de 84% en 1988 à 36% en 1996. Rigueur budgétaire, dévaluation et diminution duservice de la dette redressent le solde budgétaire global qui redevient positif de 3% en 1996.La dépréciation du dinar et la compression de la demande intérieure jugulent l’inflation quipasse de 20,7% en 1993 à 6% en 1997. Le PIB renoue avec la croissance en 1997, celle-ci restant faible (1,2%)59. Il convient cependant de remarquer que le PIB a chuté de plusde 12% de sa valeur entre 1993 et 1998 et que le PIB/habitant en dollars diminue de 1850USD à 1621 USD sur la même période.

57 Partisans de l’intifah, c’est à dire de l’ouverture économique en référence à la politique mise en place en Egypte par le présidentSadate à partir de 1971.

58 NAAS Abdelkrim, Le système bancaire algérien : de la décolonisation à l'économie de marché, Paris, Maisonneuve etLarose, 2003, p 248

59 SADI Nacer-Eddine, op. cit., p 50

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Les holdings publics remplacent les fonds de participationLe désengagement de l’État dans la gestion des EPE entamé en 1988 se poursuit avecla promulgation de l’Ordonnance 95-25 du 25 septembre 1995 relative à la gestion descapitaux marchands de l’État. Celle-ci remplace les 8 Fonds de participation par 11 holdingspublics nationaux organisés par filière industrielle et 5 holdings publics à vocation régionalejouissant en droit des attributs de la propriété. Cela se traduit en premier lieu par l’autonomiefinancière des EPE qui peuvent vendre des actifs physiques et financiers dans le cadre deleurs plans de redressement interne. En tant que propriétaires, les holdings sont les seulsinterlocuteurs de l’EPE et sont en droit, indépendants des injonctions de l’administrationcentrale. Ils doivent donc pouvoir prendre des engagements clairs et durables vis-à-visde leurs partenaires. Enfin, les objectifs fixés aux holdings portent sur la relance dudéveloppement et non pas sur la simple viabilité financière par compensation entre EPE.Les entreprises destinées à la privatisation totale par transfert des actifs sont mises à partdans un holding spécifique.

La gestion de chaque holding est assurée par un directoire qui détient le pouvoir degestion et un conseil de surveillance, le Conseil National aux Participations de l’État (CNPE),qui effectue le contrôle de cette gestion et détermine les grandes orientations stratégiques.Le CNPE est un conseil de surveillance unique pour tous les holdings, constitué desmembres du Gouvernement et présidé par le chef du Gouvernement. Si les holdingsdisposent de plus de pouvoirs, le contrôle de l’État demeure direct. Les EPE sont soumisessans limitation au code du Commerce ce qui signifie que leur patrimoine est cessible etaliénable, ce qui traduit bien la vocation réelle des holdings qui est la privatisation à terme,éventuellement après restructuration et assainissement. En 1997, 411 EPE sont rattachéesaux 11 holdings nationaux et 1321 entreprises publiques locales sont rattachées aux 5holdings régionaux.

Les différentes formes de privatisationL’Ordonnance 95-22 du 26 août 1995 relative à la privatisation des entreprises publiquesmarque l’acceptation de la privatisation consacrée par la loi. Cette acceptation estcependant contrainte par la conditionnalité du FMI qui fixe le bouclage des privatisationsà fin 1999. Le concept de privatisation est polysémique et a souvent été synonymed’ « autonomie » en Algérie. On peut cependant admettre deux approches de la privatisation.La première, restrictive, consiste dans le transfert de la propriété d’entreprise du secteurpublic au secteur privé. La seconde, large, admet toutes les formes de délégation et detransfert de propriété ou de droit contractuel partiel ou total au secteur privé. En Algérie, laprivatisation totale est rejetée par un grand nombre d’acteurs, celle-ci étant assimilée à unbradage du patrimoine national et à un facteur d’instabilité politique et sociale. Il n’est doncpas étonnant que le phénomène de privatisation ne soit observable en Algérie que dansson acceptation large. L’Ordonnance 95-22 confirme ce positionnement, en disposant quela privatisation désigne le transfert, au profit de personnes physiques ou morales de droitprivé, de la propriété de tout ou partie des actifs corporels ou incorporels ou de tout ou partiedu capital social d’une entreprise publique ou de la gestion de celle-ci. En l’absence detextes réglementaires organisant réellement les compétences des différentes institutions,le processus de privatisation ne se met réellement en place qu’à partir de 1996-1997. Lesorganes décisionnels spécifiques sont alors le Conseil National de Privatisation (CNP) et laCommission de Contrôle de Opérations de Privatisation composés respectivement de 7 à

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9 membres et de 5 membres60. Il faut également préciser que l’Ordonnance 97-22 du 19mars 1997 modifie en partie la privatisation dite « complète » en abrogeant l’obligation faiteaux acquéreurs de maintenir l’activité de l’entreprise d’État et en confirmant le CNP dans samission de privatisation que celle-ci soit totale ou partielle. Ce dernier point est cependantremis en cause par une résolution du CNP qui confie la privatisation partielle aux holdings.Il en résulte un manque de clarté sur les attributions de chaque institution qui débouche surdes conflits de compétences, ce qui contribue à la paralysie du processus de privatisation.

On peut, dès lors, considérer plusieurs types de privatisation au cours des années1994-98. L’Ordonnance 95-22 autorise le recours aux mécanismes de la Bourse commemode de privatisation. La Bourse de valeurs mobilière (BVM) instituée en 1993 tournait àvide jusque là. Cependant, la loi de privatisation n’y changera pas grand chose puisqu’ellene gère que 3 titres en 1999 et que la portion de capital social cédé par entreprise n’excèdepas 20%. L’ouverture du capital social de SIDER (sidérurgie) et de l’ENAD (détergents) aun résultat plus significatif puisqu’elles cèdent respectivement 70% et 60% de leur capitalsocial à des firmes étrangères. Le mode de privatisation le plus performant est la cessiond’actifs aux salariés après dissolution qui concerne 959 entreprises publiques dont 696entreprises publiques locales. Les actifs cédés entraînent la création de 1774 sociétéssalariées ce qui permet d’éviter la destruction totale des emplois (18% sont maintenussoit 125000 destructions d’emploi). L’opération n’est en revanche absolument pas rentablepuisque la recette totale pour le Trésor public est de 21,8 milliards de dinars sur 20 ans,plus une dizaine de milliards de dinars sous formes d’enchères publiques soit 47% descoûts d’assainissement. Si cette opération provoque un engouement certain à ses débuts,elle aboutit à un échec quasi-total puisque les actes de propriété ne seront pas délivrés,empêchant l’immatriculation au registre du commerce et condamnant les sociétés desalariés à disparaître, tout au moins dans la clandestinité du secteur informel. Enfin en 1998,des appels d’offres nationaux et internationaux sont lancés pour 89 des 240 entreprisesprivatisables identifiées par l’Ordonnance 95-22, sans aboutir au moindre transfert. On peutdonc conclure que le résultat des privatisations dans leur acceptation restrictive est assezfaible.

En revanche, on peut observer un certain nombre de transformation du secteur public.Ainsi la plupart des entreprises publiques obtiennent l’autonomie de gestion et s’organisentsous la forme de sociétés par actions soumises au régime juridique de la commercialité.Un grand nombre de concessions sont mises en place dans le secteur minier. Enfin, descontrats d’association entre la SONATRACH et des firmes étrangères sont signés. Undernier aspect de la privatisation au sens large qu’est la déréglementation sera abordé plusbas.

Restructuration, dissolution et assainissementBien que l’objectif affiché à terme soit désormais la privatisation de la plus grande partiedu secteur public, l’État continue à consacrer une part importante de ses ressources à larestructuration et à l’assainissement financier du secteur public. Il faut dire qu’une partie dusecteur est tellement déstructuré qu’il est impossible de trouver un repreneur en l’état. Leseffets de la libéralisation des prix et du commerce extérieur en termes de concurrence ayantdéjà été évoqués dans la sous-partie précédente, il convient d’étudier les évolutions desréformes dans leur dimension micro-économique. En termes d’assainissement financier dusecteur public hors secteur bancaire, la période 1991-1999 a vu l’État débourser plus de 130

60 décrets exécutifs 96-104 et 96-105.

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milliards de dinars sous forme d’annulation des dettes à la BAD, 542 milliards de dinars sousforme de rachat des créances bancaires et 121 milliards de dinars sous forme de dotation enargent frais, soit un total de 800 milliards de dinars ce qui représente 30% du PIB de 1998.

La restructuration organique du secteur publique passe par la filialisation systématiquedes entités industrielles centrées sur leur métier de base en élaguant les fonctionssecondaires (culturelles et sociales) par essaimage au profit des salariés, par cessiond’actifs à des investisseurs externes ou reprise par l’État au titre de patrimoine public.Cet éclatement des combinats permet de mettre en place des structures dont la fonctionidentifiée est la production et qui peuvent être privatisées en tant que telles selon lemodèle de Von Hishausen61. Cette restructuration passe également par un contrôle accrudes entreprises assainies financièrement par les banques publiques à travers le dispositifBanque/Entreprise mis en place en 1997. Ce dispositif consacre 160 milliards de dinars à206 entreprises afin de leur permettre de financer leurs plans de redressement industriel(PRI) à condition que les unités non viables soient fermées. Cette restructuration aboutit àla création de plus de 1000 filiales dont 250 dans le secteur de l’industrie et à la fermeturede 80 unités économiques.

Il convient de noter qu’un certain nombre de secteurs de l’industrie publique demeurenten déficit net d’exploitation en 1998, à savoir les ISMME qui affichent 16 milliards de DAde déficit net d’exploitation, les textiles-confection pour 4,5 milliards de DA et les cuirs etchaussures pour 751 millions de DA62. On en déduit donc que la restructuration n’a pas étémenée à terme dans tous les secteurs.

La déréglementation permet la croissance de l’industrie privéeLa déréglementation, ou privatisation par le bas, a permis l’émergence d’un secteur privésans cesse croissant. Les deux catégories d’entreprises qui se développent le mieux sontles filiales d’entreprises étrangères et les entreprises privées créées ex-nihilo63. Le codedes investissements de 1993 a unifié les régimes d’investissement en mettant investisseurspublics et privés, nationaux et étrangers sur un pied d’égalité. Entre décembre 1993 et juin1996, 1478 projets représentant un investissement global de près de 280 milliards de dinarset créant plus de 106000 emplois ont été enregistrés par l’Agence publique de promotiondes investissements. Le secteur privé domine largement les secteurs des services et destravaux publics produisant respectivement 88% et 68% de la valeur ajoutée en 2002.

Le secteur privé se développe y compris dans l’industrie où les entreprises publiquesétaient jusqu’à présent quasi-omniprésentes. Le cas le plus exemplaire est celui du secteurdes hydrocarbures où les contrats d’association permettent au secteur privé - principalementdes filiales de firmes étrangères - d’augmenter leur chiffre d’affaire de 1172% entre 1995 et1998 passant de 2,2 milliards de dinars à 28 milliards de DA et produisant ainsi 4,40% de lavaleur ajoutée du secteur le plus protégé d’Algérie. Dans les autres branches industriellesoù la concurrence est désormais libre au regard de la loi, les prises de parts de marché sontencore plus importantes. De 1995 à 1998, la valeur ajoutée de l’industrie privée progressedans tous les secteurs, sauf les ISMME globalement sinistrés, et gagne des parts de marchédans tous les secteurs face au secteur public : +109% dans les matériaux de construction

61 HIRSCHHAUSEN, Du combinat socialiste à l’entreprise capitaliste, une analyse des réformes industrielles en Europe del’Est, Paris, l’Harmattan, 1996, p 159

62 ONS, Compte de production et compte d’exploitation par secteur d’activité et secteur juridique, 199863 SADI Nacer-Eddine, op. cit., p 194

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pour atteindre 18,44% de la VA produite, +105% dans les textiles confection pour atteindre65,05% de la VA produite, +95% dans les cuirs et chaussures pour atteindre 48% de laVA produite, entre 25 et 35% dans tous les autres secteurs à l’exception des ISMME où lesecteur public produit encore 82% de la valeur ajoutée. Le fait le plus marquant est sansdoute, qu’alors que le secteur industriel privé ne représente que 30% de la VA industrielletotale, il dépasse le secteur publique en termes d’excédents nets d’exploitation cumulésprogressant de 21,3 milliards de DA à 44,8 milliards de DA tandis que le secteur publicrégresse de 30,1 milliards de DA à 28,6 milliards de DA entre 1995 et 1998. Quellesqu’en soient les raisons, le secteur industriel privé a donc réussi là où le secteur publiccontinue d’échouer en 1998 : il dégage de larges profits et croît rapidement dans unenvironnement concurrentiel64. Cependant la déréglementation s’accompagne égalementd’un développement sans précédent du secteur informel dont le poids est estimé à 40%du PIB, entraînant un manque à gagner pour l’administration des impôts de 60 milliards dedinars en 199965.

L’industrie publique, première victime de l’ajustementLe plan d’ajustement structurel a un coût économique, politique et social. L’industriealgérienne hors hydrocarbures est certainement l’un des secteurs les plus touchés parl’ajustement. Le taux de chômage national passe de 27% à 33% en 4 ans et 400 000travailleurs sont licenciés pour causes économiques par le secteur public entre 1993 et1998. L’investissement productif est divisé par deux au cours des années 1990 et tombeà 7% du PIB. Cela se traduit par une utilisation des capacités de production inférieure à50% et la stagnation du secteur industriel. La croissance nominale cumulée du secteurindustriel public entre 1995 et 1998 dépasse à peine 6%, ce qui est bien inférieur à l’inflationcumulée sur la même période. Pire encore, les excédents nets d’exploitation de l’industriepublique se réduisent considérablement (-22% pour les matériaux de construction, -15,59%pour l’industrie chimique, quand celle-ci ne devient pas déficitaire : -267% pour les ISMMEqui passent de 9 milliards d’excédents à 16 milliards de déficit), ou les déficits s’aggravent(+130% de déficit pour les textiles confections et +178% de déficit pour les cuirs etchaussures). Seuls, l’industrie agroalimentaire, les bois lièges et papiers, les industriesdiverses parviennent à améliorer leur excédent net d’exploitation. Au final, l’ensemble dusecteur industriel public hors hydrocarbures voit ses bénéfices nets d’exploitation diminuerde 4% en nominal66. La restructuration n’aboutit donc pas à des gains de productiviténotables. L’industrie publique domine encore largement le secteur industriel, ce qui peutsembler normal après 20 ans de monopole, cependant ses parts de marché diminuent. Lerisque, selon N-E. Sadi, est que l’État n’arrive ni à la privatiser ni à la rendre compétitive etse retrouve en possession d’un vaste parc industriel endetté, sans part de marché, avec unoutil de production obsolète et une masse de travailleurs dépassant les 300000 agents67.

En 1998, l’Algérie sort du PAS avec quelques améliorations de ses indicateursmacroéconomiques qui sont cependant dues tout autant au rehaussement du cours dupétrole et à l’abondante pluviométrie qui a dopé les exportations agricoles qu’au plan lui-

64 ONS, Compte de production et compte d’exploitation par secteur d’activité et secteur juridique, 1995 et 1998, comparatifpar nos soins.

65 GRIM Noredine, L’économie algérienne otage de la politique, Alger, Casbah Edition, 2004, p 103.66 ONS, Compte de production et compte d’exploitation par secteur d’activité et secteur juridique, 1995 et 1998, comparatif par nossoins67 SADI Nacer-Eddine, op. cit., p 197

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même. En revanche, le rééchelonnement de la dette a réellement permis au pays de sortird’une situation inextricable, et c’est bien sur cette base que le FMI a pu imposer desmodifications profondes du modèle algérien. Un pas a été franchi vers le désengagementde l’État et le retour au modèle d’économie dirigée paraît impossible. Les partisans dulibre marché semblent avoir remporté la partie, le secteur privé se développe bien et adépassé pour la première fois le secteur public produisant 53,27 de la valeur ajouté en1998. Cependant, le coût social a été très élevé en termes d’emploi, de pouvoir d’achat etdonc de consommation et les privatisations, au sens restrictif, sont un échec complet. PourNacer-Eddine Sadi, ces échecs sont les conséquences des « difficultés et contradictions dela période » : la guerre civile, les divergences politiques, le manque de clarté de certaineslois et la pression du FMI ont entrainé le blocage du processus de privatisation. Alorsque l’accord avec le FMI touche à sa fin et que de nouvelles élections présidentielles sepréparent après la démission de Zéroual, quels seront les choix des dirigeants algériensdisposant désormais d’une certaine autonomie financière dans un contexte politique pluspacifié avec le FIS suite à l’entrée du MSP (ex Hamas) dans la coalition gouvernementalede 1997 dominée par le RND ?

3. Entre privatisation et regain du contrôle étatique 1998-2006

De 1998 à 2006, le régime se démilitarise avec l’élection d’un civil au poste dePrésident en avril 1999, bien que le soutien de l’armée à Abdelaziz Bouteflika ait provoquéle désistement de tous ses opposants. La situation politique se stabilise également avecla loi d’amnistie du 16 septembre 1999, la dissolution de l’AIS le premier janvier 2000,le déclin progressif du GIA et le référendum de réconciliation nationale de 2005 aprèsla réélection de Bouteflika en 2004. Enfin la situation financière s’améliore, puisque legouvernement entame des négociations en 2006 pour rembourser par anticipation lamajeure partie de sa dette extérieure68. Après l’épreuve de « la décennie noire », le payssemble désormais disposer d’une situation propice au développement économique grâceau cours élevé des hydrocarbures. La question est donc de savoir comment il se positionnepar rapport à la voie du consensus de Washington ouverte par le PAS. Comment acheverla transition économique après la déconstruction au cours des années 1990 du modèlequi prévalait depuis l’Indépendance ? La situation macroéconomique est stabilisée. Unenouvelle réforme du statut des entreprises publiques renforçant le contrôle de l’État est miseen place. Les privatisations se poursuivent avec difficultés. Le Gouvernement s’engagedans une politique de grands travaux qui permet la distribution de rentes spéculatives.Les hydrocarbures restent le moteur de l’accumulation de richesse en Algérie. Le secteurindustriel se déstructure de plus en plus. Le secteur privé abandonné à lui-même souffreégalement de dysfonctionnements.

La stabilisation des grands indices macroéconomiques permet l’expansionbudgétaireLes ajustements structurels, le rééchelonnement de la dette et la hausse du cours du pétroleà partir de 1999 ont permis à l’Algérie de redresser la plupart des grands comptes nationauxet de renouer avec la croissance. Le PIB a presque triplé au cours de la période, passant de2803 milliards de DA à 8460 milliards de DA en 2006, soit près de 120 milliards de dollars.La croissance réelle annuelle dépasse 5% à partir de 2003 alors que l’inflation moyenne

68 BLIDI Amel, « Remboursement par anticipation des dettes extérieures », El Watan, 19 septembre 2006.

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évolue autour de 3% à partir de 2004 contre près de 30% en 1995. La dette extérieure esttombée à 4,7 milliards de dollars en décembre 2006 alors qu’elle était estimée à plus de30 milliards de dollars en 1999. C’est entre 2005 et 2006 que la plus grande partie de ladette a été remboursée par anticipation puisqu’elle était évaluée à plus de 17 milliards dedollars en 200569. La balance commerciale dégage un excédent de 1927 milliards de DAcontre 290 milliards en 1997 ce qui permet de stabiliser la balance des payements, bienque le remboursement anticipé de la dette pèse sur la balance des capitaux déficitairesde plus de 12 milliards de dollars70. L’excédent commercial permet également de renoueravec une politique budgétaire expansionniste grâce aux réserves du Fond de Régulationdes Recettes (FRR) qui gère les excédents de recettes fiscales liées au pétrole, les loisde finances étant établies sur la base d’un baril de pétrole à 19$, et compense les déficitsbudgétaires. Les dépenses budgétaires de l’État passent ainsi de 1200 milliards de DAen 2000 à 2500 milliards de dinars en 2006 alors que les recettes n’ont progressées quede 1138 à 1835 milliards de DA. Cet accroissement budgétaire est donc principalementfinancé par les recettes d’hydrocarbure71. Les dépenses budgétaires sont principalementaffectées aux infrastructures (autoroute Est-Ouest, aéroports, barrages…), au logement (1million de logements prévus) et à l’amélioration des services publics d’après le ProgrammeComplémentaire de Soutien à la Croissance 2004-2009 estimé à 60 milliards de dollars.Les réserves de change ont atteint le niveau record de 78 milliards de dollars en 2006 soitplus de 3 ans d’importation. On constate donc que le Gouvernement se lance de nouveaudans des investissements massifs mais que ceux-ci ne ciblent pas directement le secteurindustriel. On note d’ailleurs que ces investissements dans les infrastructures se traduisentpar une très forte augmentation des importations de produits bruts de +70% en 2005. L’essordu BTP n’est donc pas internalisé, d’autant plus que ce sont des entreprises étrangères quidécrochent les plus gros contrats. L’appel d’offre pour deux des trois tronçons de l’autorouteEst-Ouest par exemple est remporté par des sociétés chinoise et japonaise, respectivementCitic/Crcc et Kojal . Le contrat qui est estimé à 11 milliards de dollars n’est absolument pasintégré à l’économie algérienne puisque la main d’œuvre est constituée d’ouvriers chinois.

La gestion de la privatisation et des EPE sous le contrôle accru du politique

Figure 2 : Organisation de la gestion et de la privatisation des EPE (2001) 72

69 Site Internet de l’ONS, Statistiques économiques 2001-2007, http://www.ons.dz/-Statistiques-de-2001-a-2007-.html [consultéle 10 juillet 2009]70 Site Internet de la Banque d’Algérie, Rapport de la Banque d’Algérie 2006, http://www.bank-of-algeria.dz/rapport_ba/chap_03_06.pdf [consulté le 10 juillet 2009]71 Source : Ministère des Finances, Direction Générale du Budget.72 KASMI Djamila - Diagnostique économique et financier des programmes de stabilisation et d’ajustement structurel de l’économiealgérienne, sous la dir. De Gérard KLOTZ, th. doct. : sciences économiques : lyon 2 : 2008, par 559

Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relationsentre Etat et appareil de production dans une économie en développement

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L’organisation institutionnelle mise en place par l’Ordonnance 95-22 s’est révélée peuefficace. L’entrée en vigueur en août 2001 de l’Ordonnance 01-4 portant sur « l’organisation,la gestion et la privatisation des EPE » va profondément modifier la situation. Elle élargit laprivatisation à toutes les EPE ne distinguant plus de secteur stratégique : « sont éligibles àla privatisation ; les entreprises publiques économiques relevant de l’ensemble des secteursd’activité économique » (article 15). Le CNPE devient le Conseil des Participations del’État (CPE) composé de 5 membres choisis parmi ministres et présidé par le chef duGouvernement qui nomme les représentants de l’État aux conseils d’administration desEPE, détermine les politiques générales visant les participations d’État et approuve lesdossiers de privatisation (article 9). Les holdings sont dissous (article 40) et 28 Sociétés deGestion des Participations (SGP) les remplacent. Les SGP ont pour prérogative de gérerpour le compte de l’État les titres détenus sur les entreprises publiques et sont dépouilléesde l’attribut de propriétaire de ces titres. Il est également institué une commission de contrôledes opérations de privatisation et du comité de suivi (article 30). Le ministère chargé desparticipations d’État et de l’investissement est investi du rôle de superviseur central, ilélabore les stratégies de privatisation qui sont ensuite validées par le conseil des ministres.

Le retrait du statut de propriétaire fait des SGP des agents fiduciaires de l’État toutcomme l’étaient les Fonds de Participation. Les membres de l’exécutif sont omniprésentsdans toutes les institutions relatives à la gestion des EPE et à la privatisation. Il s’agitdonc d’un retour de la gestion du secteur public par l’administration centrale qui trancheradicalement avec les politiques mises en place depuis 1988. De plus, cette réforme marquele retour à une logique de branches et de filières homogènes. En termes de résultats, voicile tableau récapitulatif produit par le MIPI :

Tableau 4 : Privatisation par type de repreneur 2003-2007

Partie I : Approche historique des politiques industrielles algériennes

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Nombre d'opérations 2003 2004 2005 2006 2007 TotalPrivatisation totale 5 7 50 62 68 192Privatisation partielle (>50%) 1 2 11 12 7 33Privatisation partielle (<50%) 0 3 1 1 6 11Reprise par les Salariés (RES) 8 23 29 9 0 69Partenariats (Joint-ventures) 4 10 4 2 9 29Cession d'actifs à des repreneursprivés

2 13 18 30 20 83

Total 20 58 113 116 110 417

Source : Site Internet du MIP, http://www.mipi.dz/index_fr.php?page=priv&titre=priv5[consulté le 6 juin 2009]

De 2003 à 2006 on dénombre donc 307 privatisations dont 124 privatisations totales.Malheureusement ces données ne nous renseignent pas sur la nature et la taille desentreprises privatisées. Elles n’ont donc que peu de sens. N. Grim notait cependant en2004 que les deux seules entreprises notables privatisées étaient l’ENAD et le complexesidérurgique d’El Hadjar qui ont été privatisées dans les années 1990 suite à des décisionsprovenant d’ « un haut niveau politique.73 »

A la recherche d’investissementsEn août 2001, l’Ordonnance 01-03 vient réaménager le régime des investissements enabrogeant l’Ordonnance de 1993. L’objectif est de faciliter les démarches afin d’attirer lesinvestisseurs locaux mais surtout les investisseurs étrangers sans lesquels les privatisationsne peuvent se mettre en place. L’Ordonnance 01-03 repose sur 2 institutions : l’AgenceNationale de Développement et de l’Investissement (ANDI) et le Conseil National del’Investissement (CNI) créés en 2001. L’ANDI facilite les investissements, accorde desexemptions fiscales et parafiscales, ainsi que des avantages en matière d’investissementset apporte une assistance aux investisseurs pour les formalités administratives par lacréation d’un guichet unique au niveau de la structure décentralisée de l’agence (dans lesfaits, au niveau de la wilaya). Le CNI est chargé de définir la stratégie d’investissement etses priorités, d’approuver les incitations fiscales et de donner une autorisation finale pourdes programmes spéciaux d’investissement. La garantie du transfert du capital investi et deses revenus est réaffirmée dans l’article 31 ainsi que l’égalité entre investisseurs algériens etétrangers (article 14) et l’indemnisation juste et équitable en cas de réquisition administrative(article 16). Enfin, Les révisions ou abrogations susceptibles d'intervenir à l'avenir nes'appliquent pas aux investissements réalisés dans le cadre de la présente ordonnance àmoins que l'investisseur ne le demande expressément (article 15). Enfin un certain nombred’incitations fiscales sont accordées dans le cadre d’un régime dérogatoire spécial, pourles investissements dans certaines zones géographiques ou certaines branches jugéesporteuses d’un intérêt stratégique pour l’économie algérienne. D’autre part, le code desinvestissements adopté en 2005 rend possible le payement électronique dans tout le payset réduit les étapes pour la création d’une société.

Les secteurs les plus attractifs tel l’énergie et les hydrocarbures ont été ouverts auxinvestisseurs par la loi n° 02-01 du 5 février 2002 qui pose les principes de la libéralisationdes marchés de l’électricité et de la distribution du gaz et la loi de mars 2005 sur lalibéralisation du secteur des hydrocarbures qui sépare le rôle commercial de Sonatrach de

73 GRIM N., op. cit., p 63

Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relationsentre Etat et appareil de production dans une économie en développement

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ses fonctions de régulateur et d’entité attribuant des contrats74 et place donc la Sonatrachen concurrence avec les sociétés étrangères sur les contrats internes, sa participationn’étant plus automatique. Elle possède cependant une option de 51% sur tout nouvelinvestissement suite à un amendement de 2006. Ces nouvelles législations permettent lareprise des IDE à partir de 2004 comme le montre le tableau suivant :

Figure 3 : Flux d’IDE 1990-2006

Cette hausse des IDE qui passent de 250 millions de dollars en 1998 à 1800 millionsde dollars en 2006 ne suffit pas à expliquer la forte augmentation du nombre de privatisationen 2005. Les IDE restent concentrés dans le secteur de l’énergie bien que les secteursdes télécommunications, du tourisme et de l’industrie soient envisagés dans les intentionsd’investissement. Cependant ces investissements étrangers restent très faibles comparésaux potentialités de l’Algérie. A titre d’exemple, la mission économique d’Alger dénombre92 sociétés françaises implantées en Algérie qui offrent 6000 emplois, tandis que le Maroccompte 450 entreprises françaises employant 65000 personnes et que la Tunisie en compte770 employant près de 60000 personnes75. Interrogés par N. Grim, des investisseursfrançais (RENAULT, ACCOR, KPMG…) expliquent leur tiédeur par le manque de stabilitégouvernementale, l’absence d’un État de droit, la nécessité d’établir un réseau de passe-droit, la lourdeur de l’administration, l’archaïsme des banques et la difficulté à obtenir desterrains constructibles, lignes téléphoniques, branchements électriques et autres servicesde base. Enfin, beaucoup estime que l’État algérien ne fait aucun effort de communication76.Il est bien évident que les investisseurs locaux sont également touchés par ces difficultés,sauf à s’établir dans le secteur informel.

74 Journal officiel de la République algérienne n°50, 19 juillet 2005, http://www.mem-algeria.org/fr/legis/hydrocarbures-05-07.pdf [consulté le 18 juillet 2009]

75 Ambassade de France en Algérie, mars 2003 cité in GRIM N., L’Economie algérienne otage du politique, p 7876 GRIM N., op. cit., p 80

Partie I : Approche historique des politiques industrielles algériennes

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Les hydrocarbures dominent toujours l’économie algérienneLe rétablissement de la situation économique en Algérie correspond à une période où lecours du pétrole a été particulièrement élevé comme le montre le graphique suivant :

Figure 4 : Evolution du cours du pétrole brut 1985-2008

Les hydrocarbures représentent 98% des exportations algérienne, 45% du PIB et 70%des recettes budgétaires en 2006. Il est à noter que la fiscalité ordinaire qui atteignait 20%du PIB hors hydrocarbures en 1980 ne représente plus que 13% du PIB hors hydrocarburesen 2004, ce qui traduit d’une part l’inefficacité de l’administration fiscale mais égalementle fait que les recettes de l’État reposent d’autant plus sur les hydrocarbures77. Le Fondde Régulation des Recettes dispose de 30 milliards de dollars provenant uniquement d’uncours du pétrole très supérieur à l’hypothèse de 19$ le baril retenue par les lois de finance.Il a pourtant dans le même temps servi à rééquilibrer le budget et à rembourser paranticipation une importante partie de la dette extérieure. C’est donc principalement auxcours du pétrole exporté que l’Algérie doit sa bonne situation macro-économique, et nonaux ajustements structurels.

Dans ce contexte, la loi de mars 2005 sur la libéralisation du secteur des hydrocarburespeut sembler dangereuse puisque ce sont précisément les hydrocarbures qui maintiennentl’économie algérienne et que, comme le précise H. Malti, « aucun pays pétrolier, membrede l’OPEP ou pas, n’a osé, à ce jour, renoncer à sa souveraineté sur ses propres richessespétrolières et les livrer aussi facilement aux intérêts étrangers »78. En effet la tentative derachat de Unocal par la Cnooc aux États-Unis, qui a entrainé un véritable tir de barragedu Congrès contre la société chinoise79, montre bien que même les États se disant les

77 Ibid. , p 3078 MALTI H., « L’Algérie et son pétrole », El Watan, 20 mars 200679 AFP, « CNOOC abandonne l’achat d’Unocal », Le Devoir, 3 août 2005

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plus libéraux considèrent leurs réserves d’hydrocarbures comme un domaine stratégiqueoù l’État a son mot à dire. La loi de mars 2005 n’est pas neuve, son projet avait déjàprovoqué une grève de 48 heures en 2002 et avait été abandonné. L’UGTA n’a cependantpas protesté en 2005 et la décision a fait consensus au sein du gouvernement. Pour H.Malti, cette évolution a été motivée par la perspective des formidables rentes spéculativesque l’ouverture d’un marché concurrentiel des hydrocarbures autoriserait. Cette polémiquemontre assez bien que l’économie algérienne repose encore principalement sur leshydrocarbures.

L’industrie à l’abandonLe secteur industriel enregistre de très faibles performances. Le secteur industrielmanufacturier ne pèse que 5% du PIB total en 200780. Le secteur industriel privé enregistreune croissance de 3,4% en 2004 contre 5% en 2003. Ce recul s’explique selon le ministre del’Industrie par la saturation du secteur industriel privé qui se traduit par une diminution desinvestissements. Le secteur industriel public connaît quant à lui une croissance de 1,4%81.Cette faible activité s’explique par un taux d’utilisation de l’appareil de production bas,de nombreux dysfonctionnements entraînant des arrêts temporaires d’activité qui durentparfois jusqu’à 30 jours. Parmi ces disfonctionnements on peut citer d’après une étude del’ONS en 2005 : le manque d’approvisionnement en matières premières (pour 29% desindustries publiques), les pannes d’électricité (pour 29% des industries publiques et 69%des industries privées) et les pannes dues à la vétusté du matériel (public : 67%, privé :69%). Seul 27% des industries ont des contrats d’exportation pour le premier trimestre200682. La diminution de l’activité industrielle provoque un certain nombre de faillites dans lesecteur privé, les banques faisant preuve d’un zèle dans la liquidation que le propriétaire dela conserverie ACTOM qualifie d’ « opération de sabotage économique planifié ». Dans lesecteur du bitume, les difficultés financières des sociétés d’Annaba et de Sétif sont dues auxretards de livraisons des matières premières par une entreprise publique83. Ces exemplestraduisent bien les difficultés des relations entre secteur public et privé qui n’ont pas pourhabitude de collaborer, ce qui nuit à la mise en place d’une industrie nationalement intégrée.

L’industrie publique est en partie déficitaire, la SGP industrie manufacturière enregistrepar exemple des actifs nets négatifs84 ce qui devrait entraîner sa liquidation si le code ducommerce était appliqué. Il en résulte qu’un certain nombre d’entreprises publiques sontdes fantômes juridiques qui ne devraient pas exister en droit algérien. Pour y remédier, denouveaux plans d’assainissement financier sont mis en place par le Trésor public. Ces plansvisent d’une part à rééquilibrer la trésorerie des EPE et d’autre part à augmenter les fondspropres des banques publiques de 30 milliards de dinars afin de relancer l’investissement85.Ces assainissements financiers, dans la plus pure tradition du pré-ajustement structurel,équivalent à la remise en place de la garantie de l’État qui entre en contradiction avec lalégislation sur la concurrence. De plus, les 35 milliards de dinars mobilisés pour combler les

80 Source : Ministère des Affaires étrangères81 Rédaction du secteur économique, « Le chiffre de la semaine », El Watan, 11 avril 200582 BLIDI Amel « Industrie, l’activité en baisse », El Watan, 31 décembre 200583 DJABALI A., « Un mouvement qui gagne en ampleur », El Watan, 18 janvier 2006

84 MEDJOUB K., « Industrie manufacturière nationale », El Watan, 7 avril 200585 Rédaction nationale, « Assainissement financier des entreprises », El Watan, 24 octobre 2005

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déficits des EPE auraient été attribués sans évaluation selon des sources bancaires86, cequi n’est pas conforme à l’article 84 de la loi de finance 2005. Si les lois ont évoluées, lespratiques, quant à elles, demeurent en partie celles de l’économie dirigée.

Le management des entreprises publiques relève également de l’ « autonomie dirigée »pour reprendre l’expression de Nordine Grim. L’Ordonnance sur les capitaux marchandsde l’État imposait que les gestionnaires d’une entreprise possèdent au moins 20% de soncapital afin de les responsabiliser87. Ce point est cependant largement contourné par desartifices juridiques. Le salaire des PDG d’entreprises publiques fixé par les SGP entre6 et 10 fois le salaire minimum, ne suscite pas non plus une forte motivation, d’autantmoins qu’ils ne sont pas liés aux résultats de l’entreprise. De plus, la cooptation descadres dirigeants se fait bien plus largement selon des logiques de clientélisme que surla base d’aptitudes managériales. Ainsi l’avenir des managers dépend davantage desremaniements ministériels que de la remise du bilan d’activité de leur entreprise. La vocationdu PDG est d’être le relais de son ministre de tutelle et on estime que 120 000 cadres ontété marginalisés (licenciements, retraites anticipées, congés spéciaux) pour des raisonspolitiques88. Si les managers n’ont donc pas de pouvoirs réels de gestion ou d’initiative,ils restent cependant pénalement responsables de la mauvaise gestion de leur entreprise.En l’absence de directive explicite du ministère « de tutelle », les managers auront donctendance à faire le choix de l’immobilisme. Il en résulte une vision à très court terme dumanagement des entreprises publiques qui relève bien plus de l’agenda politique que d’unestratégie entrepreneuriale89.

D’autre part, le secteur public est miné par les « actifs dormants », c’est à dire lesmoyens de production inexploités issus de la dissolution des 600 EPE et EPL au cours desannées 90. Ces locaux, terrains, équipements et stocks qui n’ont pas été liquidés étaientdéjà évalués en 1998 à 70 milliards de dinars par le CNPE90. Ces actifs dormant voientleur valeur se déprécier et constituent une charge pour le secteur public en termes degestion. Ainsi, une commission d’inspection a recensé plus de 100 usines appartenant ausecteur public, laissées à l’abandon, voire même en ruine au niveau des zones de Hassi-Ameur et d’Es-Senia91. Le Gouvernement commence à s’atteler à la question des actifsdormants en 2002 en confiant le dossier aux SGP concernées, cependant l’inventaire dufoncier industriel public inoccupé, estimé à plus de 4000 ha, n’est établi qu’à partir de 200592.La liquidation des actifs dormants n’est donc possible que si le gouvernement algérien enexprime clairement la volonté.

La remise en question du marché autorégulateur ?Le processus de libéralisation du marché imposé en partie par le FMI n’a pas remporté unlarge consensus politique. Son coût social en termes de chômage, de pouvoir d’achat et dedétérioration du statut du travailleur a été très lourd, voir traumatisant pour la population.

86 SLIMANI Salah, « Budgétisation des déficits d’entreprises publiques », El Watan, 17 octobre 200587 article 619 du Code de l’Investissement88 GRIM N., op. cit., p 4489 GRIM R., « Manager et management des entreprise publiques », El Watan, 17 octobre 200590 GRIM N., op. cit., p 6591 B.A. « Secteur public, 100 usines laissées à l’abandon », El Watan, 2 novembre 200592 MAKHEDI M., « Les chiffres de Hachemi Djaâboub », El Watan, 6 avril 2005

Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relationsentre Etat et appareil de production dans une économie en développement

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Le processus de privatisation a souvent été perçu comme un bradage du secteur public,faisant de l’Algérie un pays où tout est à vendre. Le modèle de gestion socialiste a étéabandonné au début des années 90, cependant dix ans plus tard l’économie algérienne esttoujours totalement dépendante de la rente des hydrocarbures et présente une économiepeu intégrée. Dans cette situation, l’État n’a pas fait preuve d’un volontarisme politiqueparticulier, préférant renouer avec la gestion centralisée du secteur public et enchainerles plans d’assainissement sans toutefois rendre le secteur rentable. Si la question del’endettement a été réglée, l’Algérie est plus ou moins dans la même situation qu’au débutdes années 80 en ce qui concerne sa dépendance au marché extérieur. Cet immobilismes’explique d’une part par l’absence d’un consensus politique sur le modèle économique àmettre en place mais également par l’intérêt au statu quo d’un certain nombre d’acteursinfluents.

Le processus de privatisation est un cas exemplaire pour illustrer ce conflit d’intérêt.Le secteur public a été comme on l’a vu le moteur non pas du développement économiquemais du développement des rentes spéculatives en économie administrée. Privatiser uneentreprise publique revient donc à « scier la branche » sur laquelle certains responsablessont assis, ce qui entraînerait une sanction immédiate à l’égard du responsable dela privatisation. Les entreprises publiques ne sont donc privatisées que lorsqu’elles nerapportent plus rien. Les rentes spéculatives ont ceci de pervers qu’elles représententun échange gagnant-gagnant pour les deux « contractants ». D’une part, le responsablequi va permettre au chasseur de rente d’entrer sur un marché en situation de monopoleadministratif ou de rareté arbitraire va obtenir une rémunération, c’est la base de lacorruption. D’autre part, le chasseur de rente va bénéficier d’une position de monopole luipermettant de dégager un surproduit plus important : la rente. Pour préserver ce systèmequi s’exerce au dépend du travailleur et du consommateur, il convient de maintenir un fortcontrôle administratif sur l’activité économique et une offre inférieure à la demande. Lacorruption ne s’arrête cependant pas aux chasseurs de rentes spéculatives et aux membresde l’administration : le formidable essor de l’économie informelle témoigne de son aspectsociétal. Le sociologue Mohamed Hachmaoui affirme ainsi « qu’à la corruption noire desgens d’en haut répondent en écho les pratiques corruptives au quotidien des gens d’en bas.La prédation généralisée procède alors d’un fait total qui travaille à la perte de l’État93. »

Si la privatisation illustre l’immobilisme de l’État, l’expansion de l’économie informelledémontre les dysfonctionnements de l’économie algérienne dont elle est à la fois une causeet une conséquence. L’économie informelle est une cause de dysfonctionnement car elleentraîne un manque à gagner en termes de recettes fiscales n’ayant aucune existencejuridique mais surtout parce qu’elle livre une concurrence déloyale à l’activité productiveofficielle. De par sa nature, l’économie informelle est plus spéculative que productive,recourant par exemple massivement à l’ « import-import ». L’économie informelle estégalement une conséquence des dysfonctionnements de l’économie algérienne. En effet, sides acteurs économiques choisissent d’œuvrer dans la clandestinité alors que la demandeintérieure est suffisamment forte pour que chacun trouve une place, c’est bien parce quecela leur permet de contourner les démarches administratives de création d’entreprise quiprennent plusieurs mois voire des années, de s’approvisionner sur le marché parallèle desdevises, de s’affranchir des prélèvements obligatoires et de recourir aux services du marchéinformel souvent plus performant que les services publics (eau, électricité, transports…). Sile secteur informel parvient à peser l’équivalent de 40% du PIB algérien94, ce qui fait de lui

93 “Interview de Mohamed Hachmaoui”, El Watan, 6 avril 200394 MEZIANE I.A., « Près de 40% de l’économie algérienne est informelle », Le Maghreb, 7 novembre 2006

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« le premier groupe privé du pays » selon l’expression du Forum des Chefs d’entreprises,c’est bien qu’un grand nombre d’agents estime plus rationnel d’agir en dehors du cadrelégal, celui-ci offrant de toutes façons peu de garanties.

Le scandale d’El Khalifa Bank en 2003 qui a coûté près d’1,2 milliards de dollars auTrésor95 a montré que le secteur privé devait être encadré par l’État et que libéralisation del’économie ne devait pas rimer avec désengagement total de l’État, sous peine de perteslourdes pour l’ensemble de la collectivité. En 2006, l’État algérien semble posséder lesressources financières et politiques pour orienter l’économie algérienne vers une économieproductive, encore faut-il que les dirigeants aient la volonté de mettre en place les réformeset de faire appliquer des lois qui vont contre leurs intérêts personnels immédiats.

En conclusion de cette première partie, on peut dire que l’industrie cristallise l’échecde la politique de développement algérienne. L’État a consacré des investissementsproprement gigantesques dans ce secteur, sans qu’il ne parvienne jamais à devenir lemoteur du développement en mettant en place des capacités d’autofinancement, ni nepuisse satisfaire la demande intérieure. Cette faillite est responsable de l’excès d’importationet de l’endettement extérieur qui ont poussé le pays vers la crise de la dette et de la pénurie.Il s’agit donc bien d’une faillite de l’État qui a été perçue et sanctionnée par les électeursdés qu’ils en ont eu la possibilité. Ayant perdu toute légitimé sur le plan économique, lerégime a dû recourir à la force armée pour maintenir son assise. Il a également dû céder auxinjonctions du FMI et ouvrir en partie son économie. Ces deux éléments modifient totalementle rôle de l’État dans la politique d’industrialisation, ce qui s’est traduit par un désengagementdepuis la fin des années 1990. Les bases de l’économie administrée ont été abolies sansqu’un nouveau système de répartition des richesses n’ait été mis en place. La conséquencede l’inefficacité actuelle de l’économie est la même que celle qui avait suivi les insuffisancesde l’économie administrée : il s’agit de la croissance du secteur informel qui fixe ses prixen fonction de l’offre et de la demande réelles. Loin de permettre de réguler l’économiealgérienne, ce marché informel aggrave les inégalités par la constitution de rentes etconcurrence le marché officiel de façon déloyale, ce qui s’oppose à un rééquilibragespontané de l’économie algérienne. Là où l’économie administrée et la dérégulation ontfailli à mettre en place une économie productive permettant le développement, l’État peut-il aujourd’hui mettre en œuvre un nouveau modèle qui sera nécessairement mixte ? C’estla question à laquelle nous allons tenter de répondre dans la deuxième partie, en étudiantle projet de Nouvelle Stratégie Industrielle (NSI).

95 ZEID M. « El Khalifa ou le scandale des scandales », Algeria interface, 13 juin 2003

Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relationsentre Etat et appareil de production dans une économie en développement

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Partie II : La Nouvelle StratégieIndustrielle, un échec prévisible

L’objectif de cette partie est d’identifier les relations actuelles entre le pouvoir politique etl’industrie algérienne à travers l’élaboration de la Nouvelle Stratégie Industrielle (NSI) afind’expliquer la stagnation de ce secteur. La principale explication de l’échec des politiquesindustrielles passées retenue par les institutions internationales et dans le discours politiquealgérien a été l’inefficacité systémique de l’économie administrée, jugée économiquementnon performante. Ces critiques libérales ont été retenues et il semble bien qu’il y aitaujourd’hui un consensus politique en Algérie sur le fait que l’économie administréen’est plus désirable. Cependant, les expériences de dérégulations poussées dans deséconomies en développement ont eu des conséquences désastreuses qui ont remis encause les doctrines néolibérales de ce qu’on a pour habitude d’appeler le « consensus deWashington ». C’est dans ce contexte idéologique que nait le projet de NSI, dont les artisansse réclament de l’économie mixte. Ce projet se veut incitatif plutôt que contraignant, élaboréselon des règles de bonne gouvernance, c’est à dire en associant les parties prenantes et enfaisant de l’État le garant d’un marché équilibré, un acteur parmi d’autres du développementéconomique. Cet objectif affiché présente un État qui assume le rôle d’État-Providencedans une économie capitaliste moderne. Et c’est là qu’il convient de s’interroger. Malgré lesréformes des années 90, l’économie algérienne est-elle une économie capitaliste ? Questionsous-jacente : l’État est-il devenu un État régulateur ou un État-Providence ? Il semble peuprobable que de tels changements aient pu avoir lieu en moins de 20 ans.

La NSI a finalement été désavouée en 2009. Afin d’en comprendre les causes, nousnous proposons d’étudier ce projet sous trois aspects qui nous permettent de révéler troiscaractéristiques de l’articulation entre le pouvoir politique et l’économie en générale à traversla question de l’industrie. Tout d’abord nous étudierons l’élaboration de la NSI en tantqu’évènement, du point de vu de quelques acteurs, afin de comprendre quels sont les enjeuxpolitiques partisans de ce projet. Cette première étude peut nous aider à comprendre lescauses immédiates du rejet de la NSI. Dans un deuxième temps, nous étudierons le projetlui-même, afin de voir s’il marque une rupture dans la politique industrielle algérienne etsi celle-ci explique l’échec du projet. Enfin, nous étudierons la place qu’occupe la rentedans l’économie algérienne et ses implications politiques qui peuvent expliquer sur lelongterme l’absence de développement industriel dans le pays, les réformes juridiquesn’ayant de sens que si elles s’articulent à une réalité politique et sociale.

I. L’élaboration de la nouvelle stratégie industrielle :Nous nous attacherons ici à faire le récit de la conception de la « nouvelle stratégieindustrielle » (NSI) et non de son contenu. L’objectif de cette partie est d’identifier les acteurset les mécanismes institutionnels qui ont participé à l’élaboration de la NSI en essayantd’identifier les éléments exogènes qui sont intervenus dans la réflexion économique. Notre

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objectif n’est pas d’évaluer si la NSI est un bon ou un mauvais projet mais de comprendrepourquoi son application a échoué. Nous délaisserons donc l’analyse économique pournous centrer sur les rapports de force entre les différents acteurs détenteurs du pouvoir etl’inscription de la NSI dans l’agenda politique algérien.

2006 : la stratégie industrielle revient dans le débat

Après une dizaine d’année de réformes ayant visé à l’autonomie des entreprisespubliques caractérisée par le désengagement de l’État, la main invisible du marché n’apas restructuré l’industrie algérienne. Le 20 janvier 2006, lors d’une table ronde du forumd’El Moudjahid ayant pour sujet « la stratégie industrielle en Algérie face aux défis de lamondialisation », des intervenants interpellent les représentants du ministère de l’industrie àpropos de la défection du gouvernement sur le terrain de la politique industrielle. AbdelkaderChahboub, PDG de la SNVI (constructeur de véhicules) estime qu’un énorme retard aété accumulé depuis des décennies dans la mise en place d’une politique industrielleclaire et pérenne, notamment en matière d’industrie automobile. Un représentant de l’UGTArenchérit « L’Algérie a toujours fonctionné, depuis les années 70, au rythme des lois definances, au lieu de s’appuyer sur une stratégie à long terme ». Le président du Conseilconsultatif pour la promotion de la PME, souligne dans son allocution que le développementde la PME, colonne vertébrale d’une industrie et de toute l’économie, doit s’orienter vers lasous-traitance, tant à une échelle locale que mondiale, mentionnant toutefois les contrainteslourdes qui pèsent sur le secteur tel la bureaucratie et l’accès au foncier. Le représentantdu ministère Djamel Khalef ne conteste pas le diagnostic en insistant sur la nécessité decibler les investissements dans les secteurs les plus productifs96.

Si la réponse de Djamel Khalef n’engage à rien, on constate un certain consensus entreun chef d’industrie lourde, un syndicaliste, un représentant des PME et un représentantdu gouvernement sur le fait que l’État doit revenir aux commandes en élaborant unepolitique industrielle claire, à long terme et ciblée. Abdelhamid Temmar, dont le ministèrese limite alors encore aux Participations et à la Promotion des investissements,le ministèrede l’Industrie étant sous la responsabilité de Mahmoud Khedri, annonce le 2 mai qu’unestratégie industrielle a été mise en place pour fixer les secteurs prioritaires pour lesinvestissements. Il s’agit, selon le ministre, des industries de la sidérurgie, de la mécanique,de la métallurgie, de l’électrique et de l’électronique (ISMMEE)97. La stratégie industrielleannoncée est encore en gestation mais A. Temmar a déjà confié à des experts nationauxle soin d’élaborer cette nouvelle stratégie (parmi ces experts Liassine, Benissad, tous deuxanciens ministres, et Mekidèche, vice-président du CNES).

En octobre alors qu’Ahmed Ouyahia a été remplacé par Abdelaziz Belkhadem ,A.Temmar annonce officiellement que le gouvernement entend se doter d’une nouvellestratégie industrielle98 dont les deux axes principaux sontla continuation de la politiqued’encouragement des industries de substitution à l’importation et le développement d’uneindustrie orientée vers l’exportation. Pour cela, un certain nombre d’activités industriellesa été identifié comme présentant des avantages comparatifs face à la concurrenceinternationale. L’État offrira son soutien aux secteurs concernés et continuera la privatisation

96 « Débat sur la stratégie industrielle en Algérie », La Dépêche de Kabylie, samedi 21 janvier 2006.97 MALKI Lyes, « Abdelhamid Temmar l’a annoncé hier », El Watan, 2 mai 200698 SLIMANI Salah, « Après 25 ans d’hésitation et d’échecs », El Watan, 11 octobre 2006

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des autres secteurs. Les secteurs jugés compétitifs sont notamment l’agroalimentaire,les industries mécaniques, la mécanique de précision, l’électromécanique, l’électricité, lapétrochimie, la chimie organique et la pharmacie.

On peut s’étonner que l’annonce ne soit pas faite par le ministre de l’Industrie. C’est eneffet sous la tutelle du ministère de la Participation et de la Promotion des Investissements(PPI) que se développe le projet jusqu’à sa fusion avec le ministère de l’Industrie au sein duMIPI « visant la relance et le développement de l’activité industrielle »99dont il prendra la têtele 4 juin 2007. Le « monsieur privatisation » du gouvernement devient donc le responsablede la promotion de l’industrie algérienne, ce qui apparaît comme le signal volontaire d’unrevirement à 180 degrés de la politique gouvernementale. Cependant comme le signaleMekidèche, l’un des artisans de la NSI, « Les instruments de régulation sont aussi entreles mains du ministère des Finances et du ministère de Commerce. Ces instruments sontpolyvalents. C’est pour cela qu’il faut régler les questions de synergie entre les démarchessectorielles. C’est la responsabilité collective par excellence du gouvernement. C’est-à-direque cette stratégie est celle du gouvernement et non d’un secteur. »100. A.Temmar lui-mêmeestime que son rôle dans ce dossier se limite à celui d’expert économique.

Figure 5 : Processus d’élaboration de la NSI

99 Ministère de l’industrie et de la promotion des investissements, n ews bimensuelle interne du MIPI n°26, 17 juin 2007100 SLIMANI Salah, « On est encore en désindustrialisation», El Watan, 11 octobre 2006

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Début décembre, A.Temmar annonce les Assises Nationales de l’Industries regroupantà la fois des experts et des agents économiques nationaux pour la fin de l’année. Ilprécise également que « Nous avons présenté au gouvernement un projet sur la stratégieindustrielle, dont le cadre a été approuvé. Nous allons nous rencontrer chaque semaine pourapprofondir le dialogue sur le sujet point par point »101 ce qui implique le soutient total dugouvernement Belkhadem. Mais l’organisation des Assises prend du retard et celles-ci sont reportées à la fin du mois de février 2007. Les différentes étapes du processusd’évaluation de la stratégie sont définies 102 .

2007 : La tenue des Assises Nationale de l’Industrie (ANI) et lespremières critiques

101 SLIMANI Salah, « Stratégie industrielle, Le projet soumis à débat à la fin décembre », El Watan, 6 décembre 2006102 Site Internet des Assises de l’Industrie, « Etapes d’élaboration de la stratégie industrielle » , http://

www.assisesdelindustrie.dz/index.php?id=36,consulté le 5 mai 2009

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Les Assises se tiennent du 26 au 28 février 2007 à l’invitation de A.Temmar et sont bienaccueillies par la presse, le Quotidien d’Oran parle même de « très bonne initiative »103. Ellesrassemblent environ 600 personnes qui sont censées représenter les « forces vives de laNation» au Palais des Nations à Alger autour du thème « Stratégie et politiques de relanceindustrielle» comme on peu le lire sur le site Internet des ANI104 : celui-ci est par ailleurs bienmieux réalisé que celui du Ministère de l’Industrie, étant disponible en français, en arabe eten anglais, ce qui témoigne d’un effort soutenu de communication et de marketing sur cetévénement. L’ambition des ANI est de dessiner « les bases de la stratégie industrielle del’Algérie pour les 15 ans qui viennent » afin de permettre « le réveil d’un géant ». A. Temmarprécise cependant dans son discours d’ouverture que « le réveil d’un géant suppose qu’ilétait endormi. L’Algérie qui se réveille est au pied du mur. » Tandis que Khedri insiste sur lanécessité d’un large consensus national. Communication et concertation semblent donc êtreles deux objectifs principaux de ce projet, « le deuxième du genre depuis l’indépendancedu pays et l’industrie industrialisante des années 70 »105.

ParticipantsLes participants sont les représentants d’associations professionnelles (Barreau d’Oran,Conseil Consultatif des PME, Association des Banques et Etablissements Financiers,Association Nationale des Economistes Algériens, Association Nationale des ExportateursAlgériens, APEQUE), de Banques et de la Bourse d’Alger (BDL, BNA, BEA, CPA, CNEP-Banque, FINALEP), des Chambres de Commerce et de l’Industrie (CCI), de bureauxd’études et de centres de recherche, d’entreprises privées et publiques, de l’ensembledes Ministères et institutions de l’État (Présidence, Chefferies…), des Sociétés de Gestiondes participations (SGP), des organisations patronales, des différentes branches del’organisation syndicale UGTA, des organisations internationales (PNUD, Banque mondiale,Commission Européenne), des consultants et experts (universitaires et consultants privés)et des médias.

Organisation des ANILes Assises sont organisées en 6 commissions transversales et en 5 ateliers sectorielsqui travaillent séparément à huis clos. Les commissions transversales abordent desthèmes généraux : 1. Choix des industries stratégiques, 2. Déploiement spatial, 3. Théâtreéconomique international et investissement direct, 4. Innovation, NTIC et ressourceshumaines, 5. Environnement économique de l’entreprise et 6. Mise à niveau de l’entreprise.Les ateliers sectoriels étudient et évaluent les avantages compétitifs et les besoinsde chacun des cinq secteurs ciblés par le gouvernement : 1. Industries électriques etélectroniques, 2. Industries pharmaceutiques, 3. Industries agroalimentaires, 4. Industriesmécaniques et automobiles et 5. Pétrochimie et engrais. Les commissions se composenten moyenne de 45 participants tandis que les ateliers regroupent entre 16 et 31 participants.Les ateliers sont donc plus propices à la discussion. Chaque commission comprendun modérateur issu de la société civile et deux rapporteurs systématiquement issus duMinistère des PPI et du Ministère de l’Industrie. Chaque commission et chaque atelier rend

103 « Assises Nationales de Stratégie industrielle en Algérie », Le Quotidien d’Oran, 17 février 2007104 http://www.assisesdelindustrie.dz105 « Assises Nationales de Stratégie industrielle en Algérie », Le Quotidien d’Oran, 17 février 2007

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une synthèse de ses travaux à la fin des Assises qui forment un corpus de recommandationsau gouvernement.

Les ANI sous le signe de la concertation avec les acteurs de la sociétécivile ?En associant des chefs d’entreprise du privé et des universitaires, les organisateursdes Assises, donc l’État, leur reconnaissent le rôle d’acteur du champ économiquemais également la capacité à peser sur la décision politique. La stratégie industrielledevant relever d’un consensus pour être performante, les attentes des acteurs duchamp économique doivent être entendues. De plus, en les associant à l’élaborationdes recommandations, l’État considère que ces acteurs ont la capacité d’auto évaluerleurs besoins et leurs intérêts et que ceux-ci peuvent être intégrés dans la politiquegouvernementale. Cette interaction crée un embryon d’espace publique, initié et encadrépar l’État qui choisi les participants, où s’exprime une partie de la société civile.

Cependant, la question se pose de savoir si les ANI ont permis un véritable débat entreles représentants de l’État et les acteurs du champ économique et social. On peut notertout d’abord que les institutions étatiques et leurs satellites dominent largement la massedes participants. Les représentants du secteur bancaire proviennent essentiellement dusecteur public. Les SGP et les CCI sont sous tutelle directe de l’État. Le seul représentantdes travailleurs est l’UGTA qui est l’unique syndicat toléré dans l’Industrie. De plus, lesacteurs principaux ont été pré-auditionnés par le Conseil du Gouvernement au cours des 4mois précédents, ce qui a certainement pré-formaté les interventions au cours des Assises.Enfin les représentants du MPPI sont présents dans chaque atelier et commission. Orceux-ci disposent déjà du Draft Document élaboré par les experts depuis près d’un anqu’ils posent comme base de travail. On ne peut donc pas réellement parler d’élaborationcollective. D’autant plus que le nombre important de participants et le temps limité octroyéaux débats restreint immanquablement le temps de parole individuel. Certains comptes-rendus précisent la tenue de « débats animés » sans en relater le contenu, concluantsur une synthèse homogène. A aucun moment, on ne peut lire dans ces synthèses uneopposition entre les intervenants ou la coexistence de deux propositions qui s’opposent. Leconsensus apparent au sein de commissions de 50 personnes nous interroge sur la validitédes comptes rendus diffusés, certains avis divergents ayant pu être « oubliés », puisquechaque commission et atelier travaille à huis-clos.

Perspectives au lendemain des ANILes perspectives annoncées par A.Temmar au lendemain des Assises sont doubles.Premièrement, les recommandations doivent être soumises au Conseil de Gouvernementsous les dix jours et au Conseil des Ministres afin que la NSI soit entérinée politiquement.Deuxièmement, les intervenants des Assises doivent rester en contact et continuer le débatnotamment sur Internet où des blogs et des forums doivent permettre une discussionpermanente. De plus, un certain nombre de commissions appelle à la tenue annuelle desANI afin d’accompagner la mise en place de la NSI. En 2 ans, le texte n’a pas été soumisau Conseil de Gouvernement ni au Conseil des Ministres, les blogs et forums n’ont pas étécréés et les ANI n’ont jamais plus été réunies. Le Draft Document et les recommandationsélaborées pendant les ANI représentent donc les documents les plus aboutis définissant laNSI. Il est déterminant de constater que si le gouvernement avait donné son accord pour

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l’ouverture des discussions en moins de deux mois, la traduction du projet en acte politiquedemeure beaucoup plus problématique.

Un projet immédiatement critiquéDés le 2 mars le Front des Forces Socialistes (FFS), parti d’opposition, publie sur sonsite Internet une déclaration de son Secrétariat National qui dénonce l’absence des partispolitiques et des syndicats autonomes aux ANI. Le FFS critique également l’orientationdes travaux des ANI qui se concentrent sur l’Industrie sans intégrer les autres secteurs(BTP, agriculture, services…) qu’elle est censée entraîner106. Pour le FFS le projet deNSI accentue le désengagement de l’État qui ne se soucie plus des équilibres sociaux etabandonne l’économie nationale aux investisseurs étrangers.

Ali Mebroukine, professeur en droit des affaires, estime quant à lui que la modicitédes avantages comparatifs algériens remet sérieusement en question la possibilité d’unepolitique industrielle. Il ajoute qu’ « un projet industriel ne peut se concevoir ex nihilo etrefléter les seuls vœux pieux des pouvoirs publics. Il doit s’appuyer sur les contraintesactuelles des processus de production à l’échelle d’une région ou du monde. Surtout, il nesera qu’une coquille vide si la recherche-développement n’est pas fortement encouragée,en même temps que la création d’entreprises, surtout privées, capables d’utiliser destechnologies brevetées les plus récentes et nouer des partenariats flexibles avec desentreprises étrangères, sans rencontrer d’obstacles de la part de la puissance publique. »107

Abdelhak Lamiri, expert économiste et docteur en sciences de gestion, indique quela NSI se concentre trop sur la captation d’IDE et qu’ « une stratégie industrielle ne peutfonctionner s’il n’existe pas une stratégie globale ».108

Abderahmane Mebtoul, économiste et expert international et président de l’associationpour les développement de l’économie de marché (Adem), s’en prend violement à laNSI lors d’un débat sur la radio Channel 2 : « Le document du Gouvernement portantstratégie industrielle en Algérie est incohérent, irréaliste, non opératoire, sans aucunequantification précise et datée […] En cette ère de mondialisation, il me semble erronéde parler de stratégie industrielle, ce qui supposerait une autonomie totale de la décisionéconomique .»109

Les critiques s’attaquent tout autant au contenu de la NSI jugé plutôt creux qu’au rôlede l’État. Alors que le FFS voit dans la NSI le désengagement de l’État, un économistelibéral comme Mebtoul y voit la volonté d’interventionnisme erroné du Gouvernement dansun domaine qu’il ne peut contrôler. La question de l’intégration nationale et internationalede l’économie algérienne est également récurrente. Ces éléments montrent clairement qu’àtravers la NSI c’est tout le modèle ou plutôt l’absence de modèle économique qui estinterrogé.

Les législatives de mai 2007 marque le début d’une paralysie de l’actiongouvernementale

106 Site Internet du FFS, « Déclaration », http://www.ffs-dz.com/Assises-nationales-de-l-industrie.html, consulté le 10 juillet 2009107 MEBROUKINE Ali, « Diversification de l’économie algérienne et sanctuarisation de la rente pétrolière », El Watan, 14 mai

2007108 « La stratégie industrielle de l’Algérie reste à définir », L’Expression, 16 juin 2007109 « La stratégie industrielle en Algérie est irréaliste selon Abderahmane Mebtoul », Liberté , 19 décembre 2007

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Le fort taux d’abstention aux législatives de mai 2007 et la lettre de Saïd Bouchaïr oùpour la première fois une commission officielle dénonce le déroulement d’une élection enAlgérie marque un désaveu profond pour le pouvoir. C’est le début d’une inimitié féroceentre Ouyahia et Belkhadem qui représentent deux clans du pouvoir au sein de l’allianceprésidentielle. A partir de ce moment, Belkhadem secrétaire général du FLN qui fait partiede la garde rapprochée du président Bouteflika - tout comme Temmar - subit les critiquespermanentes du secrétaire générale du RND Ouyahia110. Derrière ce conflit entre un chefde gouvernement et son prédécesseur, on peut également deviner la présence du grandélecteur caché qu’est l’armée, Belkhadem étant jugé assez distant de cette dernière tandisque Ouyahia a souvent été identifié comme l’homme du DRS (service de renseignement etde sécurité)111 présidentiable en 2009. C’est le début d’une lutte interne qui dure jusqu’à lanomination d’Ouyahia au poste de chef du gouvernement le 23 juin 2008.

2008 : La NSI disparaît des priorités gouvernementales sur fond decrise financière internationale et de réforme constitutionnelle.

Temmar en difficultéEn février 2008, les privatisations des entreprises sont retirées des prérogatives du ministèrede l’Industrie, des Participations et de la Promotion des investissements (MIPPI). Lesprivatisations dépendent désormais des ministères : chacun les gérant selon son secteur.Cette décision a été prise lors de la dernière réunion du Conseil des participations de l’État(CPE). Présidé par le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, le CPE est un organequi se charge de piloter les actifs publics et l’investissement. Cette décision est motivéepar les résultats jugés «médiocres» obtenus dans le processus de privatisation lancé parle ministère de Temmar. Cette décision est vivement dénoncée par des responsablesdes sociétés de participation qui estiment que «cela n’est ni plus ni moins qu’un retourà la gestion administrative de l’économie». D’autre part, des rumeurs estiment que leministre pourrait servir de fusible dans l’affaire des cimenteries de Msila112. Temmar continueponctuellement à mettre en avant certains éléments issus du projet de 2007 tel la créationd’un Haut Conseil dédié à l’intelligence économique. Mais si la NSI est évoquée de tempsà autre, ce n’est qu’un concept vide, le projet sous-jacent devenant de plus en plus flou.

Le retour d’Ouyahia et la réforme constitutionnelleL’année 2008 est particulièrement marquée par l’option d’un troisième mandat Bouteflika quinécessiterait une modification de la Constitution. De nombreux observateurs estiment quele soutien de l’Armée n’est plus acquis au président sortant et des listes de présidentiablescommencent à circuler. C’est dans ce contexte que le chef du gouvernement Belkhadem estremplacé par Ouyahia le 23 juin 2008 à la surprise générale. Certains analystes estimerontque ce sont les réserves qu’il a émises à l’égard de l’Union Pour la Méditerranée qui lui ontété fatales. Cependant les dossiers principaux qui attendent Ouyahia sont la réforme de laConstitution et la mise en place d’un bilan acceptable de la dernière présidence. Se faisant, ildevient l’artisan de la « ouhda thalitha » (troisième mandat) de Bouteflika alors que certains

110 Benchicou, « Lutte des clans à Alger : La polémique Belkhadem-Ouyahia s’installe »,Le Matin, 24 mai 2007111 LOUNES Saad, « Le DRS avance sa carte Ouyahia », Le Matin, 24 avril 2008112 « Bouteflika pourrait éjecter Temmar à la mi-août », Le Matin, 6 août 2008

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le voyaient en principal challenger. L’arrivée d’Ouyahia amène cependant un changementde leadership important. Au gouvernement, la vieille garde présidentielle est malmenée parle Premier Ministre qui ne se reconnait aucune filiation avec le gouvernement Belkhadem.Temmar qui conserve son poste et la NSI en font partie. Le Conseil des participations del’État (CPE), présidé par le Premier ministre, ne se réunit pas une seule fois en 2008,bloquant toute décision d’investissement, de privatisation, de partenariat ou autre, soumiseà son aval.

La crise financière, l’explosion de la facture d’importation et le « patriotismeéconomique » de BouteflikaDans un discours du 26 juillet 2008, le Président Bouteflika s’attaque aux investisseursétrangers qui rapatrient bien plus de bénéfices qu’ils ne réalisent d’investissement enAlgérie.113 Il reconnait ainsi l’échec de la politique d’attraction des IDE. Le scandale de lacession des cimenteries de Mascara et de M’sila, dans une opération purement financière,au géant français Lafarge, puis l’annonce de la vente de la société de télecom Djezzy àFrance Télécom ont provoqué une prise de conscience de l’État algérien qui a décidé lerachat des actifs de Djezzy. L’État algérien exige un droit de regard destiné à empêcherles ventes de filiales à des groupes étrangers sans l’aval du gouvernement. D’autre part, legouvernement annonce l’arrêt définitif des privatisations des banques et des compagniesd’assurances. Enfin, l’explosion de la facture des importations menace l’équilibre de labalance commerciale et des mesures sont envisagées visant à mettre en place des barrièresà l’importation par Ouyahia.

Ces mesures, qui remettent en question les accords internationaux de l’Algérienotamment son partenariat avec l’Union Européenne et ses efforts pour intégrer l’OMC,marquent une rupture avec la politique de laisser faire des vingt dernières années. LaNSI n’est, dès lors, plus en adéquation avec les nouvelles orientations du Gouvernement.Cependant personne n’en prend acte, celle-ci n’étant déjà plus vraiment à l’ordre du jour.

2009 : La NSI revient dans le débat, pour disparaître définitivement ?

La NSI, « pipeau, tromperie et propagande » Ouyahia règle ses comptesLe 11 mars 2009, le Premier Ministre se livre à une critique « brutale » selon ses propresmots de la NSI de Temmar. Celle-ci « a beaucoup plus fait l’objet de communication qued’action. Elle n’a jamais été adopté au Conseil des Ministres ». On est bien loin du consensuset de la stratégie globale appelés par les Assises de 2007. Ouyahia ajoute que « chaqueéquipe a son style. Je n’ai pas pour style de faire de la propagande » s’attaquant directementà son prédécesseur Belkhadem. Il conclut en assurant que « La stratégie industrielle doitdésormais être adaptée au papier millimétrique que sont les mesures prises par le chefde l’État que j’ai commencé à mettre en œuvre ».114 Le message est clair. Le Premierministre a le soutien du Président et c’est désormais lui qui est en charge de la réforme.Les travaux menés depuis 2007 ne sont au mieux qu’une opinion de Temmar et n’ontaucune valeur politique. Le Ministre du MIPPI annonce qu’il va remettre au gouvernement

113 TITOUCHE Ali, « Les aveux de Bouteflika sur l’investissement étranger : L’échec d’une politique», El Watan, 27 juillet 2008114 MAKHEDI Madjid, « Stratégie industrielle : Ouyahia accuse Temmar de tromperie », El Watan, 1er mars 2009

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un document révisé qui place l’agroalimentaire et la substitution des importations commeobjectifs prioritaires115.

Les raisons de cette attaque en règle, à un mois des élections, sont ambiguës. Ellea pu être motivée par la campagne électorale, afin de couper court aux critiques de lacandidate à la présidentielle, Louisa Hanoun, qui avait fait du rejet de ce projet et deson concepteur Hamid Temmar un tremplin pour attaquer son rival Abdelaziz Bouteflika.Une autre possibilité est que Temmar ait servi de bouc émissaire pour expliquer un bilanéconomique peu satisfaisant. Issu du gouvernement Belkhadem, il constitue une cible dechoix pour Ouyahia qui peut ainsi se désolidariser de ce bilan. La dernière explication peutêtre que le Premier ministre a cherché à affirmer son leadership, en déstabilisant un desproches de Bouteflika, afin de lui rappeler que bien que sa candidature soit soutenue parl’armée, il n’est pas seul maître à bord.

Après cette mise à mort, Temmar et sa NSI semblaient condamnés à disparaître dela scène politique.

Bouteflika III : le spectre anonyme de la NSILe nouveau gouvernement formé à l’issu des élections présidentielles qui ont vu Bouteflikalargement réélu, reconduit sensiblement la même équipe, dont Temmar au MIPI. Le maintiende ce dernier est étonnant puisqu’il a été fortement critiqué en 2007 sur sa gestion desprivatisations et en 2009 sur la NSI par le pouvoir exécutif, soit les deux dossiers principauxdont il avait la charge.

Ce qui est encore plus étonnant, c’est que le nouveau programme industriel initié, fondésur l’affirmation du président Bouteflika que la croissance en Algérie passe indubitablementpar la croissance industrielle, reprend un grand nombre de points déjà présents dansles recommandations des ANI tel que la mise à niveau des entreprises, l’intervention del’État dans la production des EPE sur la base d’une économie mixte, la constitution de« champions publics »… au point qu’un certain nombre de collaborateurs de Temmarcomme Mekidèche et Bahloul n’hésitent pas à qualifier les mesures protectionnistes duPremier ministre de « mise en œuvre progressive de la stratégie industrielle ». Ce ne seraitdonc pas la NSI qui est en cause mais un procès politique fait à Temmar : le manque deprogrès provenant des blocages institutionnels et de l’absence d’un consensus politique.Selon eux, les ANI auraient même été le moment décisif où la politique algérienne auraitrompu avec le consensus de Washington pour fonder « le consensus d’Alger » reposantsur l’alliance de l’État et du marché116. Un modèle assez proche des orientations annoncéespar le gouvernement en juillet 2009. Ces experts relisent-ils leurs travaux à la lumière desproblématiques présentes afin de défendre leur projet? Les détenteurs de la puissancepublique ont-ils choisi de temporiser le projet de NSI ? Le gouvernement algérien n’est-ilpas en train de mettre en place une politique qui était déjà à sa disposition deux ans plustôt ? Pour y répondre, il est nécessaire d’étudier le Draft Document et les recommandationsélaborées en 2007.

115 TITOUCHE Ali, « Temmar défend sa stratégie industrielle », El Watan, 23 mars 2009116 « Quand la politique s’en mêle », Le Quotidien d’Oran, 15 mars 2009

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II. Exposé critique de la NSI au regard de l’histoireéconomique algérienne

En se basant sur les travaux des Assises Nationales de l’Industrie117, sur la présentationdu MIPI118 et sur le Draft Document119 établi par la commission d’experts, on peut fairel’exposé du contenu de la NSI et le comparer aux politiques mises en place auparavantavec celles élaborées entre 2006 et 2009. Les notions de « réveil » et de « relance »traduisent bien l’idée que l’industrie a été abandonnée pendant un temps et que la NSI sefixe pour objectif de la replacer au cœur de l’économie algérienne. L’industrie est présentéedans le projet de NSI comme « le moyen le plus puissant d’intégration dans l’économiemondiale » et « un élément puissant de structuration de l’économie nationale ». Leprocessus d’industrialisation, même s’il n’est pas présenté comme le moteur de l’économiealgérienne comme c’était le cas au lendemain de l’Indépendance, retrouve donc uneplace centrale. Ce processus procède selon le projet à la fois de l’État et du marché, lastratégie industrielle devant relever d’un cadre consensuel entre politiques publiques etinitiatives des entreprises. La privatisation n’est donc pas remise en cause, les réformesse voulant « market friendly ». Le postulat est que si les résultats du secteur industrielsont actuellement faibles, il recèle cependant de grandes potentialités qu’il faut révéler parun redéploiement. La NSI doit permettre à l’industrie algérienne de s’intégrer à l’économiemondiale afin de capter les investissements et les innovations technologiques liées auxdélocalisations. Les entreprises doivent donc promouvoir l’innovation et l’État mettre enplace un climat des affaires propices à l’attraction des IDE. Le choix du développementpar substitution d’importations est présenté comme non-pertinent dans une stratégie dedéveloppement ouvert qui doit privilégier la substitution d’exportation conformément àl’exemple des économies d’Asie du Sud Est. Le Draft Document conclu que « la stratégiede relance et de développement industriels est strictement le fait de l’entreprise ». Elle nepeut être consistante que si elle est soutenue par des politiques publiques qui permettentd’enclencher un processus d’absorption technologique durable et auto entretenu et assureune endogénéisation du fonctionnement de l’économie nationale.120 » Ce soutien despolitiques publiques passe par 3 axes principaux : le déploiement de l’industrie parciblage sectoriel et géographique incitatif, la mise à niveau des entreprises et la recherched’investissement.

1. Le déploiement de l’industrie

Le déploiement sectoriel de l’industrieLa NSI se caractérise par un ciblage volontariste des branches jugées porteuses. Lestravaux préparatoires des Assises ont étudié 55 branches de l’industrie nationale quiont été classées en fonction de leur potentiel industriel (croissance, emploi, taille, effet

117 Site Internet des Assises de l’Industrie, http://www.assisesdelindustrie.dz/ [consulté le 2 août 2009]118 Site Internet du MIPI, « La relance de la production industrielle », http://www.mipi.dz/index_fr.php?page=industrie&titre=industrie1[consulté le 2 août 2009]119 MIPI Draft document, « Stratégie et politiques de relance et de développement industriels » http://www.assisesdelindustrie.dz/documents/document_service_5_14106.pdf [consulté le 2 août 2009]120 Ibid. p 35

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d’entraînement, intensité technologique), de leur positionnement sur le marché mondial etde leurs avantages comparatifs (principalement l’intensité énergétique). Le classement deces branches selon un critère synthétique a permis d’identifier 4 filières potentiellementporteuses : la chimie (pharmacie, chimie organique, chimie minérale, engrais et pesticides,résines synthétiques), les ISMME, les matériaux de construction (principalement lesliants hydrauliques) et l’industrie agro-alimentaire. L’analyse de la situation des branchesporteuses montre que la structure de la valeur ajoutée est dominée à 82% par desindustries de basses technologies. De plus, la part des industries de hautes et de moyennestechnologies a diminué de 32% en 1989 à 18% en 2004. L’industrie algérienne secaractérise de plus en plus par des activités d’assemblage ou de faible transformation.L’objectif assigné à la NSI est de rendre les branches ciblées compétitives sur un segmentdu processus de production afin de mieux les intégrer dans la division internationale destâches. Ainsi le premier groupe à promouvoir est constitué des industries de transformationsde matières premières qui doivent se développer pour devenir des producteurs etexportateurs de biens transformés, ce qui concerne principalement la pétrochimie, lesengrais, la sidérurgie et les matériaux de construction. Le second groupe à promouvoirest constitué des industries qui permettent la remontée des filières de l’aval à partir dela production de biens finaux, ce qui concerne les industries électriques, les industriespharmaceutiques, les industries mécaniques et les industries agroalimentaires. Le troisièmegroupe à promouvoir est celui des branches industrielles qui n’existent pas encore en Algériemais qui peuvent se révéler porteuses, parmi elles les industries automobiles, les industriesdes TIC et les industries des énergies renouvelables sont évoquées.

On observe parmi les branches promues, un grand nombre d’industries qui étaient déjàmises en avant au temps des industries « industrialisantes » tel les ISMME, les matériauxde construction et les engrais et pesticides. Ceci s’explique par les critères de sélectiondes branches porteuses qui se fondent en partie sur l’intensité énergétique et les effetsd’entraînements. De plus, l’ambition est toujours de mettre en place une industrialisationpar l’amont et une internalisation transversale de la filière. Les avantages comparatifs del’Algérie dans le domaine industriel ne semblent pas avoir réellement évolués depuis lesannées 70 et la politique de ciblage sectoriel demeure sensiblement la même. La différencemajeure est que le modèle n’est plus fondé sur la substitution d’importation mais sur lasubstitution d’exportation, devant donc d’avantage se soucier de la demande extérieureque de la demande nationale. La volonté de privilégier les industries de haute-technologieétait également déjà présente dans les années 1970 lorsque les investissements de l’Étatservaient en grande partie à importer des technologies et de l’assistance technique. Lapromotion de nouvelles branches industrielles comme les TIC ou les énergies renouvelablessuppose le développement d’enseignements spécifiques et nouveaux qui ne seront doncporteurs qu’à long terme. Ce sont donc les autres secteurs qui devront porter la croissanceindustrielle dans un premier temps. La volonté de créer de grands champions nationauxpourrait également aboutir à la reformation de grands conglomérats. La politique sectorielledoit donc éviter de reproduire les erreurs passées.

Le déploiement spatial des activités industriellesAfin de maximaliser les effets d’entraînement, la NSI prévoit de concentrer des activitésspécialisées au sein de Zones d’Activités Industrielles Intégrées (ZAII) qui constitueront desclusters121 où les ressources techniques et les compétences seront partagées. L’objectif

121 La notion de cluster peut être rapproché de celle du pôle de compétitivité français qui est défini par la DIACT comme «sur unterritoire donné : l’association d’entreprises, de centres de recherche et d’organismes de formation, engagés dans une démarché

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est de créer un microclimat d’affaires et de compétitivité qui semble impossible à courtterme à l’échelle du pays. Les ZAII ont donc pour vocation de développer les synergiesentre les industries en partageant des économies externes, de mettre en place des centresde formation et R&D communs permettant de dynamiser l’innovation et de constituerun ensemble visible pour les investisseurs étrangers. En termes de disponibilité desinfrastructures, de proximité d’universités et de centres de recherches et de disponibilité deservices collectifs de qualité, les villes apparaissant comme les plus compétitives sont Alger,Annaba, Bejaia, Blida, Constantine, Jijel, Oran, Ouargla, Sétif, Sidi Bel Abbes, Skikda, TiziOuzou et Tlemcen. Trois types de ZAII sont prévus : 7 zones d’activités polyvalentes, 3technopôles et 4 zones spécialisées. Afin de respecter le principe de liberté économiquedu choix de la localisation de l’entreprise, les ZAII seront le fruit de politiques d’incitation del’État. Une administration spécifique est prévue pour gérer ces incitations : les Directions del’Economie, de la Technologie et de l’Environnement (DETE).

La création des ZAII pose la question des Zones Industrielles préexistantes. Commentarticuler ces nouveaux pôles de compétitivité avec le réseau industriel en place ? La situationactuelle des Zones Industrielles (ZI) permet d’appréhender certaines problématiques quiattendent les ZAII. Depuis le début des années 2000, l’État a investi 50 millions deDA pour l’entretien et la réhabilitation des ZI, ce qui est relativement peu. D’une partl’entreprise de gestion des Zones Industrielles éprouve les plus grandes difficultés à collecterles contributions des acteurs économiques des ZI qui ne se sentent pas concernés parl’entretien des espaces communs122. D’autre part, au niveau des instances de décision,les ZAII entrent en concurrence avec les pôles de croissance et de développement (POD)dépendants du ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement (MATE).La contradiction entre la NSI et le plan national de l’aménagement du territoire et dudéveloppement dans les perspectives de 2025, qui est supervisé par Chérif Rahmani,Ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement et du Tourisme est d’ailleurs undes points qui motivent le désaveu de la NSI par le Premier Ministre123. Cependant, la miseen place des ZAII, rebaptisée Zone de Développement Industriel Intégrées (ZDII) en 2008,se concrétise en 2009 sous la direction du MIPI, par les premières allocations de ressourcespubliques au site de la ZDII de Mechta-Fatima située dans la commune de El-Hammadia,une enveloppe financière de 2,5 milliards de dinars ayant été allouée au développementde cette zone124.

2. La mise à niveau des entreprises

Les politiques d’appui à l’innovation et de promotion des TICLes commissions de travail partent du constat que l’innovation n’a jamais été une prioritéau sein de l’industrie algérienne. L’Institut National Algérien de la Propriété Industrielle

partenariale (stratégie commune de développement), destinée à dégager des synergies autour de projets innovants conduits encommun en direction d’un (ou de) marché(s) donné(s). Cette politique vise à susciter puis soutenir les initiatives émanant des acteurséconomiques et académiques présents sur un territoire […] Par cette mise en réseau des acteurs de l’innovation, la politique despôles a comme objectifs finaux la création de richesses nouvelles et le développement de l’emploi dans les territoires. »

122 TEWFIQ G., « Zones industrielles, comment faire pour les entretenir ? », El Watan, 23 février 2008123 S.D « Guerre ouverte entre Ouyahia et Temmar », Le Matin, 21 janvier 2009124 SABER A., « Mettre en avant les synergies des entreprises », Le Maghreb, 10 juin 2009

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(INAPI) ne dénombre en effet que 2000 inventions protégées par des brevets125. La mise enplace de structures permettant des innovations et la maîtrise technologique est cependantvitale pour obtenir un niveau de compétitivité satisfaisant sans recourir à l’assistanceétrangère. L’innovation n’étant pas spontanée, la NSI se propose d’instituer un systèmenational d’innovation soutenu par l’État. Ce système national aurait pour objet de fairel’acquisition commerciale d’innovation et de technologies puis de les diffuser parmi lesentreprises nationales qui seraient alors en mesure de développer graduellement unprocessus d’innovation endogène. L’interconnexion des acteurs (industries, État, centre derecherche) doit être accrue par la multiplication de forums, de sites Internet… De plus,des efforts doivent être fait sur la formation et les ressources humaines afin de pouvoirdévelopper des centres de R&D et de pouvoir s’approprier les nouvelles technologies. Lecadre institutionnel s’articulerait entre une Commission Nationale pour l’Innovation et laTechnologie (CNIT) qui gérerait l’élaboration et le suivi des programmes de recherchespubliques et une Agence pour la Promotion de l’Innovation Industrielle (APII) en chargede l’amélioration des capacités d’innovation et du potentiel technologique à l’échelle desentreprises. Enfin le dispositif législatif doit être plus incitatif pour la promotion et lacommercialisation d’idées innovantes. Le premier marché visé est celui des TIC qui pèse2,75 milliards de dollars et qui est amené à se développer.

En 2009, ni la CNIT ni l’APII n’ont été créées. Si des initiatives concernant les TICont été mises en place, tel le programme « e-Algérie 2013 » ou la 4e université d’étépour la promotion d’entreprises innovantes créées par les diplômés universitaires, elles nedépendent pas du MIPI mais du Ministère de la Poste et des Technologies de l’informationet de la communication126. Le MIPI ne semble donc pas avoir fait de la promotion del’innovation le volet prioritaire de la NSI, ce qui peut s’expliquer par les nombreux conflitsde compétences entre ministères à propos de cette question.

Les politiques de promotion des Ressources HumainesLa promotion des Ressources Humaines s’articule en deux volets. Tout d’abord la formationd’une nouvelle élite managériale capable de donner une impulsion à l’industrie algérienne.D’autre part la formation de la main d’œuvre afin d’en améliorer la productivité et quecelle-ci puisse se saisir des innovations mises en place. Le taux d’encadrement estestimé à 5% dans l’industrie et les besoins de formation en management sont évaluésà 120 millions d’heures. La promotion de l’investissement dans le capital humain n’ayantjamais été considéré comme primordial en Algérie, la NSI insiste sur la nécessité d’unepolitique de communication allant dans ce sens qui doit par ailleurs être appuyée par desincitations publiques à la formation au sein même des entreprises. La constitution d’unréseau d’écoles de management incombe également à l’État qui doit par ailleurs encouragerl’enseignement de l’économie et du management en y consacrant davantage de moyens.L’objectif est d’aboutir à la formation d’une « élite de l’entreprise » fondée sur l’excellenceet la méritocratie.

Il est évident qu’un premier signe fort de la mise en place d’un management fondésur les compétences aurait été de réviser la procédure de désignation des managers desEPE en abrogeant la cooptation. Aucune modification de la gestion du secteur industrielpublic n’a cependant été annoncée. Concernant la formation au management, une écolesupérieure de management a été mise en place par décret en mai 2008. Cette école

125 Site Internet de l’INAPI, http://www.inapi.org/site/presentation.php [consulté le 2 août 2009]126 BENELKHADI K., « E-Algérie 2013, partenariat public-privé », El Watan, 16 juillet 2009

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nationale supérieure de management est placée sous la tutelle du ministre chargé del’enseignement supérieur et assure des missions de formation supérieure, de recherchescientifique et de développement technologique dans le domaine du management. A cetteexception près, il ne semble pas que des efforts particuliers de communication aient été misen place pour renforcer l’investissement dans le capital humain.

La création d’une capacité d’intelligence économiqueConsidérant que l’information est une matière première stratégique pour l’entreprise, la NSIestime que la capacité d’Intelligence Economique (IE) est une pièce maîtresse dans leprocessus d’apprentissage et d’innovation. L’intelligence économique est définie commele recueil, l’exploitation et la diffusion de l’information utile à la prise de décision et aupilotage de l’entreprise. Les outils de l’IE prévus dans le rapport des experts sont : laconstitution d’une base de données économiques fiable et accessible, la mise en placed’une institution de veille économique capable d’alimenter cette base de données en tempsréel, la direction d’étude sur l’évolution du monde de l’industrie et de ses besoins et laconstitution d’établissements de conseil pour les industries.

Les secondes assises de l’intelligence économique qui se sont tenues du 11 au 14 juin2008 débouchent sur la création d’une direction de l’IE au sein du MIPI. Cette direction apour vocation de collecter des informations économiques, en particulier à destination desPME-PMI qui n’ont pas les moyens de se doter de capacité interne d’IE. Cette direction del’IE est clairement présentée comme une mesure contre la concurrence internationale visant« à garantir la défense et la protection du potentiel de l’entreprise» 127 selon A. Temmar. Onpeut également noter la création d’une post-graduation en IE à l’Université de FormationContinue qui accueille 40 étudiants.

3. La recherche d’investissements

La promotion de l’investissement industriel prioritaireSur la période 2002-2008, l’Industrie demeure la première réceptrice d’investissementavec 45% du montant total, et 28% de l’emploi créé par l’investissement128. L’Ordonnance06-08 du 15 juillet 2006 établit un nouveau cadre juridique qui octroie des exemptionsfiscales supplémentaires aux investisseurs, institue l’Agence Nationale du Développementde l’Investissement (ANDI), réduit le délai des procédures et met en place la possibilité d’unrecours des entreprises contre les défaillances des administrations. Ce nouveau cadre faitespérer des effets positifs sur l’investissement industriel. La NSI doit donc tirer profit desapports de la nouvelle législation et apporter un soutien particulier aux ZAII. Ainsi les projetsdes branches ciblées par la NSI bénéficieront automatiquement de la durée maximale (10ans) prévue par le régime de la convention et bénéficieront d’avantages supplémentairesdécidés par le Conseil National de l’Investissement, tels que la prise en charge partielle outotale des dépenses d’infrastructures, du prix du terrain, du prix d’intrants et/ou de servicesnécessaires à la production. Ce régime dérogatoire des ZAII doit se doubler de la créationd’un guichet spécifique aux IDE au sein de l’ANDI ainsi que de la mise en place d’unereprésentation à l’étranger de cette agence.

127 L.M, « L’Algérie tente de rattraper son retard », Le Soir d’Algérie, 15 juin 2008.128 Site Internet de l’ANDI, http://www.andi.dz/?fc=b_declare [consulté le 10 août 2009]

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Aucune ZAII ou ZDII n’étant opérationnelle actuellement, le régime dérogatoire n’a pasencore été utilisé. L’Ordonnance 06-08 a été sérieusement remise en question en ce quiconcerne l’investissement étranger. En ce qui concerne le montant de l’investissement localqui représente 72% de l’investissement total sur la période 2002-2008, il est trop tôt poursavoir de quelle façon il sera impacté129.

Les politiques de mobilisation des IDESi les IDE représentent un apport de capital, leur intérêt est également d’une part, d’apporterdes innovations ce qui en fait une source importante de maîtrise et de développementtechnologique et d’autre part, de donner une plus grande ouverture sur les marchésétrangers ce qui en fait un levier stratégique d’intégration économique tant au niveaunational qu’international. Au niveau national, la politique de mobilisation des IDE passepar la concession d’avantages aux investisseurs étrangers ciblant des secteurs porteurstels que la formation et les R&D. Il appartient également aux puissances publiques depermettre le développement de ressources humaines spécialisées, complémentaires del’investissement étranger. Enfin l’État doit veiller à l’amélioration du climat des affaires. Auniveau de l’entreprise, le soutien public doit viser au développement de joint-ventures, decontrats de fabrication en commun et de contrats de know-how en simplifiant les procédures,en s’alignant sur les standards internationaux et en offrant d’avantages de garanties.

Si la période 2000-2005 était perçue par les concepteurs de la NSI comme le tempsnécessaire à la stabilisation économique qui avait permis de dégager un consensus politiquesur l’économie de marché ouverte, les réformes engagées en 2008-2009 démontrent quece ne fut pas le cas. Et c’est d’ailleurs sur la question du degré d’ouverture aux IDE queles critiques aboutissant au désaveu de la NSI vont se cristalliser. L’affaire des cimenteriescédées à Lafarge par le groupe égyptien Orascom et le déficit de la balance IDE- capitauxrapatriés par les firmes étrangères qui atteint 2 milliards de dollars en 2007 remettent lesbénéfices des IDE en question. Le Président Bouteflika affirme alors que les investisseursétrangers ne « jouent pas le jeu » 130. Le Premier Ministre Ouyahia prend plusieurs mesuresprotectionnistes qui représentent un revirement dans la politique de commerce extérieur.Dans un premier temps, la loi de finance 2009 met en place une taxe de 15% sur lescapitaux rapatriés131. Mais c’est surtout l’instruction du 23 décembre 2008 qui pose quatremodifications majeures. 1) Elle interdit aux groupes étrangers de détenir plus de 49% ducapital dans tout projet en Algérie et les oblige à s’associer avec des investisseurs nationaux.Les actions détenues par le capital national peuvent cependant être réparties entre plusieursactionnaires afin que l’investisseur étranger conserve le contrôle du projet. 2) Tout projetd’investissement étranger est soumis à l’examen du Conseil National de l’Investissementqui vérifie que celui-ci dégage une balance de devises excédentaire au profit de l’Algérie.Les avantages fiscaux conférés sont désormais déduits des bénéfices éligibles au transfertde capitaux. 3) Tout projet d’investissement étranger, hors son capital constitutif, ne peutrecourir qu’au marché financier local pour sa réalisation. 4) La limitation du délai deréponse aux demandes d’avantages au titre du régime général du Code d’investissementest suspendue. De plus le décret exécutif 09-181 paru au JO du 20 mai 2009 établit que« Les sociétés commerciales dont les associés ou les actionnaires sont des étrangers, nepeuvent exercer les activités d’importation de matières premières, produits et marchandises

129 Site Internet de l’ANDI, http://www.andi.dz/?fc=b_declare [consulté le 10 août 2009]130 SOHBI M. « Algérie : les entreprises étrangères rappelées à l’ordre », Le Point, 15 septembre 2008131 BENREGHIA S. « Algérie : Loi de finance 2009 », La Tribune, 31 décembre 2008

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destinés à la revente en l’état, que si 30% au minimum de leur capital social est détenupar des personnes physiques de nationalité algérienne ou par des personnes moralesdont l’ensemble des associés ou actionnaires, sont de nationalité algérienne »132. Cettemesure est jugée illégale car rétroactive et en contradiction avec les accords conventionnelsd’association par l’Union Européenne133. Le décret 09-182 impose quant à lui aux grandessurfaces de réserver 30% de leur espace de vente à des produits nationaux134. Dans uncontexte de crise financière internationale, un grand nombre d’investisseurs étrangers seretirent parmi lesquels le groupe émirati Emaar qui ferme ses bureaux à Alger en juillet 2009mettant fin à des projets d’investissement estimés entre 5,5 et 28 milliards de dollars135. LaNSI qui mettait en avant l’intégration dans l’économie mondiale et l’attraction des IDE seretrouve donc à contre-courant de la politique menée par le Gouvernement.

Si l’on dresse un tableau récapitulatif de l’avancement des 7 aspects essentiels de laNSI en 2009, on peut les classer en trois catégories : Attaqué (A) pour les aspects fortementcritiqués par le Gouvernement ou le Président, Non évoqué (NE)pour les aspects qui n’ontni connu d’avancé ni été remis en question au cours de ces deux dernières années et Misen œuvre (M) pour les aspects ayant connu des suites.

Tableau 4: Bilan de la mise en œuvre de la NSI

Le déploiement sectoriel de l’industrie NELe déploiement spatial des activités industrielles MLes politiques d’appui à l’innovation et de promotion des TIC MLes politiques de promotion des Ressources Humaines MLa création d’une capacité d’intelligence économique MLes politiques de mobilisation des IDE ALa promotion de l’investissement industriel prioritaire NE

Seules les politiques de mobilisation des IDE ont été clairement attaquées. Et onpeut de plus noter que la Plan d’Action 2009 du Gouvernement comporte un volet sur lesIDE136 précisant que le Gouvernement « s’attellera aussi à l’attrait des investissementsétrangers ». En revanche, si l’on considère les aspects mis en œuvre, on a bien vu qu’ilsen étaient au stade le plus embryonnaire. S’ils ne semblent pas en opposition avec lePlan d’action du Gouvernement, ils demeurent à l’état de projets, n’ayant toujours pasbénéficié de ligne budgétaire spécifique, mis à part pour les projets pilotes de ZDII. Leprojet de NSI dépourvu de toute estimation chiffrée et d’évaluation statistique est beaucouptrop vague pour aboutir à une politique économique concrète. Il a mis en avant quelquesproblématiques de l’industrialisation en Algérie qui étaient déjà connues pour la plupart. Ledébat qui s’est posé a tourné autour de la question de l’investissement étranger qui a étéprésenté comme un pillage national. Il est évident que les travaux des Assises Nationalesde l’Industries auraient pu être réutilisés en réévaluant la place des IDE, un débat quiavait déjà eu lieu en 2007 par ailleurs. Cependant à travers la question des IDE et des

132 Décret exécutif 09-181du 12 mai 2009, article 2, Journal Officiel du 20 mai 2009133 HADJAM Z., « Le gouvernement persiste et signe », El Watan, 28 juin 2009134 Décret exécutif 09-182 du 12 mai 2009, article 2, Journal Officiel du 20 mai 2009135 BOUDEDDJA N. « Emaar ferme ses bureaux en Algérie », El Watan, 5 juillet 2009136 Plan d’Action du Gouvernement pour la mise en œuvre du Programme du Président de la République, Titre 137, http://

www.cg.gov.dz/images/stories/dossier/Plan_action_2009_fr.pdf [consulté le 5 août 2009]

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importations excessives, la communication gouvernementale tend à désigner les relationsavec les partenaires étrangers comme le mal principal de l’économie algérienne. Le Pland’action parle de « préférence nationale »137 et la référence au patriotisme économique estconstante dans les interventions du Premier Ministre. On constate que c’est le volet portantsur l’ouverture de l’économie qui subit le plus de critiques tandis que les mesures portantsur le ciblage sectoriel ou la création des ZDII qui auraient également pu faire polémiquene sont pas remises en questions. Les mesures relatives à la promotion de l’innovation,des RH et de l’IE étant trop floues pour être débattues sur le fond et trop neutres pour êtreattaquées sur le principe, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elles soient exclues du débat. Lesmesures qui sont retenues sont donc celles qui sont les plus proches du modèle pré-1988tandis que celles qui se rapprochent d’une économie ouverte dans la lignée des réformes de1990 sont rejetées sur fond de discours nationaliste. Il convient donc d’étudier les aspectspolitiques qui expliquent les permanences de l’organisation de l’économie algérienne depuisl’Indépendance.

III. Une économie rentière aux fondements politiquesOn a abordé, dans la première partie, le caractère rentier de l’économie algérienne, ilconvient maintenant de définir en profondeur le concept de rente en se basant sur lathéorie économique classique, d’établir une typologie des différentes formes de rentes puisd’essayer de voir en quoi celles-ci s’opposent à l’économie de marché et à l’économiede production. On étudiera ensuite le poids de la rente dans l’économie algérienne afinde vérifier si elle est strictement le fruit de l’économie administrée. On abordera enfin lefondement politique du caractère rentier de l’économie algérienne à travers le concept denéo-patrimonialisme et de la dépendance de cette forme d’État aux rentes.

1. Théorie de la rente et opposition à l’économie productiveLa rente, c’est à dire ce qui permet à certains de vivre sans travailler, a été étudiée àl’origine dans un contexte de prédominance de l’économie agricole, ce qui explique quel’on s’intéresse tout d’abord à la rente foncière, c’est à dire la somme payée au propriétairede la terre par celui qui l’exploite. La première forme de rente foncière fut payée entravail, le paysan devant travailler sur la parcelle du propriétaire une partie du temps etsur une parcelle prêtée par le propriétaire l’autre partie du temps. Le paysan pouvantproduire plus d’effort sur sa parcelle que sur la parcelle du propriétaire, ce système futremplacé par le payement en nature de la rente, le paysan devant remettre une partie de saproduction au propriétaire de la terre que celle-ci soit fixe ou proportionnelle à la productiontotale, le système du khamissat octroyant par exemple un cinquième de la production aupropriétaire de la terre. Avec le développement du marché, la rente va progressivementdevenir pécuniaire.

La première justification du payement de cette rente est avancée par William Petty138 auXVII° siècle. Constatant que la valeur du produit de l’agriculture est supérieure à celle desressources engagées dans le processus de production (les besoins de consommation et de

137 Ibid. Titre 133138 PETTY W., Œuvres économiques,Paris : V. Giard & E. Brière, 1905, p. 41

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production du producteur), il déduit l’existence d’un surproduit qui constitue la rente naturellede la terre découlant de la générosité de la terre. Ce surproduit revient donc au propriétairede la terre. Les Physiocrates reprendront cette conception en estimant que seule la terrecrée de la richesse, toutes les autres activités ne relevant que de la transformation. Leproduit net doit donc être accaparé par les propriétaires naturels de la terre que sont lesseigneurs féodaux. Pour les Physiocrates, il appartient aux bénéficiaires de la rente de sesoucier de l’investissement dans la production puisqu’ils sont les seuls détenteurs du produitnet, les autres activités étant stériles.

Ces analyses sont poursuivies à la fin du XVIII° siècle par Adam Smith qui considèreque « la rente de la terre, considérée comme le prix payé pour l’usage de la terre, est doncnaturellement un prix de monopole139 ». La fin du monopole féodale sur la terre a permis ledéveloppement du capitalisme agraire, pour Adam Smith ce n’est pas tant la richesse de laterre qui assure la rente mais plutôt le monopole que les propriétaires exercent sur celle-ci.Sans monopole de la propriété foncière, il n’y aurait pas de rente. D’autre part, il décomposela structure des prix en trois éléments qui sont le salaire qui rémunère le travail de l’ouvrier,le profit qui rémunère le capital du fermier et la rente qui rémunère la terre du propriétairefoncier. Il suppose que le travail détermine la valeur du bien dans les sociétés primitivesmais que dans les sociétés avancées l’appropriation privé de la terre et l’accumulation decapitaux détermine un prix naturel du bien produit qui tient également compte du profit et dela rente, la création de richesse découlant du concours du capital, du travail et de la terre.Enfin, Adam Smith détermine l’existence d’un prix ordinaire correspondant à la situationd’équilibre entre l’offre et la demande et qui ne rémunère que le profit et les salaires. La renten’est donc rémunérée que si la demande excède l’offre et découle donc d’un déséquilibre dumarché, la propriété foncière n’étant que l’instrument permettant de récupérer l’excédent surle prix ordinaire. Adam Smith conclu que la rémunération de la rente se déduisant forcémentdes profits (les salaires ne pouvant pas être amenés en deçà du seuil de subsistance del’ouvrier), ce qui fait des rentiers, « ces individus qui aiment à récolter là où ils n’ont passemé », des parasites oisifs profitant du déséquilibre de disponibilité entre les facteurs deproduction.

Cette concurrence de la rente sur les autres facteurs de production est reprise par DavidRicardo qui écrit que « L’intérêt du propriétaire est toujours opposé à l’intérêt de toutes lesautres classes de la communauté140 ». Observant que la hausse des prix vient toujoursrémunérer la rente en premier, Ricardo renoue avec la démarche de Petty visant à expliquerla rémunération des facteurs de production. Pour Ricardo, la prédominance de la terre vientdu fait que celle-ci est limitée et que ses rendements sont naturellement décroissants. Unemême quantité de travail ne donne pas une quantité équivalente de produit selon la terrecultivée. La valeur étant pour Ricardo fixée par le travail nécessaire à sa production, c’estle bien ayant exigé le plus de travail (sur la plus mauvaise terre) qui régule le prix du bienagricole. Les rentes payées aux propriétaires des sols sont donc différentielles en fonctionde la fertilité du sol, elles correspondent à la différence entre le prix de marché et les fraisde production. Les terres les moins productives ne dégagent pas de rente, permettant toutjuste de récupérer les frais de production. Il conclut donc que « le blé ne renchérit pas parcequ’on paye une rente, mais c’est au contraire parce que le blé est cher que l’on paye unerente141 ». Il souscrit donc à la troisième forme de rente développée par Smith, sauf quepour lui c’est l’accroissement de la demande consécutive à l’accroissement de la population

139 SMITH A., Recherche sur les causes et la nature de la richesse des nations, Paris, Economica, DL 2000, p 140140 RICARDO D., Principes de l’économie politique et de l’impôt, Paris, Flammarion, 1977, p 552141 Ibid., p. 51

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qui entraîne la hausse des prix qui fixe le prix ordinaire. Les lois naturelles entraînent doncla hausse des prix, donc du salaire et de la rente ce qui cause la diminution du profit, lapresque totalité du surproduit va donc au rentier et on aboutit alors à un état stationnaire ducapitalisme. Afin de supprimer la rente foncière, il préconise la nationalisation des sols.

Dans Le Capital, Karl Marx142 va poursuivre cette réflexion sur la rente en se plaçantdans la lignée de Ricardo. Le travail humain étant le seul producteur de valeur, lesurproduit provient d’un surtravail, c’est à dire d’un travail supérieur à celui que nécessitela reconduction des moyens de production engagés. La rémunération de l’accès à la terreet à la monnaie est particulière car ce ne sont pas des ressources reproductibles. En ce quiconcerne la terre, elle existe en quantité limitée, de qualité inégale et en tant que propriétéprivée d’une minorité de propriétaires fonciers. La rente foncière est donc un excédentsur le profit moyen dans l’agriculture. Elle regroupe plusieurs rentes différentielles dont lapremière est due à son caractère limité identifié par Ricardo qui fait que le prix du marchéest imposé à partir du sol le plus mauvais. Une seconde rente différentielle est due auxinvestissements successifs incorporés au sol qui deviennent la propriété du rentier, cetterente est différentielle car les capitaux investis n’ont pas la même rentabilité selon les sols.Les plus mauvais sols peuvent également dégagés une rente absolue si le profit moyenagricole est supérieur au profit moyen industriel. Enfin une rente de monopole peut êtredégagée pour les terres permettant un produit rare (vignoble, mais également pour le sous-sol l’or, le pétrole…). La rente s’oppose donc bien aux salaires et au profit mais elle découlede la propriété des sols et de leurs inégalités, s’accroissant avec la concentration du capitalet non en fonction de la fluctuation des prix. La rente pouvant être capitalisée, on peutconsidérer que la rente est l’intérêt du prix de la terre. Ce prix ne découlant pas du travail,il est irrationnel et n’est pas une valeur. La terre n’est donc qu’un type de capital, et le prixdu sol à tendance à s’accroitre (prix du sol = rente / taux d’intérêt) avec le temps puisquele taux d’intérêt diminue avec le taux de profit tandis que la rente à tendance à s’accroître.La rente accélère donc la baisse tendancielle du taux de profit et s’oppose aux intérêts dureste de la société.

A la fin du XIX° siècle, Alfred Marshall détermine que la terre n’est pas la seuleressource aboutissant à l’existence de rente. Il considère la rente comme la rémunération detoutes les ressources qui ne peuvent être accrues, à court ou moyen termes. On peut doncconsidérer des quasi-rentes qui comprennent tous les revenus des firmes supérieurs auxrevenus de la firme marginale. Ces quasi-rentes découlent de l’impossibilité d’un équilibrecomplet du marché due à un blocage de la concurrence. Les quasi-rentes reviennent àl’entreprise qui bénéficie d’un avantage stratégique sur le marché, il ne s’agit donc pasd’une rente foncière mais de ce que Marshall appelle le surplus des producteurs, cequi serait considéré par Marx comme un surprofit. Cependant ce surprofit provient d’uncoût de production plus faible que la firme marginale ou d’un prix supérieur, dû a undysfonctionnement du marché. Les entrepreneurs cherchent donc fortement à acquérirces quasi-rentes, un des moyens privilégiés d’y accéder étant de profiter de la capacitéd’intervention de l’État. Ces entrepreneurs devenus « chasseurs de rentes » cherchentdonc à établir des stratégies d’accès aux décideurs de l’État afin d’obtenir des positionsprivilégiées. Plus la réglementation administrative du marché est forte, plus les chasseurs derente doivent augmenter leurs capacités d’influence sur les décideurs, plus les quasi-rentesseront elles-mêmes élevées et plus les agents de l’État seront réceptifs aux sollicitationsdes chasseurs de rente. La recherche des quasi-rentes a un coût qui est déduit del’investissement.

142 MARX K., Le Capital : critique de l'économie politique, Paris, Ed. sociales,1977, Livre III §6

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On distingue aujourd’hui plusieurs types de rentes : les rentes foncières qui dépendentà la fois du pouvoir économique de la propriété privé du sol et de la fertilité différente de cessols ; les rentes pétrolières dont le niveau dépend de la différence entre prix de valorisation etcoût de production ; les rentes de monopole qui correspondent aux quasi-rentes de Marshallet les rentes de placement qui correspondent à la rémunération du placement de capitauxen détournant une partie des profits. On a vu que pour tous les grands théoriciens de larente, celle-ci s’oppose au profit auquel elle est inversement proportionnelle. Les rentess’opposent également aux salaires puisqu’elles créent une rareté arbitraire et donc unehausse des prix qui affaiblissent les salaires réels et diminue la propension à l’épargne. Lessalariés cherchent à compenser cette diminution du salaire réel par une hausse du salairenominal qui entraîne une baisse du profit, tandis que la diminution de l’épargne nationalerenchérit l’investissement ce qui a des répercussions sur l’emploi et les salaires. Observonsmaintenant les aspects rentiers de l’économie algérienne.

2. La rente domine l’économie algérienne

L’économie administrée génératrice de rentes spéculatives

Smaïl Goumeziane identifie un nouveau type de rente qu’il nomme rente spéculative143.Les rentes spéculatives s’apparentent aux rentes de monopole car elles s’appuient surun déséquilibre entre l’offre et la demande. Elles ont pour particularité d’être créées parle pouvoir d’un monopole administratif plutôt qu’économique ou naturel. Il identifie doncles rentes spéculatives comme l’attribut de l’État-rentier. Il s’agit de quasi-rentes telles queMarshall les définit, fondées exclusivement sur un déséquilibre créé certaines politiques del’Etat . En économie administrée, les rentes spéculatives sont caractérisées par la mise enplace d’un marché officiel dont les prix sont fixés administrativement et d’un marché parallèleoù les prix sont fixés en fonction de l’offre et de la demande réelle.

En utilisant les travaux de János Kornaï sur la gestion pénurique, il explique lamise en place d’une économie structurellement rentière en Algérie. János Kornaï, en sebasant sur l’observation des économies soviétiques établit que l’économie « socialiste »planifiée et administrée mise en œuvre aboutit mécaniquement à la pénurie. Ce phénomèneest dû au fait que le principal facteur contraignant est alors constitué par les inputs etnon par la demande (dont l’entreprise capitaliste ne tient pas compte) ni par le budget(l’État « paternaliste » se chargeant de combler les déficits). Dans ce type d’économie,il y a une pénurie de ressources (les entreprises produisant tant qu’elles le peuvent etconstituant des stocks plus importants que nécessaires qui demeurent gelés), de maind’œuvre (les entreprises constituant des réserves, quitte à ce que celles-ci ne soit pasproductives), d’investissements (la demande d’investissements est quasi-infinie puisque laproduction n’est pas limitée par la demande en biens produits) et de biens (le faible pouvoird’achat limitant la consommation des ménages aux biens vendus à prix « administré »gratuit ou quasi-gratuit dont l’offre est insuffisante et donc subordonnée à des titres etconditions d’accès édictés par l’administration). Le marché administré ne pouvant satisfairela demande en biens de consommation, l’État tolère un marché parallèle144.

Ce modèle semble pouvoir correspondre à l’Algérie des années 70 et 80 telle quenous l’avons observée dans notre première partie. Le secteur de l’industrie a englouti les

143 GOUMEZIANE S., Le Mal algérien, op. cit., p. 162144 KORNAI J., Economics of shortage, New York, North-Holland Pub. Co., 1980

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investissements et une grande partie des importations, sans parvenir à dégager des profitsni à améliorer la productivité du travail et du capital. Cependant un autre aspect majeurde l’économie administrée est d’avoir permis la mise en place de rentes spéculatives quiont encore réduit les salaires et les profits. La création de ces rentes spéculatives et leurappropriation peuvent ensuite être schématisées en 4 étapes selon S. Goumeziane :

1. Mettre en place un déséquilibre permanent entre l’offre et la demande (ce qui a étéfait en Algérie via le gèle des prix et l’augmentation des revenus issus de la rente pétrolière) ;2. Les produits offerts en quantité limitée sont acquis à prix planifié (par la détention depasse-droit administratif ou en faisant la queue devant les magasins d’État, la captationde ces rentes est donc possible dans une faible mesure à toute personne disposant detemps) ; 3. Les produits achetés au prix administré sont revendus sur le marché parallèleà des prix plus rémunérateurs permettant de dégager un surprofit qui est l’essence de larente spéculative ; 4. Cette rente est en grande partie accaparée par une élite « mercantilo-administrativo-spéculative » qui en fait un usage somptuaire ou la transforme en un nouveauplacement spéculatif (la réinjection dans l’économie officielle sous forme d’investissementest impossible puisque la rente spéculative n’a pas d’existence légale, sauf à recourir aublanchiment)145. En Algérie, ces rentes spéculatives progressent de 5 milliards de DA à 116milliards entre 1974 et 1988 selon les estimations de Goumeziane, soit une progressionbien plus importante que celle des salaires et des profits. Ces rentes spéculatives auraientselon lui alimenté les fuites de capitaux hors d’Algérie pour près de 15 milliards d’euros entrente ans.

Le droit d’entrée sur un marché ou le droit d’accès à des produits et services acquittésen situation de monopole administratif a un nom, il s’agit de corruption. Selon Alain Cotta« corrompre implique que l’on crée pour soi-même un marché jusque-là interdit, illégal146 ».La corruption est donc un abus de confiance de l’agent corrompu à l’égard de l’État etde l’ensemble de la collectivité. Les rentes spéculatives sont donc nuisibles sur plusieurspoints. Tout d’abord elles renchérissent le prix des produits vendus sur le marché parallèle etréduisent donc le salaire réel. Ensuite elles alimentent le marché parallèle qui concurrencele marché officiel, ôtant à ce dernier une grande partie de ses capacités à devenir rentable.Enfin, elles instaurent la corruption à tous les niveaux de l’État, du simple douanier quilaisse passer des marchandises de contrebande au ministre qui négocie l’octroi d’un marchépublique. En effet, la faiblesse des revenus des ménages pousse un certain nombred’Algériens à rechercher des rentes spéculatives afin de compléter leurs revenus. Les rentesspéculatives étant des rentes frauduleuses, elles sont donc retranchées des salaires et desprofits comme toute rente mais elles ne sont pas réinjectées dans l’économie nationale.

On peut noter que Transparency International classe en 2007 l’Algérie au 99ème rangde son classement (ex-æquo avec cinq autre pays) sur 179 pays classés avec un indice detrois sur une échelle de dix147 ce qui constitue une détérioration par rapport à l’année 2006.D’autre part le marché informel continue à progresser. Si la corruption et le marché parallèlesont les marqueurs des rentes spéculatives en marché administré, on peut se demanderpourquoi ceux-ci continuent à progresser alors que les prix ne sont plus fixés par l’État, quele monopole public a été aboli et que le commerce extérieur a été libéralisé. Il s’agit doncd’étudier la situation de la rente dans l’économie algérienne actuelle.

145 GOUMEZIANE S., Le pouvoir des rentiers, op. cit., p. 108146 COTTA A., L’Ivresse et la Paresse, Paris, Fayard, 1998, p 365147 Site Internet de Tansparency International, http://www.transparency.org/news_room/in_focus/2007/cpi2007/

cpi_2007_table [ consulté le 10 août 2009]

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Les réformes ne mettent pas fin à l’économie rentièreLes réformes n’ont pas freiné le développement du secteur informel. Elles n’ont fait querecomposer les secteurs en permettant la génération de rentes spéculatives. On peutmême dire que dans certains cas, les réformes ont créé de nouvelles opportunités derentes. La vente du patrimoine de l’État a en effet été un facteur déterminant dans ledéveloppement du secteur informel. Prenons le cas de l’immobilier : l’incapacité de l’Étatà gérer son patrimoine (recouvrement des loyers, entretien) l’a contraint à céder sonpatrimoine à très bas prix en raison de sa détérioration. Les biens acquis ont ensuite puêtre revendus jusqu’à 10 fois leur prix d’achat sur le marché parallèle. La demande enlogement étant particulièrement importante (1,2 millions de logements manquant en 2004),les logements sociaux construits par l’État sont très convoités. L’attribution de ces logementsétant effectuée par l’administration, on assiste au phénomène caractéristique observé plushaut : corruption/achat à prix favorisé/ revente sur le marché parallèle dégageant une rentespéculative. On peut retrouver des situations analogues concernant la privatisation desentreprises publiques. On rappelle par exemple le cas des entreprises cédées à leursemployés sans que ceux-ci n’obtiennent de justificatif de la transaction ce qui leur interdittoute activité à moins que celle-ci soit informelle. Enfin, concernant le rachat d’entreprisespubliques, il convient de s’interroger sur la nature des acheteurs. Les repreneurs desentreprises publiques disposent nécessairement d’un capital. Or, soit ils ont constitué cecapital par eux-mêmes, soit ils l’ont emprunté. S’ils l’ont emprunté c’est qu’ils ont bénéficiéd’un prêt d’une banque publique (puisqu’elles détiennent une écrasante majorité des fonds)et donc qu’ils font partie des clients de l’État ou qu’ils ont corrompu un agent de la banquepublique puisque c’est pratiquement le seul moyen d’obtenir un crédit. S’ils ont constituéce capital par eux-mêmes, soit ils l’ont fait avec l’appui de l’État, soit ils l’ont constituédans le secteur informel ; dans les deux cas ce capital est issu de rentes spéculativespuisque l’Algérie ne produisait pratiquement pas de richesses dans la période d’économieadministrée et que leur accumulation était suspecte. Les entreprises publiques n’ont donc puêtre rachetées que par des rentiers, des clients de l’État ou des entreprises étrangères (quirestent marginales en termes de privatisation). Il en découle que les détenteurs des moyensde production en Algérie demeurent des rentiers dont l’objectif a toujours été la captationde rentes spéculatives. La privatisation n’a pas permis une réallocation des ressources.

La question qui se pose alors concerne les causes de la prospérité du marché parallèle.Lorsque les prix sont fixés, que le secteur public a le monopole de l’offre officielle et quel’offre est inférieure à la demande, on a vu que le secteur informel permet de dégager desrentes spéculatives. Mais si chacun est libre de s’établir, que la demande est forte et queles prix sont fixés par le marché, quel est l’intérêt de demeurer dans le secteur informelet quelle rente spéculative peut-on bien y trouver ? L’avantage universel et évident est dese soustraire à la fiscalité, ce qui n’est de toute façon pas très difficile étant donné lesnombreux dysfonctionnements de l’administration fiscale algérienne qui voit ses capacitésde recouvrement diminuer. Plus encore, le Ministère du Commerce a identifié 75 zonescommerciales informelles, ces zones sont donc connues et tolérées. Demeurer dans lesecteur informel ne présente donc pas de gros risques vis-à-vis de l’État. Quels sont lesavantages à demeurer dans le secteur officiel ? Dans une économie de marché classique,cela permet de bénéficier de la garantie de l’état de droit, de bénéficier des services publics,d’accéder au crédit des banques officielles, au marché du change et de nouer des relationsavec tous les acteurs du secteur officiel d’une façon générale. Qu’en est-il en Algérie ?

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En ce qui concerne le secteur financier, on peut constater que les marchéshypothécaires et obligataires sont pratiquement inexistants. Le marché des changes n’estqu’un espace virtuel, la parité du dinar étant fixée par la Banque d’Algérie au gré desimpératifs économiques et politiques. Il est notable que la parité dinar/dollar se soit dégradéede 1997 à aujourd’hui, alors que la situation économique en Algérie s’est sensiblementaméliorée. Cette fixation administrative de la parité du dinar encourage un marché dechange informel. En ce qui concerne le marché du crédit, si les prêts au secteur privéont augmenté, il n’en demeure pas moins que leur attribution par les banques publiquesest souvent arbitraire. D’une façon générale, les banques ne sont pas très efficaceset demandent pour la moindre opération des délais qui se révèlent intenables pour lesentreprises. En ce qui concerne les services publics, on se reportera à ce que nous avonsvu plus haut sur les coupures d’électricité pour en estimer la fiabilité. Il en va de même pourle téléphone, le raccordement à l’eau… L’offre foncière officielle est bien trop faible poursatisfaire la demande. Enfin la notion d’état de droit est plus que discutable dans un paysoù l’État ne dissout pas les entreprises publiques en faillite ce qui est en contradiction avecle Code du Commerce et où la corruption est particulièrement présente.

Si les avantages du secteur officiel sont faibles et que le coût d’entrée vers le secteurinformel semble peu élevé, quels sont les avantages offerts par le secteur informel ? Etbien tout simplement de bénéficier de tous les services fournis par un secteur qui pèse40% du PIB sans être soumis à la fiscalité et aux procédures bureaucratiques. Le tauxd’imposition total pouvant atteindre plus de 74% selon le rapport Doing Business 2009148,cela représente un gain substantiel. Les revenus du secteur informel pouvant difficilementêtre réinjectés dans l’économie officielle, ils constituent une source de crédit pour le secteurinformel. Le marché des changes parallèle est particulièrement développé et l’opérationmenée par la douane espagnole qui a démantelé un réseau de transfert illégal de devisesayant fait passer plus de 900 millions d’euros en Espagne en deux ans149 peut donner unaperçu du volume global de cette activité. Cette affaire illustre également la corruption desdouanes algériennes, un trafic à cette échelle étant pratiquement impossible à dissimuler.L’activité « trabendiste » se développe malgré la libéralisation du commerce extérieure carles procédures restent lourdes et coûteuses dans le secteur officiel, les nouvelles réformesvont d’ailleurs contribuer à les rendre encore plus lourdes et plus coûteuses. C’est le secondavantage du secteur informel après le contournement de la fiscalité : il ne se soumet pas auxprocédures administratives qui peuvent aller jusqu’à empêcher la création d’une entrepriseou la retarder sur plusieurs années. Plus souple, plus rentable, bénéficiant de services aumoins aussi performants que ceux du secteur officiel, le secteur informel devient de plus enplus attractif et son poids est donc logiquement en augmentation. Comme il concurrence lesecteur officiel de façon déloyale, le secteur officiel s’affaiblit de plus en plus, l’offre officiellediminue, les rentes spéculatives du marché informel grandissent et le secteur informeldevient d’autant plus attractif.

On est donc passé d’un système dégageant des rentes spéculatives où les biensétaient produits ou importés par le secteur officiel puis revendu sur le marché informelà un autre système rentier où les biens sont directement produits ou importés par lesecteur informel. Il faut bien noter que le contrôle de ces rentes spéculatives appartienttoujours à l’administration puisque c’est elle qui détermine la fiscalité, le régime douanier,la procédure de création d’une entreprise, la politique de change et surtout la tolérance

148 Site Internet de Doing Business, http://francais.doingbusiness.org/ExploreEconomies/?economyid=4 [consulté le 10août 2009]

149 TLEMCANI S., « Alger et Oran, villes privilégiées des passeurs de devises », El Watan, 11 août 2009

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du secteur informel. Cette bienveillance trouve évidemment une rémunération, ce quipermet la reconduction de l’élite « mercantilo-administrativo-spéculative » dont parleSmaïl Goumeziane. Même si l’État se déleste en partie de la production, d’autresleviers tels le contrôle de la fiscalité, du commerce extérieur ou de la finance s’avèrentsuffisant pour assurer la pérennité du système rentier. L’économie administrée n’est doncpas le fondement du caractère rentier de l’économie algérienne. Il faut chercher plusprofondément, dans la nature de l’État en tant que groupe régulateur de l’économie dont larationalité n’est pas fondée sur la dynamique du profit et de l’accumulation.

3. La forme néo-patrimoniale de l’État repose sur la rente pétrolière

La forme néo-patrimoniale de l’État révèle la rationalité de l’économieIl convient d’expliquer pourquoi l’État permet et favorise une économie rentière. M. Weberestime qu’ « on ne saurait se livrer à des études économiques sans tenir compte del’existence ou de la non-existence de groupements – politiques ou non – se proposantla réglementation matérielle de l’économie, ainsi que du sens profond de leur activitérégulatrice150 ». Alors que dans les économies modernes le groupement régulateur est laconcurrence dont la rationalité est la recherche du profit et son accumulation, nous pensonsavec L. Addi que la rationalité du groupement régulateur en Algérie est politique151. Pourdes raisons socio-historique que nous n’avons pas le temps de développer ici, l’espacepublique est particulièrement faible dans les pays du Tiers-Monde. La lutte anticolonialepense le corps social comme un ensemble uni et soudé qui n’aurait pas besoin de droitpuisque les intérêts convergeraient tous dans l’idéal national, la population formant unegrande famille. L. Addi en conclu que « cette conception de la justice renvoie à la naturedes relations sociales fondées sur l’éthico-religieux et non sur le politico-juridique. […] Dèsqu’une affaire traitée par une Cour quelconque prend une tournure politico-juridique, lesintérêts des masses populaires sont invoqués pour ne pas déclencher la dialectique du droitsusceptible de happer l’Administration.152 » Le populisme aboutit à une gestion domestique,donc privée, des affaires du pays, alors que le discours de l’État prétend que tout est public.Cette confusion du privé et du public trouve sa source dans la forme néo-patrimoniale del’État.

Le néo-patrimonialisme conceptualisé par S.M. Eisenstadt153 est un système où lecentre politique est « privatisé » c’est à dire considéré comme un patrimoine privé parun groupe qui se fixe un objectif de modernisation. Ce néo-patrimonialisme est perçupar Eisenstadt comme une « étape historique » nécessaire dans la formation de l’État-Nation permettant de briser les allégeances tribales et régionales préexistantes154. Lesenrichissements de JF. Médard précise les caractéristiques de l’État néo-patrimonial en luidonnant pour corolaire : d’une part, des rapports publics particularistes et personnalisés ;d’autre part, des rapports publics « patrimonialisés », c’est à dire que les affaires publiquessont gérées dans une finalité privée, la politique et l’administration devenant une source

150 WEBER M., Economie et Société, Paris, Plon, 1971, p. 118151 ADDI L., « Forme néo-patrimoniale de l’État et secteur public en Algérie », op. cit., p 2 de l’article152 Ibid. , p 7 de l’article

153 Eisenstadt, Shmuel N., Traditional Patrimonialism and Modern Neopatrimonialism, Beverly Hills: Sage Publications, 1973154 TALAHITE F., « Economie administrée, corruption et engrenage de la violence en Algérie », op. cit., p. 49-74

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d’avantages économiques155. Enfin B. Badie ajoute deux autres caractéristiques à l’Étatnéo-patrimonial : « La forte accumulation de capital du pouvoir politique contrastant avecla faiblesse du pouvoir économique endogène ; la manipulation de ce pouvoir par lesélites qui en sont détentrices156 ». Pour résumer, le pouvoir politique est privatisé par ungroupe qui gère les affaires publiques dans une finalité privée et le pouvoir économiqueest également manipulé par ces élites. L’État néo-patrimonial est donc la conséquencelogique du populisme postcolonial puisque celui-ci « suppose que l'unité de la collectivitépolitique est une donnée structurelle puisqu'il n'existe pas de conflits, à l'exception desconflits provoqués par les alliés locaux des intérêts étrangers qui agissent par cupidité etégoïsme. Il n'y a donc pas besoin de redistribuer le pouvoir dans la collectivité. Au contraireil faudrait concentrer et centraliser tous les pouvoirs entre les mains des représentants detout le peuple : pour renforcer la cohésion du peuple157 ». Cette forme d’État étant fondé surla pacification et l’unification du corps social, dès lors, le syndicat ou l’économie productivene peuvent y trouver place puisqu’ils sont générateurs de conflits. Ceci explique le mode degestion de l’Industrie publique en Algérie et la faiblesse de son rendement. L’État dans saforme néo-patrimoniale ne peut donc mettre en place qu’une économie distributive baséesur une ressource externe à la production, c’est à dire la rente pétrolière.

La question est de savoir si l’État conserve cette forme néo-patrimoniale aprèsl’abandon du monopole public, la mise en place du multipartisme et une guerre civilequi a fait plusieurs centaines de milliers de morts. Concernant le multipartisme, le coupd’État de l’armée en 1992 démontre assez bien que son instauration ne visait pas àune démocratisation du régime. Il suffit de regarder la campagne des présidentielles de2009 pour comprendre que les élections n’ont pas pour vocation de choisir un programmepolitique. Concernant la guerre civile, l’État a justement tenu un discours de réconciliationvisant à restaurer l’unité du corps social et le spectre de la décennie noire peut avoir uneffet pacificateur plutôt que de faire voler en éclat le fondement de l’État néo-patrimonial. Onvoit d’ailleurs réapparaitre à partir de 2008 un discours très nationaliste dans le domaine del’économie qui aboutit aux mesures protectionnistes que nous avons étudiées. Concernantl’abandon du monopole public et la mise en place d’une économie privée productive doncgénératrice de conflits, on a vu d’une part que l’État conserve le contrôle des goulotsd’étranglement que sont la finance, le commerce extérieur et la fiscalité ce qui lui permetde maintenir les rentes spéculatives. D’autre part, la rente pétrolière demeure la ressourceprincipale du pays. La rente reste l’essence de l’économie algérienne et la production estminoritaire. Le pouvoir politique demeure privatisé par un groupe qui continue également àmanipuler le pouvoir économique. La forme de l’État est donc maintenue et celui-ci imposesa rationalité en tant que groupe régulateur qui est l’unification du corps social au moyende la distribution de rentes permettant à l’élite au pouvoir de se maintenir. Et pourtant, lemultipartisme s’il n’a pas amené la compétition électorale a toutefois permis l’émergencede groupements politiques qui parviennent parfois à s’exprimer ; des syndicats autonomesont vu le jour dans la fonction publique et ont mené certaines luttes sociales ; l’émergencedu secteur privé et particulièrement des PME-PMI a fait apparaître de nouvelles élites ;pour le moment l’État néo-patrimonial parvient à capter la majeure partie de ces nouvelles

155 MEDARD, Jean-François, « L’État néo-patrimonial en Afrique noire », dans Médard, Jean-François, États d’Afrique noire,Formation, mécanismes et crise, Paris, Karthala, 1991, 323-353

156 BADIE B., « Formes et transformation des communautés politiques », in GRAWITZ M. et LECA Traité de sciences politiques,Paris, PUF, 1985, p. 651

157 ADDI L., « Populisme, néo-patrimonialisme et démocratie en Algérie », In R. Gallisot, Populismes du Tiers Monde,l'Harmattan, 1997

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forces dans sa clientèle tout comme il a capté les islamistes du FIS, mais il pourrait êtresérieusement remis en question si celles-ci parvenaient à s’autonomiser. Cela dépendprincipalement de la rente pétrolière et de la capacité de l’État à la redistribuer.

La rente pétrolière est le socle de l’économie distributive en AlgérieLa rente pétrolière devait permettre à l’Algérie de pallier au problème majeur pour touteéconomie en développement qu’est le manque de capitaux en l’absence d’épargneconséquente. Le secteur agricole qui était exportateur en 1960 a reçu pour mission d’assurerl’autosuffisance alimentaire du pays et c’est donc le pétrole qui a fourni le surplus nécessaireau développement. L’objectif au début des années 1970 est de transformer la rentepétrolière en profit en l’investissant dans des activités qui en génèrent jusqu’à ce que celles-ci deviennent autonomes et s’autofinancent. Comme on l’a vu, c’est l’industrie qui a reçula plus grande partie des investissements, sans générer de profit pour autant. La rentepétrolière a même servi de garantie nourrissant l’endettement international. A la fin desannées 1980, la rente pétrolière n’a plus pour fonction de soutenir la contrainte de l’absenced’épargne intérieure mais de payer le service de la dette extérieure. L’échec de ce modèlede développement tient au fait que le financement ne s’articulait pas avec la production, l’unet l’autre ne s’alimentant pas mutuellement. Keynes a démontré que pour que le processusde croissance s’auto entretienne, il faut que l’épargne soit disponible pour l’investissementet que l’investissement soit rentable. Or la rentabilité de l’investissement n’a pas été unobjectif en Algérie. Il n’est pas possible que les industries intègrent l’impératif de rentabilitétant que l’État comble systématiquement leurs déficits. La question du financement devientextérieure à l’entreprise publique ainsi que l’objectif de rentabilité. Il est bien évident quel’absence prolongée de rentabilité des entreprises publiques aurait été impossible sans larente pétrolière, tout simplement parce que celles-ci auraient dû fermer si elles n’avaientpas modifié leurs pratiques. D’autre part, on a vu que les investissements dans l’industrieétaient fréquemment surfacturés, de faible rentabilité ou d’une utilité discutable. Il faut bienconsidérer que le choix du prestataire de service, du maître d’œuvre ou du fournisseur apu être déterminé par la « commission » que celui-ci a bien voulu abandonner à l’agentqui effectuait ce choix. Il est évident que le fournisseur s’est ensuite payé sur la factureprésentée à l’État. Une grande partie des investissements donc de la rente pétrolière a ainsiété redistribuée sous la forme de rentes spéculatives.

La rente étant privatisée par l’État, elle assure à celui-ci l’autonomie vis-à-vis de laproduction nationale. Lorsque l’État ne dispose pas de rente, la taxation des richessescréées sur le territoire constitue l’essentiel du budget de l’État. Grâce aux revenus de larente, l’État dispose de ressources indépendantes de la production, donc des travailleurs etdu capital. Il n’est donc pas nécessaire que la société produise des richesses pour qu’il semaintienne. D’autre part, l’État peut distribuer la rente pétrolière afin d’obtenir l’allégeancede la population. On a donc un renversement de la relation contribuables � État vers unerelation État � clients. Il en découle que la fonction de l’État-rentier n’est pas la régulationde la production de richesses et leur redistribution mais la distribution de la rente. On peutmême dire que plus la production nationale est faible, plus le monopole de l’État sur larichesse est fort. La rente n’est donc pas un instrument de performance économique maisde consolidation du régime permettant la constitution de réseaux clientélistes au sein del’alliance politique de la bourgeoisie rentière. La rente pétrolière est distribuée sous forme desalaires politiques aux employés du secteur public et ne correspond pas à la rémunérationd’une force de travail ni a un pouvoir d’achat comme nous l’avons vu. Le partage de larente pétrolière au sein de la population permet la conservation des rentes spéculatives,

Partie II : La Nouvelle Stratégie Industrielle, un échec prévisible

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plus rémunératrices, par un groupe plus réduit. Les règles de la distribution sont informelleset discrétionnaires, la fontion officielle de l’État étant de garantir la cohésion nationale il n’apas de compte à rendre sur sa gestion des ressources. Lorsque l’État ne peut plus remplirsa fonction distributive grâce à la rente comme ce fut le cas après 1986, il s’endette afinde maintenir son statut de patron. Lorsque l’endettement devient trop important, le pactesocial est immédiatement rompu puisqu’il ne repose que sur la distribution de la rente. Ladécennie noire découle du fait que le régime a choisi de se maintenir par les armes alorsqu’il ne pouvait plus remplir sa fonction distributive.

Aujourd’hui, le partage de la rente pétrolière est affaibli puisque la part de l’emploi publica diminué et que l’État a fait le choix de la thésaurisation. Les conditions de vie se dégradenten comparaison des années 1980 sur le plan économique tout en s’améliorant sur le plande la sécurité en comparaison des années 1990 ce qui permet au régime de se maintenirbien qu’il assure moins sa fonction distributive auprès de la population. Cela se traduitpar une augmentation de l’agitation sociale et par la montée de syndicats indépendantsdans la fonction publique auquel l’État a répondu par la distribution de logement sociaux(en nombre insuffisant pour répondre à une demande majoritairement insolvable suite àla dégradation du pouvoir d’achat des cadres). En revanche, les investissements dansles infrastructures permettent de conserver une clientèle politique, les nombreux marchéspublics et les privatisations étant autant d’occasions de créer des rentes spéculatives. Laréélection du Président Bouteflika avec l’annonce de près de 75% de participation montrebien que le régime arrive encore à mobiliser une clientèle qui couvre les principales forcespolitiques du pays. La constitution d’importantes réserves de devises peut être perçuecomme la tentative de transformer la rente pétrolière en revenus financiers. Cependant lacrise financière actuelle remet sérieusement en question la pérennité de cette option. Lefond souverain norvégien qui est considéré comme un investisseur particulièrement prudenta perdu 20 milliards d’euros dans la crise158, le CIC chinois annonce avoir perdu plus de 6milliards de dollars en 2008159, les pertes du GIC de Singapour en 2008 sont estimée à 33milliards de dollars, qu’en est-il des 43 milliards de dollars que l’Algérie a placés aux États-Unis ? Le tiers de cette somme a été placée en Bons du Trésor américains et ne rapporterien voire se déprécie compte tenu de l’inflation et du taux d’intérêt. D’autre part le Ministredes Finances avait annoncé en 2007 qu’une partie (indéterminée) des réserves de changeavait été placée dans des institutions classées AAA160. Ces institutions ayant également ététouchées par la crise, il est difficile d’estimer combien l’Algérie a perdu de ses réserves dechange. Le revirement protectionniste de l’Algérie peut provenir d’une perte importante deces réserves, l’État ne voulant pas courir le risque de diminuer de façon trop importantel’excédent de balance commerciale dégagé par la rente pétrolière, celui-ci constituant saseule ressource.

En conclusion de cette seconde partie, on peut constater la permanence de la naturerentière de l’économie algérienne et donc de la faible importance accordée par l’État àl’économie productive. Le projet de NSI illustre parfaitement la rupture entre un discourspolitique volontariste et l’atonie des réformes effectives. La diversification des exportationsgrâce à l’émergence d’un secteur productif apparaît comme un enjeu important si l’onse réfère aux recommandations du FMI, aux analyses des économistes algériens ouaux déclarations des membres du Gouvernement. Pourtant, le projet de NSI qui devait

158 VIGNAUD M., « Crise financière : le fonds souverain norvégien perd 20 milliards d'euros », Le Point, 23 mai 2008159 Site Internet de la Tribune « Déboires financiers pour le fond souverain chinois », http://www.latribune.fr/actualites/

economie/international/20090807trib000408322/deboires-financiers-pour-le-fonds-souverain-chinois.html [consulté le 7 août 2009]160 MEBTOUL A., « Du projet Bush de 700 milliards de dollars », Le Maghreb, 5 octobre 2008.

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déterminer la politique industrielle des 15 prochaines années a été laissé de coté puisabandonné après deux ans de stagnation dans le processus d’élaboration et de mise enœuvre.

On peut supposer que le coup d’arrêt porter à la NSI a été initié par l’armée dontOuyahia n’aurait fait que relayer les consignes. La plupart des revirements brutaux dans lapolitique algérienne s’expliquent par l’implications des militaires dans la prise de décisionpolitique, l’armée étant le seul corps qui peut réellement imposer ses vues en Algérie. Ilest probable que les généraux n’ait pas jugés que les investissements de l’Etat dans lesecteur industriel puissent servir leurs intérêts. D’une part parce qu’ils ne considèrent pasque ce secteur puisse devenir rentable. Mais également parce que d’autres utilisations dela rente pétrolière tel que le placement financier assurent des revenus à court terme. Sansle soutient de l’Armée il est bien évidemment illusoire de tenter de bâtir un consensus ausein du Gouvernement sur la mise en œuvre de la NSI. On peut donc conclure sur unecontinuité du rôle primordial de l’Armée dans la politique algérienne qui n’a pas été altéréepar les réformes des années 90.

Les critiques adressées à la NSI démontrent également l’émergence d’un débat quidivise les acteurs de la sphère économique sur la place que doit occuper l’État dans ledéveloppement économique et social. Ce débat s’insinue au sein-même du Gouvernement,l’absence de consensus et de concertation concernant le projet de NSI étant une descauses de son échec. Les deux questions les plus problématiques semble donc être ledegré d’interventionnisme de l’État et la relation avec les partenaires étrangers. Il apparaîtque les deux questions sont liées, les partenaires étrangers s’opposant à l’accroissementde l’interventionnisme étatique au nom du principe de libre concurrence, comme on peutl’observer dans le conflit qui oppose l’État algérien et l’Union Européenne actuellement.Ce conflit permet à l’État de remobiliser un discours nationaliste à travers le concept depatriotisme économique.

Dans ce contexte, il semble que le modèle d’un État néo-patrimonial redistribuant larente pétrolière et générant des rentes spéculatives reste pertinent malgré les réformesengagées au cours des 20 dernières années. Cependant ce modèle ayant failli audéveloppement économique et social et au maintient de la paix civile lors de la décennienoire - c’est à dire aux deux fonctions principales que se fixe l’État néo-patrimonial selonEisenstadt -, ont peut s’interroger sur les sources de sa légitimité. La principale sourcede légitimité de l’État est sa capacité distributive qui permet de maintenir des relationsclientélistes. La stabilité du modèle politico-économique repose d’une part sur la rentepétrolière et d’autre part sur la capacité de l’État à générer des situations de rentesspéculatives dont il fait bénéficier ses clients, donc à conserver le contrôle administratif decertains pôles stratégiques de l’économie nationale en vue d’un usage personnalisé.

Conclusion générale

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Conclusion générale

L’étude du secteur industriel nous a permis de mieux cerner les interactions entrel’État et l’appareil de production algérien et de révéler les causes principales de l’échec dudéveloppement algérien. L’industrie algérienne se caractérise par une faible productivité ducapital et du travail et par un manque d’intégration qui explique le déficit du secteur. Cesfaiblesses découlent de la nature rentière de l’économie algérienne qui est nécessaire aumaintient du régime et qui s’oppose à une économie productive.

On observe en effet une continuité de la domination du champ politique sur l’économietout au long de la période étudiée. La mise en place d’une économie administrée ne suffitdonc pas à expliquer la faiblesse du secteur productif en Algérie. On ne peut pas nonplus parler d’échec de l’économie socialiste puisque la sphère publique a été privatiséepar un groupe restreint servant ses intérêts particuliers. On ne peut pas enfin juger lemodèle des industries « industrialisantes » qui suppose un secteur public réel, c’est à diremotivé par l’intérêt collectif en premier lieu mais également rentable. C’est dans l’articulationpersistante de la forme néo-patrimoniale de l’État et de la nature rentière de l’économiequ’il faut chercher les causes de l’échec du développement algérien. Les réformes misesen place à partir de 1986 n’ont pas modifié la répartition des richesses ni permis la mise enplace d’une économie de production car elles n’ont remis en cause ni l’État distributeur derentes ni la privatisation de celui-ci par un groupe restreint.

Une économie productive ne peut désormais se mettre en place que par la diminutiondes rentes spéculatives et du secteur informel. Cette évolution n’est possible que si lesecteur officiel obtient les moyens de se développer et de s’autonomiser ce qui requiert lamise en place d’un marché du crédit, du change, des valeurs mobilières, du foncier… et detous les fondamentaux d’une économie de marché. Un des éléments déterminants de cetteautonomie est, selon J. Habermas, la mise en place de lois de l’État et du marché qui « nefont aucune exception parmi les citoyens et les personnes privées [qui] sont objectives, c’està dire que des individus ne peuvent les manœuvrer dans leur propre intérêt161 ». Cet élémentimplique une remise en question de la forme néo-patrimoniale de l’État qui se caractérisepar le clientélisme et la privatisation de la puissance publique afin de servir des intérêtspersonnels. On a vu que les principales réformes de libéralisation politique et économiqueengagées par l’État algérien ont été mises en place en période de crise, lorsque la rentepétrolière a connue ses limites en terme de financement. La remise en question du régimepermettant la mise en place d’une économie de production et le développement économiquedu pays peut donc prendre deux formes : soit que le pays connaisse une seconde crise dela rente pétrolière ce qui réduirait les capacité de redistribution de l’État portant fortementatteinte à la légitimité de l’État auprès de sa clientèle, la survie du régime relevant alorsde sa capacité à faire appel à la force armée ; soit que des acteurs autonomes de l’États’organisent pour contester le régime en place en s’établissant comme un groupe concurrentpouvant mettre fin à la privatisation de l’État, par la mise en place d’un régime démocratiquenotamment.

161 HABERMAS J., L’espace public, Paris, Payot, 1988, p. 90

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Deux types d’acteurs peuvent s’opposer à l’État. D’une part des acteurs extérieurscomme le FMI ou les partenaires économiques du pays qui peuvent faire pression afind’obtenir la mise en place d’un marché où ils peuvent s’insérer plus facilement. Il est peuprobable que ces pressions aboutissent à une réelle évolution de la structure politique etéconomique de l’État. De plus, les réformes récentes engagées par l’État qui ouvrent unconflit avec l’Union Européenne semble montrer que l’Algérie estime pouvoir s’autonomiserde ses partenaires internationaux qui sont demandeurs d’hydrocarbures, notamment degaz, l’UE désirant diversifier ses sources d’approvisionnement. Le second type d’acteurserait constitué d’une élite autonome de l’État issu du secteur privé et de l’informel quiestimerait que son intérêt n’est plus servi par ce régime. La constitution d’une telle élitesemble difficile, la clientèle de l’État étant particulièrement vaste tant dans le secteurprivé que dans le secteur informel si l’on englobe les bénéficiaires de rentes spéculatives.Cependant l’émergence du secteur privé ou l’affirmation de syndicats indépendants dans lafonction publique peuvent être perçues comme un embryon de société civile autonome.

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Liste des sigles utilisés

Les politiques industrielles de l’Algérie contemporaine, le développement en faillite des relationsentre Etat et appareil de production dans une économie en développement

86 Chignier Antoine - 2009

AIS Armée Islamique du SalutANDI l’Agence Nationale de Développement et de l’InvestissementANI Assises Nationales de l’IndustriesAPII Agence pour la Promotion de l’Innovation IndustrielleBAD Banque Algérienne de DéveloppementCCI Chambre du Commerce et de l’IndustrieCNES Conseil National Economique et SocialCNI Conseil National de l’InvestissementCNIT Commission Nationale pour l’Innovation et la TechnologieCNP Conseil National de PrivatisationCNPE Conseil National aux Participations de l’ÉtatDA Dinar AlgérienEPE Entreprise Publique EconomiqueEPL Entreprise Publiques LocalesFCE Forum des Chefs d’EntrepriseFFS Front des Forces SocialistesFIS Front Islamique du SalutFLN Front de Libération NationalFMI Fond Monétaire InternationalFRR Fond de Régulation des RecettesGSE Gestion Socialiste des EntreprisesHCE Haut Comité d’ÉtatIDE Investissement Direct à l’EtrangerIE Intelligence EconomiqueINAPI Institut National Algérien de la Propriété IndustrielleISSME Industries Sidérurgique, Métallurgique, Mécanique et ElectriqueJO Journal OfficielMATE Ministère de l’Aménagement du territoire et de l’EnvironnementMIPI Ministère de l’Industrie et de la Promotion des investissementsMPPI Ministère de la Participation et de la Promotion des investissementsMSP Mouvement de la Société pour la PaixNSI Nouvelle Stratégie IndustrielleNTIC Nouvelles Technologies de l’Information et de la CommunicationOMC Organisation Mondiale du CommerceONS Organisation Nationale des StatistiquesOPEP Organisation des pays exportateurs de pétrolePAS Plan d’Ajustement StructurelPDG Président Directeur GénéralPME Petites et Moyennes EntreprisesPNUD Programme des Nations-Unies pour le DéveloppementRND Rassemblement National DémocratiqueSGP Sociétés de Gestion des ParticipationsUGTA Union Générale des Travailleurs AlgériensZAII Zones d’Activité Industrielles Intégrés

Bibliographie

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Résumé

L’Algérie a élaboré à partir de 2006 un projet de nouvelle stratégie industrielle qui a étéfortement critiqué. Ce projet est l’occasion de revenir sur le rôle de l’État dans le processusd’industrialisation et sur la place occupée par le secteur industriel - fortement dominé par lesecteur public - dans l’histoire économique contemporaine du pays. L’examen des politiquesindustrielles nous permettra de traiter de l’impact de la rente pétrolière sur l’économie deproduction, de faire un bilan de l’économie administrée et d’analyser l’articulation entrela forme néo-patrimoniale de l’État et l’organisation de la production nationale. Le projetde nouvelle stratégie industrielle constituera une étude de cas afin d’établir si les 20dernières années marquées par un Plan d’Ajustement Structurel et de nombreuses réformeslibéralisant l’économie ont modifié les relations entre l’État et le secteur industriel.

Mots clés Algérie contemporaine, secteur industriel, développement économique, rente, forme néo-patrimoniale de l’État.

AbstractAlgeria developed in 2006 a draft New Industrial Strategy which has been violently criticized.This draft is an occasion to tackle the role played by the State in the industrialization processand to define industrial sector’s place in the country’s contemporary economic history,whereas industry is dominated by the public sector. The review of the industrial policieswill permit us to deal with the effect of the oil rent on production economy, to take stock ofthe administered economy and to analyse the articulation between the neopatrimonialismof the State and the organisation of national production . The draft New Industrial Strategywill form a case study in order to establish if the last 20 years - which were characterizedby a Structural Adjustment Plan and many economic liberalization reforms – changed therelationships between the State and the industrial sector.

KeywordsContemporary Algeria, industrial sector, economic development, economic rent,neopatrimonialism of State